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Le procès administratif à l’épreuve du Covid-19

I/ L’organisation de la justice en période de crise sanitaire : l’exemple du procès administratif

Malgré les circonstances exceptionnelles1 liées à l’épidémie de la Covid -19, le service public
de la justice n’a pas connu d’arrêt brutal de son activité. Les juridictions et notamment les juridic-
tions administratives ont continué à fonctionner dans un cadre juridique dérogatoire. En effet, outre
l’instauration de l’État d’urgence sanitaire, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire
face à l'épidémie de covid-19 a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance, sur le fondement
de l’article 38 de la constitution, des mesures visant à aménager les règles de procédure et de dérou-
lement des instances devant les juridictions administratives, judiciaires et répressives2. Cela a
conduit le Gouvernement, à travers les ordonnances du 25 mars 20203, puis du 18 novembre 20204 à
aménager les principes cardinaux du procès administratif (A) dans un sens pas toujours favorable aux
justiciables, du moins à certains d’entre eux (B)

A) Les aménagements du procès à l’épreuve des grands principes du procès ad -


ministratif (Cathy-Anne Rhety)

À travers loi du 23 mars 2020, le législateur a habilité le gouvernement à adopter, durant l’état d’ur-
gence sanitaire, des règles dérogatoires au fonctionnement des juridictions administratives, judi-
ciaires et répressives, avec comme objectif celui de « réduire au maximum les contacts entre justi-
ciables, magistrats, avocats et forces de sécurité, afin d’assurer la continuité du service public de la
justice tout en préservant ses acteurs. »5, et ce, tout en préservant le respect des droits fondamentaux
procéduraux accordés aux justiciables dans un État de droit.
Si certains des aménagements permettent effectivement de garantir aux justiciables, le droit à un re-
cours effectif en période de confinement, d’autre portent objectivement atteinte à certaines compo-
santes du principe des droits de la défense. Ces dérogations concernent tant le fonctionnement et l’or-
ganisation du procès administratif (1) que les délais de recours, d’instruction, de jugement, etc. (2)

1. Les aménagements relatifs au fonctionnellement des juridictions et à l’organisation du


procès administratif.

1 Le CE a qualifié la période d’État d’urgence sanitaire de « circonstances exceptionnelles » (CE, 22 mars 2020,
n°439674, Synd. Jeunes Médecins)
2 Article 11, 2° c de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19
3 Ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre
administratif plusieurs fois modifiées ; Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais
échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période

4 Ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre
administratif
5 M.BLOTIN, J-A CANO, « Loi d’urgence covid-19 : adaptation des délais et simplification des procédures administra-
tives et juridictionnelles », JCP Admin n°30, 30 mars 2020, p.185.
Le fonctionnement des juridictions administratif a connu des aménagements sur le plan interne, no-
tamment avec la possibilité offerte en matière de mobilité des magistrats d’une juridiction ou d’une
formation de jugement à une autre, ainsi que de la possibilité de recourir à des magistrats honoraires
afin de faire face au risque d’absentéisme. Il a également été permis aux magistrats ayant le grade de
conseillé et deux ans au moins d’expérience de statuer en matière d’ordonnance R. 222-1, alors que
cela était jusque-là réservé aux magistrats ayant le grade de premier conseillé.

Cela invite à s’interroger sur la raison d’être de cette règle.

Surtout, et c’est ce qui sera principalement développé ici, l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars
2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, prévoit
un certain nombre de dérogations aux principes fondamentaux du procès et notamment au principe
du contradictoire (a) et à celui de la publicité des audiences6 (b)

a) Aménagements apportés au principe du contradictoire.

Le caractère contradictoire de l’instruction est énoncé à l’article L.5 du code de justice administra-
tive7. Pour le Conseil Constitutionnel, ce principe est un corolaire au principe constitutionnel des
droits de la défense8 et est une composante du principe d’égalité devant la justice 9 en vertu duquel
tous les justiciables doivent avoir un égal accès à la justice et un traitement égal pendant le déroule-
ment et à l’issue de la procédure10. Pour le Conseil d’État, le principe du contradictoire a valeur de
principe général du droit11. Au sens strict, ce principe « interdit au juge de statuer sur une requête
sans avoir préalablement mis les parties à même de présenter leurs arguments, de façon égali-
taire »12. De façon plus large, ce principe « impose de soumettre aux parties toutes données de droit
ou de fait susceptibles d’exercer une influence sur l’issue du procès, afin qu’elle soit discutée et cri-
tiquée »13. C’est le juge administratif, et plus précisément le greffe de la juridiction qui s’assurent la
mise en œuvre du principe du contradictoire entre les parties en leur communiquant, par voie postale
ou informatique l’ensemble des pièces et documents du dossier.

Or, l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les
juridictions de l’ordre administratif porte atteinte à ce principe à plusieurs égards.

6 M.BLOTIN, J-A CANO, « Loi d’urgence covid-19 : adaptation des délais et simplification des procédures administra-
tives et juridictionnelles », JCP Admin n°30, 30 mars 2020, p.185.
7 Art. L.5 du CJA : « L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à
celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes »
8 Cela est affirmé spécifiquement en matière de procédure administrative dans la décision Cons. Constit, du 21 décembre
1972, n°72-75 L, dite « procédure fiscale »
9 Principe affirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision Cons. Constit., 23 juillet 1975, n°75-56 DC, dite «  juge
unique »
10 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, 13ème éd., 2008, Montchrestien, p. 187
11 CE, Ass., 12 oct. 1979, nos 01875, 01905, 01948 et 01951, Rassemblement des nouveaux avocats de France
12 P. IDOUX, La contradiction en droit administratif français, faculté de droit de Montpellier - collection des thèses, t.2,
2005, p.16
13 C. BROYELLE, Contentieux administratif, 8ème éd., 2020-2021, LGDJ, p.195
C’est d’abord le cas en permettant aux juridictions de communiquer les éléments du dossier aux par-
ties par « tout moyen »14. Cela permet aux juridictions de privilégier, voire d’imposer la communica-
tion des pièces par voie dématérialisée, et notamment via l’application Télérecours jusque-là obliga-
toire uniquement pour les avocats, les personnes morales de droit public autre que les communes de
moins de 3500 habitants et les organismes de sécurité sociale15. Cela peut s’avérer problématique
pour les personnes dépourvues d’accès internet qui agissent sans l’accompagnement d’un avocat.

En outre, cette ordonnance permet au rapporteur public de se voir dispenser, à sa demande, d’exposer
ses conclusions lors de l’audience publique. Si cela permet présente l’avantage de limiter le nombre
de personnes dans a salle, cela porte atteinte au contradictoire dès lors que les conclusions du rappor-
teur sont susceptibles d’exercer une influence sur la solution rendue par le juge. Il est donc important
que les parties puissent, lors de l’audience, entendre ces conclusions et formuler des observations à
cet égard. S’il est prévu que le rapporteur doit communiquer le sens de ses conclusions, rien ne lui
impose de communiquer aux parties, l’ensemble de ses conclusions. La question de la dispense de
conclusions du rapporteur public avait déjà fait débat en 2011 lors de la mise en place de cette possi-
bilité dans certains domaines du contentieux (par ex, les contentieux sociaux, le contentieux des
étrangers, etc16). Cette solution était justifiée dans ce cas par le fait qu’il s’agisse de litige de masse,
présentant peu de difficultés ? Or, l’ordonnance du 25 mars 2020 permet une telle dispense dans tout
type de contentieux.

Cela a-t-il eu lieu au tribunal administratif de Montpellier ? Dans certains types de litiges en parti-
culier  ? le rapporteur communiquait-il uniquement aux parties le sens de ses conclusions ou un do-
cument plus détaillé sur sa position ?

Enfin, le juge des référés peut décider, par le biais d’une ordonnance motivée, de statuer sans tenir
d’audience. Il est alors tenu non seulement d’en informer les parties, mais aussi de fixer la date de
clôture de l’instruction. Là encore, une atteinte au principe du contradictoire peut être identifiée. En
effet, l’oralité, à l’occasion de l’audience en référé est une des caractéristiques des procédures de réfé-
ré. Certains éléments de l’affaire sont débattus directement à l’audience. Cet aménagement dans le
cadre de l’état d’urgence prive les parties de ce débat oral et peut conduire à une complexification du
déroulement de la procédure contradictoire dès lors que des éléments produit, peu de temps avant la
date de clôture d’instruction peut conduire le juge à repousser cette date de clôture.

Là encore, la question qui se pose est celle de savoir si le tribunal administratif de Montpellier a
beaucoup pratiqué cette dispense d’audience en référé ? Quel est l’avis des Magistrats administra-
tifs sur cette question ?

L’absence de tenue de l’audience publique porte également atteinte à un autre principe cardinal des
droits de la défense : le principe de publicité des débats.

14 Art. 5 de l’ordonnance n° …
15 Cf. art. R. 751-3 CJA
16Voir art. L. 732-1 et s. du CJA
b) Aménagements apportés au principe de publicité des audiences.

L’audience publique devant les juridictions administratives est prévue est à l’article L6 du Code de
justice administrative. C’est une composante du droit au procès équitable au sens de l’article 6§1 de
la CEDH. C’est l’étape intermédiaire entre la phase d’instruction et de jugement. Cela permet au
juge de dresser un état des lieux du litige et aux parties d’apporter des précisions complémentaires.
Cette étape permet pour ces dernières de s’assurer, en écoutant la lecture des visas que le contradic-
toire a été respecté, de relever d’éventuelles erreurs, de faire part au juge de l’évolution de circons-
tances de droit ou de fait entre le jour du dépôt de la requête et le jour du jugement et enfin ne mettre
en avant certains éléments clés selon elles dans le dossier.17

En général, il y a assez peu de public devant les juridictions administratives. Cependant, l’audience
publique est une véritable source de légitimation de la justice. Cela prouve qu’elle n’a rien à cacher
et inspire davantage confiance. En outre, l’audience publique est fondamentale dans certains conten-
tieux pour les requérants18. Cela leur permet de se sentir entendu, à la suite parfois d’une longue pro-
cédure écrite sans issue avec l’Administration.

Or, l’ordonnance du 25 mars 2020 permet au président de la formation de jugement de décider le


huis clos ou de restreindre le nombre de personnes admises à l’audience. Au préalable, cela était déjà
admis par l’article L.731-1 du CJA dans les cas où « la sauvegarde d’un intérêt public ou le respect
de l’intimité des personnes ou des secrets protégés par la loi l’exige » mais était que très rarement
pratiqué.

Cela a-t-il été pratiqué au tribunal administratif de Montpellier ?

Une autre dérogation au déroulement d’une audience publique est la possibilité pour le président de
la formation de jugement, sous certaines conditions de réaliser l’audience par visioconférence ou par
tout autre moyen de communication électronique. Une telle décision n’est pas susceptible de recours.
Pourtant, l’ordonnance précise que l’audience peut tout à fait se tenir dans ces conditions, quand bien
même le conseil ou l’interprète du requérant ne se trouve pas physiquement à ses côtés.
Si l’ensemble de ces aménagements des règles du procès ont permis pendant la période de l’état d’ur-
gence sanitaire d’assurer la continuité du service public de la justice administrative, dont le fonction-
nement a d’ailleurs été bien moins impacté que celui de la justice judiciaire, certains principes fonda-
mentaux du procès administratif ont connu certaines atteintes.

D’autres dérogations ont concerné quant à elles la question des délais.

2. Les aménagements relatifs aux délais de procédure et de jugement

17 C. BROYELLE, Contentieux administratif, LGDJ, 3e ed., 2015-2016, p.216


18 C. BROYELLE, Contentieux administratif, LGDJ, 3e ed., 2015-2016, p.214
Afin de garantir un droit au recours effectif pour les requérants, garantie essentielle dans un état de
droit19, et assurer le bon fonctionnement des juridictions administratives, le procès administratif a
également connu des aménagements dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire quant aux délais de
recours (a), d’instruction (b) et de jugement (c).

a) Aménagement des délais de recours

Par principe, les délais de recours contentieux en droit administratif sont de deux mois. Afin de ga-
rantir aux justiciables un droit à un recours effectif dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, c’est-
à-dire de permettre à chaque justiciable qui le souhaite de faire entendre sa cause de façon effective
devant un juge, l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prolongation des délais échus
pendant la période d’urgence sanitaire, dans sa version issue de l’ordonnance n°2020-588 du 13 mai
2020, prévoit que les délais de recours échus entre le 12 mars et le 23 juin 2020 recommencent à
courir à compter du 24 juin 2020 dans la limite du délai de droit commun de deux mois, soit jusqu’au
24 août 2020 à minuit.

Cependant, dans sa première version, l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 prévoyait uniquement


que les délais recommenceraient à courir à compter de la fin de la période d’état d’urgence sanitaire.
Les nombreuses prolongations de cette période et du confinement ont eu pour effet de générer une pé-
riode d’incertitude et d’insécurité juridique pour les justiciables souhaitant au cours de cette période
introduire un recours. En outre, une telle prorogation des délais jusqu’à une date incertaine va à l’en-
contre de l’objectif de stabilisation des situations juridiques recherché depuis plusieurs années tant
par le législateur20 que par le Conseil d’Etat21

A cela s’ajoute un certain nombre d’exceptions, notamment en contentieux du droit des étrangers (re-
fus de droit d’asile, placement en rétention, OQTF, etc.), en contentieux électoral et pour les autori-
sations de construire en contentieux de l’urbanisme. Ces exceptions aux exceptions liées à l’épidémie
de covid-19 ajoutent une strate de complexité, tant pour les membres des juridictions que pour les re-
quérants.

b) Aménagement des délais d’instruction

Les délais d’instruction ont également fait l’objet de prorogations.

Dans les contentieux dans lesquels des délais sont prévus pour produire un mémoire ou une pièce
complémentaire, ces délais ont recommencé à courir, de la même manière que les délais de recours
contentieux, à compter du 24 juin minuit.

19 Le droit au recours est une composante intégrante de l’État de droit. L’existence d’un droit au recours effectif est ga-
rantie tant par la Cour européenne des droits de l’Homme (cf. arrêt CEDH, 20 octobre 2000, Kudla c/ Pologne), la charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne (art. 47), que le Conseil constitutionnel (cons. Cosntit. 9 avr. 1996, n°96-
373 DC, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, consid. 83)
20 Par exemple en restreignant les conditions de recours contre les autorisations d’urbanisme
21 Par exemple avec l’arrêt CE, Ass., 13 juillet 2016, n°387763, Czabaj.
Il en va de même pour les mesures d’instruction soumises à un délai arrivant à échéance entre le 12
mars 2020 et le 23 juin. Là encore, ce délai se trouve prorogé de plein droit jusqu’au 24 juin inclus,
sauf en cas d’urgence ou si l’état de l’affaire le justifie. Le même principe s’applique pour les dates
de clôtures d’instruction.

c) Aménagement des délais de jugement.

Enfin, en vertu de l’article 17 de l’ordonnance n°2020-305, les délais imposés aux juridictions pour
statuer ont recommencé à courir à compter du 1 er juillet 2020 dès lors que ce délai a couru en tout ou
partie entre le 12 mars et le 23 mai 2020.

Là encore, des exceptions existent concernant le droit des étrangers et le contentieux électoral.

Ces exceptions, tant en matière de délais contentieux que de délais de jugement ont égale-
ment eu pour conséquences de défavoriser certains requérants par rapport à d’autres selon le type de
contentieux. C’est notamment le cas des contentieux en matière de droit des étrangers.

B) Les aménagements du procès à l’épreuve de l’égalité des justiciables

La justice administrative a été contrainte, eu égard à la crise de la Covid-19, de reporter des au-
diences, de proroger ses délais mais encore de recourir à la visio, afin de garantir l’adaptation 22du
procès administratif aux précautions sanitaires.

Certaines audiences ont été annulées sans l’accord des parties, des mesures extrêmes ont été mises en
place mais pour autant, celles-ci ne placent pas tous les justiciables sur un pied d’égalité.

Les articles 15 à 19 de l’ordonnance du 25 mars 2020 traitent des dispositions particulières relatives
aux délais de procédure et de jugement notamment pour, dans l’intérêt des justiciables, éviter des
forclusions mais également dans l’intérêt de la justice dans le but d’autoriser le juge à sortir des dé-
lais réglementaires.

Les prorogations de délais concernent la plupart des délais d’action expirés entre le 12 mars 2020 et
le 23 juin 2020 inclus. L’acte qui aurait dû être accompli pendant cette période sera réputé avoir été
fait dans les temps s’il est effectué dans un délai de deux mois à compter de la fin de la période sus-
mentionnée soit jusqu’au 24 aout inclus.

22 Ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre
administratif
L’urgence peut cependant justifier de fixer un délai plus bref. Les mesures de clôture d’instruction
venant à terme entre le 12 mars 2020 et le 23 mai 2020 sont également prorogées. Sont cependant
exclues certaines mesures notamment en matière de recours d’étrangers.
L’article 17 de l’ordonnance suscitée pose une dérogation dès lors que les délais impartis au juge
pour statuer courent ou ont couru en tout ou partie entre le 12 mars 2020 et le 23 mai 2020 inclus.
Dans ce cas le point de départ sera reporté au 1er juillet 2020.
Cependant, en matière de recours d’étrangers, la dérogation ne s’applique pas notamment concernant
les demandes d’entrée sur le territoire français ainsi que dans le cas d’un placement en rétention ou
en détention (cf. articles L. 213-9 et III° et IV° de l’article L. 512-1 du CESEDA). Aucune adaptation
n’est alors proposée aux étrangers, ce qui permet de reconnaitre une absence d’égalité entre les justi-
ciables.
Concernant certains recours en droit des étrangers, le point de départ de certains délais de recours a
été reporté au 24 mai 2020 concernant notamment le droit des étrangers (article 15) :
- les recours prévus à l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du
droit d’asile (sauf ceux prévus au premier alinéa du III) : il s’agit donc des recours contre les
OQTF
- les recours prévus à l’article L. 731-2 du même code : il s’agit des recours contre les déci-
sions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides
- les recours contre les décisions de transfert prévus à l’article L. 742-4 du même code 
- les demandes d’aide juridictionnelle prévue à l’article 9-4 de la loi du 10 juillet 1991 relative
à l’aide juridique.

Concernant les détenus, la crise du Covid ne les a pas placés sur un pied d’égalité avec les autres ci -
toyens. En effet, malgré de faibles aides et quelques mesures afin de limiter la population carcérale il
s’avère pour autant que ceux-ci n’ont pas eu accès à d’autant de moyens pour lutter contre cette crise.

Cependant, le Conseil d’Etat23 estime que « le maintien de l’ouverture des centres, dans leurs condi-
tions actuelles d’occupation et de fonctionnement [ne constitue pas] en soi, dans les circonstances
que connaît la France, un facteur d’évolution de l’épidémie susceptible de traduire une atteinte
grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales ».

Il rappelle également que « le placement ou le maintien en rétention d’étrangers faisant l’objet
d’une mesure ordonnant leur éloignement du territoire français ne saurait, sans méconnaître l’objet
assigné par la loi à la mise en rétention, être décidé par l’autorité administrative lorsque les pers-
pectives d’éloignement effectif du territoire à brève échéance sont inexistantes ».

Cette décision interrogeant d’un point de vue sanitaire peut également interroger d’un point de vue
juridique. En effet, l’article L. 551-1 du CESEDA garantit que le placement en centre de rétention est
une exception réservée aux étrangers ne présentant pas de garanties de représentation effectives, im-
pliquant que soit pris en compte son état de vulnérabilité. Or, si dans ce contexte sanitaire la réten-
tion n’est pas considérée comme un facteur de vulnérabilité, il semble pertinent d’évoquer une appré-
ciation personnelle de la part du juge au détriment de la santé des étrangers (Ils ne mouraient pas

23 CE, ord., 27 mars 2020, GISTI et autres, n° 439720


tous, mais tous étaient frappés » Le coronavirus, révélateur des ambigüités de l’appréhension juri-
dique de la vulnérabilité, D. Roman).

Les modalités de prolongation des détentions provisoires prévues par l’article 16 de l’ordonnance
n°2020-303 sont également une parfaite illustration de la protection très imparfaite dont les détenus
ont pu bénéficier pendant la crise sanitaire.

Selon cet article 16, les délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous
surveillance électronique sont « sont prolongés de plein droit de deux mois lorsque la peine d’empri-
sonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans, et de trois mois dans les autres cas ; en ma-
tière criminelle et en matière correctionnelle pour l’audiencement des affaires devant la cour d’appel,
la prolongation est de six mois ». Une interprétation littérale de cette disposition pouvait laisser pen-
ser que l’allongement ainsi prévu ne s’appliquait qu’aux délais maximums de détention provisoire et
non à tous les titres de détention en cours. Ce n’est pourtant pas l’interprétation que retient la circu-
laire du 26 mars 2020 (NOR : JUSD2008571C), laquelle précise qu’« il n’est pas nécessaire que des
prolongations soient ordonnées par la juridiction compétente pour prolonger la détention en cours ».
Ce texte est par ailleurs éclairé par un courriel de la directrice des affaires criminelles et des grâces
qui fait valoir que la notion de délais maximums n’est « pas entendue comme s’appliquant à la durée
totale cumulée de détention mais à la durée du titre de détention en cours », de telle sorte que « ces
délais s’appliquent donc y compris dans le cas où la détention provisoire peut encore faire l’objet
d’une décision de prolongation », car c’est « le terme de ce titre de détention qui est repoussé ». L’in-
terprétation retenue de l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020 conduit par conséquent à allon-
ger la durée de toutes les détentions provisoires, d’une manière automatique (« de plein droit »), et en
l’absence d’intervention du juge.
Saisi en référé, le Conseil d’Etat n’a toutefois pas remis en cause une telle interprétation, alors même
que des questions fondamentales de constitutionnalité et de conventionnalité se posaient. La prolon-
gation de plein droit des détentions pouvait en effet porter atteinte aux articles 5 et 6 de la Conven-
tion européenne des droits de l’homme et à l’article 66 de la Constitution. Le Conseil d’Etat s’est
pourtant contenté d’expliciter la portée de l’ordonnance ainsi que d’exposer les implications qui «
découlent nécessairement de la prolongation exceptionnelle des délais de détention provisoire, telle
que voulue par l’ordonnance dans le contexte très particulier des circonstances liées à l’épidémie de
covid-19 et des mesures prises pour lutter contre la propagation de cette maladie »24. Ironie de la si-
tuation, la question de la prolongation de la détention provisoire en l’absence d’intervention judi-
ciaire, donc sans audience, a été tranchée… sans audience contradictoire ni instruction publique.

La Cour de cassation a été saisie de l’interprétation de la disposition. Par deux arrêts du 26 mai
202025, elle a considéré que l’article 16 de l’ordonnance « n’est compatible avec l’article 5 de la
convention européenne des droits de l’homme et la prolongation qu’il prévoit régulière que si la juri-
diction qui aurait été compétente pour prolonger la détention rend une décision par laquelle elle se
prononce sur le bien-fondé du maintien en détention, dans le cadre d’un débat contradictoire tenu, le
cas échéant, selon les modalités prévues par l’article 19 de l’ordonnance ». Dans le même temps, la
cour a transmis au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de certaines dispositions de l’article

24 CE, ord., 3 avr. 2020, n° 439894, consid. 20 ; CE, ord., 3 avr. 2020, n° 439877, 439887, 439890, 439898, cons. 15
25 Arrêts n°977, 26 mai 2020 (20-81.971) et n°974 (20-81.910
11 de la loi du 23 mars 2020. Dans sa décision rendue le 3 juillet 2020 26, le Conseil constitutionnel a
finalement déclaré conformes à la Constitution des dispositions d'habilitation de la loi du 23 mars
2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 mais jugé qu'elles ne pouvaient dispenser le
Gouvernement de respecter les exigences de l'article 66 de la Constitution s'agissant notamment de
l'intervention du juge judiciaire en cas de prolongation d'une détention provisoire.

II/ Les outils du juge en période de crise sanitaire : l’exemple du référé liberté
A) L’office du juge du référé liberté : de strictes conditions de mise en œuvre
Le référé liberté est une innovation de la loi du 30 juin 2000, codifié à l’article L. 521-2 du
Code de justice administrative. Il s’agit alors d’un instrument exceptionnel qui permet de saisir le
juge administratif qui statue dans les 48 heures. Le juge des référés peut prononcer une mesure d’ins-
truction, ordonner à l’administration d’adopter tel comportement ou encore de mettre à sa charge une
provision. Le juge administratif a donc un outil à sa disposition lui permettant de prescrire les me-
sures nécessaires pour faire cesser mais aussi pour prévenir une atteinte grave et manifestement illé-
gale à une liberté fondamentale commise par l’administration.
Les années 2020 et 2021, ont été, du fait du contexte sanitaire mouvementées, et les juges du Conseil
d’Etat n’ont pas échappés aux conséquences de cette crise. En effet, ces derniers ont été énormément
sollicités aussi bien pour accompagner que contrôler les décisions prises par le gouvernement afin de
répondre à la crise sanitaire.
Pour lutter contre la propagation du Covid-19, le Gouvernement a pris diverses mesures qui ont par-
fois suscité de nombreuses critiques. De ce fait, le référé-liberté, un des recours les plus adéquat dans
ces circonstances, a été durant toute cette période, énormément utilisé et les juges n’ont pas hésité à
faire preuve, parfois, d’une certaine défiance à l’égard du Gouvernement. En effet, dans ce contexte,
en proie à l’urgence et à la précipitation, c’est parfois au juge des référés qu’incombe la tache de pa-
lier aux lacunes du gouvernement et/ou de décider jusqu’à quel point ils prendre « libertés » avec la
loi, au nom des principes de nécessité et de précaution.
Plus spécifiquement concernant les référés libertés, l’année a été particulièrement dense. La première
audience de référé relative au Covid est celle du 22 mars 2020 27. Dans cette espèce, des syndicats de
médecins demandaient au Conseil d’État d’enjoindre le gouvernement a prononcer un durcissement
du confinement ainsi que de prendre des mesures afin de produire massivement des tests de dépis-
tages pour le personnel médical. Dans cette ordonnance, le juge administratif fait preuve d’un certain
interventionniste, quelque peu inhabituel en matière de référé, en enjoignant le Premier ministre et le
ministre de la santé de préciser et de réexaminer certaines dispositions du décret du 16 mars 2020.
Depuis cette décision du 22 mars 2020, les juges ont fait face à une multiplication croissantes des re-
cours en référé liberté. Rien que pour le Conseil d’Etat entre le 17 mars 2020 et le 17 mars 2021, ce-
lui-ci a par exemple jugé 647 recours déposés par des citoyens. Toutefois, ce chiffre exclut 283 re-
cours similaires déposés contre la même mesure modifiant les règles concernant le chômage, qui à
antérieurement fait l’objet d’une injonction. Dans tous ces recours, les juges n’ont pas hésité à faire
progresser les choses, puisque dans 51 de ces affaires, les juges du Palais Royal ont suspendu des
mesures du Gouvernement (ou les diverses administrations) et/ou leur a ordonné de modifier leurs
pratiques. Egalement, dans plus de 200 affaires, des avancées ont été obtenues lors des audiences,

26 Décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, M. Sofiane A. et autre [Habilitation à prolonger la durée des déten-
tions provisoires dans un contexte d'urgence sanitaire].
27 CE ord., 22 mars 2020, req. n° 439674
puisque l’État a été rappelé à ses obligations et/ou les mesures contestées ont été modifiées par l’ad-
ministration avant la décision du juge.
Le large spectre d’intervention du référé liberté, l’office du juge en la matière, ainsi que « l’obliga-
tion » pour les magistrats de se prononcer rapidement (dans un délai autour des 48 heures), ont donc
conduit les justiciables à recourir massivement aux référés.
Dans l’ensemble de ces décisions, le juge administratif prend en compte de manière précise, les cir-
constances de la pandémie lorsqu’il se prononce, conduisant à prendre en compte largement les faits
dans son raisonnement, avec de fortes ressemblances entre les divers arrêts.
Egalement, l’ensemble des ordonnances rendues en lien avec le Covid, montre, toutefois, que le juge
ne se borne pas uniquement à délimiter, encadrer, la compétence de l’autorité publique par le biais de
ses moyens d’action classique (comme l’injonction, ou les réserves), mais également qu’il semble de
plus en plus enclin à utiliser des outils de droit souple.
Dans la situation de crise sanitaire, il est donc nécessaire de se pencher sur ce recours et se demander
si les conditions de recevabilités sont appréciées de la même manière en situation d’urgence. Le gou-
vernement peut adapter les procédures en période de crise permettant ainsi aux autorités d’agir tout
en préservant les intérêts des administrés. Roselin Letteron explique que plus que jamais, les choix
pris par le gouvernement se trouvent respectés par le Conseil d’Etat. Pour cela, celui-ci va même jus-
qu’à bousculer ses méthodes d’appréciation de critères de recevabilité du litige, pourtant largement
entérinées par la jurisprudence.

1. L’appréciation attentive28de l’urgence

Tout d’abord, pour être recevable un référé liberté doit remplir une condition d’urgence. Ef-
fectivement, le juge doit rechercher si l’atteinte à la liberté fondamentale est telle qu’elle rend néces-
saire l’intervention d’une mesure de sauvegarde dans les 48 heures. Cette condition demeure inchan-
gée en cette période comme en atteste diverses jurisprudences. A titre illustratif, des requérants ont
pu soutenir que la condition d’urgence est remplie compte tenu de la dégradation constante de l’état
sanitaire de la Guadeloupe. Le juge des référés constate le manque de moyens sanitaires de la Guade-
loupe permettant donc de bien caractérisé l’urgence29. Dans le même sens, la condition d'urgence est
remplie eu égard à la progression de l'épidémie de covid-19. Ainsi, il existe bien une situation d'ur-
gence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai30. Néanmoins en
période de crise, l’urgence serait également caractérisée en fonction du nombre de personne concer-
née par la décision administrative. Rappelons qu’il est nécessaire pour le juge administratif d’opérer
la conciliation entre la protection des personnes et les garanties liées à l’exercice du droit au recours,
ce qui n’est pas aisé dans une telle période. Ainsi, « le juge est ici contraint d’admettre des procé-
dures délicates à assurer en temps de crise compte tenu du faible nombre de personnes concernées
»31. Il est possible dans ce cas de se questionner sur l’effectivité de la garantie des droits des adminis-
trés comme le réalise par exemple H. Pauliat. En somme, face à la pandémie du Covid-19, il in-
combe aux autorités de police de prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect de la vie
conformément à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Par conséquent,

28 CE, 28 février 2003, Commune de Pertuis


29 TA Guadeloupe, ord., 27 mars 2020, n° 2000295
30 CE, ord., 28 mars 2020, n° 43976
31 H. Pauliat, Un fonctionnement des juridictions administratives en période de crise conforté
comme le relate Roseline Letteron « si la loi reconnaît une situation d'urgence, le juge des référés
l'admet aussi »32.
2. L’appréciation classique des libertés fondamentales

Puis, un référé liberté doit inévitablement concerner une liberté fondamentale. La liberté fon-
damentale est la notion clé pour envisager un référé liberté, s’agissant d’une notion autonome. Au
cours de cette période de crise sanitaire, il a été possible d’y voir une interprétation classique de cette
notion de liberté fondamentale par le juge administratif. Effectivement, si des droits fondamentaux
ont pu être inévitablement diminués au profit de la santé publique ou encore de l’ordre public au
cours de la lutte contre le Covid-19, le juge administratif a pu néanmoins dégager de nouvelles liber-
tés fondamentales. En effet, le juge des référés consacre de manière inédite que le libre exercice de la
profession d’avocat ainsi que le droit pour un administré d’être accompagné par un avocat dans ses
démarches constituent des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice ad-
ministrative33.Cet exemple atteste de la volonté du juge administratif d’accorder une protection aux
administrés en renforçant la liste des libertés fondamentales invocables lors d’un tel recours qu’est le
référé liberté. Néanmoins, ancrée dans une telle période d’état d’urgence sanitaire, le juge aurait pu
avoir l’occasion d’entendre plus largement ce qui constitue une liberté fondamentale au sens du réfé-
ré liberté. Par exemple, le droit à la santé n’a toujours pas été considéré comme invocable au sens de
l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.
3. L’appréciation critiquable du caractère grave de l’atteinte
Egalement, l’atteinte à cette liberté doit être grave et manifestement illégale. L’atteinte peut
résulter de toute pratique ou de comportement, d’une simple intention de l’administration, ou encore
résulter d’une carence de l’administration34. La gravité découle des éléments d’espèce ou de la situa-
tion du requérant. Il s’agit alors d’une approche in concreto de la gravité35. Il est de jurisprudence
constante que « Le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant
compte (…) d'autre part des diligences accomplies par l'autorité administrative compétente, au re-
gard des moyens dont elle dispose »36. Il s’agit alors d’un contrôle concret de la diligence de l’admi-
nistration, autrement dit, il s’agit alors de prendre en compte les moyens de l’Administration dans la
détermination du caractère manifestement grave et illégal de l’atteinte37. L’atteinte grave était alors
caractérisée seulement si l’administration n’a pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour rétablir
l’atteinte portée aux administrés. Cette interprétation se confirme bien durant la crise sanitaire. En ef-
fet, à titre illustratif, il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, de carence justifiant que soit ordon-
née, au motif d’une atteinte grave et manifestement illégale au droit au droit à la vie et à la protection
de l’intégrité physique et psychique des personnes sans hébergement 38 puisque l’Etat avoir fait ce qui
est en son pouvoir et pris des mesures pour protéger les personnes sans abri ou mal logées. Egale-
ment, le Conseil d’État a pu conclure que l’abstention de l’Etat à prendre des mesures de réduction
des activités agricoles émettant des particules nocives ne constitue pas une atteinte grave et manifes-
tement illégale aux droits au respect à la vie et à la protection de la santé 39. Cette interprétation
semble critiquable dans une période telle que la crise sanitaire. Effectivement, les requérants souhai-
32 Roseline Letteron, 31 mars 2020, Covid-19 : le Conseil d'Etat tombe le masque
33 TA Cergy-Pontoise, ord., 10 décembre 2020, M. Ardakani contre Préfet du Val d’Oise, n° 2012496
34 CE, 22 décembre 2012, Section française de l’OIP
35 CE, 2012, Ministre de l’éducation nationale
36 CE, ord., 15 décembre 2010, Ministre de l'éducation nationale de la jeunesse et de la vie associative contre Epoux
Peyrilhe, n° 344729
37 CE, 15 décembre 2010, n°344729
38 CE, ord., 2 avril 2020, n° 439763
39 CE, ord., 20 avril 2020, Association Respire, n° 440005
tant attaquer les carences et diligences de l’administration voient leur requête en référé rejetée si
l’administration a remplis ses diligences au regard des moyens dont elle dispose. Alors qu’il devrait
s’agir de savoir si la carence porte ou non une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté
fondamentale, c’est à l’absence de gravité et d’illégalité de la carence de la part de l’administration
que le juge aboutit. L’analyse in concreto de la situation du requérant devient une étude in concreto
de la situation, en l’espèce de la crise sanitaire. Il s’agit donc plus de regarder si, au regard du
contexte et des faits exposés par le juge, l’administration a suffisamment réagi. Cette approche peut
sembler particulièrement critiquable dans un contexte de crise où les recours ne cessent de soulever
des carences présumées de l’État.
4. L’appréciation attendu du terme « manifestement illégal » de l’atteinte

Enfin, l’atteinte est manifestement illégale lorsque l’acte ou le comportement litigieux appa-
rait « dépourvu de fondement raisonnable et objectif »40. Le caractère manifestement illégal de l'at-
teinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative
compétente et des mesures qu'elle a déjà prises. En effet, les demandes en référé liberté de certaines
dispositions de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 conduisent à prescrire les mesures de na-
ture à faire disparaître les effets d’une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté
fondamentale puisque notamment le caractère manifeste s’apprécie « en tenant compte des moyens
dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises »41.
Ainsi, le référé liberté en période de crise semble bien modifier le fonctionnement des juridictions et
changer l’office du juge comme le confirme Xavier Dupré de Boulois affirmant qu’« alors que le
rôle du juge du référé-liberté était essentiellement jusque-là de veiller à ce que l’exercice du pouvoir
de police n’emporte pas d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales, l’or-
donnance du 22 mars 2020 le transfigure en auxiliaire de la police administrative »42. La crise sani-
taire entraîne bien des modifications substantielles de la nature de son contrôle et de la prise en
compte des droits et libertés, restreignant dès lors la protection des individus dans certains cas.
En définitive, Xavier Dupré de Boulois considère que l’ordonnance du 22 mars 202043 offre une nou-
velle perspective sur le rôle du juge du référé-liberté en rappelant que « gardien des libertés fonda-
mentales, il en devient possiblement le fossoyeur ». Cette ordonnance devrait alors être analysée se-
lon lui non pas comme une rupture mais « comme un aboutissement »44
B) Les pouvoirs du juge du référé liberté : l’injonction et ses limites

La loi du 8 février 199545 consacre explicitement le pouvoir d'injonction du juge administratif à


l'égard de l'administration, et alors que son habitude et de se montrer plutôt prudent dans l’utilisation
de celui-ci, la période de la crise sanitaire du Covid-19 marque une nuance sur ce point notamment à
la lecture de certaines des ordonnances de référé-liberté.

40 CE, 2001, Hauchemaille


41 H. Pauliat, Un fonctionnement des juridictions administratives en période de crise conforté
42 Xavier Dupré de Boulois, « On nous change notre référé liberté » (obs. sous CE ord., 22 mars 2020, n°439674)
43 n°439674
44 Xavier Dupré de Boulois « On nous change notre référé liberté » (obs. sous CE ord., 22 mars 2020, n°439674)
45 Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administra-
tive
Une tentative d’explication de cette utilisation plus étendue que d’ordinaire, comme si l’adage
“nécessité fait loi” avait permis au juge de redéfinir les limites de son pouvoir d’injonction, a été
donnée par Mattéo Bartolucci46, attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université de
Bordeaux, à travers l’étude de d’injonctions présentes dans cinq ordonnances rendues en matière de
référé-liberté.

Il propose ainsi d’étudier en quoi ces injonctions sont différentes de celles habituellement produites
par le juge administratif en deux temps, d’une part sur un plan théorique et d’autre sur un aspect plus
pratique.

Au niveau théorique pour débuter, nous pouvons apercevoir dans ces injonctions un aspect nouveau
du pouvoir d’injonction du juge administratif. En effet, il semble qu’en temps de circonstances ex-
ceptionnelles, le juge décide de participer à l’exercice du pouvoir normatif, d’ordinaire réservé aux
pouvoirs législatif et exécutif alors qu’en circonstances ordinaires le juge semble se limiter à pres-
crire des mesures d’ordre matériel. Par exemple, dans l’ordonnance relative aux conditions de confi-
nement de la population du 22 mars 2020 47 ou encore dans celle concernant l’usage des bicyclettes48,
on observe clairement que les injonctions faites au gouvernement présentent une nature différente de
celles que le juge administratif a l’habitude de prendre puisqu’il estime notamment que le confine-
ment mis en place jusqu’ici n’est pas assez strict et qu’il est trop ambigu, du moins sur certains de
ses aspects. On pourrait donc voire ici une volonté pour le juge administratif de s’immiscer dans le
processus de création de la norme. Le Professeur Xavier Dupré de Boulois énonce d’ailleurs à ce su-
jet qu’il y a une « transformation du juge des référés-libertés », qui devient un réel « auxiliaire de la
police administrative »49.

Nous pouvons d’ores et déjà distinguer les injonctions d’agir matériellement et les injonctions d’agir
normativement. Sont constitutives des premières une injonction tendant à entreprendre des travaux
de rénovation dans un centre pénitentiaire par exemple50, une action physique est attendue de l’admi-
nistration, le juge émet donc une injonction dans l’objectif de garantir le respect de la norme. Elles
sont donc incomparables à celles résultant de l’ordonnance du 22 mars 2020, ou de celle du 30 avril
2020 précitées, en ce que le juge ordonne ici que la norme soit clarifiée voire modifiée, le juge parti-
cipe donc à une œuvre de création normative de ce point de vue.

Sur un aspect pratique enfin, ces injonctions du juge administratif durant la crise de la Covid-19 se
distinguent par l’ampleur de leurs conséquences, cette ampleur peut être observée d’une part au re-
gard du contenu de l’injonction et d’autre du cercle des personnes touchées par celle-ci.

Lorsque l’on observe le contenu de certaines injonctions récentes, nous pouvons parfois observer que
la frontière entre politique et juridique est floue. C’est notamment le cas lorsque les juges martini-

46 M.Bartolucci, « Le pouvoir d'injonction du juge administratif revisité par les circonstances exceptionnelles de la crise
sanitaire du Covid-19 », 17 juillet 2020, Lextenso
47 CE, ord. 22 mars 2020, n°439674, Syndicat jeunes médecins
48 CE, ord. 30 avril 2020, n°440179, Fédération française des usagers de la bicyclette
49 Dupre de Boulois X., « On nous change notre référé-liberté ». Colloque virtuel : Droit et coronavirus.
50 TA Guyane, ord. 23 février 2019, n°1900211, Section française de l’observatoire international des prisons
quais51 et guadeloupéens52 enjoignent de l'administration qu’elle se dote de tests de dépistage, ou en-
core qu’elle commande des doses d'hydroxychloroquine. A noter que de telles injonctions semblent
contraires à ce qu’avait jugé la juridiction administrative suprême en 2018 dans l’affaire du Lévothy-
rox53, qui estimait alors que n’entrait pas dans les attributions du juge du référé-liberté d’enjoindre
“des mesures d'ordre structurel reposant sur des choix de politique publique” à l’administration, solu-
tion qui a par la suite été réaffirmée. 

Les ordonnances rendues lors de la période de crise sanitaire récente se distinguent d’autant plus au
regard des personnes touchées par les conséquences des injonctions émises par le juge administratif.
En effet, et notamment lorsque le Conseil d’Etat s’intéresse aux règles d’élaboration des confine-
ments, c’est toute la population française qui est concernée, même de manière indirecte. Quand le
juge administratif guadeloupéen enjoint les autorités publiques de commander des tests de dépistage,
c’est également l’ensemble des habitants de l’île qui est censé en bénéficier. Nous pouvons donc ai-
sément constater que le champ des personnes touchées par ces décisions en temps de crise sanitaire
est bien plus large que d’ordinaire, ou une zone très étroitement délimitée sera l’objet de l’injonction,
et dont les effets ne se feront sentir que pour un faible échantillon de personnes.

Les juges tant des Tribunaux administratifs que du Conseil d’État ont donc utilisé leur pouvoir d’in-
jonction à de multiples reprises durant la crise sanitaire, se faisant des acteurs incontournables de la
gestion de celle-ci. Toutefois, ces décisions posent plusieurs questions quant au rôle du juge adminis-
tratif en cette période de crise sanitaire.

Tout d’abord, la récurrente problématique du gouvernement des juges peut être soulevée, tout
comme la question du rôle du juge qui semble parfois se comporter comme un expert médical, et en-
fin sur le questionnement soulevé par de nombreux auteurs de doctrine sur le juge dont les décisions
prises dans ce cadre peuvent faire de lui un “auxiliaire” de la police administrative.

Il est certain que juge administratif n’a aucune légitimité électorale, et en utilisant son pouvoir d’in-
jonction celui-ci interfère dans les affaires du pouvoir exécutif, allant donc à l’encontre du principe
de séparation des pouvoirs. Éviter la violation de la répartition constitutionnelle des compétences est
la justification, selon le conseiller d’État honoraire Lucienne Erstein, à la multiplication des ordon-
nances de rejet durant la période de pandémie. Le Conseil d’État voudrait éviter un “mélange des
genres qui verrait une juridiction se substituer inconstitutionnellement au pouvoir exécutif, voire au
pouvoir législatif.” Toutefois, de nombreux tribunaux administratifs n’ont pas été aussi prudents, se
pose alors inévitablement et presque inlassablement la question du gouvernement des juges. Est-ce
au tribunal administratif d’ordonner la commande d'hydroxychloroquine, ou de masques ? Quelle est
la limite que le juge ne doit pas dépasser afin de ne pas porter atteinte au principe de séparation des
pouvoirs ?

Le juge administratif, dans un office classique du référé liberté était surtout une sorte “d'autorité vir-
tuelle de police”, imposant donc des obligations à ces autorités de police, afin de préserver la vie des

51 TA Martinique, ord., 4 avril 2020, n°200002000, Ordre des avocats du barreau de Martinique et a.
52 TA Guadeloupe, ord., 27 mars 2020, Syndicat UGTG, n°20000295
53 CE, ord., 26 juillet 2018, n°422237, M. S et a.
personnes. Or sur ce point-là aussi, la crise marque une rupture avec cela, et l’arrêt du Conseil d'État
du 22 décembre 202054, en est une parfaite illustration. Dans cet arrêt, le Conseil d’État, par une
triple injonction, impose au gouvernement de revoir le décret n°2020-260 du 16 mars 2020 portant
réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19.
Tout d’abord, le juge demande au gouvernement de “préciser l’hypothèse de dérogation au confine-
ment pour raison de santé”, puis de “réexaminer l’hypothèse de sortie dérogatoire consacrée à l’ac-
tivité physique”, et enfin vient ajouter “qu’il appartient aux autorités d’évaluer les risques attachés
au maintien des marchés ouverts.”

L’utilisation de ces termes n’est pas anodine puisque le juge ne vient pas étudier si la sortie déroga-
toire à l’obligation de confinement porte une atteinte à la liberté d’aller et venir, ou si à l’inverse ces
dérogations n’ont pas été éludées de manière trop permissive. Le juge administratif enjoint plutôt un
réexamen, ce qui fait dire à une partie de la doctrine qu’il est devenu une sorte d’auxiliaire de la po-
lice administrative. 

Cela marque une rupture avec la définition même du référé liberté puisqu’alors qu’à l’origine celui-ci
a été créé afin de protéger les libertés fondamentales contre les différents actes administratifs, le juge
en revient à étudier l’efficacité des actes pris par les autorités administratives. Ces arrêts marquent-ils
une rupture avec l’office classique du juge en matière de référé liberté ? Ou sont-ils seulement dû à la
période de crise que nous connaissons ? 
 
Finalement, ces ordonnances des tribunaux administratifs guadeloupéen et martiniquais, bien
qu’annulés par le Conseil d’État posent des questions de fond réelles. Comment le juge peut-il appré-
cier ce qui est dangereux ou non, se permettant même de trancher, au nom du principe de précaution,
une question qui ne fait même pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique et qui plus est
dans un laps de temps aussi court ? Le juge de l’extrême urgence est-il adapté à prendre ces disposi-
tions ? 

54 CE, 22 décembre 2020, n°439804

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