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DU
DROIT INTERNATIONAL
PUBLIC
PROBLÈMES CHOISIS
PAR
Hans KELSEN
Professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Cologne.
Photo Otto Lierend'ahI, Coin.
HANS KELSEN
NOTICE BIOGRAPHIQUE
PUBLICATIONS
A . — TnEORIE Dû DROIT :
PRÉFACE
<>
¡ § 2. — Le domaine de validité personnel
du droit international.
§ 1. — Généralités.
A. — LE PRINCIPE GÉNÉRAL.
les Etats-Unis sans que fût violée pour cela ce qu'on appelle
la souveraineté territoriale. Elle eût, en revanche, été violée
contrairement au droit international si le Président Wilson,
ou bien un des secrétaires d'Etat qui l'accompagnaient, avait,
par quelques-uns des auxiliaires qui les accompagnaient pen-
dant leur séjour en France, fait arrêter et conduire de
force aux Etats-Unis un citoyen américain. Que des
militaires isolés de l'Etat A séjournent dans l'Etat B, c'est là
une chose qui peut ne pas plaire à l'Etat B; il peut expulser
ces militaires au même titre que tous les étrangers. Mais il
ne pourra le faire par le motif que le séjour de ces militaires
isolés constituerait une violation du droit international. Au
contraire, si un nombre même restreint de militaires franchit
la frontière en formation serrée, il y a là une violation du
droit international en tant qu'on peut légitimement penser
qu'un acte de contrainte de l'Etat A dans le territoire de
l'Etat B a été projeté.
Les organes de l'Eglise catholique, qui est en droit inter-
national une communauté assimilée aux Etats, peuvent ac-
complir dans tous les Etats des actes qui ont un caractère
éminemment officiel au regard de l'ordre normatif qui consti-
tue l'Eglise. Il s'agit d'actes qui concernent la croyance
catholique. Ces actes sont des actes d'une autorité qui n'est
pas celle de la communauté étatique sur le territoire de la-
quelle ils sont accomplis. La souveraineté territoriale de
l'Etat en cause, garantie par le droit international, n'est ce-
pendant pas violée parce que et dans la mesure où ces actes
n'ont aucun caractère de contrainte (dans un sens étroit du
mot), ne tendent en aucune manière à la réalisation d'un acte
de contrainte d'un homme contre un autre. C'est justement
pour cela qu'une limitation par le droit international du do-
maine de validité territorial de l'ordre appelé « Eglise catholi-
que » n'est pas nécessaire : l'Eglise, à la différence de l'Etat,
n'est pas une communauté limitée par le droit international à
un espace déterminé. Elle n'est pas, il est vrai, une commu-
nauté en dehors de l'espace, comme on l'a déclaré parfois;
elle est une communauté dont l'ordre possède un domaine
d'action territorial illimité en principe : c'est pourquoi l'Eglise
204 H. KELSEN. — DROIT INTERNATIONAL PUBLIC (88)
naturel. C'est dans tous les cas le droit qui les trace en tant
que c'est justement le droit international qui détermine le do-
maine de validité territorial du droit étatique. Par suite, si
l'on distingue les frontières « artificielles » des frontières
« naturelles » cela signifie seulement que les frontières juri-
diques coïncident ou non avec certains obstacles naturels aux
communications, ou avec toute autre ligne tracée par la na-
ture et extérieurement visible. L'Etat n'a que des frontières
juridiques, juridiques parce que tracées par le droit, le droit
international.
La question du procédé de création juridique de la fron-
tière est bien distincte de celle de son tracé. La doctrine tra-
ditionnelle distingue à cet égard deux procédés différents :
la création d'une norme de droit international, qui a pour
contenu le tracé de la frontière — c'est-à-dire la détermina-
tion de la frontière — par la coutume par exemple, ou par
un traité, ou par une décision d'un organe spécial de déli-
mitation des frontières, ou par une sentence arbitrale.
Ce procédé est surtout admis pour les changements de fron-
tières qui se produisent avec les acquisitions dérivées de terri-
toire (cession de territoire). Mais on détermine au contraire la
frontière d'après l'efficacité de l'ordre étatique dans le cas
de naissance d'un nouvel Etat sur un territoire jusque-là non
étatique, ou sur le territoire d'un Etat qui disparaît avec
la formation du nouvel Etat, ainsi que dans les cas d'exten-
sion originaire du territoire, c'est-à-dire d'accroissement du
territoire étatique d'un territoire qui n'appartenait à aucun
autre Etat au moment de l'occupation.
Le droit international fait ici coïncider le domaine de vali-
dité de l'ordre juridique étatique avec le domaine de son effi-
cacité. Le territoire étatique comprend ici, en vertu du droit
international, l'espace dans lequel l'Etat peut maintenir,
d'une manière durable, sa domination effective, c'est-à-dire
l'espace où les organes de l'ordre étatique sont en mesure de
réaliser constamment les actes de contrainte prévus par cet
ordre. C'est le principe de l'e/fectivité qui s'applique ici. Le
droit international élève la situation de fait, à la condition
qu'elle dure, au rang de situation juridique. Les actes d'une
2o8 H. KELSEN. — DROIT INTERNATIONAL PUBLIC (92)
puissance de contrainte, qui apparaissent avec la prétention
subjective d'être des actes de droit, auront objectivement
cette qualité si l'autorité qui les accomplit présente la ga-
rantie de la durée.
Mais le principe de l'effectivité a aussi son importance
dans les cas de délimitation opérés par des normes, et en
particulier par traité. La notion de frontière étatique ex-
prime une situation juridique (Rechtszustand). Pour que cette
situation juridique existe, il ne suffit pas que la frontière ait
été délimitée par un traité ou par une sentence arbitrale, ou
par la décision d'une commission de délimitation. Les nor-
mes, ainsi posées, fondent seulement un droit subjectif
(Anspruch) de l'Etat dont les frontières ont été fixées de cette
manière. Pour que ce droit subjectif devienne une situation
de droit, pour que l'espace délimité par la frontière devienne
son territoire étatique, l'effectivité d« la puissance de domi-
nation ou de contrainte est, elle aussi, nécessaire. Il faut
l'efficacité, pourvue de la garantie de durée, du droit éta-
tique à l'intérieur de l'espace qui doit former le territoire
de cet Etat. Si la frontière de deux Etats est fixée à nouveau
par un traité, de façon qu'une portion du territoire de l'un
soit cédée à l'autre, la portion ainsi transférée ne devient pas
territoire étatique du cessionnaire, mais demeure juridique-
ment territoire étatique du cédant aussi longtemps q.ue
ce dernier n'évacue pas le territoire cédé, et que le premier
ne l'occupe pas 'effectivement. La non-évacuation du terri-
toire par le cédant, contrairement au traité, constitue, il est
vrai une violation du droit international avec toutes ses con-
séquences prévues par cet ordre juridique; mais la non-éva-
cuation fait obstacle au changement de frontière prévu par le
traité, au transfert juridique d'un Etat à l'autre de la portion
de territoire; tout de même que la non-livraison d'une mar-
chandise vendue est une violation du droit civil, mais fait
obstacle à la constitution de la propriété de l'acheteur sur la
marchandise. Un Etat peut ainsi étendre juridiquement son
territoire étatique, en occupant au cours d'une guerre îe ter-
ritoire d'un autre Etat, et en éliminant complètement du
territoire en question la domination de cet autre Etat,
(93) ORDRES JURIDIQUES ÉTATIQUES 209
D. — LA HAUTE MER.
IV. — 1935. i»
226 H. KELSEN. — DROIT INTERNATIONAL PUBLIC (no)
E. — LA MER TERRITORIALE.
B. — L A NATIONALITÉ.
• 1
aso H. KELSEN. — DROIT INTERNATIONAL PUBLIC (I.H)
signifie surtout : dédommagement en cas d'expropriation.
Ceci suppose naturellement que le droit de l'Etat considéré
admet lui-même la propriété privée et reconnaît, en consé-
quence, les individus non seulement comme des sujets d'obli-
gations, mais aussi comme des sujets de droits, et particu-
lièrement de droits privés. Le contenu de la règle de droit
international relative à la condition juridique des étrangers
dans le domaine de validité d'un droit interne ne peut être
tout à fait indépendant du contenu de ce droit interne lui-
môme. Ceux-ci sont aujourd'hui déterminés en gros par le prin-
cipe de la propriété privée, et règlent, en conséquence, la vie
économique d'après une technique tout à fait spéciale, qui
comprend avant tout les droits privés subjectifs. Comme le
droit international n'empêche pas les Etats de passer d'un
ordre économique capitaliste à un ordre économique socia-
liste, un Etat ayant une organisation économique socialiste
ne peut être obligé d'accorder aux ressortissants d'Etats
étrangers une condition juridique qui n'est possible que dans
une organisation économique capitaliste. 11 ne s'est pas formé
de doctrine juridique commune sur le minimum de droits,
qui doit être concédé aux ressortissants d'Etats étrangers
dans un Etat socialiste. Car il n'y a pas encore d'Etat ayant
une organisation économique socialiste parfaite. Le système
du capitalisme d'Etat, qui règne actuellement en Russie des
Soviets, ne justifie, en tout cas, pas encore une modifica-
tion de l'obligation internationale de cet Etat de garantir la
personne et les biens des ressortissants d'Etats étrangers sé-
journant sur son territoire.
D'ailleurs le minimum de droits, garanti par le droit inter-
national aux étrangers, est déterminé plus sûrement au point
de vue du droit formel qu'au point de vue du droit materiel.
Il y a sans aucun doute une violation du droit des gens lors-
qu'un Etat, dans ses lois ou dans leur exécution, refuse ou
limite pour les ressortissants étrangers la protection juridi-
que que doivent assurer ses autorités administratives ou ses
tribunaux, en enlevant en général ou en portant atteinte à
la possibilité pour Les étrangers de faire valoir contre des
violations leurs intérêts juridiquement protégés devant les au-
(135) ORDRES JURIDIQUES ÉTATIQUES 251
torités administratives, les tribunaux ¡civils et répressifs.
Non seulement le déni de justice, mais encore les délais
•excessifs dans l'administration de la justice sont contraires
au droit des gens. Sur le terrain de la procédure administra-
tive et judiciaire, les ressortissants des Etats étrangers sont,
en vertu du droit international, assimilés, en principe, aux
nationaux. On admet toutefois certaines petites restrictions :
c'est ainsi que les associations et les sociétés étrangères ne
jouissent de la capacité d'ester en justice qu'en vertu d'une
convention particulière, que les étrangers n'ont pas droit à
l'assistance judiciaire (Armenrecht), qu'ils doivent fournir
la caution judicatura solvi (Sicherheit für Prozess-K. Posten).
Par contre, en ce qui concerne le fond du droit (droit ma-
tériel), une importante différenciation entre nationaux et
étrangers est admissible au point de vue du droit internatio-
nal et même requise sous certains rapports. En ce qui con-
cerne d'abord les obligations juridiques, il faut souligner
avant tout que l'obligation de service militaire, établie par
le droit interne d'un Etat, ne peut s'appliquer qu'aux natio-
naux de cet Etat, mais non pas, contre leur volonté, aux res-
sortissants étrangers. Les étrangers peuvent être amenés à
servir dans l'armée lorsqu'ils y consentent, sur la base d'un
contrat; exemple : la légion étrangère. Logiquement, il ne
peut non plus être imposé aux étrangers de taxe destinée
à remplacer l'obligation de service militaire. Il est même
douteux que des ressortissants étrangers puissent être as-
treints de force à des services personnels non militaires,
mais publics (services au profit de l'Etat ou d'autres collec-
tivités de droit public). Par ailleurs, ils peuvent être obli-
gés aux mêmes prestations en nature et en argent que les
nationaux; on discute seulement le point de savoir si les im-
pôts spéciaux, aujourd'hui hors d'usage, qui atteignent les
étrangers comme tels, doivent être considérés comme con-
traires au droit des gens.
On a coutume d'affirmer que l'Etat aurait le droit d'impo-
ser des charges fiscales à ses nationaux, même à l'étranger,
tandis qu'il ne pourrait le faire à l'égard des ressortissants
étrangers. Mais il ne peut obliger juridiquement ses propres
252 H. KELSEN. — DROIT INTERNATIONAL PUBLIC (136)
autre Etat que celui que ces agents représentent, toutes les
fois qu'elle est confiée à cet Etat par un traité, soit d'une
façon tout à fait générale (parce que l'autre Etat n'a abso-
lument aucune représentation auprès de celui où se trouvent
ses nationaux qu'il place sous la protection des représen-
tants de l'Etat contractant), soit pour un cas particulier
(guerre ou rupture de relations diplomatiques). Les person-
nes placées sous la protection d'un autre Etat en vertu d'un
traité général s'appellent des « protégées » (mais non celles
qui le sont dans un cas particulier).
On doit distinguer des protégés les sujets de jacto. Ce sont
des étrangers qui, par une lettre de protection individuelle,
sont placés sous la protection d'un consul possédant une
compétence juridictionnelle et obtiennent ainsi, dans une
certaine mesure, les droits reconnus aux nationaux de l'Etat
protecteur.
Le droit international général n'établit à la chargé de
l'Etat aucune obligation de livrer un individu se trouvant sur
son territoire aux autorités d'un autre Etat qui le poursui-
vent pour un délit qu'il a commis. Une telle obligation ne
peut être fondée que sur un traité international conclu entre
l'Etat de la résidence et l'Etat qui demande l'extradition.
En l'absence d'obligation résultant d'un traité, l'Etat de la
résidence a le droit de laisser le délinquant impuni. Mais il
est aussi incompétent pour le poursuivre et lui appliquer les
normes de son propre droit ou d'un autre droit, quels que
soient la nationalité du délinquant, le lieu et la victime du
délit. Les règles du droit pénal international qui déterminent
la compétence de l'Etat et les règles pénales applicables
d'après le lieu du délit et la nationalité de l'auteur ou de la
victime ne sont pas des normes du droit des gens tant qu'elles
ne sont pas contenues dans un traité international.
Un Etat peut être obligé par traité d'extrader ses natio-
naux ou des étrangers pour permettre leur poursuite par les
autorités d'un autre Etat. Exemple d'obligation d'extrader
des nationaux : Art. 227-229 du Traité de Versailles. Par con-
tre, l'article 112 de la Constitution d'Empire pose qu'« aucun
Allemand ne peut être livré à un gouvernement étranger pour
(I43Ì ORDRES JURIDIQUES ETATIQUES 259
être poursuivi ou puni ». La non-extradition des nationaux,
quel que soit l'endroit où ils aient commis le délit, corres-
pond aussi à la conviction juridique commune. Cependant,
certains traités d'extradition n'établissent pas seulement
une obligation d'extrader les ressortissants de l'Etat qui de-
mande l'extradition, mais aussi les ressortissants d'une tierce
Puissance, lorsqu'il s'agit d'un délit qui a été commis dans
l'Etat qui demande l'extradition.
En principe, on n'applique pas l'obligation d'extrader à
tous les délits, mais seulement aux plus graves d'entre eux,
et, en principe, les délits dits politiques sont exceptés. La
notion de délit politique est déterminée, soit d'après le motif
subjectif de l'acte, soit d'après l'objet contre lequel il est
dirigé (délit contre l'Etat, la Constitution). En outre, on
excepte de l'obligation d'extrader non seulement les délits
politiques dits absolus, mais encore les délits politiques dits
relatifs, c'est-à-dire ceux qui n'ont en eux-mêmes aucun ca-
ractère politique, mais qui sont connexes à un délit politi-
que. Un certain délit politique est, par contre, souvent sou-
mis à l'obligation d'extradition : c'est l'attentat contre la
personne du chef d'Etat ou d'un membre de sa famille. (Cette
» clause d'attentat belge» repose sur la loi belge du 22 mars
1836). La règle est que l'extradition ne peut avoir lieu que
lorsque les faits pour lesquels le coupable est poursuivi et
doit être extradé sont punissables selon les lois des deux
pays, celui qui demande l'extradition et celui auquel elle
est réclamée. Elle n'est pas accordée lorsque le caractère dé-
lictueux de l'acte est supprimé ou exclu d'après le droit de
l'un ou de l'autre Etat : c'est le principe de l'identité de
normes.
Dans les traités d'extradition, est aussi réglée la pro-
cédure de l'extradition. La vérification de la demande d'ex-
tradition par l'Etat requis y joue le rôle prépondérant. Tan-
tôt ce sont les autorités du ministère de la Justice, tantôt
les tribunaux qui sont compétents pour faire cette vérifica-
tion. En Allemagne, c'est l'exécutif, en Angleterre ce sont
les tribunaux.
Seul l'Etat a le droit de demander l'extradition, comme
26o H. KELSEN. — DROIT INTERNATIONAL PUBLIC (144)
B. — LA RECONNAISSANCE DE L'ETAT.
l
27o H. KELSEN. — DROIT INTERNATIONAL PUBLIC (154)
demment de l'idée que les Etats qui peuvent être admis dans
la Société des Nations ont des obligations internationales
déjà avant leur admission; une garantie ferme de son inten-
tion sincère de remplir ses obligations internationales futu-
res, un Etat qui n'a pas rempli ou pas de façon adéquate ses
obligations antérieures ne la fournirait pas. Cela peut aussi
être un Etat qui n'a pas été reconnu par tous les Membres
de la Société des Nations, peut-être même par aucun d'eux.
En fait, la pratique de la Société des Nations est la suivante :
elle consiste à vérifier avant l'admission si l'Etat qui
requiert son admission est reconnu; il est vrai qu'elle se
contente d'une solution moyenne : que l'Etat soit reconnu
au moins de quelques-uns. Il appert du questionnaire établi
par la commission instituée par la première Assemblée pour
servir dans les cas d'admission qu'on ne demande même pas
si c'est par des Membres de la Société des Nations que l'Etat
requérant a été reconnu; la question ne porte pas non plus
sur la reconnaissance de l'Etat, mais de son gouvernement
(elle est conçue ainsi : « Le gouvernement est-il reconnu de
jure ou de facto, et par quels Etats ? »). Si l'affirmation de la
théorie de la reconnaissance était exacte, qu'avant d'être
reconnue comme Etat par un autre Etat au sens du droit des
gens une collectivité n'a pas pour celui-ci d'existence juri-
dique, il faudrait exiger de tout Etat comme condition sine
qua non de son admission dans la Société des Nations la
preuve qu'il est reconnu par tous ses Membres actuels. Cela
n'est pas le cas. Une série d'Etats nés après la guerre ont été
admis dans la Société des Nations sans avoir fourni la preuve
qu'ils eussent été reconnus par tous les autres Membres de
la Société des Nations. Et même l'idée est apparue que
l'admission dans la Société des Nations remplace où contient
implicitement la reconnaissance. Sans doute, cela est une
fiction, la même que l'on rencontre dans tous les cas de
soi-disant reconnaissance tacite. Si l'admission dans la
Société des Nations doit constituer — comme on l'a parfois
présenté — une « reconnaissance collective », un Etat doit
être considéré comme reconnu même par l'Etat dont le
représentant à l'Assemblée de la Société des Nations a
(i73) ORDRES JURIDIQUES ÉTATIQUES 289
IV. — 1932. 22
S38 H. KELSEN. — DROIT INTERNATIONAL PUBLIC (222)
dans ce qu'on appelle la succession universelle du droit
civil — aux droits et obligations que le successeur possédait
déjà avant la succession; car l'Etat successeur ne prend nais-
sance qu'au moment même de la succession. Il ressort de
tout cela que la notion que nous introduisons ici d'une suc-
cession universelle du droit des gens ne doit être comprise
que comme une construction destinée à un cas-limite; là où
l'admission de l'identité de l'Etat ne se heurte à aucune dif-
ficulté, particulièrement de la part de l'Etat lui-même, on
peut en faire abstraction.
Dans la succession particulière (ou partielle), on distingue
généralement entre la succession aux droits et obligations
d'un caractère international et la succession aux droits et
obligations qui n'ont pas ce caractère; parmi ces derniers
on range plus particulièrement les dettes financières, c'est-à-
dire les obligations de droit privé de l'Etat envers des par-
ticuliers. C'est précisément la question de savoir si et dans
quelle mesure, en cas de modification territoriale, l'Etat
succède à ces dernières obligations — ou, comme on a l'ha-
bitude de le dire, les reprend à son compte — qui est, en
pratique, la plus importante dans le problème de la succes-
sion des Etats. Mais, ainsi que nous l'avons vu plus haut,
une succession ne saurait porter, en droit international, que
sur des droits et obligations internationaux; et quand le
droit international institue une succession à des droits et
obligations n'ayant pas un caractère international, ceux-ci
acquièrent par là même le caractère en question. Nous avons
exposé plus haut, en traits généraux, dans quelle mesure ce
dernier cas peut se présenter effectivement dan3 le droit inter-
national en vigueur, et nous le ferons encore plus loin d'une
manière plus détaillée. Considérant le fait qu'une succession
internationale ne peut porter que sur des droits et obligations
internationaux, il conviendrait de remplacer la distinction
habituelle par la distinction suivante : I o succession d'un Etat
aux droits et obligations appartenant, en vertu de traités
internationaux, à un autre Etat, dont le territoire devient
territoire du premier Etat; 2° succession, en vertu du droit
international général, d'un Etat aux droits et obligations
(223) SUCCESSION D'ÉTATS 339