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UNIVERSITE DE KINSHASA

FACULTE DE DROIT

DROIT CONSTITUTIONNEL CONGOLAIS


(Cours polycopié à l’usage des étudiants de 2ème Graduat)

Professeur Ambroise KAMUKUNY MUKINAY

Année académique 2010-2011


2

INTRODUCTION GENERALE

Le Droit constitutionnel congolais est le prolongement logique du cours


de Droit constitutionnel général prévu dans le programme de première année de
graduat en Droit. Il est en fait la mise en pratique concrète de diverses théories de
droit constitutionnel apprises en premier graduat.

Dans la présente introduction, il importe d’abord de discuter de


l’existence même d’un droit constitutionnel congolais avant de s’interroger sur
l’importance de l’enseignement d’un cours portant sur les textes dont il s’avère
risqué de parier de leur applicabilité concrète dans les sociétés humaines, ensuite
d’expliquer les méthodes d’approche utilisées pour rendre saisissable l’enseignement
des notions aussi perpétuellement fuyantes, enfin d’énoncer un plan succinct.

I. La problématique de la naissance d’un droit constitutionnel congolais

L’état de la question de la naissance du droit constitutionnel congolais


ne semble pas très éloigné de l’histoire du droit constitutionnel et de son
enseignement dans le monde. L’expression « droit constitutionnel » est apparu en
France une quinzaine d’années avant la Révolution de 1789, lorsque s’est aggravée la
crise politique entre la Grande Bretagne et ses colonies d’Amérique du Nord, qui
sont devenues les Etats-Unis d’Amérique1.

Cette expression a été employée dans trois sens différents. D’abord, elle
désigne un droit, une faculté qui appartient à une personne ou à une collectivité, en
vertu de la Constitution. Ainsi, la faculté de refuser de payer un impôt n’ayant pas
été régulièrement établi fait partie des « droits constitutionnels » des Américains.

Ensuite, l’expression « droit constitutionnel » a désigné l’ensemble des


règles de droit, des normes juridiques, se rattachant à la Constitution d’un pays. On
dénonce de la sorte une décision royale qui porte atteinte « au droit constitutionnel
de la Provence », c’est-à-dire aux règles qui forment, selon les juristes provençaux,
avant la Révolution (française), la Constitution de leur pays.

Enfin, l’expression « droit constitutionnel » a été utilisée pour qualifier


la discipline intellectuelle, la science ayant pour objet l’étude des règles
constitutionnelles. On a commencé à parler, au début de la Révolution (française), de
« professeur de droit constitutionnel », chargé d’enseigner cette nouvelle branche du
droit, qu’on appelait aussi « droit politique ».
Afin de comprendre que la problématique de la naissance du droit
constitutionnel congolais est intimement liée à l’histoire générale de l’enseignement
de cette discipline juridique, il importe de dire un mot sur l’évolution de cet
enseignement, celle de l’intitulé même en République Démocratique du Congo et sur
le contenu même de ce cours.

1
Sur l’apparition et le sens de l’expression « droit constitutionnel », voy. FAVOREU, L. et alii, Droit
constitutionnel, 2ème édition, Paris, Dalloz, 1999, p. 19.
3

1. Tendance actuelle de l’enseignement de droit constitutionnel

Ces indications situent l’époque de l’émergence du droit constitutionnel


en France au XVIIIème siècle. Celui-ci a eu rapidement pour objet principal les
constitutions, avant que l’instabilité des institutions politiques et les humeurs des
dirigeants politiques ne lui fassent subir diverses vicissitudes et qu’elle ne connaisse
une mutation profonde. Trois stades vont caractériser l’évolution du droit
constitutionnel : du droit institutionnel du départ, le droit constitutionnel va être
investi par la science politique avant de connaître une profonde mutation.

a. Le droit constitutionnel classique : un droit institutionnel

Le droit constitutionnel, comme l’ensemble du droit public, qui risquait


de toucher au mystère qui « recouvre les maximes fondamentales de la
Constitution », n’était pas enseigné dans des universités. Dans les universités
françaises, par exemple, c’est à la suite de pertinentes critiques de beaucoup des
philosophes, dont Diderot2, que Louis XV crée en 1773 une chaire de droit public au
Collège de France, dans l’espoir que cet enseignement permettra de répondre aux
critiques au pouvoir monarchique.

A ses débuts, le droit constitutionnel, tel qu’il apparaît dans les manuels
et qu’il est enseigné, est uns discipline dont la structure est très liée à celle de la
Constitution et du régime constitutionnel en vigueur. Il s’agit essentiellement
d’étudier les institutions et la pratique parlementaire et gouvernementale.

La suite a démontré une véritable méfiance de l’autorité politique vis-à-


vis de l’enseignement qui déballe au grand jour la gestion des « affaires d’Etat », la
gestion politique de l’Etat. C’est ainsi qu’au lieu d’aborder un souffle vivificateur à
l’enseignement de la nouvelle discipline que devient le droit constitutionnel, la
rapide succession des textes constitutionnels3 produit plutôt des effets
contradictoires. D’une part, ces textes lui fournissent une substance abondante ; mais
de l’autre, l’enseignement de ce droit devient de plus en plus un enjeu politique, ce
qui conduit les gouvernants à vouloir en contrôler les orientations et, à terme, à
entraver son développement.

2
Le maître de l’Encyclopédie, le philosophe Diderot, se plaint notamment qu’on ne dise rien des constitutions de
l’Etat, rien des droits souverains, rien de celui des sujets. Tout en assurant que « la chimère de la science du
gouvernement, c’est une Constitution parfaite » et en comparant cette chimère à la quadrature du cercle, il
déplore que le jeunes français soient privés d’une enseignement déjà en honneur dans les pays germaniques.
3
Au-delà de l’exemple congolais qui bat le record de production constitutionnelle hors pair, nous pouvons citer
le cas de la France qui, en l’espace de six ans, de 1789 à 1795, par l’effet des tensions politiques et sociales, est
dotée de trois Constitutions.
4

b. Le droit constitutionnel intermédiaire : l’investissement par la


science politique

Le débat devient plus intéressant avec la recherche de la méthode en


droit constitutionnel. Déjà en 1933, Nézard4 soulignait les conséquences néfastes de
la « méthode exégétique » appliquée au droit constitutionnel. Tout en écartant les
« méthodes dogmatiques ou a priori », il préférait les méthodes expérimentales et
l’observation des faits, ouvrant ainsi la voie à la science politique.

En toute hypothèse, en 1951, Mirkine Guetzevitch – alors professeur à


New York – indique, dans des « Propos de méthode », qu’il n’a pas d’autre voie pour
le constitutionnaliste, condamnant fermement l’approche strictement juridique de la
Constitution :
« Ceux qui ne voient dans la vie constitutionnelle que le jeu des règles juridiques, qui
ne voient dans le constitutionnel que le juridique, mettent en doute l’existence même
de la science politique. Or, la méconnaissance de règles juridiques est, certes
dangereuse, non moins dangereux sont les abus, les excès, la rigidité de ce qu’on peut
appeler le « monisme juridique », c’est-à-dire, le fait de ne voir dans le
fonctionnement des institutions politiques que la technicité juridique. On peut
évidemment, étudier les régimes politiques en ne les abordant que du point de vue du
droit ; mais on ne peut les comprendre sans philosophie politique, sans interprétation
de l’histoire des idées, sans science politique, cette science du gouvernement à
laquelle le monde anglo-saxon réserve une place d’honneur ».

C’est d’ailleurs pour mettre l’accent sur ce tournant qu’en 1954 en


France, la réforme des études crée un enseignement de « droit constitutionnel et
institutions politiques », titre suivi par une grande partie de la doctrine5 alors que
beaucoup d’auteurs stigmatisent ainsi l’importance des institutions politiques dans
ce couple en inversent l’intitulé de leurs ouvrages6, s’ils ne se contentent pas
d’intituler simplement « institutions politiques »7. Le constitutionnaliste Georges
Burdeau va même intituler son monumental traité, Traité de science politique, alors que
la matière y contenu relève largement de ce qui était auparavant le droit
constitutionnel.

Cette évolution semble avoir produit des effets pervers découlant de


certains excès. D’une part, on est tombé d’un excès dans l’autre, car, au nom de la
science politique, on en est venu à nier l’existence des aspects juridiques des
phénomènes politiques ; d’autre part, la science politique ne peut plus rendre compte
que d’une partie seulement – les institutions politiques – de ce qui constitue le droit
constitutionnel contemporain et a jusqu’ici laissé complètement de côté : les systèmes
normatifs et les droits et libertés fondamentaux.

4
NEZARD, De la méthode dans l’enseignement du droit, Mélanges Carré de Malberg, 1933, cité par
FAVOREU, L. et alii, Droit constitutionnel, op. cit., p. 40.
5
C’est le cas de Georges BURDEAU, Charles CADOUX, Jean GICQUEL, André HAURIOU, Charles
DEBBASCH, pour ne citer que cet échantillon.
6
Maurice DUVERGER, Philippe ARDANT, Pierre PACTET, Marcel PRELOT sont de ceux-là.
Comme il en fut pour PARINI, Ph., Institutions politiques, Paris, Armand Colin, 1984.
5

c. Le droit constitutionnel contemporain : une profonde et


irréversible mutation

Le droit constitutionnel ne peut plus être enseigné en ce XXI ème siècle


comme il l’était au XIXème siècle et au début du XXème siècle. L’enseignement de droit
constitutionnel s’inscrit aujourd’hui dans un contexte international qui lui donne sa
véritable dimension.

Après la guerre mondiale, le droit constitutionnel a évolué en Europe et


s’est rapproché du droit constitutionnel de type américain notamment pour des
raisons suivantes :

- La désacralisation de la loi : les terribles expériences nazie et fasciste ont


provoqué une « désacralisation » de la loi : le législateur n’est pas infaillible, le
parlement peut se tromper dans sa représentation de la volonté générale ; la
loi qu’il prend peut porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux des
individus ; il est donc nécessaire de se protéger aussi contre elle et plus
seulement contre les actes du pouvoir exécutif ; la loi n’est plus au centre du
système normatif.
- L’expansion des Constitutions écrites et du constitutionnalisme due au phénomène
de décolonisation qui a fait passer le nombre des Etats dans le monde d’une
quarantaine après la guerre à plus de deux cents aujourd’hui a provoqué la
multiplication des textes constitutionnels et par là même leur modernisation.
- Au-delà des déclarations nationales des droits de l’homme, comme la
Déclaration américaine des droits de l’homme de Virginie et la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789, la diffusion internationale de l’idéologie
des droits de l’homme à travers la Déclaration universelle des droits de l’homme
de 1948 et diverses conventions régionales (les Déclarations américaines des
droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’homme et, plus
près de nous la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples…) met
au premier plan l’individu face à l’Etat et change profondément les
perspectives d’organisation du pouvoir.
- L’apparition de la justice constitutionnelle – sous une nouvelle forme – comme
élément fondamental des systèmes constitutionnels européens est considérée
de plus en plus comme une donnée décisive car sans elle, et malgré les autres
éléments précités, on ne peut penser que l’évolution constatée n’aurait pas eu
lieu.

L’on ne peut perdre de vue la percée effectuée par la notion d’Etat de


droit introduite en droit français par Carré de Malberg dès 1920 à partir de la notion
allemande de « Rechsstaat » et sa tentative d’acclimatation à travers le monde grâce à
sa redécouverte et sa révélation par des spécialistes de philosophie politique. La
construction de l’Etat de droit ne pouvant être envisagée sans la suprématie de la
Constitution et son respect par le législateur, tout Etat devrait faire des efforts pour
s’élever jusqu’à son niveau.
6

Une Constitution ne peut prétendre assurer aux administrés une


protection efficace à l’encontre des autorités exécutives, tant qu’elle ne lie pas le
législateur à un principe de respect du droit individuel qui doive s’imposer d’une
façon absolue, elle ne permettra nullement de s’élever jusqu’à la perfection de l’Etat
de droit. L’Etat de droit est ainsi incontestablement et essentiellement associé à la
protection des droits de l’individu. Aujourd’hui, plus qu’hier, c’est l’intérêt des
individus, et donc de l’Etat de droit, qui est pris en compte dans le droit
constitutionnel moderne et plus seulement l’organisation des pouvoirs.

L’enseignement du droit constitutionnel ne se contente donc plus


aujourd’hui à diffuser les règles relatives au fonctionnement des institutions
politiques, il met l’accès sur les normes qui véhiculent ce fonctionnement en
déterminant la séparation et la limitation des pouvoirs des organes et de leurs
animateurs autant qu’il réserve une part importante de son contenu aux mécanismes
de promotion et de protection des droits de l’homme.

2. Evolution de l’intitulé du cours

L’intitulé du cours de droit constitutionnel a presque suivi la courbe


effectuée par l’enseignement de ce cours dans les grands systèmes juridiques
contemporains. De « Droit constitutionnel et institutions politiques congolaises », il
est devenu « Institutions politiques congolaises (ou zaïroises) » avant de devenir le
« Droit constitutionnel congolais ».

L’attachement de l’intitulé de ce cours à la tendance mondiale ne


semble pas avoir fait évoluer l’enseignement de droit constitutionnel congolais au
bénéfice de la protection des droits fondamentaux des citoyens. Il ne semble pas
avoir contribué à éclore le réflexe constitutionnel dans le chef du juriste congolais au
point que l’applicabilité de l’abondante moisson constitutionnelle en a sérieusement
souffert. Son contenu à lui seul suffit à convaincre les plus sceptiques sur la véracité
de cette réflexion.

3. Contenu du cours de droit constitutionnel congolais

Le programme d’enseignement du droit constitutionnel dans les


universités congolaises se limite, dans la plupart des cas, à une étude divisée en deux
grandes parties : la théorie générale de l’Etat8 et l’analyse institutionnelle qui se borne
principalement aux institutions étrangères triées sur le modèle du bipartisme
britannique et américain, du multipartisme français et allemand ou belge ainsi que
certaines particularités tirées du monopartisme chinois ou russe d’avant l’implosion
de l’URSS, en première année de droit. En deuxième année, l’étude porte sur les
institutions politiques telles qu’elles découlent des multiples textes constitutionnels
anciens et nouveaux avec tout le risque qu’il y a de passer à côté de l’essentiel d’une
discipline scientifique devenue plus opérationnelle que théorique.

8
Sur cette notion, voy. notamment TROPER, M., « La théorie dans l’enseignement du droit constitutionnel »,
RDP, 1984, pp. 263-275.
7

II. L’importance de l’enseignement du droit constitutionnel

Pourquoi enseigner encore le droit constitutionnel dans un pays


comme la RDC dans lequel les Constitutions apparaissent comme de simples pièces
de musées sans espoir de prendre corps un jour dans le rétablissement du
développement des populations auxquelles ses normes s’imposent ? La justification
de cet enseignement présente une double dimension : théorique et même pratique.

1. Intérêt théorique

Comme dans d’autres pays du monde, l’enseignement du droit


constitutionnel continue de renfermer naturellement un grand intérêt pour la
science9, même s’il porte sur des Constitutions comme celles de l’Afrique en général
et du Congo en particulier, dont on sait que ce sont des simples monuments
inachevés, construites pour être placées dans des musées de l’histoire, inapplicables
par nature, que tout le monde évoque, mais que personne ne respecte, dont la
violation permanente n’émeut plus personne. Satisfaire à une préoccupation
fondamentale assise sur des inquiétudes aussi fondées des observateurs avertis de la
vie politique africaine en général et congolaise en particulier constitue une véritable
gageure. Mais il convient de tenter d’y faire face en proposant un raisonnement
fondé sur une triple considération10.

Il s’agit d’abord de situer cet enseignement dans une certaine logique


de direction et de mouvement qui le replace dans le domaine des recherches en
science sociales. Ensuite, le présent enseignement veut contribuer au développement
des connaissances en matière constitutionnelle bien courante certes, mais au contenu
perpétuellement fuyant. Enfin, elle a l’ambition d’apporter sa pierre à la chute du
mur érigé en faveur du silence complice observé sur la violation des textes
constitutionnels et l’irrespect des principes de démocratie par les gouvernants.

2. Justification pratique

Lorsque l’on observe la vie politique congolaise depuis l’indépendance


jusqu’à ces jours, la permanence d’une crise aiguë, multiforme et
multidimensionnelle, constitue un point commun de tous les régimes. De Kasavubu
et Lumumba à Mobutu Sese Seko, la crise est demeurée, avant tout, institutionnelle :
les révocations mutuelles de l’un et de l’autre, la dissolution biaisée du parlement,
l’instabilité chronique des gouvernements suivie de la neutralisation institutionnelle
du gouvernement par l’armée … ont provoqué insurrections, rebellions et sécessions

9
« Peut-on encore enseigner le droit constitutionnel ? », s’inquiétait déjà LECUYER dans les Annales de la
Faculté de Droit de Clermont-Ferrand en France, matière que Georges BURDEAU trouvait tout de même, dans
les Mélanges offerts à Trotabas, cités par LECLERCQ, Cl., Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris,
Librairie technique, 1981, p. 23, « impossible » d’être enseignée !
10
Cette trilogie a également été suivie par André MBATA BETUKUMESU MANGU en vue de justifier
l’intérêt d’une thèse dans un domaine semblable, The Road to Constitutionalism and Democracy in Post-colonial
Africa: the Case of the Democratic Republic of Congo, Doctoral thesis, University of South Africa, June 2002,
pp. 21-34.
8

et trouvent une part importante de leur fondement dans le refus délibéré du respect
des textes11.
La « révolution » de Laurent Désiré Kabila, elle-même a commencé sur
une crise institutionnelle due à la prise de pouvoir par les armes12. Son propre décret-
loi faisant office de loi fondamentale a fini par lui attribuer à lui seul l’ensemble des
pouvoirs d’Etat13. La crise institutionnelle s’est amplifiée et a gravement affecté les
autres domaines de la vie nationale, dont tous les paramètres affichent rouge.
Au début d’un mandat obtenu, comme d’aucuns le savent, en violation
de toute règle pertinente en matière d’acquisition des pouvoirs d’Etat, Joseph Kabila
n’a pas manqué d’accentuer la même crise de légitimité.

L’observation des institutions congolaises depuis 1960 révèle que cette


permanente crise est presque entièrement liée au manque constant de respect des
textes, respect qui aurait pu amener un consensus nécessaire à l’établissement de la
démocratie14, de l’Etat de droit15, de la paix16 et du développement17.

Grâce à l’analyse de toutes ces questions à travers ce cours, nous


pensons apporter notre contribution à faire prendre conscience :

- aux dirigeants politiques, de l’inutilité et des conséquences plutôt fâcheuses


du défaut de constitutionnalisme ;

- à l’élite intellectuelle, de l’importance qu’il y a à s’assumer en prônant et en


inspirant des textes constitutionnels adaptés à la situation du pays et du
peuple et en veillant par des critiques constructives au respect de ces textes
plutôt que de continuer à développer des théories liberticides au profit des
violateurs des textes constitutionnels ;

- à la population en général, qui constitue la source même du pouvoir, d’en


mesurer la hauteur et d’en tirer les conséquences logiques contre ceux qui
seraient tentés d’en abuser.

11
Outre les sécessions du Katanga et du Sud-Kasai, les maquis mulélistes du Kwilu et la rébellion des simba à
l’Est contribuèrent à entretenir une crise politique que les diverses tables rondes (Brazzaville, Léopoldville,
Tananarive, Coquilathville, Lovanium), ne parvinrent à éponger qu’en surface. Sa persistance actuelle, malgré la
Conférence nationale dite souveraine et l’Accord global et inclusif, est à la hauteur de l’immensité de sa
profondeur et de l’inadéquation des remèdes jusque-là administrés.
12
Les armes ne sont pas le mode démocratique d’accession au pouvoir.
13
Certains auteurs ont même considéré que depuis la chute de la dictature de Mobutu, à cause de la
concentration de tous les pouvoirs entre les mains de Laurent Désiré Kabila, est intervenue au Congo une
« éclipse constitutionnelle ». Voy. BOSHAB, E., « République Démocratique du Congo : le décret-loi n° 003 du
27 mai 1997 face aux critères de démocratie », Rev. de Dr. Afric., n° 3, juillet 1997, pp. 52-63.
14
Les libertés et la prise en charge de chacun par soi-même auraient pu amener tous à se sentir concernés par le
fonctionnement constitutionnellement harmonieux des institutions représentatives et participatives.
15
L’instauration de l’Etat de droit aurait pu sûrement désamorcer la tendance de la prise de pouvoir par la force
et juguler la crise des institutions.
16
La tentation des seigneurs de guerres d’en imposer par la puissance de leurs armes n’ayant plus comme
résultat d’obtenir le pouvoir comme prime de guerre, tout le monde se désintéresserait de ce schéma catastrophe.
17
Le renforcement du contrôle du pouvoir légal sur les ressources du pays et autres potentialités aurait
certainement inspiré la bonne gouvernance et apporté le mieux-être en faveur des populations congolaises.
9

III. Méthodes d’approche généralement utilisées en droit constitutionnel

Chaque discipline a ses impératifs méthodologiques. Les méthodes de


recherche sont liées à la discipline dans laquelle l’étude a lieu et à la catégorie des
chercheurs concernés par la démarche : les juristes, les politologues, les sociologues,
les historiens…. utilisent les méthodes liées à leur domaine. Les chercheurs en
sciences sociales utilisent traditionnellement dans des recherches similaires à la nôtre
deux principales méthodes d’approche : les méthodes juridiques, s’ils sont juristes,
les méthodes empiriques pour les politologues, sociologues, anthropologues,
psychologues et autres historiens. Nous sommes en premier lieu juriste
constitutionnaliste et non chercheur politologue. A ce titre, notre première méthode
sera naturellement normative. Nous mettrons ainsi un accent particulier sur la
Constitution, la loi, les règles juridiques qui réglementent les institutions visées dans
l’étude du droit constitutionnel.

En droit, la méthode revêt plusieurs aspects. L’objectif du juriste étant


de démontrer une solution juridique, la méthode qu’il utilise doit être entendue
comme « la manière dont les juristes organisent leur raisonnement pour parvenir à ce
résultat »18. Mais il faut également entendre, outre la méthode au sens noble du
terme, les différentes techniques permettant de travailler efficacement. C’est ainsi que
Cohendet estime qu’une méthode de travail en droit public n’existe pas, qu’il existe
des méthodes multiples, variant selon la personnalité et les conceptions de chaque
juriste et selon le type d’exercice19. Afin de comprendre les raisonnements de ceux
qui sont chargés de prendre ou d’appliquer les textes constitutionnels, il paraît
indispensable au juriste d’avoir une idée sur les grands types d’interprétation
juridique. La théorie d’interprétation fait intervenir notamment des considérations
linguistiques, logiques, herméneutiques et épistémologiques.

Selon que l’on se sert du langage dans lequel est exprimé le texte, du
contexte de sa création, de l’objectif poursuivi par son auteur, de la fonction que doit
objectivement remplir le texte ou de l’ensemble des dispositions d’un texte,
l’interprétation peut être sémiotique ou exégétique, téléologique ou contextuelle,
génétique, fonctionnelle et systématique ou holistique20.

En combinant les cinq approches juridiques ci-dessus développées dans


l’étude d’une règle juridique, le juriste peut être sûr de comprendre avec bonheur la
norme étudiée. Il peut même en être suffisamment satisfait. Ces approches juridiques
permettent, certes, d’étudier les textes constitutionnels auxquels, par ailleurs, les
dirigeants politiques se référent abondamment dans leur prise des décisions et des
actes qui, pourtant, les violent tantôt dans leur esprit tantôt dans leur lettre.

18
COHENDET, M.A., Droit public. Méthodes de travail, 3ème édition, Paris, Montchrestien, 1998, p. 13.
19
Ibidem.
20
COHENDET, M.A., Droit public. Méthodes de travail, op. cit., p. 28. Sur l’utilisation concrète de ces
approches en droit constitutionnel congolais, voy. KAMUKUNY MUKINAY, A., Contribution à l’étude de la
fraude en droit constitutionnel congolais, Thèse de doctorat, Université de Kinshasa, 2007, pp.
10

Mais il arrive presque toujours que, dans l’application du texte


constitutionnel, le dirigeant politique adopte un comportement qui dévoile un
certain décalage avec l’esprit et même la lettre des dispositions constitutionnelles
invoquées à l’étai de ses actes. En ce moment-là, le fondement justificatif de pareils
actes est à rechercher en dehors du droit. C’est alors que le juriste constitutionnaliste
recourt à des méthodes empiriques ou sociologiques.

Les méthodes empiriques, très prisées par les sociologues, les


politologues, les anthropologues et autres psychologues, sont basées sur la réduction
de l’importance de la règle juridique ; elles privilégient naturellement les actes, les
comportements, l’expérience vécue qu’elles substituent à la règle juridique, faisant
ainsi de l’empirisme21.

L’utilisation, dans ce domaine d’interdisciplinarité, des méthodes


juridiques en concours avec d’autres méthodes des sciences sociales confirme, si
besoin en reste encore, que le « publiciste », ce chercheur en droit public, explore une
discipline qui a vocation de « science carrefour »22.

IV. Enoncé du plan

Outre le chapitre préliminaire dans lequel la tentative de


compréhension des concepts-clés fréquemment utilisés en droit constitutionnel, le
cours comporte quatre chapitres à travers lesquels les préoccupations actuelles de
l’enseignement du droit constitutionnel (droit constitutionnel institutionnel, droit
constitutionnel normatif et droit constitutionnel des libertés fondamentales) se
retrouvent aisément.

Il est bien avéré qu’à travers l’analyse de l’évolution politique et


constitutionnelle congolaise (premier chapitre), les caractéristiques du droit
constitutionnel congolais (deuxième chapitre), les partis politiques congolais
(troisième chapitre) et l’évolution des droits et libertés fondamentaux au Congo
(quatrième chapitre), cette nouvelle vision de l’enseignement du droit constitutionnel
se retrouve en permettant de faire le point sur le droit congolais des institutions,
d’axer suffisamment de développements sur la Constitution en droit congolais et de
compléter le puzzle en brisant le silence sur les droits et libertés fondamentaux.

21
D’après Raymond GASSIN, « Une méthode de la thèse de doctorat en droit », RRJ, PUAM., 1996, p. 1169,
« le juriste qui fait une recherche, en l’espèce une thèse de doctorat, n’est pas dans une position très différente de
celle du sociologue ou du psychologue qui opère sur la réalité humaine sociale ou individuelle pour l’expliquer.
Comme eux, il amasse des données sur le sujet de sa thèse, données qui ont pour nom solutions législatives,
décisions de jurisprudence, opinions doctrinales : c’est sa réalité à lui, celle sur laquelle il opère ».
22
L’expression est empruntée à DELPEREE, F., L’élaboration du droit disciplinaire de la fonction publique,
Paris, LGDJ, 1969, p. 10.
11

Chapitre préliminaire : L’analyse de quelques concepts-clés de droit


constitutionnel

En vue de mieux aborder le présent enseignement, la compréhension de


certains concepts, qui reviennent souvent dans le contenu du cours, s’avère donc
indispensable. Parmi les plus en vue nous avons retenu notamment le
constitutionnalisme, le régime politique, la démocratie, l’Etat de droit, la fraude en
droit constitutionnel et la République.

Section 1 : Le constitutionnalisme23

Le constitutionnalisme se confond, à quelque égard, avec le simple


mouvement de production des textes constitutionnels24. C’est cette idée qui semble
hanter beaucoup d’auteurs africains lorsqu’ils tentent de rapprocher le
« constitutionnalisme africain » avec le constitutionnalisme classique.

Devenu un concept universellement applicable à toutes les sociétés


humaines, le constitutionnalisme renferme néanmoins une certaine philosophie qui
se veut libérale et que, dans la fidélité aux enseignements de Montesquieu, l’article 16
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 avait parfaitement
exprimée : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la
séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution »25. L’idée
fondamentale du constitutionnalisme est la limitation du pouvoir des gouvernants
par les règles de droit afin d’éviter l’autoritarisme et de garantir la protection des
droits humains26.

André Mbata27 attribue au constitutionnalisme trois facettes


interdépendantes : l’existence d’une Constitution limitant les pouvoirs des
gouvernants, la séparation des pouvoirs, la protection des droits de la personne
humaine, à travers lesquelles nous allons essayer de découvrir les principes du
constitutionnalisme.

23
Les développements sur ce concept sont tirés de notre contribution à l’ouvrage collectif : KAMUKUNY
MUKINAY, A., « La Constitution de la transition congolaise à l’épreuve du constitutionnalisme », in BULA-
BULA SAYEMAN (dir.), Pour l’épanouissement de la pensée juridique congolaise, Liber Amicorum Marcel
Antoine LIHAU, Kinshasa, PUK et Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 156-168.
24
C’est dans ce sens que semblent l’utiliser CABANIS, A.G. et MARTIN, M.L., Les Constitutions d’Afrique
francophone. Evolutions récentes, Paris, Karthala, 1999, p. 115, lorsqu’ils déplorent le manque d’impact et
l’inefficacité du constitutionnalisme africain, malgré « son cycle de production soutenue ».
25
DE VILLIERS, M., Dictionnaire de droit constitutionnel, 4ème éd., Paris, Armand Colin, 2003, p. 57, situe
ainsi la naissance de cette technique au 18ème siècle, bien après le mouvement historique d’apparition des
Constitutions.
26
GREGOR, M.J., “Kant’s Approach to Constitutionalism”, in ROSENBAUM, A.S. (ed.), Constitutionalism:
The Philosophical Dimension, New York, Westport, Greenwood Press, 1988, p. 69; ZOETHOUT, C.M. &
BOON, P.J., “Defining Constitutionalism and Democracy: An Introduction” in ZOETHOUT, C.M & alii (eds.),
Constitutionalism in Africa. A quest for autochthonous principles, Gouda Quint-Deventer, 1996, p. 28.
27
MBATA BETUKUMESU MANGU, A., Constitutions sans constitutionnalisme, ‘démocraties autoritaires’ et
responsabilité sociale des intellectuels en Afrique centrale : quelle voie vers la renaissance africaine ?,
Communication faite au Sommet du CODESRIA : 30 années de recherche et de production de connaissances en
sciences sociales en Afrique, 1973-2003, Conférence sous-régionale de l’Afrique centrale, Douala, 4-5 octobre
2003. p. 6.
12

§1. Existence de la Constitution

De nos jours, la Constitution désigne la loi fondamentale de l’Etat. Elle


établit et définit les différents organes de l’autorité, leurs pouvoirs et la manière dont
ils doivent être exercés, la relation entre ces organes et le peuple ainsi que les droits et
devoirs des citoyens. Considérée dans ce cadre, la Constitution doit donc être une
reproduction dans un document imposable à tous des normes découlant des
habitudes, des us et coutumes, des usages sur l’exercice du pouvoir dans une société
donnée et non un assemblage des règles généralement étrangères aux peuples
qu’elles sont appelées à régir. Un document, même dénommé « constitution » qui ne
puiserait pas sa légitimité de ses destinataires n’en serait pas une.

§2. Séparation des pouvoirs

La doctrine de séparation des pouvoirs présuppose que le pouvoir


corrompt et la séparation des pouvoirs est essentielle à la liberté et à la démocratie.

Cependant tout régime politique, même doté d’une Constitution écrite,


qui ne tiendrait pas compte déjà théoriquement d’attribuer, dans les textes qui
organisent le fonctionnement des institutions politiques, les principaux pouvoirs
étatiques, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire à des
personnes ou à des organes différents ne peut prétendre être un régime
constitutionnel. Actuellement, presque tous les Etats du monde ont des
Constitutions28 qui, dans leur grande majorité et conformément aux idéologies
dominantes, établissent, à travers le principe de la séparation des principaux
pouvoirs étatiques, la démocratie et affirment les droits du peuple.

Mais personne n’aurait la naïveté de croire que ceux-ci existent par le


seul fait de leur affirmation constitutionnelle29. Il apparaît clairement dans la plupart
de cas que les règles constitutionnelles sont une chose et que la pratique politique en
est une autre, qui peut être fort différente et aller rarement dans le sens d’une
véritable séparation des pouvoirs bénéfique à la limitation du pouvoir des
gouvernants.

Quel que soit le système envisagé, les exigences contemporaines en


matière de politique intérieure ou extérieure éludent quelque peu la séparation
stricte des pouvoirs et tendent à la concentration des fonctions de gouvernement
entre les mains d’une seule personne, un président de type américain ou un premier
ministre de type britannique.

28
Outre la vague des Constitutions écrites appelées à se substituer aux coutumes existantes qui laissaient de très
grandes possibilités d’action discrétionnaire aux souverains, il est significatif de constater avec quel
empressement les nouveaux Etats se sont mis à se doter des Constitutions écrites, souvent très protectrices des
gouvernés, au moins sur le papier. Sur l’importance historique du constitutionnalisme, voy. PACTET, P.,
Institutions politiques. Droit constitutionnel, 13ème éd., Paris, Masson, 1994, pp. 67-68.
29
La foi naïve des hommes de la Révolution française qui avaient cru en la vertu des textes et des principes
qu’ils avaient défendus avec acharnement, avait fini par s’émousser à l’épreuve des expériences politiques et
constitutionnelles.
13

Les Constitutions contemporaines confèrent ainsi aux exécutifs une


place de choix dans la hiérarchie institutionnelle, soulignant ainsi leur rôle moteur
dans tout système parlementaire ou présidentiel actuel30. Aujourd’hui, dans la
plupart des démocraties, occidentales soient-elles, le pouvoir exécutif n’est plus
seulement un pouvoir d’exécution. Il apparaît désormais comme le véritable centre
d’impulsion et de décision, en matière politique, économique ou sociale autant qu’en
matière diplomatique ou militaire.

Fort souvent d’une majorité politique dont il est issu et qu’il dirige,
l’organe exécutif s’impose face au parlement, fréquemment affaibli dans l’exercice de
sa fonction de contrôle. Le renforcement de ce pouvoir31 dans les démocraties
contemporaines tient successivement à un regain de légitimité des exécutifs, au
phénomène de plus en plus marqué de personnalisation du pouvoir, à la disposition
privilégiée des soutiens et moyens nécessaires à l’exercice du pouvoir et au
changement de la conception même de l’exercice du pouvoir.

En régime parlementaire, l’exécutif bénéficie du soutien systématique


d’une majorité politique au sein du Parlement dont il est d’ailleurs issu.
Gouvernement et majorité font alors partie d’un même bloc. La majorité politique
devient ainsi un instrument au service de l’exécutif pour le vote des textes essentiels,
les mécanismes de responsabilité ou de dissolution ayant perdu leur sens originel,
pour jouer à l‘avantage du pouvoir exécutif32.

En régime présidentiel, la concordance des majorités peut garantir au


chef de l’exécutif un soutien similaire, mais en cas de discordance, le système peut
conduire à une stratégie de recherche par un président disposant du soutien de
l’opinion publique, d’appui au sein des chambres, comme le révèle l’exemple
américain.
La théorie de la séparation des pouvoirs ne rend donc plus compte de la
réalité contemporaine : désormais sa portée se limite à l’indépendance nécessaire de
l’autorité judiciaire. Son intérêt actuel ne subsiste plus guère dans la distinction
pouvoir législatif – pouvoir exécutif. Si la séparation des pouvoirs mérite
actuellement d’être inscrite dans la Constitution, ce n’est plus que pour réaliser un
mode d’aménagement des institutions. Cependant, la théorie conserve un grand
intérêt sous l’aspect qui était le plus négligé, des rapports du pouvoir avec l’autorité
judiciaire33.

30
Sur les causes et les manifestations du renforcement de l’Exécutif dans les démocraties occidentales, voy.
notamment CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique, 18ème éd., Paris, Armand Colin, 2001,
pp. 290-346 ; PACTET, P., Institutions politiques. Droit constitutionnel, op. cit., pp. 164-239.
31
Sur la montée en puissance des exécutifs contemporains, lire avec intérêt FAVOREU, L. et alii, Droit
constitutionnel, op. cit., pp. 583-600.
32
C’est pourquoi, PACTET, P., Institutions politiques. Droit constitutionnel, op. cit., pp. 150-151, estime que le
régime parlementaire est désormais, au moins au cours d’une législature, un régime de concentration des
pouvoirs au profit d’un parti ou d’une coalition bien davantage qu’un régime d’équilibre, l’assemblée
n’apparaissant plus que comme la chambre d’enregistrement des volontés d’un Cabinet jouissant de la plénitude
du pouvoir.
33
Voy. PACTET, Institutions politiques. Droit constitutionnel, op. cit., pp. 112-117 ; FAVOREU, L. et alii,,
Droit constitutionnel, op. cit., pp 374 - 405.
14

En effet l’indépendance du pouvoir judiciaire constitue une garantie


efficace contre l’arbitraire de deux autres et en réalise par-là même la limitation. Il va
ainsi de soi que malgré l’aménagement des pouvoirs contenus dans le prescrit
constitutionnel, le régime dans lequel le pouvoir judiciaire ne jouit pas de toute
l’indépendance nécessaire afin de constituer le dernier rempart contre les deux
pouvoirs souvent complémentaires en vue de garantir et de protéger efficacement les
droits des gouvernés ne peut prétendre avoir atteint le constitutionnalisme.

A donc étouffé dans l’œuf de sa Constitution, le constitutionnalisme


qu’elle venait promouvoir, le régime dans lequel le pouvoir judiciaire a les mains
liées par l’exécutif dans l’exercice de sa mission de dire le droit et de protéger les
libertés de tous.

§3. Protection des droits de la personne humaine34

Le problème de la protection des droits de la personne humaine contre


la tyrannie du gouvernement se trouve être en effet parmi les plus importants du
droit constitutionnel. Il implique pour son effectivité que soient prévues des
garanties qui rassurent les individus de leur respect par les autorités publiques
autant que par les individus eux-mêmes. C’est ainsi que la meilleure protection des
droits de l’homme se situe non seulement au niveau des mécanismes de limitation
du pouvoir dans l’Etat, mais aussi à celui des garanties données à ces libertés. Les
régimes politiques ne sont plus, en effet, jugés que par rapport à leur capacité de
garantir ces droits et libertés aux citoyens35.
Les conceptions traditionnelles sont libérales, procédurales et négatives.
Le constitutionnalisme se réfère alors à la limitation formelle du pouvoir pour éviter
l’arbitraire36. Il tend à la création d’un « Etat minimal », celui qui laisse plus d’espace
à la liberté et aux activités individuelles.

Les conceptions modernes du constitutionnalisme sont plus positives et


essentiellement basées sur les valeurs démocratiques et exigent un Etat de droit
effectif pour protéger et promouvoir ces valeurs. Ici, le constitutionnalisme devrait
transcender le négativisme qui caractérise les conceptions traditionnelles pour
intégrer non seulement les droits individuels, civils et politiques dits de première
génération, mais aussi les droits de jouissance collective, les droits socio-
économiques ou de deuxième et troisième générations.
34
La meilleure protection des droits de l’homme se situe tant au niveau des garanties données à ces libertés qui
en assurent la promotion que par l’existence des structures de limitation du pouvoir, notamment l’indépendance
de l’autorité juridictionnelle, l’encadrement juridique du pouvoir et le développement des corps intermédiaires,
qui en consacrent l’effectivité de la protection.
35
Outre la Déclaration française de droits de l’homme et du citoyen et la Déclaration universelle des droits de
l’homme, beaucoup de Constitutions africaines font référence à la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples et témoignent désormais de la dimension aujourd’hui planétaire de leur protection.
36
ARMOUR, L.,”John Locke and American Constitutionalism”, in ROSENBAUM, A.S. (ed.),
Constitutionalism: The Philosophical Dimension, New York, Westport, Connecticut, London, Greenwood Press,
1988, p. 10; ARATO, A., “Dilemmas Arising From the Power to Create Constitutions in Eastern Europe”, in
ROSENFELD, M. (ed.), Constitutionalism, Identity, Difference and Legitimacy. Theoretical Perspectives,
Durham and London, University Press, 1994, pp. 167-168; NZOMBE, S., Democracy, Human Rights and
Constitutionalism in Post-Colonial Africa, Harare, SAPES Books, 1992, p. 1.
15

Ainsi, le constitutionnalisme tendrait à la création d’un Etat qui ne


serait pas « minimal » et fonderait sa meilleure définition à la fois sur l’implication
des formes et procédures de limitation du pouvoir et surtout sur l’engagement des
gouvernants en vue de la défense de ces valeurs.

Section 2 : Le régime politique

La définition du concept « régime politique » ne fait pas non plus


l’unanimité des chercheurs en droit public. S’il y en a qui le considèrent comme un
sous-système constitué par l’ensemble des institutions politiques d’un système social,
certains autres trouvent une identité entre le régime politique et le système
politique37. Il convient pourtant de rester prudent de tenir compte de l’aspect auquel
l’on se réfère pour mieux définir le terme régime politique, qui appartient au
vocabulaire de la science politique et non du droit constitutionnel.

Tout régime apparaît d’abord comme la résultante du jeu des forces


politiques comme les partis politiques, les groupes de pression ou les contre-
pouvoirs (presse, médias, syndicats, etc) dans le cadre institutionnel établi par le
texte constitutionnel. Pour déterminer un régime politique, il importe de tenir
compte d’autres facteurs, historiques, idéologiques et économiques, qui présentent
une importance considérable.

Selon que l’on met l’accent sur un aspect ou un autre, l’on procède à
plusieurs classifications des régimes politiques : régimes pluralistes ou de parti
unique, régimes totalitaires38 ou démocratiques39. Parmi ces derniers, les
classifications abondent également. Ainsi le régime parlementaire, le régime
présidentiel, le régime semi-présidentiel, etc sont quelques types de régimes
politiques.

Le régime politique est avant un mode de gouvernement, même s’il


résulte de la combinaison de multiples éléments, les uns juridiques (cadre
constitutionnel) et les autres extra-juridiques (systèmes de partis, personnalisation du
pouvoir, idéologie, etc). En tant que tel, ce mode de gouvernement ressort des
rapports horizontaux entre les institutions découlant du cadre constitutionnel même
si leur fonctionnement réel est tributaire de plusieurs autres éléments qui, parfois,
l’emportent sur l’esprit et la lettre du texte juridique.

Section 3 : La démocratie

La démocratie est incontestablement la notion la plus discutée et la plus


controversée de la théorie politique40.

37
MPONGO-BOKAKO BAUTOLINGA, Institutions politiques et Droit constitutionnel, Institutions politiques
et Droit constitutionnel, t 1, Théorie générale des institutions de l’Etat, Kinshasa, EUA, 2001, p. 4.
38
Tout régime autoritaire rêve d’une manière ou d’une autre à réaliser l’unanimité de la société qu’il gouverne.
39
Sur la démocratie, voy. Les développements qui suivent.
40
HOFFMAN, J., State, Power, and Democracy: Contentious Concepts in Practical Political Theory, Sussex,
Wheat sheaf Books, 1988, p. 31.
16

De nombreux auteurs ont tenté de définir la démocratie sans pour


autant parvenir à en dégager une définition qui soit universellement acceptée41.
Toutefois, les définitions de la démocratie traduisent deux conceptions majeures de
celle-ci, la conception minimaliste et la conception maximaliste.

Les définitions « minimalistes » sont basées sur les institutions de


gouvernement, les partis politiques, les groupes de pression, les élections et les règles
de droit. Essentiellement formelles et institutionnelles, elles mettent l’accent sur la
compétition pour l’exercice du pouvoir, la participation politique dans la sélection
des candidats et des politiques, ainsi que sur les droits civils et politiques42.

Telle est la conception libérale ou occidentale de la démocratie définie


par Sand brook comme étant un système politique caractérisé par des élections libres
et régulières au cours desquelles plusieurs partis politiques s’affrontent pour la
formation du gouvernement, le droit de vote est reconnu à tous les citoyens adultes
et les droits civils et politiques sont garantis43.

C’est dans cette logique que des auteurs, comme Maurice Duverger et
André Hauriou, abondent pour définir la démocratie et n’hésitent pas à en construire
des équations aussi simplistes que « multipartisme égale démocratie ; parti unique
égale dictature »44.

Des intellectuels d’obédience marxiste ont cependant critiqué la


démocratie libérale qu’ils accusent d’être un « masque » de la démocratie bourgeoise,
une démocratie formelle privilégiant une minorité, limitée au domaine politique et
aux droits civils et politiques et excluant les masses des paysans ainsi que les droits
socio-économiques45.

41
WISEMAN, J.A., The New Struggle for Democracy in Africa, Avebury, 1996, pp. 7-8.
42
SORENSEN, G., « Democracy and the Developmental State », in NYANG’ORO, J.E. (ed.), Discourses on
Democracy: Africa in Comparative Perspective, Dar-Es-Salaam, Dar-Es-Salaam University Press, 1996, p. 42.
43
SANDBROOK, R., « Liberal Democracy in Africa: A socialist-Revisionist Perspective”, in NYANG’ORO,
J.E., Discourses on Democracy: Africa in Comparative Perspective, Dar-Es-Salaam, Dar-Es-Salaam University
Press, 1996, pp. 137-138.
44
Certains politistes occidentaux ont contribué à répandre des illusions qui ont donné naissance à la diffusion des
formes particulières de la démocratie. Parmi celles-ci, celle de l’algèbre politique consiste à considérer la
démocratie comme pouvant être synonyme des partis politiques multiples. Ces genres d’équations ont été vite
remises en question par les dirigeants africains qui ont tenté d’accoupler les termes « partis uniques » et
« démocratie ». Sur cet important débat, voy. avec intérêt GONIDEC, P.F., « Traditionalisme et modernisme en
matières d’institutions publiques africaines », Revue juridique et politique Indépendance et coopération, 1966, p.
81 ; MAHIOU, A., L’avènement du parti unique en Afrique noire, l’expérience des Etats d’expression française,
Paris, LGDJ, 1969, p. 24 ; NZONGOLA NTALAJA, Introduction à la science politique, Lubumbashi, éd. Du
Mont-Noir, 1972, p. 31; GONIDEC, P.F., Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1974, p. 30.
45
Nous nous contenterons de citer ici quelques uns comme SHIVJI, I.G., « Contradictory Class Perspectives in
Debate on Democracy », in SHIVJI, I.G. (ed.), State and Constitutionalism: An African Debate on Democracy,
1st Ed., Harare, SAPES, 1991, pp. 254-255; SHIVJI, I.G., Fight My Beloved Continent: New Democracy in
Africa, Harare, SAPES Books, 1992, pp. 2, 44; AMIN, S., “The Issue of Democracy and Development in
Contemporary Third Word”, in NYANG’ORO, J.E. (ed.), Discourses on Democracy: Africa in Comparative
Perspective, op. cit., pp. 70-71; AKE, Cl., Democracy and development in Africa, Washington, DC: The
Brookings Institution, 1996, pp. 132, 137.
17

Sur base de la critique des minimalistes, les conceptions maximalistes


insistent en revanche sur la substance, les valeurs de la démocratie au lieu de la
forme, sur la participation populaire et les droits économiques46.

Pour les maximalistes, la vraie démocratie est populaire, participative,


sociale, et met l’accent sur les droits économiques. Ces dernières conceptions sont
également fortement critiquées par les minimalistes qui les considèrent comme
vagues, imprécises, irréalistes ou idéalistes47. Pour que la démocratie48 signifie
réellement « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple »49, sa
définition ne saurait exclure ni les procédures et les institutions, ni les valeurs, ni la
forme, ni le fond. Mais en déterminer les éléments relève d’un autre défi50 auquel
nous ne pouvons nous livrer en ces lieux.

Cependant, ce qui mesure en effet, dans le monde, le degré de


démocratie dans un pays, c’est le niveau des libertés dont jouissent les citoyens, en ce
compris les droits tant civils et politiques que socio-économiques. L’antithèse de la
démocratie aujourd’hui, estime Bernard Chante bout, ce n’est pas la monarchie, mais
le totalitarisme, alors qu’il peut se réclamer d’une très grande assise populaire51.

En tout état de cause, la protection de ces droits et libertés ne doit pas


s’apprécier théoriquement par rapport à leur simple reconnaissance constitutionnelle
expresse. Il y a donc lieu de soutenir avec Francis Delpérée que seules les réalités
comptent. Seuls les actes comptent. La démocratie, ce n’est pas dans les messages
politiques que nous devons la découvrir. C’est dans la vie politique de tous les
jours52.

46
Sous cette catégorie, on peut notamment citer NYANG’ORO, J.E. (ed.), Discourses of Democracy….op. cit.,
pp. XII-XIII ; AKE, Cl., Democracy and development in Africa, op. cit., pp. 132-134, 137, 139 ; GLASER, D.,
« Discourses of Democracy in the South Africa Left : A Critical Commentary », in NYANG’ORO, J .E. (ed.),
Discourses on Democracy: Africa in Comparative Perspective, op. cit., p. 251.
47
SANDBROOK, R., « Liberal Democracy in Africa: A socialist-Revisionist Perspective”, in NYANG’ORO,
J .E. (ed.), Discourses on Democracy: Africa in Comparative Perspective, op. cit., p. 138; WISEMAN, J.A., The
New Struggle for Democracy in Africa, Avebury, 1996, p. 9.
48
Pour CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique, op. cit., p. 355, commentant l’article 2 de
la Constitution française du 4 octobre 1958, « si le but recherché par la démocratie n’était vraiment que le
« gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » , il n’y aurait aucune raison de vouloir limiter les
pouvoirs des gouvernants dès lors qu’ils sont librement élus. Choisis par le peuple souverain et agissant en son
nom, ils devraient être libérés de toute entrave dans leur action. Ce n’est pas le cas. Bien qu’Hitler soit arrivé au
pouvoir dans le strict respect des règles démocratiques et que Staline ait été adulé par le peule russe, nul ne
s’avise à déclarer démocratiques leurs gouvernements ».
49
C’est la formule forgée par Abraham LINCOLN, président des USA, le 19 novembre 1863, lors du célèbre
discours qu’il prononça sur le champ de bataille de Gettysburg où 6 000 hommes avaient été tués quatre mois
auparavant. Dans des mots qui sont passés à la postérité, le président américain déclara : « Nous proclamons
aujourd’hui notre haute résolution que ces morts ne seront pas morts en vain – que cette nation, grâce à Dieu,
connaîtra une nouvelle naissance de liberté – et que ce gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple,
ne disparaîtra pas de la surface de la terre » ( « The Gettysburg Address », in An American Primer, New York,
Daniel J. Boortin, ed., A Meridian Classic, New American Library, 1985, p. 437.) .
50
MBATA BETUKUMESU MANGU, A., Constitutions sans constitutionnalisme, ‘démocraties autoritaires’ et
responsabilité sociale des intellectuels en Afrique centrale : quelle voie vers la renaissance africaine ?, op. cit.,
p. 11.
51
CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique, op. cit., p. 355.
52
DELPEREE, F., “Réflexions de l’étranger sur le projet de Constitution de la III ème République du Zaïre »,
Rev. Dr. Afric., n° 2, avril 1997, p. 5.
18

Section 4 : L’Etat de droit

Devenu depuis quelques années une expression d’usage courant, l’Etat


de droit est à la fois une tautologie, un objet de débats doctrinaux et un mode
d’organisation du pouvoir et de la société53.

Ce statut définit et délimite les compétences de ses organes, et c’est bien


cette dimension juridique qui permet de qualifier l’Etat de personne morale.

Mais la reconnaissance de cette évidence n’évite pas le débat doctrinal


autour de la question de savoir si et comment le droit peut effectivement limiter
l’Etat. Pour les auteurs allemands54 de la seconde moitié du XIXème siècle et des
premières années du XXème siècle, l’Etat de droit est un dépassement de l’Etat de
police. Celui-ci symbolise la puissance de l’administration, alors que l’Etat de droit
vise à subordonner l’action de l’Etat à des normes supérieures. Cependant, l’Etat
s’affirmant simultanément comme le maître du droit, tant en ce qui concerne sa
production que sa sanction, ces auteurs développent la thèse de l’autolimitation,
c’est-à-dire celle du respect volontaire par l’Etat de la règle de droit qu’il a édictée55.

La doctrine française est, quant à elle, divisée sur la question : elle se


partage entre partisans de l’autolimitation et ceux qui recherchent un droit antérieur
et extérieur à l’Etat. Parmi les premiers56, certains considèrent, pour différentes
raisons57, que la soumission de l’Etat au droit s’arrête à la loi et ne remonte pas à la
Constitution.

D’autres, comme Carré de Malberg, soulignent les insuffisances de cet


Etat simplement légal et plaident pour l’instauration d’un contrôle de
constitutionnalité de la loi. Le deuxième courant, piloté par Duguit et Hauriou, situe
le droit en dehors de l’Etat58. Kelsen s’inscrit en faux contre ce dualisme entre l’Etat et
le droit que Duguit et ses partisans tentent de prêcher. Pour lui, les deux s’identifient.
L’Etat est un ordre juridique hiérarchisé : chaque norme trouve le fondement de sa
validité dans la conformité à une norme supérieure, jusqu’à remonter à une norme
fondamentale qui ne peut être que supposée puisqu’elle est extérieure à l’ordre
juridique59.

53
DE VILLIERS, Dictionnaire du droit constitutionnel, op. cit, p. 107.
54
Eux-mêmes héritiers de la pensée philosophique et politique des Lumières, ils ont forgé la théorie du
Rechsstaat.
55
Ne pas la respecter, ce serait, écrit CHEVALLIER, J. cité par DE VILLIERS, M., Dictionnaire du droit
constitutionnel, op. cit , « saper les fondements de son institution ».
56
Comme en témoigne le paragraphe introductif de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, depuis la
Révolution, l’idée de la soumission de l’Etat au droit est acquise.
57
La philosophie de la loi qu’exprime l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ajoutée
à la méfiance du juge judiciaire expliquent que, selon des voies d’ailleurs détournées, on n’ira pas au-delà du
contrôle de la légalité de l’administration, exercé par un juge spécifique, le juge administratif.
58
Pour les tenants de ce courant en effet, l’Etat et le droit sont deux réalités différentes, l’une extérieure à l’autre.
59
Dans la théorie de la souveraineté nationale, la loi est l’apanage du parlement, émanation de la nation. La
norme fondamentale est à trouver en dehors des organes de l’Etat parce qu’elle est censée provenir du souverain
primaire, le peuple.
19

Même si la question de la référence ultime continue à être en débat,


trois idées s’imposent, qui peuvent être considérées comme autant de composantes
d’un contenu minimum de l’Etat de droit et qui recoupent celles de la primauté et de
l’effectivité du droit dans les relations liant les particuliers aux autorités publiques
défendues par Evariste Boshab60:

- l’idée de limitation du pouvoir qui signifie que chaque organe du pouvoir


exerce une compétence, et doit l’exercer en respectant les procédures prévues;
- l’idée que les actes du pouvoir sont hiérarchisés, ce qui permet de contrôler
chaque acte en le rapportant aux actes qui lui sont hiérarchiquement
supérieurs et;
- l’idée que chacun doit pouvoir s’adresser à un juge, et ce, à un juge
indépendant, pour faire valoir ses prétentions, y compris contre l’Etat lui-
même61.

La popularité du thème « Etat de droit » vient en réalité, et pour une


large part, conclut Michel de Villiers62, de ce que l’expression a une charge
symbolique très forte63, en même temps qu’elle exprime le choix politique du refus
de l’arbitraire. Ainsi s’explique l’accent mis sur les vertus, réelles ou supposées de
l’Etat de droit réclamé par la majorité des dirigeants politiques au lendemain de leur
prise de pouvoir d’Etat64. Car, à travers lui, ce sont tout simplement les valeurs du
constitutionnalisme et de la démocratie libérale qui sont redécouvertes. C’est
également cette charge symbolique qui permet de comprendre l’aspiration à aller
plus loin dans ses réalisations.

60
A travers des principes comme la non-retroactivité de la loi, la tendance à une séparation dans les pouvoirs et
l’indépendance judiciaire, la responsabilité de la puissance publique, l’égalité devant la loi, la légalité des
infractions, la personnalité des peines, le respect des droits de la défense et des règles de procédure ainsi que le
principe de recours qui, selon Walter J. GANSHOF van der MEERCH , « Le problème de la sécurité de l’Etat et
la liberté », Rapport général, V ème Congrès international de droit comparé, Bruxelles, 1958, p. 11, concourent à
la protection des libertés individuelles et par lesquels se reconnaît un Etat de droit, Evariste BOSHAB, La
contractualisation du droit de la fonction publique Une étude de droit comparé Belgique-Congo, Louvain-la-
Neuve, Bruylant Academia s.a., 1998, pp. 215 extirpe l’idée de primauté et celle d’effectivité du droit qui, selon
lui, les résument tous.
61
Les éléments constitutifs du constitutionnalisme entrecoupent ceux de l’Etat de droit et de la démocratie au
point de faire paraître, à la fin, les trois concepts comme des synonymes ! Pareil exercice permet à Edouard
MPONGO-BOKAKO BAUTOLINGA, Institutions politiques et Droit constitutionnel, op. cit., p. 3, de résumer
les éléments d’un modèle du régime démocratique en « l’élection des gouvernants par le peuple ; la séparation
des pouvoirs et le contrôle juridictionnel des gouvernants ». C’est d’ailleurs ici que la référence au concept
anglais « rule of Law » trouve sa véritable place.
62
DE VILLIERS, M., Dictionnaire du droit constitutionnel, op. cit, p. 108.
63
D’après BADINTER, R., « Quelques réflexions sur l’Etat de droit en Afrique », in CONAC, G. (dir.),
L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993, p. 9, cela ne veut pas dire que l’on
a un Etat de droit démocratique. Or, c’est l’adjectif qui donne toute sa signification à un Etat de droit. On peut
aussi avoir des Etats de droit qui n’ont guère à avoir avec une démocratie.
64
Joseph Kabila n’a pas dérogé à la règle lorsqu’il s’est empressé de promettre dans son discours d’investiture
du 26 janvier 2001 « de renforcer l’Etat de droit, de consolider la démocratie et la bonne gouvernance, de
garantir le droits de l’homme et la justice», parmi les objectifs immédiats de son mandat. Voy. KABUYA
LUMUNA, C., Histoire du Congo. Les quatre premiers présidents, Kinshasa, SECCO & CEDI, 2002, p. 248.
20

Section 5 : La République

De nos jours, la forme républicaine semble la plus prisée parmi celles


dont l’Etat peut se targuer de revêtir. Cette forme républicaine exclut la transmission
héréditaire du pouvoir : « république » s’oppose donc directement à « monarchie ».
C’est un régime qui n’a pas de chef d’Etat héréditaire. Mais plus généralement, c’est
toute appropriation du pouvoir par un seul, ou par quelques uns, qui est exclue.

Terme révolutionnaire, le concept « république » est riche d’une


histoire. Du latin res publica, la chose de tous, c’est-à-dire du peuple entendu comme
l’ensemble de la population, le terme a d’abord signifié l’objet même du
gouvernement. C’est dans le même sens que les grecs utilisaient le terme politea65.

En un second sens, il désigne l’Etat lui-même. Tel est le sens du mot


dans le titre de l’ouvrage de Jean Bodin, « Les six livres de la République »66. L’auteur y
définit la république comme « un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce
qui leur est commun, avec puissance souveraine ».

Le troisième sens apparaît sous forme conclusive et cherche à donner


un contenu au concept. Si la république est la chose de tous, elle ne peut être celle
d’un seul. Elle sera donc une forme d’organisation de « l’Etat gouverné par des
représentants élus pour un temps et responsables devant la nation »67. C’est dans ce
sens qu’elle s’oppose à la monarchie dans laquelle le pouvoir est détenu par un seul
homme par droit d’hérédité ou droit divin.

Plus complets, Raymond Guillien et Jean Vincent définissent la


république comme « le régime politique où le pouvoir est chose publique (res
publica), ce qui implique que ses détenteurs l’exercent non en vertu d’un droit propre
(droit divin, hérédité), mais en vertu d’un mandat conféré par le corps social »68. Il
suffit d’ajouter « devant lequel, ils en répondent » pour atteindre le but poursuivi par
les initiateurs de ce concept qui entendaient le correspondre à un régime
démocratique.

La très grande majorité des Etats africains ont décidé d’adopter « la


forme républicaine du gouvernement » dans des « répliques » non véritablement
républicaines qu’ils proclament et numérotent selon les humeurs de leurs dirigeants,
présidents à vie. Toujours est-il que la numérotation des républiques est elle-même
discutable69.

65
C’est le titre du livre de Platon, traduit en français « République ».
66
Cité par DE VILLIERS, M., Dictionnaire du droit constitutionnel, op. cit, p. 211.
67
Dictionnaire Hachette encyclopédique illustré, op. cit., p. 1615.
68
GUILLIEN, R. et VINCENT, J. (dir.), Lexique de termes juridiques, 14ème éd., Paris, Dalloz, 2003, p. 398.
69
La numérotation des républiques doit-elle suivre le changement des dirigeants à la tête de l’Etat, les révisions
constitutionnelles, l’établissement de nouvelles Constitutions ou le changement des fondements philosophiques
des régimes ? La question est fortement controversée et demeure ouverte au débat.
21

Section 6 : La fraude en droit constitutionnel

Conceptualiser la fraude en droit constitutionnel, terme d’utilisation


fréquente en droit privé et en droit fiscal, apparaît, dès le départ, comme une
véritable gageure. En droit privé, elle est « l’adaptation consciente de moyens licites à
des fins contraires à la loi »70. La fraude à la loi consiste alors, le plus souvent, à
modifier, par des artifices, les circonstances de fait d’après lesquelles est déterminée
la règle de conflit71. En droit fiscal, la fraude est une « soustraction illégale à la loi
fiscale de tout ou partie de la matière imposable qu’elle devrait frapper »72. Elle
révèle ainsi chez son auteur la volonté de contourner des dispositions légales73.

Visiblement empruntée au droit privé et au droit fiscal, l’idée de fraude


ne semble pas avoir trouvé une application aisée en droit constitutionnel où son
utilisation nous parait d’une rareté déconcertante.

Ses premiers utilisateurs semblent l’avoir dénommée « fraude à la


constitution ». En effet, faisant l’extrapolation de l’idée de droit privé en droit
constitutionnel, Charles Debbasch, Jean Marie Pontier, Jacques Bourdon et Jean
Claude Ricci ont défini la fraude à la constitution comme étant « le procédé par
lequel l’autorité de révision utilise ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue
duquel ils lui ont été conférés, c’est-à-dire dans le but d’établir un régime
fondamentalement différent »74.

Certes, l’institutionnalisation du pouvoir et la stabilité des règles qui en


fixent le statut sont une garantie contre l’arbitraire. Cependant à travers l’évolution et
le dynamisme du fonctionnement des institutions, la Constitution ne peut fixer le
statut du pouvoir définitivement, de manière irrévocable. C’est pourquoi, certaines
atteintes à la suprématie de la Constitution sont possibles.

D’ailleurs, la Constitution elle-même prévoit la possibilité de la révision


de ses propres dispositions. La révision de la Constitution consiste, d’après
Debbasch, à corriger75, en vue de l’adapter à des circonstances nouvelles, le texte
constitutionnel par suppression, adjonction ou modification76. La Constitution
détermine les pouvoirs de l’autorité chargée de la révision ainsi que des règles
particulières de procédure permettant d’y parvenir. C’est au sujet de cette atteinte
autorisée par la Constitution à sa suprématie que la fraude a rejoint le vocabulaire de
droit constitutionnel.

70
GUILLIEN, R. et VINCENT, J. (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 227.
71
C’est le cas lorsqu’il s’agit de déterminer les règles dans un conflit qui oppose des conjoints relevant des
législations différentes.
72
GUILLIEN, R. et VINCENT, J. (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit, p. 227.
73
Commet une fraude fiscale, le contribuable qui soustrait à la loi fiscale tout ou partie de la matière imposable.
74
DEBBASCH, C., PONTIER, J.M, BOURDON, J., RICCI, J.C., Droit constitutionnel et institutions
politiques., p. 111.
75
Sans doute, toute révision ne corrige pas toujours le texte constitutionnel, elle peut même le rendre pire.
76
DEBBASCH, C., PONTIER, J.M, BOURDON, J., RICCI, J.C., Droit constitutionnel et institutions politiques,
op. cit., p. 106.
22

L’autorité investie du pouvoir de révision constitutionnelle, le


constituant dérivé, peut détourner les pouvoirs constitutionnels lui conférés afin
d’établir un régime fondamentalement différent du précédent. La tactique adoptée
par ladite autorité est de « flouer » l’opinion publique de sorte à lui faire apercevoir
que « les formes constitutionnelles sont apparemment conservées », alors qu’en
réalité un objectif opposé a été atteint par un changement radical de l’esprit des
institutions. C’est cette décision de s’octroyer le pouvoir constituant originaire, à
travers des procédures tendant à dissimuler par tous les moyens le but recherché,
l’établissement des institutions totalement nouvelles qui est qualifiée de fraude à la
constitution.

L’expression « fraude à la constitution » semble avoir été employée


pour la première fois par M. Liet-Veaux77 pour désigner la manière à laquelle
recoururent la « révolution fasciste » italienne en 1922, la « révolution national-
socialiste » allemande en 1933 et la « révolution nationale » en France en 1940, pour
s’établir78. Les circonstances frauduleuses de ces révolutions ressortent clairement du
recours biaisé de leurs principaux dirigeants à des dispositions constitutionnelles en
vue de l’établissement de leurs régimes.

L’expression « fraude à la constitution » sera reprise après la deuxième


guerre mondiale pour qualifier les conditions d’établissement des régimes socialistes
dans les Etats d’Europe centrale79.

En vue de situer la fraude en droit constitutionnel dans un cadre


conceptuel plus complet, il nous a semblé nécessaire de parcourir certains préalables
à une approche plus globale. En considération de l’objectif recherché par le fraudeur,
qui est celui de recourir à des artifices dans l’utilisation des règles et principes
constitutionnels de sorte à faire croire à l’opinion qu’ils ont été observés dans la
forme alors que le fond est destiné à un but opposé, il convent d’étendre la fraude
tant à l’élaboration générale des dispositions constitutionnelles que dans leur mise en
application.

La fraude devait-elle être utilisée uniquement pour qualifier le


comportement du constituant dans l’établissement des régimes ou s’étendre au
législateur ou à toute autre autorité publique recourant aux mêmes méthodes?

Soutenir que seul le comportement du constituant est susceptible de


constituer une fraude en droit constitutionnel serait loin de refléter la réalité du
pouvoir. S’il est vrai que seul le constituant est en mesure de changer totalement ou
en partie les dispositions constitutionnelles, il reste tout aussi vrai que le législateur
dans l’élaboration des lois, l’exécutif dans sa mission d’exécuter ces lois ou le juge

77
LIET-VEAUX (M), Essai d’une théorie juridique des révolutions. La continuité du droit interne, Thèse de
doctorat, Paris, Recueil Sirey, 1942, p. 225.
78
DEBBASCH, C., PONTIER, J.M, BOURDON, J., RICCI, J.C., Droit constitutionnel et institutions politiques,
op. cit., p. 111.
79
Les révisions constitutionnelles intervinrent à travers toute l’Europe centrale afin d’instaurer des régimes
totalitaires de parti unique (communiste) imposés par les autorités de la défunte Union Soviétique.
23

dans la sienne de dire le droit peut contourner les règles constitutionnelles


auxquelles ils recourent en vue de l’exercice conforme de leurs prérogatives.

En rapport avec le pouvoir constituant, faut-il comprendre que seul le


constituant dérivé peut frauder dans l’utilisation des règles prescrites par le texte qui
l’institue ou encore que le constituant originaire lui-même peut tricher avec les
principes constitutionnels dans l’élaboration d’un tout nouveau texte
constitutionnel ?

Certes, il est plus aisé de considérer la fraude en tenant compte des


dispositions constitutionnelles matérielles dont la lettre et l’esprit auraient été
détournés. Cependant l’esprit ne devrait pas uniquement porter sur des dispositions
antérieures précises, mais plutôt s’étendre aux principes fondamentaux qui sous-
tendent l’idée même de Constitution. L’avènement de celle-ci n’a-t-il pas visé la
limitation de l’arbitraire du pouvoir monarchique par la séparation des pouvoirs et la
protection des droits de l’homme ?

Du moment que, même dans l’élaboration des nouveaux textes


constitutionnels, le constituant s’octroie le pouvoir personnel de contourner les
principes constitutionnels de base, pareil comportement constitue une fraude en
droit constitutionnel. Lorsque le peuple est écarté de la détermination de la
physionomie du pouvoir à travers lequel il doit se reconnaître, que les pouvoirs des
gouvernants ne sont pas limités de sorte à empêcher l’arbitraire de régner et que les
droits individuels et collectifs ne sont pas garantis, que resterait encore de
constitutionnel dans un texte pris dans ces conditions ?

En apparence, est certes fondé le pouvoir du constituant originaire


d’établir une Constitution en vue de mettre en place un régime conforme à la
nouvelle philosophie politique, cependant la fraude consisterait à ériger dans le
nouveau texte des règles liberticides et monopolisatrices des pouvoirs d’Etat.

Toute violation constitutionnelle doit-elle être considérée comme une


fraude en droit constitutionnel ?

C’est vrai qu’il est facile de confondre les violations d’une règle précise
de la Constitution avec la fraude. Toute fraude à une disposition constitutionnelle
matérielle renferme une violation constitutionnelle cachée. Mais toute violation ne
constitue pas nécessairement une fraude. Celle-ci amène son auteur à se référer au
texte concerné, à une forme constitutionnelle admise, quitte à la contourner par des
moyens détournés, bien préparés dans l’intention, en vue d’obtenir un résultat
opposé à celui attendu par l’usage conforme de ces dispositions. Il s’agit des actes
comportant des violations tellement détournées et malicieuses qui, le commun des
mortels n’étant pas capable de les déceler, pourraient facilement échapper à la
condamnation de l’histoire, faute par la communauté d’en attribuer la responsabilité
aux acteurs publics apparemment couverts par les textes en vigueur.
24

Dans l’utilisation du concept « fraude » en droit constitutionnel, la


« fraude à la constitution » peut-elle être identifiée à la « fraude
constitutionnelle » sans que cette identification porte à conséquence?

L’adjectif qualificatif « constitutionnel » est utilisé par Paul Robert80


pour désigner ce qui est « relatif à la Constitution » ; c’est dans ce sens que la branche
de droit relatif à la Constitution est appelé « droit constitutionnel », ou encore, ce qui
est « conforme à la Constitution » d’un pays ; c’est ainsi qu’une procédure est dite
constitutionnelle ou inconstitutionnelle selon qu’elle respecte ou non les dispositions
de la Constitution. Comprises dans ces sens, les deux expressions semblent
apparemment coïncider dans leur acception : la fraude à la constitution équivaut
donc à la fraude constitutionnelle.

80
ROBERT, P., Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,
Dictionnaires Le Robert, Paris, 1996, p. 668.
25

Chapitre 1 : L’évolution politique et constitutionnelle du Congo

Si l’histoire politique renferme l’évolution des institutions politiques de


l’Etat congolais, l’histoire constitutionnelle, elle, relate l’évolution des textes
constitutionnels qui instituent et régentent ces institutions.

Décrire l’histoire d’un Etat suppose que l’Etat concerné existe. Pour en
faire une démonstration rassurante, il nous a semblé utile de traiter d’abord de la
naissance de l’Etat congolais (première section), qui ne s’est pas accompli sans
douleur d’accouchement, avant d’ouvrir le débat ensuite sur l’évolution politique
(deuxième section) et enfin sur l’évolution constitutionnelle (troisième section).

Section 1 : La naissance de l’Etat congolais

Le mot « Etat » a pris dans le langage courant, des acceptions


différentes qu’il convient de distinguer. Au sens large, le terme « Etat » désigne une
collectivité organisée ayant comme support sociologique une nation. Dans un sens
étroit, il indique, dans cette société politique, les pouvoirs publics. Dans un sens plus
étroit, il désigne au sein des pouvoirs publics, l’élément central par opposition aux
collectivités publiques locales.

Dans ce chapitre, le terme « Etat » sera surtout entendu dans son sens
large. L’Etat, forme perfectionnée de société, n’a pas toujours existé, il est à beaucoup
d’égards, le fruit d’une longue évolution.

L’antiquité avec les cités grecques et surtout avec Rome, a connu une
organisation sociale qui approchait de notre Etat moderne. Mais à partir des
invasions barbares et de la féodalité, cette ébauche s’est dissout dans une multitude
des liens sociaux, à la fois patrimoniaux et politiques au milieu desquels il est
impossible de découvrir l’institution de l’Etat. C’est en réalité à partir du XVème siècle
que la notion d’Etat, cadre des institutions politiques, au sens où nous entendons
cette organisation à l’heure actuelle, est née.

La problématique de la genèse de l’Etat a toujours suscité de nombreuses


élaborations théoriques81. Dans le sillage des théories sur l’origine de l’Etat82, la
naissance de l’Etat congolais a été justifiée par de nombreux chercheurs à travers le
fondement économique de l’origine de l’Etat africain.

81
Pour l’inventaire de ces théories, voy. BALANDIER, G., Anthropologie politique, Paris, PUF, 2ème éd., 1969,
pp. 177-185.
82
Il suffit de se référer aux théories sur l’origine conventionnelle de l’Etat, comme le contrat social de Thomas
Hoppes et Jean Jacques Rousseau ou le contrat politique de John Locke, aux théories extra-juridiques, comme
celle du conflit, la thèse marxiste, la thèse socio-historique ou celle du positivisme historique sur découvrir
comment la naissance de l’Etat pose des problèmes demeurés irrésolus à ce jour.
26

Au moment où les puissances coloniales établirent leur domination sur


le continent, nombre des Etats anciens avaient disparu ou s’étaient rétrécis jusqu’à
n’être plus que de petites provinces. Les raisons d’un pareil déclin sont bien
connues : il s’explique par les poussées de l’Islam, l’incidence de la traite négrière,
mais la nature des sociétés et des civilisations reste le principal élément
d’explication83.

A cet égard, Luc de Heusch a le sentiment que les unions d’Etats


caractérisées en Afrique par de groupes de parenté matrilinéaire (Ashanti, Kuba et
peut être aussi l’ancien Royaume du Kongo) constituaient, en raison des
contradictions inhérentes à toute structure matrilinéaire, un obstacle à la formation
d’un véritable Etat unitaire. Ces contradictions résulteraient du déchirement entre le
principe matrilinéaire de filiation et le principe patrilocal de la résidence, de la
division de l’autorité entre le groupe du père et le groupe de l’oncle maternel. Bref,
cette dysharmonie interne ne semble pas avoir réussi à opérer la centralisation du
pouvoir qu’implique un véritable Etat unitaire84.

A l’intérieur même du Congo, des limites de provinces ont souvent


écartelé les ethnies ou les tribus sur deux (les Bakusu), voire trois provinces (les
Basonge) sont à peu près en nombre égal au Katanga, au Kasaï et au Kivu. Dans les
sociétés patriarcales claniques souvent situées en forêts les chefs - traditionnellement
les vieux - ont eu une autorité qui du fait des guerres tribales, de la traite des rivalités
et des tâtonnements de l’État Indépendant du Congo s’est fort dispersée. Dans la
cuvette centrale, subsistaient, en effet, des tribus isolées dont l’organisation sociale
conservait les marques de structures claniques. Leur isolement, l’évolution difficile
de petits groupes humains aux prises avec la grande forêt équatoriale et le poids du
collectivisme agraire ne pouvaient favoriser l’éclosion d’une organisation politique
relativement centralisée85.

Après la Conférence de Berlin86, les nations européennes procédèrent


au partage du continent noir et à la délimitation de leurs possessions répondant au
critère de l’équilibre européen et à l’objectif colonial. Les accords étaient négociés
entre les puissances avant une connaissance précise des régions et des peuples. En
raison de ce découpage artificiel, certaines ethnies ou tribus ont été tronçonnées en
trois nationalités comme les Kongo partagés entre Portugais, Français et Belges ou les
Lunda et Tshiokwé répartis dans l’Angola, la Rhodésie et le Congo. Il en est de même
du groupe de tribus Azandé qui est à cheval sur les frontières du Nord-Congo, du
Soudan et de la République Centrafricaine sans oublier que presque toutes les
ethnies frontalières ont quelques clans ou tribus retranchés du tronc commun
principal par une frontière internationale.

83
BALANDIER, G., « Les mouvantes frontières de l’Afrique », Le Monde, n° 4656, du 10 au 11 janvier 1961.
84
De HEUSCH, L., « Aspects de la sacralité du pouvoir en Afrique », Le pouvoir et le sacré, Bruxelles, 1962,
138-158 (Annales du Centre d’Etude des Religions, I), p. 140.
85
Sur ce point, voy. MARLIER, M., Le Congo : de la colonisation belge à l’indépendance, Paris, Cahiers libres,
n° 32-33, François Maspero, 1962, p. 47.
86
Tenue du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, la réunion de la Conférence de Berlin se situe dans la logique
des prétentions allemande, anglaise, française, belge, portugaise et hollandaise sur l’Afrique.
27

Avant d’évoquer la naissance de l’État congolais dans ses dimensions


actuelles, l’histoire nous apprend que ce processus a été précédé par deux phases
intermédiaires découlant de l’invasion de l’Afrique par les puissances colonisatrices
européennes : il s’agit de la patrimonialisation du pays par Léopold II sous la
dénomination de l’État indépendant du Congo (EIC) et la cession par le Roi de
l’entité Congo à la Belgique, marquée par la colonisation belge.

§1. L’Etat indépendant du Congo

C’est à partir de l’acte général de la Conférence de Berlin du 26 février


1885 qu’ont été jetées les bases de la naissance du Congo comme Etat. Il faut certes
reconnaître que bien avant cette date, cet Etat était déjà connu sous l’appellation de
l’Association Internationale du Congo, AIC en sigle. Mais c’est à partir de l’Acte de
Berlin que le roi des Belges87, Léopold II, se proclama souverain et chef de l’Etat
Indépendant du Congo, sa propriété exclusive.

En vue de se conformer aux dispositions de l’article 62 de la


Constitution belge du 7 février 1831, les chambres législatives belges prirent des
résolutions les 28 et 30 avril 1885 pour autoriser Léopold II à être officiellement chef
de l’Etat Indépendant du Congo.

A la suite des traités conclus par l’Association Internationale du Congo


successivement avec l’Allemagne, la France et le Portugal, puissances européennes
présentes sur terrain à l’époque, le roi des Belges parvint à fixer, par la Déclaration
de neutralité du 1er août 1885, les limites de son Etat. La Déclaration relative à
l’application du régime de neutralité du 18 décembre 1894 fixa, sur base de nouveaux
traités, les frontières du nouvel Etat, laissant cependant ouvert le bassin du Congo au
commerce international, moyennant un droit de préemption à la France88.
C’est même à cause de l’origine internationale de la création de cet
Etat que l’histoire de la République Démocratique du Congo sera marquée par des
89

interventions permanentes de la communauté dite internationale, dont la troïka


occidentale (Belgique, Etats-Unis, France)90 n’a jamais cessé de se targuer d’être à la
base de la création et même de l’existence de l’actuel Etat congolais.

Comme Etat, l’EIC semble avoir connu une organisation politique à la


tête de laquelle trônait, dans le cadre de l’union personnelle entre le Royaume de
Belgique et celle-ci, le roi Léopold II comme chef de l’Etat. Cependant, la nouvelle
entité étatique n’était pas dotée d’un texte constitutionnel propre pour le distinguer
de l’organisation étatique belge.

87
Pour l’histoire, au moment de la proclamation de l’indépendance de Belgique en novembre 1830, le Congrès
national, agissant comme corps constituant, avait décidé de confier la couronne belge à une famille étrangère. En
l’occurrence, Léopold 1er, d’origine allemande, fut intronisé le 21 juillet 1831, Roi des Belges et non Roi de
Belgique, pays qui appartient au peuple belge.
88
Au cas où le Roi n’arrivait pas à gérer le grand territoire congolais, il le céderait en priorité à la France.
89
D’aucuns soutiennent même que l’Etat congolais est une création artificielle de la communauté internationale.
90
A chaque étape de la vie de l’Etat congolais, la plupart des grandes décisions prises au pays semblent avoir
d’abord été concoctées à Bruxelles, Washington et Paris.
28

Mais le roi souverain gouvernait sa possession par décrets91. Faute


d’avoir visité son domaine, il le gérait sur base de la carte géographique grâce à une
équipe restreinte dirigée par un secrétaire d’Etat entouré de quelques
administrateurs généraux, dont un seul, chargé de l’administration locale, résidant à
Boma, capitale de l’Etat, deviendra plus tard gouverneur général du Congo.

Il est important de noter que beaucoup des textes juridiques édictés en


cette période continuent d’être, même légèrement modifiés, en vigueur en ce
moment. C’est le cas, à titre exemplatif, de la législation sur les sociétés commerciales
dont le socle est assis sur le décret du 27 février 1887 relatif à l’organisation, au
fonctionnement et à la dissolution des sociétés commerciales ou encore le code civil,
livre III, portant sur les obligations, qui tire ses fondements du décret du 30 juillet
1888.
§2. Le Congo belge

Les difficultés de gestion d’un territoire quatre-vingt fois plus vaste que
son propre pays et les abus de plus en plus nombreux dénoncés par des
observateurs92 contraignirent le roi Léopold II à céder son patrimoine congolais à la
Belgique, au détriment de la France, qui jouissait du droit de préemption sur ce
territoire. Est-ce à cause de ce manquement de Léopold II que la France s’est toujours
sentie autorisée à intervenir dans les affaires du Congo et que sa langue a fini par
prendre solidement racine au Congo ? L’observation du comportement des autorités
françaises dans les affaires congolaises tant au niveau de la fragile sécurité du
territoire93 que de la vacillante économie du pays94 le laissent penser.
Au sujet de la cession du territoire congolais par le roi à la Belgique,
deux thèses s’affrontent pour donner la nature de l’acte ayant fondé cette volonté de
l’ancien propriétaire de l’EIC : certains soutiennent que la cession est testamentaire,
d’autres avancent la thèse de la donation95.

La volonté de voir sa propriété annexée à la Belgique apparaît certes


déjà clairement dans le testament royal du 2 août 1889 telle que manifestée dans la
lettre du roi du 5 août 1889. Cependant, la mort du roi n’étant intervenu qu’en
décembre 1909, la cession intervenue une année auparavant ne peut avoir été due à
un testament. Il suffit de rappeler le Traité du 28 novembre 1907 et son Acte
additionnel du 5 mars 190896 pour comprendre que cette cession ne pouvait être
qu’entre vifs.

91
Du fait de la conception patrimoniale du pouvoir, L’EIC était géré par voie de décrets en toutes matières. La
distinction de ces décrets en décrets constitutionnels, décrets législatifs et décrets administratifs est due à la
doctrine selon qu’ils organisaient l’Etat ou posait des actes concrets d’application ou non des premiers.
92
Les missionnaires protestants furent les plus virulents dans cette dénonciation.
93
Il suffit de considérer les différentes interventions de l’armée française à chaque fois que la sécurité du Congo
est menacée pour s’en rendre compte.
94
Les autorités congolaises de tous les temps n’ont-elles pas coutume de recourir à la France pour appuyer les
démarches de soutien financier à son économie malade, comme cela apparait dans le cadre du Club de Paris ?
95
VUNDUAWE te PEMAKO, F., Traité de droit administratif, Bruxelles, Larcier, 2007, pp.186 et 188, revient
sur cette question avec force détails..
96
Les effets du Traité du 28 novembre 1907 ont dû être atténués par un avenant pris le 5 mars 1908 tendant à
réserver au domaine de la Couronne une partie du territoire, notamment le Maï-Ndombe et l’Equateur.
29

En application de l’article 1er, alinéa 4, de la Constitution belge du 7


février 183197, le parlement adopta le 18 octobre 1908 une loi sur le gouvernement du
Congo belge, dite Charte coloniale98 destinée à régir la colonie belge, après avoir
modifié la Constitution, approuvé le Traité du 28 novembre 1907 et l’Avenant du 5
mars 190899.
Désormais partie intégrante du Royaume de Belgique, avec laquelle elle
forme une union réelle, ayant une personnalité distincte de la métropole, le Congo
belge aurait dû relever de la Constitution belge en vertu de laquelle la Charte
coloniale édictée pour le régir avait été prise, mais la colonie possède sa propre
législation et sa population n’est pas soumise aux lois belges.
Il faut retenir que c’est à l’époque de la Charte coloniale que le Congo
est organisé, que les limites des provinces, des districts, des territoires, des chefferies
et des secteurs sont tracées. L’administration territoriale congolaise est en grande
partie tributaire de l’héritage colonial.
Le pouvoir exécutif de la colonie appartient au roi. Il est aidé dans cette
tâche par un ministre membre du gouvernement belge chargé des colonies100, devenu
plus tard ministre du Congo belge et du Ruanda-Urundi, assisté lui-même des agents
regroupés dans une administration centrale basée en Belgique et dirigée par un
secrétaire général. En plus du secrétariat général101, le ministre des colonies est aussi
assisté dans la gestion du portefeuille de la colonie d’un comité du portefeuille de la
colonie102. Sur le plan local, le roi est représenté dans la colonie par un gouverneur
général, assisté d’un ou de plusieurs vice-gouverneurs généraux103, qui exerce le
pouvoir exécutif par délégation, par voie d’ordonnance104.

§3. La naissance effective de l’Etat congolais

Il peut paraître choquant de faire appel à l’histoire pour attester la


réalité du phénomène étatique sur le continent africain. Mais pour odieuse qu’elle
puisse être jugée, la colonisation n’est pas moins à l’origine de l’État africain. «Ces
nouveaux États, écrit Daniel Pépy, ne se créent pas ex-nihilo, ce sont les successeurs
d’un état de chose antérieur, voulu, organisé, dirigé par la puissance
colonisatrice »105.

97
Aux termes de ces dispositions constitutionnelles, la Belgique ne pouvait pas annexer un territoire étranger. Il
avait donc fallu procéder à une révision constitutionnelle avant d’autoriser cette annexion. L’alinéa 4 ajouté à
l’article 1er est ainsi libellé : « Les colonies, possessions d’outre-mer ou protectorats que la Belgique peut
acquérir sont régis par des lois particulières… ».
98
La Charte coloniale est entrée en vigueur le 15 novembre 1908.
99
En cette date fatidique du 18 octobre 1908, le parlement prit en réalité trois lois dont la première approuvait le
traité de cession du 28 novembre 1907, la seconde, l’acte additionnel du 5 mars 1908 et la dernière est dite charte
coloniale.
100
Le premier à être nommé ministre des colonies par le Roi le 30 octobre 1908 fut Jules Renkin, le dernier à
être nommé le 16 mai 1960 ministre sans portefeuille chargé des affaires générales en Afrique fut Van Der
Meersch.
101
Constitué tel que fixé par Arrêté royal du 28 juillet 1914.
102
Institué par l’Arrêté royal du 7 novembre 1927.
103
Article 21 de la Charte coloniale.
104
Article 22 de la Charte coloniale.
105
PEPY, D., Les nouveaux Etats et le modèle de l’ancienne métropole, in Les nouveaux Etats dans les relations
internationales, Paris Armand Colin, 1962, p. 131.
30

Les contours de l’État africain actuel sont une manifestation de sa


volonté : cela se passe en Europe, à Berlin. C’est encore cette même volonté, qui
organise son accession à l’indépendance par le mouvement de la décolonisation.

La Conférence de Berlin et ses suites ne donnent pas naissance, en


Afrique, à l’Etat en tant qu’entité juridique. Celui-ci résulte de deux moments
historiques dont il est la synthèse : la décolonisation et l’indépendance. Le premier
permet la réunion d’un peuplement humain sur un territoire « autonome », le second
leur confère le troisième élément constitutif de l’Etat, la capacité juridico-politique.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale s’ouvre la phase de


décolonisation dont les indépendances seront l’aboutissement logique. Bandoeng
apparait comme le pendant de Berlin tant il marque le début d’une ère nouvelle, celle
de la décolonisation106. Entre l’indépendance du Ghana (6 mars 1957) et celle du
Nigéria (1er octobre 1960), trois années ont suffi pour permettre à presque tous les
Etats coloniaux d’accéder à l’indépendance.

Dans cet intervalle, il y a comme un phénomène de contagion de


l’indépendance qui touche les territoires voisins107 par leur situation géographique
ou par leur appartenance à un même ensemble linguistique ou politique. Ce
phénomène ne manque pas de frapper à la porte du territoire de la colonie belge sur
lequel des manifestations des rues se signalent dès janvier 1959108. A elle seule,
l’année 1960 représente, selon Guillaume Pambou Tshivounda, l’année-apogée des
indépendances109.

L’indépendance – octroyée ou conquise – synonyme de souveraineté,


signifie pour les anciens territoires coloniaux devenus Etats, l’égalité avec les
anciennes métropoles. Ces nouveaux Etats devenus indépendants conservent les
frontières héritées de la colonisation sur base d’un constat devenu principe générale
du droit international africain : le principe de l’intangibilité des frontières héritées de
la colonisation, qui semble battre de l’aile devenu le référendum réussi de
l’indépendance du Sud Soudan.

En 1960, lorsque la Belgique accorde l’indépendance au Congo, elle


lègue à son ancienne colonie non pas un Etat, mais une administration, des bureaux
et des services, qui étaient, en réalité, les siens destinés à évoluer dans deux contextes
institutionnels, économiques et sociaux différents des institutions qui, au point de
départ pourtant, étaient construites sur le même modèle110.

106
Guy de BOSSCHERE, Les deux versants de l’histoire : Perspectives de la décolonisation, Paris, Albin
Michel, 1969, p. 31, considère même le 20 ème siècle, avant tout autre, comme le siècle de la décolonisation.
107
Le mouvement qui permet aux colonies anglaises de trouver leur propre équilibre est aussitôt imité par Paris
qui entreprend un cortège des réformes par la loi-cadre de 1956. Sur ce processus des indépendances des Etats
africains, voy. GUILLAUME, P. et LAGROYE, J., La naissance des Etats d’Afrique noire, in L’Afrique noire
contemporaine, Paris, Armand Colin, 1968, pp. 136 à 177.
108
C’est en effet les 4 et 5 janvier 1959 qu’ont lieu les émeutes à Léopoldville, capitale du Congo belge.
109
PAMBOU TSHIVOUNDA, G., L’Etat africain postcolonial, Paris, LGDJ, 1982, p. 35.
110
DELPEREE, F., Préface de l’ouvrage de BOSHAB, E., La contractualisation du droit de la fonction
publique, Louvain-la-Neuve, 2001, p. 13.
31

Section 2 : Les institutions politiques congolaises

Afin de mieux comprendre l’évolution politique du Congo, il importe


de regrouper son étude autour des importantes préoccupations qui constituent
l’histoire des institutions politiques du pays. Elles apparaissent à travers l’analyse
des institutions républicaines, de celles résultant des intermèdes monarchiques et des
incursions transitoires, qui caractérisent les temps forts de cette évolution politique.
Mais l’étude des institutions politiques appelle l’analyse des textes constitutionnels
fondateur de ces institutions qu’il nous semble important de découvrir auparavant.

Sous-section 1 : L’évolution des textes constitutionnels créateurs des institutions


politiques

S’il est un domaine dans lequel le Congo a le plus excellé depuis


l’indépendance octroyée le 30 juin 1960 par le Royaume de Belgique, c’est bien celui
de la production constitutionnelle. En quarante ans d’indépendance, l’ancienne
colonie belge a produit des textes constitutionnels n’ayant aucune commune mesure
avec le nombre de ceux de son ancienne métropole, la Belgique, en cent soixante-
treize ans111. Même la France, dont le mouvement constitutionnel donne l’impression
d’une vertigineuse accélération depuis la Révolution de 1789, ne peut prétendre
concurrencer le jeune Etat congolais sur une période de même durée112, encore moins
les USA, qui se distinguent par une stabilité constitutionnelle hors paire, qui ne rend
pas compte de l’exceptionnelle transformation de la société américaine113.

En effet, mises à part les Lois fondamentales du 19 mai 1960 relative aux
structures du Congo et du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques léguées par la
colonisation belge au nouvel Etat congolais et le décret-loi constitutionnel n° 003 du
27 mai 1997 octroyé par les princes de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la
Libération du Congo (AFDL), les principaux textes constitutionnels, comme la
Constitution du 1er août 1964, la Constitution du 24 juin 1967 et la Constitution du 18
février 2006, ont connu l’intervention du souverain primaire, qui les a approuvés par
voie référendaire114.

111
Si en 1831, la Constitution de la Belgique crée l’Etat belge aux comportements unitaires, c’est à partir de
1970 qu’elle lui donne une organisation inspirée des principes du fédéralisme ; celle-ci prend une importance
particulière avec la Constitution du 17 février 1994. Dans l’un ou l’autre cas, les réformes s’inscrivent dans la
continuité constitutionnelle de plus d’un siècle et demi. Voy. DELPEREE, F., Le droit constitutionnel de la
Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2000 et Paris, LGDJ, 2000, p. 6.
112
Le régime constitutionnel français actuel et son fonctionnement ne peuvent être compris qu’en remontant à la
Révolution de 1789 certes. Mais malgré l’instabilité qui a caractérisé les institutions françaises de 1789 à 1870,
celles de la Troisième République (de 1870 à 1946) et de la Quatrième République (1946 à 1958) ont été plus
durables et plus libérales. De 1958 à ces jours, la République française dispose d’un régime politique établi par
la Constitution du 4 octobre 1958 et dont, de l’avis de beaucoup d’auteurs, l’évolution n’a nullement dénaturé
ses fondements initiaux.
113
Après près de trois siècles de vie, plus ou moins 26 amendements ratifiés et définitifs ont été portés à la
Constitution américaine du 17 septembre 1787.
114
Ces trois Constitutions furent adoptées par référendum organisé du 25 juin au 10 juillet 1964, pour celle de
1964, du 4 au 24 juin 1967 pour celle du 24 juin 1967 et du 18 au 19 décembre 2005 pour al Constitution du 18
février 2006. Bien que le référendum de 1967 ait été plus proche du plébiscite en faveur de son initiateur qui
tenait beaucoup au renforcement et à la consolidation des ses prérogatives présidentielles, le peuple congolais fut
tout de même appelé aux urnes.
32

Les profondes modifications de la Constitution de 1967, qui suivirent


les tendances de la personnalisation à outrance du pouvoir étatique, vont
transformer le constituant congolais en une machine inusable de production sans
pareille au monde des Constitutions, les unes plus éloignées que les autres des textes
de base au point de n’avoir plus en commun que la seule référence à la date du 24
juin 1967115.

Aussi, depuis les vagues de contestations qui suivirent le vent venu de


l’Est, les tenants du pouvoir n’ont-ils pas recouru à de longues négociations avec les
forces dites « d’opposition » à leur règne, ouvrant ainsi la voie à d’interminables
transitions. Celles-ci ont toujours trouvé leur fondement dans des actes dits
constitutionnels116 négociés par des acteurs politiques et sociaux autoproclamés
« représentants du peuple ». Ce sont les divers actes constitutionnels transitoires.

Un cycle aussi inimitable de production des Constitutions a-t-il aidé à


l’instauration du constitutionnalisme dans le pays ? Parce que les Constitutions
écrites étaient destinées, dans le mouvement déclenché par les occidentaux au siècle
de Lumières, à établir des règles de jeu en vue de limiter l’absolutisme et même le
despotisme des pouvoirs monarchiques, les nombreuses Constitutions congolaises
ont-elles contribué à bannir l’arbitraire de l’exercice du pouvoir de manière à faire du
Congo une République réellement « démocratique » ? Loin de contraindre les
gouvernants, les textes constitutionnels périodiquement élaborées ne sont-ils pas
venus étendre à l’infini les compétences des dirigeants politiques et légitimer ainsi
l’autoritarisme et l’arbitraire ?

Nous en aurons le cœur net en analysant respectivement les


textes constitutionnels octroyés (§1), les textes constitutionnels conjoncturels (§2) et
les textes constitutionnels définitifs (§3).

§1. Les textes constitutionnels octroyés

La Constitution étant normalement un document qui réunit des règles


qui président à la composition, à l’organisation et au fonctionnement des institutions
étatiques sur base des habitudes, des pratiques, des usages, des coutumes considérés
comme légitimes par ses destinataires, sa mise en place doit être l’œuvre de ceux-ci.
En vue de rendre légitime un texte constitutionnel, l’intervention du peuple peut se
faire, soit en amont lorsque celui-ci désigne des représentants chargés d’en élaborer

115
Avec l’Ordonnance-loi n° 70-025 du 17 avril 1970, les Loi n° 70-001 du 23 décembre 1970, Loi n° 71-006
du 29 octobre 1971, Loi n° 71-007 du 19 novembre 1971, Loi n° 71-008 du 31 décembre 1971, Loi n° 72-003
du 5 janvier 1972, Loi n° 72-008 du 3 juillet 1972, Loi n° 73-014 du 5 janvier 1973, Loi n° 74-020 du 15 août
1974, Loi n° 78-010 du 15 février 1978, Loi n° 80-007 du 19 février 1980, Loi n°80-012 du 5 novembre 1980,
Loi n° 82-004 du 31 décembre 1982, Loi n° 88-004 du 27 janvier 1988, Loi n°88-009 du 27 juin 1988, Loi n°
90-002 du 5 juillet 1990 et Loi n° 90-008 du 25 novembre 1990, la Constitution du 24 juin 1967 aura en effet
été modifiée et complétée dix-sept fois en vingt-trois ans !
116
Ce sont des Constitutions issues du virus qui avait contaminé et secoué l’Afrique à une certaine époque et que
le doyen Charles Cadoux appelle « une véritable épidémie constitutionnelle des régimes de transition »
(« Remarques sur le provisoire en droit constitutionnel », in Présence du droit public et des droits de l’homme,
Mélanges offerts à J. VELU, t. 1, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 231.
33

le projet, de l’adopter et de le mettre en place, soit en aval, lorsque le peuple


approuve par référendum un texte rédigé et adopté en dehors de lui, ou encore en
amont et en aval lorsqu’après avoir désigné une assemblée chargée d’élaborer le
texte et de l’adopter avant de le soumettre au peuple pour une approbation finale.

Au temps de la monarchie européenne, l’établissement d’une


constitution était l’œuvre unilatérale du roi qui, poussé certainement par une
conjoncture politique contraignante contre l’absolutisme de son pouvoir, est amené à
consentir à réglementer l’exercice du pouvoir royal117.

L’histoire constitutionnelle congolaise présente deux exemples de


modèles des textes constitutionnels qui s’apparentent à la concession, à l’octroi d’un
texte qui règlemente l’exercice du pouvoir étatique : il s’agite de la première
Constitution provisoire du Congo118 constituée par deux Lois fondamentales, la Loi
fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo et celle du 17 juin
relative aux libertés publiques (A) léguées par le parlement belge à l’ancienne colonie
et le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 mis en place par les princes de
l’AFDL (B).

A. Les Lois fondamentales de 1960

Le vent de contagion des indépendances découlant des pressions de


diverses origines qui secouait le continent africain depuis la conférence de Bandoeng
n’avait pas laissé totalement indifférents les Congolais. Sans doute, pendant un
temps, les « évolués » Congolais semblèrent indifférents face aux questions
d’indépendance et même à la formulation de leurs aspirations politiques jusqu’à faire
penser à certains auteurs que « en 1955, la conférence de Bandoung, cet événement
de portée historique, n’effleura même pas la conscience des Congolais »119.

Cependant, ce qui semble être de l’indifférence des élites congolaises


aux effets de la conférence de 1955 doit certainement être dû moins au peu d’intérêts
et de connaissances sur l’évolution internationale du phénomène de décolonisation
qu’à une tactique destinée à endormir le colonisateur sur l’état exact de leurs
informations sur le monde extérieur120. La preuve en est la publication dès 1956 du
premier manifeste congolais, « Conscience africaine » qui, bien que ses auteurs
semblent utilement informés sur le phénomène, ne contenait aucune allusion au
monde extérieur.

117
Il suffit de lire le préambule de la charte française du 4 juin 1814 pour comprendre ce mode d’établissement
d’une constitution concédée : « Nous avons volontairement et par le libre exercice de notre autorité royale
accordé et accordons, fait concession et octroi à nos sujets de la charte qui suit ».
118
VUNDUAWE te PEMAKO, F., Traité de droit administratif, op. cit., p. 189, l’appelle, sans expliquer
pourquoi, la « première Constitution intérimaire de l’Etat du Congo ».
119
VANDERLINDEN, J., La crise congolaise, Bruxelles, Ed. Complexe, 1985, p. 20.
120
Il n’était certainement pas prudent pour eux de dissimuler au colonisateur la vérité afin d’éviter de perturber
la quiétude qu’il continuait à afficher quant au sort de sa colonie.
34

Aux plans d’émancipation politique concoctés en 1956 par les milieux


coloniaux belges121, qui ont l’avantage d’évoquer le problème sur la place publique,
succèdent la déclaration gouvernementale belge122 du 13 janvier 1959 et le message
du roi Baudouin qui projettent de « conduire sans atermoiements funestes, mais sans
précipitation inconsidérée, les populations congolaises à l’indépendance »123. S’ensuit
l’accélération de la vie politique congolaise marquée par la prolifération des partis
politiques124, résultat de la politisation croissante de la vie dans la colonie et du
décret du 17 août 1959 sur les libertés fondamentales.

En vue d’arrêter les modalités pratiques de l’indépendance du Congo


finalement décidé par la puissance coloniale, deux tables rondes se tiennent à
Bruxelles réunissant les leaders congolais125 autour des membres du gouvernement
et représentants des groupes parlementaires belges : la table ronde politique (du 20
janvier au 20 février 1960) et la table ronde économique (du 26 avril au 16 mai 1960).

En vue de comprendre le sens des textes qui vont régir le nouvel Etat
indépendant, il s’avère utile de connaître la nature juridique des lois fondamentales
de 1960 en rapport avec le contexte de leur élaboration, avant d’en expliquer les
grandes options politiques et structurelles.

1. La nature juridique des Lois fondamentales de 1960

L’ouverture de la table ronde économique semblait baigner dans la


confusion et l’équivoque. Si pour les Congolais, l’objectif principal était de dresser
l’inventaire des biens à restituer au nouvel Etat au 30 juin 1960, pour les Belges, il
s’agissait de préparer les accords de coopération destinés à sauvegarder au mieux les
intérêts économiques et financiers belges après l’indépendance du Congo126. Cette
différence d’optique explique non seulement le peu d’intérêts qui découlèrent de ses
assises, mais aussi la persistance du contentieux belgo-congolais qui continue de
planer sur les relations économiques de deux pays.

121
C’est le cas du « Plan de trente ans pour l’émancipation politique de l’Afrique belge» du professeur Jef Van
Bilsen de l’Institut universitaire des Territoires d’Outre-Mer d’Anvers, paru en février 1956.
122
Voy. Divers commentaires dans « La déclaration gouvernementale sur l’avenir du Congo. Réactions
congolaises et européennes », Courrier hebdomadaire du CRISP, Bruxelles, n° 5, février 1959.
123
Ce sont les termes mêmes du discours du roi du 13 janvier 1959.
124
Des partis régionaux comme le CEREA dans le Kivu, le Parti Solidaire Africain (PSA) dans la province de
Léopoldville, au Kwango et au Kwilu, le Parti du Peuple à Léopoldville, le Parti National du Progrès (PNP) dans
tout le pays et la Mouvement Nationaliste Congolas (MNC) dans les Provinces Orientale, du Kasaï et de
Léopoldville côtoient des partis à assise ethnique comme ABAKO de Bakongo, BALUBAKAT des Luba du
Katanga, UNIMONGO des Mongo, Parti de la Défense du Peuple Lulua des Lulua, FEDEKA des ethnies du
Kasaï au Katanga, ASSORECO de diverses ethnies non Kongo, CONAKAT de divers groupes poltiques à base
ethnique non-luba du Katanga et Inter-Fédérale de divers autres groupes politiques à base ethnique à
Léopoldville.
125
Ils étaient 44 membres effectifs et 39 membres suppléants choisis parmi les élus au scrutin de décembre 1959,
les leaders politiques représentant les grandes tendances de l’opinion et les chefs coutumiers.
126
Pour LECLERCQ, Cl., L’ONU et l’affaire du Congo, Paris, Payot, 1964, p.30, les projets de résolution de la
table ronde économique étant élaborés dans un cadre immuable où l’encadrement économique belge devait
garder une place prépondérante, la dépendance économique dans laquelle se trouverait le Congo indépendant
viderait la substance l’indépendance politique que les Congolais nationalistes considéraient comme une panacée
universelle.
35

Contrairement aux résolutions de cette table ronde postérieure, la table


ronde politique avait, elle, abouti à des résolutions plus radicales que les positions du
départ ne le laissaient. La conférence politique avait accouché de seize résolutions
qui devaient servir de base à l’élaboration des deux Lois fondamentales : la Loi
fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo127 et la Loi
fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques128. Alors que la première
loi ne s’occupa que de l’aspect institutionnel en se chargeant d’organiser les pouvoirs
politiques du Congo, la deuxième réglementa une autre dimension importante du
droit constitutionnel contemporain : les libertés publiques telles qu’elles résultent des
rapports entre les gouvernants et les gouvernés.

Visiblement, chargé d’élaborer un texte destiné à régir le Congo, le


gouvernement belge ne semble pas avoir envisagé de doter le nouvel Etat d’une
véritable constitution. Néanmoins, le législateur belge adopte une constitution
provisoire composé de deux lois belges dont la nature est détaillée aux articles 3, 5 et
230 de la Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo. La loi
adoptée par le parlement belge et promulguée par le roi des Belges le 19 mai 1960 est
certainement, dans l’esprit du législateur, un acte de portée transitoire octroyé par le
parlement belge : c’est même pourquoi elle réserve le rôle du roi des Belges ou
certaines compétences à la Belgique jusqu’à la mise en place d’une Constitution
élaborée, votée et sanctionnée par les Congolais129.

Outre le caractère d’extranéité du texte de la Constitution provisoire, la


Loi fondamentale du 19 mai 1960 se caractérise également par sa longueur (258
articles), qui mêle les dispositions transitoires et les dispositions d’organisation des
pouvoirs publics. Elle contient, en outre, de nombreuses dispositions que l’on n’a
guère l’habitude de voir figurer dans un texte constitutionnel : c’est ainsi que les
dispositions relatives aux traitements et indemnités des députés, des membres du
bureau des chambres parlementaires (articles 78, 79 et 80) ou des assemblées
provinciales (articles 142, 143) et même une grande partie de la législation électorale
(articles 92-95, 110-121) figurent dans le texte fondamental. Il en résulte que les points
les plus importants de l’organisation des pouvoirs sont malheureusement noyés au
milieu des dispositions d’intérêt plus réduit.

C’est sans doute la Loi fondamentale relative aux structures qui a été
appelée à régir les institutions politiques du nouvel Etat jusqu’à l’élaboration de la
Constitution définitive du Congo. Néanmoins, à la suite de la crise politique
découlant de la révocation du premier ministre Lumumba le 4 septembre 1960 par le
chef de l’Etat et de l’envoi en congé sine die du parlement, trois textes d’une nature
127
Loi Fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, MC, 1ère année, Léopoldville, n° 21 bis
du 27-28 mai 1960, pp. 353-389 et MB, 27-28 mai 1960.
128
Loi Fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques, MC, 1er année, Léopoldville, n° 26 du 27
juin 1960.
129
A cet égard, l’éventualité du maintien du roi des Belges comme chef du nouvel Etat à la manière de l’Etat
Indépendant du Congo semble avoir été caressé et même envisagé par les Belges. C’est ce qui explique
l’omission délibérée, par les rédacteurs de la Loi fondamentale qui semblaient caresser encore l’espoir de voir à
nouveau le Congo uni à la Belgique par une union personnelle, de l’expression « président » d’une République
du Congo pourtant baptisée ainsi dès son indépendance.
36

ambiguë devaient prendre corps dans l’ordonnancement juridique du pays : il s’agit


du décret-loi constitutionnel du 29 septembre 1960, du décret-loi constitutionnel du 7
janvier 1961 et du décret-loi constitutionnel du 9 février 1961, dont le terme est
étranger au contexte de ladite loi.

En effet, devant l’impossibilité pour le premier ministre Iléo, nommé en


remplacement du premier ministre Lumumba, majoritaire au parlement, de former
un nouveau gouvernement, le colonel Mobutu perpétra le 14 septembre 1960 son
premier coup d’Etat, neutralisant les animateurs des institutions gouvernementales
et parlementaires et mettant en place un Conseil des commissaires généraux
composé en majorité des jeunes universitaires, étudiants finalistes.

Pour gagner la confiance du chef d’état major de l’armée et rentrer dans


ses faveurs, le président Kasavubu dut prendre un acte inconstitutionnel, le décret-
loi constitutionnel du 29 septembre 1960 pour concéder rétroactivement l’exercice du
pouvoir exécutif et du pouvoir législatif à ce conseil. Lorsque la situation a fini par
s’apaiser, il a suffi au chef de l’Etat de remettre en selle le gouvernement provisoire
dirigé par Iléo en prenant un autre acte inconstitutionnel, le décret-loi constitutionnel
du 9 février 1961, pour conférer les deux pouvoirs étatiques au gouvernement Iléo en
déchargeant le gouvernement des commissaires généraux dirigé par Justin Marie
Bomboko. Auparavant, le décret-loi constitutionnel du 7 janvier 1961 servit au chef
de l’Etat d’ébranler les dispositions relatives à l’indépendance du pouvoir judicaire.

Au plan constitutionnel, même si les textes constitutionnels mis en


place à titre de constitution provisoire semblent souffrir d’une carence congénitale de
légitimité manifeste, le législateur colonial aura fait un effort pour y insérer, bien que
mal comprise, le principe de séparation des pouvoirs et même promouvoir des droits
fondamentaux à travers tout un texte, la Loi fondamentale du 17 juin 1960 relative
aux libertés fondamentales, leur mise en application posant un tout autre problème.

2. Les principales options politiques

En vue de couler sous forme juridique des résolutions parfois


laconiques ou même contradictoires de la table ronde politique de Bruxelles, le
législateur belge aurait dû, même sans aide précieuse des élites congolaises130, se
débrouiller pour faire œuvre utile. Au lieu de produire un travail original, le
législateur belge, à travers la Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures
du Congo semble s’être contenté d’exporter au Congo les institutions politiques
belges de la Constitution du 7 février 1831.

Excepté le remplacement de l’institution monarchique par le chef de


l’État élu par les deux chambres131, le parlement belge avait presque exporté toutes

130
En raison d’une politique voulue par le colonisateur, la formation des élites congolaises capables d’atteindre
un haut niveau d’instruction universitaire fut le moindre de ses soucis.
131
Dans d’autres régimes parlementaires dans lesquels cette qualité n’est pas héréditaire, comme en Grande
Bretagne et en Belgique, par exemple, la désignation du chef de l’État est l’œuvre du parlement. C’est le cas en
37

les institutions métropolitaines dans l’ancienne colonie. En effet outre un chef de


l’État inviolable132, il est mis en place un gouvernement composé d’un premier
ministre et des ministres responsables de la politique de la nation devant les deux
chambres du parlement133 dont ils doivent à tout moment disposer de la confiance de
la majorité134.

3. Les principales options sur les structures étatiques

En raison des forces en présence, le législateur belge fut buté à des


difficultés certaines pour trouver une voie susceptible de sauver l’unité du Congo
indépendant en mettant en place une organisation adéquate des structures de l’Etat.
Au niveau de l’organisation et du fonctionnement des entités composantes de l’Etat,
deux thèses s’affrontent : la thèse des tendances fédéralistes d’une part et celle des
tendances unitaristes de l’autre.

Les tendances fédéralistes tirent leur origine tantôt des facteurs socio-
économiques développés par les tendances centrifuges des mouvements katangais,
tantôt des facteurs socioculturels résultant de l’extrémisme ethnique kongo135.
Conscients de l’apport important des ressources de leurs contrées au budget de
l’Etat, sans qu’il ne soit besoin de se concerter préalablement quant à ce, les leaders
katangais de la CONAKAT136 et kongo de l’ABAKO137 rêvaient, en faveur de leur
province, d’un Etat autonome, contrôlé politiquement et administrativement par les
Katangais authentiques pour les uns et par le peuple kongo pour les autres. Alors
que le Katanga compte sur ses richesses minières pour renforcer l’autonomie de son
futur Etat, le Congo central semble lorgner sur sa situation géographique privilégiée
par son accès à la mer pour réclamer l’autonomie.

Dans le sillage de la position officielle et traditionnelle de l’autorité


coloniale d’un « Congo uni, Congo fort », le nationalistes congolais sont
unanimement anti-fédéralistes en raison du fait que le fédéralisme incarnait, à leurs
yeux, le séparatisme katangais ou le particularisme kongo. En effet, la déclaration
gouvernementale belge du 13 janvier 1959, soucieuse d’éviter les tendances
centrifuges et de créer un pays puissant et uni au centre de l’Afrique, est fondée sur
l’hypothèse d’un Congo unitaire fort avec, éventuellement des formes de

Allemagne, en Italie ou en Grèce où ce pouvoir appartient respectivement à l’assemblée fédérale, à la réunion de


deux chambres ou à la chambre des députés.
132
Art. 19, Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, MC, op. cit., p. 354.
133
Art. 35, al. 2, Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, MC, op. cit., p. 355.
134
Les articles 42 à 46, Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, MC, op. cit., pp.
355-356, démontre à suffisance comment ils peuvent obtenir confiance du parlement ou la perdre.
135
Les deux pôles congolais du fédéralisme sont demeurés le Katanga et le Congo central.
136
Créée le 4 octobre 1958 en vue de réagir contre une emprise croissante sur la vie dans les centres urbains et
miniers des éléments originaires du Kasaï, émigrés au Katanga, la Confédération des Associations tribales du
Katanga regroupait l’ensemble des associations ethniques des Katangais dits authentiques trouvait à travers le
fédéralisme, et même la confédération d’Etats, le moyen de voir seuls les natifs katangais accéder aux postes de
responsabilité et les ressources du Katanga échapper au budget du gouvernement de Léopoldville..
137
L’Association des Bakongo pour l’unification et la conservation et l’expansion de la langue kikongo fut
fondée dans les années 1950-1951en vue de promouvoir la renaissance culturelle de tous les Kongo finit par
trouver dans le fédéralisme le moyen idéal de réaliser ses objectifs.
38

décentralisation administrative. Aussi, les leaders du MNC, mouvement qui a le


mieux incarné les forces centripètes, furent à l’origine du ralliement des provinces
entières comme une grande partie du Kasaï, l’Equateur, le Kivu et la Province
Orientale, des tribus ou des ethnies au crédo unitariste.

Les motivations profondes des forces unitaristes semblent également


fondées non seulement sur les facteurs économiques dus à la pauvreté de certaines
provinces138, mais aussi à l’effritement des structures traditionnelles. En effet, les
facteurs économiques ayant fait apparaître les disparités économiques flagrantes
entre les provinces, le reflexe de défense se fait remarquer, pour la plupart d’entre
elles, par la projection sur le plan de l’intégration nationale. Dans cette perspective, si
les provinces potentiellement riches étaient autonomistes, voire séparatistes, « les
régions ingrates et besogneuses »139 jouaient la carte de l’unité, seule garantie d’une
meilleure redistribution des richesses.

Même plus, le déséquilibre de développement entre les provinces


semblait avoir été à la base de la ligne de partage des forces politiques. Biebuyck et
Douglas140 estiment, à cet effet, que les motivations qui déterminent une ethnie à
rallier l’une ou l’autre des organisations politiques existantes sont des reflexes de
défense plus que des éléments positifs d’ordre idéologique qui auraient été à
l’origine de la distribution des différentes ethnies entre les partis141. Ainsi, les ethnies
pauvres mal organisées, peu structurées se seraient mises sous la protection des
partis politiques unitaristes pour se défendre contre l’impérialisme des tribus plus
riches, au passé glorieux, aux potentialités plus grandes.

Dans le souci d’éviter l’affrontement de ces deux thèses relatives aux


structures de l’Etat, le législateur belge dut jouer à des véritables acrobaties
juridiques pour satisfaire les deux tendances en présence : le compromis semble
avoir consisté à adopter une position ambiguë sur la forme de l’Etat en mettant en
place un régime renfermant des éléments du fédéralisme et des aspects unitaristes.

B. Le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997

L’évolution de l’histoire constitutionnelle de la République


Démocratique du Congo se caractérise par la permanence d’une situation chronique
d’état d’urgence de type extraconstitutionnel qui, selon la fortune du moment, reçoit
ou non une fausse vraie couverture juridique.

138
Sans doute, à l’époque, la vocation réelle de beaucoup des provinces n’étant pas encore découverte, la
pauvreté se mesurait par rapport aux préoccupations économiques du colonisateur qui se contentait d’exploiter
uniquement les richesses déjà à sa portée.
139
L’expression est de DJELO EMPENGE OSAKO, Contribution à l’étude des tendances fédéralistes et
unitaristes dans l’évolution politique et constitutionnelle du Zaïre, op. cit., p. 140.
140
BIEBUYCK, D. et DOUGLAS, M., Congo : Tribes and Parties, Londres, Royal Anthropological Institute,
1961,
141
C’est ce qui explique l’implantation relativement rapide du MNC et autres partis unitaristes dans des
provinces comme le Kasaï, l’Equateur, le Kivu et la Province Orientale.
39

Lorsque Laurent Désiré Kabila et son AFDL, appuyés par les forces
gouvernementales rwandaises, burundaises et ougandaises prennent Kinshasa le 17
mai 1997, ils décident d’asseoir leur révolution sur la suspension de « tous les actes
pseudo constitutionnels existants ainsi que les institutions qu’ils organisent ». Ils
promettent de convoquer « une Assemblée constituante dans un délai de 60 jours en
vue d’élaborer une Constitution provisoire devant régir la période de transition ».

A la place d’une Assemblée constituante, le nouveau chef de l’Etat, se


ravisant, se transforme lui-même en constituant et édicte un décret-loi dit
constitutionnel dix jours plus tard. L’objet de ce texte consiste à donner la forme
juridique à la situation de fait issue de la prise du pouvoir par les forces regroupées
sous le label de l’AFDL. Son intérêt réside dans le fait qu’il tranche le problème le
plus urgent pour les nouveaux locataires du pouvoir, celui de déterminer les organes
compétents pour exercer les différents pouvoirs reconnus au sein de l’Etat.

L’épineux problème de son éventuelle révision et surtout celui de la


dévolution des pouvoirs au sein de l’Etat sont renvoyés, semble-t-il pour toujours, à
la postérité.

La question fondamentale à laquelle il s’agit de donner suite demeure


celle de savoir si en droit constitutionnel le texte de quinze articles, qui a régi la
République Démocratique du Congo pendant près de six ans, peut être considéré
comme une Constitution.

Déterminer des critères qui permettent de qualifier objectivement un


texte de Constitution, indépendamment de la qualification qu’entendent lui attribuer
ses géniteurs, peut paraître une entreprise hasardeuse. La hardiesse de pareille
démarche transparaît à travers l’inexistence de variables d’un modèle universel de
Constitution qui puissent servir de termes de référence sans lesquels le texte perdrait
sa qualité de « Constitution ». La démarche devient plus coriace lorsque la recherche
de l’identité constitutionnelle d’un texte est effectuée sur un terrain comme celui de
la RDC où une tradition constitutionnelle constante et cohérente n’est pas assurée.

Il reste cependant vrai qu’il existe des principes constitutionnels de base


qui puissent constituer des précieux outils à la portée du chercheur pour sonder la
qualité de Constitution d’un texte.

La Constitution doit limiter les pouvoirs des gouvernants et empêcher


l’arbitraire du pouvoir. Véritable révélateur du visage d’un régime politique, les
relations établies entre les pouvoirs par le texte renforcent cette limitation.

Le peuple doit participer à la détermination de la physionomie du


pouvoir et se reconnaître dans le texte constitutionnel. Il doit être appelé à participer
à la marche des affaires publiques. A travers la Constitution doit apparaître la
garantie suffisante des droits individuels. Pareils indices semblent constituer des
critères universels.
40

Outre la structure du texte sous examen, l’analyse de l’éventuel


équilibre entre les pouvoirs dans l’Etat et l’appréciation de la garantie donnée aux
droits individuels grâce à la limitation des pouvoirs des gouvernants sont de nature à
dévoiler des critères susceptibles de nous renseigner davantage sur la valeur réelle
du décret-loi en étude.

1. Structure du décret-loi constitutionnel n° 003

La manière dont se présente le décret-loi constitutionnel sous examen


est révélatrice d’un faisceau d’indices susceptibles de porter ombrage à la qualité
constitutionnelle de ses dispositions. D’abord sa dénomination est susceptible de
semer la confusion, ensuite l’unidimensionnalité de son architecture trahit l’absence
de participation populaire, enfin la non fixation de son échéance et l’inexistence des
règles de dévolution des pouvoirs cachent mal des carences extrêmement
préjudiciables à la stabilité institutionnelle.

a. Une dénomination peu rassurante du texte

Un décret est normalement une décision exécutoire à portée générale


ou individuelle prise par le pouvoir exécutif. Le décret-loi, bien qu’acte de l’exécutif
également, est pris, en principe, en vertu d’une habilitation législative dans un
domaine relevant normalement de la compétence du législateur. Il possède force de
loi.
Lorsqu’un décret-loi est dit constitutionnel, pouvons-nous en conclure
sans risque de nous tromper que c’est une loi prise par le gouvernement en vertu des
prérogatives qui lui seraient déléguées par le pouvoir constituant ? L’affirmative
étonnerait. Cependant la découverte de sa substance ne serait pas sans utilité.

L’utilisation du vocable « décret-loi constitutionnel » n’est pas nouvelle


dans l’ordonnancement juridique congolais. Cette terminologie est riche d’une
histoire. Il suffit de se reporter à la période couverte par la Loi fondamentale du 19
mai 1960 relative aux structures du Congo pour voir apparaître, dans des conditions
proches d’une catastrophe constitutionnelle, la pratique de décret-loi constitutionnel.

Le premier décret-loi constitutionnel naquît d’un coup d’Etat à travers


lequel, à la suite de la crise consécutive à la révocation anarchique du premier
ministre Lumumba, le colonel Mobutu, alors chef d’état-major de l’ANC, neutralisa
le parlement et le gouvernement au profit d’un organe atypique, le collège des
commissaires généraux. Le décret-loi dit constitutionnel signé par le chef de l’Etat
pour tenter de régulariser cet acte arbitraire de l’armée porte les germes de sa propre
inconstitutionnalité dans la morbidité même de son corps : non seulement le texte
évoqué ne se réfère à aucune des dispositions de la Loi fondamentale en vigueur à
l’époque des faits, mais aussi il stipule, en liminaire, son adoption par le conseil des
commissaires généraux, organe qu’il était censé créer.
41

Dans le sillage de la même crise, le chef de l’Etat va porter à nouveau


atteinte à la Constitution en s’attaquant à l’indépendance reconnue par les
dispositions des articles 192, 193 et 194 de la Loi fondamentale au pouvoir judiciaire.
Ce n’est certainement pas l’exposé des motifs fondé sur la nécessité « de mettre très
rapidement en place tous les rouages judiciaires », ni son adoption par un organe
inconstitutionnel, le conseil des commissaires généraux, qui restitueraient sa
constitutionnalité au décret-loi dit constitutionnel du 7 janvier 1961.

Le troisième décret-loi de la série vient mettre fin à la « mission »


confiée antérieurement au conseil des commissaires généraux, celle d’exercer le
pouvoir législatif à la place du parlement et le pouvoir exécutif, à la place du
gouvernement de la République. Le décret-loi constitutionnel du 9 février 1961
restitue certes le pouvoir exécutif au gouvernement provisoire auquel il attribue
cependant le pouvoir législatif arraché aux chambres législatives.

L’objectif poursuivi par le décret-loi du 9 février 1961 semble de rétablir


le gouvernement dans ses pouvoirs constitutionnels. Malheureusement le
gouvernement, pour être constitutionnel au sens de la Loi fondamentale, aurait dû
être l’émanation de la majoritaire parlementaire. La nomination et la mise en place
du gouvernement ici qualifié de provisoire par ce texte n’a relevé que du pouvoir
discrétionnaire, constitutionnellement inexistant dans le cas sous examen, du chef de
l’Etat. Outre cet anachronisme, l’attribution du pouvoir législatif à ce gouvernement
sous la seule « habilitation » du chef de l’Etat ne trouve aucun fondement
constitutionnel.

Apparition dans le vocabulaire juridique congolais comme instrument


d’appropriation indue du pouvoir constituant par le chef de l’Etat, cette technique
juridique inconstitutionnelle avait du plomb dans l’aile. Comme poursuivie par le
signe indien, la terminologie « décret-loi constitutionnel » va garder sa guigne loin de
l’ordonnancement juridique congolais et zaïrois, et ne plus réapparaître que dans
l’arsenal juridique de la RDC, nouvelle formule.

La réapparition du décret-loi constitutionnel ne vient curieusement pas,


cette fois-ci, porter une quelconque modification, moins encore une quelconque
atteinte à une Constitution existante. Ce revenant a la prétention d’instituer un
nouvel ordre constitutionnel, il prend la lourde responsabilité d’organiser, à défaut
de la prise, l’exercice du pouvoir en RDC.

L’on pourrait sans doute nous rétorquer que la dénomination n’enlève


rien à la valeur intrinsèque d’un acte juridique telle que rendue par son contenu et
l’objectif poursuivi. Même si, à juste titre, la question de la véritable valeur juridique
d’un tel acte demeure toujours, certains pensent que celui-ci peut adopter la forme
d’une « loi stricto sensu ou d’une simple ordonnance du chef de l’Etat », sans que
cette forme n’enlève rien à sa force juridique.
42

Il suffit pour, s’en convaincre, de s’intéresser aux régimes de transition


institués dans quelques pays africains dans la dernière décennie du millénaire
précédent, à l’occasion des conférences nationales, pour se rendre compte que ces
actes fondamentaux s’y référant ont souvent pris la forme d’ordonnances ou décrets-
lois signés par le président de la République.

Quelque soit la dénomination attribuée par ses initiateurs à un texte


juridique, il est important d’aller au-delà du formalisme. Ce qui définit une
Constitution, ce n’est pas son intitulé ou sa dénomination, mais plutôt son contenu,
les caractéristiques fondamentales qu’elle renferme, la place que la société qu’elle est
appelée à régir lui accorde dans l’ordonnancement juridique de son pays,
l’importance que lui accorde l’opinion internationale.

Il ne serait donc d’aucun intérêt de se livrer à des discussions inutiles


sur le sexe des anges. Un traité en droit international est une réalité qui peut revêtir
plusieurs dénominations : traité, accord, compromis, convention, mémorandum,
charte, concordat…

Cependant, à notre humble avis, il ne s’agit nullement d’une simple


querelle sémantique, d’une forme contestée pour des raisons de superstition
fantaisiste, d’une quelconque dénomination qui inquiéterait. La formulation du texte
trahit son origine réelle.

Si les textes africains d’après les conférences nationales étaient


sanctionnés par le chef de l’exécutif, ils apparaissaient comme le coulage sous forme
juridique d’un consensus obtenu par l’ensemble des forces représentatives sur la
restitution au plus grand nombre de ses droits subtilisés par les tenants du pouvoir.
Il en est de même en droit international où toutes les dénominations invoquées
renferment la volonté des signataires sans que la dénomination puisse en diminuer la
portée.

Ce ne semble cependant pas être le cas pour un acte comme celui


soumis à notre appréciation. Un acte du pouvoir exécutif aussi unilatéral que le
décret-loi du 27 mai 1997 peut-il prétendre organiser l’ensemble du pouvoir étatique,
pris dans toutes ses branches, et en attribuer l’exercice à l’auteur même dudit acte
sans verser dans un arbitraire abject ? Puisque ériger des barrières infranchissables
contre l’arbitraire des gouvernants doit être l’un des objectifs fondamentaux de la
Constitution, l’acte qui élève en règle la pratique du pouvoir personnel mérite-t-il de
porter l’illustre nom de son adversaire le plus acharné ? «L’adoption de la
Constitution de la transition par l’Assemblée constituante » promise ne démontre-t-
elle pas le reniement par le texte lui-même du défaut de sa qualité de Constitution ?

D’ailleurs la structure même du texte démontre à suffisance


l’unilatéralité de l’acte et, au-delà, l’arbitraire de son contenu.
43

b. Un texte unidimensionnel

De manière générale, la Constitution est la loi fondamentale exprimant


la volonté du peuple souverain. C’est ainsi que généralement approuvée en aval par
la voie référendaire, la version promulguée des textes constitutionnels congolais, qui
peuvent se targuer d’avoir reçu l’aval populaire, reprend dans son préambule : «
Nous, Peuple congolais, ... Déclarons solennellement adopter la présente
Constitution ». C’est aussi cette idée de base que reprend le préambule de la
première Constitution écrite du monde, la Constitution des Etats-Unis d’Amérique
du 17 septembre 1787: « We, the people of Unites States… do ordain and establish this
Constitution ».

Un texte instituant même à titre provisoire, comme prétend le faire le


Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997, un régime politique sans
légitimation populaire et démocratique mérite-t-il la dénomination « Constitution » ?

D’aucuns considèrent que le peuple ayant été exclu du processus de sa


mise en place, ce texte ne remplirait point les caractéristiques primaires exigées par
les principes de droit public et ne mériterait nullement l’appellation « Constitution ».
N’ayant bénéficié d’aucun consensus, le décret-loi ici décrié est apparu comme un
simple fait de prince imposé à l’ensemble du peuple congolais par Laurent Désiré
Kabila et ses rebelles au point de ne pas donner les gages d’une quelconque
légitimité ni au plan national, ni au plan international.

En effet, la Constitution ne doit-elle pas se présenter comme la clé de


voûte de l’organisation d’une société réellement fondée sur le consensus des
membres de la communauté étatique autour des principes de base sur les modalités
de l’organisation et de l’exercice du pouvoir, la protection des droits fondamentaux ?
Ne joue-t-elle pas le rôle d’être à la fois le cadre et la mesure de tout agir correct et
légitime ? Il suffit d’apercevoir la présentation de ce texte laconique pour se rendre
compte du contraire.

Contrairement à la grammaire constitutionnelle de type romano-


germanique consacrée par le Congo dans tous les textes précédents, le nouveau «
constituant » adopte une structure unidimensionnelle, une architecture présentée
sous un ton monocorde. En effet, contrairement à la tradition consacrée depuis
l’indépendance du Congo, le texte critiqué fait fi des parties essentielles d’un texte
constitutionnel.

Le préambule à travers lequel transparaît généralement le soutènement


philosophique du régime n’apparaît nulle part. A la place d’une référence à
l’approbation du contenu du texte par le peuple, c’est la Déclaration de l’AFDL qui
est érigée en source du pouvoir. L’urgence sans doute de mettre en place un texte de
référence en attendant l’adoption d’une Constitution de transition justifierait l’octroi
de tous les pouvoirs au profit d’un seul homme, le président de la République.
44

« Quinze articles alignés comme un peloton d’exécution », présentés


sans aucun titre qui permettrait de répartir les différentes matières essentielles
consacrées dans une Constitution, ne se préoccupent que d’organiser l’exercice du
pouvoir autour du personnage central, le chef de l’Etat.

La restriction des dispositions de ce texte amène Evariste Boshab à


s’interroger, à juste titre, si le silence gardé sur certaines questions essentielles ne
donne pas la latitude aux gouvernants de faire accréditer leurs caprices. Il semble, en
effet, plus facile aux gouvernants de faire dire à un texte elliptique ce qu‘il ne dit pas
que de nier une disposition explicite.

Fait certainement pour régenter une situation exceptionnellement


anormale, le décret-loi constitutionnel n° 003 n’en prévoit ni procédure de révision ni
aucune possibilité de compétition, ni dévolution du pouvoir. De là à voir dans ce
décret-loi constitutionnel un instrument de domination aux mains de putschistes
venus de l’Est, il n’y a qu’un pas, très vite franchi.

c. Des carences congénitales préjudiciables à la stabilité

La particularité du texte du décret-loi constitutionnel n° 003 ressort


aussi bien de l’élasticité de son échéance que du silence observé sur sa probable
révision autant que sur l’acquisition et la perte du pouvoir étatique. En effet, si le
décret-loi analysé se presse d’indiquer qu’une Constitution de la transition sera
adoptée par un organe pluriel, il ne se donne aucune peine de déterminer dans
combien de temps sera pris pareil texte, ni de fixer la durée de sa propre vie. Ce
silence semble être significatif dans le sens de la pérennisation du régime provisoire
en régime définitif.

La preuve semble en avoir été magistralement administrée par la suite


des événements. La création, cinq mois plus tard, d’une Commission
constitutionnelle chargée d’élaborer un avant-projet de Constitution n’accouchera
pas d’une Constitution, ni provisoire, ni définitive. Non seulement ce décret-loi
constitutionnel aura eu une très longue vie, mais aussi, l’Assemblée constituante et
législative mise sur pied une année plus tard n’aura pas exécuté la première de ses
priorités : « examiner l’avant-projet de Constitution de la RDC élaboré par la
Commission constitutionnelle et adopter le projet définitif à soumettre
éventuellement au référendum ».

Outre l’élasticité de sa durée, le défaut de règles relatives à l’éventuelle


révision de ses dispositions en ajoute à l’insécurité que le décret-loi constitutionnel
apporte au théâtre juridique congolais. Certes, la théorie de l’acte contraire aura
permis à l’auteur du texte de base d’en modifier la quintessence par la suite, mais ces
modifications cachent mal l’imprécision et l’arbitraire qui entourent les différents
changements intervenus.
45

Il suffit de jeter un regard même furtif sur le texte du décret-loi portant


création de la Commission constitutionnelle pour comprendre que la Constitution
provisoire promise par la déclaration de prise de pouvoir de l’AFDL du 17 mai 1997
ou la Constitution de la transition annoncée par le décret-loi constitutionnel du 27
mai 1997 était vouée aux gémonies.

Même le décret-loi constitutionnel du 27 mai 1998, qui institue


l’Assemblée constituante et législative et qui a l’avantage de restaurer, même
formellement, une nouvelle répartition des pouvoirs dans l’Etat, ne fait aucune
référence correcte au texte de base afin de conformer la révision à une certaine
procédure préétablie. L’article 1er du décret-loi constitutionnel auquel se réfère ce
texte prévoit l’adoption de la Constitution de la transition par l’Assemblée
constituante et législative, alors que le corps du texte crée une institution chargée
d’examiner et d’adopter un projet de Constitution définitif à soumettre
éventuellement au référendum. L’article 3 du même décret-loi constitutionnel, que
l’auteur dudit texte appelle à son secours, ne constitue malheureusement pas le
fondement de son pouvoir de révision, il énumère simplement les institutions de la
République.

Derrière ces imprécisions, l’arbitraire n’est pas loin. En conséquence, la


stabilité institutionnelle demeure sujette à caution et la sécurité juridique,
hypothéquée aux humeurs des dirigeants politiques. Plus grave encore est, sur le
plan institutionnel, l’absence des règles de dévolution de pouvoir. En effet, les
nouvelles règles demeurent étrangement et même sciemment muettes sur la
dévolution de différents mandats de représentation autant qu’elles n’en attribuent
pas la source au peuple souverain. La révision du 28 mai 1998 qui parait être
destinée à corriger cet écueil, tout en demeurant muette sur le détenteur principal du
pouvoir dans l’Etat, en ajoute à la confusion sur la constitution de l’organe législatif
qu’il crée.

Les critères d’accès à l’Assemblée constituante et législative autant que


ceux de la nomination des députés relèvent du pouvoir du moins discrétionnaire,
sinon arbitraire du président de la République.

Pareils critères ne peuvent qu’ouvrir grandement la voie au


recrutement arbitraire des courtisans et autres clients politiques, sans laisser de place
à une représentation équitable de la population. En vue de se convaincre du caractère
non démocratique de pareil texte, il parait utile d’analyser les rapports établis par le
décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 entre les différentes branches du
pouvoir de l’Etat.

2. Aménagement des pouvoirs dans l’Etat

L’importance de l’aménagement des pouvoirs dans la classification des


régimes politiques n’est plus à démontrer. C’est à partir de cet aménagement que
l’équilibre ou le déséquilibre apparaît dans la répartition des compétences entre les
46

différentes branches du pouvoir étatique. Cette répartition permet un contrôle


réciproque des organes de l’Etat, empêche l’absolutisme en vue de mieux protéger
les libertés individuelles. Il ressort de la substance des dispositions du décret-loi
constitutionnel n° 003 que le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et même le
pouvoir réglementaire sont concentrés entre les mains du président de la République
, ce qui pèche gravement au principe sacro-saint de séparation des pouvoirs et
contribue à renier au texte le titre de Constitution.

Le gouvernement conduit la politique de la nation telle que définie par


le président de la République devant qui les ministres répondent de la gestion de
leurs ministères ; il exécute les lois de la République (édictées par le président de la
République) et les décrets du chef de l’Etat.

Dans une scène dans laquelle les différentes partitions sont connues
d’avance, espérer voir un membre du gouvernement disposer d’un pouvoir propre
relèverait du domaine des dangereuses pulsions spirituelles. Simples collaborateurs
du chef de l’Etat, les ministres doivent se soumettre à la volonté du chef de l’Etat et la
traduire en actes. A défaut de se soumettre, il ne leur reste plus, voulant manifester
quelque velléité d’indépendance, qu’à se démettre. Ce simple constat augure d’un
absolutisme qui renforce, si besoin en était encore, le caractère exclusivement
personnel des pouvoirs concédés par le décret-loi constitutionnel du 27 mai 1997.

S’agissant de l’indépendance reconnue, en rapport avec les deux autres


pouvoirs concentrés par le chef de l’Etat, au pouvoir judiciaire, sa concrétisation
semble éludée par la soumission du magistrat à l’autorité de la loi , que prend le
président de la République selon son bon vouloir. Quel rôle peut encore réellement
jouer le pouvoir judiciaire sur une scène où un seul individu concentre, sans espoir
d’aucun contrôle ni politique ni juridique, les pouvoirs législatif et exécutif ? La
justice ne va-t-elle pas être réduite à jouer le rôle de clown en tant qu’instrument
servile du chef tout puissant, détenteur de l’ensemble des pouvoirs étatiques ? Cette
inquiétude a semblé se justifier en regard des injonctions reçues et des actes
arbitraires commis dans la chasse aux sourcières menée, en son temps, contre les
anciens gestionnaires du régime Mobutu.

Le dirigisme politico-judiciaire auquel la justice sembla soumise lors de


l’organisation des poursuites tant contre les dignitaires des régimes précédents que
contre certains dignitaires de l’AFDL tombés en disgrâce en rapport avec la nouvelle
philosophie du pouvoir, et l’exécution des peines imaginaires, sans aucun jugement,
de confiscation des biens qui s’en suivit, n’était certainement pas de nature à garantir
l’indépendance clamée de la magistrature .

Quel est ce magistrat qui aurait pris le courage d’aller à contre courant
de l’histoire pour refuser d’exécuter des injonctions, même sans fondement du chef
de l’Etat, sans subir le sort des 315 magistrats révoqués sans avoir été ni incriminés,
ni entendus .
47

Puisque à travers l’aménagement même des pouvoirs déjà, une seule


institution, le président de la République sur les trois prévues, concentre tous les
pouvoirs entre ses mains, dans le fonctionnement concret des institutions, nous
semblons nous trouver dans un concert de dupes sur la scène duquel le président de
la République, chef de l’Etat, législateur ordinaire et unique, chef de l’exécutif, bat la
mesure et les autres, sans même chanter, se mettent au pas de danse. Il y va de leur
survie.

Dans un texte juridique dans lequel, outre la concentration aussi


excessive des pouvoirs, une simple comptabilité révèle que sur les quinze articles, le
mot chef de l’Etat revient cinq fois et celui de président de la République, dix fois, le
calcul fait que la présence du personnage central véhicule l’imperium à chaque
article , quelle place convient-il logiquement de réserver à la protection des libertés
publiques et des droits individuels ?

3. Protection des droits de la personne humaine

La protection des droits de la personne humaine contre la tyrannie des


gouvernements se trouve être parmi les problèmes les plus importants qui se posent
en droit constitutionnel. Le constituant congolais semble avoir saisi, depuis
l’indépendance, la place qu’il convenait de réserver à la reconnaissance des droits
humains dans les textes constitutionnels.

L’une des particularités du décret-loi constitutionnel du 27 mai 1997 est


d’avoir dérogé à cette règle grammaticale institutionnalisée par l’histoire
constitutionnelle du pays. Malgré l’énonciation sibylline de son article 2, le décret-loi
relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir de l’AFDL n’évoque aucune
déclaration des droits. Pire encore surtout, il omet d’énumérer les droits et libertés
individuels et collectifs qui bénéficieraient de la protection constitutionnelle ainsi
consacrée.

La première garantie de la protection des droits de l’homme ne


consiste-t-elle pas à la promotion de ses droits, à leur affirmation, à leur
reconnaissance au plus haut niveau de la hiérarchie juridique ? Présentés sous la
dénomination de libertés fondamentales, de droits fondamentaux, de libertés
publiques…, les droits de l’homme sont devenus, du fait de l’évolution sociale et
politique, et de par les interactions des normes internationales sur les activités
souveraines des Etats, un domaine substantiel d’analyse des régulations
constitutionnelles.

Le décret-loi constitutionnel du 27 mai 1997 a-t-il opté pour la


déconstitutionnalisation des droits fondamentaux reconnus par les textes précédents
ou encore en a-t-il accepté l’héritage à travers les dispositions alambiquées des
articles 13 et 14 ?
48

Les auteurs du décret-loi constitutionnel en question, les mêmes qui


avaient décrété dix jours auparavant « la suspension de tous les actes pseudo-
constitutionnels existants », auraient-ils voulu laisser survivre certaines dispositions
de l’Acte constitutionnel de la transition issu de la CNS, dont ils ne cessaient de
contester énergiquement les effets ?

Considérer que les mêmes auteurs se seraient servis des dispositions


transitoires comme d’une opération de réanimation de la légalité constitutionnelle
pour mieux asseoir la légitimité du système politique en cours d’installation suffit-il
pour conclure que le vide juridique à combler dans ce cas-ci serait la carence créée
par la non constitutionnalisation des droits fondamentaux?

L’argument a contrario tendant à considérer que ces articles serviraient


à laisser survivre les dispositions constitutionnelles antérieures compatibles avec le
nouveau texte de base ne semble pas convaincant.

L’histoire constitutionnelle du Congo révèle une forte hantise du


phénomène de tabula rasa à l’occasion de toutes les grandes innovations
constitutionnelles. Cette situation peut être justifiée sur le plan psychologique par le
besoin de se démarquer de l’ordonnancement antérieur par une rupture brutale et de
procéder à la rénovation de la société. Chaque nouveau pouvoir veut manifester son
désir d’imprimer, à la vie de la nation, un nouveau rythme moulé de son propre
cachet.

Tenter de repêcher un régime politique, dont le texte de base ne fait


aucune allusion au peuple, source de tout pouvoir, en lui reconnaissant, sans aucune
preuve ni de droit ni de fait, comme le font certains auteurs, le mérite d’avoir voulu
promouvoir les droits de l’homme à travers des dispositions transitoires à
compréhension approximative, serait tricher avec l’histoire.

Ladite histoire retiendra qu’aucun de trois rôles majeurs de la


Constitution n’aura été rempli par le décret-loi constitutionnel du 27 mai 1997. La
concentration excessive de l’ensemble des pouvoirs étatiques a amené le chef de
l’Etat à se prendre pour Dieu le Père vis-à-vis du peuple congolais, créateur du ciel et
de la terre. En interdisant dans une simple déclaration publique les activités des
autres partis politiques au bénéfice de son seul regroupement politique, l’AFDL, le
chef de l’Etat n’a pas donné la possibilité à son texte de jouer son rôle de
neutralisation des conflits.

L’intégration des forces politiques dans sa légalité aurait déclenché une


sorte d’exorcisme, qui aurait rejailli sur une certaine légitimation de son action. La
Constitution ne doit-elle pas être entendue comme l’ordre juridique fondamental de
l’Etat, la résultante d’un processus de rencontre entre les différentes forces politiques
et sociales ? La contestation de ce texte comme cadre d’organisation démocratique du
pouvoir a plus contribué à éloigner les forces politiques qu’à organiser la
compétitivité du pouvoir autour de lui. De même, le rôle stabilisateur du texte
49

constitutionnel aurait placé tous les hommes sur un pied d’égalité et une symbiose
utile à sa redynamisation se serait probablement tissée, comme une araignée, autour
des principes démocratiques aux contours clairement définis, susceptibles de
propulser le texte au-dessus de tous.

En déclenchant la chasse aux sourcières contre les anciens dignitaires


sans égard à des règles strictes de procédure en matière répressive, en ajoutant dans
les conditions d’accès à la toute nouvelle Assemblée constituante et législative des
critères trop subjectifs, le nouveau pouvoir s’est aliéné la sympathie du plus grand
nombre.
Les pratiques de patrimonialisation de l’Etat et du pouvoir politique du
régime déchu tant décriées n’ayant pas disparu dans le fonctionnement du nouveau
pouvoir, le consensus attendu autour de l’exercice du pouvoir, de la protection des
droits et libertés, des modalités de la jouissance des richesses nationales et des
modalités de contrôle en vue de s’assurer du respect de l’édifice constitutionnel
n’aura pas répondu à l’appel.

La stabilisation ainsi manquée ne pouvait qu’amoindrir la légitimité des


gouvernants. Du coup, le rôle de légitimation, qu’aurait pu jouer ce texte, ne pouvait
être atteint sans que le décret-loi constitutionnel ne déclenche, au sein de la
population des réactions favorables susceptibles de créer des relations de confiance
entre gouvernants et gouvernés, condition sine qua non de la réussite des objectifs
poursuivis par le pouvoir établi. N’ayant rempli aucun rôle attendu d’une
Constitution comprise comme cadre d’organisation de pouvoir dans lequel
l’ensemble de la population se retrempe et à travers lequel l’harmonie se crée tant
dans la distribution du pouvoir que dans l’offre et la demande des services en faveur
de tous, le décret-loi constitutionnel, indépendamment de sa dénomination qui porte
les séquelles de l’inconstitutionnalité de ses ancêtres des années 1960, n’aura eu de
constitutionnel que l’épithète collée à un acte individuel et unilatéral qu’il était.

Ainsi le décret-loi constitutionnel n° 003 relatif à l’organisation et à


l’exercice du pouvoir en République Démocratique du Congo, octroyé au peuple
congolais par les princes de l’AFDL, ne semble avoir eu de Constitution que l’adjectif
qualificatif « constitutionnel » affublé à un seul acte du pouvoir exécutif fut-il arraché
au bout des canons.

§2. Les textes constitutionnels conjoncturels

Des circonstances exceptionnelles peuvent servir d’alibi pour mettre en


place des règles tout à fait particulières relatives à la composition, à l’organisation et
au fonctionnement des institutions étatiques. Ce sont en général des textes élaborés,
adoptés et promulgués en tenant compte du consensus attendu des protagonistes
politiques et même sociaux en vue de faciliter le rétablissement d’une situation
normale troublée par une incertitude institutionnelle persistante.
50

En Afrique, cette situation semble liée au vent de démocratisation des


régimes politiques qui nécessitait la mise en place immédiate des textes élaborés dans
des forums regroupant des acteurs politiques et de la société civile.

Au Congo, ces genres de textes résultent, les premiers, des tribulations


issues des soubresauts de la conférence nationale dite souveraine, dont la plupart ne
se limitèrent qu’à paraître dans les documents qui en constituaient la substance et ne
réussirent à gérer véritablement aucune période précise de l’histoire du pays. Il
s’agit de l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de la
transition du 4 août 1992 mis en place par la conférence nationale souveraine (A), de
l’Acte constitutionnel harmonisé142 relatif à la période de transition du 2 avril 1993
(B) et de l’Acte constitutionnel de la transition du 9 avril 1994 (C). Le dernier, la
Constitution de la transition du 4 avril 2003, est également le produit d’intenses
négociations autour des facilitateurs et médiateurs internationaux entre les groupes
armés rebelles, l’opposition non armée et la société civile ainsi que le gouvernement
hérité de son père par Joseph Kabila (D), négociations naturellement destinées à
ramener la paix et préparer un nouvel ordre politique au pays.

A. L’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la


période de la transition du 4 août 1992

La transition démocratique vers la troisième République annoncée le 24


avril 1990 par Mobutu Sese Seko, concrétisée par l’introduction du multipartisme en
vue de la démocratisation des institutions est effectivement prise en compte par la loi
n° 90-002 du 5 juillet 1990 portant révision de certaines dispositions de la
Constitution du 24 juin 1967143. Prévue pour une durée d’une année en 1990, la
transition zaïroise va s’enliser dans « une crise aiguë et multiforme » due aux
prétendues divergences de vues de la classe politique.
La période de la réforme constitutionnelle de juillet 1990 à la
promulgation de l’Acte constitutionnel de la transition d’avril 1994 est forte d’une
histoire dont il est utile de cerner les contours en vue de mieux comprendre la nature
du régime transitoire. A l’image de beaucoup des pays africains, la République du
Zaïre trouva l’occasion de mettre en place un nouvel ordre politique à travers
l’organisation d’un forum national qui regrouperait les forces vives de la nation.

À l’opposé des conférences nationales tenues dans d’autres pays


africains, comme au Bénin et au Congo Brazzaville, la Conférence nationale dite
souveraine du Zaïre s’était illustrée par deux points forts.
D’abord, ouverte contre le cours des événements, ladite conférence ne
pouvait être dans l’esprit de ses initiateurs qu’une «commission constituante »,
chargée d’élaborer « une constitution définitive devant être soumise à un référendum

142
C’est pour faire échec à l’application de l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de
transition du 4 août 1992 que fut élaborée la loi n° 93/001 du 2 avril 1993 portant Acte harmonisé relatif à la
période de transition.
143
Contestée par les tenants du multipartisme intégral, ladite loi fut révisée et remplacée par la loi n° 90-008 du
25 novembre 1990 portant révision d’une disposition de la Constitution du 24 juin 1967.
51

et appelée à régir la troisième république »144. Il s’agissait, pour les décideurs du


MPR, de faire traduire en actes juridiques ce qu’ils avaient eux-mêmes décidé
d’implanter comme nouveau régime au Zaïre. Le forum ne se transforma que par la
force des choses en «conférence nationale souveraine » chargée de faire une
autocritique profonde, dresser le bilan du règne du parti-État et examiner les
meilleures voies vers une troisième république véritablement démocratique.
Devant la tendance générale du forum à se débarrasser de la tutelle des
dirigeants politiques au pouvoir, ceux-ci tentèrent d’en étouffer l’aboutissement par
une fermeture intempestive. Elle fut la plus longue et la plus sanglante des toutes145.
Ensuite, si ailleurs en Afrique, les conférences nationales tendaient à
arracher et à démarrer, après le constat d’échec, le processus de démocratisation des
régimes en place, au Zaïre, le processus était déjà lancé à partir du 24 avril 1990146 et
le forum n’avait plus, dans l’objectif final de ses initiateurs, qu’à gérer la conquête et
la conservation de ce pouvoir.
L’on comprend dès lors les deux logiques qui ont présidé à la tenue de
la CNS et qui ont abouti à deux ordres institutionnels distincts. Se fondant sur le
compromis politique global signé le 31 juillet 1992 entre les délégués de la conférence
nationale souveraine et les experts de la présidence de la République, la dynamique
interne de la CNS enfanta le 4 août 1992 de l’Acte portant dispositions
constitutionnelles relatives à la période de transition147 qui tenait à briser
définitivement l’ordre ancien. Pour marquer ses distances avec le pouvoir en place, il
met en place un nouveau parlement appelé Haut Conseil de la République, HCR,
composé des hauts conseillers de la République désigné par le forum et un
gouvernement dirigé par un opposant irréductible, Etienne Tshisekedi wa Mulumba,
et qui éloigna, comme pour avoir des coudées franches, la majorité des partisans du
chef de l’Etat.
L’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de
transition avait été adopté selon la procédure prévue dans le règlement intérieur de
la CNS. Même si cette procédure est loin de réunir l’adhésion qu’avaient reçue les
Constitutions antérieures du fait du référendum populaire auquel elles avaient été
soumises, il convient de souligner que l’adoption de ce texte fondamental avait
bénéficié d’une large diffusion résultant des débats auxquels avaient participé des
personnes de divers horizons, longuement retransmis en direct à la télévision et à la
radio nationales. Ce fut, en effet, la première fois dans l’histoire constitutionnelle du
pays qu’un texte fondamental ait fait l’objet des si larges discussions assurant en
même temps sa vulgarisation et facilitant sa légitimation par des couches
importantes de la population.

144
Discours prononcé par le maréchal Mobutu à N’sele le 24 avril 1990, tiré du résumé repris dans l’exposé des
motifs de la loi n° 90-002 du 5 juillet 1990 portant révision de certaines dispositions de la Constitution, JO, op.
cit.
145
Nous nous souvenons encore, comme si c’était hier, de la répression sanglante de la marche organisée le 16
février 1993 par les chrétiens de Kinshasa et d’autres villes du pays pour exiger la réouverture de la CNS.
146
C’est en effet le 24 avril 1990 que le maréchal Mobutu avait pris « congé » de son parti, le MPR et avait
décidé de démocratiser son régime en supprimant le parti unique par l’admission d’un multipartisme à trois et la
réhabilitation de trois pouvoirs traditionnels.
147
La confrontation quoi en résulta eut un impact très négatif sur cet acte mort-né.
52

Contrairement à la conférence nationale du Congo Brazzaville, par


exemple, qui avait réussi à imposer au président Sassou Nguesso, en pleine tenue des
travaux, l’Acte fondamental, la conférence nationale dite souveraine, minée de
l’intérieur par la frustration de beaucoup de ses membres déçus de n’avoir pas réussi
à se hisser au pouvoir, manqua le courage politique d’imposer l’Acte portant
dispositions constitutionnelles relatives à la période de transition au président
Mobutu, qui refusa même de le promulguer malgré sa conformité au compromis
politique par lui accepté.

Il faut signaler qu’à la rescousse du chef de l’Etat se manifesta une


minorité politique constituée des acteurs politiques issus de la caste dirigeante de
l’ancien parti-Etat, qui ne se reconnaissaient pas dans cette charte fondamentale
circonstancielle, dont le premier réflexe fut de modifier, sans aucun égard aux
mécanismes y relatifs, l’Acte fondamental issu de la CNS, mettant en place l’Acte
constitutionnel harmonisé relatif à la période de transition.

B. L’Acte constitutionnel harmonisé relatif à la période de


transition du 2 avril 1993

En effet, des acteurs politiques partisans du chef de l’Etat, frustrés par


la dynamique de la CNS qui les avaient presque totalement dépossédés du pouvoir
politique et considérant que la représentation du peuple par les participants à ce
forum était biaisée, se réunirent au Palais de la nation et mirent en place l’Acte
constitutionnel harmonisé relatif à la période de transition, promulgué sous la loi n°
93/001 du 2 avril 1993 reconduisant les anciennes structures étatiques148.
Excepté le maintien au pouvoir du chef de l’Etat, le constituant du
Palais de la nation mit en place des nouvelles institutions, dont un nouveau
parlement dénommé Assemblée nationale ayant comme membres les anciens
députés du MPR, un nouveau gouvernement dirigé par un premier ministre choisi
par le forum du Palais de la nation.
Le dédoublement des institutions, qui résulta de la confrontation entre
la logique de la CNS du Palais du peuple et celle du conclave du Palais de la nation,
occasionna la multiplicité des textes juridiques et provoqua une grande confusion. Il
y eut, en effet, deux gouvernements dirigés l’un par Etienne Tshisekedi et l’autre par
Faustin Birindwa, deux anciens coreligionnaires de l’UDPS, le premier avec le haut
conseil de la République et le second avec l’assemblée nationale, composée de
membres du MPR, anciens commissaires du peuple de l’ancien conseil législatif, en
guise de parlements.

Le blocage du fonctionnement de l’Etat appela logiquement à d’autres


négociations politiques. Du compromis compromettant149 qui sortit de nouveaux
conciliabules tenus entre les forces en présence au dernier semestre de 1993 au Palais

148
Loi n° 93/001 du 2 avril 1993 portant Acte constitutionnel harmonisé relatif à la période de transition, JO,
34ème année, numéro spécial, avril 1993.
149
L’on sait ce qui arrive lorsque l’on met le bon vin dans des vieilles huîtres. La suppression du dédoublement
conduit à un mélange indigeste de dirigeants politiques et à des compromissions de tous genres.
53

du peuple de Kinshasa sortit l’Acte constitutionnel de la transition du 9 avril 1994


chargé de régir la transition démocratique vers la troisième République150.

C. L’Acte constitutionnel de la transition du 9 avril 1994

Bien que « rogné, ciselé, remodelé jusqu’à devenir un costume à la taille


de feu maréchal Mobutu »151, L’Acte constitutionnel de la transition, qui est resté en
vigueur d’avril 1994 à mi 1997 était, sans doute, la résultante de la volonté de la
majorité des forces politiques de réduire les frictions et de participer sans exclusive à
la gestion de la transition vers la démocratie152 même si la dynamique qui tenait à
faire de la CNS un forum pour dépouiller le maréchal président de ses privilèges
d’autrefois avait finalement été brisée par la modification des dispositions relatives à
l’organisation et à l’exercice du pouvoir pendant la période de la transition. Ici,
comme dans les cas antérieurs de révision, la majorité des forces vives de la nation
sont mises devant une situation de fait.

Ce dernier texte découle d’un protocole d’accord conclu à la suite des


concertations politiques du Palais du peuple entre les forces politiques dites du
« Conclave » et les forces politiques dites de changement, l’Union sacrée de
l’opposition radicale et alliées » (USORAL), en vue de supprimer le dédoublement
institutionnel153 consécutif à l’aboutissement malheureux de la Conférence nationale
souveraine.

La nouveauté de ce texte réside dans une combinaison indigeste entre


les deux parlements accouchant d’un parlement unique dénommé Haut Conseil de la
République/Parlement de transition, HCR/PT et d’un nouveau gouvernement qui
écarte tous les anciens protagonistes et aligne un outsider, Léon Kengo wa Dondo, à
la tête d’une composition qui récupère les plus habiles politiquement.

La transition instituée à la suite des travaux de la CNS en vue du retour


à la normalité constitutionnelle ne réussit malheureusement point à baliser le chemin
vers la dépossession de la toute puissance acquise par le chef de l’État pendant la
période monarchique.

150
Le constituant assigne ainsi aux animateurs de la transition tout un programme susceptible de conduire le
pays, en posant déjà les jalons pour ce faire, vers un régime démocratique. Voy. Acte constitutionnel de la
transition du 09 avril 1994, JO, numéro spécial, avril 1994, p.9.
151
BOSHAB, E., «République Démocratique du Congo : Le spectre d’une Constitution virtuelle devant la
commission constitutionnelle », op. cit., pp. 120-121.
152
VUDISA MUGUMBUSHI, J.-N., « Changement de Constitutions et déconstitutionnalisation des droits et
libertés en République Démocratique du Congo (Examen de la portée d’une constance de l’ordonnancement
juridique depuis 1960), op. cit., p. 44.
153
Ce dédoublement institutionnel a une origine qu’il convient de retenir : le refus de Mobutu de voir la
Conférence nationale souveraine (CNS) empiéter sur ses « compétences régaliennes » et d’être confiné
notamment à l’inauguration des chrysanthèmes a amené les partis politiques et associations favorables à sa
mouvance, dits forces du « statu quo ante » à tenir le conclave politique de Kinshasa d’où sortira l’Acte
constitutionnel harmonisé relatif à la période de transition qui remettait en scelle les institutions antérieures à la
tenue de ces assises.
54

D. La Constitution de la transition du 4 avril 2003

Elaborée dans des conditions particulières qui excluent l’intervention


du peuple, la Constitution du 4 avril 2003 pose un sérieux problème de conformité au
constitutionnalisme.

L’existence d’une Constitution écrite, sans doute l’un des instruments


du constitutionnalisme, ne suffit nullement pour en remplir les exigences. Un Etat est
constitutionnel lorsque ce premier élément est accompli certes de manière à limiter
les pouvoirs des gouvernants et à empêcher l’arbitraire du pouvoir, mais la
légitimation tant interne qu’externe du pouvoir tenant à la manière dont ladite
Constitution est établie et aux objectifs qu’elle poursuit ainsi que la promotion, la
protection et le respect concret des droits de l’homme sont les deux autres critères
indispensables à l’avènement du constitutionnalisme dans un Etat. A défaut de
remplir ces critères, une Constitution ou un système juridique pourrait exister sans
constitutionnalisme.

Toutes les Constitutions ne se conformant pas toujours au


constitutionnalisme, certaines autres s’y réfèrent uniquement en apparence. Pour en
juger, il va falloir en rechercher les différents critères à travers les conditions de mise
en place et de celles de mise en œuvre du texte fondamental issu de l’Accord global
et inclusif du 17 décembre 2002.

1. De la légitimité et de la suprématie de la Constitution du 4 avril


2003

Depuis son indépendance, le Congo est allé de la concentration outrée


de tous les pouvoirs entre les mains du chef de l’État à la confection journalière et
hasardeuse des règles de conduite des affaires nationales154 en passant par le vide des
dispositions constitutionnelles relatives à l’organisation de la vacance à la tête de
l’État155. La guerre imposée au Congo par ses voisins et la disparition brutale de
Laurent Désiré Kabila, qui parut en être une malheureuse conséquence, constituèrent
l’occasion de nouvelles concertations.

Pays habitué aux éternels arrangements sous table, le Congo ne


reviendra à un régime constitutionnel apparemment normal qu’à la faveur de
longues conciliabules décidées par l’Accord de Lusaka et consacrées par le Dialogue
inter congolais, regroupant ceux qui prétendaient détenir le pouvoir de décider à la
place de l’ensemble du peuple congolais.

154
Des nominations au gouvernement ou à de hautes fonctions de l’armée se font tantôt par décret-loi, tantôt par
simple décret, selon l’humeur du jour.
155
Le décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en
République Démocratique du Congo, JO, 38ème année, Kinshasa, numéro spécial, mai 1997 n’en fait pas état.
55

Ces négociations de dernière chance entre les parties belligérantes156,


l’opposition non armée et les forces vives aboutirent d’abord à la mise en place d’un
deuxième régime transitoire au terme duquel un nouveau texte constitutionnel157
replace ensuite le pays sous un nouvel ordre politique. Le texte constitutionnel 158 qui
en découla vint légitimer les pouvoirs des uns et octroyer une « prime de guerre »
aux autres, constitutionnalisant ainsi toutes les inconstitutionnalités sur base
desquelles le pays avait été mis à feu et à sang depuis plusieurs années.

C’est en vue de mettre fin à une longue guerre qui a mis aux prises les
anciens et nouveaux alliés du gouvernement de Kinshasa depuis août 1998 qu’un
accord fut signé à Lusaka pour la mise en place d’un nouvel ordre politique au
Congo159.

A la suite du Dialogue inter congolais tenu à Sun City, en Afrique du


Sud, du 25 février au 19 avril 2002, l’Accord global et inclusif sur la transition en
République Démocratique du Congo fut signé, avec l’appui de la communauté
internationale, le 17 décembre 2002 à Pretoria et adopté à Sun City le 1 er avril 2003
entre les délégués des composantes et entités160 à ces négociations politiques sur le
processus de paix et sur la transition en RDC.

La Constitution de la transition du 4 avril 2003, qui se voulait un texte


prélude à la mise en place des institutions démocratiques au Congo grâce à la
participation du peuple dans la détermination de son propre destin et dans le choix
des futurs dirigeants du pays161, se conforme-t-elle aux principes du
constitutionnalisme ?

156
Parmi les composantes et entités belligérantes, on note le gouvernement de la RDC, le RCD, le MLC, le
RCD/KML, le RCD/N et les Maï Maï, Accord global et inclusif sur la transition en RDC, JO, 44ème année,
Kinshasa, numéro spécial, 5 avril 2003, p. 51.
157
Constitution de la République Démocratique du Congo, JO, 47ème année, Kinshasa, numéro spécial du 18
février 2006.
158
Constitution de la transition du 04 avril 2003, JO, 44ème année, Kinshasa, numéro spécial, 5 avril 2003.
159
Il s’agit de l’accord de cessez-le-feu signé les 10, 30 et 31 juillet 1999 à Lusaka en Zambie.
160
Outre quatre composantes (le gouvernement de la RDC, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie, le
Mouvement de Libération du Congo, l’Opposition politique et les Forces vives), il a existé au dialogue trois
entités (Rassemblement Congolais pour la Démocratie - Mouvement de libération, Rassemblement Congolais
pour la Démocratie - National et les Mai Mai).
161
C’est ainsi que l’on peut lire dans le préambule de ladite Constitution :
« RESOLUS à édifier un Etat de droit durable fondé sur le pluralisme politique, la séparation des pouvoirs entre
« l’exécutif, le législatif et le judiciaire, la participation des citoyens à l’exercice du pouvoir, le contrôle des
« gouvernants par les gouvernés, la transparence dans la gestion des affaires publiques, la subordination de
« l’Autorité militaire à l’Autorité civile, la protection des personnes et de leurs biens, le plein épanouissement
« tant spirituel que moral de chaque citoyen congolais, ainsi que le développement harmonieux de la
« communauté nationale ;
« REAFFIRMANT solennellement notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme
« tels qu’ils sont définis par la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, la Charte
« africaine des droits de l’Homme et des Peuples adoptée le 18 juin 1981, ainsi que tous les instruments
« juridiques internationaux et régionaux adoptés dans la cadre de l’Organisation des Nations Unies et de
« l’Union Africaine, dûment ratifiés par la République Démocratique du Congo ;
« DETERMINES à garantir les libertés et les droits fondamentaux du citoyen congolais et, en particulier, à
« défendre ceux de la femme et de l’enfant ; … »
56

Rédigé par un comité d’experts des Nations Unies162, le projet de


Constitution de la transition fut adopté le 6 mars 2003 à Pretoria avant d’être endossé
le 1er avril 2003 lors des deuxièmes assises de Sun City par la plénière du Dialogue
inter congolais. Elaborée sur la base de l’Accord global et inclusif dont elle fait partie
intégrante163 et promulguée par le chef de l’Etat le 4 avril 2003, la Constitution de la
transition soulève un certain nombre d’interrogations eu égard aux catégories
juridiques ordinairement admises. Deux interrogations majeures hantent l’esprit des
analystes.

a. La première interrogation a trait à sa dénomination même.

De manière générale, la Constitution est la loi fondamentale exprimant


la volonté du peuple souverain. C’est ainsi que généralement approuvée en aval par
la voie référendaire, la version promulguée du texte reprend dans son préambule :
« Nous, Peuple congolais, ...Déclarons solennellement adopter la présente Constitution»164.
La Constitution de la transition du 4 avril 2003, négociée et adoptée par des délégués
des composantes et entités mandatés non par le peuple congolais, mais par des forces
politiques combattantes et non combattantes165, exprime-t-elle la volonté du peuple ?
Un texte instituant même à titre provisoire un régime politique sans légitimation
populaire et démocratique mérite-t-il la dénomination « Constitution » ?

D’aucuns considèrent que le peuple ayant été exclu du processus de sa


mise en place, ce texte ne remplirait point les caractéristiques primaires exigées par
les principes de droit public et ne mériterait nullement l’appellation Constitution166.

Ayant trouvé pareille dénomination juridiquement impropre, certains


lui préféraient celle d’Acte constitutionnel de la transition en référence à des
appellations d’autres textes négociés auparavant dans l’histoire politique
congolaise167. Ce terme générique offre certes « l’avantage d’une formule
enveloppante, prenant en compte toutes les qualifications juridiques tout en se
gardant d’heurter les principes fondamentaux du droit public », mais « celle-ci laisse

162
Sous la coordination de l’éminent constitutionnaliste sénégalais, le Professeur El Hadj MBODJ, ce comité
était composé en outre du professeur suisse Alain Sigg et d’un magistrat de la même nationalité, Maître Cédric
Mizel en plus de quelques experts juridiques de composantes et entités.
163
Article 1, Constitution de la transition du 4 avril 2003 et Accord global et inclusif, point VII -a. Voy. Journal
Officiel de la RDC, numéro spécial, 5 avril 2003, p. 52.
164
Ainsi se présentent les préambules des Constitutions du 1er août 1964, du 24 juin 1967 et du 18 février 2006.
165
Cela apparaît d’ailleurs clairement dans le préambule même du texte constitutionnel, qui reprend : « Nous,
Délégués des composantes et entités au Dialogue intercongolais… »
166
Ses initiateurs s’en défendent en s’abritant derrière la précarité de vie et les objectifs limitativement
déterminés du régime instauré. Voy. Communication présentée devant les sénateurs par le professeur El Hadj
MBODJ, « Le contexte de l’élaboration de la Constitution de la transition », au Séminaire de réflexion sur la
future Constitution de la RDC, inédit, Palais du peuple, Kinshasa, août 2004, p. 2.
167
Il s’agit de l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de transition accouché par la
Conférence nationale souveraine, ou encore de l’Acte constitutionnel harmonisé relatif à la période de transition
que lui opposait le Conclave politique de Kinshasa regroupant les forces politiques fidèles aux pouvoirs sans
limites du Maréchal Mobutu, ou enfin l’Acte constitutionnel de la transition, qui fusionnait les deux premiers
afin de mettre fin au dédoublement institutionnel découlant de l’application de ces textes. Dans ces « Actes », la
formule introductive « Nous, Peuple…. » est élaguée du terme « Peuple » au profit d’une catégorie plus
restreinte de représentants déterminés par la catégorie des assises qui y donnent lieu.
57

en suspens le problème posé en raison de sa généralité », rétorque Mbodj168. Il


argumente, à juste titre que la question de la véritable nature juridique de l’acte
demeure toujours, car celui-ci peut adopter la forme d’une « loi stricto sensu ou d’une
simple ordonnance du chef de l’Etat ». Il suffit pour s’en convaincre de s’intéresser
aux régimes de transition institués dans quelques pays africains dans la dernière
décennie du millénaire précédent à l’occasion des conférences nationales pour se
rendre compte que les actes fondamentaux s’y référant ont souvent pris la forme
d’ordonnances ou décrets-lois signés par le président de la République169.

Au stade où en étaient les négociations à Sun City, la légitimité même


de Joseph Kabila comme chef de l’Etat chargé de conduire la transition consensuelle
étant contestée par une bonne partie des dialoguistes, lequel des protagonistes aurait
accepté que le texte qui devait redistribuer des cartes et accorder une nouvelle
légitimité soit un fait de prince à la manière du décret-loi constitutionnel de Laurent
Désiré Kabila? L’intervention des institutions en place n’avait aucune chance d’être
acceptée par les forces concurrentes.

D’autres négociateurs de Sun City, s’appuyant sur le caractère


conventionnel de l’accord dont découlait le texte à mettre en place, étaient tentés de
qualifier de « Charte » le texte de base de la transition, sans que cette dernière
proposition n’emporte l’assentiment de la majorité des acteurs présents aux travaux.

Privilégiant une perspective purement matérielle et non formelle, les


rédacteurs du texte fondamental semblent s’être résignés à reprendre les termes
mêmes de l’Accord global et inclusif, occultant ainsi les débats d’école sur la nature
de l’acte170. Mais au-delà de la dénomination, l’essentiel semble avoir été de sauver
les meubles afin de faire revenir la paix au pays en éludant les discussions sans
grand intérêt pratique auxquelles avaient tendance à se livrer médias et
constitutionnalistes de tout bord.

Pour nous, quelque soit la dénomination attribuée par ses initiateurs à


ce texte juridique circonstanciel, il est important d’aller au-delà du formalisme. Ce
qui définit une Constitution, ce n’est pas son intitulé ou sa dénomination, mais plutôt
son contenu, les caractéristiques fondamentales qu’elle renferme, la place que la
société qu’elle est appelée à régir lui accorde dans l’ordonnancement juridique de son
pays, l’importance que lui accorde l’opinion internationale. Il n’est donc d’aucun
intérêt de se livrer à des discussions inutiles sur le sexe des anges. En droit
international, l’expression « traité » ne s’entend-elle pas « d’un accord international
conclu par écrit entre Etats… qu’il soit soussigné dans un document unique ou dans
deux ou plusieurs documents connexes, et quelle que soit sa dénomination
particulière »171. C’est une réalité unique qui peut revêtir plusieurs dénominations :

168
El Hadj MBODJ, op. cit., pp. 2 – 3.
169
Ibidem. C’est ce qui arriva au Congo Brazza et au Bénin.
170
Le point VII –a. de l’Accord de Pretoria du 17 décembre 2002 parle expressément de la « Constitution de la
transition »
171
Article 2, point 1, litera a, de la Convention de Vienne sur le droit de traité adopté le 23 mai 1969 et entrée en
vigueur le 27 janvier 1980.
58

traité, accord, compromis, convention, mémorandum, charte, concordat… ; seuls


l’emportent la qualité de ses signataires, ses objectifs et sa soumission au droit
international.

Il suffit de voir la légitimité dont la Constitution de la transition a fini


par jouir tant au plan national qu’international pour comprendre la pertinence de
cette argumentation172. Devant une des crises les plus meurtrières de tous les temps,
la communauté internationale ne s’est pas fait prier pour s’investir afin de sauver la
communauté nationale menacée d’extermination173.

En effet, dans la recherche de voies et moyens de mettre en place le


nouvel ordre politique, il a été envisagé le coulage sous forme juridique d’un
consensus patiemment négocié en terre sud africaine par les acteurs politiques et
sociaux congolais en vue de remplacer le décret-loi constitutionnel unilatéralement
imposé par Laurent Désiré Kabila. Non seulement la communauté internationale
donna son aval au processus qu’elle soutint jusqu’à aboutissement, mais aussi
l’équilibre précaire permettant un fonctionnement selon la logique de l’inclusivité,
du consensualisme et du consensus du système bénéficia de l’assentiment des
acteurs politiques congolais dans leur ensemble.

Cette légitimation du texte constitutionnel de la transition par la


communauté internationale et par les acteurs politiques et sociaux congolais,
belligérants et non belligérants, en accord de partage des responsabilités pour cesser
les hostilités et cheminer ensemble vers un nouvel ordre politique semble avoir
amené le peuple à s’approprier la Constitution de la transition 174. Cette « adhésion
populaire » s’expliquerait par la transcription dans le texte des mécanismes de poids
et de contrepoids dans la mise en place des institutions politiques du pays et par la
place réservée aux préoccupations profondes de la population en regard de l’histoire
politique du pays175. Le satisfecit viendrait également de la relative stabilité du texte
que les acteurs ne pouvaient modifier à loisir comme au vieux beau temps du
maréchal Mobutu.

172
C’est ainsi que la population congolaise en réclamait et en exigeait le respect et l’application toutes les fois
que l’occasion lui en était donnée. En sont des preuves supplémentaires les controverses qui avaient opposé les
animateurs des institutions de la transition et les acteurs politiques restés en dehors des institutions, par la
population interposée, autour des dispositions de l’article 196 de la Constitution du 4 avril 2003 sur la durée
constitutionnelle de ladite transition.
173
Selon un rapport de l’International Rescue Committee (IRC), une ONG américaine basée à New York et de
l’Institut Barnett, un centre australien de recherche médicale, rendu public le 9 décembre 2004, le conflit en
RDC est le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale avec 3,8 millions de morts recensés depuis 1996.
Des calculs simples donnent environ mille victimes civiles par jour, dont la majorité ont péri de faim et de
maladie en tentant de fuir les zones de combats.
174
Il suffisait d’écouter les populations congolaises qui ne juraient plus que par la fin de la transition et
l’organisation des élections à tous les milieux dans les délais constitutionnels pour comprendre ce qu’elles
pensaient du texte.
175
Outre les dispositions de l’article 3 de la Constitution de la transition qui redéfinissent de leur manière la
souveraineté du peuple en lui reconnaissant le pouvoir de contrôle sur les détenteurs du pouvoir, un long titre
trois étale de longues dispositions destinées à promouvoir les droits et libertés de tous.
59

b. La deuxième préoccupation se situe au niveau de la suprématie de


l’Accord global et inclusif sur la Constitution de la transition.

L’une des premières notions que retiennent les étudiants de premier


graduat des facultés de droit de leur cours de Droit constitutionnel est celle de la
Constitution entendue comme « norme fondamentale, initiale, autonome,
inconditionnée et suprême de laquelle découlent toutes les autres règles
juridiques »176. Cette assertion attachée à tous les systèmes juridiques ordinaires
semble avoir été battue en brèche par les rédacteurs de la Constitution de la
transition congolaise du 4 avril 2003. Un simple coup d’œil sur l’article premier de la
Constitution de la transition les met curieusement en déroute en subordonnant celle-
ci à une autre norme qui lui est supérieure et qui fonde sa légitimité, en l’occurrence,
l’Accord global et inclusif177. Avec la Constitution qui découle pourtant de lui, celui-
ci est même la seule source du pouvoir et tous les pouvoirs sont établis et exercés de
la manière qu’il détermine et que relaye la Constitution178. Conformes aux principes
fondamentaux du droit public, les dispositions de l’article 10 de la même
Constitution attribuent paradoxalement la souveraineté nationale au peuple. Pareille
attribution ne semble être qu’une simple clause de style.

En effet, pendant la période de transition, l’exercice du pouvoir par le


peuple, par référendum ou par élections, ne peut être possible que pour des textes et
des dirigeants futurs et ne concerne nullement la dévolution des mandats publics
pendant cette période. Il nous paraît donc invraisemblable, du moins pour cette
période, de déclarer le peuple « souverain » pendant que la source du pouvoir est
réellement détenue par les composantes et entités au Dialogue inter congolais179.

La Constitution de la transition a été en effet élaborée conformément à


la lettre et à l’esprit de l’Accord global et inclusif de sorte qu’en cas de contrariété
entre les deux instruments, la logique voudrait que la norme constitutionnelle soit
écartée au bénéfice de la norme conventionnelle. Il y a cependant lieu de continuer à
se poser la question de savoir si la Cour suprême de justice pouvait être saisie en
conformité d’une disposition constitutionnelle à l’Accord global et inclusif. Lorsque
l’on sait que c’est la même plénière du Dialogue inter congolais, qui avait adopté les
termes de l’Accord autant qu’elle s’était octroyé le pouvoir constituant et avait
approuvé le texte constitutionnel chargé de gérer la transition, il semble bien

176
En effet le pouvoir constituant originaire, unique pouvoir qui puisse établir une nouvelle Constitution est
initial (aucun autre n’étant au dessus de lui), autonome ( ne pouvant dépendre d’aucun autre) et inconditionné
par aucun texte. Voy. Tous les ouvrages classiques de droit constitutionnel, notamment JEANNEAU, B., Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, Dalloz, 1968, p. 61 ; BURDEAU, G., Droit constitutionnel et
institutions politiques, Paris, L.G.D.J, 1974, pp. 80 et ss ; PRELOT, M. & BOULOUIS, J., Institutions
politiques et Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1980, p. 210.,
177
La Constitution a en effet été élaborée sur la base de l’Accord global et inclusif comme l’indiquent les
dispositions de l’alinéa premier de son article 1. Le point VII de cet Accord relatif aux dispositions finales en
fait même partie intégrante.
178
Alinéas 2 et 3 de l’article 1 de la Constitution de la transition.
179
La répartition des responsabilités pendant la période de transition se fait en tenant compte des composantes et
entités au Dialogue inter congolais conformément à l’Annexe I de l’Accord global et inclusif. Voy. Journal
Officiel de la RDC, N° spécial, 5 avril 2003, pp. 61-66.
60

illogique que pareille compétence lui soit dévolue180. Le cas aurait pu cependant être
reconsidéré s’il s’agissait d’une norme prise ultérieurement en vue de réviser le texte
adopté à Sun City. Dans cette hypothèse imaginaire, une fois certifiée conforme à
l’Accord par la Cour suprême de justice, la norme constitutionnelle continuerait-elle
d’être inférieure à la norme conventionnelle ? La question est demeurée sans
réponse.

En tout état de cause, la Constitution de la transition congolaise fait


partie de ces textes d’une catégorie juridique de type nouveau dont le terrain de
prédilection se trouve être les pays décidés à sortir d’une incertitude institutionnelle
due à une mauvaise passe. Celle-ci peut résulter d’un arbitraire politique qui ne
laisse aucune chance à l’application immédiate des règles démocratiques classiques
comme l’apartheid en Afrique du Sud ou d’une situation de conflit armé ayant
provoqué des déchirures profondes du tissu social d’un pays donné181. Pour éviter à
nouveau le recours à la force, afin d’empêcher le retour des conflits sociaux internes,
et sans doute pour légitimer sa propre action, un pouvoir provisoire peut être amené
à exercer des prérogatives de constituant182.

Constitution de transition, ce texte n’avait comme ambition que


d’amener le pays, sinon les dirigeants, pendant une période déterminée, vers une
mutation considérée comme un objectif à atteindre, en l’occurrence de conduire le
peule congolais vers un ordre politique nouveau. Il est donc tout à fait normal que les
règles qui ont prévalu pour son élaboration ne soient pas confondues avec celles qui
sont appelées à organiser les relations institutionnelles ordinaires183. Il s’agit ainsi
d’une Constitution sui generis qui a réparti le pouvoir en rapport avec la hauteur
réelle ou supposée de la nuisance à causer par la force des armes et/ou la capacité
de mobilisation de la population contre l’ordre établi184.

D’ailleurs, la Constitution de transition n’est pas une invention


congolaise. C’est à travers des Constitutions de transition que des vieilles dictatures
européennes, comme le Portugal et l’Espagne, se dotèrent d’une législation
permettant, pendant la période transitoire, l’adaptation aux normes européennes.

180
Aux termes de l’article 150 de la Constitution de la transition, la Cour suprême de justice n’est compétente
que pour connaître de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi et non de juger de la conformité
des dispositions constitutionnelles à l’Accord global et inclusif qui en est le géniteur.
181
Devant l’impossibilité prouvée des parties belligérantes de gagner la guerre, la seule possibilité de réunifier le
pays et instaurer un nouvel ordre politique était d’obtenir un consensus négocié de partage des responsabilités
pendant une période limitée nécessaire à la recherche d’une source de pouvoir démocratique, la dévolution des
mandats publics par le peuple par la voie des urnes. L’argument que nous faisons nôtre vient de MBODJ, op. cit,
p. 2.
182
Geneviève Koubi et Raphaël Romi considèrent qu’il s’agit là, selon l’impact de nouvelles dispositions sur
l’ordre institutionnel précédent, du pouvoir constituant « révolutionnaire » ou « réformateur », Etat, Constitution,
Loi, Paris, Litec, 1993, pp. 96-100.
183
En ce sens, lire BOSHAB, E., « Du principe de l’immutabilité des dispositions matricielles dans une
Constitution de transition », in Le Potentiel, n° 3098, de mercredi 14 avril 2004, pp.19-20.
184
Contrairement à l’exemple sud-africain dans lequel le partage des responsabilités au sein du gouvernement
était déterminé par le poids électoral des partis, la RDC a adopté la formule 1 + 4 mettant à la tête du pays les
quatre composantes jugées importantes (Gouvernement, RCD, MLC et Opposition politique) sous la surveillance
de la composante Société civile qui préside le Sénat et les cinq Institutions d’appui à la démocratie.
61

Après la chute de l’empire soviétique, les pays de l’Europe de l’Est ont eu recours à
la même pratique pour asseoir des régimes démocratiques. A la suite de la
contestation presque générale de leurs régimes dans les années 1990, des dictateurs
africains ne manquèrent pas de convoquer des conférences nationales dont sortirent
des textes provisoires destinés à mettre en place un nouvel ordre politique185.

2. De la séparation des pouvoirs

Sur le plan formel, la séparation des pouvoirs semble avoir été


respectée dans la mesure où le président de la République et le gouvernement
assurent le pouvoir exécutif186, l’Assemblée nationale et le Sénat forment le
parlement de la transition, qui détient le pouvoir législatif187 ; le pouvoir judiciaire
étant dévolu aux cours et tribunaux188. Reste à voir comment ces institutions
fonctionnent effectivement dans un régime spécial ne rassemblant à nul autre pareil.

Malgré la formule 1 + 4 qui apparaît à la présidence et ferait penser à un


exercice collégial du pouvoir et la présence d’un gouvernement pluripartite,
l’exécutif de la République Démocratique du Congo est monocéphal. En effet, bien
que le pouvoir de coordination des commissions gouvernementales soit reconnu par
les dispositions de l’article 86 de la Constitution d e la transition en faveur des Vice-
présidents, seul le chef de l’Etat est le chef de l’exécutif189.

Cependant dans la pratique du pouvoir, il apparaît tout de même que la


répartition des tâches entre le président de la République, les Vice-présidents de la
République, les ministres et vice-ministres dans un gouvernement dont la solidarité
semble sacrifiée sur l’autel de l’antagonisme des anciennes parties belligérantes, est
de nature à apporter une réelle limitation des pouvoirs. De même, le vote des lois, le
contrôle du gouvernement, des entreprises publiques, établissements et services
publics demeurent l’apanage du parlement même si l’exercice de ces pouvoirs
souffre de mêmes tares que celles qui handicapent l’action gouvernementale.

L’indépendance formelle du pouvoir judiciaire est bien sûr consacrée


par le texte190, mais en plaçant cette indépendance sous la garantie du chef de l’Etat,
chef de l’exécutif, l’alinéa deux de l’article 147 de la Constitution de la transition
semble ainsi, soumettant ce pouvoir à l’exécutif, retirer de la main gauche ce que
l’alinéa un a donné de la main droite.

185
Cette épidémie des Conférences nationales a permis à certains pays, comme le Bénin, d’adopter finalement
des Constitutions définitives mettant en place un nouvel ordre politique stable et démocratique.
186
Articles 65 à 96 de la Constitution de la transition du 4 avril 2003.
187
Articles 97 à 103 de la Constitution de la transition du 4 avril 2003.
188
Articles 146 à 153 de la Constitution de la transition du 4 avril 2003.
189
Les articles 69 à 79 de la Constitution de la transition lui reconnaissent de multiples prérogatives exécutives
(présidence du Conseil des ministres, promulgation et exécution des lois).
190
Article 147, alinéa 3 de la Constitution du 4 avril 2003.
62

En outre, le pouvoir judiciaire nous semble frappé d’handicap


congénital qui l’empêche de garantir totalement « les libertés individuelles et les
droits fondamentaux des citoyens ». S’il faut remarquer que la meilleure garantie des
droits de l’homme se situe dans le contrôle des dispositions et actes pris au sommet
de la hiérarchie politique et juridique, il est inquiétant de constater que l’ordonnance-
loi n° 82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour suprême de
justice, qui continue de régir la matière de contrôle de constitutionnalité des lois et
des actes ayant force de loi, ainsi que des recours en interprétation de la Constitution
de la transition, constitue sans plus ni moins un élément de l’édifice constitutionnel
fictif hérité du parti-Etat, dont on ne peut espérer aucune application effective.

Tant que l’initiative du contrôle et de l’interprétation demeurera


tributaire de la seule volonté du Procureur général de la République191, à l’exclusion
des victimes qui auraient pu s’en prévaloir, l’indépendance du pouvoir judicaire,
dont les membres sont exposés par les difficiles conditions d’existence et de travail à
n’avoir comme unique arme de leur intégrité que leur bonne volonté, ne continuera
que d’être un simple leurre ! De même, que peut-on espérer du changement des
mentalités des magistrats dont le statut et les rémunérations continuent d’être régis
par des lois devenues obsolètes192 ?

Dès lors que l’indépendance du pouvoir judiciaire n’est pas


effectivement assurée en vue de limiter les éventuels abus de deux autres pouvoirs,
l’exécutif et le législatif, et empêcher ainsi l’arbitraire, la séparation véritable des
pouvoirs fait défaut et le critère du constitutionnalisme qui fait appel à la protection
effective des droits de l’homme ne peut être rempli.

3. La promotion et la protection des droits de l’homme

Quarante-neuf articles du titre II réglementent les libertés publiques, les


droits et devoirs fondamentaux du citoyen193. Ce niveau de promotion des droits de
l’homme démontre certes le souci du constituant de la transition d’accorder des
garanties suffisantes à la meilleure protection de ces droits. Mais cela suffit-il pour en
assurer une protection efficace lorsque l’on sait que l’un des piliers, si pas le plus
important, de ses mécanismes, l’indépendance annoncée de l’autorité
juridictionnelle, continue de battre de l’aile ?

191
Aux termes des articles 131, 132 et 133 de l’ordonnance-loi n°82-017 relative à la procédure devant la Cour
suprême de justice, qui organisent, en effet, le contrôle de la constitutionnalité à travers l’appréciation de la
conformité des lois et actes ayant force de loi, l’interprétation de la Constitution et le sort des exceptions
d’inconstitutionnalité, la compétence de saisir la Cour appartient au seul Procureur général de la République
agissant, soit à la demande du Chef de l’Etat, à celles du Bureau du Parlement ou des juridictions de jugement
saisies d’une exception d’inconstitutionnalité.
192
C’est l’ordonnance-loi n° 88-056 du 29 septembre 1988 qui continue, après abrogation de l’ordonnance-loi
n° 82-018 du 31 mars 1982, de régenter le statut des magistrats avec les mentalités du militantisme et de la
fidélité au guide enseignés par le Mouvement Populaire de la Révolution et les rémunérations de misère.
193
Articles 15 à 63 de la Constitution de la transition du 4 avril 2003.
63

La Constitution de la transition du 4 avril 2003 représente une grande


garantie de protection des libertés. Outre le nombre des dispositions consacrées à
cette matière194, cette Constitution se distingue par la consécration de plusieurs droits
nouveaux. Outre des droits reconnus en faveur des personnes gardées à vue, la
Constitution rend enfin opérationnel le droit de toute personne poursuivie en justice
de se faire assister par un avocat ou un défenseur judiciaire de son choix « à tous les
niveaux de la procédure pénale, y compris l’enquête policière et l’instruction pré-
juridictionnelle »195.

Parmi des droits nouveaux introduits par le texte sous examen, on peut,
à titre exemplatif, citer le droit de refus d’exécution d’ordre manifestement illégal de
l’article 25, les droits reconnus à l’enfant (articles 44 et 45), l’égalité de sexe par la
protection des droits économiques, sociaux, culturels et politiques en faveur de la
femme que consacrent les dispositions de l’article 51.

L’exercice de certains droits comme ceux reconnus en faveur des


personnes gardées à vue ou des personnes détenues devant le Parquet et ses
branchements est conditionné par la connaissance par les bénéficiaires de leurs droits
aux fins de s’en prévaloir. Malgré les efforts déployés par les organisations de
défense des droits de l’homme, la majorité de la population demeure encore
analphabète et ignorante de ses droits. Par contre, des efforts sont entrepris grâce à
des pressions de la communauté internationale pour que la femme retrouve sa place
dans les institutions de la transition et participe effectivement à des activités
auxquelles, il y a belle lurette, elle n’avait même pas voix au chapitre196.

194
Dans la loi fondamentale du 17 juin 1960, le colonisateur belge n’a eu recours qu’à seize dispositions (de
articles 2 à 17) pour consacrer les libertés publiques. Par rapport au constituant de 1964 qui sembla davantage se
préoccuper de la protection des droits fondamentaux en consacrant trente-trois dispositions à leur promotion
(articles 13 à 45), le régime de Mobutu Sese Seko privilégia la tendance de les maintenir en baisse avec quatorze
dispositions dans la Constitution du 24 juin 1967 (articles 5 à 18), quinze dans la fameuse « révision » du 15
août 1974 (articles 12 à 26), vingt dans la loi du 15 février 1978 destinée à « permettre au peuple de s’exprimer
démocratiquement » (articles 12 à 31). Même l’Acte constitutionnel de la transition du 9 avril 1994, qui avait la
prétention de conduire le pays vers une « Troisième République véritablement démocratique » n’y consacre que
vingt-huit dispositions (articles 9 à 36).
195
Ce droit aussi clairement précisé dans le texte constitutionnel (article 21), contrairement aux textes
précédents, qui renvoyaient les modalités de l’exercice de ce droit à leur détermination par une loi, consacre la
fin des abus de tout bord perpétré au niveau de la police et même du Parquet où, au nom du secret de
l’instruction pré-juridictionnelle mal compris, les officiers de police judiciaire, inspecteurs judiciaires et même
certains officiers du Ministère public ne toléraient pas « l’immixtion » des Conseils à l’instruction, méfiance sans
doute justifiée par le souci de certains instructeurs « d’opérer » loin des yeux indiscrets des avertis des
procédures légales.
196
En attendant de signer et de ratifier le Protocole à la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples,
relatif aux droits de la femme adopté le 11 juillet 2003 à la Deuxième session ordinaire de la Conférence de
l’Union Africaine tenue à Maputo (Mozambique), qui prévoit la participation paritaire des femmes dans la vie de
leurs pays, notamment au processus politique et à la prise de décision, la RDC est néanmoins membre à la
Convention de la SADC sur les droits de la femme qui préconise le quota de 30% dans la participation aux
institutions. C’est ainsi que des dispositions ont été prises pour assurer la représentation significative de la
femme tout au moins dans toutes les institutions d’appui à la démocratie. Si l’on s’en tient à la Déclaration
solennelle sur l’égalité entre les hommes et les femmes en Afrique faite à la Troisième session de la Conférence
de l’Union Africaine tenue à Addis-Abeba (Ethiopie) du 6 au 8 juillet 2004, dans laquelle les Chefs d’Etat et de
gouvernements de l’Union s’engagent à signer et à ratifier ce Protocole « d’ici à la fin de 2004 » et d’assurer son
entrée en vigueur avant fin 2005, on serait tenté de croire à une véritable révolution imminente en faveur de la
femme africaine en général et congolaise en particulier.
64

Le pouvoir de la transition a semblé vouloir combler la carence du


pouvoir judiciaire découlant de son impuissance congénitale par l’institution de
l’Observatoire national des droits de l’homme197. Organisme de droit public
congolais, l’ONDH est chargé de la promotion et de la protection des droits de
l’homme conformément aux instruments juridiques nationaux et internationaux198.
Ses nombreuses attributions sont susceptibles de jouer un rôle de premier plan dans
la défense des droits de l’homme199. C’est dans ce cadre que cette institution a été
amenée à relancer le Procureur de la Cour pénale internationale en vue de mener des
investigations relatives aux violations massives des droits de l’homme en République
Démocratique du Congo depuis le 2 juillet 2002.

Il convient également de retenir que le pluralisme politique et syndical


prôné par la Constitution, la liberté effective d’association et d’expression, le libre
accès aux médias et la liberté de l’information permettent aux partis politiques et
autres organisations syndicales ainsi des organisations de défense des droits de
l’homme et des entreprises de presse de jouer un rôle-clé dans la protection des
droits de l’homme.

Au sens général, toutes les dispositions d’une Constitution sont à la


limite des « garanties », qu’il s’agisse de celles qui déclarent les droits ou de celles qui
concernent le contrôle de constitutionnalité ou encore celles qui séparent les
pouvoirs. Plus précisément, assurer une garantie des droits, c’est prévenir et
réprimer la violation, c’est attacher des sûretés à leur exercice, c’est prévoir des
sanctions en cas de leur transgression, comme le note Elizabeth Zoller200. Aussi,
l’efficacité des garanties judiciaires peut être renforcée par les garanties politiques,
dont la plus importante est le bulletin de vote unanimement considéré comme la
meilleure police d’assurance contre l’oppression. C’est l’expression concrète du
principe de la souveraineté populaire au terme duquel le pouvoir des gouvernants
émane du consentement des gouvernés. Pour que les gouvernements respectent les
droits de l’homme, il n’est pas de meilleur moyen que de faire en sorte qu’ils soient
investis (et le cas échéant désinvestis) du pouvoir qu’ils exercent par les titulaires de
ces droits.

L’importance du droit de vote qui tarde à devenir réalité en République


Démocratique du Congo à cause des nombreux écueils201 sur le processus électoral
n’est donc plus à démontrer dans la protection des droits de la personne humaine à

197
L’une des institutions d’appui à la démocratie prévue par la Résolution n° DIC/CHSC/08 du Dialogue inter
congolais, reprise dans l’Accord global et inclusif, Point V, voy. Journal Officiel de la RDC, N° spécial, 5 avril
2003, p. 54 et mise en place par l’article 154 de la Constitution de la transition en vue de « promouvoir et de
protéger les droits de l’homme » (article 155, quatrième trait), l’ONDH est organisé et fonctionne conformément
à la loi n° 04/019 du 30 juillet 2004.
198
C’est la mission que lui confèrent les dispositions de l’article 5 de la loi n° 04/019 du 30 juillet 2004.
199
Les nombreuses attributions que lui reconnaissent les dispositions de l’article 7 de sa loi organique l’amènent
autant à influer sur la conduite des autres institutions publiques à l’égards des droits de la personne humaine qu’à
renforcer les capacités d’intervention des organisations de défense des droits de l’homme.
200
ZOLLER, E., op., cit., p. 497.
201
Ces écueils sont tantôt d’ordre législatif à cause du retard pris dans l’élaboration des lois essentielles à la
tenue des élections, tantôt d’ordre matériel ou d’ordre sécuritaire.
65

cause de la sanction latente certes, mais efficace qui peut résulter de l’exerce libre,
transparent et démocratique de ce droit.

A travers les développements faits sur l’analyse des éléments


théoriques relatifs à l’élaboration et à l’agencement des dispositions de la
Constitution de la transition du 4 avril 2003 et le fonctionnement réel des institutions
de la transition, peut-on conclure que ce texte est conforme aux principes du
constitutionnalisme ?

Au-delà de la nature juridique de l’acte qui fonde la Constitution de


transition, le défaut de cohérence structurelle et fonctionnelle qui s’attache aux
Constitutions ordinaires peut être expliqué par la durée limitée de ce régime
exceptionnel et les objectifs poursuivis à terme par le constituant. Voilà pourquoi, en
débit des interrogations et atteintes aux conceptions démocratiques généralement
véhiculées par la doctrine classique, la Constitution de transition s’intègre dans les
nouveaux procédés de gestion et de résolution des différends politiques. Ce type
d’instrument juridique bâti sur un accord de paix préalable a permis de par le monde
de mettre fin aux conflits et d’instaurer un nouvel ordre politique dans les pays sans
cesse minés par des conflits de légitimité.

Indépendamment des querelles théoriques quant à sa dénomination et


à sa valeur intrinsèque, la réalité de l’existence d’une Constitution aujourd’hui
apprivoisée par la population congolaise ne peut faire l’objet d’un quelconque doute.
Cependant, son grand avantage ne sera capitalisé que si les acteurs politiques
mettent à profit ce temps limité pour élaborer un nouvel ordre véritablement
démocratique trouvant sa source dans une Constitution produite par le souverain
primaire devant régir le pays démocratiquement à la suite de la transition.

En outre, la séparation de principaux pouvoirs de l’Etat apparaît tout de


même à travers les règles qui les organisent malgré la difficulté pratique de
concrétiser l’indépendance du pouvoir judiciaire, rempart de l’arbitraire qui pourrait
découler des abus des pouvoirs exécutif et législatif et garant de la protection des
droits de tous. Il nous semble qu’avec la suppression de la dépendance organique du
pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif consacrée par les dispositions de l’alinéa 2 de
l’article 147 de la Constitution, la mise en place des nouvelles lois de procédure plus
protectrices des droits des victimes et d’un nouveau statut des magistrats protégeant
la stabilité de leur emploi et prévoyant des meilleures conditions de travail et de
subsistance, l’institution « Cours et tribunaux » peut effectivement gagner ses lettres
de noblesse et garantir ainsi la séparation effective des pouvoirs.

La Constitution de la transition s’est également distinguée en matière


des droits de l’homme qu’elle a promus au plus haut degré de la hiérarchie juridique
et en nombre jusque-là inégalé dans l’arsenal juridique congolais. La carence de leur
protection efficace par les juridictions ne doit pas faire oublier le chemin parcouru
grâce à l’apparition de nouvelles libertés publiques non expressément protégées
jusque-là et le travail patiemment abattu par des corps intermédiaires comme les
66

partis politiques, les syndicats, les organisations de défense des droits de l’homme,
les organes de presse tant audio-visuelle qu’écrite dans la protection des droits de
l’homme.

Lorsque l’on considère ce qu’a toujours été le respect des principes qui
président à l’élaboration d’une Constitution, à la séparation des pouvoirs et à la
protection des droits de l’homme depuis l’indépendance du Congo, il y a lieu de se
réjouir de la tournure que semblent prendre les événements après analyse concrète
de la situation pratique des institutions du pays. En effet, la majorité des textes
constitutionnels congolais ont été imposés par le fait de prince202. L’élaboration de la
Constitution de la transition a bénéficié d’un peu plus de consensus et d’un cadre
plus élargi de tendances dont il était tenu compte.

Mises à part la plénitude des pouvoirs attribuée par le constituant de


1974 au président fondateur du Mouvement populaire de la révolution (MPR) 203 et
la confusion de l’exercice des pouvoirs exécutif et législatif accaparé par Laurent
Désiré Kabila204, presque toutes les constitutions congolaises organisent, même
formellement, la séparation de principaux pouvoirs. Bien que promus à des degrés
divers, les droits de l’homme ont longtemps souffert d’une carence chronique de
protection due non seulement à l’asservissement du pouvoir judiciaire au pouvoir
exécutif, mais aussi à l’interdiction du pluralisme politique et syndical et au
bâillonnement des associations de défense des droits de l’homme, des organes de
presse ainsi qu’à la caporalisation de la vie publique et à la confiscation des libertés
aussi fondamentales que celles d’association, d’expression et d’information.

L’heureux constat205 du changement perfectible de certaines pratiques


séculaires augure un avenir meilleur et nous permet de considérer que la
Constitution de la transition congolaise a dû effectuer un pas dans la bonne direction
vers le constitutionnalisme. Cette prédisposition à consacrer le constitutionnalisme
peut utilement inspirer le constituant chargé de mettre en place un régime
constitutionnel démocratique et un nouvel ordre politique206.

D’abord, il s’agira pour celui-ci d’associer le souverain primaire au


processus de mise en place de la nouvelle de la Constitution207. Ensuite, en vue de

202
C’est le cas de la Loi fondamentale, elle-même œuvre du parlement belge ; de toutes les Constitutions du
régime Mobutu, y compris la Constitution du 24 juin 1967 malgré le bénéfice du plébiscite constitutionnel qui
avait couronné son adoption ainsi que le Décret-loi constitutionnel institué par Laurent Désiré Kabila.
203
Les articles 9 et 30 de la Loi n° 74-20 du 15 août 1974 portant révision de la Constitution du 24 juin 1967.
204
L’article 5 du décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du
pouvoir en République Démocratique du Congo.
205
Le peuple semble s’être approprié de la Constitution, la séparation des pouvoirs est à l’ordre du jour, la liberté
est plus réelle que formelle et l’impunité préoccupe tant les acteurs politiques que sociaux.
206
Ce sont deux des objectifs assignés à la transition par l’Accord global et inclusif, Point II, voy. Journal
Officiel de la RDC, N° spécial, 5 avril 2003, p. 52.
207
Outre le Sénat qui est chargé par l’alinéa 2 de l’article 104 de la Constitution d’élaborer l’avant-projet de la
Constitution et l’Assemblée nationale qui en adopte le projet (article 98, quatrième trait), la Commission
électorale indépendante est chargée par l’article 7, litera e, de sa loi organique de « traduire en langues
nationales et rendre public [en vue de le vulgariser] le projet de Constitution à soumettre au référendum
populaire.
67

consacrer une réelle séparation des pouvoirs, il lui importe de veiller à assurer une
véritable indépendance du pouvoir judiciaire par la suppression de sa garantie par le
chef de l’Etat, cordon ombilical qui le lie au pouvoir exécutif, de garantir
l’inamovibilité des juges à travers un statut des magistrats non empreint des
séquelles tant dénoncées des régimes précédents. Enfin, le maintien des droits
protégés par la Constitution de la transition, voire leur augmentation, ainsi que le
renforcement du pluralisme politique et syndical, de la liberté de la presse,
d’association et d’expression, la multiplication des corps intermédiaires rejailliront
sûrement sur la protection des droits humains.

Afin de remplir les conditions pour l’établissement et la consolidation


d’un régime qui soit en droit et en fait constitutionnel, permettre l’instauration d’une
véritable démocratie et assurer une protection des droits de l’homme plus grande et
plus effective, la simple existence d’une Constitution ne suffit donc pas. Il est
impérieux d’allier ces prescriptions constitutionnelles aux changements des
mentalités des gouvernants quant à l’encadrement juridique du pouvoir. Sans la
conviction que, dans un Etat de droit, tout le monde, gouvernants et gouvernés, doit
être soumis aux règles juridiques et que la suprématie des dispositions
constitutionnelles doit prévaloir sur les intérêts de tous, tous les textes
constitutionnels élaborés par les meilleurs spécialistes du monde ne contribueront
jamais à l’avènement du règne du constitutionnalisme en République Démocratique
du Congo.

§3. Les textes constitutionnels dits définitifs

Les textes constitutionnels définitifs sont ces textes qui en appellent à


l’intervention du peuple, véritable détenteur du pouvoir constituant originaire. Cette
intervention, à défaut de se concrétiser par l’élaboration de l’ensemble des textes
constitutionnels par leurs destinataires, se limite généralement à une prise de
position finale sur un texte rédigé en dehors du peuple. C’est le référendum. Des fois,
le peuple se contente de désigner un corps des représentants chargés de rédiger un
texte qui entre en vigueur directement. Cette intervention est d’habitude porteuse
d’une légitimité rassurante en faveur du texte constitutionnel.

L’exceptionnel mouvement de production constitutionnelle congolaise


fait en majorité très peu cas de l’intervention populaire. Cependant, quelques rares
exceptions peuvent être retenues. A l’actif de celles-ci, l’on peut noter le référendum
organisé du 25 juin au 10 juillet 1964 pour régulariser la mise sur pied de la
Constitution de Luluabourg, dont l’élaboration s’est faite en violation des
dispositions pertinentes et adéquates de la Loi fondamentale relative aux structures
du Congo208. Le référendum était donc destiné à remédier à ce vice.

208
En mettant sur pied par O n° 298 du 27 novembre 1963 une Commission constitutionnelle chargée d’élaborer
la Constitution, le chef de l’Etat violait non seulement les dispositions de l’article 4 de la Loi fondamentale, qui
n’attribuent le pouvoir constituant qu’au « chef de l’Etat et aux deux chambres », mais aussi celles des 98 à 101
qui en fixent la procédure d’élaboration et d’adoption.
68

La procédure de la naissance de la Constitution du 24 juin 1967 ne


résulta pas non plus de l’application du texte fondamental antérieur. En effet, la
Constitution du 1er août 1964 prévoyait une procédure de modification de la norme
fondamentale très complexe209. La proclamation du Haut commandement de
l’Armée nationale en disposa autrement. En prétendant s’appuyer sur l’intérêt
supérieur du peuple et de la nation, la hiérarchie de l’Armée nationale congolaise
dérogea curieusement210 à la procédure constitutionnelle en procédant
progressivement à la liquidation des institutions démocratiques211.

Comme en 1964, le référendum constitutionnel auquel recourut le


pouvoir militaire du 4 au 24 juin 1967, lui permit d’utiliser le peuple comme simple
sapeur pompier aux fins de normaliser les situations extraconstitutionnelles
produites par le fait accompli212.

Plus lâche que les textes antérieurs, la Constitution du 24 juin 1967


organise un système de révision sans dispositions intangibles. Tout ou partie de la
Constitution pouvait être modifiée en dehors de tout référendum, dont la
convocation relevait de la volonté discrétionnaire du président de la République 213.
Pareille ouverture a eu comme conséquence la liquidation progressive certes, mais
totale des mécanismes de limitation de pouvoir mis en place par la Constitution de
1967 et la confusion de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul individu.

Seule la Constitution du 18 février 2006 a eu l’avantage de bénéficier


d’une procédure plus ou moins régulière. Mises à part les tares qui ont présidé à la
mise en place du parlement congolais214 chargé de l’élaboration de son projet, les
règles prescrites dans la Constitution de la transition du 4 avril 2003 semblent avoir
été, sous l’œil scrutateur de la communauté internationale, scrupuleusement suivies.
L’avant-projet une fois adopté par le sénat a été soumis à l’assemblée nationale qui
l’a transformé en projet sanctionné plus tard par l’approbation populaire à travers le

209
L’initiative de révision, la procédure d’adoption, soumise à une stricte condition de majorité, et celle
d’approbation sont prescrites par les dispositions des articles 175 à 177 de la Constitution du 1 er août 1964, MC,
op. cit., pp. 44-45.
210
Selon la proclamation des autorités militaires, les institutions démocratiques de la République, telles qu’elles
étaient prévues par la constitution du 1er août 1964, étaient maintenues.
211
De novembre 1965 à octobre 1966, le nouveau chef de l’Etat avait finit par acquérir le pouvoir législatif
ordinaire.
212
En ce sens, voy. VUDISA MUGUMBUSHI, J.-N., « Changement de constitutions et déconstitutionnalisation
des droits et libertés politiques en République Démocratique du Congo », Rev. de Dr. Afric., n° 3, juillet 1997, p.
43.
213
Aux termes de l’article 28 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p. 568. « Le président de la
République peut, après en « avoir informé l’Assemblée nationale par un message et après avoir pris avis du
bureau de celle-ci, soumettre « au référendum tout texte qui lui paraît devoir exiger la consultation directe du
peuple.
« Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet, el président de la République le promulgue dans les
« délais prévus à l’article 51.
« La loi ainsi adoptée ne pourra au cours de la législature durant laquelle le référendum a été organisé, être
modifiée que moyennant accord du président de la République ».
214
Les députés et sénateurs ont été désignés par les composantes et entités au dialogue inter congolais.
69

référendum des 18 et 19 décembre 2005 avant la promulgation par le chef de l’État le


18 février 2006215.

Bien que la révision de ladite Constitution ne soit pas déterminée dans


le temps, celle-ci prévoit des matières constitutionnelles intangibles, éternellement
insusceptibles d’être modifiées.

A. La Constitution du 1er août 1964

Contrairement aux dispositions y relatives de la Loi fondamentale du


19 mai 1960, qui confèrent le pouvoir constituant au chef de l’Etat et aux deux
chambres parlementaires, l’élaboration de la Constitution du 1er août 1964 se situe
dans le prolongement d’une crise, renforcée par le fonctionnement alambiqué des
institutions issues de ladite loi, dont l’origine remonte à la table ronde politique de
Bruxelles. Cette crise a des répercussions certaines quant au niveau de l’élaboration
même de la nouvelle Constitution et de la mise en place des institutions politiques
que dans la mise en état de nouvelles structures de l’Etat.

1. L’élaboration du texte constitutionnel

Une des missions principales des parlementaires de la première


législature était certainement de mettre en place la Constitution définitive du Congo.

La mise sur pied de la Constitution du 1er août 1964 n’a pu respecter la


procédure prévue par la Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du
Congo. Aux termes desdites dispositions, l’élaboration de la Constitution est l’œuvre
du pouvoir constituant selon une procédure qui prévoit les délibérations de deux
tiers au moins de chacune des chambres législatives et l’approbation, non du peuple
par référendum, mais bien des assemblées provinciales se prononçant aux deux tiers
au moins de leurs membres étant présents216.

En vue de comprendre les irrégularités qui avaient entouré l’élaboration


de ladite Constitution, il va falloir faire un bref rappel historique de la situation qui
prévalait avant la réunion de la commission constitutionnelle (a), avant de faire le
point sur les travaux de cette commission (b) et de décrire la mise en place du texte
(c).
a. Rappel historique

Dans l’esprit du législateur belge, le délai d’élaboration de la


Constitution définitive devait correspondre à la durée de la législature estimée entre

215
Cette procédure est ainsi prévue aux articles 104, 98 et 70 de la Constitution de la transition du 04 avril 2003,
JO, 44ème année, Kinshasa, numéro spécial, 5 avril 2003, pp. 26, 24 et 19.
216
Il faut noter que cette procédure a été modifiée par la loi du 21 septembre 1963 qui abrogeait les articles 99 à
101 et modifiait l’article 98 en donnant compétence d’élaborer la Constitution à la chambre des représentants et
au sénat réunis en assemblée constituante.
70

trois ans au minimum et quatre ans au maximum217. Quelque soit la situation sur le
plan juridique, la nécessité d’élaborer une Constitution se fit sentir, en raison des
tendances centrifuges déclenchées par la sécession, de plus en plus comme un besoin
politique de stabilisation.

La sécession du Katanga et celle du Sud Kasaï avaient détourné


l’attention de l’exécutif vers les structures de l’Etat et du nombre de provinces. Ces
deux préoccupations furent au centre des discussions de diverses tables rondes218.
Lors des entretiens de Léopoldville (avril-juin 1962)219 entre Tshombe et Adoula, c’est
la formule fédérale qui fut retenue et fut actée dans le plan Thant de réconciliation
nationale.

En application de ce plan, quatre experts constitutionnalistes des


Nations Unies élaborèrent un projet de constitution fédérale qui fut déposé par le
gouvernement Adoula sur le bureau du parlement en novembre 1962. Les travaux
de différentes commissions furent dominés par la préoccupation de concevoir une
structure qui devait répondre à une double exigence apparemment contradictoire :
accéder aux aspirations autonomistes des provinces et faire réintégrer le Katanga
dans l’orbite du Congo.

La fin de la sécession katangaise en janvier 1963 modifia toutes les


données du problème constitutionnel. Le gouvernement central étant dans
l’impossibilité de faire valoir sur le terrain ses prérogatives théoriques220, les autorités
provinciales auréolées du succès dû au bon fonctionnement relatif de nouvelles
institutions avaient acquis l’autonomie dans toute une série de domaines réservés
théoriquement au pouvoir central. Le relâchement général des liens sociaux et
économiques, l’absence des partis politiques efficaces au niveau national et la
création des ensembles plus ou moins homogènes renforcèrent le pouvoir provincial.
Ces facteurs expliquent largement le renforcement paradoxal du courant en faveur
d’une certaine autonomie régionale.

Paralysés par l’absentéisme et par l’incompétence des membres de la


commission mixte sénat-chambre des représentants chargée d’étudier le projet
constitutionnel, les travaux du projet gouvernemental furent freinés par l’opposition
entre unitaristes et fédéralistes.

En vue de débloquer la situation, le président de la République


convoqua221 les chambres pour le 30 août 1963 en session extraordinaire de cent jours
pour se constituer en assemblée constituante. Mais divers problèmes de procédure
217
Sauf en cas de dissolution, l’article 130 de la Loi fondamentale décide que « la première législature ne peut
être inférieure à trois ans, ni supérieure à quatre ».
218
C’est le cas des tables rondes de Léopoldville (25 janvier 1961), de Tananarive (8-12 mars 1961), de
Coquilhatville (23 avril – 28 mai 1961)
219
Le tout est parti du conclave de réconciliation de Lovanium encouragé par les Nations Unies, dont le conseil
de sécurité avait pris une résolution dans ce sens le 21 février 1961.
220
Sur les tentatives en vue de la réintégration du Katanga, voy. « La tentative de réintégration du Katanga dans
la République du Congo », Courrier africain du CRISP, 14 septembre 1962, 27 p.
221
Cette convocation est faite par ordonnance n° 184 du 26 août 1963, MC, n° 16, p. 704.
71

vinrent ralentir le démarrage de la session. Le climat de tension entre le


gouvernement et le parlement décida le chef de l’Etat à clôturer prématurément la
session extraordinaire, à dissoudre les chambres, à instituer une commission222
chargée de l’élaboration d’un projet de Constitution à soumettre au référendum et à
doter l’exécutif du pouvoir de légiférer par ordonnance-loi jusqu’à la promulgation
de la Constitution223.

b. Travaux de la commission constitutionnelle

La composition de la commission constitutionnelle prévue par


l’ordonnance n° 298 du 27 novembre 1963 (127 membres dont 84 représentaient les
provinces)224 contrevenait à la loi du 21 septembre 1963 qui excluait les provinces de
toute participation à l’élaboration de la Constitution. La grande majorité des
membres de la commission estimaient que le bureau de la commission méritait d’être
élu par l’assemblée plutôt que d’être imposé par le gouvernement.

Ce rappel historique montre combien la commission, réunie à


Luluabourg du 10 janvier au 11 avril 1964, bénéficiait d’une ample maturation des
données du problème constitutionnel congolais. Toutefois, les faiblesses des bases
juridiques des assises de la commission devait affecter le caractère qu’on allait
conférer à ces travaux. Les inconstitutionnalités qui avaient entaché autant la création
que la composition de la commission constitutionnelle devaient sans doute affecter la
valeur des travaux qui allaient en résulter225.

Même plus, un conflit avait même éclaté entre le gouvernement et la


commission quant à l’interprétation de l’article 13 de l’ordonnance n° 298 du 27
septembre 1963 qui donnait droit du dernier mot au gouvernement en cas de
divergence irréductible d’opinions. C’est donc avec raison que les délégués de la
commission s’inquiétaient du sort que le gouvernement allait réserver à leur travail si
ce dernier ne rencontrait pas sa faveur. Heureusement, à l’ouverture des travaux, le
chef de l’Etat apaisa les esprits en qualifiant les membres de la commission comme
étant mandatés par le peuple tout entier. La question de savoir si le gouvernement
pouvait avoir le droit de remettre en question le fruit du travail élaboré par une
commission représentative de l’opinion congolaise prenait ainsi tout son sens.

222
Par l’ordonnance n° 226 du 29 septembre 1963, MC, n° 17, p. 842, le chef de l’Etat dissout les chambres et
transfert la compétence d’élaborer le projet de Constitution à une commission constitutionnelle.
223
Une deuxième ordonnance n° 227 de la même date, MC, n° 17, p. 849 transfert le pouvoir législatif à
l’exécutif.
224
Outre son président, Iléo et son secrétaire, Lihau, la commission était composée des représentants du
gouvernement central, de chaque gouvernement et de chaque assemblée provinciaux, de chaque syndicat
reconnu, de chaque association des employeurs reconnue, des coopératives, du conseil national de la jeunesse, de
la presse, des organisations estudiantines, de l’église catholique, de l’église protestante et de l’église
kimbanguiste.
225
Sur les controverses sur la valeur à accorder aux travaux de la commission constitutionnelle de Luluabourg,
voy. DJELO EMPENGE OSAKO, Contribution à l’étude des tendances fédéralistes et unitaristes dans
l’évolution politique et constitutionnelle du Zaïre, op. cit., pp. 292-298.
72

Ces inquiétaient étaient d’autant plus justifiées que la presse considérait


la création de cette commission comme un moyen pour le gouvernement de
détourner l’attention de l’opinion publique sur la crise du régime politique. Si
l’attitude paradoxale de la presse l’amena à reconnaître le bien-fondé des prétentions
juridiques du gouvernement sur son droit d’amendement, elle comprit néanmoins et
approuvé le point de vue de la commission226.

En soi, le problème juridique ainsi posé ne peut que rendre


partiellement compte de l’ampleur du problème qui ne peut être saisi qu’en le situant
dans une perspective d’opportunité politique. C’est à niveau que semble l’avoir situé
le gouvernement qui, n’ayant pu faire admettre son droit d’amendement, finit par
prendre un engagement de ne rien toucher du travail de la commission.

c. Mise en place du texte constitutionnel

Une fois, le projet de la commission constitutionnelle déposé devant au


gouvernement, il restait à le soumettre à la censure du peuple pour son approbation
comme texte constitutionnel conformément à la volonté du chef de l’Etat exprimé
dans son ordonnance n° 226 du 29 septembre 1964.

Le principe même de l’adoption du projet de Constitution par voie de


référendum n’était fondé sur aucune disposition de la Loi fondamentale qu’il violait.
Il faut noter que ce n’est pas tant la valeur du procédé qui est en cause, mais plutôt le
fait qu’il ne faisait pas partie des institutions nationales, lesquelles prévoyaient
l’adoption de la Constitution comme devant résultant d’un acte du pouvoir
constituant.

Il est vrai que le recours au référendum constitutionnel du 25 juin au 10


juillet 1964 présentait un avantage certain par rapport à la procédure de la Loi
fondamentale. En effet, le vote affirmatif du peuple au texte proposé, l’adhésion au
projet de la nouvelle société démocratique ne peut être plus expresse. Adopté comme
démontré ci-haut, la nouvelle Constitution définitive du Congo fut promulguée par
le chef de l’Etat le 1er août 1964.

Le droit étant non seulement le fond, mais surtout la forme, ce vice est
bien sûr critiquable. Mais le recours au référendum constitutionnel pouvait remédier
au vice dans la mesure où l’intervention du titulaire de la souveraineté dans le
processus peut être considérée comme un mécanisme correcteur. Mais il reste à se
poser la question de savoir si, en raison du niveau de culture sociopolitique de
l’époque, tous les votants avaient pu apprécier dans toute sa dimension la portée du
choix opéré. C’est là une autre question, dont l’actualité demeure vivante à ce jour au
regard de l’organisation du processus lui-même qui se réduit à répondre par oui ou
par non l’acceptation ou le rejet du texte proposé.

226
Sur ces opinions de la presse, voy. Le courrier d’Afrique, 14, 17, 18 et 20 avril 1964 ; Présence congolaise,
18 avril 1964 et Voix du Katanga, 18 avril 1964.
73

2. Les vestiges politiques de la Loi fondamentale du 19 mai 1960

L’ancienne colonie belge héritait ainsi d’un système juridique voisin de


celui de son ancienne métropole, tel que le confirme Scheyven :
« Nous avons présenté au Congo un système politique voisin du nôtre, puisqu’ils ont des
bases communes. Il y a des assemblées provinciales, un système bicaméral au niveau
national, un chef d’État irresponsable, un chef de gouvernement responsable…» 227.

La pratique des institutions mises en place par le parlement belge ne


consacra pas la concordance nécessaire entre les impératifs du droit constitutionnel et
la réalité politique. L’effort d’adaptation des dirigeants pour contourner le texte
constitutionnel, devenu obstacle à l’accroissement de l’équation personnelle grâce à
la concentration des pouvoirs que semblaient recommander les traditions, les amena
à commettre de fréquentes entorses à l’esprit et même à la lettre de la Loi
fondamentale. Dans cette perspective, face au régime parlementaire qui lui
recommandait de s’effacer, le président Kasavubu affichera l’attitude d’un chef de
l’État « actif » et même, en réinterprétant la Constitution selon son propre modèle de
gouvernement, il apparaîtra comme un véritable chef de gouvernement. Cette réalité
du pouvoir sera consacrée par le constituant de Luluabourg qui, semblant entériner
les fréquentes violations de la Loi fondamentale par le chef de l’Etat,
constitutionnalise un rôle plus actif du président de la République dans les nouvelles
institutions.

Bien que le constituant de 1964 tente d’éviter les pesanteurs qui auront
empêché la Loi fondamentale de régir normalement les institutions, il soumet
l’entrée en fonction du gouvernement à l’approbation du parlement réuni en congrès
national comme si l’ancien système dans lequel le gouvernement répondait de sa
responsabilité devant le parlement subsistait encore. Les vestiges du
parlementarisme de 1960, qui permettent au parlement d’intervenir dans l’investiture
du gouvernement nommé librement par le chef de l’État, ne compensent
malheureusement pas la dangereuse immixtion de l’exécutif dans le travail de
législation. Celle-ci facilite, par contre, la dépendance du parlement au chef de l’État,
qui demeure seul maître à bord.

La tendance à la personnalisation complète de tous les pouvoirs d’État


qui avait prévalu la veille de l’élaboration de la nouvelle Constitution semblait avoir
la peau dure au point de résister aux dispositions constitutionnelles de limitation les
plus ardues. Le chef de l’État n’exerçait-il pas déjà des prérogatives législatives que
ne lui reconnaissait pas la Loi fondamentale ? Le constituant de Luluabourg ne vient-
il pas briser cette stricte « compartimentalisation » des pouvoirs d’État entre les
organes en reconnaissant à nouveau quelques prérogatives législatives à l’exécutif ?

227
C’est le résumé qu’en fait Raymond SCHEYVEN, ministre chargé des affaires économiques du Congo dans
son discours prononcé le mercredi 27 avril 1960 à la Conférence financière, économique et sociale, cité par
BOMANDEKE BONYEKA, Le parlement congolais sous le régime de la Loi fondamentale, op. cit., p. 359.
74

Outre des procédés de collaboration organique passagère, une


collaboration fonctionnelle permanente réside non seulement dans l’initiative
concurrente des lois et des révisions constitutionnelles, dans la promulgation par le
chef de l’État des lois votées par le parlement et la participation des ministres aux
travaux parlementaires, mais aussi par l’exercice délégué ou exceptionnel du
pouvoir législatif par le chef de l’exécutif.

Le pouvoir législatif est certes exercé par la chambre des députés et le


sénat, mais l’exécutif intervient dans le travail de législation autant par l’initiative des
lois et la participation des ministres aux travaux parlementaires que par la
promulgation de ces lois par le chef de l’État228. Le pouvoir législatif peut être
cependant exercé par le chef de l’État sur délégation des chambres229 ou d’office dans
certains cas230.

Dans sa lettre et dans son esprit, la Constitution du 1 er août 1964


consacre certes la séparation des principaux pouvoirs de l’État. Au sein de tout
pouvoir, elle attribue des compétences précises à chacun des organes. Dans le
fonctionnement des institutions, le chef de l’Etat n’a pas oublié les mauvaises manies
du système précédent dans lequel tous les pouvoirs de l’Etat lui appartenaient.

C’est pourtant éviter à l’avenir pareille situation que le nouveau texte


constitutionnel choisit de s’éloigner de la nature du régime de la Loi fondamentale.
Cependant, sans projet précis de société, dont la Constitution aurait dû être la mise
en œuvre, le régime instauré en 1964 était lui aussi incapable d’imprimer au pays une
orientation tendant, grâce aux mécanismes d’équilibre, de dosage entre groupes et
régions, entre forces politiques et groupes tribaux et claniques, à contribuer à une
stabilité politique nécessaire pour bâtir l’inclusion supra-tribale, gage d’une véritable
stabilité et du progrès général.

Après le coup d’État de novembre 1965, bien que le Haut


commandement de l’armée nationale congolaise ait proclamé la conformité du
fonctionnement des institutions à la Constitution en vigueur, une certaine
concentration du pouvoir tant exécutif que législatif entre les mains du chef de l’Etat
a été constatée.
Le glissement des pouvoirs réels en faveur du président de la
République se fait sentir chaque jour davantage non seulement dans les actes
antérieurs à la transformation de la structure de l’exécutif central, ceux destinés à
disputer le pouvoir législatif au parlement, mais bien sûr aussi à travers
l’ordonnance n° 66-612 du 27 octobre 1966 conférant au président de la République
les pouvoirs du premier ministre231, qui finit par tordre le cou à l’exercice
constitutionnel du pouvoir exécutif.

228
Art. 90, 86 et 60, Constitution du 1er août 1964, MC, op. cit., pp. 23 et 24, 23, 16 et 17.
229
Art. 95, Constitution du 1er août 1964, MC, op. cit., p. 25.
230
Art. 96, Constitution du 1er août 1964, idem.
231
O n° 66-612 du 27 octobre 1966 conférant au président de la République les pouvoirs du premier ministre,
MC, 7ème année, n° 21 du 15 novembre 1966, pp. 846-847.
75

Nous devons donc chercher à mieux comprendre la tournure que prend


le régime régi par la Constitution du 1er août 1964 à travers une lecture attentive des
premiers actes du nouveau chef de l’État autant sur le pouvoir législatif que sur le
pouvoir exécutif.

À partir de ses premiers actes de pouvoir, comme l’ordonnance-loi n°


65-7 du 30 novembre 1965 accordant des pouvoirs spéciaux au président de la
République232, l’ordonnance-loi n° 66-92 du 7 mars 1966 attribuant le pouvoir
législatif au président de la République233 et l’ordonnance-loi n° 66-621 du 21 octobre
1966234 relative aux pouvoirs du président de la République et au parlement, le
nouveau chef de l’Etat s’accapare sans mesure, au détriment du parlement, du
pouvoir législatif.

L’ordonnance-loi n° 65-7 du 30 novembre 1965, bien que se référant à la


proclamation du Haut commandement de l’armée nationale congolaise et à la
Constitution du 1er août 1964, accorde des pouvoirs spéciaux au président de la
République235. Le régime des ordonnances-lois à travers lequel le nouveau chef de
l’État exerce désormais le pouvoir législatif est une marque évidente de la tendance à
la concentration des pouvoirs qui va caractériser le nouveau régime.

Si l’ordonnance-loi n° 65-92 du 30 novembre 1965 laisse subsister un


semblant de contrôle du parlement sur l’exercice par le président de la République
du pouvoir législatif236, l’ordonnance-loi n° 66-92 du 7 mars 1966 attribue carrément
tout le pouvoir législatif au chef de l’État237. Le président de la République devient
ainsi le législateur ordinaire et le parlement n’est plus alors que simplement informé
des mesures législatives édictées par le chef de l’État.

Non seulement l’ordonnance-loi susvisée ne fait nullement référence ni


à la Constitution du 1er août 1964, ni encore à la proclamation du Haut
commandement de l’Armée nationale congolaise, qui semblent maintenant si loin du
théâtre de l’exercice du pouvoir politique, mais aussi sa substance ne semble plus
tirer de fondement que de la volonté propre du seul président de la République.

232
OL n° 65-7 du 30 novembre 1965 accordant des pouvoirs spéciaux au président de la République, MC, 7ème
année, n° 1 du 1er janvier 1966, p. 2.
233
OL n° 66-92 du 7 mars 1966 relative aux pouvoirs du président de la République et du parlement, MC, 7ème
année, n° 7 du 15 avril 1966, p. 158.
234
OL n° 66-621 du 21 octobre 1966 relative aux pouvoirs du président de la République et du parlement, MC,
8ème année, n° 1 du 1er janvier 1967, p. 601.
235
Cette ordonnance-loi confère au président de la République la compétence de prendre, par ordonnance-loi,
des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
236
Non seulement les ordonnances-lois prises sous le régime de l’ordonnance-loi du 30 novembre 1965 devaient
être déposées sur le bureau de l’une des chambres dans les deux mois de leur signature, même si l’on ne sait pas
trop bien pourquoi faire, mais ladite ordonnance-loi ne dépossédait pas le parlement de son pouvoir législatif
ordinaire.
237
Le parlement semble déposséder totalement de son pouvoir législatif même si les ordonnances-lois à prendre
par le chef de l’État dans le cadre de ce nouveau pouvoir devaient être « transmises pour information à la
chambre des députés et au sénat dans les deux mois qui suivent la date de leur signature ».
76

La référence de l’ordonnance-loi n° 66-621 du 21 octobre 1966, restituant


le pouvoir législatif au parlement, à l’article 90 de la Constitution dans son
préambule et aux autres articles de ladite Constitution en son article 2 ne permet
nullement de retourner à la conformité de la Constitution du 1er août 1964. Certes
l’ordonnance-loi sous examen semble se rapprocher des dispositions de ladite
Constitution par la restitution du pouvoir législatif au parlement, le président de la
République ne pouvant l’exercer qu’exceptionnellement en cas d’urgence.

La concentration des pouvoirs semble avoir paru insuffisante au


président de la République. Aussi, fallait-il, en plus de la compétence législative
exercée sans autorisation ni contrôle du parlement, s’adjuger de la plénitude du
pouvoir exécutif que semblait diluer la présence d’un premier ministre.

La Constitution de 1964 avait institué le bicéphalisme de l’exécutif


même si, ayant le dernier mot, le président de la République était le vrai chef du
gouvernement. C’est en sa qualité de chef de l’exécutif que le chef de l’État prit
l’ordonnance n° 66-612 du 27 octobre 1966 conférant au président de la République
les pouvoirs du premier ministre.

C’est donc par un simple acte réglementaire que le chef de l’État


supprima le poste de premier ministre, pourtant prévu par la Constitution. À partir
de ce moment, plus rien ne pouvait empêcher le président de la République
d’exercer les attributions dévolues au premier ministre, notamment la coordination
quotidienne de l’action gouvernementale et des services administratifs, l’autorité
plus directe sur chacun des membres du gouvernement238.

3. La double forme de l’Etat congolais de 1964

Sur la forme de l’Etat congolais, l’héritage du compromis de la Loi


fondamentale entre les fédéralistes et les unitaristes n’a pas cessé de hanter la
Constitution définitive du Congo. Comme pour les travaux des autres commissions
antérieures, la commission constitutionnelle de Luluabourg semble avoir été aussi
préoccupée par le souci de concevoir une structure qui devait répondre à une double
exigence apparemment contradictoire : accéder aux aspirations autonomistes des
provinces et assurer l’unité et l’intégrité du Congo contre les tentations
sécessionnistes. La Constitution du 1er août 1964 semble être la consécration des
forces centrifuges.

Cependant, comme contourner des fantômes d’antan, le constituant de


1964 réserva une solution bien originale à ce problème récurrent : non seulement il
présenta à la censure du peuple deux textes constitutionnels avec une structure
contradictoire, mais surtout il programma l’entrée en vigueur de ces textes aussi
méthodiquement possible.
238
Le président de la République dispose désormais sur chaque membre d’un pouvoir discrétionnaire de
nomination (art. 62, al. 1 et 65, al. 2 de la Constitution de 1964) et de révocation (art. 62, al. 3 de la Constitution
de 1964) ainsi la répartition sans entrave des portefeuilles ministériels (art. 65, al. 3 de la Constitution de 1964),
MC, op. cit., pp. 17 et 18, 17, 18.
77

Le premier texte, promulgué le même jour que le deuxième, avec une


terminologie unitariste de la République Démocratique du Congo, entrait en vigueur
au jour de sa promulgation. L’entrée en vigueur du deuxième texte, avec une
terminologie fédéraliste de la République Fédérale du Congo, vu pour être annexé à
la Constitution du 1er août 1964, est différée, conformément au prescrit de l’article
178 de la Constitution, première version, au début de la troisième législature, soit au
plus tôt dans dix ans.

B. La Constitution du 24 juin 1967

La procédure de la naissance de la Constitution du 24 juin 1967 ne


résulta pas non plus de l’application du texte fondamental antérieur. En effet, la
Constitution du 1er août 1964 prévoyait une procédure de modification de la norme
fondamentale très complexe239. La proclamation du Haut commandement de
l’Armée nationale en disposa autrement. En prétendant s’appuyer sur l’intérêt
supérieur du peuple et de la nation, la hiérarchie de l’Armée nationale congolaise
dérogea curieusement240 à la procédure constitutionnelle en procédant
progressivement à la liquidation des institutions démocratiques241.

Comme en 1964, le référendum constitutionnel auquel recourut le


pouvoir militaire du 4 au 24 juin 1967, lui permit d’utiliser le peuple comme simple
sapeur pompier aux fins de normaliser les situations extraconstitutionnelles
produites par le fait accompli242.

Dans sa version initiale, la Constitution du 24 juin 1967 consacre la


séparation des pouvoirs243 et le bipartisme244, mais à travers ses multiples révisions
apparaît non seulement la confusion des pouvoirs, mais aussi le monolithisme
politique et institutionnel245.

Plus lâche que les textes antérieurs, la Constitution du 24 juin 1967


organise un système de révision sans dispositions intangibles. Tout ou partie de la
Constitution pouvait être modifiée en dehors de tout référendum, dont la

239
L’initiative de révision, la procédure d’adoption, soumise à une stricte condition de majorité, et celle
d’approbation sont prescrites par les dispositions des articles 175 à 177 de la Constitution du 1 er août 1964, MC,
op. cit., pp. 44-45.
240
Selon la proclamation des autorités militaires, les institutions démocratiques de la République, telles qu’elles
étaient prévues par la constitution du 1er août 1964, étaient maintenues.
241
De novembre 1965 à octobre 1966, le nouveau chef de l’Etat avait finit par acquérir le pouvoir législatif
ordinaire.
242
En ce sens, voy. VUDISA MUGUMBUSHI, J.-N., « Changement de constitutions et déconstitutionnalisation
des droits et libertés politiques en République Démocratique du Congo », Rev. de Dr. Afric., n° 3, juillet 1997, p.
43.
243
Art. 56 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p. 574.
244
L’article 4 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p. dispose : « Les partis politiques concourent à
l’expression du suffrage. Il ne peut être créé plus de deux partis politiques dans la République. Les partis
politiques s’organisent et exercent leurs activités librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté
nationale, de la démocratie et des lois de la République ».
245
Déjà l’une des premières révisions, la loi n° 70-001 du 23 décembre 1970, MC, n° 1 du 1er janvier 1971,
institue le Mouvement populaire de la révolution comme parti unique et l’érige en une des principales
institutions de la République.
78

convocation relevait de la volonté discrétionnaire du président de la République 246.


Pareille ouverture a eu comme conséquence la liquidation progressive certes, mais
totale des mécanismes de limitation de pouvoir mis en place par la Constitution de
1967 et la confusion de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul individu.

Les principales modifications aux multiples textes constitutionnels, qui


suivirent les désirs des dirigeants politiques de renforcer leurs pouvoirs n’ont cessé
de rivaliser d’ardeur dans l’imposition aux gouvernés de la volonté des gouvernants.

C’est ainsi que les profondes modifications qui suivirent les


perpétuelles tendances à la personnalisation à outrance du pouvoir étatique vont
transformer le constituant congolais en une machine inusable de production sans
pareil au monde des Constitutions, les unes plus éloignées que les autres des textes
de base au point de n’avoir plus en commun que la seule référence à la date du 24
juin 1967247.

Si, au niveau des options politiques, le nouveau constituant ne s’éloigne


pas trop de l’esprit de la Constitution de 1964, il s’en démarque pourtant
suffisamment des fantômes des confrontations fédéralistes et unitaristes : la
Constitution du 24 juin 1967 se prononce sans tergiverser pour la forme unitaire de
l’Etat. Centralisé au départ, elle n’adoptera la forme décentralisée que par pur
style248.
C. La Constitution du 18 février 2006

Parmi les principaux objectifs poursuivis par la transition régie par la


Constitution du 4 avril 2003, il y avait non seulement l’organisation d’élections libres
et transparentes à tous les niveaux permettant la mise en place d’un régime
constitutionnel démocratique, mais aussi la mise en place des structures devant
aboutir à un nouvel ordre politique249.

246
Aux termes de l’article 28 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p. 568. « Le président de la
République peut, après en « avoir informé l’Assemblée nationale par un message et après avoir pris avis du
bureau de celle-ci, soumettre « au référendum tout texte qui lui paraît devoir exiger la consultation directe du
peuple.
« Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet, el président de la République le promulgue dans les
« délais prévus à l’article 51.
« La loi ainsi adoptée ne pourra au cours de la législature durant laquelle le référendum a été organisé, être
modifiée que moyennant accord du président de la République ».
247
Avec l’OL n° 70-025 du 17 avril 1970, les Loi n° 70-001 du 23 décembre 1970, Loi n° 71-006 du 29
octobre 1971, Loi n° 71-007 du 19 novembre 1971, Loi n° 71-008 du 31 décembre 1971, Loi n° 72-003 du 5
janvier 1972, Loi n° 72-008 du 3 juillet 1972, Loi n° 73-014 du 5 janvier 1973, Loi n° 74-020 du 15 août 1974,
Loi n° 78-010 du 15 février 1978, Loi n° 80-007 du 19 février 1980, Loi n°80-012 du 5 novembre 1980, Loi n°
82-004 du 31 décembre 1982, Loi n° 88-004 du 27 janvier 1988, Loi n°88-009 du 27 juin 1988, Loi n° 90-002
du 5 juillet 1990 et Loi n° 90-008 du 25 novembre 1990, dont les sources sont déjà citées dans l’introduction de
ce travail, p. 10, la Constitution du 24 juin 1967 aura en effet été modifiée et complétée dix-sept fois en vingt-
trois ans. Toutes ces modifications les unes plus importantes que les autres ont en commun d’avoir tenu le peuple
à l’écart tant de leur élaboration que de leur approbation.
248
OL n° 82-006 du 25 février 1982 portant organisation territoriale, politique et administrative de la République
du Zaïre.
249
Ce sont les objectifs de la transition prescrits par l’Accord global et inclusif signé à Pretoria le 17 décembre
2002 et adopté à Sun City le 1er avril 2003, JO, 44ème année, Kinshasa, numéro spécial, 5 avril 2003, p. 52.
79

Source de légitimité pour les institutions politiques congolaises


actuelles, la Constitution du 18 février 2006 apparait comme un texte de compromis
multiples. Cette tendance à faire des compromis est visible non seulement dans le
processus de sa mise en place (1), mais aussi dans son contenu (2) et dans ses
principales options (3).

1. La mise en place du texte constitutionnel250

L’élaboration de la Constitution du 18 février 2006 devait permettre la


tenue des élections libres et transparentes et la mise en place d’un régime
constitutionnel démocratique251. La Constitution de la transition du 4 avril 2003, qui
avait coulé sous forme des normes constitutionnelles les résolutions de l’Accord
global et inclusif, avait chargé le sénat d’élaborer l’avant-projet de Constitution252 et
l’assemblée nationale, d’en adopter le projet à soumettre au référendum253.

L’œuvre constituante amorcée au lendemain de la mise en place des


institutions du compromis trouvé en terre sud africaine par les leaders politiques et
sociaux congolais a constitué un enjeu politique majeur pour les acteurs politiques
nationaux et la communauté internationale. Les intérêts politiques en présence
semblent avoir recommandé aux rédacteurs du texte de négocier constamment avec
les principaux acteurs politiques et de contenter les plus nuisibles d’entre eux254.

Dans cet intervalle, en effet, les acteurs politiques se sont donné à cœur
joie à agiter, s’appuyant sur l’émergence des idées sécessionnistes, la prolifération
des rébellions et des guerres civiles à peine maîtrisées, le spectre de la partition du
pays au lendemain d’un processus constitutionnel mal négocié. Le compromis devait
donc logiquement être pris en compte en vue de maintenir la stabilité politique et
l’équilibre nécessaire entre les forces politiques et sociales en présence.

La communauté internationale, elle-même, qui semblait tenir le bon


bout à cause du financement de la paix et de l’organisation des élections qui
conduiraient à la bonne fin du processus de mise en place d’un nouvel ordre
politique, avait régulièrement suggéré le besoin de compromis entre les espérances
des uns et celles des autres. Elle est même allée jusqu’à s’impliquer, elle-même, dans
la formulation de certaines dispositions constitutionnelles. C’est ainsi que les experts
chargés par elle de suivre la rédaction du projet n’ont pas hésité à insister sur
l’adoption de telle forme de l’Etat, de tel régime politique qui ne porteraient pas de
germe d’exclusion.

250
Sur le processus d’élaboration et d’adoption de la Constitution du 18 février 2006, voy. ESAMBO
KANGASHE, J.-L., La Constitution du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionnalisme. Contraintes
pratiques et perspectives, Louvain-La-Neuve, Academia-Bruylant, 2010, pp. 39-99.
251
C’est parmi les principaux objectifs assignés à la transition par l’Accord global et inclusif sur la transition de
la République Démocratique du Congo.
252
Art. 104, al. 2 de la Constitution du 4 avril 2003, JO, op. cit., p. 26.
253
Art. 98, al.1 de la Constitution du 4 avril 2003, JO, op. cit., p. 24.
254
Aucun acteur politique majeur n’était disposé à offrir au concurrent le pouvoir politique à travers un texte qui
semblait taillé sur mesure. Il fallait donc, à travers ce texte, fondement de l’organisation prochaine des élections,
gérer les ambitions des uns et des autres.
80

Le contexte de l’élaboration de la Constitution du 18 février 2006 aura


été un exemple type d’un texte qui s’est trouvé au centre des compromis non
seulement entre les acteurs congolais eux-mêmes, mais surtout entre ceux-ci et la
communauté internationale, dont les experts ont mis la main à la pâte pour couler en
moule juridique parfois les pensées les plus cachées de leurs maîtres.

Les interventions de la communauté internationale ne se sont pas


limitées aux simples conseils et suggestions, elles sont allées jusqu’à des pressions
exercées sur le constituant congolais et même des injonctions au point de faire
considérer, par certains chercheurs, ladite Constitution comme « un texte octroyé au
Congo par la communauté internationale et ses experts »255.

Bien que le concours de la communauté internationale ait aidé le


processus d’élaboration du texte constitutionnel à aboutir, ses interventions
incessantes fait penser à Jean Louis Esambo256 que le processus constitutionnel
congolais a conduit à une certaine internationalisation de l’exercice du pouvoir
constituant national.

Malgré ces interventions qui servent l’argument à l’extranéité du texte


constitutionnel congolais du 18 février 2006, l’adoption de son projet par le
parlement congolais, même non élu, et surtout son approbation par référendum
populaire du 18 au 19 décembre 2005 semblent avoir apporté à ce texte un grand
correctif qui fait de la Constitution du 18 février 2006 un texte constitutionnel
légitime. Il faut surtout rappeler que dans la finalisation de l’avant projet de
Constitution, le sénat congolais eut même à recourir à des consultations populaires
préliminaires sur les différentes options à être levées par le constituant.

Mais auparavant, le projet du texte constitutionnel adopté à l’assemblée


nationale a déclenché une grande controverse dès son adoption. Ses défenseurs et ses
pourfendeurs se recrutent tant dans les milieux du pouvoir en place, de la
communauté internationale que des intellectuels proches de l’opposition politique.

Pour les uns, avec Joseph Kabila en tête, l’adoption de ce texte


constituait « une étape décisive dans le processus de la transition conduisant à
l’organisation des élections libres, démocratiques et indépendantes »257. La
satisfaction du chef de l’Etat est partagée par la communauté internationale, qui juge
le texte « équilibré, ouvrant au Congo et aux Congolais des nouvelles
perspectives »258.

255
Voy. BASUE BABU KAZADI, G., “Relecture de certaines conditions d’existence de l’Etat », in BULA-
BULA SAYEMAN (dir.), Pour l’épanouissement de la pensée juridique congolaise, Liber Amicorum Marcel
Antoine LIHAU, Kinshasa, PUK et Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 113.
256
ESAMBO KANGASHE, J.-L., La Constitution du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionnalisme.
Contraintes pratiques et perspectives, op. cit., p. 83.
257
C’est ce que Joseph Kabila soutient dans son message à la nation transmis par son discours devant les deux
chambres du parlement réuni en congrès le 16 mai 2006, dont l’extrait est publié dans Congo-Afrique, n° 397,
Kinshasa, septembre 2005, p. 2.
258
Commentaire repris par ESAMBO KANGASHE, J.-L., La Constitution du 18 février 2006 à l’épreuve du
constitutionnalisme. Contraintes pratiques et perspectives, op. cit., p. 70.
81

D’autres voix se sont élevées pour dénoncer la manière dont le texte a


été rédigé et adopté. Alors que Mukadi Bonyi y voit une copie à refaire259, Auguste
Mampuya trouve qu’il faut réécrire le texte tant il contient d’innombrables
imperfections et incohérences260. « Essentiellement tourné vers l’extérieur pour
assouvir les appétits gloutons des Occidentaux aux dépens des intérêts vitaux des
Congolais et des patriotes nationalistes », Victor Mboyo Empenge qualifie ce texte
« d’extériste »261. Jacques Djoli Eseng’ekeli lui reproche de manquer d’identité262.
Les divergences constatées tant au niveau de l’avant-projet qu’à celui
du projet de Constitution aussi bien dans les conditions d’éligibilité à la présidence
de la République et celles d’érection d’une entité en province que dans la promotion
et la protection des droits de la femme, la forme de l’Etat et le régime politique ont
nécessité un consensus constitutionnel sans lequel la Constitution n’aurait pu être ce
fondement des institutions politiques du pays.

2. Le contenu de la Constitution du 18 février 2006

Le consensus constitutionnel se retrouve dans le contenu-même de la


Constitution du 18 février 2006 tant au niveau des rapports institutionnels établis
qu’à celui des questions dites sensibles (a), de la séparation des pouvoirs (b), de la
promotion et de la protection des droits fondamentaux (c) et de la protection de la
démocratie (d).

a. Des questions sensibles

Au moment de la rédaction du texte constitutionnel, les auteurs doivent


garder à l’esprit les aspirations, les préoccupations exprimées ou non, des habitudes,
des usages, des expériences vécues par les destinataires du texte constitutionnel. Le
constituant doit s’efforcer de tirer les éléments positifs de l’héritage constitutionnel
du pays et garder l’œil rivé sur l’avenir en vue de baliser, par des dispositions
pertinentes, la voie vers un nouvel ordre politique de stabilité et de prospérité.
La rédaction du texte constitutionnel de 2006 s’est certainement inspiré
de l’héritage immédiat de l’Accord global et inclusif pour garantir la paix et la
stabilité indispensables à l’organisation des élections apaisées. Le texte s’est inscrit
dans une démarche tendant à assurer un certain équilibre entre les forces politiques
en présence dans ce que Jean Louis Esambo appelle une sorte de « mathématisation
constitutionnelle »263 des exigences politiques des uns et des autres.

259
MUKADI BONYI, Projet de Constitution de la République Démocratique du Congo. Plaidoyer pour une
relecture, Kinshasa, CRDS, 2005, pp. 7-35.
260
MAMPUYA KAN’UNKA TSHIABU, A., Espoirs et déception de la quête constitutionnelle congolaise. Clés
pour comprendre le processus constitutionnel du Congo-Kinshasa, Nancy-Kinshasa, AMA-BNC, 2005, pp. 99-
112.
261
Voy. Lettre ouverte adressée le 15 décembre 2005 à la nation congolaise et à la communauté internationale,
notamment à partir de laq page 152, citée par ESAMBO KANGASHE, J.-L., La Constitution du 18 février 2006
à l’épreuve du constitutionnalisme. Contraintes pratiques et perspectives, op. cit., p. 71.
262
DJOLI ESENG’EKELI, J., « Problématique de l’identité du projet constitutionnel », Congo-Afrique, n° 397,
op. cit., pp. 23-26.
263
ESAMBO KANGASHE, J.-L., La Constitution du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionnalisme.
Contraintes pratiques et perspectives, op. cit., p. 89.
82

En vue de régler certaines questions de taille visiblement liées à la


survie politique de certains acteurs politiques, le constituant a pu prendre certaines
dispositions par consensus pour démontrer le caractère consensuel, inclusif et non
conflictuel de la transition : c’est le cas des conditions d’éligibilité à la présidence de
la République, qui rabaissent l’âge du candidat président de la République et mettent
la sourdine sur le niveau d’études et l’expérience professionnelle dudit candidat.

Il en est de même de la nationalité congolaise d’origine, dont le débat


est toujours très sensible en raison de la charge émotive qui l’accompagne, qui s’est
ouverte à « toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et
le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo à l’indépendance »264.

D’autres préoccupations, comme la forme de l’Etat et le régime


politique ont fait l’objet des débats houleux. S’agissant de la forme de l’Etat, les
tendances unitaristes et les tendances fédéralistes n’ont pas manqué de s’opposer à
nouveau. Aux uns et aux autres, le constituant semble avoir apporté des solutions à
travers le compromis du silence destiné à donner à chacune l’impression d’avoir été
satisfait. La même attitude de compromis a été avoir prévalu dans la voie médiane
suivie par le constituant de 2006 sur la nature du régime politique.
L’on ne peut passer sous silence la longueur du texte constitutionnel
qui démontre à suffisance que le constituant aura voulu, certainement pour apaiser et
rassurer les uns et les autres, sacrifier la précision et la concision précieuses à un texte
constitutionnel par le recours presqu’abusif à d’abondants détails. En effet, certaines
questions qui relèvent en principe du législateur ordinaire ont été considérées
comme sensibles pour qu’un traitement particulier leur soit réservé.

b. De la séparation des pouvoirs

La séparation des pouvoirs procède de la distinction entre les trois


fonctions traditionnelles de l’Etat (législative, exécutive et juridictionnelle). Elle part
de l’idée que tout homme qui a le pouvoir est toujours porté à en abuser et il faut
que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». La théorie incite à
penser au gouvernement libéral dabs lequel il n’est admis ni toléré aucun abus du
pouvoir ou aucun empiètement d’un pouvoir sur les attributions de l’autre265.
C’est en référence avec le passé constitutionnel que le constituant
congolais devait prendre position. Entre les tenants d’une séparation rigide des
pouvoirs qui redonnerait une puissance suffisante à l’Etat afin de décourager les
apôtres de la partition du pays et ceux d’une collaboration des pouvoirs qui
contribuerait à la mise en place d’une culture de la bonne gouvernance, le constituant
a dû faire des arrangements pour un compromis entre divers éléments provenant de
ces deux tendances. Il s’agissait de mettre en place un régime médian, mixte, qui
assurerait l’équilibre des pouvoirs et ferait l’économie d’un glissement déjà vécu vers
le présidentialisme de la deuxième République ou le parlementarisme non contrôlé
qui avait failli prendre corps en début de la première République.

264
Art. 10, al. 3, de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 13.
265
ROUVILLOIS, F., Droit constitutionnel. Fondements et pratiques, Paris, Flammarion, 2002, p. 167.
83

Un pouvoir exécutif bicéphale, présidé par le chef de l’Etat à côté d’un


premier ministre, chef d’un gouvernement responsable devant l’assemblée nationale,
détient en outre, en commun avec le parlement,, en commun avec le parlement,
l’initiative législative266 et même de révision constitutionnelle267. Le gouvernement,
avoir défini, en concertation avec le président la République, la politique de la nation,
en assume seul la responsabilité et la conduit en tenant compte des domaines de
collaboration avec le chef de l’Etat que sont la défense, la sécurité et les affaires
étrangères268.

Le pouvoir législatif est exercé par un parlement composé de deux


chambres, l’assemblée nationale et le sénat. Le parlement vote les lois et contrôle le
gouvernement, les entreprises publiques ainsi que les établissements et les services
publics269. Le gouvernement répond de sa responsabilité devant lui. A ce sujet,
l’assemblée nationale peut mettre en cause la responsabilité du gouvernement par le
vote d’une motion de censure et chacun de ses membres, par motion de déchéance270.

Le pouvoir judiciaire est naturellement indépendant du pouvoir


exécutif et du pouvoir législatif. La séparation des pouvoirs vise, de nos jours,
l’indépendance du juge. Conscient des réalités congolaises dans lesquels le pouvoir
judiciaire a toujours paru affilié aux autres pouvoirs, le constituant congolais semble
avoir opté pour doter le pays d’un pouvoir judiciaire affranchi des interférences
politiques. Il a même prévu une disposition spéciale chargée d’exorciser le démon de
la domination du pouvoir judiciaire et d’éloigner les autres pouvoirs de leur prise
sur lui.
A l’article 151 de la Constitution, il est prescrit que :
« Le pouvoir exécutif ne peut donner d’injonction au juge dans l’exercice de sa juridiction, ni
statuer sur les différends, ni entraver le cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution d’une
décision de justice.

« La pouvoir législatif ne peut ni statuer sur les différends juridictionnels, ni modifier une
décision de justice, ni s’opposer à son exécution.

« Toute loi dont l’objectif est manifestement de fournir une solution à un procès en cours est
nulle et de nul effet. »

Mais dans la pratique, l’application de ces dispositions pertinentes de la


Constitution a failli être mise en mal par les autres pouvoirs. C’est le cas de la
tentative de contestation subie par l’arrêt RE 007 du 5 mai 2007 de la Cour suprême
de justice, agissant comme Cour constitutionnelle et proclamant les résultats
définitifs des élections législatives du 31 juillet 2006 en République Démocratique du
Congo. Dans la suite, l’assemblée nationale a tenté de donner sa propre
interprétation de la Constitution sur la validation des mandats des députés
nationaux et ainsi faire échec à l’exécution de l’arrêt contesté.

266
Art. 130, al. 1 et 2, de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 46.
267
Art. 218, al. 1, point 1 et 2, de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 74.
268
Art. 91, al. 1 et 2 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 32.
269
Art. 100, al. 1 et 2 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 35.
270
Art. 146 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 50.
84

Dans son arrêt R. const. 050/TSR du 23 mai 2007, la Cour suprême de


justice siégeant, comme Cour constitutionnelle, en matière d’interprétation de la
Constitution a décidé que :

« La validation des pouvoirs confiés au parlement par la Constitution concerne la vérification


des faits tels que l’identité des députés nationaux ou des sénateurs proclamés provisoirement
élus. Elle ne vise pas les mandats des personnes dont la régularité de l’élection a été constatée
par les instances judiciaires dont les décisions s’imposent à tous. »

Malgré cette décision juridictionnelle, l’assemblée nationale décida de


débattre le rapport de la commission spéciale qu’elle avait créée à cet effet accusant
les magistrats de violet intentionnellement la Constitution. Craignant que
l’indépendance effective de la magistrature ne conduise à l’instauration d’un
gouvernement des juges, les députés nationaux qui se sont érigés eux-mêmes en une
sorte de « juridiction d’exception » non prévue par la Constitution, prirent la
résolution inconstitutionnelle de constituer une commission interinstitutionnelle271
chargée notamment de procéder à la réforme, en profondeur, du système judiciaire
congolais et la révocation de quelques magistrats de la Cour suprême de justice
impliqués dans la corruption.

Devant un tel déploiement des forces, les dispositions destinées à


assurer l’indépendance du juge sont aussitôt confrontées à la loi du plus fort et
semblent consacrer l’impunité des gouvernants, qui se serviraient de n’importe quel
prétexte pour remettre en cause l’indépendance consacrée du pouvoir judiciaire.

En outre les rapports institutionnels horizontaux sont organisés de telle


sorte que la prépondérance du chef de l’Etat apparait tout de suite dans ses rapports
non seulement au sein du pouvoir exécutif, mais aussi vis-à-vis du pouvoir législatif
dons le fonctionnement duquel, surtout en période de coïncidence de majorités, sa
touche transparait en tout moment. De même avec la dernière révision
constitutionnelle des articles 197272 et 198273 de la Constitution du 18 février 2006, les

271
Composée du président de la République, du premier ministre, du président de l’assemblée nationale, du
président du sénat, du ministre de la justice, du premier président de la cour suprême de justice, du procureur
général de la République, du premier président de la haute cour militaire et de l’auditeur général des forces
armées de la République Démocratique du Congo.
272
Dans son alinéa 7, l’article 197 de la Constitution telle que modifiée par la loi n° 11/022 du 20 janvier 2011
portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo, JO, 52ème
année, n° 3 du 1er février 2011, p.5, prévoit que « lorsqu’une crise politique grave et persistante menace
d’interrompre le fonctionnement régulier des institutions provinciales, le président de la République peut, par
une ordonnance délibérée en conseil des ministres et après concertation avec les bureaux de l’assemblée
nationale et du sénat, dissoudre l’assemblée provinciale. Dans ce cas, la commission électorale nationale
indépendante organise les élections provinciales dans un délai de soixante jours à compter de la dissolution ».
273
L’alinéa 10 du nouvel article 198 de la Constitution telle que modifiée par la loi n° 11/022 du 20 janvier 2011
portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo, JO, op. cit., p.
6, dispose que « lorsqu’une crise politique grave et persistante menace d’interrompre le fonctionnement régulier
des institutions provinciales, le président de la République peut, par une ordonnance délibérée en conseil des
ministres et après concertation avec les bureaux de l’assemblée nationale et du sénat, relever de ses fonctions de
gouverneur d’une province. Dans ce cas, la commission électorale nationale indépendante organise l’élection du
nouveau gouverneur dans un délai de trente jours ».
85

rapports verticaux soumettent davantage les animateurs des institutions politiques


provinciales à la volonté politique du chef de l’Etat et du gouvernement central.

Le bien fondé de la révision de ces dispositions constitutionnelles réside


certes dans la volonté du constituant congolais de tempérer les ardeurs belliqueuses
des animateurs des institutions politiques provinciales, dont l’agitation permanente
jette le discrédit sur la régionalisation constitutionnelle des provinces et rend celles-ci
ingouvernables. Sous cet objectif apparent qui se canche derrière l’arbitraire qui
pourrait guider la définition de l’expression « une crise grave et persistance » qui
peut constituer un prétexte tout trouvé par le chef de l’Etat pour dissoudre une
assemblée provinciale non majoritairement acquise à sa cause ou révoquer un
gouverneur qui lui est hostile. Au-delà de cette crainte de l’arbitraire, il faut
remarquer qu’en cas « d’une crise grave et persistante », l’organisation des élections
provinciales étant logistiquement plus coûteuses, le gouvernement central puisse être
tenté de sacrifier le gouverneur de province, maillon faible sur l’autel d’une
éventuelle crise institutionnelle provinciale.

c. De la promotion et de la protection des droits fondamentaux

Parmi les spécialités les plus visibles, la richesse et la variété des droits
fondamentaux de l’homme sont à l’avantage de la Constitution du 18 février 2006.
D’après Marcel Wetsh’okonda Senga Koso, la Constitution congolaise du 18 février
2006 contient une gamme importante d’outils de promotion et de protection des
droits de l’homme274.

Cette richesse des droits pris en compte par le constituant de 2006 peut
être recherchée et finalement découverte non seulement dans une énumération
presqu’exhaustive des droits civils et politiques275 dits de la première génération, des
droits économiques, sociaux et culturels276 dits de la deuxième génération et des
droits collectifs277 dits de la troisième génération, mais aussi dans l’apparition des
droits nouveaux. Ces droits sont nouveaux par rapport non seulement à l’histoire
constitutionnelle de la République Démocratique du Congo, mais aussi des
instruments traditionnels relatifs à la protection des droits de l’homme.

Parmi les droits nouveaux, il y a lieu d’épingler la parité homme-


femme278, l’existence d’une opposition politique279, le droit de manifester
pacifiquement et publiquement en plein air sans aucune autorisation politique ou
administrative280 ou l’assistance d’un défenseur à tous les niveaux de la procédure
pénale, y compris l’enquête policière et l’instruction préjuridictionnelle et devant les

274
WETSH’OKONDA SENGA KOSO, M., Les perspectives des droits de l’homme dans la Constitution
congolaise du 18 février 2006, Kinshasa, CDHC, 2006, p. 68.
275
De l’article 16 à l’article 33 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., pp. 13-19.
276
De l’article 34 à l’article 49 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., pp. 19-23.
277
De l’article 50 à l’article 61 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., pp. 23-25.
278
Art. 14 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., pp. 13-14.
279
Art. 8 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 12.
280
Art. 26 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 17.
86

services de sécurité281, la jouissance d’un droit au logement décent, de l’accès à l’eau


potable ou à l’énergie électrique282 et à la sécurité alimentaire283. Il en est de même de
la protection et la promotion des groupes vulnérables et de toutes les minorités284.

Indépendamment de cette énumération, le constituant ne s’est sans


doute pas douté des conditions de la jouissance effective de ces droits par leurs
bénéficiaires. C’est certainement pourquoi, sur le plan politique, il a fait obligation à
tous les pouvoirs publics et à toute personne de respecter les droits de l’homme et les
libertés fondamentales constitutionnellement consacrés285. Ici, le pouvoir constituant
lui-même ne peut pas envisager une révision constitutionnelle destinée à réduire les
droits et libertés de la personne humaine286. Au niveau juridictionnel, le constituant a
fait du pouvoir judiciaire le garant des libertés individuelles et des droits
fondamentaux du citoyen287.

d. De la protection de la démocratie

La préoccupation du constituant du 18 février 2006 semble avoir été


axée sur la protection de la démocratie. C’est pourquoi bien qu’à défaut d’être
immutables des dispositions constitutionnelles peuvent être révisées pour répondre
aux besoins de leur adaptation aux réalités sans cesse changeantes de la vie en
société. Toutefois, la stabilité de la Constitution étant un gage de sécurité juridique,
sa révision doit être soumise à des conditions très strictes.

La procédure y attachée part de l’initiative de révision par le président


de la République, le gouvernement après délibération au conseil des ministres,
chacune des chambres et une fraction du peuple congolais288 à son approbation
définitive par référendum populaire289 ou néanmoins les deux chambres du
parlement réunies en congrès290 en passant par le vote du bien fondé de l’initiative
par chacune des chambres291.

La protection de la démocratie a amené le constituant congolais à


rendre certaines dispositions, en regard avec des précédents fâcheux de l’héritage
politique et constitutionnel congolais, intangibles. C’est l’œuvre des dispositions de
l’article 220, appelé par certains chercheurs « verrou constitutionnel », qui écarte
toute révision portant sur la forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage
universel, la forme représentative du gouvernement, le nombre et la durée des
mandats du président de la République, l’indépendance du pouvoir judiciaire, le

281
Art. 19, al. 3 et 4 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 16.
282
Art. 48 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 23.
283
Art. 47 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 23.
284
Art. 51 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 23.
285
Art. 60 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p.25.
286
Art. 220, al. 2 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 75.
287
Art. 150, al. 1 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 52.
288
Art. 218, al. 1 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 74.
289
Art. 218, al. 3 de la Constitution du 18 février 2006, JO, idem
290
Art. 218, al. 4 de la Constitution du 18 février 2006, JO, idem.
291
Art. 218, al. 2 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., ibidem
87

pluralisme politique et syndical ainsi que toute révision ayant pour objet ou pour
effet de réduire les droits et libertés de la personne ou de réduire les prérogatives des
provinces et des entités territoriales décentralisées292.

Bien qu’il s’agisse d’une Constitution définitive qui donne naissance à


la troisième République, la Constitution du 18 février 2006 semble poursuivie par les
pesanteurs de la transition dite de Sun City. Si les compromis qui ont jalonné son
élaboration, son adoption par le parlement de transition et son approbation par le
peuple ont constitué un grand atout pour le parachèvement du processus
constitutionnel difficile à mettre en place, le nouvel ordre politique qu’elle était censé
mettre en place manifeste des signes de personnalisation qui résulte d’un texte taillé
sur la mesure des principaux acteurs de la transition.

Sous-section 2 : L’analyse des institutions politiques congolaises

Telles qu’elles résultent es textes constitutionnels, dont nous venons de


décortiquer, les institutions politiques congolaises méritent d’être analysées aussi
bien dans leurs rapports tant horizontaux que verticaux, dans la mise en place de
leurs animateurs que dans leur fonctionnement concret.

La meilleure analyse nous parait être celle qui tiendra compte des
diverses périodes de vagues grasses comme des vaches maigres qui résultent de
l’évolution politique du pays. Parmi ces périodes, l’on retient respectivement celles
qui ont connu la forme républicaine du gouvernement (§1), les autres périodes
charnières auront effleuré tantôt la monarchie (§2), tantôt les longues transitions vers
des régimes démocratiques (§3).

§1. Les institutions républicaines congolaises

Comme pour la presque totalité des Africains, la forme républicaine de


l’Etat doit avoir exercé un véritable attrait sur les Congolais, qui n’hésitèrent point à
nommer leur nouvel Etat « République du Congo ».

Au-delà de l’attirance de la forme républicaine du gouvernement, il se


pose plus au Congo que dans les pays de vieille tradition démocratique un sérieux
problème de détermination du dies a quo et du dies ad quem de la numérotation des
républiques dans l’histoire des Etats. La réponse à la question de savoir si la
numérotation des républiques doit suivre le changement des dirigeants à la tête de
l’Etat, les révisions constitutionnelles, l’établissement de nouvelles Constitutions ou
le changement des fondements philosophiques des régimes demeure fortement
controversée et le débat y relatif, loin d’être clos.

292
Art. 220, al. 1 et 2 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p.74.
88

Il nous semble que pareille numérotation soit plus liée à un système


politique tel qu’il ressort du soubassement philosophique du système et de
l’aménagement des structures des pouvoirs mis en place par un texte constitutionnel
qu’à la succession des dirigeants politiques à la tête de l’Etat.
S’agissant des textes de référence, il va sans dire qu’il est plus utile de
considérer des textes constitutionnels définitifs, qui en appellent à l’intervention du
peuple, véritable détenteur du pouvoir constituant originaire, à l’exclusion des textes
provisoires et des révisions constitutionnelles. Le caractère conjoncturel des premiers
les prédispose à préparer l’avènement d’un texte novateur, porteur d’un nouveau
système politique et ne peut donc pas leur permettre d’être pris en compte pour
instituer une nouvelle république. Les modifications constitutionnelles, qui seraient
tellement majeures qu’elles seraient destinées à insuffler un fondement
philosophique et une structure des pouvoirs totalement différents des précédents,
constitueraient une fraude à la constitution, insusceptible de fonder une république.

Indépendamment de la dénomination du pays293, le discours politique


congolais subdivise, à ce jour, l’histoire du pays en trois républiques dont la
répartition des dates de naissance et de décès ne mette nullement d’accord les
chercheurs en la matière, comme nous tenterons de le démontrer.

A. Les institutions de la première République

De l’avis général, la première République semble avoir effectivement


commencé le 30 juin 1960, date de l’indépendance de l’ancienne colonie belge. Cette
date marque également la naissance effective de l’Etat congolais dans sa
configuration actuelle. Elle est aussi le départ des institutions du nouvel Etat et de
l’entrée en fonction de leurs animateurs.

A la grande majorité des chercheurs qui situent le début de la première


République au 30 juin 1960, il est opposé une triple objection liée tant au caractère
provisoire et au silence du texte quant à ladite dénomination qu’à la date du texte
fondamental qui en constitue le soubassement.

D’abord, la Loi fondamentale relative aux structures du Congo, adoptée


par les Chambres parlementaires belges la veille et promulguée le 19 mai 1960 par le
roi des Belges, fut une Constitution provisoire en attendant la mise en place d’une
Constitution définitive par les Congolais eux-mêmes294.

293
Depuis l’indépendance, la dénomination du Congo est demeurée celle d’une République du Congo, d’une
République démocratique du Congo ou d’une République du Zaïre sans que l’attribution de ce vocable ne soit
effectivement justifié.
294
La lecture combinée des articles 67, 71 et 76 de la Loi fondamentale, MC, op. cit., p. 6, donne à penser la
première législature des Chambres parlementaires congolaises avait comme tâche essentielle la mise en place
d’une Constitution définitive. C’est d’ailleurs leur carence à cette obligation qui fonda leur dissolution par
Joseph Kasavubu.
89

Contrairement à d’autres textes provisoires qui jonchent l’histoire


tumultueuse du Congo, la Loi fondamentale du 19 mai 1960 aura eu l’avantage de
mettre en place les structures provisoirement définitives de l’Etat avec une
répartition des postes de responsabilité fondée sur l’élection comme mode
d’attribution de mandats politiques.
Ensuite, bien que le discours politique utilise comme première
dénomination du pays « République du Congo » et « président de la République »
pour le chef de l’Etat, la Loi fondamentale, qui institue le nouvel Etat, se contente de
« l’Etat du Congo » et « chef de l’Etat » comme vocables y relatifs. L’utilisation
abusive ultérieure à travers des actes législatifs et réglementaires par le législateur
congolais des expressions non prises en compte par le constituant était en violation
flagrante de l’orthodoxie constitutionnelle295.

En réalité, il ne suffit pas que le constituant proclame qu’une


république est née pour qu’elle le soit. L’observation de l’histoire politique et
constitutionnelle du Congo démontre le contraire de plusieurs proclamations des
républiques qui ne le furent pas, ni dans leur organisation, ni dans leur
fonctionnement296.

Enfin, s’il faut considérer que la date à prendre en compte pour la


naissance de la république soit celle de la Constitution qui en donne naissance, le 19
mai 1960 n’égale pas le 30 juin 1960.

Cependant la date de l’indépendance étant considérée comme celle de


la naissance juridico-politique de l’Etat congolais et la colonie belge du Congo ayant
continué à être régie par la loi du 18 octobre 1908 dite « charte coloniale » jusqu’à
cette date297, la date du 30 juin 1960 est naturellement celle de l’entrée en vigueur de
ladite loi.
Il y a donc lieu de considérer la date d’entrée en vigueur de ce texte
spécial comme ayant introduit la première République que viendra confirmer la
Constitution du 1er août 1964, texte définitif approuvé par le peuple souverain par
referendum organisé du 25 juin au 10 juillet 1964. Bien entendu, sur le plan formel,
nous nous devons de considérer que la naissance juridique de la première
République doit être fixée au 1er août 1964, date du texte constitutionnel qui fait
office de Constitution définitive de cette époque.
Quant à la fin de la première République, contrairement à la thèse de
certains chercheurs qui la fixent à la date controversée298 du coup d’Etat de l’Armée
295
Dans le même sens, VUNDUAWE TE PEMAKO, F., Traité de droit administratif, op. cit., p. 352.
296
Il suffit de considérer une deuxième République qui a continué à survivre dans les discours jusqu’à l’arrivée
de l’AFDL et la troisième République maintes fois annoncées depuis la CNS et le régime de Laurent Désiré
Kabila pour s’en rendre réellement compte.
297
Aux termes de l’article 259 de la Loi fondamentale, MC, op. cit., p. 25, ladite loi n’est abrogée qu’au 30 juin
1960.
298
Il semble que ledit coup d’Etat intervint plutôt à l’aube du 25 novembre 1965. Cette affirmation semble
plausible dans la mesure où, en date du 24 novembre 1965, il ressort des preuves produites par plusieurs auteurs
que le gouvernement Kimba, non investi par le parlement, continuait de gérer les affaires courantes ; le Président
Joseph Kasavubu a même, après avoir reçu les lettres de créance des ambassadeurs du Canada, de Grande
90

nationale congolaise, nous sommes d’avis que, un accord tacite semble même l’avoir
approuvé, cette République a continué, malgré les violations répétées dont était
l’objet la Constitution en vigueur299, jusqu’à la promulgation de la Constitution du 24
juin 1967.

Ces différentes considérations nous amènent à analyser en même temps


les institutions régies par deux textes constitutionnels, l’un provisoire, l’autre
définitif.
1. Les institutions de la Loi fondamentale du 19 mai 1960

La Loi Fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo


avait exporté au Congo le régime belge. Excepté le remplacement de l’institution
monarchique par le chef de l’Etat élu par les deux chambres 300, le parlement belge
avait presque exporté toutes les institutions métropolitaines dans l’ancienne colonie.

En effet, outre un chef de l’Etat inviolable301, il est mis en place un


gouvernement composé d’un premier ministre et des ministres responsables de la
politique de la nation devant les deux chambres du parlement302, dont ils doivent à
tout moment disposer de la confiance de la majorité303.

Avant d’examiner le fonctionnement concret des institutions (d), il


nous paraît utile de tenter de comprendre le régime mis en place par la Loi
fondamentale (a), de déterminer la forme de l’Etat (b) et d’analyser la mise en place
des institutions (c).

a. Régime politique de la Loi fondamentale

La détermination d’un régime politique découle de l’analyse des


institutions d’un pays telles qu’elles résultent non seulement des règles
constitutionnelles qui les organisent, mais aussi de leur fonctionnement réel tel que
déterminé par divers facteurs politiques, économiques, sociaux et culturels304.

Bretagne et d’Israël, assisté à une messe d’action de grâce en commémoration de la prise de Stanleyville par les
troupes de Léopoldville. Le coup d’Etat aura donc lieu le 25 novembre 1965 par l’annonce faite à 5 heures du
matin à la radio nationale congolaise. Voy. notamment, KAMITATU, C., La grande mystification du Congo-
Kinshasa. Les crimes de Mobutu, 2ème éd., Paris, Maspero, 1971, pp.145-148 ou encore VANDERLINDEN, J.,
La République du Zaïre, Paris, Berger-Levrault, 1975, pp. 27-29.
299
Conformément au point 4° de la Proclamation du Haut Commandement de l’Armée nationale congolaise du
24 novembre 1965, « les institutions démocratiques de la République, telles que qu’elles sont prévues par la
Constitution du 1er août 1964, continueront à fonctionner et à siéger en exerçant leurs prérogatives ».
300
Dans d’autres régimes parlementaires dans lesquels cette qualité n’est pas héréditaire, comme en Grande
Bretagne et en Belgique, par exemple, la désignation du chef de l’Etat est l’œuvre du parlement. C’est le cas en
Allemagne, en Italie ou en Grèce où ce pouvoir appartient respectivement à l’Assemblée fédérale, à la réunion de
deux Chambres ou à la Chambre des députés.
301
Art. 19, Loi Fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, MC, op. cit., p. 354.
302
Art. 35, al. 2, Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, MC, op. cit., p. 355.
303
Les articles 42 à 46, Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, MC, op. cit., pp.
355-356, démontre à suffisance comment ils peuvent obtenir confiance du parlement ou la perdre.
304
En ce sens, MBATA BETUKUMESU MANGU, A., The Road to Constitutionalism and Democracy in Post-
colonial Africa: the Case of the Democratic Republic of Congo, op. cit., p. 126.
91

Aux termes de l’article 8 de la Loi fondamentale, les institutions


centrales sont : le chef de l’Etat ; le gouvernement dirigé par un premier ministre ; la
chambre des représentants et le sénat, qui constituent le parlement305. La lecture
combinée des articles 17, 19, 20 et 21 de la Loi fondamentale fait du chef de l’Etat
congolais un personnage certes inviolable mais bien irresponsable et lui attribue des
pouvoirs exécutifs purement formels qu’il ne doit, par conséquent, exercer que sous
le contreseing d’un membre du gouvernement qui, de ce fait, en endosse la
responsabilité.

Le gouvernement congolais disposait ainsi de la plénitude de l’exercice


du pouvoir exécutif306 et répondait de ses actes devant le seul parlement de qui il
devait obtenir confiance ou la perdre collectivement307 ou individuellement308 à
travers le premier ministre et les ministres309.

Même si l’article 22 de la Loi fondamentale ne précisait pas qui le chef


de l’Etat devait nommer premier ministre et ministres, le seul fait que ceux-ci
devaient solliciter et obtenir la confiance de chacune des chambres du parlement
avant leur entrée en fonction laissait entrevoir que les membres du gouvernement
devaient être l’émanation du parlement.

Cette lecture du texte constitutionnel congolais nous amène à découvrir


à travers les dispositions de la Loi fondamentale des mécanismes du régime
parlementaire moniste, notamment l’irresponsabilité du chef de l’Etat dont tous les
actes sont contresignés par un ministre responsable qui, de ce seul fait, s’en rend
responsable ; la responsabilité du gouvernement exclusivement devant le parlement
avec ses corollaires de régulation que sont la motion de défiance et la motion de
censure ; la dissolution du parlement par l’exécutif310.

b. Forme de l’Etat sous la Loi fondamentale

La forme de l’Etat est une réponse, coulée en moule juridique, à des


questions relatives à l’organisation administrative de l’Etat qui doit être aménagée
pour un fonctionnement harmonieux et devant se traduire par la participation
des citoyens à la gestion de leur pays afin de maîtriser leur propre destin, accroître,
par conséquent, la légitimité des dirigeants et œuvrer pour la promotion du
développement.

305
Nous avons laissé de côté la Cour constitutionnelle, les Conseils économiques et sociaux ainsi que les
institutions provinciales en raison de leur faible impact sur la matière qui nous concerne.
306
Art. 35, 36 et 37, Loi fondamentale du 19 mai 1960, MC, op. cit., p. 355.
307
La responsabilité solidaire du gouvernement est engagée par motion de défiance (art. 43, Loi fondamentale du
19 mai 1960, MC, op. cit., p. 355).
308
Chaque ministre peut engager sa responsabilité individuelle devant le parlement à la suite d’une motion de
censure (art. 45, Loi fondamentale du 19 mai 1960, MC, p. 356).
309
Articles 42 à 46, Loi fondamentale du 19 mai 1960, MC, pp. 355-356).
310
L’avantage recherché normalement dans ce genre de régime est le fonctionnement harmonieux des
institutions grâce à l’équilibre du jeu de poids et contrepoids.
92

Dans cette étude, il faut remonter aux travaux de la table ronde belgo-
congolaise de 1959 pour comprendre les difficultés pour le constituant de déterminer
avec précision la forme de l’Etat qu’il entendait mettre en place. Aussi, cette question,
qui interfère dans les débats politiques congolais depuis les assises de Bruxelles, a
investi cette scène jusqu’à ce jour. Il apparaît clairement que les découpages
consécutifs à l’indépendance nationale sont à la fois le fruit des compromis politiques
entre les tenants du fédéralisme et ceux de l’unitarisme et même de la victoire des
uns sur les autres. Cette marche dialectique sera teintée des controverses
opposant les deux camps tout au long de la vie de cette jeune République.

En vue de déterminer la forme de l’Etat, il est de coutume de considérer


d’abord ce qu’en dit le texte constitutionnel. A l’absence d’une détermination claire
par la Constitution, comme il en est le cas ici, il s’avère utile de tirer cette
qualification de l’esprit résultant de l’analyse poussée de la volonté du constituant.
Dans cette démarche, la qualification des rapports verticaux entre l’Etat central et les
entités composantes doit être privilégiée.

Dans le cadre de la Loi fondamentale relative aux structures du Congo,


il apparait clairement que les entités composantes de l’Etat congolais sont les
provinces311. Au niveau de ces composantes, outre le pouvoir constituant312, chaque
province dispose du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Le pouvoir législatif
provincial est exercé sous forme d’édits par une assemblée provinciale composée des
conseillers élus au suffrage universel direct ou au second degré, ou encore des chefs
coutumiers et notables cooptés par les conseillers élus313. Le pouvoir exécutif
provincial est détenu par un gouvernement provincial constitué par un président et
cinq à dix membres, tous désignés par l’assemblée provinciale314.

L’attribution aux provinces de tant des principaux pouvoirs classiques


« étatiques », comme le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, ajoutés au pouvoir
constituant même non effectivement exercé, semble leur faire acquérir une structure
étatique normale qui laisse penser aux Etats fédérés. La répartition constitutionnelle
des compétences, qui vient régionaliser ces provinces, renforce visiblement
l’autonomie de ces composantes de l’Etat congolais en leur donnant l’impression
d’avoir acquis des pouvoirs étatiques complets.

311
Aux termes de l’article 7, alinéa 1 de ladite loi, «l’Etat est constitué de six provinces dotées chacune de la
personne civile », MC, op. cit., p. 1.
312
L’article 160, alinéa 1, de la Loi fondamentale relative aux structures du Congo donne pouvoir à chaque
assemblée provinciale d’élaborer « dans le plus bref délai » une Constitution provinciale organisant la structure
administrative et politique de chaque province, MC, op. cit., p. 15.
313
Art. 107 de la Loi fondamentale, MC, op. cit., p. 9. Cette élection des conseillers provinciaux au suffrage
universel direct ou au second tour, selon le choix de chaque province, doit rester conforme aux dispositions de la
loi électorale du 23 mars 1960.
314
Telle qu’elle ressort des dispositions de l’article 123 de la Loi fondamentale, MC, op. cit., p. 123, l’élection
respective et séparée du président et des membres du gouvernement provincial est de nature à ne pas faciliter le
fonctionnement au sein duquel l’équipe risque de manquer de solidarité n’ayant en principe rien en commun.
93

L’exercice compliqué, auquel s’est livré le constituant belge pour calmer


les ardeurs des tendances séparatistes virulentes apparues lors des travaux de la
table ronde belgo-congolaise et sauver l’unité du Congo, a fait penser à beaucoup
d’auteurs que la Loi fondamentale du 19 mai 1960 mettait en place un Etat fédéral au
Congo315.
Le fédéralisme est un concept constitué par un ensemble d’idées, des
valeurs et des philosophies qui recommandent un mode de regroupement structurel
des collectivités sociales et politiques visant à renforcer leur solidarité tout en
respectant leur particularisme316. Les principes du fédéralisme peuvent ainsi
s’appliquer à tous les rapports sociaux, à toutes les activités humaines, économiques,
sociales et culturelles.

Appliqué à l’Etat, le fédéralisme implique l’autonomie politique des


collectivités membres (ayant une organisation étatique complète) et leur participation
à la constitution d’organes communs dotés de compétences plus ou moins étendues
selon le degré d’intégration du groupement317.

La position tendant à considérer la forme de l’Etat institué par la Loi


fondamentale comme un Etat fédéral appelle de notre part un faisceau
d’observations les unes liées à la critique de la structure étatique complète attribuée
par ces auteurs aux entités provinciales congolaises pour leur faire mériter le statut
d’Etat fédéré, les autres sont liées à la confusion qui amène à considérer la répartition
constitutionnelle des compétences comme un élément constitutif du fédéralisme.

Dans l’organisation des pouvoirs des provinces, un pas est certes


franchi vers la détention par les provinces des compétences politiques tant exécutives
que législatives, mais l’organisation étatique complète attendue d’un Etat fédéré, qui
doit disposer d’une Constitution propre effective318, en plus des institutions
politiques consacrant l’existence des pouvoirs classiques de l’Etat (le parlement, le
gouvernement, les cours et tribunaux), demeure inachevée.

L’existence des institutions provinciales (gouvernement provincial et


assemblée provinciale) est certes une manifestation physique de l’autonomie de la
province au-delà de la consécration textuelle théorique ; elle ne fait nullement de
la province, qui ne dispose pas du pouvoir judiciaire propre, un Etat fédéré. Si l’on
observe le rôle régulateur du commissaire d’Etat, représentant du gouvernement
central en provinces, qui est au four et au moulin jusqu’à réglementer l’exercice des
pouvoirs des autorités provinciales qu’il surveille en permanence, la structure
étatique complète a du mal à être réalisée par la province de 1960.
315
Le professeur Victor DJELO EMPENGE OSAKO, Contribution à l’étude des tendances unitaristes et
fédéralistes…, op. cit., p.182 qualifie cette forme de « fédéralisme composite », alors que le Professeur Faustin
TOENGAHO LOKUNDO, Les constitutions de la République démocratique du Congo, Kinshasa, PUC, 2008, p.
235 parle, sans détours, de la forme fédérale de l’Etat.
316
En ce sens, GUILLIEN, R. et VINCENT, J., Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 271.
317
Ibidem.
318
D’ailleurs, dans la pratique, à cause de la mise en place précipitée des institutions provinciales et à la crise de
consécutive à la révocation du premier ministre par le chef de l’Etat, aucune Constitution provinciale n’a été
élaborée.
94

L’avancée amorcée par la Loi fondamentale vers la cumulation entre


les mains de la province des pouvoirs politiques protégés par la Constitution qui a
certainement inspiré certains chercheurs à trouver dans l’organisation territoriale de
l’Etat congolais de 1960 un fédéralisme atypique. Cependant, dans l’histoire
contemporaine, le fonctionnement de l’Etat fédéral n’est nullement dicté par la
répartition constitutionnelle des compétences respectives du gouvernement fédéral
et de ceux des Etats fédérés. Ce qui fonde le fédéralisme, c’est plutôt la conformité
aux six principes du fédéralisme : l’autonomie, la participation, la garantie, la
subsidiarité (exacte adéquation), la coopération et la complémentarité amènent les
Etats fédérés à participer en toute autonomie319 à toutes les compétences étatiques,
sous réserve du respect uniquement imposé par la Constitution fédérale320.
L’Etat congolais de la Loi fondamentale présente à coup sûr une
structure étatique unitaire remarquée à travers tant la restriction des compétences
normatives321 et exécutives par le biais d’un commissaire d’Etat, qui exerce un
pouvoir plus hiérarchique que tutélaire, qu’à la privation d’un pouvoir judiciaire
propre. Bien que régionalisée, la province ne présente pas les caractéristiques d’un
Etat qui, lui, demeure libre d’exercer l’entièreté des compétences sans restrictions.
La forme de l’Etat ainsi mis en place par la Loi fondamentale relative
aux structures du Congo ne pouvait être que celle d’un Etat unitaire régionalisé.

c. Mise en place des institutions

Pour participer à la mise en place des institutions du nouvel Etat, les


leaders politiques congolais reconnus certes par le pouvoir colonial depuis la table
ronde de Bruxelles, se devaient d’obtenir consécration de leur reconnaissance par la
population congolaise en briguant des mandats électifs. C’est donc à partir des
élections législatives de mai 1960 (1°) que des acteurs politiques pouvaient prétendre
occuper les nouveaux postes ouverts dans les nouvelles institutions politiques du
pays (2°).
1°. Les élections législatives de mai 1960

A la veille de ces élections, les rivalités attisées par la soif du pouvoir et


les compétitions à venir ne permettaient pas d’avoir une idée précise sur les forces en
présence. La plupart de partis et regroupements politiques ayant fondé leur lutte sur
les revendications de l’indépendance, l’octroi de cette indépendance à la Table Ronde
leur privait ainsi de nouveaux thèmes susceptibles de drainer les foules lors de la
campagne électorale. Cette carence des thèmes plus captivants de campagne explique
les maigres résultats obtenus pour beaucoup des partis politiques322.

319
En réalité, tous ces principes se réduisent aux seuls principes de participation et d’autonomie assurée à chaque
province.
320
La Constitution américaine du qui met en place un Etat fédéral type ne répartit nullement les compétences
entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des Etats fédérés.
321
L’article 209, alinéa 2, de la Loi fondamentale, MC, op. cit., p. 19, confirme même l’unicité de la hiérarchie
des normes lorsqu’il considère comme abrogées de plein droit les dispositions des édits en contradiction avec la
loi (prise par les autorités centrales).
322
Les résultats électoraux qui vont suivre sont puisés chez BOMANDEKE BONYEKA, Le Parlement
congolais sous le régime de la Loi Fondamentale, Kinshasa, PUZ, 1992, pp. 64-71.
95

Le MNC remporta, avec ses trente-trois sièges pour lui et huit pour ses
alliés directs (Cartel MNC, COAKA, UNC) sur cent trente-sept sièges à pourvoir, un
succès considérable et rassembla 30% des élus originaires de cinq provinces sur six.
Le PNP, qui, avec ses alliés, ambitionnait de surpasser le MNC sur le plan national,
ne vint finalement qu’en seconde position avec ses quinze élus323.

D’autres partis comme le PSA de Kamitatu et Gizenga avec treize élus


et l’ABAKO de Kasavubu avec douze sièges dans la Province de Léopoldville, le
CEREA de Kalengamire avec dix sièges localisés dans le Kivu, la CONAKAT de
Tshombe et le MNC/K avec huit sièges chacun dans leurs fiefs respectifs du
Katanga et du Kasaï, le cartel Katangais (BALUBAKAT-FEDEKA-ATCAR) de
Jackson Sendwe et le PUNA de Jean Bolikango avec sept sièges chacun dans les
provinces du Katanga et de l’Equateur, avaient misé sur les monopoles régionaux.
Alors que le REKO obtint trois sièges, certains partis à base tribale, tels l’UNIMO de
Joseph Iléo, l’ARP-PRC et l’ABAZI n’obtinrent qu’un siège chacun.

Sur le plan individuel, les leaders de ces formations politiques qui


marquèrent de leurs empreintes ces élections réalisèrent des scores très
impressionnants. C’est ainsi que, parmi les élus à suffrage très élevé, l’ABAKO battît
tous les records avec Kisolekele (94 300 voix), Madudu (47 150 voix), Nsola (41 433
voix) et Kasavubu (39 492 voix). Le MNC/L aligna Lumumba (84 602 voix), Bhunde
(35 554 voix) et Finant (35 200 voix) ; le MNC/K vit son leader, Albert Kalonji,
s’imposer avec 78 076 voix ; le PSA présenta Kamitatu (60 511 voix) et Gizenga (52
442 voix) ; le PUNA et le CEREA présentèrent respectivement Bolikango (53 121
voix) et Kalegamire (39 418 voix).

Avec ces résultats qui lançaient de nouveaux élus appelés à devenir des
députés congolais, l’autorité coloniale avait enfin les moyens de constituer les
institutions du nouvel Etat.

2°. Les acteurs politiques et la répartition des postes

La mise en place des institutions du pays fait naturellement appel à des


acteurs politiques auxquels des postes de responsabilité doivent être attribués. Le
fonctionnement harmonieux des institutions politiques découle normalement de la
capacité des acteurs politiques à maîtriser les règles du jeu politique. Même plus, à
cause de la délicatesse et de la complexité de ses mécanismes, le régime
parlementaire exige, pour son meilleur fonctionnement, des personnes d’une certaine
classe, politiquement informée et très éclairée sur sa mise en œuvre324.

323
Le MNC et le PNP semblaient eux miser sur l’ensemble du territoire national.
324
En Angleterre où il a pris naissance, ce régime fut plutôt l’œuvre des notables et fut lié au suffrage censitaire
comme le confirme PACTET, P., Institutions politiques. Droit constitutionnel, op. cit., p. 145.
96

La chambre des représentants devait sa composition aux résultats des


élections législatives de mai 1960 (137 députés), le sénat ne reçut que 84 sénateurs
élus par les assemblées provinciales à raison de quatorze par province 325. Seuls le
chef de l’Etat, le premier ministre et son gouvernement étaient ainsi les pièces
manquantes à l’édifice institutionnel du nouvel Etat.

Sur la constitution du gouvernement et l’élection du chef de l’Etat, les


passions, intrigues et intérêts divers pouvaient amener facilement au blocage. En face
d’une juxtaposition des mouvements politiques correspondants aux principales
divisions régionales et ethniques, il apparaissait, dès avant les élections, que le
gouvernement ne pourrait, pour disposer d’une majorité, naître que d’une coalition
des partis. Certains leaders tels Kasavubu, Lumumba, Kalonji, Bolikango… avaient
fini par se faire remarquer et méritaient que des coalitions se constituassent autour
d’eux. Parmi eux, Lumumba et Kasavubu semblaient détenir la faveur des
pronostics.
Le premier, en raison de sa propension à rassembler tous les congolais,
s’était déjà fait remarquer à Bruxelles où il organisa une réception en l’honneur de
tous les participants congolais à la table ronde326. Bien plus, son parti avait obtenu
30% des suffrages aux législatives et rassemblait les députés de presque tout le pays.
Désigné formateur et nommé premier ministre par le roi des Belges en vertu des
dispositions particulières de l’article 47 de la Loi fondamentale, Lumumba soutint
d’ailleurs, par la suite, la candidature de Kasavubu au poste de chef de l’Etat.
La démarche politique de Kasavubu laissait transpirer une ambition de
s’ériger en rassembleur, modérateur du jeu politique et personnage accepté sur
l’ensemble de la colonie. Il se fit remarquer non seulement à la table ronde politique
où il apparut comme un grand leader mais aussi, après ce forum, il multiplia des
contacts à travers toute la colonie327. C’est tout naturellement qu’il fut désigné chef de
l’Etat au détriment de Jean Bolikango au cours d’une séance conjointe de la chambre
des représentants et du sénat.

La constitution du gouvernement Lumumba et l’élection de Kasavubu


comme chef de l’Etat contribuèrent certes à atténuer les tensions dues aux rivalités
électorales en réunissant deux chefs qui incarnaient les leaderships essentiels pour la
conquête de l’indépendance328, mais dont la cohabitation allait rapidement s’avérer
impossible en raison de leurs ambitions respectives d’assumer chacun la plénitude
du pouvoir exécutif.

325
Art. 87, Loi Fondamentale du 19 mai 1960, M.C., op. cit., p. 358. Les sénateurs élus ne purent s’adjoindre des
membres cooptés trop préoccupés qu’ils étaient à tenter de ramener leurs collègues sécessionnistes à la légalité et
en raison de la création de nombreuses nouvelles provinces.
326
En effet, au soir du 27 janvier 1960, alors que le 30 juin 1960 avait été concédé par l’autorité coloniale
comme date de l’indépendance, Lumumba offrit une soirée à tous et tint un discours vraiment rassembleur et
modéré.
327
Kasavubu se distingua par des déplacements assez osés à travers le territoire national (Katanga, Kasaï,
Kivu…) et des incessantes interventions dans les diverses crises sanglantes survenues à cause notamment des
conflits entre Tshombe et Sendwe, Lumumba et Kalonji, Lulua et Luba, par exemple…
328
L’exclusion de l’un d’eux aurait réellement mis en péril l’existence de l’Etat congolais. Voy. Congo 1960,
Tome I, Bruxelles, CRISP, 1960, p. 307.
97

Une fois placés aux commandes des institutions du nouvel Etat,


comment les acteurs politiques auraient dû exercer normalement leurs pouvoirs dans
pareil régime ?

d. Fonctionnement concret des institutions

Le fonctionnement concret du régime institué par la Loi fondamentale


laisse entrevoir un véritable écart entre l’esprit et même la lettre du texte en vigueur.
Tous les principes constitutionnels en matière de fonctionnement normal d’un
régime parlementaire ne semblent pas avoir arrêté le président Kasavubu dans sa
tendance à exercer un pouvoir exécutif actif et à confisquer le pouvoir législatif aux
chambres ; ce qui va très négativement influer sur le fonctionnement du régime mis
en place par la Loi fondamentale. La réussite d’un régime est en rapport avec le
fonctionnement harmonieux des institutions en conformité des arrangements
constitutionnels qui président à leur établissement. Les rapports tissés au cours de ce
fonctionnement entre le chef de l’Etat et le gouvernement et entre celui-là et le
parlement ne semblent pas avoir permis au régime parlementaire de réussir au
Congo.
Afin de démontrer cette distorsion, il convient d’examiner l’attitude
générale du président Kasavubu vis-à-vis des autres animateurs du pouvoir exécutif
(1°) et les détenteurs du pouvoir législatif (2°).

1°. Les déviances dans l’exercice effectif du pouvoir exécutif

Le régime instauré par la Loi fondamentale conférait peu de pouvoirs


au chef de l’Etat. Ce dernier entreprit cependant, comme cela va être démontré dans
les lignes qui suivent, une lutte opiniâtre au détriment des pouvoirs nominaux que
lui conférait le texte constitutionnel329, à travers son attitude générale (i) et même un
acte lourd de conséquences politiques, la révocation du premier ministre (ii).
Contrairement à la conception du régime parlementaire qui nécessitait
un personnage effacé, apolitique, qui représenterait un pouvoir neutre, au-dessus du
jeu des partis politiques, les chambres congolaises vont porter leur choix sur un
leader politique, un chef de parti ayant sa propre vision de l’exercice du pouvoir et
des objectifs opposés à ceux du chef de gouvernement330. Elu chef de l’Etat par le
parlement, Kasavubu refusait, à juste titre, de se comporter comme un simple
symbole.
Afin de réaliser ses objectifs et rester dans sa propre vision du pouvoir,
le chef de l’Etat fera sa propre lecture de la Loi Fondamentale et face au régime
parlementaire instauré par cette loi, il affichera l’attitude d’un véritable chef de l’Etat
et même celle d’un chef de gouvernement. Parmi des actes qui le démontrent nous
pouvons citer deux actions de son règne.

329
Aux termes de l’art. 21, al. 1 de la Loi fondamentale, « le chef de l’Etat n’a d’autres pouvoirs que ceux que
lui attribue formellement la présente loi ».
330
Alors que Lumumba était unitariste et prônait, en conséquence, un pouvoir centralisé, Kasavubu défendait les
vues de son parti politique et de son milieu d’origine qui visaient l’autonomie de sa province et du peuple Kongo
et entendait donc exercer le pouvoir de l’Etat dans le cadre fédéral et même confédéral.
98

En effet, si, aux termes de la Loi Fondamentale, le président de la


République est irresponsable, cette disposition ne concorde pas avec l’image que
l’africain se fait d’un chef et explique l’initiative prise par Kasavubu, déjà le 27 juin
1960, jour de sa prestation de serment en qualité de chef de l’Etat, lorsqu’il prononça
un discours programme dont le texte n’était pas soumis au gouvernement331.

Ce discours présageait déjà la ferme volonté du chef de l’Etat de


gouverner plutôt que de régner comme le préconisait la Loi fondamentale. Il
apparaissait donc clairement que Kasavubu entendait prendre la place du chef qui,
en Afrique, ne peut se contenter d’arbitrer des conflits sans pouvoir les trancher et
dicter ses vues. Il va donc le démontrer en orientant le régime parlementaire moniste
hérité de la Belgique dans le sens du parlementarisme de type orléaniste ou dualiste.

Dans cette intention, il va ainsi considérer le gouvernement comme un


organe qui répond de ses actes devant lui et ainsi transformer en même temps le
pouvoir exécutif formel en pouvoir exécutif réel en sa faveur. L’acte le plus
spectaculaire de cette transformation des pouvoirs fut la révocation du premier
ministre Lumumba.
La deuxième action est la révocation du premier ministre. Si l’équipe du
gouvernement constituée par Lumumba obtint la confiance du parlement332 et parut
la meilleure possible de l’opinion qui prévalait à l’époque333, elle ne devait
cependant pas être à l’abri des contestations qui allaient conduire à sa chute. La
décision présidentielle de révoquer proprio motu le premier ministre en ignorant tous
les garde-fous mis en place par le texte constitutionnel et nécessités par l’esprit du
régime parlementaire nous parait être une de nombreuses manifestations du non
respect par le chef de l’Etat de l’esprit-même du régime parlementaire, malgré les
circonstances de fait qui semblaient justifier ce comportement.

En effet, se fondant sur les dispositions de l’article 22 de la Loi


fondamentale, selon lesquelles « le chef de l’Etat nomme et révoque le premier
ministre et les ministres », le président Kasavubu signa l’ordonnance du 5 septembre
1960 révoquant le premier ministre et certains ministres.

Avec la chute du gouvernement Lumumba et la mainmise effective sur


les gouvernements futurs, le chef de l’Etat congolais avait déjà maîtrisé le premier
pôle du pouvoir de l’Etat et acquis la plénitude de la fonction gouvernementale qui
ne relève cependant pas de sa compétence directe en régime parlementaire.

331
Ce discours dont la substance aurait pu provenir du gouvernement qui devait normalement élaborer son
programme provoqua des remous dans la classe politique congolaise étonnée de cette distorsion.
332
En conformité avec l’art. 42 de la Loi Fondamentale du 19 mai 1960.
333
Dans ce sens, DJELO EMPENGE, Contribution à l’étude des tendances fédéralistes et unitaristes dans
l’évolution politique et constitutionnelle du Zaïre, op. cit., p. 207. Ce gouvernement répondait également au
critère « d’union nationale » que semblait découler de l’alinéa premier de l’article 35 de la Loi Fondamentale qui
exigeait la représentation de chaque province en son sein.
99

2°. La marginalisation suivie de la dissolution du parlement

Dans le cadre de la Loi fondamentale, peut-être pour des raisons


évidentes d’éviter l’instabilité des chambres chargées d’élaborer une Constitution
définitive pour le nouvel Etat, la dissolution du parlement était pratiquement
impossible. En effet, le texte constitutionnel conditionnait la dissolution de l’une ou
de deux chambres d’abord à la délibération en conseil des ministres ; ce qui est
normal, ce pouvoir appartenant en fait au gouvernement bien qu’exécuté par le chef
de l’Etat. Ensuite, elle était soumise à « l’accord de l’une de deux chambres au moins,
acquis aux deux tiers des membres présents »334. Il est dès lors malaisément
concevable qu’une chambre visée par une dissolution puisse donner son accord en
vue de sa propre disparition.
Afin d’accoupler sa nouvelle activité gouvernementale d’un travail
permanent de législation adéquate qui en trace le cadre, le chef de l’Etat allait se
fonder sur le pouvoir législatif. Des mises en congé temporaires, le chef de l’Etat va
persister et passer le Rubicon en envoyant définitivement en vacances le premier
parlement congolais335.
Faisant semblant de respecter la lettre de ce texte, le président
Kasavubu va contourner l’obstacle constitutionnel en s’attribuant le pouvoir législatif
par cette dissolution de fait du parlement de l’ordonnance n° 226 du 29 septembre
1963.
2. Les institutions de la Constitution du 1er août 1964

La Constitution du 1er août 1964 fait partie de la génération des textes


confectionnés par les dirigeants africains en vue de se débarrasser des lois
fondamentales léguées par le colonisateur. Elle se situe dans la droite ligne des textes
d’allure présidentielle qui, après avoir constaté l’échec des régimes parlementaires,
ont été taillés sur mesure par les nouveaux dirigeants décidés de s’assurer
l’effectivité du pouvoir exécutif.

Tous les aspects de tendance à la prééminence de l’institution président


de la République n’ont pas manqué d’influencer le contenu du texte constitutionnel
mis en place en 1964. Dans les lignes qui suivent nous allons tenter d’en découvrir les
caractéristiques qui nous permettraient d’en définir la nature.

a. Régime politique de la Constitution de 1964

Le régime instauré par la Constitution du 1er août 1964 est précédé et


influencé par le régime parlementaire mis en place par la Loi fondamentale sur les
structures du Congo du 19 mai 1960. En étudiant brièvement les circonstances qui
entourent le fonctionnement de ce régime, nous aurons jeté un véritable éclairage sur
la nature du régime politique de 1964.

334
Art. 71, Loi fondamentale du 19 mai 1960, MC, op. cit., p. 357.
335
O n° 226 du 29 septembre 1963, MC, op. cit., p. 842.
100

1°. Les circonstances antérieures à la Constitution de 1964

Bien que fidèle aux traditions politiques belges, le régime parlementaire


de la Loi fondamentale se buta à la conception du pouvoir des leaders politiques
congolais et à leur frustration conséquente de ne pas ressentir suffisamment les
assises sur lesquelles reposait l’autorité des gouvernants336. A force de vouloir bannir
des rouages constitutionnels la personnalisation du pouvoir, la Loi fondamentale
amena les responsables politiques à agir en dehors d’elle et à tenter de s’exprimer à
travers le pouvoir personnel337. C’est ainsi que, face à la situation critique qui
prévalait alors au pays, le chef de l’Etat, pourtant irresponsable en régime
parlementaire, prétendit assumer directement des pouvoirs de plus en plus larges de
gouvernement réel.

C’est ce pouvoir réel de chef de l’Etat que le constituant de Luluabourg


venait entériner et consacrer dans le chef du président Kasavubu ainsi qu’il ressort
d’ailleurs du mémoire explicatif de ladite Constitution : « Se fondant sur l’expérience
vécue pendant la première législature, les membres de la Commission ont tenu à ce
que la Constitution elle-même réglât un nombre important de matières »338.

L’expérience du fonctionnement malheureux des institutions mises en


place par la Loi fondamentale avait jeté un véritable discrédit sur le régime
parlementaire. Celui-ci avait fini par frustrer les responsables politiques par leur
neutralisation qu’il semblait consacrer. Il avait fallu faire face à un véritable
déséquilibre en faveur d’un parlement qui semblait décidé d’instituer une instabilité
chronique du gouvernement.
En effet, malgré les conditions difficiles instaurées par les dispositions
de l’article 43 de la Loi fondamentale pour donner au gouvernement une certaine
stabilité339, l’absence d’organisation des partis et l’inexpérience des premiers
parlementaires congolais n’ont nullement abouti sur la collaboration attendue de ce
genre de régime et ne pouvait conduire qu’à un exécutif d’une extrême faiblesse.
Cette faiblesse n’était pas de nature à permettre aux dirigeants
politiques de faire passer au plan des réalisations, leurs diverses promesses et
espérances concoctées lors du transfert de souveraineté. L’enthousiasme soulevé par
la lutte pour l’indépendance s’est de la sorte transformé en une certaine
désaffectation des masses. Il en est résulté une véritable carence d’adhésion de la

336
Pendant la crise qui a secoué le Congo au lendemain de l’indépendance, on a pu constater combien les
responsables politiques étaient d'autant plus jaloux de leurs prérogatives qu’ils étaient incapables d’utiliser les
forces de l’ordre mises à leur disposition.
337
Alors que le pouvoir personnalisé est l’individualisation de l’action gouvernementale contenue dans les
limites constitutionnelles, le pouvoir personnel est ici entendu comme l’omnipotence, consacrée par les textes
ou usurpée, d’un individu qui ne donne pas de limites à son action. La personnalisation du pouvoir est donc un
phénomène qui affecte plus la modalité du pouvoir que son intensité.
338
MC, 6ème année, numéro spécial du 5 octobre 1965, p. 51.
339
Aux termes de l’art. 43 de la Loi fondamentale du 19 mai 1960, « le vote sur les motions de défiance contre le
gouvernement ne peuvent intervenir que 48 heures après le dépôt de la motion. Celle-ci ne peut être adoptée que
si elle recueille les deux tiers des voix des membres présents d’une des deux chambres, la majorité absolue des
voix de tous les membres qui la composent ».
101

population au régime mis en place. Il était donc prévisible que les responsables
politiques avaient plus besoin d’un exécutif fort qui leur permettrait d’exercer le
pouvoir sans entraves et de réaliser un plan qui leur permettrait de recouvrer la
confiance de la population dans les institutions. C’est donc dans cet état d’esprit que
devait s’élaborer la nouvelle Constitution.

2°. La nature du régime de la Constitution de 1964

A l’analyse des institutions de la Constitution du 1er août 1964, il


apparaît que le constituant de Luluabourg, préoccupé par le souci de rendre efficace
l’action gouvernementale, avait tenté d’attribuer au président de la République des
prérogatives considérables face à un gouvernement dont les membres apparaissent
comme des simples collaborateurs qu’il nomme et révoque librement340.
Les organes exécutifs (le président de la République et ses ministres)
disposent pleinement du pouvoir exécutif et les organes législatifs (la chambre des
députés et le sénat) disposent aussi pleinement, à quelques exceptions près, du
pouvoir législatif, les uns et les autres pour toute la durée de leurs mandats
respectifs.
Le corollaire à cette indépendance, à ce renforcement en fait de
l’exécutif, réside dans la possibilité propre aux régimes présidentiels de mise en
accusation pénale du président et des ministres par les chambres pour haute
trahison, violation intentionnelle de la Constitution, détournement, concussion et
corruption341.

A travers l’abolition des sanctions réciproques entre l’exécutif qui ne


répond pas de sa responsabilité politique devant le parlement et les chambres qui ne
peuvent être dissoutes, le constituant de Luluabourg entendait instaurer une nette
séparation des pouvoirs propre au régime présidentiel. Celui-ci s’analyse pour
l’essentiel comme un régime dans lequel l’équilibre recherché des pouvoirs exécutif
et législatif résulte de leur indépendance réciproque et de leur certitude de demeurer
en fonction jusqu’à l’expiration de leur mandat342.

Ces éléments majeurs de régime présidentiel sont vite atténués par les
vestiges du parlementarisme de 1960, qui se manifestent par une collaboration tant
organique que fonctionnelle. En tant qu’organe indépendant, le parlement intervient
dans la formation même de l’exécutif. Contrairement aux régimes présidentiels

340
Nommés par le président de la République devant lequel ils prêtent serment comme indiqué à l’art. 65 de la
Constitution du 1er août 1964, le premier ministre et les ministres sont investis par des chambres réunies en
congrès. Cette pesanteur au pouvoir du président sur la nomination des membres du gouvernement imposée par
les dispositions de l’art. 66, alinéas 1, 2 et 3 de la Constitution du 1 er août 1964 ne semble pas peser sur le
pouvoir de révocation du premier ministre et des ministres que le président peut librement exercer en vertu des
dispositions de l’art. 62 de ladite Constitution, en dépit de l’incise « Sans préjudice des autres dispositions de la
présente Constitution, les membres du gouvernement central exercent leurs fonctions jusqu’à la fin du mandat du
président de la République », introduite par l’alinéa 4 du même article.
341
Art. 71, Constitution de la RDC du 1er août 1964, MC, op. cit., pp. 19-20.
342
Dans ce sens, PACTET, P., Institutions politiques …op. cit., p. 152 ; KOUBI, G., et ROMI, R., Etat,
Constitution, Loi, Paris, Litec, 1993, p. 208.
102

classiques dans lesquels la prépondérance du président recommande son élection au


suffrage universel, le président congolais de la Constitution de Luluabourg est élu
par un collège restreint composé par les chambres réunies en congrès, les assemblées
provinciales et les délégués de la Ville de Léopoldville.

Malgré la concentration du pouvoir exécutif tant nominal que réel


entre les mains du chef de l’Etat, le monocéphalisme343 exécutif recommandé en
régime présidentiel est éludé par le bicéphalisme de façade que laisse apparaître
l’existence d’un gouvernement dirigé par un premier ministre et composé des
ministres nommés par le chef de l’Etat, mais investi par le parlement dont le refus
d’approbation entraîne la démission344.

A part l’élection, avec les assemblées provinciales et les délégués de la


Ville de Léopoldville, du chef de l’Etat, les chambres sont réduites au simple jeu
d’investiture ou de refus d’investiture de l’équipe gouvernementale nommée par le
président de la République345.

En définitive, si certains ont cru pouvoir qualifier ce régime de


présidentiel346 comme il semble apparaître à partir de beaucoup de ses éléments
caractéristiques, d’autres, partant des critères du régime présidentiel, éprouvent des
difficultés à ranger ce régime hybride347. Quant à nous, Djelo Empenge348 nous a
convaincu de le considérer comme relevant du « régime présidentiel déformé ». Il
s’agit du régime présidentialiste349 ou « césariste » teinté de parlementarisme
comparable au régime français de la 5ème République350.

b. Forme de l’Etat de la constitution du 1er août 1964.

Les circonstances qui président à l’élaboration de la constitution


définitive du pays ne sont pas très différentes de celles de la Table ronde belgo-
congolaise de Bruxelles. Le même compromis dicté par les tendances unitaristes et
fédéralistes semble reconduit avec un véritable penchant vers le fédéralisme.

343
Titulaire exclusif du pouvoir exécutif, le président fait normalement fonction à la fois de chef de l’Etat et de
chef du gouvernement. Ses ministres ne forment en réalité pas un gouvernement (organe collégial et solidaire,
ayant des tâches et une responsabilité propres). Chacun d’eux est chargé de mettre en œuvre la politique du
président, qui peut toujours mettre fin aux fonctions d’un ministre s’il l’estime nécessaire.
344
A telle enseigne que l’on croirait que ce gouvernement répondrait de sa responsabilité devant le parlement qui
l’investit ; que non, les ministres relèvent uniquement du président de la République alors que le premier
ministre n’apparaît que comme un simple coordonnateur de l’action de ce gouvernement.
345
Art. 56 et 66, Constitution du 1er août 1964, MC, pp. 15 et 18.
346
DECHEIX, P., « La nouvelle constitution du Congo Léopoldville », Revue juridique et politique, 1964, p.
604.
347
ILUNGA, A., KALONJI, B., VERHAEGEN, B. et WEMBI, A., „Le projet de constitution de Luluabourg“,
in Etudes congolaises, Bruxelles, Vol. VI, n° 5, mai 1964, p. 26.
348
DJELO EMPENGE O., Contribution à l’étude des tendances fédéralistes et unitaristes dans l’évolution
politique et constitutionnelle du Zaïre, op. cit., p. 304.
349
DABIN, P., « L’idée fédérale dans le processus constitutionnel congolais », Etudes congolaises, Bruxelles,
Vol. VII, n° 4, avril 1964, p. 57.
350
Telle qu’elle est régie par la Constitution du 4 octobre 1958.
103

Bien qu’il évite de se servir du terme « fédéralisme » pour des raisons


d’ordre pratique évidentes, le constituant du 1er août 1964 établit une structure
fédérale plus prononcée que la Loi fondamentale du 19 mai 1960. Comme cette
dernière, la Constitution de Luluabourg351 prévoit une répartition des compétences
entre le pouvoir central et les provinces352, l’institution dans les provinces des
pouvoirs constituant353, législatif et exécutif354, un sénat paritaire355 et une cour
constitutionnelle chargée de trancher les conflits de compétence 356. Contrairement à
la Loi fondamentale où les matières résiduaires relevaient de la compétence
concurrente du pouvoir central et provincial, ce domaine devient du ressort exclusif
des provinces. Sous cet angle, l’option de la Constitution du 1er août 1964 semble plus
conforme à l’orthodoxie du régime fédéral.

La répartition des ressources financières entre l’Etat et les provinces357


semble, à première vue, destinée à renforcer une réelle autonomie pour ces dernières.
La pratique a, cependant, fait apparaitre que, en l’absence des mesures d’application,
toutes les provinces, à l’exception du Katanga, vivaient des subsides du pouvoir
central. Elles étaient, de ce fait, privées des moyens destinés à l’exercice de cette
autonomie.

L’intervention des organes provinciaux à propos des décisions de l’Etat


est accrue. En dehors de leur représentation paritaire au sénat et de leur intervention
dans la procédure de révision de la constitution et l’élection du chef de l’Etat, les
provinces concourent à l’harmonisation de la politique générale et à la constitution
des organes juridictionnels suprêmes358 et des organes techniques359. A cet égard,
l’institutionnalisation de la conférence des gouverneurs – dont la réunion annuelle se
tient sous l’égide du président de la République – a pour tâche de renforcer l’unité
du pays et de faciliter la coordination de la politique des provinces360.

Le renforcement du caractère fédéral de l’Etat n’exclut pas un certain


contrôle du pouvoir central sur les provinces. Pour effectuer ce contrôle, un
gouverneur de province, investi par le chef de l’Etat, devant qui il prête serment
avant d’entrer en fonction, représente celui-ci en province en temps normal. En
période exceptionnelle, le chef de l’Etat confie la direction des institutions
provinciales à un comité présidé par un haut commissaire de la République361.

351
Du nom de la ville où se réunit la commission qui en élabora le projet. IL s’agit de l’actuel Kananga.
352
Art. 48, 49 et 50 de la Constitution du 1er août 1964, MC, op. cit., pp. 12-13.
353
L’article 117, alinéa 1, de la Constitution du 1 er août 1964, MC, op. cit., p. 40, donne compétence à chaque
province, par son assemblée provinciale, d’adopter sa constitution propre.
354
Les principales institutions provinciales sont le gouvernement provincial et l’assemblée provinciale qui
exercent respectivement le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
355
Aux termes de l’article 75, alinéa, de la Constitution du 1 er août 1964, MC, op. cit., p. 22 chaque province est
représentée par six sénateurs élus par les assemblées provinciales.
356
Art. 167, alinéa 1, point 2, de la Constitution du 1er août 1964, MC, op. cit., p.
357
Art. 146 et 192 de la Constitution du 1er août 1964, MC, op. cit., pp. 58 et 83.
358
La cour suprême de justice, le conseil supérieur de la magistrature et la cour constitutionnelle.
359
Le conseil économique et social, la commission paritaire spéciale fixant les indemnités et traitements, le
conseil de législation et la cour des comptes.
360
Art. 73 de la Constitution du 1er août 1964, MC, op. cit., p. 21
361
Art. 101de la Constitution du 1er août 1964, MC, op. cit., p. 32
104

Malgré que toutes les conditions soient réunies pour mettre en place un
Etat fédéral, le constituant de 1964 a estimé que l’heure n’avait pas encore sonné pour
traverser le Rubicon. C’est ce que la Constitution précise à son article 178. Les esprits
congolais n’étant pas encore préparés à accepter sans conséquence la terminologie
fédérale correspondant aux structures politiques y relatives, celle-ci ne serait utilisée
dans les actes officiels qu’à partir de la troisième législature suivant l’entrée en
vigueur du texte sans cette terminologie. Comme pour en faire prendre acte, un texte
de la Constitution de la République Fédérale du Congo était annexé et présenté au
référendum du 25 juin au 10 juillet en même temps que celui de la République
Démocratique du Congo, les deux textes étant promulgués au même moment.

Plus vécu qu’écrit, le fédéralisme ne se décrète pas, il résulte d’un


certain esprit qui accompagne le texte constitutionnel. Il nous parait donc douteux
que la forme fédérale recherchée par le constituant du 1er août 1964 ne puisse
produire des effets escomptés par la simple magie de la terminologie dite fédérale.
Encore qu’il eût fallu que le texte reconnût, outre le pouvoir constituant, législatif et
exécutif, la fonction juridictionnelle propre en sus des autres attributs d’une structure
étatique complète en faveur des provinces, futurs Etats fédérés. Ce ne semble pas
avoir été évident dans le cas sous examen.

c. Mise en place des institutions

Le parlement paraissant être au centre du jeu politique congolais de


1964, la mise en place des institutions prévues par la Constitution du 1er août 1964
devait être précédée par les élections législatives.

Fort d’un appui populaire indiscutable et de ses moyens financiers,


l’organisateur des élections législatives d’avril 1965, le premier ministre Moïse
Tshombe362, en fonction à la tête du gouvernement de transition depuis le 10 juillet
1964, réussit à rallier à sa formation politique, la Convention Nationale Congolaise
(CONACO), un groupe hétérogène, beaucoup des personnalités politiques. Ces
élections donnèrent une majorité écrasante à la CONACO, qui enleva 122 sièges sur
167 à la chambre des députés et permit à son chef de lorgner vers la présidence.

L’hétérogénéité363 évidente de la CONACO et les appétits de ses


dirigeants constituaient cependant un risque non négligeable d’effritement. La
démonstration en a vite été faite par des revirements qui empêchèrent la coalition de
remporter la présidence du sénat364. En effet, c’est à cette occasion qu’un élu sur la
liste de CONACO, Monsieur Nendaka, se désolidarise publiquement de son parti et
de son premier ministre et crée le Front Démocratique Congolais (FDC) d’opposition.

362
Moïse Tshombe remplaça Adoula, ancien premier ministre, dont le gouvernement devenait, en vertu de
l’article 185, démissionnaire à la date de l‘adoption de la Constitution.
363
Beaucoup de politiciens opportunistes – y compris des unitaristes - avaient adhéré à la CONACO, les uns
pour profiter d’immenses moyens financiers détenus par Tshombe, les autres y trouvant le seul moyen d’accéder
au pouvoir.
364
Malgré une majorité confortable, le candidat de Tshombe n’a pu se faire élire lors de l’élection du président
du sénat. La CONACO se contenta de la présidence de la chambre des députés.
105

Deux blocs presqu’à égalité au parlement se font désormais face : le FDC revigoré par
les défections provoquées par le mouvement de Nendaka, appuyé par Kasavubu
affronte la CONACO conduite par Tshombe.

Sur la suite des opérations de mise en place des institutions, la position


du chef de l’Etat et celle du chef de gouvernement, grand vainqueur des législatives
diverge : alors que le second avait l’intention de rester en fonction jusqu’à l’élection
du nouveau président de la République, le premier entendait recevoir la démission
du gouvernement de transition dès la convocation des nouvelles chambres.

En ouvrant la première session ordinaire du parlement le 10 octobre


1965, le chef de l’Etat annonce mettre fin au gouvernement Tshombe et désigne
Kimba pour former un nouveau gouvernement de transition jusqu’à l’élection du
chef de l’Etat conformément à la nouvelle Constitution. Dans un sursaut d’orgueil, la
majorité au parlement approuve la motion déclarant inconstitutionnelle la décision
du chef de l’Etat de mettre fin au gouvernement Tshombe et refuse à deux reprises
d’approuver le gouvernement Kimba.

C’est devant ce refus persistant du parlement réuni en congrès


d’approuver l’acte de nomination du gouvernement que l’armée décide la nuit du 24
au 25 novembre 1965 de destituer le chef de l’Etat et le chef du gouvernement et de
confier les pouvoirs de président de la République au général Mobutu.

d. Fonctionnement des institutions

La mise en place constitutionnelle des institutions politiques ratée, le


fonctionnement de ces institutions ne pouvait qu’achopper sur leur propre
inconstitutionnalité. Bien que, dans sa proclamation, le Haut commandement de
l’ANC décide que « les institutions démocratiques de la République, telles qu’elles
sont prévues par la Constitution du 1er août 1964, continueront à fonctionner et à
siéger en exerçant leurs prérogatives »365, le fonctionnement concret de ses
institutions est simplement biaisé.

Au niveau exécutif, à la place d’un chef de l’Etat élu par un corps


électoral composé des membres du parlement et des assemblées provinciales ainsi
que des délégués de la ville de Léopoldville, Joseph Désiré Mobutu, chef de l’armée,
s’empare du pouvoir par coup d’Etat. Obligés d’approuver un gouvernement formé
par le nouveau chef de l’Etat, composé en majorité des militaires, les membres élus
du nouveau parlement sont conditionnés par le nouveau pouvoir auquel ils donnent
appui.
La concentration des pouvoirs semble avoir paru insuffisante au
nouveau président de la République. Aussi, fallait-il, en plus de la compétence
législative exercée sans autorisation ni contrôle du parlement, s’adjuger de la
plénitude du pouvoir exécutif que semblait diluer la présence d’un premier ministre.

365
Proclamation du Haut commandement de l’Armée nationale congolaise, paragraphe 3, point 4.
106

La Constitution de 1964 avait institué le bicéphalisme de l’exécutif


même si, ayant le dernier mot, le président de la République était le vrai chef du
gouvernement. C’est en sa qualité de chef de l’exécutif que le chef de l’Etat prit
l’ordonnance n° 66-612 du 27 octobre 1966 conférant au président de la République
les pouvoirs du premier ministre.

C’est donc par un simple acte réglementaire que le chef de l’Etat


supprima le poste de premier ministre, pourtant prévu par la Constitution. A partir
de ce moment, plus rien ne pouvait empêcher le président de la République
d’exercer les attributions dévolues au premier ministre, notamment la coordination
quotidienne de l’action gouvernementale et des services administratifs, l’autorité
plus directe sur chacun des membres du gouvernement366.

Sous cet angle, après avoir totalement bâillonné le parlement, le chef de


l’Etat va cumuler dans son chef le pouvoir exécutif autant que le pouvoir législatif
qu’il exerce en grande partie comme législateur ordinaire.

Cette situation atypique va rester en état jusqu’à la date de la


promulgation de la nouvelle Constitution le 24 juin 1967, date de décès de la
première République.

B. Les institutions de la deuxième République

Sur la naissance et le décès de la deuxième République, les chercheurs


ne semblent s’accorder unanimement. Les uns situent le début de cette république à
la date de la prise du pouvoir par le haut commandement de l’Armée nationale
congolaise (ANC) qu’ils situent à l’aube du 24 novembre 1965367. Les autres, forts du
critère constitutionnel qui fait coïncider la naissance d’une république à l’existence
d’une constitution définitive, sont d’avis que la deuxième République est née au 24
juin 1967, date de la promulgation par Joseph Désiré Mobutu de la nouvelle
constitution.

Quant à la fin de la deuxième République, la majorité des chercheurs et


d’hommes politiques la situent à la perte de son mandat de chef de l’Etat éternel par
le maréchal du Zaïre. Mais en réalité, si une république sous-tend l’exercice du
mandat politique par des animateurs désignés par le peuple à la suite d’une
compétition électorale ouverte à tous, le décès de la deuxième République doit être
situé au 15 août 1974, date à laquelle un texte constitutionnel a cru devoir instituer
une véritable monarchie en supprimant la séparation des pouvoirs au profit de la
plénitude du pouvoir consacrée par un nouveau texte constitutionnel368.

366
Le président de la République dispose désormais sur chaque membre d’un pouvoir discrétionnaire de
nomination (art. 62, al. 1 et 65, al. 2 de la Constitution de 1964) et de révocation (art. 62, al. 3 de la Constitution
de 1964) ainsi la répartition sans entrave des portefeuilles ministériels (art. 65, al. 3 de la Constitution de 1964),
MC, op. cit., pp. 17 et 18.
367
Puisque la réunion y relative s’est tenue dans la nuit du 24 au 25 novembre 1965, l’on serait plus fondé de
parler de l’aube du 25 novembre.
368
Il s’agit de la loi n° 74-020 du 15 août 1974 portant « révision» de la Constitution du 24 juin 1967.
107

1. Le régime politique de la Constitution du 24 juin 1967

La Constitution du 24 juin 1967, qui fondait la deuxième République,


présentait, à bien d’égards, des ressemblances avec un régime démocratique de type
occidental. Le rapprochement des éléments de ces types de régime risque de faire
facilement aboutir des observateurs à tirer des conclusions identiques sur leur
fonctionnement effectif.

En effet, prévoyant un système politique pluraliste fondé sur la


séparation de trois pouvoirs classiques369 et le pluralisme des partis politiques370, le
régime consacre la souveraineté du peuple dont émane tout pouvoir et qui l’exerce
par référendum ou par ses représentants371.

Pareille démocratie représentative se devait normalement d’être


organisée à partir d’une combinaison qui tende à assurer l’équilibre des pouvoirs
constitutionnels sur base duquel les analystes pouvaient rechercher la qualification
du régime politique mis en place. Tout régime politique n’apparaît-il pas comme une
résultante du jeu des forces politiques, plus précisément d’un ou de plusieurs partis
dans le cadre institutionnel établi, dont la combinaison avec d’autres facteurs variés,
historiques, idéologiques et économiques, permet la détermination de la nature des
régimes et leur classification 372 ?

Dans le scénario de 1967, le schéma suivant est retenu :

- Le pouvoir législatif est exercé par un parlement monocaméral dont les


membres sont élus au suffrage universel direct et secret pour cinq ans373.
- La plénitude du pouvoir exécutif est détenue par le président de la
République qui « détermine et conduit la politique de la nation, fixe le
programme du gouvernement, veille à son application »374.
- Les membres du gouvernement sont de simples collaborateurs nommés
librement et, le cas échéant, relevés de leurs fonctions par le chef de l’Etat et
appliquent, chacun dans son département, le programme arrêté, les décisions
prises par le président de la République devant lequel ils répondent de leurs
actes375.
- L’indépendance du pouvoir judiciaire d’avec les deux autres est même
consacrée376.

369
Le législatif, l’exécutif et le judiciaire.
370
Art. 4 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, 8ème année, n° 14 du 17 juillet 1967, p. 549.
371
Art. 2 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, ibidem.
372
PACTET, P., Institutions politiques. Droit constitutionnel, op. cit. , p. 143, répond par l’affirmative à cette
question réflexive.
373
Art. 36 et 45 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., pp. 557 et 560.
374
Art. 20 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p. 554.
375
Art. 31 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p. 557.
376
Art. 58 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p. 562.
108

La configuration qui résulte de pareille répartition des compétences


devrait logiquement déboucher sur l’indépendance réciproque des organes
constitutionnels, gage d’un fonctionnement régulier et normal d’un régime
présidentiel377.

Ce modèle constitutionnel ne semblait cependant pas convenir à la


psychologie des dirigeants du nouveau régime que l’expérience malheureuse de
crise institutionnelle chronique d’après la colonisation, qui les avait accoutumés au
renforcement accru d’un pouvoir personnel, avait échaudés. Ledit modèle ne pouvait
pas non plus s’adapter aux besoins du pays qui recherchait avant tout l’identité
nationale des populations et ne pouvait guère la trouver qu’en la personne d’un
homme qui soit le symbole même de la nation en construction378. C’est pourquoi,
dans sa préoccupation de rendre le pouvoir effectif379 dans le chef d’un homme, le
constituant congolais de 1967 renforcera les pouvoirs constitutionnels du président
de République au détriment des autres organes constitutionnels. La Constitution de
1967 confirme le recul de l’institution parlementaire entamé depuis le coup d’Etat de
novembre 1965.
C’est ainsi qu’il sera reconnu au chef de l’Etat, chef de l’exécutif, le droit
d’initiative en matière législative et même de révision constitutionnelle380. Le droit
d’exercer lui-même directement le pouvoir législatif sur habilitation du parlement
ou, en cas d’urgence, de son propre chef, lui était également reconnu381. De plus, les
membres du gouvernement ont accès aux séances de l’assemblée et peuvent
librement y prendre la parole382. Le président jouit lui-même du droit de mettre en
vigueur le budget, par ordonnance-loi, s’il n’a pas été adopté en temps utile par le
parlement et promulgué avant le début de l’exercice383. Cet ensemble de prérogatives
reconnues au président fausse l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif d’autant plus que cet équilibre y est définitivement rompu par le fait que le
chef de l’Etat jouit, en cas de crise, de la possibilité légale d’élargir ses compétences et
même de suspendre la garantie constitutionnelle des libertés publiques384.

377
Des nombreux auteurs, tels que CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique, Armand
Colin, Paris, 15e éd., 1998, p. 111, PACTET, P., Institutions politiques. Droit constitutionnel, op. cit., p. 213,
FAVOREU, L. et alii, Droit constitutionnel, op. cit., p. 373, ZOLLER, E., Droit constitutionnel, 2ème éd., Paris,
PUF, 1999, p. 297, KOUBI, G., et ROMI, R., Etat, Constitution, Loi, Paris, Litec, 1993, p. 210, - pour ne citer
qu’eux -, trouvent dans le régime présidentiel américain l’unique expérience réussie de régime de séparation
bénéfique des pouvoirs, toute imitation ailleurs ayant conduit à des « déviances ».
378
Au lendemain de leur accession à l’indépendance conquise sur les Espagnols et les Portugais entre 1808 et
1825, les Etats d’Amérique latine se butèrent à la même équation lorsqu’ils voulurent adopter dans leurs pays
une Constitution inspirée de leur puissant voisin, les Etats-Unis d’Amérique.
379
Dans sa contribution, « Pour une théorie du présidentialisme : quelques réflexions sur les présidentialismes
latino-américains », Mélanges à l’honneur de Georges BURDEAU, Paris, 1977, p. 115, CONAC, G., estime que
la première préoccupation des dirigeants du Tiers Monde n’était pas de limiter le pouvoir, mais de le rendre
effectif.
380
Art. 45 et 74 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., pp. 559 et 575.
381
Art. 52 et 54 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p. 560.
382
Art. 43 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p.558.
383
Art. 48 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p.559.
384
Il ressort en effet des dispositions de l’art. 54 de la Constitution du 24 juin 1967 que, dans « l’état
d’urgence », le président « prend les mesures exigées par les circonstances ». Il peut même aller jusqu’à
suspendre, dit l’article 58, alinéa 1, l’action répressive des cours et tribunaux et y substituer celle des juridictions
militaires pour la durée et les infractions qu’il détermine.
109

C’est vrai que les constituants américains de Philadelphie, qui sont les
premiers initiateurs de ce modèle, ne se méprirent pas sur la portée exacte de
l’expression « séparation des pouvoirs » de Montesquieu. Ils comprirent d’emblée
que le problème était moins de cloisonner les pouvoirs de manière étanche que
d’instituer entre eux un équilibre fondé sur la capacité de se neutraliser
mutuellement385.

Sous la conjugaison du texte constitutionnel et de la pratique du


pouvoir, le système de la Constitution du 24 juin 1967 consacra un tel déséquilibre en
faveur du président de la République qu’il ne pouvait instaurer qu’un régime
présidentialiste.

2. La forme de l’Etat sous la Constitution du 24 juin 1967

Contrairement aux textes constitutionnels antérieurs, la Constitution de


1967 a clairement déterminé la structure étatique congolaise. En effet, aux termes de
l’article premier de cette constitution, la République démocratique du Congo est un
Etat unitaire, démocratique et social. La République comprend (la capitale) et les huit
provinces administratives énumérées ci-après : Bandundu, Equateur, Kasaï
occidental, Kasaï oriental, Katanga, Kivu, Kongo central et la province orientale.

Les provinces ainsi que les autres collectivités régionales et locales de


l’Etat sont organisées par la loi. Elle détermine les principes fondamentaux de leurs
attributions, leurs compétences et leurs ressources. Kinshasa, capitale de la
République, ne relève d’aucune province. Une loi organique spéciale fixe son statut.

Il ressort de cette lecture constitutionnelle que la forme de l’Etat


instituée sous cette la constitution du 24 juin 1967 fut un Etat unitaire centralisé, dont
la déconcentration semble avoir été la modalité pratique de son exercice. En effet, il
paraît pratiquement impossible aux jours d’aujourd’hui de trouver un Etat unitaire
centralisé concentré comme du temps de l’administration française sous
Bonaparte386.
Dans une centralisation, la hiérarchie gouvernementale (le chef de l’Etat
et ses ministres) détient l’exclusivité des pouvoirs de décision sur l’ensemble du
territoire national, les collectivités provinciales et locales, simples découpages
administratifs et territoriaux, sans personnalité morale, n’étant que des
circonscriptions administratives destinées à la mise en application des décisions du
somment de l’Etat sur l’ensemble du territoire.
Pour éviter d’ankyloser totalement l’Etat, il est presque toujours prévu
une certaine déconcentration dans le fonctionnement d’une centralisation. Il y a
déconcentration lorsque, au sein d’une même institution, le pouvoir de décision
détenu par les autorités les plus élevées est transféré à des autorités moins élevées
dans la hiérarchie interne de l’institution. Il s’agit d’une redistribution du pouvoir de
décision dans le sens de l’amoindrissement d’une concentration originelle au
385
CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel et science politique, op. cit., p. 111.
386
RIVERO, J. et WALINE, J, Précis de droit administratif, Paris, Dalloz, p. 268, l’affirment.
110

sommet. Concrètement, durant cette période, le pouvoir de décision appartient certes


au pouvoir central, mais délégation en est faite à ses agents locaux qui agissent en ses
lieu et place.

3. La mise en place des institutions

Puisque le chef de l’Etat autoproclamé après le coup d’Etat de


novembre 1965 s’était attribué un mandat de cinq ans, comme pour respecter la
durée du mandat constitutionnellement prescrit par la Constitution de 1964, celui-ci
dirigera le pays selon ses propres humeurs, sans véritable égard pour quelque texte
que ce soit. Même le nouveau texte constitutionnel le verra d’abord achever son
mandat auto-attribué avant de songer trois ans plus tard à organiser l’élection pour
un nouveau mandat de sept ans387. A cette occasion, seul candidat à l’élection
présidentielle prévue par la Constitution de 1967, le général Mobutu, qui avait enfin
atteint l’âge de 40 ans requis pour être élu, reçut un aval populaire extraordinaire
puisqu’il dépassera en votes positifs le nombre des électeurs inscrits.

Contrairement aux dispositions constitutionnelles qui prévoient


l’élection du nouveau parlement, constitué d’une chambre unique, appelée
Assemblée nationale, 60 jours au moins et 90 jours au plus avant la fin de la
législature, il a fallu attendre l’ordonnance présidentielle de juin 1968 pour voir
annoncer les élections législatives pour les 14 et 15 novembre 1970. C’est sur une liste
unique des candidats soigneusement sélectionnés par le Bureau politique du MPR
que 420 députés seront retenus pour siéger à la nouvelle assemblée.

4. Le fonctionnement des institutions

Avant de devenir l’incarnation du MPR et le détenteur de la plénitude


de l’exercice du pouvoir dès la révision constitution de 1974, le général Mobutu était
déjà un homme seul qui dirigeait le Congo-Zaïre d’une main de fer. Elu pour un
mandat de sept, le chef de l’Etat apparaissait comme la clef de voûte de tout l’édifice
politique national, unique source de dynamisme, de pouvoir et de ressource.

Quant au gouvernement, ses membres, dont la majorité appartient en


même temps au Bureau politique du parti, demeurent discrétionnairement désignés
à leur poste par le chef de l’Etat. En raison de la fusion proclamée entre l’Etat et le
parti, les risques de conflit entre les organes de l’Etat et ceux du parti sont réduits.

Le parlement élu en novembre 1970 se réunit le 2 décembre pour


consacrer, par une loi, l’institutionnalisation du MPR, mettant ainsi fin au bipartisme
de l’article 4 de la Constitution et conféré au président de la République le pouvoir
extraconstitutionnel de légiférer par ordonnance-loi jusqu’à la prochaine session,
avant de s’ajourner une douzaine de jours plus tard.

387
Art. 21, alinéa 1, de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p. 554.
111

Au cours des années suivantes, le rôle de l’Assemblée ira décroissant en


proportion directe de l’importance grandissante du Bureau politique du MPR jusqu’à
ne devenir finalement qu’une simple chambre d’enregistrement du parti, fonction
que viendra institutionnaliser la révision constitutionnelle de 1974.

C. Les institutions de la troisième République

Chose rare est l’unanimité qui semble régner entre les chercheurs et les
politiques sur la détermination de la date de la naissance de la troisième République.
Tout le monde la situe à la date de la promulgation de la Constitution actuelle, le 18
février 2006. Cette unanimité semble être encouragée par l’exceptionnelle mise en
place de son texte fondateur selon un schéma préétabli par un texte antérieur.

En effet, le processus de l’élaboration du texte a scrupuleusement


respecté les dispositions y relatives388 de la Constitution de la transition du 4 avril
2003 : précédé par un avant-projet élaboré par le Sénat, le projet de la Constitution
adopté par l’Assemblée nationale a été soumis au referendum populaire avant d’être
promulgué par le chef de l’Etat.

Ce processus mené dans un débat public certain semble avoir


suffisamment véhiculé la quintessence du texte constitutionnel au-delà de ce que les
textes précédents avaient pu fournir comme vecteurs du changement du système de
gouvernement. Mais il reste à savoir si le régime politique, la forme de l’Etat, la mise
en place des institutions et leur fonctionnement concret sont demeurés en conformité
avec ce texte qui semble jouir du préjugé favorable de la majorité des observateurs.

1. Le régime politique de la Constitution du 18 février 2006

Elu au suffrage universel direct, le président de la République congolais


est un personnage inviolable et irresponsable. Il est le chef de l’exécutif, dont il exerce
le pouvoir sous le contreseing du premier ministre et des ministres qui en répondent
devant le parlement.

Emanation de la majorité parlementaire, le gouvernement définit, en


concertation avec le président de la République, la politique de la nation qu’il
conduit et en assume la responsabilité389. Le gouvernement congolais est pleinement
responsable de la gestion de l’Etat et doit en répondre devant l’assemblée nationale.
C’est auprès de celle-ci qu’il doit obtenir confiance ou la perdre collectivement ou
individuellement à travers le premier ministre et les ministres390. A cet effet, il

388
Art. 98 et 104, al. 2 de la Constitution de la transition du 4 avril 2003, JO, 44ème année, Kinshasa, numéro
spécial, 5 avril 2003, pp. 24 et 26.
389
Article 91, al. 1 et 2 de la Constitution du 18 février 2006, JO, 47ème année, Kinshasa, numéro spécial du 18
février 2006, p. 32.
390
Le gouvernement peut engager sa responsabilité en posant une question de confiance à l’Assemblée nationale
sur son programme, une déclaration de politique générale ou sur le vote d’un texte de loi. La responsabilité
112

dispose de l’administration publique, des forces armées, de la police nationale et des


services de sécurité civile391.

Le parlement congolais de 2006 est bicaméral. Les membres de


l’assemblée nationale, appelés députés nationaux, élus au suffrage universel direct et
secret, représentent la nation. Ceux de la deuxième chambre, appelés sénateurs,
représentent chacun sa province. Les deux chambres exercent le pouvoir législatif et
contrôle le gouvernement, les entreprises publiques, les établissements et services
publics, de manière presque similaire. C’est pourquoi, elles disposent d’un droit à
l’information essentiel pour le travail législatif et l’exercice du contrôle sur l’activité
gouvernementale et le fonctionnement des services administratifs placés sous le
contrôle de celui-ci392.
En contrepartie de la responsabilité du gouvernement devant
l’assemblée nationale, la Constitution a prévu, parmi les compétences du chef de
l’Etat, la possibilité de prononcer la dissolution de cette chambre législative en cas de
crise persistance avec le gouvernement et après consultation du premier ministre et
des présidents de deux chambres393.

Avec un chef de l’Etat élu au suffrage universel direct et irresponsable,


un gouvernement qui répond de sa responsabilité devant le parlement et une
assemblée nationale susceptible d’être dissoute par le chef de l’exécutif, sont
accouplés, dans ce système, des mécanismes de régime présidentiel et ceux du
régime parlementaire. Ce mélange laisse penser au régime français de
parlementarisme rationalisé de la cinquième République dit « régime semi-
présidentiel »394.

2. La forme de l’Etat de la Constitution du 18 février 2006

Depuis le célèbre partage de l’Afrique en 1885, la centralisation a


dominé l’organisation territoriale du Congo jusqu’à l’indépendance. Les effets
pervers de cette centralisation, qui ont exercé une véritable poussée vers l’autonomie
des entités à la veille de l’indépendance du pays, continue d’interférer dans les
débats politiques congolais jusqu’à ce jour. Le constituant du 18 février 2006 s’est
trouvé devant les mêmes débats "avec des personnages qui ressemblent aux
fantômes du passé et vous donnent des sueurs froides »395.

collective du gouvernement peut être engagée par une motion de censure et la responsabilité individuelle d’u n
membre du gouvernement, par une motion de défiance. Art. 146 de la Constitution du 18 février 2006, JO, p. 50.
391
Art. 91, al. 3 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p.32.
392
En ce sens, VUNDUAWE te PEMAKO, F., Traité de Droit administratif, op. cit., p.799.
393
Art. 148 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 51.
394
Pour plus de détails sur la comparaison entre ces deux régimes, voy. KALOMBO TAMBWA, F., Etude
comparés des régimes politiques institués par les Constitutions française du 4 octobre 1958 et congolaise du 18
février 2006, Mémoire de licence, Faculté de Droit, Université Libre de Kinshasa, 2008-2009.
395
Pour paraphraser André MBATA BETUKUMESU MANGU, "Suprématie de la Constitution, indépendance
du pouvoir judiciaire et gouvernance démocratique en République Démocratique du Congo", in Grégoire
BAKANDEJA wa MPUNGU, André MBATA B. MANGU et Raoul KIENGE-KIENGE INTUDI (dir.),
113

Contrairement à la Constitution du 24 juin 1967 qui détermina la forme


unitaire de l’Etat, le constituant de 2006 semble avoir choisi d’entretenir un flou
artistique, quitte à laisser croire aux tenants des tendances unitaristes et fédéralistes
aux prises depuis l’indépendance d’avoir remporté la victoire. Ce que le constituant
pensait résoudre politiquement en vue d’assurer la paix sociale n’a pas facilité la
tâche aux chercheurs, encore occupés à critiquer sévèrement les propositions des uns
et des autres. Mais puisque tous partent du même texte pour annoncer leurs
positions, nous nous servirons des richesses enfouies dans la Constitution du 18
février 2006 pour aboutir à notre propre proposition de qualification.

En guise d’organisation territoriale de l’Etat, la Constitution du 18


février 2006 se contente d’affirmer à l’alinéa premier de son article 1er : "la République
Démocratique du Congo est, dans ses frontières du 30 juin 1960, un Etat de droit,
indépendant, souverain, uni et indivisible, social, démocratique et laïc.". Elle ajoute,
à l’alinéa premier du second article : "la République Démocratique du Congo est
composée de la ville de Kinshasa et des 25 provinces396 dotées de la personnalité
juridique.
Outre les entités territoriales décentralisées397 et les provinces dotées
de la personnalité juridique et gérées par les organes locaux 398, qui jouissent de la
libre administration et de l’autonomie de gestion de leurs ressources économiques,
humaines, financières et techniques, le constituant du 18 février 2006 limite lui-
même les institutions politiques provinciales399, détermine la répartition des
compétences entre le pouvoir central et les provinces400 et fixe même la clé de
répartition des ressources financières nationales401.

Ces hésitations du constituant congolais de 2006 à déterminer la forme


de l’Etat ont généré une multiplicité des théories sur la qualification de la forme de
l’Etat qu’il nous parait indispensable de rappeler ici. En effet, si certains parlent de
l’Etat unitaire fortement décentralisé, d’autres, se fondant sur la répartition
constitutionnelle des compétences entre le gouvernement central et les provinces, le
placent à mi-chemin entre l’Etat unitaire décentralisé et l’Etat fédéral et le
qualifient de régionalisme politique ou constitutionnel402. D’autres encore, comme

Participation et responsabilité des acteurs dans un contexte d’émergence démocratique en République


Démocratique du Congo, Actes des Journées scientifiques de la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa, 18-
19 juin 2007, Kinshasa, PUK, 2007 p. 393 ; Voy. également THANDIKA MKANDAWIRE, "Préface", in
KANKWENDA MBAYA (dir.), Le Zaïre vers quelles destinées ?, CODESRIA-Paris, 1992, p. X.
396
Ces provinces sont : Bas-Uélé, Equateur, Haut-Lomami, Haut-Katanga, Haut-Uélé, Ituri, Kasaï, Kasaï
Oriental, Kongo Central, Kwango, Kwilu, Lomami, Lualaba, Kasaï Central, Mai-Ndombe, Maniema, Mongala,
Nord-Kivu, Nord-Ubangi, Sankuru, Sud-Kivu, Sud-Ubangi, Tanganyika, Tshopo, Tshuapa.
397
Ce sont la ville, la commune, le secteur et la chefferie.
398
Article 3, al. 1 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit, p. 11.
399
Articles 195 à 200 de la Constitution, JO, op. cit., pp. 63-65.
400
Articles 201 à 206 de la Constitution, JO, op. cit., pp. 65-71.
401
Article 175, al. 2, de la Constitution, JO, op. cit., p. 59.
402
VUNDUAWE Te PEMAKO, F., Traité de droit administratif, op. cit., pp.415-416 ; -------- " Réflexions sur
le régionalisme politique ou la nouvelle décentralisation territoriale", in PNUD, Mandats, Rôles et
Fonctions des pouvoirs constitués dans le nouveau système politique de la République Démocratique du
Congo. Journées d’informations organisées à l’intention des parlementaires, des députés provinciaux et de
hauts cadres de l’administration, (février-juin 2007), Kinshasa, 2007, p.86.
114

feu professeur Félicien Assani Mpoyo, sans donner une qualification quelconque,
mais s’inspirant de l’expérience de l’évolution de la forme de l’Etat belge,
contestent le point de vue des tenants du régionalisme constitutionnel403. Il y en a
même qui n’ont pas hésité, comme le professeur Jean Louis Esambo, à qualifier l’Etat
congolais de 2006, d’un Etat quasi-fédéral404.

Dans le cadre de la constitution du 18 février 2006, il apparait


clairement que, comme en 1960, les entités composantes de l’Etat congolais sont les
provinces405. Au niveau de ces composantes, chaque province dispose du pouvoir
législatif et du pouvoir exécutif406. Le pouvoir législatif provincial est exercé sous
forme d’édits par une assemblée provinciale composée des députés provinciaux élus
au suffrage universel direct et secret ou cooptés pour un mandat de cinq ans
renouvelable407. Le pouvoir exécutif provincial est détenu par un gouvernement
provincial composé d’un gouverneur, d’un vice-gouverneur et des ministres
provinciaux408.
L’attribution aux provinces de tant des principaux pouvoirs étatiques
classiques, comme le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, semble leur faire
acquérir une structure étatique normale qui laisse penser aux Etats fédérés. La
répartition constitutionnelle des compétences, qui vient régionaliser ces provinces,
renforce visiblement l’autonomie de ces composantes de l’Etat congolais en leur
donnant l’impression d’avoir acquis des pouvoirs étatiques complets.

L’exercice compliqué, auquel s’est livré le constituant congolais de 2006


pour calmer les ardeurs des tendances séparatistes, a fait penser à beaucoup
d’auteurs que la Constitution du 18 février 2006 met en place un Etat fédéral au
Congo409.
La position tendant à considérer la forme de l’Etat instituée par la
Constitution du 18 février 2006 comme un Etat fédéral appelle de notre part un
faisceau d’observations : les unes sont liées à la critique de la structure étatique
complète attribuée par ces auteurs aux entités provinciales congolaises pour leur
faire mériter le statut d’Etat fédéré ; les autres, à la confusion qui amène à considérer
la répartition constitutionnelle des compétences comme un élément constitutif du
fédéralisme.

403
ASSANI MPOYO KALEMA, F., "Réflexion sur les rapports juridiques entre le pouvoir central et les
provinces dans la Constitution du 18 février 2006 en République Démocratique du Congo", in PNUD, op.cit,
pp.111-118.
404
405
Aux termes de l’article 2, alinéa 1 de la constitution du 18 février 2006, «La République Démocratique du
Congo est composée de la ville de Kinshasa et de 25 provinces dotées de la personnalité juridique », JO, op. cit.,
p. 10.
406
Telle qu’elle ressort des dispositions de l’article 195 de ladite constitution.
407
Art. 197 de la constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p.63.
408
Telle qu’elle ressort des dispositions de l’article 198, alinéa 1 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op.
cit., p. 64.
409
C’est le cas du professeur MBATA B. MANGU, A., « Perspectives du constitutionnalisme et de la
démocratie en République Démocratique du Congo sous l’empire de la Constitution du 18 février 2006 », in
BULA-BULA SAYEMAN (dir.), Pour l’épanouissement de la pensée juridique congolaise, Liber Amicorum
Marcel Antoine LIHAU, Kinshasa, PUK et Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 212, estime que « même si le mot
fédéral n’est pas utilisé (dans le texte constitutionnel), l’Etat de la RDC apparait comme un Etat quasi-fédéral ».
115

Dans l’organisation des pouvoirs des provinces, un pas est certes


franchi vers la détention par les provinces des compétences politiques tant exécutives
que législatives, mais l’organisation étatique complète attendue d’un Etat fédéré, qui
doit disposer d’une Constitution propre410, en plus des institutions politiques
consacrant l’existence des pouvoirs classiques de l’Etat (le parlement, le
gouvernement, les cours et tribunaux), demeure inachevée.

L’existence des institutions provinciales (gouvernement provincial et


assemblée provinciale) est certes une manifestation physique de l’autonomie de la
province au-delà de la consécration textuelle théorique ; elle ne fait nullement de
la province, qui ne dispose pas du pouvoir judiciaire et de la constitution propres,
un Etat fédéré. Si l’on observe le rôle régulateur de la conférence des gouverneurs,
la structure étatique complète a du mal à être réalisée par la province de 2006.

L’avancée amorcée par le constituant de 2006 vers la cumulation entre


les mains de la province des pouvoirs politiques protégés par la Constitution a
certainement inspiré certains chercheurs à trouver dans l’organisation territoriale de
l’Etat congolais de 2006 un fédéralisme atypique. Cependant, dans l’histoire
contemporaine, le fonctionnement de l’Etat fédéral n’est nullement dicté par la
répartition constitutionnelle des compétences respectives du gouvernement fédéral
et de ceux des Etats fédérés. Ce qui fonde le fédéralisme, c’est plutôt la conformité
aux six principes du fédéralisme : l’autonomie, la participation, la garantie, la
subsidiarité (exacte adéquation), la coopération et la complémentarité qui amènent
les Etats fédérés à participer en toute autonomie411 à toutes les compétences
étatiques, sous réserve du respect de la Constitution fédérale412.

En face de pareille architecture institutionnelle, il n’est certes pas aisé


pour le commun de mortels de ressortir la forme exacte de l’Etat. Toutefois, avant
d’aborder une telle question, il est logique de s’interroger d’abord sur le fondement
philosophique d’une telle architecture textuelle.

Il importe de se référer au soubassement philosophique tiré de


l’exposé des motifs413 et du préambule de la Constitution du 18 février 2006, pour
tenter d’en tirer les idées maîtresses qui semblent guider le constituant et donner une
orientation aux dispositions concernées. Dans le but, d’une part, justifie l’exposé
des motifs, « de consolider l’unité nationale mise à mal par des guerres successives
et, d’autre part, de créer des centres d’impulsion et de développement à la base "414,
l’Etat congolais est structuré en 25 provinces plus la ville de Kinshasa, celles-ci
exerçant des compétences de proximité énumérées aux articles 201 à 206 de la
410
Contrairement aux provinces de 1960 et de 1964, les provinces congolaises ne disposent pas de la
Constitution de 2006 du pouvoir constituant.
411
En réalité, tous ces principes se réduisent aux seuls principes de participation et d’autonomie assurée à chaque
province.
412
La Constitution américaine du 17 septembre 1787 qui met en place un Etat fédéral type ne répartit nullement
les compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des Etats fédérés.
413
Même si, faute d’appartenir proprement au bloc dit de constitutionnalité, l’exposé des motifs n’est pas
contraignant, il porte néanmoins en lui une valeur explicative certaine.
414
JO, op. cit., p. 3.
116

Constitution. De la même façon, dans le préambule, le constituant a affirmé la


détermination du peuple congolais à sauvegarder l’indépendance et l’unité
nationales dans le respect de ses diversités et de ses particularités positives.

Même si le constituant s’abstient de le préciser, la qualification de la


forme de l’Etat apparait comme la résultante et découle de la combinaison des
valeurs cardinales suivantes : unité et indépendance nationales, existence des centres
d’impulsion et de développement à la base et respect des diversités congolaises.

A partir de ces valeurs, il faut arriver à conclure que le constituant a


évité de franchir le Rubicon en décrétant l’Etat fédéral entendu comme point de
chute recherché par les séparatistes pour saper les fondements devenus plus fragiles
de l’Etat congolais. Mais il ne veut pas non plus revenir à la centralisation qui avait
justifié les menaces d’effondrement du pouvoir de l’Etat et à travers laquelle le long
règne du MPR avait contribué à augmenter l’excessive pauvreté des entités de base.
L’Etat congolais de la Constitution du 18 février 2006 présente à coup
sûr une structure étatique unitaire remarquée à travers tant l’absence d’une
constitution provinciale et la nature hybride du gouverneur de province, qui permet
au pouvoir central d’exercer un contrôle hiérarchique sur celui-ci en tant que
représentant du pouvoir central en province415, qu’à la privation d’un pouvoir
judiciaire propre ainsi qu’au rôle régulateur de la conférence des gouverneurs. La
révision des articles 197 et 198 de la Constitution qui attribuent au chef de l’Etat de
nouveaux pouvoirs constitutionnels de dissolution des assemblées provinciales et de
révocation des gouverneurs de province416 en apporte une preuve supplémentaire.
Bien qu’entité régionalisée, la province ne présente pas les
caractéristiques d’un Etat fédéré qui, lui, demeure libre d’exercer l’entièreté des
compétences, qui en est le principe, sauf exception consacrée par la Constitution
fédérale. De même, la présence des entités territoriales décentralisées, dont la
composition, l’organisation et le fonctionnement sont fixés par une loi organique417
ne peut laisser penser à une quelconque volonté du constituant de 2006 d’instituer au
Congo un Etat unitaire décentralisé. Puisque les entités composantes de l’Etat
demeurent les provinces que le constituant a tenu à régionaliser en leur attribuant
des compétences propres, la forme de l’Etat ainsi mise en place par la Constitution
du 18 février 2006 ne peut être que celle d’un Etat unitaire régionalisé418.

415
Il suffit d’avoir à l’idée le rôle que joue le pouvoir central face aux autres centres de décisions ou autres
entités qui ont l’autonomie politique, les différentes interventions du ministère ayant les affaires intérieures dans
ses attributions à l’intérieur de provinces tel est le cas de la fermeture des Assemblées provinciales de l’Equateur
de Kinshasa et du Katanga ou la rétention inconstitutionnelle du Gouverneur Trésor Kapuku du Kasaï Occidental
à Kinshasa pour comprendre le reflexe centralisateur des autorités centrales.
416
Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République
Démocratique du Congo du 18 février 2006, JO, 52ème année, Kinshasa, n° 3 du 1er février 2011, pp. 5-6.
417
Loi organique n° 08/016 du 7 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités
territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces, JO, 49ème année, numéro spécial, 10
octobre 2008.
418
Pour des détails quant au fonctionnement de pareille forme de l’Etat, voy. KAMUKUNY MUKINAY, A. et
CIHUNDA HENGELELE, J., “Régionalisation, décentralisation et naissance effective des vingt-cinq nouvelles
provinces en RD Congo : Défis et perspectives de prévention des conflits », Congo - Afrique, n° 434, Kinshasa,
avril 2009, pp. 295-310..
117

3. La mise en place des institutions


Contrairement à la mise en place des institutions sous la période
transitoire, les acteurs politiques de la troisième République Congolaise ont
l’avantage d’avoir reçu leurs pouvoirs à la suite de la censure populaire résultant des
élections de juillet et octobre 2006. Les principales institutions politiques tant au
niveau exécutif que législatif ont concouru aux suffrages populaires. C’est donc en
tentant de briguer des mandats électifs (a) que les acteurs politiques ont espéré
occuper des postes de responsabilité sur la scène politique nationale (b).
a. La complexité du contexte électoral congolais de 2006

Les belligérants de la longue guerre de 1998-2003 concluent d’abord un


accord de cessez-le-feu à Lusaka en juillet 1999, définissant les points de repère pour
un accord politique interne entre le pouvoir présidentiel et les diverses oppositions.
Cet accord politique surviendra finalement suite aux négociations à Sun City
(6 mars - fin avril 2002) et à Pretoria (4 octobre - 17 décembre 2002).
Il introduit une « constitution de transition » valable jusqu’à l’adoption de celle de la
troisième République. Les signataires de l’accord de Pretoria se divisent en plusieurs
groupes : le gouvernement (présidence Kabila), les oppositions armées, l’opposition
non-armée, et la société civile. Ces acteurs occuperont la plupart des postes au sein
du gouvernement, du parlement et des entreprises publiques et ils auront un
avantage décisif dans la compétition électorale par leur accès aux ressources. Si les
cartes ont été biaisées, malgré les incantations en faveur de la démocratisation, elles
l’ont été à Sun City et à Pretoria où l’accès aux négociations fut déterminé par la force
militaire ou par l’opportunisme politique419.

Tout semble indiquer que les acquis de la Transition sont mineurs, et


que la situation reste confuse sur de nombreux points. Ainsi les élections, si elles
doivent légitimer les acteurs politiques, sont investies d’une autre fonction :
apparaître comme la solution à la reconstruction du pays. La « communauté
internationale », qui a porté à bout de bras la Transition, s’est unie autour du
processus électoral en espérant établir un régime stable et légitime. La présence
étrangère trop marquée420 face à des acteurs plus ambitieux que soucieux des intérêts
nationaux, et aussi la contradiction entre stabilité et légitimité421, reflètent largement

419
Voir les témoignages de KABAMBA MBWEBWE K., La R.D.Congo malade de sa classe politique. Les
coulisses du Dialogue Inter-Congolais (DIC), Coll. Mémoires lieux de savoir, Paris, L’Harmattan, 2005 ;
Mohammed El Hacen Ould LEBATT, Facilitation dans la tourmente. Deux ans de médiation dans l’imbroglio
congolais, Paris, Ed. L’Archipel, 2005. Une analyse dans Paule BOUVIER en collaboration avec Francesca
Bomboko, Le dialogue intercongolais. Anatomie d’une négociation à la lisière du chaos, Cahiers Africains 63-
64, Tervuren/Paris, MRAC-L’Harmattan, 2004.
420
Dans le contexte éminemment instable de la sortie de guerre, ce qui restait de l’État congolais était placé en
situation de « souveraineté contrôlée » par la communauté internationale. L’accord de Pretoria avait formalisé
cela en créant le Comité international d’accompagnement de la transition (CIAT) qui joua le rôle de la « main
qui guide la transition puisqu’il définissait presque le travail gouvernemental ».
421
La politique de la « communauté internationale » par rapport aux élections paraît contradictoire, notamment
dans l’exigence simultanée de stabilité, qui impose la cooptation des principaux chefs de guerre dans les
118

les incertitudes sur lesquelles s’est joué le processus électoral. Ce dernier fut
finalement sauvé par la constance de la Commission électorale indépendante (CEI),
qui s’est efforcée de faire respecter les règles du jeu électoral – chose inouïe en RDC.
Autour de la CEI se sont cristallisés plusieurs enjeux majeurs de la situation actuelle
de la RDC. Chargée à la fois d’identifier et d’enrôler les électeurs pour les opérations
de vote, la CEI était en charge de la distribution des Cartes d’électeurs, qui servent
aussi de document d’identité : ainsi elle s’inscrivait dans le délicat dossier de la
nationalité, et elle faisait par endroits figure d’arbitre qui, en contrôlant le processus
d’inscription, semblait influencer d’avance la victoire lorsque, en certains endroits, le
nombre d’électeurs acceptés par la CEI pouvait laisser présumer du camp gagnant. 422
Le R.P. De Saint Moulin compare les taux d’enrôlement réels avec les chiffres de
population attendue sur base des projections démographiques et en tenant compte
des données disponibles depuis le dernier recensement de 1984. Le Nord-Kivu a un
taux d’enrôlement de 101,3 % contre 87,6% pour l’Équateur423. Il est fort possible
qu’un nombre d’immigrés ougandais et rwandais se soient enrôlés. Mais la province
partage cette caractéristique avec toutes les régions et territoires frontaliers, partout
dans le pays. Le territoire de Zongo en Équateur a un taux d’enrôlement de 362,6 % !
La difficulté d’accès de certaines régions (Sankuru, Équateur mais aussi le Sud-Kivu
avec un taux d’enrôlement de 81,4%, inférieur à l’Équateur) a contribué aussi à des
taux d’enrôlement bas.

Esquissée dans l’accord de Pretoria du 7 décembre 2002, aboutissement


du Dialogue inter-Congolais (DIC), la CEI a été instituée en août 2003. Sa direction
est confiée à un prêtre catholique originaire du Nord-Kivu, Apollinaire Muholongu
Malu Malu; ce choix a pu faire penser à la Conférence Nationale Souveraine (CNS),
mise en place sous Mobutu, au début de la transition, et qui était déjà dirigée par une
autorité de l’église catholique, l’archevêque Laurent Monsengwo. Mais là où la CNS
a été une assemblée avec pouvoir délibérant, la CEI a simplement organisé le scrutin.

structures du gouvernement, et de légitimité, qui présuppose le risque de mettre au pouvoir une élite politique
différente à travers le processus électoral. Le gouvernement de transition avait pour vocation la stabilisation
avant de procéder à une légitimation par les urnes. Cependant, cette stabilisation ne fut que partielle, car les
principaux belligérants étaient conscients du fait que le principal moyen de pression sur le déroulement des
élections était le contrôle des moyens de la violence, ce qui motivait les acteurs extérieurs à faire appel à un
« gouvernement d’union nationale ». Ensuite, puis qu’une des causes de la guerre fut un problème d’exclusion
sur base ethnique, une pression fut exercée sur le gouvernement pour qu’il garantisse une représentation des
banyaMulenge. La population congolaise ne pouvait pas ne pas avoir l’impression que l’issue des élections
devait satisfaire les « parrains » étrangers plus que le « peuple souverain ».
422
Dans certains territoires tels Nyirangongo, Rutshuru, Masisi ou Kalehe, un grand enrôlement des populations
de culture banyarwanda impliquait la victoire des candidats du RCD sur ceux soutenus par les « autochtones »
Kumu, Hunde ou Tembo. En effet, la CEI a été accusée d’avoir multiplié des bureaux d’enrôlement dans l’Est
du pays (à cause de la démographie) et de sacrifier les vastes provinces de l’Équateur et de Bandundu où il y en
aurait eu moins, multipliant ainsi les distances pour se faire enrôler. Au Kivu, l’enrôlement était perçu par la
population comme un enjeu majeur comparé à l’Ouest où la question de la nationalité était peu importante.
Aujourd’hui, la « carte d’enrôlement » de la CEI est mieux considérée au Rwanda par le service d’immigration
pour identifier un visiteur venant de la RDC que le passeport ou tout autre document d’identité.
423
L. DE SAINT MOULIN, Analyse par territoire et ville des résultats de l’enrôlement des électeurs du
référendum sur le projet de Constitution, in Congo-Afrique, n°s 402-403, février-mars 2006, p. 9-34.
L’enrôlement au Bandundu et en Équateur s’est d’ailleurs poursuivi jusqu’en février 2006.
119

Mais par sa position d’« arbitre des élections », dans le contexte de sortie de guerre et
les échecs répétés dans le passé, Malu Malu semble avoir été aussi important que
Monsengwo dans sa mission de « régenter » l’État congolais, mission dans laquelle
Monseigneur Monsengwo avait échoué. Cela explique en partie l’opposition de la
haute hiérarchie catholique du Congo, pour diverses raisons, à l’action du prêtre du
Kivu, qui refusera pourtant d’abdiquer à sa mission. Dans sa stratégie, et
contrairement à l’évêque Monsengwo, Malu Malu affiche son hostilité à toute idée de
négociation politique avant les élections, ce qui fera de lui quelqu’un de suspect
accusé d’être influencé par la « communauté internationale » et/ou les acteurs au
pouvoir. En fait, ce prêtre du Kivu dont la montée se dessine à partir du DIC en
Afrique du Sud veut incarner la dynamique provinciale de l’intérieur du pays qui
affirme que la RDC est bloquée à partir de Kinshasa. A ce point son audace est
remarquable, même J.-P. Bemba faisait l’éloge du personnage qu’il avait découvert
lors de la table ronde de mars 2001 rassemblant « les forces vives du Nord-Kivu » en
pleine guerre.424 Dans ses déclarations souvent publiques et usant d’un langage
tranché, Malu Malu aime rappeler que Kinshasa « ville capitale » n’est qu’une
province du pays. Les résultats des élections qu’il a présidées ont-ils été l’occasion
de réconforter cette thèse? 425
En RDC, aucun dispositif ne paraît mineur, tant les ambiguïtés
semblent nombreuses. Nous venons de citer deux partenaires à vouloir des élections :
l’Occident et le peuple congolais. Mais ces partenaires se méfient l’un de l’autre
autant qu’ils s’entendent : l’Occident bouscule les autorités congolaises qui traînent
les pieds devant les élections et l’opinion congolaise suspecte l’Occident d’imposer
ses choix comme dans le passé426. En effet, dans le contexte instable de la sortie de
conflit, la communauté internationale avait placé ce qui restait de l’État congolais en
situation de souveraineté contrôlée. L’accord de Pretoria (17 décembre 2002) avait
formalisé cela en créant le Comité international d’accompagnement de la transition
(CIAT) qui a joué le rôle de « guide » de la transition. Pour la communauté
internationale, les élections étaient la solution pour l’établissement d’un régime

424
J.-P. Bemba, Le Choix de la liberté, Gbadolite, éd. Venus, 2001, p. 199.
425
Les observateurs de l’Union Européenne (UE), tout en se disant satisfaits, ont noté au
second tour de l’élection présidentielle « l’utilisation parfois intempestive » de listes
électorales « spéciales », de listes d’électeurs « omis » au premier tour pour raisons
techniques et de « registres de dérogation ». Les observateurs européens ont constaté dans
certains bureaux de vote à travers le territoire, dans le fief de Bemba tout comme de Kabila,
des « chiffres anormaux » d’électeurs ayant voté par dérogation, sans toutefois que l’on puisse
conclure qu’il s’agissait de « fraudes » dont la question (fraudes directes) au niveau de la CEI
a été régulièrement soulevée et a nourri bien des craintes. Même pour des questions de détail,
la crainte d’une réaction négative de la rue hantait fortement la CEI. Si des fraudes ont eu lieu,
elles auraient été d’une ampleur bien moindre que prédit et il ne s’est pas agi d’un système
délibéré, mais plutôt d’actes localisés, comme ce fut le cas dans certains bureaux à Kinshasa.
Ainsi, quelques candidats proclamés élus ont vu leur mandat de député invalidé par la Cour
Suprême de Justice. Il ne s’agit pas uniquement de fraude, mais aussi d’erreurs de comptage.
426
Allusion est souvent faite à Lumumba, applaudi par l’opinion mais farouchement combattu par l’Occident,
jusqu’à organiser son assassinat.
120

stable et légitime. Encore faut-il signaler une contradiction dans sa position, dans son
exigence simultanée de stabilité, qui imposait la cooptation des principaux chefs de
guerre dans les structures du gouvernement, et de légitimité, qui présupposait le
risque que les élections aboutissent à l’exclusion de ces chefs de guerre. La transition
visait certes à la stabilisation, prélude à une légitimation par les urnes, mais la
stabilisation n’a été que partielle : les principaux belligérants étaient parfaitement
conscients du fait que leur principal moyen de pression résidait dans la manipulation
des moyens de la violence qu’ils ne voulaient pas abandonner, même pas dans une
armée nationale unifiée. Ce problème fut particulièrement épineux pour les
Banyamulenge, « groupe ethnique » de culture rwandaise, instrumentalisé par le
gouvernement de Kigali et partiellement regroupé dans le RCD, dont l’exclusion
politique avait été une des causes de la guerre. Face à la pression internationale
d’assurer une représentation des « Banyarwanda » (même au-delà du résultat
électoral)427, une bonne partie de la population congolaise ne pouvait pas ne pas avoir
l’impression que l’issue des élections devait satisfaire moins le « peuple souverain »
que les « parrains » étrangers, toujours soupçonnés de poursuivre leurs intérêts
économiques au détriment de la volonté populaire.

Pour la CEI, les difficultés rencontrées dans la mise en route du


processus ont porté à la fois sur les textes de lois et sur les moyens matériels et
financiers. Pour le premier aspect, la charge incombait directement aux institutions
congolaises issues du DIC, tandis que celle de la logistique et des finances semble
désigner d’abord la communauté internationale, dont l’Union Européenne est
principal bailleur. Ce n’est pas sans difficulté que la CEI va y parvenir, et cela aura
un impact sur la gestion de temps dans la programmation des activités.
C’est seulement le 24 décembre 2004, soit une année et demi après le démarrage de la
« Transition » prévue pour durer deux années, que la loi portant identification et
enrôlement des électeurs en RDC fut adoptée. Mais ni la CEI, ni aucun autre service,
n’organiseront un recensement général classique de la population, malgré l’exigence
formulée au DIC (résolution DIC/CPR/03), étant donné «les difficultés économiques
actuelles» de réaliser [un recensement] dans le délai relativement bref de la transition
(loi n°04/028, P.1).
La CEI optera pour la formule d’un recensement des seuls électeurs, à
savoir les personnes de nationalité congolaise majeures d’âge. Elle choisira pour ce
faire une procédure technologique de pointe, faisant appel à la biométrie et
l’informatique, grâce à ce que l’on a appelé les « kits digitaux électoraux », qui
avaient l’avantage d’offrir une procédure numérique et rapide d’encodage des

427
La communauté internationale avec en tête la Belgique et particulièrement Louis Michel était préoccupé de
la position des populations « Banyarwanda » dans le cadre d’un vote individuel direct. Le résultat des élections
confirment leur crainte : un seul Tutsi, Dunia Bakarani a été élu député national et l’assemblée provinciale du
Nord-Kivu n’en compte aucun. C’est dire que la position politique des Tutsi a été fortement régressive comparer
à leur représentation à l’avènement de l’ADFL en mai 1997 ou surtout pendant la transition 2003-2006. Cf.
Autres commentaires infra.
121

données d’identité et de délivrance directe d’une Carte d’électeur, comprenant


notamment photo d’identité et empreintes digitales.

Au parlement et au gouvernement, voilà qu’on se donne beaucoup de


temps en faisant traîner divers projets de loi pour se répartir les rentes que procure le
pouvoir. Mais la CEI est obligée d’aller très vite pour réussir l’organisation matérielle
des élections; c’est vers elle se tourne la colère de l’opinion, qui attend avec
impatience le moment de voter. La CEI n’a pu commencer les opérations
d’identification et d’enrôlement qu’en juin 2005, d’abord à Kinshasa. Elle avait dû
former près de 20 000 opérateurs de saisie (personne qui encode les données dans
les kits), et obtenir un important charroi de véhicules et des avions de l’ONU pour le
déplacement des personnes et du matériel vers les plus de 50 000 bureaux de vote
étaient fixés dans l’ensemble du pays.

Dans un pays dont les infrastructures sont soit inexistantes, soit en


ruine, la tâche de la CEI était immense : pas de voies de communication dans une
grande partie du territoire, des distances immenses (le pays fait 5,5 fois la France), et
surtout, pas de données d’état-civil retenues comme fiables. C’est dans ce contexte
que débutèrent, le 20 juin 2005, les opérations d’identification et d’enrôlement des
électeurs. Le défi demeurait considérable : l’ONU avait annoncé aux bailleurs de
fonds le chiffre de 28 millions de citoyens à enrôler en trois mois. L’opération s’est en
fait prolongée jusqu’à la fin novembre 2005. Le nombre d’électeurs enrôlés (citoyens
inscrits sur les listes électorales) par la CEI qui prennent part au référendum
constitutionnel du 18 décembre 2005 est de 25 021 703 enrôlés, soit 42% de la
population428.

Les opérations électorales qui se sont déroulées en deux tours au cours


du second semestre 2006 en RDC auront coûté près de 450 millions de dollars US à la
« communauté internationale »429

1. Le cadre général des élections de 2006

a. De l’élection présidentielle

J. Kabila s’est inscrit plus tôt que la plupart de ses concurrents dans la
dynamique des élections. C’est probablement surtout parce qu’il se voyait en

428
Cf. L. de Saint Moulin, Analyse par territoire et ville des résultats de l’enrôlement des électeurs et du
référendum sur le projet de Constitution, in Congo-Afrique, n°s 402-403, février-mars 2006, pp.9-34.
429
Suite à des questions de méthode et à la précipitation, la CEI a parfois fait perdre beaucoup d’argent. Par
exemple, elle s’est égarée dans l’impression de millions de bulletins inutiles, ayant commandé pour le
premier tour des bulletins avant la décision de la Cour Suprême de Justice qui viendra rajouter un dernier
candidat à l’élection présidentielle; lors du second tour, les premiers bulletins imprimés furent annulés parce que
Kabila portait le n°1 et Bemba le n°2, alors que principe arrêté était l’ordre alphabétique, donc Bemba avant
Kabila.
122

position de conforter son pouvoir. À l’opposé de Tshisekedi, Kabila admettait la


détermination de la communauté internationale d’organiser les élections : il se voyait
occuper la bonne position, car, pour tous les acteurs congolais, après les butins
accumulés durant la phase de la guerre, la «Transition » était l’ultime occasion
d’amasser des gains permettant d’affronter les élections. Kabila partait favori, malgré
ce que la formule «1+4» pouvait laisser croire430 : J. Kabila s’est constitué un trésor de
guerre pour sa campagne en puisant dans les caisses de l’État et au travers de
nombreux contrats miniers ; il aurait également obtenu des aides de ses pairs
africains, dont le dirigeant libyen Kadhafi, le président gabonais Bongo et le
président sud-africain Thabo Mbeki. Bref, contrôlant une partie de l’État et profitant
du souci de stabilité de la communauté internationale, Kabila a pu rassembler les
ressources nécessaires pour manœuvrer dans l’espace congolais, coopter ou
triompher de ses concurrents. Plusieurs événements qui marquent la Transition et le
processus électoral s’expliquent en partie par sa trajectoire personnelle et/ou la façon
dont il s’est construit. Cependant, la question demeure de savoir si la tactique réussie
du nouveau président repose sur une stratégie de gestion du pays à long terme.

Pour avoir été organisée en deux tours, l’élection présidentielle qui


constituait l’enjeu essentiel pour la communauté internationale a pu sauver les
élections législatives nationales et provinciales.

En effet, 33 candidats ont été retenus pour l’élection présidentielle, dont


quatre étaient issus de l’« espace présidentiel » découlant de la formule «1+4»
consacrée par la Constitution de la Transition (articles 80 et 81). Ces derniers, qui
semblaient être les principaux candidats en lice, s’étaient combattus armes à la main
pendant de longs mois et, au-delà de l’Accord Global et Inclusif qui les a rassemblé,
ont continué à se suspecter, voire à se haïr. En témoignent les différentes crises qui
ont émaillé leur cogestion de la Transition. Kabila et son principal rival Bemba,
respectivement Président et Vice-président chargé des questions économiques et
financières, se sont arrogés les meilleurs atouts, et beaucoup de candidats n’avaient
guère de chances, du fait de la faiblesse de leurs moyens financiers et sécuritaires et
du harcèlement administratif qu’ils ont subi. Kabila et Bemba avaient leurs propres
moyens de sécurité et de communication, et ils en ont parfois abusé.

Malgré le versement d’une caution non remboursable de 50 000 dollars


US, qu’exigeait la loi électorale, les candidatures ont été nombreuses, dont celles de
plusieurs inconnus en politique qui n’avaient pas occupé de poste sous la
«Transition» et n’avaient aucune chance. Leur engagement doit quelque chose à
l’image de fragilité de J. Kabila, lui-même un homme jeune et sans expérience,

430
Dans la formule « 1+4 », J. Kabila était sensé partager le pouvoir avec 4 Vice-présidents qui tous étaient ses
aînés et, surtout avaient sur lui l’avantage de posséder un parcours universitaire, ce que lui n’a pas.
123

brutalement propulsé au poste de chef de l’État. Les stratégies de ces candidats


peuvent être ramenées dans quatre catégories principales :
1. Ceux qui entendaient se créer, dès avant l’élection, une position leur permettant de
négocier avec le favori, le président Kabila - parmi ceux-ci, plusieurs ministres de la
Transition, qui pensaient profiter de la « politique de main tendue du chef de l’État ».
2. Les candidats qui pensaient profiter de l’électorat de l’UDPS, puisque son leader,
Étienne Tshisekedi, ne se présentait pas - pour la plupart des politiciens d’origine
Luba.
3. Les candidats qui voulaient faire parler d’eux afin de se positionner pour l’avenir,
comme Z’Ahidi Ngoma, que Kabila avait déjà aidé à obtenir une Vice-présidence de
la Transition, mais aussi d’autres technocrates. Par rapport à la première catégorie,
ceux-ci faisaient passer la carrière politique avant les profits immédiats.
4. Les candidats qui craignaient les poursuites de la Cour Pénale Internationale pour
des crimes de guerre (J.-P. Bemba431, R. Lumbala, A. Mbusa,…) et ont souhaité
bénéficié de la couverture qu’offrait la candidature.

Les cas d’Antoine Gizenga, Pierre Pay Pay et Mobutu Nzanga


nécessitent des commentaires particuliers. Gizenga se présente comme l’héritier
politique de Patrice Lumumba, mais son âge avancé et la faiblesse de ses moyens
financiers ont joué contre lui; sa candidature a manqué d’être invalidée faute du
versement de la caution, et Kabila s’en est préoccupé, car le processus électoral, en
l’absence d’un Tshisekedi, pouvait gagner en crédibilité avec la participation d’un
personnage comme Gizenga. Kabila a proposé à Gizenga de l’aider, mais celui-ci a
refusé pour ne pas ternir son image. Les membres de son Parti Lumumbiste Unifié
(PALU) ont été pressés de cotiser, mais diverses sources affirment que la caution de
50 000 dollars US a été payée en partie par un membre du nouveau parti d’Olivier
Kamitatu, l’Alliance pour la Reconstruction du Congo (ARC) et par un diamantaire

431
Bemba a fini par être interpellé par la CPI dans le cadre de crimes de guerre ayant été perpétrés par ses
troupes en République Centre Africaine et que, en Belgique, il a été condamné par contumace en mai 2003 à une
peine d’emprisonnement ferme d’un an pour « traite des êtres humains ». À cause de son opposition à J.-P.
Bemba et Azarias Ruberwa, Alexis Thambwe (dignitaire sous le régime Mobutu, cofondateur du RCD avant de
passer au MLC – qui fait de lui un ministre de la transition – et enfin, en 2006, un proche de Kabila en vue des
élections) s’était démené dans la foulée des débats de la constitution et de la loi électorale pour bloquer la
demande des Vice-présidents de devenir sénateurs à vie, une voie qui ouvre à l’immunité. Par rancœur à ses ex-
chefs de rébellions et comptant parmi les membres zélés de l’AMP, il parvient à bloquer tout projet de loi et/ou
de résolution allant dans ce sens. Mais un décret aurait été pris par J. Kabila le 13 novembre 2006, accordant
aux membres de l’ex-espace présidentiel une indemnité mensuelle équivalent aux trois quarts de leur dernier
salaire. L’information a été livrée par le Journal du Citoyen de la semaine du 5 au 11 février 2007. A en croire la
même source, les présidents de quatre commissions de la transition auront, en outre droit, à une résidence, à un
véhicule, à une garde rapprochée d’une douzaine d’éléments de la Police nationale et à deux titres de voyage par
an, en first ou en business class, sur le réseau international. Ce n’est pas tout. Ils vont, par ailleurs, disposer d’un
passeport diplomatique et leurs soins médicaux au pays ou à l’étranger seront pris en charge par l’actuel
gouvernement. Il en sera de même pour les membres de famille à leur charge.
124

originaire de la même province que lui432. Mais après le premier tour, début octobre,
Gizenga a obtenu que le gouvernement lui paie 400 000 dollars US de «dommages et
intérêts pour les pillages de ses biens» subis sous la « Transition » de Mobutu et lors
de l’arrivée de l’AFDL en 1997 - il n’y a eu aucune expertise ni jugement officiels, et
surtout, aucune indemnité versée aux familles des militants du PALU tués alors
qu’ils étaient venus à son secours.
Pay Pay, premier à annoncer sa candidature, aurait pu être rangé dans la troisième
catégorie ci-dessus. Divers observateurs voyaient en lui le challenger favori face à
J. Kabila, en raison tant de son expérience et de sa fortune que de ses origines 433.
Certes, il se porte candidat à la fois à la présidentielle et aux législatives, mais ce qu’il
paraît viser vraiment, c’est moins le pouvoir que les avantages liés à un poste. Parfait
technocrate, peu politique, Pay Pay vient brouiller les cartes, il arrange des rendez-
vous incognito avec Kabila (le dernier a lieu fin juillet 2006, à quelques jours du
premier tour); alors il fait une campagne peu appuyée et très localisée
(principalement dans sa région d’origine), bref une campagne insignifiante comparée
aux attentes ; ce qui désorientant ses partisans (mobilisés derrière lui souvent pour
profiter de son aura et de son argent dans leur propre conquête de postes divers). 434
Le cas du fils de Mobutu, Nzanga, est également particulier. Sa
candidature a été suscitée dès le départ par Kabila afin d’affaiblir Bemba dans les
bastions mobutistes. Même au premier tour, Nzanga ne fera pas réellement
campagne, mais son nom a suffi pour gagner des voix. Son ralliement officiel à
Kabila au second tour des élections lui a coûté sa popularité, surtout dans la province
de l’Équateur.

J. Kabila s’était présenté comme candidat indépendant, conscient que


son parti le PPRD seul ne ferait pas sa victoire. Plus les élections approchaient, plus
Kabila avait peur de son rival Bemba, mais ce dernier devait se dépêtrer avec les
tensions internes au sein de son mouvement, le MLC, les crimes de guerre commis
par ses partisans et des difficultés financières qui l’empêchaient de payer ses
hommes. Kabila s’ouvrait pour accueillir de nombreux transfuges de divers camps, et
cela lui permettait de trier les meilleurs éléments pour sa campagne. Bemba, lui, s’est
montré particulièrement batailleur et loquace, mais son autoritarisme et son
impulsivité lui ont fait perdre des alliés importants, qui ont rallié le camp Kabila. À
quelques semaines du premier tour, après avoir longtemps hésité, le «chef de guerre

432
Cette version est parfois récusée par les partisans de Gizenga qui se sont cotisés pour réunir la même caution.
Mais les deux sources de financement auraient été exploitées par le «patriarche» ; lui seul en détient le secret.
433
Son père est Nande du Nord-Kivu et sa mère Shi du Sud-Kivu.
434
Quelques anciennes figures du temps de Mobutu (Atundu Liongo…) ont soutenu Pay Pay. Mais la CODECO
n’est pas au départ une structure créée pour être gérée par le candidat Pay Pay, plutôt celle-ci avait pour but de
consolider la position d’un groupe d’acteurs comme 3 ème voie entre Kabila et les autres candidats dont les ex
chefs rebelles. Cela explique, par exemple, la présence de gens comme Mwando Nsimba (et son fils) qui
cherchaient à demeurer indépendants par rapport à Kabila et, aussi, pour placer leur territoire d’origine, Moba, à
l’avant plan. C’est Olivier Kamitatu qui aurait dû prendre la tête de la CODECO, mais au moment de sa création,
il a rejoint (avec Ch. Lutundula) le camp Kabila - d’où le manque total d’organisation et de stratégie qui va
caractériser cette coalition.
125

» Mbusa Nyamwisi, qui était candidat, a rallié le camp de Kabila suite à


l’intervention de diplomates d’Afrique du Sud, pays où réside une partie de sa
famille. C’est à ce moment qu’a été créée l’Alliance pour la Majorité Présidentielle
(AMP), plate-forme électorale de Kabila.

Il n’y a pas que l’argent et la stratégie qui avantagent Kabila, l’homme


est bien entouré et sait écouter. Autour de lui, pour gagner les élections, gravitent
divers personnages aux rôles distincts : Katumba s’occupe des finances occultes ;
Mukanya ficelle les dossiers économiques avec les institutions financières
internationales ; et She Okitundu traite les dossiers sans implications financières ;
Samba, Kapanga, Cisambo, Mbusa-Nyamwisi, Boshab … se chargent de divers
points politiques et sécuritaires ; Thambwe et Futa s’occupent des dossiers de
l’AMP ; Kamerhe est envoyé sur le terrain dans l’action politique, et Mende peaufine
les stratégies pour dérouter les concurrents ; Lutundula analyse les questions
constitutionnelles ; etc. Il y a aussi Olive, l’épouse de Kabila, qui pèse dans les
relations avec les divers conseillers : elle semble de plus en plus opposée aux
« kabilistes » enclins à prendre des options à court terme, qui risquent d’y enfermer
le chef de l’Etat.

a.1 Le premier tour de l’élection présidentielle

A en croire les sondages, Bemba semble avoir refait une partie de son
retard sur Kabila durant les derniers jours qui ont précédé le scrutin: ses moyens, la
faiblesse de la campagne de plusieurs candidats et la désorientation de l’UDPS de
Tshisekedi lui ont permis d’incarner la principale alternative au chef de l’État sortant.
Utilisés respectivement par Bemba et par Kabila, « congolité » et « paix » sont les
deux thèmes qui ont dominé la campagne. Bemba et Kabila, tous deux cités dans les
rapports de l’ONU sur le pillage des richesses du Congo, doivent leur pouvoir à la
guerre, mais Bemba se construit l’image de «Mwana Mboka» (enfant du pays) ou
encore d’«Igwé» (chef coutumier protecteur/maître de la terre ancestrale, selon le
surnom venu du Nigeria435.
Il y a lieu de mieux préciser la thèse de la «congolité» sur laquelle les
partisans de Bemba insistent au détriment de Kabila, et à l’opposé celle de « facteur
de paix » pour Kabila contre Bemba. Le fait que Joseph Kabila s’exprime mieux en
anglais et que son swahili est nettement de l’Est africain, milieu où il a grandi, une
rumeur entretenue le présente, surtout dans l’ouest du Congo, comme étranger
d’origine tutsi adopté par Laurent Kabila436. L’opinion congolaise a également été
sensible à la manière d’agir de Kabila, qui a signé trop facilement des contrats
aliénant le sol et les richesses du pays. Bemba est perçu dans la lignée de Mobutu

435
Ces dernières années, des séries télévisées populaires produites en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso ou au
Nigeria sont largement diffusées en Afrique subsaharienne. « Igwé » est le personnage d’une série nigériane.
436
Cf. Cf. J. Omasombo et É. Kennes, République Démocratique du Congo : Biographies des acteurs de la
transition (juin 2003-juin 2006), Kinshasa-CEP, Tervuren-MRAC et Lubumbashi-CERDAC, 2006, pp.68-70.
126

dont il imite le sens de l’autorité; dans l’héritage de Mobutu, puisé chez Lumumba, la
terre des ancêtres est inaliénable. Mais dans l’est du pays, l’image de Bemba qui
prime est celle de la «brute de guerre»437. Plutôt que la simple explication ethnique, à
l’ouest, l’échec de Kabila s’explique d’abord par des éléments de trois ordres : son
triomphalisme; la focalisation de son discours sur les zones qui ont vécu sous les
rébellions; la structure et les responsables de l’AMP, généralement déjà en place
pendant la guerre et la «Transition».

Le vote quasi unanime en faveur de Kabila dans les provinces de l’est,


jadis tenues par les rebelles, n’est donc probablement pas lié à des fraudes, mais bien
au sentiment des citoyens, à la confiance que diverses populations mettent en
J. Kabila comme ennemi des rébellions parmi lesquelles Bemba a joué un rôle central.
Vu de l’extérieur, affirme un observateur originaire de la région, «j'ai mis du temps à
comprendre ce mariage que même les Kinois n'arrivent pas à admettre. Pour nos frères, c'est
Kabila qui a mis fin à leurs souffrances. Un point un trait. En fait, la popularité de Kabila est
à l'aune de la haine que les gens vouent au RCD. C'est ce mouvement et ses animateurs qui
ont fait le triomphe de Kabila Jr»438.
Au soir du 30 juillet déjà, après la fermeture des bureaux de vote, les
partisans de Kabila et de Bemba, sur base de résultats très partiels, affirmaient
chacun pouvoir gagner au premier tour. Bemba a semblé surpris par les scores qu’il a
remporté à Kinshasa, et triompher de Kabila lui a alors paru possible. Dans le camp
Kabila, donné largement gagnant par les sondages pré-électoraux, la perspective
d’un second tour a été vécue comme un échec. La communauté internationale et la
CEI ne semblaient d’ailleurs pas préparées à cette option.
Les résultats proclamés le 20 août ont donné J. Kabila premier avec
44,8 % des suffrages exprimés et J.-P. Bemba second avec 20,03 % des voix. Ils sont
donc restés seuls en lice pour le second tour. Sans doute, si l’un des candidats, et
spécialement Kabila, avait recueilli plus de 50 % des voix au premier tour, le scrutin
aurait suscité plus de contestations voire déclenché une nouvelle guerre. Kabila s’est
senti frustré de devoir affronter un second tour et il a accusé la communauté
internationale d’avoir privilégié la stabilité au verdict des urnes. Cela explique sa
réaction brutale à la proclamation des résultats : les affrontements armés ont opposé
à Kinshasa du 20 au 22 août 2006 des soldats de la Garde de Kabila et ceux de Bemba,
faisant quelques dizaines des morts ; les soldats de Kabila auraient été le premier à
attaquer. D’après certains commentateurs, Kabila aurait voulu étouffer l’ambition de
Bemba qui aurait envisagé un coup d’État militaire avec un appui venant du Congo-
Brazzaville439. Face à un Kabila déçu, dont l’image de modération en prenait un coup,

437
C’est l’image qu’on se fait de lui dans le milieu Nande au Nord Kivu où il eut à diriger pendant un laps de
temps le « Front de Libération du Congo » (fusion momentanée du MLC et du RCD/aile Mbusa) en 2001;
divers témoignages font état de sa responsabilité dans des extorsions de biens.
438
Entretien réalisé à Bruxelles en novembre 2006.
439
Il peut s’agir de soldats de Mobutu réfugiés au Congo-Brazzaville. Quoi qu’en disent les versions et les
arguments avancés, ces affrontements sont dus en partie au manque de contrôle des soldats, tant par Kabila que
par Bemba.
127

on a vu un Bemba assagi, content d’être devenu le seul rival du chef de l’État, et


d’être arrivé en tête dans la capitale, Kinshasa. Ayant ainsi acquis la légitimité de
représenter l’opposition, il arrachait d’ores et déjà à Tshisekedi son statut de leader
de l’exigence démocratique.

a.2 Le deuxième tour de l’élection présidentielle : duel Kabila-Bemba


Lors de la campagne du second tour, le camp Kabila s’est renforcé avec
le ralliement de Gizenga et de Mobutu Nzanga, arrivés respectivement troisième
(13,06%) et quatrième (4,77%) au premier tour. Bemba n’a pour sa part rallié que des
candidats ultra-minoritaires – hormis Oscar Kashala, arrivé cinquième au
premier tour (3,46%). Il a cherché à s’attirer le vote des indécis (près de 7 millions
d’électeurs n’avaient pas voté au premier tour) et c’est pourquoi il a choisi alors
comme directeur de campagne le tonitruant Joseph Olengankoy.
Pour diverses raisons, la gestion de la campagne électorale s’avérait
délicate, surtout au deuxième tour. Des structures comme la CEI et la Haute Autorité
des Médias se sont efforcées de faire respecter certaines règles, mais le pari était
difficile à gagner. Plutôt que des idées et des programmes, ce sont les stratégies
suicidaires agressives qui ont dominé la campagne. La presse congolaise a multiplié
les dérapages et sa campagne xénophobe a été abondamment relayée et nourrie par
des intellectuels de la diaspora s’exprimant sur internet. Sur ce point, les élections ont
été un échec, le non-lieu du débat direct opposant Kabila à Bemba, prévu pour le
26 octobre, en est une illustration.
Il ne s’agit pas là d’un simple élément lié à la conjoncture ou à la
« Transition », mais plutôt d’un trait du Congo qui s’inscrit dans la durée dès la
constitution des premiers courants politiques en 1957 : avec le MNC de P. Lumumba
et l’ABAKO de J. Kasa-Vubu (les plus importantes formations politiques à la fin du
Congo belge), on a fait observer en effet qu’il ne s’agissait pas de partis politiques
dans le plein sens du mot (disposant d’un véritable programme politique et en
mesure de le réaliser), mais plutôt de regroupements sociaux pas toujours
homogènes, aux objectifs peu développés, ne distinguant souvent pas entre les
idéaux et les formulations politiques. 46 ans d’indépendance n’ont pas corrigé cela,
bien au contraire. Même dans l’U.D.P.S. de Tshisekedi et le PALU de Gizenga, qui
semblent être les formations les plus cohérentes de ces dernières années - au moins
du point de vue du discours politique -l’influence du leader sur ses partisans repose
encore sur des bases socio-ethniques et sur la soumission personnelle au chef, qui est
aussi un patron. Lorsqu’ils réussissent à constituer un regroupement plus vaste (tels
le MNC en 1958, l’UDPS durant les années 1980 et le début 1990, l’«Union Sacrée»
sous la première «Transition» ou l’Union pour la Nation autour de Bemba lors du
second tour des présidentielles de 2006), les acteurs congolais se coalisent surtout
dans leur opposition à un dominant (c’était le cas du colonisateur belge, de
Lumumba, Mobutu ou des Kabila…). Mais la stratégie est fragile parce qu’elle porte
à courte vue, elle nourrit le « débauchage » qui rend ces organisations instables.
Même les camps qui débauchent, malgré leur réussite momentanée, ne sont pas à
128

l’abri d’une perte rapide du leadership. Pour attirer des partisans, les partis n’ont pas
d’abord pour objectif l’ambition de construire durablement la société, mais ils lient
les adhésions des membres à des bénéfices à distribuer, à des postes à pourvoir, à
leurs relations avec l’élite ou avec les réseaux d’influence. Conséquence néfaste de
cette stratégie, l’on renonce à se donner une structure durable. Dès la fin confuse de
la domination coloniale belge survient une lutte entre la volonté de l’opinion de
choisir ses dirigeants et celle de l’élite qui veut un pouvoir sans contrôle. La classe
politique congolaise est généralement dominée depuis 1960 par des hommes ou des
réseaux d’influence qui accèdent au pouvoir grâce à des appuis extérieurs et par la
cooptation; ceux-ci préfèrent, pour le partage des postes, les négociations plutôt que
les élections, dont ils parlent souvent mais qu’ils ne souhaitent jamais vraiment. 440

Au second tour des élections, J. Kabila est élu Président de la


République avec un peu moins de 60 % des votes; plus de 40 % vont à J.-P. Bemba.
Pareil résultat semble engager le pays sur la voie de la reconstruction démocratique,
même si à ce stade il n’y a pas de certitudes décisives quant à la « bonne
gouvernance » rendue précaire par un réflexe de survie à tous les étages de la
fabrique sociale. Aussi, c’est même une leçon pour plusieurs pays africains dont les
scrutins à scores élevés évoquent encore l’ère des monopartismes (élection de P.
Kagame au Rwanda en 2004).
Pour son élection, Kabila a surtout pu bénéficier du fait que les
bastions de l’est du Congo sont parmi les plus peuplés (et aussi les mieux dotés en
ressources naturelles) du pays. Le duel des candidats Kabila et Bemba a montré un
renforcement de leurs positions dans leurs bastions respectifs : Bemba a récolté un
nombre élevé de suffrages à Kinshasa, dans les deux Kasaï, au Bas-Congo et dans
une moindre mesure au Bandundu, où Kabila a parfois perdu du terrain par rapport
au premier tour. Toutefois, ces provinces ont aussi été celles où le taux moyen de
participation a été plus faible qu’ailleurs. Il est difficile d’arranger les deux Kasaï
dans la géo-politique de l’ouest du pays : les votes exprimés en faveur de Bemba
dans cette région l’ont été sans doute « par défaut » et non pas par conviction. Il
n’empêche : la fracture entre l’est et l’ouest du pays s’est trouvée en principe
renforcée, bien que son interprétation doit être nuancée : à suivre statistiquement les
résultats des élections provinciales, dont l’impact se fera sur le Sénat et la direction
des provinces, les pro-Bemba ne dominent que trois provinces (Bas-Congo, Équateur
et Kinshasa) contre 7 acquises à Kabila (Kasaï oriental, Bandundu, les deux Kivu, le
Maniema, le Katanga et la Province orientale); la position du Kasaï occidental est
plus étriquée, ce qui explique que le camp présidentiel se soit rallié (après les
élections) celui de Ruberwa pour se consolider441.

440
Cette situation explique la focalisation exclusive de la campagne sur le thème « Kabila rwandais » et non ou
très peu sur sa gestion et les pillages.
441
Dans cette seule province, les camps Kabila et Bemba se retrouvent dans le bureau de l’Assemblée
provinciale.
129

Cette question du vote à l’est et à l’ouest mérite d’être restituée dans


toute sa longueur historique, la situation évoquée ci-dessus ne constitue pas la
première manifestation. A la CNS (1991-1992), c’est le vote de la société civile
ameutée par la dynamique du Sud-Kivu qui fait gagner Monseigneur Monsengwo, J.
Ileo et E. Tshisekedi contre les candidats (Kanku Ditu, B. Banza et Th. Kanza) de la
mouvance mobutiste soutenus par les délégués des « Institutions publiques »
(Présidence, gouvernement, parlement, etc.) dominées par Kinshasa. Mais ici, tous
les acteurs qui gagnent sont originaires de l’ouest et des « Kinois », l’explication
donnée à l’époque s’arrête à évoquer le rejet du Président Mobutu par la population
dont surtout celle de l’intérieur du pays. Ce qui est différent en 1960 au moment de
l’indépendance, l’union de Kasa-Vubu et le « Groupe de Binza » (conduit par
Mobutu et Bomboko) pour évincer Lumumba avait déjà épinglé l’opposition de
l’ouest du pays contre l’est. A. Kashamura, un originaire du Sud-Kivu engagé dans
ce conflit, stigmatise cette réalité dans deux lettres écrites en 1964 : 1ère lettre : « (…) Il
est temps de repenser les choses. Les événements me donnent raison, parce que je fus le seul
qui restait avec Lumumba (octobre-novembre 1960) en contact. Nous nous étions aperçu
d’une éminente colonisation des gens de Léopoldville- Coquilhatville, contre ceux de l’est. Si
nous étions avec Lumumba, arrivés vivants à Stanleyville, la province Orientale, le Kivu, le
nord Kasaï et le nord Katanga seraient actuellement un seul vrai Etat indépendant … ». 2ème
lettre : « (…) Vous suivez sans doute, mieux la situation au Kivu. Vous voyez, que c’est de
l’Est et non de Léopoldville, qu’une chose décisive peut venir. Avec Lumumba, nous étions
d’accord sur tout, mais les autres là agissent à la fantaisie des affaires ».442 Une autre
situation où le sentiment de l’opposition entre l’est et l’ouest du pays est vivement
ressenti est le procès du « Coup d’état monté et manqué » en juin-juillet 1975.
L’implication généralisée des officiers supérieurs du Sankuru et du Kivu ainsi que de
nombreux politiciens de provinces de l’Est avait renforcé le clivage entre cadres
politiques et militaires de ces deux parties du pays.

b. Des élections législatives

b.1 Elections des députés nationaux


Près de 30 % des acteurs de la dernière «Transition»443 se retrouvent
dans l’Assemblée nationale, issue des élections du 30 juillet 2006, et moins de 10 %
dans les Assemblées provinciales telles que constituées par les élections du
29 octobre. Dans le lot des arrivants se trouvent divers acteurs des épisodes passés
sous le règne de L.-D. Kabila ou de Mobutu, mais surtout de nombreuses personnes
sans expérience de la gestion politique. Le camp Kabila l’emporte aux législatives

442
Il s’agit de deux lettres d’Anicet Kashamura, ancien ministre de l’information du gouvernement Lumumba,
adressées à l’avocat belge Jules Chomé. La 1ère lettre est écrite à Rome le 14 janvier 1964 et la 2 ème à Paris le 21
mai 1964. Cf. Farde archives J. Chomé à la section d’Histoire du Temps Présent du MRAC/Tervuren.
443
Calcul fait en comparant la liste des nouveaux élus à celle des membres de l’Espace présidentiel « 1+4 », du
gouvernement et des assemblées (Parlement et Sénat) de la dernière phase de transition. Cf. J. Omasombo et E.
Kennes, République Démocratique du Congo : Biographies des acteurs de la transition (juin 2003-juin 2006),
op.cit.
130

(309 sièges contre 132 à la coalition de J.P. Bemba), ce qui lui offre la direction du
Parlement et la formation du gouvernement. Au niveau provincial, c’est aussi la
victoire du camp Kabila qui domine 7 assemblées provinciales sur 11, mais il n’a pas
la majorité dans la ville de Kinshasa, siège des institutions, qui échoit entièrement à
la coalition de J.-P. Bemba.
Mais les deux niveaux des élections sont liés : la présidentielle a fourni les moyens et
les législatives ont occupé le terrain. Comment cela s’est-il articulé?
 Stratégies nationales face aux dynamiques locales

Très peu des 33 candidats à l’élection présidentielle ont été à l’intérieur


du pays durant la campagne; ils doivent les résultats qu’ils y ont enregistré à l’action
de leurs propagandistes, eux-mêmes en majorité candidats à un poste de député,
dont le scrutin était couplé aux deux tours de l’élection présidentielle444. Pour mieux
cerner la nouvelle configuration sur laquelle les élections ont débouché, il faut suivre
diverses trajectoires individuelles. Plus proches des électeurs du fait de la dimension
réduite de leur circonscription, de nombreux députés ont rallié des voix en faveur de
leur « présidentiable », d’autant que ces candidats étaient nombreux et peu connus;
en échange ils recevaient des « présidentiables », mieux nantis, le soutien financier ou
la promesse d’un poste en cas de victoire; mais là aussi, tous ne partaient pas sur des
bases égales : J. Kabila était favorisé, un peu moins J.-P. Bemba, A. Ruberwa, etc.
Les législatives et provinciales furent marquées par la logique des
camps de la présidentielle dont les thèmes plus généraux s’imbriquaient dans les
problèmes liés au vécu quotidien, local. Personne n’accordait beaucoup d’intérêt aux
élections provinciales, jusqu’au jour où, un second tour de la présidentielle
s’imposant, la CEI a quelque peu forcé la loi en fixant les deux scrutins à la même
date, le 29 octobre. Le jeu s’est corsé : les groupes politiques, qui avaient délaissé le
niveau local, ont dès lors investi en province les acteurs nouveaux, souvent mal
préparés. Pourtant, l’actuelle Constitution confie une grande part de la gestion du
pays aux futures nouvelles provinces. Une véritable dynamique provinciale pourra-t-
elle se développer ?
La communauté internationale a financé l’élection présidentielle, mais
elle a aussi alimenté les campagnes pour les provinciales. Unanime quant à la
nécessité des élections, la communauté internationale a été assez largement divisée,
selon les intérêts nationaux des différents pays. J. Kabila a pu tirer profit de ce
contexte, réunissant patiemment les atouts qui lui ont permis de vaincre : aux
« parrains » extérieurs, il a donné l’impression qu’il les écoutait, au contraire de son
père assassiné ; il leur a concédé la privatisation d’une grande partie du secteur
minier - France, Belgique, États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Afrique du Sud y ont
trouvé leur compte. Cela lui a permis de trouver les financements nécessaires pour sa
campagne, tout en favorisant sa mainmise sur les entreprises publiques, qui devaient

444
Au second tour, Kabila et Bemba ne feront pas eux-mêmes campagne, chacun craignant pour sa sécurité.
131

être « distribuées » entre les composantes de la « Transition 1+4 » et ne l’ont été que
fort tardivement.
Le prix payé par cette politique est important : c’est celui de la
négligence de l’intérieur. Le gouvernement de transition n’a pas gouverné, et Kabila,
s’il a consenti quelques « dons » plutôt symboliques aux structures locales durant
cette campagne, a par contre réussi à bien « arroser » ses candidats parlementaires,
dont plusieurs pèsent en province (le prestige local renforcé par l’argent) 445. Ces
personnalités ont apporté des voix à Kabila et, inversement, elles ont pu s’établir
et/ou s’imposer face à leurs concurrents, grâce aux aides de la Présidence. Kabila a
ainsi placé une partie de ses hommes de confiance dans les nouvelles assemblées.
Mais ce qui est remarquable (conséquence de la guerre), c’est que les hommes-
intermédiaires de Kabila ne sont en général pas des leaders locaux influents, mais des
« nouveaux venus » qui se sont imposés uniquement grâce à l’argent rapidement
accumulé, et même pas par un bilan de gestion. La pauvreté explique beaucoup de
choses.
 Des facteurs qui ont influencé le vote

 Durant les élections, les candidats se sont fait remarquer de la population par
de nombreux « dons » (argent, biens, T-shirts, etc.) afin de gagner des votes,
dépassant généralement l’ensemble des interventions des pouvoirs publics
pendant toute la période de la «Transition», mais souvent opportunistes et
ponctuels, chaque « geste » visant d’abord à frapper l’opinion pour gagner
des voix. Un vice-gouverneur de province dit : « chaque fois que nous
inaugurons une route ou faisons un don médical à une clinique, ça devient une
opportunité pour la campagne ».446 Les MLC, RCD… en ont tous distribué, mais
sans commune mesure avec le camp présidentiel qui aurait dépensé plusieurs
millions de US$447, par l’entremise de quatre sources principales de financiers :
on cite le PPRD qui se servait directement à la Banque centrale, les entreprises
publiques (SNEL, MIBA…), les entreprises privées (brasseries, associations de
Libanais, Pakistanais ou Ouest-africains, sociétés Rawji, Forrest,...) et J. Kabila
lui-même.

445
Pour une information précise des sommes d’argent engagées par le camp Kabila, citons l’exemple de la
province du Katanga où les candidats députés nationaux et provinciaux AMP avaient reçu au 1 er tour de
l’élection présidentielle 12.000$Us chacun, pour ceux de la ville de Lubumbashi et 6.000$Us pour les autres de
l’intérieur (de la province) ; au second tour de l’élection présidentielle, le montant était de 6.000$Us pour chaque
candidat de la ville de Lubumbashi et 3.000*Us pour celui l’intérieur. A noter que ces sommes d’argent avaient
été remises aux candidats plus ou moins 2 semaines avant le 30 juillet 2006 (1 er tour) puis une semaine avant le
29 octobre 2006 (2ème tour); cela aurait causé des perturbations dans la campagne.
446
Cité par International Crisis Group « Congo’s elections : making or breaking the peace », Africa report
n°108-27 april 2006, p.8
447
Les estimations varient entre 40 et 160 millions de US$, selon les sources.
132

Mais les « dons » devaient se coupler avec le candidat, son intégration


dans le milieu, son attitude et/ou influence. Citons A. Kisombe (qui est quasi le
maître à Mbanza-Ngungu), l’Église « Budu dia Kongo » (à Matadi), Charles Mwando
Simba (à Moba)448, Olivier Kamitatu (élu à Bulungu, le fief de sa défunte maman,
plutôt qu’à Masimanimba, celui de son père). À Lodja (3 députés), Adolphe
Onusumba est élu (or il a été président du RCD et n’a pas quitté ce parti pourtant
honni dans cette région!), comme Lambert Mende (lui qui, en 1998, avait implanté le
RCD dans ce territoire avant de rallier le camp de Kabila), car il se pose en
représentant des groupes aTetela autochtones menacés par des aTetela venant
d’autres territoires.

 L’image du parti/groupe peut varier en fonction du lieu de la circonscription.


Dans plusieurs provinces occupées par les rébellions à l’est, par exemple, des
candidats intégrés dans les listes du PPRD (ou pro-Kabila) sont généralement
acceptés449, contrairement à ceux du MLC ou du RCD. L’inverse s’est produit
dans les régions baLuba profondément hostiles à Kabila. Au Kwilu-Kwango,
être membre du PALU de Gizenga passe pour un avantage, encore que la
plupart des candidats sur ses listes aient été recrutés localement.450 En Ituri,
un cas illustratif est celui de J.-P. Lobho (qui échoue) ou de M. Bura (qui
l’emporte), car tous deux sont originaires du territoire de Djugu mais
appartiennent respectivement aux ethnies rivales Hema et Lendu ; ils se
présentent sur la même liste du PPRD de Kabila, mal-aimé chez les Hema (il a
fait arrêter leur leader Th. Lubanga par la Cour Pénale Internationale de
La Haye) mais n’inquiétant pas les activistes de l’ethnie adverse Lendu451.
Même situation à Kinshasa avec l’échec de N. Diambwana, M. Kimbembe ou
M. Banguli. Chez les Luba, à Bakwanga on observe l’échec de « Mulopwe »
Albert Kalonji (aux provinciales) et de son fils Kalonji Nionga (aux nationales)
pour s’être inscrits sur les listes du PPRD ; idem à Miabi pour A. Futa.

448
Le barrage de Moba fut ouvert pendant la guerre, et ce fut le résultat de l’initiative de Ch. Mwando avec le
chef Manda et le prédécesseur de Mgr. Kimpinde. Au deuxième tour de l’élection présidentielle, Mwando a
valorisé son capital politique auprès de Kabila. Remarquez qu’en plus de son élection en juillet comme député
national, Ch. Mwando viendra raflé la première place pour les provinciales d’octobre à Kalemie.
449
Sauf dans les îlots dominés par les Banyarwanda.
450
N.B.: un lien est fait entre le PALU et l’«Église des Noirs en Afrique» dite «Nzambi Mpungu», implantée en
province de Bandundu, surtout dans les territoires d’Idiofa et Gungu d’où Gizenga est originaire; des partisans
du PALU sont membres de la secte, qui veut le retour de Gizenga. L’ouverture du pays au multipartisme,
concédée par Mobutu en 1990, a amené la résurgence de cette secte, surtout au Kwilu : certains pensaient le
temps venu de se libérer à la fois du joug de l’Église catholique et de Kinshasa (pouvoir politique confisqué
depuis l’indépendance par Mobutu et ses alliés occidentaux, contre Lumumba et ses alliés Gizenga et Mulele).
451
M. Bura fait ainsi la bonne affaire, remportant un des huit sièges de ce territoire; cependant deux partisans de
Lubanga arrivent en tête en nombre de voix; un autre siège est remporté par le RCD.
133

Quant au choix de la circonscription où se présente le candidat, d’autres


éléments s’ajoutent : le nombre de sièges. Dans les circonscriptions à siège unique, la
sélection a été rude lorsque plusieurs candidats disposant de bons atouts se
présentaient. Ainsi, le territoire de Katako-Kombe, chez les aTetela, concentrait un
grand nombre de figures de la «Transition» : les directeurs de cabinet du chef de
l’État (She Okitundu) et de deux vice-présidents (Emungu452 et Mboladinga) sont
tous originaires du même secteur Lukumbe-II; mais c’est aussi le territoire d’origine
de Mme Philomène Omatuku, Ch. Lutundula, A. Onusumba, Th. Loseke, F. Diongo …
Diongo réussit à se faire élire en se présentant à Kinshasa 453, et Onusumba dans le
territoire voisin de Lodja (où il compte beaucoup de «parents», mais surtout où trois
sièges sont en jeu); Mme Omatuku, se présentant chez elle dans le territoire de Katako-
Kombe, n’aura pas de chance! Ailleurs, B. Banza (Malemba-Nkulu) ou Th. Luhaka
(Kibombo) se font élire à Lubumbashi et à Kinshasa car dans leurs territoires ils
courent le risque d’échouer.
Malgré les résultats des votes ou le statut reconnu à l’opposition par la
Constitution, les nouvelles assemblées sont encore ouvertes à toutes les
recompositions possibles, plusieurs désertions de camps et/ou recomposition des
alliances devront se dessiner : les appétits semblent largement dominer les
convictions, aucune ligne idéologique rigide ne peut encore être tracée.
b.2 Elections des sénateurs
Les 120 membres du Sénat sont élus indirectement par les 690 députés
provinciaux. La donne est rendue plus complexe encore par le nouveau découpage
des provinces, prévu par la constitution. En effet, dans la plupart des cas, les anciens
districts acquerront le statut de provinces, lesquelles passeront de 11 à 26,
redéfinissant ainsi les aires de lutte politique 454.
A la différence des assemblées provinciales, qui comprennent beaucoup
d’hommes neufs, le Sénat se compose à plus de 60% d’acteurs de la politique
congolaise des périodes antérieures : ceux de la transition, de l’ère mobutiste, voire
des années 1960. Ces acteurs sont pour la plupart ceux sur qui pèse la responsabilité
de la débâcle de l’État zaïrois et/ou congolais dont quatre anciens premiers ministres
de Mobutu. Il s’agit également d’une manœuvre de récupération : parmi les
sénateurs élus : plus de 10% viennent d’échouer aux élections présidentielle et
législatives (nationale et provinciales) du 30 juillet et 29 octobre 2006 (B. Mokonda,
R. Lumbala, A. Futa, A. Bo-Boliko, Nku Imbie, R. Ramazani Baya, Cardoso
Losembe,….).
Pour comprendre cette élection intervenue le 19 janvier 2007, soit deux
mois et demi après celles du chef de l’État et des députés provinciaux, il faut se
452
En mars 2006, il devient vice gouverneur de la Banque centrale.
453
Mais il sera par après invalidé pour fraude.
454
Les députés des « nouvelles » provinces issus du vote d’octobre 2006 ont élu en janvier 2007 les
membres du Sénat et leur vote a reposé, dans sa composition et sa fonction, sur l’idée des nouvelles
provinces à créer, l’article 129 de la Loi électorale stipule que « les Sénateurs représente la province.
Les provinces prises en considération sont les vingt-cinq provinces énumérées (…) à l’article 2 de la
Constitution auxquelles s’ajoute la ville de Kinshasa ».
134

référer à la fois aux résultats des élections passées et aux difficultés de formation du
gouvernement. Chaque opération crée des perdants qui cherchent d’autres
opportunités. Ensuite, il y a la compétition qui s’annonce entre les nouvelles
provinces. De par leur taille, les membres des assemblées provinciales constituent
des groupes d’électeurs relativement petits, ce qui augmente à la fois le risque des
influences directes de la corruption, la pression des logiques de partis et des ethnies.
Au vu des résultats, une mutation importante s’est produite, en
défaveur du camp présidentiel et plus particulièrement de « son » parti le PPRD,
membre constituant de l’Alliance pour la Majorité Présidentielle AMP. L’Union pour
la Nation, coalition autour du MLC de Bemba, se défend encore bien : elle progresse
même en gagnant des sièges sénatoriaux dans les bastions de l’AMP ; mais des
tensions apparaissent autour de certains choix de candidats opérés par la direction
du mouvement de Bemba. L’AMP continue à l’emporter par le nombre, mais recule
lors de l’élection sénatoriale dans l’ensemble de ses bastions de l’Est. Dans la
Province orientale, le RCD gagne des sièges. Dans les 4 nouvelles provinces qui vont
composer l’actuel Katanga, le PPRD ne prend qu’un seul siège par province, et sans
parvenir à évincer Lunda Bululu (ex-RCD, ex-MLC), lui aussi élu. Au Sud-Kivu, tous
les sièges reviennent à l’AMP mais le PPRD n’en occupe aucun. Dans le Maniema, le
PPRD n’enlève qu’un siège, ses candidats qui comptaient jusque là parmi les
dignitaires importants de la province (A.-R. Kithima, P. Lokombe, etc.) échouent.
L’élu qui a eu le plus de voix appartient au camp Bemba et parmi les autres élus
figure Ngongo Luwowo, un opposant aux Kabila père et fils. On constate également
que le PALU d’A. Gizenga ne cesse de reculer depuis qu’il s’est allié à Kabila : dans
ses fiefs du Kwilu et du Kwango, le PALU ne compte aucun élu sénateur.
Si le PPRD de Kabila recule voire s’efface à certains endroits, ce n’est
pas d’abord à cause de la montée du camp Bemba, mais parce qu’il se confronte déjà
à la montée des tensions avec ses alliés dans l’AMP. Divers acteurs regroupés dans
l’AMP ou autour de Kabila commencent à afficher leurs stratégies propres. Leur
attitude est liée aux réalités locales et aux insatisfactions liées aux premiers partages
des postes opérés par Kinshasa (ou de la direction qu’ils prennent) depuis les votes
de 2006.
Au Sud-Kivu, les sièges sont partagés entre ressortissants de divers
territoires mais la direction idéologique dominante reste encore l’hostilité au RCD :
on n’y trouve pas d’élu banyaMulenge (M. Nyarugabo se fait élire à Kinshasa) ni
même d’élu Lega. Au Sankuru, l’AMP enlève les quatre sièges de sénateur : c’est une
sanction contre les territoires, les ethnies et les regroupements qui ont voté contre
Kabila. Les quatre élus appartiennent à des partis différents (dont un au RCD) mais
tous sont Atetela, deux du territoire de Lodja et deux de Katako-Kombe (un élu passe
à la fois pour originaire de ce dernier territoire et de celui de Lubefu, selon les
opportunités !).
Au Nord-Kivu, la stratégie est différente. L’AMP, le PPRD en tête,
échoue à faire élire ses hommes; E. Mwanga-Chuchu du RCD (il se montre moins
radical dans ses positions ethniques), obtient le plus de voix, alors même qu’il est
135

tutsi et que l’assemblée provinciale ne compte aucun membre de son ethnie455. Parmi
les candidats de la liste AMP pour l’assemblée provinciale, seul E. Hamuli (Hunde
du territoire de Masisi) est élu, grâce à l’appui obtenu des Forces du Renouveau de
Mbusa Nyamwisi et de la Confédération des Fédéralistes et Démocrates Chrétiens
(COFEDEC) de V. Tshipasa qui, elles, misent sur la logique ethnique interne à la
province plutôt que sur des intérêts dictés et liés à l’équilibre du pouvoir de
Kinshasa. Quelques jours auparavant, ces deux partis avaient assuré l’élection d’un
candidat Hutu du territoire de Rutshuru (et qui est opposé au gouverneur RCD de la
Transition, E. Serufuli) à la tête de l’assemblée provinciale et ils ont soutenu comme
Vice-président un Nande autochtone, formellement membre du MSR - sans requérir
au préalable l’aval de ce dernier regroupement politique. Le PPRD ne sort qu’avec le
poste de porte-parole, mais c’est parce que le candidat désigné représente l’ethnie
Nyanga (mais il a grandi et étudié chez les Nande) et, aussi, parce qu’il s’agit d’un
élément peu radical dans ses prises de position dans la province. Ce processus
prouve encore le pouvoir du vainqueur des élections législatives au Nord-Kivu,
Mbusa Nyamwisi, Ministre d’État chargé des affaires étrangères et de la coopération
internationale.
L’AMP est ainsi majoritaire au Sénat, mais sa victoire n’assure pas son
leadership dans cette assemblée, qui compte plusieurs faucons tirant leur expérience
politique des régimes antérieurs. La preuve de cette évolution est l’élection de
Kengo wa Dondo, un des piliers du régime Mobutu, comme président du Sénat le 11
mai 2007456. Les deux vice-présidents sont un ancien chef de la sûreté de Mobutu
(Mokolo wa Mpombo) et un membre du collège des commissaires généraux et
ministre de Mobutu des années 1960 (Mario Cardoso Losembe). Mais, répétons-le,
les stratégies des conservations du pouvoir de J. Kabila et l’organisation/réaction des
oppositions à la position du chef de l’Etat seront plus déterminantes que leur
aptitude à la bonne gouvernance du pays, ce qui n’est pas sans dérouter les analyses
objectives appuyées sur les objectifs de développement du pays.

c. L’investiture du premier gouvernement national et des exécutifs provinciaux


Les élections présidentielles et législatives distribuent les cartes pour
une deuxième série de processus électoraux : investiture du gouvernement national
par l’assemblée législative ; investiture des exécutifs provinciaux et élection des
sénateurs par les assemblée provinciales. Tous devraient concrétiser le résultat des
élections du second semestre 2006. En fait, d’autres facteurs sont venus perturber la
logique exprimée par le suffrage direct.
Le but du pouvoir au Congo, c’est d’abord la satisfaction des intérêts
individuels, les appétits relayant au second plan les idéaux. Occuper un poste dans
l’exécutif est jugé beaucoup plus rentable que rester au parlement. Aussi les conflits

455
L’AMP avait soutenu la candidature de C. Rwakabuba qui échoue. Ce dernier, un tutsi, a marqué l’histoire du
Nord-Kivu depuis l’indépendance du pays en 1960.
456
Cette élection est d’autant plus remarquable que Kengo est considéré dans l’opinion congolaise comme
« Rwandais » - même s’il n’y a que sa grand-mère maternelle qui est d’origine Tutsi du Rwanda.
136

autour du partage des postes au gouvernement vont-ils jusqu’à bloquer sa formation


pendant des semaines, ceci témoignant de ce qu’aucune urgence n’est accordée à la
reconstruction du pays.
Le chef du gouvernement, Antoine Gizenga, doit sa nomination à son
score au premier tour, qui le plaçait en troisième position, après Kabila et Bemba,
mais aussi au nombre des députés de son parti, le PALU, élus à l’Assemblée nationale.
Le choix de Gizenga est habile : homme de l’Ouest, à l’ambition modérée et ayant
peu d’expérience réelle pour cette fonction, il ne représente pas un danger pour le
chef de l’État. En revanche, Kabila évite ainsi de mécontenter l’une ou l’autre aile de
son AMP où les demandes sont nombreuses, au moment où il entame son premier
mandat issu des élections.
Le gouvernement compte 60 membres auxquels s’ajoute le Premier
ministre et son cabinet. Mais il faut compter aussi avec le cabinet du chef de l’État,
qui reprend souvent les initiatives du gouvernement avec des conseillers qui ont les
mêmes fonctions et avantages. C’est dire l’importance des charges financières
engagées au sommet de l’État, sans songer à ce qui reste pour les autres niveaux,
principalement les fonctionnaires, qui constituent le cadet des préoccupations du
pouvoir.

Pour l’image de son gouvernement, Gizenga avait juré qu’il ne


compterait pas dans son équipe de personnes citées dans les dossiers de corruption
ou de pillage des ressources du pays. Il y parviendra en partie mais ceux qui arrivent
n’ont généralement aucune expérience politique et Gizenga ne les connaissait pas.
Divers membres du gouvernement n’ont aucun poids politique, surtout dans le rang
des vice-ministres où nombreux paraissent être des guetteurs placés pour informer
d’autres acteurs dans l’ombre. Le parti de Gizenga gagne plusieurs ministères, de
même sa province d’origine le Bandundu et celle du Maniema d’où sont originaires
la mère et la belle-mère de Kabila ; par contre les baLuba du Kasaï sont
marginalisés457. Le fils Mobutu occupe un poste d’avant-plan juste après le Premier
ministre, ce qui lui confère à la fois une identité et un retour au pouvoir politique ;
mais le poste de l’agriculture malgré son importance formelle est d’abord technique
donc jugé peu politique. La structure du gouvernement ne semble accorder que très
peu d’importance à la défense et aux finances, deux secteurs pourtant prioritaires
pour protéger la paix et lutter contre le vol et la corruption. Oubli ou acte délibéré ? Il
faut craindre que plusieurs décisions réelles ne se prennent en dehors du
gouvernement, ce qui mettrait assez rapidement en mal sa cohérence et sa capacité
de gestion. Combien de temps, par ailleurs, Gizenga pourra-t-il garder la direction
du gouvernement ? Beaucoup le considèrent comme un intérimaire, appelé à ouvrir
le bal de la 3ème République avant de céder la place à d’autres acteurs plus puissants à
l’imbroglio congolais. Mais l’inconnu, c’est à la fois la cohésion du groupe AMP et

457
La marginalisation des Luba-Kasai, orphelins de représentation politique après l’exclusion de l’UDPS, risque
d’hypothéquer la stabilité du régime Kabila. C’est sans doute la raison de la nomination de Raymond Tshibanda
(muLuba – Kasai) comme directeur de cabinet du président, le 17 mars 2007.
137

l’habileté de Kabila à manœuvrer, déjà son leadership est de plus en plus mis en mal
par ses propres alliés à ce moment où le camp de l’opposition s’effrite. Plusieurs
membres influents de l’AMP sont mécontents pour avoir été exclus ou obtenu des
postes de moindre importance et attendent la mise en place dans le portefeuille de
l’Etat. Mais ces contradictions et/ou faiblesses pourront devenir des atouts sur
lesquels Kabila et Gizenga s’appuieront pour garder chacun, le plus longtemps
possible le pouvoir, au détriment de la bonne gestion du pays qui importe peu.

Les exécutifs provinciaux constituent un autre exemple de la diversité


des situations et de la domination de plus en plus marquée de la logique de
l’accaparement de ce qui reste de l’État par des réseaux d’affaires. Les élections ont,
en effet, constitué une opportunité de renforcer encore un peu plus ceux qui
possédaient déjà une position économique certaine (cf. infra) même, il est vrai, si cela
n’a pas été le seul facteur ayant déterminé le choix. Par plusieurs alliances et par la
force de conviction de l’argent, le camp Kabiliste a ainsi pu imposer des exécutifs
provinciaux qui, dans certains cas, sont en disharmonie avec les tendances politiques
dans la province. Sa victoire risque donc d’être éphémère, surtout si les exécutifs
provinciaux ne réussissent pas à redresser la situation économique. Dans ce cadre, la
lutte entre le gouvernement national et les gouvernements provinciaux pour le
contrôle de 40% des recettes à caractère national prévues pour les provinces dans le
cadre de la décentralisation, risque d’être âpre.

Le cas le plus flagrant est sans aucun doute celui de la province du Bas-
Congo, où le candidat gouverneur de l’AMP, Mbatshi Batshia, est élu contre le
candidat UN, le populaire Fuka Unzola, secondé par le chef du très influent
mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo, Ne Muanda Nsemi. Cette élection,
survenue le 27 janvier 2007, déclenche des marches de protestation organisées par ce
dernier mouvement. Ces protestations violentes sont réprimées dans le sang : le bilan
est d’au moins 137 morts.

Alors que le camp Bemba est en recul à Kinshasa et dans la province du


Bas-Congo, l’AMP conforte sa position dans les provinces de Bandundu et du
Maniema. Mais l’allié à l’AMP Mbusa Nyamwisi (devenu Ministre d’État chargé des
affaires étrangères et de la coopération internationale) continue à faire triompher ses
choix dans « son » Nord-Kivu, marquant toujours plus son indépendance vis-à-vis de
Kabila et de ses lieutenants. Il pourrait utiliser sa position pour mettre sous pression
le pouvoir de Kabila et le gouvernement de Gizenga à partir de cette province où la
milice pro-rwandaise de Nkundabatware continue à déstabiliser la donne politique.
Kabila dispose certes de la possibilité de distribuer plusieurs postes de pouvoir,
comme les postes de direction des entreprises relevant du portefeuille de l’État. On
perçoit cependant déjà la fragilité de son pouvoir réel, menacé par différents courants
internes au sein de sa coalition liés à des divergences d’intérêts entre partenaires.
138

L’élection des gouverneurs de province dans les deux Kasaï avait été
perturbée lorsque l’AMP s’était vu en position de les perdre au profit des candidats
proches de Bemba. Après près d’un mois de report, le camp Kabila les a remporté.
Au Kasaï Oriental, il s’est résolu à soutenir le candidat « indépendant » Alphonse
Ngoyi Kasaji, propriétaire de la société Ngokas Trading ayant son siège à Mbuji-
Mayi et, aussi président de la Fecodi (Fédération congolaises des diamantaires) et du
Conseil provincial des diamantaires du Kasaï Oriental.458

Le Katanga confirme la montée en puissance des hommes d’affaires, sur


arrière-fond de conflit entre le Nord et le Sud de la province459. A la tête de l’exécutif,
arrivent les gens du sud: c’est Moïse Katumbi, homme d’affaires enrichi dans le
commerce des minerais qui devient gouverneur. Des alliances (et/ou de la
concurrence) vont devoir se faire avec d’autres membres de l’entourage de Kabila
(dont plusieurs sont devenus des élus) déjà très actifs dans le même secteur et
impliqués dans de nombreux réseaux de pillages. Il sera dès lors encore beaucoup
plus difficile pour l’État congolais de clarifier les contrats léonins (dénoncés par
plusieurs commissions) signés pendant la guerre et la transition, contrats dans
lesquels le camp Kabila est généralement impliqué. Or ce secteur et cette province
sont les principaux pourvoyeurs des ressources sur lesquelles la reconstruction du
pays aurait dû compter en priorité. Ces enjeux économiques se jouent sur un fond de
conflit Nord-Sud. Avec les élections récentes, les Luba du Katanga (un des piliers du
pouvoir de Laurent Kabila) ont perdu une grande partie de leur pouvoir au pays,
malgré leur soutien à l’élection de Joseph Kabila. Cette frustration anime la tension
dans la province. « L’homme fort » du Nord-Katanga demeure Gabriel Kyungu wa
Kumwanza, animateur du pogrom anti-kasaïen au début de la transition (fin 1991-
premier semestre 1993). Il fut élu président de l’Assemblée provinciale, alors même
qu’il avait désorganisé l’économie de la province (dirigée par lui de 1991 à 1994 et de
1996 à 1997) et accéléré son pillage et sa décomposition. Il ambitionnait de revenir à
son ancien poste de gouverneur ; il a fallu de solides négociations dans le camp
Kabila pour le convaincre de prendre la tête de l’assemblée, afin de préserver l’unité
fragile du Katanga (avant que ne soit opéré le découpage annoncé en quatre
nouvelles provinces).

La pression du camp présidentiel sur l’élection des exécutifs


provinciaux risque de créer un décalage avec les préférences de la population locale
et stimuler des mouvements d’opposition au pouvoir central. Cette tendance est déjà
visible dans l’élection des sénateurs.

458
Cf. G. de Villers, L’affaire Ngokas, in Chasse au diamant au Congo/Zaïre, Cahiers Africains n°s 45-46, Paris,
L’Harmattan, 2000, pp. 233-240.
459
Laurent Kabila a installé des Luba-Katanga du nord de la province dans l’armée ; le Nord a dominé le
gouvernorat depuis 1991, à l’exception du règne de Katumba Mwanke. C’est ce dernier qui est devenu l’homme
puissant derrière Joseph Kabila.
139

c. Fonctionnement du régime

1. La prééminence du président de la République


2.
Le président de la République possède des pouvoirs propres et importants
que lui attribue sa constitution. Et ce n’est que sur base de ses attributions et dans les
limites de ses compétences qu’il peut agir.

En effet, le président de la République est le chef d’une majorité. Et par


conséquent, il joint le pouvoir majoritaire à ses compétences constitutionnelles. Ce
faisant, il dépouille en partie de leurs compétences le premier ministre et le
gouvernement, et devient ainsi le véritable chef du gouvernement en même temps
que du parlement par la majorité interposée.

D’un strict point juridique, sur base de l’article 91 alinéa 1er, le


gouvernement définit, en concertation avec le président de la République, la
politique de la nation et en assume la responsabilité.

L’alinéa deux, ajoutait que le gouvernement conduit la


politique de la nation.

Or, en pratique, c’est le président de la République qui détermine les


grandes orientations de la politique nationale et en contrôle l’exécution. Le premier
ministre conduit l’application de cette politique et en répond et devant le président
de la République et devant l’assemblée. Donc, il y a une certaine absorption par le
président de la République des pouvoirs partagés.

L’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct a fait de lui le chef


de la majorité présidentielle et en même temps chef de la majorité parlementaire,
étant donné que les deux majorités coïncident, et obéissent à sa vision personnelle.
D’où par conséquent, le premier ministre relevant de la majorité parlementaire, est
devenu comme un simple collaborateur du président de la République, tenu de
respecter à la lettre tout ce qui celui-ci lui demande de faire.

Le premier ministre Adolphe Muzito se comporte de telle sorte que même


s’il perdait la confiance du parlement son censeur, néanmoins il conserve celle du
président de la République. Puisque c’est une majorité qui soutient le président de la
République au parlement, et qu’il en est le chef, au cas où on interpellait le premier
ministre, il suffirait seulement que le président se décide de son départ ou non.

En fait, comparativement à un régime parlementaire moniste. La


constitution déclare que le premier ministre et son gouvernement ne peuvent
engager leur responsabilité uniquement devant l’Assemblée nationale.
140

Cependant, dans la pratique le premier ministre et son cabinet sont plus


responsables devant le chef de l’Etat que devant le parlement. Et par conséquent le
chef de l’Etat inspire le choix et les départs des ministres alors que la constitution
donne au premier ministre le pouvoir de proposition.

En d’autres termes, juridiquement, le choix des ministres intervient sur


proposition du premier ministre.

En fait, et à ce que l’on ce que l’on peut en savoir, il semble bien qu’à la
pratique dominante correspond mieux une inversion des termes, tant la volonté
présidentielle est apparue déterminante dans le choix des ministres et en tout cas
dans leurs démissions.

Ce fut le cas du ministre de transport Kuseyo Gatanga Henri. En fait, tout


celui dont la tête ne plait plus au président de la République, sera contraint de
démissionner.

Nous avons nous-mêmes suffisamment constaté que la science politique


est parsemée de complaisance, d’intolérance politique, d’inobjectivité dans les actes.
Ce qui crée une instabilité gouvernementale.

2. La désuétude du contrôle politique

La désuétude du contrôle politique est frappante au regard de la pratique


des articles 146 et 146 et des mécanismes qu’ils instituent. Le fait majoritaire rend
délicat la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement. L’assemblée disposant
d’une majorité et le premier ministre étant issu de cette majorité, la mise en jeu de la
responsabilité politique s’avère quasiment impossible.

C’est pour cela nous avons assisté au retrait de la motion de censure du


premier ministre Adolphe Muzito par la majorité parlementaire. Aussi longtemps
que ce dernier conservera la confiance du chef de l’Etat, soyons-en sûr qu’aucune des
motions n’aura d’effets.

Toutes les motions de défiance proposées contre les partisans de la


majorité parlementaire, ont été sans effets. Ce fut le cas de la motion de défiance
lancée contre le ministre du portefeuille, Madame Jeanine Mabunda, du ministre de
la culture et de communication, Monsieur Lambert Mende, du ministre des finances,
Athanase Matenda, tous ont échappé à l’épée de défiance, non pas parce que les
motions étaient irrégulières, mais plutôt parce qu’ils étaient soutenus par la famille
politique du chef de l’Etat.
141

On a toujours affirmé que la démocratie, c’est la voix de la majorité, mais


de laquelle majorité s’agit-il exactement ? Est-ce du grand nombre de personnes ou
de l’objectivité dans le comportement de ce grand nombre ?

Aujourd’hui, nous contestons de vive voix cette affirmation car cette


majorité est devenue un instrument d’oppression. Le fait majoritaire s’est trouvé à la
source de toutes les distorsions. Alors que les contrepoids ont été conçus pour
permettre à l’exécutif de gouverner sans majorité, ils sont devenus… des instruments
de l’exécutif pour contraindre sa propre majorité. D’où le complet écrasement du
pôle parlementaire.

Qu’en est-il donc de cette majorité aujourd’hui ? Nous apprenons à travers


les informations, les journaux, qu’il y a une instabilité gouvernementale imminente
suite à la scission de la majorité présidentielle (AMP).

Le parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) semble-


t-il avoir signé l’acte de décès des alliances au sein de l’AMP, avec le PALU et
l’UDEMO. Ces deux derniers partis sont les alliés de la majorité présidentielle et
avaient signé un accord avec l’AMP au bénéfice de certains postes.

Cependant, aujourd’hui le PPRD, se défend de vouloir exclure les autres


alliés de la grande chevauchée de 2011. Dans une mise au point faite à ce propos, ce
parti dit ne nourrir aucune ambition de se muer en parti-état ni de vouloir imposer la
dévaluation des alliances conclues en 2006.

Nous avons essayé de comprendre une chose à travers tout cela. En effet,
l’AMP n’était qu’une plate forme fabriquée par le président lui-même afin de ne pas
se retrouver en face d’un premier ministre issu d »une majorité qui lui est de
tendance politique opposée.

Les partis politiques congolais constituent donc un frein à la démocratie.


Ils fonctionnent uniquement pour assurer leur propre survie et ne sont plus les
instruments du débat politique.

Tous les partis politiques sont assoiffés du pouvoir, et veulent à tout prix
l’exercice pour imposer leur vision, contraire à la démocratie. Alors qu’ils sont tenus
au respect des principes de démocratie pluraliste, d’unité et de souveraineté
nationale.

Le lien étroit existant entre la démocratie et les partis politiques n’est pas
seulement historique. En effet, devenus les acteurs essentiels du débat politique, les
partis sont par leur nombre, leur mode de fonctionnement, une unité de mesure du
degré démocratique d’un régime politique.
142

3. L’effectivité du fonctionnement du régime constitutionnel du 18


février 2006

Après avoir examiné sur toutes les coutures le fonctionnement du régime


semi-présidentiel tel qu’institué par la constitution du 18 février 2006, nous allons
enfin de compte déduire si ce fonctionnement n’est-il pas déviatif, ou encore ce
régime conserve sa nature réelle.

En effet, les actes qui se dégagent de la pratique sont en principe d’essence


constitutionnelle, le contraire ne peut être qualifié que de déviationnisme.

En observant la manière dont fonctionne le régime semi-présidentiel


congolais, nombreux seront tentés de dire qu’il ne s’agit plus d’un régime semi-
présidentiel, mais plutôt d’un régime présidentialiste ; ou encore présidentiel, du fait
de la prééminence du chef de l’Etat.

Le régime fonctionnant effectivement en RDC, n’est pas un régime


présidentiel, car dans un tel régime, il y a absence des mécanismes de mise en jeu de
la responsabilité gouvernementale, le président n’a pas besoin d’une majorité pour
diriger.

On serait tenté d’admettre que le régime politique congolais est un régime


présidentialiste, car celui-ci se définit comme un régime qui concentre le pouvoir
entre les mains du chef de l’Etat en raison de son mode d’élection au suffrage
universel et de la disposition d’une majorité parlementaire quoique cette logique
reflète la réalité des faits, néanmoins nous restons dans le qualificatif de régime semi-
présidentiel.

En fait, le président de la République Joseph Kabila est prééminent du fait


de son élection au suffrage universel, et du fait des pouvoirs propres que lui attribués
par la constitution qu’il joint au fait majoritaire à raison de la coïncidence des
majorités parlementaire et présidentielle.

Toutes ces caractéristiques nous laissent dans le bain d’un régime semi-
présidentiel à pouvoir majoritaire, et exclusivement en période de coïncidence des
majorités.

On peut dire également que nous sommes dans un régime parlementaire


dualiste en raison de la double responsabilité du gouvernement et devant le
président de la république et devant le parlement.
143

A vrai dire, le système apparent congolais est certes le régime semi-


présidentiel, et le système réel l’est également. Cependant il porte les vestiges d’un
régime présidentiel. Et par conséquent, il y a une remise en question du principe de
séparation des pouvoirs que l’on retrouve même inscrit dans la constitution.

Si la volonté présidentielle tend à s’imposer dans les prérogatives des


autres institutions politiques, par exemple dans la démission d’un ministre, on dirait
qu’on s’écarte petit à petit d’un vœu de démocratie.

Nous savons que chaque régime répartit les compétences et c’est dans la
répartition de ces compétences qu’on peut trouver les forces et les faiblesses. Pour
des pays africains comme le notre ou la culture démocratique n’est pas encore
intériorisée, il est vraiment difficile de déceler les forces et les faiblesses. Parce que les
faiblesses actuelles sont entretenues par les hommes politiques qui sont chargées
d’animer les institutions.

Sinon sur le papier il n’y a pas de problèmes de répartition des


compétences. C’est plutôt la mise en œuvre qui pose problème en ce moment là, on
peut chercher à trouver les forces ou les faiblesses. Mais théoriquement, le régime
semi-présidentiel a l’avantage d’avoir des contre-pouvoirs, de mettre en place des
institutions qui peuvent constituer des freins.

Le système réel, c’est-à-dire celui fonctionnant effectivement un RDC. Ne


se trouve pas à l’abri des reproches adressés aux précédents régimes qui, eux, étaient
également caractérisés par une prééminence du chef de l’Etat

Le régime semi-présidentiel peut bien fonctionner tel qu’il a été institué


par la constitution, mais à une seule condition, celle que les institutions respectent les
dispositions constitutionnelles et n’agissent que dans les limites de leurs
prérogatives.
144

§3. Les intermèdes monarchiques

A. Les institutions de la monarchie mobutiste

§1. Plénitude du pouvoir sous la loi n° 74-020 du 15 août 1974 portant


révision de la Constitution du 24 juin 1967

Le constituant congolais place la loi n° 74-20 du 15 août 1974 sous la


droite ligne du texte constitutionnel approuvé par référendum du peuple congolais
organisé du 4 au 24 juin et promulgué par le président de la République sous la
dénomination « Constitution du 24 juin 1967 ». Elle est entendue en être une simple
révision460.
Afin de tenter de dégager le sens profond de ce texte capital pour le
fonctionnement de l’Etat congolais, il nous parait indiqué d’en retracer la genèse
d’abord, de présenter les tendances doctrinales antagonistes sur sa véritable valeur
juridique ensuite, avant de prendre position quant à ce.

1. La genèse de la loi constitutionnelle du 15 août 1974

La tendance à la concentration des pouvoirs amorcée par le président


Kasavubu dès le lendemain de l’indépendance du Congo semble trouver
aboutissement – ironie du sort – près de dix ans après sa chute grâce à la loi
constitutionnelle du 15 août 1974.

La nouvelle aventure manquée, cette fois-ci, du président Joseph


Kasavubu de révoquer, sans aucune conséquence, un premier ministre jouissant
d’une majorité confortable au parlement va renvoyer le pays, grâce au coup d’Etat de
novembre 1965, sous le giron militaire.

Au lendemain de ce coup d’Etat militaire, l’on va assister à la


concrétisation d’une concentration des pouvoirs réels entre les mains du chef de
l’Etat : de la confiscation du pouvoir législatif au parlement à la suppression du poste
de premier ministre, la Constitution du 24 juin 1967 viendra trouver un homme seul
au pouvoir.

Malgré la décision annoncée par le général Mobutu dans son discours


programme du 12 décembre 1965 de mettre fin « à la stupide lutte d’influence que se
livraient les partis politiques »461, le Corps de Volontaires de la République462 est créé

460
Elle est d’ailleurs dénommée par ses géniteurs «Loi n° 74-020 du 15 août 1974 portant révision de la
Constitution du 24 juin 1967 », JO, 14ème année, numéro spécial, 1er janvier 1975.
461
Il s’agit de la fameuse période dite apolitique fixée d’abord à cinq ans, mais qui se réduira avec la création du
MPR le 20 mai 1967 à moins de deux ans.
462
Le mouvement est créé par des politiciens en mal de positionnement, qui ne veulent pas manquer l’occasion
d’emboîter le pas aux militaires, parmi lesquels des anciens étudiants actifs comme N’KANZA DOLUMINGO,
président du Comité exécutif de l’UGEC et Paul KABAYIDI, conseiller communal, ancien étudiant des
universités belges. Sur la création du CVR, voy. VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…,
op. cit., pp. 140-141.
145

dès le 9 janvier 1966 en vue « de promouvoir la conscience nationale et d’intéresser la


population congolaise à la reconstruction du pays »463.

C’est sur les cendres du CVR464 que naîtra le parti qui va accaparer
toute la vie politique du pays, le MPR, malgré les dénégations de son géniteur qui
annonçait déjà dans son discours du 20 mars 1967 à Kisangani465 son intention de
créer « un mouvement et non un parti unique, un mouvement qui serait animé par le
chef de l’Etat lui-même, un mouvement dont le CVR n’est nullement l’embryon ».

C’est curieusement au cours du même discours de Kisangani que le


président de la République définit déjà les grandes lignes de ce qu’allait devenir la
Constitution du 24 juin 1967 : élection du chef de l’Etat au suffrage universel pour un
mandat de sept ans ; exécutif monocéphal, suppression du sénat en faveur d’une
chambre unique élue pour cinq ans, provinces sans personnalité juridique, recours au
référendum populaire par le chef de l’Etat…466.

Dès que le MPR se dote des organes467, dont l’un, le Bureau politique,
est appelé à jouer un rôle déterminant dans l’avenir politique du pays, le
fonctionnement des institutions en est fortement infecté. On peut dès ce moment
constater une coïncidence annonciatrice des difficultés présageant l’avenir entre le
personnel gouvernemental et celui du mouvement. Les méfaits du dualisme
institutionnel qui va en résulter ne sont plus à démontrer.

C’est dans des conditions proches d’un matraquage de


conditionnement idéologique aux nouvelles idées et sans opposition ouverte que, par
référendum constitutionnel de juin 1967, la population approuve la Constitution à
une majorité écrasante468.

La Constitution du 24 juin 1967 prévoyait, en son article 4, al. 2, la


possibilité de l’existence d’un autre parti politique469 aux côtés du MPR. Il ne sera

463
Ce mouvement est, dans le chef de ses créateurs, une machine chargée d’assurer la communication entre le
pouvoir et la masse et d’organiser la « vigilance » en faveur du nouveau régime. Le président de la République,
qui avait interdit la politique des partis, s’appuiera sur cette organisation, à laquelle il adhéra d’ailleurs dès le 5
février 1966, pour la liaison avec les masses. Voy. « Le Corps des Volontaires de la République (CVR) »,
Courrier Africain du CRISP, TA 62-63 du 27 mars 1967, 34 p. cité par DJELO EMPENGE OSAKO,
Contribution à l’étude…, op. cit., p. 312.
464
Le CVR continuait à souligner son apolitisme fondamental, tout en esquissant, dans certains documents de
son séminaire national tenu à Léopoldville du 13 au 21 décembre 1966, à l’occasion du premier bilan de son
activité, son éventuel rôle futur : celui d’un parti unique, qu’il soit dit d’avant-garde ou de masse. Sur ce secret
dessein du CVR, voy. . VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 140.
465
C’est en fait moins d’un mois plus tard, soit le 17 avril 1967, qu’est officiellement annoncée la création du
MPR.
466
Sur le discours du président de la République à Kisangani, voy. DJELO EMPENGE OSAKO, Contribution à
l’étude…, op. cit., p. 313.
467
Au début mai 1967, le MPR se dote de trois organes : le Congrès, le Bureau politique et le Comité exécutif
national. D’emblée le Bureau politique apparaît comme le centre nerveux du nouveau système.
468
La population se prononça par une majorité de 97,8 % de OUI. Sur les résultats de ce référendum, voy.
VERHAEGEN, B. (sous la direction de -), Congo 1967, Bruxelles, CRISP, 1967, pp. 55-57.
469
Certains ont cru soutenir que la Constitution instaurait un bipartisme rigide. En réalité, ce fut une faculté
insérée en vue de camoufler les véritables objectifs du MPR qui se voulait l’unique mouvement de
146

jamais question d’en admettre un et, dès sa création, le MPR jouira d’un monopole de
fait dans la vie politique zaïroise.

C’est en 1970, à l’issue d’un premier congrès extraordinaire du MPR


tenu du 21 au 23 mai à N’sele, baptisée « Cité du parti », qu’il est finalement décidé
de donner forme légale au fait dominant ; le MPR devient non seulement la seule
force politique du pays, mais encore l’institution suprême de l’Etat470.

La structure d’ensemble est introduite par touches successives au point


que la « révision constitutionnelle » du 15 août 1974 consacre finalement l’absorption
de l’Etat par le parti unique471, l’appropriation des organes classiques de celui-ci
(président de la République, assemblée nationale, gouvernement, pouvoir judiciaire)
par celui-là472, l’assimilation de la nation au mouvement473. Constitutionnellement, le
parti se dota d’une doctrine appelée « mobutisme »474, son emblème devint le
drapeau national475, l’hymne national quitta la Congolaise pour embrasser la Zaïroise
autant par la dénomination que par le contenu et la mélodie.

2. Les controverses doctrinales sur le texte du 15 août 1974 : simple


révision constitutionnelle ou nouvelle Constitution ?

Le coup de poker réussi par le maréchal Mobutu n’a pas empêché les
chercheurs de s’empoigner sur la valeur juridique réelle de la loi constitutionnelle du
15 août 1974. S’agissait-il d’une simple révision constitutionnelle ou encore, en raison
des profonds bouleversements que cette loi semblait apporter sur la scène politique
congolaise, d’une nouvelle Constitution ? La loi constitutionnelle de 1974 met en
présence deux thèses et soulève une controverse non dépourvue d’intérêt. Dans cette

rassemblement des masses. Dans le sens d’une simple faculté, d’un cadre, d’un maximum fixé par la
Constitution, voy. LIHAU, M., « La nouvelle Constitution de la République Démocratique du Congo », Etudes
congolaises, vol. XI-3, Léopoldville, INEP, 1968, p. 33.
470
La loi n° 70-001 du 23 décembre 1970, MC, 12ème année, n°1 du 1er janvier 1971, pp. 5-6, porte révision de la
Constitution en changeant la disposition de l’art. 4 par l’érection du MPR comme « le seul parti politique de la
RDC » et en adjoignant un art. 19 bis qui dispose : « Le MPR est l’institution suprême de la République. Il est
représenté par son président. Toutes les autres institutions lui sont subordonnées et fonctionnent sous son
contrôle. ».
471
Pour VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 151, le phénomène de fusion
totale entre l’Etat et le parti unique a atteint une perfection telle qu’il devient banal de s’interroger si l’on est
encore dans le cadre d’un phénomène partisan.
472
Aux termes de l’art. 43 de la loi du 15 août 1974, « Les organes du MPR sont le Bureau politique, le Congrès,
le Conseil législatif, le Conseil exécutif, le Conseil judiciaire ». Notez que le président de la République,
ancienne institution étatique, s’est, lui, identifié au MPR, portant à l’Etat, dont il exerce la plénitude du pouvoir,
conformément à l’article 30 de ladite loi.
473
Outre l’art. 8 aux termes desquels « Le peuple zaïrois est organisé au sein du MPR », l’art. 29 de la loi de
1974 dispose : « Le MPR est la nation zaïroise politiquement organisée ».
474
Le mobutisme, doctrine qui « guide » le peuple zaïrois est entendu par l’exposé des motifs de la loi susvisée
comme étant « la pensée, les enseignements et l’action du président fondateur du MPR, qui ont fait du Zaïre et
des Zaïrois ce qu’ils sont aujourd’hui. » (Exposé des motifs, al. 3).
475
Le pays troqua son « drapeau bleu ciel, orné d’une étoile jaune dans le coin supérieur gauche et traversé en
biais d’une bande rouge finement encadrée de jaune » de l’art. 1er de la Constitution de 1967 contre un « drapeau
vert clair, orné au centre d’un cercle jaune dans lequel figure une main droite tenant un flambeau rouge » (art. 4,
loi de 1974).
147

perspective, la thèse officielle ou révisionniste s’oppose à la thèse nouvelliste dite


constitutionnaliste476.

a. La thèse officielle ou révisionniste

Les tenants de la thèse officielle477 se fondent sur les arguments à la fois


d’ordre technique et logique pour conclure que la loi n° 74-020 du 15 août portant
révision de la Constitution du 24 juin 1967 ne peut être qu’une simple révision
constitutionnelle.

1°. Au point de vue technique

Pour les révisionnistes, il suffit de voir l’intitulé officiel de la loi


critiquée autant dans son adoption par le Conseil législatif et sa promulgation par le
président de la République pour comprendre que ladite loi constitue bel et bien une
simple révision constitutionnelle478.

Les plus sceptiques devraient être convaincus par les termes de l’article
premier de la loi elle-même pour se rassurer qu’il s’agit bel et bien de la modification
de la Constitution du 24 juin 1967479, soutiennent-ils.

Tout juriste orthodoxe devrait être respectueux des textes et se référer à


la source officielle afin d’obtenir la meilleure qualification qui ressort de la volonté
même de la source de la règle juridique concernée, en l’occurrence, la qualification
que fait le constituant de la loi constitutionnelle du 15 août 1974. Toute interprétation
malencontreuse péchant par l’excès, le risque de faire dire au constituant ce qu’il n’a
jamais visé à travers son texte demeure grand et très dangereux.

La révision constitutionnelle opérée le 15 août 1974 ne semble-t-elle pas


être conforme aux dispositions de l’article 74 de la Constitution du 24 juin 1967 qui
reconnaît, en la matière, compétence concurrente de l’initiative de révision au
président de la République et à la moitié des membres de l’Assemblée nationale,
adoption du projet par cette dernière à la majorité de deux tiers de ses membres et
promulgation par le chef de l’Etat ?

Réviser une Constitution étant « supprimer ou modifier tout ou partie


des articles existants, ou encore adjoindre des articles nouveaux au texte existant »480,

476
La substance de la controverse est largement inspirée de DJELO EMPENGE OSAKO, Impact de la
coutume…, op. cit., pp. 69-76.
477
Les rédacteurs du texte eux-mêmes soutiennent cette position dans l’exposé des motifs de ladite loi. D’après
les auteurs de Histoire du Mouvement populaire de la révolution, Institut MAKANDA KABOBI, Kinshasa,
1975, « cette révision tendait à faire disparaître des lacunes provenant du dualisme institutionnel et de la
présence désormais inutile de deux textes fondamentaux : la Constitution régissant l’Etat et les statuts du MPR »,
p. 67.
478
Le texte tel que publié dans l’organe officiel, JO, 14ème année, numéro spécial du 1er janvier 1975, est bel et
bien dénommé « Loi n° 74-020 du 15 août 1974 portant révision de la Constitution du 24 juin 1967 ».
479
En effet, la teneur de la loi susvisée dispose en son article premier : « La Constitution du 24 juin 1967 est
modifiée conformément au texte annexé à la présente loi ».
148

la révision ne peut certes être que partielle et porter ainsi sur une ou un certain
nombre de dispositions constitutionnelles481. Ainsi la révision peut avoir pour objet
et pour résultat d’abroger entièrement un article de la Constitution, d’ajouter une
disposition482 à un article ou d’en modifier une partie ou d’en changer complètement
la rédaction.

A ceux qui avancent que la loi de 1974 semble avoir procédé à une
modification totale de la Constitution de 1967, usurpant ainsi les prérogatives du
pouvoir constituant originaire, à qui revient seul la compétence de mettre en place
une nouvelle Constitution, les tenants de la thèse révisionniste rétorquent que toute
Constitution est révisable en fonction d’une certaine situation politique et sociale du
pays483.
L’immutabilité de la Constitution n’est-elle pas contraire au principe de
la souveraineté, le peuple souverain ne pouvant renoncer à son droit de changer la
Constitution ? Les révisionnistes répondent à cette interrogation réflexive, avec
certains auteurs484, en s’appuyant sur la disposition de la Déclaration des droits de
l’homme de 1793 selon laquelle : « Un peuple a toujours le droit de revoir, réformer
et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les
générations futures ».

Ce principe sur lequel les révisionnistes s’appuient peut être admis sans
qu’aucune réponse acceptable ne vienne cependant satisfaire la curiosité scientifique
qu’éveille un triple questionnement :

- La génération qui avait, sept ans plutôt, pris plaisir à mettre en place la
Constitution de 1967 a-t-elle changé au point de se trouver en porte-à-faux
face à une autre génération sept ans plus tard ?

- Les acteurs du théâtre politique congolais qui avaient attribué au peuple un


rôle à jouer sur la scène de 1967 pour approuver leurs « prouesses »
constitutionnelles avaient-ils finalement manqué de recettes pour lui faire
endosser le changement de partition en 1974 ?

- En acceptant que le peuple avait bien le droit de changer sa Constitution, les


révisionnistes ne tombent-ils pas dans le piège des adversaires de leur thèse
qui considèrent qu’il s’agissait bien d’une nouvelle Constitution ?

Sans même tenter de s’attarder sur des préoccupations aussi


languissantes, les révisionnistes pourront, dans un sursaut d’orgueil, conclure : le
constituant de 1967 n’ayant imposé aucune limitation relative ni à l’objet, ni à la

480
En ce sens, DEBBASCH, C. et alii, Droit constitutionnel…, op. cit., p. 106.
481
C’est la position de VELU, J., Notes de Droit public, polycopié, 1978-1979, pp. 434-436 reprise par DJELO
EMPENGE OSAKO, Impact de la coutume…, op. cit., p. 70.
482
Le terme « disposition » n’est pas synonyme d’article. Il est des articles qui renferment deux ou plusieurs
dispositions.
483
DEBBASCH, C. et alii, Droit constitutionnel…, op. cit., p. 106.
484
Ibidem.
149

période de la révision, moins encore à l’intangibilité de certaines dispositions, la


révision de 1974, quelle que ait été son ampleur, est restée conforme à la
Constitution. D’ailleurs, beaucoup de dispositions de la Constitution du 24 juin 1967
n’ont-elles pas été épargnées et sont restées intactes après modification de certaines
autres ?485 .
2°. Sur le plan logique

Logiquement, la loi constitutionnelle du 15 août 1974 n’est que


l’aboutissement du processus entamé depuis les résolutions du premier congrès
extraordinaire du MPR tenu à N’sele en mai 1970. Cette loi constitutionnelle n’est
qu’une révision en tant qu’elle vise à tirer les conséquences de ladite
institutionnalisation pour une meilleure adaptation aux nécessités politiques du
pays486.
Le souci des tenants du pouvoir semble avoir été d’éviter la rupture
qu’aurait introduite une nouvelle Constitution dans la logique de la révolution initiée
par le général MOBUTU et ses penseurs, car ils ont estimé que « révolution sur
révolution ne vaut »487. Pareil argument textuel dicté par des raisons à la fois d’ordre
politique et stratégique ne peut résister à une critique froide. Il peut être vite remis en
cause lorsque l’on sait que le constituant savait déjà en 1967 où il voulait en venir et
qu’en 1974, il confirme introduire un régime politique différent à plusieurs égards de
celui de 1967488.

Ainsi, les tenants de cette thèse politique, pour qui l’impression semble
plus importante que l’action, privilégient l’apparence destinée à la perpétuelle
recherche de la légitimité plutôt que la substance du texte constitutionnel. Or, il ne
suffit pas, conclut Djelo Empenge Osako, d’affirmer que le nouveau texte n’est que
l’amendement de l’ancien pour refuser à la nouvelle loi constitutionnelle son
caractère nouveau489. En effet, le constituant peut en modifier profondément l’esprit
en ne recourant pas aux techniques appropriées pour éviter la rigueur de la
procédure.

Passer par une technique plus facile, celle de simple révision des
dispositions constitutionnelles, afin d’atteindre un objectif opposé à celui
prétendument visé est une fraude à la Constitution.

485
Les révisionnistes feront certainement valoir le maintien des articles relatifs aux droits fondamentaux et des
devoirs des citoyens qui constituent généralement des fausses fenêtres, des dispositions passe-partout qui ne
permettent pas de qualifier un régime politique.
486
C’est l’argument logique que tire DJELO EMPENGE OSAKO, Impact de la coutume…, op. cit., p. 70,
visiblement de l’exposé des motifs de la loi n° 74-020 du 15 août 1974, al. 1, qui dispose : « La présente
révision constitutionnelle vise à tirer toutes les conséquences de l’institutionnalisation du MPR décidée lors de
premier congrès extraordinaire qui a eu lieu à N’sele en mai 1970 afin d’adapter le texte de base qui régit notre
pays à nos réalités ».
487
Cette « équation » reprise par DJELO EMPENGE OSAKO, Impact de la coutume…, op. cit., p. 71, voulait
dire qu’il était stratégiquement moins payant d’entreprendre une révolution dans une autre révolution sans se
dédire.
488
Cette affirmation relève de l’exposé des motifs de la loi du 15 août 1974, titre I, al. 1, JO, op. cit., p. 1.
489
DJELO EMPENGE OSAKO, Impact de la coutume…, op. cit., p. 71.
150

La fraude est davantage démontrée par l’accélération de la procédure


plus simple de révision choisie. La loi sous examen est essentiellement l’œuvre de
l’exécutif. Convoqué en session extraordinaire par l’O n° 74-171 du 31 juillet 1974, le
conseil législatif national n’eut que cinq jours pour examiner un texte d’une
importance aussi capitale490. Cette célérité semble cacher mal l’intention de l’exécutif
de faire avaliser son texte en usant de la session parlementaire comme d’une simple
formalité.

a. La thèse nouvelliste dite constitutionnaliste

Les tenants de la thèse nouvelliste dite constitutionnaliste491 tirent leurs


arguments de la base philosophique de la Constitution et de la technique
d’aménagement conséquent des pouvoirs en son sein pour soutenir que la loi n° 74-
020 du 15 août 1974 portant révision de la Constitution du 24 juin 1967 est une
nouvelle Constitution.

1°. Le soubassement philosophique de la Constitution

Toute Constitution, qu’elle soit coutumière ou écrite, qu’elle soit


sommaire ou détaillée, est empreinte, par la force des choses, d’une certaine
idéologie, d’une certaine conception du droit régissant les rapports de la
communauté et ses membres492. Celle-ci rejaillit évidemment à travers le statut du
pouvoir et influe sur la détermination des conditions d’exercice de l’autorité
publique, de telle sorte que même si ces conditions apparaissent vagues ou
laconiques, elles expriment la philosophie politique de chaque pays à une certaine
période de son histoire493.

Lorsque, en novembre 1965, le Haut commandement de l’Armée


nationale congolaise décide de neutraliser le président Joseph Kasavubu, enferré
dans l’affirmation de ses prérogatives constitutionnelles, et le premier ministre Moïse
TSHOMBE, les nationalistes doivent resserrer les rangs en vue de conjurer le
mauvais sort que, depuis l’indépendance, les démons de la division semblaient avoir
jeté sur le pays494. Les nouveaux maîtres du pays ne se firent pas prier pour lancer un
signal fort aux uns et aux autres en manifestant leurs visées d’unité nationale et de
défense de l’intégrité territoriale contre les rebelles et leurs alliés mercenaires495. Ils
allaient certainement opter pour une idéologie suffisamment rassembleuse des

490
La session fut, en effet, clôturée par l’ordonnance n° 74-207 du 10 août 1974.
491
Parmi ceux-ci, on peut citer DJELO EMPENGE OSAKO, Impact de la coutume…, op. cit., pp. 72-76.
492
D’après Paul BASTID, L’idée de Constitution, Paris, Economica, 1985, p. 184, cette idéologie, qui est en
relation intime avec la situation ou avec les besoins d’un milieu donné, c’est ce que la Constitution présente de
véritablement fondamental.
493
Ce sont ces conditions qui résument d’ailleurs, par les mécanismes qu’elles créent, les principes qui dominent
la vie publique.
494
Depuis l’indépendance du Congo, rebellions et insurrections avaient décidé de relayer les menaces de
sécessions qui continuaient à hanter la jeune République.
495
L’on se rappellera de la tentative déclenchée par Jean SCHRAMME et Bob DENARD, appuyés par les
anciens gendarmes katangais, le 5 juillet 1967, deux semaines à peine après la promulgation de la nouvelle
Constitution, en de s’emparer de Kisangani.
151

énergies nationales en revendiquant jusqu’à l’héritage d’un nationaliste


mondialement connu et apprécié : Patrice Emery Lumumba496.

La naissance officielle du MPR, le 20 mai 1967, coïncide avec la


publication d’un manifeste dit de la N’sele à travers lequel le nouveau mouvement
allait tenter de se donner un programme497. Le document est d’autant plus
intéressant qu’il survient après que le nouveau régime ait eu le temps de cerner les
problèmes auxquels il est confronté, de définir les solutions à y apporter et de poser,
dans la Constitution à mettre en place le cadre institutionnel à travers lequel ces
solutions peuvent être mises en œuvre498.

C’est donc dans ce document que le MPR essaie de présenter les idées-
forces le soubassement philosophique de son action, celui qui va inspirer la
Constitution du 24 juin 1967 : « Sa [c’est-à-dire celle du MPR] doctrine est le
nationalisme »499. En décidant de suivre les options fondamentales définies dans le
Manifeste de la N’sele500, le constituant de 1974 aurait été logique de retenir, comme
soubassement politique du nouveau régime, le nationalisme zaïrois authentique, que
ce manifeste consacrait comme doctrine. A la place, le préambule de la loi
constitutionnelle du 15 août 1974 érige en guide le mobutisme comme ensemble
d’idées-forces qui fondent la pensée du parti-Etat501. Même plus, il ressort du
contenu tant de l’exposé des motifs que du préambule de la loi constitutionnelle de
1967502 que c’est en reconnaissance des mérites exceptionnels que « la grande famille
zaïroise »503 aurait décidé de considérer que toute la philosophie politique du régime
serait conçue, développée, exprimée, systématisée et réalisée dans « la pensée, les
enseignements et l’action » d’un homme : Mobutu504.

Devant pareille confusion, il nous parait utile de recourir à nouveau


aux idéologues du parti-Etat pour essayer de séparer le vrai grain de l’ivraie dans cet
imbroglio d’idéologie et de doctrine entre le nationalisme zaïrois authentique, le
recours à l’authenticité et le mobutisme.

496
Certains allèrent jusqu’à assimiler le général MOBUTU à un second LUMUMBA. En ce sens,
VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 152.
497
Manifeste de la N’sele, MPR, Kinshasa, sd.
498
VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 142 estiment d’ailleurs que le
Manifeste de la N’sele constitue un point de départ essentiel en vue de dresser le bilan des gouvernements de la
seconde République.
499
Avant-propos du Manifeste de la N’sele, op. cit., p. 6.
500
Ce sont elles qui convainquent, parait-il, le peuple congolais en ce moment-là. Voy. Préambule de la loi n°
74-020 du 15 août 1974, JO, op. cit.
501
Bien que l’exposé des motifs de la loi n° 74-020 du 15 août 1974, JO, op. cit. réduise son contenu en « la
pensée, les enseignements et l’action du président fondateur du MPR », les idéologues du parti le prétendent plus
englobant que le nationalisme congolais authentique. Sur ces prétentions, voy. DJELO EMPENGE OSAKO,
Impact de la coutume…, op. cit., p. 72.
502
Le préambule de la loi n° 74-020 du 15 août 1974, al. 3, JO, op. cit., p. 3, y ajoute la politique du recours à
l’authenticité.
503
Exposé des motifs, al. 7, de la loi n° 74-020 du 15 août 1974, JO, op. cit., p. 1.
504
Exposé des motifs, al. 3, de la loi n° 74-020 du 15 août 1974, ibidem.
152

Dans sa conférence505 donnée à l’Ecole du parti, l’Institut Makanda


Kabobi, le Secrétaire permanent du Bureau politique du MPR, feu Nguz Karl-I-Bond,
définit le nationalisme zaïrois authentique comme « une démarche libre et volontaire
du peuple zaïrois vers un but déterminé : l’affirmation de la personnalité nationale et
son développement intégral ». En fait, il s’agit d’une doctrine à travers laquelle l’on
cherche à résoudre des problèmes avec des recettes conformes aux intérêts de la
nation. La doctrine étant un ensemble des opinions, des croyances, des idées d’une
école littéraire, religieuse ou philosophique, d’un système politique506, il reste à
déterminer le contenu du nationalisme zaïrois authentique, qui semble très fluctuant
au regard du long chemin à parcourir en vue de résoudre les problèmes nationaux507.

Si l’authenticité est entendue comme cette liberté d’un peuple de penser


et d’agir comme il veut, comme il le conçoit, une notion universelle et permanente, le
président fondateur du MPR s’en est servi pour rassurer qu’elle est « l’affirmation de
l’être humain tout court, là où il est, tel qu’il est, avec ses structures mentales et
sociales propres »508. Définie comme un ensemble de valeurs et idées qui fondent la
particularité, l’irréductibilité de chaque peuple, l’authenticité n’est donc plus un
simple concept, ces valeurs et idées étant identifiables pour chaque peuple, elle
devient une idéologie509.

Le recours à l’authenticité a été défini comme une méthode, une


politique qui permet au peuple zaïrois de tenir compte, en toute chose, de son
authenticité dans tous les domaines de la vie nationale510.

Il s’agit pour le peuple zaïrois, comme l’avait solennellement proclamé


le président Mobutu devant la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies,
de recourir à ses propres sources, de chercher les valeurs de ses ancêtres afin d’en
apprécier celles qui contribuent au développement harmonieux et naturel511.

La démarche d’explication des idéologues du MPR tend à démontrer


que le mobutisme est une philosophie qui engloberait une idéologie, l’authenticité,

505
NGUZ KARL-I-BOND, « Résumé succinct des idées-forces du mobutisme », Conférence donnée à l’Ecole
du parti, Institut MAKANDA KABOBI, lors de la session de septembre - octobre 1974, p. 26, cité par DJELO
EMPENGE OSAKO, Impact de la coutume…, op. cit., p. 72. Voy. également MUDIMBE, V.Y., Autour de la
« Nation ». Leçons du civisme. Introduction, Kinshasa – Lubumbashi, éd. du Mont – Noir, 1972, p. 95.
506
Petit Larousse illustré. Dictionnaire encyclopédique pour tous, Paris, Librairie Larousse, 1986, p. 323.
507
En 1967, il n’est pas encore question de donner une étiquette à la doctrine du MPR, le programme d’action
repris dans le Manifeste se contente d’un contenu idéologique relativement mince mettant un accent particulier
sur le nationalisme. Voy. à ce sujet VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., pp.
148-149.
508
NGUZ KARL-I-BOND, « Résumé succinct des idées-forces du mobutisme »…, op. cit., p. 27 reprend les
termes du célèbre discours que prononça le président MOBUTU le 4 octobre 1973 à la tribune de l’Assemblée
générale de l’ONU.
509
La conclusion est de DJELO EMPENGE OSAKO, Impact de la coutume…, op. cit., p. 73.
510
DJELO EMPENGE OSAKO, Impact de la coutume…, op. cit., p. 73.
511
NGUZ KARL-I-BOND, « Résumé succinct des idées-forces du mobutisme »…, op. cit., p. 28.
153

une doctrine, le nationalisme zaïrois authentique et une méthode pour réussir cette
politique, le recours à l’authenticité512.

A défaut d’admettre le changement de philosophie, les tenants de la


thèse révisionniste auraient dû néanmoins reconnaître une certaine mutation, ce qui
aurait apporté un éclairage nouveau sur la mobilité ou encore mieux la dynamique
du mobutisme. En effet, si au départ la doctrine était une simple composante de
l’ensemble, la mutation faite pour acquérir une idéologie et une méthode de
conception, de systématisation et de réalisation de cette politique aura porté des
modifications significatives au soubassement philosophique du régime.

En cela, ce nouvel édifice ne peut contribuer à confirmer la thèse d’une


simple révision constitutionnelle. La loi du 15 août 1974 aura été une toute nouvelle
Constitution, apportant une nouvelle philosophie du pouvoir par rapport à celle
présente dans la communauté nationale congolaise en 1967.

2°. L’aménagement des pouvoirs dans la Constitution

L’aménagement des pouvoirs étant fonction de la philosophie qui sous-


tend tout édifice constitutionnel, la source du pouvoir, les conditions de son exercice,
la nature des institutions publiques et leurs rapports réciproques vont subir de telles
transformations que même un sens élevé de l’observation ne permettra que
difficilement de décrypter les versions originaires.

L’article 2, al. 1 de la Constitution du 24 juin 1967 place la source du


pouvoir et son exercice dans le peuple513 alors que la loi constitutionnelle du 15 août
1974, après avoir fait une véritable prestidigitation aux fins de voir la nation zaïroise
s’identifier au MPR514, consacre la plénitude du pouvoir dans le chef du président du
parti515, qui en est l’incarnation516.

512
Sur les trois composantes du mobutisme, voy. DJELO EMPENGE OSAKO, Impact de la coutume…, op. cit.,
p. 72. Pour VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 150, si l’authenticité a
supplanté le nationalisme, elle a, à son tour, cédé plus tard le pas au mobutisme consacré dans les textes
constitutionnel de 1974. Le mobutisme aura donc avalé les deux premières doctrines.
513
L’art. 2, al. 1, de la Constitution du 24 juin 1967, M.C, op. cit., p. 565, dispose : « Tout pouvoir émane du
pouvoir qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum ».
514
Aux termes de l’art. 29 de la loi n° 74-020 du 15 août 1974, JO, op. cit., p. 5, « Le Mouvement populaire de
la Révolution est la nation zaïroise politiquement organisée ». Cette globalisation politique touche tous les
secteurs de la vie nationale en vertu du principe « olinga olinga te, ozali se na MPR »
515
Si l’on compare la disposition de l’art. 9, al. 1, de la loi n° 74-020 du 15 août 1974, JO, op. cit., p. 3, selon
laquelle « le pouvoir émane du peuple qui l’exerce par le président du MPR, qui est de droit président de la
République, avec le concours des organes du MPR », avec celle de l’article 30 de la même loi aux termes de
laquelle, « le président du MPR est de droit président de la République et détient la plénitude de l’exercice du
pouvoir », on a l’impression de se trouver en face qu’une équivoque heureusement vite dissipée dès lors que les
autres organes du MPR n’agissent que par délégation.
516
Face aux importants organes du MPR, comme le Bureau politique et le Congrès, le Conseil législatif, le
Conseil d’exécutif et le Conseil judiciaire ne sont que de petites caisses de résonance sans pouvoir propre.
154

Si la genèse du pouvoir demeure populaire dans les deux textes, son


exercice par voie directe ou de représentation prévu en 1967 a été complètement
confisqué au peuple au profit d’un seul homme : le président du MPR.

De même, la séparation des pouvoirs entre les institutions


représentatives du pouvoir d’Etat de 1967 (pouvoir législatif, pouvoir exécutif et
pouvoir judiciaire) a été supprimée en faveur d’une concentration des pouvoirs au
profit du MPR, mieux au bénéfice exclusif d’un homme : le président du MPR et à la
dégradation des organes classiques d’exercice du pouvoir dans l’Etat.

En face d’un tel chambardement des pouvoirs, peut-on


raisonnablement continuer à soutenir que la loi n° 74-020 du 15 août 1974 est la suite
logique de la Constitution du 24 juin 1967 ?

La réponse nous parait négative lorsqu’il nous est donné de constater


que la base philosophique du régime et l’aménagement des pouvoirs qui en est
résulté ont fait subir au système des mutations tellement profondes que le texte qui a
érigé en dogme une telle concentration des pouvoirs ne pouvait avoir que l’intention
de mettre en place une toute nouvelle Constitution.

3. La véritable valeur juridique de la loi du 15 août 1974

Après les tâtonnements d’une application biaisée et controversée de la


Constitution du 1er août 1964 en conformité avec la proclamation du Haut
Commandement de l’Armée nationale congolaise, les autorités militaires en place à
Léopoldville avaient entendu changer de République en instituant une autre par la
Constitution du 24 juin 1967. Elles l’ont même baptisée « deuxième République »517.
Faudrait-il considérer que la loi constitutionnelle du 15 août 1974 a changé, tel que le
prétendent ses auteurs, la République instaurée en 1967 ou comme en 1967, elle a,
une fois de plus, changé de République ?518

517
C’est à tort que d’aucuns pensent que la deuxième République commence le 24 novembre 1965, car à partir
de cette date jusqu’au 24 juin 1967, date à laquelle la République est rétablie, le pays, officiellement régi par la
Constitution du 1er août 1964, comme le souligne la proclamation du Haut Commandement de l’Armée nationale
congolaise, vit une période de confusion au profit d’une dictature militaire. Dans ce sens, BOSHAB, E.,
«République Démocratique du Congo : Le spectre d’une Constitution virtuelle devant la commission
constitutionnelle », Rev. de Dr. Afric., n° 6, Bruxelles, avril 1998, pp. 294-295. En sens opposé,
VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 139, qui situent la seconde
République au 24 novembre 1965.
518
A la suite du professeur Jean-Louis QUERMONNE, « L’équilibre général de la Constitution », La révision de
la Constitution, Journées d’études du 20 mars et du 16 décembre 1992, Association française des
Constitutionnalistes, Aix-en-Provence, Paris, PUAM, Economica, 1993, pp. 165-166, Evariste BOSHAB,
«République Démocratique du Congo : Le spectre d’une Constitution virtuelle devant la commission
constitutionnelle », », Rev. de Dr. Afric., n° 6, Bruxelles, avril 1998, p. 123, explicite cette double expression en
précisant que changer de République, c’est changer de régime politique, par contre changer la République
signifie « réviser la Constitution pour l’adapter aux exigences contemporaines, sans porter atteinte à son
équilibre général ».
155

S’il faut soutenir avec Georges Burdeau que « les Constitutions


sanctionnent toujours la victoire d’une certaine conception de l’ordre à établir et elles
demeurent marquées par ce caractère de consécration officielle de philosophie
politique »519, la loi constitutionnelle de 1974 nous semble bien en rupture avec la
République qu’avait instituée le constituant de 1967. Empruntant à la monarchie
absolue la base doctrinale de mariage mystique entre le roi et la nation520, le
mobutisme avait réussi à tisser entre le président Mobutu et le peuple zaïrois des
liens indéfectibles d’un mariage qui excluait toute contestation et accordait la
plénitude de l’exercice du pouvoir au fondateur du parti unique. La République, qui
est un régime excluant toute appropriation du pouvoir par un seul ou par quelques
uns, ne pourrait s’accommoder du régime institué en 1974.

A partir de cette date, la doctrine majoritaire est d’avis que s’était


instauré un régime autocratique521, une monarchie absolue522 que démontrent
suffisamment les articles 28 et 30 de la loi constitutionnelle du 15 août 1974 :

« En République du Zaïre, il n’existe qu’une seule institution, le


Mouvement populaire de la révolution qu’incarne son président. » (Art.
28).
Le président du MPR est de droit président de la République et détient
la plénitude de l’exercice du pouvoir. Il préside le Bureau politique, le
Congrès, le Conseil législatif, le Conseil exécutif et le Conseil
judiciaire.» (Art. 30).

En plaçant un homme, le président fondateur du MPR, au dessus de la


Constitution, la loi n° 74-020 du 15 août 1974 apparaît plus une Charte523 qu’une
Constitution au sens où ses initiateurs voulaient l’entendre. Les dispositions

519
BURDEAU, G., Traité de science politique, 2ème éd., t. 1, Paris, LGDJ, 1969, p. 98.
520
Sur le mariage entre le roi et la nation dans le cadre monarchique, voy. CHEVALLIER, J.-J., Histoire des
institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à nos jours, 4ème éd., Paris, Dalloz, 1971, p. 12.
521
Voy. BOSHAB MABUDJ, « Quelles institutions pour la Troisième République ? », Le Diagnostic, vol. 1, n°
00, Kinshasa, 1992, pp. 11-12 : « C’est donc un régime autocratique qui est mis en place et qui n’a, de ce fait,
rien de commun avec le régime présidentiel du 24 juin 1967 ».
522
BOSHAB, E., “République Démocratique du Congo: le spectre d’une Constitution virtuelle devant la
Commission constitutionnelle », op. cit., p. 135 : « Sans être exhaustif, il suffit de rappeler, sur le plan des
principes, que le Zaïre était constitutionnellement une monarchie absolue où un seul homme, le chef de l’Etat,
au dessus de la Constitution pouvait tout » et aussi, « Quelles institutions pour la troisième République ? », Le
Diagnostic, vol. 1, n° 00, Kinshasa, 1992, pp. 11-12. Voy. également dans le même sens, NAIPUL, V.-S., « Un
nouveau roi pour le Congo », Le Débat, n° 8, janvier 1981 ; KAMTO, Le pouvoir et le droit en Afrique noire.
Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987,
pp. 302-305 ; WILLIAME, J.-C., « L’automne d’une monarchie », Politique africaine, n° 41, 1991, pp. 10-21 ;
GONIDEC, P.-F., « A quoi servent les Constitutions africaines ? Réflexion sur le constitutionnalisme africain »,
RJPIC, Paris, 1987, pp. 860-861.
523
Il s’agit véritablement d’une Charte et non d’une Constitution car, en réalité, le peuple n’a aucun droit. Seul le
monarque, comme du temps du Roi Soleil, peut affranchir ses sujets, accorder certains privilèges, anoblir,
condamner, gracier… D’ailleurs les formules d’usage pendant ce règne conforte cette analyse : « Il a plu au
président fondateur de vous nommer ministre… Il a plu au maréchal de vous élever au rang de Général… Il a
plu au président fondateur d’augmenter les salaires des fonctionnaires et travailleurs… Il a plu au président
fondateur de créer l’UNAZA… Il a plu au président fondateur de vous attribuer la maison sise n° 24, Avenue des
Trois Z, Kinshasa/Gombe…. ». Voy. BOSHAB, E., « République Démocratique du Congo : Etat unitaire à
régionalisation constitutionnelle ou fédéralisme assourdi ?", Rev. de Dr. Afric., n° 7, Bruxelles, 1998, p. 295.
156

spéciales524 affranchissent le monarque de toutes les restrictions symboliques de


celle-ci : il peut donc la modifier, sinon la manipuler, suivant son bon vouloir. Il est
par conséquent démontré que, contrairement à l’opinion largement répandue selon
laquelle la deuxième République, au Congo, commence le 24 novembre 1965 et se
termine le 17 mai 1997, celle-ci, instituée le 24 juin 1967, n’aura vécu que l’espace
d’un mandat présidentiel, après une agonie congénitale persistante.

Au lieu de se contenter de changer de République, le constituant du 15


août 1974 aura outrepassé son pouvoir de révision jusqu’à installer une véritable
monarchie constitutionnelle525. La simple proclamation de la loi constitutionnelle du
15 août 1974 d’avoir institué une République unitaire, démocratique, sociale et laïque
ne paraît pas avoir servi d’antidote au venin mortel que la même loi venait d’injecter
à la même République.

L’enterrement définitif de la République, qui s’en suivit, peut nous


amener à nous interroger s’il s’agissait d’un réel problème de terminologie, d’une
volonté délibérée d’entretenir la confusion ou d’une simple clause de style destinée à
camoufler la grave fraude commise sur la Constitution du 24 juin 1967.

Pire qu’une nouvelle Constitution, la loi n° 74-020 du 15 août 1974


portant révision de la Constitution du 24 juin 1967 aura été le bras séculier par lequel
la deuxième République aura été exécutée. Cette loi aura été un instrument
innommable destiné à faciliter l’appropriation de l’ensemble des pouvoirs étatiques
en faveur du président Mobutu526, mettant ainsi en place un nouveau régime, plus
qu’une « chefferie modernisée »527, une monarchie d’un absolutisme n’ayant rien de
commun avec les autres monarchies constitutionnelles de la planète. En définitive, en
guise de révision constitutionnelle, la loi constitutionnelle du 15 août 1974 aura
plutôt constitué l’apogée du monolithisme de la vie politique au Zaïre.

Outre la qualification intentionnellement erronée des dispositions


constitutionnelles, la fraude a aussi traversé le droit constitutionnel congolais par la
juxtaposition des structures de fait aux institutions étatiques.

§2. La juxtaposition des structures de fait aux institutions

524
L’article unique du Titre VIII, Dispositions spéciales, de la loi n° 74-020 du 15 août 1974 portant révision de
la Constitution du 24 juin 1967, JO, op. cit., p. 7, dispose : « Les dispositions des art. 31, 39, al. 2 et 3, et 46 de la
présente Constitution ne s’appliquent pas au président fondateur du MPR. De même, l’avis conforme dont il est
question à l’alinéa premier de l’article 78 n’est pas requis en ce qui concerne le président fondateur du MPR ».
525
Plusieurs tentatives, encouragées depuis 1990 tant par l’environnement international caractérisé par la fin de
la guerre froide à la chute du mur de Berlin et de l’implosion de l’URSS et ses satellites ainsi que la montée en
force de l’opposition intérieure, ne parviendront pas à anéantir l’absolutisme du régime du maréchal Président et
à rétablir la République apparemment abattue et même enterrée par la loi du 15 août 1974.
526
NWABUEZE, B.O., Constitutionalism in the Emergent States, London, C. Hurst & CO, 1973, p. 2, considère
que « une Constitution peut être utilisée pour d’autres buts que de limiter le gouvernement… Loin d’imposer un
frein une telle Constitution peut en vérité faciliter ou même légitimer l’usurpation de pouvoirs dictatoriaux par le
gouvernement ».
527
OWONA, J., Droit constitutionnel et régimes politiques africains, Nancy, Berger Levrault, Coll. Mondes en
devenir, 1985, p. 269, considère le régime institué au Zaïre par la loi du 15 août 1974 comme une chefferie
modernisée.
157

Classiques du pouvoir étatique

Le plus souvent, les forces politiques, au sens concret du terme,


apparaissent en dehors du cadre constitutionnel, comme de véritables moteurs
auxiliaires, non négligeables, de la vie publique nationale528. Pendant longtemps, les
partis politiques et les syndicats n’ont eu aucune place dans les Constitutions et ils ne
sont encore mentionnés que dans un petit nombre d’entre elles. Ils le sont d’ailleurs
sommairement, sans qu’à lire le texte, on puisse se rendre compte du rôle effectif
qu’ils jouent529. Certes les partis et les syndicats occupent en fait, dans la vie politique
d’un pays une place presque aussi considérable que celle de beaucoup d’autorités
officielles530. Bien que leur autorité soit réelle, elle n’est pas publiquement reconnue.
Ils demeurent des forces politiques extraconstitutionnelles.

L’expérience congolaise a le mérite d’avoir dérogé à pareil principe. A


partir de leur insertion dans l’édifice constitutionnel, le parti politique et ses organes
cessent d’être des pouvoirs de fait, animateurs extraconstitutionnels de la vie
politique, pour devenir la caractéristique même du système. Ils se situent désormais
à côté, sinon au-dessus des trois pouvoirs classiques calqués sur le modèle
constitutionnel occidental. Ils acquièrent ainsi une autorité proprement juridique qui,
ajoutée à leur ascension sociale et politique, leur donne une puissance considérable.

Le résultat le plus clair de pareille entreprise, dont le caractère


autoritaire n’a plus besoin d’être souligné, est d’affecter l’édifice institutionnel d’une
véritable dichotomie. Par l’introduction presque à l’état pur de la force politique
entendue comme dynamisme, mouvement, action dans la Constitution, qui est par
essence structure, ordre, stabilité, le constituant astreint la cohabitation au sein de
l’appareil de gestion de la communauté nationale des éléments de nature
fondamentalement différente531.

Différents par leur nature, les deux éléments que l’on prétend
« associer » s’opposent également par leur finalité. Le premier tend, en effet, à
assurer l’unité de la puissance publique, tandis que le second vise, au contraire, à
institutionnaliser le pluralisme interne du pouvoir.

Composés de deux parties dont les caractères spécifiques sont


nettement antagonistes, l’édifice constitutionnel est affecté, dans sa structure même,
d’une profonde hétérogénéité fatalement génératrice de tensions et de contradictions,
voire des conflits. Leur résolution ne va toujours pas sans casse.

528
L’observation est faite par BASTID, P., L’idée de constitution …, op. cit., p. 22.
529
Lorsque, par exemple, la Constitution de la transition du 4 avril 2003 mentionne dans son article 11 : « Les
partis politiques concourent à l’expression du suffrage, à la formation de la conscience nationale et à l’éducation
civique. Ils se forment et exercent librement leurs activités dans le respect de la loi, de l’ordre public et des
bonnes mœurs. Les partis politiques sont tenus au respect des principes de démocratie pluraliste, d’unité et de
souveraineté nationales… », elle nous fixe sur ce qui est permis, mais nullement sur la force qu’ils représentent.
530
On les voit à certains moments influer sur les décisions des autorités publiques, voire renverser des
gouvernements à force d’ultimatums.
531
Préface de Charles GOOSSENS, in DJELO EMPENGE OSAKO, L’Impact de la coutume…, op. cit., p. 16.
158

L’expérience de pareille pratique va être analysée à travers


l’institutionnalisation du MPR (point A) et la tentative d’institutionnalisation
manquée de l’AFDL (point B).

A. Institutionnalisation réussie du MPR

La dynamique politique du système mis en place par le président


Joseph Désiré MOBUTU depuis le 24 novembre 1965 est caractérisée par un double
mouvement : d’une part se manifeste la spectaculaire ascension du MPR pendant
laquelle sont progressivement éliminés tous les réels ou supposés contrepoids qui
pourraient faire obstacle à cette ascension. D’autre part, l’absorption de l’Etat par le
parti unique se fait d’abord sur le plan de fait avant d’atteindre la fusion totale sur le
plan constitutionnel.

1. La spectaculaire ascension du MPR

La Constitution du 24 juin 1967 prévoyait la possibilité de l’existence


d’un autre parti aux côtés du MPR532 ; il ne sera jamais question d’en admettre un.
Dès 1967, le MPR jouira d’un monopole de fait dans la vie politique zaïroise.

Déjà à sa création, le MPR se veut la seule force politique de la


République du Congo, dont il est l’institution suprême533. Il se veut d’ailleurs non un
parti politique, mais plutôt un mouvement534. Pour devenir un véritable mouvement
national des masses, le MPR va non seulement faire un grand effort pour s’insérer
dans les cadres préexistants du pouvoir, mais aussi éliminer tous les contre-pouvoirs,
actuels ou potentiels susceptibles de faire face à sa montée en force.

a. La consécration du MPR

L’un des traits caractéristiques du MPR est la rapidité avec laquelle il a


propagé ses structures à travers le pays s’implantant partout et se substituant parfois,
- certains diraient souvent535 -, à une administration locale défaillante. Dès la création
du mouvement, en 1967, ses dirigeants encouragent sa pénétration dans les
provinces, encore que celle-ci ne se fasse pas sans rencontrer d’opposition,
particulièrement dans les régions où des partis politiques anciens avaient une forte
cohésion536. En outre on constate également au niveau provincial des tensions entres

532
Sans doute que l’art. 4, al. 2 de la Constitution du 24 juin 1967 qui fixe le nombre maximum des partis
politiques à deux ne signale pas déjà le nom du MPR, mais, l’on ne peut oublier que, créé le 17 avril 1967 et
proclamé officiellement le 20 mai de la même année, le MPR existait déjà avant la promulgation de la
Constitution comme unique forme politique agréée.
533
C’est ce qu’affirment les art. 1 et 4 des statuts du MPR.
534
A l’occasion du voyage du Roi Baudouin en juin 1970 au Zaïre comme devant les cadres de l’Union
progressiste sénégalaise (UPS) à Dakar le 14 février, le président du MPR, le général MOBUTU n’avait pas
manqué d’expliquer que son parti était avant tout un mouvement de rassemblement des masses. Voy. DJELO
EMPENGE OSAKO, Contribution à l’étude…, op. cit., p. 327 ; L’Impact de la coutume…, op. cit., pp. 107-
109.
535
VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 150.
536
C’est le cas du Bas Congo où l’ABAKO, parti ethnique, demeurait solidement implanté.
159

les autorités administratives locales et les responsables du MPR : elles sont


consécutives au dualisme institutionnel qui va accompagner l’ensemble du
processus.

La montée en force du MPR entamée depuis avril 1967 ne pouvait se


limiter à consacrer une situation de fait, il était urgent de l'institutionnaliser. En 1970,
le premier congrès extraordinaire du MPR tenu du 21 au 23 mai à la nouvelle cité du
parti à N’sele avait enjoint, sur recommandation du Bureau politique, au président
de la République et aux futurs députés de sanctionner légalement les trois
principales résolutions de ce congrès. Ces résolutions concernaient la candidature
unique à la présidence de la République, les élections législatives ouvertes aux seuls
militants du MPR retenus sur des listes dressées par le Bureau politique et surtout
l’institutionnalisation du MPR537.

L’exécution de l’ordre de modifier la Constitution dans les trente jours


de la formation du bureau de l’Assemblée nationale en vue de faire du MPR non
seulement la seule force politique organisée du pays, mais encore l’institution
suprême de l’Etat ne se fit pas attendre.

Joignant le fait au droit, la loi n° 70-001 du 23 décembre 1970 portant


révision de la Constitution538 va consacrer le MPR « seul parti politique de la
République Démocratique du Congo »539 et « institution suprême de la
République »540, « représenté(e) par son président »541. « Toutes les autres institutions
lui sont subordonnées et fonctionnent sous son contrôle »542. De même que les statuts
du parti, la loi du 23 décembre 1970 finissait par consacrer la suprématie du MPR sur
toutes les institutions.

L’entrée du MPR dans l’édifice constitutionnel bouleverse


l’ordonnancement hiérarchique des institutions étatiques, qui sont désormais pilotées
par lui. Les principales institutions de la Républiques deviennent : le MPR, le
président de la République, l’Assemblée nationale, le Gouvernement, la Cour
constitutionnelle, les cours et tribunaux543.

Sans entrer dans les détails inutiles, il y a lieu de noter que depuis la
région jusqu’à la sous cellule, qui étaient respectivement la plus grande entité
(province actuelle) et la plus petite entité (village) territoriale, le président et le vice-
président, chargés d’assurer la permanence du parti, occupent, dans la très grande

537
DJELO EMPENGE OSAKO, Contribution à l’étude…, op. cit., p. 329.
538
Loi n° 70-001 du 23 décembre 1970 portant révision de la Constitution, MC, 12ème année, n°1 du 1er janvier
1971, pp. 5-6.
539
Art. 1er de la Loi n° 70-001 du 23 décembre 1970 portant révision de la Constitution, MC, op. cit., p. 5,
modifiant l’art. 4 de la Constitution du 24 juin 1967.
540
Art. 4 de la Loi n° 70-001 du 23 décembre 1970 portant révision de la Constitution, MC, op. cit., p. 5,
portant insertion d’un article 19 bis dans la Constitution du 24 juin 1967.
541
Idem.
542
Ibidem.
543
Art. 2 de la Loi n° 70-001 du 23 décembre 1970 portant révision de la Constitution, MC, op. cit., p. 5,
portant modification des l’article 19 de la Constitution du 24 juin 1967.
160

majorité de cas, des fonctions en tant qu’autorités administratives et des charges en


tant que dirigeants du parti.

Ce dédoublement fonctionnel assure une emprise du MPR sur


l’ensemble des institutions du pays544. En définitive, comme dirait Durieux, A., « on
se trouve… en présence d’une immense toile d’araignée qui s’étend à tout le
territoire de la République »545.

Bien que le MPR soit devenu en droit comme en fait l’institution


suprême, son président, qui en est le fondateur, est non seulement l’instance suprême
du parti, mais aussi la réalité initiale. A cet égard, le parti apparaît en fait comme un
rouage sans lequel le pouvoir présidentiel, qui en est adjuvant, subordonné, ne peut
être acquis546. En effet, il nous ne semble que la qualité de président du MPR découle
de la fonction de président de la République, bien au contraire, cette dernière est
conditionnée par la qualité de président du MPR547. L’avenir confirmera par ailleurs
cette argumentation. L’évolution des réalités zaïroises va amener le constituant
congolais à dépasser le cadre étroit de l’institutionnalisation et surtout d’une
suprématisation du parti.

En effet, la loi du 23 décembre 1970 avait donné à l’institutionnalisation


un sens limité qui faisait du MPR une institution, bien que suprême, qui coexistait
avec tant d’autres. En outre, le MPR continuait de garder un pied en dehors de la
Constitution où il semblait être entré avec armes sans bagages548.

C’est la loi constitutionnelle du 15 août 1974 qui viendra non seulement


récupérer les bagages abandonnés par le MPR dans son incursion sur la scène
constitutionnelle, mais aussi en faire finalement l’unique institution de la
République, les autres anciennes institutions devenant ses organes.

A partir de ce moment, le MPR aura réussi son objectif d’absorber


totalement l’Etat dont les organes classiques vont cohabiter avec les anciens organes

544
De ce fait le souci de neutralité de l’administration est remise en cause par le fait que tous les agents
deviennent politisés et ne peuvent plus rester au milieu du village.
545
DURIEUX, A., « Les institutions politiques de la République du Zaïre », Revue juridique et politique,
Indépendance et Coopération, Paris, T. XXVI, n° 3, 1972, p. 392.
546
Dans le sens inversé, DJELO EMPENGE OSAKO, Contribution à l’étude…, op. cit., p. 330, qui pense quant
à lui que c’est plutôt que c’est le parti qui serait « un rouage sans doute nécessaire, mais adjuvant, second,
subordonné au pouvoir présidentiel ».
547
Dans le même sens, DURIEUX, A., « Les institutions politiques de la République du Zaïre »…, p. 394.
548
En effet, c’est aux termes des dispositions de l’article 4 de la Loi n° 70-001 du 23 décembre 1970 portant
révision de la Constitution, MC, op. cit., qu’il est inséré, dans la Constitution du 24 juin 1967, l’article 19 bis,
dont la dernière phase est : « Les structures et organes du MPR sont déterminés par ses statuts et règlements ».
161

du parti qui, d’ailleurs, les charrient, dans une « société de juxtaposition »549 où la
notion même d’opposition politiquement organisée est inconnue550.

b. L’élimination des contre-pouvoirs

Face à l’armée qui avait pris le pouvoir en 1965 d’abord, puis au MPR
qui était venu, depuis 1967, à la rescousse pour rendre acceptable et même
indispensable ce pouvoir par des idées-forces qu’il véhiculait, il a existé des pouvoirs
opposés. Le pouvoir en place fait chercher autant à les identifier qu’à les éliminer
progressivement en vue de renforcer son autorité.

Parmi ces forces négatives, on peut notamment retenir les anciennes


formations politiques qui avaient refusé de mourir, les hommes politiques ainsi que
les autres forces de la société civile, qui risqueraient de s’ériger en censeurs du
pouvoir militaire en place.

1°. Les partis politiques

L’une des préoccupations essentielles des autorités militaires au


lendemain de la prise du pouvoir à Léopoldville aura été la neutralisation des partis
politiques, accusés d’être à la base des malheurs qui accablent le pays551. Annoncée
pour cinq ans, la période dite apolitique n’aura duré que l’espace d’un matin.

Dès janvier 1966 se constitue à Léopoldville le CVR, un mouvement


certes créé par des intellectuels en mal de positionnement, mais qui n’est pas moins
suscité par le pouvoir en place. Non seulement le mouvement se donne une devise
ambitieuse, « conscience nationale, vigilance, reconstruction », qui cache mal le
soutien idéologique au nouveau régime, mais aussi les premières cartes d’adhérents
sont délivrées en faveur des tenants du pouvoir552.

D’ailleurs, le premier bilan du fonctionnement des activités du CVR ne


manque pas d’apporter la justification de l’existence du phénomène partisan. Malgré
l’apolitisme déclaré, le CVR esquisse déjà son éventuel futur rôle, celui d’un parti

549
Le président MOBUTU lui-même dit que le MPR, en prônant l’union autour d’un chef à la recherche du
consensus avec les notables, par la technique de la palabre sous l’arbre », avait ainsi créé « la démocratie de
juxtaposition, à l’opposé de la démocratie conflictuelle [occidentale] ». Voy. REMILLEUX, J.-L., MOBUTU,
Dignité pour l’Afrique, Paris, Albin Michel, 1989, pp. 86-87.
550
Le président du MPR affirme pour clore : « Le fait est là, nos ancêtres ne nous ont pas légué votre philosophie
de l’opposition, ce dont on a pu prendre conscience lors de notre malheureuse expérience du multipartisme ».
Voy. REMILLEUX, J.-L., MOBUTU, Dignité pour l’Afrique…, op. cit., p. 87.
551
Dans son discours programme du 12 décembre 1965, le président Joseph Désiré MOBUTU annonce
l’interdiction des activités des partis politiques accusés de se livrer à « la stupide lutte d’influence ». Sur cette
interdiction, voy. DJELO EMPENGE OSAKO, Contribution à l’étude…, op. cit., p..309. Mais également
VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., pp. 139-140.
552
Le président de la République lui-même en devint officiellement membre le 5 février 1966 pendant que le
mouvement ne fait aucun mystère de son allégeance au nouveau chef de l’Etat, proclamé second héros national.
162

unique553. C’est quelques mois plus tard que, à la suite du CVR comme mouvement
d’avant-garde et de masse, le MPR est créé. Il demeurera parti unique malgré les
déclarations rassurantes de la coexistence annoncée de deux formations politiques554.

N’était-il pas anticonstitutionnel d’imposer, par simple discours,


l’interdiction aux partis politiques créés conformément aux lois de la République,
dont l’existence et le fonctionnement étaient autorisés par la Constitution en vigueur
à l’époque555 ? La lutte sans merci menée autant contre les anciens partis politiques
que contre les nouvelles formations qui convoitaient de prendre corps à côté du MPR
ne constituait-elle pas une entorse bien visible à la Constitution en vigueur ?

Revendiquant d’avoir le monopole de l’héritage lumumbiste et d’être le


seul acteur à avoir joué un rôle dans « l’action nationaliste révolutionnaire et anti-
impérialiste amorcée depuis le 24 novembre 1965 »556, le MPR refusera
catégoriquement de voir d’autres formations politiques anciennes ou nouvelles
devenir opérationnelles dans le pays.

Ce monopole imposé par les dirigeants du MPR et subi par la force par
tous les autres citoyens congolais est l’une de violations les plus importantes des
droits de l’homme. Il est demeuré une inconstitutionnalité vis-à-vis de la
Constitution de Luluabourg, sous l’empire duquel le MPR était créé, qui prônait le
pluralisme politique, autant qu’à l’égard de la Constitution du 24 juin 1967 qui, tout
de même, ouvrait le jeu politique à plus d’une formation politique557. Le concours
des partis politiques à l’expression du suffrage consacré par l’article 4 de la
Constitution du 24 juin 1967 n’aura apparemment servi qu’à distraire l’opinion et à
gagner le temps. L’on aura ainsi glissé insensiblement vers l’unipartisme de fait
d’abord, de droit ensuite.

En quelques années, les partis politiques étaient, en fait comme en droit,


totalement éliminés de la scène politique zaïroise et, après les illusions multipartistes
de l’indépendance, le pays entrai, comme beaucoup d’autres en Afrique avant lui,
dans la voie d’un système politiquement unanimiste. L’institutionnalisation du MPR
consacrée par la loi n° 70-001 du 23 décembre 1970 portant révision de la

553
Le CVR se considère déjà comme le futur parti unique d’avant-garde ou de masse. Cela préfigure ce que sera
le MPR par la suite. Sur cette préfiguration, voy. VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-
1980…, op. cit., pp. 140 et 152.
554
Malgré la prétention déjà visible dans ses statuts du MPR de devenir l’unique force politique et sociale du
pays (art. 1 et 4 des statuts du MPR), l’art. 4 de la Constitution du 24 juin 1967 prévoyait l’existence de deux
partis politiques.
555
L’art. 30 de la Constitution du 1er août 1964, MC, op. cit., pp. 8-9, dispose : « Tout congolais a le droit de
créer un parti politique ou s’y affilier. Nul ne peut imposer de parti unique sur tout ou partie du territoire de la
République. Les partis ou regroupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et
exercent leur activité librement. Ils doivent respecter le principe de la souveraineté nationale, de la démocratie
et les lois de République ».
556
Ce fut la substance du discours prononcé par Albert KIWEWA en janvier 1966 en commémoration de la mort
de Patrice Emery LUMUMBA.
557
L’art. 4 de la Constitution du 24 juin 1967, MC, op. cit., p. 549, limite certes l’existence des partis politiques
à un bipartisme figé, mais il ouvre le jeu politique à plusieurs acteurs.
163

Constitution ne servira qu’à tricher avec l’étendue du pouvoir de révision


constitutionnelle institué en faveur du constituant dérivé, la conséquence ayant été
d’aboutir à la métamorphose du soubassement philosophique du pouvoir et à un
nouvel aménagement des pouvoirs étatiques. En effet, si les formes constitutionnelles
qui ont présidé à la révision constitutionnelle de 1970 avaient été conservées, il ne
nous parait pas évident que l’esprit des institutions n’ont pas subi un changement
radical.

2°. Les hommes politiques

En dehors des forces politiques en présence, il existe des leaders


politiques, détenteurs d’un pouvoir charismatique distinct de celui de leurs partis,
charisme susceptible de causer des insomnies au nouveau pouvoir. Il en valait ainsi
pour l’homme politique Lumumba qui l’emportait de loin sur son MNC, Bomboko
sur l’UNIMO, Tshombe sur CONAKAT, Kamitatu sur le PSA.

D’ailleurs, dès le début la position violemment hostile d’emblée


adoptée par le régime militaire envers les politiciens qu’il identifiait clairement
comme la cause des maux du pays, contre lesquels l’intervention de l’armée trouvait
sa raison d’être, permettait de voir en eux une source potentielle d’opposition au
nouveau régime. Ils devaient donc logiquement être combattus énergiquement afin
de prévenir le danger qu’ils représentent.

Joseph Kasavubu se retira en paix dans son fief de Mayumbe au Bas-


Congo où la mort viendra le chercher quelques années plus tard. Jugé et condamné à
mort par contumace en 1967, Moïse Tshombe sera enlevé d’Espagne pour l’Algérie,
où il mourut en prison le 30 juin 1969. Les deux derniers mousquetaires de la scène
politique congolaise éliminés, d’autres ténors de la politique de la première
République comme Justin Marie Bomboko, Victor Nendaka, Etienne Tshisekedi,
Cléophas Kamitatu, Jean Bolikango, Cyrille Adoula ou Evariste Kimba, pour ne citer
qu’eux, furent récupérés par le régime militaire, afin de mieux les maîtriser en vue de
les éliminer, au gouvernement ou dans la diplomatie558.

Suivra ensuite une véritable épuration tantôt paisible, tantôt violente du


personnel politique susceptible de porter ombrage au nouveau pouvoir. L’une des
premières victimes de ce combat d’arrière-garde se trouve être Jean Bolikango, l’un
des ténors de la première République, ancien challenger de Joseph Kasavubu à la tête
de l’Etat congolais, qui est démis de ses fonctions en avril 1966. Quand le premier
remaniement ministériel du 1er août 1969 élimine de la scène politique Justin
Bomboko et Victor Nendaka en les faisant ambassadeurs respectivement à
Washington et à Bonn, avant qu’ils soient démis de ces fonctions moins d’un an plus

558
Si la présence au premier gouvernement des associés au général Mobutu dans le groupe de Binza, comme
Justin Marie Bomboko, Victor Nendaka et Etienne Tshisekedi allait de soi, celle de Cléophas Kamitatu avait
suscité des réserves de certains Etats étrangers. Sur le déploiement et la disparition de la scène politique des
leaders congolais de la première République, voy. VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-
1980…, op. cit., p. 153-155.
164

tard, l’un et l’autre étant arrêtés559, il s’agit d’un véritable virage à cent quatre-vingt
degrés amorcé par le pouvoir militaire.
Avec eux disparaît également Etienne Tshisekedi qui formait, avec le
général Mobutu, Justin Bomboko et Victor Nendaka, le noyau de Binza560. Evariste
Kimba avait, quant à lui, été éliminé physiquement le 1er juin 1966 à la suite du
procès des conjurés de la Pentecôte561, en même temps que trois autres anciens
ministres Jérôme Anany, Emmanuel Bamba et Alexandre Mahamba. Avec l’abandon,
en décembre 1970, pour cause de maladie, de Cyrille Adoula de ses fonctions
officielles d’ambassadeur respectivement à Bruxelles et à Washington, il ne reste plus
à ce moment autour du chef de l’Etat aucun des « grands hommes »562 de l’ancien
régime.

A partir de ce moment, plus personne dans l’entourage du chef de l’Etat


n’est désormais susceptible de lui ravir la vedette ; tous ceux qui l’entourent lui
doivent leur ascension et il peut se prévaloir du qualificatif de « homme seul ». Il
faudra attendre 1978 pour voir les plus prudents et les plus robustes des survivants
de cette épuration reparaître à la surface grâce à la libéralisation provisoire et
apparente qui suit la première guerre du Shaba563.

Potentiellement les plus dangereux en raison du caractère armé de leur


action, les rebelles n’ont cependant jamais représenté un danger véritable pour le
nouveau pouvoir564. Pourtant de l’extinction des maquis « lumumbistes » aux
« invasions » du Shaba par les gendarmes katangais, la vie de la « seconde »
République est jalonnée de leur activité. Une fois éteinte la rébellion de Pierre Mulele
par son élimination physique controversée le 9 octobre 1968, quelques poches de
petits « maquis » isolés situés au Kivu résisteront encore pendant de nombreuses
années sans pour autant représenter un réel danger pour le nouveau régime565.

3°. Les forces sociales

Parmi les forces sociales que pouvait redouter le nouveau pouvoir, il y


a lieu de retenir notamment l’Eglise, les étudiants et les travailleurs.

559
Accusés de complot contre la sûreté de l’Etat avec des « réseaux subversifs » rattachés à des pays étrangers,
en même temps que le général Bangala, Bomboko et Nendaka sont arrêtés.
560
Il s’agit de l’un des groupements les plus importants de la vie politique de la première République.
561
Accusés d’avoir voulu renverser le régime au profit d’un retour au gouvernement civil, les quatre anciens
ministres de la première République sont surpris dans la nuit du 29 au 30 mai, jugés en public par un tribunal
militaire d’exception au cours d’un procès qui dura une heure et demie et aboutit à leur condamnation à mort.
Les condamnés sont pendus le 1er juin 1966 devant une foule estimée à des centaines des milliers de personnes.
562
C’est ainsi que les appellent VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 154.
563
C’est le cas des leaders comme Etienne Tshisekedi, Ngalula Pandanjila et autres qui seraient à la base de
premiers ennuis sérieux du régime avec la fameuse lettre des 13 parlementaires.
564
Sur le peu d’importance de la rébellion pour le régime à cette époque, voy. VANDERLINDEN, J. et alii, Du
Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., pp. 160-161.
565
A part les survivants des « gendarmes katangais » de l’aventure tshombiste qui attaqueront à deux reprises,
dont l’une aboutira à la prise de la ville de Kolwezi, les frontières du Katanga depuis l’Angola et qui seront
maîtrisés grâce à l’intervention marocaine et franco-zaïroise, les rebelles isolés n’ont réellement pas eu à secouer
le régime du président Mobutu.
165

i. L’Eglise

La cohabitation entre l’Eglise catholique566 et le régime issu du coup


d’Etat militaire a d’abord été sans problèmes567. Excepté une intervention à caractère
« humanitaire » du cardinal Malula, chef de l’Eglise catholique zaïroise, après
l’affrontement sanglant entre étudiants et forces de l’ordre, l’Eglise est silencieuse
jusqu’en 1972. L’incident qui met le feu aux poudres survient lorsque le prélat, en
parlant en chaire devant le chef de l’Etat, se permet de critiquer indirectement la
politique gouvernementale en exprimant les appréhensions du pasteur face aux
conditions de vie difficile dans lesquelles se débattent ses ouailles568. Le chef de l’Etat
quitte la cathédrale de Kinshasa sans saluer le prélat catholique.

A cette époque un autre incident énerve la tranquillité entre le


gouvernement et l’Eglise catholique au sujet de la campagne d’authenticité qui
s’amorce à travers le changement de prénoms chrétiens en faveur des noms de
résonance zaïroise569. Afrique chrétienne, hebdomadaire d’obédience catholique
laisse échapper une note discordante dans un article où il est question « d’une
négritude un peu dépassée ». La réaction du Bureau politique est immédiate : le
périodique est suspendu pour six mois et le prélat est accusé de subversion.

La première réaction est suivie d’une autre plus énergique, puisque


Mgr Malula est expulsé de sa résidence, radié de l’Ordre national du léopard et
obligé de quitter le pays570 tandis que le Séminaire interdiocésain de Kinshasa est
fermé. Derrière ces incidents se profile un conflit plus sérieux résultant du refus de
l’Eglise de laisser se constituer dans les séminaires des cellules de la JMPR571.
Dégoûtée de cette imposition qui ne rencontre pas son assentiment, puisqu’elle
paraissait contraire à son apolitisme, l’Eglise préfère fermer elle-même ses séminaires
plutôt que de céder à ce diktat de l’Etat.

Contrarié par cette résistance qui remet en cause le principe selon lequel
personne au Zaïre ne doit échapper à la mobilisation du MPR, le Bureau politique
expulse plusieurs religieux étrangers, procède à l’arrestation du président de la
Conférence épiscopale, interdit les prières au bénéfice de Mgr Malula et déclenche
une vigoureuse campagne dans la presse contre l’Eglise.

De ce conflit, c’est l’Eglise qui sort perdante : elle accepte sans autre
condition que soit respectée « la spécificité de l’enseignement religieux »

566
Les autres grandes églises (protestante et kimbanguiste) n’ayant posé aucun problème ni au début, ni par la
suite, nous avons préféré ne faire mention que des relations qui se sont avérées tumultueuses avec le temps.
567
Au cours d’un Te Deum célébré le 20 décembre 1965 en présence du général Mobutu, le primat du Zaïre, Mgr
Albert Malula ne déclarai-t-il pas : « Monsieur le président, l’Eglise reconnaît votre autorité, car l’autorité vient
de Dieu. Nous appliquerons fidèlement les lois que vous voudrez bien établir ».
568
L’incident est rapporté par VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 155.
569
VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 155.
570
Le prélat est obligé de se réfugier au Vatican, loin de ses ouailles pour la défense des intérêts lesquels il allait
payer un exil forcé de plusieurs années.
571
Sur ce conflit, voy. BUTSUGUTSALA GANDAYI GABUDISA, Politiques éducatives au Congo-Zaïre. De
Léopold II à MOBUTU, Paris, Etudes africaines, 1997.
166

l’introduction des fameuses cellules contestées dans les séminaires. Ceux-ci sont
rouverts et le cardinal Malula peut rentrer au bercail, ayant donné au président « la
preuve de son repentir »572.

Dès ce moment, l’Eglise semble ne plus devoir être un obstacle même


potentiel au monopole du pouvoir exercé par le MPR, privilégiant la souplesse de la
diplomatie vaticane aux rapports de force573.

ii. Les étudiants

Les relations entre le régime déchu et les organisations estudiantines


n’ayant guère été cordiales, les premières réactions estudiantines aux événements du
25 novembre 1965 sont loin d’être négatives. Elles semblent particulièrement
apprécier le diagnostic sans complaisance posé par le général Mobutu dans son
discours-programme du 12 décembre 1965574. Cette lune de miel semble alimentée
par un malentendu ou du moins un manque de précision dans la doctrine politique
déclarée du gouvernement : l’orientation résolument socialiste du mouvement
étudiant et ses prises de position nettement anti-impérialistes en politique étrangère
peuvent-elles, à plus ou moins longue échéance, s’accommoder de la politique du
pouvoir, qui semblait plus à droite ?

La période d’observation passée, les relations entre le nouveau pouvoir


et le mouvement étudiant vont devenir plus houleuses575. La suite des événements ne
sera pas de tout repos pour le pouvoir en place, qui doit faire face à des fréquentes
frondes estudiantines576 : de la grève générale déclenchée le 20 février 1967 à
l’Université Lovanium à l’affrontement sanglant avec l’armée du 4 juin 1969
succédèrent arrestations, jugements suivis de fortes condamnations, fermetures des
universités, réforme de l’université par la création de l’UNAZA…

Tout sera mis en œuvre afin d’assagir la frange contestataire que


constitue dans tous les pays africains la jeunesse estudiantine577. Il faut peut-être
noter que contrairement aux premiers mouvements estudiantins, qui avaient une

572
C’est VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 156, qui vient paraphraser la
propagande de la « révolution » dans la presse pour célébrer sa victoire sur l’Eglise.
573
Qu’il soit possible à la propagande officielle de comparer le « sauveur » qu’est le président MOBUTU à « un
certain enfant juif » sans entraîner de protestation publique du clergé est éclairant à cet égard et n’empêche
d’ailleurs pas que Kinshasa soit la première escale de la première visite du pape Jean Paul II en Afrique en mai
1980.
574
C’est au cours de ce discours que le nouveau chef de l’Etat annonce l’interdiction de la politique des partis
politiques pendant cinq ans. Voy. VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., pp.
139-140 et 156. Mais également, DJELO EMPENGE OSAKO, Contribution à l’étude…, op. cit., p. 309.
575
Pour comprendre l’évolution de ces nouveaux rapports, voy. DJELO EMPENGE OSAKO, Contribution à
l’étude…, op. cit., pp. 317-318. On lira également avec intérêt DEMUNTER, P., « Les relations entre le
mouvement étudiant et le régime politique congolais. Le colloque de Goma », Courrier Africain du CRISP, TA
126 du 30 avril 1971, 23 p.
576
Sur les manifestations estudiantines pendant la période de 1965 à 1980, voy. VANDERLINDEN, J. et alii, Du
Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., pp. 156-158. Voy. également DEMUNTER, P., « Analyse de la
contestation estudiantine au Congo-Kinshasa (juin 1969) et de ses séquelles », Courrier Africain du CRISP, T.A.
132 du 30 décembre 1971, 35 p.
577
Elle est d’ailleurs demeurée la plus grande, si pas l’unique force de contestation au pouvoir établi.
167

connotation essentiellement politique, les derniers mouvements semblent plus


trouver leur justification dans de revendications relatives aux conditions d’existence.

Cependant le chef de l’Etat entend écarter toute possibilité de rivalités à


son parti. Afin de bâillonner la jeunesse et prévenir toute contestation, il est décrété
l’intégration de tous les mouvements de jeunesse dispersés dans une pluralité
d’organisations à la JMPR. En vue d’éviter les débordements de la jeunesse sur le
parti, la JMPR est placée sous le contrôle du Bureau politique578.

iii. Les travailleurs

Tout comme les autres forces politiques ou sociales, le monde du travail


accueille favorablement le coup d’Etat du 25 novembre 1965. Aussi bien les syndicats
d’inspiration libérale que ceux d’inspiration socialiste sont satisfaits et près à soutenir
l’action de l’armée. L’euphorie du début est rompue moins d’une année plus tard
lorsque l’exercice du droit de grève est suspendu. Mais le gouvernement reprendra
vite l’avantage : grâce à sa politique sur le contentieux belgo-congolais, la
« congolisation » de l’économie et la rupture avec l’UMHK, il se rallie les trois
grandes centrales syndicales modérées pendant que les dirigeants des irréductibles
seront arrêtés et remis au pas579.

Très rapidement, le pouvoir décrète le mouvement d’unification des


syndicats pour le 30 juin 1967. L’UTC580, la CSCC581 et la FGTK582 ravalent tous les
autres petits syndicats et fusionnent dans une l’Union nationale des travailleurs
congolais (UNTC).

Ainsi aux côtés du MPR va apparaître l’UNTC, devenue UNTZA en


1971, qui combine ses aspects traditionnels syndicalistes avec le rôle que lui assigne
le Manifeste de la N’sele d’être un « organe de soutien de la politique
gouvernementale »583. Le mouvement syndical apparaît ainsi plus comme un
« deuxième pilier de l’Etat nouveau aux côtés du MPR plutôt qu’un mouvement
protecteur des droits des travailleurs. Son premier rôle semble être la protection du
pouvoir établi, quitte à sacrifier les droits de ses syndiqués automatiques.

L’arrestation des grévistes à la suite d’une grève des employés d’une


banque déclenchée en mars 1969 à Kinshasa aura été révélatrice du nouvel esprit du
syndicalisme zaïrois. Il a suffi de voir l’attitude passive, à la limite de la complicité,
manifestée par les instances syndicales en face de la violation d’un droit aussi
essentiel en droit syndical pour comprendre la fin du syndicalisme zaïrois au sens

578
C’est ainsi que le Secrétaire général de la JMPR est en même temps ministre de la jeunesse et des sports et
membre du Bureau politique.
579
Sur le mouvement syndical congolais et l’unification des centrales, voy. VANDERLINDEN, J. et alii, Du
Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 158-160.
580
C’est le syndicat d’inspiration sociale dirigée par André Bo-Boliko, Union des travailleurs congolais.
581
La Confédération des syndicats chrétiens du Congo est une centrale syndicale d’inspiration chrétienne.
582
La Fédération générale des travailleurs du Kongo est un syndicat d’inspiration libérale.
583
Manifeste de la N’sele, MPR, Kinshasa, sd, p.19.
168

classique du terme et la disparition de l’un de contre-pouvoirs qui, en milieu urbain


au moins, aurait pu jouer un rôle dans l’évolution politique du pays584.

En définitive, est-il besoin de le dire, pendant cette période critique de


la vie politique au Congo-Zaïre, jamais les oppositions actuelles ou potentielles ne se
sont trouvées unies face au pouvoir, tandis qu’aucune d’entre elles ne représentait
une force véritable, organisée suffisamment pour ébranler le pouvoir qui avait fini
par envahir tous les secteurs de la vie nationale. On s’est surtout préoccupé de
renforcer constitutionnellement les pouvoirs du président fondateur du parti unique.
La réalité juridique est devenue donc celle de la primauté du président élu à la
charge suprême585. On met le pouvoir de l’homme providentiel à l’abri des
tentatives d’opposition dans son parti comme en dehors. A cet égard, il va faire du
parti un instrument de son pouvoir et il deviendra ainsi normal pour lui d’avoir
tendance à exclure tout autre parti de la scène politique, tout autre homme politique
ou tout leader social, toute autre organisation indépendante susceptible de faire
obstacle à son propre pouvoir et à celui de son organisation.

2. L’absorption de l’Etat par le parti unique

Le processus d’intégration entre les organes de l’Etat et ceux du parti


est perceptible à la naissance même du MPR. Dans la mise en place des structures et
la répartition des tâches du nouveau parti, il est remarqué dès 1967 une certaine
coïncidence entre le personnel gouvernemental et celui du Mouvement. Au niveau
central, sept membres du premier Bureau politique y reçoivent une affectation qui
correspond à celle qui leur est déjà conférée par leurs fonctions ministérielles586.

Toutefois, le mouvement va fonctionner parallèlement avec


l’organisation politique mise en place par la Constitution de 1967. Le dualisme va
engendrer d’énormes difficultés dans le fonctionnement des institutions. C’est en
octobre 1967, lors du premier remaniement du Bureau politique et de la première
définition des organes locaux du Mouvement, que ces derniers coïncident
parfaitement avec les autorités à chaque échelon de la hiérarchie 587. A partir de cette
date, les gouverneurs sont également présidents provinciaux du MPR.

Déjà en février 1968, un fait anodin est précurseur du rôle primordial


que la Constitution sera appelée à consacrer ultérieurement au profit du Bureau
politique du MPR en tant qu’organe de conception et d’orientation politique. En
effet, le Bureau politique pose le premier acte confirmant cette vocation à s’installer

584
Le malheureux constat sur la fin du syndicalisme zaïrois est de VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au
Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 160.
585
La primauté du président n’est plus à démontrer. Si le MPR, institution suprême de 1970 est entrain de définir
les objectifs fondamentaux, son bureau politique sait que la source du pouvoir est le chef de l’Etat. Cette
constatation devient plus claire lorsque le constituant de 1974 arrive à élever le chef du parti, de droit chef de
l’Etat, au titre d’incarnation du MPR et adjuge la plénitude du pouvoir.
586
VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 141.
587
Idem. Ce sont ainsi le gouverneur de province, le commissaire de district et l’administrateur de territoire qui
président les comités exécutifs du MPR dans leurs circonscriptions.
169

au-dessus des pouvoirs constitutionnels588 : le 22 février 1968, il décide de dissoudre


le comité exécutif de l’UGEC et le lendemain, le ministre de l’Intérieur, exécutant
cette décision, signe l’arrêté mettant en œuvre cette décision. La décision d’Etat, telle
que l’institutionnalisera la Constitution de 1974, est née. Jusqu’en 1972, par exemple,
la République du Zaïre, tout en reconnaissant le MPR comme l’institution suprême,
continuait de disposer au niveau national de deux exécutifs : l’un de l’Etat, le
gouvernement et l’autre du parti, le Comité exécutif national. Les décisions prises par
les autorités suprêmes du pays étaient parallèlement exécutées chacun de deux
exécutifs avec tout ce que cela pouvait engendrer comme contreformances589

La décision du Bureau politique de fusionner les deux exécutifs en un


seul appelé « Conseil exécutif national »590 ne parvint point à bout du dualisme
institutionnel qui paraissait avoir la peau dure : il continuait d’exister en effet deux
textes fondamentaux : la Constitution pour l’Etat, les statuts pour le parti591. Il fallait
attendre la révision constitutionnelle du 15 août 1974 pour faire disparaître ces
lacunes dichotomiques par la fusion totale entre le parti et l’Etat592.

En effet, tirant toutes les conséquences de droit, le constituant de 1974


décida qu’il n’existât plus « qu’une seule institution dans la République, le MPR,
dont le président est l’incarnation »593 et que « toutes les anciennes institutions sont
devenues ses organes, fonctionnant sous la responsabilité, la direction et la
présidence de son président »594. Ce dernier dispose même la plénitude du pouvoir.
En réalisant cette fusion totale entre le parti et l’Etat, le Zaïre avait rendu apparente
dans les structures constitutionnelles une évidence que beaucoup de pays africains, à
l’époque, tenaient à garder secrète : la prépondérance du parti unique et la sujétion
totale des organes d’Etat à son égard595.

Dans beaucoup de pays où la tendance au parti unique s’était affirmée,


le régime en place ne s’était pas entiché du parti sur le plan constitutionnel aussi
ostensiblement qu’au Zaïre. Le système zaïrois avait réussi là à réaliser la perfection
d’un phénomène qui, ayant gagné presque toute l’Afrique de l’époque, n’était
pourtant pas parvenu à atteindre des cimes aussi insoupçonnés de fusion entre ces
institutions.

3. L’objectif manqué de la fusion parti-Etat

588
Le fait et le commentaire sont rapportés par VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…,
op. cit., p. 141.
589
DJELO EMPENGE OSAKO, L’Impact de la coutume…, op. cit., p. 68.
590
Histoire du Mouvement populaire de la révolution, Kinshasa, Institut MAKANDA KABOBI, 1975, p. 65.
591
DJELO EMPENGE OSAKO, L’Impact de la coutume…, op. cit., p. 68.
592
Histoire du Mouvement populaire de la révolution, op. cit., p. 67. Voy. également DJELO EMPENGE
OSAKO, L’Impact de la coutume…, op. cit., p. 69.
593
Exposé des motifs, Titre III, al. 1 et articles 28 et 30 de la loi n° 74-020 du 15 août 1974 portant révision de la
Constitution du 24 juin 1967, J.O. de la R.Z., op. cit., pp. 1, et 5.
594
Exposé des motifs, Titre III, al. 2 et art. 43 et 30 de la loi n° 74-020 du 15 août 1974 portant révision de la
Constitution du 24 juin 1967, pp. 1, 5 et 6.
595
En ce sens également, VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., p. 148.
170

Par des tours de passe-passe dignes d’éloges, le pouvoir établi aura


réussi à transformer les dispositions d’une Constitution, par une juxtaposition
inexplicable des structures généralement reconnues de fait à celles relevant des
institutions classiques de l’Etat, en une succession des incantations destinées à
camoufler son intention réelle de confisquer et de concentrer l’entièreté des pouvoirs
étatiques au profit d’un seul individuel.

Le contraire aurait étonné, car tous les pouvoirs au sein du parti ont
toujours été détenus et exercés par le président fondateur, qui a même donné son
nom à la doctrine de son mouvement : le mobutisme n’est-il pas « la pensée, les
enseignements et l’action du président fondateur du MPR »596? Le président
MOBUTU n’a-t-il pas lui-même soutenu que son nom donné à la doctrine du parti
permettait de traduire dans le vocabulaire le rôle essentiel d’impulsion qui lui était
dévolu dans le cadre des institutions ?

L’enjeu réel de cette entreprise aura été de récupérer et de concentrer


l’entièreté des pouvoirs susceptibles d’échapper au contrôle des dirigeants du parti :
ceux de l’Etat. L’objectif poursuivi par les tenants du régime militaire aura donc été
de faire ravaler l’Etat par le parti, de soumettre l’Etat aux directives du parti afin de
mieux contrôler ses pouvoirs. Selon la décision d’Etat du Comité central du MPR du
1er avril 1983 relative au rôle dirigeant du parti, le parti-Etat signifie qu’au Zaïre597 :
« Le MPR commande et oriente l’Etat qui est devenu son instrument
pour la réalisation de ses objectifs ; rien de ce qui touche à la vie de la
nation ne doit échapper à l’autorité du MPR ; il ne peut y avoir
dichotomie ni opposition entre l’Etat et le MPR».

Ces affirmations sans détours dévoilent au grand jour le malaise qui, au


Zaïre, va émailler de bout en bout la difficile cohabitation entre l’Etat et le parti à
travers les tentatives apparemment infructueuses pour le MPR d’assujettir l’Etat598.

Malgré les tentatives des dirigeants du MPR d’imprimer par toutes


astuces tant juridiques que de fait la primauté du parti sur l’Etat, celui-ci n’a cessé
d’afficher son indépendance toutes les fois que l’occasion faisait le larron. Si les
organes partisans classiques sont placés en position hiérarchiquement supérieure
dans le texte constitutionnel par rapport à ceux de l’Etat, le président de la
République demeure le principal animateur et détenteur du pouvoir. Les autres
organes ne sont, en effet, que les instruments à son service parmi tant d’autres et ne
jouissent le plus souvent que d’une prépondérance théorique. En outre, dans
l’exercice de son action quotidienne, la société étatique peut engager, par ses
membres, des manifestations dont ils sont les seuls à détenir le monopole dans la

596
Exposé des motifs, al. 3, de la loi n° 74-020 du 15 août 1974 portant révision de la Constitution du 24 juin
1967, JO, op. cit., p. 1.
597
Décision d’Etat n° 32/CC/83 du 1er avril 1986 du Comité central du MPR relatif au rôle dirigeant du parti,
Décisions d’Etat, directives et déclarations du Comité central, 1980-1988, Kinshasa, Comité central, 1988, p.
150.
598
Cette conviction démontrée par ailleurs par la suite des événements est émise par DJELO EMPENGE
OSAKO, L’Impact de la coutume…, op. cit., p. 85.
171

vie de la société. C’est ce qui nous permet de comprendre le caractère irrésistible de


la contrainte dont seul le pouvoir étatique est juridiquement assorti599.

Cette primauté de l’Etat sur le parti tire également son origine de la volonté du
constituant. En effet, malgré que l’économie générale du texte constitutionnel
aménage les structures du MPR de manière à dégager la prééminence de ses
organes classiques sur ceux de l’Etat, certaines dispositions spécifiques placent
néanmoins le conseil exécutif et le conseil judiciaire à l’abri de l’action des organes
classiques du parti. De l’analyse des dispositions constitutionnelles susvantées, il
ressort que le conseil exécutif, organe d’exécution du MPR600, certes, mais
gouvernement de l’Etat, est l’organe moteur par lequel le parti tente de
matérialiser ses objectifs. Il est l’instrument mis à la disposition exclusive du
président du MPR, président de la République, qui n’est pas qu’un organe
classique du parti.
Il est utile de rappeler ici que ce conseil exécutif n’applique que le programme et
les directives du chef de l’Etat et que dans l’exercice de cette mission, ses membres
ne répondent de leurs actes que devant lui601 . Ils ne peuvent d’ailleurs faire
l’objet des poursuites judiciaires que sur sa seule autorisation et leur mise en
accusation ne peut l’être que par lui602.

Toutes les tentatives de demander les comptes à ses membres tant par
le comité central et le bureau politique que par le conseil législatif en vertu des
pouvoirs pourtant à eux dévolus par la Constitution n’ont-elles pas été vouées à
l’échec603 ?

De même, dans les relations internationales, l’Etat continue


d’assurer son indépendance tant dans les rapports interétatiques que dans
la diplomatie en générale. Malgré la propension du MPR à dominer l’Etat et
en faire l’instrument pour la réalisation de son projet de société, l’Etat
zaïrois est demeuré toujours unique acteur et sujet du droit international
public à l’exclusion du parti. A ce titre, l’Etat est resté l’intermédiaire obligé
de l’environnement extra-sociétal et entendait, par conséquent, tenir tête au
parti et au besoin, le subjuguer. Cette même situation est remarquée dans le
fonctionnement du conseil judiciaire dans sa mission de dire le droit. Si le
comité central se contente d’épiloguer sur les litiges disciplinaires et

599
Le parti unique a beau se targuer de sa supériorité, il demeurait incapable de faire exécuter ses décisions par
contrainte s’il ne recourait pas à la force publique, dont seul l’Etat détient la plénitude.
600
Art. 87 de la Constitution telle révisée par la Loi n° 78-010 du 15 février 1978 portant révision de la
Constitution, JO, 19ème année, n° 5 du 1er mars 1978.
601
Art. 91, alinéa 2 et 92, alinéa 2 de la constitution telle que révisée par la loi n°78–010 du 15 février 1978.
602
Art. 93 de la Constitution telle que révisée par la loi n°78–010 du 15 février 1978.
603
L’art. 84 de la Constitution telle que révisée par la loi n°78–010 du 15 février 1978 donne certes pouvoir de
contrôle du conseil législatif sur le conseil exécutif, mais ne réserve aucune sanction attachée à ce contrôle, qui
dépend en définitive, du pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat, chef de l’exécutif.
172

politiques, le contentieux judiciaire relève exclusivement des cours et


tribunaux classiques604.

Cette indépendance de l’Etat apparaît nettement à travers le pouvoir


budgétaire. Malgré les orientations fixées par le comité central, le budget dit
d’ailleurs « de l’Etat », qui aurait pu être l’instrument privilégié du parti pour la
réalisation de ses objectifs, est élaboré par le conseil exécutif, en fonction des
préoccupations réelles du terrain qu’il est le seul à maîtriser et en concertation avec
les organismes de la haute finance internationale.

En raison d’ailleurs du caractère « budgétivore » et improductif des


manifestations et animations partisanes, le Conseil exécutif ne libère des fonds en
faveur des organes du parti que, généralement, selon ses humeurs et ses propres
disponibilités605.

Dans cette perspective, il semble très difficile d’admettre que le rôle


dirigeant du parti soit une réalité dans le vécu quotidien. Il suffisait de songer, de
façon générale, au contraste du train de vie affiché par les membres du conseil
exécutif par rapport à celui des membres du comité central, pour comprendre la
direction du vent.

Naturellement, dans la réalité du pouvoir, les postes de membres du


Conseil exécutif sont tellement intéressants financièrement que personne n’était plus
surpris de trouver qu’un membre du comité central ou du bureau politique, organes
pourtant hiérarchiquement supérieurs, nommé membre du conseil exécutif, se livrait
avec sa famille à une exubérante liesse alors que le contraire faisait grincer les dents à
tous606 !
Au lieu de renforcer et de se livrer aux seules tâches d’ordre
idéologique et politique qui leur sont propres, les organes classiques du parti se sont
surtout aventurés à des tâches matérielles, de gestion courante, purement
administratives destinées aux organes classiques de l’Etat, dans lesquelles ils ne
pouvaient naturellement faire face607.

Les hauts cadres du parti, absorbés par les tâches répétitives de gestion

604
L’art. 67 de la loi n° 74-020 du 15 août 1974 portant révision de la Constitution du 24 juin 1967, JO, op. cit.,
dispose : « La mission de dire le droit est dévolue au Conseil judicaire. La magistrat, dans l’exercice de cette
mission, est indépendant. Il ne peut être créé de commission ni de tribunaux extraordinaires sous quelque
dénomination que ce soit… ».
605
Dans ce sens, DJELO EMPENGE OSAKO, L’Impact de la coutume…, op. cit., p. 92.
606
D’après la réalité courante confirmée par DJELO EMPENGE OSAKO, L’Impact de la coutume…, op. cit., p.
93, « bien que le comité central soit hiérarchiquement placé au-dessus du conseil exécutif, les membres du
comité central s’estiment plus heureux et fêtent avec faste lorsqu’ils sont « promus » au conseil exécutif que les
commissaires d’Etat « remaniés », qui, n’ayant pas démérité, sont nommés membres du comité central ».
607
Dans son discours prononcé à l’occasion du 20ème anniversaire du parti, le président fondateur du MPR s’en
était ému, concluant qu’il apparaissait, en conséquence, que c’est l’Etat qui avait « mangé » le parti. La pensée
du président fondateur du MPR contenue dans ce discours est résumée par DJELO EMPENGE OSAKO,
L’Impact de la coutume sur l’exercice du pouvoir en Afrique noire, op. cit., p. 93.
173

ont ainsi discrédité le parti par leur manque d’expertise et ont entraîné au sein de la
population un tel dépit que l’unique solution a consisté pour le peuple à réclamer et
à obtenir le retour du parti politique dans le même maquis que les groupes de
pression pour mieux influer sur l’exercice du pouvoir politique608, mettant ainsi fin à
un régime « de constitutionnalisation permanente des inconstitutionnalités ».

Les aveux d’impuissance du parti à prendre définitivement la place de


l’Etat sont clairement exprimés à travers le discours du 24 avril 1990 609 à travers
lequel le président fondateur du MPR, prenant congé de celui-ci, annonçait
notamment l’abolition de l’institutionnalisation du MPR610, la restauration du
multipartisme et du pluralisme syndical au Zaïre.

La juxtaposition des structures de fait à celles de droit aura certes servi


à rendre illimités les pouvoirs du « nouveau » régime, mais, comme technique de
détournement du sens des dispositions constitutionnelles qui, elles, servent un but
opposé, elle n’aura malheureusement pas réussi à annihiler l’Etat, qui, comme un
serpent de mer, se régénère au fur et à mesure qu’on le coupe.

B. Les institutions de la monarchie kabiliste

Contrairement au lieutenant général Joseph Désiré Mobutu dont les


troupes, se servant d’un conflit au sommet de l’Etat entre le président Joseph
Kasavubu, le premier ministre Moïse Tshombe et le formateur désigné du
gouvernement, Evariste Kimba, neutralisèrent de l’intérieur les « politiciens » et
prirent le pouvoir par la proclamation du Haut Commandement de l’Armée
nationale congolaise, Laurent Désiré Kabila arriva au pouvoir, un certain 17 mai
1997, sur les chars des Rwandais, Ougandais, Burundais et Angolais. A sa mort, son
fils, Joseph Kabila n’eut aucune peine à hériter un pouvoir qui n’était fondé que sur
une légitimité révolutionnaire.

1. Le règne de l’AFDL

a. La brève histoire de l’AFDL

608
Les partis politiques et les groupes de pression sont, en effet, des pouvoirs de fait qui influent sur le pouvoir
politique.
609
Il s’agit du discours-message à la nation fait par le chef de l’Etat à l’issue de la consultation populaire sur le
fonctionnement des institutions politiques organisée de janvier à avril 1990 à travers tout le territoire national.
Pour une analyse plus fouillée de la substance du discours du 24 avril 1990, voy. BOSHAB, E., « L’idée de
démocratie dans la pensée du maréchal Mobutu à la lumière du discours du 24 avril 1990 dit de l’avènement de
la troisième République », Rev. de Dr. Afric., n° 4, Bruxelles, octobre, 1997, pp. 36-43.
610
Cette abolition avait comme conséquences la suppression du rôle dirigeant du parti, la séparation nette entre
l’Etat et le parti, qui redevient un fait privé, la réhabilitation de trois pouvoirs traditionnels à travers les quatre
institutions de l’Etat : le chef de l’Etat, le gouvernement, le parlement et les cours et tribunaux.
174

L’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre


(AFDL) vécut l’espace d’un matin. Elle disparut aussi mystérieusement qu’elle était
née. Pour comprendre le mystère de ce mouvement politico-militaire circonstanciel,
il va falloir décrire les circonstances antérieures, d’abord et immédiates, ensuite, de
sa création avant de découvrir enfin les contours de sa désagrégation.

1°. Les circonstances antérieures à la création de l’AFDL

Les pressions conjuguées611 par des forces politiques intérieures


assoiffées de libertés et les facteurs extérieurs liés tant à l’effondrement de l’empire
soviétique en Europe de l’Est consécutive à la nouvelle politique612 de la perestroïka613
et de la glasnost614 que surtout à la nouvelle orientation politique des pays
occidentaux615 tendaient unanimement vers la démocratisation des régimes
politiques africains.

Le maréchal Mobutu Sese Seko, un vieux singe à qui l’on n’apprend


plus à faire des grimaces, voit venir la fin d’un règne qu’il a modelé à la faveur de la
situation géopolitique mondiale entretenue par la guerre froide finissante. Il décide
de précéder les événements.

A la suite de la consultation populaire qu’il organise à travers tout le


territoire national entre janvier et avril 1990 sur le fonctionnement des institutions
politiques, le chef de l’Etat congolais concède à libéraliser son régime en retournant
au multipartisme et à organiser une conférence nationale une année plus tard.

Pendant que six ans durant, les actes constitutionnels de transition616


succédaient aux révisions constitutionnelles617, une guerre couvait à l’Est du pays.

611
La tendance à la démocratisation se développe sous l’influence à la fois des facteurs internes et des facteurs
externes. Pour plus de détails, GONIDEC, P.F., Les systèmes politiques africains. Les nouvelles démocraties,
3ème éd., Paris, LGDJ, 1997, pp. 27-37. Voy. également N’GANDA NZAMBA-KO-ATUMBA, H., Afrique :
démocratie piégée, Paris, Equilibres Aujourd’hui, 1994, pp.81-89 et BOSHAB, E., « République Démocratique
du Congo : Etat unitaire à régionalisation constitutionnelle ou fédéralisme assourdi ?", Rev. de Dr. Afric., n° 7,
Bruxelles, juillet 1998, pp. 292-296.
612
La politique de la perestroïka et de la glasnost peut être définie comme une philosophie de gestion dans la
transparence et de libéralisme démocratique des institutions politiques. Elle fut initiée par l’ancien président
soviétique, Michael Gorbatchev dans l’espoir de rationaliser en vue de rentabiliser le système socialiste en
faveur d’une performance plus assurée. Cette philosophie fut probablement pensée en vue de faire face à la
puissance adverse les USA dans la guerre froide dans laquelle l’Union Soviétique semblait battre de l’aile. Le
résultat semble avoir produit le contraire, emporté l’initiateur et disloqué l’ensemble de l’empire. Voy.
N’GANDA NZAMBA-KO-ATUMBA, H., Afrique : démocratie piégée…, op. cit., p. 86.
613
Restructuration.
614
Transparence.
615
Il suffit de se rappeler le célèbre discours de la Baule au 16 ème sommet franco-africain de la Baule (20-21 juin
1990) dans lequel le français, François Mitterand n’hésite plus à exiger de ses homologues africains de
démocratiser leurs régimes afin de mériter l’aide au développement de son pays.
616
L’Acte constitutionnel de la transition du 9 avril 1994, JO, 35ème année, Kinshasa, numéro spécial, avril 1994,
était précédé par l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de transition du 4 août 1992,
Kinshasa, CNS, août 1992 et par la Loi n° 93/001 du 2 avril 1993 portant Acte harmonisé relatif à la période de
transition, JO, 34ème année, numéro spécial, avril 1993.
617
La Loi n° 90-002 du 5 juillet 1990 portant révision de certaines dispositions de la
Constitution, JO, 31ème année, numéro spécial, juillet 1990 est aussitôt révisée et remplacée
175

Deux événements majeurs semblent être à la base de la guerre qui allait emporter le
régime politique zaïrois du maréchal Mobutu Sese Seko.

La situation politique chez le voisin rwandais est assez explosive avec


les rebelles du FPR qui veulent prendre le pouvoir à Kigali. Le paroxysme est atteint
lorsque le 6 avril 1996, l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, dans
lequel avait pris place son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, est abattu
alors qu’il amorçait son atterrissage à l’aéroport de Kigali.

A la suite de cet attentat, un plan qui semblait préparé de longue date618


par les extrémistes hutus opposés au partage de pouvoir est mis en exécution. Une
véritable hécatombe s’ensuit : plus ou moins un million de personnes,
essentiellement des Tutsi et des Hutu modérés, sont massacrées par les Forces
armées rwandaises (FAR), les miliciens Interahamwe619 et la population civile
déchaînée. Ce génocide ne prendra fin qu’avec la victoire militaire des rebelles du
Front patriotique rwandais (FPR), sous le commandement d’un ancien chef de
renseignements militaires de l’armée ougandaise : le général major Paul Kagame.

La victoire du FPR a comme principale conséquence de déverser


environ trois millions de la population hutu dans les régions zaïroises voisines du
Nord Kivu et du Sud Kivu à la faveur de « l’opération turquoise »620. Ces réfugiés ont
surtout apporté au Zaïre non seulement tous les attributs de l’Etat rwandais 621, mais
aussi un important arsenal militaire. Dans les camps où ils sont implantés, un
véritable système étatique se réorganise622 : les impôts sont levés, les ordres, donnés
et exécutés et surtout les entraînements militaires ont lieu en vue probablement de
récupérer le pouvoir dans leur pays.

La présence d’Interahamwe et de militaires ex-FAR, qui continuent de


s’entraîner et font des incursions régulières et meurtrières sur le sol rwandais,

par Loi n° 90-008 du 25 novembre 1990 portant révision d’une disposition, JO, 31ème année,
numéro spécial, novembre 1990.
618
Pour ZACHARIE, A. et JANNE D’OTHEE, F., L’Afrique centrale dix ans après le génocide, Bruxelles, éd.
Labor, 2004, p. 18, « l’attentat a certes donné le coup d’envoi, mais la solution finale était déjà dans les esprits et
les balles dans le barillet ». Le rapport de la Commission des droits de l’homme de l’ONU publié le 30 juin 1994
parle même d’un « génocide programmé et systématique ».
619
Littéralement « ceux qui se battent ensemble ».
620
Créée le 22 juin 1994 par la Résolution 929 du Conseil de sécurité des Nations Unies, l’opération
humanitaire multinationale d’assistance aux civils a été conçue pour s’étaler sur deux mois, le temps pour l’ONU
de déployer les hommes de la MINUAR II, dont l’envoi avait été décidé le 17 mai (Résolution 916) en prévision
de l’exécution des Accords d’Arusha. Placée sous commandement français, l’opération « Turquoise » est
principalement accusée d’avoir facilité, sous le couvert des populations civiles, la retraite des FAR défaites. Voy.
MUKENDI, G. et KASONGA, B., Kabila. Le retour du Congo, Quorum, 1998, pp. 252-254.
621
Le gouvernement intérimaire rwandais, dirigé par Jean Kambanda, prend aussi le chemin de l’exil emportant
au Zaïre aussi bien l’encaisse de la banque centrale du Rwanda que sa propre administration. Sur les sources et
les conséquences du génocide, voy. ZACHARIE, A. et JANNE D’OTHEE, F., L’Afrique centrale dix ans
après…, op. cit., pp. 15-36. Voy. également WILLAME, J.-C., L’Odyssée. Trajectoire pour un nouveau Congo?
Kabila, Paris, Karthala, 1998, p. 33-35.
622
Dans ce sens, MBUYI BELHAR, « De Lemera à Kinshasa, la victoire du rebelle qu’on n’attendait plus », Le
Potentiel, Spécial 16 janvier, Supplément au n° 3023, 15 janvier 2004, p. 9.
176

représente pour le FPR désormais au pouvoir à Kigali, une réelle menace 623. Toutes
les revendications tendant à voir les réfugiés civils séparés des militaires armés et
ceux-ci éloignés d’au moins 150 kilomètres des frontières de leur pays conformément
aux dispositions y relatives de la Convention de Genève se butent à la léthargie de la
communauté internationale et à l’entêtement du président Mobutu624.

L’arrivée des réfugiés hutus pèse lourdement sur la balance ethnique


d’une région du Kivu déjà en butte à une insécurité endémique. Des violences
ethniques, qui s’ensuivent au Sud Kivu, déversent des milliers des zaïrois d’origine
rwandaise sur le territoire rwandais. La plupart d’entre eux sont amenés à s’enrôler
dans les rangs de l’Armée patriotique rwandaise (APR). Des vieux incidents terriens
contribuent à augmenter la tension chaque jour davantage entre les deux pays à
partir de février 1996.

L’occasion est toute trouvée par les nouvelles autorités rwandaises


dans les résistants banyamulenge pour attaquer enfin le territoire zaïrois voisin afin
d’arriver à éloigner la menace persistante de leur ennemi. Prenant prétexte des
attaques menées par les militaires ex-FAR et les Interahamwe sur son sol et de la
répression menée par les militaires congolais contre les Banyamulenge, l’APR entre
en scène le 22 septembre 1996 en tirant au mortier sur la ville zaïroise de Bukavu625.
La guerre de l’Est avait commencé.

Le gouvernement rwandais de Paul Kagame ayant pris l’option de


forcer les vrais réfugiés à rentrer sans condition au pays et d’éloigner en conséquence
les militaires ex-FAR et autres marginaux dangereux de ses frontières par la force,
une intervention militaire de grande envergure devait être menée sur le sol zaïrois626.

Mais comme la Charte des Nations Unies reprouve l’agression contre


tout Etat627, la communauté internationale risquait de ne pas apprécier l’acte projeté.

623
Voy. ZACHARIE, A. et JANNE D’OTHEE, F., L’Afrique centrale dix ans après…, op. cit., p. 35.
624
Toutes les tentatives du gouvernement KENGO de les renvoyer de force dans leur pays rencontrent la
désapprobation du président MOBUTU qui souhaite leur retour dans la paix et dans la dignité. Voy. Interview de
l’ancien premier ministre KENGO wa DONDO au journal Le Potentiel, n° 2433 du 31 janvier 2002, p. 3.
625
ZACHARIE, A. et JANNE D’OTHEE, F., L’Afrique centrale dix ans après…, op. cit., p. 35. Sur les prétextes
de la guerre de l’Est, voy. également KABUYA LUMUNA, C., Histoire du Congo. Les quatre premiers
présidents, Kinshasa, SECCO & CEDI, 2002, p. 200. Sur le rôle des Banyamulenge dans le déclenchement de la
guerre de 1996 à l’Est du Zaïre, voy. RUHIMBIKA MANASSE, Les Banyamulenge (Congo-Zaïre) entre deux
guerres, Paris, l’Harmattan, 1997, pp. 43-67 et MUTAMBO JONDWE, J., Les Banyamulenge, Kinshasa, Saint
Paul, 1997, pp. 108-119.
626
A plusieurs reprises, le Vice-président et ministre de la Défense rwandais, Paul Kagame, avait averti : soit la
communauté internationale intervient dans les camps pour séparer les ex-FAR des vrais réfugiés, soit Kigali s’en
chargera lui-même. « S’ils nous attaquent à partir de leur sanctuaire, nous aurons le droit de les poursuivre
jusqu’au-delà de nos frontières », avait-il lancé le 6 décembre 1994 à l’Université libre de Bruxelles (ULB) lors
d’un de ses premiers voyages en tant que vice-président et ministre de la Défense. Pour plus de détails, voy.
ZACHARIE, A. et JANNE D’OTHEE, F., L’Afrique centrale dix ans après…, op. cit., p. 36.
627
Le maintien de la paix et de la sécurité internationales constitue l’objectif primordial que vise l’Organisations
des Nations Unies. Le principe cardinal sur lequel repose tout l’édifice onusien est donc l’interdiction de
recourir à la menace et à l’emploi de la force. Voy. Articles 1, point 1 et 2, points 3 et 4 de la Charte des Nations
Unies, Charte des Nations Unies et Statut de la Cour internationale de justice, New York, Service de
l’information des Nations Unies, 1993.
177

En vue de camoufler l’invasion d’un pays voisin que le Rwanda, l’Ouganda et le


Burundi semblaient avoir planifié à l’avance, il fallait trouver des ressortissants du
pays victime susceptibles de faire accréditer sur le plan national et au niveau
international la thèse d’une rébellion interne.

D’abord présentée comme un conflit interne lié à la contestation de la


nationalité zaïroise des Banyamulenge et aux brimades et expulsions qui en étaient
résultées, la guerre qui commence dans le dernier trimestre de 1996 aux frontières
du Zaïre avec le Rwanda finira par être baptisée « la guerre de libération du Zaïre
»628. L’astuce en valait la peine ; il ne restait plus qu’à la mettre en pratique. Laurent
Désiré Kabila, un irréductible maquisard des années 1960, un ancien membre
décroché du Comité national de libération (CNL)629 de Christophe Gbenye reconverti
dans le commerce630, un ancien compagnon de lutte du redoutable chef rebelle
Gaston Soumialot631, pouvait faire l’affaire.

2°. Les circonstances immédiates de la création de l’AFDL

Alors que les soldats Banyamulenge de l’APR prennent Lemera dès


septembre 1996632 face aux militaires de SARM633, il s’avère urgent de colmater les
brèches avant que la communauté internationale ne se pose des questions sur la
nature du conflit naissant. Il fallait rapidement associer des congolais d’origine non
douteuse pour faire l’affaire. C’est finalement entre le 18 et le 23 octobre 1996 que

628
MUTAMBO JONDWE, J., Les Banyamulenge…, op. cit., pp. 120-129, y consacre même tout un chapitre.
Au-delà des Banyamulenge, tous les « citoyens zaïrois luttent pour reconquérir leurs droits fondamentaux
arrachés par le pouvoir dictatorial de MOBUTU. Pendant plus de trente ans de dictature, au Zaïre, il s’est
constitué une société d’immoralité et d’irresponsabilité » sur laquelle qu’il fallait imposait une mutation
profonde. Voy. également BAKATUSEKA KOLAMOYO, C., L’AFDL et la libération du Congo, Lubumbashi,
éd. L’Humanité, 1997, pp. 67 et ss.
629
Créé le 3 octobre 1963 à Brazzaville par les partis nationalistes d’opposition, le CNL avait comme objectif
immédiat le renversement du gouvernement ADOULA et plus tard, la réalisation de la « décolonisation totale et
effective du Congo dominé par la coalition des puissances étrangères ». Ses dirigeants constituèrent un cartel des
partis unitaristes et « nationalistes lumumbistes (MNC-L de Gbenye, PSA de Gizenga, UDA de Lubaya, PNCP
de Lonji et CEREA de Bisukiro). En vue d’intensifier les activités contre le gouvernement de Léopoldville, il fut
décidé d’ouvrir un front à l’Est : Gaston Soumialot fut chargé du Kivu et Laurent Kabila, du Nord-Katanga. Pour
plus de détails sur l’organisation de l’opposition contre le gouvernement de Léopoldville, voy.
VANDERLINDEN, J. et alii, Du Congo au Zaïre 1960-1980…, op. cit., pp. 123-127.
630
Pour survivre, le rebelle Kabila se livrait au trafic d’or, d’ivoire et de diamant avec ses partisans.
631
Combattant de lutte de Pierre Mulele, Gaston Soumialot dirigea la rébellion des simba à l’Est.
632
ZACHARIE, A. et JANNE D’OTHEE, F., L’Afrique centrale dix ans après…, op. cit., p. 35, avertissent :
« Au mois de septembre 1996 paraissent les premiers rapports de heurts entre les groupes armés Banyamulenge
et l’armée zaïroise ». Pour MUTAMBO JONDWE, J., Les Banyamulenge…, op. cit., pp. 45-46, les groupes
armés composés des militaires banyamulenge de l’APR et ceux désertés des FAZ affrontent d’abord les
militaires zaïrois avant d’être rejoints plus tard par des infiltrations plus importantes de l’APR.
633
Selon BAKATUSEKA KOLAMOYO, C., L’AFDL et la libération…, op. cit., pp. 53-56, l’armée zaïroise
commet sa première défaite à Lemera contre les groupes armés Banyamulenge face aux militaires du SARM et
perdront ensuite la ville d’Uvira que l’intervention des troupes « d’élite » de la DSP ne saura pas récupérée.
178

quelques fils congolais ambitieux sont extirpés de leur anonymat pour signer un
pacte qui les conduira vers une nouvelle épopée634.

Aux vieux rebelles Laurent Désiré Kabila avec son Parti de la révolution
populaire (PRP)635 et André Ngandu Kisase636 avec son Conseil national de résistance
pour la démocratie (CNRD)637, les « recruteurs » vont associer trois autres hommes
inconnus jusque-là du grand public. Il s’agit d’Anselme Masasu Nindaga, un
homme de troupes de l’APR transformé en acteur politique, Deogratias Bugera
Rwamakuba et Bizima Karamuheto, deux jeunes turcs ayant des entrées dans les
sphères du pouvoir rwandais. Le premier intervenait pour un mystérieux parti, dont
l’on ne connaîtra jamais les autres membres, le Mouvement révolutionnaire pour la
libération du Zaïre (MRLZ). Les deux derniers agissaient sous le label d’un autre
mouvement aussi mystérieux, l’Alliance démocratique des peuples (ADP)638.

C’est avec ces illustres inconnus que les deux maquisards congolais
vont signer les « Accords de Lemera »639. L’Alliance des forces démocratiques pour
la libération du Congo-Zaïre, en sigle AFDL, était née. Rejointes par tous les autres
groupuscules congolais et appuyées par les armées des pays frontaliers qui avaient
intérêts à jurer la perte du régime du maréchal Mobutu (Rwanda, Ouganda, Burundi
et Angola), les forces de l’AFDL volent de victoire en victoire devant les troupes
zaïroises en débandade640.

L’ensemble de la population zaïroise décidée à mettre fin au règne sans


partage du maréchal Mobutu facilite cette avancée spectaculaire des rebelles qui
finissent par prendre le pouvoir à Kinshasa.

Une fois au pouvoir, comme son prédécesseur, le MPR, l’AFDL va


tenter d’institutionnaliser son pouvoir. Mais réussira-t-elle dans cette entreprise
hasardeuse au moment où, l’évolution politique aidant, les circonstances ne semblent
plus s’y prêter ?

634
Sur les circonstances de la signature des « Accords de Lemera », voy. KABUYA LUMUNA, C., Histoire du
Congo. Les quatre premiers présidents…, op. cit., pp. 200-201.
635
Parti politique fondé dans le maquis le 24 décembre 1967.
636
Mort dans des circonstances jusqu’alors non élucidées quelques mois après le début de la guerre.
637
Présenté comme la branche militaire du Mouvement national congolais / Lumumba.
638
Ce mouvement semble avoir été au départ une organisation d’autodéfense montée de toutes pièces sous la
houlette du colonel James Kabarebe et restera étroitement dépendante de l’APR. Sur la création de l’ADP, voy.
MUTAMBO JONDWE, J., Les Banyamulenge…, op. cit., p. 54.
639
Il s’agit d’un protocole d’accord appelé « Acte fondateur de l’AFDL » signé le 18 octobre 1996 dans le
bureau de James Kabarebe à Kigali, selon MUTAMBO JONDWE, J., Les Banyamulenge…, op. cit., p. 55,
mais curieusement daté de Lemera (certainement en vue de lui confirmer son appartenance congolaise), dont les
décisions se résument en cinq points bien laconiques :
1. la création d’un cadre politique de collaboration ;
2. la création d’un organe de décision dénommé Conseil d’alliance ;
3. la désignation du porte-parole du cadre en la personne de Mr Laurent KABILA ;
4. la création d’un bureau de liaison ;
5. la structure de direction était renvoyée à plus tard.
640
Sur l’avancée victorieuse des forces rebelles au pouvoir du maréchal MOBUTU, voy. KABUYA LUMUNA,
C., Histoire du Congo. Les quatre premiers présidents…, op. cit., pp. 200-205.
179

3°. L’échec de la tentative d’institutionnalisation de l’AFDL

De la déclaration de prise de pouvoir au décret-loi constitutionnel n°


003 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en RDC, l’AFDL fut consacrée
l’unique source du pouvoir en tant qu’autorité de transition. Cette monopolisation
du pouvoir au bénéfice d’une force politique, qui ne semblait pas préparée à en
assumer sereinement toutes les hautes charges, ne permit cependant pas à l’AFDL de
prendre réellement sa place dans l’ordonnancement juridique du pays. Il a suffi que
les troupes victorieuses de l’AFDL s’approchent dangereusement de la capitale pour
que le pouvoir change de mains à Kinshasa. Réuni en séance extraordinaire le 16 mai
1997 à Lubumbashi, le Conseil élargi de l’Alliance, organe suprême de l’AFDL, avait
décidé de proclamer son mouvement, source du pouvoir en RDC. C’est le 17 mai
1997 que, son président, Monsieur Laurent Désiré Kabila, rendait lui-même publique
la déclaration de sa prise de pouvoir641.

A l’opposé de la proclamation du Haut commandement de l’Armée


nationale congolaise qui décidait que « les institutions démocratiques de la
République, telles que prévues par la Constitution du 1er août 1964, continueront à
fonctionner et à siéger en exerçant leurs prérogatives »642, la Déclaration de prise de
pouvoir de l’AFDL, après avoir débaptisé la « République du Zaïre » en « République
Démocratique du Congo », suspendait « tous les actes pseudo constitutionnels
existants, ainsi que les institutions qu’ils organisent »643.

Les objectifs principaux prétendument poursuivis par cette force


politico-militaire paraissaient dignes d’éloges :
- démanteler le pouvoir fasciste issu des coups d’Etat de septembre 1960 contre
Patrice Emery Lumumba et de novembre 1965 contre Joseph Kasavubu ;
- établir un régime démocratique fondé sur une légitimité réellement
populaire ;
- restaurer des institutions démocratiques qui placent l’être humain au centre
du développement politique, économique, social et culturel ;
- créer une réelle armée nationale, en récupérant les meilleurs éléments des
FAZ ;
- réformer le système éducatif et médical ;
- mettre en place une économie sociale du marché et instaurer une transparence
dans la gestion du patrimoine public644.

Depuis la déclaration de prise de pouvoir, l’Alliance assuma l’autorité


de transition et demeura la seule source de pouvoir. Faute d’acte juridique qui lierait
l’ensemble de la population aux nouvelles autorités autoproclamées, les statuts de
l’AFDL du 6 janvier 1996 tels que modifiés le 4 janvier 1997 s’ajoutaient à la

641
Déclaration de prise de pouvoir de l’AFDL, JO, op. cit., pp.5-6.
642
Proclamation du Haut Commandement de l’Armée nationale congolaise, al. 4, décision 4.
643
Déclaration de prise de pouvoir de l’AFDL, JO, 38ème année, Kinshasa, numéro spécial, mai 1997, p. 6.
644
La substance de ces objectifs provient de la compilation des articles des Statuts de l’AFDL du 6 janvier 1996
tels que modifiée le 4 janvier 1997 tels que regroupés par MUTAMBO JONDWE, J., Les Banyamulenge…, op.
cit., p. 128 à partir.
180

déclaration de prise de pouvoir pour constituer, entretemps, le sommet des normes


de référence. Cette situation créait un véritable vide juridique autour duquel juristes
orthodoxes et légalistes révolutionnaires continuent de s’opposer645. Comme pour
donner raison à la tendance révolutionnaire, Laurent Désiré Kabila nomma son
premier gouvernement sur base d’un décret-loi646 et ses quatre premiers
commandants militaires sur base d’un décret647 pris en vertu des dispositions des
statuts de l’AFDL du 6 janvier 1996 tels que modifiés le 4 janvier 1997. L’on
remarquera que pour les nouvelles autorités la dénomination de l’acte dépend de
leur humeur du jour : le décret-loi et le décret semblent avoir la même valeur
juridique. Aussi, les deux actes entrent en vigueur à la date de leur « publication » à
« la voix du peuple ».

Cependant l’utilisation momentanée des statuts de l’AFDL ne semblait


pas avoir réglé les difficultés sur le plan constitutionnel. Faute de texte fondamental,
la base juridique des décisions des cours et tribunaux était totalement ébranlée, de
nouveaux services se créaient, les nouvelles autorités de fait s’emparaient des
pouvoirs administratifs sous l’acclamation de leurs partisans et dirigeaient la Cité…
L’insécurité juridique semblait ouverte pour tous.

Il a fallu attendre dix jours à dater de la prise du pouvoir pour voir le


décret-loi constitutionnel 003 du 27 mai 1997 abroger l’Acte constitutionnel de la
Transition du 9 avril 1994 et formaliser ainsi le nouveau pouvoir. Savoir si le
fonctionnement des institutions mises en place par ce texte octroyé par « le prince »
au peuple congolais avait entraîné des changements positifs dans l’agir politique,
dans la pratique de la démocratie, dans la promotion et la protection des droits de
l’homme relève, bien entendu, d’une autre préoccupation.

Sur la même lancée que le régime militaire de novembre 1965, les


dirigeants de l’AFDL s’empressèrent d’interdire les activités des partis politiques.
Seul regroupement politique autorisé, l’AFDL fonctionne aux frais du Trésor comme
du temps du parti-Etat. Ses adeptes vrais et faux, d’autres alliés politiques et
militaires, des opportunistes de tous bords occupent, dans une semi-anarchie, divers
postes dans les structures étatiques. Il se pose alors un sérieux problème d’expertise
et d’expérience politique dans les rangs de nouveaux maîtres du Congo. Le
calendrier officiel communiqué par l‘AFDL, nouvelle autorité de transition,
promettant la mise en place d’une Assemblée constituante dans les soixante jours en
vue d’élaborer une Constitution provisoire devant régir une période de transition648

645
Les premiers, plus formalistes, estiment que ni la Déclaration de prise de pouvoir de l’AFDL, ni les statuts de
ce groupement politico-militaire ne pouvait servir de loi fondamentale au pays, faute d’en avoir adopté la forme.
Les révolutionnaires soutiennent que la nécessité faisant la loi, la légalité se fondait sur la force-même de ladite
déclaration qui suspendait, par ailleurs textes constitutionnels et institutions qui en découlaient. En outre,
l’AFDL étant devenue la nouvelle source de tout pouvoir, ses propres statuts s’ajoutaient à la déclaration de
prise de pouvoir pour constituer le sommet de la hiérarchie des normes juridiques.
646
Par décret-loi n° 001 du 22 mai 1997 portant nomination des ministres du premier gouvernement de la IIIème
République, le chef de l’Etat nomme ses treize premiers ministres, non publié au Journal officiel.
647
Décret n° 002 du 27 mai 1997 portant nomination de quatre commandants de brigade des Forces armées
congolaises de la IIIème République, non publié au Journal officiel.
648
Point 4, Déclaration de prise de pouvoir de l’AFDL, JO, op. cit., p. 6.
181

de deux ans649, ne fut jamais respecté. L’AFDL apparut de plus en plus comme un
parti-Etat, s’accaparant tous les rouages du pouvoir étatique.

Toutefois, volontairement ou non, dans la très grande majorité des


textes juridiques650 pris sous le régime du décret-loi n° 003 du 27 mai 1997, le
législateur ne fit plus référence, sauf rare exception651, à la déclaration de prise de
pouvoir de l’AFDL, ni à celle-ci comme source de pouvoir ou autorité de transition.
Certes, consacré par le décret-loi dit constitutionnel du 27 mai 1997, le monopole du
pouvoir reconnu au départ au profit de l’AFDL, dont le chef de l’Etat semblait
prendre des distances chaque jour davantage, devenait presque théorique.

Il a suffi que le pluralisme politique soit, au bénéfice de « la nécessité


de poursuivre le processus démocratique », à nouveau reconnu et garanti en
République Démocratique du Congo652 et que partis politiques et regroupements
politiques soient à nouveau admis à se créer et à fonctionner, pour voir le monopole
du mouvement politico-militaire disparaître de la même manière qu’il avait apparu,
sans grand impact dans l’ordonnancement juridique du pays.

Entretemps, sur le nouvel océan où son bâtiment tangue


dangereusement, le bateau AFDL prend l’eau de toutes parts. Porte-parole et
président du mouvement, Laurent Désiré Kabila apparaît comme le seul maître à
bord. Accusé de complot contre la sécurité de l’Etat, Anselme Masasu Nindaga, l’un
des cosignataires de l’Alliance, est arrêté le 25 novembre 1997. Il restera en disgrâce
jusqu’à son exécution dans le Katanga à la suite d’un procès mené dans des
conditions non élucidées jusqu’à ce jour par la défunte Cour d’ordre militaire653.
Quant au secrétaire général du parti, le dernier cosignataire des Accords de Lemera,
Deogratias Bugera, son sort semble scellé par les dissensions quotidiennes avec son

649
Délai ajouté par le calendrier politique contenu dans le programme de démocratisation rendu public le 29 mai
1997, après la prestation de serment du nouveau chef de l’Etat.
650
Il suffit d’observer les textes qui modifient ou complètent le texte de base comme le
Décret-loi constitutionnel n° 074 du 27 mai 1998 portant révision des dispositions du chapitre
II du Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice
du pouvoir en République Démocratique du Congo, JO, 39ème année, Kinshasa, numéro
spécial, mai 1998, 28 p. ; le Décret-loi constitutionnel n° 180 du 9 janvier 1999 modifiant et
complétant le décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à
l’exercice du pouvoir en République Démocratique du Congo, JO, 40ème année, Kinshasa,
numéro spécial, février 1999, pp. 6-7 ou le Décret-loi constitutionnel n° 096/2000 du 1er
juillet 2000 modifiant et complétant le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997
relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en République Démocratique du Congo, JO,
42ème année, Kinshasa, numéro spécial, juillet 2000, 15 p. pour s’en convaincre.
651
C’est le cas du décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999 portant institution, organisation et fonctionnement des
Comités du pouvoir populaire en République Démocratique du Congo, JO, op. cit., pp. 5-9.
652
Le décret-loi n° 194 relatif aux partis et aux regroupements politiques levait ainsi la mesure d’interdiction des
activités des partis politiques en République Démocratique du Congo.
653
Il s’agit d’une juridiction militaire d’exception créée par le nouveau pouvoir par décret-loi.
182

adjoint et cousin du président de la République, Gaëtan Kakudji. Ce dernier se


charge de le minimiser et de le pousser à la porte de sortie654.

La tentative de nouvelle organisation dans l’armée et la demande faite


aux alliés militaires étrangers de regagner leurs pays d’origine remirent sur le tapis
l’éternel problème de nationalité des Banyamulenge. Le putsch manqué par les
officiers rwandais qui entouraient le chef de l’Etat se transforma en nouvelle
rébellion armée à l’Est du pays.

Les anciens alliés rwandais, ougandais et burundais du président


Kabila sont déçus, frustrés et humiliés par la désinvolture avec laquelle le chef de
l’Etat congolais traite leurs délégués au pouvoir de Kinshasa. La nouvelle guerre
qu’ils déclenchèrent en représailles à ce comportement d’ingratitude sonna le glas de
l’AFDL. Un nouveau mouvement politique, le Rassemblement congolais pour la
démocratie (RCD) naissait de ses cendres.

4°. La tentative de perpétuation de l‘AFDL par les CPP

A moins de la considérer comme la première société unipersonnelle du


Congo, la réalité AFDL semble avoir cessé ses effets à la disparition de ses
fondateurs. André Ngandu Kisase du CNRD et Anselme Masasu Nindaga du MRLZ
morts, la dénonciation du contrat par les représentants de l’ADP semblait avoir
sonné le glas des accords de Lemera. L’aile pro-rwandaise de l’AFDL partie pour
une nouvelle guerre de « libération », l’avenir de ce regroupement politique de
circonstance paraissait hypothéqué. Il restait à colmater les brèches pour trouver un
autre soubassement philosophique au pouvoir du 17 mai 1997.

Laurent Désiré Kabila croit l’avoir trouvé à travers la perpétuation, par


ce qu’il appelle le « Pouvoir populaire », des objectifs du mouvement qualifié déjà
d’un ramassis d’aventuriers incompétents préoccupés par la course vers
l’enrichissement personnel plutôt que par la défense de l’intérêt général655.

La dissolution formelle de l’AFDL envisagée par le président Laurent


Désiré Kabila dans son discours d’avril 1999 ne semble pas avoir émoussé le désir de
l’ancien porte-parole de l’AFDL de voir le combat d’un mouvement, dont le PRP, son
parti, restait désormais le seul membre fondateur, continuer sous une nouvelle
forme. C’est donc une reconduction de la « révolution populaire » échafaudée dans
les maquis de l’Est que le président du PRP, resté seul maître à bord, entendait
véhiculer à travers les Comités du pouvoir populaire.

654
Sur les dissensions entre le secrétaire général de l’AFDL et son adjoint, voy. KABUYA LUMUNA, C.,
Histoire du Congo. Les quatre premiers présidents…, op. cit., p. 209.
655
Discours d’ouverture du congrès des Comités du pouvoir populaire de Kinshasa prononcé en avril 1999 par le
président de la République, rapporté par Evariste BOSHAB, « L’image de la deuxième République à travers les
ouvrages publics en RDC », Rev. de Dr. Afric., n° 13, Bruxelles, janvier, 2000, p. 65.
183

Comme son ancêtre l’AFDL, le Pouvoir populaire était censé demeurer


une force sociale privée au service de ses fondateurs. Cependant, comme pour
venger l’institutionnalisation manquée de l’alliance éclatée de Lemera, le pouvoir
autoproclamé va élever au rang d’institution cette nouvelle force politique et sociale.

a. Les objectifs poursuivis par la nouvelle institution

L’AFDL aurait poursuivi un double objectif : « la libération du peuple


congolais de la dictature et la remise de son pouvoir jusqu’alors confisqué »656. La
création du Pouvoir populaire va poser des problèmes relatifs à ses propres objectifs,
à son organisation et à ses rapports avec les institutions étatiques, formations
politiques et organisations de la société civile.

1°. Du rôle du Pouvoir populaire

Le Pouvoir populaire entendait perpétuer les objectifs poursuivis par


l’AFDL. Puisque l’AFDL avait déjà réalisé « son œuvre salvatrice » de la libération
du peuple congolais de la dictature en chassant du pouvoir, par les armes, les tenants
de l’ancien régime, il revenait à présent au Pouvoir populaire d’accomplir la
deuxième phase de ces objectifs en organisant le peuple en vue de l’exercice et du
contrôle de son pouvoir par lui-même657.

Le grand rôle assigné par son initiateur au Pouvoir populaire est de


faciliter au peuple congolais l’exercice de la démocratie directe grâce à son
organisation au niveau de chaque entité de base et des universités et des instituts
supérieurs du secteur public658. Concrètement, le peuple congolais, organisé, sans
son avis, en Assemblées populaires et en Comités du pouvoir populaire 659, jouerait
le rôle de fixer la politique à suivre par les services publics, d’en assurer l’exécution
et le cas échéant, de contrôler ladite exécution660.

Au lieu de récupérer le pouvoir, dont il est la source souveraine, en vue


de l’exercer par voie de la démocratie directe comme on pouvait s’y attendre, le
peuple congolais devrait encore déléguer ce même pouvoir, on ne sait pas trop bien
comment, aux services publics. L’équation se complique davantage lorsque le
Pouvoir populaire se veut indépendant autant de ces mêmes services publics, qui
sont cependant à son service, que des formations politiques et des organisations de la
société civile. Aussi, le Pouvoir populaire lui-même ne parait-il pas, dans son propre
rôle, destiné à éluder, dans l’exercice de ce pouvoir, l’unique source du pouvoir au
profit d’autres intermédiaires, détenteurs impénitents, délégués réels ou fictifs ?

L’affirmative conviendrait mieux à la situation créée sur terrain, car


contrairement à la démocratie directe qui permet au peuple d’exercer lui-même son

656
L’exposé des motifs du Décret-loi n ° 236 du 6 juillet 1999, JO, op. cit., p. 5.
657
C’est la conclusion qui ressort du même exposé des motifs, Ibidem.
658
Art. 1, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, JO, op. cit., p. 5.
659
Art. 2, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, ibidem.
660
Art. 3, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, ibidem.
184

pouvoir, le Pouvoir populaire ainsi institué par le président Kabila crée non
seulement des Assemblées populaires et des Comités du Pouvoir populaire, sans
attributions précises, mais encore ce sont ces organes qui se chargeraient d’exercer le
pouvoir à la place de l’ensemble. Pire encore, le fonctionnement même des CPP a
démontré qu’une nouvelle classe des prédateurs aura été créée. En effet, lorsque l’on
se réfère aux multiples scandales et malversations des fonds confiés pour gestion aux
CPP et à l’usurpation des pouvoirs661 que ne leur reconnaissait aucun texte juridique
en vigueur, l’on comprend aisément que l’avènement des CPP était loin d’avoir mis
fin au calvaire du souverain primaire.

2°. De l’organisation du Pouvoir populaire

Les structures du Pouvoir populaire liées à celles des entités


administratives de base662, des universités et instituts supérieurs du secteur public
sont subdivisées en organes délibérants et organes exécutifs663. Au lieu d’être
conséquent en droit et placer les organes du pouvoir populaire auprès des entités
territoriales décentralisées, le législateur du 6 juillet 1999 pousse sa logique plus loin
jusqu’à créer une assemblée populaire de base du village, du groupement, de secteur
ou de la chefferie, de la cité, du territoire et du district en milieu rural, une assemblée
populaire de la rue ou de l’avenue, du quartier, de la commune et de la ville en
milieu urbain ainsi qu’une assemblée populaire à chaque université ou institut
supérieur664. Auprès de chaque assemblée populaire de base, il est créé un organe
exécutif, le comité de pouvoir populaire665.

Pour des raisons d’efficacité et de viabilité, un village, une rue ou une


avenue peut constituer plusieurs comités du pouvoir populaire comme plusieurs
villages, rues ou avenues peuvent se regrouper pour être gérés par un seul comité du
pouvoir populaire666. Malheureusement le législateur ne précise pas si le même
mouvement peut être suivi dans la création des assemblées populaires. Au niveau
provincial, le congrès populaire provincial est l’organe délibérant alors que l’organe
délibérant national est le congrès général du peuple. Ce dernier prend des décisions à
être exécutées par les organes de base667. Si la loi prend soin de souligner que le
Congrès général du peuple est dirigé par le directoire national668, qui fait office de
bureau de cette assemblée, le doute demeure quant à savoir si, à ce niveau, il existe
un organe exécutif.

661
Sur l’usurpation des pouvoirs par les CPP, il convient de lire MATADI NENGA GAMANDA, Le droit à un
procès équitable, Kinshasa, éd. DIN., et Louvain la neuve, Bruylant-Academia s.a, 2003, p. 30 lorsqu’il
dénonce l’inconstitutionnalité des tribunaux pareils, cas des CPP, en ces termes : « Les Comités de pouvoir
populaire appelés CPP ont à leur tour cru, dans certaines circonscriptions territoriales éloignées de la capitale,
que le pouvoir populaire voulait dire plénitude de l’exercice du pouvoir et donc du pouvoir judiciaire aussi ».
662
On penserait aux entités territoriales décentralisées énumérées à l’art. 7 du décret-loi n° 81 du 2 juillet 1998
portant organisation territoriale et administrative de la République Démocratique du Congo, JO, n° 14 du 15
juillet 1998 : la Province, la Ville, le Territoire, la Commune pour la Ville de Kinshasa.
663
Art. 6, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, JO, op. cit., p. 5.
664
Art. 7, litera a, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, ibidem.
665
Art. 7, litera b, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, idem, p. 6.
666
Art. 8, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, ibidem.
667
Art. 9, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, ibidem.
668
Art. 17, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, ibidem.
185

La confusion atteint des proportions inquiétantes lorsque le législateur


garde silence quant à l’organisation du Pouvoir populaire au niveau de province où
le congrès populaire provincial est en même temps appelé « assemblée populaire de
province »669. Non seulement rien n’est décidé quant à la direction de ce congrès,
mais également le silence persiste sur l’existence ou non d’un organe exécutif à ce
niveau-là.
3°. Des rapports avec les institutions étatiques et les forces politiques

L’article 4 du décret-loi n° 236 confère l’indépendance au Pouvoir


populaire vis-à-vis des services publics, des formations politiques et des
organisations de la société civile.

i. Rapport avec les institutions étatiques

Malgré l’indépendance du Pouvoir populaire avec les services publics


de l’Etat consacrée par l’article 4 du décret-loi n° 236, le législateur semble vouloir
assurer la soumission de ceux-ci à celui-là au service duquel il les place670.

La difficulté d’interprétation qui aurait pu survenir sur le sens à donner


au vocable « services publics » repris par cette disposition est vite battue en brèche
par le titre IV du décret-loi sous examen qui semble ne pas trouver de différence
entre le concept « institutions étatiques » qu’il annonce et celui de « services publics
de l’Etat » repris dans l’article 33 qui développe le rapport du pouvoir populaire avec
les institutions évoquées dans le titre. Mais l’ambiguïté persiste quand il s’agit de
confirmer si, outre les entités administratives qui semblent visées par le décret-loi n°
236 du 6 juillet 1999, les institutions politiques telles que reprises aux dispositions de
l’article 3 du décret-loi constitutionnel n° 003 relatif à l’organisation et à l’exercice du
pouvoir en RDC sont comprises dans ces « institutions étatiques ».

Il importe également de s’inquiéter sur la manière de formuler des


recommandations et autres observations aux institutions étatiques par les organes du
Pouvoir populaire et de l’impact de celles-ci sur la vie publique nationale. Bien
qu’institutionnalisé, le Pouvoir populaire ne semble pas trouver sa place dans la
hiérarchie des institutions publiques classiques.

Le décret-loi portant institution, organisation et fonctionnement des


Comités du Pouvoir populaire n’explique pas non plus ce qu’il faut entendre par
« programme politique approuvé par le peuple »671 sur l’exécution duquel
porteraient les recommandations et observations des organes du Pouvoir populaire.

ii. Rapport avec les formations politiques

669
Art. 27, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, idem, p. 8.
670
Art. 4, in fine, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, idem, p. 5.
671
Art. 33, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, idem, p. 8.
186

L’article 34 du décret-loi n° 236 réaffirme la même indépendance du


Pouvoir populaire vis-à-vis des formations politiques. Il nous semble que le concept
« formations politiques » utilisé par le législateur est identique à celui de « partis
politiques ». Il reste à se demander ce que cela peut vouloir dire lorsque l’on sait
qu’après l’interdiction des activités des partis politiques décrétée dès la prise de
pouvoir par l’AFDL, le décret-loi n° 194 du 29 janvier 1999 relatif aux partis et aux
regroupements politiques avait semblé faire table rase des partis existants et soumis
les acteurs politiques à de telles conditions de constitution qu’il était qualifié de
liberticide672.
C’est certainement en rapport avec l’indépendance consacrée du
Pouvoir populaire vis-à-vis des partis politiques que les représentants de ceux-ci ne
pouvaient siéger au sein des organes de celui-là. Mais curieusement, cette
indépendance semble atténuée par l’incise introduite en plein milieu des dispositions
de l’article 34 selon laquelle « les formations politiques s’organisent au niveau
provincial et national ». Pareille stipulation avait-elle entendu réglementer les
activités des partis politiques et leur toute autre organisation, à la base, par exemple ?

Le doute sur la prétention du Pouvoir populaire d’être partie prenante


dans des formations pourtant étrangères à son domaine d’intervention semble
provenir des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 34 ci-haut invoquée : « Toutefois,
les aspirations populaires exprimées à travers des organes du Pouvoir populaire
peuvent constituer les priorités du programme d’une formation politique ». Là, rien
n’est plus clair et la dichotomie n’est plus loin lorsqu’il s’agit de voir les aspirations
d’une force politique constituer les priorités d’une autre force décrétée pourtant
indépendante.

Par oubli ou encore par inutilité, le décret-loi n° 236 du 6 juillet n’a pas
trouvé nécessaire d’établir un quelconque rapport du Pouvoir populaire avec les
organisations de la société civile, parmi lesquelles plusieurs organisations de défense
de droits de l’homme coupaient le sommeil aux nombreux dirigeants du nouveau
régime. La question de savoir s’il s’agit d’un simple oubli ou d’une volonté délibérée
du législateur de passer sous silence cette question pourtant annoncée dans le titre IV
y relatif du décret-loi n’a pas de chance de trouver réponse dans l’état actuel des
choses.

b. La valeur juridique du décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999

Au moment où le décret-loi n° 236 est signé et promulgué par le


président de la République, un changement de taille était intervenu dans le
fonctionnement des institutions de l’Etat : une quatrième institution, l’Assemblée

672
Le Décret-loi n° 194 du 29 janvier 1999, JO, 40ème année, Kinshasa, numéro spécial, février 1999, pp. 7-
16 avait abrogé la loi n°90-007 du 18 juillet 1990 telle que modifiée et complétée par la loi n° 90-009 du 18
décembre 1990 sans régler le sort des partis créés sous celle-ci.
187

constituante et législative, chargée, entre autres, d’exercer le pouvoir législatif


pendant la période de transition, était créée673.

Le président de la République n’ayant plus le pouvoir législatif dans ses


compétences constitutionnelles, c’est en vain qu’il recourt à la déclaration de prise de
pouvoir d’une AFDL pratiquement désagrégée et aux dispositions des articles 5 et 8
du décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 pourtant modifié plus d’une
année auparavant, qui ne lui donnent plus aucun pouvoir de légiférer, pour rendre
constitutionnel son décret-loi n° 236.

Pire encore, le contenu de ce décret-loi du 6 juillet 1999 ne trouve


fondement sur aucune disposition ni constitutionnelle, ni légale sur laquelle la
création d’une force idéologique certes, mais totalement privée, pourrait s’appuyer
pour justifier son imposition à l’ensemble de la population congolaise.
La tentative des autorités de la défunte AFDL de détourner l’Etat au
bénéfice d’une entreprise privée ne semble pas avoir eu autant de chance que celle
du MPR, qui avait, pendant plus de trente ans, personnalisé l’Etat donné, bien qu’à
tort, pour totalement absorbé.

c. Une tentative manquée de l’étatisation des CPP

Il ressort de la lecture cursive des dispositions du décret-loi n° 236 du 6


juillet 1999 qu’une force politique privée, les CPP, entendait soumettre les services
publics de l’Etat à son service674. La suite des dispositions ne se limitent même plus à
mettre les institutions étatiques au service du Pouvoir populaire, elles vont jusqu’à
espérer prendre leurs places et gérer l’Etat. C’est ce qui ressort de la lecture attentive
des dispositions transitoires de l’article 38 du décret-loi en question ainsi libellées :
« Les organes des entités territoriales de base demeurent en place jusqu’à leur
remplacement par les organes du Pouvoir populaire prévus par le présent décret-
loi ».
Ainsi que l’ont décidé les dispositions de l’article 39 du même décret-
loi, les dispositions du décret-loi n° 081 du 2 juillet 1998 relatives à l’organisation
territoriale et administrative de la RDC qui ne mettent pas en place une assemblée
populaire de base et un comité de pouvoir populaire à la tête des entités territoriales
qu’elles organisent sont abrogées. Autrement dit, les quelques fonctionnaires
nommés par l’autorité publique à la tête des rues ou avenues, des quartiers et des
secteurs, des cités, des territoires et des communes, des villes et des provinces ainsi
que les autorités coutumières à la tête des villages, groupements et chefferies étaient
simplement en sursis. De même les autorités nommées à la tête des universités et
instituts supérieurs publics du pays étaient en voie d’être remplacées par les divers
CPP qui pullulaient déjà sur les campus.

673
C’est la modification introduite à l’article 8 par le Décret-loi constitutionnel n° 074 du 27 mai 1998 portant
révision des dispositions du chapitre II du Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à
l’organisation et à l’exercice du pouvoir en République Démocratique du Congo, JO, 39ème année, Kinshasa,
numéro spécial, mai 1998, p. 7.
674
Art. 4, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, JO, op. cit., p. 5.
188

Les appréhensions atteignent leur plus haut degré lorsque l’on jette un
coup d’œil exploratoire sur les dispositions définissant le rôle du Pouvoir
populaire675 et celles établissant le rapport entre le Pouvoir populaire et les services
publics de l’Etat676.

Entre fixer une politique à suivre, exécuter soi-même cette politique et


faire des recommandations et observations du programme de cette politique, il
apparaît une dichotomie qui donne envie de douter de la volonté réelle des CPP de
prendre la place dévolue aux organes de l’Etat.

Il y a certainement une différence à faire entre la politique de l’Etat à


exécuter par les services publics et une certaine politique que développerait, l’on ne
sait trop comment, une force politique, soit-elle idéologique, même créée par un chef
d’Etat en violation flagrante du texte dit constitutionnel en vigueur. De même, entre
les recommandations et les observations à faire sur les activités des services publics
ainsi que le contrôle à exercer sur ces activités, d’une part et l’exercice de ces
activités à la place de ceux qui en sont légalement chargés, d’autre part se dresse un
infarctus que ne saurait assumer les seules références des dispositions transitoires
presque rêveuses.

Pour avoir compris le déphasage d’un pareil corps dans le contexte


d’une nouvelle transition vers un régime souhaité démocratique, le chef de l’Etat n’a
pas cru nécessaire de motiver le décret-loi portant leur dissolution677. Puisque les
dispositions du décret-loi ci-avant contesté678 semblaient porter les germes de leur
propre inapplicabilité, la tentative des CPP de prendre la place des organes étatiques
était d’avance vouée à l’échec, qui s’est, par ailleurs, confirmé à la suite de leur auto-
désagrégation attestée par leur dissolution sans motivation apparente.

2. Le règne successoral de la dynastie kabiliste

L’une des carences les plus remarquables et les plus lourdes des
conséquences sur la qualification contestée de Constitution du décret-loi
constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 semble avoir été le déficit des règles de
dévolution du pouvoir. Comme pour prouver la pertinence de cette argumentation,
le besoin d’utiliser ces genres de règles se fit sentir à la mort inattendue du président
Laurent Désiré Kabila en janvier 2001. Avant d’évoquer la dévolution sans aucune

675
Aux termes de l’art. 3 du Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, JO, op. cit., p. 5, « les Pouvoir populaire a pour
rôle de fixer la politique à suivre par les services publics, d’en assurer l’exécution et le cas échéant, de contrôler
ladite exécution ».
676
L’art. 33, Décret-loi n° 236 du 6 juillet 1999, JO, op. cit., p. 8 donne aux organes du Pouvoir populaire la
mission d’orienter et de contrôler les services publics de l’Etat.
677
Décret-loi n° 007/2003 du 26 mars 2003 portant dissolution des Comités du pouvoir populaire en
République Démocratique du Congo, JO, 44ème année, numéro spécial du 17 avril 2003, p.6.
678
Les forces politiques et sociales du pays rassemblées dans le cadre de la Consultation nationale tenue en avril
2000 à la cathédrale protestante du Centenaire n’hésitèrent pas à dénoncer publiquement la création des CPP par
le président KABILA et la dictature qui s’instaurait. Sur cette question, voy. KABUYA LUMUNA, C., Histoire
du Congo…., op. cit.,, pp. 214-215.
189

règle préétablie du pouvoir au propre fils du défunt chef de l’Etat, il échet d’effleurer
le mystère de l’assassinat du président Laurent Désiré Kabila.

a. Le mystère d’une mort

Une grande controverse avait entouré la mort du président Laurent


Désiré Kabila. Le procès organisé par la Cour d’ordre militaire n’est
malheureusement pas parvenu à éclairer le mystère qui continue d’entourer les
circonstances de ce décès autant que l’éventuel auteur de l’assassinat. Il sied donc de
se pencher brièvement sur ce que d’aucuns ont qualifié de vaste complot ainsi que
sur ceux qui auraient eu la charge de le mettre à exécution.

1°. Les circonstances de la mort de Laurent Désiré KABILA

Depuis le 2 août 1998, une nouvelle guerre sévit au Congo


consécutivement à la décision du président Laurent Désiré Kabila de rapatrier ses
anciens alliés rwandais et ougandais dans leurs pays respectifs. Le putsch tenté par
un commando lancé de Goma au Nord Kivu sur Kitona au Bas Congo pour tenter de
prendre le pouvoir à Kinshasa se transforma en une nouvelle rébellion armée
conduite essentiellement par des Banyamulenge soutenus par des troupes régulières
du Rwanda, de l’Ouganda et même du Burundi679.

Très vite, deux coalitions vont se former autour des belligérants : pour
contrebalancer les forces rwandaises et ougandaises engagées autour des forces
rebelles, les forces zimbabwéennes, angolaises, namibiennes et même tchadiennes
appuient les forces gouvernementales. Ces alliances tissées adroitement par le
président Laurent Désiré Kabila n’empêchent malheureusement pas la moitié du
pays de tomber sous le joug des forces rebelles et alliées680.
Aux côtés des forces du RCD qui se muèrent en plusieurs factions
tantôt antagonistes tantôt alliées comme le RCD/N et le RCD/KML, s’agglutinent
d’autres forces politico-militaires créées dans le sillage de l’antagonisme entre les
Rwandais et leurs alliés ougandais autour du partage de zones d’influence, comme le
MLC. Malgré la signature en septembre 1999 de l’accord de cessez-le-feu dit de
Lusaka soutenu par le Conseil de sécurité des Nations Unies et la communauté
internationale, la tension avait continué à persister et le pays, à demeurer divisé en
autant des fiefs qu’il y avait des forces militaires en conflit. Le volet politique prévu
par cet accord tendant à établir, grâce au dialogue inter-congolais, un nouvel ordre
politique, la réconciliation nationale et la paix avait tardé à se concrétiser.

679
Le Burundi finit par désengager ses troupes plus tard de la course à la suite des arrangements particuliers avec
les autorités congolaises. Sur ce désengagement du Burundi, voy., KABUYA LUMUNA, C., Histoire du
Congo…, op. cit., p. 216.
680
Sur dix provinces, les rebelles en avaient conquis totalement quatre (le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, le Maniema
et la Province Orientale) et partiellement quatre autres (le Katanga, le Kasaï Occidental, le Kasaï Oriental et
l’Equateur), ne laissant au gouvernement que la Capitale et les provinces voisines de Bandundu et de Bas-
Congo.
190

C’est dans ce climat plein de suspicion et de tension que le président


Laurent Désiré Kabila trouva la mort à la suite de ce que d’aucuns avaient qualifié
d’assassinat681. A la date officielle du 18 janvier annoncée par le gouvernement, une
version annoncée d’abord par la presse occidentale682 et confirmée ensuite la même
nuit par la France, la Grande Bretagne et les USA et, plus tard, par la suite des
évènements, substitue à la mort du troisième chef de l’Etat congolais la date du 16
janvier 2001683.

Si l’on considère que déjà au lendemain de ce décès, le gouvernement et


le Haut commandement de l’armée avaient élevé le général major Joseph Kabila, le
propre fils du défunt et ancien commandant des forces terrestres, en qualité de chef
de l’Etat et commandant suprême des forces armées684, la date réelle de cette mort
n’était plus qu’un secret de polichinelle.

La mort du président de la République confirmée, il restait à restituer la


vérité à l’histoire en confirmant les circonstances réelles de cette mort pleine de
conséquences sur le plan de succession au pouvoir suprême de l’Etat ainsi qu’en
indiquant, avec précision, l’homme, par qui le malheur venait de s’abattre sur le
pays. Ni les enquêtes diligentées par une commission qui se voulait internationale
avec la participation à ses travaux des enquêteurs angolais, congolais et
zimbabwéens, ni le procès organisé par la COM n’y parvinrent.

2°. L’assassin présumé du chef de l’Etat congolais

Si toutes les enquêtes tant pré-juridictionnelles que juridictionnelles


avaient retenu comme auteur du meurtre du 16 janvier 2001 le nom d’un certain
Rachidi, un militaire de la garde rapprochée du défunt président de la République,
les mobiles de l’acte du garde de corps de l’ancien chef de l’Etat sont demeurés
invariablement cachés jusqu’à ce jour. Et pour cause.

Les péripéties de la mort de Rachidi retracées par les enquêtes


judiciaires685 ne semblent lui avoir laissé aucune possibilité de livrer les secrets de
son acte à la postérité. Après son forfait commis en présence de Monsieur Emile
Mota, directeur adjoint du cabinet du président, le dernier collaborateur à travailler
avec le président défunt, l’assassin présumé serait sorti tranquillement du bureau de
sa victime. Il s’apprêtait à quitter l’enceinte du Palais, pour rejoindre ses complices,

681
Un récit des circonstances de l’assassinat de Laurent Désiré KABILA est dressé par KABUYA LUMUNA,
C., Histoire du Congo…, op. cit., pp. 216-224.
682
Le soir même du 16 janvier 2001, RFI annonça, citant le gouvernement belge, que le président Laurent Désiré
KABILA avait succombé à ses blessures.
683
Alors qu’il était mort sur place dans son bureau de travail au Palais de Marbre et que la dépouille du président
avait été acheminée d’abord aux cliniques Ngaliema, ensuite à Harare au Zimbabwe, le suspense aurait été
délibérément entretenu, semble-t-il, afin de prévenir toute réaction intempestive de la population et des hommes
et femmes de troupes.
684
C’est ce qui ressort de l’arrêt relatif à la prestation de serment de Monsieur Joseph KABILA, en qualité de
président de la République Démocratique du Congo, JO, n° spécial de mai 2001, pp. 5-6.
685
Ces péripéties sont reprises par KABUYA LUMUNA, C., Histoire du Congo…, op. cit., pp. 217-218.
191

que l’on ne connaîtra jamais avec précision, qui l’attendraient dans une voiture
stationnée sur la Route de Matadi.

Mais ayant repris ses esprits, Emile Mota, seul témoin oculaire du
meurtre, serait sorti en courant et en criant pour alerter les autres membres de la
garde présidentielle686. L’un des gardes aurait tiré et atteint le présumé assassin dans
les jambes avant que ne vienne l’achever le colonel Eddy Kapend, aide de camp et
chef des services rapprochés du chef de l’Etat, actuellement condamné à mort par la
COM du fait de sa participation présumée dans l’assassinat du chef de l’Etat.

Criblé de balles vidées du chargeur de l’ancien aide de camp du


président, le présumé assassin avait ainsi emporté dans l’au-delà les clés du coffre
fort qui continue de contenir les mystères de la mort de Laurent Désiré Kabila.

b. La dévolution controversée du pouvoir d’Etat

Ni la décision conjointe prise dès le lendemain des coups de feu tirés au


Palais de Marbre, le 17 janvier 2001, par le gouvernement et le Haut commandement
de l’armée687, ni l’investiture annoncée par l’Assemblée constituante et législative –
parlement de transition688, encore moins la prestation de serment devant la Cour
suprême de justice, toutes sections réunies689, aucun argument tiré de l’arsenal
juridique déployé par les hauts magistrats de la CSJ n’était en mesure de rendre
constitutionnelle la dévolution du pouvoir suprême de l’Etat au général major Joseph
Kabila.
Par des gesticulations monarchiques procédant plutôt d’une coutume
héréditaire sortie des manches des dignitaires du régime de l’AFDL, le pouvoir
d’Etat fut patrimonialisé et rendu du père défunt au fils sans égards pour aucune
règle constitutionnelle690. En effet, comme en 1997 lors de la prise de pouvoir par
l’AFDL et sa dévolution à Laurent Désiré Kabila, la CSJ fut mise sérieusement en
embarras pour motiver son arrêt du 26 janvier 2001 relatif à la prestation de serment
de Joseph Kabila.

Contrairement à l’arrêt du 29 mai 1997 dans lequel la Cour dut même


reconnaître avoir été saisie par une requête verbale du procureur général de la

686
Ce sont là les dépositions d’Emile Mota tant devant la commission d’enquêtes internationale, le Parquet près
la Cour d’ordre militaire (COM) qu’aux audiences publiques durant le long procès. Bien que ces dépositions
aient été confirmées par de nombreux témoins présents sur les lieux, elles ne nous restitueront malheureusement
ni les mobiles, encore moins les commanditaires éventuels du crime.
687
Il s’agit de la décision conjointe du 17 juillet 2001 communiquée à la CSJ par le ministre de la justice et des
affaires parlementaires.
688
Par la résolution n° 003 du 24 janvier 2001, l’Assemblée constituante et législative – parlement de transition
avait investi le général-major Joseph Kabila en qualité de président de la République.
689
Arrêt RS 002/2001 du 26 janvier 2001 relatif à la prestation de serment de Monsieur Joseph Kabila en qualité
de président de la RDC, JO, 42ème année, n° spécial de mai 2001, pp. 5-6.
690
Sur l’inconstitutionnalité de l’accession au pouvoir de Joseph Kabila, voy. également ESAMBO
KANGASHE, J.-L., La République Démocratique du Congo à l’épreuve de l’alternance au pouvoir, Mémoire
de DES, Faculté de Droit, Université de Kinshasa, décembre 2005, pp. 5, 32-33 et 47.
192

République691, l’arrêt du 26 janvier 2001 a l’avantage de se référer à des documents


écrits, même si leur valeur en droit laisse largement à désirer. En dehors de cette
simple différence de forme, les deux arrêts de la CSJ avouent, sur le fond, le défaut
de texte692 réglementant la dévolution du pouvoir même s’ils évoquent sans
conviction693 le décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à
l’organisation et à l’exercice du pouvoir en RDC. Si le premier cas découle d’une
révolution armée qui fait table rase de toutes les règles préexistantes, le second se
renferme dans une pathologie récurrente puisée dans sa prétention de se situer dans
la continuité du régime mis en place en mai 1997. A ce seul titre, la décision conjointe
du gouvernement et du Haut commandement de l’armée de confier ex nihilo le
pouvoir suprême de l’Etat à Monsieur Joseph Kabila semblait de nature à jeter le
doute sur sa propre conformité constitutionnelle.

§3. Les incursions transitoires

Lorsque, à la faveur d’un coup d’Etat militaire, le lieutenant général


Mobutu prit le pouvoir à Kinshasa à l’aube du 25 novembre 1965, il interrompait
précocement la première République proclamée le 30 juin 1960 et ouvrait une période
dite « apolitique »694 de deux ans. En attendant de prendre son propre texte
fondamental, le nouveau pouvoir se contenta de jouer à l‘équilibrisme de mauvais
aloi, recourant aux dispositions de la Constitution du 1er août 1964 uniquement
lorsqu’elles étaient favorables à la nouvelle situation.

La deuxième République, elle, n’est proclamée que le 24 juin 1967, date


de la promulgation de la Constitution qui lui donne naissance. Mais elle est à son
tour interrompue par le même Mobutu, qui instaure le 15 août 1974 une simple
monocratie695 consacrant la souveraineté d’un homme, le chef de l’Etat, président
d’une République696 imaginaire. Malgré les diverses tentatives de révisions
constitutionnelles destinées plus à désamorcer des événements perturbateurs de la

691
Arrêt du 29 mai 1997 relatif à la prestation de serment de Monsieur Laurent Désiré Kabila en qualité de
président de la RDC, JO, 38ème année, n° spécial de mai 1997, p. 13.
692
Les deux arrêts vont jusqu’à déterrer, d’entre des tonnes de poussière, l’ordonnance du 14 mai 1886
autorisant l’application des principes généraux du droit à défaut d’un texte express réglementant une matière
donnée.
693
Aucune disposition de ce décret-loi constitutionnel n’indique les règles précises de prise de pouvoir ni dans le
premier, ni dans le second cas.
694
Sous prétexte de mettre fin à l‘incurie des hommes politiques, les militaires interdisent toutes les activités
politiques, suspendant du même coup la Constitution du 1 er août 1964 à laquelle pourtant ils prétendaient se
conformer. BOSHAB, E., « L’image de la deuxième République à travers les ouvrages publics en RDC », Rev.
de Dr. Afric., n°13, janvier 2000, p. 62, soutient, avec raison, que cette période ne peut être, en droit, qualifiée
de république.
695
Malgré l’origine non divine ni héréditaire de ce pouvoir d’un genre nouveau, que OWONA, J., op. cit., p.
269, qualifie de « véritable régime de chefferie modernisée ». BOSHAB, E., « L’image de la deuxième
République… », op. cit., ibidem, considère, à juste titre, que la loi de 1974 avait instauré une monarchie
absolue.
696
Si le Dictionnaire Hachette encyclopédique illustré définit la « république » comme un « Etat gouverné par
des représentants élus pour un temps et responsables devant la nation » (p. 1615), l’on ne saura trouver une
république dans un pays où les dirigeants tirent leur pouvoir éternel d’eux-mêmes et n’ont de compte à rendre à
personne.
193

toute puissance du parti-Etat qu’à atténuer l’absolutisme du pouvoir, la parenthèse


autocratique restera ouverte jusqu’au 24 avril 1990697.
Depuis lors, une exceptionnelle et interminable transition698 n’a été
achevée ni par l’Acte constitutionnel de la transition du 9 avril 1994, ni par le Décret-
loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997, ni encore par la Constitution de la
transition du 4 avril 2003 en attendant que la Constitution du 18 février 2006 vienne
effectivement restaurer la constitutionnalité républicaine699.

A. Les institutions transitoires de l’Acte constitutionnel de la


transition du 9 avril 1994

La période de la réforme constitutionnelle de juillet 1990 à la


promulgation de l’Acte constitutionnel de la transition d’avril 1994 est forte d’une
histoire dont il est utile de cerner les contours en vue de mieux comprendre la nature
du régime transitoire et la mise en place controversée des institutions issues de l’Acte
constitutionnel du 9 avril 1994.

1. Les rapports de force antérieurs à avril 1994

A l’opposé des conférences nationales tenues dans d’autres pays


africains, comme au Bénin et au Congo Brazzaville, la Conférence nationale dite
souveraine du Zaïre s’était illustrée par deux points forts.

D’abord ouverte contre le cours des événements, ladite conférence ne


pouvait être dans l’esprit de ses initiateurs qu’une «commission constituante »
chargée d’élaborer « une constitution définitive devant être soumise à un référendum
et appelée à régir la troisième république »700. Il s’agissait, pour les décideurs du
MPR, de faire traduire en actes juridiques ce qu’ils avaient eux-mêmes décidé
d’implanter comme nouveau régime au Zaïre.
697
La transition démocratique vers la troisième République annoncée le 24 avril 1990 par MOBUTU SESE
SEKO, concrétisée par l’introduction du multipartisme en vue de la démocratisation des institutions est
effectivement prise en compte par la loi n° 90-002 du 5 juillet 1990 portant révision de certaines dispositions de
la Constitution du 24 juin 1967.
698
Prévue pour une durée d’une année en 1990, la transition zaïroise va s’enliser dans « une crise aiguë et
multiforme » due aux prétendues divergences de vues de la classe politique. Relancée sans durée précise par
l’Acte constitutionnel de la transition du 9 avril 1994, elle sera interrompue par la « révolution » de l’AFDL le
17 mai 1997. Celle-ci lancera sa propre transition congolaise par le Décret-loi constitutionnel 003 du 27 mai
1997 « jusqu’à l’adoption de la Constitution de la transition par l’Assemblée constituante ». La fin de la guerre
généralisée déclenchée à l’Est du Congo par les anciens alliés de Laurent-Désiré KABILA va, elle aussi,
démarrer une période transitoire d’une durée de vingt quatre mois susceptible d’être prolongée de six mois
renouvelable une seule fois à compter de la formation du gouvernement de transition), consacrée par la
Constitution de la transition du 4 avril 2003 (article 196).
699
Le cadre autocratique a continué malgré le changement périodique de ses animateurs.
700
Discours prononcé par le maréchal Mobutu à N’sele le 24 avril 1990, tiré du résumé repris dans l’exposé des
motifs de la loi n° 90-002 du 5 juillet 1990 portant révision de certaines dispositions de la Constitution, JO, op.
cit.
194

Le forum ne se transforma que par la force des choses en


«Conférence nationale souveraine » chargée de faire une autocritique profonde,
dresser le bilan du règne du parti-Etat et examiner les meilleures voies vers une
troisième république véritablement démocratique. Devant la tendance générale du
forum à se débarrasser de la tutelle des dirigeants politiques au pouvoir, ceux-ci
tentèrent d’en étouffer l’aboutissement par une fermeture intempestive. Elle fut la
plus longue et la plus sanglante des toutes701.

Ensuite, si ailleurs en Afrique, les conférences nationales tendaient à


arracher et à démarrer, après le constat d’échec, le processus de démocratisation des
régimes en place, au Zaïre, le processus était déjà lancé à partir du 24 avril 1990702 et
le forum n’avait plus, dans l’objectif final de ses initiateurs, qu’à gérer la conquête et
la conservation de ce pouvoir.
L’on comprend dès lors les deux logiques qui ont présidé à la tenue de
la CNS et qui ont abouti à deux ordres institutionnels distincts. Se fondant sur le
compromis politique global du 31 juillet 1992, la dynamique interne de la CNS
enfanta le 4 août 1992 de l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la
période de transition703 qui tenait à briser définitivement l’ordre ancien.

Des hommes politiques frustrés par cette dynamique se réunirent au


Palais de la nation et mirent en place l’Acte constitutionnel harmonisé relatif à la
période de transition, promulgué sous la loi n° 93/001 du 2 avril 1993 reconduisant
les anciennes structures étatiques704. Le dédoublement des institutions, qui résulta de
la confrontation entre la logique de la CNS du Palais du peuple et celle du Conclave
du Palais de la nation705, occasionna la multiplicité des textes juridiques et provoqua
une grande confusion. Le blocage du fonctionnement de l’Etat appela logiquement à
d’autres négociations politiques. Du compromis compromettant706 qui sortit de
nouveaux conciliabules tenus entre les forces en présence au dernier semestre de
1993 au Palais du peuple de Kinshasa sortit l’Acte constitutionnel de la transition du

701
Nous nous souvenons encore, comme si c’était hier, de la répression sanglante de la marche organisée le 16
février 1993 par les chrétiens de Kinshasa et d’autres villes du pays pour exiger la réouverture de la CNS.
702
C’est en effet le 24 avril 1990 que le maréchal Mobutu avait pris « congé » de son parti, le MPR et avait
décidé de démocratiser son régime en supprimant le parti unique par l’admission d’un multipartisme à trois et la
réhabilitation de trois pouvoirs traditionnels.
703
Contrairement à la Conférence nationale du Congo Brazzaville qui avait réussi à imposer au président Sassou
Nguesso en pleine tenue des travaux l’Acte fondamental, la Conférence nationale souveraine, minée de
l’intérieur par la frustration de beaucoup de ses membres déçus de n’avoir pas réussi à se hisser au pouvoir,
manqua le courage politique d’imposer l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de
transition au président Mobutu, qui refusa même de le promulguer malgré sa conformité au compromis politique
par lui accepté.
704
Loi n° 93/001 du 2 avril 1993 portant Acte harmonisé relatif à la période de transition, JO, 34ème année,
numéro spécial, avril 1993.
705
Il y eut, en effet, deux gouvernements dirigés l’un par Etienne Tshisekedi et l’autre par Faustin Birindwa,
deux anciens correligionaires de l’UDPS, le premier avec le Haut conseil de la République et le second avec
l’Assemblée nationale, composée de membres du MPR, anciens commissaires du peuple de l’ancien Conseil
législatif, en guise de parlements.
706
L’on sait ce qui arrive lorsque l’on met le bon vin dans des vieilles huîtres. La suppression du dédoublement
conduit à un mélange indigeste de dirigeants politiques et à des compromissions de tous genres.
195

9 avril 1994 chargé de régir la transition démocratique vers la troisième


République707.
Il reste à savoir comment qualifier le régime régi par ledit Acte.

2. La nature du régime de l’Acte constitutionnel de la transition

Bien que « rogné, ciselé, remodelé jusqu’à devenir un costume à la taille


de feu maréchal Mobutu »708, l’ACT était la résultante de la volonté de la majorité des
forces politiques de réduire les frictions et de participer sans exclusive à la gestion de
la transition vers la démocratie709 même si la dynamique qui tenait à faire de la CNS
un forum pour dépouiller le maréchal président de ses privilèges d’autrefois avait
finalement été brisée par la modification des dispositions relatives à l’organisation et
à l’exercice du pouvoir pendant la période de la transition. Même si aucune
disposition de l’ACT ne précise qu’il est le chef de l’exécutif, le consensus qui paraît
se dégager de ce texte est de faire du chef de l’Etat « un roi qui règne, mais ne
gouverne pas ».

Bien qu’il promulgue les lois710 élaborées par le HCR/PT711, le


président de la République, inviolable dans l’exercice de ses fonctions712, prend ses
actes sur proposition du gouvernement713, dont le premier ministre est le chef ou en
exécution d’une loi714. Sauf pour la défense nationale et la diplomatie qui constituent
des domaines de collaboration avec le président de la République, le gouvernement
conduit la politique de la nation et est pleinement responsable de la gestion de l’Etat
et en répond devant le HCR/PT715, qui est l’institution législative de la transition716.
La plénitude de l’exercice du pouvoir exécutif par le gouvernement semble
cependant atténuée par les modalités pratiques de sa collaboration et de sa
concertation permanente avec le président.

707
Le constituant assigne ainsi aux animateurs de la transition tout un programme susceptible de conduire le
pays, en posant déjà les jalons pour ce faire, vers un régime démocratique. Voy. Acte constitutionnel de la
transition du 09 avril 1994, JO, numéro spécial, avril 1994, p.9.
708
BOSHAB, E., «République Démocratique du Congo : Le spectre d’une Constitution virtuelle devant la
commission constitutionnelle »,Rev. de Dr. Afric., n° 6, Bruxelles, avril 1998, pp. 120-121.
709
VUDISA MUGUMBUSHI, J.-N., « Changement de Constitutions et déconstitutionnalisation… », op. cit., p.
44.
710
Art. 40, Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, JO, 35ème année, Kinshasa, numéro spécial,
avril 1994, pp. 25-26.
711
Art. 58, Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, JO, op. cit., p. 34.
712
Art. 93, Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, JO, p. 53. Aussi, le président de la République
n’est pénalement responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ou
de violation intentionnelle de l’ACT.
713
Art. 44, 46, 47, 48 et 77 Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, JO, pp. 27, 28, 29 et 45.
714
Art. 42 et 45, Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, JO, p. 27.
715
Art. 75, Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, JO, p. 44.
716
Art. 55, Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, JO, p. 33.
196

En face de pareilles dispositions constitutionnelles, on se croirait dans


un régime parlementaire moniste. Cependant les mécanismes de régime
parlementaire comme la responsabilité du gouvernement devant le parlement
renforcée par ses corollaires de régulation que sont la motion de défiance et la motion
de censure, l’irresponsabilité politique et l’inviolabilité du chef de l’Etat sont
déséquilibrés par le manque d’un contrepoids essentiel au rétablissement de ce genre
de régime. En effet, la durée du mandat de conseiller de la République
correspondant à celle de la transition717, l’absence du droit de dissolution du
HCR/PT par le pouvoir exécutif est de nature à basculer le régime de l’ACT vers un
régime d’assemblée.

Malgré les mécanismes d’encadrement de l’exercice des pouvoirs mis


en place par l’ACT, le président de la République ne semble pas se soustraire à la
logique du pouvoir à laquelle la philosophie du parti-Etat l’avait habitué. Il va
continuer à en faire montre.

3. La persistance d’un mobutisme décadent sous l’ACT dans la mise


en place des institutions

Avec un gouvernement pleinement responsable de la gestion de l’Etat


et qui en répond devant le Haut conseil de la République/Parlement de transition,
l’ACT avait mis en place un régime à prépondérance parlementaire718. Dans le
fonctionnement de l’Etat sous cette loi constitutionnelle, deux événements majeurs
méritent d’être analysés en rapport avec la fraude constitutionnelle : l’application
biaisée des dispositions relatives à la désignation du premier Ministre et
l’interprétation abusive des dispositions relatives à l’état d’urgence.

a. Application biaisée des dispositions relatives à la désignation du


premier ministre

Le constituant de la transition a institué un gouvernement dirigé par


un premier ministre et pleinement responsable de la gestion de l’Etat devant le Haut
conseil de la République/Parlement de transition719. Mais au moment des
arrangements intervenus pour mettre fin au dédoublement institutionnel de 1993, le
poste de premier ministre de transition était déjà occupé à la suite de l’élection
intervenue la nuit du 15 au 16 août 1992 à la CNS720.

717
Art. 63, Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, JO, op. cit., p. 39.
718
C’est ce qui ressort de l’exposé des motifs et des dispositions de l’art. 75 de l’ACT, JO, op. cit., pp. 6 et 44.
719
C’est ce qui ressort de la lecture combinée des art. 75 et 78 de l’ACT, JO, op. cit., pp. 75 et 78.
720
L’un des moments importants de l’histoire du déroulement controversé des travaux de la CNS demeure sans
conteste l’élection du premier Ministre qui mit aux prises le candidat de l’USOR et Alliés, Etienne Tshisekedi à
celui de la Mouvance présidentielle, devenue les FPC, Thomas Kanza.
197

Pendant la période qui suit cette élection, les forces du statu quo
augmentent des astuces destinées à empêcher le gouvernement mis en place par la
CNS de fonctionner. Comme d’habitude, foulant aux pieds la Constitution du pays,
le maréchal Mobutu va se placer en dehors du droit. Refusant de se soumettre au
cadre constitutionnel tracé par la CNS, il va d’abord, sous le fallacieux prétexte que
sa tête ne lui plaisait pas, révoquer le premier ministre issu du forum national,
Monsieur Etienne Tshisekedi. Ensuite, imitant son coup d’Etat du 14 septembre
1960721, le président Mobutu va, en violation flagrante des textes en vigueur, confier
les responsabilités gouvernementales aux Secrétaires généraux de l’Administration.

Il importe de rappeler que c’est dans ce climat de confusion savamment


entretenue, de tensions et de contestation que le chef de l’Etat va favoriser la tenue
des assises parallèles du Palais de la nation qui accoucheront de l’Acte
constitutionnel harmonisé relatif à la période de transition722 afin de contrebalancer
l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de transition.
Afin de mieux comprendre la nomination de Léon Kengo wa Dongo en
remplacement d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba en qualité de premier ministre du
gouvernement de la transition, il est utile de se référer à la rédaction même de
l’article 78 de l’ACT723 dont l’incise « passé ce délai, le Haut conseil de la
République/Parlement de Transition se saisit du dossier » glissée furtivement à la fin
du premier alinéa avait coupé tout sommeil à l’ancien président du Haut Conseil de
la République/Parlement de transition, Mgr Monsengwa, l’actuel Cardinal de
Kinshasa, et ses ouailles.
Une rumeur avait circulé avec persistance que dans ses entremises
fréquentes entre le chef de l’Etat qui ne tenait pas à se soumettre au nouvel ordre
constitutionnel et les forces de changement qui visaient sa neutralisation totale,
l’ancien président de la CNS aurait passé des accords secrets sur l’introduction de
ladite incise destinée à préparer l’avènement de la « troisième voie ». Il suffit de
rappeler qu’en cette période, la scène politique zaïroise était scindée en deux plates-
formes, les partisans du chef de l’Etat et ceux de l’opposition. L’USOR et Alliés, « la
famille politique à laquelle n’appartient pas le chef de l’Etat », constituait une sorte
de blanchisserie à laquelle des partisans du chef de l’Etat adhéraient en vue de se
dédouaner aux yeux de la population de leurs comportement antérieurs.

Ce que les tenants de cette plate-forme ignoraient au point de désigner


des traîtres notoires en qualité de délégués chargés de négocier le maintien de leur
chef de file au poste de premier ministre. C’est que la plate-forme avait été infiltrée

721
Le collège des commissaires généraux.
722
Loi n° 93/001 du 2 avril 1993 portant Acte harmonisé relatif à la période de transition, JO, op. cit.
723
Aux termes de l’article 78, alinéa 1, de l’ACT, « Le premier ministre est le chef du gouvernement. Il est
présenté, après concertation avec la classe politique, par la famille politique à laquelle n’appartient pas le chef
de l’Etat, dans les dix jours à compter de la promulgation du présent Acte. Passé ce délai, le Haut conseil de la
République/Parlement de transition se saisit du dossier ».
198

dès le départ par le futur candidat premier ministre et ses adeptes de l’UDI724. La
tricherie orchestrée par ces « taupes » de la mouvance présidentielle dans
l’opposition sera démontrée par le torpillage des procès-verbaux de désignation de
Monsieur Tshisekedi comme candidat premier ministre « présenté, après
concertation avec la classe politique, par la famille politique à laquelle n’appartient
pas le chef de l’Etat ».
Non seulement, un sous-groupe dirigé par Léon Kengo et Gérard
Kamanda, celui-là même qui représentait l’USOR et Alliés dans les diverses
concertations, va voir le jour et contester lesdits procès verbaux, mais aussi, Mgr
Monsengwo, qui rejetait d’un revers de la main le piège de l’incise dénoncé en son
temps, avait choisi de se laver les mains725. De là à conclure que l’incise tant contestée
était l’appât par lequel devait se concrétiser la venue aux affaires du gouvernement
Kengo en remplacement de celui de Tshisekedi il n’y a qu’un pas que beaucoup
d’analystes politiques n’hésitèrent point à franchir.

b. L’interprétation abusive des dispositions relatives à l’état


d’urgence

Le débat juridique sur la nomination du général Likulia en qualité de


premier ministre par le chef de l’Etat en vertu des pouvoirs lui reconnus par les
dispositions des articles 48, 49 et 50 de l’ACT726 et la destitution conséquente
d’Etienne Tshisekedi en méconnaissance des dispositions de l’article 78 de l’ACT
sera facilité par la description des circonstances qui précèdent cet événement.

1°. Les circonstances antérieures à la proclamation de l’état d’urgence d’avril


1997

Léon Kengo wa Dongo et ses ministres sont aux affaires depuis plus de
deux ans quand la guerre de l’AFDL éclate à l’Est du Congo727. En face des
agresseurs difficilement identifiables, la déroute des troupes des FAZ - qui,
paradoxalement, sont en liesse - facilite la progression des troupes rebelles qui
occupent tout l’Est du Zaïre à moins de quelques mois. Le gouvernement qui n’a pas
pris à temps des mesures pour contrer cette avancée qui menace dangereusement le
pouvoir établi à Kinshasa est devenu tellement impopulaire qu’il en perd même le
soutien de ses plus fidèles alliés. Les mobutistes, qui avaient boutiqué l’avènement
de Kengo au pouvoir et se servaient de lui comme otage pour protéger leurs intérêts,
l’abandonnent et décident de le couler. Des dissensions au sommet de l’armée entre

724
L’Union des Démocrates Indépendants est le parti politique de Monsieur KENGO dont les membres, avec
beaucoup d’autres mobutistes des partis alimentaires, étaient parvenus à réintégrer l’opposition en vue de réussir
à renverser la dynamique de la CNS. Ils furent les vrais artisans de la troisième voie.
725
Dans un point de presse tenue en Europe où il s’était retiré peu avant la consommation du coup monté, Mgr
Monsengwo dénonçait par contre la conflictualité du premier ministre issu de la CNS et soutenait ses
« convergences parallèles ».
726
Les pouvoirs qui découlent de l’état d’urgence.
727
Elu premier ministre le 14 juin 1994 par le HCR/PT, Léon Kengo wa Dongo a vu son gouvernement
effectivement investi le 11 juillet 1994. La guerre de l’AFDL a, quant à elle, éclaté en octobre 1996.
199

les divers commandants, qui se disputent le leadership, ne permettent pas une action
concertée qui aurait permis une stratégie commune en vue au mieux de mener une
éventuelle contre-offensive sérieuse, ou du moins d’envisager une négociation pour
une capitulation dans des conditions acceptables de dignité.

C’est un gouvernement moralement déchu, ne bénéficiant d’aucune


légitimité que le parlement décide de censurer. C’est curieusement à la suite d’une
motion incidentielle introduite par Monsieur Bongombe Bohulu728, un ancien vice-
ministre Kengo, que le HCR/PT décide de démettre le gouvernement.

Le débat soulevé par les partisans du gouvernement déchu, qui


invoquaient la violation des dispositions de l’article 92 de l’ACT et celles du
Règlement intérieur du parlement et dénonçaient ainsi l’irrégularité de voir le
gouvernement tomber à la suite d’une motion incidentielle, nous paraît d’un intérêt
mineur en rapport avec la décision sans équivoque du parlement de démettre le
gouvernement729.

Ce qui nous semble plus important, et qui démontre la ferme volonté


du maréchal Mobutu de continuer à démontrer sa capacité de faire et défaire la
Constitution, est dans la suite des événements. En effet, malgré la tentative du
premier ministre Kengo de voir le président Mobutu se saisir à nouveau des
prérogatives que ne lui reconnaissait nullement l’ACT pour mettre en mal la décision
du parlement730, le chef de l’Etat, certainement autant mécontent d’un gouvernement
qui ne paraissait visiblement pas en mesure de le tirer de cette mauvaise passe que
terrassé par la maladie, va plutôt prendre acte des délibérations parlementaires.
C’est dans ce climat de désolation pour le moins déconcertant pour l’avenir
immédiat des pouvoirs publics zaïrois que les événements politiques de tous ordres
vont se précipiter dans un pays amputé d’une grande partie de son territoire.

Pour des besoins stratégiques, le parlement décide de remettre en selle


Etienne Tshisekedi, le farouche opposant au chef de l’Etat, celui-là même dont la
mise à l’écart avait fait fonctionner en juin 1994 « la troisième voie » prônée par son
président, Mgr Monsengwo.

Le dernier larron que le parlement tente de remettre au pouvoir semble


disposer de quelques atouts susceptibles de redorer le blason du Zaïre terni par des
défaites successives. D’abord l’armée du maréchal en déroute avait besoin d’une
personne jouissant d’une suffisante légitimité pour remonter le moral aux troupes
afin de résister aux assauts des envahisseurs. Ensuite les rebelles jouissant
visiblement de la complicité de la population qui ne jurait que par le départ du

728
Avec le recul de temps, il est aujourd’hui avéré que Bongombe Bohulu n’a été qu’un instrument au service
d’une stratégie savamment montée par les mobutistes pour sacrifier leur poule aux œufs d’or.
729
Dans le même sens, BOSHAB, E., « L’état d’urgence…. », op. cit., p. 16.
730
En réaction à la décision du parlement, dont pourtant il tenait le pouvoir, de démettre son gouvernement, le
premier ministre KENGO avait écrit une lettre de démission par laquelle il invitait le chef de l’Etat à faire
respecter la légalité [laquelle ?] afin de ne pas s’embarquer sur « le bateau de l’illégalité » affrété par le
parlement, ouvrant ainsi une brèche dangereuse vers l’arbitraire consacré par des années fortes du mobutisme.
200

président Mobutu, Etienne Tshisekedi, dont la popularité ne faisait l’ombre d’aucun


doute, était l’homme espéré pour retourner la population contre les conquistadors
venus de l’Est. Enfin, le parlement se souvenait sans doute que dès le début des
hostilités à l’Est du Zaïre, Monsieur Tshisekedi, avec son plan de paix adressé
d’ailleurs à la communauté nationale et internationale731, avait proposé de négocier
avec les rebelles au lieu de continuer une guerre fratricide dont l’issue ne serait que
fatale pour le gouvernement de Kinshasa.

La proposition parlementaire étant conforme aux dispositions de


l’article 78 de l’ACT, le chef de l’Etat signe l’ordonnance n° 97-056 du 2 avril 1997
désignant Etienne Tshisekedi, premier ministre732. Aux yeux de l’opinion, cette
nomination paraît un cadeau empoisonné des faucons de la cour présidentielle qui
ont décidé de se servir de l’opposant irréductible de Mobutu comme bouclier contre
les assauts de Laurent Désiré Kabila et ses kadogos. De la sorte, les partisans du
président, nommément visés par les agresseurs et vilipendés par tous, seraient
épargnés. C’était sans compter avec le nouveau premier ministre désigné, qui, en fin
tacticien lui aussi, détend le piège lui tendu en annonçant d’abord qu’aucun
mobutiste ne serait membre de son gouvernement733. Par la même occasion, il
soutient ensuite qu’à son sens, cette nomination n’était qu’un retour de la légalité
violée par la manière cavalière dont ses adversaires politiques l’avaient fait partir du
pouvoir en juin 1994. Il conclut enfin que le rétablissement total de cette légalité
consacrée par la CNS commandait que la configuration du parlement soit modifiée
afin d’être élaguée des tambourinaires du mobutisme injectés par les compromis
signés en 1994734.

Ces déclarations du premier ministre désigné restituèrent ses vieux


réflexes d’autoconservation au maréchal président, qui se voyait en passe d’être
privé de sa majorité au parlement, de sa dynamique qui lui permettrait à tout
moment de faire et défaire un gouvernement qui ne lui obéirait plus. Cette attitude
passait pour une véritable déclaration de guerre et appelait une cinglante réplique
qui ne se fit pas attendre. En effet, retournant à ses anciens amours lorsqu’il était au-
dessus des lois, se moquant encore une fois de la Constitution, le chef de l’Etat
n’attendit pas que le parlement, qui avait élu le premier ministre, daigne d’abord se
réunir et lui retirer la confiance avant de rapporter le 9 avril 1997 son ordonnance735.

Pire encore, estimant la patrie en danger, Mobutu Sese Seko va étendre


l’état d’urgence proclamé précédemment dans les régions du Nord Kivu et du Sud

731
Le « plan TSHISEKEDI pour la paix », adressé notamment à l’OUA, à l’UE et à l’ONU…, fut notamment
très discuté au parlement européen à Strasbourg en France, qui invita l’initiateur pour plus amples commentaires.
732
O n° 97-056 du 2 avril 1997 portant nomination d’un premier ministre, chef du gouvernement, JO, n°8 du 15
avril 1997.
733
La position du nouveau premier ministre est reprise par BOSHAB MABUDJ, E., « L’état d’urgence… », op.
cit., p. 17.
734
Le nouveau premier ministre renvoie ainsi à leurs études les partisans de la mouvance présidentielle espérant
faire partie de son gouvernement autant que ceux embusqués dans le HCR/PT, nouvelle formule à la faveur de
concertations de 1994.
735
O n° 97-060 du 9 avril 1997 portant nomination d’un premier Ministre, chef du Gouvernement, JO, 38ème
année, n° 8 du 15 avril 1997, p. 12.
201

Kivu à l’ensemble du territoire national736 et nommer, parmi les mesures d’urgence,


le général Likuila Bolongo en qualité de nouveau premier ministre. Peut-on alors
soutenir que cette nomination obéit à la lettre et à l’esprit des dispositions des
articles 48, 49 et 50 de l’ACT qui réglementaient l’état d’urgence à l’époque ? La
réponse à cette question nécessite l’étude de la procédure suivie à cet effet.

2°. La valeur juridique des événements d’avril 1997

Il est certes vrai que le constituant de 1994 avait été amené à


confectionner en faveur du maréchal Mobutu une nouvelle toge en peau de léopard
taillée à sa mesure. Il n’empêche que le léopard n’apparaît plus à travers ce nouvel
accoutrement détenir l’entièreté de ses forces. Non seulement ses anciens « danseurs
de Djalelo »737 n’entonnent plus en chœur leur chanson fétiche, mais aussi les
quelques griffes qui lui restent ne peuvent faire mouche que grâce à des alliances et à
des combines rendues plus difficiles à tisser. C’est donc dans le cadre de
dépouillement des privilèges qui ont longtemps poussé le chef de l’Etat aux abus que
semblent se situer les dispositions des articles 48, 49 et 50 de l’ACT.
Cependant, à l’opposé de l’ordonnance portant nomination d’Etienne
Tshisekedi qui fait état de « la déchéance du premier ministre Léon Kengo wa
Dongo » et du « consensus de la classe politique sur la personne du premier ministre,
chef du gouvernement de transition, présenté dans le délai imparti par la famille
politique Union Sacrée de l’Opposition Radicale et Alliés… »738, l’ordonnance de
nomination du général Likulia se réfère, elle, à la proclamation de l’état d’urgence
advenue la veille739.

Contrairement aux dispositions elliptiques d’autrefois qui faisaient de


l’état d’urgence un droit laissé à la discrétion du chef de l’Etat tant à l’appréciation
des circonstances, des mesures pour y faire face que de leur durée740, le constituant
zaïrois de 1994 avait fondamentalement modifié le droit d’urgence.

Il découle en effet de la lecture combinée des articles 48, 49 et 50 de


l’ACT qu’un mécanisme de contrôle est établi tant en amont qu’en aval pour garantir
le respect des droits des citoyens contre l’arbitraire des gouvernants. En amont 741, la
proclamation de l’état d’urgence ne relève plus de la discrétion du chef de l’Etat.
C’est une initiative gouvernementale que le chef de l’Etat se contente de rendre
publique. En aval742, les mesures d’urgence sont soumises au double contrôle
juridictionnel et politique.

736
O n° 97-058 du 8 avril 1997 généralisant l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national, JO, n° 8, 15
avril 1997, pp. 10-11.
737
Du temps où le président fondateur du MPR parti-Etat, passait pour un véritable dieu, ce fut l’hymne dédié
au maréchal président.
738
Ce sont les exigences conformes à l’article 78 de l’ACT, JO, op. cit., p. 46.
739
Il s’agit de l’O n° 97-058 du 8 avril 1997 généralisant l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire de la
République, JO, op. cit., pp. 10-11.
740
Voy. Les art. 51 et 52 de la Constitution de la République du Zaïre telle que modifiée par la loi n° 90-002 du
5 juillet 1990, JO, op. cit.
741
Art. 48, Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, JO, op. cit., pp. 29-30.
742
Art. 49 et 50, Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, JO, op. cit., pp. 30-31.
202

A l’analyse des circonstances qui ont donné lieu à la nomination du


dernier premier ministre du maréchal Mobutu, une triple question mérite d’être
posée :
- La première doit nous amener à examiner, même brièvement, la conformité de la
destitution du premier ministre Kengo wa Dondo par le HCR/PT.
- La seconde est celle de savoir si le chef de l’Etat avait le droit de prendre de son
propre chef la décision de révoquer le premier ministre Tshisekedi.
- La troisième question veut savoir si les mesures prises par le chef de l’Etat dans
la foulée de la proclamation de l’état d’urgence du 8 avril 1997, en ce comprise la
nomination du général LIKULIA, ont été conformes au nouveau droit
d’urgence prôné par l’ACT.

i. La destitution du gouvernement Kengo

Bien que, mis en place trois ans auparavant par fraude constitutionnelle
manifeste contre laquelle ses adversaires saisirent en vain la CSJ en vue d’obtenir
l’annulation de sa nomination743, le gouvernement Kengo ne soit pas fondé à
invoquer sa propre turpitude en donnant aux autres de leçons de respect des
principes fondamentaux de droit, sa réaction à sa destitution mérite d’être examinée.
Dans sa lettre au chef de l’Etat, le premier ministre Kengo invitait carrément celui-ci à
prendre des dispositions pour s’opposer à la décision parlementaire et refuser de
prendre acte de la démission de son gouvernement.

Dans cette entreprise, le gouvernement démissionnaire de Monsieur


Kengo avait ouvert une brèche dangereuse à travers laquelle il semblait accorder au
maréchal des galons qu’il ne détenait d’aucune disposition constitutionnelle de
censurer les actes du parlement. La tentative du gouvernement démis par le
parlement de désabuser le chef de l’Etat de sa capacité d’être au-dessus de l’acte
fondamental pour l’amener à agir en dehors des dispositions constitutionnelles ne
peut trouver écho en droit dans cette hypothèse.

Il peut arriver que l’arbitrage du chef de l’Etat soit possible lorsque le


gouvernement, quoique bénéficiant encore de la confiance du parlement, ne trouve
pas de consensus en son sein sur des problèmes majeurs. Dans ce cas, la propre
décision du gouvernement de se démettre peut être refusée par le chef de l’Etat. Le
geste du premier ministre déchu aura néanmoins eu la malheureuse conséquence de
redonner l’impression au maréchal d’être encore en mesure de faire tout ce qu’il
veut. Evariste Boshab pense en effet que cette brèche ouverte par Léon Kengo et son

743
L’arrêt RA 320 du 21 août 1996, en cause USOR et Alliés, Tshisekedi wa Mulumba et crts c/ le président de
la République du Zaïre, Bulletin des Arrêts de la Cour suprême de justice, Kinshasa, Ed. du Service de
Documentation et d’Etudes du Ministère de la Justice, 2003, pp. 156-163, a amené la Haute Cour à se retrancher
derrière « l’incompétence de connaître des actes de gouvernement » pour éviter de se prononcer sur
l’appréciation des ordonnances désignant Monsieur Kengo et les membres de son gouvernement, premier
ministre et ministres.
203

équipe gouvernementale a déterminé l’attitude du chef de l’Etat dans les actes


irréguliers qu’il va poser par la suite744.

Cependant, de l’analyse des dispositions de l’article 92 de l’ACT745 sur


base desquelles les partisans du gouvernement démissionnaire ont assis leur critique,
découlent trois observations importantes.

En premier lieu, l’architecture de l’ACT elle-même consacre un


déséquilibre inexplicable entre les pouvoirs constitutionnels. En effet, l’article 92 qui
permet au parlement de mettre en cause la responsabilité du gouvernement par une
motion de censure, n’a pas de répondant qui met un contrepoids entre les mains du
gouvernement. La privation au gouvernement du droit de dissoudre le parlement
prive l’exécutif de l’arme nécessaire à son efficacité et bascule le régime voulu
parlementaire vers un régime d’assemblée. L’inamovibilité des « conseillers de la
République »746 n’a-t-elle pas servi aux parlementaires largement majoritaires aux
différentes négociations politiques d’échapper à la censure imprévisible des électeurs
jusqu’à la fin d’une transition voulue interminable ?
En outre, il est de principe universellement admis en matière de droit
public que, pendant l’état d’urgence, le parlement ne peut, par une motion de
censure, faire tomber le gouvernement. Le parlement doit, quelle que soit la gravité
des faits reprochés au gouvernement, attendre la fin de l’état d’urgence pour déposer
sa motion de censure. Or, dans le cas du gouvernement Kengo, l’état d’urgence était
déjà décrétée dans les provinces du Nord Kivu et du Sud Kivu depuis le 25 octobre
1996747 lorsque le parlement avait censuré le gouvernement748.
Le dernier point à épingler concerne le non respect de la procédure
prescrite par les dispositions légales elles-mêmes. Il ressort effectivement de la
procédure suivie que le HCR/PT a censuré le gouvernement à la suite d’une motion
incidentielle déposée par un parlementaire. Or il découle de l’interprétation du texte
en cause que la motion de censure devant requérir la signature du quart des
membres du parlement, il doit s’agir d’une motion destinée principalement à la
censure du gouvernement et non d’une motion simplement incidentielle qui y
tendrait accessoirement. Pareille procédure aura donc effectivement vicié les
dispositions constitutionnelles invoquées par le parlement.

ii. La destitution du premier ministre Tshisekedi

C’est certainement en vue d’éviter de croiser le fantôme du conflit


Kasavubu - Lumumba sur la compréhension de l’article 22 de la Loi fondamentale

744
Evariste BOSHAB, « L’état d’urgence…. », op. cit., p. 16, souligne, en effet, que « cette brèche à l’arbitraire
ouverte par le gouvernement démissionnaire sera lourde de conséquence en ce que le président de la République
s’y accrochera, à sa manière, en s’arrogeant le droit d’installer, en mettant le parlement entre parenthèses, un
nouveau gouvernement ».
745
Art. 92 de l’ACT, JO, op. cit., p. 52.
746
C’est l’appellation des « députés », membres du HCR/PT.
747
En effet cette déclaration d’état d’urgence rendue public par l’ordonnance n° 96-059 du 25 octobre 1996 avait
fait l’objet des résolutions du HCR/PT du 31 octobre 1996 et de l’avis motivé de la CSJ de la même date.
748
Le principe universel de droit public est dégagé des analyses d’Evariste BOSHAB, « L’état d’urgence… »,
op. cit., p. 20.
204

que le constituant de 1994 a adopté la forme plus élaborée des dispositions relatives à
la désignation du premier ministre dans un régime qui se voulait à tendance
parlementaire. La lecture cursive de l’article 78 de l’ACT révèle que le président de la
République ne dispose d’aucune initiative en matière de nomination ni de révocation
du premier ministre.

Ne disposant d’aucun pouvoir d’appréciation sur le choix de cette


personnalité, le chef de l’Etat se contente de signer l’ordonnance rendant public le
choix du parlement. Ce simple constat est d’autant plus vrai qu’en cas de
tergiversations de sa part, la lecture combinée de ces dispositions avec celles de
l’article 40 habilite le parlement à investir le premier ministre par lui choisi et son
gouvernement dans un délai de quinze jours749.

C’est ce qui semble expliquer la précision donnée par l’alinéa 2 de


l’article 78 selon lequel, le premier ministre est « nommé ou investi, selon le cas… ».
Il est nommé lorsque le chef de l’Etat appose sa signature sur le choix opéré par le
parlement. En revanche, il est investi, lorsque, quinze jours après la transmission du
choix au bureau du président, le chef de l’Etat ne rend pas publique cette désignation
par ordonnance.
Il en est sûrement de même de la révocation du premier ministre. Le
chef de l’Etat constate que le parlement lui a retiré sa confiance et traduit en acte
cette volonté du parlement. Or, dans le cas d’espèce, c’est le chef de l’Etat qui, déçu
par l’attitude du premier ministre choisi par le parlement et nommé par lui par
ordonnance, a pris l’initiative de rapporter son ordonnance en désignant un autre en
remplacement de celui-ci. Du seul fait de prendre une initiative que ne lui reconnaît
aucune disposition constitutionnelle, le chef de l’Etat s’est totalement situé en dehors
du bon droit.

iii. La nomination du premier ministre Likulia

L’une des mesures importantes prises par le maréchal Mobutu à la suite


de l’extension de l’état d’urgence d’avril 1997 à l’ensemble du territoire national fut
la nomination du premier ministre Likulia Bolongo, conséquente à la révocation de
son prédécesseur, le leader de l’UDPS, Etienne Tshisekedi.

C’est ici l’occasion de répondre à la question de savoir si toutes les


dispositions constitutionnellement recommandées ont été prises par l’autorité pour
garantir en amont comme en aval le respect des droits des citoyens. Dans les lignes
qui suivent, nous allons essayer de démontrer qu’aussi bien la proclamation de l’état
d’urgence que la nomination du général Likulia en qualité de premier ministre en
tant que mesure d’urgence sont des actes du chef de l’Etat posés en dehors de toute
assise constitutionnelle.

749
L’art. 40, ACT, JO, op. cit., pp. 25-26, accorde même pouvoir au président du HCR./PT de promulguer les
lois que le chef de l’Etat n’a pas promulguées dans les quinze jours de leur transmission à son bureau.
205

L’interprétation combinée des articles 48, 49 et 50 de l’ACT démontre


que ces articles instituent non seulement des conditions de fond, mais aussi celles de
forme afin de garantir la régularité des actes dérogatoires aux lois et à la Constitution
qui devraient être prises à cette occasion.

La survenance d’un événement qui menace gravement la sécurité de


l’Etat ou l’interruption du fonctionnement régulier des institutions de la République
ou d’une région est de nature à fonder le déclenchement de l’état d’urgence. Dans le
cas d’espèce, une rébellion armée occupe neuf provinces sur onze de la République,
menace dangereusement la sécurité des personnes et de leurs biens et met
sérieusement en mal l’intégrité territoriale. Le danger est donc réel d’autant plus que
les provinces occupées échappent totalement au contrôle des institutions de la
République. C’est au niveau du respect des conditions de forme que le dérapage est
notoire. S’agissant d’une initiative propre au gouvernement qui demande au
président de la République, après avis du HCR/PT, de la rendre publique, le chef de
l’Etat ne peut donc pas, à partir de sa propre appréciation des circonstances,
proclamer, comme il l’avait fait, l’état d’urgence750.

Certes, un problème sérieux peut se poser lorsque l’on constate que le


gouvernement Kengo lui-même, déchu par le HCR/PT, n’avait entre-temps pas été
remplacé par le gouvernement Tshisekedi. Celui-ci avait en fait été démis
irrégulièrement par le chef de l’Etat avant qu’il ait pu former un quelconque
gouvernement. Il est bien sûr entendu que le gouvernement Kengo continuait
d’expédier les affaires courantes. Mais pouvait-on considérer que même
démissionnaire, ce gouvernement pouvait proposer au président de la République la
proclamation rendue indispensable par les circonstances de l’état d’urgence ? La
réponse à pareille question nous amène à déterminer les compétences d’un
gouvernement démissionnaire751.

Il est généralement admis que le gouvernement démissionnaire gère les


affaires courantes. A défaut du sens des affaires courantes fixé par la loi ou la
doctrine congolaise, nous nous référons avec Evariste Boshab752 au droit comparé,
notamment belge, pour découvrir les différentes pistes explorées par la doctrine et la
jurisprudence dans la recherche de la détermination du contenu des affaires
courantes.

Pour Francis Délpérée, les affaires courantes doivent être entendues


« au sens des affaires habituelles, banales, ordinaires… qui relèvent de la gestion
journalière des tâches administratives ; n’engageant pas l’avenir politique du pays,
750
Bien que le corps de l’ordonnance proclamant l’état d’urgence fasse état des résolutions du HCR/PT et de
l’avis de la CSJ du 31 octobre 1996, ces avis destinés à avaliser l’état d’urgence proclamé le 25 octobre 1996 ne
pouvaient malheureusement couvrir la présente proclamation.
751
Voy. à ce sujet, GOMES MONTEIRO, A.M., « Réflexions sur la compétence d’un gouvernement
démissionnaire », Administration publique, 1976-1977, pp. 222-233 ; DOUENCE, J., « Liban, l’expédition des
affaires courantes par un gouvernement démissionnaire », Revue de droit public et de science politique en
France et à l’étranger, 1970, pp. 1115-1130.
752
Nous nous sommes, sur cette question, largement inspiré de l’excellente étude d’Evariste BOSHAB, « L’état
d’urgence… », op. cit. pp. 21-22.
206

ne mettant pas en cause des intérêts importants, n’appelant pas de nouvelles


décisions, qui doivent être assurées sans discontinuer » 753.

On peut donc soutenir qu’un gouvernement qui gère les affaires


courantes prendra en compte, comme critère pour déterminer celles dans lesquelles il
est compétent, le contrôle politique. Ainsi le gouvernement devrait s’abstenir
d’exercer sa compétence sur toute action qui ne justifie d’aucune urgence et qui, en
temps normal, aurait nécessité le contrôle du parlement754, afin de ne pas engager
politiquement l’avenir qu’il ne peut plus gérer. Un gouvernement qui a perdu la
confiance du parlement755 à la suite d’un vote même contesté d’une motion de
censure ne peut certainement pas entreprendre un acte de si haute portée politique
sans se faire désavouer par le même parlement.

Dans l’impossibilité du gouvernement de proclamer l’état d’urgence,


revenait-il au chef de l’Etat de le faire en vue de rétablir le fonctionnement régulier
des institutions de la République ?

Non seulement le chef de l’Etat ne recourut ni au HCR/PT, ni à la CSJ


en respect des dispositions impératives y relatives, mais il tint à exercer une
prérogative qu’aucune disposition constitutionnelle ne lui reconnaissait. Pourtant, le
constituant zaïrois de la transition avait semblé exclure, de manière catégorique, des
prérogatives du chef de l’Etat autant la déclaration de l’état d’urgence que la
nomination d’un premier ministre de sa propre initiative. Les termes de l’alinéa 1er
et de l’alinéa 3 de l’article 37 de l’ACT établissent scrupuleusement la manière dont
les pouvoirs sont exercés et interdisent sans équivoque « l’ingérence d’une institution
dans le fonctionnement de l’autre ».

Pendant que l’article 38 énumère, parmi les institutions de la


République, le président de la République distinct du gouvernement et du HCR/PT,
de quel droit, sans violer gravement la Constitution, le premier pouvait-il, dès lors,
se substituer au deuxième pour prendre l’initiative de la proclamation de l’état
d’urgence ou au troisième pour désigner le premier ministre ? Il n’existe aucune
raison qui justifierait juridiquement pareille fraude.

B. Les institutions transitoires de la Constitution du 4 avril 2003

1. La nature du régime de la Constitution du 4 avril 2003

753
DELPEREE, F., « Les affaires courantes en Belgique, observations sur la loi de continuité du service
public », Mélanges offerts à R-E., CHARLIER, Paris, éd. De l’université de l’enseignement moderne, 1981, p.
64.
754
SALMON, J., « A propos des affaires courantes : état de la question », JT, 1978, p. 663.
755
VAN SOLINGE, A., « De l’expédition des affaires courantes », JT, 1979, 9. 214.
207

2. La mise en place des institutions

A l’issue des négociations politiques sur le processus de paix et sur la


transition en République Démocratique du Congo tenues à Sun City en Afrique du
Sud du 25 février au 19 avril 2002 dans le cadre du dialogue inter-congolais, un
accord dit global et inclusif756 fut signé le 17 décembre 2002 à Pretoria et adopté le 1er
avril 2003 à Sun City. Il résulte de cet accord que quatre postes de vice-présidents ont
été créés. Ils étaient à répartir entre les composantes gouvernement (commission
pour la reconstruction et le développement), RCD (commission politique), MLC
(commission économique et financière) et opposition politique (commission sociale et
culturelle)757.
A part cette attribution obtenue certainement après d’intenses
négociations des parties belligérantes, de l’opposition non armée et de la société
civile autour des médiateurs et facilitateurs internationaux ainsi que la répartition
des responsabilités758 entre les composantes et entités au niveau du gouvernement,
du parlement, de l’administration provinciale et de la diplomatie, l’Accord garde un
silence curieux sur l’attribution du poste de président de la République.
Comme pour conjurer les mauvais esprits qui semblaient planer sur les
travaux de Sun City au cours desquels le poste de chef de l’Etat était fortement
convoité759, le silence sembla constituer la clé de voûte du problème. C’est
apparemment de façon incidentielle que l’Accord fait référence au général major
Joseph Kabila comme président de la République760.

Il fallait attendre la promulgation de la Constitution de la transition,


dont le projet élaboré par un comité d’experts des Nations Unies761 auquel s’était
joint un groupe de juristes congolais des composantes et entités fut adopté le 6 mars
2003 à Pretoria avant d’être endossé le 1er avril 2003 par la plénière du dialogue inter-
congolais à Sun City, pour découvrir que le président de la République en exercice au
moment de la promulgation de la Constitution de la transition restait en fonction
pour toute la durée de la transition762. Le nouveau texte était destiné, à la place du
décret-loi constitutionnel de Laurent Désiré Kabila, à redistribuer les cartes et
accorder une nouvelle légitimité aux acteurs politiques. Joseph Kabila récupéra du
coup une légitimité qui semblait lui manquer comme chef de l’Etat chargé de
conduire une transition consensuelle. Mais il restait à voir si le texte constitutionnel
élaboré, adopté et promulgué en dehors du peuple renfermait lui-même une

756
Accord global et inclusif sur la transition en République Démocratique du Congo, JO, 44ème année, numéro
spécial du 5 avril 2003, pp. 49-69.
757
Point V. Des institutions de la transition, 1. Le pouvoir exécutif, C. Les vice-présidents, Accord global et
inclusif, JO, op. cit., p. 56.
758
Annexe I : Répartition des responsabilités, JO, op. cit., pp. 61-66.
759
Ce poste fut notamment revendiqué par Monsieur Etienne Tshisekedi wa Mulumba de l’UDPS et Katebe
Katoto, homme d’affaires katangais.
760
C’est uniquement à l’annexe III, JO, op. cit., p. 66, que l’Accord précise que « la commission de suivi est
présidée par le président de la République, Son Excellence le général major Joseph KABILA ».
761
Sous la coordination de l’éminent constitutionnaliste sénégalais, le Professeur El Hadj Mbodj, ce comité était
composé en outre du Professeur suisse Alain Sigg et d’un magistrat de la même nationalité, Maître Cédric Mizel
en plus de quelques experts juridiques de composantes et entités.
762
Article 65 de la Constitution de la transition du 04 avril 2003, JO, 44ème année, Kinshasa, numéro spécial, 5
avril 2003, p. 17.
208

quelconque légitimité dont il pouvait se targuer de faire rejaillir les effets sur ceux
qui tenaient le pouvoir de par ses dispositions.

La Constitution de la transition sous examen, négociée et adoptée par


des délégués des composantes et entités mandatés non par le peuple congolais, mais
par des forces politiques combattantes et non combattantes763, exprimait-t-elle la
volonté du peuple ? Un texte instituant même à titre provisoire un régime politique
sans légitimation populaire et démocratique mérite-t-il la dénomination
« Constitution » ?

Dans la recherche de voies et moyens de mettre fin à une des crises les
plus meurtrières de tous les temps764, il a été envisagé le coulage sous forme
juridique, en vue de la mise en place du nouvel ordre politique, d’un consensus
patiemment négocié en terre sud africaine par les acteurs politiques et sociaux
congolais, en remplacement d’un décret constitutionnel unilatéralement imposé par
Laurent Désiré Kabila.

Non seulement la communauté internationale donna son aval au


processus qu’elle a continué de soutenir mais aussi l’équilibre précaire permettant un
fonctionnement selon la logique de l’inclusivité, du consensualisme et de la non
conflictualité du système bénéficia de l’assentiment des acteurs politiques congolais
dans leur ensemble.

Cette légitimation du texte constitutionnel de la transition par la


communauté internationale et par les acteurs politiques congolais, hier en conflit
armé et aujourd’hui en accord de partage des responsabilités pour cesser les
hostilités et cheminer ensemble vers un nouvel ordre politique semblait avoir amené
le peuple à s’approprier la Constitution de la transition765.

Il suffisait de considérer l’aménagement des pouvoirs à travers la


transcription dans le texte des mécanismes de poids et de contrepoids dans la mise
en place des institutions politiques du pays et la place réservée aux préoccupations
profondes de la population en regard de l’histoire politique du pays766 pour
comprendre les raisons profondes de l’appropriation de ce texte par les populations
congolaises. Un motif également important du satisfecit viendrait de la relative

763
Cela apparaît d’ailleurs clairement dans le préambule même du texte constitutionnel, qui reprend : « Nous,
Délégués des composantes et entités au Dialogue intercongolais… »
764
Selon un rapport de l’International Rescue Committee (IRC), une ONG américaine basée à New York et de
l’Institut Barnett, un centre australien de recherche médicale, rendu public le 9 décembre 2004, le conflit en
RDC est le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale avec 3,8 millions de morts recensés depuis 1996.
Des calculs simples donnent environ mille victimes civiles par jour, dont la majorité ont péri de faim et de
maladie en tentant de fuir les zones de combats.
765
Il suffisait d’écouter les populations congolaises qui ne juraient plus que par la fin de la transition et
l’organisation des élections à tous les niveaux dans les délais constitutionnels pour comprendre ce qu’elle avaient
fini par penser du texte.
766
Outre les dispositions de l’art. 3 de la Constitution de la transition qui redéfinissent de leur manière la
souveraineté du peuple en lui reconnaissant le pouvoir de contrôle sur les détenteurs du pouvoir, un long titre
III étale de longues dispositions destinées à promouvoir les droits et libertés de tous.
209

stabilité du texte que les acteurs ne peuvent modifier à loisir comme au vieux beau
temps des régimes précédents.

Certes des critiques contre ce texte, qui semble hypothéquer sa


suprématie à l’Accord global et inclusif, n’ont pas manqué. En effet, l’article premier
de la Constitution de la transition semble subordonner celle-ci à l’Accord global et
inclusif, qui lui est supérieure et qui fonde sa légitimité 767. Avec la Constitution qui
découle pourtant de lui, celui-ci est même la seule source du pouvoir et tous les
pouvoirs sont établis et exercés de la manière qu’il détermine et que relaye la
Constitution768. Conformes aux principes fondamentaux du droit public, les
dispositions de l’article 10 de la même Constitution attribuent pourtant la
souveraineté nationale au peuple. Pareille attribution ne semble être qu’une simple
clause de style. En effet, lorsque l’on sait que pendant la période de transition, le
peuple n’exerce aucun pouvoir directement faute de référendum et d’élections, ni
qu’aucun dirigeant n’aura été désigné par lui, il nous paraît invraisemblable de
déclarer le peuple « souverain » pendant que la source du pouvoir est réellement
détenue par les composantes et entités au dialogue inter-congolais769. Il semble qu’en
cas de contrariété entre les deux instruments, la logique aurait commandé que la
norme constitutionnelle fût écartée au bénéfice de la norme conventionnelle. Il y a
cependant lieu de continuer à se poser la question de savoir si la Cour suprême de
justice pouvait être saisie en conformité à l’Accord global et inclusif d’une disposition
constitutionnelle.

Lorsque l’on sait que c’est la même plénière du Dialogue inter-


congolais qui avait adopté les termes de l’Accord autant qu’il s’était octroyé le
pouvoir constituant et approuvé le texte constitutionnel chargé de gérer la transition,
il semble bien illogique que pareille compétence fût dévolue à la CSJ770. Le cas aurait
pu cependant être reconsidéré s’il s’était agi d’une norme prise ultérieurement en
vue de réviser le texte adopté à Sun City. Une fois certifiée conforme à l’Accord par la
Cour suprême de justice ladite norme constitutionnelle continuerait-elle d’être
inférieure à la norme conventionnelle ? La question demeure !

En tout état de cause, la Constitution de la transition congolaise fait


partie de ces textes d’une catégorie juridique de type nouveau dont le terrain de
prédilection se trouve être les pays décidés à sortir d’une incertitude institutionnelle
due à une mauvaise passe. Celle-ci peut résulter d’un arbitraire politique qui ne
laisse aucune chance à l’application immédiate des règles démocratiques classiques

767
La Constitution a en effet été élaborée sur la base de l’Accord global et inclusif comme l’indiquent les
dispositions de l’alinéa premier de son article 1.
768
Alinéas 2 et 3 de l’art. 1 de la Constitution de la transition.
769
La répartition des responsabilités pendant la période de transition se fait en tenant compte des composantes et
entités au Dialogue inter congolais conformément à l’Annexe I de l’Accord global et inclusif. Voy. JO, N°
spécial, 5 avril 2003, pp. 61-66.
770
Aux termes de l’art. 150 de la Constitution de la transition, la Cour suprême de justice n’est compétente que
pour connaître de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi et non de juger de la conformité des
dispositions constitutionnelles à l’Accord global et inclusif qui en est le géniteur.
210

comme l’apartheid en Afrique du Sud ou d’une situation de conflit armé ayant


provoqué des déchirures profondes du tissu social d’un pays donné771.

Pour éviter à nouveau le recours à la force ou empêcher le retour des


conflits sociaux internes, et sans doute pour légitimer sa propre action, un pouvoir
provisoire peut être amené à exercer des prérogatives de constituant 772. Il s’agit ainsi
d’une Constitution sui generis qui a réparti le pouvoir en rapport avec la hauteur
réelle ou supposée de la nuisance à causer par la force des armes et/ou la capacité
de mobilisation de la population contre l’ordre établi773. Sa légitimité auprès d’un
peuple qui semble en avoir approprié la substance ne peut donc être mise en doute.

3. La forme de l’Etat

4. Le fonctionnement des institutions

Chapitre 2 : Les caractéristiques du droit constitutionnel congolais

Section 1 : Les caractéristiques d’origine institutionnelle

§1. L’instabilité institutionnelle

§2. La militarisation du pouvoir

771
Devant l’impossibilité prouvée des parties belligérantes de gagner la guerre, la seule possibilité de réunifier le
pays et instaurer un nouvel ordre politique était d’obtenir un consensus négocié de partage des responsabilités
pendant une période limitée nécessaire à la recherche d’une source de pouvoir démocratique, la dévolution des
mandats publics par le peuple par la voie des urnes. L’argument que nous faisons nôtre vient de M’BODJ, op.
cit, p. 2.
772
Geneviève KOUBI et Raphaël ROMI, Etat, Constitution,…,op. cit. pp. 96-100, considèrent qu’il s’agit là,
selon l’impact de nouvelles dispositions sur l’ordre institutionnel précédent, du pouvoir constituant
« révolutionnaire » ou « réformateur ».
773
Contrairement à l’exemple sud-africain dans lequel le partage des responsabilités au sein du gouvernement
était déterminé par le poids électoral des partis, la RDC a adopté la formule 1 + 4 mettant à la tête du pays les
quatre composantes jugées importantes (Gouvernement, RCD, MLC et Opposition politique) sous la surveillance
de la composante Société civile qui préside le Sénat et les cinq Institutions d’appui à la démocratie.
211

§3. La concentration des pouvoirs constitués

A. La prééminence du chef de l’Etat

B. L’affaiblissement du parlement

C. L’inféodation du pouvoir judiciaire

§4. La fraude constitutionnelle en droit congolais

Traiter de la fraude tant dans l’élaboration que dans l’application des


textes constitutionnels aiderait à inventorier le plus de fraudes possible en droit
constitutionnel congolais. Trois catégories de fraude menaceraient ainsi l’intégrité du
patrimoine constitutionnel congolais.

La première catégorie apparaît à propos des atteintes à porter au statut


du pouvoir, autorisées par la Constitution elle-même. Dans cette catégorie, les
artifices utilisés peuvent être de deux ordres. Par une qualification erronée, utilisée
intentionnellement en vue de flouer l’opinion et obtenir les résultats recherchés par
surprise, le constituant dérivé peut utiliser son pouvoir de révision pour mettre en
place une nouvelle Constitution sous l’étiquette fallacieuse de « révision
constitutionnelle ». De même, des autorités établies peuvent, en référence de leur
idéologie politique, amener, grâce au pouvoir de révision constitutionnelle leur
reconnu, les organes de parti politique à prendre la place des organes classiques de
l’Etat dans le fonctionnement de celui-ci, en reconnaissant constitutionnellement son
organe dirigeant comme organe dirigeant de l’Etat774. Il s’agit de la pratique
consistant à juxtaposer des structures partisanes aux structures étatiques classiques
dont le résultat parait être une véritable fraude constitutionnelle.

La seconde catégorie découle d’une atteinte fatale à la Constitution.


Lorsque la croyance en la légitimité du pouvoir a disparu, certains événements tels le
coup d’Etat, le coup de force, le putsch, la révolution ... peuvent porter fortement

774
Dans la doctrine fasciste, par exemple, le parti tend à se confondre à l’Etat : toutes les fonctions d’autorité
sont détenues par les membres du parti. Le parti est ainsi l’instrument du totalitarisme grâce auquel l’Etat
impose à tous son idéologie en réduisant à néant la sphère d’autonomie de chacun. Sur le plan constitutionnel,
diverses formules sont soumises à une évolution constante.
212

atteinte à la Constitution en la renversant. Mais il arrive aussi que pour des raisons
qui leur sont propres, les autorités établies puissent user du pouvoir constituant
originaire pour mettre en place une nouvelle Constitution en remplacement d’une
ancienne en vue de l’établissement d’un nouveau régime. Elles profitent
généralement de ce pouvoir constituant pour constitutionnaliser des actes
inconstitutionnels qu’elles avaient été amenées à prendre sous l’empire de l’ancienne
Constitution.

Le premier volet de cette pratique de constitutionnalisation des


inconstitutionnalités opérée par l’autorité constituante ressemble un peu à la
validation législative et même à la régularisation administrative775. La fraude est
alors voisine de la validation en matière législative et à la régularisation en matière
administrative.

A. La fraude résultant du comportement du pouvoir constituant


originaire

B. La fraude résultant du comportement du pouvoir constituant


dérivé

C. La fraude résultant du comportement des pouvoirs constitués

Section 2 : Les caractéristiques d’origine constitutionnelle

§1. L’inflation constitutionnelle

A. L’existence des plusieurs Constitutions

B. Les modifications constitutionnelles excessives

D’ailleurs, la Constitution elle-même prévoit la possibilité de la révision


de ses propres dispositions. La révision de la Constitution consiste, d’après
DEBBASCH, à corriger776, en vue de l’adapter à des circonstances nouvelles, le texte

775
En droit administratif, il arrive qu’un acte irrégulier puisse être régularisé par l’autorité chargée justement de
le censurer. De même, le législateur peut utiliser son pouvoir suprême de confection des lois pour procéder à la
validation administrative d’un acte administratif irrégulier en prenant a posteriori une loi en vue de le légaliser.
776
Sans doute, toute révision ne corrige pas toujours le texte constitutionnel, elle peut même le rendre pire.
213

constitutionnel par suppression, adjonction ou modification777. La Constitution


détermine les pouvoirs de l’autorité chargée de la révision ainsi que des règles
particulières de procédure permettant d’y parvenir.

C. L’inapplicabilité des normes constitutionnelles

§2. La Constitution sans constitutionnalisme

En droit congolais, le texte constitutionnel, souvent étranger et inconnu


de ses destinataires, n’emporte pas constitutionnalisme outre qu’il ne sert nullement
de garantie à la protection des droits humains dont il se ressort à profusion.

D’après Schochet, il existe une relation étroite entre le


constitutionnalisme et le fait d’avoir une constitution778. Tout en concluant qu’il est
fort possible qu’un pays ait une constitution sans pour autant répondre aux
exigences du constitutionnalisme, Olukoshi, Andrews et Rosenfeld, admettent que
les constitutions sont les instruments du constitutionnalisme779.

Trois critères permettent de dire qu’un Etat est constitutionnel. Le


premier est l’existence d’une Constitution qui limite les pouvoirs du gouvernement
et empêche l’arbitraire du pouvoir780. Le second est celui de la légitimité externe et
surtout interne. La Constitution doit être l’émanation du peuple et servir ses intérêts
et non ceux des hommes au pouvoir. Impliqué dans le processus de son élaboration
et de son adoption, et non surpris par un document étranger que les dirigeants lui
demandent tout simplement d’approuver par un « oui », le peuple doit se
reconnaître dans la Constitution et se l’approprier781. Autrement, la Constitution
serait un corps étranger qui n’aurait d’existence véritable que le papier sur lequel elle
est écrite782. Le troisième critère est la promotion, la protection et le respect effectif
des droits de l’homme.

A défaut de remplir ces critères, une Constitution ou un système


juridique pourrait exister sans constitutionnalisme. Toutes les Constitutions ne se
conforment pas aux exigences du constitutionnalisme783.

777
DEBBASCH, C. et alii, Droit constitutionnel …, op. cit., p. 106.
778
SCHOCHET, G.J., “Introduction: Constitutionalism, Liberalism …”, op. cit., p. 11.
779
OLUKOSHI, A., “State, Conflict, and Democracy in Africa: The Complex Process of Renewal” in JOSEPH,
R. (ed.) , State, Conflict, and Democracy…, op. cit., p. 456; ANDREWS, W.G. (ed.), Constitutions and
Constitutionalism…, op. cit., p. 22; ROSENFELD, M. (ed.), op. cit., p. 14.
780
NWABUEZE, B.O, Constitutionalism in the Emergent…op. cit, p. 2.
781
IHONVBERE, J.O, Towards a New Constitutionalism in Africa, London, CDD Occasional Papers Series
N°4, 2000, pp. 10, 15, 24-25, 27.
782
NWABUEZE, B.O, Constitutionalism in the Emergent…op. cit, p. 25.
783
RONSEFELD, “Modern Constitutionalism as Interplay …”, op. cit., p. 3.
214

La majorité d’Etats africains ont abondamment recours, sinon révérence


pour les documents appelés « Constitutions », mais ils font peu d’égard aux
principes constitutionnels et au constitutionnalisme784. Ce paradoxe réside, d’après
Okoth-Ogendo, dans l’engagement à l’idée de la Constitution tout en rejetant la
notion classique du constitutionnalisme785. Individuellement ou collectivement,
même des tyrans considèrent les Constitutions comme des écrans pour camoufler
leur despotisme. Des dispositions qui semblent constituer des limitations peuvent
être utilisées pour rationaliser l’arbitraire du pouvoir786.

Parfois, les Constitutions peuvent même contribuer à la stabilité des


régimes autoritaires et guider l’action politique à travers des canaux voulus par les
despotes pour tout simplement décrire les mécanismes de fonctionnement du
gouvernement. Ainsi, au lieu de limiter les pouvoirs des gouvernants, les
Constitutions peuvent se contenter de décrire ces pouvoirs et limiter les droits du
peuple ou canaliser son obéissance envers les dirigeants autoritaires.

Il y a des Constitutions qui n’expriment le constitutionnalisme qu’en


apparence et n’assument aucune fonction relative au constitutionnalisme 787. Une
Constitution écrite peut proclamer des idéaux comme ses objectifs mais finalement
conduire à la dictature788. Dans certains cas, comme l’écrivait Shivji, l’unique raison
d’être des Constitutions est l’acquisition de la légitimité, la souveraineté ou la
respectabilité internationales789. Si en effet la pratique politique n’essaie pas de
rapprocher le plus possible l’exercice du pouvoir des principes théoriques et abstraits
tracés par la Constitution, l’optimisme des schémas constitutionnels aura été vain790.

Le fait qu’un pays comme la RDC ait cueilli une abondante moisson
constitutionnelle depuis son indépendance n’implique pas qu’à ce jour, il peut se
vanter d’avoir connu un certain développement du constitutionnalisme. Comme
seule l’existence d’un papier appelé « Constitution » ne conduit pas au

784
SHIVJI, I.G., « Contradictory Class Perspectives in the Debate on Democracy », in SHIVJI, I.G. (ed.), State
and Constitutionalism: An African Debate …, op. cit., p. 254.
785
OKOTH-OGENDO, H.W.O, « Constitutions Without Constitutionalism: Reflections on an African Political
Phenomenon”, op. cit., pp. 3-25.; “Constitutions Without Constitutionalism: Reflections on an African
Paradox”, in GREENBERG, D. & alii, Constitutionalism and Democracy: Transitions in the Contemporary
World, New York, Oxford University Press, 1993; pp. 65-82.
786
ANDREWS, W.G., Constitutions and Constitutionalism …, op. cit., p. 23.
787
Idem, p. 26.
788
MOJEKWU, C.C., « Nigerian Constitutionalism », in PENNOCK, J.R. & CHAPMAN, J.W. (eds.), op. cit.,
p. 164.
789
SHIVJI, I.G., « Contradictory… », op. cit., p. 254. Voy. Également BOSHAB, E , « Les droits fondamentaux
dans les nouvelles Constitutions africaines… », op. cit., pp. 55-57, lorsqu’il évoque la fonction de légitimation
que recherche les Constitutions africaines de la « troisième génération ».
790
Généralement, les règles constitutionnelles étant une chose, la pratique politique, une autre, l’on imagine sans
peine combien l’écart peut être considérable entre la réalité politique et la lettre constitutionnelle dans les pays
dépourvus de tradition en ce domaine comme les nôtres. Voy. CHANTEBOUT, B., Droit constitutionnel…, op.
cit., pp. 67-68 qui considère que « le rôle historique du constitutionnalisme est certes considérable, il contribue
encore à freiner le pouvoir mais il s’en faut de beaucoup qu’il constitue la limitation intangible qu’à une
certaine époque on avait cru y voir ».
215

constitutionnalisme791, il est important d’examiner la valeur intrinsèque dudit texte


en rapport avec des critères de légitimité et de suprématie792 susceptibles de faciliter
son élaboration et son applicabilité.

La preuve de l’existence des Constitutions sans constitutionnalisme en


droit congolais est notamment rapportée par le défaut de légitimité du texte
constitutionnel, une séparation uniquement théorique des pouvoirs classiques de
l’Etat et une promotion non suivie de jouissance réelle des droits de l’homme.

A. Le défaut de légitimité ou d’identité du texte constitutionnel

Charles Debbasch, Jean Marie Pontier, Jacques Bourdon et Jean Claude


Ricci considèrent comme légitime le pouvoir qui est établi et qui fonctionne
conformément à l’idée que l’opinion se fait de la manière dont il doit être détenu et
exercé793. Afin de ne pas restreindre singulièrement son contenu, ils estiment qu’il est
souhaitable d’interpréter la notion de légitimité comme une notion qui dépasse le
droit positif sans pouvoir être cependant rejetée hors du droit794. Ils concluent à juste
titre que la théorie démocratique de la légitimité implique que son principe soit
fondé sur le suffrage populaire, c’est-à-dire sur la participation du peuple au
fondement du pouvoir795.
Puisque la Constitution établit et définit les différents organes de
l’autorité, leurs pouvoirs et la manière dont ils doivent être exercés, la relation entre
ces organes et le peuple ainsi que les droits et devoirs des citoyens 796, son
établissement doit à défaut d’émaner du peuple, souverain primaire, mais
néanmoins être approuvé par lui. Cependant la simple approbation par « oui » d’un
texte élaboré totalement en dehors du peuple ne nous parait pas suffisante.
La Constitution doit donc être l’émanation du peuple et servir ses
intérêts et non ceux des hommes au pouvoir. Impliqué dans le processus de son
élaboration et de son adoption, et non surpris par un document étranger que les
dirigeants lui demandent tout simplement d’approuver par un « oui », le peuple doit
se reconnaître dans la Constitution et se l’approprier797. Autrement, la Constitution
serait un corps étranger qui n’aurait d’existence véritable que le papier sur lequel elle
est écrite798.

791
Comme le soutient avec pertinence ROSENFELD, M. (ed.), Constitutionalism, Identity, Difference and
Legitimacy. Theoretical Perspectives, Durham and London, University Press, 1994, p. 3.
792
Sur les critères à remplir par la Constitution pour se conformer à l’idéal du constitutionnalisme, voy. MBATA
BETUKUMESU MANGU, A., The Road to Constitutionalism and Democracy in Post-colonial Africa : The
Case of the Democratic Republic of Congo, op. cit., pp. 168-170.
793
DEBBASCH, C. et alii, Droit constitutionnel et Institutions politiques, 4ème éd., Paris, 2001, p. 113.
794
Ibidem.
795
DEBBASCH, C. et alii, Droit constitutionnel…, op. cit., p. 115.
796
La synthèse est tirée de MBATA BETUKUMESU MANGU, A., Constitutions sans
constitutionnalisme….op. cit., p. 8.
797
IHONVBERE, J.O, Towards a New Constitutionalism…, op. cit., pp. 10, 15, 24-25, 27.
798
NWABUEZE, B.O, Constitutionalism in the Emergent States, London, C. Hurst & CO, 1973, p. 25.
216

Il s’agit pour le peuple de participer au processus de l’élaboration


autant qu’à celui de l’adoption du texte constitutionnel de sorte à mieux le
comprendre et s’identifier à lui799. Un texte constitutionnel qui serait uniquement
l’expression de la volonté des hommes au pouvoir et ne servirait qu’à légitimer leurs
pouvoirs ne correspondrait nullement à l’idéal du constitutionnalisme et
compliquerait son applicabilité sur terrain800.

Lorsque l’on observe les textes constitutionnels qui régissent le Congo


depuis l’indépendance, très peu d’entre eux ont été soumis aux débats publics au
point que la majorité a été le fait de l’entérinement de la volonté exclusive des
dirigeants politiques. En effet, la plupart des textes constitutionnels congolais sont le
fait de prince801. Parmi ceux-ci, certains ont bénéficié d’un consensus plus large de la
classe politique congolaise que d’autres802. Sans doute, savoir si les avis de la classe
politique reflétaient le consensus le plus large de toutes les couches de la population
congolaise est de nature à soulever le problème de sa représentativité et atténuer
ainsi nos ardeurs.
Ceux des textes constitutionnels qui ont bénéficié du recours à
l’approbation populaire ont été soumis au peuple sans aucune possibilité pour lui
d’en soustraire ni d’y ajouter une simple virgule803. Dans cette dernière catégorie, le
texte qui est devenu la Constitution du 18 février 2006 a l’avantage d’avoir fait l’objet
d’une si large discussion et d’un débat auquel ont participé des personnes de divers
horizons, parlementaires, experts nationaux et internationaux, représentants de la
société civile et d’une tentative de vulgarisation tel qu’il faille laisser penser que la
version finale soit représentative d’une certaine opinion de la population
congolaise804.
Dans ce dernier cas, il y a cependant à regretter que le résultat obtenu
ne soit pas à la hauteur des espoirs investis dans la recherche des remèdes pour
l’éradication du mal congolais. Les personnes chargées de finaliser le texte soumis

799
En ce sens, NWABUEZE, B.O, op. cit., , pp. 25 et 27; IHONVBERE, J.O, Towards a New
Constitutionalism…, op. cit., pp. 10 et 15.
800
L’identification au texte et sa compréhension par le peuple faciliterait son application par les tenants du
pouvoir généralement prêts à en faire une interprétation abusive au profit de leurs intérêts.
801
On peut citer notamment dans cette catégorie la Loi fondamentale relative aux structures du Congo du 19 mai
1960, les importantes modifications de la Constitution du 24 juin 1960 sous la houlette du maréchal MOBUTU,
l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de Transition du 4 août 1992, l’Acte
constitutionnel harmonisé du 2 avril 1993, Acte constitutionnel de Transition du 9 avril 1994, le Décret-loi
constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 de Laurent Désiré KABILA et ses multiples révisions ainsi que la
Constitution de la transition du 4 avril 2003.
802
Mise à part la Loi fondamentale relative aux structures du Congo du 19 mai 1960 qui est le produit pur et
simple des autorités coloniales belges, l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de
Transition du 4 août 1992, l’Acte constitutionnel harmonisé du 2 avril 1993, l’Acte constitutionnel de
Transition du 9 avril 1994 et la Constitution de la transition du 4 avril 2003 ont tout de même joui d’un certain
consensus de la classe politique congolaise à l’opposé du Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 et ses
futures modifications qui furent l’imposition d’un homme.
803
C’est le cas de la Constitution du 1er août 1964, de la Constitution du 24 juin 1967 et de la Constitution du 18
février 2006.
804
Les autres textes, en l’occurrence la Constitution du 1 er août 1964 et celle du 24 juin 1967, auront été soumis
au referendum populaire de façon inconstitutionnelle, par surprise et sans aucune discussion.
217

plus tard à la consultation populaire, des parlementaires des composantes et entités,


sans doute soumis au sentiment explicable de la conservation du pouvoir et de la
peur des lendemains, ne semblent pas avoir profité du recul nécessaire pour éviter de
tailler sur mesure certaines dispositions du texte. Pris sans doute dans les tentations
de calcul politicien intéressé et des arrières pensées, préoccupés de ne pas faire
perdre à leurs chefs respectifs, en application des nouvelles règles, le pouvoir gagné à
vile prix grâce aux faveurs de la guerre, les concepteurs du projet de Constitution,
n’ont pas hésité à « trafiquer », en négociant, des conditions d’âge et du niveau
d’études arrêtées dans diverses versions précédentes du texte pour accéder à des
postes de haute responsabilité politique805. Ils sont ainsi revenus aux vieux démons
en reconduisant certaines mauvaises pratiques « démocraticides » susceptibles de
véhiculer la propension naturelle des détenteurs du pouvoir à imposer le pouvoir
personnel806.
L’essentiel à retenir de cette analyse est qu’au-dessus de la théorie
démocratique de légitimité, le texte constitutionnel ne doit pas constituer un simple
papier sur lequel sont écrites des règles dont le commun de mortels ne sait pas
comprendre la portée ; il doit continuer d’exister dans le corps social qui s’attache à
lui et s’implique dans son exécution quotidienne par les mandataires publics. C’est
de cette façon, croyons-nous, que la violation de ses normes pourrait être
immédiatement observée et aussitôt dénoncée par l’opinion publique. Car loin de la
censure publique, toute fraude paraît normale et encourageante auprès des
violateurs patentés des normes constitutionnelles.
B. Une séparation uniquement théorique des pouvoirs

Il est peu de théories constitutionnelles qui, comme la théorie de la


séparation des pouvoirs, ont eu tant d’audience et qui continuent d’être
fréquemment invoquées malgré la remise en question de sa signification première et
sa portée réduite. Préconisée par Locke807, à la fin du XVIIème siècle et par
Montesquieu808 au XVIIIème siècle, nous l’avons déjà affirmé plus d’une fois, la
théorie a été mise en pratique dans la Constitution des Etats-Unis de 1787 et dans
plusieurs Constitutions révolutionnaires. Depuis lors, on n’a guère cessé d’y faire
référence lors de l’élaboration des Constitutions à travers le monde.

Le principe consiste à distinguer trois fonctions fondamentales : la


fonction législative, «la fonction exécutrice » (ce mot a conduit la Révolution à la
mauvaise expression de pouvoir exécutif) et la fonction juridictionnelle. L’idée
805
L’âge de la majorité des candidats présidentiables visés dans l’espace présidentiel, les membres de
l’Assemblée nationale et le Sénat avaient fini par se convaincre de signer la paix des braves en liant le prescrit de
la norme suprême aux qualités individuelles des futurs dirigeants.
806
A titre d’exemple, ils ont introduit une conception malsaine de la relation au niveau du pouvoir exécutif, en
compliquant la problématique de responsabilité, non seulement en mêlant le chef de l’Etat à la détermination de
la politique gouvernementale (art. 91 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006, JO, op. cit., pp. 32-33),
dont il ne répond pourtant devant personne, mais aussi ils ont instrumentalisé le pouvoir du premier ministre
dans la désignation duquel ils ont entendu noyer l’avis du parti ou de la coalition majoritaire dans la décision
presque discrétionnaire du président de la République (art. 78 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006,
JO, op. cit., pp. 29-30).
807
LOCKE, J., Traité de gouvernement civil, op. cit.
808
MONTESQUIEU, C., De l’esprit des lois, op. cit.
218

centrale de Montesquieu est que «tout homme ayant le pouvoir est porté à en abuser,
il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites ». « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir,
il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir ».

Il s’agit, en définitive, de confier l’exercice des trois fonctions


fondamentales à des organes distincts, de manière à éviter que l’un d’eux ne
s’empare, en cumulant l’exercice des trois, d’une souveraineté qui n’appartient qu’à
la nation.

Cet aspect juridique est moins important que l’aspect politique. Sur ce
point, la séparation des pouvoirs a essentiellement pour objet d’empêcher les abus
qu’un titulaire unique ne manquerait pas de faire de ses pouvoirs et qui seraient
extrêmement dangereux pour les libertés des citoyens.

L’un des piliers essentiels à la limitation des pouvoirs des gouvernants,


et par là à la promotion du constitutionnalisme se trouve être la séparation des
pouvoirs étatiques. Pour qu’une Constitution corresponde à l’idéal du
constitutionnalisme, sa seule existence ne suffit nullement. Outre qu’elle jouit de la
légitimité populaire en amont et de la suprématie conséquente en aval, elle doit
contribuer à la limitation des pouvoirs par la consécration de leur séparation entre
plusieurs organes qui en auront reçu du peuple mandat de leur exercice. A travers la
séparation des pouvoirs, une Constitution digne de ce nom doit limiter les pouvoirs
du gouvernement et empêcher l’arbitraire du pouvoir809.
Les pouvoirs doivent non seulement être séparés810 dans le texte de la
Constitution, mais ils doivent fonctionner comme tel dans la pratique des institutions
politiques. Nwabueze trouve crucial et indispensable à l’établissement du
constitutionnalisme que la Constitution puisse imposer des limitations strictes sur
l’exercice du pouvoir par les gouvernants811.
Certes, l’intérêt actuel de la théorie de la séparation des pouvoirs ne
subsiste plus guère dans la distinction de trois pouvoirs principaux de l’Etat :
pouvoir législatif – pouvoir exécutif – pouvoir judiciaire. Cependant, la théorie
conserve un grand intérêt sous l’aspect des rapports du pouvoir avec l’autorité
judiciaire812.

Si la séparation des pouvoirs mérite actuellement d’être inscrite dans la


Constitution, ce n’est plus que pour réaliser un mode d’aménagement des
institutions. Seule l’indépendance du pouvoir judiciaire, nous l’avons déjà
abondamment soutenu dans ce travail, constitue une garantie efficace contre
l’arbitraire de deux autres et en réalise par-là même la limitation.

809
NWABUEZE, B.O, op. cit., p. 2.
810
La théorie classique subdivise les pouvoirs étatiques en pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir
judiciaire.
811
NWABUEZE, B.O, Ibidem.
812
Voy. PACTET, P., Institutions politiques. Droit constitutionnel, 13ème éd., Paris, Masson, 1994, pp. 112-117;
FAVOREU, L. et alii, Droit constitutionnel…, op. cit., pp 374-405.
219

Il va ainsi de soi que malgré l’aménagement des pouvoirs contenus


dans le prescrit constitutionnel, le régime dans lequel le pouvoir judiciaire ne jouit
pas de toute l’indépendance nécessaire afin de constituer le dernier rempart contre
les deux pouvoirs souvent complémentaires en vue de garantir et de protéger
efficacement les droits des gouvernés ne peut prétendre avoir atteint le
constitutionnalisme.

L’arsenal constitutionnel congolais semble depuis l’indépendance se


préoccuper de faire apparaître le principe de séparation des pouvoirs dans
l’aménagement de ses dispositions. Mise à part la parenthèse de la concentration des
pouvoirs ouverte, - et depuis lors refermée –, par la monarchie du président Mobutu
Sese Seko813 et par la confusion de détention et d’exercice du pouvoir de Laurent
Désiré Kabila814, le constituant congolais consacre, du moins théoriquement, le
principe de séparation des pouvoirs à travers les dispositions relatives à
l’organisation et à l’exercice de tous les textes constitutionnels815. Néanmoins son
fonctionnement effectif tarde à se manifester à cause de la soumission, parfois de fait,
des animateurs du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif.
Affirmer théoriquement le principe de séparation des pouvoirs dans
un texte constitutionnel est sans doute nécessaire, mais l’affirmation n’est pas
suffisante pour emporter la conviction de tout analyste politique attentif au
fonctionnement réel des institutions étatiques.
L’observation attentive de la vie politique du Congo révèle que le
principe de séparation des pouvoirs cher à Montesquieu a eu à maintes reprises à
être sacrifié sur l’autel de l’accaparement fréquent des pouvoirs législatif, exécutif et
même judiciaire par le chef de l’Etat816.
A des intervalles très fréquents, la désignation et l’exercice des mandats
des membres des autres institutions de l’Etat, notamment des parlementaires et des
magistrats, a eu à souffrir de l’arbitraire et des bonnes ou mauvaises humeurs du
pouvoir exécutif, surtout du clientélisme ethnique, amical ou politique du président
de la République817. La non application effective du principe de séparation des
pouvoirs étatiques au Congo contribue à empêcher la Constitution à assurer une de
ses fonctions principales, celle de servir à la limitation des pouvoirs des gouvernants.
Devant une telle carence, point n’est besoin de s’étonner que les dirigeants se livrent

813
La plénitude des pouvoirs au profit du président de la République consacrée dans le texte par la « révision
constitutionnelle » du 15 août 1974 implique l’exercice, par procuration non du peuple mais bien du président
fondateur du MPR, du pouvoir par les autres organes étatiques jusqu’à la fin du règne du maréchal du Zaïre.
814
A travers le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1967, le président Laurent Désiré KABILA s’octroie
l’exercice de l’ensemble des pouvoirs étatiques.
815
Le titre consacré aux pouvoirs étatiques décrit scrupuleusement la répartition des compétences entres divers
organes de l’Etat dans la Loi fondamentale (art. 14 à 197), la Constitution du 1 er août 1964 (art. 53 à 130), la
Constitution du 24 juin 1960 avant 1974 (art. 20 à 64), de l’Acte constitutionnel de transition du 9 avril 1994
articles 37 à 102), de la Constitution de la transition du 4 avril 2003 ( art. 64 à 153) et de la Constitution du 18
février 2006 (art. 68 à 164).
816
Voy. nos abondants développements sur la prééminence du chef de l’Etat sur les autres organes étatiques.
817
L’on se rappellera des nominations discrétionnaires et de l’exercice dépendant de leurs attributions des
députés et des magistrats tant assis que debout autant sous MOBUTU SESE SEKO que sous Laurent Désiré
KABILA.
220

à la fraude des dispositions constitutionnelles tant il est vrai que leurs compétences
sont sans limites et leur tentation de concentrer tous les pouvoirs, sans obstacles.
Sans doute, l’on pourrait évoquer l’indépendance décrétée par
l’actuelle Constitution qui confie la gestion du pouvoir judiciaire au CSM818 sans
beaucoup convaincre, mais quelle garantie d’indépendance peut être accordée au
pouvoir de nomination et de révocation du magistrat confié au chef de l’Etat819 même
si l’organe de gestion du pouvoir judiciaire lui sert de béquille ? Il y a lieu de
continuer à parier dur pour que le souci d’une véritable justice indépendante ne soit
plus qu’un slogan.
La plus grave lacune apparaît lorsque l’organe chargé de contrôle de la
constitutionnalité des lois et actes ayant force des lois ne nous paraît être qu’une
institution politique dont la nomination des membres relève du président de la
République820, à raison de trois sur sa propre initiative, trois sur celle du parlement,
complètement acquis à sa seule cause, et trois autres, sur proposition du CSM, dont
on sait que les membres sont en majorité nommés par le chef de l’Etat à titre de chefs
de juridictions et offices. Et, en considérant que c’est la même juridiction qui est juge
pénal du chef de l’Etat et du premier ministre821, à condition d’avoir été mis en
accusation par le parlement822, nous ne sommes pas loin de penser que la mise en jeu
de la responsabilité de ces personnalités ne dépendrait que d’elles-mêmes.

C. L’inexistence de la protection des droits humains

Outre le manque de culture politique, la crise économique consécutive à


la carence de bonne gouvernance qui caractérise les dirigeants africains constitue, en
RDC comme dans d’autres pays africains, l’un des défis majeurs dans l’établissement
et la consolidation du constitutionalisme et de la démocratie. Beaucoup d’auteurs
sont d’avis que la jouissance concomitante des droits de la première, de la deuxième
et de la troisième générations par les peuples africains contribuerait fortement à
asseoir la démocratie en Afrique823.

818
Art. 152, al. 1 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 52.
819
Art. 82, al. 1 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 31.
820
Art. 158, al. 1 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 55.
821
Art. 162, al. 1 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 56.
822
Art. 166, al. 1 et 2 de la Constitution du 18 février 2006, JO, op. cit., p. 58.
823
BAKER, P.H., “Reflections on the Economic Correlates of African Democracy” , in RONEN, D. (ed.),
Democracy and Pluralism in Africa, Boulder & London, Lynne Rienner Publishers, 1986, pp. 53-60; ILUNGA
KABONGO, “Democracy in Africa: Hopes and Prospects”, in RONEN, D. (ed.), Democracy and Pluralism…,
op. cit., pp. 35-39; WISEMAN, J.A. (ed.), Democracy in Black Africa. Survival and Revival, New York, Paragon
House Publishers, 1990, p. 182; FRANKLIN, D.P. & BAUN, M.J., « Conclusions », in FRANKLIN, D.P. &
BAUN, M.J. (eds), Political Culture and Constitutionalism. A Comparative Approach, Armonk, New York,
London, M.E. Sharpe, 1994, p. 227; CLAPHAM, C. & WISEMAN, J.A., “Conclusion: assessing the prospects
for the consolidation of democracy in Africa”, in WISEMAN, J.A. (ed.), Democracy and Political…, op. cit., p.
227; BANGURA, Y., “Authoritarian Rule and Democracy in Africa: A Theoretical Discourse”, in
NYANG’ORO, J.E. (ed.), Discourses on Democracy…, op. cit., pp. 101-120; SANDBROOK, R., « Liberal
Democracy in Africa: A Socialist-Revisionist Perspective”, in NYANG’ORO, J.E. (ed.), Discourses on
Democracy…, op. cit., pp. 140-141; NZONGOLA NTALAJA, G. & LEE, M. (eds.), The State and
Democracy…, op. cit., pp. 19 et 22; BRAUTIAM, D., “The Mauritius Miracle: Democracy, Institutions, and
Economic Policy”, in Joseph, R. (ed.), State, Conflict…, op. cit., pp. 137-162; OLUKOSHI, A., “State, Conflict,
221

La promotion et la protection effective des droits de la personne


humaine sont donc le baromètre même du test d’existence de constitutionnalisme
contenu dans un Etat de droit. Si la promotion, qui consiste à reconnaître un certain
nombre des droits à travers des textes de haute portée juridique comme la
Constitution, ne semble pas poser problème dans l’arsenal constitutionnel congolais
dans lequel un mouvement toujours croissant semble se dessiner824, la protection
effective de ces droits tarde à prendre corps.

Depuis l’accession à l’indépendance, la reconnaissance des droits de


l’homme au Congo a été faite dans l’indifférence presque totale du débat auquel
donnent lieu, par exemple, les instruments onusiens qui distinguent les droits selon
les générations. C’est d’ailleurs pour cela que les droits civils et politiques dits de la
première génération825 et les droits économiques, sociaux et culturels dits de la
deuxième génération826 font l’objet des instruments bien distincts.
La législation congolaise en la matière est d’ailleurs restée muette sur
pareil débat jusqu’au dernier texte constitutionnel828 dans lequel le constituant a
827

finalement pris la peine de regrouper les droits fondamentaux en trois générations :

and Democracy in Africa: The Complex Process of Renewal” in JOSEPH, R. (ed.), State, Conflict…, op. cit. pp.
460-462.
824
Si dans la Loi fondamentale du 17 juin 1960 relatives aux libertés publiques, le colonisateur belge n’a eu
recours qu’à seize dispositions (art. 2 à 17) pour consacrer les libertés publiques. Par rapport au constituant de
1964 qui sembla davantage se préoccuper de la protection des droits fondamentaux en consacrant trente-trois
dispositions à leur promotion (art. 13 à 45), que le régime de MOBUTU SESE SEKO privilégia la tendance de
les maintenir en baisse avec quatorze dispositions dans la Constitution du 24 juin 1967 (art. 5 à 18), quinze dans
la fameuse « révision » du 15 août 1974 (art. 12 à 26), vingt dans la loi du 15 février 1978 destinée à « permettre
au peuple de s’exprimer démocratiquement » (art. 12 à 31), que même l’Acte constitutionnel de la transition du 9
avril 1994, qui avait la prétention de conduire le pays vers une « troisième République véritablement
démocratique » n’y consacre que vingt-huit dispositions (art. 9 à 36), la Constitution de la transition du 4 avril
2003 avant la Constitution du 18 février 2006 vient combler l’absence scandaleuse de la déclaration des droits
dans le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997.
825
C’est le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, entré en vigueur le 23
mars 1976, JO, 40ème année, Kinshasa, numéro spécial, avril 1999, pp. 21-35 ainsi que le Protocole facultatif s’y
rapportant, JO, 40ème année, Kinshasa, numéro spécial, avril 1999, pp. 36-38.
826
Les droits économiques, sociaux et culturels, eux, sont réglementés dans le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels de la même date, entré en vigueur le 3 janvier 1976, JO, 40ème année,
Kinshasa, numéro spécial, avril 1999, pp. 12-20.
827
Depuis la Loi fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques, MC, 1er année, Léopoldville, n°
22 du 24 juin 1960, pp. 390-394 jusqu’à la Constitution de la transition de la République Démocratique du
Congo du 04 avril 2003, JO, 44ème année, Kinshasa, numéro spécial, 5 avril 2003, pp. 7-63 en passant par la
Constitution de la République Démocratique du Congo du 1 er août 1964, MC, 5ème année, Léopoldville, numéro
spécial du 1er août 1964, pp. 6-11; la Constitution de la République Démocratique du Congo du 24 juin 1967,
MC, 8ème année, Kinshasa, n° 14 du 17 juillet 1967, pp. 565-567 et l’ Acte constitutionnel de la transition de la
République du Zaïre du 09 avril 1994, JO, 35ème année, Kinshasa, numéro spécial, avril 1994, pp. 13-23, le
constituant congolais n’a fait aucune distinction explicite parmi les droits de l’homme qu’il a pu promouvoir
jusque-là.
828
La Constitution de la RDC du 18 février 2006, JO., 47ème année, Kinshasa, numéro spécial du 18 février 2006,
pp. 13-25, par contre, distingue ces trois catégories.
222

droits civils et politiques829 ; droits économiques, sociaux et culturels830 ; droits


collectifs831.

Malgré ce manque de précisions, il faut noter que dans l’état actuel de


la législation dans le monde, le problème des droits et de la protection des gouvernés
contre l’arbitraire des gouvernants se trouve être parmi les plus importants du droit
constitutionnel. Nous l’avons déjà souligné, le terme « démocratie » ne doit pas être
compris dans son sens le plus étroit de multipartisme et d’élections libres. Des
changements espérés doivent être opérés sur le plan tant politique qu’économique.

En effet, le dernier texte constitutionnel en vigueur nous parait plus


complet dans la promotion des droits de l’homme dans la mesure où elle édicte non
seulement les droits de la première génération, les droits civils et politiques832, elle
consacre également ceux de la deuxième et de la troisième génération, les droits
économiques, sociaux et culturels833 ainsi que les droits communautaires834. Elle est
même allée jusqu’à consacrer des devoirs du citoyen congolais835.

Comme on le voit, le constituant a finalement entendu promouvoir


autant les droits individuels que les droits collectifs, ceux des groupes ou des
peuples. Bien entendu que toutes ces déclarations peuvent être les plus complètes
possibles, mais il demeure que l’essentiel des exigences du constitutionnalisme
consiste en la protection effective de tous ces droits.

Les deux derniers textes constitutionnels semblent représenter une


grande garantie de protection des libertés. Outre le nombre des dispositions
consacrées à cette matière836, ces Constitutions se distinguent par la consécration de
plusieurs droits nouveaux. Outre des droits reconnus en faveur des personnes
gardées à vue, elles ont l’avantage de rendre enfin opérationnel le droit de toute
personne poursuivie en justice de se faire assister par un avocat ou un défenseur
judiciaire de son choix « à tous les niveaux de la procédure pénale, y compris
l’enquête policière et l’instruction préjuridictionnelle »837. Le dernier texte ajoute

829
Art. 11 à 33 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006, JO, op. cit., pp.13-19.
830
Art. 34-49 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006, JO, op. cit., pp. 19-23.
831
Art. 50-61 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006, JO, op. cit., pp.23-25.
832
Art.11 à 33 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006, JO, op. cit. pp. 12-18.
833
Art. 34 à 49, idem, pp. 19-23.
834
Art. 50 à 61, idem, pp. 23-25.
835
Art. 62 à 67, idem, p. 26.
836
Art. 15 à 63 de la Constitution de la transition du 04 avril 2003, JO, 44ème année, Kinshasa, numéro spécial, 5
avril 2003, pp. 7-17 et art. 11 à 67 de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février
2006, JO, op. cit., pp. 13-26.
837
Ce droit aussi clairement précisé dans le texte constitutionnel de la transition (art. 21) et dans le texte
constitutionnel définitif (art. 19, alinéa 4) contrairement aux textes précédents, qui renvoyaient les modalités de
l’exercice de ce droit à leur détermination par une loi, consacre la fin des abus de tout bord perpétré au niveau
de la police et même du Parquet où, au nom du secret de l’instruction préjuridictionnelle mal compris, les
officiers de police judiciaire, inspecteurs judiciaires et même certains officiers du Ministère public ne toléraient
pas « l’immixtion » des Conseils à l’instruction, méfiance sans doute justifiée par le souci de certains
instructeurs « d’opérer » loin des yeux indiscrets des avertis des procédures légales.
223

« également devant les services de sécurité »838, dont tout le monde connaît l’apport
négatif dans la protection des droits de l’homme839.

Parmi des droits nouveaux introduits par ces textes, on peut, à titre
exemplatif, citer le droit de refus d’exécution d’ordre manifestement illégal840, les
droits reconnus en faveur de l’enfant841, de la femme842 ainsi que des personnes du
troisième âge et celles vivant avec handicap843. L’exercice de certains droits comme
ceux reconnus en faveur des personnes gardées à vue ou des personnes détenues
devant le Parquet et ses branchements est conditionné par la connaissance par les
bénéficiaires de leurs droits aux fins de s’en prévaloir.

Ce niveau de promotion des droits de l’homme démontre certes le souci


du constituant congolais d’accorder des garanties suffisantes à la meilleure
protection de ces droits. Mais cela suffit-il pour en assurer une protection efficace
lorsque l’on sait que l’un des piliers, si pas le plus important, de ses mécanismes,
l’indépendance annoncée de l’autorité juridictionnelle, continue de battre de l’aile ?

Malgré les efforts déployés par les organisations de défense des droits
de l’homme, la majorité de la population demeure encore analphabète et ignorante
de ses droits. Par contre, des efforts sont entrepris grâce à des pressions de la
communauté internationale pour que la femme retrouve sa place dans les institutions
nationales, provinciales et locales et participe effectivement à des activités
auxquelles, il y a belle lurette, elle n’avait même pas voix au chapitre844.

Comme pour exorciser le démon de la violation des droits humains qui


semblait régner sur le pays depuis l’indépendance, le pouvoir de la transition de Sun

838
Art. 19, al. 5 de la Constitution de la République Démocratique du Congo, JO, op. cit., p. 16.
839
Dans la pratique les « services secrets » continuent de résister à voir les avocats se mêler de leur champ
d’investigation et fouiner leur nez dans les tracasseries auxquelles ils continuent de soumettre ceux qui oseraient
se targuer d’avoir égard à la « sécurité politique » de leurs commanditaires.
840
Art. 25 de la Constitution de la transition du 04 avril 2003, JO, op. cit., p. 10 et art. 28 de la Constitution de la
République Démocratique du Congo, JO, op. cit p. 17.
841
Art. 44 et 46 de la Constitution de la transition du 04 avril 2003, JO, op. cit., pp. 14-15 et art. 41 et 42 de la
Constitution de la République Démocratique du Congo, JO, op. cit p. 21.
842
Article 51 de la Constitution de la transition du 04 avril 2003, JO, op. cit., p. 15 et art. 14 de la Constitution
de la République Démocratique du Congo, JO, op. cit., pp. 13-14.
843
Art. 49 de la Constitution de la République Démocratique du Congo, JO, op. cit., p. 23.
844
En attendant de signer et de ratifier le Protocole à la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples,
relatif aux droits de la femme adopté le 11 juillet 2003 à la deuxième session ordinaire de la Conférence de
l’Union Africaine tenue à Maputo (Mozambique), qui prévoit la participation paritaire des femmes dans la vie de
leurs pays, notamment au processus politique et à la prise de décision, la RDC est néanmoins membre à la
Convention de la SADC sur les droits de la femme qui préconise le quota de 30% dans la participation aux
institutions. C’est ainsi que des dispositions ont été prises pour assurer la représentation significative de la
femme tout au moins dans toutes les institutions d’appui à la démocratie. Si l’on s’en tient à la Déclaration
solennelle sur l’égalité entre les hommes et les femmes en Afrique faite à la troisième session de la Conférence
de l’Union Africaine tenue à Addis-Abeba (Ethiopie) du 6 au 8 juillet 2004, dans laquelle les chefs d’Etat et de
gouvernements de l’Union s’engagent à signer et à ratifier ce Protocole « d’ici à la fin de 2004 » et d’assurer son
entrée en vigueur avant fin 2005, on serait tenté de croire à une véritable révolution imminente en faveur de la
femme africaine en général et congolaise en particulier. Dommage que la parité homme - femme consacrée par
les dispositions de l’alinéa 5 de l’article 14 de la Constitution du 18 février 2006 ne soit pas suivie d’une loi
d’application susceptible de faciliter sa mise en œuvre.
224

City avait voulu combler la carence manifeste du pouvoir judiciaire découlant de son
impuissance congénitale dans le domaine par l’institution de l’Observatoire national
des droits de l’homme845. Organisme de droit public congolais, l’ONDH était chargé
de la promotion et de la protection des droits de l’homme conformément aux
instruments juridiques nationaux et internationaux846.

Ses nombreuses attributions étaient susceptibles de jouer un rôle de


premier plan dans la défense des droits de l’homme847. C’est dans ce cadre que cette
institution a été amenée à relancer le procureur de la Cour pénale internationale en
vue de mener des investigations relatives aux violations massives des droits de
l’homme en République Démocratique du Congo depuis le 2 juillet 2002. Mal en prit
au constituant congolais qui s’empressa de faire disparaître un organe dont aucune
importance ne sembla retenir son attention848.

Il convient également de retenir que le pluralisme politique et syndical


prôné par la Constitution, la liberté effective d’association et d’expression, le libre
accès aux médias et la liberté de l’information permettent aux partis politiques et
autres organisations syndicales ainsi qu’aux organisations de défense des droits de
l’homme et aux entreprises de presse de jouer un rôle-clé dans la protection des
droits de l’homme.

Au sens général, toutes les dispositions d’une Constitution sont à la


limite des « garanties », qu’il s’agisse de celles qui déclarent les droits ou de celles qui
concernent le contrôle de constitutionnalité ou encore celles qui séparent les
pouvoirs. Plus précisément, assurer une garantie des droits, c’est prévenir et
réprimer la violation, c’est attacher des sûretés à leur exercice, c’est prévoir des
sanctions en cas de leur transgression, comme le note Elizabeth Zoller849.

Aussi, l’efficacité des garanties judiciaires peut être renforcée par les
garanties politiques, dont la plus importante est le bulletin de vote unanimement
considéré comme la meilleure police d’assurance contre l’oppression. C’est
l’expression concrète du principe de la souveraineté populaire au terme duquel le
pouvoir des gouvernants émane du consentement des gouvernés. Pour que les
gouvernements respectent les droits de l’homme, il n’est pas de meilleur moyen que

845
L’une des institutions d’appui à la démocratie prévue par la Résolution n° DIC/CHSC/08 du Dialogue
intercongolais, reprise dans l’Accord global et inclusif, Point V, voy. JO, n° spécial, 5 avril 2003, p. 54 et mise
en place par l’art. 154 de la Constitution de la transition en vue de « promouvoir et de protéger les droits de
l’homme » (art. 155, quatrième trait), l’ONDH était organisé et fonctionnait conformément à la loi n° 04/019 du
30 juillet 2004.
846
C’est la mission que lui conféraient les dispositions de l’art. 5 de la loi n° 04/019 du 30 juillet 2004.
847
Les nombreuses attributions que lui reconnaissaient les dispositions de l’article 7 de sa loi organique
l’amenaient autant à influer sur la conduite des autres institutions publiques à l’égard des droits de la personne
humaine qu’à renforcer les capacités d’intervention des organisations de défense des droits de l’homme.
848
Parmi les institutions d’appui à la démocratie instituées par le pouvoir de la transition, seules deux
échappèrent aux ciseaux du nouveau constituant ; il s’agit de la Commission Electorale Indépendante (CEI) à
travers la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) créée par l’art. 211 de la Constitution du 18
février 2006 et de la Haute Autorité des Médias (HAM) à travers le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la
Communication (CSAC) créé par l’art. 212 de la Constitution du 18 février 2006.
849
ZOLLER, E., Droit constitutionnel, 2ème éd., Paris, PUF, 1999, p. 497.
225

de faire en sorte qu’ils soient investis (et le cas échéant désinvestis) du pouvoir qu’ils
exercent par les titulaires de ces droits.

L’importance du droit de vote qui a longtemps tardé à devenir réalité


en République Démocratique du Congo à cause des nombreux écueils850 sur le
processus électoral n’est donc plus à démontrer dans la protection des droits de la
personne humaine à cause de la sanction latente certes, mais efficace qui peut
résulter de l’exerce libre, transparent et démocratique de ce droit.

Puisque la véritable protection des droits de l’homme continue de


tarder à prendre corps, il est dès lors impossible d’affirmer que le
constitutionnalisme est effectif en République Démocratique du Congo. Cet écueil est
pour beaucoup dans la persistance de la fraude constitutionnelle dans le chef des
dirigeants du pays.

Même si la tendance dans l’élaboration des textes constitutionnels au


Congo est en voie d’aller dans la bonne direction, peut-on affirmer que la
Constitution, comme instrument de base de l’organisation du pouvoir, a fini par
gagner droit de cité en RDC ?

§3. La carence de protection de la Constitution

De part leur origine située dans le peuple, souverain primaire, les


normes constitutionnelles doivent être suprêmes. La suprématie de la Constitution
consiste en ce que les normes constitutionnelles puissent prévaloir sur toutes les
autres règles de droit édictées dans le pays et que ces dernières ne tirent leur force
que de leur conformité à la Constitution. Les principes de subordination et de
cohérence se conjuguent pour imposer la primauté absolue, sur toutes les autres
règles juridiques de droit interne, du pacte qui établit le statut du pouvoir dans l’Etat.
Nous sommes d’accord avec Charles Debbasch, Jean Marie Pontier,
Jacques Bourdin et Jean Claude Ricci lorsqu’ils vont plus loin pour considérer qu’en
raison de la souveraineté des Etats, la supériorité de la Constitution demeure
inconditionnelle même dans l’ordre international, sous réserve de la mise en jeu de la
responsabilité internationale de l’Etat pour violation éventuelle, par son droit interne,
fût-il constitutionnel, des règles ou principes du droit international851.
Affirmer la suprématie de la Constitution sur les autres règles
juridiques ne va pas sans que certains mécanismes de contrôle soient mis en œuvre
pour que soit assurée la conformité de celles-ci à celles-là, et qu’ainsi le principe de la
suprématie de la Constitution ne demeure pas lettre morte. Il est ainsi indispensable
d’assurer un contrôle de la constitutionnalité des règles et des actes juridiques.

850
Ces écueils sont tantôt d’ordre législatif à cause du retard pris dans l’élaboration des lois essentielles à la
tenue des élections, tantôt d’ordre matériel ou d’ordre sécuritaire.
851
DEBBASCH, C. et alii, Droit constitutionnel…, op. cit., p. 92.
226

Afin d’y voir un peu plus clair, il convient d’énoncer le principe de


constitutionnalité des lois et actes juridiques avant d’examiner son applicabilité
concrète sur la scène juridique congolaise.

A. Le principe de constitutionnalité des lois et actes juridiques

Pris comme le résultat de la transcription progressive en termes de


droit d’un ensemble de revendications politiques dans une société à un moment
donné, la Constitution apparaît être un document qui protège l’individu contre
l’arbitraire du pouvoir. C’est dans ce sens que l’article 16 de la Déclaration des
Droits de l’Homme et du Citoyen précise que : « Toute société dans laquelle la
garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a
pas de constitution ». Il résulte de cette considération que l’Etat de droit est celui
dans lequel gouvernants comme gouvernés sont soumis au droit, particulièrement à
la Constitution.

Cette assertion débouche sur le principe de constitutionnalité852 qui


donne à la Constitution une portée considérable. En effet, ce nouveau principe, qui
rejoint celui de légalité853, se rattache à l’existence d’une justice constitutionnelle qui,
seule, fait des normes constitutionnelles des normes juridiquement obligatoires et
véritables règles de droit, renfermant une sanction sans laquelle, la Constitution ne
serait qu’un programme politique, à la rigueur obligatoire moralement, un simple
recueil.

Concrètement, le principe de constitutionnalité consacre la suprématie


des règles constitutionnelles à l’égard des actes infra-constitutionnels. Il impose ainsi
le respect de la Constitution non seulement aux actes législatifs mais aussi à tous les
actes infra-constitutionnels et même infra-législatifs, c’est-à-dire aux actes des
autorités gouvernementales, administratives et juridictionnelles. Cette suprématie
serait un vain mot si les lois constitutionnelles pouvaient être impunément violées
par les organes de l’Etat.

Il en découle que le contrôle de constitutionnalité, qui est l’un des


moyens principaux de faire respecter le principe de constitutionnalité, n’est pas

852
L’expression est utilisée pour la première fois par Charles EISENMANN en 1928 dans sa thèse et est adoptée
par FAVOREU, L. et alii, Droit constitutionnel, 2ème édition, Paris, Dalloz, 1999, p. 141. Le contrôle de
constitutionnalité consiste en la vérification de la conformité des lois et actes ayant force de lois à la
Constitution. Le principe de constitutionnalité, nouveau à beaucoup d’égards dans le langage juridique, a fini par
prendre, en droit constitutionnel moderne, la place jusque-là occupé par le principe de légalité, relégué au
langage de droit administratif. Sur l’évolution du premier concept par rapport au second et la nécessité pour les
constitutionnalistes d’utiliser un vocabulaire correspondant aux nouveaux concepts de droit constitutionnel
moderne, voy. FAVOREU, L., « Légalité et constitutionnalité », op. cit. ; « Le droit constitutionnel, droit de la
Constitution et constitution du droit », op. cit. ; voy. également ZOLLER, E., « L’enseignement du droit public
après la réforme universitaire de 1997 », D. Chr., 1998.
853
Le principe de la légalité consacre le fait que seule la loi peut déroger à la loi. Le contrôle de la légalité
implique la vérification de la conformité des actes administratifs aux textes de lois.
227

forcément un contrôle de constitutionnalité des lois854, il peut être, et il l’est même le


plus souvent, un contrôle de constitutionnalité des actes administratifs et surtout des
actes juridictionnels855. Le principe de la constitutionnalité doit être affirmé à travers
les textes constitutionnels en même temps qu’il doit consacrer la suprématie tant
matérielle que formelle des lois constitutionnelles. Pour rappel, il convient de retenir
que la suprématie formelle garantit la suprématie matérielle car, celle-ci n’est pas
efficacement garantie lorsque le législateur ordinaire peut modifier la Constitution en
suivant les règles prévues pour l’élaboration des simples lois.

Mais lorsque sont prévues des procédures spéciales d’élaboration et de


modification, il n’est plus possible de réviser la Constitution par une simple loi. La
suprématie matérielle de la Constitution est alors renforcée par la suprématie
formelle856, même si à travers ces procédures des abus de toute sorte peuvent être
commis par le constituant.

C’est en effet à travers la modification, même jugée conforme aux règles


formelles, de la Constitution que les tenants du pouvoir ont la possibilité de flouer
l’opinion pour opérer des changements quelquefois profonds dans l’organisation et
même dans la conception de leur pouvoir.

B. L’applicabilité du principe sur la scène juridique congolaise

Il ne suffit pas d’affirmer le principe de constitutionnalité dans les


textes constitutionnels, il importe que le principe de contrôle de constitutionnalité,
qui en est le levain, soit applicable. En effet le contrôle de constitutionnalité est la
conséquence logique de la hiérarchie des normes dans l’ordre juridique. La
concrétisation de son admission en droit congolais se heurte cependant à des écueils
gigantesques qui en annihilent la consistance.
A la suite de tous les textes constitutionnels antérieurs, la Constitution
du 18 février 2006 affirme sans ambages la nécessité d’un contrôle de
constitutionnalité dont elle attribue la compétence à la Cour constitutionnelle857.
Cependant, ce n’est ni l’antériorité et la postériorité du contrôle de conformité
prescrites par ce texte, ni les détails donnés sur la composition de la Cour, qui en est
chargée, qui octroieront l’effectivité du contrôle de constitutionnalité au système
juridique congolais. Il y a plus.

854
FAVOREU, L. et alii, Droit constitutionnel, op. cit., p. 146 considère qu’il en est ainsi de la conception
française.
855
C’est plutôt le cas en Allemagne et en Espagne.
856
KAMUKUNY MUKINAY, A., De l’effectivité du contrôle des actes des gouvernants en République
Démocratique du Congo, Mémoire de DES, Faculté de Droit, Université de Kinshasa, 2002-2003, p. 9.
857
Aux termes de l’art. 160, alinéa 1, de la Constitution de la République Démocratique du Congo, JO, 47ème
année, Kinshasa, numéro spécial du 18 février 2006, p. 55, « La Cour constitutionnelle est chargée du contrôle
de la constitutionnalité des lois et actes ayant force de loi ».
228

Lorsque l’on se rappelle les dispositions constitutionnelles


antérieures858 restées lettres mortes sur la création effective, l’organisation et le
fonctionnement d’une Cour constitutionnelle au Congo, il y a lieu de demeurer
sceptiques sur l’existence effective de l’organe chargé du contrôle de
constitutionnalité qui demeure en fait une épée de Damoclès sur la tête des
dirigeants politiques.

Même si cette fois-ci l’environnement politique semble plus propice à


la faisabilité de la création d’une pareille cour859, l’existence seule de pareille
institution ne garantit en rien son fonctionnement harmonieux. Bien plus encore, les
mêmes causes produisant les mêmes effets, ce n’est sûrement pas la loi antérieure sur
l’organisation de ce contrôle860 dont les observateurs avertis n’ont cessé de dénoncer
le déficit qui amènerait la machine à contrôle à se mettre en route, encore moins le
silence habituel connu du législateur congolais à prendre les lois d’application861 qui
changerait la donne.
Il existe à cet effet un avantage certain dans la Constitution du 18
février 2006 qui est susceptible de favoriser enfin l’éclosion de l’effectivité du
contrôle de constitutionnalité grâce à la compétence862 qu’elle reconnaît désormais à
toute personne de « saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout
acte législatif ou réglementaire »863. Il va sans dire que le demandeur en
inconstitutionnalité devra prouver son intérêt dans ladite action afin de démontrer la
recevabilité de sa demande. Mais cela est une deuxième paire de manches devant
laquelle la nouveauté de la procédure impose respect et considération. Mais en
attendant, l’absence de contrôle de constitutionnalité que semble consacrer
l’impossibilité du fonctionnement effectif de ses modalités à travers la vie politique et
juridique du Congo a des conséquences néfastes non seulement sur l’attitude des
gouvernants eux-mêmes, mais aussi sur la crédibilité et la légitimité des institutions
et surtout sur la sécurité juridique des populations. La conséquence de cette absence
de contrôle est certainement la sommation importante des violations massives des
droits et libertés des citoyens et l’impossibilité par eux de les faire valoir contre les
organes de l’Etat qui les enfreignent à leur détriment.

858
Les art. 226 à 229 de la Loi fondamentale relative aux structures du Congo, art. 165 à 169 de la Constitution
du 1er août 1964 et les art. 70 à 73 de la Constitution du 24 juin 1967 n’ont jamais été suivies des lois
d’application susceptibles de mettre en vigueur la volonté du constituant.
859
Un programme ambitieux des bailleurs des fonds et autres partenaires en développement est à pied d’œuvre
afin d’amener la Commission Permanente de Réforme du Droit congolais (CPRDC) à rédiger un avant-projet de
loi portant organisation et fonctionnement de chacune des nouvelles juridictions découlant de l’éclatement de la
Cour suprême de justice ; il s’agit de la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat.
860
L’OL n° 82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour suprême de justice, JO, 23ème année,
n° 7 du 1er avril 1982, p.11 a été inopérante quant à ce.
861
L’alinéa 5 de l’art. 161 de la Constitution du 18 février 2006 renvoie la détermination des modalités de ce
contrôle à une loi.
862
La législation antérieure consacre la compétence exclusive du Procureur général de la République en matière
de demande en inconstitutionnalité des lois et actes ayant force de loi.
863
C’est ce qui ressort des dispositions des alinéas 2 et 3 de l’article 162 de la Constitution du 18 février 2006.
229

Il est dès lors illogique, voire insensé que l’existence d’un papier baptisé
« Constitution » par ses promoteurs, généralement à l’insu et au détriment du
peuple, dont les dispositions sont rendues inapplicables par l’inefficacité d’un
contrôle simplement formel soit considéré comme un critère présageant
l’établissement d’un véritable constitutionnalisme dans le pays.

De là à voir la Constitution contribuer plutôt à la consolidation de la


fraude de ses propres normes, il n’y a qu’un pas que les dirigeants politiques
congolais n’ont jamais hésité à franchir sans aucune scrupule à travers les multiples
textes dits constitutionnels qu’ils se donnent et l’application biaisée de leurs normes.

§4. La méconnaissance des droits de la Constitution

Nous n’avons certes pas l’intention, dans le présent paragraphe,


d’examiner ni de procéder à l’inventaire des droits consignés dans la Constitution.
Indépendamment de son contenu, la Constitution, en tant qu’instrument par
excellence de légitimation et de limitation des pouvoirs des gouvernants, doit
bénéficier de certains droits qui puissent lui permettre de rendre son contenu
applicable.

Parmi les droits dont doit jouir la Constitution, en tant que texte
fondamental, en vue de rendre ses dispositions effectives, deux méritent une
attention particulière : il s’agit d’abord du droit de la Constitution d’être connue de
ses destinataires, ensuite du droit de la Constitution d’être respectée.

A. Le droit de la Constitution d‘être connue de ses destinataires

Pour qu’une Constitution soit appliquée, la présence et le


fonctionnement effectif d’une justice constitutionnelle sont évidemment
nécessaires864. Cependant il est indispensable que les destinataires de la Constitution
la connaissent et sachent utiliser, à bon escient, d’innombrables moyens que celle-ci
détient en matière de protection des droits fondamentaux. Le droit de la Constitution
d’être vulgarisée auprès de ses destinataires implique les moyens à être déployés par
chaque Etat pour faire connaître le texte constitutionnel à sa population.

Lorsque l’on sait qu’en Afrique en général et au Congo en particulier,


les gouvernants ont tendance à garder par devers eux la « magie » de la connaissance
exclusive des dispositions constitutionnelles afin de mieux justifier leur ascendance
sur le reste de la population, l’on peut justement se demander quels moyens l’Etat
africain, détenu en propriété privée par la caste politique, peut bien disponibiliser
pour faire connaître la Constitution à la population. Bien pire encore, l’élite politique
africaine a-t-elle intérêt à faire connaître à la population méprisée que celle-ci est la
source du pouvoir étatique ?
864
Dans son analyse sur l’Etat de droit au Gabon, ROSSATANGA-RIGNAULT, G., « La Cour
constitutionnelle : pierre d’angle de l’Etat de droit au Gabon », Revue belge de Droit international et de droit
comparé, 1998, p. 274, écrit : « La Cour peut être effectivement être considérée comme la pierre sans laquelle
l’édifice de l’Etat de droit au Gabon serait inconsistant ».
230

Pour Evariste Boshab, la tentative de réponses à ce questionnement


ouvre trois autres interrogations865. D’abord, la langue de l’écriture de la Constitution
est-elle bien connue et bien comprise par la majorité de la population ? Ensuite,
l’enseignement du droit constitutionnel tel qu’il est conçu et dispensé en Afrique
noire, et particulièrement en RDC, permet-il à ceux qui l’ont suivi d’exploiter les
richesses « enfouies » dans la Constitution ? Enfin, les praticiens du droit,
spécialement les magistrats et avocats, font-ils suffisamment appel à la Constitution
en vue de se l’approprier dans la résolution des conflits gérés par eux, pour en faire,
de manière non équivoque, la norme des normes ?

1. L’inaccessibilité de la langue de l’écriture des Constitutions congolaises

Malgré la colonisation du pays par les flamands et wallons belges, la langue officielle
du Congo a toujours été le français. C’est d’ailleurs fièrement que les Congolais se
vantent d’habiter le plus grand pays francophone du monde après la France. Si cette
assertion demeure vraie uniquement en se contentant de compter le nombre des
habitants dont regorge le pays, cette affirmation devient difficile à soutenir lorsqu’il
est question de déterminer combien des membres de cette population maîtrisent les
subtilités de la langue française. Le degré d’analphabétisation atteint par les
Congolais et la baisse du niveau de l’enseignement, qui se donne généralement en
français, nous amène à revoir ces prétentions à la baisse.

De la Loi fondamentale du 19 mai 1960 à la Constitution du 18 février


2006 en passant par la Constitution du 1er août 1964, la Constitution du 24 juin 1967
et ses multiples « révisions », sans omettre l’Acte constitutionnel de la transition du 9
avril 1994, le Décret-loi constitutionnel du 27 mai 1997 et la Constitution de la
transition du 4 avril 2003, le constituant congolais s’est exprimé en français, langue
officielle.

Malgré la cohabitation informelle entre le français, les quatre langues


nationales, le lingala, le kikongo, le swahili et le tshiluba ainsi que des centaines des
langues vernaculaires, la maîtrise de la langue de l’écriture d’une Constitution est
importante dans la compréhension du texte. Or, il est connu que la très grande
majorité de la population congolaise ne comprend même pas cette langue. Pire
encore, parmi ceux qui sont censés la connaître, la parler et l’écrire, le vocabulaire
technique utilisé n’est pas à la hauteur du niveau d’études de la plupart d’entre eux.

Certes la traduction du texte dans les langues dites nationales ou


régionales peut s’avérer d’une certaine utilité afin de porter le message à un plus
grand nombre. Cependant, avec la pauvreté de ces langues, il y a lieu de douter que
la traduction reproduise la fidélité des termes de la langue d’écriture. L’on a vécu les
difficultés de cette expérience avec la traduction tentée par certaines ONG pour

865
BOSHAB, E., « Les droits de la Constitution en Afrique subsaharienne » …, op. cit., p. 74 voit se dessiner
trois axes lorsque l’on tente de répondre à ces questions.
231

besoin de vulgarisation du projet de Constitution soumis au référendum populaire


en décembre 2005866. D’une part, les termes utilisés dans une même langue diffèrent
d’une région à l’autre, rendant ainsi la tâche de traduction plus ardue autant que la
compréhension plus compliquée. D’autre part, même si au bout de gros efforts qui
seraient couronnés de succès de traduction, parmi les locuteurs des langues dites
nationales, seule une infime minorité aurait accès à l’écriture. Pis encore, il existe des
populations congolaises qui ne pratiquent aucune des langues parmi celles dites
nationales. Et comme les traducteurs en des multiples langues vernaculaires ne se
recrutent pas dans toutes les rues autant que les moyens pour y parvenir ne sont pas
toujours disponibles, il y a plus de chance que cette technique de traduction ne porte
pas de fruits dans la connaissance de la Constitution par la population.
Il est donc un fait incontestable que, comme en 1960867, la Constitution
semble être en passe de demeurer, en général, même en 2007, une donne non
seulement inconnue, mais également sans racine dans la population qu’elle est
appelée à régir. Avant comme après, les dirigeants tant au pouvoir que ceux dans
l’opposition ne semblent pas se préoccuper de l’obligation qui leur incombe de
trouver des voies et moyens susceptibles de faciliter la vulgarisation la Constitution
auprès du souverain primaire868.

En définitive, nous pensons que la connaissance du texte de la


Constitution dépend donc essentiellement de la volonté politique des gouvernants,
la langue de l’écriture ne pouvant s’ériger en barrière infranchissable. Il suffit de se
rappeler d’énormes moyens mobilisés par l’Etat en faveur des « experts » du parti-
Etat pour expliquer à la population la politique de recours à l’authenticité869 ou des
cadres de l’AFDL pour expliquer la révolution paysanne et les changements de
mentalité prônés par les « révolutionnaires » venus de l’Est870, pour comprendre que
les moyens n’ont jamais fait défaut pour entreprendre une campagne sérieuse
d’explication de la Constitution à travers tout le pays.

Seulement, pareille campagne, de l’entendement des gouvernants


parait inopportune parce que les droits consignés dans la Constitution doivent servir
de simple ameublement en vue d’être à la mode du temps, et ne peuvent donc pas,
de ce fait, être opposables aux gouvernants871. Ainsi condamnée à ne pas connaître
ses droits consignés dans la Constitution, le peuple demeurerait éternellement docile

866
Certaines ONG internationales comme IFES, EISA… ont tenté de faire traduire en langues nationales le
projet de Constitution en vue de faciliter les campagnes d’éducation civique menées en appui à la CEI.
867
Déjà, à l’indépendance, lors du transfert des fonctions politiques de l’autorité coloniale vers une élite
congolaise urbaine vivant en rupture avec la masse paysanne, la majorité de la population ignorait que son sort
était entrain d’être scellé à travers la Loi fondamentale.
868
D’ailleurs, malgré le niveau de formation des Congolais à l’époque de l’indépendance, aucun parti politique,
aucun leader présent à la Table Ronde de Bruxelles, ne trouva nécessaire d’exiger la vulgarisation de la Loi
fondamentale, par ne fût-ce que sa traduction en langues nationales. La dénonciation est tirée de BOSHAB, E.,
« Les droits fondamentaux dans les nouvelles Constitutions africaines… », op. cit., p. 53.
869
A tous les niveaux de la territoriale, les « experts » ont été dépêchés même dans les villages les plus reculés
afin que chacun sache le sens du « mariage » entre MOBUTU et son peuple.
870
Les « écoles AFDL » ont été ouvertes partout à travers la RDC pour expliquer la révolution paysanne et les
changements de mentalité que l’AFDL entendait imposer.
871
C’est la conclusion à laquelle aboutit l’analyse d’Evariste BOSHAB, « Les droits de la Constitution en
Afrique subsaharienne », …, op. cit., p. 76.
232

et continuerait à chanter et à danser à l’honneur des dirigeants « désignés par Dieu »


en vue de régner sur lui.

c. Les tares de l’enseignement du droit constitutionnel

Le programme d’enseignement du droit constitutionnel dans les


universités congolaises se limite, dans la plupart des cas, à une étude divisée en deux
grandes parties : la théorie générale de l’Etat872 et l’analyse institutionnelle qui se
borne principalement aux institutions étrangères triées sur le modèle du bipartisme
britannique et américain, du multipartisme français et allemand ou belge ainsi que
certaines particularités tirées du monopartisme chinois ou russe d’avant l’implosion
de l’URSS.

L’étudiant de premier graduat est donc accueilli par une abondante et


languissante démonstration des théories sur la naissance de l’Etat et l’origine du
pouvoir qu’il subit, dans des conditions que nous nous réservons d’expliciter ici,
pendant toute l’année académique sans que la partie importante du droit
constitutionnel relative aux libertés publiques873 ne lui soit dispensée. En outre, la
partie consacrée à l’étude des institutions politiques étrangères lui est administrée
sans qu’aucun rapprochement par une quelconque comparaison directe ou indirecte
soit faite avec le droit national.

Il faut attendre le deuxième graduat pour voir l’étudiant découvrir,


comme un cours totalement nouveau, le droit constitutionnel congolais durant lequel
il n’a pas beaucoup de chances de découvrir les subtilités et les défaillances de la
Constitution de son pays, ni de découvrir les éventuelles richesses enfouies dans des
textes même octroyés. Pis encore, seuls ceux des étudiants, qui ont la chance de
tomber sur un professeur préoccupé de faire connaître la Constitution en vigueur, en
retiennent quelques bribes pourvu qu’ils aient le bonheur de terminer leurs études
avant qu’une révision ou plusieurs révisions ne viennent vider le sens sinon la
substance du texte d’origine874, bouleversant autant le soubassement philosophique
du régime que l’aménagement même des pouvoirs étatiques.

Ainsi donc, à l’issue de ses études de droit, un étudiant congolais


connaît, dans les détails, les conditions d’élaboration de la Constitution française du
4 octobre 1958 ; l’argumentation de la Cour suprême des USA dans l’affaire Marbury
c. Madison dans laquelle, en l’absence de dispositions constitutionnelles expresses, la
Cour affirma, dans cette décision rendue en 1803, son pouvoir de contrôler la
constitutionnalité des lois votées par le Congrès, le principe anglais du
« gouvernement de la majorité sous le contrôle de l’opposition avec l’arbitrage du

872
Sur cette notion, voy. notamment TROPER, M., « La théorie dans l’enseignement du droit constitutionnel »,
RDP, 1984, pp. 263-275.
873
Les libertés publiques constituent un cours à option intéressant une infime partie des étudiants.
874
Comme le soutient avec raison Evariste BOSHAB, « Les droits fondamentaux dans les nouvelles
Constitutions africaines… », op. cit., p. 53, à la différence des Constitutions occidentales qui ont le caractère de
permanence et, obéissent, souvent scrupuleusement aux règles préétablies pour subir des modifications, celles de
l’Afrique, ou tout au moins la plupart d’entre elles, vont fondre comme de la cire molle.
233

peuple britannique »… en ignorant presque tout de la Constitution qui régit son


pays.

Et pourtant, dans l’étude actuelle du droit constitutionnel, la


Constitution doit être le point de départ. Au fait, comme le souligne Carré de
Malberg875, faute d’une étude approfondie sur une Constitution en vigueur, le droit
constitutionnel ne pourrait se concevoir, car, soutient-il, la recherche des principes
constitutionnels ne peut avoir de sens que par rapport à des Constitutions positives.
Que peut donc représenter l’enseignement du droit constitutionnel dans un pays où
d’abord l’enseignement de cette branche importante du droit fait de la Constitution
positive la moindre de ses préoccupations et ensuite ceux qui seraient tentés
d’étudier le texte constitutionnel se trouve perpétuellement confrontés à des
changements brusques des Constitutions autant qu’à leur disparition cyclique ?
S’agissant particulièrement de la RDC, il y a ainsi lieu de comprendre la faiblesse de
l’enseignement du droit constitutionnel qui ne s’appuie ni sur la jurisprudence
constitutionnelle ni sur la Constitution existante.

Mais conçu donc dans la foulée de la constitutionnalisation de la


monarchie absolue consacrée par la loi du 15 août 1974, le programme du cours de
droit constitutionnel tend à faire de l’étudiant en droit un complice objectif de la
dictature dépourvu de tout esprit critique. Certes le droit étant, en réalité, une école
du conformisme, partout ailleurs, les études de droit, puisqu’elles ont pour base
l’acceptation sinon l’intériorisation des institutions établies, ne peuvent en principe
déboucher sur une révolution. Cependant l’ancien programme de cette discipline en
République du Zaïre méritait d’être réformé de manière à le conforter à la nouvelle
mentalité politique qui s’incruste de plus en plus dans l’esprit du plus grand nombre.

Mais suffit-il d’adapter le programme d’enseignement à la nouvelle


donne politique pour que l’enseignement du droit constitutionnel en sorte
ragaillardi ? La réponse devrait être nuancée.

Jusqu’il y a peu, comme dans la plupart des dictatures militaires


africaines, l’analyse institutionnelle au Zaïre passait pour une critique du pouvoir
établi, sinon un sabotage des autorités en place ; il faillait donc s’en abstenir au risque
de passer le reste de la vie dans les geôles du parti-Etat876.

Condamné à rester passif, l’esprit des chercheurs s’est ramolli et la


doctrine juridique congolaise, comme celle de la majorité des chercheurs africains, est
demeurée un parent pauvre en matière constitutionnelle. Il est bien vrai que les
conditions de recherche en Afrique noire autant que la condition sociale des
chercheurs continuent de servir de justification à l’attachement servile de l’élite à la
défense des actions même les plus dictatoriales des violateurs patentés des droits

875
CARRE de MALBERG, R., Contribution à la théorie générale de l’Etat, t. 2, Paris, CNRS, 1962, p. 499.
876
L’intransigeance du parti-Etat était telle que celui qui tentait, par une étude sur la Constitution, de perturber
les dogmes du parti-Etat passait pour un hérétique, par conséquent, était littéralement condamné à mourir à petit
feu, bien tenu loin des conditions de vie digne d’un homme normal, pour indiscipline aux idéaux du parti.
234

humains. Et, comme l’affirme avec raison Evariste Boshab, ceux qui détiennent la
compétence nécessaire pour mener ces études préfèrent, pour assurer leur survie
économique et garantir leur ascension sociale, fermer les yeux sur des monstruosités
juridiques instituées par le pouvoir877. A ce sujet, Lafond ne s’empêche pas de
généraliser qu’il n’y a pas de chercheur heureux en Afrique878 ?

Ces gens ont, comme le souligne opportunément Maurice G’lele, par


« la soif de l’enrichissement et le goût du confort et de la facilité », contribué à faire
de l’Etat en Afrique, une parodie ou un pâle reflet de l’Etat socialiste ou de
démocratie libérale, la voie du développement choisie débouchant dans un cas
comme dans l’autre sur la constitution d’un capitalisme d’Etat et l’émergence de
bourgeoisies militaro-bureaucratiques […] face aux sacrifiés ou holocaustes de
l’indépendance et de l’Etat moderne879.

Toutefois, la misère ne peut pas tout expliquer. Cette léthargie relève en


partie de la toute puissance des services de sécurité et de la police politique, qui
continuent de défier même le parquet dont ils sont censés dépendre, sinon du
manque criant d’initiative des chercheurs incapables de s’assumer plus par crainte
révérencielle des dirigeants politiques que par peur de leurs éventuelles représailles.
Combien des professeurs d’universités n’a-t-on pas entendu transformer des théories
classiques enseignées dans les auditoires universitaires au bénéfice des théories
circonstancielles en vue de justifier des égarements les plus ridicules des dirigeants
au pouvoir ?

Malgré le recouvrement de la parole gagnée grâce au feu de la


démocratie distribué au peuple d’abord par la CNS, ensuite par le Dialogue
intercongolais, l’analyse hardie des institutions clés du pays est demeurée une
activité réservée à des enseignants et chercheurs non impliqués de près ou de loin
dans le fonctionnement quotidien de celles-ci. Malheureusement, la classe de
« spéculateurs » cyniques sinon sadiques est loin de disparaître : aussitôt que ceux
qui semblaient lever le ton et regarder avec des yeux scrutateurs les actes irréguliers
du chef sont appelés auprès de lui que les défenseurs acharnés des droits de l’homme
d’hier se transmutent en adorateurs éclairés et affichent, sans aucune transition, un
comportement curieusement antiscientifique, opposé à leurs habituelles prises de
position antérieures.

Faute des études éclairées susceptibles de situer les différents régimes


institués par les nombreuses Constitutions congolaises et de servir de base à
l’enseignement de cette branche du droit, les professeurs des universités congolaises
auront contribué à la perdition de l’enseignement du droit constitutionnel. Ils auront
ainsi engagé leur responsabilité dans la médiocrité qui engendre le manque de

877
BOSHAB, E., « Les droits de la Constitution en Afrique subsaharienne » …, op. cit., p. 79.
878
LAFOND, M., « Problèmes et perspectives de la documentation juridique en Afrique », in L’Etat moderne à
l’horizon 2000 : aspects internes et externes, Mélanges offerts à Pierre François GONIDEC, Paris, LGDJ,
1985, p. 211.
879
G’LELE, M.A, « Pour l’Etat de droit en Afrique », L’Etat moderne : horizon 2000, aspects internes et
externes, Mélanges à P.F. GONIDEC, Paris, LGDJ, 1985, pp. 185-186.
235

connaissances suffisantes en matière constitutionnelle de l’élite en général et


l’ignorance qu’affichent, en particulier, les praticiens du droit sortis de ces écoles
dans la découverte à travers le texte constitutionnel des moyens applicables à l’étai
de la résolution des litiges qui leur sont soumis.

3. Le défaut par les praticiens d’invoquer les dispositions constitutionnelles

La Constitution est l’arme la plus importante entre les mains des


praticiens du droit pour exercer leur profession. Non seulement, c’est elle qui
chapeaute l’ensemble de l’ordonnancement juridique du pays, mais aussi elle
représente un formidable arsenal et un grand réservoir des moyens à invoquer et à
appliquer à la résolution de tout litige juridique.
Peut-on affirmer sans crainte d’être contredit que le pouvoir de contrôle
de constitutionnalité reconnu au pouvoir judiciaire congolais depuis 1960 a été
admirablement exercé ou que les droits consignés dans les diverses Constitutions
depuis l’indépendance ont été protégés par le juge congolais ? Il nous semble qu’une
réponse affirmative à ce questionnement risque d’être contredite par la réalité.

C’est ici l’occasion de rappeler que les déficits de l’enseignement du


droit constitutionnel n’ont pas contribué à favoriser le réflexe constitutionnel chez le
juriste congolais. En effet, comme le dénonce Evariste Boshab, formés à l’école de la
domesticité où l’étude du droit constitutionnel se limitait à une simple anatomie de
la Constitution, excluant de ce fait la pathologie ou la vie constitutionnelle qui
pourtant est le véritable thermomètre du fonctionnement des institutions étatiques,
les juges et avocats congolais ne prennent que fort peu conscience de la dimension
matricielle de la Constitution dans toutes les branches du droit880. Une simple lecture
d’une Constitution ne permet ni de révéler ni de dévoiler le fonctionnement réel des
institutions d’un pays.

Faute d’avoir étudié la science du gouvernement, magistrats et avocats


ne connaissent que de manière approximative la Constitution de leur pays,
considérée par la grande majorité d’entre eux comme une somme de vœux pieux
sans impact réel sur la vie des citoyens. Nombreux demeurent même ceux qui
continuent de considérer qu’aucune disposition constitutionnelle ne peut être
directement appliquée devant les cours et tribunaux sans loi d’application.

L’ignorance est même plus facile à comprendre de la part de la plupart


des gens qui imaginent que pour faire valoir une disposition constitutionnelle, il faut
nécessairement saisir un juge constitutionnel. Cette conception erronée du
fonctionnement de la justice est démentie par le fait que si le contrôle de
constitutionnalité et l’interprétation des dispositions constitutionnelles relèvent de la
compétence exclusive du juge constitutionnel, l’affirmation des libertés
fondamentales ou leur déficit d’application peuvent être invoqués devant n’importe
quel juge.

880
BOSHAB, E., « Les droits de la Constitution en Afrique subsaharienne » …, op. cit., p. 82.
236

Aussi, malgré les dispositions constitutionnelles qui lui reconnaissent


explicitement le pouvoir de contrôler la conformité des actes des gouvernants à la
Constitution, le juge congolais semble incapable de combler ses lacunes de formation
en vue de revigorer les dispositions constitutionnelles violées. Il ne faut certainement
pas oublier de comprendre que le manque d’audace881 du juge congolais est aussi
tributaire autant de la peur d’incommoder le pouvoir exécutif, dont il continuait de
demeurer un véritable appendice jusqu’il y a peu, que les aspirations prioritaires de
la communauté, dont le point fort n’est pas constitué par les revendications liées au
respect de la Constitution par les gouvernants.

Comment, dans ces conditions, s’interroge Evariste Boshab, exiger aux


juges de rendre ce qu’ils n’ont jamais reçu882 ? Louis Favoreu semble y répondre
lorsqu’il considère que l’ignorance dans laquelle se trouvent les praticiens du droit –
magistrats et avocats en tête –, s’agissant de l’apport de la richesse des dispositions
constitutionnelles à l’exercice de leur fonction, constitue un obstacle majeur à
l’enracinement de la Constitution dans les usages judiciaires et administratifs 883. De
là à estimer que l’ignorance et le manque d’audace du juge congolais auront
contribué à entretenir la fraude et favoriser le manque de respect des dirigeants aux
dispositions constitutionnelles, il n’y a qu’un pas qui doit être vite franchi.

B. Le droit de la Constitution d’être respectée par ses destinataires

Le droit au respect de la Constitution implique, dans la mesure où la


Constitution n’est pas un simple parchemin dont la finalité serait la recherche de la
légitimité extérieure, deux corollaires : d’abord la capacité de la norme fondamentale
d’épurer les normes inférieures qui lui sont contraires, ensuite une certaine stabilité
indispensable à l’établissement d’un minimum de sécurité juridique. Ainsi donc, la
règle de base postule une certaine durabilité imposant le respect de la procédure de
révision et de sa portée pour des raisons évidentes.

1. L’incapacité des Constitutions congolaises à épurer des normes inférieures


qui leur sont contraires à la Constitution

Conséquence de la suprématie de la norme fondamentale, l’épuration


des normes inférieures contraires à la Constitution traduit le souci d’avoir un ordre
juridique en harmonie avec la règle de base. C’est ainsi que parlant des Institutions
fondamentales de la Belgique, Marc Uyttendale soutient que « la Constitution est la
norme supérieure en droit interne ; toutes les normes inférieures doivent la respecter,

881
Si, aux USA, le contrôle de la constitutionnalité des lois n’avait été gagné qu’à la faveur d’une interprétation
jurisprudentielle hardie de la Cour suprême ; en France, il aura fallu l’audace du Conseil constitutionnel pour
faire entrer les dispositions de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du Préambule de la
Constitution de 1946, que les rédacteurs de la Constitution de 1958 n’avaient pas entendu lui confier la
protection, dans le bloc de constitutionnalité. Voy. ARDANT, P., « Les Constitutions et les libertés », Pouvoirs,
n° 84, 1998, pp. 67-68.
882
BOSHAB, E., « Les droits de la Constitution en Afrique subsaharienne » …, op. cit., p. 82.
883
FAVOREU, L., « L’exception d’inconstitutionnalité est-elle indispensable en France ? », RFDC, 1995, p. 21.
237

quelle que soit leur nature – législative ou réglementaire – et quel que soit leur auteur
– autorité fédérale, régionale ou communautaire »884.

La capacité de la Constitution d’épurer les normes inférieures qui lui


sont contraires pose le problème de l’exigence de la constitutionnalité. Sans justice
constitutionnelle, pareille exigence n’est qu’un leurre. Cependant l’état
embryonnaire de la justice constitutionnelle autant que le bâillonnement de la justice
en Afrique, et au Congo en particulier, rendent difficile le contrôle qui pourrait
permettre à la Constitution d’épurer les normes inférieures qui lui seraient contraires.
Mais lorsque l’on sait que beaucoup des dirigeants africains, prompts à donner plus
de force à leurs propres discours qu’au texte constitutionnel, considèrent la
Constitution comme un simple symbole, l’on comprend aisément pourquoi la
conformité des normes inférieures à celle-ci continue de dépendre de leur bon
vouloir.
La hiérarchie des normes devenant subjective, il s’en suit que la sécurité
juridique devient sujette à caution, la Constitution ne disposant d’aucune valeur
normative. Vues sous cet angle, toutes les normes s’équivalent et peuvent, par
conséquent, mutuellement se paralyser. Devant pareille confusion, comment peut-
on alors, d’une manière raisonnable, espérer que la règle supérieure s’impose à
toutes les autres afin de permettre au juge de faire face à des violations manifestes ou
biaisées de la norme fondamentale ? L’efficacité de la Constitution ne dépend alors
que des rapports de force entre les institutions gouvernantes qui, dans le contexte
congolais, ont l’habitude de coaliser au détriment de la population.

C’est d’ailleurs devant cette paralysie mutuelle qu’il nous parait difficile
d’envisager une certaine durabilité des règles constitutionnelles885 entendue au sens
de la garantie des droits de tous. L’instabilité chronique des dispositions
constitutionnelles qui en résulte n’est-elle pas de nature à favoriser la fraude
constitutionnelle ?

2. L’instabilité chronique des Constitutions congolaises

La sécurité juridique en appelle à une certaine stabilité de la


Constitution et exige que la suprématie de la loi fondamentale ne soit dérogée que
selon des procédures spéciales et ardues. Ainsi, l’exigence de stabilité
constitutionnelle a pour but de sauvegarder l’ordre juridique établi par la norme
fondamentale contre l’arbitraire des dirigeants qui seraient tentés de ne s’en tenir
qu’à leurs humeurs et à l’intérêt de pérennisation de leur pouvoir.

Au Congo, le rythme infernal des changements des Constitutions a fini


par enlever tout crédit et rendre difficile tout effort de systématisation en ce domaine.
Outre que des nouvelles Constitutions ont rivalisé d’ardeurs dans l’ordonnancement

884
UYTTENDALE, M., Institutions fondamentales de la Belgique, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 48.
885
Il s’agit simplement ici de la stabilité de la Constitution qui ne subit aucune influence de son caractère souple
ou rigide.
238

juridique du pays sous forme de révisions constitutionnelles, l’histoire politique de la


RDC connaît même, de manière cyclique, des périodes d’éclipse constitutionnelle886.

Cette instabilité chronique des Constitutions congolaises provoque


l’insaisissabilité du contour des multiples dispositions qui sont les leurs et rend
malaisées autant leur applicabilité que le contrôle de conformité des actes qui les
invoquent. Tantôt les Constitutions sont mises en veilleuse par les dirigeants qui
prennent le pouvoir par les armes, tantôt des nouvelles Constitutions sans aucun
enracinement dans le peuple sont, d’autorité, mises en vigueur d’une façon
provisoirement « permanente ».

Pourtant le respect dû à la Constitution aurait pu contraindre les


dirigeants d’être beaucoup plus circonspects et rigoureux dans leur comportement
vis-à-vis de ses normes en ne faisant recours au pouvoir de révision que pour autant
que le but poursuivi soit l’adaptabilité des règles à l’évolution de la mentalité, qualité
essentielle à leur applicabilité par leurs destinataires. D’après Verdussen, la
Constitution étant destinée à se perpétuer aussi longtemps que possible, son
intangibilité ne peut être entamée que pour autant qu’elle puisse être adaptée aux
évolutions les plus sensibles des pratiques collectives et des conceptions sociales, de
manière à rester perpétuellement actuelle887.

Dans ces cas, la durabilité des textes constitutionnels sont mises en mal
au point que leur capacité d’assurer la passation pacifique du pouvoir par des
moyens démocratiques prévus devient un leurre. Comment donc ne pas considérer
que l’instabilité est ainsi savamment entretenue par les tenants du pouvoir afin de
couvrir leurs turpitudes et empêcher ainsi le droit de regard que le peuple devrait
détenir sur le fonctionnement des institutions en conformité avec le texte dont il
devrait en principe revendiquer la paternité ?

886
C’est le cas, par exemple, de la période régie par le Décret-loi dit constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997.
887
VERDUSSEN, M., « Une inviolabilité parlementaire tempérée », JT, 1997, p. 673.
239

Chapitre 3 : Les partis politiques congolais

Section 1 : La politique des partis au Congo

§1. Le multipartisme d’après l’indépendance

§2. Le monopartisme du parti-Etat

§3. Le retour au multipartisme sauvage

Section 2 : La classification des partis politiques congolais

Section 3 : La nouvelle vision du parti politique au Congo

Chapitre 4 : L’évolution des droits et libertés fondamentaux au Congo

Section 1 : Les notions générales sur les droits et libertés fondamentaux

§1 : Les droits et libertés fondamentaux et les notions voisines

A. La définition des droits et libertés fondamentaux


240

B. Distinction entre droits et libertés fondamentaux et notion


voisines

1. Droits fondamentaux et libertés fondamentales

2. Droits fondamentaux et principes fondamentaux

3. Droits fondamentaux et valeurs fondamentales

4. Libertés fondamentales et libertés publiques

§2 : La nature des droits et libertés fondamentaux

§3 : Les droits de l’homme

A. Les droits civils et politiques

B. Les droits économiques, culturels et sociaux

C. Les droits collectifs


241

Section 2 : Les mécanismes de protection des droits et libertés


fondamentaux

§1. Les mécanismes politiques

§2. Les mécanismes juridiques

Section 3 : Une promotion exemplaire des droits

§1. Les instruments nationaux

§2. Les instruments régionaux

§3. Les instruments internationaux

Section 4 : Une protection déficiente des droits

§1. L’insouciance politique

§2. Les défaillances juridictionnelles

Conclusion générale

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