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Fiches du module
Droit européen et international de l'insolvabilité
Fiche n° 8 :
Les principes européens de compétence de la lex fori concursus et d’égalité
des créanciers
La compétence législative fait l’objet d’un régime homogène en droit communautaire des
faillites. Le règlement no 1346/2000 et les directives no 2009/238 et 2001/24 comportent des
règles de conflit de lois et des dispositions matérielles identiques qui tendent à garantir l’égalité
des créanciers. Mais face à des pratiques nationales divergentes, les textes européens adoptent
là encore une solution de compromis. Le règlement no 2015/848 apporte certaines
modifications, mais la jurisprudence adoptée sous l’empire du règlement n o 1346/2000 lui est
largement transposable. C’est ainsi que même s’ils consacrent la compétence de la loi de la
faillite (§ 1), ils prévoient des règles matérielles pour assurer l’égalité des créanciers (§ 2).
Tant le règlement 1346/2000 et à sa suite le règlement 2015/848 que les directives 2009/238 et
2001/24 consacrent le rattachement de principe, adopté par la grande majorité des systèmes
nationaux, selon lequel la loi applicable à la faillite est celle de l’État d’ouverture de la
procédure. Cette consécration résulte du caractère éminemment procédural de la faillite. Dans
le cadre des règlements 1346/2000 et 2015/848, la procédure secondaire est, comme la
procédure principale, soumise à la lex fori, chaque procédure est donc régie par sa propre loi
nationale. Les textes européens précisent par une énumération non limitative le domaine de
compétence de la lex fori concursus qui concerne largement l’ouverture, le déroulement et la
clôture de la procédure. Cette précision présente l’avantage de réduire les divergences
d’interprétation sur le champ d’application de la lex fori concursus, ce qui est source de sécurité
juridique et permet une meilleure coordination des systèmes nationaux. C’est déjà un premier
apport au regard du droit international français dans lequel cette délimitation est incertaine car
reposant sur une jurisprudence éparse.
Domaine non limitatif de la lex fori concursus. Plus spécifiquement pour ce qui concerne les
créanciers, les règlements 1346/2000 et 2015/848 ainsi que les directives 2009/238 et 2001/241
ajoutent de manière identique que la lex fori concursus régit « notamment » :
- les effets de la procédure d’insolvabilité sur les contrats en cours, sur les poursuites
individuelles à l’exception des instances en cours ;
- les conditions d’opposabilité d’une compensation ;
1
Art. 4 règl. 1346/2000, art. 7 règl. 2015/848, art. 274 dir. 2009/238 et art. 8 dir. 2001/24.
- les créances à produire au passif du débiteur et le sort des créances nées après l’ouverture
de la procédure ;
- les règles se rapportant à la production, à la vérification et à l’admission des créances ;
- les règles de distribution du produit de la réalisation des biens, rang des créances ;
- les droits des créanciers après la clôture de la procédure ;
- les règles relatives à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabilité des actes préjudiciables
à l’ensemble des créanciers.
La lex fori concursus a donc, en droit européen, une compétence de principe pour régir
l’ensemble de la procédure. Le caractère simplement « indicatif » de l’article 4 § 2 du règlement
1346/2000 a ainsi été relevé par la Cour de justice de l’Union européenne 2 qui en a inféré que
les effets de la clôture d’une procédure d’insolvabilité sur les droits des créanciers qui n’ont pas
participé à cette procédure, en ce compris la déchéance de leurs créances, sont effectivement
régis par l’article 4, § 2 même si le sort des créanciers n’ayant pas participé à la procédure
d’insolvabilité n’est pas expressément mentionné par ledit article. Cette compétence étendue
manifeste l’objectif d’assurer l’universalité de la procédure par l’application extensive d’une
même loi et permet l’exercice unitaire des droits des créanciers dans la procédure, ce qui
garantit l’égalité de traitement. Néanmoins, cette application ne se fait pas sans la considération
d’autres lois. Ainsi, par exemple, bien que la loi de l’État d’ouverture de la procédure soit
applicable aux effets de la procédure sur les contrats en cours, il sera nécessaire de se référer à
la loi du contrat pour savoir s’il est en cours, avant d’appliquer la loi de la faillite à la
continuation ou à la résiliation de ce contrat. Il n’en reste pas moins que les droits des créanciers
étant sous la dépendance de la loi de la procédure d’insolvabilité, ils varient selon que les
juridictions de tel ou tel État sont compétentes. En ce sens, se situe l’arrêt RIEL3 selon lequel
l’article 41 du règl. 1346/2000 permet à un créancier de peut produire sa créance sans indiquer
la date de naissance de celle-ci si le droit de l’Etat d’ouverture de la procédure d’insolvabilité
n’impose pas cette indication.
Déclaration de créances et délégation de pouvoir. Dans deux arrêts du 15 décembre 20094 et
22 juin 20105, la Cour de cassation a appliqué l’article 4, § 2, h du règlement no 1346/2000 et a
affirmé que la loi de l’État d’ouverture de la procédure collective était compétente pour
déterminer les conditions de la déclaration de créances. En revanche, dans l’arrêt du
15 décembre 2009, elle précise que la lex fori concursus n’est pas compétente pour déterminer
l’organe social habilité à donner à un préposé la délégation de pouvoir de déclarer la créance,
cette compétence revenant à la lex societatis désignant la loi de l’État du siège social. Dans le
même sens, la Cour de cassation a précisé qu’en application du droit français compétent, en
vertu de l’article 4, 2, sous h du règlement no 1346/2000, pour connaître de la déclaration de
créances à une procédure d’insolvabilité ouverte en France, le pouvoir délégué au dirigeant de
la société créancière de droit étranger d’assurer la gestion quotidienne ne lui conférait pas le
droit d’effectuer une déclaration de créance, dès lors que cette déclaration implique le pouvoir
d’agir en justice6. La compétence de la lex fori concursus pour la déclaration de créance a pour
conséquence que l’avocat qui déclare la créance d’une société de droit étranger dans le cadre
d’une procédure collective française n’est pas tenu de justifier de son mandat, conformément
2
CJUE, 9 nov. 2016, aff. C-212/15.
3
CJUE, 18 septembre 2019, aff. C-47/18.
4
Cass. com. 15 déc. 2009, no 08-14949.
5
Cass. com., 22 juin 2010, no 09-65481.
6
Cass. com., 4 mars 2014, no 12-29580, Rev. proc. coll. 2015, comm. 96, obs. Th. MASTRULLO.
au droit français applicable, et n’a donc pas à indiquer le nom du représentant légal de la
personne morale pour laquelle il effectue la déclaration7.
Principe commun aux droits nationaux. Le principe de l’égalité des créanciers est commun
aux différents droits nationaux, la jurisprudence française l’admettant pour les faillites
internationales depuis un arrêt Nebel de 19139 qui a reconnu le droit pour les créanciers
étrangers de produire à une faillite ouverte en France. En conséquence, ce principe devait
irriguer le droit communautaire des faillites. En outre, ce principe fait l’objet dans les
règlements 1346/2000 et 2015/848 d’une adaptation de la pluralité de procédure instituée
puisqu’il lui est conféré une double signification : l’une classique selon laquelle il doit y avoir
égalité de traitement entre les créanciers d’une même procédure, l’autre plus originale, propre
aux règlements 1346/2000 et 2015/848, selon lesquels il doit y avoir une égalité entre les
créanciers participant aux diverses procédures se rapportant à un même débiteur. Le droit
communautaire renforce l’effectivité du principe de l’égalité des créanciers par des règles
matérielles relatives à l’information de créanciers, à la production des créances et au paiement.
7
Cass. com., 6 mars 2019, 17-22.365 et 17-22.366 (2 arrêts).
8
Cass. com., 13 sept. 2011, nos 10-25533, 10-25731 et 10-25908.
9
Cass. civ., 11 mars 1913, DP 1914, 1, 185.
Notion de créancier étranger. Les règlements no 1346/2000 et 2015/848 ainsi que les
directives 2009/238 et 2001/24 comportent des dispositions similaires relatives à l’information
des créanciers étrangers. Par créancier étranger, les règlements successifs ne font pas référence
à la nationalité des créanciers qui est indifférente mais à leur résidence dans un État autre que
celui où est ouverte une procédure, l’article 2, 12 du règlement 2015/848 précisant que c’est
« un créancier qui a sa résidence habituelle, son domicile ou son siège statutaire dans un État
membre autre que l’État d’ouverture de la procédure, y compris les autorités fiscales et les
organismes de sécurité sociale des États membres ».
Leur objectif est d’améliorer la situation de ces créanciers qui ont à surmonter les obstacles de
la territorialité des mesures de publicité légale, de la distance géographique, des différences de
langues et de la méconnaissance des règles locales de procédure.
Sous l’empire du règlement 1346/2000, le syndic pouvait aussi demander que la décision
d’ouverture d’une procédure soit inscrite sur un registre public tenu dans les autres États
membres13. Cette faculté du syndic devait s’apprécier en fonction de l’intérêt que ces mesures
de publicité pouvaient présenter en raison de la localisation de l’activité ou des biens du
débiteur. En outre, l’État membre dans lequel le débiteur avait un établissement pouvait exiger
qu’une publication de la décision d’ouverture fût réalisée et tout État membre, même si aucun
établissement n’est localisé sur son territoire, pouvait exiger que l’inscription sur un registre fût
obligatoirement faite par le syndic ou les autorités habilitées de la procédure principale14. Le
but de cette disposition était de favoriser l’ouverture d’une procédure secondaire coordonnée
avec la procédure principale.
10
Art. 21 du règlement.
11
Art. 28, 1 règl. 2015/848.
12
Article 28, 2 règl. 2015/848.
13
Art. 22 règl. no 1346/2000, art. 294 dir. no 2009/238 et art. 29 dir. no 2001/24.
14
Art. 22 règl. no 1346/2000.
établissement ou un bien immobilier du débiteur si la loi de l’État membre de situation de
l’établissement ou du bien immobilier l’exige15. Dans les autres États membres, une telle
inscription sur un registre public est facultative pour le praticien de l’insolvabilité ou le débiteur
non dessaisi16.
15
Article 29, 1 règl. 2015/848.
16
Article 29, 2 règl. 2015/848.
17
Art. 24 règl. 2015/848.
syndic nommé18. Cette information est réalisée au moyen de l’envoi d’une note individuelle
précisant notamment les délais à observer, les sanctions du non-respect de ceux-ci, l’organe
habilité à recevoir la production de créance ou l’indication de l’obligation pour un créancier
bénéficiant d’un privilège ou d’une sûreté de produire19. La note doit être rédigée dans la langue
de l’État où la procédure a été ouverte mais, dans un but de compréhension minimale par les
créanciers étrangers, doit être utilisé un formulaire portant le titre « Invitation à produire une
créance. Délais à respecter » dans toutes les langues officielles de l’Union européenne20. La
chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé par un arrêt du 18 juin 201421 la sanction
en cas de non-respect des articles 40 et 42, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1346/2000 sur
l’obligation d’information individuelle des créanciers connus. Cet arrêt vient après une
première décision de la Cour de cassation du 7 juillet 200922 et un arrêt pertinent de la cour
d’appel d’Orléans du 8 octobre 200923. La Cour de cassation qui précise que, dans le silence
des dispositions du règlement européen sur la sanction en cas d’omission ou d’insuffisance de
l’invitation à produire, « il appartient à loi de l’État d’ouverture, conformément aux dispositions
générales de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement, de déterminer les conséquences
d’un défaut d’information du créancier ». Elle considère que, les procédures collectives ayant
été ouvertes en France, le droit français est applicable et qu’au titre de l’article L. 622-26 du
Code de commerce, « est seule ouverte à un créancier chirographaire établi dans un autre État
membre la voie du relevé de forclusion ». Cet arrêt est particulièrement intéressant car c’est la
première fois que la Cour de cassation affirme, à l’égard d’un créancier chirographaire, que le
non-respect des dispositions des articles 40 et 42, paragraphe 1, du règlement (CE)
no 1346/2000 est sanctionné, dans le cadre de procédures collectives ouvertes en France, par le
relevé de forclusion. Cette jurisprudence est réitérée exactement dans les mêmes termes que
ceux de l’arrêt du 18 juin 2014 par un arrêt du 22 janvier 202024.
18
Art. 40 règl. 1346/2000, art. 281 dir. 2009/238 et art. 14 dir. 2001/24.
19
Art. 40 § 2 règl. no 1346/2000.
20
Art. 42 règl. no 1346/2000, art. 281 dir. nos 2009/238 et 2001/24.
21
Cass. com., 18 juin 2014, 12-28040, Rev. Proc. coll., 3/2015, com. 144, obs. M. Menjucq.
22
Cass. com., 7 juill. 2009, no 07- 17028, JurisData, no 2009-049116 ; Rev. proc. coll. 2009, comm. 149,
M. MENJUCQ.
23
Rev. proc. coll. 2010, comm. 218, M. MENJUCQ.
24
Cass. com., 22 janvier 2020, n° 18-19917.
25
Art. 54, 1 règl. no 2015/848.
26
Art. 54, 2 règl. no 2015/848.
et portant l’intitulé « Note concernant la procédure d’insolvabilité », tenant compte des langues
officielles qui doivent être utilisées27. Le formulaire uniformisé devant être utilisé pour informer
les créanciers étrangers connus de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, visé à
l’article 54, paragraphe 3, du règlement (UE) 2015/848 figure en annexe du règlement
d’exécution (UE) 2017/1105 de la Commission du 12 juin 2017 établissant les formulaires visés
dans le règlement (UE) 2015/848.
Production individuelle par les créanciers. Les créanciers locaux ou étrangers ont le droit de
produire leur créance soit à la procédure unique de liquidation d’une entreprise d’assurance ou
de crédit28, soit à toute procédure principale ou secondaire ouverte dans le cadre du règlement29
qui précise que les autorités fiscales et les organismes de Sécurité sociale des États membres
sont concernés par la production de créances30. Le règlement 1346/2000 et les directives
2009/238 et 2001/24 facilitent la production des créances et contribuent à établir une certaine
égalité entre créanciers locaux et créanciers étrangers en permettant aux créanciers étrangers
d’utiliser dans leur production impérativement écrite, la langue officielle de l’État où ils résident
sauf à porter la mention « production de créance » dans la langue de l’État d’ouverture31. Une
traduction de la production de créance peut néanmoins leur être réclamée dans cette dernière
langue32. S’ils produisent à une procédure ouverte en France, les créanciers étrangers ont quatre
mois à partir de la publication du jugement au BODACC en application des dispositions du
Code de commerce applicable à toute procédure d’insolvabilité ouverte en France. Lorsqu’ils
produisent leurs créances33, les créanciers doivent envoyer une copie des pièces justificatives
s’il en existe, indiquer la nature et le montant de la créance, sa date de naissance ; ils doivent
aussi indiquer s’ils revendiquent pour leur créance un privilège, une sûreté réelle ou une réserve
de propriété en mentionnant le bien sur lequel porte cette garantie.
27
Art. 54, 3 règl. no 2015/848.
28
Art. 282 dir. no 2009/238 et art. 16 dir. no 2001/24.
29
Art. 32 § 1 règl. 1346/2000 et art. 45, 1 règl. 2015/848.
30
Art. 39 du règlement. Il s’agit d’une innovation pour certains États comme le Royaume-Uni.
31
Art. 42 du règlement, art. 283, § 1 dir. no 2009/238 et art. 17 dir. no 2001/24.
32
Ces règles sont reprises par les articles R. 693-1 à R. 693-4 du Code de commerce issus du décret 2018-452 du
5 juin 2018.
33
Art. 41 du règl., art. 282 dir. no 2009/238 et art. 16 dir. no 2001/24.
Production collective par les praticiens de l’insolvabilité. De plus, dans le cadre des
règlements 1346/2000 et 2015/848, les praticiens des procédures principale et secondaires
peuvent faire une production collective des créances dans les autres procédures 34. Cette
production par les praticiens des procédures collectives des créances déclarées dans la
procédure dans laquelle ils ont été nommés est possible si elle est utile aux créanciers que
représente le syndic, un créancier pouvant s’y opposer si la loi applicable à la procédure le
prévoit.
Égalité dans les répartitions entre les différentes procédures. En outre, la participation d’un
même créancier à plusieurs procédures visant le même débiteur ne saurait lui permettre de
recevoir davantage que les créanciers n’ayant produit qu’à une seule procédure. En ce sens,
l’article 20 § 2 du règlement 1346/2000, repris à l’identique à l’article 23 du règlement
no 2015/848, garantit un traitement égal entre les créanciers des différentes procédures en
disposant que les créanciers indemnisés partiellement dans une procédure secondaire ne
participent aux répartitions dans une autre procédure que lorsque les créanciers de même rang
ou de même catégorie ont obtenu dans cette procédure un dividende équivalent. En définitive,
par la règle de conflit assurant la prépondérance de la lex concursus et par des règles matérielles
renforçant le principe d’égalité des créanciers, le droit communautaire organise l’exercice
unitaire des droits des créanciers dans la procédure. Néanmoins, il accepte des exceptions
importantes à ces principes en admettant des compétences législatives dérogatoires afin
d’assurer une protection spécifique de certains créanciers.
34
Art. 32 § 2 règl. no 1346/2000 et art. 45, 2 règl. no 2015/848.
35
Art. 35 règl. no 1346/2000 et art. 49 règl. no 2015/848.
36
Art. 34, § 2 règl. no 1346/2000 et art. 47, 1 règl. no 2015/848.