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COURS DE DROIT

INTERNATIONAL PRIVE
Professeur : Noureddine Gara
Introduction générale

1) Définition du Droit International Privé


Le DIP a fait l’objet de plusieurs définitions. Pour P. Mayer, il s’agit d’un
« droit spécial applicable aux personnes privées impliquées dans des
relations juridiques internationales »1. Pour d’autres auteurs, il s’agit d’un
ensemble de règles applicables aux individus dans les relations
internationales2. Il apparait donc que le Droit international privé est un
corps de règles destiné à régir des relations spéciales caractérisées par
leur aspect généralement privé et nécessairement international.
Il en résulte que le DIP est caractérisé par ses sujets et surtout par la nature
du rapport dont il tend à réglementer :

• D’abord, Les sujets du droit International privé sont les personnes privées
qu’elles soient physiques ou morales. Le Droit International privé se
distingue à ce stade du Droit International public qui s’intéresse aux seules
rapports entre les personnes publiques, et précisément les Etats et leurs
émanations ainsi que les organisations internationales. Cependant cette
spécificité du DIP est à ne pas surestimer en raison de l’interaction entre
le Droit international privé et le Droit international public3. En fait les
sujets du DIP ne s’identifient pas toujours aux personnes physiques et
morales de droit privé. Lorsqu’une personne publique agit comme toute
personne privée l’aurait fait, elle sort de son cadre souverain et renonce à
ses prérogatives de droit public pour être soumise, comme les personnes
privées, aux règles de droit privé. Il est acquit depuis longtemps que l’Etat,
personne de droit international public, n’est pas seulement le souverain,
il est aussi le commerçant, l’industriel et l’investisseur. D’ailleurs, on aura

1
- Droit international privé, éd Monchrestien, p. 2, n° 2.
2
- Y. Loussouarn et P. Bourel Droit international privé, éd. Dalloz p. 1, n° 1.
3
- Navvaro, Droit international privé et droit international public, Mélanges Maury, t. 1, p. 3. ; Hamro, Quelques
remarques sur les relations entre le droit international privé et le droit international public, JDI 1962, p. 613. ; F.
Rigaux, Le droit international public face au droit international privé, Rev. Crit, DIP 1976, p. 261.
l’occasion de le voir, certaines dispositions du code de Droit International
Privé, s’adressent directement à l’Etat et ses émanations et règlementent
• W-6de manière expresse certaines situations dans lesquelles sont
=^)pimpliquées.

• Ensuite, Le rapport que régit le droit international privé doit être à


caractère international. L’article 2 du code de DIP définit ce rapport
comme étant celui qui est « rattaché au moins par l’un de ses éléments
déterminants à un ou plusieurs ordres, autre que l’ordre juridique
tunisien ». C’est-à-dire, pour qu’il soit qualifié d’international, le rapport
en question doit comporter un élément d’extranéité par rapport à l’ordre
juridique tunisien. Cet élément doit être aussi déterminant. Ces éléments
déterminants sont variés et différent d’un rapport à un autre.
Généralement, on distingue entre les éléments de nature juridique de
ceux à caractère économique.

Pour les premiers, ils touchent principalement les personnes à travers leur
nationalité ou leur domicile. C’est ce qui justifie d’ailleurs leur utilisation
comme des éléments de rattachement en matière de conflit des lois pour
les besoins de détermination du droit applicable. Est ainsi qualifié
d’international, le mariage d’un couple mixte en raison de la nationalité
étrangère de l’une des parties. Mais aussi est qualifié d’international le
divorce d’un couple de même nationalité tunisienne ayant leur domicile à
l’étranger.

Pour le critère économique, il intéresse plutôt les rapports de nature


commerciale. Il suppose, en application de la jurisprudence Matter4 un
passage entre les frontières de deux Etats, de biens, monnaie ou service.
Il en résulte que, ni la nationalité des parties, ni leur domicile est
susceptible d’internationaliser leur rapport commercial. Seul son objet
touchant le commerce international est déterminant. A titre d’exemple
doit être considéré comme international, le contrat de représentation
exclusive sur un territoire étranger conclu entre deux sociétés tunisiennes
dont leur siège social se trouve sur le territoire tunisien.

4
- Cass, civ, 17 mai 1927, DP 1928, I, 25, conclusions Matter, note H. Capitant. ; Voir aussi, arrêt de la cour
d’appel de Tunis n° 31-32 du 12 janvier 1999, RJL n° 5, mai 1999, n° spécial arbitrage, p. 293.
L’utilité de la détermination préalable de l’internationalité est certaine,
car c’est cette internationalité qui justifie la mise en jeu des solutions de
droit international privé, aussi bien pour la détermination de la
compétence de la juridiction saisie pour connaitre du rapport, que pour le
choix du droit substantiel en vertu duquel le litige né de ce rapport doit
être réglé.

2) Qualification du droit international privé


Il ne s’agit là que d’un débat purement théorique. Réellement, malgré
l’appellation, le droit international privé est-il vraiment international et
privé ?
• Le droit international privé est-il international ?
Pour une partie de la doctrine5, l’influence du droit interne sur la
détermination des solutions de droit international privé fait que ce droit
n’est en fait qu’un droit national. Chaque Etat a son propre système de
droit international privé. En Tunisie par exemple, c’est le code de droit
international privé qui constitue le cadre légal de cette discipline. Dans
d’autres systèmes, c’est plutôt la jurisprudence qui s’en charge. En
somme, le droit international privé n’est qu’une projection du droit
interne sur le plan international. Il s’agit là d’une idée exagérée, car le droit
interne n’est pas la seule source du droit international privé. En plus, ce
qui compte beaucoup plus dans la qualification, ce sont plutôt les
solutions que propose le droit international privé par rapport au droit
interne. C’est la raison pour laquelle, une doctrine autorisée propose une
qualification nuancée qui tient compte des deux volets de la question. Le
droit international privé est interne par sa source et international par son
objet6.

• Le droit international privé est-il privé ?


La question est controversée. En raison de leur recoupement entre le droit
privé et le droit public, les règles de droit international privé restent
spécifiques. Toute réponse en bloc à la question de la qualification est
forcément vouée à l’échec. En effet, sur certaines questions, les solutions
du droit international privé s’adaptent beaucoup mieux au droit public.

5
- Niboyet, Traité de droit international privé, t.1, n° 60, p. 78.
6
- Loussouarn et Bourel , Droit international privé, éd. Dalloz, n° 58.
L’exemple de la nationalité, définie comme étant un lien de droit public
du fait qu’elle est imposée par l’Etat aux individus, est largement
significatif. Le statut de l’étranger en est de même. Cette matière est régie
par des règles matérielles et unilatérales qui, en raison de leur attache à
la souveraineté de l’Etat, elles s’appliquent directement en tant que lois
de police.

En revanche, dans d’autres matières, à l’instar du conflit des lois qui


constitue le cœur du DIP, il est certain que ce droit se rapproche beaucoup
plus du droit privé, car les solutions qu’ils propose sont destinées aux , sa
Il résulte de ce qui précède que le débat sur la qualification du DIP est loin
d’être utile dans la pratique. C’est pour cela, que la doctrine estime qu’il
ne s’agit que de débat par commodité. M. Hachem7 a écrit sur ce débat en
disant que « les classifications sont toutes contingentes. C’est par souci
de commodité que les auteurs les retiennent ou les adoptent ; et le
commode est très vite élevé au rang de théorie au détriment du réel ».
L’affirmation trouve dans les chevauchements entre le droit privé et le
droit public son principal appui. Il n’est plus discutable que la distinction
entre le droit privé et le droit public est de plus en plus contestée. On parle
désormais de privatisation du droit public et de publicisation du droit
privé. A cela s’ajoute le fait que beaucoup de systèmes juridiques ignorent
tout simplement cette distinction. Ce qui fait que tout classement
catégorique du DIP dans l’une ou l’autre de ces deux grandes disciplines
est vouée à l’échec. Le droit international privé est de nature hybride.

3) Les composantes du Droit International Privé

La question trouve sa principale source dans les différences


méthodologiques des systèmes. Généralement, le droit international
privé se compose de quatre matières. Il s’agit du conflit des lois, du conflit
des juridictions, de la nationalité et de la condition des étrangers. Le droit
international privé tunisien s’aligne t’il sur cette conception extensive du
DIP ? On ne trouve pas de réponse dans les travaux de la doctrine
tunisienne. En fait, les auteurs qui ont écrit sur la question se sont limités
à reprendre le débat dans sa généralité sur le domaine du droit

7
- Leçons de droit international privé, livre I, Les règles matérielles : Condition des étrangers et conflit des
juridictions, CERP, Tunis 1996, p. 46.
international privé sans se soucier de la position de principe du droit
tunisien. On rappelle qu’à l’université tunisienne, l’enseignement pratique
du droit international privé comprend se limite aux conflit de juridiction
et les conflits de lois. Il en est ainsi de l’épreuve de la matière dans les
concours nationaux à l’instar du concours d’entrée à l’institut supérieur
de la profession d’avocat conformément à l’arrêté des des ministres de la
justice et des droits de l’homme et le ministre de l’enseignement
supérieur, de la recherche scientifique et technologique du 9 novembre
20078.
• Le conflit des lois
C’est le noyau dur du DIP. D’ailleurs, certains systèmes de droit comparé
ramènent tout le droit international privé au conflit des lois. Il s’agit donc
de la partie originale de toute la matière. Caractérisée par sa complexité
méthodologique et son évolution continue, cette matière a donné lieu à
des débats doctrinaux riches en idées, mais surtout passionnants du côté
de la gymnastique intellectuelle qui les anime.

En fait, le conflit des lois se manifeste lorsqu’une situation juridique est


rattachée par ces éléments à deux ordres juridiques différends au moins.
Il s’agit de savoir lequel de ses ordres juridiques est applicable à ladite
situation. Contrairement au conflit des lois dans le temps de droit interne,
qui suppose deux lois d’un seul ordre juridique qui se succèdent dans le
temps, le conflit des lois en DIP est un conflit dans l’espace.

Il en résulte que le conflit des lois se caractérise par le choix du droit


applicable au fond.

Exemple : Le divorce d’un couple mixte franco- belge domicilié en Tunisie


constitue une situation juridique à caractère international qui se rattache
à trois systèmes différends. Il s’agit du système tunisien en fonction du
critère de domicile du couple, mais aussi des systèmes français et belge en
raison de la nationalité mixte des époux. Si le juge tunisien est saisi pour
se prononcer sur ce divorce, il se trouve dans l’obligation de voir quel
ordre juridique parmi les trois cités est applicable. En arrêtant cet ordre
juridique, il tranche un conflit des lois dans l’espace. Ce règlement du
conflit se fait à l’aide d’un support conflictualiste appelé « Règle de conflit

8
- JORT du 13 novembre 2007.
des lois ». Il s’agit d’une règle de droit interne qui a pour objet de
déterminer pour une situation juridique précise, le droit qui la régit.
Exemple de règle de conflit : L’article 48 al. 1 du code de droit
international privé dispose que « Le divorce et la séparation de corps sont
régis par la loi nationale commune des époux en vigueur au moment où
l’instance est introduite. A défaut de nationalité commun, la loi
applicable est la loi du dernier domicile commun des époux s’il y en a,
sinon, la loi du for ».

Pour reprendre l’exemple de divorce du couple mixte précité,


conformément à l’article 48, le juge tunisien saisi appliquera la tunisienne
(loi du for) en tant que loi du dernier domicile justifié par le défaut de
nationalité commune des époux. Autrement dit, si le couple était de
même nationalité, c’est plutôt la loi de leur nationalité commune qui sera
applicable.

• Les conflits de juridiction


Il est important de remarquer d’emblée que l’appellation « conflit des
juridiction » est trompeuse, car, il n’y a point de conflit entre diverses
juridictions au vrais sens du mot. D’ailleurs, le législateur tunisien, en
précisant le domaine du code de droit international privé, a évité de parler
de « conflit de juridiction ».
Les règles régissant la matière sont unilatérales, c’est-à-dire Chaque Etat
fixe son propre système sans se soucier des autres. Plus exactement, il ne
s’agit pas de choisir entre deux systèmes qui, réellement ne sont guère en
conflit. C’est la raison pour laquelle, il est plus commode de parler
de « droit judiciaire international » en raison du fait que l’ensemble des
règles de cette matière sont des règles de procédure.
Abstraction faite de cette observation, on note que ce droit judiciaire tend
à réglementer la compétence internationale des juridictions nationales
pour connaître d’un rapport à caractère international, et de fixer les effets
internationaux des décisions et jugements étrangers dans l’ordre juridique
tunisien.
• Les immunités juridictionnelles et d’exécution de l’Etat étranger
Cette matière sert à dresser un régime juridique spécial pour juger l’Etat
devant les juridictions tunisiennes (immunité de juridiction), mais aussi
pour l’exécution sur les biens de cet Etat se trouvent sur le territoire
tunisien.
• La nationalité
Cette matière sert à déterminer l’allégeance juridique d’un individu à
l’Etat tunisien. C’est le code de la nationalité de 1963 qui s’est chargé de
toute la matière.

• La condition de l’étranger en Tunisie


Cette matière s’intéresse à la réglementation du statut de l’étranger sur le
territoire tunisien. Plus précisément, son entée et son séjour en Tunisie,
ainsi que ses droits et devoirs. Ce régime juridique trouve dans la loi de
1968 sa source essentielle.

4) L’élaboration historique du droit international privé


Une présentation historique générale et rapide du droit international
privé permet de mettre l’accent sur certaines étapes jugées primordiales
dans la construction évolutive de la matière9.

On se limite à rappeler que contrairement à certaines disciplines


juridiques, à l’instar du droit civil dont l’histoire remonte à la nuit des
temps, le droit international privé n’est qu’une matière relativement
récente. La raison est simple ; ce retard est dû au fait que pendant
longtemps, les conditions de mise en jeu des règles de droit international
privé faisaient défaut. L’extraneité, élément essentiel de l’internationalité
était absente. Les personnes étaient repliées sur elles-mêmes, ce qui fait
que leurs rapports juridiques ne pouvaient dépasser le cadre interne. Petit
à petit, la vie en autarcie a fini par céder en face de la prolifération des
relations commerciales entre les groupements.
Les premières racines du droit international privé remontent à l’époque
de la Grèce antique notamment, pour ce qui concerne le statut des
étrangers. L’institution du patronage, qui signifie la protection d’un

9
- Pour une étude plus approfondie, on renvoie à l’ouvrage de A. Mezghani, Droit international Privé, Cérès
Productions 1991.
étranger par un citoyen grec en est l’un des exemples traditionnellement
cité.
L’apparition des conflit de lois ainsi que les conflits de juridiction sous
l’empire romain était le résultat de son hégémonie sur le bassin
méditerranéen10. Cette situation a généré un corps de règles spécifiques
régissant les nouveaux rapports entre les citoyens romains et les pérégrins
qui représentent les habitants des régions conquises.
Au temps des invasions Barbares, la question du statut de l’étranger est
de nouveau posée. Cette question a duré aussi pendant la période féodale
caractérisée par la méfiance à l’égard des étrangers qui vivaient sur le
territoire de la seigneurie.
Dans les pays d’islam, le statut juridique du non musulman était régi par
des règles particulières. C’est le cas par exemple du statut du Dhimis. On
lui assure le séjour et la protection de ses biens en terre d’islam, contre le
paiement d’une taxe personnelle. L’institution du patronage fourni un
autre exemple. En vertu de cette institution, l’étranger bénéficie d’une
protection par un musulman11.
En dehors du statut de l’étranger, l’histoire lointaine enseigne en général
que la confusion entre la compétence juridictionnelle et celle législative a
constitué durant des siècles un obstacle majeur pour l’évolution des
systèmes de conflit des juridictions et celui des conflits des lois. Chaque
communauté était soumise à ses propres juridictions et à sa propre loi.
Ce n’est qu’à partir du 13ème siècle que certaines solutions de droit
international privé ont pu être mis en lumière. C’est avec l’école italienne
des glossateurs et par la suite les post-glossateurs qu’on est parvenu à
poser pour la première fois en termes claires la question des conflits de
lois et la méthode de son règlement. Sans prétendre défendre une théorie
soit-elle personnaliste ou territorialiste, l’école italienne a retenu le choix
qui s’adapte mieux à la question posée. Entre le statut personnel et le
statut réel, le choix de la loi applicable est la loi personnelle soit la loi réelle
c’est-à-dire du lieu du bien. L’une des solutions spécifiques de cette école
provient de la distinction entre les règles de fond et celles de procédure.
Les premières sont régit la loi du domicile ; les secondes par la loi du for.

10
- P. Mayer, Droit international privé, p. 9, n° 10.
11
- sur l’ensemble, Ahmed Rachid, L’Islam et le droit des gens, RCADI 1937, T 60, p. 371.
Le mérite revient aussi à cette école qui a dégagé la règle intangible en
soumettant les actes juridiques à la loi de leur rédaction. Il s’agit de la
fameuse règle locus régit actum. Enfin, c’est à cette école que revient le
mérite d’avoir posé les premières racines du mécanisme de l’exception
d’ordre public international en faisant la distinction entre le statut
favorable et le statut odieux.
Les 15ème et 16ème siècle étaient caractérisés par la naissance des grands
mécanismes de droit international privé à l’instar de la qualification dont
la découverte revient à Dumoulin lors de la célèbre consultation des
époux Ganay sur la loi applicable à leur régime matrimonial. Cette
découverte a fait l’objet plus tard d’une systématisation dans les travaux
de Bartin12. La même période était aussi caractérisée par la naissance de
grandes écoles à l’instar du territorialisme de B. D’argentré, repris plus
tard par De grands auteurs comme Niboyet , et du personnalisme dans les
travaux de Mancini en Italie et continué par A. Pillet en France.
C’est le 19ème siècle qui a marqué l’étape d’une véritable systématisation
du droit international privé en matière des conflits des lois, notamment à
travers l’œuvre de Savigny hostile au dogmatisme. Pour cet auteur, c’est
la communauté des civilisations qui fonde l’application de la loi étrangère.
Son raisonnement trouve dans la localisation du rapport de droit le point
de départ pour la détermination de la loi applicable. Cette œuvre
universaliste était à l’origine des travaux ultérieurs qui ont participé à
l’élaboration d’un système théorique de droit international privé13. De
grands auteurs comme H. Batiffol et d’autres ont caractérisé la véritable
systématisation du droit international privé.

5) Les sources du droit international privé


On distingue entre les sources internes des sources internationales.
a) Les sources internes
Généralement ce sont la loi et la jurisprudence.
• La loi

12
- Bartin, La théorie des qualifications en droit international privé, RCADI 1930, I, p. 593.
13
- A. Mezghani, Droit International Privé, Cérès Productions, 1991, p. 138
Dans beaucoup de systèmes, C’est la loi qui constitue la source principale
du droit international privé. C’est le cas par exemple du système tunisien.
Toutes les matières faisant l’objet du droit international privé ont été
réglementé en détail par la loi. Il s’agit du code de droit international privé
de 199814, du code de la nationalité de 196315 et la loi de 1968 sur la
condition des étrangers 16. S’ajoutent à ce cadre quelques dispositions
éparpillées à l’instar de la loi du 1er août 1957 réglementant l’état civil, ou
le code de travail sur le travail des étrangers ainsi que le code de
commerce maritime sur le transport international. C’est le cas aussi de
certains grands systèmes de droit comparé à l’instar du système suisse à
travers la réglementation de la loi fédérale du 18 décembre 198717. En
revanche, dans d’autres systèmes l’intervention législative reste très
relative. C’est l’exemple du système français quoique, depuis quelques
temps, les interventions législatives sont devenues de plus en plus
fréquentes notamment sur la condition des étrangers. La loi Pasqua de
1989 est l’un des plus importants exemples à citer18.

b) La jurisprudence
L’obligation de créer les normes juridiques s’impose au juge dès lors que
la loi est muette. On parle donc de juge-législateur. Le pouvoir normatif
dépend donc du vide législatif. Chaque fois que le législateur se tait, le juge
en profite. Il s’agit en réalité d’un transfert exceptionnel de compétence.
Pour le cas tunisien par exemple, étant donné que la loi a tout réglementé,
le rôle du juge est, incontestablement, ramené à ses justes limites. Cela ne
doit pas signifier pour autant que le rôle de la jurisprudence soit
totalement absent. Certaines solutions d’origine jurisprudentielles
méritent à ce titre d’être citées. C’est le cas notamment pour certains
mécanismes de droit international privé. Le mécanisme du renvoi19 en est
l’un des exemples. La création du for de nécessité est aussi l’un des

14
- Promulgué par la loi n° 97 du 27 novembre 1998.
15
- Décret-loi n° 63-6 du 28 février 1963 portant refonte du code de la nationalité tunisienne.
16
- Loi n° 1968-0007 du 8 mars 1968, relative à la condition des étrangers en Tunisie, JORT du 8-12 mars 1968.
17
- F. Knoepfler et Ph. Schweizer, La nouvelle loi fédérale suisse sur le droit international privé, Rev. Crit. DIP
1988, n° 2, p. 207.
18
- D. Turpin, La loi du 2/8/1989 relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France- Ravaudage
de la loi Pasqua ouesquisse d’une « nouvelle citoyenneté », RC 1989, p. 617..
1919
- Dans le code de droit international privé, le renvoi a été exclu sauf texte spécial en application de l’article
35 ; et sur ce mécanisme passionnant voire spectaculaire, M. Hachem, Nouvelles réflexions sur le renvoi, RTD
1995, p. 185., L. Chedly, Le rejet inopiné du renvoi par le code de droit international privé, Mélanges Sadok
Bellaid, CPU, 2004, p. 295.
exemples révélateurs de l’importance de la source jurisprudentielle dans
l’élaboration du droit international privé.

Dans d’autres système, où l’intervention législative reste réduite, le


pouvoir créateur du juge se présente comme la source essentielle du droit
international privé. C’est l’exemple du système de droit international privé
français où, le mérite revient à la jurisprudence dans la construction de la
discipline. De nombreux arrêts, qualifiés comme étant des arrêts de
principe, ont été à l’origine de la création des principaux mécanismes du
droit international privé français. Les arrêts FORGO20, ZAGHA21 rendu à
propos du renvoi22, CARASLANIS sur les qualifications, Munzer23 à propos
des conditions de l’exéquatur, et beaucoup d’autres arrêts ne peuvent
être occultés.

c) Les sources internationales


Constituées par les conventions internationales d’une part, et la
jurisprudence internationale d’autre part, ces sources ont participé très
positivement à l’évolution du droit international privé.
• Les conventions internationales
Ces conventions concernent principalement les conflits de lois,
l’exéquatur, les immunités juridictionnelles et d’exécution ainsi que la
condition des étrangers
Les conventions relatives aux conflits des lois
Chaque ordre juridique a son propre système de droit international privé
qui le diffère des autres systèmes. Les solutions risquent donc d’être
contradictoires. Ce qui fait qu’une même situation juridique à caractère
internationale peut connaître un règlement qui varie d’un système à un
autre. Tout dépend donc du for saisi. A titre d’exemple, un divorce ou une
succession à caractère international, peut être réglé différemment selon
le droit applicable prévu par la règle de conflit retenue par le système
juridique du juge saisi. C’est dans le but d’éviter ce risque, et en vue
d’harmoniser les solutions par l’unification des règles de conflits, que
certaines conventions internationales ont pu être adoptées. Les plus

20
-
21
-
22
-
23
-
importantes sont les conventions de La Haye sur le droit international
privé. Parmi ces conventions on peut citer la convention de 1968 sur le
droit applicable en matière d’accident de circulation routière, la
convention de 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, la
convention de 1986 sur la vente internationale de marchandiedc e et la
convention de 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort.

Malheureusement, aucune de ces conventions n’a été ratifiée par la


Tunisie. On estime que pour l’avenir la situation va changer surtout que,
depuis quelques années et précisément en 2017, certaines des
conventions de La Haye ont reçu l’aval de leur intégration dans l’ordre
juridique tunisien. Il s’agit de la convention supprimant l’exigence de la
légalisation des actes publics étrangers du 5 octobre 1961 appelée
convention Apostille24, de la convention du 15 novembre 1965 relative à
la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extra-
judiciaires en matière civile et commerciale25 et la convention du 25
octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international
d’enfants26. Par la ratification de ces conventions, il est désormais permis
de classer, les conventions de La Haye parmi les sources internationales
du droit international privé tunisien.

Les conventions internationales en matière d’entraide judiciaire


Il s’agit pour la Tunisie des conventions bilatérales et à un moindre degré
les conventions multilatérales à caractère régional

Pour les conventions bilatérales qui s’intéressent particulièrement à la


reconnaissance et à l’exécution des décisions judiciaires rendues par les
juridictions des deux Etats contractants, on note que le nombre en

24
- L’apostille est un cachet émis par une autorité compétente pour confirmer l’authenticité d’une signature d’un
sceau ou timbre sur un acte public étranger. ; loi organique n° 2017-14 du 28 mars 2017 portant approbation de
l’adhésion de la république tunisienne à la convention et décret présidentiel n° 2017-47 du 28 mars 2017 portant
ratification de l’adhésion la république tunisienne à la convention.
25
- loi organique n° 2017-29 du 2 mai 2017 portant adhésion de la république tunisienne à la convention et décret
présidentiel n° 2017-63 du 2 mai 2017 portant ratification de l’adhésion la république tunisienne à la convention.
26
- Loi organique n° 2017-30 du 2 mai 2017 portant approbation de l’adhésion de la république tunisienne à la
convention. Voir aussi le décret présidentiel n° 2017-64portant ratification de l’adhésion et décret gouvernemental
n° 2017-1209 du 7 novembre 2017 portant la désignation de l’autorité centrale prévue par la convention.
croissance continue27 permet d’affirmer à forte raison, que cette source
conventionnelle est de loin plus importante que celle de droit interne.

En revanche, les conventions multilatérales à caractère régional n’ont


pas réalisé leur objectif. C’est le cas de la convention arabe de Riadh du 6
avril 1983 relative à la coopération judiciaire. Il en est de même pour La
convention maghrébine de Ras Lanouf de 1991 relative à la
reconnaissance et l’exécution des jugements. Après déjà presque 30
années de son adoption, la convention n’est pas encore entrée en
application à cause de la réticence du Maroc.

Les conventions relatives à la condition des étrangers


Les plus importantes sont les conventions d’établissement. C’est-à-dire les
conventions qui ont pour objet l’assimilation de l’étranger au national. Ces
conventions sont en nombre très limité. Seulement quatre conventions
ont été conclues par la Tunisie avec la Libye28, Algérie29, Maroc30 et Niger31.

• La jurisprudence internationale
La jurisprudence internationale constitue une source relativement
importante. Elle se manifeste timidement à travers les décisions de la Cour
Internationale de Justice, et d’une manière attirante à travers les
sentences arbitrales.

La jurisprudence de la CIJ
La CIJ est un organe juridictionnel qui fonctionne sous l’égide de
l’organisation des Nations-Unies. Ayant succédé la Cour Permanente de
Justice Internationale entre les deux guerres, cette juridiction a
compétence seulement pour trancher les litiges interétatiques en
appliquant selon l’article 38 de son statut, les conventions internationales,
la coutume internationale et les principes généraux de droit reconnus par
les nations les plus civilisées.

27
- Parmi lesquelles on cite la convention tuniso-française du 28 juin 1972, voir sur cette convention, M. L.
Hachem…..
28
-.
29
-
30
-
31
-
Ne rentre pas donc dans la sphère de compétence de la CIJ, les litiges ayant
un aspect privé. Cependant, exceptionnellement, cette juridiction peut
avoir l’occasion de connaitre de certaines questions d’intérêt privé
lorsqu’elle est saisie par le biais de la procédure de protection
diplomatique. C’est-à-dire, lorsque l’Etat endosse la réclamation de son
ressortissant et agit à sa place devant la CIJ. C’est ainsi que cette juridiction
a pu rendre certaines décisions touchant des aspects de droit privé.
Certains de ses arrêts sont devenus célèbres et cités à titre de référence
en droit international privé. On cite comme exemple, l’arrêt Nottebohm32
Dans lequel, la CIJ a posé la règle de l’opposabilité aux Etats tiers des actes
unilatéraux que peut prendre un Etat à propos de l’attribution d’une
nationalité par naturalisation. On peut citer aussi l’arrêt Barcelona
Traction du 5 février 197033 dans lequel la CIJ a participé largement au
débat sur la nationalité des sociétés, en décidant que la protection
diplomatique ne peut être exercée que par l’Etat du siège de la société et
non pas celui des actionnaires. Par cette décision, la CIJ a fait prévaloir le
critère du siège social sur celui du contrôle.

La jurisprudence arbitrale en matière de commerce international


L’arbitrage est une justice privé parallèle à la justice étatique. Il est défini
par l’article 1 du code de l’arbitrage de 1993 Comme « un procédé privé
de règlement de certaines catégories de contestations par un tribunal
arbitral auquel les parties confient la mission de les juger en vertu d’une
convention d’arbitrage ».

Ce procédé de règlement des litiges a connu un essor remarquable


notamment en matière de commerce international. Rares sont les
contrats internationaux qui ne prévoient pas l’arbitrage comme moyen de
règlement des litiges qui sont nés de l’interprétation ou de l’exécution des
dits contrats. Mieux encore, en matière des investissements
internationaux, l’arbitrage se présente comme le seul moyen de
règlement des différends.

32
- CIJ, 6 avril 1954, Recueil 1955, p. 4 ; sur le commentaire, Bastid, L’affaire Nottebohm devant la CIJ, R.C,
1956, p. 607.
33
- Voir sur cet arrêt, Francescakis, Lueurs sur le droit international privé des sociétés, l’arrêt Barcelona
Traction, RC 1970, p. 609.
Au fil du temps, une véritable jurisprudence arbitrale s’est constituée. Elle
a contribué largement à l’instauration d’un ordre juridique non étatique
spécifique à la communauté internationale des commerçants. Cet ordre
juridique appelé couramment Lex mercatoria34 comprend un ensemble
de règles spécifiques qui s’adaptent mieux aux relations commerciales
internationales. Beaucoup de principes d’origine arbitrale peuvent être
cités à ce titre. C’est l’exemple du principe de l’interdiction de se
contredire au détriment d’autrui, le principe de l’obligation de minimiser
les pertes ou encore le principe coopération de bonne foi même à la
période précontractuelle.
On remarque cependant que l’importance de la jurisprudence arbitrale
comme source du droit international privé est limitée seulement aux
contrat de commerce international. Elle ne joue aucun rôle relativement
aux autres catégories de contestations car tout simplement l’arbitrage est
interdit. C’est le cas notamment pour le statut personnel.

CHAPITRE 1) La compétence internationale des


juridictions tunisiennes

Eléments historiques
L’histoire de la question de compétence internationale des juridictions
tunisiennes est très récente. En fait ce n’est qu’avec l’indépendance de la
Tunisie en 1956 donnant lieu à l’unification de la justice, qu’il est devenu
possible aux juridictions tunisiennes de connaitre d’un litige à caractère
international et par conséquent se prononcer préalablement sur leur
compétence.

Avant cette date, la justice en Tunisie a connu plusieurs systèmes de


règlement juridictionnel des litiges. Le système des capitulations35 par
exemple a marqué une bonne période de l’histoire de de cette justice.
Ayant pour objet la répartition de la compétence juridictionnelle en
fonction du critère de la nationalité36, ces capitulations ont réduit à néant
la possibilité de saisir les juridictions tunisiennes pour trancher des litiges

34
-
35
36
- Mohamed El Arbi Hachem, Leçons de droit international privé, Livre I, les règles matérielles, CERP1996, p.
105.
à caractère international. Généralement, le système tend à conférer la
compétence aux consuls étrangers pour régler les litiges entre leurs
ressortissants. Le consul français demeure compétent pour connaitre des
litiges entre les ressortissants des puissances qui ne sont pas soumises au
système des capitulations37. Lorsque le litige concerne des parties de
nationalité mixte, seul le consul français avait compétence. Ce privilège
consulaire a été maintenu en dépit de la proclamation de la constitution
tunisienne de 1861 qui, partant du principe de l’égalité de tous devant la
loi, avait « tiré pour conséquence logique la compétence exclusive des
juridictions tunisiennes »38.

Sous le régime du protectorat, la situation n’a pas changé. Le système


juridictionnel pluraliste est maintenu. Ce système est caractérisé par un
partage de compétence entre les juridictions françaises en Tunisie et les
juridictions tunisiennes. Cette dualité d’ordre juridictionnel est née suite
à la suppression des juridictions consulaires et le transfert de leur
compétence aux juridictions françaises. Celles-ci avaient compétence
pour connaitre des litiges entre des parties de nationalité mixte même si
l’une d’elle est tunisienne. Ce qui fait que le monopole des litiges à
caractère international revient toujours aux juridictions françaises. Il en
résulte que la compétence des juridictions tunisiennes était limitée aux
litiges entre tunisiens.

A cette dualité de juridictions modernes qui appliquaient le droit positif,


s’ajoute une dualité juridictionnelle à connotation religieuse. Le règlement
des litiges de statut personnel des musulmans relevaient de la
compétence des tribunaux charaiques et ceux de confession juive
relevaient des tribunaux rabbiniques.

Cette mosaique juridictionnelle a fini par céder en 1956 suite à


l’indépendance de la Tunisie. Pour la doctrine, c’est « l’indépendance qui
a permis de réaliser très rapidement toutes les conditions nécessaires à
l’existence d’un système national de droit international privé »39. En fait,
c’est la convention tuniso-française du 9 mars 195740 portant suppression

37
- Ali Mezghani, Doit International Privé, précité, p. 62.
38
- Ibid, p. 64.
39
*ibidem, p. 71.
40
- JO 1957, p. 626.
des juridictions étrangères en Tunisie qui marqua l’avènement de la
plénitude de compétence des juridictions tunisiennes par le transfert de
compétence des tribunaux français en Tunisie à partir du 1er juillet de la
même année41. Se réalisant en pratique non sans difficultés42, cette
nouvelle situation a permis pour la première fois aux tribunaux tunisiens
de connaitre des litiges à caractère international. La suppression des
tribunaux religieux successivement par le décret du 25 septembre 1956
pour les tribunaux musulmans et la loi du 27 septembre 1957 pour les
tribunaux rabbiniques, n’a fait que contribué indiscutablement à cette
nouvelle ère de la justice tunisienne. C’est en raison de cette évolution
que le code de procédure civiles et commerciales a pu traiter, pour la
première fois, de la compétence internationale des tribunaux tunisiens à
travers les dispositions de son article 2. Appliqué pendant des décennies,
cet article, interprété et appliqué d’une manière excessive par la
jurisprudence, a fini par être abrogé par le code de droit international
privé de 1998. Mettant fin à la qualification en bloc de l’article 2, le
nouveau code a suivi une démarche plus raisonnable tablant sur l’autorité
différencié des règles de compétence internationale des juridictions
tunisiennes. La distinction entre les cas de compétence ordinaire et les cas
de compétence exclusive a été présentée comme l’une des
caractéristiques de ce code.

Paragraphe 1 : Les cas de compétence internationale


ordinaire
L’ensemble de ces cas de compétence nous rappelle ceux de la
compétence territoriale interne prévus par le code de procédure civile et
commerciale. Il s’agit donc d’une projection du droit judiciaire interne sur
le plan international. Cette projection est cependant adaptée au
particularisme de la compétence internationale.

Le code de droit international privé a réservé les articles 3 à 7 pour


réglementer les cas de compétence ordinaire. A ces cas d’origine légale
(A), s’ajoutent des cas d’origine jurisprudentielle (B) en plus des cas de

41
- R. JJambu Merlin, La disparition des juridictions française en Tunisie, Rev. Crit DIP 1957, p. 213.
42
- Voir à titre d’exemple, l’arrêt de la
Cour de Cassation n° 3499 du 15 d
écembre 1964, Bulletin de la Cour de Cassation 1965, p. 61.
compétence qui puisent leur source dans les conventions d’entraide
judiciaire conclues par la Tunisie (C).

A- Les cas d’origine légale


a) La compétence de principe fondée sur la résidence du défendeur en
Tunisie
L’article 3 du CDIP dispose que « les juridictions tunisiennes
connaissent de toutes les contestations, civile et commerciale entre
toutes personnes quelque soit leur nationalité, lorsque le défendeur a
son domicile en Tunisie ».
Ce teste appelle quelques commentaires :
D’abord, l’article 3 s’aligne sur une règle de compétence universelle qui
trouve dans la règle historique de droit romain « actor sequitor rei » sa
principale source matérielle. Sa justification est de bon sens ; le
demandeur ne doit rien au défendeur, celui-ci est tenu de se déplacer
chez lui pour l’actionner devant la juridiction de son domicile. Cette
justification est largement fondée sur le principe de l’article 560 du code
des obligations et des contrats qui dispose qu’ « En principe chacun est
présumé libre de toute obligation jusqu’à preuve du contraire ». C’est
le même principe de compétence que consacre l’article 30 du code de
procédure civile et commerciale.
Une autre justification non moins raisonnable peut trouver dans le
principe de proximité en droit international privé une source sérieuse.
En fait,
Ensuite, l’article 3 rejette toute discrimination sur la base de la
nationalité. Ce qui signifie la condamnation de tout privilège de
juridiction sur la base de la nationalité à l’instar des articles 14 et 15 du
code civil français qui offrent à tout demandeur ou défendeur de
nationalité française la possibilité de fonder la compétence des
juridictions françaises lorsque le litige est de nature internationale. Il
s’agit là d’une innovation par rapport à l’article 2 ancien du code de
procédure civile et commercial qui permettait au demandeur d’actionner
le défendeur de nationalité tunisienne devant les tribunaux tunisiens. Ce
rejet n’est pas cependant strictement reçu par la jurisprudence
tunisienne 43.
Ensuite, on attire l’attention que la version de l’article 3 qui fonde la
compétence internationale des juridictions tunisiennes sur la notion de
domicile44, n’est pas conforme à la version en langue arabe qui retient le
critère de résidence45. Malgré qu’elle ne génère aucun effet dans la
pratique, car c’est la version en langue arabe qui fait foi en application
de la loi du, théoriquement cette discordance est de nature à provoquer
une discussion sur le domaine de la compétence. Si on estime que
réellement c’est le domicile qui doit être pris en considération en raison
du fait qu’il s’agit d’une notion légale prévue par l’article 7 du code de
procédure civile et commerciale et que la résidence notion de fait n’est
qu’une composante du domicile, la compétence des tribunaux tunisiens
serait fondée non pas seulement sur le domicile réel qui se confond à la
résidence mais aussi au domicile élu. Ce qui fait qu’à défaut de résidence
du défendeur en Tunisie, les juridictions tunisiennes auront compétence
en cas d’élection de domicile en Tunisie. Ce qui est de nature à élargir la
compétence internationale des juridictions tunisiennes. Une telle
manière de voir n’est pas partagée par le jugement du tribunal cantonal
de Tunis n° 85425 en date du 20 juin 2005 pour le cas de l’élection de
domicile chez l’avocat.46 En revanche, si on s’attache à une lecture
littérale de l’article 3 dans sa version en langue arabe, seul le lieu
d’habitation ou le lieu de travail du défendeur en Tunisie compte pour
fonder la compétence. Cette lecture est de nature à restreindre
forcément cette compétence.

b) La volonté fondement de la compétence


L’article 4 du code de DIP attribue compétence internationale aux
juridictions tunisiens lorsque « les parties aux litige les désignent
comme telle, ou, si le défendeur accepte d’être jugé par elles ; sauf si
l’objet du litige est un droit réel portant sur un immeuble situé hors du
4343
- Voir infra, p.
44
- Ali Jellouli, Le domicile en droit tunisien, RJL., n° 7, 1983, p. 19 (en langue arabe) ; Bacha Bejar, Le
domicile : interet, cas et determination, ..RJL n° 1, 1991, p. 7 en arabe
45
- Pour une partie de la doctrine, la résidence prévue par l’article 3 dans sa version en langue arabe signifie
réellement pour le législateur le domicile. In, Lotfi Chedly et Malek Ghazouani, Commentaire du code de DIP,
précité, p.45.
46
- Inédit, rapporté par L. Chedly et M. Ghazouani, in, Le code de droit international privé, p. 81.
territoire tunisien ». Certes, il est bien clair que le texte consacre le
principe de la volonté comme fondement de la compétence, mais en
même temps, il l’entoure d’une exception.
1- Le principe
La volonté se manifeste dans deux cas de figure. Ou bien par le biais d’un
accord des deux parties, ou lorsque le défendeur accepte d’être jugé par
les tribunaux tunisiens.
1-1 L’accord des parties
Généralement l’accord des parties se matérialise d’une manière
anticipée par l’insertion dans leur contrat d’une clause attributive de
juridiction. Cette clause n’est pas pour autant intangible. Elle est soumise
à la condition de ne pas être une clause frauduleuse, c’est-à-dire qui tend
à contourner la compétence d’une juridiction étrangère étroitement liée
au litige. C’est en ce sens que le tribunal de première instance de Tunis
s’est déclaré incompétent pour connaître d’un litige entre deux tunisiens
à propos d’un litige dont tous ses éléments sont rattachés à ordre
juridictionnel étranger47.
Par ailleurs, on exige que l’accord des parties comme fondement de la
compétence internationale des juridictions tunisiennes soit certain et
non équivoque. Ce qui fait qu’aucune déduction ne soit admise. Il a été
jugé à cet effet que le choix du droit tunisien comme applicable au fond
du litige ne peut traduire une volonté implicite pour l’attribution de
compétence au juge tunisien48. (voir convention internationale sur
l’attribution de compétence)
1-2 L’acceptation du défendeur
Le défendeur qui a son domicile à l’étranger peut accepter la compétence
des tribunaux tunisiens lorsqu’il est actionné devant elles. Cette
acceptation n’est soumise à aucun formalisme. Elle peut être déduite
d’actes concluants. C’est le cas lorsqu’il se présente et se défend sur le
fond sans soulever l’incompétence des tribunaux tunisiens. La
jurisprudence dominante considère que l’acceptation ne peut être
déduite que d’acte positif. Ce qui conduit au rejet de la compétence

47
- Jugement n° 11267 en date du 23 décembre 1999, inédit.
48
- Tribunal de 1ère instance de Tunis, jugement n° 9901 en date du 13 novembre 1990, inédit.
lorsque le défendeur ne se présente pas devant les juridictions
tunisiennes car qui ne dit mot ne consent49.

2- Les exceptions
L’article 4 du code de DIP ne prévoit qu’une seule exception au principe
de la volonté. C’est le cas lorsque le litige porte sur un immeuble situé
hors du territoire tunisien. Il s’agit là d’une exception largement justifiée
en raison du fait que la compétence du for de l’immeuble est qualifiée
par la quasi-totalité des systèmes juridiques comme une compétence
indiscutablement exclusive car elle met en jeu une souveraineté
étrangère. On le sait l’immeuble est une fraction du territoire l’une des
composantes de la souveraineté.

En dépit du silence du texte, il est permis à forte raison d’ajouter d’autres


exceptions à la volonté lorsque c’est la souveraineté étrangère qui est
mise en jeu. C’est le cas par exemple lorsque l’action portée devant les
juridictions tunisiennes concerne l’annulation d’une inscription dans un
registre public étranger ou l’action ayant pour objet la preuve d’une
nationalité étrangère. Dans l’ensemble, les cas de compétence exclusive
des tribunaux tunisiens prévus par l’article 8 du code de DIP peuvent
servir à titre analogique pour les besoins de la qualification de la
compétence exclusive d’une juridiction étrangère et par conséquent
neutraliser le critère de la volonté comme fondement de la compétence
internationale des tribunaux tunisiens.
c) Compétence en matière d’obligations
L’article 5 du code de Droit international privé prévoit deux cas de
compétence relatives aux contrats et aux délits.
1) La compétence en matière de responsabilité civile délictuelle
Le premier paragraphe de l’article 5 attribue compétence aux juridictions
tunisiennes sur la base des critères du lieu de survenance du fait
dommageable ou du préjudice. Théoriquement la consécration des deux
critères participe à l’élargissement de la compétence, mais, en pratique
49
- A titre d’exemple, jugements rendus par le tribunal de 1 ère instance de Tunis n° 96383 du 19 mai 2015 et n°
97889 du 14 juillet 2015 et 4901 du 6 juin 2017 et 4667 du 28 mars 2018.
l’hypothèse de dissociation entre les lieux de survenance du fait
dommageable et celui du dommage s’avère difficilement réalisable dans
les délits les plus répandus à l’instar des accidents de circulation où le
dommage est instantané, c’est-à-dire qu’il résulte directement du fait
dommageable. Quoi qu’il en soit, le fondement de la compétence est
largement justifié par le principe de proximité entre le délit et l’ordre
juridictionnel tunisien (voir consultation).
2) Les contrats
L’article 5 alinéa 1 admet un principe assorti d’une exception.
Pour le principe de la compétence, le texte retient deux critères. Il s’agit
d’une part du lieu d’exécution effective du contrat et d’autre part du lieu
de son exécution éventuelle sur le territoire tunisien. Le code a écarté ainsi
le critère du lieu de conclusion du contrat consacré par l’ancien article 2
du code de procédure civile et commerciale jugé peu objectif sinon
artificiel.

Les deux critères nécessitent pour autant quelques observations. Pour le


critère du lieu d’exécution effective, on rappelle que le législateur ne fait
aucune distinction entre le lieu d’exécution de la partie substantielle ou
banale du contrat. Peu importe donc la nature de la prestation exécutée
sur le territoire tunisien. Ce qui peut donner lieu à situations où la
compétence internationale des tribunaux tunisiens est difficilement
justifiée. C’est le cas notamment d’un contrat de vente d’une usine clé en
main où l’exécution sur le territoire tunisienne ne peut concerner que
l’installation des équipements industriels alors que les prestations
caractéristiques du contrat à l’instar de l’ingénierie et la construction ont
été exécutées à l’étranger dans les usines du vendeur.

Paragraphe 2 : Les cas de compétence


internationale exclusive

L’article 8 du code de DIP constitue le siège de règlementation de la


compétence internationale exclusive des juridictions tunisiennes. Il
prévoit un nombre important de cas de compétence fondés sur l’idée
de souveraineté ainsi que de la bonne organisation de la justice. Il vient
compléter une liste déjà longue des cas de compétence ordinaire.
Quoiqu’il figure dans le titre 2 du code relatif à la compétence
internationale des juridictions tunisiennes, il est important de
souligner que le seul intérêt de l’article 8 ne peut se vérifier qu’au
stade de l’accueil des décisions étrangères en Tunisie. C’est-à-dire,
réellement, l’article 8 ne peut être mis en œuvre que pour contrôler la
régularité de la décision étrangère au regard de la condition de
compétence exclusive des juridictions tunisiennes. Cette remarque
s’impose en raison du fait, que l’article 11 du code de DIP fait appel à
l’article 8 pour le contrôle de la condition de compétence. Il est tout à
fait raisonnable de se demander à quoi peut servir l’article 8 dans le
cadre de la compétence générale directe des tribunaux tunisiens, alors
qu’il est possible à une juridiction étrangère de se déclarer
compétente pour trancher un litige qui relève, en application de
l’article 8 de la compétence exclusive des tribunaux tunisien. Une
doctrine autorisée affirme à cet effet que « le caractère d’ordre public
n’a d’intérêt que pour la compétence directe : le caractère exclusif est
utile pour l’exécution forcée des décisions étrangères ».

A- Action relative à la nationalité tunisienne


L’article 8 (1) dispose que :
« Les juridictions tunisiennes ont l’exclusivité de la compétence :
1- Si l’action a pour objet l’attribution, l’acquisition, la perte, le retrait
ou la déchéance de la nationalité tunisienne ».

A première vue, et en raison de son attache à la souveraineté, le cas


de compétence s’avère largement justifié et n’a donc pas besoin d’être
éclairé davantage. En effet, il est indiscutable que la nationalité
tunisienne échappe à toute emprise des juridictions étrangères et
relève par conséquent et d’une manière exclusive des autorités
tunisiennes.
Cependant, faut-il préciser qu’en l’état, le texte ne s’attache à la
question de compétence des tribunaux tunisiens que d’une manière
apparente voire même faussée. Deux raisons sont à l’appui de notre
affirmation.

• La nationalité est présentée comme un lien d’allégeance juridique


et politique d’une personne à un Etat. Il s’agit donc d’un lien de droit
public qui échappe à la maitrise du droit privé. Ce rapport non
contractuel que représente la nationalité déborde donc le domaine
du code de DIP tel que décrit par l’article premier. Celui-ci réserve
les dispositions du code aux seuls rapports privés internationaux.

• En droit international, il appartient à chaque Etat dans le cadre de


sa pleine souveraineté de dire quels sont ses nationaux. Cette tache
relève de la fonction législative et échappe par conséquent à toute
emprise juridictionnelle. En fait, dans la matière de la nationalité, les
juridictions ne peuvent intervenir que d’une manière accessoire
pour ne trancher que les seules les contestations sur la nationalité.

A titre d’exemple : contestation sur la validité de la condition de la


déclaration pour réclamer la nationalité tunisienne (voir articles 12
et 14 du code de la nationalité) pour le cas de l’enfant né à l’étranger
d’une mère tunisienne et d’un père étranger ainsi que pour le cas
de la femme étrangère qui épouse un tunisien et qui, en vertu de sa
loi nationale conserve sa nationalité d’origine par le mariage avec
un étranger. L’article 41 du code de la nationalité prévoit
expressément à cet effet que la décision de refus de la déclaration
par l’administration peut être attaquée par le déclarant devant le
tribunal de première instance. D’ailleurs, l’article 48 du code de la
nationalité réserve la compétence du tribunal de première instance
aux seules contestations sur la nationalité et de juger en application
de l’article 51 si tel demandeur a ou non la nationalité tunisienne.

Il est bien clair donc que les juridictions ne peuvent intervenir pour
l’attribution, l’acquisition, la perte, le retrait ou la déchéance de la
nationalité tunisienne. D’ailleurs le code de la nationalité réserve la
compétence au pouvoir exécutif représenté par le président de la
république qui intervient par décret (voir l’article 19 pour l’acquisition
par voie de naturalisation, l’article 30 pour la perte, l’article 33 pour la
déchéance et l’article 37 pour le retrait de la nationalité).
En conclusion, il est tout à fait raisonnable d’affirmer que dans la
pratique l’article 8(1) ne peut recevoir application; il s’agit donc d’un
texte superflu.

B- Action relative à un immeuble


L’article 8(2) attribue compétence exclusive aux juridictions tunisiennes
si l’action « est relative à un immeuble situé en Tunisie ».
La compétence exclusive des juridictions tunisiennes est évidente ; elle
est justifiée largement par :
- le souci de sauvegarder une bonne administration de la justice fondée
sur la proximité de l’immeuble au juge compétent.
- faire prévaloir la souveraineté de l’Etat sur son territoire étant donné
que l’immeuble constitue une fraction de ce territoire.
On note que la compétence du juge de l’immeuble coïncide avec le
droit applicable (les article 57 du code de DIP et 58 consacrent la lex rei
sitae).

Cependant, malgré son bien-fondé, la compétence exclusive des


tribunaux tunisiens telle que décrite à l’article 8(2) n’échappe pas à la
critique. En raison de la généralité de ses termes, et appliqué à la lettre,
cet article peut donner lieu éventuellement à des cas de compétence
exclusive injustifiés voire même excessives. En fait, toutes les actions
relatives à un immeuble situé en Tunisie sont couvertes par l’article
8(2).
Le texte ne fait aucune distinction selon la nature de l’action. Rédigé en
termes généraux, et en application de la règle d’interprétation de la loi
prévue par l’article 533 du COC, la compétence exclusive peut couvrir
juridiquement aussi bien les actions de nature réelle immobilière que
celles de nature personnelle. Or, si on adhère à cette solution, on risque
de fonder des situations de compétence exclusive d’une manière
largement excessive. C’est notamment le cas lorsque l’action a pour
objet la demande d’une réparation d’un dommage résultant des vices
d’un immeuble, ou encore la demande d’annulation d’un acte de
donation portant sur un immeuble situé en Tunisie.
Il semble que la jurisprudence tunisienne fait prévaloir une lecture
restrictive de l’article 8(2). C’est en fonction de la qualification de la
nature de l’action, qu’il y a lieu de préciser les limites de la compétence
exclusive (Cour de Cassation, arrêt n° 59172 du 31 mai 2018 ). Ce qui
fait que seules les actions réelles immobilières relèvent de la
compétence internationale exclusive des juridictions tunisiennes. Cette
lecture s’aligne sur la solution adoptée par Beaucoup de systèmes et
notamment par certaines conventions internationales (en ce sens
l’article 33 de la convention de l’union du Maghreb Arabe sur la
coopération judiciaire limite la compétence exclusive aux seules actions
réelles immobilières).
Ainsi conçue, la solution résultant d’une interprétation restrictive de
l’article 8(2) du code de DIP permet d’éviter l’incohérence législative
avec l’article 4 du même code qui retient une exception au rôle de la
volonté lorsque l’action concerne un droit réel portant sur un
immeuble situé à l’étranger. Cette interprétation contribue ainsi à la
sauvegarde de l’harmonie générale du Code de DIP.

C- Action relative à une procédure collective

L’article 8(3) dispose que les juridictions tunisiennes ont l’exclusivité


de compétence si l’action « est relative à une procédure collective
ouverte en Tunisie telle que le redressement des entreprises ou la
faillite »

A première lecture, ce cas de compétence paraît tellement justifié pour


qu’il soit éclairé davantage. On le sait, l’entreprise représente le vecteur
essentiel de l’économie d’un l’Etat. C’est Donc sa souveraineté
économique qui est mise en jeu. Sa protection suppose entre autres,
que seules les juridictions de cet Etat aient la maitrise de son contrôle,
notamment à travers les procédures collectives telles que la faillite ou
le redressement.
Cependant, abstraction faite de son fondement, l’article 8(3) appelle
quelques observations qui permettent d’affirmer d’emblée que le texte
se caractérise par son caractère énigmatique.
• Contrairement à la version en langue française qui retient le lieu
d’ouverture de la procédure collective comme élément localisateur
de la compétence exclusive, la version en langue arabe qui fait foi,
est en revanche muette.

• En traitant des procédures collectives sans la moindre précision sur leurs


sujets, l’article 8(3) permet de s’interroger si le législateur entend par
« entreprise » seule l’entreprise tunisienne, ou aussi, l’entreprise
étrangère exerçant en Tunisie. Il en est ainsi des filiales des entreprises
étrangères en Tunisie ou de l’entreprise étrangère ayant son siège social
à l’étranger mais son principal établissement en Tunisie.

Au total, l’article 8(3) est énigmatique. Le législateur a choisi de


marcher sur du sable mouvant ; les procédures collectives constituent
l’une des matières qui résistent encore à toute internationalisation.

D- L’action relative à une mesure conservatoire ou d’exécution

L’article 8(4) du code de DIP attribue compétence aux juridictions


tunisiennes si l’action a pour objet « la demande d’une mesure
conservatoire ou d’exécution sur le territoire tunisien et portant sur des
biens qui y sont situés ».

Il s’agit là aussi d’un cas de compétence exclusive largement justifié par


l’idée de souveraineté. Les mesure conservatoires et d’exécution
nécessitent l’intervention de la force publique. Celle-ci ne peut se
soumettre qu’à l’ordre des juridictions tunisiennes.

E- Les actions non prévues expressément : La compétence ouverte


L’article 8(5) dispose que les juridictions tunisiennes ont l’exclusivité
de la compétence « dans tous les cas où la compétence leur est
attribuée en vertu d’un texte spécial ».

Les cas de compétence qui peuvent rentrer dans le cadre de l’article


8(5) ne sont pas prédéterminés. La compétence est qualifiée donc de
compétence « ouverte ».
Le texte exige que le cas soit prévu par un texte spécial. Or, en l’état
actuel du droit tunisien, il semble qu’il n’existe aucun texte spécial qui
attribue aux tribunaux tunisiens une compétence exclusive pour
connaitre d’une action non prévue par l’article 8 du code de DIP.
Pourtant, l’absence de ces textes spéciaux n’élimine pas la possibilité
de prévoir d’ores et déjà des cas de compétence exclusive non prévus
par le code de DIP. La seule condition est que ces cas soient fondés sur
des considérations de souveraineté. C’est le cas notamment de
certaines actions relatives aux sociétés ayant leurs sièges en Tunisie.
L’exemple des actions qui ont pour objet l’annulation des statuts de la
société ou de ses assemblées ou encore sa dissolution est un exemple
fort révélateur. Pour toutes ces actions et pour des considérations de
pure souveraineté économique, on ne peut tolérer qu’une juridiction
étrangère soit saisie au lieu et place d’une juridiction tunisienne.
Penser autrement, c’est ouvrir une voie à une éventuelle mainmise du
for étranger sur le contrôle possible du tissu économique de la Tunisie.
Les exemples peuvent se multiplier. On peut citer à ce titre toutes les
actions qui mettent en cause un service public tunisien. C’est le cas
notamment des actions qui ont pour objet la demande d’annulation
d’une inscription sur un registre public.

Il est permis donc, non sans raison, de noter que le nombre important
d’actions susceptibles de fonder la compétence exclusive des
juridictions tunisiennes en dehors du Code de DIP, illustre parfaitement
l’échec de la méthode législative. On adhère totalement à l’affirmation
d’un auteur50 qui voit dans l’article 8(5) un texte qui « ne brille pas par

50
- Ali Mezghani, Commentaires du code de droit international privé.
sa clarté », il peut mettre « à rude épreuve la crédibilité même de la
réforme ».
En Somme, il est possible d’affirmer que l’étude de l’article 8, sous
l’angle critique, permet de focaliser sur deux idées clés ; d’abord,
certains cas de compétence ont un caractère factice, d’autres sont
tout simplement excessives. Le seul cas qui échappe à toute critique
est celui relatif à la compétence internationale en matière des mesures
conservatoires ou d’exécution sur le territoire tunisien.

Section II : Le régime procédural de la compétence


internationale
Le code de DIP évoque quelques règles sur la compétence spéciale des
juridictions (Paragraphe 1) ainsi que sur l’exception d’incompétence
soulevée devant elles (paragraphe 2). Il est muet par contre sur les
exceptions de la litispendance internationale et de connexité
(paragraphe 3).

Paragraphe 1 : La compétence spéciale


A la vérification de la compétence générale des juridictions tunisiennes,
s’ajoute la vérification de la compétence spéciale de la juridiction saisie.
Cette compétence tend à répondre à la question de savoir quelle
juridiction parmi les juridictions tunisiennes est spécialement
compétente pour trancher le litige.
Exemple : Le fait d’actionner un débiteur résident en Tunisie et plus
précisément à Tunis devant le tribunal de première instance de Bizerte,
permet à ce débiteur de contester la compétence spéciale du tribunal
saisi en dépit de la compétence générale vérifiée par référence au critère
de résidence en Tunisie.

Cet exemple concerne la compétence spéciale en rapport avec la


compétence territoriale. L’article 9 du code prévoit à cet effet que le
tribunal compétent lorsque le défendeur n’a pas de domicile connu en
Tunisie, est le tribunal du domicile du demandeur. En revanche le
même article attribue une compétence réservée au tribunal de Tunis
lorsque ni le demandeur, ni le défendeur sont résidents en Tunisie.

Paragraphe 2 : L’exception d’incompétence des juridictions tunisiennes


(Ce paragraphe est une reprise intégrale de mon intervention dans le
colloque international sur : Le code de droit international privé, tenu à
la faculté des sciences juridiques de Tunis en 2018, en cours de
publication)

L’exception d’incompétence internationale des tribunaux tunisiens est


l’une des exceptions de procédure susceptible d’être soulevée devant
le juge51. Contrairement aux exceptions de connexité52 et de
litispendance53 qui servent au désistement d’une juridiction
tunisienne compétente en faveur d’une juridiction étrangère aussi
compétente, l’exception d’incompétence suppose l’absence d’un chef
de compétence conformément au code de droit international privé.
A priori, cette exception de procédure ne présente pas de
difficultés. L’article 10 du code de DIP, principal siège de la
question, est tellement clair pour qu’il s’applique sans la moindre
interprétation possible. Il précise que l’exception d’incompétence
doit être soulevée avant tout débat au fond. Donc, il est tout à fait
logique que l’exception d’incompétence internationale soit

51
- Il s’agit des exceptions de connexité et de litispendance internationale. Voir sur ces exceptions :
‫ كلية الحقوق‬، ‫ مذكرة لنيل شهادة الماجستير في القانون الخاص‬،‫ الدفوع اإلجرائية و االختصاص الدولي للمحاكم التونسية‬،‫عالء الد ين حامدي‬
2018/2017 ‫ السنة الجامعية‬،‫والعلوم السياسية بتونس‬
52
- La connexité est prévue par l’article 7 du code DIP comme un chef de compétence des juridictions
tunisiennes. Elle fonde donc la compétence. La situation inverse c'est-à-dire celle d’une connexité à une
action principale pendante devant une juridiction étrangère de nature à retirer une compétence justifiée des
juridictions tunisiennes n’est pas en revanche réglé par le code.
53
On précise que l’exception de litispendance n’est pas réglé par le code DIP et la jurisprudence est marquée
par une tendance récente qui ne voit plus de restrictions à son accueil ; Jugement du 26 juin 1999, RTD
2000, p. 403, note S. Ben Achour ;Tribunal de première instance de Monastir, jugement n° 21193 du 11
juin 2010 et cour d’appel de Monastir, jugement n° 6455 du 20 mai 2011 et cour de cassation, arrêt n°
68029 du 8 mars 2012 ;Tribunal de première instance de Tunis, jugement n° 60243 du 8 novembre 2016,
inédit, et n° 33321 du 5 janvier 2016, inédit dans lequel il a été rappelé que la bonne organisation de la
justice et la garantie de ne pas avoir des décisions contradictoires nécessitent une coopération entre les
différents systèmes, lorsque deux juridictions de deux Etas ont été saisis sur le même litige ; voir aussi,
arrêt de la cour de cassation n° 58593 du 9 mai 2018, inédit.
soumise au même régime qui régit les exceptions de procédure
d’intérêt privé avec toutes les conséquences qui en découlent.
Pourtant, en pratique l’exception d’incompétence internationale
des juridictions tunisiennes n’a pas échappé pas à la controverse.
Elle a constitué un terrain propice à la discussion. Celle-ci porte
sur trois principales questions : qui soulève l’exception d’une
part ; à quel moment doit-elle être soulevée d’autre part et enfin
qu’elle serait sa valeur en cas où la compétence est fondée sur la
nécessité ?

1- L’exception d’incompétence entre les parties et le juge


Il est utile de rappeler que l’exception d’incompétence
internationale ne se pose que lorsque la compétence en question
est une compétence ordinaire. Cela se justifie aisément par le fait
que lorsqu’il s’agit d’une compétence exclusive des juridictions
tunisiennes en application de l’article 8 du code de DIP 54,
l’exception d’incompétence ne joue plus ; il est tout à fait logique
d’affirmer que la compétence exclusive neutralise toute
exception d’incompétence.

En pratique, le régime de l’exception d’incompétence est rattaché


entièrement à la qualification de la compétence internationale. La
position dominante de la jurisprudence est pour la qualification
de la compétence internationale comme une compétence
territoriale. Pour la cour de cassation55, du fait que la compétence
soit fondée sur le critère de résidence, rend compte du
rapprochement avec les règles qui régissent la compétence
territoriale avec tous les effets qui en découlent. Il s’agit
notamment de la non communication au ministère public

54
- Sur le commentaire de l’article 8, N. Gara, La compétence internationale exclusive des juridictions
tunisiennes (approche critique de l’article 8 du code de droit international privé), in, La passion du droit,
Mélanges en l’honneur du Professeur Mohamed Larbi Hachem, Faculté de droit et des sciences politiques
de Tunis, 2006, p. 330.
55
- Arrêt n° 68029 du 8 mars 2012, inédit. ; arrêt n° 58593 du 9 mai 2018, inédit.
conformément à l’article 251 du Code de procédure civile et
commerciale56 mais essentiellement de l’effet relatif à la
limitation du droit à soulever l’exception seulement aux parties.
Ce qui fait qu’il n’appartient pas au juge de soulever d’office son
incompétence. Cette exclusion n’est pas pour autant générale. En
fait, dans certains cas, en dépit de la qualification de la
compétence internationale comme une compétence territoriale,
la possibilité pour le juge de soulever d’office son incompétence
n’est pas discutable. Il en est ainsi par exemple lorsque le juge
tunisien est saisi pour connaitre d’une action ayant pour objet un
droit réel relatif à un immeuble situé à l’étranger. L’article 4 du
CDIP neutralise à cet effet tout accord des parties pour fonder la
compétence internationale des tribunaux tunisiens57. La solution
s’impose d’elle-même car elle sert à donner à l’article 4 son plein
effet. Si non, il perd toute utilité. La même solution peut couvrir
aussi d’autres situations où la compétence du juge tunisien
s’avère artificielle en l’absence d’un lien de proximité raisonnable,
où aussi lorsqu’une compétence exclusive d’une juridiction
étrangère est mise en cause. C’est l’exemple de tous les cas de
compétence exclusive prévus par l’article 8 du CDIP appliqués au
sens inverse. C’est le cas notamment d’une action portant sur le
redressement ou la faillite d’une société ayant son siège social à
l’étranger ou la demande d’une mesure conservatoire ou
d’exécution sur un bien situé à l’étranger. Dans ces cas, le respect
d’une souveraineté judiciaire impose au juge tunisien saisi de
soulever d’office son incompétence. C’est le cas aussi lorsque le
juge est saisi pour se prononcer sur l’annulation d’un procès-
verbal d’une assemblée générale d’une société ayant son siège à
l’étranger, ou aussi, pour se prononcer sur l’annulation d’une
inscription dans un registre public étranger. Les exemples
peuvent se multiplier. Ils intéressent tous les cas où une

56
- Cour de cassation, arrêt n° 58593 du 9 mai 2018, inédit.
57
- Cour de cassation, arrêt n° 2830 du 7 décembre 2006, Bulletin de la cour de cassation 2006, p. 283.
‫إن اعتبار االختصاص الدولي للمحاكم التونسية اختصاصا ترابيا ال يحول دون أن تثير المحكمة من تلقاء نفسها عدم‬
‫اختصاصها بالنظر في النزاع في صورة تعلق موضوعه بحق عيني على عقار كائن خارج البالد التونسية عمال بأحكام‬
.‫ من مجلة القانون الدولي الخاص‬4 ‫الفصل‬
souveraineté étrangère est prise en contact. D’ailleurs, le
législateur a prévu expressément le cas pour l’immunité de
juridiction de l’Etat étranger. L’article 22 impose au juge de
donner effet à cette immunité même à défaut de comparution de
l’Etat étranger.

A cette question s’ajoute une autre plus spéciale qui consiste à


savoir s’il appartient au juge de soulever d’office son
incompétence dans le cas où le défendeur qui réside à l’étranger
ne se présente pas devant les tribunaux tunisiens saisis. Cette
question a donné lieu à une controverse. La jurisprudence n’est
pas constante. Deux solutions diamétralement opposée
coexistent ensemble. La première, qui nous parait plus
défendable, repose sur l’idée simple, que s’agissant de cas de
compétence ordinaire et donc d’intérêt privé des parties,
l’exception d’incompétence doit échapper inéluctablement à la
maitrise du juge. Celui-ci n’est pas en mesure de soulever d’office
son incompétence si le défendeur ne se présente pas. A l’opposé,
une deuxième solution qui parait être dominante, est celle des
tribunaux de première instance qui, à partir des dispositions de
l’article 4 du CDIP relatives au cas de compétence internationale
sur la base de l’acceptation du défendeur résident à l’étranger
d’être jugé par les tribunaux tunisiens, arrivent à justifier le
pouvoir du juge de soulever d’office son incompétence dans le cas
où le défendeur ne se présente pas. Pour cette jurisprudence, la
non comparution du défendeur ne présume pas son acceptation
de la compétence des tribunaux tunisiens ; l’acceptation doit se
déduire d’un acte positif qui se traduit par une clause expresse de
compétence ou par la réponse au fond de la demande. Dans un
attendu devenu de style, la plupart des jugements rendus sur la
question reprennent le principe traditionnel « qui ne dit mot ne
consent »58. Cette solution est excessive et risque de nuire

58
- ‫حيث ال ينسب لساكت قول إال بفعل يدل أن سكوته كالقول وبالتالي ال يمكن أن يستشف من عدم حضور المطلوب أنه قد قبل بأن تنظر المحاكم‬
.‫التونسية في الدعوى المرفوعة ضده‬
sérieusement à la politique législative qui imprègne le code de
DIP. Caractérisé par la dissociation entre les cas de compétence
internationale ordinaire de ceux de nature exclusive, le code a
choisi un régime dualiste des règles de compétence. Seules celles
qualifiées d’ordre public peuvent être soulevées d’office par le
juge. C’est en ce sens que s’est prononcée d’ailleurs la cour
d’appel de Tunis59. Dans une série d’arrêts, elle a clairement
soutenu le caractère supplétif des cas de compétence ordinaire et
particulièrement le cas de compétence fondé sur la volonté du
défendeur en application de l’article 4 du CDIP. Pour elle, « il
ressort de l’article 4 qui permet aux parties de convenir sur la
compétence des tribunaux tunisiens pour connaitre du litige, que
ladite compétence ne concerne que leur intérêt privé ; il
appartient donc à la partie défenderesse de la soulever avant
tout débat au fond. Il s’ensuit qu’il n’appartient pas au juge de
soulever d’office son incompétence lorsque la partie
défenderesse a été actionnée légalement et a été mise en
mesure de se défendre ». Cette solution nous parait plus justifiée
surtout lorsque l’exception d’incompétence est confrontée aux
dispositions de l’article 10 du CDIP.

2- La condition de l’accueil de l’exception d’incompétence


L’article 10 du CDIP dispose que L’exception d’incompétence des
juridictions tunisiennes doit être soulevée avant tout débat au
fond. Le texte appelle deux observations :

-D’abord, malgré sa place dans le code qui peut laisser croire qu’il
couvre aussi bien les cas de compétence possible que ceux de
nature exclusive, il est permis de soutenir à forte raison que

Voir dans ce sens, tribunal de première instance de Tunis, jugement n° 4901 du 6 juin 2017 et n° 98279 du
13 octobre 2015 et n° 93795 du 13 janvier 2015 et n° 98014 du 31 mars 2015 et n° 93363 du 3 février 2015
et n° 96383 du 19 mai 2015 et n° 97889 du 14 juillet 2015 (jugements inédits) ; tribunal de première instance
de Ben Arous, jugement n° 40968 du 19 juin 2015 et n° 30762 du 23 janvier 2015et n° 41954 du 24 avril
2015 (jugements inédits).
59
- Arrêt n° 83315 du 10 février 2016 et arrêt n° 74775 du 24 février 2016, inédits
l’article 10 ne s’adresse qu’aux situations où la compétence
contestée n’est qu’une compétence ordinaire qui ne concerne
que l’intérêt privé des parties. C’est l’exemple d’une action dirigée
contre un défendeur résident à l’étranger. En revanche, si l’action
introduite devant le juge tunisien peut contourner une
compétence exclusive d’une juridiction étrangère, il devient
possible de soulever tardivement une exception d’incompétence.
C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit d’une action introduite
devant les tribunaux tunisiens ayant pour objet un droit réel
relatif à un immeuble situé à l’étranger.

-Ensuite, quand est-ce qu’il est permis de dire qu’il y a réponse au


fond pour rejeter une exception d’incompétence des tribunaux
tunisiens ? A priori, le fond renvoie à la défense d’une prétention
par l’éclairage de ses arguments. Tout argument qui sert à
combattre cette prétention constitue donc une réponse au fond.
C’est en ce sens que s’est prononcée la cour de cassation dans l’un
de ses arrêts60. C’est l’exemple pour le défendeur de contester
devant les tribunaux tunisiens saisis, les conditions de la
responsabilité pour mauvaise exécution d’un contrat à l’étranger
malgré le défaut d’un chef de compétence. Ou aussi le fait de
contester les causes d’un licenciement en rapport à un contrat de
travail exécuté à l’étranger. C’est le cas posé d’ailleurs dans
l’affaire jugée par la cour de cassation dans son arrêt du 12 juin
201561. Il s’agit en l’espèce d’une action introduite devant les
juridictions tunisiennes contre une société canadienne ayant
son siège en Libye à propos d’un contrat de travail devant être
exécuté en Libye. La défenderesse s’est présentée devant le juge
tunisien et défendu le caractère abstrait de la demande en raison
de l’absence de toute preuve sur l’existence d’une relation de
travail. Plus tard, suite à l’établissement de cette preuve, la

60
- arrêt n° 21728 du 12 juin 2015, inédit
‫الخوض في األصل يقتضي مناقشة الدعوى من حيث موضوعها وتفحص الدفوعات المثارة في شأنها والرد عليها إلى أن‬
.‫تصبح القضية جاهزة للفصل‬
61
- arrêt précité
défenderesse a soulevé l’exception d’incompétence
internationale des tribunaux tunisiens en faisant jouer l’article 5
du CDIP. Cette exception fut rejetée par les juges de fond en
raison de son caractère tardif. Cette position a été censurée par
la cour de cassation qui a décidé que l’argument tiré du caractère
abstrait de l’action ne constitue nullement une réponse au fond.
Il s’agit là d’une question d’appréciation en raison de l’absence de
critères indiscutables sur la base desquels on arrive avec certitude
à l’identification d’une réponse au fond.
La question s’est posée aussi à propos de la séance de
réconciliation en cas d’une demande de divorce. Le fait de
s’opposer au divorce a été considéré comme une réponse au fond
qui prive la défenderesse de soulever plus tard l’incompétence
internationale des juridictions tunisiennes.62 La solution n’est pas
évidente ; la séance de réconciliation ne préjuge pas le fond. Son
objet diffère complètement de la demande au fond. En revanche,
le fait de nier les faits justifiant la demande de divorce pour
dommage, doit être considéré comme renonciation à soulever
plus tard l’exception d’incompétence internationale des
tribunaux tunisiens63. Il a été jugé aussi que le fait de contester la
compétence territoriale d’un tribunal vaut renonciation à
soulever plus tard l’incompétence internationale64. Cette
manière de voir est critiquable car, outre qu’elle confond entre
compétence spéciale et compétence internationale, elle ramène
à tort une exception de procédure sur la compétence territoriale
à une réponse au fond qui prive la défenderesse de contester plus
tard la compétence internationale des juridictions tunisiennes.
Bref, il s’agit d’une présomption artificielle que rien ne justifie.

62
- Tribunal de première instance de Tunis, jugement n° 4913 du 30 mai 2017, inédit : Cour de Cassation,
arrêt n° 3181 du 22 octobre 2010, inédit.
63
- Dans ce sens, cour de cassation, arrêt du 8 mars 2012.
‫إلخ‬... ‫حيث ال شك أن الطاعن الذي خاض منذ أول وهلة في أصل النزاع نافيا األفعال التي تنسبها إليه المعقب ضدها والصور التي استندت عليها‬
64
- Cour d’appel de Gabes jugement n° 1761 du 6 avril 2007, inédit, cité par L. Chedly et M. Ghazouani,
in « Code de droit international privé », CEJJ, Tunis 2008, p. 117.
3- Autorité de l’exception d’incompétence
L’exception d’incompétence internationale des tribunaux
tunisiens justifiée par l’absence d’un chef de compétence n’est
pas toujours acceptée. Elle perd son autorité en cas de nécessité.

Le for de nécessité est l’œuvre de la jurisprudence. Constante, depuis


le jugement rendu par le tribunal de première instance de Manouba65,
cette jurisprudence prône l’idée que l’exception d’incompétence
internationale des tribunaux tunisiens, ne doit être retenue lorsque
c’est la nécessité qui fonde cette compétence en dehors des cas de
compétence internationale prévus par le CDIP. Dans son arrêt du 21
mai 2009, la cour de cassation a tracé le cadre juridique du for de
nécessité. Pour elle le rejet de l’exception d’incompétence doit
s’articuler autour de l’idée de justice. Forcer donc la compétence sert
essentiellement à éviter le déni de justice. En fait, il s’agissait en
l’espèce d’une demande de divorce introduite par une femme
tunisienne de son mari égyptien résident en Egypte. Malgré
l’incompétence manifeste des juridictions tunisiennes pour connaitre
de l’action en application des articles 3 et 4 du CDIP, le divorce a été
prononcé. La compétence a été admise d’une manière exceptionnelle
sinon il devient impossible à la demanderesse de divorcer devant les
juridictions égyptiennes en toute liberté en raisons des restrictions du
droit égyptien66.
Il est bien clair donc que la nécessité écarte l’exception
d’incompétence et lui fait perdre toute autorité.

Paragraphe 3 : Les exceptions de litispendance internationale et de


connexité

‫ محكمة الضرورة ) تعليق على الحكم الصادر‬:‫ نحو إرساء معيار جديد لالختصاص الدولي للمحاكم التونسية‬،‫ سامي بسطانجي‬- 65

‫ كلية‬،‫ مجموعة دراسات مهداة إلى األستاذ محمد العربي هاشم‬،‫ الشغف بالقانون‬، (2014 ‫ جانفي‬13 ‫عن المحكمة االبتدائية بتونس بتاريخ‬
.214 .‫ ص‬،2006 ‫الحقوق والعلوم السياسية بتونس‬

66
-A. Laabidi , Vers l’émergence d’un nouveau fondement du for de nécessité :
l’impossibilité juridique ,in, Lectures d’œuvres prétoriennes I, CPU 2018, p.97 et s.
a) L’exception de la litispendance internationale
La litispendance internationale suppose que deux juridictions de deux
Etats différents soient saisis pour se prononcer sur un litige entre les
mêmes parties, le même objet et la même cause. Elle suppose aussi
que les deux juridictions saisis sont l’une et l’autre compétentes. Si ces
conditions sont réunies, la litispendance donne lieu au désistement de
la deuxième juridiction saisie au profit de celle saisie en premier lieu.
Sur cette exception de procédure, le recours au code n’est d’aucun
secours. Celui-ci se caractérise par son mutisme. En revanche, Le
recours à la jurisprudence permet de dégager quelques idées en
rapport direct avec le principe même de l’admission de l’exception de
litispendance (1) ainsi que les conditions de sa mise en œuvre (2).

1) Le principe de l’admission de l’exception de la litispendance internationale


Contrairement à la position de la doctrine dominante67 qui ne voit pas
de restriction légale au rejet de l’exception de litispendance, la
jurisprudence a évolué dans le sens plutôt positive ; actuellement il
semble qu’elle a mis fin à la question de savoir si l’exception de
litispendance internationale s’impose ou non au juge.
Sur cette question il est utile de rappeler l’évolution de la
jurisprudence.
• Dans les premières années de l’indépendance, la jurisprudence68 n’a trouvé
aucune difficulté pour rejeter le principe même de l’admission de
l’exception de la litispendance internationale, et de se dessaisir au profit
d’une juridiction étrangère saisie en premier lieu.

67
- internationale Ali Mezgheni, Commentaire du code de droit international privé, p.
Lotfi Chedli et Malek Ghazouani, Commentaire du code de DIP, p. 166 (en arabe).
68
- tribunal de Tunis, jugements en date du 25 février 1959 et 5 février 1960, RTD 1962, p 81,
note Verdier ; Cour d’appel de Tunis 6 juillet 1976, RTD 1978, p. 71, note Ali Mezghani ; Cour
d’appel de Tunis 12 juillet 1974, RJL 1974, 728 Cour d’appel de Sfax, jugement n° 4892 e date du
26 Juillet 1979, inédit, cité in, L Chedly et M. Ghazouani, Commentaire du code de DIP, p. 108).
• A partir des années 90, la jurisprudence a pu changer de position. La lecture
d’un nombre de décisions en croissance continue, permet indiscutablement
d’affirmer que cette jurisprudence s’oriente actuellement vers l’admission
du principe de l’exception de litispendance internationale. Certes, l’absence
d’une jurisprudence de principe issue de la Cour de Cassation ne permet
pas de se prononcer définitivement sur la question, mais en raison de
l’absence d’une hostilité déclarée à l’égard de l’exception de litispendance,
il est permis d’affirmer que la jurisprudence actuelle ne trouve aucune
restriction à son un accueil favorable de l’exception. En fait, confronté à des
exceptions de litispendance internationale, le juge a refusé de se dessaisir
au profit d’une juridiction étrangère saisie en premier lieu, non pas en
raison d’un principe de rejet de l’exception, mais parce que les conditions
de son accueil ne sont pas réunies. C’est le cas par exemple du rejet de
l’exception de litispendance internationale en raison du fait que le
défendeur qui l’a soulevée n’ait pas pu prouver la condition de la saisine
effective du for étranger appelé à régler le même litige69 C’est l’exemple
aussi lorsque la condition de l’identité de l’objet n’est pas vérifiée. Tel le cas
d’une procédure de séparation de corps à l’étranger et d’une procédure de
divorce devant le juge tunisien70.

Le rejet de l’exception de litispendance n’est donc que conjoncturel, ce qui


suppose d’une manière évidente, que le principe de l’admission est
incontournable. Cette conclusion peut se justifier encore par la tendance
récente de certains juges de fond qui n’hésitent pas à accueillir l’exception
de litispendance internationale en faisant appel au principe collaboration
internationale et à la bonne organisation de la justice71.

2) Les conditions de l’admission de l’exception de litispendance


internationale

69
-jugement du tribunal de 1ère instance de Tunis du 26 juin 1999, RTD 2000, p. 403, note
Souhayma Ben Achour.
70
-Tribunal de 1ère instance de Monastir, n° 21193, du 11 juin 2010, Cour d’appel de Monastir,
n° 6455 du 20 mai 2011 et Cour de Cassation n° 68029 du 8 mars 2012, inédits.
71
- Tribunal de première instance de Tunis n° 33321 du 5 janvier 2016 et tribunal de 1ère instance
de Tunis n° 60243 du 8 novembre 2016, inédits.
L’admission de l’exception de litispendance internationale suppose la
réunion de deux conditions ; l’identité des parties, de la cause et de l’objet
du litige d’une part et la saisine réelle et effective du for étranger d’autre
part.

2-1) L’identité des parties, de la cause et de l’objet du litige

Dans la jurisprudence de certains systèmes de droit comparé, à l’instar de


la jurisprudence française, la condition de l’identité des parties, de la cause
et de l’objet du litige s’impose d’elle-même. En effet, l’absence de cette
condition rend le dessaisissement d’un juge au profit d’un autre sans raison
d’être. Réellement, on n’est plus en présence d’un même litige. Donc, le
risque qu’il soit appréhendé de deux manières différentes par deux juges
différents n’est plus possible. En conséquence, le souci de coopération
internationale et la garantie d’une bonne administration de la justice, dans
lequel le principe de l’admission de l’exception de litispendance
internationale trouve son plein fondement, ne se justifie plus.

Dans la jurisprudence tunisienne, certains jugements et arrêts de la Cour de


cassation s’alignent sur cette voie. A titre d’exemple, à l’occasion d’une
action en divorce, le juge a refusé de se dessaisir au profit d’un for étranger
saisi en premier lui, en raison du fait, qu’il a été saisi d’une demande de
séparation de corps, ce qui fait que l’objet du litige entre les parties n’est pas
le même72.

2-2 La condition de la saisine réelle et effective du for étranger

Cette condition signifie que le juge étranger saisi en premier lieu ait déjà
entrepris des démarches sérieuses pour le règlement du litige. C’est le cas
par exemple lorsqu’il il prend des mesures d’urgence dans le cadre d’une
affaire de divorce. Ce qui fait qu’une simple signification d’un acte
introductif d’instance, voire même l’enrôlement de l’action au greffe d’un

72
- Tribunal de 1ère instance de Monastir, n° 21193, du 11 juin 2010, Cour d’appel de Monastir,
n° 6455 du 20 mai 2011 et Cour de Cassation n° 68029 du 8 mars 2012, inédits.
tribunal étranger ne suffit pour justifier la mise en jeu de l’exception de
litispendance internationale. Cette saisine n’est que formelle. De surcroit,
elle peut être voulue d’avance dans le seul souci de bloquer une autre
procédure devant un juge étranger. Il ne peut s’agir dans ce cas que d’une
saisine artificielle, voire même frauduleuse incapable de justifier le
dessaisissement suite à une exception de litispendance internationale.

b) L’exception de connexité
L’article 7 du code de DIP retient la connexité comme chef de
compétence ordinaire des juridictions tunisiennes. En revanche, pour
la connexité au sens inverse, c’est-à-dire qui sert au retrait de la
compétence du juge tunisien au profit d’un fort étranger saisi d’une
action principale, le code de DIP ne prévoit aucune solution. Qu’en est-
il donc si une exception de dessaisissement du juge tunisien serait
soulevée sur la base de la connexité ? Sur cette question la
jurisprudence publiée est absente. A notre sens, il n’existe aucune
raison qui peut justifier le rejet de la connexité lorsque celle-ci joue non
pas pour justifier la compétence du juge tunisien, mais pour fonder
celle d’un for étranger ; il n’est que de bonne justice et de coopération
internationale de s’y soumette.

Il est important de souligner enfin que, dans certaines situations, les


questions de procédures liées à la compétence internationale des
juridictions tunisiennes peuvent être entourées de difficultés très
sérieuses.
Un exemple très significatif d’une jurisprudence non publiée peut être
cité à cet effet. Il s’agit d’une affaire qui a mis six années de combat
judiciaire impliquant d’énormes divergences de solutions entre les
juges de fond mais aussi entre les chambres de la Cour de Cassation.
En l’espèce, il s’agissait d’une opération de financement de
commerce international par le biais d’un crédit documentaire
confirmé et irrévocable ouvert par une banque libyenne au profit
d’une société étrangère. Celle-ci, arguant du fait qu’elle n’a pas été
payée du reste dû, a présenté devant le juge tunisien, saisi en référé,
une demande afin d’ordonner une saisie arrêt sur les biens de la
banque libyenne se trouvant en Tunisie. Le 24 juin 2013 le tribunal de
1ère instance de Tunis rend le jugement n° 24345 ordonnant la saisie
demandée. Il s’est basé sur l’article 8 du Code de DIP qui attribue
compétence exclusive aux juridictions tunisiennes lorsque l’action
porte sur une mesure conservatoire ou d’exécution sur des biens se
trouvant en Tunisie. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel
de Tunis dans son jugement n° 55175 rendu le 14 janvier 2014. Suite à
ces jugements, la société bénéficiaire du crédit documentaire a
pratiqué la saisie arrêt entre les mains des tiers et agit devant le
tribunal de 1ère instance de Tunis pour sa validation sur la forme et sur
le fond. Par jugement rendu le 5 janvier 2016, le tribunal a accepté la
demande de validation sur la forme ainsi que sur le fond et a
condamné la banque libyenne au paiement de la créance du saisissant
et ordonné au tiers saisi de payer directement le saisissant à
concurrence du montant de la saisie. Ce jugement a fait l’objet d’appel
interjeté par la banque libyenne. Celle-ci a fondé son recours sur
l’argument de l’incompétence internationale des juridictions
tunisiennes pour connaitre du fond du litige en raison du fait qu’il a
été déjà tranché par un tribunal libyen. La cour d’appel a accepté le
recours et rendu une décision d’infirmation du jugement de 1er degré.
Ce jugement fut sanctionné par la Cour de Cassation. Dans son arrêt
du 25 janvier 2018 rendu sous n° 55462/45589, la haute Cour s’est
fondée sur l’article 335 du Code de Procédure civile et commerciale
pour justifier la compétence du juge de la saisie aussi bien sur la forme
que sur le fond. Pour elle, l’article 335 ne permet pas la dissociation.
Saisie sur renvoi, la cour d’appel de Tunis a campé sur sa position. Dans
son jugement n° 23686 du 5 février 2019, elle décide de rejeter la
demande du saisissant et ordonner main- levée de la saisie. Sa décision
fut attaquée une seconde fois devant la Cour de Cassation. Par un
arrêt rendu le 24 juin 2019, la juridiction de droit a décidé de rejeter le
pourvoi sur le fond et de mettre fin ainsi à une question de procédure
plus que troublante. Celle-ci se résume en ces termes : dans quelle
mesure le juge tunisien peut se déclarer compétent pour ordonner
une saisie arrêt sur des biens situés en Tunisie et de procéder à sa
validation sur la forme mais aussi sur le fond, alors qu’aucun chef de
compétence ne peut servir sa compétence en application du Code de
DIP, et alors même que sur le fond, la question ait été déjà tranché par
un for étranger ? La divergence des solutions adoptées par les diverses
juridictions permet d’affirmer avec certitude que les exceptions de
procédure prises en rapport avec la compétence internationale
laissent encore à désirer.

Chapitre 2 : Les immunités juridictionnelle et d’exécution


Le code de DIP a fixé d’une manière détaillée les deux immunités
accordées à l’Etat étranger et ses démembrements. L’immunité de
juridiction d’une part (1ère section) et l’immunité d’exécution d’autre
part (2ème section).

Section 1 : L’immunité de juridiction


Il s’agit d’un privilège accordé à l’Etat étranger. Il signifie que cet Etat
ainsi que ses entités bénéficient d’une immunité à l’égard de toute
action introduite contre eux devant les juridictions tunisiennes. Ce
privilège justifié par l’idée de souveraineté, n’est pas pour autant
absolu ; il est soumis à des condition préalables (paragraphe 1) et
entouré d’une étendue (paragraphe 2) et une autorité relative
(paragraphe 3).

Paragraphe 1 : Les conditions préalables


L’article 19 du code de DIP dispose que l’immunité de juridiction est,
sous réserve de réciprocité (A), reconnue pour l’Etat étranger ainsi que
les personnes morales de droit public (B).

A- La condition de réciprocité
La condition signifie que le bénéfice de l’immunité de juridiction par
l’Etat étranger devant les tribunaux tunisiens reste tributaire du
bénéfice de l’Etat tunisien de l’immunité de juridiction devant les
tribunaux de cet Etat étranger.
Il s’agit là d’une condition tout à fait évidente en raison de son attache
au principe de souveraineté de l’Etat. Or, selon une frange de la
doctrine73 , la condition de réciprocité ne doit échapper à la critique.
On voit en elle une condition excessive de nature à heurter les
exigences des relations privées internationales.
Dans la pratique, et dépendamment de son bien-fondé, la mise en
œuvre de la condition de réciprocité constitue toujours une réelle
source de difficultés quant à sa preuve ; qui la prouve et comment la
prouver ?. En plus, le juge doit-il la soulever d’office ? la réponse ne
fait pas l’unanimité. Pour certains74, en raison de son caractère d’ordre
public, la condition de réciprocité s’impose au juge qui est tenu de
l’évoquer d’office. Cette manière de voir est indifférenciée. Elle ne
distingue pas entre la nature de la condition et sa preuve. Si, on est
d’accord sur le caractère d’ordre public de la réciprocité, ne doit pas
impliquer que le juge est tenu de rapporter la preuve de son respect
par l’Etat étranger. Cette preuve résulte plutôt du pouvoir exécutif,
seul compétent pour apprécier le comportement des Etas étrangers. Il
est de bonne règle donc, que le juge saisi communique le dossier au
ministère public pour toute investigation75.
B- Les bénéficiaires de l’immunité de juridiction
L’article 19 cite l’Etat et la personne morale de droit public. Pour l’Etat,
l’identification n’est source d’aucune difficulté. La seule condition est
qu’il soit sujet de droit international public et donc souverain. En
revanche, pour la personne morale de droit public, l’identification est
complexe. Elle suppose pour le juge tunisien une connaissance et
même une parfaite maitrise du droit public étranger pour décider de
la qualité du sujet bénéficiaire ou non de l’immunité de juridiction. De
surcroit, l’identification préalable des personnes bénéficiaires, n’est
pas suffisante pour les faire bénéficier de l’immunité. Il faut qu’elles
agissent dans le cadre d’un régime précis.

73
- Sami Bostangi, La notion de réciprocité dans les relations privées internationales (réflexions à la lumière du
nouveau code de droit international privé) in, Le code de droit international privé, deux ans après, p. 69.
74
- Mabrouk Ben Moussa, Commentaires du code de DIP, op. cit, p.204.
75
- En ce sens, Radhia Ben Salah, L’immunité de juridiction et d’exécution dans le code de DIP, in, Le code de
droit international privé, actes du colloque du 12 mars 1999, ed. CEJJ, 2000, p. 153 et sp., p. 170.(en arabe).
Paragraphe 2 : L’étendue de l’immunité de juridiction
La principale question qui se pose est de savoir dans quel cadre les
bénéficiaires potentiels de l’immunité de juridiction doivent agir pour
pouvoir bénéficier de l’immunité ? La réponse provient de la
combinaison des articles 19 et 20 du code de DIP. Il ne suffit pas que
la qualité soit prouvée, il faut aussi que l’agissement rentre dans les
contours du régime de l’immunité en question. En général, selon
l’article 19, l’acte des personnes visées doit être fait dans le cadre de
la souveraineté. Ce qui implique nécessairement que cet acte est
d’autorité (acte jure imperi) contrairement à l’acte de gestion (jure
gestioni) qui échappe à l’immunité de juridiction. L’article 20 dispose
à cet effet qu’ « il n’y a pas lieu à immunité de juridiction lorsque
l’activité en cause est une activité commerciale ou se rapportant à
des services à caractère civil, et qu’elles a eu lieu en territoire tunisien
ou y a produit des effets directs »
Il ressort des articles précités que le bénéfice de l’immunité dépend de
la nature de l’acte en question. Si le bénéficiaire potentiel de
l’immunité agit comme toute personne privée l’aurait fait, il ne peut
réclamer le bénéfice de l’immunité. Tel le cas par exemple lorsqu’une
représentation diplomatique accréditée en Tunisie conclut des
contrats de travail pour embaucher le personnel. Les litiges nés de
l’exécution de ces contrats n’échappent pas à la compétence des
tribunaux tunisiens. Il s’agit là de simples actes privés qui ne rentrent
pas dans les prévisions de l’immunité de juridiction ( affaire Rafrafi et
autres).
En général, on distingue entre les actes faits par l’Etat commerçant,
industriel ou investisseur, de ceux faits par l’Etat souverain. La double
fonction de l’Etat a fait naitre une dualité d’actes. Seuls les actes de
puissance publique sont couverts par l’immunité de juridiction.
On note cependant, que la distinction entre acte d’autorité et acte de
gestion n’est pas toujours facile à établir. Pour certains actes, il serait
difficile de procéder à une seule qualification qui peut faire
l’unanimité. Toute qualification catégorique est vouée à l’échec. C’est
l’exemple d’un contrat vente de denrée alimentaire conclu par l’Etat
en période de pénurie. Du côté de l’Etat acheteur, l’acte peut être
qualifié d’autorité car il tend à satisfaire un intérêt public. En revanche,
du côté du vendeur, le même acte peut être qualifié de gestion car les
denrées achetées sont destinées à être revendues sur le marché.
La difficulté de qualification a forcé la doctrine à faire appel à des
critères préétablis. Généralement on a avancé deux
critères essentiels:
• Le critère formaliste est celui qui permet l’identification de la nature
de l’acte fait par l’Etat en fonction de la forme dans laquelle il
intervient. Plus précisément, si l’Etat passe un acte dans les formes de
droit privé, il y a lieu de le considérer comme étant un acte de gestion.
En revanche, si l’acte est passé dans les formes de droit public,
comme c’est le cas lorsqu’il comporte des clauses exorbitantes de
droit commun, on doit considérer qu’il s’agit d’un acte d’autorité.

• Le critère finaliste permet l’identification de la nature de l’acte fait


par l’Etat en fonction du but poursuivi. S’il est établi que l’acte est
accompli afin de satisfaire un service public, il tombe sous le coup
d’acte d’autorité couvert par l’immunité de juridiction.

A vrai dire, bien que la distinction entre les deux critères soit claire,
dans pratique leur confusion est courante. Un exemple tiré de la
jurisprudence française classiquement cité par la doctrine illustre bien
ce constat. Il s’agit de l’affaire HOTEL GEORGES V c. L’ETAT
ESPAGNOL76. Les faits de l’espèce concernent la conclusion d’un
contrat de location consenti par la société Hôtel George V à la
direction générale de tourisme d’Espagne représentée par le consul
général d’Espagne en France pour être exploité comme agence de
voyage. Suite au refus de renouvellement du bail, le différend a été
porté devant juridictions françaises devant lesquelles l’Etat espagnol
a soulevé son immunité de juridiction. Dans son arrêt du 25 février
1971, la cour d’Appel de Paris a accueilli favorablement l’exception.
Cette décision a été sanctionnée par la Cour de Cassation au motif
que « L’immunité de juridiction de ne peut être reconnue à un Etat
étranger lorsque celui-ci, ayant contracté selon les règles de forme
et de fond du droit privé, n’a pas, lors de la signature du contrat
donnant lieu au litige, fait acte de puissance publique, ni agit dans

76
- Cass. Civ, arrêt du 17 janvier 1973, JCP 17394.
l’intérêt d’un service public, mais s’est au contraire comporté comme
toute personne privée l’aurait fait ».

Il est important de remarquer enfin que pour donner effet à


l’immunité de juridiction, l’article 20 du code de DIP exige que
l’activité concernée ait eu lieu sur le territoire tunisien ou y a produit
des effets directs. Réellement le législateur exige en quelque sorte
une certaine proximité de l’activité au territoire tunisien soit par le
lieu soit par son effet. Cette limitation géographique du jeu de
l’immunité n’est pas compréhensible lorsque l’activité en question
s’attache à une souveraineté étrangère77.

Paragraphe 3 : Questions de procédure


Sur le plan de la procédure l’effet de l’immunité de juridiction au
regard de la compétence des tribunaux tunisiens se manifeste sur
deux plans : d’abord, lorsque ses conditions sont réunies, l’immunité
de juridiction emporte effet sur l’investiture du juge (A) ; ensuite, en
raison de la possibilité de renonciation à cette immunité, la
compétence des juridictions tunisiennes reprendra sa pleine
justification (B).

A) Effet procédural de l’immunité de juridiction sur l’investiture du


juge
L’article 22 du code de DIP impose aux tribunaux tunisiens de donner
effet à l’immunité de juridiction même à défaut de de comparution
de l’Etat étranger ou des personnes morales visées à l’article 19 du
code.
Le texte appelle deux observations :
• D’abord, à l’égard du juge tunisien, il est bien clair que l’effet de
l’immunité est d’ordre public. Il s’impose même en cas de non
comparution de l’Etat étranger.

77
- sur cette question, Lotfi Chedly et Malek Ghazouani, Commentaire du code de DIP, op. cit, p.
351)
• Ensuite, il est important de remarquer que l’article 19 ne précise rien
sur la nature de la décision que peut prendre le juge tenu de donner
effet à l’immunité de juridiction de l’Etat étranger. Doit-il se déclarer
incompétent, se dessaisir ou encore rendre une décision de fin de
non- recevoir? On estime qu’en raison de l’absence en droit judiciaire
tunisien de la notion d’irrecevabilité, et l’incompatibilité de la notion
de compétence avec l’immunité de juridiction, seule la décision de
dessaisissement reste prévisible en raison de l’aspect particulier de
cette immunité.

B) La compétence des tribunaux tunisiens suite à la renonciation à


l’immunité de juridiction
A l’opposé de l’article 22, l’article 21 du code de DIP prévoit une
situation inverse dans laquelle, c’est plutôt la compétence des
juridictions tunisiennes qui est mise en jeu. Cette situation concerne
le cas où l’Etat étranger ainsi que les personnes morales visées à
l’article 19 du code « acceptent de manière expresse de se soumettre
à la compétence des tribunaux tunisiens ».
L’acceptation expresse de la compétence des juridictions tunisiennes
par l’Etat étranger vaut renonciation au bénéfice de son immunité de
juridiction, et place désormais la question sur le plan de la
compétence fondée sur la volonté du défendeur. En fait par sa
renonciation à l’immunité, l’Etat étranger perd sa qualité et devient
un simple justiciable. La compétence des tribunaux tunisiens devient
par conséquent ordinaire. On rejoint ainsi le chef de compétence
prévu par l’article 4 du code de DIP à la seule différence que l’article
21 ne donne effet qu’à la volonté expresse. Dans la pratique, cette
volonté ne peut résulter que d’une clause attributive de juridictions
ou d’une déclaration unilatérale faite par l’Etat étranger. L’exigence
du caractère expresse de l’acceptation de la compétence des
tribunaux tunisiens élimine donc toute présomption d’acceptation.
Ce qui fait, que même si l’Etat étranger, actionné devant le juge
tunisien, se présente et se défend sans qu’il ne soulève son immunité
de juridiction, il n’est pas censé avoir renoncé à s’en prévaloir
ultérieurement. Comme on l’a déjà affirmé, L’immunité de juridiction
est d’ordre public. Elle peut être soulevée à toutes les étapes de la
procédure.
On note cependant que la rigueur de l’article 21 est à ne pas
surestimer ; le texte doit être ramenée à ses justes proportions. C’est-
à-dire il ne faut pas qu’il soit interprété de manière qui peut conduire
à l’exigence d’une acceptation formalisé dans un support écrit. Ce qui
permet de déduire l’acceptation expresse de la compétence des
tribunaux tunisiens en fonction du comportement de l’Etat étranger.
C’est le cas notamment lorsque cet Etat prend l’initiative et agit
comme demandeur devant le juge tunisien78, ou aussi lorsqu’il
formule une demande reconventionnelle qui tend par exemple à une
compensation ou à la réparation d’un préjudice né du procès.

Section 2 : L’immunité d’exécution


Contrairement à l’immunité de juridiction qui se pose au stade de la
compétence générale directe des juridictions tunisiennes, l’immunité
d’exécution, suppose qu’une décision judiciaire ait été déjà rendue
contre l’Etat ou l’une de ses émanations. Ce qui fait que la question
de compétence a été tout simplement épuisée.
Mais, à l’instar de l’immunité de juridiction, l’immunité d’exécution
est aussi un privilège accordé à l’Etat et les personnes morales de
droit public visées à l’article 19 du code de DIP. Consacrée aussi en
droit interne par l’article 37 du code de la comptabilité publique pour
ce qui concerne l’exécution en Tunisie sur les biens de l’Etat tunisien,
l’immunité d’exécution signifie que les biens de l’Etat étranger se
trouvant en Tunisie ne peuvent faire l’objet de mesures d’exécution.
Il s’agit là d’un principe fort enraciné en droit international. Retenu
dans l’article 24 du code de DIP, il est aussi largement consacré dans
les divers systèmes de droit comparé. C’est dans le principe de
souveraineté qu’il trouve son principal fondement.
On attire l’attention que l’immunité d’exécution ne peut être
soulevée que lors d’une exécution forcée ; elle ne peut l’être au stade
d’une procédure d’exéquatur. Celle-ci se limite à rendre la décision
étrangère exécutoire en Tunisie et ne porte pas donc sur son

78
- Sur ce cas, mais à propos de la renonciation à l’immunité de juridiction de l’agent diplomatique lorsqu’il est
demandeur, Cour d’Appel de Tunis, 28 novembre 1963, RJL 1964, p. 293 ; JDI 1968, chronique Mohamed Charfi,
p. 13
exécution forcée. Il s’agit tout simplement d’une procédure préalable
à l’exécution forcée et ne se confond pas avec elle.

Dans la pratique, la question essentielle qui suscite la discussion concerne


l’étendue de l’immunité d’exécution d’une part (paragraphe 1) et la
renonciation à son bénéfice d’autre part (paragraphe 2)

Paragraphe 1 : L’étendue de l’immunité d’exécution


En fait, il s’agit de savoir dans quelle mesure l’Etat étranger peut
bénéficier de l’immunité d’exécution sur ses biens se trouvant sur le
territoire tunisien. Autrement dit est-ce que tout bien de cet Etat
peut faire l’objet de l’immunité ? La solution provient des articles 23
et 24 du code de DIP. En faisant la distinction entre les biens affectés
à une activité liée à la souveraineté ou à une fin de service public et
les biens affectés à l’exercice d’une activité privée ou à caractère
commercial, le code de DIP marque les limites de l’immunité
d’exécution. C’est en fonction du critère d’affectation du bien que
dépendra le bénéfice de ce privilège. Seuls donc les biens liés à une
activité souveraine rentrent dans les prévisions de l’immunité
d’exécution.
Si en droit international privé tunisien, la solution est légale, dans
d’autres systèmes elle est d’origine jurisprudentielle. C’est le cas
notamment de la jurisprudence française. Selon cette jurisprudence,
le bénéfice de l’immunité d’exécution en fonction de la nature de
l’affectation du bien, a été consacré d’une manière claire
principalement dans l’arrêt EURODIF c. LA REPUBLIQUE ISLAMIQUE
D’IRAN79 considéré comme l’un des grands arrêts de principe rendus
par la Cour de Cassation. Dans cet arrêt, il a été décidé qu’en principe
les biens de l’Etat étranger sont insaisissables. Or ce principe n’est
pas absolu ; il est soumis à une exception lorsque le bien saisi est
affecté à une activité économique et commerciale elle- même à

79
- Cass. Civ 14 mars 1984, JDI 1984, p. 598, note B. Oppetit ; Rev. Crit. DIP 1984, p. 646, note Biscoff ; Rev.
Arb 1985, p. 69, note Gouchez.
l’origine du titre du créancier saisissant. La solution est reprise
notamment dans l’arrêt SONATRAT c. MIGEON du 1 octobre 198580.
On remarque cependant que dans la pratique, le critère de
l’affectation du bien ne va pas sans soulever des difficultés de
qualification. La jurisprudence tunisienne permet de fournir quelques
exemples. A l’origine, c’est dans l’affaire SNCFT c. la HONGRIE et la
société GANZ MAVAG, que la difficulté de la nature du bien s’est
posée. En l’espèce, il s’agissait d’un emprunt international fait par
l’Etat hongrois à l’Etat tunisien dont le montant est destiné à
l’acquisition par la société tunisienne des chemins de fer de la société
hongroise GANZ MAVAG un ensemble d’équipement et de matériel
ferroviaire. En exécution des conditions de l’emprunt, un contrat de
fourniture international fut conclu entre les deux sociétés tunisienne
et hongroise. C’est en raison de la mauvaise exécution de ce contrat
par la société hongroise, et à une fin de réparation du préjudice subi,
que la société tunisienne ait été contrainte d’initier une procédure
d’arbitrage CCI en application de la clause compromissoire insérée
dans ledit contrat. Cette procédure d’arbitrage a été couronnée par
le prononcé d’une sentence à l’avantage de la SNCFT.
Indépendamment de la procédure d’exéquatur devant les tribunaux
tunisiens, et afin de pratiquer une saisie arrêt entre les mains de l’Etat
tunisien sur le montant du prêt à rembourser à l’Etat hongrois, la
SNCFT a pu obtenir du président du tribunal de 1ère instance de Tunis
une ordonnance de saisie arrêt en application de l’article 331 du
CPCC. Cette saisie est fondée sur la sentence arbitrale qualifiée de
titre de créance en application de l’article 481 du COC. L’ordonnance
sur requête a fait l’objet d’une demande de rétractation de la part de
l’Etat hongrois et de la société GANZ MAVAG. A côté du moyen de
défense fondé sur sa qualité de tiers dans la sentence arbitrale, l’Etat
hongrois a tiré argument de l’immunité d’exécution sur ses biens pour
justifier la demande de rétractation. Dans son jugement en référé
rendu en date du 19 novembre 1994, le tribunal de 1ère instance de
Tunis a rejeté la demande de rétractation en faisant valoir le critère
d’affectation économique du bien faisant l’objet de la saisie arrêt.
Pour le tribunal, le montant de l’emprunt saisi est destiné à l’exercice

80
- JDI 1986, p. 170, note B. Oppetit.
d’une activité commerciale consistant dans la vente du matériel
ferroviaire consentie par d’une émanation de l’Etat hongrois à la
société tunisienne81.

En revanche, dans d’autres situations, l’immunité d’exécution sur les


biens de l’Etat étranger a été acceptée en raison de leur affectation à
l’exercice d’une activité souveraine. Dans une série de décisions82, le
juge tunisien n’a pas hésité à qualifier la saisie arrêt d’un compte
bancaire d’une représentation diplomatique en Tunisie comme étant
irrégulière en raison l’affectation du compte à l’exercice d’une
activité de souveraineté.

Paragraphe 2 : La renonciation à l’immunité d’exécution


L’article 25 du code de DIP dispose que l’Etat étranger et les
personnes morales visés à l’article 19 du code peuvent renoncer à
l’immunité d’exécution sur leurs biens couverts par cette
immunité. Le même article ajoute dans son second alinéa que cette
renonciation doit être certaine, expresse et non équivoque.
Il appert de l’article 25 que les conditions exigées pour l’accueil de la
renonciation à l’immunité d’exécution sont d’une rigueur
exceptionnelle. Mais, en dépit de cette sévérité, il est permis
d’affirmer tout de même, que le texte ne fait prévaloir aucun
formalisme de nature à faire prévaloir la seule renonciation écrite. En
fait, l’article 25 alinéa 2 n’a qu’un effet d’affiche car, les trois
caractères de la renonciation se ramènent réellement à la seule
condition de sa certitude. Ainsi donc, il n’est pas du tout
déraisonnable de donner effet à une renonciation déduite d’actes
concluants faits par l’Etat étranger. Il en est ainsi par exemple lorsque
cet Etat accepte dans un protocole d’accord de payer son créancier
forfaitairement en règlement intégral et définitif de la dette
constatée par une sentence arbitrale83. C’est aussi l’exemple lorsque

81
- RTD 1994, p. 301, note Noureddine Gara.
82
-
83
- Sur cet exemple, tribunal de grande instance de Paris, ordonnance du 12 septembre 1978, JDI 1978, p. 857 ;
Rev. Arb 1980, p. 109.
l’Etat condamné, procède à l’exécution volontaire d’une partie de la
sentence.
Cependant, l’exemple de l’engagement préalable de l’Etat dans une
clause compromissoire à assurer l’exécution de la sentence arbitrale
une fois rendue, a fait l’objet de controverses aussi bien sur le plan de
la doctrine que sur le plan de la jurisprudence. Pour certains auteurs,
la clause compromissoire en vertu de laquelle l’Etat s’est engagé à se
soumettre à la sentence et d’en assurer l’exécution, marque
incontestablement une formule qui ne laisse aucun doute sur
l’existence d’une volonté expresse sur la renonciation au bénéfice de
l’immunité d’exécution84. En revanche la Cour d’appel de Paris a
décidé autrement dans l’affaire EURODIF. Pour elle, « constitue
seulement un engagement de se soumettre volontairement à la
sentence et d’en reconnaitre la force obligatoire mais ne contient
aucune allusion à l’immunité d’exécution dont une partie pourrait
éventuellement bénéficier et qu’elle ne doit donc pas être
interprétée comme emportant renonciation à un droit qui n’entre
pas dans son objet ». Faisant le commentaire de cet arrêt, P. Bourel
s’est interrogé sur la valeur de l’engagement de l’Etat si ce n’est pas
pour renoncer par anticipation à son immunité d’exécution. Pour cet
auteur, le fait d’adhérer à la décision de la Cour d’appel sus indiquée
signifie limitation du jeu de la renonciation au seul cas d’une
renonciation expresse85.
En revanche, il a été jugé que la souscription de l’Etat d’une clause
compromissoire ne vaut pas renonciation à se prévaloir
ultérieurement de son immunité d’exécution. Dans l’affaire EURODIF
par exemple, la Cour d’appel de Paris86 a décidé d’une manière claire
que « la stipulation d’une clause compromissoire n’implique pas par
elle-même renonciation à l’immunité d’exécution, laquelle ne peut
résulter que d’actes manifestants de façon non équivoque la
volonté de renoncer ». Cette jurisprudence est approuvée par une
partie de la doctrine87 mais aussi critiquée par d’autres. Pour B.

84
- Brunot Oppetit, note sur l’affaire Benvenutti Bonfant, JDI 1981, p. 368.
85
- Sur l’ensemble de la question, P. Bourel, Arbitrage international et immunités des Etats étrangers, Rev. Arb
1982, p. 119 et sp., p. 140.
86
- Rev. Arb 1982, p. 204.
87
- P. Bourel, article précité, p. 138.
Oppetit88, le fait de souscrire à une clause d’arbitrage implique
forcément soumission à la sentence arbitrale car, c’est cette sentence
qui marque la suite logique de toute procédure d’arbitrage.
En somme, la preuve de la renonciation par l’Etat au bénéfice de son
immunité reste l’apanage de la partie adverse. Son appréciation
relève du pouvoir souverain du juge sous réserve de motiver sa
décision par référence à la condition de certitude qui doit caractériser
la renonciation en application des dispositions de l’article 25 du code
de DIP.

Chapitre 3 : Les effets des décisions et jugements étrangers


dans l’ordre juridique tunisien
La décision rendue à l’étranger au non d’une souveraineté étrangère
est susceptible de produire des effets variés dans l’ordre juridique
tunisien. Ces effets différent d’une situation à une autre. Dans la
pratique, l’effet le plus important est celui relatif à l’exécution de la
décision étrangère (Section 1). D’autres effets non moins importants
sont plutôt rattachés à la décision étrangère d’une manière séparée
de son exécution (Section 2). On remarque cependant que certains
de ces effets peuvent être neutralisés d’une manière anticipée dans
le cadre des actions relatives à la non reconnaissance ou à la
déclaration d’inopposabilité (Section 3).

Précisions préliminaires sur la nature de la décision susceptible de


produire des effets
Le code de DIP ne brille pas par sa clarté sur la question de la nature
de la décision étrangère susceptible d’être soumise au régime de la
réception dans l’ordre juridique tunisien. Faut–il lire les dispositions
du code d’une manière restrictive qui ne permet de faire rentrer dans
la liste des décisions que celles qui sont rendues par une autorité
judiciaire, ou doit-on avoir une vision plus libre qui justifie
l’élargissement de cette liste pour couvrir les décisions non

88
JDI 1981, p. 369.
judiciaires ? Pour la doctrine dominante89, malgré que l’intitulé du
titre III du code ne permet pas d’y croire à l’élargissement, parce qu’il
ne vise que les jugements et arrêts, il est possible d’étendre le
domaine de la notion de décision étrangère en faisant jouer
l’argument tiré de l’article 1 du code. Cet article introduit dans le
domaine du code, les effets des décisions mais aussi des jugements.
Ce qui fait que la décision ne doit pas se confondre au jugement. La
décision englobe le jugement et le dépasse. Cet argument permet
ainsi de considérer la décision étrangère dans son sens large, c’est-à-
dire celle qui concerne principalement les jugements contentieux et
décisions gracieuses rendues par les juridictions étrangères90, mais
aussi les actes non juridictionnels dressés par une autorité
étrangère91. C’est le cas notamment des actes authentiques étrangers
à l’instar des actes de répudiation prononcés à l’étranger. Pour ces
actes, le juge se limite au contrôle de leur régularité en fonction des
conditions de leur réception dans l’ordre juridique tunisien92 ; il passe
outre le contrôle leur nature non juridictionnelle 93. C’est aussi le cas
pour les actes de divorce par consentement mutuel par acte sous
seing privé contresigné par avocats et déposé au rang des minutes
du notaire en application de la loi française du 18 novembre 2016 sur
la modernisation de la justice. La reconnaissance de ces actes s’est
faite par le juge sans aucune hésitation94 .
En revanche, pour les jugements de divorce prononcés à l’étranger, la
question qui n’a cessé d’attirer l’attention, consiste savoir si ces
jugements sont réceptionnés dans l’ordre juridique tunisien d’une
manière simple, c’est-à-dire par leur transcription dans les registres
de l’état civil de la partie intéressée, ou faut-il nécessairement les
soumettre à la procédure de l’exéquatur ? En dépit de la solution bien

89
- A. Mezghani, Commentaires du code de droit international privé, CPU 1999, p. 184-185. ; S. Ben Achour,
La réception des décisions étrangère dans l’ordre juridique tunisien, CPU2017, p. 49 et sv. ; Lotfi Chedly et
Malek Ghazouani, Commentaire du code de droit international privé (en arabe), précité, p. 267 et sv.
90
- les articles 11 et 12 du code de DIP.
91
- Article 13 du code de DIP.
92
-Tribunal de 1ère instance de tunis, jugement n° 34179 du 27 juin 2000, RTD 2000, p. 425, note Monia Ben
Jemia ; et les jugements cités in, Lotfi Chedly et Malek Ghazouani, précité, p. 248.
93
- A l’exception de quelques jugements ayant rejeté des demandes d’exéquatur pour défaut du
caractère juridictionnel de l’acte étranger. Voir à titre d’exemple le jugement n° 34116 du 19 juin
2000, rapporté par Lotfi Chedly et Malek Ghazouani, précité, p. 277.
94
- A titre d’exemple, jugement référé du tribunal de 1 ére instance de Tunis n° 86358 du 14 novembre 2017,
inédit ; et du même tribunal, jugement n° 5057 du 16 avril 2019, inédit
claire de l’article 42 de la loi du 1er août 1957 réglementant l’état
civil95 qui admet la transcription systématique des jugements de
divorce, c’est-à-dire leur reconnaissance immédiate dans l’ordre
juridique tunisien, une circulaire du secrétaire d’Etat à la justice en
date du 29 novembre 1965 est venue remettre en cause la règle de
l’article 42 précitée. En effet, selon cette circulaire destinée aux
officiers de l’état civil, à défaut d’un jugement d’exéquatur rendue par
un tribunal tunisien, aucune transcription ne peut être effectuée.
Pourtant, contraire à une loi, cette circulaire a été à l’origine d’une
jurisprudence hostile à l’accueil immédiat des jugements de divorce96.
Apparemment, le code de DIP s’est aligné sur cette voie. En limitant
la transcription au registre de l’état civil de la partie intéressée des
seuls actes de l’état civil et des jugements définitifs d’état civil à
l’exception des jugements relatifs au statut personnel, l’article 13
semble avoir exigé la procédure de l’exéquatur des jugements de
divorce en raison de leur appartenance à la catégorie de statut
personnel. Cependant, la lecture profonde de l’article 13 permet
d’affirmer à l’instar de plusieurs auteurs97 qu’il ne s’agit là que d’une
maladresse législative. En effet, il n’est pas discutable que l’état civil
est indissociable du statut personnel. D’ailleurs, la loi de 1957 sur
l’état civil peut servir de justificatif à cette affirmation en raison du
fait que l’objet de cette loi est relatif aux actes de naissance, décès,
mariage et divorce.
Donc, une lecture plus réfléchie, libre et surtout avertie sur les
conséquences négatives qui peuvent naître de l’exigence de la
soumission des jugements étrangers de divorce à la procédure
d’exéquatur, fait que la reconnaissance immédiate de ces jugements
doit s’imposer. C’est d’ailleurs la solution adoptée par une partie de
la jurisprudence98 qui ne trouve dans l’exigence de l’exéquatur des
jugements étrangers de divorce qu’une condition fâcheuse de nature
à bouleverser le statut personnel de l’une des parties. En effet,
considérée divorcée à l’étranger, mais encore mariée en Tunisie dans

95
- loi n° 1957-3, JORT……..
96
- Sur l’ensemble de la question, Malek Ghazouani, La nécessité de reconnaitre immédiatement les décisions
étrangères relatives au divorce, RTD 2006, p. 81 et suiv. (en langue arabe).
97
- Ali Mezghanni, Commentaires du Code de Droit International Privé, précité, p. 191 ; Souhayma Ben Achour,
La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, précité, p. 68 ; Malek Ghazouani, La
nécessité de reconnaitre…, article précité, p. 83.
98
- sur l’ensemble de cette jurisprudence, voir notamment, Souhayma Ben Achour, ouvrage précité, p. 70.
l’attente de l’obtention d’un jugement d’exéquatur qui peut mettre
des mois voire même des années de procédure devant les juges de
fond, l’une des parties au moins, va se trouver en face d’une situation
familiale anormale, voire troublante en raison du désordre de son
statut personnel. Cette jurisprudence n’est pas dominante ; elle fait
l’objet d’une résistance farouche de certains juges qui estiment que
l’exigence de l’exéquatur s’impose d’elle-même pour les besoins du
contrôle de régularité de la décision étrangère99. Si on adhère sans
réserves au principe même du contrôle judiciaire de régularité de la
décision étrangère, on estime en revanche, que ce contrôle doit
s’effectuer dans le cadre d’une procédure spéciale qui tient compte
des intérêts en jeu. Le meilleur est de prévoir une procédure de
référé devant le juge de fond100. D’ailleurs, cette procédure n’est pas
étrangère au droit tunisien101. Mais, il s’agit dans ce cas d’une solution
qui nécessite une intervention législative jusque-là absente. Dans
l’attente, La demande d’exéquatur en référé devant le juge de référé
conformément à l’article 201 du CPCC reste possible. D’ailleurs la
procédure de référé n’est pas surprenante; elle a été déjà acceptée
par le juge tunisien en matière de reconnaissance de plein droit des
actes de divorce conventionnel conformément au droit français. Si,
en application de l’article 201 précité, la condition de l’urgence est
largement justifiée, car elle tend à mettre fin à une situation de statut
personnel troublante, la condition de ne pas préjuger le fond l’est
aussi ; celle-ci ne pose aucune difficulté en raison du fait que le fond
est épuisé par le jugement étranger de divorce.

Section 1 : L’effet relatif à l’exécution forcée : nécessité de


la procédure d’exéquatur
Les décisions et jugements étrangers peuvent recevoir exécution sur
le territoire tunisien sous condition de passer par la procédure
d’exéquatur (Paragraphe1) et de se conformer à un ensemble de
conditions de régularité (paragraphe2) à propos desquelles, le juge
de l’exéquatur n’exerce qu’un contrôle formel (Paragraphe 3).

99
- Souhayma Ben Achour, ouvrage précité, p. 72.
101
- Ahmed Ben Taleb, le juge de fond avec une procédure en référé, (en arabe), p.
Paragraphe 1 : La procédure d’exéquatur
Généralement, on distingue entre la procédure de droit interne (A) et
celle de droit conventionnel (B).
A) La procédure de droit interne
Cette procédure est celle du Code de procédure civile et commercial
(a), mais aussi celle du Code de Droit International Privé (b).
a) Procédure selon le code de procédure civile et commercial
En raison du fait que l’article 16 du code de DIP attribue compétence
au tribunal de première instance pour connaitre de la procédure
d’exequatur, il serait évident que ce sont les règles régissant la
procédure devant ce tribunal qui devront être respectées.
On rappelle simplement que la procédure est régie par les articles 68
et suivants du CPCC. Les règles les plus importantes sont celles
relatives à la forme de la requête introductive d’instance. Elles
concernent notamment les mentions obligatoires qui doivent figurer
dans la requête, l’obligation de signifier l’acte par huissier notaire, le
respect du délai légal de comparution et l’obligation de sommer
l’assigné à présenter ses conclusions par écrit et par l’office d’un
avocat…etc.
Le tribunal saisi rend son jugement conformément aux règles prévues
par le code de procédure civile et commercial. Il doit respecter donc
toutes les exigences de l’article 123 du même code et notamment
contenir les motifs de faits et de droit ainsi que le dispositif.

b) Règles de procédure prévues par le code de DIP


Trois règles de procédure sont prévues par le code de DIP. Elles
viennent compléter celles prévues par le CPCC.
D’abord, le code précise une règle de compétence territoriale du
tribunal de première instance. L’article 16 prévoit à cet effet une règle
de compétence spéciale selon laquelle, le tribunal compétent est
celui « du lieu du domicile de la partie contre laquelle la décision
étrangère est invoquée ». Il s’agit bien évidement du tribunal du
domicile du défendeur. A défaut de domicile en Tunisie, le même
article ajoute une règle de compétence territoriale exceptionnelle qui
fait que, seul le tribunal de première instance de Tunis aura
compétence.
Ensuite, le code de DIP prévoit une règle particulière qui oblige le
demandeur à produire une expédition authentique du jugement
traduite en langue arabe. On doit compléter cette exigence par celle
relative à la production d’un document qui prouve le caractère
exécutoire du jugement dans son pays d’origine. Tel par exemple, un
certificat de non appel établi conformément au droit étranger si le
jugement objet de la demande d’exéquatur est de premier degré.
Cette exigence de procédure résulte du fait que l’article 11 du Code
de DIP n’accorde pas l’exéquatur à une décision étrangère annulée ou
si son exécution a été suspendue.
Enfin, Le code de DIP précise à travers l’article 17 al. 2 que les
jugements statuant sur une demande d’exéquatur, sont régis par la
loi tunisienne en ce qui concerne les voies de recours. Ce qui signifie
que les recours principalement prévisibles sont l’appel et la cassation.
La possibilité d’une requête civile dans les conditions de l’article 156
du CPCC, ou aussi d’une tierce opposition sur la base de l’article 168
sont aussi possibles.
On précise pour autant, que pour la tierce opposition, malgré son
rapprochement de l’action de déclaration d’inopposabilité
conformément à l’article 17 du code de DIP, elle ne doit se confondre
avec celle-ci. En effet, la tierce opposition est une voie de recours
ordinaire, alors que l’action de déclaration d’inopposabilité est une
action principale. Aussi, la première s’attache à une décision
juridictionnelle tunisienne d’exéquatur d’une décision étrangère,
alors que la seconde concerne la décision étrangère elle-même
abstraction faite de son exéquatur.

B) La procédure de droit conventionnel


Les conventions internationales d’entraide judiciaire conclues par la
Tunisie occupent un rôle fondamental en matière d’exéquatur des
décisions civiles et commerciales. En raison de leur nombre en
croissance sans cesse, il est possible d’affirmer à forte raison, qu’en la
matière, les hypothèses d’application des règles de procédure
spécifiques de droit conventionnel dépassent de loin les situations
dans lesquelles ce sont les règles de procédure de droit interne qui
s’appliquent.
On remarque cependant, que ces règles de procédure spécifiques ne
sont pas nombreuses. Elles concernent principalement la forme de
signification à l’étranger de la demande d’exéquatur, le délai de
comparution ainsi que les documents à produire devant le juge saisi
de la demande.
Pour la signification de la demande, la plupart des conventions
exigent la forme de la voie diplomatique. Aussi, selon certaines
conventions, le délai de comparution diffère de celui de droit interne.
Dans certaines conventions, il est porté jusqu’à 3 mois. C’est aussi
pour les pièces à joindre à la demande d’exéquatur où, certaines
conventions exigent, à côté du jugement et d’un document prouvant
que ce jugement est passé en force de chose jugée, la production
d’une attestation qui prouve que le défendeur a été mis en mesure
de se défendre.

Paragraphe 2 : Les conditions de l’exéquatur de la décision


étrangère
L’article 11 du code de DIP prévoit la règle de rejet de l’exéquatur des
décisions judiciaires étrangères non conformes aux conditions de leur
accueil dans l’ordre juridique tunisien. Ces conditions sont variées.
Elles sont en rapport avec la compétence exclusive des juridictions
tunisiennes (A), la priorité d’une décision tunisienne (B), l’ordre
public au sens du droit international privé tunisien (C), la valeur de la
décision étrangère (D) et enfin la réciprocité (E).

A) Condition relative à la compétence exclusive


L’article 11 dispose que l’exéquatur n’est pas accordé aux décisions
judiciaires étrangères si l’objet du litige relève de la compétence
exclusive des tribunaux tunisiens. La vérification se fait en fonction
des chefs de compétence exclusive prévus par l’article 8 du Code de
DIP. En fait, il s’agit pour le juge tunisien en tant que juge d’exéquatur,
de vérifier la compétence indirecte de la juridiction étrangère qui a
rendu la décision objet de la demande d’exéquatur. Le contrôle de la
condition de compétence, ne va pas au-delà de la confrontation de la
décision étrangère à la condition de compétence exclusive des
tribunaux tunisiens. Peu importe donc, si la décision étrangère est
rendue par une juridiction incompétente conformément au droit qui
la régit. Il paraît donc évident que la condition de l’article 11 écarte la
vérification de la condition de compétence par référence au droit
étranger. L’article 11 écarte aussi la vérification de la condition de
compétence en fonction des chefs de compétence ordinaire des
juridictions tunisiennes. Il s’agit là d’une innovation du Code de DIP
par rapport à l’ancien article 318 du CPCC qui consacrait le système
critiquable de la double unilatéralité afin de vérifier la condition de
compétence.
On remarque cependant, que le fait pour l’article 11 de limiter la
vérification de la condition de compétence à la seule compétence
exclusive, risque d’anéantir toute autre vérification même si la
décision étrangère est rendue par une juridiction qui n’a aucun lien
avec le litige. On vise directement l’hypothèse de la fraude à la
compétence. C’est-à-dire, le cas où la saisine de la juridiction
étrangère qui a rendu la décision objet de la procédure d’exéquatur
n’est qu’une saisine manifestement artificielle, décidée dans le seul
but d’éviter une compétence soit-elle ordinaire des juridictions
tunisiennes.
On adhère donc à la solution qui soumet la vérification de la
compétence indirecte de la juridiction qui a rendu la décision
étrangère en fonction, non pas seulement du critère de l’exclusivité
de la compétence des juridictions tunisiennes, mais aussi du critère
de rattachement sérieux de l’objet du litige à la compétence du juge
étranger. L’arrêt rendu par la cour de cassation dans l’affaire
MESSINA102 est fort révélateur. Dans cette affaire, c’est la fraude à la
compétence des juridictions tunisiennes qui a motivé entre autres, le
rejet d’une demande d’exéquatur d’un jugement rendu par une
juridiction espagnole à propos d’un litige entre une société italienne
102
- Cour d’appel de Tunis, jugement n° 22715 du 22 février 2006 et arrêt de la Cour de Cassation n° 14100 du 8
février 2007.
ayant son siège en Italie et une partie tunisienne n’ayant pas de
résidence permanente en Espagne. Quoique la vérification s’est faite
par référence à la convention de coopération judiciaire conclue entre
la Tunisie et l’Espagne, il est permis d’indiquer que rien n’interdit la
possibilité pour le juge tunisien de procéder à la vérification de la
compétence indirecte du juge étranger en fonction de la situation de
fraude. Etant, un fondement général, la fraude n’a pas besoin d’être
prévu par un texte. C’est d’ailleurs la solution adoptée par la
jurisprudence de certains systèmes étrangers à l’instar de la
jurisprudence française. Il a été décidé par exemple que « toutes les
fois que la règle française de conflit de juridiction n’attribue
compétence aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être
reconnu compétent si le litige se rattache d’une manière
caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la
juridiction n’a pas été frauduleux »103. Cette solution a été consacrée
plus tard par l’arrêt SMITCH qualifié comme l’un des grands arrêts de
la jurisprudence française104.
B) Non opposition de la décision étrangère à une décision
tunisienne
L’article 11-2 du code de DIP dispose que l’exéquatur n’est pas
accordée aux décisions judiciaires étrangères si « les tribunaux
tunisiens ont déjà rendu une décision non susceptible de recours par
les voies ordinaires sur le même objet, entre les mêmes parties et
pour la même cause ». Le texte règle ainsi un éventuel conflit de
décisions et fait prévaloir la décision nationale en faisant jouer la règle
de priorité.
Deux conditions doivent être réunies cumulativement pour satisfaire
le contrôle de régularité de la décision étrangère en fonction de
l’article 11-2 ; il s’agit d’une part de la condition d’antériorité de la
décision tunisienne et d’autre part sa couverture par les conditions
de l’autorité de la chose jugée et d’être passée en force de chose
jugée.
Pour l’antériorité de la décision rendue par les tribunaux tunisiens, Il
est important de remarquer que le texte ne dit rien sur le moment en

103
- Paris 10 novembre 1971, JDI 1973, p. 239.
104
- Cour de Cassation 6 février 1985, Rev.crit, DIP 1985, p. 369, JDI 1985, p. 460, A. Huet.
fonction duquel la condition doit être vérifiée. Raisonnablement, il y
a lieu d’écarter toute référence à la date de saisine des juridictions
tunisiennes de la demande d’exéquatur en raison du fait que
l’admission de la décision étrangère dans l’ordre juridique tunisien
n’est pas encore chose acquise. C’est-à-dire quelle n’a pas encore
produit son plein effet. Ce qui fait que la vérification de l’antériorité
de la décision tunisienne peut se faire tout au long de la procédure de
réception de la décision étrangère. Il se peut donc que la décision
nationale soit postérieure à la simple introduction de la demande
d’exéquatur de la décision étrangère devant le juge tunisien.
L’essentiel que cette décision soit antérieure. En fait, la décision
rendue par les juridictions tunisiennes « ferait obstacle à l’accueil de
de la décision étrangère puisque cette dernière était dénuée de
toute efficacité internationale au moment où le système du for
se « réalisait »105.

Pour ce qui est de l’autorité de la décision rendue par les juridictions


tunisiennes, il y a lieu d’observer que le texte exige que cette décision
soit revêtue de l’autorité de la chose jugée. Elle suppose donc qu’elle
soit rendue entre les mêmes parties, sur le même objet et pour la
même cause. Mais aussi, il faut que cette décision ait été passée en
chose jugée. C’est-à-dire qu’elle ne peut plus faire l’objet de recours
par les voies ordinaires106. En conséquence, un jugement de première
instance susceptible d’appel ne peut bloquer l’accueil de la décision
étrangère dans l’ordre juridique tunisien en raison du fait qu’il n’est
pas passé en force de chose jugée malgré qu’il est revêtu de l’autorité
de la chose jugée.

C : Non contrariété de la décision étrangère à l’ordre public au sens


du droit international privé tunisien
S’il n’est pas discutable que l’ordre public au sens du droit
international privé trouve son champ de bataille dans le domaine de
conflits des lois, il est certain aussi qu’il trouve en matière d’exéquatur

105
- Souhayma Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, op. cit, p.151.
106
- L’autorité de la chose jugée tend à assurer l’immutabilité d’un jugement rendu, alors que la décision passée
en force de chose jugée se situe dans un cadre formel en rapport avec l’exécution du jugement. (Voir les article
481 du COC et l’article 286 du CPCC).
un terrain d’élection107. La fréquence de son intervention permet
d’affirmer que le contrôle de régularité de la décision étrangère en
fonction de sa conformité à l’ordre public représente l’étape cruciale
dans le cadre de ce contrôle. C’est d’ailleurs ce qui explique
l’abondance de la jurisprudence en cette matière.
D’une manière simple, la non-conformité de la décision étrangère à
l’ordre public au sens du DIP résulte d’une confrontation entre les
choix fondamentaux des systèmes du juge étranger qui a rendu la
décision et celui du for appelé à se prononcer sur son accueil. Cette
confrontation se répercute sur l’efficacité internationale de la
décision étrangère et met obstacle à son admission dans l’ordre
juridique tunisien.
L’ordre public, notion incertaine et mouvante, présenté comme étant
« l’enfant terrible du droit international privé »108, trouve dans le
code de DIP tunisien un critère intéressant pour son identification. Il
s’agit du critère des choix fondamentaux du système juridique
tunisien. Quoi qu’il est retenu en matière de conflit des lois par
l’article 36, rien ne s’oppose à son application pour les besoins du
contrôle de régularité de la décision étrangère. Trouvant leurs
sources essentielles dans la constitution109 ainsi que les conventions
internationales110 ratifiées, et tirant leur légitimité de la tendance
évolutive du droit interne, l’appréciation de ces choix reste toujours
tributaire des convictions du juge. Entre les choix conservateurs et
ceux modernes, l’option du juge tunisien est loin d’être arrêtée d’une
manière définitive111.
C’est dans ce cadre général que s’inscrit l’article 11-3 du code de DIP
qui dispose que l’exéquatur n’est pas accordé à la décision étrangère
107
- Sur l’ensemble de la question, Monia Ben Jemia, Le jeux de l’ordre public dans les relations internationales
privées de la famille, Thèse de doctorat, Faculté des sciences juridiques , politiques et sociales deTunis 1997.
108
- Ph. Franceskakis ; Y-a-t-il du nouveau en matière d’ordre public,, Travaux du Comité français de droit
international privé, 1966/1969, p. 191.
109
- Notamment le choix de l’égalité, le procès équitable, la propriété libre…etc.
110
- Notamment la convention de Copenhague sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes adoptée par l’assemblée générale des Nations-Unies le 18 décembre 1979, entrée en vigueur le 3
septembre 1981, ratifiée en Tunisie par la loi n° 85-68 du 12 juillet 1985, JORT 1985, n° 54, du 12-16 1985, p.
919.
111
- Ce débat trouve sa source notamment certains travaux de la doctrine tunisienne. Voir notamment, Mohamed
Charfi, Le droit tunisien de la famille entre l’Islam et la modernité, RTD 1973, p. 11 ; aussi du même auteur, Droits
de l’homme, droit musulman et droit tunisien, RTD 1983, p. 405, Yadh Ben Achour, Islam et constitution, RTD
1974, p. 77 ; Moncef Bouguerra, Le juge tunisien et le droit du statut personnel, AJT 2000, n° 14, p. 7 ; Sami
Bostanji, Turbulences dans l’application judiciaire du code de statut personnel, Rev.int, dr. Comparé, 2009, p. 7.
contraire à l’ordre public au sens du droit international privé
tunisien, ou a été rendue à la suite d’une procédure n’ayant pas
préservé les droits de la défense. Il ressort de ce texte que l’ordre
public qui empêche l’admission de la décision étrangère dans l’ordre
juridique tunisien, est, soit un ordre public de fond (a) soit un ordre
public de procédure (b).
a) L’ordre public de fond
L’ordre public de fond se manifeste d’une manière très fréquente lors
de l’examen de la régularité des décisions étrangères rendues en
matière de statut personnel. La question peut s’expliquer facilement
en raison du fait, que cette matière se caractérise largement par la
divergence des choix fondamentaux entre les divers ordres
juridiques, allant jusqu’à leur confrontation. Le conflit entre systèmes
laïcs et ceux religieux reste entier. Le cas tunisien n’a pas échappé à
ce conflit qui s’est cristallisé notamment dans le cadre des relations
avec le droit de la plupart des Etats arabo-islamiques. Là aussi, la
situation s’explique facilement par le fait qu’en matière de statut
personnel, le droit tunisien a connu une transformation attirante qui
trouve dans le code de statut personnel de 1956 son atout principal.
Cette transformation, fondée principalement sur le choix du principe
de l’égalité des sexes et le rejet du privilège de masculinité, a fait que
le système tunisien s’est trouvé en conflit profond avec les choix de la
plupart des systèmes juridiques des pays arabes restés fidèles aux
solutions conformes à la charia.
C’est donc en matière de statut personnel que la jurisprudence a pu
fournir de nombreux exemples relatifs au contrôle de la régularité des
décisions étrangères à la lumière de leur conformité à l’ordre public
au sens du DIP tunisien. Certains de ces exemples intéressent
notamment la répudiation islamique des femmes tunisiennes et la
garde des enfants issus de couple mixte.
La répudiation islamique de la femme tunisienne prononcée à
l’étranger reste l’exemple le plus fréquent en ce domaine. Il est acquis
dans la jurisprudence tunisienne que la répudiation constitue en
général une forme de rupture unilatérale du lien conjugal à l’avantage
du seul mari indépendamment de l’intérêt de la famille112. Elle heurte
donc le principe d’égalité entre les sexes et instaure un privilège de
masculinité que rien ne justifie. Reconnaitre son effet en Tunisie par
biais de l’exéquatur serait donc en contrariété avec les choix
fondamentaux du système juridique tunisien. La solution tire sa
source aussi bien de la constitution qui consacre le principe d’égalité
des citoyens, que des conventions internationales ratifiées par la
Tunisie et notamment la convention de Copenhague de 1979 sur
l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard de la
femme, aussi que la déclaration universelle des droits de l’homme de
1948.
Dans la pratique, il peut paraitre que cette solution défavorise la
femme tunisienne qui, en dépit de son divorce à l’étranger, reste
incapable d’imposer son nouveau statut en Tunisie. Ce qui fait, que
conformément au droit tunisien, elle reste considérée comme étant
toujours mariée avec toutes les conséquences qui en découlent. C’est
la raison pour laquelle une frange de la doctrine113 appuyée par
quelques jugements114 a suggéré de faire intervenir l’ordre public
avec un effet atténué.
La garde des enfants de couple mixte constitue un autre exemple à
haute tension, où l’ordre public au sens du droit international privé
trouve de quoi s’alimenter. Cet ordre public intervient notamment
pour contrôler la régularité de la décision étrangère attribuant la
garde d’un enfant de couple mixte à sa mère non musulmane alors
que son père est de nationalité tunisienne et musulman. Entre
l’influence du facteur religieux et la tendance à faire prévaloir l’intérêt
de l’enfant dans le cadre de l’appréciation de la régularité de la
décision étrangère en fonction de sa conformité à l’ordre public, il

112
- tribunal de 1ère instance de Tunis, jugement n° 34179 du 27 juin 2000, RTD 2000, p. 425, note Monia Ben
Jemia ; Cour de Cassation, arrêt n° 32561 du 21 mai 2009, Bulletin de la Cour de Cassation 2009, p. 303 et arrêt
n° 46449 du 15 juillet 2010. Et sur beaucoup d’autres exemples, Lotfi Chedly et Malek Ghazouani, Le code de
droit international privé, précité, p.246 et sv. Souhayma Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans
l’ordre juridique tunisien, précité, p. 90 et sv, aussi, L’ordre juridique tunisien face à la répudiation islamique, in,
Polygamie et répudiation dans les relations internationales, éditions AB Consulting, 2006, p. 43.
113
- Monia Ben Jemia, Répudiation islamique et effet atténué de l’ordre pulic, in, Le code de droit international
privé, deux ans après, CPU 2003, p. 129.
114
- Notamment, Tribunal de 1ère instance de Tunis, jugement n° 34179 du 27 juin 2000, précité.
semble que la jurisprudence, malgré une certaine turbulence,115 a fini
par trancher en faveur du seul intérêt de l’enfant116.
b) L’ordre public de procédure
Le droit d’être entendu et de faire valoir ses moyens de défense
constitue aussi bien en droit international qu’en droit interne l’un des
droits fondamentaux de l’homme. Il tire sa source principale de la
Charte universelle des droits de l’homme de 1948.
En droit interne, Le code de procédure civile et commercial fait
prévaloir le droit de défense comme étant d’ordre public et l’érige
comme l’un des moyens de cassation en application des dispositions
de l’article 175. Mais, c’est la constitution de 2014 qui lui a donné un
fondement général dans le cadre de la notion de procès équitable.
L’article 108 proclame à cet effet que « Toute personne a droit à un
procès équitable et dans un délai raisonnable », il assure aussi que
« Le droit d’ester en justice et le droit de défense sont garantis ».
Il est bien clair qu’en droit tunisien, le droit de défense caractérise
tout procès judiciaire. Il en résulte que toute procédure qui ne
préserve pas le droit de défense serait considérée comme étant
contraire à un choix fondamental du système juridique tunisien. C’est
dans cette perspective qu’il faut situer l’article 11 -3 du Code de DIP.
Cet article dispose que l’exéquatur n’est pas accordé à la décision
étrangère « rendue à la suite d’une procédure n’ayant pas préservé
les droits de défense ».
En pratique, il ne s’agit pas de procéder à un contrôle de régularité de
la procédure prévue par le droit étranger en elle-même, mais de juger
dans quelle mesure cette procédure suivie par le juge étranger affecte
de droit de défense. C’est ainsi qu’il a été jugé que la décision
étrangère (sentence arbitrale) non motivée en application du droit
étranger n’est pas en elle-même contraire à l’ordre public au sens du
droit international privé tunisien sauf si la non motivation dissimule
une atteinte grave à un droit de défense117.

115
- Sur la jurisprudence faisant prévaloir l’ordre public à coloration religieuse, voir, Souhayma Ben Achour,
Enfance disputée, p. 225.
116
- Cour de Cassation, arrêt n° 7286 du 2 mai 2001, RTD 2001, p. 201, note Malek Ghazouani.
117
- Cour d’appel de Tunis, 5 décembre 1979, RTD 1980, p. 159 ; et jugement du 21 avril 1981, RTD 1981, p.
101, observations Mohamed el Arbi Hachem.
Dans cet ordre d’idées, il ne faut pas considérer par exemple, la
procédure étrangère de signification de la requête introductive
d’instance par simple envoie postale, comme étant contraire l’ordre
public au sens du DIP tunisien, pour la simple raison que la
signification par huissier notaire, relève en droit tunisien de l’ordre
public procédural. En fait, il n’y a pas lieu à vérifier la conformité du
model procédural étranger au model du for. Concrètement, il s’agit
de voir dans quelle mesure le model procédural étranger affecte le
principe de respect du droit de la défense. Plus précisément, si l’une
des parties convoquée devant un tribunal étranger par voie postale,
se présente et se défend, la décision qui sera rendue sera considérée
indiscutablement comme étant conforme à l’ordre public au sens du
DIP tunisien. C’est ce qui peut être dégagé semble- t-il d’un arrêt
rendu par la Cour de Cassation en date du 15 novembre 2005118. Il
n’en est pas ainsi, si une règle procédurale étrangère est jugée sur le
principe même comme étant contraire à l’ordre public. C’est
l’exemple du droit étranger qui ne consacre pas le principe du double
degré de juridiction119, qualifié en droit tunisien comme étant un
principe constitutionnel conformément à l’article 108 de la
constitution de 2014.

E) La condition de l’autorité et du caractère exécutoire de la décision


étrangère
L’article 11- 4 du Code de DIP dispose que l’exéquatur n’est pas
accordé à la décision étrangère lorsque celle-ci « a été annulée, ou
son exécution suspendue conformément à la législation du pays où
elle a été rendue, ou n’est pas encore exécutoire dans le pays où elle
a été rendue ».
Il appert du texte que, pour l’admission de la décision étrangère dans
l’ordre juridique tunisien, il faut qu’elle garde encore son autorité,
c’est-à-dire sa valeur en tant qu’acte juridictionnel. Ce qui fait qu’elle
n’a pas fait l’objet d’annulation dans son pays d’origine. Il s’agit là
118
- Arrêt n° 2343, Info juridiques n° 2 et 3, mai 2006, p. 23, Obs, Abou Bakr Essiddik Cadi
119
- Voir notamment tribunal de 1ère instance de Tunis, jugement n° 45116 du 10 novembre 2003, rapporté in,
Lotfi Chedly et Malek Ghazouani, précité, p. 241.
d’une condition évidente en raison du fait, que l’annulation de la
décision élimine forcément l’effet juridique qui lui est rattaché. En
conséquence, il serait illusoire de lui donner effet dans l’ordre
juridique tunisien.
En plus, la décision étrangère doit être exécutoire dans le pays où elle
a été rendue. C’est-à-dire non touchée par une décision judiciaire qui
ordonne sa suspension, ou par la loi qui consacre l’effet suspensif de
l’exécution de la décision résultant des voies de recours. Bien
évidement la vérification de cet effet doit se faire selon le droit
étranger. Là aussi, cette condition est évidente car il est inamissible
d’ordonner l’exécution d’une décision sur le territoire tunisien alors
qu’elle est dépourvue de tout effet exécutoire sur le territoire où elle
a été rendue.

F) La condition de réciprocité
L’article 11-5 dispose que l’exéquatur de la décision étrangère n’est
pas accordé si « L’Etat où le jugement ou la décision a été rendue n’a
pas respecté la condition de la réciprocité ».
Jugé comme surprenante120, la condition de réciprocité signifie d’une
manière simple, que le refus de l’Etat étranger de rendre exécutoires
sur son territoire les décisions rendues par les juridictions
tunisiennes, fait, qu’ à titre de réciprocité, les décisions rendues par
les juridictions de cet Etat ne pourront avoir effets exécutoires sur le
territoire tunisien. Il s’agit en réalité d’une réciprocité de fait121 qui se
rapporte à la vérification du comportement de l’Etat étranger à
l’égard des décisions tunisiennes. Il appartient donc à celui qui s’en
prévaut de le prouver. C’est la raison pour laquelle, la règle de la
réciprocité selon l’article 11 est considérée par une partie de la
doctrine comme étant une « exception de défense »122.
Paragraphe 3 : Le rôle du juge de l’exéquatur

120
- Souhayma Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, précité, p.
159.
121
- Cour d’appel de Tunis, jugement n° 37565 du 31 janvier 2013, rapporté par, Souhayma Ben Achour, La
réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, précité, p. 161, note 363.
122
- Sami Bostanji, La notion de réciprocité dans les relations privées internationales, Réflexions à la lumière du
nouveau Code tunisien de droit international privé, précité, p .76.
Entre le contrôle formel de régularité de la décision étrangère et la
possibilité de sa révision par le juge de l’exéquatur, le droit tunisien a
clairement tranché pour le contrôle formel. Aussi bien dans les
anciennes dispositions du CPCC que dans le code de DIP, aucune
possibilité de révision de la décision étrangère n’est admise. Le droit
tunisien rejoint ainsi la solution bien ancrée depuis longtemps dans
les grands systèmes de Droit International Privé. A l’instar de la
jurisprudence française, notamment à travers l’arrêt MUNZER123, Le
juge tunisien n’a en aucun cas procédé à une quelconque révision de
la décision étrangère.

Section 2 : Les effets de la décision étrangère


indépendamment de son exécution.
Les effets internationaux de la décision étrangère autres que l’effet
lié à l’exécution couvrent sa reconnaissance de plein droit
(paragraphe 1) et son effet en tant que moyen de preuve (paragraphe
2).
Paragraphe 1 : La reconnaissance de plein droit
Les conventions internationales en matière de coopération judicaire
emploient distinctement les notions d’exécution et de
reconnaissance des décisions en matière civile et commerciale. Si
l’exécution suppose la contrainte, la reconnaissance s’attache plutôt
à la décision étrangère en tant qu’acte juridictionnel ayant force de
chose jugée. Ce qui fait que le bénéficiaire d’une décision étrangère
peut, à tout moment, soulever devant le juge tunisien l’exception de
l’autorité de la chose jugée pour se défendre, et que le juge en
reconnait cette autorité de plein droit. Si par exemple, le juge tunisien
a été saisi par une épouse pour prononcer un divorce de son mari,
celui-ci peut tout simplement se défendre en arguant du fait qu’un
juge étranger a déjà prononcé le divorce de ce couple. L’autorité de
la chose jugée à l’étranger oblige donc le juge tunisien à reconnaitre
de plein droit l’efficacité internationale à la décision étrangère.

123
- Cassation civile, arrêt du 7 janvier 1964, Rev.Crit. DIP 1964, p. 344, note H. Batiffol ; JDI 1964, p. 302, note
B. Goldman.
En dépit de l’absence dans le Code de DIP d’une disposition claire sur
la reconnaissance de plein droit, la doctrine124 ne voit aucune
restriction à son admission. Il s’agit là d’une évidence en raison du fait
que l’action prévue par l’article 14 du Code pour déclarer la non
reconnaissance de la décision étrangère, suppose que le principe de
sa reconnaissance est chose acquise. Réellement cette action n’a
d’intérêt que pour contrecarrer la reconnaissance de la décision
étrangère.125
Ceci étant, la reconnaissance de plein droit de la décision étrangère
ne doit pas se faire d’une façon systématique; la décision étrangère
doit réunir les conditions de sa régularité conformément aux
dispositions de l’article 11 du Code de DIP. Sinon, on risque
d’admettre la reconnaissance de plein droit des décisions étrangères
contraires l’ordre public au sens du DIP. La solution peut s’inspirer de
l’article 12 paragraphe 2 du Code. En effet, pour donner force
probante à la décision étrangère, le texte exige que cette décision soit
conforme aux conditions de l’exéquatur prévues par l’article 11.

Paragraphe 2 : La décision étrangère moyen de preuve


L’article 12 alinéa 2 du Code de Droit International privé dispose
qu’: « A défaut de contestation par l’une des parties et lorsque les
conditions de l’exéquatur sont remplies, le contenu des décisions
contentieuses et gracieuses étrangères aura force probante devant
les juridictions et les autorités administratives tunisiennes ». Ce
texte s’aligne sur la règle prévue par l’article 443 du COC qui considère
les jugements étrangers comme des actes authentiques faisant foi
des faits qu’ils constatent, même avant d’avoir été rendus
exécutoires. Cependant, en dépit du fait que les deux règles
attribuent à la décision étrangère une force probante, c’est-à-dire
qu’elle peut constituer un moyen de preuve, il est utile de remarquer
cependant, que les deux règles diffèrent quant à l’autorité de cette
force probante. Si l’article 12 soumet la décision étrangère à la double
condition de ne pas faire l’objet de contestation par l’une des parties
et de se conformer aux condition de l’exéquatur, l’article 443 couvre

124
-Ali Mezghenni, Commentaires du code de droit international privé, précité, p. 191.
125
- Souhayma Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, précité, p. 69.
la décision étrangère d’une force probante absolue en raison de sa
qualification d’acte authentique comme tout jugement rendu par les
tribunaux tunisiens. On le sait, en application de l’article 444 du COC,
l’acte authentique fait pleine foi même à l’égard des tiers jusqu’à
inscription de faux. Est-il possible par conséquent de faire jouer la
règle prévoyant que le spécial l’emporte sur le général ? Ou encore
affirmer que l’article 12 a tout simplement abrogé implicitement la
solution de l’article 443 pour ce qui concerne la qualification de la
décision étrangère comme étant un acte authentique ?
Quoiqu’il en soit, la valeur probatoire de la décision étrangère en tant
que telle est certaine. Elle signifie que cette décision est considérée
comme moyen de preuve des faits qu’elle relate. C’est le cas par
exemple d’une décision étrangère qui constate l’existence de
mésententes graves entre les associés d’une société ou le tort de
l’une des parties dans l’exécution d’un contrat, ou l’aveu d’une partie
…etc.
Section 3 : Neutralisation possible de certains effets
Parmi les principales nouveautés du code de droit international privé
par rapport aux dispositions de l’ancien droit, celles relatives à
l’introduction de deux actions principales pour contrecarrer d’une
façon anticipée certains effets de la décision ou du jugement
étranger. Il s’agit des actions en déclaration d’inopposabilité
(paragraphe 1) et de non reconnaissance (paragraphe 2). Les deux
actions sont régies par les mêmes règles de procédure applicables à
l’exéquatur aussi bien pour ce qui concerne la compétence spéciale
du juge, que les documents à produire devant lui.
Paragraphe 1 : L’action en déclaration d’inopposabilité
C’est une action réservée aux tiers en application de l’article 15 al. 1
du code de DIP. Il dispose à cet effet que : « Tout tiers intéressé peut
demander la déclaration d’inopposabilité à son égard du jugement
ou de la décision étrangère ». Il s’agit là d’une action principale qui
tend à neutraliser tout effet de la décision étrangère à l’égard du tiers
intéressé, c’est-à-dire la personne non partie à la décision, et plus
exactement celle qui n’a pas été actionnée, mais justifiant d’un
intérêt certain qui fonde son opposition. C’est l’exemple d’un
jugement étranger qui condamne solidairement un débiteur principal
et un garant qui n’était pas partie au litige. Etant tiers dans la
procédure, le garant serait en droit de demander la déclaration
d’inopposabilité à son égard de la décision étrangère.
L’article 15 al.2 limite la déclaration d’inopposabilité aux seules cas
où, l’une des conditions de l’exéquatur fait défaut au jugement ou à
la décision étrangère. Inversement, cela peut-il signifier que les
décisions étrangères susceptibles d’être accueillies dans l’ordre
juridique tunisien ne peuvent être déclarées inopposables. La lecture
exégétique du texte permet d’y croire. Si oui, la condition de la non-
conformité de la décision étrangère à l’une des conditions de
l’exéquatur serait tout simplement absurde. En fait, l’absence de
l’une des conditions de l’exéquatur, fait perdre à la décision étrangère
toute efficacité internationale ; elle ne peut donc, ni recevoir
exécution, ni constituer un titre revêtu d’une reconnaissance de plein
droit et à fortiori être opposable aux tiers. On se demande ainsi, en
quoi serait utile l’action de déclaration d’inopposabilité de la décision
étrangère?

Paragraphe 2 : L’action en non reconnaissance


Si l’action de déclaration d’inopposabilité appartient au seul tiers
intéressé, l’action en non reconnaissance de la décision étrangère est
réservée, en application de l’article 14 du code de DIP, à la partie la plus
diligente. Réellement, cette partie n’est autre que celle contre laquelle la
décision étrangère est rendue. Celle-ci agit par anticipation à une
éventuelle procédure d’exéquatur afin de la bloquer. Etant soumise aux
mêmes conditions de l’exéquatur, l’aboutissement de l’action en non
reconnaissance se répercute forcément sur l’issue de la procédure
d’exéquatur. Plus précisément, si l’action en non reconnaissance est
acceptée, cela implique nécessairement rejet de la procédure
d’exéquatur.

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