Vous êtes sur la page 1sur 4

LA SEMAINE DU DROIT PUBLIC ET FISCAL 911-912

Étrangers - Rétention Dès lors que l'étranger n'a pas été déplacé pendant la durée de sa Cass. 1re civ., 29 juin 2011, nº 10-
administrative rétention, d'un lieu de rétention vers un autre, mais maintenu dans un 20.602, P+B+I : JurisData n° 2011-
centre de rétention à l'issue de sa période d'incarcération, les prescrip- 012965 c/ CA Paris, prem. prés., 15
tions de l'article L. 553-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers
mai 2010 (Cassation sans renvoi)
et du droit d'asile n'ont pas à être mises en œuvre
Lois et règlements - Lorsqu'un décret pris pour l'application d'une loi renvoie lui-même à un CE, 1re et 6e ss-sect., 29 juin 2011,
Application dans le arrêté la détermination de certaines mesures nécessaires à cette applica- n° 343188 Sté Cryo-Save France :
temps tion, cet arrêté doit intervenir dans un délai raisonnable JurisData n° 2011-012735

Note
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
912
Carton rouge pour les saisines blanches

Par sa décision n° 2011-630 DC du 26 mai 2011, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la
loi relative à l'organisation du championnat d'Europe de football de l'UEFA en 2016 dont il avait
été saisi d'un acte non motivé.
Il a alors précisé et modifié sa jurisprudence rendue en la matière.
Donnant quelques indices sur son examen d'office, le Conseil, en refusant de donner un brevet
de constitutionnalité aux dispositions non spécialement critiquées par les requérants, poursuit
la logique de juridictionnalisation du procès constitutionnel, a posteriori, comme a priori.

d'avant-match avaient créé la surenchère : au moment où la question de la coexistence


l'un des deux contentieux devait-il mourir, des contentieux a priori et a posteriori se pose
le premier était-il condamné à disparaître ? avec plus d'acuité, à l'occasion d'une saisine
Comme l'y invitaient les termes rassurants non motivée, dite « blanche ». La saisine ne
de l'article 23-2 de la loi organique n° 2009- comportait en effet aucun grief puisque les
1523 du 10 décembre 2009 relative à l'appli- requérants soumettaient au Conseil constitu-
cation de l'article 61-1 de la Constitution, le tionnel : « l'ensemble du projet de loi [relatif
Conseil avait, depuis les premières décisions à l'organisation du championnat d'Europe
ANNE-CHARLÈNE BEZZINA, ATER à QPC, choisi la prudence avant d'opter par de football de l'UEFA en 2016 » (saisine par
l'université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) la présente décision, pour un équilibre ins- soixante députés le 4 mai 2011).
MICHEL VERPEAUX, professeur à l'université table, privilégiant une survivance amputée Si ce procédé est courant et même s'il l'est
Panthéon-Sorbonne (Paris 1) du contrôle a priori. moins quand il s'agit d'une saisine par plus
Tous les ingrédients du débat médiatique de soixante députés, il a toujours posé un
Cons. const., déc. n° 2011-630 DC, 26 étaient absents. Tout d'abord, la loi déférée problème de qualification. En effet com-
mai 2011 était issue d'une proposition (déposée le ment peut-on considérer comme une juri-
4 février 2011 par le député Bernard De- diction l'organe qui s'estimerait saisi d'un
Le Conseil constitutionnel aura attendu la pierre, prop. n° 101, 27 avr. 2011). De plus, acte vide ? Au profit de quelques distor-
Ligue des champions pour jouer un match adoptée par l'Assemblée nationale le 22 sions de logique qui n'ont pas permis une
important ! mars 2011 et par le Sénat le 27 avril 2011, grande lisibilité de la pratique, le Conseil
C'est en effet, par la décision n° 2011-630 DC cette loi ne paraissait poser aucun problème a pourtant toujours choisi de s'estimer
(Loi relative à l'organisation du championnat de constitutionnalité apparent. Enfin, elle valablement saisi de tels actes sur la base
d'Europe de football de l'UEFA en 2016 : JO 21 ne comportait que trois articles qui pré- de l'argument tiré de l'article 61, alinéa 2
mai 2011, p. 8889) que le juge constitution- voyaient plusieurs règles dérogatoires au de la Constitution qui n'impose nullement
nel a créé le lien entre le contrôle a priori Code général des collectivités territoriales, aux autorités de motiver leurs recours (cf.
et a posteriori des lois. Il aura fallu attendre ce qui n'empêcha pas plus de soixante dé- saisine de plus de soixante parlementaires :
plus d'un an d'application de la QPC pour putés de déférer la loi. Cons. const., déc. n° 86-211 DC, 26 août
que le Conseil nuance la dualité conten- Comme le diable, l'intérêt de cette décision 1986, Loi relative aux contrôles et vérifica-
tieuse dommageable. Longtemps les paris est dans les détails ! Le point de départ se situe tions d'identité).

LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 35 - 29 AOÛT 2011 Page 1495


913

Mais cette pratique hésitante du régime tégeant la liberté des personnes), en utilisant il pas voir dans la valorisation de ce cri-
des saisines blanches peut-elle perdurer toutes normes de référence utiles (V. par ex. tère de recherche des inconstitutionnalités
alors que la QPC est entrée en vigueur ? déc. n° 82-146 DC, 18 nov. 1982, « quotas par une volonté du Conseil constitutionnel de
Le défi semble difficile à relever sachant sexe » pour le principe d'égalité). Par l’emploi calquer sa jurisprudence sur les moyens
que les dispositions effectivement exa- du terme « en l'espèce », le considérant ba- d'ordre public devant le juge administra-
minées doivent être clairement iden- lai confirme une utilisation « au coup par tif qui ne relève d'office un moyen d'ordre
tifiées par le Conseil constitutionnel coup » de cette technique dont le Conseil public que dans le cas où l'existence de ce-
dans le contentieux a priori pour que constitutionnel n'a d'ailleurs jamais établi lui-ci ressort des pièces du dossier (CE, 14
la question prioritaire puisse ou non les de théorie. On peut retenir celle proposée nov. 1980, n° 17172, Union départementale
remettre en cause. par B. Genevois qui repose sur l'existence des syndicats CGT du Tarn : Rec. CE 1980,
d'une inconstitutionnalité manifeste ou p. 422) ? Il semble que la recherche d'un
1. La clarification du contentieux suffisamment grave (La jurisprudence du critère pour soulever d'office soit très cer-
de l’article 61, alinéa 2 de la Conseil constitutionnel. Principes directeurs : tainement contestable puisque conduisant
Constitution éd. STH, 1988). Aucune jurisprudence à privilégier un critère plus qu'un autre, ce
n'avait permis de confirmer cette théorie, qui ne correspond pas au pouvoir tel qu'il
Par l’emploi judicieux de plusieurs for- jusqu'à la décision commentée à travers est exercé par le Conseil constitutionnel.
mules, la décision n° 2011-630 DC va ré- laquelle le Conseil confirme sa parcimonie
gler, quoique de façon elliptique, plusieurs en matière d'utilisation du pouvoir d'of- B. - La précision salutaire du
questions encore en suspens. L'avènement fice. Le critère tiré du motif « particulier » traitement des saisines blanches
du contrôle de la QPC n'avait pas encore de l'inconstitutionnalité permet, en effet,
permis de clarifier la démarche du juge de révéler la nécessité d'une gravité dans Le Conseil avait déjà été saisi d'un acte non
constitutionnel. Il a finalement choisi cette l'inconstitutionnalité pour que celle-ci soit motivé après l'entrée en vigueur de la QPC
décision pour se prononcer sur des ques- relevée d'office par le Conseil. (déc. n° 2010-613 DC, 7 oct. 2010, Loi interdi-
tions aussi fondamentales que les critères de La prise en compte des travaux parlemen- sant la dissimulation du visage dans l'espace
l'examen d'office (A) et le régime juridique taires. - Il est nécessaire de ne pas voir dans public) et avait accordé à la loi un brevet de
des saisines blanches (B). l'enchaînement des termes : « un motif par- constitutionnalité critiquable (M. Verpeaux :
ticulier d'inconstitutionnalité », puis « tiré AJDA 2010, p. 2373 ; A. Levade : JCP G 2011,
A. - La révélation des étapes des travaux parlementaires », une signifi- act. 1043). Cette fois-ci, le Conseil consti-
de l’examen d’office du juge cation selon laquelle seuls les motifs tirés tutionnel fait marche arrière. Les commen-
constitutionnel des travaux parlementaires seraient suscep- taires aux Cahiers du Conseil constitutionnel
tibles d'être soulevés d'office par le Conseil. (n° 32, 2011 : http://www.conseil-constitu-
Pour refuser, cette fois-ci, d'examiner de La décision semble enseigner que les tra- tionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/
sa propre initiative une quelconque dispo- vaux parlementaires sont l'une des pre- dow nload /2011630DCccc _ 630dc .pdf )
sition de la loi, le Conseil va s'appuyer sur mières références choisies par le juge pour lancent un appel aux requérants du conten-
l'absence d'un « motif particulier d'incons- relever d'office. On peut tout de même tieux a priori : « il leur appartient alors d'en
titutionnalité » fondé sur les travaux parle- penser que le Conseil constitutionnel avait saisir spécifiquement le Conseil. Le Conseil
mentaires. toujours pris en compte les discussions sera ainsi mis à même de procéder “spécia-
Les « motifs particuliers d'inconstitution- parlementaires pour repérer, par exemple, lement” à l'examen des dispositions en ques-
nalité ». - Par cette incise, le juge confirme les cavaliers législatifs des lois, et pour jus- tion », ce qui semble signer la fin des saisines
l'un des critères suivis par lui pour soule- tifier certaines inconstitutionnalités (déc. blanches en consacrant le caractère « provi-
ver d'office une question. Depuis 1980, le n° 93-332 DC, 13 janv. 1994, Loi relative à soire » de son examen. Le Conseil rationalise
Conseil constitutionnel soulève en effet la santé publique et à la protection sociale). donc ses méthodes, sûrement du fait de son
d'office toute inconstitutionnalité pourvu En tant que telle, cette référence paraît trop habitude de juger, désormais dans le cadre de
qu'elle soit manifeste (V. déc. n° 80-127 DC, hasardeuse pour constituer une théorie des la QPC, de saisines motivées, confirmant sa
20 janv. 1981, Loi renforçant la sécurité et pro- questions soulevées d'office. Ne faudrait- tendance générale à la juridictionnalisation.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL - (…) particulier d'inconstitutionnalité ne ressort des travaux parlemen-


taires ; qu'il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, d'exami-
Vu la Constitution ; vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ner spécialement ces dispositions d'office,
modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; (…) Décide :
• 1. Considérant que les députés requérants défèrent au Conseil • Art. 1er : La loi relative à l'organisation du championnat d'Europe
constitutionnel la loi relative à l'organisation du championnat d'Eu- de football de l'UEFA en 2016 est conforme à la Constitution. (…)
rope de football de l'UEFA en 2016 ;
M. Debré, prés., M. Barrot, Mme Bazy Malaurie, MM. Canivet, Cha-
• 2. Considérant, d'une part, que cette loi a été adoptée selon une rasse, Denoix de Saint Marc, Mme de Guillenchmidt, MM. Haenel
procédure conforme à la Constitution ; et Steinmetz
• 3. Considérant, d'autre part, que les requérants n'invoquent au-
cun grief à l'encontre de ce texte ; qu'au demeurant, aucun motif

Page 1496 LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 35 - 29 AOÛT 2011


LA SEMAINE DU DROIT PUBLIC ET FISCAL 913

L'examen prudent des saisines blanches. teur, il affirme qu'il n'y a pas lieu d'exami- minée dans une précédente décision pour
- Sur les lois déférées sans motivation, le ner « spécialement » de dispositions. Le préciser l'application de l'article 23-2 de la
Conseil constitutionnel a toujours opéré un Conseil constitutionnel ne souhaite pas se loi organique du 10 décembre 2009. La no-
contrôle variable par lequel il reconnaît « rele- lier pour l'avenir. tion n'avait jusqu'à présent jamais été utili-
ver d'office toute disposition (…) qui mécon- Ainsi, le Conseil prouve qu'il existe deux sée dans le cadre d'une décision DC.
naît des règles ou principes de valeur constitu- étapes dans la décision de conformité a priori. L'indispensable création de la notion
tionnelle » (déc. n° 95-363 DC, 11 janv. 1995, D'abord celle de l'examen pour rendre la « d'examen spécial » dans le cadre de la
Loi relative au financement de la vie politique). décision. Ensuite, celle de la décision qui vaut QPC. - Cette notion n'apparaît pas dans
Puisqu'il est effectué sur la base du pouvoir pour l'avenir, après que la loi a été promul- l'ordonnance portant loi organique du 7
d'office, cet examen apparaît plus aléatoire. guée. Cette dernière étape, le Conseil consti- novembre 1958 et le Conseil d’État lui-
Mais le juge a parfois accordé un brevet de tutionnel ne le maîtrisait pas jusqu'à l'entrée même, dans sa décision de renvoi sur la
conformité total aux lois ainsi déférées (V. en vigueur de la QPC. C'est notamment pour même affaire, ne l'emploie pas, lui préférant
déc. n° 86-211 DC, 26 août 1986, Loi relative ces raisons que, jusqu'alors, l'autorité de chose les termes plus prudents de « disposition
aux contrôles et vérifications d'identité). On jugée attachée à la décision était « limitée à expressément examinée » (CE, 19 mai 2010,
entend par « brevet de constitutionnalité » la déclaration d'inconstitutionnalité visant n° 323930, Sect. française de l'OIP : JurisData
la théorie doctrinale (V. par ex. B. Mathieu, certaines dispositions de la loi qui lui était n° 2010-022087 ; JCP A 2010, act. 915).
M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel alors soumise » (déc. n° 88-244 DC, 20 juill. L'« examen spécial » permet d'appréhender
des droits fondamentaux : LGDJ, 2002) per- 1988, Loi portant amnistie). Depuis lors, la la décision de contrôle a priori du Conseil
mettant au Conseil constitutionnel d'accor- QPC a permis au Conseil de revenir sur les constitutionnel de manière plus claire :
der à la loi un label de constitutionnalité déclarations de constitutionnalité antérieures « l'autorité de la décision ne doit pas porter
plein et entier pour l'avenir. auxquelles il donne un caractère provisoire. (…) sur des articles de la loi qui n'ont pas
Le Conseil constitutionnel aurait dû depuis C'est le cas, en l'espèce où la loi n'est déclarée été spécialement examinés par le Conseil
toujours s'en tenir au contrôle limité qu'il conforme « qu'à première vue ». et qui ne bénéficient pas d'un “brevet de
révèle dans la décision. Il apparaît en effet Il ne faut lire dans le dispositif qu'une auto- constitutionnalité” » (R. Fraisse, La chose ju-
dangereux de prétendre à un examen com- risation de promulgation qui n'a rien à voir gée par le Conseil constitutionnel dans les mo-
plet en l'absence de tout élément « balisant » avec un label irréfragable de constitution- tifs et le dispositif de ses décisions et la QPC :
l'examen du juge. Ces éléments peuvent être nalité que le Conseil constitutionnel ne se Nouveaux Cah. Cons. const. 2011, n° 30). Il
tirés de l'embryon de contradictoire dans la permet pas d'accorder. Ce dernier semble- n'y a donc pas « d'autorité du silence » du
procédure constitutionnelle, mémoire et rait plutôt veiller à préserver l'étendue de Conseil (G. Vedel, Doctrine et jurisprudence
observations en défense du Gouvernement, la QPC : « la déclaration de conformité à la constitutionnelle : de l'opposition à la complé-
absents en l'espèce. Le Conseil s'est, en ce Constitution des dispositions de cette loi, mentarité : RDP 1989, p. 11).
sens, déjà reconnu la possibilité de consta- figurant dans le dispositif de la décision du Les premières jurisprudences ont permis
ter que la loi n'est pas susceptible d'encou- 26 mai 2011, ne pourra donc être opposée de préciser ce que recouvrait cet « examen
rir de griefs, sans en examiner d'office (V. à une éventuelle future QPC » (commen- spécial » et vont dans le sens de la décision
déc. n° 95-361 DC, 2 févr. 1995, Loi relative taires aux Cah. Cons. const., préc.). analysée. En effet, les juridictions de renvoi
aux marchés publics et délégations de service Une QPC sera possible, étant donné que les ont toujours exigé que la disposition fasse
public). dispositions n'ont pas fait l'objet d'un exa- l'objet d'un examen détaillé dans les motifs
C'est justement le cas en l'espèce qui met fin men suffisant dans les motifs de la décision, et le dispositif de la décision, ce qui exclut
aux hésitations du Conseil. même si elles apparaissent dans le dispositif. les dispositions tirées du considérant balai.
Une déclaration de constitutionna- C'est ce qu'avaient décidé le Conseil d’État
lité « provisoire ». - Le Conseil choisit 2. L’identification d’éléments (CE, 31 mai 2010, n° 338727, Exbrayat : Juris-
en l'espèce de déclarer la loi conforme, d’articulation entre les deux Data n° 2010-008312 ; Dr. fisc. 2010, n° 25,
par une formulation subtile : « les requé- contentieux comm. 385, concl. L. Olléon) et la Cour de
rants n'invoquent aucun grief (…) ; qu'au cassation, quant à elle, dans une affaire to-
demeurant, aucun motif particulier d'in- Sur un point précis, la décision est la pre- pique (Cass. crim., 7 mai 2010, n° 09-86.425
constitutionnalité ne ressort des travaux mière à faire apparaître « l'examen spécial » QPC : JurisData n° 2010-005984 ; Dr. pén.
parlementaires ; qu'il n'y a pas lieu (…) dans le contentieux a priori (A), ce qui 2010, comm. 84, note J.-H. Robert ; JCP G
d'examiner spécialement ces dispositions permet d'articuler les deux contentieux de 2010, doctr. 931, n° 8, obs. J.-H. Robert). En
d'office ». Il ne sous-entend pas que cette constitutionnalité et d'intégrer les apports l'espèce était en cause la constitutionnalité
dernière soit exempte de toute inconsti- de la QPC (B). de l'article L. 7 du Code électoral introduit
tutionnalité. Dans un premier temps, le par l'article 10 de la loi du 19 janvier 1995,
Conseil examine les griefs tirés de la saisine, A. – L’appropriation de la notion examinée par le Conseil constitutionnel le
en l'espèce, inexistants. Dans un second d’« examen spécial » par le 11 janvier 1995 (n° 95-363 DC). Cette déci-
temps, le Conseil confirme sa jurisprudence contentieux a priori sion avait été rendue sur la base d'une sai-
en matière de saisine blanche en examinant sine non motivée du Premier ministre. La
d'office les dispositions susceptibles de po- Par la décision n° 2010-9 QPC (2 juill. 2010, Cour de cassation a considéré que seul l'ar-
ser un doute sérieux de constitutionnalité. Sect. française de l'OIP), le Conseil a employé ticle expressément examiné dans la décision
Enfin, dans un troisième temps, plus nova- les termes de disposition spécialement exa- n° 95-363 DC précitée était susceptible de

LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 35 - 29 AOÛT 2011 Page 1497


913

ne pas être soumis au Conseil en vue de la esquisse avec cette décision une nouvelle constitutionnel la question de savoir si une
QPC. De ce fait, la Cour a démontré que le division des contentieux a priori et de la saisine blanche portant sur une loi dans la-
fait d'accepter de contrôler une saisine non QPC. En l'espèce, le Conseil semble dif- quelle n'apparaissait prima facie aucun grief
motivée n'induit pas, pour le juge, l'obliga- férencier les problèmes de « forme » des d'inconstitutionnalité ne pourrait appa-
tion de lui accorder un brevet de constitu- problèmes de « fond », alors même que raître, en conduisant à une validation quasi
tionnalité systématique. cette division est impropre en contentieux mécanique de la loi faute de tout grief et de
Une transposition réajustée de la notion constitutionnel des lois, tant elle gomme possibilité d'un réel examen de la constitu-
dans le contentieux a priori. - Si la déci- l'importance de l'examen de chacune des tionnalité, comme de nature à faire obstacle
sion n° 2010-9 QPC a créé la notion de dis- normes de référence, qu'elles concernent de façon injustifiée (…) à une QPC sur
position spécialement examinée, la décision la procédure ou les libertés. Les premières cette loi ».
analysée est la première à l'utiliser dans le questions seraient réservées au conten- L'on ne peut que regretter que les acquis
contentieux a priori. Cette « adaptation » tieux a priori, les secondes à la QPC. Cette de la décision n'aient pas été suivis d'effets
n'est pas anodine. Le Conseil constitution- vision trop catégorique est dangereuse, dès la décision n° 2011-631 du 9 juin 2011
nel aurait pu persévérer dans l'état du droit sous-entendant que les droits fondamen- (Loi relative à l'immigration, à l'intégra-
antérieur puisqu'une disposition qui ne fait taux ne pourraient plus être contrôlés a tion et à la nationalité : JCP G 2011, act.
pas partie d'une motivation précise est déjà priori. Il faut espérer que le Conseil n'est 724) dans laquelle le Conseil constitution-
insusceptible d'être soumise au contentieux pas allé en ce sens, même s'il confirme la nel a finalement accordé le bénéfice d'un
de la QPC. division des normes de référence. L'exa- examen « spécial » à certaines dispositions
Pourtant, en l'espèce, le Conseil constitu- men des Cahiers du Conseil constitutionnel non critiquées par les requérants n'ayant
tionnel ne se contente pas de considérer (préc.) révèle la démarche suivie : « cette pas fait l'objet d'un examen détaillé. Pré-
qu'il n'y a pas lieu de soulever de dispo- question ne figurant pas au nombre des cisons que les requérants avaient motivé
sitions d'office, mais précise bien que ces droits et libertés (…), l'examen d'office par leur saisine sur presque tous les articles
dernières n'ont pas à faire l'objet d'un exa- le Conseil constitutionnel est sans consé- de la loi sauf une dizaine, non examinés
men spécial. Aussi, le Conseil choisit de quence sur le droit, pour l'avenir, de poser de manière détaillée. Ces derniers ont fait
laisser ouverte la possibilité d'une QPC sur une QPC ». l'objet d'un développement spécifique
les dispositions de la même loi. Ce faisant, Il est à craindre que le Conseil constitu- (« sur les articles 73 à 88 »), pour la pre-
le Conseil constitutionnel apporte une pré- tionnel accentue dans l'avenir les traits de mière fois dans une décision, alors même
cision supplémentaire au champ de ce qui cette subdivision en diminuant la vigilance qu'ils n'ont pas été examinés d'office par
a été « spécialement » examiné par lui. À de son pouvoir de soulever d'office sur cer- le juge constitutionnel. En effet, le Conseil
la suite des décisions précitées du Conseil taines dispositions posant des problèmes de constitutionnel les mentionne seulement,
d’État et de la Cour de cassation, le Conseil fond dans le contentieux a priori. sans les contrôler : « les requérants ne
constitutionnel précise que le considérant La nouvelle rédaction du considérant formulent aucun grief particulier à l'en-
balai ne doit pas laisser entendre que les balai : un examen limité des lois ? - En contre de ces articles ; qu'il n'y a pas lieu
dispositions « balayées » par le considé- l'espèce, le Conseil constitutionnel rejette de les examiner d'office » (consid. 81). Ces
rant final n'ont pas fait l'objet d'un examen tout examen d'office et refuse d'accorder dispositions sont déclarées néanmoins
spécial. Cette auto-limitation du contrôle un brevet de constitutionnalité à la loi. conformes dans le dispositif, ce qui bloque
a priori est justifiée par la préservation Ce statu quo n'est pas nouveau. Il est sim- la possibilité d'une QPC, puisque les dis-
du « droit pour tout justiciable de poser plement précisé par la décision et rendu positions apparaissent également dans les
une QPC » (Cah. Cons. const. n° 32, 2011, plus flagrant par l'absence d'au moins une motifs. Il semble alors que le Conseil n'est
préc.) ; fondement qui peut être considéré disposition faisant l'objet d'un examen pas allé au bout d'une logique conduisant
comme douteux sur le plan juridique. express. En effet, dans chaque décision, à penser qu'une disposition n'ayant pas
le considérant balai refuse déjà le béné- fait l'objet d'une critique de la saisine ou
B. – L’articulation des contentieux : fice du brevet de constitutionnalité aux d'un examen d'office du Conseil ne peut
l’auto-limitation du contentieux a dispositions n'ayant pas été expressément être consacrée comme spécialement exa-
priori examinées, sans pour autant leur refuser minée.
l'autorisation de promulgation. Nous ne En l'espèce, le Conseil constitutionnel
La décision permet d'affirmer les contours croyons pas que le Conseil constitution- consacre bien l'examen spécial dans les mo-
plus nets du contentieux a priori. À l'aune nel abandonne une sorte de systématisme tifs d'une disposition mais la jurisprudence
de cette nouvelle articulation entre les d'un examen intégral de chaque décision postérieure montre qu'il peut choisir d'ac-
contentieux, le Conseil constitutionnel es- du fait de l'instauration de la QPC qui lui corder le bénéfice de cet « examen spécial »
quisse une division des normes de référence laisserait une potentialité de réexamen des à des dispositions qui n'ont pas fait l'objet
qui doit rester limitée. Les termes combinés dispositions de lois. Il semble plutôt que le d'un examen suffisant.
du nouveau considérant balai et du dispo- Conseil constitutionnel clarifie l'état de sa Il appartiendra au juge de conserver plus de
sitif permettent de conclure à un abandon jurisprudence antérieure en confirmant le rigueur dans l'utilisation de cette notion à
officiel de la théorie, un temps utile, du bre- caractère « provisoire » d'une déclaration l'avenir.
vet de constitutionnalité. de conformité.
Une « spécialisation » de chaque C'est ce qu'expriment les commentaires aux
contentieux ? - Le Conseil constitutionnel Cahiers (préc.) : « se posait pour le Conseil Textes : Const., art. 61, al. 2

Page 1498 LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 35 - 29 AOÛT 2011

Vous aimerez peut-être aussi