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Chapitre I

L'erreur manifeste d'appréciation

Lerreur manifeste est la découverte contentieuse la plus notable de ces


dix dernières années. Création purement jurisprudenlielle destinée à perfectionner
le contrôle du juge sur l'action administrative, notion surgie à l'improviste et à la
surprise de la doctrine, elle a été saluée comme « l'entrée inespérée de l'évidence en
droit administratif! ». ~hommage est exact dans la mesure où la juridiction admi­
nistrative ne veut censurer que certaines bévues ílagrantes de l'administration, mais
il est exagéré car le Conseil d'État n'a pas attendu l'erreur manifeste pour utiliser
l'évidence à titre de technique contentieuse.
La date de naissance de l'erreur manifeste est l'objet de controverses.
M. Kornprobst la situe en 1953 avec une espèce Denìzet, à tort sernble-t-il car
il impute, a posteriori, au Conseil d'État une intention qu'il ne nourrissait pas à
l'époque 2. Selon MM. Galabert et Gen tot, elle apparaît pour la première fois, sous
une forme élémentaire, dans un arrêt Lagrange de 19613.
Un conseil municipal décide de supprimer le poste de garde champêtre.
En contrepartie, le maire offre à ce dernier l'emploi de cantonnier qu'il juge équiva­
lent au précédent. I'agent refuse et intente un recours contre la mesure le licenciant.
Le Conseil d'État rejette sa requête : « Il ne résulte pas de l'instruction qu'il y ait
eu absence manifeste d'équivalence » entre deux emplois. En réalité, l'erreur mani­
feste a pénétré le contentieux administratif dès 1960 lorsque le juge, en matière
de remembrement rural, examinait si entre les terres apportées et les terres reçues
« l'écart [ne présentait pas] une importance telle que la règle d'équivalence ne
[pouvait] être regardée comme respectée" ». Sans dire son nom et sous le couvert
d'une conception extensive de l'erreur de droit, le Conseil d'État recourait déjà à

l. KORNPROBST B., [erreur man if este, l 965, chron., p. 21.


2. CE 13.11.1953 Denizet, R. 489 - « li résulte manifestement des règles d'organisation du ministère de
la France <l'outre-mer qu'il n'existait dans les cadres de celle administration aucun emploi équivalent
à celui d'administrateur des colonies et des services civils d'Indochine. » Dans le même sens que
M. Kornprobst, ODENT R., Cours, 1965-J 966, fase. IX, p. 1271.
3. CE sect. 15 février J 961 Lagrange, R. 121; AJO/\ 1961.200, chron. Galabert et Gen tot
4. CE 2 mars ]960 Gesbert c. secrétaire d'État à l'Agriculture, R. 126; 30 mars 1960 Louault, R. 901;
30 mars 1960 Charton, R. 901. Pendant un temps celle jurisprudence s'est même maintenue conco­
mitarnment à l'erreur manifeste: CE 13 octobre 1961 ministre de l'Agriculture c. Dame Weitzdorfer,
R. 564; 13 octobre 1961 ministre de l'Agriculture c. Viet, AJDA 1962.381, 13 mars 1963 ministre de
l'Agriculture c. Époux Nizet, R. 817.

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ÉVIDENCE ET POLITIQUF JURISPRUDENTIELLE

la technique de l'erreur manifeste. Toutefois, au-delà de ces cont d' .


ra ictton
s'accorde à reconnaitre que celle-ci s'est définitivement implantée à . s, chacun
Lagrange et qu'elle a acquis à cette date pleinement droit de cité. partir de l'arrêt
Qu'est-ce donc celte erreur manifeste? Le terme prête à autant d' .
que l'expression « violation de la loi ». Comme tout manquement à équivoques
droit peut s'analyser en une violation de la loi (au sens large) tout une règle de
. • e erreur
dans la rédaction d'un acte, dans la détermination d'une compétenc patente
compréhension d'une disposition textuelle peut constituer une er e, d~ns la
. . reur man1f
Telle quelle, cette notion est susceptible d'une large diffusion dans les do ~te.
les plus variés; elle a d'ailleurs déjà reçu des applications. Afin de pr' .maines
. . . even Ir toute
méprise, 11 convient donc de dresser la fiche d'identité propre à l'erreur ·r
, ~ . . . . man11este
de 1 arret Lagrange. Celle-ci, au regard de la Jurisprudence ' est une
· erreur e omm1Se
.
. .
par. un administrateur dans l'appréciation des faits à laquelle il se livre a15·e reuen.

nairernen t pour fonder sa décision et qui s'avère si grossière qu'elle ne Laisse place
à aucun doute.

11 s'agit, d'abord, d'une erreur commise dans une appréciation, c'est-à-dire dans
une opération intellectuelle. Elle se différencie par là de l'erreur manifeste d'ordre
matériel dont le type même est fourni par la faute de rédaction ou la faute d'impres­
sion contenue dans un acte.
Le Conseil d'État, lit-on parfois, n'accepterait la rectification, par la voie d'erra­
tum, des lapsus que comportent les textes publiés au Journal Officiel « qu'au cas
d'erreur manifeste résultant à l'évidence du texte original» 5. Il rejoint ainsi la Cour
de Cassation qui, dans la première moitié de ce siècle, avait quasiment dégagé, dans
cette matière, une « erreur manifeste ». I'erratum ne doit pas conduire à changer les
dispositions originales ou à y ajouter", aussi la Cour ne l'admet-elle que si l'erreur
matérielle qui affecte le premier texte est d'une certitude suffisamment évidente
pour faire prévaloir le texte rectifié 7.
Dans un registre voisin, la doctrine déclare que le Conseil d'État ne redresse
les erreurs matérielles qui entachent ses arrêts et qui sont de nature, selon
l'ordonnance du 31 juillet 1945, à avoir exercé une influence sur le jugement de
l'affaire, que lorsqu'elles sont évìdentes Ces opinions reflètent la jurisprudence,
ë.

. . . . . . . . . 1 Paris, Pédone,
5. PACTET P., Essai d'une théorie de la preuve devant la Jundicllon adm1n1strat1ve, t 1èse, de rédac·
1952, p. 104-105. M. Pactet introduit une distinction entre la faute d'impression et la faute
uon dont on saisit mal la réalité. 1 wuLX M.,
6. Sur Ja pratique détournée de l'erratum: ROUSSEAU C., note au Sirey 1934.1.257. PON - al officiel,
note au Sirey 1950.3.59; LAFERRIÈREJ., De l'authenticité du texte des lois publiées auJourn
RDP 1949.113. . . . é I rnentaires ¡~sé·
7. « Mais attendu que la rectification par voie d'erratum des d1spos1t1ons légales ou r ge ur rnaLéricllc
rées au Journal officiel n'est admissible qu'au tant qu'il s'agit de réparer une simp)e errte Lle erreur esL
· I' · tence d une e I .«,.
et qu'il appartient au juge d'apprécier, eu égard aux circonstances, si exis . é é auJoun1a 0»·
· · · ent 1ns r ·,<".1111
assez apparente pour qu'il convienne de faire prévaloir sur le texte pnm1uvem . 11 n'appafal:,;,<'
ciel le texte ainsi modifié; or, attendu qu'en l'espèce, la certitude de l'e~reur ma_cér~e8~écernbre 193¿7
pas avec une suffisante évidence, le tribunal de la Seine a pu à bon droit.·· » Ci_v. J 947 5. J947.1·
5.1934.1.257, note C. Rousseau, 15.11.1937, 5. 1938.1.308; Cass. Réunies, S ~évner tribué à forf11er
8. M. Poussière : « méconnaissance manifeste de la matérialité des faits qui ont ~on rreur nagranie
l'opinion du juge », conci. CE 6 juillet 1956 X ... , AJDA 1956.2.318; M. Josse · « e

50
l'i IUU'IJR MANll JS'J I n APPRt(JAl ION

même si le Co~~eil d'État, qu'il s'agisse de l'erreur rnatéríclle qui !>'C5L glissée dans
une de ses cléct!,ton9s ou dc celle qui allei ru un texte publié au Journal Officiel ou,
encore, un c~ntrat , ne retient pas expressément, dans la lettre du jugement, une
« erreur rnanif este ».

En tant qu'erreur qui frappe l'esprit avec la force de l'évidence, l'erreur manifeste
d'appréciation se distingue, ensuite, de l'erreur manifeste présente dans le comen­
Lieux des dommages de guerre.
En principe, les décisions reconnaissant les droits des sinistrés ou leur attri­
buant une indemnuë créent au profit de ces derniers des droits acquis auxquels une
mesure postérieure ne peut porter atteinte. Elles ne peuvent être remises en cause
car elles n'ont été édictées qu'après les contrôles et vérifications prévus par la loi.
Cependanl, la Commission supérieure de cassalion a apporté à cette intangibilité,
au cas de droits ou d'indemnités reconnus ou perçues à tort, des tempéraments tirés
soit des règles de droit commun relatives au reversement de l'indu, soit des dispo­
sìuons de la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre.
Faisant application de l'article 72 alinéa l qui vise les fausses déclarations et
prévoit la répétition des sommes perçues, elle a d'abord estimé que, lorsque la
décision auribuuve a été motivée par des déclarations ultérieurement trouvées
inexactes, il y avait lieu à restitution des sommes versées.
Elle a ensuite jugé, en vertu des principes généraux et sans référence à la loi
de 1946, qu'une erreur manifeste commise dans le calcul de l'indemnité ne saurait
créer de droits acquis au profit de son bénéficiaire et que l'autorité administrative
pouvait, à tout moment, retirer la décision. Pendant une décennie, la Commission
supérieure de cassa lion a développé et consolidé cette jurisprudence 10. Le Conseil
d'État l'a reprise en compte, quand en 1963 les compétences de la Commission lui
furent transférées : les décisions administratives provisoires peuvent être rectifiées
en tant qu'elles portent sur la consistance et l'évaluation des biens sinistrés, « mais
ne sauraient, sauf le cas de manœuvres frauduleuses de la part du sinistré ou d'er­
reur manifeste de la part de l'administration», faire l'objet de modifications en tant
qu'elles concernent la nature des dommages, leurs causes ainsi que la qualité des
personnes qui les ont subies 11.

el ne supportant de discussion», conci. sous CE 21.11.1930 Danie ßenoit, 5. L93l.3.933, note P.L.
MM. Galabert et Gernot (AJDA 1961.614), ainsi que M. Walinc (note RDP 1963.272) parlent
« d'erreur qui ne fait aucun doute ». « Lerrcur matérielle est une erreur flagrante »; déclare
M. Mabrouk, note sous CE 16 juin 1966 X... , D. 1966.66. Voir l'opinion plus nuancée de E BORELLA,
La rectification d'erreur maLéríelle devant /esjuriclicUons admi11isLralives, RDP 1962.476, note 30.
9. CE ]Juillet 1963, Société d'entreprise générale Edmond Patry, RDP 1964.218.
10. Se reponer aux huit « tableaux de la jurisprudence rela live à l'application ele la loi du 28 octobre 1946
sur les dommages de guerre» de M. POUSSIÈRE, parus auxjCP 1951.1.909; 1952.1.987; 1953.1.1087;
1954.1.1 J97; 1956 .. 1.1286; 1957.1.1360; 1958.1.1455; 1962.1.1705; et au tableau con1plé1nent.aire
dü M. FRAISSE,jCP J965.l.194S.
à

11. CE 12 février J 964 David, R. l OO; sect. 3 juillet 1964 Joligeon, R. 385; 28 octobre 1964 odie Goyer,
R. 470; J 3 octobre J 965 Consorts Lefebvre, R. 665; J 6 juin 1965 Consorts Sturdza, R. 365;
13 juillet 1965 Mauger, R. 470; 13 octobre 1965 Consorts Douieb, R. 514; sect. 19 mai 1966
Boris-Girames, R. 128; sect. 28 avril 1967 Soc. « Express-Rapide », R. 185; 3 mai 1968 Soc.
ßeauregaud et Cie, AJDA 1968.419, conci. Baudouin.

51
EVIDI NC[~ r-r POI 11 IQUI JUl{I PRUOFN ru-i LE

On confond parfoì celle erreur manifeste avec l'err


. 12 ,, I' euj- •nanîf
uon . i.une el autre permettent de retirer la décision qu' li . este d'a
, e es vi · PPté
a toute époque, la seconde dans la limite eles règles qui régis cient, la Pr ~1a.
. . .f d d 13 sent le re eni,e
a d rrurustrau créateurs e roits . Dans le seul arrêt d'Ass . LraiLdes r,
I , erreur rnanueste ·r d' appreciation,
- . . e
l e onset ·1 d 'Etat
- a adm· 15 emblée q u,. co-, ac,.~.
. que le · . '!.)iler
Construction, en vertu de son pouvoir hiérarchique pouv . rn,n,sLre d e
- - , . . , ait régulièr e la
un arrete prefecto rai délivrant un permis de construire man ·r e111enL re,;.
. . . llesternent <!Jet
au caractère des lieux avoisinants 14. En dépit de cette parent' .1 . ªllentalo·
e, , subsist ire
rence fondamentale entre l'erreur manifeste d'appréciation et l' e une difft.
erreur ma ìf
contentieux des dommages de guerre. Malgré son nom cetr d ., nt este du
. , e ern1ere n'
pas dans l'évidence de la confusion qui est à l'origine de la décision . ªPPara¡t
· ·
rmmstrauon, · mais· « dans I e degré d'inexactitude ou d'insuffis pnse
d Par I' d ª·
, . . . , . . . . . ance es élé
d appréciation au vu desquels l autorité administrative a été appels . rnen1s
cer
15 · . , .
». Contrairement a l erreur manifeste d'appréciation elle n'est p
ª
e se pron00•
' as une e
évidente mais plutôt une erreur radicale qui vicie dans son existence même rre~r
s 1. on attn. b uuve. . re .
A.msi,. d ans une a raire Legran d , l' erreur prétendument n 1a déc1-
agrame
ne se révèle qu'après une délicate analyse des clauses d'un marché· Ja Comm· .
, 1ss1on
supérieure de cassation avait d'ailleurs déclaré justifiée la décision de Ia commis-
sion arbitrale de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction adminislrative ait
interprété le contrat 16.

Enfin, l'erreur manifeste est l'erreur flagrante que commet un administrateur


dans l'appréciation discrétionnaire des faits ou circonstances de fait qui motivent
sa décision. Il en résulte que :
.. 12. Par exemple COLSON J., I.:office du juge et la preuve dans le contentieux administrai.if, LGOJ,
coll. « Biblia DP », l. CI, 1970, p. 115. .
13. C'est-à-dire dans les délais du recours contentieux ou jusqu'à ce que la juridiction adminis1rauve
saisie d'un recours contre la mesure ait statué. A DA
14. CE ass. 29 mars 1968 Soc. du lotissement de la plage de Pampelonne, R. 211, conci. Vught, ~
1968.341. Dans un article consacré à l'erreur manifeste d'appréciation (RA 1971-407) no~ª;"~:
écrit que l'erreur manifeste d'appréciation, à l'instar de l'erreur manifeste du conten~~~nt les
dommages de guerre, permettait le retrait de la décision à toute époque. En ce sens
analyses de M. SCHWARZENBERG : « Vu le succès que [l'erreur manifeste] rencontr~
du contentieux. . . .
administratif, cene notion. r
peut tort b.· ien éten d re son e lramp d'appl ,cauon ·reste
=~.1:
~emble
d'aulff.S
a al'ec
. , . l'erreur manu, '
types de décisions, à plus ou moins long terme. Si ce pronosuc s avérait exact, , "'nsusceptible
la fraude et l'inexistence, viendrait auester l'existence d'une notion générale de .':i~te » L XCIII,
0~
d'acquérir un caractère définitif'. » (C.autorilé de chose décidée, LGDJ, coll. « .81bA,~ e Le'« pronos·
J 969, p. 115.) Lassímilatíon, à ce point de vue, des deux erreurs mani estes e·f
'tait·e · aUV · .
d'apprécianon cs
I

tic» de M. Schwarzenberg risque de ne pas se réaliser. En effet, l'erreur.nian.1 ~te mpéche 1'ac1.cde
une irrégularité con1parable aux autres irrégularités relatives aux motifs. Si e e eurde droit, du~e
. d- . . hée d'une erre urra11,
créer des droits, on ne voit pas au nom de quoi une ec1s1on entac . , uelconque po dt
inexactitude matérielle des faits et, d'une manière générale, d'une irr.égulante itjaniais créat_currité
elle, en produire. On en viendrait à cette extrémité que l'acte irréguher.ne.seralièrement la se~llrité,
droits et pourrait être retiré à Lout moment. Cette conception ébranlerait s~ng~minée d'írrégu1:1111c
des relations juridiques. En réalité si l'erreur manifeste entache la mesure ~ne ment de Pa~1~eiri,uís
elle ne lui fait pas perdre son caractère créateur de droits. t:.:a:rêt Soc. du lo.us1;s actes adrr11n15
est une stricte application des règles traditionnelles qui régissent le retrait
irréguliers créateurs de droit. (Voir les conclusions Vught précitées.)
15. BAVOOIN, conclusions sous CE Soc. Beauregaud précité, AJDA 1968.419.
16. Com. sup. de cass. 2 mai 1955 Legrand, nº 2347.

52
Cl.flRLUR M/\Nff·I SI I D'APPR(( IATION

- portant sur les motifs de fail, elle exclut l'erreur sur la baseJ·uric.Jique d l' .
· d' d e ac~.
- s'agíssaru une erreur ans une appréciation, elle est étrangère a Ja matérialité
des faits où l'agent, par simple constat, se borne à enregistrer une situation qui
physique1nent, s'i mpose à lui; '
- elle n~ s'id~ntifie fªs
non plus avec une erreur sur la qualification juridique
des faits puisque I agent, en l'absence d'une norme édictant une condition de
fond, possède vis-à-vis des faits une totale liberté d'appréciation.
I'erreur manifeste se situe donc au niveau des motifs de fail laissés à l'apprécia­
tion souveraine ~e _l'administration. C'est dans cette perspective que Pon peut juger
de son apport original au contentieux administratif, en s'interrogeant sur sa fonc­
tion (section 1) et en déterminant sa portée (section 2). Cette présentation globale
est indispensable pour prendre la mesure de la condition d'évidence et en dégager
la signification (section 3).

SECTION 1 - LA FONCTION DE L'ERREUR MANIFESTE

Pour reprendre la casuistique de M. Kahn 17, l'autorité administrative peut se


trouver, vis-à-vis des faits, dans l'un des trois cas suivants :
- l'acte qu'elle veut prendre est déterminé par les faits. Dans cette hypothèse, la
plus simple mais aussi la plus rare, l'administration voit sa compétence liée et
elle ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation;
- l'acte est subordonné aux faits. Ceux-ci forment une condition de sa régula­
rité de telle sorte qu'il ne peut intervenir que si les faits sont « de nature à »
le justifier. I'autorité détient un pouvoir d'appréciation qu'elle exerce sous le
contrôle du juge. La régularité de l'acte dépend d'une juste appréciation de ces
faits, celle que le droit requiert. Les faits doivent non seulement exister mais
être correctement qualifiés;
- l'acte est indépendant des faits, c'est-à-dire que sa validité n'est soumise à
aucune condition de fait ou bien cette dernière est si vague ou si technique
qu'elle est rendue inopérante. ragent dispose alors d'un libre pouvoir d'ap­
préciation que le juge se refuse à contrôler. Au plan de la régularité interne,
celui-ci s'assure uniquement que l'acte n'est pas entaché de détournement de
pouvoir ou d'erreur de droit et qu'il ne se repose pas sur des faits matérielle­
ment inexacts, ce que M. Letourneur, dans ses conclusions sur l'affaire Barel,
définissait comme « le contrôle minimum auquel puisse se livrer le juge admi­
nistratif ». I'existence, en faveur de l'administration, d'une « liberté opéra­
tionnelle d'agissement 18 » fait obstacle à un examen approfondi des motifs
de l'acte, notamment à celui de la qualification juridique des faits. Celle-ci, en
l'absence de condition de fond, disparaît sous l'appréciation qui relève d'un
jugement en opportunité et le Conseil d'État, depuis toujours, s'interdit de

17. Conclusions sous CE ass. 12 janvier 1968 ministre de l'Économie et des Finances et Dame Perrot,
A)DA 1968.179 ,
18. Nom que donnent au pouvoir discrétionnaire les juristes des Etats socialistes. Cité par lAUBADÈRE A. de,
Traité élérnentai re, nº 399.

53

-~-
I VIDI NC • 1· l POI I I IQUI JUIH<;PIHJDI N 111·1 I P

pénétrer dans le domaine de l'opportunité, « chasse .


. , d. . cl gard~e >
trauen. , est en rupture avec cette tra u ron que la J 1 ~ é l'ad
duit la notion d'erreur manifeste d'appréciation qui a non Asserriblée a~1~1\.
cen ure juridictionnelle sur une zone qui échappait J. p ur but cl'i111pla '0tro..
. , . . · usque-là à llte L
La doctrine est toutefois demandé si ce nouveau moyen . son elll r ~
à freiner le contrôle du pouvoir discrétionnaire qu'à l'a · ne visait Pas aPl'llt
ccen tuer. litaJ¡1

LA FONCTJON EffECTNE : RENFORCER LE CONTRÔLE DU POUVorn


~ DISCJU:.)Jo
Depuis le xrx= siècle, Ia juridiction administrative n'a cessé de ,~
1
débordements du pouvoir discrétionnaire reconnu à l'administrali~tter ,~0ntre les
non pas à l'annihiler complètement mais à éviter que s'établisse un, sevenuant
entre pouvoir discrétionnaire et pouvoir arbitraire. À l'égard des « acte ~onfusion
discrétionnaire » qui avaient supplanté les « actes discrétionnaires 19 ~; Pouvoir
des efforts produits se résumait, en 1960, à l'examen minimal des moti~ da_so_rnrne
M. Letourneur. Soit par manque d'efficience réelle, soit par son inada ta~cntpar
. . . . - l'E. -1 p on aux
r é centes missions imparties a tat, ce contro e, au niveau des motifs est a
·
insu ffisant. S es c.rat· bl esses eravortsaient
· · d es anoma 1 tes
· auxquelles l'erreur' m pparu
·r
. an1tes1e
vient mettre un terme.
,,,. .

•• L'étroitesse du contrôle juridictionnel traditionnel

La carence du contrôle des motifs restreints à l'erreur de droit et à l'inexacLitude


matérielle des faits saute immédiatement aux yeux quand on considère, par exemple,

• le contentieux des équivalences dans ses deux volets principaux, l'équivalence d'em­
plois dans la fonction publique, l'équivalence en valeur de terrains remembrés.

L'équivalence d'emplois dans la fonction publique

La réorganisation d'un service peut contraindre les autorités responsables, dans


un souci de rationalisation, à supprimer des emplois, ce qui aboutit à des dég~­
gements de cadres et à des licenciements. De nombreux textes20 prévoient La~tot
hié
que le renvoi d'un agent ne peut intervenir que si, d ans I a 1 rare 1
hi e du service,
~ ue la
il n'existe aucun emploi vacant équivalent à celui qui va disparaître, tantot qi .
compression de certains emplois entraîne une égale réduction dans l'eíf ecul en ~~:.
I dé tement mt
tian des personnels occupant des emplois équivalents dans e par . d chef
tériel considéré. Si l'administration veut restreindre le nombre des e_mplorl~ ~¡ceo·
de bureau et que ceux-ci équivalent à ceux de collaborateur technique, régorie,
, l'autre ca
ciements pourront frapper indifféremment les agents d e 1 une ou

19. ~ 31 janvier 1902 Grazietti, S. 1903.3.113, note Hauriou. é ement des~:


20. Entre autres, loi du 3 septembre 194 7 et décret du 4 novembre 1948 sur le d gag tilUlaire5 5~ 111•
Dans un ordre d'idées voisin des textes prévoient que la titularisation d'agenis º1~º,,,ploi précé. re
. ' . . . · et e chill ·
tuera selon certaines règles de comparabilité entre l'emploi de utulansauon el d'Indo
. .
ment occupé: voir loi du 2 mars 1957 (an. 3) relative au reclassement u
d personn

54
ll·RRl..:lJR ~1ANIF1:.Sl (: D'APPRLCIAllON

Le Conseil d'État, après avoir contrôlé la réal i Lé de cette équivalence 21,


po a, en 1951 ave~ ~n arrêt Mélarnède, le principe qu'il ne lui appartenait pas
de vérifier l'appréciation portée sur l'équivalence ou l'absence d'équivalence entre
deux emplois 22• Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement avait ainsi
explicité les raisons de cette position :
« Ce qui est en cause, c'est uniquement l'organísauon et le Ioncüonnemeru du
service public dont le ministre a seul la responsabilité, c'est lui qui doit prendre la
décision compte tenu de tous les éléments d'appréciation, permanents ou momenta­
nés. On ne saurait ni substituer à son appréciation celle d'un organisme consultatif,
ni lui imposer des bouleversements dans la réparti Lion de son personnel sous prétexte
de certaines similitudes. »

l:inexistence d'un contrôle sur les équivalences, justifiée par l'autonomie de


gestion indispensable à toute hiérarchie, conduit en pratique à des résultats criti­
quables. Elle prive les fonctionnaires de garanties très sérieuses à l'égard de mesures
souvent graves (licenciement, éviction sans indemnité). De plus, elle peut inciter
l'administration, sous le manteau d'une libre appréciation, à se soustraire cornrno­
dément à ses obligations. Il lui est facile d'offrir, en toute connaissance de cause, un
emploi non-équivalent afin de provoquer un refus et de rendre possible un licencie­
ment sans indemnité. Comment l'agent écarté pourrait-il se défendre? D'une part, le
détournement de pouvoir sera malaisé à prouver, d'autre part, le juge ne voudra pas
sanctionner la prétendue équivalence. La jurisprudence Mélamède fait décidément
la part trop belle à l'administration. Certes, cette doctrine comportait des excep­
tions. Lorsque des textes définissaient avec précision les équivalences, le juge n'es­
timait plus être en présence d'une appréciation de l'équivalence librement opérée
el il examinait la correction de la qualification d'emploi équivalent au regard de ces
textes+'. La méthode analytique permettait d'assouplir la jurisprudence Mélamëde,
mais, tributaire de dispositions particulières, elle souffrait de n'être pas générali­
sable. Dans la grande majorité des cas, les abus dont se rendait coupable l'adminis-
tration demeuraient impunis.

I:équivalence en matière de remembrement rural


Le remembrement rural vise à rationaliser l'exploitation des sols en restruc­
turant les propriétés. Sa règle d'or est que les agriculteurs en tirent avantage ou,
pour le moins, n'en pâtissent pas. C'est pourquoi l'article 21 du code rural stipule
qu'ils doivent, à l'issue des opérations, recevoir des terres équivalentes en valeur de
productivité réelle dans chaque catégorie de cultures à celles qu'ils ont apportées.
l'équivalence se mesure ainsi à la fois en valeur de productivité réelle et par nature
de cultures.

21. CE 22 février 1950 DameJegouzo, R. 116.


22. CE 27 avril 1951 Mélarnède, R. 226, conci. Delvolvé ; O. J95l.452, noie critique P.L.
23. CE 5 mars J 954 Rousseau, R 143; 9.ll. 1956 Guérin, 2.224. De même entre deux emplois de « même
nature hiérarchique » : CE 3 juillet 1959 Goüet. R. 428.

55

.... __
l \'IPL ve l. t T P\)U I lQl [ Jl Rl\PRL Dl I Il tu

Lapprccration <le l'équivalence en valeur dc proclucu .


vité réelf
pouvoir souverain d commission de remembrement ~int e C~t la
1 a procédure. dc mulùpl organes qui e contrôlent mutuell . erven1 ,~~
ton, au e
, . .
nome. préfet. commi ion communale. con1m1ssion dépa l
. ement e·
Lng~nieur cit
0ur

r ementai ) ¡gt
tence de ces organes, la présence au sein des commissions de e , Ja eo o.
l es exp I 01ìt an ts eux-rnernes, l a po 1ibili
A

1 rte
d e recour devant des
# membres
. dés ignésrnPf.
des problèmes et des hommes, la technicité très accentuée de la ins~ances Pr0cr
tunité de vérifications trop tatillonnes qui déboucheraient su l'inopPotl
r 1,01 ªllère, .
annula t-
el mal comprise d'opérations laborieusement mises sur pied, tous Lion lard,\·r
se cumulaient pour que la juridiction administrative se satisfasse d'uces arguments
motifs limité à l'erreur de droit et au fait matériellement inexact. n exarnen des
L'expérience montre que les commissions de remembren1ent ne rern
1.
toujours leur tâche avec la rigueur désirable. Composées de représenta:ts ISSecu ~
cul teu rs locaux, elles ont tendance à négliger les intérêts des propriétaires édes agn.
au pays 24. Parfois, la réorganisation des exploitations se solde par un fias tran,gos
. , . co te qu
se fomentent de petites erneutes 25. Lorsque les chiffres inscrits sur Ia fiche in .'
viduelle de répartition (fiche modèle 17) laissent apparaître des distorsions en~­
la valeur des terrains apportés, estimée par exemple à l 000 points, et celled;
terrains attribués, évaluée à 800 points 26, il est regrettable que le juge de l'excès de
• pouvoir se déclare impuissant pour annuler l'opération remembrement, au motif
••
ri que l'appréciation de l'équivalence en valeur de productivité réelle ne saurait être
discutée devant lui 27.
I D'autre part, avant de procéder à la répartition des terres, les commissions clas­
'"

••
sent les parcelles selon leur nature ou vocation culturale en différentes catégo­
... ries, champs, prés, forêts, friches, landes, labours ... Pour que la règle d'équiva­
• lence soit respectée, il faut qu'un agriculteur qui apporte 500 points en champs
et 500 points en prés reçoive, en retour, le même nombre de points en champs et
en prés. La commission ne pourrait ni se livrer à une estimation globale et all~uer
I 000 points en prés, ni compenser entre les deux catégories et octroyer 700 poms
en champs et 300 points en prés. . idi
En raison des connaissances agronomiques. qu , exige
. l e casse
l ment/" , laJun ic·
tion administrative s'en remet à la discrétion des commissions 29. Celles-ci peuvent

24. Voir TA Clermont-Ferrand 16 juin 1961 Jaffeux, AJ~A 1962.1.93. . de CRS 513úonnJ
25. Panni bien d'autres: les événements de Fégréac (Loìre-Atlanuque) ou un pelot~ 0 (Côte d'Or) où
pendant plusieurs mois (note R. Dumas au Sirey 1963.336), ceux d'Ecorsai~l (Le Monde du
un invraisemblable imbroglio a donné lieu à des actes violents de contesla~ion .
14 avril 1970), ou encore ceux d'Octeville (Le Monde des 19-20 septembre 1971 · argent Le Po1111•

remembrement traduit l'unité de valeur réelle de productivité du sol.


tivìté réelle, elle correspond au résultat du compte en points r~présenta
Q:~ tº
26. On affecte aux parcelles une valeur en productivité exprimée en poinlS el no_n valeur de prodº;;
ª ª ndea1ents brt115!t:S
~éreu¡vaJeoce en~elJ
des condiuons d'exploitation déterminant les coûts. Elle consutue la valeur. dipendar11rne01. ru·
apports et les attributions représentant la productivité intrinsèque des sols, in 1111,ral ,tjun5P
valeur vénale, locative ou cadastrale. D'après M. VAUERY-RADOT, Rzrn embreme1
54_
dence du Conseil d'l:tat, Coutances, GCEP, 1968. . Pinel, R. 2
27. Nol. CE 27 janvier 1950 Legrand, 5. 1950.3.41, conci. Letourneur; 22 avril 1959 . R.lq
108_
28. Voir conci. Braibant sous CE 23 décembre 1960 Lafefve-Orbinot, AJDA 1_961.. oarnJS,
29. Note CE 9 juillet 1958 ministre de l'Agriculrure c. de Gesnais, R. 419; 13 Janvier 1958

56
t:CRRLUR MANll·U,J é D'APPRLCIATION

donc placer à l~ur .gré I~ parcelles à remembrer dans la catégorie qui Jes arrange.
Elles ~e~venl a1~s1, qua_hfìer un te rrain en friche de pré afin de sacrifier en appa­
1

rence a I Impératif d éq~,v~lence. N ayant aucun moyen pour critiquer l'appréciation


foru1uJée par les commissions, le juge, là aussi, assiste désarmé à l'accomplísserncm
de multiples abus.

La découverte de l'erreur manifeste

Lìnfirrnité du contrôle traditionnel sur le pouvoir discrétionnaire d'appréciation


conféré à une autorité administrative ne manqua pas d'inquiéter le Conseil d'État.
Un remède devenait nécessaire. Il aurait pu, comme il le fit dans certains arrêts,
donner à la notion de fait matériellement inexact un sens large, débordant sur
l'appréciation portée par l'administration. Dans une affaire Desjardins, les services
fiscaux avaient iníligé une amende à un boulanger pour obtention irrégulière de
combuslibles entre les mois de novembre 1945 et février 1947, alors qu'il déte­
nait un four électrique depuis l'hiver 1945. Le Conseil d'État annula Ia décision
parce qu'elle reposait sur un fail matériellement inexact, le four électrique, installé
d'abord à litre provisoire, n'ayant fonctionné qu'à la fin de l'année 194630_ En fait,
le requérant était bien possesseur d'un four électrique en 1945 el ce que le juge
reproche à l'administration c'est d'avoir commis une erreur d'appréciation en basant
sa décision sur la date d'acquisition de l'appareil et non sur celle de sa mise en route.
La compréhension extensive d'un moyen d'annulation était juridiquement contes­
table. Le procédé, de plus, demeurait empirique et trop lié aux circonstances d'es­
pèce. De toute manière, il soulignait l'étroitesse du contrôle exercé : le juge censu­
rait une appréciation erronée au prix d'une déformation imposée pour les seuls
besoins de la cause à un concept bien défini. Puisqu'il fallait élargir les préroga­
tives juridictionnelles, n'était-il pas plus judicieux de créer un nouvel instrument ?
Le Conseil d'État l'a, sernble-t-il, pensé lorsqu'il découvrit ce qu'il est convenu
d'appeler l'erreur manifeste d'appréciation.
La Haute Assemblée n'a pas, à proprement parler, « inventé » l'erreur mani­
feste. Celle-ci est entrée dans le contentieux administratif sous la double influence
d'une jurisprudence, celle conjuguée du tribunal fédéral suisse et du tribunal
administratif de l'Organisation internationale du travail (OIT), et d'un homme,
M. le Président Letourneur.
Jusqu'à ces dernières années, pour des facteurs historiques, le droit administratif
français s'est montré peu sensible aux exemples étrangers 31. C'est cependant au
précédent suisse que le Conseil d'État français doit originairement l'idée d'erreur
manifeste. En effet, le tribunal fédéral, sur la base de l'article 4 largement interprété
de la Constitution helvétique V, accepte de censurer les décisions discrétionnaires

30. CE ] 3 juin 1951 Desjardins, inédit, cité par M. LETOURNEUR in « Appari Lion de nouveaux éléments
subjectifs dans le recours pour excès de pouvoir», EDCE 1953.66.
31. Sur ce point, voir M. LETOURNEUR, [influence du droit cornparé sur la jurispnidence du Conseil d'État
français, Livre du centenaire de la Société de législation comparée, LGDJ, 1969, p. 211.
32. Cet article proscrit tout « arbitraire par les autorités administratives el les juridictions subordonnées ».

57

-
,-vlDLN E ET PûLITIQUI::. JVRISrRUOI NTIELLI:!

de l'adrninistrauon quand elles soru « évidemment fausses


ou arb·t1 .
elles « reposent sur une inadvertance n1anifeste33 » . ratr~ » o~
Lécho de cette jurisprudence s'est répercuté dans celled· . qllalld
de l'OlT 34. Les mesures prises par le directeur général de l'Oulîtrlbunal ac.Irnitf
. . . . et P' ·1 1stra ·r
d e onze orgarnsauons internationales qui ont reconnu la co , ar es dire U
., , mpetenc d ct~ .
dans une mauere ou les textes leur laissent un libre pouv . d' . e u lribun
. ,~ , . 01 r appré . . a13ts3
susceptibles d ëtre annulees si elles sont « entachées d'erre cl ciauon s '
. . . ur e droi , º111
sur des faits inexacts ou st des éléments de fait essentiels , l ou fofld·
. . . . n ont Pas é , ees
considération ou encore st des conclusions manifestement e , le Pris e
. . rronees O , n
des pièces du dossier ê? ». nt eté tirées
Comme le Conseil d'État français, le tribunal recherche · l , .
si a dec1 ·
exempte d'erreur de droit et si les faits qui la fondent sont tels .1 sion est
. . . , . . que e prét . d
les directeurs des différents orgarusmes internationaux · Mais vé .6.
· , 1·¡ er1 e e en en¡
si cette décision n'est pas à l'évidence mal adaptée aux faits du litige. U~ d~ outre,
méconnaîtrait grossièrement ses pouvoirs si, par exemple il licenci·a·t !recteur
. . . ' I un des
agents au motif de troubles neurologiques qui, pour le handicaper dans l'acca .es
. . . . l l' h . rnplis-
sem en t d e ses fonctions iruna es, ne empëc eraient pas d'occuper nonnalern
un emploi plus conforme à ses possibilités 37. De par les textes, Je directeur es~~
meilleur juge des intérêts de l'Organisation - le Tribunal n'en disconvient pas­
.
.t;,.~
~

,,,
~
.
,,.•
encore faut-il qu'il use sans outrance de son autorité .

f,.
r•
Composé de trois membres, un magistrat anglais, un magistrat suisse et un

·•.. .,.
\" '
l
e

.••.
magistrat français, le tribunal administratif de l'OIT constitue une enceinte privilé­
giée où peuvent se confronter fructueusement les droits nationaux. Le juge français,
M. Letourneur, a pu apprendre du juge anglais, Lord Devlin, que les juridictions
.. britanniques annulaient les actes discrétionnaires de l'administration quand elles
les estimaient « déraisonnables38 ». Le juge suisse, M. Grisel, a porté à sa connais-

33. Trib. Iéd. 20 mars 1957 Soc. en nom collectif P. Bourquin et E Kray; Ch. de droit public 18 juin 1968
Meichtry ; cités par M. LETOURNEUR, op. cit. Ces deux arrêts concernent le cas où les autorité canto·
nales bénéficient d'une grande Latitude ~ans l'~~préc~ati~n eles pr:uves. Des références supplé:i~:
taises sont données par A. GRISEL, Le dro1.t ad1run1stratif suisse , Pans, Dalloz et Neuchâtel, coll.
et Calendes», 1970, p. 171. . . d Paris,
34. Sur le tribunal de l'OIT : BALLALOUD J., Le tribunal administratif de l'OIT et sa 1unspru en~~· 34.
19
Pédon_e, 1967; ~OLF F, Le tribunal cuJ_ministra~if de ~'OIT, "" origine, son évolutio11, E~~~, 'p.
35. Leur liste figure in SPY B., « La fonction publique internationale », RDP, ~970: P· 9 d décisions,
36. Jurisprudence constante: TA se session ordinaire 23 septembre 1960 aíf. Giuffrida, r;cRo~ald Morse,
jugement nº 47; 6 octobre 1961 aff. Wakley, AFDI 1961.321; 15/26 º<:tobre 1_96~ a Ì5 octobre J968
AFDI 1963, 496; 11 octobre 1966 ~ff._ ~aini, ¿FDJ 1966, 299; _2oe session ordina:,ann c. uNES~O,
aff. Dan jean, (nº 1 et 2), rec. des décisions, Jugement nº 126, 17 mars 1969 He ff . es sont relauves
RDP 1970.966; 3 novembre 1969 Chadsey c. U.P.U., RDP 1970.964. !out~ ces a dai~ésilíer l'engage·
au pouvoir des différents directeurs de titulariser un agent et de le licencier ou e
ment d'un stagiaire. .
37. Cf. a co~trado TA a~f. J?anj~n pr~citée., . , _ . . , tribunauxanglaishi~~:
38. Toutefois, selon un junsie britannique, 1 efficacité du controle ìnsnrue par les. " ir J{AMSON c..J
· idi1~uonne_
serait autant à désirer, sinon plus, que celle du contrô 1 e Jun · l françalS ·1958,
vOI
p. 2 6 ee suiv.,e:
Pouvoir discrétionnaire et contrôle juridictionnel de l'administration, Pans, LGDJ: érêlS en prtsenc,tt
nº 5-6- 7. Voir également, en droit hollandais, l'appréciation déraisonnable desªinstde la Corr11n1m01
AUBY J .-M. et FROMONT M., Les recours contre 1es actes administratifs dans les P Y
économique européenne, Dalloz, 1971, p. 435.

58
-~--
I I RRI I R MA lfl.:51 I IYAPPR£CIATION

sanee la notion d'inadvertance manifeste clont il n'aurait pas, sans la médiation


du tnbun~_l administratif, <;o.upçonné aussi rapidement l'existence. Séduit par le
concept d_1nadvertance_ man1f~te, M. Letourneur saisit immédiatement Je profit
que le droit ~dm1n1strauf français pouvait en retirer. C'est sous son impulsion que
le Conseil d'Etat allait façonner l'erreur manifeste d'appréciation, sœur cadette des
conclusions manifestement erronées. Le droit comparé lui fournissait le modèle et
le moyen qu'il cherchait pour dépasser le cadre étroit du « contrôle minimum ,. el
accroître sa censure sur le pouvoir discrétionnaire de l'administration.
Cexemple suisse a sans nul doute été déterminant, mais, sans verser dans le
chimérique, il est permis de croire que le Conseil d'État serait de lui-même arrivé à
la notion d'erreur manifeste. Le contentieux de l'expropriation en contenait depuis
longtemps les germes. Lors de l'enquête administrative préalable à La déclaration
d'utilité publique, l'expropriant doit adresser au préfet un dossier qui, d'après
l'article l du décret du 6 juin 1959, comprend obligatoirement « l'appréciation
sommaire des dépenses». Le Conseil d'État annule la procédure lorsqu'il constate
que cette estimation ne figure pas parmi les pièces déposées à La préfecture ou
que l'appréciation des dépenses est « manifestement inférieure au coût de l'opé­
ration 39 ». N'est-ce pas contrôler l'existence d'un fait et la correction apparente
d'une appréciation? 11 aurait donc suffi à la I laute Assemblée de développer cette

jurisprudence et de la généraliser aux appréciations discrétionnaires.
••

L'éíargìssement du contrôle dû à l'erreur manifeste ''•


À l'erreur de droit et à l'inexactitude matérielle des faits se joint dorénavant

l'erreur manifeste d'appréciation qui permet au juge de réduire à néant un acte )

administraii f vicié par une appréciation insensée des faits. I'administration propose­
t-elle à un agent public un poste qui manifestement n'est pas équivalent à celui qu'il
occupait précédemment 40, la commission de remembrement attribue-t-elle à un
agriculteur des terres qui manifestement ne sont pas équivalentes à ses apports, ni
en productivité réelle, ní en nature de cultures41, leurs décisions encourent désor­
mais l'annulation. Le juge administratif est en droit d'exiger que les autorités admi­
nistratives respectent un minimum de logique et de bon sens.

39. Cl: JI mai 1951 Lemarchand, R. 262; 10 janvier 1958 Bö et autres, AJDA 1958.2.128, obs.J.G. - CE
20 mars 1964 Époux Tihay, R. 197, AJDA 1964.711, obs. P.~.; 27 mai ~96'. groupement_de défense
de l'ilôt Flrrnigny-Cerure el autres, AJDA 1964.~32, conci. Rigaud; 25 Janvier 1967 Devlte~er, AJDA
1967.478, noie Laporte; ass. 23 janvier 1970 Epoux Neel, AJPJ. L97~.3~8, conci. Ba~do:1in, ~JOA
J 970.298, obs. Momont. Par son esprit on peul rapprocher de celle jurisprudence l artet Pujol et
section départementale des preneurs de baux ruraux du Tarn el Gar?nne (CE 12 octo~re_ 19?6,
lt 358, AJDA 1957.2.39). Lorsqu'il fixe le prix des baux I~ p~~feL doll p~end_re en _considerau_on
celui des denrées produites dans le département. Le Conseil d Etal dans 1 affair~ Pujol a annule la
décision préfectorale, en jugeant que « les quantités ?e tabac retenues pour servir de base au cal_cul
de certains fermages, eu égard à leur caractère manifestement excessif, ne correspondent pas a la
valeur normale des biens loués ».
40. CE 9 mai J 962 corn mune de MonLfenneil c. Foiuier, R. 304.
41. CE 18.3.1963 Galloux, req. nº 57.352; 20 octobre 1968, R. 669; sect.6 novembre 1970 Guyé,
!\JOA 1971.54.

59

.. __
,::-v,or;N I' E'T POI I rrQUf1 JUl{l!>PRUDl2N rtFLl.E

De rar a présence là où il n'y avait rien, on pressent . ,


1
apporle un ang neuf au contrôle juridicUonnel du ·pouvo· qdu_e erreur n-.~ .
rr •seré · ··14n,i
plus précisément, en quoi la transposition du modèle 5 . llonnair e.sie
u1sse dé e, tlta
notable amélioration? noLe-t-elle rs,
Erreur man i feste d'appréciation, cela signifie que J'appréci . Une
partie intégrante de la régularité de l'acte administratif. Cettes ~t•on est deve.r¡
à la discrétion de l'administration ne bénéficie plus d'une im p è~e norrnalertt lle
. . . . , ·· mun1téd. etit
A1ns1 est comblé le vide creé par l'absence d'un contrôle de la qu lif . e Princip
. a u1cat10 . . e
des faits. La plupart des commentateurs en ont d'ailleurs déduit ue , n JUrrdique
e . Iifi . .
i este portait sur cette qua 1 cation ou en constituait une manifesta q . l erreur Illar¡¡.
En réalité, Jes conclusions doivent être plus radicales. Lorsqu'un tion S~écialeii_
. . . . · e autant'
rnstrauve dispose de la faculté souveraine d'apprécier les faits elle . e adrnj.
, agit en
tunité. En conséquence, si, sur le plan contentieux, l'erreur manifeste fait b ºPPor.
l'appréciation dans la régularité de l'acte, fondamentalement elle est un ashculer
, e tee ni
qui permet d'examiner l'opportunité de l'acte. Il n'y a pas de différence substa _que
entre I , annu I auon · d' une op érauen
· de remem b rement parce qu'une parcell nLJelle
, . . . . . e, re1.tee
,
a la voie publique par un couloir traversant une zone inondable et un fossé
dépourvue d'un accès manifestement satisfaisant43 et l'annulation d'une mes' est
ure
de police parce qu'un maire a pris une décision trop rigoureuse, mal adaptée aux
- circonstances locales et lésant inutilement une liberté publique. Il y a même identité
-
• parfaite dans cette affaire où la décision d'un maire, qui, afin d'assurer l'organisation
des défilés projetés pour la commémoration de l'armistice et d'éviter les heurts entre
cortèges rivaux, interdit pendant deux heures tout autre groupe que le cortège offi­
ciel, est invalidée au motif que le maire « est allé manifestement au-delà de ce que
- -
...
...
justifiait la sauvegarde des intérêts locaux44 ».
En contrôlant l'erreur manifeste, le juge se place sur le terrain de l'opportunité .
Tel est l'avis également de M. Braibant pour qui la Haute Assemblée procède à une
vérification du même ordre que celle à laquelle se livrent les tribunaux anglais sur
le caractère « raisonnable» d'un acte. « [erreur manifeste, écrit-il, apparaît lorsque
l'administration a abusé, volontairement ou non, de la latitude dont elle dispose,

. ' . [este porte sur IJ


42. KORNPROBST B., chron. précitée: « Les arrêts montrent que la nouon d erreur mani A]DA ¡968,
qualification juridique des faits et sur elle seulement». MM. MASSOT el DEWOST, ~hroén: nnai~ que
. d , · dìscr 110 '
p. 103: « Le traditionnel contrôle exercé sur les actes pns en vertu u p~uvoir .1 Jut celui de la
l'on appelle contrôle minimum parce que, réserve faite de l'e~eur manifeste, 1 . e~~ étudie l'erreur
qualificauon juridique des faits. » Quant à A. HOMONT, art. précité AJDA 196?-5~~· des faits) es1
manifeste sous le Litre : « Cas dans lesquels le contrôle (de la qualification JUíl jque
exercé de façon limitée. »
43. CE 4 novembre 1966 ministre de I'Agriculture c. Nardin, R. 1069. En règle générale.
44. CE 8 av~il 1,940 As_socia~ion des anciens com?attants de ~ondreco_url, f:-
llt·li ues JocaleS ned:
1

le Conseil d État, Vl5-à-V1S des mesures de police allentato1res aux libertes pu q esantsur lordes
contente pas d'une disproportion évidente encre celles-ci et les menaces de tToub I es_p 0,anifeSte dts
public. Par contre, la juridicuon judiciaire semble ne sanctionner que l'i.~d~ptall;;e la /égalitt
mesures de_ police ~eurs _motifs ?e fait. Voir CAsTAGNÉ]., Le contrôlejundiclLOn~i; et 50¡v.
à

acLes de police adm1nLStrat1ve, Pans, LGDJ, coll. « Biblio DP», t. LVll, 1964, P· 1

60
l'i l{HI UR MANIPESI I• D'APPRL(IAl ION

qu'elle est allée au-delà des limites du raisonnable dans le jugement qu'elle a porté
sur des éléments d'opportunìté+". »
CcrLes, le Conseil d'ÉLaL, nonobstant le recours à l'erreur manifeste, continue dc
préciser que l'opportunité ne saurait être discutée devant lui 46. li faut entendre par
Là qu'il ne lui appartient pas de vérifier l'opportunité d'un acte administratif contre
lequel le requérant n'allègue pas une erreur flagrante commise dans l'appréciation
des faits.
Le Conseil d'État s'est doté d'un instrument redoutable dans son principe pour
combattre l'emploi abusif du pouvoir discrétionnaire. I'erreur manifeste constitue
une sorte de révolution au Palais Royal, même si elle est assagie par un contrepoids,
l'évidence. Elle remet en cause - partiellement 47 - des habitudes séculaires au nom
desquelles l'opportunité ressortissait à la seule compétence des autorités adminis­
tratives 48. On comprend que dans son utilisation le Conseil fasse preuve demodé­
ration. Il annule plus volontiers une décision viciée par une erreur grossière d'ap­
préciation lorsqu'elle intervient dans une matière où l'opportunité est peu sensible,
comme dans le remembrement rural 49, que dans l'hypothèse où l'opportunité est
mieux caractérisée, telle la délivrance d'un permis de construire. Dans ce cas, si la
possibilité lui en est offerte, il peut préférer sanctionner l'acte irrégulier sur la base
d'un autre moyen, y compris le détournement de pouvoir auquel il ne fait pourtant
appel que rarement et de façon subsidiaire 5°. Même dirigées avec circonspection,
les incursions dans l'opportunité que permet l'erreur manifeste montrent à souhait
combien est élargi le contrôle minimum traditionnel des motifs.

LA FONCDON VIRTUELLE : FREINER LE CONTRÔLE DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE

Les commentateurs, tout en approuvant l'initiative du Conseil d'État, ont


parfois accueilli avec froideur et scepticisme l'apparition de l'erreur manifeste.
M. Kornprobst craint que le juge « se borne à débusquer des évidences avec l'enthou­
siasme d'un détective myope51 », au lieu de s'efforcer à résorber progressivement
le nombre des cas où la qualification juridique des faits n'est pas contrôlée. Pour Ja
grande majorité de la doctrine, le véritable renforcement du contrôle exercé sur le
pouvoir discrétionnaire implique que les tribunaux vérifient si l'autorité responsable

45. Conclusions sous CE sect. 13 novembre 1970 - Lambert - dont un extrait figure à la chronique
de MM. Labetoulle el Cabanes, AJDA 1971.34. Dans le même sens, conclusions Baudoin sous CE
6 novembre J 970 Gayé, RDP 1971, p. 524. « Linjustice manifeste~>: parente italien~e _de l'erreur
manifeste, permet de « con Lester le mérite de l'acte, c'est-à-dire son utilité, s~n opportuni te, sa conve­
nance ou encore son caratère équitable». AUBY J.-M. et FROMONT M., op. c,t., p. 324.
46. CE 12juin 1968 Guintini, R. 353.
47. Voir infra section 3 de ce chapitre. . . . ~ ,
48. I'erreur mani feste comble en partie les vœux de ceux qui réelarnaieru un controle de I opportu-
nité: cf. ISAAC G.:« Chaque fois que J'adn1inistration dispose.d'un_ pouvoir discr~tionnair~, seul le
contrôle de l'opportunité serait efficace», in La procédure admi111slrat1ve 11011 contenueuse, Pans, LGDJ,
coll. « Biblio DP», t. LXXIX, 1968, p. 195.
49. Plus de la moitié des décisions qui ont censuré une appréciation manifestement erronée ont été
rendues en matière de reme1nbrement rural.
50. CE sect. 13 novembre L970 Lambert, AJDA 1971.53 el la chronique Labeioulle et Cabanes, p. 31.
51. KORNPROSBT 8., art. précité, D. 1965, p. 124.

61
I ll)l·N I:: sr POLll lQUEJURISPRUDl·N-l ll·LI i::

a correctement qualifié les faits qui motivent son act O


. . . ' e. r, en I'
inconvénients les plus notoires, I erreur manifeste consot·d expurgea
. . l e en ra . nl d
rrnrnmum ». Ne va-t-elle pas consacrer un pseudo-prog ès ' cine le i< e~
. li r ' un suc A. contro
N e nsque-t-e e pas de rendre malaisée l'extension du cont - . . ces à la Py h ~
1
I a qua lifi · · · ·
I canon juridique, même dans des domaines qui
roeJur1di ·
Cltonnet ·. 'i
n-U)
, ne semblenl Jlls{¡u·
ver a demeure du pouvoir discrétionnaire de l'administratio 1 N' Pas devoir a
. . '~ . n. est-e rele.
ce que vou Iait le conseil d Etat? Les craintes de Ia doctrine e Pas d'ail!
î: . . . · ne sonl pas . eur~
fondement mais la jurisprudence les a dissipées pour ]'essentiel. louJours sa115

Les craintes de la doctrine

On ~ouvai~ espérer, décl~re M. Kornprobst, que le juge de l'excès de .


cesserait peu a peu de considérer que telle appréciation n'est pas « d pouvoir
, - d. - d l . e naLure
a etre iscutee evant ut pour scruter attentivement les circonslances de ,.
appréciation. ceue

« La notion d'erreur manifeste pourrait bloquer ce processus. Il en irait ainsi d


la mesure où le Conseil d'Etat estimerait suffisante la vérification que lui e ans
d ' exercer I e recours a- l'é vtid ence et renoncerait, . du coup, à étendre le champ d'a
p rme1li-
. d · ·
cation e ses mvesngauons · 52
. » PP
..
Lattitude de la juridiction administrative, dans une double série de situalions
'
semble corroborer les appréhensions de M. Kornprobst.
-

, l
Dans un arrêt Bachex, le Conseil d'État a jugé que l'autorité militaire n'avait pas
commis une erreur manifeste en déclarant un jeune homme apte au service armé,
.. sous réserve d'une mise en observation dans un hôpital des armées au moment
de son incorporation 53. Il tranche en faveur du « contrôle minimum » élargi à
l'erreur manifeste.
On comprend mal que le juge ne veuille pas connaître, sauf erreur n1aniíesLe,
l'appréciation des conseils de révision qui réforment ou refusent de réformer ~ne
recrue pour inaptitude physique, puisqu'il accepte d'examiner les décisions relauves
à l'aptitude physique des agents civils 54.
. . • ~ J aux agen15
« Il n'y a pas de raison,
remarque M. Braibant, de lìrnìter ce contro e . dc
, , J'occas1on
en activité ou aux mìlitaires de carrière; il peut également s exercer s
l'entrée en service el à l'égard des militaires du contíngent55. »

52. KORNPROBST B., eod. loe., p. 124. I Rigaud, AJDA


53. CE sect. 6 décembre 1968 ministre des Armées c. Bachex, RDP 1969. 7i0, c~nc ·é de ln Défense
1969.32, chron. Dewost et Oenoix de Saint-Marc ; 25 mai 1970 ministre d' ~cat e :ª.~re des ¡\nnéeS,
nationale c. Maréchal, .RDP l 971.545. Adde TA Caen, 22 mars 1967 Robbe c. min• le
D. J 968.189, c~ncl. Gabolde. . BERNARD, 1~ co"'1f
54. CE sect. 7 Iëvrìer 1969 Cogny et Dame Gauffreteau, AJDA 1969.303--: cf. M ents pub/,cs~£D11.,1
du Conseil d'~Lal sur l'apprëciaüon p~r l'administr~Lion ~e_ l'aptitude physique_ dei ff
Conseil d'~t·1'0ur
1957.53. Voir cependant CE 24 mai 1968 Premier ministre et Dame Paoli O , ntraîneril11 P
exercé que son ~ contrôle minimum » sur l'appréciation portée sur les risques que
la santé d'un agent son affectation dans un pays africain. 969 p. J3.
SS. Rapporté par MM. DEWOST et OENOIX Dl::. SAINT-MARC, chron. précitée, AJDA ] '

62
Larrêt Bachex établit une discrirninat ion d'autant plus diffìcilc a justifier que
l'année précédente, lors d'un recours en responsabilité Iorrné par un conscrit qui
den1andaiL réparation du préjudice que lui avait causé une incorporalion suivie,
quelques mois plus tard, d'une réforme pour inaptitude physique, le Consci I d'État
s'était prononcé pour le contrôle le plus large. Il avail repoussé la requête, considé­
rant que l'affection de la vue dont souffrait le requérant « ne le rendait pas inapte
au service n1ilitaire56 ».
En abandonnant par l'arrêt Bachex les principes de la décision Hermann, le
Conseil adopte une position en retrait. Le contrôle de la qualification juridique
s'incline devant celui de l'erreur manifeste. Si la Haute Assemblée n'avait pas eu à sa
disposition cette notion, aurait-elle révisé la jurisprudence Herman n ? M. Rigaud a
Liré argument de ce que la politique du recrutement variait en fonction des besoins
du moment. Un tribunal qui pratiquerait une vérification trop stricte risquerait
d'être toujours « en retard d'une guerre», à moins d'homologuer intégralement les
critères avancés par le ministre des Armées. Bref, « le contrôle total tendra dans l'un
et l'autre cas à devenir totalement théorique57 ». La démonstration du commissaire
du gouvernement a convaincu le Conseil d'État, mais en quoi, peut-on objecter, le
contrôle de l'erreur manifeste sera-t-il dans un tel contexte plus efficace?

La juridiction ad ministrati ve se contente également de rechercher, outre l'erreur


de droit et l'inexactitude des faits, si la décision de l'inspecteur ou du ministre du
Travail favorable ou hostile au licenciement d'un délégué du personnel et d'un
membre du comité d'entreprise ne résulte pas d'une appréciation visiblement aber­
rante58. Il semble qu'en l'occurrence elle s'inspire du droit disciplinaire de la fonc­
tion publique où elle se déclare incompétente pour juger la proportionnalité de
la sanction infligée aux agissements fautifs. Lanalogie n'est pourtant pas parfaite.
La gravité de la faute est le principal élément de la décision, positive ou négative,
de l'inspecteur du travail puis, sur recours hiérarchique, du ministre59. Ils doivent

56. CE 25 octobre 1967. Hermann, R. 394. Voir également les conclusions Gabolde, précitées, favorables
à ce contrôle.
57. RIGAUD conci. sur CE Bachex, RDP 1969, p. 703 et suiv.
58. TA Nan,cy J 8 mai 1966 Manufacture de Blanvi_lle, R. 752; CE 10 ~uin L9?6 ministre du Travail c.
Besson R. 387 · 18 novembre 1970 ministre d'Etat chargé des Affaires sociales c. Le Bolch, R. 689;
21 avri'I 1971 ~in ist re du Travail, de l'Empio i et de la Population c. ocllcs Raffin el Roue, AJDA.
1971 .374. Voir également CE 23 septembre 1968 Manufacture française des pneumatiques Michelin,
R. 214 conci. Vught, RDP. 1969.320, conci. Vught. . . ,
59. Par sa jurisprudence restrictive, la Chambre sociale d~ la Cour dc cassaL'.on ruine la P?rtec du recours
hiérarchique auprès du ministre. Elle estime que, st le. chef.d'entreprise rompt untlatérale_n1ent le
contrat de travail avec I'autorisauon de l'inspecteur, le licenciement est valablement effectue, quelle
que soit la décision ultérieure du ministre: Cass. Soc. ler juillet 1964 Soc. des ét.ablisse~ents Felbacq
c. Berlin,JCP 2.1424·0, note de Foru-Réaulx. Ses arrêts les plus. r~cents n1ontr~nl s1mplcm~nt un
souci de mieux indemniser le délégué licencié à tort : Soc. 27 juillet 1970 Abisse c. Rhodiaccia,
D. 1970.742 eLJ.-J. Dupeyroux, Le licenciement illicite d~s.représen~ants du personnel, D. 19:0,
chron. p. 187. La chambre criminelle s'est arrêtée à une posiuon à la fois plus respectueuse.et moins
critiquable. Un employeur qui congédie un délég~é_avec !_'accord de l'inspecteu_r.el ~ui refuse dc le
Laisser siéger au comité d'entreprise a~ant que le m'.n1stre. a~L statué, cor:i1n1et _le délit cl entrave a~ bon
fonctionnement du comité d'cntreprise : Cass. Crim. 9 JULn 1966 Uruon départementale de l'Aude
de la CFTC c. Talrnier, GP J 966, 2e sern., p. 138.

63
I vin, N r I I P()LI I JQUI JllRl\PRUDJ NI JI·( Lt:

appré icr le manquement nu regard d'une sancuon unic¡ue


, I e congéct· 1erne11
cons é qucn l, en rn surer I a gravité en con idération de cet l .
e « pc,n let
guée est-elle de nature à légitimer un licencicmenL? Celt t: • e>>, la fau ·P~
e 101s 00 leal¡
parallèle avec la fonction publique où le juge examine la q i·r.' Peu¡ trou ~.
. ua 1 ica ti \ter
hen ible et penser qu'il devrait logiquement procéder de ... on du fa¡1 r" lin
meme à I' cJ>rt
reprochés à un délégué du personnel 60_ En modifiant sa . égard des r ·
. . . '~ ' . . . 1-ur1spruden a,~
direction, le onseil d Etat n agirait pas, mutatis mutandis d·rré ce dan.!> e
. • . . , , 1111 rernrne Clte
naux judiciaires. Les prud hommes peuvent juger régulier le Ii . ru des lrib
1cenc1ernen d' li-
gué du per onnel malgré l'avis contraire de l'inspecteur du ~fravail61 l Lin d~l~.
ils invalident indirectement la décision de ce fonctionnaire co .d~ Autrementd¡,
, . . . , ns, erante 50rnrne.,
quelle repose ur une mauvaise qualification des faits imputables dë , n
au elegu.
Dans ces deux cas précis, un « non possumus » de la part du juge ad . . e.
. . fi . ·1
se JUSt11e pas LOU Jours et 1 serait regrettable que l'erreur manifesle fasse
rrun IS tratif ne
O
la pénétration du contrôle jusqu'à la qualification juridique des faits62 bstadea

Le démenti de la jurisprudence

L~ inquiétud~ de la doctrine ~ont ~n ~ amplifié l'écho sont à vrai dire exagé­


rées. Lerreur manifeste ne forme m ne vise a former un rempart à un examen futur
de la qualification juridique des faits.
La jurisprudence a déjà chassé bien des doutes puisqu'elle est passée du
« contrôle minimum élargi » à celui de la qualification, spécialement en matière de
remembrement rural.
C'est d'abord le cas pour le rapprochement des nouveaux lots au centre d'exploi­
tation. Après quelques oscillations 63, le Conseil d'État semble s'arrêter définitive­
ment à la formule du « contrôle complet64 ». Dans ses remarquables conclusions,
M. Baudouin a souligné que les vérifications demandées au juge ne portent que
sur une notion purement quantitative, celle de la distance moyenne qui sépare les
parcelles du centre d'exploitation et qui s'exprime par des calculs précis, au mètre

60. En ce sens: COUIARD C.-A., « la stabilité de l'emploi et les autorisations administratives devant le
contrôle juridictionnel», Dt. soc. 1951.237; Guionin, conclusions sur CE 12 novembre 1~4
nancéienne d'alimentation,JCP 1950.2.5909. Contra: AUBY J.-M., « le contrôle du Conseil
~.r·
1~:
sur les décisions des inspecteurs du travail relatives au licenciement des délégués du personne
des membres des comités d'entreprise »,]CP 1952.1.989.
61. Cass. Civ. sect. soc. 12 février 1954 Dominguez c. Arnaud, Bu1/. civ., IV, nº 108, P· 79. relève
1
62. Même s'il apparai L souhaitable que le contrôle de la qualification juridique des faits_ preo~e ~elle se
de l'erreur manifeste, il n'en demeure pas moins que celle-ci constitue un progres puisq~ liccn·
substitue à l'absence de contrôle. À l'égard des conscrits comme des délégués du ?c.rso~: conse~
ciés, il vaut mieux que le juge administratif affirme son pouvoir de censurer I~ déc15'º:r du tntV'.iil
de révision (CE 6 décembre l 968, Bach ex précité RDP. 1969. 700) et celle de I i~pecte rreur mani·
(CE 10 juin 1966 ministre du Travail c. Besson, précité, R. 387_) ~ntachées d u;fe
eConseil _(CE
feste, plutôt que de le voir renoncer à coute sanction sur l'appréciation porLée pa . comcneJuge
. .
21 cl écembre 1960 de P1cc10Lto, R 722 - le Conseil. d'État, à cette é poque,
. intervena1L
·
de cassation) ou par l'inspecteur (CE 26 mars 1958 Tolédo, R. 200). . (966
30 013rs
63. Marquées par les arrêts CE 16 octobre 1963 Boursier, R. 487 (erreur man ifeste), rts QL1111at,
ministre de l'Agriculture c. oclte Puren ne, R. 1068 (contrôle complet), 26 juin 1966 conso
R. 1069 (erreur manifeste).
64. CE sect. l l juillet 1969 Lévrier, AJDA 1969.633, conci. Baudoin.

64
1'1 RIU lJI( Ml\Nll 1 'i li JJ'Al'l'RI ( lAllON

près. Une donnée mathématique ne laisse place aucune po vibilir 1 dc discussion.


à

Dès lors, il lui parais ait inévitable que le jug' « Ías..,cporter son contrôle, avec tout
on poids ct toute sa rigueur, ur l'~ccon1plissen1ent d'une condition qui est parfaite­
ment qunntifìable ». Le Con eil d'Etat s'est rangé à l'argumeruauon dc son commis­
saire, rendant caduque la jurisprudence où il se contentait d'une erreur manifeste.
C'e ten uit e le ca en ce qui concerne le classement par catégories de cultures.
Les excès auxquels cédèrent, dans leur appréciation ouveraine, les cornmission-,
avaient [ait prendre conscience à lajuridicLion administrative de l'étroitesse de son
contrôle 65. Pour y remédier elle avait introduit l'erreur n1anifcs1e66. En dépit de cet
averLissemenl, de nombreux abus se perpétuaient, C'est pourquoi, par deux arrêts
de ] 967, la I-laute Assemblée a décidé que les cornrn iss ions perdaient leur liberté
de grouper discrétionnairernent les terrains soumis au remembrement dans telle
ou telle catégorie et qu'elles devaient, en fonction de la nature propre de chaque
parcelle, créer autant de catégories que nécessaire67. Dans une région traditionnel­
lement partagée entre des près et des terres à labours, Ics prés naturels ne peuvent
figurer dans la même catégorie que les labours. La commission départementale a
l'obligation de prévoir pour les herbages une catégorie partìculiërev''. Les tribunaux
administratifs veillent au respect de cette sujétion en ordonnant, au besoin, une
expertise sur la vocation culturale exacte d'un so( 69.
D'autres domaines ne sont pas « à l'abri» d'une telle mutation. MM. Labetoulle
et Cabanes signalent une évolution analogue pour ce qui regarde les besoins de
la population en pharmacies 70. Après avoir recherché si aucune erreur manifeste
n'affectait l'appréciation préfectorale 71, le Conseil d'État examine maintenant si les
72.
besoins sont de nature à justifier la création d'une nouvelle officine
11 est à noter enfin que, lorsque le juge de l'excès de pouvoir a annulé une déci­
sion frappant d'éviction un agent public, il s'assure strictement que l'administration
le réintègre dans un poste équivalent 73. Toutefois l'hypothèse est trop particulière,
l'autorité de la chose jugée trop impérieuse pour que l'on puisse ici parler d'une
progression générale du contrôle dans l'ensemble du contentieux des équivalences
d'emploi.
Cette jurisprudence coupe donc court à une interprétation « pessimiste » de
l'erreur manifeste. La doctrine n'aurait pas d'ailleurs exprimé tant de réticences si
elle s'était attachée à définir l'essence de cette notion. Celle-ci constitue un compro-

65. Voir supra, sect.ion 1, premier point. li .


66. CE 13 juillet 1961 oelle Achart, R. 476; 13 juillet 19~2 oc e Vigneron, R. 578; 18 ~a~s 1963
Galloux, req. nº 57.532; 15 juillet 1964 Danie vve Dents, AJDA 1964.721; CE sect. 10 JUtn 1966
Dame vve Noël, R. 385. , . clic . .
67. CE sect. 6 janvier 1967 mìntstëre de I Agnculture c. D Dunand, R. 2, sect. 24 novembre 1967
Cauchard, R. 442. Voir l'article de M. VALLERY-~DOT, Les règl~s ele Jo11d clu remembremem rural et la
jtH'ispn,dence du Conseil d'État, AJDA 1963., 1963, p. 601 et suiv
68. CE Cauchard précité. , .
69. CE 24 décembre 1968 ministre de !'Agriculture c. Epoux Planchais, R. 669.
70. Chronique à l'AJDA 1971, p. 36.
71. CE sect. 5 mars 1969 oclle Magnin et ministre des Affaires sociales c. Lutz précité, R. 139.
72. CE 27 novembre 1970 Dame Comiti Bouillio, req. nº 75.761, cité à la chronique.
73. CE 10 janvier 1969 Jarry, R. 930.

65
I \ lf)J t I I 1 I'(. )I IT lt.JI I JllUl\PRl/DI NI li I I I

7"
n11 ... : !'ti .., ·" lern1e" icnuenr ù chan•rcr ln ,·uric.I,' .1 ·
n (.'
.,,._, 1·,..., • ( . ' f' ,-, ' <.:: 1011 ~c.l IJ11ni•t · , rnt1v.
l-,~._1,~1nt:n !'t.. l f>O!',l(fc)n. -n ~urro~nnt, par Xl'lllJ)lc: ,
l. · cl r , . , qu un te e r1;\>
ont Ilion~ ~ loud ù I ct.li ·rion dc l'acte subs1i1u, ... I' . J\l • cluirfì lc¡r,_
.
rcnienr ()U acc1ùcn1cllc111ent . ..
ílouc le c:ontrôl, ,·uricJ,·,..1.. _ , unc. : 1e11n , r d,tcu00 '~a "1d "'

ele ln regi ·n1cnrat1on. en vigueur, . '
nugrn mt ra .n intcn"' ...ronne , 1 , . co rn,nnnd~ pVo/o,
1~,
rem ph I e ffcet I vcrnen t lo o u I .s con di I ion. I ·gale .
. . .~1 c. e Jug' e v r,. fier:, ,.,. .tr l't ~,
Qu o iqu'on a i I e ra int I bi I an d • I' err , ur n ¡ ~. e • ªcit
1110 1 c~r cr den,
~ .
San nutre ~, d'autre. niotlnlirc.s p.trnlfcl es dc contrôl, clic n l'ure p0•
,. . . . . . , ,,ern1 t nu . , ,11,r
erncr I e. cr ice du pot1vo1r dt cr 'li nna1re qui r vi 'nt .1 1' d .. Juge de lllic
une technique . .
propre à rnieu , lutter contre l'arbitraire ._ n n11n1srr •111.on. ('..~
Le
.
deux JJ01nrs d vu": du JJornL d vu .. analytiqu . en e que l'erf)rogrè lrn n Para¡1\.~I
" . à
. .
vient dan. d ma11crc..s cnrncreri . ,
cs uuparavanr par une v rifìcat· rcur n1nnif c1.i ,
te 1n1cr.
r,a,~ er qui . b ·nclìc1 . nt dorénavant d'une prot ction accrue. du pc>' ron r ~tre·•nted~
. . , int ( e vue
oque, en cc quelle oumct ù ln ccn. ure dc lribunaux administrati[s 1 le¡. Ynrh1.
lion form ui c..s en opportunité qu'il refusai •nt jusqu'alors d' xamincr ªPPréria.
bâillonnée, il 'en four, la liberté d'acrion dc l'admini tration 'en trouve· ª"'111?
dans l'i nlérêt d'une meilleure justice. · nn101ndne

- -- .... SECTION 2 - I.A PORTEE DE L'ERREUR MANIFESTE


'
f1
,,,. -- l:erreur ma nifeste 'e l lìxee dans des hypo these où, en raison dc ln'º"''
t l liberté d'appréciation
motif
reconnue à l'administration, l'e ·amen juridictionnel
e borne au conrrôle dit minimum dc l'erreur dc droit et dc la maicria/111
de~ fairs. Ce contrôle réduit joue dans un certain nornbrc dc ca. doni lu dh•crsiré
de

-. "
.... rend precaire loute présentalion exhaustive mai que la doctrinen co111t1111c de
elas er ous quatre rubriques : les mesures de police gen rale, le n1 ~sur s ù cnmc·
Lère technique, les mesures édictées alors que la réglcmcnlation n'en pr~ci.c pa5
les conditions de fond, enfin certaiT1es in ures i11t res~ ~1nc la fonction publ,qur75.
Ce contentieux vaste el hérérogène soud son unit par une doubl rcfcrcnccau
JJOuvoìr discrétionnaire el au contrôle rcslreint des morifs.Jusqu'ù n1.1i11tc11:111tl'cr·
reur man if este ne recouvre pas l'en en1blc dc ce n1aticrcs, rnais p 'lk cr qu'elle llt'
vaut que là où le juge l'aurait CXJJrcssémcn I n1entionne erait co1nn1c11re un gra\'r
.
conlresens. Celte 1nlerprétallon . . ., .
étriquée 1néconnn1tra11 . l e cl ynnn11 · . nie, d . l'erreur
mani,estc
r : on intérêt rés1 ·c1 e morns
· d an ses app 1 ,cauons
· · ac1uc ·lies· l/llC clnn . 5~¡,
vocal ion - c'est un poi n l certain - à crnbras cr la. I otal11. e cl · <.:e on I e·nric11x ou '\•
J·uridiclion ad1nini tra Live n'exerce qu'un contrôle r · trc1n1 . dcs 111011 . [.;• Cl dn11s !IC
pos ibilités - c'est encore l'inconnu - à~ 'élargir à toutes le apprcciar,on~. , . . q (lt' 11•l
que soit la profo11deur du contrôle exercé.

14. Voir u,J,a, \etlion J dc cc ch.1pi11c.


75· ri .,ui•
Voir AUBY CL Dn.AGO, ·irufllf, l. 3, 11º I 186; 001 NI R., Co111 s, 1960-1 e 6 I, t,.;c. 1· P· 9h7
66
-
l'l·IUl(.UI< MANll·l-:5·1 E D'APPRlClATION

UNE CERTITIJDE : I.A PROPAGATION DE L'ERREVI{ MANlFE.Sœ


DANS LE CONTENTIEUX SOVMlS AV « CONTRÔLE MINIMUM »

On a pu se demander 76 si l'erreur mani feste ne consacrait pas un degré d'i n­


tensité intermédiaire du contrôle juridictionnel, entre le contrôle dit minimum et
le contrôle intégral de la condition de fond, auquel aurait été soumis un certain
nombre de matières dont l'avenir aurait livré les caractéristiques, par exemple les
affaires techniques et elles seules. Lévolution jurisprudentielle ne permet pas de
retenir ce schéma.
Jusqu'en 1964, l'erreur manifeste reste cantonnée aux contentieux de la fonction
publique et du remembrement rural. La réticence du juge administratif à l'étendre
au-delà pouvait entretenir un doute quant à sa généralisation. Toutefois, dès cette
époque, le libellé des arrêts permettait de pronostiquer son essor. Le juge ne la trai­
tait-il pas sur un pied d'égalité avec l'erreur de droit et l'inexactitude matérielle des
faits? « 11 résulte de l'instruction que l'appréciation ne repose pas sur une erreur
de droit ni sur des faits matériellement inexacts et n'est, d'autre part, entachée
d'aucune erreur manifeste. » Dès lors qu'elle était placée sur le même plan que
les composantes traditionnelles du contrôle minimum des motifs, n'était-elle pas
promise à s'appliquer dans toutes les circonstances où jouait ce contrôle minimum?
Ce qui n'était qu'intuition s'est converti en certitude.
En premier lieu, le Conseil d'État a défini sa doctrine dans une décision de
principe, l'arrêt Anger de 1968. Il y distingue nettement deux types de situations.
Lorsque l'administration ne bénéficie pas d'un pouvoir discrétionnaire, le juge de
l'excès de pouvoir doit vérifier si les motifs d'un acte sont de nature à le rendre
possible. Cette vérification, en matière de police, peut s'étendre à la nécessité de
la mesure prise, examinée dans ses rapports avec les buts déterminés par la loi.
En revanche, dans le cas où l'administration jouit d'un pouvoir discrétionnaire, le
juge limite son contrôle des motifs à l'erreur de droit, à la matérialité des faits et
à l'erreur manifeste d'appréciation 77. En d'autres termes, le Conseil d'État entend
effectuer l'examen de ces trois moyens chaque fois que l'administration détient
un pouvoir discrétionnaire et non pas seulement dans des secteurs bien délimités.
I'erreur ma nif este s'ajoute aux éléments primitifs pour former dorénavant avec eux
le « nouveau contrôle minimum » des motifs dont le juge administratif dispose
dans toutes les hypothèses où l'existence d'un pouvoir discrétionnaire accordé à
78.
l'administration paralyse partiellement ses investigations
En second lieu, l'erreur manifeste ne cesse d'accroître son champ d'application,
amoindrissant progressivement le domaine où aurait subsisté le si rnple contrôle
de la matérialité des faits. Depuis l'arrêt Lagrange, elle a non seulement investi le

76. Cf. GALABERT et GENTOT, chronique à l'AJDA, 1962, p. 552.


77. CE 20 novembre J 968 Anger, R. 581.
78. Le recueil Lebon, au paragraphe« Contrôle du juge de l'excès de pouvoir», a ouvert une nouvelle
rubrique : « Contrôle mìnìrnum » (~ppréciations ne pouvant être discut~es, rései:"e faite de L'e~eur
manifeste, des [aits matériellement inexacts, du détournement de pou voar cl del erreur de droll).

67
f.vrn, NCE ET ro111 IQlJE JlJRISPRUDf NTll:LLE

conrenricux des équi v alenccs d'cmploìs 79 dan fa fon l.


remcmbrcmcn l rural 80, n1J1', elle a conqui de nouvelf e ton Pub1·•qu, ,,
d
mc reale 8 i jusqu ,aux mesures d ,ordre econom1que82 de es
I' P1 at~ .· d e la ..ctl&&;
que comporten! pour la sanie publique certains produ,1s' ~ ªPP~c~ h 110nd.,, ·~~
certains ingrédients destinés à la consommation 83 jusqu'à Id p ~rrnac~lttiqu
d · 84 en pas ant par une 1nult1tude de deci ion a eli,"ra. ne, du '?.
e construire
h . . affirméª5• La prolifération de ces déc·
· Péc1ales au ~Ilet¡,
tee nique plus ou moms
plus Or indice dc la portée générale que la juridiction adrn ISions eparc;es ,...., :
I , erreur manifeste. in1 Lrat1 \ . e att.n'--..._.."

les commi aires du gouvernement ne 'y trompent pas Q uur ¡


le Con eil d'État, dan Lelle ou telle matière. ne la ignale pas. uand bien rnth\..
. . . .
ra, onnent comme I elle con utue une modalité à pan entière du co
e..'-pr e -t
ils ~•o,
dici i onne!. En 196 5, I' apprécia Lion portée ur l'aptitude d'un candidat ,¡"'!\>le Ju,,.
n'était pas, dans la lettre des arrêts, oumise à l'erreur rnaruf te ce q . . concounr
pas M. Braibant de déclarer: , ui n ernpèca..-
tA.11t

79. Par exemple: C[ 15 avril 1970 Miniez, \'ì1ry. Pinot, Lemoine. Office d'I fUvt dc I.i \'ìllc d p
R. 250 Mais aussi l'analogie des cadres ( E 17 m~rs 1961 1v..tignac. R. 319), I~ íoncuons :cr:~
quemeni comparables (CE 21 dccembre 1966 Gaillard, R. 1069), la nature idenriquc d~ rorp,tt
la correspondance entre deux corps (CE IO mai 1963 Bartoli, R. 294), l',1p1ilude d'un agtm pubi,
à l'..1,•ancement (CE 12 février 1971 mini tre de l'Ecooom1c et des Finances c. Dubob cr i1ur"'
R. 219), .l l'1nt~gr..ttion (CE 13 janvier 1971, Bajada, AJDA l971.-f92) rì C."\CTccr une Ioncuon (([
... 18 décembre 1968 Bianzon. R. 1072; 2 octobre 1970 Corbcllini, R. 551 ). l..t valeur d'un mrmotrt'
.... (CE 27 novembre 1970 Delle Martin, AJDA.1971.42-f). Pour un con1plemcn1 dc junsprudcnrt', ''Otr
le tableau publié en annexe de l'arricle précité à la Rc« adm., 197 l .
BO. Par exemple: CE 15 juillet 1964 Dame V'~ Denis AJDA l 964. 72 l; l3 juillcr l 961 D.1n1c \"" Adun.
R. 476; 16juin 1971 ministre de l'Agriculture c. Dame vw chue, R. 450; 10 mars 1971 nunìsue ee
l'Agriculture c. Grizon, R. 198; 22 mai 1968 Époux Ory, AJDA 1968.651.
81. CE 24 avril 1964 deux arrêts, Dclahaye et Villard, A}DA 1964.303 et 319; 15 juillet 1964 Cadi, RDP
1965.125; 15 Juillet 1964 ministre du Travail c. Carrière, A]DA 196-f .575; 7 juin 1967 Rougemom,
D. 1968 201. Pour les conaaissaaces techniques particulières : 2-f avril L9b-f CortScil dr l"ùrJrr
des médecins c. Bricourt, R. 981 ; 5 jan,ricr 1966 ,nini lrc dc l.1 .1n1c publique, C l)~t ti ~lolSJnl,
R. I 070; 28 mai 1971 Langlais, R. 415. .
82. CE sect. 26 janvier 1968 Soc. Maison Gcnetal, R. 62. conci. Bertrand; l9 no\'cn1brc 1969 ~oopérJll\T
des propriétaires récoltanLS de la Champagne délin1itéc, R. 514; 3 n1Llrs 1971 n1inistrc dc l'l:conom,~;1
des Finances c. Soc. Ateliers dc Dunkerque ct Bordeaux « France-Gironde», R. 175: AJDA l 97dl.-l _
83. CE 6 novembre 1963 oc. lranex, A}DA 1964.187; 28 mai. 19 6 7 Féd émuon . nauon.1
. 'le des :in IC,lb
de Îa
pharmaceutiques de France, R. 180; 22 mars 1968 oc. des Labon.noires Be 1lout, 1VOA l968· 356
84. CE 17 décembre 1965 Époux Plani y cl au ires, R. _695; 29 mars l 968 oc. du loti
plage de Pampelonne, R. 211, conci. Vught; 13 Judice 1968 Mendelsohn, AJDA 19
;;i;;; .
27 février I 970 commune de Bozas, R. 139. ¡ Vught (k
t
85 Par exemple : CE sect. 26 juin 1970 Bartoli, Rev. trirn. dt. san. el social l 970.366, cone .,Ilion dr
retrait d'approbalion à une sociéce mutualiste); 4 octobre 1968, Tou~a~, R. 1?73 (~Pf~u~l,Îei ¡969
la valeur des litres possédes par des personnes non titulaires dun d1plo1nc d Étal)• J Confolc1c.
mirustre de {'Éducation nationale c. Association d'éducation populaire «!'Espérance~ à rol.iirc),
R. 315 (apprécia úon du min is ire en décida ni ou refusan¡ d'agréer un ci reui t dc ramassageport et dr
24 octobre 1970 Gaveau, R. 578 (approbation par le préfel des tracés des lignes de transcs R. 627
distribution
( ª~
d'énergie électrique)· 30 octobre 1970 Soc du Moulin de Giboudet et 1~ ~ 1.1 R(l
.
déc1Sio11 • . êlS cli= .,
adm., 1971.d'une municipalité dc participer à un syndicat communal). Adde les arr

68
l'l·Rlll UR MANll'LSI I· IJ'AI'PRfC.IATION

« Le juge de l'excès de pouvoir csr appelé à contrôler celle appréciation sous Jc


triple a peel dc l'erreur dc droit, du fail rnruéricllcrncru inexact el du détournement
dc pouvoir, auxquels il faut adjoindre aujourd'hui l'erreur 1nanifc~le86. ,.

Le Conseil d'Etat, quatre ans plus tard, lui a donné raison en examinant sí le
reí us opposé par le ministre de l'Éducation nationale à l'admission d'un candidat
aux épreuves du certificat d'aptitude à l'inspection de l'enseignement primaire était
ou non entaché d'une erreur manifesteê/.

En plein épanouissement, l'erreur manifeste n'a pas encore épuisé toutes


ses virtualités. De là naît cette impression d'incohérence que laisse parfois la
jurisprudence.
D'une part, coexistent dans deux matières voisines des solutions différentes
qui, tantôt se réfèrent à l'erreur manifeste, tantôt s'en désintéressent sans cause
apparente. Le Conseil d'État recourt à l'erreur manifeste pour vérifier les motifs
d'une mise en disponibilité88 et n'y fait aucune allusion pour juger le bien-fondé
d'une mutation 89, d'une promotion au choix 90, d'un reclassement 91, d'un congé
spécial 92, ou de la démission d'un officier93. On se méprendrait si on excipait de
cette disparité pour souligner le caractère résiduel de l'erreur manifeste. Cette hété­
rogénéité n'a aucune signification et l'expérience enseigne que tôt ou tard l'unité
s'opère autour de l'erreur manifeste. Ainsi le juge adrninistrati f s'essayait à déceler
si une éventuelle erreur manifeste ne s'était pas glissée dans la détermination, par
un préfet, des besoins de la population en I-lLM 94, mais il ne semblait pas s'en
préoccuper à l'égard ele la décision préfectorale qui, pour accorder une dérogation à
la création d'une officine en surnombre, s'appuyait sur Les besoins de la population
en pharmacies 95. L'arrêt Demoiselle Magnin vient d'abolir cette distorsion insolite :
dorénavant, le Conseil d'État examine si les besoins en pharmacies n'ont pas été à
l'évidence surestimés ou sous-évalués par le préfet96.
Il subsiste, d'autre part, un ensemble de mesures, fortement assujetties au
pouvoir discrétionnaire de l'administration, qui semble imperméable à l'erreur
manifeste. U s'agit de la police des étrangers et celle des internements administratifs,
qu'à la suite du commissaire du gouvernement Heumann on réunit sous le vocable
d'actes de « I-laute police 97 ».

86. Conclusions sur CE sect. 8 octobre 1965 Marfaing, R. 497.


87. CE 21 novembre 1969 ministre de l'Éducatioo nationale c. Rousset, R. 532.
88. CE 26 avril 1967 Ploix, R. 172.
89. CE sect. 28 mai J 965 Yermeuleun, R. 317; 16 novembre 1966 Daine Pelé, R. 1069.
90. CE 18 niai 1966 Go una rd, R. 1070.
91. CE 13 juillet 1966 Mary, R. 601.
92. CE 15 mars 1967 Chauveau, R. 128.
93. CE3juillet 1963 ßoudin,R. 415,AJDA 1964.181.
94. TA Nantes, Le Monde, 7 mai 1969.
95. CE sect. 19 février 1965 Lagrange, R. 122.
96. CE 5 mars 1969 ocllc Magnia et ministre des Affaires sociales c. Lutz, R. 139.
97. Conclusions sous CE 22 avril 1955 Association franco-russe dite Rousky-Dorn , RA 1955.404.

69
r\ IDE cr l I POl Il lQlll JllRl.'l'RUOL 111·1 I I·

M. Komprob t, pour qui l'erreur manifeste ne isc que I d ~ .


technique dou le que la juridiction administrnt ive prenne jnm~l°~c, ton à ca
1
I er 1· I e, f:na~
· qui · mouvent
· · d' un ctrnngcr ou la di
I' •pu I sion .le oi n de" 'l1..t '
8 ._ o 1 uuon cl' '"ºnt
uon étrangèrcf ont été correctement appré i . Mt\1. ,alabert el Une il! ro
une opinion contraire. La policed trangcrs dis cnt-il ÍìnJ· ,cnLot Pro~·
, ... Ill r . ""~
leg des citoyen Iran ais, la prëcnrìt <lu tatut L liée à ln nnrí ortar Ics n.., 1
• ._ r IOnalit l'<t\-¡.
ein de Ia Communauté Economique Européenne ln liberte de . · Lo~qu
.
bli sèment era effectivement a urée, ln rigueur dont fnit preu
Ctrctdar 1 11
. ?
et d'~,~
a~
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perdra son fondement. Dès lor , concluent-il , il n'y a aucune rai Phtdenc,
pen er qu ,un Jour . l cs ressortis. ants d es six. E,"'tCats-membr
. cron¡ au ion dc n_e p4
les nalionau [rançai et, qu'à un stade interro diair appnrni~ e l'e garanltsqu,
rreu- n1a ·i
Pour trancher la controverse, la juri prudence n app rte aucun 'llt esre.
table. Dan une affaire Bonjean de 196499, le Conseil d'État a rcjcl~c¡°urs Vérj.
d'un couple étranger dirigée contre le refus de proroger leur autori ntion d rcq.ufte
Les faits, au demeurant authentiques, étaient au nombre dc ceu qu'u e~éJour.
• • • • ~ í ne au1orì1r
de police pouvait retenir pour mouver on arrêté. La cotence ne porte
de l'erreur manifeste. Le Conseil d'l:tat entérinerait-il la thèse dc M Kornp tbrnee
, . , . . · pro I i
Lerreur manifesten est pas un moyen d ordre public; le Juge n' t pa oblig dc la
oulever d'office i le requérant ne l'invoque pas. Il erait donc audnciettx , d',· nter-
préte r ce silence comme un désaveu de l'erreur manifeste,

La police des internements présente également un cas particulier. Longteinp le


juge s'est abstenu de vérifier l'exactitude de faits invoqués à l'appui d'une aie ure
d'internement administratif ou d'assignation à résidence. li la con idérait comme
régulière sitôt que ces faits « entraient dans le champ d'application » dc textes
spéciaux qui la régissaient. Depuis l'arrêt Grange 1°0, ce re triction à la liberté
individuelle sont soumises au « contrôle minimum», mais l arr~lS I plu· rccrnts
ne paraissent pas disposés à les faire bénéficier de l'erreur 1nanìfcsLc toi. Des rai ons
de technique juridique expliquent vraisemblablernenl cette réserve. Le contrôle du
fait « entrant dans le champ d'application » d'un texte exclut une erifìcn1ion indi-

98. Expulsion d'un étranger : CE 24 octobre 1952 Eckert, R. 467, S. 1953.3.52, note Tixier;
18 mars 1955 I-larnou Ben Brahi1n; R. 168, Rev. jur. ct pv/. dc l'U11. Jra11. 1955.405, conci. Lauil'nl
. . . d' . r ·ic ù un. f¡n111·.
Dissolution d'association : CE Assoc1ac1on Rousky-Don1 pr cité. Inter 1c11on 1a1
· · dc rt ,dcncr ·
ger de pénétrer en France : CE 22 novembre 1952 tvlarcon, R. 524. R estncuon I
CE 12 J·uin 1953 Dame de Savicch-Ritchgorsky, R. 28 L. Rcfu dc la carte dc co~imerç¡i:\1
. · d~Jou,nuu,
CE 26 no,,embre 1956 Villa, R. 433, RDP 1957.123, conci. Laurent. Inter d ,cuon 1.: b 1955
écrits provenant de l'étranger : CE 4 JUln . . L954 Joudou ' et Riaux,. R . 346. , 17 déccm re
ministre de l'Intérieur c. Girodia , R. 968, D. 1959.175, conci. Braibant.
99. CE 31 janvier 1964 Époux Bonjean, R. 73.
100. CE 30 janvier 1959 Grange, R. 85, conci. Chardeau. ,brc ¡964
101. CE 13 novembre 1964 ministre de l'Intérieur c. Rocher, AJDA 1965.228; 13 noive:. 01¡011rt'
ministre de l'Intérieur c. Livet, D. 1965.668, note Demichel; sect. 22 avril.1966 Te~~ 1966.504.
de l'Intérieur c. Mony, RDP 1966.584, conci. Galmot, RA 1966.227, note Liet-Vc~~;·0c·,obre 1968
note Dran; 18 mai 1966 Férréol, R. 333; 22 mai ] 968 Lagrange, AJDA 1969.JO • .1 Lcbort 0111
, d s du recuei dr
Douzou, R. 517; 4 déce1nbre 1968 Mary R. 615. A noter que Ics ré acteur . ées. RéScrvc
porté dans l'abstrait précédant l'arrêt Livet : « appréciations ne pouvant etre dLScut les déci 1005
l'erreur maniíeste et du íait matérie!Jement inexact ». Ccue menlion disparaît pour
postérieures.

70
l.J·RRLUI{ MANll'L'>I I IJJ\PPIU (IAílON

l¡.

viduelle des faits et n'autorise qu'une vérification par catégories. Lerreur rnanífeste,
elle, dans chaque affaire, nécessite une analyse « personnalisée ». La trop vague
condition légale bloque les initiatives du juge, entravant la progression ven, l'erreur
manifeste ou, comme le souhaite la doctrine 102, vers l'examen de la qualification
J,(
juridique des faits de nature à justifier ces atteintes à la liberté.
Ces lacunes, parce qu'elles sont temporaires ou excusables, ne contredisent en
rien l'esprit « conquérant » qui anime la jurisprudence, Chacun des cas d'ouverture
du recours pour excès de pouvoir a connu une lente maturation avant de parvenir à
¡. sa plénitude. Lerreur manifeste n'échappe pas à la loi du temps. Au fur et à mesure
de son développement, il deviendra éclatant que, dans toutes les hypothèses où le
droit abandonne l'appréciation des faits à la latitude de l'administration, elle fait
,, partie intégrante du « contrôle minimum » des motifs.
j•

UNE INCONNUE : LA PROPAGATION DE L'ERREUR MANIFESTE


,. HORS DU CONTENTIEUX SOVMlS AU « CONTRÔLE MINIMUM »

La généralité de l'expression « erreur manifeste d'appréciation » invite à se


¡.
demander si cette dernière ne doit pas intervenir chaque fois que se trouve en jeu
la liberté d'appréciation dont profite une autorité administrative. Même lorsque
le juge exerce son contrôle de la qualification juridique des faits, il n'assume pas
nécessairement le pouvoir discrétionnaire en son entier. Il est aisé de le montrer à
partir de l'exemple le plus simple et le plus classique, celui de la répression disci­
plinaire dans la fonction publique.
La juridiction administrative recherche d'une part si les faits reprochés à l'agent
public existent réellement, d'autre part s'ils peuvent être qualifiés de fautes 103.
Elle s'interdit, par contre, de cri tiquer la proportionnalité de la sanction à la
faute 104. Elle laisse au supérieur hiérarchique toute faculté pour mesurer la gravité
du manquement.
Le contrôle sur le seul « dispositif intermédiaire 105 » de la décision discipli­
naire serait acceptable si à un type de faute correspondait nécessairement un type
de peine. Pas plus que le droit pénal le droit disciplinaire de la fonction publique
n'ignore l'adage « nulla poena sine lege », puisque le chef de service, à l'encontre du
fonctionnaire soumis au statut général, doit prononcer une sanction choisie parmi
celles qu'énumère l'article 30 de l'orclonnance du 4 février l959. Toutefois, l'autorité
reste libre, pour une faute donnée, de prendre un blâme plutôt qu'un avertissement,
un abaissement d'échelon plutôt qu'un déplacement d'office, etc. Elle peut donc
réprimer une défaillance légère par une sanction totalement disproportionnée, une

102. Nol. M. Demichel, note précitée au Dalloz, 1965, p. 668.


103. CE 14 janvier 1916 Carnina, R. 15, 5. 1923.3.10, concl. Corneille, RDP 19 l 7.463, concl. Corneille,
note jèze.
104. Entre autres : CE Il juillet 1952 DameVVeMontluc, R. 378; 12 mars 1958gouvcmeurgénéral de
l'Algérie c. Aquaviva, R. 156; 8 juin 1966 Fayout, R. 380.
105. Voir BAUDOUIN, conci. sur CE Guyé précitée, RDP, 1970, p. 523 ct LABETOULLE et CABANES, chron.
précitée, AJDA, L97l, p. 36.

7l
I v,n, NC.I I· I POI IT IQIJt JllRl',PUll()t NI li, I I

rétrograda, 1011, par excrn¡,Ie, sans redouter la cen!>ure iu 'd· .


d. · J ri pa,,
I a rëg l e « nu li a poena sine lege » ne se vide+e/le 'Clion neJJe. Il,
con ruons.
Ne se Iran formc-1-e/le pas en garantie illusoire? N'esl-il de'ª •ul"la n, <q
du contrôle de la qualification juridique des fair.s s'instau pias ~ouha,ta.blc q lJtt?
.
manifeste qui. fre1ncra1t
. . les abus commis dans l'appréciat· re e d. Juge ment de¡ u .. lAi.~
.
gravité de la faute? li éliminerait les injustices criantes selon ron iscré . ertct
l•onna,re ,L ·,
à celur . que connaît le « contrôle minimum ». Il suffirait' auJ·u unproc . essus 1de01\tt~
la sphère d ,appl,cat,on . . de I , erreur manifeste
. ge sim
pour lui conférer, !<flit
I' piem •ntd'éla,,..
d. é .
L5Cr'>t1onna1re. une portée a bso 1 ument générale. 11 confirmerait aduégard ~ du Pou~Oit
-F,11

eel I e-ci in lé res e I' opportun i lé de I a décision administra¡¡ ve. Cetie "'em e _coup 'llrr
elle pas d'ailleurs dans la nature des choses: par définition un « conir:~tens,oo n'e.¡.
d, . · 1 pas un contro I e a~quc l tout acte administra1if doit se lie e rn1nunu
ne esigne-r-¡ , "'•
P l ,. l C ·1 d'E ' p r. .
our 1 ns tant, e onset tat s oppose à transporter l'erreur
dehors du contentieux soumis à un contrôle réduit des motifs M Mo rnan,fes1 e en
sa thèse consacrée ã la répression administrative 106, et M. Kahn · · lui urgeon
ont ' ~
de relever une erreur manifeste quand, l'évidence, la peine disciplinaire~:~po,,
à

apparaît trop forte pour punir une faute mineure. Le Conseil d'État n'a p ,g~
son commissaire du gouvernement 107. Cette résistance de la Haute Assernbl,e as sun1
n'implique pa ipso facto qu'elle y proscrit à jamais l'erreur manifeste. Peut-êlre
a-t-elle jugé plus sage (et plus politique) d'achever l'évoluiion en ce qui concern,
le « contrôle minimum », avant de procéder à un nouveau bond. Parce que fes
concepls de pouvoir et d'appréciation discrétionnaires répondent à une realrté
unique, on veut espérer que dans les années ou les décennie à venir, le Conseil
d'État perfectionnera, sur ce point, sa jurisprudence.
....• On peut y croire d'autant plus fermement qu'on retrouve trace inonde la
notion, du moins de la technique de l'erreur manifeste appliquée à ce niveau .
Le Conseil a, en effet, admis la régularité d'un décret prononçant la révocation d'un
maire parce que les faits retenus contre lui étaient « manifestement de ceux qui
rendaient impossible son maintien à la tête de l'administration municipale 108 ».
Si, à /'évidence, les fails qui lui étaient reprochés n'avaient pas été susceptibles ~e
fonder une telle sanction, le gouvernement aurait en quelque orte mal appré~ie
la gravité des manquements et la révocation eût été annulée. Le motif de e arre15
mérite d'être reproduit intégralement :

« Considérant qu'il· n'apparuenr


· pas au Conseil. d , Etal
· d , examiner· I' op portuniré
íl dere
Ia mesure ni le bien-fondé de ses motifs sauf dans l e cas ou rnex , 1·· 'istcnce . ngran
,és
'
des faits allégués laisserait sans aucune base' l'acte attaqué, ou 1. l es m~ tifs ¡· ,nvoQL
ìre: que
n'étaient pas par eux-mêmes de nature à provoquer une mesure discip I d'ºª' eux' qur
les fai IS relevés par l'instrucu on con tre le sic ur X ... son l rnaníf cs1emcnl e ~
rendaient impossrble son maintien à Ia tête de i'adrninisrrauon mun,cipa I e.

JJJ
106 · M DURGEON R., /..a repress ion administrative, Pa ris, LG D)., co li. . DP • • l. I • t , ouv,vrter
« Bi. bho. 1967,P19611 4(l,
I 07. CF 23 noven1bre l 967 AdminislraLion généra/e de l'As islancc publique, Droi
conci. Kahn.
108. CE SjuilleL J9J8 Gérard, R. 665; 6jui111928 Michel, R. 696.

72

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