Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
INTRODUCTION
Rappels des faits. Un ressortissant suisse exerçant les fonctions de maire a conclu un contrat,
lors d’un séminaire professionnel en France, avec un ressortissant français résidant à Paris. Le
contrat visait la réalisation et la livraison d’un buste en impression 3D. La livraison a été
effectuée en Suisse mais ne correspond pas aux attentes de l’acheteur. Ce dernier a donc saisi
les juridictions françaises d’une action indemnitaire. Quelques mois après la saisine, le
vendeur a déménagé en Belgique.
Problématique. Les juridictions françaises saisies sont-elles compétentes pour statuer sur une
action indemnitaire intentée par un acheteur de nationalité suisse et résidant en Suisse contre
un vendeur non professionnel de nationalité française et résidant en France ? Quelle loi est
applicable à ce litige ? Le déménagement en cours de procès peut-il influencer la solution ?
Quelles en seront les conséquences pour la reconnaissance et l’exécution de la décision ?
Annonce de plan. Afin de répondre à ces problématiques, nous procéderons en cinq étapes.
D’abord, il convient de vérifier que la situation entre dans le champ d’application du droit
international privé, eu égard notamment à la fonction du demandeur (I). Il conviendra ensuite
de s’interroger sur la compétence internationale des juridictions françaises (II), avant de
déterminer la loi applicable au litige (III). La question se posera ensuite du changement de
domicile en cours de litige (IV) et de la potentielle exécution de la décision en Belgique (V).
Le droit international privé est applicable lorsque deux éléments sont réunis. Il faut d’abord un
élément d’extranéité, autrement dit un élément qui rattache la situation à un ordre juridique
différent de celui du juge saisi. La Cour de justice évoque à ce titre les litiges ayant une
incidence transfrontière (CJUE 5 déc. 2013, aff. C-413/12, pt 46). Spécialement en matière de
contrats internationaux, la situation est internationale lorsque le contrat a des facteurs de
rattachement pertinents avec au moins deux États (Civ. 19 février 1930, Mardelé et 27 janvier
1931, Dambricourt ; Rapport explicatif de la Convention de La Haye de 1955 à la vente
internationale d’objets mobiliers corporels ; Article 1-1 de la Convention de Vienne sur les
contrats de vente internationale). Le litige doit également avoir un caractère privé. Sur la
détermination du caractère privé du litige, la Cour de justice se réfère à la matière civile et
commerciale, laquelle ne doit pas impliquer de personne publique exerçant ses prérogatives
de puissance publique (CJCE 14 octobre 1976, LTU c/ Eurocontrol, C- 29/76. Confirmation
CJUE, 7 mai 2020, Rina, C-641/18).
En l’espèce, l’internationalité du litige ne pose aucune difficulté particulière, elle se vérifie par
la nationalité du demandeur, la résidence des deux parties au contrat et par le lieu de livraison
de l’achat. Le caractère privé du litige ne pose pas non plus de difficultés. Il s’agit d’un contrat
entre deux personnes physiques de droit privé, car bien que l’acheteur exerce des fonctions
de maire et que l’achat a eu lieu durant un déplacement professionnel, il est évident qu’il n’a
pas exercé ses prérogatives de puissance publique.
Il est possible de conclure à l’application des règles de droit international privé.
À titre liminaire, il faut rappeler qu’en droit international privé français, la qualification s’opère
lege fori c’est-à-dire selon les conceptions du droit français (Civ. 22 juin 1955, Caraslanis). En
l’espèce, il s’agit d’une action indemnitaire dans le cadre d’une relation contractuelle entre
deux non-professionnels. Les juridictions françaises ont été saisies. Nous cherchons à vérifier
leur compétence internationale (B), après avoir déterminer la règle applicable (A).
1) La matière contractuelle est une notion autonome du droit de l’Union européenne (CJCE, 22
mars 1983, Martin Peters, aff. C-34/82). Elle a été définie par la Cour de justice comme « tout
engagement librement assumé d’une partie envers l’autre » (CJCE, Jakob Handte, 17 juin 1992,
aff. C-26/91, point 15). Cette définition a été précisée par la Cour dans ses récentes décisions.
Elle considère, en effet, que la matière contractuelle vise « l’existence d’une obligation
juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre et sur laquelle se fonde
l’action du demandeur » sans qu’il ne soit nécessaire que les parties soient liées par un contrat
(voir not. CJUE, 4 octobre 2018, Feniks, aff. C-337/17). En l’espèce, il existe bien un
engagement librement assumé entre l’acheteur et le vendeur. Le litige relève de la matière
contractuelle.
Selon l’article 7-1 b), sont compétentes en matière de vente de marchandises, les juridictions
de l’État membre du lieu de livraison des marchandises et, en matière de fourniture de
services, les juridictions de l’État membre du lieu de fourniture des services. Pour que l’article
7-1b) soit applicable, le contrat litigieux doit donc pouvoir être qualifié de vente de
marchandises ou de fourniture de services. Selon la Cour de justice, la notion de services
implique que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une
rémunération. Deux critères de caractérisation de la prestation de services en ressortent :
l’existence d’une activité déterminée, d’une part, et l’existence d’une rémunération en
contrepartie (CJCE, 23 avr. 2009, Falco, C-533/07). Dans le cas d’un contrat qui comprend à la
fois la transformation de la matière première et la livraison de la marchandise, la Cour de
justice a considéré qu’en l’absence de fourniture de matériaux par l’acheteur, il existe un indice
fort pour que le contrat soit qualifié de contrat de vente de marchandises (CJUE, 25 févr. 2010,
Car trim, C-381/08).
Les juridictions compétentes sont donc celles du lieu de livraison des marchandises. En
l’espèce, le buste a été livré en Suisse, les juridictions suisses sont donc compétentes sur le
fondement de l’article 7-1 b.
En conclusion, si les juridictions suisses sont compétentes sur le fondement de l’article 7-1 b)
du règlement, les juridictions françaises demeurent compétentes sur le fondement de l’article
4.
Enfin, selon une jurisprudence constante, « il incombe au juge français qui reconnaît applicable
un droit étranger d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la
teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu » (Com., 28 juin 2005,
Itraco, n°02-14686 ; Civ. 1e, 28 juin 2005, Aubin, n° 00-15734).
En l’espèce, si un droit étranger est jugé applicable, la charge d’en prouver le contenu
incombera donc au juge avec le concours des parties.
Ces précisions faites, il convient d’identifier la règle de conflit applicable (A) pour conclure sur
la loi compétente (B).
Hiérarchie des normes. Pour identifier la loi applicable à l’action, encore faut-il savoir quel
texte appliquer. Par application de la hiérarchie des normes, il convient de se référer
prioritairement aux conventions internationales et règlements de l’Union (articles 55 et 88§1
de la Constitution et CJCE, Costa c/ Enel, 15 juillet 1964). Ce n’est que si aucune convention
internationale ou règlement ne s’applique que le droit commun trouvera à s’appliquer. En
l’espèce, le litige porte sur un contrat de vente de marchandises à dimension internationale.
Plusieurs textes paraissent applicables : La Convention de Vienne sur la vente internationale
de marchandises de 1980 ; la convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux
ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels ; le règlement Rome I du 17 juin
2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
- L’article 1er.1 prévoit que la convention est applicable aux ventes à caractère international
d'objets mobiliers corporels. Sans prévoir de définition, le paragraphe 3 précise néanmoins
que « sont assimilés aux ventes les contrats de livraison d'objets mobiliers corporels à fabriquer
ou à produire, lorsque la partie qui s'oblige à livrer doit fournir les matières premières
nécessaires à la fabrication ou à la production ». En l’espèce, bien que le buste en impression
3D soit un objet à fabriquer, le vendeur a fourni lui-même les matières premières. Ainsi, il s’agit
bien d’un contrat de vente à caractère international d’objets mobiliers corporels. Le critère
ratione materiae est rempli.
- La convention n’a été ratifiée que par huit États qui inclut la France. Selon son article 10, elle
intègre les ordres juridiques nationaux et s’applique sans condition de réciprocité. Il suffit donc
que le juge saisi soit celui d’un Etat signataire pour que la convention s’applique. Il est à noter
cependant que la Suisse a également ratifié la Convention. L’article 1.1 précise que la
convention est applicable aux ventes de marchandises qui ont un caractère international.
Selon le rapport explicatif, une vente de marchandises doit être qualifiée d’internationale
lorsqu’elle soulève un conflit de lois. Cela embrasse les hypothèses dans lesquelles le contrat
a des facteurs de rattachement pertinent avec au moins deux États. En l’espèce, le juge est
saisi et le contrat présente un lien de rattachement pertinent avec la France et la Suisse. Le
critère ratione loci est rempli.
- En France, la convention est entrée en vigueur à partir du 1er septembre 1964. Elle s’applique
donc au contrat de vente d’objets mobiliers corporels conclu après cette date. Eu égard à la
temporalité des faits, le critère ratione tempori est rempli.
Remarque : La Convention du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère
international d'objets mobiliers corporels, en vigueur en France depuis 1964, est un traité
d'unification des règles de conflit ratifié par une dizaine de pays, essentiellement européens.
Le Royaume-Uni, toutefois, ne l'a pas ratifiée.
- L’article 1-1 du Règlement précise qu’il s’applique « dans des situations comportant un conflit
de lois, aux obligations contractuelles relevant de la matière civile et commerciale ».
Deux principales exigences se dégagent de cet article : la situation doit comporter un conflit
de lois et doit impliquer des obligations contractuelles relevant de la matière civile et
commerciale. La première exigence est, en l’espèce, remplie, l’existence d’éléments
d’extranéité ayant été précédemment démontrée.
Concernant l’exigence d’une situation comportant une obligation non contractuelle relevant
de la matière civile et commerciale le considérant 7 du préambule du Règlement prescrit une
interprétation cohérente des règlements Bruxelles I, Rome I et Rome II. Les définitions données
par la Cour de justice sur le fondement du Règlement Bruxelles I bis sont donc a priori
transposables sur le terrain du conflit de lois. Or, sur le fondement du Règlement Bruxelles I
bis la Cour de justice a donné une définition de la matière contractuelle. La matière
contractuelle désigne « tout engagement librement assumé d’une partie envers l’autre » (CJCE,
Jakob Handte, 17 juin 1992, aff. C-26/91, point 15). Cette définition a été précisée par la Cour
dans ses récentes décisions. Elle considère, en effet, que la matière contractuelle vise «
l’existence d’une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une
autre et sur laquelle se fonde l’action du demandeur » sans qu’il ne soit nécessaire que les
parties soient liées par un contrat (voir not. CJUE, 4 octobre 2018, Feniks, aff. C-337/17).
En l’espèce, la nature contractuelle du contrat a déjà été démontrée lors du développement
sur la compétence internationale. Le critère ratione materiae est donc rempli.
Applicabilité spatiale. Le règlement est applicable dès lors que le juge d’un État membre, sauf
le Danemark, est saisi. Il est d’application universelle (article 2), il s’applique donc que la loi
La Convention de la Haye de 1955 et le règlement Rome I étant tous les deux applicables, il
convient de régler le conflit de textes.
Articulation des textes. L’article 25 du règlement Rome I prévoit qu’il ne préjuge pas de
l’application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont
parties, à condition que la convention ne soit pas conclue exclusivement entre États membres.
La Convention de 1955 ayant été ratifiée par la France et par la Suisse, elle a vocation à primer
sur le règlement Rome I. Il conviendra de l’appliquer à l’espèce pour déterminer la loi
applicable.
L’article 2 prévoit la possibilité d’un choix de loi par les parties. En l’espèce, aucun choix de loi
n’a été fait par les parties. Il convient d’écarter cette possibilité.
Hiérarchie des normes. Pour vérifier la compétence internationale des juridictions françaises,
encore faut-il savoir quel texte appliquer. Par application de la hiérarchie des normes, il
convient de se référer prioritairement aux conventions internationales et règlements de
l’Union (articles 55 et 88§1 de la Constitution et CJCE, Costa c/ Enel, 15 juillet 1964). Ce n’est
que si aucune convention internationale ou règlement ne s’applique que le droit commun
trouvera à s’appliquer. Deux textes sont a priori applicables : La convention de La Haye du 2
juillet 2019 sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile ou
commerciale et le règlement Bruxelles I refondu.
- Le critère matériel a déjà été défini précédemment comme s’adressant à la matière civile et
commerciale. Il convient cependant d’ajouter que conformément au chapitre III, le règlement
s’applique à l’exécution des décisions. Le critère ratione matériae est rempli.
- Le critère spatial est défini par l’article 39 lequel soumet l’application du règlement à
l’exécution d’une décision d’un Etat membre dans un autre Etat membre. En l’espèce, il s’agit
d’une décision française devant être potentiellement exécutée en Belgique, c’est-à-dire dans
un autre Etat membre. Le critère spatial est rempli.
L’article 36 du règlement prévoit que les décisions rendues dans un État membre sont
reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit ne nécessaire de recourir à aucune
procédure. L’article 39 du règlement prévoit qu’une décision rendue par les juridictions d’un
Etat membre et qui est exécutoire dans cet Etat membre bénéficie de la force exécutoire dans
les autres États membres sans qu’il ne soit nécessaire d’obtenir une déclaration.
En l’espèce, dans le cas d’une décision accordant le remboursement de l’achat, la décision
française sera automatiquement reconnue en Belgique. La décision exécutoire en France le
sera également en Belgique.