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LE JUGE CONSTITUTIONNEL MAROCAIN ENTRE

ATTRIBUTIONS STATUTAIRES ET POUVOIR NORMATIF

Anass KIHLI

Doctorant en droit public, Fsjes – Oujda-

Mail : kihlianass@gmail.com

Pour citer l’article :

KIHLI Anass, « Le juge constitutionnel marocain, entre attribution statutaires et pouvoir normatif », Revue de
1
Droit, Coll. les Connaissances juridiques et judicaires, Mars 2014, p.p. 49-61 .

Introduction

Si la mission de tout juge se limite à l’application des textes de loi en tranchant les litiges
qui lui sont soumis, il arrive qu’une orientation jurisprudentielle marquée par la constance et
le prolongement dans le temps soit érigée en norme de Droit selon l’adage stare decisis. De
ce fait, le juge détourne les limites qui lui sont imposés et élargie sa marge de manouvre. Le
juge constitutionnel quant à lui se trouve dans une posture, le moins que l’on puisse dire
qu’elle est particulière. Tout d’abord parce qu’il est nommé par des autorités politiques
(chambre des représentants, chambre des conseillers, le Roi). Deuxièmement, car ses
décisions opèrent et agissent sur la sphère politique : il juge de la constitutionnalité de la loi
(automatiquement pour la loi organique, après saisine pour la loi ordinaire), des règlements
des deux chambres du parlement et procède au déclassement législatif, il est également juge
du contentieux relatif à l’élection des membres du parlement et statue sur la régularité des
opérations de référendum. Ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les
autorités juridictionnelles et administratives, en plus du fait qu’elles n’admettent aucun
recours2.

Cette particularité fait que le juge constitutionnel émet des normes de droit susceptibles
d’empiéter sur les domaines du législateur et du constituant. Pour ce faire, en rendant ses

1
L’article a été publié après la correction de quelques écueils contenu dans sa version imprimée.
2
Titre VIII de la Constitution du Royaume du Maroc, promulguée par le Dahir n° 1-11-91 du 27 Chaâban 1432
(29 juillet 2011).
décisions, il puise dans des sources de droit autres que la Constitution écrite, en particulier le
Bloc de constitutionnalité3, surtout sa composante dite principes à valeur constitutionnelle qui
sont énoncés par le juge constitutionnel sans qu’il soit forcément fait référence à un texte
particulier, à titre d’exemple le principe de continuité des services public que nous avons
convenu d’étudier pour illustrer le pouvoir normatif du juge constitutionnel marocain.

Afin de bien élucider notre propos il convient d’adopter un plan comportant deux titres, le
premier aura pour objet de clarifier la notion de principe de continuité de service public en
tant que principe à valeur constitutionnelle et l’usage d’en fait le juge constitutionnel pour
appuyer ses raisonnements. Le deuxième portera sur les limites à son champ d’action et ses
nouvelles missions consacrées par la constitution de 2011 et la loi organique relative à la cour
constitutionnelle en perspectives.

I. Le principe de continuité des services public : avatar du pouvoir normatif du juge


Constitutionnel

En principe, le juge constitutionnel se réfère au texte de la constitution pour motiver ses


décisions. Néanmoins, il survient que ce dernier élargie son pouvoir d’action en faisant appel
à des sources de droit non écrites extraites du fameux bloc de constitutionnalité, dont les
principes à valeur constitutionnelle, qui sont le résultat des interprétations de la constitution et
ses finalités. En fait, ces interprétations engendrent dans certains cas la création pure et simple
des la règles de droit.

Les principes à valeur constitutionnelle sont des principes généraux de droit, inspirés de
l’œuvre du constituant, rehaussé par le juge constitutionnel au sommet de la hiérarchie des
normes (la sphère constitutionnelle). En conséquence, elles deviennent des normes supra-
législatives4.

3
Concept développé par le Conseil Constitutionnel français, notamment dans sa décision : 71-45 D.C., 16 juillet
1971. A ce propos voir : GICQUEL Jean (P), Le conseil constitutionnel, Paris Montchrestien, 2005.pp.38-99.
4
ROUSSEAU (D), Droit du contentieux constitutionnel, Paris, Montchrestien, 1990, p.p.91-92.
1- La continuité des services publics, principe à valeur constitutionnelle

Après l’apposition du sceaux de la constitutionnalité sur le principe de la continuité des


services public par le juge constitutionnel français5, la notion de principes à valeur
constitutionnelle est apparue pour la première fois au Maroc, dans la décision du conseil6 n°
124-977 lors de son examen de la loi organique n° 31.97 relative à la chambre des
représentants, dont La notion de principes à valeur constitutionnelle a été timidement citée. En
effet le juge de la constitutionnalité en a fait usage dans le dernier attendu de sa décision :
« …Considérant que suite à l’étude de la loi organique n° 31.97, adoptée par la chambre des
représentants le 17 septembre 1997, conformément aux dispositions de l’article 58 de la
constitution,…que ses dispositions sont conformes à la constitution, et que rien dans son
contenu est contraire à une règle de droit, ou à un principe à valeur constitutionnelle… » .

La deuxième décision qui a évoqué les principes à valeur constitutionnelle, est celle
portant n° 382-20008 se rapportant à la loi 15.97 portant code de recouvrement des créances
publiques. L’importance de cette décision réside dans le fait d’aborder les principes à valeur
constitutionnelle à maintes reprises. En effet, dans un premier temps, il est dit dans un
considérant : «…il doit être (le fait de préciser les cas d’incompatibilité) compatible avec les
principes cités par la constitution, et les principes à valeur constitutionnelle ». Puis le juge
constitutionnel évoque les principes de la continuité des services publics : « Considérant que,
de surplus à ce qui a précédé, les dispositions soumises à l’examen du Conseil constitutionnel
ne précisent pas les sanctions relatives à la déclaration des cas d’incompatibilité, il pourrait
être compris du paragraphe susmentionné de l’article 142 qui dispose que « l’incompatibilité
est levée après acquittement des créances (de l’Etat)». En effet, cette déclaration est
considérée comme un simple gèle de l’exercice de la fonction officielle ou élective, dans
l’attente du paiement des créances publiques, ce qui est contraire au principe de la
continuité des services publics ».

Les circonstances de la décision se présentent comme suit : le premier ministre saisit le


Conseil constitutionnel par lettre déposée à son secrétariat le 15 février 2000 concernant la
loi n° 15.97 portant code de recouvrement des créances publiques, dont il estime
l’inconstitutionnalité de son article 142 qui dispose : « Est réputée en état d’incompatibilité
5
C.C fr, 79- 105 D.C., 25 juillet 1979. J.O du 27/07/1979.
6
Nous utilisons l’appellation Conseil constitutionnel car à ce moment la Cour Constitutionnelle n’est pas
encore opérationnelle.
7
C.C ma, 124-97, datant du 26/08/1997, (B.O n° 4514 du 01/09/97).
8
C.C ma, 382-2000, datant du 15/03/2000, (B.O n° 4792 du 04/05/2000).
pour l’exercice d’une fonction officielle ou élective, toute personne qui ne s’acquitte pas
des créances publiques à sa charge, devenues exigibles en vertu d’un titre exécutoire et qui
ne font pas l’objet de contentieux . L’incompatibilité est levée après acquittement des
sommes dues. ». Dans sa lettre de saisine le premier ministre développe les arguments
suivants :

 les membres du gouvernement, les magistrats, et un nombre important des hauts


fonctionnaires de l’Etat sont nommés par le roi, ce qui est susceptible de lier les
compétences constitutionnelles du souverain.

 l’article 142 traite de façon incomplète des cas d’incompatibilité, alors qu’ils
doivent faire l’objet de lois organiques, notamment celles relatives à la chambre
des conseillers, la chambre des représentants, et celle relative au Conseil
Constitutionnel. Et ce, en vertu des articles 37 et 38 de la constitution de 1996 en
vigueur.

Pour rendre sa décision le Conseil Constitutionnel a suivi un raisonnement qui lui est
propre. Il a écarté les griefs avancés dans la lettre de saisine du premier ministre en concluant
à la censure du législateur en faisant usage de la théorie de l’incompétence négative, déjà
mise en œuvre par son homologue français. Le juge avait employé la notion de principe à
valeur constitutionnelle à deux reprises, premièrement il déclare que les citoyens ont droit à
l’accès aux fonctions publiques sans aucune discrimination en considérant que c’est droit
faisant l’objet d’un principe à valeur constitutionnelle. Deuxièmement, le juge précise que le
cas d’incompatibilité dont parle l’article 142, qui d’ailleurs tient lieu d’un gèle de l’exercice
de la fonction officielle ou élective et non d’une incompatibilité proprement dite, est de nature
à causer une perturbation dans la marche des institutions de l’Etat, ce qui porterait forcément
atteinte à la continuité des services publics, qui est un principe à valeur constitutionnelle,
déclare la haute instance9 .

En somme, le principe de la continuité des services publics est une partie intégrante des
sources de droits utilisées par le juge constitutionnel lors de son examen de la
constitutionnalité des lois, depuis la décision 124-97 susmentionnées, la notion de principe à

9
BENABDELLAH (M.A), « la constitutionnalisation des cas d’incompatibilité », REMALD n° 33, juillet et août
2000, p.p.143-152.
valeur constitutionnelle à été citée de manière fréquente dans la jurisprudence du Conseil.
Pour illustrer ce constat nous évoquons la décision n° 583-0410 portant sur la loi relative à la
haute cours de justice, et la décision numéro 586-0411 sur l’immunité parlementaire.

2- Le juge constitutionnel émetteur de normes

Après avoir clarifié la notion de principe à valeur constitutionnelle, il convient de


démontrer comment elle en est utilisée par le gardien de la constitutionnalité pour censurer le
législateur, qui, à ses yeux méconnait les principes constitutionnels. Dans son examen de
l’activité législative, le juge constitutionnel ne se limite pas seulement à l’examen de la
conformité au texte constitutionnel, mais il étend son contrôle au Bloc de la
constitutionnalité, dont les principes à valeur Constitutionnelle.
Comme il est souligné plus haut, les composantes du Bloc de constitutionnalité sont le
produit des différentes interprétations que fait le juge de la constitution et ses finalités.
Toutefois, cette interprétation tend dans certains cas à la création de nouvelles normes
constitutionnelles. Ce constat s’explique par le développement qu’à connu le rôle du juge
Constitutionnel et le droit qu’il applique. En effet, le droit constitutionnel est passé par trois
étapes majeures, la première était marquée par le dévouement mystique aux textes, c’est ce
que le professeur TURPIN le désigne par le temps des obsédés textuels. La deuxième étape
est celle où les politologues s’emparent du droit constitutionnel en réclamant le monopole de
son analyse. Au cours de cette période, la science politique en vogue considérée comme
militante avait pris le dessus sur la science juridique en matière d’appropriation de l’étude du
droit constitutionnel. Avec la 5éme république en France, dont l’apport principal est la
création du Conseil constitutionnel, et avec sa décision du 16 juillet 1971 une nouvelle ère a
été inaugurée, celle du nouveau droit constitutionnel, en l’occurrence le droit constitutionnel
jurisprudentiel12.

Cette nouvelle ère est marquée par la montée en puissance du juge constitutionnel, dans ce
sens, la constitution ne serait que le produit des décisions du juge constitutionnel, cette
«dictature » du juge constitutionnel se manifeste via le dépassement des limites du texte
constitutionnel.

10
C.C ma, 582-2004 datant du 11/08/2004, (B.O n° 52246 du 09/09/2004).
11
C.C ma, 586-2004 datant du 12/08/2004, (B.O n° 52246 du 09/09/2004).
12
TURPIN (D), op. Cit. p.129.
En France, comme au Maroc, de part les principes à valeur constitutionnelle, le juge
procède à la constitutionnalisation de toutes les branches du droit – public et privé- à juste
titre nous citons la décision du Conseil constitutionnel marocain n° 580-200413 relative à la
levée de l’immunité parlementaire en cas de poursuites pénales, à travers laquelle le juge de la
haute instance entame la constitutionnalisation du droit pénal. Nous citons également la
décision de son homologue français n°465-2002 D.C14relative à la loi sur les salaires, au
temps de travail et au développement de l’emploi par laquelle le juge constitutionnel français
constitutionnalise le droit social.

Par les principes à valeur constitutionnelle, le juge de la loi élargie le champ des normes
constitutionnelles et appose le sceau de la constitutionnalité sur des principes généraux du
droit pour les élever au sommet de la hiérarchie des normes15.

Les principes à valeur constitutionnelle apparaissent donc comme une création du juge
constitutionnel, ce postulat a fait l’objet de controverses au sein de la doctrine française. Le
débat entre les tenants de l’idée selon laquelle les principes à valeur constitutionnelle auraient
une existence objective inhérente au fonctionnement du système juridique, et ceux qui prônent
la thèse avançant que ces principes seraient une manifestation normative du juge
constitutionnel, autrement dit, ce sont une pure création de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel. A juste titre, Pierre BRUNET pense que les principes à valeur
constitutionnelle ne sont pas autre chose qu’une synthèse constructive accomplie par le juge
en se basant sur les caractéristiques juridiques d’un milieu donné, il rétorque : « Les principes
à valeur constitutionnelle s’imposent au législateur et ne peuvent être modifiés que par le seul
constituant. Ainsi, cette thèse prétend-elle se fonder sur la nécessaire unité de l’ordre
juridique »16.

Quoi qu’il en soit, et outre la question de trancher le débat pour élire une doctrine
dominante, le rôle prépondérant du juge constitutionnel soit pour la proclamation des
principes à valeur constitutionnel, soit pour leur création ne nécessite pas à être démontré. Ce

13
C.C ma, 580-2004 datant du 20/07/2004, (B.O n° 5240, du 19/08/2004).
14
C.C Fr, 2002-465 D.C, du 13 Javier 2002.
15
MOLFESSIS (N), « L’irrigation du droit par les décisions du conseil constitutionnel », Revue Pouvoirs, n°105,
2003l, p.p.89-101.
16
BRUNET (P), L’architecture du droit, mélange en l’honneur de Michel TROPER, Paris, Ecoonomica, 2006, p.p.
207-221.
dernier, jouit d’une large marge de manœuvre qui lui permet d’étendre le champ de son
contrôle sur la quasi-totalité des domaines de la vie publique.

Dans le système politique français, le Conseil constitutionnel jouit d’une grande notoriété,
que ce soit pour les medias ou l’opinion publique, c’est un organe déterminant dans l’édifice
institutionnel, ce qui fait du juge constitutionnel un acteur principal dans la procédure
législative. La loi, supposée représenter l’expression générale de la nation, et corollaire de la
souveraineté parlementaire ancrée dans la tradition constitutionnelle française jusqu’au
passage à la 5éme république en 1958. Ce régime fut écarté par une nouvelle conception
juridique et institutionnelle de la 5éme république, notamment par la refonte du système de
l’élection du président de la république, et davantage par la création du Conseil
constitutionnel ; surtout après la décision du 16 juillet 1971 par laquelle le juge
constitutionnel s’est reconnu des compétences plus larges que celles qui lui étaient attribuées
au départ.

En effet, le juge constitutionnel est un élément clef de la procédure législative, le


professeur François LEOTARD dit à ce propos : « le parlement légifère sous l’ombre du
Conseil constitutionnel». Pour nuancer le concept de la loi expression de la volonté générale,
le juge constitutionnel avance l’idée de la soumission de la loi à la constitution, autrement dit
la loi n’exprime la volonté générale que dans le respect de la constitution17. Pour lui, le
dogme : la loi expression de la volonté générale est révolue, il considère que la loi ne tire sa
légitimité que de sa conformité à la constitution. De ce fait on déduit que le juge de la loi
s’autoproclame co-législateur : « Les juges du Conseil constitutionnel dissimulent leur
pouvoirs de créateurs de normes juridiques derrière le paravent du respect scrupuleux de la
constitution »18 . Somme toute, les juges s’emparent de la volonté générale !

Au Maroc, la position qu’occupe le juge constitutionnel dans le système juridique et


politique ne cesse de croître. Depuis l’instauration du Conseil constitutionnel, il ne cesse
d’émettre des décisions habiles et courageuses qui ont bouleversé l’ordonnancement de
l’ordre juridique.

17
C.C fr, 85-197 D.C datant du 23/08/85. J.O du 24/08/1985.
18
BRUNET (P), « Que reste-t-il de la volonté générale », Revue Pouvoirs, n°114, 2005 p.p. 5-19.
II- Pouvoir normatif du juge constitutionnel : limites et perspectives de sa mission

Le pouvoir normatif du juge constitutionnel est une réalité qui doit être nuancée. En dépit
du fait qu’il se reconnaît co-législateur voire co-constituant il se voit soumis à des limites
d’ordre juridiques et d’autres inhérentes à la vie politique marocaine. Quoique les dispositions
de la nouvelle constitution l’investissent de nouvelles attributions. Pour exposer cette idée
nous abordons les limites au pouvoir normatif du juge constitutionnel, avant de se consacrer à
l’examen de ses nouvelles prérogatives dévolues en vertu de la constitution de 2011.

1- Limites au pouvoir normatif du juge constitutionnel


A- Les limites juridiques

En procédant au dépouillement de la jurisprudence du conseil constitutionnel, cherchant


les indices des limites au pouvoir normatif du juge constitutionnel, nous n’avons pas trouvé
plus illustrant que ses décisions19 datant d’aout 2006 se rapportant à la démission des
députés, où le juge constitutionnel exprime sa volonté d’agir sans pouvoir la rendre effective.
Ses décisions interviennent après la démission de plusieurs députés de la chambre des
conseillers à la fois ; le régime juridique sous le règne de la constitution de 1996 traitant de la
démission des conseillers se présente comme suit : le député présente sa démission au bureau
de la chambre dont il fait partie, ce dernier saisit le Conseil constitutionnel pour en faire
constater, par la suite la procédure change d’orientation. En effet, après un itinéraire
ascendant elle va dans un sens descendant ; le Conseil constitutionnel en informe le président
de la chambre des représentants, qui informe de sa part la chambre dans la première séance
qui se présente. Le président de la chambre est tenu également d’informer le premier ministre
de la vacance de siège20. En somme, le juge constitutionnel ne statue pas sur la régularité de la
démission, sa tâche consiste seulement à sa constatation.

Dans nos cas d’espèce, le gardien de la constitutionnalité constate la vacance de siège tout
en exprimant son attitude à l’égard de la démission des membres du parlement, il laisse
entendre qu’il désapprouve l’utilisation «fréquente » de l’acte de démission : «
(Les) démissions, qui, par leur nature sont parmi les actes exceptionnels, doivent s’exercer
dans certaines limites afin qu’elles ne perturbent pas la marche des institutions

19
C.C ma, 618-2006. C.C ma, 619-2006. C.C ma, 620-2006. C.C ma, 621-2006. C.C ma, 622-2006. C.C ma, 623-
2006. C.C ma, 624-2006. C.C ma, 625-2006. Datant du 02/08/2006, (B.O n°5451 du 28/08/2006).
20
Article 100 du règlement intérieur de la chambre des conseillers adopté par la chambre des conseillers le
14/04/1998.
constitutionnelles et leur rendement ». En infirmant que la démission est un actes
exceptionnel de la vie représentative, il entend que ça doit s’exercer dans certaines limites. Le
juge constitutionnel exprime son souci de garantir la continuité des services. En effet, le juge
de la haute instance le dit clairement et met en garde contre les conséquences de la large
utilisation de ce droit (la démission) par les parlementaires, il considère que la démission des
parlementaires a pour conséquence la perturbation de la marche des institutions
constitutionnelles et leur rendement.

Il est vrai que les députés démissionnaires n’ont fait qu’exercer leur droit qui leur ait
octroyé par les dispositions juridiques. Néanmoins la démission devrait rester une faculté pour
les députés ayant vraiment un motif justifiant leur acte. En reprenant les termes de notre juge
constitutionnel elle est parmi les actes exceptionnels dans la vie parlementaire, c’est un
propos au quel nous adhérons sans réserves.

Cependant, il convient de s’interroger sur l’opportunité d’insérer dans une décision du


conseil la manière de voir du juge constitutionnel, quoique qu’il reste sans incidences
juridiques. Une décision de justice quelle soit constitutionnelle, administrative ou autre, doit
avoir un caractère normative ; c'est-à-dire produire des droits et des obligations de manière
impérative, deuxièmement elle doit être imposable, en langage juridique elle doit renfermer
l’autorité de la chose jugée21.

Sans doute, le juge de la constitutionnalité était animé par la volonté de moraliser la vie
publique, cette euphorie lui a fait oublier son attachement à un formalisme ardu. Ce qui nous
intéressait dans ce cadre c’est de faire l’exposé des nuances portant une limitation au pouvoir
du juge constitutionnel en tant qu’émetteur de la règle de droit.

B- Le juge constitutionnel et les spécificités du système politique marocain

En plus des bornes imposées au juge constitutionnel par les textes juridiques, une partie de
la doctrine marocaine considère le juge constitutionnel comme limité dans sa mission, et ce, à
cause des conditions objectives inhérentes aux spécificités du système politique marocain. En
effet, il est considéré que la consécration constitutionnelle d’une subordination du Conseil
constitutionnel au Roi, rend le rôle du juge constitutionnel en sa qualité de gardien de la
constitution facultatif. Le Roi est un acteur principal dans le processus législatif au Maroc
notamment, il préside le conseil des ministres et promulgue la loi. De ce fait il parait

21
BENABDELLAH (M.A), « Le conseil constitutionnel, moralisateur ? », REMALD, n°75, 2007, p.p 133-142.
inconcevable de dire que le Conseil constitutionnel est le gardien suprême de la constitution.
Deuxièmement, il est admis que le système politique marocain, et davantage pour les acteurs
politiques, le Conseil constitutionnel est considéré comme un organe qui joue le rôle
d’intermédiaire de la consécration juridique des compromis et consensus politiques déjà
contractés, nous illustrons ce constat par la citation de la décision n° 475-200222 relative à la
loi organique n° 06.02 modifiant et complétant la loi organique relative à la chambre des
représentants, par laquelle le Conseil réitère un compromis entre les partis politiques et le
gouvernement. Il s’agit de la mise en place d’un cotas de représentation féminine au sein du
parlement. Cette décision du Conseil va à l’encontre de l’article 8 de la constitution de 1996
et le vide de son essence23.

Cette position qui porte un jugement critique sur le rôle du Conseil constitutionnel
marocain ne fait pas l’unanimité. Certains, pensent que le Conseil constitutionnel marocain en
dépit de sa jeune création a participé activement à l’encadrement et à la régulation de
l’activité des pouvoirs publics marocains, en considérant que son apport est crucial qu’il ne
faut guère nier24.

2- Nouvelles missions du juge constitutionnel

Avec la promulgation de la constitution de 2011, le juge constitutionnel s’est vu attribuer


de nouvelles missions, ce qui renforce sa position au sein de l’édifice institutionnel du pays et
influe sur son pouvoir normatif. Cette force la tient également de l’élection de la moitié des
juges formant la Cour Constitutionnel par un scrutin secret des membres du parlement à
raison de trois juges par chambre à la majorité qualifiée des deux tiers25, après qu’ils étaient
nommés par les présidents des deux chambres du parlement sous l’empire de la constitution
de 1996. Ainsi, le travail du juge constitutionnel sera imprégné d’une certaines légitimité
démocratique.

La première innovation concernant le travail du juge constitutionnel, est relative à sa


compétence pour statuer sur les exceptions d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un
procès pendant devant l’une des juridictions du royaume. Le 1er alinéa de l’article 133 de la
constitution dispose : « La Cour Constitutionnelle est compétente pour connaitre d’une
22
C.C ma, 475-2002, datant du 25/06/2002, (B.O n° 5201, du 05/04/2004).
23
ELMANAR ESSLIMI (A), Les méthodes du travail du juge constitutionnel au Maroc, publication de REMALD,
collection manuels et travaux universitaire, n°65, 2006, p.p. 393-435.
24
OURIEMCHI (H), « Le conseil constitutionnel, acteur de l’encadrement du politique et de la construction
juridique », REMALD n° 92, 2010, p.p. 69-77.
25
L’Article 130 de la constitution de 2011.
exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par
l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige porte atteinte aux droits et
libertés garantis par la constitution ». Il est à noter que le mode d’application de ladite
procédure sera précisé par une loi organique. L’Accès des citoyens à la Cour
Constitutionnelle aura pour objet le renforcement de l’autorité et de la notoriété de son juge,
de ce fait élargir son champ d’action.

Dès son préambule, la constitution ne cesse de rappeler les fondements religieux,


identitaires et culturels du royaume, tout en proclamant l’adhésion aux principes universels
des droits de l’Homme. Or, la cohabitation entre spécificités nationales et valeurs universelles
dans le même système juridique ne relève pas de l’évidence26. Afin d’éviter les conflits entre
les règles de droit international et celles du droit interne et réaliser l’intégration de la norme
internationale, le constituant a opté pour l’arbitrage du juge constitutionnel. Conformément
au 4éme alinéa de l’article 55 de la constitution : « Si la Cour Constitutionnelle, saisie par
le Roi ou le Chef de gouvernement ou le président de la chambre des représentants ou le
président de la chambre des conseillers ou le sixième des membres de la première
chambre ou le quart des membres de la deuxième chambre, déclare qu’un engagement
international comporte une disposition contraire à la constitution, sa ratification ne peut
intervenir qu’après révision de la constitution ».

A nos yeux, cette nouvelle prérogative permet au juge constitutionnel de développer une
jurisprudence orientée davantage vers l’interprétation des dispositions constitutionnelles, d’où
« l’outil » des principes à valeur constitutionnelle qui procure au juge une plus grande liberté
et une faculté de ne pas se limiter au texte de la constitution. Dans certains cas, l’usage des
principes à valeur constitutionnelle ne se résume pas à leur application, ce qui laisse croire à
un autoproclamé pouvoir normatif du juge constitutionnel.

26
Hamid RBII, « La place de la convention internationale dans la nouvelle constitution : Cas des conventions des
droits de l’homme », REMALD, Collection thème actuel, n°82.p 344.
Conclusion

Le juge constitutionnel se reconnaît un pouvoir très large pour l’interprétation des règles
constitutionnelles, il considère ce pouvoir inhérent à l’accomplissement de sa mission. Pour
faire parler la constitution, il utilise à cette fin les principes à valeur constitutionnelle. Comme
il est indiqué plus haut, ces principes n’ont pas besoin d’être rattachés directement à un texte
particulier ; ils sont inspirés de l’esprit de la constitution. Certes, le travail du juge
constitutionnel est très constructif à cet égard, mais ce dernier doit toujours garder à l’esprit
l’obligation de se tenir à la constitution, sans verser à son amendement en brèches, ou aller
dans le sens de créer une constitution bis27.

27
MILLER (M), « Principes d’interprétation constitutionnel et autolimitation du juge constitutionnel », exposé
présenté lors d’une rencontre organisée par l’OCDE à Istanbul, en mai 1998.

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