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FR - 16/05/2020 11:23 | UNIVERSITE DE SAVOIE

Au fondement du droit de l'Union européenne. Recherches doctrinales sur le concept de « commun (*) »

Issu de Revue du droit public - n°5 - page 1291


Date de parution : 01/09/2007
Id : RDP2007-5-005
Réf : RDP 2007, p. 1291

Auteur :
Par Pierre-Yves Monjal, Professeur de droit public à l'Université Paris 13, Conseiller à la Direction des affaires
juridiques des ministères de l'Économie et du Budget (sous-direction du droit communautaire)

SOMMAIRE

I. _ LE COMMUN DANS SES MANIFESTATIONS : L'ÉMERGENCE DE LA NOTION

A. _ Appréhension empirique du « commun »

1. L'emploi lexical du terme « commun »

2. L'emploi juridique du terme « commun »

B. _ Compréhension juridique du « commun »

1. L'accession au rang de « notion juridique »

2. Les prérequis d'une notion de droit public

II. _ LE COMMUN DANS SA CARACTÉRISATION : LA CONSISTANCE DE LA NOTION

A. _ Construction théorique du « commun »

1. Une signification du terme « commun »

2. Une modélisation de la notion de commun

B. _ Signification didactique du « commun »

1. Éléments de synthèse

2. Éléments de prospection

L'impossible ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe2 conduit assez naturellement l'observateur à se demander ce qu'il y a
encore de commun dans cette Union. Plus rien, ou plus grand chose affirmeront sans doute les plus pessimistes, l'observant désarmés poursuivre ses
irrésistibles élargissements3... La dilution des intérêts communs des États membres ne serait donc que les stigmates, prévisibles au demeurant, des
effets destructeurs d'une politique d'élargissement incontrôlée.

Le terme dilution à l'instant employé n'est pas totalement satisfaisant. Il révèle peut-être le parti pris à la fois idéologique et méthodologique4 des
partisans d'une Europe charpentée, communautarisée, dans laquelle l'élan fédéraliste l'emporterait sur le mouvement libre échangiste... En clair, la
Communauté structurerait, alors que l'Union disperserait. Dans cette visée, le premier pilier ne serait plus le moteur, la dynamique du tout, mais un
simple élément parmi les autres piliers de l'Union ; preuve, si besoin en est, que ce processus de dilution est bien en marche. En cela, le Traité de
Maastricht, contrairement aux pronostics, aurait affaibli, peut-être même cassé l'élan communautaire. Et ce ne sont pas les principes transversaux de
l'Union, pourtant sensés assurer la cohérence des piliers entre eux5, ou leur protection6, qui pourront inverser la donne.

Confronté à ce constat, dont l'objectivité reste certainement discutable, quel regard peut porter le juriste sur ce qui semble opposer, ou pour le moins
éloigner le « commun » de l' « Union » ? Plus précisément, et en s'interrogeant sur ce terme dont l'usage nous est pourtant si familier7, que recouvre en
droit le terme « commun » ? Que ce soit dans sa forme substantivée ou adjective, le « commun » est-il saisissable par le droit ? Conceptualisable
juridiquement ? Porteur de sens et constitutif de régimes ?

La démarche ici entreprise n'est guère originale. Elle consiste simplement à s'interroger sur la signification d'un mot employé par les textes
communautaires notamment. Les résultats de cette prospection, pour ne pas dire de cette introspection disciplinaire, ne sont pas a priori prévisibles.
L'alternative est en fait très simple : soit il y a un concept du droit attaché à ce terme ou véhiculé par lui, qui peut d'ailleurs faire l'objet d'une
construction théorique à partir des éléments qui nous sont donnés à observer ; soit il n'y a pas de concept du droit, dans la mesure où ledit terme, en sa
qualité d'adjectif notamment, n'a qu'une valeur indicative, ordinaire...

Ce type de questionnement disciplinaire et essentialiste ne se cantonne évidemment pas au seul droit communautaire et à la seule problématique de
l'élucidation du terme commun. Il est un questionnement en soi et objectif qui concerne toutes les catégories du droit public. Il suffit, pour s'en
convaincre de manière illustrative, de se reporter à l'édifiante étude du Professeur Mazères portant sur la notion de puissance publique. Constatant
qu'elle est au fondement du droit administratif et de l'État, il relève dans le même temps que l'on a oublié de s'interroger simplement sur ce qu'elle
est8.

Optons, par optimisme, en faveur de la première branche de l'alternative évoquée plus haut. Admettons, comme hypothèse de recherche ou
heuristique, que le « commun » est une notion, sinon structurante du droit public9, du moins explicative de certaines constructions juridiques partielles
au sein de ses branches10. Cette intuition initiale est en réalité déclenchée par le constat que l'on emploie beaucoup le terme commun et ses dérivés11,
tant dans les textes que dans la doctrine publiciste et politiste, comme s'il s'agissait d'un substantif ou d'un adjectif parfaitement compris et admis de
tous, comme si le sens qu'il contenait relevait de ces évidences s'imposant d'elles-mêmes à l'esprit. Or, à la question « qu'est-ce que le commun ? », à
notre connaissance, aucune réponse juridique à proprement parler n'a été apportée. Pourtant, sous l'impulsion de la construction européenne il est
vrai, le substantif « commun » a progressivement fait son intrusion dans le droit public. Plus précisément, le recours à des expressions telles que «
exercice en commun des compétences », en droit constitutionnel, ou encore « intérêt communautaire », en droit des collectivités territoriales12, peut
mettre le juriste en alerte sur la portée du terme qui nous retient.

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Méthodologiquement, la démarche n'est pas aisée. La découverte d'un concept juridique, la détermination de ses critériums, relèvent d'une analyse
très spécifique à laquelle le positiviste n'est pas habitué ou pour laquelle il n'est pas nécessairement outillé. Toutefois, d'un point de vue rationnel, et
pour tout dire épistémologique13, il semble que l'on peut procéder en deux temps pour tenter de saisir en droit la notion de commun. Dans le premier,
il conviendra d'apprécier les manifestations du « commun » dans l'environnement juridique. Cette identification préconceptuelle est indispensable en
termes de justification à la démarche entreprise. C'est parce qu'il y a un mot dans l'environnement juridique, que ce mot semble produire des effets,
qu'il convient préalablement de le circonscrire, de le (re)placer dans cet environnement (I). Une fois ce repérage et ce balisage réalisés, la
(re)construction du concept de commun que l'on croit pressentir conduira alors à formuler ses critères identificateurs dans le but de le caractériser (II).

I. _ LE COMMUN DANS SES MANIFESTATIONS : L'ÉMERGENCE DE LA NOTION


Si le substantif ou l'adjectif « commun » est repérable dans un certain contexte normatif, institutionnel, matériel ou encore jurisprudentiel...,
l'hypothèse empirique selon laquelle nous serions en présence d'une notion du droit pourra alors être retenue (A). Toutefois, l'accession du terme «
commun » au rang de concept du droit, ou de notion juridique, suppose préalablement que l'on tienne pour acquise ce que recouvre cette notion de «
notion juridique ». Or, les exigences du juriste sont suffisamment spécifiques pour que l'on s'interroge ici sur ce que l'on peut ou doit attendre
précisément d'une notion en droit public (B).

A. _ Appréhension empirique du « commun »


La source de notre réflexion se situe évidemment dans le droit communautaire. Alors que les 50 ans des traités de Rome ont été célébrés, il semble
presque irrévérencieux de se demander aujourd'hui ce que peut recouvrir en droit la notion de commun. Pourtant, sans prétendre répondre au
questionnement fondamental sur l'être du commun, sa nature intrinsèque et véritable, il appert toutefois que les analyses anciennes et actuelles ont
délaissé le mot (1), tant son usage est important, pour ne retenir que certaines de ses manifestations juridiques (2).

1. L'emploi lexical du terme « commun »


Le recensement du terme commun, sa quantification (a), permettra de mettre en lumière ce que l'on peut appeler ici l'effet profusion ou dilution. En
effet, l'emploi répétitif de ce terme ou de ses dérivés (à partir du radical « commun14 ») a contribué étonnement d'un point de vue rétrospectif à laisser
de côté toute recherche sur sa signification précise (b).

a. Quantification du terme « commun »


D'un point de vue quantitatif, même si aucune conclusion juridique ne doit être tirée des données chiffrées qui vont suivre, le décompte du mot
commun _ et de ses dérivés _ des principaux textes européens nous semble instructif.

Dans la déclaration Schuman du 9 mai 195015, on dénombre à 12 reprises l'emploi du terme commun et de ses dérivés sur un total de 844 mots16. Le
terme « commun » y est référencé 4 fois17, et celui de « communauté » 2 fois18.

S'agissant du traité de Paris instituant la CECA, on dénombre, sur les 100 articles qu'il contenait à la date de son expiration le 23 juillet 2002, 31 fois
l'emploi du terme « commun19 » sur un total de 15 355 mots20. Le mot « communautaire » n'est pas employé une seule fois.

Le Traité de Rome instituant la CEEA, fort de ses 225 articles et 21 121 mots employés, ne mentionne pas une seule fois lui non plus le terme «
communautaire ». Quant au terme « commun », il est employé seulement 26 fois21.

Le Traité de Rome instituant la CE(E) quant à lui, dans sa version actualisée Nice22, accorde une plus grande place aux termes qui nous intéressent. En
effet, sur les 55 101 mots recensés, à 75 reprises le terme « commun » est utilisé23. L'adjectif communautaire se rencontre 30 fois. Au total, pour ce
dernier traité, c'est 505 fois que mot commun et ses dérivés24 sont utilisés.

Le Traité sur l'Union européenne25, qui est le texte le plus court au regard des précédents, comprend 16 527 mots. Le terme commun et ses dérivés sont
ainsi employés 247 fois. Mais ce n'est respectivement qu'à 7 et 8 reprises que les adjectifs « commun » stricto sensu et « communautaire » figurent dans
le TUE26.

Dans le traité établissant une Constitution pour l'Europe27, sur les 117 500 mots consacrés à ce projet, le terme communautaire apparaît 39 fois. Le
terme commun se retrouve à 65 reprises. C'est 592 fois que ce dernier terme et ses dérivés sont utilisés.

À notre connaissance, et en particulier dans les ouvrages récents, aucun auteur ne s'est véritablement interrogé, dans une démarche juristique28, sur la
signification même du terme commun(auté)29, pourtant abondamment employé comme on a pu le constater. Très rares aussi sont ceux qui relèvent
ou ont relevé la portée qu'a ce terme dans la fondation des grands principes du droit communautaire30.

Encore faut-il ajouter que le « décompte » opéré précédemment ne relève que de l'établissement statique et quantitatif d'un mot ou d'une expression
(commun, communautaire...) employé dans un environnement juridique donné (en l'occurrence les traités). La véritable pertinence de l'analyse
juristique consiste à présenter l'occurrence choisie (commun, communauté, communautaire...) dans sa relation transitive avec les termes qui la
précèdent ou la suivent. Ainsi, et cela pourrait faire l'objet d'une véritable étude en soi, il n'est guère contestable que le mot « commun(e) » n'a pas la
même valeur, dès lors que c'est le substantif intérêt ou décision qui le précède, plutôt que les termes projet ou Centre par exemple. En outre, la place
du terme dans l'architecture du texte (traité) n'est pas non plus anodine. Si ce terme se rencontre davantage dans le préambule que dans les
dispositions institutionnelles ou décisionnelles, cela révèlera de manière plus ou moins marquée si l'action en commun des États relève de l'intention
(préambule) ou de l'action (dispositions institutionnelles...).

C'est ainsi, et à titre d'illustration, que comparé aux traités antérieurs, jamais n'aura été aussi peu fait appel au substantif commun et à ses dérivés dans
le projet de « Constitution » pour l'Europe31. Sur un plan sémantique et juristique, ce sous-emploi du terme en question est certainement révélateur de
la volonté qu'ont eue les rédacteurs d'unifier d'avantage l'Europe, que de la communautariser32.

b. Absence d'explicitation du terme « commun »


L'« effet profusion » signifie que l'essentiel d'une notion peut passer inaperçu aux yeux des observateurs, tant elle semble admise, et tant le mot qui la
supporte est utilisé de manière répétitive et abondante. En conséquence, l'alternative concevable est celle qui consiste à soutenir que, soit le terme «
commun » et ses dérivés33 ne sont porteurs d'aucune signification juridique précise, auquel cas il n'est pas nécessaire de systématiser «
l'insystématisable » ; soit cette notion est totalement admise et comprise depuis l'origine, auquel cas, il n'est pas utile d'y revenir plus avant. Mais cette
seconde posture serait recevable si, précisément, des travaux de réflexions avaient porté sur la signification juridique et/ou politique des termes
commun, communauté, communautaire...

C'est très certainement au Professeur J. Boulouis34 que l'on doit la « paternité » de cette première série de réflexions sur la signification du terme
commun35. En effet, à propos de la décision 39/7236, l'auteur relève que la Cour de justice n'a jamais pris parti en faveur de telle ou telle thèse relative à

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la nature des Communautés. Toutefois, plutôt que de répondre in abstracto à une question qui n'appelle aucune réponse définitive sur un plan
théorique37, il remarque que la Cour a su valoriser très tôt des grands thèmes ou axes théoriques dans sa jurisprudence38. Parmi ceux-ci, le « thème
fonctionnel » mérite l'attention. En effet, « Les communautés, [entendues comme] expression d'une institution économique commune... s'identifient à
la notion de "marché commun" qui en détermine à la fois l'objectif, l'objet et la spécificité. Il s'agit là d'une notion proprement économique... qui traduit
un apparentement étroit de collectivités parvenues à un même degré d'évolution et se réclamant d'un même système idéologique. Mais si à cet égard
le terme de "marché" est tout à fait caractéristique, c'est le qualificatif commun qui doit être tenu pour décisif. Quels que soient les caractères de ce
marché..., l'essentiel est qu'il s'agisse d'un marché unique. Cette unité doit être maintenue [grâce]... aux politiques communes... ». Très tôt le juge a
affirmé la soumission... des institutions au principe général d'action dans l'intérêt commun39 ».

Dans une optique similaire, le Professeur Isaac40, dès la première édition de son manuel, notera que : « Le terme communauté, qui fut finalement
choisi après de longues discussions pour la CECA, sur la proposition du représentant de l'Allemagne, C. F. Ophüls41, ne saurait être banalisé. "Marché
commun" dans les trois traités ; "objectifs communs" dans le traité CECA ; "politiques communes", "principes généraux communs" dans le traité CEE... ;
cette prolifération du qualificatif « commun » ne saurait être sans signification ».

La démarche entreprise est des plus pertinentes sur le fond, bien qu'elle aborde de manière cursive, pour ne pas dire évasive, la notion de « commun ».
En effet, les développements qui suivent ces remarques ont conduit l'auteur à s'interroger d'avantage sur la nature juridique de la Communauté, en
recourant notamment au concept de pouvoir public commun42, que sur la notion même de commun. C. F. Ophüls, Ambassadeur de la république
fédérale d'Allemagne, sera en fait le président de la délégation allemande auprès de la conférence intergouvernementale de 1957 lors l'élaboration des
traités de Rome43.

Étonnement, et dans un registre plus ancien encore, dans aucun des ouvrages du Professeur Reuter, dont le rôle fut pourtant déterminant lors de la
rédaction de la Déclaration du 9 mai 1950, n'est fait référence à la notion de commun ou de communauté entendue comme constitutive d'un système
juridique ou relationnel typique. Si l'on reprend tout d'abord son ouvrage de 1956 consacré aux institutions internationales44, il est frappant de
constater que c'est la dichotomie classique pour l'époque entre système fédéral et système confédéral qui constitue la ligne de partage entre les
différentes catégories d'organisations internationales45. Bien entendu, la CECA, qui fera d'ailleurs l'objet d'un ouvrage spécifique de l'auteur en 195346,
est répertoriée parmi les organisations présentant des caractères « fédéraux très accusés ». C'est sur le terrain de la délégation de compétence, du
pouvoir réglementaire et surtout de l'intégration que se place l'éminent juriste pour analyser cette première Communauté47. S'agissant d'ailleurs de la
notion d'intégration, c'est le recours exclusif au modèle fédéral qui lui permet de l'éclairer et de l'expliciter48.

Dans la première édition de son livre consacré aux organisations européennes en date de 196549, le constat est le même que précédemment. On ne
trouve pas trace d'une réflexion d'ensemble sur la notion de commun(auté)50. C'est essentiellement le recours à la catégorie de l'organisation
internationale dite spécifique51, qui permet au Professeur Reuter de saisir la nature juridique de la CEE. Seule la référence à des organes communs
permettant de qualifier la Communauté d'union personnelle, reste originale52.

Ce relatif désintérêt de la doctrine juridique pour le terme commun(auté) est d'autant plus surprenant, que tout laisse penser que c'est à la France que
l'on doit cette expression. En effet, et sans remonter trop loin dans le temps, le projet d'une « Association des États européens », qui fut présentée par
Aristide Briand53 dans le cadre de la SDN le 5 septembre 1929, fut rédigée par Alexis Léger54. Or, ce dernier, inventa pour la circonstance de ce texte
quelques unes des formules bien connues de l'Europe communautaire55 : « marché commun », « circulation de marchandises » « communauté des
peuples européens ».

Durant l'été 1943, Jean Monnet est responsable du commissariat à l'armement auprès du CFLN. Il est entouré de personnalité de la Résistance, telles
que Hervé Alphand et Etienne Hirsch, dont les idées en faveur d'une « Union européenne », ou encore « d'unions régionales d'États » forment le socle «
idéologique » de la reconstruction de l'Europe d'après guerre. Dans son mémorandum du 5 août 1943, considéré d'ailleurs comme l'acte de naissance de
l'Europe communautaire56, Jean Monnet exposera ses vues :

« il n'y aura pas de paix en Europe si les États se reconstituent sur la base des souverainetés nationales. Les pays d'Europe sont trop petits pour garantir à
leur peuple la prospérité économique et sociale nécessaire. Les États européens doivent se constituer en une fédération ».

En 1950, afin d'échafauder son projet, Jean Monnet fait de nouveau appel à Etienne Hirsch, ainsi qu'à Pierre Uri57 et Paul Reuter. Ce dernier est jeune
professeur de droit à Aix-en-Provence, travaillant comme jurisconsulte pour le Quai d'Orsay58. Entre le 16 avril et le 6 mai 1950, à Houjarray, les trois
hommes59 réécrirent huit fois le texte précurseur de la CECA avant de parvenir à une neuvième version finale, lue par Robert Schuman le 9 mai 1950,
de la fameuse Déclaration. Dans ses mémoires, Jean Monnet dira que

« ... sans Hirsch et sans Reuter, le projet de déclaration n'eût pas atteint d'emblée la forme élaborée qui fait de lui le véritable document d'origine de la
Communauté ».

Mais surtout, c'est Etienne Hirsch qui imagina le terme et le titre de Communauté dans la Déclaration, et pour le traité CECA semble-t-il, ainsi que
l'intervention d'une institution (et non d'un organe) parlementaire60. Ce sont les Hollandais, par la voix de Dirk Spierenburg, qui soulevèrent la
nécessité d'un conseil de ministres pour faire le lien entre les secteurs mis en commun et le reste des économies demeurées nationales et séparées61.

En recoupant ainsi et à grands traits des informations historiquement connues62, l'hypothèse selon laquelle le terme commun ne serait qu'un «
accident lexical », un mot parmi d'autre qui ne correspondrait à rien de précis dans l'esprit de ses concepteurs, ne nous semble pas totalement
pertinente. Nous formulerons au contraire l'hypothèse inverse, et notamment que ce terme a une véritable signification historique, conceptuelle,
philosophique63 à laquelle le juriste ne peut rester insensible. Mais si ce terme « commun » a un sens caché que l'on peut tenter de découvrir, il est un
fait indéniable qu'on le retrouve, soit dans la mise en oeuvre de régime juridique communautaire, soit dans d'autres disciplines que le strict droit de
l'Union européenne (droit constitutionnel, droit des EPCI...).

2. L'emploi juridique du terme « commun »


Certains concepts du droit ne reposent pas sur des définitions posées a priori. Les notions de puissance publique en droit administratif, de Jus cogens
en droit international, de violation grave et manifeste en droit de l'Union européenne64, ou encore de haute trahison en droit constitutionnel illustrent
à suffisance la manière dont certains principes clés du droit se définissent davantage au regard du régime qui leur sont attachés, que par les concepts
qu'ils sont censés contenir. Cela se vérifie également pour la notion de commun.

Cette notion est consubstantielle au droit de la Communauté européenne65, chevillée à cette dernière. Mais prétendre cela, quand bien même ladite
notion ne serait pas dégagée dans ses fondements juridiques fondamentaux ou principiels, ne fait pas spécialement avancer l'étude, du moins de
prime abord. En effet, l'usage de ce mot, qui implicitement porte la notion juridique que l'on tente de découvrir, est tellement quotidien, évident en soi,
que l'attention ne se focalise plus sur sa réelle portée.

Or, à l'examen de quelques mécanismes juridiques fondamentaux du droit communautaire, tout laisse penser que leur existence, leur justification et
leur régime ne pouvaient pas être déduits autrement qu'en recourant à cette notion spécifique de commun. Dit autrement, le recours au terme
commun et à ses dérivés, pour utile qu'il soit dans la mise en place de certains régimes juridiques de la Communauté, doit également être compris

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comme porteur de sens, véhiculant des notions spécifiques qui échappent parfois à l'attention immédiate. C'est l'effet dilution qui est ici en cause. La
profusion des mots « commun, communauté... » relevée plus haut, dilue le sens, la notion qu'ils contiennent juridiquement en eux.

Parmi les régimes juridiques communautaires qui se déduisent, et qui ont été bâtis sur le fondement de la notion de commun, on pensera en tout
premier lieu au principe de primauté. Il n'est pas question de revenir sur la jurisprudence Costa et la remarquable analyse réactualisée qu'en a faite le
Professeur Simon66. Or, et la lecture de la décision l'atteste amplement, c'est bien la notion de communauté qui attribue à la primauté son fondement.
La Cour insiste spécialement sur le fait que la notion même de communauté serait dépourvue de signification, si le droit qui en découle n'était pas
opposable aux droits nationaux. C'est parce que cette communauté repose sur une mise en commun (et non collective) de droits souverains des États,
qu'elle produit des normes d'une nature juridique spécifique et dotées d'une puissance normative tout aussi spécifique. Tout le raisonnement de la
Cour dans cette affaire de 1964 est construit en définitive autour de la notion de commun. Elle est, sans artificiellement forcer le trait, une élucidation
juridique de la notion de commun.

Dans un autre registre, toute la théorie des compétences communautaires trouve son fondement premier et essentiel dans la notion de commun. C'est
en effet la mise en commun des volontés politiques et juridiques des États qui est ici au centre de tout le dispositif : soit lors de l'attribution initiale des
compétences à la Communauté dans le droit primaire, soit dans le cadre de l'exercice de ces compétences (mixtes) en application du principe de
subsidiarité. Or, la compréhension de cette théorie67, ou plutôt son régime juridique, ne peut être saisie que si préalablement la notion de commun est
entendue. Vu sous un autre angle, c'est le régime juridique des compétences communautaires qui se déduit de la notion de commun. En cela, cette
dernière à une dimension juridique, dès lors qu'elle est empiriquement observable.

Sans reprendre l'abondante jurisprudence et les nombreux érudits commentaires relatifs aux compétences externes implicites68, rappelons, à titre
d'illustration, que leur déclenchement présuppose l'existence d'une compétence normative interne69. À ce préalable nécessaire et indispensable,
s'ajoute ensuite la condition prétorienne dite du risque d'affectation du droit communautaire interne par l'exercice de la compétence conventionnelle
retenue des États70. L'existence de la compétence externe une fois établie, l'interrogation sur sa nature exclusive ou mixte intervient ensuite71. Or, et
nous suivrons en cela les remarques du Professeur Michel72, les termes de la fameuse jurisprudence AETR, d'une fausse simplicité au passage73, sont
très enrichissants quant au rôle qu'ils font jouer à la notion de « commun ».

Comme on le sait, en vertu de cette affaire 22/70, une fois que la compétence communautaire interne a été activée « par des règles communes... pour
la mise en oeuvre d'une politique commune, les États ne sont plus en droit de contracter avec des tiers des obligations affectant ces règles. Car, au fur
et à mesure de l'instauration de ces règles communes, la Communauté seule est en mesure d'assumer et d'exécuter les engagements contractés à
l'égard des tiers... ».

Les termes essentiels, comme le souligne le Professeur Michel que nous suivrons dans sa démonstration74, se décèlent aisément : il s'agit de la
politique commune (et non d'une politique communautaire) et des règles communes. L'emploi de ce qualificatif « commun », explique-t-elle, suscite
l'interrogation quant à la portée du principe des compétences implicites. « De nature à limiter son champ d'application aux seuls domaines des
politiques communes pour les uns, voire à la seule politique des transports, cette interprétation restrictive est contestée par d'autres ». Mais surtout,
c'est ce qui doit retenir l'attention ici, la référence à la politique commune ou aux règles communes est pertinente non pour la détermination d'une
compétence externe implicite, mais pour la qualification de sa nature : exclusive ou non75. Cette approche, poursuit V. Michel, « permet alors de
circonscrire la fonction assignée aux politiques et règles communes : elles interviennent au moment de la qualification de la compétences externe
implicite et non pour la reconnaissance d'une compétence externe ».

Sans développer plus avant le propos, il ne fait guère de doute que les implications juridiques de la notion de commun sont ici déterminantes pour le
mécanisme des compétences externes de la Communauté. Il serait possible de multiplier les exemples dans lesquels on relève l'existence de véritables
régimes découlant de l'application de ladite notion. Devrait ainsi être évoqué le principe de subsidiarité, qui n'est rien d'autre qu'un mode de
distribution et d'organisation des actions menées en commun par les États ; la distinction, dont la portée juridique n'est pas neutre, entre marché
commun et marché intérieur76 ; la différence entre les politiques dites communes et les autres qualifiées de communautaires77, etc. Derrière le mot ou
le radical « commun » se cache donc une réalité juridique saisissable en droit de la Communauté européenne au moins.

B. _ Compréhension juridique du « commun »


Dans sa dimension lexicale, le terme commun est couramment employé. La question qui mérite d'être dorénavant posée est celle de savoir si le
commun est saisissable par le droit. Pour le dire autrement, le commun peut-il accéder au rang de concept du droit, à la « dignité » juridique ? La
réponse, probablement positive, ne peut être valide que si l'on s'interroge préalablement sur ce qu'est (ou doit être) une notion du droit (1), et en
particulier une notion du droit public (2).

1. L'accession au rang de « notion juridique »


Sur un plan intellectuel, la notion de « notion juridique » n'est peut-être pas des plus simples à aborder. Différentes raisons, dont la pertinence reste
pour certaines d'entre-elles discutables, peuvent expliquer cette situation.

La première est liée à l'interrogation elle-même à laquelle se propose de répondre cette contribution. Une interrogation sur la nature d'une notion, d'un
concept qu'on suppose tel, pose en effet la question du caractère « régressif », et partant risqué, d'une démarche essentialiste ayant pour mot d'ordre la
découverte de la nature du « commun ». En reprenant les termes du Professeur Mazères78, « on a bien là une figure de l'enfermement », et de «
l'orgueilleuse modestie des positivistes » qui répugne parfois à diriger leurs analyses vers les rivages de la métaphysique.

Or, l'interrogation sur l'essence d'une expression ou d'un mot utilisé dans les textes juridiques, fondements dans certains cas de régimes, pour ne pas
dire constitutifs de notions à part entière, relève d'une exigence qui est celle de la connaissance même, c'est-à-dire celle non point d'un monde à
décrire, mais bien d'un monde à construire79. Mais il n'est pas évident pour les juristes positivistes de s'employer à une recherche qui déborde de leurs
champs et de leurs réflexes intellectuels habituels qui reposent sur des normes écrites et systématisées.

À cet égard, la difficulté la plus redoutable est surtout d'ordre méthodologique. Tout commence, en effet, par un préalable cognitif, c'est-à-dire un
réflexe épistémologique qui peut être formulé de la manière suivante : qu'est-ce que se demander, qu'est-ce que quelque chose, qu'est-ce que tel objet
juridique, ou telle notion (en puissance) du droit ? « On le comprend déjà, la question est redoutable parce qu'elle implique la nécessité d'aller au-delà
du donné observable, du simple mot80 ». Dans ce registre, des distinctions doivent doit être faites entre des termes voisins, mais selon nous distincts,
relatifs à la notion de notion (a). En outre, on devra se demander ce qu'est une notion du droit (b).

a. Précisions sémantiques
Il est assez commode de recourir à l'expression « notion du droit », dans la mesure où elle est fréquemment utilisée par les juristes. Dans les années
cinquante, toutefois, à propos de la notion de service public, certains auteurs de la doctrine administrativiste ont néanmoins éprouvé le besoin de
s'interroger sur la notion de notion81. Sans entrer dans un tel débat, nous devrons toutefois tenter de mettre en évidence la gradation qui existe entre
des termes assez proches, et qui sont ceux de concept et de théorie.

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Une notion est une connaissance élémentaire, intuitive ou vague de quelque chose. La notion se rapporte à « l'idée ». Ainsi, L'idée d'un objet est l'image
que l'esprit entrant en activité parvient à se forger de cet objet82 ; la notion est la connaissance de certains détails qui existent dans un objet83.

Par extension, et dans le langage courant, une théorie, qui signifie « contempler, observer, examiner » est une idée ou une connaissance spéculative,
souvent fondée sur l'observation ou l'expérience, donnant une représentation idéale, éloignée des applications. Parfois le terme théorie est employé
pour désigner quelque chose de temporaire ou pas tout à fait vrai.

Le terme théorie s'emploie aussi comme synonyme de concept. On nomme ainsi « concept » une idée ou représentation de l'esprit qui abrège et
résume une multiplicité d'objets empiriques ou mentaux par abstraction et généralisation de traits communs identifiables. Il existe plusieurs
conceptions relatives au statut d'existence du concept. Ce statut est central pour toute démarche visant les domaines de la connaissance : comment se
forment les concepts ? le concept indique-t-il une essence ?, etc.84.

Une gradation entre ces différents termes se dessine aisément : la notion précèderait ainsi la théorie, et cette dernière conduirait vers le concept. En
droit, il est vrai que l'on recourt aisément au terme « théorie » pour désigner les supports mentaux, les matériaux ou schémas intellectuels abstraits et
inductifs de la discipline. Dans son sens premier, cela vient d'être vu, la théorie se rapporte à une connaissance spéculative d'un objet observé. Or, à
notre sens, ce n'est pas la fonction que jouent les théories juridiques85. Loin d'être spéculatives, elles ont au contraire pour objet de prévoir de manière
certaine les régimes qui découleront de leur application. Songeons à la théorie du service public, de la puissance publique, de l'imprévision... Il est vrai,
et c'est d'un grand secours ici, que le terme « théorie » est aussi synonyme de concept.

Le choix, en définitive, devra donc se jouer entre la théorie ou le concept de commun. Mais encore faut-il être prudent. En effet, ce n'est qu'à partir du
moment où la notion est véritablement constituée, que le basculement dans le champ de « la théorie » (ou du concept86) est envisageable. Pour
parvenir à un tel résultat, encore faut-il avoir la certitude que cette notion existe. Or, l'ambition de ce travail s'arrêtera (ou commencera) au stade de la
notion de « commun ». Sa découverte, et ensuite sa systématisation ou rationalisation, constitueront ainsi les deux prémisses indispensables à sa
constitution. Le passage au stade de la théorie (voire du concept) n'est alors envisageable que lorsque la notion devient un procédé à la fois constitutif
des éléments fondamentaux d'une branche du droit, et partant, opératoire sur un plan pratique (jurisprudence, doctrine, législation...).

b. Juridicité d'une notion


Le mouvement rationnel qui fait passer un mot du langage courant au rang de concept juridique s'opère en trois temps. Le premier est empirique. Il
s'agit de la phase de découverte et d'évaluation du mot dans son environnement. C'est l'opération qui a été effectuée plus haut, et qui a consisté à
repérer le terme « commun », ainsi que ses dérivés, dans les textes européens.

La seconde phase est théorique, et se compose de deux volets. Le premier vise à découvrir la notion juridique dont le terme est peut-être porteur. Cette
phase, qui va nous retenir ici, a pour objectif de clarifier le sens du mot employé au regard de son emploi habituel dans l'environnement juridique, à
regrouper et définir ses critères constitutifs. Le second est théorique à proprement parler. Cette phase constructive et constitutive est la plus
ambitieuse. C'est en effet à ce stade que la systématique juridique va se déployer. Autrement dit, une fois que les critères constitutifs de la notion sont
établis, la question reste de savoir si elle est applicable, explicative de mécanismes du droit, si elle constitue un support intellectuel permettant à la fois
de fonder des régimes juridiques et de comprendre et expliquer ces régimes. La théorie vise ainsi à asseoir des principes abstraits, des schémas
intellectuels préconstitués nécessaires au bon fonctionnement du droit.

Le dernier stade, même s'il peut être confondu avec le précédent, est conceptuel. Pour notre part, la notion de concept repose sur un élément d'ordre
temporel87. La théorie servirait, autrement dit, à expliciter le « présent juridique », dont on sait qu'il est parfois instable et nécessite des correctifs, alors
que le concept constituerait la consécration quasi intangible du matériau intellectuel dont se servent les juristes depuis des décennies pour bâtir leur
discipline, la comprendre et l'expliquer. La notion de personne, en droit, est un concept ; celle de propriété, également ; celle de démocratie ou encore
d'attribution de compétence, etc., tout pareil.

L'interrogation qui demeure à ce stade reste celle de la juridicité d'une notion. L'expression juridicité n'est pas admise par tous, dans la mesure où il
s'agit d'un terme de « facture récente88 ». Les anglo-saxons ne voient dans ce terme que l'expression de la légalité, ou ce qui concerne le droit. Pour la
doctrine française, notamment la sociologie juridique, la juridicité est « la ligne de partage entre le droit et le social juridique. C'est le caractère
hypothétique... par lequel les règles de droit peuvent être mises à part de l'ensemble des règles de conduites sociales89 ». Pour la théorie du droit, la
juridicité est « ce qui donne à un phénomène, [une notion] le caractère juridique par quoi il est spécifié ». La juridicité est intéressante par les critères
qui permettent de la distinguer d'autres concepts, comme ceux relatifs à la validité qui sont des règles d'appartenance ou de reconnaissance
permettent de déterminer quand une norme appartient au système juridique90.

Dans le même esprit, et nous ferons nôtre cette acception, la juridicité est un « outil de spécification d'un champ juridique distinct à la fois du droit et
du social non juridique, dont on cherche des critères a priori ou dont on reconnaît la spécificité a posteriori91. La juridicité d'une notion est donc
l'aptitude que celle-ci a à intervenir dans le champ du juridique par le biais de critères explicatifs des « phénomènes » qu'elle a vocation à saisir. La
notion de droit est donc constituée d'éléments rationnels, accessibles au prix d'une opération intellectuelle, dont la finalité est de rendre
compréhensible l'objet juridique sur lequel elle repose92.

Lorsque l'on tente de circonscrire plus avant la notion de « notion juridique », on constate que deux éléments complémentaires et cumulatifs s'y
ajoutent. Le premier relève de l'exigence méthodologique et porte sur l'analyse préalable de la signification exacte et profonde du terme, du mot censé
contenir la notion. En effet, et c'est un constat indéniable, les mots du droit ne sont pas les mots du langage courant. Leur portée constitutive et
explicative leur confère un statut, une « charge signifiante » toute particulière. C'est parce qu'ils saisissent et régulent dans leur complexité cet univers
de normes qu'est le droit, qu'il convient de prendre l'exacte mesure du sens qu'ils ont. Ce travail d'analyse est nécessairement porteur pour la
thématique qui est la nôtre. Nous le verrons plus loin, le terme commun n'est pas des plus simples à appréhender. Il porte en lui des notions,
précisément, qui permettent, si l'on y prête attention, de mieux saisir la réalité communautaire notamment.

Le second élément, dans un registre épistémologique cette fois-ci, porte sur la forme que doit revêtir une notion juridique. À l'examen, et c'est là aussi
un trait constant, la formulation d'une notion juridique ne peut faire l'économie d'une formulation construite autour ou sur des critères. Et c'est la
recherche de ces critères, supports lorsqu'ils sont assemblés et combinés de la notion, qui devra être effectuée plus loin. Or, c'est très souvent à partir du
mot employé que la formulation des critères s'effectue.

2. Les prérequis d'une notion de droit public


Les notions servent à concevoir les champs du droit public, les penser et les exposer rationnellement. Elles sont les supports permettant de
comprendre la réalité juridique. Mais les notions ne sont pas créées ex nihilo. Elles se dégagent, se déduisent d'un ensemble de signes, de
manifestations juridiques93 produits dans un environnement donné. Surtout, les notions sont tributaires d'un contexte théorique et conceptuel
préexistant à elles. Dans une perspective structuraliste, il pourrait être soutenu que les notions ne sont rien sans ce contexte qui les définit, les compose,
les structure et les détermine in fine.

Plus précisément, une notion ne peut pas se construire sans être rattachée au domaine d'où elle provient et dans lequel elle évolue. Pour ce qui nous

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concerne, il semble difficile d'expliciter la notion de « commun » sans prendre en considération, et à des degrés variables, l'enracinement
communautaire, et le droit public général. C'est à la croisée de ces deux axes que la démarche prend corps et sens. Cela dit, il est possible de faire
abstraction du droit communautaire puisque l'ambition de la présente démarche est précisément de dégager une notion per se, ou en soi et autonome
applicable à d'autres disciplines que le seul droit du premier pilier de l'Union. Sinon, le risque est grand de bâtir une « pseudo théorie » qui n'aurait ici
que le seul mérite d'être adaptée à la Communauté européenne. Or, il nous paraît que la construction communautaire doit reposer sur un corps de
principes juridiques solidement établis afin de pouvoir la saisir dans sa complexité. C'est d'ailleurs ce qui lui manque ; et le recours au droit
international ou au droit constitutionnel pour l'expliciter sont certainement des aveux de faiblesse théorique qui révèle l'absence d'assise conceptuelle
autonome de ce droit communautaire.

À cet égard, la notion de commun, sous l'angle de sa portée, peut s'avérer utile pour (re)fonder les bases d'une théorie de la communauté et de son
droit. Notons tout de même que le dégagement d'une notion qui ne serait utile que pour une seule branche du droit n'est pas un « obstacle dirimant »
à la consécration ou, pour le moins, à la reconnaissance de la validité (du bien fondé) de ladite notion. L'exigence du panjuridisme, ou du de la
multidisciplinarité comme critère d'évaluation et de validité d'une notion ne nous semble pas des plus pertinents94. La notion de service public, à titre
d'exemple, ne vaut que pour le droit administratif, dans une mesure certes importante, mais malgré tout relative. Pour autant, il ne vient à l'esprit de
personne de contester sa nature intrinsèquement théorique ou notionnelle.

En revanche, l'ancrage de la notion qui nous retient dans le droit public doit être solidement établi. La question qui demeure toutefois est celle de
savoir ce qui doit être tenu pour acquis en droit public. Plus spécialement, quels sont les points d'ancrage à retenir sans lesquels la notion de commun
ne saurait se construire ?

À notre sens, au regard de ce qui a été évoqué plus haut, les critères de la notion de commun, et donc la notion elle-même, ne peuvent se départir du
thème capital de la théorie des compétences de l'État. La notion de commun a totalement à voir avec la question de l'aménagement de l'exercice des
compétences de l'État ; tant au niveau interne qu'international. Au vrai, elle est une des modalités de cet exercice qui, assez curieusement, n'a pas
encore fait l'objet d'une analyse autonome. Nous avons ainsi la faiblesse de penser que la notion de commun pourrait renouveler les approches
traditionnelles relatives à l'exercice des compétences étatiques.

II. _ LE COMMUN DANS SA CARACTÉRISATION LA CONSISTANCE DE LA NOTION


Caractériser la notion de commun constitue ici l'opération de rationalisation et de conceptualisation la plus délicate95. C'est en effet à ce stade que la
construction de la notion doit se réaliser, en recourant notamment à des critères constitutifs (A), mais aussi que sa validité peut s'apprécier. Sur ce
point, la validité dont on parle n'est pas celle que les positivistes normativistes peuvent l'entendre. Il s'agit de la double capacité que peut avoir la
notion dégagée à rendre compte, tout d'abord, d'un ensemble de phénomènes juridiques existants et observables96 et, ensuite, à expliquer ou fonder,
lorsque les critères d'identification sont réunis, les évolutions de ces phénomènes. La validité ultime réside évidemment dans la réception de la notion
formulée par la doctrine et les juridictions97. Sans viser une telle ambition à ce stade, puisque nous ne sommes animé que par une volonté prospective
(spéculative ?), il conviendra toutefois de s'interroger sur la portée que pourrait avoir la notion de commun pour notre discipline qu'est le droit public
ou, pour le moins, pour certaines de ses branches (B).

A. _ Construction théorique du « commun »


Instrument intellectuel sur lequel se porte la rationalité juridique, la notion a donc cette double aptitude à synthétiser et prévoir des « existants »
juridiques prédéfinis empiriquement ou non. Le point de départ de la (re)construction de la théorie commence par une recherche sur le sens, la portée
du terme, en l'occurrence celui de commun, dont on pense qu'il est le vecteur de ladite théorie (1). De manière naturelle, pour ne pas dire juridico-
logique, la mise en critère ne peut se faire que dans un second temps sur le fondement d'un ensemble de prérequis98 (2).

1. Une signification du terme « commun »


Ne perdons pas de vue que la formulation d'une notion, aussi modeste que soit l'entreprise qui anime sa recherche et sa découverte, n'est pas un
exercice neutre. En effet, de manière consciente ou non, l'instigateur de ladite notion est nécessairement animé par la volonté de démontrer le bien
fondé de sa démarche et la justesse de son expertise. Pour parvenir à ses fins, la présentation des éléments juridiques découverts et qui composent
l'ossature de la notion peut être effectuée de manière partiellement objective et être adaptée selon un schéma finaliste (ou démonstratif)
accommodant. C'est la raison pour laquelle il est intellectuellement préférable de parler « d'une » signification et non de « la » signification du terme
commun. Rappelons que c'est cette signification qui conditionne en très grande partie la formulation de la notion. Elle est en soi un prérequis, un «
prédéterminant lexico-juridique ».

Le mot commun est à la fois substantif et adjectif. En droit communautaire, dans les traités en particulier, c'est plutôt l'adjectif qui est employé
(marché commun, intérêt commun, position commune...), ainsi que ses dérivés (communauté, communautaire...). Il convient de noter que pour ces
deux derniers termes, leur signification n'est pas tout à fait identique à celle de leur radical « commun ».

Dans son sens premier, ce qui est commun, le commun, renvoie à l'idée « d'usage ou de propriété partagée »99. Une communauté, dans cette optique,
est un groupe, une collectivité, une association100 qui partage cet usage ou cette propriété (commune)101. Par conséquent, ce qui est propre à
l'ensemble des personnes de cette collectivité, qui s'applique de façon identique à ce groupe qui partage un mode de vie collectif, est «
communautaire102 ». D'un point de vue pratique, toutes les mesures que prendra la communauté pour assurer le maintien ou le partage de ce qui unit
ses membres a une nature communautaire. On relèvera toutefois, que le terme communautaire, dans les versions les plus récentes des dictionnaires,
renvoie à la notion de « collectif », et surtout, ce qui est intéressant en terme d'évolution sémantique, de « fédératif » et d'« européen ».

Le principal trait qui ressort du terme « commun » est celui selon lequel des individualités (membres) se rassemblent parce qu'elles partagent une
caractéristique sinon identique, du moins semblable, comparable. La constitution des communautés, qu'elles soient d'individus ou d'États, procède
donc d'un phénomène de reconnaissance103 et de partage de ces éléments semblables. Ici, le commun joue le rôle de facteur constitutif, déclencheur
du groupe du collectif. Mais surtout, dans tout phénomène communautaire, le partage des éléments similaires du groupe conduit systématiquement à
la sauvegarde de ces éléments, à leur protection qui justifie l'existence, et partant l'évolution et les fonctions, de la communauté. Se réalise ainsi une
dissociation ou une distinction entre des intérêts collectifs des membres, entendus comme addition de caractères semblables, de l'intérêt commun,
compris ici non comme la somme du collectif, mais bien comme le caractère objectif de l'entité nouvelle (la communauté). Le tout (la communauté)
est donc plus que la somme des parties (les éléments communs des membres du groupe). C'est la combinaison des parties, la juxtaposition des
éléments comparables qui génère de manière objective une entité nouvelle distincte de ses membres qui pourtant la composent104.

Cette « émergence », que certains qualifient bien volontiers d'énigmatique105, permet d'expliquer un phénomène rarement mis en avant dans la
doctrine publiciste selon lequel le processus de mise en commun produit des effets structurels et juridiques constants, tout à fait spécifiques, tant au
profit de la communauté, qu'au profit (ou à l'encontre) de ses membres. En clair, de nombreux mécanismes juridiques propres à la Communauté
européenne, trouvent une explication ou une explicitation cohérente et non inattendue lorsque le point d'ancrage de l'analyse repose la notion de

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commun et sa portée.

À ce stade du raisonnement, il conviendra de retenir cette idée cardinale, que l'on développera d'ailleurs plus bas, qui est que le « commun »106 est
bien plus qu'un mot caractérisant une simple situation de fait observable ou voulue (une addition d'éléments semblables), mais au contraire un
véritable processus complexe « d'émergence d'entité107 nouvelle » subsumant des individualités. Étant admis que la subsomption désigne ici, et dans
la perspective des logiques de description, une relation hiérarchique entre des concepts distincts : l'individualité, le nominal d'une part ; et le collectif,
la communauté ou le communautaire d'autre part. Il est, au passage, topique de constater que les difficultés de sens relevées à propos du terme
commun, de ses potentialités théoriques, de sa fausse simplicité en définitive, se retrouvent à propos de la définition de la Common law et du jus
commune. À chaque fois, c'est moins le terme Law ou jus qui pose problème, que son rapport au commun108.

Il n'est pas certain que les rédacteurs des traités communautaires des années cinquante, la doctrine du moment ou ultérieure, aient pris l'exacte
mesure du terme que l'on sait. Il est du reste assez vraisemblable que les politiques dans leur ensemble109 n'aient pas voulu donner plus de sens au
terme commun, que celui ordinairement entendu. Notons au passage que l'un de ces sens est justement ce caractère ordinaire. Ce qui est commun est
en effet « dépourvu de raffinement », « courant », « rencontré dans la vie ordinaire », « banal »...

Mais le droit s'accommode assez difficilement de ces significations « communes ». Sa nature systémique empêche d'appréhender de manière statique
les termes qui assoient ses concepts ou notions110. Or, tout laisse penser que le substantif (ou l'adjectif) commun a acquis au fil du temps une épaisseur
conceptuelle et juridique (qui reste encore à découvrir) qu'il n'avait pas au départ, et qui n'était peut-être pas prévisible. Il est vrai que la banalité et la
multiplication de son emploi dans les textes européens a contribué d'une certaine manière à brouiller les analyses.

2. Une modélisation de la notion de commun


Deux remarques préalables doivent être formulées.

_ d'une part, il n'est pas usuel de recourir à une terminologie non juridique pour expliquer le juridique. Mais le terme modélisation, emprunté au
langage informatique, et que l'on doit considérer ici comme un processus, permet de mieux appréhender le sens des propos qui vont suivre. La
modélisation est en effet une technique de création d'une représentation standard, dans le but de prévoir l'évolution d'un phénomène. En clair, la
modélisation juridique peut être ici comprise comme la technique permettant d'aboutir à l'élaboration de critères constitutifs de la notion de commun
(représentation standard du phénomène commun), dans le but de prévoir, aborder, comprendre ou encore expliquer ledit phénomène ;

_ d'autre part, les critères qui vont suivre, après examen et le constat que la doctrine publiciste n'en a point formulé jusqu'alors, sont inspirés de ceux
qui, en droit privé, saisissent une notion voisine de la nôtre : « la « Communauté de vie111 » en droit des régimes matrimoniaux. De là à prétendre que la
communauté européenne est, sur le plan du droit, un mariage interétatique, il y a un pas que nous n'hésiterions pas à franchir dans une certaine
mesure, tant sur les plans des obligations entre les « époux », les similitudes sont frappantes à certains égards. En outre, et cela tend à confirmer notre
hypothèse de départ sur les qualités objectives que doit revêtir une notion juridique, les critères formulés par les civilistes sont ici applicables per se. En
d'autres termes, ils servent à décrire, à guider la pensée dans la perception qu'elle a des phénomènes de type communautaire.

Pour ce qui nous concerne, quatre critères sont susceptibles d'être formulés, afin de saisir la notion de commun. Plus loin, on devra s'interroger sur leur
caractère cumulatif ou non, ainsi que sur leur éventuel ordre de préséance.

a. Le critère intentionnel (psychologique)


Les civilistes parlent plus volontiers du critère psychologique de la communauté de vie. Est ici en cause la volonté des membres de cette communauté
de vivre ensemble. Ce critère psychologique, lorsqu'il s'agit d'État, est dénommé « consentement ». Lorsqu'il s'agit des communautés de communes112,
même si le consentement des collectivités territoriales à être liées est davantage encadré par le droit de la décentralisation, et pour tout dire
constitutionnellement et législativement limité113, il n'en demeure pas moins exact que c'est la volonté qui crée le lien intercommunal, le « vouloir vivre
ensemble » qui est à l'origine _ et au fondement juridique même114 _ des projets et ambitions communautaires. Dans le registre constitutionnel (art.
88-1 C), il n'est rien de dire que c'est la volonté du constituant qui est à la source de la participation de la France à l'Union.

À ce stade, ce « vouloir vivre ensemble », ce commun que l'on souhaite partager et concrétiser, renvoie à tout un processus de « mutuelle
reconnaissance », de reconnaissance des valeurs et principes qui sont objectivement partageables entre les membres de la communauté115. À cette
aune, et par exemple, ce critère psychologique ou intentionnel permet d'expliquer assez aisément la thématique de l'adhésion à l'Union européenne. Il
ne fait aucun doute en effet que cette adhésion repose sur un socle de valeurs communes, que chacun des membres l'admet comme constituant le
socle fondamental de la Communauté. Or, la question de l'adhésion de la Turquie constitue un réel problème de reconnaissance desdites valeurs ; et de
part et d'autre. En filigrane, et il est inutile de se le cacher en dépit des circonvolutions diplomatiques ou au regard des verrouillages juridiques116, ce
qui est ici en cause est bien l'islam et la culture orientale pour le dire vite. Peut-on (ou pourra-t-on) alors parler de communauté de valeurs dans ce
contexte ? Est-il possible de créer un lien communautaire dans une Union de 30 États ? Y a-t-il encore quelque chose de commun dans cet espace
économique libéralisé ? La réponse est définitivement négative. L'Union dissout le lien commun. L'article 1§ 3 UE stipule « seulement » en effet qu'elle «
... a pour mission d'organiser de façon cohérente et solidaire les relations entre les États membres et entre leurs peuples ». Nous ne sommes pas
persuadés que l'organisation de relations interétatiques soient à la hauteur d'une ambition politique qui se voudrait commune ?

C'est un fait difficilement niable et sociologiquement fondé : le commun postule un nombre limité de sujets, de membres, en plus de valeurs ou
principes fortement identifiés (réels et (pré)supposé117) pour que le processus de reconnaissance et d'adhésion s'opère. Les valeurs communes, le sens
du commun dans un groupement de 6 États à une signification bien plus précise qu'une association d'États à 27, de surcroît dénommée Union118... Les
valeurs et principe de l'Union tels que contenus dans l'article 6 UE constituent ce socle commun, cette incompressible communauté de valeurs qui,
certes de manière subjective diront certains, doit être opposé à toute adhésion.

b. Le critère formel
Ce critère, qui repose en réalité sur la notion d'autonomie de volonté _ le commun en ce qu'il implique est un acte de volonté et non de contrainte _, ne
peut exister formellement en droit que s'il se coule dans un acte juridique. En droit civil, une large part de la doctrine admet que c'est le contrat qui
caractérise la Communauté de vie. Cette dimension contractuelle nous semble absolument déterminante dans notre démonstration. La notion de
commun ne peut reposer que sur un acte conventionnel. Pour le dire abruptement, elle ne se décrète pas, et encore moins ne s'impose. Au passage,
l'article 88-1 de notre constitution précise bien que c'est « librement » que les États ont adhéré au TUE.

Juridiquement, l'échange des consentements interétatiques peut prendre des formes diverses. Le formalisme en droit international est relatif. Or, il ne
peut pas en aller de la sorte dans une logique communautaire. Le commun postule l'adhésion à des valeurs clairement identifiées, des principes précis
définis dans le traité qui sera à l'origine de l'accord communautaire. En clair, un acte international communautaire n'est pas du tout comparable sur la
forme et le fond119, à une convention classique120. L'engagement lui-même est spécifique dans la durée. Conclu pour une durée illimitée dès 1957, le
Traité de Rome fournit ici une indication précieuse quant à la volonté des États de construire autre chose qu'une simple organisation internationale.
L'absence de limites temporelles dans cet accord indique ainsi une volonté nette de faire des valeurs communes qui sont à l'origine de la communauté

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un ensemble inaltérable dans le temps121. Les modalités de révision de l'acte commun sont spécifiques également.

Sans reprendre la procédure de l'article 48 UE, les phases et les modalités de la révision traduisent également la volonté des États de verrouiller en
quelque sorte le dispositif mis en place. C'est parce que le projet est commun, d'une nature particulière sur le terrain des finalités, que la procédure de
révision est spécifique. La notion de commun sert ainsi à justifier (ou comprendre) les mécanismes ainsi conçus. L'argument selon lequel il existerait
une méta procédure de révision fondée sur le droit international général ne nous paraît pas justifiée. D'une part, en raison même de la nature
communautaire de la convention, de son objet identitaire particulier qui la fait échapper à ces règles du droit international, mais aussi en raison d'un
argument logique tiré du droit. En effet, le principe pacta sunt servanda signifie que l'accord entre les États sur une procédure de révision formalisée est
obligatoire pour eux. Or, admettre qu'ils pourraient se passer de cette procédure, au motif que leur accord unanime est suffisant, revient à priver de
toute portée ledit principe ou, pour le moins, à soutenir qu'il est une chose et son contraire122 tout à la fois.

c. Le critère matériel
Pour les civilistes, le critère matériel est déterminant. Il est la preuve de la communauté de vie, sa manifestation tangible et quotidienne. La résidence,
notamment, constitue un élément de cette preuve. Vivre en commun, en effet, et par définition, suppose que l'on partage le même lieu, le même
endroit123.

La matérialité du « commun » peut prendre des formes diverses s'agissant de l'Europe. Les aspects les plus emblématiques sont à rechercher dans
l'organisation administrative (ministérielle) et législative de la France depuis une dizaine d'année124. La réorganisation récente du SGCI, dénommé
SGAE en 2005125, constitue un aspects très intéressant d'adaptation des structures de décisions nationales au cadre communautaire. Dans cette
optique, doit être rappelé le rôle déterminant que joue à Bruxelles la Représentation permanente de la France126 pour la conception, la préparation et
la mise en oeuvre des actions communautaires. Doit être ajouté au tableau les résolutions parlementaires de l'article 88-4 de la Constitution si l'on veut
être un peu plus précis encore.

Or, ces adaptations technico-administratives, dont la portée et la profondeur dans les habitus sont connues, ne peuvent être regardées comme de
simples ajustements qui auraient été contraints. Elles sont les manifestations tangibles et incontestables de ce que le commun peut produire d'un
point de vue matériel, pratique, en plus d'être la preuve que la France vit et veut vivre avec cette Europe communautaire.

d. Le critère substantiel ou « novationnel » 127


Il s'agit de loin du critère le plus important, tant sa portée juridique est décisive dans la démonstration. Sur un plan terminologique, la doctrine
privatiste ne recourt pas à ces termes. Dans son analyse de la communauté de vie, elle relève néanmoins qu'elle est à la fois contrat et institution. Mais il
s'agit d'un contrat très particulier, puisqu'il va modifier l'état des personnes au profit de l'institution elle-même. Autrement dit, le mariage, puisque c'est
de lui qu'il s'agit, est institution, dispositif singulier ou en soi, ne peut avoir d'existence juridique qu'à la faveur d'un contrat d'un genre particulier qui, à
la fois, asseoit dans sa réalité l'institution, et modifie en conséquence la situation juridique des cocontractants.

Pour ce qui nous concerne, car il faut bien trouver un terme évocateur, l'adjectif substantiel nous paraît intéressant en ce sens qu'avec ce dernier critère
c'est la substance même du commun que l'on parvient à atteindre, notamment dans sa dimension juridique. Autrement dit, c'est cette substance
juridique, dont la particularité est telle, qui fonde la notion de commun.

Si l'on affine le propos, et si l'on cherche à le juridiciser, nous allons constater que le commun, les exigences et les conséquences induites de la
communauté de vie (quelle qu'elles soient) provoquent un changement de statut des membres, des personnes. Leur état, si l'on reprend la
terminologie juridique, s'en trouve « substantiellement » modifié. En clair, la création de la communauté, projection institutionnalisée du commun,
dotée de la personnalité juridique, d'une existence et d'une autonomie distincte de ses membres provoquent une altération du statut, des
compétences, des fonctions de ces derniers. Partant, mais avec des précautions qu'il convient de prendre, il n'est pas incongru de parler alors de
novation, ou de critère novationnel, afin d'illustrer la dynamique du processus de projection/modification qu'implique nécessairement la notion de
commun.

Rappelons qu'une novation, au sens strict, est une convention par laquelle une obligation est éteinte et remplacée par une obligation nouvelle. En vertu
de l'article 1271 du code civil, La novation s'opère de trois manières : « 1o Lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est
substituée à l'ancienne, laquelle est éteinte ; 2o Lorsqu'un nouveau débiteur est substitué à l'ancien qui est déchargé par le créancier ; 3o Lorsque, par
l'effet d'un nouvel engagement, un nouveau créancier est substitué à l'ancien, envers lequel le débiteur se trouve déchargé ». Et l'article 1273 d'ajouter,
que « La novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte ».

Au sens propre du terme, on ne peut pas prétendre juridiquement que le commun procède ou produit une novation. Toutefois, quelques éléments de
cette définition peuvent être retenus afin, par facilité il est vrai, d'expliciter notre dernier critère. Ce qui doit être valorisé ici est cette idée
d'extinction/création d'obligations juridiques par voie conventionnelle. Nous parlerons plus volontiers, et c'est sur ce point que l'adaptation s'opère,
d'extinction et d'adaptation/création juridiques lato sensu par voie conventionnelle. La notion d'obligation est trop spécifique pour qu'elle soit utilisée
sans précaution.

Ce quatrième critère que l'on analyse à travers le prisme de la notion de novation (adaptée il est vrai) ne constitue pas une découverte en soi. En effet,
nous pourrions rappeler que l'acte qui est à l'origine des groupements communautaires est de nature conventionnelle. Or, il faut se rappeler que
Charles Eisenmann, dans son cours de droit administratif de 1956, caractérisait les contrats de la manière suivante : « les co-auteurs d'une convention ou
contrat règlent _ au moins d'abord _ leurs relations mutuelles sur un certain point ; ils créent des normes qui sont faites pour eux mêmes ; en même
temps que créateurs de normes, ils en sont les sujets, les "adressataires"128 ».

La production du contrat ou de la convention est donc à la fois acte de création de normes et de sujets de droit nouveaux (organisation internationales,
EPCI...). Mais elle est aussi acte de limitation des obligations, ou, pour le moins, d'encadrement de ces dernières entre les parties129. C'est cette nature
ambivalente du contrat qui contient en germe la notion de commun et la problématique générale du commun. Contracter, en effet, revient à mettre en
commun, à accepter des limites dans un cadre juridique nouveau : le cadre conventionnel précisément. Pour vivre heureux, vivons caché [et libre]... dit
le poète130. Vivre en collectivité, mettre en commun, n'est plus vivre juridiquement libre dirait sans doute le juriste...

De la sorte, et ce qui va suivre découle de la simple analyse sémantique du mot, de ce qu'il implique au plus profond de lui même, le « commun »
provoque une altération du statut juridique des membres qui constituent toute communauté. Tout regroupement communautaire produit une
modification des fonctions, des compétences des membres au profit du groupement lui même. La perte des uns est le gain de l'autre. La
personnalisation juridique d'une communauté (européenne, EPCI...) atteint ou limite le statut juridique de ses membres. C'est un fait incontestable qui
tient à la nature même du processus. La création d'un nouveau sujet de droit dénommé communauté, et dont on est partie, modifie substantiellement
les droits individuels de chacun des membres au profit de cette communauté. Mais ce changement ne saurait s'analyser à tout coup en une perte,
consécutive par exemple à un transfert de compétence. D'ailleurs, nous le relèverons plus bas, la question du transfert des compétences ne peut
s'analyser en termes de dessaisissement complet des compétences. Il y a en effet, dans le cadre communautaire, un principe de réappropriation de ces
compétences qui confine en réalité à un type d'aménagement ou d'exercice du pouvoir normatif étatique.

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Dès lors, et l'étude attentive des phénomènes communautaires ne peut le démentir, que ce soient les membres de la communauté européenne, il est
clair que les aménagements de compétences constituent le coeur de la problématique, et en même temps la principale source des difficultés
politiques et juridiques. Tout se résume à cette délicate conciliation entre les contraintes induites par l'appartenance à une structure communautaire,
et la préservation de l'état des personnes morales membres. Par la suite, le degré de ces contraintes (vote à la majorité qualifiée par exemple), n'a que
peu d'incidence sur le fond. Ce n'est pas tant que l'étendue des compétences attribuées qui est ici en jeu, que l'existence d'une modification ou d'une
altération dans la mise en oeuvre de ces compétences.

B. _ Signification didactique du « commun »


Si la notion de commun est formulable, à quoi peut-elle être utile en définitive ? Quelle peut bien être sa portée ? Au stade de ces développements, une
tentative de synthèse doit d'abord être opérée (1), pour tenter ensuite une prospection disciplinaire (2).

1. Éléments de synthèse
Quatre critères seraient donc nécessaires pour circonscrire la notion de commun : un intentionnel, un formel, un matériel et un substantiel. Mais c'est ce
dernier qui est nécessaire, pour ne pas dire suffisant, pour fonder la notion. Autrement dit, c'est l'altération des compétences juridiques attribuées à un
sujet de droit, que ce soit l'État dans le contexte européen, ou les collectivités dans le cadre des EPCI, qui constitue le paramètre déterminant. Si remise
en cause de ses compétences il y a, si aménagement de leur exercice il y a également, alors nous sommes en présence d'un processus communautaire,
d'une manifestation juridique de la notion de commun. Ce qui est ici en jeu, c'est une affectation131 des compétences juridiques détenues par leurs
titulaires, une atteinte dans les modalités d'exercice de ces dernières.

Cette atteinte, vue sous un angle finaliste, est la notion qui permet d'appréhender les processus de regroupement ou d'association de sujets de droit
ayant conventionnellement décidé d'exercer sur une mode spécifique et partagé des compétences normatives qu'ils détiennent à titre originaire. La
notion de commun a ainsi pour fonction de comprendre et d'évaluer sur un plan juridique les mécanismes d'exercice collectif du pouvoir. Elle est une
manière de comprendre sous un jour nouveau des modes de formation du droit et d'exercice de compétence que le droit international public, ou le
droit constitutionnel ou administratif, peinent parfois à circonscrire.

La notion de commun repose sur un principe fondamental qui est précisément le « commun », ce que partage en commun les membres d'un
groupement. C'est en fait le catalyseur de la notion. C'est parce qu'il y a quelque chose de commun à partager, quelque chose de constatable d'ailleurs
sur un plan factuel (histoire, faits, économie, principes, valeurs...), que peut naître l'idée et le besoin d'exercer en commun un pouvoir normatif et
politique prenant pour assise ces « points communs ». Le commun constituerait ainsi la légitimité des processus communautaires (de la Communauté
européenne en particulier).

Si l'on revient sur l'enchaînement des critères, nous pouvons formuler l'équation suivante. La notion de commun est constituée si, par un acte de
volonté (critère intentionnel), manifesté dans un cadre conventionnel (critère formel), on assiste à une altération des compétences normatives
originaires des membres du groupement (critère substantiel), accompagnée d'un aménagement des modes d'exercice des compétences (critère
matériel), nécessaire au bon fonctionnement de la communauté qui en résulte. Autant dire que ces critères sont cumulatifs, même si le centre de
gravité du dispositif est à rechercher du côté du critère substantiel.

Partant, ce que l'on peut assigner à une notion, c'est d'aider l'observateur à comprendre l'environnement juridique dans lequel il évolue, et dans lequel
les sujets de droit, les notions, elles-mêmes évoluent. Dans ce registre, nous parions sur la capacité que peut avoir la notion de commun pour
comprendre les processus d'association de collectivités, étatiques ou non, qui, en raison de leur singularité, ne peuvent pas ou plus être saisis par les
critères des disciplines juridiques habituels sans procéder dans le même temps à des adaptations de ces disciplines parfois contestables. La notion de
commun peut ainsi constituer un point d'appui intéressant pour renouveler certains cadres analytiques.

Le principe de primauté, à titre d'exemple, a pour vocation de régler la question des relations entre des normes appartenant à des systèmes juridiques
distincts. Il s'agit d'une préoccupation ancienne et traditionnelle du droit international, car elle permet à celui-ci de se déployer dans les ordres
juridiques nationaux. Très tôt, il sera ainsi admis qu'« un traité est supérieur à la Constitution. La législation de la République doit s'adapter au traité,
non le traité à la loi132 »

Or, dans sa décision Costa c. ENEL du 15 juillet 1964, la Cour de justice ne dit pas autre chose sur le principe même de primauté. Mais la nuance de taille
qu'elle apporte toutefois réside dans l'opération de différenciation qu'elle effectue entre les traités communautaires et les conventions internationales
classiques. Pour elle, « le droit né des traités [communautaires] ne peut, en raison de sa nature spécifique originale se voir judiciairement opposer un
texte interne quel qu'il soit sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même ».

Cette différenciation, et partant l'affirmation d'une primauté « autonome », c'est-à-dire intrinsèque à l'ordre juridique nouvellement créé, est fondée à
plusieurs titres. Tout d'abord, les traités n'instaurent pas que des obligations réciproques entre les États, mais attribuent des droits directement au
profit des personnes physiques ou morales. Ensuite, les membres de la Communauté ont procédé à des attributions de compétences étendues, tant sur
un plan matériel (marché intérieur, agriculture...), que sur un plan institutionnel (prise de décision à la majorité qualifiée). Ce faisant, les États sont
devenus incompétents pour légiférer dans les domaines couverts par les traités. Enfin, et c'est le plus important, la Cour a très bien montré les
implications de la notion même de communauté comme fondement principiel de la primauté communautaire.

Car, lorsque la Cour affirme que si le droit communautaire se voit opposer une norme interne, « c'est la base juridique de la Communauté elle même »
qui est remise en cause, elle ne fait que tirer les conséquences de la portée normative du terme « communauté ». En effet, une communauté est le
produit d'une autolimitation des droits de ses membres à son profit. Or, il n'est pas de droit commun(autaire) sans que les membres ne s'abstiennent de
lui porter atteinte de quelque manière que ce soit. Cette évidence logique, très bien comprise en droit privé au demeurant (art. 214, C. civ., relatif à la
communauté de vie), fonde à elle seule et en grande partie le principe de primauté.

Sous un autre angle, ce dernier n'est que le moyen juridique assurant l'effectivité de l'exercice en commun librement consenti de compétences
étatiques attribuées à un sujet de droit (la Communauté) distinct de ses membres. Les États, autrement dit, non plus la compétence pour agir dans un
domaine couvert par le droit communautaire (dont ils sont au passage les auteurs). C'est donc le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte
(incompétence des États) qui constitue ici le fondement de la primauté. La question de la hiérarchie des normes doit être entendue comme le
révélateur de cette incompétence, pas le fondement.

Sur le terrain des compétences communautaires, quelques remarques articulées autour de la notion de commun permettront de tenter de saisir la «
vertu » didactique de cette dernière. Parmi les arguments avancés par les détracteurs de l'Union, et en particulier de la Communauté, figurent ceux
appuyés sur les abandons ou les transferts de souveraineté auxquels aurait consenti la France. Tout d'abord, il nous semble que les termes transfert et
abandon sont en définitive synonymes, car l'un et l'autre impliquent l'idée de renoncement à cette souveraineté (abandon), avec toutefois une
attribution de cette souveraineté à la Communauté (transfert). Sans revenir sur cette distinction classique et infondée133, on sait que tout l'enjeu
politique et juridique qui conditionne l'existence de la Communauté elle-même se situe sur le terrain des compétences.

Mais là non plus point de transferts ou d'abandon au profit de la Communauté. Il convient de bien clarifier les données. Les abandons de compétences

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que l'on peut relever, notamment en matière de douane (abolition des droits et des restrictions), ne sont pas spécifiques aux communautés. Une
convention commerciale ou douanière « ordinaire » peut parfaitement l'organiser (dans le cadre de l'OMC par exemple). Ce qui est spécifique aux
Communautés, c'est tout le dispositif de compétences partagées et exclusives. En effet, dans ce cas de figure, c'est bien la CE, sujet de droit
international distinct des membres qui la composent, qui est titulaire en tout ou partie d'un volant de compétences attribuées par les États. Dès lors,
mais superficiellement, il est juridiquement tenable de soutenir que les États ont abandonné des chefs de compétence, car la réglementation
communautaire est imputable non plus à eux, mais bien à la Communauté.

Toutefois, cet argument juridique dont la validité est effectivement incontestable, fait un peu trop rapidement l'économie de la procédure
d'élaboration des actes de la Communauté. Or, ce sont les États qui, de la proposition134 à l'adoption des règlements et directives, ont l'entière maîtrise
du dispositif. Nous n'abordons même pas toute la phase « sub-Bruxelles » qui se déroule entre les administrations nationales et les représentations
permanentes, qui sont autant d'éclatantes illustrations de cette maîtrise étatique. De la sorte, soutenir que les États ont abandonné ou transféré leurs
compétences au profit de la Communauté revient non seulement à nier la réalité politico-administrative du processus décisionnel135, mais surtout à
faire l'impasse sur l'idée même de communauté. Or, cette dernière repose sur un mode d'exercice des compétences étatiques beaucoup plus profond
que ne le laissent supposer les apparences, et que la notion de commun peut appréhender en très grande partie.

Ce qui est ici en jeu, c'est la notion même de commun appliquée aux compétences communautaires. Autrement dit, ladite notion est apte à
appréhender des modalités complexes de mise en oeuvre de compétences étatiques. Et dans cette perspective, il est incontestable que les États
membres n'ont pas perdu ou renoncé aux compétences qu'ils détenaient antérieurement aux traités. Ce qui se produit, c'est qu'ils exercent dorénavant
ces mêmes compétences communautairement, à plusieurs. De là à soutenir que la Communauté est un « accélérateur » ou un « propulseur » de
compétences il n'y a qu'un pas (que nous ne franchirons pas). En effet, lorsqu'un État agit avec ses partenaires, ses choix politiques et décisions auront
une portée territoriale et personnelle (personnes physiques et morales concernées) évidemment plus importante que s'il agissait seul. La notion de
commun, parce qu'elle repose sur celle de partage, permet ainsi de bien mesurer le fait que les États ne sont pas dépossédés de leurs compétences,
mais qu'au contraire ils les récupèrent pour les exercer selon des procédés inédits : « l'exercice en commun de compétences » (art. 88-1, C.).

Cependant, à moins d'être totalement naïf, la réalité du pouvoir politique impose de nuancer cette idée de récupération/réappropriation des
compétences. Car dans une communauté de 27 membres, les tensions politiques, les enjeux, les stratégies des uns et des autres sont telles, que chacun
des membres est tenu de composer avec les exigences des différents partenaires. Or, sans revenir sur ce qui a déjà été dit, le commun,
consubstantiellement, implique précisément l'acceptation de ces exigences.

Sur le fond, cette forme inédite d'exercice des compétences semble parfois difficile à admettre, lorsque l'idée même du pouvoir est fondée comme en
France sur la notion de hiérarchie, d'unité et partant de verticalité. Or, dans les structures communautaires (européenne ou intercommunale), le pouvoir
repose davantage sur une conception horizontale dans laquelle les facteurs « négociations », « réseaux », « évaluation », « étalonnage », etc. occupent
une place déterminante, et dans laquelle négocier n'est pas « abdiquer », ou encore consentir à un accord se compromettre. Cette « culture » du
pouvoir commun, pour des raisons historiques et culturelles, ne relève pas des catégories habituelles de la vision française _ absolutiste et souverainiste
_ du pouvoir. La formation de nos élites étatiques ne contribue d'ailleurs pas à l'affranchissement de cette vision unitariste et exclusive de l'action
politique et juridique.

2. Éléments de prospection
Sans prétendre que la notion de commun constituerait le moyen salvateur permettant de se départir de cet héritage trop lourd car fortement
structurant, il n'en demeure pas moins qu'il peut être exploré pour tenter de circonscrire et d'expliciter ce procédé contemporain d'exercice commun
des compétences étatiques qui vient compléter les modes unilatéraux et conventionnels d'action normative.

Mais à peine cette idée est-elle lancée, que l'on se heurte à une difficulté déjà rencontrée plus haut : celle de la construction de nouvelles théories (ou
notions). En effet, les concepts du droit existants ne se laissent pas « dépasser » ou surclasser aussi aisément. Quand bien même la notion de commun
reposerait sur des critères indentificateurs précis, encore faut-il s'assurer que les notions actuelles du droit ne sont pas en mesure d'aboutir, en
définitive, au même résultat. Ainsi, s'agissant du principe de discrimination positive, les administrativistes peuvent répliquer que la jurisprudence du
Conseil d'État relative au principe d'égalité conduit sensiblement à des solutions identiques136. Pareillement, la récente décision KPMG137 du Conseil
d'État ne consacre-t-elle pas davantage l'obligation d'édicter des mesures transitoires comme instrument de la protection des situations juridiques
constituées, que la notion (germano-communautaire) de sécurité juridique138 ?

Pour ce qui nous concerne, le commun entendu à la fois comme mode contemporain d'exercice des compétences étatiques (internes ou
internationales), et comme procédé de compréhension de l'Union européenne, aura peut-être du mal à s'imposer comme notion autonome, distincte
et constitutive de régimes spécifiques. Pourtant, l'enjeu est doublement de taille.

D'une part, pour le droit communautaire139, cette notion peut permettre de consolider les analyses relatives à la qualification juridique de la
Communauté européenne en les sortant des études traditionnelles qui gravitent autour des concepts de fédéralisme, d'organisation internationale, de
post-nationalisme, etc. D'autre part, pour le droit public lui-même, dans la mesure où la notion de commun ne se borne pas à la seule sphère
européenne, elle peut constituer un moyen de renouveler certaines grilles d'analyse et d'explorer la capacité qu'a la doctrine à s'aventurer sur des terres
théoriques nouvelles.

Sur ce point toutefois, les difficultés à surmonter nous paraissent nombreuses. Parmi celles-ci, la capacité à renouveler le vocabulaire juridique, dont on
sait qu'il est porteur de sens et partant de notion, peut constituer un obstacle important à franchir, pour ne pas dire rédhibitoire. En effet, par tradition,
et parce qu'il s'agit de nos outils mentaux ou de nos matériaux conceptuels « quotidiens » acquis au prix d'un effort de longue haleine, le vocabulaire
juridique et les notions qui en découlent restent profondément enracinés dans les esprits, les pratiques et les réflexes intellectuels. En outre, et c'est ici
que réside leur force et donc leur pérennité, ils ont largement fait la preuve de leur « efficacité ». Sortir de ces schémas élaborés, aboutis, est difficile ;
surtout s'il s'agit de les quitter pour leur préférer des termes et des concepts neufs qui devront « faire leur preuve ». Aussi, l'adaptation de ce vocabulaire
habituel et de ces notions à la réalité du temps et des changements s'effectuera-t-elle au prix d'une extension de ces concepts, d'un étirement de ces
notions ; preuve s'il en est encore une fois, que leur plasticité constitue une puissant levier de compréhension du droit.

Mais ces étirements n'ont-ils pas leurs limites ? Le point de rupture n'est-il pas parfois atteint lorsque, de manière obstinée, certains termes et notions
continuent d'être employés alors qu'il serait peut-être utile, pour le droit lui-même, de les reconsidérer, de les redéfinir lexicalement ? À cet égard, dans
un registre autre que celui qui nous a retenu, il est frappant de voir comment le terme contrôle de « conventionnalité », apparu surtout dans les années
quatre-vingts dans la doctrine administrativiste, a d'abord été jugé comme un doux barbarisme, un néologisme bien regrettable, car en partie
dérangeant pour l'oreille. Porteur néanmoins de sens, constitutif d'un type de contrôle spécifique de normes parfaitement identifiées, ce terme est d'un
usage tellement courant aujourd'hui, que l'idée même de revenir sur ce qu'il signifie peut sembler bien incongrue. Or, les évolutions récentes de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel140, ainsi que la pratique des contrôles normatifs exercés par les juridictions ordinaires mettant en cause le
droit dérivé, nous a laissé un temps penser que l'expression contrôle de « dérivélité » des actes internes pouvait être admise141. En effet, plusieurs motifs
conduisent à penser que ce dernier terme est opératoire.

Par analogie, lorsque c'est la constitution, une convention ou une loi qui sont les normes de référence de l'examen internormatif, les expressions

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contrôle de constitutionnalité, de conventionnalité et de légalité sont parfaitement admises. Pourquoi, de prime abord, n'en n'irait-il pas ainsi pour le
contrôle de dérivélité, dès lors que l'acte référant en cause est un acte de droit dérivé ? Continuer à employer par facilité ou conservatisme l'expression
contrôle de conventionnalité lorsqu'on est en présence de droit dérivé communautaire ne nous semble pas pertinent. D'autant moins pertinent que,
sur le fond, la nature du contrôle exercé par les juges internes n'est pas la même que dans les autres cas. En outre, les obligations auxquelles ils sont
soumis vis-à-vis de ce droit sont également différentes (principe de primauté, procédure en manquement...). Enfin, du moins s'agissant du Conseil
constitutionnel, le fondement de son contrôle des lois nationales au regard des directives est l'article 88-1142, et non l'article 55. Si ce dernier avait été
choisi, très à la marge aurait été admise l'hypothèse d'un contrôle de conventionnalité. Or, comme tel n'est pas le cas, à moins de procéder à des
amalgames ou des approximations juridiques regrettables, rien ne milite en faveur du maintien de l'expression « contrôle de conventionnalité » pour
désigner un type de contrôle qui lui est distinct, puisqu'est en cause un acte de droit dérivé.

Cette dernière remarque est finalement assez instructive sur la difficulté qu'il peut y avoir à proposer une terminologie juridique nouvelle, afin de saisir
la ou les réalités changeantes du droit et des systèmes juridiques. Pourtant, n'y a-t-il pas un réel besoin de recourir à des catégories juridiques nouvelles,
nous n'oserons pas dire modern(isées), pour appréhender sur le fondement de schémas conceptuels renouvelés la ou les visions de certains champs de
notre discipline ? Parions que la notion de commun permettra de lancer cette vaste réflexion pour le droit communautaire au moins.

Montrichard, le 1 er mars 2007

1 – (*) Cette étude est la version approfondie d'une communication présentée lors du colloque organisé le 15 décembre 2007 par le CEDIN-Paris 13
(Centre de droit international de l'Université Paris 13) : « Le commun dans l'Union européenne ».
2 – (1) On se reportera à ce titre au discours prononcé par la Chancelière allemande le 25 mars 2007 (http://www.eu2007.de/fr/).
3 – (2) Voir cependant la contribution de la Commission européenne qui, sans surprise, recommande instamment aux États de mener parallèlement à
l'élargissement un véritable approfondissement institutionnel. Communication de la commission au parlement européen et au conseil. Stratégie
d'élargissement et principaux défis 2006-2007 sur la capacité de l'UE à intégrer de nouveaux membres, 8 nov. 2006, COM(2006) 649 final.
4 – (3) Partis pris disciplinaire également.
5 – (4) Les articles 6 et 7, UE relatifs aux principes de l'Union et à leur sanction, ainsi que celui relatif à la coopération loyale, ou encore à la primauté
forment ces règles transversales structurantes. V. J. ROUX, Droit général de l'Union européenne, Litec, 2006, notamment p. 35 et s.
6 – (5) On pensera particulièrement à l'article 47 UE dont l'objet de rendre le premier pilier « imprenable », par la mise en oeuvre des compétences qui
seraient exercées dans le cadre des deux autres. Pour une illustration jurisprudentielle particulièrement significative, CJCE, 13 septembre 2005,
Commission des Communautés européennes c. Conseil de l'Union européenne, aff. C-176/03, Rec. I-7879. P.-Y. Monjal, « L'annulation de la décision-cadre
du conseil de l'Union européenne relative à la protection de l'environnement par le droit pénal : la reconnaissance d'une compétence pénale
communautaire « instrumentaire », Recueil Dalloz, p. 3064 _ décembre 2005.
7 – (6) Notamment pour les communautaristes.
8 – (7) J.-A. MAZÈRES, « Qu'est-ce que la puissance publique ? », in La puissance publique à l'heure européenne, Actes du colloque de Toulouse de
septembre 2005, Dalloz, 2006, p. 9 et s., notamment p. 12 à 16. La démarche suggérée par le Professeur Mazères servira d'ailleurs de fil conducteur pour
certains de nos développements. Ch. DENIZEAU, L'idée de puissance publique à l'épreuve de l'Union européenne, LGDJ, coll. Bibl. de droit public, tome
239, 2004.
9 – (8) Il s'agirait d'une approche globale, un niveau d'analyse molaire (un tout), dont on pense qu'il n'est pas atteint.
10 – (9) L'approche est ici, et dans ce cas, moléculaire.
11 – (10) Communauté, communautaire, communautarisation, communautarisme...
12 – (11) Voir à ce propos la manière dont la notion de subsidiarité, pourtant chevillée au droit communautaire, a fait son intrusion dans le droit de la
décentralisation (art. 72, Const.). E. AUBIN, Droit de la décentralisation, Gualino éditeur, 2006. P.-Y. MONJAL, Le droit communautaire applicable aux
collectivités territoriales, Territorial éditions, 2006.
13 – (12) Plus loin, nous verrons que notre propos s'inscrit dans une démarche de type phénoménologique qui donne à construire ce que la conscience
peut appréhender en tant que phénomène extérieur à elle. En philosophie, cette méthode cherche à découvrir l'essence absolue des êtres et les
structures transcendantes de la conscience.
14 – (13) Le terme commun lui-même, et les dérivés (communauté, communautaire...) construit à partir de ce terme.
15 – (14) On rappellera qu'il y eut neuf versions de la Déclaration entre le 17 avril et le 6 mai 1950.
16 – (15) Soit un pourcentage de 1,44 (rapport entre le nombre de fois où le terme commun et ses dérivés sont employés et le nombre total de mots
utilisés).
17 – (16) Dans les expressions suivantes : mise en commun et commun accord.
18 – (17) Le terme communautaire n'est pas présent dans la Déclaration.
19 – (18) Marché commun, intérêt commun, commun accord...
20 – (19) Soit un emploi du mot commun qui n'excède pas 0,2 % de l'ensemble des termes utilisés dans le traité.
21 – (20) Seulement 26 fois en effet (effort commun, commun accord, Centre commun...), car en pourcentage, comparé au traité de Paris, cela
représente un taux de 0,11 %.
22 – (21) JOCE, 24 déc. 2002, C 325/33 (152 pages).
23 – (22) Soit un pourcentage de 0,13.
24 – (23) Communauté, communautaire, commune...
25 – (24) JOCE, 24 déc. 2002, C 325/164 (47 pages).
26 – (25) Soit un pourcentage de 0,04.
27 – (26) JOUE, 16 déc. 2004, C 310 (474 pages).
28 – (27) La juristique, très peu connue et développée en droit public est davantage connu sous le nom du linguistique juridique. Il s'agit d'une
discipline qui cherche à comprendre les mots du droit et révéler leur sens, sinon caché, du moins systémique en regard de leur emploi, de leur
environnement, de leur origine, etc. Voir. G. CORNU, Linguistique juridique, Montchrestien, Domat, Droit privé, 2005.
29 – (28) Sans recenser ici tous les ouvrages consultés en la matière, on relèvera que dans les manuels principaux et de référence, cette notion n'est pas
abordée : G. ISAAC et J.-M. BLANQUET, Droit général de l'Union européenne, Sirey, 2006. Cet auteur (G. Isaac) est tout de même l'un des premiers à avoir
traité frontalement la question de la nature juridique des communautés en fin d'ouvrage en recourant au concept assez novateur de pouvoir public
commun. Voir infra. Cl. BLUMANN et L. DUBOUIS, Droit institutionnel de l'Union européenne, Litec, 2005. J. Roux, Droit général de l'Union européenne,
Litec, 2006.
30 – (29) Pour autant, l'explicitation du terme commun n'est pas effectuée. D. SIMON, Le système juridique communautaire, PUF, 2001, notamment p.
84 et s. Du même auteur, « L'intérêt général national vu par les droits européens », Colloque du 6 octobre 2006, Cahiers du Conseil constitutionnel, à
paraître.
31 – (30) Le pourcentage est de 0,5 pour le TCE, alors qu'il est de 0,91 pour le traité CE par exemple.
32 – (31) Si l'on admet que le principe d'unification n'est pas aussi fort en termes à la fois institutionnel et politique que la communautarisation.
33 – (32) Commun, commune...
o
34 – (33) J. BOULOUIS, Grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, première édition, n 37. Dalloz.
35 – (34) Le professeur H. LESGUILLONS, dans sa thèse parue en 1968, Application d'un traité fondation, s'interroge longuement sur la spécificité du
processus communautaire comme constitutif d'une variété de traités au sein du droit international.
36 – (35) CJCE, 7 févr. 1973, Commission c. Italie, aff. 39/72, Rec., p. 101.
37 – (36) Et l'auteur de rappeler que cela n'eut pas été le rôle de la Cour de justice, au regard de sa mission générale qui est de dire le droit, que de
qualifier la Communauté européenne en se fondant sur les grilles d'analyses fédérales ou confédérales. Voir toutefois les conclusions de l'Avocat

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général Lagrange dans la décision de la CJCE du 29 nov. 1956, Fédération charbonnière de Belgique, aff. 8/55, Rec., p. 291.
38 – (37) Les thèmes en question sont d'ordre fonctionnel, normatif et institutionnel.
39 – (38) CJCE, 13 juin 1958, Hts fourneaux de Chasse, aff. 15/57, Rec., p. 157.
40 – (39) G. Isaac et J.-M. Blanquet, préc., notamment p. 474-475. À notre connaissance, c'est le seul ouvrage récent qui y fait mention.
41 – (40) À notre connaissance, ce n'est pas Carl Friedrich Ophüls qui est le représentant de l'Allemagne en 1950-1951 lors de la rédaction du traité CECA,
mais le juriste universitaire Walter Hallstein.
42 – (41) Pour un approfondissement et une systématisation de ces remarques, on se reportera à l'étude particulièrement éclairante de J. MOLINIER, « La
notion de pouvoir public commun et la nature des communautés », Mélanges Guy Isaac, PUSST, p. 191 et s. P.-Y. Monjal, « La nature juridique de l'Union
européenne : en attendant Godot », LPA, no 57, 1995, p. 16 et s.
o
43 – (42) Voir la liste des plénipotentiaires dans le Protocole (n B) sur le statut de la Cour de justice de la Communauté européenne en date du 25 mars
1957.
44 – (43) P. REUTER, Institutions internationales, Thémis, 1956.
45 – (44) Catégories systématisées aux pages 294 et s., et qui constitueront le cadre d'analyse classique en droit international.
46 – (45) P. REUTER, La Communauté européenne du Charbon et de l'acier, LGDJ, 1953.
47 – (46) Notamment p. 244 et 417 de l'ouvrage de 1956.
48 – (47) Notamment dans les travaux du Professeur Lesguillons, préc., et du Professeur V. Constantinesco.
49 – (48) P. REUTER, Organisations européennes, Thémis, 1965.
50 – (49) Le même constat s'impose à la lecture de l'ouvrage de L. de Sainte Lorette, L'idée d'union fédérale européenne, Armand colin 1954, pourtant
majeur à l'époque et qui fera ultérieurement école (on pense ici aux travaux du Professeur GERBET, La construction de l'Europe, Imprimerie nationale,
1994). Même si l'auteur souligne à la page 169 qu'il convient de « noter le mot communauté », sous entendu comme élément de spécificité de la
Déclaration Schumann et de la CECA, aucune autre allusion n'est fait à une quelconque notion de commun.
51 – (50) Notamment p. 194 et s.
52 – (51) Même si cette qualification ne semble pas tout à fait adaptée à la définition classique généralement retenue. C'est davantage sur le terrain de
l'union réelle que se situerait l'analyse : une union fonctionnant grâce à des organes communs (Conseil, Commission...). p. 177 et s.
53 – (52) Président du Conseil.
54 – (53) Chef de cabinet du Président du Conseil. Alexis Léger est également connu sous le nom de Saint John Perse, poète français et Prix Nobel de
littérature en 1960.
55 – (54) Comme le rappelle M. Duverger, L'Europe dans tous ses États, PUF, 1995, notamment p. 20.
56 – (55) Jean MONNET, Mémoires, Fayard, 1976, p. 196 et s.
57 – (56) Conseiller économique et financier de Jean Monnet. P. URI, Penser pour l'action : Un fondateur de l'Europe. Paris, Odile Jacob, 1991.
58 – (57) Après un détour à l'école de formation des cadres du régime de Vichy d'Uriage (Isère).
59 – (58) Jean Monnet, Etienne Hirsch et Paul Reuter.
60 – (59) P. Uri, ouv. préc., notamment p. 188.
61 – (60) Jean Monnet reprocha à ses collaborateurs de ne pas y avoir pensé eux-mêmes.
62 – (61) Voir le site ENA préc., dans lequel les sources historiques et les documents foisonnent sur ces questions.
63 – (62) C'est le philosophe B. Spinoza qui a certainement éclairé le mieux le concept de commun dans ses écrits politiques sur la notion de citoyen.
Dans son Traité politique de 1677, il exposera notamment l'idée que « l'intérêt commun apparaît comme une fusion de l'intérêt propre du citoyen et de
l'intérêt propre de l'État ». L'intérêt commun chez le célèbre philosophe portugais est réaliste et non idéaliste comme chez Rousseau. V. P.-F. Moreau,
Spinoza et le spinozisme, PUF, Que sais-je ?, 2003.
64 – (63) Article 7 UE relatif aux mécanismes de sanction contre les États membres qui violeraient les principes de l'Union définis dans l'article
précédent. P.-Y. Monjal, « La fonction "constatatoire" de risque de manquement aux principes de l'Union dévolue au Conseil des ministres : Du dilatoire
et de l'aléatoire dans l'article 7 § 1, UE du traité de Nice », LPA, no 114, 8. 06. 2004.
65 – (64) D. SIMON, « L'intérêt général national vu par les droits européens », préc.
66 – (65) D. SIMON, « Les fondements de l'autonomie du droit communautaire », in Droit international et droit communautaire : Perspectives nouvelles,
Colloque SFDI, 2000, p. 209 et s.
67 – (66) Voir les deux thèses principales sur ce sujet, K. BOSKOVITS, Le juge communautaire et l'articulation des compétences normatives entre la
Communauté européenne et ses États membres, Bruylant, 1999. V. MICHEL, Recherches sur les compétences de la Communauté, L'Harmattan, 2004.
68 – (67) Pour une synthèse récente et particulièrement bien construite, V. Michel, « Les compétences externes implicites : continuité jurisprudentielle
et clarification méthodologique », Europe, Étude, 2006/10, p. 4 et s.
69 – (68) N'abordons pas ici la question de savoir si cette compétence interne a dû être exercée préalablement : CJCE, 14 juillet 1976, Kramer, aff. 3, 4 et
6/76, Rec. p. 1279.
70 – (69) CJCE, 31 mars 1971, Commission c. Conseil (AETR), aff. 22/70, Rec. p. 263.
71 – (70) Cette question ne nous retiendra pas ici. Rappelons seulement que la Cour a su à partir des années 90 dissocier ces deux moments
(existence/nature) pour reconnaître dans certains cas des compétences implicites partagées : CJCE, 19 mars 1993, Avis 2/91, Rec. I-1061.
72 – (71) V. Michel, Étude préc., notamment p. 5.
73 – (72) Pour une clarification récente, CJCE, avis 1/03 du 7 février 2007 rendu sur le fondement de l'article 300 § 6 CE relatif à la nouvelle convention de
Lugano réglant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. L'objectif était de remédier
aux divergences de textes existant entre l'ancienne convention de Lugano et celle de Bruxelles.
74 – (73) Étude préc., spéc. p. 5.
75 – (74) En tout cas dans la jurisprudence des années soixante-dix où la Cour ne distinguait pas entre l'existence et la nature des compétences
externes implicites. Les deux questions étaient nécessairement liées l'une à l'autre. Par la suite, la déconnexion se réalisera.
76 – (75) Pour cette dernière distinction juridique, Cl. BLUMANN et L. DUBOUIS, Droit matériel de l'Union européenne, Montchrestien, 2006.
77 – (76) La différence est de taille : les politiques communes appellent une compétence exclusive, alors que les compétences communautaires
appellent des compétences mixtes. Y compris sur ce terrain, la notion de « commun » emporte des conséquences sur le régime des politiques de la
Communauté dans le cadre de l'activation des compétences et de leur nature.
78 – (77) Préc., notamment p. 10.
79 – (78) Gaston Bachelard à propos de ce qu'il appelait la rupture épistémologique, cité par J.-A. Mazères, préc., notamment p. 10 et 11.
80 – (79) J.-A. Mazères, préc., p. 11.
o
81 – (80) R. Latournerie « Sur un lazare juridique, bulletin de santé de la notion de service public... », EDCE 1960, n 14, p. 61. Cet auteur s'interroge en effet,
à propos du service public, sur la nécessité de disposer de notions en droit. Dans le contexte de l'époque, où l'existentialisme juridique cher à B. Chenot
soulevait quelques contestations dans la doctrine, ce retour à l'essence du droit, du moins à ses fondements notionnels, semblait s'imposer.
82 – (81) J. ENGLISH, Le vocabulaire de Husserl, Ellipses, 2002.
83 – (82) Dans cet esprit, on peut convenir que la connaissance est la possession complète de toutes les notions auxquelles un objet peut donner lieu.
84 – (83) Selon Gilles Deleuze, la philosophie se définit comme la création de concepts, et non comme la contemplation passive des choses ou la simple
réflexion.
85 – (84) Selon la théorie des actes de langage, certains énoncés constituent par leur profération ce qu'ils désignent : ce sont des énoncés performatifs.
Or, l'analyse du droit entendue comme langage permet de soutenir qu'il est un discours qui « change le monde ; un changement qui s'opère par la
seule force d'un discours », E. MELLARD, Théorie générale du droit, Connaissance du droit, Dalloz, 2006.
86 – (85) Terme qui en tout état de cause a notre préférence.
87 – (86) Pour une analyse approfondie de la notion de concept en droit, L. WARAT, « Sens commun », in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de
sociologie du droit, LGDJ, 1993, p. 551. Le concept, selon cet auteur, désigne un ensemble complexe de significations, un réseau de signes, un large tissu

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d'écritures infiniment intercalées.
88 – (87) Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, préc.
89 – (88) J. CARBONNIER, Sociologie juridique, PUF, Coll. Thémis.
90 – (89) P. AMSELEK, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, LGDJ, 1964.
91 – (90) A.-J. ARNAUD, Critique de la raison juridique, LGDJ, 1981.
92 – (91) Pour une virulente critique contre les pseudos notions des juristes, leurs prénotions ou leur paralangage fondés sur des théories vaguement
identifiables..., L. Warat, préc., p. 551-552.
93 – (92) On parle aussi de sémiotique du droit ou de sémiologie juridique. E. LANDOWSKI, « Pour une approche sémiotique et narrative du droit, La
recherche en sciences humaines, Paris, CNRS, 1981.
94 – (93) Il convient d'admettre, toutefois, que le dégagement d'une notion procède d'une reconstruction d'éléments existants et observables. Il faut
relever que s'agissant du droit communautaire, les raisons en sont d'ailleurs multiples, l'effort de conceptualisation ou de démonstration de sa juridicité
est à redoubler comparé à des matières « nobles » comme le droit administratif par exemple. Aussi, il n'y a pas d'obstacle rédhibitoire, sur le plan de la
validité scientifique (voir infra), à ne construire qu'une seule et même théorie valable uniquement pour le droit communautaire. Sans reprendre
l'exemple de la notion de service public en droit administratif, qui ne vaut que pour cette matière et qui est par ailleurs inexportable et inadaptable, il
ne fait pourtant aucun doute qu'elle est une théorie en soi. Dès lors, on voit mal ce qui justifierait la remise en cause du statut de théorie à une notion
qui ne serait valable que pour le droit communautaire.
95 – (94) Pour ne pas dire la plus risquée pour celui qui tente de la formuler, tant la réception de la notion et de ses critères constitutifs peuvent faire
l'objet d'opinions divergentes.
96 – (95) Qui sont d'ailleurs à l'origine de la notion elle même.
97 – (96) Il y a selon nous une gradation dans ladite réception. Certainement aussi que la réception par le législateur constituera une sorte de
couronnement du processus. Quant au stade de la réception doctrinale, tout l'enjeu porte ici sur la capacité que peut avoir la doctrine à construire des
notions juridiques. Voir La doctrine juridique, Centre d'histoire du droit et de recherches inter-normatives de Picardie, 1993.
98 – (97) Les prérequis ont été déjà été vus précédemment il s'agit des concepts du droit public, de la démarche suggérée, de la détermination des
mots (infra), etc.
99 – (98) Dict. Littré notamment.
100 – (99) Peu importe les membres qui la composent : personnes physiques ou morales (entreprises, États...).
101 – (100) Le terme propriété est à comprendre ici dans le sens de « caractéristique », et non dans sa conception juridique (la jouissance d'un bien
notamment).
102 – (101) Il convient de noter le caractère péjoratif parfois du terme « communautaire ». En effet, parmi les sens admis du terme, on rencontre celui qui
signifie ce qui est « propre à un groupe de personnes ayant la même appartenance linguistique, culturelle ou sociale ». Or, ce resserrement des liens
entre les membres de la communauté apparaît comme une forme d'atavisme régressif constitutif du communautarisme.
103 – (102) R. GIRAD, Les Origines de la culture, Desclée de Brouwer, 2004, où l'auteur expose ce qu'il appelle « le désir mimétique comme élément
constitutif du groupe ».
104 – (103) Ce phénomène ou ce découplage est bien connu en droit avec le concept de personnalité morale.
o
105 – (104) E. Sober, « L'énigme de l'émergence », Science et Avenir, Hors série, 2005, n 143. Cité par J.-A. Mazères, Étude. préc., notamment p. 26, note
47.
106 – (105) Et ses dérivés.
107 – (106) Pour ne pas dire d'identité.
108 – (107) On se référera utilement aux travaux de P. Petot, « Le droit commun », RHDFE, 1980, p. 423 et s. J.-L. THIREAU, « Droit commun », Dictionnaire
de la culture juridique, PUF, Lamy, 2003, p. 445 et s.Voir également G. ROUHETTE, « Le genre de "common law" » in Français juridique et science du
droit, Bruylant, 1995, p. 311 et s. E. Picard, « common law », Dictionnaire de la culture juridique, préc., p. 238 et s.
109 – (108) Voir cependant infra.
o
110 – (109) Pour une illustration de la notion de système en droit, M. TROPER, La philosophie du droit, Que sais-je ?, n 857, 2003.
111 – (110) Article 215, C. civ. J. REVEL, Les régimes matrimoniaux, Dalloz, 2006.
112 – (111) Le raisonnement est également vrai pour les communautés d'agglomération.
113 – (112) En effet, le Préfet peut prendre les meures qui s'imposent pour « contraindre » des collectivités territoriales à se regrouper. Par ailleurs, tout le
dispositif fiscal ou le système de subventions est orienté vers ces groupements intercommunaux. Voir la pertinente étude critique de la loi
Chevènement de P. BEAUDOUIN, Le livre noir de l'intercommunalité « Le maire et la sécurité », in Agir, Revue Générale de Stratégie, no 2002/10, p. 105.
114 – (113) P.-Y. Monjal, « Le droit communautaire applicable aux collectivités territoriales », préc.
115 – (114) Cl. BLUMANN, « Objectifs et principes en droit communautaire », in Le droit de l'Union en principes, Liber amicorum en l'honneur de Jean
Raux, Éd. Apogée, Publication du Centre d'Excellence Jean Monnet de Rennes, 2006, p. 39 et s.
116 – (115) Les verrouillages juridiques dont on parle sont au nombre de deux : européens d'abord, avec cette exigence de l'unanimité des ratifications
(art. 49, UE) ; national ensuite, en vertu de l'article 88-5, C. qui impose un référendum pour toute adhésion à l'Union européenne.
117 – (116) Construire la paix avait un sens pour les « concepteurs » de la Communauté. Est-il besoin de rappeler les propos tenus par Paul-Henri Spaak, le
jour de la signature du traité CEE : « cette fois, les hommes d'Occident n'ont pas manqué d'audace et n'ont pas agi trop tard. Le souvenir de leurs
malheurs, et peut-être aussi de leurs fautes, semble les avoir inspirés, leur a donné le courage nécessaire pour oublier les vieilles querelles, bouleverser
les traditions désuètes, pour leur permettre de penser et d'agir d'une manière vraiment nouvelle et pour réaliser la plus grande transformation
volontaire et dirigée de l'histoire de l'Europe. Ils ont fait une grande chose et ils l'ont faite, ce qui est remarquable et peut-être unique, en répudiant tout
usage de la force, toute contrainte, toute menace ».
118 – (117) Il est vrai, et c'est la thèse britannique, que dans le cadre de l'Union, ce qui importe c'est le commerce, l'économie, afin de pacifier et organiser
le continent européen. En cela, le point commun des 27 est bien l'économie de marché...
119 – (118) Voir l'architecture des traités communautaires.
120 – (119) Il suffit de se référer à la jurisprudence classique de la Cour de justice, dont la première date de 1963.
121 – (120) Étant admis qu'il ne faut pas confondre la durée illimitée de la convention, et ses modes de révision. Il s'agit de deux problématiques
totalement distinctes, la première n'ayant pas d'incidences sur la seconde.
122 – (121) Qu'il fonde l'obligatoriété de la procédure de révision, mais que celle-ci n'est pas obligatoire. En conséquence, la règle pacta sunt servanda, et
partant le droit international, n'a plus de portée normative ou contraignante pour les parties au traité. Dans ce cas, cela revient à nier l'existence même
du droit international.
123 – (122) Comme l'explique J. Revel, Les régimes matrimoniaux, préc., la résidence n'est pas un critère absolu. Il est en effet admis que les époux, pour
des rasions professionnelles, résident dans des endroits différents sans que cela ne remette en cause ladite communauté de vie.
124 – (123) J.-L. SAURON, L'application du droit de l'union europeenne en France, La documentation française, 1995.
125 – (124) Pour marquer sa volonté de donner aux questions européennes une place centrale dans notre débat politique, au lendemain de l'échec du
référendum du 29 mai, le Premier ministre a décidé de présider une fois par mois un Comité interministériel sur l'Europe, outil de coordination
politique qui doit permettre de définir et de présenter une vision stratégique et cohérente du projet européen de la France. C'est le SGCI, sous son
nouveau nom de « Secrétariat général des affaires européennes » (SGAE), qui devra en assurer le secrétariat comme le prévoit le décret relatif au comité
interministériel sur l'Europe et au secrétariat général des affaires européennes paru au Journal officiel du 18 octobre 2005. Décret n o 2005-1283 du 17
octobre 2005 relatif au comité interministériel sur l'Europe et au secrétariat général des affaires européennes.
126 – (125) Qui peut être vue comme la résidence commune de la France et de l'Union.
127 – (126) Néolo-barbarisme de circonstance dont l'ambition est certes de servir la démarche théorique qui est la nôtre, mais aussi de répondre à
quelques exigences (pour ne pas dire de facilité) de pure forme.
(127) Ch. EISENAMNN, Cours de droit administratif, t. 2, « Les actes juridiques du droit administratif », LGDJ, 1983, notamment p. 393.
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(127) Ch. EISENAMNN, Cours de droit administratif, t. 2, « Les actes juridiques du droit administratif », LGDJ, 1983, notamment p. 393.
128 –
129 – (128) Voir les remarques de P. Wachsmann, « La recevabilité du recours pour excès de pourvoir à l'encontre des contrats », RFDA, 2006/2, p. 24
et s., notamment p. 25-26.
130 – (129) J.-P. CLARIS DE FLORIAN (1755-1794), Le Grillon, Fable.
131 – (130) En droit communautaire, la notion d'affectation des compétences (sous-entendu d'atteinte) est particulièrement développée. Voir
spécialement V. MICHEL, Thèse et article préc.
132 – (131) Sentence arbitrale du 26 juillet 1875, USA c. Colombie, affaire du Montijo. Pour la CPIJ, les normes constitutionnelles ou législatives ne sont pas
de nature à faire obstacle à « des engagements valablement contractés » par les États (CPIJ, 21 fév. 1925, Échange des populations turques et grecques,
série B, no 10, p. 20 ; CPIJ, 15 sept. 128, Allemagne c. Pologne "Usine de Chorzow", Rec. série A, no 7, p. 33).
133 – (132) En ce sens que la souveraineté, en tant attribut identitaire de l'État, n'est pas transférable. Un État a ou n'a pas la souveraineté. Celle-ci n'est
pas « émiettable ». Le Conseil constitutionnel lui-même a renoncé à cette distinction bien mal commode dans sa décision Maastricht I.
134 – (133) L'essentiel des propositions est formulé dans les conclusions des Conseils européens.
135 – (134) Le plus souvent par ignorance et facilité rhétorique.
136 – (135) CE, 10 mai. 1974, Denoyez et Chorques, Rec. p. 274.
137 – (136) CE, 24 mars 2006, KPMG, AJDA, 2006, p. 684.
138 – (137) F. Melleray, « L'arrêt KPMG consacre-t-il vraiment le principe de sécurité juridique ? », AJDA, 2006, p. 897. Voir surtout l'analyse approfondie de
J.-M. Whoerling, « L'obligation d'édicter des mesures transitoires comme instrument de la protection des situations juridiques constituées », cette
Revue, no 1/2007, p. 285 et s.
139 – (138) Tant du point de vue de l'Union, que du point de vue constitutionnel (art. 88-1, C).
140 – (139) Jurisprudence inaugurée dans sa décision du 10 juin 2004 relative au contrôle de constitutionnalité des lois transposant les directives
communautaires.
141 – (140) P.-Y. Monjal, « La Constitution, toute la Constitution, rien que le droit communautaire : remarques à propos de la décision 2004/496 du
Conseil constitutionnel du 10 juin 2004 », RDUE, 2004/3.
142 – (141) Le Conseil d'État s'est récemment rallié à ce fondement dans sa décision du 8 février 2007, Arcelor.

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