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Revue internationale de droit

comparé

Le Code marocain de la famille en Europe. Bilan comparé de 10


ans d’application
Françoise Monéger

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Monéger Françoise. Le Code marocain de la famille en Europe. Bilan comparé de 10 ans d’application. In: Revue
internationale de droit comparé. Vol. 69 N°1,2017. pp. 253-258;

doi : https://doi.org/10.3406/ridc.2017.20822

https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2017_num_69_1_20822

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R.I.D.C. 1-2017

LE CODE MAROCAIN DE LA FAMILLE EN EUROPE


BILAN COMPARÉ DE 10 ANS D’APPLICATION

Le Maroc a adopté en 2004 un nouveau Code de la famille (ci-après


CMF), code qui abroge et remplace le Code du statut personnel de 1957
connu sous le nom de Moudawana. Ce nouveau code qui a été élaboré après
de longs débats au Maroc, a fait l’objet de nombreux commentaires, certains
considérant qu’il s’agissait d’une vrai révolution en droit de la famille,
d’autres, considérant au contraire que la réforme avait été minimaliste.
Comme l’explique Marie-Claire Foblets dans l’introduction de présentation
de l’ouvrage, il ne s’agit pas ici de prendre position sur cette question mais
d’étudier l’application concrète de ce nouveau Code, à la fois au Maroc et
dans cinq pays européens, pays choisis pour l’importance de la population
marocaine qui y réside : la France, les Pays-Bas, la Belgique, l’Italie et
l’Espagne. L’étude se concentre sur les dispositions du Code qui touchent
particulièrement la situation familiale de ces « Marocains résidant à
l’étranger » (les MRE).
L’ouvrage comporte trois parties.
La première partie, qui est en quelque sorte une partie introductive,
contient deux contributions, celle de Marie-Claire Foblets, de présentation
du contenu du Code (pp. 23-68), et celle de Mohamed Loukili, de
présentation de la jurisprudence marocaine sur le Code (pp. 69-84). Après
avoir rappelé les principales innovations du texte, en matière de mariage et
de dissolution du mariage, Mme Foblets constate que le Code a eu un impact
restreint pour les ressortissants marocains résidant en Europe, et ceci pour
plusieurs raisons. La raison essentielle, et qui est mise en avant dans les
études par pays, est que l’application de ce Code aux MRE dépend bien
évidemment du droit international privé des pays concernés. Or, ces pays
privilégient très généralement la nationalité du for en cas de double
nationalité et leurs règles de conflit, qu’il s’agisse de règles de conflit
internes, ou de règles de conflit contenues dans des Conventions
internationales désignent de plus en plus souvent, la loi de la résidence
habituelle. Ensuite, les instances européennes se sont emparées des
questions d’état des personnes, ce qui a limité de façon considérable la
liberté des États de conclure des accords bilatéraux avec les pays tiers.
Enfin, la primauté de la Convention européenne des droits de l’homme et


Ouvrage publié sous la dir. de Marie-Claire FOBLETS, éd. La Charte, LGDJ, Lextenso,
2017, 720 p.
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des libertés fondamentales, et le fait que les principes énoncés dans cette
Convention ont permis de circonscrire l’exception d’ordre public
international, vont conduire à écarter tout texte du droit marocain qui ne
respectera pas une égalité parfaite entre hommes et femmes. Comment alors
conjuguer les possibilités offertes par le Code de 2004 et le droit
international privé des États ? Il faudra que les MRE utilisent les choix
offerts par le nouveau texte en matière de mariage en élaborant des clauses
qui tendent vers l’égalité entre époux et, en matière de dissolution du
mariage, qu’ils optent pour des modes de dissolution ouverts de façon
comparable au mari et à la femme.
La jurisprudence marocaine sur ce Code est peu connue, même si
certaines décisions ont été publiées et commentées dans des revues
marocaines de droit peu accessibles en France, parce qu’en langue arabe.
Lorsque les juges des États européens sont tenus d’appliquer le droit
marocain, ils se contentent le plus souvent du texte brut, sans autre
explication que celle du « Guide pratique du Code de la famille » publié au
Maroc en février 2005. C’est pourquoi, la présentation faite dans cet
ouvrage des principales décisions faisant application du Code par le
professeur Loukili sera une aide très précieuse pour tous les praticiens.
M. Loukili a traduit une centaine de décisions, dont bien sûr les principaux
arrêts de la Cour suprême. Un résumé de ces décisions figure en annexe
(pp. 495-576). À la différence de la jurisprudence des cinq pays européens
étudiés qui est une jurisprudence de droit international privé, la
jurisprudence marocaine est principalement une jurisprudence de droit
interne. En effet, comme le précise M. Loukili (p. 71), dans les relations
familiales mixtes où l’une des parties est marocaine musulmane, la
jurisprudence fait application des privilèges de nationalité et de religion
inscrits à l’article 2 du Code, même si ce dernier privilège n’est mentionné
que pour les relations impliquant deux parties marocaines dont l’une est de
confession musulmane. M. Loukili remarque également que les juges, même
de formation moderne ont eu tendance à appliquer ce Code de manière
traditionnelle, l’explication se trouve dans le texte lui-même, qui s’inspire
des règles ancestrales du droit musulman et qui fait obligation aux juges de
recourir au rite malékite pour combler les lacunes et les omissions (art. 400
du Code).
Les décisions ont été réparties selon les thèmes suivants : mariage,
dissolution du mariage, filiation, garde, et pension alimentaire. Il est très
intéressant de noter que les questions abordées dans la jurisprudence
marocaine, ne sont pas toujours celles qui apparaissent dans la jurisprudence
des pays européens, en particulier pour le mariage, et les difficultés posées
par l’article 14 du Code sur les conditions de fond du mariage et la question
des témoins qui doivent être de confession musulmane. De même,
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M. Loukili remarque que le divorce pour discorde (chiqaq) est très sollicité
au Maroc par les femmes, et qu’il représente aujourd’hui le type de divorce
le plus utilisé, au point que les juges écrit-il (p. 78), ne cachent pas leur
préoccupation au sujet de l’augmentation de ce type de divorce en invoquant
un certain abus de la part des épouses qui veulent mettre fin à tout prix à la
vie conjugale sans raison valable à leur yeux. L’épouse qui a abusé de son
droit au divorce a été condamnée à verser des dommages-intérêts à son ex-
époux (Cour suprême, 18 avril 2007, 10 septembre 2008), et la Cour
suprême est allée encore plus loin en considérant que la femme qui a obtenu
un divorce pour discorde devait être privée de son droit à un don de
consolation, don versé par l’ex-mari en cas de dissolution du mariage sans
que le texte de l’article 84 du Code fasse une exception pour le divorce
chiqaq (Cour suprême, 22 mars 2011). Ces solutions sont très éloignées de
la pratique judiciaire française (V. rapport français).
La deuxième partie de l’ouvrage est constituée par l’étude de la
jurisprudence dans les cinq pays de résidence des MRE et dans l’ordre
suivant : La France (Françoise Monéger), l’Espagne (Ana Quinônes
Escamez), la Belgique (Hélène Englert et Jinske Verhellen), les Pays-Bas
(Leila Jorden-Cotran) et l’Italie (Roberta Aluffi). Selon la remarque déjà
faite, tous les rapports présentent en premier lieu les règles de droit
international privé qui conduisent à l’application du Code marocain aux
personnes de nationalité marocaine vivant dans le pays concerné. La
jurisprudence sur le Code sera d’autant plus importante que les règles de
conflit désigneront la loi nationale, ce qui devient de plus en plus rare, les
règles de conflit privilégiant de plus en plus la loi de la résidence habituelle.
Toutefois, l’entrée en vigueur du Règlement Rome III sur la loi applicable
en matière de divorce le 21 juin 2012 dans certains pays de l’UE va peut-
être changer les choses puisque la grande innovation du texte est de
permettre aux époux de choisir la loi applicable à leur divorce1. Ils pourront
choisir la loi marocaine si l’un des époux est de nationalité marocaine. La
question sera de savoir s’ils pourront choisir, dans le Code marocain des cas
de divorce qui ne sont pas ouverts de la même façon aux hommes et aux
femmes (art. 10 et 12 du Règlement). Parmi les cinq pays étudiés, seul les
Pays-Bas n’ont pas adhéré à ce texte qui est applicable en France, en
Belgique, en Espagne et en Italie. Mais pour la France, la situation est tout à
fait particulière du fait de l’existence d’une Convention bilatérale avec le
Maroc du 10 août 1981 relative au statut personnel et à la famille, applicable
en France depuis le 13 mai 1983, et publiée au Maroc, le 7 octobre 1987.
L’article 19 du Règlement Rome III précise que le Règlement n’a pas
d’incidence sur les Conventions internationales auxquelles les États étaient

1
V. par ex. sur ce Règlement, P. HAMMJE, Rev. crit. DIP, 2011, p. 291.
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parties. La Convention de 1981 continue donc à s’appliquer. Or, cette


Convention énonce des règles de conflit de lois en matière de mariage et de
divorce désignant la loi nationale, donc la loi marocaine dès que les époux
sont l’un et l’autre de nationalité marocaine2. De plus, la jurisprudence de la
Cour de cassation sur l’application d’office des règles de conflit de lois a eu
pour conséquence d’imposer les règles de conflit énoncées et donc, le droit
marocain désigné par ces règles. Ce qui explique le très grand nombre de
décisions ayant appliqué le nouveau Code de la famille, principalement dans
le domaine du mariage et du divorce. Il y a ainsi beaucoup d’arrêts de
cassation au visa de l’article 5 de la Convention pour non-respect de la loi
marocaine désignée par cet article en matière de condition de fond du
mariage et de l’article 9 qui désigne en matière de divorce, la loi marocaine
lorsque les deux époux sont de nationalité marocaine (pp. 93-94). Il est
encore très fréquent que les parties marocaines intentent en France une
procédure de divorce sur le fondement du droit français. Si le juge ne
soulève pas d’office, comme il le devrait, l’application de l’article 9 de la
Convention de 1981, le divorce sera prononcé selon le droit français.
Lorsque le juge aura mis en œuvre le droit marocain, un pourvoi devant la
Cour de cassation ne pourra prospérer que s’il est démontré une dénaturation
de la loi marocaine. Les hypothèses de dénaturation sont rares. C’est ainsi
que dans des arrêts du 23 octobre 2013 où la question de la dénaturation du
Code marocain était posée à la première chambre civile à propos du divorce
pour discorde des articles 94 et suivants du Code, celle-ci s’est retranchée
derrière l’interprétation faite par les juges du fond3. Toutefois, dans un arrêt
du 24 septembre 2014, une dénaturation de l’article 114 du Code marocain
sur le divorce consensuel a été sanctionnée. La cour d’appel avait considéré
que ce divorce ne respectait pas le principe d’égalité entre les époux alors
que le texte précise, selon la Cour de cassation, que les époux peuvent y
consentir d’un commun accord4.
Par principe, la Cour de cassation estime qu’elle n’a pas à unifier
l’application d’un droit étranger, et que l’appréciation de ce droit par les
juges du fond est souveraine. Ce qui conduit à une grande hétérogénéité
dans l’interprétation et l’application du Code marocain par les juges du fond
en France. La lecture des arrêts montre à la fois des approches différentes du
divorce pour préjudice, du divorce pour discorde, des hypothèses où un don
de consolation peut-être accordé à l’épouse (ou l’époux ?), des dommages et
intérêts, mais aussi très certainement une approche qui n’est pas celle des
juges marocains, le Code de la famille marocain appliqué en France n’est

2
V. pour étude de cette Convention, A. ABIDA et F. MONÉGER, Jcl. Int. Fasc. 592.
3
V. sur ces arrêts, Rev. crit. DIP, 2014, p. 247.
4
Cass. civ. 1ère 24 sept. 2014, n° 13-20049 et 13-25556, JDI, 2015, p. 114, note F. MÉLIN.
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pas celui appliqué par les juges au Maroc. Il est ainsi très intéressant de
comparer les jurisprudences marocaine et française publiées en annexe de
l’ouvrage.
Des points de convergence existent dans les différents rapports. Il a été
relevé dans le rapport français (p. 11 et s) et dans le rapport espagnol
(p. 171), que les questions de procédure sont soumises à la loi du for. Or, en
matière de divorce la procédure et le fond étant intimement liés,
l’application de la procédure française ou espagnole à un divorce prévu par
le Code de la famille marocain, risque de le dénaturer. L’exception d’ordre
public, un ordre public qui met en avant la CEDH, et le principe d’égalité
entre époux, est systématiquement opposé, dans tous les pays concernés au
droit marocain. Ceci est particulièrement vrai pour les répudiations
maritales. Ces « divorces sous contrôle judiciaire » selon la terminologie du
nouveau Code, n’ont pas fait changer les jurisprudences française,
espagnole, belge, hollandaise ou italienne qui continuent à opposer l’ordre
public international pour en refuser la reconnaissance.
La troisième partie de l’ouvrage est un « Regard sociologique sur une
décennie de l’application du Code de la famille marocain en Europe », avec
étude de cas en Belgique, France et Pays-Bas (Aboulkasem El Ziani). Il
s’agit d’une étude de terrain réalisée dans trois consulats : Rotterdam, Lille
et Anvers. Celle-ci se concentre sur les pratiques de régularisation d’actes de
mariage et d’enregistrement de mariages contractés par les MRE. Il est
intéressant de constater que les mariages directement conclus au consulat
deviennent l’exception. M. El Ziani remarque que si la première génération,
née au Maroc, était très attachée aux pratiques culturelles et administratives
du pays d’origine, les générations suivantes se sentent plus à l’aise avec les
procédures administratives du pays de résidence (p. 437). Cette constatation
est faite en particulier au consulat d’Anvers où a été notée une réticence
chez la deuxième et la troisième génération à s’adresser aux services
consulaires qu’il s’agisse de la transcription du mariage civil, ou tout
simplement de leur enregistrement au consulat (p. 443). L’analyse des actes
de mariage enregistrés dans les trois consulats depuis 2004 permet de
constater que la communauté tend à se perpétuer (p. 464 et s.). Il s’agit des
mariages civils célébrés selon la loi du pays de résidence et qui sont ensuite
transcrits sur les registres consulaires, 3740 actes ont été répertoriés.
« L’idée était de réaliser une cartographie de la distribution de ces mariages
en fonction de l’origine géographique des conjoints, de leur nationalité et de
leur religion » (p. 465). Il apparaît ainsi qu’en Belgique, les Belgo-
marocaines sont les épouses préférées des Marocains né en Belgique, dans
une proportion de 7 sur 10 (p. 469). De même, en France, les Marocains nés
en France épousent dans 54 % des cas une Franco-marocaine (p. 474), et
dans 22 % une Française « de souche », proportion beaucoup plus élevée
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que dans les deux autres pays. M. El Ziani termine son étude par la question
de la dot, condition exigée à l’article 14 du Code pour la transcription de
l’acte de mariage. Il relève que la moyenne de la dot pour les couples
marocains ou franco-marocains se situe entre 1000 et 1500 euros, et que ces
chiffres sont nettement inférieurs à ceux observés dans la communauté
marocaine établie en Belgique et aux Pays-Bas (p. 484).
Enfin, figurent en annexes, outre la jurisprudence marocaine, française
et italienne, la retranscription d’entretiens réalisés par Mohammed Loukili et
Aboulkasem El Ziani avec des juges de la famille marocains.
Il s’agit d’une première étude d’envergure sur l’application du Code de
la famille de 2004 au Maroc, et dans cinq pays européens. Cette étude qui
s’est étalée sur plusieurs années (de 2013 à 2016) a nécessité un énorme
travail de coordination dont il faut féliciter Marie-Claire Foblets, Directrice
du département « Droit et anthropologie » au « Max Planck Institut for
Social Anthropologie » d’Halle, en Allemagne, depuis mars 2012.

Françoise MONÉGER
Professeur honoraire
Ancien conseiller à la Cour de cassation en service extraordinaire

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COMPTE-RENDU DU SÉMINAIRE DE TRAVAIL


AVEC M. TAVARES

Section « Droit public financier »


de la Société de législation comparée

La section « Droit public financier » de la Société de législation


comparée a accueilli le mercredi 15 juin 2016, à la Cour des comptes,
M. José Fernandes Farinha Tavares, Directeur général du Tribunal de
Contas du Portugal.
Le Pr. Michel Lascombe, Président de la section, ouvre le séminaire de
travail. Il remercie la Cour des comptes d’accueillir ce séminaire de la
section financière de la Société de législation comparée. Il remercie
également M. Tavares pour avoir accepté de se rendre à Paris pour évoquer
le fonctionnement du Tribunal de Contas et le contrôle des gestionnaires
publics au Portugal, thème ô combien central du droit des finances
publiques. Le Président remercie ensuite M. Rudy Chouvel, doctorant en

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