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DU droit des entreprises en difficulté

Fiches du module
Droit européen et international de l'insolvabilité

Fiche n° 9 :
Les règles spéciales européennes de protection des créanciers

Dans l’impossibilité de parvenir à une unification des règles relatives à l’opposabilité par les
créanciers de leurs droits à une faillite européenne, en raison de la diversité des droits matériels
nationaux relatifs aux sûretés, les textes communautaires ont tenu compte des droits
régulièrement acquis par les tiers en dehors du champ territorial immédiat de la procédure. Dans
ce but, le règlement 1346/2000, dont les dispositions sont reprises à l’identique par le
règlement 2015/848, ainsi que les directives 2009/238 et 2001/24 instituent deux ordres
d’exception à la compétence de la loi de la faillite. Il y a d’abord les situations de droit qui ne
sont pas affectées par la procédure d’insolvabilité ou de liquidation, la considération des droits
acquis par les créanciers étant assurée par une limitation des effets de la procédure principale
(§ 1). Il y a ensuite les situations de droits affectées par la procédure d’insolvabilité mais pour
lesquelles les droits acquis par les créanciers sont préservés par la compétence d’autres lois que
celle de la faillite (§ 2).

§ 1 : Règles de compétence limitant la portée de l’universalité de la procédure


d’insolvabilité

Le droit européen prévoit des dérogations importantes à la portée universelle de la procédure


principale ou de la procédure de liquidation d’entreprises bancaires ou d’assurance en énonçant
la limitation des effets de la procédure à l’égard des droits réels des créanciers sur les biens du
débiteur situés à l’étranger, ainsi que pour la compensation et la clause de réserve de propriété.

Droits réels sur des biens situés à l’étranger. En droit européen, l’ouverture d’une procédure
d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel d’un créancier ou d’un tiers sur les biens appartenant
au débiteur qui se situent, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le territoire d’un autre
État1.

Quelle que soit la nature des biens, les créanciers conservent notamment, malgré l’ouverture
d’une procédure dans un autre État :
- le droit de réaliser ou de faire réaliser les biens et de se désintéresser sur le produit de la
réalisation, en particulier en vertu d’un gage ou d’une hypothèque ;
- le droit de recouvrer une créance mise en gage ou cédée à titre de garantie ;
- ou encore le droit de revendiquer un bien et/ou d’en réclamer la restitution entre les mains
de quiconque le détient ;
1
Art. 5 règl. 1346/2000, art. 8 règl. 2015/848, art. 286 dir. 2009/238 et art. 21 dir. 2001/24.
1
- enfin le droit de percevoir les fruits d’un bien.
Cette règle introduit une sorte de territorialité à l’égard des procédures qui ont en principe une
portée universelle. Concernant la compétence législative, il convient d’en déduire la solution
suivante : la loi de la procédure collective régit les sûretés réelles grevant les biens situés dans
le pays d’ouverture de la procédure, mais ne porte pas atteinte aux sûretés réelles grevant les
biens localisés dans un autre État membre et relevant de la lex rei sitae. Cette solution élaborée
dans un souci de compromis s’éloigne de l’analyse la plus communément admise en droit
international privé commun, qui propose une application distributive, d’une part, de la lex rei
sitae pour fixer le principe et le régime de la sûreté et, d’autre part, de la loi de la faillite pour
déterminer les conditions de l’opposabilité et du rang de cette même sûreté. Néanmoins, compte
tenu de la diversité actuelle des droits nationaux, la solution adoptée dans le cadre européen
n’est pas dénuée d’intérêt, car, en respectant les droits acquis sur des biens situés sur le territoire
d’autres États membres que l’État d’ouverture de la procédure, elle a l’avantage de la
prévisibilité pour le créancier2.
Il convient enfin de relever que, dans l’arrêt Hermann Lutz3 du 16 avril 2015, la Cour de justice
considère que la qualification de droit réel, au sens de l’article 5 du règlement no 1346/2000,
relève de la lex rei sitae. En l’occurrence, se posait la question de savoir si une saisie de comptes
bancaires faisait naître un droit réel privilégié en faveur du créancier saisissant. La Cour de
justice a jugé que cette question devait être résolue en application du droit autrichien (lex rei
sitae) – le territoire autrichien étant le lieu où se trouvait le compte.
Bien que réitérant l’arrêt Hermann Lutz, la Cour de justice établit cependant dans l’arrêt SCI
Senior Home4 des critères que doivent remplir les droits qualifiés de réels par la législation
nationale pour relever de l’article 5. La Cour de justice distingue donc entre les droits qualifiés
de réels par la législation nationale applicable mais ne relevant pas de l’article 5 et ceux
qualifiés de réels par la législation nationale applicable mais relevant de l’article 5 parce qu’ils
vérifient les trois critères définis par la Cour de justice. Ainsi, pour relever de l’article 5, le droit
réel doit grever « directement et immédiatement un bien » (en l’occurrence un immeuble),
permettre l’exécution forcée sur le bien en cause et, enfin, conférer la qualité de « créancier
privilégié » à son titulaire (point n° 23).

Bénéfice de la compensation. Dans le même sens et sous la même réserve de l’action en nullité
ou en inopposabilité, le droit européen prévoit que l’ouverture de la procédure d’insolvabilité
n’affecte pas le droit d’un créancier d’invoquer la compensation entre sa créance et celle du
débiteur lorsqu’une telle opération est permise par la loi applicable à la créance du débiteur
insolvable5. Évidemment, l’application de l’article 6 du règlement 1346/2000 et 9 du
règlement 2015/848 ne vaut que dans la mesure où la procédure collective présente une
dimension transfrontalière, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 21 février
20126 par lequel elle considère que « le règlement (CE) 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux

2
C’est la raison pour laquelle il a été considéré qu’un alignement du droit international commun ne serait pas
inopportun, G. KHAIRALLAH, Rép. int. Dalloz, Vo Privilèges, no 26 ; H. SYNVET, Rép. int. Dalloz, Vo Faillite,
no 58.
3
CJUE, 16 avr. 2015, aff. C-557/13, Hermann Lutz, Rev. proc. coll. 2015, comm. 87, note Th. MASTRULLO.
4
CJUE, 26 oct. 2016, aff. C-195/15, D. 2017, p. 852, note R. DAMMAN ; BJS 2017, p. 248, note F. JAULT-
SESEKE ; Rev. proc. coll. 2017, comm. 59, obs. Th. MASTRULLO ; JCP G 2017, 226, 11, obs. M. MENJUCQ ;
RCDIP 2017, p. 449, note L. PERREAU SAUSSINE.
5
Art. 6 règl. 1346/2000, art. 9 règl. 2015/848, art. 288 dir. 2009/238 et art. 23 dir. 2001/24.
6
Cass. com., 21 févr. 2012, no 11-18027, arrêt préc., Rev. proc. coll., no 6/2012, comm. 187, obs. M. MENJUCQ.
2
procédures d’insolvabilité n’étant pas applicable à une situation juridique purement interne à
un État membre et son article 6, relatif à la compensation, n’ayant ni pour objet, ni pour effet
d’unifier les règles matérielles de droit interne en cette matière, il n’y a pas lieu d’interpréter
l’article L. 622-7, alinéa 1er, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance
du 18 décembre 2008, à la lumière de ce texte ni de saisir la Cour de justice de l’Union
européenne à cette fin ». Le règlement 2015/848 comporte un considérant 71 qui apporte une
précision utile en indiquant que « si la loi de l’État d’ouverture de la procédure n’autorise pas
la compensation de créances, un créancier devrait néanmoins avoir droit à une compensation si
celle-ci est possible en vertu de la loi applicable à la créance du débiteur insolvable. La
compensation deviendrait ainsi une sorte de garantie régie par une loi dont le créancier concerné
peut se prévaloir au moment de la naissance de la créance ».

Bénéfice de la clause de réserve de propriété. Il en est de même de la clause de réserve de


propriété portant sur un bien qui se trouve, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le
territoire d’un État membre autre que celui d’ouverture de la procédure7. Les raisons de ces
dispositions sont les mêmes que pour celles concernant les droits réels : même si tous les États
membres connaissent les techniques de la compensation et de la clause de réserve de propriété,
des différences importantes existent entre les diverses législations nationales. En outre,
concernant la clause de réserve de propriété, le droit communautaire a cherché à assurer
l’efficacité de ce moyen en évitant que le vendeur ne soit dépourvu de droits par une procédure
dont il peut ne pas connaître l’effet à l’égard de la clause de réserve de propriété parce qu’il est
lui-même domicilié dans un autre État et que le bien a été livré dans un État différent de celui
où a été ouverte la procédure. En effet, il faut comprendre que cette règle vise à protéger le
fournisseur étranger ignorant des modalités à suivre pour obtenir restitution du bien dans le
cadre de la procédure d’insolvabilité ou de liquidation.

Remise en cause par l’application de la lex fori concursus. Le droit européen8 prévoit que
les actes en principe non affectés par l’ouverture d’une procédure collective peuvent être remis
en cause, en application de la loi de l’État d’ouverture de la procédure collective, lorsque celle-
ci prévoit la nullité, l’annulation ou l’inopposabilité des actes préjudiciables à l’ensemble des
créanciers, à l’exemple du régime français des nullités de la période suspecte. Mais le
bénéficiaire de l’acte peut se prévaloir de l’article 13 du règlement 1346/2000 (désormais
l’article 16 du règlement 2015/848) pour échapper à la sanction de la loi de l’État d’ouverture
de la procédure collective en prouvant que l’acte est soumis à une autre loi que celle de la faillite
et que la loi concernée ne permet par aucun moyen d’attaquer l’acte en cause, du fait de
l’inapplication d’une autre action comparable dans ses effets à l’action en nullité ou en
inopposabilité, telle que, par exemple, une action paulienne. C’est en ce sens que la Cour de
cassation a censuré, dans un arrêt du 16 février 20169, une cour d’appel qui avait validé, au seul
regard des dispositions de la loi française, une saisie-attribution pratiquée en France avant
l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité en Slovaquie. Très justement, la Cour de cassation
affirme qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 4, paragraphe 2, m), du règlement
(CE) 1346/2000, du 29 mai 2000, au motif que « la loi slovaque, en tant que loi applicable à la
procédure d’insolvabilité de la société (débitrice), devait être consultée pour déterminer si

7
Art. 7 règl. 1346/2000, art. 10 règl. 2015/848, art. 287 dir. 2009/238 et art. 22 dir. 2001/24.
8
Cf. art. 4 § 2, m, règl. 1346/2000, art. 7, 2, m, règl. 2015/848, art. 274, § 2, l, dir. 2009/238 et art. 10 § 2, h,
dir. 2001/24.
9
Cass. com., 16 févr. 2016, no 14-10378, JurisData 2016-002556 ; Rev. proc. coll. 2016, comm. 176, obs.
T. MASTRULLO ; JCP G 2016, 471, note J. HEYMANN ; D. 2016, p. 1045, obs. H. GAUDEMET-TALLON.
3
l’ouverture d’une telle procédure pouvait remettre en cause une saisie-attribution pratiquée
antérieurement en France, sauf à la société (créancière) à établir, conformément à l’article 13
du règlement (CE) 1346/2000, que la loi française, applicable au lieu de saisie, en particulier
l’article L. 632-2, alinéa 2, du Code de commerce, ne permettrait, en l’espèce, par aucun
moyen, d’attaquer cet acte ».

Interprétation de l’article 13 du règlement 1346/2000. La Cour de justice de l’Union


européenne a eu l’occasion de se prononcer de manière précise sur l’interprétation de
l’article 13 du règlement 1346/2000 dans un arrêt Nike du 15 octobre 201510. L’apport de cet
arrêt est très précieux tant sur la question du contenu de la loi applicable que sur celle de la
charge et de l’objet de la preuve, la Cour de justice donnant ainsi une véritable grille de lecture
de l’article 13. L’affaire ayant donné lieu au recours préjudiciel a permis de poser le problème
dans les termes les plus classiques. Un franchisé finlandais de Nike, la société Sportland, ayant
fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité, avait introduit une action devant le tribunal de
première instance d’Helsinki, qui avait ouvert la procédure, afin d’obtenir, sur le fondement de
la loi finlandaise applicable à la procédure d’insolvabilité, la nullité de paiements faits à son
franchiseur avant l’ouverture de la procédure pour que ces sommes soient réintégrées dans la
« masse de la faillite ». En appel, la juridiction, considérant que les parties au principal
s’opposaient, premièrement, sur l’interprétation des termes « ne permet en l’espèce, par aucun
moyen, d’attaquer cet acte », deuxièmement, sur la portée de l’obligation de Nike de fournir
des indications sur le contenu du droit néerlandais et, troisièmement, sur la répartition de la
charge de la preuve entre les parties, décida de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions
préjudicielles.
La Cour de justice pose, en préambule, le principe que l’article 13 du règlement énonce une
exception au principe général de compétence de la lex fori concursus de l’article 411. Elle en
déduit logiquement que ce texte qui a pour objet de « protéger la confiance légitime et la sécurité
des transactions dans des États membres différents de celui de l’ouverture de la procédure »
(considérant 18) doit être interprété strictement. Ensuite, elle affirme, en raison du fait que la
version finnoise du texte ne comporte pas la même traduction de l’article 13 que les autres
versions linguistiques, la nécessité d’une interprétation uniforme du texte, ce qui impose
d’interpréter ledit article 13 comme tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce pour
apprécier la condition d’application de ce texte tenant à ce que l’acte concerné ne puisse pas
être attaqué sur le fondement de la lex causae. Elle ajoute que l’article 13 précise l’attribution
de la charge de la preuve, bien qu’il ne contienne pas de dispositions relatives aux aspects
procéduraux, notamment sur les modalités d’administration de la preuve ou les moyens de
preuve.
En conséquence, selon la Cour de justice, si le bénéficiaire de l’acte préjudiciable à l’intérêt de
l’ensemble des créanciers est protégé par l’application du droit national qui régissait l’acte lors
de sa conclusion (lex causae), y compris après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, c’est
à la condition qu’il rapporte la preuve que la lex causae ne permet, par aucun moyen, d’attaquer
ledit acte. La charge de la preuve incombe donc au bénéficiaire de l’acte qui est défendeur à
l’action. Quant à l’objet de la preuve que doit rapporter le bénéficiaire de l’acte, la Cour de
justice interprète les termes « ne permet [...], par aucun moyen, d’attaquer cet acte » comme

10
CJUE, 15 oct. 2015, aff. C-310/14 ; Europe 2015, comm. 538, obs. L. IDOT ; JCP G 2016, doctr. 241, 11, obs.
M. Menjucq ; RTD com. 2015, p. 755, obs. J.-L. VALLENS ; D. 2016, p. 526, note R. DAMMANN et M. PIGOT ;
Rev. proc. coll. 2016, comm. 171, obs. T. MASTRULLO.
11
Déjà en ce sens, CJUE, 16 avr. 2015, aff. C-557/13 (Lutz).
4
obligeant le défendeur à l’action à démontrer que l’acte ne peut être attaqué sur le fondement
ni des dispositions de la lex causae applicables en matière d’insolvabilité, ni de l’ensemble des
dispositions et des principes généraux de cette même loi nationale. Ainsi, la portée de
l’article 1312 du règlement 1346/2000 est donc largement limitée par la Cour de justice, cet arrêt
étant bien évidemment transposable à l’article 16 du règlement 2015/848 qui est identique.
Un arrêt du 8 juin 201713 apporte une contribution supplémentaire à l’élaboration de ce
régime. En premier lieu, dans le prolongement direct de l’arrêt Nike, il confirme que l’article 13
ne comporte pas de dispositions relatives au régime de la preuve, de sorte que la forme et les
délais pour invoquer l’article 13 relèvent du droit procédural de l’État membre sur le territoire
duquel ledit litige est pendant. S’agissant de l’objet de la preuve que doit rapporter le
bénéficiaire de l’acte pour échapper à l’action révocatoire, la Cour de justice précise qu’une
interprétation excessive étroite priverait l’article 13 de tout effet utile car il existe presque
toujours, dans les droits nationaux, un moyen d’attaquer un acte. Elle interprète donc l’article 13
comme imposant au bénéficiaire de l’acte préjudiciable de prouver seulement que, lorsqu’il
existe dans la lex causae un moyen permettant d’attaquer l’acte en cause, les conditions
d’application de ce moyen, différentes de celles prévues par la lex fori concursus, ne sont pas
réunies en l’espèce.

§ 2Règles de compétence concurrentes de la lex concursus

Situations affectées par la procédure d’insolvabilité mais non régies par la lex concursus.
Des créanciers non affectés par l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, il faut distinguer la
situation des créanciers qui sont affectés mais pour lesquels les règlements 1346/2000
et 2015/848 ainsi que les directives 2009/238 et 2001/24 prévoient expressément l’application
d’une autre loi que la lex concursus. C’est le cas des salariés (A) et celui d’autres créanciers
particuliers (B).

A Règles de compétence législatives concernant les salariés

Compétence de la loi du contrat de travail. S’agissant de la situation des salariés, les


règlements 1346/2000 et 2015/848 ainsi que les directives 2009/238 et 2001/24 posent à
l’identique le principe que « les effets de la procédure sur un contrat de travail et sur le rapport
de travail sont régis exclusivement par la loi de l’État membre applicable au contrat de
travail »14. Le droit européen aurait pu tendre à l’harmonisation des règles de compétence
législative sous l’égide de la loi de la procédure d’insolvabilité mais l’exclusivité de
compétence de la loi du contrat est justifiée, là encore, par la diversité persistante des lois des
États membres sur les droits des salariés. On peut néanmoins regretter que le nouveau règlement
n’ait pas apporté de précisions sur ce point particulier. La règle de conflit énoncée renvoie à

12
Dispositions reprises à l’art. 290 de la dir. 2009/238 et à l’art. 30 de la dir. 2001/24.
13
CJUE, 8 avr. 2017, aff. C-54/16, aff. Vinyls italia Spa.
14
Art. 10 règl. 1346/2000, art. 13 règl. 2015/848, art. 85, a, dir. 2009/238 et art. 20 dir. 2001/24.
5
l’article 8 § 1 du règlement 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I »15 relatif à la loi applicable
au contrat de travail. Cette loi détermine les effets de la procédure d’insolvabilité sur la
poursuite ou la cessation de la relation de travail et sur les droits et obligations des parties
contractantes. En revanche, selon le considérant 28 du règlement 1346/2000, les questions
d’insolvabilité autres que l’incidence de l’ouverture d’une procédure sur le contrat et les
relations de travail, tels que le fait de savoir si les créances des salariés bénéficient d’un
privilège et quel est le rang de celui-ci, devraient être déterminés par la loi de l’État d’ouverture.

Le considérant 72 du règlement 2015/848 énonce le même principe, sous la réserve de


l’existence d’un engagement unilatéral. En effet, dans un tel cas, le privilège et le rang des
créances salariales sont déterminés selon la loi de l’État membre dans lequel une procédure
secondaire aurait pu être ouverte et ne l’a pas été en raison de l’acceptation par les créanciers
locaux d’un engagement unilatéral.

L’article 13, § 2 du règlement 2015/848 précise que la modification ou la résiliation des contrats
de travail doit être approuvée par la juridiction de l’État membre dans lequel une procédure
secondaire pourrait être ouverte, ce qui vise les États membres où existe un établissement du
débiteur, et ce même en l’absence d’ouverture d’une procédure secondaire.

C’est pour adapter le droit français à cette disposition que l’article L. 692-10 du Code de
commerce16, issu de l’ordonnance du 2 novembre 2017, prévoit la compétence du tribunal de
commerce spécialisé en application de l’article L. 721-8, 2° si le débiteur exerce une activité
commerciale ou artisanale et la compétence du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se
trouve l’établissement dans les autres cas. Les règles applicables à l’approbation par les
juridictions françaises précitées des licenciements des salariés seront celles de l’article L. 631-
17 du Code de commerce si la procédure principale est analogue au redressement judiciaire et
celles de l’article L. 641-10 si la procédure principale est analogue à la liquidation judiciaire17.
Dans les deux cas, les juridictions françaises devront caractériser l’état de cessation des
paiements18, leurs décisions pouvant faire l’objet des recours prévus par l’article L. 692-10, II,
alinéa 319.

B Règles de compétence législative concernant certains créanciers particuliers

Autres lois compétentes. De manière identique encore, les quatre textes européens prévoient
un certain nombre de règles attribuant compétence à d’autres lois que celle de la faillite pour
déterminer les effets de la procédure d’insolvabilité. Ainsi, par exemple, les contrats donnant
le droit d’acquérir ou de jouir d’un bien immobilier sont régis exclusivement par la loi de l’État

15
L’art. 8 du règl. 593/2008 reprend en termes similaires les dispositions de l’article 6 de la convention de Rome
du 19 juin 1980 selon lesquelles le contrat de travail est régi par la loi choisie par les parties mais précise que ce
choix « ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions
impératives de la loi applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 », cette loi étant « celle du pays où
le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail ».
16
La procédure prévue par l’article L. 692-10 est précisée par l’article R. 692-10 du Code de commerce, issu du
décret 2018-452 du 5 juin 2018.
17
L’article L. 692-10, II, al. 2 précise que le tribunal exerce les pouvoirs confiés au juge-commissaire par les
articles L. 631-17 et L. 641-10.
18
Art. L. 692-10, II du Code de commerce.
19
L’article R. 692-10, in fine, du Code de commerce précise que le jugement est exécutoire par provision et qu’il
est susceptible d'appel dans les dix jours de sa notification.
6
de situation de l’immeuble20. L’article 11 du règlement no 2015/848 reprend cette disposition,
mais la précise en indiquant que « la juridiction qui a ouvert la procédure d’insolvabilité
principale est compétente pour approuver la résiliation ou la modification des contrats visés
dans le présent article, dans les cas où : a) la loi de l’État membre applicable à ces contrats exige
que ce type de contrats ne peut être résilié ou modifié qu’avec l’approbation de la juridiction
qui a ouvert la procédure d’insolvabilité ; et b) si aucune procédure d’insolvabilité n’a été
ouverte dans cet État membre ».
Les droits soumis à enregistrement (biens immobiliers, navires, aéronefs) dépendent de la loi
de l’État où est tenu le registre21.
La protection des droits des acquéreurs d’immeubles, de navires, d’aéronefs ou de valeurs
mobilières soumises à inscription lorsque la cession a été réalisée après l’ouverture de la
procédure d’insolvabilité, est réalisée par la soumission de la validité de l’acte à la loi de l’État
sur le territoire duquel ce bien immobilier est situé ou sous l’autorité duquel ce registre est
tenu22.
S’agissant des droits et obligations des participants à un système de paiement ou de règlement
ou à un marché financier, ils relèvent à titre exclusif de la loi applicable au système ou marché23.
En ce qui concerne les instances ou les procédures arbitrales en cours, elles sont régies à titre
exclusif par la loi de l’État membre dans lequel l’instance est en cours 24 ou dans lequel le
tribunal arbitral a son siège, comme le précise l’article 18 du règlement 2015/848. Il faut
préciser que les textes européens donnent compétence aux lois précitées non dans leurs règles
matérielles de droit commun mais dans celles relatives à la faillite. A cet égard, la Cour de
justice25 a considéré que le règlement insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il s’applique
à une instance en cours devant une juridiction d’un État membre ayant pour objet la
condamnation d’un débiteur au paiement d’une somme d’argent, due en vertu d’un contrat de
prestation de services, ainsi qu’à une indemnisation pour non-respect de cette même obligation
contractuelle, dans le cas où ce débiteur a été déclaré insolvable dans le cadre d’une procédure
d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre et où cette déclaration d’insolvabilité s’étend
à l’ensemble du patrimoine dudit débiteur.

La raison d’être commune à ces exceptions à la compétence de la lex concursus réside dans la
considération que les créanciers qui ont acquis ou inscrit leurs droits en vertu d’une loi nationale
autre que celle applicable à la procédure de portée universelle soient surpris par l’application
de cette loi dont ils n’avaient pas envisagé la mise en œuvre. Toutefois, la lex concursus n’est
pas totalement écartée puisqu’elle retrouve compétence pour fonder l’action en nullité ou en
inopposabilité contre les actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers.

On relève enfin l’existence de l’article L. 211-40 du Code monétaire et financier, selon lequel,
« les dispositions du livre VI du Code de commerce, ou celles régissant toutes procédures
judiciaires ou amiables équivalentes ouvertes sur le fondement de droits étrangers, ne font pas
obstacle à l’application des dispositions de la présente section » relative aux règles communes

20
Art. 8 règl. 1346/2000, art. 284, b, dir. 2009/238 et art. 31 dir. 2001/24.
21
Art. 11 règl. 1346/2000, art. 14 règl. 2015/848, art. 284, c, dir. 2009/238, art. 24 et 31 dir. 2001/24.
22
Art. 14 règl. 1346/2000, art. 17 règl. 2015/848, art. 291 dir. 2009/238 et art. 31 dir. 2001/24.
23
Art. 9 règl. no 1346/2000, art. 12 règl. no 2015/848, art. 289 dir. no 2009/238 et art. 27 dir. no 2001/24.
24
Art. 15 règl. no 1346/2000, art. 18 règl. no 2015/848, art. 292 dir. no 2009/238 et art. 32 dir. no 2001/24.
25
CJUE, 6 juin 2018, aff. C-250/17, Rev. proc. coll. 6/2019, comm. 158, obs. Th. Mastrullo.
7
applicables aux opérations sur instruments financiers. Compte tenu du principe de la supériorité
des normes internationales ou européennes, cette règle ne devrait cependant pas pouvoir être
opposée aux procédures d’insolvabilité ouvertes sur le fondement du règlement 1346/2000 ou
du règlement 2015/848. Seules les procédures collectives purement françaises ou
internationales (au sens d’extra-européennes) dont le régime est déterminé par des règles
françaises peuvent se voir opposer l’article L. 211-40.

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