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L3- Droit International Privé

Titre I : LA PLURALITE DES METHODES DE RESOLUTION DES CONFLITS DE


LOIS

Un conflit international peut être résolu par plusieurs méthodes (Chapitre II). Pour s’en
convaincre, il n’est pas inutile de revenir sur les problèmes que soulève le conflit de lois
(Chapitre I).

Chapitre I : Position du problème du conflit de lois

Un rappel des termes du conflit de lois (Section I) s’impose afin qu’il soit distingué plus
nettement des typologies de conflits qui lui sont périphériques (Section II).

Section I : Les termes du problème

L’existence du droit international privé présuppose la possibilité d’une dissociation


entre la compétence juridictionnelle et la compétence législative et, dès lors, l’éventualité
d’appliquer une loi étrangère dans le système juridique du for. S’il en est ainsi, c’est parce que
classiquement, le conflit de lois existe lorsqu’au moins « deux lois de pays différents sont
susceptibles d’être appliquées à une même situation juridique »3. Par conséquent, cette
acception du conflit de lois n’interroge pas le contenu des lois virtuellement en concurrence.
Elle ne fait pas non plus de la divergence des solutions matérielles entre les deux législations
potentiellement applicables, le critère de déclenchement de l’application des règles de droit
international privé4. Pour l’illustrer, il ne suffit pas par exemple qu’il y ait des solutions
identiques dans les systèmes juridiques en conflit pour refuser de considérer l’existence du
conflit de lois. Celui-ci existe du seul fait de l’élément d’extranéité et indépendamment donc
de la solution que proposent les systèmes juridiques auxquels la relation litigieuse s’imbrique.
Une autre approche privilégie certes le critère tiré de la teneur des droits potentiellement
applicables au rapport litigieux. Elle fait sienne la doctrine américaine qui propose de dissocier
les faux conflits des vrais5. En effet, cette doctrine ne légitime l’emploi de la méthode
conflictuelle qu’à l’endroit des vrais conflits à propos desquels on dénote une réelle divergence

3
M.-L. NIBOYET & G. DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE, « Droit international privé », 3ème éd., LDGJ,
2011, n° 141.
4
« Le conflit de lois apparaît lorsque les législations de deux ou plusieurs États ont cumulativement vocation à
régir une question de droit privé donnée » ; P. MAYER & V. HEUZE, « Droit international privé », Domat-
Montchrestien, 9ème éd., 2007, n° 76 ; « La distinction des ordres ne tient pas à la teneur différente de leurs
règles » ; P. MAYER, « Le phénomène de la coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé », RCADI
2007, tome n° 327, n° 76.
5
V. M.-L. NIBOYET & G. DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE, ouvr. préc., n° 142.

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substantielle des lois en conflit. Pour autant, la jurisprudence française n’a pas été sensible à
cette partition6 pas plus, semble t-il, que le droit positif des États africains7.
L’élément d’extranéité reste donc le critère objectif pour dissocier le rapport interne du
rapport international susceptible d’engendrer un conflit de lois. Pour autant, cette distinction
n’est pas absolue. En effet, certaines relations internationales peuvent difficilement être
distinguées des rapports de pur droit interne. S’il en est ainsi, c’est parce que le rapport de droit
international privé susceptible d’engendrer un conflit de lois peut avoir une double déclinaison.
Il peut être objectivement (§I) ou subjectivement (§II) international.

§I : Le conflit objectivement international

Le conflit objectivement international est un rapport qui demeure international quelque


soit l’ordre juridique à partir duquel on se place pour l'examiner. Le rapport est donc par sa
nature même international. Si un couple franco-marocain dont le domicile conjugal se situe au
Sénégal veut y divorcer, la situation est internationale pour le juge sénégalais saisi du
contentieux en raison de la nationalité des époux. Si les époux décident de porter leur action
devant les juridictions françaises ou marocaines, la relation demeurera internationale pour
autant et ce en raison des éléments d'extranéité qui la caractérisent : la nationalité mixte des
époux et leur domicile à l’étranger. Il en est autrement des conflits subjectivement
internationaux.

§II : Le conflit subjectivement international

L’intérêt d’étudier les conflits subjectivement internationaux procède du constat qu’ils


ne se distinguent de façon absolue des rapports internes. En effet, le caractère subjectivement
international d’un rapport dépend du sujet qui l’observe. En général, il s’agira du juge saisi du
contentieux qu’il engendre. Pour illustrer cela, raisonnons à partir d’un exemple.

Situation 1 : Imaginons qu’un contrat de vente soit conclu entre sénégalais, au Sénégal.
Le vendeur A et l'acheteur B sont établis au Sénégal et le bien vendu est également situé dans
ce pays. Le vendeur doit aussi s’exécuter à Dakar. A priori, ce rapport est purement interne au

6
Ibidem.
7
« Le conflit suppose une concurrence entre plusieurs systèmes juridiques. La technique conflictuelle ne trouve à
s’appliquer que dans l’hypothèse où une situation peut, a priori, être régie par plusieurs systèmes de droit. Ces
systèmes juridiques en concurrence peuvent être ceux de différents États » ; P. MEYER, « Droit international privé
burkinabé », Coll. Précis de droit burkinabé, 1998, n° 257.

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Sénégal.
Situation 2 : Supposons maintenant que l'acheteur B revende le bien à un sous-
acquéreur C établi en France. Le sous-acquéreur se plaint de la non-conformité de ce bien au
contrat, et décide de saisir les tribunaux français. Les tribunaux français examinent donc les
rapports juridiques qui existent entre B et C. Ce rapport juridique entre B et C est objectivement
international.
Situation 3 : Imaginons maintenant que le vendeur intermédiaire B appelle son propre
vendeur A en garantie. Le juge français va être amené à statuer, non seulement sur les rapports
entre C, l'acheteur final et B, le vendeur intermédiaire, mais aussi sur les rapports existant entre
l'intermédiaire, B et le vendeur originel, A. Les tribunaux français seront donc amené à se poser
la question de savoir si le rapport A/B est international ou non ? On vient de voir que tous les
éléments qui caractérisent le rapport A/B le rattachent au Sénégal. On peut donc penser que l'on
est en présence d'un rapport interne sénégalais. Sauf qu'il ne faut pas oublier que ce rapport est
aujourd'hui examiné par un juge français, et que pour lui il est clair que le rapport A/B n'est pas
un rapport interne. Pour lui ce rapport présente des éléments d'extranéité et ne peut donc être
considéré comme un rapport interne de droit français, mais comme un rapport international.
On est en présence d’un rapport subjectivement international dans cette dernière
hypothèse. Si les tribunaux saisis avaient été les tribunaux sénégalais, le rapport A/B aurait été
considéré comme purement interne et aurait par conséquent été soustrait au droit international
privé. La situation étant différente du point de vue du juge français, il sera amené à s'interroger
pour savoir quel droit étranger doit être appliqué en l'espèce. Pour ce faire, le juge français
devra mettre en œuvre un raisonnement conflictuel. Fait-on face à un conflit de lois au sens du
droit international privé à chaque fois que le juge emprunte la technique conflictuelle ?

La technique conflictuelle, telle qu’elle est le plus souvent entendue dans la pratique du
droit international privé, consiste en l’utilisation d’une règle de conflit, c'est-à-dire une règle de
rattachement, afin d’établir un lien spatial entre un rapport de droit litigieux et un système
juridique, alors que plusieurs systèmes juridiques étaient susceptibles de le régir en raison de
son hétérogénéité. La règle de conflit, par le rattachement qu’elle emprunte opère ainsi un choix
au sein des droits en concurrence justifié par l’extranéité du rapport litigieux. Toutefois, dans
certaines circonstances, un choix peut être opéré entre deux normes en l’absence de toute
extranéité entendue au sens du droit international privé. On est présence d’un conflit de lois
n’intéressant qu’un système juridique. Ces typologies de conflit de lois doivent être distinguées
des conflits de lois au sens du droit international privé.

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Section II : À la frontière du problème de conflit de lois

Des disparités législatives peuvent exister au sein d’un même système juridique. Elles
sont à l’origine des conflits de lois internes qui se distinguent formellement des conflits
internationaux (§I). Ils ne laissent pas indifférents pour autant le droit international privé (§II).

§I : Les typologies de conflits de lois internes

Les conflits de lois internes se posent dans les systèmes juridiques non unifiés où existe
donc un pluralisme juridique ou un pluralisme législatif.

Le pluralisme juridique ou normatif désignerait « l’existence au sein d’une société


déterminée, de mécanismes juridiques différents, s’appliquant à des situations identiques »8.
De nombreux systèmes juridiques africains connaissent encore un pluralisme juridique. On peut
citer l’exemple du droit camerounais où s’appliquent conjointement le Code civil français, le
droit anglo-saxon dans le Cameroun oriental et les coutumes personnelles9. Beaucoup d’États
africains en ont fait également l’expérience avant que le droit de la famille ne soit unifié
récemment10. C’est un legs du système colonial français qui était composite car le droit
applicable en métropole n’était pas identique à celui qui encadrait les rapports de droit dans les
colonies11. Ainsi, le système juridique français de l’époque connaissait des conflits
interpersonnels (A) et des conflits interrégionaux (B).

A – Les conflits interpersonnels

Les conflits interpersonnels résultent de « la coexistence, dans la population d’un même


État, de plusieurs groupes sociaux déterminés (ethniques, religieux ou autres), ainsi que
plusieurs statuts personnels, également en vigueur dans cet État, régissant respectivement
chaque groupe social, et dont l’application à un individu donné est fonction de l’appartenance

8
J. VANDERLINDEN, « Le pluralisme juridique, Essai de synthèse », in GILISSEN J. (dir.) Le pluralisme
juridique, Edition de l’Université, Bruxelles 1972, pp. 19-56.
9
V. B. BANAMBA, « Les conflits de droits et de lois dans le système juridique camerounais (Droit des personnes
et de la famille) », Thèse mult., Paris II, 1993 ; B. DJUIDJE, « Pluralisme législatif camerounais et droit
international privé », Préface de Ibrahim FADLALLAH, L’Harmattan, 2000.
10
V. pour le Bénin, A.-N. GBAGUIDI, « Pluralisme juridique et conflits internes de lois en Afrique noire (Le cas
des successions foncières en République du Bénin) », Thèse mult., Bordeaux IV, 1998.
11
V. P. LAMPUE, « Les conflits de lois interrégionaux et interpersonnels dans le système juridique français
(Métropolitain et d’Outre-mer) », RCDIP 1954, pp. 254-324.

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de celui-ci au groupe social régi par ce statut »12. Le critère déterminant résulte donc de
l’appartenance d’un individu à une communauté régie par un droit spécifique dans l’État
concerné. Dans le droit colonial de l’époque, lorsque par exemple un indigène de coutume
wolof se mariait avec une indigène régie par la coutume peulh dans la colonie sénégalaise, la
célébration de leur union soulevait un conflit interpersonnel en raison de l’appartenance des
prétendants à des statuts personnels distincts.

Les conflits interpersonnels existeraient toujours dans le système juridique sénégalais


en dépit de l’unification du droit de la famille si l’on estime que certaines cohortes de règles du
Code de la famille s’appliquent en raison d’un référent communautaire. En prenant l’exemple
du droit des successions13, on constate par exemple l’existence d’une césure entre les
successions ab intestat de droit commun14 et les successions musulmanes15. Celles-ci, malgré
l’appellation consacrée par le Code16, n’opèrent pas un renvoi systématique au droit coranique.
Afin d’insuffler une nouvelle philosophie égalitariste dans les rapports entre hommes et
femmes, enfants légitimes et enfants naturels, musulmans et individus d’autres confessions, le
législateur a procédé à une réception du droit musulman avec au passage une déformation de
ses règles. L’interrogation qui subsiste est celle de savoir à quelle condition s’appliquent les
successions ab intestat de droit sénégalais ? Est-ce la volonté du de cujus ou la religion
musulmane du de cujus ?

La clé d’accès aux successions musulmanes demeure l’article 571 CF17. Cette
disposition est l’élément prépondérant d’une controverse doctrinale en droit sénégalais des
successions portant sur le domaine d’application rationae personae de l’article 571 CF. Deux
thèses, une extensive et une autre restrictive, divisent la doctrine sénégalaise. La thèse
restrictive dénie aux non musulmans le bénéfice des successions de droit musulman. Elle

12
P. DE VAREILLES-SOMMIERES, « La polygamie dans les pays d’Afrique subsaharienne anciennement sous
administration française (aspects juridiques comparatifs et internationaux) », Rev. Eur. des Migrations
internationales, 1993, p. 146.
13
V. A. SOW-SIDIBE, Le pluralisme juridique en droit sénégalais des successions ab intestat, Thèse mult., Paris
II, 1987.
14
Les successions ab intestat de droit commun sont réglementées par le Titre II du Livre VII du Code de la famille.
15
Les successions de droit musulman sont organisées par le Titre III du livre VII du Code de la famille.
16
V. l’intitulé du Titre III sus-évoqué.
17
Article 571 CF : « Les dispositions du présent titre s’appliquent aux successions des personnes qui, de leur
vivant, ont, expressément ou par leur comportement, indiscutablement manifesté leur volonté de voir leur héritage
dévolu selon les règles du droit musulman ».

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découlerait d’une interprétation téléologique de l’article 571 CF18. En revanche, la thèse


extensive refuse toute portée significative voire exclusive à l’obédience religieuse. Elle fonde
plutôt l’application des successions musulmanes sur la volonté implicite ou explicite du de
cujus. Elle procèderait d’une interprétation littérale de l’article 571 CF19. Le rapporteur de la
Commission de la législation, Moustapha TOURE, lors des débats parlementaires de
l’Assemblée nationale au moment de l’adoption du Code de la famille, faisait observer tout de
même que « Le Code règle ce difficile problème en laissant à chaque citoyen le choix selon sa
conscience »20. Si cette dernière thèse, celle extensive, devait l’emportait, on pourrait
difficilement soutenir que des conflits interpersonnels existent en droit sénégalais des
successions. En revanche, si la thèse restrictive devait l’emporter, il faudrait sans doute
l’admettre.

B – Les conflits interrégionaux

Les conflits interpersonnels s’opposent aux conflits interrégionaux qui naissent en


raison d’un facteur non plus communautaire mais territorial. Le droit est élaboré en fonction
d’un référent territorial en ce sens que les règlementations applicables dans les territoires, les
régions, les provinces sont distinctes les unes des autres. Quand des ressortissants de deux
entités territoriales distinctes nouent des rapports, on est alors en présence d’un conflit
interrégional, interterritorial ou interprovincial selon l’organisation administrative en vigueur
dans l’État concerné.

Durant la période coloniale, le système juridique français connaissait notamment ce type


de conflits car les colonies étaient regroupées en territoires, l’Afrique Occidentale Française
(AOF) d’une part et l’Afrique Équatoriale Française (AEF) d’autre part. Les conflits
interterritoriaux, interprovinciaux et interrégionaux existent toujours dans les systèmes
juridiques non unifiés d’un point de vue territorial à l’instar des structures étatiques fédérales.

18
V. A.-A. DIOUF, « L’article 571 du Code de la famille, les successions musulmanes et le système juridique
sénégalais » Annales Africaines, 2013, pp. 270-289 ; A.-M. DIOP, « La dévolution successorale musulmane :
détermination des héritiers dans le Code sénégalais de la famille », RJPIC 1972, p. 808.
19
En ce sens, A. SOW-SIDIBE, « Le pluralisme juridique en droit sénégalais des successions ab intestat » préc.,
pp. 239-354 ; N. DIOUF, « Droit de la famille. La pratique du Tribunal départemental au Sénégal », Abis éd.,
2011, pp. 154-155 ; S. GUINCHARD, « Droit patrimonial de la famille au Sénégal », LGDJ, NEA, 1980, pp. 42-
44 ; B. DURAND, « Droit musulman. Droit successoral », Litec, 1991, pp. 10-11.
20
V. JORS n° 70, mardi 30 mai 1972, p. 220.

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Qu’ils s’agissent de rapports interrégionaux ou interpersonnels, les solutions apportées


à ces conflits de lois internes ne sont pas totalement indifférentes au droit international privé.

§ II : Les conflits de lois internes et le droit international privé

La résolution des conflits de lois internes ne laisse pas indifférent le droit international
privé. Elle soulève deux séries de questions.

La première pose l’interrogation de savoir si ces typologies de conflit de lois relèvent


du domaine du droit international privé. La doctrine est très partagée sur la question. Pour
certains, notamment Bartin, la réponse est négative au motif que seul le système juridique d’un
État est mis en cause. En revanche, pour d’autres, les différences entre les conflits
internationaux et les conflits de lois internes sont ténues. À ce titre, leur étude aurait sa place
en droit international privé car celui-ci déborderait le cadre des seules relations internationales.
C’est du moins la position des auteurs anglo-saxons partagée par certains doctrinaires français.
Pour s’en convaincre, il n’est pas inutile de rappeler que la solution des conflits internes repose
le plus souvent sur les mêmes principes que celle des conflits internationaux avec toutefois
quelques nuances21.
Dans les conflits interpersonnels, l’utilisation de rattachements territorialistes semble
inadéquats dans la mesure où, sur le territoire concerné, la divergence législative est engendrée
par un référent communautaire tel que la religion, l’ethnie…Ainsi, pour trancher un conflit
interpersonnel, l’application de la loi du domicile semble en pratique impossible. Dans les
conflits interrégionaux, l’emploi de règles de conflit personnalistes, la loi nationale notamment,
semble disqualifié pour des raisons équivalentes. Pour relativiser l’analogie entre les conflits
de lois internes et les conflits de lois au sens du droit international privé, on avance aussi que
l’exception d’ordre public ne peut être soulevée pour évincer l’application d’une loi
personnelle.
Hormis ces nuances relatives, force est de reconnaitre que les différences ne sont pas
substantielles. Il n’y aurait qu’une différence de degré et non de nature entre les deux typologies

21
On s’en convainc avec les solutions retenues par le décret du 3 décembre 1931 qui réglementait les conflits de
coutumes en AOF. Son article 6 disposait qu’en cas de conflit de coutumes, il est statué :
« 1° Dans les questions intéressant le mariage et le divorce, ou l’attribution de l’enfant et le sort de l’épouse en
cas de rupture du mariage par divorce, répudiation ou décès de l’un des conjoints, selon la coutume qui a présidé
à la négociation du contrat de mariage ou, s’il n’y a pas eu le contrat, selon la coutume de la femme ; ». « 2° Dans
les questions relatives aux successions et testaments, selon la coutume du défunt ; ».
« 3° Dans les questions relatives aux donations, selon la coutume du donateur ; ».

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de conflits de lois. En guise d’illustration, certaines législations retiennent des règles uniques
pour les conflits internationaux et les conflits interterritoriaux à l’instar des États-Unis.
La seconde série de questions que soulèvent les conflits de lois internes en rapport avec
le droit international privé procède du constat qu’ils peuvent se greffer à un conflit international.
Le cas échéant, le juge saisi d’un tel contentieux est invité à trancher deux conflits. Il doit
d’abord résoudre le conflit international. À supposer que son système de droit international
privé le résolve en donnant compétence à la loi d’un système juridique pluri-législatif, la
question se posera de savoir parmi les différentes législations qui y coexistent, laquelle
déterminera les règles matérielles applicables au litige. La solution la plus cohérente serait de
confier la résolution de ce conflit interne aux règles spéciales du système juridique étranger
désigné par la règle de conflit de lois du for. Imaginons qu’un juge togolais saisi de la
succession d’un sénégalais ayant son dernier domicile à Lomé fasse application de la loi
nationale du de cujus. Le caractère bicéphale des règles successorales ab intestat en droit
sénégalais l’invitera à trancher le conflit interpersonnel. Il pourra le résoudre en faisant
application de l’article 571 CF. Il ne semble pas en aller autrement des conflits interterritoriaux.
L’hypothèse inverse peut également se poser. Le droit international privé sénégalais l’a
expérimentée à propos des conflits de lois sur la forme du mariage. En droit interne sénégalais,
les célébrations coutumières du mariage ont été sauvegardées22. Un semblant de pluralisme
législatif paraît donc s’être maintenu en cette matière d’autant que l’alinéa 1er de l’article 114
CF dispose: « Selon le choix des futurs époux, le mariage peut être célébré par l’officier de
l’état civil ou constaté par lui ou son délégué, dans les conditions prévues par la loi. Le mariage
ne peut être constaté que lorsque les futurs époux observent une coutume matrimoniale en
usage au Sénégal ». Dans le même temps, l’article 843 CF alinéa 2 reconnait compétence à la
locus regit actum en matière de forme du mariage23. Pour autant, l’application de la locus regit
actum ne permet pas ainsi de résoudre définitivement le litige en présence d’une pluralité de lex
celebrationis. La question s’est posée notamment en droit international privé sénégalais de
savoir si les étrangers pouvaient au Sénégal se marier en adoptant les formes coutumières de
célébration du mariage. En d’autres termes, les formes coutumières de célébration étaient-elles

22
Article 831 CF alinéa 1er : « À cette date, les dispositions du Code civil, les textes législatifs et réglementaires,
les coutumes générales et locales, à l’exception toutefois de celles relatives aux formalités consacrant le mariage,
et les statuts particuliers applicables au Sénégal, cessent d’avoir force de loi ou de coutumes dans les matières
qui font l’objet du Code de la famille ».
23
« Tant pour les nationaux que pour les étrangers, la loi du lieu ou le mariage est intervenu est compétent pour
déterminer la forme du mariage. Le mariage peut également être célébré en la forme diplomatique ou consulaire
selon la loi dont ressortissent ces autorités ».

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disponibles pour des personnes ne relevant pas des coutumes considérées ? La Cour suprême a
répondu par l’affirmative à une telle interrogation24. Cette solution reste pour le moins
controversée dans la doctrine sénégalaise25. L’enseignement à tirer d’une telle décision est que
le choix d’une forme coutumière de célébration du mariage n’est pas subordonné à
l’appartenance des époux à l’ethnie dont les règles s’appliquent. Le choix d’une forme de
célébration du mariage est déconsidéré donc de tout facteur communautaire.
On le constate donc, le droit international privé ne se désintéresse pas complètement des
conflits de lois internes. Pour résoudre les conflits de lois internes et les conflits de lois au sens
du droit international privé, l’emploi de la technique conflictuelle s’impose. La résolution des
conflits internationaux peut néanmoins se faire par des méthodes autres que celle conflictuelle.
Celles-ci seront étudiées dans les développements ci-après.

Chapitre II – Les techniques de résolution des conflits de lois alternatives à la méthode


conflictuelle

La méthode conflictuelle reste l’étendard des techniques de résolution des conflits de


lois. Des méthodes alternatives existent pour autant. Certaines parmi elles ne résolvent pas au
vrai sens du terme le conflit de lois dans la mesure où la relation privée litigieuse est tranchée
en raison de l’ignorance ou de la négation du conflit de lois (Section I). En revanche, de
véritables méthodes concurrentes à celle conflictuelles existent. Elles ont pour nom, méthode
de la proper law (Section II), la méthode des lois de police (Section III), la, et la méthode qui
englobe les techniques matérielles de résolution des conflits de lois (Section IV).

24
V. Cour suprême Sénégal, aff. LOCHET, 24 novembre 1974, Penant 1976, P. LAMPUE, p. 534 ; RSD 1974,
BILBAO, p. 47.
25
V. J. MOLLION, « La célébration du mariage des étrangers au Sénégal », RSD 1979, pp. 55-72 ;
KOUASSIGAN, « Des conflits interpersonnels et internationaux de lois et de leurs incidences sur la forme du
mariage en Afrique noire francophone… » RCDIP, 1978, p. 646 ss ; A.-E.-K. BOYE, « Les mariages mixtes en
droit international privé sénégalais » préc., p. 13 ss. ; S. GUINCHARD, « Réflexions critiques sur les grandes
orientations du Code sénégalais de la famille », Penant 1978, pp. 175-204 & pp. 325-352 ; du même auteur, « Le
mariage coutumier en droit sénégalais, RIDC 1978, pp. 811-832 ; L. SIDIME, « Le régime du mariage coutumier
dans le Code de la famille du Sénégal » Annales africaines, 1983-1984-1985, pp. 313-320 ; K. MBAYE, «
L’évolution des formes du mariage au Sénégal » , in, « Aspects nouveaux de la pensée juridique », Recueil
d’études en hommage à Marc ANCEL, éd. Pédone, 1975, pp. 173-192 ; P. LAMPUE, note sous l’arrêt LOCHET
préc. ; P. GULPHE, « Réflexions sur la législation guinéenne en matière de mariage » Annales Africaines, 1969,
pp. 89-100 ; I.-Y. NDIAYE, « Étude critique de l’article 114 alinéa 1er du Code de la famille », Revue EDJA n°
23, 1994, p. 7 ss. ; du même auteur, « L’envers du droit traditionnel dans le Code de la famille », Revue de
l’Association Sénégalaise de Droit pénal, 1995, pp. 53-62.

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Section I : La négation des conflits

Un conflit de lois peut être résolu de façon imparfaite par l’autorité judiciaire lorsqu’elle
décide de méconnaitre son existence. Il en est ainsi lorsqu’elle retient le principe de
l’application exclusive de la lex fori (§I) à tout litige ou qu’elle fasse sienne la théorie des droits
acquis (§II).

§ I : L’exclusivité de la lex fori

Le conflit de lois existe en présence d’un élément d’extranéité. Le fait étranger qui rend
international le conflit fait douter de l’enracinement de la relation privée dans un ordre juridique
exclusif. Pour autant, le législateur ou le juge peut décider de son occultation et soumettre les
litiges internationaux de droit privé au même régime que les litiges de droit interne. En droit
comparé, on peine à trouver toutefois des systèmes juridiques qui retiennent ce procédé de
résolution des conflits de lois. Tout au plus, il existe des domaines où le législateur exclut
l’application des lois étrangères en décidant de l’application impérative de la loi du for en le
fondant sur la méthode des lois de police. Mais cette approche reste souvent sectorielle et
prévaut dans des domaines limités. À bien des égards, certains systèmes juridiques, par
l’attitude des autorités judiciaires ou les orientations du système de conflit de lois, peuvent
présenter des tendances lex-foristes. Toutefois, l’application exclusive de la loi du for aux litiges
internationaux de droit privé n’est jamais érigée en principe.

En effet, en droit privé, il est difficile de transposer les méthodes de résolution


généralement empruntés dans le contentieux public. La raison décisive est qu’en droit public,
il y a souvent une liaison entre les compétences juridictionnelle et législative excluant derechef
toute possibilité de prise en compte d’une loi étrangère de droit public. Une telle donne n’est
pas transposable mutatis mutandi en droit privé dans la mesure où les considérations d’ordre
public et de souveraineté y sont moins prégnantes.

Au surplus, la résolution des conflits de lois implique la prise en compte de trois sortes
d’intérêts comme théorisée par LEREBOURS-PIGEONNIERE et développée par la suite par
BATIFFOL dans son ouvrage célèbre « Aspects philosophiques du droit international privé » :
les intérêts des parties, ceux du commerce international et ceux des États.

La règle de droit international privé se préoccupe en priorité des intérêts des personnes
privées. Elle ne peut cependant complètement ignorer les intérêts des États et ceux du
13
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commerce international justifiant que la méthode savignienne, très prompte à prendre en charge
les intérêts des parties, soit souvent concurrencée par la méthode des lois de police et celle des
règles matérielles.

L’application exclusive de la lex fori aux litiges internationaux de droit privé déjoue la
réalisation de ces différents intérêts en déconsidérant le but du droit international privé. En ce
qui concerne les intérêts des parties, elle encouragerait la constitution de situations
boiteuses justifiant qu’un droit subjectif reconnu ou conféré par un droit étranger soit sacrifié
par la loi du for ou inversement. Dès lors, la situation juridique consacrée par la loi du for ne
pourra pas en général produire des effets juridiques extraterritoriaux. Or, la prise en compte de
l’élément d’extranéité évite de telles conséquences car elle réalise la vocation coordinatrice du
droit international privé. Quant aux intérêts des États, ils ne sont pas systématiquement menacés
lorsque prenant le prétexte de donner effet à l’élément d’extranéité, le juge du for applique un
droit étranger. Au demeurant, le for n’est pas totalement démuni face aux lois étrangères
choquantes puisqu’il peut toujours assurer l’efficacité de sa politique législative par l’exception
d’ordre public international ou prévoir l’application de la méthode des lois de police. Enfin, les
intérêts du commerce international seraient en général sacrifiés dans toutes les hypothèses où
le juge s’efforcerait d’appliquer systématiquement la loi du for aux litiges privés empreints d’un
élément d’extranéité. C’est justement ce qu’évitent les opérateurs du commerce international
plutôt favorables à l’adoption des règles souples par le biais des techniques de droit matériel.

Dans les litiges de droit privé empreints d’un élément d’extranéité, l’application
exclusive de la lex fori conforterait donc la négation du droit international privé impliquant un
minimum d’ouverture aux autres systèmes juridiques. Du reste, une telle pratique,
caractéristique des systèmes juridiques immatures, est contraire même à la conduite des États.
L’application exclusive de la lex fori doit ainsi être envisagée comme une méthode possible de
résolution des conflits envisagée d’un point de vue essentiellement théorique. Elle peut être
rapprochée de la théorie des droits acquis, méthode également possible de résolution des litiges
empreints d’un élément d’extranéité, dont les manifestations doivent être élevées au rang
d’épiphénomènes en droit international privé contemporain.

§ II : La théorie des droits acquis

Le conflit de lois existe en présence d’un élément d’extranéité. Le fait étranger qui rend
international le conflit fait douter de l’enracinement de la relation privée dans un ordre juridique

14
L3- Droit International Privé

exclusif. Pour autant, le législateur ou le juge peut décider de son occultation et soumettre les
litiges internationaux de droit privé au même régime que les litiges de droit interne. Il faudrait
toujours appliquer à la situation litigieuse la loi sous l’empire de laquelle elle est née. Par
exemple, si des sénégalais se sont mariés au Sénégal en contemplation de la loi sénégalaise
applicable à leur statut personnel, celui-ci restera soumis à celle-ci même si ils perdent leur
nationalité d’origine et deviennent ivoiriens. Tout droit apparu sous l’empire de la loi ancienne
reste soumis à ce droit. Le droit déjà créé s’impose au juge comme un fait sur lequel l’on ne
revient pas. La méthode couvre donc incontestablement les conditions de formation du droit en
cause, les conditions de forme comme les conditions de fond, sous réserve néanmoins du
déclenchement éventuel de l’exception d’ordre public international.
Le propre de la méthode des droits acquis est de substituer une localisation temporelle à une
localisation qui se voudrait logiquement spatiale. Pour ce faire, il est opéré une séparation entre
la phase d’acquisition d’un droit et celle de ses effets. Deux éléments complètent ce prisme
d’appréciation : l’effet de l’écoulement du temps pour qu’on puisse envisager que le droit est
acquis ou consolidé et le franchissement de la frontière qui crée un doute sur le droit applicable.
Ce dernier paramètre semble toutefois déconsidéré au moment de résoudre la question. Dès
lors, en effet, que le droit est né à l’étranger, les tenants de la méthode des droits acquis
considèrent que la question du droit applicable à sa création est déjà résolue, avant le
franchissement de la frontière, par le seul effet de l’écoulement du temps. Pour Pillet, empêcher
que la loi sous l’empire de laquelle la situation a été créée continue de régir ses effets au prétexte
du franchissement d’une frontière reviendrait à méconnaitre la souveraineté de l’État de
constitution.
Les critiques n’ont pas épargné pour autant cette théorie malgré sa radieuse évidence. Pour
l’essentiel, la faiblesse de la théorie des droits acquis envisagée en tant que méthode de
résolution des litiges internationaux est imputable au caractère fuyant de la notion de droits
acquis. Le droit doit être considéré comme acquis en vertu de quelle législation dans des
hypothèses où les conflits de lois se présentent formellement comme objectivement
internationaux ? On le sait, pour de tels conflits, un choix entre législations concurrentes
s’impose. Parler de droits acquis sans que la méthode ne détermine sous l’égide de quelle
législation il est considéré comme tel rend artificielle la portée qui lui est attachée. Ainsi conçue,
la théorie des droits acquis est insusceptible d’être distinguée de celle des méthodes de conflits
de lois.
On a également reproché à Pillet à travers cette méthode de résolution des litiges empreints
d’un élément d’extranéité de donner une grande considération à la loi sous l’empire de laquelle

15
L3- Droit International Privé

les droits subjectifs sont constitués. En revanche, une faible attention est portée aux
bouleversements qui peuvent les affecter postérieurement. Ensuite, cette méthode engendre une
certaine perversion de la théorie des droits acquis. En effet, elle semble reconnaitre les droits
acquis de l’État de constitution ou de formation des situations de continuer à régir leurs effets
alors qu’originellement cette théorie consolidait plutôt les droits acquis des individus. Enfin,
elle confère une grande portée à la souveraineté à l’État dans un domaine où son influence
devrait être moindre en raison la nature privée et individualiste des intérêts litigieux.
Au rebours de toutes ces critiques qui ont valu à cette théorie un certain discrédit en
droit positif, la théorie générale du conflit de lois continue pourtant de lui conférer une certaine
influence. On s’y attardera notamment lorsque l’on envisagera l’étude des conflits mobiles. Par
ailleurs, en droit international privé contemporain, certains auteurs constatent un certain
renouveau de la théorie des droits acquis26. Le champ d’expérimentation de ce renouveau est
surtout le droit international privé européen où l’on relève un certain chamboulement des
méthodes classiques sous l’impulsion des principes communautaires de libre circulation et
l’influence nouvelle des droits fondamentaux. Ce renouveau prend forme autour d’un impératif,
celui de l’harmonie internationale des solutions particulièrement, but dont la théorie des droits
acquis est très imprégnée. Dans cette zone géographique, cet objectif semble en effet de plus
en plus consolidé par la méthode de la reconnaissance des situations juridiques en droit
international privé qui n’est pas sans rappeler les traits caractéristiques de la théorie des droits
acquis27.

Section II : Les méthodes fondées sur les théories de la « proper law »

Les théories de la « proper law », à l’instar des autres méthodes anglo-saxonnes de


règlement des litiges internationaux28, viennent en réaction des caractères mécanique et abstrait
de la technique conflictuelle. D’inspiration américaine, ces méthodes fustigent le caractère
abstrait de la méthode savignienne en ce sens qu’elle engendrerait souvent des solutions qui
peuvent sembler inappropriées par rapport aux circonstances du conflit. Plus empirique, les

26
V. E. PATAUT, « Le renouveau de la théorie des droits acquis », Communication au TCFDIP, Année 2006-
2008, éd. PEDONE, 2010, p. 71 ss.
27
V. « La reconnaissance des situations en droit international privé », Paul LAGARDE (dir.), Actes du colloque
international de La Haye du 18 janvier 2013, éd. PEDONE.
28
On en compte de nombreuses : la méthode des « principes de préférence » encore appelée « result selective
approach » conceptualisée par le Professeur David CAVERS. Cette méthode invite le juge du for à choisir la loi
la plus « juste » parmi les différentes législations en conflit. On peut également citer la méthode dite des « intérêts
gouvernementaux » proposée par le Professeur Brainerd CURRIE. Celle-ci invite le juge à appliquer plutôt la
législation qui aurait plus d’intérêt à voir son système juridique encadrer la situation conflictuelle.

16
L3- Droit International Privé

méthodes de la « proper law » prônent la recherche et l’application de la loi la plus appropriée


au litige. Ce faisant, elles réprouvent toute application mécanique des règles de conflit bâties
sur le moule des constructions de SAVIGNY.
En effet, si la loi applicable au regard de la méthode savignienne est déterminée en
tenant compte du siège du rapport de droit de l’institution en cause, les auteurs américains
reprochent à ce présupposé de déconsidérer les circonstances dans lesquelles interviendrait le
litige. À leurs yeux, dans certaines situations, la loi appliquée aurait le défaut de ne pas être
adaptée aux circonstances de la cause. Un exemple peut l’illustrer.
Dans les pays de tradition romano-germanique, on reconnait souvent que la loi
applicable au délit est celle du lieu de sa survenance. Le grand mérite d’une telle stipulation est
de permettre la détermination prévisible du droit applicable. Imaginons toutefois qu’un véhicule
immatriculé au Sénégal, conduit par un sénégalais et transportant des personnes de nationalité
sénégalaise entre en collision avec un autre véhicule immatriculé aussi au Sénégal et conduit
par un chauffeur de nationalité sénégalaise. Les victimes de l’accident de circulation sont donc
essentiellement des sénégalais. Si on se conforme à la règle de conflit de lois ci-dessus, le juge
sénégalais ou mauritanien, selon la juridiction saisie, fera application de la loi mauritanienne,
la lex loci delicti. Pour autant, on ne manquera pas de s’étonner du caractère fortuit du
rattachement au lieu de survenance du délit au regard des circonstances du litige. En effet, le
Sénégal, État d’immatriculation des véhicules impliqués dans l’accident de circulation de même
que pays dont ressortissent toutes les victimes, présente des liens plus appropriés avec le litige
plus en tout cas que la Mauritanie, État dont la loi est en principe applicable. La compétence
mécanique de la lex loci delicti dans de telles circonstances n’est pas du goût des auteurs
américains qui relèvent par la même occasion les excès de la méthode savignienne. En réaction
à ceux-ci, dans le cas considéré, ils proposent l’application de la « proper law of the tort » qui
littéralement, propose de faire régir le délit par la loi la plus appropriée.
Dans le domaine de la responsabilité civile délictuelle, la jurisprudence a fait
l’expérience de la « proper law of the tort » dans l’affaire BABCOCK c/ JACKSON rendue par
la Cour d’appel de l’État de New York29. Cette dernière, à propos d’un accident de circulation
survenu dans l’État d’Illinois et qui impliquait un véhicule où se trouvaient deux personnes
domiciliées à New York, a retenu la méthode de la proper law c’est-à-dire la méthode du
groupement des points de contact. Pour ce faire, elle a analysé la situation litigieuse et recherché
au regard de ses circonstances avec quel État, elle entretenait les liens les plus substantiels. Au

29
Court of appeals de l’État de New York, 9 mai 1963, BABCOCK v. JACKSON, RCDIP 1964, p. 284.

17
L3- Droit International Privé

sortir de cette appréciation de l’environnement du litige, elle a estimé compétente la loi new-
yorkaise, loi de résidence des victimes et de surcroît, loi d’immatriculation des véhicules ainsi
que loi de la compagnie d’assurances.
L’identification du droit applicable résultant d’un tel procédé de désignation n’est pas
toutefois à l’abri de quelques complications. En effet, elle peut d’abord découler soit d’une
approche quantitative ou qualitative des facteurs de rattachement. Par la méthode quantitative,
l’ordre juridique qui présente avec le litige le plus de rattachements sera désigné comme
compétent. Il en va autrement avec l’approche qualitative de la « proper law » où seul le
système juridique qui entretient avec le conflit les rattachements les plus significatifs verra sa
loi s’appliquer. Qu’importe l’approche consacrée, la faiblesse de la méthode est de sacrifier la
sécurité juridique. La prévisibilité du droit applicable est entamée dans la mesure où celui-ci ne
pourra pas être désigné tant que le juge n’aura pas statué. En outre, la méthode de la « proper
law » accorde au juge des pouvoirs exorbitants et il est à redouter qu’elle encourage l’arbitraire
des magistrats. De telles faiblesses ont expliqué qu’elle ait peu influencé la codification du droit
international privé aux États-Unis. Néanmoins, son influence est perceptible dans certaines
Conventions internationales en droit international privé comparé. L’exemple de la Convention
de La Haye de 1973 sur la loi applicable aux accidents de circulation (non ratifiée par le
Sénégal) peut être cité30.

Section III : La méthode des lois de police

Avant d’étudier les rapports entre la méthode des lois de police et la méthode des conflits
de lois (§II), il n’est pas inintéressant de revenir sur la notion de lois de police (§I). Par ailleurs,

30
L’article 3 de cette Convention dispose : « La loi applicable est la loi interne de l’État sur le territoire duquel
l’accident est survenu ». Ce qui n’est pas sans rappeler le dispositif de l’arrêt LAUTOUR. Toutefois, la
compétence de la lex loci delicti est abandonnée dans un certain nombre de cas prévus par l’article 4 de la même
Convention qui dispose : « Sous réserve de l’article 5, il est dérogé à la disposition de l’article 3 dans les cas
prévus ci- après :
a- Lorsqu’un seul véhicule est impliqué dans l’accident et qu’il est immatriculé dans un autre État que celui sur
le territoire duquel l’accident est survenu, la loi interne de cet État d’immatriculation est applicable à la
responsabilité (…)
b- Lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans l’accident, les dispositions figurant sous la lettre a- ne sont
applicables que si tous les véhicules sont immatriculés dans le même État.
c- Lorsque des personnes se trouvant sur les lieux de l’accident hors du ou des véhicules sont impliquées dans
l’accident, les dispositions figurant sous les lettres a- et b- ne sont applicables que si toutes ces personnes avaient
leur résidence habituelle dans l’État d’immatriculation. Il en est ainsi, alors même qu’elles sont aussi victimes de
l’accident ».

18
L3- Droit International Privé

le droit international privé sénégalais procède à une large réception de cette méthode à en juger
le domaine prépondérant des lois de police en matière de statut personnel (§III).

§ I : Définition des lois de police

FRANCESCAKIS a été le premier auteur français à tenter de conceptualiser la notion


en définissant de façon commune les différentes règlementations qui peuvent revendiquer le
statut de lois de police31. Elles seraient « l’ensemble des règles juridiques dont l’observation est
nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays »32.
Cette définition est néanmoins relativisée de nos jours d’où la controverse autour de la notion
de lois de police33. On n’a pas manqué notamment de relever le caractère aléatoire du critère
proposé par FRANCESCAKIS.
En effet, qualifier une réglementation de loi de police requiert inéluctablement une
phase de contemplation, d’analyse de la règlementation à qualifier. Cette étape n’épargne pas
cependant à l’analyste un subjectivisme notoire accentué généralement par le silence du
législateur sur l’indication décisive qui permet d’identifier les supposées lois de police d’un
système juridique. Dans les circonstances les plus habituelles, cette qualification incombe plutôt
au juge qui recourt à la casuistique pour identifier les lois de police.
Pour ce faire, le juge n’apprécie pas exclusivement la teneur de la loi qui requiert cette
qualification34. Ainsi, les dispositions ou réglementations applicables dans un État et qui sont
susceptibles d’être assimilées à des lois de police ne sont un ramassis des dispositions ou
réglementations impératives qui y sont en vigueur. En outre, il faut qu’elles remplissent une
fonction étatique hautement sociale, politique voire économique.
L’impérativité est sans aucun doute un élément indispensable qui fait basculer la norme
ou la réglementation dans la catégorie des lois de police. Quel est cependant le seuil
d’impérativité d’une norme ou d’une réglementation qui peut justifier que son observance soit
indispensable à « la sauvegarde de l’organisation politique, économique ou sociale d’un
pays » ? Le « but », « la politique législative », « les motifs » de la réglementation susvisée n’y

31
Sur la polysémie catégorielle des lois de police, v. M.-M. MOHAMED-SALAH, « Loi d’autonomie et méthode
de protection de la partie faible en droit international privé », RCADI, 2005, tome n° 315, p. 216 et s.
32
FRANCESCAKIS, Dalloz, Rép. internat., t. I, 1968, v° Conflits de lois (principes généraux), spéc. p. 480.
33
Sur le glissement de la conception des lois de police sous l’action cumulée de la doctrine, de la jurisprudence et
de la loi, cf. P. DE VAREILLES-SOMMIERES, « Lois de police et politiques législatives », RCDIP 2011, p. 217
ss., n° 11 et s.
34
Les lois d’ordre public pourraient, semble t-il, se suffire d’un tel critère ; en ce sens, P. MAYER, Dalloz, Rép.
internat. 1998, v° Lois de police, n° 3.

19
L3- Droit International Privé

sont certainement pas indifférents. N’est ce pas cependant le propre de toute règle juridique de
véhiculer un ordre d’idées, de valeurs et d’objectifs à partir desquels se mesurerait cette
impérativité35 ? Les avis divergent dans la réponse qu’il faille apporter à cette interrogation.
Si les lois de police sont des dispositions impératives dans les relations juridiques
internes, la déduction inverse n’est pas systématique. Une norme d’impérativité interne n’est
pas systématiquement d’impérativité internationale. Entre ces deux typologies de normes, il y
a une différence de degré dans la mesure où sans l’application des lois de police, l’État
manquerait de réaliser et de garantir dans le for la fonction des normes estampillées comme
telles alors que leur application est nécessaire à l’organisation politique, économique et sociale
de l’État qui les a édictées. La relativité des systèmes juridiques et le caractère international du
litige ne sont pas des paramètres décisifs qu’il faille donc considérer dans ces matières pour
envisager l’application ou l’applicabilité d’une loi étrangère. Il faut que la loi du for s’applique
impérativement au risque de remettre en cause l’organisation de l’État.
Dans cette logique, on pourrait convenir que seules les réglementations poursuivant un
but d’intérêt général, collectif ou public, particulièrement impérieux pour l’État qui les édictent,
peuvent être fondues dans la catégorie des lois de police. En guise d’illustration, une doctrine
solidement assise en droit international privé comparé répute que les formalités locales de
publicité sont en général considérées comme des lois de police dans la mesure où elles
garantissent la fiabilité et la traçabilité du crédit public. Il en est de même du droit de la
concurrence qui assure la police du marché...
Faut-il considérer pour autant que seules les règlementations qui garantissent la
réalisation d’un intérêt général peuvent se fondre dans la catégorie des lois de police ? Il ne le
semble pas.
Le droit international privé contemporain, notamment européen36, admet dorénavant
l’applicabilité des lois de police étrangères dans l’hypothèse où semblerait-il, une loi de police
du for n’est pas également applicable. L’impérativité de la règlementation, dans ces
circonstances, ne s’apprécie plus nécessairement à partir de considérations d’intérêt général
propres au for. L’application des lois de police étrangères obéit alors davantage à la quête d’une
justice commutative qui tempère les soupçons de nationalisme auxquels s’exposait naguère « la

35
En ce sens, V. HEUZE, « La réglementation française des contrats internationaux… » préc., n° 355 et s.
36
Article 9-3 Règlement de Rome I : « Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel
les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police
rendent l'exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte
de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application ». Sur
la problématique de l’application des lois de police étrangères, v. notamment P. MAYER, « Les lois de police
étrangères », JDI, 1981, p. 277 et s.

20
L3- Droit International Privé

méthode des lois de police ». Les raisons qui fondent l’application de telles règlementations
sont alors déterminées par la loi étrangère dont la mise en œuvre des lois de police s’impose.
Au surplus, la poursuite d’un intérêt général qui caractérisait jadis les contours de l’ordre
public de direction ne semble plus être un critère exclusif pour conférer à une règle ou à une
règlementation le trait d’une loi de police. La protection des intérêts privés peut dorénavant tout
aussi bien le sous-tendre. Une controverse existe néanmoins sur l’opérabilité du critère de la
protection des intérêts privés comme nouvel indice d’identification des lois de police. La
jurisprudence INGMAR de la CJCE37 n’a pas hésité par exemple à qualifier de lois de police les
dispositions protectrices que la législation d’un pays membre de l’UE accorde aux agents
commerciaux. Il en est de même des dispositions protectrices des droits du travailleur38.
En marge de toutes ces considérations, les lois de police ne doivent pas être confondues
avec les lois d’ordre public. L’application systématique de celles-ci est souvent justifiée par
leur contenu tandis que pour les lois de police, comme le reconnait un éminet auteur, « il faut
que la situation soumise au juge mette en cause, par sa localisation dans l'espace,
l'organisation politique, sociale ou économique du pays »39. Une loi de police n'est donc rendue
applicable qu'aux situations présentant un certain lien spatial avec le pays dont elle émane. C’est
pour cette raison que le juge ou le législateur qui prévoit l’application d’une loi de police se
doit aussi de déterminer le critère spatial qui justifierait sa mise en œuvre. La localisation de ce
critère spatial d’application dans le for requerrait de déroger au droit étranger qu’aurait
normalement désigné compétent la règle de conflit du juge saisi.
Lorsqu’une loi de police est applicable dans le for, elle exclut nécessairement toute
application d’un droit étranger qui serait reconnu compétent par une règle de droit international
privé. Pour justifier cette prééminence de la méthode des lois de police sur la méthode des
conflits de lois, les arguments ne manquent pas.

37
CJCE, 9 novembre 2000, INGMAR GB Ltd c. EATON LEONARD TECHNOLOGIES Inc., RCDIP 2000, p. 107,
note L. IDOT.
38
V. l’article L. 32 du Code du travail : « Quels que soient le lieu de la conclusion du contrat et la résidence de
l’une ou l’autre partie, tout contrat de travail conclut pour être exécuté au Sénégal est soumis aux dispositions du
présent Code. La preuve de son existence peut être apportée par tous moyens. Le contrat écrit est exempt de tous
droits de timbre et d’enregistrement ».
39
P. MAYER, Dalloz, Rép. internat. 1998, v° Lois de police, n° 3.

21
L3- Droit International Privé

§ II : Rapport entre la méthode des lois de police et la méthode des conflits de lois

La méthode des lois de police est une méthode concurrente à celle des conflits de lois.
Il est rare cependant qu’elle constitue dans un État, le procédé de résolution par prédilection
des litiges internationaux de droit privé. Ainsi, dans les systèmes nationaux de droit
international privé, elle est souvent associée à la méthode savignienne.
Pour autant, il existe entre elles, un rapport de hiérarchie. Dans la hiérarchie des
méthodes du droit international privé, la méthode des lois de police est généralement considérée
comme étant au sommet de la pyramide dans les systèmes romano-germaniques. La raison
procède de l’antériorité de l’ordre interne sur l’ordre international. La primauté reconnue à
l’ordre interne sur l’ordre international permet de justifier le fait que la règle de conflit puisse
être écartée ou corrigée par le recours aux lois de police. Lorsqu’une loi de police est donc
applicable, en toute logique, elle exclut toute autre méthode. Par conséquent, lorsque le juge
sénégalais est saisi d’un contentieux privé empreint d’un élément d’extranéité, il applique
directement la loi du for lorsqu’une loi de police sénégalaise est applicable. Ce faisant, il exclut
tout raisonnement conflictuel.
S’il en est ainsi, c’est parce que les lois de police sauvegardent les intérêts fondamentaux
du for. Par l’effet de l’internationalité du rapport, il ne faudrait pas que l’application d’une loi
étrangère remette en cause l’organisation du système juridique du for. En ce sens, la méthode
des lois de police partage une certaine fonction avec l’exception de l’ordre public international
qui permet de préserver la politique législative en vigueur dans le for contre les lois étrangères
choquantes. Contrairement à l’exception d’ordre public international, la méthode des lois de
police ne donne cependant aucun sursis à la loi étrangère. La règle de conflit de lois est tout
simplement ignorée. En lieu et place, le juge sénégalais applique directement la loi du for érigée
en loi de police.

Pour autant, la méthode des lois de police est employée souvent avec parcimonie dans
les systèmes nationaux de droit international privé. La raison procède pour l’essentiel de sa
faible vocation coordinatrice et de la très grande place qu’elle accorde à la lex fori. On peut
s’inquiéter alors que le législateur sénégalais lui ait reconnu un domaine assez prépondérant.

§ III : La place de la méthode des lois de police dans le système sénégalais de dip

« Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire sénégalais. Il
en est ainsi notamment des dispositions du présent Code relatives : à l’organisation de l’état

22
L3- Droit International Privé

civil ; à la détermination du domicile pour l’attribution de la compétence judiciaire ; à


l’absence et à la disparition ; à l’obligation alimentaire, la parenté et l’alliance ; à la
protection de la personne et des biens des incapables ; à toutes les mesures provisoires
imposées par l’urgence »40. Après l’énumération des matières considérées comme
internationalement impératives, le champ matériel potentiel d’application des lois étrangères
semble très résiduel en droit international privé sénégalais41. Aucun reproche n’aurait pu être
formulé à l’encontre des choix opérés par le législateur sénégalais si l’application de la loi du
for s’imposait par la force des arguments. À l’exception du statut impératif de « l’organisation
de l’état civil » et « des mesures provisoires imposées par les situations d’urgence », les autres
qualifications soulèvent de sérieuses réserves42. Cette démonstration peut se limiter à deux
exemples : l’absence et les dispositions relatives à « l’obligation alimentaire, la parenté et
l’alliance ».
La qualification des règles sur l’absence en loi de police reste une curiosité pour la
doctrine sénégalaise. Pour reprendre Abd-El-Kader BOYE, la qualification opérée par le
législateur reste « surprenante »43, « critiquable et incompréhensible »44. En effet, si les rares
explications avancées procéderaient d’une compréhension erronée d’une jurisprudence
française, d’ailleurs isolée, que le législateur sénégalais s’est empressé de codifier45, la
qualification opérée prescrirait des solutions pleines d’infortune. Raisonner autrement serait
alors méconnaitre que les effets de l’absence d’un étranger ne se produisent pas seulement dans
le for46. Privilégier cette optique, c’est prendre également prétexte de la coïncidence fréquente

40
Article 841 CF alinéa 2.
41
En ce sens, P. BOUREL, « Le nouveau droit international privé sénégalais de la famille » préc., n° 7 ; A.-E.-K.
BOYE, « Les mariages mixtes en droit international privé sénégalais » préc., n° 104.
42
L’énonciation redondante et de loin la plus anodine est la soumission à la loi sénégalaise de « la détermination
du domicile pour l’attribution de la compétence judiciaire ». Cette précision s’imposait-elle ? Il ne le semble guère.
Le sens d’une règle de conflit du for ne peut être déterminé que par la loi du for ; en ce sens, P. LAGARDE, « Le
principe de proximité dans le droit international privé contemporain » préc., n° 61. La qualification lege fori devrait
prévaloir à chaque fois que l’interprétation de la règle de conflit du for s’impose, a fortiori, si elle est de type
unilatéral comme les règles de compétence judiciaire.
43
« Le statut personnel dans le droit international privé des pays africains au sud du Sahara. Conceptions et
solutions des conflits de lois. le poids de la tradition négro-africaine personnaliste », RCADI, tome 238, 1993, n°
204.
44
Cours préc., n° 204..
45
En ce sens, A.-E.-K. BOYE, cours préc., n° 205 ; R.-D. GNAHOUI, thèse préc., p. 222. Il s’agit d’un arrêt de
la Cour de cassation française (Civ., 27 décembre 1897, D.P., p. 40).
46
Sauf à imaginer que le législateur n’ait entendu régir que les conséquences sur les biens et sur la personne de
l’absent et du disparu localisées ou localisables au Sénégal. L’application de la loi du for qui interviendrait à la
suite de la compétence des juridictions sénégalaises, ne serait pourtant opportune que dans les situations d’urgence
pour sécuriser les droits des tiers et de l’absent. Or, la compétence de la loi sénégalaise demeure dans de telles
circonstances ; cf. le tiret 6 de l’article 841 CF alinéa 2. Dans les circonstances même où toutes les conséquences
de l’absence ou de la disparition se localisent dans un État, l’application de la loi du for n’est pas conseillée dans
la doctrine française : « (…) aussi grande soit-elle, l’interaction en la matière de la compétence législative et de
la compétence juridictionnelle ne doit pas remettre en cause le principe de la dissociation. Un tribunal français

23
L3- Droit International Privé

de la loi du for et de la lex situs pour ériger le régime juridique de l’absence en loi de police
alors que les conséquences de l’absence ou de la disparition requièrent souvent de consulter la
loi personnelle de l’absent47, la loi de son domicile ou de sa résidence48, celle de son conjoint49,
la loi applicable au régime matrimonial50 et éventuellement toute autre loi d’un pays où l’absent
justifierait d’un patrimoine51.
Vouloir donc imposer l’application des lois sénégalaises à des situations dont l’objet est
susceptible de mettre en contribution plusieurs systèmes juridiques, c’est avoir une vision
réductrice des conséquences liées à l’absence ou la disparition dont l’enjeu s’apprécie
principalement sur le terrain de la reconnaissance de leurs effets à l’étranger52. Si l’application
de loi sénégalaise paraît davantage appropriée aux conséquences découlant de l’absence d’un
ressortissant national, pourquoi en serait-il autrement des étrangers au mépris de leur loi
personnelle respective ?
En réalité, le droit positif sénégalais assoirait plutôt des situations boiteuses dans les
hypothèses où il y aurait une dysharmonie entre les prescriptions de la loi du for et la personnelle
de l’absent53. En contemplation des Codes du statut personnel, cette dysharmonie est plus que
probable au regard du droit africain comparé54. Présumé alors décédé en vertu de la loi du for

pourrait ainsi, sur le fondement de l’urgence, prononcer, conformément à la loi applicable au fond, une
présomption ou une déclaration d’absence » ; M. GORE, Dalloz, Rép. internat., 1998, v° Absence, n° 18.
47
Il appartient à cette loi de régir les conséquences extrapatrimoniales de l’incertitude ; il en est ainsi de l’effet de
l’absence ou de la disparition sur le mariage du conjoint. Dans les situations où également le disparu ou l’absent
réapparait, il appartiendra toujours à la loi personnelle de prévoir les conséquences de cette réapparition.
48
L’article 843 CF alinéa 2 vise « ceux qui habitent le territoire sénégalais ». L’interprétation littérale de cette
disposition pourrait soumettre à la loi sénégalaise les étrangers ou nationaux qui ont seulement une habitation au
Sénégal.
49
Le remariage du « conjoint » doit s’apprécier en vertu de sa loi nationale au risque également de favoriser des
solutions boiteuses.
50
Il en sera ainsi si elle pourvoit des solutions qui permettent d’organiser l’administration des biens entre époux.
51
En effet, dans le contentieux relatif à la gestion du patrimoine de l’absent, l’application systématique de la loi
du for est difficilement conciliable avec celle des lois étrangères du lieu de situation des biens.
52
Malgré la reconnaissance principielle de l’effet plano des décisions étrangères, les décisions rendues en vertu
de cette loi de police ne manqueront pas en effet de se voir refuser l’exequatur lorsque des décisions prononçant
la présomption ou déclarant l’absence requièrent des actes matériels d’exécution qu’ils visent les biens ou la
personne du présumé absent ou de l’absent.
53
En ce sens, A.-E.-K. BOYE, cours préc., n° 204.
54
V. Ch. YOUANA, « Droit des personnes et de la famille », Encyclopédie juridique de l’Afrique, Tome VI, NEA,
1982, v° Le domicile et l’absence, pp. 57-61. En droit malien, la juridiction compétente ne peut être saisie par
exemple d’une demande de présomption d’absence que trois ans après les dernières nouvelles (article 62 Code des
personnes et de la famille). Le décès ne peut être déclaré que dix années après le jugement de déclaration d’absence
qui n’intervient que trois ans après le jugement de déclaration de présomption d’absence (article 68). Celui-ci n’est
requis qu’au bout de deux ans après le dépôt de la requête de présomption d’absence (article 67). Entre les dernières
nouvelles et la déclaration de décès, il se sera ainsi écoulé environ un délai de quinze ans. Ce délai est par contre
de dix ans en droit béninois (article 25 du Code béninois des personnes et de la famille), en droit togolais (article
27 du Code des personnes et de la famille) et en droit burkinabé (article 15 du Code des personnes et de la famille).
Le droit sénégalais (article 16 à 23 du Code de la famille) et ces derniers systèmes juridiques présentent des
similarités saisissantes. Il se distingue toutefois d’autres. En droit gabonais par exemple, la déclaration d’absence
qui peut intervenir au bout de quatre ans après les dernières nouvelles (article 133 Code civil gabonais), permet

24
L3- Droit International Privé

avec toutes les conséquences graves qu’une telle décision emporte sur le plan patrimonial et
extrapatrimonial55, inversement vivant selon sa loi personnelle, c’est l’invraisemblable situation
à laquelle le législateur sénégalais expose l’état de l’étranger absent habitant, résidant ou
domicilié au Sénégal.
Quant aux dispositions relatives à « l’obligation alimentaire, la parenté et l’alliance »,
les principales raisons avancées pour justifier leur qualification en lois de police sont partagées
entre une reprise erronée de la jurisprudence française56 et la préservation de la cohérence
interne du système juridique du for57. Ce dernier motif invite davantage à la réflexion.
Le champ d’application large de la loi sénégalaise traduirait un souci de préservation de
la politique juridique du for qui aboutirait à une restriction du domaine d’application des lois
personnelles étrangères : « l’application des règles internes sur l’obligation alimentaire aux
seuls nationaux compromettrait l’efficacité de la nouvelle politique en matière d’assistance
alimentaire et ferait supporter à la collectivité nationale la charge des indigents étrangers
vivant dans le pays »58. Étant un des pionniers en politique de codification et d’unification de
la législation familiale en Afrique noire francophone, il serait tout aussi anachronique
d’admettre dans le for, l’application des droits coutumiers que le législateur sénégalais venait
d’abroger. Accepter l’application des lois étrangères après l’entrée en vigueur du Code de la
famille, surtout celles des pays limitrophes qui n’avaient pas encore unifié leur statut personnel,
serait synonyme de discrimination à rebours à l’encontre des nationaux encore attachés pourtant
à leurs coutumes. L’argument n’est pas pour autant recevable.
Si le motif contribue assurément à garantir la cohérence du droit interne en assurant
l’efficacité de la politique législative sur toute l’étendue du territoire sénégalais, une

l’envoi en possession des biens de l’absent qui a laissé un testament (article 139 Code civil gabonais). La juridiction
saisie de cette demande peut néanmoins exiger aux envoyés en possession le versement d’une caution. Ces cautions
ne sont libérées qu’au moment de la déclaration de décès qui survient dix ans après la déclaration d’absence (article
150 Code civil gabonais). Ce délai est néanmoins extensible puisque le juge apprécie l’opportunité de déclarer
judiciairement le décès de l’absent (article 149 Code civil gabonais). Le Code civil guinéen prévoit un encadrement
sensiblement similaire puisqu’il organise l’envoi en possession provisoire au profit des héritiers légataires (article
261 Code civil guinéen) en cas de déclaration d’absence qui peut survenir au bout de trois ans après les dernières
nouvelles (article 257 du Code civil guinéen). La succession proprement dite de l’absent ne pourra intervenir qu’au
jour de son décès prouvé (article 268 Code civil guinéen). Il en est ainsi également du droit ivoirien (article 130
du Code civil ivoirien). À la différence du droit guinéen cependant, en droit ivoirien, la déclaration d’absence ne
peut intervenir que cinq ans après les dernières nouvelles (article 119 du Code civil ivoirien).
55
Relativement à l’absence, les conséquences prévues par le législateur sénégalais sont davantage attachées à
l’idée de vie qu’à celle de mort. L’incertitude sur l’existence de la personne subsiste dix ans après les dernières
nouvelles. La présomption de décès n’est établie qu’après la computation de ce délai au sein duquel sont constatées
tour à tour la présomption d’absence et l’absence de la personne ; cf. les articles 16 à 23 CF.
56
En ce sens, P. BOUREL, « Le nouveau droit international privé sénégalais de la famille » préc., n° 26.
57
En ce sens, A.-E.-K. BOYE, « Les mariages mixtes en droit international privé sénégalais » préc., n° 167.
58
A.-E.-K. BOYE, cours préc., p. 414.

25
L3- Droit International Privé

disproportion existe néanmoins entre la méthode et les objectifs ciblés. Le recours à l’exception
d’ordre public international aurait été plus indiqué que l’application impérative des lois
sénégalaises.

Section IV : La règle de DIP en tant que règle substantielle

Comme nous le verrons en étudiant la méthode conflictuelle, la règle conflit de lois, en


principe, est une norme instrumentale et indirecte. Elle se borne en général à identifier le
système juridique qui déterminera les règles matérielles qui permettront de trancher
définitivement le conflit. Il en est autrement des règles matérielles de dip caractérisées par leur
vocation à résoudre directement le conflit sans le truchement d’un droit étatique. En ce sens,
les règles matérielles de dip se distinguent formellement des règles de conflit de lois, de la
méthode conflictuelle donc. Pour autant, entre ces deux typologies de règles de dip, il existe
une catégorie intermédiaire. Il s’agit des règles de conflit de lois à coloration matérielle. Dans
leur formulation, ces normes de dip se présentent formellement comme des règles de conflit de
lois. Les résultats matériels qu’elles poursuivent de façon implicite requièrent toutefois de les
fondre dans la catégorie des règles matérielles de dip (§I). Elles devront alors être distinguées
des règles de dip purement substantielles (§II).

§ I : Règles purement substantielles (ou matérielles)

Contrairement aux règles de conflit de lois, les règles matérielles de droit international privé
tranchent directement le rapport de droit sans le détour aux règles de droit interne. Il existe deux
formes de règles matérielles. On distingue les règles internes de dip matériel (A) et les règles
internationales de dip matériel (B).

A – Les règles internes de dip matériel

Il s’agit de règles matérielles édictées par un État dont la fonction est de régir les
relations privées internationales exclusivement. Ainsi, au sein du système juridique de l’Etat
considéré, ces normes se distinguent formellement de celles applicables aux opérations
purement internes.
L’applicabilité des règles internes de dip matériel dépend néanmoins de la compétence
législative du droit interne qui les contient. Pour que les règles internes de dip matériel puissent
être applicables, il faudrait au préalable que la loi de l’État qui les a édictées soit compétente.

26
L3- Droit International Privé

L’applicabilité de telles règles dépend donc de l’issue du raisonnement conflictuel. Ainsi, la


mise en œuvre des règles internes de dip se concilient nécessairement avec la méthode
conflictuelle.

B – Les règles internationales de dip matériel

Plus fréquentes, ces normes en général requièrent l’adoption et la ratification de


Conventions internationales dont le but est de règlementer les relations privées internationales
ou les opérations du commerce international. Ces desseins sont généralement pris en charge par
des organisations dont la mission est d’édicter des règles favorables au développement et à
l’harmonisation des règles applicables aux opérations du commerce international. Au sein de
ces règles internationales de dip matériel, une distinction peut être projetée sur la base de leur
mode d’insertion ou de leur mode d’application dans le système juridique des États signataires.
Les règles internationales de dip matériel arrêtées par la Convention peuvent d’abord se
substituer complètement aux règles matérielles des États membres qui l’ont adoptée. Les
Conventions de Genève portant loi uniforme en matière de lettre de change et de billet à ordre
(7 juin 1930) et de chèque (19 mars 1931) ont expérimenté ce mode d’insertion. Toutefois, un
tel mode d’insertion se concilie nécessairement avec la méthode des conflits de lois. Pour
preuve, l’uniformisation des règles de fond du droit cambiaire réalisée par ces deux
Conventions s’est accompagnée d’une uniformisation des règles de conflit de lois.
Un deuxième mode d’insertion des règles internationales de dip existe. Il consiste à
l’élaboration d’un droit privé matériel applicable à certaines relations privées internationales
lorsqu’elles impliquent des États membres contractants. Ce faisant, il existe deux cohortes de
règles dans le système juridique de chaque État membre. Dans le domaine considéré, des règles
applicables aux opérations internes coexistent avec d’autres régissant les opérations du
commerce international. Les premières sont déterminées par la législation interne de l’État
membre tandis que les secondes relèvent de la Convention. Pour autant, celle-ci n’entend régir
que les relations souscrites entre ressortissants d’États membres si bien que dans celles
souscrites entre les ressortissants d’un État membre et ceux d’un État tiers, la Convention reste
en principe inapplicable. Pour ce faire, ces Conventions internationales prévoient généralement
des règles d’applicabilité qui définissent de façon explicite le critère spatial d’application des
règles matérielles qu’elles édictent. On peut citer l’exemple de la Convention de Varsovie du

27
L3- Droit International Privé

12 octobre 1929 relative à la responsabilité du transporteur aérien international59. Néanmoins,


certaines Conventions internationales dévoient cette logique en prévoyant que leurs règles
matérielles de dip puissent s’appliquer à des rapports noués entre ressortissants d’un État
contractant et ceux d’un État tiers si la loi applicable à la relation litigieuse est celle d’un État
contractant. Partant du postulat que les Conventions susvisées sont insérées dans le système
juridique de cet État, leurs rédacteurs considèrent applicables les règles de telles Conventions
dans toutes les circonstances où la loi d’un État contractant régit l’opération incluse dans son
champ matériel d’application. La CVIM emprunte ce type de règle d’applicabilité60.
Les Conventions de dip matériel peuvent enfin ne prévoir aucun critère spatial
d’application. Dans ce cas, elles s’appliquent à toute opération internationale entrant dans leur
champ matériel d’application. On dénombre très peu de Conventions de ce type car elles
remettent souvent en cause la souveraineté des États non signataires. Elles recueillent de ce fait
difficilement le nombre de ratifications nécessaires à leur entrée en vigueur. L’insuccès de la
Convention de La Haye du 1er juillet 1964 portant loi uniforme sur la vente internationale
d’objets mobiliers corporels semble relever de ce facteur.

§ II - Les dérivés : les règles de conflit à coloration substantielle

Les règles de conflit à coloration matérielle sont également appelées en doctrine les
règles de conflit à coloration substantielle ou règles de conflit régulatrices (par opposition aux
règles de conflits localisatrices). On peut considérer qu’elles résultent de l’influence des

59
Article 1-2 de la Convention de Varsovie : « Est qualifié "transport international", au sens de la présente
Convention, tout transport dans lequel, d'après les stipulations des parties, le point de départ et le point de
destination, qu'il y ait ou non interruption de transport ou transbordement, sont situés soit sur le territoire de deux
Hautes Parties Contractantes, soit sur le territoire d'une seule Haute Partie Contractante, si une escale est prévue
dans un territoire soumis à la souveraineté, à la suzeraineté, au mandat ou à l'autorité d'une autre Puissance
même non Contractante. Le transport sans une telle escale entre les territoires soumis à la souveraineté, à la
suzeraineté, au mandat ou à l'autorité de la même Haute Partie Contractante n'est pas considéré comme
international au sens de la présente Convention ».
60
Article 1er de la CVIM :
« 1) La présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur
établissement dans des États différents :
a) lorsque ces États sont des États contractants; ou
b) lorsque les règles du droit international privé mènent à l'application de la loi d'un État contractant.
2) Il n'est pas tenu compte du fait que les parties ont leur établissement dans des États différents lorsque ce fait ne
ressort ni du contrat, ni de transactions antérieures entre les parties, ni de renseignements donnés par elles à un
moment quelconque avant la conclusion ou lors de la conclusion du contrat.
3) Ni la nationalité des parties ni le caractère civil ou commercial des parties ou du contrat ne sont pris en
considération pour l'application de la présente Convention ».

28
L3- Droit International Privé

méthodes américaines de résolution des conflits de lois. Arborant la physionomie des règles de
conflit de lois bilatérales, les règles de conflit à coloration matérielle n’en poursuivent pas
moins des finalités ou intérêts substantiels. En ce sens, elles remettent en cause la présomption
de neutralité classique de la méthode savignienne. Elles sont généralement empruntées lorsque
législateur entend promouvoir certains intérêts de droit substantiel dès le stade du conflit de
lois. Plusieurs typologies de règles de conflit à coloration matérielle existent. On distingue en
général les règles de conflit à rattachements multiples (A) et les règles à rattachement flexible
(B).

A – Les règles de conflit à rattachements multiples

La constante des règles de conflit à rattachements multiples est qu’elles combinent les
approches de justice conflictuelle et de justice matérielle. Elles poursuivent un résultat matériel
par la technique conflictuelle. Leur variable résulte de la manière dont elles y parviennent. Sur
cette base, il est possible de procéder à une distinction entre les règles de conflit à rattachements
alternatifs (1), les règles de conflit à rattachements subsidiaires ou en cascade (2) et les règles
de conflit à rattachements cumulatifs (3).

1 – Les règles de conflit à rattachements alternatifs

Les règles de conflit à rattachements alternatifs combinent la prise en compte d'intérêts


matériels et d'intérêts conflictuels. Ce qui fait leur caractéristique c’est qu’elles font intervenir
des considérations matérielles dans le choix de la loi applicable. Ainsi, la loi désignée
compétente l’est parce qu’elle garantit la réalisation d’un résultat matériel, pour l’essentiel la
validation d’un acte. Pour ce faire, des rattachements alternatifs sont empruntés par la règle de
conflit afin de multiplier le nombre de lois sur la base desquelles la validation de l’acte juridique
peut être fondée. Ce type de règle a été utilisé dans la Convention de La Haye du 5 octobre
1961 sur la forme testamentaire (inapplicable au Sénégal)61. Voulant garantir la validité des

61
Article 1° : « Une disposition testamentaire est valable quant à la forme si celle- ci répond à la loi interne :
a- du lieu où le testateur a disposé, ou
b- d’une nationalité possédé par le testateur, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou
c- d’un lieu dans lequel le testateur avait son domicile, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son
décès, ou
d- d’un lieu dans lequel le testateur avait sa résidence habituelle, soit au moment où il a disposé, soit au moment
de son décès, ou

29
L3- Droit International Privé

formes testamentaires, la Convention multiplie les rattachements afin que ce résultat puisse être
atteint.

2 – Les règles de conflit à rattachements subsidiaires ou en cascade

Au lieu de localiser la question de droit en cherchant le lien pertinent qui permet de


déterminer les règles du système juridique qui lui sont applicables, les règles de conflit à
cascade la localisent en tenant compte du contenu des lois en présence. Elles répondent au
schéma suivant : la règle désigne un premier critère de rattachement. Si elle ne réalise pas le
résultat matériel qui constitue le présupposé de la règle de conflit, celui-ci sera recherché par
l’application d’autres lois déterminées selon des rattachements hiérarchisés jusqu’à ce qu’il soit
atteint. La Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations
alimentaires (inapplicable au Sénégal) prévoit ce type de règles dans ces articles 462, 563 et 664.
Ces textes retiennent des rattachements en cascade. En principe, la loi applicable est
celle de la résidence habituelle du créancier d'aliment. Mais la Convention ajoute que si cette
loi ne permet pas au créancier d'obtenir d'aliment de la part du débiteur, elle perd sa compétence
au profit de la loi nationale commune du créancier et du débiteur d'aliment. Cette dernière loi
va elle aussi perdre sa compétence faute d'allouer des aliments au créancier, et ce au profit de
la loi du juge du for. On le voit, avec une telle règle de conflit une faveur au créancier d'aliment
est reconnue dès le stade du conflit de loi, avant même que ne soit désignée la loi applicable.

3 – Les règles de conflit à rattachements cumulatifs

Au contraire des règles de conflit à rattachements alternatifs, les règles de conflit à


rattachements cumulatifs manifestent l’hostilité à l’égard du rapport de droit en cause. Il faudra
satisfaire aux diverses lois en présence pour que ce rapport accède à la vie juridique. Ainsi, si

e- pour les immeubles, du lieu de leur situation ».


62
Article 4 : « La loi interne de la résidence habituelle du créancier d'aliments régit les obligations alimentaires
visées à l'article premier.
En cas de changement de la résidence habituelle du créancier, la loi interne de la nouvelle résidence
habituelle s'applique à partir du moment où le changement est survenu ».
63
Article 5 : « La loi nationale commune s'applique lorsque le créancier ne peut obtenir d'aliments du débiteur
en vertu de la loi visée à l'article 4 ».
64
Article 6 : « La loi interne de l'autorité saisie s'applique lorsque le créancier ne peut obtenir d'aliments du
débiteur en vertu des lois visées aux articles 4 et 5 ».

30
L3- Droit International Privé

l’on veut adopter une politique hostile au divorce, on posera comme règle que le divorce n’est
possible que si la cause invoquée existe dans la loi personnelle de chacun des époux.

B – Les règles de conflit à rattachement flexible

Ces dernières règles de rattachement utilisent en général un indice flexible généralement


influencé par le principe de proximité. Ce dernier principe instruit au juge d’appliquer la loi qui
présente les liens les plus étroits avec la relation. Il est rare cependant qu’une telle injonction
constitue un principe général de solution en droit international privé dans un État en raison du
subjectivisme notoire du procédé de désignation de la loi applicable. Pour ce faire, des
présomptions sont souvent déclinées et corrigées par l’emploi de règles de conflit à
rattachement flexible.
En droit international privé européen par exemple, le Règlement Rome I retient comme
présomption principielle, dans l’hypothèse où les parties se sont abstenues de choisir le droit
applicable, que la loi du lieu de résidence du prestataire caractéristique au moment de la
formation du contrat régit la convention65. Toutefois, une clause d’exception est prévue lorsque
le contrat litigieux a des liens manifestement plus étroits avec un autre système juridique66.

65
Article 4.-2 du Règlement Rome I : « Lorsque le contrat n'est pas couvert par le paragraphe 1 ou que les
éléments du contrat sont couverts par plusieurs des points a) à h) du paragraphe 1, le contrat est régi par la loi
du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ».
66
Article 4.-3 du Règlement Rome I : « Lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat
présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet
autre pays s'applique ».

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