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PHILOSOPHIE – LA JUSTICE

Paul Lavaud
Terminale 7

I. L’idéal de justice

Il faut distinguer 2 sens de la justice :

- Celle qui juge la conformité au droit, en s’appuyant sur des textes de lois écrits et approuvés par une
société censée les respecter.

- La référence à l’idéal de justice, qui repose d’abord sur le principe d’égalité. Est juste ce qui est égal,
et ce qui est censé faire l’unanimité.

Or, le problème est qu’il y a 2 types d’égalité, mis en lumière par Platon puis Aristote. L’idéal de justice est
donc ambigu.

Il y a, d’une part, une « égalité arithmétique », qui consiste à donner à chacun une même part. Ce type
d’égalité conduit à la justice commutative.

Il y a, d’autre part, une « égalité géométrique », qui consiste à donner à chacun la part qui lui revient. Ce type
d’égalité conduit à la justice distributive.

Il y a un principe de justice célèbre, que l’on retrouvait déjà dans le Code de Hammurabi (-1730), un des
textes de loi des plus anciens connus ce jour : « œil pour œil, dent pour dent », symbolisation de la loi du
Talion*, qui consiste en la réciprocité du crime et de la peine.

* Le mot talion a pour origine talis, ce qui en latin signifie « tel », c'est-à-dire « pareil », « semblable ».

Le principe de justice se réfère au droit moral. Il ne faudrait donc pas, en se référant à la morale, considérer
qu’une personne fautive doit être torturée est juste, car en suivant la morale on devrait respecter l’intégrité
de la personne. La justice, en se référant à la morale, nous impose de ne pas réduire une personne à ses
actes et à respecter son intégrité. C’est ce qui fait que la loi du Talion est à la fois juste et injuste. En effet, elle
suit bien le principe d’égalité mais ne suit pas le principe moral.

Il y a donc une tension dans l’idée de justice entre la morale et l’égalité. Lorsque l’on veut concrétiser l’idéal
de justice, on doit placer au mieux le curseur entre les deux principes divergents de moral et d’égalité, en
respectant autant que possible l’intégrité d’un condamné mais en lui portant un minimum atteinte pour lui
faire payer les conséquences de ses actes. Il faut avoir conscience que le compromis sera toujours imparfait.
Voilà pourquoi l’on parle d’un idéal de justice.
II. L’incarnation de la justice

L’être humain ne peut pas se contenter de convoquer un idéal de justice ou de dénoncer une injustice. Il ne
peut pas se contenter non plus d’attendre une hypothétique justice divine ou karmique (-> Karma, dans
l’Hindouisme et le Bouddhisme, notion désignant communément le cycle des causes et des conséquences
liées à l’existence des êtres sensibles). L’être humain veut que justice soit faite, ici et maintenant. Mais il y a
un prix à payer pour cela. D’où le deuxième symbole de la justice, le glaive. La justice doit trancher, ne pas
laisser une question sans réponse. Au terme de discussions, le tribunal doit rendre sa sentence. Et si l’on
considère que les informations dont dispose le tribunal sont insuffisantes, l’accusé est innocenté. On appelle
cela la présomption d’innocence.

Ce désir d’incarnation de la justice « ici et maintenant » a plusieurs conséquences, dont certaines sont
tragiques :

- Si l’on ne veut pas attendre la justice divine, il va falloir accepter que la justice soit humaine, donc
potentiellement déséquilibrée et corrompue. Il va aussi falloir accepter l’erreur judiciaire.

- Comme la justice humaine ne peut juger qu’à partir des conséquences matérielles de l’action que l’on
doit juger, conséquences que l’on prend pour preuves de l’action, on ne peut que rarement avoir la
preuve d’une préméditation de l’acte, que l’on considère souvent, pourtant, comme une circonstance
aggravante. De plus, on ne peut pas juger quelqu’un qui aurait échoué dans l’achèvement de son
acte illégal mais qui l’aurait pourtant prémédité pendant des années, souhaitant parfois la mort de
centaines ou milliers de personnes.

Pour que la justice puisse œuvrer et trancher, elle doit cesser de se référer à l’idéal de justice ou à des
principes moraux pour ne se référer qu’au droit, c’est-à-dire aux lois écrites, aux textes de loi, au Code Civil…
On ne considérera comme juste que ce qui est conforme à la loi. Cette loi serait idéalement établie de telle
sorte que nul ne la remettra en question. On appelle « positivisme juridique » l’école de philosophie du droit
qui identifie le légal et le légitime. Cela signifie que la seule chose qui serait légitime serait le légal. Cette
école s’oppose à 2 autres :

- L’école du droit naturel, ou jusnaturaliste, dont l’idée est que l’être humain pourrait se référer à une
loi dictée par un Dieu ou par le Cosmos, et qui pourrait ainsi confronter le droit positif (≠ naturel)

- L’école traditionaliste, qui se réfère à la légitimité des traditions, des coutumes d’une société donnée
(ex : le Concordat). Si le droit positif s’écarte de ce qui est tacitement, implicitement dit, on peut
toujours se référer à la coutume.

On comprend que la justice ne peut s’exercer sans le droit positif, car le juge doit se référer à une loi écrite,
convenue par tous. Le citoyen peut cependant aussi considérer l’ordre de la tradition.

On remarque aussi que l’être humain qui vit en société fait face à deux exigences parfois contradictoires :
celle d’agir conformément à la loi et celle d’agir en respect des principes fondamentaux qui constituent la
morale.

On peut se demander à quel moment l’Homme peut transgresser, désobéir légitimement à la loi.
Selon Thomas d’Aquin, cela peut avoir lieu quand la loi positive demande ou conduit à la transgression de
principes moraux, lorsque par exemple elle demande, implique, de porter atteinte à l’intégrité d’autrui. Ou
lorsque la Cité est en danger de conséquences vitales. On ne peut pas désobéir légitimement à la loi si notre
action entraine un effondrement économique de la Cité, par exemple, car celui-ci ne correspond pas une
conséquence vitale de notre action. Par contre, lorsque notre action met en danger la vie d’autrui, on peut
déroger à la loi.

Hans Kelsen, juriste austro-américain du XXe siècle, incarne le néo-positivisme juridique, qui va chercher à
toujours créer un ordre supérieur à la loi. Un exemple évident d’ordre supérieur à la loi est la Constitution.
Celle-ci doit être un ordre suprême auquel aucun individu ne pourra déroger en considérant encore un ordre
supérieur.

Le néo-positivisme juridique a pour objectif de placer toujours des ordres supérieurs à la loi positive pour se
prémunir des dérives de la loi positive. Mais ce courant se heurte à de nouvelles limites. Par exemple, en
essayant de créer un droit international, on rencontre des divergences selon les cultures, les traditions. De
plus, qui serait responsable lorsqu’un général de guerre ordonne à un soldat de rang de tuer ?

On constate par ailleurs que vouloir une incarnation de la justice consiste à devoir accepter l’usage de la
force. En effet, le juge est inutile s’il n’y a pas de policiers pour arrêter les coupables, ou s’il n’y a pas de
géôliers. On retrouve cette idée dans la formule de Blaise Pascal : « La justice sans la force est impuissante, la
force sans la justice est tyrannie ».

On remarque dans l’Humanité une anesthésie du sens moral devant ce qu’il se passe (la guerre,
l’apartheid…). Cette anesthésie très fréquente a sûrement toujours existé et existera toujours.

III. La source de la justice

Il y a traditionnellement une distinction entre une justice immanente provenant du droit positif, qui émane
du pouvoir législatif, et une justice transcendante qui, comme la morale, aurait une origine métasociale,
métahistorique et métaphysique (Dieu, une divinité, la Nature, l’essence de l’Homme…).

La notion de légitimité se divise tacitement en 2 dimensions :

- La légitimité politique – j’ai passé un contrat social dans cette société, j’ai respecté les règles, les
termes, les conditions de ce contrat, donc je suis légitime.
- La légitimité supra-politique – référence à une justice immanente, comme la morale
Le philosophe américain John Rawls, dans son livre Théories de la Justice (1971), tente d’échapper au
problème d’une définition de l’essence de la justice et de l’accusation d’un idéalisme à la fois trop abstrait et
incapable de faire l’unanimité, en proposant une théorie pragmatique de la justice. Pour cela, il propose une
expérience de pensée, que l’on appelle « l’expérience du voile de l’ignorance », qui consiste à imaginer un
être humain rationnel, soucieux de son intérêt, représentant n’importe quel individu possible dans la société,
et devant décider, dans certaines conditions, des règles de justice. Quelles conditions ? Cet individu sait qu’il
va vivre dans une société qui n’est pas une société d’abondance. L’espace et les biens seront limités. Il y aura
aussi des différences entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas, ceux qui ont la santé, la force, le
temps et ceux qui ne l’ont pas. Cette société est fondamentalement inégale. L’individu sait qu’il vivra dans
une société pleine de divergences, au niveau des opinions, croyances, religions, cultures… Certaines opinions,
croyances, cultures, seront majoritaires, d’autres minoritaires. Mais l’individu ne sait pas quelles opinions il
aura à défendre. Parce que l’individu est rationnel, s’il doit définir des règles, une loi pour la Cité, il va essayer
de trouver ce qui sera rationnellement juste, équitable. Une loi qui pourra être acceptée par tous les êtres
rationnels.

Note : pour John Rawls, l’inégalité est favorable si elle profite aux défavorisés.

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