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INTRODUCTION GÉNÉRALE
Section 1 : Qu’est-ce que le droit constitutionnel ?
Les juristes ont l’habitude (une habitude louable), de définir ce dont ils parlent avant d’en parler. Ils
définissent et classent leurs objets d’étude, ils font des typologies, car la précision est importante en
matière juridique. Les mots ont un sens, il faut le respecter.
(Remarque : dans toutes les sociétés humaines, il existe des règles. Elles prennent la forme
d’interdits, de rituels obligatoires, de tabous, de contraintes : elles existent parce que sans elles, les
Hommes seraient livrés à une violence permanente. Ils ne pourraient pas coexister).
Si on laisse de côté l’aspect « études », et que l’on essaie d’avoir une approche des « règles », il
reste que le mot droit comprend deux sens sous un même mot.
A) Le droit
LE DROIT = c’est d’abord un ensemble de règles susceptibles d’être sanctionnées par l’autorité
publique (on parle de droit objectif, car il existe, quels que soient ses destinataires : les règles sont
générales et abstraites)
→ C’est un ensemble de règles : tous nos comportements, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le
regrette, sont régis par les règles à respecter, dans la quasi-totalité des domaines de la vie. Plus une
société s’organise et plus ses règles de développement et sont complexes. Il y a des « règles »
partout.
Cela étant,il existe d’autre types de règles . Par exemple : ne pas tutoyer une personne d’un certain
âge, se lever quand une personnalité entre dans une salle... →ce sont des règles de morale, des
règles coutumières, mais pas « du droit ».
Pour qu’il s’agisse de règles de droit, il faut que soit prévue une sanction par l’autorité publique.
→ La sanction c’est, au sens populaire, la punition → On punit celui qui n’a pas respecté la règle.
De cette façon, on contribue aussi à ce qu’il la respecte à l’avenir. Cette sanction existe, parfois,
pour les règles de politesse ou de bienséance (exemple :on gronde l’enfant qui tutoie la personne
âgée, on gronde celui qui ne se lève pas de sa chaise…)
cependant ces sanctions sont exclusivement privées, elles seront appliquées ou pas (par les parents
peut-être) mais en aucun cas elles ne feront l’objet d’un PV par exemple.
→ pour que ce soit du droit, il manque un troisième élément : la sanction doit être celle de l’autorité
publique (pour faire simple, il doit s’agir d’une règle de l’État, sanctionnable par l’État ou l’un de
ses agents). On a, en système juridique, une « publicisation » de la sanction.
*Remarque 2 : on dit bien de la règle de droit qu’elle est susceptible d’être sanctionnée. C’est
parce que la règle existe même lorsqu’elle n’est pas sanctionnée (exemple : je brûle le feu rouge au
moment où il n’y a personne pour le voir ; le feu existe quand même ; si quelqu’un d’autre le fait au
moment où les policiers sont en faction, ils sanctionneront l’infraction).
*Remarque 3 : La sanction doit être entendue dans un sens très large. Une personne qui n’a pas
d’emploi a droit à des indemnités de chômage. Un étudiant qui a les points requis est reçu à son
examen : dans les deux cas, la sanction, c’est le droit aux indemnités et l’obtention du diplôme (en
d’autres termes, la sanction n’est pas toujours négative, comme le laisse penser le sens populaire de
l’utilisation du mot).
B - Le Droit = c’est ensuite une prérogative personnelle qui permet de jouir de quelque chose.
(on parle de droit subjectif, car il est lié à une personne ou à une situation spécifique)
→ C’est le droit (de propriété) dont je dispose sur le véhicule que je viens d’acheter (il est à
moi, je peux en disposer). C’est le droit que j’ai d’exiger le paiement du loyer par la personne à qui
je loue une maison. C’est aussi le droit que j’ai d’agir en justice si tel n’est pas le cas. Ce sont, plus
généralement des droits attachés à la personne ou à des situations personnelles.
→ Au final, on voit que la définition du droit ( qui fait encore débat aujourd’hui) n’est pas
simple. Quand on parle du droit (en général) on entend : « l’ensemble des règles qui régissent la
vie en société et les droits attachés aux personnes ».
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On peut se demander pourquoi on étudie, en première année, plutôt tel corps de règles que tel autre
? Pourquoi ne pas étudier le Code de la route par exemple ? Parce que l’on essaie de commencer
par l’essentiel, le plus général, celui qui s’applique à tout le monde, et parmi eux, celui qui fonde
tous les autres (c’est le cas du droit constitutionnel, on y reviendra). On a l’habitude de distinguer
ce que l’on appelle les « grandes branches du droit »
A) LE DROIT PRIVÉE
Pour faire simple (et renvoyer au cours d’introduction générale au droit), la famille du droit privé
concerne les règles à destination des personnes privées, des personnes comme vous et moi, les
rapports entre des personnes et/ou des institutions privées (des entreprises ou des associations par
exemple). Elles s’occupent des rapports entre particuliers : elles ont leurs propres juges (les
juridictions judiciaires (ou de droit privé).
→ le droit privé se décline en une multitude de disciplines :
- le droit civil,
- le droit commercial,
- le droit du travail, etc.
(le droit pénal mérite des développements spécifiques, car il a une nature particulière, sur laquelle
nous reviendrons).
B) LE DROIT PUBLIC
À côté de cette grande famille existe celle du droit public. Elle est « fondamentalement » différente
au départ. Elle concerne les disciplines du droit qui s’adressent, au moins partiellement, aux
personnes publiques.
→Elles ont donc leur propre droit et leurs propres tribunaux (car, pour elles, tout est différent :
elles ont besoin d’avoir des pouvoirs que n’ont pas les simples particuliers, les personnes privées ;
elles bénéficient donc d’un droit a priori plus favorable et inégalitaire, en leur faveur ; les règles qui
s’appliquent à elles sont spéciales ; les juges qui les appliquent sont différents de ceux qui jugent les
particuliers).
On peut être choqué par cette situation : en réalité, c’est le fait que la personne publique agisse pour
la collectivité qui justifie ce droit spécial. Quand elle veut construire une route, une collectivité
publique a des moyens que n’ont pas les simples particuliers (par exemple :elle peut exproprier. On
dit qu’elle dispose de prérogatives exorbitantes du droit commun, c’est-à-dire qu’elle a des pouvoirs
que nous, simples particuliers, n’avons pas): → c’est normal, la route servira à tous.
→ Toutes les disciplines juridiques qui concernent les personnes publiques ( exemple : l’État, la
région, le département, les communes, les entreprises publiques, les établissements publics…)
appartiennent à la famille du droit public.
Toutes ces matières sont régies par
- le droit administratif,
- le droit des finances publiques,
- le droit des États entre eux (le droit international public),
bref, une autre multitude de matières que l’on étudie durant le cursus universitaire et qui régulent
des pans entiers de ce que l’on appelle l’action publique.
Le droit constitutionnel = une branche du droit public (il concerne la personne publique « État »). Il
est au sommet de toutes les disciplines du droit public et des différentes branches (privé compris),
car il organise tout le reste. D’une certaine façon, il est le tronc (ou la racine) du système juridique
et une branche du droit public en même temps.
C’est donc tout au long du XXe siècle que la discipline s’est structurée. Le professeur Mirkine-
Guetzevich a insisté, dès après la Deuxième Guerre mondiale, sur la nécessité d’avoir une méthode.
Étudier les règles constitutionnelles ne suffit pas prétend-il alors, il faut aussi regarder l’histoire, le
fonctionnement réel des institutions et interpréter tout ce qui se fait. On a même considéré un temps
que le plus important était de faire de la science politique (Maurice Duverger, Georges Burdeau,
Bernard Chantebout, Pierre Pactet…) et que les constitutions en elles- mêmes n’étaient pas les plus
importantes de la discipline (certains prétendaient qu’elles ne servaient à rien, ou presque).
Aujourd’hui, les choses ont évolué : le pouvoir s’exerce dans le cadre d’une constitution dont on
attend le respect et, à peu près partout, un juge (le juge constitutionnel) est chargé de s’assurer que
ceux qui gouvernent le font dans le respect de la constitution. Tous les pays ou presque ont une
constitution, qui pose des règles et garantit des droits, tous les systèmes démocratiques ont un
système de contrôle pour s’assurer que les dirigeants les respectent. La politique est saisie par le
droit (selon la formule du Doyen Louis Favoreu).
On peut faire le choix, en effet, de se limiter, c’est le cas dans certaines facultés, à la présentation de
ces aspects techniques et au droit en vigueur. On parle du courant néo-constitutionnaliste (car, à
nouveau, il s’intéresse au droit prévu par la constitution et précisé par l’organe qui en contrôle le
respect)
Ici, la perspective sera intermédiaire : on analysera bien sûr les textes, le droit positif (en vigueur),
mais tout en essayant de ne jamais perdre de vue ce qui se cache toujours juste derrière en matière
constitutionnelle : le pouvoir politique et l’affrontement perpétuel pour sa conquête. Le droit
constitutionnel encadre le pouvoir politique. Il le limite, mais en pratique ne parvient pas toujours à
le contenir. L’étudier (et l’enseigner) c’est donc nécessairement réfléchir avec ces préoccupations à
l’esprit.
Au final, à nos yeux, la discipline continue d’avoir recours à la science politique, mais elle est aussi,
désormais, une matière technique, juridique avec ses règles et ses juridictions
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Au second semestre, nous étudierons comment fonctionnent les institutions de la V ème république,
c’est-à-dire le système constitutionnel en vigueur dans notre pays aujourd’hui et le système
politique auquel il donne vie au quotidien (deuxième partie). En amont, il nous faut apprendre à
maîtriser un certain nombre de concepts qui permettent d’accéder aux clés de compréhension
générale du droit constitutionnel (première partie).
Première Partie
ÉLÉMENTS DE DROIT CONSTITUTIONNEL GÉNÉRAL
L’objet du droit constitutionnel est d’encadrer les conditions d’exercice du pouvoir politique. Il
prévoit les conditions d’accession au pouvoir et les conditions dans lesquelles on gouverne. Il a
donc pour mission de poser des bornes dans un domaine où les Hommes sont traditionnellement
peu enclins à en accepter : l’exercice du pouvoir politique (titre 1)
Aujourd’hui, la discipline a vu naître ce que l’on appelle l’État de droit ou, pour ce qui nous
concerne, la démocratie constitutionnelle. Le pouvoir s’exerce désormais dans le respect de règles
et de principes (notamment le pluralisme et les libertés). Ceux qui gouvernent sont eux aussi soumis
à des règles et doivent les respecter (ils sont contrôlés à cette fin). Ce régime se démarque d’autres
formes de régimes politiques, passées ou contemporaines, où la liberté et le pluralisme ne sont pas
au programme de l’action politique et où la limitation du pouvoir par le droit n’a pas de consistance
(titre 2)
Titre 1
L’objet du droit constitutionnel :
L’encadrement juridique du pouvoir politique
Les deux notions essentielles du droit constitutionnel sont l’État et la Constitution. L’État, c’est le
cadre dans lequel s’exerce le pouvoir politique (Chapitre 1). La Constitution, c’est le statut juridique
de l’État, c’est-à-dire l’acte juridique qui fixe les règles dans le cadre desquelles on dirige l’État
(Chapitre 2). Elle est au sommet de toutes les règles du pays, au sommet de ce que l’on appelle la
hiérarchie juridique.
Chapitre 1 :
L’État, cadre d’exercice du pouvoir politique
Dans toute société humaine, il y a des gens qui dirigent et des gens qui leur obéissent. Certains ont
le pouvoir. Au sommet, quand on peut décider pour tout le pays et discuter avec les autres pays, se
trouve le pouvoir politique (Section 1). Une partie des constitutionnalistes continue de s’interroger
sur ce que c’est précisément. On va y venir. Il restera à voir dans quel cadre il s’exerce et sous
quelles formes. Aujourd’hui, le pouvoir politique s’exerce dans le cadre de l’État (Section 2) (il n’y
a plus de société organisée sous une autre forme).
A) LE POUVOIR
Avoir du pouvoir sur quelqu’un c’est être en mesure d’obtenir de sa part quelque chose, c’est-à-dire
un comportement donné (B. de Jouvenel). D’une certaine façon c’est donc avoir la possibilité d’agir
sur sa liberté. Celui qui a du pouvoir sur l’autre est en mesure de lui faire faire des choses qu’il
n’aurait pas faites tout seul. Cela peut s’obtenir par l’injonction (obligation assortie de menace) ou
par la persuasion (influence psychologique exercée pour convaincre). Pour dire les choses
simplement, on obéit quand on a peur, quand on est convaincu, ou le plus souvent dans un mélange
des deux (je m’arrête au feu parce que je sais que la police peut être au coin de la rue, mais aussi
parce que je sais que si personne ne respecte les feux, les accidents vont se multiplier).
B) LES STRATES DU POUVOIR ET LE POUVOIR POLITIQUE
Dans la société, il y a du pouvoir partout (les parents sur leurs enfants ; les patrons sur leurs
employés ; les entraîneurs sur les joueurs du club ; les enfants entre eux dans le bac à sable). Tout en
bas de la société, on retrouve toute la population, tout le monde. Les relations de pouvoir sont
multiples et variées (un enfant choisit le jeu auquel on joue ; un chef de rayon définit la stratégie
commerciale de son rayon). Plus on monte dans les structures de la société, moins il y a de monde,
et plus les décisions ont des implications sur un nombre important de personnes. Le patron sur tous
les employés du magasin, le maire sur tous les administrés de sa commune…
Au sommet de l’édifice se trouve le pouvoir politique. Celui qui domine la partie à ce niveau décide
pour tout le groupe social, pour toute la société plus précisément. Évidemment, de toutes les luttes
qui se trament pour le pouvoir, la plus importante de toutes est celle qui détermine à qui appartient
le pouvoir politique → c’est-à-dire celui qui va décider vers où l’on va, si on est en paix ou en
guerre avec les voisins, comment on organise les règles de vie en communauté, comment on
organise la vie économique : celui (celle ou ceux) qui commande(nt) toute la société).
→ Le pouvoir politique repose toujours sur un mélange entre la force et la persuasion (Max
Weber) : nous obéissons toujours un peu sous la contrainte, un peu parce que nous pensons que
c’est une bonne chose. C’est le dosage qui change selon les régimes politiques.
Certains systèmes reposent sur :
- le charisme d’un chef (on obéit parce que l’on croit au chef, on est séduit, on y croit),
- des coutumes auxquelles les gens sont attachés (on croit alors aux valeurs et à leurs qualités),
- des procédures auxquelles on croit (on croit que l’élection est un bon principe et que le vote
majoritaire permet de prendre de bonnes décisions).
→ En résumé, il faut toujours y croire au moins un peu ! (Le plus souvent, ce sont des dosages qui
expliquent le respect du pouvoir. On imagine mal un pouvoir qui ne ferait jamais usage de la
contrainte. Comme on imagine mal la survie durable d’un régime qui ne reposerait que sur la
contrainte et la force)
Quel que soit le groupe social, le pays, la communauté dont il est question, le pouvoir influence
donc la société, on vient de le voir. En retour, il serait faux de croire que seules les règles de
droit limitent le pouvoir ou que seules ces règles les empêchent de « faire ce qu’ils veulent » . Il
existe une multitude de facteurs (dont les règles de droit ne rendent pas compte) qui limitent et
influencent ceux qui détiennent le pouvoir.
D’abord, il existe toujours une histoire collective, qui pèse énormément. L’héritage culturel et la
mémoire collective ne permettent pas de faire tout et n’importe quoi. Les valeurs auxquelles sont
attachées les populations sont contraignantes : on ne peut jamais les malmener à l’excès.
Ensuite, évidemment, les relations avec l’extérieur pèsent de tout leur poids (voisins forts, faibles,
belliqueux ou pacifiques). Les données économiques influencent également la marge de manœuvre
(a-t-on des moyens financiers ou pas, de la puissance ou pas). En définitive, la société tout entière et
l’extérieur qui la borde pèsent sur le pouvoir politique et pressent sur lui.
Il en va ainsi des sociétés traditionnelles, solidement attachées à des valeurs et des traditions,
soucieuses de les garder). Il en va ainsi davantage encore lorsque la société est « complexe »,
comme c’est le cas dans les sociétés occidentales contemporaines : lorsque des gens qui ont des
goûts, des fortunes, des formations, des ascendances, des éducations, très différents, vivent dans une
même société. Lorsque les catégories socioprofessionnelles sont multiples, que les catégories
(jeunes, handicapés...) se manifestent, comme les revendications territoriales ou communautaires, le
pluralisme fait de la société une mosaïque sociale qui oblige le pouvoir à s’adapter, à arbitrer, bref,
qui pèse fortement sur l’exercice du pouvoir.
On ne peut pas gouverner sans prendre en compte la société gouvernée. De la même façon, on ne
peut pas diriger seul. En effet, il serait erroné de croire qu’il n’y a rien entre les dirigeants et les
diriger. Il existe dans toutes les sociétés des contre pouvoirs, c’est-à-dire des centres de décision
(officieux souvent) qui ont pour objet ou pour effet de limiter la puissance de ceux qui gouvernent.
Même les pires des autocrates consultent des personnes de confiance, sont entourés de conseillers,
ont une vie privée (ou des relations amoureuses) qui influencent leurs décisions.
Plus encore, il existe toujours des « institutions », des conseils, des organes, bref des lieux où la
décision politique est envisagée, discutée ou infléchie. Mais surtout, il existe des forces sociales, qui
tendent à se développer et à se multiplier au fur et à mesure que la société se complexifie : on pense
instinctivement aux oppositions politiques, aux influences intellectuelles et à la presse (quand elle
existe). Mais il ne faut jamais négliger la puissance de ceux qui détiennent la puissance spirituelle
(les églises), intellectuelle (les penseurs), physique (les armées), économique (les grands
entrepreneurs et les commerçants), ou la force de mobilisation sociale (les syndicats aujourd’hui).
Tous pèsent à leur façon sur l’exercice du pouvoir.
B) LES CONTINGENCES CONTEMPORAINES
Dans nos sociétés modernes, le pouvoir est confronté à des transformations, historiquement assez
récentes, qui changent assez fondamentalement la façon d’accéder au pouvoir et, surtout, celle de
l’exercer, Pendant longtemps, le pouvoir a été affaire d’hérédité. Puis il est devenu affaire de
personnalité (l’élection présidentielle en atteste encore). Mais depuis le 20e siècle, les partis
politiques ont acquis une importance déterminante dans le jeu de l’accession au pouvoir. Il est
extrêmement complexe de se hisser dans les hautes sphères sans en passer par les structures
partisanes
En second lieu, le monde s’est récemment compliqué et a affecté la marge de manœuvre de ceux
qui détiennent le pouvoir : la mondialisation économique a fait perdre la maîtrise des outils
économiques aux dirigeants. Les interactions sont très fortes. Des structures internationales se sont
créées et pèsent sur l’action des États. L’international a souvent le pas sur le national. Ceux qui
ont<ghg le pouvoir au niveau national n’ont pas toujours les leviers nécessaires au dépassement des
difficultés. Enfin, les systèmes politiques se sont considérablement bureaucratisés et font la part
belle aux techniciens, aux technocrates (qui s’emparent de la complexité des problèmes pour
s’emparer en même temps d’une partie du pouvoir).
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En bref, et pour conclure sur ce point, exercer le pouvoir aujourd’hui (sans même parler des règles
qui s’appliquent et que nous allons étudier dans le détail) n’est pas une chose simple, quelle que soit
la société concernée. On va voir maintenant que le pouvoir politique s’exerce aujourd’hui dans le
cadre de l’État.
(Bonjour à tous : une précision préalable ici : le contenu des notes numéroter renvoie à des
débats complexes qui sont étudiés dans d’autres disciplines ou plus tard dans le cursus : je les
soulève ici, sans aller plus loin, à titre indicatif).
L’État = la base du droit public en général et celle du droit constitutionnel en particulier. Selon
Carré de Malberg, le droit constitutionnel, c’est « la partie du droit public qui concerne les règles ou
les institutions qui forment la constitution de l’État ».
Aujourd’hui, nous avons tous une idée de ce qu’est l’État. C’est là que s’exerce le pouvoir : c’est en
quelque sorte la « personnification » d’un pays (d’une nation écrit Adhémar Esmein, mais cela fait
débat on le verra). C’est l’État qui nous dirige : c’est « lui » qui détient le pouvoir.
Pour ce qui est des fondements de l’obéissance à l’État, il faut savoir que, pendant longtemps, les
hommes ont obéi sans trop s’interroger sur les raisons de leur obéissance. Les dieux (ou Dieu),
exigeai(en)t que l’on obéisse, cela suffisait à fonder le pouvoir de ceux qui commandaient. Ceux qui
dirigeaient avaient un mandat divin. Il faudra attendre le XVe voire le XVIe siècle pour que la
réflexion sur la nature du pouvoir (et les raisons de l’obéissance) commence(nt) à évoluer.
Il commence à germer l’idée que le roi est engagé vis-à-vis de ses sujets par une sorte de contrat (un
accord entre le gouvernant et les gouvernés) (2) .
(2) = Pour certains, comme Hobbes, cela n’engage à rien de concret pour le roi : il peut faire ce qu’il veut.
Pour d’autres, comme Locke, si le roi ne respecte pas son engagement, le contrat est rompu et le peuple peut
désobéir. Rousseau, le premier, fera évoluer substantiellement cette notion de contrat. Pour lui, les citoyens
ont fait un pacte pour obéir à ce que décidera la majorité : ce sera la volonté générale. Hegel renouvellera
encore cette réflexion : pour lui, l’homme est un individu, mais qui n’existe que par le groupe auquel il
appartient. L’État combine les intérêts individuels et l’intérêt général.
On va voir que, quoi qu’il en soit (quel que soit le fondement de l’obéissance), toutes les
institutions créées se détachent peu à peu des gens qui en occupent les fonctions. L’État finit par
exister en tant que tel. En effet, ceux qui occupent les fonctions sont appelés à changer alors que
l’appareil d’État demeure. Il y a un processus d’institutionnalisation.
On l’a dit : L’État est difficile à définir. Entre « l’État c’est moi » (Louis XIV) et « l’État c’est nous
» (Proudhon), il est difficile de placer les curseurs. Personne n’a jamais dîné avec l’État… Pas
simple d’en donner une définition claire et précise (3) .
(3) = Aujourd’hui, la sociologie « moderne » est passée par-là : on sait que l’État est surtout la résultante
d’un jeu de forces politiques. Le groupe le plus fort gagne le monopole de l’appareil de commandement
politique (l’aristocratie, la bourgeoisie, l’église, l’armée, le peuple…). Si personne n’y parvient vraiment, ou
qu’aucune oligarchie n’est en mesure d’en garder le monopole, les forces en présence rivalisent et se
structurent en fonction de leurs rapports de force (armée, églises, industrie, syndicats, intellectuels…). Au
sein de ces oligarchies, il y en a cependant toujours une qui domine.
On sait toutefois à quoi sert l’État → il sert à réguler les rapports sociaux, à assurer la sécurité de
ses ressortissants, à doter la collectivité d’équipements et à traiter les problèmes qui se posent au
groupe (auquel il donne une certaine unité). Il fait tout cela en produisant des règles (c’est le
pouvoir normatif), en exécutant les règles et décisions prises et en les faisant appliquer (pouvoir
exécutif) et en jugeant, au besoin les infractions aux règles ou les incompréhensions qu’elles
génèrent (pouvoir judiciaire ou juridictionnel).
On sait donc ce qu’il fait, on essaie, à défaut de pouvoir vraiment le définir, de déterminer ce que
c’est. On s’accorde pour dire que l’État est une autorité politique institutionnalisée, qui s’exerce
sur un territoire donné et sur une population donnée
L’autorité politique, on l’a dit, c’est celle qui impose sa volonté sur l’ensemble de la société.
Aujourd’hui, cette autorité s’exerce davantage par le droit et dans le cadre du droit. Elle doit être
respectée sous peine de sanctions (qui peuvent aller, bien sûr jusqu’à l’emploi de la force pour
contraindre). On entend ici par autorité politique un pouvoir souverain (c’est-à-dire un pouvoir qui
ne subit l’autorité d’aucun autre). Le pouvoir souverain, c’est l’indépendance, c’est la faculté de
se gouverner seul, sans autorité supérieure .
L’État est souverain : il s’organise comme il le veut, il a une compétence exclusive qui n’est
concurrencée par aucune autre autorité. En d’autres termes, pour qu’il y ait État, il faut qu’il y ait un
pouvoir souverain, indépendant. (Vis-à-vis des autres États, cela confère le pouvoir de s’organiser
comme on l’entend, d’avoir des relations diplomatiques, de passer des traités, d’être respecté dans
son intégrité territoriale ; cela rend responsable également, des actes que l’État commet : vous
verrez en cours de relations internationales que le principe général de ces relations est celui de
l’égalité souveraine des États. Il pose de multiples problèmes pratiques).
Par ailleurs, pour qu’il y ait État, il faut que ce pouvoir soit « institutionnalisé ». Cela veut dire
que cette autorité n’est pas liée à une personne physique, mais que l’institution existe
indépendamment de la personne qui exerce la fonction d’autorité (le président de la République
engage la France dans un traité : la France est engagée, et elle restera engagée même lorsque le
président aura changé). La personne morale État ne se confond pas avec ceux qui en occupent les
fonctions (la taille de la population ou du territoire importe peu).
B. UN TERRITOIRE DÉLIMITÉ
Traditionnellement, il existait des sociétés humaines itinérantes qui se déplaçaient en fonction des
leurs besoins et des saisons (par exemple : les sociétés touareg)
*L’État est une création occidentale : il se caractérise par :
- un territoire clairement défini et borné (par des frontières).
- des frontières → sont bien sûr les frontières terrestres, mais aussi maritimes et aériennes
(aujourd’hui).
→ Vous en verrez le contenu en relations internationales. L’autorité politique s’exerce dans le cadre
de ce territoire, sur lequel les autres États ne sauraient avoir de prétentions. On dit que l’État
bénéficie du principe d’intégrité territoriale. (Les guerres de conquêtes s’expliquent par la volonté
d’États de s’emparer de territoires qui ne leur appartiennent pas pour y imposer leur autorité.
Aujourd’hui, on dit qu’ils portent atteinte à l’intégrité territoriale de l’État qu’ils attaquent.
- la population
Le territoire est essentiel à la qualification d’État → Pas d’État sans territoire.
(4) = En réalité on distingue deux « thèses » de la nation : la thèse allemande (thèse, dite objective, fondée
sur l’appartenance physique, la langue, la religion, portée notamment par Fichte) qui a conduit,
historiquement, à la construction d’une forme de racisme idéologique. La thèse française, dite subjective et
formulée par Ernest Renan, qui se fonde plutôt sur des valeurs communes et le souci du vouloir-vivre
ensemble, portée par des principes de vie.
Il est vrai qu’au cœur de l’Europe, il existe une correspondance assez forte entre les États et les
nations (exemple :les Italiens, les Allemands, les Français, ont, chacun, le sentiment d’avoir un
passé commun, des valeurs communes, un avenir commun). Certains ont pu en déduire (Esmein)
qu’à chaque nation devait correspondre un État : un pays, un État pour chaque peuple en quelque
sorte. Voilà quel en est le principe.
Mais l’expérience du XXe siècle est venue infirmer ces affirmations. Il s’agit là d’une question
majeure d’explication de la situation du monde dans lequel nous vivons.
→ Par exemple : Le découpage colonial de l’Afrique, a donné lieu à des États, dans les années 60,
qui ne correspondent pas du tout aux sentiments d’appartenance de populations (on a coupé des
sociétés homogènes et on a rassemblé dans des pays des populations parfois très éloignées les unes
des autres).
Il en résulte que, un peu partout sur la planète, il existe des États dont les populations ne sont pas du
tout homogènes. Beaucoup de pays n’ont pas vraiment une nation commune (des tribus, des ethnies
cohabitent sans vraiment rien partager). Certaines nations (par exemple :comme le peuple kurde)
sont disséminées sur plusieurs États et n’ont pas d’État propre. Or, ces nonconcordances entre États
et nations sont à l’origine de problèmes majeurs du monde qui nous entoure (des populations sont
soumises à des autorités souveraines qui ne leur correspondent pas toujours, ce qui déclenche des
guerres).
En plus, d’un point de vue juridique, les choses ne sont pas faciles : d’un côté, il apparaît « normal »
et légitime que chaque nation ait son propre État. Mais d’un autre, on ne sait pas où doit s’arrêter la
revendication des peuples : sinon tout sera toujours remis en question.
Juridiquement, il existe d’un côté « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et de l’autre celui
de « l’intangibilité des frontières » qui assure un minimum de stabilité. On a vu ainsi, pendant le
conflit bosniaque du début des années 90, des pays faire sécession de la Yougoslavie, des régions
demander l’indépendance à l’intérieur de ces pays, puis des villes le faire à l’intérieur des régions,
puis des quartiers dans les villes, puis des pâtés de maisons dans les quartiers des villes… Le
problème est que lorsque les deux principes (droit des peuples/intangibilité des frontières)
s’opposent sans compromis possible, c’est le plus souvent la force des canons qui parle. (Il existe
pourtant des solutions juridiques lorsque les parties sont favorables à une négociation :
l’organisation fédérale en est une, on y viendra).
Mais revenons à l’essentiel : l’État est une personne morale dotée de l’autorité politique souveraine
qui s’exerce sur un territoire et une population (cette population n’est pas toujours une nation
homogène). Il reste que l’organisation de l’État peut prendre des formes très différentes.
→ L’État peut aussi être plus ou moins décentralisé. On va alors créer des institutions locales (qui
seront élues, avec leurs propres pouvoirs, et une certaine autonomie financière, car elles pourront
prélever de l’impôt pour agir : les communes, les départements et les régions par exemple, sont des
collectivités décentralisées. Elles agissent en leur nom propre et se distinguent de l’État : on appelle
cela la décentralisation territoriale). Parfois, on donne de l’autonomie à des institutions qui exercent
une fonction particulière d’intérêt général (Université, Hôpital…). On parle alors de
décentralisation fonctionnelle.
Depuis 1982, la France est un État décentralisé. Cela signifie que les collectivités territoriales ont
des compétences dans un certain nombre de domaines (mais elles ne peuvent pas faire des lois ou
signer des traités. Elles ont un pouvoir d’administration (elles gèrent les routes, les collèges,
l’éclairage public, le traitement des ordures ménagères…). Mais elles ne disposent jamais d’un
pouvoir politique souverain. Il n’y a qu’une seule volonté politique.
B. L’ÉTAT FÉDÉRALE
L’État fédéral est, d’un point de vue théorique, à l’opposé de ce que nous venons de voir. En
général, cette technique d’organisation est utilisée quand on cherche à gouverner des populations
hétérogènes (qui veulent commercer ou se protéger mutuellement). Il existe une trentaine d’États
fédéraux dans le monde aujourd’hui.
1. PROCESSUS DE CRÉATION
Parfois, des États se rapprochent, s’associent et finissent par convenir de créer un « super » État,
auquel ils abandonnent la souveraineté. Ils créent une fédération (pour mieux se défendre, pour
mieux commercer). C’est du fédéralisme par association (ou intégration) (Suisse, États-Unis
d’Amérique…). Parfois, c’est plus rare, c’est l’inverse qui se produit : un grand État souverain se
décompose (on parle alors de fédéralisme par dissociation) (exemple :Brésil, Belgique,
Allemagne…).
Le plus souvent, le fédéralisme passe par une période intermédiaire, celle de la confédération (une
confédération repose sur un traité ; elle associe ses membres et coordonne leurs politiques ; les
décisions y sont prises à l’unanimité ; les représentants des États membres gardent donc leur
souveraineté.
Le problème lié à la confédération est le suivant : quand tout le monde est d’accord, on avance.
Mais il suffit qu’un seul soit contre et tout est bloqué. C’est pour cela que la confédération est un
stade intermédiaire : quand on est d’accord, on va vers le fédéralisme. Quand on n’avance plus, la
confédération disparaît.
(Remarque : ne vous laissez pas abuser par le terme « Confédération helvétique », qui qualifie la
Suisse. En réalité, c’est une fédération).
2. PRINCIPES ORGANISATIONNELS
Alors que la confédération repose sur un traité, la fédération est dotée d’une constitution. L’auteur
symbolique de la fédération, c’est le peuple de la fédération tout entière. Georges Scelles a montré
que toute fédération repose sur plusieurs principes :
- La superposition (un super État se superpose aux États membres) : il y a donc un État
fédéral (doté de sa propre constitution) et des États membres, dits les États fédérés (eux-aussi dotés
de leur constitution, mais reconnaissant l’autorité de l’État fédéral).
→ Chaque État dispose de ses propres institutions ; un exécutif, un législatif, des institutions
judiciaires. L’État fédéral est lui aussi organisé de la même façon.
- L’autonomie. Le principe d’autonomie veut que chaque État fédéré ait des compétences
propres. Il les tient de sa propre constitution : il a simplement décidé d’en concéder à l’État fédéral
(la défense, la diplomatie, la monnaie, les douanes…). Tout le reste lui appartient. Il reconnaît
l’autorité de la fédération dans ces domaines, mais il demeure souverain pour tout le reste (c’est
pour ça que les règles relatives au port d’armes, à l’avortement, à la consommation de drogues ou
d’alcool, l’âge auquel on peut conduire… peuvent diverger d’un État à l’autre aux États-Unis). La
constitution fédérale prévoit juste des principes généraux que les États fédérés doivent respecter.
→ Remarque : dans les États fédéraux, il existe toujours un tribunal suprême chargé de trancher les
conflits de compétence qui pourraient naître entre les États fédérés et l’État fédéral. C’est bien sûr
indispensable (cour suprême des États-Unis ; tribunal de Karlsruhe en Allemagne fédérale). Ces
tribunaux sont là pour juger ce que l’on appelle les « conflits de compétences : à qui appartient une
compétence donnée ? Quelquefois, l’État fédéral et l’État fédéré prétendent être compétents tous les
deux (on parle de conflit positif de compétences). Parfois, aucun des deux ne veut exercer une
compétence en prétendant que c’est à l’autre de le faire (on dit alors que c’est un conflit négatif) : le
juge tranche et décide qui doit faire quoi.
- La participation, enfin. Les États fédérés participent toujours à la composition de l’État
fédéral (par exemple, le Sénat américain est la représentation des États fédérés dans la fédération
américaine. C’est ce qui explique qu’il soit beaucoup plus puissant que le Sénat français.
Remarque importante : les États fédéraux ont généralement tendance à voir le pouvoir central se
renforcer. L’État fédéral, progressivement, se renforce. À l’inverse, les États unitaires ont, eux,
tendance à se décentraliser. Tant et si bien que paradoxalement, ils ne sont aussi éloignés que l’on
pourrait le penser. Entre l’État fédéral qui se recentre et l’État unitaire qui se décentralise, les modes
de gouvernance démocratique ont plutôt tendance à se rapprocher assez significativement. Entre les
deux a germé une notion hybride : celle de l’État unitaire régionalisé (un quasi-État fédéral).
Certains parlent à cet égard de fédéralisme caché ou de crypto fédéralisme. Il est vrai qu’on en est
très proche. À quelques nuances près toutefois. Sans entrer dans le détail, l’exemple espagnol est
très intéressant sur ce terrain. La constitution espagnole de 1978 prononce le caractère unitaire de
l’Espagne, mais l’autonomie des régions y est tellement forte que l’on est tout proche de la
fédération. En effet, elle va beaucoup plus loin que la décentralisation à la française : le degré
d’autonomie varie selon les régions (qui peuvent être plus ou moins autonomes, exemple :comme
les Basques, les Catalans et les Galiciens) ; les institutions des régions sont proches de celles d’un
État (exécutif, parlement, juridictions). Ce sont presque des États dans l’État (mais ils ne disposent
pas du pouvoir diplomatique et de la représentation internationale (on sait que récemment, les
autonomistes catalans ont entamé un processus d’indépendance unilatéral que le pouvoir espagnol a
réprimé).
→ Les Italiens ont un mode d’organisation assez proche de celui des Espagnols.
Plus importants encore, les règlements de l’Union sont directement applicables dans les pays
membres (pas besoin d’une réception ou d’une acceptation interne) : elles bénéficient du principe de
primauté et d’applicabilité directe. Enfin et surtout, un nombre de plus en plus étendu de décisions
est adopté à la majorité qualifiée des membres (c’est-à-dire que l’on peut prendre des décisions qui
s’appliquent à des États qui n’en veulent pas). On est donc tout proche de la fédération (et de la
superposition).
Cela étant, ce n’est pas tout à fait une fédération (elle est donc infra fédérale). D’abord, parce que ce
mot n’apparaît pas dans ses traités fondateurs. Ensuite, et surtout parce qu’il n’existe pas un
véritable État européen doté d’une constitution européenne (ce sont des traités internationaux qui la
fondent). Par ailleurs, il n’existe pas une compétence « originelle » de l’Union. Ce n’est pas elle qui
décide sur quoi elle est compétente. Elle n’a pas (comme disait Jellinek) la compétence de sa
compétence : elle n’est donc pas souveraine (ce n’est donc pas un État). Ce sont les États membres
qui décident de ce qu’ils veulent bien lui concéder. D’ailleurs, pour faire évoluer les statuts de
l’Union, ce sont les États membres qui doivent le décider à l’unanimité.
On est donc tout proche du fédéralisme, sans l’atteindre (or l’Histoire le montre, on l’a vu, que
naturellement, soit on va vers le fédéralisme, soit on se sépare : le retrait des Anglais est source
d’interrogation sur ce point).
CHAPITRE 2 :
LA CONSTITUTION, STATUT JURIDIQUE DE L’ÉTAT
Le pouvoir politique est aujourd’hui exercé, on l’a vu, dans le cadre de l’État. Il se trouve que l’État
est aujourd’hui lui-même encadré par une norme juridique, une règle fondamentale, un texte de
droit qui borne toute son activité : la Constitution
La Constitution = un texte juridique d’une importance particulière. De par son contenu, bien sûr,
mais également du fait de son positionnement dans la hiérarchie des normes (elle est au sommet).
Le critère formel (qui s’intéresse à la nature de la norme) veut que la Constitution, ce soit un
ensemble des règles juridiques élaborées et révisées selon une procédure spéciale (c’est un critère
imprécis, car il ne se soucie guère du contenu matériel du texte).
Aujourd’hui, on peut donc s’accorder pour combiner ces deux critères (le critère formel, le plus
important, assorti du critère matériel) : la Constitution est la norme suprême de l’ordre juridique,
élaborée et révisée selon une procédure spéciale, relative au fonctionnement et à l’organisation de
l’État.
C’est le statut de l’État disait Raymond Carré de Malberg (un peu comme une association a un
statut, l’État a une Constitution). C’est l’outil d’encadrement et de limitation de l’État.
Les Constitutions sont en règle générale des actes juridiques écrits. Il existe toutefois des contre
exemples. Par exemple Le Royaume-Uni, Israël, la Nouvelle-Zélande, l’Arabie Saoudite ou le
royaume d’Oman ont des Constitutions coutumières. → donc ces pays n’ont pas un texte spécifique
consacré à l’organisation ou au fonctionnement du pouvoir. Le pouvoir y fonctionne soit sur la base
de textes épars, soit sur la base de règles coutumières respectées de longue date.
Mais à ces rares exceptions près, les Constitutions sont aujourd’hui écrites (la Constitution de l’État
de Virginie en 1776 et celle de 1791 en France ont été les des précédents très importants en la
matière : elles ont donné chair au constitutionnalisme du XVIIIème siècle).
Remarque : on verra plus loin que la pratique constitutionnelle des textes donne souvent naissance à
des coutumes constitutionnelles (des choses qui ne sont pas écrites, mais qui deviennent des
pratiques courantes (ce qui dilue la distinction entre Constitutions écrites et Constitutions
coutumières).
Les Constitutions débutent le plus souvent par des déclarations et des garanties de droits. Mais elles
sont précédées, en général, par un rappel de la philosophie qui anime le constituant (évidemment,
tout le reste dépendra de ce choix constitutif initial (par exemple selon que l’on est libéral ou
marxiste). Les grands principes qui guident l’État sont donc énoncés avant tout (voir le préambule
de la Constitution française de 1958). Puis vient en principe une liste de garanties de
droits. (En France, c’est un peu particulier : il s’agit simplement d’une « déclaration de droits »,
donc une déclaration d’intention (à laquelle il est fait référence de façon indirecte qui plus est), sans
mécanisme juridique de nature à en assurer la garantie ; on y viendra).
Mais en général, donc, la Constitution débute par l’énumération et la garantie d’un certain nombre
de libertés : de penser, d’aller et venir, de se réunir, de posséder… auxquelles peuvent s’ajouter des
droits économiques et sociaux (exemple :droit à la retraite, à l’aide sociale, de manifester, de
s’associer…) qui sont venus en complément des premiers plus récemment. La garantie est assurée
par des actes d’habeas corpus qui prévalent les individus des arrestations arbitraires. Le
constitutionnalisme
ayant pour finalité de limiter le pouvoir, il est naturel qu’il prévoie que nul ne puisse être arrêté
arbitrairement…
Pour rester encore un peu dans la généralité, on peut dire de la Constitution qu’au delà du projet
d’organisation sociale qu’elle met en place (philosophie générale et garanties de droits), elle
organise le pouvoir. Elle « dit » qui peut agir, dans quels domaines et comment. Elle prévoit aussi
dans quelle mesure on peut accéder aux postes qui permettent d’agir pour la collectivité publique
tout entière.
En pratique, elle prévoit « qui » fait la loi : qui détient et comment est exercé, le pouvoir législatif.
Comment, en d’autres termes, on peut prescrire des règles générales, applicables à tous.
Elle prévoit également comment on exécute ce qui a été décidé dans la loi : qui détient le pouvoir
exécutif d’application des lois et dans quelle mesure. Il est indispensable, en effet, d’attribuer un
pouvoir (dit « réglementaire ») qui concrétise, rende applicables, les dispositions générales de la
loi.
Elle détermine, enfin, « qui » juge les litiges nés de l’application des lois et de leurs règlements
d’exécution, ou qui juge les problèmes liés à l’application même de la Constitution (elle organise le
pouvoir judiciaire et/ou juridictionnel). Aujourd’hui, elles prévoient notamment un système de
contrôle de constitutionnalité à cette fin.
La Constitution détermine également quels sont les organes chargés de ces différents pouvoirs et
précise, pour les plus importants d’entre eux, comment ils sont élus ou désignés, combien durent
leurs fonctions, comment elles prennent fin.
Enfin, elle aborde la question des rapports entre ces différents organes et détermine dans quelles
conditions ils peuvent collaborer ou interagir les uns sur les autres (c’est un élément essentiel sur
lequel on s’arrêtera longuement, car ces rapports déterminent la nature profonde du régime).
Il faut comprendre de quoi il s’agit, d’un point de vue matériel, mais aussi symbolique. Le pouvoir :
- soit vient d’accéder à l’indépendance,
- soit vient d’apparaître de la volonté commune de plusieurs États,
- soit encore veut changer totalement ce qui existait jusque-là et marquer ce bouleversement d’un
changement radical d’organisation.
Il y a des chemins très divers qui mènent à une nouvelle Constitution (Souvent, d’ailleurs, le chemin
emprunté en dit long sur le contenu de la nouvelle Constitution. Je m’explique) :
→ Il arrive que ceux qui sont déjà au pouvoir décident de doter le pays d’une nouvelle
Constitution.
* Ils veulent consacrer un changement de régime politique (mais on notera qu’ils demeurent
au pouvoir à l’issue de la mise en place de la nouvelle Constitution). On parle alors de Constitutions
« octroyées ». C’est souvent le cas lorsque des dirigeants, critiqués pour leur autoritarisme ou leur
manque de légitimité, veulent faire bonne figure et montrer qu’ils ont changé (toutefois, comme ils
sont les auteurs exclusifs de la nouvelle Constitution et qu’ils restent aux commandes à l’issue du
processus constituant, on dit de ces processus qu’ils sont peu démocratiques).
* Il arrive que le processus soit semi-démocratique. Les titulaires du pouvoir rédigent une
nouvelle Constitution, mais ils soumettent son approbation au vote du peuple en référendum (le
peuple n’en choisit donc pas le contenu, mais il est quand même appelé à se prononcer sur son
entrée en vigueur).
La Constitution fixe les orientations générales de la société et les conditions d’exercice du pouvoir.
Mais les temps changent, les choses évoluent et il est indispensable que la Constitution puisse
évoluer avec la société.
Cela étant, il est souhaitable que ceux qui sont momentanément aux commandes n’aient pas la
possibilité trop facile de modifier le texte à leur profit. Dans le cas contraire, on ne peut pas
considérer qu’il existe une véritable Constitution, mais plutôt que celle-ci est un acte juridique
comme un autre : on parle alors de Constitution souple (exemple : si une simple loi suffit pour
modifier la Constitution est-ce vraiment une Constitution ? C’est rare, mais c’est le cas en
République populaire de Chine, en Israël, au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande).
C’est le texte constitutionnel lui-même qui prévoit les conditions dans lesquelles il peut être appelé
à évoluer. On trouve toujours plusieurs phases dans la procédure, qui fait intervenir des acteurs
différents, pour s’assurer, en quelque sorte, qu’il s’agit bien d’une volonté collective et pas de la
volonté exclusive de ceux qui commandent.
- La première phase = l’initiative de la révision : elle détermine qui peut décider de mettre
en marche la procédure. Cette faculté est le plus souvent limitée à un nombre très réduit de
personnes ou d’institutions.
- La deuxième phase = celle durant laquelle on va discuter du sens et du contenu de la
modification : que veut-on modifier, dans quel sens, comment formule-t-on la modification
constitutionnelle ? Elle fait intervenir d’autres acteurs, différents des premiers.
- La troisième phase = l’adoption de la révision. En général, elle fait intervenir plusieurs
acteurs différents également.
→ Au final, ce qui compte est que tous les pouvoirs aient contribué à la procédure de révision.
Parfois, souvent même, les conditions du vote sont plus exigeantes pour s’en assurer (on demande
plus que la majorité ; par exemple une majorité qualifiée).
Dans une procédure de révision, dans le cadre d’une Constitution rigide, le pouvoir exécutif
intervient, le législatif est lui aussi impliqué, et il est fréquent que le peuple soit enfin consulté par la
voie référendaire. On cherche à sécuriser la procédure et à s’assurer qu’une majorité solide est
d’accord avec le changement que l’on apporte au « contrat de société » qu’est la Constitution.
Dire que la Constitution est le texte le plus important de l’ordre juridique est une chose. Mettre en
place des mécanismes qui en assurent l’autorité en est une autre. La question pose des difficultés
théoriques et pratiques. Une fois les choix théoriques et techniques opérés et érigés en systèmes, on
trouve des « grandes familles » de contrôle de constitutionnalité.
Mais là n’est pas le problème majeur : il se pose surtout la question de l’autorité de la Constitution.
La Constitution = l’acte suprême de l’ordre juridique : soit. Mais lorsqu’il n’existe aucun
mécanisme de nature à obliger les décideurs politiques à la respecter, se pose la question de sa vraie
valeur. Georges Burdeau, lorsqu’il écrivait dans les années soixante, considérait que la Constitution
avait une valeur historique et sociologique, mais qu’elle était dépourvue de force juridique.
Ce n’était pas complètement faux. Bien sûr, il existe en principe, dans de nombreuses Constitutions
( par exemple en France, dans nos anciennes Constitutions ), des principes fondamentaux comme le
« droit de résistance à l’oppression » ou le « droit à l’insurrection » qui permettent en théorie de
sanctionner ceux qui violent manifestement et brutalement la Constitution. Bien sûr, il peut exister
des mécanismes plus « sophistiqués » de destitution (comme c’est le cas aux États-Unis par
exemple). Mais au quotidien, pour s’assurer que la Constitution est respectée, et sans en venir
systématiquement à la destitution ou au renversement de ceux qui gouvernent, il n’existait rien de
concret dans le système français que Burdeau commentait.
Au quotidien, en effet, les entorses à la Constitution (parfois mineures), peuvent pourtant se régler
avec un procédé juridique éprouvé : le contrôle de constitutionnalité. Il s’agit, en fait, d’une
sanction juridique de l’inconstitutionnalité. C’est la démarche par laquelle un organe institutionnel
va vérifier qu’un acte juridique de rang inférieur à la Constitution est bien conforme à celle-ci.
Aujourd’hui, c’est le système le plus sophistiqué de garantie de l’autorité de la Constitution : il rime
quasiment avec le concept de démocratie constitutionnelle.
* On sait depuis Hans Kelsen que le droit est construit de façon pyramidale : au sommet, la
Constitution doit (selon lui) être respectée.
- Le premier problème = que ce contrôle va limiter le pouvoir de ceux qui gouvernent. Cela
signifie que ceux qui gouvernent en ayant été élus par le peuple sont contrôlés par un organe qui, de
fait, peut apparaître comme leur supérieur (c’est un grand problème en droit constitutionnel :
comment justifier qu’il y ait quelque chose au-dessus de la volonté émise par les représentants du
peuple ?).
- Le deuxième problème tient à la nature même de ce contrôle : un organe habilité à le faire
va regarder le travail du législateur (la loi), confronter ce texte à la Constitution et décider si c’est
ou non acceptable. Il va donc faire un travail d’interprétation, va se faire une opinion (toujours plus
ou moins subjective, car le droit n’est pas une science exacte) et finalement imposer cette opinion
au législateur : il va pouvoir dire par exemple que le législateur s’est trompé (se pose alors la
question de savoir qui détient vraiment le pouvoir ?).
En France, nous étions traditionnellement très hostiles à ce système. La loi, chez nous, est
l’expression de la volonté générale et il était difficile d’accepter l’idée que l’on puisse arrêter ou
empêcher la volonté générale. Mais l’idée a fait son chemin et la France a rejoint le système usité
par toutes les grandes démocraties contemporaines. Le contrôle de constitutionnalité, on va le voir,
se justifie aujourd’hui par le fait qu’il contrôle ceux qui exercent le pouvoir, mais également qu’il
protège les droits de ceux qui sont gouvernés (on y viendra). Son organisation pratique peut varier.
La France a pendant longtemps occupé une place marginale en la matière avant de rejoindre les
modèles européens les plus perfectionnés.
Le système mis en place dépend toujours d’une série de choix. Il est important de connaître les
enjeux de chaque choix, plus essentiels les uns que les autres (car la nature de la démocratie en
cause en dépend).
- Le premier choix = décider « qui » va contrôler , qui est l’organe compétent. C’est une mission
délicate de contrôler le pouvoir politique et, éventuellement, d’avoir à constater qu’il a violé la
Constitution. Il existe deux options :
- soit on confie le contrôle à un organe lui-même politique,
- soit à un organe juridictionnel (on va l’appeler « le juge »).
En pratique, on le confie à un juge (qui va juger en droit) et non à un organe politique (qui va sans
doute continuer à faire de la politique : le contrôle par un organe politique est, de toute évidence,
moins crédible)
*Il convient ensuite de choisir le moment auquel on peut faire le contrôle : si le contrôle a
lieu avant que la loi ne soit en vigueur, on dit qu’il a lieu a priori. Le juge regarde la loi, la confronte
à la Constitution, et dans un jugement complètement théorique et abstrait, décide si la loi est
conforme (ou pas) à la Constitution. Mais il est possible, également, de décider que ce contrôle aura
lieu après l’entrée en vigueur de la loi : dans ce cas, il a lieu a posteriori. C’est au moment de
l’application concrète de la loi que se pose alors le problème de sa constitutionnalité. Le juge est
ainsi appelé à trancher un litige concret, qui implique des gens.
→ Se pose également la question de savoir « comment » va être saisi le juge.
On distingue ici le contrôle par voie d’action (celui qui fait le recours constitutionnel demande
directement que la loi soit déclarée inconstitutionnelle ; il agit en justice à cette fin) et le contrôle
par voie d’exception (il y a un procès devant une juridiction quelconque : une personne à qui la loi
est susceptible de s’appliquer demande à ce qu’elle soit écartée pour inconstitutionnalité. Dans ce
cas, il y a déjà eu une action (principale) en justice, puisqu’on est déjà dans un procès, le citoyen en
question va, comme on dit, soulever l’exception (préjudicielle) d’inconstitutionnalité.
Enfin, il reste à savoir à qui s’oppose la décision rendue : soit on considère que la décision ne vaut
que pour les parties au litige en jugement (ont dit que le jugement a une portée inter partes, qu’il ne
vaut qu’entre les parties), soit on considère que la décision rendue par le juge doit s’appliquer à tout
le monde (elle est alors d’application erga omnes, à l’égard de tous).
Il existe, d’un point de vue théorique, 3 grands systèmes de contrôle. « L’américain », « l’Européen
» (celui qui est pratiqué, dans ses grandes articulations, par les grandes démocraties européennes) et
le « français » (que tout opposait au système américain au départ). Néanmoins, le système français
s’est considérablement rapproché du système européen (il n’existe plus, dans sa forme originelle,
que dans des pays africains). On restera très bref ici.
→ Le modèle américain autorise tous les juges à procéder au contrôle (pas de Conseil
constitutionnel aux États-Unis). Tout justiciable américain à qui on veut appliquer une loi dans un
procès peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité. On est donc sur un contrôle par voie
d’exception, a posteriori, qui s’opère de façon concrète. Le juge ne juge que pour les parties en
présence au litige (c’est la Cour Suprême des États-Unis qui harmonise les jurisprudences au terme
de tous les recours).
Il y’ a une séparation des organes mais il reste une grande collaboration qu’on appelle « check
embarases » ce qui en fait un système très compliquer. Les parlementaire ont un vrai pouvoir alors
que les sénateur ont eux, un temps de parole limitée. Au EU le président a un droit de veto, ainsi si
la loi ne lui plaît pas il peut la bloquer, or, si 2/3 des parlementaire ne sont pas d’accord il peuvent
bloquer le veto. Il existe aussi des veto de poche pour les fin de sessions.
Aux État unis, en principe, c’est le président lui seul qui détiens le pouvoir exécutif. En vérité il est
soumis a un contrôle étroit du congrès et le sénat → le sénat peut toujours s’opposer aux décision si
il obtiens une majorité des 2/3. il ont un pouvoir d’enquête très puissant.
Les tribunaux américains contrôle que la constitution soit respecter.
→ Le système français (aujourd’hui largement « dépassé »), était en réalité au départ celui
d’un système frileux à l’égard du contrôle de constitutionnalité. Seules pouvaient saisir le Conseil
constitutionnel (seul organe habilité à juger), des autorités politiques en nombre très restreint. Le
Conseil était donc limité à un contrôle a priori (avant la promulgation de la loi) et abstrait. Le
Conseil, qui statuait d’un point de vue purement théorique, rendait une décision sur l’ensemble
de la loi. Une fois rendue, la décision valait pour tous : impossible pour un justiciable de contester
une loi en vigueur.
→ Le modèle européen, enfin, largement hérité de la pensée de Kelsen. On pourrait dire pour
simplifier qu’il est une combinaison des deux précédents : on peut saisir avant la promulgation,
mais également après l’entrée en vigueur de la loi → comme dans le système américain.
→ Il reste quand même de grandes différences avec le système américain:
le juge constitutionnel est toujours un juge spécialisé (comme préconisé par le grand juriste
autrichien). En pratique, quand une affaire arrive devant un juge et qu’elle pose un problème de
constitutionnalité, le juge demande au juge constitutionnel de procéder au contrôle et attend sa
réponse pour reprendre son jugement (on dit qu’il sursoit à statuer et qu’il pose une question
préalable de constitutionnalité au juge constitutionnel).
En 2008, la France a fait le choix de rejoindre le système européen. Elle cumule désormais le
contrôle à priori et le contrôle à posteriori. On parle de question prioritaire de constitutionnalité.
Titre 2
La démocratie constitutionnelle
Les débats théoriques pour qualifier et classer les différents régimes politiques ont depuis
longtemps animé la doctrine qui travaille sur le pouvoir, l’organisation du pouvoir et, plus
récemment, l’encadrement du pouvoir par le droit. On distingue aujourd’hui, globalement, les
régimes démocratiques de ceux qui ne le sont pas (il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, mais de
dégager des critères qui permettent de démarquer les uns des autres).
Leurs grands principes sont : que la société fonctionne sous l’empire du droit dans le cadre de l’État
(État de droit, donc) et que ce système est mis en œuvre et limité par l’exigence, faite à ceux qui
commandent de respecter les droits fondamentaux de l’individu. L’ensemble est fixé dans une
constitution qui donne corps à ce que l’on appelle dès lors la démocratie constitutionnelle.
Le débat dont on parlait à l’instant touche notamment un aspect théorique majeur : la démocratie
n’est-elle qu’un système de procédures (une pyramide de normes qui produit des normes), est-elle
un ensemble de droits (exemple : droit de vote, de participation, de protection, des libertés
individuelles), est-elle simplement ce que le juge dit qu’elle est quand il doit se prononcer (un droit
jurisprudentiel, donc), ou est-elle un mélange de tout cela à la fois ? Et peut-être plus même : est-
elle liée à une forme particulière de société sur laquelle elle naît et se développe (1) ? le débat est
complexe. Le parti retenu ici est de combiner tous ces points de vue et de n’en exclure aucun. Les
démocraties constitutionnelles se caractérisent par un certain nombre de principes qu’elles ont en
commun (la représentation, l’élection, la séparation des pouvoirs et la justiciabilité). Par-delà,
l’organisation matérielle peut prendre des formes assez variées (régime parlementaire, régime
présidentiel ou mixte).
(1) = Ce qui voudrait dire que la démocratie constitutionnelle ne pourrait fonctionner que pour une société-
type et qu’elle ne fonctionnerait pas ailleurs (vaste débat).
Il s’agit ici avant toute chose de faire un constat : le système de la démocratie constitutionnelle se
développe, au départ, au cœur d’une société d’une nature particulière qui en favorise l’éclosion. La
démocratie constitutionnelle se met en place en effet, historiquement, dans des sociétés (en Europe
et aux États-Unis) qui ont en commun un certain nombre de principes de vie sociale particuliers et
des valeurs fondamentales sur lesquelles repose en réalité tout l’édifice. Ces sociétés sont
individualistes, elles reposent sur le pluralisme et elles croient dans les vertus du droit comme mode
d’organisation sociale.
§1. L’INDIVIDUALISME
Dans la société individualiste, l’Homme (ou la femme), a une valeur propre, intrinsèque, qui le
distingue du groupe social auquel il appartient. Il est un être à part entière, détachable de la
communauté humaine dans laquelle il vit. Ayant une valeur propre, autonome, il a donc des droits et
ne saurait avoir moins de droits qu’un autre individu. Les privilèges alloués à une catégorie
d’individus sont donc philosophiquement a priori proscrits : il ne saurait y avoir de distinction
juridique entre les individus. De plus, comme chacun jouit de la liberté de sa différence, chacun doit
être protégé et a donc droit à une sphère de liberté individuelle : l’individualisme porte en germe la
limitation du pouvoir. Car cela étant, il faut bien organiser une vie sociale, une vie collective : la vie
collective en société individualiste est donc d’une nature très particulière. Elle se distingue très
nettement de la société dite communautaire, dans laquelle l’individu se définit surtout par la place
qu’il occupe dans le groupe social, place dont il ne peut ni ne doit s’extraire. Ici, l’individu existe à
part entière, dans sa singularité.
Elle emporte des conséquences au niveau social : les différences se structurent en groupes de
pression, syndicats, mais également en groupes religieux, en mouvements associatifs sous toutes
leurs formes et font la promotion d’intérêts divergents. La société est donc riche de préoccupations
et de sensibilités très différentes.
Plus importante encore est la manifestation politique de ce pluralisme : chacun a le droit de penser
le devenir du groupe social comme il l’entend. Il peut participer à la vie publique et contribuer aux
choix qui la concernent.
La prise en compte de la pensée de chacun comme quelque chose de valeur (même si les désaccords
existent et sont importants, ce qui est accepté), mène à la recherche du compromis. En société
pluraliste (puisque j’accepte que l’autre puisse être différent), la solution aux conflits, aux
désaccords, passe par la négociation et la recherche de consensus (par le dépassement du dissensus).
Ceux qui dirigent, sachant pertinemment que ceux qui sont commandés pourraient un jour être
appelés à devenir eux-mêmes gouvernants, sont donc appelés à de la modération dans leur action
politique. Inversement, ceux qui sont commandés sont plus tolérants vis-à-vis de ceux qui
gouvernent, car ils savent que les fonctions ne sont pas inaccessibles.
Les initiatives individuelles, économiques, mais également les initiatives politiques (partis), ou
sociales (syndicats, cultes, groupes d’intérêts, mouvements associatifs) nourrissent, alimentent ce
pluralisme qui fonde la société tout entière.
Le troisième pilier est ce que l’on appelle « la croyance dans les vertus de la technique juridique ».
C’est la conviction collective que le droit est une bonne façon de s’organiser et que le principe
majoritaire est une bonne façon de prendre les décisions.
Les sociétés pluralistes se sont, par un processus complexe, rationalisées (on y est globalement
persuadé que l’on doit chercher l’explication des choses par le raisonnement logique et non pas par
des systèmes de croyances figées). Elles ne reposent donc plus, aujourd’hui, sur une communauté
de personnes homogène, puisque chacun pense, croit (ou pas), vit, comme il l’entend.
En revanche, la communauté d’individus s’accorde sur un principe central (un paradigme) : le droit
est le bon moyen de s’organiser et le principe majoritaire une bonne façon de décider. On considère
que c’est une technique neutre au service de la majorité. Il (le droit) s’impose donc aux valeurs
morales de ceux qui composent la société et fixe des règles pour tous. En ce sens, le système
pluraliste est un système dans lequel « règne » la majorité, en édictant le droit applicable, mais cette
majorité est par principe limitée dans sa marge de manœuvre, car l’individu doit être protégé, même
quand il est minoritaire. Il a de toute façon une valeur propre.
En effet, une réflexion est menée autour des enjeux du pouvoir, dans toutes ses dimensions. L’ordre
juridique qui va en déboucher, celui de la démocratie constitutionnelle, dépendra des réponses
apportées à chacune des interrogations qu’elle suscite.
La première interrogation revient à identifier le titulaire du pouvoir souverain. Qui est souverain ?
Qui a un « titre légitime » à exercer le pouvoir ? La place du peuple et la question de sa
représentation sont ici déterminantes (§1). La deuxième vise à déterminer par quel mécanisme et sur
quelle habilitation ceux qui dirigent peuvent le faire. Comment sont-ils désignés ? Sur quel
fondement ? Le procédé de l’élection est, sur ce terrain, au cœur de l’édifice ( §2). La troisième
concerne l’organisation, la mise en place concrète du pouvoir : pour limiter le pouvoir, il faut
l’encadrer dans des procédures de décision complexes (et recourir à la séparation des pouvoirs qui
s’organise, en pratique, de façon très variée) (§3). La quatrième, enfin, pose la question de la valeur
des décisions prises et de la position de ceux qui les prennent. En démocratie constitutionnelle, ceux
qui gouvernent sont justiciables. Leurs décisions sont contestables (§4).
Ces quatre thématiques font le « patrimoine originaire commun » de toutes les grandes démocraties
(même si leurs modalités d’organisation, en pratique, peuvent varier, on le verra).
A. LE PEUPLE SOUVERAIN
La théorie de la souveraineté populaire est l’œuvre de J.J. Rousseau. Pour le citoyen de Genève, la
volonté générale, qui doit guider la société, procède de la collectivité tout entière. Chaque individu
en détient une parcelle : il est une partie du souverain. La souveraineté est la somme des volontés
individuelles (ou plus précisément, ce qu’il en résulte, c’est-à-dire quelque chose de plus fort
encore, la volonté générale). Selon cette conception, chacun commande donc un peu…
Certes, Rousseau n’est pas naïf et il sait bien que l’on ne peut pas se réunir à l’échelle d’un pays
pour décider de tout. Ce n’est pas matériellement possible. Il faudra donc des élus. Mais (cette
notion est importante), il ne saurait y avoir de « représentation ». Les élus, les gouvernants, ne sont
que l’instrument d’exécution de la volonté générale. Ils ne font que ce pour quoi ils ont été élus : ni
plus ni moins. Selon Rousseau, la majorité a toujours raison. Elle ne saurait se tromper. Bien au
contraire : en s’exprimant, elle montre à la minorité qu’elle s’est trompée. Ce système de pensée
emporte un certain nombre de conséquences pratiques :
- Le peuple étant souverain, et chacun ayant, au fond, une petite parcelle de souveraineté, il
est indispensable que le peuple puisse s’exprimer sur les questions importantes : la souveraineté
populaire suggère donc le recours possible au référendum.
- Le vote de chacun est un droit. Le suffrage doit donc être universel (2) et chacun doit
avoir la possibilité de voter (ou de ne pas le faire).
- Plus important encore, les élus n’étant choisis que pour faire ce pour quoi ils ont été élus
(ni plus ni moins), leurs mandats sont impératifs (ils doivent s’en tenir à ce pour quoi ils ont été
élus) (3) .
Par contre, la base, le peuple, peut proposer des lois nouvelles : le système prévoit donc l’initiative
populaire des lois.
- Pour s’assurer que les élus s’en tiennent à leur mandat (qui est, on l’a dit, impératif), la
procédure de révocation des élus est possible : sur initiative populaire, les élus qui ne respectent
pas leur mandat peuvent être révoqués.
Ce système n’a jamais été véritablement appliqué en France. Il était certes, prévu — dans son
principe — dans la constitution du 24 juin 1793, mais celle-ci n’est jamais entrée en vigueur compte
tenu du contexte de l’époque. Il présente à vrai dire deux dangers réels :
→ D’abord, il ne laisse aucune marge de manœuvre ni initiative aux élus. Ensuite, il expose la
société à un règne sans borne de la majorité (puisqu’elle ne peut pas se tromper…
Cela étant, la théorie de la souveraineté populaire a inspiré bon nombre de régimes révolutionnaires
marxistes. Et elle inspire pour une part, on le verra, les régimes démocratiques contemporains (car
son fondement est « généreux » et qu’il donne un peu de pouvoir à chacun). Ce n’est pourtant pas
ce modèle qui a, historiquement, eu la préférence du mouvement constitutionnaliste, mais celui
développé par Sieyès, le modèle dit de souveraineté nationale.
B. LA NATION SOUVERAINE
Comment retirer le pouvoir de droit divin au roi, sans qu’il ne tombe aux mains du peuple facétieux
(insuffisamment éduqué et éclairé, d’après les tenants de cette théorie) ? La révolution retire son
pouvoir souverain au roi. Le peuple n’est pas suffisamment fiable aux yeux de la bourgeoisie qui
vient d’orchestrer la révolte contre la monarchie vieillissante. La construction théorique aura donc
pour but de permettre à cette bourgeoisie de récupérer le pouvoir vacant avec le recours à une
notion clé : la nation.
→ La nation est une entité abstraite, une fiction juridique qui dépasse les citoyens du moment
présent, en incluant le passé et l’avenir. C’est « le pays », son histoire, son avenir, ses intérêts. Le
pays, la nation, sont plus élevés que les gens qui sont présents à l’instant T.
Elle est une, indivisible, abstraite. C’est « la France ». Il faut des représentants pour parler en son
nom. Il y aura donc des électeurs. Mais les électeurs ne sont pas aptes à exprimer les intérêts de la
nation. Tout au plus, ils peuvent choisir les plus compétents d’entre tous pour le faire : les électeurs
doivent donc choisir les plus éclairés pour exprimer la volonté du pays tout entier. Cela entraîne des
conséquences majeures sur l’organisation politique :
- Désormais, l’électorat n’est plus un droit que l’on accorderait à tous, mais une fonction,
réservée à certains (théorie de l’électorat, fonction qui veut que le vote soit obligatoire pour ceux
qui le détiennent). Ils votent au nom de la nation, pas d’eux-mêmes.
- Comme il s’agit de désigner ceux qui vont parler au nom de la nation, seuls ceux qui en
sont estimés capables, qui sont considérés comme suffisamment éclairés pour cela, auront le droit
de vote. La souveraineté nationale rejette le suffrage universel, et retient le suffrage restreint à
certaines catégories de citoyens. En pratique, seuls ceux qui paient le cens peuvent être électeurs : le
suffrage est censitaire (le peuple est exclu du droit de vote, car il ne paie pas d’impôts). Le droit de
se présenter exige que l’on paie encore plus d’impôts (l’éligibilité est donc réservée aux
possédants).
- Le vote est obligatoire, car ceux qui votent ont une fonction sociale, celle de représenter la
nation.
- Plus important encore : les élus ne représentent plus leurs électeurs ici, mais ils représentent
la nation. Ils n’ont donc aucune consigne à recevoir des électeurs une fois élus : ils ont en quelque
sorte « les mains libres » et n’ont de compte à rendre à personne (les mandats ne sont donc pas
impératifs). Les conséquences de tout cela sont logiques : comme le peuple n’est plus souverain, le
référendum est exclu (pourquoi lui demander son avis s’il ne détient pas le pouvoir). Il n’existe plus
d’initiative populaire des lois ni de révocation des élus.
C’est le système de la souveraineté nationale qui a eu la faveur régulière des constitutions et des
régimes politiques français successifs (il était à l’image des intérêts de la bourgeoisie libérale du
XIXème siècle). Cependant, le caractère démocratique porté par la souveraineté populaire est venu,
progressivement, irradier le premier, au point d’en faire aujourd’hui, une synthèse hybride (sous la
poussée des idées socialisantes, à partir de la deuxième moitié du XIXème).
Aujourd’hui, l’article 3 de la constitution française est très évocateur de cette évolution. Il illustre la
volonté de trouver une synthèse entre les 2 théories, afin d’en tirer le meilleur et d’en éviter les
excès. Il dispose ainsi (de façon tout à fait intentionnelle) : « la souveraineté nationale appartient au
peuple… ».
Cela n’a rien d’une confusion. En effet, il est précisé dès après que le peuple exerce cette
souveraineté « soit par ses représentants… soit par le référendum ». Elle cumule donc en les
combinant les deux théories, celle de la souveraineté populaire (SPOP) et celle de la souveraineté
nationale (SN). On dit que c’est une forme semi-représentative. Quelles en sont les conséquences ?
Le suffrage est universel, il est ouvert à tous (SPOP) et l’électorat est un droit (SPOP) (4) . Les
mandats ne sont pas impératifs (SN) et les élus peuvent moduler leur action politique en fonction
des évolutions du pays voire de leurs priorités ou de leurs idées (SN). Cela étant, comme toutes les
sensibilités politiques existent et peuvent se présenter, ils seront élus sur la base de programmes et
d’orientations distincts dont les électeurs attendent qu’ils soient mis en œuvre : si tel n’est pas le
cas, ils pourront ne pas renouveler les mandats. Les élus n’ayant pas de mandat impératif (SN) (ce
qui de toute façon est impossible en pratique), ils n’ont pas de compte à rendre dans l’immédiateté :
il n’existe pas de possibilité de révocation des élus en cours de mandat (SN). En revanche, le peuple
peut être appelé aux urnes pour trancher certaines questions : le référendum est prévu (sous des
formes et avec des amplitudes très différentes toutefois). En France, toutes les questions qui
impliquent les choix fondamentaux de la Nation peuvent être arbitrées par le peuple par référendum
(SPOP) (5) .
(4) = Même si certains pays en font une fonction, comme la Belgique, par exemple, où le vote est
obligatoire.
(5) = Les systèmes démocratiques traversent aujourd’hui une crise, on le verra, qui invite à repositionner
ces choix théoriques : l’initiative populaire des lois, l’élargissement du référendum et l’instauration d’une
initiative populaire, le recours à des procédés de destitution des élus en cours de mandat, animent
aujourd’hui une partie de la doctrine constitutionnelle. On les évoquera dans la dernière séquence du titre 2.
La démocratie constitutionnelle repose, on l’a vu, sur le principe de la représentation. Le peuple (ou
la nation) est « représenté(e) » par des élus. Le corollaire de la représentation, c’est donc l’élection.
Au-delà du principe, il va sans dire que les conditions générales dans lesquelles se déroule le
processus électoral sont déterminantes. En démocratie, l’élection est concurrentielle (elle est
compétitive) et se tient à échéance régulière et prévisible, c’est le principe de base. Le suffrage est
ouvert à un nombre élargi d’électeurs (il est « universel »). Il est structuré par le relais des partis
politiques. La période qui précède le vote doit également être loyale. Mais une fois réalisé, le vote
pose encore des questions de choix quant aux modalités techniques selon lesquelles on va attribuer
les postes d’élus (le mode de scrutin est essentiel et oriente la représentation).
A. LE SUFFRAGE « UNIVERSEL »
Le suffrage est d’abord universel. Il s’oppose en cela aux suffrages dits « restreints » qui réservent
le droit de vote à des personnes qui remplissent certaines conditions (le suffrage censitaire est
réservé à ceux qui paient l’impôt ; le suffrage capacitaire est réservé à ceux qui ont des diplômes ou
à ceux qui peuvent attester n’être pas analphabètes).
Le scrutin est aussi « égal » en démocratie. C’est évident aujourd’hui, mais ça ne l’a pas toujours
été. On avait, par le passé, utilisé des moyens techniques pour créer juridiquement des inégalités
entre les personnes : des systèmes électoraux attribuaient par exemple plusieurs bulletins de vote
aux diplômés, aux possédants, aux chefs de familles nombreuses, ou donnaient la possibilité de
voter en plusieurs endroits à ceux qui disposaient de plusieurs biens immobiliers ; tous ces
mécanismes sont exclus du système démocratique.
De façon moins visible, on a parfois utilisé des moyens détournés : c’est la question du découpage
électoral sur laquelle on reviendra. En démocratie, on essaie de faire en sorte que les représentations
des citoyens soient à peu près égales (un nombre de personnes doit équivaloir à un nombre de
représentants donnés, à peu près homogène).
Cela étant, quand on dit que le suffrage est universel, c’est par commodité de langage : il est certes
ouvert à tous les citoyens, mais il obéit quand même à certaines conditions (on remarquera ici que le
vote des femmes, par exemple, est assez récent). La première des conditions, c’est la nationalité
(une dérogation vaut pour les électeurs de l’Union européenne, qui ont un droit de vote pour les
Européennes et les municipales, avec quelques limites, vues en cours). La deuxième condition, c’est
l’âge : partout est retenu un âge de majorité en deçà duquel on ne peut pas voter (18 ans en France).
Il faut ensuite « jouir de ses droits civils et civiques (ne pas avoir reçu de condamnation de nature à
être privé de son droit électoral ; ne pas être en situation d’incapacité mentale de nature à être placé
sous tutelle). La dernière exigence, on la comprend, est d’être inscrit sur les listes électorales (c’est
automatique à 18 ans si les démarches de recensement citoyen ont été faites, à partir de16 ans, au
cours de la journée citoyenne).
B. LE MULTIPARTISME
Dans un processus relativement long, les personnes qui ont des idées qui se ressemblent se sont
progressivement rapprochées, afin de structurer la pensée des électeurs et d’assister les candidats.
Les partis politiques structurent ainsi la scène politique. Leur but est de contribuer à la conquête du
pouvoir par des personnes qui partagent un même socle d’idées. Au départ, au début du 19ème
siècle, ils étaient essentiellement des partis de « cadres » (libéraux, ou de « droite » comme on le dit
aujourd’hui), auxquels sont venus s’ajouter les partis « populaires », ou de masse, « de gauche » ou
d’ « extrême gauche » (Mais aujourd’hui, cette distinction ne tient plus vraiment, car les partis
essaient d’avoir le plus d’amplitude possible, on y viendra. D’autre part, des partis populaires ont
germé à l’ « extrême droite » de l’échiquier politique, eux aussi sous la forme de partis de masses,
on le verra).
L’essentiel, en démocratie, est la concurrence entre les courants d’idées que représentent les partis.
Quel que soit le système, il doit y avoir diversité, pluralisme des organisations politiques : le
système du parti unique est rejeté par le modèle démocratique (ce qui n’est pas le cas dans les
systèmes autoritaires ou totalitaires, comme on le verra). Ce qui compte donc ici, c’est que
l’électeur ait le choix.
En démocratie, tout est fait pour que la vie politique se déroule dans des conditions matérielles les
plus favorables à l’expression concurrentielle des idées et de l’expression des idées (lors du vote).
Plusieurs catégories de problèmes se posent ici (que l’on va aborder de façon très générale, mais sur
lesquels on reviendra dans le détail en examinant la Vème République).
D’abord, celui de la place de l’argent, du financement de la vie politique, donc. Il est nécessaire
d’assurer la transparence des élections, ce qui pose la question du financement des partis et des
campagnes (le financement des partis par leurs adhérents est le plus souvent très insuffisant). Le
principal risque serait de voir ceux qui ont le plus de moyens (ou la possibilité de les mobiliser)
remporter systématiquement l’élection. En général donc, le système démocratique met en place un
système de financement public des campagnes et des partis. Il est prévu un remboursement des frais
au prorata des résultats obtenus. De la même façon, les dépenses sont généralement plafonnées : au-
delà d’une somme déterminée à l’avance, l’élection peut être annulée. On interdit aussi, le plus
souvent, le financement des candidats par les entreprises, car elles risqueraient de rendre les élus
dépendants de ces financements une fois en poste. Les dons des particuliers peuvent être plafonnés.
Ensuite se pose la question (aujourd’hui essentielle) de l’accès aux médias. Comment exister si l’on
ne peut s’exprimer dans les médias, dans la mesure où, aujourd’hui, « la gagne » passe par un accès
assez massif aux outils audiovisuels (6) ? En règle générale donc, on trouve des moyens de nature à
assurer à tous les candidats de passer à la radio et à la télévision, de façon équitable avant la
campagne officielle (c’est le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, en France, qui traditionnelle veille
à ce que tous puissent s’exprimer raisonnablement), puis de façon égalitaire pendant la campagne
officielle (le CSA contrôle également le respect de ces règles : à noter qu’il est devenu l’ARCOM
depuis le 1er janvier 2022, comme nous l’étudierons au 2ème semestre).
(6) = Le problème est d’une importance accrue dans les pays « libéraux », comme aux États-Unis, où les
candidats peuvent acheter des heures d’antenne de télévision pour faire campagne ; cela étant, aux États-
Unis, les chaines demeurent largement ouvertes à une diffusion généreuse des candidats, ce qui n’est bien
évidemment pas le cas partout. Il est tout aussi important, là où télévision et radios sont des instruments à la
solde de l’Etat : dans ce cas, les partis ou les candidats d’opposition peuvent être sous-représentés.
Enfin se pose la question du mode de scrutin. Là encore, de multiples règles viennent assurer la
transparence de l’élection. En démocratie, le scrutin est libre (on vote pour qui l’on veut), il est
secret (on passe par l’isoloir) et il est sincère (le dépouillement est public et les représentants des
candidats sont présents au dépouillement des bulletins de vote.
Le mode de scrutin (ou le système électoral) est le mécanisme que l’on va retenir pour répartir les
postes d’élus en fonction des résultats obtenus. Comment les suffrages se transforment-ils en
représentants ? C’est le corollaire indispensable du droit de suffrage. Or, c’est un corollaire essentiel
: ce choix n’est jamais neutre (7) . Il existe aujourd’hui, globalement, trois systèmes (8) .
7 Le référendum est ici le mode de scrutin le plus simple. D’abord, parce qu’il ne vise pas à élire quelqu’un.
Mais surtout parce qu’il vise à réponde majoritairement à une question : c’est donc un système majoritaire à
un tour. La réponse à la question est donnée à la majorité absolue des suffrages exprimés. 8 Il faut choisir si
l’on va voter pour un personne ou une liste de personnes. Or, le choix entre le suffrage uninominal et le vote
de liste dépend du mode de scrutin. De la même façon, le découpage du territoire est-il dépendant du mode
de scrutin choisi.
Le scrutin majoritaire a un gros avantage : il permet aux partis, ou aux candidats qui l’emportent
d’être assez clairement majoritaires. Cela étant, il sous-représente les petites formations politiques :
c’est son gros défaut. D’une certaine façon, il est donc efficace pour gouverner, mais assez peu
démocratique en matière de représentation de la diversité des idées politiques.
2. LE SYSTÈME PROPORTIONNEL
Pour simplifier (car c’est en pratique beaucoup plus complexe), la représentation proportionnelle
veut que l’on obtienne des élus en fonction du pourcentage de voix que l’on a obtenu. En principe,
les citoyens votent pour des listes qui seront représentées à hauteur de leurs résultats. Ce système
est d’apparence plus juste : car il est fidèle à la répartition des voix. Il n’est pas sans défauts
cependant. D’abord, parce qu’il conduit à une multiplication des formations politiques (personne
n’a intérêt à s’allier puisqu’il sera représenté). Ensuite parce qu’il rend les majorités plus fragiles,
dans la mesure où elles sont le plus souvent le fruit de coalitions. Enfin, les listes apparaissent dans
l’ordre des candidats choisis par les formations politiques (les candidatures indépendantes sont donc
impossibles et l’ordre de priorités est imposé par les formations politiques). Ce n’est donc pas, non
plus, un système idéal.
En prenant en compte les qualités et les défauts des deux grands systèmes précédents, on a
progressivement trouvé des solutions pour combiner leurs avantages sans en retrouver les défauts,
en mélangeant le recours aux deux modèles. Ainsi, le système allemand (pour les élections au
Bundestag, l’équivalent de notre Assemblée nationale) donne-t-il aux Allemands la possibilité de
voter deux fois : avec un premier bulletin de vote, ils choisissent un candidat dans leur
circonscription au scrutin majoritaire. Avec le second, ils votent pour la liste d’une formation
politique à la proportionnelle. Au final, l’assemblée est élue (à peu de chose près) pour moitié à la
proportionnelle, pour l’autre à moitié au majoritaire. Tout le monde est donc représenté, mais on ne
constate pas d’éparpillement de l’échiquier politique comme en système purement proportionnel.
2 remarques ici :
- Il est à noter que ces systèmes hybrides tendent aujourd’hui à se développer.
- Il est à noter également que notre pays emploie des systèmes très différents selon les
élections : suffrage à un tour pour le référendum. Proportionnelle de liste avec correctif majoritaire
aux municipales et régionales. Suffrage binominal majoritaire à deux tours aux départementales.
Suffrage uninominal majoritaire à deux tours aux législatives. Suffrage majoritaire à deux tours ou
proportionnelle de liste à deux tours pour les sénatoriales (en fonction de la taille du département).
Suffrage uninominal majoritaire à deux tours pour l’élection présidentielle. Représentation
proportionnelle intégrale de liste pour les élections du parlement européen (on vote pour une liste
nationale qui obtient des sièges en proportion des voix obtenues). Cela ne va pas sans mériter des
commentaires (vus en cours)…
Au-delà des caractéristiques communes que les démocraties ont en partage (individualisme,
modération politique, croyance dans l’instrument juridique) et des principes organisationnels
qu’elles ont également en commun (représentation, élection, séparation des pouvoirs, justiciabilité),
l’organisation concrète du pouvoir diffère et se sépare en deux grandes familles. La séparation des
pouvoirs est soit stricte, soit souple. Il en résulte des conséquences importantes quant à la nature du
régime (qui sera soit présidentiel, soit parlementaire).
De la même façon, dans la logique du principe de séparation stricte, le Parlement (ou Congrès), le
plus souvent bicaméral (deux chambres), n’est pas responsable devant le Président, ce qui signifie
que le principe de la dissolution n’existe pas. Les deux pouvoirs sont indépendants l’un de l’autre
d’un point de vue organique. Le législatif est donc, lui aussi, en principe autonome et indépendant
des autres organes institutionnels.
Le troisième pouvoir, le judiciaire, qui est matérialisé par une Cour Suprême de justice, demeure
également indépendant, dans la mesure où ses juges, nommés à vie, ne peuvent être révoqués.
Les institutions du régime américain diffèrent sensiblement de celles du régime parlementaire. Les
Américains ont voulu donner le pouvoir exécutif à un homme seul, le Président. Ce dernier est élu
par un collège de grands électeurs pour 4 ans.
renouvelables une fois(1) . On peut considérer cette élection comme une élection au second degré :
les électeurs américains votent pour des représentants (des listes, avec un seul tour, dans le cadre
des États fédérés) qui s’engagent à voter en faveur d’un candidat : on sait donc, avec les résultats de
ce vote, qui sera élu au final (le scrutin américain favorise les regroupements puisqu’on ne vote
qu’une seule fois : il en résulte que seuls deux grands partis se disputent réellement la victoire).
1 = Il ne faut pas confondre cette phase réellement électorale de celle qui précède : celle dans laquelle les
deux grands partis choisissent leurs candidats, c’est-à-dire « les primaires », qui ne concernent que les
personnes qui sont membres d’un parti ou de l’autre.
On notera que le Président est suppléé par un ou un vice-président(e). Il est également épaulé d’un
cabinet (composé de secrétaires d’État), dont la ressemblance avec le gouvernement du régime
parlementaire ne doit pas tromper (ils ne sont pas issus du Congrès, ne sont pas forcément des «
politiques », mais sont recrutés en fonction de leur compétence technique sur un domaine donné).
Ils ne sont pas collectivement responsables (le Président, de toute façon, prend ses décisions seul).
Le Congrès est bicaméral et composé de la Chambre des représentants d’une part (élue pour deux
ans au scrutin majoritaire à un tour) et du Sénat (élu pour six ans, renouvelable par tiers tous les
deux ans).
Quant à la Cour Suprême, elle est composée de 9 membres nommés à vie par le Président américain
après accord du Sénat (ce qui les rend complètement indépendants). Les États-Unis étant une
fédération, il fallait un organe capable d’arbitrer les conflits de compétences entre les États fédérés
et la fédération ou entre États fédérés. Elle juge les domaines (de la fédération) sur lesquels elle a
une compétence exclusive et juge également en appel des États fédérés.
Les institutions sont strictement séparées, on l’a vu. Mais les fonctions sont partagées : elles
s’interpénètrent, dans la mesure où chacun a les moyens d’interférer, voire de paralyser les
fonctions de l’autre.
Concernant l’élaboration des lois, la fonction législative donc, elle appartient au Congrès en
principe. Mais elle se fait en pratique sous le contrôle du Président et de la Cour Suprême.
L’initiative appartient au Congrès, mais le Président, qui lui adresse des messages accompagnés de
projets de loi, est en réalité le moteur de la politique législative. À l’inverse, les deux chambres (les
représentants dans leurs commission, les sénateurs où le temps de parole est illimité) peuvent
freiner les velléités législatives du Président. À la fin de la procédure, un Président mécontent peut
en cours de session user du droit de veto (veto surmontable à la majorité des 2/3 du congrès, c’est
beaucoup) et au terme de la session du veto « de poche » (qui permet de reporter le texte à la
session suivante). De toute façon, il est fréquent qu’il soit en situation de cohabitation (on vote sans
arrêt, et les alternances sont fréquentes : dans ce cas, il négocie avec des membres du Congrès
l’obtention des voix qui lui manquent pour mener sa politique.
Au final, les institutions américaines bénéficient d’une indépendance réciproque. Le président n’est
pas responsable (sauf pénalement) ; le Congrès ne peut être dissout ; la CS est indépendante (juges
nommés à vie). Ce système présente un risque élevé de conflits, car il peut se bloquer sans aucun
mécanisme institutionnel de déblocage. Pourtant, aux États-Unis, cela ne se produit pas (le système
fonctionne depuis 1787). Cela tient d’abord à la structuration politique du pays : un bipartisme
(deux partis dominent), mais dans lequel la discipline de vote n’est pas une règle absolue, où le
Président ne peut donc pas compter sur sa majorité de façons absolue. Il s’agit d’un pays dans
lequel la presse et l’opinion publique occupent une place centrale.
Cela tient ensuite à une certaine prépondérance présidentielle qui permet d’éviter les blocages. Les
Américains considèrent que le Président doit avoir les pouvoirs que nécessitent ses responsabilités
(théorie des pouvoirs inhérents ou « implied powers »). Il est le législateur en chef, qui dispose du
veto, peut ne pas ordonner des dépenses votées par le congrès contre sa volonté, peut négocier des
accords en forme simplifiée, et il dirige les armées. Tout fait de lui le meneur du régime.
Pour autant, son pouvoir est limité : la société américaine est très attachée à la liberté et à la
démocratie. La culture américaine est sans cesse en quête d’efficacité, ce qui par nature contribue à
éviter les blocages. Les groupes de pression et la presse contribuent à mettre l’action politique sous
les feux de la rampe. Par ailleurs, les départements administratifs (les ministères) et les agences
(nasa, CIA…)sont assez indépendants du pouvoir et font autant de contrepouvoirs qui se dérobent à
la hiérarchie.
En 1714, la reine Anne meurt sans descendance. C’est Georges Ier de Hanovre qui hérite du trône.
Il ne parle pas anglais (il est allemand). Comme il se désintéresse du royaume, qu’il ne gouverne
pas et qu’il n’assiste pas aux délibérations du Cabinet, il va s’associer les services d’un ministre
parmi les autres (le Premier ministre est né). Progressivement, la pratique va faire que le
gouvernement deviendra, collectivement, politiquement responsable devant la majorité
parlementaire (précédents Walpole en 1742, puis North en 1782).
La base du régime parlementaire classique (ou moniste) est posée : le roi ne gouverne pas. Le
Premier ministre gouverne en dirigeant son gouvernement. Ce gouvernement est responsable
collectivement et solidairement devant la Chambre des communes. En contrepartie, le Premier
ministre peut demander au roi de dissoudre. Cela signifie que le gouvernement gouverne avec le
support de la majorité parlementaire. Si cette majorité se défait, il ne peut plus gouverner. Auquel
cas, la chambre sera possiblement dissoute (ce sera au peuple de voter pour porter à la chambre une
nouvelle majorité, dont dépendra le prochain gouvernement).
Important : dans le régime parlementaire classique, le Président (ou le roi) ne gouverne pas. Il ne
participe pas à la détermination de la politique du pays (d’ailleurs il ne préside pas le conseil des
ministres. On dit que le régime parlementaire classique, à l’anglaise, est moniste. Il se distingue du
régime dualiste, que l’on va étudier.
C’est bien sûr sous l’influence anglaise. Les rouages du régime de séparation souple des pouvoirs se
mettent en place progressivement, par étapes successives. Cela commence avec la chute de
Napoléon et la restauration de la monarchie (1re restauration de 1814, puis 2e restauration, après
Waterloo). Dès 1815-1816, le principe selon lequel le gouvernement doit correspondre à la majorité
de l’opinion représentée au Parlement est admis (la bourgeoisie veut contribuer à l’exercice du
pouvoir et contrôler l’exécutif et le roi). Peu à peu, les parlementaires développent des mécanismes
de contrôle plus étendus (interpellations du gouvernement, demandes au roi de proposer des lois,
débats sur les pétitions citoyennes, discussions et votes du budget, vote sur les politiques réalisées).
Dès 1830-1831, le gouvernement est responsable collectivement devant la Chambre basse. On a
donc, dès cette date, les éléments du parlementarisme classique (Roi, gouvernement, responsabilité,
dissolution en contrepartie).
Mais, et la remarque est importante : le régime parlementaire apparaît en France sous une forme
particulière. Contrairement à l’Angleterre, en France, le roi garde un pouvoir important. C’est
paradoxal : le roi veut impulser la politique du gouvernement, choisir les ministres, il dirige le
Conseil des ministres. En face de lui, l’assemblée veut un gouvernement à son image, qui mène une
politique telle que celle voulue par la majorité. On a donc un système où deux légitimités
s’opposent. Le roi, qui veut gouverner selon ses propres vues par le biais du gouvernement ; la
majorité parlementaire qui veut gouverner par l’intermédiaire du gouvernement également. La
majorité parlementaire peut renverser le gouvernement ; le roi peut le faire également (il peut
changer les ministres, voire le gouvernement). On a appelé ce système le parlementarisme «
dualiste », car il existe deux systèmes de légitimité.
(Remarque : ce système pose des difficultés, car il faut qu’à un moment ou un autre, un pouvoir
s’impose à l’autre ; à défaut, il demande une maturité politique très forte pour trouver des points
d’équilibre et de consensus. Dans l’histoire, il a conduit à l’éclosion d’une crise majeure en France
(16 mai 1877). Pourtant, d’une certaine façon, il existe encore dans notre pays aujourd’hui : le
gouvernement doit trouver une majorité parlementaire, mais le Président veut choisir les ministres
et gouverner. On y reviendra, mais on a compris que le conflit de légitimité est aujourd’hui<
largement arbitré en faveur du Président, qui est élu par le peuple directement et tient sa légitimité
de lui, ce qui le renforce considérablement (sauf en période de cohabitation, mais on en parlera).
En restant très schématique ici, le monde démocratique (on écarte donc tous les systèmes qui n’en
font pas partie) se répartit selon trois grands blocs aujourd’hui : les pays européens sont pour
l’essentiel des régimes parlementaires inspirés du modèle anglais (avec des aménagements de
rationalisation sur lesquels on reviendra). Ce système s’exporte également dans une partie de
l’ancien commonwealth (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande).
Le régime présidentiel américain s’exporte davantage dans les pays latino américains et d’Asie
(zone d’influence américaine marquée) où la position du Chef de l’État est souvent renforcée, de
façon à éviter les risques de blocages que porte en elle la séparation stricte des pouvoirs (le
caractère démocratique du régime dépend alors de la crédibilité des élections et de l’indépendance
des juridictions).
Le « modèle » français s’exporte pour sa part surtout en Afrique (un peu en Amérique latine,
presque pas en Asie). Il mélange deux légitimités et demande donc une certaine maturité politique.
Bien souvent, il se déforme au bénéfice du Chef de l’État (son caractère démocratique tient alors,
aussi, à la transparence des élections et à la crédibilité des juridictions de contrôle).
CHAPITRE 2 :
LES ALTERNATIVES À LA DÉMOCRATIE CONSTITUTIONNELLE ET SA CRISE
CONTEMPORAINE
Ce sont des régimes politiques dont l’objectif est de maintenir un ordre établi. Ils n’ont pas toujours
une ligne idéologique nette. Les élections y sont le plus souvent faussées par des procédés illégaux
et le pouvoir s’y concentre sur le seul exécutif, en principe incarné par une seule personne. En règle
générale, les régimes autoritaires se caractérisent par quatre signes distinctifs : ils n’ont pas de grand
projet idéologique ; ils obéissent à une logique d’exclusion (de ceux qui contestent l’ordre établi) ;
la discrimination et la répression frappent ceux qui veulent interférer dans la vie politique ;
l’autorité du chef, arbitraire, est supérieure au droit, qui peut changer en fonction des « caprices du
prince ».
Tout cela se fait avec des degrés divers, bien sûr. Il a existé, il existe parfois encore, des dictatures
plus ou moins progressistes en Afrique, en Amérique latine et en Asie qui, pour l’essentiel,
acceptent la société telle qu’elle est, à condition que les dirigeants ne soient pas contestés. Parfois,
les dictatures sont plus « dures » dans certains cas, l’exercice du pouvoir consiste à organiser le
racket en règle du pays, à détourner les aides internationales et à réprimer avec violence toute forme
de contestation. Les régimes autoritaires sont des régimes de corruption, dans lesquels le droit est
d’autant plus contournable que l’on s’approche du sommet de l’État.
La grande différence avec le régime autoritaire, c’est que le totalitarisme fasciste repose sur une
idéologie qui se construit autour de valeurs fortes, comme le nationalisme, l’ordre et la discipline (le
fascisme est apparu en Italie de façon empirique dès 1922 puis a été théorisé, systématisé et poussé
à son terme dans l’Allemagne nazie à partir de 1933.
L’idée directrice première, c’est le nationalisme. Il repose sur les cicatrices des anciennes guerres.
La Nation doit s’unir autour de l’État, afin de revenir à la grandeur passée (réelle ou supposée).
Dans les doctrines fascistes, les hommes sont médiocres. Ils doivent être entourés et dirigés par une
élite qui leur trace la voie à suivre. Le parti, unique, est structuré de façon militaire et se confond
avec l’État : il est dirigé par le chef qui en est le maître à penser. Face au parti et à sa doctrine,
définie par le chef charismatique, la sphère d’autonomie des individus est réduite au strict
minimum. Pris très jeunes dans des structures qui enseignent l’obéissance et la discipline, les
gouvernés se transmettent une idéologie de la soumission au système. Toute contestation est
systématiquement réprimée et la presse entièrement maîtrisée : la production littéraire,
cinématographique et artistique en général, également. Toute pensée « déviante » est ainsi
systématiquement pourchassée. Les « contestataires » sont soit redressés, soit supprimés.
En règle générale, les régimes constitutionnels sont maintenus sur le principe. En pratique, ils sont
factices et fonctionnent sous l’entière autorité et sous l’arbitraire du Chef. Ce dernier a un pouvoir
charismatique illimité, absolu. Même lorsque demeure une assemblée, elle tient un rôle résiduel,
anecdotique. De toute façon, l’instance parlementaire finit tôt ou tard par disparaître.
Les régimes fascistes s’appuient sur le peuple, à qui il est expliqué qu’il est souverain, qu’il doit se
fédérer autour de la nation pour contribuer, par l’application scrupuleuse de la doctrine officielle, à
l’avènement d’un homme nouveau, presque une nouvelle espèce humaine. La propagande, dès
l’école, et l’élimination systématique des « déviants », doit assurer l’homogénéité d’une société qui
a vocation à devenir parfaite.
Il trouve sa première expression politique effective avec la révolution d’octobre 1917 en Russie et
la victoire de Lénine. Là encore, la différence avec les dictatures « simples » est l’idéologie qui
guide toute la logique du système. Dans l’idéologie marxiste, le rapport entre les classes sociales est
déterminant. L’État, le droit, sont pour Marx des instruments au service de ceux qui exploitent les
opprimés, afin de maintenir durablement leur position. Il faut donc que l’État disparaisse. Cela
passe par l’élimination des classes sociales (car les possédants oppriment ceux qui n’ont rien). Tout
passe par la suppression de la propriété privée des moyens de production. Quand il n’y aura plus de
propriété privée, il n’y aura plus de dominants, donc plus de dominés non plus. Plus besoin non plus
d’un État et d’un droit pour maintenir à leur place ceux qui possèdent. On n’aura plus besoin d’un
gouvernement des hommes, il suffira d’administrer les choses.
L’idée est donc d’instaurer une dictature du prolétariat jusqu’à ce qu’il n’existe plus de classe
exploiteuse. En attendant ce moment souhaité, il faut renforcer l’État, guidé par le parti communiste
(avant-garde éclairée). Le parti (unique) est organisé, structuré et discipliné de façon militaire. Le
principe de fonctionnement est celui du centralisme démocratique. En principe, on discute les
décisions de la base jusqu’au sommet dans des soviets. Une fois la décision prise au sommet, la
discipline d’exécution doit être absolue (bien sûr, cela ne fonctionnera pas : très vite, tout se décide
en haut, sans consultation de la base).
C. LE TOTALITARISME RELIGIEUX
On l’oublie parfois dans la classification des régimes totalitaires. Mais si l’on considère que la
démocratie est le règne du droit et la reconnaissance du pluralisme, des États ne correspondent pas à
cette description de ses éléments constitutifs. Il arrive que des États proclament leur attachement à
une religion qui devient ainsi une religion d’État. Cela n’emporte pas de conséquences
systématiques quant au caractère démocratique de l’État : toutefois, à partir du moment où le
rattachement d’une religion à l’État a pour conséquence la création d’organes gouvernementaux
spécifiques (telles qu’un Haut Conseil religieux par exemple), qui modifie, oriente, inspire ou
détermine les conditions dans lesquelles soit fonctionner le régime politique, le système est
théocratique. La démocratie a pour caractéristique de permettre le pluralisme parce qu’il est encadré
par le droit (produit par des représentants élus). Tout y est encadré par la constitution.
Dans l’État religieux, le droit est subordonné aux principes religieux tels qu’ils sont interprétés par
les représentants de la religion officielle. Le régime est donc théocratique. Il devient totalitaire si et
dans la mesure où une religion a pour objet de répondre à l’ensemble des interrogations
métaphysiques de l’Homme et à y apporter des réponses globalisantes qui ne peuvent faire l’objet
de discussion (Ce fut de cas de l’Espagne inquisitoriale. C’est aujourd’hui le cas, notamment, de
l’Iran (chiite) et, récemment, de l’État islamique (sunnite). Dans tous les cas, les déviants sont «
redressés » ou châtiés et le but ultime est de créer une société de fidèles en phase totale avec le
dogme religieux tel que défini par l’autorité de l’église. Le droit et les institutions lui sont
entièrement soumis.
Il faut pourtant faire la part des choses. Car si la démocratie constitutionnelle s’est mise en place un
peu partout, c’est avec des résultats assez variables et inégaux : on avait en effet parié que la
démocratie constitutionnelle allait faire naître des pratiques et une vie démocratique un peu partout
sur la planète. Mais le phénomène a trouvé ses limites, et il est aujourd’hui en stagnation, voire en
recul. Car la démocratie constitutionnelle traverse concomitamment une crise profonde.
Le juridisme, enfin, et la croyance dans le fait que le droit et le vote majoritaire sont de bons
moyens d’organisation sociale, connaît, connaissent, une crise d’ampleur également. La multiplicité
des règles de droit, liée à la complexité croissante des problèmes sociétaux, rend le droit souvent
inintelligible et alimente un sentiment d’incompréhension, parfois d’injustice, souvent
d’étouffement, à l’égard de normes perçues comme liberticides (parce que trop nombreuses). Elle
génère également des comportements « à la marge du droit » (désobéissance, marchés parallèles,
contestation radicale).
Il en découle, en France par exemple (mais on y reviendra), une remise en cause subreptice (ou
parfois plus directe) de la devise républicaine. La liberté, parfois comprise comme la possibilité de
faire tout et n’importe quoi, est également attaquée, dans la demande sociale, par une revendication
sans borne de normes protectrices. L’égalité, de plus en plus souvent confondue avec l’égalitarisme,
est attaquée en tant que principe irréalisable ou non atteint (on confond souvent l’égalité des
chances et l’égalité de droit avec l’uniformité parfaite). La fraternité, enfin, est affectée dans sa
dimension humaine. On lui a progressivement substitué une solidarité financière, qui pose des
difficultés de principe (pourquoi payer pour « l’autre » ?) dans une société où l’on se connaît et où
l’on partage paradoxalement de moins en moins (ultra-individualisme)(1).
(1)= On pourrait rajouter à tout cela la remise en cause du principe de laïcité, les limites du progrès
scientifique (sur lequel la société démocratique a beaucoup misé), ou les difficultés liées à la consommation
« sans fin », qui apparaît parfois comme le seul horizon du « système » ; on reviendra sur les causes
profondes de cette crise dans la conclusion générale au second semestre.
C’est toutefois plus dans ses manifestations au regard du modèle de la démocratie constitutionnelle
que cette crise est perceptible.
1. LA DILUTION DE LA SOUVERAINETÉ
Elle se manifeste dans une dimension verticale. Les États « souverains » appartiennent à un réseau
institutionnel international qui remet en cause, au moins d’un point de vue pratique, la souveraineté
« au-dessus » de l’État (appartenance à l’ONU, à l’OTAN, à l’Union européenne et à une
constellation d’organisations qui emmaillent la souveraineté…). Inversement, elle se manifeste «
en-dessous » de l’État, qui partage (ou transfère) des compétences avec les collectivités territoriales
qui limitent d’autant, en pratique, sa souveraineté. Cela se produit au point que l’on peut parfois
s’interroger sur le lieu réel de l’exercice du pouvoir souverain et pose le problème la difficulté
sociale du sentiment que l’élection ne concerne pas toujours le détenteur effectif de l’autorité (cela
interroge la théorie constitutionnelle qui doit retravailler, alors, la question du statut constitutionnel
du droit international, la question d’une constitution européenne, celle d’une décentralisation plus
claire, bref d’une redistribution limpide des compétences, de nature à permettre de relocaliser les
lieux de pouvoir, à identifier le lieu réel de la souveraineté (qui, en principe, ne se partage pas) et à
revigorer l’intérêt du choix en politique.
2. LA CRISE DE LA REPRESENTATION
Elle est ce sentiment que la population peut parfois avoir de ne pas être représentée au terme des
processus électoraux. Ce sentiment est amplifié par l’idée qu’une classe politique monopolise
l’exercice du pouvoir et qu’un personnel politique « de métier » occupe l’essentiel des fonctions
électives. Il a longtemps été cultivé par le cumul des mandats et l’emprise des partis politiques
auxquels il était reproché de monopoliser le débat politique. Le mode de scrutin majoritaire nourrit
enfin, parfois, ce sentiment d’un déficit de représentativité des élus.
On l’a vu, tous les régimes démocratiques contemporains ont tendance à concentrer le pouvoir
(résiduel, on l’a vu aussi, avec l’étude de la crise de la souveraineté) au bénéfice des exécutifs. Au
point qu’aujourd’hui, la distinction entre les exécutifs et les législatifs n’est plus vraiment tout à fait
opérante (les exécutifs pilotent, les législatifs accompagnent ce pilotage, avec plus ou moins de
capacités institutionnelles). Il existe aujourd’hui une césure plus marquée entre ceux « qui décident
» et ceux « qui contrôlent » l’acceptabilité juridique de ce qui a été décidé (contrôle de légalité et
contrôle de constitutionnalité). Il en résulte que la théorie constitutionnelle est à cet égard
doublement interpellée : d’abord sur la recherche de solutions de nature à renforcer le pouvoir
législatif, le pouvoir de contrôle et d’évaluation dont doit disposer l’instance parlementaire. Ensuite,
par ricochet (et compte tenu de l’importance de leur rôle), sur le rôle, la composition et les modes
de désignations des juges chargés de procéder au contrôle juridictionnel des décisions prises (qui
sont les juges, comment sont-ils désignés, quelles sont leurs compétences…).
La question, qui aurait pu surprendre il y a trente ans, se pose désormais avec le plus grand sérieux.
On voit bien que le régime de la démocratie constitutionnelle est aujourd’hui contrebalancé sur la
scène internationale par des régimes autoritaires d’envergure (Russie, Chine) ou économiquement
prospères (pétromonarchies du golfe persique et de la péninsule arabique).
Les politiques extérieures de ces régimes s’avèrent peu propices à permettre le développement de la
propagation démocratique. Si on les combine avec la crise profonde (on l’a vu) que traverse « le
modèle » de la démocratie constitutionnelle, la situation est objectivement incertaine quant au
devenir de ce dernier. Indépendamment des conditions internationales de sa durabilité (on survit
d’autant plus facilement que l’on est puissant), son avenir dépendra en effet de sa capacité à
dépasser cette crise de la représentation, de la souveraineté, de la séparation des pouvoirs et, en
amont, de son aptitude à surpasser ses contradictions sociétales profondes. Car, à défaut, la
démocratie glissera progressivement vers des formes « illibérales » (qui existent déjà et dont on
reparlera au terme de l’année).