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Arrêt du Conseil d’Etat du 16 décembre 2020 (n°440258, 440289, 440457)

Il est à noter un attrait certain des gouvernements récents pour l’utilisation des ordonnances, et
plusieurs médias en viennent à parler de « gouvernement par ordonnance ». L’arrêt du 16 décembre
2020, vient préciser de manière claire, par des considérants de principes, les modalités relatives à la
contestation de ces ordonnances avant leurs ratifications.

Face à l’épidémie de Coronavirus, les pouvoirs publics ont été contraints de réagir. En raison des
circonstances exceptionnelles du fait de l’épidémie de covid 19, le 16 mars 2020 le Premier ministre
a mit en place un régime interdisant les déplacements des personnes, sauf exceptions. Dans le même
temps, afin d’éviter des flux de circulation trop importants, les pouvoirs publics ont décidé de
limiter drastiquement, l’activité de nombreuses administrations, les cantonnant dans leurs missions
les plus importantes, tout en permettant de garantir la continuité des services. Cette période est
marquée par un fort développement du télé-travail afin d’éviter la présence non nécessaire des
agents.
A été ensuite déclaré l’état d’urgence sanitaire, sur l’ensemble du territoire français, pour une durée
initiale de deux mois, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020. L'article 11 de la même loi a autorisé
le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à
l'article 38 de la Constitution afin de faire face à l’épidémie.

Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement, a notamment pris l'ordonnance du 15 avril


2020 (n°2020-430) relative en partie, à la prise de jours obligatoires de réduction du temps de
travail ou de congés dans les divers cours de la fonction publique.

Cette ordonnance est contestée, sur le fondement du recours pour excès de pouvoir, par plusieurs
organisations syndicales dont, la Fédération CFDT des Finances, la Fédération Interco CFDT,
l'Union des fédérations de fonctionnaires et assimilés et le syndicat CFDT affaires étrangères, la
Confédération générale du travail, la Fédération des services publics, la CGT et l'Union fédérale des
syndicats de l’Etat, mais également la Fédération des personnels des services publics et des services
de santé Force ouvrière.

En l’espèce, ces organisations contestent la légalité de cette ordonnance du 15 avril 2020 afin d’en
d’obtenir son annulation aux motifs que :
Celle-ci porte atteinte à plusieurs droits et libertés garantis par la Constitution, la convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales mais également la
charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Que celle-ci excède l’étendue de l’habilitation consentie par le législateur au travers de la loi du 23
mars 2020 relative à l’état d’urgence n° 2020-290 sanitaire.

Jusqu’il y a peu, une ordonnance, avant sa ratification, n’était pas assimilée à une véritable
disposition législative et par conséquent, ne pouvaient faire l’objet d’une question prioritaire
de constitutionnalité. En effet, seule la ratification par le Parlement de cette ordonnance conférait
cette qualité, permettant de ce fait sa contestation devant le CC. Toutefois, par deux décisions

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récentes de mai et juillet 2020, le Conseil constitutionnel a modifié sa jurisprudence, en jugeant que,
à l’expiration du délai d’habilitation, et en l’absence de ratification, les dispositions des
ordonnances relevant du domaine de la loi doivent être fictivement regardées comme des
dispositions législatives et dont la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit
ne peut être contestée uniquement par une QPC.

C’est donc dans cet arrêt du 16 décembre 2020, que le Conseil d’Etat de manière attendue vient
préciser les deux décisions du Conseil Constitutionnel de juillet 2020 et par conséquent
l’articulation entre la contestation des ordonnances non ratifiées devant le Conseil Constitutionnel et
devant la Conseil d’Etat. Autrement dit, cette solution permet de préciser, de manière claire et
appréciable, le déroulé, mais également l’ensemble de la procédure de contrôle d’un ordonnance
non ratifiée.

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat va dans un premier reprendre, la solution des juges du Conseil
Constitutionnel. Ce faisant, les juges confirment que la contestation d’une disposition d’une
ordonnance relevant du domaine de la loi ne peut s’opérer qu’à travers une QPC transmise au
Conseil constitutionnel. Toutefois, dans un but de protection des justiciables Néanmoins, afin
d’éviter tout recul de l’Etat de droit pour les justiciables et de respecter le choix des moyens le
Conseil d’Etat maintient sa compétence, en rappelant que même si une QPC est soulevé contre une
ordonnance non ratifiée, il appartient au juge administratif d’opérer son contrôle au « regard de la
norme de référence la plus conforme à l’argumentation dont il est saisi ». Egalement, les juges du
Conseil d’Etat, rappellent que si le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnelle une
disposition d’une ordonnance dont le Conseil d’Etat est saisi par voie d’action, il lui appartiendrait
de tirer les conséquences, « sur les conclusions de la requête, de la décision du Conseil
constitutionnel, puis d’accueillir ou de rejeter le surplus des conclusions, en fonction du bien-fondé
des moyens autres que ceux tirés de la méconnaissance des droits et libertés garantis par la
Constitution. »
Pour finir, les juges débouteront, pour des raisons factuelles l’ensemble des prétentions des
requérants.

C’est donc en raison de la portée et importance de cette décision, que dans la présent devoir ne sera
étudié que l’apport en droit de cet arrêt. A savoir la confirmation des deniers jurisprudences du
Conseil Constitutionnel, permettant la transmission au Conseil constitutionnel, de dispositions
relevant du domaine de la loi d’une l’ordonnance non ratifiée à l’expiration du délai d’habilitation
(I). Toutefois, par une lecture stricte de ces décisions du Conseil Constitutionnel, les juges du Palais
Royal vont tenter de préserver leur office (II).

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I/La confirmation prévisible du revirement du Conseil Constitutionnel

Meme si les juges maintiennent le caractère réglementaire d’une ordonnance non ratifiée (A), ils ne
remettent pas en cause, la solution issue de la JP récente du Conseil Constitutionnel (B).

A/Le maintient attendu du caractère réglementaire des ordonnances non ratifiées

Conformément à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement peut demander au Parlement,


« exceptionnellement » l’autorisation ou plutôt l’habilitation, de prendre des mesures relevant du
domaine de la loi, domaine normalement réservé aux parlementaires. Cette autorisation de
« légiférer », est rendu possible par le vote d’une loi d’habilitation. Ces actes élaborés par le
gouvernement, dans le domaine de la loi et sur habilitation du parlement n’ont pas pour effet de
« déléguer » du pouvoir législatif mais bien de prendre des mesures appartenant normalement, au
domaine de la loi. Il est a noter qu’il existe d’autres ordonnances que celle prévues à l’article 38:
- Notamment les ordonnances de l’article 92 de la Constitution, article abrogé par la réforme
constitutionnelle du 4 aout 1995,
- Les ordonnances budgétaires (article 47 alinéa 3 de la Constitution)
- Des ordonnances concernant spécifiquement les territoires d’outre mer (article 74-1 de la
Constitution)

Plus spécifiquement, concernant les ordonnances de l’article 38 de la Constitution, la réforme


constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit une nouveauté. Auparavant, la jurisprudence du
Conseil Constitutionnel admettait la ratification tacite d’une ordonnance, puisque la ratification
pouvait résulter d’une manifestation de volonté implicite mais clairement exprimée par le parlement
(En ce sens décision n°72-73 L du 29 février 1972, solution également confirmée dans la décision
n°86-224 DC, 23 janvier 1987).
Désormais, dans sa rédaction issue de la révision de 2008, l’article 38 exige que la ratification soit
explicite, puisqu’elle ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.

La ratification de l’ordonnance qui est en quelque sorte une validation législative, elle a donc pour
effet, de manière rétroactive, de donner valeur législative a l’ordonnance. A ce titre, les ordonnances
deviennent caduques si un projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la
date fixée par la loi d'habilitation.

Dans leur considérant 5, les juges suprêmes, rappellent par un considérant sans équivoques
l’ensemble de leurs jurisprudences postérieures en matière d’ordonnance. A savoir, en premier lieu
que même si les ordonnances « ont la même portée que si elles avaient été prises par la loi, les
ordonnances prises en vertu de l'article 38 de la Constitution conservent le caractère d'actes
administratifs, aussi longtemps qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une ratification ». Autrement dit, la
non-ratification des ordonnances n'entraîne pas leur caducité, mais tant qu'elles n'ont pas été
ratifiées, elles n'ont qu'une valeur réglementaire et peuvent donc être contestées devant le juge
administratif.Par conséquent, la jurisprudence considérait traditionnellement que leur régularité ne
pouvait être contestée que devant le juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir
(CE, Ass., 11 décembre 2006, , Cons. Nat. de l’Ordre des Médecin, req. n° 279517, Publié au
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Lebon). C’est le Conseil d’Etat est compétent en premier et denier ressort pour connaitre des
ordonnances non ratifiées. Les ordonnances échappaient, de ce fait, au contrôle du Conseil
constitutionnel. Suivant la pyramide de kelsen, les normes supérieures que doivent respecter les
ordonnances ne se limitent pas, comme pour la loi, à la Constitution et aux engagements
internationaux de la France
Egalement, les juges rappellent que comme tout acte administratif de nature réglementaire, les
ordonnances peuvent être contestées, par voie d’action, dans le cadre d’un recours pour excès
de pouvoir devant le Conseil d’État pouvant le conduire à en prononcer l’annulation. Mais
également que celle-ci, peuvent être contestées par voie d’exception à l’occasion d’une instance
durant laquelle les dispositions d’une ordonnance sont applicables, devant l’ensemble des
juridictions, à savoir aussi bien les juridictions administratives, les juridictions pénales mais
également dans le cadre d’une question préjudicielle adressée juge administratif, devant les
juridictions civiles (en ce sens TC, 17 octobre 2011, SCEA du Cheneau, n°3828).

Cette solution bien qu’a priori pérenne, n’est toutefois, plus véritablement d’actualité en raison de
récentes décisions du Conseil Constitutionnel.

B/L’acception du revirement du Conseil Constitutionnel

Auparavant, en l’absence de ratification, les ordonnances n’étaient pas considérées comme des
dispositions législatives, elle ne pouvaient donc pas faire l’objet d’une question prioritaire
de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil constitutionnel (en ce sens CC, 14 octobre
2011, Association France Nature Environnement, n°2011-183/184 QPC)

Toutefois, par deux récentes décisions de mai et juillet 2020 (CC, 28 mai 2020, n°2020-843 QPC ;
CC, 3 juillet 2020, n°2020-851/852) le Conseil constitutionnel a modifié sa jurisprudence. C’est
cette nouvelle lignée jurisprudentielle du Conseil Constitutionnel, que les juges du Conseil d’Etat
confirme et rappelle in extenso dans leur considérant 6: « Par sa décision n° 2020-851/852 QPC du
3 juillet 2020, le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions d'une ordonnance qui
relèvent du domaine législatif entrent, dès l'expiration du délai d'habilitation, dans les prévisions de
l'article 61-1 de la Constitution et que leur conformité aux droits et libertés que la Constitution
garantit ne peut ainsi être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité. »
Il a en effet mis en place une sorte de « fiction », permettant d’assimiler à une disposition
législative, à l’expiration du délai d’habilitation une ordonnance non ratifiée et relevant du domaine
de la loi. Autrement dit, QPC soulevée durant l’instance, portant sur les dispositions d’une
ordonnance prise par le Gouvernement sur le fondement d’une habilitation donnée, est recevable si
le délai d’habilitation est expiré et qu’elle porte sur la remise en cause de dispositions de
l’ordonnance relevant du domaine de la loi. Si les conditions traditionnelles de recevabilité de la
QPC sont remplies (disposition applicable au litige, question sérieuse et nouvelle), elle doit alors
être transmise au Conseil constitutionnel. A contrario, lorsque la QPC porte sur les dispositions
d’une ordonnance, qui relèvent du domaine réglementaire (et non du domaine de la loi), ces
dispositions, dès lors qu’elles sont réglementaires, ne sont pas au susceptibles d’être renvoyées au
Conseil constitutionnel. Par conséquent, la QPC ne peut faire l’objet d’une transmission au Conseil

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constitutionnel, que si les dispositions de l’ordonnance (ordonnance non ratifiée à l’expiration du
délai d’habilitation) relèvent du domaine de la loi.

Toutefois, par une lecture stricte des deux récentes décisions du Conseil Constitutionnel, les juges
du Palais royal vont préserver leur office en matière de contrôle des ordonnances.

II/Une lecture stricte des décisions du Conseil Constitutionnel lui permettant de


maintenir son office

Les juges du Conseil d’Etat vont maintenir leur compétence en matière de contestation des
ordonnances (A), tout en laissant aux requérants un large choix quant aux moyens invocable (B).

A/Le maintient légitime de la compétence du Conseil d’Etat en matière de contestation des


ordonnances non ratifiées à l’issu du délai d’habilitation

Dans leur considérant 8, les juges du Conseil d’Etat affirme que le juge ordinaire peut toujours
connaître, par voie d’action ou par voie d’exception, de tous les autres motifs de contestation des
dispositions de l’ordonnance. Autrement dit, par cette décision la possibilité, dans son considérant
10, après l’expiration du délai d’habilitation et alors même qu’une QPC aurait été soulevée,
d’annuler l’ordonnance sans avoir à se prononcer sur le renvoi de la QPC, « si un motif autre que
la méconnaissance des droits et libertés garantis par la Constitution ou les engagements
internationaux de la France est de nature à fonder cette annulation et que l’intérêt d’une bonne
administration de la justice commande qu’il ne soit pas sursis à statuer ».

Par ailleurs, les juges du Conseil d’Etat précise que lorsqu’ils sont saisis par voie d’action d’une
ordonnance, une éventuelle déclaration d’inconstitutionnalité, par le Conseil constitutionnel, n’est
pas de nature à les décharger totalement dudit contentieux puisqu’ils pourront tout de même se
prononcer. Toutefois, il n’en demeure pas moins que le Conseil d’État devra tirer les conséquences,
d’une éventuelle annulation de certaines dispositions de l’ordonnance de la décision du Conseil
constitutionnel et devra se prononcer sur les autres que « ceux tirés de la méconnaissance des
droits et libertés garantis par la Constitution »

Autrement, dit les juges consacrent une dualité du contrôle, qui peut se faire devant le Conseil
Constitutionnel vis à vis des règles que la Constitution garantie, mais également devant le juge
administratif sur des fondements autres que ceux que la Constitution garantie.

Cette solution, dans un but de protection des justifiables et est appréciable notamment vis à vis du
développement croissant du nombre d’ordonnances.

B/Le large choix des moyens invocables par les requérants

Dans cette décision, le Conseil d’Etat prend la peine, dans son considérant 9, de détailler les
moyens invocables par les requérants pour contester les ordonnances, à savoir les autres règles
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de valeur constitutionnelle que les droits et libertés que la Constitution garantit, ce qui vise
notamment les objectifs à valeur constitutionnelle et mais également le cas l’incompétence négative
du législateur. Toutefois, faute pour le requérant de préciser la source du principe qu’il invoque
contre les dispositions de l’ordonnance, il appartiendra au juge « d’opérer son contrôle au regard
de la norme de référence la plus conforme à l’argumentation dont il est saisi et à la forme de sa
présentation ».

Le Conseil laisse donc aux requérants, de manière opportune un certain choix quant aux moyens
invocables, tout en se laissant une certaine de manœuvre, en se réservant la possibilité d’opérer son
contrôle au regard de la norme de référence la plus proche de l’argumentation du requérant.

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