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INTERNATIONAL PRIVE
Professeur : Noureddine Gara
Introduction générale
• D’abord, Les sujets du droit International privé sont les personnes privées
qu’elles soient physiques ou morales. Le Droit International privé se
distingue à ce stade du Droit International public qui s’intéresse aux seules
rapports entre les personnes publiques, et précisément les Etats et leurs
émanations ainsi que les organisations internationales. Cependant cette
spécificité du DIP est à ne pas surestimer en raison de l’interaction entre
le Droit international privé et le Droit international public3. En fait les
sujets du DIP ne s’identifient pas toujours aux personnes physiques et
morales de droit privé. Lorsqu’une personne publique agit comme toute
personne privée l’aurait fait, elle sort de son cadre souverain et renonce à
ses prérogatives de droit public pour être soumise, comme les personnes
privées, aux règles de droit privé. Il est acquit depuis longtemps que l’Etat,
personne de droit international public, n’est pas seulement le souverain,
il est aussi le commerçant, l’industriel et l’investisseur. D’ailleurs, on aura
1
- Droit international privé, éd Monchrestien, p. 2, n° 2.
2
- Y. Loussouarn et P. Bourel Droit international privé, éd. Dalloz p. 1, n° 1.
3
- Navvaro, Droit international privé et droit international public, Mélanges Maury, t. 1, p. 3. ; Hamro, Quelques
remarques sur les relations entre le droit international privé et le droit international public, JDI 1962, p. 613. ; F.
Rigaux, Le droit international public face au droit international privé, Rev. Crit, DIP 1976, p. 261.
l’occasion de le voir, certaines dispositions du code de Droit International
Privé, s’adressent directement à l’Etat et ses émanations et règlementent
• W-6de manière expresse certaines situations dans lesquelles sont
=^)pimpliquées.
Pour les premiers, ils touchent principalement les personnes à travers leur
nationalité ou leur domicile. C’est ce qui justifie d’ailleurs leur utilisation
comme des éléments de rattachement en matière de conflit des lois pour
les besoins de détermination du droit applicable. Est ainsi qualifié
d’international, le mariage d’un couple mixte en raison de la nationalité
étrangère de l’une des parties. Mais aussi est qualifié d’international le
divorce d’un couple de même nationalité tunisienne ayant leur domicile à
l’étranger.
4
- Cass, civ, 17 mai 1927, DP 1928, I, 25, conclusions Matter, note H. Capitant. ; Voir aussi, arrêt de la cour
d’appel de Tunis n° 31-32 du 12 janvier 1999, RJL n° 5, mai 1999, n° spécial arbitrage, p. 293.
L’utilité de la détermination préalable de l’internationalité est certaine,
car c’est cette internationalité qui justifie la mise en jeu des solutions de
droit international privé, aussi bien pour la détermination de la
compétence de la juridiction saisie pour connaitre du rapport, que pour le
choix du droit substantiel en vertu duquel le litige né de ce rapport doit
être réglé.
5
- Niboyet, Traité de droit international privé, t.1, n° 60, p. 78.
6
- Loussouarn et Bourel , Droit international privé, éd. Dalloz, n° 58.
L’exemple de la nationalité, définie comme étant un lien de droit public
du fait qu’elle est imposée par l’Etat aux individus, est largement
significatif. Le statut de l’étranger en est de même. Cette matière est régie
par des règles matérielles et unilatérales qui, en raison de leur attache à
la souveraineté de l’Etat, elles s’appliquent directement en tant que lois
de police.
7
- Leçons de droit international privé, livre I, Les règles matérielles : Condition des étrangers et conflit des
juridictions, CERP, Tunis 1996, p. 46.
international privé sans se soucier de la position de principe du droit
tunisien. On rappelle qu’à l’université tunisienne, l’enseignement pratique
du droit international privé comprend se limite aux conflit de juridiction
et les conflits de lois. Il en est ainsi de l’épreuve de la matière dans les
concours nationaux à l’instar du concours d’entrée à l’institut supérieur
de la profession d’avocat conformément à l’arrêté des des ministres de la
justice et des droits de l’homme et le ministre de l’enseignement
supérieur, de la recherche scientifique et technologique du 9 novembre
20078.
• Le conflit des lois
C’est le noyau dur du DIP. D’ailleurs, certains systèmes de droit comparé
ramènent tout le droit international privé au conflit des lois. Il s’agit donc
de la partie originale de toute la matière. Caractérisée par sa complexité
méthodologique et son évolution continue, cette matière a donné lieu à
des débats doctrinaux riches en idées, mais surtout passionnants du côté
de la gymnastique intellectuelle qui les anime.
8
- JORT du 13 novembre 2007.
des lois ». Il s’agit d’une règle de droit interne qui a pour objet de
déterminer pour une situation juridique précise, le droit qui la régit.
Exemple de règle de conflit : L’article 48 al. 1 du code de droit
international privé dispose que « Le divorce et la séparation de corps sont
régis par la loi nationale commune des époux en vigueur au moment où
l’instance est introduite. A défaut de nationalité commun, la loi
applicable est la loi du dernier domicile commun des époux s’il y en a,
sinon, la loi du for ».
9
- Pour une étude plus approfondie, on renvoie à l’ouvrage de A. Mezghani, Droit international Privé, Cérès
Productions 1991.
étranger par un citoyen grec en est l’un des exemples traditionnellement
cité.
L’apparition des conflit de lois ainsi que les conflits de juridiction sous
l’empire romain était le résultat de son hégémonie sur le bassin
méditerranéen10. Cette situation a généré un corps de règles spécifiques
régissant les nouveaux rapports entre les citoyens romains et les pérégrins
qui représentent les habitants des régions conquises.
Au temps des invasions Barbares, la question du statut de l’étranger est
de nouveau posée. Cette question a duré aussi pendant la période féodale
caractérisée par la méfiance à l’égard des étrangers qui vivaient sur le
territoire de la seigneurie.
Dans les pays d’islam, le statut juridique du non musulman était régi par
des règles particulières. C’est le cas par exemple du statut du Dhimis. On
lui assure le séjour et la protection de ses biens en terre d’islam, contre le
paiement d’une taxe personnelle. L’institution du patronage fourni un
autre exemple. En vertu de cette institution, l’étranger bénéficie d’une
protection par un musulman11.
En dehors du statut de l’étranger, l’histoire lointaine enseigne en général
que la confusion entre la compétence juridictionnelle et celle législative a
constitué durant des siècles un obstacle majeur pour l’évolution des
systèmes de conflit des juridictions et celui des conflits des lois. Chaque
communauté était soumise à ses propres juridictions et à sa propre loi.
Ce n’est qu’à partir du 13ème siècle que certaines solutions de droit
international privé ont pu être mis en lumière. C’est avec l’école italienne
des glossateurs et par la suite les post-glossateurs qu’on est parvenu à
poser pour la première fois en termes claires la question des conflits de
lois et la méthode de son règlement. Sans prétendre défendre une théorie
soit-elle personnaliste ou territorialiste, l’école italienne a retenu le choix
qui s’adapte mieux à la question posée. Entre le statut personnel et le
statut réel, le choix de la loi applicable est la loi personnelle soit la loi réelle
c’est-à-dire du lieu du bien. L’une des solutions spécifiques de cette école
provient de la distinction entre les règles de fond et celles de procédure.
Les premières sont régit la loi du domicile ; les secondes par la loi du for.
10
- P. Mayer, Droit international privé, p. 9, n° 10.
11
- sur l’ensemble, Ahmed Rachid, L’Islam et le droit des gens, RCADI 1937, T 60, p. 371.
Le mérite revient aussi à cette école qui a dégagé la règle intangible en
soumettant les actes juridiques à la loi de leur rédaction. Il s’agit de la
fameuse règle locus régit actum. Enfin, c’est à cette école que revient le
mérite d’avoir posé les premières racines du mécanisme de l’exception
d’ordre public international en faisant la distinction entre le statut
favorable et le statut odieux.
Les 15ème et 16ème siècle étaient caractérisés par la naissance des grands
mécanismes de droit international privé à l’instar de la qualification dont
la découverte revient à Dumoulin lors de la célèbre consultation des
époux Ganay sur la loi applicable à leur régime matrimonial. Cette
découverte a fait l’objet plus tard d’une systématisation dans les travaux
de Bartin12. La même période était aussi caractérisée par la naissance de
grandes écoles à l’instar du territorialisme de B. D’argentré, repris plus
tard par De grands auteurs comme Niboyet , et du personnalisme dans les
travaux de Mancini en Italie et continué par A. Pillet en France.
C’est le 19ème siècle qui a marqué l’étape d’une véritable systématisation
du droit international privé en matière des conflits des lois, notamment à
travers l’œuvre de Savigny hostile au dogmatisme. Pour cet auteur, c’est
la communauté des civilisations qui fonde l’application de la loi étrangère.
Son raisonnement trouve dans la localisation du rapport de droit le point
de départ pour la détermination de la loi applicable. Cette œuvre
universaliste était à l’origine des travaux ultérieurs qui ont participé à
l’élaboration d’un système théorique de droit international privé13. De
grands auteurs comme H. Batiffol et d’autres ont caractérisé la véritable
systématisation du droit international privé.
12
- Bartin, La théorie des qualifications en droit international privé, RCADI 1930, I, p. 593.
13
- A. Mezghani, Droit International Privé, Cérès Productions, 1991, p. 138
Dans beaucoup de systèmes, C’est la loi qui constitue la source principale
du droit international privé. C’est le cas par exemple du système tunisien.
Toutes les matières faisant l’objet du droit international privé ont été
réglementé en détail par la loi. Il s’agit du code de droit international privé
de 199814, du code de la nationalité de 196315 et la loi de 1968 sur la
condition des étrangers 16. S’ajoutent à ce cadre quelques dispositions
éparpillées à l’instar de la loi du 1er août 1957 réglementant l’état civil, ou
le code de travail sur le travail des étrangers ainsi que le code de
commerce maritime sur le transport international. C’est le cas aussi de
certains grands systèmes de droit comparé à l’instar du système suisse à
travers la réglementation de la loi fédérale du 18 décembre 198717. En
revanche, dans d’autres systèmes l’intervention législative reste très
relative. C’est l’exemple du système français quoique, depuis quelques
temps, les interventions législatives sont devenues de plus en plus
fréquentes notamment sur la condition des étrangers. La loi Pasqua de
1989 est l’un des plus importants exemples à citer18.
b) La jurisprudence
L’obligation de créer les normes juridiques s’impose au juge dès lors que
la loi est muette. On parle donc de juge-législateur. Le pouvoir normatif
dépend donc du vide législatif. Chaque fois que le législateur se tait, le juge
en profite. Il s’agit en réalité d’un transfert exceptionnel de compétence.
Pour le cas tunisien par exemple, étant donné que la loi a tout réglementé,
le rôle du juge est, incontestablement, ramené à ses justes limites. Cela ne
doit pas signifier pour autant que le rôle de la jurisprudence soit
totalement absent. Certaines solutions d’origine jurisprudentielles
méritent à ce titre d’être citées. C’est le cas notamment pour certains
mécanismes de droit international privé. Le mécanisme du renvoi19 en est
l’un des exemples. La création du for de nécessité est aussi l’un des
14
- Promulgué par la loi n° 97 du 27 novembre 1998.
15
- Décret-loi n° 63-6 du 28 février 1963 portant refonte du code de la nationalité tunisienne.
16
- Loi n° 1968-0007 du 8 mars 1968, relative à la condition des étrangers en Tunisie, JORT du 8-12 mars 1968.
17
- F. Knoepfler et Ph. Schweizer, La nouvelle loi fédérale suisse sur le droit international privé, Rev. Crit. DIP
1988, n° 2, p. 207.
18
- D. Turpin, La loi du 2/8/1989 relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France- Ravaudage
de la loi Pasqua ouesquisse d’une « nouvelle citoyenneté », RC 1989, p. 617..
1919
- Dans le code de droit international privé, le renvoi a été exclu sauf texte spécial en application de l’article
35 ; et sur ce mécanisme passionnant voire spectaculaire, M. Hachem, Nouvelles réflexions sur le renvoi, RTD
1995, p. 185., L. Chedly, Le rejet inopiné du renvoi par le code de droit international privé, Mélanges Sadok
Bellaid, CPU, 2004, p. 295.
exemples révélateurs de l’importance de la source jurisprudentielle dans
l’élaboration du droit international privé.
20
-
21
-
22
-
23
-
importantes sont les conventions de La Haye sur le droit international
privé. Parmi ces conventions on peut citer la convention de 1968 sur le
droit applicable en matière d’accident de circulation routière, la
convention de 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, la
convention de 1986 sur la vente internationale de marchandiedc e et la
convention de 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort.
24
- L’apostille est un cachet émis par une autorité compétente pour confirmer l’authenticité d’une signature d’un
sceau ou timbre sur un acte public étranger. ; loi organique n° 2017-14 du 28 mars 2017 portant approbation de
l’adhésion de la république tunisienne à la convention et décret présidentiel n° 2017-47 du 28 mars 2017 portant
ratification de l’adhésion la république tunisienne à la convention.
25
- loi organique n° 2017-29 du 2 mai 2017 portant adhésion de la république tunisienne à la convention et décret
présidentiel n° 2017-63 du 2 mai 2017 portant ratification de l’adhésion la république tunisienne à la convention.
26
- Loi organique n° 2017-30 du 2 mai 2017 portant approbation de l’adhésion de la république tunisienne à la
convention. Voir aussi le décret présidentiel n° 2017-64portant ratification de l’adhésion et décret gouvernemental
n° 2017-1209 du 7 novembre 2017 portant la désignation de l’autorité centrale prévue par la convention.
croissance continue27 permet d’affirmer à forte raison, que cette source
conventionnelle est de loin plus importante que celle de droit interne.
• La jurisprudence internationale
La jurisprudence internationale constitue une source relativement
importante. Elle se manifeste timidement à travers les décisions de la Cour
Internationale de Justice, et d’une manière attirante à travers les
sentences arbitrales.
La jurisprudence de la CIJ
La CIJ est un organe juridictionnel qui fonctionne sous l’égide de
l’organisation des Nations-Unies. Ayant succédé la Cour Permanente de
Justice Internationale entre les deux guerres, cette juridiction a
compétence seulement pour trancher les litiges interétatiques en
appliquant selon l’article 38 de son statut, les conventions internationales,
la coutume internationale et les principes généraux de droit reconnus par
les nations les plus civilisées.
27
- Parmi lesquelles on cite la convention tuniso-française du 28 juin 1972, voir sur cette convention, M. L.
Hachem…..
28
-.
29
-
30
-
31
-
Ne rentre pas donc dans la sphère de compétence de la CIJ, les litiges ayant
un aspect privé. Cependant, exceptionnellement, cette juridiction peut
avoir l’occasion de connaitre de certaines questions d’intérêt privé
lorsqu’elle est saisie par le biais de la procédure de protection
diplomatique. C’est-à-dire, lorsque l’Etat endosse la réclamation de son
ressortissant et agit à sa place devant la CIJ. C’est ainsi que cette juridiction
a pu rendre certaines décisions touchant des aspects de droit privé.
Certains de ses arrêts sont devenus célèbres et cités à titre de référence
en droit international privé. On cite comme exemple, l’arrêt Nottebohm32
Dans lequel, la CIJ a posé la règle de l’opposabilité aux Etats tiers des actes
unilatéraux que peut prendre un Etat à propos de l’attribution d’une
nationalité par naturalisation. On peut citer aussi l’arrêt Barcelona
Traction du 5 février 197033 dans lequel la CIJ a participé largement au
débat sur la nationalité des sociétés, en décidant que la protection
diplomatique ne peut être exercée que par l’Etat du siège de la société et
non pas celui des actionnaires. Par cette décision, la CIJ a fait prévaloir le
critère du siège social sur celui du contrôle.
32
- CIJ, 6 avril 1954, Recueil 1955, p. 4 ; sur le commentaire, Bastid, L’affaire Nottebohm devant la CIJ, R.C,
1956, p. 607.
33
- Voir sur cet arrêt, Francescakis, Lueurs sur le droit international privé des sociétés, l’arrêt Barcelona
Traction, RC 1970, p. 609.
Au fil du temps, une véritable jurisprudence arbitrale s’est constituée. Elle
a contribué largement à l’instauration d’un ordre juridique non étatique
spécifique à la communauté internationale des commerçants. Cet ordre
juridique appelé couramment Lex mercatoria34 comprend un ensemble
de règles spécifiques qui s’adaptent mieux aux relations commerciales
internationales. Beaucoup de principes d’origine arbitrale peuvent être
cités à ce titre. C’est l’exemple du principe de l’interdiction de se
contredire au détriment d’autrui, le principe de l’obligation de minimiser
les pertes ou encore le principe coopération de bonne foi même à la
période précontractuelle.
On remarque cependant que l’importance de la jurisprudence arbitrale
comme source du droit international privé est limitée seulement aux
contrat de commerce international. Elle ne joue aucun rôle relativement
aux autres catégories de contestations car tout simplement l’arbitrage est
interdit. C’est le cas notamment pour le statut personnel.
Eléments historiques
L’histoire de la question de compétence internationale des juridictions
tunisiennes est très récente. En fait ce n’est qu’avec l’indépendance de la
Tunisie en 1956 donnant lieu à l’unification de la justice, qu’il est devenu
possible aux juridictions tunisiennes de connaitre d’un litige à caractère
international et par conséquent se prononcer préalablement sur leur
compétence.
34
-
35
36
- Mohamed El Arbi Hachem, Leçons de droit international privé, Livre I, les règles matérielles, CERP1996, p.
105.
à caractère international. Généralement, le système tend à conférer la
compétence aux consuls étrangers pour régler les litiges entre leurs
ressortissants. Le consul français demeure compétent pour connaitre des
litiges entre les ressortissants des puissances qui ne sont pas soumises au
système des capitulations37. Lorsque le litige concerne des parties de
nationalité mixte, seul le consul français avait compétence. Ce privilège
consulaire a été maintenu en dépit de la proclamation de la constitution
tunisienne de 1861 qui, partant du principe de l’égalité de tous devant la
loi, avait « tiré pour conséquence logique la compétence exclusive des
juridictions tunisiennes »38.
37
- Ali Mezghani, Doit International Privé, précité, p. 62.
38
- Ibid, p. 64.
39
*ibidem, p. 71.
40
- JO 1957, p. 626.
des juridictions étrangères en Tunisie qui marqua l’avènement de la
plénitude de compétence des juridictions tunisiennes par le transfert de
compétence des tribunaux français en Tunisie à partir du 1er juillet de la
même année41. Se réalisant en pratique non sans difficultés42, cette
nouvelle situation a permis pour la première fois aux tribunaux tunisiens
de connaitre des litiges à caractère international. La suppression des
tribunaux religieux successivement par le décret du 25 septembre 1956
pour les tribunaux musulmans et la loi du 27 septembre 1957 pour les
tribunaux rabbiniques, n’a fait que contribué indiscutablement à cette
nouvelle ère de la justice tunisienne. C’est en raison de cette évolution
que le code de procédure civiles et commerciales a pu traiter, pour la
première fois, de la compétence internationale des tribunaux tunisiens à
travers les dispositions de son article 2. Appliqué pendant des décennies,
cet article, interprété et appliqué d’une manière excessive par la
jurisprudence, a fini par être abrogé par le code de droit international
privé de 1998. Mettant fin à la qualification en bloc de l’article 2, le
nouveau code a suivi une démarche plus raisonnable tablant sur l’autorité
différencié des règles de compétence internationale des juridictions
tunisiennes. La distinction entre les cas de compétence ordinaire et les cas
de compétence exclusive a été présentée comme l’une des
caractéristiques de ce code.
41
- R. JJambu Merlin, La disparition des juridictions française en Tunisie, Rev. Crit DIP 1957, p. 213.
42
- Voir à titre d’exemple, l’arrêt de la
Cour de Cassation n° 3499 du 15 d
écembre 1964, Bulletin de la Cour de Cassation 1965, p. 61.
compétence qui puisent leur source dans les conventions d’entraide
judiciaire conclues par la Tunisie (C).
47
- Jugement n° 11267 en date du 23 décembre 1999, inédit.
48
- Tribunal de 1ère instance de Tunis, jugement n° 9901 en date du 13 novembre 1990, inédit.
lorsque le défendeur ne se présente pas devant les juridictions
tunisiennes car qui ne dit mot ne consent49.
2- Les exceptions
L’article 4 du code de DIP ne prévoit qu’une seule exception au principe
de la volonté. C’est le cas lorsque le litige porte sur un immeuble situé
hors du territoire tunisien. Il s’agit là d’une exception largement justifiée
en raison du fait que la compétence du for de l’immeuble est qualifiée
par la quasi-totalité des systèmes juridiques comme une compétence
indiscutablement exclusive car elle met en jeu une souveraineté
étrangère. On le sait l’immeuble est une fraction du territoire l’une des
composantes de la souveraineté.
Il est bien clair donc que les juridictions ne peuvent intervenir pour
l’attribution, l’acquisition, la perte, le retrait ou la déchéance de la
nationalité tunisienne. D’ailleurs le code de la nationalité réserve la
compétence au pouvoir exécutif représenté par le président de la
république qui intervient par décret (voir l’article 19 pour l’acquisition
par voie de naturalisation, l’article 30 pour la perte, l’article 33 pour la
déchéance et l’article 37 pour le retrait de la nationalité).
En conclusion, il est tout à fait raisonnable d’affirmer que dans la
pratique l’article 8(1) ne peut recevoir application; il s’agit donc d’un
texte superflu.
Il est permis donc, non sans raison, de noter que le nombre important
d’actions susceptibles de fonder la compétence exclusive des
juridictions tunisiennes en dehors du Code de DIP, illustre parfaitement
l’échec de la méthode législative. On adhère totalement à l’affirmation
d’un auteur50 qui voit dans l’article 8(5) un texte qui « ne brille pas par
50
- Ali Mezghani, Commentaires du code de droit international privé.
sa clarté », il peut mettre « à rude épreuve la crédibilité même de la
réforme ».
En Somme, il est possible d’affirmer que l’étude de l’article 8, sous
l’angle critique, permet de focaliser sur deux idées clés ; d’abord,
certains cas de compétence ont un caractère factice, d’autres sont
tout simplement excessives. Le seul cas qui échappe à toute critique
est celui relatif à la compétence internationale en matière des mesures
conservatoires ou d’exécution sur le territoire tunisien.
51
- Il s’agit des exceptions de connexité et de litispendance internationale. Voir sur ces exceptions :
كلية الحقوق، مذكرة لنيل شهادة الماجستير في القانون الخاص، الدفوع اإلجرائية و االختصاص الدولي للمحاكم التونسية،عالء الد ين حامدي
2018/2017 السنة الجامعية،والعلوم السياسية بتونس
52
- La connexité est prévue par l’article 7 du code DIP comme un chef de compétence des juridictions
tunisiennes. Elle fonde donc la compétence. La situation inverse c'est-à-dire celle d’une connexité à une
action principale pendante devant une juridiction étrangère de nature à retirer une compétence justifiée des
juridictions tunisiennes n’est pas en revanche réglé par le code.
53
On précise que l’exception de litispendance n’est pas réglé par le code DIP et la jurisprudence est marquée
par une tendance récente qui ne voit plus de restrictions à son accueil ; Jugement du 26 juin 1999, RTD
2000, p. 403, note S. Ben Achour ;Tribunal de première instance de Monastir, jugement n° 21193 du 11
juin 2010 et cour d’appel de Monastir, jugement n° 6455 du 20 mai 2011 et cour de cassation, arrêt n°
68029 du 8 mars 2012 ;Tribunal de première instance de Tunis, jugement n° 60243 du 8 novembre 2016,
inédit, et n° 33321 du 5 janvier 2016, inédit dans lequel il a été rappelé que la bonne organisation de la
justice et la garantie de ne pas avoir des décisions contradictoires nécessitent une coopération entre les
différents systèmes, lorsque deux juridictions de deux Etas ont été saisis sur le même litige ; voir aussi,
arrêt de la cour de cassation n° 58593 du 9 mai 2018, inédit.
soumise au même régime qui régit les exceptions de procédure
d’intérêt privé avec toutes les conséquences qui en découlent.
Pourtant, en pratique l’exception d’incompétence internationale
des juridictions tunisiennes n’a pas échappé pas à la controverse.
Elle a constitué un terrain propice à la discussion. Celle-ci porte
sur trois principales questions : qui soulève l’exception d’une
part ; à quel moment doit-elle être soulevée d’autre part et enfin
qu’elle serait sa valeur en cas où la compétence est fondée sur la
nécessité ?
54
- Sur le commentaire de l’article 8, N. Gara, La compétence internationale exclusive des juridictions
tunisiennes (approche critique de l’article 8 du code de droit international privé), in, La passion du droit,
Mélanges en l’honneur du Professeur Mohamed Larbi Hachem, Faculté de droit et des sciences politiques
de Tunis, 2006, p. 330.
55
- Arrêt n° 68029 du 8 mars 2012, inédit. ; arrêt n° 58593 du 9 mai 2018, inédit.
conformément à l’article 251 du Code de procédure civile et
commerciale56 mais essentiellement de l’effet relatif à la
limitation du droit à soulever l’exception seulement aux parties.
Ce qui fait qu’il n’appartient pas au juge de soulever d’office son
incompétence. Cette exclusion n’est pas pour autant générale. En
fait, dans certains cas, en dépit de la qualification de la
compétence internationale comme une compétence territoriale,
la possibilité pour le juge de soulever d’office son incompétence
n’est pas discutable. Il en est ainsi par exemple lorsque le juge
tunisien est saisi pour connaitre d’une action ayant pour objet un
droit réel relatif à un immeuble situé à l’étranger. L’article 4 du
CDIP neutralise à cet effet tout accord des parties pour fonder la
compétence internationale des tribunaux tunisiens57. La solution
s’impose d’elle-même car elle sert à donner à l’article 4 son plein
effet. Si non, il perd toute utilité. La même solution peut couvrir
aussi d’autres situations où la compétence du juge tunisien
s’avère artificielle en l’absence d’un lien de proximité raisonnable,
où aussi lorsqu’une compétence exclusive d’une juridiction
étrangère est mise en cause. C’est l’exemple de tous les cas de
compétence exclusive prévus par l’article 8 du CDIP appliqués au
sens inverse. C’est le cas notamment d’une action portant sur le
redressement ou la faillite d’une société ayant son siège social à
l’étranger ou la demande d’une mesure conservatoire ou
d’exécution sur un bien situé à l’étranger. Dans ces cas, le respect
d’une souveraineté judiciaire impose au juge tunisien saisi de
soulever d’office son incompétence. C’est le cas aussi lorsque le
juge est saisi pour se prononcer sur l’annulation d’un procès-
verbal d’une assemblée générale d’une société ayant son siège à
l’étranger, ou aussi, pour se prononcer sur l’annulation d’une
inscription dans un registre public étranger. Les exemples
peuvent se multiplier. Ils intéressent tous les cas où une
56
- Cour de cassation, arrêt n° 58593 du 9 mai 2018, inédit.
57
- Cour de cassation, arrêt n° 2830 du 7 décembre 2006, Bulletin de la cour de cassation 2006, p. 283.
إن اعتبار االختصاص الدولي للمحاكم التونسية اختصاصا ترابيا ال يحول دون أن تثير المحكمة من تلقاء نفسها عدم
اختصاصها بالنظر في النزاع في صورة تعلق موضوعه بحق عيني على عقار كائن خارج البالد التونسية عمال بأحكام
. من مجلة القانون الدولي الخاص4 الفصل
souveraineté étrangère est prise en contact. D’ailleurs, le
législateur a prévu expressément le cas pour l’immunité de
juridiction de l’Etat étranger. L’article 22 impose au juge de
donner effet à cette immunité même à défaut de comparution de
l’Etat étranger.
58
- حيث ال ينسب لساكت قول إال بفعل يدل أن سكوته كالقول وبالتالي ال يمكن أن يستشف من عدم حضور المطلوب أنه قد قبل بأن تنظر المحاكم
.التونسية في الدعوى المرفوعة ضده
sérieusement à la politique législative qui imprègne le code de
DIP. Caractérisé par la dissociation entre les cas de compétence
internationale ordinaire de ceux de nature exclusive, le code a
choisi un régime dualiste des règles de compétence. Seules celles
qualifiées d’ordre public peuvent être soulevées d’office par le
juge. C’est en ce sens que s’est prononcée d’ailleurs la cour
d’appel de Tunis59. Dans une série d’arrêts, elle a clairement
soutenu le caractère supplétif des cas de compétence ordinaire et
particulièrement le cas de compétence fondé sur la volonté du
défendeur en application de l’article 4 du CDIP. Pour elle, « il
ressort de l’article 4 qui permet aux parties de convenir sur la
compétence des tribunaux tunisiens pour connaitre du litige, que
ladite compétence ne concerne que leur intérêt privé ; il
appartient donc à la partie défenderesse de la soulever avant
tout débat au fond. Il s’ensuit qu’il n’appartient pas au juge de
soulever d’office son incompétence lorsque la partie
défenderesse a été actionnée légalement et a été mise en
mesure de se défendre ». Cette solution nous parait plus justifiée
surtout lorsque l’exception d’incompétence est confrontée aux
dispositions de l’article 10 du CDIP.
-D’abord, malgré sa place dans le code qui peut laisser croire qu’il
couvre aussi bien les cas de compétence possible que ceux de
nature exclusive, il est permis de soutenir à forte raison que
Voir dans ce sens, tribunal de première instance de Tunis, jugement n° 4901 du 6 juin 2017 et n° 98279 du
13 octobre 2015 et n° 93795 du 13 janvier 2015 et n° 98014 du 31 mars 2015 et n° 93363 du 3 février 2015
et n° 96383 du 19 mai 2015 et n° 97889 du 14 juillet 2015 (jugements inédits) ; tribunal de première instance
de Ben Arous, jugement n° 40968 du 19 juin 2015 et n° 30762 du 23 janvier 2015et n° 41954 du 24 avril
2015 (jugements inédits).
59
- Arrêt n° 83315 du 10 février 2016 et arrêt n° 74775 du 24 février 2016, inédits
l’article 10 ne s’adresse qu’aux situations où la compétence
contestée n’est qu’une compétence ordinaire qui ne concerne
que l’intérêt privé des parties. C’est l’exemple d’une action dirigée
contre un défendeur résident à l’étranger. En revanche, si l’action
introduite devant le juge tunisien peut contourner une
compétence exclusive d’une juridiction étrangère, il devient
possible de soulever tardivement une exception d’incompétence.
C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit d’une action introduite
devant les tribunaux tunisiens ayant pour objet un droit réel
relatif à un immeuble situé à l’étranger.
60
- arrêt n° 21728 du 12 juin 2015, inédit
الخوض في األصل يقتضي مناقشة الدعوى من حيث موضوعها وتفحص الدفوعات المثارة في شأنها والرد عليها إلى أن
.تصبح القضية جاهزة للفصل
61
- arrêt précité
défenderesse a soulevé l’exception d’incompétence
internationale des tribunaux tunisiens en faisant jouer l’article 5
du CDIP. Cette exception fut rejetée par les juges de fond en
raison de son caractère tardif. Cette position a été censurée par
la cour de cassation qui a décidé que l’argument tiré du caractère
abstrait de l’action ne constitue nullement une réponse au fond.
Il s’agit là d’une question d’appréciation en raison de l’absence de
critères indiscutables sur la base desquels on arrive avec certitude
à l’identification d’une réponse au fond.
La question s’est posée aussi à propos de la séance de
réconciliation en cas d’une demande de divorce. Le fait de
s’opposer au divorce a été considéré comme une réponse au fond
qui prive la défenderesse de soulever plus tard l’incompétence
internationale des juridictions tunisiennes.62 La solution n’est pas
évidente ; la séance de réconciliation ne préjuge pas le fond. Son
objet diffère complètement de la demande au fond. En revanche,
le fait de nier les faits justifiant la demande de divorce pour
dommage, doit être considéré comme renonciation à soulever
plus tard l’exception d’incompétence internationale des
tribunaux tunisiens63. Il a été jugé aussi que le fait de contester la
compétence territoriale d’un tribunal vaut renonciation à
soulever plus tard l’incompétence internationale64. Cette
manière de voir est critiquable car, outre qu’elle confond entre
compétence spéciale et compétence internationale, elle ramène
à tort une exception de procédure sur la compétence territoriale
à une réponse au fond qui prive la défenderesse de contester plus
tard la compétence internationale des juridictions tunisiennes.
Bref, il s’agit d’une présomption artificielle que rien ne justifie.
62
- Tribunal de première instance de Tunis, jugement n° 4913 du 30 mai 2017, inédit : Cour de Cassation,
arrêt n° 3181 du 22 octobre 2010, inédit.
63
- Dans ce sens, cour de cassation, arrêt du 8 mars 2012.
إلخ... حيث ال شك أن الطاعن الذي خاض منذ أول وهلة في أصل النزاع نافيا األفعال التي تنسبها إليه المعقب ضدها والصور التي استندت عليها
64
- Cour d’appel de Gabes jugement n° 1761 du 6 avril 2007, inédit, cité par L. Chedly et M. Ghazouani,
in « Code de droit international privé », CEJJ, Tunis 2008, p. 117.
3- Autorité de l’exception d’incompétence
L’exception d’incompétence internationale des tribunaux
tunisiens justifiée par l’absence d’un chef de compétence n’est
pas toujours acceptée. Elle perd son autorité en cas de nécessité.
محكمة الضرورة ) تعليق على الحكم الصادر: نحو إرساء معيار جديد لالختصاص الدولي للمحاكم التونسية، سامي بسطانجي- 65
كلية، مجموعة دراسات مهداة إلى األستاذ محمد العربي هاشم، الشغف بالقانون، (2014 جانفي13 عن المحكمة االبتدائية بتونس بتاريخ
.214 . ص،2006 الحقوق والعلوم السياسية بتونس
66
-A. Laabidi , Vers l’émergence d’un nouveau fondement du for de nécessité :
l’impossibilité juridique ,in, Lectures d’œuvres prétoriennes I, CPU 2018, p.97 et s.
a) L’exception de la litispendance internationale
La litispendance internationale suppose que deux juridictions de deux
Etats différents soient saisis pour se prononcer sur un litige entre les
mêmes parties, le même objet et la même cause. Elle suppose aussi
que les deux juridictions saisis sont l’une et l’autre compétentes. Si ces
conditions sont réunies, la litispendance donne lieu au désistement de
la deuxième juridiction saisie au profit de celle saisie en premier lieu.
Sur cette exception de procédure, le recours au code n’est d’aucun
secours. Celui-ci se caractérise par son mutisme. En revanche, Le
recours à la jurisprudence permet de dégager quelques idées en
rapport direct avec le principe même de l’admission de l’exception de
litispendance (1) ainsi que les conditions de sa mise en œuvre (2).
67
- internationale Ali Mezgheni, Commentaire du code de droit international privé, p.
Lotfi Chedli et Malek Ghazouani, Commentaire du code de DIP, p. 166 (en arabe).
68
- tribunal de Tunis, jugements en date du 25 février 1959 et 5 février 1960, RTD 1962, p 81,
note Verdier ; Cour d’appel de Tunis 6 juillet 1976, RTD 1978, p. 71, note Ali Mezghani ; Cour
d’appel de Tunis 12 juillet 1974, RJL 1974, 728 Cour d’appel de Sfax, jugement n° 4892 e date du
26 Juillet 1979, inédit, cité in, L Chedly et M. Ghazouani, Commentaire du code de DIP, p. 108).
• A partir des années 90, la jurisprudence a pu changer de position. La lecture
d’un nombre de décisions en croissance continue, permet indiscutablement
d’affirmer que cette jurisprudence s’oriente actuellement vers l’admission
du principe de l’exception de litispendance internationale. Certes, l’absence
d’une jurisprudence de principe issue de la Cour de Cassation ne permet
pas de se prononcer définitivement sur la question, mais en raison de
l’absence d’une hostilité déclarée à l’égard de l’exception de litispendance,
il est permis d’affirmer que la jurisprudence actuelle ne trouve aucune
restriction à son un accueil favorable de l’exception. En fait, confronté à des
exceptions de litispendance internationale, le juge a refusé de se dessaisir
au profit d’une juridiction étrangère saisie en premier lieu, non pas en
raison d’un principe de rejet de l’exception, mais parce que les conditions
de son accueil ne sont pas réunies. C’est le cas par exemple du rejet de
l’exception de litispendance internationale en raison du fait que le
défendeur qui l’a soulevée n’ait pas pu prouver la condition de la saisine
effective du for étranger appelé à régler le même litige69 C’est l’exemple
aussi lorsque la condition de l’identité de l’objet n’est pas vérifiée. Tel le cas
d’une procédure de séparation de corps à l’étranger et d’une procédure de
divorce devant le juge tunisien70.
69
-jugement du tribunal de 1ère instance de Tunis du 26 juin 1999, RTD 2000, p. 403, note
Souhayma Ben Achour.
70
-Tribunal de 1ère instance de Monastir, n° 21193, du 11 juin 2010, Cour d’appel de Monastir,
n° 6455 du 20 mai 2011 et Cour de Cassation n° 68029 du 8 mars 2012, inédits.
71
- Tribunal de première instance de Tunis n° 33321 du 5 janvier 2016 et tribunal de 1ère instance
de Tunis n° 60243 du 8 novembre 2016, inédits.
L’admission de l’exception de litispendance internationale suppose la
réunion de deux conditions ; l’identité des parties, de la cause et de l’objet
du litige d’une part et la saisine réelle et effective du for étranger d’autre
part.
Cette condition signifie que le juge étranger saisi en premier lieu ait déjà
entrepris des démarches sérieuses pour le règlement du litige. C’est le cas
par exemple lorsqu’il il prend des mesures d’urgence dans le cadre d’une
affaire de divorce. Ce qui fait qu’une simple signification d’un acte
introductif d’instance, voire même l’enrôlement de l’action au greffe d’un
72
- Tribunal de 1ère instance de Monastir, n° 21193, du 11 juin 2010, Cour d’appel de Monastir,
n° 6455 du 20 mai 2011 et Cour de Cassation n° 68029 du 8 mars 2012, inédits.
tribunal étranger ne suffit pour justifier la mise en jeu de l’exception de
litispendance internationale. Cette saisine n’est que formelle. De surcroit,
elle peut être voulue d’avance dans le seul souci de bloquer une autre
procédure devant un juge étranger. Il ne peut s’agir dans ce cas que d’une
saisine artificielle, voire même frauduleuse incapable de justifier le
dessaisissement suite à une exception de litispendance internationale.
b) L’exception de connexité
L’article 7 du code de DIP retient la connexité comme chef de
compétence ordinaire des juridictions tunisiennes. En revanche, pour
la connexité au sens inverse, c’est-à-dire qui sert au retrait de la
compétence du juge tunisien au profit d’un fort étranger saisi d’une
action principale, le code de DIP ne prévoit aucune solution. Qu’en est-
il donc si une exception de dessaisissement du juge tunisien serait
soulevée sur la base de la connexité ? Sur cette question la
jurisprudence publiée est absente. A notre sens, il n’existe aucune
raison qui peut justifier le rejet de la connexité lorsque celle-ci joue non
pas pour justifier la compétence du juge tunisien, mais pour fonder
celle d’un for étranger ; il n’est que de bonne justice et de coopération
internationale de s’y soumette.
A- La condition de réciprocité
La condition signifie que le bénéfice de l’immunité de juridiction par
l’Etat étranger devant les tribunaux tunisiens reste tributaire du
bénéfice de l’Etat tunisien de l’immunité de juridiction devant les
tribunaux de cet Etat étranger.
Il s’agit là d’une condition tout à fait évidente en raison de son attache
au principe de souveraineté de l’Etat. Or, selon une frange de la
doctrine73 , la condition de réciprocité ne doit échapper à la critique.
On voit en elle une condition excessive de nature à heurter les
exigences des relations privées internationales.
Dans la pratique, et dépendamment de son bien-fondé, la mise en
œuvre de la condition de réciprocité constitue toujours une réelle
source de difficultés quant à sa preuve ; qui la prouve et comment la
prouver ?. En plus, le juge doit-il la soulever d’office ? la réponse ne
fait pas l’unanimité. Pour certains74, en raison de son caractère d’ordre
public, la condition de réciprocité s’impose au juge qui est tenu de
l’évoquer d’office. Cette manière de voir est indifférenciée. Elle ne
distingue pas entre la nature de la condition et sa preuve. Si, on est
d’accord sur le caractère d’ordre public de la réciprocité, ne doit pas
impliquer que le juge est tenu de rapporter la preuve de son respect
par l’Etat étranger. Cette preuve résulte plutôt du pouvoir exécutif,
seul compétent pour apprécier le comportement des Etas étrangers. Il
est de bonne règle donc, que le juge saisi communique le dossier au
ministère public pour toute investigation75.
B- Les bénéficiaires de l’immunité de juridiction
L’article 19 cite l’Etat et la personne morale de droit public. Pour l’Etat,
l’identification n’est source d’aucune difficulté. La seule condition est
qu’il soit sujet de droit international public et donc souverain. En
revanche, pour la personne morale de droit public, l’identification est
complexe. Elle suppose pour le juge tunisien une connaissance et
même une parfaite maitrise du droit public étranger pour décider de
la qualité du sujet bénéficiaire ou non de l’immunité de juridiction. De
surcroit, l’identification préalable des personnes bénéficiaires, n’est
pas suffisante pour les faire bénéficier de l’immunité. Il faut qu’elles
agissent dans le cadre d’un régime précis.
73
- Sami Bostangi, La notion de réciprocité dans les relations privées internationales (réflexions à la lumière du
nouveau code de droit international privé) in, Le code de droit international privé, deux ans après, p. 69.
74
- Mabrouk Ben Moussa, Commentaires du code de DIP, op. cit, p.204.
75
- En ce sens, Radhia Ben Salah, L’immunité de juridiction et d’exécution dans le code de DIP, in, Le code de
droit international privé, actes du colloque du 12 mars 1999, ed. CEJJ, 2000, p. 153 et sp., p. 170.(en arabe).
Paragraphe 2 : L’étendue de l’immunité de juridiction
La principale question qui se pose est de savoir dans quel cadre les
bénéficiaires potentiels de l’immunité de juridiction doivent agir pour
pouvoir bénéficier de l’immunité ? La réponse provient de la
combinaison des articles 19 et 20 du code de DIP. Il ne suffit pas que
la qualité soit prouvée, il faut aussi que l’agissement rentre dans les
contours du régime de l’immunité en question. En général, selon
l’article 19, l’acte des personnes visées doit être fait dans le cadre de
la souveraineté. Ce qui implique nécessairement que cet acte est
d’autorité (acte jure imperi) contrairement à l’acte de gestion (jure
gestioni) qui échappe à l’immunité de juridiction. L’article 20 dispose
à cet effet qu’ « il n’y a pas lieu à immunité de juridiction lorsque
l’activité en cause est une activité commerciale ou se rapportant à
des services à caractère civil, et qu’elles a eu lieu en territoire tunisien
ou y a produit des effets directs »
Il ressort des articles précités que le bénéfice de l’immunité dépend de
la nature de l’acte en question. Si le bénéficiaire potentiel de
l’immunité agit comme toute personne privée l’aurait fait, il ne peut
réclamer le bénéfice de l’immunité. Tel le cas par exemple lorsqu’une
représentation diplomatique accréditée en Tunisie conclut des
contrats de travail pour embaucher le personnel. Les litiges nés de
l’exécution de ces contrats n’échappent pas à la compétence des
tribunaux tunisiens. Il s’agit là de simples actes privés qui ne rentrent
pas dans les prévisions de l’immunité de juridiction ( affaire Rafrafi et
autres).
En général, on distingue entre les actes faits par l’Etat commerçant,
industriel ou investisseur, de ceux faits par l’Etat souverain. La double
fonction de l’Etat a fait naitre une dualité d’actes. Seuls les actes de
puissance publique sont couverts par l’immunité de juridiction.
On note cependant, que la distinction entre acte d’autorité et acte de
gestion n’est pas toujours facile à établir. Pour certains actes, il serait
difficile de procéder à une seule qualification qui peut faire
l’unanimité. Toute qualification catégorique est vouée à l’échec. C’est
l’exemple d’un contrat vente de denrée alimentaire conclu par l’Etat
en période de pénurie. Du côté de l’Etat acheteur, l’acte peut être
qualifié d’autorité car il tend à satisfaire un intérêt public. En revanche,
du côté du vendeur, le même acte peut être qualifié de gestion car les
denrées achetées sont destinées à être revendues sur le marché.
La difficulté de qualification a forcé la doctrine à faire appel à des
critères préétablis. Généralement on a avancé deux
critères essentiels:
• Le critère formaliste est celui qui permet l’identification de la nature
de l’acte fait par l’Etat en fonction de la forme dans laquelle il
intervient. Plus précisément, si l’Etat passe un acte dans les formes de
droit privé, il y a lieu de le considérer comme étant un acte de gestion.
En revanche, si l’acte est passé dans les formes de droit public,
comme c’est le cas lorsqu’il comporte des clauses exorbitantes de
droit commun, on doit considérer qu’il s’agit d’un acte d’autorité.
A vrai dire, bien que la distinction entre les deux critères soit claire,
dans pratique leur confusion est courante. Un exemple tiré de la
jurisprudence française classiquement cité par la doctrine illustre bien
ce constat. Il s’agit de l’affaire HOTEL GEORGES V c. L’ETAT
ESPAGNOL76. Les faits de l’espèce concernent la conclusion d’un
contrat de location consenti par la société Hôtel George V à la
direction générale de tourisme d’Espagne représentée par le consul
général d’Espagne en France pour être exploité comme agence de
voyage. Suite au refus de renouvellement du bail, le différend a été
porté devant juridictions françaises devant lesquelles l’Etat espagnol
a soulevé son immunité de juridiction. Dans son arrêt du 25 février
1971, la cour d’Appel de Paris a accueilli favorablement l’exception.
Cette décision a été sanctionnée par la Cour de Cassation au motif
que « L’immunité de juridiction de ne peut être reconnue à un Etat
étranger lorsque celui-ci, ayant contracté selon les règles de forme
et de fond du droit privé, n’a pas, lors de la signature du contrat
donnant lieu au litige, fait acte de puissance publique, ni agit dans
76
- Cass. Civ, arrêt du 17 janvier 1973, JCP 17394.
l’intérêt d’un service public, mais s’est au contraire comporté comme
toute personne privée l’aurait fait ».
77
- sur cette question, Lotfi Chedly et Malek Ghazouani, Commentaire du code de DIP, op. cit, p.
351)
• Ensuite, il est important de remarquer que l’article 19 ne précise rien
sur la nature de la décision que peut prendre le juge tenu de donner
effet à l’immunité de juridiction de l’Etat étranger. Doit-il se déclarer
incompétent, se dessaisir ou encore rendre une décision de fin de
non- recevoir? On estime qu’en raison de l’absence en droit judiciaire
tunisien de la notion d’irrecevabilité, et l’incompatibilité de la notion
de compétence avec l’immunité de juridiction, seule la décision de
dessaisissement reste prévisible en raison de l’aspect particulier de
cette immunité.
78
- Sur ce cas, mais à propos de la renonciation à l’immunité de juridiction de l’agent diplomatique lorsqu’il est
demandeur, Cour d’Appel de Tunis, 28 novembre 1963, RJL 1964, p. 293 ; JDI 1968, chronique Mohamed Charfi,
p. 13
exécution forcée. Il s’agit tout simplement d’une procédure préalable
à l’exécution forcée et ne se confond pas avec elle.
79
- Cass. Civ 14 mars 1984, JDI 1984, p. 598, note B. Oppetit ; Rev. Crit. DIP 1984, p. 646, note Biscoff ; Rev.
Arb 1985, p. 69, note Gouchez.
l’origine du titre du créancier saisissant. La solution est reprise
notamment dans l’arrêt SONATRAT c. MIGEON du 1 octobre 198580.
On remarque cependant que dans la pratique, le critère de
l’affectation du bien ne va pas sans soulever des difficultés de
qualification. La jurisprudence tunisienne permet de fournir quelques
exemples. A l’origine, c’est dans l’affaire SNCFT c. la HONGRIE et la
société GANZ MAVAG, que la difficulté de la nature du bien s’est
posée. En l’espèce, il s’agissait d’un emprunt international fait par
l’Etat hongrois à l’Etat tunisien dont le montant est destiné à
l’acquisition par la société tunisienne des chemins de fer de la société
hongroise GANZ MAVAG un ensemble d’équipement et de matériel
ferroviaire. En exécution des conditions de l’emprunt, un contrat de
fourniture international fut conclu entre les deux sociétés tunisienne
et hongroise. C’est en raison de la mauvaise exécution de ce contrat
par la société hongroise, et à une fin de réparation du préjudice subi,
que la société tunisienne ait été contrainte d’initier une procédure
d’arbitrage CCI en application de la clause compromissoire insérée
dans ledit contrat. Cette procédure d’arbitrage a été couronnée par
le prononcé d’une sentence à l’avantage de la SNCFT.
Indépendamment de la procédure d’exéquatur devant les tribunaux
tunisiens, et afin de pratiquer une saisie arrêt entre les mains de l’Etat
tunisien sur le montant du prêt à rembourser à l’Etat hongrois, la
SNCFT a pu obtenir du président du tribunal de 1ère instance de Tunis
une ordonnance de saisie arrêt en application de l’article 331 du
CPCC. Cette saisie est fondée sur la sentence arbitrale qualifiée de
titre de créance en application de l’article 481 du COC. L’ordonnance
sur requête a fait l’objet d’une demande de rétractation de la part de
l’Etat hongrois et de la société GANZ MAVAG. A côté du moyen de
défense fondé sur sa qualité de tiers dans la sentence arbitrale, l’Etat
hongrois a tiré argument de l’immunité d’exécution sur ses biens pour
justifier la demande de rétractation. Dans son jugement en référé
rendu en date du 19 novembre 1994, le tribunal de 1ère instance de
Tunis a rejeté la demande de rétractation en faisant valoir le critère
d’affectation économique du bien faisant l’objet de la saisie arrêt.
Pour le tribunal, le montant de l’emprunt saisi est destiné à l’exercice
80
- JDI 1986, p. 170, note B. Oppetit.
d’une activité commerciale consistant dans la vente du matériel
ferroviaire consentie par d’une émanation de l’Etat hongrois à la
société tunisienne81.
81
- RTD 1994, p. 301, note Noureddine Gara.
82
-
83
- Sur cet exemple, tribunal de grande instance de Paris, ordonnance du 12 septembre 1978, JDI 1978, p. 857 ;
Rev. Arb 1980, p. 109.
l’Etat condamné, procède à l’exécution volontaire d’une partie de la
sentence.
Cependant, l’exemple de l’engagement préalable de l’Etat dans une
clause compromissoire à assurer l’exécution de la sentence arbitrale
une fois rendue, a fait l’objet de controverses aussi bien sur le plan de
la doctrine que sur le plan de la jurisprudence. Pour certains auteurs,
la clause compromissoire en vertu de laquelle l’Etat s’est engagé à se
soumettre à la sentence et d’en assurer l’exécution, marque
incontestablement une formule qui ne laisse aucun doute sur
l’existence d’une volonté expresse sur la renonciation au bénéfice de
l’immunité d’exécution84. En revanche la Cour d’appel de Paris a
décidé autrement dans l’affaire EURODIF. Pour elle, « constitue
seulement un engagement de se soumettre volontairement à la
sentence et d’en reconnaitre la force obligatoire mais ne contient
aucune allusion à l’immunité d’exécution dont une partie pourrait
éventuellement bénéficier et qu’elle ne doit donc pas être
interprétée comme emportant renonciation à un droit qui n’entre
pas dans son objet ». Faisant le commentaire de cet arrêt, P. Bourel
s’est interrogé sur la valeur de l’engagement de l’Etat si ce n’est pas
pour renoncer par anticipation à son immunité d’exécution. Pour cet
auteur, le fait d’adhérer à la décision de la Cour d’appel sus indiquée
signifie limitation du jeu de la renonciation au seul cas d’une
renonciation expresse85.
En revanche, il a été jugé que la souscription de l’Etat d’une clause
compromissoire ne vaut pas renonciation à se prévaloir
ultérieurement de son immunité d’exécution. Dans l’affaire EURODIF
par exemple, la Cour d’appel de Paris86 a décidé d’une manière claire
que « la stipulation d’une clause compromissoire n’implique pas par
elle-même renonciation à l’immunité d’exécution, laquelle ne peut
résulter que d’actes manifestants de façon non équivoque la
volonté de renoncer ». Cette jurisprudence est approuvée par une
partie de la doctrine87 mais aussi critiquée par d’autres. Pour B.
84
- Brunot Oppetit, note sur l’affaire Benvenutti Bonfant, JDI 1981, p. 368.
85
- Sur l’ensemble de la question, P. Bourel, Arbitrage international et immunités des Etats étrangers, Rev. Arb
1982, p. 119 et sp., p. 140.
86
- Rev. Arb 1982, p. 204.
87
- P. Bourel, article précité, p. 138.
Oppetit88, le fait de souscrire à une clause d’arbitrage implique
forcément soumission à la sentence arbitrale car, c’est cette sentence
qui marque la suite logique de toute procédure d’arbitrage.
En somme, la preuve de la renonciation par l’Etat au bénéfice de son
immunité reste l’apanage de la partie adverse. Son appréciation
relève du pouvoir souverain du juge sous réserve de motiver sa
décision par référence à la condition de certitude qui doit caractériser
la renonciation en application des dispositions de l’article 25 du code
de DIP.
88
JDI 1981, p. 369.
judiciaires ? Pour la doctrine dominante89, malgré que l’intitulé du
titre III du code ne permet pas d’y croire à l’élargissement, parce qu’il
ne vise que les jugements et arrêts, il est possible d’étendre le
domaine de la notion de décision étrangère en faisant jouer
l’argument tiré de l’article 1 du code. Cet article introduit dans le
domaine du code, les effets des décisions mais aussi des jugements.
Ce qui fait que la décision ne doit pas se confondre au jugement. La
décision englobe le jugement et le dépasse. Cet argument permet
ainsi de considérer la décision étrangère dans son sens large, c’est-à-
dire celle qui concerne principalement les jugements contentieux et
décisions gracieuses rendues par les juridictions étrangères90, mais
aussi les actes non juridictionnels dressés par une autorité
étrangère91. C’est le cas notamment des actes authentiques étrangers
à l’instar des actes de répudiation prononcés à l’étranger. Pour ces
actes, le juge se limite au contrôle de leur régularité en fonction des
conditions de leur réception dans l’ordre juridique tunisien92 ; il passe
outre le contrôle leur nature non juridictionnelle 93. C’est aussi le cas
pour les actes de divorce par consentement mutuel par acte sous
seing privé contresigné par avocats et déposé au rang des minutes
du notaire en application de la loi française du 18 novembre 2016 sur
la modernisation de la justice. La reconnaissance de ces actes s’est
faite par le juge sans aucune hésitation94 .
En revanche, pour les jugements de divorce prononcés à l’étranger, la
question qui n’a cessé d’attirer l’attention, consiste savoir si ces
jugements sont réceptionnés dans l’ordre juridique tunisien d’une
manière simple, c’est-à-dire par leur transcription dans les registres
de l’état civil de la partie intéressée, ou faut-il nécessairement les
soumettre à la procédure de l’exéquatur ? En dépit de la solution bien
89
- A. Mezghani, Commentaires du code de droit international privé, CPU 1999, p. 184-185. ; S. Ben Achour,
La réception des décisions étrangère dans l’ordre juridique tunisien, CPU2017, p. 49 et sv. ; Lotfi Chedly et
Malek Ghazouani, Commentaire du code de droit international privé (en arabe), précité, p. 267 et sv.
90
- les articles 11 et 12 du code de DIP.
91
- Article 13 du code de DIP.
92
-Tribunal de 1ère instance de tunis, jugement n° 34179 du 27 juin 2000, RTD 2000, p. 425, note Monia Ben
Jemia ; et les jugements cités in, Lotfi Chedly et Malek Ghazouani, précité, p. 248.
93
- A l’exception de quelques jugements ayant rejeté des demandes d’exéquatur pour défaut du
caractère juridictionnel de l’acte étranger. Voir à titre d’exemple le jugement n° 34116 du 19 juin
2000, rapporté par Lotfi Chedly et Malek Ghazouani, précité, p. 277.
94
- A titre d’exemple, jugement référé du tribunal de 1 ére instance de Tunis n° 86358 du 14 novembre 2017,
inédit ; et du même tribunal, jugement n° 5057 du 16 avril 2019, inédit
claire de l’article 42 de la loi du 1er août 1957 réglementant l’état
civil95 qui admet la transcription systématique des jugements de
divorce, c’est-à-dire leur reconnaissance immédiate dans l’ordre
juridique tunisien, une circulaire du secrétaire d’Etat à la justice en
date du 29 novembre 1965 est venue remettre en cause la règle de
l’article 42 précitée. En effet, selon cette circulaire destinée aux
officiers de l’état civil, à défaut d’un jugement d’exéquatur rendue par
un tribunal tunisien, aucune transcription ne peut être effectuée.
Pourtant, contraire à une loi, cette circulaire a été à l’origine d’une
jurisprudence hostile à l’accueil immédiat des jugements de divorce96.
Apparemment, le code de DIP s’est aligné sur cette voie. En limitant
la transcription au registre de l’état civil de la partie intéressée des
seuls actes de l’état civil et des jugements définitifs d’état civil à
l’exception des jugements relatifs au statut personnel, l’article 13
semble avoir exigé la procédure de l’exéquatur des jugements de
divorce en raison de leur appartenance à la catégorie de statut
personnel. Cependant, la lecture profonde de l’article 13 permet
d’affirmer à l’instar de plusieurs auteurs97 qu’il ne s’agit là que d’une
maladresse législative. En effet, il n’est pas discutable que l’état civil
est indissociable du statut personnel. D’ailleurs, la loi de 1957 sur
l’état civil peut servir de justificatif à cette affirmation en raison du
fait que l’objet de cette loi est relatif aux actes de naissance, décès,
mariage et divorce.
Donc, une lecture plus réfléchie, libre et surtout avertie sur les
conséquences négatives qui peuvent naître de l’exigence de la
soumission des jugements étrangers de divorce à la procédure
d’exéquatur, fait que la reconnaissance immédiate de ces jugements
doit s’imposer. C’est d’ailleurs la solution adoptée par une partie de
la jurisprudence98 qui ne trouve dans l’exigence de l’exéquatur des
jugements étrangers de divorce qu’une condition fâcheuse de nature
à bouleverser le statut personnel de l’une des parties. En effet,
considérée divorcée à l’étranger, mais encore mariée en Tunisie dans
95
- loi n° 1957-3, JORT……..
96
- Sur l’ensemble de la question, Malek Ghazouani, La nécessité de reconnaitre immédiatement les décisions
étrangères relatives au divorce, RTD 2006, p. 81 et suiv. (en langue arabe).
97
- Ali Mezghanni, Commentaires du Code de Droit International Privé, précité, p. 191 ; Souhayma Ben Achour,
La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, précité, p. 68 ; Malek Ghazouani, La
nécessité de reconnaitre…, article précité, p. 83.
98
- sur l’ensemble de cette jurisprudence, voir notamment, Souhayma Ben Achour, ouvrage précité, p. 70.
l’attente de l’obtention d’un jugement d’exéquatur qui peut mettre
des mois voire même des années de procédure devant les juges de
fond, l’une des parties au moins, va se trouver en face d’une situation
familiale anormale, voire troublante en raison du désordre de son
statut personnel. Cette jurisprudence n’est pas dominante ; elle fait
l’objet d’une résistance farouche de certains juges qui estiment que
l’exigence de l’exéquatur s’impose d’elle-même pour les besoins du
contrôle de régularité de la décision étrangère99. Si on adhère sans
réserves au principe même du contrôle judiciaire de régularité de la
décision étrangère, on estime en revanche, que ce contrôle doit
s’effectuer dans le cadre d’une procédure spéciale qui tient compte
des intérêts en jeu. Le meilleur est de prévoir une procédure de
référé devant le juge de fond100. D’ailleurs, cette procédure n’est pas
étrangère au droit tunisien101. Mais, il s’agit dans ce cas d’une solution
qui nécessite une intervention législative jusque-là absente. Dans
l’attente, La demande d’exéquatur en référé devant le juge de référé
conformément à l’article 201 du CPCC reste possible. D’ailleurs la
procédure de référé n’est pas surprenante; elle a été déjà acceptée
par le juge tunisien en matière de reconnaissance de plein droit des
actes de divorce conventionnel conformément au droit français. Si,
en application de l’article 201 précité, la condition de l’urgence est
largement justifiée, car elle tend à mettre fin à une situation de statut
personnel troublante, la condition de ne pas préjuger le fond l’est
aussi ; celle-ci ne pose aucune difficulté en raison du fait que le fond
est épuisé par le jugement étranger de divorce.
99
- Souhayma Ben Achour, ouvrage précité, p. 72.
101
- Ahmed Ben Taleb, le juge de fond avec une procédure en référé, (en arabe), p.
Paragraphe 1 : La procédure d’exéquatur
Généralement, on distingue entre la procédure de droit interne (A) et
celle de droit conventionnel (B).
A) La procédure de droit interne
Cette procédure est celle du Code de procédure civile et commercial
(a), mais aussi celle du Code de Droit International Privé (b).
a) Procédure selon le code de procédure civile et commercial
En raison du fait que l’article 16 du code de DIP attribue compétence
au tribunal de première instance pour connaitre de la procédure
d’exequatur, il serait évident que ce sont les règles régissant la
procédure devant ce tribunal qui devront être respectées.
On rappelle simplement que la procédure est régie par les articles 68
et suivants du CPCC. Les règles les plus importantes sont celles
relatives à la forme de la requête introductive d’instance. Elles
concernent notamment les mentions obligatoires qui doivent figurer
dans la requête, l’obligation de signifier l’acte par huissier notaire, le
respect du délai légal de comparution et l’obligation de sommer
l’assigné à présenter ses conclusions par écrit et par l’office d’un
avocat…etc.
Le tribunal saisi rend son jugement conformément aux règles prévues
par le code de procédure civile et commercial. Il doit respecter donc
toutes les exigences de l’article 123 du même code et notamment
contenir les motifs de faits et de droit ainsi que le dispositif.
103
- Paris 10 novembre 1971, JDI 1973, p. 239.
104
- Cour de Cassation 6 février 1985, Rev.crit, DIP 1985, p. 369, JDI 1985, p. 460, A. Huet.
fonction duquel la condition doit être vérifiée. Raisonnablement, il y
a lieu d’écarter toute référence à la date de saisine des juridictions
tunisiennes de la demande d’exéquatur en raison du fait que
l’admission de la décision étrangère dans l’ordre juridique tunisien
n’est pas encore chose acquise. C’est-à-dire quelle n’a pas encore
produit son plein effet. Ce qui fait que la vérification de l’antériorité
de la décision tunisienne peut se faire tout au long de la procédure de
réception de la décision étrangère. Il se peut donc que la décision
nationale soit postérieure à la simple introduction de la demande
d’exéquatur de la décision étrangère devant le juge tunisien.
L’essentiel que cette décision soit antérieure. En fait, la décision
rendue par les juridictions tunisiennes « ferait obstacle à l’accueil de
de la décision étrangère puisque cette dernière était dénuée de
toute efficacité internationale au moment où le système du for
se « réalisait »105.
105
- Souhayma Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, op. cit, p.151.
106
- L’autorité de la chose jugée tend à assurer l’immutabilité d’un jugement rendu, alors que la décision passée
en force de chose jugée se situe dans un cadre formel en rapport avec l’exécution du jugement. (Voir les article
481 du COC et l’article 286 du CPCC).
un terrain d’élection107. La fréquence de son intervention permet
d’affirmer que le contrôle de régularité de la décision étrangère en
fonction de sa conformité à l’ordre public représente l’étape cruciale
dans le cadre de ce contrôle. C’est d’ailleurs ce qui explique
l’abondance de la jurisprudence en cette matière.
D’une manière simple, la non-conformité de la décision étrangère à
l’ordre public au sens du DIP résulte d’une confrontation entre les
choix fondamentaux des systèmes du juge étranger qui a rendu la
décision et celui du for appelé à se prononcer sur son accueil. Cette
confrontation se répercute sur l’efficacité internationale de la
décision étrangère et met obstacle à son admission dans l’ordre
juridique tunisien.
L’ordre public, notion incertaine et mouvante, présenté comme étant
« l’enfant terrible du droit international privé »108, trouve dans le
code de DIP tunisien un critère intéressant pour son identification. Il
s’agit du critère des choix fondamentaux du système juridique
tunisien. Quoi qu’il est retenu en matière de conflit des lois par
l’article 36, rien ne s’oppose à son application pour les besoins du
contrôle de régularité de la décision étrangère. Trouvant leurs
sources essentielles dans la constitution109 ainsi que les conventions
internationales110 ratifiées, et tirant leur légitimité de la tendance
évolutive du droit interne, l’appréciation de ces choix reste toujours
tributaire des convictions du juge. Entre les choix conservateurs et
ceux modernes, l’option du juge tunisien est loin d’être arrêtée d’une
manière définitive111.
C’est dans ce cadre général que s’inscrit l’article 11-3 du code de DIP
qui dispose que l’exéquatur n’est pas accordé à la décision étrangère
107
- Sur l’ensemble de la question, Monia Ben Jemia, Le jeux de l’ordre public dans les relations internationales
privées de la famille, Thèse de doctorat, Faculté des sciences juridiques , politiques et sociales deTunis 1997.
108
- Ph. Franceskakis ; Y-a-t-il du nouveau en matière d’ordre public,, Travaux du Comité français de droit
international privé, 1966/1969, p. 191.
109
- Notamment le choix de l’égalité, le procès équitable, la propriété libre…etc.
110
- Notamment la convention de Copenhague sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes adoptée par l’assemblée générale des Nations-Unies le 18 décembre 1979, entrée en vigueur le 3
septembre 1981, ratifiée en Tunisie par la loi n° 85-68 du 12 juillet 1985, JORT 1985, n° 54, du 12-16 1985, p.
919.
111
- Ce débat trouve sa source notamment certains travaux de la doctrine tunisienne. Voir notamment, Mohamed
Charfi, Le droit tunisien de la famille entre l’Islam et la modernité, RTD 1973, p. 11 ; aussi du même auteur, Droits
de l’homme, droit musulman et droit tunisien, RTD 1983, p. 405, Yadh Ben Achour, Islam et constitution, RTD
1974, p. 77 ; Moncef Bouguerra, Le juge tunisien et le droit du statut personnel, AJT 2000, n° 14, p. 7 ; Sami
Bostanji, Turbulences dans l’application judiciaire du code de statut personnel, Rev.int, dr. Comparé, 2009, p. 7.
contraire à l’ordre public au sens du droit international privé
tunisien, ou a été rendue à la suite d’une procédure n’ayant pas
préservé les droits de la défense. Il ressort de ce texte que l’ordre
public qui empêche l’admission de la décision étrangère dans l’ordre
juridique tunisien, est, soit un ordre public de fond (a) soit un ordre
public de procédure (b).
a) L’ordre public de fond
L’ordre public de fond se manifeste d’une manière très fréquente lors
de l’examen de la régularité des décisions étrangères rendues en
matière de statut personnel. La question peut s’expliquer facilement
en raison du fait, que cette matière se caractérise largement par la
divergence des choix fondamentaux entre les divers ordres
juridiques, allant jusqu’à leur confrontation. Le conflit entre systèmes
laïcs et ceux religieux reste entier. Le cas tunisien n’a pas échappé à
ce conflit qui s’est cristallisé notamment dans le cadre des relations
avec le droit de la plupart des Etats arabo-islamiques. Là aussi, la
situation s’explique facilement par le fait qu’en matière de statut
personnel, le droit tunisien a connu une transformation attirante qui
trouve dans le code de statut personnel de 1956 son atout principal.
Cette transformation, fondée principalement sur le choix du principe
de l’égalité des sexes et le rejet du privilège de masculinité, a fait que
le système tunisien s’est trouvé en conflit profond avec les choix de la
plupart des systèmes juridiques des pays arabes restés fidèles aux
solutions conformes à la charia.
C’est donc en matière de statut personnel que la jurisprudence a pu
fournir de nombreux exemples relatifs au contrôle de la régularité des
décisions étrangères à la lumière de leur conformité à l’ordre public
au sens du DIP tunisien. Certains de ces exemples intéressent
notamment la répudiation islamique des femmes tunisiennes et la
garde des enfants issus de couple mixte.
La répudiation islamique de la femme tunisienne prononcée à
l’étranger reste l’exemple le plus fréquent en ce domaine. Il est acquis
dans la jurisprudence tunisienne que la répudiation constitue en
général une forme de rupture unilatérale du lien conjugal à l’avantage
du seul mari indépendamment de l’intérêt de la famille112. Elle heurte
donc le principe d’égalité entre les sexes et instaure un privilège de
masculinité que rien ne justifie. Reconnaitre son effet en Tunisie par
biais de l’exéquatur serait donc en contrariété avec les choix
fondamentaux du système juridique tunisien. La solution tire sa
source aussi bien de la constitution qui consacre le principe d’égalité
des citoyens, que des conventions internationales ratifiées par la
Tunisie et notamment la convention de Copenhague de 1979 sur
l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard de la
femme, aussi que la déclaration universelle des droits de l’homme de
1948.
Dans la pratique, il peut paraitre que cette solution défavorise la
femme tunisienne qui, en dépit de son divorce à l’étranger, reste
incapable d’imposer son nouveau statut en Tunisie. Ce qui fait, que
conformément au droit tunisien, elle reste considérée comme étant
toujours mariée avec toutes les conséquences qui en découlent. C’est
la raison pour laquelle une frange de la doctrine113 appuyée par
quelques jugements114 a suggéré de faire intervenir l’ordre public
avec un effet atténué.
La garde des enfants de couple mixte constitue un autre exemple à
haute tension, où l’ordre public au sens du droit international privé
trouve de quoi s’alimenter. Cet ordre public intervient notamment
pour contrôler la régularité de la décision étrangère attribuant la
garde d’un enfant de couple mixte à sa mère non musulmane alors
que son père est de nationalité tunisienne et musulman. Entre
l’influence du facteur religieux et la tendance à faire prévaloir l’intérêt
de l’enfant dans le cadre de l’appréciation de la régularité de la
décision étrangère en fonction de sa conformité à l’ordre public, il
112
- tribunal de 1ère instance de Tunis, jugement n° 34179 du 27 juin 2000, RTD 2000, p. 425, note Monia Ben
Jemia ; Cour de Cassation, arrêt n° 32561 du 21 mai 2009, Bulletin de la Cour de Cassation 2009, p. 303 et arrêt
n° 46449 du 15 juillet 2010. Et sur beaucoup d’autres exemples, Lotfi Chedly et Malek Ghazouani, Le code de
droit international privé, précité, p.246 et sv. Souhayma Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans
l’ordre juridique tunisien, précité, p. 90 et sv, aussi, L’ordre juridique tunisien face à la répudiation islamique, in,
Polygamie et répudiation dans les relations internationales, éditions AB Consulting, 2006, p. 43.
113
- Monia Ben Jemia, Répudiation islamique et effet atténué de l’ordre pulic, in, Le code de droit international
privé, deux ans après, CPU 2003, p. 129.
114
- Notamment, Tribunal de 1ère instance de Tunis, jugement n° 34179 du 27 juin 2000, précité.
semble que la jurisprudence, malgré une certaine turbulence,115 a fini
par trancher en faveur du seul intérêt de l’enfant116.
b) L’ordre public de procédure
Le droit d’être entendu et de faire valoir ses moyens de défense
constitue aussi bien en droit international qu’en droit interne l’un des
droits fondamentaux de l’homme. Il tire sa source principale de la
Charte universelle des droits de l’homme de 1948.
En droit interne, Le code de procédure civile et commercial fait
prévaloir le droit de défense comme étant d’ordre public et l’érige
comme l’un des moyens de cassation en application des dispositions
de l’article 175. Mais, c’est la constitution de 2014 qui lui a donné un
fondement général dans le cadre de la notion de procès équitable.
L’article 108 proclame à cet effet que « Toute personne a droit à un
procès équitable et dans un délai raisonnable », il assure aussi que
« Le droit d’ester en justice et le droit de défense sont garantis ».
Il est bien clair qu’en droit tunisien, le droit de défense caractérise
tout procès judiciaire. Il en résulte que toute procédure qui ne
préserve pas le droit de défense serait considérée comme étant
contraire à un choix fondamental du système juridique tunisien. C’est
dans cette perspective qu’il faut situer l’article 11 -3 du Code de DIP.
Cet article dispose que l’exéquatur n’est pas accordé à la décision
étrangère « rendue à la suite d’une procédure n’ayant pas préservé
les droits de défense ».
En pratique, il ne s’agit pas de procéder à un contrôle de régularité de
la procédure prévue par le droit étranger en elle-même, mais de juger
dans quelle mesure cette procédure suivie par le juge étranger affecte
de droit de défense. C’est ainsi qu’il a été jugé que la décision
étrangère (sentence arbitrale) non motivée en application du droit
étranger n’est pas en elle-même contraire à l’ordre public au sens du
droit international privé tunisien sauf si la non motivation dissimule
une atteinte grave à un droit de défense117.
115
- Sur la jurisprudence faisant prévaloir l’ordre public à coloration religieuse, voir, Souhayma Ben Achour,
Enfance disputée, p. 225.
116
- Cour de Cassation, arrêt n° 7286 du 2 mai 2001, RTD 2001, p. 201, note Malek Ghazouani.
117
- Cour d’appel de Tunis, 5 décembre 1979, RTD 1980, p. 159 ; et jugement du 21 avril 1981, RTD 1981, p.
101, observations Mohamed el Arbi Hachem.
Dans cet ordre d’idées, il ne faut pas considérer par exemple, la
procédure étrangère de signification de la requête introductive
d’instance par simple envoie postale, comme étant contraire l’ordre
public au sens du DIP tunisien, pour la simple raison que la
signification par huissier notaire, relève en droit tunisien de l’ordre
public procédural. En fait, il n’y a pas lieu à vérifier la conformité du
model procédural étranger au model du for. Concrètement, il s’agit
de voir dans quelle mesure le model procédural étranger affecte le
principe de respect du droit de la défense. Plus précisément, si l’une
des parties convoquée devant un tribunal étranger par voie postale,
se présente et se défend, la décision qui sera rendue sera considérée
indiscutablement comme étant conforme à l’ordre public au sens du
DIP tunisien. C’est ce qui peut être dégagé semble- t-il d’un arrêt
rendu par la Cour de Cassation en date du 15 novembre 2005118. Il
n’en est pas ainsi, si une règle procédurale étrangère est jugée sur le
principe même comme étant contraire à l’ordre public. C’est
l’exemple du droit étranger qui ne consacre pas le principe du double
degré de juridiction119, qualifié en droit tunisien comme étant un
principe constitutionnel conformément à l’article 108 de la
constitution de 2014.
F) La condition de réciprocité
L’article 11-5 dispose que l’exéquatur de la décision étrangère n’est
pas accordé si « L’Etat où le jugement ou la décision a été rendue n’a
pas respecté la condition de la réciprocité ».
Jugé comme surprenante120, la condition de réciprocité signifie d’une
manière simple, que le refus de l’Etat étranger de rendre exécutoires
sur son territoire les décisions rendues par les juridictions
tunisiennes, fait, qu’ à titre de réciprocité, les décisions rendues par
les juridictions de cet Etat ne pourront avoir effets exécutoires sur le
territoire tunisien. Il s’agit en réalité d’une réciprocité de fait121 qui se
rapporte à la vérification du comportement de l’Etat étranger à
l’égard des décisions tunisiennes. Il appartient donc à celui qui s’en
prévaut de le prouver. C’est la raison pour laquelle, la règle de la
réciprocité selon l’article 11 est considérée par une partie de la
doctrine comme étant une « exception de défense »122.
Paragraphe 3 : Le rôle du juge de l’exéquatur
120
- Souhayma Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, précité, p.
159.
121
- Cour d’appel de Tunis, jugement n° 37565 du 31 janvier 2013, rapporté par, Souhayma Ben Achour, La
réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, précité, p. 161, note 363.
122
- Sami Bostanji, La notion de réciprocité dans les relations privées internationales, Réflexions à la lumière du
nouveau Code tunisien de droit international privé, précité, p .76.
Entre le contrôle formel de régularité de la décision étrangère et la
possibilité de sa révision par le juge de l’exéquatur, le droit tunisien a
clairement tranché pour le contrôle formel. Aussi bien dans les
anciennes dispositions du CPCC que dans le code de DIP, aucune
possibilité de révision de la décision étrangère n’est admise. Le droit
tunisien rejoint ainsi la solution bien ancrée depuis longtemps dans
les grands systèmes de Droit International Privé. A l’instar de la
jurisprudence française, notamment à travers l’arrêt MUNZER123, Le
juge tunisien n’a en aucun cas procédé à une quelconque révision de
la décision étrangère.
123
- Cassation civile, arrêt du 7 janvier 1964, Rev.Crit. DIP 1964, p. 344, note H. Batiffol ; JDI 1964, p. 302, note
B. Goldman.
En dépit de l’absence dans le Code de DIP d’une disposition claire sur
la reconnaissance de plein droit, la doctrine124 ne voit aucune
restriction à son admission. Il s’agit là d’une évidence en raison du fait
que l’action prévue par l’article 14 du Code pour déclarer la non
reconnaissance de la décision étrangère, suppose que le principe de
sa reconnaissance est chose acquise. Réellement cette action n’a
d’intérêt que pour contrecarrer la reconnaissance de la décision
étrangère.125
Ceci étant, la reconnaissance de plein droit de la décision étrangère
ne doit pas se faire d’une façon systématique; la décision étrangère
doit réunir les conditions de sa régularité conformément aux
dispositions de l’article 11 du Code de DIP. Sinon, on risque
d’admettre la reconnaissance de plein droit des décisions étrangères
contraires l’ordre public au sens du DIP. La solution peut s’inspirer de
l’article 12 paragraphe 2 du Code. En effet, pour donner force
probante à la décision étrangère, le texte exige que cette décision soit
conforme aux conditions de l’exéquatur prévues par l’article 11.
124
-Ali Mezghenni, Commentaires du code de droit international privé, précité, p. 191.
125
- Souhayma Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, précité, p. 69.
la décision étrangère d’une force probante absolue en raison de sa
qualification d’acte authentique comme tout jugement rendu par les
tribunaux tunisiens. On le sait, en application de l’article 444 du COC,
l’acte authentique fait pleine foi même à l’égard des tiers jusqu’à
inscription de faux. Est-il possible par conséquent de faire jouer la
règle prévoyant que le spécial l’emporte sur le général ? Ou encore
affirmer que l’article 12 a tout simplement abrogé implicitement la
solution de l’article 443 pour ce qui concerne la qualification de la
décision étrangère comme étant un acte authentique ?
Quoiqu’il en soit, la valeur probatoire de la décision étrangère en tant
que telle est certaine. Elle signifie que cette décision est considérée
comme moyen de preuve des faits qu’elle relate. C’est le cas par
exemple d’une décision étrangère qui constate l’existence de
mésententes graves entre les associés d’une société ou le tort de
l’une des parties dans l’exécution d’un contrat, ou l’aveu d’une partie
…etc.
Section 3 : Neutralisation possible de certains effets
Parmi les principales nouveautés du code de droit international privé
par rapport aux dispositions de l’ancien droit, celles relatives à
l’introduction de deux actions principales pour contrecarrer d’une
façon anticipée certains effets de la décision ou du jugement
étranger. Il s’agit des actions en déclaration d’inopposabilité
(paragraphe 1) et de non reconnaissance (paragraphe 2). Les deux
actions sont régies par les mêmes règles de procédure applicables à
l’exéquatur aussi bien pour ce qui concerne la compétence spéciale
du juge, que les documents à produire devant lui.
Paragraphe 1 : L’action en déclaration d’inopposabilité
C’est une action réservée aux tiers en application de l’article 15 al. 1
du code de DIP. Il dispose à cet effet que : « Tout tiers intéressé peut
demander la déclaration d’inopposabilité à son égard du jugement
ou de la décision étrangère ». Il s’agit là d’une action principale qui
tend à neutraliser tout effet de la décision étrangère à l’égard du tiers
intéressé, c’est-à-dire la personne non partie à la décision, et plus
exactement celle qui n’a pas été actionnée, mais justifiant d’un
intérêt certain qui fonde son opposition. C’est l’exemple d’un
jugement étranger qui condamne solidairement un débiteur principal
et un garant qui n’était pas partie au litige. Etant tiers dans la
procédure, le garant serait en droit de demander la déclaration
d’inopposabilité à son égard de la décision étrangère.
L’article 15 al.2 limite la déclaration d’inopposabilité aux seules cas
où, l’une des conditions de l’exéquatur fait défaut au jugement ou à
la décision étrangère. Inversement, cela peut-il signifier que les
décisions étrangères susceptibles d’être accueillies dans l’ordre
juridique tunisien ne peuvent être déclarées inopposables. La lecture
exégétique du texte permet d’y croire. Si oui, la condition de la non-
conformité de la décision étrangère à l’une des conditions de
l’exéquatur serait tout simplement absurde. En fait, l’absence de
l’une des conditions de l’exéquatur, fait perdre à la décision étrangère
toute efficacité internationale ; elle ne peut donc, ni recevoir
exécution, ni constituer un titre revêtu d’une reconnaissance de plein
droit et à fortiori être opposable aux tiers. On se demande ainsi, en
quoi serait utile l’action de déclaration d’inopposabilité de la décision
étrangère?