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DROIT ET JUSTICE

INTRODUCTION :

Il est étrange de différencier droit et justice : les deux termes semblent synonymes.
- Quand on parle de “la justice française”, on ne fait rien d’autre que parler du droit français.
- De fait, le nom “droit” (au sens de la loi d’un Etat) a pour adjectif “juridique”, qui paraît proche du terme de justice.
- Ce n’est pas un hasard : étymologiquement, les deux termes ont la même origine : droit vient de ius (cf : latin) : le
“droit romain” se dit en latin “ius romanum” ; or, justice dérive aussi de ce mot.
- A l’origine, les deux termes sont donc équivalents.

- Il devrait donc s’en suivre que toute loi (cf : droit) est juste (cf : justice), et qu’inversement, tout ce qui est juste obéit à
une loi donnée…
- Mais est-ce vrai ? Réponse : non !
- Sous le régime de Vichy, la loi interdit les parcs publics aux chiens et aux Juifs.
- On dirait certes que, si le droit l’autorise, cette disposition est légale (=conforme à la loi), mais qu’elle n’est pas pour
autant légitime (=conforme à la justice).

JEU DES QUATRES !!!

I) LE DROIT PEUT-IL ÊTRE LA NORME DU JUSTE ?

- En 399 av.J.-C., Socrate est condamné à mort par le tribunal d’Athènes pour avoir, selon le tribunal : 1) corrompu la
jeunesse par son enseignement, et 2) d’avoir d’autres dieux que ceux de ses concitoyens
- Deux accusations fallacieuses (=fausses)
- Son ancien disciple, Platon, raconte dans le Criton qu’en prison, quelques jours avant l’exécution de la sentence, des
amis viennent lui proposer de s’évader.
- Peut-il commettre un acte illégal (s’évader) pour redresser le tors injuste (=la condamnation pour motifs fallacieux)
dont il est la victime ?

- Or, Socrate reconnaît qu’il a été condamné à tors, MAIS il refuse de s’évader.
- Pourquoi ? Car cela serait ne pas respecter les lois, et donc serait être injuste.
- De fait, quand on vit dans une société, l’engagement à respecter les lois est le principe fondamental que chacun doit
respecter.
- Si chacun décidait de respecter le droit seulement quand il le croit juste, il n’y aurait plus de loi. - C’est
pourquoi il est injuste de ne pas se soumettre à la loi, même si je la trouve injuste.

- ATTENTION : cela ne m’enlève pas le droit de contester la loi (chercher à la modifier, à l’amender, etc), mais je dois
m’y soumettre pendant qu’elle est en vigueur.
- Par exemple : manifester contre l’interdiction du mariage homosexuel

- La thèse de Socrate nous choque car elle assimile Justice et légalité (=droit), et sépare la première de la moralité.
- Ainsi, un acte immoral serait juste à condition d’être légal.

- Ce raisonnement montre en réalité l’extrême importance que les Grecs accordaient à l’Etat de droit.
- Il s’oppose à un Etat où l’utilisation de la puissance publique est arbitraire, où la puissance publique peut décider
quand et comment appliquer le droit selon les cas (qui n’a donc plus rien d’universel).
- Exemple : la monarchie française n’est pas un réel Etat de droit (le Roi pouvait fléchir la loi).

- La métaphore de l’arbitre : Si les joueurs s’engagent à respecter les décisions de l’arbitre uniquement s’ils les
trouvaient justes, le jeu deviendrait impossible.

- Si l’on suit le fil de l’analogie : les joueurs sont les citoyens, les décisions arbitrales sont la loi, et le jeu est la société.

- Voilà pourquoi aucune exception ne peut être admise à la loi. Même lorsque la loi paraît immorale, elle n’en est pas
moins juste.
II) N’EST-CE PAS AU CONTRAIRE L’IDÉE DE JUSTICE QUI DOIT ORIENTER LE DROIT ?

- Toutefois, la position exposée précédemment à des limites.


- Dans certains cas, la loi paraît injuste à un tel point, qu’il semble impossible de s’y soumettre. L’injustice serait ici
au contraire de d’appliquer la loi ( = le droit).
- Par exemple : les lois raciales Vichy ; les lois américaines assurant la ségrégation, etc…

- Aristote (dont Platon était le maître), se distingue de Socrate en posant une seconde définition de la justice.
- Pour lui, la justice, c’est l’équité, c’est-à-dire une certaine égalité dans le partage. Ainsi, si une loi (=le droit) ne
respecte pas cette équité, elle est injuste.
- Cette équité semble alors plus déterminante que la loi pour qualifier un acte comme juste ou injuste.

- ATTENTION, il existe deux formes d’équité selon Aristote :

- Première espèce d’équité : la justice distributive.


Il s’agit de la : « première espèce de la justice particulière qui s'exerce dans la distribution des honneurs ou
des richesses »
- L’équité est ici de donner à chacun en proportion de son mérite. A qui travaille deux fois plus, il devra être donné
deux fois plus.
- Être juste, ou être équitable, c’est discriminer ( = différencier).
- Cette justice doit, dit Aristote, concerner la répartition (=distribution) des biens matériels ( = richesses ) et symboliques
( = honneurs).
- Il sera donc juste, ici, que certains aient plus que d’autres, et qu’il n’y ait PAS d’égalité stricte, mais plutôt ce qu’on
nommera égalité géométrique.

- Seconde espèce d’équité : la justice commutative.

- A la différence de la justice distributive, qui se préoccupe des mérites inégaux entre les personnes, la justice
commutative a pour objet l’équivalence entre les choses, et régit le domaine des échanges (commerciaux, mais aussi
« punitifs) ».
- Exemple (échange commercial) : si une personne vend un objet, il est JUSTE de lui fournir un objet de même valeur.
- Exemple (échange « punitif ») : de même, si je subis un grief ( = vol, viol, etc), il est juste que le coupable soit puni à
hauteur du mal qu’il a commis, ni plus, ni moins.
- Ici, équité vaut égalité stricte. On parle d’égalité arithmétique.

- Il faut donc distinguer deux sortes de droit.


- Il y a d’abord le droit naturel, qui correspond à ce qui, étant donné une situation, il est naturellement juste de faire.
Ce droit semble être inscrit “dans les choses mêmes”. Ce droit semble nécessaire et unique,
valant universellement pour tous les hommes.

- Exemple : ne pas voler, violer ou tuer semble être des lois naturelles. Ces “droits naturels” semble
valoir antérieurement à toute loi votée par une communauté donnée.

- A l’inverse, il a le droit positif, qui est “posé” (à un moment donné), c’est-à-dire qui est voté, décidé par les
hommes. Ce droit semble contingent, pluriel (non unique) et donc non universel.
- Exemple : décider d’imposer ses contribuables à 10% ou à 15% semble relever du droit positif. Rien de naturel dans
l’un ou l’autre de ces choix. Il est le fruit d’une décision libre de la communauté politique.

- ATTENTION : les deux espèces de justices exhibée par Aristote correspondent au droit naturelle.
- Le droit positif peut ne pas les respecter, mais il sera alors injuste. Autrement dit, pour qu’une loi soit juste, il faut
qu’elle ne viole pas le droit naturel.(pointilleràajouter)
- Il faut donc que le droit positif s’accorde avec le droit naturel pour être légitime. Autrement, il sera certes légal,
mais illégitime.
- Exemple : les lois raciales de Vichy

- Sur quel rapport entre droit et justice débouchons nous ? Sur un rapport de fondement. La justice fonde le droit. Pour
que le droit (positif) soit acceptable par tous, il faut qu’il soit conforme à la justice ( = droit naturel).
- Le fondement (cf : lexique) est à distinguer de l’origine (cf : lexique) qui est la source d’un
processus temporel menant à un résultat donné (par exemple, la généalogie de mes ancêtres m’informe sur mon
origine, pas sur mon fondement).

- Ainsi, pour avoir le meilleur système juridique, il faut l’aligner au maximum sur le droit naturel.

- Autrement dit, le problème du droit devient alors de… savoir ce qui est juste, pour pouvoir l’inscrire dans la loi et
rendre celle-ci légitime.
- Mais comment savoir ce qui relève du droit naturel ? Ce que l’on considère comme en relevant, loin d’être naturel et
donc universel, ne relève-t-il pas de valeurs personnelles qu’on aurait tendance à naturaliser.

- Donnons un exemple :
- Pour John LOCKE (1632-1704), la propriété est un droit naturel qui découle du travail. En effet, à l’état de nature (
= antérieurement à l’établissement de la société ), quand aucun droit positif n’existe (il n’y a pas d’Etat pour la
garantir), la travail est pour Locke le fondement naturel de la propriété : c’est parce que j’ai cultivé tel champ, que lui et
ce qu’il produit m’appartiennent, cela en vertu de la loi naturelle. Nier cela serait injuste. Ainsi, le droit ( = positif) , pour
être légitime ( = juste ), doit reconnaître la propriété et la garantir.

- Ambroise de Milan (340-397), dans une optique chrétienne, tient un tout autre raisonnement. Dieu a créé la Terre
pour que tous les hommes l’aient en partage. Ainsi, en vertu de la loi naturelle (garantie et fixée par Dieu), la
propriété nie un tel partage, qui était pourtant l’intention du créateur de toute choses. Garantir par le droit ( = positif) la
propriété, cela serait donc injuste car violerait le droit naturel…
- Historiquement, le premier “communisme” est donc chrétien !

- On voit donc bien que la notion même de droit naturel, et donc de justice, est équivoque.
- Elle est supposée valoir universellement, et pourtant, aucune proposition n’est reconnue universellement (par tous les
hommes).

- Même le suicide , le droit à disposer en dernier ressort de sa vie propre, ne fait pas l’objet d’un consensus.
- Pour les Stoïciens, c’est l’ultime liberté quand toutes les autres nous sont refusées, et fait figure de porte de sortie.
- A l’inverse, pour Locke, c’est Dieu, notre créateur, qui nous a envoyé en ce monde, et donc lui seul peut, par la mort
naturelle, nous en faire sortir.

- Il semble donc qu’il soit impossible de fonder le droit positif sur le droit naturel, puisqu’aucune reconnaissance
universelle n’est établie concernant un tel droit naturel.

III) RAWLS : LA RÉSOLUTION DU PROBLÈME

- La Théorie de la Justice (1971) de John Rawls est précisément un livre qui va tenter de résoudre ce problème.

- Rawls se situe dans la tradition du contrat social, autrement nommé contractualisme: pour lui, la société a son
origine dans un “pacte” primordial, un contrat. Bien évidemment, ce contrat est une fiction théorique, il n’a jamais
eu lieu à un moment datable dans l’histoire humaine, ni été “signé” par des personnes physique.
Cette tradition est celle des penseurs qui envisage un état de nature (lui aussi “fictif”), pour mieux comprendre le
passage à l’état de droit ( = moment ou des lois positives régissent les rapport entre hommes, moment juridique) et à
la société.
N.B. : Penseurs du contrat social : Hobbes, Locke, Rousseau, Kant…

Rawls va penser cet état de nature à un degré très élevé d’abstraction.

Il est nommé par Rawls position originelle. Rawls va imposer des conditions très restrictives pour que chacun des
futurs participants à la société parvienne à un consensus universel sur ce qu’est le droit naturel, (qu’il
appelle principes de justice).
Comment s’y prendre pour arriver à un tel consensus ? Il suffit d’étudier pourquoi, dans les faits, Locke et Ambroise le
définissent différemment… Armoise est chrétien du III siècle, évêque, et fait passer l’enseignement de la Bible avant
toute chose. Locke au contraire vit dans une société de classes, il n’est pas clercs ( = membre de l’Eglise), il appartient
à un pays où la liberté politique et la propriété sont des éléments culturels majeurs… Autrement dit, c’est bien parce que
ces deux individus appartiennent à des milieux (sociaux, politiques, historiques) ayant des valeurs différentes qu’ils
croient sincèrement que le droit naturel est tel, et non tel.
Il suffit donc de neutraliser ce facteur, pour Rawls. Aussi, le premier élément qui détermine la position originelle est donc
le voile d’ignorance. Ce dernier destiné à cacher aux futurs parties prenantes de la société les faits les concernant qui
pourraient obscurcir l

$ùmeur capacité d'arriver à un consensus.


Autrement dit, en situation de voile d’ignorance, vous ne connaissez pas votre religion, votre orientation sexuelle,
votre niveau de richesse, votre genre, vos éventuels handicaps physiques ou mentaux, votre milieu social
d’origine, votre époque historique, etc….

Gardons à l'esprit que l'accord qui découle de la position originelle est anhistorique ( = aucun homme n’a, à aucun
moment de l’histoire humaine, pu être dans une telle position, mais on fait “comme si” : Il s’agit d’une expérience de
pensée).

Sur quoi débouchera-t-elle ? Le résultat sera que chaque individu, comme il ne sait pas quelles sont ses chances dans
sa propre société, n’accordera que peu voire pas de privilèges à une classe donnée d'individus, mais concevra un
système de justice qui traite chacun équitablement.

Rawls affirme que placés dans position originelle tous adopteront une stratégie qui permettra de maximiser la position
des individus les moins bien lotis, dite maximin, et qui consiste à minimiser la perte possible (si je suis mal “placé”
à l’arrivé) tout en maximisant le gain potentiel.

Ce principe exclut EN DROIT les politiques d’eugénisme ( = suppression d’individus jugés “défectueux” ou comme une
“charge”), ou le fait de demander une contribution identique un handicapé et à un “valide” pour le même salaire, ou le
fait que l’impôt soit similaire pour une personne aisée et une dans le besoin, etc…

Ce principe interdit EN DROIT l’esclavage, qui est une privation de la liberté qui se fait au nom de motifs économiques,
idéologiques, mais certainement pas au nom de la liberté elle-même.
Ce principe interdit EN DROIT de refuser la candidature d’une personne pour un poste sous le prétexte de sa
religion couleur de peau, sexe, etc…

La position originelle (et le voile d’ignorance) est donc le fondement universel de la justice (soit, du droit naturel), qui
aboutit à deux principe de justice offrant un cadre par la suite à l’établissement d’UN système juridique ( = droit positif)
en conformité avec ce cadre.

C'est grâce à ce voile d'ignorance que le législateur pourra déterminer les principes d’un droit juste en accord avec
chacun. La position originelle doit conduire le législateur, ignorant délibérément sa position réelle dans la société, à
concevoir selon un principe de prudence une société où les principes de justice soient les moins défavorables aux plus
désavantagés.

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