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T.D.

16 Droit Administratif
COMPIN Sascha 22202557

COMMENTAIRE D’ARRÊT : CE SARRAN ET LEVACHER 30 OCTOBRE 1998

L’arrêt Sarran et Levacher, rendu par le Conseil d’Etat le 30 octobre 1998, est un arrêt
essentiel en matière de hiérarchie des normes puisqu’il affirme la suprématie de la Constitution
sur les normes internationales dans l’ordre juridique interne.

En l’espèce, deux habitants de Nouvelle-Calédonie contestent l’application du décret du


20 août 1998 relatif aux modalités d’organisation de la consultation des populations de la
Nouvelle-Calédonie pris sur le fondement de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, en ce
qu’il les prive de droit de vote au motif que le décret subordonne ce vote à la condition que les
électeurs aient leur domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988.
Ainsi, les requérants effectuent un recours pour excès de pouvoir afin de contester la légalité de
ce décret et d’en obtenir l’annulation.
Concernant les moyens de légalité interne, les requérants contestent principalement le corps
électoral restreint mis en place par le décret du 20 août 1998 sur le fondement que cet acte
administratif au regard de ses articles 3 et 8 est contraire à des normes constitutionnelles dont
l’article 3 de la Constitution et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen. De plus, les requérants soutiennent que le décret méconnait également certaines normes
internationales issues des traités internationaux ratifiés par la France. Enfin, les requérants
demandent aussi à ce que l’article 76 de la Constitution soit écarté, car il méconnait le principe
d’égalité consacré par des normes constitutionnelles et plusieurs traités et conventions
internationales ratifiés par la France.
Par conséquent, les requérants souhaitent l’annulation du décret du 20 août 1998.
Le Conseil d’Etat peut-il contrôler la conventionnalité d’un décret pris en application
d’une norme constitutionnelle ?
Le Conseil Etat en assemblée réunie, accueille et rejette la requête en annulation dans un arrêt
du 30 octobre 1998.
Premièrement, l’article 76 de la Constitution ne méconnait aucunes normes constitutionnelles
puisqu’il entend spécialement déroger aux normes relatives au droit de suffrage.
Deuxièmement, s’agissant du décret du 20 août 1998 pris en application de la loi
constitutionnelle du 20 juillet 1998, celui-ci peut être appliqué puisque au regard de l’article 55
de la Constitution, la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas,
dans l’ordre juridique interne, aux dispositions de nature constitutionnelle.

Dans cet arrêt Sarran et Levacher, le Conseil d’Etat précise clairement la place de la
Constitution et des traités internationaux dans la hiérarchie des normes internes, pour ce faire,
il rend tout d’abord compte de l’impossible contrôle de conventionnalité du décret à valeur
constitutionnelle (I) avant d’affirmer la suprématie de la Constitution sur les engagements
internationaux dans l’ordre interne (II)
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I. L’impossible contrôle de conventionnalité du décret


En effet, bien que le décret soit inconventionnel aux regards de plusieurs normes
internationales (A), cet acte administratif est également de valeur constitutionnelle limitant ainsi
l’office du juge administratif par le biais de « l’écran constitutionnel » (B) et rendant par voie
de conséquence impossible le contrôle de conventionnalité du juge administratif.

A. Un décret inconventionnel, mais à valeur constitutionnelle

Tout d’abord, il convient de s’attarder sur les moyens des requérants ayant soutenus que
le décret du 20 aout 1998 est contraire à des normes conventionnelles. En effet, l’article 3 du
décret dispose que « Conformément à l'article 76 de la Constitution et à l'article 2 de la loi du 9
novembre 1988 [..] sont admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 les électeurs
inscrits à cette date sur les listes électorales du territoire et qui ont leur domicile en Nouvelle-
Calédonie depuis le 6 novembre 1988 » par conséquent, un corps électoral restreint pour la
consultation est établi par la commission administrative. Le décret est donc en contradiction
avec les articles 2, 25 et 26 du pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques, de
l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales (CEDH), ces dispositions étant relatives au droit civils et politiques. Les
requérants souhaitent donc que le juge administratif opère un contrôle de conventionalité, celui-
ci ayant accepté d’effectuer ce contrôle sur les actes administratif depuis 1989, avec l’arrêt CE
20 octobre 1989 Nicolo, afin de faire annuler le décret et donc faire prévaloir dispositions
externes. De plus, les requérants avançaient que ces mêmes articles 3 et 8 du décret ainsi que
l’article 76 de la Constitution étaient non conformes à plusieurs normes constitutionnelles
relatives aux principes d’égalité du suffrage dont l’article 3 de la Constitution et les articles 1
et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce qui pouvait dès lors poser la
question d’un contrôle de constitutionnalité de cet acte administratif.
Le Conseil d’Etat écarte premièrement la possibilité d’un contrôle de constitutionnalité du
décret en répondant que « les articles 3 et 8 dudit décret font une application exacte de l'article
76 de la Constitution qui est entendue déroger aux autres normes de valeur constitutionnelle
relatives au droit de suffrage » ce qui signifie que les dispositions du décret sont bien conformes
à la Constitution. De par cette interprétation, le Conseil d’Etat déclare qu’un article spécial de
la Constitution peut déroger à des normes constitutionnelles générales, mais aussi qu’il n’y a
pas de hiérarchie parmi les dispositions constitutionnelles, ainsi la DDHC ne peut primer sur
un article spécial de la Constitution.
Concernant le contrôle de conventionnalité et l’application des normes internationales sur les
dispositions supposément discriminantes, le moyen est écarté par le Conseil d’Etat puisque dans
son considérant, il déclare « qu’un tel moyen ne peut qu'être écarté dès lors que par l'effet du
renvoi opéré par l'article 76 de la Constitution aux dispositions dudit article 2, ces dernières ont
elles-mêmes valeur constitutionnelle. » Ainsi, les dispositions de la loi du 2 novembre 1988 et
les articles du décret du 20 aout 1998 ont une valeur constitutionnelle puisque l’article 76 de la
Constitution s’y réfère.
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Par conséquent, un contrôle de conventionnalité par le juge administratif est impossible puisque
l’acte administratif qui aurait pu être contrôlé par le Conseil d’Etat devient une norme à une
valeur constitutionnelle limitant ainsi l’office du juge.

B. L’office limité du Juge Administratif par l’écran constitutionnel

En effet, le Conseil d’Etat en reconnaissant que « le renvoie opéré par l'article 76 de la


Constitution aux dispositions du décret leur a conféré une valeur constitutionnelle », celui-ci a
limité son office au regard du contrôle de conventionalité. Puisque, dorénavant mettre en cause
la légalité du décret et son application reviendrait à mettre en cause la validité de la Constitution.
Ce phénomène est décrit par l’expression « constitutionnalisation en cascade » d’après certains
auteurs de la doctrine tel que P. Jan. En résultat, accorder la valeur de norme constitutionnelle
du décret provoque la création d’une barrière entre l’acte administratif et les engagements
internationaux auxquels il serait contraire, empêchant ainsi tout contrôle conventionnel et
attribuant une immunité juridictionnelle à cet acte. En somme, bien que la théorie de loi écran
ait été abandonnée par le juge administratif lorsqu’il est confronté à un contrôle de
conventionnalité depuis l’arrêt Nicolo, on retrouve ici ce mécanisme d’immunité pour les actes
administratif ayant un fondement constitutionnel ou auxquels il aurait été conférer une valeur
constitutionnelle, il y aurait donc maintenant un « écran constitutionnel ». Madame Maugué,
Commissaire du gouvernement, c’est-à-dire qu’elle avait pour rôle d’intervenir à l'audience
pour analyser le litige et proposer une solution, dans ses conclusions de l’arrêt Sarran et
Levacher fait également référence à cet écran constitutionnel « la hiérarchie des normes
juridiques qui découle en France des articles 54 et 55 de la Constitution est telle que l’insertion
d’une disposition dans la Constitution confère aux mesures réglementaires qui reprennent cette
disposition une immunité contentieuse par rapport au droit international ».
Par ailleurs, le décret a été pris en application de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, nous
pouvons donc faire remarquer que dans l’hypothèse où le Conseil d’Etat n’avait pas
explicitement conféré la valeur constitutionnelle de ses dispositions et de la loi du 2 novembre
1998 par le renvoie de l’article 76 de la Constitution, l’immunité contentieuse vis-à-vis du
contrôle de conventionnalité pouvait dès lors avoir lieu, car le fondement du décret était déjà
constitutionnel.
Enfin, le juge administratif est donc limité dans son office, puisqu’il ne peut s’octroyer le
pouvoir d’effectuer un contrôle de conventionalité d’une norme à constitutionnelle, cela
reviendrait alors à lui donner le pouvoir des constituants ou du Conseil Constitutionnel, qui eux,
sont les seuls organes à contrôler la Constitution et les normes à valeurs constitutionnelle.
L’office du juge administratif se limite aux actes administratifs d’origine législative ou
réglementaire à valeur simple et à leur contrôle.
Cependant, cela ne signifie pas pour autant que le Conseil d’Etat rejette la requête des
requérants sans leur apporter aucune réponse. En effet, bien qu’il n’effectue aucun contrôle du
décret et des dispositions attaquées, le juge administratif affirme la supériorité de la Constitution
dans l’ordre interne sur les normes internationales en refusant d’exercer un contrôle de
conventionnalité.
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Ainsi, le décret du 20 aout 1998 pris en application de la loi constitutionnelle du 20


juillet 1998 relatif à l’organisation de la consultation des populations de Nouvelle-Calédonie ne
contient aucune disposition non conforme à la Constitution, bien que certaine soit
inconventionnelles. Au contraire, le Conseil d’Etat consacre la valeur constitutionnelle du
décret et ses dispositions par le renvoi de l’article 76 de la Constitution leur accordant par
conséquent une immunité juridique, rendant alors impossible tout contrôle conventionnel et
limitant l’office du juge administratif. Néanmoins, celui-ci est loin d’être inefficace puisqu’il
affirme la primauté de la Constitution dans l’ordre interne sur les traités internationaux par une
lecture stricte de la Constitution qui mènera à une évolution jurisprudentielle cohérente.

II. La primauté de la Constitution dans l’ordre juridique interne sur les traités internationaux

A. Une lecture stricte de la Constitution par le juge administratif

En effet, le CE en rappelant dans son considérant « que si l'article 55 de la Constitution


dispose que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication,
une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son
application par l'autre partie, la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne
s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle » afin de rejeter
le moyen selon lequel les normes internationales devaient prévaloir sur le décret du 20 aout
1998, a fait une application stricte de la Constitution et affirme sa supériorité dans l’ordre
interne sur les normes internationales. Ainsi, le Conseil d’Etat respecte la théorie de hiérarchie
des normes de Kelsen selon laquelle, il est nécessaire, dans l’ordre juridique d’un pays, d’avoir
une norme suprême à laquelle toutes autres lui seraient subordonnées afin d’être applicable.
Cette « grundnorm » permet donc une harmonie et cohérence juridique ainsi qu’une sécurité
juridique au sein de l’ordre interne, par conséquent essayer de la rendre elle-même subordonnée
à des normes internationales telle que l’article 14 de la Convention européenne des droits de
l’homme et article 1 du protocole n° 12 de la Convention européenne des droits de l’homme
créerait une dangereuse instabilité juridique. C’est pour cette raison que l’autorité supérieure
des normes internationales ne s’applique que sur les lois dans l’ordre interne.
De plus, l’article 54 de la Constitution impose également la primauté de celle-ci au regard de
l’ordre interne en disposant que si une norme internationale en contradiction avec la
Constitution doit être ratifiée, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement
international n’est possible qu’après une révision de la Constitution.
Néanmoins, nous pouvons aussi remarquer que le juge administratif avait également la
possibilité de soutenir une solution contraire à la suprématie de la Construction sein de l’ordre
interne tout en effectuant une lecture stricte de la Constitution. Effectivement, l’alinéa 14 du
Préambule de la Constitution de 1946 dispose que « La République française, fidèle à ses
traditions, se conforme aux règles de droit public international. ». Cependant, du point de vue
d’une démocratie constitutionnelle et au regard de la souveraineté du pouvoir constituant, il est
plus légitime et cohérent de placer la Constitution au-dessus des engagements internationaux.
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B. Une évolution jurisprudentielle cohérente envers la suprématie de la Constitution dans


l’ordre interne

Le Conseil d’Etat en affirmant dans son considérant de l’arrêt Sarran et Levacher que la
suprématie des traités internationaux ne s’applique pas dans l’ordre interne sur la Constitution,
« que si l'article 55 de la Constitution dispose que les traités ou accords régulièrement ratifiés
ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve,
pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie, la suprématie ainsi conférée
aux engagements internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de
nature constitutionnelle » fut le premier arrêt concrétisant la primauté de la Constitution dans
l’ordre interne en cas de conflits de normes.
Ainsi, nous devons noter que par cet arrêt, le Conseil d’Etat expose la responsabilité de la
France à des poursuites devant la Cour de Justice de l’Union européenne qui avait auparavant
dans son arrêt Handelsgesellschaft en date du 17 décembre 1970 clairement indiqué que le droit
constitutionnel des Etats devait se soumettre au droit communautaire. Néanmoins, cela n’a pas
empêché que l’arrêt Sarran soit confirmé s’agissant du droit de l’Union Européenne dans CE,
3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique. Au sein de cet arrêt, le
Conseil d’Etat affirme que la suprématie du droit de l’Union Européenne ne saurait prévaloir
sur la Constitution dans l’ordre interne, réaffirmant donc sa primauté de normes suprême dans
l’ordre juridique français.
Par ailleurs, l’ordre judiciaire a également rendu un arrêt suivant le sens de la décision de Sarran
et Levacher, prouvant l’efficacité d’un dialogue des juges cohérent dans le sens d’une
jurisprudence précise. En effet, l’arrêt en question date du 2 juin 200 rendant par la Cour de
cassation en assemblée plénière « Affaire Fraisse », dans son arrêt la Cour de cassation pose la
solution de principe selon laquelle la Constitution prime sur une norme internationale ou
européenne en cas de conflit de norme dans l’ordre interne devant le juge judiciaire.
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Bibliographie :
Les grands arrêts de la juridiction administrative, Dalloz, 1999
Les grands arrêts de la juridiction administrative, Dalloz, 2013
Droit administratif 2022-2023, Memento, 2022
Droit administratif 2021-2022, J-C Ricci, F. Lombard, 2021
Conseil d’Etat https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/les-grandes-
decisions-depuis-1873/conseil-d-etat-assemblee-30-octobre-1998-sarran-et-levacher
D. Alland, Consécration d’un paradoxe : primauté du droit interne sur le droit international,
RFD adm. 1998
RFDA 1998, p. 1086
B.Matthieu, M. Verpaux L’accord de Nouméa, l’arrêt Sarran et ses suites, RFDA, 1999
P. Jan, L’immunité juridictionnelle des normes constitutionnelles, LPA, 2000

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