Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
comparé
Monéger Françoise. Le Code marocain de la famille en Europe. Bilan comparé de 10 ans d’application. In: Revue
internationale de droit comparé. Vol. 69 N°1,2017. pp. 253-258;
doi : https://doi.org/10.3406/ridc.2017.20822
https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2017_num_69_1_20822
Ouvrage publié sous la dir. de Marie-Claire FOBLETS, éd. La Charte, LGDJ, Lextenso,
2017, 720 p.
254 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2017
des libertés fondamentales, et le fait que les principes énoncés dans cette
Convention ont permis de circonscrire l’exception d’ordre public
international, vont conduire à écarter tout texte du droit marocain qui ne
respectera pas une égalité parfaite entre hommes et femmes. Comment alors
conjuguer les possibilités offertes par le Code de 2004 et le droit
international privé des États ? Il faudra que les MRE utilisent les choix
offerts par le nouveau texte en matière de mariage en élaborant des clauses
qui tendent vers l’égalité entre époux et, en matière de dissolution du
mariage, qu’ils optent pour des modes de dissolution ouverts de façon
comparable au mari et à la femme.
La jurisprudence marocaine sur ce Code est peu connue, même si
certaines décisions ont été publiées et commentées dans des revues
marocaines de droit peu accessibles en France, parce qu’en langue arabe.
Lorsque les juges des États européens sont tenus d’appliquer le droit
marocain, ils se contentent le plus souvent du texte brut, sans autre
explication que celle du « Guide pratique du Code de la famille » publié au
Maroc en février 2005. C’est pourquoi, la présentation faite dans cet
ouvrage des principales décisions faisant application du Code par le
professeur Loukili sera une aide très précieuse pour tous les praticiens.
M. Loukili a traduit une centaine de décisions, dont bien sûr les principaux
arrêts de la Cour suprême. Un résumé de ces décisions figure en annexe
(pp. 495-576). À la différence de la jurisprudence des cinq pays européens
étudiés qui est une jurisprudence de droit international privé, la
jurisprudence marocaine est principalement une jurisprudence de droit
interne. En effet, comme le précise M. Loukili (p. 71), dans les relations
familiales mixtes où l’une des parties est marocaine musulmane, la
jurisprudence fait application des privilèges de nationalité et de religion
inscrits à l’article 2 du Code, même si ce dernier privilège n’est mentionné
que pour les relations impliquant deux parties marocaines dont l’une est de
confession musulmane. M. Loukili remarque également que les juges, même
de formation moderne ont eu tendance à appliquer ce Code de manière
traditionnelle, l’explication se trouve dans le texte lui-même, qui s’inspire
des règles ancestrales du droit musulman et qui fait obligation aux juges de
recourir au rite malékite pour combler les lacunes et les omissions (art. 400
du Code).
Les décisions ont été réparties selon les thèmes suivants : mariage,
dissolution du mariage, filiation, garde, et pension alimentaire. Il est très
intéressant de noter que les questions abordées dans la jurisprudence
marocaine, ne sont pas toujours celles qui apparaissent dans la jurisprudence
des pays européens, en particulier pour le mariage, et les difficultés posées
par l’article 14 du Code sur les conditions de fond du mariage et la question
des témoins qui doivent être de confession musulmane. De même,
INFORMATIONS 255
M. Loukili remarque que le divorce pour discorde (chiqaq) est très sollicité
au Maroc par les femmes, et qu’il représente aujourd’hui le type de divorce
le plus utilisé, au point que les juges écrit-il (p. 78), ne cachent pas leur
préoccupation au sujet de l’augmentation de ce type de divorce en invoquant
un certain abus de la part des épouses qui veulent mettre fin à tout prix à la
vie conjugale sans raison valable à leur yeux. L’épouse qui a abusé de son
droit au divorce a été condamnée à verser des dommages-intérêts à son ex-
époux (Cour suprême, 18 avril 2007, 10 septembre 2008), et la Cour
suprême est allée encore plus loin en considérant que la femme qui a obtenu
un divorce pour discorde devait être privée de son droit à un don de
consolation, don versé par l’ex-mari en cas de dissolution du mariage sans
que le texte de l’article 84 du Code fasse une exception pour le divorce
chiqaq (Cour suprême, 22 mars 2011). Ces solutions sont très éloignées de
la pratique judiciaire française (V. rapport français).
La deuxième partie de l’ouvrage est constituée par l’étude de la
jurisprudence dans les cinq pays de résidence des MRE et dans l’ordre
suivant : La France (Françoise Monéger), l’Espagne (Ana Quinônes
Escamez), la Belgique (Hélène Englert et Jinske Verhellen), les Pays-Bas
(Leila Jorden-Cotran) et l’Italie (Roberta Aluffi). Selon la remarque déjà
faite, tous les rapports présentent en premier lieu les règles de droit
international privé qui conduisent à l’application du Code marocain aux
personnes de nationalité marocaine vivant dans le pays concerné. La
jurisprudence sur le Code sera d’autant plus importante que les règles de
conflit désigneront la loi nationale, ce qui devient de plus en plus rare, les
règles de conflit privilégiant de plus en plus la loi de la résidence habituelle.
Toutefois, l’entrée en vigueur du Règlement Rome III sur la loi applicable
en matière de divorce le 21 juin 2012 dans certains pays de l’UE va peut-
être changer les choses puisque la grande innovation du texte est de
permettre aux époux de choisir la loi applicable à leur divorce1. Ils pourront
choisir la loi marocaine si l’un des époux est de nationalité marocaine. La
question sera de savoir s’ils pourront choisir, dans le Code marocain des cas
de divorce qui ne sont pas ouverts de la même façon aux hommes et aux
femmes (art. 10 et 12 du Règlement). Parmi les cinq pays étudiés, seul les
Pays-Bas n’ont pas adhéré à ce texte qui est applicable en France, en
Belgique, en Espagne et en Italie. Mais pour la France, la situation est tout à
fait particulière du fait de l’existence d’une Convention bilatérale avec le
Maroc du 10 août 1981 relative au statut personnel et à la famille, applicable
en France depuis le 13 mai 1983, et publiée au Maroc, le 7 octobre 1987.
L’article 19 du Règlement Rome III précise que le Règlement n’a pas
d’incidence sur les Conventions internationales auxquelles les États étaient
1
V. par ex. sur ce Règlement, P. HAMMJE, Rev. crit. DIP, 2011, p. 291.
256 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2017
2
V. pour étude de cette Convention, A. ABIDA et F. MONÉGER, Jcl. Int. Fasc. 592.
3
V. sur ces arrêts, Rev. crit. DIP, 2014, p. 247.
4
Cass. civ. 1ère 24 sept. 2014, n° 13-20049 et 13-25556, JDI, 2015, p. 114, note F. MÉLIN.
INFORMATIONS 257
pas celui appliqué par les juges au Maroc. Il est ainsi très intéressant de
comparer les jurisprudences marocaine et française publiées en annexe de
l’ouvrage.
Des points de convergence existent dans les différents rapports. Il a été
relevé dans le rapport français (p. 11 et s) et dans le rapport espagnol
(p. 171), que les questions de procédure sont soumises à la loi du for. Or, en
matière de divorce la procédure et le fond étant intimement liés,
l’application de la procédure française ou espagnole à un divorce prévu par
le Code de la famille marocain, risque de le dénaturer. L’exception d’ordre
public, un ordre public qui met en avant la CEDH, et le principe d’égalité
entre époux, est systématiquement opposé, dans tous les pays concernés au
droit marocain. Ceci est particulièrement vrai pour les répudiations
maritales. Ces « divorces sous contrôle judiciaire » selon la terminologie du
nouveau Code, n’ont pas fait changer les jurisprudences française,
espagnole, belge, hollandaise ou italienne qui continuent à opposer l’ordre
public international pour en refuser la reconnaissance.
La troisième partie de l’ouvrage est un « Regard sociologique sur une
décennie de l’application du Code de la famille marocain en Europe », avec
étude de cas en Belgique, France et Pays-Bas (Aboulkasem El Ziani). Il
s’agit d’une étude de terrain réalisée dans trois consulats : Rotterdam, Lille
et Anvers. Celle-ci se concentre sur les pratiques de régularisation d’actes de
mariage et d’enregistrement de mariages contractés par les MRE. Il est
intéressant de constater que les mariages directement conclus au consulat
deviennent l’exception. M. El Ziani remarque que si la première génération,
née au Maroc, était très attachée aux pratiques culturelles et administratives
du pays d’origine, les générations suivantes se sentent plus à l’aise avec les
procédures administratives du pays de résidence (p. 437). Cette constatation
est faite en particulier au consulat d’Anvers où a été notée une réticence
chez la deuxième et la troisième génération à s’adresser aux services
consulaires qu’il s’agisse de la transcription du mariage civil, ou tout
simplement de leur enregistrement au consulat (p. 443). L’analyse des actes
de mariage enregistrés dans les trois consulats depuis 2004 permet de
constater que la communauté tend à se perpétuer (p. 464 et s.). Il s’agit des
mariages civils célébrés selon la loi du pays de résidence et qui sont ensuite
transcrits sur les registres consulaires, 3740 actes ont été répertoriés.
« L’idée était de réaliser une cartographie de la distribution de ces mariages
en fonction de l’origine géographique des conjoints, de leur nationalité et de
leur religion » (p. 465). Il apparaît ainsi qu’en Belgique, les Belgo-
marocaines sont les épouses préférées des Marocains né en Belgique, dans
une proportion de 7 sur 10 (p. 469). De même, en France, les Marocains nés
en France épousent dans 54 % des cas une Franco-marocaine (p. 474), et
dans 22 % une Française « de souche », proportion beaucoup plus élevée
258 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2017
que dans les deux autres pays. M. El Ziani termine son étude par la question
de la dot, condition exigée à l’article 14 du Code pour la transcription de
l’acte de mariage. Il relève que la moyenne de la dot pour les couples
marocains ou franco-marocains se situe entre 1000 et 1500 euros, et que ces
chiffres sont nettement inférieurs à ceux observés dans la communauté
marocaine établie en Belgique et aux Pays-Bas (p. 484).
Enfin, figurent en annexes, outre la jurisprudence marocaine, française
et italienne, la retranscription d’entretiens réalisés par Mohammed Loukili et
Aboulkasem El Ziani avec des juges de la famille marocains.
Il s’agit d’une première étude d’envergure sur l’application du Code de
la famille de 2004 au Maroc, et dans cinq pays européens. Cette étude qui
s’est étalée sur plusieurs années (de 2013 à 2016) a nécessité un énorme
travail de coordination dont il faut féliciter Marie-Claire Foblets, Directrice
du département « Droit et anthropologie » au « Max Planck Institut for
Social Anthropologie » d’Halle, en Allemagne, depuis mars 2012.
Françoise MONÉGER
Professeur honoraire
Ancien conseiller à la Cour de cassation en service extraordinaire
_______________________