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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

Droit civil : droit des personnes

Introduction générale

- Lien entre le terme de personne et le terme de masque (lien étymologique). Comme le masque, la personne
juridique s’interpose entre l’individu et la société.
- Le droit des personnes s’intéresse non à l’individu mais à ce qui dans la société va permettre de
distinguer un individu d’un autre (nom, sexe, nationalité, domicile…)
- Le droit des personnes se rattache au droit civil, matière principale du droit privé.
2 grandes branches du droit :
- droit public : organise les rapports entre les particuliers et les personnes publiques ou entre les personnes
publiques entre elles. En font partie :
- le droit constitutionnel
- le droit administratif
- le droit fiscal
- droit privé : relations entre personnes privées, entre individus
- le droit civil
- le droit social
- le droit commercial
- …
Le droit civil s’intéresse au statut personnel, droit de la personne, droit des obligations, des biens, etc.
Il est principalement regroupé dans le Code Civil, promulgué par Napoléon Bonaparte le 21 mars 1804.
Objectif d’unification du droit applicable entre pays d’Oïl (droit coutumier avec héritage germanique) et pays d’Oc
(droit écrit avec héritage du droit romain).
L’essentiel des articles d’origine demeure toujours applicable dans leur formulation initiale.
Divisions du Code Civil : 4 livres principaux :
I. Les personnes
II. Les biens
III. Les différentes manières dont on acquiert la propriété
IV. Le droit des suretés

1- La conception de la personne en droit civil

A- La distinction entre personne et bien

En France, tradition judéo-chrétienne et romaine, DDHC 1789 au coeur du système politique > tout tourne autour
de l’individu. (Différent dans les pays communistes : le collectif compte plus que l’individu)
Le Code Civil en 1804 construit tout autour de la personne mais il y a peu de définitions précises concernant la
personne et la famille dans le Code.
Doyen Jean Carbonnier : «  les définitions sont nombreuses sauf dans le doit des personnes,
où les institutions étant vécues, elles n’ont pas besoin de définitions. »

Ce qui signifie que les rédacteurs du code civil n’ont pas jugé utile de définir la personne, tant cela semblait relever
de l’évidence. Mais beaucoup de certitudes de 1804 sont aujourd’hui remises en cause.

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Si l’on reprend les 2 premiers livres du Code Civil :


I. Les personnes
II. Les biens
On observe ici la distinction binaire et fondamentale entre :
- les personnes qui sont des sujets de droit
- et les biens qui font l’objet de droits
On parle de summa divisio du droit civil. La catégorie des personnes est majeure : en droit, tout ce qui n’est
pas une personne est un bien.

B- La personne, sujet de droit

Dire que la personne est un sujet de droit signifie qu’elle est titulaire de droits et d’obligations.
Dire que les biens sont des objets de droits cela veut dire que les sujets de droits peuvent exercer des
actions sur eux.
Cette affirmation que toute personne est un sujet de droit est un acquis de la Révolution française.
La distinction entre la qualité de sujet de droit et la qualité de personne se retrouve dans l’esclavage (exemple du
droit romain, les esclaves sont des personnes mais pas des des sujets de droit, qualité réservée aux hommes
libres), mais aussi dans le Code Noir rédigé en 1685 notamment par Colbert, dans lequel les esclaves sont
considérés comme des meubles attachés à leur domaine, ils sont la propriété de leur maître, n’ont ni nom ni état
civil.
> Les esclaves sont donc des objets de droit.
En 1848, c’est la 2e abolition de l’esclavage, on reconnait alors la personnalité juridique à tous les êtres humains.

Distinguer :
Personnalité juridique : aptitude à être titulaire de droits et d’obligations. Permet notamment
d’avoir un patrimoine propre.
Capacité juridique : faculté pour une personne de faire valoir ses droits, d’aller en justice et de
prendre des actes juridiques.
La capacité juridique est le corollaire de la personnalité juridique mais elle peut être aménagée (une personne
peut être frappée d’incapacité : enfant avant sa majorité, personne âgée sénile).
Pendant longtemps, la summa divisio semblait simple à appréhender. Mais aujourd’hui il y a une complexification :
on peut débattre sur la définition même de la personne.

2- Les débats contemporains concernant la définition de la personne (4


débats principaux)

A- Les bornes temporelles de la personne humaine

L’être humain étant mortel, le statut de la personne juridique est aussi limité dans le temps. D’un point de vue
juridique, la qualité de personne n’est attribuée qu’à l’enfant né vivant et viable et disparaît au moment du décès.
Mais aujourd’hui se posent deux questions :

1- A partir de quand naît la personne ? (l’être humain avant la naissance)


La question se pose du début de la vie. Le droit ne reconnaît la qualité de personne qui partir de la naissance. Il
s’ensuit que les embryons et foetus ne sont pas des personnes au sens juridique du terme.
Suite à la summa divisio, ils se rangent alors dans la catégorie des biens. Mais le droit français a plutôt créé une
situation intermédiaire : bien que n’étant pas sujets de droit, ils doivent bénéficier d’une protection particulière.
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Article 16 du Code Civil


«  La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et
garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie »

C’est une protection nuancée, tant pour l’embryon in utero qu’in vitro
S’agissant de l’embryon in utero : le Code de la Santé Publique règlemente l’interruption de grossesse : autorisée
dans les 12 premières semaines de grossesse, ou au-delà avec un motif médical particulier 1. Si ces règles ne sont
pas respectées, l’IVG est une infraction pénale passible de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
S’agissant de l’embryon in vitro, la législateur interdit la conception d’embryons à des fins commerciales ou
industrielles. Dans le Code pénal, nouvelle catégorie de crimes créée : « crimes contre l’espère humaine » (vise les
pratiques eugéniques et le clonage).
Par contre, le droit autorise la recherche sur les embryons dans le cadre d’expérimentations susceptibles de
permettre des progrès thérapeutiques.
Donc l’embryon est :
- mieux protégé qu’un bien
- moins bien protégé qu’une personne
Il relève d’un statut hybride, une catégorie sui generis.

2- Jusqu’à quand doit-on protéger la personne humaine ? (le statut de la personne après la mort)
Code Civil (transformé par la loi de bioéthique de 1994)
Chapitre II : Du respect du corps humain
Article 16 
La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être
humain dès le commencement de sa vie.
Article 16-1 
Chacun a droit au respect de son corps.
Le corps humain est inviolable.
Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial.

Article 16-1-1 
Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort.
Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu
à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence.

Pose la question, par exemple, de réaliser une fécondation post mortem, par exemple avec le sperme congelé d’un
mari décédé depuis. Si les gamètes deviennent des biens ordinaires, alors peuvent-elles faire l’objet d’un héritage
(la femme hériterait des gamètes de son mari décédé) ? Quel est le statut du défunt qui procrée ?

1 Code de Santé Publique Chapitre III : Interruption de grossesse pratiquée pour motif médical.
L'interruption volontaire d'une grossesse peut, à toute époque, être pratiquée si deux médecins membres d'une équipe
pluridisciplinaire attestent, après que cette équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en péril
grave la santé de la femme, soit qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une
particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.
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B- La distinction personne/bien et la réification de la personne.

Tout ce qui n’est pas reconnu comme une personne tombe sous la qualification de chose (summa divisio) : qu’en
est-il des éléments du corps humain ?

1- Le risque d’une réification de la personne humaine


Le droit est obligé de constater que des éléments relevant de la personne peuvent s’en détacher et devenir des
objets du commerce juridique (cheveux, lait maternel… mais cette tendance s’est accélérée avec les progrès de la
médecine. On peut par exemple prélever et réimplanter un grand nombre d’organes, ou de tissus (comme la
cornée) d’une personne décédée.
Dès lors que les parties sont détachables, la question se pose de savoir si ces éléments deviennent des choses
dont la personne devrait pouvoir librement disposer. Dès lors que ces éléments présentent une utilité, ne faut-il
pas admettre qu’ils ont une valeur marchande et qu’ils peuvent faire l’objet d’un commerce. Devant la pénurie
actuelle d’organes greffables, de gamètes, de sang, certains médecins considèrent qu’ils faudrait encourager les
dons par la promesse d’une rémunération. Mais la tendance actuelle du droit est de protéger le corps humain
et de faire échapper ces éléments à tout commerce.

2- La volonté de protection du corps humain


Approche classique du droit des personnes : on s’intéresse aux éléments d’identification de la personne.
Approche nouvelle liée aux progrès de la sciences : le droit envisage aussi la personne comme un substance
composée d’organes ce qui pose de nouvelles questions juridiques.
Cela s’est traduit par l’introduction dans le Code Civil d’un nouveau chapitre intitulé « du respect du corps humain »
en 1994 (première loi de bioéthique) :
Code Civil, Chapitre II : Du respect du corps humain, article 16-6 
Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa
personne, au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci.

cours du 15/09

C- La personnalisation des choses : le statut de l’animal.

Si tout ce qui n’est pas une personne est un bien, alors l’animal est un bien.
L’animal peut faire l’objet d’une appropriation, être prêté, vendu, supprimé.
Mais à l’évidence, cette assimilation de l’animal à une simple chose n’est pas satisfaisante.

1- L’état du droit
2 approches radicalement différentes en droit, qui opposent les juristes :
Notre droit a progressivement pris en compte la spécificité de l’animal et s’il n’est pas une personne, il n’est pas
tout à fait une chose ordinaire non plus.
Pendant longtemps, les animaux n’étaient protégés que par la loi Grammont :
1850 : loi Grammont, ne punit les « mauvais traitements » infligés aux animaux que s’ils étaient donnés en
public.
12 novembre 1963 : loi instituant le «  délit d’acte de cruauté envers les animaux domestiques  », inscrit
aujourd’hui dans le code pénal à l’article 521-1 qui sanctionne « les sévices graves ou les actes de cruauté »
L’auteur de ces sévices graves est passible d’une peine de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
2014 : introduction dans Code Civil d’un article : 515-14, cet article indique que «  les animaux sont des
êtres vivants doués de sensibilité  ». Mais ce nouvel article ne change rien de fondamental sur le statut de

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l’animal en droit français puisque l’alinea 2 de cet article ajoute que « sous réserve des lois qui les protègent, les
animaux sont soumis au régime des biens corporels ».
Le droit est de plus en plus sensible à la question animale. En témoigne la création par les éditions Lexis Nexis d’un
Code de l’Animal rassemblant sur plus de 1000 pages toutes les législations en vigueur concernant les animaux.

2- Faut-il aller plus loin ?


Depuis plusieurs années des juristes militent pour que l’animal soit considéré comme une personne juridique à
part entière. L’animal de compagnie en particulier, a pris dans le coeur de nombreuses familles la place affective
d’une personne. En cas de divorce, le sort de l’animal de compagnie se pose de plus en plus souvent en des
termes de droit de garde ou de visite plutôt que dans des termes d’attribution de biens.
JAF Evry a dû se prononcer sur la résidence de l’Iguane de la famille (avec le mari) (affaire récente), mais devrait se
rendre 2x par semaine au domicile de l’épouse, notamment en raison des aménagements réalisés dans le
domicile.
Les juges retenant que l’animal est un être vivant capable de sentiments doit en tenir compte.
JAF de Nanterre a fait état dans sa décision que le chien manifestait des signes de jalousie à la suite de la
naissance de l’enfant du couple et reconnait sa dangerosité pour l’enfant et donc a donné raison à la maman qui
demandait à ce que le père fasse garder son chien dès lors qu’il exerçait son droit de visite et d’hébergement sur
l’enfant.
Argument avancé par certains juristes : pour lutter efficacement contre la souffrance animale, il faut donner une
pleine personnalité juridique aux animaux. Marc Guenot (Revue Semestrielle de droit animalier).
Affaire remarquable : Tribunal argentin en 2016 a reconnu la qualité de sujet de droit non-humain à un
chimpanzé prénommé Cecilia. Une plainte avait été déposée par une association de défense des droits des
animaux eu égard aux conditions de vie déplorables de l’animal (zoo). Ce qui a abouti à la libération de ce
chimpanzé.

Mais en sens inverse, de nombreux juristes s’inquiètent de l’assimilation de l’animal et de l’humain et considèrent
qu’il n’est pas du tout prioritaire de s’intéresser au bien être des animaux en tout cas tant que l’on n’a pas résolu
toutes les souffrances qui accablent l’humanité. Ils craignent aussi qu’à vouloir personnaliser les animaux on
aboutisse à une animalisation de l’être humain.

Par ailleurs, certains s’interrogent sur le point de savoir s’il faut s’arrêter aux animaux ou aller au-delà dans
l’extension de la reconnaissance de la personnalité juridique, en l’accordant aussi à certains éléments naturels. En
instituant ainsi la nature (ou parties) en sujet de droit on lui donnerait la possibilité de se défendre plus
efficacement devant la justice (fleuve par exemple, représentée par des personnes humaines) pour obtenir des
dommages et intérêts, par exemple en cas de catastrophe écologique ou pollution.

> Cette question n’est pas tout à fait absurde et le pas a été franchi dans certains pays, ainsi le 15 mars 2017, le
Parlement néozélandais a reconnu au fleuve Whanganui la qualité d’être vivant unique et l’a ainsi doté
d’une personnalité juridique lui permettant d’être représenté dans les procédures judiciaires.

Un débat comparable se développe à propos des choses dotées d’une certaine intelligence :

D- Le débat autour du robot et de l’intelligence artificielle

Cette distinction entre personnes et choses a été discutée à propos de la 3e génération de robots, dotés
d’intelligence artificielle. A l’heure actuelle, il n’y a pas de doute sur le fait que les parce qu’il s’agit d’une création
de l’homme, le robot est une chose objet de droit. Le robot intelligent est soumis aux dispositions du Code
Civil concernant les biens.
Toutefois les progrès en matière d’IA sont si rapides et si importants que l’on peut être à peu près sûr que très
rapidement ce statut juridique du robot sera inadapté.

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L’IA est définie comme un système informatique doué de capacité lui permettant d’effectuer des choix de manière
autonome qui ne sont pas déterminés par la personne qui l’a conçu ou qui en a l’usage.
Article Revue Dalloz 2015 page 2369 : Grégoire Loiseau, « des robots et des hommes »

Plusieurs problèmes se posent :


1- La question de la responsabilité de ces robots
On peut imaginer un accident de la circulation causé par une voiture totalement autonome : qui est responsable ?
Le propriétaire alors qu’il n’a pas pris part à l’accident ? Le constructeur alors qu’elle fonctionnait normalement au
moment de la vente ?
Idée défendue par certains juristes : dès lors que le robot échappe à son créateur, il acquiert une responsabilité
propre et devrait donc devenir un sujet de droit par la création d’une fiction juridique, le robot pourrait être
qualifié de personne («  personne électronique  » par exemple) et deviendrait ainsi titulaire de droits et
d’obligations, sa responsabilité pourrait être engagée.
Déjà distinction entre personnes physique et personnes morales également dotés de personnalité juridique.
L’avantage de la personnalité juridique : cela permet de leur reconnaitre un patrimoine et seraient tenues de
réparer les dommages causés à un tiers.
C’est une solution qui a de nombreux partisans dont le parlement européen, qui a dans une résolution adoptée
le 16 février 2017, proposé la création d’une personnalité juridique spécifique aux robots qui seraient
considérés comme des personnes électroniques responsables, tenues de réparer les dommages causés à un tiers.
Toutefois cette évolution est fortement critiquée, et d’autres juristes (dont Pr. Grégoire Loiseau) considèrent que
reconnaitre comme sujets de droit des choses intelligentes et qui seront sans doute rapidement plus intelligentes
que l’être humain est porteur de grand danger.
Revue JCP 2018, page 597, Grégoire Loiseau, « la personnalité juridique des robots : une monstruosité juridique ».

2- Le débat spécifique autour des robots humanoïdes


Catégorie particulière de robot visant à ressembler au maximum à l’humain. Un des plus célèbres est Sophia,
créée en 2015 à Hong Kong, modelée à partir des traits de l’actrice Audrey Hepburn. Utilise l’IA, expression
faciales, est capable d’entretenir une conversation…
En octobre 2017 Sophia a reçu la nationalité saoudienne, faisant d’elle le premier robot à recevoir la citoyenneté
d’un pays. Vote ? Droits : mariage ?
Gazette du Palais, 2014, « Epouser une femme-robot » Pr. Xavier Labbée
2017 : un ingénieur chinois a épousé un robot qu’il avait lui-même conçu.

Se pose enfin la question du respect dû à ces robots androïdes à visage humain.


Ainsi par exemple dans la série Westworld, sont mis en scène des androïdes placés dans un parc d’attraction pour
l’agrément des touristes. Les visiteurs peuvent laisser libre cours à leurs instincts les plus bas (tuer, violer)
Quand bien même ces robots seraient inaptes à la souffrance physique ou morale on peut se demander si réserver
un tel sort à une représentation aussi réaliste de l’humain ne porte pas atteinte à la dignité humaine, nécessitant la
mise en place d’un statut particulier de protection, voire l’adoption d’incriminations pénales spécifiques.

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CHAPITRE I - L’IDENTIFICATION DE LA PERSONNE

Chapitre introductif : le débat autour de l’identification de la personne


Les progrès de la science viennent sans cesse bousculer le droit, l’obligeant souvent à s’adapter, ou à lutter contre
les dérives que peuvent engendrer ces progrès scientifiques.
Egalement dans le domaine de l’identification des personnes. L’avènement de la civilisation numérique a pour
effet de multiplier les modes d’identification d’une personne mais cela conduit aussi à s’interroger sur le devoir
d’être identifié ou au contraire sur le droit de pouvoir garder l’anonymat.

I- La multiplication des modes d’identification

Depuis la Révolution française, l’état civil s’est donné pour objectif de permettre l’identification certaine d’une
personne afin de lui assurer une reconnaissance dans la communauté nationale.
Permet de lui garantir le respect de ses droits.
Plusieurs moyens :
- carte d’identité
- passeport
- numéro sécurité sociale
- biométrie permettant d’identifier une personne en fonction de ses caractéristiques biologiques (empreintes
digitales, trait du visage, reconnaissance vocale, iris. Ces nouvelles méthodes d’identification entrent
progressivement dans les moeurs : empreintes génétiques des personnes qui ont eu affaire avec la police
peuvent être conservées dans un fichier national pendant 40 ans si elles ont été définitivement condamnées.
Loi de novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration permet l’utilisation des tests génétiques afin d’établir
la filiation de l’étranger en cas de doute sur la véracité des papiers.
Toutefois le droit français accorde une importance particulière à certains éléments d’identification de la
personne : ceux inscrits sur les registres de l’état civil (nom, prénom, sexe, domicile, nationalité)

II- Le devoir d’être identifié ou le droit de garder l’anonymat ?

Réseaux sociaux, blogs, etc. chaque internaute peut se faire connaitre à partir d’identités fictives.
Création pseudo + profil trompeur sur sites de rencontre. Or ce recours à une identité déguisée soulève des
questions en matière de responsabilité. Certains accusent cette pratique du pseudo de faciliter le
cyberharcèlement par l’anonymat et ce sentiment d’impunité que cela alimente. En effet, il est difficile de mettre en
cause la responsabilité de propos injurieux ou diffamants ou en cas de transmission d’images à caractère criminel
émanent d’une personne qui agit sous couvert d’anonymat.
> A tendance à alimenter un sentiment d’impunité.
C’est pourquoi un certain nombre de personnes appellent à un encadrement de cette pratique : E. Dupont-Moretti
s’est dit favorable à la fin de l’anonymisation sur les réseaux sociaux, considérant que la liberté d’expression
dans une démocratie doit reposer sur la responsabilité de l’auteur à en assumer le contenu.
On peut relever que certains sites ou applis cherchent déjà à interdire l’usage de ces identités fictives : on peut par
exemple citer la tentative de la société américaine de jeux vidéos Blizzard de rendre obligatoire l’utilisation du nom
réel de l’utilisateur sur leur forum : but de réduire l’agressivité des discussion (lutte contre trolls).
On peut ainsi parler d’un véritable devoir de s’identifier et de ne pas se réfugier derrière des identités fictives.
Mais a contrario on peut aussi défendre l’idée que les individus devraient pouvoir se prévaloir d’un droit à
l’anonymat pour protéger leur vie privée.
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En effet, il y a un risque pour les libertés publiques à ce que l’on soit identifié sur internet et que l’ensemble
de nos données personnelles soient collectées, révélant ainsi sur nous de nombreuses informations. En
particulier on peut évoquer le Conseil constitutionnel n’a accepté de valider la loi du 11 mai 2020 prolongeant
l’état d’urgence sanitaire en ce qui concerne l’application Stop Covid qu’en imposant certaines garanties et
notamment que la conservation des données à caractère personnel qui seraient ainsi collectées soient limitée à
une durée de 3 mois et à condition que soit supprimée la mention des nom, prénom, et adresse des personnes
inscrites.
Autre élément du débat militant en faveur du droit à l’anonymat : risque de discrimination liée au nom/
prénom. Parmi les critères discriminatoires à l’embauche que l’on retrouve mentionnés à l’article L-1132-1 du Code
du Travail : âge, orientation sexuelle, identité de genre mais aussi nationalité, nom de famille et lieu de résidence.
Idée du « CV anonyme ».
Article paru en 2020 à l’AJDA (revue de droit administratif) intitulé «  de l’anonymat à l’université  », Pr. François
Lichère, se prononce aussi pour l’anonymat des dossiers de sélection dans les universités en particulier pour
l’inscription en master pour éviter « toute suspicion de discrimination en fonction du nom ».

Idée du devoir de s’identifier, mais aussi mettre en évidence un droit à l’anonymat

Chapitre I - Le nom
Le nom possède plusieurs dimensions :
- Il présente une dimension individuelle : le nom fait en quelque sorte corps avec la personne de telle sorte qu’il
est considéré comme un élément de sa personnalité.
Pour la cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le nom d’une personne (moyen d’identification
personnelle et de rattachement à une famille) concerne la « vie privée et familiale » de la personne.
Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à « une vie privée et familiale
normale ».
- Il présente aussi une dimension sociale : permet d’identifier une personne et de la distinguer des autres
individus au sein de la société. Cela justifie les caractéristiques du nom : indisponibilité et l’immutabilité du
nom.
- Le nom a une dimension familiale : une personne reçoit son nom de sa famille. Le nom marque donc
l’appartenance d’une personne à une lignée.

I.- La composition du nom

A l’origine, chaque individu n’a qu’un nom : ex. dans la Bible, tous les personnages n’ont qu’un nom qui permet de
les désigner. Mais très vite l’usage a été adopté d’accoler au nom individuel le nom du groupe familial. Chez les
romains, on ajoutait parfois un surnom au nom.
Ex : Ciceron (Marcus : prénom / Tullius : nom de famille / Cicero : surnom, sobriquet : « pois chiche »)
Ex : Moyen-Âge, individus désignés par un prénom (parmi saints du calendrier) + habitude d’ajouter un surnom
pour identifier de manière plus précise (du bois)
Par la suite, célèbre ordonnance Villers Cotterêts 1539 : 2 articles encore en vigueur (français langue officielle +
oblige les curés des paroisses à tenir un registre mentionnant le nom, prénom, surnom des personnes).

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cours du 21/09

A.- Les éléments essentiels du nom

1- Le nom de famille 

En France, environ 1,3M de noms de famille différents, ce qui s’explique par l’immigration où les brassages de
population ont été très nombreux.
Pendant longtemps, on parlait de nom patronymique : étymologiquement renvoie au père.
Forme de logique car père alors considéré comme «  chef de famille  » (notion qui a disparu du droit français)
détenait l’autorité parentale seul (sur les enfants et sur sa femme)
Si on connait l’identité de la mère de manière certaine (accouchement) c’est toujours plus compliqué s’agissant du
père. Par cette information du nom donné à l’enfant, on rendait publique la paternité.

2.- Le prénom

Ce qui permet d’individualiser une personne dans une même famille

2 remarques :

a- Le prénom est choisi par les parents


C’est le premier acte de l’autorité parentale. Cela n’a pas toujours été le cas, dans certaines régions le prénom était
choisi par le parrain ou la marraine.
Le Code civil de 1804 qui n’envisageait le prénom que sous l’angle technique de l’état civil précisait que le choix du
prénom appartenait à celui qui venait déclarer la naissance. (le plus souvent le père, donc).
Il a fallu attendre la loi du 8 janvier 1993 pour voir inscrit dans le Code Civil le principe général selon lequel les
prénoms de l’enfant sont choisis par ses père et mère. Article 57 du Code Civil.
Le choix appartient donc conjointement aux parents et le déclarant est présumé relater la décision conjointe des
parents. Une rectification ultérieure est permise.
Selon une enquête = choix du prénom est source de conflits dans 20% des cas, et environ 6% des parents
choisissent le prénom de l’enfant après l’accouchement. La mère qui accouche sous X et qui demande à ce que
soit préservé le secret de son identité (refus d’établir le lien de filiation avec l’enfant) a le droit depuis cette même
loi de 1993 de faire connaître les prénoms qu’elle souhaite voir attribuer à l’enfant.

b- Le choix du prénom est libre


Jusqu’à cette loi du 8 janvier 1993 le choix du prénom était limité.
En effet, la loi du 11 germinal An XI (avril 1803), disposait que « les noms en usage dans les différents calendriers et
ceux connus de l’histoire ancienne pourront seuls être reçus comme prénoms ».
Mais les parents d’une petite fille à qui l’on avait refusé le prénom « Fleur-de-Marie » au motif que le prénom ne
figurait pas dans le calendrier, ont décidé de porter leur affaire devant la cour de cassation : nouveau refus. Ils ont
donc décidé de saisir la cour européenne des droits de l’homme : Arrêt 24 octobre 1996 CEDH : leur donne
raison. La CEDH oblige ainsi le droit français à évoluer.
Principe : liberté du choix du prénom avec toutefois une réserve importante si le prénom apparaît contraire à
l’intérêt de l’enfant : l’officier d’état civil en informe le procureur de la République qui peut décider de saisir le JAF
pour obtenir la suppression du prénom sur les registres de l’état civil. Les refus sont rares car le prénom est
considéré comme relevant de la vie privée et familiale.
Par exemple, ont été admis : Zébulon ou Tarzan.
Quelques exemples de refus pour atteinte à l’intérêt de l’enfant : Babar, Nutella, Bâbord et Tribord, Fraise.
Parfois le refus vient du lien entre prénom et nom de famille : refus du prénom Aude pour une petite fille dont le
nom de famille était Vaisselle.

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Refus du prénom Titeuf : cour de cassation a estimé que ce prénom était de nature à attirer des moqueries et
pouvait constituer un handicap pour l’enfant dans ses futures relations personnelles ou professionnelles.
A été également refusé à 2 reprises : Jihad
Un tiers peut s’y opposer (si nom de famille donné en prénom par exemple). Le Code civil n’interdit pas de donner
le même prénom au fils et au père. Il n’est pas interdit de donner les mêmes prénoms aux frères et soeurs.
Le code civil permet de donner 1 ou plusieurs prénoms au libre choix des parents. Dans ce cas l’ordre défini doit
être respecté

B.- Les éléments accessoires du nom

On distingue surnom et pseudonyme


Surnom : nom donné par l’entourage de manière constante et publique. Ce surnom est imposé à la personne.
Exemples : Pierrot le fou, Valentin le désossé (danseur peint par Toulouse-Lautrec). On parle aussi de sobriquet
quand le surnom est fondé sur une particularité physique

Le pseudonyme : nom volontairement choisi par la personne pour se faire connaître. Fréquent chez les
artistes ou écrivains. Molière, Voltaire, Stendhal, Dalida, Patrick Bruel : pseudonymes.
Le titulaire d’un pseudonyme peut l’utiliser en dehors des actes officiels.

1.- Le surnom
Dans le domaine professionnel l’utilisation de surnoms dépréciatifs de la part de l’employeur ou des salariés donne
lieu à une jurisprudence importante. L’employeur doit intervenir pour protéger son salarié.
Exemple : Arrêt de la cour d’appel de Lyon en 2014 : cour d’Appel de Lyon a retenu la responsabilité d’un
employeur qui a été condamné à réparer le préjudice d’un de ses salariés victime d’agissements constitutifs de
harcèlement moral. Le salarié en question s’était vu attribuer le surnom de « François Pignon » (Le dîner de cons).
L’emploi répété de ce surnom, y compris devant la clientèle a «  contribué par son caractère particulièrement
humiliant à dégrader les conditions de travail de ce salarié et à porter atteinte à sa dignité ».
D’une manière générale on ne peut pas forcer quelqu’un a être appelé par un autre nom que le sien sans son
consentement.
> Vrai pour le nom et le prénom, surtout si cela cache un certain racisme.
Exemple : Il a été jugé que le fait de demander à un salarié de changer son prénom de «  Mohamed  » pour
«  Laurent  » constitue une discrimination à raison de son origine. L’employeur pour se défendre faisait valoir que
c’était nécessaire parce qu’il y avait beaucoup de « Mohamed » dans l’entreprise.
= Chambre sociale de la cours de cassation le 10 novembre 2009.

2.- Le pseudonyme
Différence majeure avec le pseudonyme est choisi par la personne qui souhaite se faire connaître sous ce nom et
finit par s’imposer auprès des tiers. Très fréquent en matière littéraire et artistique. L’un des exemples les plus
célèbres : Romain Gary, après avoir obtenu le prix Goncourt a ensuite publié sous le pseudonyme d’Emile Ajar puis
a réobtenu le prix Goncourt une seconde fois.
Pratique fréquente dans le milieu artistique, notamment lorsque l’anonymat est nécessaire pour échapper à la
police tout en permettant d’identifier l’artiste (street art, Banksy parmi les plus célèbres, pseudonyme d’un artiste
britannique anonyme).
Le pseudonyme a trouvé un autre usage avec le développement d’internet et des réseaux sociaux. Le pseudonyme
peut être un moyen de préserver son anonymat soit dans une logique légitime de préserver ses données
personnelles soit dans une logique condamnable (insultes, porter tort à autrui…)
Le pseudonyme, à la différence du nom, n’a pas vocation à être transmis à ses enfants ou à son conjoint.
Toutefois, ceux-ci peuvent l’adopter si le principal intéressé ne s’y oppose pas.
Laetitia Hallyday connue sous le pseudonyme de son mari, David Hallyday aussi, mais Laura Smet a choisi de se
faire connaître sous le nom véritable de son père.

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L’usage d’un pseudonyme ne permet pas d’échapper à ses obligations : le cas des fonctionnaires tenus à un devoir
de réserve : user d’un pseudonyme ne permet pas d’échapper à ce devoir de réserve.
27 juin 2018 : arrêt du Conseil d’Etat avait à juger le comportement d’un capitaine de gendarmerie qui avait publié
sous un pseudonyme sur plusieurs sites internet de nombreux articles dans lesquels il tenait des propos outranciers
et irrespectueux à l’égard des membres du gouvernement et de la politique de défense nationale. Le Conseil d’Etat
a considéré que ces faits étaient constitutifs d’une faute justifiant une sanction disciplinaire même si l’intéressé ne
faisait pas état dans ses articles de sa qualité de militaire et même si ces propos avaient été tenus sous couvert
d’anonymat.
Un magistrat avait aussi été sanctionné par le Conseil supérieur de la magistrature pour « manquement à son devoir
de réserve  » à raison de propos qu’il tenait régulièrement sur twitter. Il utilisait aussi un pseudonyme mais cela
n’avait pas empêché un journaliste de le démasquer.

II- L’attribution et la transmission du nom

Les règles ont évolué, car elles étaient pendant longtemps d’une grande simplicité : le nom était transmis de
manière automatique aux enfants légitimes nés pendant le mariage à la différence des enfants dits «  naturels »,
enfants nés hors mariage. L’usage du nom également était transmis à la femme par le mariage.
Le droit civil a été sur ce point bouleversé par la montée en puissance de 2 principes :
- le principe de l’égalité entre père et la mère
Ce principe a d’abord touché les enfants : on a supprimé la distinction entre enfants légitimes et enfants
naturels. Ce principe d’égalité a touché le couple : il doit y avoir une égalité entre l’homme et la femme
dans la transmission du nom de famille.
- le principe de la liberté

A- La transmission du nom par la filiation

L’enfant reçoit son nom de ses parents, peu importe que l’enfant soit légitime ou naturel.
Loi du 4 mars 2002 sur le nom de famille (modifi ée en 2013 suite à la loi dite « mariage pour tous » (loi Taubira))
Cette loi institue désormais une égalité dans le couple s’agissant de la transmission du nom de famille à l’enfant. Ce
principe est désormais posé à l’Art 311-21 du Code Civil
« Lorsque la filiation de l’enfant est établie à l’égard de ses deux parents, si les deux parents sont d’accord,
ils choisissent soit le nom du père soit le nom de la mère soit les deux noms accolés dans l’ordre qu’ils
auront choisi dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. »
« En cas de désaccord, l’enfant prend alors leurs deux noms accolés selon l’ordre alphabétique ».
Toutefois, on peut relever que l’usage est très largement resté d’attribuer le nom du père. En effet, plus de 80% des
nouveaux nés reçoivent uniquement le nom du père.
Cette liberté du choix du nom de famille reste toutefois encadrée : une fois l’attribution du nom de famille
effectuée, ce nom devra ensuite être le même pour tous les autres enfants du couple.
Par ailleurs, lorsque la filiation de l’enfant n’est établie qu’à l’égard d’un seul parent (le plus souvent la mère) l’enfant
porte son nom. Si par la suite le lien de filiation est établi plus tard mais pendant la minorité de l’enfant, les parents
peuvent faire une déclaration conjointe pour changer le nom de famille de l’enfant. Si l’enfant a plus de 13 ans
lors de la reconnaissance du lien de filiation, il faut obtenir son consentement à lui aussi pour modifier son nom.
En cas d’adoption, il faut distinguer :
- adoption plénière : l’enfant est assimilé à la situation d’un enfant qui n’aurait pas été adopté. On lui applique les
mêmes règles que s’il était né dans cette famille.
- adoption simple : l’enfant adopté garde des liens avec sa famille d’origine : dès lors, la règle est que l’on va
ajouter le nom de d’adoptant au nom que possède déjà l’enfant.

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B- La transmission de l’usage du nom par le mariage

Pendant le mariage, chaque époux peut porter le nom de son conjoint : règle coutumière qui remonte
probablement au XVIIIe siècle. D’abord règle pratiquée dans les familles nobles, s’est ensuite propagée à
l’ensemble de la société.
Aujourd’hui, possible de porter le nom de chaque époux :
Cette règle a été inscrite explicitement dans le Code Civil à l’occasion de la loi du 17 mai 2013 autorisant le
mariage entre personne du même sexe. Art 225-1 : «  chacun des époux peut porter, à titre d'usage,
le nom de l'autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l’ordre qu’il choisit. » Cette
faculté d’utiliser le nom du conjoint profite bien symétriquement au mari.
Cependant, la tradition reste que c’est l’épouse qui remplace à titre d’usage son nom dit « nom de jeune fille » par
celui de son mari. Cet usage n’est pas du tout une obligation, mais c’est un droit, ce qui signifie que l’autre conjoint
ne peut s’y opposer qu’en cas d’abus.
Par exemple : Le TGI de Bordeaux, a, dans un jugement rendu en 1986, refusé à Jean-Marie Le Pen le droit
d’interdire à son épouse de se présenter sous son nom de femme mariée comme candidate dans une élection
politique sous une étiquette opposée à la sienne.
On peut également relever que l’usage du nom du conjoint n’a toutefois aucun incidence sur le nom de
famille de la personne tel qu’il apparaît à l’état civil, il ne l’efface pas et il ne le remplace pas. En droit, l’épouse
ne perd pas son nom originaire.
En cas de divorce des époux, chaque ex-époux perd en principe l’usage du nom de son conjoint, néanmoins, l’un
des époux peut conserver l’usage du nom de l’autre soit avec l’accord de celui-ci soit avec l’autorisation du juge si
le conjoint justifie d’un intérêt particulier pour lui ou pour les enfants. (Article 264 Alinéa 2 Code Civil). Cet « intérêt
particulier » peut être : intérêt professionnel ou de vouloir conserver le même nom que les enfants à la fois pour
faciliter les démarches administratives et aussi pour conserver l’idée d’un foyer commun.

III- Les caractères d’immutabilité et d’indisponibilité du nom

D’emblée il faut relever que le nom a une double nature :


- il est un élément important du statut personnel d’un individu. Le nom fait corps avec la personne qui le porte.
Le CEDH (cour européenne des droits de l’homme) a jugé dans une décision rendue le 22 février 1994 (Affaire
Burghartz contre Suisse) que le nom «  en tant que moyen d’identification personnel et de rattachement à une
famille intéresse la vie privée et familiale de l’individu ». Et donc à ce titre entre dans le champ de l’Article 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme garantissant le respect de la vie privée et familiale. Un élément
important du statut personnel d’un individu.
- En même temps le nom c’est aussi une institution de police administrative, une sorte d’immatriculation des
personnes et de ce fait le nom doit échapper à l’individu lui-même.
De cette double nature découlent deux caractères essentiels du nom : son immutabilité et son indisponibilité

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A- L’immutabilité du nom

Dire que le nom est immuable c’est dire que l’on ne peut pas le modifier ou en changer.

1- Le principe de l’immutabilité du nom

Ce principe est posé par la loi du 6 fructidor An II (1793) : Art.1 dispose : « Aucun citoyen ne peut porter de
nom ni de prénom autre que ceux exprimés par son acte de naissance ».
Conséquences de ce principe :
- dans les rapports d’un individu avec les autorités publiques il y a à la fois un droit et une obligation de
porter son nom. Pour tous les actes importants (Etat civil, procédure,…) tout individu a l’obligation de porter son
nom : pas de pseudonyme.
- le nom est dit imprescriptible. Cela signifi e que la propriété du nom ne se perd pas par le non usage et à
l’inverse ne s’acquiert pas par l’usage même long et constant.

Prescription : notion importante en droit : mode d’acquisition ou de perte d’un droit par l’écoulement d’un délai
défini par la loi.

Ainsi par exemple peut être revendiqué un nom autrefois porté par des ancêtres puis abandonné.
Dans la jurisprudence, nombreux exemples de familles qui après avoir abandonné la particule (marque de
noblesse) au moment de la Révolution française revendiquent, deux siècles plus tard, le nom autrefois porté par
leurs ancêtres.

2- Les exceptions à ce principe

Deux hypothèses justifient un changement de nom :


- Quand le demandeur justifie d’un intérêt légitime
- En cas de naturalisation

a- Le changement de nom pour un intérêt légitime


Article 61 du Code Civil : « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de
nom (…) »
Il s’agit d’une procédure longue, puisque la demande doit être publiée au Journal Officiel et dans un journal
d’annonces légales et l’autorisation doit être donnée par décret.
Cette notion d’intérêt légitime n’est pas très précise mais si on se réfère à la jurisprudence on peut mettre en
évidence 4 hypothèses où la demande de changement de nom est souvent acceptée :
1/ Hypothèse d’un nom de famille ridicule, grossier, diffamé par l’actualité. Nom de famille à
connotation sexuelle souvent concernés (jurisprudence : bonnichon, connard, …)
Egalement en lien avec l’activité professionnelle (jurisprudence : exemple d’un professeur de lycée qui
avait demandé à changer de nom car s’appelait Barbant)
2/ Personne qui souhaite que son nom de famille reprenne le pseudonyme sous lequel elle s’est
illustrée. Ex : certaines figures de la Résistance (homme politique Jacques Chaban Delmas = Chaban était
son nom de résistant). Cas d’écrivains ou d’artistes (Patrick Bruel a obtenu par décret en 2003 son
changement de nom - s’appelait Maurice Benguigui).
3/ 3e hypothèse exprimée à Article 61 alinéa 2 du Code Civil : cette demande de changement de
nom peut avoir pour objectif d’éviter l’extinction du nom porté par un ascendant. Permet d’accoler à
son nom un nom prestigieux. Exemple pour Giscard d’Estaing.
4/ Motifs d’ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser cet « intérêt
légitime » exigé par l’article 61.

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Exemple : décision du Conseil d’Etat de 2014 : demande de 2 frères de changer de nom pour ne plus
porter le nom de leur père au profit de leur mère. Les demandeurs faisaient valoir que leur père les avait
abandonnés et s’était complètement désintéressé d’eux et n’avait jamais participé à leur éducation ou leur
entretien.

S’agissant du changement de prénom, la procédure est beaucoup plus simple, en particulier avec la loi du 18
novembre 2016, entrée en vigueur 1er janvier 2017. Loi dite de «  modernisation de la justice du XXIe
siècle » : a beaucoup simplifié la procédure de changement de prénom.
Article 60 alinéa 4 du Code civil (avant il fallait passer par le JAF, procédure longue) : c’est l’officier d’état civil qui
reçoit la demande de changement de prénom et peut l’accepter et il ne saisit le procureur de la République que
s’il estime que cette demande n’est pas légitime, en particulier si le changement est contraire à l’intérêt d’un enfant.
Exemple :
- motif religieux en cas de conversion
- si prénom est ridicule
- personnes transgenres
- demandeur fait état de ce que dans la vie courante on l’appelle par un autre prénom.

Cours du 28 septembre

b- Le changement de nom après naturalisation

En cas de naturalisation, il y a une facilité plus grande de changement de nom afin de favoriser l’intégration de la
personne. La francisation du nom est largement admise comme un moyen d’être plus rapidement admis dans la
communauté nationale.

Mais il a fallu un lent cheminement juridique pour admettre pleinement ce changement. Jusqu’en 1950, n’était
permise que la modification orthographique du nom étranger. A compter de cette date, était autorisée la
traduction du nom étranger. Par exemple, M. Casablanca pouvait se faire appeler Maisonblanche. Depuis 1965, il
n’y a plus de restriction.

A noter que cela ne concerne que très peu de personnes. Seulement 0,60 % des personnes qui acquièrent la
nationalité française francisent leur nom.

Voilà pour les limites au principe d’immutabilité du nom.

B.- L’indisponibilité du nom

Dire que le nom est indisponible, cela veut dire qu’il n’est pas à la disposition d’autrui. Le nom est protégé contre
les atteintes qui peuvent lui être portées. Ces atteintes consistent dans l'utilisation que les tiers font du nom et en
pratique.
Elles prennent trois formes : l'usurpation, l'utilisation commerciale et l'utilisation littéraire et artistique, formes
qu'il faut distinguer, car la protection contre chacune d'elles est différente, allant en énergie décroissante.

1.- L’usurpation du nom

L’usurpation d’un nom est le port sans droit du nom d’autrui.

C'est contre elle que la protection est la plus énergique, car c'est elle qui fait courir le plus grand danger à la
personnalité du véritable titulaire. Celui-ci va disposer, pour se défendre, de l’action en usurpation.
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L'action en usurpation est une action en contestation d'état en vertu de laquelle le porteur légitime d'un
nom qui conteste à un tiers le droit de porter le même nom, demande au juge de lui interdire à l'avenir de
porter le nom usurpé et de faire rectifier les actes de l'état civil.

Mais le droit pénal réprime également l'usurpation de nom.


L’article  226-4-1 du code pénal réprime en son alinéa 1er “le fait d’usurper l’identité d’un
tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de
l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son
honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros
d’amende”.
L’alinéa 2, qui date de 2011, s’adapte aux formes nouvelles d’usurpation et rajoute que “cette
infraction est punie des mêmes peines quand elle commise sur un réseau de communication
au public en ligne”.

Laissons de côté le droit pénal pour revenir au droit civil.


Les actions en usurpation de nom sont fréquemment des actions à arrière-fond familial, opposant des cousins, vrais
ou faux, ou des homonymes et qui donnent souvent lieu à des procès interminables.
Pour pouvoir introduire l’action, il faut soi-même, bien sûr, porter légitimement et exactement le même nom que
celui qui a été usurpé mais il n’est pas nécessaire de faire état d’un préjudice car ce n’est pas une action en
responsabilité.
En revanche, les tribunaux exigent un intérêt à agir. Cet intérêt est présent quand il existe, d'après la
jurisprudence, «  un risque de confusion  » entre l'usurpateur et le titulaire. Ce risque s'apprécie (sauf
circonstances particulières) d'après la rareté et la célébrité du nom.
Par ailleurs, pour que la demande puisse aboutir, le demandeur doit prouver que le port du nom par la famille ou
le tiers à qui il le conteste a été utilisé sans droit. En effet, plusieurs familles peuvent porter légitimement le même
nom et avoir sur celui-ci un droit égal.

2. L’Utilisation commerciale abusive du nom

Il s'agit ici de l'atteinte constituée par l’utilisation du nom, non plus à titre personnel mais comme support
d'une activité commerciale  : utilisation comme nom d'une société, comme enseigne, comme nom de produit,
comme marque ou, aujourd'hui, comme nom de domaine.
Le choix d’un nom commercial est a priori libre et, bien sûr, a priori, l’utilisation commerciale de son propre nom ou
de son pseudonyme est licite.
Toutefois, cette liberté trouve sa limite dans le droit des tiers. Lorsque vous utilisez le nom d’une personne, celle-ci
peut demander à ce que son nom soit protégé.
Pour que la protection du nom puisse être accordée contre une utilisation à des fins commerciales, le demandeur
doit rapporter la preuve d'un risque de confusion entre son nom et le nom choisi par le tiers.
Ainsi, la confusion est fréquemment retenue dans le cas d’une reprise comme marque de noms célèbres ou
rares. En effet, le titulaire du patronyme subit alors un préjudice moral, les tiers étant fondés à penser qu’il a
monnayé l’usage commercial de son nom. De son côté, le déposant profite de la notoriété du nom en
conférant à ses produits ou services une bonne image de marque.

La décision EIFFEL illustre cette position jurisprudentielle. La société GEL a voulu


déposer la marque Gustave EIFFEL pour commercialiser des articles de maroquinerie,
horlogerie et casquettes. L’association Gustave Eiffel, constitué des héritiers du célèbre
constructeur , a alors assigné cette société pour atteinte à leur droit sur leur nom
patronymique. La société GEL n’ayant aucun lien de parenté avec le célèbre ingénieur
français, la Cour a considéré qu’elle avait fait une appropriation indue du patronyme
de Gustave EIFFEL, ainsi qu’un usage détourné de sa notoriété. Les juges ont

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prononcé la nullité de la marque et l’allocation de dommages et intérêts en réparation


du préjudice subi (CA Paris, 14 juin 2006)

En revanche, quand le nom n'est ni rare, ni célèbre, cette présomption disparait et son titulaire devra prouver de
façon expresse l'existence d'une atteinte effective à ses droits de la personnalité, démonstration
particulièrement difficile en pratique. Par exemple, l’utilisation du nom Pic n’a pas été sanctionnée en raison de la
banalité de l’usage de ce nom.

Il est donc nécessaire que l'utilisation du nom dans une activité commerciale puisse suggérer aux tiers la
participation à cette activité du véritable titulaire du nom, ou du moins son autorisation.

On peut en donner pour exemple, l’affaire Coca-cola light Sango qui a donné lieu,
notamment à une décision de la Cour de cassation du 10 avril 20132 : en l’espèce, les
juges ont considéré que la marque « Coca-Cola light Sango » utilisée par les sociétés Coca-
Cola pour désigner une boisson ne porte pas atteinte au patronyme d’un auteur s’appelant
« Sango » car sa notoriété n’est pas attestée et qu’il apparaît évident que les consommateurs
ne vont pas confondre le Coca-cola avec cet auteur.

Mais il est toujours possible, pour les membres d’une famille ou pour une personnalité, de conclure un accord
commercial portant sur l’utilisation de son nom. Cela peut être notamment le cas lorsque cette personnalité a elle-
même utilisé son nom de famille dans une activité commerciale et qu’elle cède cette activité avec le nom qui lui est
attaché. Cette situation est souvent source de litiges. Il y a ainsi des affaires Bordas ou Ducasse (du nom du chef
cuisinier).

Une des plus célèbres affaires concerne Ines de la Fressange  : Inès de la Fressange, le
célèbre mannequin devenu styliste, avait dans un premier temps vendu à une société, dont
elle était devenue Directeur Artistique, diverses marques portant son nom. Sauf qu’en
1999, la société en question l’a licenciée, tout en prétendant garder la propriété des
marques.
Inès de la Fressange l’a poursuivi devant les tribunaux pour pouvoir reprendre le
contrôle de son nom. La Cour d’appel de Paris lui avait donné raison, mais la Cour de
cassation a cassé l’arrêt. Elle a en effet décidé (Chambre Commerciale, 31 janvier
2006, affaire n°05-10116) qu’Inès de la Fressange ne pouvait intenter contre la
société à laquelle elle avait vendu sa marque une action tendant à son éviction,
autrement dit ayant pour but de lui faire perdre les droits sur la marque. En effet, le
vendeur d’une chose doit garantir à son acquéreur qu’il ne tentera pas de le
déposséder.
Un moyen d’éviter cette situation est de limiter la cession du droit d’utiliser le nom soit en
limitant les domaines d’utilisation soit en prévoyant un terme au contrat, c’est-à-dire une
date à partir de laquelle le titulaire du nom retrouvera l’entière disposition de celui-ci.

2 (Cass. 1re civ., 10 avr. 2013, n° 12-14.525, Sango c/ Sté Coca-Cola services France et a. : JurisData n° 2013-006815 ; Comm.
com. électr. 2013, comm. 73, obs. Ch. Caron  ; D.  2013, 992  ; RTD com. 2013, 285, obs.  F. Pollaud-Dulian, rejetant le pourvoi
formé contre : CA Versailles, 12e ch., 1re sect, 25 févr. 2010, n° 09/00120, Sango c/ SAS Coca-Cola Services France : JurisData
n° 2010-001356 ; Comm. com. électr. 2010, comm. 61, obs. Ch. Caron) :
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3.- L’utilisation abusive du nom dans le cadre de la propriété littéraire et artistique.

Pouvez-vous protester si un auteur, écrivain, cinéaste, donne votre nom à un de ses personnages ?
La réponse est positive mais la démarche sera un peu plus difficile parce que la liberté de création est
particulièrement protégée dans notre pays. L'exigence du risque de confusion est toujours présente, mais
s’ajoutent d’autres exigences, celles de la démonstration du préjudice et de la faute de l'auteur.

Par exemple, un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 octobre 1998 déboute la


famille Bidochon de sa protestation contre la bande dessinée de Binet  : «  Aucun
rapprochement n'est possible entre les membres de cette bande dessinée, couple de
français moyens marginaux, grotesques et frustres, et la famille en cause, honorable,
sympathique, intégrée dans la vie sociale et professionnelle ».

Mais, à l’inverse, Groseille, actrice connue dans son milieu professionnel sous ce
pseudonyme , a eu gain de cause contre les auteurs du film « La vie est un long fleuve
tranquille », en démontrant que le scénariste la connaissait et avait même demandé à son
agent artistique de choisir une comédienne lui ressemblant physiquement pour tenir le rôle
de la Mme Groseille du film, caractérisée, par l’oisiveté, la vulgarité et la vénalité (Cass.
2e civ., 21 nov. 1990, n° 89-17.927 : JurisData n° 1990-003001 ).

Voyons maintenant deux autres éléments qui permettent, pour l’état-civil, d’identifier une personne : la nationalité
et le domicile.

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CHAPITRE II : LE DOMICILE ET LA NATIONALITE

Ces deux éléments, qui permettent d’identifier une personne, sont souvent étudiés ensemble parce qu’ils ont un
certain nombre de points communs. Comme on le verra, le fait d’être domicilié en France, soit au moment de sa
naissance, soit pendant un certain temps ultérieurement, va, dans certains cas, permettre d’obtenir la nationalité
française. Par ailleurs, le domicile et la nationalité sont deux éléments qui vont être déterminants pour fixer le statut
de la personne, notamment au regard des réglementations de police.

I.- LA NATIONALITÉ

La nationalité est généralement définie comme l'appartenance juridique et politique d'une personne à la
population d'un État.
En droit français, et dans la plupart des droits étrangers, la nationalité est définie par la loi d'une manière formelle
et abstraite. Il existe ainsi dans le livre Ier du code civil un titre Ier bis intitulé « De la nationalité française » qui
détermine avec beaucoup de précision qui est français et par suite qui ne l'est pas.
Mais avant d’exposer ces règles, voyons tout d’abord la double nature de la nationalité

A- La double nature de la nationalité

La notion de nationalité comporte en réalité deux dimensions.


- une dimension verticale, qui relie l'individu à l'État dont il est en quelque sorte le sujet.
- une dimension horizontale qui, fait du national le membre d'une communauté, la population de l'État, et le fait
bénéficier du statut réservé à cette communauté, ce qui le distingue de l’étranger présent sur le territoire.

1- Le lien entre le national et l’Etat dont il dépend.

Deux points :

A- L’Etat a eu pendant longtemps un pouvoir discrétionnaire en ce domaine : 

Le lien politique d'allégeance entre un national et son Etat avait jadis une très grande importance. Il exprimait un
lien personnel, comme celui du vassal envers le suzerain, et était en principe perpétuel.
Il en reste aujourd'hui une situation de subordination du national envers son État, qui se manifeste par un
certain nombre d'obligations (obligation de loyalisme, obligations militaires) et qui trouve sa contrepartie dans la
protection, dite diplomatique, que l'État accorde à ses nationaux à l'étranger.
Il en résulte que le droit de chaque État de déterminer quels sont ses nationaux est un principe non contesté
du droit international public. De même, chaque Etat est compétent pour retirer sa nationalité à une personne.

En France, une personne peut être déchue de sa nationalité française par décret pris après avis conforme du
Conseil d'État.  La déchéance de la nationalité française est la sanction qui consiste à retirer à un individu qui l'avait
acquise la nationalité française, en raison de son indignité ou de son manque de loyalisme.
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Dans le passé, certaines personnes, dont le député Maurice Thorez, ont été déchus en raison de leurs liens
avec l’URSS. Plus récemment, cinq binationaux (quatre franco-marocains et un franco-turc), condamnés par un
tribunal correctionnel à des peines de six à huit ans de prison pour participation à une association de malfaiteurs
en vue de la préparation d’un acte terroriste, ont été déchus de leur nationalité française en 2015.

B- Un pouvoir aujourd’hui plus encadré

Depuis 1948 et l’affirmation solennelle dans la Déclaration universelle des droits de l’homme d’un « droit à la
nationalité », l’Etat ne peut pas tout faire.
C'est ainsi que l'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme dispose  que : « Tout individu a
droit à une nationalité  » et que «  Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ni du droit de
changer de nationalité ».
C’est la raison pour laquelle, en principe, la déchéance de nationalité ne peut avoir pour conséquence de rendre
une personne apatride, c’est-à-dire sans nationalité aucune. La déchéance aujourd’hui en France ne peut
concerner que des bi-nationaux qui sont devenus Français par naturalisation.
Suite aux attentats du 13 novembre 2015, le président de la République François Hollande a voulu étendre la
déchéance de la nationalité française aux binationaux nés français. Un projet de loi constitutionnelle a même été
élaboré mais, devant les critiques importantes et en l’absence de majorité prête à voter le texte, le projet a été
retiré.

2- Le lien du national avec la communauté nationale

L'autre dimension, horizontale, de la nationalité fait du national le membre d'une communauté particulière et le fait
ainsi bénéficier du statut réservé à cette communauté, ce qui le distingue de l’étranger présent sur le territoire.
Nous allons voir le contenu de ce statut avant d’en nuancer l’importance

A- Le statut de national

Ce statut a d'abord un contenu politique.


Seuls les nationaux ont plein accès aux droits politiques et aux fonctions publiques. Seuls, ils bénéfi cient
pleinement des libertés publiques, qu'il s'agisse de la liberté d'entrer, de séjourner et de circuler sur le territoire,
d'exercer la profession de leur choix, ou de la liberté de la presse.
Par opposition aux nationaux, les étrangers ne jouissent pas, en principe, des droits politiques. Ils ne peuvent
accéder à la fonction publique. Ils peuvent être extradés ou expulsés. Ils sont astreints à une réglementation de
police pour pénétrer, séjourner ou travailler sur le territoire français.

Le statut de national a également un contenu de droit privé.


L’article 8 du Code civil précise ainsi que « Tout Français jouira des droits civils ».
Seuls les nationaux ont la plénitude des droits privés et professionnels.
De nombreuses professions, par exemple, sont par principe réservées aux nationaux. C’est le cas pour les emplois
dans la fonction publique.
De même, mais le principe est ici tempéré par de larges exceptions, seuls les nationaux français sont soumis,
pour l'ensemble de leur statut personnel (état et capacité, mariage, divorce, filiation), aux lois civiles
françaises. La solution résulte de la règle de conflit de lois soumettant le statut personnel à la loi nationale (C. civ.,
art. 3, al. 3).

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B- Cette distinction entre Nationaux et Etrangers a toutefois une portée relative :

Tout d’abord, parce qu’après le principe posé à l’article 8 que l’on a cité, l’article 11 du code civil ajoute aussitôt
que : « L’étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français
par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra ».
C’est un principe de réciprocité. La France peut conclure avec un autre Etat un traité qui permettra d’accorder des
droits privilégiés aux ressortissants des deux Etats.

Par ailleurs, l’opposition tranchée entre nationaux et étrangers est en vérité menacée par l'apparition de situations
intermédiaires.
- Les citoyens des Etats de l’Union européenne ont ainsi un statut privilégié. La citoyenneté de l'Union,
accordée à toute personne ayant la nationalité d'un État membre et qui s'ajoute sans la remplacer à la
citoyenneté nationale permet de rapprocher l’Européen d’un Français : il bénéfi cie des mêmes libertés, de
certains droits politiques (vote aux élections européennes en France et aux élections municipales) du
même accès aux professions et d’une grande liberté de circulation.

- De façon plus générale, la France est une terre généreuse qui accorde certains droits ou certaines
protections aux personnes présentes sur son territoire y compris si elles sont étrangères, comme l’accès aux
soins ou à l’éducation.

- Enfin, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme considère que tout individu qui
séjourne, même de manière irrégulière sur un territoire, pendant un certain temps et y tisse des liens
personnels, familiaux ou professionnels a droit à une certaine protection. Elle le fait bénéficier d'une
protection contre les mesures d'éloignement, en considérant celles-ci comme une atteinte au droit au
respect de la vie familiale disproportionnée par rapport au but de protection de l'ordre public. À propos de
cette jurisprudence, un auteur a pu écrire que la Cour européenne avait contribué à la création d'une
catégorie juridique nouvelle, celle des « quasi-nationaux ».

B- Les modes d’acquisition de la nationalité française

On ne peut décrire dans le détail toutes les procédures qui existent. Mais on peut rappeler les principes
essentiels :
La nationalité française est donnée selon trois modalités  : par attribution aux Français d'origine, par
acquisition ou par naturalisation.

1- Attribution de la nationalité française dès la naissance

L’acte de naissance, par l’indication des père et mère, permet de déterminer la nationalité de l’enfant.

L'enfant, né de deux parents français, est français.

La nationalité française d'origine est également attribuée aux enfants dont l'un des parents au moins est
français

L’article 18 du code civil indique en effet : « Est français l’enfant dont l’un des parents
au moins est français » à moins que l’enfant dont la naissance a eu lieu hors de France
et dont un seul des parents est français, ne répudie sa qualité de français dans les six
mois précédant sa majorité ou les douze mois la suivant.

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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

S’ajoute la possibilité d'une acquisition de la nationalité française par naissance sur le sol français, mais
principalement dans des hypothèses où l'enfant ne bénéficie pas d'une autre nationalité (enfant né de
parents inconnus ou apatrides).

Enfin, est français l'enfant né en France lorsque l'un de ses parents au moins y est lui-même né avec la même
faculté de répudiation dans les six mois précédant sa majorité ou les douze mois la suivant.
C’est l’acte de naissance qui fera foi pour déterminer le lieu de naissance.

2- Acquisition de la nationalité française

Si la nationalité n'est pas attribuée dès la naissance, son acquisition reste possible dans des cas divers, sous réserve
de remplir des conditions communes liées par exemple à l'absence de condamnation pénale ou de condamnation
pour atteinte aux intérêts de la nation (C. civ., art. 21-27).

A- l’acquisition peut être automatique

- Par exemple, l’adoption plénière d'un enfant lui attribue automatiquement la nationalité française de son parent
adoptif (C. civ., art. 20).

B- L’acquisition peut résulter, dans certains cas, d’une déclaration.

C’est le cas pour le mariage. Le mariage avec un français n’exerce aucun effet automatique sur la nationalité.
L'étranger qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans
à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette
déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et
que le conjoint français ait conservé sa nationalité.
Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque l'étranger, au moment de la déclaration ne justifie pas
avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage. Le
conjoint étranger doit également justifier d'une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française,
dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixés par décret en Conseil d'Etat.
Précisons que le Gouvernement peut s'opposer par décret en Conseil d'Etat, pour indignité ou défaut
d'assimilation, autre que linguistique, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger dans un
délai de deux ans. La situation effective de polygamie du conjoint étranger est assimilée à un défaut d’assimilation.

C- Enfin, la nationalité française peut être accordée par une décision de l’autorité publique.

C’est la procédure de la naturalisation. La nationalité française peut être accordée à tout étranger méritant ou
ayant rendu des services à la France. Il est par exemple prévu de la donner à tout étranger engagé dans les
armées françaises qui a été blessé en mission au cours ou à l'occasion d'un engagement opérationnel et qui en fait
la demande.
Lassana Bathily, l'employé malien de l'hypermarché casher, qui a aidé des clients à se
dissimuler dans la chambre froide pendant l’attentat terroriste, a été naturalisé en
2015.

Précisons pour conclure que l'acquisition de la nationalité française est entourée d'une certaine solennité
avec la participation à une cérémonie d'accueil dans la citoyenneté française organisée par les préfectures
(C. civ., art. 21-28 s.).

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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

Dans une affaire récente, rendue le 11 avril 2018, le Conseil d’Etat a eu, à ce propos, à
connaître d’un cas de figure assez exceptionnel. Les faits étaient les suivants  : une femme
ayant acquis la nationalité par mariage s’est rendue à la préfecture pour participer à la
cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française. Elle a été accueillie par le secrétaire
général de la préfecture et par un élu local. Or, elle a refusé de leur serrer la main en faisant
valoir que ses convictions religieuses lui interdisaient de serrer la main des hommes. Le
gouvernement a alors pris un décret d’opposition pour défaut d’assimilation. La question a
été très discutée devant le Conseil d’Etat mais il a confirmé le décret. Il a jugé « qu’en
estimant qu’un tel comportement, dans un lieu et à un moment symbolique, révélait un
défaut d’assimilation, le Premier ministre n’a pas fait une inexacte application des
dispositions … du code civil ».

cours du 05/10

II.- LE DOMICILE

Le domicile est le deuxième élément cité dans le code civil permettant d’identifier les personnes physiques.
Comme le nom, il a une double nature :
- il répond tout d’abord à une préoccupation de police : permettre de trouver la personne en cas de besoin.
- Mais il est aussi un élément intime de la personnalité. La Cour européenne des droits de l’homme lie
d’ailleurs expressément le domicile de la personne au respect de sa vie privée, comme on va le voir.

La matière du domicile est réglementée par les articles 102 à 111 du Code civil. Pour l’essentiel, ces textes
sont inchangés depuis 1804.

Nous allons nous attacher à déterminer le domicile (A) avant d’en rechercher les fonctions (B).

A.- La définition du domicile

Le domicile est visé par l'article 102, alinéa 1er, du Code civil : “Le domicile de
tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son
principal établissement”.

On le voit, l'article 102 ne donne pas une véritable définition du domicile : en exposant qu'il est au lieu du principal
établissement, le texte indique où est le domicile et non ce qu'il est. Il faut donc aller au-delà du texte de
l'article 102 pour définir le domicile comme le lieu auquel la personne est juridiquement rattachée, en raison d'un
lien l'unissant à ce lieu et en dépit d'un éloignement éventuel, même durable.
Nous allons déterminer les principaux caractères du domicile avant de voir comment il se détermine.

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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

1– Les caractères du domicile

Ils sont au nombre de deux :

a) Fixité du domicile

Le premier caractère du domicile est sa fixité.


Cette exigence, inspirée par le souci de sécurité des tiers a cependant une portée limitée. Elle sert principalement
à distinguer le domicile de la résidence et de l'habitation, qui se caractérisent au contraire par leur mobilité –
d'ailleurs variable.

Le domicile est classiquement distingué de la résidence, défi nie comme le lieu où la personne vit effectivement
et habituellement d'une manière assez stable. L'exigence d'une certaine stabilité a pour seul but d'exclure de la
notion les lieux de passage, de séjours trop brefs ou occasionnels. Elle ne s'oppose pas, en revanche, à l'existence
de résidences secondaires.

Les deux notions sont ainsi parfois concurrentes, comme dans l'article  74 du Code civil, qui permet la
célébration du mariage au lieu où l'un des époux a “son domicile ou sa résidence”
L'habitation est, elle, définie, comme le lieu où la personne vit effectivement, même de manière occasionnelle.
Quand vous dormez à l’hôtel, votre habitation est, pendant votre séjour, dans cet hôtel.

b) Le caractère unique du domicile

Chaque personne n'a, en principe, qu'un seul domicile.


L'article  102 vise le principal établissement, lieu qui, parce qu'il est principal, est nécessairement unique. Les
articles  103 et 104 montrent également qu'on ne peut acquérir un nouveau domicile qu'à la condition de
perdre l'ancien.
En vérité, l'unicité du domicile n’est pas totale parce que plusieurs législations cohabitent et peuvent retenir
chacune un domicile qui peut être différent.
Ainsi, en droit commercial, on parle domicile professionnel défini comme le lieu où la personne est située pour
tout ce qui touche à l'exercice de sa profession.
Le domicile électoral fait référence à la notion de domicile au sens de l’article 102 mais permet aussi à un électeur
d’être inscrit sur la liste électorale s'il a dans la commune une résidence de six mois au moins, ou encore s'il figure
depuis cinq ans au rôle des contributions directes communales.

2.- La détermination du domicile

Il faut distinguer la détermination volontaire du domicile par la personne et les hypothèses où la loi impose elle-
même un domicile.

a) La détermination volontaire du domicile.

Qu’est-ce que le « principal établissement » au sens de l’article 102 ?


La question peut être importante, par exemple, pour déterminer quels tribunaux peuvent connaître de la demande
en divorce d’un couple ou savoir si une personne peut être inscrite sur une liste électorale.

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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

La jurisprudence considère, pour qu’il y ait domicile, qu’il faut qu’il y ait combinaison entre un élément
objectif, d’ordre matériel – la personne doit être établie au lieu qu’elle désigne, soit qu’elle y ait sa résidence
familiale, soit qu’elle y habite de manière durable, soit qu’elle y ait le centre de ses intérêts économiques ou
professionnels - et un élément subjectif, la volonté de demeurer en ce lieu à titre de principal établissement.

L’élément matériel est bien sûr souvent déterminant car on ne peut laisser une personne déterminer toute seule où
se trouve son domicile.

Le contentieux électoral donne à cet égard de nombreux exemples.

Par exemple, dans une décision Cass. 2e civ., 11 mars 2010, n° 10-60.150 et n° 10-60.162, la Cour
de cassation refuse d’inscrire sur les listes électorales de la Trinité sur mer un couple qui y possédait
une habitation au motif qu’il résultait tant de l’occupation à temps partiel de l’habitation que des
faibles consommations d'énergie attestées par les factures, que cette habitation constituait
seulement une résidence secondaire dédiée aux temps de loisirs tels que les fins de semaines et les
vacances.

Dans un arrêt plus récent du Conseil d’Etat (CE 27 mai 2016, n° 395414, Elections régionales de la
région Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées) , la question était de savoir si M. Dominique Reynié,
chef de file les Républicains, pouvait se présenter aux élections régionales de Languedoc-
Roussillon. Celui-ci était professeur de Sciences Po Paris, habitant dans la région parisienne mais
ayant ses racines familiales dans la région de Rodez. Il avait publié un contrat montrant qu'il louait
une chambre individuelle au domicile de sa mère, datant du 1er mars 2015 avec effet au 1er janvier
2015. Le Conseil d’Etat refuse d’y voir son domicile au motif qu’il a son principal établissement en
région parisienne et non dans la région concernée, eu égard aux conditions sommaires de son
installation à Onet-le-Château et à la courte durée de son habitation dans cette commune, au jour
de l'élection, ne lui conférant pas un caractère suffisant de stabilité.

b) Domiciles légaux

Dans un certain nombre de cas exceptionnels, c’est la loi qui détermine le domicile légal de la personne.

Autrefois, entrait dans cette catégorie le cas de la femme mariée. Le domicile légal de celle-ci était
obligatoirement celui de son mari, même en cas de séparation de fait.
Par souci d’équité, la loi du 11 juillet 1975 relative au divorce a supprimé cette règle. Le nouvel article 108 du code
civil qui en est résulté précise que « le mari et la femme peuvent avoir un domicile distinct sans qu’il soit pour
autant porté atteinte aux règles relatives à la communauté de vie ».

Sont aujourd’hui concernés les mineurs non émancipés et les majeurs sous tutelle.
- le mineur non émancipé est toujours légalement rattaché au domicile de ses parents, ou, s’il n’en a plus,
de son tuteur. C’est le cas quel que soit son véritable lieu d’habitation, c’est à dire même s’il est confié à un tiers.
Lorsque ses parents ont un domicile distinct, l’enfant a son domicile chez celui avec lequel il réside ou chez
lequel il est rattaché.
Lorsqu’il devient capable, soit qu’il soit émancipé soit qu’il devienne majeur, il devient libre de choisir son
domicile.
- Le majeur sous tutelle, quant à lui, a toujours son domicile légal chez son tuteur.

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B.- Les fonctions du domicile

On en revient à l’idée de départ :


- Le domicile relève à la fois d’une préoccupation de police  : permettre de trouver la personne en cas de
besoin.
- Mais il est aussi un élément protecteur pour l’individu.
De ce fait, on peut distinguer deux fonctions principales :

1.- Une nécessité de police et une commodité de localisation juridique

Le domicile répond à une nécessité de pouvoir trouver efficacement la personne si nécessaire, à la fois pour des
raisons de police, mais aussi, comme on va le voir, pour favoriser sa localisation juridique. Il permet aussi d’établir
entre elle et l’Etat un lien de rattachement important. La délivrance d’une carte nationale d’identité est, par
exemple, subordonnée à l’existence d’un domicile. Ce lien va par ailleurs déterminer la compétence territoriale de
l’Etat ou, par exemple, celle des tribunaux.

Il en découle une obligation légale d’avoir un domicile (a) avec pour conséquence une localisation juridique
(b).

a).- L’obligation d’avoir un domicile

Toute personne doit obligatoirement avoir un domicile.


De même que toute personne a nécessairement un nom, de même elle a nécessairement un domicile.

L'application du principe, bien sûr, ne va pas sans difficultés.

Le cas des personnes dépourvues de résidence est envisagé par les textes. La loi s’efforce de trouver une solution:
- ainsi pour les bateliers sont tenus de choisir un domicile dans l'une des communes figurant sur une liste
officielle (C. civ., art. 102, al. 2);
- les forains et nomades, en particulier les Roms, sont tenus de choisir une commune de rattachement
produisant pour partie les effets d'un domicile.
- De même, les personnes sans résidence stable, les SDF, doivent, pour formuler une demande de
revenu de solidarité active (RSA), élire domicile auprès d'un organisme agréé à cette fin. Une
procédure commune de domiciliation est ainsi mise en place pour l'accès aux droits de toute personne
sans domicile fixe.
- Les migrants et plus particulièrement les demandeurs d’asile doivent également mentionner un
domicile. Ce sera le plus souvent celui, purement théorique, d’une association qui leur vient en aide ou
celui de leur avocat.

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b) La localisation juridique de la personne

Le domicile permet de localiser la personne dans un Etat, dans un ressort, et dans un lieu déterminé.
Voyons rapidement ces trois aspects:

* Localisation dans un Etat

On ne s’attardera pas sur cet aspect qui relève du droit international privé et public.
Retenons que la détermination de l’Etat dans lequel la personne a son domicile peut être
important, dans certaines matières, pour déterminer quelle est la loi applicable, la loi française ou
une loi étrangère. Par exemple, en matière successorale, c’est la loi du domicile du défunt qui
s’applique. Par ailleurs, le domicile permet, indépendamment de la loi applicable, de déterminer
quelles juridictions de quel pays sont compétentes. Par exemple, en cas de divorce, c’est le lieu du
domicile conjugal qui va déterminer le tribunal compétent.

* Localisation dans un ressort

Elle permet de déterminer, sur le territoire français, quel est le tribunal territorialement compétent.
La règle générale posée par l’article 42 que nous venons de voir veut, en effet, que le tribunal
compétent soit celui du domicile du défendeur.  

Le principe comporte cependant de très importantes atténuations. Par exemple, en matière de


propriété immobilière, le tribunal compétent est celui du lieu de situation de l'immeuble (CPC,
art. 44) ; en matière de divorce, celui de la résidence de la famille (CPC, art. 1070).

*Localisation dans un lieu déterminé

Au regard des règles de procédure, la localisation de la personne en un lieu précis joue un


rôle considérable en matière de signification des actes de procédure.
Le principe en ce domaine est que “la signification doit être faite à personne” (CPC, art.  654,
al. 1er). Mais, selon l'article 655 du Code de procédure civile, si cela s'avère impossible, l'acte doit
être délivré au domicile de la personne. Les huissiers doivent ainsi se présenter au domicile de la
personne.
De même, le créancier ne peut en principe réclamer paiement qu’au domicile du débiteur. Ce n’est
que si cette démarche échoue qu’il peut engager des poursuites.
Il en résulte qu’en principe les actes juridiques pour pouvoir produire des effets doivent être
envoyés au domicile connu de la personne.

Mais cette règle connaît deux types d’atténuations :


- Tout d’abord, la jurisprudence reconnaît parfois la régularité des actes qui ont été notifiés au
domicile apparent de la personne même s’il n’est pas son domicile réel.
Le domicile apparent peut être défini comme le lieu, distinct du domicile véritable, où la personne
dispose néanmoins d'un établissement qui peut passer pour principal aux yeux d'un observateur
normalement prudent et diligent.
- Ensuite, la personne, pour certains actes, peut faire élection de domicile. C'est-à-dire qu’elle va
déclarer, pour faciliter la procédure, une autre adresse que son domicile réel. Par exemple, une
étude de notaire pour faciliter une vente immobilière ou un cabinet d’avocat pour le dépôt d’une
requête devant un tribunal. Les effets de cette élection de domicile sont doublement limités : ils ne
jouent que dans les relations entre les parties à l’acte et ils n’existent que pour l’acte en vu duquel
elle a été faite. Pour tous les autres actes, c’est le domicile réel qui compte.

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2.- Le rôle protecteur du domicile

Avoir un toit a toujours été une nécessité vitale pour pouvoir se protéger. Ce rôle particulier du domicile demeure
au cœur de notre droit.

On peut développer deux points :

a) Le domicile, élément essentiel de la vie privée

Le domicile apparaît comme un refuge intime dont la défense relève du domaine des libertés publiques.
Le Conseil constitutionnel a fait de l'inviolabilité du domicile une composante de la liberté individuelle (Cons.
const., déc. 29 déc. 1983, n° 83-164 DC ).
C'est en ce sens que l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme proclame que “toute personne
a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance”. Le droit au respect du
domicile est donc un aspect du droit à la vie privée personnelle garanti par l'article 8 de la Convention .
Les locaux professionnels sont également protégés par l'article 8 contre les perquisitions et les visites domiciliaires
(CEDH, 30  mars 1989, Chapell c/ Royaume-Uni,), y compris au domicile des personnes morales (CEDH, 16  avr.
1992, Sté Colas Est et a. c/ France) .

Mais ce qui rend aujourd’hui le sujet un peu complexe, c’est que le débat est moins d’une obligation d’avoir un
domicile que celui du droit à avoir un logement.

b) Le droit au logement et ses conséquences

Compte tenu du nombre de personnes sans logement ou mal logés, la pression est sur l’Etat de leur donner un
logement.

La CEDH a été saisie de cette question à plusieurs reprises. Elle a, semble-t-il, hésité mais, devant la
difficulté pour les Etats d’offrir un domicile à tous, elle a renoncé à obliger les Etats à supporter une telle
obligation. Dans une décision du 18 janvier 2001, Chapman c/ Royaume-Uni elle a précisé que l’article 8 ne
reconnaît pas le droit de se voir fournir un domicile.

En France, la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 a institué un droit au logement opposable: Les personnes sans
logement adressent leur demande à une commission de médiation qui va établir des priorités en fonction
de la situation de famille, du nombre d’enfants, des conditions d’insalubrité que supportent les
demandeurs. Le demandeur désigné comme prioritaire par la commission de médiation et qui n’aura pas obtenu
de proposition de logement ou d’hébergement à l’issue d’un délai de six mois peut alors engager un recours
contentieux devant le tribunal administratif pour faire valoir son droit au logement ou à l’hébergement. Le Tribunal
condamne alors l’Etat à verser une somme d’argent, qualifi ée d’astreinte à un fond de fi nancement du logement
social.
Mais il reste qu’il y a beaucoup de demandes et peu de logements disponibles alors même qu’il y a des logements
vides.

Il y a de ce fait une confrontation de plus en plus fréquente entre le droit de propriété et le droit au
logement.
Deux affaires récentes l’ont parfaitement illustré.
La première a donné lieu à un arrêt récent de la Cour de cassation :
Plusieurs occupants sans droit ni titre d’une parcelle avaient été assignés en expulsion par les
propriétaires du terrain. La cour d’appel accueille leur demande : elle retient l'existence d'un trouble
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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

manifestement illicite et ordonne l'expulsion des occupants ainsi que l'enlèvement des ouvrages et
des caravanes, installés sur le terrain. Les occupants de la parcelle forment alors un pourvoi en
cassation, fondé sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoyant le
droit au respect du domicile de l’occupant.
La Cour de cassation, dans une décision du 4 juillet 2019 ; n°18-17119 rejette le pourvoi. Elle juge
que l'expulsion étant la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la
plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l'ingérence qui en résulte dans le droit au
respect du domicile de l'occupant, protégé par l'article 8, ne saurait être disproportionnée eu égard
à la gravité de l'atteinte portée au droit de propriété , dont le caractère est absolu.

L’autre affaire a été récemment médiatisée. Il s’agissait d’un couple de retraités qui voulait s’installer
définitivement dans leur résidence jusque-là secondaire à Théoule-sur-Mer, dans les Alpes-
Maritimes. Ils en étaient propriétaires depuis trente-six ans. Mais à leur arrivée, ils découvrent qu’une
famille de squatters s’y est installée depuis 3 semaines avec deux enfants en bas âge et qu’ils ont
changé les serrures.
Or, si on l’a vu, l’article 226-4 protège le domicile, celui-ci ne couvre pas les résidences
secondaires.
A vrai dire, même lorsqu'il s'agit d’une résidence principale, la tâche du propriétaire n’est déjà pas
facile. Il doit apporter un titre de propriété, prouver l'effraction du squatteur et porter plainte pour
pouvoir réclamer l'intervention des forces de police ou de gendarmerie. Le problème, c'est qu'il est
très difficile d'apporter la preuve de l'effraction. Par ailleurs, le préfet peut hésiter à apporter le
concours de la force publique si cela peut entraîner un trouble à cet ordre public.  
Mais s’il s’agit d’une résidence secondaire, la situation du propriétaire est impossible. Pour obtenir
l’expulsion, il ne pouvait passer que par l’article 322-1 du code pénal qui réprime le vandalisme.
Cette affaire s’est plutôt bien terminé puisque, d’une part, le couple de retraités a pu récupérer sa
maison, le squatter ayant été arrêté pour violences conjugales et, d’autre part, un amendement a été
adoptée par l’Assemblée nationale le 16 septembre 2020 permettant d’étendre la protection de la
résidence principale aux résidences secondaires ou "occasionnelles". 

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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

Cours du 12/10

CHAPITRE III : LE SEXE

Aux termes de l'article  57 du Code civil, l'acte de naissance énonce, entre autres mentions, le  sexe  de
l'enfant. L'indication obligatoire du sexe dans l'acte de naissance est l'un des éléments d'identification de la
personne physique. Elle marque son appartenance au sexe masculin ou féminin, sans aucune discrimination du
fait du principe de l'égalité des sexes dans les relations familiales, dans la vie civile et dans la société.

Cette identification de la personne par rattachement au genre masculin ou au genre féminin ne suscite, en
principe, pas de difficultés. Elle n’en posait aucune en tout cas pour nos ancêtres.
Mais l’on sait aujourd’hui que la nature est plus complexe que l’on ne le pensait et ne raisonne pas toujours en
terme binaire autour de la distinction masculin, féminin.
On sait aussi que le  sexe  est une notion complexe, intégrant des composantes physiologiques, psychologiques,
sociales qui ne sont pas fixées à la naissance, de sorte qu'un individu peut éprouver un jour le sentiment profond
d'appartenir à l'autre sexe.

Aussi, il y a deux hypothèses, certes marginales, qui soulèvent d’importantes difficultés juridiques :
- Celle de l’enfant au sexe indéterminé (I)
- Et celle du transsexualisme qui oblige à une modification de l’état-civil (II). Sur ce dernier point, une
précision terminologique est immédiatement nécessaire. Si l’on trouve le terme de transsexualisme
couramment utilisé dans la doctrine et la jurisprudence, le terme approprié est sans doute « transgenre » car
il s’agit avant tout pour les personnes concernées, d’un problème d’identité au regard du genre, féminin ou
masculin, et non d’un problème de sexualité.

I.- L’Indétermination du sexe

Lorsqu'il dresse l'acte de naissance d'un enfant, l'officier de l'état civil doit donc indiquer dans l'acte si l'enfant né
est de sexe masculin ou féminin, ce qui ne pose pas de difficulté dans la très grande majorité des situations.

Néanmoins, il arrive que des enfants naissent de sexe indéterminé.

C'est, par exemple, le cas lorsqu'un bébé naît avec deux appareils génitaux (un masculin et un féminin) ou avec un
appareil génital atrophié. Il arrive aussi qu'un enfant ait des chromosomes XX (ceux du sexe féminin) et soit doté
d’attributs masculins. Différents termes sont utilisés pour désigner les individus présentant une certaine mixité dans
leurs caractères sexuels : hermaphrodite, intergenre, intersexuel.

Cette situation n’est pas reconnue par l’Etat-civil. L’officier doit indiquer le sexe le plus probable ou, si cela est
impossible à déterminer, laisser la mention vide, avec demande aux parents de compléter ultérieurement l’acte
d’état-civil.

Cela pose deux problèmes :

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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

- celui tout d’abord de l’hypothèse où ultérieurement, la personne évolue vers le sexe opposé à celui indiqué. La
cour d'appel de Versailles a admis une modification de l’état-civil dans une hypothèse où l’enfant, déclaré de sexe
masculin, avait subi une intervention chirurgicale favorisant son orientation vers une féminisation prévisible  : CA
Versailles, 22  juin 2000  : JurisData n°  2000-134595  ; JCP G 2001, II, 10595, P.  Guez  ; RTD civ. 2000, p.  849, obs.
J. Hauser). Elle a traité la demande comme s’il y avait eu, à l’origine, une erreur de transcription par l’officier d’état
civil.

- Mais la question plus fondamentale qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si la mention « sexe neutre », plus
proche de la réalité génétique de ces personnes intersexuelles, peut être retenue.

Une affaire a donné l’occasion à la Cour de cassation de se prononcer récemment.


Une personne « intersexuelle », déclarée de sexe masculin, dont l'apparence ne suscitait aucun doute, qui s'était
même marié et, avec sa femme, avait adopté un enfant, a en effet décidé d’introduire, à 63 ans et demi, une action
en rectification d'état civil devant le tribunal de grande instance de Tours. Il a demandé à ce que la mention
« sexe masculin » initialement portée dans son acte de naissance soit remplacée par la mention « sexe neutre ».
Cette requête a été accueillie favorablement en première instance3 par le TGI sur le fondement de l’article 8
de la Conv. EDH sur le droit au respect de la vie privée.
Mais sur appel formé par le ministère public, ce jugement a été contredit par la cour d'appel d'Orléans dans un
arrêt du 22 mars 20164.
Elle a relevé qu’« en l'état des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, il n'est pas envisagé de faire
figurer, à titre définitif, sur les actes d'état civil, “une autre mention que sexe masculin ou sexe féminin, même en
cas d'ambiguïté sexuelle”.
L’affaire est allée en cassation. Dans un arrêt du 4 mai 2017, la Cour de cassation, 1ère chambre civile, confirme
la Cour d’appel en relevant à son tour que «  la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes
d'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin ».
Consciente, toutefois, qu'une telle affirmation pourrait paraître trop catégorique, la première chambre civile ajoute
une précision.
Elle souligne que, si l'identité sexuelle relève bien de la sphère privée protégée par l'article 8 de la
Convention EDH, le fait de ne reconnaître que deux sexes dans les actes de l'état civil «  poursuit un but
légitime en ce qu'elle est nécessaire à l'organisation sociale et juridique dont elle constitue un élément
fondateur ».
Et elle ajoute que « la reconnaissance par le juge d'un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les
règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications
législatives de coordination. »

Donc, pour l’instant, pas de modification du droit français sur ce point.

Il faut relever que certains pays ont déjà franchi le pas.


En Inde, est reconnue l’existence d’un sexe « autre ». En Australie, au Népal, Nouvelle-Zélande et Afrique du Sud,
sur les passeports peut figurer « X » qui signifie autre sexe. En Allemagne, il est possible, depuis une loi du 7 mai
2013 d'établir des certificats de naissance sans mention de sexe. La Grande-Bretagne autorise la mention « sexe
inconnu » et les Pays-Bas celle de « sexe indéterminé ». Le Danemark en 2014 et Malte en 2015 ont même décidé
que les personnes intersexes pourraient, par une procédure déclarative, faire reconnaître leur identité sexuelle.

3 (TGI Tours, 20 août 2015; JCP G 2015, act. 1157, J. Hauser)

4 CA Orléans, 22 mars 2016, n° 15/03281 : JurisData n° 2016-004932 ; Dr. famille 2016, étude 8, J.-R. Binet


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II.- La question délicate du transsexualisme

Le transsexualisme est caractérisé par une discordance entre le sexe physique apparent, déterminé génétiquement
et hormonalement, et le  sexe  psychologique, le sujet ayant le sentiment profond et irréversible d'appartenir
au  sexe  opposé et éprouvant le besoin intense de changer de  sexe  à l'état civil en vue de sa réinsertion sociale
dans le sexe opposé.
Encore tout récemment, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) considérait le transsexualisme comme une
maladie. Ce n’est qu’à compter de mai 2019, que, pour elle, la transidentité n’est officiellement plus
considérée comme une maladie mentale. Son assemblée  a voté une nouvelle classification internationale des
maladies, qui entrera en vigueur en 2022. Dans celle-ci, la transidentité (lorsque la personne s’identifie à un genre
qui n’est pas celui qui lui avait été assigné à la naissance) a été retirée de la catégorie des troubles mentaux .
En France, il a mis longtemps à être reconnu.
Jusqu’en 2010, il a été considéré comme une maladie psychiatrique et il a fallu attendre la loi du 6  août
2012  relative au harcèlement sexuel, pour que la transphobie – au même titre que l’homophobie - soit
officiellement reconnue en France, «  l'identité sexuelle  » ayant été intégrée parmi les critères de
discrimination inscrits à l'article 225-1 du Code pénal.
Grâce à la médecine et à la chirurgie, le transsexuel peut chercher à prendre l'apparence corporelle
du sexe opposé auquel il est convaincu d'appartenir.
Une fois la transformation physique de l'intéressé effectuée, celui-ci peut avoir la volonté de faire coïncider son état
civil (plus précisément, les mentions relatives au sexe et au prénom) avec sa nouvelle apparence.
Le droit français a ainsi été confronté à la question importante du changement de la mention du sexe à l'état civil
du transsexuel  et également à la problématique de son mariage. Au fil des décennies, il a évolué dans un sens
favorable aux personnes transgenre.

Quelles sont les principales étapes ? On peut en distinguer cinq que l’on peut rapidement analyser :

1) Pendant longtemps, la Cour de cassation, malgré des décisions des juges du fond parfois favorables
aux transsexuels, s’est refusée à accepter le changement de mention.

En particulier, en mai 1990, la première chambre civile a rendu quatre arrêts, marquant sa position de principe sur
le sujet.
Elle a ainsi estimé que « le transsexualisme, même lorsqu'il est médicalement reconnu, ne peut s'analyser en
un véritable changement de  sexe, le transsexuel, bien qu'ayant perdu certains caractères de
son  sexe  d'origine, n'ayant pas pour autant acquis ceux du  sexe  opposé »  (Cass. 1re  civ., 21  mai 1990,
n° 88-12.829 : JurisData n° 1990-001602 ;

2) L'un de ces arrêts a toutefois été porté devant la Cour européenne des droits de l'homme

Celle-ci, dans un arrêt rendu le 25  mars 19925, a condamné la France  pour avoir, en refusant le changement
de sexe à l'état civil, porté atteinte au droit au respect dû à la vie privée du transsexuel et violé l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme.

5 (CEDH, 25  mars 1992, n°  13343/87, Botella c/ France  : JCP G 1992, II, 21955, T.  Garé  ; D.  1993, jurispr. p.  101, J.-
P. Marguénaud ; D. 1992, somm. p. 325, obs. J.-F. Renucci ; RTD civ. 1992, p. 540, obs. J. Hauser) 
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3) Cette condamnation a provoqué un revirement partiel de jurisprudence de la Cour de cassation.

Par deux arrêts rendus le 11  décembre 19926, en formation solennelle d'assemblée plénière (ce qui
souligne l’importance de la décision rendue), la Cour de cassation accepte certes la modification de l’état-
civil.

Toutefois, elle le subordonne à quatre conditions très strictes: la preuve de la réalité du syndrome transsexuel,
l'existence d'un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, une apparence physique proche de
l'autre sexe et un comportement social correspondant au sexe psychologique.

Concrètement, elle impose que la personne ait subi une opération qui rende irréversible le changement de
sexe, ce qui entraîne presque obligatoirement la stérilité. Le problème est que cette opération dite de
« réassignation sexuelle » est à la fois risquée et lourde pour le transsexuel. Aussi, certains médecins lui préfèrent
de plus en plus, l'hormonothérapie associée à des opérations de chirurgie plastique. Certains juges du fond ont
été sensibles à ce problème.

Mais dans des arrêts rendus le 7 juin 2012 et d’autres en 2013, la Cour de cassation a confirmé sa position en
jugeant que, pour obtenir le changement de la mention de son  sexe  à l'état civil, la personne doit établir,
notamment, « le caractère irréversible de la transformation de son apparence »7.

4) L’affaire a alors été de nouveau portée devant la CEDH.

Par décision en date du 06 avril 20178, la CEDH condamne de nouveau la France pour violation du droit au
respect de la vie privée prévu par l’article 8 de la Convention. Elle juge que les Etats membres ne peuvent
imposer aux transsexuels une renonciation au droit au respect de leur intégrité physique comme condition pour
la modifi cation de leur état civil. Elle dénonce que l’on puisse conditionner la modifi cation à une opération ou un
traitement impliquant une stérilité irréversible.

5) Mais cette décision n’a qu’un impact limité, parce qu’entre temps, la France a pris les devants et a
modifié le droit applicable.

La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle consacre quatre articles à la modification
de la mention du  sexe  à l'état civil  (C. civ., art.  61-5 à 61-8  nouveaux), lesquels sont réunis dans une nouvelle
section intitulée “De la modification de la mention du sexe à l'état civil”). Les nouvelles dispositions assouplissent la
demande de modification de la mention du sexe à l'état civil.

6 (Cass., ass. plén., 11  déc. 1992, n°  91-12.373, 91-11.900  :  JurisData n°  1992-002867  et  JurisData n°  1992-002595  ; JCP G
1993, II, 21991, concl. Jéol et note G. Mémeteau ; RTD civ. 1993, p. 92, obs. J. Hauser. – V. aussi, J. Massip : Defrénois 1993, I,
p. 414 ; GAJC, Dalloz, 12e éd., n° 25 et n° 26

7 Cass. 1re civ., 7 juin 2012 : JCP G 2012, 753, Ph. Reigné ; Dr. famille 2012, comm. 131, Ph. Reigné ; D. 2012, p. 1648, F. Vialla ;
RD sanit. soc. 2012, p. 880, S. Paricard ; RTD civ. 2012, p. 502, J. Hauser.

8 Cour européenne des droits de l'homme 6 avril 2017 — D. 2017. 1027 — 18 mai 2017

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Le nouvel article 61-5 du Code civil, issu de la loi du 18 novembre 2016, dispose que :
« Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la
mention relative à son  sexe  dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se
présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification.
Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être :
• 1° Qu'elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ; 
• 2° Qu'elle est connue sous le  sexe  revendiqué de son entourage familial, amical ou

professionnel ; 
• 3° Qu'elle a obtenu le changement de son prénom afin qu'il corresponde au sexe revendiqué ; ».

Concrètement, il en résulte que la loi du 18 novembre 2016 permet le changement de sexe des transsexuels à des
conditions très assouplies puisqu’à aucun moment, elle ne mentionne le processus médical de transition sexuelle
du demandeur comme condition pour obtenir la modification. L’art 61-6 du code civil précise bien que le fait de ne
pas avoir subi de traitement ou d’opération, ne peut pas justifier le refus.

La loi paraît bien en conformité avec les exigences de la CEDH. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel a, pour sa part,
considéré qu'en permettant à une personne d'obtenir la modification de la mention de son sexe à l'état civil sans
lui imposer des traitements médicaux, des interventions chirurgicales ou une stérilisation, les dispositions ne
portent aucune atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine » (Cons. const., 17 nov.
2016, n° 2016-739 DC : JurisData n° 2016-024093, préc. n° 38).  

On peut anticiper un peu sur le cours du second semestre pour dire que la Cour de justice des Communautés
européennes a reconnu en faveur des transsexuels le droit de contracter mariage (CJCE, 7  janv. 2004, K. B.  c/
National Health Service Pensions Agency). En France, depuis l’adoption de la loi sur le mariage pour tous, dès lors
que l'article 143 du Code civil ne fait plus de la différence de sexe une condition de validité du mariage, il ne fait
plus aucun doute qu'un transsexuel, dont le sexe a été modifié à l'état civil, peut ensuite se marier même avec une
personne de son sexe d'origine.

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Séance du 26 octobre

TITRE II  : LA PROTECTION DE LA PERSONNE

L'article 16 du Code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la
dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ».
Du corps humain, il n'est point question, et il faut lire les articles suivants pour apprendre, notamment, que chacun
a droit au respect de son corps, que le corps humain est inviolable, qu'il ne peut faire l'objet d'un droit patrimonial.
On voit que la protection de la dignité de la personne est le principe premier et que les principes relatifs au corps
sont des mesures d'application concrète.
Toute personne humaine a donc droit à ce que sa dignité soit respectée et protégée. Cela concerne les deux
aspects de la dignité humaine, la dignité physique et la dignité morale.

CHAPITRE I- LA PROTECTION DU CORPS HUMAIN

Le corps humain est juridiquement difficile à appréhender parce qu’il est à la fois la concrétisation de la personne
dont il est indissociable mais aussi matière et donc objet.
Si l’on s’en tient à une perception immédiate, en effet, le corps humain est juste un assemblage de cellules, de
tissus et d'organes dont la permanence et l'harmonie des fonctions caractérisent la vie. De ce point de vue, le
corps humain est une chose, au même titre que tout ce qui est composé de matière.
Dans toutes les cultures, la personne est un peu plus que le corps humain. Ce plus, c'est l'âme, ou l'esprit, ou
encore un principe vital diffi cile à appréhender et c’est quand le corps lui est associé, que l’on parle de personne.
S'il en est dissocié, par exemple après la mort, le corps, devenu cadavre, redevient essentiellement de la matière.
Quand on en vient au droit, on retrouve cette ambiguïté concernant le corps humain – matière et personne- qui est
renforcée par l'éclatement des règles juridiques le concernant entre deux codes  : le Code civil et le Code de la
santé publique.

Ce sont, en effet, principalement deux  lois du 29  juillet 1994  sur la bioéthique qui ont créé le statut
contemporain du corps humain. Les lois bioéthiques suivantes, celles du 6 août 2004 et du 11 juillet 2011
(la dernière est en cours de discussion) n’ont fait que préciser ce statut.

La première loi de 1994 est la loi relative au respect du corps humain, dont les dispositions ont été codifiées au
Code civil. La seconde est la loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, codifiée
au Code de la santé publique. Or, ces deux lois ont deux objets différents et répondent à deux approches presque
opposées du corps humain.
Le code civil refuse de distinguer le corps de la personne et envisage le corps comme la concrétisation
physique de la personne. Du point de vue du code civil, il n'est pas possible de distinguer le corps et la personne.
Cette protection, accordée au corps humain survit, dans une certaine mesure à la personne car la dépouille
humaine est encore imprégnée de la personne humaine.
Après la mort, le corps humain reste l'objet d'une certaine protection et, comme on l’a vu, la question se pose de
savoir si une certaine protection peut être accordée au corps humain en formation (embryon, fœtus) avant que
n'apparaisse la personnalité juridique, c'est-à-dire avant la naissance en état de viabilité.
Le code de la santé publique, au contraire, choisit d’examiner le corps de très près, à une distance où la personne
s'efface totalement au profit d'un corps morcelé. Il y voit des organes, de la matière, des morceaux qui peuvent
être séparés et traités différemment.

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Notre droit actuel est le résultat d’un compromis entre ces deux approches. On va l’examiner en étudiant
successivement le principe d’inviolabilité du corps humain et celui de son indisponibilité.

I.- L’Inviolabilité du corps humain

Aux termes de l'article  16-3 du Code civil, dans sa rédaction issue de la  loi du 6  août 2004,  “il ne peut être
porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre
exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui”.
Interdire qu'il soit porté atteinte à l'intégrité du corps humain, c'est affirmer son inviolabilité. 
Le principe est ainsi celui de l'interdiction des atteintes à l'intégrité corporelle (A). Ce n’est que dans un second
temps qu’il faut examiner les exceptions (B).

A. – Le principe de la protection de l'intégrité corporelle

1.- La portée du principe

L'intégrité n'est pas définie par l’article 16-3. On peut toutefois retenir que l’intégrité est l'état de quelque
chose qui a toutes ses parties, qui n'a subi aucune diminution, aucun retranchement, ou encore l'état de quelque
chose qui a conservé sans altération ses qualités, son état originels.  
À ce titre, le corps humain, considéré comme juridiquement inviolable, est protégé contre toutes les
atteintes que les tiers pourraient prétendre lui faire subir.
Les atteintes visées par le texte doivent être comprises le plus largement possible. Il peut s'agir d'atteintes directes,
tels des coups, des blessures, ou des mutilations... ou des atteintes plus  indirectes, par exemple, on a vu que la
position française concernant les conditions pour accepter le changement d’état civil d’un transexuel avait été
condamnée par la CEDH parce qu’elle obligeait, indirectement, la personne à se faire opérer. Et on a vu que le
droit français, anticipant cette condamnation, avait changé sa logique.
Pour finir sur la portée du principe, on peut relever que le code civil ne prévoit aucune sanction. Par conséquent,
c'est aux règles généralement applicables en matière d'atteinte à l'intégrité corporelle qu'il faut se référer.
Si, malgré tout, en transgression du principe d'inviolabilité du corps humain, une atteinte est portée à celui-ci par
un tiers, une indemnité doit réparer le préjudice ainsi causé, tant matériel que moral.
Par ailleurs, toute atteinte portée à l'intégrité du corps humain pourra faire l’objet d’une condamnation pénale.
Enfin, il y aura aussi annulation de tout contrat qui prévoirait une telle atteinte, pour illicéité de son objet.

2.- Quelques exemples d’application :

a) Les interventions médicales :

L'article 16-3 garantit le droit pour le patient de refuser des soins.


La jurisprudence pose le principe que le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu'il se trouve en état de
l'exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d'une liberté fondamentale.
Les actes médicaux ne peuvent en principe être administrés que si le patient a donné un consentement libre et
éclairé. L'article 16-3, alinéa 2, dispose en effet que le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement
hormis le cas où son état rend nécessaire une intervention à laquelle il n'est pas en mesure de consentir, par

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exemple parce qu’il est dans le coma. Cette exigence implique que le médecin lui ait donné une information
préalable complète sur les risques inhérents à l'intervention.
Si la personne est consciente et capable, le médecin ne peut agir contre son gré. Toutefois, la jurisprudence
retient de ce principe une interprétation nuancée. Les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale, une
atteinte grave et manifestement illégale lorsqu'après avoir tout mis en œuvre pour convaincre un patient
d'accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à
sa survie et proportionné à son état.
Le Conseil d’Etat, par exemple, dans un arrêt du 26 octobre 2001 a refusé de considérer que pouvait être
poursuivi l’hôpital dans une hypothèse où une transfusion sanguine avait été effectuée sur un Témoin de
Jéhovah malgré son opposition. Le processus vital était en jeu et les médecins avaient pratiqué la transfusion
parce que c’était la dernière solution envisageable. Le patient était mort et sa veuve, sans contester le fait que son
mari ne pouvait pas être sauvé, attaquait l’hôpital pour préjudice moral dès lors qu’il était allé à l’encontre de la
volonté de son mari.
Une autre hypothèse où l’article 16-3 peut jouer est celle des conséquences d’une maladie ou d’une
blessure. L’auteur du dommage, par exemple un médecin qui a commis une faute médicale ou un conducteur qui
a blessé quelqu’un dans un accident de la route, peut-il tenter de réduire le montant des dommages et intérêts
qu’on lui réclame en faisant valoir que si la victime s’était soignée plus tôt et mieux, le dommage aurait été
moindre  ? L'article  16-3 interdit en fait à la victime de se voir contrainte de se soigner ou de se voir
reprocher de ne pas l’avoir fait. Pour un exemple, en matière d’accident de la circulation, cf. Cass. 2ème civ., 19
mars 1997, n° 93-10914).

b) Le droit de réprimande ou de correction

Au regard du principe d’intégrité corporelle, se pose la question de la possibilité pour les parents dans l'exercice
de leurs prérogatives parentales d'user d'un droit de réprimande ou de correction. Peuvent-ils donner une
fessée ou une gifle à leurs enfants ?
Le droit français pendant longtemps a toléré un droit de correction corporelle des parents et plus largement des
personnes qui en assurent la garde, quand il estimait que celui-ci répondait à un intérêt éducatif et ne sanctionnait
que les châtiments atteignant un certain seuil de gravité (qualifiés alors de violences). Par exemple, la Cour de
cassation a conclu à un non-lieu en 2003 dans une affaire de gifle donnée par une gardienne d'enfant en relevant
qu’"il n'est nullement établi que ce geste ait excédé les limites du droit de correction inhérent à la mission de
surveillance qui avait été confiée à la gardienne de l'enfant" (Cass. crim., 17 juin 2003, n° 02-84.986 ).
La France a pourtant signé la Charte européenne des droits sociaux, qui précise que les Etats doivent « protéger
les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation  ». En mars  2015, elle avait
été  condamnée par le Conseil de l’Europe au motif qu’elle  «  ne prévoit pas d’interdiction suffisamment claire,
contraignante et précise des châtiments corporels ».
Aussi, le droit français a été contraint de changer. Le Parlement a adopté définitivement, le 2  juillet 2019,
une loi visant à interdire les « violences éducatives ordinaires ». Il s’agit d’inscrire dans le Code civil, à l’article
371-1 lu à la mairie lors des mariages, que  «  l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou
psychologiques ». La France devient donc le 32e  des 47 pays membres du Conseil de l’Europe à proscrire tout
châtiment corporel à l’encontre des enfants. Ils sont au total 56 à travers le monde

c) La question du statut juridique du corps humain après la mort.

Dans quelle mesure peut-on considérer que la dépouille humaine, la sépulture, puis les restes humains conservés,
momies, ossements etc. deviennent, après la mort de l’individu, des choses. Et quel peut être exactement leur
statut ?
Deux affaires contentieuses notamment ont conduit à s’interroger sur ce point :

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La première concerne la tentative de restitution par la mairie de Rouen, propriétaire d’une tête de guerrier
Maori, présente dans les réserves du musée de la ville depuis la fin du XIX° siècle. Les élus avaient considéré
que cette tête, de caractère sacré, devait retourner sur sa terre d’origine pour y recevoir une sépulture conforme
aux rites ancestraux. Le ministre de la culture obtient l’annulation de cette délibération devant le juge administratif
au nom de l’inaliénabilité des biens appartenant au domaine public ; la notion de bien l’emporte donc.
Mais cette solution n’a pas paru satisfaisante : les députés ont adopté le 18 mai 2010 une loi spécifique visant à
autoriser expressément la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Cette restitution a eu
lien le 23 janvier 2012, lors d’une cérémonie officielle au musé du quai Branly.

La deuxième affaire concerne l’exposition « A corps ouverts » qui s’est tenu à Paris à partir de février 2009. Il
s’agissait d’une exposition payante de cadavres chinois « plastinés », c'est-à-dire rendus imputrescibles, et écorchés
pour mettre à jour, dans différentes positions, leurs organes. Deux associations avaient demandé l’interdiction de
l’exposition au motif qu’on ne pouvait traiter ces corps comme de simples objets. Le juge des référés du TGI de
Paris, puis la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 30 avril 2009, leur donnent raison. La cour considère qu’une
telle exposition, en tant que telle, ne soulève pas de problème mais à condition que l’origine licite des cadavres
soit établie or, il y avait en l’espèce un soupçon sérieux de trafic de cadavres de prisonniers ou de condamnés à
mort en provenance de Chine. La cour de cassation est saisie à son tour et, dans une décision du 16 septembre
2010, elle désavoue la motivation des juges d’appel. Elle invoque l’article 16-1-1du code civil qui dispose que
« le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées… doivent être
traités avec respect, dignité et décence  ». Et elle juge que «  les restes des personnes décédées doivent être
traités avec respect, dignité et décence  » et qu’une «  exposition de cadavres à des fins commerciales
méconnaît cette exigence ».

La loi du 19 décembre 2008 est intervenue entre temps. L’article L. 16-1, alinéa 1 du code civil affirme
désormais que « le respect du corps humain ne cesse pas avec la mort ».

Dans le même ordre d’idée, lorsque des prélèvements d’organes sont faits post mortem, le code de la santé
publique oblige à respecter le corps autant que possible et à le « restaurer » pour épargner les familles.

3. L’extension à la protection des caractéristiques génétiques

La loi prévoit toute une série d’interdictions en ce domaine.


L’Article 16-4 précise en effet que : « Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine. Toute pratique
eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite. Est interdite toute intervention
ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée ».
Est également interdite la création d'embryons transgéniques ou chimériques (CSP, art. L. 2151-2, al. 2. ).
Un embryon transgénique est un embryon dont le génome a été modifié par l'insertion ou le remplacement d'un
ou de plusieurs gènes.
Un embryon chimérique est un embryon dont l'organisme est constitué de deux ou plusieurs populations de
cellules génétiquement distinctes. C’est le croisement entre deux espèces. Ce n’est plus tout à fait de la science-
fiction.
Il s’agit pour l‘essentiel de tentatives d’injecter des cellules humaines dans des embryons d’animaux afin de pouvoir
ensuite en tirer profit pour l’homme. Des tentatives en ce sens existent un peu partout dans le monde, aux États-
Unis et en Asie notamment. Elles consistent par exemple à injecter des cellules humaines dans des embryons de
porcs. Ceux-ci, après implantation, devraient développer un organe humain, tel un pancréas ou un cœur, destiné à
être disponible pour une greffe sur l’homme, et ainsi remédier à la pénurie d’organes.
Voilà donc pour le principe d’inviolabilité.

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B.- Les exceptions au principe d’inviolabilité

L'article  16-3, tout en consacrant le principe d'interdiction de porter atteinte à l'intégrité corporelle, envisage
expressément deux exceptions, l'une et l'autre étant soumises au consentement préalable  : la nécessité
médicale (1°) et l'intérêt thérapeutique d'autrui (2°).

1° L’hypothèse de la nécessité médicale :

Dans sa rédaction issue de la  loi du 29  juillet 1994, l'article 16-3, alinéa 2 ne prévoyait la possibilité d'atteinte à
l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité thérapeutique.

La notion de nécessité médicale, que lui substitue la loi du 27 juin 1999 (art. 70), est plus large puisqu’elle
recouvre non seulement les actes thérapeutiques, mais également les actes préventifs, les recherches
biomédicales, ou par exemple la chirurgie esthétique.
En matière de chirurgie esthétique, la loi impose toutefois des obligations rigoureuses : une information donnée
au patient, un devis, un délai de réflexion pour le patient et même impose une abstention si les dangers
l’emportent sur les avantages. Par ailleurs, l’intervention esthétique est fautive si elle comporte des risques sérieux
(C. santé publique , art. L. 6322-2).

2°) L’intérêt thérapeutique d’autrui

Depuis la loi du 6 août 2004, une atteinte portée à l'intégrité du corps humain peut aussi être justifiée « à
titre exceptionnel, dans l'intérêt thérapeutique d'autrui  », (C. civ., art.  16-3). Cette modification a surtout
permis les dons d’organes par des personnes vivantes.
Il faut voir que le cercle des donneurs autorisé par la loi n'a cessé de s'étendre. Initialement, le don d'organes
n'était en effet possible qu'au profit d'un père ou d'une mère, d'un fils ou d'une fille, d'un frère ou d'une sœur ou,
en cas d'urgence seulement, au profit du conjoint. Puis, la loi du 6 août 2004 a procédé à une importante extension
du cercle des donneurs en y incluant des collatéraux simples (cousins germains et cousines germaines, oncles et
tantes) et des alliés (conjoint du père ou de la mère). Surtout, la loi a fait entrer dans ce cercle  “toute personne
apportant la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans avec le receveur”. Enfin, la loi du 7 juillet 2011 y a
ajouté “toute personne pouvant apporter la preuve d'un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec
le receveur”(C. santé publ., art. L. 1231-1, al. 2).
Par ailleurs, désormais, sauf opposition de sa part, les organes prélevés à l'occasion d'une intervention chirurgicale
pratiquée dans l'intérêt de la personne opérée peuvent être utilisés à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Les
mêmes solutions sont prévues au sujet des tissus, cellules et produits du corps humain.

Enfin, le risque de mise en danger d'autrui conduit à imposer des vaccinations obligatoires, quand bien même
elles sont attentatoires à l'intégrité physique, afin de lutter contre les épidémies et les maladies transmissibles.
Depuis une loi du 30 décembre 2017, 11 vaccins sont désormais obligatoires contre 3 auparavant. Dans une
décision du 20 mars 2015, le Conseil constitutionnel a affirmé la constitutionnalité du caractère obligatoire d’une
vaccination.
La sanction pénale spécifique au refus de vaccination a été supprimée. Cependant, parce que ne pas faire
vacciner son enfant le met en danger et peut mettre en danger les autres, le fait de compromettre la santé de son
enfant – ou celui d’avoir contaminé d’autres enfants par des maladies qui auraient pu être évitées par la vaccination
– peuvent toujours faire l’objet de poursuites pénales.

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II. - Indisponibilité du corps humain

Aucune disposition du code civil n’évoque directement le principe d’indisponibilité du corps humain. Mais
c’est bien ce principe que consacrent les articles 16-1, alinéa 3, 16-5, 16-6 et 16-7 du code civil en affirmant
le refus de patrimonialité du corps humain.
Tout en affirmant ce principe, ces articles organisent aussi, à titre exceptionnel, les conditions de la circulation des
produits et éléments du corps humain, laquelle est gouvernée par les principes de gratuité et d'anonymat.
Voyons ces deux points.

A.- Le principe d’indisponibilité du corps humain

Le principe d'indisponibilité du corps  humain a été consacré par la Cour de cassation dans un arrêt
d'assemblée plénière du 31 mai 1991 au sujet de la légalité de la convention de mère porteuse (Cass. ass. plén.,
31 mai 1991, n° 90-20.105). La Cour de cassation y affi rme que, « la convention par laquelle une femme s'engage,
fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe
d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes ».
C’est aujourd’hui la loi qui le consacre. A l’affirmation générale de la non-patrimonialité du corps humain (1),
s’ajoute l’interdiction plus spécifique de certaines conventions (2).

1.- La non-patrimonialité du corps humain

L'article 16-1 du Code civil dispose, dans son alinéa 3, que “le corps humain, ses éléments et ses produits ne
peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial”.
Ce refus de la patrimonialité du corps humain est repris par l'article 16-5 qui prévoit la nullité des conventions qui
auraient pour effet de lui conférer une valeur patrimoniale.
L'article  16-6, quant à lui, interdit toute rémunération pour «  celui qui se prête à une expérimentation sur sa
personne, au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci ».
Dire que le corps humain ou ses éléments ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial, c’est refuser de dissocier,
d’une certaine façon, la personne et son corps. Le corps n’est pas un objet et la personne ne peut pas disposer
librement de celui-ci comme elle pourrait le faire d’un bien lui appartenant.

2.- L’absence de brevetabilité du corps humain  

Au principe de non-patrimonialité du corps humain, peut être rattachée la règle selon laquelle le corps humain
ne peut donner lieu à des inventions brevetables. En 2004, le législateur a inscrit ce principe dans le code
de la propriété intellectuelle (article L. 611-18 1er alinéa).
Ne sont, ainsi, notamment pas brevetables  : non seulement les procédés de clonage des êtres humains, les
procédés de modification de l'identité génétique de l'être humain, ou les utilisations d'embryons humains à des
fins industrielles ou commerciales, mais aussi les séquences totales ou partielles d'un gène prises en tant que
telles.
L’alinéa 2 du même article précise toutefois qu’une «  invention constituant l’application technique d’une
fonction d’un élément du corps humain peut être protégé par un brevet ». Par exemple, un cœur artificiel peut
l’être (cœur Carmat inventé par le professeur Carpentier en 2009).

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3. L’interdiction particulière de certains contrats

Ce que cherche surtout à interdire le législateur, c’est la commercialisation du corps humain plutôt que sa
disponibilité.
La loi ne frappe de nullité que les seules conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale
(autrement dit : pécuniaire) au corps humain, à ses éléments ou à ses produits, c'est-à-dire les conventions à titre
onéreux ayant un tel objet.
Il en résulte qu’en principe, comme on va le voir en abordant les exceptions, les conventions à titre gratuit sont
licites.  
Cependant, certaines conventions, même à titre gratuit, sont interdites et frappées de nullité. Ainsi, l'article 16-7 du
code civil affirme la nullité des conventions  “portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui”.
C’est-à-dire les contrats de mère porteuse.
Il s'agit là de la consécration législative de la solution retenue par l'arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de
cassation en date du 31  mai 1991 que nous avons déjà évoquée, et fondée tant sur l'indisponibilité du corps
humain que sur l'indisponibilité de l'état des personnes.
L’interdiction est d'ordre public (C. civ., art. 16-9).
Nous ne nous attarderons pas sur ce point puisque la question sera examinée longuement au second semestre
dans le cadre du droit de la famille. Nous verrons notamment les conséquences de cette interdiction sur
l’établissement de la filiation des enfants nés de contrats de mère porteuse conclus à l’étranger, en particulier avec
l’affaire des jumelles Mennesson.

cours du 02/11

B.- Validité exceptionnelle de certains actes de disposition

Au principe général d’indisponibilité du corps humain, s’opposent un certain nombre d’exceptions

1.- Les produits demeurant dans le commerce

Il faut tout d’abord relever que certains produits du corps humain, essentiellement régénérables et d'utilisation
ancienne, sont traditionnellement inclus dans le commerce juridique. La loi autorise donc leur commercialisation.
L'article L. 1211-8 du Code de la santé publique qui en traite prévoit qu’ils “ne sont [pas] soumis aux dispositions
du présent livre (...)  ». La liste de ces produits est dressée à l'article R.  1211-49 du même code  : il s'agit des
cheveux, des ongles, des poils et des dents.

2.- Les produits et éléments pouvant faire l’objet d’une disponibilité sous conditions

Certains actes de dispositions, c’est à dire des cessions d'éléments et produits du corps humain peuvent être
autorisées à titre exceptionnel. Il est en effet admis qu’une personne puisse céder certains éléments (organes) et
certains produits (sang, gamètes) de son corps

Ces éléments et produits sont en effet détachés du corps humain de sorte que, sans pouvoir être assimilés tout
à fait à des choses ordinaires susceptibles d'entrer dans le commerce juridique sans restriction, la distance créée
entre la personne et ces morceaux du corps justifie une limitation de l'indisponibilité.

Mais alors, ces mises à disposition doivent se faire en respectant scrupuleusement les principes de gratuité et
d'anonymat. Le principe d'indisponibilité du corps  humain est, par le biais de cette double restriction,
sauvegardé, même s'il est assoupli.

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Voyons rapidement ces deux principes :

a).- Le principe de la gratuité

Le principe est simple : le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit. Ce
principe a une vertu essentielle : il préserve contre la marchandisation du corps humain et permet d'éviter que les
plus démunis ne soient tentés d'abdiquer leur dignité en vendant la seule chose qu'ils ont : leur corps.
Il existe toutefois un vaste trafic d’organes à travers le monde et même ce que l’on appelle un «  tourisme de
transplantation », c’est-à-dire que les membres des petits riches vont acheter des organes dans les pays pauvres.
On sait, par exemple, qu’un rein s’achète 700 dollars en Afrique du Sud alors qu’il coûte 30.000 dollars aux Etats-
Unis. En Chine, il semblerait que les reins et d’autres organes sont systématiquement prélevés sur les condamnés à
mort.

En France, pour éviter ces dérives, le principe de la gratuité est retenu.


À cet égard, la loi ( art 16-6 code civil) précise qu « 'aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se
prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de
produits de celui-ci  »
La recherche biomédicale ne doit donner lieu à aucune contrepartie financière, directe ou indirecte, au profit des
personnes qui s'y prêtent, hormis le remboursement des frais exposés et, le cas échéant, une indemnité en
compensation des contraintes subies.
Mais même dans ce cas, le montant des indemnités qu'une personne peut percevoir au cours d'une même année
est limitée à un maximum fixé par le ministre chargé de la santé.
Il faut toutefois relever les limites du principe de gratuité :
En premier lieu, il est souvent soutenu que la règle de gratuité n'est que relative, puisqu'une fois prélevés, les
éléments et produits sont appelés à circuler entre les professionnels de santé et/ou les industriels moyennant
finance.

Surtout, le problème se pose de la pertinence du maintien de ce principe de gratuité alors que l’on doit faire face,
dans ces domaines, à une grande pénurie. Certains, aujourd'hui, souhaiteraient intéresser "les donneurs" en
prévoyant une rémunération pour leur générosité.

b) Le principe de l’anonymat

L'article  16-8 du Code civil  dispose qu’aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait
don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne
peut connaître l'identité du receveur, ni le receveur celle du donneur.
La règle de l'anonymat est un complément indispensable au principe de gratuité. En imposant l'anonymat, le
Code civil interdit toute cession directe qui pourrait donner lieu à des formes de rémunérations occultes.
Elle n’est toutefois pas sans poser certaines difficultés.
En premier lieu, il peut être utile de connaître l’identité du donneur pour des raisons médicales. La loi d’ailleurs
prévoit sur ce point une exception : en cas de nécessité thérapeutique, les médecins du donneur et du receveur
peuvent avoir accès aux informations permettant l'identification de ceux-ci. De même, les règles de sécurité
sanitaire applicables aux éléments et produits du corps humain assurent en principe la traçabilité de ceux-ci tout
en respectant la règle de l'anonymat (article R. 1211-19 du Code de la santé publique).  

Par ailleurs, quand ce principe de l’anonymat s’applique en matière d’assistance médicale à la procréation, il peut
se heurter à d'autres droits fondamentaux, tel que le droit à la connaissance de ses origines. On verra là
encore ces problèmes au second semestre.

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CHAPITRE II- LA PROTECTION DE LA DIGNITÉ HUMAINE

A côté de la protection du corps humain, il faut étudier la protection de la dignité humaine. Celle-ci revêt elle-
même deux aspects.
D’un côté, l’on va s’efforcer de protéger la personne humaine prise d’une manière abstraite, assimilée à
l’espèce humaine, à l’humanité et de l’autre, on va s’efforcer de défendre les droits personnels de chaque
individu et notamment son droit à la vie privée et son droit à la protection de son image.
Voyons ces deux aspects.

I.- La protection de la dignité de la personne humaine


La notion de dignité de la personne humaine apparaît de plus en plus dans le droit français et pourtant,
elle n’est pas juridiquement bien définie, comme on le verra dans un premier temps. De ce fait, elle soulève des
controverses que l’on illustrera dans un second temps.

A.- Le fondement juridique du principe de dignité de la personne humaine

1.- L’émergence du concept 

Avec ce concept, il s'agit de saisir, en chaque homme, la part d'humanité qui le dépasse, pour affirmer la
prééminence de l'espèce humaine. Ainsi, attenter à la  dignité  de telle ou telle personne ne consiste pas
simplement à attenter à cet homme-là, mais, à travers lui, à l'humanité toute entière, c’est-à-dire au genre humain. 
Avant d’intervenir sur le terrain juridique, la dignité humaine était avant tout une question de philosophie morale
empruntée à plusieurs doctrines philosophiques et religieuses, notamment la doctrine judéo-chrétienne, faisant de
l'homme, de la personne humaine, une fin en soi.
Le philosophe Kant oppose ainsi le concept de dignité à celui de prix. Pour lui, ce qui a une dignité est ce qui
n'a pas de prix et inversement. Il explique que ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose
d'autre, à titre d'équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n'admet pas d'équivalent,
c'est ce qui a une dignité. Et l’être humain est ce qui le plus digne de tout.
Le glissement d’un concept moral à un concept juridique s’est effectué brutalement au lendemain de la seconde
guerre mondiale. C'est en effet en réaction aux atrocités commises par l'alliance de la science et de la barbarie
nazie, révélée à la libération des camps de la mort, que l'invocation de la  dignité  comme principe juridique est
devenue une nécessité. Les progrès de la biologie, avec les questions éthiques, qu’ils ont posé, à accentuer le
phénomène.

Mais il a fallu attendre les années 1980-90 pour le voir apparaître réellement dans le droit positif.
Il est utilisé dans la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication dont l’article 1er affirme que la
liberté de communication peut être limitée “dans la mesure requise (...) par le respect de la dignité de la personne
humaine (...)”.
On le voit apparaître en droit de la santé publique. Ainsi, une loi du 27 juin 1990 affirme le droit à la dignité des
aliénés mentaux hospitalisés sans leur consentement.
Mais, c’est la loi sur la bioéthique de 1994 qui fait entrer le principe dans le code civil. Comme on l’a vu,
l'article 16 du Code civil, issu de cette loi, dispose désormais que « la loi assure la primauté de la personne, interdit
toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. »
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2.- Les fondements juridiques actuels du principe de dignité humaine 

Alors que les Allemands ont solennellement proclamé l'intangibilité de la dignité de l'être humain en tête de
la Loi fondamentale (Constitution) de 194910, imités plus tard par les Portugais et les Espagnols, la Constitution
française de 1958 ne dit rien de la dignité de la personne humaine.
Le mot « dignité » lui-même n'y est pas directement employé même s’il apparaît à l’article 6 de la Déclaration de
1789.

Malgré cette absence, le Conseil constitutionnel n’a pas hésité, dans sa décision du 27 juillet
1994,  Bioéthique, a énoncé le « principe à valeur constitutionnelle » de « la sauvegarde de la dignité de la
personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation ».

On peut retrouver la même démarche, consistant à rattacher le respect de la dignité humaine aux grands
principes, dans la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Celui-ci a notamment eu à se prononcer sur la légalité de l’interdiction, par certaines municipalités, de l'attraction
de "lancer de nain", qui conduisait à utiliser comme projectile une «  personne de petite taille ». La loi donne au
maire le devoir de veiller, à travers ses pouvoirs de police, à assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité
publique dans sa commune.
Les organisateurs du spectacle faisaient valoir que l’ordre public et la sécurité publique n’étaient pas menacés
puisque des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne projetée et que celle-
ci se prêtait librement à cette exhibition contre rémunération.
Mais, dans un arrêt Commune de  Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995 (n° 136727), le Conseil d’Etat va
affirmer que : « le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public »
et il va estimer que le fait même d’organiser un spectacle de lancer de nains est contraire à la dignité humaine.

Depuis, le Conseil d’Etat fait souvent référence à ce principe.


Par exemple, dans une décision du 31 juillet 2017, Commune de Calais, il a sanctionné la politique du
gouvernement en ce qui concerne les migrants à Calais.
Il a relevé qu’en l’absence de texte particulier, il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir
de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de
veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou
dégradants soit garanti.
Et il a estimé que la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants qui se
trouvent présents à Calais en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable demeure
manifestement insuffisante et expose justement ces personnes à des traitements inhumains ou dégradants.

C’est dans une même logique d’atteinte à l’ordre public, à la sécurité et à la salubrité publiques qu’au nom du
respect de la dignité humaine, plusieurs autorités ont appelé à une interdiction ou du moins à un encadrement de
l’utilisation des mannequins de mode trop maigres.
Après la mort, en 2006, d'une jeune mannequin de 18 ans souffrant d'anorexie, certains pays comme l’Espagne et
l’Italie ont pris des dispositions très strictes à ce sujet.

10 Ainsi, la loi fondamentale allemande du 23 mai 1949 dispose, en son article 1er, que 
“1. – La dignité de l'homme est intangible. Tout pouvoir public est tenu de la respecter et de la protéger.
2. – En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l'homme des droits inviolables et imprescriptibles comme fondement de
toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde”.
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En France, une ordonnance d’avril 2016, dans cette logique, vient de modifier le code de la santé publique pour
imposer que «  Les photographies à usage commercial de mannequins, ..., dont l'apparence corporelle a été
modifiée par un logiciel de traitement d'image afin d'affiner ou d'épaissir la silhouette du mannequin doivent être
accompagnées de la mention : « Photographie retouchée » (article L2133-2 code de la santé publique).
On peut se réjouir de voir ce principe se propager dans tous les domaines de la société.

Mais le fait que la notion de dignité humaine ne soit pas précisée par la loi ni définie véritablement est critiqué par
une partie de la doctrine.
Ces auteurs craignent que la distinction entre droit et morale soit remise en cause à la faveur de l'invocation
abusive de la dignité.
Le risque est grand, pensent-t-ils, par son intermédiaire, de voir le législateur ou le juge imposer une doctrine
philosophique, religieuse, politique ou, plus généralement, des règles morales qui ne font pas l’unanimité.

Pour apprécier cette critique, étudions quelques exemples d’application controversée du principe.

B.- Exemples d’applications récentes controversées

1.- La délicate question du statut de l’embryon

Comme on l’a dit, l’article 16 du code civil interdit toute atteinte à la dignité humaine «  dès le
commencement de la vie ». Certains pensaient que cela impliquait la protection de l’embryon et ce d’autant
plus que le comité national consultatif d’éthique y a vu une « personne potentielle ».

Pourtant, dans sa décision du 27 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a estimé que le principe de dignité de la
personne humaine ne trouvait pas à s'appliquer à l'embryon . Cette position a été abondamment critiquée.
La libéralisation des recherches sur l'embryon, résultant de la  loi du 6  août 2013  a donné lieu à une nouvelle
saisine du Conseil constitutionnel.
Ces recherches sont désormais permises si elles ont été autorisées par l’Agence de la biomédecine et
qu’elles ont une finalité médicale. Avant, il fallait qu’elles aient pour objet des «  progrès médicaux
majeurs », ce qui était plus restrictif.
De même, les cellules souches, qui proviennent d’embryons frais (jusqu’au 7ème jour de la conception) et qui
impliquent la destruction de l’embryon, peuvent être utilisées dans les mêmes conditions.

Le Conseil constitutionnel a été saisi de la constitutionnalité de ces nouvelles dispositions.


Dans sa décision du 1er août 2013, il est très clair.
Il déclare que "si le législateur a modifié certaines des conditions permettant l'autorisation de recherche sur
l'embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires à des fins uniquement médicales, afin de favoriser
cette recherche et de sécuriser les autorisations accordées, il a entouré la délivrance de ces autorisations de
recherche de garanties effectives »
Il ajoute que ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de sauvegarde de la  dignité  de la personne
humaine (Cons. const., déc. n° 2013-674 DC, 1er août 2013).

2.- La fin de vie

C’est là encore un sujet très délicat. Le principe de dignité est fréquemment invoqué au soutien de la revendication
d'un droit à mourir dans la dignité par les partisans d'une légalisation de l'euthanasie.

En France, c’est la loi Leonetti du 12 avril 2005 qui a posé les principes applicables.

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Mais chaque cas pose des problèmes de conscience, comme l’a montré l’affaire Lambert.

À la suite d'un accident de la route  survenu en 2008,  Vincent Lambert, âgé de 41 ans, plonge dans un  état de
conscience minimal.
En avril 2013, après plusieurs années passées à essayer sans succès d'améliorer cet état, l'équipe médicale
chargée de son cas décide – après avoir consulté sa femme mais sans avis de ses parents ni de ses frères et sœurs –
de cesser de l'alimenter et de l'hydrater.
Une longue bataille judiciaire s'engage alors entre deux parties respectivement favorable et opposée à l'arrêt de
l'alimentation et de l'hydratation de Vincent Lambert : l'équipe médicale, la femme de Vincent Lambert, son neveu
et six de ses huit frères et sœurs, d'une part ; ses parents et deux de ses frères et sœurs, d'autre part.
La  Cour européenne des droits de l'homme  rend une décision le 5 juin 2015. Elle constate que la procédure
retenue par la France pour cesser de maintenir Vincent Lambert en vie est bien conforme  à l'article 2 de
la convention européenne des droits de l'homme sur le droit à la vie.

Quel est ce cadre législatif français ?

La loi Leonetti de 2005, complétée en 2016 à la suite notamment de l’affaire Lambert, pose trois principes :

- Toute personne a le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement
possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition
pour que ce droit soit respecté (article L. 1110-5 code de la santé publique).

- Les actes entrepris ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une
obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre
effet que le seul maintien artifi ciel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris,
conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une
procédure collégiale, où la décision du médecin traitant prime.

- A la demande du patient d'éviter toute souffrance et de ne pas subir d'obstination déraisonnable, une
sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès
est mise en œuvre dans certains cas (cas incurable et grande souffrance).

Au-delà d’une protection de la dignité de la personne humaine prise en sa généralité, le droit protège également
la personne prise plus intimement.

II.- La protection de la dignité de chaque personne

Chaque personne doit être protégée contre les atteintes portées à sa vie privée et à son moi intime.
Si ce principe, du moins depuis la Révolution française, est bien ancré dans notre droit, le degré de protection est
bien sûr un sujet de discussion permanent, d’autant plus que les menaces évoluent, avec, par exemple, la place
qu’occupe aujourd’hui internet.
Cette protection est par ailleurs difficile à mettre en œuvre parce qu’elle se heurte à d’autres principes, et en
particulier à celui de la liberté, liberté d’expression, liberté de la presse, liberté de la recherche scientifique et
même, depuis 1968, une certaine liberté sexuelle.
La protection de la dignité de la personne, prise individuellement, prend la forme d’un certain nombre de droits
qui sont reconnus à l’individu et dont il peut se prévaloir. Nous allons voir d’un peu plus près les deux principales
prérogatives conférées à l’individu, le droit au respect de sa vie privée et le droit à l’image.

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A.- Le droit au respect de la vie privée

Le droit au respect de la vie privée est clairement affirmé. Il s’agit de protéger les individus à la fois contre
les intrusions dans leur vie privée d’autres personnes et contre les intrusions des pouvoirs publics.
La jurisprudence l’avait largement appliqué avant que la loi du 17 juillet 1970 ne l’introduise dans le code civil.
L’article 9, alinéa 1 dispose ainsi que « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».
Et la même loi a introduit dans le code pénal toute une série d’incriminations qui sanctionnent les atteintes à
l’intimité de la vie privée (articles 226-1 à 226-6 code pénal).

Quant à la convention européenne des droits de l’homme, elle indique, en son article 8, alinéa 1 : « Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

Mais, dans aucun de ces textes, il n’y a de définition très précise de ce qu’est la vie privée. Par ailleurs, comme
un certain nombre d’atteintes sont autorisées par les textes, il est difficile de cerner ce qui fait effectivement l’objet
d’une protection.
Prenons l’exemple de la sexualité. Les pratiques sexuelles appartiennent a priori à la sphère privée. La Cour EDH a
très souvent rappelé le principe selon lequel chacun est libre de disposer de son corps comme il l’entend.
Mais l’Etat peut-il intervenir quand ces pratiques apparaissent dégradantes ?
Quand on regarde la jurisprudence de la CEDH dans le détail, on voit bien que le principe est délicat à mettre en
œuvre.
Par exemple, elle a considéré, dans un arrêt de 2005, que la possibilité de s’adonner à des relations sexuelles
sado-masochistes relève du libre arbitre des personnes, mais elle a autorisé la Belgique à condamner cette
pratique parce que le consentement de la victime n’est pas assuré.
Le consentement est le critère essentiel pour la jurisprudence. Cela a permis le renforcement de la
pénalisation d’actes sexuels non consentis et en premier lieu, le viol entre époux (CEDH, 22 nov. 1995, R. c/
Royaume-Uni).
On le voit, la frontière entre ce qui relève de la vie privée et ce qui mérite d’être surveillé n’est pas facile à tracer.
Mais plus que les atteintes des pouvoirs publics à la vie privée, ce sont celles perpétrés par les tiers qui génèrent le
plus de difficultés.

Nous ne pouvons explorer tous les aspects du sujet.


Nous allons nous concentrer sur deux domaines où, ces dernières années, l’article 9 du code civil a trouvé souvent
à s’appliquer, celui de la protection de la vie privée au travail et celui de la confrontation entre le respect de la vie
privée et le droit de la presse et de la liberté d’expression.

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Cours du 9 novembre

1.- Vie privée et rapports entre salariés et employeurs

Toute la difficulté, en la matière, est de concilier les droits de l’employeur et la vie privée.
Il faut distinguer deux points :

a) La conciliation des obligations professionnelles et de la vie privée

Le principe en la matière est que ces obligations ne doivent pas porter atteinte à la sphère privée du salarié.

- Par exemple, elles ne doivent pas contrevenir aux convictions religieuses de l’individu.
L’article L. 1132-1 du code de travail le dit expressément.
Mais tout est question de nuances et de contexte dans l’entreprise.
Ainsi, la Cour d’appel de Paris en 2003 a jugé abusif un licenciement d’une salariée qui avait refusé de changer son
foulard islamique en un bonnet faute pour l’employeur de justifier sa décision par des éléments objectifs. Mais à
l’inverse, a été considéré comme justifié le licenciement d’une vendeuse d’articles de mode féminine qui refusait
de quitter sa burqa.
- De même, l’employeur ne peut pas se fonder sur le comportement d’un salarié dans sa vie privée pour
le licencier.
Par exemple, a été refusé le licenciement de la secrétaire d’un concessionnaire Renault pour avoir acheté une
Peugeot pour ses besoins personnels.

Il y a toutefois une exception dans ce que la jurisprudence appelle les « entreprises de tendance », c’est-à-dire
celles qui ont pour objet la défense de pensées religieuses, politiques ou syndicales.
Dans ces entreprises, des restrictions peuvent être apportées à la liberté personnelle du salarié.
Par exemple, il a été admis qu’un établissement d’enseignement catholique puisse, par contrat, interdire à ses
professeurs de divorcer (Cass. Ass. Plén., 19 mai 1978, Affaire du cours Sainte-Marthe).

b) Surveillance du salarié et vie privée

Il est du droit et même du devoir de l'employeur de contrôler l'activité des salariés, de vérifier s’ils ne
commettent pas de faute dans l’exercice de leurs fonctions et s’ils accomplissent bien le travail pour lequel ils sont
payés.
Mais le droit au respect de la vie privée du salarié doit se concilier avec ces prérogatives de l'employeur.
Cette exigence a toujours existé. Mais, depuis quelques années, de nombreuses méthodes de surveillance des
salariés se sont développées, en lien avec le développement des nouvelles technologies dans l'entreprise :
caméra de vidéosurveillance, écoutes téléphoniques, surveillance de l'utilisation de l'internet (sites fréquentés,
messages reçus ou envoyés par le salarié de son poste de travail).
Quelles sont les réponses apportées par le droit ?
- Le code du travail encadre très largement l'utilisation des méthodes de surveillance et condamne celles
qui ne sont pas portées à la connaissance des salariés11. La jurisprudence applique ces dispositions.
Par exemple, dans une affaire, le directeur d'un magasin soupçonnait une caissière de voler dans la caisse et avait
fait installer, à son insu, une caméra avec bande vidéo. La caissière fut filmée en train de prendre de l'argent et
disant « ça c'est pour ma pomme » et fût licenciée.

11 C. trav., art. L. 1222-4 : « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a
pas été porté préalablement à sa connaissance » ; V. aussi C. trav., art. L. 1221-9 : « Aucune information concernant personnellement un
candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance »
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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

La cour de cassation a considéré que la preuve de la faute avait été obtenue de façon illicite et a annulé le
licenciement (Soc. 20 nov. 1991, no 88-43.120    , Bull. civ. V, no 519, D. 1992. 73, concl. Y. Chauvy    , RTD civ.
1992. 365, obs. J. Hauser    , et p. 418, obs. P.-Y. Gautier     ). Mais à vrai dire, il n’y avait pas là atteinte à la vie
privée.
En revanche, si la mise en œuvre du dispositif de surveillance a été portée à la connaissance des salariés, la preuve
qu'il permet de recueillir n'est pas illicite. C’est en particulier le cas pour les écoutes téléphoniques.
Il est plus difficile d’appliquer ces principes avec l’informatique.
Depuis les années 2000, la surveillance de l'utilisation par le salarié de son matériel informatique et spécialement
de la connexion internet mise à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son activité professionnelle est
à l'origine d'une jurisprudence fournie de la Cour de cassation.

Celle-ci a débuté avec le très remarqué arrêt Nikon du 2 octobre 200112 . Dans cet arrêt, la Cour de cassation
avait affirmé que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie
privée et que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances.

Elle en avait tiré pour conséquence que l'employeur ne peut sans violation de cette liberté fondamentale prendre
connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa
disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle
de l'ordinateur.
Mais cette solution a été fortement critiquée au motif qu’elle surprotégeait la vie privée du salarié.
Depuis, la jurisprudence s’efforce d’être plus nuancée, dans un souci d'équilibre entre le droit au respect de la
vie privée du salarié et les prérogatives de l'employeur.

Ainsi, dans un arrêt du 17 mai 200513 qui concernait des fichiers personnels sur l’ordinateur professionnel d’un
salarié, la Cour de cassation a réaffirmé le caractère privé de ces fichiers, mais elle a posé une limite à la
protection : l'ouverture est possible :
- soit en présence du salarié ou si celui-ci a été dûment appelé,
- soit en cas de risque ou d'événement particulier, ce qui évoque principalement la commission d'une
infraction, comme la détention d'images à caractère pédopornographique.
Cet infléchissement de la jurisprudence été confirmé par plusieurs arrêts de la Cour de cassation.

Il a été notamment précisé en 2006 que les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l'outil informatique
mis à sa disposition par son employeur pour l'exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les
identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l'employeur peut y avoir
accès hors de sa présence.

2.- Vie privée et liberté d’expression

Le conflit nait de ce que la liberté d’expression est une liberté qui fait l’objet d’une protection particulière.
L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme énonce en son premier paragraphe
notamment que « toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et
la liberté de recevoir ou communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence
d'autorités publiques et sans considération de frontière ».

12 JCP E 2001. 1918, note C. Puigelier, Semaine sociale Lamy 15 oct. 2001, p. 8 et s., note G. Lyon-Caen, et p. 12 et s., entretien
A. Mole ; S. BRÉZIN et I. DE BENALCAZAR, L'application du principe du secret des correspondances aux courriers électroniques reçus ou
émis à l'aide d'un outil informatique à usage professionnel, TPS, janv. 2002, p. 5 et s. ; adde : M. BOURRIÉ-QUENILLET et F. RODHAIN,
L'utilisation de la messagerie électronique dans l'entreprise. Aspects juridiques et managériaux en France et aux États-Unis, JCP 2002.
I. 102, spéc. no 9

13 (Soc. 15 mai 2005, n 03-40.017


o , Bull. civ. V, no 165, CCE 2005, Comm. 121, obs. A. Lepage ; J.-E. RAY, L'ouverture par
l'employeur des dossiers personnels du salarié, Dr. soc. 2005. 789)
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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

Certes, ce droit à la liberté d'expression proclamé à l'article 10 s'exerce le cas échéant sous réserve de la
protection du droit au respect de la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la même convention.

Dans des arrêts remarqués, la première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé que  les droits au
respect de la vie privée et à la liberté d'expression revêtent, eu égard aux articles 8 et 10 de la Convention
européenne et 9 du code civil, une identique valeur normative. Ils font ainsi devoir au juge de rechercher
leur équilibre «  et, le cas échéant de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus
légitime » (Civ. 1re, 9 juill. 2003).

Mais l’on peut constater que, dans la jurisprudence de la CEDH et, sous son influence, dans la jurisprudence des
juridictions françaises, la liberté d'expression l'emporte de plus en plus souvent face aux droits de la
personnalité.

Alors, dans quels cas, la liberté d’expression peut-elle traiter d’éléments de la vie privée des personnes ?

1) La 1ère hypothèse est celle ou les faits perdent leur caractère privé pour devenir publics, à cause de leur
notoriété ou du caractère public du lieu où ils ont été accomplis.
Il y a par exemple, une jurisprudence de 1974 qui considère que Serge Gainsbourg et Jane Birkin ne peuvent pas
empêcher le compte rendu d’une scène de ménage dans la presse parce qu’elle a eu lieu dans un studio
d’enregistrement en présence d’un grand nombre de personnes.

2) La deuxième hypothèse assez proche, c’est celle de faits relevant de la vie privée mais qui ont été révélés au
public par la personne elle-même. La personne a ainsi conféré un caractère public à ces éléments de sa vie
privée.

3) 3ème hypothèse  : C'est encore la liberté d'expression qui l'emporte sur le droit au respect de la vie privée
lorsque les faits révélés sont considérés comme ayant un caractère anodin

Il y a ainsi toute une série de décisions de la Cour de cassation qui concernent la famille princière de Monaco.
Dans une décision, Civ. 1re, 3 avr. 2002, elle refuse de condamner un journal qui faisait état, sans le consentement
de la principale monégasque intéressée, de détails concernant son divorce en raison du caractère anodin des
indications et il en va de même, dans une décision de 2004, ( Civ. 2e, 19 févr. 2004, no 02-11.122) concernant les
préparatifs et l'accouchement de Caroline de Monaco.
Ce critère du caractère anodin de l’information est toutefois malaisé à utiliser. Ainsi, on peut être surpris de voir
que le TGI de Paris a considéré qu’une addiction à la cocaïne, était un fait anodin «  dans le milieu social de
l'époque en cause », mais en l'occurrence également fait notoire : TGI Paris, 15 déc. 2008, Légipresse 2009, I, p. 38.

4) 4ème et dernière hypothèse, la plus récente, est celle où le juge estime qu’il y a une certaine pertinence à ce
que l’élément de vie personnelle en cause soit révélé.
Cette pertinence est avérée dans deux circonstances :
- l'information sur le fait d’actualité
- la contribution à un débat général.

Sur le premier point, l’idée est que la nécessité d'informer de l'actualité amène nécessairement à évoquer certains
aspects de la vie privée des personnes qui y sont impliquées.
Ainsi, la Cour de cassation a considéré que la révélation de l'appartenance à la franc-maçonnerie peut trouver un
élément de justification dans le fait qu'elle « s'inscrivait dans le contexte d'une actualité judiciaire » (Civ. 1re, 24 oct.
2006
L'actualité peut être également relative à une catastrophe naturelle, comme un tsunami qui a fait de très
nombreuses victimes en Asie, parmi lesquelles se trouvaient des touristes français (jugé ainsi au sujet de l'article
qui décrivait l'arrivée du raz-de-marée et les circonstances dans lesquelles des familles européennes avaient été

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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

touchées, et qui était illustré de photographies d'enfants disparus, que «  le sujet traité avait suscité un intérêt
majeur du public et que le magazine pouvait légitimement en rendre compte une semaine après l'événement  :
Versailles, 29 juin 2006
Plus délicate à cerner est l’idée que la révélation d’un élément de la vie personnelle puisse contribuer à un débat
d’intérêt général.
La Cour de cassation et la CEDH distinguent selon que l’information sur la vie privée constitue ou non un
« débat d’intérêt général ». Est légitime en ce sens, une information, même portant sur la vie privée lorsqu’elle
présente un intérêt pour un tel débat, à condition toutefois de n’être ni outrancière ni porteuse d’une atteinte à la
dignité humaine
Par exemple, la révélation de l'orientation sexuelle du secrétaire général du Front National, dans un ouvrage
portant sur un sujet d'intérêt général se rapportant à l'évolution de la position d'un parti politique sur la question
de l'union des personnes de même sexe, a été jugée comme n’étant pas contraire à l'article 9 du code civil
(Civ. 1re, 9 avr. 2015, no 14-14.146  , Dalloz actualité, 22 avr. 2015, obs. Mésa).
On voit toutefois que ce concept est lui aussi très délicat à manier.

B.- Le droit de la personne  sur son image

La notion d'image de la personne est simple à saisir. Elle désigne la représentation de la personne par quelque
moyen que ce soit, photographie, image filmée, mais aussi, même si cette forme d'image est moins présente dans
le contentieux, peinture ou dessin représentant le portrait de la personne.
L’idée est que, sous certaines conditions, toute personne peut s’opposer à ce que des tiers, non autorisés,
reproduisent son image.

Nous allons aborder deux points :

1.- La portée générale du droit à l’image

a).- Le fondement du droit à l’image

À la différence du droit au respect de la vie privée qui est gravé dans le code civil, le droit sur l'image n'a reçu
nulle consécration du législateur.
Mais le droit sur l'image a été consacré par la Cour de cassation qui, dans une décision de 1998, a posé le
principe que «  selon l'article  9 du code civil, chacun a le droit de s'opposer à la reproduction de son
image » (Civ. 1re, 13 janv. 1998, no 95-13.69414.
Quelque temps après, la Cour de cassation a affirmé sans ambiguïté l'indépendance du droit au respect de la vie
privée par rapport au droit sur l'image, en déclarant que «  l'atteinte au respect dû à la vie privée et l'atteinte au
droit de chacun sur son image constituent des sources de préjudice distinctes, ouvrant droit à des réparations
distinctes » (Civ. 1re, 12 déc. 2000, no 98-21.161)15.   

Il s’agit donc d’un droit de la personnalité comparable au droit au respect de la vie privée. En vertu du droit sur son
image, la personne dispose d'un droit en vertu duquel elle peut s'opposer à sa fixation, à sa reproduction ou à son
utilisation sans son autorisation préalable.

14 JCP 1998. II. 10082, note G. Loiseau, D. 1999. Somm. 167, note Ch. Bigot.

15 D. 2001. 2434, note J.-Ch. Saint-Pau  , CCE 2001. Comm. 94, 1re esp., obs. A. Lepage).
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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

Ce droit sur l'image permet à son titulaire de protéger son intégrité morale (par exemple, de s'opposer à ce que
son image soit associée à des idées politiques ou philosophiques contraires aux siennes), mais il permet
également notamment de s'opposer à ce que ses traits fassent l'objet d'une exploitation commerciale sans son
autorisation. On peut ainsi considérer que le  droit sur l'image  en tant que tel, comporte un aspect moral et un
aspect économique.

b).- Les conditions du droit sur l’image

Une personne ne peut prétendre faire respecter son image que si trois conditions sont remplies :

1) La personne doit être identifiable

Il ne saurait y avoir atteinte à l’image d’une personne si celle-ci ne peut être reconnue.
La Cour de cassation a eu l’occasion de l’affirmer dans une affaire singulière. Un magazine, sous le titre «  Photos
porno de l’actuelle femme d’un haut magistrat français » avait publié des photos d’une femme nue mais la face
totalement cachée avec seulement comme indication qu’elle était une ancienne prostituée, que son mari était
président de chambre dans une cour d’appel du sud de la France et qu’elle avait ainsi bien réussi sa reconversion.
Une femme a porté plainte mais la Cour de cassation a confirmé la position des juges du fond qui l’avait déboutée
au motif de l’absence d’identification de la personne photographiée (Cass. Civ. 1ère, 21 mars 2006, JCP, G, 2006,
IV, 1886, RTD civ. 2006.535, obs. J. Hauser).

Mais ce n’est pas parce que le visage de la personne est caché que celle-ci ne pourra être identifiée.

La cour de cassation vient de le rappeler dans une décision récente, Cass. 1re civ., 29 mars 2017, n° 15-28.813, à
propos d’un reportage de la chaîne de télévision M6. Ce reportage, consacré à l’histoire d’une jeune femme qui
avait fait croire, pendant plusieurs années, sur le réseau internet, qu’elle était atteinte d’affections graves,
comportait une séquence, filmée en caméra cachée, au cours de laquelle deux journalistes, se faisant passer pour
des proches de cette femme, consultaient son médecin généraliste. Celui-ci, invoquant l’atteinte ainsi portée au
droit dont il dispose sur son image a poursuivi la chaîne.

Les juges constatent que, même si le visage du médecin était masqué et sa voix déformée, il ressortait des
témoignages des personnes ayant fréquenté son cabinet, en qualité d’infirmière, de déléguée médicale ou de
patients, qu’elles avaient immédiatement et très clairement reconnu sa silhouette et sa physionomie, ainsi que son
cabinet de consultation, de sorte que le médecin était identifiable.

2) La personne ne doit pas avoir autorisé sa représentation

Pour qu’une personne puisse évoquer un droit sur son image, il faut que la publication ait été faite sans son
autorisation. Celle-ci peut être expresse ou tacite.
Elle sera expresse lorsqu’une cession du droit d’exploitation de l’image aura été conclue. Elle sera tacite quand elle
résultera du contexte dans lequel l’image a été prise : un homme politique qui prend la parole en public devant
des photographes ou des caméras de télévision donne ainsi une autorisation tacite de reproduire son image.
Dans une logique comparable, la Cour de cassation a refusé de reconnaître à l’instituteur du film « Etre et avoir » le
droit de se prévaloir d’un droit à l’image dès lors qu’en se laissant filmer, il avait nécessairement consenti à
l’utilisation de son image ( Cass. Civ. 1ère, 13 nov. 2008, Etre et avoir).
Que l’autorisation soit expresse ou tacite, elle ne vaut bien sûr que dans la limite de ce qui a été autorisé.

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3) La reproduction de l’image d’une personne sans son autorisation n’est condamnable que si elle
porte atteinte à sa vie privée.

Mais il faut immédiatement précisé que l’atteinte à la vie privée est nécessairement constituée dans un grand
nombre de cas.

- Il en va ainsi, notamment, des photographies de vacances, des photographies « familiales », des photographies
prises à l’intérieur d’une propriété privée.
- Il en va ainsi également des images de nu, qu'elles soient réalisées initialement avec le consentement du
modèle, sauf bien sûr autorisation, ou sans son consentement.

2.- La conciliation du droit sur l’image, de l’information et de la liberté artistique :

On va retrouver la même logique que pour le respect du droit à la vie privée, accentuée par le fait que l’image est
désormais un instrument majeur de diffusion de l’information.

a).- Les limites tenant aux nécessités de l’information et de la création artistique

Si le droit qu’a chacun sur son image est en principe absolu, il connaît une importante limite tirée, tout d’abord, des
nécessités de l’information.

Si une personne est impliquée dans un événement ou que son image est en relation avec une information
générale, le droit du public d’être informé l’emporte sur le droit de la personne sur son image.
Par exemple, il a été jugé, à propos de l’attentat qui avait eu lieu, il y a quelques années, à la gare Saint-Michel du
RER à Paris que les personnes photographiées et impliquées dans l’événement ne pouvaient s’opposer à la
diffusion des photos (Cass. Civ. 1ère, 20 février 2001). De même, quelqu’un qui avait défilé contre le PACS dans
une manifestation n’a pu s’opposer à la diffusion de son image en illustration de cette manifestation.

La même réponse est apportée lorsque l’image est utilisée à seule fin de création artistique, mais c’est bien sûr,
plus délicat à apprécier. Une dame qui avait été photographiée à son insu, assise sur un banc public, avec son
portable et son chien assis à côté d’elle a été déboutée de sa demande de protection de son image parce que la
photo avait été prise par un artiste pour illustrer un album de photos consacrées à la vie quotidienne (CA Paris, 5
nov. 2008). L’idée est de toujours favoriser la création artistique.

Mais ces limites au droit à l’image comportent elles-mêmes une limite :

b).- La nécessité de toujours respecter la dignité du modèle photographié

Dans les hypothèses où la vie privée n'est pas en cause ou que le droit à l’information ou à la création artistique
s’appliquent, le juge retient quand même une atteinte au droit à l'image si la  dignité  de la personne est
affectée par la publication du cliché.

- Cette dignité sera affectée quand l’image sera indécente - il a été jugé ainsi pour la publication de la photo
du cadavre du préfet Erignac gisant dans un caniveau après son assassinat (Cass. Civ. 1ère, 20déc. 2000) –
ou pourra porter atteinte à sa réputation. Tel est notamment le cas des personnes photographiées menottes
en main ou embarquées par la police quand elles bénéficient encore de la présomption d’innocence.

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- Il suffit que la photographie soit dégradante. Ainsi, la diffusion d'une image est sanctionnée comme portant
atteinte au respect dû à la dignité d'autrui lorsqu'elle montre un ancien chanteur « dans un état de fatigue
extrême sans nécessité pour une légitime information du public ».
(TGI Paris, réf., 16 sept. 2014, n° 14/57209 (Johnny ? ).

- Mais la dignité de la personne sera encore affectée quand l’image est correcte mais publiée dans un
cadre qui ne l’est pas. Est ainsi considérée comme outrageante la publication d'une photographie pour
illustrer des articles parus dans une revue pornographique. Il en va, de même, également pour l'illustration
d'un article de presse sur la prostitution par une photographie issue d'un film dans lequel une actrice jouait
le rôle d'une péripatéticienne (TGI Paris, 26 févr. 1992).  

Voilà ce que l’on pouvait dire sur le droit à l’image et, au-delà sur l’ensemble du régime de protection de la
personne.

Nous avons jusqu’ici uniquement parlé des personnes physiques. A côté de celles-ci existent d’autres personnes,
dites morales, qui empruntent certaines, mais pas tous, de leurs caractéristiques.

Cours du 23 novembre

TITRE III : LA PERSONNE MORALE

Selon le dictionnaire de vocabulaire juridique de G. Cornu, une personne morale est un « groupement doté, sous
certaines conditions, d'une personnalité juridique plus ou moins complète ».

Les personnes morales sont donc des groupements de personnes physiques ou des masses de biens ( des
fondations) qui vont en partie être assimilés, en droit et de manière un peu fictive, à des personnes physiques.
Il va s’agir de groupements publics, comme l’Etat ou les collectivités territoriales (Région, département,
commune...) ou de groupements privés, comme les sociétés ou les associations. S’y ajoutent des organismes un
peu particuliers comme les fondations.

Cette notion de personne morale existe depuis l’Antiquité parce qu’elle est absolument nécessaire pour organiser
la vie en société.

I.- GENERALITES SUR LES PERSONNES MORALES 

A.- Quel est l’intérêt d’avoir recours à cette notion ?

Cet intérêt est triple :

L’intérêt réside d’abord dans une recherche d’efficacité et de simplicité juridique

A partir du moment où des individus se regroupent pour agir en commun, dans le domaine social, politique,
économique ou culturel, il est indispensable que ce groupement puisse faire, en son nom propre, des actes
juridiques.

Si, par exemple, une société n’avait pas la capacité juridique pour conclure elle-même des contrats, il faudrait que
chaque contrat soit contresigné par tous les actionnaires de la société.

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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

Et si l’on raisonne au niveau de l’Etat, si l’on ne reconnaissait pas à l’Etat une personnalité juridique, il faudrait,
pour que la France soit engagée par un traité international, que tous les citoyens signent individuellement
ledit traité.

L’intérêt réside, en deuxième lieu, dans une recherche de stabilité et de sécurité juridique.

Il faut que le groupement puisse exister indépendamment des individus qui le composent sinon, la disparition
ou le retrait d’un de ces individus remettraient en cause les engagements souscrits et obligeraient à la dissolution
du groupement. Même si les actionnaires d’une société ou les membres d’une association changent, la société ou
l’association restent liées par leurs engagements et restent responsables des fautes qu’elles ont commises.

Le troisième intérêt est d’ordre patrimonial.

En reconnaissant une personnalité au groupement, on va lui reconnaître un patrimoine distinct de celui de ses
membres. En cas de difficultés financières, les membres ne seront pas inquiétés sur leur propre patrimoine.

Par exemple, quand des personnes physiques décident de créer une société, elles vont apporter une partie de leur
patrimoine à cette société (apports financiers en capital ou apports en nature) qui va ainsi se constituer un
patrimoine propre. Si la société fait faillite, les créanciers pourront se dédommager sur le patrimoine de la société
mais ne pourront pas poursuivre les membres de celle-ci en s’attaquant à leur patrimoine propre.

L’idée est donc bien de doter certains groupements, de manière fictive, d’une personnalité juridique
comparable à celle dont bénéficient les personnes physiques afin de les rendre autonomes.

Mais alors qu’une personne physique jouit de la personnalité juridique du seul fait de son existence et que celle-ci
lui confère des droits clairement identifiés et les mêmes pour tous, la reconnaissance d’une personnalité aux
groupements soulève deux difficultés :

- La première concerne la reconnaissance de cette personnalité morale  : sous quelles conditions faut-il
reconnaître à un groupement la personnalité morale ?
- La seconde difficulté concerne les conséquences de cette reconnaissance  : qu’est-ce que cela implique
très exactement, pour un groupement, d’avoir la personnalité morale ?

Ce qui rend les réponses un peu compliquées, c’est qu’elles varient pour chaque catégorie de groupement. Mais
on peut toutefois dégager des principes généraux.

B.- Identification et individualisation de la personne morale

Comme pour les personnes physiques, l'exercice de leur activité juridique par les personnes morales suppose
qu'elles puissent être identifiées.

Ainsi ont-elles un nom, un domicile et une nationalité. La question se pose aussi de savoir si elles peuvent avoir
une vie privée à protéger.

Voyons chacun de ces éléments

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droit des personnes - Nathalie Duchon-Doris

1- Le nom des personnes morales

N'exprimant pas un rapport de famille, le nom des personnes morales est en principe librement déterminé par
les fondateurs. Il est par la suite susceptible d'être modifié à tout moment dans les conditions prévues pour la
modification de l'acte constitutif du groupement dont il constitue un des éléments. Pour cette raison, il doit
d'ailleurs être soumis aux mêmes exigences de publicité que cet acte.

Le choix du nom n'est toutefois pas entièrement libre.


En particulier, la détermination du nom doit respecter les droits des tiers. Aussi, sauf accord de son titulaire, ne
peut être choisi  un nom patronymique illustre ou spécialement original, le nom d'une autre personne morale si
celui-ci jouit d'une grande notoriété ou s'il y a risque de confusion.
Enfin, s'il est possible d'adopter le patronyme d'un membre ou fondateur, encore faut-il qu'il n'en résulte pas
un risque de confusion avec la dénomination d'une autre personne morale.

Le nom est pour les personnes morales l'objet d'un droit privatif. En conséquence, elles sont libres de le céder, à
titre gratuit ou onéreux, ou d'en donner licence contre versement d’une redevance .
Et, sous réserve qu'il soit suffisamment original, elles peuvent en interdire l'usage aux tiers.
En tant qu'il constitue un élément de son patrimoine, il est admis que le groupement qui le porte a la possibilité
d'agir en justice pour en assurer la défense.

2- Le domicile des personnes morales :

Comme les personnes physiques, les personnes morales ont un domicile.

En principe celui-ci est à leur siège social et celui-ci est déterminé par l'acte constitutif du groupement. Il peut
être transféré par l'effet d'une modification de cet acte. Mais pour éviter de désigner des sièges fictifs dans un
paradis fiscal, la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales a précisé, dans son article 3, que le
domicile doit être fixé au siège social réel de la société, c’est-à-dire au lieu du principal établissement, c'est-à-
dire encore plus précisément au lieu où se trouve leur direction juridique, financière, administrative et technique.

Le domicile des personnes morales présente principalement un intérêt en cas de litige, puisqu'il permet de
déterminer la juridiction territorialement compétente ainsi que le lieu où doivent être faites les notifications qui
leur sont destinées.

Mais pour des raisons pratiques, la règle de l’unité du domicile est souvent gênante, notamment pour les
particuliers qui devraient alors, en cas de litige, s’adresser à la juridiction du lieu du siège social alors qu’ils peuvent
eux-mêmes en être géographiquement très éloignés. Aussi, la jurisprudence a-t-elle développé très tôt une
solution plus souple, écartant la règle d’unité du domicile. C’est la jurisprudence dite des « gares principales »
pour permettre aux particuliers de saisir le tribunal du lieu où la société a un établissement important. Cela
signifie que, désormais, toute personne morale peut être assignée, ou recevoir une notification, dans tout lieu où
elle a une succursale ou une agence ayant le pouvoir de la représenter à l'égard des tiers, à la condition cependant
que l'affaire litigieuse ait été engagée par cette succursale ou agence ou que le fait générateur de responsabilité
se soit produit dans le ressort territorial de celle-ci.

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3- Nationalité des personnes morales

En règle générale, la nationalité des personnes morales de droit privé est déterminée par référence à leur siège
social. En application de ce critère, une personne morale est française ou étrangère selon que son siège est
situé en France ou à l'étranger. S'agissant des personnes morales de droit public, elles sont nécessairement
rattachées à la loi de l'État dont elles émanent.

II.- Les conséquences de la reconnaissance de la personnalité des


personnes morales.

On va en étudier rapidement trois :

A. La capacité juridique des personnes morales

Les personnes morales, une fois reconnue leur personnalité, acquièrent une certaine capacité de jouissance et
d’exercice. Elles ont, en particulier, la possibilité d’ester en justice, c’est-à-dire de défendre leurs intérêts devant la
justice.
Mais cette capacité n’est pas aussi élargie que celle reconnue aux personnes physiques. Tout d’abord, il y a
des droits dont elles ne peuvent pas jouir, par nature. Par exemple, elles ne peuvent pas se marier au même titre
que les personnes physiques ou encore adopter. Mais surtout, la capacité des personnes morales doit être
cantonnée dans le champ défini par leur spécialité.
Cette capacité est en effet soumise à la fois au principe de la spécialité légale et au principe de la spécialité
statutaire.

1- Spécialité légale

En vertu du principe de la spécialité légale, les personnes morales voient leur champ d'action et l'étendue de
leurs prérogatives limités à la réalisation du but et de l'objet spécifiés par la loi pour la catégorie à laquelle
elles appartiennent.

Ainsi, par exemple, un syndicat ne peut agir que pour la défense d'intérêts professionnels (C. trav., art. L. 2131-1)
ou un groupement d'intérêt économique pour faciliter ou développer l'activité économique de ses membres
(C. com., art. L. 251-1).

2- Spécialité statutaire

La capacité des personnes morales se trouve, en second lieu, restreinte par le principe de la spécialité statutaire
qui, là encore, s'applique aux personnes de droit privé comme à celles de droit public.

La limitation de leur activité résulte alors de l'objet et du but concrets déterminés par leurs statuts.

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Selon le nouvel article 1145 du code civil (à partir du 1er oct. 2016), consacré à la capacité contractuelle, si
«  …toute personne physique peut contracter sauf en cas d'incapacité prévue par la loi…  », «  …la capacité des
personnes morales est limitée aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts… ».

Par suite, les actes accomplis en violation des principes de spécialité légale et statutaire sont irréguliers.

B- La protection des droits de la personne morale

En conséquence de la reconnaissance de leur personnalité, les personnes morales vont pouvoir bénéficier de
la protection de droits extrapatrimoniaux dans des conditions assez proches de celles des personnes
physiques.

Le groupement a, par exemple, comme on l’a dit ci-dessus, le droit à la protection de son nom, ce qui le fonde à
en interdire l'utilisation par un tiers s'il y a risque de confusion. Et il en est de même pour le sigle qui le désigne.
Les personnes morales ont également droit à la protection de leur domicile. Parce qu'il participe à la définition de
leur sphère d'autonomie, elles peuvent en interdire l'accès aux tiers dont les intrusions sont passibles d'une
sanction pénale ou civile.

Mais, au-delà, on admet que les personnes morales, comme les personnes physiques, ont droit au respect de
leur honneur et de leur réputation.

Elles peuvent ainsi obtenir réparation des injures et diffamations qui les atteignent, en exerçant un droit de
réponse (L. 29 juill. 1881, art. 13, sur la liberté de la presse,), ou en intentant une action pénale ou civile.
Par exemple, dans une décision (Cass. civ. 2e, 5 mai 1993) a été mise en jeu la responsabilité d'un analyste financier
auquel une société reprochait des appréciations tendancieuses de nature à porter atteinte à sa réputation et son
image.

Par ailleurs, il est également reconnu que les personnes morales ont droit à la tranquillité, comme en atteste la
jurisprudence réprimant le harcèlement commis à leur encontre.
Dans une décision Cass. crim. 25  oct. 2000, on apprend que le dirigeant d'une société avait composé, pendant
plusieurs heures, trois cents fois au cours de trois demi-journées, le numéro vert (destiné à recevoir les appels des
clients) d'une société concurrente en vue de bloquer le standard téléphonique de cette dernière et de faire, par là
même, échec au libre jeu de la concurrence. Cette société a porté plainte et a obtenu la condamnation du dirigeant
pour harcèlement.

Plus généralement encore, un mouvement amorcé depuis la fin du XXe  siècle tend à l'assimilation des
personnes morales aux personnes physiques au regard de l'application de la Convention Européenne des
droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales.
Ont été ainsi reconnus par la Cour Européenne des droits de l'homme et au bénéfice de personnes morales le
droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention ou encore le droit au secret des
correspondances protégé par l'article 8 de la Convention.

Faut-il également reconnaître un droit au respect de la vie privée des personnes morales ?

L'arrêt rendu par la Première Chambre civile de la Cour de cassation, le 17 mars 2016, est à cet égard éclairant.
En l'espèce, les propriétaires d'un immeuble avaient fait installer un système de vidéo surveillance et un projecteur
dirigé vers un passage indivis desservant à la fois l'accès de l'immeuble et la porte d'accès au fournil d'une
boulangerie. Par suite, la société exploitant la boulangerie avait saisi la justice pour obtenir le retrait de ce dispositif,

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ainsi qu'une indemnité, sur le fondement de l'atteinte au respect de la vie privée, ce à quoi avait fait droit la cour
d'appel.
Mais l'arrêt est cassé : la Cour de cassation relève que « si les personnes morales disposent, notamment, d'un droit à
la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes
physiques peuvent se prévaloir d'une atteinte à la vie privée au sens de l'article 9 du code civil [...] ».

C’est peut-être un coup d’arrêt à une assimilation complète des personnes morales et physiques.

C- Responsabilité de la personne morale

Les personnes morales sont susceptibles de voir engager leur responsabilité.

1- Le principe en a toujours été admis en matière de responsabilité civile

En leur qualité de sujet de droit, les personnes morales sont tenues de répondre de leurs faits dommageables.
Les personnes morales peuvent ainsi être actionnées en responsabilité contractuelle par leurs membres ou par les
tiers qui sont liés à elles par un contrat.
En matière délictuelle, leur responsabilité est également engagée par les fautes commises par leurs
représentants et dirigeants sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

2.- Le principe est plus délicat à appliquer en matière de responsabilité pénale

Le principe traditionnel d'irresponsabilité pénale des personnes morales a été abandonné par le nouveau
code pénal - entré en vigueur le 1er mars 1994 -, dans son article 121-2.

Selon cette disposition, les personnes morales encourent désormais une responsabilité pénale mais seulement
dans les cas prévus par la loi et le règlement, tant en qualité d'auteur principal que de complice, en raison « des
infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

Seules les personnes morales de droit public, font l’objet d’une certaine protection. L'article 121-2 dispose
que sont pénalement responsables « les personnes morales, à l'exclusion de l’État ».

Mais, bien sûr, en raison de leur nature abstraite, la mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales
obéit à des règles de procédure qui leur sont propres. En particulier, elle débouche sur des peines adaptées.

Si elles échappent bien sûr à la prison, en matière d’amende, notamment, la condamnation est plus lourde. Les
dispositions (de l'article  131-38, alinéa  1er,) du Code pénal, notamment, posent en principe que «  Le taux
maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes
physiques par la loi qui réprime l’infraction ».

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TITRE IV : INCAPACITES ET PERSONNES PROTEGEES

Le dernier titre du programme est consacré aux incapacités et aux personnes protégées. On ne peut ici qu’en faire
une présentation résumée.

On peut faire sur ce point plusieurs remarques :

1. En ce domaine, on a glissé d’une logique de sanction de l’incapacité à une logique de


protection de la personne diminuée.

Pendant longtemps, on n’a raisonné en droit français qu’en termes d’incapacités.

La capacité est l’aptitude d’une personne à être pleinement sujet de droits et d’obligations, c’est-à-dire à
acquérir des droits et à les exercer et à supporter des obligations. C’est un attribut normal de la personnalité
juridique et, en conséquence, la capacité est la règle.

A de nombreuses reprises, notre droit le rappelle.

L’article 8 du code civil pose le principe que « tout Français jouira des droits civils »
L’article 1123 du code civil précise : « Toute personne peut contracter si elle n’est pas déclarée
incapable par la loi ».

Il existe toutefois un certain nombre d’hypothèses, où la capacité de la personne va être remise en cause. En
fonction de son âge, de son comportement, de ses déficiences mentales, elle va être considérée comme plus ou
moins incompétente, « incapable », et ses droits et obligations vont être en partie limités ou confiés à un tiers qui va
les exercer à sa place.
Il s’est agi pendant longtemps uniquement de limiter les droits et obligations de la personne visée, de
l’empêcher d’agir dans l’intérêt de la société. L’incapacité intervenait comme une sanction.
A cette logique de sanction de l’incapacité, s’est aujourd’hui substituée une logique différente de protection de la
personne incapable. L’idée n’est plus de la sanctionner mais principalement de la protéger contre ses propres
faiblesses.
On parle alors d’incapacités de protection. Il s’agit d’empêcher ces personnes de prendre de mauvaises
décisions ou d’accomplir des actes préjudiciables à leurs intérêts.

2. Il existe deux grandes catégories d’incapables. Elles ne répondent pas à la même


logique.

a) La 1ère catégorie est celle des mineurs.

Tous les mineurs sont, en principe, frappés d’une incapacité d’exercice, sauf s’ils ont été émancipés.
La minorité est l'état d'une personne qui n'a pas encore atteint l'âge de 18 ans accomplis.
Cette incapacité s’impose sans qu’elle ait à être constatée par un juge. Elle prend fin à la majorité. Et le mineur,
jusque-là, sera représenté, selon les cas, par ses parents ou par un tuteur.
Toutefois, ce principe n'est pas d'une rigidité absolue.
- D’une manière générale, il est admis que le mineur, en fonction de son âge et des circonstances, peut faire
seul certains actes que « l’usage » dit l’article 408 du code civil, autorise les mineurs à faire seuls.

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- Le droit admet aujourd'hui qu'une certaine différence s’opère entre l'enfant qui manque de discernement et
celui qui est en est capable.
Par exemple, en application de l'article 122-8 du Code pénal : “Les mineurs capables
de  discernement  sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions
dont ils ont été reconnus coupables, dans des conditions fixées par une loi
particulière”. Tout dépendra des circonstances de fait.

- Enfin, il faut étudier à part le cas du mineur émancipé. L'émancipation doit être entendue comme l'acte par
lequel le mineur est affranchi de l'autorité parentale ou de la tutelle et acquiert une capacité juridique
comparable, sauf quelques exceptions, à celle d’un majeur. Elle lui donne l'usage des droits civils attachés à
la majorité.

Elle est soit acquise de plein droit par le mariage, soit décidée par le juge des tutelles si plusieurs conditions
sont remplies :
- le mineur doit être âgé d'au moins 16 ans 
- la requête doit être déposée par les parents du mineur  ou, à défaut, par le conseil de famille ou le juge des
tutelles
- il faut qu’il y ait « de justes motifs » (C. civ., art. 413-2, al. 2) laissés à l’appréciation du juge.

- Par exemple, il a été jugé qu’est légitime et justifiée une émancipation demandée pour un mineur qui,
ayant conclu un contrat de travail ou d'apprentissage, est appelé à vivre loin de sa famille et qui a
acquis une réelle indépendance de fait. C’est également le cas pour un mineur qui est devenu soutien
matériel de sa famille après le décès de son père, l'émancipation lui donnant les moyens juridiques
d'assumer sa mission.

b) La 2ème catégorie est celle de certains majeurs.

Pour les majeurs, l’incapacité est l’exception. Elle ne peut être que la conséquence d’une altération de leurs
capacités mentales ou physiques, et, pour cela, il faut qu’elle soit constatée médicalement et que soit décidée par
un juge, généralement le juge des tutelles. Il y a donc toujours l’intervention d’une décision judiciaire.

Les mesures de protection les plus courantes sont :


- la sauvegarde de justice
- la curatelle
- la tutelle

Elles sont décidées par le juge des tutelles.

La mise sous sauvegarde de justice est une mesure de protection temporaire destinée à protéger une personne
majeure et/ou tout ou partie de son patrimoine  dans les actes de la vie civile, ou à la représenter pour certains
actes déterminés La sauvegarde de justice ne peut dépasser 1 an, renouvelable une fois par le juge. La durée
totale ne peut donc excéder 2 ans.

La curatelle est une mesure de protection judiciaire qui ne prive que partiellement une personne de l'exercice
de ses droits. C'est une mesure d'assistance et de conseil, contrairement à la tutelle qui est une mesure de
représentation. Le majeur sous curatelle est capable d'effectuer seul certains actes et pour d'autres actes, il
doit être assisté. La personne protégée peut accomplir elle-même des actes d'administration, mais elle ne peut
pas accomplir seule des actes de dispositions (il existe une liste arrêtée par décret des actes d'administration et
des actes de dispositions pour la tutelle et la curatelle). Les actes de dispositions doivent être faits avec l'assistance
du curateur.

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La tutelle est le régime de protection le plus contraignant et le plus lourd à mettre en œuvre. La personne
incapable d'accomplir elle-même les actes de la vie civile est représentée de manière continue par le tuteur
en charge de sa protection.

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