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Cours magistral
Le droit des personnes
Licence 1
2020-2021 (semestre 2)

par Iryna GREBENYUK,


Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE :

BATTEUR A., Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, L.G.D.J, Collection
« Cours », 10ème éd., 2019.

BEIGNIER B., BINET J.-R, Droit des personnes et de la famille, L.G.D.J, Collection
« Cours », 4ème éd., 2019.

BERNARD-XEMARD C., Cours de droit des personnes et de la famille, Gualino, Collection


« Amphi LMD », 2019.

CARBONNIER J., Droit civil. t. 1. Introduction. Les personnes. La famille, l’enfant, le couple,
PUF, 1re éd. refondue Quadrige, 2004.

MALAURIE P., PETERKA N., Droit des personnes, La protection des mineurs et des
majeurs, L.G.D.J., Collection « Droit civil », 2020.

RENAULT-BRAHINSKY C., Droit des personnes et de la famille, Gualino, Collection


« Mémentos », 2020.

TEYSSIE B., Droit des personnes, LexisNexis, Collection « Manuels », 21e éd., 2020.

VANNIER P., Le droit des personnes en schémas, Ellipses, 2017.


2

PLAN

Introduction
1ère partie : La personnalité
Chapitre 1 : Les personnes physiques
Section 1 : L’existence de la personne physique
§ 1 : La vie
A. La naissance
B. La conception
C. La mort
§ 2 : L’incertitude sur l’existence de la personnalité
A. L’absence (art. 112-132 c. civ).
B. La disparition (art. 88-90 c. civ.)
Section 2 : L’individualisation de la personne physique
§ 1 : Le nom
A. Les éléments constitutifs
1) Le nom de famille
a) L’acquisition
b) Le changement
c) Le nom d’usage
2) Le prénom
3) Les accessoires
B. Régime juridique du nom
§ 2 : Le sexe
§ 3 : Le rattachement à un lieu
1) Le domicile
2) La résidence
§ 4 Les actes de l’état civil
Section 3 : Les attributs de la personne physique
§ 1 : L’égalité civile
§ 2 : Le patrimoine
A) La notion de patrimoine
B) La composition du patrimoine
1) Les droits réels
a) Définition du droit réel
3

b) Caractéristiques des droits réels


c) Distinction entre droits réels principaux et droits réels accessoires
2) Les droits personnels
§ 3 : Les droits de l’Homme et les libertés
§ 4 : Les droits de la personnalité
A) Le respect de l’intégrité physique de la personne humaine
1) La protection du corps humain
2) La protection de la vie
B) Le respect de l’intégrité morale de la personne humaine
1) Le droit au respect de la vie privée
2) Le droit à l’image
a) Le principe
b) L’exception
c) Sanctions
3) Le droit à la voix
a) La diffamation
b) L’injure
c) La présomption d’innocence
Chapitre 2. Les personnes morales
Section 1 : La classification des personnes morales
§ 1 : Les personnes morales de droit public
§ 2 : Les personnes morales de droit privé
A) Les groupements des personnes
1) Les sociétés
2) Les associations
3) Les syndicats
4) Les groupements d’intérêt économique (GIE)
B) Les fondations
Section 2 : Le régime juridique de la personnalité morale
§1 : La création et la disparition
§2 : Les attributs de la personnalité morale
Partie 2 – Les incapacités
Chapitre 1 : La condition juridique du mineur
Section 1 : Le mineur non émancipé
§ 1 : L’incapacité du mineur
§ 2 : La validité de certains actes accomplis par le mineur
4

Section 2 : Le mineur émancipé


§ 1 : Les conditions de l’émancipation
§ 2 : Les effets de l’émancipation
Chapitre 2 : Les majeures protégés
Section 1 : La sauvegarde de justice
Section 2 : L’habilitation familiale
Section 3 : La curatelle
Section 4 : La tutelle
Section 5 : Le mandat de protection future
5

- Présentation
Doctorat / adresse mail / expérience AJ
Positionnement en tant qu’universitaire
Demander aux étudiants de se présenter / identifier leur niveau et leurs besoins.

- Contrôle
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
6

Introduction
Summa divisio - Le droit est friand des classifications et il existe en droit une summa divisio
fondamentale entre les personnes et les choses, entre les personnes et les « non-personnes »,
entre « être et avoir ». On est sujet ou objet du droit.

Cela s’articule très simplement : « les choses, sont, par rapport aux personnes, ‘‘tout le reste’’ ».
Les personnes sont donc élevées au rang d’une catégorie principale, et le choses – au rang d’une
catégorie résiduelle.

Cette dernière catégorie des choses est une vaste palette : les choses peuvent être matérielles
(table, chaise) ou immatérielles (une créance, une information).
Les choses matérielles peuvent être inertes (table, chaise) comme vivantes (les fleurs – un
coquelicot, avant d’être cueilli, est même un bien immeuble par nature… - l’embryon humain
ou, encore il y a peu de temps, l’esclave, considéré dans le Code noir, applicable dans les
colonies françaises, comme un bien meuble…).

Notions juridiques - De ces quelques exemples il en ressort que ces catégories – personnes et
choses – sont, avant tout, des notions juridiques, c’est-à-dire « idées générales et abstraites en
tant qu’elles impliquent les caractères essentiels de son objet ».
Et vous avez déjà bien compris, après le premier semestre à la Faculté de droit, que les notions
juridiques et les notions communes ne vont pas forcément de pair. Le droit ne connaît que ces
propres distinctions ; l’enjeu de chaque notion juridique est son régime juridique, c’est-à-dire
le traitement que le droit lui réserve.
D’ailleurs, le droit qualifie de bien les choses qui sont appropriables (par opposition aux choses
insusceptibles d’appropriation, comme l’air ou la neige)1 et qui sont dans le commerce juridique
(le corps humain – vous ne pouvez pas vendre votre rein –…).

Mais qu’est-ce que fait qu’une personne soit qualifiée de telle en droit ? On va envisager, dans
un premier temps, la réponse traditionnelle que vous allez trouver dans la majorité des manuels
de droit civil.

1
Tout bien est une chose, mais l’inverse n’est pas vrai. Une chose peut ne pas être un bien au sens juridique.
7

C’est la personnalité juridique, c’est-à-dire l’« aptitude à être titulaire des droits et assujetti à
des obligations ». N’est personne, en droit, que l’« être qui jouit de la personnalité juridique »,
selon le Dictionnaire de Cornu.

Masque - Le terme « personne » vient du latin persona qui correspondait dans l’Antiquité le
masque des comédiens (mais cette référence à un masque était déjà présente en Grèce antique
avec un terme similaire prosopon).
Ces masques étaient rigides, couvrait entièrement le visage et étaient destinés à exprimer une
émotion : joie, colère, tristesse… Cela permettait au public d’identifier les personnages et, grâce
à un système de porte-voix, ces masques avaient pour fonction de permettre au public
d’entendre les acteurs (les théâtres antiques étaient en plein air, comme vous le savez).

En droit on a toujours le recours à cette analogie pour dire que la personnalité juridique a cette
même double fonction : permettre à l’individu d’être identifié sur la « scène » juridique, et lui
permettre de se faire entendre : en ayant des droits, des obligations, la possibilité d’agir en
justice et de mettre en cause sa responsabilité.

« Ce maque dont il faut être revêtu pour pouvoir invoquer des droits subjectifs sur la scène
juridique » n’est pas un accessoire fashion. En effet, on ne peut pas être admis en théorie du
droit sans ce masque (pour jouer un rôle juridique d’un personnage stéréotypé : conjoint,
propriétaire, employeur etc.). [c’est une histoire de dress code rigide ?]
Ce masque désigne celui qui le porte, mais il le dissimule également (personne humaine derrière
la personne morale, surtout si la PM est unipersonnelle).

Bref, vous comprenez très bien que c’est une abstraction juridique qui ne correspond pas
forcément à la réalité.
*** Ex. : La preuve en est, l’histoire a connu l’esclavage que j’ai déjà évoqué où on était
considéré comme un homme mais pas comme une personne ; l’esclave était un bien
appartenant à une personne, le maître. Par moments, à Rome, l’esclave pouvait même
emprunter le « masque » du maître, la personnalité juridique pour effectuer certaines opérations
économiques profitables au maître.
8

« Aujourd’hui dans nos sociétés occidentales, tout individu est doté systématiquement de la
personnalité juridique. Mais cela n’a pas toujours été le cas, et cela montre le caractère
d’abstraction de la personnalité juridique ».

Toutefois, quoi qu’il en soit, « l’individu reste la référence de base de la personnalité juridique.
Il est l’atome du droit. Ceci, parce que le droit est créé, encore une fois, par les hommes et pour
les hommes »2.
On peut aussi lier cela à l’anthropomorphisme de la culture occidentale (le fait de placer
l’humain au centre de l’Univers…). Que cela soit à l’Antiquité ou encore plus à la Modernité
et les Lumières, l’homme seul est la personne juridique – il est l’image de Dieu, il est libre,
capable de raison et autonome – et tout ce qui l’entoure sont des choses.

Vous avez sûrement remarqué en étudiant l’Introduction au droit au premier semestre, qu’il y
a une « surdétermination » du droit par la culture. Le code culturel, les valeurs d’une culture
influencent inévitablement le droit en le façonnant. Le droit reflète les valeurs sociales. Tout
est donc assez relatif, c’est-à-dire variable d’une culture à une autre et donc d’un système
juridique à un autre (*** ex. : le mariage entre personnes de même sexe est autorisé dans
certains pays, mais pas dans d’autres).
Les droits nationaux des différents pays peuvent consacrer des solutions très différents. Voici
quelques exemples à propos de la personnalité juridique dans d’autres cultures.

Autres cultures – En Inde il n’y a pas de théorie de la personnalité juridique. On reconnaît la


personnalité juridique à chaque fois qu’on en a besoin. Par exemple, les idoles des temples
hindous ont la personnalité juridique (Shiva, Vishnou). Le donateur qui crée le culte, affecte
une partie de ses biens et donne ainsi naissance à sa personnalité juridique, étant précisé que
l’idole ne peut pas agir et il a un agent humain qui agit en son nom et le représente dans les
actes de la vie civile ; on passe par un curateur). Il en va de même pour une source d’eau ou un
monastère.

Pourquoi cela ? Parce qu’il existe dans tradition indienne une notion de dharma, c’est-à-dire
« ce qui maintient, donne force et cohésion à tout ce qui existe ». Dans ces conditions, il y a

2
Christine.
9

aucune raison pour que l’Homme soit le seul sujet de droit ; il n’est qu’un « élément du
cosmos », d’un tout. Donc le législateur, voire le juge, peut bien reconnaître des droits aux
créatures inanimées ou aux dieux.

Et il en va de même pour les animaux.


Haute Cour de Delhi, 15 mai 2015 : les oiseaux ont des droits fondamentaux, tels que « le droit
de vivre avec dignité » et « voler dans le ciel »3.

Cour suprême indienne, 14 mai 20144 : déclare que selon la « culture et la tradition du pays »,
« toutes les créatures vivantes ont une dignité inhérente et un droit de vivre paisiblement, et un
droit à la protection de leur bien-être ».
La Cour lie cette reconnaissance de la dignité et des droits à toutes les créatures vivantes à un
texte fondateur de l’hindouisme qui s’appelle Isha Upanishad : « L’univers et ses créatures
appartiennent à la terre. Aucune créature n’est supérieure à une autre. Les êtres humains ne
doivent pas être au-dessus de la nature. Ne laissez jamais une quelconque espèce empiéter sur
les droits et les privilèges des autres espèces ».
L’art. 51 (A) (g) de la Constitution indienne impose, par ailleurs, à chaque citoyen indien un
devoir de « compassion » à l’égard de toutes les créatures vivantes.

En Amérique Latine on reconnaît la qualité de sujet de droit de la nature. Les communautés


amérindiennes ne font pas vraiment de distinction entre l’humain et le reste du vivant. La
déesse-mère, Pacha Mama, est devenue en Equateur sujet de droit en 2008
(Le Préambule de la Constitution de ce pays: « Nous célébrons la Nature, la Pacha Mama, dont
nous sommes la partie intégrante » ;
Art. 71 de la Constitution : la Pacha Mama « où se reproduit et se réalise la vie » a « le droit à
ce que l’on respecte intégralement son existence et le maintien et la régénération de ses cycles
vitaux, sa structure, ses processus évolutifs » ;
Art. 72 reconnaît un « droit à la restauration »

Toutefois, sujet de droit, la nature ne peut pas agir et se défendre elle-même = > Les art. 10 et
71 de la Constitution permettent à toute personne d’exiger à l’autorité publique le respect de
ses droits.

3
People for Animals vs. Md Mohazzim & Anr, § 5.
4
Animal Welfare Board of India vs. A. Nagarda & Ors, §§ 32 et 44-45.
10

La Constitution de Bolivie instaure le droit des êtres vivants non humains « de se développer
normalement et de façon permanente » ;
Loi sur les droits de la Terre Mère du décembre 2010 reconnaît le droit à la vie, à l’équilibre,
à la restauration et une existence sans pollution).

Nouvelle Zélande : Les cultures autochtones voient la nature comme « ancêtre » : il existe des
relations entre les individus (vivants ou morts) et les éléments de la nature (terre, eaux, flore,
faune, dieux).
Le fleuve Whanganui (avec lesquels les tribus maories ont des liens culturels forts) et la Te
Urewera (une terre ancestrale du peuple Tuhoe) ont été reconnus par la Couronne comme ayant
la personnalité juridique. Par conséquent, le fleuve et la terre ont des représentants humains qui
n’ont pas seulement des droits et pouvoirs, mais aussi des devoirs et des responsabilités.

Je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut s’inspirer de ces systèmes de droit étrangers et
reconnaître une personnalité juridique, en droit français, aux animaux ou à la nature, à moins
que l’on revoie la conception de la personnalité juridique complètement.

Reconnaître la personnalité juridique au sens des droits et obligations, n’a pas de sans pour la
Nature. Comment peut demander au Gange d’être responsable de ses inondations ?
Reconnaître la personnalité juridique aux animaux présente un sérieux danger en droit français.
En tout cas, par rapport à notre conception de la personnalité juridique qui implique non
seulement les droits, mais les obligations et donc la responsabilité.
L’histoire en est témoin, lorsqu’on songe aux procès des animaux au Moyen Age.

Danger n° 1 : Procès des animaux - Du XIIIe au XVIIIe siècle les animaux pouvaient être
traduits en justice et condamnés de la même manière que les hommes5.

Il faut se rappeler qu’à l’époque les animaux couraient librement dans la rue, pillent les
boutiques, dévastent des jardins, renversent des enfants et il arrivait que les cochons et les truies
mangeassent les bébés. Dès lors on incarcérait les animaux criminels et ils subissaient un
procès.

5
https://www.franceculture.fr/histoire/truie-condamnee-a-mort-dauphins-exorcises-les-etranges-proces-
danimaux-au-moyen-age
11

Pendant de nombreux siècles en Europe, les bêtes de ferme ou les insectes nuisibles pouvaient
être jugés, même par contumace – c’est-à-dire sans être présents au procès –, assistés souvent
par un avocat, « à l'aide de toute une rhétorique constituée de citations latines et d'allusions
prétendument historiques » en subissant des excommunications, exorcismes publics, mais
surtout des condamnations à mort (non pas sans avoir été torturé avant parfois).

*** Ex. : On pense à la célèbre affaire de la truie de Falaise (en Normandie) de 1386, par
exemple. « Le nourrisson ne survit pas à ses blessures, et la truie est conduite au tribunal.
Ce procès est le mieux documenté de tous les jugements d'animaux dont on a gardé la trace,
notamment grâce aux sommes d’argent dépensées pour cet événement, qui dure neuf jours.
A l'issue du procès, la truie est condamnée à être d’abord traînée sur une claie dans les faubourgs
de Falaise, puis pendue et brûlée »6.
Un historien note : « Avant de la pendre, on l’a habillée avec des vêtements de femme, et le juge
bailli de Falaise a eu deux idées extraordinaires : d’une part il a demandé à ce qu’une grande
peinture soit faite pour l’église de la Trinité de Falaise, pour garder mémoire de l’événement,
ce qui a été fait, on a pu voir cette peinture jusqu’au début du XIXe siècle. Et de l’autre, il a
demandé aux paysans qui vivaient alentour de venir voir l'exécution de la truie avec leurs
cochons pour que ça leur fasse enseignement. Il y a l’idée que les cochons étaient capables de
comprendre et se comporteraient dorénavant beaucoup mieux dans cette région pour ne pas
subir le sort de la truie »7.

« Quelques décennies plus tard, en Bourgogne, rebelote : une truie est accusée d’avoir mangé
un nouveau-né, et un document se faisant l’écho de l’événement dénonce le “sinistre repas
qu’elle a partagé avec ses six porcelets”. [on avait déjà le goût des formules médiatiques]. La
truie, reconnue coupable à l'inverse de ses petits, subit la torture suite à un procès en bonne et
due forme : "Le greffier note qu’elle a 'avoué'. Elle a fait quelque chose comme “grrr grrr”,
elle a reconnu qu’elle était coupable" ».

Danger n° 2 : déshumanisation de l’Homme, animalisation de l’Homme – Reconnaître la


personnalité juridique aux animaux pour tirer vers le haut la protection que le droit leur accorde
risque non pas améliorer vraiment le statut de l’animal, mais empirer celui de l’Homme.

6
France culture.
7
Michel Pastoureau.
12

*** Ex. 1 : On pense, encore une fois, à l’esclave qui était, comme les animaux, un bien meuble
par nature.

*** Ex. 2 : On peut penser aux pratiques de sélection eugénique, comme pour les bêtes
d’élevage (on sélectionne les meilleures bêtes par rapport à l’usage que l’on veut en faire : laine,
viande etc.).

*** Ex. 3 : Les délinquants et criminels comparés à des bêtes sauvages, des prédateurs, réputés
des prisonniers de leurs instincts.

*** Ex. 4 : les victimes des crimes contre l’humanité et des génocides que l’on réduit à des
animaux nuisibles dans les discours publiques afin de les éliminer : tutsis-cafards, juifs-rats)
Au passage : remarquons que les nazis ont appliqué aux juifs les méthodes de gestion de corps
que l’on utilisait dans les abattoirs et donc pour les animaux)…
On a animalisé les femmes et les malades mentaux…

[N. B. : Si vous vous souciez de la protection des animaux, au lieu de passer par la
reconnaissance de leur personnalité juridique, on peut passer par le droit pénal pour éviter que
les souffrances animales les plus dures et les plus extrêmes ne soient pas légitimées.

C’est-à-dire les animaux restent des choses, mais des choses vivantes bénéficiant d’une
protection spécifique.

C’est déjà le cas, même s’il y a mieux à faire s’agissant de l’élevage industriel, des actes de
cruauté dans les abattoirs, l’expérimentation sur les animaux etc.

L’art. 521-1 CP réprime les sévices graves et les actes de cruauté envers les animaux.
Mais les corridas sont couvertes par les immunités en cas de « tradition locale ininterrompue »

Il existe des règles de l’abattage qui sont censées éviter la souffrance inutile aux animaux]

Par ailleurs, la reconnaissance de la personnalité juridique aux robot intelligents n’est pas
nécessaire pour les mêmes raisons.
13

Robots « intelligents » – La question s’est posée avec les robots dit intelligents c’est-à-dire les
androïdes, capable de parler, prendre des décisions, voire même avoir une fonction cognitive,
écouter et mener des dialogues avec des êtres humains.

Ils peuvent servir pour le meilleur comme pour le pire : être des auxiliaires de vie pour les
personnes malades ou âgées ou combattre aux côtés des soldats, par exemple.

*** Ex. 1: Un robot intelligent a même été élu en tant que membre d’un Conseil
d’administration d’une société de Hong Kong et dispose de droit de vote…

***Ex. 2 : L’Arabie Saoudite a attribué sa citoyenneté à un robot, donc un statut de personne à


une machine…

Cela suscite beaucoup de problèmes : collecte et usage de données personnelles au risque


d’enfreindre le droit à la vie privée et les libertés fondamentales des humains ou la question de
la responsabilité pour les dommages causés à un tiers par le robot. Il est, en effet, difficile de
savoir qui doit être responsable – le propriétaire8 ou le gardien, le fabricant – car ces robots
sont, de plus en plus, dotés d’une autonomie décisionnelle du fait de leurs capacités cognitives
et d’apprentissage.

Le Parlement européen a adopté en 2017 un cadre législatif des robots envisageant de leur
conférer une personnalité juridique afin qu’ils soient responsables des dommages causés à des
tiers. D’aucuns préconisent de calquer cette personnalité juridique sur celle de la PM.

Mais ce statut pourrait avoir un effet dangereux et déresponsabiliser les ingénieurs, les
fabricants et les utilisateurs…
N’oublions pas que derrière le robot, au départ il y a un homme…
De cette reconnaissance se posera alors la question des droits fondamentaux du robot (pour
éviter la maltraitance).

8
Théorie de la garde juridique serait plus adaptée, pour une partie de la doctrine. Ou un régime juridique spécial,
comme pour les animaux, même égarés.
14

Rappelons qu’actuellement les robots dotés d’intelligence artificielle sont utilisés comme des
robots de « compagnie », ils sont, dans la majorité de cas, des femmes avec lesquelles on
entretient des relations. Mais elles sont parfois des exclaves sexuelles. On peut les frapper,
torturer, violer. Ils sont programmés pour… « Elles peuvent performer plusieurs positions
sexuelles, retiennent celle que leur partenaire préfère et imitent aussi l’orgasme. Elles sont aussi
capables de soutenir une conversation avec leur partenaire. »

Je ne m’étalerai pas sur le caractère réifiant de la femme – ces machines humonoïdes sont la
représentation de l’image pornographique de la femme ; elles sont faites pour plaire et
accomplir toutes les volontés de leur propriétaire, satisfaire les désirs sexuels ou violents du
consommateur masculin. La démarche est clairement machiste (leur physique, leur intelligence
programmée, la soumission et acquiescement…).

« Elle a une personnalité qui correspond le plus possible à votre personnalité. Elle aime ce que
vous aimez, elle n’aime pas ce que vous n’aimez pas, etc. » Détail qui a sans doute son
importance pour les acheteurs : elle peut même parler de foot. Et pour ceux qui finiraient par se
lasser, elle a des personnalités de rechange calquées sur les catégories qu’on trouve sur les sites
pornos : Frigid Farrah, « réservée et timide » ; Wild Wendy, « extravertie et entreprenante » ;
S&M Susan, « prête à réaliser vos fantasmes de souffrance et de plaisir » ; Young Yoko, qui
est « si jeune et attend vos leçons » ; Mature Martha, qui « a beaucoup d’expérience et voudrait
vous donner des leçons. »9

C’est un énorme problème éthique…


Cela fait penser à la pédophilie, car souvent les robots destinées à être violées – et qui sont
programmées à repousser les avances de leur propriétaire – sont jeunes filles inexpérimentées,
âgées à peine de 18 ans10… Evidemment cela encourage la culture de viol – « le marché du viol
est né » – … ou, dans le meilleur des cas, à la réduction de l’empathie (même pour les robots
« normaux » mais qui n’ont pas d’expressions faciles).

Cela pose aussi des soucis pour l’utilisateur humain, puisqu’un lien d’intimité s’installe (certes
absolument non réciproque, les robot n’ayant pas de sentiments).

9
https://www.axellemag.be/robots-sexuels-ultime-etape-femmes-objets/
10
La série de science-fiction Westworld, diffusée sur la chaîne américaine HBO, qui imagine un parc d’attractions
dans lequel les humains peuvent violer, tuer et torturer des robots humanoïdes comme bon leur semble.
15

*** Ex. : un chinois qui s’est « marié » avec son robot. Cet ingénieur est tombé amoureux de
sa création etc. [un auteur a parlé d’un Pygmalion de « troisième millénaire »]

J’ai été longue pour ces aspects non juridiques d’une façon volontaire : vous voyez que
l’humanisation du robot peut conduire à une déshumanisation de l’humain (qu’il soit femme ou
homme). C’est dangereux.
Dès lors, la personnalité juridique ne saura qu’entériner cette voie. Vaut mieux prévoir des
règles déontologiques de la robotique, des chartes d’utilisation etc.

Mais quoi qu’il en soit, la façon d’assimiler la personne juridique au rôle joué dans le théâtre
du droit (et au fond, une confusion avec la capacité juridique11) peut être dangereuse, car on
oublie que la personne juridique correspond à une personne humaine réelle (parallèle avec le
totalitarisme).

Egale dignité – comme véritable fondement de la personnalité juridique - Un auteur de la


doctrine a proposé (Pierre-Jérôme Delage) de fonder la personnalité juridique de tous les
hommes par une explication : c’est l’égale dignité de tous les humains qui l’octroie. Cette égale
dignité, proclamée par la Déclaration universelle des droits de l’homme, est une des valeurs
démocratiques les plus importantes. C’est bien elle qui est « susceptible d’avoir remodelé ou
redéfini le contenu des notions de personne, de personnalité et de sujet de droit ». De quelle
dignité humaine il s’agit ? D’une « vulnérabilité de l’homme que l’on sait toujours exposé au
péril de l’inhumain, de la déshumanisation, et contre lequel la sauvegarde de l’égale dignité de
tous les êtres humains a été érigée au rang d’un impératif catégorique », en une valeur absolue,
insusceptible de pondération ou d’atteinte légitime. La singularité de chaque être humaine et
notre commune appartenance à la famille humaine. Je suis humaine, à égalité avec les autres
membres du genre humain, peu importe leur sexe, couleur, leur intelligence ou condition.

En effet, si on assimile la personnalité juridique à la capacité d’agir, les enfants sans


discernement et les malades mentaux, incapables de prendre aucune résolution consciente, ne
peuvent pas être des personnes, ou sont, au mieux des « demi-personnes »… Cela rompt de tout
évidence avec la reconnaissance de l’égale dignité.

11
Pierre-Jérome.
16

Décret Schoelcher : « parce que l’homme, en tant qu’il est humain et donc pourvu de dignité,
ne peut pas être chose, objet du droit, il ne peu être (…) que personne, sujet du droit ».
Du coup, c’est plutôt le raisonnement inverse que l’on doit tenir, contrairement à la doctrine
majoritaire : « parce que l’humain ne peut pas être res, il est forcément persona ».

Je me rallie à cette position doctrinale et trouve que l’égale dignité de tous les humains doit être
au cœur du droit.

Sources – Dans une démarche très classique, on analysera très rapidement les sources du Droit
des personnes (« Ensemble des règles juridiques sur lesquelles s'appuient les juges »).
En soi, les Droit des personnes ne se démarque pas des autres matières que vous connaissez
(loi, bloc de constitutionnalité, traités et conventions internationales et européennes,
jurisprudence, voire coutume), mais il y a quelques spécificités et remarques à faire. Au pire
des cas cela sera de la répétition si nécessaire en première année.

Code Napoléon - Au prime abord, le Code civil accorde une place très importante au Droit des
personnes, puisqu’il contient le livre premier intitulé « Des personnes ». Mais si vous lisez
soigneusement ce livre, vous verrez que l’essentiels de ses textes ne relève pas du Droit des
personnes, mais du Droit de la famille, puisqu’il s’agit du mariage, du divorce ou de la filiation.

En effet, le Code civil de 1804 ne s’est pas beaucoup soucié du Droit des personnes, parce qu’à
l’époque la place de l’individu n’était pas aussi importante qu’aujourd’hui. On voulait avoir un
État stable et, dans cette perspective, la famille était vue comme « pépinière de l’État », pour
reprendre l’expression de Portalis.
Le Civil est hélas incomplet : l’existence d’une personne, la naissance et la mort ne sont pas
envisagées. La protection de la vie privée n’est apparue qu’en 1970…

Certes, le Code a subi quelques modifications depuis 1804.


*** Ex. 1 : la loi du 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs.
*** Ex. 2. : Loi du 29 juillet 1994 qui a renommé le titre 1er en « Du respect du corps humain »
en insérant l’art. 16-1 et suiv.

Autres lois – Nous pouvons trouver des dispositions du Droit des personnes en dehors du Code
civil.
17

*** Ex. 1 : les dons d’organes sont régis par le Code de la santé publique. Idem pour les
incapables majeurs.

*** Ex. 2 : le Code de l’action sociale et des familles précise le statut des pupilles de l’État

*** Ex. 3 : Il peut y avoir des textes non codifiés, comme la loi du 17 juin 1975 relative à
l’interruption volontaire de grossesse.

Bloc de constitutionnalité - La C° de 1958 avec son Préambule et les textes auxquels ce


Préambule fait référence : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789
et le Préambule de la C° du 27 octobre 1946 (IVe République).

Le Préambule de la C° de 1946 consacre les Principes politiques, économiques et sociaux


particulièrement nécessaires à notre temps (droit d'asile, droit de grève, droit à la santé etc.),
mais aussi les Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la République dont le contenu
a été précisé par la jurisprudence du CC qui fixent les libertés civiles et les droits fondamentaux
reconnues à la personne humaine.

Conventions internationales et européennes – Selon un proverbe persan, « La force de l’eau


vient de la source ». Et la source internationale du Droit des personnes est en partie liée aux
Conventions internationales au sens large, car les textes internationaux sont non seulement
nombreux, mais ont une influence réelle sur la législation nationale si on pense à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’Homme.

- Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948 par


l’Assemblée générale des Nations Unies.
Art. 1er : « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »
Art. 3 : « tout individu a droit à […] la liberté »
Art. 12 : « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son
domicile ou sa correspondance ».
Art. 18 : « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ».

- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;


18

- Pacte international relatif aux droits civils et politiques (droit à la vie, droit à ne pas être
soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit
de chacun à la reconnaissance de la personnalité juridique, la prohibition des immixtions
arbitraires ou illégales dans la vie privée et familiale, le domicile ou la correspondance).
Pas d’application directe.

- Convention de New York relative aux droits de l’enfant (CIDE) adoptée le 26 janvier 1990
qui établit les principes de la protection de l’enfant (dont l’intérêt supérieur de l’enfant,
notion que vous allez étudier en Droit de la famille).

- Charte des droits fondamentaux de l’UE (dignité humaine, liberté, égalité, solidarité).

- Acte final de la conférence sur la sécurité et coopération en Europe adopté le 1er août 1975,
à l’issue de la Conférence de Helsinki qui reconnait « l’importance universelle des droits
de l’homme et des libertés fondamentales dont le respect est un facteur essentiel de la paix,
de la justice et du bien-être » entre les Etats.

- Convention européenne des droits de l’Homme : droit à la vie (art. 2), droit de ne pas être
soumis à la torture et à des traitements inhumains ou dégradants (art. 3), droit au respect
de a vie privée et familiale (art. 8) qui inclut le respect du domicile, le secret des opinions,
de droit à la liberté sexuelle.
Le respect de la Convention est renforcée par l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 du 11
novembre 1998 qui instaure la CourEDH, qui peut être saisie par un État partie ou tout
justiciable, si les voies de recours internes sont épuisées.

Le manquement reproché peut résulter non seulement de la loi, mais aussi d’une décision
juridictionnelle ou administrative.
Si la Cour constate une violation de la Convention, elle « condamne » l’État et octroie une
« réparation équitable » au profit de la victime (souvent des sommes importantes, en cas
de préjudice matériel, de plusieurs millions d’euros).
Cette condamnation a une valeur symbolique, car l’image de l’État en pâtit, étant précisé
que la Cour n’a pas de pouvoir en soi de modifier la législation ou la JP nationale.
19

Ex. affaire Vincent Lambert : le Conseil d’État a jugé légale la décision prise en
janvier 2014 par le médecin en charge de ce patient d’arrêter les soins (alimentation et
hydratation artificielles). Recours des parents devant la CEDH : 5 juin 2015, l’arrêt des
soins ne violerait pas le droit à la vie.

Puisque les droits consacrés par la CEDH sont formulés d’une manière globale, la Cour
invente le droit européen des droits de l’Homme.
Sa méthode est inductive : elle s’attache beaucoup à l’espèce, à chaque détail afin de
remonter jusqu’au droit fondamental. Elle analyse notamment la conception nationale de
l’intérêt général à cause duquel un État peut restreindre tel ou tel droit garanti par la CEDH,
et cela sous l’égide du principe de proportionnalité. Elle regarde si cette conception est
partagée ou pas par les autres États (= Interprétation évolutive et dynamique de la
Convention)

Utilise une marge nationale d’appréciation sur les questions qui n’ont pas reçu une
réponse unanime par les Etats (ex. : le début de la vie).

Différence avec le droit continental : la décision est assortie d’une opinion de chaque juge,
concordante ou dissidente. Décisions très longues.

Logiquement, à la lecture de la Convention, on y constate des obligations négatives qui


incombent aux Etats – càd de ne pas violer les dispositions de la CEDH.
Mais la Cour a parlé de l’obligation positive pour les Etats de modifier leur législation si
celle-ci ne respecte pas les droits de l’homme (Delle MARCKX c. Belgique, 13 juin 1979),
car l’État risque sinon d’encourir des condamnations tout le temps.

Pour la Cour, ses décisions ont une « valeur interprétative » : la décision s’impose non
seulement au pays condamné, mais aussi à tous ceux qui ont signé la Convention
(Mondinos c. Chypre, 22 avril 1993).

N.B. : Parfois il faudra trouver un équilibre entre plusieurs droits fondamentaux en conflit :
droit au procès équitable (preuve) et la vie privée.
20

Contrôle de proportionnalité : non seulement entre l’intérêt général et l’intérêt privé, mais
aussi entre deux intérêts privés protégés par la Convention. Certaines décisions très
factuelles.
Influence de cette théorie en France : contrôle de proportionnalité. Ex. : Civ. 1ère, 4
décembre 2013 : une bru qui épouse le père de son ex-mari en dépit de l’empêchement au
mariage entre les alliés. Pour Cass le mariage est valide non pas parce que la loi ne poursuit
pas le but légitime, mais parce qu’elle entrerait en conflit avec l’art. 8 (mariage ayant duré
22 ans, plusieurs enfants).

Jurisprudence – Vous connaissez déjà la célèbre controverse que connaît le droit : la JP est-elle
source du droit ? D’aucuns disent que ce n’est qu’une autorité (on cite souvent les art. 5 et 4 c.
civ.)

Mais la réalité est beaucoup plus nuancée que cela. On consulte la jurisprudence comme le droit
en vigueur et on l’enseigne à l’Université. Nos codes annotés ont de longues notes
jurisprudentielles. Les veilles juridiques concernent autant la législation que la JP.
En ce sens la JP est une source du droit.

- Quand la loi est claire, on la suit


- Quand la loi est obscure, on en approfondit les dispositions ;
- Quand la loi est absente, on statue en usage ou équité

Forcément en interprétant la loi, le juge crée du droit… Evidemment parfois cela peut être
critiquable car les décisions de justice, surtout les revirements de jurisprudence, s’appliquent
par définition rétroactivement, une fois que la situation a déjà eu lieu.

En Droit des personnes, puisque le Code civil est très succinct, c’est la jurisprudence qui le
complète.

*** Ex. 1 : le droit à l’image, à la voix, au respect du domicile, du nom sont déduits par le juge
de l’article 9 c. civ. « chacun a droit au respect de sa vie privée
21

*** Ex. 2 : Ass. Plén, 17 novembre 2000, Affaire Perruche - reconnaissance à un enfant
handicapé du droit de demander réparation du préjudice résultant de ce handicap (solution que
le législateur a contredite par la loi dite anti-Perruche », art. L. 114-5 CASF : « Nul ne peut se
prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance »)

Problématique – Quelles sont les personnes reconnues par le droit ? Des êtres de chair et de
sang, mais aussi des entités abstraites.
Comment identifier une personne ? Nom domicile, le sexe ? Mais cela ne marchera pas pour
toutes les personnes (ex. PM).
Quelle est la protection dont jouissent les personnes ? Forcément, elle n’est pas la même (la PM
ne se soucie pas de son intégrité morale ou corporelle).

Annonce – La personnalité juridique est l’aptitude à être titulaire de droits, mais cette aptitude
n’est pas identique pour tous. Il convient en effet de distinguer personnalité juridique et
capacité juridique. Toute personne physique a la personnalité juridique, ce qui signifie que
toute personne physique peut exercer des droits subjectifs et tous les droits subjectifs. Mais il
existe des exceptions, non pas à l’attribution de la personnalité juridique, mais à l’exercice des
droits subjectifs qui y sont attachés.

Dès lors, nous allons étudier la question de l’attribution de la personnalité ainsi que son contenu
d’abord (Partie 1) et les incapacités ensuite (Partie 2).
22

1ère partie : La personnalité

Une personne peut être définie comme tout être titulaire de droits qui lui sont propres et
d’obligations. En droit, la notion de personne est plus large qu’usuellement. Elle comprend les
personnes physiques et les groupements de personnes physiques ou de biens (PM).

Lorsqu’un être ou une entité est considéré comme tel au sens du droit, il dispose de ce qu’on
appelle la personnalité juridique, qui est l’aptitude à participer au commerce juridique. Celle-
ci permet d’avoir et d’exercer des droits (dits « subjectifs ») et des obligations. Les droits
subjectifs sont les prérogatives individuelles que confèrent les règles de droit aux sujets de droit.

Toute personne est par principe apte à être sujet de droit. Pour accomplir les actes de la vie
juridique et économique, comme acheter, louer, se marier, créer une entreprise, embaucher un
salarié, la loi donne aux sujets de droit la personnalité juridique, qui leur confère l’aptitude à
jouir de leurs droits et à les exercer.

La personnalité juridique est ainsi d’abord reconnue aux personnes physiques (chapitre 1),
c'est-à-dire les êtres humains faits de chair et de sang. Cependant, certains groupements sont
aussi dotés de la personnalité juridique, il s’agit des personnes morales (chapitre 2).
23

Chapitre 1 : Les personnes physiques

Par principe, tout individu, dès lors qu’il existe, jouit de la personnalité juridique. La
personnalité juridique est reconnue à tout être humain, quel que soit son âge, son sexe ou toute
autre considération. Mais seuls les êtres humains disposent de la personnalité juridique (pas les
animaux par ex. même si la loi les protège en tant qu’êtres vivants), j’insiste.

Nous allons envisager successivement l’existence de la personne (Section 1), les éléments de
son identification (Section 2), ainsi que les attributs de la personne physique (Section 3)

Section 1 : L’existence de la personne physique

La vie – dès son commencement jusqu’à sa fin – permet d’attribuer la personnalité juridique
(§1). Mais il existe des situations d’entre-deux juridique que le doit prend en compte :
l’éloignement, l’absence, la disparition où l’existence de la personnalité est incertaine (§ 2).

§ 1 : La vie

Si en principe la personnalité juridique commence à la naissance (A), parfois la loi fera produire
à la conception des effets juridiques (B). La personnalité juridique s’éteint la mort (C).

A. La naissance

Le seul texte que nous trouvons sur le commencement de vie dans le code civil, c’est l’article
16 c. civ. qui énonce : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la
dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ».

Comme vous voyez, cette disposition se borne à évoquer le commencement de la vie sans le
définir, chose qui est très embêtante car justement c’est ce moment qui détermine l’application
de la protection à un être humain…
24

Mais il est communément admis que la personnalité juridique de l’être humain commence à la
naissance, et non à la fécondation.

Pour avoir la personnalité juridique, l’enfant doit naître viable. La viabilité est définie d’une
façon prétorienne comme « capacité naturelle de vivre : l’enfant ne doit pas être né
prématurément, ou manquer d’un organe indispensable à la vie ou encore souffrir de
malformations rendant la mort inéluctable »12.

L’art. 79 al. 1er du c. civ. autorise l’établissement d’un acte de naissance et un acte de décès
pour l’enfant né vivant et viable mais décédé avant la déclaration à l’état civil. Il suffit de
présenter un certificat médical qui indique la date, l’heure et le lieu de l’accouchement spontané
ou provoqué pour raison médicale. Une circulaire du 19 juin 2009 précise, par ailleurs, qu’un
prénom peut être donné à l’enfant, mais non pas le nom de famille. La filiation ne peut pas être
établie non plus, car sinon cela reviendrait de lui conférer une personnalité juridique.

Enfant à naître - Dans ces conditions, la gestation ne marque pas le début de la personnalité
juridique. Le fœtus est donc dépourvu de la personnalité juridique.

Dès lors, selon la JP bien établie [Ass. Plén. 29 juin 2001, par ex.] la mort accidentelle de
l’enfant à naître ne peut pas recevoir la qualification d’homicide involontaire de l’art. 221-6
CP. L’enfant à naître n’est pas « autrui » au sens du CP. On sous-entend qu’il est une chose, et
pour ne pas omettre le caractère spécifique de cette chose-personne potentielle, la Cour ajoute
que « son régime juridique relève des textes spécifiques sur l’embryon ou le fœtus. L’auteur de
l’accident ne verra pas sa responsabilité pénale engagée sur ce fondement, étant précisé qu’il
sera évidemment responsable des blessures involontaires causées à la mère.

Toutefois, la JP retient l’homicide involontaire dans l’hypothèse où l’enfant est décédé une
heure après sa naissance à la suite d’un accident dont avait été victime sa mère [Crim. 2
décembre 2003]

La CourEDH (Gde chambre, Vo c/ France, 8 juillet 2004) n’a pas condamné la France pour
cette position, car « le point de départ du droit à la vie relève de l’appréciation des Etats »,

12
Renault-Brahinsky.
25

d’autant plus qu’il n’existe pas de consensus au niveau européen sur la nature et le statut de
l’embryon. Autrement dit, les Etats bénéficient d’une marge nationale d’appréciation.

Mais le statut de l’embryon n’est pas aussi tranché. En effet, dans certains cas la loi fait produire
des effets juridiques à la conception.

B. La conception

Par exception, l’enfant à naître peut recevoir une succession (art. 725 al. 1er du c. civ.) ou une
donation (art. 906 c. civ.) à condition qu’il naisse ensuite vivant et viable pour acquérir
rétroactivement les droits attachés à la qualité de personne dès le moment de sa conception

*** Ex. : un enfant à naître peut hériter de son père décédé avant sa naissance = personnalité
juridique reconnue par anticipation).

*** Fake : le chat de Karl Lagerfeld, Choupette, ne pourra pas hériter. Ce n’est pas un être
humain, elle n’a pas de personnalité juridique.

Cette règle est fondé sur un adage romain infans conceptus pro nato habetur quoties de
commodis ejus agitur (l’enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu’il pourra en tirer
avantage). La jurisprudence a repris cet adage qui ne résulte d’aucun texte légal l’a érigé en
principe général du droit (Cass. 1ère civ., 10 décembre 1985).

L’art. 318 c. civ. dispose qu’« aucune action n’est reçue quant à la filiation d’un enfant qui
n’est pas né viable ».

L’art. 311 c. civ. pose la présomption : un enfant est conçu pendant la période comprise entre
le 300e et le 180e jour, inclusivement, avant la date de la naissance. La date de la conception
sera fixée à un moment quelconque de cette période « suivant ce qui est demandé par l’intérêt
de l’enfant » (ex. : pour bénéficier de l’assurance-vie). On appelle cette présomption omni
meliore momento.
La preuve d’une grossesse plus longue ou plus courte peut être apportée par le demandeur, bien
entendu (par tout moyen).
26

N. B. : On pourrait aller plus loin sur le statut de l’embryon pour savoir s’il est considéré comme
une personne humaine lorsqu’on pense à l’IVG, le sort des embryons surnuméraires ou les
expérimentations sur les embryons.

IVG : L’art. 1er de la loi du 17 janvier 1975 : « La loi garantit le respect de tout être humain dès
le commencement de sa vie ». On peut penser que l’embryon n’est pas considéré comme un
être humain avant d’avoir dépassé 12 semaines (art. L. 2212-1 Code de la santé publique),
délai pendant lequel un avortement est permis. Une partie de la doctrine discute sur ce point
pour savoir si l’embryon est une chose ou une personne.

Embryons surnuméraires - (un embryon conçu lors d'une fécondation in vitro dans le cadre
d'une procréation médicalement assistée ; on fait plusieurs essais de fécondation, comme c’est
aléatoire pour avoir plus de chances de projet parental d’aboutir) – On détruit les embryons
surnuméraires en l’absence d’un projet parental persistant (art. L. 2141-4 Code de la santé
publique) avec le consentement des deux membres du couple.

On déduit de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que l’article 16 du code civil qui


protège le respect de l’être humain n’est pas applicable à l’embryon. Est-ce dire que ce n’est
pas un être humain, mais plutôt une chose ?!
La CourEDH (Gde ch., 27 août 2015, Parrillo c/ Italie) laisse, encore une fois, la question à
l’appréciation des Etats en matière de protection de l’embryon, faute de consensus au niveau
européen sur ce point.

Expérimentations sur les embryons – Au départ, les expérimentations étaient plutôt interdites
par les lois Bioéthiques (clonage, création d’embryons transgéniques [on ajoute un ADN
étranger] ou chimériques [créatures mi-animal mi-homme]).

Toutefois, la loi du 6 août 2013, modifiée par la loi du 26 janvier 2016 a autorisé les recherches
sur l’embryon dans des conditions très strictes (art. L. 2151-5 du Code de la santé publique).
Schématiquement, la recherche doit être autorisée par l’Agence de la biomédecine et avoir une
finalité médicale.

Bref, vous voyez que la question de l’embryon est très délicate, au point qu’une autrice de la
doctrine l’a qualifié d’ « objet juridique non identifié », tout comme le cadavre.
27

Si elle commence en principe à la naissance ou par exception, à la conception, la personnalité


juridique cesse avec la mort, en tout état de cause.

C. La mort

Le principe est simple : la personnalité juridique finit avec la mort.

*** Ex. : Cass., 2ème civ., 8 juillet 2004 : le droit d'agir pour le respect de la vie privée s'éteint
au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit. Ce droit ne peut pas être transmis
à ses héritiers.

Selon l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique, le constat de décès ne peut être établi
qu’après arrêt cardiaque et respiratoire persistant, s’il y a défaut total de conscience, abolition
de tous les réflexes du tronc cérébral et absence totale d’activité motrice et de ventilation
spontanées (ces critères sont cumulatifs).

Aux termes de l’art. 78 c. civ., la mort doit être déclarée à l’officier de l’état civil dans les 24h
de sa survenance par n’importe quelle personne.

Par ailleurs, le diagnostic de mort autorise le prélèvement d’organes, à moins que la personne
ne se soit opposée de son vivant (art. L. 1232-1 CSP). (Ce refus doit être inscrit sur le registre
national automatisé spécial et est révocable à tout moment).

L’expérimentation sur le corps dont la circulation sanguine et le fonctionnement du cœur sont


artificiellement maintenus, n’est possible que si l’individu avait consenti de son vivant ou par
le témoignage de la famille (Art. L. 1121-14 al. 2 CSP)

Exception – une certaine « survivance » de la personnalité après la mort.


D’aucuns disent que ce sont juste des particularités du bien qu’est le corps humain qu’on doit
traiter avec des égards…
28

- Le testament : la volonté du défunt – qu’il a manifesté de son vivant, bien entendu –


produira des effets après sa mort lorsqu’on exécutera les dispositions de son testament
après sa mort (art. 895 c. civ.).

- Funérailles : les dispositions devront être observées sous peine de sanctions pénales
(art. 433-21-1 CP). L’inhumation a lieu entre 24h et 6 jours après la mort.
En cas de d’absence de disposition ou si la famille du défunt conteste, c’est le juge qui
déterminera quel membre de la famille choisira le lieu et le mode de sépulture. Souvent
il s’agit du conjoint ou du partenaire (sauf mésentente, bien entendu). Sinon, les enfants,
père, mère ou même un parent éloigné.

- Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort (art. 16-1-1). Le cadavre est
considéré comme sacré.
On doit traiter « avec respect, dignité et décence » les restes des personnes décédées, y
compris les cendres si le corps a fait l’objet d’une crémation.
Cela implique notamment qu’en cas d’autopsie, le médecin légiste doit restaurer le corps
avec toute l’attention possible.

Exemples de l’application de ce principe :


*** Ex. 1 :Cass. civ. 1ère, 29 octobre 2014, « Our body »
Une exposition « Our body / À corps ouvert » organisée à Paris au début de l'année 2009
dont le propos était de dévoiler à ses visiteurs des cadavres humains, occupés à des
activités et des pratiques sportives comme s'ils étaient encore vivants.
Selon la Cour de cassation, le contrat d'assurance souscrit afin de garantir les
conséquences de l'annulation de l'exposition - utilisant des cadavres humains à des fins
commerciales - avait une cause illicite et était donc nul. En effet, le principe d'OP selon
lequel le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort préexistait à l'article 16-
1-1 c. civ. et était applicable même si le contrat d'assurance a été conclu avant l'entrée
en vigueur du texte. En plus la Cour accueille la demande en dommages-intérêts pour
manquement des assureurs à leur devoir d'information et de conseil.
On écarte la non-retroactivité de la loi nouvelle (art. 2 du c. civ.) et fait prévaloir l’art.
6 sur la nullité des contrats contrevenant à l’OP et aux bonnes mœurs.
29

Est-ce que la Cour de cassation a créé du droit ? – Oui, puisqu’elle applique un principe
préexistant (antérieur et identique à la loi nouvelle)…

*** Ex. 2 : la reproduction de l’image d’une personne morte est attentatoire à la dignité
de la personne humaine » (Cass., 1ère civ., 20 déc. 2000, affaire Erignac) et peut justifier
la réparation du préjudice des proches en raison d’une atteinte à la mémoire ou au
respect dû au mort (Cass., 1ère civ., 1er juillet 2010)

Il y a aussi des sanctions pénales pour l’outrage à la mémoire des morts et l’atteinte à
l’intégrité du cadavre (art. 225-17 CP)

- Des décorations peuvent être attribuées à titre posthume.

§ 2 : L’incertitude sur l’existence de la personnalité

L’incertitude sur l’existence de la personnalité juridique peut revêtir deux formes : l’absence
(A), c’est-à-dire quand on ne retrouve pas la personne et on ne sait pas si elle vivante ou morte ;
et la disparition (B), c’est-à-dire quand on est sûr de la mort, mais on n’a pas retrouvé le cadavre.

A. L’absence (art. 112-132 c. civ).

On appelle l’absence l’état de la personne non présente dont l’existence est incertaine.

Une personne est absente lorsqu’elle a cessé de paraître à son domicile ou à sa résidence sans
avoir donné de nouvelles. On assimile au même régime juridique les personnes éloignées, c’est-
à-dire, celles qui « par suite d’éloignement, se trouvent malgré elles hors d’état de manifester
leur volonté (par exemple, les otages et les prisonniers).

Le régime juridique est composé de deux phases successives : absence présumée et absence
déclarée.

- Présomption d’absence (on suppose la personne en vie) : La loi est silencieuse sur la
durée depuis quand la personne a cessé d’apparaître à son domicile ou à sa résidence.
30

Mais si les 20 ans se sont écoulés, on peut ouvrir la procédure de déclaration d’absence
(on passe à la phase suivante).
La présomption d’absence est déclarée par jugement du juge des tutelles, à la demande
de tout intéressé (conjoint, héritiers présomptifs, créanciers, associés de l’absent, par
exemple) ou du MP.

Le but est d’assurer la représentation du présumé absent et d’administrer ses biens. On


désigne un représentant (parent ou allié) et on applique les règles de l’administration
légale sous contrôle judiciaire prévue pour les mineurs (que l’on verra plus tard).

Le juge fixe également la somme qu’il convient d’affecter annuellement à l’entretien de


la famille et aux charges du mariage ; détermine comment il sera pourvu à
l’établissement des enfants. Il y a 4 catégories des dépenses : le budget de la famille,
établissement des enfants, dépenses de l’administration et la rémunération de
l’administrateur.

Le présumé absent peut succéder. Lorsqu’il est coïndivisaire et il est appelé à un partage,
l’état liquidatif du partage est soumis à l’approbation du juge des tutelles (et non pas
l’autorisation préalable depuis la loi du 23 mars 2019).

Ces règles ne sont pas applicables si le présumé absent a laissé « procuration suffisante »
pour le représenter et administrer ou si le conjoint peut suffisamment pourvoir aux
intérêts en cause par l’application du régime matrimonial (administration des biens des
époux sous le régime de la communauté).

- Déclaration d’absence (on suppose la personne morte) :


Il y a deux délais :
• 10 ans depuis la constatation en justice de la présomption de
l’absence ; ou
• 20 ans depuis que la personne a cessé de donner des nouvelles (si
on n’a pas de constatation de présomption de l’absence).

Le Tribunal est saisi à demande de tout intéressé ou du MP. Une fois le jugement est
publié il est retranscrit sur les registres de l’état civil.
31

Les effets sont les mêmes que ceux du décès : on ouvre la succession et dissout le
mariage.

Si l’absent réapparaît, le jugement déclaratif est annulé à la demande de tout intéressé.


L’absent recouvre ses biens en l’état où ceux-ci s trouvent ou le prix des biens aliénés
(si fraude du conjoint, peut attaquer la liquidation du régime mat). Mais le mariage de
l’absent reste dissous.

B. La disparition (art. 88-90 c. civ.)

Les cas où le corps n’a pas pu être retrouvé


- Après disparition dans des circonstances de nature à mettre en danger la vie de
l’intéressé (naufrage) ;
- « lorsque le décès est certain, mais que le corps n’a pas pu être retrouvé ».

Le décès est déclaré judiciairement à la demande de tout intéressé ou du MP.

Le dispositif du jugement déclaratif est transcrit sur les registres de l’état civil du lieu réel ou
présumé du décès et, le cas échéant, du lieu où le défunt a eu son dernier domicile. Il produit
des effets au jour de la mort présumée que le tribunal fixe.

Bien entendu, le jugement déclaratif peut être annulé à la demande de tout intéressé ou du MP
si le disparu réapparaît.

Section 2 : L’individualisation de la personne physique

Les principaux éléments qui permettent d’individualiser la personne physique sont le nom (§ 1),
le sexe (§ 2) et le rattachement à un lieu (§ 3). Je dirai quelques mots également sur les actes de
l’état civil (§ 4).
32

§ 1 : Le nom

Il convient de voir tout d’abord les éléments qui constituent le nom (A) pour aborder ensuite
son régime juridique (B).

A. Les éléments constitutifs

Vous les connaissez tous. Ce sont le nom (1) et le prénom (2). Il peut y avoir des accessoires
qui s’y ajoutent (3).

1) Le nom de famille

Naguère on utilisait l’expression « non patronymique », mais aujourd’hui on parle plutôt du


nom de famille, car le nom de famille n’est pas forcément le nom paternel – égalité des sexes
oblige –.
Selon certaines sources, il y aurait environ 1 300 000 noms en France, le record mondial de la
diversité.
Le nom s’acquiert traditionnellement par filiation (a). On peut, toutefois, le changer (b). Il se
distingue du nom d’usage (c).

a) L’acquisition

Par filiation – Traditionnellement, il y avait une coutume ancestrale selon laquelle l’enfant
prenait le nom de son père. Puis, il y a une condamnation par la CourEDH (22 février 1994,
Burghartz / Suisse ), car il s’agissait d’un système discriminatoire en raison du sexe.

La loi du 4 mars 2002 (art. 311-21 et suiv. c. civ.) a permis de transmettre à l’enfant le nom
de la mère. Cette loi avait été corrigée et complétée par une loi du 18 juin 2003 relative à la
dévolution du nom de famille, puis modifiée par l’ordonnance du 4 juillet 2005.

- Lorsque la filiation est établie à l’égard des deux parents en même temps, ils choisissent
le nom de famille : celui du père, celui de la mère ou les deux accolés dans l’ordre choisi.
33

*** Ex. : La mère s’appelle Okossa, le père Dupont. L’enfant pourra s’appeler Okossa, Dupont,
Okossa Dupont ou Dupont Okossa.

En l’absence de choix, l’enfant prend le nom du père.

En cas de désaccord entre les parents, l’enfant prend les deux noms de ses parents qui seront
accolés dans l’ordre alphabétique (dans notre ex. : Dupont Okossa).

Le nom dévolu au premier enfant vaut pour tous les autres enfants communs.

Si les deux parents ont un double nom et ils veulent transmettre chacun son nom complet, ce
n’est pas possible. On évite les noms trop longs. Donc chaque parent choisira un seul nom de
son nom de famille.

- Lorsque la filiation de l’enfant n’est pas établie simultanément envers ses deux parents,
l’enfant prend le nom de celui des parents à l’égard duquel la filiation est établie en
premier.

Toutefois, en vertu de l’art. 311-23 al. 2 c. civ, lors de l’établissement du second lien de filiation
et tant que l’enfant est mineur, les parents peuvent modifier le nom de famille par le biais d’une
déclaration conjointe à l’officier de l’état civil. Deux options : on substitue le nom par celui de
l’autre parent ou on accole le nom des deux parents.

Le consentement de l’enfant est nécessaire s’il a plus de 13 ans.

- En cas de l’adoption de l’enfant, si elle est simple, on ajoute le nom de l’adoptant à celui
de l’enfant ; si elle est plénière, le nom de l’adoptant est substitué au nom d’origine
(art. 363 c. civ.). On ne rentre pas dans les détails sur ce point.

Par décision d’une autorité administrative ou judiciaire – L’enfant trouvé ou né de père et


mère inconnus se voit attribuer le nom par l’OEC (art. 57 c. civ).
34

La personne âgée de plus d’un an et qui ne peut retrouver son état civil aura son nom fixé par
le tribunal.

b) Le changement

Il existe un principe d’immutabilité du nom de famille. De ce principe découle que le nom ne


se perd pas par le non-usage et que l’on ne peut pas changer de nom par acte de volonté privée.

Par exception, on peut changer de nom dans deux hypothèses :

- Changement de nom résultant d’un changement d’état (ex. : en cas de contestation


de paternité : l’enfant perd le nom du mari de sa mère et prend le nom de sa mère). Si
les enfants sont majeurs, l’établissement ou modification du lien de filiation n’emporte
pas le changement du nom, sauf si l’enfant y consent (art. 61-1 al. 2 c. civ).

- Changement par décret (art. 61 et suiv. c. civ) : toute personne qui justifie d’un intérêt
légitime peut demander à changer de nom.

Ex. : nom à consonnance ridicule, péjorative ou grossière (Lecul ; Cocu, Crétin,


Poubelle) ; nom d’origine étrangère ; usage prolongé du nom sollicité ; nom illustre
porté par les ancêtres ; risque d’extinction du nom porté par un ascendant ou un
collatéral.

La demande est à adresser au Ministre de la Justice. Si accueillie, le changement de nom


s’opère par un décret publié au JO. Un délai de 2 mois coule pendant lequel tout
intéressé peut faire une opposition devant le Conseil d’État (compétent en 1er et dernier
ressort).

*** Ex. : CE 31 janvier 2014 : les enfants peuvent abandonner le nom de famille de leur
père qui les a délaissés pour prendre le nom de leur mère.

Les enfants de 13 ans du bénéficiaire du changement du nom prennent le nouveau nom.


S’ils sont plus âgés, leur consentement écrit est nécessaire.
35

La décision de changement de nom est mentionnée en marge des actes de l’état civil de
l’intéressé.

- Le nom acquis dans un autre État – La loi Justice XXI a introduit un nouvel article
61-3-1 c. civ qui permet à « Toute personne qui justifie d'un nom inscrit sur le registre
de l'état civil d'un autre État » de « demander à l'officier de l'état civil dépositaire de son
acte de naissance établi en France son changement de nom en vue de porter le nom
acquis dans cet autre État ». Ce changement s’étend, en principe aux enfants de moins
de 13 ans de plein droit.

Cas particulier : Francisation du nom à la suite de l’acquisition de la nationalité française (on


traduit en français le nom ou on le modifie pour qu’il perde son apparence ou son caractère
étranger). Le but est de favoriser l’intégration du nouveau citoyen dans la communauté
française.

c) Le nom d’usage

- Il existe une règle coutumière jusqu’ici utilisée selon laquelle l’épouse est en droit de
porter le nom de son époux

C’est un nom d’usage : la femme conserve son nom (qu’on appelle « de jeune fille »).

(now : Article 225-1 (Créé par du 17 mai 2013): « Chacun des époux peut porter, à titre
d'usage, le nom de l'autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l'ordre
qu'il choisit ».

Autrement dit, cela vaut aussi pour le mari.

Ce droit d’usage disparaît en cas de divorce, sauf l’accord du conjoint ou décision judiciaire
(art. 264 c. civ.). Il subsiste, en principe, en cas de séparation de corps et en cas de décès du
conjoint.
36

- Selon l’art. 43 de la loi du 23 décembre 1985, « Toute personne majeure peut ajouter
à son nom, à titre d'usage, le nom de celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le
sien. A l'égard des enfants mineurs, cette faculté est mise en œuvre par les titulaires de
l'exercice de l'autorité parentale ».

Ce nom d’usage n’est pas obligatoire et n’est pas transmissible aux descendants.

2) Le prénom

= Elément qui précède le nom de famille et a pour but d’individualiser la personne dans la
famille dont le nom elle porte.

Attribution du prénom - Le prénom est choisi par la personne qui déclare la naissance de
l’enfant à l’état civil (art. 57 c. civ.). Il peut y avoir 4 prénoms maximum (mais un seul suffit).
N’importe lequel de ces prénoms peut être utilisé comme prénom usuel.

En cas de désaccord entre les parents, seront appliquées les règles relatives à l’exercice de
l’autorité parentale.

En principe, le choix du prénom est libre.


Mais par exception, l’OEC, peut déclencher le contrôle judiciaire (JAF) du choix du prénom si
le prénom seul, ou l’association du prénom au nom est contraire à l’intérêt de l’enfant ou au
droit des tiers à voir protéger leur nom de famille. Dans ce cas, l’OEC avertit le Procureur de
la République qui peut saisir le JAF.

*** Ex. du prénom contraire à l’intérêt de l’enfant : Titeuf ; Lucifer ; Nutella.


*** Ex. d’association : Lara CLETTE ou Pierre TOMBAL (en Belgique)

Si le prénom est déclaré contraire, les parents font un nouveau choix. S’ils refusent, c’est le
juge qui attribue un prénom à l’enfant.

Changement du prénom – La loi du 18 novembre 2016 dite Justice XXI permet à toute
personne de demander à l’OEC à changer de prénom (donc il n’y a plus d’intervention du JAF).
37

L’OEC peut saisir le Procureur de la République pour opposition s’il considère que cela n’a pas
d’intérêt légitime (dans ce cas-là la procédure sera judiciaire et relèvera de la compétence du
JAF.

Le changement du prénom est mentionné en marge des actes de l’état civil.


Si ce changement est lié au changement de sexe, on fera mention en marge des actes des
conjoints et enfants qu’avec leur consentement afin de protéger leur vie privée (art. 61-7 c.
civ.)

3) Les accessoires

Surnom et pseudonyme – Le surnom c’est une appellation donnée à la personne par son
entourage et sous laquelle elle est connue de facto.
*** Ex. : Pierrot le fou.

Le pseudonyme c’est le nom de fantaisie que l’on choisi librement afin d’exercer une activité
particulière (littéraire ou artistique, par exemple).

*** Ex. : Voltaire (François-Marie Arouet) ; Stromae (Paul Van Haver).

Il ne s’agit pas des éléments faisant partie du nom. Ils ne sont pas mentionnés dans les
documents de l’état civil. Mais ils sont admis dans les documents officiels à la suite du nom et
précédés du mot « dit ».
Toutefois, ils sont protégés contre l’usurpation par un tiers.
Aussi, la révélation du véritable nom d’un artiste constitue une atteinte à la vie privée.
Ne sont pas transmissibles aux descendants de l’artiste, sauf son accord.

Titres nobiliaires – distinction conférant la noblesse attribuée par un souverain, « vestiges de


l’Ancienne France », selon l’expression de Malaurie. Symbole d’inégalité civile et politique,
ils ont été abolis en 1789, puis rétablis en 1814 er 1852. Ils existent donc toujours.

*** Ex. : prince, duc, marquis, comte.


38

De nos jours ce ne sont que de simples accessoires honorifiques du nom qui sont transmis selon
les règles établies sous l’Ancien régime. Le Ministre de la justice est compétent pour vérifier la
preuve de propriété de ces titres.

Peuvent être défendus (compétence du juge judiciaire) contre l’usurpation.

Les règles d’attribution, de dévolution et de compétence sont assez complexes. On ne va pas


les étudier.

B. Régime juridique du nom

Caractères juridiques - Juridiquement, le nom est à la fois une institution de police civile, car
il sert à identifier la personne et un droit de la personnalité, car il permet d’affirmer et de
développer sa personnalité dans la vie sociale.

De ce fait, en principe, le nom de famille est indisponible, c’est-à-dire il est interdit d’en
disposer entre vifs ou par testament.

Par exception,
- l’époux divorcé peut conserver le nom du conjoint avec l’accord de celui-ci ;
- le nom commercial (quand il y aune entreprise exploitée) est un élément du fonds de
commerce et peut être cédé avec le fonds.
- Le titulaire d’un nom (Picasso) peut consentir à son utilisation à des fins commerciales.

En principe, le nom est imprescriptible : on n’acquiert pas le nom de famille par prescription ;
on ne le perd pas par un non-usage.

Par exception, la JP confère à la possession très prolongée d’un nom, un effet acquisitif. La
famille pourra conserver ce nom, si l’usage en a été « loyal, public et incontesté ».
39

Protection du nom –
- droit civil : L’usurpation du nom par un tiers est interdite. Ce n’est pas une action en
responsabilité, mais une action qui protège la propriété du nom. Mais il faudra démontrer
l’intérêt à agir et en pratique il sera présent lorsque le nom et rare ou illustre, dans la mesure où
Le risque de confusion avec un nom de famille commune n’existe pas, car la confusion existe
déjà pour les noms répandus.

Le nom est également protégé contre l’utilisation préjudiciable (ex. : on donne votre nom à un
personnage d’un roman). C’est une action en responsabilité civile de droit commun. Il faut donc
un préjudice (confusion dommageable, comme quand le personnage est odieux ou ridicule) et
une faute (désir de nuire) ou une simple imprudence (utilisation d’un nom rare)).
Pour les noms répandus, pour qu’il y ait une confusion, la jurisprudence exige non seulement
l’identité de noms, il faut aussi une analogie des circonstances de vie entre le personnage fictif
et le personnage réel.

En revanche, il n’y a pas d’exigence de préjudice lorsque l’histoire est racontée sous un vrai
nom ou non, si l’histoire en question est vraie, parce qu’il y a une atteinte aux droits de la
personnalité qui doivent être protégés (Cass., Civ. 1ère, 13 février 1985, affaire Mesrine . « Dans
l'affaire du film consacré au bandit Jacques Mesrine, sa compagne avait obtenu que le film soit
amputé de passages à caractère très intime, au motif que cela réveillait des sentiments très
douloureux ». L'utilisation dans une œuvre qui n'est que partiellement de fiction, sans qu'elles
l'aient autorisées, des prénoms et nom de personnes existantes et identifiables comme telles,
tant en raison de cette utilisation que de l'évocation des événements véritables auxquels elles
ont été mêlées, constitue à elle seule une atteinte à l'intimité de la vie privée dès lors que l'oeuvre
est censée les représenter dans leur existence quotidienne à l'intérieur de leur domicile. Le juge
des référés est donc fondé à ordonner la suppression des noms de ces personnes dans un film).

Le nom fait partie de la protection accordée par l’article 8 CEDH car il est la composante du
droit à la vie privée et familiale.

- droit pénal : le fait de prendre un autre nom dans un acte public ou authentique ou dans un
document administratif destiné à l’autorité publique ; le fait de changer, altérer ou modifier le
nom assigné par l’état civil (art. 433-19 CP)
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§ 2 : Le sexe

Seuls deux sexes existent en droit français – le féminin et le masculin. Le sexe neutre ou
indéterminé n’existe pas en droit français. Toutefois, il est possible de ne pas faire mention du
sexe avec l’accord du Procureur de la République.

En effet, selon la Cour de cassation (1ère civ., 4 mai 2017), « la loi française ne permet pas de
faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou
féminin ». Mais le Ministère de la justice est en train de réfléchir sur la possibilité dé créer un
état civil provisoire pour les enfants dont le sexe n’est pas déterminé à la naissance.

Transgenre - Mais il arrive que le sexe anatomique ou génétique d’une personne ne


corresponde pas au sexe psychologique, puisqu’elle se sent appartenir au sexe opposé par
rapport à celui indiqué dans ses actes de l’état civil. C’est la question des transsexuels ou
transgenre.

Pendant longtemps, il était impossible, en droit français de changer la mention du sexe dans les
actes de l’état civil. Dès lors, la France s’est fait condamnée par la CourEDH (Botella c/ France,
25 mars 1992). La Cour de cassation est revenue sur sa position et admet le changement de sexe
pour respecter l’apparence du sexe de la personne (ex. : Cass. 1ère civile 2013).

La loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle a introduit dans le code civil une section
relative à la modification de la mention du sexe à l’état civil. Le décret du 29 mars 2017 et la
circulaire du 10 mai 2017 sont venus préciser la procédure (art. 1055-5 à 1055-9 CPC).

Un majeur ou mineur émancipé peuvent solliciter judiciairement la modification de la mention


du sexe à l’état civil, à la condition d’avoir le consentement libre et éclairé (art. 61-6 al. 1 et 2
c. civ.).
Aux termes de l’art. 61-5 c. civ., il faut qu’elle démontre « par une réunion suffisante de faits
que la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans
lequel elle se présente et dans lequel elle est connue ».

Notamment elle apporte la preuve par tout moyen :


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« 1° Qu'elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ;


2° Qu'elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou
professionnel ;
3° Qu'elle a obtenu le changement de son prénom afin qu'il corresponde au sexe revendiqué ».

A la suite d’une condamnation de la France (CourEDH, Garçon et Nicot c/ France, 6 avril


2017), la loi Justice XXI a créé un nouvel article 61-6 c. civ. qui énonce explicitement que « Le
fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une
stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande » (contrairement à ce que la
Cour de cassation demandait auparavant).

Si le Tribunal judiciaire a constaté ces conditions, « il ordonne la modification de la mention


relative au sexe ainsi que, le cas échéant, des prénoms, dans les actes de l'état civil ». La mention
est portée en marge de l’acte de naissance.
Quant aux modifications de prénoms, à la suite du changement de sexe, sur les actes de l’état
civil du conjoint ou des enfants, elles ne sont mentionnées en marge de leurs actes de l’état civil
seulement s’ils consentent à cela.

En outre, la loi précise que « La modification de la mention du sexe dans les actes de l'état civil
est sans effet sur les obligations contractées à l'égard de tiers ni sur les filiations établies avant
cette modification. »

§ 3 : Le rattachement à un lieu

Le rattachement à un lieu a deux déclinaisons : le domicile (1) et la résidence (2). On s’attardera


beaucoup plus sur le domicile.

1) Le domicile

Le domicile, « siège légal de la personne », se définit selon l’art. 102 c. civ. comme lieu du
principal établissement.
C’est un véritable lieu de rattachement juridique, peu importe si la personne est physiquement
présente ou non. Toute personne doit avoir un domicile.
Pour les personnes SDF, il existe un domicile de secours (art. L. 122-2 CASF).
42

- En principe, la détermination du domicile est volontaire. Le domicile est un endroit


où la personne veut centraliser ses affaires. Il faut un élément ou des éléments objectifs
(le factum).
Ces éléments qu’on retient pour caractériser le domicile sont : installation durable, inscription
sur les listes électorales, exercice de l’activité professionnelle, paiement des impôts, réception
du courrier, déclarations de l’intéressé, attaches familiales et affectives.
Mais il faut également un élément subjectif, l’animus, l’intention d’y demeurer.

On peut changer de domicile (art. 103 c. civ) : par « le fait d'une habitation réelle dans un autre
lieu, joint à l'intention d'y fixer son principal établissement ». On prouve par une double
déclaration à la marie de la commune qu’on quitte et à celle où on fixe le domicile (art. 103 c.
civ).

Le changement de domicile doit être notifié (sinon responsabilité pénale) lorsque l’intéressé est
tenu de prestations ou pensions alimentaires en vertu d’un jugement ou d’une convention
judiciairement homologué (notif au créancier) ; ou lorsque la résidence des enfants lui est confié
dans les mêmes conditions (pour que l’autre parent puisse exercer le droit de visite et
d’hébergement).

- Par exception le domicile peut être imposé par la loi (art. 108-2 et 108-3 c. civ) :
pour le mineur émancipé, pour le majeur protégé et pour certains fonctionnaires.

Le mineur non émancipé est domicilié chez ses père et mère ou chez le tuteur (si tutelle) ; ou
chez le parent chez qui il réside, si les parents sont séparés.

Le majeur en tutelle est domicilié chez son tuteur.

Les fonctionnaires nommés à vie (non révocables discrétionnairement, comme les magistrats
du siège, les officiers ministériels, comme notaires) ont leur domicile au lieu de l’exercice de
leurs fonctions.
43

- Par exception toujours, le domicile peut être élu (pour un acte juridique ça sera l’étude
du notaire ou le cabinet d’avocats).

A quoi ça sert ? – En droit civil, c’est le lieu où doivent être accomplis certains actes : mariage,
homologation du changement du régime matrimonial si l’un des membres du couple a des
enfants mineurs ; publication en vue du mariage au domicile de chaque époux ; le paiement
d’une dette se fait au domicile du débiteur.

En droit commercial, la procédure de redressement ou de LJ s’ouvre au domicile du


commerçant.

En procédure civile, la compétence juridictionnelle territoriale est celle du lieu où se trouve le


domicile du défendeur ; la signification d’un acte de procédure se fait au domicile de la
personne.

En droit international privé, la compétence des juridictions sera retenue en fonction du domicile.
*** Ex. : Metz, 28 janv. 1992 : un couple de congolais effectuait un stage en France. Ensuite
ils ont prolongé leur séjour en France au-delà du stage professionnel. Il a été jugé que leur
établissement est en France est les tribunaux français étaient compétents pour le divorce.

La protection du domicile est une composante du droit au respect de la vie privée.


Par exemple, selon la JP, l’employeur ne peut pas restreindre le choix du domicile personnel
du salarié sauf si c’est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et
compte tenue de la nature des fonctions occupées par le salarié en question.

Le domicile est inviolable (art. 432-8 CP). En principe, les perquisitions – en cas d’infractions
pénales – sont interdites de nuit (sauf pour la crim org et le terrorisme).
[Sachez que la notion du domicile est plus large en procédure pénale : Selon la JP, il s’agit de
tout lieu d’habitation possible, même temporaire, (par exemple une chambre d’hôtel ou un
bureau), où la personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle]

Il ne faut pas confondre le domicile et la résidence.


44

2) La résidence

La résidence est le lieu où la personne se trouve effectivement pendant une certaine durée, donc
c’est un lieu où elle vit.

En principe, la résidence est indifférente en droit civil. Mais quand le domicile (l’actuel et le
présent) est inconnu, la résidence le remplace (pour les actes de procédure).

Elle peut aussi supplanter le domicile pour l’inscription sur les listes électorales ; pour la
protection des incapables, en droit de la nationalité etc.

§ 4 Les actes de l’état civil

Philippe Malaurie définit les actes d’état civil comme « des écrits instrumentaires dressés par
des agents de l’autorité publique, les officiers d’état civil, et destinés à recevoir, conserver et
publier l’état d’une personne, caractérisée par les grands événements de la vie humaine : des
faits (les deux principaux sont la naissance et le décès) et des actes (le principal étant le
mariage) », « mais uniquement son état civil, c’est-à-dire la condition d’une personne au regard
du droit civil, non son état politique (sa qualité de citoyen).

Il sert à prouver l’état d’une personne et met en archives tous les événements civils de sa vie.

Officiers d’état civil – En 1972 ce sont les communes qui ont été chargées à établir et conserver
les registres d’état civil. Le système est laïque, contrairement au système des paroisses de l’AR.

Ce sont des lois municipales qui définissent la qualité d’OEC. Schématiquement, il s’agit du
maire, de l’adjoint er du conseiller municipal. Mais ils peuvent déléguer leurs pouvoirs parfois.

Registres et actes – Tous les actes d’état sont écrits sur des registres établis en double.
Il existe un livret de famille qui raconte brièvement l’histoire de la famille (mariages,
naissances, adoptions, décès des enfants, divorces). Il n’est plus réservé aux couples mariés,
mais aussi aux concubins quand ils ont les enfants. Il a pratiquement la même valeur probante
que les actes de l’état civil.
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Les actes sont rédigés par l’OEC sur l’initiative des parties (pour le mariage) sur les déclarations
pour la naissance ou décès.

Nullités – Les formalités de l’acte solennel sont requises à peine de nullité. Mais les tribunaux
écartent la nullité dans la majorité des cas, sauf si l’acte est inexact ou frauduleux.

Il existe quelques règles particulières pour certains actes. Par exemple, pour l’acte de naissance,
toute naissance doit être déclarée dans les trois jours qui suivent l’accouchement par le père ou
toute personne qui a assisté à l’accouchement. Il contient les nom, prénom, âge, profession et
domicile du déclarant, le jour, le lieu et l’heure de naissance, le sexe et le prénom de l’enfant.

Actes de naissance et les enfants nés de GPA – « La gestation pour autrui (GPA) est le fait
pour une femme, désignée généralement sous le nom de "mère porteuse", de porter un enfant
pour le compte d’un “couple de parents d’intention” à qui il sera remis après sa naissance ». On
implante dans l’utérus de la mère porteuse un embryon issu d’une fécondation in vitro (FIV)
ou d’une insémination. Les membres du couple sont les parents génétiques de l’enfant, soit
partiellement, ou pas du tout. En France la GPA est interdite (art. 16-7 c. civ.). Selon la Cass.,
ces conventions de gestation pour autrui ne sont pas conformes au principe d’ordre public de
l’indisponibilité de l’état des personnes (Cass., ass. plén., 31 mai 1991, Alma Mater).
Mais que faire si les enfants ont été nés à l’issue d’une GPA à l’étranger où elle est parfaitement
légale. Pendant longtemps, la JP a refusé la transcription sur les registres de l’état civil français
d’actes de naissance établis à l’étranger, puisque qu’elle considérait que c’était de la fraude à
la loi.
Toutefois, sous l’effet de la condamnation de la France par la CEDH – pour la Cour cela violait
la vie privée des enfants qui ne pouvait pas avoir de filiation établie –, Cass a assoupli sa
position (célèbre saga Mennesson c. France) et on permettait de retranscrire si l’acte de
naissance étranger indiquait le père biologique comme père et la mère qui a accouché comme
mère.

« Récemment (Cass., ass. plén., 4 oct. 2019), la Cass a pris parti, non sans surprise au regard
de la relative liberté que lui laissait la Cour européenne des droits de l’homme dans l’avis
consultatif précité, en faveur de la transcription en France des actes de naissance désignant
la mère d’intention, dans le cadre de l’affaire Menesson. Cependant, cette solution a
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été rendue en considération des faits propres à l’espèce (…) l convient, pour l’heure, de ne
pas la généraliser. La Cour revendique d’ailleurs, en cette matière, une méthode
d’« appréciation in concreto », « l’intérêt supérieur de l’enfant (…) exige(ant) pour le moins un
examen de chaque situation au regard des circonstances qui la caractérise ». En l’espèce,
la transcription a été jugée préférable aux autres modes d’établissement légal de la filiation
et, notamment, à ceux plus spécialement envisagés dans cette affaire, à savoir l’adoption et
la possession d’état » [Le contentieux a été trop long, quinze ans en l’espèce]

2 arrêts du Civ. 1ère 18 décembre 2019 : où la Cass. considère en effet qu’en présence d’une
demande de transcription, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une GPA ni la
circonstance que l’acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme
père ou parent ne constituent des obstacles à la transcription, à condition toutefois que l’acte
étranger soit régulier, exempt de fraude et conforme au droit de l’Etat dans lequel il a été établi.

Copies, extraits et attestations – Les actes de l’état civil sont destinés pour être mis en
disposition du public (contrairement aux actes authentiques qui ne sont communiqués qu’aux
parties). Toutefois, la mise en disposition n’est pas directe. Il s’agit des copies et des extraits.

S’agissant de l’acte de décès, toute personne peut obtenir sa copie intégrale.


Pour les autres actes – tels acte de naissance, acte de mariage, reconnaissance de l’enfant – la
copie n’est disponible que pour la personne concernée, pour ses ascendants ou descendants,
conjoint, représentant légal ou le Procureur de la République.
Concernant l’acte de mariage, ou l’acte de naissance, tout le monde peut obtenir un extrait
sommaire (qui n’indique pas la filiation). Mais les administrations publiques et les héritiers
peuvent avoir un extrait un peu plus complet avec la filiation, mais sans la précision si les
parents sont mariés ou pas.
Pour le reste, l’intéressé établit des attestations sur papier libre.

Répertoire civil – Dans les actes d’état civil, on n’indique pas les événements qui ont entraîné
l’incapacité d’une personne. Depuis 1968 on a créé un répertoire civil (art. 1057 sq. CPC) dans
lequel sont publiés les incapacités des majeurs : la mise en curatelle ou en tutelle, les
modifications du régime matrimonial et l’absence. Il a pour but d’assurer la publicité au
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deuxième degré au sens que cela concerne des événements d’état civil susceptible de causer un
préjudice à un tiers.
En marge de l’acte de naissance on mentionnera Répertoire civil et comme ça on saura qu’il
faut interroger ce répertoire pour savoir quelle est la décision qui limite la capacité ou le pouvoir
de l’individu.

Force probante – Les actes de l’état civil ont une force probante élevée. En tant qu’actes
authentiques dressés par des officiers publics, ils font foi jusqu’à l’inscription de faux
(art. 303 sq. CPC). Cette action est très compliquée et périlleuse.

Rectification d’un acte – S’il faut rectifier une erreur purement matérielle (par exemple, faute
d’orthographe dans le nom ou le prénom), cette rectification administrative sera ordonnée par
le parquet (art. 99 al. 4 c. civ.).
Les autres rectifications se font judiciairement : on introduit une requête devant le Président du
tribunal (ex. : erreur sur la date du décès).

Il existe une action d’état où on s’attaque au fond du droit, à l’état qu’on constate :
détermination du père ou de la mère, changement de sexe. Elle suit des règles en fonction de ce
qu’on veut modifier.
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Section 3 : Les attributs de la personne physique

En droit toutes les personnes sont égales. C’est un principe juridique très important que nous
allons évoquer (§1)
Pendant longtemps le doit civil définissait la personne par rapport à son patrimoine, les éléments
de richesse de son titulaire. On arrivait à l’équation suivante : 1 patrimoine = 1 personne. 1
personne = 1 patrimoine. Nous allons donc voir cet attribut classique de la personne physique
(mais une PM a aussi le patrimoine) (§ 2)
Mais il existe surtout des droits extrapatrimoniaux (hors patrimoine), attachés à la personne et
qui ne sont pas susceptibles d’être évalués au regard de leur valeur pécuniaire ; ils ne sont pas
évaluables en argent.
Ils représentent une valeur plus intime de l’être, valeur dégagée des considérations financières.
Ils sont incessibles. Leurs titulaires ne peuvent pas les céder à une autre personne, pas plus
qu’ils ne peuvent y renoncer définitivement.
On analysera, certes très rapidement, les droits de l’homme (§ 3) – une catégorie assez large –
ainsi que les droits de la personnalité (§ 3) – une catégorie un peu plus restreinte – .

§ 1 : L’égalité civile

L’égalité civile est un trait distinctif des personnes physiques. C’est un grand acquis de la
Révolution, car, comme vous le savez, le droit sous l’Ancien régime était profondément
inégalitaire.

L’égalité civile est un principe constitutionnel découlant de l’art. 1er la DDHC de 1789, « Les
hommes naissent libres et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne
peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».
Le Code civil, dans la même veine, dispose que « tout français jouira des droits civils » (art. 8
c. civ.).

La CEDH connaît également ce principe d’égalité devant la loi. Selon son article 14 : « La
jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans
distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les
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opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à


une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

Evidemment, l’égalité en droit ne rime pas avec l’égalité en fait, l’égalité concrète et réelle.
*** Ex. : nous n’avons pas tous les mêmes revenues.

Traitement différencié - L’égalité civile n’exclut pas non plus le traitement différencié par le
doit : les droits sont différents lorsque les situations des citoyens sont différentes.
Conseil constit, 16 janvier 1982 : « le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'une loi
établisse des règles non identiques à l'égard de catégories de personnes se trouvant dans des
situations différentes, mais qu'il ne peut en être ainsi que lorsque cette non-identité est justifiée
par la différence de situation et n'est pas incompatible avec la finalité de la loi ».

Je vous l’accorde, parfois il sera difficile de savoir si les situations sont vraiment différentes et
s’il ne s’agit pas de discrimination…

Nous allons prendre 3 exemples (les enfants, les femmes et les homosexuels).

*** Ex. 1 : Enfants nés hors mariage – Pendant longtemps, dans le domaine successoral, le
Code civil de Napoléon faisait la distinction entre les enfants nés dans le mariage et ceux qui
ont été nés hors mariage. Il appelait les premiers « enfants légitimes » et les seconds « enfants
naturels » (sous-entendu, enfants sauvages). Les enfants légitimes étaient privilégiés en termes
de droits. Le but était de favoriser le mariage.

D’abord dans la loi du 3 janvier 1972, ensuite dans l’ordonnance du 4 juillet 2005 l’égalité entre
tous les enfants fût instaurée. Les expressions curieuses « enfant légitime » et « enfant naturel »
ont disparu.
L’expression « enfant adultérin » et le traitement des enfants nés à la suite d’une non-
observation du devoir de fidélité d’un des parents a disparu également, grâce à une
condamnation de la France par la CourEDH (CourEDH, Mazurek c/ France, 1er février 2000) :
« enfant adultérin ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables ». Il s’agit
de la loi du 3 décembre 2001.
50

*** Ex. 2 : Femme mariée – Le Code Napoléon consacrait la domination masculine. Vous
avez sûrement entendu parler de la puissance maritale. Celle-ci rendait incapable la femme
mariée : pendant le mariage, la femme était effacée. Les domaines de son action était limités au
« trois K », pour reprendre l’expression allemande Kirche-Kinder-Küche (église-enfants-
cuisine)…
Certains auteurs disent que ce n’était pas tellement une inégalité liée au sexe, mais plutôt au
statut matrimonial (c’était un effet du mariage et du régime mat).

Peu convaincant au fond, si on fait le lien avec le droit pénal. Il y a un siècle il existait un devoir
de correction manuel du mari sur sa femme (c’était une coutume contra legem, comme jusqu’à
peu le devoir de correction des parents – la fessée – qui permettait de ne pas retenir aux juges
les violences volontaires.
Oui, notre droit permettait les violences conjugales !!! )…
Vous voyez, au passage, que le droit positif n’a pas toujours du bon… Et les droits de l’homme,
inspirés la théorie du droit naturels, sont importants.

CourEDH, Civek c/ Turquie, 23 février 2016 : condamnation de la Turquie. Une femme avait
été assassinée par son mari, alors que celui-ci avait déjà été condamné beaucoup de fois pour
violences conjugales. La Cour reproche à la Turquie que de ne pas avoir pris des mesures
préventives « protégeant l’individu dont la vie est menacée » (obligation positive)…

Rassurez-vous, l’incapacité de la femme mariée a disparu (grâce à une série de loi entre 1938
et 1985). Restent plutôt des inégalités homme-femme de facto.

Sachez aussi que le principe d’égalité des sexes peut être invoqué par les hommes aussi
évidemment. Car il peut y avoir des dispositions défavorables aux hommes sans qu’il n’existe
aucune justification valable.

*** Ex a: Dans une affaire, une clause d’une convention collective de travail instaurait une
prime de crèche versée aux femmes mères de famille. La Cass. a considéré que les pères devait
pouvoir bénéficier de cette clause également.(Cass., soc., 27 février 1991).
51

*** Ex. b : accouchement sous-X que connaît le droit français. On ne peut pas imposer la
maternité à la mère qui ne le veut pas, alors que le père pourra être reconnu comme tel et
assumera ses responsabilités à l’égard de l’enfant même s’il ne le veut pas…(vous verrez tout
ça en droit de la famille).

Ex. 3 : Homosexuels – Pendant longtemps le droit interdisait l’homosexualité, puis ne


reconnaissait pas les mêmes droits aux couples hétéro et ceux de même sexe. Mais en 2013 la
différence de traitement juridiquement discriminatoire a pris fin à la suite de la loi 17 mai 2013
dite « Mariage pour tous ».

Après avoir vu ce grand principe, il convient de voir la notion et les contours du patrimoine, un
des attributs essentiels des personnes, tellement essentiel que pendant longtemps on raisonnait
en termes 1 personne = 1 patrimoine ; le patrimoine c’est l’émanation de la personnalité..

§ 2 : Le patrimoine

Nous allons examiner successivement la notion (1) puis la composition du patrimoine (2).

A) La notion de patrimoine

Traditionnellement, la notion de droits subjectifs s’organise autour de la notion de patrimoine.


C’est donc la base des droits subjectifs pour certains.

Le patrimoine est un ensemble composé d’un actif (les droits) et d’un passif (les obligations).
C’est une enveloppe, un contenant.

Cette masse de droits et d’obligations est liée à la personnalité juridique. Toute personne en a
un, mais n’en n’a qu’un seul.
En principe, toute personne est responsable de ses dettes, que leur origine soit privée ou
professionnelle, sur l’intégralité de ce patrimoine.
Un droit de propriété est porté à l’actif. Une somme empruntée et à rembourser est portée au
passif.
52

En droit positif, la conception du patrimoine unique demeure le principe. Quelques


aménagements au principe interviennent ponctuellement et le droit considère ainsi qu’il peut y
avoir plusieurs patrimoines pour une même personne. Il s’agit alors du patrimoine d’affectation,
consacré par le statut d’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL), créée par la loi
du 15 juin 2010 (art. L. 526-6 et s. du Code de commerce).

L’EIRL permet aux exploitants individuels de mettre leur patrimoine personnel (leurs biens
immeubles : résidence principale et tous les biens fonciers qui ne sont pas affectés à
l’exploitation professionnelle) à l’abri des poursuites de leurs créanciers professionnels. Cela
revient concrètement à reconnaître qu’on peut scinder le patrimoine en biens professionnels et
bien non professionnels. Seul le patrimoine affecté à la profession sert de gage général aux
créanciers professionnels et ce, sans création d’une personne morale. L’EIRL n’a pas de
personnalité juridique. Ce n’est pas une société, contrairement à l’EURL (depuis 1985).

En outre, depuis le 1er janvier 2013, un même entrepreneur peur constituer plusieurs patrimoines
affectés. Les personnes morales, même celles qui sont unipersonnelles (EURL, SASU : société
par actions simplifiée unipersonnelle, EARL : entreprise agricole à responsabilité limitée) ne
sont pas éligibles à ce dispositif. Elles ne peuvent donc avoir qu’un unique patrimoine.

B) La composition du patrimoine

Les droits patrimoniaux sont tous les droits susceptibles d’une évaluation pécuniaire et qui
ont un objet économique. Autrement dit, les droits patrimoniaux ont une valeur estimable en
argent. Ils sont tous regroupés au sein du patrimoine.
Il en est ainsi, par exemple, du droit de propriété mais encore du droit de créance. Étant
appréciables en argent, les droits patrimoniaux ont une valeur d’échange c’est-à-dire qu’ils sont
cessibles à un nouveau titulaire.

En fonction de leur objet, les droits patrimoniaux peuvent être classés en 3 catégories selon
qu’ils portent sur une chose (on parlera de droits réels), sur une personne (ce sont des droits
personnels ou de créance) ou sur une chose incorporelle (on parlera de droits intellectuels).
53

1) Les droits réels

a) Définition du droit réel

Un droit réel est un droit qui s’exerce directement sur une chose (res en latin). Ce sont les
droits que l’on détient sur des choses corporelles ou incorporelles (distinction détaillée ci-
après). Le droit réel définit le rapport existant entre le titulaire du droit et son objet.

Exemples : la propriété est le droit réel le plus connu ; le droit de gage, une servitude.

b) Caractéristiques des droits réels

En premier lieu, le titulaire d’un droit réel peut toujours exercer son droit sur la chose objet de
ce droit, où qu’elle soit, entre quelques mais qu’elle se trouve : c’est le droit de suite.

En second lieu, les titulaires de droits réels bénéficient d’une priorité sur les titulaires
d’obligations, à savoir les créanciers : il s’agit d’un droit de préférence.

c) Distinction entre droits réels principaux et droits réels accessoires

D’une part, les droits réels principaux portent directement sur une chose. L’on y trouve le
droit de propriété et ses démembrements. Le démembrement consiste en un partage entre
plusieurs personnes des prérogatives particulières que donne un droit réel : utiliser la chose, en
tire des revenus et en disposer. Ex : un contrat de vente en viager peut partager la propriété
d’une maison entre l’usufruitier, qui jouit du bien ou le loue, et le nu-propriétaire qui est seul
détenteur du droit de vendre l’immeuble.

D’autre part, les droits réels accessoires sont toujours des garanties de créance. Par ex. le gage
est le droit d’un créancier qui souhaite garantir le paiement de sa créance sur un bien meuble
ou l’hypothèque est le droit d’un créancier qui souhaite en garantir le paiement sur un bien
immeuble (banquier lors d’un prêt). L’hypothèque et le gage (sûretés affectées au paiement
d’une dette) ne peuvent exister sans une créance garantie dont ils sont systématiquement
l’accessoire. Généralement, c’est le débiteur qui consent une telle sûreté sur l’un de ses biens.
54

2) Les droits personnels

Un droit personnel s’exerce entre deux personnes. Il s’agit d’un droit que l’une d’entre elles
détient contre l’autre personne.
Le titulaire du droit est le créancier : c’est la personne qui a le pouvoir d’exiger et exerce ainsi
un droit de créance.
Le titulaire de l’obligation corrélative est le débiteur : c’est la personne à qui le droit ordonne
de s’exécuter et qui est débitrice d’une obligation.

*** Ex. : le débiteur doit une somme d’argent à un créancier. Mais, le droit de créance ne
s’applique pas seulement aux sommes d’argent : l’obligation du commerçant de livrer une
marchandise ;

*** Ex. 2 : l’employeur est créancier de la prestation de travail dont le salarié est débiteur ;

*** Ex. 3 : l’enfant est créancier d’une obligation d’aliments dont ses parents sont débiteurs.

Juridiquement, il peut s’agir d’une obligation de donner (transférer un droit réel comme la
propriété),
d’une obligation de faire (le vendeur est tenu de livrer matériellement la chose vendue) ou
encore d’une obligation de ne pas faire, càd une prestation négative (clause de confidentialité
pour un salarié).

Le droit personnel est garanti par le droit de gage général du créancier sur le patrimoine
du débiteur. Ce patrimoine sert à la garantie de ses créanciers. Cette situation peut présenter
des risques pour les créanciers car il est possible de vendre ou de donner des éléments du
patrimoine.
Pour cette raison, nombre de créanciers voulant davantage de sûreté sur un bien donné se font
constituer un droit réel sur ce bien
(accessoire : le vendeur d’un immeuble ou le banquier prêteur se fera accorder une hypothèque
sur cet immeuble pour en garantir le paiement).

3) Les droits intellectuels


55

Les droits intellectuels revêtent une grande importance dans la vie des affaires. On les appelle
aussi propriétés incorporelles puisqu’ils portent sur des biens non matériels.
Ils ont les mêmes caractères que les droits patrimoniaux : cessibles, saisissables, transmissibles
et prescriptibles. Les droits intellectuels peuvent être classés en trois catégories, à savoir :

- les droits sur les œuvres de l’esprit ou œuvres intellectuelles (droits d’auteur d’un romancier,
ceux du compositeur de musique) ;

- les droits s’exerçant sur des créations industrielles ou commerciales que l’on appelle la
propriété industrielle (droits du titulaire d’une marque ou encore de dessins et modèles déposés,
ceux de l’inventeur ayant obtenu un brevet : le droit français permet de breveter une invention
nouvelle impliquant une activité inventive et susceptible d’application industrielle, par une
demande déposée à l’INPI = Institut national de la propriété intellectuelle) ;

- les droits qui portent sur une clientèle, élément fondamental du fonds de commerce ou d’autres
fonds professionnels : droit à la clientèle du commerçant, du médecin…

Les détenteurs de droits intellectuels ont un réel monopole d’exploitation de leurs créations.
Autrement dit, ils peuvent tirer des revenus de leur mise sur le marché et agir en justice contre
des tiers détournant leurs droits.
Est ainsi interdite la contrefaçon d’une marque ou d’un brevet de même que le plagiat d’une
œuvre littéraire.
Une seconde forme de droit est parfois attribuée au créateur et détenteur de propriété littéraire
et artistique : il s’agit d’un droit moral sur son œuvre afin de garantir le respect de son
intégrité. A ce titre, les héritiers de Victor Hugo ont tenté de s’opposer à la rédaction d’une suite
des Misérables.

Mais les droits subjectifs ne se résument pas aux droits patrimoniaux. Il existe également des
droits extrapatrimoniaux.
56

§ 3 : Les droits de l’Homme et les libertés

Ce sont des droits que l’on n’acquiert pas. Ils sont innés du seul fait qu’on est une personne
humaine.
Ces prérogatives « sont appelées ‘droits de l’homme et du citoyen’ lorsqu’elles ont pour objet
de limiter les pouvoirs de l’État. On les qualifie ‘droits de la personnalité’ ou ‘droits
fondamentaux’ lorsqu’elles interviennent dans les rapports entre particuliers ».

En réalité, les droits de la personnalité que l’on étudiera dans le paragraphe suivant sont les
droits de l’homme. Il est difficile de les distinguer, parce que les droits de la personnalité,
apparus au début du XXe siècle sont en « extension constante » et deviennent des droits
fondamentaux. Tout le droit civil pratiquement touche aux droits de la personnalité : le mariage,
la liberté contractuelle, le droit de propriété, la filiation, le droit de succession etc. Selon la
distinction classique du droit civil, les droits de l’homme sont une notion plus large.

On ne va pas étudier en détail les droits de l’homme et les libertés – il m’aurait fallu beaucoup
de temps – mais verrons qu’un exemple. Gardez à l’esprit tout ce que je vous ai dit sur la CEDH
quand nous avons parlé des sources de droits ainsi que ce que je vous ai dit sur la CourEDH et
sa méthode.

En droit privé, les dispositions de la CEDH que l’on invoque le plus sont le droit à un procès
équitable… d’une durée raisonnable… devant un tribunal impartial et indépendant (art. 6) ;
droit au respect de la vie privée (art. 8), la liberté de pensée, de conscience, de religion et
d’expression (art. 9 et 10), liberté matrimoniale (art. 12), interdiction de traitement inhumains
ou dégradants (art. 13).

J’ai choisi de vous parler d’une liberté, de la liberté de conscience (j’aurais pu parler de la
liberté de mouvement ou d’action) qui a une valeur supra-législative (principe constitutionnel,
selon Cons. Constit., 23 nov. 1977, Liberté d’enseignement). C’est la conséquence de la liberté
d’opinion et d’expression.

Sa manifestation la plus délicate est la liberté de religion : croire ou ne pas croire, choisir sa
religion, la pratiquer comme on veut. Mais il faut aussi la concilier avec le principe républicain
qu’est la laïcité.
57

Laïcité – Loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des églises et de l’État.

Est-ce que la laïcité sous-entend que vous n’avez pas le droit de manifester votre religion en
public ? Non, sauf s’il y a un trouble à l’OP ! (# les arrêtés anti-Burkini).

https://www.lemonde.fr/religions/video/2017/03/16/comprendre-la-laicite-en-france-en-trois-
minutes_5095583_1653130.html

crèches de Noël : dans les bâtiments publics, l’installation d’une crèche est illicite, sauf si elle s’inscrit dans un
projet culturel précis ou découle de circonstance particulière, telle une tradition ancienne et continue ; dans les
autres emplacements publics, cette installation est licite sauf si elle constitue « un acte de prosélytisme ou de
revendication d’une opinion religieuse ».

§ 4 : Les droits de la personnalité

« La personnalité désigne aussi, plus largement, non plus une personne en particulier, mais ce
qui fait, ce qui caractérise toute personne en général. La personnalité évoque alors l'individualité
en désignant « ce qui différencie une personne de toutes les autres » (Nouveau Petit Robert).
C'est en ce sens que le terme de « personnalité » est passé dans l'expression juridique de « droits
de la personnalité. »
58

(…) La personne ainsi envisagée l'est non pas de façon abstraite, mais dans sa singularité. C'est
« l'idée concrète de personnalité telle qu'elle s'exprime à travers différents attributs,
corporels[…] ou incorporels… » (E. DREYER, fasc. préc., n o 1). C'est donc le respect de la
personnalité entendue au sens de l'expression d'une individualité, qui fonde les droits du même
nom ».13.

Les droits de la personnalité ne font pas partie du patrimoine, vous avez bien compris. Ils sont
les mêmes pour chaque individu. On peut les organises en deux groupes : ceux qui tendent à
assurer la protection physique de la personne (A) et ceux qui assurent sa protection morale (B).

A) Le respect de l’intégrité physique de la personne humaine

Le principe de la protection du corps humain ne vous est plus inconnu (1), dans la mesure où
nous avons déjà discuté de certains de ces aspects. Il en va de même de la protection de la vie
humaine (2). Nous nous attarderont uniquement sur les points que nous n’avons pas vus
jusqu’ici.

1) La protection du corps humain

Nous avons déjà parlé du chapitre « Du respect du corps humain » qui avait été inséré dans
le Code civil par la loi Bioéthique du 29 juillet 1994 et qui consacre un statut juridique du
corps humain.

Souvenez-vous de l’art. 16-1 c. civ. qui énonce : « Chacun a droit au respect de son corps » ?

Le respect du corps humain cherche non seulement à prohiber les atteintes de la part des tiers,
qu’ils soient particuliers ou l’État, mais aussi à protéger la personne contre ses propres atteintes
à l’égard de son corps.
Notamment, en principe, le corps humain ne peut pas faire l’objet d’une convention à titre
gratuit ou à titre onéreux.
Il existe toutefois quelques atténuations dont on parlera dans quelques instants.

13
A. LEPAGE.
59

Définitions – Le corps humain est « l’enveloppe charnelle et ce qu’elle renferme »


(L. Mayaux), c’est-à-dire les éléments (organes et cellules) et produits (dents, lait). Tant qu’ils
ne sont pas détachés, ils font partie du corps humain. Une fois détachés, ils auront leu régime
juridique propre.
(Au passage, si le sujet vous intéresse il y a une intéressante lecture sur le sujet : Jean-Pierre
Baud, L’affaire d’une main volée : l’hypothèse imaginaire d’un individu qui aurait perdu sa
main par accident, main qui ne pourrait lui être rattachée en raison d’un voisin malveillant qui
entre-temps la lui aurait volée. Est-ce un bout d’une personne ? Est-ce une chose ? etc.)

Inviolabilité du corps humain –


Art. 16-1 c. civ al. 2 : « Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et
produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».
On ne parlera pas ici de la protection pénale du corps, car vous l’étudierez en Droit pénal plus
tard, en M1 essentiellement (incriminations comme meurtre, violences volontaires et
involontaires, infractions sexuelles etc.) ou encore de la responsabilité civile (réparation du
dommage) que vous verrez en L2 et en L3 en ce qui concerne le DP.

Sachez cependant que quelques atteintes peuvent être admises : la vaccination obligatoire, les
peines d’emprisonnement, la contrainte par le corps.

En matière thérapeutique, deux conditions : la nécessité thérapeutique et le consentement


préalable (art. 16-3 c. civ. : « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en
cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique
d'autrui »).
L’art. 1111-4 du Code de la santé publique dispose : « Le médecin a l'obligation de respecter
la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité.
(…)
Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et
éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »

Mais il existe une jurisprudence contra legem qui justifie l’intervention médicale nonobstant le
refus du patient si cette intervention est susceptible de sauver sa vie (CE, 26 oct. 2001, dame
Seranayaké : un témoin de Jéhovah qui a refusé la transfusion sanguine).
60

Non-patrimonilaité et indisponibilité du corps humain – Quand on dit que le corps humain


est indisponible (terme jurisprudentiel), cela signifie qu’il ne peut pas faire l’objet de
conventions. On ne peut pas lui attribuer une valeur patrimoniale.

A ce titre, on de se référer à l’art. 16-1 al. 3 c. civ. selon lequel « Le corps humain, ses éléments
et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial ».
L’art. 16-5 ajoute : « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au
corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ».

Toutefois, le corps humain entier peut faire l’objet d’une convention à titre gratuit : le prêt de
son corps aux fins d’expérimentation biomédicale. Sans compter la possibilité de disposer de
son corps de son vivant pour après sa mort en en faisant don à la médecine.

A ce propos, on a une actualité effrayante révélée par une enquête de l’Exprès. Le Centre du
don des corps de l'université Paris-Descartes (plus grande structure anatomique de France) a
accueilli des milliers de dépouilles des personnes qui ont donné leur corps à la science dans des
conditions indignes : « ci, un bras pend, décomposé. Là, un autre est abîmé, noirci, troué après
avoir été grignoté par les souris. Le membre supérieur de l'un est posé sur le ventre de l'autre.
Des sacs-poubelles débordent de morceaux de chair. Au premier plan, une tête gît sur le sol ».
Les locaux sont insalubres, délabrés.
Des « pièces anatomiques » (membres, organes) étaient vendues, pour une bonne part à des
organismes privés, pour servir à des tests divers.
Les corps n’étaient pas traités avec dignité…
Le centre a été fermé mercredi sur décision administrative.
Le parquet a annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire pour « atteinte à l’intégrité d’un
cadavre

L’art. 16-6 dispose, en effet : « Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à
une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte
de produits de celui-ci ».
61

Cela signifie que les prélèvements d’organes et de sang sont possibles – la loi définie les
conditions – s’ils se font gratuitement. Cette permission se justifie par le but du don pour sauver
la vie.

Toutefois la coutume admet la commercialisation de certains éléments du corps humain, tels


que les cheveux, les dents ou le lait.

2) La protection de la vie

Le droit à la vie – Ce droit très important est posé dans plusieurs textes, y compris
supranationaux :
Art. 3 DUDH
Art. 2 CEDH
Art. 6-1 du Pacte relatif aux droits civiques et politiques.
Art. 61 de la Convention de New-York sur les droits de l’enfant.

On ne fera pas de commentaire sur ce droit, à part qu’il n’est pas absolu (on peut tuer en temps
de guerre en cas d’absolue nécessité ; la légitime défense de sa personne ou d’autrui peut, dans
certains cas justifier la mort).
Le droit à la vie implique paradoxalement le droit à la mort.

Le droit à la mort – Chacun est libre de se donner la mort. Le suicide n’est pas incriminé en
droit pénal français (ce n’est pas absurde de dire ça, car si on loupe le suicide et si celui-ci était
réprimé, on serait responsable pour une tentative de suicide).
Toutefois, le droit pénal réprime la provocation au suicide si elle est suivie d’effet (passage à
l’acte).
A fortiori, il n’existe pas de droit de demander à autrui de donner la mort à soi-même, c’est-à-
dire euthanasie.

L’euthanasie est prohibée en droit français (au sens de l’acte intentionnel de donner la mort
pour mettre un terme à une maladie incurable et à des souffrances douloureuses). Elle est très
délicate car elle met deux intérêts controversés : l’inviolabilité du corps humain et le droit de
mourir dans la dignité qui est revendiqué par une partie de l’opinion publique.
62

Toutefois, une équipe médicale peut décider la mise en place de soins palliatifs qui soulagent
des angoisses de la mort. On interrompt des thérapies actives (pas d’acharnement thérapeutique)
et on laisse venir la mort naturellement. Cependant, on met en place des soins qui adoucissent
l’agonie.

Affaire Vincent Lambert : une affaire qui a duré plus de dix ans dans laquelle un patient
gravement handicapé et devenu inconscient. Sa famille était divisée sur la question d’arrêt de
l’alimentation et de l’hydratation demandée par le médecin traitant. Compte tenu de son état
végétatif et qu’aucune amélioration de l’état de Vincent Lambert n’était scientifiquement
envisageable.
« Le 2 juillet, le Dr Sanchez interrompt la nutrition et l’hydratation artificielles de Vincent
Lambert pour la troisième fois depuis 2013. Le précédent protocole d’arrêt avait été interrompu
en mai dernier suite à la décision de la cour d’appel de Paris à la demande des parents de l’ancien
infirmier. Le 8, les parents annoncent qu'ils ne déposeront plus de recours. Le 11 juillet 2019, sa
famille annonce le décès de Vincent Lambert « à 8h24 du matin». ».

Cette affaire a fait évolué le droit sur la question de fin de vie.

Les soins palliatifs sont un droit du malade depuis l a loi Kouchner du 4 mars 2002.

La loi Leonetti du 22 avril 2005 dissuade de poursuivre les soins avec une « obstination
déraisonnable » (art. L. 1110-5 al. 2 CSP) pour éviter le maintien artificiel en vie. Elle autorise
un traitement anti-douleur à double effet (au sens d’un risque létal) pour une personne en fin de
vie..

Depuis la loi du 2 février 2016, « toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un
traitement (art. L. 1111-4 al. 2 CSP)
Le médecin est lié par les directives anticipées du patient (s’il les a données) sur les décisions
à prendre lors de sa fin de vie. Ces directives ne sont pas obligatoires dans deux hypothèses :
en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à l’évaluation de l’état médical du patient
ou en cas d’inaptitude manifeste du patient à donner des directives (ex. : majeur protégé).

Le patient peut désigner « une personne de confiance » que le médecin consultera lors de la fin
de vie.
63

La même loi de 2016 a créé un droit à la sédation profonde et continue.


Sédation profonde et continue : Afin d'éviter au malade de souffrir dans ses derniers jours ou
semaines de vie, un traitement chimique peut être mis en place par les équipes que le ou la
soignent.

Ce n'est donc pas le médicament qui provoque la mort, mais l'évolution naturelle de la maladie.
Malaurie a appelé ce droit « droit à dormir avant de mourir ». Pour certains c’est du suicide
assisté…

B) Le respect de l’intégrité morale de la personne humaine

Il y a des débats doctrinaux sur la conception plurielle ou unitaire des droits de la personnalité.
A mon avis, il existe un droit général de la personnalité fondé sur le droit au respect de la vie
privée qui a son fondement général dans l’art. 9 c. civ.
D'ailleurs, « une conception plurielle ne présente aujourd'hui plus aucun intérêt pratique
puisque ces soi-disant droits distincts obéissent à un régime commun, présentent les mêmes
caractères et sont soumis à des actions en justice comparables quel que soit l'attribut menacé ».

Toutefois, afin d’organiser nos propos, on suivra la division classique des manuels : le droit à
la vie privée (1), le droit à l’image (2), le droit à la voix (3), droit à l’honneur (4)

1) Le droit au respect de la vie privée

Selon l’article 9 al. 1 c. civ., « chacun a le droit au respect de la vie privée ».


Peu importe son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions (Civ. 1ère, 23 oct. 1990).

Ce droit a une valeur supranationale : “Nul ne fera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie
privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa
réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de
telles atteintes”(DUDH, art. 12).
+ art. 8 CEDH.
64

La vie privée couvre l’identité, la filiation (l’adoption, par ex.), la vie sentimentale (conjugale
ou extraconjugale), familiale, la santé, le domicile, la résidence, l’héritage, la religion, données
personnelles etc.

« Il paraît impossible, d'un mot, d'une formule, de dire à l'avance où finit la vie privée, où
commence la vie publique. Il semble bien que cette question sera toujours dans la dépendance
de l'appréciation souveraine des tribunaux »14. La vie privée est bien une notion juridique, mais
son contenu est défini par les juges aux furs et à mesure qu’il tranchent les litiges qui leur sont
soumis.

« Le lieu public n'exclut pas nécessairement la vie privée ; la différence entre lieu privé et lieu
public ne coïncide donc pas avec celle entre vie privée et vie publique ».

*** Ex. 1 : stade de foot où un couple (footballer/mannequin) qui avaient été pris en photos
sans leur consentement pour accompagner un article sur leur vie sentimentale (Civ. 2 e, 18 mars
2004).

*** Ex. 2 : TGI Nanterre, 20 déc. 2000 : « Le fait que l'église puisse être considérée comme un
lieu public n'ôte pas à la cérémonie nuptiale son caractère privé »

En matière de vie privée, la personne doit consentir au principe même d'une révélation ou d'une
immixtion dans la vie privée, mais également aux modalités de celles-ci. En vertu de
l'art. 9 c. civ., la personne est la seule à pouvoir décider de livrer ou non au public des
informations d'ordre intime la concernant (TGI Nanterre, 30 avr. 2007).

La CourEDH a une riche jurisprudence sur la question et entend le respect de la vie privée d’une
manière très large. Pour elle, cela inclut « dans une certaine mesure le droit de l’individu de
nouer et de développer des relations avec ses semblables » (16 décembre 1992 Niemetz c/
Allemagne).

Liberté sexuelle - Elle couvre notamment la liberté sexuelle.


Même pour des pratiques extrêmes

14
L. MARTIN, Le secret de la vie privée, RTD civ. 1959. 227, spéc. p. 230.
65

*** Ex. : Sadomasochisme : dans une célèbre décision K. A. et A. D. c/ Belgique (17 février
2005), la Cour a approuvé la condamnation des rapports sado-masochistes quand la victime
n’est pas consentante.

A l’inverse, s’il y a le consentement, le droit de disposer de son corps implique « la possibilité


de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement
dommageables ou dangereuses pour les personnes peut, en principe, intervenir, dans le domaine
des pratiques sexuelles qui relèvent du libre arbitre des personnes ».

En l’espèce il s’agissait d’un magistrat et un médecin se livraient à des pratiques BDSM sur
l’épouse du magistrat qui était consentante. Ils avaient d’ailleurs conclu un contrat posant les
règles de leurs pratiques (arrêt de pratiques si la femme dit « Pitié »). Quand la victime a supplié
d’arrêter les pratiques, elle n’a pas été suivie. Il y avait un enregistrement de scènes sexuelles.

On y voyait les prévenus utiliser des aiguilles et de la cire brûlante, frapper violemment la
victime, introduire une barre creuse dans son anus en y versant de la bière pour la faire déféquer,
la hisser suspendue aux seins puis par une corde entre les jambes, lui infliger des chocs
électriques, des brûlures et des entailles, lui coudre les lèvres vulvaires et lui introduire, dans le
vagin et l’anus, des vibrateurs, leur main, leur poing, des pinces et des poids bougies, marquage
au fer rouge, une cinquantaine de coup de fouet. La victime hurlait, perdait conscience.

Cette position témoigne « d'une méconnaissance complète de l'inaptitude du consentement de


la victime en droit pénal à constituer un fait justificatif » (ex. : le fait que la victime demande
de la tuer ne permet pas à l’auteur de l’infraction d’échapper à la RP). Une partie de la doctrine
avait beaucoup critiqué ce « droit au sadisme »15 en tant que le droit de l’homme : « en l'espèce
non seulement atteinte à l'intégrité physique et morale de la personne, mais également de toute
évidence traitement inhumain et dégradant, et même en réalité actes de torture » « Est-ce
uniquement en matière sexuelle que le consentement justifierait de telles atteintes à l'intégrité
corporelle ? Mais pourquoi alors interdit-on l'excision des jeunes filles consentantes puisque,
pour reprendre la formule utilisée par la Cour européenne, « la notion d'autonomie personnelle
peut s'entendre au sens du droit d'opérer des choix concernant son propre corps », choix qui

15
Fabre-Magnan.
66

peuvent aller jusqu'à « s'adonner à des activités perçues comme étant d'une nature physiquement
ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa personne ». La Cour doit également
s'attendre à voir invoquer l'argument en matière de prostitution, et l'on soutiendra pareillement
que, au nom de l'autonomie personnelle, l'Etat ne serait pas autorisé à interdire ces activités dès
lors qu'elles se déroulent dans des lieux privés avec des personnes consentantes »

« Ainsi, les requérants ne devaient pas en l'espèce être admis à utiliser le droit au respect de la
vie privée pour se justifier des atteintes portées à la dignité de la personne humaine ».

A rapprocher avec : CE 27 octobre 1995 Morsang-sur-Orge. Un maire d’une commune avait


annulé une soirée « lancer de nain » dans une boîte de nuit. CE valide cette interdiction au motif
qu'« une telle attraction porte atteinte à la dignité de la personne humaine » et trouble l'ordre
public. Et ce, même si l'intéressé est d'accord ». Le Comité des droits de l'Homme des Nations
Unis avait « l'interdiction du lancer de nains est fondée sur des critères objectifs et
raisonnables ».

Protection pénale du domicile, le « siège de la vie privée » – L’article 226-4 du Code pénal
modifié par la loi du 24 juin 2015 incrimine « l'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide
de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet » (alinéa
1er) ainsi que « le maintien dans le domicile d'autrui à la suite de l'introduction mentionnée au
premier alinéa, hors les cas où la loi le permet » (alinéa 2). Peine : trois ans d’emprisonnement
et à 45 000 euros d’amende
*** Ex. : des individus s’installent dans une villa à Nice où personne n’habite grâce à une
fabrication d’une fausse clé.
Le CP ne définit pas la notion du domicile. C’est la Cour de cassation qui l’a définie de la
manière suivante : « le domicile ne signifie pas seulement le lieu où une personne a son
principal établissement, mais encore le lieu où, qu'elle y habite ou non, elle a le droit de se
dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée
aux locaux » (Cass. crim., 26 février 1963). Il n’y a pas à distinguer entre l'habitation
effectivement occupée au moment des faits et celle qui est momentanément vide de tout
habitant (Cass. crim., 1er janvier 1890). Le local protégé peut donc être inoccupé
temporairement, mais il doit être meublé pour qu’il puisse « servir de refuge » à tout moment à
la personne qui dispose de droits sur ledit local (CA Toulouse, 23 juin 2004).
67

A la lecture de l’incrimination, on constate que la violation de domicile ne consiste pas


seulement en la pénétration dans des locaux appartenant à autrui avec l’emploi d’un
moyen illégal, mais aussi en le maintien dans lesdits locaux. L'introduction doit être
réalisée « à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». Pour qualifier
l’acte de « manœuvre », il faut une action, des opérations manuelles ou un ensemble de moyens
utilisés en vue d'un but déterminé. Il semblerait que le législateur ait envisagé, par ce terme,
tout procédé astucieux ou toute ruse.

Enfin, l’élément moral du délit de violation du domicile réside dans le dol général,
autrement dit, dans la connaissance de pénétrer dans le domicile d'autrui et dans la
volonté de porter atteinte aux droits d'autrui.

Transition - Le fondement de la vie privée peut être utilisée d’une façon critiquable. Je vous
donne un exemple de son expansion peu heureuse.

Anonymisation des décisions de justice – La loi du 23 mars 2019 érige l’anonymat pour les
« noms et prénoms des PP mentionnées dans la décision, lorsqu’elles sont parties ou tiers »
(avec une extension aux magistrats et greffiers).
En outre, elle porte sur les éléments de la décision qui permettent l’identification des parties,
s’il existe un risque d’atteinte « à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou
de leur entourage ». Cela conduit finalement à supprimer toutes les données personnelles
contenues dans les décisions, comme adresse, autres lieux, profession, mandats, fonctions,
dates, etc. figurent dans la décision mise en ligne.

« En quoi la publication d’arrêts comportant le nom des plaideurs serait-elle devenue une
« atteinte à la vie privée », ou à leurs données personnelles ? De tout temps, la justice est rendue
« au nom du peuple français » (…) [Moi : l’audience est publique]
« Au-delà du droit pénal substantiel, la protection de la vie privée peut être une préoccupation
présente en procédure pénale. En témoignent, par exemple, les dispositions relatives au huis
clos, qui est de droit si la victime partie civile le demande dans les affaires de viol ou de tortures
et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles » (art. 306 CPP).
68

Critique : « Cette « anonymisation » conduit encore à une déshumanisation de la justice. (…)


Elle interdit d’ancrer les décisions de justice dans la mémoire du droit et des professionnels qui
en traitent. »

« Elle enterre par là même ce qui fait le socle d’une société démocratique : la publicité de la
justice et la liberté de la recherche. »

Qui pus est, « Non seulement la loi prévoit une anonymisation des noms des parties et des juges,
mais en plus elle punit d’une sanction pénale de 5 ans d’emprisonnement et jusqu’à 300.000
euros d’amende (!) le fait d’utiliser les données d’identité des magistrats et des membres du
greffe afin d’ « évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles
réelles ou supposées » (l’art. L. 111-13 CPC renvoie aux peines prévus à l’art. 226-18, 226-28
et 226-31 CP).
On ne pourra pas faire d’enquêtes sociologiques sur les pratiques judiciaires !..

« La mention du nom des juges dans une décision est non seulement le seul moyen de les rendre
responsables de leur décision, c’est surtout l’unique garant d’une bonne justice. »
« Pas question non plus qu’on puisse repérer ceux ou celles d’entre eux qui seraient un peu
laxistes, un peu trop favorables à un sexe plus qu’un autre, ou dont les vues politiques
teinteraient les jugements ».

A mettre en parallèle avec la JP Cour EDH :


La CourEDH, Szücs c. Autriche : « la publicité des débats judiciaires constitue un principe
fondamental consacré par l’article 6 § 1. Ladite publicité protège les justiciables contre une
justice secrète échappant au contrôle du public ; elle constitue aussi l’un des moyens de
contribuer à préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne
à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6 § 1 : le procès équitable,
dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la
Convention ». La Cour en conclut qu’il faut garantir « un libre accès de chacun au
texte intégral des jugements ».
On retrouve cette affirmation dans l’affaire Pretto c. Italie du 8 décembre 1983 ainsi que dans
de très nombreuses autres affaires (Ryakib Biryoukov c/ Russie, 17 janvier 2008, §375 ;
Fazliyski c/ Bulgarie,16 avril 2013, § 65) ».
69

Vie privée et droit du travail - Ainsi, l’employeur ne peut pas demander des précisions sur la
vie privée du salarié lors d’une embauche, sauf si cela est fait dans l’intérêt du salarié.
On ne peut pas licencier un salarié pour des éléments tirés de la vie privée, sauf si cet élément
cause un trouble caractérisé à l’entreprise (tenue vestimentaire incompatible avec ses fonctions
et ses conditions de travail).

Aujourd’hui, de la JP, surtout européenne, ressort une importante atténuation du respect du droit
à la vie privée.

Personnalité publique - La notion de « débat d'intérêt général » autorise une certaine atteinte
à la vie privée des personnalités publiques. « Il faut en effet, aujourd'hui mettre en balance la
protection du droit subjectif au respect de la vie privée et les exigences de l'information sur la
personnalité des hommes et des femmes publiques ».
Autrement dit, nous sommes en présence d’un conflit de liberté de la presse et la protection de
la vie privée, entre deux droits protégés par la CEDH.

Dans ces conditions, il faut procéder à une mise en balance des intérêts et de statuer au cas par
cas (appréciation in concreto).

*** Ex. 1 : « La révélation de l'orientation sexuelle d'un homme politique, dans un ouvrage
portant sur un sujet d'intérêt général se rapportant à l'évolution de la position d'un parti politique
sur la question de l'union des personnes de même sexe, n'est pas contraire à l'article 9 du code
civil » (Civ. 1re, 9 avr. 2015). Cette révélation concernait le secrétaire général du Front
National.

*** Ex. 2 : dans le contexte d'une actualité judiciaire, un journal révélait l'appartenance à la
franc-maçonnerie d'élus d'une municipalité, procédant à « la mise à jour (...) de réseaux
d'influence ». La première Chambre civile a alors inauguré le critère CADIG pour faire
prévaloir la liberté d'information : « la révélation litigieuse, qui s'inscrivait dans le contexte
d'une actualité judiciaire, était justifiée par l'information du public sur un débat d'intérêt
général ».
70

*** Ex. 3 : CourEDH, gr. ch., 10 nov. 2015, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c/
France : Il s’agissait d’une révélation par un magazine d’un enfant caché du prince de Monaco.
Ce magazine s’est fait condamner en France. Mais la CourEDH n’était pas d’accord avec cette
condamnation.

« Dans une principauté telle que Monaco où les liens entre la famille souveraine et les
monégasques sont très étroits, l’annonce de la paternité « cachée » du Prince ne peut être
dépourvue d’une valeur d’intérêt général et dénuée de toute incidence politique, dans la mesure
où, selon les juges, « elle pouvait susciter l’intérêt du public sur les règles de succession en
vigueur dans la Principauté » (§ 111). Par ailleurs, le refus de déclarer publiquement sa
paternité, peut révéler au public, la personnalité du Prince « quant à sa manière d’aborder et
d’assumer ses responsabilités » (§ 111).

Concernant sa notoriété, les juges considèrent que les juridictions internes auraient dû « tenir
compte des circonstances soumises à leur examen des incidences que pouvaient avoir la qualité
de Chef d’État du Prince, et chercher à déterminer, ce qui relevait du domaine strictement privé
et ce qui pouvait relever du domaine public » (§ 125).

Enfin, les informations n’étaient pas contestées et les images n’étaient pas volées.

En l’espèce, au regard de ce raisonnement, la Grande chambre, juge que « si l’article litigieux


contenait certes de nombreux détails ressortissant exclusivement à la vie privée voire intime du
Prince, il avait également pour objet une information de nature à contribuer à un débat d’intérêt
général » (§ 113) auquel « les requérantes pouvaient s’entendre comme ayant contribué »
(§ 116), déclarant ainsi la violation, par la France, de l’article 10 Conv. EDH.

Ainsi, la Cour décide que les arguments avancés par le Gouvernement français quant à la
protection de la vie privée du Prince Albert et de son droit à l’image, ne peuvent être considérés
comme suffisants pour justifier la condamnation en cause. Les juridictions internes françaises
n’ont pas tenu compte dans une juste mesure des principes et critères de mise en balance entre
le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression définis par la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme.
71

JP Contra : Est une atteinte au droit au respect de la vie privée le fait de photographier sans
leur consentement des personnes en vacances faisant du tourisme, même s'il s'agit du président
de la République (TGI Paris, 4 avr. 1970)

Actions – « Aujourd'hui encore – cela devient moins fréquent mais se constate encore – des
victimes assignent sur le fondement des articles 9 et 1382. Mais le peuvent-elles ? Certains
juges du fond, mettant à cet égard sur le même plan les articles 9 et 9-1 du code civil, ont
considéré qu'il s'agissait de dispositions spéciales qui écartent le droit commun de la
responsabilité civile (Paris, 12 mai 2000) »

Au contraire, il est plus favorable à la victime de l'atteinte à la vie privée d'agir sur le fondement
de l'article 9, car elle n'aura pas besoin de rapporter la preuve de l'existence de son préjudice

Référé – art. 9 al. 2 c. civ. : « les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage
subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire
cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être
ordonnées en référé ».

2 conditions :

- Urgence
- Atteinte à l'intimité de la vie privée (par cette exigence le texte est opère une restriction
par rapport à l'alinéa 1er qui, pour sa part, se réfère plus largement à la vie privée
Toutefois, la distinction est très floue, et semble se rapprocher du « caractère intolérable
de l'immixtion dans la vie privée.
JP : « les mesures prévues par l'article 9, alinéa 2, du code civil ne peuvent être
ordonnées en référé que dans le seul cas d'une intrusion dans la vie privée qui porte
atteinte à l'intimité de celle-ci ; que la cour d'appel a pu estimer que n'avaient pas trait à
cette intimité des renseignements d'ordre purement patrimonial, exclusifs de toute
allusion à la vie et à la personnalité de l'intéressé ».
Parfois la JP ne respecte pas du tout cette condition.
72

[On peut combiner avec le référé de droit commun : « L'article 809 du code de procédure civile
énonce en deux alinéas que « le président peut toujours, même en présence d'une contestation
sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit
pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder
une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une
obligation de faire ».]

Action en réparation du préjudice - La Cour de cassation a en effet précisé que « selon


l'article 9 du code civil, la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation
» (Civ. 1 re, 5 nov. 1996).

« Sur le fondement de l'article 1382 du code civil, il faut prouver la faute, le préjudice, le lien
de causalité. En affirmant l'indépendance de l'article 9 du code civil, ce modèle est écarté, ce
qui constitue un avantage probatoire non négligeable pour la victime, puisqu'il lui suffit de
rapporter la preuve de l'atteinte à sa vie privée ou à son image (cependant, en pratique, le débat
va rebondir sur la gravité du dommage, à des fins d'évaluation »

2) Le droit à l’image

a) Le principe

Toute personne a le droit de s’opposer à la captation, la reproduction, la conservation ou la


publication de sa photographie sans son autorisation par un tiers.

Quand on parle de l’image, on parle des photos et des vidéos, mais aussi peinture ou dessin
représentant le portrait de la personne. La publication peut se faire via la presse, la télévision,
un site internet, un réseau social...

Selon la CourEDH « l'image d'un individu est l'un des attributs principaux de sa personnalité,
du fait qu'elle dégage son originalité et lui permet de se différencier de ses congénères. Le droit
de la personne à la protection de son image constitue ainsi l'une des composantes
essentielles de son épanouissement personnel et présuppose principalement la maîtrise par
l'individu de son image.» (CourEDH, 15 janv. 2009).
73

Dès lors, il faut que la personne donne son consentement. Selon la Cour de cassation, « le
consentement à la diffusion d'images de la personne ou de faits de sa vie privée peut être tacite »
(Civ. 1ère, 7 mars 2006)

*** Ex. : l'autorisation des personnes filmées dans une boîte de nuit pour un reportage sur la
communauté homosexuelle n'a pas à être sollicitée de manière expresse, dès lors que les sociétés
organisatrices de la soirée ont averti leurs clients de la présence d'une équipe de télévision
faisant un reportage pour un magazine d'actualités (TGI Nanterre, 15 sept. 2004).

« L'exercice du droit à l'image suppose que la personne consente à la fixation de celle-ci, mais
encore le cas échéant à sa diffusion ou son exploitation, de sorte que le consentement à la
première n'emporte pas nécessairement consentement aux secondes » (Paris, 8 mars 1985).
Si, par ailleurs, la personne a consenti à être filmée dans sa vie quotidienne, elle peut
légitimement s'opposer à la diffusion d'une scène dont elle avait demandé qu'elle ne fût pas
filmée, en ce qu'elle excédait les termes de l'autorisation donnée par elle (Civ. 1 re, 24 oct.
2006).

En principe, le consentement est donné pour une occasion déterminée, il ne vaut qu'une fois et
à l'égard du seul bénéficiaire du consentement. La finalité en considération de laquelle le
consentement a été donné, en particulier dans le cadre d'un contrat, doit donc être
scrupuleusement respectée (Civ. 1 re, 30 mai 2000).

La publication de photos déjà parues, avec le consentement de la personne représentée, dans un


magazine, ne dispense pas d'obtenir un nouveau consentement pour une publication dans un
autre journal (TGI Paris, 8 sept. 1999). De fait, souvent l'exploitation de l'image a lieu dans des
conditions prévues par un contrat, et un tiers à celui-ci ne peut donc s'en prévaloir afin, à son
tour, de diffuser l'image dont l'exploitation a été consentie à la partie au contrat (Versailles, 21
mars 2002). Le fait que des photographies d'une personne se trouvent sur internet ne permet pas
de les reproduire sans autorisation de l'intéressée)16.

16
Cela est à l’opposé de la JP qui tend à autoriser la redivulgation d'une information sur la vie privée déjà révélée
(donc différence de régimes juridiques de rediffusion.
74

N. B. : La charge de la preuve incombe au défendeur. Il appartient à celui qui publie la


photographie d'une personne ou qui publie des informations sur sa vie privée, de rapporter la
preuve du consentement de l'intéressé (Paris, 5 juin 1979).

Pour la CourEDH juridiction de Strasbourg, les États parties assument des obligations positives
qui « peuvent nécessiter l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les
relations des individus entre eux. » (CEDH, 24 juin 2004, n° 59320/00, Von Hannover c/
Allemagne, § 57).

« Le seul constat de l'atteinte portée [au droit à l'image] ouvre droit à réparation sur le fondement
de l'article 9 du Code civil, le régime de protection en résultant étant autonome de celui de la
responsabilité civile, donc de la faute » (CA Angers, 1re ch. B, 15 déc. 2011). C’est une
responsabilité sans faute.

« L'image « est la reproduction du corps mais elle existe matériellement détachée de lui. C'est
à l'intimité ou à la dignité de l'individu que le détournement de l'image est susceptible de porter
atteinte ». La protection de l'image dépendait uniquement des intérêts protégés à travers elle :
tranquillité de la personne dans la sphère de sa vie privée, respect de la dignité de la personne,
protection éventuellement de sa notoriété ».

Vie privée au sens strict - « Si, dans la majeure partie des cas où la diffusion d'une image est
contestée, apparaît le visage d'une personne, ce n'est pas la reproduction de ses traits qui est
sanctionnée mais la fixation sans autorisation préalable d'une expression particulière de sa
personnalité : « l'image est un concept global, protégé, dès que sa représentation est révélatrice
d'une identité ; il peut s'attacher aussi bien au visage qu'à une silhouette à la seule condition que
celle-ci soit caractéristique et aisément identifiable » (X. Raguin).
La réalisation et la publication d'une image peuvent donc être fautives alors même que les traits
de la personne ont changé (V. s'agissant d'une adulte contestant la publication d'une
photographie la représentant à l'âge de trois ans pour illustrer un ouvrage attentatoire à sa vie
privée, CA Paris, pôle 2, 2e ch., 20 juin 2014).

Mais, il a été jugé de même s'agissant de photographies d'une parturiente (femme en train
d’accoucher), prises avec son accord mais destinées à un usage purement scientifique exclusif
de toute publication, qui ont ensuite été diffusées dans la grande presse sous forme de clichés à
75

sensation : le fait que le visage de cette parturiente n'ait pas été visible n'a pas suffi à faire
disparaître l'atteinte à son droit « à l'image » et au respect de sa vie privée (CA Paris, 17 déc.
1991).

Protection qui s’étend aux biens de la personne : il a été jugé « que la publication dans la presse
de la photographie de la résidence de M. A., accompagnée du nom du propriétaire et de sa
localisation précise, portait atteinte au droit de M. A. au respect de sa vie privée » (Cass. 2e
civ., 5 juin 2003).

Il a également été jugé – s'agissant de photographies réalisées par un bailleur à l'insu du preneur
pour dénoncer les conditions d'occupation d'un appartement loué – « d'une part, que le droit de
chacun au respect de sa vie privée s'étend à la présentation interne des locaux constituant le
cadre de son habitat et, d'autre part, que l'utilisation faite des photographies qui en sont prises
demeure soumise à l'autorisation de la personne concernée » (Cass. 1re civ., 7 nov. 2006)

Cependant, pas de souci dans les hypothèses suivantes : la photographie montre, non le visage,
mais l'orteil d'un nourrisson ne permettant pas de le reconnaître (Cass. 1re civ., 9 avr. 2014, elle
montre une personne de trois-quarts arrière (V. CA Versailles, 1re ch., sect. 1, 21 mars 2013)
ou lorsque le visage a été correctement masqué (Cass. 1re civ., 21 mars 2006) ;
Ou photo de si mauvaise qualité qu'il est impossible de reconnaître la personne (Cass. 1re civ.,
10 sept. 2014).

Atteinte à la dignité par l’image – Il peut y avoir des photos où la vie privée n'est pas en cause,
mais la dignité de la personne est affectée par la publication du cliché.

Ex. : un article de presse sur la prostitution par une photographie issue d'un film dans lequel
l'actrice jouait le rôle d'une fille de joie (TGI Paris, 26 févr. 1992).

b) L’exception

Le principe du consentement peut être écartés dans trois hypothèses.


76

- Si on concilie le droit à l’information portant sur les personnalités publiques : les


vedettes, artistes, les hommes et femmes politiques dans l’exercice de la vie publique
(ou pour les sujets d’intérêt général) ou les personnes impliquées dans un
événement d’actualité17, sous réserve du respect de leur dignité (ex. : attentat).

Personnalité publique - l'inverse, « une photographie posée, prise dans le cadre de la vie
publique de l'intéressé, qui ne porte pas atteinte à sa vie privée et n'en présente pas une image
dévalorisante, peut être publiée librement, peu importe qu'elle le soit pour un usage autre que
celui pour lequel elle avait été faite initialement » (TGI Nanterre, 1re ch., 17 mai 2000).

- Si la photo est prise dans un lieu public, le consentement des personnes prises en photo
est présumé, à moins qu’on se focalise sur la personne (le cadrage sur elle). L’idée est
de ne pas individualiser la personne.

- Les exigences de la sécurité publique (ex. : surveillance vidéo dans un lieu public).

N. B. : Sachez qu’une solution intermédiaire est de plus en plus admise par la JP : le floutage
de l’image. Selon la Cour de cassation, « le souci de l'illustration d'un sujet sur la prostitution
« était parfaitement compatible avec le respect des droits de la personnalité des intéressés, par
le recours à des procédés techniques tels que le “floutage”, la “pixellisation” ou l'apposition
d'un bandeau sur le visage des personnes représentées » (Civ. 1 re, 18 sept. 2008). Sans rien
sacrifier de la liberté d'information, cette JP a l'immense mérite de préserver les droits de la
personnalité ».

- Conflit du droit sur l'image et liberté de création artistique

L’hypothèse est la suivante (rencontrée quelquefois dans la JP) : il y une publication d'ouvrages
« contenant les images de personnes, dépourvues de toute célébrité (« des anonymes »), qui ont

17
(Civ. 1 re, 20 févr. 2001)
77

été photographiées dans des lieux publics par des photographes professionnels. Les
photographies sont prises à l'insu de ces personnes, voire nonobstant leur opposition, et publiées
sans aucune anonymisation, de sorte que les personnes, qui ont parfois découvert leur
photographie dans l'ouvrage par hasard, sont parfaitement reconnaissables. Certaines de ces
personnes ont demandé réparation de leurs préjudices résultant de l'atteinte à leur vie privée et
de l'atteinte à leur image. Sans succès jusqu'à présent (V. TGI Paris, 2 juin 2004; 9 mai et

25 juin 2007)

Comme dans les conflits qui mettent aux prises la liberté d'information et le droit au respect de
l'image, les juges font appel à la CEDH.

Mais la balance des intérêts penche radicalement en faveur de la liberté d'information, sacrifiant
ainsi le droit à l'image à l'autel de la création artistique. Le TGI de Paris a affirmé de façon
solennelle que « si toute personne dispose sur son image et sur l'utilisation qui en est faite d'un
droit exclusif lui permettant de s'opposer à sa captation et à sa reproduction sans son
autorisation, ce droit n'est pas absolu et cède, notamment, devant le droit à l'information, droit
fondamental protégé par l'article 10 CEDH, qui autorise la publication d'images de personnes
impliquées dans un événement, sous réserve du respect de la dignité de la personne humaine ;
qu'il doit en être de même lorsque l'exercice par un individu de son droit à l'image aurait pour
effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou communiquer des idées qui
s'exprime spécialement dans le travail d'artiste » (TGI Paris, 2 juin 2004). C'est en des propos
quasi similaires que le même tribunal, dans une autre affaire, s'est prononcé de nouveau en
faveur de la liberté de création artistique, invoquant alors non seulement l'article 10 CEDH,
mais aussi l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (TGI Paris, 9 mai
2007, préc.). Quant à la cour d'appel de Paris, confirmant le jugement du 9 mai 2007, elle a à
son tour rappelé, après référence qui paraît désormais obligée aux articles 11 de la Déclaration
des droits de l'homme et 10 de la Convention européenne, que « la protection des droits d'autrui
et la liberté d'expression artistique revêtent une identique valeur et qu'il convient de rechercher
leur équilibre et de privilégier une solution protectrice de l'intérêt le plus légitime », et que « le
droit à l'image doit céder devant la liberté d'expression chaque fois que l'exercice du premier
aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des
idées qui s'expriment spécialement dans le travail d'un artiste… » (Paris, 5 nov. 2008).

En fait d'équilibre entre le droit à l'image et la liberté de création artistique, c'est plutôt un
anéantissement, puisque du premier, il ne reste rien ou presque devant la seconde. Alors que le
78

droit à l'image ne s'incline devant la liberté d'information que dans des cas déterminés (actualité,
débat d'intérêt général…) et dans la mesure où les images servent une illustration pertinente, de
sorte que le conflit est résolu au cas par cas, en fonction des circonstances, la liberté de création
artistique devient en elle-même une justification de l'atteinte au droit à l'image (V. aussi
l'interférence de la liberté d'expression artistique dans l'application de l'art. 227-24 c. pén. :
P. MBONGO, Réflexions sur l'impunité de l'écrivain et de l'artiste, Légipresse 2004, II, p. 85).
Cela révèle un paradoxe par rapport à la jurisprudence qui, en matière de vie privée, est plus
sévère à l'égard des œuvres romanesques, non destinées à informer le public. Par ailleurs, en
énonçant que le droit à l'image « doit céder devant la liberté d'expression chaque fois que
l'exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir
ou de communiquer des idées qui s'expriment spécialement dans le travail d'un artiste » (Paris,
5 nov. 2008, préc.), la JP raisonne par un a priori en considérant d'emblée illégitime l'exercice
du droit à l'image face à la liberté de création artistique, en ce qu'il constituerait un obstacle «
arbitraire » à celle-ci (V. TGI Paris, 9 mai 2007, préc. : au sujet du fait que « l'exercice par une
personne de son droit à l'image aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté
d'expression artistique » : « Tel serait en particulier le cas dans le domaine de l'art
photographique si l'auteur des clichés se trouvait contraint de solliciter systématiquement le
consentement des personnes à ce que leur image puisse être fixée, puis ensuite publiée, ce qui
aurait pour effet de compromettre les photographies prises sur le vif ou la représentation de
scènes de rue »). Comme les personnes qui invoquaient dans ces affaires leur droit à l'image
ont été déboutées, c'est donc que la jurisprudence a estimé qu'elles l'invoquaient de façon
« arbitraire », ce qui est assez curieux. En outre, un arbitraire, redouté, en cache un autre,
redoutable, celui de la personne qui va opposer à la victime de l'atteinte à l'image sa liberté de
création artistique. La ligne de partage entre ce qui est artistique et ne l'est pas paraît
particulièrement floue. Et en cas de litige, c'est le juge qui va prendre parti sur le caractère
artistique ou non de la publication. N'y a-t-il pas lieu alors de redouter l'arbitraire du juge ?

Cette solution qui neutralise donc tout principe du consentement de la personne, pourtant
cardinal dans l'exercice des droits de la personnalité, est à peine bornée par les limites que les
juges lui ont assignées. La liberté de création artistique l'emporte sur le droit à l'image « sauf
dans le cas d'une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des
conséquences d'une particulière gravité » (Paris, 5 nov. 2008).

La considération de la dignité, déjà rencontrée dans le contentieux relatif à la liberté


d'information (V. supra, nos 337 et s.), ne représente pas en pratique une limitation très
79

contraignante. Quant à la limite tenant à l'existence de « conséquences d'une particulière


gravité », au contenu particulièrement flou, elle ne réintroduit pas davantage dans ce conflit une
dose de volonté individuelle de la victime de l'atteinte – son appréciation doit se situer non pas
au moment de l'atteinte, où le consentement a été absent, mais au stade des effets de l'atteinte,
mais renforce le rôle du juge à qui il appartiendra d'apprécier la gravité des conséquences de la
publication.

Quid des blogeurs ? Influenceurs Instagram ? Youtubeurs ? Sont-ils pro ?!

Image des morts – affaire Erignanc : publication d'une photographie du préfet Erignac venant
d'être assassiné. La Cour de cassation a considéré qu'il y avait effectivement atteinte à la dignité
de la personne – alors même que celle-ci venait d'être tuée, ce qui montre que la protection de
la dignité survit à la personne, alors que les droits de la personnalité s'éteignent à son décès
(Civ. 1 re, 20 déc. 2000).

Opinion contra : « A la lecture de la JP relative à l'image des morts, « il apparaît que c'est, en
réalité, le sort des proches, c'est-à-dire des vivants, qui doit importer. La JP a parfois su se
montrer exemplaire de cette orientation qui, pour sanctionner la publication de l'image d'un
mort, se fonda sur la « profonde atteinte au sentiment d'affliction » de ses proches, et, « partant,
à l'intimité de leur vie privée ». C'est donc dire que la direction à suivre doit être la suivante,
qui tend à évacuer toute référence à l'atteinte à la dignité du mort pour ne plus considérer que
celle à la vie privée des vivants : eux sont les gardiens de la mémoire du défunt, lesquels, voyant
celle-ci malmenée par les excès de la liberté d'expression, et par ce fait que précisément ils en
souffrent, sont fondés à agir en considération du préjudice éprouvé » (P-J)

Débat doctrinal sur l'exploitation commerciale de son image (mouvement de


patrimonialisation du droit à l’image. P. KAYSER : « le droit de la personne sur son image a
une double nature juridique. Il ne protège pas uniquement l'intérêt moral d'une personne à ce
que son image ne soit pas réalisée et publiée quand elle est dans sa vie privée, et son intérêt
moral à ce que son image ne la présente pas au public d'une manière inexacte. Il assure aussi la
protection de son intérêt matériel à ce que son image ne soit pas exploitée sans son autorisation
; il lui confère le monopole d'exploitation de son image. Il est donc un droit de la personnalité,
80

c'est-à-dire un droit extrapatrimonial, en protégeant des intérêts moraux et il est un droit


patrimonial en assurant la protection d'intérêts matériels ».

En cas d'atteinte au droit sur l'image d'une personne, le préjudice patrimonial, qui consiste en
un manque à gagner ou une altération de la valeur de l'image, est très fréquemment réparé par
l'octroi de dommages et intérêts (Versailles, 2 mai 2002, dans cette affaire où la demanderesse,
qui est à la fois actrice et mannequin, invoque un préjudice commercial « à raison de
l'exploitation lucrative de son image »,).

*** Ex. d’utilisation publicitaire illicite : le litige opposant le président de la République, M.


Nicolas Sarkozy, et sa compagne, Mme Carla Bruni, à la compagnie d'aviation qui avait utilisé
leur image dans une campagne publicitaire : l'utilisation de l'image d'une personnalité pour une
opération publicitaire « ne permet pas à la société Ryanair, qui a reconnu avoir agi sans
autorisation, de se prévaloir de l'exercice de la liberté de communication » (TGI Paris, 5 févr.
2008, 2 décis., M. Sarkozy c/ Ryanair Ltd et Mme Carla Bruni-Tedeschi c/ Ryanair).

Civ. 1ère 11 décembre 2008 : les parties doivent stipuler « de façon suffisamment claire les
limites de l'autorisation donnée quant à sa durée, son domaine géographique, la nature des
supports, et l'exclusion de certains contextes ». L'exigence de ces limites peut toutefois sembler
encore trop peu protectrice des intérêts de la personne dont l'image est exploitée »

c) Sanctions

Il est possible contacter l'auteur de sa diffusion : photographe, vidéaste, organisme (spot


publicitaire, clip musical...).

En cas de refus de retirer l’image, vous pouvez saisir le juge, y compris en urgence18 pour
obtenir le retrait de l'image, l'octroi de DI et le remboursement des frais d'avocat.

En cas d’atteinte, saisir le juge sur le fondement de l’art. 9 c. civ.

18
Un référé est une procédure d'urgence qui permet au juge de prendre des mesures provisoires. Le référé ne
permet pas de régler définitivement le litige.
81

+Demander à un site internet la dé-publication d'une photo/vidéo : Vous pouvez contacter le


responsable du site (réseau social, blog, etc.) sur lequel votre image est publiée.

En l'absence de réponse dans un délai d'1 mois ou si la réponse est insatisfaisante, vous pouvez
saisir la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) via son formulaire de
plainte en ligne. La CNIL peut décider plusieurs types de sanctions : avertissement, injonction,
sanction pécuniaire...

La Cour de cassation a affirmé sans ambiguïté l'indépendance du droit au respect de la vie


privée par rapport au droit sur l'image, en déclarant que « l'atteinte au respect dû à la vie privée
et l'atteinte au droit de chacun sur son image constituent des sources de préjudice distinctes,
ouvrant droit à des réparations distinctes » (Civ. 1re, 12 déc. 2000)

« L’autre solution est de contacter le responsable de la diffusion. Si cette démarche reste sans
réponse dans un délai de deux mois ou en cas de réponse insatisfaisante, alors la CNIL peut être
saisie. Elle peut prononcer plusieurs types de sanctions, comme un avertissement, une
injonction ou encore des sanctions pécuniaires. »

Sanctions pénales - L'image est susceptible de porter atteinte à de nombreux intérêts. Ainsi, la
reproduction de photographies issues d'un dossier de police judiciaire peut-elle constituer le
délit de recel de violation du secret de l'enquête ou du secret professionnel (Cass. crim., 12 juin
2007,

- L'article 226-1 CP punit “le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de
porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui : […] 2° En fixant, enregistrant ou
transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans
un lieu privé”. Il ne s'agit pas tant de protéger l'image de la personne que l'intimité de
sa vie dans un lieu privé.

Le lieu privé est entendu assez largement (qualification à un véhicule automobile : Cass. crim.,
28 nov. 2006 ; qu'à une salle d'audience : Cass. crim., 16 févr. 2010, n° 09-81.492 ; mais pas
une cour de prison ou un lieu de culte).
82

- L'article 226-2 sanctionne à la suite : “le fait de conserver, porter ou laisser porter à la
connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout
enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-
1”. Il n'est même pas nécessaire que l'auteur des clichés ait été identifié pour que cette
seconde infraction soit constituée dès lors qu'il est établi qu'aucun consentement n'a été
donné à la diffusion des images.

- Revenge porn - Art. 226-2-1 CP « Lorsque les délits prévus aux articles 226-1 et 226-
2 portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un
lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d'emprisonnement et à 60 000 €
d'amende.

Est puni des mêmes peines le fait, en l'absence d'accord de la personne pour la diffusion,
de porter à la connaissance du public ou d'un tiers tout enregistrement ou tout document
portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le
consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l'aide de l'un des
actes prévus à l'article 226-1. »

- Une incrimination spécifique protège « la représentation de la personne » : “le fait de


publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l'image
d'une personne sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un
montage ou s'il n'en est pas expressément fait mention”(art. 226-8 CP). L'image est
perçue alors comme un moyen de déconsidérer la personne.

À travers la manipulation de l'image physique de la personne, est directement en cause son


image sociale, non plus l'image qu'elle veut cacher mais celle qu'elle veut donner aux autres et
qu'elle est libre de construire comme elle entend.

« le montage ne constitue pas nécessairement une manifestation ou un trucage de la


photographie mais se trouve réalisé dès lors que l'insertion de cette photographie dans un
contexte d'images, de dessins ou de légendes en modifie la valeur artistique, la portée ou la
signification » (CA Toulouse, 26 févr. 1974).
83

En revanche, le délit disparaît lorsque la personne a donné son consentement à la réalisation de


ce montage ou lorsqu'il est présenté comme tel et apparaît avec évidence (V. CA Paris, 11e ch.,
29 oct. 1997).

- Il faut sans doute rapprocher également celle du happy-slapping qu'une loi n° 2007-297
du 5 mars 2007 envisage comme : “le fait d'enregistrer sciemment, par quelque moyen
que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission” de
certaines infractions violentes (art. 222-33-3 CP). On conçoit mal, dans une telle
hypothèse, qu'un quelconque consentement ait pu être donné à la réalisation de ces
clichés. Partant de là, l'objectif est essentiellement de protéger la personne contre la
diffusion d'images dont l'auteur a profité de la situation de faiblesse dans laquelle elle
s'est trouvée du fait de son agression et qui, dès lors, portent atteinte à sa dignité.

- De surcroît, à mi-chemin entre la protection de la tranquillité et de la dignité de la


personne, il faut citer cette incrimination spécifique concernant notamment la
pédopornographie (art. 227-23 CP, y compris l'importation, l'exportation et le recel de
telles images ainsi qu'en faisant de leur diffusion ou représentation sur les réseaux de
communication une circonstance aggravante.

- L'article 35 quater loi du 29 juillet 1881 incrimine: “la diffusion, par quelque moyen
que ce soit et quel qu'en soit le support, de la reproduction des circonstances d'un crime
ou d'un délit, lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d'une
victime et qu'elle est réalisée sans l'accord de cette dernière”.

- Fut interdite à la même occasion la diffusion “de l'image d'une personne identifiée ou
identifiable mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait
l'objet d'un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne
porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en détention provisoire”.

- Est de même interdite la diffusion de l'image d'un mineur en fugue, délaissé, qui s'est
suicidé ou a été victime d'une infraction (L. 29 juill. 1881, art. 39 bis) et la diffusion de
l'image de toute victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle (L. 29 juill. 1881, art.
39 quinquies).
84

[quand l'image paraît indissociable du texte – qu'il s'agisse de l'article illustré par la photographie, ou bien du titre
ou de la légende – portant atteinte à sa considération, il résulte de la jurisprudence récente que la personne ne peut
invoquer l'article 9 du code civil pour demander réparation d'une atteinte à son droit à l'image (Paris, 31 oct. 2001).
Autrement dit, la requalification sur le terrain de la loi de 1881 s'impose dès lors que l'atteinte au droit à l'image
est accessoire à l'atteinte à la considération. Dans une affaire relative à la publication d'une photographie d'une
jeune femme en train de danser avec un sein dénudé, photographie accompagnée d'une légende dévalorisante, la
Cour de cassation a précisé que l'article 9 du code civil ne pouvait être invoqué, au profit de la loi du 29 juillet
1881, « quand la reproduction de l'image ne faisait qu'illustrer des propos que [lademanderesse] avait expressément
invoqués pour demander réparation de l'atteinte ainsiportée à sa considération » (Civ. 1 re, 31 mai 2007)]

3) Le droit à la voix

La voix est inclus dans les attributs de la personnalité.

On ne peut pas enregistrer la voix d’une personne sans son consentement. Même si la personne
est un chanteur.

La personne peut interdire l’imitation de sa voix si celle-ci crée une confusion ou lui cause un
autre préjudice.

Aujourd’hui, le régime juridique du respect du droit à la voix est exactement le même que la
protection de l’image.

Protection pénale - l'art. 226-1 al. 1er CP. qu'« est puni d'un an d'emprisonnement et de 45
000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter
atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui : 1o en captant, enregistrant ou transmettant, sans le
consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel

4) Le droit à l’honneur

L’atteinte à l’honneur peut prendre forme d’une diffamation : on impute un fait précis (dire
qu’un homme est un violeur) ou d’une injure (traiter quelqu’un de lâche).
85

Toutefois, on admet les satire set les caricatures si elles n’excèdent pas les lois du genre (cela
est en lien avec le droit à l’image). Mais il est difficile de savoir, encore une fois, où est la limite
entre l’acceptable et l’inacceptable. Encore une fois, c’est le juge qui décide, au gré des
situations qui lui sont soumises.

*** Ex. : Affaire de poupée vaudou Sarkozy :

cette poupée à son effigie, dotée de douze aiguilles d'une sorte de "mode d'emploi"
humoristique, constituait bien une "atteinte à la dignité" de Nicolas Sarkozy.

Conflit entre la dignité et la liberté d’expression et le droit à l’humour

« Le domaine du respect de la dignité humaine en matière d'image s'est trouvé enrichi par une
décision récente, rendue au sujet d'une poupée « vaudou » représentant les traits du président
de la République, commercialisée, en complément d'un livre satirique, avec des aiguilles que le
lecteur était invité à planter dans la poupée. Le juge des référés a considéré que la
commercialisation de cette poupée s'inscrivait dans les limites autorisées de la liberté
d'expression et du droit à l'humour, et qu'elle ne constituait pas une atteinte à la dignité humaine
(TGI Paris, 29 oct. 2008). Plus nuancé, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris a distingué
entre la reproduction des traits de M. Nicolas Sarkozy et l'utilisation suggérée de la poupée. Si
la première, qui « n'est pas en soi critiquable en ce qu'elle n'est qu'une caricature-objet, rattachée
au livret qui l'accompagne », pouvait tirer sa justification de la liberté de la critique politique,
la seconde, en ce qu'elle incite « le lecteur à avoir un rôle actif en agissant sur une poupée dont
le visage est celui de l'intéressé et dont le corps porte mention d'expressions qui se rattachent à
lui, avec des épingles, piquantes par nature, et alors que le fait de piquer volontairement, que
sous-tend l'idée de faire mal physiquement, ne serait-ce que symboliquement, outrepasse à
l'évidence les limites admises, constitue une atteinte à la dignité de cette personne… » (Paris,
28 nov. 2008)

La poupée en question pourra continuer à être vendue, mais la société qui la commercialise
(Tear Prod) devra désormais apposer un bandeau indiquant que la piquer "porte atteinte à la
dignité du président de la République"
86

a) La diffamation

Éléments constitutifs

Élément matériel

La diffamation exige la réunion de quatre éléments : une allégation ou une imputation ; un fait
déterminé ; une atteinte à l'honneur ou à la considération ; une personne ou un corps identifié ;
la publicité.

– l'allégation consiste à reprendre, répéter ou reproduire des propos ou des écrits attribués à un
tiers contenant des imputations diffamatoires ; l'imputation s'entend de l'affirmation
personnelle d'un fait dont son auteur endosse la responsabilité ;

– l'imputation ou l'allégation doit porter sur un fait déterminé, susceptible de preuve ;

– l'atteinte à l'honneur consiste à toucher à l'intimité d'une personne, en lui imputant des
manquements à la probité ou un comportement moralement inadmissible ; l'atteinte à la
considération consiste à troubler sa position sociale ou professionnelle, attenter à l'idée que les
autres ont pu s'en faire ;

– la diffamation doit viser une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont
l'identification est rendue possible par les termes des discours ou écrits ;

– la publicité résulte de l'utilisation de l'un des moyens énoncés par l'article 23 ; elle
suppose une diffusion dans des lieux ou réunions publics.

*** Ex. : On dit à la télé que vous avez falsifié votre diplôme de droit (on a crié cela dans la
rue ; on a publié ça sur Fb)

Élément moral

Il consiste en l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne


ou du corps diffamé et il est classiquement présumé.

Répression
87

Règles spécifiques

L'exercice des poursuites nécessite parfois l'existence d'une plainte préalable de la victime (L.
29 juill. 1881, art. 48).

À l'inverse, la poursuite peut être exercée d'office en cas de diffamation commise à raison de
l'origine, de l'ethnie, de la nation, de la "race", de la religion, du sexe, de l'orientation sexuelle
ou du handicap (art. 48, 6°).

Certaines associations sont autorisées à exercer les droits reconnus à la partie civile (art. 48-
1, 48-4 à 48-6).

Le délai de prescription de l'action publique est de trois mois (ou une année si la diffamation
est commise en raison de l'origine, de l'ethnie, de la nation, de la race, de la religion, du sexe,
de l'orientation sexuelle , de l'identité de genre ou du handicap) à compter du jour où l'infraction
a été commise ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait (art.
65 et 65-3).

L'imputation de la diffamation obéit à un schéma particulier : le système de responsabilité


en cascade. Sont ainsi responsables, dans l'ordre suivant : le directeur de publication ou
l'éditeur ; à défaut, l'auteur ; à défaut, l'imprimeur ; à défaut, le vendeur, le distributeur ou
l'afficheur (art. 42 ; V. égal. L. du 29 juill. 1982, art. 93-2 et 93-3).

Mise en examen et clôture de l'instruction. La loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars
2019 a introduit en la matière des dispositions spécifiques, entrées en vigueur le 1 er juin 2019 (L. 29 juill. 1881,
art. 51-1).

Sanctions encourues

Diffamation envers les corps ou personnes désignés par les articles 30 et 31 : amende de
45 000 euros.

Diffamation envers les particuliers : amende de 12 000 euros (un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende
si la diffamation a un caractère racial, ethnique ou religieux, ou a été commise à raison du sexe, de l'orientation
sexuelle, de l'identité de genre ou du handicap, le tribunal pouvant ordonner l'affichage ou la diffusion de la
décision et la peine de stage de citoyenneté).

Diffamation non publique : amende de 38 euros (750 euros si elle est raciste ou
discriminatoire).
88

Immunités et faits justificatifs

Immunités

L'immunité parlementaire couvre les discours prononcés et les écrits produits au sein de
l'Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports et toute autre pièce imprimée par ordre
de l'une de ces deux assemblées et le compte rendu des séances publiques des assemblées fait
de bonne foi dans les journaux (L. 29 juill. 1881, art. 41) ; elle se combine avec l'immunité
personnelle accordée aux parlementaires (Constitution, art. 26).

L'immunité judiciaire couvre les discours prononcés et les écrits produits devant les
tribunaux, ainsi que le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires.

Faits justificatifs

La preuve de la vérité des faits peut toujours être prouvée, sauf quand l'imputation concerne
la vie privée (L. du 29 juill. 1881, art. 35 ; exceptions inapplicables aux faits prévus aux articles 222-23 à 222-
32 et 227-22 à 227-27 C. pén. commis sur un mineur). Des conditions procédurales sont posées (art. 55 et 56).

La bonne foi, fait justificatif d'origine prétorienne, requiert la preuve de quatre éléments :
poursuite d'un but légitime, absence d'animosité personnelle, travail sérieux d'enquête,
prudence et mesure dans l'expression.

L'autorisation de la loi peut faire disparaître la diffamation.

*** Ex diffamation : TGI Paris, 25 sept. 2019, L'initiatrice du célèbre #balancetonporc a vu


son appel à la dénonciation de cas de « harcèlement sexuel » et son témoignage sur Twitter
condamnés par la chambre de la presse du tribunal de grande instance de Paris pour
diffamation.

Le 13 octobre 2017, huit jours après les révélations dans la presse américaine de ce qui allait
devenir l'affaire Weinstein, une journaliste française, directrice de publication d'une lettre
d'information spécialisée sur l'audiovisuel, publie sur le compte Twitter de sa publication : «
#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que
tu as connu dans ton boulot. Je vous attends ». Quatre heures plus tard, elle poste un nouveau
message : « “Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit”
Éric Brion ex-patron de Equidia #balancetonporc ».
89

Ainsi identifié comme le premier « porc », l'intéressé assigne en diffamation l'initiatrice du ‒


devenu célèbre ‒ hashtag ainsi que son entreprise éditrice. Il demande 50 000 euros de
dommages-intérêts et la suppression du tweet litigieux.

Au soutien de sa demande, il fait valoir que ce tweet, à lire en lien avec le premier message
#balancetonporc, lui impute d'avoir commis un fait de harcèlement sexuel au travail. Or, selon
lui, la preuve d'un harcèlement tel que défini par l'article 222-33 du code pénal n'est pas
rapportée. Pas plus que celle d'un harcèlement sexuel au travail, au sens de l'article L. 1153-1
du code du travail, en l'absence de tout lien de subordination ou de collaboration entre les
parties. En défense, la journaliste fait notamment valoir la réalité des propos attribués au
demandeur. Elle affirme que le terme « harcèlement » doit être compris dans son acception
courante, et non dans un sens juridique.

Les éléments constitutifs de la diffamation

L'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme « toute
allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur et à la considération de la
personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Elle peut se présenter sous forme d'allusion ou
d'insinuation, et doit être appréciée en tenant compte tant du contenu même des propos que du
contexte dans lequel ils s'inscrivent.

La chambre de la presse du tribunal de grande instance de Paris relève tout d'abord que le second
tweet, en reprenant le #balancetonporc, renvoie nécessairement au premier, publié de surcroît
quelques heures avant. Or, dans le contexte spécifique de l'affaire Weinstein, et compte tenu de
l'emploi des mots « toi aussi » et des termes très forts de « porc » et de « balance », qui appellent
à une dénonciation, le tribunal juge que, contrairement à ce que soutient la défense, le tweet
litigieux ne peut être compris comme évoquant un harcèlement au sens commun et non
juridique. En outre, dans la mesure où il n'est pas écrit que le demandeur était son supérieur
hiérarchique, que le terme « au boulot » n'implique pas nécessairement d'être salarié et où il est
notoire que l'auteur du tweet est une journaliste indépendante, le tribunal juge que l'imputation
n'est pas celle d'un harcèlement sexuel au travail.
90

Pour les juges, le tweet litigieux impute au demandeur d'avoir harcelé sexuellement la
journaliste et présente donc un caractère diffamatoire. Il s'agit d'un fait précis, réprimé par
l'article 222-33 du code pénal qui vise, notamment « le fait, même non répété, assimilé au
harcèlement sexuel, d'user de toute pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte
de nature sexuel, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers
».

Les moyens de défense rejetés

La preuve de la vérité des faits diffamatoires constitue le premier moyen de défense que l'auteur
de propos peut mettre en œuvre pour les justifier (Loi du 29 juill. 1881, art. 55). À cette fin, et
selon une jurisprudence constante, cette preuve doit être « parfaite, complète et corrélative à
l'imputation diffamatoire ». En l'espèce, l'offre de preuve produite par la journaliste devant le
tribunal est rejetée, faute de comporter un jugement pénal définitif condamnant le demandeur
pour harcèlement sexuel.

Les imputations diffamatoires, réputées de droit faites avec intention de nuire, peuvent
également être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi. C'est l'autre moyen de
défense. À cette fin, et faisant un mélange subtil entre les critères traditionnels de la bonne foi
et ceux développés sous l'impulsion de la Cour européenne des droits de l'homme, le tribunal
énonce que doit être prouvée : la poursuite d'un but légitime, le sérieux de l'enquête, la prudence
dans l'expression. Ces critères traditionnels s'apprécient également à la lumière de la notion «
d'intérêt général s'attachant au sujet d'information, susceptible de légitimer les propos », ainsi
que de « base factuelle suffisante » à établir la bonne foi de leur auteur. Celle-ci suppose que
l'auteur des propos incriminés détienne au moment de les proférer des éléments suffisamment
sérieux pour croire en la vérité de ses allégations et pour engager l'honneur et la réputation
d'autrui. De plus, les propos ne doivent pas avoir dégénéré en des attaques personnelles.

Le tribunal estime qu'en pleine affaire Weinstein, médiatisée internationalement, la question des
violences sous toutes leurs formes infligées aux femmes par des hommes, constitue à l'évidence
un sujet d'intérêt général.
91

S'agissant des critères de base factuelle et de prudence dans les propos, il relève qu'aucune des
attestations produites n'évoque la tenue par le demandeur des propos rapportés par la
défenderesse ou de propos proches de ceux-ci, ni d'un quelconque harcèlement.

L'emploi du terme « harcèlement », au sens de l'article 222-33 du code pénal, évoque une
répétition ou une pression grave. Or, aucune répétition des propos que le demandeur aurait tenus
ou une quelconque attitude susceptible d'être qualifiée de harcèlement envers la défenderesse
n'est en l'espèce jugée établie. Ainsi, la base factuelle dont l'auteur des tweets disposait était
insuffisante pour tenir les propos litigieux, accusant publiquement le défendeur d'un fait aussi
grave que celui du délit de harcèlement sexuel. La défenderesse a manqué de prudence dans
son tweet, en employant des termes virulents tels que « porc » pour qualifier le demander,
l'assimilant dans ce contexte à Harvey Weinstein, et « balance » indiquant qu'il doit être dénoncé
et en le nommant, précisant même ses anciennes fonctions, l'exposant ainsi à la réprobation
sociale.

Pour la chambre de la presse, la défenderesse a dépassé les limites de la liberté d'expression,


ses propos ayant dégénéré en des attaques personnelles. Elle ne peut donc bénéficier de l'excuse
de bonne foi.

La condamnation

Pour évaluer la demande de réparation, le tribunal souligne le retentissement exceptionnel et


mondial qu'ont eu ces deux tweets, le demandeur étant devenu le « premier porc » du
mouvement international « balance ton porc ». Compte tenu de l'état psychologique de
l'intéressé « en état dépressif majeur » et du préjudice de réputation établi, le tribunal lui accorde
15 000 euros à titre de dommages-intérêts. Le retrait des propos diffamatoires du compte
Twitter est également ordonné sous astreinte, de même que la publication sur le compte Twitter
de la défenderesse ainsi que dans deux organes de presse d'un communiqué valant publication
judiciaire. Les avocats de la journaliste ont annoncé leur intention de faire appel de la décision.
92

b) L’injure

L’injure est définie comme « expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne
renferme l'imputation d'aucun fait » par l’article 29 al. 2 de la Loi du 29 juillet 1881.

Élément matériel - L'injure est caractérisée par une invective, un terme de mépris ou une
expression outrageante, dont le but vise d’insulter la personne.

La jurisprudence qualifie ainsi des propos grossiers ou désobligeants. Elle prend en compte, en
outre, le contexte, le ton, les circonstances ou l'évolution des mœurs.

Il convient de relever que l’injure peut viser une personne ou un groupe de personnes
déterminées.

Exemples où la qualification d’injures avait été retenue :

*** Ex. 1 : dire qu’une personne est « la dernière des pourritures » (Crim., 24 novembre 2009).

*** Ex. 2 : mauvais jeu de mots à connotation nazie à propos d’un ministre (en l’occurrence,
Durafour) : « Monsieur Durafour crématoire » (Crim., 20 octobre 1992).

*** Ex. 3 : Les propos d’un magistrat-supérieur hiérarchique traitant un juge d’irresponsable,
dans la mesure où cette qualification ne contient l’imputation d’aucun fait précis.

L'injure publique suppose la publicité, elle doit avoir été « proférée » (Crim. 27 novembre
2012) : il faut l'un des moyens énoncés par l'article 23 de la loi de 1881 et qu’elle ait été
prononcée dans des lieux ou réunions publics.

À défaut de publicité, l'injure est une contravention.

Remarque 1 : S’agissant de la satire politique, l’injure est appréciée sous le prisme de l’article
10 de la CEDH (comme pour la diffamation).

Remarque 2 : L’art. 34 de la loi du 29 juillet 1881 réprime l’injure faite à la mémoire des
morts (comme pour la diffamation)
93

Élément moral - L'injure est faite avec l'intention de nuire (celle-ci est présumée).

Sanctions encourues

Injure envers les corps ou les personnes désignées par les articles 30 et 31 : amende de 12 000 euros.

Injure envers les particuliers non précédée de provocation : 12 000 euros

La peine est portée à 1 an d'emprisonnement et à 45 000 € d'amende si l'injure a un caractère racial, ethnique ou
religieux, ou a été faite à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap.

Injure non publique : 38 euros lorsqu'elle n'a pas été précédée de provocation ; 750 euros si elle est raciste ou
discriminatoire ou si elle est proférée à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap.

Injure commise envers la mémoire des morts : amende de 12 000 euros.

Injure contenue dans une correspondance circulant à découvert : amende de 1 500 euros.

Excuse légale de provocation – Il existe un fait justificatif propre à l’infraction d’injure. On


l’appelle l’excuse légale de provocation. Lorsque la provocation est établie elle permet
d’excuser l’injure de sorte que l’auteur de propos injurieux échappe à sa responsabilité pénale.
Par ailleurs, non seulement il n’y aura pas condamnation pénale, mais la condamnation civile
est également exclue.

On parle de la provocation quand le comportement irrite volontairement une personne et la


pousse à répondre.

La jurisprudence exige que la provocation soit

- personnelle (concerne le prévenu ou l'un de ses très proches),


- injuste (une faute et non l'exercice normal d'un droit),
- directe (il doit exister un rapport de causalité entre la provocation et l'injure),
- rapprochée dans le temps avec l'injure et
- proportionnée à cette dernière.

La charge de la preuve incombe à celui qui se prévaut de l'excuse de provocation.


94

c) La présomption d’innocence

Principe de procédure pénale - Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que la présomption
d’innocence est un principe directeur de la procédure pénale énoncé par l’article préliminaire
du Code de procédure pénale (CPP) :

« Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa


culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont
prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».

La culpabilité qu’évoque ce texte doit être comprise comme déclaration juridictionnelle de


culpabilité, c’est-à-dire une décision selon laquelle une personne a commis une infraction que
l’on lui impute.

En premier lieu, cela renvoie à la dimension purement matérielle. Exemple : vous avez volé
une pomme dans le sac de votre voisine de TD.

En second lieu, cela renvoie aussi à la qualification pénale des faits. Exemple : avant l’adoption
de la loi réprimant le « revenge porn » (dont nous avons parlé pendant le dernier cours en
présentiel), votre ex diffuse, sans votre accord, sur son Snapchat des photos à caractère sexuel
que vous lui avez envoyées lorsque vous étiez encore ensemble. Puisque nous n’avions de texte
à l’époque, les faits ne constituent pas une infraction pénale, il n’y a pas de qualification pénale
pour ces faits, bien qu’ils aient eu matériellement lieu.

Schématiquement, la présomption d’innocence signifie que la charge de la preuve incombe à


l’accusation. Autrement dit, c’est au Ministère public de prouver la culpabilité de la personne
visée par une procédure pénale.

Cela induit aussi que les preuves doivent être solides et certaines. De là, en cas de doute sur la
culpabilité d’une personne, ce doute profite à l’accusé, selon l’adage connu.

Comme l’affirme Voltaire dans Zadig, « il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de
condamner un innocent ». En effet, cela serait une plus grande injustice de mettre un innocent
derrière les barreaux que de laisser un coupable en liberté.
95

Droit fondamental de l’homme – La présomption d’innocence est un principe universel


consacré par la plupart des législations nationales, même autoritaires, ainsi que par des
instruments juridiques internationaux qui l’élèvent au rang d’un droit fondamental de l’homme.

Ces textes sont les suivants :

- Art. 9 DDHC ;
- Art. 11 § 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) ;
- Art. 14 § 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- Art. 40 / 2-b-i de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant ;
- Art. 6 § 2 CEDH ;
- Art. 48 § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (v. aussi
la Directive UE/2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016) ;
- Art. 8 § 2 de la Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme ;
- Art. 7 § 1-a de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
- Art. 16 de la Charte arabe des droits de l’homme révisée.

Ce droit est, en outre, consacré par les Statuts des juridictions pénales internationales et
notamment l’article 66 du Statut de la Cour pénale internationale (dit Statut de Rome). Ainsi,
on peut comprendre que des acquittements et les abandons des poursuites pour défaut de
preuves devant cette Cour, aussi douloureuses qu’elles soient pour les victimes, sont des
« victoires pour la présomption d’innocence » (Michel Massé). Vu sous cet angle, ce n’est
qu’un signe d’un bon fonctionnement de la justice.

Bref, la présomption d’innocence, « avatar de la présomption ‘‘humaniste’’ d’innocence de


bonté est une garantie forte de l’État de droit » (Damien Roets). C’est une garantie accordée au
suspect ou à la personne poursuivie jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement et
irrévocablement établie. Au-delà d’un principe procédural, c’est un droit subjectif (et c’est pour
cette raison que nous l’étudions en droit es personnes.
96

Droit subjectif – L’art. 9-1 c. civ. dispose « Chacun a droit au respect de la présomption
d'innocence. »

Il y a une atteinte à la présomption d’innocence si on présente publiquement une personne


poursuivie comme coupable avant sa condamnation. Il existe donc un « droit d'être regardé
comme une personne innocente » (J.-H. ROBERT).

Tension avec la liberté d’expression – Cela étant, afin de garantir la liberté d’expression, les
comptes rendus des affaires judiciaires en cours sont autorisés, y compris la divulgation du nom
du mis en examen (s’il est majeur). La seule condition : il ne faut pas y avoir un commentaire
de nature à révéler un préjugé quant à la culpabilité de la personne. En d’autres mots, il faut
rendre objectivement compte des affaires en cours.

*** Ex. : on peut dire que la personne est placée en détention provisoire ou que l’individu est
fiché au grand banditisme etc.

Il ne faut donc pas suggérer très fortement la culpabilité de la personne (Civ. 2ème, 8 juillet
2004).

Vous imaginez bien que, dans ces conditions, on n’est pas à l’abri des tensions entre le droit au
respect de la présomption d’innocence et la liberté d’expression, composée du droit des
journalistes de communiquer les informations et le droit des citoyens d’en recevoir.

Prévention des atteintes à la présomption d’innocence – L’article 11 al. 1er du CPP précise
que « toute personne qui concourt à la procédure est tenue au secret professionnel ».

L’article 226-13 du CP, quant à lui, permet de sanctionner les personnes qui concourent à la
procédure et qui ont violé le secret de l’enquête et de l’instruction (un an d’emprisonnement et
15 000 d’amende)19.

19
Adde, art. 58 et 98 CPP : « Sous réserve des nécessités des enquêtes, toute communication ou toute divulgation
sans l'autorisation de la personne mise en examen ou de ses ayants droit ou du signataire ou du destinataire d'un
document provenant d'une perquisition à une personne non qualifiée par la loi pour en prendre connaissance » et
l’art. 114-1 CPP qui prohibe la diffusion à un tiers par une partie à qui une reproduction des pièces ou actes d'une
procédure d'instruction a été remise (excepté des copies de rapports d’expertise qui peuvent être communiqués à
des tiers pour les besoins de la défense).
97

Il s’agit notamment des policiers, des gendarmes des magistrats.

Remarque : L’avocat, bien qu’il ne concoure pas à la procédure au sens strict du terme, est
tenu au secret professionnel et encourt les mêmes peines.

*** Ex. d’une violation de secret de l’instruction : Un policier va envoyer à un journaliste du


Courrier Picard le portrait-robot d’un tueur en série, portrait qui était gardé secret afin de
pouvoir appréhender le suspect.

Le secret de l’enquête et de l’instruction garantit, selon le Conseil constitutionnel, le droit au


respect de la vie privée et de la présomption d’innocence. La Cour européenne des droits de
l’homme (CourEDH) y voit, elle aussi, la protection de la réputation de la personne poursuivie
ou suspectée (CourEDH, Gde chambre, Bédat c/ Suisse, 29 mars 2016). En d’autres mots,
l’accent est fait sur la présomption d’innocence en tant que droit subjectif plutôt qu’un principe
procédural.

Dès lors, la sanction d’une violation de ce secret permet de prévenir les atteintes à la
présomption d’innocence. En effet, on constate que la majorité des divulgations d’éléments de
procédure portent sur les éléments à charge qui accréditent la thèse de la culpabilité de la
personne mise en cause.

Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre


fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de
la juridiction d'instruction ou des parties, « rendre publics des éléments objectifs tirés de la
procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre
les personnes mises en cause » (art. 11 al. 3 CPP)

Remarque : Il faut aussi se rappeler de la protection de l’image de la personne menottée ou entravée. L’article
803 CPP dispose :

« Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s'il est considéré soit comme
dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite.

Dans ces deux hypothèses, toutes mesures utiles doivent être prises, dans les conditions compatibles
avec les exigences de sécurité, pour éviter qu'une personne menottée ou entravée soit photographiée
ou fasse l'objet d'un enregistrement audiovisuel. »
98

Le but est d’éviter des images du « perp walk » à l’américaine (comme, par exemple, l’image de Dominique
Strauss-Kahn sortant menotté du commissariat de Brooklyn).

Nous avons déjà vu l’art. 35-ter-I de la loi du 29 juillet 1881 qui prohibe la diffusion non consentie de l’image
du mis en cause à l’occasion d’une procédure pénale n’ayant pas encore été condamné si cette image le représente
portant des menottes ou entraves ou fait apparaître le placement en détention provisoire.

En outre, l’art. 35-ter-II de la même loi réprime la réalisation, la publication ou les commentaires d’un sondage
d’opinion ou toute autre consultation portant sur la culpabilité d’une personne mise en cause dans une procédure
pénale.

Enfin, l’art. 38 al. 1er de la même loi interdit de publier les actes d’accusation et tous les autres actes de procédure
criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience publique.

Sanctions des atteintes à la présomption d’innocence – Le droit civil, comme le droit pénal,
peuvent être mobilisés afin de sanctionner les atteintes à la présomption d’innocence.

- L’article 9-1 al. 2 c. civ : « Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation,
présentée publiquement comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une
instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du
dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la
diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption
d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette
atteinte »

=> « action en rétablissement de la présomption d’innocence » (J.-H. Robert).

Quand est-ce qu’il y a une atteinte à la présomption d’innocence ? Quand les propos,
écrits ou oraux, contiennent « des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant
pour acquise la culpabilité » de la personne, selon la jurisprudence (Civ. 1ère, 6 mars
1996).

Attention, la mauvaise foi n’est pas une condition d’application de l’art. 9-1 c. civ. (Ass.
Plén., 21 décembre 2006).
99

*** Ex. d’une atteinte à la présomption d’innocence : les propos tenus avec l’usage de
l’indicatif et non pas du conditionnel : « Monsieur X., maire de la commune Y., a
détourné les fonds publics ».

Quelles sont les mesures applicables en cas d’une atteinte au droit à la présomption
d’innocence ?

La réparation pécuniaire (souvent, mais pas toujours, 1 € symbolique), la réparation en


nature (parfois sous astreinte), la rectification (insérée dans l’article du journal, par
exemple), le communiqué diffusé (un encart dans l’ouvrage, par exemple), retrait des
propos publiés sur Internet, saisie de l’écrit (journal, livre etc., mais très rare, car peut
être vue comme une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression).

Remarque 1 : Ce droit au respect de la présomption d’innocence n’est valable que s’il


existe une procédure pénale en cours. Si les propos sont tenus avant l’ouverture de
l’enquête, cet article n’est pas applicable (mais, sous réserve des conditions réunies, il
peut s’agir d’une dénonciation calomnieuse ou d’une diffamation).

La présomption d’innocence disparaît lorsque la condamnation pénale devient


irrévocable. Toutefois, une atteinte à la présomption d’innocence ayant eu lieu avant
cette condamnation définitive ne s’efface pas rétroactivement (bien que les dommages
et intérêts seront symboliques).

Remarque 2 : Si la personne dont la présomption d’innocence n’a pas été respectée est
décédée, le droit au respect de la présomption d’innocence, comme tout droit de la
personnalité, s’éteint avec la mort. Ses héritiers ne pourront pas agir en justice sur le
fondement de l’article 9-1 c. civ. La seule voie qui reste est celle de la diffamation envers
la mémoire des morts (à la condition de prouver l’intention de l’auteur des propos de
porter atteinte à l’honneur ou à la considération des ayant droit).
100

Remarque 3 : Comme pour le droit au respect de la vie privée, les titulaires du droit au
respect de la présomption d’innocence peuvent renoncer à ce droit et donc ne pas
l’exercer.

Remarque 4 : Le droit au respect de la présomption d'innocence a une spécificité


procédurale quant à la prescription. L'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881, issu de
la loi du 4 janvier 1993, dispose que « les actions fondées sur une atteinte au respect de
la présomption d'innocence commise par l'un des moyens visés à l'article 23 [c’est-à-
dire par par un moyen de publicité] se prescriront après trois mois révolus à compter du
jour de l'acte de publicité »

(N. B. : La prescription de l'action fondée sur l'article 9-1 c. civ. laisse ouverte l'action
fondée sur l'article 9 c. civ, selon la jurisprudence. Ex. : Civ. 2 e, 29 avr. 2004).

Remarque 5 : Selon la Cour de cassation, l’action civile fondée sur le délit de


diffamation devant le juge pénal ne se cumule pas avec le fondement de l’article 9-1
c. civ. (car sinon cela reviendrait à indemniser deux fois le même préjudice résultant des
mêmes propos).

Comme indiqué plus haut, la présomption d’innocence est également protégée par des
dispositions du droit pénal qu’il convient d’aborder très rapidement.

- Sanctions pénales – La diffamation (que nous avons vue lors du dernier cours en
présentiel) permet de sanctionner les atteintes au droit à la présomption d’innocence
stricto sensu (revoir le cours sur ce point !)

Les violations de la présomption d’innocence lato sensu, quant à elles, peuvent être
qualifiées du délit de dénonciation calomnieuse.

En effet, l’art. 226-10 al. 1 CP déclare que « la dénonciation, effectuée par tout moyen
et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des
101

sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou


partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police
administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de
saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la
personne dénoncée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros
d'amende ».

Comme l’explique Professeur Yves Mayaud, la dénonciation calomnieuse tend à « faire


peser sur un innocent, de façon délibérément inexacte, une humiliation sociale pouvant
aller jusqu’à des poursuites pénales ».
Notez que la connaissance de l’inexactitude des faits dénoncés s’apprécie au moment
de la dénonciation (Crim., 7 juin 2005).

Il convient de préciser que pour que le délit soit consommé la publicité n’est pas requise.
102

Chapitre 2. Les personnes morales

Les PM sont des entités constituées d’un regroupement de personnes et/ou de biens auquel
on reconnaît la personnalité juridique c’est-à-dire l’aptitude à acquérir et à exercer des droits
subjectifs.

C’est le groupement lui-même qui a la personnalité juridique et cette personnalité juridique est
distincte de la personnalité juridique de chacun des membres qui composent ce groupement. La
personne morale est une personnalité abstraite. C’est une fiction juridique qui s’est imposée
pour répondre à certains besoins économiques et sociaux.

Nous allons voir d’une part, la classification des personnes morales (Section 1) et d’autre part,
le régime juridique dont elles relèvent (Section 2).

Section 1 : La classification des personnes morales

Il existe des personnes morales de droit public (§ 1) et des personnes morales de droit privé (§ 2)

§ 1 : Les personnes morales de droit public

On peut citer notamment :

- l’État, les collectivités territoriales (communes, départements, régions) et


- les établissements publics (organismes investis d’une mission d’intérêt général comme
par ex. les hôpitaux ou les universités).

§ 2 : Les personnes morales de droit privé

Ici il y a soit des groupements des personnes (A), soit des masses de biens qu’on appelle
fondations (B).
103

A) Les groupements des personnes

on trouve les sociétés (1) associations (2), syndicats (3), les groupements d’intérêt
économique (3) ou des congrégations religieuses dont on ne parlera pas.

1) Les sociétés

Aux termes de l’art. 1832 c. civ., « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui
conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en
vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter.

Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l'acte de volonté d'une seule personne.

Les associés s'engagent à contribuer aux pertes ».

Elles jouissent de la personnalité morale à partir de leur immatriculation. Elles doivent avoir un
objet licite et être constituées dans l’intérêt commun des associés. La loi PACTE préconise la
prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux de l’activité sociale.

On ne va pas voir dans le détail la typologie des sociétés, car vous le ferez en L3. J’en dirai
quelques mots seulement.

Sociétés civiles – Sociétés qui ont pour l’objet des opérations civiles (et qui ne rentrent pas dans
la catégorie légale des actes de commerce prévu par le C. com). Elles sont régies par c. civ.

*** Ex : SCI ; SCP d’avocats ou de notaires.

Les autres sociétés sont des sociétés commerciales (soit de personnes soit de capitaux soit à
responsabilité limitée).

Sociétés de personnes – Sont constitués en considération de la personne des associés (*** Ex. :
je m’associe avec ma meilleure amie, mais pas son copain que je ne supporte pas).

On appelle ça intuitu personæ (en fonction de la personne).

Les parts ( !!!) sociales ne sont pas librement cessibles.


104

- Société en nom collectif (SNC) : tous les associés sont commerçants, solidairement et
indéfiniment responsables du passif social sur leurs biens personnels.

- Société en commandite simple : deux catégories d’associés, les commandités


(exactement comme les associés de la SNC) et les commanditaires tenus du passif social
seulement dans la limite de leur apport.

Sociétés de capitaux (ou par actions) – La personnalité des associés est indifférente. On peut
céder librement les actions (du coup, je peux me retrouver associée avec un ennemi).

- Sociétés anonymes : aucun associé ne répond au-delà de son apport.


- Sociétés en commandite par action (les commandités et les commanditaires, comme
vu plus haut)
- Sociétés par actions simplifiées (SAS) – Les associés ne répondent pas du passif social
au-delà de leur apport. Elles peuvent être unipersonnelles (SASU).

Sociétés à responsabilité limitée (SARL ou EURL) – Il y a des parts sociales qui ne sont pas
librement cessibles. Les associés ne sont pas responsables au-delà de leur apport.

2) Les associations

La loi du 1er juillet 1901 définit l’association de la manière suivante : « L'association est la
convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon
permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des
bénéfices ».

Associations sportives, culturelle, humanitaire.

La création est libre, aucune autorisation n’est nécessaire.

Pour avoir une personnalité morale, elles doivent être déclarées à la préfecture. Peuvent recevoir
des dons manuels.
105

Certaines associations peuvent être reconnues d’utilité publique par un décret (après avis du
Conseil d’État). Cela leur permet d’avoir une capacité juridique plus complète permettant de
recevoir des libéralités entre vifs ou testamentaires.

Ex. : Amnesty International (qui lutte pour les droits humains).

L’association ne doit pas rechercher à faire des bénéfices à titre principal. Mais elle peut avoir
une activité économique.

Si elle réalise des bénéfices, ces membres ne les partagent pas. Et si le trésorier ou les membres
les partagent, ils commettent un abus de confiance, puni de 3 ans d’emprisonnement, 375 000
d’amende.

3) Les syndicats

Ce sont des groupements de personnes qui ont pour l’étude et la défense des droits et des intérêts
matériels et moraux des personnes visées dans leurs statuts.

Tous salariés et tous les employeurs ont le droit de se syndiquer.

Il peut y avoir plusieurs syndicats au sein de la même profession.

Le syndicat a la personnalité moral à la condition d’être déclaré à la mairie.

4) Les groupements d’intérêt économique (GIE)

Ces groupements ont pour but de faciliter la coopération entre entreprises (ex. : centrales
d’achats).

*** Ex. 2 : médecins libéraux. Ils utiliseront le GIE pour partager la même visibilité, mais aussi
pour mettre en commun les ressources matérielles et le service secrétariat, par exemple, mais
chaque médecin conservera sa propre patientèle.
106

B) Les fondations

L’art. 18 de la loi du 23 juillet 1987 définit la fondation comme « acte par lequel une ou
plusieurs personnes physiques ou morales décident l'affectation irrévocable de biens, droits ou
ressources à la réalisation d'une œuvre d'intérêt général et à but non lucratif ».

La loi poursuit : Pour acquérir la personnalité morale, « la fondation ne jouit de la capacité


juridique qu'à compter de la date d'entrée en vigueur du décret en Conseil d'Etat accordant la
reconnaissance d'utilité publique ». Ainsi elle devient une fondation reconnue d'utilité publique.

Sans personnalité morale – Dans le cadre des établissements préexistants (université, hôpital),
on peut recevoir des libéralités entre vifs ou testamentaires, mais avec la charge de les affecter
à l’œuvre projetée (ex. : prix de thèse ; acheter des lits dans un hôpital).

*** Ex. : Karl Lagerfeld aurait pu créer une fondation ayant pour but de s’occuper de
Choupette.

Section 2 : Le régime juridique de la personnalité morale

La création et la disparition (§ 1) de sociétés de droit privé et les attributs de la personnalité


(§ 2)
§1 : La création et la disparition

§2 : Les attributs de la personnalité morale

Les PM n’ont pas de dignité humaine, leur personnalité juridique est plutôt « technique », utile,
instrumentale. « La personnification (…) semble répondre qu’à un critère d’utilité. Utilité pour
qui ? Pour l’homme précisément ». « En clair : quand l’homme est un sujet de droit-fin (c’est
pour lui, pour ce qu’il est, pour sa valeur propre, et rien d’autre, qu’il reçoit la qualité de
personne), la PM, elle n’est jamais qu’un sujet de droit-moyen (elle n’est pas personnifié pour
elle, mais dans l’intérêt, pour l’utilité d’autrui)20.

20
(PJD).
107

Droits de la personnalité - La question de la reconnaissance des droits de la personnalité au


profit des personnes morales recoupe celle de savoir si ces dernières peuvent subir un préjudice
moral. À cette dernière interrogation, la jurisprudence répond par l'affirmative dans de
nombreux domaines (V. Ph. STOFFEL-MUNCK, Le préjudice moral des personnes morales).
La reconnaissance dans ce cas précis d'un préjudice moral ne coïncide pas nécessairement avec
celle de droits de la personnalité au bénéfice des personnes morales. Si la jurisprudence admet
de longue date la réparation du préjudice moral de la personne morale victime de diffamation,
elle admet également de façon onstante, indépendamment de tout droit de la personnalité, que
les agissements de concurrence déloyale causent à la société qui en est victime un préjudice «
fût-il seulement moral » (par ex. : Com. 9 févr. 1993). Mais en retenant l'existence d'un
préjudice moral des personnes morales, la jurisprudence laisse bien entrevoir la reconnaissance
d'une personnalité des personnes morales autre que purement juridique. Comme l'a fait
remarquer justement un auteur, « le préjudice économique d'une personne morale est constitué
par ce qu'elle perd dans son avoir là où son préjudice moral est constitué par ce qui l'atteint dans
son être. Ceci recouvre tout ce qui fait sa singularité, tout ce qui participe de son identité propre
: sa culture, ses valeurs, ses emblèmes, son image, etc. Or il est évident que ces éléments existent
bel et bien dans le cas d'une personne morale : certaines personnes morales ont une histoire,
une culture, une réputation, bref une personnalité au sens sociologique du terme… ». Et cet
auteur d'ajouter de façon très pertinente : « Conformément à la distinction entre l'aspect
extrapatrimonial et patrimonial d'une personne, le préjudice moral d'une personne morale
s'apprécie ainsi au regard de l'atteinte portée aux éléments qui participent de son “être” propre,
aux éléments qui font, comme l'on dit couramment, “qu'elle est ce qu'elle est” » (Ph. STOFFEL-
MUNCK)

Cette analyse peut être transposée dans la réflexion sur les droits de la personnalité. La PM a
une individualité perçue par les tiers, qu'elle peut souhaiter protéger contre les atteintes qui
pourraient avoir pour effet de l'altérer. De fait, plusieurs auteurs se sont prononcés, ces dernières
années, en faveur d'une reconnaissance des droits de la personnalité – ou du moins de certains
d'entre eux – au profit des personnes morales (F. PETIT).

Cette position de la doctrine majoritairement favorable à l'extension des droits de la personnalité


aux personnes morales ne signifie pas que tous les droits de la personnalité peuvent leur être
reconnus ou le sont effectivement en droit positif. Mais il est incontestable que le droit positif
108

n'est pas hostile à une extension au profit des personnes morales d'un certain nombre de droits
de la personnalité.

« On admet en général que les personnes morales sont investies des mêmes droits que les
personnes physiques, sauf ceux qui sont étroitement liés à la personne humaine »

Ajouter l’art.

La jurisprudence en matière de diffamation est traditionnellement citée comme signe de


l'extension au profit des personnes morales d'une protection prévue par le législateur pour « la
personne » sans autre précision (L. 29 juill. 1881, art. 29). Jurisprudence pénale et jurisprudence
civile sont à l'unisson pour considérer, de façon constante, que l'article 29 de la loi du 29 juillet
1881 s'applique aussi bien aux personnes morales qu'aux personnes physiques. (Crim. 10 juill.
1937). Aussi, la Cour de cassation a-t-elle admis qu'une personne morale soit victime d'une
dénonciation calomnieuse (Crim. 22 juin 1999).
L'admission des personnes morales au bénéfice de ces dispositions se justifie par le fait qu'elles
ont une image sociale à défendre, comme les personnes physiques. De même faut-il considérer
que le droit au respect de la présomption d'innocence doit être reconnu aux personnes morales.
Mais il est d'autres droits de la personnalité dont la reconnaissance aux personnes morales
soulève davantage de difficultés.

Un des points les plus délicats relativement à l'extension des droits de la personnalité aux PM
concerne le droit au respect de la vie privée.
Vie privée - Concernant les PM, la CourEDH se montre disposée à faire bénéficier les
personnes morales de la protection du domicile. Elle considère en effet qu'au sens de sa
jurisprudence, le terme « domicile » a une connotation plus large que le mot « home » et que
dès lors, dans le prolongement de l'interprétation dynamique de la Convention, il est temps de
reconnaître, dans certaines circonstances, que les droits garantis sous l'angle de l'article 8 de
laConvention peuvent être interprétés comme incluant pour une société, le droit au respect de
son siège social, son agence ou ses locaux professionnels (CEDH 16 avr. 2002, Sté Colas Est
et autres c/ France).
109

Aix-en-Provence, 10 mai 2001 : les juges ont considéré que les personnes morales sont
susceptibles de subir une atteinte à leur vie privée dès lors qu'elles sont titulaires de droits, non
pas identiques, mais analogues aux droits de la personnalité tels que le droit au nom, le droit au
secret de leur vie intérieure parallèlement à la vie publique qui justifie leur existence en raison
de leur objet social. La cour d'appel a précisé qu'une vie secrète peut se dérouler dans les locaux
privés de personnes morales à laquelle toute personne étrangère aux membres qui les
composent, ne peut, sans leur consentement, porter une atteinte qui n'est pas autrement protégée
par des règles spécifiques, notamment en matière de droit de la concurrence, de secret des
affaires ou de contrefaçons.

Mais : Civ. 1ère 17 mars 2016 : Si les PM disposent, notamment, d'un droit à la protection de
leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes
physiques peuvent se prévaloir d'une atteinte à la vie privée au sens de l'article 9 du code civil.
110

Partie 2 – Les incapacités

Le système juridique français est régi par le principe de la capacité. Toutefois, la loi prévoit des
exceptions qu’on appelle des incapacités.

Les incapacités peuvent être divisées en deux catégories : les incapacités de jouissance et les
incapacités d’exercice.

Les incapacités de jouissance ont pour effet de priver une personne de l’aptitude à acquérir ou
transmettre des droits. Elles sont toujours spéciales et concernent un ou plusieurs droits
déterminés.
*** Ex. : pas droit de contracter un mariage pour les moins de 18 ans (en principe).

Les incapacités d’exercice, quant à elles, ne privent pas la personne d’acquérir des droits, mais
l’empêchent d’exercer tel ou tel droit.
*** Ex. : vendre une maison, emprunter, agir en justice, etc.

Un individu frappé d’incapacité d’exercice a les mêmes droits qu’une personne capable, mais
il ne bénéficie pas du droit de les exercer seul. En d’autres mots, ne peut pas les mettre en œuvre
seul.

Une telle restriction s’explique essentiellement par la volonté de protéger l’incapable. Ces
incapacités d’exercice ont pour but d’assurer la protection des personnes vulnérables,
dépourvues d’expérience (les mineurs) ou atteintes d’une altération de leurs facultés corporelles
ou mentales (les majeurs protégés). S’ils sont dits incapables, la loi prévoit que leurs droits
seront exercés à leur place et pour leur compte par un représentant légal : c’est le système de la
représentation.

Nous étudier donc la condition juridique du mineur, d’une part (Chapitre 1) et la protection des
majeures incapables, d’autre part (Chapitre 2).
111

Chapitre 1 : La condition juridique du mineur

[Il convient de préciser in limine que nous ne nous attarderons pas sur la partie du statut du mineur envisagée en
Droit de la famille à l’occasion de l’étude de l’autorité parentale].

Le mineur est « l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans
accomplis », nous dit l’article 388 c. civ. Le jour du dix-huitième anniversaire un passage de
l’incapacité générale à la pleine capacité de l’enfant s’opère (art. 414 c. civ).

Pendant la minorité, l’enfant est représenté par ses parents ou, à défaut, par un tuteur. Pendant
cette période, l’enfant fait l’objet d’une protection particulière, due à la vulnérabilité qui
découle de son jeune âge, qu’il s’agisse de sa personne ou de son patrimoine.

Toutefois, le Code civil établit une distinction entre deux catégories de mineurs : les émancipés
et ce qui ne le sont pas. La non-émancipation est le principe (Section 1), c’est le statut par
défaut. L’émancipation que l’on peut grossièrement définir comme « accession anticipée à la
majorité » est l’exception (Section 2).

Section 1 : Le mineur non émancipé

Si, en principe, les actes accomplis par le mineur sont frappés de nullité du fait de son incapacité
(§ 1), il n’en reste pas moins que le droit admet la validité de certains actes par exception (§ 2).

§ 1 : L’incapacité du mineur

Selon l’article 1124 c. civ., le mineur non émancipé n’a pas la capacité de contracter.

Les actes juridiques du mineur doivent être accomplis par son représentant légal du fait de
l’incapacité générale d’exercice du mineur. A défaut l’acte est annulable pour incapacité de son
auteur.
112

Remarque 1 : Si dans une procédure civile ou pénale les intérêts du mineur entrent en
opposition avec ceux de ses représentants légaux, le JAF ou le juge saisi d’instance doit désigner
un administrateur ad hoc chargé de sa représentation, aux termes de l’art. 388-2 c. civ.

Remarque 2 : l’article 371-1 al. 3 c. civ. préconise aux parents d’associer l’enfant aux
décisions le concernant « selon son âge et son degré de maturité ».

Action en nullité – La nullité est relative. L’action en nullité est exercée par le représentant
légal du mineur ou l’ancien incapable devenu majeur. Le délai de prescription (5 ans) court à
compter de la majorité.

Toutefois, la personne qui a contracté avec l’incapable peut faire obstacle à l’action en nullité,
conformément à l’article 1151 c. civ. si elle établit que l’acte était utile au mineur et exempt de
lésion ou bien que ledit acte a profité au mineur.

Actes rescindables pour lésion – Si le mineur a accompli un acte que son représentant légal
aurait pu accomplir sans autorisation, cet acte n’est pas nul.

Il sera nul, ou plutôt rescindé, s’il y a une lésion, c’est-à-dire « un préjudice qu’éprouve un
contractant du fait de la disproportion de valeur entre les prestations promises ou échangées en
vertu du contrat ». Il y aura un versement d'un complément de prix.

La disproportion en question est laissée à l’appréciation souveraine du juge.

§ 2 : La validité de certains actes accomplis par le mineur

Par exception l’incapacité du mineur sera sans effet sur certains actes, à la condition que le
mineur soit doué du discernement, étant précisé que l’âge n’est pas défini par le législateur en
droit civil.

[Le discernement est la capacité de distinguer le bien et le mal]


113

Remarque : Le Code de la justice pénale des mineurs, qui entrera en vigueur le 1er octobre
2020, pose une présomption de capacité de discernement pour les mineurs âgés de treize ans.
Cette présomption est simple (on peut la renverser donc). La pratique judiciaire se fonde sur
une analyse au cas par cas, mais on peut remarquer que l’âge du discernement se trouve souvent
entre 6 et 8 ans.

Vous étudierez la responsabilité pénale des mineurs en Droit pénal général et je ne m’attarde
pas sur cette question, par conséquent. Mais cela vous donne une petite idée sur l’âge du
discernement.

Les prérogatives que le mineur peut exercer lui-même sont les suivantes :

- Le mineur peut accomplir valablement les actes de la vie courante autorisés par l’usage
(variables selon l’âge) : acheter une baguette, par exemple (v. art. 389-3 et 408 al. 1er
c. civ.).

- Si le mineur est doué de discernement (appréciation in concreto), aux termes de


l’art. 388-1 c. civ., il peut être entendu par le juge dans toute procédure le concernant.
Comme vous le savez, en cas de divorce par consentement mutuel, les parents doivent
avertir l’enfant et il pourra demander à être entendu par le juge ; cette décision orientera
la procédure : elle sera judiciaire ou extrajudiciaire (art. 229-2 c. civ.).

- A l’âge de 13 ans, le mineur doit consentir à certains changements de son état, comme
vous vous souvenez, : changement de prénom, de nom, son adoption.

- A l’âge de 16 ans, le mineur intervient personnellement pour la nationalité, il peut être


autorisé à créer et gérer une EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limitée) ou
une société unipersonnelle, il peut disposer d’une partie de ses biens par testament, il
peut retirer de l’argent sur son livret de caisse d’épargne, il peut requérir la convocation
du conseil de famille et il reçoit le compte de gestion de la tutelle qui le concerne.

(la liste n’est pas exhaustive).


114

Section 2 : Le mineur émancipé

Classiquement, nous allons envisager les conditions de l’émancipation (§ 1) ainsi que les effets
que celle-ci produit (§ 2).

§ 1 : Les conditions de l’émancipation

L'émancipation peut résulter :

- soit du mariage du mineur (article 423-1 c. civ.) : cette émancipation est de plein droit
(mais encore faut-il remplir les conditions du mariage du mineur que vous avez étudiées
en droit de la famille, avoir une dispense).
Cette émancipation subsistera si jamais le mariage du mineur venait à être dissous (par
le décès du conjoint ou le divorce).

- soit d'une décision judiciaire (article 413-2 et suiv. c. civ.) : cette hypothèse ne
concerne que les mineurs âgés de 16 ans révolus.

Procédure d’émancipation par la voie judiciaire - L'émancipation peut être demandée soit
par les deux parents, soit par l'un des deux, si les deux exercent l’autorité parentale.

Lorsque la demande est déposée par un seul parent, le juge doit entendre l’autre parent (sauf si
ledit parent se trouve hors état de manifester sa volonté

Si un seul parent a l’exercice de l’autorité parentale, c’est lui qui la demande.

Dans l’hypothèse où le mineur est placé sous tutelle, la demande émane du conseil de famille,
aux termes de l’art. 413-3 c. civ.
115

La réunion du conseil se tient à la demande du tuteur, d'un membre du conseil ou de l’enfant


lui-même. Il se prononce sur l'opportunité de demander l'émancipation.

Cependant, si l'enfant fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative, il revient au juge des
enfants à donner l’autorisation, conformément à l’article 375-7 c. civ.

Remarque : Notez que le mineur ne peut pas saisir le juge lui-même.

L’article 413-2 c. civ. exige de fonder la demande sur de « justes motifs », dont le contrôle est
laissé à l'appréciation du juge. Ce dernier vérifie si la demande est conforme à l'intérêt de
l'enfant et si elle n'est pas motivée par des raisons étrangères à cet intérêt.

Ce contrôle octroyé par le juge s’explique par la volonté du législateur d’éviter que
l’émancipation soit instrumentalisée par les parents voulant se décharger de leurs
responsabilités à l’égard de l’enfant.

Le juge est saisi par la voie de référé ou par simple requête. Avant de statuer, doit entendre le
mineur.

Remarque : Quant à l'audition des parents, elle n’est pas obligatoire sauf dans le cas où la
demande est faite par un seul. Dans ce cas, l'autre doit être entendu.

§ 2 : Les effets de l’émancipation

Effets à l'égard du mineur – Aux termes de l’article 413-6 c. civ, le mineur émancipé acquiert
la pleine capacité juridique. De ce fait, il et peut accomplir seul tous les actes de la vie civile :
agir en justice, conclure un contrat de travail, exercer une profession (non commerciale) etc.
116

Il peut également être commerçant avec l'autorisation du juge des tutelles dans la décision de
l’émancipation. Ultérieurement, il faudra obtenir une autorisation du président du tribunal
judiciaire (art. 413-8 c. civ.).

En cas de mesure d’assistance éducative, elle prend fin avec l'émancipation du mineur
(l’art. 375, al. 1er c. civ.).

Avec l’émancipation, le mineur devient seul responsable de ses actes et répond notamment des
dommages qu'il peut causer.

Restrictions - Cependant, il existe toujours quelques différences avec le statut de majeur.

En effet, certains actes graves sont toujours interdits à un mineur émancipé :

- pour le mariage ou l’adoption le consentement des parents reste exigé (art. 413-6, al. 2
c. civ.),
- il ne peut pas conclure un PACS (art. 515-1 c. civ.),
- il ne peut pas renoncer par anticipation à sa réserve héréditaire en droit des successions
(art. 930-1 c. civ.),
- ne peut pas être inscrit sur les listes électorales (art. L. 2 du code électoral).

L'émancipation est irrévocable. Toutefois, il est possible, en cas de besoin de mettre en place
une mesure de protection des majeurs à l’égard du mineur émancipé.

Effets à l'égard des parents – Selon les articles 413-7 et 413-5 c. civ., l'émancipation met fin
à l'autorité parentale et à l'administration légale des biens du mineur.

Le mineur devient donc indépendant. Par exemple, il peut vivre séparément de ses parents.

Comme vous avez déjà compris, les parents ne sont plus tenus responsables des dommages
causés par l'enfant mineur.

Toutefois, les parents restent toujours tenus de leur obligation d'entretien de l’enfant.
117

En outre, il existe une restriction : l’autorisation des parents est toujours nécessaire pour le
mariage ou l'adoption (art. 413-6 al. 2 c. civ.).

Effets à l'égard de la tutelle – Selon l’article 393 c. civ., émancipation met fin à la tutelle (s’il
y en a une).
118

Chapitre 2 : Les majeurs protégés

Les majeurs protégés sont les personnes qui sont dans l'impossibilité de pourvoir seules à leurs
intérêts en raison de l'altération soit de leurs facultés mentales, soit de leurs facultés corporelles
de sorte que l'expression de leur volonté soit empêchée. C’est la raison pour laquelle la loi leur
octroie le bénéfice d'une mesure de protection juridique spécifique.

L’altération de facultés en question doit être constatée par un certificat médical circonstancié
émanant d’un médecin figurant sur une liste établie par le procureur de la République.

Le juge compétent est le juge des tutelles (du domicile du majeur) saisi par requête par :
- la personne elle-même ;
- son conjoint, partenaire PACS ou concubin (si la vie commune) ;
- un parent, un allié, et – cela ne vaut pas pour une habilitation familiale – une personne
avec laquelle le majeur entretient des liens étroits et stables ou la personne qui exerce à
son égard une mesure de protection ; ou
- le procureur de la République, d'office ou à la demande d'un tiers (mais seulement à la
demande des personnes précédemment citées pour l'habilitation familiale).

La surveillance du déroulement de la mesure de protection, une fois mise en place, est assurée
par le juge des tutelles et le procureur de la République. A ce titre, ls peuvent visiter notamment
le majeur protégé, émettre des injonctions à l'encontre des personnes chargées de la protection
(tuteur, curateur etc.), voire même les dessaisir de leur mission en cas de manquement
caractérisé dans l'exercice de cette mission (art. 416 c. civ).

Il convient de noter qu’en principe, le mandataire judiciaire à la protection des majeurs mis à
part, les services du chargé de la protection sont gratuits. Cependant, le juge des tutelles peut
autoriser le versement d'une indemnité lorsque les biens gérés sont trop importants ou l’exercice
de la mesure est très difficile. Dans ce cas, l’indemnité en question sera à la charge de la
personne protégée.
119

Quelles sont alors ces mesures de protection ? En effet, elles sont au nombre de cinq. Nous les
parcourrons assez schématiquement, l’idée étant de vous faire comprendre les grandes lignes
de cette palette.

Le majeur protégé peut être placé sous sauvegarde de justice (Section 1), sous l’habilitation
familiale (Section 2), sous curatelle (Section 3) ou sous tutelle (Section 4) pour ceux atteints de
troubles mentaux ou physiques les plus graves. Enfin, quelques mots seront dits sur le mandat
de protection future (Section 5).

Section 1 : La sauvegarde de justice

Mise en place de la mesure - La sauvegarde de justice est une mesure de protection qui résulte
soit d’une décision judiciaire soit d’une déclaration médicale21.

Elle vise à mettre une protection juridique temporaire dans les actes de la vie civile (parce qu’il
y a une incapacité temporaire, comme traumatisme crânien, par exemple) ou à représenter les
individus pour l'accomplissement de certains actes spécifiquement déterminés (art. 433 c. civ.).
Le juge peut prononcer, en outre, cette mesure pendant l'instance lorsqu'il est saisi d'une
procédure de curatelle ou de tutelle.

Effets - L’individu placé sous sauvegarde de justice conserve l'exercice de ses droits. En
principe, il n’est pas incapable.

Aux termes de l’art. 435 c. civ., les actes que la personne a passés pendant cette période
sont rescindables pour lésion ou réduits en cas d'excès. Le juge prend en considération l'utilité
de l'opération, l'importance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi
du cocontractant.

Ces actes peuvent aussi être annulés si on arrive à prouver le trouble mental au moment de l'acte
(art. 414-1 c. civ.). Cette action en nullité appartient à la personne protégée uniquement (et
après sa mort à ses héritiers).

21
Dans cette hypothèse soit il y a une déclaration facultative au procureur de la République par le médecin traitant
sur avis conforme d’une psychiatre, soit il y a une déclaration obligatoire du médecin au procureur (avec
l’information du préfet) si la personne est soignée dans un établissement de soin.
120

Si le majeur avait chargé un mandataire de l'administration de ses biens (avant la sauvegarde


de justice), ce mandat continue de produire ses effets pendant la mesure de sauvegarde. Mais le
juge des tutelles peut révoquer ce mandat.

S’il n’y a pas de mandat, ceux qui ont qualité pour demander l'ouverture d'une tutelle ou d'une
curatelle doivent accomplir les actes conservatoires nécessaires à la conservation du patrimoine
de la personne (art. 436 c. civ.).

En outre, le juge peut désigner un mandataire spécial qui accomplira les actes rendus
nécessaires par la gestion du patrimoine de la personne protégée. Ce mandataire rendra compte
de l'exécution de son mandat à la personne protégée et au juge des tutelles (art. 437 c. civ).

Fin de la mesure – La sauvegarde de justice dure 1 an (renouvelable une fois à la requête d'une
des personnes habilitées à saisir le juge des tutelles ; il faut un certificat médical).

Pour la sauvegarde par déclaration judiciaire, le juge peut ordonner la mainlevée si le besoin de
protection temporaire a cessé.

Pour la sauvegarde sur déclaration médicale au procureur de la République, elle prend fin par
une nouvelle déclaration ou par décision de radiation de la déclaration médicale.

Enfin, la sauvegarde peut se terminer par l'accomplissement des actes pour lesquels elle a été
ordonnée, ou encore par l'ouverture d'une tutelle ou d'une curatelle (et évidemment par décès de
la personne protégée)

Section 2 : L’habilitation familiale

Mise en place de la mesure - L’habilitation familiale est une mesure relevant d’un régime de
protection allégée Il s’agit d’une habilitation, par le juge des tutelles, à représenter, assister ou
passer des actes au nom du majeur qui est hors état de manifester sa volonté (art. 494-1 et suiv.
c. civ.).
121

Cette habilitation est accordée à son proche, à savoir : ascendant, descendant, frère, sœur,
partenaire d'un pacte civil de solidarité, concubin, ou, depuis le 20 novembre 2016, le conjoint.

Remarque : Entre époux, l'habilitation familiale ne peut pas être mise en place si les règles des
régimes matrimoniaux suffisent (voir les articles 217, 219, 1426 et 1420 c. civ.).

La demande est faite par la personne à protéger, par une personne pouvant être habilitée, ou, à
sa demande, par le procureur de la République.

Depuis la loi du 23 mars 2019, l’habilitation familiale peut être aussi mise en place à l’issue de
l’instruction d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire.

Le juge des tutelles peut également substituer une habilitation familiale à une mesure de
curatelle ou de tutelle (art. 494-3 c. civ.).

Cela fonctionne aussi au sens inverse : l’art. 494-5 c. civ. permet au juger d’ordonner une autre
mesure de protection plus contraignante, si l’habilitation familiale sollicitée n’est pas adaptée
aux besoins de la personne à protéger.

Le juge, afin de constater la nécessité de la mesure, entend la personne visée par la requête et
s'assure de l'absence d'opposition légitime, (sauf s’il y a un avis médical qui atteste que la
personne est hors d'état de le faire). Il s’assure, en outre, de l'adhésion ou de l’absence
d'opposition légitime des proches du majeur en ce qui concerne non seulement la mesure
d'habilitation en elle-même, mais aussi le choix de la personne habilitée.

Effets - L’habilitation familiale crée une incapacité limitée aux actes qu’elle vise. Tous les actes
en dehors du champ de l’habilitation peuvent exercés par le majeur vulnérable seul.

Autrement dit, le principe est celui d’une habilitation spéciale : la personne habilitée exerce les
droits pour lesquels l’habilitation avait été spécifiquement accordée, le majeur protégé exerce
tous les autres droits lui-même.

L'article 494-6 c. civ. énonce que l'habilitation familiale peut porter sur :
122

- des actes visant les biens de l'intéressé que le tuteur a le pouvoir d'accomplir, seul
ou avec une autorisation ( !!! différence avec la tutelle !!!) ;
Toutefois, l’autorisation du juge est exigée pour les actes de disposition à titre gratuit.

- des actes qui touchent les intérêts personnels de la personne à protéger .


Dans ce cas, on applique les art. 457-1 à 459-2 c. civ. à la personne habilitée (règles
portant sur la tutelle et curatelle).

Par exception, l’habilitation peut être générale : elle peut viser l’une de ces deux catégories ou
les deux.

Si l’habilitation est générale, sa durée ne peut excéder 10 ans (renouvelable pour 10 ou 20 ans,
si l'état de la personne n'est pas susceptible d'amélioration.).

Sanctions - L'acte passé par la personne protégée seule, alors qu’il est visé par l’habilitation
familiale, est frappé de nullité de plein droit. Il n’est pas nécessaire de démontrer un préjudice
(art. 494-9 c. civ.).

Mais si l'acte passé seul nécessitait une assistance de la personne habilitée seulement, son
annulation ne peut avoir lieu qu’à la condition de justifier d’un préjudice.

Si c'est la personne habilitée qui dépasse ses pouvoirs (c’est-à-dire, elle accomplit un acte
n’entrant pas dans sa mission), cet acte est nul de plein droit (le préjudice n’est pas exigé, encore
une fois). Toutefois, pendant la durée de l'habilitation, ces actes peuvent être confirmés avec
l’autorisation du juge des tutelles.

Fin de la mesure - Aux termes de l’art. 494-11 c. civ, l’habilitation prend fin : par le placement
de la personne protégée sous sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle ; en cas de jugement de
mainlevée ; de plein droit, en l'absence de renouvellement de l'habilitation ; par
l'accomplissement des actes pour lesquels l'habilitation a été donnée ; et par le décès.
123

Section 3 : La curatelle

L’idée générale - Ce régime de protection est applicable lorsque, encore une fois, en cas d’une
altération soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles empêchant l'expression
de la volonté du majeur de sorte que ce dernier a besoin d'être assisté ou contrôlé dans les actes
importants de la vie civile (cf. l’art. 440 c. civ.).

Ainsi, il y a deux types d’actes : ceux que la majeur accomplit valablement seul et ceux pour
lesquels il a besoin d’une assistance de la personne nommée afin d’assurer sa protection et
qu’on appelle le curateur.

La curatelle est subsidiaire : c’est-à-dire, on la met en place seulement si une autre mesure
moins contraignante ne suffit pas (comme le mandat de protection future, le droit commun de
la représentation, les règles relatives aux droits et devoirs entre époux, les règles des régimes
matrimoniaux, l'habilitation familiale ou la sauvegarde de la justice).

Curateur – En application des articles 447 à 450 c. civ., le juge désigne le curateur en
respectant une hiérarchie :

- le curateur datif que la personne a désigné elle-même (Une désignation par les parents
d'un enfant mineur ou majeur dont ils ont la charge est possible ; cela vaudra à partir du
jour où ils décèderont) ;
- le conjoint, le partenaire d'un PACS ou le concubin (sauf si la vie commune a cessé),
- un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur ou entretenant avec lui des
liens étroits et stables,
- un mandataire judiciaire à la protection des majeurs.

Remarque 1 : Le juge peut désigner plusieurs curateurs (ou, encore, diviser les tâches entre un
curateur à la personne et un curateur aux biens).

Remarque 2 : Le curateur peut se voir retirer sa charge en cas d'ingratitude, de négligence ou


de fraude (v. les art. 396 et 445 c. civ.)
124

Remarque 3 : Le juge peut désigner un subrogé curateur, choisi parmi les proches, parents ou
alliés (ou un mandataire judiciaire à la protection des majeurs). Ce subrogé curateur sera chargé
d’une mission de surveillance du curateur et pourra remplacer ce dernier dans sa mission
d'assistance si jamais il y a une opposition d'intérêts entre celui-ci et le majeur protégé.

Missions – Le curateur est chargé de la protection de la personne ainsi que de son assistance
pour la gestion du patrimoine (mais le juge peut limiter la mission du curateur à un de ces deux
domaines).

Commençons par les actes personnels. Les actes à caractère strictement personnel sont
accomplis par la personne elle-même. Ils ne peuvent pas donner lieu à l’assistance ou la
représentation. Si la personne n’est pas en état de la faire, ces actes ne seront pas faits tout
simplement.

Quels sont ces actes ? La déclaration de naissance d’un enfant, sa reconnaissance, les actes de
l’autorité parentale, la déclaration du choix ou du changement de nom de l’enfant, consentement
à l’adoption (sa propre adoption ou celle de son enfant), les actions en justice.

Pour le choix de la résidence, les relations personnelles avec les tiers, les visites et
l’hébergement des tiers sont prises par le majeur protégé lui-même, étant précisé que le recours
au juge reste possible en cas de difficulté.

Les décisions ayant pour effet de porter gravement atteinte à l'intimité doivent être autorisées
par le juge. Depuis la loi du 23 mars 2019, l'autorisation n'est plus requise en cas d'atteinte à
l'intégrité corporelle.

Pour le mariage, depuis la même loi, le curateur doit seulement être averti du projet du mariage ;
il n’a pas son consentement à donner (ainsi pourra-t-il, le cas échéant, s’opposer au mirage). Il
pourra aussi saisir le juge pour obtenir une autorisation de représenter le majeur pour le contrat
de mariage afin de préserver les intérêts patrimoniaux du majeur protégé.

L’assistance du curateur est, en revanche, requise pour la signature de la convention du PACS


(mais non pas pour la déclaration conjointe devant l’OEC ou le notaire). La rupture se fera par
125

le majeur protégé lui-même, mais la signification et la liquidation des intérêts patrimoniaux se


fera avec l’assistance du curateur.

Le divorce par consentement mutuel est impossible pour une personne sous curatelle. Il pourra
accepter le principe de la rupture, mais l’assistance du curateur sera nécessaire pour le débat
sur les conséquences du divorce.

Quant aux actes d’ordre patrimonial, il faudra une assistance du curateur pour les actes qui
nécessitent une autorisation dans le régime de la tutelle, à savoir les actes de disposition,
l’exercice du commerce, action et défense en justice.

Cependant, le juge peut préciser les actes que le majeur pourra accomplir seul ou ajouter d'autres
actes à ceux qui nécessitent l'assistance du curateur (art. 471 c. civ.).

Le juge pourra même ordonner une curatelle renforcée. Dans ce cas le curateur percevra seul
les revenus de la personne sur un compte ouvert au nom de celle-ci.

Dans ce système de curatelle renforcée, le curateur engage sa responsabilité du fait des actes
accomplis avec son assistance en cas d'une faute quelconque.

En cas de refus d’assistance pour un acte par le curateur, le majeur protégé peut solliciter au
juge l'autorisation de l'accomplir seul.

La responsabilité du curateur pourra être engagée pour les actes auxquels il a assisté en cas de
dol ou de faute lourde.

Si la majeur agit sans assistance du curateur, l’acte sera annulé à la condition qu’il cause le
préjudice. Si c’est, à l’inverse, le curateur qui dépasse sa mission, la nullité est encourue de
plein droit.

Fin de curatelle – C’est le juge qui fixe la durée de la curatelle dans la limite de cinq ans
renouvelable (art. 441 et 442 c. civ.). A tout moment, il peut y mettre fin ou modifier la mesure
(voire même procéder à sa substitution).
126

Selon l’art. 443 c. civ., la curatelle prend fin par l'expiration du délai fixé, par un jugement de
mainlevée passé ou en cas de décès de la personne.

Section 4 : La tutelle

L’idée générale - Cette mesure de protection est destinée aux personnes présentant une
altération de leurs facultés intellectuelles ou corporelles tellement sérieuse qu’elle rend
impossible l'expression de leur volonté (art. 425 c. civ.). Ces personnes ont donc besoin d’un
régime de protection très contraignant et seront représentées « d’une manière continue dans les
actes de la vie civile » (art. 440 c. civ.).

Comme curatelle, la tutelle est régie par le principe de subsidiarité : elle ne peut être instituée
que si tout autre régime moins contraignant n’est pas suffisant (mandat de protection future,
droit commun de la représentation, règles relatives aux droits et devoirs entre époux ou les
règles des régimes matrimoniaux, habilitation familiale, sauvegarde de la justice ou curatelle).

Tuteur – Comme pour la curatelle, le juge désigne le tuteur en respectant


une hiérarchie suivante (art. 448, 449 et 450 c. civ.) :

- le tuteur datif que la personne a désigné elle-même


- (Une désignation par les parents d'un enfant mineur ou majeur dont ils ont la charge est
possible ; cela vaudra à partir du jour où ils décèderont) ;
- le conjoint, le partenaire d'un PACS ou le concubin (sauf si la vie commune a cessé),
- un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur ou entretenant avec lui des
liens étroits et stables,
- un mandataire judiciaire à la protection des majeurs.

Remarque : Encore une fois, une désignation de plusieurs tuteurs est possible (tout comme une
division de la mesure entre un tuteur à la personne et un tuteur aux biens.

Remarque 2 : Comme pour la curatelle, on peut prévoir un subrogé tuteur (voir supra).
127

Remarque 3 : Le juge peut prévoir une organisation de la tutelle avec un conseil de famille, si
c’est justifié par les nécessités de la protection du majeur ou par la consistance de son
patrimoine, à la condition que la composition de la famille et de son entourage le permette (art.
456 et suiv. c. civ.).

Pour la désignation des membres du conseil de famille, le juge prend en compte les sentiments
exprimés par le majeur, ses relations habituelles, l’intérêt porté à son égard, et, le cas échéant,
les recommandations des parents et de son entourage.

Le conseil de famille désigne un tuteur, le subrogé tuteur.

Missions du tuteur - Le tuteur exerce une mission générale de représentation, à savoir la


protection de la personne (art. 415 c. civ.) et la gestion de son patrimoine, à moins qu’une
limitation expresse à l'une ou l'autre de ces missions soit prévue (art. 447 c. civ.).

Dans la mesure où le majeur est frappé d’une incapacité générale, le tuteur représentera le
majeur dans tous les actes de la vie civile.

Cependant, le juge peut énumérer des actes que le majeur pourra faire seul ou avec l'assistance
du tuteur.

Pour les actes relatifs à la personne, le tuteur assiste ou représente l’individu s'il ne peut prendre
seul une décision personnelle, sur décision du juge des tutelles ou du conseil de famille.

Il prend les mesures nécessaires si le majeur se met en danger.

Les décisions qui ont pour effet de porter gravement atteinte à l'intimité doivent être autorisées
par le juge ou le conseil de famille. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019,
l'autorisation systématique n'est plus requise en cas d'atteinte à l'intégrité corporelle lorsque le
tuteur représente la personne pour les actes personnels.

Le majeur sous tutelle peut consentir au mariage, mais l’autorisation du juge ou du conseil de
famille est nécessaire, après l’audition des futurs époux et le recueil de l’avis des parents et de
l’entourage, le cas échéant.
128

Les règles relatives au divorce sont semblables à celles qu’on vient de voir pour la curatelle.

Quant au PACS, l’art. 462 c. civ. énonce :

« La personne en tutelle est assistée de son tuteur lors de la signature de la


convention par laquelle elle conclut un pacte civil de solidarité. Aucune assistance
ni représentation ne sont requises lors de la déclaration conjointe devant l'officier
de l'état civil ou devant le notaire instrumentaire (…).

La personne en tutelle peut rompre le pacte civil de solidarité par déclaration


conjointe ou par décision unilatérale. La formalité de signification prévue au cinquième
alinéa de l'article 515-7 est opérée à la diligence du tuteur. Lorsque l'initiative de la rupture émane
de l'autre partenaire, cette signification est faite à la personne du tuteur.

La rupture unilatérale du pacte civil de solidarité peut également intervenir sur


l'initiative du tuteur, autorisé par le juge ou le conseil de famille s'il a été constitué,
après audition de l'intéressé et recueil, le cas échéant, de l'avis des parents et de l'entourage.

Aucune assistance ni représentation ne sont requises pour l'accomplissement des formalités relatives
à la rupture par déclaration conjointe.

(…) ».

Pour les actes d’ordre patrimonial, aux termes de l’article 504 et suiv. c. civ., le tuteur exerce
seul les actes conservatoires et les actes d'administration.

Les actes de disposition, les transactions ou les compromis doivent, en revanche,


être autorisés par le juge ou le conseil de famille.

[Certains actes sont interdits, même avec autorisation, selon l’art. 509 c. civ.]

Si la majeur agit sans assisté par le tuteur, l’acte sera annulé à la condition qu’il cause le
préjudice. Si c’est, à l’inverse, le tuteur qui dépasse sa mission, la nullité est encourue de plein
droit.

Pour les actes nécessitant la représentation, si le majeur accomplit l’acte seul, cet acte est nul
de plein droit sans qu’il faille démontrer un préjudice.
129

Le tuteur engage sa responsabilité en cas de faute dans sa gestion (art. 421. civ.).

Si le majeur accomplit seul un acte pour lequel ni l’assistance, ni la représentation n’est


nécessaire – achat d’objet de la vie courante, par exemple – une action en rescision ou en
réduction est possible (comme pour une personne placée sous sauvegarde de justice),
conformément à l’art. 435 c. civ.

Fin de la tutelle – Le juge fixe la durée de la tutelle dans la limite de cinq ans renouvelable
(art. 442 c. civ.). Par exception et sur un avis médical, si l’état de la personne n’est
manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la
science la durée peut être plus longue dans la limite dix ans (et de vingt ans en cas de
renouvellement).

La mesure est à tout moment modifiable par le juge.

La tutelle prend fin par l'expiration du délai fixé ; par un jugement de mainlevée ; et en cas de
décès de la personne.

Section 5 : Le mandat de protection future

Définition - Le mandat de protection future est un dispositif de protection dont le régime est
prévu aux art. 477 et suiv. c. civ.

Ce mandat permet de désigner une ou plusieurs personnes qui seront chargées de représenter
l’individu dans le cas où ce dernier ne serait plus à même de pourvoir seul à ses intérêts soit
raison d'une altération de ses facultés mentales, soit en raison d'une altération de ses facultés
corporelles si celle-ci l’empêche d’exprimer sa volonté.

Autrement dit, il est possible d’organiser soi-même la protection en cas d’altération des facultés
dans le futur. Cette protection emportera sur toutes les autres possibilités de protection, à moins
que l’on démontre son insuffisance pour répondre aux besoins du sujet (cette primauté par
rapport aux autres formules de protection est réaffirmée dans la loi du 23 mars 2019).
130

L’objet du mandat est la protection de la personne et de ses intérêts patrimoniaux. Mais on peut
le limiter à une de ces deux missions.

Le mandataire - Le mandataire peut être toute personne physique (que le mandant choisit) ou
une personne morale inscrite sur la liste des mandataires judiciaires à la protection des majeurs.
Il doit être capable pendant toute la durée de son mandat et remplir les conditions exigées pour
l'exercice des charges tutélaires.

Forme – Le mandat de protection future peut prendre deux formes : mandat notarié ou mandat
sous seing privé.

La forme de mandat notarié est obligatoire s’il s’agit d’un mandant pour autrui (c’est une
hypothèse exceptionnelle où les parents vont prévoir cette mesure pour leur enfant mineur ou
leur enfant majeur, s’ils assument la charge matérielle et affective de lui).

Le mandat sous seing privé doit obligatoirement être contresigné par un avocat ou établi selon
un modèle défini par un décret. Il est inscrit sur un registre spécial.

Prise d’effet - Le mandat pour soi-même prend effet dès que le mandant ne peut plus pourvoir
seul à ses intérêts du fait d'une altération de ses facultés mentales ou de ses facultés corporelles
empêchant l'expression de sa volonté.

Le mandat pour autrui prend effet au jour où le mandant décède ou ne peut plus prendre soin
de l'enfant.

Pendant le mandat – Dans l’hypothèse de mandat sous seing privé, le mandataire ne peut
effectuer que les actes qu'un tuteur peut faire sans autorisation du juge des tutelles (=les actes
conservatoires et de gestion courante). Le juge autorise les autres actes à la condition qu’ils
soient nécessaires dans l'intérêt du mandant.

Dans l’hypothèse de mandat notarié, le mandataire peut effectuer tous les actes
patrimoniaux que le tuteur peut accomplir seul ou avec autorisation.

Mais les actes de disposition à titre gratuit doivent être autorisés par le juge des tutelles.
131

Fin du mandat par :

- le rétablissement des facultés personnelles du mandant ;


- le décès de la personne, ou son placement en tutelle ou curatelle sauf décision contraire
du juge des tutelles ;
- le décès du mandataire ou son placement sous une mesure de protection ;
- la révocation du mandataire prononcée par le juge des tutelles à la demande de tout
intéressé.

Remarque : Le juge peut suspendre les effets du mandat pour le temps d'une mesure de
sauvegarde de justice.

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