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Collected Courses of the Hague Academy of International Law

Le principe de proximité dans le droit international privé


contemporain Cours général de droit international privé
(Volume 196)
(91,136 words)

Lagarde, Paul
Article Table Of Contents
Keywords: Law of contracts | Private international law |
Marital property | NOTICE BIOGRAPHIQUE
PRINCIPALES
Mots clefs: Droit des obligations | Régime des biens des PUBLICATIONS
époux |
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE - LE
ABSTRACT PRINCIPE DE PROXIMITÉ
DANS LES CONFLITS DE
Paul Lagarde, Professor at the University of Paris I, notes LOIS
in the introduction to his general course on private
DEUXIÈME PARTIE - LE
international law that the private international law can
PRINCIPE DE PROXIMITE
always be considered as the right to attachment, the most
DANS LES CONFLITS DE
important question is that of the basis of the selected
JURIDICTIONS
attachment. In this regard, the author notes, there is at
least one point on which there is almost general PDF
agreement: it is the affirmation of the need to reach a
reasonable settlement of the “heterogeneous” legal
relationship. From then on, the roads begin to diverge, on one hand, and to separate
particularly the Savignian School from that of the "American revolution" on the other hand. In
Western Europe, however, an idea has developed that a legal relationship should be governed
by the law of the country with which it has the closest relations, and that it should be linked as
far as possible to the closest forum. The author names this as the proximity principle. The
author first studies the proximity principle in conflicts of law and then in conflicts of
jurisdiction.
Paul Lagarde, professeur à l’Université de Paris I, fait remarquer en introduction de son cours
général de droit international privé que le droit international privé peut toujours être
considéré comme un droit de rattachement, la question la plus importante étant celle du
fondement des rattachements retenus. À cet égard, relève l’auteur, il est au moins un point qui
rencontre un accord quasi général : c’est l’affirmation de la nécessité de parvenir à un
règlement raisonnable du rapport de droit « hétérogène ». À partir de là, les routes
commencent à diverger, séparant notamment l’école savignienne d’une part de celle de la «
révolution américaine » d’autre part. S’est toutefois développée en Europe occidentale l’idée
qu’un rapport de droit doit être régi par la loi du pays avec lequel il entretient les rapports les
plus étroits, et qu’il doit être rattaché autant que possible, au for le plus proche. C’est ce que
l’auteur nomme principe de proximité. L’auteur fait tout d’abord l’étude de ce principe de
proximité dans les conflits de loi, et ensuite dans les conflits de juridictions.

NOTICE BIOGRAPHIQUE
[p21]

Paul Lagarde, né à Rennes le 3 mars 1934.

Etudes supérieures à la faculté de droit de Paris. Docteur


en droit (1957). Chargé de cours à la faculté de droit de
Poitiers (1959). Maître de conférences agrégé (1961), puis
professeur (1964) à la faculté de droit de Nancy.
Professeur à la faculté de droit de Nanterre (1969).
Professeur à l’Université de Paris I depuis 1971, où il
enseigne le droit international privé.

Secrétaire général (1962), puis rédacteur en chef (depuis


[p11] Lagarde, Paul
1976) de la Revue critique de droit international privé.

Membre de la délégation française et corapporteur du groupe de travail de la Communauté


économique européenne ayant élaboré la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles. Membre de la délégation française aux treizième et
quatorzième sessions de la Conférence de La Haye de droit international privé. Président de
commission à la session extraordinaire d’octobre 1985 ayant préparé une nouvelle convention
sur la loi applicable aux ventes internationales de marchandises.

PRINCIPALES PUBLICATIONS
[p22]

I. Ouvrages et monographies
Paul Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit international privé , H. Batiffol LGDJ
(Paris, 1959)
Paul Lagarde, La nationalité française , Dalloz (Paris, 1975)
Paul Lagarde, ‛La réciprocité en droit international privé’ , Recueil des cours 154 (1977-1)
Paul Lagarde, Droit international privé , I II LGDJ (Paris, 1981 1983) 1

II. Principaux articles


Paul Lagarde, ‛La règle de conflit applicable aux questions préalables’ , Revue critique de
droit international privé (1960) 459
Paul Lagarde, ‛Les interprétations divergentes d’une loi uniforme donnent-elles lieu à un
conflit de lois?’ , Revue critique de droit international privé (1964) 235
Paul Lagarde, ‛De quelques conséquences de la décolonisation sur le droit français de la
nationalité’ , Mélanges offerts à René Savatier , Dalloz (Paris, 1965) 511
Paul Lagarde, ‛Le champ d’application dans l’espace des règles uniformes de droit privé
matériel’ , Etudes de droit contemporain, rapport au VIIIe Congrès international de droit
comparé , Pescara (Paris, 1970 1971) 149 2
Paul Lagarde, ‛Destinées de l’arrêt Rivière’ , Clunet (1971) 241
Paul Lagarde, ‛L’improvisation de nouvelles règles de conflit de lois en matière de
filiation’ , Revue critique de droit international privé (1972) 1
Paul Lagarde, ‛Les modes non formels d’expression de la volonté juridique en droit
international privé français’ , Travaux de l’Association Henri Capitani XX (1968) 189
Paul Lagarde, ‛La rénovation du Code de la nationalité par la loi du 9 janvier 1973’ , Revue
critique de droit international privé (1973) 431
Paul Lagarde, ‛Examen de Pavant-projet CEE sur la loi applicable aux obligations
contractuelles et non contractuelles’ , Travaux du Comité français de droit international
privé (1971-1973) 147
Paul Lagarde, ‛L’application de la Convention de Bruxelles aux actions en contrefaçon de
brevets nationaux’ , Propriété industrielle, Bulletin documentaire (septembre 1974) 39
Paul Lagarde, ‛La condition de réciprocité dans l’application des traités internationaux :
son appréciation par le juge interne’ , Revue critique de droit international privé (1975) 25
Paul Lagarde, ‛Le dépeçage dans le droit international privé des contrats’ , Rivista di
diritto internazionale privato e processuale (1975) 649
Paul Lagarde, ‛La sous-traitance en droit international privé’ , La sous-traitance de
marchés de travaux et de services , Economica (Paris, 1978) 186
Paul Lagarde, ‛Le droit transitoire des règles de conflit après les réformes récentes du
droit de la famille’ , Travaux du Comité français de droit international privé (1977-1979) 89
Paul Lagarde, ‛Les contrats dans le projet suisse de codification du droit international
privé’ , Annuaire suisse de droit international (1979) 72
Paul Lagarde, ‛Approche critique de la lex mercatoria’ , Le droit des relations économiques
internationales. Etudes offertes à Berthold Goldman , Litec (Paris, 1982) 125
Paul Lagarde, ‛Une notion ambivalente: l’« émanation » de l’Etat nationalisant’ , Droit et
Libertés à la fin du XXe siècle. Etudes offertes à Claude-Albert Colliard , Pedone (Paris, 1984)
539
Paul Lagarde, ‛Nationalité et filiation: leur interaction dans le droit comparé de la
nationalité’ , Nationalité et statut personnel (Bruxelles-Paris, 1984) 475
III. Autres travaux Paul Lagarde Notes de jurisprudence, commentaires législatifs et
comptes rendus bibliographiques publiés principalement dans la Revue critique de droit
international privé (collaboration constante depuis 1960) et dans la Revue internationale
de droit comparé.

INTRODUCTION
[p25]

1. La seule précaution oratoire que je vous demande de me concéder est, sinon de me


présenter moi-même, du moins de présenter mes points de rattachement. Vous saurez ainsi
immédiatement d’où je parle et vous pourrez mesurer sans attendre les limites de ce cours
général.

Ces points de rattachement sont simples. L’un est géographique : l’Europe occidentale
continentale, plus particulièrement la France. L’autre est d’ordre intellectuel : une formation
reçue de l’un des maîtres les plus prestigieux du milieu et de la seconde moitié de ce siècle,
Henri Batiffol, qui s’est toujours réclamé de la méthode de Savigny.

C’est donc avec le retard et la distance d’un océan que j’ai pris connaissance de la fameuse «
révolution » américaine qui a affecté notre discipline depuis trente ans et que j’ai pu observer
les quelques remous qu’elle a provoqués de ce côté-ci de l’Atlantique.

D’autres ont fait, spécialement à cette Académie3, et beaucoup mieux que je ne saurais le faire,
l’analyse et la critique, positive ou négative, des nouvelles doctrines américaines. Je ne crois
pas que ces doctrines aient exercé une influence directe importante sur les droits des pays
européens4. Mais je suis sûr qu’elles ont amené les juristes de ces pays, qu’il s’agisse des
professeurs, des magistrats ou des gouvernants, à reconsidérer leurs méthodes et leurs
solutions. Et le décalage que l’on constate de plus en plus aujourd’hui entre le droit
international privé des Etats de l’Europe de l’Est et celui des Etats de l’Europe occidentale, le
premier demeuré globalement très rigide, à l’exception, toutefois, de la Tchécoslovaquie, le
second devenant de plus en plus flexible, pourrait s’expliquer en partie par la plus grande
perméabilité du second aux influences d’outre-Atlantique.

2. La manifestation à mes yeux la plus tangible et sans doute la plus significative de la réponse
européenne occidentale au défi américain est précisément l’extension que ne cesse de prendre
en nos pays ce que je crois pouvoir appeler le principe de proximité, auquel seront consacrés
ces quelques chapitres.

Ce principe exprime simplement l’idée du rattachement d’un rapport de droit à l’ordre


juridique du pays avec lequel il présente les [p26] liens les plus étroits, du rattachement d’un
litige aux tribunaux d’un Etat avec lequel il présente, sinon le lien le plus étroit, du moins un
lien étroit, enfin d’une subordination de l’efficacité d’une décision à l’étroitesse des liens qui la
rattachent à l’autorité qui l’a prise.
Ce principe de proximité part donc du double postulat que le droit international privé doit
être appréhendé dans ses trois dimensions indissociables que sont le conflit de lois, la
compétence judiciaire et l’effet des jugements et décisions, et qu’il est, dans ces trois
dimensions, un droit de rattachement.

Le premier postulat implique que le droit international privé comprend aussi bien les conflits
de lois que les conflits de juridictions. Ce constat a toujours été admis en France5. A l’heure
actuelle, diverses codifications législatives récentes6, spécialement le projet suisse, ont
réglementé de pair compétence, conflits de lois et effets des jugements, et les droits qui
renvoyaient traditionnellement les conflits de juridictions au droit de procédure redécouvrent
leurs liens avec les conflits de lois7. Comment, en effet, prétendre parler utilement, par
exemple, du divorce en droit international privé, si l’on se contente d’indiquer qu’en tel pays
c’est telle loi qu’on applique, sans préciser les cas dans lesquels les tribunaux de ce pays sont
compétents et les conditions auxquelles ils reconnaissent un divorce prononcé à l’étranger.

Le second postulat, savoir que le droit international privé est un droit de rattachement, va de
soi dans la conception classique de la règle de conflit de lois et de la règle de compétence
juridictionnelle, directe ou indirecte, et il conserve sa valeur, que la règle soit unilatérale ou
bilatérale. Les récentes remises en cause de la règle de conflit peuvent rendre ce postulat
moins visible, mais elles ne parviennent pas à l’éliminer : qu’il s’agisse d’évincer tout critère
spatial pour ne retenir que la better law, ou d’écarter la règle de conflit au profit d’une loi de
police, ou même de s’affranchir des droits étatiques au profit d’un ordre juridique
transnational ou, pour parler plus simplement, de règles matérielles de droit international, le
problème demeure toujours, sous une forme ou sous une autre, de rattacher une situation à la
règle par laquelle on veut qu’elle soit régie8.

3. Si donc le droit international privé peut toujours, comme il semble, être considéré comme
un droit de rattachement, la question la plus importante est celle du fondement des
rattachements retenus.
[p27] A cet égard, il est au moins un point qui rencontre un accord quasi général : c’est

l’affirmation de la nécessité de parvenir à un règlement raisonnable du rapport de droit «


hétérogène »9, ce qui implique l’acceptation de l’application, même limitée, d’une loi
étrangère10, justifiée jadis, au XVIIe siècle, par ce que les Hollandais avaient appelé la comitas
gentium, qu’il faut traduire en français par la convenance réciproque des nations11 et en
anglais par la comity of nations.

Au-delà de ce point d’accord, les routes commencent à diverger. L’histoire du droit


international privé a été traversée de grands courants qui ont chacun cherché à dégager un
fondement unitaire, assorti d’exceptions inévitables, aux grandes règles de rattachement. Ce
fut le mérite de Savigny12, après les excès du territorialisme de l’école des statuts et avant ceux
du personnalisme de Mancini, de donner un fondement privatiste raisonnable aux grandes
règles de rattachement dégagées par l’école italienne. Mais autant son idée de déterminer la
loi applicable à un rapport de droit par la localisation du « siège » de ce rapport s’est révélée
féconde, autant la méthode de détermination de ce siège, à partir de la « nature » du rapport
de droit a montré avec le temps ses limites, mises en évidence par les analyses et les
complexités de l’école particulariste.

En réponse au reproche d’abstraction adressé à l’école savignienne, spécialement, mais non


exclusivement, par les Américains13, l’époque contemporaine a vu se développer,
principalement en Europe occidentale, le principe qu’un rapport de droit doit être régi par la
loi du pays avec lequel il entretient les liens les plus étroits et qu’un litige doit être rattaché,
autant qu’il est possible, au for le plus proche.

Ce principe n’aurait pas vu le jour sans la percée opérée par Savigny, mais nous verrons qu’il va
bien au-delà de la pensée du fondateur. Je voudrais, dans le domaine des conflits de lois puis
dans celui des conflits de juridictions, rechercher les manifestations de ce principe, son
fonctionnement et ses implications. Je voudrais aussi en éprouver les limites, les lignes de
résistance et rechercher s’il est possible, en ce siècle finissant, de construire sur lui un système
de droit international privé préservant l’essentiel de l’acquis et permettant certaines avancées.

Je ne peux exclure d’avance un risque. Il est certain que toutes les règles de rattachement ne
reposent pas actuellement sur ce principe de proximité. Or, leur fonctionnement, comme
nous le [p28] verrons, est dans la dépendance de leur fondement. La pluralité des fondements
ne risque-t-elle pas de provoquer une fragmentation du système, ce qui pourrait conduire à
s’interroger non seulement sur l’existence même d’une « théorie générale » des conflits de lois,
mais aussi sur les rapports que peuvent entretenir des règles de rattachement à fondement
différent.

PREMIÈRE PARTIE - LE PRINCIPE DE PROXIMITÉ DANS LES CONFLITS DE


LOIS
[p29]

4. Dans une première approximation, le principe de proximité pourrait s’exprimer par la règle
de conflit de lois suivante : « Un rapport de droit est régi par la loi du pays avec lequel il
présente les liens les plus étroits. »

Les justifications qu’on peut trouver à une telle solution sont nombreuses. C’est avant tout son
apparente objectivité qui devrait la rendre facilement universalisable et par là même satisfaire
aux objectifs largement admis du droit international privé :

l’uniformité des solutions et l’élimination des situations boiteuses14;


le respect des attentes légitimes des parties;
l’équilibre entre les intérêts respectifs des Etats à régir la situation, ceux dont la loi n’a pas
été retenue ne pouvant a priori se plaindre, puisque, par hypothèse, la situation
présentait un lien plus étroit avec le droit d’un autre Etat;
la « justice » de la solution du conflit de lois15, car cette solution ne dépend plus d’un
facteur de rattachement abstrait, souvent inadapté à une situation concrète, mais d’un
rattachement déterminé concrètement pour la situation considérée.

C’est par ce dernier trait que le principe de proximité se distingue fondamentalement de la


doctrine de Savigny. Savigny pensait que tout rapport de droit avait un siège, et que celui-ci
devait être dégagé de la « nature » de ce rapport de droit16, notion elle-même abstraite et
quelque peu métaphysique. Ainsi, Savigny pouvait-il justifier l’application à l’état des
personnes de la loi du domicile17; aux droits réels, de la loi de la situation de la chose18; à
l’obligation contractuelle, de la loi du lieu de son exécution19; aux successions, de la loi du
domicile du défunt20; au mariage, de la loi du domicile du mari21. C’est seulement pour la
forme des actes que Savigny consentait à se départir d’une analyse fondée exclusivement sur la
nature du rapport de droit, analyse qui le conduisait à l’application [p30] de la loi du fond, pour
admettre, dans un souci de faveur à l’agent, une application concurrente limitée de la loi
locale22.

Le principe de proximité ne rejette pas a priori l’analyse de la nature du rapport de droit, mais
il ne l’estime pas suffisante. De fait, comme l’a fait remarquer Wengler23, quelle localisation
commande la nature du rapport de droit, si celui-ci consiste en un échange de deux
immeubles situés dans des pays différents, conclu entre deux personnes domiciliées dans
deux Etats différents? Au surplus, la « nature » du rapport de droit ne peut résulter que d’une
analyse du droit interne et l’on sait depuis Kahn et Bartin qu’à défaut de communauté
juridique entre les droits en conflit cette analyse est condamnée à produire, par le passage
obligé de la qualification, des solutions divergentes d’un système à l’autre.

Aussi, à la démarche abstraite de Savigny, le principe de proximité substitue-t-il une démarche


concrète, fondée sur l’examen des différents éléments de la situation dans son ensemble. La
différence des deux méthodes n’apparaît nulle part mieux que dans le droit international privé
allemand des contrats où précisément, jusqu’à l’introduction dans le droit allemand (loi du 25
juillet 1986) des dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980, les deux méthodes ont
coexisté dans une difficile harmonie. On sait en effet que le juge allemand, à défaut de volonté
expresse ou implicite des parties quant au choix de la loi applicable au contrat, devait
rechercher, si elle existait, la volonté hypothétique des parties – ce qui n’était pas autre chose
qu’une recherche de la localisation concrète de la situation contractuelle, donc une
application du principe de proximité ; et c’était seulement s’il ne parvenait pas, par cette
méthode concrète, à dégager le centre de gravité du contrat qu’il devait revenir à la méthode
abstraite de Savigny, c’est-à-dire à l’application à chaque obligation de la loi de son « siège »,
c’est-à-dire de la loi du lieu de son exécution24.

5. Le domaine d’élection du principe de proximité est, à l’heure actuelle, le droit des


obligations, spécialement contractuelles. La recherche de la loi applicable s’y fait souvent
directement par la détermination du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus
étroits, avec le risque corrélatif d’une certaine imprévisibilité des solutions, que d’importantes
conventions internationales s’efforcent de prévenir.
On pourrait théoriquement généraliser le principe et l’étendre, par exemple, au statut
personnel ou aux successions comme certains [p31] l’ont proposé depuis longtemps25, mais
avec un succès limité26. Dans ces domaines, le besoin de sécurité paraît l’emporter et les droits
positifs nationaux contiennent en général une règle assez rigide, rattachant par exemple le
statut personnel à la loi nationale ou à la loi du domicile. Une telle règle résulte le plus souvent
de considérations historiques et ne peut se réclamer du principe de proximité qui précisément
ne permet pas de choisir, a priori et abstraitement, entre le rattachement à la nationalité et le
rattachement au domicile. Le fait même que certaines règles de conflit ne reposent pas sur le
principe de proximité nous obligera, dans un premier temps, à présenter successivement, pour
mieux les opposer, le principe de proximité et ceux qui le concurrencent (infra, chapitre I).

Cependant, même lorsque le principe de proximité n’inspire pas directement la règle de


conflit, et c’est le cas en matière de statut personnel, il ne s’efface pas pour autant
complètement. Tout d’abord, il faut tenir compte de la relative jeunesse de ce principe, qui
conserve encore une force d’expansion puissante. Déjà, il pénètre plus ou moins
subrepticement dans des domaines qui ne sont pas traditionnellement les siens, et même
subvertit certaines règles de conflit reposant sur d’autres fondements, assez usés, comme celui
de la souveraineté. Il nous faudra donc, dans un second temps, examiner l’intervention du
principe de proximité dans le fonctionnement de règles de conflit qu’il n’inspire pas
directement, spécialement dans le domaine du statut personnel (chapitre II).

Enfin, et de plus en plus, le principe de proximité a vocation à intervenir non plus pour
inspirer, mais pour corriger la règle de conflit de lois lorsque, dans des cas limites, celle-ci
désigne une loi qui ne coïncide pas du tout avec la localisation concrète de la situation et dont
l’application risque de conduire à une solution injuste ou boiteuse. Cette fonction correctrice
du principe de proximité fera l’objet d’un dernier chapitre (chapitre III).

CHAPITRE I - LE PRINCIPE DE PROXIMITÉ ET LES PRINCIPES


CONCURRENTS
[p32]

6. Le principe de proximité est un fondement parmi d’autres des règles de rattachement. Mais
actuellement nous assistons au déploiement de ce principe dans le droit contemporain, nous
le voyons se mettre progressivement en place aux dépens d’autres principes. Il serait, toutefois,
prématuré de prévoir la disparition de ces autres principes. Affirmer, avec Alfred von
Overbeck27, que « les règles de conflit visent à appliquer la loi avec laquelle l’affaire a les liens
les plus étroits … Ainsi, en matière de droit de famille, les uns optent pour la nationalité, les
autres pour le domicile ,»

ne me paraît pas faire leur juste place aux autres principes que vient aujourd’hui concurrencer
le principe de proximité.
Ce chapitre présentera dans un premier temps le principe de proximité d’abord dans son
domaine propre de moins en moins contesté, qui est celui des obligations contractuelles, puis
dans un domaine voisin qui est souvent assimilé au précédent, celui des régimes
matrimoniaux. L’étude de l’apparition du principe et des formes qu’il revêt nous permettra,
dans un second temps, de faire apparaître les principes opposés, avec les rides qu’ils ont prises
avec le temps, mais aussi avec toute la force qu’ils conservent. Ainsi, pourrons-nous déjà
entrevoir les rapports qu’ils peuvent entretenir avec le principe de proximité.

Section I - Le principe de proximité dans le droit des contrats et dans celui des
régimes matrimoniaux

Sous-section I - Le principe de proximité dans le droit des contrats


7. C’est dans le domaine des contrats, lorsque les parties n’ont pas choisi d’un commun accord
la loi applicable, que l’on est parvenu, pour la première fois, semble-t-il, à dégager la solution
qu’un [p33] rapport de droit, en l’espèce, le contrat, devait être régi par la loi du pays avec lequel
il présente les liens les plus étroits.

Nous verrons comment ce principe s’est fait jour peu à peu dans des droits qui préféraient à
l’origine des critères fixes, puis, après son triomphe, les formes diverses qu’il revêt aujourd’hui.

Par. 1 - L’apparition du principe de proximité dans le droit international privé


des contrats
8. Mon propos n’est pas ici de faire une étude comparative exhaustive du droit international
privé des contrats. Il est seulement de montrer, à partir de quelques exemples, comment la
jurisprudence est parvenue, grâce au principe de proximité, à déverrouiller les rattachements
fixes antérieurement retenus, soit pour leur faire lâcher prise complètement, soit pour en
retarder l’effet au cas où la recherche du pays avec lequel le contrat présenterait les liens les
plus étroits ne donnerait aucun résultat.

On peut d’ailleurs observer que la jurisprudence n’a pu agir dans le sens indiqué que là où il
n’existait pas de règle de conflit législative en matière de contrat. L’intervention prématurée du
législateur en ces domaines a généralement eu un effet paralysant, comme on peut l’observer
en Italie28 et dans quelques autres pays29.

A la fin du XIXe siècle, les rattachements prédominants en matière de contrats étaient le lieu
de conclusion, dans les pays fidèles à la tradition des postglossateurs, et le lieu d’exécution,
dans ceux marqués par la doctrine de Savigny. La France et l’Angleterre sont de bons exemples
de pays où le principe de proximité s’est introduit dans des systèmes qui rattachaient
auparavant le contrat à la loi du lieu de conclusion. La Suisse et l’Allemagne illustrent le même
phénomène à partir d’un rattachement originaire à la loi du lieu d’exécution.
A) - L’apparition du principe de proximité dans les droits rattachant
originairement le contrat à la loi du lieu de conclusion
9. 1) Le droit français 30. Quelques jalons, dans la lente évolution de la jurisprudence française,
suffisent à montrer comment la nécessaire flexibilité de la règle de conflit en matière de
contrat va peu à peu trouver son expression dans le principe de proximité.

Le grand arrêt auquel on fait remonter les solutions modernes [p34] est celui de la chambre
civile de la Cour de cassation du 5 décembre 191031. Cet arrêt qui a énoncé pour la première
fois aussi nettement le principe de l’autonomie de la volonté, en des termes dont le «
subjectivisme » a été maintes fois souligné32, a pris aussi la peine de formuler le rattachement
subsidiaire à défaut de choix par les parties de la loi applicable : « attendu que la loi
applicable au contrat … est celle que les parties ont adoptée; que si, entre personnes de
nationalités différentes, la loi du lieu où le contrat est intervenu est en principe celle à laquelle
il faut s’attacher, ce n’est donc qu’autant que les contractants n’ont pas manifesté une volonté
contraire ; que non seulement cette manifestation peut être expresse, mais qu’elle peut
s’induire des faits et circonstances de la cause, ainsi que des termes du contrat .»

Cette solution est très proche de celle que reprendra l’article 25 des dispositions préliminaires
du Code civil italien. A défaut de choix des parties, la Cour de cassation retient deux
rattachements fixes, qui interviennent l’un après l’autre : la nationalité commune des parties,
puis le lieu de conclusion du contrat. Mais on remarque tout de même qu’en admettant que la
volonté des parties puisse s’induire des faits et circonstances de la cause la Cour de cassation
laisse en fait au juge toute possibilité d’écarter la loi du lieu de conclusion si elle ne correspond
pas à la localisation raisonnable du contrat.

Vingt ans plus tard, le 31 mai 193233, la Cour de cassation énonce que : « La loi du lieu où le
contrat est intervenu et doit être exécuté est en principe celle à laquelle il faut s’attacher. »
C’est encore apparemment un rattachement fixe qui est retenu, mais il s’agit cette fois d’un
groupe de rattachements comprenant à la fois le lieu de conclusion et le lieu d’exécution. La
localisation des deux indices dans un même pays est assurément une indication des liens du
contrat avec ce pays. L’arrêt ne précise pas la solution à retenir lorsque ces deux indices sont
localisés en des pays différents.

Une étape décisive sera franchie le 6 juillet 195934 lorsque la tour de cassation affirmera que «
la loi applicable aux contrats … est celle que les parties ont adoptée; qu’à défaut de déclaration
expresse de leur part, il appartient aux juges de rechercher, d’après l’économie de la
convention et les circonstances de la cause, quelle est la loi qui doit régir les rapports des
contractants .»

Cet arrêt renonce, pour la première fois, à tout rattachement fixe et laisse au juge le soin de
déterminer la loi applicable « d’après l’économie de la convention et les circonstances de la
cause ». Du même coup, la notion de volonté implicite, si utile dans le système de
rattachements fixes de l’arrêt de 1910, perd sa raison d’être et disparaît, la seule volonté retenue
par l’arrêt étant celle qui s’est déclarée de manière expresse.

Les termes de « liens les plus étroits » ou de « localisation » ne sont pas encore utilisés, mais
l’idée est déjà présente et sera explicitée dans les arrêts les plus récents. La formule utilisée par
la Cour de cassation depuis un arrêt du 25 mars 198035 est la suivante : « si la localisation du
contrat dépend de la volonté des parties, c’est au juge qu’il appartient, après avoir interprété
souverainement leur commune intention quant à cette localisation, de déduire de celle-ci la
loi applicable au contrat litigieux .»

Ainsi, au terme provisoire de l’évolution, la notion de localisation, qui n’est guère différente du
principe de proximité, apparaît-elle dans la jurisprudence française comme une explication
globale de la règle de conflit, aussi bien en cas de choix qu’en l’absence de choix par les parties
de la loi applicable.

C’est la différence principale avec la jurisprudence anglaise qui, si elle utilise directement et
depuis longtemps la notion et l’expression de « liens les plus étroits » pour déterminer la loi du
contrat, ne le fait qu’à défaut de choix par les parties de la loi applicable.

10. 2) Le droit anglais, lui aussi, est parti, sous l’influence du Hollandais Huber36, du
rattachement du contrat à la loi du lieu de conclusion, à défaut de volonté contraire des
parties. Mais la détermination du lieu de conclusion tirée du passage du Digeste cité par Huber
(« Contraxisse unusquisque in eo loco intelligetur in quo ut solveret se obligavit »)37 manquait de
netteté et conduisait à présumer que le lieu de conclusion se situait dans le pays du lieu
d’exécution. Aussi, les juges anglais, tout en rendant pendant longtemps un hommage de pur
principe au lieu de conclusion, ont-ils très vite admis que le contrat, à défaut de choix, était
régi par la loi du pays avec lequel le contrat avait « its closest and most real connection ». La
Court of Appeal, en 189138, tout comme le fera en 1932 la [p36] Cour de cassation française39, ne
retiendra le lieu de conclusion que s’il coïncide avec le lieu d’exécution, et, depuis 195140, la
most real connection est seule retenue, sans qu’aucun des indices généraux courants, comme le
lieu de conclusion, le lieu d’exécution, la résidence des parties, le lieu où elles font des affaires,
ait un rôle prépondérant.

Là encore, le principe de proximité a eu raison, sans avoir d’ailleurs à livrer de bataille bien
terrible, du rattachement au lieu de conclusion.

B) - L’apparition du principe de proximité dans les droits rattachant


originairement le contrat à la loi du lieu d’exécution
11. Le rattachement du contrat à la loi du lieu d’exécution, ou plutôt le rattachement de
chacune des obligations nées du contrat à la loi du lieu de son exécution, était le système
préconisé par Savigny41. Fondé sur l’analyse abstraite du siège de l’obligation, il avait une
valeur dogmatique qui devait offrir une résistance plus grande que celle du lieu de conclusion
au mouvement favorable à la localisation concrète du contrat.
42
12. 1) En Allemagne, le système de Savigny faisait sa place à l’autonomie de la volonté42. Aussi,
les tribunaux, pour échapper à la rigidité du rattachement subsidiaire au lieu d’exécution de
l’obligation, ont-ils décidé, à l’instar de ce qu’avait fait l’arrêt français de 1910 pour échapper au
rattachement fixe au lieu de conclusion, que le rattachement subsidiaire ne s’appliquerait qu’à
défaut de volonté implicite ou présumée des parties. La notion de volonté présumée
(mutmassliche Wille), qualifiée plus souvent aujourd’hui de volonté hypothétique
(hypothetische Wille)43, était à l’origine une extension de la volonté implicite. Le juge, en
recherchant la loi que les parties auraient choisie si elles avaient vu la nécessité de faire une
élection de droit, se faisait l’exécuteur de la volonté des parties.

Mais, très vite, ce fondement subjectif de la volonté hypothétique a été ressenti comme un pur
artifice, et le Bundesgerichtshof fut amené à décider avec une parfaite clarté que le juge, en
recherchant la volonté hypothétique, devait rechercher le centre de gravité (Schwerpunkt), le
rapport spatial le plus étroit (die engste räumliche Beziehung) et procéder à une pesée des
intérêts sur une base objective : « La volonté hypothétique n’est pas déterminée par les idées
subjectives des parties. Il s’agit bien plus d’évaluer sur des bases objectives les intérêts des
parties et de découvrir si le centre de gravité du rapport contractuel fait ressortir
objectivement un système de droit donné pour l’ensemble de ce rapport contractuel. 44 »

C’est seulement si cette volonté hypothétique ne pouvait être décelée que le juge revenait à la
détermination abstraite du siège de l’obligation et appliquait à chacune d’entre elles la loi du
lieu de son exécution. Le principe de proximité s’est donc introduit en Allemagne en se
constituant un espace, qui n’a cessé de s’élargir, entre l’autonomie de la volonté et le
rattachement subsidiaire fixe au lieu d’exécution, mais sans parvenir, avant la réforme
législative de 1986, à éliminer complètement ce dernier.

13. 2) En Suisse 45, il est bien connu que le Tribunal fédéral, qui admettait auparavant sans
vergogne le principe de l’autonomie de la volonté dans le droit international privé des
contrats, avait opéré en 190646 un brusque retour en arrière, sous l’influence, probablement,
des doctrines françaises (Pillet, Bartin) alors hostiles à cette autonomie. L’arrêt de 1906 avait
introduit ce qu’on a appelé la ou plutôt les « coupures » du contrat, d’abord la « grande
coupure » entre la formation et les effets du contrat, la première étant impérativement régie
par la loi du lieu de conclusion et les seconds par la loi choisie par les parties, puis la « petite
coupure » entre les effets du contrat, ce qui voulait dire qu’à défaut de loi choisie par les
parties chacune des obligations issues du contrat était régie, selon la doctrine de Savigny, par
la loi du lieu de son exécution.

Les années suivantes ont vu l’abolition progressive, d’abord de la petite coupure, condamnée
au moins implicitement dans les années trente, puis de la grande coupure, en 1952, au profit
dans les deux cas du principe de proximité.

L’arrêt Chevalley, du 12 février 195247, est parfaitement explicite sur ces deux points. De la
petite coupure, il dit que « le Tribunal fédéral condamne expressément la théorie dite de la
division des effets du contrat, consistant à déterminer séparément le droit applicable aux
obligations de l’une et aux obligations de l’autre partie »
[p38]
et il précise qu’il faut appliquer aux effets d’un contrat, à défaut d’une volonté déterminée
des parties « le droit du pays avec lequel le contrat est dans le rapport territorial le plus étroit
». Il ne retient pas la notion intermédiaire de volonté présumée des parties et relève avec
réalisme que « la volonté présumée des parties ne fait en définitive que recouvrir l’ensemble
des critères objectifs auxquels le juge recourt pour rattacher le contrat à un lieu déterminé »

et que « cette notion a fini par se confondre avec celle du rapport territorial le plus étroit »48. Il
n’est pas plus tendre pour la grande coupure :

« le système de la coupure générale du contrat doit en effet être abandonné. Il brise d’une
manière artificielle l’unité du rapport contractuel … Il convient dès lors en principe
d’appliquer une loi unique à toutes les questions en relation avec la conclusion et les effets du
contrat. Cette loi sera celle du lieu avec lequel le rapport juridique considéré a le lien
territorial le plus étroit, à moins, cependant, que les parties n’aient désigné une autre loi, par
une convention expresse ou résultant d’actes concluants 49.»

Le principe de proximité triomphe donc en Suisse plus nettement encore qu’en Allemagne.
Non seulement, l’expression trompeuse de volonté présumée ou hypothétique est
abandonnée, mais surtout le rattachement subsidiaire au lieu d’exécution de l’obligation,
branche morte dans l’évolution moderne du droit international privé des contrats, a été
complètement élagué par le Tribunal fédéral suisse.

14. Ce premier paragraphe nous a donc montré que les droits considérés, qui n’étaient pas
tenus par des textes législatifs contraignants, sont parvenus, dans des limites variables, à
s’affranchir d’un rattachement fixe en utilisant plus ou moins expressément la notion de lien
territorial le plus étroit, ou, si l’on préfère, le principe de proximité.

Mais pour arriver à quel résultat? Quel est le point d’arrivée de cette évolution, quelles sont les
formes prises aujourd’hui par le principe de proximité dans le droit international privé des
contrats?

Par. 2 - Les formes actuelles du principe de proximité dans le droit


international privé des contrats
[p39]

15. En éliminant très largement les critères subsidiaires rigides, le principe de proximité a
permis aux partisans d’un système conflictualiste de répondre à ceux qui lui reprochent de
déboucher sur des solutions qui, pour être prévisibles, sont souvent abstraites, artificielles et
sans plus aucun contact avec la réalité. Mais le danger corrélatif d’un réalisme excessif est de
détruire à l’inverse toute règle de conflit et de se contenter d’un rattachement au coup par
coup de chaque rapport de droit à la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus
étroits50.

L’examen des droits déjà considérés et celui de récentes conventions internationales montrent
que si le principe de proximité a pu en effet parfois détruire en la matière toute prévisibilité, il
a débouché souvent aussi sur un affinement de la règle de conflit, conciliant prévisibilité de la
solution et réalisme du résultat.

16. A) C’est en France et en Angleterre que le risque signalé s’est réalisé et que la règle de
conflit s’est entièrement dissoute dans le principe de proximité. Le contrat, dans ces deux
pays, en tout cas à défaut de choix par les parties, est régi par la loi du pays avec lequel il
présente les liens les plus étroits, sans qu’aucun indice de localisation y soit privilégié par
rapport aux autres. Deux exemples suffiront à le montrer. L’un est pris dans la jurisprudence
française, l’autre dans la jurisprudence anglaise, et ils ont l’avantage de se rapporter à des
espèces assez comparables.

L’espèce française est tirée d’un arrêt de 1977 dans une affaire Vetrocemento Armato 51. Elle
concernait une vente d’Italie en France, conclue avant l’entrée en vigueur de la Convention de
La Haye du 15 juin 1955 et donc soumise au droit international privé commun français. La cour
d’appel, observant que le vendeur italien s’était obligé à livrer la marchandise en France, avait
déclaré le contrat soumis au droit français, droit du lieu d’exécution du contrat. L’arrêt est
cassé, car, dit la Cour de cassation, « la cour d’appel aurait dû ne pas s’en tenir au seul lieu
d’exécution, mais rechercher l’ensemble des circonstances de nature à déterminer la
localisation du contrat et en particulier, comme le lui demandaient les conclusions de la
[venderesse], si le paiement n’avait pas été fait en Italie en monnaie italienne .»
[p40] Ce même refus de toute présomption s’observe dans la célèbre espèce anglaise The

Assunzione jugée par la Court of Appeal en 195452. Il s’agissait de l’affrètement d’un navire
italien par des affréteurs français pour un transport à effectuer de Dunkerque (France) à
Venise. La marchandise étant arrivée avariée, fallait-il appliquer au recours des affréteurs
contre l’armateur la loi française ou la loi italienne ?

Lord Singleton analyse scrupuleusement les éléments qui pourraient rattacher le contrat au
droit français et ceux qui le feraient pencher du côté du droit italien. Il ponctue cette analyse
par le commentaire suivant : « I believe it to be impossible to state any rule of general application
» et se prononce finalement en faveur du droit italien après avoir observé que le fret devait
être payé en monnaie italienne.

17. Bien entendu, ces solutions au coup par coup sont totalement incompatibles avec
l’admission du renvoi. Compréhensible, avec les nuances que nous rencontrerons, lorsque la
règle de conflit du for admet un rattachement rigide, comme naguère en Allemagne avec le
rattachement ultime de l’obligation à la loi du lieu de son exécution53, le renvoi perd toute
signification avec une règle de conflit qui laisse le juge localiser le contrat au vu des
circonstances concrètes de la cause. Le travail de précision accompli par le juge pour parvenir
à cette localisation concrète serait en effet anéanti par l’acceptation du renvoi à un autre droit
désigné, cette fois, par un critère abstrait tel que le lieu de conclusion, contraire au principe
fondant la règle de conflit du for.

18. B) En Allemagne et surtout en Suisse, le principe de proximité, loin de dissoudre la règle de


conflit, a conduit au contraire à son affinement.

Certes, en Allemagne, jusqu’à la récente réforme, cette affirmation devait être nuancée. La
recherche de la volonté hypothétique paraissait très incertaine lorsque les auteurs l’abordaient
dans la théorie générale du contrat. Reithmann54, par exemple, énumère dix-huit éléments
pouvant entrer en ligne de compte pour déterminer le centre de gravité du contrat55 et il
conclut ce développement en disant que l’existence même de cette liste montre qu’on ne peut
parvenir à la sécurité juridique.

Cependant, lorsqu’il passe à l’étude des contrats spéciaux, cet auteur montre que, sous la
rubrique « Hypothetische Wille », la jurisprudence est presque toujours parvenue à des
solutions précises [p41] et satisfaisantes, telles que la soumission des ventes d’immeubles à la
lex rei sitae, du cautionnement à la loi du domicile de la caution, de la commission à la loi de
l’établissement du commissionnaire, de la concession de licence à la loi du pays où la licence
doit être utilisée, du contrat d’édition à la loi de l’éditeur, du contrat de travail à la loi du lieu
d’exécution du travail, etc.

C’est seulement – mais l’exception est d’importance – pour la vente de marchandises que la
jurisprudence du BGH semblait encore mal fixée et ne pas se décider pour la loi du vendeur si
d’autres circonstances du contrat ne rattachaient pas la vente à cette loi56.

19. C’est en Suisse que le principe de proximité a porté ses plus beaux fruits ; c’est en effet en ce
pays que le Tribunal fédéral a fait triompher le critère de la prestation caractéristique comme
l’expression en principe la meilleure des liens les plus étroits d’un contrat avec un ordre
juridique57. On sait qu’après avoir hésité entre la loi du lieu d’exécution de la prestation
caractéristique et la loi du domicile ou de l’établissement de la partie qui fournit cette
prestation, le Tribunal fédéral s’est finalement fixé dans ce dernier sens à partir de 196658 : «
En vertu des règles du droit international privé suisse et en l’absence d’une élection de droit, la
loi applicable à un rapport de droit à caractère international est celle du pays avec lequel le
contrat présente la relation territoriale la plus étroite. Il s’agit, en général, du droit de la partie
dont la prestation est caractéristique du contrat litigieux. »

La solution a été confirmée en 1974 et en 19 7 559 et elle est reprise par le projet de codification
(version de 1982), article 114: « A défaut d’élection de droit, le contrat est régi par le droit de
l’Etat avec lequel il présente les liens les plus étroits ; ces liens sont réputés exister avec l’Etat
dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ou,
si le contrat est conclu dans l’exercice d’une activité professionnelle, son établissement. »
Le droit suisse offre donc un modèle de concrétisation du principe de proximité en un indice
privilégié mais non exclusif, puisque cet indice n’intervient que comme une présomption
susceptible d’être renversée par des éléments concrets contraires tirés des circonstances du
cas. Ce dernier trait préserve la prestation caractéristique du [p42] grief d’abstraction qu’elle
encourrait si elle était présentée comme un indice rigide et toujours déterminant.

20. C) C’est dans la même direction que se sont orientées les conventions internationales
récemment conclues, qui sont toutes parties du principe de proximité en s’efforçant de
concrétiser par un critère aisément praticable la notion de liens les plus étroits.

Cette concrétisation a cependant revêtu des formes assez variées.

La forme la plus simple, inspirée directement de la jurisprudence suisse, est celle qui privilégie
un indice unique, le pays dans lequel le débiteur de la prestation caractéristique a son
établissement, mais qui réserve la possibilité de la preuve contraire, au cas où le contrat
présenterait des liens plus étroits avec un autre pays. C’est la solution bien connue de l’article
4, paragraphes 1, 2 et 5, de la Convention de Rome du 19 juin 1980. Sa structure est en effet la
suivante :

1) Le contrat, à défaut de choix, est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens
les plus étroits (art. 4, par. 1).
2) Il est présumé que ce pays est celui où la partie qui doit fournir la prestation
caractéristique a sa résidence habituelle ou son établissement (par. 2).
3) Cette présomption est écartée lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le
contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays (par. 5).

21. Pour certains types de contrat, cependant, cette formule a paru trop simple et les
conventions ont eu recours à des solutions plus sophistiquées, telles que le groupement des
points de contact. Les exemples les plus connus se rencontrent surtout en matière de
responsabilité extracontractuelle60, mais ceux que l’on trouve en matière contractuelle sont
plus significatifs, car ils révèlent une plus grande diversité typologique.

La Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires et
à la représentation61 fournit l’exemple le plus caractérisé de groupements fixes de
rattachements prédéterminés, à l’instar des conventions sur la responsabilité
extracontractuelle. L’indice général retenu à titre de principe étant l’établissement de
l’intermédiaire (critère de la prestation caractéristique), il est apparu que dans certains cas –
qu’il s’agisse des relations internes entre l’intermédiaire et le représenté ou du [p43] pouvoir de
représentation de l’intermédiaire – la situation pouvait présenter un lien plus étroit avec un
autre pays. Et la particularité de cette convention est d’avoir défini à l’avance ces cas, afin
d’assurer la prévisibilité des solutions et d’ôter toute liberté d’appréciation aux juges. C’est
ainsi, à titre d’exemple, que la loi du pays dans lequel l’intermédiaire exerce son activité sera
préférée à celle du lieu où est situé son établissement, si la première coïncide, selon les cas,
avec la loi du pays où est situé l’établissement du représenté (art. 6, al. 2; art. 11, al. 2a)) ou avec
celle de l’établissement du tiers (art. 11, al. 2b)). La volonté des auteurs de la convention a donc
été de couvrir à l’avance le plus grand nombre possible de cas de figure et de leur donner à
l’avance la solution appropriée.

22. Les conventions conclues plus récemment s’efforcent aussi de prévoir les différentes
hypothèses possibles, mais, conscientes de la très grande variété des situations de fait, elles
donnent plus de souplesse aux règles qu’elles posent.

La Convention de Rome, par exemple, a cherché à préciser, pour le contrat de transport de


marchandises, le critère de la prestation caractéristique. II est apparu à ses auteurs que le
rattachement de principe à la loi du pays où est situé l’établissement du transporteur n’était
approprié que si ce pays était « aussi celui dans lequel est situé le lieu de chargement ou de
déchargement ou l’établissement principal de l’expéditeur » (art. 4, par. 4). Mais ce
groupement peut lui-même se révéler inapproprié et la convention prévoit que cette
présomption du paragraphe 4 est écartée lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que
le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays (par. 5).

La formule d’un groupement privilégié de points de contact, assorti d’une clause d’exception, a
encore été retenue par la récente convention de La Haye élaborée en octobre 1985 sur la loi
applicable aux contrats de vente internationale de marchandises. Fidèle au rattachement de
principe à la loi de l’établissement du vendeur, déjà retenu par la convention du 15 juin 1955 et
dont la justification s’est trouvée renouvelée par le succès de la doctrine de la prestation
caractéristique, la nouvelle convention a retenu dans certains cas la loi du pays où est situé
l’établissement de l’acheteur lorsque d’autres éléments significatifs se localisaient aussi dans ce
pays, soit l’existence de négociations et la conclusion du contrat en présence des deux parties
(art. 8, al. 2a)), soit la livraison des marchandises en vertu d’une clause expresse du contrat
(art. 8, [p44] al. 2b)), soit un appel d’offres lancé par l’acheteur à plusieurs entreprises
venderesses mises en concurrence (art. 8, al. 2c)).

Mais ces groupements, aussi significatifs soient-ils, peuvent être tenus exceptionnellement en
échec « si, en raison de l’ensemble des circonstances, par exemple, de relations d’affaires entre
les parties, la vente présente des liens manifestement plus étroits avec une loi autre… (art. 8,
al. 2c))62.»

23. Il faut encore signaler, parmi les conventions internationales, la Convention de La Haye du
1er juillet 1985 sur la loi applicable au trust et à sa reconnaissance. Bien qu’il ne s’agisse pas à
proprement parler d’un contrat, mais d’un acte unilatéral, les règles de conflit adoptées sont
fondées sur l’autonomie de la volonté et sur la localisation du trust. Lorsque le constituant du
trust n’a pas déterminé lui-même la loi applicable, comme il en a le pouvoir (art. 6), « le trust
est régi par la loi avec laquelle il présente les liens les plus étroits » (art. 7, al. 1). Mais, à la
différence des autres conventions, celle-ci ne privilégie aucun indice subsidiaire de
localisation du trust, ni même aucun groupement d’indices. Elle se contente d’indiquer de
façon purement énunciative quelques-uns des indices qui pourront être retenus : « Pour
déterminer la loi avec laquelle le trust présente les liens les plus étroits, il est tenu compte
notamment : a) du lieu d’administration du trust désigné par le constituant ; b) de la situation
des biens du trust ; c) de la résidence ou du lieu d’établissement du trustee; d) des objectifs du
trust et des lieux où ils doivent être accomplis. »

On arrive ici au terme extrême où peut mener le principe de proximité dans une convention
internationale : la quasi-dissolution de la règle de conflit dans le principe fondateur. On
pourrait s’étonner de ne pas trouver ici de règle plus précise. Mais il a été observé que la
lacune était moins grave en matière de trust qu’en matière de contrat. Car, le plus souvent, le
constituant déterminera lui-même la loi du trust, sans avoir, comme en matière de contrat, à
obtenir l’accord d’un cocon tractant63.

Conclusion sur le principe de proximité dans le droit des contrats

24. Les pages qui précèdent ont eu pour seul but de faire voir, dans un secteur privilégié, le
principe de proximité dans son œuvre de fécondation, de perfectionnement et, au besoin, de
dissolution de la règle de conflit de lois.

Si aucune place ne lui est faite par la règle de conflit en matière de contrat, la règle se sclérose.
Elle se fossilise. C’est le tristespéctacle que nous donnent les droits qui conservent en la
matière des règles législatives à rattachements fixes.

Si, au contraire, le principe de proximité envahit la règle de conflit au point de se substituer


entièrement à elle, comme c’est le cas dans les jurisprudences anglaise et française, et de façon
beaucoup plus limitée dans la Convention de La Haye sur les trusts, la règle de conflit se réduit
au principe que le contrat est régi par l’ordre juridique avec lequel il présente les liens les plus
étroits. Il reste un principe, avec lequel on pourra sans doute obtenir des solutions ponctuelles
appropriées, mais il n’y a plus de règle, ni de prévisibilité. Et, à la limite, si le principe de
proximité ainsi entendu se généralise, la dissolution du rattachement que nous constatons
dans le droit des contrats s’accompagnera d’une dissolution des catégories juridiques elles-
mêmes et fera par là même disparaître le problème des qualifications. Si le principe général
est que toute situation juridique est régie par le droit avec lequel elle présente les liens les plus
étroits, à quoi bon se demander si cette situation est de nature contractuelle ou délictuelle,
puisque, de toute façon, le rattachement se fera concrètement en examinant toutes les
circonstances de l’espèce ! Certains ont pu voir avantage à cette dissolution de la qualification,
justement pour résoudre les problèmes difficiles de rattachement des situations comportant à
la fois des aspects délictuels et des aspects contractuels64, mais il faut se garder d’aller trop
loin dans cette voie. Un système indifférencié qui renoncerait à ses catégories de règles de
conflit au profit d’un principe de rattachement unique au droit présentant avec la situation les
liens les plus étroits serait une formidable régression. Il priverait le juge de la sécurité
intellectuelle relative que lui apporte l’existence de règles, même flexibles, et sacrifierait la
prévisibilité des solutions même dans les matières où elle doit absolument être préservée (voir
infra, n° 109).
Entre ces deux extrêmes, nous avons vu qu’une place raisonnable pouvait être réservée au
principe de proximité, sans pour autant [p46] détruire la règle de conflit. Une formule consiste
à diversifier la règle de conflit en prévoyant à l’avance les diverses hypothèses concevables et
en prédéterminant les groupements d’indices à retenir. Une autre, plus souple, consiste à
privilégier un indice déterminé, ou un groupement déterminé d’indices, sauf à l’assortir d’une
clause d’exception laissée à l’appréciation du juge. Ainsi, pourront être conciliées la
prévisibilité de la solution et la justice du résultat.

Sous-section II - Le principe de proximité dans le droit des régimes


matrimoniaux
25. Au moment de quitter le droit des contrats, et avant de présenter les principes concurrents,
il nous faut encore observer le principe de proximité dans un secteur qui, tout au moins dans
la conception française, est très proche de celui des contrats ou en tout cas des actes
juridiques, celui des régimes matrimoniaux. Nous y trouverons confirmation des conclusions
précédentes, avec toutefois une ou deux précisions supplémentaires qui nous seront
précieuses pour la suite de ce cours.

La jurisprudence française considère que la détermination de la loi applicable au régime


matrimonial relève de la volonté des époux, qui peuvent l’exprimer par un contrat de mariage.
A défaut de contrat de mariage, les tribunaux recherchent dans quel pays les époux ont eu
l’intention de localiser leurs intérêts pécuniaires et présument que ce pays est celui dans
lequel ils ont fixé leur premier domicile matrimonial65.

Cette présomption repose bien, d’une certaine façon, sur le principe de proximité, sur l’idée
que c’est avec la loi du premier domicile matrimonial que les époux ont entendu établir les
liens les plus étroits quant au régime de leurs biens. Et, d’ailleurs, les cas dans lesquels la
présomption est renversée sont précisément ceux dans lesquels ce premier domicile ne
correspond pas à une localisation véritable de ces intérêts66, par exemple lorsqu’il s’agit du
premier domicile d’étudiants ou de diplomates.

Mais, beaucoup plus nettement qu’en matière de contrats, où, à défaut de choix par les parties
de la loi applicable, les tribunaux français procèdent à la localisation purement objective du
contrat sans se soucier d’une prétendue volonté implicite des parties, en matière de régime
matrimonial la localisation des intérêts des époux dans le pays de leur premier domicile est
toujours affirmée en [p47] corrélation avec la volonté de ces époux. Ainsi, un arrêt récent de
1984 relève, dans un sens approbatif, que « la cour d’appel a constaté que l’intention des époux
M., en 1912, avait été de localiser leurs intérêts pécuniaires en Italie et de se soumettre à la loi
italienne prévoyant pour régime légal celui de la séparation de biens 67.»

26. Cette intégration de l’intention des parties dans la localisation du régime matrimonial
emporte une importante conséquence quant au fonctionnement du principe de proximité.
Elle a pour résultat de bloquer toute mutabilité de plein droit de la loi applicable au régime,
même quand le centre de vie des époux s’est déplacé définitivement dans un autre pays et que
les liens les plus étroits de leurs intérêts pécuniaires sont désormais, si on les apprécie
objectivement, avec cet autre pays68.

Cette permanence du rattachement69 du régime matrimonial en dépit de la modification des


circonstances de localisation des intérêts du ménage paraît pouvoir s’expliquer par le rôle,
même fictif, attribué à la volonté des époux dans la détermination de la loi applicable au
régime légal. En effet, si la compétence de la loi du premier domicile se justifie par la volonté
présumée des parties au moment du mariage, ce serait faire échec à cette volonté que de
changer la loi du régime en cas de changement de localisation des intérêts du ménage70.

La contre-épreuve de cette analyse se trouve dans la Convention de La Haye du 14 mars 1978


sur la loi applicable au régime matrimonial. Cette convention, très proche du modèle français,
s’en distingue cependant en ce qu’elle dissocie nettement les cas dans lesquels la loi applicable
est déterminée par la volonté des parties et ceux dans lesquels elle est déterminée
objectivement et repose sur le principe de proximité71.

Dans la première hypothèse, le changement de localisation des intérêts du ménage est sans
effet de plein droit sur la loi applicable. Seuls les époux pourront, s’ils le veulent, en tirer les
conséquences et soumettre leur régime matrimonial à une loi autre que celle jusqu’alors
applicable (art. 6).

Mais dans la seconde situation, lorsque les époux n’ont pas choisi la loi applicable et que celle-
ci est, normalement, la loi de leur première résidence habituelle commune (art. 4), le
changement de localisation des intérêts du ménage pourra entraîner de plein droit [p48] un
changement de la loi applicable au régime. L’article 7, alinéa 2, prévoit en effet que la loi de la
nouvelle résidence habituelle commune des époux deviendra applicable au régime, soit
immédiatement, soit au terme d’un délai de dix ans, selon les liens des époux avec l’Etat de
leur nouvelle résidence.

27. De cette brève comparaison entre la jurisprudence française actuelle et la nouvelle


Convention de La Haye sur les régimes matrimoniaux, il semble que l’on puisse tirer au moins
deux enseignements.

Le premier est que le principe de proximité a tout à fait sa place dans les régimes
matrimoniaux. Comme en matière de contrats, ce principe prend la forme d’une règle de
conflit fondée sur un indice privilégié – le premier domicile – soumis à une correction
possible en fonction des circonstances ou du choix des personnes intéressées. L’observation ne
serait que banale si elle ne nous faisait pas découvrir que, lorsqu’il opère sur des situations
s’étalant sur une longue période de temps, le principe de proximité peut entraîner un
changement du rattachement s’il apparaît à un moment donné au cours de cette période que
le pays avec lequel la situation a les liens les plus étroits n’est plus le même qu’au début de
cette période.
Le second enseignement, plus précieux, est de nous révéler une sorte de complémentarité et
en même temps d’incompatibilité entre le principe de proximité et celui d’autonomie de la
volonté. Complémentarité en ce sens que la recherche de la volonté implicite des parties
passera par la recherche objective des liens les plus étroits des intérêts pécuniaires des époux
avec un pays déterminé. Incompatibilité en ce sens que la volonté, une fois établie, que ce soit
au moyen de cette localisation ou plus clairement par une déclaration expresse des époux,
aura pour effet, sauf manifestation expresse d’une volonté contraire, de fixer définitivement la
loi applicable, sans que cette détermination puisse être remise en cause par la preuve de liens
plus étroits de la situation avec un autre pays.

28. Il serait tentant de poursuivre ces analyses par l’examen d’autres secteurs des conflits de
lois, notamment la responsabilité extracontractuelle qui servit de champ d’expérimentation
aux nouvelles théories américaines et qui donna lieu aux premières tentatives réussies de
rattachement par groupement de points de contact [p49] (Conventions de La Haye des 4 mai
1971 et 2 octobre 1973). On pourrait aussi réinterpréter certaines règles de conflit
traditionnelles comme celles qui concernent le statut réel et le statut personnel à la lumière et
sur le fondement du principe de proximité.

Il est probable, comme nous aurons à le constater plus tard, que ces règles de conflit ne sont
pas incompatibles avec le principe de proximité. Mais il est certain que si on les aborde à
partir de la formulation unilatérale que leur donne, par exemple, l’article 3 du Code Napoléon,
on doit constater qu’elles reposent à l’origine sur des fondements qui n’ont rien à voir avec le
principe de proximité et qu’il est temps maintenant de présenter.

Section II - Les principes concurrents


29. Les principes concurrents, que nous allons essayer de saisir dans leur esprit général, sont
en eux-mêmes parfaitement admissibles. Leur coexistence avec le principe de proximité
confirme simplement le caractère pluraliste de tout système de droit international privé, pas
simplement le fameux pluralisme des méthodes (règles de conflit de lois, règles matérielles,
lois de police), mais aussi le pluralisme des fondements des règles de conflit elles-mêmes.

Ce que je voudrais montrer dans cette présentation sommaire, c’est que ces autres principes
ont souvent pour effet d’altérer le fonctionnement de la règle de conflit bilatérale et sont
même parfois en contradiction avec elle, ce qui n’exclut pas que certains d’entre eux puissent à
l’occasion se laisser infiltrer par le principe de proximité ou, si l’on préfère, qu’une règle de
conflit, fondée jadis sur l’un de ces principes concurrents, puisse être aujourd’hui fondée sur le
principe de proximité, sans que sa formulation ait apparemment changé.

Ces principes concurrents sont le principe de souveraineté, la finalité matérielle donnée à


certaines règles de conflit et l’autonomie de la volonté.
Par. 1 - Le principe de souveraineté

A) - Ses manifestations
30. Un Etat souverain est parfaitement fondé à exiger que certaines situations, certains
rapports de droit privé soient soumis à sa loi72. La théorie des statuts, telle que revue par les
Hollandais, [p50] n’avait pas d’autre fondement. Lorsque Huber préconisait l’application
territoriale des lois à tous les sujets se trouvant sur le territoire, même y résidant
temporairement73, c’était bien en raison de la souveraineté de l’Etat dans les limites de son
territoire. Et s’il consentait à l’application extraterritoriale de la loi d’origine, c’était
précisément ex comitate, à titre de concession au souverain étranger74, avec l’espoir que les
autres Etats appliqueraient réciproquement la loi hollandaise75. Et de même, plus tard, chez
Mancini, il n’est pas interdit de penser que l’application de principe de la loi nationale aux
nationaux expatriés trouvait sa justification la plus convaincante, au-delà de la prétendue
adaptation de la loi nationale au tempérament national, dans la compétence personnelle (au
sens du droit international public) de l’Etat à l’égard de ses nationaux.

Dans la jurisprudence française du XIXe et du début du XXe siècle, ce fondement de


souveraineté est invoqué plus ou moins implicitement pour rendre compte de la règle locus
regit actum ou de la soumission des délits à la loi du lieu de leur commission.

Dans la fameuse affaire Viditz 76, qui a permis à la Cour de cassation d’affirmer pour la
première fois en 1909 le caractère facultatif de la règle locus regit actum en matière de
testament privé, la cour d’appel d’Orléans, dans son arrêt cassé du 24 février 190477, avait
affirmé au contraire le caractère impératif de la soumission de la forme du testament aux lois
du pays où il est passé et avait précisé « que des conventions internationales pourraient seules
déroger au principe de la territorialité en ce qui touche la forme extérieure des actes .»

Et, en matière de responsabilité délictuelle, l’application de la loi française aux délits commis
en France était fondée expressément à la même époque sur l’article 3, alinéa 1, du Code
Napoléon, aux termes duquel « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le
territoire »78.

On pourrait montrer ainsi que de très nombreuses règles de conflit ont été fondées, à un
moment de leur histoire, ou sont encore, ici ou là, fondées sur le principe de souveraineté.
Nous aurons l’occasion d’y revenir, mais dans l’immédiat il est plus important d’essayer de
préciser les conséquences de ce principe sur les caractères et le fonctionnement des règles de
conflit qu’il inspire.

B) - Ses conséquences
[p51]
31. 1) Dans sa logique, le principe de souveraineté s’accommode beaucoup mieux d’un système
unilatéraliste que d’un système bilatéraliste. Le principe de souveraineté commande
l’application de la loi du for à certains rapports de droit (intéressant les nationaux de l’Etat du
for, ou des biens situés sur son territoire, ou des délits qui y ont été commis) et il accompagne
souvent cette revendication de compétence législative d’une revendication correspondante de
compétence juridictionnelle exclusive (for de la nationalité, for de la situation de l’immeuble).
L’ordre juridique du for peut se montrer indifférent à la loi appliquée et au tribunal saisi quand
le rapport de droit considéré se situe en dehors de sa sphère d’application. Il ne souffre pas
alors de l’application à ce rapport de la loi étrangère qui se veut applicable.

32. Le surgissement à l’époque contemporaine des lois d’application immédiate ou lois de


police n’infirme pas cette conclusion, bien au contraire. Ces lois qui, selon Ph. Francescakis79,
concernent l’organisation politique, économique ou sociale de l’Etat qui les édicté, et qui
relèvent donc directement du principe de souveraineté, opèrent bien selon un mode
unilatéraliste, qu’il s’agisse des lois de police du for ou des lois de police étrangères80. L’ordre
juridique du for impose unilatéralement l’application de ses lois de police aux situations
entrant dans leur domaine, et, selon la tendance qui s’affirme aujourd’hui, il laisse s’appliquer,
sous certaines conditions, les lois étrangères qui se veulent applicables, sans que celles-ci aient
été désignées par une règle de conflit bilatérale du for.

On pourrait rétorquer à cela que l’unilatéralisme n’est pas de l’essence des lois de police. Le fait
est que la similitude de certaines règles de police en droit comparé, concernant par exemple la
protection du travailleur, a pu conduire à des rattachements spéciaux bilatéraux, tel celui de la
relation de travail à la loi du lieu de son exécution81. Cette observation, exacte en elle-même,
n’ôte rien à la constatation que, dans un premier temps, la règle de police est appréhendée
selon un mode unilatéraliste. Et c’est seulement après qu’elle s’est en quelque sorte banalisée,
et que sa charge de souveraineté s’est quelque peu diluée, qu’elle peut devenir passible d’une
règle bilatérale.

On pourrait aussi objecter que, pour les lois de police étrangères en tout cas, l’unilatéralisme
est très imparfait82, en raison du [p52] pouvoir d’appréciation laissé au juge par les divers textes
inspirés de l’article 7 de la Convention de Rome. Tandis que dans un système unilatéraliste à
l’état pur, comme celui institué par l’article 310 du Code civil français en matière de divorce
(loi du 11 juillet 1975), la loi étrangère « qui se reconnaît compétence » est appliquée par le juge
du for sans autre contrôle que celui de l’ordre public. Mais la différence tient uniquement au
fait que, pour le divorce, la loi étrangère qui se veut applicable ne vient en concurrencer
aucune autre, la loi du for étant par hypothèse non applicable, tandis que les lois de police
étrangères, lorsque leur application est admise, interviennent toujours aux dépens de la loi
normalement applicable au rapport juridique en vertu de la règle de conflit de lois. Il est donc
compréhensible que le juge saisi pèse, dans chaque cas concret, les avantages et les
inconvénients de son application.
Les observations qu’on pourrait faire à propos des lois de police et des particularités de leur
mode d’application ne remettent donc pas en question l’affirmation que le principe de
souveraineté s’accommode mieux de règles unilatérales que de règles bilatérales.

33. L’observation du droit positif montre cependant que le principe de souveraineté peut
s’accommoder de règles de conflit bilatérales. La règle de conflit unilatérale de l’article 3,
alinéa 3, du Code Napoléon (« les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent
les Français, même résidant en pays étranger ») a été dès les premiers temps bilatéralisée par
la Cour de cassation et il en a été de même en Allemagne des règles unilatérales de la loi
d’introduction du Code civil83.

Mais il est à remarquer que cette bilatéralisation des règles de conflit fondées sur l’idée de
souveraineté ne résulte pas de la nature des choses. Elle résulte d’une concession de l’Etat du
for, elle-même fondée sur l’idée de réciprocité. Rappelons encore que pour Huber l’application
aux Pays-Bas des lois personnelles étrangères est consentie ex comitate, dans l’espoir que les
Etats étrangers appliqueront la loi personnelle hollandaise aux Hollandais qui se trouveront
sur leur territoire. C’est pour faire accepter l’extraterritorialité de la loi personnelle du for que
le for consent à laisser s’appliquer les lois personnelles étrangères. C’est le terme de réciprocité
qui est le plus souvent utilisé pour justifier ce résultat, et non celui de bilatéralité.

L’arrêt déjà cité de la cour d’appel d’Orléans84 dans l’affaire Viditz illustre par contraste ce qui
vient d’être dit. Après avoir affirmé le caractère impératif de la règle locus regit actum, il refuse
[p53]
de bilatéraliser l’article 999 du Code civil admettant que le Français peut tester à l’étranger
en la forme olographe, au motif que cet article « ne permet pas d’invoquer une prétendue
réciprocité, qui n’existe pas »85. Et plus récemment, en 1947, l’auteur français Pierre Louis-
Lucas, que l’on peut rattacher à la grande tradition statutaire86, prêchant pour la bilatéralité
de la règle de conflit, intitulait son étude: « L’idée de réciprocité dans le règlement des conflits
de lois »87 et justifiait ce que nous appelons aujourd’hui la bilatéralité par l’idée de réciprocité,
« inspirée, comme elle doit l’être, par l’idée de souveraineté »88.

La bilatéralité apparaît donc comme une concession de la souveraineté du for aux


souverainetés étrangères, elle n’est pas de l’essence de la règle de conflit fondée sur le principe
de souveraineté.

34. 2) C’est la raison pour laquelle la bilatéralité d’une règle de conflit fondée sur le principe de
souveraineté ne peut être que conditionnelle.

On pourrait vouloir dire par là que l’application de la loi d’un Etat étranger est subordonnée
par la règle de conflit du for à l’application réciproque par cet Etat étranger de la loi du for
dans une hypothèse symétrique. Le droit international privé comparé révèle parfois cette
intrusion de la condition de réciprocité ainsi entendue dans le règlement des conflits de lois,
notamment en matière successorale89. Il s’agit là d’une forme pervertie de la réciprocité qui
complique inutilement le fonctionnement de la règle de conflit et qui doit en toute hypothèse
être condamnée90.
Quand je dis que la règle de conflit fondée sur la souveraineté n’est bilatérale que
conditionnellement, je veux dire autre chose. Je veux dire que l’ordre juridique du for qui, par
exemple, ne prétend pas régir le statut personnel des étrangers, se borne à offrir à l’Etat
national de ces étrangers, à condition qu’il l’accepte, la compétence de régir par sa loi le statut
de ses nationaux. Dans la logique de la souveraineté, cette compétence est offerte, elle n’est
pas attribuée, encore moins imposée.

Le renvoi, comme Westlake l’avait compris, apparaît ainsi comme le complément nécessaire
d’une règle de conflit bilatérale fondée sur le principe de souveraineté.

35. Je sais qu’une telle affirmation est en contradiction formelle avec une doctrine aussi forte
que celle de Bartin, qui motivait précisément son refus du renvoi par le fondement de
souveraineté qu’il attribuait aux règles de conflit de lois. C’est que Bartin, qui [p54] s’est
longuement expliqué à ce sujet91, avait de la souveraineté, ou plutôt du rôle joué par la notion
de souveraineté dans le règlement des conflits de lois, une conception extrême et sans doute
excessive. Il rejetait avec dégoût la notion de comitas gentium 92 comme fondement de
l’application des lois étrangères et du même coup la conception que Westlake se faisait du
renvoi93. Il voyait dans cette vieille notion dégagée par les Hollandais l’« inguérissable
faiblesse »94 de la jurisprudence française favorable au renvoi. Pour lui, la règle de conflit
française avait toujours la même force, « qu’il s’agisse pour elle de déterminer impérativement
les rapports de droit auxquels elle entend elle-même s’appliquer » ou « pour déterminer
impérativement la loi étrangère interne à laquelle ces rapports de droit lui paraissent devoir
obéir »95.

Raisonnant en termes de souveraineté, Bartin ne se contentait pas d’affirmer la compétence de


la souveraineté française pour déterminer le champ d’application de la loi française, il plaçait
cette souveraineté au-dessus des autres souverainetés – et, en cela, il ruinait le principe même
de souveraineté sur lequel il prétendait bâtir son raisonnement – en lui reconnaissant la
compétence de délimiter les compétences respectives des autres souverainetés. Cette pointe
extrême et à mon sens contradictoire apparaît dans le passage suivant. La loi française «
s’arroge le droit de fixer les limites de la souveraineté des Etats dans l’ordre du droit privé, aussi
bien en se réservant de régir certains rapports de droit qu’en se refusant à régir les autres. Elle
s’érige en arbitre de la souveraineté, dans l’ordre du droit privé, aussi bien en traçant les limites
de la sienne propre qu’en déterminant le domaine des autres ou de chacune des autres. 96 »

Laissons Bartin à ce rêve impossible d’une souveraineté placée au-dessus des autres
souverainetés et reconnaissons-lui le mérite d’avoir clairement perçu – même pour la rejeter –
que la conception hollandaise de la souveraineté territoriale tempérée par la comitas gentium
appelait rationnellement le renvoi.

36. Si, donc, on admet que le renvoi est dans le prolongement logique d’une règle de conflit
bilatérale fondée sur le principe de souveraineté, il faut reconsidérer la position traditionnelle
– au moins en France – qui écarte le renvoi en matière de forme des actes97.

[p55]
[p55]
En effet, dans les domaines où la règle locus regit actum repose encore sur le principe de
souveraineté, comme c’est le cas en matière de mariage98, il faut demander à l’Etat sur le
territoire duquel le mariage a été célébré s’il tient ce manage pour valide et, pour répondre à
cette question, il convient d’interroger les règles de conflit de lois de cet Etat, comme l’aurait
fait un tribunal de cet Etat. Il n’y a pas lieu de raisonner différemment en matière de forme et
en matière de fond. Si la forme du mariage n’est pas celle du pays de célébration, mais qu’elle
est reconnue par le droit international privé de cet Etat, le mariage doit être reconnu valide
par l’Etat du for99. Mais le droit international privé du pays de célébration devrait être
également suivi par l’Etat du for – sauf intervention éventuelle de l’ordre public100 – s’il devait
conduire à la nullité du mariage101.

37. 3) Pour les mêmes raisons qui imposent l’admission du renvoi, il y a lieu de ne sanctionner
la fraude à une loi étrangère désignée par une règle de conflit fondée sur le principe de
souveraineté que lorsque l’ordre juridique ainsi éludé entend sanctionner cette fraude.

Une hypothèse qui s’est présentée assez souvent concerne la reconnaissance en France de
divorces obtenus dans un Etat tiers en fraude de la loi de l’Etat de New York. Il n’y aurait guère
de sens pour le tribunal français à invoquer cette fraude à la loi de New York pour refuser la
reconnaissance, si ce divorce est finalement reconnu dans l’Etat de New York102.

38. 4) Pour les mêmes raisons, il faudrait exclure, en matière de reconnaissance des jugements
étrangers, tout contrôle de la loi appliquée par le juge d’origine, lorsque celui-ci est le juge de
l’Etat dont la loi est déclarée applicable en vertu d’une règle de conflit du for fondée sur le
principe de souveraineté103.

39. 5) Enfin, si la règle de conflit bilatérale est fondée sur le principe de la souveraineté, elle ne
peut offrir la compétence pour régir un rapport de droit qui échappe à la sphère d’application
de la loi interne du for qu’à l’Etat dont elle estime la souveraineté intéressée, par exemple à
l’Etat national de la personne s’il s.’agit d’une question de statut personnel, ou à l’Etat de
situation du bien s’il s’agit d’une question de statut réel. A la différence de ce qui pourrait se
passer si la règle de conflit reposait sur le principe de proximité, une correction de la
désignation de la loi applicable au nom de liens plus étroits de la situation avec un autre ordre
juridique est en principe à exclure, car cette correction, venue du for, [p56] heurterait la
souveraineté étrangère que la règle de conflit du for entend précisément respecter. Le principe
toutefois n’est pas absolu (voir infra, nos 99 ss.).

40. Nous retrouverons le principe de souveraineté « sur le terrain », lorsque nous le verrons, à
l’occasion de questions particulières, se défendre contre le principe de proximité. Il était utile,
à cette place, de montrer qu’à l’opposé de la parfaite bilatéralité des règles de conflit fondées
sur le principe de proximité, indifférentes à l’ordre juridique désigné, la bilatéralité des règles
de conflit fondées sur le principe de souveraineté est seconde, conditionnelle et imparfaite.
Cela dit, rien n’exclut qu’une règle de conflit, fondée à l’origine sur le principe de souveraineté,
par exemple la règle de conflit concernant le statut personnel, vienne par la suite,
insensiblement et sans changer de formulation, à reposer sur le principe de proximité. Les
conséquences ci-dessus dégagées pourraient alors être inversées.

Par. 2 - Les règles de conflit à finalité matérielle104


41. A) On assiste à l’époque contemporaine à un développement notable des règles de conflit
de lois inspirées de préoccupations de droit matériel ou plutôt de règles de conflit dont le but
avoué est de désigner l’ordre juridique qui permettra le plus sûrement d’obtenir le résultat
matériel voulu par l’auteur de la règle de conflit.

Ces règles de conflit diffèrent des lois de police qui sont des lois matérielles unilatérales
revendiquant, pour atteindre leur objectif, leur application aux situations entrant dans leur
champ, mais qui se désintéressent de la solution qui sera donnée aux rapports de droit se
trouvant en dehors de leur domaine d’application. Elles diffèrent aussi des règles matérielles
de droit international en ce que ces dernières prétendent parfois régir directement les
situations internationales, sans le détour de la règle de conflit. Lorsque le législateur, par
exemple, édicté une règle de conflit à finalité matérielle, il a en vue, dans l’abstrait, un certain
résultat et il utilise pour l’atteindre le procédé de la règle de conflit, en prenant d’ailleurs le
risque que ce résultat ne soit pas atteint.

Les exemples sont nombreux et connus. Les plus caractéristiques sont constitués par les règles
de conflit alternatives. Pour privilégier un certain résultat, le législateur décide que si ce
résultat peut être obtenu par l’une ou l’autre des lois qu’il déclare alternativement applicables,
c’est cette loi qui sera appliquée. On en trouve des [p57] illustrations fréquentes en matière de
forme des actes105, mais aussi en bien d’autres domaines comme la filiation106.

Ces règles de conflit alternatives peuvent d’ailleurs prendre des formes variées. La loi
applicable, parmi celles que retient la règle de conflit, peut être déterminée par le juge lui-
même, en fonction du résultat qu’elle permet d’obtenir (la validité formelle de l’acte, par
exemple), ou laissée au choix de la partie que l’auteur de la règle de conflit entend protéger
(par exemple l’enfant qui réclame des subsides107). Parfois, la règle de conflit peut prendre la
forme d’une règle « en cascade », désignant une loi à titre principal et une autre à titre
subsidiaire, mais seulement dans le cas où la première ne permettrait pas d’obtenir le résultat
souhaité (par exemple en matière d’aliments108, ou en matière d’action directe de la victime
d’un accident de la circulation contre l’assureur de l’auteur du dommage109).

On rattache souvent aussi à cette catégorie des règles de conflit à fondement matériel certains
rattachements impératifs. Ainsi, dans des domaines généralement laissés à l’autonomie de la
volonté, la règle de conflit peut édicter un rattachement impératif auquel il ne peut être
dérogé par les parties que dans un sens favorable à la partie que l’auteur de la règle de conflit
veut protéger, par exemple le consommateur ou le travailleur110.
42. Le caractère commun à toutes ces règles de conflit est qu’elles incorporent dans leur
énoncé un présupposé de droit matériel111. Elles pourraient en effet être formulées de la façon
suivante.

Forme des actes : « Si le contrat est valide en la forme selon la loi du lieu de conclusion mais
ne l’est pas selon la loi qui le régit au fond, la loi du lieu de conclusion est applicable ; si le
contrat n’est pas valide en la forme selon la loi du lieu de conclusion, mais l’est selon la loi qui
le régit au fond, cette dernière loi est applicable. »

Légitimation (selon la convention CIEC)112: « Si la loi nationale du père admet la légitimation


et que la loi nationale de la mère ne l’admette pas, la première loi est applicable ; si la loi
nationale du père n’admet pas la légitimation et que la loi nationale de la mère l’admette, cette
dernière loi est applicable. »
[p58]
Contrat de travail (dans un cas où le salarié licencié réclame une indemnité de
licenciement) : « Si la loi choisie par les parties accorde au travailleur une indemnité de
licenciement et que la loi du lieu d’exécution du travail la refuse, la loi choisie par les parties
est applicable ; si la loi choisie n’accorde pas cette indemnité et que la loi du lieu d’exécution
l’accorde, cette dernière loi est applicable. »

Cette incorporation du présupposé matériel dans l’énoncé de la règle n’est pas sans rappeler
certaines rules of preference que l’on trouve parfois dans la jurisprudence américaine113. Entre
deux lois en conflit, le choix ne peut résulter que de l’examen préalable de leur contenu
matériel respectif.

43. B) Le recours à ce type de règles doit évidemment être laissé à la discrétion du législateur
et l’on peut comprendre qu’un Etat veuille, même dans les relations internationales,
promouvoir ou faire triompher certaines politiques, ou certains intérêts qu’il juge
particulièrement dignes de protection.

Mais il faut bien voir que l’intrusion de cet élément volontariste dans le règlement des conflits
de lois a sa contrepartie négative, qui est une certaine perturbation de ce règlement.

44. 1) Tout d’abord, la règle de conflit à finalité matérielle est quelque peu faussée dans son
fonctionnement. Par exemple, on s’est beaucoup interrogé pour savoir si le renvoi devait ou
non être admis en cas de règles de conflit alternatives114. La position la plus juste paraît être
que le renvoi peut (ou doit) être admis s’il sert l’objectif de la règle de conflit alternative, c’est-
à-dire s’il conduit à une loi de validité ou, plus généralement, au résultat souhaité par l’auteur
de la règle de conflit115, mais qu’il doit au contraire être écarté s’il conduit à un résultat
contraire.

45. 2) Mais surtout ces règles de conflit, qui ne sont que le reflet de politiques législatives
étatiques, risquent de cristalliser sur le terrain des conflits de lois les divergences existant
entre les règles matérielles concurrentes des différents Etats. Dans cette mesure, elles peuvent
être un frein à l’harmonisation internationale des solutions.

On objectera que de nombreuses conventions internationales ont adopté de telles règles de


conflit à finalité matérielle, par exemple les Conventions de La Haye sur les conflits de lois en
matière de forme des dispositions testamentaires ou sur la loi applicable aux [p59] obligations
alimentaires, ou encore certaines dispositions de la Convention de Rome (art. 5, 6 et 9). C’est
vrai, mais seulement parce que, sur ces points précis, existait entre les Etats contractants un
accord sur les politiques législatives de droit matériel.

Les illustrations du contraire sont nombreuses. Le Royaume-Uni n’a pas ratifié ni même signé
la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires.
Cette convention, systématiquement favorable au créancier d’aliments, est en contradiction
avec le droit anglais, plutôt favorable au débiteur d’aliments et qui applique en la matière la loi
du for qui coïncide souvent, en raison des règles de compétence juridictionnelle, avec celle du
domicile du débiteur d’aliments116.

De même, en matière de responsabilité délictuelle, le droit comparé révèle l’existence de


règles de conflit à finalité matérielle favorables soit au défendeur, comme en Angleterre117 ou
en Allemagne118, soit au demandeur (la victime), comme en Yougoslavie119 ou dans le projet
suisse120. Les premières prévoient, avec des nuances, l’application cumulative de la loi du lieu
du délit et de la loi du for, les secondes établissent au contraire un système alternatif au choix
de la victime. L’unification internationale ne peut pas être obtenue à partir de telles prémisses.
Et ce n’est pas un hasard si les tentatives réalisées à ce jour en cette matière reposent sur la
notion d’un groupement de points de contacts, c’est-à-dire sur le principe de proximité121.

La protection des consommateurs, qui avait semblé réunir la quasi-unanimité des Etats
représentés à la quatorzième session de la Conférence de La Haye, en octobre 1980, au cours
de laquelle furent élaborés dans un sens protecteur quelques articles sur les conflits de lois en
la matière122 destinés à être incorporés dans une future nouvelle convention sur la loi
applicable aux ventes internationales de marchandises, a montré elle aussi ses limites.

Lors de la conférence diplomatique d’octobre 1985 qui a abouti à l’adoption de cette nouvelle
convention, les Etats qui ne peuvent s’offrir le luxe d’une législation interne protectrice du
consommateur ont fait valoir qu’une règle de conflit à finalité matérielle protectrice du
consommateur (application en toute hypothèse des dispositions impératives protectrices du
pays de la résidence habituelle du consommateur) aboutissait systématiquement, en cas de
contrat conclu entre une partie établie dans un pays protecteur et une autre établie dans un
pays non protecteur, à favoriser la [p60] première, que celle-ci soit l’acheteur (alors protégé par
sa loi) ou le vendeur (qui peut alors sans risques voir s’appliquer la loi de l’acheteur). Il fut
donc décidé d’exclure les ventes aux consommateurs du domaine de la nouvelle convention
(art. 2 c)).
Et même pour la forme des actes le principe de l’application alternative de la loi qui régit l’acte
au fond et de la loi du lieu de conclusion, consacré, notamment, par la Convention de
Rome123, n’a pu être adopté dans la nouvelle convention de La Haye élaborée en octobre
1985124 qu’au prix d’une réserve125 demandée par les Etats à système économique planifié dont
la législation interne exige une forme écrite pour les contrats de commerce extérieur. Et cette
réserve a une portée inhabituelle, en ce qu’elle rend la convention inapplicable à la forme du
contrat dès lors qu’une des parties à la vente a son établissement dans un pays qui a fait la
réserve. Preuve supplémentaire de la quasi-impossibilité d’aboutir à une unification
géographiquement étendue du droit international privé au moyen de règles de conflit à
caractère matériel.

46. 3) Ces règles de conflit à finalité matérielle constituent donc un pis-aller. Cependant, leur
nature composite, faite d’un élément conflictuel et d’un élément matériel, peut laisser place,
pour le premier, à l’intervention du principe de proximité. L’un des facteurs de rattachement
retenus par la règle de conflit à finalité matérielle peut être déterminé ou corrigé par le
principe de proximité.

Les règles de conflit de la Convention de Rome concernant certains contrats de


consommation (art. 5) et le contrat de travail (art. 6) retiennent à titre principal, dans le
premier cas, la loi de la résidence habituelle du consommateur lorsque ce rattachement est
corroboré par certains actes du professionnel accomplis dans le pays du consommateur et,
dans le second cas, la loi du lieu d’exécution du contrat ou la loi du siège de l’employeur, selon
les circonstances de localisation du contrat.

Et le rattachement retenu peut même être écarté s’il existe des liens plus étroits avec un autre
pays. La correction est prévue expressément pour le contrat de travail par l’article 6 in fine de
la Convention de Rome. Et, en Angleterre, l’interprétation qui semble prévaloir de l’arrêt Boys
v. Chaplin 126 confirme la possibilité d’une correction du rattachement à la loi du lieu du délit
(retenu cumulativement avec le rattachement à la loi du for) en cas de liens plus étroits de la
question litigieuse avec un autre pays127.

Par. 3 - L’autonomie de la volonté


[p61]

47. Avec le principe de souveraineté et les rattachements fondés sur des objectifs de droit
matériel, le rattachement par l’autonomie de la volonté constitue le troisième concurrent
sérieux du principe de proximité. La mise en lumière de la fonction de rattachement de
l’autonomie de la volonté est suffisamment récente et sa justification théorique encore assez
incertaine pour qu’on rappelle l’une et l’autre avant d’examiner les liens que le principe
d’autonomie conserve avec le principe de proximité.

os
48. 1) Nous avons constaté, dans la première section de ce chapitre, à propos des contrats (nos
9, 12) et des régimes matrimoniaux (nos 25 ss.), que le principe de proximité a eu du mal à se
dégager de l’autonomie de la volonté, puisque la localisation concrète du contrat dans le pays
de sa conclusion ou de son exécution et celle du régime matrimonial dans le pays du premier
domicile du ménage étaient présentés au départ comme la manifestation de la volonté
implicite ou hypothétique des parties ou des époux. Nous allons découvrir maintenant, en
sens inverse, que l’autonomie de la volonté a du mal à se dégager à son tour du principe de
proximité. En effet, pour les partisans de la thèse objectiviste, les principes d’autonomie et de
localisation sont intimement liés, en ce sens que l’expression de la volonté permet au juge de
déterminer le lien le plus étroit et, par suite, la loi applicable.

L’une des manifestations de cette liaison entre les deux principes était l’exigence, au moins
théorique, d’un lien entre la loi choisie par les parties et le contrat. Cette exigence subsiste en
matière de régimes matrimoniaux, comme le montrent la Convention de La Haye du 14 mars
1978 (art. 3, al. 2) et le nouvel article 15 de la loi d’introduction du Code civil allemand
(rédaction de la loi du 25 juillet 1986), qui énumèrent limitativement les lois pouvant être
choisies par les époux. Mais l’évolution a été différente en matière de contrats. L’exigence de
proximité a fait une timide réapparition lors de la négociation, en octobre 1985, delà nouvelle
convention sur la vente. Au cours de la discussion de l’article 7 de la convention, relatif à la
liberté pour les parties de choisir la loi applicable, la délégation américaine a proposé un
amendement ainsi rédigé : « Si la loi choisie par les parties en vertu de cet article n’est pas, au
regard de l’ensemble des circonstances, raisonnablement liée au contrat, le juge appliquera les
règles qui, dans la loi applicable au contrat en vertu de l’article 8 [c’est-à-dire à défaut de
choix], ne peuvent être écartées par la volonté des parties. »

Commentant cette proposition, le délégué américain, le professeur Reese, déclarait attacher le


plus grand prix à cet amendement. Voici le résumé de son intervention, tel qu’il figure au
procès-verbal de la séance128: « Les Etats-Unis considèrent qu’il est très important de limiter
un peu plus la liberté des parties de choisir la loi applicable. Il donne l’exemple d’un contrat
ayant des facteurs de rattachement aussi bien avec l’Etat A qu’avec l’Etat B et illicite dans ces
deux Etats. Si un tel contrat prévoit l’application de la loi d’un Etat tiers C, dans lequel les
activités sur lesquelles il porte sont licites, l’absence d’une disposition comme celle proposée
par les Etats-Unis provoquerait des distorsions selon que le contrat serait soumis aux
tribunaux des Etats A ou B, qui écarteraient au nom de l’ordre public la loi C, ou aux tribunaux
d’un Etat tiers qui l’appliqueraient. »

L’idée était donc de restreindre le choix des parties aux lois ayant un lien concret avec le
contrat ; le choix des parties aurait eu pour unique fonction de rendre certaine la localisation
du contrat dans un ordre juridique avec lequel il présentait déjà des liens objectifs étroits.

Cette proposition a été combattue par tous les intervenants, qui ont insisté pour que toute
liberté soit laissée aux parties de choisir le cas échéant une loi n’ayant pas de lien avec le
contrat, par exemple une loi neutre. Elle a finalement été rejetée à une très forte majorité129.
49. Cet épisode illustre le fait que l’autonomie de la volonté a aujourd’hui par elle-même une
fonction de rattachement, indépendante de la localisation objective du contrat. Dans le droit
positif de la plupart des Etats, en tout cas européens, ce n’est pas ou plus le principe de
proximité qui limite l’autonomie de la volonté, mais, comme l’a très bien remarqué en France
Jean-Michel Jacquet130, l’impérativité de certaines règles de police pour des questions
déterminées, en d’autres termes le principe de souveraineté.

50. 2) Une telle fonction de rattachement est difficile à justifier théoriquement. Dans la
conception analysant la volonté des parties [p63] comme une volonté de localisation131,
d’autant plus fiable qu’elle s’accorde avec la localisation objective-du contrat, l’autonomie de la
volonté se justifiait facilement par la nécessité pour les parties de se prémunir contre
l’incertitude d’une localisation qui serait abandonnée aux lumières du juge saisi132.

Cette justification ne suffit plus si le droit positif reconnaît à la volonté des parties une
fonction de rattachement indépendante de la localisation objective. On est alors contraint de
faire entrer dans la justification l’idée que les parties sont fondées à choisir la loi qu’elles
estiment convenir le mieux à leur contrat.

Mais cette idée ne conduit-elle pas directement à celle d’incorporation de la loi dans le
contrat, avec tous ses excès et l’insupportable prétention de volontés individuelles se plaçant
au-dessus des lois?

En l’état actuel des idées, il semble que seule la thèse unilatéraliste puisse, d’un point de vue
théorique, concilier l’autonomie de la volonté et la soumission du contrat à une loi étatique
déterminée et relayer ainsi la thèse de la localisation délaissée aujourd’hui par le droit positif
conventionnel.

Selon cette thèse133, les différents droits nationaux seraient autant de cadres juridiques plus
ou moins équivalents offerts aux contractants qui pourraient, librement, choisir de se
soumettre à l’un d’entre eux.

Il faut reconnaître que cette thèse, encore combattue134, et dont l’intérêt paraissait surtout
théorique, vient de marquer un point significatif avec la récente Convention de La Haye du 1er
juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance135. Cette convention
dispose que « le trust est régi par la loi choisie par le constituant » (art. 6, al. 1), sans fixer
aucune limite d’ordre géographique à ce choix. Mais elle précise (art. 6, al. 2) que « lorsque la
loi choisie en application de l’alinéa précédent ne connaît pas l’institution du trust …, choix
est sans effet et la loi déterminée par l’article 7 [c’est-à-dire la loi avec laquelle le trust présente
les liens les plus étroits]est applicable .»

Cette solution confirme bien que le constituant choisit librement le droit national qui offre un
cadre juridique à son opération, mais seulement dans la mesure où le droit choisi offre
effectivement ce cadre et se met de ce fait à sa disposition. S’il ne le connaît pas, il [p64] ne peut

136
être désigné par le constituant et le choix que celui-ci a pu faire est sans effet136. C’est l’intérêt
du trust de faire apparaître cette limite à l’autonomie de la volonté et de donner du même
coup cet élément de positivité à l’hypothèse unilatéraliste.

51. 3) Le fait que le principe d’autonomie de la volonté ait réussi à s’affranchir des limites de la
localisation, en tout cas en matière de contrats, ne rompt pas tous ses liens avec le principe de
proximité.

D’une certaine façon, l’indépendance conquise par le principe d’autonomie sur le principe de
proximité a même pour effet de les faire vivre en meilleure harmonie en faisant disparaître du
domaine de l’autonomie le fameux pouvoir correcteur du juge. Certains pourront regretter
cette disparition. Elle semble pourtant inéluctable. Comme nous l’avons déjà vu dans la
première section de ce chapitre (spécialement au n° 22), le pouvoir correcteur du juge, dans
les systèmes reposant sur le principe de proximité, s’exerce normalement sur un rattachement
prévu par la règle de conflit à défaut de choix par les parties de la loi applicable, lorsque ce
rattachement ne désigne pas, dans un cas particulier, l’ordre juridique le plus proche. L’utilité
la moins contestable de l’autonomie de la volonté est précisément de prémunir les parties
contre l’incertitude dont ce pouvoir correcteur du juge menace la détermination de la loi
applicable. A quoi servirait-il aux parties d’avoir elles-mêmes déterminé cette loi, si leur choix
était lui aussi exposé au pouvoir correcteur, mais cette fois perturbateur, du juge?

L’évolution du droit positif, en chassant le pouvoir correcteur même lorsque la volonté des
parties désigne un droit sans lien avec le contrat, restitue son harmonie à la structure et au
fonctionnement de la règle de conflit reposant sur l’autonomie de la volonté.

52. La conclusion de ce premier chapitre est que le principe de proximité est le seul qui puisse
fonder dans sa plénitude la règle de conflit bilatérale. Le principe de souveraineté débouche
logiquement sur l’unilatéralisme. Les rattachements à finalité matérielle dissimulent sous
l’apparence d’une règle de conflit des règles matérielles imposées dans l’ordre international. Ils
font obstacle à l’unification internationale et peuvent conduire à terme à la ruine de la règle
de conflit. Le principe d’autonomie, seul, échappe à ces reproches, mais c’est parce que, le plus
souvent, il est le complément rationnel du principe de proximité.
[p65]
Il convient, maintenant, de se concentrer davantage sur le principe de proximité en
recherchant d’abord comment il réussit à pénétrer un domaine qui lui a longtemps été fermé,
celui du statut personnel, en altérant peu à peu le fonctionnement des règles de conflit
fondées principalement sur le principe de souveraineté (infra, chapitre II). Nous étudierons
ensuite ce principe dans sa fonction de correction de la règle de conflit (chapitre III).

CHAPITRE II - L’ALTÉRATION DU PRINCIPE DE SOUVERAINETÉ PAR LE


PRINCIPE DE PROXIMITE: L’EXEMPLE DU STATUT PERSONNEL
[p66]
53. On pourrait imaginer que le rattachement du statut personnel soit inspiré par le principe
de proximité. D’une certaine façon, le projet suisse, qui généralise le rattachement du statut
personnel à la loi du domicile, entendu comme le lieu où une personne réside avec l’intention
de s’y établir137, s’inspire directement de ce principe.

Mais le plus souvent, aujourd’hui, le rattachement du statut personnel est encore gouverné
par le principe de souveraineté. C’est assez clair lorsque le rattachement est constitué par la
nationalité. Lorsque l’article 3, alinéa 3, du Code Napoléon dispose que: « Les lois concernant
l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger », il
entend bien marquer que les Français demeurent, où qu’ils soient, sous l’empire de la loi
française pour leur statut personnel138. Et l’observation vaut aussi pour la plupart des droits
rattachant traditionnellement le statut personnel à la loi du domicile, entendu alors
fréquemment dans un sens très large comme en common law. Le domicile dans le pays
implique, lui aussi, dans ce sens large, un lien de sujétion envers ledit pays139.

54. Comment le principe de proximité va-t-il pouvoir altérer le fonctionnement d’une telle
règle de rattachement reposant sur le principe de souveraineté? Il va le faire, non pas en
renversant la règle, car il n’y aurait alors que substitution d’un principe à un autre, mais en
profitant des failles de cette règle. Toute règle de rattachement est affrontée à certaines
difficultés de fonctionnement, bien identifiées aujourd’hui: la définition du rattachement, la
défaillance du rattachement et la pluralité de rattachements. Chacun de ces trois incidents
peut être interprété comme une simple difficulté de parcours, dont la solution est à chercher
dans le principe même qui a inspiré la règle de conflit, c’est-à-dire, ici, par hypothèse, dans le
principe de souveraineté. Mais l’un ou l’autre de ces incidents peut aussi être perçu comme le
signe d’un échec, [p67] ou en tout cas comme une limite du principe inspirateur, et sa solution
cherchée dans un autre principe qui sera souvent le principe de proximité. Examinons le
combat incertain de ces deux principes à l’occasion de chacun des trois incidents signalés.

Section I - La définition du facteur de rattachement


55. En matière de statut personnel, le facteur de rattachement est un concept juridique –
nationalité, domicile – dont la définition peut varier d’un ordre juridique à un autre. La
question est de savoir quel est le droit qui doit donner cette définition140.

Lorsqu’il s’agit de déterminer si la loi du for est applicable, il est peu discutable que c’est la
définition du facteur de rattachement donnée par la loi du for qui doit être retenue. La loi
française régit le statut personnel des Français. 11 s’agit évidemment, pour le juge français, des
Français au sens du Code français de la nationalité. La loi anglaise régit le statut personnel des
personnes domiciliées en Angleterre. Il s’agit, évidemment, pour le juge anglais, des personnes
qui ont leur domicile en Angleterre au sens du droit anglais. Si l’on déborde un peu le domaine
du statut personnel stricto sensu, la loi française régit la succession mobilière des personnes
ayant eu leur dernier domicile en France et le juge français retiendra bien évidemment la
définition française du domicile141.
Mais lorsque le juge saisi se demande si une loi étrangère est applicable – ce qui suppose,
étant donné le point de départ unilatéraliste de toute règle de conflit fondée sur le principe de
souveraineté, que la loi du for n’est pas applicable, donc que la personne en cause n’a pas la
nationalité du for ou n’a pas son domicile, au sens de la loi du for, sur le territoire de l’Etat du
for – doit-il demander la définition du facteur de rattachement à la loi du for ou à la loi dont
l’application est envisagée?

56. Cette question n’est pas discutée pour la nationalité. Il est unanimement admis que la
nationalité, même utilisée comme facteur de rattachement du statut personnel, ne peut être
définie que par le droit de l’Etat dont la nationalité est en cause142. La raison décisive n’en est
pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, que la règle de conflit est fondée sur le
principe de souveraineté et débouche normalement sur une définition unilatéraliste du
facteur de rattachement retenu. En effet, l’unilatéralisme d’une règle de conflit fondée sur le
principe de souveraineté est, dans sa logique [p68] même, un unilatéralisme complet, qui ne se
borne pas à laisser le droit étranger donner la définition du facteur de rattachement retenu par
la règle de conflit du for, mais qui laisse ce droit étranger choisir lui-même le facteur de
rattachement – qui peut être différent de celui retenu par la règle du for – par lequel il
délimite le champ d’application de sa loi. De plus, même si la règle de conflit du for
soumettant le statut personnel à la loi nationale reposait sur le principe de proximité, parce
que la nationalité serait considérée, à tort ou à raison, comme indiquant l’Etat avec lequel la
personne a les liens les plus étroits, la définition de la nationalité n’en devrait pas moins être
demandée à l’Etat dont cette nationalité est en cause.

La véritable raison est que la règle de conflit, quel qu’en soit le fondement, utilise avec la
nationalité un facteur de rattachement qui est l’instrument même par lequel tout Etat définit
le champ d’application personnel de sa souveraineté. Si la définition de ce rattachement était
donnée par l’ordre juridique du for, ce rattachement cesserait du même coup d’être la
nationalité. Une règle de conflit utilisant le critère formel de la nationalité est donc
condamnée à utiliser la définition de la nationalité donnée par le droit du pays concerné.

57. En est-il de même pour le domicile? Lorsque le domicile, au sens du droit du for, n’est pas
dans l’Etat du for, le juge saisi doit-il, pour déterminer la loi étrangère applicable, retenir la
définition du domicile donnée par le droit du for ou celle donnée par le droit de l’Etat dans
lequel est supposé se situer le domicile de la personne considérée?

On sait qu’en France la seconde solution a été vigoureusement défendue, au milieu de ce


siècle, par Niboyet143, qui raisonnait pour le domicile comme il le faisait pour la nationalité : «
La nationalité, qui est un élément constitutif de l’Etat, ne peut tirer ses sources que du droit
constitutif de l’Etat intéressé. Or, le domicile, que nous avons rangé dans le sillage de la
nationalité (sorte de vice-nationalité) fait aussi partie des éléments constitutifs de chaque
Etat, qui comportent des nationaux, des domiciliés et le reste. Il appartient à chaque Etat de
décider, à l’exclusion de tout autre, quels sont les individus domiciliés chez lui, de même qu’il
dénombre seul ses nationaux. … Inversement, il ne lui appartient plus de décider si un
individu est domicilié en pays étranger, pas plus qu’il ne peut affirmer, par le jeu de ses propres
lois, qu’un individu doive posséder telle nationalité étrangère. Tout ce que la loi française peut
faire, c’est de disposer que l’on est domicilié en France, ou au contraire, que l’on n’y est pas
domicilié. 144 »

Et cette solution consistant à soumettre la définition du domicile à la loi du lieu du domicile


prétendu a été également défendue par Rabel145. aux Etats-Unis et par Niederer146 en Suisse.

La solution pouvait se comprendre en France à l’époque où un étranger ne pouvait acquérir un


domicile de droit en France que s’il avait obtenu du Gouvernement français un décret
d’admission à domicile (Code civil, art. 13, abrogé par la loi du 10 août 1927). Le domicile était
bien alors, comme la nationalité, une institution du droit public français. Mais cette époque
était déjà révolue lorsque écrivait Niboyet et le domicile au sens du droit international privé se
confondait déjà avec le domicile localisateur du droit civil interne, c’est-à-dire le lieu où la
personne a son principal établissement (Code civil, art. 102)147. La règle de conflit retenant le
domicile comme facteur de rattachement utilise désormais un support qui a cessé d’être un
instrument de détermination de la souveraineté du for, qui appartient au droit privé et qui
peut donc être utilisé dans la définition que lui donne le droit du for pour déterminer les cas
d’application d’une loi étrangère.

58. Dans cette mesure, l’abandon du concept de domicile international a fait progresser le
principe de proximité aux dépens de celui de souveraineté.

Continuer à soutenir aujourd’hui que la définition du domicile doit être demandée à la loi du
lieu du domicile prétendu, ce serait, en réalité, pousser à l’extrême le principe de
souveraineté148 et conférer à la règle de conflit fondée sur le domicile un caractère unilatéral
beaucoup plus marqué que celui donné à la règle de conflit fondée sur la nationalité. En effet,
si les règles d’attribution de la nationalité varient d’un pays à un autre, le concept de
nationalité est à peu près partout le même. La règle de conflit soumettant tel rapport de droit
à la loi nationale retient le même facteur de rattachement, que la loi nationale soit la loi du for
ou une loi étrangère. Seule la détermination de la nationalité est confiée à la loi de l’Etat de la
nationalité prétendue. Il en va différemment de la règle de conflit fondée sur le domicile. Ce
ne sont pas, en effet, seulement les règles de détermination du domicile qui varient d’un pays
à un [p70] autre, mais le concept même de domicile. Quoi de commun, par exemple, entre le
domicile d’origine des pays de common law et le domicile-résidence habituelle qui sert de
support à certaines règles de conflit contenues dans la convention franco-polonaise du 5 avril
1967 ?149 Ou encore, entre le domicile de droit au sens de l’article 13 du Code Napoléon et le
domicile de fait du droit bavarois, tel qu’il fut compris dans l’affaire Forgo ? Le fait même que
cette dernière affaire ait permis l’apparition du renvoi suffit à montrer que ces domiciles, bien
que désignés par un même vocable, constituaient deux rattachements radicalement
différents.
Dans ces conditions, décider que si le domicile n’est pas, au sens de la lex fori, sur le territoire
du for, la loi applicable est celle du pays dans lequel, selon la loi dudit pays, la personne a son
domicile, c’est donner à la loi étrangère un pouvoir de détermination de la loi applicable
beaucoup plus étendu que dans le cas de la nationalité. La loi étrangère ne se borne pas à
donner sa définition particulière d’un concept général commun utilisé comme facteur de
rattachement, elle détermine elle-même le facteur de rattachement.

59. On en trouve pourtant quelques exemples, surtout dans des conventions internationales.

La Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des
dispositions testamentaires prévoit que le testament sera valable en la forme s’il répond
notamment à la loi interne « d’un lieu dans lequel le testateur avait son domicile, soit au
moment où il a disposé, soit au moment de son décès » (art. 1, al. 1 c)) et elle donne la
précision suivante: « La question de savoir si le testateur avait un domicile dans un lieu
déterminé est régie par la loi de ce même lieu » (art. 1, al. 3).

La solution peut surprendre. Elle ne s’explique nullement par la volonté de respecter la


souveraineté de l’Etat du domicile, mais par le principe de faveur à la validité du testament qui
a inspiré toute la convention150, comme l’écrivait le rapporteur de celle-ci151 : « Si l’on remet la
définition du domicile à la loi du juge saisi, comme il pourrait paraître naturel pour
déterminer le sens d’un terme entrant dans une règle adoptée par le droit de ce juge, il se
pourra que cette loi donne du domicile une définition différente de celle à laquelle le testateur
s’est fié quand il s’est cru domicilié dans le pays à la loi duquel il s’est référé. »

La solution ne s’en inspire pas moins de la méthode unilatéraliste. [p71] Elle évoque la théorie
des conflits de systèmes, en ce qu’elle permet la reconnaissance d’une situation créée selon la
loi que le testateur a crue applicable en raison de la définition donnée par cette loi du
rattachement conventionnel.

60. L’autre exemple se trouve dans la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 conclue
entre les Etats de la Communauté économique européenne. Cette convention, qui retient à
titre principal la compétence des juges de l’Etat du domicile du défendeur (art. 2), et qui
permet aux Etats contractants de continuer à appliquer leurs règles particulières de
compétence internationale quand le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un Etat
contractant (art. 4), se réfère, pour déterminer l’existence d’un domicile sur le territoire d’un
Etat contractant, à la loi de cet Etat, qu’il s’agisse de l’Etat du for ou d’un autre Etat contractant
(art. 52)152.

D’une certaine façon, la convention ménage ainsi la souveraineté des Etats contractants. Elle
reconnaît la compétence de leurs tribunaux si le défendeur a son domicile dans leur territoire
et elle veut éviter que le juge d’un Etat contractant, appliquant sa propre loi, vienne dénier
l’existence d’un domicile du défendeur dans un autre Etat contractant, contrairement à la loi
de ce dernier, pour écarter l’application de la convention et imposer ses propres règles de
compétence exorbitante. A l’inverse, cette règle a aussi l’avantage d’éviter certains conflits
négatifs de compétence, comme le montre une affaire récemment jugée par la Cour de
cassation de France153. Mais nous sommes ici sortis du domaine des conflits de lois pour
aborder celui de la compétence juridictionnelle, que nous retrouverons, et où les
préoccupations de souveraineté restent importantes.

61. Si l’on revient aux conflits de lois, on doit constater le caractère exceptionnel de telles
solutions. Il est au contraire significatif que les droits soumettant le statut personnel à la loi du
domicile utilisent leur propre définition du domicile pour déterminer les cas d’application,
tant de la loi du for que des lois étrangères. En Angleterre, notamment, la prévalence du
concept anglais du domicile est énoncée comme une évidence154. Il en est de même en
Allemagne155, dans les cas où le domicile est utilisé comme facteur de rattachement, en
Suisse156, même si une définition spécifique du domicile, distincte de celle du droit interne,
est donnée pour les besoins de la règle de conflit157, et en France, pour les successions
mobilières qui se situent, il est vrai, hors du statut personnel158.
[p72]
Le fait que la définition du domicile facteur de rattachement soit généralement donnée
par l’ordre juridique auquel appartient la règle de conflit marque donc une limite au principe
de souveraineté. Cette solution facilite le fonctionnement de la règle de conflit rendue de ce
fait parfaitement bilatérale. Il serait pourtant excessif d’en tirer la conclusion que le principe
de souveraineté s’efface alors véritablement devant le principe de proximité. Cet effacement
apparaît plus nettement dans l’hypothèse de défaillance du facteur de rattachement.

Section II - La défaillance du facteur de rattachement


62. L’hypothèse sur laquelle nous allons raisonner est celle de l’apatridie. Nous partons d’une
règle de conflit en matière de statut personnel qui repose sur le principe de souveraineté et
qui utilise comme facteur de rattachement la nationalité.

A défaut de nationalité – donc en cas de défaillance du rattachement – il faut chercher un


rattachement subsidiaire. Ce rattachement subsidiaire et son mode de fonctionnement
doivent-ils se mouler exactement sur le rattachement principal défaillant ou ne peuvent-ils
prendre une certaine autonomie par rapport à ce dernier? En d’autres termes, le rattachement
subsidiaire doit-il reposer lui aussi sur le principe de souveraineté et fonctionner selon ce
principe ou ne faut-il pas constater que la défaillance du rattachement principal fondé sur la
souveraineté ouvre la voie à un rattachement subsidiaire fondé Sur la proximité?

Ce type de question peut se poser en dehors du statut personnel, par exemple en matière
d’abordage en haute mer159. Mais les réponses sont particulièrement intéressantes à observer
dans le domaine du statut personnel.

La plupart des législations nationales, dans le sillage de la Convention de New York du 28


septembre 1954 relative au statut des apatrides160, plus précisément de son article 12161,
comportent une disposition soumettant le statut personnel des apatrides à la loi de leur
domicile ou de leur résidence habituelle. On pourrait en conclure hâtivement qu’un
rattachement fondé sur la proximité remplace un rattachement fondé sur la souveraineté. Une
analyse plus précise de ces législations oblige à nuancer cette conclusion et fait apparaître que
le rattachement au domicile est parfois présenté comme un simple rattachement de
substitution, une sorte d’Ersatz, [p73] et parfois au contraire comme l’élément d’une règle de
conflit autonome fixant le statut personnel de l’apatride.

63. A) Certaines législations procèdent par une simple substitution de la loi du domicile à la
loi nationale pour les cas où la règle de conflit se réfère à la nationalité et qu’une nationalité
n’existe pas dans l’espèce considérée. La solution est déjà plus ou moins apparente dans la
formulation de la règle législative.

On peut citer en ce sens, dans l’ordre chronologique, les textes allemand (art. 29 EGBGB),
polonais (art. 3, loi du 12 novembre 1965), turc (art. 4, loi du 20 mai 1982), yougoslave (art. 12,
loi du 15 juillet 1982), sans compter le projet suisse (art. 22, par. 3).

Ainsi, aux termes de l’article 29 EGBGB162 : « Dans les cas où la loi nationale est déclarée
compétente, les rapports juridiques d’une personne apatride seront soumis à la loi de l’Etat où
cette personne a, ou a eu, au moment donné, sa résidence habituelle ou, à défaut, sa résidence.
»

Ou encore, aux termes de l’article 4 de la loi turque163 : « Lorsque la loi compétente est
déterminée en fonction du critère de la nationalité, est appliquée, sauf dispositions contraires
de la présente loi : a) pour les apatrides, la loi de leur domicile, à défaut la loi de leur résidence
habituelle et à défaut de celle-ci, la loi du pays où l’instance est introduite. »

Ces lois peuvent être comprises de la manière suivante: le statut de la personne physique est
normalement régi par sa loi nationale. C’est la conséquence de son lien d’allégeance et de
sujétion envers son Etat national. Au cas où ce lien n’a jamais existé (apatridie de naissance)
ou au cas où ce lien s’est trouvé rompu (apatridie survenue après la naissance164), la personne
est placée sous la protection d’un Etat de substitution, l’Etat de son domicile, à qui elle est
désormais liée, au moins pour son statut personnel165, par un lien d’allégeance de même
nature que celui qui la liait auparavant à son Etat national ou qui l’aurait liée à cet Etat
national si elle avait jamais eu une nationalité.

Cette lecture a été faite principalement par les auteurs allemands, raisonnant à partir de
l’article 29 EG. Pour eux, l’article 29 n’est pas une véritable règle de conflit, mais simplement
une disposition se limitant, pour les règles de conflit spéciales utilisant le rattachement à la
nationalité, à désigner un rattachement de substitution166.
[p74] La règle de conflit applicable au statut personnel des apatrides reste donc la règle de

conflit originaire (art. 7 ss. EG) fondée sur le principe de souveraineté, adaptée dans le cas de
l’apatride par le rattachement de substitution prévu à l’article 29167.
Il faut ajouter que cette lecture de l’article 29 s’explique d’autant mieux que le texte originel de
cet article accentuait le fondement de souveraineté en distinguant entre les personnes
devenues apatrides, qui restaient soumises à la loi de leur ancienne nationalité, et les
personnes nées apatrides, soumises à la loi de leur domicile. C’est le caractère choquant de la
soumission aux lois soviétiques, après la première guerre mondiale, d’anciens Russes réfugiés
en Allemagne qui a fait renoncer à cette distinction et qui a abouti à la reformulation de
l’article 29 par la loi du 12 avril 193 8168.

64. Cette analyse, qui refuse de voir dans les textes précités une règle de conflit autonome sur
le statut personnel des apatrides et qui considère que ce statut reste régi par une règle de
conflit reposant sur le principe de souveraineté, emporte plusieurs conséquences.

La première concerne l’admission du renvoi. Puisque l’on écarte la possibilité d’une règle de
conflit autonome, à propos de laquelle on pourrait s’interroger sur sa compatibilité avec le
renvoi, il faut admettre que le renvoi de la loi du domicile (et non de la nationalité, du fait de
la substitution opérée par l’article 29 EG) à une autre loi jouera dans tous les cas où il aurait
été admis de la loi nationale à une autre loi169.

Une seconde illustration du maintien du fondement de souveraineté à la règle de conflit de


substitution prévue pour les apatrides et, par extension, pour les réfugiés a été récemment
donnée par la Cour fédérale de la République fédérale allemande, dans un arrêt du 12
décembre 1984170. Cet arrêt a appliqué la loi allemande aux suites d’un divorce entre un mari
anciennement yougoslave, réfugié en Allemagne et devenu apatride, et une épouse demeurée
de nationalité yougoslave. L’applicabilité de la loi allemande dérivait de l’article 17, alinéa 3, EG
qui, dans l’interprétation du moment, prévoyait l’application de la loi allemande dès qu’un
époux allemand était en cause171. Il s’agissait là de ce que les auteurs allemands appellent une
Exklusivnorm, c’est-à-dire une règle étendant anormalement le champ d’application de la loi
allemande quand un Allemand est en cause.

De nombreux auteurs allemands voyaient dans ces règles des [p75] privilèges fondés sur la
nationalité et refusaient leur bénéfice aux étrangers soumis au statut personnel allemand172.

Le BGH, mettant fin à la controverse, leur a donné tort. Il a jugé que : « Les principes
conduisant à l’application du droit allemand aux suites du divorce entre un conjoint allemand
et un conjoint étranger sont applicables également lorsque l’un des époux, sans être de
nationalité allemande, est soumis pour son statut personnel à la loi allemande en raison de sa
qualité de réfugié. »

Ainsi, l’application aux apatrides ou aux réfugiés domiciliés en Allemagne de dispositions


réservées en principe aux personnes soumises à l’allégeance allemande accentue-t-elle le
caractère subsidiaire et non autonome de la règle de conflit concernant les apatrides173.
On peut faire la même observation pour la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse refusant
de reconnaître en Suisse le divorce prononcé en Hongrie, à la demande du mari, d’un ménage
hongrois réfugié en Suisse174. Le fond de l’argumentation du Tribunal fédéral est le caractère
impératif de la soumission du statut du réfugié à la loi de son domicile dès lors qu’il a rompu
volontairement avec son pays d’origine. L’idée d’allégeance à l’égard de l’Etat de refuge paraît
l’emporter sur celle de proximité avec l’Etat d’origine de ces réfugiés.

Cette première façon de résoudre le problème posé par la défaillance du rattachement en


matière de statut personnel est dans l’ensemble cohérente, mais bien qu’elle fasse appel au
domicile subsidiairement à la résidence habituelle, elle reste pour l’essentiel étrangère au
principe de proximité.

65. B) Une seconde série de législations, tout en donnant une solution très proche des
précédentes et consacrant également la compétence de la loi de l’Etat du domicile ou de la
résidence de l’apatride, n’hésitent pas à le faire en posant en la matière une règle de conflit au
moins formellement autonome.

Il en est ainsi du Code civil portugais (art. 32), de la loi autrichienne du 15 juin 1978 (art. 9) et
du décret-loi hongrois de 1979 (art. 11). Par exemple, la loi autrichienne s’exprime ainsi (art.9,
par. 2): « Si une personne est apatride, ou si sa nationalité ne peut pas être établie, son statut
personnel est le droit de l’Etat dans lequel elle a sa résidence habituelle. »
[p76]
Cette règle autonome est très nettement fondée sur le principe de proximité. Ceci est
attesté par le caractère concret du rattachement retenu, la résidence habituelle, c’est-à-dire le
centre de la vie quotidienne de la personne. Cette notion ne véhicule aucune idée
d’allégeance, comme le fait encore le concept plus abstrait de domicile.

Lorsque la Conférence de La Haye de droit international privé, après la seconde guerre


mondiale, a utilisé de plus en plus fréquemment la résidence habituelle comme facteur de
rattachement, notamment pour les obligations alimentaires, elle n’a pas voulu chercher un
moyen terme entre la nationalité et le domicile pour tenter de concilier les Etats continentaux
et ceux de common law, elle a bien plus certainement substitué un rattachement concret175,
fondé sur le principe de proximité, à des rattachements abstraits, comme la nationalité ou le
domicile, reposant sur le principe de souveraineté176.

Cette observation vaut aussi pour les Etats dont nous parlons maintenant au sujet des
apatrides. Dans ces Etats, le rattachement du statut personnel des personnes ayant une
nationalité et celui des apatrides obéissent à deux principes différents, dans le premier cas
l’allégeance, dans le second la proximité.

Ce souci de concrétisation du rattachement du statut personnel des apatrides est encore plus
manifeste dans les textes portugais et hongrois. Dans le texte portugais, le statut personnel de
l’apatride est régi, à défaut de résidence habituelle, par la loi de la résidence occasionnelle ou,
si celle-ci ne peut être déterminée, par la loi du lieu où la personne est rencontrée (art. 32 et
82, al. 2, combinés). Et le décret-loi hongrois va plus loin encore dans cette direction puisque,
envisageant le cas d’une personne apatride ayant plusieurs domiciles à l’étranger, décide que
la loi personnelle est alors: « le droit de l’Etat avec lequel elle a les liens les plus étroits ».

Le mot est donc lâché et il n’est plus possible de douter du fondement de proximité assigné à
cette règle autonome de rattachement.

66. Ce caractère autonome et ce fondement de proximité emportent des conséquences


opposées à celles que nous avons vues précédemment en ce qui concerne l’admission du
renvoi.

L’apatride (en tout cas celui qui l’est devenu) est soustrait à l’empire de sa loi nationale
ancienne et il est soumis à la loi du pays de sa résidence habituelle considéré comme celui
avec lequel il présente les liens les plus étroits. Ce nouveau rattachement, [p77] considéré
comme le plus proche de l’apatride, est définitif et il serait contraire à l’esprit de la règle et au
principe qui la sous-tend de permettre à l’Etat de la résidence habituelle de l’intéressé de
renvoyer le statut personnel de celui-ci à une autre loi, par exemple à son ancienne loi
nationale. La loi autrichienne du 15 juin 1978, qui admet pourtant très largement le renvoi, tant
au premier qu’au second degré (art. 5), fournit sous ce rapport, à propos de la question voisine
du réfugié, une précieuse indication. Soumettant le statut personnel du réfugié177 à la loi de
son domicile ou, à défaut, de sa résidence habituelle, elle ajoute (art. 9, al. 3, in fine): « Le
renvoi de ce droit au droit national n’est pas observé. » La rupture de l’allégeance envers l’Etat
national est consommée par l’acquisition de la qualité de réfugié et la nouvelle règle de
rattachement fondée sur la proximité ne peut accepter que le réfugié soit replacé, par l’effet du
renvoi, sous la souveraineté de son Etat national178.

L’autonomie de la règle de conflit se manifeste donc également dans son régime juridique.

Ainsi, selon la signification donnée à la règle soumettant le statut personnel des apatrides à la
loi du domicile ou de la résidence habituelle, l’hypothèse de la défaillance du rattachement
illustre la résistance du principe de souveraineté ou son altération par le principe de
proximité. La même ambiguïté peut se constater dans les hypothèses de pluralité du facteur
de rattachement.

Section III - La pluralité du facteur de rattachement

67. Les deux hypothèses à considérer ici, dans le domaine du statut personnel, sont bien
connues. S’agissant du statut personnel d’un individu pris isolément, la pluralité de
rattachements apparaît en cas de double ou de multiple nationalité179. S’agissant des relations
familiales, l’hypothèse la plus intéressante est celle des relations entre époux de nationalité
différente.

Par. 1 - L’exemple des conflits de nationalités


68. Nous supposons que la règle de conflit, reposant sur le principe de souveraineté, soumet le
statut personnel à la loi nationale de la personne. Quelle loi nationale retenir lorsque la
personne possède plusieurs nationalités? La règle de conflit a besoin d’être complétée, à tout
le moins précisée. Ce complément ou cette [p78] précision varieront, selon que l’on raisonne en
termes de souveraineté ou en termes de proximité.

A cet égard, le point actuel de l’évolution n’est pas le même selon que le conflit intéresse deux
nationalités étrangères ou selon que l’une des nationalités en cause est celle de l’Etat du for.

A) - Conflit entre deux nationalités étrangères


69. Si l’on néglige les très nombreuses théories abstraites imaginées à la fin du XIXe et au début
du XXe siècle pour résoudre ce conflit180, dont certaines d’ailleurs ont été curieusement
reprises par des législations récentes quoique isolées181, on retiendra que le droit positif, dans
la plupart des pays, tranche la difficulté par un appel à la notion de nationalité effective.

Certaines lois récentes indiquent que le statut personnel du double national ne possédant pas
la nationalité du for sera régi par la loi de celui des Etats dont il a la nationalité auquel « il se
rattache le plus étroitement »182. D’autres, dans la même ligne de pensée, désignent la loi de
l’Etat national dans lequel l’intéressé a sa résidence habituelle et, si cette résidence se trouve
dans un Etat tiers, la loi de l’Etat national auquel il se rattache le plus étroitement183. La
nouvelle loi allemande du 25 juillet 1986 retient « l’Etat national auquel la personne se
rattache le plus étroitement, en particulier par sa résidence habituelle ou le cours de sa vie »
(durch den Verlauf ihres Lebens, art. 5).

Il semble donc que le critère aujourd’hui retenu pour départager les deux lois nationales en
concurrence pour régir le statut personnel du double national soit un critère fondé sur le
principe de proximité.

70. Il faut cependant pousser un peu plus loin l’analyse car le flou qui entoure la notion de
nationalité effective dissimule une très réelle ambiguïté. Ce n’est pas céder au goût du
paradoxe que d’affirmer que la détermination de la nationalité effective peut se faire à partir
du principe de souveraineté ou à partir du principe de proximité et que les résultats obtenus
par ces deux voies peuvent être très différents. En effet, l’élément d’effectivité peut se porter
soit sur les signes d’allégeance que le double national manifeste envers l’un des Etats dont il a
la nationalité, soit sur la localisation dans l’un de ces Etats de son cadre de vie, de ses relations
familiales et professionnelles.

Bartin nous met sur la voie de la première solution. Examinant, très précisément, très
précisément, « en cas de nationalités étrangères multiples d’une même personne, celle des
nationalités qui doit, pour le juge français, l’emporter sur les autres 184 »
et ceci uniquement pour déterminer la loi applicable au statut personnel de cette personne à
l’exclusion de toute autre question, il s’exprime ainsi : « Voici comment je serais porté à
raisonner. La question ne relève d’aucune règle de droit. Les dispositions légales qui attribuent
deux ou plusieurs nationalités différentes à la même personne sont, pour le juge français,
radicalement inconciliables et toutes également justes, parce qu’elles correspondent à des
souverainetés différentes, également légitimes pour lui. Aucune d’elles, pour lui, ne peut
l’emporter sur l’autre. Il ne peut donc juger entre elles: il peut et doit, sur ce point, se refuser à
juger. … Par conséquent, s’il prend parti, et il faut bien qu’il prenne parti, pour statuer sur le
procès, à la solution duquel il ne peut se dérober, article 4 de notre Code civil, il prend parti en
fait, comme il l’entend, sans plus se soucier des dispositions, inconciliables entre elles, des lois
étrangères sur la nationalité, qui attribuent deux ou plusieurs nationalités différentes à
l’individu engagé dans le procès qui lui est soumis. Dans ces conditions, il faut et il suffit qu’il se
demande quelle est, de ces nationalités concurrentes, celle à laquelle cet individu entend se
rattacher, celle à laquelle il est vraisemblable, en fait, que cet individu entend ou a entendu se
rattacher, pour la protection de sa personne civile et de ses intérêts de famille. 185 »

D’une certaine façon, Bartin recherche bien la nationalité effective du double national. Mais il
ne cherche pas à localiser concrètement la personne, à partir d’éléments extrinsèques
empruntés à son cadre de vie, à sa résidence habituelle, présente ou passée. Il délaisse
complètement le critère de proximité et recherche à laquelle de ses nationalités concurrentes
l’intéressé « entend ou a entendu se rattacher pour la protection de sa personne civile » ; il
recherche, en d’autres termes, quel est celui de ses deux Etats nationaux sous la souveraineté
duquel le double national a entendu se placer. Les seuls liens qu’il prend en considération
pour déterminer la nationalité effective sont les liens d’allégeance et non les liens concrets de
proximité.
[p80] Il existe donc bien deux façons de déterminer la nationalité effective, selon que l’on

recherche un signe d’allégeance effective ou l’intégration à un milieu de vie.

71. Un bon exemple des différences de résultats auxquelles peuvent mener ces deux méthodes
peut être tiré d’un récent arrêt de la Cour supérieure de Bavière du 29 juin 1984186. Le
problème était de savoir s’il existait, selon le droit national de l’enfant, compétent en vertu de
l’article 3 de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur la protection des mineurs, un
rapport d’autorité ex lege en faveur de la mère. La difficulté venait de ce que l’enfant était un
double national187, à la fois polonais et autrichien, et que seule la loi polonaise paraissait
consacrer ce rapport ex lege.

Pour déterminer laquelle des deux lois nationales retenir, la Cour a soigneusement décrit les
faits de l’espèce. La mère de l’enfant, polonaise d’origine, avait épousé en Pologne un
compatriote au début des années soixante. Le couple s’était rendu peu après en Autriche, le
mari se faisant naturaliser autrichien et la femme obtenant en 1964 la nationalité autrichienne
tout en conservant la nationalité polonaise. Les deux époux se séparèrent en 1965, sans
divorcer. Le mari s’établit alors en Allemagne fédérale et la femme retourna en Pologne. Elle y
donna naissance, en 1972, à un enfant, dont le père n’apparaît pas dans la procédure. Cet
enfant a, comme sa mère, la double nationalité polonaise et autrichienne. Quatre ou cinq ans
plus tard, la mère s’installa avec un troisième homme. En 1981, tous les deux, avec l’enfant,
parvinrent à fuir la Pologne et à se réfugier en Allemagne fédérale. Leur vie commune durera
jusqu’en 1983. A cette époque, la femme quitta son ami, mais l’enfant continua d’habiter chez
ce dernier et la mère réclama en justice son droit de garde sur l’enfant, eh invoquant la loi
polonaise. Dans la même instance, le mari de la mère, de laquelle il était séparé depuis près de
vingt ans, intervint pour contester sa paternité et du même coup la légitimité de l’enfant.

La Cour suprême de Bavière rappelle le principe selon lequel le conflit entre deux nationalités
étrangères doit être tranché en faveur de la nationalité de l’Etat avec lequel le double national
a le rapport le plus étroit. Reprenant les motifs du Landgericht, elle relève que l’enfant a
toujours vécu avec sa mère et que celle-ci, même si elle a pris soin de donner à l’enfant une
éducation enracinée dans la culture polonaise, s’est toujours considérée comme une personne
de [p81] nationalité autrichienne et s’est prévalue de cette nationalité. Et la Cour supérieure
ajoute, de son propre cru, que l’enfant grandit maintenant en Allemagne fédérale, où les
formes de vie ressemblent aux formes de vie autrichiennes.

Le conflit de nationalités est donc tranché en l’espèce en faveur de la nationalité autrichienne.


Pourtant, si l’on s’en était tenu à une recherche objective et concrète des liens les plus étroits,
on aurait dû, semble-t-il, considérer la nationalité polonaise comme la plus effective188.
L’enfant, âgé de onze ans lors du procès, était né en Pologne, il y avait vécu pendant neuf ans
et n’avait jamais posé le pied sur le territoire autrichien. Il ne possédait la nationalité
autrichienne que par le hasard du mariage de sa mère avec un Polonais devenu autrichien, qui
n’était certainement pas son vrai père et qui avait quitté sa mère huit ans avant sa naissance. Si
la nationalité autrichienne a cependant été retenue comme la nationalité effective, c’est parce
que le Landgericht a fait prévaloir les facteurs subjectifs de rattachement. Raisonnant comme
le faisait Bartin, il a recherché à laquelle de ses deux nationalités la mère entendait ou avait
entendu se rattacher, bref, quelle était son allégeance prépondérante189.

72. De ces deux méthodes de détermination de la nationalité effective aux fins d’établir le
statut personnel du double national, laquelle est la meilleure? La méthode objective, reposant
sur le principe de proximité, ou la méthode subjective, en meilleure harmonie avec le principe
de souveraineté?

En dépit des mérites que nous reconnaissons en général au principe de proximité, il nous
semble que la méthode subjective est ici préférable. C’est elle qui sauvegarde le mieux la
cohérence et la permanence du statut personnel. Celui-ci reste encore soumis le plus souvent
au principe de souveraineté et si l’incident auquel donne lieu la pluralité du facteur de
rattachement peut être résolu en application du même principe, la solution est a priori
préférable. Et c’est particulièrement vrai si cette solution permet d’assurer au statut personnel
une certaine permanence. Or la recherche de l’allégeance effective repose sur l’appréciation du
comportement de l’intéressé sur une longue durée. Si l’on recherche auquel de ses deux Etats
nationaux la personne intéressée a entendu se rattacher, on a donc de fortes chances de
pouvoir retenir une loi nationale prépondérante plus constante que la loi nationale effective
qui serait déterminée objectivement, à partir des circonstances concrètes et changeantes du
moment considéré.
[p82]
73. La jurisprudence allemande illustre ce danger de changements trop fréquents de la
nationalité effective, toujours à propos de l’application aux doubles nationaux de l’article 3 de
la Convention de La Haye sur la protection des mineurs. Il s’agit d’un arrêt de la Cour fédérale
allemande du 29 octobre 1980190. Dans cette espèce, l’une des nationalités en cause était celle
du for, mais cette circonstance ne paraît pas avoir influencé la solution. L’enfant dont les
parents se disputaient l’attribution de l’autorité parentale était un enfant légitime, né en Italie
en 1977, d’un père italien et d’une mère allemande. Il avait donc la nationalité de chacun de ses
parents. La famille était fixée en Italie, lorsque la mère, en 1978, quitta le domicile conjugal et
retourna en Allemagne, emmenant avec elle, à l’insu et contre le gré de son mari, l’enfant
commun. Quelques mois plus tard, elle demanda à un tribunal allemand l’attribution de
l’autorité parentale en application de la loi allemande, loi nationale effective de l’enfant. Le
BGH lui donne raison. Il juge que la nationalité effective du double national est celle qui
correspond à sa résidence habituelle et que le changement de résidence habituelle, faute
d’indice déterminant en sens contraire, entraîne changement de nationalité effective et donc
de loi personnelle, alors même que ce changement aurait été réalisé contre le consentement
de l’un des parents. En l’espèce, donc, le rapport d’autorité au profit du père, qui résultait de
plein droit de la loi italienne, loi nationale effective de l’enfant tant qu’il vivait en Italie, a cessé
d’exister en vertu de la loi allemande, loi nationale effective actuelle de l’enfant191.

Même en faisant abstraction de la voie de fait commise par la mère192 la solution n’est pas
heureuse. Elle montre que le principe de proximité peut devenir un élément perturbateur
dans la détermination du statut personnel du double national193.

La détermination du statut personnel du double national possédant deux nationalités


étrangères par la recherche de la loi de l’Etat auquel il entend ou a entendu se rattacher paraît
donc préférable. Cette méthode peut-elle être également retenue lorsque le conflit de
nationalités met en cause la nationalité de l’autorité saisie?

B) - Conflit entre la nationalité du for et une nationalité étrangère


74. L’opposition est ici très marquée entre partisans de la prépondérance systématique de la
nationalité du for et partisans de la recherche de la nationalité la plus effective194. C’est que le
poids de [p83] l’idée de souveraineté reste considérable dès lors que la nationalité du for est en
cause. L’article 3, alinéa 3, du Code Napoléon, en soumettant à la loi française l’état et la
capacité des Français, même résidant à l’étranger, ne fait pas de distinction selon que ces
Français possèdent, ou non, une autre nationalité. Et Bartin, dans un passage précédant de
peu celui que nous avons cité plus haut, écrivait : « Tout le monde sait qu’il y a un cas où le
problème disparaît. C’est le cas où l’individu à nationalités multiples sur lequel on raisonne est
considéré par la loi française comme Français. Pour le juge français, il n’y a jamais là qu’un
Français … Dans tous les domaines, droit privé, droit pénal, droit fiscal, ou droit public,
l’individu qualifié de Français par la loi française n’est et ne peut être, pour le juge français,
qu’un sujet français. 195 »

Et il n’est pas étonnant que ce soit dans les pays ayant renoncé au rattachement de principe à
la nationalité que l’on accepte le plus facilement la préférence à la nationalité effective, dans
les rares cas où la loi nationale régit encore le statut personnel196. Mais dans les pays toujours
attachés au critère de la nationalité, il n’est guère admis qu’un double national ayant la
nationalité du for vienne défier le droit du for en réclamant l’application de son autre droit
national jugé plus effectif197.

75. Cette situation est-elle acquise définitivement? La raison d’en douter réside dans les
nombreux inconvénients d’une préférence systématique et absolue à la nationalité du for.
Celle-ci conduit en effet à des situations de blocage dans les relations internationales.

D’une part, elle bloque le fonctionnement des conventions internationales qui ont conservé le
rattachement à la nationalité. L’exemple le plus caractéristique est celui, déjà rencontré, de
l’article 3 de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur la protection des mineurs. Les
enfants auxquels s’applique cette convention sont très souvent des enfants issus de parents de
nationalité différente, et qui possèdent généralement la nationalité de chacun de leurs
parents. Les litiges les concernant sont souvent portés simultanément devant les tribunaux de
chacun de leurs Etats nationaux. L’application systématique par chacun de ces tribunaux de la
loi nationale du for, au nom du principe de préférence, conduira à des solutions inconciliables
dans chacun des Etats dont l’enfant a la nationalité et l’harmonie recherchée par la convention
[p84]
sera compromise. A cet égard, on ne peut qu’approuver le dictum de l’arrêt précité (et
critiqué sur d’autres points) de la Cour fédérale allemande du 29 octobre 1980 (voir note 188),
selon lequel la considération exclusive de la nationalité du for « serait susceptible de détruire
l’harmonie internationale des décisions, particulièrement entre Etats contractants ».

D’autre part, et plus généralement, la préférence à la nationalité du for risque de paralyser la


reconnaissance dans un Etat dont le double national a la nationalité des droits acquis par ce
double national dans son autre Etat national. Si l’on prend l’exemple du divorce de deux époux
ayant l’un et l’autre deux nationalités communes198, et qui divorcent dans l’un des Etats dont
ils ont la nationalité, le divorce sera vraisemblablement prononcé selon la loi de cet Etat, seule
loi nationale commune prise en considération par celui-ci, mais il risquera de n’être pas
reconnu dans l’autre Etat national des époux, si ce dernier subordonne la reconnaissance du
divorce à l’application de la loi compétente selon son propre système de conflit et s’il privilégie
lui aussi systématiquement la nationalité du for. Faudrait-il alors contraindre ces doubles
nationaux à entreprendre une double procédure de divorce, dans chacun de leurs Etats
nationaux?
76. Ces situations de blocage ont entraîné une certaine remise en question du principe de
préférence à la nationalité du for. Cette remise en question se fait au profit de la nationalité
effective, mais l’ambiguïté de cette notion, déjà signalée à propos du conflit entre deux
nationalités étrangères, risque là encore de créer quelque confusion et d’entraîner un excessif
retour du balancier. La question ne se pose pas dans les mêmes termes pour la reconnaissance
de droits créés à l’étranger et pour les demandes directes.

77. Le problème s’est d’abord posé pour la reconnaissance des divorces obtenus à l’étranger par
des époux possédant à la fois la nationalité de l’Etat d’origine du jugement et celle de l’Etat de
reconnaissance.

Aux Pays-Bas199 et en France200, notamment, des décisions de la Cour de cassation ont admis
la reconnaissance de tels divorces, et consenti par là à apporter au moins une atténuation à la
prédominance de la nationalité du for. Des décisions en ce sens ont également été rendues en
Allemagne fédérale201.

Aux Pays-Bas et en Allemagne, la reconnaissance du divorce a été accordée après constatation


du caractère effectif de la nationalité [p85] de l’Etat d’origine possédée par les époux. En France,
la Cour de cassation s’est contentée, en 1969, de relever que l’épouse (française et suisse) avait
« demandé devant cette juridiction suisse l’application de la loi suisse, laquelle était
compétente au regard du for régulièrement saisi, en raison de la nationalité suisse commune
des époux .»

Et, plus explicite, mais dans le même sens, la cour de Paris en 1985 a énoncé que : « Si, pour
l’application directe de la règle de conflits de lois donnant compétence à la loi nationale, le
juge français ne doit prendre en considération que la loi française sur la nationalité, il en va
autrement lorsque la juridiction française est appelée à se prononcer sur l’effet en France
d’une décision étrangère qui, pour la mise en œuvre d’une telle règle de conflits, a procédé –
comme l’eût fait le juge français à l’égard de sa propre loi – en ne tenant compte que de la
nationalité attribuée à la partie concernée par la loi locale. »

Les deux démarches ne sont pas équivalentes. Subordonner la reconnaissance du jugement


étranger à la constatation in concreto et a posteriori de l’effectivité de la nationalité de l’Etat
d’origine possédée par les intéressés, c’est, au nom d’un certain réalisme inspiré par le principe
de proximité, faire peser jusqu’au bout une incertitude sur la reconnaissance de ce jugement.

La démarche des juridictions françaises nous paraît préférable. Elle prend acte de ce que les
parties ont choisi de saisir une juridiction de l’un de leurs Etats nationaux et que celle-ci, liée
par le principe de souveraineté, ne pouvait appliquer à cette demande directe portée devant
elle que sa propre loi, comme l’aurait d’ailleurs fait une juridiction française.

Nous retrouvons ici l’idée d’allégeance prépondérante, plus proche du principe de


souveraineté que l’idée de nationalité effective, et nous constatons qu’elle a l’avantage de
garantir beaucoup plus sûrement la reconnaissance de la décision étrangère.
78. Cette recherche de l’allégeance prépondérante de la personne qui peut conduire à écarter
la nationalité de l’Etat de la juridiction saisie est-elle également acceptable en cas de demande
directe?

Une réponse affirmative paraît bien résulter d’un arrêt de la Cour fédérale allemande du 17
avril 1980202 rendu dans une affaire [p86] successorale. Cette précision, comme nous le verrons,
n’est pas indifférente.

Il faut rappeler que le droit allemand soumet la succession à la loi nationale du défunt203.
Dans cette affaire, le de cujus possédait les nationalités allemande et autrichienne. Il laissait à
son décès un légataire universel et sa mère, qui réclamait sa part de réserve, fixée à un
huitième de la succession selon le droit allemand, à un douzième, selon le droit autrichien.
Lequel de ces deux droits fallait-il appliquer? Les juges du fond avaient appliqué le droit
allemand, au nom du principe de préférence pour la nationalité du for. La Cour fédérale
accueille le pourvoi en révision et applique le droit autrichien. Elle rappelle que le principe de
préférence doit être écarté lorsque le binational qui possède la nationalité allemande
entretient avec l’Etat étranger dont il possède aussi la nationalité un rapport
substantiellement (wesentlich) plus étroit qu’avec l’Allemagne fédérale. Passant à l’examen des
faits de l’espèce, la Cour fédérale constate que le de cujus avait été arrêté en 1946 en zone
soviétique d’occupation, qu’il avait réussi peu après à s’enfuir en zone occidentale où il était
resté environ un an, avant de s’établir définitivement, au plus tard en 1950, en Autriche. Il avait
en ce pays exploité un domaine rural et s’était dévoué jusqu’à son décès aune entreprise
d’élevage d’Etat (Staatzucht). A l’époque décisive, c’est-à-dire à son décès, ses liens avec
l’Autriche étaient donc substantiellement plus étroits qu’avec l’Allemagne.

Bien que la Cour fédérale ne l’exprime pas formellement, il semble bien, à lire son arrêt, qu’elle
ait cherché à reconstituer quelle fut l’allégeance prépondérante du de cujus. L’accent mis sur
son engagement envers l’Autriche montre bien, comme l’écrivait Bartin, que c’est à l’Autriche
qu’il avait entendu se rattacher.

L’exception apportée à la prédominance de la nationalité de l’Etat du for, même si elle paraît


condamnée par le nouvel article 5, paragraphe 1 in fine, EG (loi de 1986), semble donc justifiée.
Elle l’est d’autant plus que, dans cette espèce, la personne considérée était décédée et qu’il
s’agissait simplement de reconstituer rétrospectivement ce qu’on pourrait appeler son
itinéraire national personnel. Aucune fraude à la souveraineté du for n’était plus à redouter.

79. Reste le cas d’une demande directe intéressant un binational vivant, possédant la
nationalité du for. L’Etat du for peut-il accepter de voir ses propres juges appliquer au statut
personnel de son national une loi étrangère? On peut l’imaginer dans le cadre d’une [p87]
convention internationale soucieuse, précisément, d’éviter les blocages déjà signalés (supra,
n° 75), résultant de la préférence systématique à la nationalité du for. Un exemple d’une telle
concession mutuelle est fourni par la Convention de coopération judiciaire franco-portugaise
du 20 juillet 1983 relative à la protection des mineurs204. Selon l’article 8 de cette convention :
« Lorsque le mineur possède concurremment la nationalité française au regard de la loi
française et portugaise au regard de la loi portugaise, les autorités judiciaires appliquent la loi
de l’Etat où le mineur a sa résidence habituelle et dont il est ressortissant. »

Mais cette solution est-elle possible en dehors d’une convention internationale ? C’est, à notre
avis, l’hypothèse limite. Si, dans cette hypothèse, l’Etat du for renonce à l’application de sa
propre loi, il renonce du même coup au fondement de souveraineté de sa règle de conflit en
matière de statut personnel. C’est que, pour lui, le rattachement du statut personnel à la loi
nationale n’est plus qu’un rattachement de proximité et non plus de souveraineté. Le
fondement du rattachement s’est transformé, mais il faudrait logiquement en tirer les autres
conséquences, notamment renoncer au renvoi (voir supra, n° 34).

Les exemples tirés du droit positif nous paraissent confirmer cette assertion. Les projets
législatifs205 qui résolvent en toute hypothèse le conflit de nationalités en privilégiant la
nationalité effective, entendue concrètement, se placent délibérément dans la mouvance du
principe de proximité et il n’est pas utile d’y insister à nouveau.

Le cas du droit néerlandais est plus complexe. La loi néerlandaise du 25 mars 1981 sur le
divorce206, faisant suite à une jurisprudence remarquée du Hoge Raad207, prévoit en principe
l’application au divorce de la loi nationale commune des époux, si elle existe et si elle
correspond pour chacun des époux à un lien social effectif. Si tel n’est pas le cas, la loi
nationale commune n’est applicable que si elle a été choisie (expressément ou tacitement) par
les époux. Et si l’un des époux a plusieurs nationalités, son droit national est censé être celui
du pays avec lequel « toutes circonstances considérées », elle a le lien le plus fort208.

On peut déceler dans ce texte confus les ingrédients d’une solution possible. Le premier est
celui de la nationalité effective, entendue comme celle de l’Etat avec lequel le binational a le
lien le [p88] plus fort. La notion de lien le plus fort est souvent opposée, dans la doctrine de
langue allemande, à celle du lien le plus étroit209, et cette nuance pourrait correspondre, en
matière de nationalité, à la différence que nous avons faite, à la suite de Bartin, entre
l’allégeance prépondérante et la nationalité effective. Mais ici, s’agissant d’une personne
vivante, la différence a peu de portée. L’Etat du for ne peut, sans renoncer au principe de
souveraineté, admettre que l’un de ses nationaux ait une allégeance prépondérante étrangère.

Le second élément qui apparaît dans la loi néerlandaise est l’autonomie de la volonté ou, si
l’on préfère, l’option de législation. C’est un moyen que les anciens Etats coloniaux, en tout cas
la France et les Pays-Bas, ont utilisé sur une assez grande échelle pour permettre aux habitants
de leurs colonies, régis par leur statut civil particulier, d’opter pour ce qui, en France, était
appelé le statut civil de droit commun, c’est-à-dire le statut français210. Mais cette option de
législation s’exerçait le plus souvent à sens unique (en faveur du statut métropolitain) et à
l’intérieur du système juridique de l’Etat colonisateur, donc sans porter atteinte à sa
souveraineté. Tandis que, dans le cas de conflit de nationalités, le système de l’option de
législation peut entraîner l’application d’une loi étrangère au binational ayant la nationalité de
l’Etat du for211. La loi applicable au statut personnel est alors choisie par l’intéressé212. La
solution n’est pas sans avantage, mais il faut reconnaître qu’elle est entièrement étrangère au
principe de souveraineté213 et que son adoption risque de perturber gravement un système de
conflit qui repose encore pour l’essentiel sur ce principe.

Cette intrusion de l’autonomie de la volonté pour la détermination du rattachement le plus


effectif n’est pas absente de l’autre hypothèse de pluralité du facteur de rattachement, celle
d’un lien familial entre personnes de nationalité différente.

Par. 2 - Les relations entre époux de nationalité différente


80. Il s’agit ici de la loi applicable aux effets personnels du mariage, et au divorce, d’époux de
nationalité différente dans les pays soumettant en principe le statut personnel à la loi
nationale. Sont donc laissés de côté les droits qui réservent au divorce un sort particulier (par
exemple l’article 310 du Code civil français) ou ceux qui appliquent systématiquement au
divorce la loi du for, comme [p89] le droit anglais, ou encore ceux qui rattachent en principe le
statut personnel à la loi du domicile.

En droit comparé, dans le groupe d’Etats ainsi délimité, la tendance largement dominante, du
moins en Europe continentale, est d’utiliser en cette matière une échelle de rattachement
dont on trouve l’origine dans la jurisprudence française issue des arrêts Rivière 214 et Tarwid 215
et qui a été un peu sophistiquée en Allemagne par le Deutscher Rat216 sous l’influence de G.
Kegel, d’où l’expression de Kegelsche Leiter. L’idée est qu’à défaut de nationalité commune des
époux (ou de dernière nationalité commune), on appliquera la loi du domicile commun ou de
la résidence habituelle commune. A défaut de résidence habituelle commune ou, dans la
variante Kegel, de dernière résidence habituelle commune, les solutions varient et retiennent
soit la loi du for (système français antérieur à la réforme de 1975), soit la loi du pays avec lequel
la situation a les liens les plus étroits.

Quelle est la signification de ce passage de la loi nationale commune à la loi de la résidence


habituelle commune? Et quelles en sont les conséquences sur le fonctionnement de la règle
de conflit? Telles sont les deux questions que nous allons examiner.

A) - Quelle est la signification de la substitution du domicile ou de la résidence


à la nationalité comme facteur de rattachement en cas d’époux de nationalité
différente?
81. C’est une question qui est rarement posée. On peut en effet se contenter d’observer qu’il y a
simplement substitution d’un rattachement à un autre lorsque le premier est devenu
impraticable, sans changement de signification de la règle de conflit elle-même. Et le caractère
fixe de l’échelle Rivière-Tarwid incitait à appliquer mécaniquement la règle sans aucun état
d’âme.
Pourtant, il n’est pas nécessaire de réfléchir très longtemps pour comprendre que la règle de
conflit soumettant les effets du mariage (ou le divorce) d’époux de nationalité différente à la
loi de la résidence commune ne peut avoir le même fondement que la règle de conflit
traditionnelle soumettant ces mêmes rapports de droit à la loi nationale commune, lorsqu’elle
existe.

La règle de conflit traditionnelle repose sur l’idée d’allégeance. Les nationaux d’un pays sont
soumis, quant à leur statut personnel, à la loi de ce pays, comme on a déjà eu maintes fois
l’occasion de le rappeler. Et les premiers rattachements de substitution imaginés [p90] dans
l’hypothèse, jadis exceptionnelle, d’époux de nationalité différente reposaient, eux aussi, sur
ce fondement de souveraineté. La règle de conflit, aujourd’hui en voie d’extinction en
Europe217, mais qui se maintient dans toute sa rigueur dans les pays musulmans218, de la
prépondérance de la loi nationale du mari exprimait non seulement la subordination de la
femme au mari, mais aussi la soumission du couple à la loi nationale du mari. Et le même
principe de souveraineté inspirait aussi à l’origine, nous semble-t-il, le système dit de
l’application cumulative des lois nationales de chacun des deux époux219. Il s’agissait de
mettre en œuvre, plutôt mal que bien, le principe que chaque époux demeurait soumis pour
son statut personnel à son Etat national.

Mais à partir du moment où l’on rompt le rattachement à la nationalité, parce que la dualité
de nationalités dans le couple le rend impraticable dans une société attachée au principe de
l’égalité des sexes, le fondement du rattachement de substitution ne peut plus être le lien
d’allégeance du couple envers un Etat déterminé. Sans doute recherche-t-on toujours un droit
régissant le statut de ce couple, car on ne peut admettre qu’il échappe à toute règle, mais ce
droit n’est plus par hypothèse celui de l’Etat qui avait une autorité naturelle sur le couple, car il
y en aurait deux, mais le droit de l’Etat le plus proche de ce couple, celui de l’Etat auquel les
deux époux se rattachent le plus étroitement. Le principe de proximité a pris la place du
principe d’allégeance.

82. Cette différence de fondement entre la règle de conflit traditionnelle et la règle de conflit
de substitution est encore accentuée par la sophistication progressive de cette dernière.

Comparons le système Rivière-Tarwid 220 et l’échelle de Kegel221. Dans le premier, l’équivoque


sur le fondement peut encore subsister. On se souvient de ce que la souveraineté d’un Etat sur
les personnes peut s’exercer, et s’est historiquement exercée, tant sur ses nationaux à l’étranger
que sur les étrangers domiciliés sur son territoire. Le rattachement subsidiaire au domicile
commun est donc encore à la limite compatible avec un fondement de souveraineté222.

Mais c’est déjà beaucoup plus douteux si ce rattachement subsidiaire est la résidence
habituelle et non plus le domicile. Et, dans l’échelle de Kegel, nous constatons que la règle de
conflit de substitution procède déjà par la méthode du groupement des points de contact, qui
est une méthode de localisation. En effet, à défaut de loi nationale commune, c’est la dernière
loi nationale commune qui [p91] est retenue, mais seulement à la condition que cette loi
nationale soit encore celle de l’un des époux. De même, à défaut de résidence habituelle
commune, c’est la dernière résidence habituelle commune qui est retenue, mais seulement si
elle a été conservée par l’un des époux.

La jurisprudence récente de la Cour fédérale allemande illustre bien le fondement de pure


proximité de la règle de conflit de substitution, et cela avant même que l’échelle de Kegel ait
été consacrée par le législateur allemand en 1986.

Dans un arrêt du 17 février 1982223, la Cour fédérale avait à connaître de la réclamation d’une
pension alimentaire d’une femme autrichienne, résidant alors en Autriche, contre son mari
allemand résidant en Allemagne fédérale. La Cour retient l’application du droit allemand,
après avoir observé qu’il convenait de rechercher dans quel environnement juridique et social
les époux avaient vécu et relevé qu’en l’espèce le couple avait vécu de 1965 à 1978 en Allemagne
et que la femme avait l’intention d’y retourner, sitôt réglé ce problème de pension alimentaire.
Et de conclure qu’un lien si fort (ein so starker Inlandbezug) justifie l’application du droit
allemand.

Deux ans plus tard224, la Cour fédérale a eu à connaître d’une demande en divorce formée par
une femme de nationalité soviétique établie en Allemagne avec son mari depuis 1972, contre
son mari de nationalité angolaise, qui avait quitté l’Allemagne pour l’Angola en 1979. La cour
d’appel avait justement écarté l’application de l’article 17 EG qui aurait conduit à la loi du mari,
mais elle avait appliqué la loi soviétique (plus favorable au divorce que la loi angolaise) en tant
que loi nationale de l’époux demandeur, choisie par ce dernier. La Cour fédérale condamne le
raisonnement et indique que, dans un pareil cas, il faut abandonner le rattachement à la
nationalité et lui substituer le rattachement à la résidence. En conséquence, elle applique la
loi allemande, loi de la dernière résidence commune, conservée par la femme. C’est bien là
une démarche de localisation et non une recherche d’allégeance.

Certains droits rendent encore plus évident ce fondement de proximité du rattachement


subsidiaire en prévoyant comme ultime recours la recherche directe de la loi du pays avec
lequel les époux ont en commun les liens les plus étroits. C’est le cas du droit grec225, du droit
portugais226, et depuis 1986, du droit allemand227, dans l’hypothèse d’absence de résidence
habituelle commune.

B) - Conséquences du changement de signification du rattachement


subsidiaire sur le fonctionnement de la règle de conflit
[p92]

83. Nous avons indiqué, dans le chapitre précédent, qu’une règle de conflit fondée sur le
principe de proximité ne pouvait fonctionner comme une règle de conflit fondée sur le
principe de souveraineté. La dualité de règles de conflit concernant les effets personnels du
mariage, selon que les époux ont ou n’ont pas de nationalité commune, illustre ces différences,
qui concernent le renvoi, le rôle de l’autonomie de la volonté et la stabilité du rattachement.
84. 1) Il est certain que le rôle du renvoi va se trouver affecté par le changement de
signification de la règle de conflit.

Lorsqu’il s’agit d’époux de même nationalité, l’application du renvoi – dans les systèmes qui ne
l’excluent pas pour des raisons de principe – est quasiment postulée par le fondement de la
règle de conflit. Si l’Etat du for a décidé que le statut conjugal de deux époux étrangers de
même nationalité relève de leur loi nationale, il est de sa part logique d’appliquer à ces époux
les règles qui leur seraient appliquées par les autorités de leur Etat national et, par suite,
d’admettre le renvoi si la loi nationale n’accepte pas sa compétence228.

Lorsqu’il s’agit d’époux de nationalité différente auxquels on applique, par exemple, la loi du
domicile commun, le jeu du renvoi est moins évident229; si la loi du domicile a été retenue sur
un fondement de proximité et non sur un fondement de souveraineté, il est certain qu’un
renvoi de la loi du domicile à la loi nationale du mari, par exemple, serait contraire à l’esprit de
la règle de conflit du for. Mais il serait concevable d’admettre un renvoi de la loi du domicile à
la loi du pays avec lequel les époux auraient les liens les plus étroits, déterminé concrètement.
En pareil cas, le renvoi contribuerait à la recherche d’une plus grande proximité, souhaitée par
la règle de conflit du for.

Enfin, lorsque la loi retenue pour ce couple de nationalité différente résulte d’un groupement
de contacts, ou directement de la détermination concrète des liens les plus étroits, le renvoi
doit, à peine d’incohérence, être purement et simplement écarté. La règle de conflit de lois du
for entend faire régir le rapport de droit par la loi la plus proche du milieu de vie des époux, ce
sont uniquement les dispositions matérielles de cette loi que la règle de conflit désigne.
L’irruption du principe de proximité dans le domaine des relations [p93] entre époux produit
donc comme conséquence cette exclusion du renvoi230. Ce jeu modulé du renvoi en fonction
du fondement de la règle de conflit est bien marqué par la nouvelle loi allemande de 1986. Le
nouvel article 4, paragraphe 1, EG admet en effet le renvoi, au premier comme au second
degré, « pourvu que celui-ci ne contredise pas le sens de la règle de conflit ».

85. 2) Le fondement de proximité du rattachement de substitution pourrait ouvrir une


certaine voie à l’autonomie de la volonté.

L’un des inconvénients de la détermination de la loi applicable par le principe de proximité est
l’incertitude de la solution. On peut y remédier par des rattachements fixes, mais ceux-ci
peuvent se révéler parfois inappropriés. On peut aussi lever l’incertitude en permettant aux
intéressés de choisir eux-mêmes la loi applicable, comme il est de règle en matière
contractuelle. Il suffirait de permettre aux époux de choisir, entre un nombre limité de lois
auxquelles ils se rattachent étroitement, celle qui régira leur statut.

Ce système d’une option conjointe de législation a été préconisé depuis longtemps dans la
doctrine allemande231. La loi néerlandaise du 25 mars 1981, déjà rencontrée à propos des
conflits de nationalités (supra, n° 79), lui fait une certaine place en prévoyant, dans son article
1, paragraphe 4, que
« le droit néerlandais est appliqué si les époux optent conjointement pour ce droit ou si une
telle option par une des parties n’a pas été contestée .»

Mais c’est la nouvelle législation allemande qui, passant outre à certaines critiques232, illustre
le mieux cette idée que l’incertitude provoquée par la substitution en matière d’effets du
mariage du principe de proximité au principe de souveraineté appelle comme correctif
l’autonomie de la volonté.

Le nouvel article 14, paragraphe 3, EG accorde aux époux la faculté de choisir la loi nationale
de l’un d’eux pour régir les effets de leur mariage233. Cette faculté de choix est toutefois
subordonnée à certaines conditions qui montrent que l’autonomie de la volonté n’intervient
ici qu’à titre subsidiaire.

Tout d’abord, la faculté de choix est exclue si les deux époux ont une nationalité commune ou
si, ayant eu pendant le mariage une nationalité commune, celle-ci est encore possédée par
l’un d’entre eux. En ce cas, c’est le premier barreau de l’échelle de Kegel qui s’applique et nous
avons vu qu’il repose encore largement, au [p94] moins dans sa première proposition, sur le
principe de souveraineté. Il n’y a donc pas de place pour l’autonomie de la volonté.

En second lieu, la faculté de choix est subordonnée à la double condition alternative suivante :
il faut, ou bien qu’aucun des deux époux n’ait la nationalité de l’Etat dans lequel l’un et l’autre
ont leur résidence habituelle, ou bien que les deux époux n’aient pas leur résidence habituelle
dans le même Etat. Nous sommes ici dans l’hypothèse d’époux de nationalité différente et le
principe de proximité a pris la place du principe de souveraineté. Mais c’est seulement s’il y a
incertitude sur la localisation des effets du mariage que cette incertitude peut être levée par
un choix des époux. Et tel n’est pas le cas si les époux ont une résidence habituelle commune
et si l’un d’entre eux a de surcroît la nationalité de l’Etat dans lequel se trouve cette résidence
habituelle commune.

La troisième limitation apportée à cette faculté de choix confirme les analyses qui précèdent.
Selon l’article 14, paragraphe 3, dernier alinéa, les effets du choix de la loi applicable prennent
fin si les époux acquièrent une nationalité commune. Les époux se trouvent alors placés
d’autorité sous l’empire d’une règle de conflit fondée sur le principe de souveraineté, qui ne
peut plus coexister avec l’autonomie de la volonté.

On aurait pu imaginer d’autres aménagements de cette faculté de choix, par exemple élargir
l’éventail des lois pouvant être choisies, comme le souhaitait l’Institut Max-Planck234, ou
maintenir par souci de simplicité les effets du choix même en cas d’acquisition d’une
nationalité commune par les époux. Telle qu’elle est, la nouvelle législation allemande ne
constitue pas moins un exemple remarquable, tant de la complémentarité des principes de
proximité et d’autonomie de la volonté que de leur pénétration commune dans le domaine du
statut personnel.
86. 3) Le dernier point à signaler concernant la règle de conflit en matière d’effets du mariage
d’époux de nationalité différente est la fragilité relative des rattachements retenus. Supposés
exprimer la proximité, ces rattachements subsidiaires sont parfois pris en défaut. Si, par
exemple, pour des raisons professionnelles, un ménage mixte germano-autrichien, qui s’est
marié et a toujours vécu en Allemagne fédérale, est envoyé pour deux ans au Japon, peut-on
dire que la loi japonaise, loi de la nouvelle résidence habituelle commune, est celle avec
laquelle ce couple présente les liens les plus étroits? De toute évidence, c’est la loi allemande
qui répond le [p95] mieux au principe de proximité235. Le rattachement de substitution est
donc exposé, beaucoup plus que le rattachement principal, aux clauses d’exception qui seront
étudiées dans le prochain chapitre.

Conclusions du chapitre II
87. L’étude de la pénétration du principe de proximité dans un domaine du droit qui n’est
généralement pas le sien, nous permet déjà de tirer quelques conclusions.

Les unes tiennent à cette faculté de pénétration elle-même. Dès que le rattachement constitué
par la nationalité disparaît (apatridie), faiblit (conflit positif de nationalités) ou se divise
(époux de nationalité différente), une pression très forte s’exerce pour substituer au
fondement d’allégeance un rattachement fondé sur le principe de proximité. J’ai essayé de
montrer comment le principe de souveraineté pouvait encore résister en cas de double
nationalité, grâce à cette idée d’allégeance prépondérante, mais peut-être n’est-ce là qu’un
combat d’arrière-garde. En d’autres termes, le principe de proximité tend à supplanter tous les
rattachements faibles. Il ne cède que devant les rattachements forts, comme la nationalité,
lorsque celle-ci est unique et indiscutable. Le résultat est qu’en matière de statut personnel
nous constatons souvent la coexistence de deux types de règles de conflit reposant sur des
principes tout à fait différents.

Les autres conclusions tiennent au fonctionnement d’une règle de conflit fondée sur le
principe de proximité. Ce fonctionnement diffère fortement de celui d’une règle fondée sur le
principe de souveraineté et sur ce point nous trouvons confirmation des conclusions du
chapitre précédent, ce qui accrédite l’idée déjà exprimée d’une fragmentation de ce qu’on
appelle la théorie générale des conflits de lois, chaque type de règle véhiculant ses propres
mécanismes de fonctionnement.

L’originalité à cet égard de la règle de conflit reposant sur le principe de proximité se manifeste
au moins de trois façons :

les rattachements qu’elle retient sont en général souples, ou à défaut casuistiques


(groupements de points de contact), car ils doivent être en mesure de s’adapter à chaque
espèce;
ils excluent par là même logiquement le renvoi;
ils sont créateurs d’une certaine incertitude qui peut être levée par un recours à
l’autonomie de la volonté, au moins dans certaines limites.
Un quatrième trait va apparaître dans le chapitre suivant. Ces rattachements sont plus
exposés que les autres à la fonction de correction des règles de conflit qu’exerce également le
principe de proximité.

CHAPITRE III - LE RÔLE DU PRINCIPE DE PROXIMITÉ DANS LA


CORRECTION DES RÈGLES DE CONFLIT
[p97]

88. La fonction correctrice du principe de proximité trouve aujourd’hui sa meilleure


expression dans l’article 14, paragraphe 1, du projet suisse de 1982 : « Le droit désigné par la
présente loi n’est exceptionnellement pas applicable si, au regard de l’ensemble des
circonstances, il est manifeste que la cause n’a qu’un lien très lâche avec ce droit et qu’elle se
trouve dans une relation beaucoup plus étroite avec un autre droit. 236 »

Il faut comprendre cette clause générale d’exception comme une sorte de réplique à
l’objection souvent faite aux Etats-Unis ou ailleurs à l’encontre du caractère mécanique et
aveugle de la règle de conflit de type savignien. Par cette clause, la règle de conflit est soumise
à une sorte d’instance de vérité, qui trouve son inspiration directe dans le principe de
proximité. Si, manifestement (offensichtlich, dans le texte allemand originaire du projet
suisse), la règle de conflit donne un résultat contraire au réalisme en désignant une loi sans
lien concret réel avec la situation, on corrigera la règle de conflit pour appliquer à la place de
la loi désignée celle qui présente les liens les plus étroits avec la situation.

Ces clauses d’exception, le plus souvent partielles, se sont multipliées dans les codifications
récentes et dans certaines conventions internationales. D’importants travaux doctrinaux leur
ont déjà été consacrés237. La jurisprudence, de son côté, y a parfois recours sans le support
d’aucun texte. Les données sont suffisantes aujourd’hui pour prendre la mesure du domaine
d’intervention de cette fonction correctrice du principe de proximité, puis de son mode
d’intervention.

Section I - Le domaine de la fonction correctrice du principe de proximité


89. Nous avons pu constater jusqu’à présent que si certaines règles de conflit de lois sont
inspirées directement parle principe de proximité (contrats, régimes matrimoniaux), d’autres
dérivent du [p98] principe de souveraineté, même si elles se laissent parfois pénétrer par le
principe de proximité (statut personnel). Il faut évidemment s’attendre à ce que la fonction
correctrice du principe de proximité trouve plus facilement sa place dans la première série de
règles que dans la seconde. Mais dans la mesure où cette fonction correctrice peut s’exercer
aussi à l’encontre de règles de conflit reposant sur le principe de souveraineté, elle révèle que,
au moins à ce stade, le principe de proximité tend à devenir un principe fédérateur de
l’ensemble des règles de conflit. C’est une hypothèse qu’il faudra également vérifier en
examinant la place faite à cette fonction correctrice dans les domaines qui ne relèvent à titre
principal ni du principe de proximité ni du principe de souveraineté.
Par. 1 - La fonction correctrice dans le droit des obligations

A) - Obligations contractuelles
90. En matière de contrats, la fonction de correction ne se distingue jamais complètement de
la fonction d’élaboration delà règle de conflit.

Dans les droits qui, comme le droit anglais et le droit français, rattachent directement le
contrat à la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits, sans privilégier a priori
aucun indice de rattachement238, la clause d’exception n’a pas sa place, car il n’y a pas lieu de
corriger par le principe de proximité une règle de conflit qui se confond précisément avec ce
principe.

C’est seulement à partir du moment où la règle de conflit tend à se cristalliser en certaines


présomptions prédéterminées de façon abstraite que le besoin d’une clause d’exception fait
son apparition. Les illustrations les plus connues sont celles données par la Convention de
Rome du 19 juin 1980 (art. 4, par. 5, et art. 6, par. 2) sur la loi applicable aux obligations
contractuelles et par la nouvelle Convention de La Haye sur la loi applicable aux contrats de
vente internationale de marchandises (art. 8, par. 3), élaborée en octobre 1985. Mais le point
faible de ces conventions est de n’être pas encore entrées en vigueur et de n’avoir pu en
conséquence subir l’épreuve de la jurisprudence.

91. Il en est autrement du droit suisse des contrats. Nous avons vu que le Tribunal fédéral,
après avoir abandonné les deux « coupures, » et proclamé le principe du rattachement de
l’ensemble du [p99] contrat à la loi du pays avec lequel il présente la relation territoriale la plus
étroite, avait peu à peu dégagé des présomptions et décidé que le pays des liens les plus étroits
était, « en règle générale », celui du domicile de la partie débitrice de la prestation
caractéristique du contrat239.

Cette règle de conflit était posée en la forme d’une présomption, donc sous la réserve implicite
d’une clause d’exception en cas de rapport plus étroit du contrat avec un autre pays240.

Le Tribunal fédéral a, dès 1952, fait par deux fois241 application de cette clause d’exception en
matière de prêt. En règle générale, ce contrat est rattaché à la loi du domicile du prêteur, car sa
prestation est la prestation caractéristique du contrat, sa situation est la plus dangereuse et sa
position prépondérante, mais « certaines circonstances concrètes peuvent dans un cas donné
recommander un rattachement territorial du rapport de droit avec un autre pays .»

Le Tribunal avait à statuer sur un prêt consenti à Constance, en Allemagne, par un Suisse
réfugié de Pologne et alors domicilié provisoirement à Constance où il avait pu placer ce qu’il
avait réussi à sauver de son patrimoine en Pologne. L’emprunteur était un Allemand domicilié
lui aussi à Constance, mais en attente d’un permis de séjour en Suisse. Les deux parties
devaient compter avec un remboursement en Suisse et en étaient même convenues un peu
plus tard. A priori, c’est la loi allemande du domicile du prêteur à l’époque du prêt qu’il aurait
fallu appliquer, mais, selon le Tribunal fédéral, « tout bien considéré, il existe des rapports
territoriaux bien plus proches (nähere) avec la Suisse (Etat national du prêteur, Etat du futur
domicile des deux parties et lieu prévu pour le remboursement) qu’avec l’Allemagne, avec
laquelle le rapport de droit n’a qu’un rapport plus fortuit .»

Dans une espèce beaucoup plus récente, l’Amtsgericht de Lu-cerne242 a exprimé la nécessité
de recourir à une « clause échappatoire » (Ausweichklausel) pour faire prévaloir la loi suisse
sur la loi séoudienne dans un litige portant sur la commission due à un courtier suisse par une
société suisse pour une opération réalisée en Arabie Séoudite243.

Mais, à vrai dire, l’expression de clause échappatoire n’est pas [p100] heureuse. L’application du
droit suisse, dans les deux exemples cités, n’est qu’une concrétisation dans des espèces
particulières de la règle de conflit de principe retenant la loi du pays avec lequel le contrat
présente les liens les plus étroits. La fonction correctrice se distingue à peine de la fonction
d’élaboration de la règle de conflit. Il en est autrement en matière délictuelle.

B) - Obligations délictuelles
92. En matière délictuelle, le rattachement fixe traditionnel à la loi du lieu du délit est l’objet
de critiques bien connues244. Certaines législations ont apporté des exceptions délimitées à ce
principe, en faveur, par exemple, de la loi nationale commune245 ou de la loi de la résidence
habituelle commune de l’auteur et de la victime246.

Les Conventions de La Haye du 4 mai 1971 et du 2 octobre 1973, de leur côté, ont défini des
groupements de facteurs de rattachement pour répondre à tous les cas de figure dans les
hypothèses d’accidents de la circulation ou de dommages causés par des produits. L’intérêt de
ces textes est de diversifier les solutions en fonction de la diversité des situations. Mais ces
solutions restent fixes et peuvent, dans certaines espèces, se révéler inappropriées.

C’est pourquoi, allant encore plus loin, des lois récentes ont complété cette casuistique par
une clause d’exception permettant d’écarter la loi désignée par la règle de conflit en cas de lien
plus étroit de la situation avec un autre droit. C’est le cas des lois autrichienne247 et turque248,
qui ont pris à cet égard le relais du projet Benelux (art. 14, al. 2)249 et de l’avant-projet publié
en 1972 d’une convention communautaire sur la loi applicable aux obligations contractuelles
et extracontractuelles (art. 13)250.

Il est plus intéressant encore d’observer l’apparition spontanée d’une clause d’exception dans
la jurisprudence des pays dont la législation ne la prévoit pas. L’exemple allemand est, de ce
point de vue, remarquable, surtout si on le rapproche de l’exemple français.

93. En Allemagne fédérale, la règle de conflit en matière délictuelle est fixée depuis longtemps
dans le sens de l’application de la loi du lieu du délit251. Cette solution se déduit de l’article 12
(devenu l’article 38) de la loi d’introduction du Code civil qui interdit de faire valoir contre un
Allemand, à l’occasion d’un acte illicite commis à l’étranger, des droits plus étendus que ceux
[p101]
consacrés par la [p101] loi allemande. Elle a été confirmée par le caractère unilatéral du décret
du 7 décembre 1942, déclarant le droit allemand applicable en cas de dommage non
contractuel causé à l’étranger par un Allemand à un autre Allemand.

Cependant, la doctrine allemande réclamait depuis longtemps un assouplissement


(Auflockerung) du rattachement à la lex loci delicti et, par une série de décisions récentes, la
Cour fédérale se montre disposée à répondre à cette attente252, sans que l’on puisse dire
encore si cet assouplissement correspond à l’admission d’une clause d’exception ou s’il
annonce une future règle de conflit reposant sur un groupement de points de contact.

Un premier arrêt du 5 octobre 1976253 avait encore appliqué la loi du lieu du délit à un
accident survenu en Yougoslavie entre deux voitures immatriculées en Allemagne fédérale,
conduites par des personnes également domiciliées en Allemagne. Mais la Cour avait relevé
que l’une de ces voitures était conduite par un Gastarbeiter yougoslave, en sorte qu’il y avait
coïncidence entre le lieu de l’accident et la nationalité de l’une des parties. La possibilité d’une
dérogation à la loi du lieu du délit n’était donc pas exclue.

Cette possibilité s’est concrétisée dans un arrêt du 13 mars 1984254. L’accident était survenu en
Autriche, à une voiture immatriculée en Allemagne fédérale, et à l’intérieur de laquelle se
trouvaient trois Yougoslaves, tous domiciliés en Allemagne et vivant sous le même toit (un
enfant, blessé dans l’accident, sa mère, plus l’ami de la mère). Le tribunal de première instance
avait appliqué la loi yougoslave, loi de la nationalité commune des parties. La cour d’appel
avait cru se tirer de la difficulté par un raisonnement plus orthodoxe : la règle de conflit
allemande, disait-elle, désigne la loi autrichienne du lieu de l’accident ; mais comme l’Autriche
a ratifié la Convention de La Haye du 4 mai 1971 et que celle-ci (art. 4 a)) soumet le recours du
passager contre le transporteur à la loi de l’Etat d’immatriculation du véhicule, il y avait lieu
d’appliquer la loi allemande par renvoi de la règle de conflit autrichienne.

La Cour fédérale a écarté ce raisonnement255. Consciente de la difficulté de trancher entre la


loi nationale commune et la loi du domicile commun, elle a décidé dans l’espèce d’appliquer
directement la loi allemande, en considération de la communauté d’habitation en Allemagne
des parties256 et du fait qu’elles avaient décidé de faire ensemble ce voyage qui avait
commencé et devait prendre fin en Allemagne.
[p102]
L’attention portée par la Cour fédérale aux circonstances de l’espèce montre bien qu’elle a
raisonné ici comme si la règle de conflit allemande en matière de responsabilité délictuelle
était assortie d’une clause d’exception.

Un arrêt plus récent du 8 janvier 19 8 5257 a appliqué la loi allemande aux conséquences d’une
collision survenue au Portugal entre deux voitures immatriculées en Allemagne fédérale et
conduites, l’une par un Allemand, l’autre par un Espagnol, tous deux domiciliés en Allemagne.
La Cour fédérale a énoncé que « si l’auteur et la victime d’un accident de la circulation ont
leur résidence habituelle commune dans un pays autre que celui du lieu de l’accident et si ni
l’un ni l’autre n’a la nationalité de cet Etat, la loi applicable à la responsabilité délictuelle est,
d’après la règle de conflit de lois allemande, celle du pays de la résidence habituelle commune,
si les véhicules de l’auteur et de la victime impliqués dans l’accident étaient immatriculés et
assurés dans cet Etat .»

La Cour fédérale paraît ici s’orienter davantage vers la formulation d’une exception de portée
générale à la compétence de la loi du lieu du délit que vers la consécration d’une clause
d’exception dépendant des circonstances concrètes de l’espèce. L’évolution n’est sans doute
pas achevée258.

94. Si l’on compare la jurisprudence allemande et la jurisprudence française, le contraste


apparaît saisissant. La Cour de cassation française reste en effet figée dans l’application rigide
et sans exception de la loi du lieu du délit259 et cette attitude s’est encore manifestée
récemment par le refus, plusieurs fois répété, d’une application anticipée de la Convention de
La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation routière260.

C’est pourtant dans l’application de cette dernière convention que la cour de Paris vient de
faire preuve d’une surprenante audace. On sait que, selon l’article 4 b) de cette convention,
lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans l’accident, la responsabilité du conducteur
envers le passager ne peut être régie par la loi de l’Etat d’immatriculation que si tous les
véhicules impliqués sont immatriculés dans le même Etat.

En 1981, la cour de Paris avait jugé que, pour qu’un véhicule soit considéré comme « impliqué »
dans l’accident, il suffisait qu’il ait joué un rôle dans la réalisation de l’accident, sans que pour
[p103]
autant sa responsabilité soit engagée261. Elle avait ainsi refusé d’appliquer la loi française
au recours du passager bénévole, résidant habituellement en France, d’un véhicule
immatriculé en France, contre le conducteur, lui-même résidant en France, de ce véhicule, à la
suite d’un accident survenu au Maroc, au motif que, selon des témoins, cet accident avait été
en partie causé par la fausse manœuvre d’un autre véhicule immatriculé au Maroc, mais non
identifié.

Trois ans plus tard, le 1er juin 1984262, dans une espèce assez proche, la même cour de Paris a
décidé d’appliquer la loi française et non la loi espagnole du lieu de l’accident, au motif: « qu’à
l’égard de sa passagère, le seul véhicule impliqué dans l’accident est celui de M. [le
transporteur bénévole] et que le fait qu’il soit entré en collision avec un camion immatriculé
en Espagne et un autre véhicule immatriculé en France ne saurait avoir pour effet de
restreindre le droit à la réparation de la passagère de nationalité française d’un véhicule
immatriculé et assuré en France, conduit par un Français, en considération de l’Etat où le
dommage a été causé .»

A l’encontre de la solution prévue par la convention, la cour fait prévaloir la loi du pays avec
lequel l’accident présente les liens les plus étroits, identifiés sans peine par les indices cumulés
de la nationalité et de la résidence des parties, ainsi que de l’immatriculation et de l’assurance
du véhicule du défendeur. La solution n’est certainement pas orthodoxe, mais elle illustre à
quel point l’existence d’une clause d’exception répond à un besoin, même en présence d’une
règle de conflit de caractère casuistique.

95. De ce rapide examen de la clause d’exception dans le droit des obligations se dégage la
première conclusion que la matière des délits oppose à la clause une résistance plus forte que
celle des contrats. Cette conclusion ne peut surprendre. Nous avons déjà constaté que le
danger principal (mais non rédhibitoire) du principe de proximité est de faire naître une
certaine incertitude. Et cela est vrai, que le principe s’exerce dans sa fonction d’élaboration ou
dans sa fonction de correction de la règle de conflit. Il ne peut donc s’épanouir pleinement que
là où il est possible de dissiper d’avance toute incertitude, c’est-à-dire là où les parties peuvent
choisir la loi applicable. Et, de fait, en matière contractuelle, la clause d’exception est toujours
écartée lorsque les parties ont fait usage de leur faculté de choisir la loi applicable263.
[p104] Il existe ainsi un double rapport d’attraction et d’exclusion entre les principes de

proximité et d’autonomie de la volonté. D’une part, l’autonomie de la volonté chasse la clause


d’exception, car elle est l’outil par lequel les parties conjurent le risque d’incertitude attaché au
principe de proximité. D’autre part, la clause d’exception appelle l’autonomie de la volonté,
comme son contrepoids nécessaire264.

En matière délictuelle, les choses se présentent autrement. D’une part, l’autonomie de la


volonté, si elle est concevable et parfois même constatée265, ne peut normalement intervenir
qu’après l’accident et ne peut donc jouer qu’un rôle très limité dans la détermination de la loi
applicable. Après l’accident, le choix par les parties de la loi applicable n’est plus très éloigné
d’une transaction sur le fond. D’autre part, la transaction entre les parties, le plus souvent
entre leurs assureurs, sera plus facile à réaliser s’il existe des règles aussi précises que possible
sur la détermination de la loi applicable.

Ces deux considérations conduisent en matière délictuelle à des règles de conflit diversifiées
répondant à la grande majorité des situations, mais elles ne sont pas suffisantes pour exclure
complètement le jeu de la clause d’exception.

Par. 2 - La fonction correctrice dans le domaine du statut personnel


96. Le chapitre précédent nous a montré la coexistence en de nombreux pays de deux séries
de règles de conflit à fondement différent dans le domaine du statut personnel. La plus
ancienne repose sur le principe d’allégeance de la personne à son Etat national. Elle continue
à s’appliquer au statut personnel individuel d’une personne possédant une nationalité
déterminée, ainsi qu’aux relations familiales entre personnes de même nationalité.

La seconde règle (ou série de règles), d’apparition plus récente, repose sur le principe de
proximité. Lorsque le rattachement à la nationalité n’est pas praticable, pour raison d’apatridie
ou de diversité de nationalité au sein d’une même famille, on cherche un rattachement
subsidiaire qui coïncide généralement avec l’Etat auquel l’intéressé ou les intéressés sont le
plus étroitement liés. Il peut même arriver que le principe de proximité supplante
complètement le principe de souveraineté en matière de statut personnel, comme on le voit
en Suisse, où le projet de codification généralise le rattachement de principe au domicile266.
[p105]
En présence d’une telle situation, il faut s’attendre à voir la clause d’exception pénétrer
plus facilement la seconde série de règles de conflit que la première.

A) - Cas où la règle de conflit en matière de statut personnel repose sur le


principe de proximité
97. L’admission de la clause d’exception ne soulève alors pas plus de problème de principe que
dans le droit des obligations. Puisque la règle de rattachement repose sur le principe de
proximité, elle doit être corrigée lorsqu’elle aboutit à une solution incompatible avec ce
dernier.

Le droit positif suisse nous offre une expérience déjà assez riche en matière de filiation267.
Cette expérience s’est greffée sur la loi du 25 juin 1976, entrée en vigueur le 1er janvier 1978,
portant modification du Code civil suisse268.

Cette loi soumet l’établissement et la contestation de la filiation à la loi du domicile commun


des père, mère et enfant, à défaut à leur loi nationale commune, à défaut à la loi suisse (art. 8
e, par. 1, nouveau, LRDC). Cette nouvelle règle de conflit repose sur le principe de proximité,
comme l’indiquent la prééminence donnée au domicile et la capitis deminutio subie par la loi
nationale, qui n’intervient plus qu’à titre subsidiaire et comme un élément de localisation de
la relation de filiation269.

Aussi, est-ce logiquement que la loi du 25 juin 1976 assortit cette règle de conflit d’une clause
d’exception ainsi rédigée (art. 8e, par. 3) : « Toutefois, lorsque l’espèce présente des rapports
prépondérants avec un autre pays, la loi de ce pays est applicable. »270

Les tribunaux suisses ne paraissent pas avoir fait un usagé abusif de la clause. L’arrêt du
Tribunal fédéral du 18 juin 198 1271 a refusé de la faire jouer dans le cas d’une action en
paternité intentée par un enfant allemand adultérin a matre, domicilié en Allemagne avec sa
mère également allemande et le mari de celle-ci, contre le véritable père, un Suisse domicilié
en Suisse. En l’absence de domicile commun et de nationalité commune, l’article 8 e désignait
le droit suisse et le Tribunal a considéré que la nationalité et le domicile suisses du défendeur
empêchaient de considérer que l’espèce présentait des rapports prépondérants avec le droit
allemand.

Une décision plus récente de la cour civile de Neuchâtel, du 5 avril 1982272, a au contraire
appliqué la clause d’exception à une action en annulation de reconnaissance d’enfant naturel,
intentée [p106] par un enfant italien, né en Suisse, mais domicilié en Italie avec sa mère
italienne au moment de l’action, contre un Italien domicilié en Suisse. Le véritable père de
l’enfant était un Italien domicilié en Italie. A défaut de domicile commun, l’article 8 e désignait
le droit italien en tant que loi nationale commune de toutes les parties en cause. La cour civile
a cependant considéré que l’espèce présentait des rapports prépondérants avec la Suisse, pour
la raison que le défendeur y était domicilié, que l’enfant était inscrit sur les registres de l’état
civil suisse et qu’une tutelle avait été organisée en Suisse. Peut-être aussi la facilité que
représentait l’application du droit suisse a-t-elle joué un certain rôle tentateur auprès de la
juridiction neuchâteloise.

En ce domaine, la prudence du Tribunal fédéral se comprend d’autant mieux que la clause


d’exception ne peut pas, en règle générale, trouver sa contrepartie, comme en matière de
contrats, dans un choix par les parties de la loi applicable.

98. Il en est différemment, pourtant, aux Pays-Bas, où l’on retrouve, avec la loi sur le divorce du
25 mars 1981, déjà mentionnée273, une étrange combinaison d’une clause d’exception et de la
faculté de choix de la loi applicable. On a vu que cette loi retient apparemment en première
ligne la loi nationale commune des époux (art. 1, par. 1), mais seulement s’il existe pour chacun
des époux un « lien social effectif » avec ce pays ou, à défaut d’un tel lien, si ce droit est choisi
par les époux (art. 1, par. 2), lesquels peuvent d’ailleurs, en toute hypothèse, opter pour le droit
néerlandais (art. 1, par. 4). L’hypothèse d’absence de lien social effectif de l’un des époux avec
la loi nationale commune coïncide avec celle des clauses d’exception. Elle ne peut surprendre,
puisque la règle de conflit néerlandaise repose, en réalité, non pas tant sur le principe de
proximité que sur celui de l’autonomie de la volonté qui en est souvent le complément.

B) - Cas où la règle de conflit en matière de statut personnel repose sur le


principe de souveraineté
99. Le statut personnel, rattaché par la règle de conflit d’un for déterminé à la loi nationale de
la personne, peut-il, en vertu d’une clause d’exception, être soustrait à cette loi et rattaché à la
loi d’un autre pays avec lequel la personne présenterait des liens plus étroits?

La question est un peu provocante, car les Etats qui adoptent le [p107] rattachement à la loi
nationale considèrent en général leurs nationaux comme impérativement soumis à leur loi
pour ce qui concerne le statut personnel. Elle n’est pourtant pas déplacée, comme le montrent
certains exemples tirés du droit positif. Bien entendu, la nationalité est par hypothèse, dans
ces pays, un rattachement fort, et s’il peut, dans certains cas, être écarté, ces cas demeurent, au
sens fort du terme, l’exception.

100. La loi autrichienne du 15 juin 1978 en offre un exemple, de portée, il est vrai, limitée.
L’article 18 soumet en principe les effets personnels du mariage à la loi nationale commune
des époux, mais il prévoit une exception en son paragraphe 2 pour le cas des mariages boiteux,
« valides pour la sphère juridique autrichienne », sans l’être pour la loi nationale commune, et
décide que les effets du mariage doivent alors être régis par le droit autrichien274. Le
législateur autrichien avait alors en vue le cas, aujourd’hui dépassé, des nombreux ménages
grecs mariés civilement en Autriche, et dont le mariage n’était pas reconnu par la Grèce275.
Mais, pensant aussi aux Grecs mariés civilement hors d’Autriche, le législateur autrichien
ajouta à l’article 18, paragraphe 2, la disposition suivante: « Si les époux ont cependant un
rapport plus fort avec un troisième Etat, d’après le droit duquel le mariage est également
valide, le droit de cet Etat est applicable à la place du droit autrichien. 276 »

Dans cette hypothèse du mariage boiteux, le rattachement à la loi nationale a été écarté une
première fois pour une raison de droit matériel. Le verrou de la souveraineté ayant sauté, le
principe de proximité retrouve sa place pour contribuer à la recherche d’une solution de
remplacement.

101. L’étude de la jurisprudence française révèle également sinon l’existence d’une véritable
clause d’exception au rattachement du statut personnel à la loi nationale, du moins certaines
solutions difficilement explicables sans elle, et d’autres solutions fondées ouvertement sur
l’ordre public, mais qui pourraient être considérées comme des applications déguisées d’une
clause d’exception non encore ouvertement admise.

102. Le premier groupe de décisions concerne le statut personnel des réfugiés non statutaires,
c’est-à-dire de ceux qui ne sont pas couverts par les conventions internationales sur les
réfugiés277. Pour les réfugiés statutaires, le problème en effet ne se pose pas puisque [p108] la
convention de Genève du 28 juillet 1951 rattache expressément leur statut personnel à la loi de
leur domicile ou, à défaut, de leur résidence (art. 12)278.

Par deux fois, il a été décidé que le statut personnel de réfugiés non statutaires établis en
France devait être régi par la loi française. Les motifs de ces deux décisions sont riches
d’enseignements.

Dans le premier cas, jugé par la cour d’appel de Paris le 23 novembre 195 4279, le problème
concernait l’attribution de la garde après divorce de l’enfant d’un couple de Hongrois réfugiés
en France en 1947 et non couverts par la Convention de Genève au moment de leur divorce en
195 3280. La garde de l’enfant étant alors rattachée à la loi du divorce281, fallait-il appliquer la
loi hongroise, loi nationale commune des époux, comme le prescrivait la règle de conflit de
l’époque ?

La cour de Paris répond par la négative : « Considérant que semblables réfugiés, qui ne
bénéficient plus, à aucun égard, d’une protection quelconque du gouvernement de leur pays
d’origine d’où ils ont dû s’enfuir et avec lequel ils ont en fait rompu toute attache, ne sauraient,
en droit international privé français, être regardés comme continuant, par une pure fiction
juridique, à être régis par le droit de ce pays et à être soumis aux vicissitudes de sa législation ;
considérant que sans qu’il importe de s’attacher à la question de savoir s’ils auraient ou non
perdu leur nationalité d’origine qui, à supposer qu’ils n’en aient pas été privés, ne constituerait
plus, en tous cas, qu’un lien d’allégeance purement théorique, se réduisant à une notion sans
contenu concret et sans valeur effective, ils doivent en qualité d’apatrides de fait et au même
titre que les apatrides de droit, être considérés en droit international privé français comme
soumis pour tout ce qui concerne leur état et leur capacité, c’est-à-dire pour tout ce qui au
regard du droit français rentre dans leur statut personnel, à la législation du pays où ils ont
leur domicile (ou à défaut de domicile, leur résidence habituelle) et au milieu social duquel ils
sont désormais intégrés. »

Il est difficile de ne pas lire dans cet arrêt l’application d’une clause d’exception implicite. Le
raisonnement se déroule en deux temps. C’est d’abord la constatation que, pour des réfugiés
ayant rompu toute attache avec leur pays, la nationalité n’est plus qu’un [p109] « lien
d’allégeance purement théorique, sans contenu concret et sans valeur effective », et que le
rattachement à celle-ci ne serait plus qu’une « pure fiction juridique ». Il faut donc, dans un
second temps, trouver un rattachement de substitution, et la Cour retient le domicile ou la
résidence habituelle comme révélateurs du pays « au milieu social duquel ils [ces réfugiés]
sont désormais intégrés ». Rupture du lien d’allégeance dans le premier temps, application du
principe de proximité dans le second temps.

Le second arrêt sur ce problème a été rendu par la Cour de cassation le 25 juin 1974282. La
solution donnée, pour résoudre cette fois une question de capacité, est substantiellement la
même que celle de la cour de Paris en 1954, avec peut-être une certaine nuance dans le
raisonnement : « que la cour d’appel a constaté que Nachat Martini avait dû quitter
clandestinement la Syrie à raison de son activité politique, qu’il avait été, après son entrée en
France, condamné par les autorités de son pays pour services rendus à la France et qu’il n’était
pas en mesure de s’adresser à la représentation diplomatique syrienne en France; que, sans
faire état de la Convention de Genève, elle a pu décider qu’il avait la qualité de réfugié
domicilié en France, et qu’elle en a déduit à bon droit que son statut personnel se trouvait dès
lors régi par la loi française, quelle que fût sa nationalité .»

On retrouve, quoique en termes plus concis, le premier temps du raisonnement de la cour de


Paris : la rupture de l’allégeance du réfugié envers son Etat national. Mais, dans le second
temps, pour la recherche du rattachement de substitution, la Cour de cassation ne se réfère
pas expressément au critère de proximité, au milieu social auquel le réfugié est désormais
intégré ; elle semble plutôt rechercher une allégeance de substitution, qui serait ici l’allégeance
française.

Ce cas des réfugiés non statutaires, aujourd’hui dépassé en droit positif français, montre
qu’une clause d’exception pourrait trouver sa place dans le droit international privé français
même en matière de statut personnel. Reconnaître cette place permettrait d’éviter des recours
détournés à l’exception d’ordre public.

103. La seconde série de décisions françaises que j’ai annoncées plus haut illustre en effet la
confusion qui peut se produire entre l’exception d’ordre public et l’exception fondée sur la
proximité.

En matière de filiation, particulièrement de recherche de paternité [p110] naturelle, la loi


française du 3 janvier 1972 a décidé que la loi applicable était en principe la loi nationale de la
mère (Code civil, art. 311-14). Cette solution a été très critiquée par la doctrine, qui lui a
reproché un défaut de réalisme, en ce qu’elle soumet les relations de trois personnes – père,
mère et enfant – à la loi d’une seule d’entre elles, dont la signification par rapport à la situation
de fait sera souvent insuffisante283, surtout si la mère est étrangère et que le père et l’enfant
sont tous deux français.

Ce cas de figure s’est présenté à deux reprises devant le tribunal de grande instance de Paris.
Dans une première affaire, jugée le 23 avril 197 9284, la mère algérienne, résidant en France,
d’un enfant naturel français, résidant avec elle en France, recherchait en paternité un Français,
domicilié lui aussi en France. La loi algérienne, applicable en vertu de l’article 311-14 du Code
civil, ne permet pas la recherche en justice de la paternité naturelle. Le tribunal s’en indigne
et, après avoir compté les points de contact de l’espèce avec le droit français, écarte la loi
algérienne au nom de l’ordre public français : « Que l’on ne peut s’empêcher d’observer
qu’ainsi, à la faveur de la loi personnelle de la mère demanderesse, le défendeur, citoyen
français, domicilié en France, serait en droit d’interdire à un enfant lui-même français et
résidant en France de faire reconnaître sa filiation par une juridiction française; mais attendu
qu’il convient d’examiner si, en toute hypothèse, la loi algérienne n’est pas, en ce qu’elle
interdit absolument tout mode d’établissement d’une filiation naturelle, intrinsèquement
contraire à l’ordre public français ; que les réformes instaurées par la loi du 3 janvier 1972
témoignent de la volonté du législateur de favoriser l’enfant en lui facilitant l’établissement de
sa filiation réelle et en assimilant, autant que faire se peut, le sort de l’enfant naturel à celui de
l’enfant légitime; qu’une disposition légale étrangère déniant à un enfant, au motif qu’il est né
hors mariage, tout droit à établir sa filiation, est fondamentalement opposée à la conception
française moderne des droits de l’enfant, et, comme telle, heurte l’ordre public français ;
attendu qu’il convient en conséquence d’écarter l’application de la loi algérienne et d’y
substituer celle de la loi française; que la demande en déclaration de paternité formée par
Fatima B…. est donc recevable. »

Dans une autre affaire, jugée le 3 juin 19 8 0285, le même tribunal a, au contraire, accepté
[p111]

d’appliquer la loi sénégalaise à l’action en recherche de paternité concernant un enfant naturel


de nationalité française mais de mère sénégalaise, dont le père prétendu était un Français
résidant en France. La loi sénégalaise applicable en tant que loi personnelle de la mère ne
permettait qu’une action alimentaire. Suivant le même type de raisonnement que dans la
précédente affaire, le tribunal compte les points de contact de l’affaire avec le Sénégal et
conclut à la non-contrariété à l’ordre public français de la loi sénégalaise : «Mais attendu que,
peu de temps après le décès de sa mère, la petite Tinéhinan a été amenée à Dakar, qu’elle y est
élevée auprès de sa grand-mère maternelle et tutrice, qui est sénégalaise, et sous les auspices
d’un conseil de famille composé de parents ou alliés de sa mère, tous sénégalais et résidant à
Dakar ; qu’ainsi, il apparaît bien que l’enfant est appelée à vivre et à s’intégrer dans le pays et le
milieu culturel dont sa mère était originaire ; Que dans ces conditions, l’on ne saurait
considérer que l’ordre public français serait heurté par l’application de la loi personnelle de la
mère, alors que par ailleurs, cette loi, si elle interdit la proclamation de la filiation paternelle
de l’enfant, n’en reconnaît pas moins à celui-ci le droit d’obtenir des aliments de son père
présumé. »
La matière du divorce a donné Heu à des développements similaires, mais cette fois de la part
de la Cour de cassation. Dans les dernières années ayant précédé la réforme du droit espagnol
du mariage par la loi du 7 juillet 1981286, la Cour de cassation a dû par deux fois se prononcer
sur la compatibilité avec l’ordre public français de la prohibition espagnole du divorce. Un
arrêt du 10 juillet 197 9287, conforme aux précédents288, a refusé d’opposer l’ordre public à la
loi espagnole, dans une espèce où il était relevé que le mari belge et la femme française
avaient fixé leur domicile commun en Espagne. Mais, le 1er avril 198 1289, le revirement s’est
produit. La Cour de cassation a écarté la loi espagnole, mais elle l’a fait en raison des liens que
l’espèce présentait avec le droit français : « La cour d’appel ayant constaté que la loi interne
espagnole … était prohibitive du divorce, il en résultait que cette loi était contraire à la
conception française actuelle de l’ordre public international qui impose la faculté, pour un
Français domicilié en France, de demander le divorce… »

104. Ces décisions rendues en matière de filiation et en matière de divorce ont surtout retenu
l’attention en France par la consécration qu’elles paraissent apporter à la notion
d’Inlandsbeziehung, de lien avec le territoire, comme condition d’application de l’ordre public.
Cette notion, courante en Allemagne, en Autriche et en Suisse, est à la vérité très proche de la
notion de proximité qui sert de support aux clauses d’exception. Et il n’est pas indifférent de
noter en passant que le principe de proximité puisse inspirer non seulement la détermination
des rattachements, mais aussi le fonctionnement d’une théorie aussi importante que celle de
l’ordre public international.

Il faut cependant marquer la différence entre l’Inlandsbeziehung, condition de mise en œuvre


de l’exception d’ordre public, et la proximité au sens où nous l’entendons depuis le début de ce
cours. La première est un lien avec le territoire du for, mais pas le lien le plus étroit, qui, par
hypothèse, est avec le pays dont la loi est désignée par la règle de conflit. La seconde, qui
conditionne les clauses d’exception dont il est question dans ce chapitre, est précisément ce
lien le plus étroit, ou plutôt l’ensemble des circonstances qui font que l’espèce présente avec
tel ordre juridique des liens plus étroits qu’avec celui désigné par la règle de conflit.

Les espèces qui viennent d’être analysées, spécialement en matière de filiation naturelle,
montrent que l’on passe facilement d’une notion à l’autre, que l’on peut même utiliser l’une
pour l’autre. Dans l’affaire de la mère algérienne, jugée le 23 avril 1979, il était évident que les
liens les plus étroits étaient avec la France. La notion de proximité rejoignait en la dépassant
celle d’Inlandsbeziehung et l’on peut se demander si la compétence de la loi française ne
reposait pas autant sur la première que sur l’ordre public. Dans l’affaire de la mère sénégalaise
jugée en 1980, le centre de gravité de l’espèce était au Sénégal. Mais si, dans cette affaire,
l’enfant avait vécu en France et si le centre de gravité s’était trouvé en France et non au
Sénégal, qu’aurait décidé le tribunal de Paris? La loi sénégalaise n’était pas en elle-même
contraire à l’ordre public (elle permettait une recherche de paternité alimentaire). Pour
l’écarter, il aurait été plus approprié d’invoquer les liens les plus étroits avec la France, [p113]
donc la clause d’exception. Mais comme son existence n’est pas reconnue officiellement en
France, il n’est pas exclu que le tribunal aurait invoqué l’ordre public.
Je ne crois pas qu’il soit souhaitable de faire jouer à l’ordre public le rôle d’une clause
d’exception en faveur de la loi la plus proche, car ce rôle n’est pas le sien. L’ordre public
exprime la réaction du for à l’encontre du contenu de la loi étrangère, telle qu’elle est
appliquée dans une espèce déterminée. Son résultat est presque toujours l’application de la loi
du for290. Il en est différemment de la clause d’exception fondée sur la proximité. Celle-ci est
indifférente en principe au contenu de la loi désignée par la règle de conflit du for. Et la clause
d’exception n’est pas faite pour substituer la loi du for à la loi étrangère normalement
applicable, mais pour substituer à la loi désignée, fût-ce la loi du for elle-même, la loi,
éventuellement étrangère, avec laquelle l’espèce présente les liens les plus étroits.

Le simple fait que les tribunaux aient parfois tendance à utiliser l’exception d’ordre public aux
lieu et place de la clause d’exception ne doit pas conduire à confondre ces deux exceptions,
mais plutôt à militer pour l’admission claire de la seconde dans le droit positif.

Par. 3 - Autres domaines d’application de la fonction correctrice


105. Le paragraphe précédent a montré que la clause d’exception n’était pas déplacée dans le
domaine du statut personnel, même si les consécrations de droit positif sont encore peu
nombreuses. C’est donc le signe qu’une règle de conflit, même reposant sur un fondement
différent du principe de proximité – dans le cas du statut personnel sur le principe de
souveraineté – devrait pouvoir exceptionnellement être écartée si elle rattache une situation
concrète déterminée au droit d’un pays avec lequel elle n’a pas de lien véritable.

Cette conclusion paraît devoir être généralisée et étendue à d’autres domaines non encore
étudiés dans ce chapitre, notamment les régimes matrimoniaux et les successions.

106. Pour les régimes matrimoniaux, nous avions vu dans le premier chapitre que, dans les
systèmes laissant aux époux le choix de la loi applicable et retenant, à défaut de choix, la loi
du premier domicile matrimonial, ce dernier rattachement n’intervenait qu’à [p114] titre de
présomption et pouvait être écarté si l’espèce faisait apparaître que la localisation des intérêts
pécuniaires des époux se situait dans un autre pays. En somme, dans les systèmes de ce type,
la distance est faible qui sépare les fonctions localisatrice et correctrice du principe de
proximité291.

La situation est différente dans les systèmes qui classent le régime matrimonial dans les effets
du mariage. Le problème alors se ramène à celui, étudié dans le paragraphe précédent, de la
clause d’exception en matière de statut personnel.

107. En matière de successions, au moins mobilières, le rattachement, fréquent en droit


comparé292, à la loi du dernier domicile du défunt peut aussi ne pas correspondre à la
localisation véritable de la situation. Il suffit d’imaginer que le dernier domicile du défunt est
un domicile récent, que l’essentiel du patrimoine et que les ayants droit à la succession sont
situés ou domiciliés dans un Etat autre que celui du dernier domicile du défunt.
La pratique américaine semble à cet égard plus riche que la pratique européenne. Voici deux
exemples. Le premier293 concerne une femme mariée qui a vécu presque toute sa vie avec son
mari dans l’Etat d’Oklahoma et qui s’est installée quelques mois avant sa mort dans l’Etat du
Nebraska. Elle décède en laissant son mari et un petit-fils issu d’un enfant prédécédé, qui est
domicilié en Oklahoma. La loi de l’Oklahoma, la seule sur laquelle les ayants droit éventuels
pouvaient compter jusqu’au transfert de domicile, accorde toute la succession au mari
survivant. La loi du Nebraska la partage entre le mari et le petit-fils, mais sans faire de l’un ni
de l’autre des héritiers réservataires.

Raisonnant en termes d’interest analysis, les Américains diront que la loi du Nebraska n’a pas
d’intérêt légitime à protéger le petit-fils domicilié en Oklahoma. Au contraire, la loi
d’Oklahoma a intérêt à protéger le survivant d’un couple ayant eu de longues années son
domicile en cet Etat, et le Nebraska ne souffre aucunement de voir gratifier ce mari survivant
domicilié actuellement au Nebraska. Dans une espèce comparable, on pourrait en Europe se
demander si la succession ne présente pas des liens plus étroits avec l’Oklahoma qu’avec le
Nebraska et s’il n’y aurait pas lieu de faire jouer une clause d’exception au profit de la loi du
premier de ces Etats.

Le second exemple est tiré de l’affaire Renard, jugée par les tribunaux de l’Etat de New York en
198 1294.
[p115]
La testatrice, née en France en 1899, s’était établie à New York en 1941, où elle était restée
jusqu’en 1971. Elle avait même acquis la nationalité américaine en 1965. Elle retourna en
France en 1971 et y mourut en 1978, ne laissant pour héritier qu’un enfant adoptif domicilié en
Californie et possédant les nationalités française et américaine.

Peu après son retour en France, Mme Renard avait fait un testament, préparé pour elle par une
firme de New York. Elle léguait son appartement de Paris à son fils et ses avoirs new-yorkais
(l’essentiel de la succession) à des œuvres charitables. Elle avait pris soin de faire élection du
droit de l’Etat de New York pour régir la validité et l’interprétation de son testament.

A sa mort, le fils adoptif réclame l’application de la loi française, loi du dernier domicile de
Mme Renard, qui lui accorde une réserve égale à la moitié de la succession. La Surrogate’s
Court de New York, le 16 mars 1981, écarte sa prétention et applique la loi de l’Etat de New
York. Dans le passage du jugement se référant aux règles générales de conflit de lois, le tribunal
rappelle que les juridictions de New York ont abandonné les règles mécaniques de conflit de
lois au profit d’une balancing approach. Il procède en conséquence à une comparaison des
intérêts des lois en conflit en fonction des points de contact qu’elles présentent avec la
situation. A l’intérêt de l’Etat de New York à voir consacrer le principe de la liberté
testamentaire, s’oppose l’intérêt de la loi française à protéger la réserve héréditaire. Mais, en
l’espèce, le premier doit l’emporter sur le second, étant donné la longue résidence de la
testatrice aux Etats-Unis et le fait que le fils adoptif n’a ni domicile ni résidence en France295.
Là encore, un raisonnement fondé sur la proximité aurait pu conclure à des liens de la
succession plus étroits avec l’Etat de New York qu’avec la France, bien que celle-ci fût l’Etat du
dernier domicile.

Ces exemples montrent qu’une clause d’exception pourrait trouver sa place en Europe dans le
droit international privé des successions mobilières. D’ailleurs, la compétence de la loi du
dernier domicile du défunt ne repose pas sur une idée de souveraineté, mais sur un
fondement de proximité. C’est au domicile du défunt que sont localisés par la règle de conflit
le fait juridique du décès et ses conséquences296.

Si les conséquences de ce fait se font principalement sentir dans un ordre juridique autre que
celui du dernier domicile, par exemple [p116] en raison de la situation réelle des biens ou du
domicile des ayants droit, pourquoi ne pas en tenir compte au moyen d’une clause
d’exception, comme on le ferait en matière délictuelle en abandonnant la loi du lieu du délit si
les conséquences du délit se font surtout sentir en un autre pays?

108. Ainsi, de proche en proche, nous constatons que la clause d’exception a vocation à
s’appliquer à la quasi-totalité des règles de conflit de lois. La seule exception paraît être
constituée par les règles de conflit alternatives, édictées en vue de l’obtention d’un certain
résultat matériel: établissement d’une filiation, validité d’un testament, etc. Dans ces
situations, c’est à dessein que le législateur envisage l’application d’une loi qui peut n’avoir que
très peu de liens avec la situation, mais qui a au moins le mérite de consacrer la solution
matérielle voulue par l’auteur de la règle de conflit297. Ecarter cette loi en raison de son
manque de liens avec la situation irait évidemment contre le but de la règle de conflit. Mais,
comme on l’avait déjà relevé298, s’agit-il encore ici de véritables règles de conflit de lois?

Par. 4 - Conclusions sur le domaine des clauses d’exception


109. Le fait que nous soyons amené à admettre l’éventualité d’une clause d’exception quasi
généralisée, comme le fait l’article 14 du projet suisse, ne manquera pas de susciter
l’objection299, à coup sûr considérable, de l’incertitude et de l’imprévisibilité des solutions,
vices majeurs pour les juristes.

La réponse à l’objection réside dans une distinction qui doit être faite entre les cas dans
lesquels la certitude et la prévisibilité sont des nécessités et ceux dans lesquels elles ne
méritent pas une primauté absolue sur toutes autres considérations.

Le besoin de prévisibilité est prioritaire dans tous les cas où les sujets de droit doivent faire
une anticipation sur l’avenir avant de prendre des dispositions qui produiront ou continueront
à produire leurs effets dans une période de temps éloignée. Les sujets de droit ont un besoin
absolu de savoir à l’avance le droit qui régira ces dispositions, surtout lorsque leur situation est
plurilocalisée et que les raisons de douter sont particulièrement grandes. Il en est ainsi en
matière de contrats, de régimes matrimoniaux et de successions (en cas de disposition à titre
gratuit faite par le futur de cujus). Dans ces domaines, la clause d’exception qui sacrifie la
[p117]
certitude à [p117] la proximité n’est acceptable que si elle trouve sa contrepartie dans la
possibilité pour les sujets de droit de rétablir la certitude par un choix de la loi applicable, lui-
même à l’abri de toute correction.

Le droit positif de la plupart des pays offre actuellement cette faculté de choix, sauf en matière
de succession où l’optio juris est encore peu répandue en droit comparé. Ce serait, à mon avis,
une raison de l’admettre. L’optio juris constituerait une structure de certitude à la disposition
du de cujus, de nature à remédier à l’incertitude engendrée moins par une clause d’exception
encore peu répandue en cette matière en droit positif que par la diversité des règles de conflit
existant dans les divers Etats où se trouvent les biens composant la succession et
l’impossibilité où se trouve le disposant de connaître à l’avance la loi successorale. La
Conférence de La Haye de droit international privé a inscrit à l’ordre du jour de sa seizième
session, qui doit se tenir en 1988, l’élaboration d’une convention sur la loi applicable aux
successions300 et il n’est pas exclu qu’elle accorde une place à cette idée d’option de
législation301.

Dans d’autres domaines, au contraire, le besoin de sécurité n’est pas tel qu’il doive l’emporter
sur la justice du rattachement.

En matière de divorce, qui soutiendrait sérieusement que les époux aient besoin, lors de leur
mariage, de savoir à l’avance selon quelle loi ils pourront divorcer? Le problème important est
que le divorce puisse être reconnu dans les pays avec lesquels les époux ont des liens étroits et
l’on peut imaginer que cette préoccupation puisse infléchir le fonctionnement de la règle de
conflit du for. En matière d’effets personnels du mariage, sous réserve des contrats entre
époux, le besoin de certitude semble devoir passer après l’application de la loi la plus proche.
En matière délictuelle, la prévisibilité n’est certes pas indifférente dans la mesure où elle
facilite les règlements transactionnels entre assureurs, mais ce besoin n’est pas tel qu’il justifie
un rattachement fixe ne correspondant pas à localisation des intérêts des parties.

Le principe de proximité, avec toutes les nuances qu’il comporte et avec le contrepoids de
l’autonomie de la volonté, apparaît donc compatible avec le besoin de certitude, ramené à ses
justes proportions.

S’il y a, dans ce qui précède, matière à justifier la clause d’exception, ou plus généralement, la
fonction correctrice du principe de proximité, il reste à examiner son mode d’intervention.

Section II - Le mode d’intervention du principe de proximité dans sa fonction


correctrice
[p118]

110. La préoccupation qui suscite cette seconde section est la suivante. Le principe de
proximité est présenté tout au long de ce cours comme un essai européen de réponse aux
nouvelles doctrines américaines. Pour que cette réponse soit plausible, il est assurément
souhaitable qu’elle ne présente pas les défauts souvent imputés aux méthodes américaines,
c’est-à-dire un dépeçage excessif des situations litigieuses et une solution du conflit de lois
placée dans la dépendance de la teneur matérielle des règles en conflit.

C’est pourquoi deux questions doivent encore être examinées pour achever de caractériser le
fonctionnement de ce principe de proximité. Tout d’abord, l’objet de la clause d’exception est-
il le même que celui de la règle de conflit qu’elle corrige? C’est tout le problème des rapports
entre clause d’exception et dépeçage. Ensuite, la clause d’exception peut-elle fonctionner en
faisant abstraction de considérations de droit matériel ou, si l’on préfère, de la teneur des
règles en conflit ?

Par. 1 - L’objet de la clause d’exception


111. C’est là une question qui ne semble pas avoir encore été étudiée pour elle-même.

La question est de savoir si l’intervention du principe de proximité a pour effet de modifier


l’assiette de la règle de conflit en encourageant le dépeçage, chaque question (issue) étant
rattachée à la loi de l’Etat avec lequel elle présente les liens les plus étroits, sans considération
de la situation dans son ensemble.

A première vue, la réponse est négative. Les règles de conflit qui utilisent directement la
notion de liens les plus étroits en cas de défaillance du rattachement principal le font sans
modifier l’objet de la règle de conflit. Par exemple, lorsque la loi grecque de 1983 (article 14
nouveau du Code civil)302 soumet les rapports personnels entre époux successivement à la loi
de la dernière nationalité commune, à défaut à la loi de la dernière résidence habituelle
commune, à défaut à la loi « avec laquelle les époux sont le plus étroitement liés », elle ne
modifie pas l’objet de la règle de conflit en passant d’un rattachement à l’autre. Il s’agit
toujours des rapports personnels entre époux.
[p119]
De même, la plupart des textes qui édictent une clause d’exception le font sans modifier
l’objet du rattachement. Par exemple, dans l’article 4, paragraphe 5, de la Convention de Rome
du 19 juin 1980, il est bien clair que la présomption en faveur de la loi de la résidence
habituelle de la partie qui doit fournir la prestation caractéristique est écartée « lorsqu’il
résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un
autre pays ». Là encore, c’est la catégorie tout entière qui était l’objet de la règle principale de
rattachement – ici, le contrat – qui devient l’objet de la clause d’exception303. Cette dernière
ne disloque pas la catégorie en sous-questions qui seraient soumises à des lois différentes. Elle
n’altère pas la qualification. Elle intervient après que la qualification a été faite, pour modifier
seulement le rattachement.

112. Cette constatation devrait rassurer les partisans des méthodes traditionnelles. Mais est-elle
toujours exacte? Le fait est que certaines formulations législatives sont moins rigoureuses que
celles qui viennent d’être rappelées. Par exemple, l’article 48, paragraphe 1, de la loi
autrichienne, déjà rencontrée, après avoir posé le principe que « les actions
extracontractuelles en dommages-intérêts sont régies par le droit de l’Etat dans lequel le
comportement causant le dommage s’est produit ,»

ajoute : « s’il existe cependant pour les parties un rapport plus fort avec le droit d’un seul et
même autre Etat, ce droit est applicable 304.»

De même, la loi suisse déjà examinée du 25 juin 1976 sur la filiation prévoit certains
rattachements précis pour « l’établissement et la contestation de la filiation », mais fait jouer
la clause d’exception lorsque l’« espèce » présente des rapports prépondérants avec un autre
pays305.

Ces formulations moins précises ne contiennent-elles pas en germe la virtualité d’un dépeçage
de la catégorie de rattachement, en ce sens qu’un même délit, un même rapport de filiation
pourraient, par le jeu de la clause d’exception, être soumis à des lois différentes selon que la «
cause » ou, plus précisément encore la question en cause, se présenterait de telle ou telle
façon?

Il faut examiner de près ce risque, en se demandant toutefois [p120] s’il est propre à la clause
d’exception elle-même ou s’il n’est pas inhérent à la recherche contemporaine de règles de
conflit de plus en plus sophistiquées pour intégrer la diversité la plus étendue possible de
situations concrètes.

113. Le premier risque de dépeçage occasionné par des clauses d’exception à formulation vague
est un dépeçage en fonction des parties au procès. Par exemple, le texte autrichien précité, qui
se réfère à l’existence pour les parties d’un rapport plus fort avec un autre pays, pourrait
conduire à soumettre à des lois différentes l’action en réparation de la victime d’un délit, selon
que cette action est dirigée contre le préposé auteur direct du délit ou contre son employeur
pris comme commettant responsable du fait de son préposé306.

Ce risque de dépeçage selon les parties mises en cause ne peut être passé sous silence, mais il
n’est pas spécifique de la clause d’exception. On le constate chaque fois que la règle de conflit
s’affine sous l’influence du principe de proximité. La Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur
la loi applicable aux accidents de la circulation routière en fournit une illustration frappante.
Avant cette convention, la loi applicable aux accidents de la circulation routière était, dans de
nombreux pays dont la France, la loi du lieu de l’accident, quelles que fussent les parties en
cause. L’affinement de la règle de conflit par l’admission en certains cas de la loi du pays
d’immatriculation du véhicule lorsqu’elle coïncide avec la loi de la résidence habituelle de la
victime, dans des conditions variant avec la position de la victime par rapport au véhicule, a
conduit à un morcellement de la catégorie de rattachement en ce sens qu’« en cas de pluralité
de victimes, la loi applicable est déterminée séparément à l’égard de chacune d’entre elles »
(art. 4 a) in fine)307.
Et pourtant, dans cette convention, les rattachements retenus sont des rattachements fixes,
pour lesquels aucune clause d’exception n’est prévue. De même, dans la Convention du 2
octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, le rôle joué dans la
détermination de la loi applicable par la résidence habituelle de la victime et par celle de la
personne dont la responsabilité est recherchée entraîne une diversification de la loi applicable
selon les parties en cause308. Cette diversification est liée au perfectionnement de la règle de
conflit, elle n’est pas la conséquence d’une clause d’exception qui n’existe pas dans cette
convention.

114. Le second risque de dépeçage que l’on pourrait imputer à [p121] la clause d’exception est un
dépeçage en fonction non plus des parties en cause, mais des diverses questions de droit
soumises au tribunal.

Raisonnons sur la catégorie des effets personnels du mariage en empruntant, tout en le


modifiant, un exemple proposé dans un contexte différent par César Dubler309. Supposons un
mari français, domicilié à Annecy, en France, dont la femme, de nationalité suisse, a conservé
son domicile à Genève. Si un problème concernant les effets personnels de ce mariage se pose
à un juge français, par exemple une question de révocabilité de donation entre époux, il
appliquera normalement la loi française, loi du for, applicable à défaut de nationalité et de
domicile communs.

Mais supposons que le mari se soit porté caution envers une banque suisse d’une dette
contractée par un débiteur principal suisse domicilié en Suisse et que ce mari ait souscrit cet
engagement sans le consentement écrit de sa femme. Un tel engagement est nul en droit
suisse310, valable en droit français311. Le mari, poursuivi devant un tribunal français par le
banquier bénéficiaire de la caution, pourra-t-il opposer la nullité en droit suisse de son
engagement ? Si le juge français disposait d’une clause d’exception, on pourrait imaginer que
celui-ci considère que la « cause » présente des liens plus étroits avec la Suisse qu’avec la
France, du fait de la nationalité suisse et du domicile en Suisse du créancier et du débiteur
principal, et peut-être aussi de la conclusion en Suisse du contrat de cautionnement. Dans ce
cas, l’un des effets personnels du mariage (validité ou nullité d’un contrat souscrit par un
conjoint sans le consentement de l’autre) serait soustrait à la loi des effets personnels du
mariage, alors que le même cautionnement souscrit simultanément par ce mari au profit
d’une banque française également créancière du même débiteur principal suisse demeurerait
quant à lui soumis à la règle de conflit commune, c’est-à-dire à la loi française. On ne peut
donc nier l’existence d’un risque de dépeçage, tout à fait comparable à celui – pleinement
accepté celui-ci – qui découle de nombreuses dispositions du second Restatement
américain312.

A vrai dire, là encore, ce risque de dépeçage question par question ne paraît pas spécifique de
la clause d’exception. Il est bien plutôt lié à raffinement des règles de conflit de lois,
caractéristique de notre époque. La meilleure illustration nous en est donnée par les
Conventions de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Alors que ces
[p122]
obligations étaient jadis, au moins en [p122] France, rattachées au statut personnel, elles en ont
été démembrées par deux fois, par les conventions du 24 octobre 1956 et du 2 octobre 1973.
L’obligation alimentaire envers les enfants n’est plus considérée comme un effet de la
filiation313, l’obligation alimentaire entre époux n’est plus soumise à la loi des effets personnels
du mariage314, la pension alimentaire après divorce n’est plus soumise à la loi du divorce315 et
l’on s’interroge sur la loi applicable à l’éventuelle obligation alimentaire entre personnes vivant
en état (?) d’union libre316.

115. Sans minimiser le risque de dépeçage résultant de la clause d’exception, il est donc permis
de constater que ce morcellement des catégories de rattachement est dans la logique de
raffinement constant des règles de conflit de lois et que peut-être le dépeçage résultant dans
une espèce particulière du jeu d’une clause d’exception est l’amorce d’une future nouvelle
règle de conflit différenciée.

Un autre danger qui pourrait attirer la suspicion sur la fonction correctrice du principe de
proximité est la corrélation qui pourrait être établie entre la mise en œuvre de cette fonction
et la teneur matérielle des règles en conflit.

Par. 2 - L’application de la clause d’exception est-elle indépendante de la teneur


matérielle des règles en conflit ?
116. La méfiance envers le système des clauses d’exception pourrait trouver aliment dans une
assimilation un peu hâtive entre ce système et l’analyse fonctionnelle américaine des intérêts
gouvernementaux. En somme, la clause d’exception ne serait qu’une pâle réplique sur le
continent européen des méthodes américaines et servirait aux mêmes fins.

De fait, la confusion entre les deux méthodes a souvent été faite, et même aux Etats-Unis. Il a
souvent été relevé que le fameux arrêt Babcock v. Jackson 317 avait suivi à la fois la méthode du
groupement des points de contact (celle qui correspond à ce qui est appelé ici le principe de
proximité)318 et celle des intérêts gouvernementaux qui tend à déterminer, parmi les lois en
conflit, celle qui a l’intérêt le plus légitime à s’appliquer.

Et les premières propositions de clause d’exception qui avaient été présentées en Suisse avant
l’adoption de l’article 14 du projet de 1982 faisaient intervenir autant des considérations
matérielles que des considérations de proximité. La clause proposée en 1973 [p123] par l’auteur
suisse de langue allemande Dietzi319 était la suivante: « A titre d’exception, il peut être
appliqué un droit autre que celui désigné par la règle de conflit, quand les attentes légitimes
des parties, un lien encore plus étroit avec un autre ordre juridique, ou le souci d’éviter des
résultats contradictoires l’exigent de façon pressante, de même que lorsque le résultat
contredirait des principes fondamentaux du droit interne ou aurait pour conséquence une
dureté intolérable pour la personne concernée. »
Fort heureusement, ce pot-pourri qui rassemblait les correctifs de l’attente légitime des
parties, des liens les plus étroits, de l’ordre public et de l’équité n’a pas été retenu par les
auteurs du projet ni, avant même ce projet, par le législateur suisse de 1976 ayant introduit en
matière de filiation la clause d’exception de l’article 8 e, paragraphe 3, LRDC déjà étudiée.

Il faut toutefois reconnaître que, malgré le caractère très épuré de cette clause d’exception qui
repose uniquement sur le principe de proximité, certains tribunaux l’ont parfois utilisée
uniquement à des fins d’équité. Dans une affaire où toutes les parties en cause étaient de
nationalité italienne, le tribunal cantonal de Neuchâtel, le 5 décembre 1977320, a eu à statuer
sur l’action en désaveu intentée par un enfant adultérin a matre, domicilié en Suisse avec sa
mère, remariée avec le père véritable de l’enfant, contre l’ancien mari de la mère, père légal de
l’enfant, domicilié en Italie. La loi applicable, à défaut de domicile commun des parties, était
leur loi nationale commune, en l’espèce la loi italienne. Mais le tribunal, qui a un doute sur
l’existence en droit italien d’une telle action en désaveu, connue du droit suisse, constate que :
« si le droit italien ne connaît pas cette action en faveur du jeune enfant, le résultat qui en
découlerait en l’espèce … serait peu satisfaisant au regard des conceptions du droit suisse et il
conviendrait d’appliquer celui-ci, en vertu de la clause dérogatoire de l’article 8e, alinéa 3,
LRDC ,»

et il conclut un peu plus loin : « Il faut donc admettre que la cause présente de ce fait des
rapports prépondérants avec la Suisse. »

Il y a là un véritable détournement de la clause d’exception321 dont on peut penser qu’elle


n’avait pas encore trouvé en 1977 son point d’équilibre en jurisprudence322.
[p124]
117. Ces confusions et ces détournements devaient être signalés dans le dossier de la
clause d’exception. Il suffit, cependant, de relever l’erreur dont ils procèdent pour se
convaincre qu’ils ne remettent nullement en cause la légitimité du recours à la méthode de la
clause d’exception.

L’erreur consiste dans la confusion entre la méthode reposant sur le principe de proximité et
celle reposant sur la recherche, sinon de la better law, du moins de la loi ayant le plus grand
intérêt à s’appliquer.

Dans cette dernière méthode, la recherche des points de contact n’est utile que pour
déterminer si l’une des règles matérielles en conflit a un intérêt à s’appliquer au litige et, dans
l’affirmative, si cet intérêt est prépondérant. La recherche des points de contact ne doit donc
être menée qu’après identification de la teneur matérielle des règles en conflit, laquelle
permettra d’ailleurs de préciser les points de contact à prendre en considération, c’est-à-dire
ceux (et seulement ceux) qui sont de nature à révéler l’intérêt de la règle à s’appliquer. Dans la
méthode inspirée du principe de proximité, au contraire, ce sont les points de contact de la
situation de fait qui servent à déterminer l’ordre juridique dont les règles matérielles seront
applicables. La considération de ces points de contact intervient donc avant l’identification
des règles matérielles en conflit et la détermination de ces points est indépendante de la
teneur des règles en conflit. Les points de contact à prendre en considération sont ceux qui
caractérisent la situation dans son ensemble et pas seulement ceux qui révèlent l’intérêt de
telle loi à se voir appliquer.

Il ne m’appartient pas déjuger la première méthode mauvaise et la seconde excellente. Je


voudrais seulement que les deux méthodes soient bien distinguées l’une de l’autre, afin que
puisse être tentée la systématisation de l’expérience acquise en Europe du principe de
proximité.

118. A ceux qui douteraient encore de la distinction des deux méthodes, je voudrais fournir un
dernier exemple, qui est presque une preuve par l’absurde de leur opposition.

Il s’agit de l’arrêt souvent cité du Hoge Raad des Pays-Bas du 10 décembre 197 6323. Dans cette
affaire, les tribunaux néerlandais avaient à déterminer la loi applicable au régime matrimonial
d’un très riche homme d’affaires néerlandais devenu américain, avec le centre de ses affaires à
Chicago, et de sa quatrième épouse, de nationalité française et elle-même déjà divorcée.
Pendant sa courte vie [p125] commune, le couple, qui n’avait pas pris la précaution de conclure
un contrat de mariage, avait surtout séjourné dans des hôtels situés aux Pays-Bas et possédés
ou contrôlés par le mari. Le Hoge Raad saisit l’occasion que lui donne cette affaire pour fixer la
règle de conflit néerlandaise en matière de régime matrimonial : en premier lieu, il appartient
aux époux de déterminer la loi applicable. S’ils ne l’ont pas fait, il faut utiliser un facteur de
rattachement commun aux deux parties, d’abord la nationalité commune, à défaut le premier
domicile matrimonial commun. Et, s’il n’existe ni nationalité commune ni premier domicile
matrimonial établi au temps du mariage, « il faut déterminer le pays avec lequel les parties
ont, compte tenu de toutes les circonstances, le lien le plus étroit ».

Cette dernière règle est du plus haut intérêt puisqu’elle consacre directement le principe de
proximité. En l’espèce, le Hoge Raad constate que ce système de conflit (soit le rattachement
au domicile, soit le rattachement au pays avec lequel existent les liens les plus étroits)
conduirait à l’application de la loi néerlandaise, c’est-à-dire au régime légal de la communauté
universelle. Donc, l’examen des points de contact mené avant l’identification des règles en
conflit sur la base du principe de proximité désigne la loi néerlandaise.

Mais – et c’est la surprise de l’arrêt – ce résultat est écarté pour des raisons d’équité (?)
déduites de la teneur matérielle de la loi néerlandaise, qui est pourtant la loi du for : « Que
cette conséquence [l’application du droit néerlandais] est inacceptable, vu les circonstances
de l’espèce …; qu’il est très invraisemblable qu’un homme néerlandais et une femme
néerlandaise, se trouvant dans les circonstances qui viennent d’être indiquées, se marieraient
sous le régime de la communauté universelle de biens; qu’il faut, pour cette raison, admettre
que la communauté universelle, qui n’est connue d’aucun des systèmes de droit auxquels les
parties ont été liées avant leur mariage, ne convient pas non plus à leurs relations de droit; que
… ladite règle subsidiaire de droit international privé néerlandais doit, dans les circonstances
particulières de l’espèce, être appliquée de façon restrictive dans ce sens que, quelle que soit la
loi qu’elle désigne comme applicable dans cette espèce, la loi néerlandaise en tout cas est
exclue. »

Je doute fort de la sagesse de cette décision. Mais comment mieux mettre en évidence la
spécificité de la méthode fondée sur [p126] la recherche des liens les plus étroits par rapport à
celle qui repose sur la comparaison de la teneur matérielle des règles en conflit?

119. L’étude du principe de proximité dans les conflits de lois a montré que ce principe pouvait
servir de fondement, principal ou subsidiaire, à un très grand nombre de règles de conflit, et
de correctif à la quasi-totalité d’entre elles.

Mais un système de droit international privé dont les règles de conflit de lois seraient inspirées
par le principe de proximité manquerait de cohérence s’il n’en était pas de même de ses règles
de conflit de juridictions.

DEUXIÈME PARTIE - LE PRINCIPE DE PROXIMITE DANS LES CONFLITS DE


JURIDICTIONS
[p127]

120. Si le principe de proximité contribue, comme on l’a vu, à l’élaboration et à la correction


des règles de conflit de lois d’un système juridique déterminé, on doit s’attendre à ce qu’il joue
un rôle comparable pour les règles de conflit de juridictions. Si la justice de droit international
privé commande en général que la loi appliquée soit celle qui présente les liens les plus étroits
avec la situation juridique, ou à tout le moins que soit réservée l’application de cette dernière
loi au moyen d’une clause d’exception, cette même justice de droit international privé
demande que la situation soit soumise à un tribunal ou à une autorité qui ne soit pas
dépourvue de lien avec elle et que la décision rendue par le tribunal ou l’autorité du pays
présentant avec cette situation un lien sérieux soit considérée dans les autres pays comme
rendue par une autorité compétente.

Il convient donc d’examiner la place occupée par le principe de proximité dans


l’aménagement de la compétence directe (infra, chapitre IV) et dans celui de la
reconnaissance des décisions étrangères (chapitre V).

CHAPITRE IV - LE PRINCIPE DE PROXIMITÉ ET LA COMPÉTENCE


JURIDICTIONNELLE DIRECTE
[p128]

121. La détermination de la compétence internationale des tribunaux passe nécessairement,


comme celle de la loi applicable, par la définition d’un certain rattachement justifiant cette
compétence. Il faut évidemment s’attendre à voir le principe de proximité jouer là aussi un
rôle dans la définition de ce rattachement.

Mais il faut aussi se garder de rapprochements hâtifs qui procéderaient d’un esprit de système
ou de la volonté un peu naïve de démontrer que le principe de proximité est le nec plus ultra
du droit international privé dans toutes ses dimensions.

C’est pourquoi, dans l’introduction de ce chapitre, il convient de prendre un certain recul en


montrant d’abord qu’en matière de compétence juridictionnelle, comme en matière de conflit
de lois, le principe de proximité souffre de la concurrence d’autres principes souvent très
vigoureux et ensuite que la structure même des règles de compétence juridictionnelle
s’oppose à ce que ce principe joue ici un rôle identique à celui qui a été décrit pour les conflits
de lois.

122. On doit à une étude récente d’Arthur von Mehren324 l’une des systématisations les plus
réussies des principes qui fondent, en droit comparé, la compétence juridictionnelle. Pour lui,
trois théories générales peuvent servir de fondement à la compétence internationale des
tribunaux d’un Etat déterminé.

En premier lieu, la théorie de l’allégeance, qui fait reposer la compétence sur l’existence d’un
lien personnel entre le souverain et son sujet. Cette notion d’un roi « fontaine de justice » pour
ses sujets peut expliquer des règles telles que les articles 14 et 15 du Code civil français
attribuant compétence aux tribunaux français lorsqu’un Français est en cause, comme
demandeur ou comme défendeur.

En second lieu, la théorie du pouvoir physique, qui est à la base de la compétence


internationale dans les pays de common law. Dans cette théorie, l’exercice du pouvoir de
juridiction est justifié dès lors que l’Etat du for a une prise effective sur le défendeur. [p129] C’est
le cas lorsque l’ordre de comparaître devant le tribunal est notifié au défendeur lorsqu’il se
trouve physiquement présent dans l’Etat du for (jurisdiction in personam) ou lorsqu’il possède
dans cet Etat des biens qui sont l’objet du procès intenté contre lui (jurisdiction in rem).

Enfin, la théorie faisant reposer l’exercice du pouvoir de juridiction sur des considérations de
convenience, fairness and justice. Ce sont ces dernières qui incluent le facteur de proximité. En
effet, selon le professeur von Mehren325, on peut considérer comme juste, au sens de cette
dernière théorie, une compétence prenant appui : 1) sur les liens étroits existant entre les
parties et le for, indépendamment de l’objet du litige (domicile, résidence habituelle, doing
business, possession de biens) ; 2) sur les liens du litige, envisagé dans son aspect procédural,
avec le for (proximité et coût des preuves) ; 3) sur les liens du litige, envisagé quant au fond,
avec le for (intérêt du for à l’application de son propre droit).

Cette présentation systématique pourrait sans doute être discutée sur certains points326. Elle a
en tout cas le grand mérite de faire apparaître qu’il existe une pluralité de fondements des
règles de compétence juridictionnelle. Les deux premières théories rappellent de très près ce
que nous avons appelé dans les conflits de lois le principe de souveraineté, dans ses
dimensions personnelle et territoriale. La troisième théorie n’est pas très différente du
principe de proximité. Et il faudrait, sans doute, élargir la systématique de A. von Mehren pour
faire aussi leur place aux fors de protection de la partie faible327, qui reposent sur des
considérations de droit matériel, et surtout à l’autonomie de la volonté qui se manifeste ici par
les clauses attributives de juridiction328.

Cette pluralité de fondements laisse évidemment prévoir que le principe de proximité se


heurtera à des résistances lorsqu’il sera invoqué à l’encontre d’une règle de compétence qui
repose sur un autre fondement.

123. Une autre série de considérations qui peuvent infléchir l’action du principe de proximité
tient aux différences structurelles entre les règles de conflit de lois et les règles de compétence
juridictionnelle.

Qu’on nous pardonne de rappeler ici quelques évidences.

Une première différence, élémentaire, entre les règles de conflit de lois et les règles de
compétence juridictionnelle est que les premières doivent aboutir à la désignation d’une loi
applicable, en [p130] principe unique, tandis que les secondes peuvent s’accommoder de la
désignation de plusieurs tribunaux compétents.

Par exemple, en matière délictuelle, la loi applicable sera en principe unique ; ce pourra être,
selon les systèmes, la loi du lieu du délit ou la loi du pays avec lequel le rapport de droit
présente les liens les plus étroits, mais il doit n’y en avoir qu’une seule, en tout cas, une seule
par question posée329. Au contraire, il n’y a pas d’inconvénient à ce que la victime puisse saisir,
à son choix, le tribunal du domicile du défendeur ou celui du lieu du délit. Les règles de
compétence juridictionnelle, établies dans une large mesure pour la commodité des parties,
offrent souvent au demandeur un choix assez étendu de tribunaux.

Une seconde différence, tout aussi évidente, est que les règles de compétence juridictionnelle,
sauf lorsqu’elles résultent d’un traité international tel que, par exemple, la Convention CEE de
Bruxelles du 27 septembre 1968, sont unilatérales et indiquent seulement dans quels cas les
tribunaux de l’Etat qui édicté ces règles seront compétents. Les règles de conflit de lois, au
contraire, sont le plus souvent bilatérales et peuvent désigner aussi bien la loi du for que la loi
d’un Etat étranger. Et même dans le cas où les règles de conflit de lois sont unilatérales et se
bornent à indiquer les cas d’application de la loi matérielle du for, comme par exemple l’article
310 du Code civil français sur le divorce, cet unilatéralisme reste très différent de celui des
règles de compétence juridictionnelle. En effet, lorsque, dans ce cas, le juge du for constate
que la loi du for ne se veut pas applicable, il ne peut pas se dessaisir, il doit, à peine de déni de
justice, trancher le litige et donc rechercher la loi étrangère qu’il appliquera au litige parce que
cette loi se veut applicable.
124. Ces deux différences essentielles entre règles de conflit de lois et règles de compétence
juridictionnelle expliquent que le principe de proximité ne puisse jouer un rôle identique
dans ces deux domaines.

Puisque le droit positif offre le plus souvent au demandeur un choix entre plusieurs tribunaux
possibles, il ne peut exiger que le for saisi soit celui qui présente avec le litige les liens les plus
étroits. Le demandeur a choisi un tribunal, mais il aurait pu en saisir un autre et l’on ne peut
exclure que cet autre tribunal qu’il n’a pas saisi ait présenté avec le litige des liens aussi ou
même plus étroits que celui qu’il a effectivement saisi. Tout au plus pourra-t-on exiger [p131]
que le for saisi présente au moins un lien étroit avec le litige, mais pas nécessairement les liens
les plus étroits.

En outre, s’il est établi que le for saisi ne remplit pas cette condition minimale, la conséquence
sera forcément différente de ce qu’elle est dans les conflits de lois. Le tribunal saisi ne pourra
pas renvoyer l’affaire au tribunal d’un autre Etat présentant les liens requis avec le litige, il
devra seulement se déclarer incompétent, sans donc pouvoir donner une solution au litige qui
lui était soumis.

Ces différences, liées à la structure respective des règles de conflit de lois et de conflits de
juridictions, sont pourtant relativement mineures par rapport au rôle que peut jouer le
principe de proximité.

La détermination du tribunal internationalement compétent suppose, comme on l’a rappelé


en commençant, la définition d’un rattachement justifiant cette compétence et le principe de
proximité joue un certain rôle dans cette détermination. Comme dans les conflits de lois, mais
sous des formes différentes, le principe de proximité peut servir à l’élaboration des chefs de
compétence internationale (infra, section I). Mais sa fonction la plus manifeste est une
fonction de correction de ces règles de compétence internationale (section II).

Section I - Le rôle du principe de proximité dans l’élaboration des règles de


compétence internationale directe
125. En matière de conflit de lois, nous avons vu qu’il existait des règles de conflit,
spécialement en matière de contrats, qui désignaient directement la loi du pays avec lequel la
situation présente les liens les plus étroits. Il ne semble pas que de telles règles existent en
matière de compétence judiciaire. Il ne semble pas qu’il existe en droit comparé une règle
utilisant de façon positive le principe de proximité en ce sens que les tribunaux du for seraient
compétents pour connaître d’une telle situation sur la seule constatation par ces tribunaux de
l’existence d’un lien de proximité – non défini par la loi – de la situation avec l’Etat du for330.

Ce que l’on rencontre en droit comparé, c’est lâ situation inverse, dans laquelle la loi d’un Etat
déclare ses tribunaux en principe compétents pour connaître de toute affaire internationale
sauf si celle-ci est dépourvue de contacts suffisants avec le for. Cette utilisation négative et

[p132]
certainement abusive du principe de [p132] proximité est assez fréquente dans les long-arm
statutes de certains Etats des Etats-Unis331.

126. Mais, le plus souvent, les différents ordres juridiques nationaux prennent le soin de définir
avec précision l’étendue et les limites de leur pouvoir de juridiction sur les situations
plurilocalisées. C’est que la souveraineté des Etats est ici beaucoup plus engagée que dans le
domaine du conflit de lois. Sans doute le facteur de proximité joue-t-il souvent un rôle décisif
dans la détermination de ces règles de rattachement juridictionnel. Ainsi en est-il du for du
domicile du défendeur pour les matières personnelles et mobilières, du for du lieu de situation
de l’immeuble en matière réelle, du for du lieu du fait dommageable (avec ses variantes en cas
de dissociation entre le lieu du fait générateur et celui de la réalisation du dommage) en
matière délictuelle, du for du lieu de conclusion ou d’exécution du contrat (ou de l’obligation)
en matière contractuelle, du for du lieu d’ouverture de la succession en matière successorale,
etc.

Mais si les fors que nous venons d’énumérer reposent largement sur ce principe de proximité,
il faut reconnaître que, le plus souvent, ce principe a épuisé son rôle une fois la règle édictée et
qu’il ne contribue plus guère à féconder celle-ci après lui avoir donné naissance, et moins
encore à susciter l’éclosion de nouvelles règles de compétence juridictionnelle.

127. Il est pourtant des hypothèses où le principe de proximité continue à jouer un rôle actif
dans le fonctionnement des règles de compétence. Sans prétendre être ici exhaustif, il est
possible de montrer que le principe de proximité peut intervenir soit simplement pour fixer la
compétence interne, une fois déterminée la compétence internationale préexistante, soit, de
façon plus complexe, comme élément nécessaire d’une règle de compétence internationale
reposant sur un rattachement en lui-même insuffisant, ou comme condition d’application
d’une règle de compétence internationale reposant sur un autre fondement (cas des clauses
attributives de juridiction). Ces formules abstraites vont s’éclairer par quelques exemples.

Par. 1 - Le principe de proximité, facteur de détermination de la compétence


interne
128. Assez souvent, la règle de compétence internationale se contente d’indiquer que les
tribunaux de l’Etat du for seront compétents, sans indiquer, à l’intérieur du cadre national
ainsi tracé, le [p133] tribunal spécialement compétent. Il est remarquable de constater qu’en ce
cas les tribunaux font spontanément appel au principe de proximité.

Un bon exemple est fourni par la compétence internationale reposant sur la nationalité des
parties.

Les articles 14 et 15 du Code civil français, que l’on retrouve, en tout ou en partie, dans des
codes étrangers332, attribuent une compétence générale aux tribunaux français quand un
Français est en cause333, mais ils n’indiquent pas quel est le tribunal français qui sera
territorialement compétent334.
On aurait pu imaginer que cette question de la compétence territoriale fasse l’objet de règles
particulières. C’est ainsi qu’en Allemagne, lorsque la compétence internationale repose sur la
nationalité allemande des parties, et c’est le cas en matière familiale, le Code de procédure
civile indique avec précision et rigidité le tribunal territorialement compétent335. A cette
rigidité336, la jurisprudence française a préféré la souplesse que permet la notion de bonne
administration de la justice. C’est le demandeur qui choisira lui-même le tribunal compétent,
mais son choix devra être « conforme aux exigences d’une bonne administration de la justice
», lesquelles seront appréciées en considération des liens entre l’affaire et le tribunal choisi par
le demandeur337. De même en Belgique, pour déterminer le tribunal territorialement
compétent en vertu de l’article 15 du Code civil belge (identique à l’article 15 du code français),
on aura recours, notamment, aux « points de contact de la situation litigieuse avec le territoire
belge »338.

L’idée que l’on retrouve aussi dans la détermination du tribunal territorialement compétent
pour connaître d’une demande d’exequatur339 est donc que le choix du tribunal est laissé au
demandeur, mais que ce choix ne doit pas être injuste, et que l’injustice pourrait être de saisir
un tribunal difficilement accessible au défendeur, alors qu’il en existerait un autre avec lequel
les parties ou la relation entre elles qui est à l’origine du litige présentent des liens étroits.

Le principe de proximité intervient donc ici pleinement, mais dans un cadre limité, puisqu’il
se borne à fixer la compétence interne dans des situations où le problème de la compétence
internationale est déjà tranché.

Par. 2 - Le principe de proximité, élément constitutif de la règle de compétence


internationale
[p134]

129. Ce cas de figure est plus intéressant que le précédent, car le principe de proximité
contribue ici à fixer la compétence internationale elle-même. Il arrive en effet que, dans un
pays donné, la règle de droit énumère certains chefs virtuels de compétence internationale,
qui ne seront retenus dans une espèce déterminée que s’ils sont en quelque sorte actualisés ou
complétés par l’existence de liens concrets entre les parties ou le litige et l’Etat du for. Le droit
anglais de la compétence internationale est à cet égard le plus caractéristique, mais on trouve
aussi quelques exemples de ce procédé sur le continent européen.

A) - Le droit anglais L’Order XI des Rules of the Supreme Court340


130. On sait que la règle traditionnelle du common law est que, pour les actions in personam en
tout cas, le demandeur ne peut saisir en principe que le tribunal dans le ressort duquel il aura
pu trouver le défendeur en personne et lui notifier l’acte introductif d’instance. La compétence
repose en principe sur le pouvoir physique.
Un tel principe peut se révéler inadéquat non seulement, comme nous le reverrons, pour le
défendeur qui peut être ainsi distrait par surprise de son juge naturel, mais aussi pour le
demandeur, notamment pour l’Anglais créancier d’un étranger, qui risque de ne pouvoir
jamais obtenir justice si le défendeur ne se laisse pas trouver en Angleterre.

Il a donc été nécessaire d’élargir les règles du common law et de donner compétence dans
certains cas aux tribunaux anglais même si le writ n’avait pu être notifié au défendeur en
territoire britannique. Cette compétence complémentaire, que les Anglais appellent assumed
jurisdiction, a été introduite par le Common Law Procedure Act 1852 et est réglementée
aujourd’hui par l’Order XI des Rules of the Supreme Court.

L’Order XI énumère une quinzaine de chefs de compétence complémentaires, dont la plupart


sont bien connus en droit comparé (for du domicile du défendeur, for de la pluralité de
défendeurs, for du contrat, for du lieu du délit, etc.) et reposent précisément sur l’existence
d’un lien entre les parties ou le litige, d’une part, le tribunal anglais, d’autre part.
[p135]
Mais la différence fondamentale avec les règles de compétence internationale en vigueur
sur le continent européen c’est que les règles de l’Order XI sont facultatives pour le tribunal, ou
plutôt sont laissées à sa discretion. Quand un demandeur veut attraire devant un tribunal
anglais, sur la base d’un de ces chefs de compétence, un défendeur non présent en Angleterre,
il doit demander au tribunal la permission de notifier au défendeur l’acte introductif
d’instance hors de son ressort341. Le tribunal ayant un pouvoir discrétionnaire, c’est au
demandeur de le convaincre, non seulement que la demande entre dans l’un des cas de l’Order
XI (c’est le point of jurisdiction), mais encore que le tribunal est, compte tenu des circonstances
de l’espèce, le forum conveniens (c’est le point of discretion). En somme, la règle de droit fixe les
limites extrêmes de la compétence internationale possible des tribunaux anglais, mais ceux-ci
n’exercent leur jurisdiction à l’intérieur de ces limites que s’ils sont convaincus d’être, in casu, le
for approprié. Le rattachement abstrait défini par l’Order XI ne fait même pas présumer
l’existence d’un lien suffisant entre le litige et le tribunal, il doit être complété par un lien
concret. La proximité concrète, qui est une composante de la notion de forum conveniens, est
donc en Angleterre une condition positive de la compétence internationale des tribunaux.

131. Dans la pratique, les tribunaux anglais font un très large exercice du pouvoir
discrétionnaire qui leur est donné, surtout lorsque les chefs de compétence de l’Order XI leur
paraissent plus ou moins exorbitants.

L’arrêt déjà célèbre de la Chambre des lords du 7 juillet 1983 dans l’affaire Amin Rasheed
Shipping Corporation v. Kuwait Insurance Company 342 en fournit un bon exemple. Une
compagnie de navigation de droit libérien mais ayant son siège réel au Koweït agissait contre
une compagnie d’assurances du Koweit en paiement d’indemnité pour le dommage résultant
de l’immobilisation de son navire par les autorités de Koweit et de l’arrestation du capitaine et
de l’équipage à la suite d’une accusation de contrebande pétrolière. La demanderesse
demandait au tribunal anglais de se reconnaître compétent sur la base du forum legis, le
contrat étant, selon elle, régi par le droit anglais343.
La Chambre des lords examine longuement dans un premier point la question de droit et
parvient à la conclusion que le contrat d’assurances litigieux était bien régi par le droit anglais.
Elle passe [p136] ensuite au second point, le point of discretion ; elle déclare qu’elle doit faire
preuve de la plus grande circonspection avant d’accorder le permis de citer un défendeur
étranger et, tout bien pesé, refuse d’accorder ce permis au demandeur. Il est à souligner que les
considérations de proximité procédurale ont joué un grand rôle dans cette décision
négative344.

B) - Les droits des Etats du continent européen


132. Si nous revenons sur le continent, nous constatons que la plupart des règles de
compétence sont des règles strictes, fixes, dont l’application n’est pas laissée à la libre
appréciation du juge. Il n’est pas impossible pourtant de trouver quelques exemples de règles
flexibles en fonction du lien de proximité entre le litige et le for saisi.

En France, un exemple caractéristique est fourni par un arrêt Nassibian de la Cour de


cassation du 6 novembre 1979345. C’est un arrêt très important, car il a introduit dans le droit
français ce qu’on appelle parfois improprement le for du patrimoine, ou parfois encore le
forum arresti, mais qu’il serait plus juste de rapprocher de la jurisdiction quasi in rem du droit
des Etats-Unis346.

Dans cette affaire, une saisie-arrêt avait été pratiquée en France par une femme mariée
libanaise sur un compte bancaire français de son mari, également libanais. Il ne faisait pas de
doute que les tribunaux français étaient internationalement compétents pour connaître de
l’instance en validité de la saisie-arrêt. La solution est traditionnelle et elle est souvent fondée
sur le principe de droit international public de la souveraineté des Etats347.

Mais la validité de la saisie suppose établie l’existence de la créance du saisissant. Les


tribunaux du lieu de la saisie sont-ils également compétents pour connaître de cette question
préalable, ou doivent-ils renvoyer sur ce point les parties à leur juge naturel? Cette dernière
solution était généralement considérée comme acquise avant l’arrêt Nassibian 348 et c’est
pourquoi, dans ladite affaire, la cour d’appel s’était déclarée incompétente, après avoir relevé
que l’époux défendeur avait son domicile à Lausanne et ne pouvait donc être assigné que
devant les tribunaux suisses. Contre toute attente, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel et
énoncé que même en supposant le défendeur domicilié à l’étranger, « les tribunaux français
étaient seuls compétents pour statuer sur la validité d’une saisie pratiquée en France et
pouvaient également connaître de l’instance au fond engagée à la suite de cette mesure
conservatoire .»

Il est remarquable que cette extension de la compétence française à la question de l’existence


de la créance ait été énoncée sous une forme facultative. Cette forme facultative ne peut avoir
qu’une signification. Si le tribunal français constate qu’il n’existe entre la France et le litige
aucun autre lien que la présence en France de biens à saisir, il pourra refuser d’exercer sa
compétence sur le fond et renvoyer les parties à mieux se pourvoir. Ici, c’est en somme le
caractère très léger du rattachement retenu par la Cour de cassation française qui explique le
pouvoir donné au tribunal de le renforcer par un appel au principe de proximité349.

133. Un autre exemple de compétence laissée à l’appréciation du juge est fourni par les fors dits
de nécessité. Lorsque le demandeur ne peut trouver un juge à l’étranger et qu’il n’existe pas
dans le pays du for de juge formellement compétent pour connaître de son action, les
tribunaux du for pourront quand même se reconnaître compétents pour éviter un déni de
justice, mais à la condition qu’il existe tout de même un certain lien de rattachement entre la
cause et le pays du for.

Cette notion de for de nécessité a joué en France un rôle très important à l’époque où les
tribunaux français se jugeaient incompétents dans les litiges entre étrangers, spécialement en
matière de statut personnel. La justification de l’incompétence formelle du juge français était
que l’étranger n’avait pu acquérir en France un domicile de droit, qui, seul, aurait pu servir de
support au fonctionnement de la règle actor sequitur forum rei 350. Mais si l’étranger défendeur
avait en France son domicile de fait et n’avait aucun domicile à l’étranger, l’existence combinée
de ce lien avec la France et du risque de déni de justice à l’étranger permettait au tribunal
français de se reconnaître compétent351. Le for de nécessité a perdu en France la plus grande
part de son utilité depuis l’abandon en 194 8352 du principe d’incompétence dans les litiges
entre étrangers, mais il subsiste encore modestement et à titre subsidiaire353.

En Suisse, l’article 3 du projet de 1982 consacre le for de nécessité en le subordonnant


également à l’existence d’un élément de proximité : « Lorsque la présente loi ne prévoit aucun
for et qu’une procédure à l’étranger se révèle impossible, les autorités judiciaires ou
administratives suisses du lieu avec lequel la cause présente un lien suffisant sont
compétentes. »

Cette compétence ne peut être que facultative pour le tribunal. Comme l’énonce le message
fédéral354: « il appartiendra en dernier ressort au juge d’admettre ou non sa compétence », et
il se décidera précisément en fonction du lien du litige avec le for. Les fors de nécessité
existent aussi en d’autres pays355.

Ce facteur de proximité, dont nous venons de voir qu’il renforce parfois une compétence en
elle-même insuffisante, peut aussi intervenir positivement ou négativement dans le
fonctionnement de règles de compétence internationale reposant sur un fondement différent
et spécialement sur la volonté des parties.

Par. 3 - Principe de proximité et clauses attributives de juridiction


134. L’examen des rapports entre clauses attributives de juridiction et principe de proximité
révèle une nouvelle dimension de ce dernier.
Une première approche, traditionnelle, serait de subordonner la licéité de la clause attributive
de juridiction à l’existence d’un lien de proximité entre le litige et le tribunal élu. Le principe
de proximité jouerait alors le même rôle que dans les exemples précédents. Il viendrait
renforcer une compétence que la volonté des parties aurait suscitée, mais qu’elle serait
insuffisante à elle seule à fixer.

Cette condition est encore parfois requise, notamment en Suisse356, mais les auteurs y sont en
général hostiles357 pour la raison notamment qu’elle priverait les parties à un contrat
international de choisir un for neutre pour régler leurs différends358.

135. C’est une autre approche qui prévaut aujourd’hui, en tout cas en Allemagne fédérale et en
France. On se soucie moins des « mérites » du tribunal élu que des titres de compétence du
tribunal exclu lorsqu’il s’agit du tribunal allemand ou français saisi du litige. L’idée, dont les
modalités sont différentes dans les deux pays, est que l’on ne peut déroger à la compétence des
tribunaux du for que si celle-ci repose sur un chef de compétence relativement fragile. Le
principe de proximité n’intervient pas de façon positive pour renforcer la compétence du
tribunal élu, comme dans la première [p139] approche. Il intervient de façon négative, pour
justifier la dérogation à la compétence des tribunaux du for.

136. Le siège de la matière se trouve en droit allemand dans l’article 38 ZPO, tel qu’il résulte
d’une loi du 21 mars 1974. Avant cette loi, les clauses attributives de juridiction étaient
largement reconnues. L’article 38 disposait, dans sa rédaction originaire : « Un tribunal de
première instance en soi incompétent devient compétent en vertu d’une disposition expresse
ou tacite des Parties. »

Cette disposition libérale ne s’applique plus aujourd’hui qu’entre commerçants (à l’exclusion


des petits commerçants, catégorie spécifique du droit allemand faisant l’objet d’une protection
particulière). Mais la loi du 21 mars 1974 a tout de même prévu, pour les non-commerçants (et
pour les petits commerçants), la possibilité, en matière internationale, de stipuler une clause
attributive de juridiction dans certaines limites359. Aux termes de l’article 38, alinéa 2
nouveau, ZPO : « La compétence d’un tribunal de première instance peut être convenue
quand l’une des parties au moins n’a pas un for général de compétence en Allemagne fédérale
(wenn mindestens eine der Vertragsparteien keinen allgemeinen Gerichtsstand im Inland hat). »

La condition de validité de la clause est donc, non pas le lien avec le for élu (c’est-à-dire, en cas
d’élection d’un tribunal allemand, l’Inlandsbeziehung), mais au contraire l’absence d’un certain
lien avec le territoire allemand (l’Auslandsberührung, le contact avec l’étranger)360.

Concrètement, ce for général de compétence qui, pour une partie au moins, doit se trouver à
l’étranger, c’est en principe le domicile pour les personnes physiques et le siège pour les
personnes morales (art. 13 et 17 ZPO), par opposition aux fors spéciaux de compétence
(besonderer Gerichtsstand) que sont, par exemple, les fors de la résidence (art. 20), d’un
établissement secondaire (art. 21), du patrimoine (art. 23), du lieu d’exécution d’un contrat
(art. 29), etc. Si donc, les deux parties ont leur domicile en Allemagne fédérale, elles ne
peuvent donner compétence à un tribunal étranger, celui-ci correspondrait-il à l’un des fors
spéciaux prévus par le Code de procédure civile allemand, ni même à un tribunal allemand
autre que [p140] celui désigné par ce code. Le lien avec le territoire allemand serait trop fort, il
manquerait cette Auslandsberührung qui seule peut relâcher l’impérativité des règles de
compétence allemandes. Inversement, si l’une des parties a son domicile à l’étranger, mais un
for spécial de compétence en Allemagne fédérale (établissement, lieu d’exécution du contrat,
par exemple), la condition d’Auslandsberührung est remplie et il est possible aux parties de
convenir de la compétence d’un tribunal allemand361, ou d’un tribunal étranger362.

137. L’article 38, alinéa 2, ZPO exige aussi que la clause attributive de juridiction soit conclue
par écrit ou résulte d’un accord verbal confirmé par écrit363. On aurait pu imaginer que le
principe de proximité joue ici un rôle positif en ce sens que ces exigences de forme eussent pu
être atténuées lorsque le centre de gravité du litige se serait trouvé dans le pays étranger du for
élu, et que les exigences formelles prévues par la loi de ce pays auraient été satisfaites. Il n’en a
rien été et le Tribunal fédéral du travail, par arrêt du 27 janvier 198 3364, a jugé, contrairement à
la cour d’appel, que la clause qui ne répond pas aux conditions de validité formelle de l’article
38 est nulle, même si elle est valable selon la loi du contrat et la loi du tribunal élu, sans qu’il y
ait lieu de distinguer selon les chefs de compétence des tribunaux allemands auxquels la
clause entendait déroger365.

138. Les derniers développements du droit français montrent eux aussi que le facteur de
proximité intervient, comme en Allemagne, de façon négative pour valider la clause attribuant
compétence à un tribunal étranger lorsque le lien avec la France est relativement fragile.

Une controverse très nourrie s’est développée depuis 1967 – en marge du problème de
principe, suscité par l’article 48 du nouveau Code de procédure civile de 1975, de la validité des
clauses attributives de juridiction en matière internationale366 – sur la question très précise
de la licéité des clauses attributives de compétence à un tribunal étranger, contenues dans un
contrat de travail entre un salarié français et un employeur étranger.

Après des hésitations remarquables367, la Cour de cassation s’était fixée368 dans le sens que la
clause était valable si la compétence française à laquelle il était dérogé ne reposait sur aucun
des cas prévus par le Code du travail369, mais uniquement sur la nationalité française du
salarié (Code civil, art. 14 et 15). Une hiérarchie s’était donc établie entre les fors objectifs de
compétence (lieu d’exécution [p141] du travail, domicile du salarié, lieu de conclusion du
contrat, établissement de l’employeur) et le for « exorbitant » fondé sur la nationalité, en ce
sens que la dérogation était possible pour ce dernier, non pour les premiers. Un nouveau pas a
été franchi par un récent arrêt de la chambre sociale du 8 juillet 1985370 qui a admis la validité
d’une clause attribuant compétence aux tribunaux colombiens, insérée dans un contrat de
travail conclu en France entre un Français et une société colombienne pour être exécuté en
Colombie.
La solution a surpris car la compétence française à laquelle il était dérogé par la clause pouvait
être fondée autant sur la nationalité française du demandeur (compétence à laquelle la
renonciation est indiscutablement licite) que sur le lieu de conclusion du contrat
(compétence objective prévue par le Code du travail quand le travail, comme en l’espèce,
s’exécute en dehors de tout établissement). Selon Mme H. Gaudemet-Tallon 371, cet arrêt peut
être interprété en ce sens qu’il permettrait de déroger non seulement aux articles 14 et 15 du
Code civil, mais encore à des chefs objectifs de compétence de faible intensité, dès lors que le
contrat serait localisé à l’étranger par son lieu d’exécution. Au contraire, si le lieu d’exécution
était la France, la clause désignant un tribunal étranger devrait être annulée en raison des
liens prépondérants avec la France ou, si l’on préfère utiliser la terminologie allemande, en
raison de l’absence d’Auslandsberührung.

139. Cet examen des droits allemand et français des clauses attributives de juridiction
confirme les observations faites à propos des conflits de lois sur les liens entre les principes de
proximité et d’autonomie de la volonté.

Le pouvoir localisateur de l’autonomie de la volonté exclut sa correction par le principe de


proximité et exclut du même coup l’exigence d’un lien entre le tribunal élu et le litige. Mais
pour que la volonté des parties puisse faire lâcher prise à la compétence impérative des
tribunaux du for, il faut que le litige soit suffisamment éloigné de la sphère juridique du for
pour ne plus être exposé à son impérativité.

140. Il est donc possible de conclure de cette première section que le principe de proximité
joue un rôle relativement modeste dans l’élaboration des règles de compétence internationale.
Il intervient, positivement, pour activer en quelque sorte des règles latentes de compétence
internationale, prédéfinies par le droit en vigueur, et, [p142] négativement, pour valider des
clauses dérogatoires à la compétence des tribunaux du for. Les droits nationaux ne semblent
pas prêts à admettre que, au gré de leurs appréciations, les tribunaux étendent leur pouvoir de
juridiction sur les litiges plurilocalisés au-delà des limites prévues par les règles en vigueur372.
Une telle extension serait perçue comme portant atteinte à la sécurité juridique373.

Mais on comprendrait mieux que les tribunaux d’un Etat puissent renoncer à une compétence
qui leur est reconnue par l’ordre juridique auquel ils appartiennent si le litige dont ils sont
saisis ne présente pas de lien concret véritable avec le for. Le principe de proximité trouverait
alors à s’appliquer dans sa fonction correctrice.

Section II - Le rôle du principe de proximité dans la correction des règles de


compétence internationale directe

141. Nous allons d’abord retrouver sous ce titre un mécanisme qui rappelle celui des clauses
d’exception dans les conflits de lois. De même que le juge peut écarter la loi désignée par sa
règle de conflit s’il constate que la situation n’a pas de lien significatif avec cette loi et qu’elle
présente des liens manifestement plus étroits avec la loi d’un autre pays, de même pourra-t-il,
au moins dans certains pays, décliner sa compétence s’il estime que l’espèce ne présente pas
avec lui de liens suffisants et qu’un tribunal étranger serait plus approprié pour en connaître.
Cette clause d’exception propre à la compétence juridictionnelle est connue sous le nom de
doctrine du forum non conveniens (infra, par. 1).

En second lieu, il peut arriver que le remède apporté par le principe de proximité à une
compétence juridictionnelle trop envahissante soit non pas une correction de la règle de
compétence elle-même, c’est-à-dire concrètement un dessaisissement du juge, mais le
maintien de cette compétence, accompagné d’un effacement au moins partiel de la règle de
conflit de lois du for au profit de celle du ou des pays ayant avec la situation les liens les plus
étroits (par. 2).

Par. 1 - La doctrine du forum non conveniens

142. L’exposé de cette doctrine a été fait maintes fois374. Il s’agira seulement ici, dans un
premier temps, de rechercher, dans les droits anglo-américains, les traits caractéristiques de
cette clause [p143] d’exception à la compétence internationale, avant d’examiner, dans un
second temps, si l’hostilité que lui manifestent les droits continentaux européens est définitive
ou n’est pas en voie d’évolution.

A) - Les éléments d’une clause d’exception empruntée aux droits anglo-


américains
143. Il est bien connu que la doctrine du forum non conveniens a trouvé son origine en Ecosse,
sous le nom d’ailleurs de forum non competens, et qu’elle a servi de remède contre les abus du
forum arresti et du forum contractus lorsque ces fors étaient utilisés pour attraire de façon
abusive et vexatoire devant les tribunaux écossais un défendeur domicilié hors d’Ecosse dans
un pays où existait un tribunal compétent. On connaît aussi la fortune considérable que cette
doctrine a trouvée aux Etats-Unis. Et, en Angleterre, si les tribunaux s’y sont montrés
traditionnellement hostiles, peut-être parce qu’ils arrivaient à certains résultats comparables
avec la doctrine déjà rencontrée du forum competens, la Chambre des lords, depuis des arrêts
célèbres rendus en 1973 et en 197 8375, admet aujourd’hui, sous certaines conditions, qu’un
tribunal anglais puisse se dessaisir au profit d’un tribunal étranger dont la compétence est plus
appropriée.

C’est donc à partir des décisions américaines et anglaises que l’on peut rechercher ce que le
principe de proximité pourrait emprunter à cette doctrine.

Trois séries de questions sont particulièrement importantes de ce point de vue: 1) Quels sont
les motifs autorisant le tribunal saisi, dont il faut rappeler qu’il est normalement compétent
d’après les règles en vigueur dans l’ordre juridique auquel il appartient, à se dessaisir ? 2) Quel
est le domaine de cette faculté de dessaisissement ? Est-elle générale, ou limitée à certaines
règles de compétence considérées comme plus vulnérables que d’autres? 3) Le
dessaisissement est-il subordonné à la compétence certaine d’un autre tribunal?
1) - Les motifs du dessaisissement
144. La jurisprudence américaine a toujours mis en avant pour justifier l’utilisation de forum
non conveniens des considérations d’intérêt public et d’autres d’intérêt privé.

Les premières nous intéressent moins ici. La plus importante est [p144] que les tribunaux les
plus occupés des Etats-Unis peuvent par ce moyen décharger leur rôle et transférer les affaires
dont ils se débarrassent à des tribunaux moins encombrés376. Considération non négligeable
de gestion du service public de la justice mais qui, généralisée, pourrait se révéler contraire au
principe d’égalité devant la justice. Une autre considération d’intérêt public est d’éviter au
tribunal saisi la difficulté d’avoir à appliquer une loi étrangère377. L’argument est difficilement
recevable dans son principe car il conduirait à la limite à ne reconnaître compétents que les
tribunaux de l’Etat dont la loi est applicable d’après les règles de conflit de l’Etat dont les
tribunaux vont se dessaisir378.

Bien plus instructives sont les considérations d’intérêt privé, qui tiennent à la sauvegarde des
intérêts du défendeur et aux commodités de l’instruction. Tout d’abord, le demandeur ne doit
pas harceler ou opprimer le défendeur en l’obligeant à se défendre devant un tribunal
accessible pour lui au prix de dépenses ou de troubles considérables qui auraient pu être
évités par la saisine d’un autre tribunal offrant les mêmes garanties au demandeur379.

En second lieu, le tribunal saisi n’est pas convenient s’il n’a pas un accès facile aux preuves, s’il
ne dispose pas de moyens de contrainte pour imposer la comparution aux témoins
récalcitrants, s’il ne peut organiser une descente sur les lieux, etc.380

Ces considérations d’intérêt privé correspondent tout à fait à notre principe de proximité.
Cette proximité est ici appréciée non plus seulement par rapport à la situation du rapport de
droit, comme dans les conflits de lois, mais principalement du point de vue de la procédure, ce
qui est compréhensible puisqu’il s’agit d’apprécier la compétence du tribunal.

145. En tout cas, qu’il s’agisse des conflits de lois ou de la doctrine du forum non conveniens, la
proximité n’est acceptable que si elle est appréciée uniquement par rapport à la justice du
droit international privé, ce qui exclut au moins en principe une comparaison au fond des
solutions qui seraient apportées au litige par le tribunal saisi et par le tribunal étranger
présenté comme plus approprié.

Ce point capital a été soulevé tant par la Chambre des lords que par la Cour suprême des
Etats-Unis.

Dans l’affaire McShannon précitée de 1978, la Chambre des lords avait à apprécier si la High
Court aurait dû se dessaisir au profit des tribunaux écossais à propos d’une demande en
réparation engagée [p145] contre une société incorporée en Angleterre, à la suite d’un accident
du travail survenu en Ecosse. Elle s’est formellement refusée à entrer dans la discussion des
mérites respectifs de la justice anglaise et de la justice écossaise, notamment de la générosité
de l’une et de l’autre dans l’allocation de dommages-intérêts, et elle a statué sur des bases
objectives381.

Et, dans l’affaire Piper Aircraft Co. v. Reyno 382, la Cour suprême des Etats-Unis a jugé en 1981
que la décision sur forum non conveniens était en principe indépendante du caractère plus ou
moins favorable au demandeur du droit applicable par le tribunal saisi. L’espèce opposait les
ayants droit des victimes, pour la plupart écossaises, d’un accident d’avion survenu en Ecosse,
à la société de Pennsylvanie qui avait construit l’avion. Les demandeurs avaient convaincu la
cour d’appel du 3e circuit de ne pas se dessaisir au profit du tribunal écossais à première vue «
more convenient », parce que le droit écossais qui serait appliqué par le juge écossais leur serait
moins favorable que le droit de l’Etat de Pennsylvanie qu’appliquerait le juge américain. La
Cour suprême condamne le raisonnement et renverse la décision383. De fait, juger autrement
obligerait à retenir la compétence du tribunal saisi si elle était plus favorable au fond au
demandeur, quand bien même ce tribunal serait non conveniens du point de vue de la justice
procédurale de droit international privé.

Les motifs d’intérêt privé justifiant le dessaisissement des tribunaux américains et anglais
pourraient donc être retenus sans objection majeure dans le cadre d’une clause d’exception
aux règles de compétence juridictionnelle des Etats du continent européen. Mais avant
d’envisager cette transplantation, il faut encore examiner le domaine et les conditions du
dessaisissement.

2) - Le domaine de la doctrine du forum non conveniens

146. La question est de savoir quelles sont les règles de compétence juridictionnelle qui
peuvent être écartées, à la discrétion du juge saisi, en application de la doctrine de forum non
conveniens.

Le domaine de prédilection de cette doctrine est constitué par le forum arresti, c’est-à-dire la
règle traditionnelle du common law, lorsqu’elle équivaut, dans une espèce donnée, à un for
exorbitant384.

Mais ce domaine n’est pas le seul. Dans l’affaire anglaise Atlantic Star, la compétence du
tribunal anglais était fondée sur la jurisdiction in rem et, dans l’affaire McShannon, le tribunal
anglais saisi était celui du siège de la société défenderesse.

Ce domaine paraît donc général. On trouve, toutefois, dans les décisions américaines et
anglaises, l’amorce de distinctions possibles dont la signification dépasse le particularisme de
ces droits.

Aux Etats-Unis, dans l’affaire Piper, la Cour suprême donne sa caution à l’affirmation du
tribunal de district selon laquelle la présomption de convenience du tribunal saisi par le
demandeur, présomption qui fait apparaître forum non conveniens comme une exception, est
moins forte lorsque le demandeur est un étranger que lorsqu’il est un résident de l’Etat du for:
« When the home forum has been chosen, it is reasonable to assume that this choice is
convenient. When the plaintiff is foreign, however, this assumption is much less reasonable.
Because the central purpose of any forum non conveniens inquiry is to ensure that the trial is
convenient, a foreign plaintiffs choice deserves less deference. »

Ces affirmations peuvent choquer un juriste européen du continent, habitué à considérer le


for du défendeur comme le for en principe le plus approprié. Je ne pense pourtant pas que la
distinction faite par Piper soit délibérément discriminatoire à l’égard de l’étranger ou du non-
résident. Elle manifeste seulement une différence de mentalité entre les deux rivages de
l’océan Atlantique. Pour les Américains, le for du demandeur est souvent considéré comme un
for plus naturel que celui du défendeur. Le demandeur n’est-il pas souvent une victime qui
cherche justice, plutôt qu’un gêneur venant troubler la tranquillité du défendeur? La leçon
plus générale de Piper pourrait donc être qu’un for considéré comme un for naturel se prête
moins volontiers à la clause d’exception constituée par forum non conveniens qu’un for plus
artificiel.

La même idée avait déjà été exprimée par la Chambre des lords dans l’arrêt McShannon. L’arrêt
distingue selon que le juge anglais saisi est ou non le juge naturel du litige, c’est-à-dire le juge
prima facie le mieux placé pour en connaître. Si le juge saisi est le juge naturel, c’est le
défendeur qui doit prouver que cette saisine entraîne pour lui un grave désavantage. Dans le
cas contraire, c’est le demandeur, s’il veut éviter le stay of action, qui doit prouver qu’il a un très
sérieux motif d’agir devant le juge anglais385. Là encore, [p147] nous constatons que forum non
conveniens a une force diminuée quand la compétence du tribunal saisi repose sur un
rattachement fort.

147. Ces constatations sont tout à fait conformes au principe de proximité. Mais pour préciser
encore davantage, il faut se demander si forum non conveniens peut intervenir à l’encontre
d’un for élu par les parties au litige.

Il faut en garder en mémoire que, dans les conflits de lois386, l’autonomie de la volonté chasse
la clause d’exception. Est-ce également vrai en matière de compétence juridictionnelle ? Si les
parties se sont mises d’accord, par une clause attributive de juridiction, sur la désignation d’un
for déterminé, c’est vraisemblablement pour éviter tout risque d’incertitude pouvant résulter
de mécanismes tels que celui de forum non conveniens. La logique ne voudrait-elle pas que ce
mécanisme d’exception soit alors écarté?

Nous ne sommes pas loin de partager l’opinion de César Dubler qui, après un examen du droit
américain, conclut: « C’est dire qu’en cas de prorogation de for par les parties, l’intervention du
forum non conveniens est exclue. »387

Depuis que la Cour suprême des Etats-Unis a admis la licéité des clauses attributives de
juridiction dans le commerce international388, il faudrait des circonstances vraiment
exceptionnelles pour que le tribunal élu par les parties soit déclaré non conveniens 389. Et si la
clause peut encore être écartée, c’est davantage, semble-t-il, parce que ses conditions de
validité ne seraient pas remplies qu’en raison du caractère inconvenient du tribunal qu’elle
désignerait.

L’évolution récente confirme en tout cas l’incompatibilité fondamentale entre clause


attributive de juridiction et forum non conveniens. Une loi de l’Etat de New York du 19 juillet
1984 prévoit en effet que, lorsqu’un contrat porte sur plus de 250000 dollars, les parties
peuvent stipuler une clause de choix de la loi de l’Etat de New York et une clause attribuant
compétence aux tribunaux de cet Etat, même si le contrat est sans lien raisonnable avec New
York. Et les tribunaux de New York sont alors tenus d’accepter cette compétence et ne peuvent
pas se dessaisir, même en invoquant une disposition législative contraire ou la doctrine du
forum non conveniens 390. Même si ce texte est de circonstance et s’il est destiné à renforcer la
place de New York comme place commerciale mondiale, il est tout de même une confirmation
du phénomène que nous avons pu observer déjà à plusieurs reprises391.

3) - Les conditions du dessaisissement


[p148]

148. L’une des différences entre la clause d’exception en matière de conflit de lois et la clause
d’exception en matière de compétence internationale est que le juge, lorsqu’il fait usage de la
première, écarte la loi désignée par sa règle de conflit et en applique une autre, plus proche de
la situation litigieuse, tandis que lorsqu’il recourt à la seconde il constate que le litige n’a pas
de lien concret véritable avec lui et s’en dessaisit. Cette conséquence du caractère doublement
unilatéral392 des règles de compétence judiciaire fait courir le risque d’un déni de justice. C’est
pourquoi le dessaisissement d’un juge en application de la doctrine du forum non conveniens
est généralement subordonné à l’existence d’un for étranger plus approprié et susceptible de
se déclarer compétent. La règle est certaine en Angleterre. Pour justifier le stay of action, le
tribunal anglais doit s’assurer qu’il ne prive pas le demandeur d’un avantage légitime qu’il
pourrait tirer de la juridiction d’un tribunal anglais. Ce qui implique à tout le moins la
possibilité pour le demandeur de saisir un autre tribunal, et de fait les tribunaux anglais
demandent au défendeur de prouver l’existence d’un autre tribunal compétent pour connaître
du litige393.

149. Aux Etats-Unis, les solutions sont plus flottantes. Il semble que cette possibilité pour le
demandeur de saisir un autre tribunal soit davantage un élément d’appréciation à considérer
dans la balance des intérêts qu’une condition absolue du dessaisissement. Le tribunal qui se
dessaisit parce qu’il s’estime forum non conveniens ne peut en effet ordonner au tribunal d’un
autre Etat qu’il estime more convenient de se reconnaître compétent. Le problème a pu être
résolu partiellement à l’intérieur même des Etats-Unis, soit entre juridictions fédérales394, soit
entre juridictions étatiques395, mais il reste entier dans les rapports internationaux.
Un moyen parfois utilisé par les tribunaux américains est de subordonner le dessaisissement à
l’engagement du défendeur qu’il n’opposera pas l’incompétence du tribunal étranger, jugé à sa
demande more convenient 396.

Mais ce moyen reste à la discrétion du juge, qui peut très bien s’estimer forum non conveniens
sans se préoccuper de l’existence d’un for étranger disponible. L’arrêt rendu le 5 juillet 1984
parla Court of Appeals de l’Etat de New York dans l’affaire opposant la [p149] République
islamique d’Iran au défunt shah d’Iran et à sa famille en fournit une saisissante illustration397.

150. Le Gouvernement révolutionnaire d’Iran avait introduit une action devant les tribunaux
de l’Etat de New York contre le shah d’Iran et son épouse, prétendant qu’ils s’étaient
illégalement enrichis lorsqu’ils étaient au pouvoir et cherchant à récupérer les fonds
prétendument détournés et placés aux Etats-Unis. La demande avait été introduite lorsque le
Shah, accompagné de son épouse, était en traitement à l’hôpital de New York. La Supreme
Court, puis la Court of Appeals, s’estimèrent forum non conveniens pour la raison que toutes
les parties étaient étrangères, qu’aucune d’elles n’avait de domicile aux Etats-Unis, que le
procès aurait nécessité un examen détaillé de la gestion financière du Gouvernement iranien
tout au long du règne du Shah, bref, que faisait défaut un « substantial nexus » entre l’Etat de
New York et la cause de l’action. Les demandeurs tentèrent de s’opposer au dessaisissement en
alléguant qu’aucun autre for ne leur était accessible, mais la Court of Appeals écarta
l’objection : « Bien que l’existence d’un for alternatif accessible soit un facteur de première
importance à prendre en considération dans l’application de la doctrine du forum non
conveniens, l’absence prétendue d’un tel for n’oblige pas le tribunal à retenir sa compétence …
Cela étant, le tribunal a pu, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, se dessaisir de
l’action sur le fondement de forum non conveniens, nonobstant le fait que le dossier n’établit
pas l’existence d’un autre for où l’action pourrait être portée, et il a pu le faire sans
subordonner son dessaisissement à l’acceptation par le défendeur du procès devant une autre
juridiction. 398 »

L’espèce était sans doute très particulière, mais elle n’est pas exceptionnelle. Les griefs
formulés contre l’ancien shah d’Iran l’ont été depuis, dans des conditions très voisines, contre
d’autres chefs d’Etat contraints de quitter le pouvoir et de chercher refuge à l’étranger.

Aussi, paraît-il difficile de trouver une justification de caractère général à la position prise par
la juridiction suprême de l’Etat de New York. Le dessaisissement ne devrait pas pouvoir être
prononcé si la garantie de l’existence d’un autre tribunal étranger compétent n’est pas
rapportée. Il ne faut pas oublier que le problème du forum non conveniens présuppose que le
tribunal saisi est par hypothèse compétent en vertu des règles de son droit. Un lien existe donc
au départ entre le litige et ce tribunal. On comprend que ce lien puisse être jugé concrètement
insuffisant, et que la compétence du tribunal saisi soit écartée si celle d’un autre tribunal est
plus souhaitable. Mais il serait absurde que la recherche du lien le plus étroit conduise à un
déni de justice.
151. Nous pouvons maintenant récapituler les éléments d’une clause d’exception aux règles de
compétence juridictionnelle qui pourraient être empruntés par le droit des Etats du continent
européen aux jurisprudences anglaise et américaine. Un tribunal compétent pourrait
exceptionnellement se déclarer incompétent s’il était établi, d’une part, que ce tribunal était
peu approprié pour connaître du litige en raison de l’éloignement du défendeur et de la
difficulté pour ce tribunal d’accéder aux preuves et aux éléments du cas, d’autre part, qu’un
autre tribunal plus approprié et plus rapproché, offrant au demandeur des garanties
équivalentes quant à son impartialité et à la justice procédurale, pouvait être saisi par le
demandeur et se reconnaître compétent. Enfin, une telle clause d’exception serait cependant
exclue lorsque le tribunal saisi serait un tribunal élu régulièrement par les parties au litige399.

Quel avenir peut-on espérer pour une clause de ce type dans les droits du continent
européen?

B) - L’avenir prévisible d’une telle clause d’exception dans les droits du


continent européen

1) - Les données du droit positif

152. La vérité oblige à dire que nous en sommes encore en Europe400, à cet égard, aux premiers
balbutiements. 11 a fallu beaucoup de temps pour commencer à admettre une certaine
flexibilité des règles de conflit de lois. Mais c’est la rigidité qui prévaut, et sans doute encore
pour longtemps, en ce qui concerne les règles de compétence juridictionnelle.

L’exemple de cette rigidité est donné, faut-il le rappeler, par la Convention de Bruxelles du 27
septembre 1968. Cette convention contient un ensemble assez complexe de règles de
compétence judiciaire et de litispendance, dont l’applicabilité, dès lors que les conditions
qu’elles posent sont remplies, ne se discute pas et ne [p151] doit pas se discuter. Aucun pouvoir
d’appréciation en opportunité n’est laissé aux tribunaux des Etats membres, qu’il s’agisse
d’ailleurs autant d’étendre que de restreindre les chefs de compétence prévus par la
convention.

Cette rigidité peut se comprendre dans la perspective fédérative de la convention. A la limite,


les tribunaux des Etats membres appartiennent tous à un même ordre juridique et, dans cette
mesure, les règles de la convention peuvent être assimilées à des règles de compétence
interne. Et puisque les Etats membres, en tout cas les six Etats fondateurs, ont un système de
compétence interne rigide, c’est tout naturellement qu’ils ont accueilli le système rigide de la
convention dans leurs rapports mutuels.

Mais déjà, l’adhésion à la convention de quatre nouveaux membres, et spécialement


l’adoption par le Royaume-Uni du Civil Jurisdiction and Judgments Act 1982, a amené les juristes
de ce pays à s’interroger sur la possibilité, pour le Royaume-Uni, de rendre flexibles les règles
de la convention. T. C. Hartley401, notamment, s’est prononcé fermement en faveur de cette
flexibilité en faisant remarquer que forum non conveniens ne serait pas le seul cas dans lequel
un tribunal anglais pourrait souhaiter ne pas exercer la compétence que lui confère la
convention. Il en est ainsi, en effet, lorsque l’action concerne un immeuble sis dans un Etat
non contractant, lorsqu’il existe une clause attributive de juridiction au profit du tribunal d’un
Etat non contractant ou encore lorsqu’il y a litispendance du fait de la saisine antérieure d’un
tel tribunal. La Cour de justice des Communautés européennes se lais-sera-t-elle convaincre?

153. Aucun signe d’évolution, en tout cas, ne paraît devoir être attendu dans l’immédiat du
droit français. L’article 92 du nouveau Code de procédure civile avait bien laissé une certaine
latitude au juge pour déclarer d’office son incompétence en matière internationale, mais,
d’une part, cette latitude présupposait l’incompétence du tribunal, ce qui est le contraire de
forum non conveniens, d’autre part, l’article 92 a été largement stérilisé par l’article 18 de la
Convention de Bruxelles, qui fait de la comparution volontaire des parties sans soulever
l’incompétence un chef de compétence du tribunal saisi402.

154. Des signes plus encourageants, mais encore intermittents, viennent de l’Allemagne
fédérale. Certaines décisions récentes ont admis le jeu d’une clause d’exception très proche de
forum non conveniens en matière de juridiction gracieuse, notamment d’adoption403, et
certains auteurs se sont montrés favorables à cette évolution404. Un arrêt de la cour d’appel de
Francfort du 15 novembre 1982405 en a fait une application remarquée dans une affaire de
garde d’enfant. L’enfant était grec et ses parents, tous deux de nationalité grecque, avaient
commencé une procédure de divorce en Allemagne. Au cours du procès, l’enfant avait été
transféré en Grèce et les deux parents avaient cessé de répondre aux convocations du juge et
de faire aucun acte de procédure. Au bout de deux ans de cette inaction, la cour d’appel s’est
lassée et s’est dessaisie de l’affaire en invoquant la doctrine du forum non conveniens : « La
doctrine du forum non conveniens, qui provient du droit américain et qui, jusqu’à présent, s’est
développée particulièrement dans les causes d’adoption, répond à un besoin particulier de
protection juridique dans le droit processuel international et signifie qu’il peut être exigé de
parties étrangères qu’elles portent leur litige devant les tribunaux de leur Etat national quand
cela coïncide avec les intérêts bien compris de toutes les parties. »

Cette proclamation avait peut-être été encouragée par la prise de position du Max-Planck
Institut, qui avait proposé, en 1980, le texte suivant : « Un tribunal allemand compétent
d’après les thèses 19 à 21 peut décliner sa compétence dans les affaires de juridiction gracieuse
lorsque des tribunaux ou des autorités étrangères : a) ont un lien substantiellement plus étroit
avec les circonstances de la cause et b) sont compétents d’après leur propre droit pour statuer
sur celles-ci. 406 »

Il serait pourtant hasardeux de prédire le succès de cette doctrine en Allemagne fédérale. La


cour d’appel de Francfort n’avait peut-être pas choisi la meilleure espèce pour introduire en
Allemagne le forum non conveniens. Comme certains l’ont fait remarquer, n’aurait-il pas été
suffisant de laisser simplement dormir l’affaire tant que les parties ne la réveillaient pas?
Au surplus, l’arrêt de Francfort a suscité des réactions très hostiles d’une importante
doctrine407 et un arrêt de la cour d’appel de Munich du 22 juin 1983408 a pris le contrepied de
la position adoptée quelques mois plus tôt à Francfort : « Le principe du forum non conveniens
n’est pas en vigueur en Allemagne. Les dispositions du Code de procédure civile sur la
compétence territoriale interne et par suite sur la compétence internationale sont obligatoires
pour le tribunal en vertu de l’article 20, alinéa 3, de la Constitution. 409 »

En attendant un hypothétique arrêt de la Cour fédérale, le pronostic sur l’avenir du forum non
conveniens en Allemagne fédérale demeure donc réservé.

155. La Suisse possède une disposition qui, spéciale au droit de la filiation, présente des points
communs avec le forum non conveniens. La loi du 25 juin 1976410, entrée en vigueur en 1978, en
même temps qu’elle prévoit une clause d’exception à la règle de conflit de lois411, règle selon la
même méthode la question de la compétence judiciaire. Le nouvel article 8d LRDC donne
compétence au tribunal suisse du domicile de l’enfant ou du père ou de la mère, mais ajoute
(al. 3) que « la compétence suisse sera déclinée si l’espèce présente des rapports
prépondérants avec un autre pays et si celui-ci ne reconnaît pas la juridiction suisse .»

A vrai dire, cette disposition, dont l’application par les tribunaux n’est pas très
convaincante412, ne correspond pas tout à fait à forum non conveniens. Il s’agit moins pour le
législateur suisse de mettre en œuvre le principe de proximité que d’éviter la création d’une
filiation boiteuse, ce qui explique que le dessaisissement soit subordonné à la condition, non
rencontrée dans les droits précédemment étudiés, de la non reconnaissance de la compétence
suisse par le pays ayant avec l’espèce les rapports prépondérants.

Cette clause d’exception n’a d’ailleurs pas été reprise parle projet de réforme du droit
international privé suisse, qui n’introduit pas davantage la doctrine du forum non conveniens
dans ses dispositions générales, malgré la proposition en ce sens de K. Siehr413. Le message
fédéral déclare, au sujet de la filiation, qu’il y a lieu de laisser « le demandeur estimer lui-
même l’intérêt qu’il y a à ce qu’un jugement suisse déploie ou non ses effets à l’étranger » (n°
242-1).

2) - Les données de la controverse

156. On doit donc constater qu’une clause d’exception à la compétence internationale fondée
sur le principe de proximité est [p154] encore largement étrangère à la tradition juridique des
Etats du continent européen. Une évolution ne peut cependant être exclue, car les arguments
opposés à une telle clause, spécialement en Allemagne, paraissent trop véhéments pour être
pleinement convaincants.

Laissons de côté les arguments d’ordre constitutionnel invoqués en Allemagne fédérale qui
sont propres à ce pays, et qui, pour un observateur étranger, pourtant tenu à la prudence, ne
paraissent pas à eux seuls décisifs414.
Les arguments d’ordre général opposés à l’introduction dans les droits continentaux d’une
telle clause d’exception s’articulent autour des deux idées suivantes:

Forum non conveniens est un correctif heureux à la transient rule du common law, tandis que
les règles allemandes de compétence – et, plus généralement, les règles continentales –
prennent en considération à titre principal les intérêts procéduraux des parties et n’offrent
donc pas prise à cette exception415. Sans doute, mais nous avons vu que forum non conveniens
pouvait intervenir également contre des règles de compétence raisonnables en elles-mêmes
mais inadaptées au cas de l’espèce. De plus, nul ne peut ignorer que le droit allemand, comme
le droit français et les autres droits du continent, possèdent eux aussi des règles de
compétence qualifiées d’exorbitantes et qui pourraient faire l’objet, au moins dans certaines
espèces flagrantes, d’un mécanisme correcteur416.

L’autre objection est que l’admission d’une clause d’exception ruinerait la sécurité juridique,
en faisant courir au demandeur le double risque d’une perte de temps et d’argent par la saisine
d’un tribunal qui déclinera sa compétence, et même d’un déni de justice si l’autre tribunal
s’estime à son tour forum non conveniens 417. Mais c’est oublier, comme le fait remarquer
Trevor Hartley418, que le dessaisissement présuppose une balance des contacts qui penche
très fortement en faveur d’un autre tribunal et que ce dessaisissement peut être conditionnel
et subordonné à l’acceptation de sa compétence par l’autre tribunal.

157. 11 ne faut pas se dissimuler qu’une admission de la clause ’exception en matière de


compétence internationale aurait des conséquences nombreuses et qu‘elle entraînerait
notamment à court terme une révision des solutions admises en matière de litispendance.
Mais, à notre avis, cette révision, qui pourrait être utilisée [p155] comme un épouvantail contre
la clause d’exception, irait dans le bon sens.

A l’heure actuelle, dans les pays où l’exception de litispendance est recevable en matière
internationale, et même lorsqu’une certaine marge d’appréciation est laissée au tribunal
second saisi quant à l’opportunité de se dessaisir, comme en France419 et, semble-t-il, en
Allemagne fédérale420, mais non dans la Convention de Bruxelles421, l’exception ne peut jouer
qu’à l’intérieur d’un carcan très rigide. D’une part, le dessaisissement ne peut intervenir qu’au
profit du tribunal premier saisi qui, lui, ne peut en aucun cas se dessaisir s’il est compétent
d’après sa propre loi. La décision dépend donc presque toujours de la détermination, quasi
mécanique, de la priorité de saisine, ce qui peut donner lieu à des difficultés inattendues et
sans rapport véritable avec l’intérêt bien compris des parties422. D’autre part, lorsque le
tribunal second saisi refuse de se dessaisir, il statue sans tenir en principe aucun compte de ce
que décidera le tribunal premier saisi (et réciproquement). Cette dualité d’instances ne peut
qu’être défavorable à une bonne administration de la justice.

L’admission d’une clause d’exception inspirée du principe de proximité permettrait d’apporter


au problème de la litispendance des solutions plus souples et plus adaptées, à l’exemple du
droit anglais.
Il serait ainsi possible au tribunal premier saisi de se dessaisir au profit du tribunal second
saisi si ce dernier est manifestement plus proche du litige que le premier et, bien entendu, si le
laps de temps séparant l’introduction des deux demandes est bref. Au moins dans le cas où
c’est la même partie qui s’est portée demanderesse devant un tribunal anglais et un tribunal
étranger, le tribunal anglais peut en effet, qu’il soit le premier ou le second saisi, soit se
dessaisir, soit mettre en demeure le demandeur de choisir entre les deux instances, soit même
provoquer le dessaisissement du tribunal étranger en enjoignant au demandeur de se désister
de son action, à peine de contempt of court 423. Des solutions comparables se rencontrent aux
Etats-Unis424. Cette souplesse de fonctionnement est bien éloignée des principes régissant la
matière sur le continent, mais ses résultats concrets sont plus satisfaisants et permettent
souvent le regroupement de litiges complexes autour du tribunal répondant le mieux au
principe de proximité.

158. On peut même se demander, pour conclure ces développements, si ne serait pas en
formation un principe général du droit international obligeant les tribunaux à se dessaisir
lorsque leur [p156] compétence, le plus souvent exorbitante, est à ce point contraire au principe
de proximité qu’elle équivaut à priver le défendeur d’un procès juste et équitable.

Certes, à l’heure actuelle, la sanction du caractère exorbitant ou injuste des chefs de


compétence d’un Etat se manifeste par le refus de reconnaissance et d’exécution dans les
autres Etats des décisions ainsi rendues dans le premier. Les auteurs de la Convention de
Bruxelles, conscients de l’injustice pour les défendeurs domiciliés dans un Etat non
contractant de l’application à leur encontre des règles de compétence exorbitante énumérées
à l’article 3, ont admis l’extension de cette sanction. Ils ont permis la conclusion entre Etats
contractants et Etats non contractants de conventions bilatérales écartant la reconnaissance
dans un Etat contractant de décisions rendues dans un autre Etat contractant contre un
défendeur domicilié dans un Etat non contractant, sur la base d’un for exorbitant425.

Cette sanction du refus de reconnaissance est insuffisante, car elle corrige l’effet sans
s’attaquer à la source. L’on sait que sur la base du quatorzième amendement à la Constitution
(due process of law), la Cour suprême des Etats-Unis a déclaré contraires à la Constitution les
lois des Etats qui prévoyaient une compétence pour leurs tribunaux sans exiger des minimum
contacts entre les parties et l’Etat du for426.

159. Aujourd’hui, des textes internationaux, dont la rédaction rappelle à certains égards celle
du quatorzième amendement, pourraient être utilisés dans le même sens. Tant la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4
novembre 1950 (art. 6)427 que le Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils
et politiques (art. 18)428 posent le principe que : « Toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal
indépendant et impartial, établi par la loi… 429 »
Ne pourrait-on imaginer, sur la base de ces textes, sinon une condamnation, tout au moins une
limitation des fors exorbitants (articles 14 et 15 du Code civil français, article 23 ZPO, for de la
pluralité de défendeurs, forum arresti, etc.), lorsqu’ils sont appliqués à l’état pur, si l’on ose dire,
sans qu’existe in casu aucun autre lien, concret, entre le litige et le tribunal saisi?
[p157]
Il n’existe pas encore de précédent direct. L’article 6 de la Convention européenne,
lorsqu’il est invoqué en matière civile, l’est presque toujours par une personne qui aurait eu
intérêt à se porter demandeur et qui n’a pu le faire pour telle ou telle raison qu’elle qualifie de
déni de justice. Mais le fait pour le défendeur de ne pouvoir accéder à un tribunal étranger
saisi ou de ne pouvoir le faire qu’à des frais exorbitants revient à le priver du droit à ce que « sa
cause soit entendue équitablement ». La Commission a déjà admis que: « on ne saurait voir
dans le droit d’accès aux tribunaux un droit de caractère général qu’on pourrait rendre
inefficace par des obstacles économiques et autres 430,»

et la Cour européenne des droits de l’homme a admis elle aussi que le refus d’assistance
judiciaire peut constituer une violation de la convention dans la mesure où elle équivaut à une
privation du droit d’accès à la justice431. L’idée que « la garantie d’un procès équitable exige
que chacune des parties ait des possibilités raisonnables de défendre ses intérêts dans une
position qui ne soit pas désavantageuse vis-à-vis de celle de sa partie adverse 432 »

pourrait donc être utilisée, soit devant les tribunaux des Etats parties à la convention, soit
devant les institutions mises en place par celle-ci, pour remédier dans les cas les plus flagrants
à l’injustice des fors exorbitants et faire ainsi une place à la clause d’exception fondée sur le
principe de proximité.

Mais cette clause de correction n’est pas la seule concevable.

Par. 2 - La correction indirecte des règles de compétence juridictionnelle par


l’effacement du système de conflits de lois du for
160. Le paragraphe précédent a montré qu’il existait encore de fortes résistances à l’admission
d’une clause d’exception fondée sur le principe de proximité en matière de compétence
internationale. Au demeurant, une telle clause existerait-elle qu’un tribunal pourrait avoir de
bonnes raisons de retenir l’affaire dont il est saisi, même si cette affaire présentait des liens
plus étroits avec un pays autre que le sien. Nous savons que le principe de proximité doit être
[p158]
compris dans les conflits de juridictions de façon moins rigoureuse que dans les conflits
de lois, en ce sens que là où une seule loi doit être applicable, en raison des liens
prépondérants qui la lient à la situation juridique litigieuse, plusieurs tribunaux peuvent être
alternativement compétents, dès lors que la situation se rattache à chacun d’entre eux par un
lien significatif.

L’idée a donc été émise que le juge saisi, lorsqu’il retient sa compétence parce qu’elle est
suffisamment fondée au regard de son ordre juridique, tienne compte cependant de
l’existence d’un for plus approprié que lui et statue en quelque sorte comme s’il en était le
délégué, le représentant éloigné, jugeant aussi exactement que possible comme aurait jugé ce
for plus approprié, encore appelé for de référence, et notamment en appliquant la règle de
conflit de lois que ce for étranger aurait appliquée.

Ph. Francescakis433, qui a émis cette hypothèse, en donne un exemple simple en matière de
successions mobilières. Il suppose qu’un tribunal autre que celui du domicile du défunt est
saisi du règlement de cette succession. La compétence du tribunal saisi est par hypothèse une
compétence faible (nationalité ou domicile de l’héritier demandeur, siège de l’établissement
bancaire détenant des fonds au nom du défunt, etc.) : « Il est alors raisonnable d’exiger que la
décision rendue par un juge autre que celui du domicile imite en tous points la décision que
celui-ci aurait rendue ,»

écrit Francescakis.

Dans un pareil cas, le principe de proximité ne gouvernera pas le processus juridictionnel, qui
se déroulera dans un ordre juridique éloigné de celui qu’aurait désigné ledit principe. Mais cet
éloigne-ment n’affectera pas en principe la solution qui sera donnée au fond du litige et,
indirectement, le principe de proximité aura donc été satisfait. On pourra même espérer que
la solution ainsi donnée par le juge saisi sera reconnue dans l’Etat du domicile du défunt, celui
qui est désigné par le principe de proximité.

161. Aussi séduisante soit-elle, une telle construction est-elle viable? Pour répondre, il faut
essayer d’en découvrir des traces dans le droit positif.

Bien que ce soit en réalité un contre-exemple, il n’est pas déplacé de signaler ici une règle bien
connue de la procédure américaine qui veut que, lorsqu’une affaire est transférée d’une
juridiction fédérale [p159] siégeant dans un Etat à une autre juridiction fédérale siégeant dans
un autre Etat, la seconde juridiction doit appliquer non pas, comme le voudrait la règle Erie-
Klaxon 434, les règles de conflit de l’Etat de son siège, mais celles de l’Etat dans lequel siège la
première juridiction435. Voilà donc un cas où une juridiction statue en quelque sorte par
délégation d’une autre et en appliquant les règles de conflit de cette dernière. Dans le cadre
fédéral américain, cette construction juridique joue contre l’idée de proximité, puisque le for
de renvoi, qui est en principe le for le plus proche du litige (sinon il n’y aurait pas de renvoi),
applique le système de conflit de lois de l’Etat du tribunal d’envoi, qui par hypothèse est le plus
éloigné du litige.

Mais la même construction peut servir dans d’autres occasions le principe de proximité. Deux
séries d’applications peuvent en être inventoriées : d’une part, la fameuse foreign court theory
anglaise, de l’autre, la méthode, récemment systématisée par Paolo Picone436, consistant à
subordonner la création d’une situation juridique à sa reconnaissance par l’ordre juridique le
plus proche.

A) - La foreign court theory


1) - Présentation et justification

162. Cette théorie, souvent appelée encore « double renvoi » est aussi connue que
généralement décriée. Qu’il suffise de rappeler que les tribunaux anglais en ont fait de
fréquentes applications en matière d’état des personnes et en matière de successions437. Ils
ont ainsi décidé que, lorsque la règle de conflit anglaise désigne la loi d’un Etat étranger, le
juge anglais doit statuer exactement comme l’aurait fait un juge de cet Etat, c’est-à-dire
appliquer la règle de conflit de cet Etat étranger, complétée ou non par le renvoi selon que le
système de conflits de lois de cet Etat accepte ou non le renvoi438. Par exemple, en matière de
successions, si un Anglais décède domicilié en Allemagne, la règle de conflit anglaise désigne
la loi du domicile, donc la loi allemande. Le juge anglais statuera donc comme le ferait un juge
allemand : il constatera que la règle de conflit allemande se réfère à la loi nationale anglaise,
mais accepte le renvoi de la loi anglaise à la loi allemande du domicile. Le juge anglais
appliquera donc la loi allemande.

La critique la plus fréquemment entendue contre ce système est que si tous les Etats
l’adoptaient il deviendrait impraticable. Dans l’exemple précédent, si le juge allemand
admettait le double renvoi [p160] il serait amené à statuer comme un juge anglais, ce qui
mènerait à une impasse. Un autre argument entendu souvent contre la foreign court theory est
qu’elle constitue une capitulation virtuelle439 du système anglais de conflit de lois devant le
système étranger.

163. Il me semble que ces objections sont très dogmatiques et n’ont de sens que si la foreign
court theory est envisagée comme un mécanisme général et abstrait de solution des conflits de
lois. Mais elles tombent d’elles-mêmes si l’on prend la foreign court theory pour ce qu’elle
paraît être, c’est-à-dire un correctif indirect apporté aux règles de compétence juridictionnelle
et inspiré par le principe de proximité.

C’est parce que la compétence des tribunaux anglais revêt un caractère subsidiaire440 par
rapport à un for étranger prépondérant que les tribunaux anglais abandonnent leur système
de conflit de lois et empruntent celui de l’Etat de ce for prépondérant. Le principe de
proximité intervient donc pour régler le conflit de systèmes. Dans l’exemple précité, le for
anglais est subsidiaire par rapport au for allemand du domicile du défunt et c’est pourquoi le
tribunal anglais « emprunte » le système allemand de conflit de lois.

Dans cette perspective, la première objection tombe d’elle-même. La foreign court theory ne
peut pas être – et n’a d’ailleurs jamais été en droit anglais – un mécanisme général. Elle ne
peut intervenir que d’un for réputé faible au profit du système d’un for réputé prépondérant.
Elle ne joue donc en principe que dans un seul sens. Dans la mesure où l’appréciation de la
force et de la faiblesse des rattachements servant à déterminer la compétence juridictionnelle
s’inspire partout des mêmes principes, il ne devrait pas y avoir lieu de redouter l’impasse
dénoncée par les adversaires du double renvoi, car le for prépondérant n’en fera jamais usage
au profit du système d’un Etat qu’il estimera éloigné de la situation. Par exemple, le tribunal
allemand du lieu d’ouverture de la succession de l’Anglais domicilié en Allemagne s’estimera
normalement compétent441 et ce n’est pas parce que la règle de conflit de lois allemande
désigne la loi nationale anglaise que le juge allemand sera tenté d’emprunter le système de
conflit de lois anglais, car il aurait fallu pour cela, dans la logique du double renvoi, que le for
anglais soit réputé en l’espèce prépondérant.

De même, l’objection de la « capitulation » du système de conflit de lois qui accepte le double


renvoi est à rejeter. Il s’agit seulement d’une autolimitation442 de ce système dans quelques cas
[p161] relativement limités où l’on aurait pu concevoir à la limite un stay of action en raison de

l’existence d’un for étranger plus approprié.

Cette « hiérarchisation des chefs de compétence judiciaire »443 sur laquelle repose la foreign
court theory semble juste en elle-même, ce qui ne veut pas dire que sa mise en œuvre par la
foreign court theory soit parfaitement satisfaisante.

2) - Difficultés de mise en œuvre

164. Le vice principal de la foreign court theory consiste à notre sens en ceci, que le for
prépondérant auquel le juge anglais emprunte son système de conflit de lois est déterminé
non par des considérations propres à la compétence juridictionnelle, mais par la règle de
conflit de lois anglaise. La théorie, dont l’originalité était d’articuler conflits de juridictions et
conflits de systèmes en faisant dépendre la solution du second de la détermination du for
prépondérant, bascule tout entière dans les conflits de lois et perd son caractère concret en
soumettant la solution du conflit de systèmes à l’ordre juridique désigné abstraitement par la
règle de conflit du for.

Un exemple de ce dérapage peut être constaté dans une récente affaire française de
filiation444. Une action en recherche de paternité naturelle avait été introduite-devant les
tribunaux français par la mère de l’enfant, Américaine de Californie, contre un défendeur
français domicilié en France. La compétence du tribunal français n’était pas douteuse et elle
était même prépondérante car elle correspondait au domicile du défendeur. Mais la loi
applicable d’après la règle de conflit française (Code civil, art. 311-14) était la loi personnelle de
la mère, en l’espèce la loi californienne.

En l’espèce, le tribunal, puis la cour de Paris, ont examiné la règle de conflit californienne et
ont pu donner l’impression d’avoir admis le double renvoi, en ce sens que, selon eux, la loi
californienne renvoyait à la loi française du domicile des parties sous réserve d’un renvoi de la
loi française à la loi californienne. Faisant jouer ces deux renvois successivement, le tribunal
puis la cour d’appel ont fini par appliquer la loi californienne. Si la compétence du tribunal de
Paris avait été en l’espèce artificielle ou exorbitante, on aurait pu comprendre le souci du
tribunal de régler sa décision sur celle qu’aurait donnée le tribunal « objectivement »
compétent, ici, le tribunal de Californie, mais dans l’espèce qui lui était soumise ce n’était

[p162]
sûrement pas le cas. Et ce n’est pas parce que la règle de [p162] conflit de lois française, d’ailleurs
très controversée, désignait la loi nationale de la mère, qu’il fallait trancher le conflit de
systèmes en faveur de cette loi.

165. La foreign court theory n’est donc praticable que si la hiérarchisation des règles de
compétence judiciaire sur laquelle elle repose peut être établie avec précision et que le for
prépondérant auquel le for saisi empruntera ses règles de conflit se détache avec une certitude
suffisante.

Or, cette condition est rarement remplie. On peut considérer qu’a priori sont en ce sens des
fors prépondérants : en matière de succession mobilière445 le for du domicile du défunt, en
matière réelle le for du lieu de situation de la chose, en matière de mariage ou de divorce le for
du domicile commun ou de la résidence habituelle commune. Mais ces solutions peuvent
elles-mêmes être controversées, le droit de certains Etats accordant une place prépondérante
au juge national en matière de succession ou d’état des personnes. Et de plus, après ce que
nous avons relevé, n’est-il pas un peu contradictoire de déterminer le for prépondérant de
manière abstraite, par l’utilisation d’un facteur de rattachement déterminé, alors que le
principe de proximité peut virtuellement conduire à la correction de presque tous les
rattachements. La recherche d’un for prépondérant auquel le for saisi empruntera son système
de conflit de lois paraît donc condamnée à donner des résultats incertains, variant d’un Etat à
l’autre et ne parvenant qu’accidentellement à l’harmonie recherchée des solutions446.

166. Cette difficulté dans la mise en œuvre d’une foreign court theory inspirée par une
hiérarchisation des chefs de compétence judiciaire, elle-même fondée sur le principe de
proximité, a aussi une autre cause. C’est, comme il a été indiqué à plusieurs reprises dans ce
chapitre, qu’il n’existe pas toujours un for prépondérant, mais que plusieurs fors peuvent
présenter des titres équivalents à connaître d’un litige, entre lesquels le juge saisi, en vertu
d’un chef de compétence supposé faible, peut difficilement choisir. Ainsi, en matière
délictuelle, de nombreux droits offrent à la victime une option entre le for du lieu du délit et le
for du domicile de l’auteur du dommage. Ces deux fors ont des titres équivalents; si l’un des
deux est saisi par la victime, il n’a aucune raison de considérer l’autre comme prépondérant et
de se soumettre à son système de conflit de lois. Et si c’est un troisième for qui est saisi, par
exemple à raison de la présence d’un bien du défendeur dans son ressort, ce for n’est [p163]
certainement pas un for prépondérant, mais, s’il veut pratiquer la foreign court theory, doit-il
utiliser le système de conflit de l’Etat du domicile du défendeur, ou celui de l’Etat du lieu du
délit?

Ces difficultés amènent à la conclusion que si la foreign court theory ne mérite certes pas le
discrédit dont certains éminents auteurs l’entourent, elle ne peut être érigée en principe
général de solution. Elle n’est praticable que dans les cas, assez peu nombreux, dans lesquels le
for saisi ne l’est qu’en vertu d’un rattachement faible et où l’existence d’un for unique et
manifestement prépondérant ne peut être mise en doute.
Ces difficultés de fonctionnement expliquent peut-être le développement, surtout sur le
continent européen, d’une méthode voisine, mais pouvant se prêter à une plus grande
souplesse d’application.

B) - La subordination de la création d’une situation juridique à sa


reconnaissance par l’ordre juridique ou les ordres juridiques les plus intéressés
167. Le droit comparé révèle des cas assez nombreux où les autorités du for, le plus souvent,
mais pas nécessairement des autorités juridictionnelles, compétentes pour créer une situation
juridique nouvelle (mariage, divorce, adoption), souvent d’ailleurs selon la loi du for, ne
peuvent le faire qu’après avoir constaté que cette situation sera reconnue par l’ordre juridique
(ou les ordres) avec lequel cette situation présente les liens les plus étroits447. On peut dire
qu’il y a là une forme extrême d’application du principe de proximité comme correctif indirect
à la compétence des autorités du for.

Les exemples qu’offre le droit comparé et qui ont fait l’objet d’une étude systématique de Paolo
Picone448 sont inégalement convaincants.

168. Le plus connu est sans doute, en matière de divorce, l’article 606 b du Code de procédure
civile allemand. Raisonnons sur ce texte dans la teneur qui était la sienne avant la réforme de
1986.

Cet article envisage un cas où la compétence des tribunaux allemands ne tient qu’à un fil :
aucun des deux époux n’a la nationalité allemande ni n’est apatride, et un seul des deux époux
réside en Allemagne. En ce cas, le tribunal allemand ne pourra statuer que si sa décision sera
reconnue selon le droit national du mari.
[p164]
Ne nous attardons pas à l’objection constitutionnelle, récemment sanctionnée par le
Tribunal fédéral constitutionnel449, tenant à la primauté donnée au droit national du mari et
examinons cette disposition dans son principe. L’idée est que le tribunal allemand est en
réalité assez mal placé pour statuer sur un tel divorce, et que la localisation la plus adéquate
d’une telle situation se trouve dans le pays national du mari. On aurait pu concevoir – ce qui
aurait été proche de la foreign court theory – que le tribunal allemand soit alors obligé de
statuer sinon comme l’aurait fait un tribunal de l’Etat du mari, du moins dans des conditions
telles que sa décision puisse être reconnue dans cet Etat. L’article 606b ne va pas si loin. Il dit
simplement que si la décision que le tribunal allemand serait amené à rendre n’apparaît pas
pouvoir être reconnue dans l’Etat du mari, le tribunal allemand devra renoncer à sa
compétence plutôt que de prononcer un divorce boiteux. Nous avons donc ici des ingrédients
déjà rencontrés: un for faible, le for allemand, et un ordre juridique prépondérant, que l’on
peut appeler l’ordre juridique de référence, qui est ici le droit national du mari, mais qui
pourrait être tout autre droit déterminé par une règle de conflit plus moderne. Cet ordre de
référence est assez fort pour faire d’avance lâcher prise au for faible s’il n’accepte pas la
décision qu’il rendrait.
Cette disposition, purgée de son vice constitutionnel, est reprise par le nouveau texte
allemand dans ce qui est devenu le nouvel article 606 a, § 1, al. 4, qui écarte dans l’hypothèse
considérée la compétence du tribunal allemand s’il est manifeste que la décision de celui-ci ne
sera reconnue par le droit international d’aucun des deux époux.

Le souci d’éviter aux tribunaux allemands la tentation de prononcer un divorce boiteux est en
lui-même louable, et l’on comprend que la loi invite le juge à prendre en considération
l’accueil que réservera à sa décision l’ordre juridique (ou les ordres juridiques) choisi comme
référence. Mais le défaut principal du texte, dans la version ancienne comme dans la nouvelle,
est sa rigidité. L’ordre juridique de référence, abstraitement le plus proche des parties, peut
dans le cas concret en être très éloigné, si les époux n’ont pas l’intention de retourner dans leur
pays d’origine450. Il serait préférable de laisser le tribunal allemand apprécier lui-même si
l’ordre juridique de référence est en l’espèce suffisamment proche des parties et de la situation
litigieuse pour mériter d’être préféré à la compétence du tribunal allemand.
[p165]
169. La disposition voisine du droit suisse, qui subordonne la compétence du tribunal
suisse, pour prononcer le divorce à la demande d’un époux étranger habitant la Suisse, à la
preuve que le droit de son pays d’origine admet la cause de divorce et reconnaît la juridiction
suisse451, n’a pas été reprise par le projet de réforme qui abandonne sur ce point toute
référence à l’ordre juridique étranger et règle directement les problèmes de compétence et de
loi applicable452.

Sur un autre point, cependant, le projet suisse de réforme du droit international privé a
recours à cette méthode. L’article 41 indique d’abord que pour la célébration des mariages les
autorités suisses sont compétentes si l’un des fiancés a son domicile en Suisse ou a la
nationalité suisse. Le domicile ou la nationalité sont en effet en la matière des rattachements
suffisants pour justifier la compétence des autorités suisses et même, selon l’article 42 du
projet, de la loi suisse pour les conditions de fond du mariage. Mais si le mariage projeté
concerne deux étrangers non domiciliés en Suisse, la compétence des autorités suisses ne
repose plus que sur un rattachement très ténu. Aussi l’article 41 ajoute-t-il que, dans ce cas, ces
deux étrangers pourront être autorisés à se marier en Suisse, mais seulement « lorsque le
mariage sera reconnu dans l’Etat du domicile ou l’Etat national des fiancés »453.

Nous retrouvons donc les mêmes éléments que pour l’article 606 b ZPO: un for faible454, dont
la compétence est subordonnée à la reconnaissance du mariage par un ou plusieurs ordres
juridiques de référence considérés comme prépondérants. Et le fondement de la règle suisse
est le même que celui de la règle allemande : éviter la célébration d’un mariage boiteux, dont
le risque est accru du fait que l’autorité suisse applique sa propre loi aux conditions du
mariage. Dans les deux cas, le principe de proximité postule le dessaisissement des autorités
saisies si la décision attendue n’est pas conforme au système de droit international privé de
l’ordre de référence.
170. Ce type de solution n’est pas sans rappeler le mécanisme du renvoi, à ceci près que ce qui
est en jeu ici est moins la loi applicable, comme dans le renvoi, que le maintien de la
compétence – fragile – de l’autorité saisie en cas de non reconnaissance de la décision dans le
pays de référence. Mais le renvoi proprement dit pourrait servir les mêmes fins et le projet
suisse en fournit un exemple caractéristique en matière de succession. Aux termes de l’article
89, alinéa 1, du projet : « La succession d’une personne qui a eu son dernier domicile à
l’étranger est régie par le droit que désignent les règles de conflit de l’Etat dans lequel le défunt
était domicilié. 455 »

Sous-jacente est la considération que dans une telle hypothèse la compétence des autorités
suisses est anormale et faible. De fait, ces autorités ne peuvent intervenir que si le défunt a
laissé des biens en Suisse et « dans la mesure où les autorités étrangères se désintéressent de la
part de succession sise en Suisse »456. La compétence prépondérante appartenait aux
autorités du dernier domicile du défunt, et le projet suisse en tient compte en soumettant
alors l’autorité suisse aux règles de conflit de l’Etat du domicile.

171. Une dernière illustration de la méthode ici étudiée peut être trouvée dans certains droits
relatifs aux adoptions internationales.

Des textes assez nombreux en droit comparé subordonnent le prononcé de l’adoption par les
tribunaux du for et, généralement, selon la loi du for, à la reconnaissance de cette adoption par
un ou plusieurs ordres juridiques de référence. En général, les tribunaux saisis sont ceux du
domicile du ou des adoptants et l’ordre de référence est celui de la nationalité du ou des
adoptants (ou de leur domicile quand le tribunal saisi est celui de leur nationalité) et/ou celui
de la nationalité ou du domicile de l’adopté. Les solutions à cet égard sont variables457.

Le texte qui, dans cette ligne, paraît le plus accompli est une loi norvégienne du 13 juin 198
0458. Cette loi prévoit, lorsque l’adoptant a son domicile en Norvège, la compétence de
l’autorité norvégienne et l’application de la loi norvégienne. Mais elle tempère cette double
règle de compétence juridictionnelle et de conflit de lois par la disposition suivante : « « Par.
30. Si l’adoption d’enfants de moins de 18 ans est demandée, il faut, pour la décision, prendre
en considération si l’adoption sera aussi tenue pour valide dans un Etat étranger auquel
l’adoptant ou l’enfant se rattachent par le domicile, par la nationalité ou de toute autre
manière, si fortement qu’il s’ensuivrait des difficultés significatives si l’adoption n’y était pas
reconnue. La disposition de l’alinéa précédent vaut, par analogie, pour une demande en
révocation ou en annulation de l’adoption. »

Ce texte est très riche. Le for norvégien par hypothèse saisi n’est [p167] pas insignifiant au regard
du principe de proximité, puisqu’il est le for du domicile de l’adoptant, auquel l’enfant adopté
sera appelé le plus souvent à vivre. Aussi, n’est-il pas question de lui faire lâcher prise, comme
c’était le cas du tribunal allemand en matière de divorce.
Mais au regard du principe de proximité ce for n’est pas le seul concevable. Tout dépend des
circonstances. Ce peuvent être aussi le for de la nationalité de l’adoptant ou de l’adopté, celui
du domicile de l’adopté, ou tout autre for auquel adoptant ou adopté se rattachent
étroitement, ou plusieurs simultanément. La loi norvégienne se refuse à enfermer la recherche
de l’ordre de référence dans un cadre préétabli. Elle laisse au tribunal saisi le soin de la
déterminer au vu des circonstances.

Et la loi refuse également de lier par avance le tribunal. Elle lui donne simplement une
directive souple dont il est prié de faire le meilleur usage. Il ne s’agit pas pour le tribunal de
refuser systématiquement l’adoption si celle-ci n’est pas reconnue par l’ordre de référence,
mais d’apprécier si les inconvénients qui en résulteraient sont assez graves pour faire obstacle
au prononcé de l’adoption. Il est à noter que des décisions anglaise459, suisse460 et
canadienne461 étaient parvenues à des solutions voisines.

On mesure les progrès réalisés par rapport à la foreign court theory. Tout d’abord, l’ordre
juridique de référence est déterminé à partir des données concrètes de l’espèce, et non pas de
façon abstraite par la règle de conflit de lois du for. En second lieu, cet ordre de référence est
pris en considération même dans les cas où la règle de conflit de lois du for désigne la loi du
for. Enfin, l’ordre de référence ne dicte pas mécaniquement la solution. Il est pris en
considération par le for qui en tiendra le compte qu’il estimera utile.

172. La fonction correctrice du principe de proximité en matière de compétence


juridictionnelle peut donc s’exercer dans deux directions très différentes. La première,
pratiquée surtout dans les pays de common law, est celle du forum non conveniens, qui est au
fond la plus simple en ce qu’elle ne met enjeu que des considérations de bonne administration
de la justice. La seconde, pratiquée dans des hypothèses bien précises sur le continent, est
beaucoup [p168] plus complexe car elle fait intervenir le lourd arsenal du conflit de systèmes.
Elle ne donne en tout cas de bons résultats que si elle laisse une importante marge
d’appréciation au juge. La conclusion rejoint, sur ce point, celle qui avait été tirée de l’examen
de la même fonction du principe de proximité dans les conflits de lois.

CHAPITRE V - LE PRINCIPE DE PROXIMITÉ ET LA RECONNAISSANCE DES


DÉCISIONS ÉTRANGÈRES
[p169]

173. L’intérêt de ce dernier volet de la présente étude est de nous donner une image inversée
des deux séries de problèmes étudiés précédemment.

Dans l’hypothèse où l’autorité du for est appelée à prendre elle-même une décision, nous
avons constaté que le principe de proximité intervenait – même s’il n’est pas le seul à le faire –
pour déterminer à la fois la compétence de cette autorité et la loi à appliquer.
Dans l’hypothèse qui va maintenant nous occuper où l’autorité du for est appelée à
reconnaître une décision prise par une autorité étrangère, le principe de proximité
interviendra-t-il encore, mais cette fois dans le contrôle de la compétence de l’autorité
étrangère d’origine et de la loi que cette autorité aura appliquée? Telles sont les deux questions
que nous aurons à examiner dans ce dernier chapitre.

Mais avant cela, quelques précisions préliminaires sont nécessaires pour fixer le sens des
termes que nous employons.

174. Ce chapitre a pour objet la reconnaissance des décisions étrangères.

Reconnaître une décision, c’est beaucoup plus qu’admettre son existence comme un fait, c’est
admettre que cette décision produise sur le territoire de l’Etat de reconnaissance les effets qui
lui sont attachés par l’ordre juridique de l’autorité d’origine. S’agissant d’un jugement étranger,
c’est admettre que ce jugement produise dans l’Etat de reconnaissance l’effet majeur qu’est
l’autorité de chose jugée, qui permet de paralyser toute tentative de reprendre le procès, entre
les mêmes parties, sur le même objet et pour la même cause462.

175. Le terme de décision est pris ici dans le sens qu’a si bien précisé Pierre Mayer en l’opposant
au terme de règle463.

En bref, pour cet auteur, la règle est une norme hypothétique, qui définit une situation
déterminée (le présupposé de la règle) [p170] et qui prévoit que chaque fois que cette situation
se présentera à l’avenir elle sera réglée de la façon qu’elle indique. Une décision, au contraire,
est catégorique. Elle impose un effet juridique immédiat à des situations individuelles
existantes, identifiables. A la différence de ce qui se passe pour la règle, cet effet « n’est pas
suspendu à la réalisation future d’une hypothèse définie par la norme, il est imposé
immédiatement »464.

Ainsi, une loi qui fixe l’âge du mariage ou les conditions de validité du contrat appartient à la
catégorie des règles, tandis qu’un jugement annulant un mariage déterminé est évidemment
une décision. La catégorie des décisions est d’ailleurs plus large que celle des décisions de
justice. Elle comprend également des décisions gouvernementales ou même législatives,
comme des mesures de nationalisation465 ou de moratoire466. Et à la limite chaque fois
qu’une autorité, intervient dans la constitution d’une situation juridique donnée, comme par
exemple l’officier de l’état civil dans la célébration d’un mariage467, on peut être tenté, dans la
mesure au moins de cette intervention, de parler de décision, bien qu’il n’y ait pas à
proprement parler de chose décidée ou en tout cas d’autorité de chose décidée.

L’intérêt de cette distinction entre règles et décisions, aujourd’hui bien admise en France
sinon à l’étranger468, est de faire apparaître que dans l’ordre international les unes et les autres
relèvent de méthodes différentes. La méthode des conflits de lois est bien adaptée aux règles
proprement dites, dont la vocation est d’être appliquées, ce qui suppose que l’autorité saisie
fasse un choix entre celles qui s’offrent à elle. Cette méthode ne convient pas aux décisions. La
décision doit être prise par une autorité ayant compétence pour cela et, une fois prise, sa
vocation dans l’ordre international est d’être reconnue à l’étranger. La méthode des conflits de
juridictions a été forgée pour résoudre les problèmes internationaux posés par les décisions
juridictionnelles. Cette méthode doit s’élargir à une théorie plus générale des conflits de
décisions pour englober les problèmes internationaux posés par l’ensemble des décisions,
même non juridictionnelles469.

Enfin, par décision étrangère, on entend ici une décision prise par une autorité tirant ses
pouvoirs d’un ordre juridique autre que celui de l’Etat dans lequel la décision est invoquée.

Le problème central posé par la reconnaissance des décisions [p171] étrangères est précisément
celui de la vérification de la compétence de l’autorité d’origine. Le contrôle de la loi appliquée
y est parfois surajouté, bien que sa justification soit plus difficile à établir.

Section I - Le principe de proximité et la vérification de la compétence de


l’autorité d’origine
176. L’extension ou, comme on dit plus volontiers aujourd’hui, la dénotation du concept de
décision est telle qu’il ne serait pas raisonnable de prétendre dans ce cours examiner tous les
objets auxquels il s’applique.

Pour limiter le champ de cette étude, sans la cantonner aux seules décisions juridictionnelles,
une distinction pourrait être faite entre les décisions provoquées par des particuliers et celles
dont l’initiative est prise par les autorités étatiques. Ces dernières (nationalisations,
moratoires, mesures de contrôle des changes, etc.) sont, au sens plein du terme, des décisions
autoritaires. Elles se rattachent directement à la souveraineté de l’Etat dont dépend l’autorité
d’origine. Elles font difficulté dans l’ordre international quand l’Etat qui les a prises prétend
leur faire produire effet en dehors de son territoire. On comprend que les autres Etats sollicités
de reconnaître ces mesures se montrent très circonspects sur ce qui peut leur apparaître
comme des débordements de souveraineté et donc de compétence470

Nous nous occuperons seulement ici des décisions « non autoritaires », provoquées le plus
souvent par des particuliers471.

Du fait de la pluralité des ordres juridiques nationaux, les parties intéressées doivent d’abord
faire un choix pour déterminer, parmi les autorités qui leur offrent leur compétence, celle
qu’elles saisiront pour lui demander la décision attendue. Cette indétermination, au
commencement du processus, permet de suggérer que la vérification, dans un autre pays, de la
compétence de l’autorité d’origine se fasse selon des critères assez souples pour ne pas
remettre en question inopinément une décision qui a entendu fixer les droits et les intérêts
des parties et sur laquelle celles-ci ont pu désormais légitimement compter. L’exemple
classique de ces décisions non autoritaires est la décision juridictionnelle, mais ce n’est pas le
seul. L’autorité d’origine saisie par une personne privée peut aussi être une autorité
administrative, par exemple pour un changement de nom ou, dans la limite indiquée (n° 175),
[p172]
pour la [p172] célébration d’un mariage. Il convient d’examiner les divers fondements possibles
du contrôle de la compétence de l’autorité d’origine, avant d’étudier plus précisément les
modalités d’un contrôle fondé sur la notion de proximité.

Par. 1 - Les divers fondements du contrôle de la compétence


177. La recherche des fondements de ce contrôle amène inévitablement à se demander au
préalable si ce contrôle ne serait pas plutôt dépourvu de tout fondement et si l’autorité requise
ne devrait pas tout simplement renoncer à contrôler la compétence de l’autorité d’origine.

On sait que la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 écarte en principe472 le contrôle


de la compétence indirecte, mais la solution trouve une explication suffisante dans le
caractère « double » de la convention et dans la volonté des Etats parties de constituer un
espace judiciaire unique.

Le contrôle est également écarté par une convention, moins célèbre et qui n’a pas obtenu le
même succès, de la Commission internationale de l’état civil, n° 11, du 8 septembre 1967, sur la
reconnaissance des décisions relatives au lien conjugal, dont l’article 2 pose le principe suivant
: « La reconnaissance d’une décision étrangère ne pourra être refusée pour le seul motif que
l’autorité qui a statué n’était pas compétente d’après le droit international privé de l’Etat où
cette décision est invoquée, sauf si les deux époux sont ressortissants de cet Etat. »

Et, en doctrine, un courant favorable à une libéralisation du contrôle de la compétence s’est


développé, allant même chez certains jusqu’à prôner l’abandon dans son principe de ce
contrôle ou tout au moins sa limitation à ce qu’exigeraient les droits de la défense et la bonne
administration de la justice473.

178. Cet abandon de principe nous paraît sinon méconnaître du moins minimiser à l’extrême
le caractère étatique de la décision dont la reconnaissance est invoquée. Accepter de
reconnaître en principe toute décision étatique provoquée par des particuliers sans attacher
d’importance à l’Etat d’origine de cette décision, c’est poser en règle que ce sont les particuliers
qui sont les maîtres de la répartition des compétences étatiques et que les Etats, en tout cas
l’Etat de reconnaissance, doivent s’incliner devant cette répartition474. [p173] Le débat est
considérable et ses enjeux idéologiques et politiques sont évidents. Disons seulement qu’il
nous paraît inconcevable en l’état actuel de la société internationale qu’un Etat puisse
accepter de reconnaître une décision étrangère, c’est-à-dire une décision rendue par une
autorité tirant ses pouvoirs d’une souveraineté étrangère, sans vérifier si cette autorité avait au
moins un lien avec les parties, de nature à justifier sa compétence internationale.

Mais si la condition d’existence d’un tel lien ne paraît pas devoir être abandonnée, le vrai
problème est alors celui de la définition de ce lien. Et, inévitablement, nous allons retrouver ici
les principes concurrents rencontrés tout au long de ces chapitres, comme autant de
fondements possibles au contrôle de la compétence indirecte.
179. C’est d’abord le principe de souveraineté qui pourra dans certains cas fonder une
compétence exclusive des autorités de l’Etat requis et, par là même, faire obstacle à la
reconnaissance de toute décision prise par une autorité étrangère. On songe évidemment ici à
la compétence reposant sur la nationalité des parties475 ou à celle reposant sur la mise en
cause du fonctionnement d’un service public de l’Etat requis476 ou encore à la compétence
exclusive des tribunaux d’un Etat pour décider si une personne physique a ou n’a pas la
nationalité de cet Etat477.

Le principe de souveraineté peut également intervenir ici de façon moins unilatéraliste, pour
limiter la compétence de l’Etat d’origine non seulement par rapport à celle de l’Etat de
reconnaissance, mais également par rapport à celle des Etats tiers. C’est ainsi que la
convention n° 4 de la Commission internationale de l’état civil, relative aux changements de
noms et de prénoms, signée à Istanbul le 4 septembre 1958, comporte une clause limitant par
avance la souveraineté des Etats en la matière. Selon son article 2 : « Chaque Etat contractant
s’engage à ne pas accorder de changement de noms ou de prénoms aux ressortissants d’un
autre Etat contractant, sauf s’ils sont également ses propres ressortissants. »

Et, faisant écho à cette limitation volontairement consentie par les Etats contractants de leur
compétence directe, par souci de respect mutuel de leurs souverainetés respectives, l’article 3,
alinéa 1, de la même convention dispose : « Sont exécutoires de plein droit sur le territoire de
chacun des Etats contractants … les décisions définitives intervenues dans un de ces Etats et
accordant un changement de nom ou de prénoms, soit à ses ressortissants, soit, lorsqu’ils ont
leur domicile ou, à défaut de domicile, leur résidence sur son territoire, à des apatrides ou à
des réfugiés au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. 478 »

180. Le principe de protection de la partie faible pourra également intervenir en matière de


reconnaissance de décisions étrangères, pour rendre exclusive la compétence du tribunal le
plus proche de la partie à protéger, au moins s’il s’agit d’un tribunal de l’Etat de
reconnaissance, et s’opposer ainsi à la reconnaissance de toute décision rendue par un autre
tribunal479.

181. Le principe d’autonomie de la volonté, dont nous avons vu, en matière de compétence
directe, la manifestation la plus accomplie dans les clauses attributives de juridiction, devrait
entraîner deux solutions complémentaires en matière de compétence indirecte.

La plus évidente est la reconnaissance de la compétence indirecte du tribunal élu480, lorsqu’il


a été effectivement saisi et qu’il a rendu la décision soumise à reconnaissance. Cette
reconnaissance peut évidemment donner lieu à quelques difficultés si l’Etat de
reconnaissance utilise, pour apprécier la validité de la clause attribuant compétence à
l’autorité d’origine, des critères différents de ceux de l’Etat d’origine. Ces difficultés devraient
en tout cas disparaître lorsque les conditions de validité de la clause sont fixées par une
convention internationale.
A partir du moment où une convention internationale indique les autorités ayant une
compétence directe pour prendre une certaine décision, il est logique qu’elle impose aux Etats
contractants la reconnaissance, sinon de la décision prise par ces autorités, du moins de la
compétence indirecte de ces autorités. Et c’est sans doute parce que la Convention de La Haye
du 25 novembre 1965 sur les accords d’élection de for n’avait pas imposé cette reconnaissance
qu’elle est restée lettre morte481.

La seconde solution découlant en matière de compétence indirecte du principe d’autonomie


de la volonté devrait être le refus de connaissance de la compétence indirecte d’un for
d’origine autre que le for élu, même s’il présente des liens étroits avec la situation. Cette
solution est admise depuis longtemps par le droit anglais482 et a été reprise récemment par
l’article 32 du Civil Jurisdiction and Judgments Act 1982 483 sous la forme suivante : « [p175] 32. 1 )
Un jugement rendu par le tribunal d’un Etat étranger en quelque matière que ce soit ne sera ni
reconnu ni exécuté dans le Royaume-Uni si : a) la saisine de ce tribunal est contraire à un
accord des parties pour régler le litige en question autrement que par un recours aux
tribunaux dudit pays ; et si b) cette saisine n’a pas été faite avec l’accord de la personne contre
qui le jugement a été rendu ; et si c) cette personne n’a pas présenté de demande
reconventionnelle ou ne s’est pas soumise autrement à la juridiction de ce tribunal. 2) Le
paragraphe précédent ne s’applique pas si l’accord prévu à la lettre a) était illégal, nul ou
inexécutable, ou ne pouvait être mis en œuvre pour des raisons excluant toute faute de la
partie qui a saisi le tribunal ayant rendu le jugement. 484 »

182. Les principes énoncés ci-dessus, souveraineté, protection de la partie faible, autonomie de
la volonté, ne peuvent fournir une solution générale au problème de la compétence indirecte.
Là où ils ne sont pas en cause, le contrôle de la compétence indirecte ne peut se fonder que
sur le principe de proximité. Sera reconnue la compétence de l’autorité d’origine lorsque le for
de reconnaissance constatera l’existence d’un lien qu’il estimera suffisant entre cette autorité
et le litige. Toute la question est alors de savoir comment apprécier ce lien de proximité.

Par. 2 - Les modalités du contrôle de la proximité

183. Ici comme ailleurs, l’observation du droit comparé est riche d’enseignements. Elle permet
de constater que, selon les systèmes, le principe de proximité peut, pour la compétence
indirecte comme pour la compétence directe et comme pour les conflits de lois, se figer en
règles rigides ou insuffler aux règles de compétence indirecte toute la souplesse nécessaire aux
rapports internationaux.

A) - Le verrou de la bilatéralité

184. Les systèmes les plus rigides sont ceux qui transposent à la compétence indirecte des
autorités étrangères les règles qui fixent la compétence directe des autorités du for. Ce
système, dit de la [p176] bilatéralité485 ou encore Spiegelbildgrundsatz 486, trouve son
expression la plus achevée dans le droit de la République fédérale d’Allemagne487, dont
l’article 328 ZPO dispose : «La reconnaissance d’un jugement d’un tribunal étranger est exclue
: 1. Lorsque les tribunaux de l’Etat auquel appartient le tribunal étranger sont incompétents
selon les lois allemandes;… »

La compétence indirecte des juridictions étrangères est ainsi appréciée exactement selon les
mêmes critères que la compétence directe des juridictions du for488, même si cette dernière
repose sur des fors exorbitants, tels que le for du patrimoine de l’article 23 ZPO489.

La critique théorique décisive de ce système de la bilatéralité a été faite depuis longtemps en


France par Dominique Holleaux490, qui a montré que la solution du problème de la
compétence indirecte ne pouvait se déduire de la solution apportée à celui de la compétence
internationale directe, car ces deux problèmes sont d’ordre tout à fait différent. Alors que
l’objectif des règles de compétence directe est de déterminer les cas dans lesquels le juge du
for pourra connaître d’un litige et réaliser à cette occasion son ordre juridique, l’objectif du
contrôle de la compétence étrangère, comme d’ailleurs celui du procès de reconnaissance est
simplement : « de vérifier que la décision étrangère, quoique différente de celle qu’eût
déterminée le droit du pays de reconnaissance, est néanmoins tolérable quant à la
compétence du juge qui l’a rendue… 491 »

D’autres auteurs se sont joints à ces critiques, notamment Jürgen Basedow492 en Allemagne
fédérale, pour montrer que la rigidité du système de bilatéralisation conduisait à des refus
d’exequatur et à des solutions boiteuses préjudiciables à l’intérêt des justiciables.

185. Si on néglige ici le système très libéral, dit de l’unilatéralité simple493, qui consiste à s’en
remettre simplement aux règles de compétence directe de l’Etat de l’autorité d’origine et qui, à
la limite, réduit à rien le contrôle de la compétence indirecte, le système qui, dans son esprit,
s’oppose le plus fondamentalement au système rigide de la bilatéralité est le système souple
consistant à vérifier, cas par cas, si la situation qui a donné lieu à la décision [p177] étrangère se
rattachait par un lien suffisant à l’autorité qui l’a prise.

Cette solution, que la Chambre des lords avait illustrée en matière de divorce dans la célèbre
affaire Indyka v. Indyka jugée en 196 7494, vient d’être adoptée en France comme solution
générale par un arrêt de la Cour de cassation du 6 février 1985 qui a soulevé l’enthousiasme des
commentateurs495. Cassant un arrêt qui avait refusé l’exequatur à un jugement anglais de
divorce, au motif « qu’il est de principe que la compétence juridictionnelle internationale est
déterminée par l’extension des règles de compétence territoriale interne … et qu’il résultait de
l’article 1070 du nouveau Code de procédure civile qui régit la compétence en matière de
divorce que la juridiction anglaise était incompétente pour connaître de l’action, le défendeur
ayant sa résidence en France ,»

la Cour de cassation énonce le principe que « toutes les fois que la règle française de solution
des conflits de juridictions n’attribue pas de compétence exclusive aux tribunaux français, le
tribunal étranger doit être reconnu compétent, si le litige se rattache d’une manière caractérisée
au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux 496.»
497
Ainsi, tout en réservant les cas de compétence exclusive des tribunaux français497, catégorie
dont le contenu pourrait d’ailleurs se réduire498, la Cour de cassation fait directement appel
au principe de proximité, entendu très souplement499, pour déterminer les cas de compétence
indirecte des tribunaux étrangers.

De toute évidence, ce lien « caractérisé » peut être d’une nature différente de celui déterminé
par les règles de compétence directe des tribunaux de l’Etat de reconnaissance. Mais, cette
barrière enfin rompue, est-il possible de préciser davantage les virtualités d’intervention
ouvertes par cet arrêt au principe de proximité en matière de reconnaissance des décisions
étrangères? Cette question appelle deux séries d’observations, les unes tenant à la notion de
lien caractérisé, les autres aux rapports du principe de proximité et du système de renvoi à
l’ordre juridique compétent.

B) - La notion de lien caractérisé


[p178]

186. La suppression du verrou de la bilatéralité devrait, dans les pays où elle s’est produite,
permettre le développement de chefs spécifiques de compétence indirecte. La pratique
devrait établir, peu à peu, matière par matière, un catalogue de chefs de compétence indirecte
qui seront en tout cas considérés comme suffisamment caractérisés pour faire reconnaître la
compétence de l’autorité d’origine. Ce catalogue, non exhaustif, concrétisera progressivement
le principe de proximité et servira la prévisibilité des solutions500.

Ces chefs spécifiques de compétence indirecte seront forcément alternatifs. Le principe de


base exigeant seulement un lien caractérisé entre le litige et l’autorité d’origine, il faut prévoir
que plusieurs chefs de compétence pourront répondre simultanément à cette condition.

D’assez nombreuses conventions internationales actuellement en vigueur, soit


multilatérales501, soit bilatérales502, donnent des illustrations de ce que peuvent être ces chefs
spécifiques de compétence indirecte. Il en est de même de certaines codifications nationales
comme le projet suisse.

Ainsi, pour s’en tenir ici à l’exemple du divorce, la convention de La Haye du 1er juin 1970 sur la
reconnaissance des divorces et des séparations de corps énumère en son article 2 un certain
nombre de chefs de compétence indirecte dont la reconnaissance s’impose aux Etats
contractants (autorité de l’Etat de la résidence habituelle de l’époux défendeur, de l’Etat
national commun des époux, de l’Etat de la nationalité de l’un des époux ou de la résidence
habituelle de l’époux demandeur si certains autres rattachements existent avec cet Etat), mais
cette énumération n’est pas exhaustive, car l’article 17 réserve l’application de règles de droit
plus favorables à la reconnaissance des divorces et des séparations de corps acquis à l’étranger.

503
187. Il se peut aussi qu’une convention503 ou un texte commence par énumérer des chefs de
compétence directe. En ce cas, si une certaine logique impose que les rattachements jugés
suffisants pour la compétence directe soient également considérés comme assez « caractérisés
» pour faire reconnaître la compétence indirecte d’une autorité étrangère504, elle n’interdit
nullement au juge de l’Etat de reconnaissance d’admettre des chefs de compétence indirecte
autres que ceux prévus pour la compétence directe.
[p179]
L’article 63 du projet suisse, rapproché de l’article 57, en fournit la preuve en matière de
divorce. Alors que l’article 57, pour la compétence directe, ne retient que la compétence
alternative du tribunal suisse du domicile de l’époux défendeur, ou celle du tribunal suisse de
l’époux demandeur s’il réside en Suisse depuis au moins un an ou est suisse, l’article 63 retient
en principe, et sous certaines réserves prévues à l’alinéa 2505, pour la compétence indirecte,
indifféremment la compétence des tribunaux de l’Etat du domicile, de la résidence habituelle
ou de la nationalité de l’un ou l’autre des époux.

L’article 63 admet même la reconnaissance en Suisse d’un divorce prononcé dans un Etat qui
n’est celui du domicile ou de la nationalité d’aucun des deux époux, si ce divorce est reconnu
dans l’un de ces Etats. Cette disposition nous conduit à examiner les rapports entre le principe
de proximité et la méthode de référence à l’ordre juridique compétent.

C) - Principe de proximité et méthode de renvoi à l’ordre juridique compétent

188. La recherche d’un lien entre le for d’origine et la situation peut déboucher sur des
gradations dans les critères retenus de compétence indirecte. Certains chefs de compétence
indirecte sont plus « forts » que d’autres. Par exemple, en matière de divorce, la compétence
du tribunal du domicile conjugal est particulièrement forte, au regard du principe de
proximité, et doit être reconnue sans restriction. La compétence de l’Etat national de l’époux
demandeur est de ce point de vue beaucoup plus faible et c’est pourquoi l’article 63 du projet
suisse ne la reconnaît que si elle est renforcée par un élément de résidence de l’un des époux
ou de consentement de l’époux défendeur (voir note 503).

Mais la compétence de l’Etat dans lequel l’un des époux fait un séjour temporaire, par
exemple à l’occasion d’un déplacement professionnel ou du tournage d’un film, à supposer
qu’elle ait été jugée suffisante par le for d’origine506, est des plus fragiles et l’on comprend
qu’elle puisse ne pas être reconnue par un Etat requis.

L’article 63 du projet suisse nous montre cependant la possibilité d’une solution moins
radicale. Si la compétence du for d’origine est en elle-même très fragile et si elle ne figure pas
dans le catalogue des chefs de compétence indirecte établi par le droit du pays de [p180]
reconnaissance, elle peut cependant être reconnue dans ce pays s: elle l’est dans l’Etat ou l’un
des Etats dont les tribunaux sont considérés par l’Etat requis comme ayant la compétence la
plus forte. Par exemple, si la compétence de l’Etat de séjour temporaire de l’un des époux pour
prononcer le divorce est reconnue par l’Etat du domicile conjugal, pourquoi le juge d’un Etat
tiers refuserait-il de la reconnaître?
C’est ainsi que l’article 63 du projet suisse accepte de reconnaître en matière de divorce la
compétence du tribunal d’un Etat autre que celui du domicile, de la résidence habituelle ou de
la nationalité d’un époux, donc une compétence faible, mais elle la subordonne à la condition
que cette compétence faible507 soit reconnue par l’un de ces Etats, c’est-à-dire par un Etat à
compétence forte. Le projet suisse utilise cette méthode sur une assez grande échelle. A côté
de l’article 63 pour le divorce, il faut également citer l’article 37 pour le nom, l’article 56 pour
les régimes matrimoniaux, l’article 94 pour les successions508.

Avant le projet suisse, le droit anglais antérieur au Recognition of Divorce and Legal Separation
Act 1971 avait déjà largement utilisé la même méthode. Avant cette loi, en effet, un divorce
étranger était reconnu en Angleterre s’il avait été prononcé dans le pays du domicile commun
des époux au début du procès509 ou s’il était reconnu par les tribunaux de l’Etat du
domicile510.

189. Cette gradation dans les chefs de compétence indirecte aboutit donc à la désignation d’un
for étranger de référence auquel la situation est considérée par l’Etat requis comme se
rattachant le plus étroitement. Et l’appréciation de la compétence indirecte des autres fors
étrangers est en quelque sorte déléguée par le droit de l’Etat requis au droit de ce for de
référence. Ce type de solution, systématisé dans toutes ses nuances par Paolo Picone511 sous le
nom de renvoi ou de référence à l’ordre juridique compétent, fait pendant à celui dont nous
avons relevé après lui l’existence en matière de compétence directe, dans les cas où la
compétence directe des autorités du for est subordonnée à la reconnaissance de cette
compétence par l’Etat étranger pris comme Etat de référence en raison des liens étroits que le
rapport de droit entretient avec lui512.

Il faut toutefois prendre conscience du fait que le recours à cette méthode de référence à
l’ordre juridique compétent, pour résoudre le problème de la compétence indirecte, peut
conduire à des [p181] solutions plus restrictives que celles qui découlent de l’application limpide
et non sophistiquée du principe de proximité.

190. La méthode de renvoi à l’ordre juridique compétent utilise le critère de proximité mais ne
repose pas sur lui. Elle l’utilise pour déterminer quel est ou quels sont l’ordre ou les ordres
juridiques compétents. Mais elle repose sur le souci d’éviter des solutions boiteuses. Par
conséquent, s’il en suit la logique jusqu’au bout, un Etat qui a recours à cette méthode ne peut
en principe reconnaître sur son territoire que les décisions de pays tiers reconnues par l’ordre
juridique qu’il a pris pour référence513. Tandis que l’Etat qui fonde directement la solution du
problème de la compétence indirecte sur le principe de proximité reconnaîtra la compétence
des autorités d’un pays tiers s’il constate un lien suffisamment caractérisé entre la situation et
ce pays tiers. Il pourra estimer cette condition satisfaite si la décision est reconnue dans l’Etat
qui est à ses yeux le plus proche et donc le plus intéressé à la situation (et qui joue alors le rôle
de l’ordre juridique de référence), mais rien ne l’empêchera de reconnaître également, au
risque de provoquer des situations boiteuses, des décisions non reconnues par l’Etat de
référence s’il estime qu’elles ont été rendues par les autorités d’un Etat ayant avec la situation
un lien suffisamment étroit.

191. La jurisprudence anglaise relative à la reconnaissance des divorces étrangers a fait


l’expérience de cette contradiction entre les deux méthodes. Comme nous l’avons vu un peu
plus haut, elle a eu recours dès 1906 à la méthode du renvoi à l’ordre juridique compétent, en
décidant de reconnaître, les divorces prononcés dans l’Etat du domicile des époux (qui était
alors nécessairement le domicile du mari) ou reconnus dans cet Etat.

Corrélativement, les tribunaux anglais ne se reconnaissaient compétence pour prononcer le


divorce que si les époux, c’est-à-dire le mari, étaient domiciliés en Angleterre. Et la logique de
la méthode de renvoi à l’ordre juridique compétent aurait voulu que les tribunaux anglais ne
puissent accepter une extension de leur compétence directe que si cette compétence étendue
était reconnue dans l’Etat du domicile du mari514. Mais, pour des raisons bien
compréhensibles, des lois adoptées en 1937515 et en 1949516 ont élargi la compétence directe
des tribunaux anglais pour permettre à une femme abandonnée par son mari (loi de 1937), ou
ayant simplement sa résidence habituelle en Angleterre depuis trois ans (loi de 1949), de
demander le divorce en Angleterre. A partir de l’entrée en vigueur de ces [p182] textes, des
divorces prononcés en Angleterre pouvaient ne pas être reconnus dans l’Etat du domicile du
mari. Il devenait dès lors difficile de refuser de reconnaître des divorces prononcés dans un
Etat tiers, sur des bases de compétence identiques à celles du droit anglais, pour le seul motif
que ces divorces n’étaient pas reconnus dans l’Etat du domicile du mari. C’est ainsi que le
célèbre arrêt Travers v. Holley de la Court of Appeal admit en 1953517 la reconnaissance en
Angleterre de divorces étrangers prononcés dans de telles conditions, et le non moins célèbre
arrêt Indyka v. Indyka de la Chambre des lords de 1967518 a reconnu un divorce étranger dès
lors qu’il existait une real and substantial connection entre les parties et l’autorité d’origine519.

Ainsi constatons-nous que le principe de proximité, de même qu’il a permis en France, dans
l’arrêt Simitch du 6 février 1985520, de briser la rigidité du système de la bilatéralité des règles
de compétence, avait déjà été utilisé en Angleterre pour briser la rigidité du système de
référence à l’ordre juridique compétent.

192. Ce n’est pas à dire toutefois que ce dernier système soit en lui-même condamnable. Il reste
vrai, au moins comme fait d’observation, que les chefs de compétence indirecte, comme ceux
de compétence directe, n’ont pas tous la même intensité. Cette gradation peut-elle avoir
également des conséquences à propos de la vérification de la loi appliquée par l’autorité
d’origine de la décision?

Section II - Le principe de proximité et la vérification de la loi appliquée par


l’autorité d’origine
193. Quelques Etats, aujourd’hui encore, subordonnent la reconnaissance des décisions
étrangères à l’application par l’autorité étrangère de la loi qui eut été applicable en vertu des
règles de conflit de lois de l’Etat de reconnaissance, ou à l’application d’une loi équivalente.
C’est le cas, entre autres, de la France521 et du Luxembourg522. Dans d’autres Etats, ce contrôle
de la loi appliquée n’existe pas du tout523 ou n’existait que partiellement, par exemple en
Allemagne fédérale lorsqu’il avait été dérogé par le juge étranger, au détriment d’une partie
allemande, à certaines règles de conflit de lois allemandes en matière de droit de la famille524.
De nombreux traités Internationaux conclus par la France maintiennent l’existence de ce
contrôle de la loi appliquée525, qui subsiste également dans la Convention de Bruxelles du 27
septembre 1968 pour les matières [p183] relatives à l’état des personnes lato sensu, exclues du
domaine de la convention par l’article 1, mais qui peuvent avoir été tranchées à titre incident
par le juge d’origine à l’occasion d’une question principale entrant dans le champ d’application
de la convention526.

Quel jugement porter sur le principe même d’un contrôle de la loi appliquée par la décision
étrangère au regard notamment du principe de proximité? Une distinction doit être faite entre
les jugements proprement dits et les situations créées par ou avec l’intervention le plus
souvent obligatoire d’une autorité publique, comme les mariages.

Par. 1 - Les jugements étrangers


194. La justification traditionnelle du contrôle de la loi appliquée par le juge étranger est la
suivante. L’Etat requis n’impose pas au tribunal d’origine l’application de ses règles de conflit
de lois, mais il est en droit de refuser effet sur son territoire aux décisions prises par le tribunal
d’origine en vertu d’une loi que les règles de conflit de l’Etat requis déclarent inapplicable à la
situation considérée. En bref, l’Etat requis est fondé à refuser de laisser jouer sur son territoire
le droit international privé étranger527.

Que l’Etat requis ait le pouvoir d’imposer cette condition, c’est une évidence puisqu’il est le
maître chez lui. C’est une autre question de savoir si cette condition peut être rationnellement
justifiée.

195. A) Le contrôle de la loi appliquée par le juge nous paraît fondé lorsqu’il y va d’une
question de souveraineté. Si la souveraineté de l’Etat de reconnaissance est intéressée à
l’application de sa propre loi au litige jugé à l’étranger, il faut que ses tribunaux puissent
refuser de reconnaître le jugement étranger qui n’aurait pas appliqué cette loi. Ce peut être le
cas, s’il s’agit d’un litige entrant dans le champ d’application d’une loi de police du for528, ou
intéressant le statut personnel (supposé régi par la loi nationale) de nationaux du for. Et à la
limite, si la soumission, par l’Etat requis, du statut personnel à la loi nationale repose sur le
principe de souveraineté529, il est cohérent pour cet Etat de ne pas reconnaître un jugement
étranger qui aurait appliqué à un étranger une loi autre que la loi nationale de ce dernier, dans
la mesure au moins où l’Etat national de la personne considérée ne reconnaîtrait pas ce
jugement530. On peut ainsi s’expliquer que de nombreux traités conclus pair la France aient
[p184] 531
maintenu ce contrôle de la loi appliquée [p184] au moins pour l’état des personnes531, matière
faisant l’objet d’une règle de conflit souvent encore considérée comme fondée sur le principe
de souveraineté. Ainsi pouvait aussi s’expliquer la règle de l’article 328, paragraphe 4, ZPO qui
jouait seulement au profit de la partie allemande. On peut certes discuter le fondement de
souveraineté assigné à la règle de conflit, au moins en cas de divergence de la nationalité au
sein de la famille532. Mais, si tel en est bien le fondement, il est compréhensible que l’Etat
intéressé en impose le respect sur son territoire. D’ailleurs, comme nous l’avons vu533, ce
fondement de souveraineté peut remonter de la loi applicable à la compétence judiciaire, en
limitant la reconnaissance des décisions étrangères intéressant l’état des personnes aux
décisions prises par un Etat étranger et concernant ses propres ressortissants, comme dans la
Convention CIEC d’Istanbul du 4 septembre 1958 relative aux changements de noms et de
prénoms534.

196. B) Mais lorsque la souveraineté de l’Etat requis n’est pas en jeu et que la règle de conflit de
lois repose simplement sur le principe de proximité ou d’autonomie de la volonté, le contrôle
de la loi appliquée par le juge étranger est beaucoup plus difficile à justifier.

Essayons d’analyser ce contrôle de la loi appliquée avant d’en examiner l’application aux
diverses hypothèses concevables.

a) Au seuil de l’analyse, il ne faut pas oublier que, par hypothèse, le juge de l’Etat de
reconnaissance a déjà contrôlé la compétence de l’autorité d’origine. Si le juge d’origine est
reconnu compétent par l’Etat requis, c’est que ce dernier considère que le juge d’origine était
bien placé pour juger le litige, donc qu’il pouvait le juger d’après ses propres règles535. En
décider autrement serait considérer le juge étranger comme une sorte de juge délégué par
l’Etat de reconnaissance – qui, lui, peut n’avoir aucun lien avec la situation à l’origine du litige
– pour appliquer les règles de conflit de lois de ce dernier. Ce serait donc en réalité refuser à ce
juge d’origine l’attribut essentiel de la compétence qu’on prétendrait lui avoir reconnue, c’est-
à-dire le pouvoir de juger du litige en application des règles qui l’ont institué. Le principe
même d’un contrôle de la loi appliquée par le juge étranger paraît donc devoir être analysé
comme une amputation de la compétence reconnue à ce juge536.

b) Peut-on concevoir que l’Etat requis puisse ne reconnaître au for d’origine qu’une
compétence ainsi limitée?
[p185]
197. Cela paraît absurde si la compétence du for d’origine est elle-même fondée sur le
principe de souveraineté et reconnue comme telle, normalement avec un caractère exclusif,
par exemple en matière de propriété immobilière ou de voies d’exécution, ou lorsque est en
jeu le fonctionnement d’un service public de l’Etat d’origine537, ou encore en matière de statut
personnel intéressant des nationaux de l’Etat d’origine. Si c’est la souveraineté de cet Etat qui
est respectée dans la reconnaissance de la compétence de ses tribunaux, le respect de cette
souveraineté implique nécessairement aussi la reconnaissance de principe de la compétence
de la loi que lesdits tribunaux auront appliquée.

538
Le vieil arrêt Prince de Wrède rendu par la Cour de cassation française en 1900538 en fournit
une bonne illustration. Les époux Dobrzanski, catholiques autrichiens, s’étaient mariés
régulièrement à Vienne en 1881. En 1889, ils émigrèrent en Russie, acquirent la nationalité
russe, et un jugement du tribunal ecclésiastique de Saint-Pétersbourg de 1891 déclara que,
faute d’une régularisation, dans un délai de deux mois, de leur mariage par un prêtre de
l’Eglise orthodoxe russe, ce mariage serait réputé nul. La régularisation n’ayant pas eu lieu,
chacun des époux reprit sa liberté et Mme Dobrzanski épousa à Paris en 1892 le prince de
Wrède. Leur bonheur ne dura guère plus qu’un été et, dès 1894, de Wrède obtint du tribunal de
Munich un jugement annulant son mariage avec Mme Dobrzanski pour la raison que le
premier mariage de celle-ci, régulièrement contracté en Autriche entre Autrichiens selon la loi
autrichienne évidemment applicable, n’avait pu être valablement annulé par un tribunal
russe. De Wrède chercha ensuite à faire reconnaître ce jugement de Munich par les tribunaux
français, ce qui présupposait que le jugement, antérieur, de Saint-Pétersbourg ne pouvait pas y
être reconnu.

Il est certain que le tribunal de Saint-Pétersbourg, tribunal de l’Etat du nouveau domicile et de


la nouvelle nationalité des époux Dobrzanski, était compétent au regard du droit français.
Mais il est tout aussi certain qu’au regard de ce même droit la loi applicable à la validité du
mariage célébré à Vienne entre époux alors autrichiens était la loi autrichienne, et non la loi
russe appliquée par le tribunal de Saint-Pétersbourg. Il n’en est que plus remarquable que la
Cour de cassation, après la cour d’appel, ait reconnu l’autorité en France du jugement de Saint-
Pétersbourg, et refusé de reconnaître celle du jugement de Munich, en relevant simplement

« que le mariage des époux Dobrzanski a été annulé par les hautes autorités ecclésiastiques
russes, statuant en toute compétence entre deux justiciables devenus sujets russes ,»

sans se soucier de vérifier la loi appliquée par le tribunal russe539.

198. Lorsque la compétence du juge d’origine repose sur la volonté commune des parties, dans
les matières où les parties peuvent disposer de leurs droits, le contrôle de la loi appliquée par
le juge élu par les parties n’a pas davantage de justification. Les parties ont délibérément choisi
un juge, et le plus souvent à titre exclusif, ce qu’elles étaient en droit de faire. En le faisant elles
ont déjà disposé de leurs droits et se sont remises – sous réserve des voies de recours – à la
décision que prendrait ce juge. Elles ont donc consenti implicitement à l’application de la loi
que ce juge retiendrait. Il est tout à fait possible que le juge de l’Etat de reconnaissance, s’il
avait été saisi le premier du litige, lui aurait appliqué une loi autre que celle appliquée par le
juge d’origine. Mais c’est par hypothèse ce dernier qui avait été choisi par les parties, et non le
juge de l’Etat requis. On ne voit donc pas sur quelle base pourrait reposer en ce cas un contrôle
de la loi appliquée.

199. Reste le cas où la compétence indirecte du juge d’origine est reconnue en vertu du
principe de proximité, parce qu’il existait un lien caractérisé entre ce juge et le litige. Certes,
cette compétence n’avait rien d’exclusif, un autre tribunal que le tribunal d’origine aurait pu
valablement être saisi et il aurait peut-être appliqué une loi différente de celle retenue par le
juge d’origine. On pourrait dans cette hypothèse imaginer qu’un contrôle de la loi appliquée
vienne renforcer une compétence indirecte jugée par l’Etat requis fragile, incertaine et de ce
fait limitée. Le contrôle de proximité interviendrait en quelque sorte à répétition, une
première fois pour la compétence judiciaire, une seconde fois pour la loi appliquée.

Ce contrôle, à vrai dire, pourrait prendre des formes différentes, dont aucune ne paraît
justifiée.

Une première forme concevable a été examinée dans la section précédente, à propos de
l’article 63 du projet suisse. C’est le système du renvoi à l’ordre juridique compétent. En un
mot, si la compétence juridictionnelle du tribunal d’origine est faible, on pourrait
subordonner la reconnaissance de sa décision à l’application de la loi qu’aurait appliquée le
tribunal de l’Etat ayant une compétence prépondérante. Mais des objections se présentent
immédiatement.
[p187]
Tout d’abord, il semble bien qu’une telle utilisation de la méthode, limitée au contrôle de
la loi appliquée, introduirait un morcellement contraire à son esprit qui est de se référer à
l’ordre juridique compétent dans son ensemble. Ensuite, et surtout, le recours à la méthode de
référence à l’ordre juridique compétent se justifie, comme nous l’avons vu, dans le cas où le
lien avec l’autorité d’origine est si ténu que normalement l’Etat requis devrait refuser la
reconnaissance. En ces cas, la reconnaissance de la décision par l’ordre juridique de référence
permet de la sauver aussi dans l’Etat requis, bien qu’elle ait été rendue par une autorité a priori
incompétente à ses yeux. Or, ici, il s’agirait plutôt de faire de cette reconnaissance par l’ordre
juridique de référence une condition de la reconnaissance de la décision dans l’Etat requis,
même quand le contrôle de la compétence de l’autorité d’origine se serait révélé positif. On ne
voit pas pourquoi l’Etat requis se plierait alors aux règles restrictives de l’Etat de référence.

Une seconde forme de contrôle de la loi appliquée serait de subordonner plus simplement la
reconnaissance au respect de la loi désignée par la règle de conflit de l’Etat de reconnaissance.
C’est la solution du droit positif français, qui revient, comme on l’a vu, à une amputation de la
compétence reconnue à l’Etat d’origine. Plus grave encore, ce contrôle présuppose que la
compétence juridictionnelle fondée sur la proximité (la seule envisagée ici) est une
compétence faible qui a besoin d’être renforcée par le contrôle de la loi appliquée, alors que
tout le chapitre précédent a montré que la proximité était l’une des composantes essentielles
de toute compétence juridictionnelle, à défaut de laquelle le tribunal saisi devrait être habilité
à se déclarer incompétent.

Une dernière forme concevable de contrôle de la loi appliquée serait une sorte de contrôle
minimum de proximité. Suivant pour le contrôle de la loi appliquée une voie parallèle à celle
suivie pour le contrôle de la compétence judiciaire, on pourrait se contenter de vérifier
l’existence d’un lien suffisant entre la loi appliquée par le juge d’origine et le rapport de droit
litigieux, sans exiger du juge étranger qu’il ait appliqué la loi désignée par la règle de conflit de
l’Etat requis ou une loi équivalente. Même ainsi limité, ce contrôle minimum de proximité
n’aurait pas grande signification. Il se peut que, dans le type de situation qui lui a été soumise,
le juge étranger n’applique pas une règle de conflit fondée sur le principe de proximité mais,
par exemple, sa propre loi en tant que lex fori, comme [p188] par exemple, dans les pays de
common law, en matière de divorce et d’adoption540.

Refuser la reconnaissance de telles décisions rendues par une autorité pourtant reconnue
compétente par l’Etat requis, au motif que la lex fori appliquée par cette autorité en vertu de
son propre droit serait sans rapport de proximité avec le fond du litige, serait une pure
méconnaissance des structures du droit de l’autorité d’origine dont le seul tort est de traiter en
termes de conflits d’autorités un problème que le for requis traite en termes de conflits de
lois541.

200. Il apparaît donc que, sauf dans les cas où l’Etat requis a un intérêt de souveraineté à
l’application au litige de sa propre loi, le contrôle de la loi appliquée par le juge étranger est
une entrave injustifiée à la libre circulation des jugements.

La suppression du contrôle de la loi appliquée par le juge étranger fait cependant naître une
question, qui est parfois formulée à la manière d’une objection. N’établit-on pas alors une
différence entre les situations créées par jugement et celles qui sont créées spontanément par
les sujets de droit, en dehors de l’intervention de toute autorité?542 Les dernières, en effet, ne
sont généralement reconnues à l’étranger que si elles ont été créées conformément à la loi
applicable en vertu de la règle de conflit de lois de ce pays, alors que cette condition ne serait
plus requise des premières. Certes, mais c’est oublier que l’intervention d’une autorité
publique fait toute la différence entre les premières situations et les secondes. Pour les
premières, le contrôle de la compétence de l’autorité conditionne la reconnaissance. Pour les
secondes, ce premier contrôle étant par hypothèse exclu, celui de la loi applicable devient
indispensable.

Cependant, la différence entre les deux types de situations est parfois délicate dans les
hypothèses où l’autorité publique intervient dans la création de la situation juridique, mais où
celle-ci trouve sa source essentielle dans la volonté des parties. Le mariage est un exemple
typique de ces situations mixtes où se conjuguent volonté privée et intervention de l’autorité
publique.

Par. 2 - La reconnaissance des mariages célébrés à l’étranger

201. Nous nous plaçons ici dans l’hypothèse la plus courante aujourd’hui en droit comparé, où
le mariage suppose pour sa validité une célébration ou au moins un enregistrement par une
autorité [p189] publique, que celle-ci soit un fonctionnaire de l’Etat, un élu du peuple ou un
ministre du culte, prêtre ou rabbin, par exemple. Le mariage apparaît alors comme un acte
mixte, en ce sens qu’il est à la fois un acte de volonté des époux et un acte solennel supposant
l’intervention de l’autorité publique.
Cette nature mixte devrait affecter le régime de la reconnaissance des mariages célébrés à
l’étranger. Pourtant ce problème est rarement présenté pour lui-même. Il est
traditionnellement abordé dans le chapitre des conflits de lois relatif à la formation du
mariage, et résolu le plus souvent par un appel direct aux règles de conflit de lois, loi
personnelle pour les conditions de fond, règle locus regit actum pour les conditions de
forme543.

Aujourd’hui, il semble que la doctrine considère plus volontiers que l’intervention d’une
autorité publique dans la célébration des mariages déplace le problème de la reconnaissance
des mariages célébrés à l’étranger et le fait passer au moins partiellement du terrain des
conflits de lois à celui des conflits d’autorités, dans lequel le contrôle de l’autorité requise porte
d’abord sur la compétence internationale de l’autorité qui a procédé à la célébration544. Mais
jusqu’où doit aller ce déplacement? A partir du moment où l’on raisonne en termes de conflits
d’autorités, ne risque-t-on pas, par analogie ou contagion avec les solutions qui tendent à
prévaloir dans les conflits de juridictions proprement dits, à se débarrasser de tout contrôle de
la loi appliquée au mariage qu’il s’agit de reconnaître? Reprenons ces deux points.

A) - Vérification de la compétence de l’autorité qui a célébré le mariage

202. La reconnaissance d’un mariage célébré à l’étranger présuppose la vérification de la


compétence de l’autorité qui a procédé à la célébration. Cette façon de poser le problème
paraît plus juste que celle qui consiste à le régler en faisant appel uniquement à la règle de
conflit traditionnelle soumettant la forme d’un acte à la loi du lieu de célébration (locus regit
actum). Certes, bien que la forme de la célébration soit normalement celle prévue par la loi de
l’autorité qui y procède (auctor regit actum)545, la distinction demeure entre le problème de la
loi applicable à la forme du mariage et celui de la détermination de l’autorité compétente546.
Un Etat peut très bien imposer l’application de sa loi ou en tout cas une forme [p190]
déterminée, religieuse547 ou laïque548, à la forme du mariage de ses nationaux, quel que soit le
lieu dé la célébration. Mais il reste qu’avant de déterminer la loi applicable il faut vérifier si
l’autorité qui a célébré le mariage avait le pouvoir de le faire sur le territoire où elle est
intervenue. Et c’est ici qu’il faut bien prendre garde à ne pas confondre, malgré l’apparente
analogie, la vérification de la compétence du juge étranger par le juge de l’exequatur et celle de
la compétence de l’autorité de célébration par l’autorité du pays où le mariage est invoqué.

203. Ce que le juge de l’exequatur vérifie, c’est la compétence internationale du juge étranger.
Peu lui importe en général la compétence interne. Le juge étranger était très
vraisemblablement compétent d’après son propre droit ou, s’il ne l’était pas, il l’est devenu du
fait du passage en force de chose jugée de son jugement. Ce qui compte pour le juge de
l’exequatur, c’est de vérifier si cette compétence était internationalement justifiée par
l’existence d’un lien suffisant avec le litige.
Au contraire, ce que vérifie l’autorité du pays où le mariage est invoqué, c’est avant tout la
compétence interne de l’autorité qui a célébré le mariage. Rien ne prouve a priori que cette
autorité avait, là où elle est intervenue, le pouvoir de célébrer le mariage et c’est ce point précis
qu’il faut vérifier. Il appartient à chaque Etat de régler souverainement l’exercice sur son
territoire de toute autorité et notamment de l’autorité de célébrer des mariages. Un Etat est
parfaitement fondé à interdire à toute autorité étrangère, ou religieuse, l’accomplissement sur
son territoire et sans son autorisation d’actes tels que la célébration des mariages. Les Etats
tiers doivent respecter cette revendication de compétence territoriale de l’Etat du lieu de
célébration et ils doivent refuser de reconnaître un mariage célébré sur le territoire de cet Etat
par une autorité n’ayant pas compétence à ses yeux. Il n’en serait autrement que si ce refus de
compétence constituait par lui-même une violation du droit international549 ou si une
croyance légitime des époux en la validité de leur mariage avait pu couvrir le vice originaire de
sa célébration550. Inversement, si l’Etat du lieu de célébration est très libéral et admet qu’une
célébration puisse être faite sur son territoire par une autorité religieuse ou même étrangère,
les Etats tiers, sauf s’ils revendiquent pour eux-mêmes la compétence de célébration, ne
peuvent que reconnaître la compétence d’une telle autorité551.

L’autorité de l’Etat dans lequel le mariage est invoqué se borne [p191] généralement à contrôler
la compétence de l’autorité qui a célébré le mariage au regard de la loi de l’Etat du lieu de
célébration. On pourrait certes imaginer qu’elle contrôle aussi la compétence internationale
de cette autorité et qu’elle refuse, par exemple, de reconnaître des mariages célébrés dans des
pays avec lesquels les futurs époux n’avaient pas le moindre lien. On pourrait alors faire un
rapprochement sérieux entre le contrôle de la compétence de l’autorité de célébration. Mais
on ne rencontre guère d’exemples d’un tel contrôle de la compétence internationale en
matière de mariage. La raison en est précisément, indépendamment du favor matrimonii, que
la plupart des Etats affirment soumettre, comme on l’a déjà remarqué, la forme des mariages à
la loi de l’Etat du lieu de célébration, ce qui, en termes de compétence des autorités, revient à
conférer les yeux fermés une compétence internationale inconditionnelle aux autorités de cet
Etat, aussi dépourvu qu’il soit de tout contact passé ou présent avec l’un ou l’autre des
époux552.

La compétence internationale ainsi reconnue aux autorités du pays de célébration prive-t-elle


de fondement le contrôle de la loi applicable aux conditions de fond du mariage célébré à
l’étranger?

B) - Vérification de la loi applicable aux conditions de fond d’un mariage


célébré à l’étranger
204. A partir du moment où l’on raisonne, pour la reconnaissance des mariages, en termes de
reconnaissance de décisions et où la compétence de célébrer le mariage a été reconnue,
comme on l’a indiqué, aux autorités de l’Etat de célébration ou reconnues par cet Etat, on est
tenté de pousser l’analogie avec lés jugements étrangers jusqu’à son terme et de renoncer – au
moins dans la mesure où l’on y renonce pour les jugements étrangers – au contrôle de la loi
appliquée aux conditions de fond.

C’est bien dans cette voie que s’est engagée la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la
célébration et la reconnaissance de la validité des mariages553.

Cette convention, dont le noyau est constitué par le chapitre II sur la reconnaissance de la
validité du mariage, lequel s’applique même si le mariage a été célébré dans un Etat non
contractant, prévoit comme règle de principe la reconnaissance dans tout Etat contractant de
tout mariage « valablement conclu selon le droit de l’Etat de la célébration » (art. 9, al. I)554.
[p192]
Une telle règle peut paraître anodine. Ne prévoit-elle pas un contrôle du mariage, par
l’Etat de reconnaissance, au regard de la loi de l’Etat de célébration? Si l’on regarde les choses
de plus près, on constate qu’en réalité la convention supprime par cette disposition tout
contrôle de la loi applicable aux conditions de fond du mariage. Il suffit en effet que le mariage
ait pu avoir été célébré quelque part – puisque aucun contrôle de proximité n’est exercé sur le
lieu de célébration – selon le droit que l’Etat de célébration juge bon d’appliquer555, ou même
que la validité de ce mariage, quel que soit le droit qui lui a été appliqué, soit reconnue par
l’Etat – encore une fois un Etat quelconque – du lieu de célébration pour que ce mariage soit
reconnu dans tous les Etats contractants. En somme, les autorités du lieu de célébration,
puisqu’elles sont investies par la convention d’une compétence internationale pour célébrer le
mariage, y procèdent en toute souveraineté et les Etats tiers dans lesquels le mariage est
invoqué n’ont pas à vérifier la loi appliquée par celles-ci. Le raisonnement est le même que
pour la reconnaissance des jugements étrangers556, mais à cette énorme différence près que la
compétence internationale du tribunal étranger a subi un contrôle de proximité, alors que
celle de l’autorité de l’Etat de célébration n’en a subi aucun.

Pour rattraper en quelque sorte cette différence, la convention prévoit cependant quelques
motifs qui pourront justifier un refus de reconnaissance du mariage (art. 11). Mais la méthode
employée est là encore celle des conflits de décisions. Les cas énumérés par l’article 11
(mariage antérieur non dissous, empêchement de parenté, défaut de consentement, etc.)
constituent ce que l’on appelait autrefois des clauses spéciales de l’ordre public557. L’Etat dans
lequel le mariage est invoqué peut opposer sur les points de droit matériel énumérés à l’article
11 son ordre public à la reconnaissance du mariage.

205. Mon intention n’est pas de faire le procès de cette convention, mais de montrer comment
celle-ci fait apparaître en creux l’utilité du contrôle de proximité à un stade ou à un autre du
processus de reconnaissance des décisions étrangères. Alors que, pour les jugements
étrangers, le contrôle de la loi appliquée vient redoubler inutilement, là où il est pratiqué, le
contrôle de la compétence du juge étranger, pour les mariages célébrés à l’étranger, l’absence
de tout contrôle de proximité, tant de l’autorité de célébration que de la loi appliquée, crée un
vide juridique que le législateur international [p193] doit combler par une extension – peut-être
inopportune – du recours à l’ordre public international. Peut-être les choses seraient-elles plus
claires si l’on prenait en compte la double nature du mariage, pour partie œuvre d’une autorité
publique et passible de ce fait d’un contrôle de la compétence de cette autorité, pour partie
œuvre de deux volontés privées et soumis à ce titre à un contrôle de la loi appliquée.

Ce dernier contrôle permettrait de maintenir un lien entre la reconnaissance des mariages


célébrés par une autorité et celle des mariages informels (comme les mariages de common
law), exclue du domaine de la Convention de La Haye (art. 8, al. 5) précisément parce qu’elle
ne peut relever que de la méthode des conflits de lois. La même observation vaudrait aussi
pour la reconnaissance des divorces purement privés558.

CONCLUSIONS
[p194]

206. Je me suis efforcé tout au long de ce cours de montrer que les rattachements dont se
nourrit le droit international privé ne se ramenaient pas à un fondement unique et que ce
serait même une sorte de péché contre l’esprit, en tout cas un grave signe d’intolérance, que de
vouloir ramener à l’unité le fondement de ces règles. Le droit international privé s’est fait, se
fait et se fera sans doute encore, de couches successives qui, toutes, ont ou auront leur part de
vérité dans le domaine qui est le leur. Mais cette constatation quelque peu irénique peut nous
conduire à deux conclusions orientées davantage vers l’action.

La première est que le fondement des règles de conflit de lois et de juridictions est souvent
incertain et variable. Nous avons rencontré d’assez nombreux cas où l’on passait facilement,
parfois même sans en avoir conscience, de la souveraineté à la proximité, ou de la better law à
l’autonomie de la volonté. C’est la preuve qu’un travail de réflexion est indispensable dans
chaque droit pour identifier le fondement actuel des règles qu’il comporte et pour adapter le
régime de ces règles à ce fondement. C’est peut-être ce qui subsiste aujourd’hui du rêve
universaliste que de prendre acte d’une pluralité de modèles entre lesquels chaque Etat
souverain fait son choix, et de constater dans le même temps que ces modèles peuvent
entretenir les uns avec les autres des relations multiples dont les combinaisons obéissent à des
règles qu’une analyse rationnelle peut permettre de dégager.

La seconde conclusion concerne le principe de proximité lui-même. Il ne faut surtout pas en


faire le support d’une idéologie qui remplacerait les autres. Mais il faut apprendre à ne plus le
craindre. Il faut chasser à son sujet la peur, « la peur qui rampe autour des fondations ». Le
principe de proximité n’est certes pas plus proche de la vérité que ne l’est par exemple le
principe de souveraineté. Mais, tout simplement, il est plus proche de la vie et c’est son titre de
noblesse. Il porte avec lui une leçon de modestie en nous apprenant qu’aucune volonté
politique, aucun juge, quelle que soit la pureté de ses intentions, ne peut prétendre longtemps
régenter selon ses lois des rapports de vie qui sont hors de sa portée.

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Notes

1. collaboration à cet ouvrage d’Henri Batiffol depuis sa cinquième édition

2. de l’Epargne

3. Le plus récent est celui de B. Audit, « Le caractère fonctionnel de la règle de conflit (Sur la «
crise » des conflits de lois) », Recueil des cours, tome 186 (1984-III), p. 219-398. Auparavant, voir
G. Kegel, « The Crisis of Conflict of Laws », ibid., tome 112 ( 1964-II), pp. 91-268. D. Evrigenis, «
Tendances doctrinales actuelles en droit international privé », ibid., tome 118 (1966-II), pp. 313-
433, sans compter les nombreux cours généraux qui abordent d’une manière ou d’une autre
ces doctrines américaines.

4. Cf. F. K. Juenger, « Trends in European Conflicts Law », Cornell Law Review, 1975, p. 969; «
American and European Conflicts Law », American Journal of Comparative Law, 1 982, p. 117 ; O.
Lando, « New American Choice of Law Principles and the European Conflict of Laws of
Contracts », ibid., 1982, p. 19 ; Current Trends of Conflict of Laws in Central Eastern Europe,
Trieste, 1984.

5. Où l’on a depuis longtemps souligné les liens entre la compétence judiciaire et la


compétence législative, sans bien entendu nier la distinction. Voir H. Batiffol, « Observations
sur les liens de la compétence judiciaire et de la compétence législative », De conflictu legum.
Mélanges Kollewijn et Offerhaus, Leyde, 1962, pp. 55 ss., reproduit dans Choix d’articles, Paris,
1976, pp. 303 ss. ; P. Hébraud, « De la corrélation entre la loi applicable à un litige et le juge
compétent pour en connaître », Rev. crit., 1968, p. 205 ; Danièle Mayer, Rapports de la
compétence judiciaire et de la compétence législative dans le droit international privé de la
famille, thèse, Paris II, multig., 1973; cette conception large inspire le cours général de E. Vitta,
Recueil des cours, tome 162(1979-1), p. 188, et plus encore les travaux de J. D. González Campos,
« Les liens entre la compétence judiciaire et la compétence législative en droit international
privé », Recueil des cours, tome 156 (1977-III), et de P. Picone, « La méthode de référence à
l’ordre juridique compétent », Recueil des cours, à paraître.

6. En dehors du projet suisse, le plus caractéristique parce qu’il imbrique dans chaque chapitre
ou section ces trois séries de règles, il faut citer les lois turque du 20 mai 1982 et yougoslave du
15 juillet 1982.

7. C’est particulièrement le cas de l’Allemagne fédérale, avec la publication, sous les auspices
du Max-Planck Institut de Hambourg, du remarquable Handbuch des Internationalen
Zivilverfahrensrechts, commencé en 1982.

8.
Sur le champ d’application des règles matérielles de droit international, la bibliographie est
abondante. Voir notamment Malintoppi, « Les rapports entre droit uniforme et droit
international privé », Recueil des cours, tome 116 (1965-III), pp. 1-87; H. Bauer, « Les traités et les
règles de droit international privé matériel », Rev. crit., 1966, p. 537; P. Lagarde, « Le champ
d’application dans l’espace des règles uniformes de droit privé matériel », Etudes de droit
contemporain. Travaux et recherches de l’Institut de droit comparé de Paris, t. XXXIII, 1970, pp.
149 ss.; F. Rigaux et M. Verwilghen, même intitulé, dans Huitième Congrès international de droit
comparé, Pescara, 1970, pp. 217 ss.; M. Simon-Depitre, « Les règles matérielles dans le conflit de
lois », Rev. crit., 1974, p. 591 ; E. Du Pontavice, « Conventions internationales et droit interne »,
Annuaire de droit maritime et aérien, t. V, 1980, pp. 17 ss.

Quant aux auteurs américains, ils n’ont jamais contesté que les « intérêts gouvernementaux »
se révélaient par les liens de la situation avec la loi considérée.

9. Selon la terminologie rendue familière aux spécialistes par les travaux de Wilhelm Wengler.

10. Même de la part des auteurs américains les plus « lexforistes », comme Currie ou
Ehrenzweig.

11. Voir Fœlix, Traité du droit international privé, 4e éd., par Demangeat, Paris, 1866, p. 22 ; cf. P.
Lagarde, « La réciprocité en droit international privé », Recueil des cours, tome 154 (1977-I), pp.
105 ss., 116 ss.

12. Dont il a été écrit qu’il devait beaucoup aux travaux de Wächter et de Story, en
comparaison desquels sa propre recherche serait « misérable » (paltry), voir F. K. Juenger, « A
Page of History », 35 Mercer Law Review (1984), pp. 419 ss., spéc. 451.

13. Voir notamment la controverse entre F. K. Juenger et G. Kegel, dans F. K. Juenger, « Zum
Wandel des IPR », 113 Schriften der Juristischen Studiengesellschaft, Karlsruhe, 1974 ; cf. Joerges,
Zum Funktionswandel des Kollisionsrechts, 1971.

14. Voir particulièrement les travaux de W. Wengler, et notamment « The General Principles of
Private International Law », Recueil des cours, tome 104 (1961-III), pp. 273-469, spéc. p. 364;
Internationales Privatrecht, Berlin, New York, 1981, 1, pp. 48 ss.

15. Sur ce concept, voir Kegel, IPR, 5e éd., Munich, 1985, pp. 71 ss. Cf. B. Hanotiau, Le droit
international privé américain, Paris, Bruxelles, 1979, p. 77, et les références.

16. Savigny, Traité de droit romain, t. VIII, traduction Guenoux, 2e éd., Paris, 1860; « Déterminer
pour chaque rapport de droit, le domaine du droit le plus conforme à la nature propre et
essentielle de ce rapport » (pp. 30-31, ibid., p. 109). Cf. Wengler, « The General Principles… »,
préc. (supra note 12), p. 354. Sur l’abstraction de la définition de la « nature » du rapport de
droit, voir infra note 39.

17. Savigny, op. cit., par. 362.


18. Ibid., par. 366.

19. Ibid., par. 369 s. Sur les autres obligations voir par. 372.

20. Ibid., par. 375.

21. Ibid., par. 379.

22. Ibid., par. 381.

23. « The General Principles of Private International Law », préc. (supra note 12), p. 355.

24. Voir infra, chapitre I, n° 12.

25. Ce système est évoqué et critiqué par G. van Hecke, « Principes et méthodes de solution
des conflits de lois », Recueil des cours, tome 126(1969-1), p. 534, citant les paragraphes 283 et
287 du Restatement Second.

26. Voir P. A. Carteaux, « Conflicts of Law and Successions: Comprehensive Interest Analysis as
a Viable Alternative to the Traditional Approach », 59 Tulane Law Review (1984), p. 389.

27. A. E. von Overbeck, « Les questions générales du droit international privé à la lumière des
codifications et projets récents », Recueil des cours, tome 176 (1982-III), pp. 13 ss., spéc. n° 158, p.
75.

28.

Dispositions préliminaires, art. 25 : « Les obligations qui naissent de contrats sont régies par la
loi nationale des contractants si elle leur est commune, autrement par celle du lieu où le
contrat a été conclu, sauf exception dans chaque cas de la volonté contraire des parties. »

Les deux rattachements subsidiaires à l’autonomie de la volonté (si l’on renverse l’ordre de
présentation) sont archaïques et l’on aurait pu penser que la jurisprudence italienne, pour s’en
affranchir, aurait interprété de façon extensive la notion de choix pour y intégrer celle de liens
les plus étroits. Il semble qu’il n’en ait rien été et que le texte législatif ait « verrouillé » la
jurisprudence, restée prisonnière de solutions que la doctrine dénonce comme inadaptées au
commerce international. Voir cour appel Rome, 5 juin 1961, Riv. dir. int., 1961, p. 681 : « La
circonstance que les parties à un contrat international ont cherché à adapter leur contrat à la
législation de l’Etat dans lequel il a été conclu et doit recevoir exécution ne signifie pas qu’elles
ont eu l’intention de soumettre leur contrat dans son ensemble à la loi de cet Etat, mais est
seulement un indice de leur prudence normale de bon père de famille »

(arrêt cité par T. Ballarino, Diritto internazionale privato, Padoue, 1982, p. 869, qui se réfère
aussi à des arrêts assez récents de la Cour de cassation d’Italie ayant refusé de voir un choix
implicite de loi dans une clause compromissoire avec arbitrage dans un pays déterminé ou
dans une référence à un texte législatif américain).

29.

En Espagne, l’article 10, paragraphe 5, du décret-loi du 31 mai 1974 retient à titre principal « la
loi à laquelle les parties se sont soumises expressément, pourvu que cette loi ait un rapport
quelconque avec le contrat dont il s’agit » et à titre subsidiaire, dans l’ordre, la loi nationale
commune aux parties, la loi de la résidence habituelle commune, la loi du lieu de conclusion.
Cf. Virgos Soriano, dans González Campos et Fernández Rozas, Derecho internacional privado.
Parte especial, vol. 2, 1984, pp. 324 ss. Au Maroc, les dispositions subsidiaires sont d’une rare
rigidité. Selon l’article 13 du dahir sur la condition civile des étrangers de 1913, « les conditions
de fond et les effets du contrat sont déterminés par la loi à laquelle les parties ont eu
l’intention expresse ou tacite de se référer. Si la détermination de la loi applicable, dans le
silence des parties, ne ressort ni de la nature de leur contrat, ni de leur condition relative, ni de
la situation des biens, le juge aura égard à la loi de leur domicile commun, à défaut de
domicile commun à leur loi nationale commune ; et si elles n’ont ni domicile dans le même
pays, ni nationalité commune, à la loi du lieu du contrat .»

Voir Baalouk, La loi applicable aux contrats en droit international privé marocain, thèse, Paris II,
1984, multigr. ; P. Decroux, Droit privé, t. 2, Droit international privé, Rabat, Paris, 1963, pp. 264
ss. Voir au contraire la formulation souple de l’article 25 du Code civil grec de 1940, rendant
applicable, à défaut de choix par les parties, « le droit approprié au contrat, d’après l’ensemble
des circonstances particulières ».

30. Sur l’évolution du droit international privé français des contrats, l’ouvrage irremplaçable
reste celui de H. Batiffol, Les conflits de lois en matière de contrats, Paris, 1938; adde, du même
auteur, Les contrats en droit international privé, McGill University, 1981.

31. Civ., 5 décembre 1910, American Trading Co. c. Quebec Steamship Co., S., 1911, 1, 129, note
Lyon-Caen, Clunet, 1912, p. 1156, Rev. crit., 1911, p. 395.

32. A partir notamment de l’ouvrage précité de H. Batiffol (supra note 28).

33. Civ., 31 mai 1932, S., 1933, 1, 17, note Niboyet, Rev. crit., 1934, p. 909, Clunet, 1933, p. 347.

34. Civ., 6 juillet 1959, Rev. crit., 1959, p. 708, note H. Batiffol.

35. Civ., 25 mars 1980, Mercator, Rev. crit., 1980, p. 576, note Batiffol.

36. Voir Dicey-Morris, The Conflict of Laws, 10e éd., t. II, p. 751.

37. D., 44, 7, 21. Voir Dicey-Morris, op. et loc. cit., p. 751.

38. Chatenay v. Brazilian Submarin Telegraph Co. (1891) 1 Q.B. 79.


39. Voir supra note 31.

40. Voir Dicey-Morris, p. 770.

41.

Le langage de Savigny est à ce sujet d’une rare abstraction : « L’obligation en soi, c’est-à-dire le
rapport de droit, étant une chose incorporelle, qui n’occupe pas de place dans l’espace, nous
devons chercher dans son développement naturel des apparences visibles auxquelles nous
rattachions la réalité invisible de l’obligation, afin de lui donner un corps (op. cit., par. 370, p.
204).»

Et, recherchant un peu plus loin ce « qui appartient à l’essence de l’obligation », il ajoute que
c’est son « accomplissement » : « Dès lors, il est de l’essence de l’obligation que le lieu de
l’accomplissement soit regardé comme siège de l’obligation, et que dans ce lieu se place la
juridiction spéciale de l’obligation en vertu de la soumission libre (ibid., p. 206).»

42. Op. cit., par. 360, p. 110:

« Le droit local applicable à chaque rapport de droit se trouve sous l’influence de la volonté
libre des personnes intéressées, qui se soumettent volontairement à l’empire d’un droit
déterminé, bien que cette influence ne soit pas illimitée. Cette soumission volontaire étend
aussi son efficacité à la juridiction compétente pour connaître des divers rapports de droit. »

43. Voir Reithmann, Internationales Vertragsrecht, 3e éd., Cologne, 1980, nos 33 et 34.

44. Voir par exemple BGH, 22 septembre 1971, Rev. crit., 1972, p. 621, note E. Mezger.

45. Sur l’évolution du droit international privé suisse des contrats voir, en dehors de l’ouvrage
fondamental de F. Vischer, Internationales Vertragsrecht, Berne, 1962, l’article toujours actuel
de J.-F. Aubert, « Les contrats internationaux dans la doctrine et la jurisprudence suisses », Rev.
crit., 1962, pp. 19 ss.

46. Trib. féd., 9 juin 1906, ATF, 32, II, 415, et les explications de J.-F. Aubert, loc. cit. (supra note
43), p. 22.

47. Rev. crit., 1953, p. 390, et la note G. Flattet.

48. Ibid., p. 392.

49. Ibid., pp. 394-395.

50. Cette oscillation entre la justice du résultat et la prévisibilité des solutions en matière de
contrats a servi de thème à l’étude de F. Vischer, « The Antagonism between Legal Security and
the Search for Justice in the Field of Contracts », Recueil des cours, tome 142 (1974-II), p. 1 ss.
re
51. Civ. 1re, 7 juin 1977, Vetrocemento Armato c. Beinex, Rev. crit., 1978, p. 119, note H. Batiffol.

52. [1954] p. 150, reproduit dans Morris-North, Cases and Materials of PIL, Londres, 1984, p. 439.
Cf. Cheshire-North, Private International Law, 10e éd., Londres, 1979, p. 211.

53. Cf. BGH, 14 février 1958, Rev. crit., 1958, p. 542, note E. Mezger.

54. Op. cit. (supra note 41), n°s 48 ss., p. 74.

55. Clause attributive de juridiction, clause d’arbitrage, comportement des parties pendant le
procès, lieu d’exécution, référence à un droit, langue, contrat type, conditions générales,
contrats liés, lieu de conclusion, assistance d’un notaire, nationalité des parties, monnaie,
pavillon, favor negotii.

56. Reithmann, op. cit. (supra note 41), p. 280, n° 315.

57. Il est devenu rituel de rendre hommage à ce propos à Adolf F. Schnitzer qui a, sinon
inventé, du moins largement contribué au succès de ce critère. Voir, de cet auteur, « Les
contrats internationaux en droit international privé suisse », Recueil des cours, tome 123 (1968-
1), pp. 541 ss.

58. Trib. féd., 11 mai 1966, ATF 92, II, 111, Clunet, 1970, p. 418. Voir encore Trib. féd., 1er octobre
1968, A TF, 94, II, 355, Clunet, 1976, p. 692, obs. P. Lalive et A. Bûcher.

59. Trib. féd., 5 mars 1974 et 25 février 1975, A TF, 100, II, 34 et 101, II, 83, Clunet, 1976, p. 705 et
714, obs. P. Lalive et A. Bucher.

60. Voir les Conventions de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents
de la circulation routière et du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des
produits.

61. Voir P. Hay et W. Müller-Freienfels, « Agency in the Conflict of Laws and the 1978 Hague
Convention », 27 American Journal of Comparative Law (1979), pp. 1 ss.; P. Lagarde, « La
Convention de La Haye sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation
», Rev. crit., 1978, pp. 31 ss.

62. Cette clause d’exception a fait l’objet de très vives discussions au cours de la négociation et
certaines limitations lui ont été apportées par les paragraphes 4 et 5 de l’article 8, en même
temps qu’une réserve était prévue sur ce point (art. 21, 1 b)). Sur cette nouvelle convention, et
spécialement sur la clause d’exception, voir les commentaires de Y. Loussouarn, Rev. crit., 1986,
pp. 271 ss., spéc. p. 289 ; D. Cohen et B. Ughetto. D., 1986, chr., pp. 149 ss., spéc. p. 154 ; P. Lagarde,
Journées de la Société de législation comparée 1985, pp. 325 ss., spéc. p. 335.

63. E. Gaillard et D. Trautman, « La Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi
applicable au trust et à sa reconnaissance », Rev. crit., 1986, pp. 1 ss., spéc. p. 19.
64. Sur ce thème, voir L. Collins, « Interaction between Contracts and Torts in the Conflict of
Laws », International and Comparative Law Quarterly, 1967, p. 103; Verena Trutmann, Das
internationale Privatrecht des Deliktsobligationen. Ein Beitrag zur Auseinandersetzung mit den
neueren amerikanischen Kollisionsrechtlichen Theorien, Bâle et Stuttgart, 1973, et le compte
rendu, par P. Lagarde, dans Revue internationale de droit comparé, 1975, p. 774.

65. La jurisprudence est constante, voir H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, t. II,
7e éd., 1983, nos 618 ss., spéc. 620 et les références des notes 5 et 6.

66. Civ., 5 mai 1953, Dulles, Rev. crit., 1953, p. 799, note H. Batiffol, Clunet, 1953, p. 658, note
Sialelli. Voir aussi les exemples donnés par M. L. Revillard, Droit international privé et pratique
notariale, 1983, nos 65 et 66.

67. Civ., 24 janvier 1984, Rev. crit., 1984, p. 631, note B. Ancel.

68. Dans l’affaire citée à la note précédente, les époux s’étaient mariés en 1912 et avaient vécu
en Italie de 1912 à 1916, date à laquelle ils avaient émigré en France. La femme était décédée
seulement en 1970 et, malgré le changement de localisation des intérêts du ménage survenu
plus de cinquante ans auparavant, la loi italienne a été considérée comme régissant toujours le
régime matrimonial, conformément à l’intention prêtée aux époux lors de leur mariage en
1912.

69. Sur cette permanence, voir G. A. L. Droz, « Les régimes matrimoniaux en droit
international privé comparé », Recueil des cours, tome 143 ( 1974-111), nos 68 ss.; H. Batiffol et P.
Lagarde, op. cit., t. II, n° 620, p. 364. La question de la permanence du rattachement ne doit pas
être confondue avec celle de l’applicabilité ou de la non-applicabilité à des époux ayant quitté
l’Etat dont la loi régissait le régime matrimonial (particulièrement les réfugiés) des
modifications rétroactives de la loi de cet Etat. Sur ce point, voir Batiffol et Lagarde, n° 619-1, p.
360 ; Droz, op. cit., n° 79.

70. L’analyse faite au texte impliquerait la possibilité pour les époux de changer
volontairement la loi applicable à leur régime matrimonial. La jurisprudence française ne
paraît pas le permettre encore, la permanence du rattachement étant considérée comme
impérative, même dans les relations mutuelles entre époux, sans qu’il soit aisé de justifier
rationnellement cette solution. Voir les critiques justifiées de Droz, op. cit. (supra note 67), n°
84.

71. Auquel l’article 4 in fine de la convention se réfère expressément :

« A défaut de résidence habituelle des époux sur le territoire du même Etat et à défaut de
nationalité commune, leur régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’Etat avec lequel,
compte tenu de toutes les circonstances, il présente les liens les plus étroits. »
La convention, déjà ratifiée par la France et le Luxembourg, n’était pas encore entrée en
vigueur au 1er décembre 1986.

72.

C’est en ce sens restreint que l’on peut encore employer aujourd’hui le terme de souveraineté
en droit international privé. Il ne s’agit pas ici – et la suite de ces développements le montrera
lorsque l’on abordera le problème du renvoi (nos 34 à 36) – de faire renaître la théorie
aujourd’hui dépassée selon laquelle le conflit de lois serait un conflit de souverainetés, en
sorte que la règle de conflit, même édictée par un législateur national, aurait de par son objet
un caractère répartiteur de souverainetés et serait d’une impérativité renforcée.

Sur la critique de cette théorie, voir Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de
systèmes en droit international privé, Paris, 1958, pp. 121 ss., et, spécialement sur l’emprunt fait
au droit des gens par le droit international privé du concept de souveraineté, et sur le
caractère « sommaire » et condamné à l’archaïsme de cet emprunt, les observations profondes
du même auteur, ibid., p. 122, note 3. Adde, sur la critique de la fonction répartitrice delà règle
de conflit bilatérale, Horatia Muir Watt, La fonction de la règle de conflit des lois, thèse, Paris II,
1985, multigr., nos 124 ss.

73. C’étaient les deux premiers de ses fameux trois principes.

74. C’était le troisième principe.

75. Cf. P. Lagarde, « La réciprocité en droit international privé », Recueil des cours, tome 154
(1977-I), pp. 114 ss.

76. Civ., 20 juillet 1909, Rev. crit., 1909, p. 900, concl, proc. gén. Baudouin, DP, 1911, 1, p. 85, note
Politis, Clunet, 1909, p. 1097.

77. Même référence à la Revue critique.

78. Voir par exemple Rouen, 18 janvier 1903, et Req. 15 février 1905, Rev. crit., 1905, p. 115, à
propos d’un abordage dans les eaux territoriales françaises:

« qu’il ne paraît pas douteux que la législation même civile sur les abordages concerne la
sûreté des personnes et des biens et qu’elle rentre, par suite, dans la catégorie des lois visées
par l’article 3 .»

79. Ph. Francescakis, « Quelques précisions sur les « lois d’application immédiate » et leurs
rapports avec les règles de conflit de lois », Rev. crit., 1966, pp. 1 ss., spéc. p. 13.

80. Voir les textes bien connus: Convention de Rome du 19 juin 1980, art. 7; Convention de La
Haye du 14juin 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation,
art. 16; Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa
reconnaissance, art. 16; nouvelle Convention de La Haye sur la vente, élaborée en octobre 1985,
art. 17 (concernant seulement les lois de police du for); projet suisse, version 1982, art. 18. Il est
impossible de citer ici l’abondante bibliographie concernant le mode d’intervention,
unilatéraliste ou bilatéraliste, des lois de police étrangères. Citons seulement, comme repères,
le travail de pionnier de W. Wengler (« Die Anknüpfung des zwingenden Schuldrechts im IPR
», Zeitschrift für vergleichende Rechtswissenschaft, 1941, p. 168), l’illustration de la thèse
unilatéraliste par P. Gothot (« Le renouveau de la thèse unilatéraliste en droit international
privé », Rev. crit., 1971, spéc. pp. 212 ss.) et la synthèse récente de P. Mayer (« Les lois de police
étrangères », Clunet, 1981, p. 277).

81. Voir par exemple l’article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, l’article 44 de la loi
autrichienne du 15 juin 1978, l’article 20, 19°, de la loi yougoslave du 15 juillet 1982, etc. On
pourrait faire des observations du même ordre à propos du rattachement des lois de
protection des consommateurs.

82. Voir sur ce point les développements de P. Mayer, op. cit. (supra note 78), n° 44, pour qui le
juge saisi, en appliquant la loi de police étrangère, ne s’incline pas devant la volonté
d’application de celle-ci, mais détermine lui-même « en tenant compte de la fonction que
remplit la loi étrangère dans le système auquel elle appartient, les cas dans lesquels elle doit
être appliquée ».

83. Voir Batiffol et Lagarde, op. cit., t. I, n° 250 et les références.

84. Orléans, 24 février 1904, préc. (supra note 75).

85. L’unilatéralisme de l’article 999 du Code civil a rarement été affirmé aussi crument que par
cet arrêt, cassé, rappelons-le, par la chambre civile le 20 juillet 1909. Selon l’arrêt d’appel:

« Attendu que si l’article 999 du Code civil admet que le Français peut tester à l’étranger en la
forme olographe telle qu’elle est déterminée par l’article 970 du Code civil, cette dérogation à
la règle susvisée a été admise en faveur de nos nationaux ; qu’elle ne saurait être appliquée par
voie d’analogie aux étrangers qui testent en France et faire admettre la validité d’un testament
olographe, qu’ils y auraient fait, conformément à la loi de leur pays; que l’article 999 ne
suppose nullement … que le testament olographe fait à l’étranger par un Français devrait
nécessairement s’imposer au tribunal étranger appelé à en connaître; qu’au contraire, ce
testament, tout en étant valable en France, aux termes de l’article 999, pourrait parfaitement
être déclaré nul et ne produire aucun effet dans le pays où il a été fait ; que l’article 999,
interprété juridiquement, ne permet pas d’invoquer une prétendue réciprocité, qui n’existe pas
; que des conventions internationales pourraient seules déroger au principe de la territorialité
en ce qui touche la forme extérieure des actes. »

86. Voir A. Ponsard, « L’œuvre de droit international privé du doyen Pierre Louis-Lucas »,
Clunet, 1984, p. 211, qui met bien en lumière l’attachement de Louis-Lucas aux idées de
souveraineté et de réciprocité.
87. Revue critique de droit international privé, 1947, p. 13.

88. Ibid., p. 25.

89. Voir sur la question et sur les exemples de droit positif, P. Lagarde, op. cit. (supra note 73),
pp. 153 ss.

90. Voir la critique de Vitta, « La clausole di reciprocità nelle norme di conflitto », Multitudo
legum Jus unum. Mélanges Wengler, 1973, II, p. 849, reprise par P. Lagarde, op. cit., p. 154.

91. Voir les Principes de Bartin, t. 1, par. 79 et 83.

92. Ibid., par. 79, p. 197.

93. Ibid., par. 83.

94. Ibid., par. 84, p. 214.

95. Ibid., par. 83, p. 213.

96. Ibid., par. 83, pp. 213-214.

97. L’idée d’exclure le renvoi en matière de forme des actes paraît bien remonter à P.
Lerebours-Pigeonnière (Clunet, 1924, pp. 877 ss., spéc. p. 886) qui, expliquant le renvoi par
l’application d’une règle de conflit subsidiaire du for, avait sans doute quelque difficulté à
trouver en la matière une règle subsidiaire acceptable. Voir sur ce point Bartin, Principes, I, par.
84, p. 217. Quoi qu’il en soit, l’exclusion du renvoi en matière de forme est toujours enseignée
aujourd’hui (voir Batiffol et Lagarde, n° 311 ; Loussouarn et Bourel, Droit international privé,
1980, n° 221 ; cf. P. Louis-Lucas, « Vue simplifiée du renvoi », Rev. crit., 1964, p. 1), mais elle est
justifiée par des considérations propres à la règle locus regit actum et à son fondement de droit
matériel de faveur à la validité de l’acte, ce qui conduit à admettre le renvoi in favorem (Maury
et Derruppé, Jurisclasseur de droit international, fasc. 532-B, n° 109; P. Mayer, Droit
international privé, 2e éd., 1983, n° 740), sauf à ne pas l’analyser comme un véritable renvoi (P.
Mayer, loc. cit.).

98. Voir par exemple l’article 13 EGBGB, sur lequel voir Schwimann dans Münchener
Kommentar, t. 7; Firsching dans Staudinger BGB, 12e éd., art. 11, nos 172 ss.

99. C’est la solution donnée en France par l’arrêt Zagha, Civ., 15 juin 1982, Rev. crit., 1983, p. 300,
note J. M. Bischoff, Clunet, 1983, p. 595, note Lehmann, D., 1983, Inf. 151, obs. B. Audit,
maintenant Aix-en-Provence, 21 janvier 1981, Rev. crit., 1982, p. 297, note G. Legier et J. Mestre.
Dans cette affaire, la Cour de cassation admet la validité d’un mariage entre Juifs syriens
célébré en Italie en 1924 devant un rabbin, à l’époque où la loi interne italienne exigeait la
forme civile du mariage, au motif que la loi italienne
« avait donné aux futurs époux … la possibilité de faire célébrer valablement leur mariage en
la forme religieuse prévue par leur statut personnel, le jeu de ce renvoi se justifiant en l’espèce,
dès lors qu’il conduisait à l’application de la loi mosaïque aux formes de laquelle les intéressés
avaient voulu se soumettre, et qu’il validait leur union .»

On reviendra sur cette affaire dans le chapitre V de ce cours (n° 203, note 549).

100. Ou de principes constitutionnels ; voir, en Allemagne fédérale, BVerfG, 30 novembre 1982,


IPRax, 1984, p. 88, et chronique Wengler, ibid., p. 68; cf. P. Lagarde, Rev. crit., 1985, p. 429.

101. Ce que paraît exclure l’arrêt Zagha précité (note 97). Cf. P. Mayer, n° 740.

102. C’est l’hypothèse de l’affaire Dame Favreau c. Léonard, Civ., 2 octobre 1984, Clunet, 1985, p.
495, note B. Audit, Rev. crit., 1986, p. 91, note M. N. Jobard-Bachellier. En l’espèce, la Cour de
cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir refusé la reconnaissance en France d’un divorce
prononcé aux îles Vierges, en 1952, en fraude de la loi de New York, au double motif que la loi
appliquée n’avait en vertu de la règle de conflit française aucun titre à régir la dissolution du
mariage (motif en soi contestable si la loi de New York admettait l’application de cette loi) et
que cette loi avait été déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême des Etats-Unis (motif
meilleur, en ce qu’il permettait de présumer la non-reconnaissance du divorce à New York,
encore que la question fût moins simple qu’il n’y paraissait. Voir la note Audit, de même que
sur les précédents rendus dans des affaires similaires.)

103. Voir infra, chapitre V, section II, n° 197.

104. La bibliographie est abondante sur le sujet. Voir récemment P. M. Patocchi, Règles de
rattachement localisatrices et règles de rattachement à caractère substantiel, Georg, Genève,
1985, et le compte rendu de Jacques Foyer, Rev. crit., 1986, p. 599; voir déjà Bûcher, « Sur les
règles de rattachement à caractère substantiel », Liber amicorum Adolf F. Schnitzer, Georg,
1979, pp. 37-55. Adde, en ce qui concerne le droit des contrats, F. Pocar, « La protection de la
partie faible en droit international privé », Recueil des cours, tome 188 (1984-V), pp. 343 ss.

105. Pour limiter les références aux conventions internationales, citons la Convention de La
Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions
testamentaires; l’article 9 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, auquel ressemble comme
un frère l’article 11 de la Convention de La Haye élaborée en octobre 1985 sur la loi applicable
aux contrats de vente internationale de marchandises.

106. Voir les articles 311-16 à 311-18 du Code civil français, ou la Convention de Rome du 10
septembre 1970 sur la légitimation par mariage (élaborée par la Commission internationale de
l’état civil).

107. Voir l’article 311-18 du Code civil français.


108. Voir les Conventions de La Haye du 24 octobre 1956 (art. 3) et du 2 octobre 1973 (art. 5 et
6).

109. Voir l’article 9 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux
accidents de la circulation routière. Sur les différences entre les règles de conflit en cascade en
matière d’action directe et en matière d’aliments, voir P. Lagarde, note sous Civ., 2 octobre 1984,
Rev. crit., 1986, pp. 59 ss., spéc. p. 63.

110. Voir les articles 5 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980. Voir, dans le même sens,
pour le contrat de travail, la jurisprudence française, Soc., 31 mars 1978, Rev. crit., 1978, p. 701,
note A. Lyon-Caen ; 25 janvier 1984, ibid., 1985, p. 327; comparer Soc., 6 novembre 1985, et
chambre mixte, 28 février 1986, Rev. crit., 1986, p. 501, note P. Lagarde.

111. En ce sens, à propos de l’article 5 delà Convention de Rome, P. Mayer, « Les lois de police
étrangères », Clunet, 1981, pp. 277 ss., spéc. pp. 295 et 319, note 122.

112. Précitée supra note 104.

113. Par exemple, dans l’affaire Neumeier v. Kuehner, jugée en 1972 par la Court of Appeals de
New York (31 N Y 2d 121), le juge Fuld a énoncé en substance la règle de préférence suivante :

« Quand l’acte dommageable s’est produit dans l’Etat du domicile du conducteur et que cet
Etat ne retient pas la responsabilité du conducteur pour cet acte, celui-ci ne doit pas être
déclaré responsable par application de la loi du domicile de la victime. Réciproquement,
quand le passager a subi un dommage dans l’Etat de son domicile et que la loi de cet Etat lui
donne droit à réparation, le conducteur qui s’est rendu dans cet Etat ne peut – en l’absence de
circonstances spéciales – s’abriter derrière la loi de l’Etat de son propre domicile pour
échapper à sa responsabilité. »

Voir aussi les analyses célèbres faites par Currie du cas Milliken v. Pratt, 125 Mass. 374 (1878), «
Notes on Methods and Objectives in the Conflict of Laws » et « Married Women’s Contracts »,
dans Selected Essays, 1963.

114. Voir en France Jacques Foyer, « Requiem pour le renvoi », Travaux du Comité français de
droit international privé, 1979-1980, pp. 104 ss., et, pp. 123 ss., la discussion très fournie qui a suivi
cette communication.

115. L’article 36 du Code civil portugais fournit un bon exemple de renvoi in favorem en matière
de forme des actes (de la lex loci actus à une autre loi validant l’acte). En France, l’arrêt Zagha
(précité supra note 97) paraît se rattacher à l’idée développée au texte d’un renvoi in favorem, à
ceci près qu’il a été rendu dans une hypothèse (le mariage) où la règle locus regit actum est
impérative (voir supra, par. 1). Sur l’ensemble, voir Patocchi, op. cit. (supra note 102), nos 572 ss.,
pour qui « l’acceptation du renvoi revient à l’amplification du rattachement alternatif » (n°
575, p. 286). Sur la position nuancée des auteurs allemands vis-à-vis du renvoi en matière de
forme des actes, voir Firsching, dans Staudinger BGB, 12e éd., art. 11, nos 38 ss., 57 ss.

116. Voir Dicey-Morris, The Conflict of Laws, 10e éd., 1980, p. 448.

117. Voir Dicey-Morris, op. cit., Rule 172, pp. 935 ss.

118. Voir, au profit du défendeur allemand, le paragraphe 12 EGBGB (devenu paragraphe 38),
sur lequel voir Kreuzer, dans Münchener Kommentar, Bd. 7, pp. 659 ss.

119. Article 28 de la loi yougoslave du 15 juillet 1982 (texte français dans Revue critique de droit
international privé, 1983, p. 353), retenant la plus favorable à la victime des lois du lieu du fait
dommageable ou du lieu où se sont produit les effets de ce fait.

120. Article 131 du projet suisse de 1982(responsabilité du fait des produits).

121. C’est le cas des Conventions de La Haye du 4 mai 1971 et du 2 octobre 1973. Voir auparavant
l’article 14, alinéa 2, du projet Benelux et l’article 10, alinéa 2 et 3, de l’avant-projet CEE de 1972
(Rev. crit., 1973, p. 209).

122. Voir l’acte final, Rev. crit., 1980, p. 909.

123. Art. 9.

124. Art. 11.

125. Art. 21, 1 c).

126. Boys v. Chaplin [1971] A.C. 356; voir aussi Rev. crit., 1970, p. 78, avec les notes de R. H.
Graveson et B. A. Wortley.

127. Voir Dicey-Morris, Rule 1 72 (2), p. 936.

128. Actes et documents de la session extraordinaire de 1985 (à paraître), procès-verbal 6, n° 45,


diffusé en cours de session.

129. Par 30 voix contre 6 et 8 abstentions. Voir le même procès-verbal, n° 60.

130. J. M. Jacquet, Principe d’autonomie et contrats internationaux, Paris, 1983, nos 273 ss., citant
notamment (n° 317) l’arrêt Chevalley ci-dessus analysé du Tribunal fédéral suisse dont un
motif énonce que « la loi élue l’emporte comme droit unique sur la loi que désigne le critère
du lien territorial le plus étroit ».

131. Le lecteur aura reconnu l’analyse de H. Batiffol, formulée initialement dans ses Conflits de
lois en matière de contrats, Paris, 1938, n° 45.
132. En ce sens, voir Kahn-Freund, « General Problems of Private International Law », Recueil
des cours, tome 143 (1974-III), pp. 341 ss. ; Giuliano, « La loi applicable aux contrats: Problèmes
choisis », Recueil des cours, tome 158 (1977-V), p. 212.

133. Cette thèse a été exposée par P. Gothot, d’abord dans une note à la Revue critique de droit
international privé, 1976, p. 670, puis dans une communication au Comité français de droit
international privé, sous le titre : « La méthode unilatéraliste face au droit international privé
des contrats », Travaux du Comité français de droit international privé, 1975-1977, p. 201, Rivista
di diritto internazionale privato e processuale, 1979, pp. 5 ss. Elle a également inspiré fortement
la thèse précitée de J. M. Jacquet, nos 322 ss.

134. Cf. H. Batiffol, « Unilatéralisme et contrats en droit international privé », Liber amicorum
Adolf F. Schnitzer, Genève, 1979, pp. 7 ss.

135. Convention élaborée lors de la XVe session, en octobre 1984. Voir le texte dans la Revue
critique de droit international privé, 1984, p. 770, et sur la convention l’article de E. Gaillard et D.
Trautman, ibid., 1986, pp. 1 ss.

136. La même convention permet à un Etat de ne pas reconnaître un trust dont les éléments
significatifs, objectifs, sont rattachés plus étroitement à des Etats qui ne connaissent pas
l’institution du trust (art. 13). L’idée est proche de celle qui inspire l’article 6, alinéa 2, même si
elle se combine avec la notion de localisation. Si le trust n’est pas reconnu, ce n’est pas
seulement parce que la loi choisie est sans lien géographique avec les éléments du trust (idée
de localisation), c’est aussi parce que les lois ayant un contact avec le trust ignorent cette
institution (cf. art. 6, al. 2).

137. Voir respectivement les articles 31, paragraphes 1 et 19, alinéa 1 a).

138. Dans le sens que le statut personnel est fondé en droit français sur le principe de
souveraineté, voir P. Mayer, Droit international privé, 2e éd., 1983, n° 494.

139. Voir, notamment Ph. Francescakis, « Les avatars du concept de domicile dans le droit
international privé actuel », Travaux du Comité français de droit international privé, 1962-1964,
pp. 291 ss., spéc. p. 302: le domicile « exprimait un lien entre un individu et un territoire pour
indiquer la soumission de l’individu à la loi de ce territoire, essentiellement quant au statut
personnel ». Voir déjà Savigny, t. 8, trad. Guenoux, 1860, par. 351 ss., distinguant l’origo (droit de
cité dans la commune) et le domicilium (résidence dans le territoire de la ville) et affirmant: «
le domicilium comme l’origo établissaient un lien de dépendance entre les individus et une
commune urbaine » (p. 62). Adde en Angleterre l’opinion dissidente du juge Brett dans l’arrêt
Niboyet v. Niboyet, [1878] 4 PD 1, C.A., citée par Ph. Francescakis, Rev. crit., 1969, p.615:

« De par l’indépendance universelle des nations, chacune d’entre elles lie par ses lois
personnelles ses sujets naturels et ceux qui deviennent ses sujets. De par le consentement
universel des nations, toute personne qui choisit de se domicilier dans un pays est liée par les
lois de ce pays aussi longtemps qu’elle y est domiciliée comme si elle en était le sujet naturel.
»

140. Cf. P. Graulich, Introduction à l’étude du droit international privé, Liège, 1978, n° 26.

141. Ce qui explique que dans la fameuse affaire Forgo, le défunt, non admis à domicile en
France, ait été considéré comme n’ayant pas acquis un domicile en France, bien qu’il eût vécu
en ce pays environ soixante ans: Civ., 5 mai 1815, DP, 1875, 1, p. 343, Clunet, 1875, p. 357.

142. Voir Graulich, op. cit. (supra note 138), n° 24 et les références ; Kegel, IPR, 5e éd., 1985, p.
263. C’est évidemment une autre question, de savoir si le rattachement à la nationalité ne doit
pas être abandonné quand il ne correspond plus à aucune réalité concrète.

143. Niboyet, Traité de droit international privé français, t.I, 1938, nos 515 et 571 ; t. III, 1944, n°
969; voir aussi, du même auteur: « Le domicile dans le projet de réforme du code civil »,
Travaux du Comité français de droit international privé, 1948-1952, pp. 65 ss., spec. p. 81.

144. Traité, préc, 1.1, n° 515. Le passage est en italiques dans le texte.

145. E. Rabel, The Conflict of Laws, vol. I, 2e éd., 1958, pp. 156 ss., cité par H. Batiffol, Actes et
documents de la neuvième session de la Conférence de La Haye, t. III, p. 164, note 2

146. W. Niederer, Einführung in die allgemeinen Lehren des IPR, 2e éd., 1956, pp. 168 ss., cité par
H. Batiffol, loc. cit. (supra note 143). Cette solution n’est pas reprise par Keller-Siehr, Allgemeine
Lehren des IPR, Zurich, 1986, pp. 300, 318. Sur la question, voir aussi, critiquant la thèse de
Niboyet, G. Levasseur, Le domicile et sa détermination en droit international privé, thèse, Paris,
1931, et l’aimable réponse de Niboyet, Traité, t. I, n° 515, p. 562, note 2; B. Schneider, Le domicile
international, Neuchâtel, 1973, pp. 97 ss.

147. Il est vrai que l’article 102 définit le domicile de « tout Français ». Mais ce texte, qui date de
1804, doit être lu en corrélation avec l’article 13 qui concernait le domicile des étrangers.
L’abrogation de l’article 13 par la loi du 10 août 1927 a eu pour effet d’étendre aux étrangers la
définition de l’article 102. Voir, pour les successions mobilières, le célèbre arrêt Labedan, Civ.,
19 juin 1939, DP, 1939, 1, p. 97, note Lerebours-Pigeonnière, S., 1940, l, p. 49, note Niboyet.

148. Cf. Niboyet, dans sa communication précitée (note 141) au Comité français de droit
international privé, p. 82 : les conflits de domicile « découlent de la notion, je n’oserai pas
employer un mot que tout le monde n’accepte plus, de la notion de souveraineté, mais de la
notion de l’indépendance des Etats ».

149. Selon l’article 1 de cette convention: « Possède son domicile sur le territoire de l’une des
hautes parties contractantes la personne qui a sa résidence habituelle sur ce territoire ». (Voir
le texte de cette convention, JO, 22 février 1969, Rev. crit., 1969, p. 329.)

150. Voir supra, chapitre I, section II, paragraphe 2.


151. H. Batiffol, rapport explicatif, Actes et documents de la neuvième session, vol. 3, Forme des
testaments, pp. 1 59 ss., spéc. p. 164, par. X.

152. Sur cet article 52 et ses difficultés d’application, voir G. Droz, Compétence judiciaire et effets
des jugements dans le Marché commun, 1972, nos 353 ss. ; P. Gothot et D. Holleaux, La
Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, 1985, nos 42 ss., qui évoquent tous à ce propos la
doctrine de Niboyet et la comparaison avec les règles suivies en matière de nationalité.
Comparer Geimer-Schütze, Internationale Urteilsanerkennung, Bd. 1, 1. Halbbd, Munich, 1983,
p. 361, qui justifie l’article 52 par le souci d’éviter les conflits de compétence.

153. Civ., 4 janvier 1984, Buchmann, Rev. crit., 1986, p. 123, note P. Courbe. A l’inverse, l’article 52
peut aussi créer des conflits, positifs ou négatifs, de compétence (voir Basedow, dans
Handbuch des Internationalen Zivilverfahrensrechts, 1982, Bd. I, ch. II, n° 29.

154. Cheshire et North, Private International Law, 10e éd., 1979, pp. 46-47:

« It seems obvious on principle that an English Court must assign to the conception, say of
domicil, that meaning which it bears in English Law. »

155. Sonnenberger, dans Münchener Kommentar, IPR, Einleitung, RdNr-440 ; Kegel, IPR, 5e éd.,
1985, p. 276.

156. Voir projet suisse, article 19, par. 1. Adde Keller-Siehr, op. cit. (supra note 144), p. 318.

157. Voir art. 19, par. II in fine, du projet suisse.

158. Voir Batiffol-Lagarde, Droit international privé, t. II, 7e éd., 1983, n° 636, texte et note 12, et
les références.

159. Si l’application de la loi de l’Etat dans les eaux territoriales duquel l’abordage s’est produit
est généralement acceptée (voir les références dans Batiffol-Lagarde, op. cit., n° 560) et peut
être fondée sur la souveraineté de cet Etat, la détermination de la loi applicable à l’abordage
survenu en haute mer donne lieu à plus d’hésitation. Le rattachement à la loi du tribunal saisi,
retenu en France (Corn., 9 mars 1966, Rev. crit., 1966, p. 636, note M. Simon-Depitre et C.
Legendre, D., 1966, p. 577, note Jambu-Merlin, JCP, 1969, II, 14994, note de Juglart et du
Pontavice) et en Angleterre (voir Cheshire-North, op. cit., pp. 290 ss.) y est diversement
interprété. On peut y voir une sorte de retour plus ou moins conscient à la théorie statutiste
considérant comme une exception l’application d’une loi étrangère, ou une simple application
de la règle Phillips v. Eyre dont seule la seconde branche (lex fori) peut continuer à fonctionner.
En Allemagne, la doctrine paraît s’orienter vers des solutions plus nuancées faisant sa place au
principe de proximité (recherche d’un rattachement commun ou exprimant les liens les plus
étroits de la situation avec un ordre juridique déterminé; voir Kreuzer, dans Münchener
Kommentar, Art. 12, RdNr. 162 s.).

160. Voir le texte français, JO, 6 octobre 1960, Rev. crit., 1960, p. 640.
161. Article 12, par. 1 : « Le statut personnel de tout apatride sera régi par la loi du pays de son
domicile, ou, à défaut de domicile, par la loi du pays de sa résidence. » Ce texte reproduit
exactement celui de l’article 12, paragraphe 1, de la Convention de Genève du 28 juillet 1951
relative au statut des réfugiés.

162. Traduction française empruntée au recueil publié par l’Institut Asser, Les législations de
droit international privé, Oslo, 1971. Le contenu de l’ancien article 29 EG, reproduit au texte, a
été transféré par la loi du 25 juillet 1986 dans le nouvel article 5, paragraphe 2, EG.

163. Traduction française de Mme Nihal Uluocak, Rev. crit., 1983, p. 141.

164. La Convention de New York définit l’apatride comme « une personne qu’aucun Etat ne
considère comme son ressortissant par application de sa législation »(art. l. par. 1). Les
législations nationales adoptent parfois une compréhension plus large. Voir par exemple le
projet suisse de 1982 dont l’article 22 répute une personne apatride non seulement lorsqu’elle
est reconnue telle par la Convention de New York, mais encore « lorsque les relations de cette
personne avec son Etat national sont rompues d’une façon telle que sa situation équivaut en
fait à celle d’un apatride ». La définition peut alors recouper celle du réfugié. Voir infra note
175.

165. Et parfois aussi pour ses obligations militaires. Voir par exemple l’article L3 du Code
français du service national assujettissant au service national « les étrangers sans nationalité
et ceux qui bénéficient du droit d’asile ».

166. Le terme « substitution » apparaît dans l’article 22, paragraphe 3, du projet suisse : «
Lorsque la présente loi s’applique aux apatrides et aux réfugiés, le rattachement au droit du
domicile est substitué au rattachement au droit national ».

167. Voir spécialement Sonnenberger, dans Münchener Kommentar, Art. 29, RdNr. 6.

168. Voir Kegel, IPR, 5e éd., p. 267.

169. Voir Sonnenberger, loc. cit., RdNr. 17; Kegel, 5e éd., p. 267.

170. BGH, 12 décembre 1984, IPRax, 1985, p. 292, et la chronique de von Bar, « Exklusivnormen
und Ausländer unter deutschen Personalstatut », ibid., p. 272.

171. La lettre du texte ne prévoyait l’application de la loi allemande que si la femme seule était
allemande. Le nouvel article 17, paragraphe 1, issu de la loi de 1986, laisse subsister une règle de
ce genre. Si la loi étrangère normalement applicable ne permet pas le divorce, celui-ci est
soumis à la loi allemande si l’époux demandeur est allemand lors de la demande en divorce ou
l’était lors de la célébration du mariage.

172. Voir en ce sens Kegel, IPR, 5e éd., pp. 267, 510.


173. Les motifs de l’arrêt du 12 décembre 1984 indiquent cependant, à l’appui de la solution
retenue, que les principes ici en cause et conduisant à l’application du droit allemand ne
représentent nullement un privilège conféré à la partie allemande en raison de sa nationalité
(IPRax, p. 293, 2e col.).

174. Trib. féd., 22 février 1979, ATF, 105, II, 1. Sur cet arrêt, voir Bücher, « Divorce de réfugiés dans
leur pays d’origine? » Revue de droit suisse, 1982, pp. 1 ss.

175. Voir de Winter, « Nationality or Domicile? The Present State of Affairs », Recueil des cours,
tome 128 (1969-111), pp. 349 ss., spec. p. 429, n° 26b, insistant sur l’aspect factuel de la résidence
habituelle.

176. Les liens entre résidence habituelle et principe de proximité sont évidents dans le droit
des obligations, spécialement dans les conventions concernant les obligations contractuelles,
qui cherchent avant tout à déterminer la loi avec laquelle le contrat présente les liens les plus
étroits. Ces liens ne sont pas moins certains pour les obligations alimentaires. Et leur
soumission au principe de proximité (en tout cas à l’égard du créancier d’aliments) se traduit,
dans les Conventions de La Haye, par leur détachement d’avec le statut personnel, qui reste
soumis au principe de souveraineté selon les modalités prévues par chaque Etat contractant.
Voir l’article 5, alinéa 2, de la convention du 24 octobre 1956 et l’article 2 de la convention du 2
octobre 1973.

177.

Entendu plus largement que dans la Convention de Genève: « personne ayant la qualité de
réfugié au sens des conventions internationales en vigueur pour l’Autriche ou dont les
relations avec son pays d’origine sont rompues pour des raisons d’une gravité comparable (art.
9, par. 3).»

Cf. supra note 162, pour l’apatride.

178. Voir Sonnenberger, dans Münchener Kommentar, nach Art. 29, RdNr. 69 s., et les
références. Selon cet auteur, la doctrine allemande est généralement hostile à l’admission du
renvoi dans le cadre de la Convention de Genève de 1951, notamment Kegel, Heldrich, Graue;
au contraire, Sonnenberger et Sturm ne voient pas dans la convention de motif d’exclure le
renvoi, sauf s’il joue en faveur de la loi nationale du réfugié, car il serait alors directement
contraire à la convention.

179. Un problème voisin, mais différent et non examiné ici, est celui qui résulte du caractère
non unifié de la loi nationale désignée par la règle de conflit du for. Voir, sur ce problème,
résolu le plus souvent par la règle de conflit interne de l’Etat national, si elle existe, à défaut
par la recherche directe des liens les plus étroits (critère de proximité), Batiffol et Lagarde,
Droit international privé, t. II, n° 390, et les références, notamment aux textes législatifs et aux
Conventions de La Haye.
180. Ces solutions allaient de la prépondérance de la nationalité la plus ancienne, considérée
comme un droit acquis (Pillet), à la prépondérance de la nationalité la plus récente,
considérée comme plus réaliste (Valéry), en passant par celle dont la détermination se
rapprochait le plus des règles admises par la loi française (Weiss) ou s’accordait le mieux avec
les exigences internationales (Louis-Lucas).

181. Pour la prépondérance de la nationalité acquise en dernier lieu, voir la loi coréenne de
1962, art. 2 (Rev. crit., 1972, p. 347); la loi tchécoslovaque de 1963, art. 33, par. 2 ; la loi albanaise
du 21 décembre 1964, art. 23, al. 2 (voir Makarov, Quellen des IPR. Nationale Kodifikation, 3e éd.,
1978, p. 22); la loi, aujourd’hui abrogée, de la République démocratique allemande du 20
décembre 1965, art. 23, par. 2 (à titre subsidiaire). A titre subsidiaire également l’article 9,
paragraphe 9, du décret-loi espagnol du 31 mai 1974.

182. Voir les lois polonaise de 1965 (art. 2, par. 2), est-allemande de 1975 (art. 5 c)), autrichienne
de 1978 (art. 9, par. 1), turque de 1982 (art. 4 c)) et le projet suisse (art. 21, par. 2).

183. Voir les lois hongroise de 1979 (art. 11, par. 3), yougoslave de 1982 (art. 11, par. 2) et le Code
de la nationalité portugaise de 1982, art. 28 (Rev. crit., 1982, p. 796, note R. Moura Ramos).

184. Bartin, Principes, t. Il, par. 227, p. 23.

185. Ibid., p. 25. Les italiques sont de nous.

186. BayObLG, 29 juin 1984, IPRax, 1985, p. 226, et la chronique de Mansel, ibid., p. 209.

187. Cette convention fonctionne difficilement dans les cas de double nationalité. Voir par
exemple, en France, tribunal de grande instance, Nanterre, 24 mars 1976, Rev. crit., 1977, p. 345,
note Y. Lequette. Voir aussi BGH, 29 octobre 1980, cité infra, note 188.

188. Voir, dans le même sens, les observations de Mansel, IPRax, 1985, p. 211, deuxième colonne.

189. Est déjà symptomatique de cette démarche subjective le fait que la nationalité effective de
l’enfant soit recherchée en la personne de la mère, auprès de qui l’enfant avait toujours vécu, et
non directement en celle de l’enfant, incapable d’exprimer par lui-même un lien d’allégeance
(cf. Mansel, loc. cit., p. 210). On néglige ici l’argument « objectif » ajouté par la Cour supérieure,
et relatif à la ressemblance des modes de vie en République fédérale et en Autriche. Cet
argument, qui repose sur des présupposés assez inquiétants, n’aurait pu avoir quelque
consistance que si la fuite en Allemagne fédérale avait été analysée comme un choix négatif
contre l’allégeance polonaise (en ce sens, Ferid, cité par Mansel, loc. cit., p. 212).

190. BGH, 29 octobre 1980, IPRax, 1981, p. 139, et chronique Henrich, ibid., p. 125.

191. Du reste, le nouvel article 5, paragraphe 3, EG, issu de la réforme de 1986, prévoit que,
lorsque le droit applicable est celui de la résidence habituelle, le changement de résidence
habituelle d’un incapable sans le consentement de son représentant légal ne suffit pas, à lui
seul, à rendre applicable un autre droit. A plus forte raison ce changement ne devrait-il pas à
lui seul entraîner un changement de la nationalité effective, avec ses conséquences sur le droit
applicable.

192. Pour un autre cas de détournement d’enfant aux fins d’application de la Convention de La
Haye du 5 octobre 1961, voir Tribunal fédéral suisse, 8 décembre 1983, Christ c. Mills, ATF, 109,
II, 375, JT, 1985, p. 309. C’est précisément pour lutter contre ces voies de fait qu’a été élaborée la
Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international
d’enfants.

193. La question se pose en termes très différents lorsque la règle de conflit repose à titre
principal sur le principe de proximité. Voir, par exemple, la Convention de La Haye du 14 mars
1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux. Dans certains cas exceptionnels, cette
convention prévoit l’application au régime matrimonial de la loi nationale commune des
époux (art. 4, al. 2). Mais l’article 15, alinéa 2, indique que « les dispositions se référant à la loi
nationale commune ne sont pas applicables lorsque les époux ont plus d’une nationalité
commune ». La pluralité du facteur de rattachement affaiblit celui-ci, qui ne peut plus alors
lutter contre l’indice localisateur plus puissant qu’est la résidence habituelle commune.
L’article 15, alinéa 2, fait exception du cas de l’article 7, alinéa 2, chiffre 1, mais c’est pour retenir
l’une des nationalités communes lorsqu’elle s’ajoute à la nouvelle résidence habituelle
commune pour justifier un changement de plein droit de la loi du régime. Ces solutions un
peu complexes sont en parfaite harmonie avec le principe de proximité qui, combiné avec
celui d’autonomie de la volonté, sous-tend toute la convention (voir supra, chapitre I, nos 25
ss.).

194. Par exemple, en Allemagne fédérale, la préférence à la nationalité du for a été retenue par
la loi du 25 juillet 1986 (art. 5, par. 1 in fine, EG) alors que les projets antérieurs, du Deutscher
Rat, du professeur Kühne et du Max-Planck Institut donnaient la préférence à la nationalité
effective (voir le volume édité par le Max-Planck Institut sous le titre Reform des deutschen
internationalen Privatrechts, 1980, p. 180; cf.RabelsZ, 1983, p. 693, l’article 5 du projet
gouvernemental et les contre-propositions du Max-Planck Institut.

195. Bartin, Principes, t. II, par. 226, pp. 20-21.

196. Voir par exemple l’article 21, paragraphe 2, du projet suisse.

197. Tous les textes cités supra (notes 180 et 181) donnent la préférence à la nationalité du for.
Voir sur ce point le relevé systématique effectué par E. Vassilakakis, Orientations
méthodologiques dans les codifications récentes du droit international privé en Europe, thèse,
Paris I, multigr., 1984, vol. II, n° 237, p. 359, note 2.

198. Ce n’est pas une hypothèse d’école. Deux époux ayant à l’origine une seule et commune
nationalité s’établissent dans un pays étranger dont ils acquièrent tous deux la nationalité sans
perdre leur nationalité antérieure. Cf. les arrêts cités dans la suite du texte.
199. Hoge Raad, 9 décembre 1965, Rev. crit., 1966, p. 297, note de Winter.

200. Civ., 10 mars 1969, Butez, Rev. crit., 1970, p. 115, note Batiffol; sur cet arrêt, voir aussi P.
Lagarde, « Destinées de l’arrêt Rivière », Clunet, 1971, p. 241. La solution de l’arrêt Butez a paru
remise en question par Civ., 23 juin 1982, Nolan, Rev. crit., 1983, p. 314, note Poisson-Drocourt,
mais elle a été récemment reprise par Paris, 18 juin 1985, D., 1985, inf. rap., p. 499, obs. Audit,
dans un litige intéressant la garde d’un enfant après divorce.

201. Voir OLG Düsseldorf, 17 mai 1974, Clunet, 1979, p. 422.

202. BGH, 17 avril 1980, IPRax, 1981, p. 25, et chronique Firsching, ibid., p. 14.

203. Art. 24 et 25 anciens EGBGB, art. 25 nouveau.

204. Publiée en France par décret du 10 octobre 1984, JO, 14 octobre, Rev. crit., 1984, p. 723.

205. Par exemple le projet suisse (art. 21, al. 2) et le projet allemand dans la rédaction qu’aurait
souhaité voir retenue le Max-Planck Institut (art. 5, par. 1, voir RabelsZ, 1983, p. 693).

206. Rev. crit., 1981, p. 809, note Van Rooij.

207. Voir les cinq arrêts rapportés à la Revue critique de droit international privé, 1980, p. 731,
avec la note Struycken.

208. Comparer la nouvelle loi allemande (art. 14, par. 2, EG), qui soumet les effets généraux du
mariage à la loi nationale commune et prévoit que si l’un des époux possède la nationalité de
plusieurs Etats, les deux époux peuvent choisir la loi de l’un de ces Etats, si elle est aussi la loi
nationale de l’autre.

209. Voir par exemple Wengler, Recueil des cours, tome 104 (1961-III), p. 360; IPR, 1981, I, p. 218;
en Autriche, à propos de l’article 1 de la loi du 15 juin 1978, voir Schwimann, IPR, 1982, p. 55, et
le compte rendu dans la Revue critique de droit international privé, 1983, p. 200; comparer sur le
même texte, Duchek-Schwind, IPR, 1979, pp. 7 ss.

210. Voir les références, pour la France et pour les Pays-Bas, dans Batiffol-Lagarde, Droit
international privé, t. I, 1981, n° 261, note 4. Adde pour les changements de groupe de
population en Indonésie avant l’indépendance, Dewi Surianegara-Djarot, La pluralité des
statuts personnels dans le droit indonésien (conflits internes et conflits internationaux), thèse 3e
cycle, Paris I, 1986, multigr., pp. 31 ss. De l’exposé de l’auteur, il semble possible de déduire que,
malgré l’égalité de principe des statuts, le passage du statut d’autochtone au statut européen,
ou égalisation (gelijkstelling), ressemblait à une sorte de naturalisation, en tout cas à une
promotion, tandis que l’opération inverse, ou assimilation (oplossing), décidée par les
tribunaux du groupe européen, était à rapprocher d’une perte de nationalité. Mais l’égalité des
statuts était respectée en cas de mariage mixte, la femme suivant toujours le statut du mari,
quel qu’il fût.
211. Ce système de l’option de législation comme mode de solution du conflit de nationalités
rappelle celui généralement retenu par les conventions relatives au service militaire des
doubles nationaux. Voir P. Lagarde, La nationalité française, 1975, nos 20 ss. Ces conventions
prévoient généralement l’accomplissement du service militaire dans l’Etat national de
résidence et n’accordent à l’intéressé un droit d’option que s’il réside dans un Etat tiers. Voir
toutefois, accordant ce droit d’option même si le double national a sa résidence dans un des
Etats dont il a la nationalité, l’accord franco-algérien du 11 octobre 1983, Rev. crit., 1985, p. 156.

212. La loi néerlandaise repose d’ailleurs bien plus sur le principe d’autonomie que sur celui de
souveraineté, puisqu’elle prévoit la possibilité pour les époux, en toute hypothèse, d’opter pour
l’application du droit néerlandais (art. 1, par. 4). Voir la note précitée de R. van Rooij.

213. Voir supra, n° 51, la fin du chapitre I, montrant la coordination s’établissant spontanément
entre les principes de proximité et d’autonomie de la volonté.

214. Civ., 17 avril 1953, Rivière, Rev. crit., 1953, p. 412, note Batiffol, Clunet, 1953, p. 860, note
Plaisant; cf. Francescakis, Rev. crit., 1954, p. 325.

215. Civ., 15 mai 1961, Tarwid, D., 1961, p.437, note G. Holleaux, Clunet, 1961, p. 734, note
Goldman, Rev. crit., 1961, p. 547, note Batiffol.

216. Voir sur le projet du Deutscher Rat, Kegel, « La réforme du droit international du mariage
en Allemagne », Rev. crit., 1962, p. 641, spéc. p. 646.

217. La prépondérance de la loi du mari, qui subsistait à titre subsidiaire dans le Code civil
portugais de 1966 (art. 52, al. 2, 53, al. 2) a disparu lors de la révision du 25 novembre 1977 (voir
les explications de R. Moura Ramos, Rev. crit., 1978, p. 598 ss.). En Espagne, comparer l’article 9,
paragraphe 2, du décret-loi de 1974 (prépondérance de la loi du mari pour les effets personnels
du mariage) et l’article 107 de la loi du 7 juillet 1981 (système Rivière-Tarwid pour le divorce ;
voir Carrillo Salcedo, « La nouvelle réglementation du mariage dans le droit international
privé espagnol », Rev. crit., 1983, p. 1, spéc. p. 26). La survivance de l’article 9, paragraphe 2,
soulève en Espagne des problèmes constitutionnels en raison du principe de l’égalité des
sexes. Voir J. D. González Campos, J. L. Fernández Rozas et autres, Derecho internacional
privado. Parte especial, vol. II, Oviedo, 1984, pp. 180 ss. On sait qu’en Allemagne fédérale la
déclaration d’inconstitutionnalité des articles de la loi d’introduction faisant prévaloir la loi
nationale du mari a accéléré le processus de codification du droit international privé. Sur des
problèmes comparables en Italie, du fait de la survivance des articles 18 et suivants des
dispositions préliminaires au Code civil, voir Ballarino, Diritto internazionale privato, 1982, pp.
140 ss, p. 732.

218. On trouve des dispositions de ce type dans les codes civils d’Egypte (1948), de Syrie (1949),
d’Irak (1951), de Libye (1953), de Somalie (1973), d’Algérie (1975) et des Emirats arabes unis
(1985) (Rev. crit., 1986, p. 390). Voir aussi le récent projet de la ligue des Etats arabes, Rev. crit.,
1984, p. 385, avec le commentaire de Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh.
219. Sur ce principe, voir Batiffol-Lagarde, t. II, 1983, n° 388, p. 14. On a fait observer que
l’application cumulative favorise en réalité la loi la plus restrictive, à l’inverse du système
(réversible) de l’application alternative (voir J.-P. Laborde, La pluralité du point de rattachement
dans l’application de la règle de conflit, thèse, Bordeaux, multigr., 1981, nos 202 ss.). Cette
constatation est tout à fait exacte, mais ce contenu de droit matériel imputé au système
cumulatif ne paraît pas correspondre à son origine historique.

220. Qui a visiblement inspiré la loi turque du 20 mai 1982 (art. 13).

221. Dont s’inspirent la loi autrichienne du 15 juin 1978 (art. 18), la nouvelle loi allemande (art.
14, par. 1, EG) et, dès avant la promulgation de celle-ci, la Cour fédérale allemande (BGH, 11
janvier 1984, IPRax, 1984, p. 208).

222. Cf. l’opinion du juge Brett dans l’arrêt Niboyet v. Niboyet, citée supra note 137. Le domicile
commun a pu dans ce sens être qualifié de « nationalité de fait du foyer » (Batiffol, Rev. crit.,
1961, p. 385), de « patrie » du foyer mixte (Malaurie, D., 1959, p. 80), cf. la « vice-nationalité » de
Niboyet, citée supra texte et note 141. Dans ce même sens, voir encore P. Y. Gautier, L’union
libre en droit international privé, thèse, Paris I, multigr., 1986, n° 185.

223. BGH, 17 février 1982, IPRax, 1983, p. 71.

224. BGH, 11 janvier 1984, IPRax, 1984, p. 208.

225. Loi 1329/1983, modifiant l’article 15 du Code civil (Rev. crit., 1984, p. 168, note Vassilakakis).

226. Article 52 nouveau du Code civil (rédaction décret-loi 25 novembre 1977) qui retient, de
façon très evocatrice, « la loi du pays avec lequel la vie familiale présente les liens les plus
étroits ».

227. Art. 14, par. 1, 3, EG. Pour l’application directe de la loi des liens les plus étroits à défaut de
nationalité commune, voir Siehr, dans Münchener Kommentar, Art. 14, RdNr. 16. Cf. l’article 46
du projet suisse.

228. Sur cette formulation qui peut évoquer la foreign court theory, voir infra, chapitre IV.

229. Comparer sur la hiérarchie des rattachements et sur les rapports du renvoi avec l’idée de
proximité, Francesca kis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international
privé, 1958, nos 163 ss.

230. Nous nous plaçons ici dans l’hypothèse de création d’une situation juridique parles
autorités du for. D’autres considérations peuvent intervenir lors de la reconnaissance d’une
situation créée à l’étranger. Voir infra, chapitre V.
231. Voir F. Sturm, Rechtsvergleichung und Rechtsvereinheitlichung, Festschrift zum 50. jährigen
Bestehender Heidelberger Instituts für Rechtsvergleichung, 1967, pp. 168-175; Lüderitz, Festschrift
Kegel, 1977, pp. 48-61.

232. Voir Firsching, « Parteiautonomie und Ehewirkungsstatut im IPR-Gesetzentwurf », IPRax,


1984, p. 125.

233. Des précautions sont prises par le texte (art. 14, par. 4) pour assurer le caractère
authentique de ce choix (mêmes formes que pour le contrat de mariage).

234. Cet institut avait proposé de permettre aux époux de choisir le droit de l’un des Etats
suivants : Etat national de l’un des époux, Etat de la résidence habituelle de l’un des époux,
Etat dans lequel les deux époux avaient l’intention de fixer leur résidence habituelle, si cette
situation était suivie d’effet (voir RabelsZ, 1983, p. 699).

235. Cet exemple, avec quelques autres du même type, est donné par Henrich, « Alternativen
zur Anknüpfung an den gewöhnlichen Aufenthalt in gemischtnationalen Ehen? », IPRax, 1983,
pp. 62 ss., spécialement première colonne.

236. On reviendra plus loin sur le paragraphe 2 de ce même article 14, qui écarte la clause
d’exception en cas d’élection de droit (voir infra, n° 95 et note 261).

237. Voir chronologiquement : F. Knoepfler, « Utilité et danger d’une clause d’exception en


droit international privé », Hommage à Raymond Jeanprêtre, Neuchâtel, 1982, pp. 113 ss.; le
chapitre VII du cours général de A. E. von Overbeck, Recueil des cours, tome 176 (1982-111), spéc.
pp. 186 ss.; César Dubler, Les clauses d’exception en droit international privé. Etudes suisses de
droit international, Genève, 1983 (et le compte rendu, Rev. crit., 1985, p. 787); E. Vassilakakis,
Orientations méthodologiques dans les codifications récentes du droit international privé en
Europe, thèse, Paris I, 1984, multigr.; Cristina Campiglio, « L’esperienza svizzera in tema di
clausola d’eccezione: l’art. 14 del progetto di reforma del diritto internazionale privato »,
Rivista di diritto internazionale privato e processuale, 1985, pp. 47 ss.

238. Voir supra, chapitre I, section I, n° 16.

239. Ibid., n° 19.

240. Voir, insistant sur cette clause d’exception en matière de contrats, G. A. Lang, La fraude à
la loi en droit international privé suisse, Mauraz, 1984, pp. 193 ss.

241. Trib. féd., 10 juin 1952, ATF, 78, 11, 190, Müller, reproduit également dans le recueil de Keller
et autres, Die Rechtsprechung des Bundesgerichts im IPR, Band II, 1977, p. 97. Cet arrêt se référé
à un autre du 20 mai 1952, Hirschler c. Vidoni. Les citations au texte sont de l’arrêt Müller.

242. AG Lucerne, 31 octobre 1980, cité souvent par Dubler, op. cit. (supra note 235), nos 51, 1 13,
130, 231, et reproduit partiellement dans Répertoire de droit international privé suisse, t. I. p. 37.
243. Il est vrai que dans cette espèce, à côté d’éléments objectifs justifiant l’existence de liens
étroits avec la Suisse (clause attributive de juridiction aux tribunaux suisses, nationalité des
parties, monnaie du contrat, retour en Suisse du courtier au moment du litige), le tribunal fait
état de considérations assez douteuses :

« La clause échappatoire doit être appliquée lorsque les parties ont omis de désigner lé droit
applicable et que le rattachement objectif conduirait à un résultat non satisfaisant. Il en serait
ainsi dans le cas présent, du fait de l’application d’un droit de conception radicalement
étrangère au sentiment juridique des Suisses et inconnu de toutes les parties. (!)»

244. C’est à Pierre Bourel que revient le mérite d’avoir été le premier en France et l’un des
premiers en Europe à présenter des solutions alternatives générales à la compétence de la lex
loci delicti. Voir, de cet auteur, Les conflits de lois en matière d’obligations extracontractuelles,
Paris, 1961.

245. Voir le Code civil portugais (art. 45, par. 3), la loi du 5 décembre 1975 de la République
démocratique allemande (art. 17, al. 3), la loi polonaise du 12 novembre 1965 (si la nationalité
commune coïncidé avec le domicile commun, art. 31, al. 2).

246. Voir encore les textes cités à la note précédente. Adde le décret-loi hongrois de 1979, art.
32, par. 3.

247. Art. 48, par. 1, in fine: « S’il existe cependant pour les parties un rapport plus fort avec le
droit d’un seul et même Etat, ce droit est applicable. » Sur ce texte, voir Schwimann, Grundriss
des IPR, 1982, pp. 167 ss.

248. Art. 25, al. 3 : « Dans le cas où le rapport juridique résultant de l’acte illicite est en relation
plus étroite avec un autre pays, la loi de ce pays peut s’appliquer. »

249. Qui semble avoir été inspiré et avoir été, dans un premier temps, appliqué par la
jurisprudence néerlandaise, voir cour d’appel de La Haye, 16 juin 1955, Clunet, 1959, p. 106; trib.
Breda, 2 octobre 1962, Ned. Jur., 1963, p. 109. La jurisprudence récente aurait cependant
tendance à s’en écarter, voir trib. Amsterdam, 30 novembre 1971, Ned. jurispr., 1972, n° 474,
Clunet, 1978, p. 344, et les observations de J. C. Schultsz.

250. Voir le texte, Rev. crit., 1973, p. 209. Sur cet avant-projet, voir surtout l’étude exhaustive de
Jacques Foyer, Clunet, 1976, pp. 555 ss., et, sur l’article 13, pp. 642 ss.

251. Voir Kreuzer, dans Münchener Kommentar, Art. 12, RdNr. 12 ss.; Kegel, IPR, 5e éd., pp. 403,
411.

252. Phénomène d’autant plus intéressant que l’Allemagne fédérale n’a pas ratifié les
Conventions de La Haye des 4 mai 1971 et 20 octobre 1973.

253. NJW, 1977, p. 496.


254. IPRax, 1985, p. 104, et la chronique de Lorenz, ibid., p. 85.

255. La Cour fédérale se refuse à trancher la question controversée de savoir si la règle de


conflit allemande supporte le renvoi. De fait, ajoutons-nous, si cette règle repose sur le
principe de proximité, on peut douter de l’opportunité d’admettre le renvoi (voir supra,
chapitre I, n° 17). La Cour fédérale observe aussi qu’en l’espèce l’accident s’était produit à la
suite d’une collision avec un autre véhicule. Il n’était donc pas sûr que la Convention de La
Haye désignait la loi allemande (art. 4 b)). Sur le cas où plusieurs véhicules sont impliqués
dans l’accident, voir la jurisprudence française citée infra notes 259 et 260.

256. La communauté d’habitation est un rattachement plus fort que la coïncidence des
domiciles dans un même Etat.

257. IPRax, 1986, p. 108, et la chronique de B. von Hoffmann, ibid., p. 90, Clunet, 1985, p. 954,
obs. Jayme, NJW, 1985, 1285.

258. Voir B. von Hoffmann, loc. cit. (supra note 255). La loi allemande du 25 juillet 1986 ne
comporte pas de disposition nouvelle sur le rattachement de la responsabilité
extracontractuelle.

259. Solution constante depuis Civ., 25 mai 1948, Lautour, Rev. crit., 1949, p. 89, note Batiffol, S.,
1949, l, p. 21, note Niboyet, D., 1948, p. 357, note P. L.-P. ; cf., pour les décisions ultérieures, les
références citées dans Batiffol-Lagarde, Droit international privé, t. II, 1983, n° 557, note 2.

260. Civ., 19 mai 1976, JCP, 1976, IV, 229; 1er juin 1976, D., 1977, p. 257, note Monéger, Clunet, 1977,
p. 91, note Audit; 16 avril 1985, JCP, 1985, n° 23. A contrario, voir Civ., 2 octobre 1984, Clunet, 1985,
p. 674, note Dayant Rev. crit., 1986, p. 59, note Lagarde.

261. Paris, 24 juin 1981, Rev. crit., 1982, p. 691, note Pelichet.

262. Paris, 1er juin 1984, Rev. crit., 1985, p. 637, note H. Gaudemet-Tallon.

263. C’est très clair dans la Convention de Rome du 19 juin 1980. Ce l’est aussi dans le projet
suisse. Aux termes de l’article 14, paragraphe 2 : « Cette disposition [la clause d’exception] n’est
pas applicable en cas d’élection de droit. »

264. Il a été suggéré que le principe de proximité pourrait transformer la règle de conflit en
une sorte de règle d’administration judiciaire dont les destinataires seraient les juges (ou les
autorités) et non plus les sujets de droit (voir Graulich, « La signification actuelle de la règle de
conflit », Etudes dédiées à Alex Weill, Paris, 1983, pp. 295 ss., spéc. p. 302, in fine). Le principe
d’autonomie restitue en tout cas aux parties leur qualité de destinataires de la règle de conflit
en ce que, leur donnant la possibilité de fixer la loi applicable, elle leur permet de la connaître.
265. Voir, pour l’admission d’un choix tacite de la loi allemande dans une affaire de
responsabilité du fait des produits, BGH, 17 mars 1981, IPRax, 1982, p. 13, et chronique Kreuzer,
p. 1.

266. Voir notamment les articles 31 et 33. Déjà, depuis l’article 28 LRDC (loi du 25 juin 1891), les
Suisses domiciliés à l’étranger sont régis quant à leur statut personnel par le droit de leur
domicile si ce droit en décide ainsi. C’est seulement « si, d’après la législation étrangère, ces
Suisses ne sont pas régis par le droit étranger » que le droit de leur canton d’origine leur est
appliqué. Cette règle de conflit est intéressante. Bien que semblant déjà consacrer le
rattachement au domicile, elle repose en réalité sur le principe de souveraineté. En effet, selon
le Tribunal fédéral, comme l’expliquent clairement Vischer et Planta (IPR, 2e éd., 1982, p. 36), le
principe demeure que la loi suisse est applicable, mais qu’elle s’efface dans la mesure où le
droit étranger du domicile prétend régler lui-même le rapport juridique en cause. En somme,
en cas de conflit entre la souveraineté personnelle (suisse) et la souveraineté territoriale (de
l’Etat du domicile), l’article 28 LRDC s’incline devant la seconde.

267. Sur cette jurisprudence, voir les travaux précités (note 235) de von Overbeck, Dubler et
Campiglio.

268. Sur cette loi, voir le commentaire de F. Knoepfler, Rev. crit., 1978, p. 187 ; voir aussi, von
Overbeck, op. cit. (supra note 235), p. 202; Dubler, op. cit. (supra note 235), pp. 51 ss., n° 43.

269. Le nouvel article 8e, paragraphe 1, LRDC utilise la grille de rattachement inaugurée en
France pour le divorce par l’arrêt Rivière (voir le chapitre précédent), mais en intervertissant
les deux premiers termes. C’est cette interversion qui empêche de considérer le rattachement,
désormais subsidiaire, à la loi nationale commune comme fondé sur le principe de
souveraineté. Le législateur paraît en avoir eu conscience. Comme l’indique F. Knoepfler (loc.
cit., p. 191), il a écarté une disposition du projet qui prévoyait l’application de la loi nationale
commune ou de « la loi interne à laquelle cette loi renvoie ». De fait, le renvoi n’a pas sa place
dans une règle de conflit fondée sur la proximité (voir supra, chapitre I).

270. La même loi comporte une clause d’exception de même inspiration à la compétence des
juridictions suisses (art. 8d, par. 3). Voir infra, le chapitre suivant, n° 155.

271. Trib. féd. suisse, 18 juin 1981, ATF, 107, II, 209, Annuaire suisse de droit international, 1982, p.
311, obs. Lalive et Bücher. Cette décision est citée par von Overbeck, op. cit. (supra note 235), p.
203, et par Dubler, op. cit., (supra note 235), n° 43.

272. Recueil de jurisprudence neuchâteloise, 1982, pp. 57 ss. Cette décision nous a été
aimablement communiquée par M. César Dubler, de même que tribunal cantonal de
Neuchâtel, 5 décembre 1977, cité infra note 318.

273. Dans le chapitre précédent, d’abord à propos des conflits de nationalités puis dans la
conclusion, nos 79 et 85.
274. Une solution identique existe en France (voir Civ., 25 février 1947, Ghattas, Rev. crit., 1947,
p. 444, note Niboyet, et les autres décisions citées dans Batiffol-Lagarde, t. II, n° 442, note 1) et
en Allemagne (voir Kegel, IPR, 5e éd., p. 509). Sur le problème en général, voir Wengler, IPR, t. I,
p. 609.

275. Jusqu’à la loi du 5 avril 1982 (Rev. crit., 1982, p. 790, note Vassilakakis) qui a fait disparaître
la difficulté – en tout cas pour les Grecs.

276. Duchek et Schwind (IPR, 1979, p. 55) donnent l’exemple de deux Grecs mariés civilement
et résidant habituellement en Suisse. Au cas où un problème concernant les effets personnels
de ce mariage se poserait en Autriche, il conviendrait d’appliquer le droit suisse, avec lequel
existe le « rapport le plus fort ». Dubler, op. cit. (supra note 235), p. 52, affine l’exemple. Si l’un
des époux a conclu un contrat de cautionnement sans l’accord de l’autre, ce contrat serait
déclaré nul en Autriche, par application du droit suisse, alors que le droit autrichien l’aurait
tenu pour valable.

277. Les réfugiés non statutaires constituent une catégorie juridique en voie de disparition, du
fait de l’entrée en vigueur du Protocole relatif au statut des réfugiés du 31 janvier 1967. Ce
protocole pose en effet le principe de la suppression des limitations temporelles et
géographiques au domaine d’application de la convention du 28 juillet 1951.

278. Voir supra, chapitre II, nos 62 ss., et note 159.

279. Paris, 23 novembre 1954, Rev. crit., 1956, p. 63, note Y. L. L’arrêt a été rédigé par Georges
Holleaux, l’un des plus éminents magistrats français des années cinquante et soixante.

280. La convention n’a été publiée en France au Journal officiel que le 29 octobre 1954.

281. Depuis lors, la loi nationale de l’enfant a supplanté la loi du divorce (voir Batiffol-Lagarde,
t. II, n° 453, note 2bis, et les références). En 1984(voir la circulaire du 27 juin 1984, Rev. crit.,
1984, p. 754), la France a retiré la réserve qu’elle avait faite pour écarter l’application de la
Convention de La Haye du 5 octobre 1961 (protection des mineurs) à la garde après divorce.

282. Civ., 25 juin 1974, Consorts Martini, Rev. crit., 1974, p. 678, note Ponsard, Clunet, 1975, p. 330,
obs. Deby-Gérard.

283. Voir les références bibliographiques dans Batiffol-Lagarde, t. II, n° 458, note 11. Sur la
critique reproduite au texte, voir plus spécialement le même ouvrage, nos 461, 475.

284. Tribunal de grande instance, Paris, 23 avril 1979, Rev. crit., 1980, p. 83, note P. Lagarde.

285. Ce jugement est inédit. Il a été cité par Mme G. Sutton dans une communication faite au
Comité français de droit international privé le 21 mars 1984, intitulée : « Les articles 311-14 et
suivants du Code civil à l’épreuve de la jurisprudence du tribunal de grande instance de Paris
», à paraître dans les Travaux du Comité (voir le compte rendu, par G. Pluyette, Rev. crit., 1985,
p. 223).

286. Sur laquelle voir J. A. Carrillo Salcedo, « La nouvelle réglementation du mariage dans le
droit international privé espagnol », Rev. crit., 1983, pp. 1 ss.; González Campos, Fernández
Rozas et autres, Derecho international privado, vol. II, Oviedo, 1984, pp. 145 ss.

287. Civ., 10 juillet 1979, Rev. crit., 1980, p.91, note H. Gaudemet-Tallon.

288. Voir encore Civ., 8 novembre 1977, Clunet, 1978, p. 587, note D. Alexandre, Rev. crit., 1979, p.
395, note Loussouarn.

289. Civ., 1er avril 1981, Clunet, 1981, p. 812, note D. Alexandre.

290. Tel est du moins l’enseignement constant de la doctrine en France. La position de la


doctrine allemande traditionnelle était contraire. Sur les derniers développements et sur une
intéressante proposition faisant elle aussi appel au principe de proximité, voir Siegfried
Schwung, Die Rechtsfolgen aus der Anwendung der Ordre public-Klausel im IPR, dissertation,
Universität Mainz, 1983. Voir, du même auteur, « Das Ersatzrecht bei einem Verstoss des
ausländischen Rechts gegen den ordre public », RabelsZ, 1985, p. 407.

291. Voir par exemple l’article 4 in fine de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi
applicable aux régimes matrimoniaux. Le principe de proximité y opère dans sa fonction
localisatrice. Comparer Hoge Raad, 10 décembre 1976 (Rev. crit., 1978, p. 97, note H. U. Jessurun
d’Oliveira), sur lequel on reviendra infra, section II, n° 118.

292. C’est le système qui prévaut notamment en France, en Angleterre et très généralement
aux Etats-Unis.

293. Cet exemple est emprunté à Patricia A. Carteaux, « Conflicts of Laws and Successions :
Comprehensive Interest Analysis As a Viable Alternative to the Traditional Approach », 59
Tulane Law Review (décembre 1984), p. 389, spéc. p. 394.

294. 437 NYS 2d 860 (Sur. Ct., NY Co) ; In re Estate of Renard, 444 NY 2d 108 (1st Dept., 1981). Sur
l’affaire, voir P. Herzog, 34 Syracuse Law Review (1983), p. 150.

295. Le jugement est sévère pour l’institution du droit de prélèvement :

« Le droit français peut récompenser la récente acquisition de la nationalité française par un


enfant du défunt en lui accordant l’aubaine que constitue une part de réserve dans la
succession de ses parents. Nos règles de conflit ne doivent pas être utilisées pour consacrer
une telle solution qui pourrait récompenser des changements de nationalité faits en
contemplation d’un décès imminent. »
296. Sur l’application aux successions du statut des faits juridiques, voir Batiffol et Lagarde, t.
II, n° 637, et les références. Comparer P. Mayer, Droit international privé, 2e éd., 1983, n° 789, qui
explique la compétence de la loi du domicile par l’idée de localisation matérielle, sans utiliser
la notion de fait juridique. Mais le fondement est aussi pour cet auteur un fondement de
proximité, auquel la clause d’exception est parfaitement adaptée.

297. Pour l’exclusion des clauses d’exception, en cas de rattachement alternatif, voir aussi
Dubler, Les clauses d’exception, n° 79.

298. Voir le chapitre I de ce cours, nos 41 ss., 52.

299. Et que nous avions faite en son temps, au moins sous la forme interrogative (voir la
discussion ayant suivi la communication de A. E. von Overbeck sur le projet suisse, Travaux du
Comité français de droit international privé, 1979-1980, pp. 79 ss., spéc. p. 99).

300. Voir l’acte final de la quinzième session, B, l, Rev. crit., 1984, p. 776. Adde le questionnaire
et commentaire sur le droit international privé des successions, par Droz (Actes et documents,
douzième session, t. II), mis à jour par van Loon, document préliminaire n° 1, avril 1986.

301. Voir, en faveur de la professio juris, Droz, note sous Aix-en-Provence, 9 mars 1982, affaire
Caron, Rev. crit., 1983, p. 282, spéc. pp. 296 ss. Cf. les réponses des Etats sur la professio juris,
dans van Loon, loc. cit., p. 16. Adde la position favorable de E. Vitta, dans Problemi di riforma del
diritto internazionale privato italiano, Milan, 1986, pp. 118 ss.

302. Rev. crit., 1984, p. 168, note Vassilakakis.

303. Même observation pour l’article 6 in fine (contrat de travail) et pour l’article 8, paragraphe
3, de la nouvelle Convention de La Haye élaborée en octobre 1985 sur la loi applicable à la
vente.

304. On peut faire une observation de même type avec l’article 25, alinéa 3, de la loi turque. La
règle principale (art. 25, al. 1) soumet « les obligations extracontractuelles dérivant des actes
illicites » à la lex loci delicti, tandis que la clause d’exception de l’alinéa 3 prend pour objet « le
rapport juridique résultant de l’acte illicite ».

305. De même, la clause générale d’exception contenue à l’article 14 du projet suisse opère
lorsque « la cause » a des liens manifestement plus étroits avec un autre pays.

306. Schwimann (Grundriss des IPR, 1982, p. 167) ne paraît pas envisager cette éventualité.
Selon lui, par le terme « parties », le législateur n’aurait eu en vue que le responsable et la
victime, à l’exclusion des aides et autres agents du dommage (nicht auch Gehilfen und sonstige
haftungsauslösende Täter). Mais si le préposé est poursuivi directement, comment ne pas le
considérer comme une partie au sens de l’article 48, paragraphe 1 in fine ?
307. Voir aussi, dans le sens d’une diversification des solutions de la convention en fonction
des auteurs de l’accident, Paris, 1er juin 1984, précité note 260.

308. L’avant-projet de convention CEE sur la loi applicable aux obligations contractuelles et
non contractuelles, élaboré en 1972 et dont la première partie a servi de base de travail pour ce
qui allait devenir la Convention de Rome du 19 juin 1980, comportait en matière délictuelle
une clause d’exception qui aurait pu entraîner un dépeçage de la loi appliquée en fonction des
parties en cause. Voir sur cet avant-projet : P. Lagarde, Travaux du Comité français de droit
international privé, 1971-1973, pp. 147 ss., spéc. pp. 190 s.; Jacques Foyer, Clunet, 1976, pp. 555 ss.,
spéc. pp. 646 ss.

309. Dubler, Les clauses d’exception, p. 135, n° 160.

310. Aux termes de l’article 494, paragraphe 1, du code des obligations,

« une personne mariée ne peut cautionner valablement qu’avec le consentement écrit de son
conjoint donné préalablement ou au plus tard simultanément dans l’espèce, à moins que les
époux ne soient séparés de corps par jugement .»

311. Le nouvel article 1415 du Code civil (loi du 23 décembre 1985) se contente de limiter en ce
cas le gage du créancier :

« Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un
cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le
consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

312. Par exemple, le paragraphe 189, cité par Dubler, p. 54, n° 48 :

« The validity of a contract for the transfer of an interest in land and the rights created
thereby are determined, in the absence of an effective choice of law by the parties, by the local
law of the State where the land is situated unless, with respect to the particular issue, some
other State has a more significant relationship under the principles stated in paragraph 6 to
the transaction and the parties, in which event the local law of the other State will be applied.
(Les italiques sont de nous.)»

313. Voir Batiffol-Lagarde, t. II, n° 482 et les références.

314. Voir I. Fadlallah, La famille légitime en droit international privé, Paris, 1977, n° 190 et les
références.

315. Voir Ph. Francescakis et H. Gaudemet-Tallon, Jurisclasseur de droit international, fasc. 547
B, nos 112 ss. ; Batiffol-Lagarde, n° 454.
316. Voir, sur l’ensemble du sujet, Pierre-Yves Gautier, L’union libre en droit international privé.
Etude de droit positif et prospectif, thèse, Paris I, 1986, multigraphiée, qui propose d’ériger
l’union libre en catégorie familiale autonome de droit international privé, à l’image du
mariage, et se prononce pour l’application de la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 à
l’obligation alimentaire entre concubins (op. cit., n° 203).

317. Babcock v. Jackson, 12 NY 2d 473, 240 NYS 2d 743, 191 NE 2d 279 (1963). Voir la traduction
française dans la Revue critique, 1964, p. 284, note J. G. Castel. Pour Eugene F. Scoles et Peter
Hay, cet arrêt est le meilleur exemple des imprécisions et des détours permettant aux auteurs
les plus opposés de revendiquer une même décision de jurisprudence comme illustrant leur
propre théorie (Conflict of Laws, West, 1982, p. 568, texte et note 26).

318. Et qui avait été préconisée par Morris dans son étude célèbre, « The Proper Law of the
Tort » (1951), 64 Harvard Law Review, p. 881. Sur l’étude de Morris, voir notamment Bourel, Les
conflits de loisen matière d’obligations extracontractuelles, Paris, 1961, spéc. pp. 41 ss.

319. Traduction libre du texte original allemand cité par F. Knoepfler, « Utilité et dangers d’une
clause d’exception en droit international privé », dans Hommage à Raymond Jeanprêtre,
Travaux de l’Université de Neuchâtel, 1982, pp. 113 ss., 120.

320. Tribunal cantonal, 5 décembre 1977, Enfant Giannecchini, Revue de jurisprudence


neuchâteloise, 1977-81/7 I 85. Cette décision nous a été communiquée par M. César Dubler.

321. Comparer, en matière contractuelle, les motifs, également suspects, de l’AG Lucerne du 31
octobre 1980, cités supra note 241.

322. Voir les décisions plus récentes et beaucoup plus mesurées citées supra notes 269 et 270.

323. Hoge Raad, 10 décembre 1976, Rev. crit., 1978, p. 97, note H.U. Jessurun d’Oliveira. Voir aussi
sur cet arrêt le cours général de A. E. von Overbeck, Recueil des cours, tome 176(1982-III), p. 195,
n° 426, et toutes ses références, notamment néerlandaises.

324. A. T. von Mehren, « Adjudicatory Jurisdiction: General Theories Compared and Evaluated
», Boston University Law Review, vol. 63 (1983), pp. 279-340.

325. Ibid., pp. 288 ss.

326. Il n’est pas sûr qu’elle couvre tous les cas de compétence internationale révélés par le droit
comparé et notamment, comme on l’indiquera au texte, celui des clauses attributives de
juridiction. Couvre-t-elle également ce que l’on appelle en Europe continentale les chefs de
compétence dérivée, tels que le for de la pluralité de défendeurs ou de l’appel en garantie?
L’objection n’est pas dirimante. A. von Mehren propose un classement qui permette de situer
les chefs de compétence par rapport aux principes de justice et de proximité et il se peut que
ceux que nous avons mentionnés en dernier lieu n’y satisfassent pas dans tous les cas.
327. On songe ici aux règles de compétence « inégale », qui donnent à la partie faible un choix
entre plusieurs tribunaux dont celui de son propre domicile, alors que son adversaire, la partie
forte, doit nécessairement poursuivre la partie faible devant le tribunal de celle-ci. Voir les
articles 7 à 11 et 14 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, tant dans leur
rédaction originaire que dans celle révisée par la convention du 9 octobre 1978. Voir aussi,
dans diverses législations nationales, les règles de compétence juridictionnelle protectrice du
salarié (en France, article R. 517-1 du Code du travail).

328. Sur les difficultés que soulèvent aux Etats-Unis les clauses attributives de juridiction,
surtout lorsqu’elles s’accompagnent d’une renonciation à signification et d’une acceptation
préalable du jugement en cas de défaut (cognovit judgments), voir Scoles et Hay, Conflict of
Laws, pp. 278 ss.

329. Voir, par exemple, proposant une règle de conflit à structure complexe, soumettant les
sources de la responsabilité à la loi du lieu de survenance de l’acte générateur du dommage, et
le régime de la responsabilité à la loi du lieu où le préjudice a été subi, Marie-Ange Moreau-
Bourlès, Structure du rattachement et conflits de lois en matière de responsabilité civile
délictuelle, thèse, Paris II, multigr., 1985.

330. C’est ainsi que la Cour de cassation française a récemment énoncé que :

« si l’extranéité des parties n’est pas une cause d’incompétence des juridictions françaises,
celles-ci ne peuvent, à défaut de conventions internationales, se reconnaître compétentes
dans ce cas, dès lors qu’aucun critère ordinaire de compétence territoriale n ‘est réalisé en France
(Civ., 16 avril 1985, JCP, 1985, IV, 225).»

331. Voir notamment, sur ces long-arm statutes, Scoles et Hay, Conflict of Laws, 1982, pp. 314 ss.
Ces auteurs donnent notamment comme exemple (p. 315) la loi de Californie ainsi rédigée :

« A court of this State may exercise jurisdiction on any basis not inconsistent with the
constitution of this State or of the United States. »

Ainsi, la seule limite à la compétence des juridictions californiennes est-elle l’absence de «


minimum contacts » du litige avec l’Etat de Californie. La jurisprudence de la Cour suprême
des Etats-Unis sur la condition de minimum contacts a donné lieu à une littérature abondante.
Voir récemment Peter Hay, « Refining Personal Jurisdiction in the United States »,
International and Comparative Law Quarterly (1986), 35, pp. 32 ss.

332. Ces deux articles subsistent dans le Code civil luxembourgeois, l’article 15 subsiste seul
dans le Code belge. L’article 14 a été repris par l’article 10 du Code de procédure civile algérien
(Ord. 8 juin 1966, Journal officiel de la République algérienne, 9 juin 1966). Les tribunaux
algériens sont également compétents pour connaître d’un litige né d’une obligation contractée
à l’étranger entre deux Algériens (Code de procédure civile, art. 11).
333. Sur le régime général des articles 14 et 15 du Code civil français, voir Batiffol et Lagarde,
Droit international privé, t. II, nos 677 ss.

334. Le recours subsidiaire aux règles de compétence territoriale interne, qui ne faisait que
reculer le problème (car il resurgissait en cas de défaillance de ces règles), n’a plus de sens
depuis que la Cour de cassation juge que « l’article 14 du Code civil … n’a lieu de s’appliquer
que lorsque aucun critère ordinaire de compétence territoriale n’est réalisé en France » (Civ.
1re, 19 novembre 1985, Clunet, 1986, p. 719, note Huet).

335. Voir par exemple, pour les affaires matrimoniales, le paragraphe 606 ZPO.

336. Dénoncée par Hubert Bauer, Compétence judiciaire internationale des tribunaux civils
français et allemands, Paris, 1965, n° 93.

337. La jurisprudence est abondante; voir les références dans Batiffol-Lagarde, op. cit., n° 684,
pp. 497 s.

338. Trib. civ., Liège, 9 juin 1983, cité par R. Vander Elst et M. Weser, Droit international privé
belge, t. II, Conflits de juridictions, par M. Weser et P. Jenard, 1985, pp. 416417.

339. Voir Paris, 18 décembre 1973, Rev. crit., 1974, p. 530, note B. Audit, Rép. comm., 1975, p. 76,
obs. Droz; comparer trib. Paris, 11 juillet 1979, Rev. crit., 1981, p. 102, note H. Gaudemet-Tallon.
Cf. Batiffol-Lagarde, op. cit., n° 730, p. 597.

340. Voir sur la question Cheshire and North’s Private International Law, pp. 87 ss.; Dicey-
Morris, 10e éd., pp. 196 ss., Rule 24. Voir le texte de l’Order XI, amendé en 1983 (RSC,
Amendment No. 2, 1983, SI 1983/1 181), dans Morris-North, Cases and Materials on PIL, 1984, p.
63.

341. « Service of the writ out of the jurisdiction is permissible with the leave of the Court if… »
(RSC, Order XI, 1 (1)).

342. [ 1983] 3 W LR 241 ; l’arrêt est également reproduit dans Morris-North, Cases and Materials,
1984, p. 72. Voir, sur l’arrêt lui-même, F. A. Mann, « England Rejects “Delocalized” Contracts
and Arbitration », 33 ICLQ (1984), p. 193.

343. L’Order XI, Rule 1 (1), (d), (iii), prévoit en effet une compétence possible du tribunal
anglais si le litige est relatif à un contrat « which is, by its terms, or by implication governed by
English law ». Cette règle a été maintenue à titre transitoire par l’article 35 de la Convention du
9 octobre 1978 relative à l’adhésion des nouveaux Etats membres de la CEE à la Convention de
Bruxelles du 27 septembre 1968.

344. « In considering this question [of discretion] the Court must take into account the nature
of the dispute, the legal and practical issues involved, such questions as local knowledge,
availability of witnesses and their evidence and expense » (lord Wilberforce).
345. Civ., 6 novembre 1979, Rev. crit., 1980, p. 588, note Couchez, Clunet, 1980, p. 95, rapport
Ponsard.

346. Ce n’est pas le for du patrimoine comme dans l’article 23 ZPO, car ici la compétence
française présuppose une saisie des biens situés en France et elle est limitée à la valeur des
biens saisis. L’expression de forum arresti serait plus exacte, à la condition de préciser qu’il
s’agit d’un « arrêt » réel, c’est-à-dire d’une saisie de la chose, par opposition à l’arrêt personnel,
tel que le connaît le common law traditionnel.

347. Civ. 22 mai 1931 (S., 1932, l, p. 137, rapport Casteil, note Niboyet, DP, 1933, 1, p. 60, note Silz),
invoquant le respect du « principe de l’indépendance et de la souveraineté respectives des
Etats » ; Civ., 4 mai 1976, Rev. crit., 1977, p. 352, première espèce, note D. Mayer. Adde, pour
d’autres références, Batiffol-Lagarde, n° 681, note 6.

348. Voir Civ., 23 mars 1868, S., 1868, 1, p. 328 ; Paris, 21 mai 1957, Rev. crit., 1958, p. 128, note
Francescakis; trib. gr. inst., Paris, 14 janvier 1970, Rev. crit., 1970, p. 714, note P. L. Pour justifier
son incompétence sur la question préalable de l’existence de la créance, le jugement du 14
janvier 1970 relevait même « l’absence d’un lien de rattachement entre le litige et la France »,
soit, en d’autres termes, le défaut de proximité.

349. Le problème se pose dans les mêmes termes en droit interne, mais un arrêt récent (Civ. 2e,
12 décembre 1984,JCP, 1986, II, 20605, note Joly) a pu paraître remettre en cause le pouvoir du
juge saisi de l’instance en validité de la saisie de se déclarer incompétent sur la question de
l’existence de la créance.

350. Sur cet ancien principe d’incompétence et son explication parla notion de domicile
international, telle qu’elle était entendue en France avant l’abrogation par la loi du 10 août 1927
de l’article 13 du Code civil sur l’admission à domicile, voir surtout la note de Ph. Francescakis
sous l’arrêt Patino (Civ., 21 juin 1948) à la Revue critique, 1949, p. 557.

351. Req. 8 avril 1851, S., 1851, 1, p. 33; 7 mars 1870, S., 1872, 1, p. 361 ; Civ., 10 novembre 1920, S.,
1923, l, p. 129, note Niboyet, Rev. crit., 1921, p. 213, troisième espèce.

352. Civ., 21 juin 1948, Patino, Rev. crit., 1949, p. 557, note Francescakis, JCP, 1948, II, 4422, note
Lerebours-Pigeonnière, S., 1949, 1, p. 121, note Niboyet ; 30 octobre 1962, Scheffel, D., 1963, p. 109,
note G. Holleaux, Rev. crit., 1963, p. 387, note Francescakis.

353. Voir trib. gr. inst. Paris, 1er octobre 1976 (Rev. crit., 1977, p. 535, note A. Huet), refusant en
l’espèce de se reconnaître compétent pour déclarer la naissance d’un Marocain au Maroc, en
dépit de l’inertie alléguée des juridictions marocaines, au motif que le demandeur ne justifiait
pas d’une résidence stable sur le territoire français. Adde l’obiter dictum de Civ., 13 janvier 1981,
Rev. crit., 1981, p. 331, note H. Gaudemet-Tallon.

354. N° 213-3.
355. En Allemagne fédérale, le for de nécessité (Notzuständigkeit) était souhaité par la
doctrine, mais l’accent ne paraissait pas mis sur la nécessité en ce cas d’une Inlandsbeziehung :
voir Kropholler, dans Handbuch des internationalen Zivilverfahrensrechts, t. I, chap. III, nos 192
ss. La loi du 25 juillet 1986 consacre ce for de nécessité en matière de déclaration de décès,
lorsqu’il existe un « intérêt légitime » (par. 12-2 VerschG) et en matière de tutelle et de
curatelle lorsque les besoins de l’assistance de l’incapable requièrent l’intervention d’un
tribunal allemand (par. 35 a), 2, et 36, 3 FGG).

356. Sur l’état des droits cantonaux à cet égard, voir G. Kaufmann-Kohler, La clause d’élection
de for dans les contrats internationaux, Bâle et Francfort, 1980, p. 131. L’article 5, paragraphe 3,
du projet de 1982 interdit au tribunal suisse élu de décliner sa compétence « si une partie est
domiciliée, a sa résidence habituelle, ou un établissement en Suisse ou si, en vertu de la
présente loi, le droit suisse est applicable au litige ». Le projet de 1979 ajoutait que le juge élu
pouvait aussi admettre sa compétence « lorsqu’il existe une autre relation entre la cause ou
l’une des parties et la Suisse », ce qui impliquerait l’obligation pour le tribunal suisse élu de se
déclarer incompétent en l’absence de cette relation. La disparition de cette disposition dans le
projet de 1982 est justifiée par le fait que « dans le commerce international … on ressent le
besoin de recourir à un juge neutre » et que le juge suisse peut être parfois ce juge neutre
(Message fédéral, n° 213, 6).

357. Voir H. Gaudemet-Tallon, La prorogation volontaire de juridiction en droit international


privé, Paris, 1965, nos 317 ss.; G. Kaufmann-Kohler, op. cit., p. 141 ; J. Jodlowski, « Les conventions
relatives à la prorogation et à la dérogation à la compétence internationale en matière civile »,
Recueil des cours, tome 143 (1974-III), pp. 475 ss., spéc. pp. 555 ss.

358. Pour la licéité du choix d’un for neutre (choix du tribunal de commerce de Zurich dans un
contrat entre une société française et une société allemande) voir Com., 19 décembre 1978,
Clunet, 1979, p. 366, et la note justement approbative de H. Gaudemet-Tallon, Rev. crit., 1979, p.
617, note critique A. Huet.

359. L’une de ces limites, non mentionnée au texte, est l’interdiction de déroger par une clause
attributive de juridiction à une compétence exclusive des tribunaux allemands (art. 40, al. 2,
ZPO), laquelle peut d’ailleurs reposer, au moins pour partie, sur le principe de proximité (voir
les articles 24 et 29a ZPO, prévoyant la compétence exclusive du tribunal du lieu de situation
de l’immeuble en matière réelle et en matière de baux d’habitation).

360. Voir dans Kropholler, op. cit. (supra note 353), n° 577, l’emploi de ce terme
d’Auslandsberührung.

361. Mais nécessairement celui du for général de l’une des parties ou de l’un des fors spéciaux
(art. 38, al. 2 in fine, ZPO).

362.

os
Kropholler, op. cit., nos 501 ss., observe qu’un non-commerçant de Hambourg peut convenir
avec un cocontractant new-yorkais de la compétence d’un tribunal de New York, mais ne
pourrait convenir avec un commerçant de Kiel de la compétence du Landgericht de Kiel…

La hiérarchie établie par le facteur de proximité entre les fors généraux et spéciaux se poursuit
dans l’article 38, alinéa 3, ZPO. Il y est prévu que « dans les autres cas », c’est-à-dire dans les cas
où les deux parties ont leur domicile en République fédérale d’Allemagne, les clauses
attributives de juridiction conclues avant la naissance du litige ne sont licites que si elles ont
été prévues pour le cas où le défendeur transférerait après la conclusion du contrat son
domicile ou sa résidence habituelle hors de la République fédérale. Alors se trouverait réalisée
rétrospectivement la condition d’Auslandsberührung.

363. Cf. l’article 17 delà Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. Sur les conflits possibles
entre l’article 38 ZPO et l’article 17 de la Convention de Bruxelles, voir notamment D. Ben
Abderrahmane, Le droit allemand des conditions générales des contrats dans les ventes
commerciales franco-allemandes, Paris, 1985, pp. 142 ss.

364. Bundesarbeitsgericht, 27 janvier 1983, Arbeitsrechtliche Praxis, 1984, H. 25-28, Nr. 12 zu par.
38 ZPO, p. 1197, note Beitzke.

365. Le procès dont il existe des équivalents dans la jurisprudence française (voir Soc., 23 mai
1973, deux arrêts, Rev. crit., 1974, p. 354 et la note) opposait la compagnie Royal Air Maroc et
l’un de ses pilotes, de nationalité allemande. Le contrat avait été conclu au Maroc, avec une
clause (litigieuse) attribuant compétence au tribunal de Casablanca. Le pilote, licencié sans
préavis pour avoir consommé en uniforme une boisson alcoolisée lors d’une escale à Djeddah
(Arabie Séoudite), avait assigné la compagnie devant le tribunal de Düsseldorf, sur la seule
base de l’article 23 ZPO (existence d’un compte ouvert par la compagnie défenderesse dans un
établissement bancaire de cette ville). La défenderesse opposa la clause, valable en droit
marocain, mais le Tribunal fédéral du travail lui a donné tort, au motif que cette clause ne
satisfaisait pas aux prescriptions de forme de la loi allemande.

366. L’article 48 NCPC, texte de droit interne, prohibe en règle générale les clauses attributives
de juridiction, sauf entre commerçants. Cette prohibition est-elle applicable en matière
internationale, du fait du principe étendant à l’ordre international les règles de compétence
territoriale interne? La question, très débattue (voir les références dans Batiffol-Lagarde, n°
673-1, note 7), n’a été tranchée que par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de
cassation du 17 décembre 1985 (Rev. crit., 1986, p. 537, note H. Gaudemet-Tallon), affirmant,
dans le sens généralement souhaité par la doctrine et par la pratique

« que les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites lorsqu’il
s’agit d’un litige international … et lorsque la clause ne fait pas échec à la compétence
territoriale impérative d’une juridiction française .»
367. Soc., 18 et 19 octobre 1967, et Civ., 9 janvier 1968, Rev. crit., 1968, p. 490, note H. Gaudemet-
Tallon, Clunet, 1968, pp. 343 et 717, notes M. Simon-Depitre, JCP, 1967, II, 15293, et 1968, II, 15451,
notes G. Lyon-Caen; Soc., 23 mai et 8 novembre 1973, Rev. crit., 1974, p. 354, note P. Lagarde. Sur
cette jurisprudence, voir aussi A. Sinay-Cytermann, L’ordre public en matière de compétence
judiciaire internationale, thèse, Strasbourg, multigr., 1980, nos 68 ss.

368. Chambre mixte, 28 juin 1974, Rev. crit., 1975, p. 110, note P. L., Clunet, 1975, p. 82, première
espèce, note D. Holleaux, JCP, 1974, II, 17881, note G. Lyon-Caen, Droit social, 1975, p. 458, note
Lucas, Rép. Commaille, 1975, p. 413, obs. Droz.

369. Article R. 517-1 du Code du travail. Ce texte, qu’on aurait pu considérer comme de pur
droit interne, interdit toute clause dérogeant aux règles de compétence qu’il pose. L’arrêt de la
chambre mixte du 28 juin 1974 l’a étendu à la compétence internationale.

370. Soc., 8 juillet 1985, Rev. crit., 1986, p. 113, note H. Gaudemet-Tallon.

371. Dans sa note sous cet arrêt, Mme Gaudemet-Tallon se réfère à une opinion dans le même
sens exprimée précédemment par P. Rodière, note sous Soc., 2 juin 1983 et 20 octobre 1983,
Clunet, 1984, p. 337.

372. Voir toutefois, à titre anecdotique, Paris, 27 avril 1983, JCP, 1986, II, 20542, note P. Courbe,
retenant sa compétence dans un litige international au motif, entre autres, « qu’il existe
néanmoins un élément de rattachement au territoire français ».

373. L’argument tiré du risque d’incertitude n’a pourtant qu’une portée relative. Les liens entre
la compétence judiciaire et le système de conflit de lois applicable sont tels que l’extension de
la compétence internationale des tribunaux d’un Etat déterminé peut, dans certains cas,
corriger l’incertitude qui résulterait, quant à la loi applicable, de la saisine d’un tribunal
étranger. Voir sur ce point B. von Hoffmann, « Gegenwartsprobleme internationaler
Zuständigkeit », IPRax, 1982, p. 217, spéc. p. 222, qui propose une extension de la compétence
juridictionnelle au-delà de ce que prévoit le droit de l’Etat du tribunal saisi chaque fois que la
cause présente un lien très étroit avec cet Etat.

374. Voir aux Etats-Unis Scoles et Hay, Conflict of Laws, 1982, pp. 363 ss. ; Leflar, American
Conflicts Law, 3e éd., 1977, pp. 97 ss. En Europe, P. Herzog, « La théorie du forum non conveniens
en droit anglo-américain: un aperçu », Rev. crit., 1976, pp. 1-41 ; B. Schneider, « Le forum
conveniens et le forum non conveniens (en droit écossais, anglais et américain) », Revue
internationale de droit comparé, 1975, pp. 601-642; Dubler, Les clauses d’exception en droit
international privé, Genève, 1983, pp. 191 ss. Adde les remarques de H. Gaudemet-Tallon, «
Réflexions comparatives sur certaines tendances nouvelles en matière de compétence
internationale des juges et des arbitres », Mélanges Marty, 1978, pp. 531 ss., spéc. pp. 554 ss.
375. Atlantic Star v. Bona Spes, 10 avril 1973, [1973] 2 WLR 195; Mc-Shannon v. Rockware Glass
Ltd, 26 janvier 1978, [1978] 2 WLR 362. Sur ces deux arrêts, voir H. Gaudemet-Tallon et D.
Talion, Rev. crit., 1974, p. 607 et 1979, p. 687.

376. Gulf Oil Corporation v. Gilbert, 1947, 330 US 501, 67 S. Ct. 839, reproduit dans le Casebook
Conflict of Laws, de E. F. Scoles et R. J. Weintraub, 1967, p. 201. Selon la Cour suprême: «
Administrative difficulties follow for Courts when litigation is piled up in congested centers
instead of being handled at its origin. » Voir également lord Diplock in McShannon, cit, par H.
et D. Tallon, Rev. crit., 1979, p. 693.

377. Voir le même arrêt :

« There is an appropriateness in having the trial of a diversity case in a forum that is at law
with the State law that must govern the case rather than having a court in some other forum
untangle problems in conflict of laws, and in law foreign to itself. »

378. L’argument n’est pas sans rappeler la doctrine allemande du Gleichlauf, sur laquelle voir
Kropholler, Handbuch des Internationalen Zivilverfahrensrechts, I, chap. III, nos 241 ss. Adde E.
Vassilakakis, Orientations méthodologiques dans les codifications récentes du droit international
privé en Europe, thèse, Paris I, 1984, multigr., nos 57 ss; González Campos, « Les liens entre la
compétence judiciaire et la compétence législative en droit international privé », Recueil des
cours, tome 156 (1977-III), p. 278. Une forme atténuée de la liaison entre compétence et loi
applicable se trouve dans la distinction d’Ehrenzweig entre les moral data et les local data.
Selon Erik Jayme (« Forum non conveniens und andwendbares Recht », IPRax, 1984, p. 303),
cette distinction pourrait justifier le dessaisissement lorsque le problème est d’apprécier des
notions morales ayant cours dans un Etat étranger au juge saisi, par exemple la notion de
bonnes mœurs, ou l’interprétation de certains termes, qui exigeraient du juge un « sens » que
l’on ne trouve que dans le pays concerné.

379. Voir encore les arrêts Gulf Oil Corp. aux Etats-Unis et McShannon en Angleterre. Dans ce
dernier pays, avant même le revirement de 1973, la preuve par le défendeur du caractère «
vexatoire et oppressif » de l’action intentée contre lui pouvait amener le tribunal anglais à se
dessaisir.

380. Voir encore Gulf Oil Corp. :

« Important considerations are the relative access to sources of proof ; availability of


compulsory process for attendance of willing, witnesses … and all other practical problems
that make trial of a case easy, expeditious and inexpensive. »

Il est intéressant de relever les mêmes observations dans l’arrêt de la Chambre des lords Amin
Rasheed Shipping Corp. v. Kuwait Insurance Co. de 1983 [1983], 2 All ER 884, mais à propos de la
doctrine inverse du forum conveniens (voir le passage de lord Wilberforce cité dans ce chapitre,
supra note 342).
381. Voir le passage cité par H. et D. Talion, Rev. crit., 1979, p. 692. Voir, de même, lord
Wilberforce dans Amin Rasheed, à propos de forum conveniens :

« It is not appropriate, in my opinion, to embark upon a comparison of the procedures, or


methods, or reputation or standing of the courts of one country as compared with those of
another. »

382. 454 US 235 (1981).

383. « The Court of Appeals erred in holding that plaintiffs may defeat a motion to dismiss on
the ground of forum non conveniens merely by showing that the substantive law that would be
applied in the alternative forum is less favourable to the plaintiffs than that of the present
forum. The possibility of a change in substantive law should ordinarily not be given conclusive
or even substantial weight in the forum non conveniens inquiry ».

384. Voir par exemple Cour suprême du Maine, 1978, McLeod v. McLeod, 383 A 2d 39 (1978), sur
laquelle voir P. Herzog, Clunet, 1980, p. 929.

385. Voir les réflexions de H. et D. Talion, Rev. crit., 1979, pp. 693 et 694. Dicey et Morris (p. 250)
doutent que la distinction entre for naturel et for non naturel aboutisse à un véritable
renversement de la charge de la preuve qui, pour eux, pèse toujours sur le défendeur.

386. Voir supra, chapitre III, n° 109.

387.

C. Dubler, Les clauses d’exception en droit international privé, Genève, 1983, n° 253, p. 200, citant
dans le même sens K. Siehr, dans Colloque de Fribourg relatif au projet suisse de loi fédérale sur
le droit international privé, Zurich, 1979, p. 86. Cette position est en harmonie avec celle,
examinée ci-dessus, écartant la nécessité d’un lien entre le litige et le tribunal élu (supra,
présent chapitre, section I, paragraphe 3, n° 134). Cf. L. Collins, « Choice of forum and Exercise
of Judicial Discretion », ICLQ, 1973, pp. 322 ss.

Il faut, toutefois, rappeler que la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 sur les accords
d’élection de for (qui n’est jamais entrée en vigueur) contredit l’opinion émise au texte en
permettant à tout Etat contractant de « se réserver de ne pas reconnaître les accords
d’élection de for si le litige n’a aucun rattachement avec le tribunal élu, ou si, compte tenu des
circonstances, il y aurait grave inconvénient à ce que la cause soit jugée par le tribunal élu (art.
15).»

388. C. supr., 12 juin 1972, The Bremen and Al v. Zapata Off-Shore Co., 407 US 1, 92 S. Ct. 1907
(1972), Rev. crit., 1973, p. 530, note H. Gaudemet-Tallon et D. Tallon ; Scherk v. Alberto-Culver Co.,
417 US 506, 94 S. Ct. 2449 (1974). Voir, sur la position actuelle aux Etats-Unis, Scoles-Hay,
Conflict of Laws, 1982, pp. 352 ss.
389. « A la lumière des réalités commerciales d’aujourd’hui et de l’expansion du commerce
international, nous concluons à l’efficacité de la clause sauf si l’on peut démontrer avec force
qu’elle doit être écartée … La Cour de district et la cour d’appel ont fait porter sur Unterweser
la charge de démontrer que Londres serait un for plus approprié que Tampa, alors que le
contrat réglait expressément cette question. La solution correcte aurait été d’appliquer
strictement la clause sauf si Zapata avait pu démontrer clairement que l’exécution de celle-ci
serait déraisonnable ou injuste ou que la clause était nulle pour fraude, tromperie ou tout
autre cause. » (Rev. crit., 1973, pp. 534-535.)

390. Act of July 19, 1984, ch. 421, codified at NY Gen. Oblig. Law, par. 5-1401, 5-1402. Sur cette loi,
voir P. Herzog, 36 Syracuse Law Review, 1985, pp. 131 ss.

391. Adde: Rokeby-Johnson v. Kentucky Agricultural Energy Corp., 489 NY 5 2d 69 (1st Dept.
1985), cité par P. Herzog, Syracuse Law Review, 1986, p. 375, note 107, écartant forum non
conveniens en cas de clause attribuant compétence au tribunal saisi.

392. Doublement unilatéral, en ce que, d’une part, la règle de compétence ne désigne que les
tribunaux du for, en ce que, d’autre part, le juge non désigné par la règle de compétence de son
for ne peut faire application d’une règle de compétence étrangère, comme il pourrait le faire
d’une règle de conflit de lois unilatérale étrangère en dehors des cas d’application de la loi du
for.

393. Selon lord Diplock dans McShannon, cité par Dicey-Morris, p. 249 :

« The forum to whose jurisdiction he is amenable in which justice can be done between the
parties at substantially less inconvenience or expense. »

394. « For the convenience of parties and witnesses, in the interest of justice, a district court
may transfer any civil action to any other district or division where it might have been
brought. » (28 par. 1404 US Code Judiciary and Judicial Procedure.)

395. P. Herzog (Rev. crit., 1976, p. 13) cite la section 1.05 du Uniform Interstate and International
Procedure Act de 1962 ainsi rédigée :

« Si le tribunal détermine que dans l’intérêt d’une bonne justice l’action devrait être portée
devant un autre for, le tribunal, à la demande de l’une ou de l’autre partie, peut suspendre
l’action, ou la déclarer non recevable, en tout ou partie, et en imposant les conditions qui
paraîtront justes au tribunal. »

396. Un bon exemple est fourni par l’affaireMcLeod, citée supra note 382. L’affaire opposait
deux ex-époux américains, le mari originaire du Maine, la femme de Virginie. Les époux
avaient résidé d’abord en Virginie, puis à Paris, où fut prononcé leur divorce. La femme revint
en Virginie, tandis que le mari poursuivit sa carrière, au service de la CIA, en Thaïlande.
Profitant d’un séjour de vacances de son ex-mari dans l’Etat du Maine, la femme l’y assigna en
exequatur du jugement français de divorce. La cour suprême du Maine s’estima forum non
conveniens, mais, pour éviter à la femme d’aller poursuivre en Thaïlande l’exécution du
jugement de divorce, subordonna son dessaisissement à un engagement du défendeur de ne
pas soulever l’exception d’incompétence si son ancienne femme l’assignait en Virginie.

397. Islamic Republic of Iran v. Mohammed Reza Pahlavi et ai, 62 NY 2d 474, 467 NE 2d 245, 478
NYS 2d 597 (1984), cert. den. 105 S.Ct. 783 (1985). Sur l’arrêt, voir P. Herzog, 36 Syracuse Law
Review, 1985, p. 133, et sur des décisions postérieures, même revue, 1986, p. 375.

398. 62 NY 2d 483-484. Contra, voir la décision du tribunal du district sud de New York du 12
mai 1986 (affaire de Bhopal), subordonnant son dessaisissement sur la base de forum non
conveniens à l’acceptation par Union Carbide de la compétence des tribunaux indiens et à
l’exécution de leur décision (25 ILM 771 (1986)).

399. Comparer les clauses dont il sera question ci-après proposées par Siehr lors de la
discussion du projet suisse de 1979 dans Colloque de Fribourg relatif au projet suisse de loi
fédérale sur le droit international privé, 1979, p. 86 (voir infra note 411), et par le Max-Planck
Institut à l’occasion des projets de réforme du droit international privé allemand, dans Reform
des deutschen internationalen Privatrechts, Tübingen, 1980, thèse 22, p. 151.

400. A l’exception peut-être des Pays-Bas, dont le Code de procédure civile précise, en son
article 429 : « Le juge n’a pas de pouvoir de juridiction lorsque la requête est sans attache
suffisante avec la sphère juridique des Pays-Bas. »

401. T. C. Hartley, Civil Jurisdiction and Judgments, Londres, 1984, pp. 78 ss. Voir aussi Anton,
Civil Jurisdiction in Scotland, Edimbourg, 1984, passim ; contre toute flexibilité, voir le rapport
Schlosser sur la convention d’adhésion du 9 octobre 1978, JOCE, 1979, C 59, n° 78, pp. 97 ss.

402. Sur les rapports entre l’article 92 NCPC et l’article 18 de la Convention de Bruxelles, voir P.
Lagarde, note sous Civ., 15 décembre 1982, Rev. crit., 1983, p. 318, spéc. pp. 326 ss. Adde P. Gothot
et D. Holleaux, La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, Paris, 1985, n° 189.

403. AG Eggenfelden, 6 novembre 1981, IPRax, 1982, p. 78 ; OLG Düsseldorf, 11 mai 1981, Fam. RZ,
1981, p. 1005.

404. B. von Hoffmann, « Gegenwartsprobleme internationaler Zuständigkeit », IPRax, 1982, pp.


217 ss., spéc. p. 222 ; E. Jayme, « Zur Übernahme der Lehre vom « forum non conveniens » in
das deutsche internationale Verfahrensrecht », StAZ (Zeitschrift für das Standesamtswesen),
1975, pp. 91-94, et IPRax, 1984, p. 303. Adde les remarques de Siehr au colloque de Fribourg, cité
supra note 397. Et déjà, W. Wengler, NJW, 59, 127, 130.

405. OLG Frankfurt am Main, 15 novembre 1982, IPRax, 1983, p. 294.


406. Thèse 22 du Max-Planck Institut (voir supra note 397). Les thèses 19 à 21 auxquelles se
réfère la thèse 29, dont la traduction est reproduite au texte, sont relatives à la compétence des
tribunaux allemands en matière de mariage et divorce, de filiation et de succession.

407. Voir surtout Schlosser, qui après avoir dans son rapport sur la convention d’adhésion
(précité note 399) fermé la voie à toute interprétation flexible de la Convention de Bruxelles, a
fortement critiqué l’arrêt de Francfort cité au texte : « Forum non conveniens wegen
Inaktivität der Prozessbeteiligten? », IPRax, 1983, p. 285. Voir déjà, hostiles à forum non
conveniens, Kropholler, dans Handbuch des Internationalen Zivilverfahrensrechts, Bd. I, Kap. III,
nos 207 ss.; Geimer, dans Zöller, Zivilprozessordnung, 14e éd., 1984, IZPR, Anm. 344.

408. OLG München, 22 juin 1983, IPRax, 1984, p. 319.

409. Aux termes de l’article 20, alinéa 3, GG : « le pouvoir législatif est soumis à l’ordre
constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont soumis à la loi et au droit ».

410. Voir le texte, Rev. crit., 1978, p. 187, avec le commentaire de F. Knoepfler.

411. Voir supra, chapitre III, n° 97.

412. Voir notamment les deux arrêts de la cour de justice du canton de Genève des 5 décembre
1980 et 7 octobre 1983, Annuaire suisse de droit international, 1981/37, pp. 412 ss., 1984/40, pp.
296 ss., obs. P. Lalive et A. Bücher). Statuant dans les deux cas sur une action en recherche de
paternité intentée en Suisse par une mère et un enfant tous deux domiciliés en Suisse, la Cour
écarte dans le premier arrêt l’application de la clause d’exception, alors que l’enfant, la mère et
le père prétendu étaient tous les trois de nationalité française et que le défendeur était
domicilié en France, mais elle accepte de se dessaisir dans le second arrêt, estimant que
l’espèce présentait des liens prépondérants avec la Grèce, alors que la mère et l’enfant étaient
de nationalité allemande et que seul le prétendu père était grec et domicilié en Grèce.

413.

Colloque de Fribourg, précité supra note 397.

La clause proposée par K. Siehr préconisait le dessaisissement du juge suisse en cas d’accès
plus facile à un juge étranger et lorsque ce juge étranger était celui de l’Etat dont la loi était
applicable au litige d’après les règles de conflit suisses. Le dessaisissement était exclu en cas
d’élection par les parties du for suisse.

414. L’article 20, alinéa 3, GG, invoqué par la Cour de Munich (voir supra note 407), paraît à
côté de la question. Si le droit allemand connaissait l’exception tirée du défaut de proximité, le
juge allemand qui l’appliquerait se soumettrait « à la loi et au droit ». Quant à l’article 101, I, 2,
GG, également invoqué dans la controverse (voir Kropholler, op. cit., n° 210), il prévoit, certes,
que « nul ne peut être soustrait à son juge légal », mais il semble devoir être lu en rapport avec
l’objet de l’article 101 dans son ensemble, qui est relatif à l’interdiction des tribunaux
d’exception, et paraît tout à fait étranger au problème étudié au texte.

415. Voir Schlosser, IPRax, 1983, p. 285; Kropholler, op. et loc. cit., n° 208.

416. Voir la fameuse « liste rouge » de l’article 3 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre


1968, mentionnant, entre autres, l’article 23 ZPO et les articles 14 et 15 du Code civil français.

417. Voir Kropholler, op. et loc. cit., nos 209 et 211.

418. Hartley, op. cit. (supra note 399), p. 79.

419. Voir Civ., 26 novembre 1974, Rev. crit., 1975, p. 491, note D. Holleaux, Clunet, 1975, p. 108,
note Ponsard. Cf. Batiffol et Lagarde, n° 676, et les autres références.

420. Voir Geimer-Schütze, Internationale Urteilsanerkennung, Bd. 1-2, par. 215, pp. 1651 ss.

421. Voir la rédaction rigide de l’article 21 de la convention. Cf. Gothot et Holleaux, op. cit.
(supra note 400), n° 221.

422. Voir un exemple caractéristique de cette difficulté dans CJCE, 7 juin 1984, Rev. crit., 1985, p.
374, note D. Holleaux, Clunet, 1985, p. 165, obs. A. Huet.

423. Cheshire-North, Private International Law, p. 115.

424. Voir Roman v. Sunshine Ranchettes Inc., 98 AD 2d 744, 469 NYS 2d 449 (2d Dept. 1984), cité
par P. Herzog, Syracuse Law Review, 1985, p. 144.

425. Voir l’article 59 de la Convention de Bruxelles. Après l’échec du projet de convention entre
les Etats-Unis et le Royaume-Uni (sur lequel voir P. Hay, Cahiers de droit européen, 1977, pp. 3
ss.), échec dû, semble-t-il, aux craintes de certains groupes économiques anglais (voir C.
Kessedjian, La reconnaissance et l’exécution des jugements dans le droit interétatique et
international des Etats-Unis d’Amérique, thèse, Paris I, 1986, multigr., n° 128), d’autres
conventions ont été conclues sur la base de cet article notamment entre l’Allemagne fédérale
et la Norvège en 1977 (voir Martiny, dans Handbuch des Internationalen Zivilverfahrensrechts,
Bd. III/2, 1984, nos 195 ss.). Sur les liens entre l’article 59 de la Convention de Bruxelles et le
protocole additionnel à la Convention de La Haye du 1er février 1971 sur la reconnaissance et
l’exécution des jugements en matière civile et commerciale, voir G. Droz, Compétence
judiciaire et effets des jugements dans le Marché commun, 1972, pp. 439 ss.

426. Sur cette jurisprudence très connue, marquée en 1977 par l’arrêt Shaffer w. Heitner, 433 US
186, S. Ct. 2569 (1977), et sur le problème dans sa généralité, voir Scoles-Hay, Conflict of Laws,
1982, pp. 210 ss. et les références.
427. Voir le texte, Rev. crit., 1974, p. 559.

428. Voir le texte, Rev. crit., 1981, p. 346.

429. Le texte cité est celui de la Convention européenne. Celui du Pacte international des
Nations Unies est presque identique. Il ajoute que « tous sont égaux devant les tribunaux et les
cours de justice », ce qui le rapproche encore un peu plus du quatorzième amendement à la
Constitution des Etats-Unis et de sa clause de l’égale protection des lois (« Aucun Etat ne
pourra priver une personne de sa vie, de sa liberté, ou de ses biens sans une procédure légale,
ni refuser à quiconque relève de sa juridiction une égale protection des lois »).

430. Voir Annuaire français de droit international, 1978, p. 409. Voir déjà, dans la Revue des
droits de l’homme, 1975, p. 445, la décision delà Commission selon laquelle le fait pour un
réfugié polonais résidant en Allemagne fédérale de n’avoir pas obtenu de visa pour assister en
Suède à un procès intenté par son ex-femme, suédoise, et concernant le droit de visite de
l’enfant commun « n’exclut pas une violation de l’article 6 ».

431. Arrêt Airey, 9 octobre 1979, dans V. Berger, Jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme, Paris, 1984, pp. 108 ss.

432. Formule maintes fois utilisée par la Commission et citée par J. Raymond, « Les droits
judiciaires en matière non répressive », Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse,
t. XXIX, 1981, pp. 85 ss., spéc. pp. 99-100.

433. Ph. Francescakis, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé,
Paris, 1958, n° 53.

434. Sur la règle Erie-Klaxon, voir Scoles-Hay, Conflict of Laws, 1982, pp. 110 ss. ; C. Kessedjian,
op. cit. (supra note 423), nos 53 ss.

435. Van Dusen v. Barrack, 376 US 612, 84 S. Ct. 805 (1946), cité par Piper Aircraft Co. v. Reyno,
préc. (supra note 380).

436. P. Picone, « Il rinvio all’ordinamento competente nel diritto internazionale privato »,


Rivista di diritto internazionale privato e processuale, 1981, p. 309, et le compte rendu, par B.
Ancel, Rev. crit., 1982, p. 843; Picone, « La méthode de la référence à l’ordre juridique
compétent », à paraître dans le Recueil des cours, tome 197 (1986-II). Nous remercions
vivement l’auteur de nous avoir communiqué le manuscrit de son cours avant sa publication.

437. Voir Cheshire et North, op. cit., pp. 62-78; Dicey-Morris, pp. 64 ss.

438. Dicey et Morris formulent ainsi le mécanisme du double or total renvoi (Rule 1, p. 64):
« In the Rules … in this book the law of a country … means, when applied to a foreign country,
usually the domestic law of that country, sometimes any domestic law which the courts of
that country would apply to the decision of the case to which the Rule refers. »

439. Ce mot est utilisé par Cheshire et North, p. 64.

440. Cet enracinement de la doctrine du double renvoi dans la compétence juridictionnelle a


été souligné par Ph. Francescakis :

« L’idée de copier la solution étrangère – et déjà l’idée de se représenter la solution étrangère


telle qu’elle est donnée par les juges étrangers – serait une pure absurdité, voire témoignerait
d’une carence coupable des magistrats anglais, si elle ne procédait pas de cette autre idée que
seul le tribunal étranger est en principe compétent et que la compétence anglaise n’est que
subsidiaire. L’essence donc de ce type de renvoi réside dans une hiérarchisation des chefs de
compétence judiciaire… (La théorie du renvoi, préc, (supra note 431), n° 106, p. 107.)»

Voir, reprenant cette analyse, W. Wengler, « The General Principles of Private International
Law », Recueil des cours, tome 104 (1961-III), p. 381 ; voir de même, insistant sur ce caractère
subsidiaire, H. Muir Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, thèse, Paris II, 1985, multigr.,
nos 475 ss: Et, sur les liens de la foreign court theory avec la théorie des vested rights, voir du
même auteur, « Quelques remarques sur la théorie anglo-américaine des droits acquis », Rev.
crit., 1986, pp. 425 ss., spéc. pp. 446 ss.

441. Cf. art. 27 (1) ZPO. L’alinéa 2 de l’article 27 réserve la compétence des tribunaux allemands
pour connaître de la succession d’un Allemand décédé domicilié à l’étranger, pour des raisons
liées à la doctrine du Gleichlauf (cf. supra note 376). Sur l’article 27 ZPO, voir Kropholler, dans
Handbuch, préc, chap. III, n° 424.

442. L’idée d’autolimitation du système de conflit de lois du for trouve des applications de plus
en plus nombreuses. Cf., en matière de forme du mariage, l’arrêt du BVerfG allemand du 30
novembre 1982, IPRax, 1984, p. 88, et les observations de Wengler, ibid., p. 68, et de P. Lagarde,
Rev. crit., 1985, p. 429. Comparer, dans un ordre d’idée différent, la systématisation de
l’exception d’ignorance de la règle de conflit de lois applicable, réalisée par M. N. Jobard-
Bachellier, L’apparence en droit international privé, Paris, 1984.

443. Voir le passage de Ph. Francescakis, cité supra note 438.

444. Trib. gr. inst., Paris, 20 avril 1982, Clunet, 1983, p. 583, note Derruppé, confirmé par Paris, 8
mars 1983, Rev. crit., 1984, p. 290, note Jacques Foyer, et maintenu par Civ., 9 octobre 1984, Rev.
crit., 1985, p. 643, note J. Foyer, Clunet, 1985, p. 906, note M. Simon-Depitre.

445. Voir par exemple l’article 30 de la loi turque du 20 mai 1982 (Rev. crit., 1983, p. 141), l’article
84 du projet suisse, l’article 4 du Code de procédure civile italien, l’article 27 ZPO. Mais nombre
de ces textes prévoient des fors alternatifs. Certains Etats retiennent aussi la compétence de
leurs propres tribunaux lorsque le défunt est un de leurs nationaux, voir par exemple l’article
55 c) du décret-loi hongrois de 1979 (Rev. crit., 1981, pp. 158 ss.). Cf. infra, texte et note 453,
l’article 89, alinéa 1, du projet suisse.

446. Comparer H. Muir Watt, op. cit. (supra note 438), n° 487.

447. Ce mode de raisonnement peut assurément surprendre ceux pour qui « le recours
exclusif au système de conflit du for, dès lors que la juridiction saisie est compétente, demeure
le principe et ne paraît pas souffrir d’exception » (B. Goldman, note sous Paris, 3 octobre 1984,
Banque ottomane, Clunet, 1986, p. 156, spéc. p. 165). A vrai dire, l’arrêt commenté par l’éminent
auteur, s’il paraît bien fermer la porte ouverte vingt ans plus tôt dans une affaire intéressant la
même banque (Paris, 19 mars 1965, Clunet, 1966, p. 117, note B. Goldman, Rev. crit., 1967, p. 85,
note P. Lagarde) aux conflits de systèmes, indique seulement que le juge français doit se
référer exclusivement aux « règles du droit international privé français », et non aux seules «
règles de conflit » françaises. Le « droit international privé » d’un pays peut inclure la prise en
considération, dans certaines hypothèses, des systèmes étrangers de droit international privé.

448. Voir surtout son cours à l’Académie de droit international de La Haye (précité note 434) et
spécialement son chapitre IV : « Le fonctionnement de la méthode dans les cas de création de
situations juridiques dans le for. »

449. BVerfG, 3 décembre 1985, IPRax, 1986, p. 151. Sur le vide juridique créé temporairement par
cet arrêt, voir D. Henrich, « Internationale Zuständigkeit zur Scheidung von Ausländerehen »,
IPRax, 1986, p. 139.

450. Certains auteurs allemands estiment eux aussi exagérée la crainte des divorces boiteux.
Voir Geimer, dans Zoller, ZPO, 14e éd., 1984, par. 606 b Anm. 41 ; J. Basedow, « Das
internationale Zivilprozessrecht in Visier des Gesetzgebers », Das Standesamt, 1983, pp. 233 ss.,
spéc. p. 236. Contra, favorable à l’article 606 b purgé de son vice constitutionnel d’atteinte à
l’égalité des sexes, Kropholler, op. cit., nos 119 ss.

451. Article 7h LRDC, qui se trouvait en harmonie avec l’article 7c, subordonnant l’aptitude au
mariage (et au remariage du conjoint divorcé) à la loi nationale de chaque époux. La
combinaison des deux textes éviterait les mariages boiteux, les divorces boiteux et les
remariages boiteux. L’évolution de la jurisprudence du Tribunal fédéral sur la preuve à
rapporter par l’époux demandeur (TF, 11 juillet 1968, Rev. crit., 1969, p. 303, note Knoepfler; 5
février 1976, Rev. crit., 1976, p. 519, note Knoepfler) avait peu à peu vidé de son contenu l’article
7h.

452. Voir les articles 57 et 59 du projet de 1982.

453. Le texte en langue allemande, qui est le texte original, indique clairement que le mariage
doit être reconnu dans l’Etat national ou du domicile de chacun des deux fiancés. Une seule
exception est prévue : l’autorisation ne peut être refusée pour le motif qu’un divorce prononcé
ou reconnu en Suisse n’est pas reconnu à l’étranger (art. 41, al. 3).

454. Encore plus faible dans le projet suisse que dans le texte allemand, puisque par hypothèse
aucun des futurs époux n’est rattaché à la Suisse par un lien de nationalité ou de domicile,
tandis que l’article 606b ZPO présuppose au moins la résidence en Allemagne de l’un des
époux. Cette absence de contact avec la Suisse explique que la rigidité de la règle du projet
suisse soit en fait moins gênante que celle de la règle allemande.

455. Ce texte ne concerne qu’un de cujus étranger. L’article 89, alinéa 2, soumet à la loi suisse la
succession d’un Suisse qui a eu son dernier domicile à l’étranger. Sur l’article 89, alinéa 1, voir
A. E. von Overbeck, Recueil des cours, tome 176 (1982-III), p. 166, nos 354 ss.

456. Art. 86, al. 1. Un for subsidiaire comparable est prévu par l’article 71, alinéa 3, de la loi
yougoslave du 15 juillet 1982 (Rev. crit., 1983, p. 353).

457. Voir l’ancienne loi suédoise du 10 juin 1949, abrogée en 1971, aux termes de laquelle : « Un
étranger ne peut adopter ni être adopté en Suède que si l’adoption est valide dans l’Etat dont il
a la nationalité » et, sur son application, voir P. Picone, cours précité (supra, note 434), par. 12.
Voir aussi en Suisse l’article 8c LRDC ainsi rédigé (réd. loi 30 juin 1972, Rev. crit., 1974, p. 173):

« Lorsqu’il apparaît qu’une adoption ne serait pas reconnue dans le pays d’origine de
l’adoptant ou des époux adoptants et qu’il en résulterait un grave préjudice pour l’enfant,
l’autorité tient compte, en sus des conditions posées par le droit suisse, de celles qui sont
posées par la loi nationale des adoptants; si, alors, la reconnaissance de l’adoption ne paraît
pas non plus assurée, la demande doit être rejetée. »

La règle est reprise en termes très voisins par l’article 75, alinéa 2, du projet de réforme.

458. Voir la traduction allemande dans IPRax, 1982, p. 167.

459. In re B. (S.) (an infant), [1968] ch. 204, analysé par Cheshire-North, p. 459, et les références
à leur controverse avec Kahn-Freund. Cf. Dicey-Morris, p. 492.

460. Trib. féd., 22 décembre 1953, ATF, 1979, 1, 321, reproduit dans Keller et autres, Die
Rechtsprechung des Bundesgerichtes im IPR, I, p. 244.

461. Paquette v. Galipean (1981), 22 RFL(2d) 192, cité par Dicey-Morris, supplément 1983, p. 492.

462. La reconnaissance est rarement définie par les textes législatifs ou conventionnels. Voir
toutefois l’article 23 de la Convention franco-brésilienne de coopération judiciaire du 30
janvier 1981 (décret du 28 mars 1985, JO, 3 avril 1985, Rev. crit., 1985, p. 400):

« Au sens de la présente convention, la reconnaissance de plein droit d’une décision signifie


que le dispositif de jugement a valeur obligatoire entre les parties demanderesse et
défenderesse. Il peut être notamment opposé par elles comme une exception à toute nouvelle
action intentée entre les mêmes parties sur le même objectif et pour la même cause, les
tribunaux ayant la faculté soit de se dessaisir, soit de surseoir à statuer.»

463. P. Mayer, La distinction entre règles et décisions et le droit international privé, Paris, 1973;
Droit international privé, précis Domat-Monchrestien, 2e éd., 1983, nos 98 ss.

464. P. Mayer, Droit international privé, n° 98.

465. C’est le principal exemple sur lequel raisonne P. Mayer. Voir, utilisant l’expression de
décision – et le mode de raisonnement y afférent – en matière de nationalisation, Civ., 1er
juillet 1981, Clunet, 1982, p. 148, note P. Bourel, Rev. crit., 1982, p. 336, note P. Lagarde (affaire
Total Afrique).

466. P. Mayer, La distinction entre règles et décisions et le droit international privé, nos 284 ss.

467. Ibid., nos 192 ss. Cf. infra, nos 201, 205.

468. Voir les signes d’incompréhension dans certaines interventions au colloque de Bâle des
19-21 mars 1986 sur l’application du droit public étranger, à paraître.

469. On retrouve ici la notion de « conflit des autorités », dégagée jadis par Niboyet (Traité de
droit international privé français, t. VI, 1949), admise par F. Rigaux, Droit international privé, t. I,
1977, pp. 183 ss., et invoquée beaucoup plus récemment par A. K. Boye, L’acte de
nationalisation, Paris, Berger-Levrault, 1979, pp. 150 ss.

470. Sur l’ensemble, voir Extra-territorial Application of Laws and Responses Thereto, édité par
C. J. Olmstead, Oxford, 1984; cf. J. M. Jacquet, « La norme juridique extraterritoriale dans le
commerce international », Clunet, 1985, pp. 327-405.

471. Ces décisions peuvent aussi être provoquées par une autorité étatique, par exemple le
ministère public (articles 422 et 423 du nouveau Code français de procédure civile), mais
l’autorité qui prend la décision n’est pas celle qui la provoque.

472. Art. 28, al. 3. Mais ce principe souffre de notables exceptions. Voir P. Gothot et D.
Holleaux, La convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, Paris, 1985, n°s 304 ss.

473. D. Holleaux, Compétence du juge étranger et reconnaissance des jugements, Paris, 1970,
spéc. p. 408. Sur cet ouvrage, voir le compte rendu substantiel de Ph. Francescakis, Rev. crit.,
1972, p. 529, reproduit dans La pensée des autres en droit international privé, 1985, p. 300.

474. Selon Ph. Francescakis (op. cit. à la note précédente), p. 309,

« abandonner cette répartition à la discrétion des parties c’est les faire bénéficier d’une
exterritorialité juridique qui les ferait échapper à l’emprise légitime des sociétés étatiques avec
lesquelles leur situation présente des rapports. Et il y a de fortes raisons que le cosmopolitisme
ainsi atteint ne soit que celui de la puissance financière. »

475. L’exemple typique en étant fourni, une fois deplus parles articles 14 et 15 du Code civil
français, considérés par la jurisprudence de la Cour de cassation comme posant des règles de
compétence exclusive, faisant obstacle à la reconnaissance des décisions étrangères. Une
évolution ne peut cependant être exclue, depuis l’arrêt Simitch du 6 février 1985, cité infra note
493. Adde l’arrêt du 22 avril 1986, cité infra note 496. Voir sur ce point A. Ponsard, « Le contrôle
de la compétence des juridictions étrangères », communication faite le 14 mars 1986 au
Comité français de droit international privé, à paraître dans les Travaux Voir aussi en
Allemagne, sur le caractère exclusif de l’article 606 ZPO en matière matrimoniale, Martiny,
dans Handbuch des IZVR, t. III, nos 653, 729 ss.

476. Voir comme exemplatifs les cas prévus à l’article 16, chiffres 3, 4 et 5, de la Convention de
Bruxelles du 27 septembre 1968. Les autres cas de compétence exclusive de cet article ne
reposent pas forcément sur le principe de souveraineté.

477. Voir Batiffol et Lagarde, Droit international privé, t. I, 1981, n° 156, note 10 et les références.

478. Comparer l’approche différente du projet suisse, qui paraît s’inspirer davantage du
principe de proximité en retenant, pour le nom, la compétence de principe de la loi du
domicile sauf choix par l’intéressé de sa loi nationale (principe de proximité corrigé par
l’autonomie de la volonté, art. 35) et, pour les changements de nom, la compétence indirecte
alternative des autorités de l’Etat du domicile ou de la nationalité du requérant, combinée
avec le système du renvoi facultatif à l’ordre juridique compétent (art. 37).

479. Cf. l’article 28, alinéa 1, de la Convention de Bruxelles, réservant le contrôle de la


compétence indirecte pour les jugements ayant statué en matière d’assurances, ainsi que de
vente et prêt à tempérament. Comparer l’article 145 du projet suisse, qui reconnaît la
compétence indirecte du for de la partie faible (art. 145, par. 2 b) et c)), mais sans lui conférer le
caractère exclusif, car ces fors ne sont reconnus qu’à titre additionnel.

480. Sous réserve, bien entendu, de la vérification de l’existence du consentement, garantie le


plus souvent par des conditions de forme (voir Convention de Bruxelles, art. 17) et de la non-
violation par les parties de règles de compétence impérative (voir supra, chapitre IV, et la
jurisprudence citée au n° 138 à propos des clauses attributives de juridiction dans les contrats
de travail à caractère international).

481. L’article 8 de cette convention se contente d’indiquer que

« les décisions rendues dans un Etat contractant par le tribunal élu selon les dispositions de la
présente convention seront reconnues et déclarées exécutoires dans les autres Etats
contractants conformément aux règles sur la reconnaissance et l’exécution des jugements
étrangers en vigueur dans ces Etats .»
Sur l’interprétation de cet article, voir P. Lagarde, « La Convention de La Haye du 25 novembre
1965 sur les accords d’élection de for », Travaux du Comité français de droit international privé,
1964-1966, pp. 151 ss., spéc. pp. 167 ss.

482. Voir l’exception 1 à la règle 181 de Dicey-Morris, 10e éd., p. 1061, qui reprenait les termes du
Foreign Judgments (Reciprocal Enforcement) Act 1933, s.4(3)(b).

483. Cet article 32 est l’une des rares dispositions de la loi de 1982 qui soit entrée en vigueur
immédiatement. Les autres dispositions entreront en vigueur en même temps que la
Convention de Luxembourg du 9 octobre 1978, relative à l’adhésion des nouveaux Etats
membres à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. Sur cet article 32, voir T. C.
Hartley, Civil Jurisdiction and Judgments, Londres, 1984, p. 96; Dicey-Morris, mise à jour au 1er
octobre 1983, ad p. 1061.

484. Une disposition quasiment identique se trouve dans le paragraphe 4 (b) (5) de l’Uniform
Foreign Money Judgment Recognition Act américain de 1975, voir le texte dans Scoles-Hay,
Conflict of Laws, 1982, p. 357 in fine. Comparer le texte, substantiellement voisin, de la loi de la
République démocratique allemande du 19 juin 1975 (art. 193 (2) 2, Rev. crit., 1977, p. 198).

485. D. Holleaux, op. cit. (supra note 471), spéc. pp. 121 ss.

486. Voir l’expression dans D. Martiny, Handbuch des Internationalen Zivilverfahrensrechts, Bd.
III/1, n° 600.

487. Le tableau de droit comparé présenté par Martiny, op. cit., nos 609 ss., montre que le
système de la bilatéralité est également adopté en Autriche, en Italie, au Portugal, au Japon,
etc.

488. Voir le passage très significatif de Kegel, IPR, 5e éd., p. 652 :

« Nous mesurons la compétence indirecte (Anerkennungszuständigkeit) des tribunaux


étrangers avec en principe la même mesure que la compétence directe
(Entscheidungszuständigkeit) de nos tribunaux, exactement comme les règles de notre droit
international privé (en tant qu’elles sont des règles de conflit « bilatérales (allseitig)) utilisent
en principe les mêmes rattachements pour l’application du droit étranger et pour celle du
droit allemand. »»

489. Voir Martiny, op. cit. (supra note 484), n° 673, qui relève les dangers de la solution pour un
défendeur allemand possédant des biens à l’étranger, mais se rassure en observant que le
danger est atténué par la relative rareté de ce chef de compétence en droit comparé et qu’il
pourrait y être paré par le recours à la condition de réciprocité. Cette bilatéralisation du for du
patrimoine de l’article 23 ZPO n’est toutefois possible qu’en raison de son caractère concret et
objectivement localisable. Elle ne le serait pas pour des fors exorbitants abstraits, tel que le for
de réciprocité prévu par l’article 4, alinéa 4, du Code de procédure civile italien. Cf., sur ce
dernier point, P. Lagarde, « La réciprocité en droit international privé », Recueil des cours, tome
154 (1977-I), pp. 105 ss., spéc. p. 196, note 106, avec l’exemple proposé et les références,
spécialement aux travaux de Morelli et de D. Holleaux.

490. Voir D. Holleaux, op. et loc. cit. (supra note 471), qui oppose justement bilatéralité et
bilatéralisation, le second terme décrivant simplement un emprunt fait par des règles
autonomes de compétence indirecte des critères utilisés par les règles de compétence directe,
alors que le premier terme implique que la même règle régit la compétence directe et la
compétence indirecte (n° 105).

491. D. Holleaux, op. cit., p. 408.

492. J. Basedow, Die Anerkennung von Auslandsscheidungen, Francfort, 1980 ; et déjà, l’étude du
même auteur sur ce thème à la Revue critique, 1978, pp. 461 ss.

493. D. Holleaux, op. cit., nos 4 ss.

494. Indyka v. Indyka, [1967] 1 AC 853, 3 WLR 510, [1967] 2 All ER 689. Sur cette affaire, voir, en
France, Ph. Francescakis, « Un bond de la jurisprudence anglaise en matière de
reconnaissance des décisions étrangères », Rev. crit., 1969, pp. 601 ss.

495. Civ., 6 février 1985, Simitch, Rev. crit., 1985, p. 369, et la chronique de Ph. Francescakis, ibid.,
p. 243, Clunet, 1985, p. 460, et la note A. Huet. Adde A. Ponsard, communication précitée (supra
note 473).

496. En l’espèce, la Cour de cassation a puisé dans les constatations de la cour d’appel les
éléments suivants, desquels résultait, selon elle, ce lien caractérisé avec le tribunal anglais
d’origine: nationalité anglaise et domicile anglais de la femme demanderesse, célébration en
Angleterre du mariage, domicile commun fixé, au moins au début du mariage, en Angleterre,
possession par le mari défendeur de biens en Angleterre.

497. Les législations des Etats de l’Europe de l’Est réservent en général elles aussi les cas de
compétence exclusive des tribunaux du for, sans poser, semble-t-il, d’autres règles précises de
compétence indirecte (sauf la condition de réciprocité) : voir la loi de la République
démocratique allemande du 19 juin 1975, art. 193 (2) 1 (mais voir supra note 482), le décret-loi
hongrois de 1979, art. 70, la loi yougoslave du 15 juillet 1982, art. 89. Dans le même sens, la loi
turque du 20 mai 1982, art. 38 b). Mais, pour une règle bilatéraliste, la loi tchécoslovaque du 4
décembre 1963, art. 64 a).

498. Cf. la communication précitée de A. Ponsard (supra note 473). Un nouvel arrêt, encore
inédit, de la Cour de cassation du 22 avril 1986 (Lemaire c. Dame Lucas) a approuvé le refus
d’exequatur en France d’un jugement haïtien de divorce entre deux conjoints français, au
motif « que les deux époux, de nationalité française, n’étaient rattachés par aucun lien à
l’ordre juridique haïtien ». Cette formulation laisse-t-elle entendre que l’existence d’un lien,
par exemple de résidence, avec Haïti aurait pu fonder la compétence indirecte des tribunaux
de ce pays, malgré la nationalité française des époux et la compétence (exclusive?) des
tribunaux français résultant des articles 14 et 15 du Code civil?

499. Moins souplement toutefois que ne l’avait entendu la cour d’appel de Paris qui, par deux
fois (arrêts des 10 novembre 1971, Clunet, 1973, p. 239, note A. Huet, et 5 mars 1976, Rev. crit.,
1978, p. 149, note B. Audit), s’était contentée d’un rattachement « suffisant » au pays du juge
d’origine, c’est-à-dire que le choix de la juridiction n’ait été « ni arbitraire, ni artificiel, ni
frauduleux ».

500. Cf. aux Etats-Unis le Restatement of Foreign Relations Law (Revised), par. 441, 491 ss. Voir
Catherine Kessedjian, La reconnaissance et l’exécution des jugements dans le droit interétatique
et international des Etats-Unis d’Amérique, thèse, Paris I, 1986, multigr., nos 447 ss., pour qui
l’alignement progressif des règles de compétence directe sur la notion de minimum contacts a
pour effet de rapprocher sur cette même base les solutions données à la compétence directe et
à la compétence indirecte. Adde Y. P. Quintin, R e v. crit., 1985, pp. 433 ss.

501. Par exemple la Convention de La Haye du 1er janvier 1971 sur la reconnaissance et
l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale, qui a servi de modèle à
de nombreuses conventions bilatérales. Adde dans des matières spéciales, les Conventions de
La Haye des 15 avril 1958 et 2 octobre 1973 sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en
matière d’obligations alimentaires, du 5 octobre 1961 sur la protection des mineurs, du 15
novembre 1965 concernant la compétence des décisions en matière d’adoption, du Ier juin 1970
sur la reconnaissance des divorces.

502. Voir pour les conventions bilatérales conclues par la France, les références citées par
Batiffol-Lagarde, Droit international privé, t. II, 1983, n° 721. Voir aussi, pour les autres pays
d’Europe, le Guide pratique de la reconnaissance et de l’exécution des décisions judiciaires dans
les matières civiles et commerciales, édité par le Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1975. Pour
l’Allemagne fédérale, Bülow-Böckstiegel, Internationaler Rechtsverkehr in Zivil und
Handelsachen, nos 610 ss. Pour la République démocratique allemande, F. Majoros, Die
Rechtshilfeabkommen der DDR, Berlin, 1982, et le compte rendu, Rev. crit., 1985, p. 427.

503. Par exemple la convention précitée (supra note 499) du 15 novembre 1965 sur l’adoption
qui pose des règles de compétence directe pour prononcer (art. 3), annuler ou révoquer (art. 7)
une adoption et prévoit que toute décision rendue par une autorité à qui elle attribue
compétence sera reconnue de plein droit dans tous les autres Etats contractants (art. 8).

504. Cf. le motif souvent cité de Travers v. Holley (1953), p. 246 (C.A.) :

« It would be contrary to principle and inconsistent with comity if the courts of this country
were to refuse to recognize a jurisdiction which mutatis mutandis they claim for themselves. »

Cf. Dicey-Morris, I, p. 343, et infra, n° 191.


505. L’article 63, alinéa 2, écarte la reconnaissance si le jugement a été rendu dans un Etat dont
aucun des époux n’avait la nationalité ou dont seul l’époux demandeur avait la nationalité si ce
for d’origine n’est pas renforcé, soit par la résidence habituelle de l’un des époux, soit par le
consentement de l’époux défendeur. La volonté des parties vient ainsi suppléer le lien de
proximité défaillant (voir Message fédéral, n° 235-7, p. 97, de l’édition en français). Malgré ces
restrictions le texte reste très libéral. Il résulte de l’article 63, 2 b), que la compétence d’un
tribunal d’un Etat qui n’est celui ni de la nationalité ni de la résidence habituelle de l’un des
époux est reconnue en Suisse « lorsque l’époux défendeur n’était pas domicilié en Suisse ».
Plus qu’un lien avec le for d’origine, c’est l’absence de lien avec la Suisse, for de reconnaissance,
qui est prise en considération. Cf. la notion d’Auslandsberührung étudiée au chapitre
précédent.

506. Ce qui ne fut pas le cas en France dans la célèbre affaire Dawn Addams, voir tribunal de
grande instance de Paris, 29 septembre 1959, et cour d’appel de Paris, 10 novembre 1959, Rev.
crit., 1959, p. 504, et 1960, p. 218, notes Francescakis.

507. Plus précisément l’article 64 subordonne la reconnaissance en Suisse de la décision


étrangère de divorce à sa reconnaissance dans l’un des Etats de référence, et pas seulement à
la reconnaissance dans l’un de ces Etats de la compétence de l’autorité d’origine. Mais la
reconnaissance de la décision englobe nécessairement celle de la compétence de l’autorité qui
l’a rendue.

508. La méthode est en revanche écartée par les articles 40 (déclarations d’absence) et 48
(décisions relatives aux effets du mariage) qui énumèrent les chefs de compétence indirecte
acceptés par l’ordre juridique suisse.

509. Voir les nombreuses références données par Dicey-Morris, p. 343, note 25.

510. Armitage v. Attorney-General [1906], p. 135.

511. Voir ses travaux et son cours à l’Académie de droit international, cités supra note 434. On
se référera particulièrement ici au chapitre V de son cours : « Le fonctionnement de la
méthode [de référence à l’ordre juridique compétent] dans les cas de reconnaissance dans le
for de situations juridiques étrangères. »

512. Voir supra, chapitre IV, section II, paragraphe 2, B, nos 167 ss.

513. Voir Picone, cours précité, chap. V, par. 16 :

« Le fait qu’il s’agisse de reconnaître dans le for, en faisant « prévaloir le point de vue d’un
ordre juridique étranger, des situations juridiques formellement étrangères … entraîne comme
conséquence que le for puisse reconnaître et rendre efficace toutes (et au moins en principe
seulement) les situations juridiques … qui sont valables et efficaces à l’intérieur de l’ordre
juridique étranger pris comme référence. »»
Cf., en Allemagne fédérale, les discussions sur l’utilisation de l’article 606b ZPO (faisant
référence à la reconnaissance de la compétence allemande par l’Etat du mari) comme critère,
non seulement de la compétence directe allemande, mais aussi de la reconnaissance des
divorces étrangers. Sur l’analyse détaillée de ces discussions, voir encore Picone, op. cit., par. 17.

514. Où l’on retrouve l’article 606b ZPO…

515. Matrimonial Causes Act 1937.

516. Law Reform (Miscellaneous Provisions) Act 1949. Voir, sur ces deux lois de 1937 et de 1949,
Dicey-Morris, p. 333-334.

517. [1953] 3 WLR, [1953] 2 All ER 794 CA, Rev. crit., 1956, p. 316, note Graveson, et le motif cité
supra note 502.

518. Précité supra note 492.

519. La solution est aujourd’hui dépassée en Angleterre par l’énumération des chefs de
compétence indirecte en matière de divorce donnée par le Recognition Divorces and Legal
Separations Act 1971 qui a introduit en Angleterre la Convention de La Haye du 1er janvier 1970.
Voir Dicey-Morris, p. 341, Rule 42 (1). La solution subsiste toutefois qu’un divorce obtenu hors
du pays du domicile de l’un des époux est reconnu en Angleterre s’il est reconnu dans l’Etat du
domicile de l’un des époux (règle Travers v. Holley, maintenue par l’article 6 de l’Act de 1971,
révisé en 1973, voir Dicey-Morris, Rule 42 (2), p. 341, et l’illustration n° 9, p. 358.

520. Précité supra note 493.

521. La condition est posée par l’arrêt Munzer du 7 janvier 1964, Clunet, 1964, p. 302, note B.
Goldman, JCP, 1964, II, 13590, note M. Ancel, Rev. crit., 1964, p. 344, note H. Batiffol. Cf. Batiffol-
Lagarde, n° 726, et les autres références.

522. Voir Guide pratique, cité supra note 500, p. 108; Huss et Weitzel, rapport luxembourgeois
sur L’effectivité des décisions de justice. Travaux de l’Association Henri Capitant, Journées
françaises 1985, à paraître en 1987. Cf., sur la Pologne, article 1146, paragraphe 1, du Code de
procédure civile et le rapport Jodlowski aux mêmes Journées.

523. Par exemple aux Etats-Unis, en raison de la règle de merger. La cause de l’action ayant
fusionné dans le jugement, c’est le jugement seul qui est l’objet du contrôle, voir C. Kessedjian,
op. cit. (supra note 498), n° 384.

524. Article 328, alinéa 3, ZPO, abrogé par la loi du 25 juillet 1986; cf. D. Martiny, op. cit. (supra
note 484), nos 877 ss. Sur les Pays-Bas, où ce contrôle, qui ne subsistait qu’en matière d’état des
personnes, a été abandonné en matière de divorce par la loi du 25 mars 1981, mais paraît se
maintenir en matière d’adoption, voir Sauveplanne, Travaux de l’Association Henri Capitant,
préc. (supra note 520). Adde le panorama de droit comparé plus complet donné par J. D.
González Campos, « Les liens entre la compétence législative et la compétence judiciaire en
droit international privé », Recueil des cours, tome 156 (1977-III), pp. 284 ss., qui fait remonter
l’origine de ce contrôle à un article d’Asser paru en 1869.

525. Au moins en matière d’état dés personnes. Voir Batiffol-Lagarde, n° 726, note 13, et les
nombreuses références.

526. Article 27, 4°. Cf. P. Gothot et D. Holleaux, La Convention de Bruxelles du 27septembre 1968,
nos 287 ss.

527. Voir Batiffol-Lagarde, t. II, n° 317, p. 584.

528. En ce sens P. Mayer, Droit international privé, n° 375.

529. Voir supra, chapitres I et II.

530. On retrouve ici l’idée de référence à l’ordre juridique compétent, mais rapportée cette fois
à la loi applicable et non plus seulement à la compétence judiciaire. Il n’y a rien là d’anormal,
puisque la méthode fait référence à l’ordre juridique étranger compétent dans sa globalité et
non pas seulement à telle ou telle catégorie de ses règles. C’est là un leitmotiv de
l’enseignement de Paolo Picone.

531. Voir supra note 523.

532. Voir supra, chapitre II, section III, paragraphe 2, nos 81 ss.

533. Voir supra, section I, paragraphe 1, n° 179.

534. Précitée, supra, n° 179.

535. Cf. Bredin citant Loussouarn, dans Travaux du Comité français de droit international privé,
1964-1966, p. 28; D. Holleaux, Jurisclasseur de droit international, fasc. 584 A, nos 140-141 ; P.
Mayer, Droit international privé, 2e éd., 1980, n° 505.

536. Et réciproquement, on a vu (supra, chapitre IV, n° 163) que lorsque le juge du for s’en
remet au système de conflit de lois de l’ordre juridique de référence (foreign court theory), c’est
parce qu’il se considère lui-même comme un for fragile, et qu’il admet que la compétence du
for de référence est plus forte que la sienne.

537. On reconnaît là certains des chefs de compétence exclusive de l’article 16 de la


Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. Sur la compétence exclusive de l’Etat du lieu
où sont pratiquées les voies d’exécution pour connaître de la validité de celles-ci, voir, en
France, Civ., 12 mai 1931 (DP, 1933, 1, p. 60, note Silz, S., 1932, 1, p. 137, rapport Casteil, note
Niboyet, Clunet, 1932, p. 387, note Perroud), fondant la solution sur le respect du « principe de
l’indépendance et de la souveraineté respective des Etats ».
538. Civ., 9 mai 1900, de Wrède, S., 1901, 1, p. 185, Clunet, 1900, p. 613, D., 1905, 1, p. 101, note L.S.

539. Il est vrai qu’à l’époque la condition relative à la loi appliquée par le juge étranger n’avait
pas encore été formulée dans la jurisprudence française. L’arrêt de Wrède n’en conserve pas
moins son intérêt. Sur une autre interprétation, fort intéressante, de cet arrêt, voir Marie-
Noelle Jobard-Bachellier, L’apparence en droit international privé, 1984, nos 96 ss., pour qui
l’arrêt montrerait que la bonne foi de l’épouse quant à la croyance en la nullité de son mariage,
inexistante à l’origine puisque l’épouse ne pouvait ignorer la compétence de la loi
autrichienne, a pu naître avec le temps, à partir du jugement russe de nullité, puis du
remariage, et entraîner une « erreur de droit international » portant sur la loi applicable.

540. Ce décalage peut aussi résulter d’une différence de qualification entre le système du for
d’origine et celui du for requis, le premier considérant comme question de procédure soumise
à la lex fori ce que le second considère comme une question de fond soumise à la lex causae.
Ce fut longtemps le cas de la prescription, avant que les pays de common law, tout au moins le
Royaume-Uni, ne rallient la qualification continentale de question de fond.

541. Tout au plus pourrait-on admettre, dans des cas exceptionnels, que l’ordre public de l’Etat
requis soit heurté par une règle de conflit de lois de l’Etat d’origine du jugement, qu’il jugerait
trop excentrique.

542. Cette conséquence de l’abandon éventuel du contrôle de la loi appliquée par le juge
étranger a été clairement aperçue par Pierre Gothot, « Le renouveau de la tendance
unilatéraliste en droit international privé », Rev. crit., 1971, pp. 1 ss., 209 ss., 415 ss., spéc. p. 445.

543. Voir Cheshire-North, PIL, p. 312; Kegel, IPR, 5e éd., pp. 453 ss.; Batiffol-Lagarde, t. II, nos 413
ss., 419 ss.; Loussouarn et Bourel, Droit international privé, éd. 1980, nos 286 ss. Cf. supra,
chapitre I, n° 36.

544. Voir P. Mayer, Droit international privé, 2e éd., 1983, nos 538 ss., 546, qui aborde ce problème
en termes de règles de compétence internationale. Comparer en Angleterre Dicey-Morris,
règle 32, p. 261 ; et, d’un point de vue comparatif, Lennart Palsson, dans International
Encyclopedia of Comparative Law, vol. 3, chap. 16, « Marriage and Divorce », nos 19 ss.

545. Loi locale si le mariage est célébré par l’officier de l’état civil du pays de célébration, loi de
l’Etat d’envoi si le mariage est célébré par un consul.

546. Sur la critique de la règle auctor regit actum appliquée à la forme des actes publics, voir
surtout Vincent Delaporte, Recherches sur la forme des actes juridiques en droit international
privé, thèse, Paris I, multigr., 1974, nos 126 ss.

547. C’était le cas de l’Espagne jusqu’en 1978, de la Grèce jusqu’en 1982. Voir encore les
exemples d’Israël (pour les mariages entre Juifs), de Chypre, de Malte, du Maroc, de la Jordanie
et de la Colombie, cités par Schwimann, dans Münchener Kommentar, Bd. 7, ad art. 13, n° 101,
e
note 360, page 931. Adde K. Firsching, dans Staudinger BGB, 12e éd., ad art. 11, n° 176, p. 365.

548. C’est le cas de certains Etats communistes, comme la Tchécoslovaquie (article 20,
paragraphe 2, de la loi du 4 décembre 1963).

549. Comparer, dans le cas d’un mariage célébré irrégulièrement dans l’Etat du for, mais dont
l’annulation aurait violé le droit fondamental au respect de la famille garanti par la
constitution, BVerfG, 30 novembre 1982, IPRax, 1984, p. 82, et chronique Wengler, ibid., p. 68. Sur
cet arrêt, voir aussi P. Lagarde, Rev. crit., 1985, p. 429.

550. Sur ce thème, voir M. N. Jobard-Bachellier, op. cit. (supra note 537).

551. On est loin de la règle locus regit actum et, si celle-ci est encore invoquée à propos de la
célébration, c’est au prix de graves déformations, comme le montre en France l’affaire Zagha
(Civ., 15 juin 1982, Rev. crit., 1983, p. 300, note J. M. Bischoff, Clunet, 1983, p. 595, note R.
Lehmann, maintenant Aix, 21 janvier 1981, Rev. crit., 1982, p. 297, note G. Legier et J. Mestre).
Pour valider le mariage rabbinique célébré en Italie en 1924 entre deux époux juifs syriens, à
une époque où la loi interne italienne exigeait une célébration civile, la cour d’appel avait
invoqué entre autres arguments le caractère facultatif de la règle locus regit actum (ce qui
aurait conduit à imposer la validité du mariage à l’encontre de l’ordre juridique italien si celui-
ci l’avait considéré comme nul). La Cour de cassation a eu recours à la règle locus regit actum,
complétée par un renvoi in favorem. Il eût été plus simple de s’interroger directement sur la
compétence du rabbin au regard de l’ordre juridique italien, sans passer par la règle locus regit
actum qui est une règle de conflit de lois.

552. C’est particulièrement vrai de l’article 170 du Code civil français, que P. Mayer analyse
justement comme une règle de compétence internationale (Droit international privé, n° 546).
Il faudrait ajouter qu’il s’agit d’une règle de compétence internationale indéterminée.

553. Cette convention a été signée par cinq Etats, mais n’est pas encore entrée en vigueur.

554. Le texte complet est un peu plus large. Il prévoit aussi la reconnaissance de tout mariage «
qui devient ultérieurement valable » selon le droit de l’Etat de la célébration. L’hypothèse
mentionnée au texte suffit pour le raisonnement.

555. Car l’expression « droit de l’Etat de la célébration », qui figure à l’article 9, est assez large
pour s’appliquer autant au droit matériel qu’au droit international privé de cet Etat. La
solution est d’ailleurs logique, dès lors que la convention raisonne en termes de conflits de
décisions.

556. Selon l’un des négociateurs de la convention :

« On a fait en définitive une assimilation des mariages aux jugements, et on considère, en


vertu du principe posé par cet article 9, qu’il n’y a pas lieu de contrôler, en principe, la loi qui a
été appliquée par l’Etat de célébration (C. Roehrich, « La Convention de La Haye sur la
célébration et la reconnaissance des mariages », Travaux du Comité français de droit
international privé, 1977-1979, pp. 3 ss., spéc. p. 9.)»

L’analogie a été également très bien vue – et critiquée – par H. Batiffol, « La treizième session
de la Conférence de La Haye », Rev. crit., 1977, pp. 451 ss., spéc. pp. 467 ss.

557. Cf. Vallindas, « Le principe de l’élasticité de la réserve de l’ordre public et les réserves
spécialisées », Revue hellénique de droit international, 1950, p. 55 ; P. Lagarde, Recherches sur
l’ordre public en droit international privé, 1959, nos 110 ss.

558. La reconnaissance d’un divorce « acquis à la suite d’une procédure judiciaire ou autre »
relève de la méthode des conflits de juridictions et la compétence internationale de l’autorité
d’origine fait l’objet d’un contrôle de proximité (voir la Convention de La Haye du 1er juin 1970).
Mais la reconnaissance d’un divorce purement privé (par exemple la répudiation coranique
dans les Etats musulmans qui n’ont pas imposé une homologation de la répudiation par un
juge) devrait relever uniquement de la méthode des conflits de lois. L’intérêt du choix entre les
deux méthodes est apparu clairement dans une affaire jugée par la Court of Appeal
d’Angleterre le 31 juillet 1984 ( Chaudhary v. Chaudhary, [1985] 2 WLR 350). Le problème était
celui de la reconnaissance en Angleterre d’une répudiation privée prononcée au Cachemire,
conformément à la loi locale, par le mari pakistanais d’une femme pakistanaise, tous deux
originaires du Cachemire mais ayant acquis un domicile de choix en Angleterre. La méthode
des conflits de juridictions, qui présupposait qu’une telle répudiation eût été acquise à la suite
d’une judicial or other proceeding au sens des Acts anglais de 1971 et de 1973, aurait abouti à la
reconnaissance en Angleterre de cette répudiation, puisque prononcée dans l’Etat national
des époux, indirectement compétent. Le raisonnement par la méthode des conflits de lois
conduisait au contraire à un refus de reconnaissance, puisque les deux époux étaient
domiciliés en Angleterre et que leur statut personnel était en conséquence régi par la loi
anglaise. En l’espèce, la Court of Appeal a refusé la reconnaissance pour la raison que la
répudiation, acquise sans aucune procédure, n’entrait pas dans les prévisions des Acts de 1971
et de 1973, et, subsidiairement, en raison de la fraude à la loi anglaise commise parle mari en se
rendant au Cachemire pour répudier sa femme sans avoir à lui verser aucune compensation
financière.

Lagarde, Paul

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Lagarde, Paul, “Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain Cours général de droit international privé (Volume 196)”, in:
Collected Courses of the Hague Academy of International Law. Consulted online on 12 May 2021 <http://dx.doi.org/10.1163/1875-
8096_pplrdc_A9789024734993_01>
First published online: 1986

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