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RFDA

RFDA 2020 p.73

Annulation de la déclaration d'utilité publique et constatation du défaut de base légale de


l'ordonnance d'expropriation
Réflexions autour d'un 25e anniversaire

René Hostiou, Professeur émérite de l'Université de Nantes

1. Le 2 février 1995, était adoptée la loi n° 95-101 - dite loi Barnier - relative au renforcement de la protection de l'environnement. Au coeur
de ce texte, sous les intitulés « Dispositions relatives à la participation du public et des associations en matière d'environnement » (titre
1er) et « De la consultation du public et des associations en amont des décisions d'aménagement (chapitre 1er), était dissimulé un article 4,
ainsi formulé : « En cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de
cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge de l'expropriation que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue
de base légale ».

Issue d'un amendement parlementaire relevant de la pratique dite du « cavalier législatif », cette disposition, qui traitait exclusivement du
contentieux de l'expropriation et dont la relation avec les autres articles de la loi dans laquelle elle se trouvait insérée était par conséquent
très lointaine, pour ne pas dire inexistante, fête donc aujourd'hui son 25e anniversaire. C'est l'occasion d'évoquer les différentes étapes à
l'issue desquelles nous est parvenu le dispositif aujourd'hui en place et de s'interroger sur l'effectivité d'un mécanisme destiné à se
surajouter à celui déjà existant et assorti de la même finalité, à savoir limiter les risques de contradiction par trop flagrante entre les deux
ordres de juridiction qui se partagent le contentieux de l'expropriation.

La mise en place du dispositif de constatation du défaut de base légale de l'ordonnance


d'expropriation : un parcours à étapes
2. Directement inspiré d'une suggestion exprimée par la Cour de cassation dans son rapport pour l'année 1991 (1), l'article 4 de la loi du 2
février 1995 répondait à une demande formulée de longue date (2). Celle-ci visait en effet à mettre un terme à une situation que d'aucuns
avaient qualifiée comme relevant du « déni de justice », l'annulation - par le juge administratif - de la déclaration d'utilité publique (DUP) (ou
de l'arrêté de cessibilité) étant en effet appelée à demeurer « lettre morte » au cas où l'exproprié n'ayant pas exercé auprès de la Cour de
cassation - dans le délai, très court à l'époque, de quinze jours (3) - un pourvoi à l'encontre de l'ordonnance d'expropriation dans le but de
préserver ses droits en cas d'annulation ultérieure de la DUP, ladite ordonnance d'expropriation bénéficiait, sitôt ce délai expiré, de l'autorité
« définitive » de la chose jugée. En conséquence de quoi, et quel que puisse être le sort réservé au recours qui aurait été intenté contre la
DUP (ou l'arrêté de cessibilité), le transfert de propriété était dans ces conditions irrévocablement acquis au bénéfice de l'expropriant.

Avec l'instauration de cet article 4 de la loi, il s'agissait par conséquent de mettre fin à une situation dont l'iniquité était soulignée par tous,
en instaurant une « passerelle » entre les deux ordres de juridiction appelés à se partager - depuis 1810 (4) - ce contentieux quelque peu
atypique, de sorte que l'exproprié, une fois avérée - et ce définitivement - l'illégalité de la DUP (ou de l'arrêté de cessibilité), puisse être en
mesure de saisir le juge de l'expropriation pour lui demander de prendre acte de cette annulation et constater que de ce fait l'ordonnance
portant transfert de propriété se trouvait désormais dépourvue de base légale. Se refusant à admettre que s'agissant d'une même et unique
opération dont le contentieux se trouve, pour des raisons qui tiennent à l'histoire, « réparti » entre la juridiction administrative et la
juridiction judiciaire, la décision d'annulation rendue par la première puisse n'avoir en définitive qu'une valeur « platonique » au motif
qu'intervenue tardivement, elle se heurterait à une autre décision, émanant de la seconde et présentant un caractère « définitif », cet article
L. 12-5, alinéa 2, témoignait très clairement du souci de mettre un terme à la « cacophonie » et aux « discordances » qui, selon l'expression
de Jeanne Lemasurier, caractérisaient trop souvent le contentieux de l'expropriation (5).

Alors que, quant à son principe même, cet article 4 n'avait pas soulevé d'objections majeures et qu'il avait au contraire fait l'objet
d'appréciations positives de la doctrine (6), reste que sa mise en application s'est révélée quelque peu chaotique, faute pour les pouvoirs
publics d'avoir pris rapidement les dispositions réglementaires qui s'imposaient pour encadrer ce dispositif nouveau et guider le juge dans
l'exercice de la mission nouvelle qui lui était dévolue. Il aura en effet fallu attendre 2005 (7) pour qu'interviennent enfin, profitant de
l'opération de « toilettage » du code de l'expropriation rendue nécessaire suite à la condamnation de la France par la Cour européenne des
droits de l'homme (CEDH) dans l'affaire Yvon (8), les premières mesures d'application du texte de loi adopté en 1995, dix ans auparavant,
et pour que puisse être ainsi apportée une réponse aux multiples interrogations que cette carence du pouvoir réglementaire avait
provoquées (9).

3. Le décret du 13 mai 2005 déterminait en effet - pour la première fois - la procédure à suivre devant le juge de l'expropriation, précisait que
celui-ci statuait par voie de jugement soumis au principe du contradictoire et - contrairement à ce qui avait été jugé antérieurement -
susceptible de faire l'objet d'un appel (10), et il énumérait les différentes pièces devant figurer au dossier de cette demande. Il fixait un
délai de deux mois pour faire constater par le juge le manque de base légale de l'ordonnance (11), ce délai courant « à compter de la
notification de la décision du juge administratif annulant la DUP (ou l'arrêté de cessibilité) », ce qui avait - indirectement - pour
conséquence de réserver cette action aux auteurs du recours ayant conduit à cette annulation, les seuls à qui était « notifiée » cette
annulation. Et enfin, s'agissant des « conséquences de droit » à tirer de cette constatation, ce décret introduisait une distinction selon que
« le bien n'est pas en état d'être restitué », auquel cas l'action de l'exproprié se résout en dommages et intérêts, ou selon, au contraire, qu'il
peut l'être, auquel cas le juge est chargé de désigner chaque immeuble ou fraction d'immeuble dont la propriété est restituée, de déterminer
les indemnités à restituer à l'expropriant et de statuer sur la demande de l'exproprié en réparation du préjudice causé par l'opération
irrégulière (12).
4. C'est en 2014 enfin, à l'occasion de l'instauration - prétendument à droit constant - du nouveau code de l'expropriation, qu'est intervenue
- subrepticement - une modification non dénuée d'importance quant au champ d'application des dispositions en cause, et à l'initiative de
laquelle on retrouve à nouveau la Cour de cassation (13). Dans son rapport pour l'année 2011, celle-ci avait en effet suggéré - « dans le
souci, était-il dit, de mieux protéger le droit de propriété » - d'imposer à l'expropriant, en cas d'annulation de la DUP (ou de l'arrêté de
cessibilité), de notifier cette décision, aussitôt qu'elle est devenue irrévocable, « à tous les expropriés concernés », c'est-à-dire, en
particulier, à tous ceux qui, bien que concernés par la procédure d'expropriation, n'étaient pas eux-mêmes parties à la procédure ayant
conduit à l'annulation de la DUP (ou de l'arrêté de cessibilité), de sorte que le délai de forclusion de l'article R. 12-5-1 ne puisse courir à
l'égard de ces derniers qu'à compter de cette notification.

Dans le droit fil de cette suggestion, les articles R. 223-2 et R. 223-3 du nouveau code disposent que si l'exproprié n'avait pas la qualité de
partie à l'instance ayant abouti à l'annulation de la DUP (ou de l'arrêté de cessibilité), le délai de deux mois - délai qui demeure inchangé -
qui lui est imparti pour faire jouer ses droits auprès du juge de l'expropriation ne court dorénavant qu'à compter de la réception de la lettre -
dont l'envoi incombe à l'expropriant - l'informant de cette annulation, ce qui conduit à conférer aux dispositions de l'article L. 223-2, qui s'est
substitué à l'article L. 12-5, alinéa 2, de l'ancien code de l'expropriation, un champ d'application qui, dans certains cas, pourra s'avérer
considérablement élargi.

Reste à s'interroger sur l'apport des dispositions en cause. Celles-ci sont-elles de nature à permettre d'éradiquer définitivement le spectre
du « déni de justice » ? Si celles-ci constituent indubitablement un pas en avant pour une meilleure harmonisation du contentieux de
l'expropriation, elles ne suffisent pas, à elles seules, à lever toutes les inquiétudes que suscite inéluctablement le dualisme juridictionnel
dès lors que, comme c'est ici le cas, une seule et même opération - parce qu'elle est divisée en deux temps - peut donner lieu à des décisions
relevant de l'un et l'autre des deux ordres de juridiction, avec tous les dangers qu'implique une pareille configuration (14).

L'effectivité du dispositif de constatation du défaut de base légale de l'ordonnance d'expropriation :


une garantie limitée
5. Pour ce qui est des deux voies dont dispose par conséquent désormais l'exproprié pour lui permettre de faire prendre en considération
par le juge judiciaire - gardien de la propriété privée et, à ce titre, seul habilité à se prononcer en la matière (15) - que le bien-fondé du
transfert de propriété est à remettre en cause à raison de l'illégalité de la DUP (ou de l'arrêté de cessibilité) dont l'annulation a été prononcée
par le juge administratif postérieurement audit transfert, il faut souligner que celles-ci sont totalement distinctes et absolument
indépendantes. Il avait en effet été jugé - très logiquement - que la faculté nouvellement accordée à l'exproprié ne saurait avoir pour effet de
priver celui-ci du droit - dont il disposait déjà antérieurement - de former par anticipation, c'est-à-dire avant même le prononcé de
l'annulation de la DUP (ou de l'arrêté de cessibilité), un pourvoi à l'encontre de l'ordonnance d'expropriation pour en demander la cassation
« par voie de conséquence » de l'annulation à intervenir (16), la Cour de cassation procédant en pareil cas au retrait du rôle - qualifié
désormais de radiation - de l'affaire et celle-ci pouvant ensuite être réinscrite, « à la demande de la personne la plus diligente », une fois
l'annulation de la DUP (ou de l'arrêté de cessibilité) définitivement acquise (17).

En disposant expressément que les dispositions nouvelles ne préjudicient pas à celles de l'article L. 223-1, le nouveau code de
l'expropriation a clairement avalisé cette jurisprudence (18). Rien n'interdit par conséquent à l'exproprié de former, dans un premier temps,
un pourvoi contre l'ordonnance d'expropriation auprès de la Cour de cassation en arguant de l'annulation - future - de la DUP (ou de l'arrêté
de cessibilité) et ensuite, dans un deuxième temps, une fois cette annulation définitivement prononcée, de saisir le juge de l'expropriation
pour demander à celui-ci de « constater » l'absence de base légale de l'ordonnance aux termes de laquelle il a été privé de la propriété de
son bien et de statuer sur les conséquences de cette annulation. Ajoutons enfin que l'introduction d'un pourvoi devant la Cour de
cassation n'a pour effet ni de suspendre ni d'interrompre le délai de deux mois - à compter de la notification de l'arrêt annulant «
définitivement » la DUP (ou l'arrêté de cessibilité) (19) - qui est imparti à l'exproprié pour saisir en pareil cas le juge de l'expropriation (20)
et à l'expiration duquel, ce délai étant un délai « pour agir », le requérant est forclos (21).

6. Relevant de la seule initiative de l'exproprié, celui-ci étant au surplus tenu d'agir dans le délai ci-dessus mentionné, le dispositif issu de la
loi de 1995 ne garantit aucunement la disparition du « déni de justice » auquel le législateur avait entendu mettre fin. Il faut rappeler à cet
effet que dans son rapport pour l'année 1991, la Cour de cassation avait suggéré deux pistes de réflexion, l'une étant de subordonner la
perte d'effets de l'ordonnance d'expropriation à une demande expresse des propriétaires intéressés, et l'autre, infiniment plus radicale, de
priver automatiquement l'ordonnance d'expropriation de tout effet. En retenant la première des deux formules, le législateur a retenu l'option
minimale, qui n'exclut par conséquent aucunement qu'une opération d'expropriation puisse avoir fait l'objet d'une annulation pour ce qui est
de la phase administrative de celle-ci, et apparaître néanmoins, pour ce qui est de sa partie judiciaire et, en particulier, pour ce qui est de la
validité du transfert de propriété, comme continuant à bénéficier de l'autorité de la chose jugée.

En d'autres termes, ainsi que le souligne le Conseil d'État, si l'annulation - à caractère irrévocable - de la DUP et de l'arrêté de cessibilité
permet à l'exproprié de faire constater par le juge de l'expropriation que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base
légale, encore faut-il préciser que « la restitution n'est pas automatique ». En conséquence de quoi, saisi sur le fondement de l'article L. 521-
3 du code de justice administrative d'une demande de l'exproprié aux fins qu'il soit enjoint à l'expropriant - à titre conservatoire - de ne
consentir aucun bail à titre onéreux ou à titre gratuit ou toute autre autorisation d'occuper l'immeuble, la DUP et l'arrêté de cessibilité relatifs
audit immeuble ayant fait l'objet d'une annulation de la part du juge administratif et cette annulation présentant un caractère irrévocable, le
juge des référés rejette cette demande au motif que ladite injonction serait « de nature à affecter l'exercice par l'expropriant des prérogatives
qu'il tire de sa qualité de propriétaire » (22). Ainsi que le relève par ailleurs la Cour de cassation dans une décision rendue récemment,
l'annulation de l'arrêté déclaratif d'utilité publique par la juridiction administrative n'entraînant pas de plein droit la perte de base légale de
l'ordonnance d'expropriation, cette annulation ne saurait, dans l'hypothèse où les lieux n'auraient pas été libérés dans les conditions
répondant aux exigences de l'article L. 231-1 du code de l'expropriation, entraîner « de plein droit » la perte de fondement juridique de la
décision ordonnant - sous astreinte - la libération des lieux expropriés (23).

7. On ajoutera que la faculté de saisir le juge de l'expropriation en application des dispositions de l'article L. 223-2 est réservée au seul
propriétaire du bien (24). Bien que directement concerné, le preneur à bail dudit bien, n'ayant ni intérêt ni qualité pour agir, n'est pas,
quant à lui, autorisé à faire constater la perte de base légale de l'ordonnance d'expropriation, celui-ci disposant, est-il dit, « d'une action
pour faire fixer ou contester l'indemnité d'éviction à laquelle il a droit » (25), ce qui, en réalité, a pour conséquence de le placer dans une
situation de totale dépendance à l'égard de son bailleur. Alors même que bénéficiant en pareil cas d'un intérêt à agir, il aurait été partie au
procès ayant conduit à l'annulation de la DUP, cette annulation s'avère être, s'il s'est maintenu dans les lieux, dépourvue de toute incidence
sur la régularité ou non de sa situation dès lors que le propriétaire, seul habilité à exercer cette action, n'aurait pas saisi le juge de
l'expropriation afin de faire constater l'absence de base légale de l'ordonnance (26).

8. On ajoutera également qu'alors même qu'une ordonnance du juge de l'expropriation aux termes de laquelle ce dernier « donne acte »
d'une cession amiable conclue antérieurement à la DUP produit les même effets qu'une ordonnance portant transfert de propriété en ce
sens qu'elle entraîne l'extinction de tous droits réels ou personnels existant sur l'immeuble (27), il a été jugé que seule cette dernière était «
visée » par les dispositions en cause, excluant par là même qu'il puisse être fait usage des dispositions de l'article L. 223-2 en cas de «
donné acte » (28).

9. On ajoutera enfin qu'alors même que la DUP et l'arrêté de cessibilité auraient été annulés, que l'exproprié aurait en conséquence de cette
annulation engagé une action visant à faire constater le défaut de base légale de l'ordonnance d'expropriation, et que le juge de
l'expropriation aurait, à la suite de cette demande, pris acte de cette situation et annulé l'ordonnance d'expropriation, cela ne saurait faire
obstacle à ce qu'avant que le juge de l'expropriation ait procédé à cette constatation et ordonné la restitution du bien à son ancien
propriétaire, l'expropriant reprenne à l'identique les actes qui avaient été annulés : « En jugeant que l'autorité expropriante pouvait
reprendre un arrêté de cessibilité portant sur les parcelles litigieuses alors même que la décision du juge de l'expropriation, saisi par le
propriétaire d'une demande de restitution des biens, n'était pas encore intervenue et que les droits et garanties dont pouvait se prévaloir ce
dernier en vertu du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique n'avaient pas été méconnus, la Cour, qui a suffisamment motivé
son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit » (29). On voit par là qu'au cas où il entend faire obstacle aux prétentions de l'exproprié,
l'expropriant n'est pas dépourvu d'atouts.

10. S'agissant enfin de l'appréciation que doit porter le juge de l'expropriation sur les « conséquences » de cette annulation, l'article R. 223-
6 reprend la distinction - très logique de prime abord - selon que le bien dont s'agit est « en état d'être restitué » ou selon, au contraire, qu'il
ne l'est pas. Il est à noter toutefois que l'application qui en est faite donne à constater que si des installations quelconques, dès lors
qu'elles relèvent peu ou prou de l'utilité publique, ont été entre-temps mises en place, le juge en conclura que « les exigences de l'intérêt
général s'opposent à la restitution de ce terrain » (30). Autrement dit, si le principe de l'intangibilité de l'ouvrage public n'a plus désormais
- officiellement tout au moins - cours (31), il n'en reste pas moins qu'en pratique, celui-ci n'a pas disparu pour autant et que sous une
forme - moins radicale - il subsiste encore, ce qui contribue à faire en sorte que l'ancien propriétaire sera très rarement en mesure d'obtenir la
restitution « en nature » d'un bien dont il a été privé dans des conditions qui s'avèrent être pourtant entachées d'illégalité (32).

C'est par conséquent sur le terrain indemnitaire qu'est le plus souvent amené à statuer le juge de l'expropriation (33), celui-ci étant de la
sorte investi d'une compétence en application de laquelle il lui est demandé de se prononcer sur les conséquences d'une illégalité fautive
commise par les autorités administratives. Aux termes d'une jurisprudence qui est constante, on considère par conséquent qu'un bien
irrégulièrement exproprié et qui ne peut être restitué en nature entraîne pour l'exproprié « un droit à des dommages intérêts correspondant à
la valeur actualisée du bien, incluant, si tel est le cas, la plus-value acquise par ledit bien depuis la date à laquelle il a fait l'objet d'une
expropriation, sous la seule déduction de l'indemnité principale de dépossession perçue au moment de l'expropriation, majorée des intérêts
depuis son versement » (34).

11. La conclusion est simple. Le dispositif issu de l'article 4 de la loi du 2 février 1995 constitue sans nul doute un progrès, rendu au
demeurant indispensable au regard des contraintes aujourd'hui incontournables résultant aussi bien de l'article 16 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen que de l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales relativement au droit à un recours « effectif ». Il n'en reste pas moins qu'il contribue à mettre en évidence la
complexité d'un système juridique soumis au dualisme de juridiction. À défaut de pouvoir envisager une très hypothétique remise en cause
de celui-ci, s'impose par conséquent la nécessité de trouver des « arrangements » visant à simplifier un contentieux que l'on sait être « à
problèmes » , soit en procédant par voie jurisprudentielle - et à dose « homéopathique » - à des « rectifications de frontières » comme, par
exemple, s'agissant de la réparation par le juge de l'expropriation de dommages relevant intrinsèquement de la compétence du juge
administratif au titre de la loi du 28 pluviôse an VIII (35), soit encore en renforçant, et cette fois par voie législative, les « passerelles »
existantes afin que les décisions rendues par l'un des deux ordres de juridiction ne puissent plus être systématiquement ignorées par
l'autre.

Mots clés :
EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE * Procédure et contentieux de l'expropriation * Phase judiciaire de
l'expropriation * Ordonnance d'expropriation * Défaut de base légale

(1) Rapport Cour de Cassation 1991, 8e suggestion, Doc. fr., p. 30.

(2) V. R. Hostiou, « Loi Barnier : protection de l'environnement et droit de l'expropriation pour cause d'utilité publique », Rev. Jur. de l'Env.
1995, p. 235 s.

(3) Ce délai est désormais celui - de droit commun - de deux mois (art. 612 du code de procédure civile).

(4) V. S. Gilbert, « Permanence et évolution du modèle napoléonien », JCP Adm. 2011. 2078.
(5) J. Lemasurier, « La cacophonie du contentieux de l'expropriation », in L'unité du droit, Mélanges en l'honneur de R. Drago, Economica
1996, p. 427.

(6) Cl. Morel, « Une brèche dans la séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir administratif », AJPI 1995. 229 ; P. Carrias, « La fin d'un
"déni de justice" », D. 1995. 217 , spéc. 299 ; J. Lemasurier, « La loi Barnier du 2 février 1995 et le nouvel article L. 12-5 du code de
l'expropriation », LPA 13 mars 1996, n° 32, p. 15 ; G. Deville, « Une réforme commandée par le droit européen », Gaz. Pal. 31 mars-2 avr. 1996,
p. 4.

(7) Art. 24 du décret n° 2005-467 du 13 mai 2005 créant les art. R. 12-5-1 à R. 12-5-6 du code de l'expropriation. V. R. Hostiou, « Une tentative
de "conventionnalisation" du code de l'expropriation. Décret n° 2005-467 du 13 mai 2005 portant modification du code de l'expropriation
pour cause d'utilité publique », AJDA 2005. 1382 ; S. Traoré, « Les conditions de mise en oeuvre de la procédure de constatation de
l'absence de base légale de l'ordonnance d'expropriation », Constr.-Urb. 2005. Étude 13, p. 9 ; S. Traoré, « Les conséquences de l'annulation
de l'expropriation », Dr. adm. 2005, n° 139, p. 22.

(8) CEDH, 24 avr. 2003, n° 44962/98, Yvon c/ France, AJDA 2004. 1441 , tribune R. Hostiou ; ibid. 2003. 1924, chron. J.-F. Flauss ;
ibid. 2003. 869, obs. M.-C. de Montecler ; D. 2003. 2456 , note R. Hostiou ; AJDI 2003. 361 ; ibid. 330, obs. D. Musso ; RDI 2003.
425, étude J.-F. Struillou ; JCP Adm. 2003, n° 1523, obs. R. Noguellou ; Cahiers du CREDHO 2004, n° 10, p. 93, note F. Rolin ; Juris Data n°
2003-213457.

(9) V. à ce sujet F. Cruz, « L'article L. 12-5 alinéa 2 du code de l'expropriation : bilan de son application », CJEG n° 585, mars 2002, p. 159.

(10) Il avait été jugé initialement que l'ordonnance rendue par le juge de l'expropriation statuant dans le cadre de l'art. L. 12-5, al. 2, ne
pouvait être attaquée que par la voie du recours en cassation : Civ. 3e, 12 mai 1999, n° 98-70.069, Moschenross c/ commune de Haguenau,
D. 1999. 150 ; AJDI 1999. 915 ; ibid. 916, obs. C. Morel ; JCP 1999, IV, 2227 ; Gaz. Pal. 26-28 sept. 1999, p. 17 ; Bull. civ. III, n° 112, p.
75 ; Juris Data n° 1999-001971 ; Civ. 3e, 4 nov. 1999, n° 98-70.047 et 98-70.224, Sociétés Locosud et SAMBOE (Société anonyme d'économie
mixte d'aménagement de Bures-Orsay et d'équipement en Essonne) c/ Commune de Lardy et Centre d'action sociale de la ville de Paris,
AJDI 2000. 414 ; ibid. 415, obs. A. Bernard ; Juris Data n° 1999-003843.

(11) Il a été jugé que ce délai n'était pas « d'une brièveté telle qu'il entraverait l'exercice du droit au recours dans des conditions
incompatibles avec les stipulations de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales » : CE, 3 sept. 2007, n° 282488 et 282385, Association de sauvegarde du droit de propriété, Lebon p. 405 ; AJDA 2007.
1676 ; AJDI 2007. 849 , note D. Musso ; RFDA 2007. 1175, note R. Hostiou ; JCP Adm. 2007, 2274, concl. D. Chauvaux ; Proc. 2008,
n° 25, note S. Deygas ; Juris Data n° 2007-072339.

(12) Sur la constitutionnalité de ces dispositions (refus de transmission de la QPC), deux décisions en date du même jour : Civ. 3e, 13 déc.
2013, n° 13-40.057, M. Adrien Tayar c/ Société Immobilière d'économie mixte de la ville de Paris, AJDI 2014. 295 ; RDI 2014. 97, obs. R.
Hostiou ; RD rur. 2014, n° 421, comm. 53, note P. Tifine ; Bull. civ. III, n° 163, p. 164 ; Juris Data n° 2013-028640 ; Civ. 3 e, 13 déc. 2013, n°
13-40.064, Commune de Salbris c/ Albert Barokas et M. et Mme Serge Bicking, AJDI 2014. 296 ; ibid. 124, étude S. Gilbert ; RDI 2014.
97, obs. R. Hostiou ; RD rur. 2014, n° 421, comm. 53, note P. Tifine ; Bull. civ. III, n° 164, p. 165 ; Juris Data n° 2013-028641.

(13) Une autre modification intervenue à cette occasion - encore qu'elle soit moins significative - est celle qui a consisté à faire « remonter »
de la partie réglementaire à la partie législative du code la disposition consacrant la compétence du juge de l'expropriation pour, après avoir
constaté l'absence de base légale de l'ordonnance portant transfert de propriété, statuer sur les conséquences de l'annulation de celle-ci
(art. L. 223-2, al. 2).

(14) V. sur la question, sous la direction de A. Van Lang, « Le dualisme juridictionnel. Limites et mérites », Dalloz 2007, et tout
particulièrement au sein de cet ouvrage, la contribution de D. Truchet « Plaidoyer pour une cause perdue : la fin du dualisme juridictionnel
», p. 199.

(15) Sur la portée de ce principe v. S. Gilbert, Le juge judiciaire gardien de la propriété privée. Étude de droit administratif, éd. Mare et
Martin.

(16) Civ. 3e, 12 oct. 2005, n° 99-70.214, Soler c/ Commune Saint-Mitre-les-Remparts, AJDI 2006. 292 , obs. R. Hostiou ; Bull. civ. III, n°
192, p. 175 : Juris Data n° 2005-030196 ; Civ. 3e, 17 déc. 2008, n° 07-176.739, M. Ferrara et Mme Giglio c/ Commune de Saint Martin
d'Hères, Bull. civ. III, n° 208, p. 195 ; Juris Data n° 2008-046290 ; Civ. 3 e, 12 janv. 2010, n° 08-20.823, Mme Cordier c/ commune de Tournon-
sur-Rhône, AJDI 2010. 814 , obs. R. Hostiou ; ibid. 2011. 111, chron. S. Gilbert ; Civ. 3e, 26 mai 2010, n° 09-68.079, n° 09-68.079, M.
Lucas c/ Commune d'Herbignac, Defrénois 2010, n° 17/10, p. 1932, note J.-P. M. ; Civ. 3 e, 10 mars 2016, n° 14-14.014, EURL Le Domaine du
Bois Fresnais c/ Département de l'Essonne, Juris Data n° 2016-004294.

(17) Au cas contraire, il y a lieu de constater que le moyen présenté devant la Cour de cassation est devenu « sans portée » (Civ. 3 e, 18 mai
2017, n° 12-14.361, Syndicat des copropriétaires du centre commercial Fragonard et autres c/ Établissement public du Manyois Seine
Aval, inédit).

(18) Art. L. 223-2, al. 1er du code de l'expropriation.

(19) Par décision « définitive », il faut entendre la décision contre laquelle « aucune voie de recours ordinaire » ne peut être exercée : Civ.
3e, 12 juill. 2018, n° 17-15.417, Commune de Crosne c/ M. Noël Caplot et Mme Janine Reinhard, AJDA 2018. 1477 ; D. 2018. 1553 ;
AJDI 2019. 97, chron. S. Gilbert ; RDI 2018. 493, obs. R. Hostiou ; Juris Data n° 2018-012430.

(20) C. expr., art. R. 223-2 ; Civ. 3 e, 16 janv. 2013, n° 12-10.107, Mme Maridet et Mme Morel c/ Commune de Saint-Jean-Saint-Maurice-sur-
Loire, AJDA 2013. 144 ; D. 2013. 1164, chron. A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier ; RDI 2013. 202, obs. R. Hostiou ; Bull. civ. III, n° 3,
p. 2 ; Juris Data n° 2013-000327.

(21) Civ. 3e, 17 mars 2010, n° 09-13.241, Département du Puy-de-Dôme c/ Groupement foncier agricole de Chazal, D. 2010. 829 ; AJDI
2010. 651 , obs. A. Lévy ; ibid. 2011. 111, chron. S. Gilbert ; RDI 2010. 262, obs. R. Hostiou ; Defrénois n° 17/10 p. 1933, obs. Jean-
Ph. Meng ; Bull. civ. III, n° 64, p. 57 ; Juris Data n° 2010-001996 ; Civ. 3 e, 25 janv. 2012, n° 11-11.724, GFA de Chazal Randanne et autres c/
Département du Puy-de-Dôme, inédit.

(22) CE, 30 déc. 2013, n° 361613, SA Cofinfo c/ Société immobilière d'économie mixte de la ville de Paris (SIEMP), AJDI 2015. 100, étude
S. Gilbert ; RDI 2014. 158, obs. R. Hostiou .

(23) Civ. 3e, 19 sept. 2019, n° 18-18.755, M. Bertrand M., Société Orlimmo c/ Société SEMDO, AJDI 2019. 807 ; RDI 2020, note R.
Hostiou, à paraître.

(24) CE, 5 juill. 2010, n° 309355, Commune d'Angerville, Lebon T. p. 810 ; AJDA 2011. 168 , note P. Caille ; ibid. 2010. 1403 ; AJDI
2011. 111, chron. S. Gilbert ; ibid. 2012. 93, chron. S. Gilbert ; RDI 2010. 489, obs. R. Hostiou ; AJCT 2010. 88, obs. J.-F. Struillou ;
JCP Adm. 2010, Act. 593 ; Études Foncières 2011, p. 62, note F. Lévy ; Juris Data 2010-011189.

(25) Civ. 3e, 8 juill. 2014, n° 14-10.922, SCP Didier et Pinet, M. Michel Cohen c/ Société d'économie mixte départementale pour
l'aménagement du Val d'Oise (SEMAVO), AJDA 2014. 1691 ; AJDI 2015. 100, étude S. Gilbert ; ibid. 2016. 101, étude S. Gilbert ; RDI
2014. 515, obs. R. Hostiou ; RTD civ. 2014. 910, obs. W. Dross ; Juris Data n° 2014-016133 ; Civ. 3e, 29 oct. 2015, n° 14-20.893, Société
EURL Pharmacie de la Boule c/ Commune de Nanterre, AJDI 2016. 53 ; ibid. 101, étude S. Gilbert ; RDI 2016. 142, obs. R. Hostiou .

(26) V. Civ. 3e, 19 sept. 2019, préc.

(27) C. expr., art. L. 222-2, al. 1 et 2.

(28) Civ. 3e, 5 déc. 2007, n° 06-18.682, Rossignol c/ Commune de Blagnac, AJDA 2008. 603 ; AJDI 2008. 690 , obs. R. Hostiou ; ibid.
2013. 100, chron. S. Gilbert ; ibid. 2015. 100, étude S. Gilbert ; RDI 2008. 29, obs. C. Morel ; Bull. civ. III, n° 202, p. 203, Juris Data n°
2007-0421779 ; Versailles, 14 oct. 2008, Mazazi c/ OPHLM d'Aubervilliers, Juris Data n° 2008-379274.

(29) CAA Marseille, 24 avr. 2015, n° 12MA02803, Ministre de l'intérieur, Commune de Méailles, AJDA 2015. 1757 , concl. M. Revert ;
CE, 11 juill. 2016, n° 391262, M. Bernard Bert c/ Commune de Méailles, AJDI 2017. 51 , obs. S. Gilbert ; ibid. 26, étude S. Gilbert ; RDI
2016. 596, obs. R. Hostiou ; Juris Data n° 2016-015350.

(30) V. Civ. 3e, 4 déc. 2013, n° 12-28.919, Mme Maurand épouse Masse c/ Commune d'Aiguilhe, AJDA 2014. 1040 , note S. Gilbert ; ibid.
2013. 2467 ; D. 2013. 2914 ; ibid. 2014. 1000, chron. A.-L. Collomp, A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier ; AJDI 2014. 124, étude S.
Gilbert ; ibid. 124, étude S. Gilbert ; RDI 2014. 95, obs. R. Hostiou ; JCP Adm. 2014, 2330, note J.-F. Struillou ; RD rur. 2014, Comm.
51, note P. Tifine ; Constr.-Urb. 2014, Comm. 23, note X. Couton ; Bull. civ. III, n° 154, p. 157 ; Juris Data n° 2013-027968.
(31) V., Y. Gaudemet, « Que reste-t-il de l'intangibilité de l'ouvrage public ? », in Bien public, Bien commun, Mélanges en l'honneur de E.
Fatôme, Dalloz 2011, p. 155 s. ; Adde nos obs. sous CE, 13 févr. 2009, Communauté de communes du canton de Saint-Malo de la Lande,
RDI 2009. 350 .

(32) V. R. Hostiou, « Questions sur la restitution d'un bien exproprié dans des conditions irrégulières. Quel juge ? Quel préjudice ? », RFDA
2015. 483 .

(33) Civ. 3e, 16 déc. 2008, n° 07-19.457, GFA de la Croix de fer c/ CCI d'Amiens , AJDI 2010. 113, chron. S. Gilbert ; Juris Data n° 2008-
046365 ; Civ. ,26 juin 2013, Syndicat des copropriétaires 166, avenue d'Italie à Paris 13e c/ SEMAVIP, Juris Data n° 2013 -013220.

(34) Civ. 3e, 17 nov. 2010, n° 09-16.797, Époux Cheilan c/ Département du Var,AJDA 2010. 2237 ; D. 2010. 2912 ; AJDI 2011. 460 ,
obs. A. Lévy ; ibid. 111, chron. S. Gilbert ; ibid. 2012. 93, chron. S. Gilbert ; RDI 2011. 96, obs. R. Hostiou ; Constr.-Urb. 2011,
comm. 2, note X. Couton ; Études Foncières 2011, n° 150, p. 62, note F. Lévy ; Defrénois 2011. 39322, chron. J.-P. Meng ; Bull. civ. III, n°
203, p. 195 ; Juris Data n° 2010-021460 ; Civ. 3e, 7 juin 2011, n° 10-21.141, Mme Nanine Barrière c/ Départementt du Var, AJDI 2011. 638 ;
ibid. 2012. 93, chron. S. Gilbert ; RDI 2011. 440, obs. R. Hostiou ; Juris Data n° 2011-011340.

(35) V. les concl. J. Arrighi de Casanova sur T. confl., 25 mai 1998, n° 3100, Lefevre c/ Département des Bouches-du-Rhône ; Lebon ; D.
1999. 191 , obs. P. Carrias ; AJDI 1998. 936 ; ibid. 938, obs. C. Morel ; RDI 1998. 630, obs. C. Morel ; Adde nos obs. sous Civ. 3e,
6 déc. 2018, n° 17-24.312, D. 2018. 2364 ; AJDI 2019. 97, chron. S. Gilbert M. Philippe C... et autres c/ RATP : « Dualité de juridiction et
dommage de travaux publics. Plaidoyer pour une compétence élargie du juge de l'expropriation », AJDA 2019. 721 .

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