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LE DELIT INTERNATIONAL

PAU

Roberto AGO
Professeur de Droit international à l'Université de Milan
NOTICE BIOGRAPHIQUE

Roberto Ano, né à Vigevano (Pavie) le 26 mai 1907. Etudes à


l'Université de Naples. Docteur en jurisprudence en 1929, et en
sciences politiques en 1930. Chargé de cours de droit internatonal
et de droit colonial à l'Université de Cagliari pour les années 1930-
1931, 1931-1932, 1932-1933, puis à l'Université de Messine pour
l'année 1933-1934. Nommé, en 1932, privat-docent de droit inter-
national public et privé. En 1934, nommé professeur extraordinaire
de droit international à l'Université de Catane, puis à l'Université
de Gènes. Professeur ordinale de droit international en 1937.
Depuis 1938, transféré à la même chaire à' l'Université de Milan. A
enseigné à l'Académie de Droit international de La Haye en 1936.
Membre du Comité de rédaction de la Rivista di dir'lto interna-
zionale; membre de l'Istituto di studi legislativi;, conseil du Gou-
vernement italien près la Cour permanente de Justice internatio-
nale (1936-1938); membre de l'Ist tuto italiano di diritto internazio-
nale; membre de la Commission permanente pour le droit inter-
national de guerre.

PRINCIPALES PUBLICATIONS

Conflitti di leggi regionali diverse nella repubblica cecoslovao.a, Studi eco-


nomico-giuridici della lì. Università di Cagliari, XVIII, 1931.
Le norme di diritto internazionale privato nel progetto di codice civile,
Rivista di diritto internazionale, 1931.
Limiti all'applicazione della « lex loci uctus » in materia di testamento fatto
all'estero, liiv. ital. di diritto internazionale privato e processuale, 1931.
Studi di diritto internazionale privato {Rapporti di famiglia, di obbligazione
e di successione), 1 vol., Padoue, Cedam, 1932.
Teoria del diritto internazionale privato. Parte generale, 1 vol., Padoue,
Cedam, 1934.
Il requisito dell'effettività dell'occupazione in diritto internazionale, 1 voi.
Rome, Are, 1934.
I principi generali del diritto internazionale privato nella più recente dot-
trina germanica, Rivista di diritto internazionale, 1!K)4.
Questioni varie di diriLto processuale internazionale. La dottrina della
« Gesamtverweisung » e il problema del doppio rinvio, Annuario di diritto
comparato, 193fi
La proscrizione estintiva e il problema dello qualificazioni, Annuario di
diritto comparato, 1936.
La responsabilità indiretta nel diritto internazionale, Archivio di diritto
pubblico, 1936.
II. — 1939. 27
4i8 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL Ui

Règles générales des conflits de lois, Recueil des Cours de l'Académie de


Droit international de La Haye, 193G-IV.
Sui limiti del marc territoriale, Rivista del diritto della navigazione, Wi.
L'opera scientifica di Arrigo Cavaglieri, Rivista di diritto international«,
1938.
Filiazione (Diritto internazionale), Nuovo Digesto Italiano, 1938.
La regola del previo esaurimento dei ricorsi interni in tema di rosponr:!-
bilità internazionale, Archivio di diritto pubblico, 1938.
Illecito commissivo e illecito omissivo nel diritto internazionale, Diritta
internazionale, 1938.
La colpa nell'illecito internazionale, Scritti giuridici in onore di S. Romano,
Padoue, Cedam, 1939.
Lesioni di diritto internazionale privato, 1 vol., Milan, Giuflri, 1939.
LE DÉLIT INTERNATIONAL

INTRODUCTION

L
E problème de la détermination de la nature juridique
du délit international, c'est-à-dire le problème de l'ori-
gine de la responsabilité internationale des Etats,
constitue sans doute l'une des questions les plus délicates et
les plus graves du droit international public. Il s'agit là
d'autre part d'un domaine qui, malgré les apparences con-
traires, est inexploré de divers points de vue.
Certes, le domaine de la responsabilité internationale des
Etats a fait l'objet d'études qui se classent parmi les plus
connues, les plus sérieuses, les pins profondes de toute la
doctrine du droit des gens. Tous ceux qui se sont penchés sur
les problèmes généraux du droit international n'ont pu
qu'admirer les pages que Triepel a consacrées & la respon-
sabilité des Etats dans son Völkerrecht und Landerescht, et
ce chef-d'œuvre qu'est la Teoria generale della responsabi-
lità dello Stato d'Anzilotti. De ces ouvrages, qui ont jété,
pour ainsi dire, les fondements de la théorie de la respon-
sabilité internationale, aux monographies de Schoen, de
Buxbaum, de Decendière-Ferrandière, de Strupp et de Kelsen;
des analyses si fouillées et documentées de Borchard et de
Eagleton aux études de de Visscher, de Dumas, de Guerrero,
de Hoijer, sans compter les nombreux ouvrages ou articles
étudiant des aspects particuliers de la matière, et les cha-

* Le long délai imposi par les circonstances & l'impression du manuscrit de


ce cours a permis à l'auteur de mettre certaines de ses argumentations
en accord avec les recherches de théorie générale du droit qu'il a poursuivies
depuis l'époque où le cours fut professé; il a pu tenir compte ainBi, po*r
l'éturte du problème du délit international et de sa représentation juridique,
de la revision qu'il a faite des notions de fait juridique, de droit subjectif,
de personnalité juridique, etc.
420 R. 'AGO: — DÉLIT INTERNATIONAL (6)

pitres souvent très étendus qui lui sont consacrés dans les
traités généraux, l'on possède un ensemble imposant d'étu-
des et de recherches sur la responsabilité des Etats.
Et pourtant, quand on examine attentivement ces diffé-
rents ouvrages et qu'on réfléchit sur leur objet et sur leurs
résultats, on s'aperçoit bientôt qu'un domaine très vaste
reste à explorer et que bien des points restent à éclaircir.
Sans doute l'on s'est passionnément adonné à analyser cer-
taines questions des plus importantes, et dont l'intérêt pra-
tique apparaît plus immédiat. Des pages innombrables ont
été écrites, par exemple, sur le problème de la responsabi-
lité de l'Etat à raison des actes des particuliers ou des
organes ayant agi au-delà des limites de leur compétence,
ou bien encore à raison des dommages subis par les étran-
gers au cours d'émeutes et de guerres civiles; les opinions
les plus divergentes ont été exposées sur la question de la
faute et d'autres encore. Dans cette floraison scientifique si
touffue l'on compte notamment les rapports et discussions
qui ont eu lieu au sein de l'Institut de Droit international,
ainsi que les travaux préparatoires de la Iro Conférence de
Codification du Droit international. Mais il n'en reste pas
moins que, pour nombre de ces problèmes, il apparaît
d'abord qu'il est possible de les examiner sous un angle
nouveau, et aussi qu'il existe encore d'autres questions qui
n'ont pas fait l'objet de recherches suffisamment approfon-
dies. Et surtout l'existence de tant d'analyses portant sur
des points particuliers fait sentir plus vivement encore la
nécessité d'une synthèse, d'une vue d'ensemble compiete,
qui donne à chaque élément sa place réelle dans un seul
cadre systématique.
Il convient aussi de remarquer que les études existantes
en matière de délit international, même spéciales et exclusi-
ves, partent toutes du point de vue de la responsabilité,
c'est-à-dire du point de vue des conséquences du délit, beau-
coup plus que de sa nature et de ses éléments constitutifs.'
On peut en conclure que, tout en possédant une série d'ou-
vrages excellents, la doctrine juridique est bien loin de
fournir une étude systématique complète de la nature et de
(7) INTRODUCTION 421

tous les aspects du délit international, ainsi qu'elle en pos-


sède par exemple pour le délit ou pour le crime dans le droit
pénal étatique.
Les pages qui suivent ne sauraient certes prétendre à
combler réellement et complètement cette lacune. Les limi-
tes imposées à ce cours interdisent d'ailleurs à elles seules
d'entreprendre une tâche aussi importante et aussi étendue.
Le but de ces leçons sera donc assurément plus limité. On
s'y propose seulement de fixer les lignes fondamentales de ce
qui pourrait constituer une théorie du fait illicite interna-
tional, d'esquisser les problèmes essentiels qui se présentent
et les solutions correspondantes, d'indiquer les points sur
lequels une recherche approfondie paraît plus spécialement
nécessaire, tout en s'arrêtant à analyser plus longtemps
certaines questions d'un intérêt spécial qui n'ont pas encore
été étudiées suffisamment, ou dont il parait possible de don-
ner une solution ou une explication nouvelle et plus con-
forme aux principes généraux dont le cours même s'inspire.
Pour délimiter plus clairement encore la tâche actuelle,
on laissera rigoureusement de côté tout ce qui regarde les
conséquences du délit plutôt que le délit lui-même, pour
s'attacher exclusivement a l'examen de la structure intime
du fait illicite international, de ses éléments constitutifs
essentiels, de ses espèces les plus caractéristiques. C'est pré-
cisément de ce critère que s'inspire la division du présent
cours en cinq chapitres, dont le premier-est consacré à la
notion même du délit, le deuxième et le troisième à ses élé-
ments constitutifs, objectif et subjectif, le quatrième aux
différentes espèces de délit international, le cinquième enfin
aux circonstances qui excluent le caractère d'illicéité.
CHAPITRE PREMIER

LA NOTION DU DÉLIT INTERNATIONAL

1. — La notion du délit, ou plus exactement celle du tort


ou du fait illicite, dont, pour des raisons de commodité
terminologique, nous la considérerons comme synonyme,
entre dans cette catégorie de notions (droit subjectif, devoir
juridique, contrat, acte juridique, etc.) qui n'appartiennent
pas plus au droit étatique qu'au droit international, mais
qui, même si elles ont été étudiées plus spécifiquement par
rapport à une certaine branche du droit, ont par ailleurs
été admises dans le domaine de la théorie générale du droit,
après avoir été dépouillées de tout ce qui n'est pas essentiel
ou de tout ce qui est exclusivement particulier à un ordre
juridique donné, pour devenir les précieux instruments de
recherche indispensables pour toute étude d'un système juri-
dique positif quelconque. Etudier la notion du délit inter-
national, c'est donc avant tout étudier la notion du délit
tout court dans la théorie générale du droit, et déterminer
quelle place occupe le délit dans le cadre général des faits
juridiques.
Dire, partant du délit, « dans le cadre général des faits
juridiques », c'est évidemment supposer résolue une question
préjudicielle : celle de savoir si le délit est un fait juridique.
On a dit très justement à cet égard que, si le délit était vrai-
ment un Unrecht, une simple négation du droit, le phéno-
mène du fait illicite ne pourrait trouver sa définition dans
la science juridique, car il resterait en dehors du système du
droit, et par là hors de toute possibilité de connaissance
juridique 1 . En effet, toute considération du délit comme la
négation du droit, ainsi que semble permettre de conclure

1. V. Kelsen, Onrecht nnd Unrechtsfolge im Völkerrecht, Zeit. f. ö//. Recht,


1933, p. 488.
(g) NOTION DU DÉLIT 42.x

l'expression allemande Unrecht, ne peut être le résultat qué


d'une considération métajuridique, qui, concevant le droit
comme un système de commandements pour empêcher les
faits socialement nuisibles, qualifie ces derniers de délits
et y voit l'antithèse même du droit. Mais pour attribuer au
droit lui-même la définition d'un fait comme illicite, pour
considérer ce même fait comme doué d'une valeur juridique,
ayant un effet juridique, c'est-à-dire un effet déterminé par
le droit, il est bien évident qu'il faut se placer exclusive-
ment dans le domaine de la connaissance juridique.
La connaissance juridique d'un fait de la vie réelle est
proprement un jugement, une qualification de ce fait sur la
base d'un système de droit. Considérer un fait humain du
point de vue moral, c'est le transformer en fait moral, c'est
le juger à la lumière d'un critère supérieur de distinction du
bien et du mal, du juste et de l'injuste. De même, considé-
rer un fait du point de vue juridique, c'est le juger, le qua-
lifier juridiquement, c'est lui donner une valeur juridique,
c'est, en un mot, le transformer en fait juridique. Et aussi
bien que la qualité de bon ou de mauvais n'est pas un carac-
tère intrinsèque du fait matériel, mais un caractère attribué
par un jugement moral de l'esprit, la qualité de fait juri-
dique, et de fait juridique illicite plus particulièrement, n'est
pas une qualité naturelle, inhérente à une certaine conduite
humaine, considérée exclusivement dans ses éléments de fait
et dans son essence matérielle, mais c'est une qualité
octroyée par une considération juridique : c'est une qualifi-
cation juridique.
Puisqu'aucune qualification juridique n'a de valeur que
par rapport à un système, à un ordre juridique particulier,
et dans le cadre de celui-ci, il en résulte que la qualité de
fait illicite est essentiellement relative à un ordre juridique
donné. Un même fait, une même conduite humaine — la
grève par exemple — peut être considéré comme un fait
illicite dans certains droits et comme un fait pleinement
licite dans d'autres. Ce n'est d'ailleurs pas seulement en ce
sens qu'un tel caractère de relativité se manifeste : au sein
d'un même ordre juridique, un fait déterminé peut être jugé
424 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (io)

de façon différente suivant les circonstances qui l'encadrent.


Dans certaines hypothèses, un fait, qui serait normalement
regardé comme illicite, est qualifié autrement parce qu'il
s'est produit avec le consentement du lésé, ou parce qu'il
constitue l'exercice d'une fonction publique, comme par
exemple l'action du bourreau qui exécute un condamné à
mort. Dans le droit international, le bombardement d'une
ville ouverte n'est pas illicite lorsqu'il est exécuté à titre
de représailles légitimes par un Etat ayant été victime d'un
acte analogue. Mais il y a plus : un môme fait matériel par-
ticulier peut très bien, dans un même ordre juridique, être
appréhendé à la fois par deux règles différentes, et se voir
rattacher par ces deux règles des conséquences juridiques
elles aussi différentes : être qualifié contrat par l'une d'elles,
et délit par l'autre *. Un Etat qui s'oblige envers un deuxième
Etat à ne concéder à aucun autre le droit de passage des trou-
pes sur son territoire, et qui s'engage ensuite envers un Etal.
tiers à lui octroyer ce droit de passage, accomplit par là un
acte qui doit être regardé du côté de l'Etat tiers comme un
traité valable, produisant tous ses effets, et du côté de l'Etot
envers lequel avait été contractée la première obligation,,
comme un fait illicite donnant lieu à responsabilité inter-
nationale,
La qualité de fait illicite attribuée à un fait donné est
donc exclusivement la conséquence d'un jugement juridi-
que : elle est une qualité conférée par le jugement contenu
dans une règle de droit, cette dernière n'étant, de par sa
nature même, qu'un jugement attribuant une valeur juridique
à des faits de la vie sociale 2 . Il serait absurde, par consé-

1. Pour des exemples de ce phénomène dans l'ordro juridique interne,


v. Betti, Diritto romano, I, Padoue, p. 407 et suiv.; Carnolutti, Teoria generale
del reato, Padoue, 193Ü, p. 31.
2. L'ordre juridique, à nos yeux, est précisément un système organique et
organisé de jugements attribuant une valeur juridique aux faits et aux situa-
tions qui se produisent dans la vie de la société dans laquelle le même
ordre s'est historiquement fixé. Les faits et situations dont l'ordre juridique
prévoit le jugement rie sont généra'ement pas indiqués individuellement,
mais — et la nécessité en est évidente — par catégories abstraites, dans
lesquelles peuvent rentrer tous les faits qui pourront se produire t\ l'avenir,
répondant au mimo type idéal. C'est pourquoi l'ordre juridique est formé,
(ii) NOTIÜN DU DÉLIT 4*5

quent, de parler, dans le domaine du droit, d'un tort ou


délit matériel, d'un fait « illicite en lui-même ». Si ce fait,
n'est pas qualifié comme illicite par une règle de droit, il ne
peut pas être regardé juridiquement comme tel; de môme
que, lorsqu'une qualification de ce genre a été donnée, on
ne peut pas se passer de regarder le fait en question comme
étant un délit, alors même que d'un point de vue purement
naturel on se refuserait à lui prêter un tel caractère.
Il est permis de conclure, partant, que la notion juridique
du délit ou fait illicite ne peut pas être établie sur la base
des aspects exclusivement matériels de certains faits de la
vie sociale, mais doit être fondée, au contraire, sur une ana-
lyse des règles qui donnent aux faits qu'elles envisagent,
la qualification de délits. Il y a là, d'ailleurs, un critère
qui est valable et nécessaire, évidemment, pour toute défi-
nition correcte d'une notion juridique, que ce soit celle du
délit ou celle du contrat, celle de l'acte unilatéral ou du
fait juridique dû, etc.
A cet égard, une considération des règles qui, dans les dif-
férents ordres juridiques, qualifient les faits qu'elles envisa-
gent comme illicites, nous permet tout d'abord d'établir

pour la plupart, de regles, c'est-à-dire précisément dé jugements exprimés


pour des catégories abstraites de faits, se laissant traduire en une série
indéfinie de jugements de toutes les espèces présentes et. futures pouvant
rentrer dans la catégorie indiquée. I-,a règio suivant laquelle le vol est puni
par la réclusion, par exemple, n'est en effet que la somme d'une série indé-
finie do jugements, par lesquels tous les faits particuliers qui pourront se
produire et qui présenteront les caractères nécessaires a les comprendre,
idéalement sous la catégorie abstraite du « vol » se verront octroyer la
valeur de provoquer la naissance cliez l'Etat do la faculté juridique d'infliger
la peine de la réclusion à leurs auteurs.
A côté des règles, c'est-à-dire des jugements généraux exprimés pour des
catégories abstraites do faits, l'ordre juridique prévoit toutefois aussi des
jugomonts particuliers, donnés pour des espèces indiquées individuellement
et directement. En sont un exemple une loi qui attribue une pension extra-
ordinaire à uno personnalité particulièrement méritoire, la décision du juge
siiisso se prévalant du pouvoir qui lui est conféré par l'article 3 de son
Code civil de décider, dans certaines hypothèses, le cas d'espèce comme
s'il était le législateur, le contrat où les parties font usage de leur pouvoir
d'autonomie pour substituer un règlement nouveau de leur rapport à celui
qui serait prévu par la loi, etc. C'est pour cette raison qu'il para't plus
exact de définir l'ordre juridique comme étant un système de jugements
plutôt que comme étant un système do règles, ainsi que les théories les plus
répandues le. voudraient.
426 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (12)

une première conclusion ayant une valeur générale : l'attri-


bution de la qualité juridique d'illicite à un fait donné
8'identifie avec l'attribution de la valeur juridique de fait
produisant une obligation de réparer ou bien légitimant
l'application d'une sanction. Il est donc permis d'établir par
là cette première notion relative à la nature juridique du
tort, ou délit, ou fait illicite; tort, c'est tout fait auquel l'or-
dre juridique rattache la naissance d'une obligation juridi-
que de réparer ou d'une faculté juridique de sanction; ou, si
l'on veut être plus exact, tout fait auquel une règle de droit
attribue cette valeur juridique particulière : de légitimer
un sujet différent de celui auquel le tort est imputé à pré-
tendre de ce dernier une réparation ou à lui infliger une
sanction *. Et si on veut accepter de définir par le mot syn-
thétique de responsabilité la situation d'un sujet devant
faire face au droit d'autrui de prétendre do lui une répa-

I. Le point de vuo expose ci-dcssns doit être bien clairement distingué de


la conception développée par Kelsen (Allgemeine Staatslehre, Vienne, 102S,
p. 47 et suiv.; Reine Ilcchtslehre, trad ital. dans Archivio Giuridico, 1033,
p. f.1 et suiv,), qui, partant de l'idée de l'ordre juridiquo comme ordre de
contrainte, identifie la notion de la règle juridique avec celle d'un principe
opérant le rattachement d'un acto de contrainte à une situntion matérielle;
de sorte que la sanction serait la seule conséquence juridique créée par
toute règle de droit, et non seulement par. les règles concernant les torts.
Il est clair que le schéma de la règle juridique que Kelsen indique dans
la proposition hypothétique « si c'est a alors c'est b » no pout être accepté
ici que dans un sens tout à fait différent de celui que son auteur lui attri-'
bue. Si l'on définit la règle de droit comme un jugemont attribuant une
valour juridique à des faits ou à des situations de la vie réelle, il paraît
tout simple en effet de représenter schématiquemont le fonctionnement de
ce jugement par la proposition : « si le fait ou situation a so réalise, on lui
attribue la valeur juridique b ». Mais cette valeur juridique b^peut être
représentée, Buivant les cas, et comme l'expérience nous le montre, soit par
•la valeur de fait donnant naissance à un droit subjectif et à une obligation
juridique correspondante, ou bien a un pouvoir juridique, ou bien encore
a une qualité juridique subjective, à un status, etc.: soit mime par la valeur
de fait produisant la naissance ou l'extinction d'une règle de droit, ou de
fait tranchant une controverse, ou réalisant la miso en oeuvre d'une garan-
tie, etc. Elle peut aussi consister en la valeur de fait donnant lieu à la
faculté d'appliquer une sanction; mais que la conséquence nécessaire d'une
telle attribution de valeur doive être constituée toujours par l'application
d'une sanction, voilà une affirmation qui ne trouve aucun appui dans la
réalité, et qui est seulement la conséquence de l'idée, a laquelle on ne
Baurait souscrire, que l'existence d'un fait illicite est la condition nécessaire
pour la création du droit, car cette création se réaliserait seulement par
l'intorvenlion d'un acte de contrainte.
(i 3 ) NOTION DU DÉLIT 4^7

ration, ou à la faculté d'autrui de lui infliger une sanction,


on pourra parler du tort comme d'un fait donnant lieu à une
responsabilité juridique.
Pour comprendre à fond la valeur substantielle d'une telle
notion, il faut bien la voir dans le cadre de l'ordre juridique
tout entier, dans sa qualité de système organisé de règles,
ou, plus exactement, de jugements attribuant une valeur
juridique à des faits et à des situations de la vie sociale. Ce
système de droit, en tant que système disciplinant la vie
d'une société humaine, a évidemment un caractère téléolo-
gique. Les jugements qui le composent et qui s'y encadrent
harmoniquement envisagent des faits qui se produisent dans
la vie d'une certaine société, et particulièrement la con-
duite des membres d'une telle société, avec cette fin d'orien-
ter ces derniers vers une conduite socialement utile et de les
détourner d'une conduite socialement nuisible l . Un tel but
est atteint par les jugements qui composent l'ordre juridique:
d'une part, en attribuant aux conduites utiles une valeur juri-
dique se traduisant concrètement en un effet favorable aux
sujets de cellesrci, et en réglant quelquefois même cet effet
directement sur la volonté qu'ils manifestent; d'autre part,
on conférant aux conduites nuisibles une valeur se traduisant
en un effet défavorable pour leurs sujets, telles que l'obli-
gation de réparer le dommage causé ou la faculté juridique
d'autrui de leur infliger une peine. Ce sont précisément ces
conduites socialement nuisibles que le droit prend en consi-
dération comme telles, pour leur rattacher ces effets défavo-
rables qui prennent les noms de réparation et de sanction,
ou, en un mot, de responsabilité, que l'on doit considérer
juridiquement comme faits illicites.

2. — La notion préliminaire que nous venons d'établir par


rapport à la nature juridique du tort n'exige que peu de pré-
cisions ultérieures. On y a indiqué en ligne générale un

1. V. pour eotto idée de la rftalo juridique agissant sur la conscience des


membres de la société, au moyen de l'effet attribué a leurs faits ou omis-
sions, afin de les pousser vers certaines conduites et de les détourner d'au-
tres, Porassi, Introduzione aile scienze giuridiche, rist., Roma, 1938, p. 12
et 8uiv.
42â R. AGO — DÉLIT INTERNATIONAL (M)

double effet possible du jugement attribuant valeur juridique


au fait illicite : l'obligation juridique de l'auteur de ce der-
nier de réparer les dommages matériels et moraux causés
par son fait, et la faculté juridique d'une autre sujet de lui
infliger une sanction. Cette simple indication d'une double
possibilité, c'est tout ce à quoi il faut s'en tenir dans le
domaine de la théorie générale du droit, c'est-à-dire sur ce
terrain abstrait où l'on établit des notions exclusivement,
sur la base de ce qu'il y a de commun et d'uniforme dans
toutes les différentes espèces d'ordre juridique. C'est ensuite
seulement par rapport à un ordre juridique particulier que
l'on pourra établir si la valeur juridique attribuée à cer-
tains délits se traduit exclusivement en la détermination du
premier effet, ou du second, ou des deux conjointement, de
facon à permettre, sur cette base,, une distinction entre des
catégories différentes de faits illicites. L'expérience prouve,
en effet, qu'il y a des ordres juridiques qui disposent que
certaines catégories da délits aient comme effet seulement
la naissance d'une obligation de réparer les dommages cau-
sés, ou bien l'octroi d'une faculté de sanction, ou bien les
deux à la fois; de même qu'ils peuvent exclure toute sorte
de différence parmi les torts à ce sujet, et qu'ils peuvent
aussi connaître exclusivement l'une ou l'autre des deux
formes que l'effet juridique d'un fait illicite peut revêtir.
Nous reviendrons là-dessus lorsque nous examinerons la
question dans le domaine de l'ordre juridique international,
relativement auquel on trouve aussi bien l'affirmation de la
plupart des auteurs suivant laquelle le seul effet juridique,
d'un fait illicite international serait constitué par l'obliga-
tion de réparer, que l'assertion diamétralement contraire
suivant laquelle cet effet juridique serait exclusivement repré-
senté par la possibilité du recours à une sanction ou acte de
contrainte.
Il suffit, ici d'indiquer qu'on a réservé le nom spécifique de
sanction à ce que nous considérons exclusivement avoir droit
à ce nom, c'est-à-dire à cet effet du délit qui revêt un carac-
tère afflictif et répressif, en un mot un caractère de peine,
quoique dans le sens le plus étendu de ce terme, tandis que
(IS) NOTION DU DEUT 429

l'on a exclu la possibilité de comprendre sous le nom de


sanction aussi l'autre effet du délit ayant un caractère pure-
ment réparatoire.
Il n'v a pas là une simple question de termes. La sanction,
on vient de le dire, a eu un caractère d'affliction: elle est fin
pour soi-même : sa fonction unique est de réprimer le tort.
La réparation n'a point du tout ce caractère; elle sert au
contraire à permettre au sujet lésé par le tort d'obtenir la
restauration de son droit ou du moins une satisfaction par
équivalent de ce droit. Cette différence de caractère et do
finalité fait que sanction-et réparation neuvent nnpsi subsis-
ter l'une à coté de l'autre, comme effets du mfmii déb't —
ainsi qu'il arrive pour de nombreux délits du droit étatique
— sans qu'elles s'excluent réciproquement.
La distinction entre la rénaration et la sanction PH très
nette d'ailleurs aussi sons un autre aspect. L'ordre juridique
peut frontier l'auteur du tort par une obligation inridique
vraie et pronre de prêter une réparation des dommaees
matériels et moraux qu'il a causés par sa conduite; mais il
ne crée pas normalement une obligation juridique du même
sujet de subir une sanction aflictivo. Le suiet nui est auto-
risé a infliper celle-ci peut évidemment apir de facon à obte-
nir que la peine soit réellement appliquée: il n'a nas, au
contraire, le droit d'exiger juridiquement de l'auteur du tort
qu'il s® soumette à la peine même. Lorsqu'on parle d'une
obligatio» de subir une peine ou du droit corresnondant de
punir, on ne réflécbit peut-être pas au fait que, si cela était,
l'auteur du tort qui réussirait à éebanner à la peine se ren-
drait par là counable d'un nouveau fait illicite, avant à son
tour comme effet une nouvelle obligation de subir une
deuxième peine, ce qui ne serait, aux yeux des ordres juri-
diques en vigueur, qu'une absurdité évidente. Tl ne s'acit
donc pas d'un droit subjectif, mais simplement de la faculté
juridique* d'infliger une sanction; c'est-à-dire d'une possi-

1. Les auteurs Qui affirment, l'existence d'un droit snhicetif de punir ne


voient pas clairement la distinction nécessaire entre les notions différentes
du droit subjectif, du pouvoir juridimi" et de la facii't/ inrirtimi». l'élément
commun qui s'y retrouve est de constituer dos possibilités juridiques conté-
430 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL 06)
bilité, attribuée par le droit, de commettre, à titre de sanc-
tion d'un tort d'autrui, une action ou omission afflictive de
ce dernier : action ou omission qui serait autrement défen-
due, et qui devient légitime précisément et exclusivement,
à ce titre.
Il est à peine nécessaire d'ajouter encore, à ce même sujet,
que lo droit à exiger la réparation pour les dommages causés
est généralement attribué par les différents ordres juridiques
au sujet endommagé lui-même; tandis que ce même sujet ee
voit octroyer aujourd'hui la faculté juridique d'infliger une
sanction seulement par quelque système de droit ayant un
caractère particulier; les antres préférant conférer normale-
ment cette faculté à un sujet différent et unique : l'Etat,
ayant une possibilité matérielle énormément accrue de réa-
lisation de la sanction, et donnant en même temps une
garantie plus sûre d'impartialité et d'observance des limites
requises dans son application.

3. — On en est arrivé à la considération du délit comme


un fait comportant la naissance d'une obligation de réparer
eu d'une faculté de sanction, en partant du point de vue
de la valeur juridique que les règles de droit attribuent à
certains faits, et de l'effet en lequel cette attribution de
valeur se traduit. Par cela même, cette considération est de
nature à nous permettre aussi do déterminer la place que le

réos par le droit. Mais lo droit subjectif est une possibilité d'exiger d'autrui
nne certaine prestation ou une certaine conduite; il a donc comme pendant
nécessaire nne obligation juridiquo : l'obligntion de fournir la prestation on
de tenir la conduite requise. Par pouvoir juridique, au contraire — comme,
par exemple, le pouvoir de contracter, on le pouvoir d'érticter des rêptles de
droit, etc. — on doit entendre la possibilité de déterminer par sa volonté
un certain effet juridique. La faculté juridique enfin — comme par exemple
la'faculté d'acquérir la propriété d'une chose sans maître par l'occupation
— n'est ni une possibilité d'exiger, ni une possibilité de vouloir, mais sim-
plement une possibilité d'agir en vne d'un effet juridique qui est déterminé
par le droit. Ni le pouvoir, ni la faculté juridiquo n'ont aucune obligation
juridique qui leur corresponde.
Pour ce qui a trait aux effets du délit, donc, il est bien évident «jne si
la demande d'une réparation du tort suhi constitue l'exercice d'un droit
subjectif, et si l'inaccomplisscment de l'obligation correspondante est à son
tour un fait illicite, l'infliction d'une peine n'est, au contraire, que l'exer-
eice d'une faculté : c'est-à-dire une simple action légitime à laquelle le
droit donne l'effet juridiquo de punir de sa conduite l'auteur du délit.
(17) NOTION DU DÉLIT 43»

délit ou tort occupe dans une classification des faits juridi-


ques fondée justement sur le critère d'une distinction à éta-
blir parmi les différentes valeurs juridiques qui leur sont
conférées par le droit.
Une classification basée sur un critère semblable ne pent
avoir qu'une signification fonctionnelle. Par le moyen des
valeurs différentes qu'il attribue aux faits qu'il juge, par le
moyen des effets dans lesquels se concrétise cette attribution
de valeurs, l'ordre juridique pourvoit à ses nécessités et à
ses buts. C'est donc sur cette base que les faits juridiques
peuvent se classer tout d'abord dans deux catégories princi-
pales, suivant que la valeur qui leur est donnée a trait, d'une
façon ou de l'autre, à l'organisation même de l'ordre juridi-
que comme système de droit, ou bien simplement aux rela-
tions entre les membres de la société régie par cet ordre
juridique. Parmi ceux de la première catégorie se rangent
avant tout les faits dont la valeur juridique est de produire
la naissance ou la modification ou l'extinction des règles,
ou mieux des jugements qui composent le système de droit :
en un mot les faits productifs de droit, comme l'émanation
d'une loi, la formation d'une coutume, etc. On trouve en
deuxième lieu les autres faits auxquels la tâche est conférée
de déclarer le droit et d'en rendre certaine et définitive la
teneur par rapport à des controverses éventuelles : les faits
qu'on peut dénommer déclaratifs de droit, comme justement
l'arrêt déclaratif, etc. Il y a enfin d'autres faits — comme
par exemple l'arrestation ou l'exécution forcée — qui se
voient attribuer la fonction de constituer une garantie de la
réalisation concrète des jugements juridiques : les faits de
garantie du droit.
Il est toutefois évident que le tort ou délit n'est pas un
fait ayant une fonction relative à l'organisation du système
du droit, et qu'il se range donc dans la deuxième catégo-
rie, de ceux qui se présentent plus simplement comme des
faits de relation intersubjective. Parmi ces derniers, il y en
a qui reçoivent du droit qui les envisage la valeur.de faits
causant la naissance ou la modification ou l'extinction de
qualités juridiques, telles que la nationalité, etc. : les faite
432 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (18)

de qualification subjective. Il y en a d'autres qui sont jugés


de façon à leur relier l'effet de la naissance, ou modification,
ou extinction d'une possibilité juridique d'exiger (droit sub-
jectif), ou de vouloir (pouvoir juridique), ou de faire (faculté
juridique), et qu'on peut appeler faits de légitimation sub-
jective en tant précisément qu'ils légitiment un sujet à une
de ces actions. 11 y en a, enfin, qui se voient attribuer la
fonction de constituer une répression de certaines conduites
socialement nuisibles : on peut les dénommer faits de
sanction.
Il va de soi que le délit ou fait illicite, comme un fait dont
le jugement juridique cause la naissance du droit sub-
jectif d'exiger une réparation, ou bien de la faculté juridique
d'infliger une sanction, se classe par là même dans le
deuxième groupe, de ces faits qu'on vient d'indiquer comme
faits de légitimation subjective. Il est apparenté par consé-
quent à bien d'autres faits et situations, cette catégorie par-
ticulière des faits juridiques qui causent la naissance de
droits subjectifs, pouvoirs et facultés juridiques étant parmi
les plus étendues et les plus variées. C'est toutefois au sein
de cette catégorie que le tort ou délit se caractérise nette-
ment comme le fait d'un sujet produisant la naissance d'un
droit d'autrui à une réparation, ou bien d'une faculté d'au-
tiîii d'infliger une sanction.
4. — On a déterminé la place du délit dans la classification
générale des faits juridiques qu'on vient d'indiquer en se
servant d'une notion qui a été établie eu égard exclusivement
à la valeur juridique attribuée par le droit aux faits de la vie
sociale qu'il juge, et à l'effet juridique que par là il leur
rattache. Dans cette notion, aussi bien que dans cette classi-
fication, c'est donc seulement le jugement donné par le droit
qui est visé : les éléments intrinsèques du fait jugé y sont
laissés de côté. Nous savons par la notion indiquée qu'il y
a juridiquement délit toutes les fois qu'un ordre juridique
autorise un sujet à exiger une réparation de l'auteur d'une
certaine conduite ou à lui infliger une sanction. Nous ne
savons pas, au contraire, quelles sont les conditions que
l'espèce doit présenter pour que l'ordre juridique légitime
(19) NOTION DU DÉLIT 433

un sujet à exiger une réparation ou à appliquer une sanction,


et permette ainsi d'affirmer qu'on se trouve en présence d'un
fait illicite. C'est donc une notion ultérieure, moins exté-
rieure et moins étrangère, pour ainsi dire, à la nature intrin-
sèque du fait jugé comme illicite, qui nous est nécessaire
encore pour nous révéler ces autres éléments qui jusqu'ici
nous échappent.
Encore une fois, naturellement, c'est l'observation directe
des ordres juridiques et des règles qui y qualifient certains
faits comme illicites qui va nous fournir la notion requise.
Car c'est précisément cette observation qui, en dégageant
des différents systèmes de droit un dénominateur commun,
nous permet d'affirmer que l'élément essentiel dont toute
règle de tout ordre juridique exige la présence dans l'espèce
pour pouvoir qualifier comme délit un fait de la vie sociale
est constitué par la violation, de la part d'un sujet, d'une
obligation juridique qui lui est imposée. Etre obligé par le
droit à donner une certaine prestation ou à tenir une cer-
taine conduite, et agir autrement, voilà ce qui constitue
le noyau d'un tort, l'élément qu'il faut retenir pour établir,
toujours sur le plan de la théorie générale du droit, cette
notion ultérieure et intrinsèque du délit que nous
recherchons.
La notion du tort, considéré du point de vue de ses élé-
ments constitutifs, comme étant représenté par l'infraction
d'une obligation juridique, nous paraît la seule qui caracté-
rise exactement la nature intrinsèque de ce fait juridique.
On pourrait aussi parler, et cela reviendrait plus ou moins
au même, d'une lésion d'un droit subjectif d'autrui. Nous
verrons que, dans le domaine du droit international, les
deux définitions, étant donnée la corrélation nécessaire :
obligation juridique-droit subjectif, sont absolument équiva-
lentes. Dans le domaine de la théorie générale du droit,
toutefois, peut-il être plus exact de parler de la violation
d'une obligation juridique, si l'on veut tenir compte de
l'opinion, d'ailleurs douteuse, qui affirme l'existence, dans
certains systèmes de droit étatique, d'obligations juridiques
auxquelles aucun droit subjectif ne ferait pendant.
H. — 1989. 23
434 R. 'AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL {20)

Il paraît, au contraire, absolument nécessaire de repous-


ser l'opinion, répandue chez les privatistes, mais qui ne
saurait répondre aucunement à une notion générale du tort,
valable aussi pour des domaines différents de celui du droit
privé étatique, et qui voit le caractère distinctif du fait illi-
cite dans le dommage causé à autrui. INTi, d'autre part, l'on
ne saurait considérer comme davantage fondées les défini-
tions, si communes surtout dans la doctrine du droit inter-
national 1 , selon lesquelles serait fait illicite toute violation
d'une règle juridique ou toute conduite contraire à une règle.
A cet égard, il paraît particulièrement nécessaire de relever
clairement la distinction qu'il peut y avoir entre le fait,
illicite proprement dit et des faits qui n'ont rien à voir avec
les délits tout en constituant des infractions à une règle juri-
dique. Dans plusieurs ordres étatiques, par exemple, il existe
une règle qui interdit les donations entre époux, ou les
contrats de louage de services généraux et perpétuels. Si
l'un de ces actes interdits est établi, il constitue sans d«ute.
selon le langage courant, une violation d'une règle de droit;
il ne forme pourtant pas du tout un fait juridique illicite,
mais seulement un fait juridiquement nul ou inexistant. II
en est de même, on le verra, en droit international. L'ordre
juridique se borne, en présence d'un fait de ce genre, à ne
pas le prendre en considération juridique, et par là à lui refu-
ser la garantie juridique pour la réalisation des buts qu'il
se propose. Mais ne pas prendre en considération juridique
un fait, c'est se refuser à le qualifier juridiquement, ce qui
est tout à fait étranger — et même opposé — à une qualifi-
cation comme délit, qui serait évidemment une qualification
juridique. Pour qu'un fait consistant dans une conduite qui
viole une règle juridique soit qualifié délit, il ne suffit donc
pas que cette conduite ne puisse pas atteindre les buts qu'elle

1. V. Anzilotli, Teoria generale della responsabilità dello stato nel diritlo


internazionale, Florence, 1902, p. 113; et Corso di diritto internazionale.
Romo, 1928, p. 416 et suiv.; Schoen, Die völkerrechtliche Haftung der Staaten
aus unerlaubten Hendungen, Breslau, 1917, p. 21; Strupp, Das völkerrechtli-
che Delikt, Stuttgart, 1920, p. 6; de Visschcr, La responsabilité dea Etals,
Bibliotheca Visseriana, II, 1924; LaTs, Die lieehtsfolqen völkerrechtlicher
Delikte, Berlin, 1932, p. 19 et suiv.; etc.
(«J NOTION DU DÉLIT 43S

se propose : il faut, en outre, que le droit lui donne la valeur


de fait provoquant la naissance d'une obligation de réparer
ou d'une faculté de sanction. Ce qui n'arrive, comme on
vient de le dire et comme le prouve l'observation des diffé-
rents ordres juridiques, que lorsqu'il y a une infraction
d'une vraie et propre obligation juridique que le droit a mis
à la charge d'un sujet.
S. — La notion du délit, telle qu'elle se dessine du point
de vue de l'effet juridique de ce fait, obligearìt son auteur
à donner une réparation, ou autorisant un autre sujet à lui
infliger une sanction, nous a permis de déterminer la place
du délit dans une classification des faits juridiques basée
justement sur le critère de la valeur et de l'effet attribué par
le droit aux faits différents qu'il prend en considération.
C'est maintenant à la notion du délit vu dans ses éléments
intrinsèques, comme fait constitué essentiellement par la
violation d'une obligation juridique de la part d'un sujet,
de nous permettre de classer le délit au sein d'une autre
classification des faits juridiques, fondée cette fois-ci non
plus sur le critère de l'effet qui leur est relié, mais sur celui
deB éléments dont le droit exige la présence dans l'espèce
pour pouvoir juger et qualifier cette dernière d'une façon
déterminée.
Un tel critère de classification des faits juridiques est;
sans doute le plus connu et le plus communément adopté
dans le droit interne aussi bien que dans le droit internatio-
nal, où on s'en est servi largement, surtout par rapport à la
détermination de la nature juridique de l'arrêt international.
Ce n'est donc pas ici le lieu de s'attacher à discuter trop
particulièrement ce critère de classification, si ce n'est que
pour rappeler premièrement que le critère même doit être
toujours employé à titre exclusif dans toute distinction que
l'on établit dans la classification bâtie sur son fondement 1 ;

1. C'est une erreur évidente que d'introduire dans une classification londée
sur un certain critère une distinction établie sur un critère différent. M. Pe-
rasei, par exemple (Introduzione, p. 64 et suiv.), établit d'abord une- classi-
fication des laits juridiques sur la base du critèro de l'effet qui leur est
octroyé par le droit, en distinguant les faits do production juridique des
436 J?. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (22)

et deuxièmement que ce dont il s'agit ce n'est pas de diffé-


rencier entre eux des faits matériels,' mais des faits juridi-
ques : de sorte que les éléments matériels de l'espèce n'en-
trent pas en ligne de compte en eux-mêmes pour la classifi-
cation recherchée, mais seulement en tant que la règle de
droit leur donne relief en exigeant leur présence.
iLa distinction que la doctrine établit le plus habituelle-
ment sur la base d'un critère de ce genre est notoirement
celle qui sépare d'un côté les faits juridiques et les actes
juridiques de l'autre. On connaît à cet égard les théories qui
se bornent à affirmer que la distinction entre l'acte juridique
et le fait juridique au sens étroit réside en ce que, pour
l'acte, la règle prend en considération juridique la volonté
humaine qui accompagne ou détermine les faits matériels
qu'elle qualifie, tandis que, pour le fait, la règle prend en
considération le phénomène naturel exclusivement comme
tel, en laissant de côté tout élément volontaire qui pourrait
l'accompagner 1 . D'autres auteurs, mus particulièrement par

faits de réalisation juridique et des faits du commerce juridique. Parmi ces


derniers, ensuite, il voudrait séparer les faits de la nature des faits des
personnes, pour distinguer ceux-ci encore en faits licites, faits illicites ot
actes juridiques, on ayant recours ainsi à un critère de distinction complè-
tement différent de celui sur lequel il a fondé sa classification générale, et
qui n'est pas en harmonie avec ce dernier. La distinction des faits juri-
diques en faits licites, faits illicites et actes juridiques n'est en effet pas
du tout une sous-distinction de ceux que M. Perassi dénomme faits du
commerco juridique, car elle regarde au contraire tous les faits juridiques,
y compris ces autres faits qui, sur la base du critère de leur effet, se trou-
vent être rangés sous les noms de faits de production et de réalisation
juridique.
1. V. en ce sens Betti (Diritto romano, p. 172 et suiv.), qui divise ensuite
les actes juridiques en actes licites et illicites, suivant que les effets juridi-
ques qui leur sont rattachés sont conformes ou non à la volonté qui les a
déterminés. M. Carnelutti (Sistema del diritto processuale civile, I, Padoue,
1936) établit d'abord une double identification : faits purement naturels —
faits juridiques naturels, faits volontaires — actes juridiques; mais on a jus-
tement observé que par sa distinction successive des actes juridiques en
actes purement licites, actes juridiques stricto sensu et actes illicites, sui-
vant qu'il y a indifférence, coïncidence on contraste entre le but pratique et
l'effet juridique de l'acte, l'auteur en vient a adopter pour critère de diffé-
renciation entre l'acte juridique et le fait juridique l'aspect juridique donné
par le droit à la volonté plutôt qué le caractère matériellement volontaire
du fait envisagé.
Les distinctions établies par ces auteurs sont manifestement viciées par ce
manque d'unité du critère de classification dont nous venons de souligner
les dangers.
(23) NOTION DU DÉLIT 437

les exigences de la matière formant l'objet de leur recherche,


spécifient ultérieurement ce point de vue, en affirmant qu'on
est»en présence d'un acte juridique lorsque l'élément volon-
taire présent dans un fait matériel est retenu par l'ordre juri-
dique pour être imputé juridiquement à un sujet de cet ordre
juridique *. D'autres, au contraire, voient le caractère distinc-
tif de l'acte juridique dans une manifestation de volonté
constituant l'exercice d'un pouvoir oui d'un devoir 2 , dans le
fait que l'auteur de la manifestation de volonté est le desti-
nataire de la règle qui l'envisage et la qualifie juridiquement 3 .
Il y aurait acte juridique, en d'autres termes, lorsque le droit
réglemente la volonté humaine, en lui accordant la faculté
de déterminer les conséquences juridiques de l'action par
laquelle cette volonté se traduit.
Toutefois, bien que ces différentes théories constituent
généralement des contributions utiles pour une construction
systématique du domaine étendu des faits juridiques, et pour
la détermination de la nature particulière de certaines ins-
titutions, aucune de ces théories cependant ne paraît avoir
été développée jusqu'ici au point de nous fournir un tableau
complet dans lequel la figure juridique du délit puisse s'en-
cadrer exactement et avec des contours bien dessinés. Ce
sont surtout les deux dernières théories ci-dessus rapportées
qui présentent chacune des éléments certains de vérité, mais
qui n'apparaissent pourtant de façon complète qu'en consi-
dération de deux moments successifs de la classification des
faits juridiques, et si l'on abandonne l'idée erronée de dis-
tinguer seulement deux catégories de faits juridiques : les
faits juridiques stricto sensu d'un côté, et les actes juridiques
de l'autre *. C'est d'ailleurs la tendance, dont nous venons

1. V. Morelli, La sentenza internazionale, Padoue, 1931, p. 73 et suiv.


2. V. Balladore-Pallieri, Due recenti teorie sulla natura giuridica della sen-
tenza internationale, Messine, 1932, p. 4 et suiv.; Diritto internazionale
pubblico, 2« éd., Milan, 1938, p. 68.
3. V. E. Enriquez, La sentenza come fatto giuridico, Padouc, 1931, p. 63 et
suiv.
4. C'est M. Romano {Corso di diritto amministrativo, 3 e éd., Padoue, 1937,
p. 214 et suiv.) qui a abandonné le premier cette bipartition en distinguant
les laits juridiques au sens étroit des faits juridiques volontaires, sans iden-
tifier pourtant eette deuxième catégorie avec celle des actes juridiques. Les
438 R. AGO. — MUT INTERNATIONAL (24)

d'indiquer les dangers, à considérer comme éléments distinc-


tifs les caractères matériels les plus visibles des faits de la
vie sociale plutôt que ces éléments dont le droit demande la
présence en eux pour les qualifier d'une certaine façon, la
cause évidente du poids donné par erreur par plusieurs au-
teurs a l'élément volontaire comme tel pour une distinction
dans le domaine des faits juridiques, tandis qu'on a géné-
ralement négligé les éléments les plus essentiels.
La base effective de la distinction qu'on doit établir est
en effet plus délicate et complexe que celle de la présence
ou non d'un élément volontaire dans l'espèce. Il y a d'un
côté des faits et des situations sociales qui sont considérés
et jugés par l'ordre juridique sans que ce dernier s'intéresse
à, la présence, dans les faits mêmes, d'éléments qui n'aient
pas un caractère purement matériel. Les faits juridiques
qui sont créés de telle sorte peuvent donc être regardés
comme des et faits juridiques simples », ou « faits juridiques
stricto sensu », suivant une expression qui est largement
adoptée.
Il y a d'un autre côté des faits et des situations plus com-
plexes; et cela dans ce sens que, pour en donner une
qualification déterminée, la règle qui les envisage leur de-
mande la présence d'une certaine situation juridique subjec-
tive, c'est-à-dire d'une situation particulière d'un sujet, créée
h son tour par une autre règle du même ordre juridique.
Pour cette deuxième catégorie de faits juridiques, on peut
donc adopter à juste titre la dénomination de « faits juri-
diques subjectifs ».
La situation juridique subjective qui est requise peut être
représentée par un droit subjectif ou par une faculté juri-
dique. Si un fait donné n'est juridiquement pris en consi-
dération et qualifié que s'il constitue l'exercice-d'un droit

faits volontaires comprennent, suivant cet auteur, aussi bien les actions
matérielles que los actes juridiques proprement dits. Actions et actes juri-
diques, ut leur tour, peuvent être licites ou illicites. D'un point de vue
partiellement différent, M. Zanobini (Corso 'di diritto amministrativo, I,
Milan, 1936) a séparé les faits juridiques objectifs des faits juridiques sub-
jectifs, et ces derniers en actes juridiques et actes illicites, suivant que le
but qu'ils se proposent est conforme ou contraire au droit.
(25) NOTION DU DÉLIT 439
ou d'une faculté, c'est-và-dire d'une possibilité juridique
d'exiger ou de faire quelque chose dans un but juridique,
on a, dans le cadre général des faits juridiques subjectifs, la
catégorie particulière des « faits juridiques licites ». La situa-
tion juridique subjective peut d'ailleurs consister en un
pouvoir juridique, c'est-à-dire en une possibilité juridique de
vouloir, d'établir des conséquences juridiques sur la base
de sa propre volonté. C'est dans ce cas, et dans ce cas seu-
lement, qu'on réalise l'essence de 1'« acte juridique »; et
c'est dans ce sens qu'il faut entendre la valeur de cet élé-
ment volontaire dont on parle si souvent au sujet des actes
juridiques.
Il se peut enfin que la situation juridique subjective dont
on a parlé soit constituée par une obligation juridique. Dans
cette hypothèse, il se peut que le fait envisagé par la règle
de droit consiste en un accomplissement de cette obligation,
en une conduite conforme à cette dernière : conduite qui
pourra alors être définie comme étant un « fait juridique
dû ». Il se peut, au contraire, que le fait considéré soit
représenté par une conduite contraire à cette obligation;
et c'est dans cette hypothèse précisément qu'on rencontre
le « fait juridique illicite ».
La détermination de la place que les délits occupent dans
cette deuxième classification des faits juridiques est donc
réaliséo : les délits ou faits illicites forment une sous-caté-
gorie particulière de la catégorie générale des faits juri-
diques subjectifs, en tant que la présence d'une situation
juridique subjective est requise à titre essentiel dans l'espèce
pour qu'elle soit qualifiée de délit et précisément la pré-
sence d'une obligation juridique, dont la violation de la
part de son titulaire constitue l'essence même de l'illicite.
Les torts se distinguent donc par là non seulement des
faits juridiques licites, ou des faits dus qui sont leur con-
traire exact, mais aussi et tout nettement de cette autre
catégorie des actes juridiques dans laquelle on les a souvent
inclus à tort, et avec des graves conséquences de confusion,
grâce à l'identification erronée du fait juridique subjectif
avec l'acte juridique. Même l'expression courante d'actes
440 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (26I

illicites doit, nous semble-t-il, être abandonnée, car elle


pourrait prêter à équivoque. Les faits illicites, les délits,
ne se rangent pas parmi les « actes », mais parmi les « faits
juridiques subjectifs ».
On a dû s'arrêter particulièrement sur ces points théori-
ques, dont les conséquences sont évidemment de grande
importance pour les développements qui vont suivre. Puisque
maintenant la notion du délit, telle qu'elle se dégage de la
théorie générale du droit, donc telle qu'elle doit se présen-
ter aussi dans ses lignes fondamentales en droit internatio-
nal, paraît claire et définie sous ses aspects essentiels, il
s'agit de passer à l'examen des caractères particuliers que
la notion elle-même doit nécessairement recevoir du milieu
dans lequel on veut l'étudier, c'est-à-dire de la nature propre
de l'ordre juridique international. Le caractère de relativité
de la qualification d'un fait comme illicite, caractère sur
lequel on a insisté ci-dessus, doit lui-même indiquer que
la notion du fait illicite peut assumer, selon les différents
ordres juridiques, des caractères particuliers, constituant
en quelque sorte le reflet du système au sein duquel on la
considère. D'autres éléments que ceux qui lui sont essen-
tiels peuvent être requis dans un certain droit, et manquer
dans un autre; une distinction entre des types, possible dans
un ordre juridique, peut devenir impossible dans un ordre
différent.
La tâche du juriste qui se propose d'étudier un phénomène
juridique dans un ordre juridique déterminé, après s'être
muni de cet instrument nécessaire de recherche qu'est la
notion générale du phénomène qui l'intéresse, est donc d'ap-
profondir pour déceler tous les aspect possibles de ce der-
nier. Il s'agit, en quelque sorte, de le disséquer, de le décom-
poser dans ses éléments, pour distinguer l'essentiel de l'ac-
cessoire. Il s'agit tout d'abord de voir si certains de ces carac-
tères peuvent se grouper de façon à permettre de distinguer
les différentes espèces fondamentales du même phénomène,
puis de mettre en lumière les anomalies-et exceptions aux
règles ainsi déterminées. C'est précisément ce que nous
allons faire maintenant pour ce phénomène juridique qu'est
le fait illicite international.
CHAPITRE II

LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU DÉLIT INTERNATIONAL.


ÉLÉMENT OBJECTIF

1. — Une analyse de la notion de délit international plus


approfondie que celle qu'on a pu accomplir jusqu'ici permet
aisément de découvrir dans cette notion, tout comme
d'ailleurs dans celle du fait illicite du droit étatique, la pré-
sence de deux éléments : un élément objectif, normalement
représenté par une action ou une omission, en un mot par
une certaine conduite; et un élément subjectif, résultant de
l'imputabilité de cette conduite à un sujet de droit. L'élé-
ment objectif du fait illicite est donc en tout premier lieu
une conduite, une action ou une omission, qui se vérifie
dans le monde extérieur.
En droit international — on l'a dit auparavant —, une
telle conduite est représentée, en toute hypothèse, par
une action ou par une omission contrastant avec une obli-
gation juridique internationale; ou bien, si l'on préfère,
par une action ou par une omission, ayant pour caractère
de léser un sujet international dans un de ses droits sub-
jectifs. Car on a dit que lésion d'un droit subjectif d'autrui
et infraction d'une obligation juridique peuvent être tenus,
en droit international, pour deux termes absolument équi-
valents, puisqu'il n'existe assurément pas d'obligation inter-
nationale incombant à un sujet à laquelle ne corresponde
un droit subjectif international dans un autre sujet. Les deux-
expressions sont donc également correctes pour en déduire
la définition de la conduite formant l'élément objectif d'un
fait illicite international. Serait par contre tout à fait
inexacte, en ce domaine non moins que dans ceux du droit
étatique et de la théorie générale du droit, une expression
— pourtant si souvent répétée, comme on l'a vue, dans la
doctrine internationaliste — qui identifierait l'élément ob-
442 R. 'AGO. — DEUT INTERNATIONAL {28)

jectif d'un tort international, ou pis encore le tort lui-


même, avec toute action contraire à une règle de droit inter-
national. En effet, dans le droit des gens aussi bien que dans
le droit étatique il existe nombre de règles dont l'infraction
a pour seule conséquence l'inexistence juridique d'un fait
cl; non la naissance d'un fait illicite. Qu'on veuille bien
imaginer un Etat qui, ayant signó l'acte de Berlin suivant
lequel l'occupation d'un territoire nullius situé sur la côte
africaine ne permet d'en acquérir la souveraineté que si
elle est notifiée aux Puissances, néglige de faire lo cas
échéant cette notification. Cet Etat aurait commis une vio-
lation de la règle formulée dans l'Acte de Berlin; on consé-
quence, il n'aurait pas acquis la souveraineté du territoire
occupé; cependant, il n'aurait pas encouru de responsabilité
internationale. La conduite de cet Etat aurait été tout sim-
plement, pour le droit international, un fait ne produisant
pas les conséquences juridiques cherchées par son auteur;
elle serait restée un fait purement matériel dépourvu de
caractère juridique, mais n'aurait certainement pu être qua-
lifiée de fait illicite international. Pour que l'on puisse affir-
mer la présence d'un tort, d'une injuria, dans le droit des
gens, il ne suffit donc pas que l'on ait enfreint une règle : il
faut, de plus, que l'on ait violé une vraie obligation juri-
dique internationale.
Néanmoins, quelqu'un pourrait se demander encore si un
tel caractère est absolument nécessaire pour que la conduite
d'un sujet du droit des gens puisse constituer l'élément ob-
jectif d'un délit international. L'on pourrait, en effet, pré-
tendre de quelque sorte à l'existence d'une exception s'il y
avait en droit international une règle donnant à un exorcice
abusif des droits possédés le caractère de fait illicite géné-
rateur de responsabilité. Si, en d'autres termes, le droit
international connaissait, de même que certains droits éta-
tiques, la théorie de l'abus du droit, on pourrait vouloir
en déduire qu'en certains cas l'élément objectif du délit
international ne serait nullement une conduite contrastant
avec une obligation juridique, mais au contraire une conduite
conforme à un droit subjectif.
(29* ÉLÉMENTS OBJECTIFS 443

Oa sait que l'application de la théorie de l'abus du droit


dana le domaine du droit international a été» soutenue
vigoureusement par M. Politis dans un cours à* l'Académie
de Droit international 1 . Mais une critique serrée et complète
a montré, par une étude patiente do la doctrine et de la
pratique internationales, et par un examen comparé des dis-
positions des ordres juridiques étatiques en la matière, l'im-
possibilité d'admettre que les actes ad emulationem soient
regardés comme faits illicites dans le droit international
positif 8 Malgré quelques expressions ambiguës que l'on
retrouve dans la décision n° 7 rendue le 23 mai 1926 par la
Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire de
VU sine de Chorzow3 et dans l'ordonnance du 6 décembre
1930 sur l'affaire des Zones franches de la Haute-Savoie*, il
est en effet impossible de fournir la preuve de l'existence
du principe de la prohibition de l'abus du droit dans la
pratique internationale, de même qu'il est fort douteux
qu'une telle prohibition revête la valeur d'un principe géné-
ral du droit reconnu par les nations civilisées aux termes
de l'article 38 n° 3 du Statut de la Cour, étant donné que,
toute autre considération èi part sur la valeur de tels prin-
cipes, il existe, et on l'a largement prouvé, plusieurs ordres
juridiques étatiques qui ne connaissent pas la notion d'abus
du droit. 11 serait d'ailleurs extrêmement difficile d'établir
la teneur exacte et la portée possible d'une prohibition de
ce genre dans un ordre juridique tel que l'ordre internatio-
nal, où les Etats se manifestent comme des gardiens extrê-
mement jaloux de leurs droits subjectifs, et où une autorité
supra-étatique fait défaut. Mais, en tout cas, même si le

1. V. Le problème des limitations de la souveraineté et la théorie de


l'abBB des droits dans les rapports internationaux, Recueil des Cours, 1925-1,
p. 6 et suiv.
2. V. Scemi, L'abuso di diritto nei rapporta internazionali, Rome, 1930. Se
prononcent da même dans un sens négatil sur l'applicabilité de la théorie de
l'abus do droit dans les rapports internationaux •: Decencière-Ferrandière, La
responsabilité internationale des Etats à raison des dommages soufferts par
de» étrangers, Paris, 192S, p. 90; Fedozzi, Introduzione e Parte generals,
Trattate di diritto internazionale, par P. Fedozzi et S. Romano, I, 2« éd.,
p. 88!.
3. Publications de la Cour, série A, n° 7, p. 3" et suiv.
*. Ibid., série A, n° 24, p. 12.
444 ff- TlGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (30)
principe condamnant l'abus du droit avait vraiment pénétré
dans l'ordre juridique international, il ne faudrait pas oublier
— et cette considération s'applique aussi aux droits étati-
ques — que, par cela même, la règle du droit des gens prohi-
bant les actes de chicane introduirait une obligation juri-
dique de ne pas user abusivement de ses droits, et créerait
par conséquent pour tous les sujets internationaux le droit
subjectif à prétendre des autres sujets qu'ils ne s'adonnent
pas à l'exercice de leurs droits par simple émulation. L'abus
du droit ne serait donc, en réalité, un fait illicite qu'en
tant qu'infraction d'une obligation juridique, que lésion
d'un droit subjectif d'àutrui. On peut donc conclure en toute
solidité que le principe précédemment énoncé, à savoir que
l'infraction d'une obligation juridique internationale est,
nécessaire pour qu'il y ait délit international, ne souffre
aucune exception.
Dans le droit étatique, il peut y avoir deux types différents
de règles envisageant une certaine conduite comme contraire
a une obligation juridique, et la qualifiant par là de délit.
L'on peut se trouver en présence d'une règle générale, telle
que la règle du droit privé qui formule l'obligation de répa-
rer dans tout cas d'inexécution d'une obligation conven-
tionnelle ou en raison de toute lésion fautive d'un droit,
absolu d'àutrui. Il peut s'agir aussi d'une règle beaucoup
plus spécialisée, qui stipule expressément comme élément
objectif d'un délit l'existence d'une conduite portant atteinte
à un certain droit subjectif particulier : c'est ce qui se pro-
duit bien souvent en droit criminel, où le législateur se
propose par ce moyen de différencier les sanctions attachées
aux différentes conduites.
Dans le domaine du droit international, cette double possi-
bilité n'existe pas, car il n'existe pas de règles internatio-
nales particulières envisageant certaines conduites bien défi-
nies comme spéciales à des types particuliers de délits. Le
droit international ne connaît qu'une seule règle en matière
de torts : celle qui qualifie génériquement de fait illicite
international toute conduite juridiquement imputable à un
Etat et qui comporte lésion d'un droit subjectif international
(31) ÉLÉMENTS OBJECTIFS 445

d'un autre Etat 1 . Il y a là une conséquence de la différence


qui existe entre les deux systèmes juridiques : différence
inhérente à leur différence de Structure, et en particulier
au caractère egalitaire de la société internationale, où l'on ne
connaît pas de sujet hiérarchiquement supérieur aux Etats
qui représenterait les intérêts de leur communauté.
On a insisté sur ce point que la conduite entraînant contra-
diction avec une obligation constitue l'élément objectif du
droit international. En se référant maintenant à ce qu'on
a dit auparavant à l'égard de cette catégorie des faits juri-
diques, qu'on a appelés « faits juridiques subjectifs », et dans
le cadre desquels se rangent les faits illicites, il faut appeler
l'attention sur ce que la conduite dont il s'agit ici ne consti-
tue par elle-même, à vrai dire, qu'un élément constitutif
d'une espèce matérielle, à savoir cette espèce qu'une règle
du droit des gens considère et qualifie juridiquement comme
fait illicite international. Cette précision est nécessaire pour
éviter toute confusion entre la règle juridique qui établit
l'obligation dont l'infraction est considérée, et la règle juri-
dique attachant une responsabilité au fait de l'infraction.
La première règle considère une certaine situation de fait,
par exemple la coexistence des manifestations de volonté
de deux Etats se promettant réciproquement une aide mili-
taire en cas de conflit armé provoqué par une agression
contre l'un d'eux. Elle qualifie juridiquement cette situation
de fait de traité d'alliance, et lui confère la valeur juridique
de fait provoquant la naissance, pour chacun des deux Etats,
du droit de prétendre éventuellement à l'aide militaire de
l'autre, et, en contrepartie, de l'obligation juridique pour
ce dernier d'accorder cette aide. La deuxième règle inter-
vient dans un moment successif, à savoir lorsque l'éventua-
lité envisagée s'étant réalisée, l'un des deux Etats refuse
de prêter à l'autre l'aide militaire à laquelle il s'était
engagé, et lèse par là le droit subjectif du cocontractant
d'obtenir l'exécution de l'obligation. Cette deuxième règle
prend précisément en considération la conduite de l'Etat

1. L'expression « Etat » est employée ici, pour des raisons de brièveté, au


lieu de celle, plus exacte, de « sujet du droit des gens ».
4+6 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL fez)

n'observant pas son engagement, et attribue à ce fait maté-


riel l'effet juridique de la naissance de la responsabilité
internationale.
Il est évident que la deuxième règle présuppose nécessairr-
ment l'existence de la première *. Mais ce n'est évidemment
pas une raison pour les confondre, comme il arrive souvent
lorsqu'on oublie la seconde dont les conséquences parais-
sent des conséquences juridiques de la première, ou môme,
en sens contraire, lorsqu'on inclut la première dans la,
seconde, ainsi que dans la construction de Kelsen où la
deuxième règle est seule retenue pour une vraie règle juridi-
que établissant un acte de contrainte, tandis que la première
n'apparaît que comme une conséquence logique de la se-
conde. Le moment fondamental de la distinction dont il
s'agit, et en vertu de laquelle les deux règles ont une exis-
tence entièrement autonome, se trouve dans le fait que les
deux règles jugent et qualifient juridiquement deux faits
totalement différents : l'une, le fait auquel elle donne ïa
valeur de provoquer la naissance d'un droit subjectif et
de l'obligation correspondante; l'autre, le fait auquel eHe
rattache la responsabilité. Le lien entre les deux jugements
tient simplement à ce que l'espèce envisagée par le deuxième
consiste en une conduite qui lèse une situation juridique
subjective découlant du premier; mais malgré cela cette
conduite reste toujours une conduite matérielle ne recevant

i. En droit étatique, il y a des hypothèses oft la regie qui crée le droit


subjectif et la règle qui en considère la lésion pour lui rattacher une faculté
de sanction se confondent matériellement, si bien que seule la deuxième te
manifeste : que l'on ponse aux crimes dits communément en droit erimiiel
« crimes contre la morale ». Un incoste, par exemple, c'est un fait qui no
lèse pas un droit subjectif qui serait créé par une autre règio juridique
que celle faisant de la conduite incestueuse la raison juridique de l'appli-
cation d'une peine; c'est au contrairo précisément de cette règle, qui qualité
l'inceste comme délit, que l'on déduit l'existence d'une obligation juridique
de tout sujet particulier vers le sujet-Etat, et du droit subjectif do ce
dernier a exiger des particuliers qu'ils ne tiennent pas une telle eonduite
?î.'e-;ant la inoralo publique. Mais il paraît évident que l'unité de cette
r<%î? *:':!; Pvílfi^ivcTP.pnt m.-!le"icl!e et apparcnle, car logiquement elle est
t ciaposift tie. fîe'ii.« li-çilr-a lüïti'sclcs, dont la. première conslil.no la prémisse
n'-tsFsr>i:e ¿o 3ii secon-Js. !•> droit iulenmtiomi!, do telles hypothèses sont
>.>:ik-ei, ;•• ri.i.;.';;i <i« i;i ?;•.; • ••turc égiilit&iro de l:i société des Etats et de
¡.'ti.-.nr.cs íl'nn sr-ift ív.perp;- ó représentant les intérêts do la communauté.
(;,3) ÉLÉMENTS OBJECTIFS 447

sa valeur juridique qu'en vertu de la norme qui la juge et la


qualifie. En conclusion, la conduite qui lèse un droit sub-
jectif est toujours en elle-même une conduite purement maté-
rielle, et sa qualification juridique résulte exclusivement,
tic la règle qui en fait l'élément objectif d'un fait illicite.
La conduite causant lésion peut consister aussi bien dans
une action que dans une omission, selon que l'obligation
avec laquelle elle est en contraste est une obligation de
faire ou de s'abstenir. On a précisément adopté le terme
« conduite », parce qu'il s'applique aussi bien à l'action
qu'à l'omission. On se trouve certes en présence do problè-
mes tout à fait différents selon que l'élément objectif du fait
illicite international consiste en une action ou en une omis-
sion. Mais puisqu'on se borne ici h rechercher quels sont,
les éléments constitutifs du fait illicite international, et,
qu'on ne se propose qu'ensuite do traiter des différentes
espèces possibles de ce fait illicite, on peut renvoyer à ce
second stade de recherches la distinction entre le fait illicite
international d'omission et le fait illicite international
d'action.
Un seul point reste à examiner pour épuiser le domaine
de l'élément objectif du délit international. La conduite
d'un Etat peut quelquefois entrer à elle seule en contraste
avec une obligation internationale incombant à l'Etat même.
Si un organe d'Etat insulte le drapeau d'une Nation avec
laquelle son pays entretient des relations pacifiques, la con-
duite de l'organe est en elle-même une lésion de la deuxième
Nation clans son droit au respect de son emblème, et elle
est par là suffisante pour former la base objective d'un fait,
illicite international. Mais pour que l'on puisse dire qu'un
Etat belligérant a violé l'obligation juridique de ne pas
bombarder un hôpital ennemi, il ne suffit pas que son avia-
teur ait lancé des bombes contre l'hôpital : il faut aussi que
cet objectif ait été effectivement atteint; qu'à la conduite de
l'aviateur s'ajoute l'élément extérieur, le fait que l'hôpital
a été atteint par des bombes. Do même, pour que l'on
puisse accuser un Etat d'avoir violé son devoir de sauve-
garder efficacement le siège d'une ambassade étrangère, il
448 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (34)

n'est pas suffisant que cet Etat ait fait preuve de négligence
en la matière : il est encore nécessaire que se produise con-
crètement un événement extérieur, tel que, par exemple,
une attaque de particuliers contre le siège de l'ambassade.
Dans cette deuxième hypothèse, la conduite de l'Etat ne
parvient donc réellement à contraster avec une obligation
internationale — ce qui lui confère l'aspect juridique d'élé-
ment objectif d'un fait illicite international — que s'il s'y
ajoute un élément ultérieur, un événement extérieur à une
telle conduite. Naturellement, il ne suffit pas que la conduite
et l'événement existent tous deux; encore faut-il qu'entre
la première et la seconde il y ait un lien tel que l'on puisse
considérer la conduite comme une condition, nécessaire de
l'événement, autrement dit il faut qu'il subsiste entre la
conduite et l'événement un certain rapport de causalité sans
lequel il ne serait pas possible de voir dans la lésion du
droit subjectif d'autrui une conséquence de la conduite. Si,
par exemple, dans le dernier des cas susvisés, l'attaque con-
tre l'ambassade s'était produite de façon telle qu'elle eût
obtenu un résultat semblable môme si aucune négligence
n'avait pu être constatée dans la conduite des organes de
l'Etat, tout lion do causalité manquerait entre la conduite
négligente et l'événement et il serait impossible do considé-
rer la première comme une infraction à l'obligation d'assurer
l'inviolabilité des ambassades étrangères. Les questions que
peut soulever cette relation de causalité, surtout lorsqu'il
s'agit d'une conduite d'omission, seront examinées lors-
qu'on traitera de la distinction entre délit de commission
et délit d'omission. Qu'il suffise ici d'avoir souligné la diffé-
rence d'hypothèses qu'il peut y avoir quant à l'élément
objectif d'un tort international, différence qui sera le plus
efficacement soulignée en distinguant, d'une part, les délits
de pure conduite et, d'autre part, les délits d'événement,
dans un sens qui est essentiellement le même que celui attri-
bué à cette distinction en droit criminel étatique 1 . Dans le

1. V. Menger, Strafrecht, trad. ital , Padoue, 1035, p. 117 et suiv., qui carac-
térise exactement les « délits de simple conduite » comme étant ceux où
l'espèce juridique pénale s'épuise toute dans la conduite de l'agent; et les
(35) ÉLÉMENTS OBJECTIFS 449

domaine de l'ordre juridique international, une telle distinc-


tion paraît devoir prendre un relief tout à fait particulier :
on verra, en effet, qu'on peut y recourir efficacement, surtout
pour caractériser l'infraction à ces devoirs juridiques de sau-
vegarder, d'exercer une certaine surveillance, d'empê-
cher, etc., qui sont si fréquents dans le droit des gens. Cette
même distinction ne doit être considérée ici, d'ailleurs, quo
comme une nouvelle preuve de la vérité de l'affirmation que
l'élément objectif d'un fait illicite international peut tou-
jours être représenté par une conduite de l'Etat enfreignant
une obligation juridique internationale. Et cela, que la con-
duite représente déjà par elle-même l'infraction requise,
ou que l'infraction ne se constate concrètement qu'en pré-
sence d'un événement extérieur lié à la conduite de l'Etat
par un rapport de causalité.

«délits d'óíénoinent » comme étant ceux où un événement extérieur est


requis ostro la conduite. Le faux serment d'un côté, l'homicide de l'autre,
seraient des exemples typiques de ces deux catégories de délit«.

II. — 1W». se
CHAPITRE III

LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU DÉLIT INTERNATIONAL.


ÉLÉMENT SUBJECTIF

i. — Si l'on poursuit l'étude des éléments essentiels de


cette notion du délit international dont on cherche à déter-
miner analytiquement les composantes, on trouve, à côté de
l'élément objectif, un élément subjectif. Si, en effet, l'élé-
ment objectif est représenté par une conduite ayant certains
caractères, il faut d'autre part, pour qu'on puisse parler d'un
fait illicite international, qu'il y ait un sujet international
auquel cette conduite puisse être juridiquement imputée
comme une infraction d'une obligation juridique, internatio-
nale de sa part. Puisqu'on a rangé le fait illicite dans la caté-
gorie générale des faits juridiques subjectifs, c'est-à-dire des
faits et situations complexes dont la qualification juridique
exige la présence en l'espèce d'une situation juridique sub-
jective, un sujet titulaire de cette situation, un sujet titulaire
de l'obligation juridique enfreinte, ne peut assurément pas
manquer.
Cette imputation dont on parle ici, cette Zvrechmm.fi,
comme disent les Allemands, n'est évidemment pas un lien
créé par la nature : elle est le résultat d'une opération logi-
que effectuée par une règle de droit, donc un lien juridique '.
Cette imputation juridique, qui permet seule de dire qu'un
sujet déterminé est, du point de vue du droit, l'auteur d'une
infraction, est -naturellement subordonnée par la règle à
l'existence de certaines conditions. Ces conditions pouvent

1. V. Anzilotti (Corso, p. 228)-: «C'est une caractéristique de l'imputation


juridique que d'être un pur effet de la règle; une volonté, un acte, sont
imputables a un sujet donné seulement parce quo la règio l'établit ainsi.
L'imputation juridique se distingue nettement par la du rapport de oausfi-
lité; un fait est juridiquement propre a un sujet, non parce qu'il a été
produit ou voulu par ce dornier, dans le sens que ces mots auraieat en
physiologie ou en psychologie, mais parce que la règle le lui attributi. »
(37) ELEMENTS OBJECTIFS 451

varier largement d'un ordre juridique à l'autre, et surtout


en raison des caractères particuliers des sujets de chaque
ordre. En droit international, où elles sont manifestement
influencées par le fait caractéristique que les sujets sont tous
des entités abstraites au lieu d'entités physiques, les condi-
tions requises nous paraissent être essentiellement au nom-
bre de trois : 1° la présence d'un sujet capable, c'est-à-dire
pouvant être le destinataire de l'imputation juridique dont
il s'agit; 2° la réalisation matérielle de l'élément objectif
du délit, de la conduite contrastant avec une obligation
internationale, par l'action ou omission d'un organe du sujet
capable; 3° l'existence d'une faute lato sensu de l'organe
qui a tenu la conduite incriminée.
Nous allons maintenant passer successivement en revue
ces trois conditions pour en prouver le caractère nécessaire.

2. a) PRÉSENCE D'UN SUJET CAPABLE. — On entend par là la


présence d'un sujet ayant la capacité de commettre un fait
illicite international, c'est-à-dire de recevoir l'imputation
contrastant avec une obligation internationale d'une con-
duite. Il est alors évident qu'un être quelconque ne peut
posséder en droit international la capacité juridique au délit
s'il n'est avant tout doué de la personnalité juridique inter-
nationale. Il n'y a guère de doute possible sur le point que
seul un sujet du droit international peut être capable de
délit international.
Ce n'est pas ici le lieu de discuter la question si contro-
versée de la définition des sujets internationaux, ni celle —
plus discutée encore — de la naissance de la personnalité
juridique internationale.
Nous ne débattrons pas si la personnalité juridique interna-
tionale est la conséquence d'un acte de reconnaissance unila-
téral, ou bilatéral; ou si, au contraire, comme d'autres le
prétendent, la personnalité internationale est octroyée par
une règle générale de l'ordre juridique international qui en
ferait l'attribut normal de toute entité présentant les carac-
tères d'un Etat, ou encore si, comme nous le croyons, la
personnalité est tout simplement une qualité qu'on déduit
4S* R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (38)

scientifiquement du fait que l'ordre juridique attribue à un


être déterminé des droits subjectifs, des facultés, des pouvoirs
juridiques, des obligations, etc.
Nous ne débattrons pas davantage l'énumération concrète
des sujets actuels du droit des gens. Puisque c'est l'ordre
juridique international lui-même qui détermine, en pleine
indépendance, et par l'attribution même de situations juri-
diques subjectives, quels sont ses sujets, cet ordre juridique
est certes tout à fait libre d'attribuer la personnalité inter-
nationale, non seulement aux Etats, mais encore à d'autres
entités. A vrai dire, si l'on considère ce qui se déduit d'un
examen de la réalité, l'opinion la plus juste paraît bien être
que le droit international positif n'octroie que très rarement
la personnalité juridique à des entités différentes des Etats,
les seuls cas de ce genre étant représentés par certaines for-
mes d'union d'Etats, par le Saint-Siège, et, dans certaines
limites, par les insurgés. Tout particulièrement, il doit être
absolument nié qu'il existe à l'heure actuelle des individus
doués de la personnalité juridique internationale.
De toute façon, il n'y a là qu'une question de détermina-
t ion concrète et exacte de la teneur et de la portée des règles
internationales, et surtout une question sans importance
décisive par rapport au problème que l'on traite maintenant.
Ce qui est, au contraire, bien à souligner, c'est que seul
un sujet doué de la personnalité juridique internationale
peut commettre un délit international, pour la raison bien
simple que le fait d'être le titulaire d'une situation juridique
subjective, telle qu'une obligation juridique, et le fait d'être
le sujet de l'ordre juridique qui crée cette situation ne font
qu'une seule chose. La cohérence étant une des qualités
essentielles du juriste, il est nécessaire, lorsqu'on a constaté
le bien-fondé d'une certaine décision de vue quant à la
personnalité internationale, d'en accepter les conséquences
logiques quant à la capacité au délit. Si, en particulier, on
ne reconnaît point la personnalité juridique aux Etats non
reconnus, aux insurgés, ou, ce qui est infiniment plus impor-
tant et beaucoup plus exact, aux individus, il faut admettre
corrélativement que les Etats non reconnus, les insurgés, les
(39) ÉLÉMENTS. SUBJECTIFS 453

individus, ne peuvent pas être les sujets d'un fait illicite


international.
Si la personnalité juridique est la prémisse nécessaire de
la capacité délictuelle, cela ne suffit pas à conclure que tout
sujet doué de la personnalité internationale est par là même
doué de la capacité au fait illicite international. Dans les
ordres juridiques internes, on n'attribue en général la
capacité délictuelle à un sujet qu'après qu'il a atteint un
âge déterminé. On pourrait se demander s'il n'y a pas quel-
que chose de semblable dans le droit rntornational ; si l'on
ne devrait pas, par exemple, affirmer que la capacité au
délit est reconnue par le droit international seulement à ces
sujets auxquels on reconnaît la capacité d'agir ou pouvoir
d'accomplir des actes juridiques, la Handlungsfähigkeit
internationale.
Ici, l'on touche à une autre question particulièrement dis-
cutée, celle de savoir s'il y a dans le droit international des
Etats, des sujets qui, tout en étant doués de la personnalité
juridique internationale, sont dépourvus de la capacité inter-
nationale d'agir. On sait que certains autours nient cette pos-
sibilité. Ils déclarent que toutes les hypothèques invoquées
par leurs adversaires ne sont pas des cas d'incapacité d'agir,
mais des cas où les Etats assument simplement l'obligation
de s'abstenir d'une certaine activité; de sorte que cette acti-
vité, une fois accomplie, serait illicite, mais valable : cela
parce qu'ils voient la source de ces prétendues incapacités
dans des conventions, qui, par leur nature même, ne peuvent,
pas produire un effet valable erga omnes tel que l'incapacité
d'agir 1 .
D'autres auteurs, par contre, soutiennent — et avec plus
de fondement, croyons-nous — que, dans certaines formes de

1. V. dans ce sens : Anzilotti, Corso, p. 305; Perasai, Lezioni ài diritto


internazionale, I, 4« éd., Rome, 1039, p. 94 et suiv.; Sereni, La rappresen-
tanza nel diritto internazionale, Partono, 1936 p., 27 et suiv. L'impossibilité
qu'un état d'incapacité puisse découler d'un lien contractuel avait déjà
été pronvéo par Donati, / trattati internazionali nel diritto costituzionale,
Turin, 1906, I, p. 84 et suiv. Cet auteur, pourtant, n'exclut pas la possibilité
de certains cas d'incapacité légale dans le droit international : il affirm o
seulement qu'un état pareil ne peut dériver que d'une règio cou lumière ou
d'nn accord normatif.
4S4 R- AGO. — DÊUT INTERNATIONAL (40)

relations juridiques de subordination entre Etats, telles que


certains protectorats, les mandats de la catégorie A, etc., il
peut se produire une vraie incapacité d'agir internationale,
entraînant la nullité des actes accomplis par les sujets inca-
pables, incapacité qui n'aurait pas sa source dans la conven-
tion de protectorat ou de mandat, mais dans une règle
générale du droit international qui la rattacherait comme
conséquence juridique à certaine situation de fait qui se
produirait dans ces hypothèses i.
Si la première solution était exacte, on pourrait dire que,
puisque tout sujet doué de la personnalité juridique est de ce
fait toujours doué de la capacité d'agir, c'est-à-dire de la
capacité d'accomplir des actes juridiques, il faut conclure
a fortiori que tout sujet international est doué aussi de la
capacité au délit dans le droit des gens. Mais la réponse ne
pout pas être aussi catégorique si l'on admet au contraire
l'existence de cas dans lesquels un Etat doué de la person-
nalité juridique internationale ne possède pas, ou a perdu,
la capacité d'agir internationale, ou a une capacité d'agir
limitée. Si cela est vrai, devrait-on en conclure que, dans
ces mêmes cas, l'Etat n'aurait pas non plus la capacité au
délit ?
Pour répondre à cette question, il faut bien considérer
les raisons sur lesquelles on se base pour affirmer qu'il existe
des cas d'incapacité d'agir en droit international. On trouve
ces raisons dans le fait que certains Etats sont matériel-
lement dépourvus d'une organisation qui leur permette de
participer directement aux relations internationales en mani-
festant une volonté propre ou en recevant des déclarations
do volonté à eux adressées. Cette situation matérielle se réa-
lise dans toutes ces formes de protectorat où les relations
internationales du protégé sont assumées par le protecteur,
et également dans les mandats de la catégorie A. Elle est,
dit-on, de nature à empêcher en fait toute possibilité d'acqué-

1. V. Romano, Corso di diritto internazionale, 4« éd., Padoue, 1939, p. 102


oü suiv., 118; Balladore Pallien, Diritto int. pubblico, p. 248 et suiv.; et parti-
culièrement Venturini, Il protettorato internazionale, Studi di diritto inter-
nazionale, dir. da R. Ago et G. Balladore -Pallien, II, Milan, 1939, p. 68 ot
suiv., 78 et suiv.
( 4 ii ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 435

rir directement des droits ou d'assumer des engagements, de


sorte que, en face d'une telle situation, on est obligé de la
considérer comme une incapacité d'agir.
Si cette conclusion est correcte, comme il le paraît bien,
il faut en déduire, par voie d'analogie, qu'une incapacité
délictuelle complète ne pourrait être établie que si l'Etat
sujet du droit international était complètement dépourvu
d'une organisation propre à lui permettre matériellement
d'accomplir des faits illicites internationaux. Mais pour
qu'une telle situation se réalisât, il ne suffirait pas que l'Etat
se montrât démuni d'organes spécialement consacrés aux
relations internationales, étant donné que tout organe de
l'Etat agissant en cette qualité peut se trouver à commettre
par sa conduite — ainsi qu'on le verra plus loin — la vio-
lation d'une obligation internationale, si des obligations
internationales se trouvent exister par rapport à son domaine
d'activité. Il faut en conclure qu'une incapacité totale au
délit international est presque inconcevable chez un sujet
du droit des gens, pour la raison bien simple qu'il est bien
difficilement concevable qu'un sujet doué de droits et d'obli-
gations juridiques internationales soit dépourvu totalement
d'organes propres ayant en fait la possibilité de tenir une
conduite contrastant avec lesdites obligations.
Dans toute forme de subordination internationale, en effet,
l'Etat subordonné, s'il reste une personne autonome du droit
des gens, maintient des organes propres. Et si un de ces
organes tient en cette qualité une conduite lésant un droit
subjectif d'un Etat étranger, il est hors de doute que, toutes
les conditions requises étant remplies, le droit internatio-
nal imputera à l'Etat même un fait illicite. Il est vrai que,
dans la plupart des cas, la responsabilité découlant de. ce
fait illicite ne pourra pas être poursuivie directement auprès
de l'Etat coupable, et cela parce que, bien souvent, dans
les rapports de dépendance internationale, le protecteur ou
le mandataire assume la représentation internationale du
protégé ou de la communauté sous mandat. Mais ce fait ne
change en rien la situation, car le fait de s'adresser, par
exemple, au Gouvernement français pour obtenir la répara-
4S6 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (42)

tion d'un fait illicite international accompli par un organe


de l'Etat marocain n'est qu'une conséquence do la repré-
sentation de l'Etat marocain assumée par l'Etat français,
représentation qui fait que l'on poursuit chez ce douxième
Etat une responsabilité internationale du premier, pour fait
illicite du premier 1 . Il n'y aurait donc aucune raison, dans
une telle hypothèse, pour parler d'incapacité délictuelle de
l'Etat marocain.
On pourrait cependant nous objecter que s'il est des matiè-
res dans lesquelles l'activité des organes d'un Etat soumis
à un protectorat ou à un mandat est complètement libre, si
bien qu'en ces matières la capacité de l'Etat au fait illicite
ne peut faire doute, il est pourtant d'autres domaines où
l'activité des organes du même Etat est soumise à un contrôle
de la Puissance protectrice ou mandataire, contrôle pouvant
s'exercer de diverses façons. Presque toute l'activité adminis-
trative de nombreux protectorats français ou anglais, par
exemple, est confiée à l'administration indigène, mais elle
est en même temps soumise à la direction et au contrôle do
certains organes de l'Etat protecteur. En on pourrait rap-
procher de ces situations celle qui se produit dans certains
cas d'occupation militaire pendant l'état do guerre ou à sa
suite.
Dans toutes ces hypothèses, ainsi que l'auteur de ces lignes
espère avoir pu démontrer dans l'étude qu'il a consacrée pré-
cisément à la manière 2 , si un fait illicite international se
produit par l'activité de l'un de ces organes soumis à con-
trôle, l'ordre juridique international, en s'appuyant juste-
ment sur le caractère propre de cette activité contrôlée,
impute une responsabilité à l'Etat exerçant le contrôle, res-
ponsabilité qui, précisément à cause de son analogie avec la
responsabilité indirecte ou du fait d'autrui du droit privé,
doit être qualifiée de responsabilité internationale indirecte.

1. V. Ago, La responsabilità indiretta nel diritto internazionale, Archivia


di diritta pubblico, 193C, p. 3ß.
2. V. La responsabilità indiretta nel diritto internazionale, p. 4S et suiy.
On renverra ici à cet ouvrage, même en ce qui concorno les indications-
bibliographiques et les exemples tirés du droit positif.
(43) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 457

Ces cas où la responsabilité que l'on poursuit chez l'Etat


supérieur est une responsabilité propre, et non pas une res-
ponsabilité du subordonné que l'on- poursuit chez un supé-
rieur en vertu de son pouvoir de représentation, constituent
précisément autant d'hypothèses qui pourraient être allé-
guées en faveur d'une incapacité au délit international de
l'Etat subordonné. Cette conclusion serait cependant entachée
d'erreur, car elle confondrait l'imputation du fait illicite
avec l'imputation de la responsabilité. Rien n'empêche, en
effet, que la règle juridique qui concerne certaine conduite
d'un sujet enfreignant une obligation internationale, et qua-
lifie cette conduite comme un fait illicite imputable au sujet
qui l'a tenue, mette exceptionnellement les conséquences du
tort, consistant dans l'obligation de réparer ou dans la condi-
tion de subir une sanction, à la charge d'un sujet différent de
celui auquel elle a imputé le fait illicite. Bien plus, il y a
là, pourrait-on dire, l'essence même de la responsabilité
indirecte, qui est, à tout prendre, une responsabilité du fait
illicite d'autrui. Il paraît donc évident que, dans les cas
de responsabilité indirecte, il n'y a aucune véritable inca-
pacité délictuelle internationale, puisque le fait illicite dont
l'effet seulement incombe à l'Etat protecteur reste toujours
un fait illicite de l'Etat protégé, imputé à ce dernier par
l'ordre juridique international.
Si ce que l'on vient de dire doit conduire à reconnaître
que, dans les formes de subordination internationale com-
portant incapacité d'agir du subordonné, il n'y a pas de véri-
table incapacité au délit et dans les matières où l'activité du
subordonné reste totalement indépendante et dans les matiè-
res où son activité est soumise au contrôle de l'Etat supé-
rieur, il faut au contraire conclure différemment pour les
domaines dans lesquels l'activité de l'Etat supérieur, agissant
directement par ses organes, se substitue complètement à
celle de l'Etat subordonné. Il ne s'agit pas là d'une situation
exceptionnelle. Pour ne donner que quelques exemples, cette
situation se réalise dans tous les mandats de la catégorie A,
et, dans la plupart des protectorats, pour ce qui concerne
les relations avec l'étranger. De même, elle se réalise, par
4S8 /?. AGO. — DÊL1Î INTERNATIONAL M

exemple, en Palestine pour l'activité législative interne'; en


Tunisie, au Maroc, au Cambodge pour l'activité judiciaire*.
Les exemples pourraient d'ailleurs se multiplier 3 . Dans tous
les cas de ce genre, l'Etat subordonné n'exerce lui-même
aucune activité : c'est l'Etat supérieur qui agit, par ses
propres organes, à sa place. Il faut donc bien reconnaître
ici que l'Etat soumis à protectorat ou à mandat se trouve
dans l'impossibilité matérielle de tenir une conduite pouvant
servir de fondement à la. détermination 'd'un fait illicite
international. Si un fait illicite se produit dans l'exercice
d'une de ces activités que l'on pourrait appeler activités de
substitution, ce fait illicite est imputable à l'Etat protecteur
ou mandataire, et non à l'Etat subordonné qui n'y est évi-
demment pour rien.
En face d'une telle situation matérielle, on est forcé
d'admettre que le droit international doit nécessairement
admettre, par rapport à ces mêmes matières, une incapa-
cité logique qui conduit à conclure que s'il y a impossibilité
matérielle d'entretenir directement des relations internatio-
nales, parce que l'organisation nécessaire fait défaut, le
droit international doit reconnaître une incapacité d'agir
internationale.
En concluant par là sur la capacité au fait illicite inter-
national, on pourra donc établir avant tout qu'il n'y a pas
de sujet doué de la personnalité juridique en droit des gens
qui soit complètement dépourvu de la capacité au délit.
C'est en ce sens qu'on peut dire que l'existence de la capa-
cité au fait illicite n'est pas subordonnée à l'existence de
la capacité d'agir. Toutefois, il faut reconnaître qu'il existe

1. V. les dispositions de la partie lu du Palestine Order-in-Council, 1922, as


nmended by the Palestine (amendment) Order-in-Council, 1923, Legislation
for Palestine, 1918-192S, Alexandrie, 1926, p. 6 'et suiv.; et la-dessus Stoya-
nowski, The Mandate for Palestine, Londres, 1928, p. 175 et suiv.
2. V. Gaudiani et Thiaucourt, La Tunisie, Législation, gouvernement, admi-
nistration, 'Paris, 1910, p. 74 et suiv.; Rivière, Traités, codes et lois du Maroc,
II, Paris, p. 472 et suiv.; Despagnet, Essai sur les protectorats, Paris, 1896,
p. 187 et suiv. Pour des références plus nombreuses, voir Ago, La respon-
sabilità indiretta, p. 41 et suiv.
3. Pour quelquos activités d'ordre administratif aussi bien que législatif
ou judiciaire, la situation indiquée se reproduit aussi dans plusieurs cas
d'occupation militaire d'un territoire ennemi.
(45) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 4S9
un lien entre les deux capacités, puisque, dans les mêmes
rapports de subordination internationale où une incapacité
internationale d'agir se produit, la capacité au délit, tout
en restant présente en règle générale, est, sinon retirée,
du moins limitée, car elle fait défaut dans toutes les matières
pour lesquelles l'Etat supérieur a directement substitué son
activité à l'activité de l'Etat subordonné.

3. 6) ACTION ou OMISSION D'UN ORGANE DU SUJET CAPABLE. —


Voici élucidée la première condition de l'imputation d'un
fait illicite à un sujet, à savoir l'existence d'un sujet capa-
ble. Il reste à voir maintenant un point très important :
étant donné une conduite contrastant avec une obligation
internationale déterminée et un sujet pourvu de la capacité
délictuelle internationale, quand l'imputation d'un délit
international à ce dernier sujet est-elle possible ?
On a déjà dit que l'imputation est une opération logique,
accomplie par un système de droit, en vertu de laquelle, en
présence d'une certaine situation, on crée un lien juridique
entre un sujet donné et un tort, un fait illicite. Cette opé-
ration logique ne présente normalement aucune difficulté
grave si le sujet auquel il faut rattacher le tort, autrement
dit le point d'imputation du tort même, est une personne
physique. Dans cette hypothèse, en effet, la règle effectuant
l'imputation du tort se fonde sur une donnée de fait dont
la connaissance ne présente pas de difficultés du point de
vue juridique, à savoir la donnée de fait que le sujet auquel
on veut imputer le tort est matériellement l'auteur de la
conduite qui contraste avec une obligation juridique du sujet,
en question.
Mais les choses se compliquent sensiblement si le sujet
capable d'imputation est „une personne juridique. Et c'est ce
qui arrive précisément dans le droit international, où les
sujets sont constitués précisément par les plus typiques et
les plus parfaites des personnes juridiques, par les person-
nes juridiques par excellence, c'est-à-dire par les Etats.
Une personne juridique, c'est un sujet de droit, c'est-
à-dire une entité à laquelle sont conférés des droits et des
46o R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (46)

devoirs à laquelle ne correspond pas, dans la réalité maté-


rielle, la présence d'une personne physique. D'où la ques-
tion : peut-on imputer un fait illicite à une personne juri-
dique ? Et si la réponse doit être affirmative, quand cela
est-il possible ?
Il semble hors de doute qu'à la première qujstion il faille
donner une réponse affirmative. La personne juridique, on
vient de le dire, n'est qu'un sujet de droit, un point de
rattachement de situations juridiques subjectives telles que
les droits subjectifs et les obligations juridiques, les facultés
et les pouvoirs juridiques, etcf Que le substrat matériel du
sujet soit ou non représenté par une personne physique,
cela ne change pas la nature juridique du sujet ni son carac-
tère essentiel de destinataire de jugements juridiques, donc
de sujet passible de l'imputation juridique d'un fait illicite.
Il est vrai qu'à ce propos il faut considérer l'existence
d'une théorie qui part de l'idée que la personne juridique,
dans sa propre nature, constitue un ordre juridique : à l'unité
de cet ordre juridiquo, on rapporterait les actes réalisant
des droits et des devoirs accomplis par des personnes phy-
siques qui acquerraient la qualité d'organes. Suivant cette
théorie, il faudrait exclure, d'un point de vue téléologique
sinon logique, la possibilité d'imputer à cette même unité de
l'ordre juridique un fait illicite, car ce serait une contradic-
tion de termes que de qualifier l'auteur d'un fait illicite
comme étant l'organe de l'ordre juridique qui réagit contro
le fait illicite. L'auteur d'un tort ne pourrait jamais être
regardé comme un organe de l'ordre juridique qui qualifie
son action d'illicite 1 . Mais, sans vouloir discuter cette con-
ception de la personne juridique, à nos yeux autant fautive
que dangereuse, il est évident que c'est en basant sur l'ordre
juridique interne de la personne même que son auteur
conçoit cette impossibilité téléologique d'imputer un fait
illicite à une personne juridique. Tandis que lui-même admet

1. V. Kelsen, Allgemeine Staatslehre, p. 02 et suiv.; Deber Staatsunrecht,


Zeitschrift f. das Privat-u. öff. Recht der Gegenxcart, 1913, p. 114. Dans un
sens analogue, v. Burckhardt, Die Völkerrechtliche Haltung der Staaten,
Berne, 1924, p. 10 et sniv.
<47) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 461

la possibilité qu'un acte d'un organe d'une personne juri-


dique, c'est-à-dire d'un organe d'un ordre juridique donni,
soit qualifié d'illicite, non dans ce même ordre juridique,
mais dans un ordre plus étendu dont le premier fait partie.
Le fait d'un organe d'un ordre juridique partiel peut ótre
imputé comme illicite, dit Kelsen, à l'unité de cet ordre
partiel, de la part d'un ordre juridique total. D'où il déduit
la conclusion que, l'ordre juridique de l'Etat étant partiel
par rapport à l'ordre juridique international, il est possible
qu'un fait illicite qualifié comme tel par l'ordre juridique
international soit imputé à l'Etat personnifiant l'ordre juri-
dique étatique, pourvu que dans ce dernier ordre le fait
incriminé apparaisse comme un acte réalisant des droits
ou des devoirs, comme un acte d'un organe, et non comme
un fait illicite' 1 . On aura l'occasion de revenir bientôt sur
cette affirmation pour la critiquer. Pour le moment on peut
se borner à retenir ce qui nous intéresse ici, à savoir que,
malgré, sa conception de la personne juridique, Kelsen lui-
même admet la possibilité de lui imputer un fait illicite,
et tout particulièrement qu'il admet l'imputation d'un tort
international à un Etat de la part du droit international.
Qu'une imputation de la part du droit international soit
la seule dont on puisse logiquement parler quand le fait
juridique à imputer est un fait juridique international, ea
particulier un tort international, paraît être une vérité d'une
telle évidence qu'il devrait être inutile d'y insister particu-
lièrement. L'imputation, comme toute opération juridique,
ne peut avoir lieu dans un ordre juridique donné que par
l'effet dea règles du miême ordre 2 . L'on ne saurait concevoir
qu'un fait juridiquement jugé et qualifié, ayant par là une
valeur et un effet juridique dans un certain système de droit,
pût être rapporté à un sujet du même système par une règle
n'étant pas partie du même ordre juridique, et par là dépour-
vue dans ce dernier de toute valeur juridique, comme il

1. Y. Kelsen, Unrecht und Unrechtsfolge im Völkerrecht, p. 800 et soiv.


3. V. dam ce sens, très exactement, Anzilotti, Corto, p. S30; Perassi,
Lesioni, p. Hfl et suiv.
462 R. ÄGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (&)

en serait pour une règle du droit étatique dans le droit


international.
On a par là répondu à la première question qu'on s'était
posée : il est hors de doute qu'un fait illicite peut être imputé
même à un sujet-personne juridique; hors de doute en parti-
culier qu'un délit international peut être imputé par le droit
des gens à un Etat sujet de ce même droit. La deuxième ques-
tion, demandant quand et dans quelles hypothèses on peut
réaliser une telle imputation, est, au contraire, beaucoup
plus difficile et délicate.
Lá personne juridique, on l'a dit, esi un point d'imputa-
tion de droits subjectifs et d'obligations juridiques, auquel
ne correspond pas une personne physique. L'intéressant ont
alors de voir comment se présente, comment apparaît dans
le monde extérieur, et comment se réalise, la possibilité
que des conduites juridiquement qualifiées, des faits juridi-
ques, licites ou illicites, lui soient rapportés. Une personne
juridique se manifeste elle-même, dans le monde extérieur,
par l'activité de personnes physiques. C'est l'action de ces
personnes physiques qui, considérée et qualifiée par le droit,
lui est rapportée comme activité juridique à lui, comme
source de droits et d'obligations qui lui sont rattachés.
La différence entre le sujet-personne physique et le sujet-
personne juridique est d'ailleurs, peut-être moindre que l'on
ne paraît croire en général. Pour le premier, l'action qu'il
accomplit comme personne physique, juridiquement qualifiée
par le droit, est rapportée par ce dernier h lui-même comme
sujet juridique : la séparation du sujet de la personne physi-
que est seulement idéologique. Pour le deuxième, l'action de
certaines personnes physiques, juridiquement qualifiée, n'est
pas rapportée à elles-mêmes comme sujets, mais il un sujet
différent. C'est là la seule vraie différence. Los personnes
physiques, en tant que leur activité est rapportée juridique-
ment au sujet-personne juridique, n'apparaissent donc point
elles-mêmes comme sujets, comme titulaire de droits et
d'obligations propres; elles n'ont pas d'existence juridique
indépendante : nous avons là la notion exacte de l'organe.
Si tout ce que l'on vient de dire est exact, il paraît clair
(«$) ELEMENTS SUBJECTIFS 463

que l'imputation d'un fait illicite au sujet-personne juridique


ne pourra avoir lieu que si l'une de ces personnes physiques,
qui apparaissent comme les organes dudit sujet, a tenu con-
crètement une conduite, d'action ou d'omission, dans la-
quelle on puisse voir un contraste avec une obligation inter-
nationale de la personne juridique. Le droit international ne
pourra jamais imputer un fait illicite international à un Etat
si un organe de ce même Etat n'a pas concrètement agi en
contradiction avec une obligation internationale incombant
à I^Etat, s'il n'a pas porté atteinte h un droit subjectif inter-
national d'un autre Etat.
Etant donné par suite que la règle internationale ne peut
considérer comme fait juridique international de l'Etat
qu'une activité matérielle d'une personne physique ayant la
qualité d'organe de l'Etat môme, le premier problème est de
savoir quels sont les organes de l'Etat, et comment une telle
qualité peut être conférée à une personne physique. La dis-
cussion ne paraît pas possible sur ce point. Seul l'Etat lui-
même peut, dans son ordre intérieur, établir son organisa-
tion et déterminer ses organes, c'est-à-dire les personnes
physiques pouvant agir en son nom et pour son compte.
L'ordre juridique extérieur, dans le sein duquel la personne
juridique opère, pour lequel elle constitue le sujet, en l'es-
pèce l'ordre juridique international, doit nécessairement pré-
supposer cette organisation intérieure de la personne juri-
dique, cette qualité d'organe attribuée à certaines personnes
physiques. Il n'aurait ni l'intérêt ni 1a possibilité de faire
autrement.
Il faut se rendre un compte exact du sens do cette pré-
supposition que le droit international fait do l'organisation
interne de l'Etat. On a parlé à ce propos d'un renvoi que
le droit international ferait aux règles du droit étatique;
mais le terme, s'il n'est pas inexact en lui-même, peut néan-
moins prêter à équivoque. En effet, il ne s'agit ni d'un renvoi
signifiant que le droit des gens subordonne son imputation
d'un fait juridique à l'Etat à une imputation correspondante
du droit étatique 1 (et l'on verra ci-après l'importance de ce

t. C'ftBt l'idée d'Anzilotti, Corso, p. 418.


4Ö4 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (50)

point), ni davantage d'un renvoi aux fins de déterminer le


contenu concret de la règle internationale, cette dernière
établissant elle-même l'organisation de l'Etat-sujet du droit
international, mais en se servant totalement ou partielle-
ment des règles qui établissent cette organisation dans le
droit interne 1 . En effet, l'organisation interne de l'Etat et
la qualité d'organe qu'y revêtent certaines personnes, ne
deviennent pas pour le droit international une organisation
et une qualité douées de valeur juridique. Elles ne sont que
des données de fait, des prémisses matérielles que le droit
des gens utilise comme points de repère pour les jugements
juridiques qu'il veut effectuer. La norme internationale
relative au délit doit se comprendre comme imputant un fait
illicite international à l'Etat, en présence d'une certaine
conduite d'un organe de cet Etat. Pour interpréter cette
norme, pour savoir la signification de l'expression qui vient
d'être employée : « un organe de cet Etat », il faut s'adresser
nécessairement à l'organisation interne et au droit de l'Etat,
de même qu'il faut recourir à l'organisation interne et au
droit de l'Eglise pour savoir ce que signifie l'expression
« cardinaux », que l'on peut retrouver, par exemple, dans
une règle du droit public italien ou français. Pas. plus dans
le premier cas que dans le second, le recours n'implique
aucune attribution de valeur juridique dans le système qui

i. V. Perassi, Lezioni, p. 110 et suiv.; et substantiellement, dans le môme


sens, Balladoro Pullieri, Dir. int. pubblico, p. 207. Il faut romarquer que
AI. Perassi identifie l'organisation d'uno entité agissant comme sujet d'un
ordre juridique donné, avec l'ensemble des règles qui établissent les condi-
tions auxquelles on peut rapporter a cette unité une déclaration de volonté
ou une action do certains individus. C'est seulement par ce sons donné au
mot « organisation » que M. Perassi peut affirmer que l'organisation de
l'Etat, en tant que sujet du droit des gens, est effectuée par co dernier droit.
Pour une critique do ce point de vuo, v. Monaco, La responsabilità interna-
zionale dello Stato por fatti di individui, extr. de la Rivista di diritto inter-
nazionale, 1939, p. H.
M. Scelle, Précis de droit des gens, I, Paris, 1932, p. 42 et suiv., affirme
quo la compétence qui permet aux gouvernants et agents de créer des situa-
tions juridiques internationales leur est attribuée par le droit international;
mais qu'elle l'est soit directement, soit le plus souvent indirectement, en ce
sens que le droit international coutumier considère comme ayant compétence
internationale les gouvernants et les agents que le droit étatique a déjà
investis d'une compétence étatique qui les habilite à agir internationalement.
(Si) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 46S
l'effectue. En un mot : c'est exclusivement dans l'ordre juri-
dique interne que l'organe de l'état a la qualité juridique
d'organe; du point de vue de l'ordre international, cette qua-
lité d'organe n'est considérée que comme une.condition de
fait nécessaire pour pouvoir examiner sa conduite et lappré-
cier comme une conduite juridique de l'Etat 1 .
En conclusion, si la condition nécessaire pour que le droit
des gens impute un tort à 1'ütat, c'est qu'il se trouve en lace
d'une conduite d'une personne physique qui, dans l'organi-
sation interne de l'Etat, soit qualifiée d organe, encore faut-il
se demander si cette condition est suffisante : si, en d'autres
termes, toute conduite contrastant avec une obligation inter-
nationale d'un Etat, suivie par une personne physique revê-
tant dans ce dernier la qualité d'organe, peut être prise en
considération par l'ordre juridique international pour impu-
ter à l'Etat un fait illicite. La question est double : 1° quels
sont les organes de l'Etat qui peuvent tenir une conduite
susceptible d'être qualifiée par le droit international de fait
illicite de l'Etat ? 2° toute activité d'un organe ayant les
qualités requises, doit-elle, le cas échéant, être imputée à
l'Etat comme un délit ?
Pour ce qui concerne la première question, il est notoire
que la doctrine s'est consacrée à une recherche minutieuse
des divers cas dans lesquels, selon elle, un Etat peut encou-
rir une responsabilité internationale du fait de ses organes.
A la suite de ïriepel et d'Anzilotti, tous les auteurs qui ont
traité cette matière, de Schoen à Strupp, de Fauchiiie à
de Yisscher et Decendière-Ferrandière, de Oppenheim à bor-
chard et Eagleton, de Dumas à Hoijer, etc., ont examiné la
possibilité d'une responsabilité internationale pour les actes
des organes législatifs, administratifs et judiciaires 2.
1. V. dans ce sons, très justement, Marinoni, La responsabilità (¡clli Stati
per gli atti dei loro rappresentanti secondo il diritto internazionale, Rome,
1914, p. Ilo et suiv.
2. V.. Triepol, Völkerrecht und Landesrecht, Leipzig, 1899, p. 348 et suiv.;
Anzilotti, Corso, p. 419 et suiv.; Schoen, Die Völkerrechtliche Haftung, p. 80
et suiv.; Slrupp, Dos völkerr. Delikt, p. 63 et suiv.; Fauchillo, Traité de droit
international public, I, I r o part., Paia;, Paris, 1922, p. 818 et suiv.; de Visscher,
La responsabilité des Etats, p. 950 'et suiv.; Decendière-Ferrandière, La res-
ponsabilité internationale, p. 89 et suiv.; Oppenheim, International Lato,
II. — 1939. 30
466 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (52)

Même le beau projet élaboré par l'Harvard Law School


sur la matière de « la responsabilité des Etats en ce qui
concerne les dommages causés sur leur territoire à la per-
sonne ou aux biens des étrangers », à l'intention de la
Ire Conférence de Codification du Droit international, a exa-
miné individuellement les hypothèses dans lesquelles l'action
ayant causé un dommage à un étranger était due soit à un
haut fonctionnaire de l'Etat, soit a un fonctionnaire ou
employé subalterne, soit à un organe de l'ordre judiciaire 1 .
Et le Comité préparatoire de la Conférence a préparé ses
bases de discussion en distinguant les actes de l'organe légis-
latif, les actes relatifs aux fonctions judiciaires et les actes
de l'organe exécutif2.
Cet examen particularisé effectué par la doctrine a évi-
demment permis d'indiquer des exemples bien intéressants,
et de confirmer qu'en toute branche de l'organisation de
l'Etat on peut trouver des organes qui, par leur action ou.
par leur omission, peuvent occasionner l'imputation d'un
fait illicite international à l'Etat. Dans le domaine des orga-
nes législatifs, on a rappelé surtout les nombreux cas de
différends internationaux surgis à propos de lois expropriant
les étrangers sans indemnité. Dans le domaine des organes
législatif, on a indiqué comme pouvant accomplir un fait
illicite international les chefs d'Etat, les gouvernements et
leurs membres, les fonctionnaires de tous ordres, les forces
armées, les compagnies coloniales, etc. Surtout on a insisté
sur la possibilité qu'un délit international soit commis mémo
par l'organe d'une organisation auxiliaire de l'Etat douée
d'un pouvoir d'autarcie, telle que la commune ou la pro-
vince, et môme par l'organe d'un Etat faisant partie d'un

I, 4° <5(l., Mo Nnir, p. .'Ì00 et siiiv.; 7!nrr.li;tril, The Diplomatie l'rolcction <>\


Citizens Abroad, New-York, 1028, p. ISO oí siiiw; lingleton, The liesponsiliilitn
0/ States in International Law, New-York, 1028, p. !iil et suiv ; Dninu?, Hes-
jionsab i li tí internationale des Etats, Paris, i'.ISO, p. 243 et suiv.; Koije.r, La
responsabilité internationale, des Etats, l'iiris, l'.l.'tO, p. 7 et suiv.; Ppiropou-
loa. Traiti de droit international, -Paris, 10.1.1, p. 27C>.
1. V. Harvard Lavo School, Research in fnfcroattonal Law, Cambridge,
Mass., 1020, Part II, art. 7, 0.
2. V. Société (les Nationg, Conférence pour la codification dn droit inter-
national, liasen de discussion, I, 111, points UT. IV, V et VI.
(S3) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 467

Etat fédéral ou d'une colonie. C'est surtout à ce propos que


s'est affirmé en droit international le principe bien connu
suivant lequel un Etat ne peut se prévaloir de son organi-
sation intérieure pour se soustraire à la responsabilité inter-
nationale. En ce qui concerne les activités des organes judi-
ciaires, c'est là que la doctrine s'est arrêtée le plus longue-
ment, et que les controverses se sont surtout manifestées, la
doctrine étant très partagée entre l'admission de la respon-
sabilité internationale de l'Etat dans le seul cas de déni de
justice, et la reconnaissance de cette responsabilité même
en d'autres hypothèses, sans compter les difficultés encore
plus graves soulevées par la détermination de la notion même
du déni de justice 1 . Certains auteurs se sont consacrés à
l'étude des problèmes de la responsabilité internationale de
l'Etat à raison des actes d'organes judiciaires 2 ; l'Institut de
Droit international s'en est spécifiquement occupé dans sa
session de Lausanne en 1927, le Comité préparatoire de la
Ira Conférence de Codification du Droit international en a
fait l'objet de deux bases de discussion particulières. Il faut
observer à ce propos que, partant le plus souvent sur l'idée
de rechercher les organes de l'Etat pouvant se rendre coupa-
bles d'un fait illicite international, la doctrine a fini par
complètement perdre de vue cet objet, et par s'attacher de
cette curieuse façon indirecte à une recherche tout autre,

1, V. sur toutes ces questions, et pour les différents points de vue : Anzi-
lotti. La responsabilité internationale des Etats a raison des dommages
soufferts par des étrangers, Rev. gén. de dr. int. public, 1908, p. 18; Moore,
Proceedings of the American Society 0/ International Law, l'Jlfi, p. 18 et suiv.;
Hyfie, international Law, Saint-Paul, 1922, I, 491 et suiv.; Guerrero, Supple-
ment to the American Journal of Int. Law, XX, 1926, p. 92 et suiv.; et Aca-
démie diplomatique internationale, 1928, ITI, p. 23 et suiv., 29 et suiv.;
Horshey, Denial of Justice, Proceedings of the American Society of Interna-
tional Law, 1927, p. 28; Borchard, The Diplomatic Protection, p. 333; Eagle-
ton, Denial of Justice in International Law, American Journal of Int. Law,
1928, p. 547 et suiv.; Fitzmaurice, The meaning of the term : Denial of justice,
British Year Book of International Law, 1932, p. 108 et suiv.; de Visscher, Le
déni de justice en droit international, Recueil des Cours de l'Académie de
Droit international, 193S-II, p. 39fi; Lissitzyn, The meaning of the term
« Denial of Justiço » in International Law, American Journal of Int. Law,
193«, IV, p. R39; etc.
3. V. Enstathindes, La responsabilité internationale de l'Etat pour les actes
des organes judiciaires, Paris, 1938.
4 68 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (5O

celle de la détermination des obligations internationales de


l'Etat«.
Pour donner des exemples, lorsque la doctrine discute —
et elle le fait longuement — le problème de savoir si une
loi ordonnant une expropriation sans indemnité constitue un
fait illicite international, elle ne se demande certainement
pas si les organes législatifs de l'Etat peuvent commettre des
délits internationaux, mais elle se demande pratiquement
s'il existe pour l'Etat une obligation internationale de no
pas exproprier les étrangers sans indemnité. Lorsqu'elle dis-
cute interminablement toute la question du déni de justice,
elle no se demande pas si des faits illicites internationaux
peuvent être commis par des organes judiciaires de l'Etat ;
elle se demande plutôt quelles sont les obligations interna-
tionales de l'Etat en ce qui concerne l'administration de la
justice. Pratiquement, et en d'autres termes, au lieu d'étu-
dier directement les droits et les devoirs des Etats dans le
droit des gens, la doctrine a étudié ces droits et ces devoirs
du point de vue indirect de leur violation, et a ramené en
quelque sorte tout lo droit international à la notion de la
responsabilité. Certes, la doctrine a fourni, grâce à ces étu-
des, des contributions précieuses, qui se rangent même
parmi les plus importantes de toute la doctrine du droit
international; il n'empêche que, du point de vue systéma-
tique, l'on ne saurait approuver une méthode susceptible do
causer des confusions assez graves.
Pour ce qui nous concerne, il est bien évident qu'il faut
écarter complètement du champ d'examen tout ce qui est
étranger au problème de la détermination des organes dont
la conduite peut être prise en considération par le droit
international pour imputer à l'Etat un fait illicite. Une fois
fait ce déblaiement, le problème se réduit à bien peu de
chose. Il est évident qu'il n'existe pas d'organes spéciale-
ment indiqués pour commettre des actions ou omissions

t. Decendière-Ferrandiero (La rBtponsabilitê internationale, p. 80) nfîirme


Ini-mßme que, la plupart du temps, la responsabilité du fait des orpanes
législatifs pose un problème d'interprétation : « il s'agit de déterminer l'éten-
due et la portée de l'obligation qui s'impose à l'Etat ».
(ss) ELEMENTS SUBJBCTIFS 469

imputables à l'Etat en qualité de faits illicites internatio-


naux, comme il peut y en avoir, au contraire, pour accom-
plir des manifestations de volonté devant être rapportées par
le droit international à l'Etat en tant qu'actes juridiques.
S'il a la possibilité matérielle de tenir une conduite contras-
tant avec une obligation internationale de son Etat d'un Etat
étranger, tout organe de ce dernier peut donner lieu à un fait
illicite international imputable à l'Etat. Naturellement il
y aura des organes qui, de par la nature de leur office, auront
pratiquement plus de possibilités de commettre des délits
internationaux; mais on ne saurait distinguer a priori les
organes qui peuvent commettre des faits illicites interna-
tionaux de ceux qui ne le peuvent pas. Le critère fonda-
mental en la matière est que l'organe soit attaché par sa
fonction à une activité dans l'exercice de laquelle il peut
rencontrer pratiquement une obligation internationale de
l'Etat et donc l'enfreindre. Comme le domaine des obliga-
tions internationales de l'Etat est extrêmement variable et
indéterminé, il s'ensuit nécessairement qu'on ne peut déter-
miner a priori les possibilités de violation de ces obligations.
L'on saisit ici le passage logique à l'autre question qui se
présente en cette matière : si tout organe de l'Etat peut théo-
riquement et en règle se trouver dans la possibilité de tenir
une conduite imputable comme fait illicite à l'Etat, il reste
h voir quelles conduites de la personne physique revêtant la
qualité d'organe peuvent être rapportées par le droit des
gens à l'Etat, et constituer par là juridiquement un fait illi-
cite de ce dernier.
l a doctrine est singulièrement partagée à ce propos. La
grande majorité des auteurs raisonne plus ou moins comme
suit : si l'organe de l'Etat agit contrairement au droit inter-
national, mais en conformité de sa compétence suivant le
droit interne, nul doute que son action doive être tenue à
tous points de vue comme un acte de l'Etat, rendant celui-ci
responsable; mais si l'organe agit au-delà des limites de sa
compétence interne, alors son action n'est pas une action de
l'Ftat ef ne devrait pas être imputée à ce dernier comme
fait illicite international. A cette conclusion la plupart des
470 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (56)

mêmes auteurs parviennent en partant de l'idée que l'impu-


tation à l'Etat de l'activité de son organe ne peut être accom-
plie que par l'ordre juridique de l'Etat même 1 ; d'autres, au
contraire, et surtout certains des plus récents, qui suivent
l'idée plus correcte que l'imputation d'un tort international
ne peut être l'effet que de règles internationales, y parvien-
nent de même en supposant que le droit international doit
subordonner son imputation à une imputation de la part du
droit étatique 2 .
Mais cette même doctrine se trouve naturellement devant
la nécessité de concilier ces points de vue théoriques avec
une pratique internationale singulièrement uniforme dans
le sens opposé. Elle cherche à le faire en affirmant que la res-
ponsabilité que l'Etat encourt pour les actes accomplis par
des organes en violation du droit interne serait une respon-
sabilité indirecte, du fait d'autrui, analogue à celle que l'Etat
encourrait, dit-on, à raison des actes des particuliers 3 . Les
autres auteurs, au contraire, se bornent ici à constater que
le principe théoriquo est concrètement enfreint par une
règle coutumière bien établie du droit des gens qui impu-

1. Coït l'idée qui a ótó soutonuo par Anzilotti dana ses ouvrapes de jeu-
nesse : Teoria generale, p. ICS et Buiv.; La responsabilità, p. 30; et qui a été
suivie par presque toute la doctrine postérieure sur la matière.
2. C'est l'idée plus réconte d'Anzilotti (Corso, p. 418 et suiv.), qui, avant
prouvé efficacement quo l'imputation, dans le domaine international, dépend
exclusivement des roples internationales, admet pourtant que celles-ci éta-
blissent, par un renvoi au droit interne, que l'on no considérera comme
actos de l'Etat contraires au droit des gens que ceux accomplis par des
individus ayant pouvoir do les accomplir en conformité du droit interne.
Cette idée est suivio par Kelson {Unrecht, p. fiOO et suiv.), là où il dit, que
l'ordre international ne peut imputer comme tort à l'Etat qu'un acte qui,
par le droit interne, soit rapporté à l'Etat commo exécution d'une obliga-
tion 011 comme oxercico d'un droit.
3. Cela en s'appuyant sur la distinction établie par Oppenheim (Interna-
tional Law, I, p. 280 et suiv.) ontre original et vicarious lìesponsibilitu, cette
dernière étant, Buivant l'autour, la responsabilité de l'Etat pour les actes
tant des particuliers que des organes incompétents.
Suivant Jess (Politische Handlungen Privater gegen das Ausland und das
Völkerrecht, Tircslau, 1023, p. 12), 1'artion et la volonte des orpanes incom-
pétents suivant lo droit étatique seraient en réalité l'action et la vo'onté
de simples particuliers, par lesquelles l'Etat encourrait une responsabilité
pour fait d'autrui, justifiée par la considération que le droit international,
ne pouvant pas imputer ft l'Etat un tort, pourrait au contraire lui en impu-
ter los conséquences.
(57) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 47'

ferait aux Etats les faits illicites des organes ayant agi
concrètement comme tels 1 , bien qu'ils aient agi hors des
limites de leur compétence, et même, arrive-t-on à dire, si
on réalité ils ne possédaient pas la qualité dans laquelle ils
ont agi. On parle aussi, à ce propos, d'une pratique des
Etats illogique mais équitable — ce sont les propres termes
do Jess —, et de cette pratique on donne des exemples
nombreux.
Or, la coutume internationale sur ce point est certes sûre
et non équivoque; mais elle n'est pas du tout illogique, pas
plus qu'elle ne forme une sorte d'exception à une règle con-
traire, exception inspirée par des exigences pratiques 2 ; c'est
plutôt la théorie qui sonne faux. L'erreur de toute cette döc-
trin« est de croire que, selon la règle, l'ordre juridique inter-
national ne pourrait imputer un fait illicite à l'Etat-sujet du
droit international que si le fait matériel ainsi qualifié est
en même temps imputé directement comme fait juridique
licite et valable à l'Etat-sujet du droit interne par l'ordre
juridique interne. Les conséquences d'ordre pratique sont,
en effet, très peu différentes, que l'on considère — à tort —
que l'imputation d'un fait juridique à l'Etat doit être effec-
tuée toujours et exclusivement par le droit étatique, ou que
l'on affirme au contraire — et justement — que, dans l'or-
dre international, elle doit être nécessairement l'effet de
règles internationales, dès lors qu'ensuite on limite la liberté
d'appréciation de ces dernières par un renvoi au droit
interne, qui subordonnerait en quelque sorte l'imputation
internationale à une imputation interne. On oublie par là ce
que l'on a déjà essayé de mettre en lumière, à savoir que

t. V. Triepel, Völkerrecht und Landesrecht, p. 349; Anzilotti, Teoria gene-


rale, p. 107 et suiv.; La responsabilità, p. 31; Corso, p. 410 et suiv.; Oppen-
heim, International Law, I p. 272 et suiv,.; de Visscher, La responsabilité,
p. 91; Schoen, Die völherr. Haftung, p. 48 et suiv.; Strupp, Das Voliten:
Delikt, p. 39.
2. Anzilotti (Corso, p. 420) voit ces exigences pratiques dans l'impossibilité
où les Etats se trouveraient do savoir avec silreté quand un inrtividu-orpane
reste dans les limites de sa compétence ou les outrepasse, et dans la néces-
sité que tout Etat garantisse les autres des dangers qui pourraient dériver
de son organisation interne. Dans un sens substantiellement analogue,
y. Monaco, La responsabilità internazionale, p. 22 et suiv.
472 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (.•£>

l'ordre international ne fait que présupposer l'organisation


interne de l'Etat, et par là la qualité d'organe qui y est attri-
buée à certaines personnes; et que cette organisation et cette
qualité restent pour l'ordre international de simples don-
nées de fait dont il se sert pour établir ses qualifications.
Quand il s'agit de déterminer, par rapport à un cas concret,
s'il y a lieu à l'imputation à l'Etat d'un fait illicite interna-
tional, lorsqu'un organe de cet Etat a agi en contraste avec
une obligation internationale, il faut se reporter nécessai-
rement à l'organisation interne de l'Etat pour savoir si la
personne qui a agi dans l'espèce est ou non un organe de
l'Etat et s'il a paru extérieurement dans sa qualité d'or-
gane 1 . C'est là ce qu'il importe de savoir pour l'interpréta-
tion et l'application de la règle du droit des gens, et non de
connaître si, du point de vue de l'ordre juridique interne
de l'Etat, l'acte de l'organe doit être qualifié d'acte valable
ou d'acte nul ou illicite 8 , car, même si cet acte est nul, on
constitue un fait illicite, il reste toujours un acte qu'une per-
sonne a accompli en sa qualité d'organe et en se prévalant
do cette qualité. L'officier aviateur qui bombarde une ville
ouverte, contrairement aux prescriptions qu'il a reçues,
reste néanmoins un organe de l'Etat qui, dans le cas concret,
a agi en sa qualité d'organe; et sa conduite peut, sans aucun
doute, être imputée par le droit des gens à l'Etat comme
fait illicite international.
En conclusion donc, le droit international considère comme
éventuellement qualifiable de fait illicite imputable à l'Etat
toute conduite d'un organe ayant agi es qualité dans le cas
concret.

1. Pcrassi (Lettoni, p. iH) a essavi de défendre son critère d'un renvoi


que la rèple du droit international relative a l'imputation ferait an rtroil
interne pour déterminer sa teneur, en imaginant quo ce renvoi aurait une
extension variable suivant les différâtes catégories d'actes ou de faits juri-
diques internationaux, et serait moins pénétrant pour ce qui concerne la
détermination des conditions de l'imputation d'un fait illicite.
2. Il convient de remarquer, en passant, que la question regarde seule-
ment les ocles nuls on illicites, et que c'est hien à tort que la doctrine
parlo d'actes accomplis par un orpane'nu-delà des limites de sa compé-
tence interne, car ces actes comprennent tous ceux entrant dans la catégorie
des actes simplement annulables, qui, tant qu'ils ne sont pas annulés, sont
certainement des actes do l'Etat, même suivant le droit interne.
(59) ELEMENTS SUBJECTIFS 473

De même que la question de savoir si une personne phy-


sique est ou non l'organe d'un certain Etat, la question de
savoir si cet organe a agi ou non en cette qualité est une
question de pur fait pour le droit international, question
que ce dernier.résout, selon son critère habituel, sur la base
de l'effectivité. Il n'imputera pas à l'Etat l'action d'une per-
sonne qui aurait agi en alléguant une quantité d'organe
qu'elle ne possède pas effectivement — et il est absolument
faux qu'il existe une pratique opposée des Etats —, mais
il lui imputera toute action d'une personne ayant effective-
ment cette qualité et agissant en cette qualité. Autrement
dit, il laissera de côté exclusivement les actions dans les-
quelles la personne en question n'apparaît pas dans sa qua-
lité d'organe agissant au nom de l'Etat, mais seulement
dans sa qualité de personne purement physique, agissant en
son nom personnel *. La solution de la question si un agent
d'un Etat, a agi en un cas donné dans sa qualité d'organe
ou evclusivement dans sa qualité privée peut présenter pra-
tiquement des difficultés, qui se reflètent dans la pratique et
dans la jurisprudence internationales. Mais il s'agit évidem-
ment de difficultés qui ne peuvent être résolues que cas par
cas, et qui ont un caractère purement matériel au regard du
droit des gens.
Tout ce qui a été dit jusqu'ici a fourni implicitement In
solution d'un autre problème, lui aussi extrêmement, et
peut-être excessivement, discuté dans la doctrine : celui de
la prétendue responsabilité de l'Etat a raison d'actions indi-
viduelles.
La conclusion qui se dégage de tous les raisonnements qui
ont précédé est évidemment qu'une condition essentielle de
l'imputation d'une conduite contrastant avec une obligation
internationale à un Etat comme fait illicite de ce dernier est
que cette conduite ait été tenue par un organe de l'Etat
même ayant agi dans sa qualité d'organe. Telle est la consé-
quence logiquement nécessaire des deux prémisses dont

t. Sur la distinction entre les cas on l'individu apparaît comme tel et le»
cas ou il apparaît comme organe do l'Etat, v. les considérations de Monaco,
Lo responsabilità internazionale, p. 24 et suiv.
+74 A. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (Go)
o
lious sommes partis : I qu'un Etat-sujet du droit interna-
tional no peut agir matériellement dans l'ordre juridique
international autrement qu'au moyen de ses onianes; 2" que
l'Etat seul peut déterminer son organisation intérieure cl;
indiquer quels sont ses organes, de sorte que le droit inter-
national ne peut se rapporter qu'à la conduite de ces der-
niers comme points matériels de repère pour imputer à,
l'Etat un fait illicite international. Les individus, les simples
particuliers n'ayant donc pas cette qualité d'organe attri-
buée par l'Etat et présupposée par le droit des gons, il est
manifeste qu'une activité purement individuelle, tout comme
une activité d'un organo ayant agi exclusivement dans sa
qualité personnelle, ne peut pas former la condition requise
pour l'attribution à l'Etat d'un fait illicite international.
Et si l'on ne peut pas parler d'une imputation à l'Etat de
¡'action d'un particulier comme délit international, on ne
peut de môme parler d'une imputation à l'Etat des simples
conséquences du fait illicito, tandis que lo sujet du fait
illicite international devrait être le particulier lui-même 4 .
Cela, du moins, tant que l'on accepte le principo quo les
simples individus' ne sont pas des sujets du droit des gens,
ot n'ont, par conséquent, aucune capacité au délit inter :
national.
De môme il ne paraît pas qu'il y ait lieu de s'attarder à
critiquer, à ce propos, la vieille doctrine, déjà suffisamment
attaquée, de la complicité ou coparticipation do l'Etat pour
palienlia et receptas comme fondement de la prétendue res-
ponsabilité de l'Etat pour faits des particuliers?. L'individu
ot l'Etat sont deux entités tellement différentes qu'une com-
plicité entre les deux no peut pas être affirmée dans les
simples hypothèses d'une prévention manqueo, ou, à plus
forte raison, d'une punition manquee, mais seulement dans
l'hypothèse extremo d'une véritable instigation de l'individu
à l'action. Le mérite revient à la doctrine la plus autorisée,

1. C'est l'idée de Kelson, Unrecht, p. ¡513 et suiv.


8. A propos do cotio théorie, v. récemment Ttrierly, The theory of implied
dtato complicity in international claims, British Year Hook of Int. Law, 1928.
(6i) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 47S

et notamment à Anzilotti *, d'avoir démontré clairement que,


dans les prétendus cas de responsabilité de l'Etat pour les
actes des individus, la conduite illicite, celle qui contraste
avec une vraie obligation internationale et qui est imputée
à l'Etat, n'est pas du tout la conduite du particulier, même
accompagnée d'une certaine coparticipation de l'Etat, mais
exclusivement et comme toujours la conduite des organes
de l'Etat qui ont violé l'obligation de prévenir ou de punir
l'action individuelle. Le fait illicite est l'omission de l'or-
gane, non l'action individuelle. Le fait illicite est l'omission
de l'organe, non l'action du particulier, et toute opinion dif-
férente résulte de la confusion entre ce qui n'est et ne peut
être qu'une lésion matérielle d'un intérêt étranger, lésion
qui peut être accomplie par le particulier, et la lésion d'un
droit subjectif international étranger, le droit à exiger de
l'Etat national du particulier une activité préventive et ré-
pressive pour la protection de certains intérêts, lésion qui
exige une conduite d'omission des organes de l'Etat.' En
conclusion, sans conduite illicite d'un organe de l'Etat, pas
d'imputation à l'Etat, pas de fait illicite international, et
pas de responsabilité internationale.
Un seul point mérite encore d'être souligné à cet égard.
Si la conduite contrastant avec une obligation internatio-
nale est représentée par une omission de prévention ou de
répression de la part des organes de l'Etat relativement à
une action individuelle, il paraît opportun de préciser la
place assumée par cette action individuelle parmi les condi-
tions de l'imputabilité. On a dit que cette action constitue
l'occasion extérieure du fait illicite de l'Etat; et c'est juste.
Mais il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit pas seulement
d'une occasion extérieure, mais d'une condition nécessaire
pour que l'illicéité de la conduite d'un organe de l'Etat

1. V. Anzilotti, La responsabilità, p 11; Corso, p. 438; et (liins le môme


sons : Strupp, Dos uo'Ifcerr. Dclilit, p. 33; (le Visscher, Responsabilité, p. 102
et suiv.; Eaeleton, The Responsibility, p. 1!)S; Delbez, Responsabilité interna-
tionale d'un Etat pour des crimes commis sur le territoire d'un Etat...,
Ren. génêr. de Droit intern, public, 1030, p. 410; Durand, La responsabilité
internationale des Etats pour déni de justice, Revue génér. de Droit intern.
public, 1931, p. 694 et suiv.; Monaco, La responsabilità internazionale, p. fil
et suiv., etc.
47b R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (62)

prenne relief juridiquo. C'est ce que l'on a déjà mis en


lumière en traitant de l'élément objectif du délit internatio-
nal. Nous rapportant à la distinction établie alors entre les
délits de pure conduite et les délits d'événement, il faut, en
conclure que les faits illicites dont nous traitons maintonant
se rangent dans la deuxième catégorie. Plus particulière-
ment, ils appartiennent à cette catégorie des délits d'événe-
ment qui sont en même temps des délits d'omission, et dont
on verra par la suite certains caractères particuliers. L'action
individuelle est l'événement extérieur en présence duquel
seulement la conduite suivie par un organe se laisse qualifier
juridiquement comme étant une infraction à une obligation
internationale de la part de l'Etat. Le fait que l'action \r,(]\.
viduclle ne peut pas constituer elle-même une telle infraction
ne doit pas porter à méconnaître son importance dans la
détermination dos conditions nécessaires pour pouvoir impu-
ter à un Etat un fait illicite international. Sans l'événenienl
représenté par cette action individuelle, la conduite des*
organes de l'Etat ne serait pas susceptible d'une qualification
d'illicéité de la part du droit des gens.

4. c) FAUTE'DE L'OEGANE QUI A TENU LA CONDUITE INCRIMI-


NÉE. — Un connaît maintenant les deux premières condi-
tions que le droit international requiert pour pouvoir impu-
ter à un sujet un délit international; il faut tout d'abord
qu'il existe un sujet du droit des gens possédant la capacité
au délit dans la matière dont il s'agit; il faut ensuite qu'une
conduite contrastant avec une obligation internationale de ci-
sujet ait été suivie par un organe du sujet même ayant agi en
cette qualité. Il se pose maintenant la question de savoir si
ces deux conditions sont suffisantes, si bien que leur réunion
suffise au droit des gens pour imputer un fait illicite au sujet.
ou bien si une troisième condition est en outre nécessaire.
En particulier, il s'agit de savoir si l'imputation est ou non
subordonnée à l'existence d'une faute chez le sujet suscepti-
ble de recevoir l'imputation. On touche ici à l'un dos pro-
blèmes les plus délicats de tout le domaine étendu du droit
international.
(63 ) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 477

Si l'on suit l'évolution de la doctrine sur la question de


la faute, on y constatera des phases successives différentes.
La conception traditionnelle, qui s'était manifestée comme
an eilet de la réaffirmation historique des principes du droit
romain au-dessus des principes germaniques, après avoir
été esquissée à l'origine par Albéric Gentili, fut fixée par la
suite d'une façon définitive et plus claire par Grotius. C'est
à ce dernier auteur que le droit international est redevable
du principe romain excluant la responsabilité sans faute.
Après avoir défini, parmi les sources des obligations, le
maleficium comme étant une infraction fautive à une obli-
gation juridique, le grand maître néerlandais se posa le
problème de la responsabilité des reges ac magistratus pour
les faits de leurs ministres et fonctionnaires de même que
pour les faits de leurs sujets. A ce propos, il nia que les
détenteurs du pouvoir suprême puissent être tenus pour res-
ponsables sans qu'il y ait faute de leur part : une responsa-
bilité, disait-il, ne peut leur être imputée que s'ils sont cou-
pables de ne pas avoir pris contre les actes incriminés les
mesures nécessaires de prévention ou de répression. Sur la
base de cet enseignement se développa après Grotius la
théorie, devenue traditionnelle, de la responsabilité inter-
nationale pour patientia ou receptus, successivement réaffir-
mée par tous les nombreux disciples de Grotius, de Zouche
à Pufendorf, à Wolff, à Cocceius, à Burlamaqui et surtout à
Vattel, théorie qui nie que l'Etat, identifié en quelque sorte
avec ses organes suprêmes, puisse être tenu pour responsa-
ble des actions illicites de ses fonctionnaires ou des parti-
culiers on général, en dehors des cas où il s'en rend lui-même
complice, où il finit, dit-on, par les faire siennes en les
approuvant ou en les ratifiant, ou encore en se refusant à
punir le coupable *.
Cette même façon de voir s'est transmise, sans subir de
changements essentiels, à la doctrine du xix" siècle, où elle
s'est répandue de façon uniforme, en Italie, en France, en

1. Pour tontes les indications bibliographiques à ce propos, nous renver-


rons ici à notre étude : La colpa nell'illecito internazionale, Studi in onore
di S. Romano, p. 3 et suiv. rie l'cxtr.
478 R. AGO. -- DËLÎT INTERNATIONAL {64)

Allemagne, dans les pays hispano-américains, et surtout


dans les pays anglo-saxons. Certains auteurs, par exemple
Calvo, Bonfils et d'autres, ne traitent do la responsabilité
internationale que par rapport aux actes des particuliers.
D'autres, surtout Phillimore et Hall, se rattachent a un point
de vue exprimé par Pufendorff, introduisant certaines aggra-
vations de la responsabilité de l'Etat, par exemple la pré-
somption que la complicité pour palieniia de l'Etat existe,
sauf preuve contraire, dans tous les actes d'infraction com-
mis par ses sujets, si bien que prima facie l'Etat devrait être
tenu responsable dans toute hypothèse. Mais les lignes fon-
damentales de la doctrine restent toujours les mêmes, en ce
sens que l'on parle toujours d'une responsabilité interna-
tionale comme d'une responsabilité du gouvernement pour
les actes de ses subordonnés, fonctionnaires et surtout par-
ticuliers, et que l'on admet toujours le principe que l'Etal,
avec ou sans présomptions défavorables, n'est rosponsabïe
que s'il a lui-même commis une faute.
La première déviation essentielle de la ligne tradition-
nelle se manifeste chronologiquement par la doctrine de
Tricpel 1 . Cet auteur no traite du problème de la faute que
par rapport à la responsabilité de l'Etat pour les actes des
particuliers. A cet égard il distingue deux espèces différentes
de responsabilité internationale, ayant une origine différente,
môme si elles sont provoquées par le même fait : d'un côté:
l'obligation de concéder la réparation, obligation qui ni'
naîtrait qu'après constatation, à propos de la lésion indivi-
duelle, do l'existence d'une palieniia, et par la d'une faute
de l'Etat dont elle serait plus particulièrement l'effet; de
l'autre côté, l'obligation de donner une satisfaction à la
nation étrangère offensée, obligation qui naîtrait au con-
traire de l'action individuelle, indépendamment do toute
faute de l'Etat. C'est dans la violation de cette deuxième
obligation que, suivant Triepel, on devrait voir l'essence
du receptus, rapproché à tort de la patientia par la doctrine
traditionnelle, alors qu'il serait la violation d'un devoir non

1. V. Völkerrecht und Landesrecht, p. 334 et suiv.


(65) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 470

primaire, mais secondaire, et serait déterminé précisément


par l'existence de l'action individuelle. L'obligation de répa-
rer serait donc la forme de responsabilité découlant de la
faute de l'Etat. L'obligation de donner satisfaction par la
punition de l'individu auteur de la lésion serait au contraire
la forme typique de la responsabilité de l'Etat pour les actes
des particuliers, responsabilité qui aurait donc un caractère
exclusivement objectif.
La doctrine de Triepel a rencontré peu de disciples, et
cela s'explique facilement par son manque de cohérence.
S'il faut en effet reconnaître à Triepel le mérite d'avoir
affirmé le premier que l'Etat ne répond que de sa propre
conduite, l'on ne comprend pas comment il peut ensuite affir-
mer que l'obligation de punir le particulier coupable est une
conséquence de la responsabilité que l'Etat encourt du fait
du particulier, plutôt qu'une obligation internationale pri-
maire dont l'infraction seule donne lieu à responsabilité
Même les raisonnements exposés par Triepel à l'appui de
son point de vue paraissent d'ailleurs défectueux et méritent
pleinement les critiques qu'on leur a adressées.
Beaucoup plus organique, plus approfondie dans ses bases,
et infiniment plus décisive pour le développement succes-
sif du mouvement doctrinal devait être au contraire l'atti-
tude prise, dès les débuts de notre siècle, par Anzilotti, posi-
tion nettement antithétique de celle de la tradition. La thèse
de ce grand savant est que l'imputabilité, définie comme le
rapport entre le fait objectivement contraire au droit et l'ac-
tivité de l'Etat, doit être considérée comme un simple rap-
port do causalité, indépendant de tout fondement sub-
jectif, de tout dol ou de toute faute de l'Etat lui-même. Dans
ce sens, il faudrait concevoir la responsabilité internationale
comme étant, dans toute hypothèse, exclusivement objective.
La démonstration qu'Anzilotti donnait de ce point de vue
dans ses ouvrages de jeunesse 1 peut se résumer brièvement
do la faijon suivante : « Le dol et la faute, dit-il, sont de?

1. V. Teoria generale, p. 183 et suiv.; La responsabilité internationale, p. W


et Bnré.
48o R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (66)

attitudes de la volonté comme fait psychologique, on ne


peut donc en parler qu'à l'égard des personnes physiques.
Le problème est, partant, de voir si la conduite contraire au
droil international, pour pouvoir être imputée à l'Etnt, doit
ótre ou non l'effet du dol ou de la faute des personnes phy-
siques-organes de l'Etat. Or, la volonté et l'action des orga-
nes ne peuvent être considérées comme la volonté et l'action
de l'Etat que si le droit de ce dernier le permet : c'est le
droit interne de l'Etat qui établit clans quelle hypothèse une
conduite de la personne physique-organe peut être attribuée
ù l'Etat 1 . Par conséquent, dans les cas où l'action des orga-
nes fait naître, suivant le droit international positif, une res-
ponsabilité internationale de l'Etat, l'on peut distinguer
deux hypothèses différentes : l'hypothèse où l'action de l'or-
gane est en même temps contraire au droit dos gens et au
droit interne, et l'hypothèse où elle est, contraire au droit
international mais conforme au droit étatique. Dans la pre-
mière hypothèse, la faute de l'individu-organo qui a îgi
contrairement aux lois de son Etat exclut logiquement, dit
l'auteur, que l'acte de l'individu puisse être regardé comme
un acte de l'Etat. Et si, dans ce même cas, une règle cou-
tumière internationale affirme également la responsabilité
de l'Etat, cela signifie que la responsabilité n'est pas fondée
sur une faute des agents, mais sur une vraie et propre Garan-
tió que l'Etat doit fournir pour toutes les lésions provenant
de l'activité de son organisation. Dans la deuxième hypo-
thèse, lorsque l'individu-organc a agi en violation du droit
international, mais conformément à sa compétence interne,
son action doit certainement être tenue pour imputable à
l'Etat. Mais, continue le raisonnement, on ne peut pas parler
d'une faute de l'individu-organc qui a agi en pleine obser-
vance des lois de son Etat. Et puisque même dans ce cas, sans

1. Cette idée forme vraiment la pierre angulaire rie la doctrine do la


faute d'Anzilolti dans ses ouvrages susmentionnée. Il est a remarquer qu'en-
8uite, comme on a déjà eu l'occasion rie lo voir, Anzilotli est ilcvnn l'un
des plus efficaces partisans de l'idée opposée, suivant laquelle l'impulation
à l'Etat d'un acte ou d'un fait juridique ne peut, en droit int"r*:at;onal,
être l'nouvre que du droit international liii-mSine. Mais on verra que. de ce
chunpemcnt d'opinion, le savant auteur n'a pas tiré toutes lea conséquences
qu'il impliquait à l'égard du problème de la faule.
(67) ELEMENTS SUBJECTIFS 481

aucun doute, l'Etat est responsable internationalement, il


s'ensuit que, même dans ce cas, l'imputation a lieu sans
qu'on tienne aucun compte de la faute, et que la respon-
sabilité internationale est purement objective 1 .
On a rapporté ici brièvement le raisonnement salvi dans
00 premier essai de théorie objective de la responsabilité
internationale, car vraiment il a polarisé l'attention de9
auteurs qui ont traité successivement du même problème,
qu'ils aient été favorables ou contraires à la théorie objec-
tive. L'anparition de celle-ci a eu, en effet, pour résultat
de détruire définitivement l'unité de doctrine qui existait
auparavant sur le problème de la faute. Il est certain que
quelques notions fondamentales exposées par la théorie
objective elle-même restent acquises pour la plupart des
auteurs, telles la notion que l'Etat ne répond jamais que de
son propre fait, et que par fait et faute de l'Etat l'on ne
peut entendre que le fait ou la faute des organes. Mais si,
et dans quels cas, une faute des organes est requise pour
qu'il y ait responsabilité internationale de l'Etat, voilà un
point qui devient extrêmement controversé.
Certains auteurs, pas très nombreux à la vérité, se ral-
lient pleinement aux conclusions d'Anzilotti. Tels sont dans
la doctrine italienne Romano et Cavaglieri, ce dernier se
déclarant toutefois d'accord avec Anzilotti seulement de lege

l. Cette conclusion doit valoir, suivant son auteur, même pour les cas de
responsabilité dite à raison des actes des particuliers. On a déià noté que
o'eat le mérite d'Anzilotti d'avoir démontré que cette responsabilité est tou-
jours exclusivement une responsabilité du fait des organes, car elle résulte
uniquoment de la violation par ces derniers d'une obligation internationale
incombant directement à l'Etat : l'obligation de ne pas tolérer le fait du par-
ticulier, et de le punir s'il s'est produit. Or cette obligation, suivant Anzi-
lotti, ne consisterait pas dans un devoir, inconcevable, d'empêcher absolu-
ment la lésion de la part d'un de ces sujets, mais seulement dans le devoir
d'observer, par rapport à un fait, une attitude déterminée do prévention
ot de répression. Si le fait se produit quoique cette attitude ait été obser-
vée, la responsabilité internationale ne surgira pas, non pas parce qu'il
n'y aurait pas de faute de la part de l'Etat, mais parco, qu'il n'y aurait
pas de violation de l'obligation internationale. Même dans ce domaine,
où la doctrine de la fauto s'était affirmée le plus traditionnellement, elle
ne serait que l'effet d'une analogie simple et commode, mais à repousser
d'un point de vne rigoureux. Ce point de vue a été maintenu par l'auteur
mime dans ses onvrages plus récents : v. Corso, p. 131 et suiv.
II. — 1939. 31
4 8a R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL • (68)

ferenda, tandis que de lene lala il reconnaît que la pratique


est incertaine dans ce sens 1 . Dans les autres doctrines, la
tendance absolument négative par rapport à la question de
la faute est suivie par Decendière-Ferrandière, nar Rourquin.
par Lapradelle et Politis dans leur commentaire du cas de
l'Alabama, par Rasdevant 2 , et même par Kelsen, suivant
lequel on doit laisser totalement de côté la relation psycho-
logique existant entre l'organe auteur du tort et le tort lui-
même, aussi bien par rapport à ce qu'il appelle l'imputation
centrale (Zentrale Zvrechnvng) — réalisée par le droit interne
— du fait illicite à l'Etat, que par rapport à ce qu'il appelle
l'imputation périphérique (Periphere Zurechnung) — opérée
par le droit international 3 de la sanction au tort. C'est
toujours à cette même tendance qu'adhèrent en substance
Eagleton, et aussi Rorchard 4, qui estime opportun d'exclure
une notion telle que la faute qui, étant donné son acception
très discutée, risque d'apporter plus de confusion en la
m at iòro.
La plupart des auteurs, au contraire, restent favorables à
l'idée traditionnelle de la faute comme fondement néces-
saire de la responsabilité internationale. Mais il faut remar-
quer qu'aucun d'entre eux n'essaie de réfuter théoriquement
d'une façon satisfaisante les objections opposées à la those
qu'ils accueillent. La plupart, tels Oppenheim, von Liszt.,

i. V. Romano, Corso, p. .'117 et suiv.; Cavaplieri, Corso di diritto inter-


nazionale, 3" éd., Naples, 1930, p. M7 et suiv. Ce dernier auteur se range
surtout a l'opinion pina récemment avancée par Anzilotti, qu'il n'agit d'un
problèmo d'interprétation a résoudre dans charpie espece particuliere. Pans
ce même sens, v. Pcerni, Responsabilità ricali Ptati, Nuovo Dinesto Italiano.
col. 7 de l'extr.; Monaco, La responsabilittt, p. (18.
2. V. Peccndiítre-Ferrandicre, La responsabilité, p. 74- et sniv.; Ronrqnin,
Annuaire de l'Institut de Droit international, 1027, 33, I, p. M04 et suiv.; l a -
pradelle et Politi», Recueil des arbitrages internationaux, éd. complete, n ,
Paris, 1032, p. 073 et sniv.; Rasdevant. Tîcplo.s peñérales du droit dp la paix,
liecueil des cours de l'Académie de Droit international. t93fi-!V, p. (Vifl et sniv.
3. V. Unrecht, p. 837. et suiv. Pans la premiere imputation, la faute serait
exclue parce qu'elle empêcherait de rapporter l'acte fautif à l'Etat.. Pans lo
deuxième, elle le serait aussi, parce que vidée de sens, le principe de la
responsabilité pour faute étant, lié à une centralisation des moyens de
realisation de la sanction.
4. V. Eapleton, The Responsabilité, p 213 et. sniv.; Rorchard, Theoretical
Aspects of the International Responsibility of States, Zeitschrift für Ausl.-v.
Int. Privatrecht, 1930, p. 220.
(6g) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 483

Fauchille, Dumas, Hershey, se bornent à affirmer sans dé-


montrer. D'autres, tels Heilborn, Hatschek, Lauterpacht, ont
encore recours aux vieilles fictions insoutenables d'une res-
ponsabilité de l'Etat pour culpa in eligendo, ou d'une faute
des organes supérieurs législatifs ou administratifs respon-
sables d'avoir ordonné ou permis, par les règles qu'ils ont
créées, les délits internationaux commis par les organes
subordonnés 1 . Seul M. Strisower, dans son rapport bien
connu sur la responsabilité de« Etats pour les dommages
causés à des étrangers, présenté à la session de Lausanne
de 1927 de l'Institut de Droit international 2 , a essayé de
soutenir efficacement sa théorie qu'une faute de l'Etat, en-
tendue comme une négligence de la part de ses organes, est
nécessaire pour établir la responsabilité. Mais lui aussi se
base sur des arguments tirés d'un examen de la pratique,
bien plus qu'il ne se livre à une démonstration scientifique
du caractère erroné de la théorie contraire. Et l'on sait que
l'opposition entre les deux tendances s'est manifestée d'une
façon aiguë à la session de Lausanne lors de la discussion
de ce rapport. Cette opposition dut être résolue à la majorité
des voix par une espèce de compromis, à savoir par une
victoire de principe de la théorie de la faute, sauf exception
dans le cas où une responsabilité sans faute est établie par
une règle particulière, conventionnelle ou mime coutumière
Entre les deux opinions e> trêmes, dont l'une est fondée sur
un raisonnement logique tenu pour irréfutable, et l'autre
surtout sur la difficulté de faire entrer la pratique des Etats
dans les cadres d'une théorie purement objective de la res-
ponsabilité, il était naturel que des théories intermédiaire«
et des tentatives de conciliation se manifestassent. A ce titre

4. V. Heilbora, System des Volk erre cht s, Berlin, 1896, p. 407; Deliktsschuld
und Erfolpshaftnng im Völkerrecht, Zeitschrift /. Sff. Recht, 1028, p. 4 et
Suiv.; Hatschek, Völkerrecht, Leipzig, 1923, p. 388 et BUÍT.; Lauterpaeht,
Private Law Sources and Analogies 0/ International Law, Londres, 1927,
p. 14.1 Ce dernier auteur paraît mettre en lumière- un moment essentiel de
la critique de la théorie objective lorsqu'il dit (p. 139 et sniv.) qu'un organe
peut être en faute selon le droit international, même s'il ne l'est pas enivant
le droit étatique; mais cette observation n'est pas développée.
8. V. Annuaire de l'Institut, 1927, 33, I, p. 468 ot suiv., 470 et suiv.
484 R. AGO. — DELIT INTERNATIONAL (70)

rui peut rapporter avant tout la théorie de lionjamin ', sui-


vant loquei lo principe do la faute ne vaudrait que pour les
cas de responsabilité de l'Etat à raison do ses prnnres faits,
ot non pour les cas do responsabilité à raison d'actos de par-
ticuliers. Presque idontiquo est la théorie do Duxbaurn -, qui
voit dans la faute la prémisse nécessaire pour les délits
internationaux « immédiats », commis par des organes com-
pétents. A peu près opposée est la théorie do Schoen,
accueillie par Fodoz/i, par de Visschcr et par Ruegfer. ruii
adopte la théorie objective dans les cas de responsabilité
pour faits d'organes, tandis qu'elle lui préfère la théorie de
la fauto dans les cas dits do responsabilité pour les faits des
particuliers 3 . Strupp n'élargit guère le domaine concédé h la
faute par Schoon, on acceptant la thèse de la responsabilité
objective en règle genéralo pour tous les délits d'action dus
à dos organes de l'Etat, tandis que pour les délits d'omission
uno règle coutumièro résultant de la pratique dérogerait à la
règio générale, et établirait la responsabilité pour faute*.
(Jno autre théorie particulière est celle de Jess*, oui nose,
parmi les conséquences do la responsabilité, une distinction
bien netto ontre la réparation — due seulement en cas de
responsabilité do l'Etat pour les faits illicites de ses orga-
nes —, et la satisfaction — due même dans les cas qu'il
appelle do responsabilité directe de l'Etat pour les faits dos
particuliers —, ot qui affirmo que la condition de la faute
serait requiso on ce qui concerne l'obligation de rénarcr,
tandis que le principe de la responsabilité pour risque régi-
rait l'obligation do donner satisfaction. Enfin, toujours a ce
propos, l'on peut indiquor encore l'opinion de Balladore-
Pallieri °, qui voit dans une conduite d'un sujet contraire
t. Ilaftunçi des Sinales aus dem Verschulden seiner Orijane nacli l'ölkcr-
rttcht, nronl.au, 1000, p. 21 et suiv.
Ï. Das Völkerrechtliche Delikt, lîrliinpcn, 101.1, p. \^ et suiv.
.'!. V Sclioon, Die Völkerrechtliche ¡lajtnrxn. p.',<0ct. siiiv.; Fedoni, Trattato,
p. !ií?0 et suiv.; de Visueller, La responsabilité, p. 02 et suiv.; Rucprcr, Die
Völkerrechtliche Verantwortlichkeit des Staates, Zurich, 1024, p. 7 et suiv.
\. V. Strupp, Das Völkerrechtliche Delikt, p. 4!> ot suiv. Duna co même sons,
v. Arulo, Die Völkerrechtliche Haftung, Pécs, 10117, p. 18 et suiv.
S. Politische llandhmqen, p. Ufi et. suiv.
C. GH effetti dell'atto illecito interniuioniilc, cxlr. de la Ilivisla di dir.
pubblico, 1031, II, p. f( et suiv., p. 21 et suiv.; Diritto int. pubblico, p. 300
et suiv., ft36 ot suiv.
(7i) ELEMENTS SUBJECTIFS 4&S
à une règle juridique internationale, la seule condition né-
cessaire pour l'existence d'un fait illicite international, mais
qui affirme en même temps que cette conduite doit être
accompagnée par l'élément de la faute pour que naissent les
obligations au dédommagement ou à la satisfaction morale.
On est donc en face d'un complexus vraiment remarqua-
ble de théories, bien qu'ici l'on n'ait indiqué que les plus
connues. Il s'agit certes de théories et de tendances qui,
tout en renfermant quelques éléments de vérité, sont souvent
bâties sur des prémisses absolument erronées même à l'égard
de la notion du délit international. Ainsi qu'on aura pu
le remarquer, leur diversité même montre la nécessité ab-
solue d'une révision des prémisses, révision qui permette
de découvrir la cause de tant de divergences et aussi de par-
venir à une conclusion plus satisfaisante à tous points de
vue. A cet égard, les idées précédemment développées pour-
ront nous prêter une aide efficace.
En présence d'une telle situation, il convient avant tout
de s'efforcer de poser le problème dans ses termes exacts,
donc d'établir clairement en l'espèce ce qu'il faut entendre
par « faute ». Les auteurs ayant traité le problème dans le
domaine du droit international sont, en effet, partis de défi-
nitions de cotte notion tellement divergentes que certai-
nement ces divergences ont dû se refléter dans leurs conclu-
sions. Il nous semble, en effet, que l'on finit par compliquer
le problème lorsque, croyant peut-être le simplifier, on défi-
nit la faute, à l'exemple de Fauchille et de Salvioli, comme,
représentée par toute conduite différente de celle que prévoit
la règle, par toute infraction d'un commandement juridi-
que 4 . Cette identification pure et simple entre la faute et la
violation du droit laisse précisément dans l'obscurité ce
qu'est la faute, puisqu'il reste à voir naturellement si la
notion de la violation du droit s'est restreinte au point de
ne plus comprendre que les infractions fautives, ou si la

i. V. Fauchille, Traité, I, l re part., p. B18; Salvioli, Les règleB générales de


la paix, Recueil des Cours de IMcodémie de Droit international, 1933-TV,
p. % et sniv Cette confusion est probablement un fruit de la confusion ana-
logue qui doit être relovée dans la doctrine du droit civil, surtout dans lo
doctrine française. V. à eet égard Ago, La colpa, p. 15, note 3.
486 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (72)

notion de faute est, au contraire, devenue si comprehensive


qu'on puisse y faire entrer toute hypothèse d'infraction d'une
obligation juridiqua. Il paraît, en effet, évident que la notion
de la faute doit être la même dans toute branche du droit,
et que le problème de la faute, en droit international tout
comme en droit interne, ne peut être que celui du caractère,
volontaire du tort, caractère qui conditionne l'imputation
de la conduite objective à l'Etat. C'est d'ailleurs en s ap-
puyant sur la doctrine la plus autorisée du droit prive que
l'on peut définir la faute, au sens largo, comme une relation
psychologique entre la lésion concrète d'un droit subjectif
d'autrui et l'autour de cette lésion, relation psychologique
qui peut consister soit dans le fait que la lésion a été direc-
tement voulue (et dans co cas l'on est plus exactement en
présence de la notion juridique du dol), soit dans le fait
qu'on a voulu, sinon la lésion, du moins — faute de prévoir
les conséquences — une conduite différente de celle qui
aurait permis d'évitor la lésion (c'est plus proprement dans
ce dernier cas que se manifeste la notion do la faute stricto
sensu, ou de la négligence).
Si cette idée d« la faute est exacte, et s'il est vrai, coiiune
nous avons conclu, que l'action et la volonté de l'Etat ne
peuvent être que l'action et la volonté de ses organes, il
s'ensuit qu'en droit international on pourra parler d'une
faute de l'Etat lorsque cette relation psychologique, on la-
quelle on a vu que se traduit la faute, subsiste entre la con-
duite contrastant avec une obligation juridique internatio-
nale de l'Etat et la personne do l'organe qui l'a tenue.
Un autre point préliminaire, qu'il faut poser clairement,
est celui du moment logique où le problème de la faute appa-
raît. Il peut être opportun, on effet, de souligner lo fait que
notre question regarde précisément ce procédé juridique prï-
mairo qui consiste dans l'imputation d'un fait illicite à un
sujet, et non ce procédé juridique secondaire qui consiste
à imputer à un sujet les conséquences juridiques du tort,
c'est-à-dire la responsabilité, la situation de devoir donner
une réparation ou de pouvoir subir une peine. Il ne s'agit
pas de savoir si, étant donné un fait illicite déjà défini d'un
(73) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 487

sujet, il faut encore qu'existe l'élément de faute pour que


naisse la responsabilité; mais plutôt de savoir si, étant donné
l'existence d'une conduite qui contraste objectivement avec
une obligation juridique internationale de l'Etat, la circons-
tance de la faute d'un organe est nécessaire pour qu'un fait
illicite international puisse être imputé à l'Etat même. Les
deux imputations dont on a souligné la différence peuvent
aussi se rapporter, pour un même fait illicite, à deux sujets
différents. Rien n'empêche en effet — et on l'a déjà relevé —
qu'en présence d'un tort imputé à un sujet déterminé, l'or-
dre juridique établisse la responsabilité d'un sujet diffé-
rent : c'est ce qui arrive dans les cas qualifiés d'hypothèses
de (responsabilité indirecte ou du fait d'autrui. Mais il paraît
évident que si, dans ces cas, ou du moins dans la plupart
d'entre eux, il est probablement juste de parler de respon-
sabilité objective, il faut pourtant ne pas oublier que juste-
ment dans ces mêmes cas il ne s'agit pas d'une responsabilité
pour fait illicite, ou, du moins, pour son propre fait illicite,
et qu'on ne peut donc tirer de là aucun argument pour affir-
mer l'existence de faits illicites internationaux purement
objectifs.
Utilisant les éléments dont on a essayé d'établir quel doit
être le sens exact, il paraît maintenant possible de poser défi-
nitivement le problème de la faute en droit international
dans ses termes concrets. Correctement présenté, le pro-
blème consiste précisément à savoir si l'existence, entre
l'auteur de la lésion d'un droit subjectif international et la
lésion môme, d'une relation psychologique caractérisée dans
l'une des deux formes typiques du dol ou de la faute stricto
sensu doit être considérée ou non comme une condition né-
cessaire pour l'imputation à un sujet d'un fait illicite inter-
national.
Le problème ainsi posé, on pourrait observer avant tout
qu'il serait bien étrange que, dans un ordre juridique comme
l'ordre international, pour la formation duquel les théories
du droit romain ont eu une importance aussi décisive, ait
pu s'affirmer un système excluant d'une façon rigide l'élé-
ment subjectif de la faute de la détermination du fait illicite,
488 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL f74)

comme le voudrait cette partie de la doctrine qui, sans doute,


est celle qui a le plus approfondi la question. S'il était vrai,
comme cette dernière doctrine le prétend, que des raisons
logiques irréfutables interdisent de considérer la faute comme
une condition essentielle de l'imputation d'un fait illicite
international, il ne resterait qu'à s'incliner devant ce résul-
tat, et à chercher, à l'exemple des auteurs les plus consé-
quents avec eux-mêmes, â interpréter la pratique de façon
qu'elle n'apparaisse pas trop en contraste avec une telle
donnée théorique. Mais il reste à voir si les raisons qui ont
paru décisives, ou du moins insurmontables, à une si grande
partie de la doctrine, forment vraiment une forteresse inex-
pugnable à tout assaut de la critique.
La pierre angulaire du raisonnement ayant originairemenl
conduit la théorie objective à refuser a la faute tout droit
de cité dans l'ordre juridique international, est fournie par
la supposition que le rattachement juridique à l'Etat de la
volonté et de l'action de l'individu-organe est l'œuvre exclu-
sive de l'ordre juridique interne. S'il était vrai que la con-
duite de l'organe ne peut être imputée comme fait iuri^'ano
à l'Etat que si le droit étatique le consent, on devrait en
effet en déduire, comme faisait logiquement Anzilotti dans
sa Teoria generale, et comme le fait encore aujourd'hui
Kelsen, que dans l'hvpothèsc où l'action de l'organe con-
traire à iine obligation juridique internationale constitue en
même temps une violation de ses obligations juridiques in-
ternes, on no peut pas parler d'une faute de l'Etat., puisque
l'action de l'organe contraire aux prescriptions du droit de
l'Etat ne peut en aucune faz-on être rapportée juridique-
ment à ce dernier. Et c'est touiours la même prémisse qui
pont permettre d'affirmer ensuite que, même dans l'hypo-
thèse or": l'action de l'organe contraire à une obliration inter-
nationale est conforme aux prescriptions du droit interne,
et peut, par la, être juridiquement considérée comme action
de l'Etat, on ne pourrait non nlus parler d'une faute de
l'Etat, car l'organe qui a accompli l'infraction en observant
les lois internes ne pourrait pas être considéré comme en
faute, étant donné que ce serait vider la notion de faute de
(7s) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 489

tout contenu que de remonter pour la recherche de la faute


jusqu'aux auteurs de la loi ou de la constitution.
On a déjà vu dans les pages qui procèdent que, dans ses
ouvrages plus récents, Anzilotti a modifié son point de vue
quant à l'ordre juridique qui effectue l'imputation à l'Etat
d'un fait juridique international. On a alors mis en lumière
que son mérite est d'avoir affirmé non seulement que l'impu-
tation à l'Etat d'une conduite ou d'une volonté individuelle
ne peut être opérée que par des règles juridiques, mais aussi
que, pour tout ordre juridique, l'imputation ne peut être
effectuée que par des règles de cet ordre même, notamment
qu'en droit international, la qualification juridique de l'ac-
tion d'un organe comme action de l'Etat ne peut être l'oeuvre
que de normes juridiques internationales. Il est vrai qu'Anzi-
lotti, suivi, comme on l'a vu, par Kelsen, imagine que le
droit international, par un renvoi au droit interne, subor-
donne, en règle, son imputation à une imputation opérée
par ce dernier, et telle est peut-être la raison pour laquelle
le savant auteur n'a pas tiré de son changement d'opinion
toutes les conséquences possibles concernant le problème de
la faute. Nous avons vu, au contraire, que l'organisation
interne de l'Etat reste, pour le droit international qui la pré-
suppose, une simple donnée de fait. Le droit international
se borne à faire appel à cette organisation pour savoir quels
sont concrètement les organes, les personnes physiques agis-
sant au nom et pour compte de l'Etat, mais il reste absolu-
ment libre dans cette fonction exclusivement internationale
qu'est l'imputation à l'Etat-sujct du droit des gens de l'ac-
tion et de la volonté de ses organes comme action et volonté
juridiquement qualifiées.
Mais si c'est l'ordre juridique international seul qui peut,
en toute liberté, imputer à l'Etat-sujet du droit des gens
l'action et la volonté de ses organes comme étant une action
et une volonté juridiques; si, par conséquent, comme on l'a
déjà, amplement démontré, la négation qu'il y ait internatio-
nalement un acte de l'Etat, lorsque 1,'action d'un organe est
contraire aux prescriptions du droit interne, est dépourvue
de tout fondement; si enfin, pour que l'imputation interna
490 ' ƒ?. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (76)

tionale puisse avoir lien, il est suffisant qu'un organo de


l'Etat ait agi en sa qualité extérieure d'organe, il est évi-
dent que tout le substratum de la théorie du fait illicite
objectif s'écroule. Car, si la conduite de. son organe peut otre
imputée à l'Etat même lorsque l'organe a agi en violation
des prescriptions du droit interne, il n'y a aucune impossi-
bilité logique de parler dans ces cas d'une faute de l'Etat,
ol il n'est nullement besoin de recourir à la fiction d'une
prétendue garantie objective que l'Etat assumerait pour la
conduite de ses fonctionnaires. Et, surtout, aucune raison
logique n'empêche l'ordre juridique international de tenir
compte du caractère volontaire de l'infraction commise par
l'organe, de donner une valeur juridique au dol ou à la
faute de ce dernier pour conditionner l'affirmation de l'exis-
tence d'un fait illicite international de l'Etat.
Mais la doctrine objective s'appuie aussi sur un autre
pilier, qui ne paraît d'ailleurs pas plus solido que le pre-
mier : il s'agit de cette idée que, lorsque l'organe a agi en
conformité des prescriptions du droit interne, l'on ne saurait
lui reprocher de faute, puisqu'il a exactement observé les
règles du seul droit auquel il soit soumis 1 . Ce raisonnement
est entaché d'une erreur, d'ailleurs tros facile .\ découvrir,
qui est d'admettre, môme inconsciemment, uno sorte de
séparation entre la personne de l'Etat et l'organe, d'où il
est déduit que l'Etat, sujet du droit international, serait
soumis aux règles de ce dernier, tandis que l'organe serait
au contraire soumis uniquement aux règles du droit interne.
En se livrant à une telle affirmation, on oublie que l'organe
n'est pas quelque chose de différent et de séparé de l'Etat,
mais qu'il est l'Etat lui-même, le sujet du droit international
qui agit et qui veut concrètement, on oublie encoro que
l'ordre juridique international, s'il considère la conduite de
cet organe pour l'imputer à l'Etat comme fait juridique de
ce dernier, le fait à la lumière de ses propres règles, et non

1. Cost la désormais lo seul arpnmcnt (jno M. Anziloll.i (Corso, p. 145)


maintiont a l'appui de Fa tliiSse r.onlro la théorie do la fauta. Il l'avait déjà
développé dans son étude sur La responsabilité, p. 32: d'où la doctrine ulté-
rieure l'a emprunté : v. Scnocn, ni« vMUcrr. Ha/limo, p. 83; Strupp, Das
liíií/.rrr. Delikt-, p. 4G et 8uiv.; KelRcn, Unrecht, p. ¡144.
(77) ÉLÉMENTS SUBJECTIFS 49«

de règles internes dépourvues pour lui de valeur juridique.


L'action de l'organe qui est en opposition avec une obli-
gation internationale est un fait illicito international dès
lors que le droit international la qualifie comme telle, même
si elle était une action tout à fait correcte au regard du
droit interne. Et l'ordre juridique international pourra très
bien considérer cette action comme étant une conduite enta-
chée de dol ou de faute, dès lors qu'il découvre entre la
conduite et la volonté de l'organe qui a agi une relation qui
réponde aux types du dol ou de la faute, sans avoir à se
préoccuper du fait que la même conduite ne serait regardée
dans le droit étatique comme entachée ni de dol ni de
négligence. ^~~~
Pour conclure, nous espérons avoir montré que les préten-
dues raisons théoriques dont se prévalent en général les
partisans d'une conception totalement ou partiellement ob-
jective de la responsabilité internationale sont absolument
inconsistantes; et que, tout critère purement abstrait de
décision faisant par là défaut, la réponse à la fameuse ques-
tion de la faute ne peut être donnée que par la coutume
des Etats, par les règles du droit international positif, qui
sont évidemment et logiquement les seules qui puissent dé-
cider si la présence de l'un des éléments subjectifs dn dol
ou de la faute est ou non une condition nécessaire de l'im-
putation d'un tort international à un sujet! Cette réponse
ne parait pas davantage prêter à doute, si l'on pense aux
efforts plus ou moins heureux de la doctrine objective pour
s'efforcer de faire entrer la pratique dans les cadres de sa
conception, et au nombre d'exceptions répondant plus ou
moins a leurs prémisses qu'ont dû imaginer les théories
partiellement objectives. Il ne peut certes y avoir de doute
quant aux hypothèses qualifiées, de façon commune et erro-
née, cas de responsabilité de l'Etat pour les actes des parti-
culiers, et qu'on pourrait appeler plus correctement, nous
l'avons vu, cas d'infraction de l'Etat à l'obligation généri-
que de sauvegarder les Etats étrangers et leurs ressortissants
des lésions injustes de la part de ses propres sujets. La pra-
tique est concordante dans le sens que, en dehors d'une faute
493 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL W)
de la part des organes de l'Etat, il n'y a pas tort internatio-
nal dans ces cas 1 . Les partisans de la théorie objective n'ont
d'ailleurs jamais nié que l'observation d'un certain degré
de diligence marque la limite au-delà de laquelle on ne peut
pas affirmer l'existence d'un délit international : ils ont
seulement cherché à sauver leurs prémisses en tournant l'obs-
tacle, et en affirmant ainsi que la limite constituée par ce
degré de diligence ne regarde pas l'infraction, mais l'objet
môme de l'obligation internationale, de sorte que, dans le
cas concret, l'illicéité serait exclue non par l'absence de
l'élément subjectif de la faute, mais par l'absence de l'élé-
ment objectif de l'infraction d'une obligation juridique. Avec
cela, pourtant, ils ne so sont pas aperçus que la situation
ne change qu'en apparence, et qu'affirmer qu'en pareil cas
la responsabilité est objective revient pratiquement à affir-
mer qu'il y a responsabilité objective — même si l'on a
employé la diligence requise — pour le fait d'avoir violé
l'obligation d'employer la même diligence; autrement dit,
que la responsabilité naît, même sans faute, du fait d'avoir
enfreint une obligation de ne pas être en faute.
Quant aux hypothèses où l'Etat est responsable pour avoir
enfreint une obligation différente de son obligation spéci-
fique de protéger les Etats étrangers et leurs ressortissants
des dommages pouvant leur être causés par des particuliers,
c'est-à-dire dans les hypothèses dites communément de res-
ponsabilité de l'Etat pour le fait de ses organes, la réponse
de la pratique paraît, de prime abord, moins immédiate et
moins sûre. Il s'agit ici précisément des cas sur lesquels
la théorie objective compte plus particulièrement s'appuyer;
des cas à l'égard desquels la plupart des théories intermé-
diaires acceptent la thèse objective; des cas enfin générale-

1. V. les nombreux cas rappelés par Moore, A Digest of International Law,


Washington, 1006, VI, p. 787. et suiv., 986 et suiv.; Schoen, Die vBlkerr.
Haftunri. p.'flu et suiv.; Strupp, Das völkerr. Delikt, p. 49 et suiv.; Forchard,
The Diplomatie Protection, p. 214 et suiv.; Eagleton, The fíespontibility,,p 87
et suiv.; Harvard Law School, Research in International Law, II, p. 187 et
suiv. V. aussi les réponses deB Etats au point VII du questionnaire du Comité
préparatoire de la première Conférence pour la Codification du Droit inter-
national, p. 93 et suiv.
(79) ELEMENTS SUBJECTIFS 493

ment négligés par la vieille doctrine traditionnelle de la


responsabilité par faute. Tout de même, ce serait une grave
erreur de croire que, du moins pour ces hypothèses, le droit
des gens ait établi un régime de responsabilité objective.
Si, en effet, en traitant de la question de la faute, les
auteurs favorables à cette notion se réfèrent plus fréquem-
ment aux cas dits de responsabilité de l'Etat pour les faits
des particuliers, cela est dû exclusivement à ce que dans les
autres hypothèses, où il s'agit d'infractions à des obligations
plus spécifiques, et en général de faits positifs ou d'action,
il est bien plus difficile que se produisent des infractions tout
à fait involontaires. Il n'empêche que des exemples de ce
genre peuvent se rencontrer, et même avec une certaine fré-
quence, surtout dans le domaine du droit international de la
guerre1. Si, à cause du brouillard qui empêche de voir
les signes distinctifs apposés, et quoique toutes les précau-
tions possibles aient été prises, un coup de canon ou une
bombe d'avion tombe sur un hôpital, sur une église ou sur
l'hôtel de l'ambassade d'un Pays neutre; si, après la conclu-
sion d'un armistice ou d'une suspension d'armes, une bat-
terie perdue dans les montagnes, à laquelle on n'a pas pu
donner la nouvelle en temps utile par suite d'interruption
des communications, continue à tirer sur les positions enne-
I. A ee propos, il me semblo nécessaire de relever une erreur dans laquelle
parait être tombée la doctrine (Anzilotti, Corso, p. 444; Strùpp, Das võlkerr.
Delikt, p. 81; Verdro8s, Repies peñérales du droit international de la paix,
Recueil des Cours de l'Académie de droit international, 1020-V, p. 4fifi; Mo-
naco, La responsabilità, p. 68, etc.) lorsqu'elle soutient que, dans l'article S
de la rv« Convention de La Haye du 18 octobre 1907 sur lea lois et coutume»
de la guerre terrestre, les Etats auraient adopté un système de responsabilité
objective, quand ils ont déclaré l'Etat responsable «de tous actes commis
par les personnes faisant partie de sa force armée »; L'errour a été de rap-
procher la responsabilité de l'Etat pour les faits des membres de sa force
armée des hypothèses de responsabilité pour faits de particuliers; tandis
qu'il ,est évident que de telles personnes sont de vrais et propres orpanes
de l'Etat. L'élément de la faute ne doit donc pas être recherché dans
l'action d'orpnnes supérieurs de l'Etat visant à empêcher de la part des
troupes les infractions au droit des gens (dans ce sens, v. Hofer, Der Schaden-
ersatz im Landkrieqsrccht, Tübingen, 1013. p. SR et suiv.), mais bien dans
l'action, des particuliers appartenant oux forces armées, qui Bont eux-mêmes
des organes de l'Etat pouvant violer les règles internationales sur la conduite
de la guerre. Et certainement, l'article 3 n'a pas entendu établir une res-
ponsabilité de l'Etat même pour des infractions aux lois de guerre qui
auraient été commises par cas fortuit ou par force majeure.
494 i?. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (80)

mies; si un agent de la police des douanes fouille la valise


d'un diplomate en ignorant complètement, et sans aucune
faute de sa part, la qualité de ce dernier; si, dit Strisower,
un Etat s'est engagé à remettre à un autre Etat un certain
objet, qui soit détruit sans qu'aucune négligence soit impu-
table à un organe quelconque; ou bien, si la foudre frappe
un phare qu'un Etat s'était engagé à tenir allumé * : voilà
toute une série d'hypothèses possibles où la conduite ou le
résultat demandés par une obligation internationale ne sont,
pas réalisés, sans qu'il y ait eu aucunement dol ou faute de
la part des orgaiies qui devaient tenir la conduite ou attein-
dre le résultat requis. Que dans toutes ces hypothèses il n'y
ait pas fait illicite international, et qu'aucune responsabilité
internationale ne puisse naître, voilà une conclusion qui
paraît répondre sans aucun doute à la conviction des Etats.
La pratique apparaît unanime à ce sujet, et l'on pourra se
borner à analyser certains cas particulièrement significatifs.
Au cours du siège de Paris durant la guerre franco-alle-
mande de 1870-1871, un échange de dépêches eut lieu entre
le général Trochu, commandant la place de Paris, et le géné-
ral von Moltke, commandant des forces prussiennes. La
dépêche du général Trochu affirmait que la précision du tir
d'artillerie et la persistance avec laquelle les coups arri-
vaient dans une direction et sous un angle de chute constant,
ne permettaient plus d'attribuer au hasard les coups qui tom-
baient sur les hôpitaux. La réponse du général von Moltke
fut que, lorsqu'un temps moins brumeux et les distances de
tir réduites auraient permis de distinguer les bâtiments mar-
qués de la Croix-Rouge », il serait possible d'éviter que do
tels « accidents fortuits » pussent se vérifier. Les deux com-
mandants excluaient donc l'existence d'un fait illicite inter-
national dans l'hypothèse où le bombardement d'un hôpital
serait intervenu sans aucune faute.
Le H janvier 1886, le capitaine américain Emmet Crawford
fut tué par les troupes mexicaines alors qu'il poursuivait
au-delà de la frontière mexicaine des Indiens révoltés. Etant,

i. .V. Annuaire de l'Institut, 1027, 33, I, p..479 et suiv., 533 et suiv.


(8i) ELEMENTS SUBJECTIFS 495

donné qu'il put être établi qu'il s'agissait d'un événement


fortuit, le Gouvernement des Etats-Unis n'introduisit aucune
demande de réparation auprès du Gouvernement mexicain*.
Dans la nuit du 21 au 22 octobre 1904, l'escadre russe de
l'amiral Rodjestvensky bombarda les barques de pêcheurs
anglais, se croyant, dans le brouillard, attaquée par des tor-
pilleurs japonais. La Commission internationale d'enquête,
composée de cinq amiraux de nationalités différentes, décida
qu'aucune satisfaction n'était due à l'Angleterre, étant
donné que l'erreur avait été causée par le brouillard. De
même, en 1913, le Gouvernement français ne demanda au-
cune satisfaction pour le fait qu'un aéronef allemand avait
atterri à Lunéville, en France* à la suite d'une fausse ma-
noeuvre.
Pendant l'insurrection de Luçon de 1899, les troupes amé-
ricaines, dans un combat avec les insurgés, causèrent des
dommages a une sucrerie anglaise qui se trouvait dans la
zone des opérations. Le Tribunal Arbitral anelo-américain,
dans sa décision du 30 novembre 1926, repoussa la demande
d'indemnité présentée par l'Angleterre, pour la raison que
les dommages causés ne constituaient qu'un simple acci-
dent 8 .
Pendant la guerre 1914-1918, l'argument de la force ma-
jeure ou de l'erreur sans culpabilité due aux nuages, à la
violence du vent, à une avarie des moteurs, etc., a été invo-
qué souvent par les belligérants en réponse aux protestations
motivées par les fréquentes violations de la neutralité
aérienne. Ainsi en fut-il à la suite du survol du territoire
russe, en novembre 1914, par des aviateurs alliés se dirigeant
vers Friedrichshafen; à la suite de nombreuses violations du
territoire hollandais par des aviateurs allemands se rendant
en Angleterre; et à l'occasion de diverses violations de la
souveraineté territoriale du Danemark, de la Suède et de la.
Norvège. Dans ces cas, l'excuse fut parfois acceptée par les
pays neutres, parfois elle fut repoussée, mais toujours en

1. V. Moore, A Digest..., VI, p. 7ÍS9.


fi. « T.uzon Sugar Refining Co Ltd Case», dang Me Nair et T.autcrpacht.
.4initial Digest 0/ Public International Law Cases, 1928-1026, p. 223 et siiiv.
496 R. AGO. — MUT INTERNATIONAL (SI)

raison de l'inexistence des circonstances de fait alléguées,


ce qui prouve que l'on ne discutait pas sur lo principe qui
iidmet la force majeure comme excluant l'illicéité. Il est aussi
à remarquer que, dans plusieurs autres cas où le dol ou la
négligence étaient évidents, les Etats belligérants offrirent
réparation et promirent de punir les aviateurs coupables 1 .
Par le traité de paix conclu avec l'Allemagne le 3 juillet
1918, la Roumanie reconnaissait son obligation de réparer
tous les dommages que les prisonniers de guerre allemands
auraient subi du fait d'infractions aux règles internationales
relatives au traitement des prisonniers, lorsque ces infrac-
tions auraient été causées par des conduites volontaires ou
négligentes de la part d'organes de l'Etat roumain.
Le conflit sino-japonais a donné naissance à plusieurs cas
intéressants. A. la suite du bombardement de la canonnière
américaine Panay par des avions nippons, le Gouvernement
japonais destitua le commandant des forces aériennes, en
motivant comme suit sa décision : « Quoique l'attaque du
navire de guerre et des autres navires américains ait été due
a une simple erreur, le commandant des forces aériennes a
été immédiatement destitué, pour n'avoir pas pris les plus
complètes mesures de précaution ». Si de telles mesures
avaient été prises, et que toute faute eût été absente, le
Japon n'aurait donc pas considéré sa responsabilité interna-
tionale comme mise en jeu. De même, dans sa note du 21 sep-
tembre 1937 au Gouvernement britannique, le Japon expri-
mait son regret pour la blessure causée à l'ambassadeur
anglais par un avion identifié comme un avion nippon, et il
donnait l'assurance qu'il prendrait les mesures nécessaires
dans tous les cas où il pourrait être établi que des aviateurs
japonais avaient tué ou blessé des ressortissants étrangers,
intentionnellement ou par négligence; le Gouvernement bri-
tannique se déclara d'ailleurs satisfait 2 .

l . S i i r les violations de la neutralité aérienne pendant la puerro mondiale


4914-1918, v. surtout Rolland, Les pratiques de la guerre aérienne dans le
conflit de 1914 et le droit des pens. 19ifi: Garner, International Law and the
world war, Londres, 1920, p. 41 et suiv.; Sandiford, La neutralità nella guerra
aerea, extr. de /Î Diritto /yronavtico, 1930. p. 12 et suiv.
2. V. Dalladore-Pallieri, Aspetti giuridici del conflitto cino-giapponeae,
Civiltà Fascista, 1938, p. 827 et suiv.
<*3> ELEMENTS SUBJECTIFS 497
Des exemples de ce genre pourraient être multipliés; et
l'on pourrait encore en trouver de fort intéressants dans le
conflit italo-óthiopien *, dans le développement de la guerre
civile espagnole, et malheureusement aussi dans la chroni-
que du nouveau conflit européen. Mais ceux rapportés ici
paraissent déjà tout à fait suffisants pour prouver le bien-
fondé de la thèse à l'appui de laquelle on les a invoqués.
Il serait bien intéressant de passer à présent à un autre
examen : celui des divers degrés de diligence que le droit
international peut requérir selon les matières, et par là des
degrés de faute suffisants pour affirmer la présence d'un tort.
Malheureusement, la place nous manque ici pour nous livrer
à une recherche aussi délicate et nécessairement longue 2 .
On peut se borner à observer que la doctrine et la pratique
sont loin d'offrir, en ce domaine, un critère décisif. A l'égard
des hypothèses de responsabilité pour violation de l'obliga-
tion de garantir les États étrangers et leurs sujets de lésions
injustes causées par des particuliers, une certaine tendance
paraît peut-être se manifester en faveur de l'exclusion de
la culpa levíssima comme élément suffisant pour l'imputa-
tion d'un tort international, une diligence en quelque sorte
normale étant requise. Dans les autres hypothèses, quali-
fiées en général d'hypothèses de responsabilité pour faits
d'organes, il semblerait au contraire que même la culpa
levíssima soit considérée comme suffisante pour fonder une
responsabilité internationale. Mais en général il serait bien
imprudent d'affirmer l'existence, dans la coutume, d'une
règle fixe à cet égard. Il faut aussi se garder de la tendance
facile à adopter en droit des gens des termes et des degrés
élaborés exclusivement en vue du droit interne, et qui peu-
vent se montrer trop rigides et trop a priori, compte tenu de
1. A cot ÓRan!, tircu'll (l.n conduite de la guerre aérienne dank le conflit
itulo-étliiopicn, Retilo ¡¡éntrale de droit aérien, 1936, 2) observe que, dans les
crts très rares ou uno ¿plise ou un établissement sanitaire a été frappé par
(ics avion* italiens, jaiiuiis il n'y a eu à constater une violation des lois do
irurrrt', i'iir CPS incidents étaient dus seulement a l'impossibilité technique
d'éviter l'erreur do mire, les édifices en question se trouvant être trop voi-
e'ms d'objectifs militaires.
2. Pour une étude plus spécialisée, v. notre étude sur la matière : Ago,
(.a colpa, p. 24 et suiv., 31 et suiv.
IT. — IMO. 3»
4*8 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (84)

la tendance du droit international à se conformer le plus


possible aux exigences variables de la situation concrète. Il
faut remarquer d'ailleurs que le problème des différents de-
grés de la faute dans le délit international retient l'attention
dans la question de l'étendue de la réparation beaucoup plus
que dans, celle'de l'existence du délit.
Ici, l'on peut donc se borner à réaffirmer la conclusion
fondamentale de la recherche qu'on vient d'accomplir :
à savoir qu'une faute lato sensu de l'organe ayant suivi une
conduite lésant un droit subjectif étranger est, dans toute
hypothèse, une condition nécessaire pour l'imputation 0 un
sujet d'un fait illicite international.
CHAPITRE IV

LES DIFFÉRENTES ESPÈCES DU DÉLIT INTERNATIONAL

Ì. — Dans les chapitres qui précèdent, on s'est efforcé de


déterminer, dans tous ses éléments constitutifs, la notion du
délit international. Il reste à voir maintenant si les aspects
que les délits internationaux peuvent présenter dans des
hypothèses différentes permettent de parvenir a individua-
liser des espèces différentes de faits illicites, ayant leurs
aspects propres et leurs conséquences juridiques particuliè-
res. Il y a là une tâche absolument nouvelle, car jusqu'ici
la doctrine ne s'est encore jamais arrêtée sur ce point, pour-
tant extrêmement important, de la théorie du fait illicite
international.
La différenciation éventuelle des espèces particulières do
délits internationaux, qui doit naturellement et nécessaire-
ment se traduire dans une différenciation éventuelle de leur
appréciation juridique, peut s'appuyer sur des caractères
différents ayant trait, soit aux divers éléments qui forment
l'essence du fait illicite international, soit aux caractères
de l'effet juridique attribué au tort. Surtout, comme on le
verra, la source principale des distinctions possibles au
sein des faits illicites internationaux paraît devoir se trou-
ver précisément dans cet élément qui a été caractérisé
comme l'élément objectif du tort; et plus particulièrement
dans les faits et les circonstances dont cet élément même
doit être constitué pour qu'il y ait lieu à la qualification
d'illicite, ou dans la nature de l'obligation enfreinte, ou
encore dans les aspects que peut revêtir la conduite violant
cette obligation.
En effet, dans les pages qui procèdent, on a déjà eu l'occa-
sion de mettre en lumière une première distinction entre
deux catégories de délits, distinction qui s'appuie justement
Soo R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (86)

sur la matière différente qui constitue l'élément objectif du


tort : celle entre les délits de pvre conduite et les délits
d'événement. On a dit précisément qué, dans les premiers,
l'élément objoctif du fait illicite est représenté exclusive-
ment par une certaine conduite, d'action ou d'omission, de
la part d'un organe de l'Etat; tandis que, dans les seconds,
il est constitué par cette même conduite plus quelque chose
d'autre, plus un événement extérieur rattaché à la conduite
par un lien de causalité et dont la présence est absolument
nécessaire afin que le fait illicite se perfectionne. Puisqu'on
a déjà insisté suffisamment sur l'essence de cette distinction,
on se contentera de renvoyer ici aux pages antérieures cor-
respondantes et aux exemplos donnés des deux catégories-de
délits. D'autant plus que cette question des caractères propres
à l'espèce particulière de faits illicites appelée délits d'événe-
ment se retrouve à propos d'une autre distinction ayant trait
¿i la nature de l'obligation juridique enfreinte, et dont on va
traiter maintenant : la distinction entre délits d'action et
délits d'omission.
2. — Dans le domaine du droit étatique, la distinction
dont il s'agit est due à la science du droit criminel. C'est à
cette dernière que revient le mérite d'avoir prouvé que le
critère de la qualification d'illicéité réside, pour l'action
aussi bien que pour l'omission, dans le contraste entre une
certaine conduite et une obligation juridique: de sor-to TUC
le critère distinctif de l'omission par rapport à l'action se
manifeste comme étant, non une caractéristique matérielle
de la conduite observée, mais une caractéristique juridique,
représentée par le contraste de la conduite d'un siîjet par
rapport à l'action qu'on attendait de lui sur la base d'une
règle déterminée. C'est encore la doctrine pénaliste qui a
prouvé l'existence de l'élément volontaire dans l'omission,
et qui a mis en lumière les différents aspects respectifs de
l'action et de l'omission par rapport au problème de la
causalité l .

i. Pour des ronsoignomonts plus particuliers, v. Ago, niecito commissivo


e illecito omissivo nel diritto internazionale, Diritto internazionale, 1938,
p. 9 et BUÌV.
(87) ESPÈCES DIFFÉRENTES 501

Dans le domaine du droit international, la distinction est


généralement négligée par la doctrine. Certains auteurs s'y
réfèrent pour affirmer simplement que la distinction n'a pas
en droit international d'autre valeur qu'en droit interne, ou
pour donner quelques exemples des deux types*. En réalité,
seul Strupp, comme on a déjà eu l'occasion de le voir, donne
un vrai poids à la distinction dans laquelle il prétend trou-
ver le critère permettant de séparer les cas où l'Etat répond
pour faute des cas où la responsabilité internationale est
objective; mais on a déjà prouvé le mal-fondé de cette opi-
nion qui revient à attribuer à ladite distinction des effets
tout à fait arbitraires, et nullement liés du point de vue
logique à la nature intrinsèque respective de l'action et de
l'omission.
A vrai dire, il ne paraît pas possible que, dans le domaine
du droit des gens, la distinction prenne un sens essentielle-
ment différent de celui qu'elle revôt dans le domaine du
droit interne. Certains effets peuvent en être différents, mais
non pas les notions mêmes de délit d'action et de délit
d'omission, qui sont du domaine de la théorie générale du
droit. II convient donc avant tout de souligner que la diffé-
rence entre les deux types de délit, dans le droit des gens
comme dans tout autre droit, n'est pas une différence maté-
rielle, mais une différence juridique : c'est-à-dire qu'elle ne
consiste pas dans le fait que l'action serait un mouvement,
et l'omission une stase; mais bien dans le fait que le délit
d'action est l'infraction d'une obligation juridique de ne pas
accomplir une certaine action, tandis que le délit d'omission
est l'infraction d'une obligation juridique d'accomplir la
même action, infraction qui peut consister aussi bien en
une inaction absolue qu'en une action matérielle différente
de l'action voulue par l'obligation enfreinte. L'Etat qui s'est
obligé internationalement à remettre une certaine chose à un
autre Etat se rend coupable d'un fait illicite international
d'omission, aussi bien s'il se borne à ne pas effectuer la
remise que s'il détruit matériellement la chose afin de ne

1. V. Anzilotti, Teoria generale, p. 113 et suiv.; La reifonsabilitê, p. të;


Schoen, Die völkerr. Haltung, p. 33.
502 R. AGO. — DEUT INTERNATIONAL (88)

pas la remettre : dans les deux cas, par une abstention ou


par une action matérielle différente, on a enfreint le même
devoir d'action, ot l'on se trouve par suite en présence d'un
délit d'omission.
De même, on doit souligner le fait, si opportunément mis
on lumière dans la doctrino du droit étatique 1 , que l'élé-
ment volontaire, cet élément dont on a prouvé la nécessité
par rapport à tout fait illicite international, est présent
dans l'omission aussi bien que dans l'action. Si maintes fois
l'omission, comme telle, n'a pas été voulue par l'organe qui
l'a accomplie, il n'empêche que l'élément volontaire existe
toujours, car ce n'est pas qu'on ait.voulu l'omission en elle-
même qui est nécessaire, mais bien qu'on ait voulu la con-
duite qui a été suivie et qui se trouve différente de celle
appelée par l'obligation juridique. L'organe qui aurait dû
prendre certaines mesures de précaution pour sauvegarder
l'intégrité d'un chef d'Etat étranger, et ne les a pas prises
parce qu'il n'y a pas songé, n'a pas voulu l'omission, puis-
que au moment opportun lui a fait défaut la représentation
psychique même de l'action à accomplir. Mais il n'empêche
que la conduite qu'il a tenue a été volontaire, puisque rien
ne l'empêchait d'agir en conformité de l'obligation qui lui
incombait. Que si au contraire ce caractère volontaire avait
manqué, et que la conduite tenue eût été due, par e »empie,
& la force majeure, on ne serait pas en présence d'un fait
illicite international.
Si l'on s'attache donc à rechercher les aspects juridiques
que peut prendre, en droit des gens, la distinction des faits
illicites en faits d'action et faits d'omission, on voit s'en
manifester un premier par rapport à la question du lien de
causalité. Si, dans les délits internationaux d'événement,
la causalité do l'action par rapport à l'événement est une
causalité naturelle, on n'en peut dire autant de la causalité
de l'omission. L'action de l'aviateur qui lance une bombe
sur un hôpital ennemi est sans doute la cause, au sens natu-

t. V. Carnelutli, Teoria generale, p. 21!t, note; Sistema, p. 104; et surtout


(irispigni, L'omissione nel diritto penale, extr. de la Rivista italiana di
diritto penale, 193Î, p. 20 et sniv.
{&>) ESPÈCES DIFFERENTES 503

rol, de l'événement des dommages subis par l'hôpital. Mais


le fait que les forces de police présentes restent inactives
en face du meurtre d'un étranger par une foule furieuse ne
peut évidemment être considéré, d'un point de vue naturel,
comme la cause de l'événement du meurtre. L'abstention
illicite dans ce cas ne peut avoir constitué qu'un défaut
d'obstacle à l'événement, puisque la conduite contraire à
celle qui a été suivie, à savoir l'intervention active de la
police, aurait pu empêcher que l'action de la foule (cause
naturelle) produisît la mort de l'étranger (événement). On
voit par là le caractère délicat que peut prendre le problème
ilo la causalité par rapport à ces délits internationaux d'évé-
nement qui sont en même temps des délits d'omission,
c'est-à-dire précisément par rapport aux violations de ces
obligations juridiques de provenir et de sauvegarder, qui
tiennent tant de place dans le droit des gens. Tandis que
dans les faits d'action il s'agira simplement d'établir si
une relatio» naturelle de cause à effet subsiste entre l'action
du sujet et l'événement, dans les délits d'omission au con-
traire il sera nécessaire de juger d'abord si une intervention
éventuelle de l'action attendue du sujet dans le cas concret
aurait pu éviter l'événement. C'est seulement si l'on peut
donner une réponse affirmative à cette question que la con-
duite suivie pourra être imputée à l'Etat comme fait illicite
international. Il doit donc subsister une relation entre la
conduit© suivie et l'événement même dans les délits d'omis-
sion : seulement il ne s'agit pas alors d'un lien de causalité
naturelle. Cette relation ne peut prendre l'aspect de causalité
que d'un point de vue normatif, c'est-à-dire lorsqu'une règle
juridique attribue à l'obstacle faisant défaut un sens tel
qu'on puisse considérer juridiquement l'événement comme
un effet de l'omission. Ce n'est évidemment que sur cette
base que l'on peut parler de causalité de l'omission inter-
nationale, en entendant par là une causalité purement juri-
dique ou normative.
Mais il est encore un autre aspect de la distinction dont
on traite ici, qui peut avoir une certaine importance dans le
domaine du droit des gens, et qui mérite par là d'être mis
5<M J?. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (90)

en lumière. On a vu que le délit est un fait juridique carac-


térisé par une valeur juridique particulière, qui consiste à
donner lieu à une obligation de réparer incombant à son
auteur, ou bien à une faculté d'autrui de lui infliger une
sanction. Or, pour ce qui a trait à l'obligation de réparer, il
est notoire que la doctrine et la jurisprudence internationa-
les sont d'accord pour affirmer que, chaque fois qu'un délit
international se produit, le premier devoir pour l'Etat cou-
pable est de pourvoir à rétablir la situation qui aurait existé
si le fait illicite ne s'était pas réalisé, à condition — bien
entendu — que ce résultat pût être matériellement obtenu,
et qu'il ne soit donc pas nécessaire de recourir à une répa-
ration par équivalence 1 . C'est justement par rapport à la
nature de cette obligation primaire de l'Etat coupable d'un
fait illicite, de pourvoir à créer la même situation qui aurait
existé sans le délit, que la distinction entre le délit d'action
et le délit d'omission paraît revêtir un relief particulier.
Qu'on fasse d'abord l'hypothèse de l'infraction d'un devoir
d'agir. Dans ce cas, il est évident que la règle juridique
internationale voulait qu'un changement dans le monde
extérieur se produisît, changement qui — illicitement — ne
s'est point réalisé. Il en résulte que l'obligation de réaliser
la même situation qui aurait existé sans l'illicite se traduit
précisément dans l'obligation de créer exactement le change-
ment prévu par la règle violée. Il n'est pas utile de discuter
ici si cette obligation est exactement la même qui existait
auparavant et qui survit, ou si au contraire — comme il
semble plus exact — elle est une obligation nouvelle de
contenu identique à la précédente qui s'est éteinte à la suite

i. En ce qui concerne ce devoir fondamental, cependant, la doctrino est


partagée entre les auteurs qui représentent le devoir même comme un effet
typique et propre du fait illicite, comme uno obligation ex delieto (y. Liszt,
Das Völkerrecht, p. 287; Anzilotti, Corso, p. 4(V7 et suiv.; Strupp, Das völkc.rr.
Delikt, p. 209 et suiv.; de Visscher, La responsabilité, p. 118, qui appelle
cette obligation réparation directe, par opposition avec la réparation par
équivalence qu'il baptise indirecto; C. P. J. I., /lirais n° 8, p. 28; n° 13, p. 47);
et les auteurs qui y voient au contraire seulemont la persistanco de l'obli-
gation juridique primaire qui préexistait au délit et qui a été enfreinte
(v. Balladore-Pallieri, Gli effetti dell'atto illecito, p. S et suiv.; Fodo/.zi,
Trattato, p. íiíS).
(gì ) ESPÈCES DIFFERENTES 5°5

du délit, et à laquelle elle s'est substituée. Ce qui est impor-


tant, c'est qu'en tout cas ici le contenu et la nature juridique
de l'obligation qui incombe à ITtat^counable sont toujours
les mêmes : il s'agit toujours d'une obligation de faire, et
de faire toujours la même action. Cela en laissant de côté
naturellement toute autre obligation ultérieure de dédom-
magement qui pourrait encore naître du délit. Un Etat qui
s'est obligé à effectuer la remise à un autre Etat d'une chose
déterminée reste évidemment obligé par la suite d'effectuer
toujours la même remise. En cas de fait illicite d'omission,
on peut donc dire que l'obligation juridique fondamentale
de réaliser la situation qui aurait existé si le délit ne s'était
pas produit peut s'analyser en une obligation à Y exécution
spécifique.
La situation est, au contraire, différente dans le cas de
délit d'action. Dans cette hypothèse, l'obligation enfreinte
est une obligation de s'abstenir : par là, se produit dans le
monde extérieur un changement que la règle internationale
violée voulait justement empêcher. L'obligation de rénMser
la situation qui aurait existé sans le délit ne se traduit donc
pas ici dans l'obligation de tenir la même conduite d'omis-
sion qui était demandée par l'obligation enfreinte : bien au
contraire, elle se pose comme un devoir d'action avant, nour
but de réduire à néant toutes les conséquences fâcheuses de
l'action illicitement commise. L'obligation antérieure de ne
pas faire est remplacée par une obligation nouvelle et diffé-
rente de faire. L'Etat qui a occupé illicitement le territoire
d'un autre Etat n'a plus simplement cette obligation géné-
rale et négative de tous les Etats tiers par rapport à un droit
de souveraineté : il a, en outre, l'obligation spécifique et
positive de restituer, de remettre le territoire occuné. et
d'éliminer toutes les conséquences de l'occupation illicite.
A la différence du fait illicite d'omission, le délit d'action,
en tant que violation d'une oblieation juridique d'absten-
tion, opère donc une transformation radicale de l'obligation
préexistante violéo, puisqu'à un devoir juridique d'absten-
tion il substitue un devoir nouveau et concret d'action, le
devoir de rétablir la situation préexistant au délit, l'obliga-
So6 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (92)

tion à la restitutio in integrum. Et cela naturellement, en


laissant toujours de côté la naissance d'autres obligations
éventuelles de dédommagement ultérieur, ou de l'obligation
de réparer par équivalence lorsque le rétablissement de la
situation antérieure au délit n'est plus possible. L'exécution
spécifique d'un côté, la restitutio in integrum de l'autre,
représentent donc l'objet typique propre de l'obligation
juridique qui incombe respectivement à l'auteur d'un délit
d'omission et à l'auteur d'un délit d'action. Et c'est préci-
sément dans la position opposée où l'exécution spécifique et
la restitutio in integrum viennent se placer par rapport à
l'obligation juridique enfreinte que paraît se trouver préci-
sément le relief juridique le plus important que peut pren-
dre la distinction des deux espèces de délit dans le droit
international.

3. — Si, comme on vient de le voir, la distinction entre


les faits illicites internationaux d'action et d'omission peut
revêtir une importance particulière, surtout en ce qui con-
cerne l'effet juridique du délit, une autre distinction, beau-
coup plus marquante encore, doit être établie dans le
domaine des faits illicites internationaux. Il s'agit d'une
distinction qui trouve, elle aussi, sa raison d'être dans des
différences d'aspect de l'élément objectif du fait illicite inter-
national, et plus particulièrement — quoi qu'on puisse en
penser si l'on s'arrête seulement à la terminologie apparente
qu'il semble opportun d'adopter — dans la nature différente
des obligations internationales enfreintes : nous voulons par-
ler de la distinction entre délits internationaux simples et
délits internationaux complexes. C'est une distinction qui,
à la différence des autres distinctions vues jusqu'à présent,
n'est pas commune aux différents ordres juridiques, mais
spécifique du droit des gens, car elle est une conséquence
de la nature particulière des sujets de ce dernier et du carac-
tère des obligations qu'ils peuvent contracter. Il faut donc
s'y arrêter particulièrement. Pour bien comprendre ce qui
va suivre, il faut bien avoir dans l'esprit que le droit inter-
national, lorsqu'il pose des conditions juridiques pour l'Etat,
(M) ESPÈCES DIFFERENTES S<>7

n'est pas, la plupart du temps, intéressé à ce que l'Etat


déploie une certaine activité spécifiquement déterminée,
mais plutôt à ce qu'un certain but, un certain résultat, soit
atteint 1 . En raison de ce fait, il arrive souvent que, si une
certaine règle du droit international, coutumière ou conven-
tionnelle, établit certains devoirs pour l'Etat, il n'en dérive
pas nécessairement pour ce dernier l'obligation directe
d'exercer une activité déterminée, en se servant d'organes
spécifiquement indiqués. Il en découle uniquement l'obli-
gation d'exercer une activité quelconque, par les moyens que
l'Etat croit les plus opportuns, pourvu que ce soit une acti-
vité propre à assurer effectivement et en tout cas la réalisa-
tion du but poursuivi par la règle du droit international.
« En règle générale, dit Anzilotti 2 , le droit international
n'établit pas les moyens par lesquels l'Etat doit assurer
l'exécution de ses devoirs... Le besoin de respecter, comme
de raison, la liberté intérieure de l'Etat veut que les com-
mandements du droit international soient d'ordinaire assez
indéterminés : ils doivent indiquer- le résultat à obtenir,
tout en laissant à l'Etat le choix des moyens propres à l'at-
teindre. C'est pour cela que, la plupart du temps, l'Etat fait
moins des actes prescrits par le droit international que des
actes qu'il a lui-même librement choisis comme étant les
plus propres à assurer l'exécution de son devoir envers les
autres Etats. »
Cela n'empêche évidemment pas qu'il y ait des règles
internationales qui s'adressent à l'Etat pour lui demander
directement l'exercice d'une activité spécifiquement indi-
quée, c'est-à-dire pour lui imposer l'exécution d'un certain
acte législatif, administratif, ou judiciaire. Mais certaine-

1. V. Triepel, Valken-echt u. Landesrecht, p. 296; Donati, / trattati, p. 343.


t. La responsabilité, p. 23 et auiv. V. aussi de Visscher, La responsabilité,
p. 91 : « La seule chose qui importe (lu point de vue international, c'est que
l'obligation qui incombe à l'Etat reçoive uno exécution effective; il est, par
contro, absolument indifférent que ce but soit atteint par le vote d'une loi,
par L'émission d'un décret ou par tout autre procédé autorisé par le droit
public interne; peu importe aux Etats étrangers le choix des moyens par
lesquels le eo-contractant se met en mesure d'exécuter ses obligations inter-
nationales : lo droit international ne considère ici que le résultat a
atteindre, P
5o8 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (94)

ment, le plus souvent — et cela tout particulièrement dans


le domaine des obligations relatives au traitement des étran-
gers —, le droit international respecte la liberté intérieure
de l'Etat, et se borne à lui demander un certain résultat, en
laissant à l'Etat le soin d'y atteindre par les moyens qu'il
choisira. La seule condition que le droit international pose
dans cette hypothèse, c'est que le résultat voulu soit atteint,
d'une façon ou de l'autre, et par là l'observation de l'obli-
gation internationale assurée. Car l'un des principes les plus
sûrs, dans la doctrine aussi bien que dans la pratique inter-
nationale, c'est qu'un Etat ne peut pas se prévaloir des
défauts de son organisation intérieure pour se soustraire à
l'observation dé ses devoirs internationaux.
Par conséquent, on peut établir, en règle générale, dans
le droit international, la possibilité de deux types différents
d'obligations juridiques, suivant qu'il est nécessaire ou non
d'user de moyens spécifiquement déterminés pour leur exé-
cution. Et corrélativement — ce qui nous intéresse plus
directement —, nous pouvons établir la possibilité de deux
modes différents de réalisation d'un fait illicite internatio-
nal. Le premier mode sera caractérisé, s'il s'agit d'un .délit
d'omission, par le fait de ne pas avoir exercé l'activité qui
était spécifiquement demandée; et s'il s'agit d'un délit d'ac-
tion, par le fait d'avoir exercé l'activité qui était spécifique-
ment défendue. Le deuxième mode, au contraire, sera carac-
térisé, en toute hypothèse, par la circonstance que le résul-
tat concrètement voulu par l'obligation internationale n'n
pas été finalement atteint.
Il faut maintenant considérer plus particulièrement cette
double possibilité pour arriver au point qui intéresse ici.
L'obligation internationale, dont on supposera l'infraction,
peut consister, avant tout, on vient de le dire, dans l'obli-
gation à une conduite qui doit être nécessairement exercée
dans certaines formes et par des organes déterminés. Il peut
s'agir d'une obligation à une conduite active, par exemple
à une conduite des organes législatifs, comme c'est le cas
dans l'article 1er de la Convention antiphyllovériqno du
3 novembre 1881, qui obligeait les Etats contractants à légi-
(95) ESPÈCES DIFFÉRENTES 5°»

férer sur la matière indiquée; ou bien à une conduite des


organes administratifs et même des organes judiciaires,
comme dans le cas, par exemple, d'un arrêt de condamna-
tion demandé contre les auteurs d'un certain fait. Il peut
s'agir aussi d'une obligation à une conduite d'omission, telle
que la prohibition expresse d'établir une certaine loi, ou
d'exercer le droit de visite sur certains navires, ou encore
de soumettre une certaine question à la juridiction locale.
Dans toutes ces hypothèses, si la loi demandée n'est pas
prise, si l'arrêt de condamnation est remplacé par une déci-
sion d'acquittement, si les navires ont été soumis à visite,
etc., il est hors de doute que la conduite suivie constitue
une infraction directe de l'obligation juridique internationale
existante, et que, si toutes les autres conditions requises
sont réalisées, on se trouve en face d'un fait illicite inter-
national.
Mais on a dit que, plus fréquemment, l'obligation interna-
tionale incombant à l'Etat se borne à l'obtention d'un résul-
tat donné, l'Etat étant laissé libre du choix des moyens qu'il
croit les mieux indiqués à cette fin. Même en ce qui con-
cerne cette hypothèse, il faut distinguer deux cas différents.
Il se peut avant tout que l'Etat soit laissé tout à fait libre
dans la détermination, des moyens par lesquels il entend
réaliser l'exécution d'une obligation internationale, et qu'il
puisse par là décider discrétionnairement s'il préfère recou-
rir à l'activité de certains organes plutôt que d'autres; mais
que la situation soit par ailleurs telle que, si l'un des orga-
nes pouvant exécuter l'obligation tient une conduite con-
traire à celle tendant au résultat demandé, il devient sou-
dain impossible d'atteindre le même résultat par l'activité
d'autres organes. Un fait semblable peut se vérifier, par
exemple, en raison de la nature même du résultat prévu par
l'obligation internationale. Qu'on pense à l'hypothèse d'un
manquement de l'Etat à son devoir d'exercer une certaine
surveillance pour éviter que des étrangers subissent des
lésions injustes. L'Etat dispose certainement, dans cette
matière, du pouvoir discrétionnaire le plus étendu pour ce
qui concerne la détermination des moyens par lesquels il
S io R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL fe¿)

entend réaliser le minimum de protection préventive des


étrangers requis par le droit international.*. Mais il est aussi
évident que, lorsque les moyens choisis ne réussissent pas
dans la pratique à réaliser ce minimum, lorsque, en d'autres
termes, à l'occasion d'un dommage injuste supporté par on
étranger, on doit constater une insuffisance dans l'activité
de prévention de la part des organes qui en étaient chargés,
toute possibilité de parvenir autrement à l'effet demandé
par l'obligation internationale est nécessairement exclue, et
l'on est forcé de conclure alors à l'existence d'un fait illicite
international. L'exemple pourrait se reproduire pour tous
les cas où le résultatque le droit international voulait attein-
dre était d'éviter que se produise un événement irréparable
de par sa nature même. La même situation peut encore se
réaliser pour des raisons qui ne sont pas imputables à la
nature du résultat requis par l'obligation internationale,
mais plutôt à la structure de l'organisation interne de l'Etat.
Si, par exemple, l'organe qui tient une conduite contraire
à la réalisation de l'effet voulu par le droit international est
un organe du pouvoir législatif, on devra normalement
exclure la possibilité que le même effet soit atteint par la
conduite d'autres organes, sauf dans le cas, bien rare/où le
pouvoir judiciaire a le pouvoir d'annuler des actes législa-
tifs. L'obligation de respecter la propriété des étrangers est
un exemple typique des obligations qui, pour être exécutées,
ne requièrent nullement l'activité de certains organes plutôt
qué d'autres. Mais si une expropriation sans indemnité des
étrangers est établie dans un pays par une vraie loi de réqui-
sition 2, l'on ne pourra pas raisonnablement espérer que

1. Sur la nature et l'étendue de cette obligation,' v. Borchard, The Diplo-


matic Protection, p. 217; Eagleton, The Responsabilité, p; 87 et suiv., 118;.
Bouvé, Quelques observations sur lá mesure de la réparation due en certains
cas par l'Etat responsable, Bévue de dr. int. et de lég. comp., 1930, p."871
et suiv.; Vordross, Règles générales concernant le traitement des étrangers,
Recueil des Cours de l'Académie de Droit international, 1931-ITI, p. 387 et
suiv.; Quadri, La sudditanza nel diritto internazionale, Padoue, 1936, p. MS
-et suiv.
S. On peut considérer comme cas classiques celui de la requisition dés
biens des corporations religieuses au Portugal, jugé les 2-4 septembre 1920
par la Cour permanente d'Arbitrage; et celui de la réquisition des navires en -
construction dans les chantiers américains pour le compte de ressortissants
norvégiens, jugé par la même Cour le 13 octobre 1922.
(97) ESPÈCES DIFFERENTES ¿i-r

l'exécution de l'obligation soit réalisée par l'activité d'or-


ganes autres que le législatif. Il en est de même dans les
hypothèses où l'activité qui a réalisé un résultat contraire à
celui qui était dû se concrétise dans une mesure du pouvoir
exécutif non passible d'annulation ou de réformation de la
part d'un autre organe étatique, ou dans une décision du
pouvoir judiciaire contre laquelle il n'existe aucune voie de
recours *, ou encore dans une mesuro administrative ou judi-
ciaire qui ne fait qu'appliquer une loi obligatoire, etc. La
situation est toujours la même, bien qu'elle soit due à des
raisons différentes : dans tous les cas que l'on a envisagés,
il suffit que se produise une seule conduite d'un organe de
l'Etat contraire à la réalisation du résultat final demandé
par une obligation internationale, pour que ce résultat
devienne par là même impossible à atteindre, et pour que
l'on doive constater, par conséquent, un fait illicite inter-
national bien défini.
Le moment paraît venu maintenant de dégager le carac-
tère commun qui se présente dans les différentes hypothèses
de délits internationaux jusqu'ici considérées. Qu'il s'agisse
du cas où une obligation qui demandait une action ou une
omission spécifiquement déterminée de la part d'un organe
a été enfreinte par le seul fait que cet organe n'a pas exercé
l'action ou observé l'omission; qu'il s'agisse au contraire dû
cas où une obligation demandant tout simplement la réali-
sation d'un certain but a été Violée par le fait que, par suite
de l'action ou de l'omission d'un organe, ce but n'est plus
réalisable, le caractère commun demeure toujours celui-ci :
il existe un fait illicite international dont l'élément objec-
tif, celui de la conduite lésant une obligation juridique, est
représenté par une action ou par une omission unique due à
un seul organe (en entendant naturellement par organe un
office et non une simple personne physique, de manière que
l'unité de la conduite ressort même si elle résulte matériel-

i. Pour un example récent et intéressant, où la voie de recours existante


n'offrait pas la possibilité d'une révision de la valeur de la décision, v. iu
décision de l'arbitro dans l'affaire des Finnish Vessels, Londres, 1934, p. 65
et suiv.
512 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (98)

lement de l'action ou de l'omission de plusieurs personnes).


Ce sont précisément ces hypothèses, dans lesquelles le droit
international impute à un sujet un délit international en
présence d'une situation objective constituée par une action
ou par une omission unique, que l'on croit devoir baptiser
délits internationaux simples, pour les distinguer des .autres
qu'on va examiner maintenant.
Contrairement aux hypothèses étudiées jusqu'ici, il se peut
encore que, par suite de la liberté laissée par une obliga-
tion internationale à l'Etat quant au choix des moyens pour
atteindre le résultat cherché, ce dernier ne devienne pas défi-
nitivement irréalisable à la suite d'une seule conduite con-
traire à sa réalisation tenue par un organe, de l'Etat; il se
peut que le même résultat puisse être encore atteint grâce à
la conduite d'autres organes, qui, par leur action, effacent
les conséquences de la conduite du premier. Naturellement,
pour que cela se produise, plusieurs conditions doivent être
réalisées. Il faut que le résultat à atteindre ne soit pas de
nature telle qu'il devienne définitivement irréalisable à la
suite d'une seule conduite contraire à sa réalisation; et il
faut aussi que l'organisation juridique interne prévoie la pré-
sence d'organes doués de la capacité requise pour pouvoir
réaliser complètement le but visé par l'obligation interna-
tionale, malgré l'obstacle interposé par le premier organe.
Cela sera particulièrement exceptionnel, comme on l'a dit,
dans le cas où l'auteur de la première conduite incriminée
serait le pouvoir législatif lui-même. Au contraire, cela sera
souvent possible si l'auteur de cette conduite est un organe
administratif ou judiciaire, étant donné que le droit interne
des Etats civilisés prévoit normalement des moyens de re-
cours contre les lésions perpétrées par les autorités adminis-
tratives, et surtout contre les décisions injustes de l'autorité
judiciaire.
Si, par exemple, l'autorité administrative refuse ou bien
retire à un étranger la faculté d'exercer une certaine activité
qui devait lui être concédée ou maintenue en vertu d'un
traité, si l'autorité de police nie à des étrangers la liberté
de résider en un lieu déterminé, ou la liberté d'association,
(99) ESPÈCES DIFFERENTES 513

ou la liberté de professer une religion donnée, ou la liberté


d'avoir des écoles nationales, etc., tandis que des disposi-
tions internationales conventionnelles donnaient à l'Etat
national de ces étrangers un droit subjectif à prétendre que
ces libertés leur fussent garanties : il y a là autant d'exem-
ples dans lesquels on ne peut encore parler d'une impossi-
bilité absolue d'atteindre le but visé par l'obligation inter-
nationale. Car ce même but pourra tout de même être
entièrement réalisé s'il y a dans le pays une autorité admi-
nistrative hiérarchiquement supérieure, ou une juridiction
administrative, ou un tribunal ordinaire ayant la compé-
tence et la possibilité matérielle d'annuler l'acte de dénéga-
tion ou de révocation de la licence, ou de rapporter la prohi-
bition de résidence ou d'association, ou d'éliminer les obsta?-:
des mis à l'exercice de la religion ou au fonctionnement des
écoles, etc. '. De même encore, si un tribunal de première
instance applique à certains rapports concernant un étranger
une loi différente de celle que prescrit d'appliquer la stipu-
lation d'un traité, ou si le même tribunal met des obstacles
au déroulement normal d'un procès intenté par un étranger,
l'on ne pourra dire que l'obligation conventionnelle d'appli-
quer une certaine loi à des cas donnés, ou l'obligation géné-
rale de concéder aux étrangers la protection judiciaire due,
ait été définitivement violée, s'il existé un tribunal supérieur
pouvant réellement réformer la décision incriminée.
Dans toutes ces hypothèses donc, l'on ne peut encore dire,
on présence d'une certaine conduite d'un organe contraire
à la réalisation du but visé par une obligation internatio-
nale, qu'un vrai fait illicite international, parfait et défi-
nitif, soit imputable à l'Etat. Si les organes de ce dernier
qui ont encore la possibilité de réaliser la situation voulue
par le droit international y pourvoient effectivement, alors
tout ce que demandait le droit international sera acquis,
étant donné que, comme on l'a remarqué, on est dans un

1. Naturellement, il faut que les actes incriminés no constituent paB l'exé-


cution ou la conséquence nécessaire d'une loi interne, car autrement la
possibilité d'uno révision de la part d'autres organes lerait généralement
défaut.
II. — 193». 33
514 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (too)

domaine où le contenu de l'obligation internationale con-


siste exclusivement dans l'obtention d'un certain résultat
final, toute liberté de choix étant laissée à l'Etat quant aux
moyens d'y parvenir. C'est seulement lorsque les autres orga-
nes, qui pourraient encore réaliser l'effet voulu par une
règle internationale, faillissent eux aussi, que l'existence
d'un fait illicite international bien caractérisé pourra être
affirmée. Ce fait illicite — et c'est ici le côté important et
caractéristique de la situation —, une fois qu'il a été com-
mis, apparaît comme étant constitué par toute l'infraction
complexe de l'obligation de réaliser le résultat voulu par la
règle internationale. Il sera, en conséquence, composé non
seulement par l'action du premier ou du dernier des organes
qui auraient dû pourvoir & réaliser la situation internatio-
nalement requise, et qui ne l'ont pas fait, mais justement par
l'effet réuni de la conduite de chacun de ces différents orga-
nes : telle est l'hypothèse, telle est la notion du délit inter-
national complexe.
Cette notion du délit complexe, distingué d'avec le délit
simple, revêt en droit international une très grande impor-
tance, surtout parce qu'elle permet seule d'expliquer d'une
façon satisfaisante la nature et la portée exactes de ce prin-
cipe bien connu du droit international concernant le traite-
ment des étrangers qu'est la règle de l'épuisement préala-
ble des voies de recours internes, ou, comme disent les
Anglo-Saxons, la local redress rule. Il n'est malheureusement
pas possible ici de s'attarder à examiner la nature de cette
règle, et surtout à analyser les nombreuses théories déve-
loppées à son égard. Nous renverrons pour cela à notre étude
particulière sur ce point *, et nous nous bornerons à rappe-
ler que l'étude de toutes les hypothèses où la règle a été
invoquée permet de conclure qu'elle a pour valeur fonda-
mentale d'affirmer que, dans le domaine des dommages cau-
sés aux étrangers, l'intervention diplomatique de l'Etat
national de l'individu endommagé n'est légitime que si l'on

1. V. Apo, La regola del previo esaurimento dei ricorsi interni in tema éi


responsabilità internazionale, Archivio di diritto pubblico, 1938, p. 181 et
sniv.
(ioi) ESPÈCES DIFFÉRENTES 5»5
est en présence de l'infraction d'une obligation internatio-
nale de l'Etat, à savoir d'un fait illicite international *. Cette
valeur fondamentale entraîne deux corollaires : le premier,
le plus simple et le plus apparemment évident, c'est qu'il
ne peut être question d'une responsabilité internationale de
cet Etat, ni par conséquent d'une intervention de l'Etat
national du particulier lésé, lorsque le traitement infligé &
un ressortissant étranger ne constitue qu'une simple infrac-
tion de la loi interne, commise soit par un particulier, soit
même par un organe de l'Etat. C'est seulement lorsqu'à la
violation de la loi interne s'ajoutera une violation d'obliga-
tion internationale résultant de déni de justice, ou plus
exactement du manquement de l'Etat au devoir qu'il a envers
l'Etat national de l'étranger d'octroyer à l'étranger une pro-
tection judiciaire adéquate, que ce dernier Etat sera justifié

1. Ce principe répond à la nécessité de distinguer la responsabilité inter-


nationale do l'Etat, lorsqu'il y a tort international, de sa responsabilité
purement interne, lorsqu'il y a violation d'une obligation juridique interne;
il a été savamment mis en lumière par Anzilotti, Teoria generale, p. 138;
et Corso, p. 462 et suiv.
C'est en ce même principe que réside également la part de vérité que
ronforme cette doctrine sur la règle de l'épuisement des voies de recoure
internes suivant laquelle la responsabilité internationale en matière do
traitoment des étrangers, et, par là, le droit d'interposition diplomatique,
ne pourrait surgir qu'à la suite d'un déni de justice. Une telle doctrine a été
élaborée notamment par Borchard, The Diplomatie Protection, p. 817 et suiv.;
Theoretical Aspects, p. 233 et suiv., 839 et suiv.; et on la retrouve dans le
projet de I'tfaruard Law School, dans le rapport Strisower fait h la session
de Lausanne de 1027 de l'Institut de Droit international, il an a les rapports
Borchard à Cambridge (1931) et Borchard-Hrauss à Oslo (I03S). La même
théorie a aussi été affirmée par Alvarez dans sa « Déclaration des grands
principes du droit international », approuvée par l'Académie diplomatique
internationale, l'Union Juridique Internationale et l'International Law Asso-
ciation (v. Alvarez, Ex-posé des motifs et déclarations des grands principes du
liroit international moderne, 2e éd., Paris, 1938; et enfin adoptée par la
majorité des auteurs, de lloijer à Dumas, a Moeller, a Durand, a Beckett, a
Witenberji, a Brierly ot à Verdross, etc.
Lo défnut de cette doctrine est de ne pas avoir tiré toutes les conséquences
du principe dont elle était partie, et d'avoir perdu de vue le vrai sens de
la règle, si bien qu'elle a fini par négliger le fait que dans bien des cas,
nulloment exceptionnels, la lésion causée à l'étranger n'est pns uniquement,
ou même n'est pas du tout, une violation du droit international, mais bien
une infraction d'une obligation internationale de l'Etat, sans qu'il soil
nécessaire qu'il ait été fait usage des voies de recours interno ot qu'un
déni de justice se soit produit. Pour des considérations plus développées et
des renseignements plus étendus, v. Ago, La regola del previo esaurimento,
Archivio di diritto pubblico, p. 194 et suiv., 203 et suiv.
Si6 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (102)

h intervenir 1 . Le deuxième corollaire, plus important mais


plus difficile à formuler, dans lequel la notion du délit inter-
national complexe prend toute son importance, envisage jus-
tement les cas dont on vient de parler, où il existe pour
l'Etat une obligation internationale d'obtenir, par les
moyens dont on le laisse juge, un résultat final déterminé
quant au traitement des ressortissants d'un certain pays.
Pour ces hypothèses, le sens propre de la règle de l'épui-
sement préalable des recours internes est plus exactement
le suivant : si un organe de l'Etat internationalement obligé
accomplit un acte non conforme à la tâche d'obtenir le
résultat dû, et cause par là dommage à un particulier étran-
ger, cet acte ne suffit pas pour fonder l'Etat national de la
victime du dommage à affirmer la responsabilité internatio-
nale de l'Etat auquel appartient l'organe; il faut encore
qu'il soit établi que son ressortissant ne peut plus obtenir
la réalisation de ce résultat par l'appel à d'autres voies de
l'ordre juridique interne; en d'autres termes, il faut que le
fait illicite international complexe soit réalisé dans tous ses
éléments. C'est là le sens véritable et la portée extrême-
ment importante de la local redress rule, tels qu'on peut les
dégager«en étudiant à la lumière des principes fondamen-
taux du droit international ses cas d'application, et même
les innombrables cas considérés à tort comme faisant excep-
tion à la règle, alors que, la valeur de cette règle étant bien
exactement comprise, ils doivent être rangés parmi les cas
d'application normale des principes mêmes sur lesquels elle
est fondée 2 . Et il est évident qu'il s'agit d'une règle concer-
nant le fond, la substance de la responsabilité internatio-
nale, et non d'une règle de procédure, comme l'ont consi-
dérée certains auteurs qui ne pouvaient en saisir la nature

1. C'est ce qui a été justement afirmé par Castberg, La compétence des


tribunaux internationaux, Revue de dr. int. et de lég. comparée, 1928,
p. 315 et suiv.; par Salvioli, La jurisprudence de la Cour permanente de
Justice internationale, Recueil des Cours de l'Académie de Droit, internatio-
nal, 1926-11, p. 14; par Guerrero, Supplement to the American Journal of
Int cm. Law, XX, 1926, p. 181 et suiv., 201 et suiv.; et Académie diplomatique
internationale, Séances et travaux, 1928-III, p. 22 et suiv.
î. V., pour une analyse critique, notre étude, La regola del preoio esauri-
mento, p. 243 et suiv.
(i03) ESPÈCES DIFFÉRENTES 517

réelle, faute de partir de la notion indispensable du délit


international complexe *.
En revenant à cette notion et à sa distinction de la notion
du délit international simple, nous devons encore remarquer
son importance pour la détermination du tempus commissi
delicti. Cette détermination se fera certainement sans dif-
ficulté lorsqu'il s'agit d'un fait illicite simple, le « moment
du délit » étant alors c?lui de l'action ou de l'omission qui
constitue par elle-même l'infraction d'une obligation inter-
nationale de l'Etat. Cette détermination sera beaucoup plus
délicate dans l'hypothèse d'un délit international complexe,
car dans ce dernier cas le moment du délit devra nécessaire-
ment s'étendre à toute la durée do réalisation du fait illicite,
durée qui s'ouvre lorsque s'accomplit la première conduite
contraire au but de l'obligation internationale enfreinte, et
qui s'achève avec la conduite ayant rendu ce même but défi-
nitivement irréalisable. Cette prolongation dans le temps du
tempus commissi delicti joue un rôle particulièrement impor-
tant pour la solution des questions relatives à la détermi-
nation de la réparation due pour un fait illicite international
occasionné par des dommages causés par des étrangers, car
il est évident que si le délit s'étend sur toute la période de
sa réalisation, il faudra faire état des dommages causés dès
la première conduite et non pas limiter la réparation à ceux

1. En effet, certains auteurs (Ilydo, International Law, T, p. 491 et suiv.;


Eaglel.on, The Responsibility, p. OH et suiv.; Strupp, Das võlherr. Delikt,
p. 8t et suiv.; Raestad, La protection diplomatique des nationaux à l'étran-
ger, Revue fie droit international, 1033, p. Ü38 et suiv.; et surtout de Visscher,
Responsabilité internationale des Etats et protection diplomatique, Rev. de
dr. int. et de lèçi. comp., 1917, p. 243 et suiv.; et Le Déni de justice, p. 421
et suiv., etc.), examinant les cas où la conduite d'un organe do l'Etat
s'oppose îi la réalisation du but prescrit par une obligation internationale
de l'Etat, sans qu'il y nit toutefois déni do justice, déclarent que cette
conduite fait naître immédiatement la responsabilité internationale, le tort
international étant pour eux accompli, et il leur faut ensuite, pour expli-
quer l'nppliration de la local redress rule dans ces mêmes cas, imaginer que
le droit d'interposition diplomatique ne serait pas la conséquence néces-
saire de la responsabilité internationale, et que la règle dont on parle serait
tout simplement une rule 0/ practice, une règle de procédure. Ils ne se ren-
dent pas compte que si un vrai fait illicite, international, générateur de
responsabilité internationale s'était produit, il serait évidemment impossi-
ble que des instances purement internes pussent l'effacer et en éliminer les
conséquences. V. encore notre essai : La regola..., p. 227 et suiv.
Si8 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (104)

résultant de la.dernière conduite qui a consommé le délit'.


De même l'on ne saurait négliger ce caractère du délit com-
plexe pour déterminer le caractère national de l'interven-
tion diplomatique d'un Etat 2 .
Enfin, il faudra encore en tenir compte pour une autre
question possible. Il est notoire que, parfois, les Etats n'ac-
ceptent par avance la compétence d'un tribunal internatio-
nal qu'à condition qu'elle soit limitée dans le temps, c'est-
à-dire- aux différends tirant leur origine de faits et de
situations postérieurs à une date déterminée. C'est ce qui
arriva dans les déclarations de la France et de la Belgique
acceptant la juridiction obligatoire de la Cour permanente
de Justice internationale en vertu de l'article 36 du Statut;
et aussi dans l'article I** de la Convention d'Arbitrage entre
l'Allemagne et la France conclue à Locarno le 16 octobre
192b 3 . Pour l'application d'un« clause de ce genre, si par
« faits et-situations » il faut entendre des faits juridiquement
qualifiés, à savoir des faits illicites internationaux, il paraît
évident qu'un fait illicite complexe doit être regardé comme
postérieur à la date critique lorsque 'a conduite qui a rendu
définitive l'impossibilité de réaliser l'effet voulu par la règle
internationale s'est accomplie après cette date, bien que
d'autres actions ou omissions qui ont concouru à constituer
le fait illicite puissent remonter à une époque antérieure.
Avant le dernier acte, le fait illicite n'était, en effet, pas
encore « consommé* » *.

4. La question de la détermination du tempus commissi


delicti dans le droit international nous fournit l'occasion de
passer à l'examen d'une autre distinction susceptible d'être
établie parmi les faits illicites internationaux, et qui a trait

1. Sur cette question, v. Salvioli, Les règles générales de la paix, Recueil


des Cours de l'Académie de Droit international, 1933-IV, p. 182 et suiv..
2. V., a propos du Delagoa Bay Railway Case, de 'Visscher, La responsa-
bilité, p. 11».
3. V., à cet égard : Fischer Williams, The Optional Clause, British Year Book
of international Law, 1930, p. 74 et suiv.; Montagna, La limitazione « ratione
temporis » della giurisdizione internazionale obbligatoria, Scritti giuridici
in onore di S. Romano, voi. IV.
4. v., pour une application de ces principes, nos considérations dans Publi-
cations de ¡a Cour, Série C, n° 88, p. 1228 et suiv.
(ios) ESPÈCES DIFFÉRENTES gi9

aux différents aspects possibles de la conduite contrastant


avec une obligation internationale de l'Etat, distinction qui,
tout comme la précédente, prend éventuellement un relief
juridique particulier : il s'agit de la distinction entre délits
internationaux instantanés et délits internationaux continus.
Les deux catégories de délits existent notoirement dans le
domaine du droit pénal étatique, où la doctrine s'est parti-
culièrement attachée à la différenciation des notions respec-
tives. En général, on insiste sur l'existence possible de deux
types de délits : ceux qui sont constitués par des infractions
qui, une fois accomplies, cessent ipso facto d'exister, sans
pouvoir se prolonger dans le temps; et ceux qui, au contraire,
consistent en des infractions qui, même après le premier
accomplissement, sont de nature à se continuer, identiques
à elles-mêmes, pendant un temps plus ou moins long. La
plupart des délits, homicide, coups et blessures, escroque-
rie, etc., sont rangés dans la première catégorie sous la
dénomination de délits instantanés ou immédiats. D'autres
au contraire, recel de choses, séquestration illégale, port illé-
gal de décorations ou d'arme prohibée, etc., sont compris
dans là deuxième catégorie sous le vocable : de délits conti-
nus, ou même de délits continus successifs, dans la doctrine
française; de reati permanenti, dans l'italienne: de dauer-
vcrbrechen, dans l'allemande; de permanent wrongs, dans
l'anglaise 1 . L'élément essentiel de la distinction se trouve
dans l'instantanéité ou dans la permanence de l'action, ce
qui permet de distinguer clairement aussi les délits continus
vrais et propres, ou continus successifs, d'une catégorie par-
ticulière de délits instantanés, appelés quelquefois délits
continus permanents, et dont le caractère est d'être consti-

t. V., pour toute cette question, dans la doctrine française : Ortolan, Elé-
ments de droit pénal, I, Paris, 18.15, p. 311 et suiv.; Roux, Cour« de droit
criminel français, 2° éd., T, Paris, 1927, I, Paris, p. 132 et suiv.; Garraud,
Précis de droit criminel, ¡i» éd., Paris, 1934, p. 100 et suiv.; — dans l'ita-
lienne : Manzini, Trattato di diritto penale italiano, Turin, 1933, I, p. 870 et
suiv.; Leone, Reato abituale, continuato e permanente, Naples, 1933, p. 388
et suiv.; — dans l'allemande : Liszt, Traité de droit pénal allemand, trad,
fr.. Paris, 1911, I, p 202; Wachenfeld, Strafrecht, Leipzig, 1904, Il Bd, p. 2S9;
Mezner, Stralrecht. p. 177: — dans l'anglaise : Salmond, The Law of Torts,
7* éd., Londres, 1928, p. 341.
520 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (106)

tués par une action instantanée qui ne se prolonge pas elle-


même, mais dont les effets se prolongent, comme dans le
délit d'affichage en lieu prohibé. La séparation des délits
continus et des délits instantanés a une grande importance
en droit pénal surtout par rapport à la prescription, qui
dans les délits continus ne commence à courir qu'à partir
de la cessation de la situation contraire au droit.
Pour revenir au droit international, il paraît certain que
s'y manifeste également l'opportunité de distinguer les deux
types de faits illicites. Il est, en effet, des faits illicites dans
lesquels l'élément objectif de la conduite contrastant avec
une obligation internationale de l'Etat a un caractère immé-
diat, instantané, par exemple l'insulte au drapeau d'une
nation amie, le torpillage d'un navire neutre, etc. Lorsqu'une
action de ce genre est accomplie, c'est-à-dire lorsqu'elle est
devenue parfaite, elle s'est aussi épuisée, et n'existe plus
comme telle. Il est, au contraire, d'autres infractions d'une
obligation internationale qui ont un caractère prolongé dans
le temps, si bien que lorsqu'elles sont devenues parfaites,
tous leurs éléments constitutifs étant réalisés, elles ne
cessent pas pour autant d'exister, mais se continuent, iden-
tiques à elles-mêmes, avec un caractère de permanence. Il en
est ainsi, par exemple, de la création d'une loi contraire au
droit des gens, de la saisie abusive des biens d'un étranger,
de l'arrestation d'un diplomate, d'un blocus illicite, etc. Les
faits de la première catégorie peuvent être qualifiés do délits
internationaux instantanés; tandis qu'aux faits de la
deuxième catégorie on peut donner, avec Triepel, et en s'ins-
pirant de la terminologie correspondante du droit étatique,
le nom de délits continus. Considérant les cas typiques d'un
Etat qui néglige de mettre sa législation interne en harmo-
nie avec les obligations imposées par les traités, Triepel
s'e v nrime justement de la façon suivante : « Si à un moment
donné les Etats sont internationalement obligés d'avoir des
règles de droit d'un contenu déterminé, l'Etat qui les a déjà
viole son devoir s'il les abolit et néglige de les introduire à
nouveau, tandis que l'Etat qui ne les a pas encore viole son
devoir seulement par le fait de ne pas les introduire : tous
(io7) ESPÈCES DIFFÉRENTES 321

les deux commettent d'ailleurs... un völkerrechtliches Dauer-


delikt. » *.
La différence essentielle entre ces deux types de faits illi-
cites internationaux se trouve, comme on vient de dire, dans
hi fait quo, pour les délits instantanés, le moment de leur
accomplissement coïncide dans le temps avec le moment où
ils cessent d'exister, tandis que, pour les délits continus, le
moment où leur existence commence est séparé de celui de
leur épuisement. Il s'ensuit que le « moment du délit », en
ce qui concerne les faits illicites instantanés, sera représenté
par le moment simultané de l'accomplissement et de l'épui-
sement, tandis que pour les délits continus il sera représenté
nécessairement par toute la période comprise entre le com-
mencement et l'achèvement. Un tel fait produira naturelle-
ment ses conséquences pour les effets déjà vus à propos des
délits internationaux complexes 2 . Encore une remarque : si
une conduite essentiellement permanente (par exemple, loi
promulguée, blocus légitime décidé) ne possède aucun carac-
tère illicite lorsqu'elle commence à être observée, mais que,
pendant sa continuation, elle vienne à être qualifiée d'illi-
cite par une règle nouvelle de droit international, elle se
transforme alors, par sa nature même, en un fait illicite,
bien qu'elle ait apparu avant la nouvelle règle. Toutefois,
dans cette hypothèse, le tempus commissi delicti ne s'éten-
dra pas de l'apparition à la cessation de la conduite, il ne
saurait remonter à une époque antérieure à l'intervention de
la règle.

1. V. Triopel, Völkerrecht, u. Landesrecht, p. 288. V. ausai Decendiòre-


Fcrranilièi'o, La responsabilité, p. 93.
2. Une application de ces principes peut se retrouver dans l'arrêt n° 2 du
30 août l!)2i do la Cour permanente (le Justice internationnle, ronrcrnant
Ì'Affaire des concessions Mavrommtmis en Palestine; v. Publications de la Cour,
série A, 2, p. îl.'i et siiiv. Une autre et plus claire application en a été faite
par l'Italie dans la question des Phosphates du Maroc : v. Publications de
la Cour, série C, 84, p. 494 et suiv., Sîii et suiv. Ce point de vue italien était
on substance accepté, en l'espèce, par les juges dissidents Van Eysinga et
Chiong-Tien-Hei; v. Publications de la Cour, série A/13 74, p. 3f> 37. lîn géné-
ral, sur la question, et pour une réaffirmntion de l'applicabilité di- In notion
du délit continu dans le domaine du droit des gens, v. l'étude déjà rappelée
de M. Montagna, La limitazione « ratione temporis », p. 10 et suiv., Iti et suiv.
Saa J?. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (roS)

5. — Avant d'abandonner l'examen de ces distinctions


fondées sur les aspects différents que peut présenter l'élé-
ment subjectif du délit, on pourrait se demander encore s'il
convient d'admettre en droit international certaines de ces
formes composées de délits qui, sous des dénominations
variables, sont assez familières aux différents droits crimi-
nels étatiques. En général, cela paraît assez difficile, car ces
mêmes formes, plutôt que le reflet de la structure intrin-
sèque de certains types de torts, paraissent être l'effet et le
produit de tendances unitaires propres à certaines règles de
droit. Et il ne faut pas oublier que le droit international ne
connaît, en matière de torts, que la seule règle générale
imputant à l'Etat un fait illicite en présence d'une conduite
qui peut lui être rapportée et qui viole une obligation inter-
nationale de cet Etat.
Cette réserve faite, on doit reconnaître pourtant qu'il y a
peut-être lieu d'inclure en droit des gens un type de délit
formé d'une série d'autres délits internationaux, dès lors
qu'on peut imaginer tout un ensemble de conduites dont
chacune lèse une certaine obligation juridique, et qui consti-
tue dans son complexe la violation d'une autre obligation.
Qu'on fasse l'hypothèse d'un Etat s'étant obligé internationa-
lement envers un autre Etat à ne pas soumettre ses ressor-
tissants à des actes d'expropriation, et s'étant engagé
ensuite génériquement envers le même Etat à permettre une
certaine participation de ses nationaux à l'exercice d'une
activité déterminée sur son territoire, par exemple à l'exer-
cice d'une activité minière. Si un tel Etat soumet l'un de
ses ressortissants étrangers à un acte d'expropriation, ou
bien s'il promulgue une loi qui exclut les étrangers de l'exer-
cice de l'activité minière, il commet par là des délits inter-
nationaux dont chacun représente l'infraction d'une seule
obligation internationale : des délits, donc, qui sont intrinsè-
quement des faits illicites uniques. Mais si, au lieu d'em-
ployer un tel procédé, le même Etat préfère suivre une voie
indirecte pour arriver à, cette interdiction d'activité; si, par
exemple, par toute une série d'expropriations individuelles
et successives de propriétés minières, il parvient à exclure
(tog) ESPÈCES DIFFÉRENTES 5^3

matériellement tous les nationaux de l'Etat étranger de


l'exercice de cette branche d'activité qu'il s'était pénérique-
ment obligé à leur laisser ouverte, il paraît évident qu'il
commet non seulement un fait illicite international en cha-
cune des expropriations contraires à son obligation première
de ne pas exproprier, mais encore l'ensemble de ces actes
constitue par ses résultats un autre fait illicite international,
la violation de sa deuxième obligation de permettre l'acti-
vité minière. On se trouve donc, dans cette hypothèse, devant
une forme de délit international composé, dont le caractère
particulier est précisément celui-ci : que la conduite ayant
pour fondement la violation d'une obligation internationale
déterminée est représentée, à son tour, par toute une série
d'infractions à une autre obligation internationale du même
Etat. Une telle hypothèse n'est pas à confondre avec celle
du délit continu, où il y a unité de la conduite avec simple
prolongation dans le temps; pas davantage avec celle de délit
complexe, où il y a pluralité de conduites dont chacune
cependant ne constitue pas à elle seule un fait illicite inter-
national. Dans le délit composé, à la pluralité des conduites
correspond au contraire une pluralité de délits, une plura-
lité d'infractions d'une obligation internationale différente
de celle que viole l'ensemble. Et l'aspect juridique particu-
lier du délit composé paraît concerner, ici encore, le tempus
commissi delicti, qui sera naturellement constitué par lá
somme de tous les « moments du délit » des faits illicites
particuliers qui le composent.
Ce qui paraît par contre inconcevable en droit internatio-
nal, c'est toute forme de complicité, de participation, ou do
provocation au délit. Le droit des gens, dans sa structure
actuelle, ne saurait prévoir ces formes de considération com-
mune de plusieurs sujets par rapport à un seul délit, qui
apparaissent comme l'œuvre caractéristique de l'élaboration
et de la nature du droit pénal étatique. Il est vrai que l'on
pourrait alléguer des cas apparemment douteux : en 1911,
les Etats-Unis d'Amérique invoquèrent la responsabilité de
la Russie pour avoir provoqué, sous la menace militaire, le
renvoi par le Gouvernement persan du ressortissant améri-
524 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (no)

cain Morgan Schuster, chargé de réorganiser ses finances *


Mais le fait que, une fois la réparation librement donnée
par la Perse, les Etats-Unis ont cessé leur action vis-à-vis
de la Russie, montre qu'on visait plutôt à faire de l'espèce
un soi-disant cas de responsabilité indirecte plutôt que de
provocation au délit. Car, en conclusion, il paraît impossi-
ble que le droit international puisse rendre un Etat respon-
sable pour une conduite qui, tout en ayant provoqué maté-
riellement un autre sujet à commettre par son action exclu-
sive un délit international, n'a pourtant en elle-même aucun
des caractères requis pour la qualifier d'illicite.

6. — On a dit, en ouvrant ce chapitre, que la différencia-


tion des espèces particulières de délits internationaux peut
non seulement s'établir en fonction de l'aspect que peuvent
présenter les divers éléments constitutifs du tort, mais encore
d'après le caractère de la valeur juridique attribuée au tort
par le droit, ou mieux, d'après le caractère que l'effet produit
par cette attribution de valeur juridique peut revêtir.
On a vu auparavant qu'à l'égard de cet effet une double
possibilité se présente : qu'il consiste en une obligation juri-
dique de réparer imposée à l'auteur, du tort, ou bien en une
faculté juridique donnée à un autre sujet d'infliger au pre-
mier une sanction. C'est justement à ce double aspect de la
responsabilité que se ramène l'étude de la question, très
importante, de la possibilité de différencier un délit interna-
tional pénal d'un délit international civil, compte tenu du
sens que ces dénominations propres aux ordres juridiques
étatiques peuvent assumer dans le domaine si différent du
droit international.
En effet, la doctrine du droit international paraît être.dans
l'erreur lorsqu'elle nie, en général par simple postulat et
en rapprochant à l'excès le délit international du délit civil
envisagé par le droit étatique, qu'il soit possible de parler de
responsabilité pénale en droit des gens, pour la raison que
ce dernier no connaît pas d'organisation hiérarchiquement

. 1. V. Eouve, Russia's Liability in Tort for Persia's Breach of Contrast.


American Journal of International Law, 1912, p. 389 et sùiv.
(m) ESPÈCES DIFFÉRENTES S2S

supérieure pouvant prescrire une peine et l'appliquer. Dire


que la seule forme d'effet juridique d'un fait illicite interna-
tional serait l'obligation de réparer 1 , et que l'affirmation
d'une responsabilité pénale serait contraire à la nature même
du droit des gens, car ce dernier peut rattacher au tort une
relation entre le sujet coupable et le sujet lésé, mais non
entre le sujet coupable et la collectivité qui n'est pas orga-
nisée, c'est pratiquement faire une confusion assez grave
quant à la détermination des caractères respectifs de l'illi-
cite pénal et de l'illicite civil. La différence entre les deux
formes de tort, même dans le domaine du droit étatique, ne
tient certainement pas au fait que le premier ne donne nais-
sance qu'à un rapport entre le sujet coupable et le sujet lésé,
tandis que le deuxième donne également naissance à une
relation du sujet coupable avec l'Etat. La différence réside
au contraire dans la nature de l'effet dont le droit assortit
le fait qu'il qualifie comme illicite, effet qui est d'une nature
exclusivement executive et réparatoire dans le délit civil,
tandis qu'il a un caractère répressif dans le délit pénal.
L'obligation de réparer, ainsi qu'on l'a vu au premier cha-
pitre de ce cours, se propose de réaliser la situation de droit
qui aurait existé si le délit n'avait pas été commis, ou, du
moins, d'en effacer les conséquences fâcheuses en substituant
au bien perdu un bien équivalent à titre de compensation.
C'est donc une simple fonction de réintégration ou de com-
pensation qui lui ressort, fondée sur l'idée de l'équivalence
économique et sociale. La sanction est d'une nature tout à
fait différente, et ne présente aucun caractère de réintégra-
tion ou de compensation d'un bien perdu. Elle a, au con-
traire, une nature purement afflictive et répressive. C'est la
distinction de ces deux formes différentes de l'effet juridique

i. V. Anzilotti, Teoría, p. 96; Corso, p. 411, 464 (ici pourtant le savant


auteur reconnaît un certain caractère pénal a la satisfaction, que d'antres
comprennent au contraire sous la notion de la réparation lato sensu);
Oppenheim, International Law, I, p. 208 et suiv.; Schoen, Die völkerr. Haf-
tung, p. 22, 122 et suiv.; Strupp, Dàs volle. Delikt, p. 217; Fanohille, Traité,
I, l re part., p. 513 et suiv.; Laïs, Die Rechtsfolgen, p. 19 et suiv.; Verdross,
Règles générales de la paix, p. 403; Le Fur, Précis de droit international
public, 2« éd., Paris, 1933, p. 362 et suiv.; Balladore Palliori, Gli effetti
dell'atto illecito, p. S et suiv.
Sa6 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL ('na)

attribué au fait illicite qui se reflète sur les délits auxquels


elles sont rattachées, et qui permet de distinguer un délit
pénal, c'est-à-dire sanctionné d'une peine, d'un délit pure-
ment civil, c'est-à-dire frappé seulement d'un devoir de.
réparer 1 .
Il est vrai, et on l'a dit, que, dans l'Etat moderne, l'appli-
cation de la sanction est, selon la règle générale, qui souffre
d'ailleurs des exceptions, réservée à l'Etat. Mais à une épo-
que où le droit étatique était organisé d'une façon moins
hiérarchisée et centralisée qu'aujourd'hui, l'application do
la peine par les particuliers était normale, et la sanction
ne perdait certainement pas son caractère répressif et afflic-
tif par ce seul fait d'être appliquée par le particulier lésé
plutôt que par une institution organisée.
Une fois réfutée cette affirmation erronée de la doctrine,
l'on voit que, pour pouvoir parler de responsabilité pénale
en droit international, il suffira d'établir qu'il existe dans
cet ordre juridique des véritables sanctions, c'est-à-dire de»
faits licites, constituant "l'exercice d'une faculté juridique
octroyée par le droit, et ayant aux yeux de ce dernier la
fonction spécifique de réprimer un tort.
Sur ce point aussi, on l'a déjà vu, la doctrine prend géné-
ralement une position négative, même lorsque, par exem-
ple, Anzilotti déclare que la réparation du droit des gens
serait en quelque sorte analogue à la réparation connue dans
certaines formes moins avancées d'organisation sociale,
réparation ayant elle-même le caractère d'une peine 2 . Seul,
à l'extrême opposé, se trouve M. Kelsen, qui, au contraire,
partant de l'idée de l'ordre juridique comme ordre de con-
trainte, arrive au résultat diamétralement opposé do voir
dans un acte de contrainte (représenté par les représailles
et par la guerre) le seul effet juridique possible d'un fait illi-
cite international. L'obligation de réparer ne serait dans ces

1. V. sur ces notions les considérations de Betti, Diritto romano, p. *1!>


et suiv.
8. V. Corso, p. 417. Sur le caractère de la poeno romaine, réparation eu
argent qui ne visait qu'à procurer à la victime une satisfaction ponr \'injuria
subie, v. encore Betti, Diritto romano, p. 431 et suiv.
("3) ESPÈCES DIFFÉRENTES %v,

conditions qu'un devoir subsidiaire, inséré entre le tort et


l'application de l'acte de contrainte, par la loi dans le droit
civil étatique, et par une convention éventuelle entre l'Etat
coupable et l'Etat lésé dans le droit international 1 .
Lorsqu'on les considère, pourtant, à la lumière de la pra-
tique internationale — la seule évidemment qui peut nous
donner une réponse définitive et satisfaisante à cet égard —
on s'aperçoit aisément que ces deux points de vue opposés
sont également fautifs.
Qu'il existe des sanctions dans le droit international, et
des sanctions au sens typiquement répressif et afflictif de ce
terme : qu'il y existe, en un mot, des formes de peine, cela ne
peut point faire de doute, même si on se place sur le terrain
du droit international général, si seulement on réfléchit un
moment sur la nature et la fonction de l'institution classique
des représailles 2 . Ces dernières, en effet, revêtent tous les
caractères d'une peine privée et constituent à tout point de
vue la forme typique et bien définie de la sanction, de l'effet
répressif du délit prévu par le droit des gens. C'est bien à
tort qu'on les considère quelquefois comme des moyens de
contraindre l'Etat coupable à accorder la réparation ou la
satisfaction que d'autres moyens sont impuissants à obtenir
de lui 3 . La possibilité de recourir aux représailles consiste,

t. V. Kelsen, Unrecht, p. 548 et auiv,; B68 et suiv.


9. Il n'y o, au contraire, pas à prendre en considération l'idée, soutenue
par Kelsen, qui voudrait voir une forme do sanction répressive d'un tort
international dans la guerre; idèo qui est liée à toute la conception aprioris-
tique de cet auteur sur la nature de l'ordre juridique, et qui aboutit à fausser
complètement la notion de la guerre sur le plan du droit. La guerre nous
paraît un phénomène complexe de la vie sociale internationale, un phéno-
mène vis-à-vis duquel l'attitude, pour ainsi dire, passive du droit des gens,
se bornant a le discipliner en quelque sorte, mais n'osant pas le prohiber et
l'empêcher, ne peut être expliquée que par la structure actuelle, egalitaire
et décentrée à l'extrême, de l'ordre juridique international Croire que, par
un simple trait de plume, il soit possible de changer les caractères de la
guerre et de lui attribuer une vraie et importante fonction juridique, croire
que l'on puisse faire cadrer un phénomène de ce genre dans une conception
bâtie seulement sur des apriorismos, en le couvrant sous le masque d'une
prétendue sanction do prétendus délits, voila un artifice qui ne peut satis-
faire que des théoriciens ayant perdu le contact avec. la réalité de la vie
sociale.
3. Cette idée est exprimée avec clarté chez les nombreux auteurs qui trai-
tent des représailles : par Oppenheim (International Law, II, 8° éd., Lauter-
528 J?. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (114)

on effet, dans la faculté attribuée à l'Etat illicilemcnt lésé


d'infliger à l'Etat coupable une lésion correspondante. Qu'un
Etat exproprie sans indemnité le ressortissant d'un autre,
Etat en réponse à un fait analogue commis par ce dernier
Etat au détriment d'un de ses nationaux; qu'une ville ouverte
de l'ennemi soit bombardée par réciprocité; qi:e les gaz»
asphyxiants soient employés à la suite d'un emploi ennemi,
voilà autant d'exemples do sanction d'un fait illicite inter-
national qui n'ont vraiment aucun caractère de réintégra-
tion, mais ont au contraire un caractere afflictif et répressif,
un caractère indéniable de peine; qui sont, peut-on dire
aussi, une sorte d'application de la peine du talion dans le
domaino des rapports interétatiques *. Nous n'avons pas,
malheureusement, la possibilité de nous attarder ici sur ce
sujet qui pourrait suggérer des réflexions intéressantes. Mais
ce qu'on a pu dire nous permet d'affirmer que, sans aucun
doute, et contrairement à l'avis de la plupart des auteurs,

pacht, Londrca, lOM, p. 114 et suiv.) : « Reprisais are auch ¡murions and
otherwise internationally illegal acts of one State against another as are
oxceptionnalv permitted for the pnrnose of compelling the latter to consent
to a satisfactory settlement of a differpnee created bv its own international
delinquency »: et mieux encore par Ptrnpp (linn \yollierr. Delilrt, p. 1W et
sniv., 108 et suiv.), suivant lequel il faut entendre par représailles tout acto
de l'Etat lésé dirigé intentionnellement contre l'Ftnt auteur d'un fait ¡"icite,
après sommation demeurée vaine, et suspendant temporairement (insqu'a ce
que le résultat poursuivi par lea repré q ailles soit obtenu) une disposition
quelconque du droit des gens, soit coiitnmier, soit conventionnel. V. aussi
Panchine. Trnit.fi.. T, 3« part., p. fif?0 et sniv.; de Visscher, La responsabilité,
p. 100: Vcrdrnss, Ttïnlcs qfnfi.rah« de la paix, p. 401 et suiv., etc. En parti-
culier, liallndore-Pallieri (Bt'u. intern, pubblico, p. 342) a observé que les
représnilles sont une fin par elles-mêmes Sur lo caractère « strafrechtlich »
des représailles, v. Kelsen, Unrecht, p. ÎÎ71 et suiv.
Naturellement, l'idée quo noua avons avancée présuppose que l'exercice
des représnilles est nécessairement subordonné a l'existence d'un fait illicite
international, comme c'est l'opinion do la maiorité de la doctrine. On ne
saurait donc la concilier avec l'idée d'Anzilotti (Corso, 1915, IH, p. 1RS et
suiv.), (jiii fait des représailles un type de ces moyens coercitifs différents de
la guerre, qu'il croit liciten même pour la sauvegarde d'un simple intérêt,
et non aeulrmcnt en conséquence d'un tort snhi. Contra, v. Cnvaglieri. Note
critiche sulla teoria dei mezzi coercitivi all'infuori della guerra, fìiv. di dir.
intcrnaz., 101K, p. 330 et auiv.
1. L'oxpression « retaliation n est d'ailleurs employée souvent par les
auteurs anplo-saxona pour caractériser les représailles, et on la rencontre
aussi dans la pratique anglaise. V. Oppenheim. International Law, II, p. 11K
»t suiv.; Stowell, International Laxo, Londres, 1031. p. 477 et suir.
(usi ESPÈCES DIFFÉRENTES 5*9

des formes de sanction existent dans le droit international,


et que leur caractère réellement pénal est bien établi.
Si cela est vrai, la théorie de Kelsen, d'autre part, qui
voudrait exclure du domaine des effets juridiques attribués
au délit par le droit international l'obligation de réparer,
nous parait contredite par la pratique des Etatß non moins
clairement que celle que nous venons de critiquer. L'obli-
gation de réparer, à la lumière de cette pratique, ne se mani-
feste pas du tout comme une obligation subsidiaire, ayant sa
source en une convention entre l'Etat coupable et l'Etat lésé,
mais comme une obligation primaire, établie par une règle
coutumière, c'est-à-dire par une règle découlant directement
de la source première et fondamentale du droit internatio-
nal *. Les affirmations en ce sens sont tellement nombreuses
dans la conduite des Etats aussi bien que dans la jurispru-
dence, la conviction générale sur ce point paraît si solide-
ment établie, qu'il n'y a pas besoin d'insister la-dessus, si
ce n'est pour remarquer combien il est dangereux de
s'appuyer sur des apriorismos plutôt que sur l'examen objec-
tif de la réalité lorsqu'il ne s'agit que de décrire et expliquer
cette dernière.
Cela étant dit, et ayant par là reconnu qu'il existe, dans
le droit international, aussi bien des réparations que des
sanctions comme effets passibles des faits illicites interna-
tionaux, il faut toutefois ajouter que cette constatation n'im-
plique nullement à elle seule la possibilité d'établir une
catégorie de délits internationaux civils et une catégorie de

1. A notre point de vue, les sources du droit international se trouvent


rangées sur une échelle, au plus haut degré de laquelle se place la coutume,
source unique du droit international général. Le traité, ou accord, dont la
nature contractuelle ne doit pas être oubliée par le seul (ait qu'on le classe
dans le droit international plutôt que dans le droit interne, n'est qu'une
sourco de droit international particulier, car une règle contractuelle ne
pourrait pas lier un sujet.qui ne l'aurait pas volontairement souscrite. La
règle donnant à l'accord la valeur d'une source, d'un fait de production
juridique, en d'antres termes la règle même trop fameuse pacta sunt ser-
vanda, est une simple règle coutumière, et ne constitue pas du tout la règle
fondamental^ de l'ordre international, à la base duquel se trouve au con-
traire la règle donnant valeur de source à la coutume. L'erreur dans laquelle
une partie si considérable de la doctrine est tombée à ce sujet a été évi-
demment due au préjugé volontariste relativement & la création du droit.
n. — 1939. 34
530 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (n6)

délits internationaux pénaux. Car la conclusion qui se dégage


de l'examen de la pratique internationale paraît plutôt dans
le sens que le droit international tende à rattacher à tout
fait illicite les deux formes d'effet juridique, soit qu'il laisse
ensuite le choix entre la réparation et la sanction à l'Etat
lésé, comme certains voudraient l'affirmer, soit qu'il lui
donne au contraire — ce qaraît beaucoup plus conforme à la
pratique internationale — la possibilité d'appliquer la sanc-
tion répressive seulement devant l'impossibilité patente d'ob-
tenir la réparation due *.
Pour que la distinction qui nous occupe puisse être admise
en droit international, il faudrait établir que ce dernier
connaît des formes de délit auxquelles il ne rattache qu'une
obligation réintégratiye, sans aucune possibilité de répres-
sion, ou vice uersa. On pourrait peut-être se sentir invité par
une conclusion partiellement positivé à cet égard, en pen-
sant à certaines formes de délits prévus par le droit interna-
tional de guerre, par rapport auxquels il est si peu raison-
nablement concevable que la réparation soit obtenue, que la
seule forme d'effet juridique de ces délits se réduit pratique-
ment à la faculté d'infliger, par des représailles, une sanc-
tion à l'Etat coupable. Et, contrairement, on pourrait penser
à la possibilité d'individualiser une catégorie de délits de
moindre importance, relativement auxquels la coutume des
Etats ou des conventions aurait établi que seule une répa-
ration soit possible, en excluant désormais la possibilité de
recourir aux représailles 2 .
Ces hypothèses restent pourtant douteuses, et en tout cas
très limitées, et ce n'est qu'une analyse patiente de lá pra-
tique qui pourrait nous donner une réponse définitive là-
dessus. C'est cette même analyse qui pourrait nous dire si

1. La décision arbitrale du 31 juillet 1928 entro l'Allemagne et le Portugal


concernant la responsabilité de l'Allemagne a raison des dommages eaoBés
dans les colonies portugaises affirmait que le recours aux représailles n'est
licite qu'après essai préalable et infructueux d'obtenir la réparation d'un
tort par les voies légales. V. Revue de droit international, 1929, p. S78.
S. Pour des exemples, quoique pas toujours convaincants, de traités pré-
voyant entre los Etats «»contractants le droit de recourir aux représailles
pour certaines matières, v. Strupp, Eléments du droit international public,
I, Paris, 1930, p. 34C et suiv.
(«7J ESPÈCES DIFFÉRENTES 531

c'est ou non une règle générale sans exception en droit inter-


national que le fait d'obtenir la réparation due exclut la
possibilité d'avoir recours aux représailles, et que l'appli-
cation de ces dernières efface à son tour le droit d'exiger
une réparation, de sorte que les deux formes de l'effet juri-
dique du délit s'excluraient l'une l'autre réciproquement,
à la différence de ce qui arrive en droit étatique. Mais une
analyse de cette étendue nous entraînerait trop au-delà des
limites étroites qui nous sont imposées. Nous nous conten-
terons donc, en ayant signalé ces problèmes particuliers et
les termes dans lesquels ils doivent être posés pour recevoir
une solution correcte, d'établir la conclusion générale qui se
dégage de l'examen que nous avons conduit : à savoir que le
droit des gens, tout en connaissant aussi bien des effets
répressifs que des effets réparatpires des délits internatio-
naux, ne présente pas, en ligne générale et sauf des excep-
tions éventuelles dans des domaines marginaux, une dis-
tinction entre délits civils et délits pénaux, ou plus
exactement entre des délits auxquels seule une obligation
de réparer est rattachée, et des délits frappés au contraire
par l'octroi à autrui d'une faculté de sanction, ainsi qu'il en
est au contraire généralement dans le domaine des droits
étatiques.
CHAPITRE V

LES CIRCONSTANCES EXCLUANT L'ILLICÉITÉ

1. — Après avoir examiné les éléments constitutifs du fait


illicite international, ainsi que les différentes sortes de
délits internationaux susceptibles d'être distinguées, on peut
considérer comme terminée l'analyse de la notion du fait
illicito international. Reste un seul point qui mérite quel-
ques brèves considérations : celui des circonstances excluant
l'illicéité.
Il y a des cas dans lesquels tous les éléments nécessai-
res pour l'imputation à l'Etat d'un fait illicite international
sont présents, au moins en apparence : ces éléments sont
une action ou une omission fautive de l'organe d'un Etat
doué de la capacité au délit international, et une obligation
internationale violée par cette action ou omission. Et pour-
tant dans ces cas, nonobstant la présence de ces éléments,
il n'est pas imputé de délit international à l'Etat, parce qu'il
existe une circonstance ultérieure à laquelle le droit inter-
national attache précisément cette conséquence juridique
d'empêcher l'imputation à l'Etat d'un fait illicite.
Il faut faire, tout d'abord, à ce propos, une remarque d'or-
dre général. Une grande partie de la doctrine parle ici, en
général, non de circonstances excluant l'illicéité, mais de
circonstances excluant la responsabilité*. C'est dire qu'en
présence d'un fait en lui-même illicite, le droit internatio-
nal s'abstiendrait tout simplement d'en attribuer à l'Etat
les effets : l'imputation du délit aurait lieu, mais pas celle
de la responsabilité. Or, le caractère erroné de ce point de
vue paraît évident. La notion même du fait illicite que nous

1. V., par exemple, Anzilotti, Corso, p. 480; Cavaglieri, Corso di diritto


intornazionale, 3° éd , Naples, 1934, p. 528 et suiv.; Romano, Corso, p. 283;
Fedozzi, Trattato, p. 842. Plus exactement, Strupp (Das völlterr. Delikt,
p. 120) et Kelsen (Unrecht, p. 860) parlent d'un Ausschluss dea Rechtswid-
rigkeit ».
(iig) CIRCONSTANCES EXCLUANT L'ILLfCÊlTÉ 533
avons développée s'y oppose. Si le délit est un fait juridique
caractérisé précisément par l'attribution d'un effet consis-
tant dans la naissance d'une obligation de son auteur de
donner une réparation, ou d'une faculté d'un sujet diffé-
rent de lui infliger une sanction, il est évident que la con-
ception d'un fait illicite dénué de tels effets juridiques ren-
ferme une contradiction terminologique. Il y a là un non-sens
aussi grave que de qualifier acte juridique une manifesta-
tion matérielle de volonté non assortie par le droit des
effets propres à l'acte juridique/Un fait auquel ni une obli-
gation de réparer ni une faculté de sanction ne sont attachées
n'est pas un fait illicite, parce qu'il n'est pas juridiquement
jugé tel. En présence d'un fait auquel exceptionnellement le
droit n'attache pas cet effet dont il devrait normalement
être assorti, il convient donc de parler d'une exclusion
exceptionnelle de l'illicéité mais non de la responsabilité.
L'examen des hypothèses particulières fournira d'ailleurs
une nouvelle preuve de la justesse de cette position même
d'un autre point do vue, c'est-à-dire du point de vue des
éléments constitutifs de l'espèce. Car on verra que, malgré
les apparences, dans toutes les hypothèses où la qualification
d'illicite paraît devoir être exclue, la présence dans l'espèce
de cet élément particulier qu'on dénomme justement cir-
constance excluant l'illicéité, joue en réalité de façon à neu-
traliser la présence d'un autre élément qui serait essentiel
pour la qualification d'illicite; et c'est par là qu'une telle
qualification est empêchée.

2. — Il s'agit maintenant de voir quelles peuvent être ces


circonstances en présence desquelles la règle juridique inter-
nationale s'abstient d'imputer un délit international à un
Etat, bien que tous les éléments nécessaires pour cela parais-
sent réunis.
Tout d'abord il semble qu'on doive compter au nombre de
ces circonstances le consentement de l'Etat lésé, bien que la
doctrine glisse en général sur une telle situation *. Quand les

1. Seuil, Liszt (ßas Völkerrecht, p. 284) et Sliiipp {iiat ruiken: fìttila,


p. 121) y consacrent quelques lignes.
534 R- AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (120)

troupes d'un Etat franchissent les frontières d'un autre Etat


pour accomplir une opération de police, il y a normalement
fait illicite international; mais si l'Etat intéressé a donné
son consentement à l'action, il y a là une circonstance nou-
velle qui, en s'ajoutant aux autres, empêche évidemment de
qualifier le fait d'illicite. C'est à peu près la même situation
qui se produit dans l'ordre juridique interne, lorsqu'une per-
sonne s'introduit dans la maison d'une autre pendant son
absence, mais avec son consentement : il n'y a certainement
pas délit de violation de domicile, bien que les autres cir-
constances matérielles exigées pour la naissance de ce délit
soient présentes. La raison juridique de l'exclusion de l'illi-
céité dans de pareils cas réside, nous semblc-t-il, dans le
fait que le consentement donné suspend, par rapport à la
situation concrète à laquelle il s'applique, le jeu de l'obli-
gation juridique incombant à l'Etat qui agit; de sorte que
cette circonstance supplémentaire et spéciale élimine la pos-
sibilité de prendre en considération une autre circonstance
nécessaire pour l'existence d'un délit, celle de la conduite
enfreignant une obligation juridique, et que cette élimina-
tion empêche la naissance du fait illicite, privé d'un élément
constitutif essentiel.
Le consentement du lésé peut être exprimé ou tacite. L'im-
portant, c'est qu'il existe au moment de l'action, car un
consentement après coup constituerait une renonciation de
l'Etat-victime à faire valoir son droit à réparation, mais il
ne pourrait ôter à la conduite le caractère d'un délit, carac-
tère définitivement acquis l. Ce qui intéresse encore le droit
international, c'est que le consentement soit effectif, c'est-
à-dire qu'il soit, avant tout, valable, non entaché d'erreur,
violence ou dól. Il y a là une application bien simple de la
théorie générale des vices de la volonté, dont ce n'est pas ici
le cas de nous -entretenir. Encore conviendra-t-il de noter
que le domaine de l'application du consentement de la vic-
time est, de par sa nature, beaucoup plus étendu en droit
international qu'en droit interne, et cela parce qu'en droit

1. De même, en droit criminel, v. Roux, Cours de droit criminel, p. 209.


(lai) CIRCONSTANCES EXCLUANT L'ILLICËITE S35
des gens la faculté de déroger par des conventions particu-
lières aux règles générales est très étendue, tandis que dans
le droit interne le consentement de la victime ne saurait
retirer le caractère d'illicéité à une infraction quelconque
aux devoirs intéressant l'ordre public et les bonnes mœurs.
Dans certains cas aussi le consentement peut retirer le
caractère d'illicéité à une certaine conduite d'un autre Etat,
mais constituer en lui-même un autre fait illicite. Par exem-
ple, si un Etat permet aux troupes d'un autre de pénétrer
sur son territoire, alors qu'il s'est engagé envers un Etat
tiers à ne pas le permettre.
En dernier lieu, on peut encore se demander s'il est égale-
ment possible de parler, en droit des gens, d'un consente-
ment présumé de la victime, au sens du droit criminel de
certains Etats, comme circonstance excluant l'illicéité 1 . Le
consentement présumé ne doit pas être confondu avec le
consentement tacite, car il fait en réalité défaut et l'illicéité
n'est exclue que parce que l'action est accomplie dans l'inté-
rêt exclusif et urgent du lésé. C'est ce qui arrive lorsqu'un
nageur, pour sauver un noyé, le fait évanouir eri le frappant
pour conserver ses mouvements libres. L'hypothèse pourrait
se construire dans le droit international sous la forme sui-
vante : un petit Etat neutre est attaqué soudain par une
grande Puissance; une autre Puissance, l'apprenant, envahit
l'Etat neutre pour le sauvegarder de cette attaque, et allègue
qu'elle agit exclusivement dans l'intérêt urgent do ce der-
nier, dont elle présume le consentement, les circonstances ne
lui permettant pas d'attendre que ce consentement ait été
donné de façon expresse. L'hypothèse est vraisemblable, et
en cas de réalisation, l'excuse susvisée serait probablement
invoquée : pourtant on hésite à croire que, dans un cas
pareil, le droit international exclurait l'illicéité. Si le con-
sentement n'est pas donné d'une façon quelconque, l'obliga-
tion juridique subsiste, et tout comportement enfreignant
cette obligation reste, pour le droit des gens, un fait illi-
cite. Tout au plus l'exclusion de l'illicéité pourrait-elle, dans
l'hypothèse étudiée, se fonder sur une autre circonstance,

i. V. Mezgcr, Stra/rccht, p. 237 et suiv.


536 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (122)

celle de l'état de nécessité, dont nous traiterons plus loin.


En conclusion, le consentement présumé nous parait une
institution propre à certains droits positifs étatiques, qui ne
peut être transplantée dans le droit des gens, où l'on ne
saurait découvrir une norme générale qui en admette le
principe.
3. — En dehors du consentement de la victime, une autre
circonstance excluant l'illicéité est fournie par le fait que
la conduite enfreignant une obligation juridique internatio-
nale constitue, dans le cas concret, l'exercice légitime d'une
sanction contre un fait illicite préexistant 1 . On a dit plus
haut qu'il paraît conforme à la coutume internationale que
la violation d'une obligation subsistant à l'égard d'un Etat,
étranger fasse naître, en certaines circonstances et parti-
culièrement si l'Etat coupable ne fournit pas la réparation
duo, le droit pour l'Etat lésé d'exercer des représailles. Ces
représailles consistent précisément dans une lésion d'un
droit subjectif de l'Etat coupable, lésion dont l'étendue doit,
d'après l'opinion qui paraît plus correcte 2 , se mesurer sui' la
lésion subie. La conduite de l'Etat qui exerce les représailles
serait, en toute autre circonstance, un fait illicite inter-
national, mais elle ne l'est pas, car la circonstance particu-
lière de son caractère de sanction légitime d'un tort empê-
che qu'un délit puisse être imputé au sujet qui l'a tenue 3 . Le
caractère d'illicéité est exclu pour cette conduite, tout de
même que pour l'action du bourreau qui exécute le condamné
à mort.
De même, dans un ordre juridique international particu-
lier, il peut exister un système de sanctions collectives. Un

1. V. Kelson, Unrecht, p. lìdi.


2. V. Vcrdross (Régies générales de la paix, p. 192) contre l'opinion opposée
de Strupp.
3. Môme la doctrino commune, qui ne voit pas dans les représailles uno
sanction répressive d'un tort international, reconnaît pourtant que le carac-
tère de licéité des représailles réside dans le fait qu'elles supposent un
délit international; et c'est pourquoi on en traite à propos des circonstances
excluant l'illicéité. V. Strupp, Das völkerr. Delikt, p. 121, 179 et sniv.; Elé-
ments, p. 345 et suiv. Anzilotti (Corso, p. 4îi8 ot suiv.) comprend parrai Ics
circonstances excluant la responsabilité tous les actes d'aulotutelln Admis
par le droit des gens.
(i23) CIRCONSTANCES EXCLUANT L'ILLICËITË S37

Etat membre de cet ordre qui participe à des sanctions col-


lectives contre un autre Etat membre ne commet pas un fait
illicite si son activité à cette occasion lèse un droit subjectif
de l'Etat sanctionné, dès lors que les sanctions collectives,
dans le cas concret, ont été décidées en conformité des règles
de l'ordre juridique particulier, et dès lors que sa participa-
tion aux sanctions répond à la même condition.
Dans toutes ces hypothèses également, le caractère illicite
de la conduite de l'Etat est exclu précisément par la raison
que la circonstance particulière au cas concret élimine
l'autre circonstance de l'infraction d'une obligation juridi-
que, qui existerait sans cela. L'Etat qui commet un fait
illicite se place, par sa conduite, dans une situation à
laquelle le droit international général attache la faculté juri-
dique du lésé de lui infliger une lésion d'un droit subjectif
équivalente à celle qu'il a commise. La possibilité qu'il a
normalement de prétendre au respect de son droit subjectif
fait donc défaut dans le cas concret, autrement dit l'effica-
cité de ce droit est suspendue en l'espèce, et dans les limites
établies par le principe même des représailles. L'Etat qui
exerce les représailles ne commet point de fait illicite tant
que son action se maintient dans les limites où la valeur
de son obligation envers l'Etat qui les subit est exception-
nellement suspendue; mais s'il dépasse ces limites il se
rend évidemment coupable à son tour d'un délit inter-
national.

4. — Dans les droits internes des Etats modernes, on


retire en général aux particuliers l'exercice de la force pour
la sauvegarde de leurs droits; au système de l'autotutelle se
substitue le système d'une organisation institutionnelle qui
monopolise et centralise l'exercice de ces actes do contrainte
auxquels est confiée la fonction de garantir la réalisation
concrète des jugements qui composent l'ordre juridique. Cela
implique que, en principe général, l'emploi de la force pour
la sauvegarde d'un droit n'est pas admis du particulier et
constitue un fait illicite. C'est seulement à la lumière do
ce principe général que l'on peut comprendre l'essence du
S3S R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (124)

principe de la légitime défense, qui se présente précisément


comme une exception au principe général réservant à l'Etat
l'emploi de la force pour la garantie des droits, exception
qui consiste dans l'attribution au particulier do la faculté
de réagir par la force contre une agression illicite et
actuelle.
Si l'on se pose maintenant la question s'il est possible de
parler d'une faculté juridique de légitime défense 1 attribuée
à l'Etat par le droit international général, il semble bien
que la réponse doive être nécessairement négative, non parce
que l'Etat n'aurait pas la faculté de se défendre par la force
contre une agression illicite, mais au contraire parce que
cette faculté est la règle môme et pas du tout une exception,
une circonstance excluant exceptionnellement l'illicéité. On
vient justement de dire que le principe dé la légitime défense
ne peut avoir de sens que dans un système juridique où il se
présente comme étant l'exception à la. règle fondamentale
qui défend au particulier d'exercer lui-même ses droits,
l'exception présupposant nécessairement une règle contraire.
11 n'y a donc pas de place pour une institution exception-
nelle telle que la légitime défense dans un système de droit
où la centralisation des facultés de contrainte n'est pas réa-
lisée, et où le principe de l'autoprotcction, c'est-à-dire de
remploi-légitime de la force pour la sauvegarde de ses
droits, conserve normalement toute sa valeur de règle fon-
damentale 2 . Ne peuvent donc se justifier, en droit interna-
tional général, les tentatives do certains auteurs, qui ont
essayé de transplanter dans cet ordre juridique le principe
de la légitime défense, en le présentant comme le droit de
s'opposer par la foro© à une agression injuste 9. Dans cet

1. Nous insistons pour employer lo torme « faculté juridique » à propos de


lu legitimo defenso, plutôt que les termes «droit» ou «pouvoir», qui sont
généralement adoptés par la doctrine, car il nous paraît évident qu'il s'agit
d'uno possibilité juridique d'action — juridiquement qualifiée et produisant
un effet juridique déterminé — et non d'une possibilité d'exiger ou de vouloir
an sens propre.
2. Dans co sens, v. Strupp, Das välkerr. Delikt, p. 12îi; Anzilotti, Corso,
p. 4iil; Cavaglieri, Corso, p. fi30 et suiv.; Kelson, Unrecht, p. 861 et suiv.
il. V. par exemple : Schoen, Die völkerr. Haftung, p. 118 ot suiv.;
de Visschcr, La responsabilité, p. 107 et suiv.; Vordross, Règles générales
de. la paix, p. 488 et suiv.
(i25) CIRCONSTANCES EXCLUANT L'ILLICEITE 539

ordre juridique, en effet, le principe perdrait complètement


sa natare essentielle de circonstance excluant l'illicéité,
étant donné que l'exercice do la force pour résister à une
agression ne peut jamais être tenu comme un fait illicite
en droit des gens, et qu'il n'existe assurément pas de droit
subjectif international à prétendre qu'on no réponde pas
par la force aux agressions ou qu'on n'emploie pas la force
pour sauvegarder ses droits.
On ne saurait donc parler de principe de la légitime
défense en droit international que dans le cadre d'un droit
international particulier excluant — ou du moins limitant —
par voie conventionnelle le droit d'autoprotection. Suivant
Kelsen 1 , l'institution propre et véritable de la légitime
défense n'est concevable que dans un droit international par-
ticulier où l'exercice des facultés de contrainte serait centra-
lisé comme au sein de l'Etat. Mais il admet lui-même l'exis-
tence possible d'une forme juridique analogue là où il n'y a
qu'une simple limitation conventionnelle de la faculté de
réagir contre les torts. Dans ces hypothèses, la légitime
défense pourrait, en effet, fonctionner de la façon suivante
en tant que circonstance excluant l'illicéité : l'Etat qui a
renoncé en général à l'emploi de la force pour la sauvegarde
do ses droits ne commettrait cependant pas de fait illicite
en remployant lorsque c'est pour repousser une agression
actuelle et injuste.
L'illicéité disparaît dans cette hypothèse, comme dans
celles déjà examinées, pour la raison que l'agression illicite
suspend, dans le cas concret, la validité de l'obligation de
l'Etat de ne pas recourir à la force, et par là du droit subjec-
tif de l'Etat agresseur à voir respecter cette obligation. Natu-
rellement, il est inhérent à la notion même de légitime
défense qu'elle doit avoir pour unique but d'arrêter l'agres-
sion injuste, et qu'elle ne doit pas s'exercer au-delà des
limites répondant à ce but, sous peine de voir réapparaître
le fait illicite international. Il est à peine besoin d'ajouter
que la faculté do défense légitime ne doit pas s'analyser

1. Unrecht, p. 8(52 et suiv.


Ä40 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (126)

comme une sorte particulière de représailles'. L M repré-


sailles ont typiquement le caractère d'une sanction; la légi-
time défense, au contraire, n'a d'autre but que d'empêcher
l'agression et de s'en défendre : sa nature juridique est donc
essentiellement différente.
Quelquefois, le principe de la légitime défense est expres-
sément prévu par un traité apportant des limitations à la
faculté normale d'autoprotection : il en était ainsi daas l'ar-
ticle 2 al. 1 du Pacte de Locarno. Si cette provision n'est
au contraire pas exprimée, c'est un problème d'interpréta-
tion du traité que de décider si le principe a été admis ou
non. Toutefois, il semble que, la règle étant, dans le droit
international, celle de l'autoprotection, on doive interpréter
strictement les obligations exceptionnelles d'en limiter
l'exercice; si bien que, en cas de silence de la convention —
comme c'est, par exemple, pour le Pacte de la Société des
Nations et pour le Pacte Briand-Kcllogg —, il faut considérer
le principe de la légitime défense comme implicitement
reconnu.

5. — A côté de la légitime défense, l'ordre juridique éta-


tique de tous les pays civilisés connaît un autre motif d'ex-
clusion de l'illicéité : l'étal de nécessité. L'essence de cette
notion consiste dans la lésion d'un droit subjectif d'autrui
commise par un sujet qui s'y trouve obligé par la nécessité
absolue de se sauver ou de sauver autrui d'un danger grave
et imminent. L'illicéité de l'infraction est exclue précisé-
ment par la présence de cette circonstance de la nécessité
qui, dans le cas concret, empêche le sujet du droit lésé d'en
pouvoir prétendre le respect.
Dans le domaine du droit international généra!, il n'y
aurait, en réalité, aucune raison logique qui exclue a priori
— comme pour la défense légitime — la possibilité d'y
admettre le principe de l'état"de nécessité. L'unique condi-

1. Le rapprochement est opéré pnr Strupp (Das völkrrr. Delikt, p. 199 et


siiiv.), qui pourtant a indiqué comme cas de représailles cet Cas que lu
doctrino considero comme des exemples d'application du principe do légi-
time défonso on droit international général, et qui, évidemment, n'oat rien
a voir avec ce principe, correctement entendu.
(i27) CIRCONSTANCES EXCLUANT L'ILUCÊITÊ 541

tion d'ordre logique, c'est qu'il puisse se produire en droit


des gens une situation analogue à celle justifiant l'appli-
cation de la notion en droit étatique. Il s'agit, en d'autres
termes, do voir si un ,Etat, obligé par la nécessité de se
sauver d'un danger grave et imminent, duquel il n'est pas
la cause volontaire, et qu'il ne saurait éviter par un autre
moyen, peut commettre à cette fin un acte qui lèse un droit
subjectif d'un autre Etat sans commettre, par là même, dans
le cas concret, un fait illicite. Prenons par exemple le cas,
donné par Ànzilotti i , d'un Etat qui, ayant appris qu'en terri-
toire étranger mais frontalier, des exilés se sont groupés
pour pénétrer chez lui et provoquer un mouvement révolu-
tionnaire ou séparatiste, et qui, se trouvant dans l'impos-
sibilité d'avertir utilement les autorités étrangères, envoie
au-delà de la frontière des troupes pour s'emparer des conju-
rés. Le problème est de savoir si la circonstance de la néces-
sité, alléguée comme excuse, est, dans ce cas, suffisante pour
retirer le caractère illicite à la conduite de l'Etat menacé;
si, en d'autres termes, le droit international accorde ou non
à cet Etat le droit exceptionnel d'agir de la façon demandée
par la nécessité de se sauver, même au prix du sacrifice du
droit subjectif d'autrui.
La question est très discutée dans la doctrine. Il est des
auteurs, assez nombreux, qui nient que l'ordre juridique
international connaisse la catégorie juridique de l'état de
nécessité : suivant ceux-ci, l'acte accompli dans une telle
situation reste, dans tous ses effets, un fait illicite inter-
national, s'il en possède par ailleurs les éléments constitu-
tifs, quelle que puisse être, naturellement, la qualification
donnée au fait dans le domaine de la politique et de la
morale 2 . Mais d'autres auteurs sont d'opinion contraire, et
1. Cor»o, p. 488.
•9. V. Fauchille, Traité, 1, 1™ part., p.. 420; Borsi, Ragione di guerra e stato
di necessita nel diritto internazionale, Rivista di diritto internazionale, 1916,
p. 157 et Rtiiv.; Cavalieri, Lo stato di necessita nel diritto internazionalo,
Rivista italiana per le »eterne giuridiche, 1917-1918, p. 89 et suiv., 171 et suiv.;
et Corso,, p. 838 et suiv.; de Visscher, Los lois de guerre et la théorie de
la nécessité, Revue générale de droit intern. pu6/ic, p. 74 et suiv.; et La
responsabilité, p. 111 et suiv.; Strisower, Der Krieg und die Völkerrechts-
ordnung, Vienne, 1919; Verdross, Regit s générales de la paix, p. 189 et suiv.
542 R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (128)

admettent l'état de nécessité comme excuse dans le droit


des gens l; tandis qu'il en est enfin qui, sans exclure la pos-
sibilité théorique de cette admission, expriment des doutes
quant à sa reconnaissance par le droit positif actuel •.
Assurément, on ne peut chercher une réponse à la question
dans des considérations purement théoriques, telles que
l'idée traditionnelle, et en tout point sans fondement du
point de vue positif, de l'existence d'un droit subjectif de
l'Etat à sa conservation 8 . De même, l'on ne saurait admet-
tre la théorie suivant laquelle la force obligatoire des règles
internationales reposerait sur la volonté des Etats, lesquels
pourraient ne pas se considérer obligés par leur volonté
antérieure même dans les cas où l'observation de la règle
mettrait en jeu leur existence *. On ne pourrait davantage
accepter, comme justification de l'état de nécessité, la con-
sidération que les Etats, puisqu'il leur est même permis do
recourir à la guerre pour assurer leur conservation, doivent
avoir aussi la possibilité de recourir licitement à d'autres
moyens plus limités, car in plus stat minus s . En disant cela,
on oublie, semble-t-il, que si l'Etat n'a pas, en droit interna-
tional général, un droit subjectif à prétendre qu'un autre
Etat ne lui déclare pas la guerre, il a pourtant, par exemple,
un droit subjectif bien certain à prétendre que, en dehors
de l'état de guerre, on n'envahisse pas son territoire. Pour

(avec quelques limitations); Dricrly, The Law 0/ Nations, 2" éd., Oxford, 1936,
p. 288, etc. Pour le mémo cas, voir la Déclaration des droits et des devoirs
des nations adoptée en 1910 par l'Institut américain de Droit international,
et la déclaration proposée par M. de Lapradelle à la session de 4981 de
l'Institut do Droit international (annuaire, 1921, p. 207).
1. V. Anzilotti, Corso, 1912, I, p. 2S6 et suiv., 4SI et euiv.; Schoon,
Die völkcrr. Haftung, p. 107 et suiv.; Liszt, Das Völkerrecht, p. 28i>
et suiv.; Strupp, Das völkcrr. Delik, p. 122 et suiv.; Notstand im Völker-
recht, Wörterbuch des Völkcrr. u. d. Diplomatie, II. p. Iü2 et suiv.; Ballatlorc-
Pallieri, Diritto internazionale, p. 338.
2. V. Kelsen, Unrecht, p. 564 et suiv.
3. V., à ce propos, les critiques de de Visscher, La responsabilité, p. i l l ;
et de Cavaglieli, Lo stalo di necessità, p. 13 et suiv. de l'extr. L'idée que la
justification de l'acte nécessité doive être déduite d'un prétendu droit des
TCtats à leur existence et à leur intégrité a été invoquée de nouveau par
M. Vitta, La necessità nel diritto internazionale, extr. de la Rivista ital. pei-
le scienze giuridiche, 1936, p. 22 et suiv.
4. C'est l'idée d'Anzilotti, Corso, 1912, p. 2S6 et 486.
ti. Anzilotti, Corso, p. 486.
(lag) CIRCONSTANCES EXCLUANT L'ILLICÊITÊ 543

justifier le recours à la guerre, s'il est vrai qu'elle est tou-


jours licite en droit international général, il n'est pas
besoin de pouvoir invoquer une circonstance excluant l'illi-
céité, car on n'enfreint aucune obligation juridique en la
déclarant — toujours pour ce qui concerne le droit interna-
tional général —; mais pour justifier une invasion du terri-
toire étranger, perpétrée afin d'y ravir des conjurés, la cir-
constance excluant l'illicéité sera absolument nécessaire, car
autrement l'on se trouverait certainement en face de la vio-
lation d'une obligation juridique, en face d'un fait illicite
international.
En effet, la validité d'un principe comme celui que l'état
de nécessité constitue une circonstance excluant le caractère
illicite d'une conduite qui viole une obligation internatio-
nale, ne peut être prouvée autrement que sur le terrain du
droit positif. A cet égard, des recherches bien diligentos ont
été faites sur la pratique des Etats, surtout par M. Strupp '.
Il en est résulté que les cas dans lesquels l'état de nécessité
a été invoqué sont très nombreux. Parmi ces cas, l'on peut
rappeler comme particulièrement significatifs ceux de l'occu-
pation de Madère en 1801 et de Copenhague en 1807 par les
Anglais, motivée par la nécessité d'empêcher une occupation
française; celui de la saisie de la flotte danoise par la flotte
anglaise, toujours en 1807, motivée par la raison qu'autre-
ment la flotte danoise serait tombée aux mains des Français
et aurait été employée contre l'Angleterre; celui de l'incor-
poration de la ville libre de Cracovie par l'Autriche on 1846,
motivée par les trois cours de Russie, do Prusse et d'Autri-
che comme une mesure de nécessité absolue; ceux des dé-
nonciations par la Russie, en 1870, de la neutralisation de la
mer Noire établie dans le Traité de Paris de 18äG, et en 1886
du port franc de Batoum créé par le Traité do Berlin de 1878,
dénonciations toutes deux motivées par la nécessité de sau-
vegarder les intérêts directs et la sécurité de la Russie; lo
cas du navire américain Virginius, coulé à pic par les Espa-
gnols en 1873 pour éviter qu'il vienne en aide aux insurgés

1. V. Das völkerr. Delikt, p. 183 et suiv.


S44 R- AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (130)

cubains; l'occupation militaire de la Corée par lo Japon


en 1904, motivée par la nécessité pour le Japon d'assurer sa
sécurité; l'occupation de la Belgique par l'Allemagne en
1914, motivée selon le chancelier Bethmann-Hollweg par la
nécessité absolue de prévenir une invasion française déjà
prête à se déclencher; l'envoi dans la Ruhr, en 1920, d'un
nombre de troupes supérieur aux effectifs acceptés par l'Alle-
magne, motivé par la nécessité de faire front à la terreur
rouge, etc. Dans tous ces cas et dans les autres encore nom-
breux pour lesquels l'état de nécessité a été invoqué, bien
des protestations ont été naturellement soulevées et des dis-
cussions entamées. Mais l'examen direct des documents
paraît montrer que si les Etats ont généralement contesté la
possibilité d'invoquer l'état de nécessité dans le cas concret,
ils n'ont jamais exclu la possibilité de l'invoquer au rang de
principe, et qu'ils ont expressément ou implicitement admis
qu'en d'autres circonstances l'excuse invoquée aurait pu
avoir sa valeur. Quoique la matière soit très délicate, et.
qu'une conclusion vraiment définitive pour la pratique pa-
raisse bien difficile duns une matière où les intérêts politi-
ques l'emportent généralement sur les motifs vraiment juri-
diques, il peut paraître toutefois légitime d'affirmer que
l'état de nécessité est reconnu par une règle coutumière du
droit international comme circonstance excluant l'illiceità,
en ce sens que le devoir de l'Etat d'observer certaines de ses
obligations internationales pourrait être cxccptionnellemcnl
suspendu dans des hypothèses extrêmes, où leur observation
risquerait de mettre en jeu son existence même.
En effet, si l'état de nécessité est souvent tenu on suspi-
cion par la doctrine, cela tient au fait que trop souvent les
Etats ont invoque le principe dans des circonstances où cer-
tainement il n'avait pas à être admis; mais dans les limites
inhérentes à la notion même, il faut très probablement ad-
mettre que le principe est reconnu comme valable par le
droit international positif. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est
que la reconnaissance do l'état de nécessité comme circons-
tance excluant l'illicéité est tout à fait exceptionnelle, et
qu'on n'en saurait faire un prétexte pour des actions poli-
(i 3 i) CIRCONSTANCES EXCLUANT L'ILLICÈITÊ 545

tiques juridiquement injustifiables. Dans le droit interna-


tional positif, l'état de nécessité est, en d'autres termes*
rigoureusement limité aux hypothèses où il existe vraiment
un danger grave et imminent pour l'existence même de
l'Etat, non causé par cet Etat lui-même, et qui ne peut être
évité par nul autre moyen. Si ces conditions sont remplies,
l'Etat contre lequel l'acte nécessité est dirigé peut naturel-
lement s'y opposer, car il n'est nullement obligé de le subir,
mais il ne peut affirmer qu'il s'agit d'un fait illicite et tirer
les conséquences juridiques de cette qualification. Il est seu-
lement manifeste que l'acte nécessité qui lèse un droit sub-
jectif d'un Etat étranger doit se borner à ce qui est indis-
pensable pour éliminer le danger grave et imminent. Au-delà
de cette limite, la circonstance excluant l'illicéité ne joue
évidemment plus, et l'action lésant le droit subjectif étranger
reprend entièrement son caractère illicite.

II. - 11139.
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concerne let dommages causés sur leur territoire à la personne ou aux
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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION
Caractère des ouvrages doctrinaux consacrés & la responsabilité
internationale des Etats. Nécessité d'une étude systématique de
la notion de délit international, considérée dans tous ses éléments
intrinsèques et sous tous ses aspects. Plan' du cours.
CHAPITRE I. — La notion de délit international
1. Nécessité d'une détermination préliminaire de la notion du
délit dans le domaine de la théorie générale du droit. Le délit
comme fait juridique. Relativité de la qualification juridique d'un
fait comme illicite. Notion préliminaire du délit comme fait auquel
l'ordro juridique attribue la valeur de fait produisant une obliga-
tion de réparer ou bien légitimant l'application d'une sanction.
S. Portée de la notion établie. Réparation et sanction.
3. Détermination, sur la base de la notion établie, de la place
dn délit dans une classification des faits juridiques basée sur le
critère de l'effet attribué par le droit aux faits différents qu'il
prend on considération. Le délit comme fait de relation inter-
subjective et plus particulièrement comme fait de légitimation
subjective.
4. Insuffisance de la notion établie et nécessité d'une notion ulté-
rieure du délit fondée sur les éléments que l'espèce doit présenter
pour qu'il y ait lieu à une qualification d'illicite. Le délit comme
violation d'une obligation juridique de la part d'un sujet.
8. Détermination, sur la base de cette nouvelle notion, de la place
du délit au sein d'une classification des faits juridiques fondée
sur le critère des éléments dont le droit exige la présence dana
l'espèce pour en donner une qualification déterminée. Le délit
comme fait juridique subjectif.
CHAPITRE il. — Les éléments constitutifs du délit international. Elé-
ment objectif
1. L'élément objectif du délit international considéré comme rési-
dant dans une conduite qui contraste avec une obligation inter-
nationale de l'Etat. Caractère erroné de toute autre représentation
de cet élément. Distinction dès faits illicites internationaux d'avee
les faits juridiquement nuls. Inexistence de délits internationaux
ne comportant pas violation d'une obligation juridique internatio-
nale. Nécessité de maintenir une distinction entre la règle qui éta-
blit l'obligation et la règle qui attache une responsabilité & la
violation d'une telle obligation. Différents aspects de la conduite
formant l'élément objectif d'un tort international. Cas où la
conduite fournit à elle seule la base d'un délit international, et
cas où un événement extérieur est en outre requise Importance
de la deuxième catégorie d'hypothèses en droit international.
ss* R. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL
CHAPITRE III. — Le« éléments constitutifs du délit international.
Elément subjectif
1. Nécessité d'imputer comme fait illicite a un sujet du droit des
gens la conduite contrastant avec une obligation internationale.
De cette imputation comme lien juridique. Conditions auxquelles
elle est subordonnée.
ï. o) PRÈSESCB D'ITO SUJET CAPABLE. — La capacité au délit inter-
national par rapport à la personnalité juridique et à la capacité
d'agir internationales. Exemples de sujets internationaux dépour-
vus de la capacité d'agir. Inexistence de sujets totalement dépour-
vus de la capacité an délit. Distinction entre l'imputation du tort
et l'imputation de la responsabilité. Exclusion d'une incapacité
au délit dans les cas de responsabilité indirecte. Hypothèse d'une
limitation de la capacité au délit international.
3. b) ACTION OU OMISSION D'UN ORGANE DU SUJET CAPADLE. — L'impu-
tabilité d'un tort a un snjet-personne juridique. Pleino possibilité
de l'imputation d'un fait illicite international a un Etat et
compétence exclusive de l'ordre juridique international pour effec-
tuer une telle imputation.
Condition de l'imputation : la conduite contrastant avec une
obligation juridique internationale doit émaner d'un organe de
l'Etat. Détermination de la qualité d'organe. L'ordre juridique
international présuppose l'attribution de la qualité d'organe à
certaines personnes physiques par lo droit étatique. Valeur de
simple donnée de fait possédée par la qualité interne d'un organe
pour le droit international qui la présuppose. Erreurs de la doc-
trine en cette matière.
Questions relatives & la détermination des conduites imputa-
bles à l'Etat : o) Problème des organes pouvant tenir une con-
duite susceptible d'être imputée à l'Etat comme fait illicite inter-
national. Caractère des recherches doctrinales en ce domaine. Tout
organe de l'Etat, s'il a la possibilité matérielle de tenir une con-
duite contrastant avec une obligation internationale, peut donner
lieu à un fait illicite international de la part de l'Etat auquel il
appartient, b) Problème de la détermination des conduites d'un
organe qui peuvent être imputées a l'Etat comme délits interna-
tionaux. Question des organes ayant agi hors des limites de leur
compétence : son inconsistance.
Problème de prétendue responsabilité do l'Etat à raison d'ac-
tions individuelles. Le fait illicite international est constitué, en
pareille hypothèse, par la violation, de la part des organes (In
l'Etat, de l'obligation de protéger les Etats étrangers et leurs
ressortissants contre les dommages causés par des particuliers.
Place occupée par l'action du particulier dans la détermination
de l'espèce du délit. Les délits internationaux comme délits
d'événement en cette matière.
4. c) FAUTE DE L'ORGANE AYANT SUIVI LA CONDUITE INCRIMINÉE. — Le
problème de la faute. Evolution de la doctrine à son égard. La
théorie classique faisant de la faute le fondement de la respon-
sabilité. La théorie objective et son importance dans les déve-
loppements successifs de la doctrine. Les théories intermédiaires
et leurs différentes positions.
Nécessité de réexaminer le problème et d'en reviser les pré-
misses. Détermination préliminaire de la notion de la faute ¡ato
(i39) TABLE DES MATIÈRES
sensu comme constituée par une relation psychologique entre le
fait de l'infraction d'une .obligation juridique internationale et
l'auteur de cette; infraction. Discrimination du moment logique
où le problème de la faute doit ótre posé. Le problème est d'établir
si la faute est en droit international nécessaire pour permettre
d'imputer un tort à un sujet.
Critique de la théorie objective et de ses fondements logiques.
Absence de raisons théoriques interdisant a priori de tenir la
faute pour une condition de l'imputation d'un tort international
à un Etat. Nécessité de rechercher la solution du problème dans
Io seul droit international positif.
Examen de la pratique internationale et détermination du
principe général qui fait de la faute lato sensu une condition
nécessaire de l'imputation du tort en droit des gens, aussi bien
dans le domaine des infractions à l'obligation do garantir les
Etats étrangers et leurs ressortissants contre les dommages
canses par des particuliers, que dans le domaine des infractions
à toute autre obligation juridique internationale. Problème du
degré de la faute.
CHAPITRE IV. — Les différentes espèces de délit international
1. De la distinction possible de diverses espèces de délits inter-
nationaux. Valeur et fondements d'une telle différenciation. Dis-
tinctions basées sur les caractéristiques différentes que peut pré-
senter l'élément objectif du délit-: a Délits internationaux de pure
conduite et délits internationaux d'événement. Aspect juridique
de la distinction.
2. 6) Délits internationaux d'action et délits internationaux
d'omission. Raison juridique de la distinction et valeur qu'ello
prend : quant à la détermination du lien de causalité dans les
délits d'omission qui sont en même temps des délits d'événement;
et quant aux caractères que revêt, par rapport aux deux espèces
de délits, l'obligation subséquente do rétablir la situation qui
aurait existé si le délit ne s'était pas produit.
3. e) Délits internationaux simples et délits internationaux com-
plexée. Fondement de cette distinction dans la nature différente
des obligations internationales de l'Etat. Obligations consistant a
obtenir un résultat déterminé par ICB moyens jugés les plus oppor-
tuns. Différentes possibilités do réaliser infraction à do telles
obligations : cas où une conduite unique contraire a la réalisa-
tion du but visé par l'obligation est déjà en elle-même une infrac-
tion définitive à cette obligation; et cas où une telle conduite ne
suffit pas à entraîner infraction, étant donné la possibilité ulté-
rieure de réaliser par l'activité d'autres organes le but à atteindre.
Réalisation de l'infraction, en de tels cas, par un ensemble de com-
duites émanant d'organes différents. Notion du délit complexe,
son importance pour l'explication du sens de la règle de l'épui-
Bement des voies de recours internes, et pour la determination
du tempus commissi delicti. Importance do cette détermination
dans le droit international.
*. d) Délits internationaux instantanés et délits internationaux
continus. Raison juridique de la distinction représentée par la
coïncidence ou par la séparation dans le temps du commencement
et de l'épuisement du délit. Conséquences.
ÍS* A. AGO. — DÉLIT INTERNATIONAL (140)
5. Possibilité d'envisager un type de délit international com-
posé. Caractères et distinction par rapport au délit continu et an
délit complexé. Absence en droit international de toute forme de
participation ou de provocation au délit.
6. Distinctions s'appuyant sur le caractère variable de l'effet
juridique rattaché au délit. De la possibilité de distinguer entre
délit international civil et délit international pénal. Critique, de
certaines positions doctrinales en la matière. L'obligation de répa-
rer et la faculté de sanction également connues par le droit
international. Les représailles comme forme typique de sanction
internationale. Leur caractère pénal. Difficulté qui paraît toutefois
subsister, en ligne générale, d'individualiser un type de délits
internationaux auxquels ou l'obligation de réparer ou la faculté
de sanction soient rattachées è titre exclusif. Difficulté subsé-
quente d'établir la distinction recherchée.
CHAPITRE V. — Les circonstances excluant l'illicéité 838
1. Notion de circonstances excluant l'illicéité. Erreur do l'opi-
nion parlant à cet égard d'une exclusion de la responsabilité
par rapport a des faits objectivement illicites.
2. Le consentement du lésé. Sa valeur comme excuse en droit
international. Conditions. Consentement exprimé et consentement
tacite. Problème do la valeur d'un consentement présumé.
3. Exercice légitime d'une sanction contre un fait illicite inter-
national. Raison juridique de la licéité des représailles, et deB
autres formes de sanction établies .par le droit international parti-
culier.
4. La légitime défense. Exclusion d'une possibilité d'appliquer
le principe en droit international général. Valeur du principe
dans le droit particulier.
B. L'état do nécessité. De sa valeur comme excuse en droit
international. Critique de certaines attitudes doctrinales en la
matière. Conclusion favorable à l'admission du principe en droit
international dans des limites rigoureuses.
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