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Isabelle DROY
Pour avoir une image de ce << monde >> des ONG à Madagascar, il est
nécessaire de croiser différentes sources : celles émanant des pouvoirs
publics (fichiers du ministère de la Population), qui ne sont malheureuse-
ment pas actualisées, et celles issues d’inventaires réalisés ponctuelle-
ment, souvent à l’initiative de bailleurs de fonds. Mais, la comparaison
est assez limitée, car la définition d’une ONG varie d’un inventaire à
l’autre. Seules les ONG étrangères sont facilement répertoriées, car elles
sont peu nombreuses et leur installation dans le pays est soumise à un
<<accordde siège >> : cet accord lie le siège de I’ONG (dans son pays d’ori-
gine) et les pouvoirs publics malgaches.
Ainsi, le recensement de 1988 réalisé par la Banque Mondiale a aussi
bien retenu dans son inventaire l’amicale des sociologues, les associations
de parents d’élèves ou les toby. Ces toby sont des centres de soins des
malades par la prière et l’exorcisme dont certains sont affiliés à des
Églises protestantes. Au total, 232 organisations ont été recensées dans
cet inventaire de 1988, dont 5 ONG étrangères.
En 1994, le ministère de la Population et le programme PASAGE
(Programme d’Appui Social à la Gestion Économique, mis en place par la
Banque Mondiale) ont réalisé un inventaire des ONG en envoyant un
questionnaire aux associations présentant les caractéristiques d’une ONG
et enregistrées au ministère de la Population. Seules 154 organisations,
dont 35 étrangères ont répondu au questionnaire, alors que le ministère
de la Population avait à cette époque 642 associations dans son fichier
(non actualisé). On trouve dans cet inventaire les ONG les plus impor-
tantes et sur chacune d’elles des informations assez récentes (réalisations,
effectif de bénévoles et de personnel rémunéré, secteurs d’activité, zone
d’intervention, source de financement). Mais, beaucoup de petites ONG
n’apparaissent pas, car elles n’ont pas répondu ou n’ont pas reçu le ques-
tionnaire.
I1 n’est donc guère surprenant de constater qu’actuellement personne
ne sait combien d’ONG interviennent à Madagasacar, exception faite des
ONG internationales qui sont bien répertoriées. Le flou dans la définition
des ONG et le vide juridique sont sans doute les premiers responsables de
cette situation.
En excluant des listes les organisations affiliées aux Églises, qui ont
des règles de fonctionnement particulières les différenciant des associa-
tions à but non lucratif (pas d’Assemblée Générale, ni de Conseil d’Ad-
ministration), les groupements à vocation économique et les organismes
d’épargne et de crédit (qui travaillent pour le bénéfice de leur membres),
il y aurait environ 200 associations à but non lucratif travaillant au béné-
fice de populations actuellement en activité à Madagascar.
170 ONG ET DÉVELOPPEMENT
Tableau 1
La répartition régionale des interventions des ONG
par rapport à la répartition de la population et des ménages pauvres
Répartition Répartition
Répartition de régionale
Faritany régionale
la population
(ou Province) des ménages des interventions
par province (1) pauvres (2) des ONG (3)
Antananarivo 30,l % 25 % 40 %
Fianarantsoa 19,4% 23 % 13%
Toamasina
(Tamatave) l6,3 % 19% 12%
To1iara (Tuléar) 13,5% I5 % 21 %
Mahajanga 1 2 3% 12% 5%
Antsiranana 7,9 % 5% 9%
Total 100% 100% 100%
Dans chaque province, les ONG sont presque toutes concentrées dans
5 Fivondronana : par exemple, sur la province d’Antananarivo qui compte
16 Fivondronana, 93 % des ONG interviennent dans 5 d’entre eux. Sur
LA MULTIPLICATION DES ONG A MADAGASCAR 171
.
172 ONC ET DÉVELOPPEMENT
ciers des bailleurs s’orientent de plus en plus vers des opérateurs privés.
La demande n’est pas toujours dans le sens qu’on imagine : ce sont sou-
vent les bailleurs qui cherchent des relais sur place. Cet appel crée inévi-
tablement des biais : quand la Banque Mondiale souhaite faire passer plu-
sieurs millions de dollars par les ONG dans les années à venir, il est
tentant de << s’organiser >> pour en récupérer une partie. Cela est d’autant
plus facile que le cadre juridique des associations à but non lucratif (donc
des ONG) est obsolète et peu précis.
Le ministère des Finances a d’ailleurs récemment pointé du doigt des
intermédiaires peu scrupuleux qui travaillent pour des associations carita-
tives : des containers entiers de vêtements usagés sont détournés de leur
destination initiale pour être revendus au marché. On imagine les béné-
fices considérables qui peuvent être dégagés : ces vêtements sont donnés
(en principe à des œuvres caritatives), entrent dans le pays en exonéra-
tion de toutes taxes et sont revendus au prix de la fripe. Dans l’affaire,
1’État est lésé (ce sont des taxes qui ne rentrent pas), mais aussi l’industrie
textile nationale qui, en plus de cette concurrence déloyale, souffre déjà de
la baisse du pouvoir d’achat de la population. Cet exemple n’est pas
unique et a amené l’Administration des Finances à <<raidir>> ses positions.
Malheureusement, faute de mécanismes de contrôle efficaces, ce sont par-
fois des ONG tout à fait honnêtes qui font les frais de tracasseries admi-
nistratives.
Tableau 2
Secteurs d’intervention des ONG
Comparaison du fichier du ministère de la Population
et de l’inventaire de 1994
De larges coizsultutiorzs...
’
Les réflexions autour de l’élaboration d’un projet de loi sur les ONG
ont commencé en 1992, associant représentants des pouvoirs publics et
de certaines ONG. Un des principaux points de désaccord concernait la
tutelle des pouvoirs publics sur les ONG. En 1996, des consultations
régionales réunissant les associations ont été organisées dans les six pro-
vinces ;des propositions concrètes sur le régime associatif ont été retrans-
crites dans les comptes rendus. En même temps, tout une série de sémi-
naires et d’ateliers réunissant les différents partenaires concernés (ONG
nationales, ONG étrangères, pouvoirs publics, bailleurs de fonds) ont été
organisés.
Après s’être donné tant de mal pour recueillir les différents avis, on
ne peut alors qu’être étonné de la distance existant entre le projet de loi et
178 ONG ET DÉVELOPPEMENT
Conclusion
Bien que l’on parle beaucoup des ONG à Madagascar, il est actuelle-
ment difficile de les comptabiliser ; il est tout aussi difficile de savoir
quelle proportion de la population elles touchent. Les ONG servent de
plus en plus souvent de relais aux financements extérieurs, qui émanent de
bailleurs de fonds publics (coopérations bilatérales et multilatérales). Sans
cette << manne >> publique, les ONG auraient des difficultés à survivre ;ceci
relativise l’opposition publidprivé qui domine souvent les débats.
Mais, quelle que soit leur importance, les ONG ne peuvent se substi-
tuer à 1’État. Or, sous le terme pudique de désengagement de l’État, se
cache parfois un abandon de ses fonctions essentielles.
L‘évolution vers une économie libéralisée n’est pas assortie de mesures
d’accompagnement comme l’adaptation du cadre juridique pour atteindre
la sécurisation foncière ou l’allégement des procédures administratives.
La volonté de mieux fixer le cadre légal d’action des ONG pourrait être
une de ces mesures, mais une certaine indécision au niveau de 1’État
semble avoir dévoyé l’actuel projet de loi de cet objectif initial.
Bibliographie