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Association Master 2 Droit Public Approfondi

Séminaire de Droit Administratif


Monsieur le Professeur Bertrand Seiller

Chronique
Le retrait des actes administratifs créateurs
de droits
Faut-il restaurer l’arrêt Dame Cachet ??
Alice Minet, Etudiante

Les opinions exprimées dans ce texte sont propres à leur auteur et n'engagent ni l'Université de Paris-II, ni
l'association M2DPA

© Alice Minet
Association M2DPA Université Panthéon-Assas Paris II - mars 2008
Association Master 2 Droit Public Approfondi

A l’occasion du 85é anniversaire de l’arrêt Dame Cachet, rendu par le Conseil d'Etat, le 3 novembre 1922, je vous
propose aujourd’hui une réflexion sur le régime de retrait des actes administratifs créateurs de droits.
Comme tout le monde le sait, cet arrêt fixait, jusqu’à peu, les conditions de retrait des actes créateurs de droits. Pour
rappel, les deux conditions étaient les suivantes :
-d’une part, le retrait ne pouvait se faire que pour un motif d’illégalité
-d’autre part, soucieux de trouver un équilibre entre respect de la légalité et sécurité juridique, le Conseil
d'Etat, sur invitation de son commissaire du gouvernement Rivet, a décidé que le retrait ne pouvait intervenir que
pendant la durée du recours contentieux ou, tant que le juge administratif n’a pas statué, si un recours contentieux a
été formé.

Au début des années 2000, le Conseil d'Etat ressent le besoin de modifier sa jurisprudence. Par un arrêt d’Assemblée,
du 26 octobre 2001 (arrêt Ternon), il met fin au parallélisme existant entre le délai contentieux et le délai de retrait.
Désormais, l’Administration a la possibilité de retirer, toujours pour un motif d’illégalité, une décision explicite
créatrice de droits dans un délai de quatre mois à compter de la prise de décision.

Ce revirement n’a pas fait l’unanimité en doctrine. Disposant d’un peu de recul par rapport à cet arrêt Ternon, on peut
se demander s’il ne faut pas finalement revenir à la solution de la jurisprudence Dame Cachet.

I . Il faut s’intéresser dans un premier temps à l’état actuel du droit en matière de retrait pour comprendre qu’une
nouvelle évolution s’impose.

S’il fallait citer un exemple de complexité du droit administratif et de dialogue de sourd entre Conseil d'Etat et
législateur, on pourrait prendre, sans aucun doute, celui du régime de retrait des actes administratifs créateurs de
droits. La situation actuelle est telle qu’il existe aujourd’hui autant de régimes de retrait que de catégorie d’actes
administratifs.
Il faut en effet opérer des distinctions entre les décisions créatrices de droits selon qu’elles sont : - des décisions
explicites
des décisions implicites de rejet
des décisions implicites d’acceptation.

A. La question du retrait des décisions implicites d’acceptation a été réglée par le législateur. La loi du 12 avril 2000
(L. n° 2000-321, 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : Journal
Officiel 13 Avril 2000) prévoit en effet que les décisions implicites d’acceptation peuvent être retirées dans le délai de
recours contentieux si les mesures d'information à l’égard des tiers ont été réalisées. En l’absence de telles mesures, le
retrait n’est possible que dans un délai de deux mois à compter de la date de d’édiction de la décision.

En édictant cette version améliorée de la jurisprudence Dame Cachet, le législateur ouvrait la voie à une évolution
jurisprudentielle du régime de retrait des décisions explicites créatrices de droits. On aurait en effet pu penser que le
Conseil d'Etat modifierait quelque peu la jurisprudence Dame Cachet et uniformiserait ainsi le régime des actes
créateurs de droits.

B. Le Conseil d'Etat certes intervient et met fin à la jurisprudence Dame Cachet, par l’arrêt Ternon du 26 octobre 2001.
Mais loin de reprendre la solution du législateur, il autorise le retrait des décisions explicites créatrices de droits dans
un délai de quatre mois à compter de la prise décision, « sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires
contraires ».
Le législateur décide alors de répondre à cet appel. C’est ainsi par exemple, qu’en vertu de la loi ENL du 13 juillet 2006,
les autorisations d’urbanisme (le permis de construire, le permis d'aménager et le permis de démolir) échappent à la
jurisprudence Ternon et ne peuvent être retirées que dans un délai de trois mois suivant leur édiction. L’intérêt de cette
disposition reste introuvable. « Comme si un mois de plus ou de moins changeait radicalement les choses du
point de vue de la sécurité juridique », pour reprendre les termes de Rozen Noguellou.

© Alice Minet
Association M2DPA Université Panthéon-Assas Paris II - mars 2008
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C. Enfin, le Conseil d'Etat vient, très récemment, de se prononcer sur le retrait des décisions implicites de rejet qui,
dans de rares cas, peuvent créer des droits. Dans l’arrêt SAS Kaefer Wanner rendu le 26 janvier 2007, il a considéré
qu’une telle décision pouvait être légalement rapportée dans « le délai du recours contentieux ».
On voit ici une résurgence de la jurisprudence Dame Cachet qui tient, selon le commissaire du gouvernement, « à la
spécificité du contentieux du licenciement des salariés protégés qui était en cause en l’espèce ».

Ainsi, la complexité est flagrante. Elle serait acceptable si elle était cohérente. Or, il est difficile de justifier cette
diversité de régime de retrait des actes créateurs de droits. Le point de départ et la durée des délais varient d’un type
d’actes à l’autre sans qu’aucune explication ne soit donnée. On peut ressentir une impression d’arbitraire de la part du
juge et du législateur. Comme le précise Pierre Delvolvé, concernant l’arrêt Ternon, « On se demande de quel texte ou
de quel principe le Conseil d'Etat a tiré ce délai de quatre mois. La vérité est que la solution résulte tout entière de la
volonté du Conseil d'Etat ».
Ce sentiment est d’ailleurs renforcé lorsqu’on constate que dans l’arrêt Ternon, le commissaire du gouvernement ne
cachait pas sa préférence pour un délai de retrait de deux mois.

Il est vrai que la question du régime de retrait des actes administratifs n’est pas simple, car elle met en balance deux
principes antagonistes que sont le respect de la légalité et la sécurité juridique. Et force est de constater que sous
l’influence récente du juge et du législateur, la complexité n’a fait que s’accroître. Devant les faiblesses du nouveau
système, il semble possible de soutenir que la reprise de la jurisprudence Dame Cachet pourrait être utile.

II. Il convient alors de mettre en exergue l’intérêt majeur de l’arrêt Dame Cachet :
le Conseil d'Etat a voulu coupler les délais de retrait et les délais contentieux. Les conclusions du commissaire Rivet
sont à ce sujet très éclairantes.
Le choix ainsi réalisé repose sur un raisonnement juridique particulièrement solide : le retrait de l’acte administratif
créateur de droits ne doit être possible que dans la mesure où l’acte n’est pas définitif. Le caractère définitif d’un tel
acte intervenant à l’expiration du délai contentieux, il en découle que le retrait ne doit être possible que pendant le
lapse de temps dans lequel le juge peut être saisi. Ainsi, à l’expiration du délai, le bénéficiaire voit sa situation se
cristalliser tant à l’égard du juge qui ne peut plus être saisi qu’à l’égard de l’Administration, qui ne peut plus retirer
l’acte.
Comme le reconnaît le commissaire Guyomar, « le Conseil d'Etat a par cette jurisprudence trouvé l’équilibre entre
sécurité juridique et respect de la légalité ».

Bien sûr, cette jurisprudence présente des limites. Ainsi, lorsque la publication de l’acte à l’égard des tiers n’a pas eu
lieu, le délai de recours contentieux n’a pas commencé à courir. L’acte n’est donc pas devenu définitif, un recours
contentieux est possible à tout moment. Si on applique strictement la jurisprudence Dame Cachet, comme l’avait fait le
Conseil d'Etat dans l’arrêt Ville de Bagneux du 6 mai 1966, on permet à l’Administration de retirer l’acte à tout
moment. En terme de sécurité juridique, cette solution est difficilement acceptable.

Une seconde situation a posé difficulté. L’administration a l’obligation de faire mention des voies et délais de recours
lors de la notification de la décision. Lorsque cette obligation n’est pas respectée, le délai de recours contentieux ne
court pas. Mais cette fois, pour lutter contre l’inertie de l’administration, le Conseil d'Etat a refusé d’octroyer à
l’Administration un pouvoir de retrait illimité dans le temps.
Il a décidé alors par l’arrêt de Laubier du 24 octobre 1997, que dans une telle situation, le retrait n’est possible que dans
un délai de deux mois à compter de la notification.

© Alice Minet
Association M2DPA Université Panthéon-Assas Paris II - mars 2008
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Ainsi, on voit bien qu’il n’est pas possible de reprendre l’arrêt Dame Cachet tel qu’il a été rédigé en 1922.
Cependant, on peut le reprendre en partie et prévoir des aménagements pour les cas où le délai
contentieux n’a pas commencé à courir.
Comme on l’a vu, le législateur s’est engagé dans cette voie avec la loi du 12 avril 2000 pour les décisions
implicites d’acceptation qui précise que ces décisions peuvent être retirées « pendant le délai de recours
contentieux (consécration de la jurisprudence Cachet), lorsque des mesures d'information des tiers ont
été mises en oeuvre ou pendant le délai de deux mois à compter de la date à laquelle est intervenue la
décision, lorsque aucune mesure d'information des tiers n'a été mise en œuvre ».
Tout en ajoutant à cette seconde hypothèse, les cas où l’Administration n’a pas fait mention des voies et
délais de recours lors de la notification, on proposera alors d’étendre le régime posé par la loi du 12 avril
2000, aux décisions explicites créatrices de droits.

Bibliographie :

COLLIN (P) et GUYOMAR (M), « L'administration dispose d'un délai de quatre mois au maximum, à
compter de la prise de décision, pour retirer un acte individuel créateur de droits entaché d'illégalité »,
AJDA, 2001, p 1034

DELVOLVE (P), « Le découplage du retrait et du recours », RFDA, 2002, p 88

GAUDEMET (Y), « Faut-il retirer l’arrêt Ternon ? », AJDA, 2002, p 738

NOGUELLOU (R), « L'imbroglio du régime du retrait des actes administratifs », Droit Administratif n°
3, Mars 2007, Alerte 7

PARIENTE (A), « Vers une clarification du régime de retrait des décisions implicites d’acceptation ?
(article 23 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les
administrations) », RFDA, 2001, p 653

RIVET (M), Conclusions sur l’arrêt du 3 novembre 1922, Dame Cachet, RDP 1922, p 552

STRUILLOU (Y), « Les conditions de retrait des autorisations administratives de licenciement »,


Conclusions sur l’arrêt du 26 janvier 2007, SAS Kaefer Wanner, AJDA, 2007, p 537

© Alice Minet
Association M2DPA Université Panthéon-Assas Paris II - mars 2008

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