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SYLLABUS 

:
Domaine : THEORIE GENERALE DE L’ETAT
Nombre d’heures : 60H (cours et TD)
Semestre 1
Nombre de crédits ou ECTS Programme International
Responsable du cours : Pr Alexis ESSONO OVONO
Niveau : Licence 1
Filière :
Année : 2020/2021

I. Description du cours ou objectif Général :

Ce cours est une introduction générale au droit constitutionnel et à la Théorie de l’Etat. Il permet aux
étudiants d’une part de comprendre ce qu’est le droit constitutionnel, son contexte d’apparition ainsi que les
évolutions qu’il a subies au cours du XXème siècle, d’autre part de mieux comprendre la notion d’Etat (ses
éléments constitutifs, ses caractères juridiques, son origine et ses différentes formes etc.). Il s’attache
particulièrement à définir cette forme d’Etat apparue au lendemain de la seconde guerre mondiale, qu’on
appelle l’Etat de droit en examinant ses conditions (encadrement juridique du pouvoir politique, contrôle
juridique du pouvoir, etc.).

II. Objectif Général :

Ce cours vise ainsi à permettre à l’étudiant d’avoir une vue d’ensemble du phénomène étatique, sa
définition et d’en percevoir la raison d’être, d’expliciter les principales réalités juridiques. Il doit aussi
favoriser l’acquisition par l’étudiant de la méthodologie des exercices juridiques en même temps que les
exigences de rigueur et de précision nécessaires à l’acquisition des connaissances en droit.

III. Objectifs Spécifiques ou objectifs d’apprentissage :

A l’issue de ce cours, l’étudiant devra être capable :


 De comprendre la notion d’Etat ;
 De situer l’origine de l’Etat ;
 De saisir les formes d’Etat ;
 De comprendre les conditions de l’Etat de droit.

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Prérequis à satisfaire avant de suivre ce cours :

Aucun

IV. Contenu du cours :

Ce cours s’articulera donc autour d’une introduction générale et de 5 chapitres :

CONTENU DU COURS

 Chapitre préliminaire : l’institutionnalisation du pouvoir politique

 Chapitre 1 : l’encadrement juridique du pouvoir, la constitution

 Chapitre 2 : le contrôle juridique du pouvoir, la justice constitutionnelle

 chapitre 3 : la séparation des pouvoirs

 chapitre 4 : la participation des citoyens à l’exercice du pouvoir, la démocratie

V. Méthodes Pédagogiques

Ce cours est dispensé sous forme d’enseignements magistraux. Mais des échanges entre l’enseignant et
les étudiants sont possibles.

VI. Supports Pédagogiques :

Le cours polycopié

VII. Modes d’Evaluation :


Examen, contrôle continu.

VIII. Bibliographie et Documentation :

Annexée au cours

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COURS DE THEORIE GENERALE DE L’ETAT

PAR LE PROFESSEUR A. ESSONO OVONO,


AGREGE DES FACULTES DE DROIT

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Introduction générale

Dans le cadre de cette introduction au cours de droit constitutionnel, nous


allons d’abord situer le contexte d’émergence et donner le sens du terme droit
constitutionnel, ensuite nous envisagerons l’évolution de cette discipline.

SECTION 1 : L’EMERGENCE ET LE SENS DU TERME DROIT CONSTITUTIONNEL

Le droit constitutionnel n’a pas toujours existé. Il n’existait pas à une époque où
les humains s’en remettaient à la volonté des dieux pour régler la question politique.

Le droit constitutionnel naît ainsi avec la modernité politique caractérisée par le


désenchantement du monde, c’est-à-dire à partir du moment où le droit est détaché de
sa matrice théologique pour être pensé comme le fait des hommes et de leurs
délibérations. En effet, le trait distinctif du droit constitutionnel réside dans l’intention
de faire advenir par des moyens humains l’ordre politique idéal.

Historiquement, c’est à la fin du XVIIIème siècle, (c’est-à-dire avec la naissance


de la modernité politique), que le terme droit constitutionnel est apparu ; plus
précisément dans le contexte du conflit politique entre la Grande-Bretagne et ses
colonies d’Amérique du nord. Le droit constitutionnel est ainsi fils des lumières.

Le terme droit constitutionnel, comme le terme droit lui-même, est ambigu car il
a été employé dans trois sens différents.

D’abord, il a désigné une prérogative, une faculté qui appartient à une personne,
à une collectivité, en vertu de la Constitution. Ainsi la liberté de religion, le droit de
propriété sont des « droits constitutionnels ».

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Ensuite, le terme « droit constitutionnel » a désigné l’ensemble des règles de
droit se rattachant à la Constitution d’un pays. On parle du droit constitutionnel de la
Provence », c’est-à-dire les règles qui forment, avant la Révolution, la Constitution de la
Provence.

Enfin, le terme « droit constitutionnel » a été utilisé pour qualifier la discipline


scientifique ayant pour objet l’étude des règles constitutionnelles. On a commencé à
parler au début de la Révolution, du professeur de droit constitutionnel.

Il ressort de ces indications que le XVIIIe siècle, le siècle des lumières, est
l’époque d’émergence du droit constitutionnel. Celui-ci a eu principalement pour objet
l’étude des premières constitutions écrites de l(ère moderne : celles qui ont été rédigées
aux Etats-Unis en 1787 et en France après la Révolution.

Cette discipline connaîtra par la suite une histoire mouvementée. En s’en tenant
à l’histoire du XXè siècle, c’est cette évolution de la discipline qu’il convient maintenant
de décrire.

SECTION 2 : EVOLUTION DU DROIT CONSTITUTIONNEL

Si on s’en tient à l’histoire du XXème siècle, on peut distinguer un droit


constitutionnel classique, tel qu’il se constitue avant la seconde guerre mondiale, et un
droit constitutionnel contemporain tel qu’il existe aujourd’hui.

Paragraphe 1 : LE DROIT CONSTITUTIONNEL CLASSIQUE

Deux grands caractères dominent le droit constitutionnel classique : il s’agit


d’un droit sans juge et d’un droit non juridique dominé par la science politique.

I – Un droit sans juge

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Etudier le droit avant la seconde guerre mondiale dans les pays européens, ne
faisait à aucun moment appel à la jurisprudence, c’est-à-dire aux décisions des
tribunaux et des cours.

Cette situation, qui diffère de celle des Etats-Unis, par exemple, où la


jurisprudence constitutionnelle occupe depuis longtemps une place importante dans
l’étude du droit constitutionnel, s’explique par l’histoire des pays européens et la
doctrine.

Pendant longtemps, l’histoire des pays européens comme la France a été dominé
par le principe de la souveraineté parlementaire. Ce principe, qui découle de l’article 6
de la DDHC de 1789 selon lequel la loi est l’expression de la volonté générale,
impliquait que la loi votée par le Parlement était la norme la plus élevée dans l’ordre
juridique : son domaine est illimité et son contenu est incontestable devant un juge.
C’est ce qu’on a appelé l’Etat légal ou le légicentrisme.

D’un point de vue doctrinal, les auteurs durant cette époque semblent
s’accommoder de ce dogme rousseauiste de la loi expression de la volonté générale.
C’est le cas de CARRE de MALBERG, à travers son ouvrage au titre évocateur, « La loi,
expression de la volonté générale ». La doctrine constitutionnelle classique attribue une
place limitée au juge. Ce refus du juge constitue un des aspects du droit
constitutionnel classique.

II – un droit non juridique dominé par la science politique

Il y a une trentaine d’années, le droit constitutionnel était considéré comme une


discipline mineure dont l’appartenance au champ juridique était discutée. La juridicité
de la matière était, en effet, refusée au regard du défaut de deux conditions
généralement exigées pour l’attribution de cette qualité : la stabilité d’abord, l’absence
de sanction, ensuite.

Ainsi le droit constitutionnel était un catalogue de recettes politiques,


vaguement obligatoires, relevant davantage de la science politique que du droit. C’est

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ce que L. FAVOREU a appelé le politico- centrisme, c’est-à-dire la croyance selon
laquelle les phénomènes constitutionnels ne sauraient être appréhendés que d’un
point de vue politiste.

Le droit constitutionnel sera ainsi investi par la science politique. Celle-ci


connaît un véritable triomphe dans l’immédiat après-guerre avec notamment en
France la fondation de l’Association française de science politique (1949) et le la revue
française de science politique (1951).

L’objectif sera d’orienter l’étude du droit constitutionnel vers une approche plus
sociologique et de l’éloigner d’une approche strictement juridique. Comme l’écrit M.
DUVERGER, dans la cinquième édition de son manuel de Droit constitutionnel et de
science politique publié aux Presses universitaires de France en 1948, « la première
différence qui se manifeste dans cette nouvelle édition consiste dans une tendance à
insister sur l’aspect politique des problèmes constitutionnels (sans négliger
aucunement leur aspect juridique) et surtout l’envisager sous l’angle scientifique ».

On observe une conversion de beaucoup de constitutionnalistes à la science


politique. Le Doyen G. VEDEL parlera d’une révolution DUVERGER.

 Le droit constitutionnel classique aura uniquement pour objet la description


des institutions politiques.

Mais ce droit constitutionnel classique a fait place depuis la fin de la seconde


guerre mondiale à un droit constitutionnel contemporain.

Paragraphe 2 LE DROIT CONSTITUTIONNEL CONTEMPORAIN

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, dans beaucoup de pays européens,


le droit constitutionnel connaît un bouleversement. A tel point qu’on peut parler d’une
révolution copernicienne. Ce bouleversement qui a débouché sur un droit
constitutionnel contemporain différent du droit constitutionnel s’explique par
plusieurs facteurs.

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D’abord, la fin du mythe rousseauiste de la loi expression de la volonté générale.
Les atrocités commises par le nazisme et le fascisme ont montré que la loi pouvait
porter atteinte aux droits fondamentaux. Il convient dès lors de protéger les citoyens
contre les abus possibles du pouvoir législatif. A l’Etat légal a succédé l’Etat de droit.

Ensuite, l’expansion des constitutions et du constitutionnalisme avec


l’apparition de nouveaux Etats suite au phénomène de décolonisation vont jouer
également un rôle dans l’apparition d’un nouveau droit constitutionnel

De plus, on peut noter la promotion des droits de l’Homme au rang de valeurs


essentielles avec la Déclaration de 1948.

Enfin, l’apparition de la justice constitutionnelle avec la mise en place dans la


plupart des pays d’un contrôle de constitutionnalité a contribué au renouveau du droit
constitutionnel.

De ce fait, l’objet et la définition du droit constitutionnel ont connu une


évolution.

I - L’OBJET DU DROIT CONSTITUTIONNEL CONTEMPORAIN

Alors que le droit constitutionnel classique avait un objet unique, les


institutions politiques, le droit constitutionnel contemporain a un triple objet : les
institutions, les normes et les libertés.

A - Les institutions ou le droit constitutionnel institutionnel

La description des institutions politiques est l’objet essentiel du droit


constitutionnel classique. Il se bornait à décrire et à étudier « les institutions grâce
auxquelles le pouvoir s’établit, s’exerce et se transmet dans l’Etat », selon la définition

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de M. PRELOT. En quelque sorte, il s’agissait de vérifier que les institutions avaient été
démocratiquement mises en place et que la désignation des représentants du peuple
s’était faite dans des conditions démocratiques. D’où l’importance que le droit
constitutionnel classique accorde aux partis politiques, aux systèmes électoraux et aux
rapports entre les pouvoirs publics (parlement, gouvernement).

Si les institutions demeurent un objet du droit constitutionnel contemporain, on


observe toutefois que celui-ci ne se limite plus aux institutions politiques, mais qu’il
s’étend aux institutions administratives (notamment les institutions locales) et
juridictionnelles. Le droit constitutionnel contemporain étudie en effet les problèmes
juridiques posés par les institutions politiques ainsi que les bases constitutionnelles
des institutions administratives et juridictionnelles.

B - Les normes ou le droit constitutionnel normatif

Le droit constitutionnel normatif ou fondamental couvre le système des sources


du droit, c’est-à-dire l’articulation entre les différentes normes nationales, d’une part,
entre normes nationales et normes internationales, d’autre part. En effet, la
constitution étant devenu dans la plupart des pays la norme suprême, le système des
sources du droit dépend désormais d’elle. Les constitutions modernes mettent en place
des systèmes juridiques souvent complexes combinant des normes internationales,
nationales et locales.

C- Les libertés ou le droit constitutionnel substantiel

Le droit constitutionnel substantiel ou relationnel, selon l’expression de L.


FAVOREU, constitue le troisième objet du droit constitutionnel contemporain. On
pourrait soutenir que cette conception était déjà présente chez les révolutionnaires
pour qui la constitution avait pour objet la garantie des droits (article 16 de la DDHC
de 1789). Cette dimension du droit constitutionnel est présente depuis longtemps aux
Etats- unis où la Cours suprême s’est affirmée comme le défenseur des droits
fondamentaux.

Dans la plupart des Etats aujourd’hui, l’étude des droits fondamentaux et leur
interprétation par le juge constitutionnel fait partie du droit constitutionnel. C’est la

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traduction d’une nouvelle conception de la démocratie qui n’est plus seulement un
mode de transmission du pouvoir mais qui est surtout un mode d’exercice du pouvoir
respectueux des droits des individus. C’est l’idée d’Etat de droit qui domine le droit
constitutionnel contemporain. Toutes les institutions, y compris le parlement, sont
soumises au respect des règles de droit et notamment à celles qui protègent les droits
fondamentaux. C’est ce modèle que la plupart des pays dans le monde ont adopté et
que les pays africains, comme le Gabon, se réclamant de l’Etat de droit, essaient
difficilement d’imiter.

II - LA DEFINITION DU DROIT CONSTITUTIONNEL CONTEMPORAIN

Pour définir le droit constitutionnel contemporain, nous nous servirons de deux


propositions. D’abord, le droit constitutionnel contemporain, par opposition au droit
constitutionnel classique, est un droit sanctionné par un juge ; ensuite le droit le droit
constitutionnel contemporain est conçu véritablement comme un système de normes.

A - Le droit constitutionnel, un droit sanctionné par un juge

Contrairement au droit constitutionnel classique, le droit constitutionnel


contemporain est un droit de plus en plus sanctionné par un juge. Certes, on pourrait
objecter qu’il existe un droit constitutionnel en Grande-Bretagne ou au Pays bas alors
même qu’il n y a pas de juge constitutionnel. Mais le droit constitutionnel
contemporain ne se conçoit pas sans un l’intervention d’un juge. C’est le cas de la
plupart des pays européens dont le droit constitutionnel est aujourd’hui largement
jurisprudentiel. C’est le cas aussi de certains pays africains dont le droit
constitutionnel a cessé d’être largement incantatoire.

Cette sanction est appliquée par le juge constitutionnel. Il faut entendre par juge
constitutionnel un juge dont l’existence, la composition, les attributions et les
garanties sont définies par la constitution.

B - Le droit constitutionnel considéré comme un système de normes

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Le Doyen G. VEDEL écrivait en 1990 que les constitutionnalistes n’ont aucune
réticence aujourd’hui à considérer le droit constitutionnel comme un droit et à se
comporter en juristes. Ces propos qui apparaissaient, il y quelques années encore,
comme une incongruité, sont aujourd’hui un truisme, une évidence : le droit
constitutionnel est un système de normes. Le droit constitutionnel n’est plus, de nos
jours, le champ clos des forces politiques mais une authentique discipline juridique.
Autrement dit, les phénomènes politiques peuvent être abordés en termes juridiques.
Cela ne signifie évidemment pas que les phénomènes politiques ne sont pas redevables
d’autres mises en perspectives ; cela souligne la spécificité de l’approche juridique.

En effet, le droit constitutionnel est une science normative qui a pour objet les
normes juridiques.

Mais qu’est ce qu’une norme juridique ? On appelle norme juridique la


signification d’un énoncé par lequel on déclare que quelque chose doit être, par
exemple qu’une conduite doit avoir lieu. La norme s’oppose à la proposition ou
assertion qui est la signification d’une phrase par laquelle on indique que quelque
chose est. Normes et propositions correspondent à deux fonctions du langage humain :
d’une part, le langage permet d’exprimer une connaissance du monde, d’autre part, il
permet d’exprimer une volonté. Une norme précisément est la signification d’un acte de
volonté.

Les normes et les propositions ont des propriétés différentes. Les propositions
sont susceptibles d’être vraies ou fausses, les normes non ; elles sont valides ou non.
Dire qu’une norme est valide signifie qu’elle est en vigueur et qu’on doit se comporter
conformément à ce qu’elle prescrit.

Selon H. KELSEN, les normes du système juridique ne sont pas toutes situées
au même niveau ; elles sont stratifiées ; elles sont hiérarchisées selon une structure
pyramidale, chaque norme trouve le fondement de sa validité dans la norme supérieure
et en dernière instance dans la constitution qui est la norme supérieure. Cette dernière
trouve elle-même son fondement dans une norme hypothétique, une norme
fondamentale (grundnorm) qui clôture le système juridique.

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PLAN DU COURS

Ce cours s’articulera autour de 5 chapitres : le chapitre préliminaire sera


consacré à l’institutionnalisation du pouvoir politique, c’est-à-dire à L’Etat ; le chapitre
1, à l’encadrement juridique du pouvoir, la constitution ; le chapitre 2 au contrôle
juridique du pouvoir, la justice constitutionnelle ; le chapitre 3 à la séparation des
pouvoirs et enfin le chapitre 4 à la participation des citoyens à l’exercice du pouvoir, la
démocratie.

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CHAPITRE PRELIMINAIRE : L’INSTITUTIONNALISATION DU POUVOIR POLITIQUE :
L’ETAT

Le pouvoir politique est un phénomène inhérent à la vie en société. Dès que


s’assemblent des humains pour coopérer apparaît le pouvoir qui constitue, sous des
formes diverses, la dynamique de l’action organisée. Ubi societas, ibi potestas.

Le terme pouvoir vient du latin potestas qui signifie capacité d’agir. Le pouvoir
est une relation qui se caractérise par la mobilisation des ressources pour obtenir d’un
tiers qu’il adopte un comportement auquel il ne se serait pas résolu en dehors de cette
relation.

Le pouvoir politique est celui qui s’exerce dans une société politique. Ce pouvoir
politique a pris historiquement plusieurs formes. Dans les sociétés archaïques, ce
pouvoir est diffus dans la masse des individus soumis au conformisme qu’imposent les
coutumes. Puis, à un stade plus évolué le pouvoir politique s’est incarné dans la
personne physique de celui qui l’exerçait. Enfin, au terme d’un long processus
historique, le pouvoir politique a été institutionnalisé c’est-à-dire qu’il a été détaché de
la personne physique de celui qui l’exerce pour être attaché à une entité abstraite,
l’Etat. L’Etat est donc le pouvoir institutionnalisé. C’est aujourd’hui la forme normale
d’organisation des sociétés politiques. Il fournit le cadre à l’intérieur duquel naissent
les phénomènes étudiés par le droit constitutionnel. Il convient de s’interroger sur la
notion avant de situer l’origine et décrire les formes juridiques de l’Etat.

SECTION 1 : La notion d’Etat

Le terme « Etat » provient du latin « status » qui désigne la situation juridique


d’une personne, d’un groupe au sens toutefois où elle fait partie d’un corps, d’une
communauté.

Dans l’organisation politique médiévale, les « Etats » constituent les divisions


naturelles de la société et de la cité. Le Tiers-état est formé des sujets du Roi qui ne
sont ni membres du clergé ni nobles. Les assemblées qui réunissent les représentants

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des différents groupes sociaux sont appelés les « Etats » : Etats provinciaux si tous les
membres viennent de la même province ; Etats généraux, si le Roi réunit des clercs,
des nobles et des roturiers du royaume.

A partir du XVIe siècle, sous l’influence italienne et de MACHIAVEL, le mot Etat


va acquérir deux significations nouvelles. D’abord, il va désigner l’organisation
politique d’un pays (on utilise encore ce sens lorsqu’on dit, par exemple, qu’il faut
adapter l’Etat congolais aux changements économiques et sociaux). Ensuite, il va
désigner le pays lui-même. C’est dans ce dernier sens qu’il sera entendu ici.

Il convient d’examiner successivement les éléments constitutifs de l’Etat (section


1) puis ses caractères juridiques (section 2).

Paragraphe 1 : Les éléments constitutifs de l’Etat

Selon l’analyse du sociologue M. WEBER, un Etat est un groupement humain,


fixé sur un territoire et sur lequel s’exerce une autorité exclusive. Il ressort de cette
définition que, sociologiquement, trois éléments sont nécessaires pour qu’il y ait un
Etat : un élément personnel (la population), un élément matériel (le territoire) et un
élément formel (l’autorité exclusive)

I - La population ou la nation

Il ne peut y avoir un Etat sans une population c’est-à-dire un groupe d’individus


sédentaires et solidaires. La population est le substrat humain de l’Etat. Pendant
longtemps, on a pensé que ce groupe devait présenter une individualité par rapport à
d’autres, au point de constituer une nation. Il est nécessaire de définir cette notion (A)
avant d’examiner les rapports entre l’Etat et la nation (B).

A – La définition de la nation

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Deux conceptions ont été développées au XIX ème siècle concernant
l’importance respective des facteurs à l’origine de la nation, une conception objective et
une conception subjective.

La conception objective est développée en Allemagne notamment par FICHTE


(philosophe allemand, 1762-1814, disciple de KANT). Une nation, selon cet auteur, est
le résultat ou le produit nécessaire d’éléments objectifs : la géographie, la langue, la
religion, l’idéologie, un patrimoine commun de souvenirs historiques et surtout la race.
Ce mythe de la nation- race est à l’origine du génocide juif sous le III ème Reich mais
aussi des purifications ethniques de notre époque (ex Yougoslavie, Darfour au
Soudan).

La conception subjective qui est présentée en France par des auteurs comme
MICHELET (historien français 1798-1874), RENAN (écrivain et historien français,
1823-1892), FUSTEL de COULANGES (historien français 1830-1889) considère que la
nation se forme sous l’influence de facteurs divers. Sans doute, il convient de prendre
en considération des éléments objectifs, mais pour intéressants qu’ils soient on doit
comprendre que la nation relève plus de l’esprit que de la chair. Le facteur le plus
important d’où procède la communauté nationale est la représentation que les
individus qui la composent ses font du but social à atteindre. La nation trouve son
origine dans un sentiment de solidarité qui unit les individus par leur volonté de vivre
ensemble (RENAN qui fut l’un des chantres de l’idée nationale disait que la nation,
c’est le vouloir- vivre collectif). Ce sentiment de solidarité donne aux nationaux le
sentiment qu’ils sont différents des autres individus composant d’autres nations. Mais
dans la plupart des pays occidentaux on constate cependant une montée du
communautarisme c’est-à-dire un repli identitaire sur des groupes d’appartenance
plus étroits, à l’égard du vouloir- vivre collectif.

B – Les rapports entre l’Etat et la nation

Dans le droit constitutionnel classique, toute nation à vocation à s’ériger en


Etat, c’est l’idée d’Etat- nation. Aujourd’hui, Etat et nation ne coïncident plus. On
assiste en effet à une crise de l’Etat- nation qui apparaît de plus en plus contesté et
dépassé.

1) – L’association de l’Etat et de la nation

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Dans le passé, la nation précédait l’Etat qui était le résultat d’un processus
historique de son développement. En effet, l’Etat apparaissait en dernier lieu pour
centraliser politiquement et juridiquement la nation. Ce fut le cas de la France mais
aussi de beaucoup d’Etats européens. Dans cette perspective où la nation est
antérieure à l’Etat, la question qui se pose est celle de savoir si toute nation a-t-elle
droit à un Etat ? Le droit international public a répondu positivement à cette question
d’abord à travers le principe des nationalités, puis au lendemain de la seconde guerre
mondiale, à travers le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

D’abord, le principe des nationalités a été consacré par la révolution française de


1789. Ce principe signifie sur le plan interne que le fondement du pouvoir c’est la
nation. C’est la théorie de la souveraineté nationale inscrite à l’article 3 de la DDHC de
1789 qui dispose que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la
nation. Sur le plan international, ce principe implique pour chaque nation le droit de
se constituer en Etat. Les révolutionnaires de 1789 au nom de ce principe vont aider
les nations à travers le monde à se réaliser politiquement et juridiquement.

Ensuite, au moment de la décolonisation, le principe du droit des peuples à


disposer d’eux sera inscrit dans la charte des nations unies puis dans la Déclaration
sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux en 1960. Les nations en
mal d’Etat, comme la Palestine sont fondées à revendiquer ce droit.

2 - La dissociation de l’Etat et de la nation

Cette dissociation est illustrée aujourd’hui par plusieurs situations : la nation


non constituée, la nation écartelée et les nations regroupées.

a) – La nation non constituée

C’est le cas de beaucoup d’Etats africains issus de la décolonisation. En effet,


l’Etat y a précédé la nation. Le colonisateur a plaqué l’Etat sur une réalité sociologique
composite, avec une mosaïque d’ethnies. Le rôle assigné à l’Etat dans la plupart de ces
pays était d’achever la construction de la nation.

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b) – La nation écartelée

Pour des raisons qui tiennent à l’histoire, une nation peut être partagée entre
plusieurs Etats. Ce fut le cas pendant longtemps de la nation allemande jusqu’en 1989
qui se trouvait ; c’est encore le cas aujourd’hui de la nation kurde que l’on retrouve
dans plusieurs Etats (Irak, Iran, Turquie, ex-Urss).

c)- Les nations regroupées

Un Etat peut être constitué par plusieurs nations. On parle alors d’Etats
multinationaux. C’est le cas par exemple des USA ou de la Suisse. Le problème est
alors de savoir si un alliage se formera entre des nations que l’histoire a placé sous un
même pouvoir donnant naissance à une nouvelle nation.

II- Le territoire

Il ne peut y avoir d’Etat sans territoire. M. HAURIOU définissait l’Etat comme


une corporation à base territoriale. En effet, le territoire est une condition pour que
l’autorité étatique s’exerce de manière efficace. L’idée d’enfermer la collectivité
nationale dans des frontières est récente. Elle date du XVI ème siècle. Il importe de
définir les fonctions du territoire et la nature du droit de l’Etat sur son territoire.

A – Les fonctions du territoire

Le territoire joue un rôle politique important. D’abord, le territoire est un facteur


d’unité du groupe en lui permettant de prendre conscience de soi et de son
individualité par rapport aux autres groupes.

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Le territoire est ensuite une condition de l’indépendance de l’Etat. En effet, le
territoire constitue le cadre de compétence des organes de l’Etat. Tous les individus se
trouvant sur le territoire national sont soumis à la règlementation qu’il édicte.

Enfin, le territoire est un moyen d’action de l’Etat. Il permet, d’une part,


d’orienter l’activité des individus composant le groupement humain, d’autre part, de
mieux contraindre ces individus. Qui tient le sol, tient l’habitant.

B - La nature du droit de l’Etat sur le territoire

Le problème peut être formulé de la manière suivante : dans la mesure où l’Etat


est une personne morale, qu’il possède un territoire, quelle est la nature de son droit
sur ce territoire ? La relation qui s’établit entre l’Etat et son territoire consiste-t-il en
un droit de dominium, c’est-à-dire de propriété, ou bien d’impérium, c’est-à-dire une
puissance de domination qu’en droit international public on désigne sous l’appellation
de souveraineté territoriale ?

On ne peut assimiler la nature du droit de l’Etat sur son territoire à un droit de


propriété (dominium) car si l’Etat était propriétaire de son territoire, les particuliers ne
pourraient en même temps être propriétaires de portions du territoire étatique.

On ne saurait davantage l’assimiler à la souveraineté territoriale car cette


dernière s’exerce sur les individus vivant sur le territoire et non sur le territoire lui-
même.

Aussi certains auteurs considèrent-ils que cette question de la nature du droit


de l’Etat sur son territoire ne s’impose pas. Ce qui est important à relever c’est que
l’Etat produit des normes qui s’appliquent aux individus vivant sur son territoire.

Cela étant, le territoire de l’Etat est un espace à trois dimensions, terrestre,


maritime et aérienne.

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Les frontières terrestres sont conçues sous forme linéaire et présenter des
particularités : être fractionné (comme les E-U avec l’Alaska, la France avec les DOM
TOM), enclavé entièrement (Lesotho, Saint-siège) ou partiellement (cas de Berlin ouest
avant réunification de l’Allemagne), étriqué (Monaco a 2,5 m2).

Les frontières terrestres sont naturelles ou artificielles fixées par des techniciens
en application d’accords internationaux.

Les frontières maritimes s’étendent à partir des eaux intérieures non seulement
sur la mer territoriale (douze milles marins ou nautiques à partir des eaux intérieures ;
un mille marin =1852 m) mais aussi sur la zone économiques exclusive (188 milles
marins au-delà de la mer territoriale ; soit 200 milles marins). Au-delà, c’est la haute
mer ouverte à tous les Etats.

Le territoire national comprend aussi la couche atmosphérique au-dessus.

III – L’autorité exclusive

Pour qu’il y ait un Etat, il ne suffit pas qu’existent une population et un


territoire ; il faut que s’exerce sur cette population et ce territoire une autorité
exclusive encore appelée puissance publique. Ce qui fait la spécificité de cette autorité,
c’est qu’elle s’exerce au moyen de normes juridiques. L’Etat dispose de la force pour
faire respecter les normes qu’il édicte. Il a le monopole de la violence physique légitime.

L’Etat moderne est né à partir du moment où l’Etat a revendiqué avec le succès


le monopole de la violence physique.

Cette autorité pour s’exercer durablement et efficacement a besoin d’être


légitime c’est-à-dire accepté par ses destinataires.

En effet, s’il n y a pas dans les relations entre gouvernants et gouvernés une confiance,
l’autorité court le risque d’être contestée.

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Max WEBER a distingué trois formes de légitimité du pouvoir : la légitimité
traditionnelle fondée sur les coutumes immémoriales ; la légitimité charismatique qui
s’appuie sur les charismes, les qualités personnelles de celui qui exerce le pouvoir et
enfin la légitimité légale- rationnelle, caractéristique de l’Etat moderne dont les organes
sont investis par la loi.

Paragraphe 2 : Les caractères juridiques de l’Etat

Deux caractères sont traditionnellement reconnus à l’Etat, la personnalité


juridique (I) et la souveraineté (II)

I - La personnalité juridique

L’Etat est une personne juridique. Il n’a pas d’existence concrète ou physique. Il
a en revanche une existence juridique, c’est-à-dire qu’il est un être juridique auquel il
est possible d’imputer les effets de droit découlant de l’activité de ceux qui ont pour
fonction de le représenter. La personnalité juridique est le résultat de
l’institutionnalisation du pouvoir. Celle-ci peut être définie comme l’acte par lequel le
pouvoir est détaché de la personne physique des gouvernants pour être rattaché à
l’Etat.

L’institutionnalisation du pouvoir politique est une construction historique. Aux


origines du phénomène, il y a la volonté d’assurer la stabilité du pouvoir aux fins de la
paix sociale. L’une des conditions de la paix sociale, c’est que le pouvoir soit continu et
qu’il puisse survivre à ses agents d’exercice. Si la mort du chef entraîne à chaque fois
une lutte à mort pour la conquête du pouvoir, l’ordre social sera sans cesse perturbé.
L’institutionnalisation assure la pérennité du pouvoir par delà les changements des
dirigeants.

Le phénomène d’institutionnalisation du pouvoir politique a connu un


développement remarquable sous la monarchie française. Les légistes du roi de France
ont contribué à la naissance de l’Etat en le dissociant progressivement de la personne
du monarque. Tel est le sens de l’adage : « le roi est mort, vive le roi ». Cela signifie que
le roi est par lui-même une personne morale qui vit à jamais.

21
En tant que personne juridique ou morale, l’Etat n’est que le résultat de cette
évolution historique ; l’Etat est le pouvoir institutionnalisé.

II - La souveraineté

Si l’on veut caractériser l’Etat, il faut ajouter à sa personnalité juridique un


élément qui n’appartienne qu’à lui et qui affecte de manière spécifique son organisation
politique et juridique. Pour la doctrine classique cet élément ne serait autre que sa
souveraineté.

C’est Jean BODIN qui est le grand théoricien de la souveraineté, qui dans les Six
livres de la République (1576) a mis en avant ce caractère essentiel de l’Etat : « La
première marque du principe souverain, c’est la puissance de donner loi à tous en
général, et à chacun en particulier (…) sans le consentement du plus grand, ni de
pareil, ni de moindre que soi » (Chapitre X). Donner loi mais aussi le cas échéant, la
reprendre et l’annuler. Sous cette puissance de donner et de casser la loi sont compris
les autres attributs de la souveraineté : faire la paix ou la guerre, rendre justice,
octroyer grâce aux condamnés etc.

La souveraineté selon Jean BODIN présente trois caractères :

-elle est une puissance de commandement publique et non particulière ou privée. Sa


spécificité est d’être la plus grande puissance de commandement qui émane de
l’autorité publique et qui s’impose à tous.

-elle est perpétuelle, elle n’est pas limitée dans le temps. On dira aujourd’hui qu’elle est
imprescriptible.

- elle est inconditionnelle et absolue. A l’extérieur, l’Etat n’est ni vassal ni feudataire. A


l’intérieur, le souverain est libre à l’égard de ses subordonnés. Le pouvoir est absolu,
c’est-à-dire absous des lois humaines. On dira aujourd’hui qu’elle est inaliénable.

C’est ce que les auteurs allemands (JELLINEK) traduisaient en disant que


« l’Etat a la compétence de ses compétences ».

22
Si la souveraineté a le grand mérite de bien faire comprendre ce qu’il y a, dans
l’Etat, d’irréductible aux autres groupements et collectivités, elle a cependant le tort
d’adopter une formulation trop systématique et trop tranchée, inacceptable
aujourd’hui parce qu’elle ne rend pas compte de toute la réalité. Notamment, elle n’est
guère compatible avec les limitations dont les compétences de l’Etat peuvent faire
l’objet et qui tendent à devenir de plus en plus nombreuses. C’est ainsi qu’elle ne
permet pas d’expliquer la subordination de l’Etat aux règles du droit international
public ou aux normes garantissant les droits de l’Homme.

Section 2 : L’origine de l’Etat

L’Etat est le fruit de l’histoire. Il n’a pas toujours existé. Il n’existait pas, par
exemple, dans l’antiquité grecque ou romaine. Comment est-il donc né ? Deux grandes
théories ont tenté d’expliquer cette origine de l’Etat : il s’agit de la théorie de l’origine
contractuelle et celle de l’origine naturelle.

Paragraphe 1 : La théorie de l’origine contractuelle de l’Etat

Cette théorie a été développée au moyen âge avec des auteurs comme
ALTHUSSIUS mais surtout au XVII ème et au XVIII ème siècle avec HOBBES
(Léviathan,1651), LOCKE (Essai sur le gouvernement civil,1690) et ROUSSEAU (Du
contrat social, 1762). Pour ces auteurs et particulièrement pour ROUSSEAU, les
hommes se trouvent à l’origine dans un état de nature où ils sont indépendants de
tout lien social. La vie en société procède d’un contrat conclu entre les individus à un
moment donné.

En effet, les hommes ont compris l’utilité qu’il pouvait y avoir à mettre en
commun certains intérêts ; ils ont renoncé à leur liberté originelle en concluant un
contrat social.

23
L’Etat est donc l’association politique formée par les cocontractants. La
souveraineté est la volonté générale des participants au contrat social et les libertés
individuelles sont les libertés naturelles qui n’ont pas été aliénées par le contrat.

Cette théorie qui a eu un grand succès est cependant critiquable sur plusieurs
points.

D’abord, elle est contraire aux observations historiques : aucune société ne


porte témoignage d’un état de nature antérieur à la société. Au contraire, toutes les
sociétés montrent que l’homme est un animal social, enserré dans des liens religieux,
magique et économique. De même, on ne trouve aucune trace d’un contrat social
conclu entre les futurs membres de l’Etat ; ce qu’admettait d’ailleurs ROUSSEAU.

Ensuite, un contrat ne pouvant lier que les contractants, il faudrait un accord


unanime des futurs membres. Ce qui est impossible. Comment expliquer alors ceux
qui n’ont pas adhéré au contrat soient liés.

Paragraphe 2 : La théorie de l’origine naturelle

Pour d’autres auteurs, l’Etat n’est pas le résultat d’un contrat entre les
individus ; il est l’aboutissement d’un processus naturel. Il procède d’une nécessité
inhérente à la nature humaine. L’Etat est le produit de forces qui dépassent la volonté
humaine.

Progressivement, lorsque les circonstances l’ont permis, une organisation


permanente de la société a été mise en place pour assurer l’ordre, administrer la
population et organiser l’exercice et la transmission du pouvoir. Une différenciation
politique, c’est-à-dire une distinction gouvernants et gouvernés s’est établie.

Comme le montre un auteur comme G. BURDEAU, l’Etat est une construction


lente, non linéaire, faite de tâtonnements et de retours en arrière qui s’achèvera au XVI
ème siècle en Europe.

24
Celui-ci ne procède donc pas d’un contrat social.

Section 3 : Les formes juridiques de l’Etat

Il convient avant tout de distinguer la forme de gouvernement et la forme de


l’Etat. Alors que la première est déterminée par le nombre de titulaires de pouvoirs et
de la manière dont ils sont agencés, la seconde renvoie aux relations qui s’établissent
entre l’Etat et les collectivités infra- étatiques, entre le centre et la périphérie.

En laissant de côté les formes surannées telles les unions d’Etats (association de
deux ou plusieurs Etats gouvernés par un même souverain et qui comprennent les
unions personnelles et les unions réelles), il existe aujourd’hui trois formes
d’organisation étatique : l’Etat unitaire, l’Etat fédéral et l’Etat régional.

Paragraphe 1 : L’Etat unitaire

L’Etat unitaire est celui dans lequel il n’existe qu’un seul centre d’impulsion
politique et gouvernemental. Le pouvoir politique, dans la totalité de ses attributs et de
ses fonctions, y relève d’un titulaire unique qui est la personne juridique Etat. Tous les
individus placés sous la souveraineté de celui-ci obéissent à une seule et même
autorité, vivent sous le même régime constitutionnel et sont régis par les mêmes lois.
Le Gabon, la France sont des Etats unitaires.

Il existe cependant des différences importantes entre les Etats unitaires : les uns
sont dits centralisés, les autres décentralisés. Dans les Etats unitaires centralisés,
toutes les normes sont prises par des autorités nationales, dites aussi centrales. Dans
les Etats unitaires décentralisés, les normes locales sont prises par des autorités élues.

Dans la réalité, la centralisation s’accompagne toujours d’une dose de


déconcentration. Celle-ci consiste en une délégation de compétences à des agents
nommés par les autorités centrales. Ces agents font partie d’une hiérarchie et sont
soumis au contrôle de leurs supérieurs. La déconcentration est une modalité de la
centralisation.

25
La décentralisation quant à elle est liée à l’idéal démocratique. Elle permet aux
collectivités de gérer elles-mêmes leurs affaires. C’est pourquoi on parle dans ce cas
d’autonomie administrative.

La décentralisation doit être distinguée du principe de libre administration des


collectivités locales consacré par certaines constitutions dont celle du Gabon (article
112) et celle de la France (article 72). Alors que la décentralisation est une technique
par laquelle une collectivité supérieure (Etat) concède à une collectivité inférieure
certaines compétences, la libre administration est, au contraire, un droit fondamental
(c’est-à-dire un droit constitutionnellement garanti) reconnu à une communauté
humaine caractérisée par son rattachement à une portion du territoire national de
gérer ses affaires par des autorités élues. Ce principe de libre administration est
opposable même au législateur. Ce principe a fait l’objet d’une abondante
jurisprudence de la part du juge constitutionnel français qui en a déterminé la portée
mais aussi les limites.

S’agissant de la portée, ce principe implique d’abord des garanties


institutionnelles pour les collectivités locales : il s’agit d’une part, de l’exercice de la
libre administration par des élus, il s’agit d’autre part, de la représentation des
collectivités locales par le Sénat (au Gabon l’article 35 de la constitution dispose que le
sénat assure la représentation des collectivités locales). Ce principe suppose ensuite,
que les collectivités locales disposent de moyens juridiques et financiers pour exercer
leurs compétences. Les moyens juridiques consistent en un pouvoir réglementaire et
en une liberté contractuelle. Les moyens financiers se traduisent par une autonomie
financière des collectivités locales, c’est-à-dire des compétences juridiques en matière
de ressources et de charges mais aussi une maîtrise de ces dernières. Enfin, ce
principe se traduit par un domaine de compétence propre aux collectivités locales
protégé à la fois par rapport à l’Etat et par rapport aux autres collectivités locales.

En ce qui concerne les limites, elles résultent du principe de l’unité et de


l’indivisibilité de l’Etat. Ainsi l’autonomie locale ne peut remettre en cause le caractère
unitaire et indivisible de l’Etat, principe garanti par la constitution (article 1 er de la
constitution gabonaise).

Paragraphe 2 : L’Etat fédéral

26
L’Etat fédéral ou fédération se définit comme une union d’Etats au sens du droit
interne dans laquelle un super Etat (l’Etat fédéral) vient s’ajouter et se superposer à
d’autres Etats (les Etats fédérés). Ces derniers peuvent d’ailleurs revêtir des
appellations diverses (landers, cantons, provinces ou simplement Etats fédérés). La
fédération doit être distinguée de la confédération qui est une association d’Etats au
sens du droit international public dans laquelle plusieurs Etats souverains décident,
par le biais d’un traité international, d’exercer en commun certaines compétences.

La fédération est aujourd’hui la forme d’organisation de grands Etats (les Etats-


Unis, le Canada, la Russie, le Brésil, le Nigeria) mais aussi de certains petits Etats (la
Belgique, l’Autriche). On distingue généralement deux modes de formation de l’Etat
fédéral : l’Etat fédéral par association d’Etats unitaires lesquels constituent le plus
souvent dans un premier stade une confédération et passent dans un second stade au
système fédéral. Cela a été le cas des Etats-Unis en 1787, de la Suisse en 1848 ; l’Etat
fédéral par dissociation d’un Etat unitaire qui accepte de transformer radicalement ses
structures, d’accorder aux collectivités qui le composent le caractère étatique. C’est le
cas de la Belgique depuis 1993.

Il est commode d’analyser l’Etat fédéral comme une combinaison de deux


principes : le principe d’autonomie et le principe d’autonomie.

I -Le principe d’autonomie

Les collectivités fédérés établissent leur propre constitution, adoptent leurs


propres lois, les exécutent, disposent d’un appareil juridictionnel. Elles jouissent ainsi
d’une triple autonomie, constitutionnelle, législative et administrative.

S’agissant de l’autonomie constitutionnelle, elle implique en effet que chaque


collectivité dispose d’une constitution, c’est-à-dire d’un pouvoir d’auto- organisation
s’inscrivant dans le cadre des principes fixés par la constitution fédérale.

On observe cependant que, dans la plupart des cas, les institutions des
collectivités fédérées sont calquées sur celles de l’Etat fédéral. C’est ainsi qu’aux Etats-

27
Unis, les Etats fédérés ont adopté le régime présidentiel pratiqué au niveau fédéral
avec un exécutif représenté par un gouverneur élu et parlement bicaméral (sauf au
Nebraska). C’est aussi le cas en Allemagne où les lander connaissent le régime
parlementaire avec un chef de gouvernement, le Ministre- président et un parlement
monocaméral. Enfin, au Canada aussi, c’est le régime parlementaire fonctionnant au
niveau fédéral qui a été repris par les provinces avec un Premier ministre disposant
d’une majorité au Parlement (monocaméral).

Cependant en Suisse, les cantons ont une organisation différente de celle de


l’Etat fédéral (l’exécutif du canton est élu au suffrage universel alors que l’exécutif
fédéral composé de 7 membres est élu par le Parlement.

S’agissant de l’autonomie législative, les collectivités fédérées disposent d’un


domaine de compétences législatives garanti par la constitution et protégé par le juge
constitutionnel. Se pose alors le problème de la répartition des compétences entre
l’Etat fédéral et les Etats fédérés. Ce problème est normalement résolu par la
Constitution fédérale.

Plusieurs systèmes de répartition de compétences sont consacrés par la


constitution : le système de compétences exclusives, concurrentes et complémentaires.

Dans le premier système, la constitution fédérale énumère de manière expresse


les matières qui relèvent du parlement fédéral, qui bénéficie ainsi d’une compétence
d’attribution. Toutes les autres matières sont dévolues aux Etats fédérés qui
bénéficient d’une compétence de droit commun. Aux Etats-Unis, par exemple, l’article
1er section 8, donne la liste des compétences qui relèvent du Congrès (politique
étrangère, défense, justice, pouvoir d’imposition etc.) et le X ème amendement pose le
principe selon lequel tous les pouvoirs qui ne sont pas délégués au Congrès par la
constitution, ni interdits par elle aux Etats, sont réservés respectivement à ceux-ci et
au peuple.

C’est le cas aussi en Allemagne où l’article 73 de la constitution définit les


matières relevant exclusivement de la fédération (affaires étrangères, défense,
nationalité, monnaie, liberté de circulation etc.), les landers ne pouvant légiférer dans
celles-ci que sur habilitation expresse d’une loi fédérale.

28
Au Canada, en revanche, la compétence de droit commun appartient à la
fédération et les provinces ne disposent que d’une compétence d’attribution.

Dans le second système, les matières relèvent à la fois de la fédération et des


collectivités fédérées. Aux Etats-Unis, le bien-être général de la population, c’est-à-dire
le welfare, peut justifier l’intervention de la fédération ou des Etats fédérés. En
Allemagne, c’est pas moins de 26 matières qui peuvent être exercées concurremment
par la fédération et les land (droit civil, droit pénal, lutte contre la pollution, le bruit
etc.). Cependant, les land ne peuvent légiférer qui si la fédération s’abstient de le faire.

Dans le dernier système, consacré notamment par la constitution fédérale


allemande (article 75), la fédération détermine les principes fondamentaux d’une
matière, les collectivités fédérées adoptent la législation de détail. Ainsi l’enseignement
supérieur, la presse, l’aménagement du territoire etc. sont des matières
complémentaires.

Enfin, s’agissant de l’autonomie administrative, elle implique que les collectivités


fédérées exécutent leurs lois au moyen d’une administration propre. Il faut relever ici
que contrairement aux Etats-Unis où la fédération applique ses lois par une
administration fédérale, en Allemagne et en Suisse, par exemple, la fédération ne
dispose pas d’une administration. Elle met en œuvre ses lois au moyen de
l’administration des collectivités fédérées. Mais pour veiller à ce que les collectivités
fédérées exécutent fidèlement les lois fédérales, un contrôle des mesures d’application
de la loi est prévu. Il faut aussi relever qu’aux Etats-Unis, la Cours suprême interdit au
Congrès d’ordonner aux autorités locales, l’exécution d’une législation fédérale. Il doit
prévoir l’application de la législation fédérale exclusivement par l’administration
fédérale, sauf si les autorités locales acceptent volontairement d’y participer (Arrêt
Printz v. United states de 1997).

La répartition des compétences ainsi opérées par la Constitution fédérale est


fondamentale car- sous réserve des secteurs de compétences concurrentes- elle
délimite des sphères d’activités où la fédération et les Etats fédérés vont pouvoir agir
librement et, au moins en théorie, sans empiétement les uns sur les autres. En cas de
conflit, le juge constitutionnel est compétent.

II - Le principe de participation

29
Les collectivités fédérées participent au pouvoir constituant au niveau fédéral.
En effet, la révision de la constitution fédérale exige l’assentiment des Etats fédérés.

Ainsi aux Etats-Unis, les deux procédures de révision prévues par l’article 5 de
la constitution fédérale requièrent à chaque fois l’accord des Etats fédérés (soit les 2/3
des membres des deux chambres du Congrès proposent des amendements qui doivent
être ratifiés par les corps législatifs ou les conventions dans 3/4 des Etats ; soit les
corps législatifs des 2/3 des Etats demandent la tenue d’une convention pour
proposer des amendements qui doivent être ratifiés par les conventions formées par les
¾ d’entre eux.)

La participation des Etats fédérés au pouvoir législatif fédéral est directe. Elle se
réalise grâce à une seconde chambre parlementaire où siègent les représentants des
Etats fédérés (Sénat, Bundesrat). C’est donc dire que le bicaméralisme est inhérent à
l’Etat fédéral.

La participation des Etats fédérés au pouvoir exécutif est indirecte. Il ne s’agit


pas d’une participation à l’exercice de ce pouvoir mais d’une participation à la
désignation du titulaire. C’est ainsi que le Chef de l’Etat peut être élu par les deux
assemblées réunies (Suisse).

Paragraphe 3 : L’Etat régional

L’Etat régional encore appelé Etat autonomique ou Etat des autonomies, est
selon l’heureuse expression de C. BIDEGARAY, à la fois un Etat intermédiaire entre
l’Etat unitaire décentralisé et l’Etat fédéral, et un Etat transitoire, dans la mesure où il
est parfois une étape dans l’évolution vers l’Etat fédéral.

I – Un Etat intermédiaire

L’Etat régional correspond à la prise en compte par l’Etat central des identités
territorialisées, qu’elles soient ethniques, linguistiques ou religieuses. Cette forme

30
d’Etat a été dégagée par la doctrine en observant certains Etats comme l’Espagne,
l’Italie, le Portugal et la Grande-Bretagne depuis les lois de dévolution adoptée par le
gouvernement travaillistes de BLAIR en 1997 et en 1998 (avec la création d’un
parlement écossais notamment). Il se caractérise par une reconnaissance dune
autonomie politique au profit des collectivités infra- étatiques ou régions, c’est-à-dire
d’un pouvoir législatif consacré par la constitution et protégé par le juge
constitutionnel (Espagne, Italie). En cela, l’Etat régional se rapproche de l’Etat fédéral.

Ainsi l’article 2 de la constitution espagnole du 27 décembre 1978 dispose-t-elle


que « la constitution reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des
régions qui la composent et la solidarité entre elles ». Sur ce fondement ont pu se
constituer des communautés autonomes (les communautés historiques ou de premier
rang, Catalogne, Galice, Pays basque, puis Andalousie ; puis les communautés
autonomes de second rang, Asturies, Murcie, Aragon, Canaries, Baléares, bénéficiant
d’une autonomie moins importante que les premières).

De même, l’article 5 de la constitution italienne affirme « la République


reconnaît et favorise les autonomies locales ».

Ce pouvoir législatif s’exerce dans des matières énumérées par la constitution,


autre élément de rapprochement avec l’Etat fédéral. L’article 148 de la constitution
énumère les matières dans lesquelles les communautés autonomes pourront légiférer
(agriculture, élevage, la pêche, les eaux, la forêt etc.), l’article 149 énonce de son côté
les matières pour lesquelles l’Etat jouit d’une compétence exclusive (les relations
internationales, la défense, les forces armées, la justice etc.)

L’article 149-3 contient une clause résiduelle selon laquelle les matières non
expressément dévolues à l’Etat, peuvent être exercées par les communautés, si elles les
revendiquent.

Pour mettre en œuvre cette autonomie politique, les collectivités régionales


bénéficient d’institutions quasi-fédérales. En Espagne, par exemple, chaque
communauté autonome a une assemblée législative, élue au suffrage universel direct,
un exécutif, le conseil de gouvernement. C’est un régime de type parlementaire, calqué
sur le modèle de l’Etat central qui a été choisi. On n’est pas loin du principe de
subsidiarité que l’on retrouve dans l’Etat fédéral (par exemple aux USA

31
Toutefois, à la différence de l’Etat fédéral, l’Etat régional reste unitaire. C’est ce
qu’affirment l’article 2 de la constitution espagnole ou l’article 5 de la constitution
italienne qui posent le principe de l’indivisibilité de l’Etat. Cette unicité se traduit par
l’absence d’un double pouvoir constituant (les collectivités régionales n’ont pas de
constitution) et un pouvoir d’auto -organisation encadré par l’Etat.

II – Un Etat transitoire

L’Etat régional est discuté aujourd’hui dans la doctrine en tant que modèle
théorique ou forme nouvelle d’Etat, à côté de l’Etat unitaire et de l’Etat fédéral. Pour
certains auteurs, il apparaît plutôt comme une forme transitoire, une étape dans
l’évolution vers le fédéralisme. C’est ce montre l’exemple de la Belgique qui après avoir
été un Etat régional, a évolué vers la forme fédérale à l’occasion de la révision
constitutionnelle de 1993.

32
CHAPITRE 1 : L’ENCADREMENT JURIDIQUE DU POUVOIR : LA CONSTITUTION

Dès lors qu’un Etat existe, il se trouve doté, comme toute personne morale, d’un
statut juridique, c’est-à-dire d’une constitution destinée à encadrer le pouvoir. La
constitution de l’Etat a, dès sa création, un double sens : d’une part, elle caractérise le
statut des gouvernants, en déterminant leurs compétences, d’autre part, elle fixe le
statut des gouvernés, dans la mesure où elle marque les limites à l’action des
gouvernants afin de protéger les droits fondamentaux des citoyens. M. HAURIOU
distinguait ainsi une constitution politique et une constitution sociale.

Il convient, dans un premier temps, d’examiner la notion de constitution


(section 1), avant d’étudier les modes d’élaboration et de modification de la constitution
(section 2) et l’effectivité de la suprématie de la constitution : le principe de
constitutionnalité (section 3).

Section 1 : La notion de constitution

Juridiquement, on distingue les constitutions soit d’après leur contenu. On


parle alors de constitution au sens matériel (paragraphe 1) ; soit d’après leur forme.
On parle alors de constitution au sens formel (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La constitution au sens matériel

Une définition matérielle prend le contenu comme objet. Elle s’attache à l’objet,
à la matière, au fond.

On définit traditionnellement la constitution au sens matériel comme l’ensemble


des dispositions « organisant les pouvoirs publics, le fonctionnement des institutions et
les libertés des citoyens ». Certains ajoutent par ailleurs, « l’organisation territoriale » ;
d’autres l’introduisent plus simplement en affirmant qu’il s’agit « de règles juridiques
les plus importantes ».

33
Mais ces définitions présentent un triple inconvénient : elles sont subjectives,
circulaires et juridiquement insaisissables. Elles demeurent subjectives parce que
chaque lecteur peut interpréter à sa convenance ce qu’il juge important. Elles sont
circulaires parce qu’elles renvoient à des concepts qui sont à leur tour définis grâce à
la notion de constitution (les pouvoirs publics sont les organes institués par la
constitution). Elles sont juridiquement insaisissables parce que « pouvoirs publics »,
« institutions », et même « libertés des citoyens » n’ont pas fait l’objet d’une définition
juridique précise ; ce sont des notions qui renvoient à des intuitions vagues et
subjectives.

Ces différentes définitions reposent sur l’idée que la constitution a un caractère


fondamental et fondateur ; sans elle, il n’y aurait pas de droit. La question est alors de
savoir comment rendre compte de cette intuition dans une définition qui soit à la fois
objective et précise.

Il faut partir de la théorie de la hiérarchie des normes de H. KELSEN. Pour le


maître autrichien, tout ordre juridique est nécessairement hiérarchisé. La constitution
au sens matériel peut alors être définie comme « l’ensemble des normes de production
de normes générales et abstraites ».

Cet ensemble de normes existe nécessairement dans tout ordre juridique. Sans lui,
par hypothèse, aucune norme générale et abstraite ne saurait exister.

Si l’on accepte cette définition de la constitution matérielle, on ne saurait


évidemment dénier une constitution à la Grande-Bretagne. Ce pays connaît en effet
des règles de production de normes générales et abstraites.

La définition ici proposée est objective et précise. Pour toute norme d’un ordre
juridique donné, on peut en effet se demander s’il concerne la production de normes
générales et abstraites.

Paragraphe 2 : La constitution au sens formel

34
Une telle définition formelle de la constitution doit s’attacher exclusivement à la
forme, c’est-à-dire au processus d’élaboration et exclure toute considération relative au
contenu des normes en question.

Selon la théorie de la hiérarchie des normes, chaque procédure spécifique définit


une forme juridique ou une catégorie normative. Il existera une forme constitutionnelle
s’il existe une procédure spécifique déterminant des normes explicitement qualifiées de
« constitutionnelles ».

Dans tout système juridique, la production des normes générales et abstraites se


fait selon une ou plusieurs procédures. Pour qu’il y ait droit constitutionnel formel, il
faut et il suffit par ailleurs une autre procédure renforcée par rapport à cette procédure
ordinaire. C’est-à-dire, qu’il s’agira des normes juridiques produites selon la procédure
la plus renforcée. Le principe est qu’une différenciation de procédures ne peut être
qu’une différenciation des formes ou catégories et une différenciation de formes n’est à
son tour autre chose qu’une différenciation hiérarchique. Au sommet de la hiérarchie
des normes se trouvent celles dont la production exige le respect des étapes les plus
compliquées.

Au Gabon, la constitution formelle est introduite, non parce qu’elle


s’appelle constitution du 26 mars 1991, mais parce que ce texte contient un
Titre XI, « de la révision », qui détermine une procédure spécifique et renforcée
par rapport à la procédure législative ordinaire. 
Section 2 : L’élaboration et la révision de la constitution

Les constitutions ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil. Elles sont
matière vivante : elles naissent, vivent, disparaissent, subissent les déformations de la
vie politique, sont l’objet de révisions plus ou moins importantes, et peuvent
disparaître. On étudiera successivement l’élaboration (paragraphe 1) et la révision de
la constitution (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’élaboration de la constitution

Il convient d’examiner la notion de pouvoir constituant originaire (I) avant


d’étudier sa mise en œuvre (II).

I - La notion de pouvoir constituant originaire

Le pouvoir constituant originaire est le pouvoir d’établir les règles


constitutionnelles. Il s’agit d’élaborer un texte constitutionnel qui va fonder le nouvel
ordre juridique. C’est pourquoi il faut supposer que l’ordre juridique antérieur a
disparu ou est devenu caduc et que l’on se trouve devant un vide juridique.

35
Celui-ci peut se produire en diverses circonstances. Il se produit d’abord après
une révolution, celle-ci détruisant l’ordre constitutionnel existant et lui substituant un
gouvernement de fait qui ne tient son autorité que de lui-même. Le vide juridique peut
aussi se produire lors de l’apparition d’un nouvel Etat. Dans cette hypothèse encore, la
liberté des titulaires du pouvoir constituant est totale. C’est dans cette situation que se
sont trouvés, au cours des années 60, les territoires sous dépendance coloniale,
française ou anglaise notamment, lorsqu’ils ont accédé à l’indépendance. Le vide
juridique peut enfin se produire à l’occasion d’une guerre, en cas de résurrection d’un
Etat que l’on a pu croire un moment disparu. Tel est le cas de l’Allemagne de l’ouest,
après la défaite de 1945, lorsqu’elle a adopté la loi fondamentale du 23 mai 1949.

II - La mise en œuvre du pouvoir constituant originaire

On peut classer les modalités possibles de mise en œuvre du pouvoir


constituant originaire en fonction de leur caractère plus ou moins démocratique. On a
ainsi l’élaboration non démocratique (A), l’élaboration mixte (B) et l’élaboration
démocratique (C).

A- L’élaboration non démocratique : la Charte octroyée

Les modes d’élaboration non démocratiques sont ceux qui confient l’exercice du
pouvoir constituant au chef, au monarque, au dictateur ou encore à un groupe.
L’élaboration de la constitution exclut toute participation populaire. C’est le système de
la charte octroyée. Le monarque décide unilatéralement de donner une constitution à
ses sujets. Tel est le cas de la charte octroyée de 1814 en France. Ce système existe
encore de nos jours. Ainsi après un coup d’Etat, il arrive souvent que les vainqueurs
élaborent une constitution, de leur propre initiative, sans l’assentiment populaire (Acte
constitutionnel n°1 du 15 mars 2003, de la République centrafricaine rédigée par le
Général BOZIZE après son coup d’Etat). On peut aussi ranger dans ce système ceux
qui font un appel hypocrite au peuple pour autoriser ou ratifier, souvent sous la
pression du pouvoir, une constitution élaborée en dehors de lui.

B- L’élaboration mixte : la charte négociée

Dans ce système, le pouvoir constituant est exercé conjointement par le


monarque et le peuple. Le texte constitutionnel résulte d’un pacte entre le monarque et
le représentant de la nation. Ce mode d’élaboration se rencontre surtout lors d’un
changement de dynastie ou lors de l’accession d’un nouveau monarque sur le trône.
On peut citer de la sorte la charte de 1830 en France. On peut y ranger aussi
l’élaboration de la constitution française de 1958. Le Général DE GAULLE ayant
obtenu l’accord de la classe politique, du parlement et de la nation sur les grandes
lignes du nouveau texte, le fit préparer par un groupe d’experts avant de le soumettre
au référendum.

C- L’élaboration démocratique

36
Les modes d’élaboration démocratiques sont ceux qui confient à une assemblée
élue par l’ensemble des citoyens le soin d’élaborer la constitution. En effet, en
désignant les membres de l’assemblée constituante, il est à même d’orienter
l’élaboration de la constitution.

Le procédé le plus démocratique est certainement celui qui soumet au peuple


pour ratification, le projet élaboré par une assemblée constituante. Le peuple intervient
ainsi une première fois, au début du processus, pour désigner ses représentants, puis
une seconde fois, tout à la fin, pour entériner ou rejeter. Entre dans ce système la
constitution française de 1793.

37
Paragraphe 2 : La révision de la constitution

Les constitutions ne sont pas immuables. Elles doivent évoluer avec la société.
Les constituants doivent avoir la sagesse de prévoir des procédures permettant de
modifier la constitution. L’étude de la révision de la constitution conduit à examiner la
notion de pouvoir constituant dérivé (I) avant d’étudier sa mise en œuvre (II).

I -Le pouvoir constituant dérivé

Il faut définir cette notion (A) avant d’étudier la distinction entre les
constitutions souples et les constitutions rigides (B).

A -La notion de pouvoir constituant dérivé

Il s’agit du pouvoir de modifier la constitution, entendue au sens formel.


Aujourd’hui, la constitution n’est plus considérée comme un texte intangible. La
modification de la constitution permet d’accroître ses chances de durée. Il existe deux
types de révisions.

Il y a d’abord les révisions destinées à corriger les dysfonctionnements des


institutions. Ainsi en 2000, plusieurs dispositions de la constitution gabonaise ont été
modifiées dans ce sens. Il y a ensuite les révisions qui marquent un changement
important dans l’orientation du régime. Dans les années 90, la plupart des Etats de
l’Afrique centrale ont modifié leurs constitutions pour instaurer le multipartisme et
l’Etat de droit.

Dans le même sens, il peut arriver qu’une constitution ayant fait l’objet de
multiples modifications portant sur des points souvent relativement dispersés, il
devienne souhaitable d’y remettre un peu d’ordre et de cohérence.

B - Constitution souple et constitution rigide

La constitution étant la norme supérieure dans l’ordre juridique, elle doit


l’emporter sur toutes les autres normes juridiques adoptées par les organes institués
(parlement, gouvernement etc.). Cette primauté de la constitution ne sera jamais
mieux marquée qu’à l’occasion de sa révision. D’où l’intérêt de la distinction des
constitutions souples et des constitutions rigides.

La constitution souple est celle qui peut être révisée par les organes et selon la
procédure servant à l’adoption des lois ordinaires. La suprématie de la constitution
n’est alors qu’un mot car il n y a pas de différence entre les lois constitutionnelles et
les lois ordinaires. Elles s’identifient et se situent à la même place dans la hiérarchie
des normes. Les constitutions coutumières sont presque toujours souples (exemple
Grande-Bretagne), les constitutions écrites ne le sont que très exceptionnellement
(exemple la charte de 1830 en France).

38
La constitution rigide est celle qui ne peut être révisée que par un organe
distinct et selon une procédure spécifique, différente de la procédure législative
ordinaire. La différenciation existant alors, sur le plan organique ou procédural, entre
les lois constitutionnelles et les lois ordinaires marque clairement la primauté des
premières sur les secondes.

La constitution gabonaise du 26 mars 1991 est rigide.

Il est tout à fait exceptionnel qu’une constitution coutumière soit rigide. On peut
citer cependant les lois fondamentales du royaume sous l’ancien régime en France. Le
Roi qui exerçait le pouvoir législatif ne pouvait modifier ces lois sans le consentement
des Etats généraux.

Les constitutions sont plus ou moins rigides. Tout dépend des modalités de
révision. Elles sont moins rigides lorsqu’il y a peu de différences procédurales entre
l’adoption des lois constitutionnelles et l’adoption des lois ordinaires. Elles sont plus
rigides lorsque les procédures de révision sont spécifiques et complexes.

II -La mise en œuvre du pouvoir constituant

Il faut déterminer l’organe compétent pour procéder à la révision (A) avant de


voir les procédures (B) et les limites à la révision (C).

A - Les organes

Quel organe va exercer le pouvoir constituant dérivé ? Il existe une grande


variété de situations possibles, qu’on peut ramener à deux catégories avec de
nombreuses variantes.

Dans la première catégorie, ce sont les représentants élus qui sont investis,
seuls et de manière exclusive, du pouvoir constituant dérivé. Selon une première
modalité, ces représentants peuvent avoir été élus spécialement pour procéder à la
révision. Ils composent alors une convention selon une terminologie américaine. Selon
une autre modalité, il s’agit de représentants composant les assemblées
parlementaires qui, selon le cas, peuvent siéger dans une formation différente.

Dans une seconde catégorie, sont investis du pouvoir constituant dérivé, d’une
part, les représentants élus, d’autre part, soit le peuple, qui se prononce par voie
référendaire, soit dans les Etats fédéraux, les Etats fédérés qui se prononcent par le
biais de leurs chambres.

B- Les procédures

Il faut distinguer la question de l’initiative et de l’adoption.

D’abord, l’initiative appartient le plus souvent soit aux organes exécutifs, soit
aux organes parlementaires. Le plus souvent, elle est reconnue aux deux (article 109
constitution gabonaise). Plus rarement, elle peut être reconnue à une fraction du
39
peuple : en suisse, une pétition revêtue de 100 000 signatures au moins suffit à
déclencher le processus de révision sur le plan fédéral.

Ensuite, la révision est adoptée soit par une convention spécialement élue, soit
par les assemblées parlementaires siégeant en commun, souvent selon une procédure
plus solennelle, et se prononçant à une majorité qualifiée. Il peut parfois exister une
troisième phase qui est celle de la ratification par le peuple ou par les Etats membres
(article 5 de la constitution américaine).

C - Les limites à la révision

La constitution peut contenir des dispositions interdisant certaines


modifications. Ces interdictions peuvent concerner la forme de la révision ou le fond.

Les interdictions relatives à la forme peuvent tenir aux délais dans lesquels la
procédure peut être entamée, aux circonstances dans lesquelles elle peut avoir lieu ou
à la procédure. C’est ainsi qu’une constitution peut interdire toute révision pendant un
certain délai suivant son entrée en vigueur. Elle ne pourra intervenir que lorsque
quelques années d’expérience en auront montré les défauts. Ainsi la constitution
française de 1791 interdisait toute révision pendant les dix premières années de son
application. Une constitution peut également interdire toute révision dans certaines
circonstances. Ainsi l’article 109 alinéa 9 de la constitution gabonaise dispose la
révision ne peut être entamée ou achevée en cas d’intérim de la présidence de la
République, de recours aux pouvoirs de crise de l’article 26, d’atteinte à l’intégrité du
territoire

Les interdictions relatives au fond concernent certains points qui ne peuvent


faire l’objet d’une modification. Il s’agit de protéger certaines données fondamentales
de l’ordre constitutionnel. L’article 110 de la constitution gabonaise dispose dans ce
sens que la forme républicaine de l’Etat ainsi que le caractère pluraliste de la
démocratie sont intangibles et ne peuvent faire l’objet d’aucune révision.

Mais ces interdictions ne sont pas vraiment contraignantes. Elles ne limitent


pas véritablement le pouvoir constituant dérivé. En effet, il est toujours possible de
réviser dans un premier temps les dispositions de la constitution qui fixent ces limites,
pour, dans un second temps, opérer la révision.

Il existe une autre théorie qui prétend limiter le pouvoir constituant dérivé. C’est
celle de la supra-constitutionnalité. Cette théorie affirme l’existence de deux niveaux de
règles constitutionnelles : les lois constitutionnelles et la constitution proprement dite.
Les lois constitutionnelles contiennent des règles techniques relatives à l’organisation
des pouvoirs. Elles peuvent être modifiées conformément à la procédure prévue par la
constitution. En revanche, la constitution proprement dite comprend des principes
fondamentaux de l’Etat. Le pouvoir constituant dérivé ne peut modifier ces principes.

40
Section 3 : L’effectivité de la suprématie de la constitution : le principe de
constitutionnalité

C’est le principe de constitutionnalité qui donne effectivité à la suprématie de la


constitution. En effet, la suprématie de la constitution serait théorique si elle
n’impliquait l’impossibilité pour les normes infra- constitutionnelles de déroger à la
norme constitutionnelle. Le principe de constitutionnalité est donc à relier à la justice
constitutionnelle, c’est-à-dire à l’existence d’une juridiction chargée de contrôler la
conformité à la constitution des normes infra – constitutionnelles. Nous verrons
d’abord la signification de ce principe avant d’en examiner la portée.

Paragraphe 1er : la signification du principe

C’est à L. FAVOREU que l’on doit cette notion de principe de constitutionnalité,


forgée à partir de la notion de légalité bien connue des en droit administratif. Il
l’emprunte à C. EISENMANN qui affirme dès 1928 que « tout comme le principe de
légalité signifie que seule la loi peut déroger à la loi, le principe de constitutionnalité
signifie que seule une loi constitutionnelle peut déroger à une loi constitutionnelle ».

Ce principe de constitutionnalité, comme nous l’avons précisé plus haut est


indissociable de la justice constitutionnelle. Car l’existence d’une constitution écrite ne
suffit pas pour que soit affirmé le principe de constitutionnalité.

Ce principe a été consacré tardivement dans les pays européens. Contrairement


aux USA qui ont consacré dès le XIXème siècle ce principe, en Europe, il a fallu
attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour qu’il soit affirmé. En effet, le règne
du légicentrisme : la loi est placée au centre du système juridique et véhicule les
valeurs essentielles du droit. Si la suprématie de la loi sur les infra- législatifs est
garantie grâce au principe de légalité appliqué par le juge administratif, celle de la
constitution sur les actes infra- constitutionnels, et notamment la loi, n’est pas
effective en raison de l’inexistence d’une juridiction constitutionnelle.

En France, il a fallu attendre la constitution de 1958 avec la mise en place d’une


juridiction constitutionnelle, le Conseil constitutionnel, pour ce principe soit affirmé.
Mais il ne devient réellement effectif qu’avec les premières décisions invalidant les lois
pour inconstitutionnalité. La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 8 août
1985 Evolution de la nouvelle Calédonie) contient l’affirmation la plus nette du
principe de constitutionnalité. Dans cette décision, la Haute juridiction française,
affirme, sous la plume du Doyen G. VEDEL, rapporteur, que « la loi n’exprime la
volonté générale que dans le respect de la constitution.

41
Ce principe de constitutionnalité sera consacré dans plusieurs pays africains
(Bénin, Gabon et Sénégal etc) avec les constitutions issues des transitions
démocratiques.

Beaucoup de pays encore aujourd’hui n’ont pas consacré le principe de


constitutionnalité (en raison du refus d’instaurer une justice constitutionnelle) et ne
connaissent que le principe de légalité. C’est le cas de la Grande-Bretagne et des Pays
Bas.

Paragraphe 2 : la portée du principe : la notion de bloc de constitutionnalité

Pour établir le rapport de constitutionnalité, c’est-à-dire la relation de


subordination entre la constitution et la loi, la juridiction constitutionnelle s’appuie
sur un bloc de constitutionnalité. C’est L. FAVOREU qui a consacré cette notion en
s’inspirant de la notion de bloc de légalité. Le bloc de constitutionnalité, c’est
l’ensemble des normes de référence du contrôle de constitutionnalité, c’est-à-dire les
normes à l’aune desquelles le juge constitutionnel contrôle la constitutionnalité des
normes infra- constitutionnelles. C’est donc une notion doctrinale même si elle a été
consacrée dans certains pays par le juge constitutionnel (exemple en Espagne où la
Cour constitutionnelle évoque el bloque de constitucionalidad ou au Gabon avec la
première décision de 1992)).

Le contenu du bloc de constitutionnalité diffère selon les pays. Ainsi en France,


depuis la décision Liberté d’association du 16 juillet 1971, il comprend outre la
constitution stricto sensu, son préambule. Ce dernier renvoie au préambule de la
constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et à
la Charte de l’environnement adossée à la constitution.

Au Gabon, la Cour constitutionnelle a défini le contenu du bloc de


constitutionnalité dès sa première décision rendue le 28 février 1992. En effet, selon la
Haute juridiction gabonaise, « la conformité d’un texte de loi à la constitution doit
s’apprécie non seulement par rapport à celle-ci mais aussi par rapport au contenu des
textes et normes de valeur constitutionnelle énumérées dans le préambule de la
constitution ». Ce préambule fait référence à la DDHC de 1789, à la DUDH de 1948, à
la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et à la Charte nationale des
libertés de 1990. Au fil de ses décisions, le juge constitutionnel gabonais a enrichi ce
bloc de constitutionnalité en y intégrant des éléments nouveaux : les principes et
objectifs de valeur constitutionnelle, les lois organiques et les règlements des
assemblées.

42
CHAPITRE 2 : LE CONTROLE JURIDIQUE DU POUVOIR : LA JUSTICE
CONSTITUTIONNELLE

La justice constitutionnelle apparaît comme l’évènement majeur du droit


constitutionnel du XXe siècle. Il n’est pas de démocratie naissante qui ne se soit dotée
de justice constitutionnelle. La justice constitutionnelle apparaît comme un corollaire
de la hiérarchie des normes : si la constitution est supérieure à la loi, alors il faut
instituer un gardien, un juge chargé de vérifier que la loi ne viole pas la constitution.

La justice constitutionnelle désigne ainsi l’ensemble des institutions et


techniques grâce auxquelles est assurée sans restriction la suprématie de la
constitution (L. FAVOREU). Cette expression est utilisée pour la première fois dès 1928
par Hans KELSEN dans un article publié dans la revue française de droit public.

De nombreux systèmes de justice constitutionnelle existent dans le monde


aujourd’hui. Mais on distingue deux grands modèles. La première section sera
consacrée à l’exposé de ces deux modèles. La seconde section examinera la justice
constitutionnelle au Gabon.

Section 1 : Les modèles de justice constitutionnelle

Il existe deux modèles de justice constitutionnelle : le modèle américain


(paragraphe 1) et le modèle européen (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le modèle américain de justice constitutionnelle

Le modèle américain de justice constitutionnelle est l’œuvre du chief justice J.


MARSHALL dans la célèbre arrêt de la Cour suprême américaine MALBURY vs
MADISON du 24 février 1803.

Bien qu’évoquée au cours de la convention de Philadelphie de 1787, la question


d’un éventuel contrôle judiciaire des lois du congrès n’avait pas été réglée par la
constitution fédérale. Celle-ci avait seulement prévu dans son article VI un contrôle
judiciaire de constitutionnalité des lois des Etats. En revanche, rien n’avait été
formellement prévu pour les lois du congrès et la question était ouverte de savoir si le
congrès était soumis au respect de la constitution. Les conditions dans lesquelles se
réalisa l’alternance en 1800, qui évinça du pouvoir le parti fédéraliste au profit du parti
républicain, devaient donner à la Cour suprême l’occasion de répondre à cette
question.

Anticipant leur défaite électorale et cherchant à en minimiser les conséquences,


les fédéralistes avaient résolu de s’assurer le contrôle du pouvoir judiciaire. Ils
procédèrent ainsi à la nomination de « fournées » de juges de manière à investir les
cours fédérales de magistrats proches du parti fédéraliste. MALBURY fut ainsi nommé

43
juge de paix dans le district de Columbia par l’administration fédéraliste du président
sortant JOHN ADAMS. Cependant, dans la précipitation, l’administration ADAMS n’a
pas pu notifier à celui-ci son acte de nomination et d’affectation. Suite au refus de
l’administration du nouveau président JEFFERSON de lui notifier la décision de
nomination, MALBURY saisit la Cour suprême pour qu’elle oblige le nouveau secrétaire
d’Etat MADISON à donner effet à sa nomination, comme le prévoit une loi de 1789.

En 1803, la Cour suprême rendit sa décision sous la forme d’une opinion


majoritaire écrite par le chief justice MARSHALL. Cet arrêt est passé à l’histoire pour
avoir fondé le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois (judicial review).
L’argumentation de J. MARSHALL prend la forme d’un syllogisme : la constitution est
la norme supérieure dans l’ordre juridique (proposition majeure) ; la loi sur laquelle se
fonde MALBURY est contraire à la constitution (proposition mineure) ; la loi de 1789
doit être invalidée pour inconstitutionnalité (conclusion).

Le modèle américain se caractérise par un contrôle diffus. Autrement dit, la


justice constitutionnelle est confiée à l’ensemble de l’appareil juridictionnel et elle ne se
distingue pas en fait de la justice ordinaire dans la mesure où tous les litiges, quelle
que soit leur nature, sont jugés par les mêmes tribunaux et dans les mêmes
conditions. La Cour suprême, placée au sommet de la hiérarchie juridictionnelle
assure une fonction de régulation et d’unification de la jurisprudence.

Le contrôle est essentiellement a posteriori, c’est-à-dire qu’il intervient avant la


promulgation, par voie d’exception (tout justiciable peut, à l’occasion d’un litige soulevé
une question de constitutionnalité) et la décision rendue bénéficie de l’autorité relative
de chose jugée (elle ne s’impose qu’au cas d’espèce).

44
Paragraphe 2 : Le modèle européen de justice constitutionnelle

Le modèle européen de justice constitutionnelle n’aurait pas existé sans


KELSEN. Par ses travaux et par son projet de constitution autrichienne de 1920, le
maître de Vienne a mis au point un modèle de justice constitutionnelle s’opposant au
modèle américain. Hans KELSEN le consacre à partir de la théorie de la pyramide des
normes. Il montre qu’il faut empêcher la production des normes fautives. Ce qui vaut
sur le plan infra- législatif, avec l’existence d’un contrôle du pouvoir réglementaire par
les juges administratifs, vaut également sur le plan constitutionnel.

Le contrôle de constitutionnalité des lois est donc un instrument pour garantir


le respect des normes supérieures. Le contrôle ne peut être que centralisé, c’est-à-dire
exercé par une juridiction constitutionnelle spécifique. Il ne saurait être confié à des
juges ordinaires comme aux Etats-Unis. La Haute cour constitutionnelle autrichienne
instituée par la constitution de 1920 représente la première application du modèle
européen (encore appelé modèle austro- kelsénien).

Ce modèle se caractérise donc par un contrôle concentré, confié à une


juridiction créée spécialement à cet effet : une cour constitutionnelle. Une cour
constitutionnelle peut être définie comme une juridiction créée pour connaître
spécialement et exclusivement du contentieux constitutionnel, située hors de l’appareil
juridictionnel ordinaire et indépendante de celui-ci et des pouvoirs publics. Une cour
suprême ou un tribunal suprême, ou même une chambre constitutionnelle peuvent
être de juridictions constitutionnelles mais ce ne sont pas de cours constitutionnelles.
En revanche, peu importe que telle ou telle cour constitutionnelle soit formellement
dénommée « conseil », « tribunal », ou même « cour suprême constitutionnelle », dès
l’instant qu’elle répond à la définition qui vient d’être esquissée.

Le modèle européen se caractérise aussi par un contrôle abstrait, c’est-à-dire en


dehors de tout litige particulier, déclenché par voie d’action par les autorités politiques.
Les décisions rendues ont autorité absolue de chose jugée.

Ce modèle s’est diffusé dans le monde entier et notamment en Afrique centrale


et au Gabon.

45
Section 2 : La justice constitutionnelle au Gabon

La justice constitutionnelle au Gabon sera étudiée en trois paragraphes :


la juridiction constitutionnelle (paragraphe 1), le contentieux constitutionnel
(paragraphe 2) et le procès constitutionnel (paragraphe 3).

Paragraphe 1 : La juridiction constitutionnelle 

Le Gabon a adopté le modèle européen de justice constitutionnelle en


mettant en place des cours constitutionnelles. Ces cours présentent des
caractéristiques communes tant en ce qui concerne leur composition (I) que
leur statut (II).
I -La composition

La Cour constitutionnelle est composée de 9 membres qui portent le titre


de juge constitutionnel. Les anciens présidents de la République sont membres
de droit avec voix délibérative.

Les 9 membres sont désignés comme suit

-trois par le Président, dont le Président de la Cour ;


-trois par le Parlement, à raison de 2 par l’Assemblée nationale et 1 par le
Sénat ;
-trois par le Conseil supérieur de la magistrature.

Ils sont nommés pour un mandat de 9 ans non renouvelables.

Les juges constitutionnels sont choisis à titre principal parmi les


professeurs de droit, les avocats et les magistrats.

46
Les membres de la cour constitutionnelle ne sont donc pas tous des
juges professionnels ayant la qualité de magistrats. En fait, la Cour
constitutionnelle compte parmi ses membres de magistrats, des hommes
politiques et des fonctionnaires. H. KELSEN recommandait déjà qu’une place
adéquate soit faite à des juristes- et donc à des magistrats. Mais sa formule
même indiquait que la place adéquate n’est pas la place exclusive et
il admettait qu’il pût avoir de non juristes aux côtés de juristes.

II -Le statut

C’est le statut de l’institution et de ses membres qui permet de


déterminer si une institution considérée est véritablement une juridiction
constitutionnelle. En effet, elle ne doit être considérée comme telle que si son
indépendance est assurée tant à l’égard des pouvoirs publics que des forces
extérieures et garantie par la constitution.

A - Le statut de l’institution

Pour que l’indépendance de la juridiction constitutionnelle soit assurée, il


faut qu’elle bénéficie d’une double autonomie : administrative et financière.
L’autonomie administrative suppose que la juridiction constitutionnelle dispose
d’une administration autonome par rapport à celle du pouvoir exécutif et du
pouvoir législatif. Cela suppose aussi l’existence d’un siège de l’institution
distinct et séparé, d’un ensemble d’experts et d’agents administratifs nommés
et rémunérés directement par l’institution, des moyens bibliographiques et
techniques adaptés aux missions des juridictions constitutionnelles.

L’autonomie financière implique que la juridiction constitutionnelle


établit librement son budget et l’exécute de manière autonome par un
comptable placé sous la responsabilité du président de l’institution. L’article 93
de la constitution dispose que « la cour constitutionnelle jouit de l’autonomie de
gestion financière. Les crédits nécessaires à son fonctionnement sont inscrits
dans la loi de finances ». Dans une de ces décisions, la Cour constitutionnelle a
consacré cette autonomie.

B- Le statut des membres

Le statut des membres de la Cour constitutionnelle doit assurer leur


indépendance. Cette indépendance n’est assurée que lorsque sont réunies des
conditions tenant essentiellement au mandat des membres, notamment la
nomination pour un mandat long et le caractère non renouvelable de celui-ci.
Les juges constitutionnels sont effectivement nommés pour un mandat long (9
ans) non renouvelables. Mais cela n’a pas toujours été le cas dans le passé. Par
ailleurs, l’immunité de juridiction des membres consacrée par la loi organique
relative à la Cour constitutionnelle permet de garantir aussi leur indépendance.

47
Il faut ajouter que la loi organique relative à la Cour constitutionnelle
assure une protection pénale des membres en disposant à l’article 13 alinéa b
que « toute personne physique ou morale ou tout organe ou agent de presse
auteur de menaces, d’outrage, de violences et d’attaques de quelque nature que
ce soit contre la Cour ou l’un de ses membres peut être traduit devant le
tribunal correctionnel suivant la procédure de flagrant délit »

Paragraphe 2 : Le contentieux constitutionnel

Les contentieux dévolus à la Cour constitutionnelle sont nombreux et


variés. On distinguera les contentieux des institutions (1), des normes (2) et des
libertés (3).

I -Le contentieux des institutions

D’abord, la Cour constitutionnelle est chargée de veiller à l’authenticité


des manifestations de volonté du souverain à l’occasion du contrôle de la
régularité des élections présidentielles, législatives et des opérations de
référendum (84 de la constitution gabonaise). Ensuite, elle est compétente pour
connaître du contentieux de la division horizontale des pouvoirs, autrement dit
des conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat.

II -Le contentieux des normes

Le juge constitutionnel est chargé de contrôler la constitutionnalité des


normes infra- constitutionnelles : les traités internationaux avant leur entrée
en vigueur, les lois organiques avant leur promulgation, les lois ordinaires, les
règlements des assemblées, le règlement de procédure de la Cour
constitutionnelle, du Conseil économique, social et environnementale ainsi que
les règlements des autorités administratives indépendantes avant leur mise en
application, les actes réglementaires censés portés atteinte aux droits
fondamentaux. Le contrôle est abstrait, c’est-à-dire en dehors de tout litige,
déclenché par les autorités politiques et parfois aussi par les citoyens.
Toutefois, ce contrôle abstrait co-existe avec un contrôle concret, par voie de
question préjudicielle en cas de méconnaissance des droits fondamentaux
article 86).

III -Le contentieux des libertés

La justice constitutionnelle se conçoit difficilement aujourd’hui sans ce


contentieux-phare. La justice constitutionnelle est associée à la protection des
libertés fondamentales depuis que la Cour suprême est apparue aux Etats-Unis
comme le défenseur des libertés fondamentales surtout après la seconde guerre

48
mondiale. On remarquera cependant qu’au départ, H. KELSEN n’avait pas
envisagé cette fonction de la justice constitutionnelle.

L’article 83 de la constitution dispose que la Cour constitutionnelle


garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés
publiques. Cette protection des libertés fondamentales par le juge
constitutionnelle est assurée essentiellement par le contrôle de
constitutionnalité de la loi.

Paragraphe 3 : Le procès constitutionnel

Nous étudierons tour à tour la saisine (I), l’instance (II) et le jugement (III).

I -La saisine

Le juge constitutionnel peut être saisi selon trois voies possibles. D’abord,
il peut être saisi à l’initiative des autorités publiques à l’occasion d’un contrôle
abstrait. Il s’agit du Président de la République, du Premier ministre, les
présidents des assemblées et les parlementaires, 1/10 des parlementaires, par
les présidents de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat et la Cour des comptes
(article 85).

Ensuite, elle peut être saisie sur renvoi des tribunaux, par voie de
question préjudicielle (article 86 de la constitution).

Enfin, la Cour constitutionnelle peut être saisie par les individus par voie
d’action (article 85 de la constitution gabonaise).

II -L’instance

A la différence de la saisine dont les modalités principales sont fixées par


la constitution, le déroulement de l’instance n’est pas prévu par celle-ci qui
renvoie à la loi organique. Le déroulement de l’instance commence
généralement avec l’instruction et la nomination d’un rapporteur. Les parties
sont invitées à échanger par écrit leurs arguments. La plupart des affaires sont
jugées sans audience publique. Cependant, en matière électorale les débats
peuvent être publics et les décisions peuvent être prononcées en audience
publique (L.O relative à la Cour constitutionnelle).

III -Le jugement

Les jugements de la cour constitutionnelle sont des décisions. La Cour


délibère à huis clos à partir du rapport établi par le juge rapporteur. Le vote est
secret. Le jugement est rédigé selon le modèle français du viscondi avec des

49
visas, des motifs et un dispositif. Les décisions ont un effet absolu de chose
jugée (article 92).

50
CHAPITRE 3 : LA SEPARATION DES POUVOIRS

Préconisé par LOCKE à la fin du XVIIe siècle puis par MONTESQUIEU au


XVIIIe siècle, le principe de la séparation des pouvoirs se développe en
Angleterre, aux Etats-Unis et en France. C’est un principe de technique
constitutionnelle destinée à éviter le despotisme et à garantir la liberté. Il est lié
à la nécessité de limiter la monarchie absolue.

Aujourd’hui, ce principe est un des critères principaux de reconnaissance


des démocraties libérales, au même titre le pluralisme politique ou la justice
constitutionnelle, et plusieurs constitutions le consacrent expressément. Ainsi
de l’article 5 de la constitution gabonaise qui dispose que la République
gabonaise est organisée selon les principes de la séparation des pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire.

Il convient d’analyser tout d’abord le principe même de la séparation des


pouvoirs avant d’étudier sa pratique.

Section 1 : Le principe de la séparation des pouvoirs

Après avoir analysé l’apparition du principe de la séparation des


pouvoirs, les différents modèles de séparation des pouvoirs seront étudiés.

Paragraphe 1 : L’apparition du principe de la séparation des pouvoirs

Le Second Essai sur le Gouvernement civil de J. LOCKE publié en 1690,


c’est-à-dire deux ans après la révolution anglaise qui consacra la suprématie
du parlement sur le monarque, contient la première formulation du principe de
la séparation des pouvoirs. Selon LOCKE, il convient de distinguer trois
pouvoirs dans l’Etat : le législatif, l’exécutif et le fédératif. A ce dernier pouvoir
revient la tache de conduire la diplomatie. L’exécutif ou le fédératif sont confiés
à l’Etat ou au roi qui le représente. La société conserve toutefois le pouvoir
législatif qui est exercé par le parlement, celui-ci devant veiller en particulier au
respect des droits et libertés.

Dans son ouvrage « L’Esprit des lois » publié en 1748, MONTESQUIEU


développe le principe formulé par LOCKE. Pour MONTESQUIEU, le
gouvernement modéré ne peut résulter que de la séparation des pouvoirs. Il
distingue trois pouvoirs (ou puissances) séparés : le législatif qui fait les lois,
l’exécutif qui les applique de manière générale et le judiciaire qui les applique
de manière particulière. Chacun de ces trois pouvoirs doit être confié à un

51
organe distinct et indépendant des autres. Ainsi, la puissance législative est
exercée par des représentants, la puissance exécutive par le monarque et la
puissance de juger par des gens ordinaires.

La contribution de MONTESQUIEU à la théorie de la séparation des


pouvoirs peut se mesurer sur deux plans. Il lui donne tout d’abord, il remplace
le pouvoir fédératif de LOCKE par le pouvoir judicaire (MONTESQUIEU était
magistrat au Parlement de Bordeaux) ; il établit ensuite le lien entre séparation
des pouvoirs et garantie des droits.

Ce principe sera affirmé par les pères fondateurs de la constitution de


1787 aux Etats-Unis. En effet, la nouvelle organisation constitutionnelle créée
par eux repose sur deux éléments : une constitution et un gouvernement
équilibré reposant sur la séparation des pouvoirs, ceci dans le but de garantir
les droits individuels.

En établissant le lien entre garantie des droits et séparation des pouvoirs


comme conditions d’existence d’une constitution effective dans l’article 16 de la
DDHC de 1789 « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas
assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution »),
les révolutionnaires français s’inspireront de l’exemple américain.

Paragraphe 2 : Les modèles de séparation des pouvoirs

Deux modèles peuvent être distingués : les modèles fondés sur la


séparation des pouvoirs et les modèles fondés sur la concentration des
pouvoirs.

I –Les modèles fondés sur une séparation des pouvoirs

Deux régimes d’aménagement des pouvoirs peuvent être dégagées selon


qu’on est présence d’une séparation souple des pouvoirs (régime parlementaire)
ou d’une séparation stricte ou rigide des pouvoirs (régime présidentiel).

A – La séparation souple des pouvoirs : le régime parlementaire

Les régimes parlementaires sont nés au XVIII ème siècle en Angleterre et


au XIX ème siècle en France, en réaction à l’absolutisme monarchique. Le
régime parlementaire implique une séparation souple des pouvoirs reposant sur
deux principes : la collaboration fonctionnelle et l’équilibre organique.

Le principe de la collaboration fonctionnelle signifie que chacun des


pouvoirs peut être amenés à participer à la fonction exercée par l’autre. Le
gouvernement peut disposer, notamment, de l’initiative des lois et le parlement
contrôler l’action du gouvernement.

52
Le principe de l’équilibre organique suppose la possibilité pour chaque
pouvoir de remettre en cause l’existence de l’autre grâce aux moyens d’action
réciproques. L’exécutif dispose du droit de dissolution et le pouvoir législatif
peut mettre fin, par le biais de la responsabilité ministérielle, au mandat des
parlementaires avant son terme.

Le régime parlementaire suppose, sur le plan institutionnel, un exécutif


bicéphale, c’est-à-dire composé d’un chef de l’Etat et d’un chef de
gouvernement. Une telle division est nécessaire au jeu des mécanismes d’action
réciproque. Si le chef de l’Etat est politiquement irresponsable, il n’en va pas de
même du gouvernement qui assume devant le parlement, par le biais du
contreseing ministériel, la responsabilité des actes de l’exécutif.

Il existe plusieurs types de régimes parlementaires. La summa divisio


oppose le régime parlementaire moniste et le régime parlementaire dualiste ou
orléaniste. Dans un régime parlementaire moniste, le gouvernement est
responsable uniquement devant le Parlement ; le Chef de l’Etat ne joue pas un
rôle politique majeur. Ce régime est celui de la plupart des Etats européens
(Grande-Bretagne, Espagne, Allemagne, Italie, Belgique, France dans les
périodes de cohabitation, etc.). En revanche, dans un régime parlementaire
dualiste ou orléaniste, le gouvernement est responsable à la fois devant le
parlement et devant le Chef de l’Etat qui dispose de pouvoirs autonomes
(France en cas de coïncidence des majorités).

Le parlementarisme rationalisé est apparu en Europe au XX ème pour


remédier à l’instabilité gouvernementale des régimes parlementaires classiques.
Il consiste en une réglementation complexe des rapports entre le gouvernement
et le parlement en vue d’assurer la stabilité du premier. Une illustration de
cette rationalisation du parlementarisme est la motion de censure constructive
de la constitution allemande qui prévoit que le gouvernement ne peut être
renversé que si le parlement est en mesure de proposer un nouveau
gouvernement.

B – La séparation stricte des pouvoirs : le régime présidentiel

Le régime présidentiel est né aux Etats-Unis avec la constitution de 1787.


Le système politique mis en place repose sur la séparation rigide des pouvoirs.
Celle-ci se caractérise d’une part, par une spécialisation fonctionnelle (chaque
organe exerce une seule fonction), d’autre part, par une indépendance
organique impliquant l’absence de moyens d’action réciproque susceptibles de
remettre en cause l’existence de tel ou tel organe législatif ou exécutif. Il n’y a
pas de place pour les mécanismes de dissolution d’une chambre ou de mise en
jeu de la responsabilité du gouvernement.

53
L’exécutif est monocéphale puisqu’il n’est pas nécessaire d’en détacher
un organe responsable devant le parlement.

Le régime présidentiel n’a pu fonctionner véritablement qu’aux Etats-


Unis. Toute transposition de ce régime a conduit à une dénaturation du régime
et à la prééminence du Chef de l’Etat. C’est le cas notamment des régimes
latino-américains ou africains qualifiés de présidentialistes.

II – Les modèles fondés sur la concentration des pouvoirs

En dehors des cas expressément prévus par la constitution notamment


en cas de circonstances exceptionnelles (qui permettent au Chef de l’Etat de
concentrer tous les pouvoirs), la confusion des pouvoirs s’observe
essentiellement dans les régimes d’assemblée ou dans des dictatures.

Dans un régime d’assemblée, l’exécutif ne constitue pas un véritable


pouvoir. Ce n’est qu’un exécutant d’une assemblée, seule détentrice de
l’autorité. En France, le régime de la convention et la constitution du 24 juin
1793 en donne une illustration. L’exécutif confié à un conseil exécutif nommé
par le corps législatif ne pouvait intervenir que pour exécuter les décisions de
l’assemblée.

Les régimes de dictature traduisent la concentration des pouvoirs au


profit d’un homme ou d’un parti.

Deux types de régimes, caractérisés par la remise en cause de la


séparation des pouvoirs, conduisent à la négation de l’Etat de droit. Il s’agit de
régimes dits autoritaires ou totalitaires.

Les premiers se définissent par une forte concentration des pouvoirs, un


niveau de consensus et de participation populaire faible, l’usage de la force et la
répression de l’opposition. Plusieurs régimes africains sont encore des régimes
autoritaires.

Les régimes totalitaires quant à eux font essentiellement référence aux


expériences de l’Etat Hitlérien en Allemagne et de l’Etat stalinien en URSS. Le
régime totalitaire se distingue du régime autoritaire en ce qu’il impose une
idéologie officielle d’Etat, repose sur une mobilisation des masses, sur une
conception de la politique comme activité totale embrassant l’ensemble de
l’existence humaine et surtout sur un parti unique dont les organes se
confondent avec ceux de l’Etat et sont au service d’un chef charismatique,
véritable incarnation du pouvoir. MUSSOLINI exprimait bien cette idée par cet
aphorisme : « tout dans l’Etat, rien contre l’Etat, rien en dehors de l’Etat ».

Section 2 : La pratique de la séparation des pouvoirs

54
Dans la pratique, une collaboration s’établit toujours entre les différents
pouvoirs, que ce soit dans le régime présidentiel dit de séparation rigide ou
dans le régime parlementaire dit de séparation souple.

Paragraphe 1 : La collaboration des pouvoirs en régime présidentiel

La séparation stricte des pouvoirs telle que conçue par les fathers
founders présentait dès l’origine une tendance à l’inertie. La pratique consacra
cependant une collaboration des pouvoirs avec des moyens d’action du
président sur le congrès et inversement des moyens d’action du congrès sur le
président.

I -Les moyens d’action du président sur le congrès

Plusieurs moyens permettent au Président d’intervenir dans la fonction


législative exercée par le Congrès. Il s’agit du message au Congrès, du droit de
veto et du pouvoir général d’influence du président.

Si la constitution fait du président un simple exécutant des lois adoptées


par le Congrès, la pratique révèle un rôle législatif du président. D’abord, le
message sur l’état de l’union présenté au congrès au début de chaque année
constitue véritablement aujourd’hui un programme législatif. Destiné au-delà
du congrès à l’ensemble de la nation américaine, le président y exalte les
actions accomplies et définit les priorités et les objectifs pour à atteindre l’année
à venir.

Ensuite, le droit de veto en matière législative consacré par l’article I,


section VII de la constitution de 1787, permet au président de s’opposer à
l’entrée en vigueur d’une loi votée par le congrès. Cependant, il s’agit d’un veto
suspensif et non absolu, le congrès pouvant à la majorité renforcée, le
surmonter. Sans opposer de veto exprès, le président peut se contenter de
laisser s’écouler le délai de 10 jours en conservant le texte non signé. Le
congrès séjournant en fin de session, le renvoi de texte n’est plus alors possible.
La loi ne pourra plus entrer en vigueur. Le veto produit des effets absolus
puisqu’il ne peut plus être renversé par le Congrès.

Enfin, le président exerce un pouvoir général d’influence sur le congrès.


Dans ses relations avec celui-ci, il peut s’appuyer sur trois séries d’éléments
pour obtenir le soutien de la majorité parlementaire. En premier lieu, il peut
solliciter le soutien du parti auquel il appartient et espérer convaincre sur tel
ou tel texte en discussion, des membres du parti d’opposition. La discipline
partisane apparaît moins rigoureuse aux E.U. qu’en Europe. En second lieu, le
président dispose depuis 1953 d’un Bureau des relations avec le congrès pour
encadrer son action de persuasion à l’égard du congrès. En troisième lieu, le

55
président multiplie souvent des initiatives personnelles en direction des
membres du congrès. Les invitations à la maison blanche et les contacts
privilégiés caractérisent ainsi l’activité présidentielle.

Il faut aussi mentionner que le président peut s’appuyer sur l’opinion


publique pour influencer le congrès. La maîtrise de la communication
audiovisuelle par le chef de l’exécutif affecte ainsi sensiblement les relations
avec le congrès. L’influence effective du président dépend toutefois directement
de sa popularité. Or celle-ci a tendance à décliner en cours de mandat.

II -Les moyens d’action du congrès sur le président

Le congrès disposent de plusieurs éléments pour agir sur le président et


partant, de préserver un certain équilibre des pouvoirs aux Etats-Unis.

De manière générale, l’exécutif a besoin du congrès qui doit lui accorder


les moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre de son action politique.
La constitution fédérale accorde en effet au congrès le pouvoir d’établir et de
faire percevoir toutes taxes, droits ou impôts » et prévoit par ailleurs qu’aucune
somme ne sera tirée du Trésor public que pour un emploi déterminé par une loi
.. ». Ces dispositions fondent le pouvoir budgétaire du congrès et lui permettent
d’infléchir certains choix du président en matière de dépenses publiques. Le
congrès dispose ainsi du « power of the purse ».

Par ailleurs, le congrès intervient également en matière internationale et


militaire soit pour ratifier les traités négociés par le président de la république,
et ainsi contrôle son activité diplomatique, soit pour autoriser le recours à la
force armée.

Le congrès intervient également en matière de nomination aux emplois


fédéraux. Ainsi le sénat dispose d’une prérogative de confirmation de
nomination proposée par le président.

Enfin, la constitution des E.U prévoit une procédure d’impeachment


visant le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils ou juges
fédéraux. Il s’agit, d’une responsabilité pénale et non pénale. Le président est
mis en accusation par la chambre des représentants et juger par le Sénat
présidé par le Chief justice.

Paragraphe 2 : La collaboration des pouvoirs en régime parlementaire

Le régime parlementaire, particulièrement le régime parlementaire


britannique ne consacre pas une séparation des pouvoirs législatif et exécutif,
mais bien une concentration des pouvoirs entre les mains du chef de
gouvernement. En effet, ce dernier, formellement désigné par le monarque est,

56
selon une convention constitutionnelle, le chef du parti vainqueur des élections
à la chambre des communes. Il bénéficie d’une certaine autorité aussi bien sur
le gouvernement qu’au sein de la chambre des communes. Cette autorité est
d’autant plus forte que sa personnalité et popularité y contribuent.

Toutefois, le contrôle parlementaire efficace constitue une première


limitation à la toute-puissance de l’exécutif. Le contrôle de l’action de l’exécutif
s’exerce surtout à travers la mise en jeu de sa responsabilité. A défaut de jouer,
elle fonctionne comme une menace pour le gouvernement. Par ailleurs,
l’autorité du Premier ministre dépend de la confiance de son parti. Si cette
confiance disparaît, il est obligé de démissionner. C’est ce qui arriva au Premier
ministre Margaret TATCHER qui dut démissionner en 1990 devant l’hostilité
d’une majorité du parti conservateur.

57
CHAPITRE : LA PARTICIPATION DES CITOYENS A L’EXERCICE DU POUVOIR :
LA DEMOCRATIE

La démocratie se définit traditionnellement comme étant le gouvernement


du peuple, par le peuple et pour le peuple (A. LINCOLN). Elle désigne dans le
monde moderne (modernité politique) un lien social placé sous le signe de
l’égalité et une forme politique exprimant l’idéal de liberté. En son origine
grecque, la démocratie oppose le gouvernement de tous, à celui d’un homme
(monarchie) ou de quelques hommes (oligarchie).

Depuis l’effondrement des régimes marxistes-léninistes qui prétendaient


bâtir une démocratie populaire au début des années 1990, la démocratie
libérale est devenue l’horizon indépassable de tout gouvernement humain à tel
point qu’un auteur a pu parler de la fin de l’histoire (F. FUKUYAMA, 1992).

Nous verrons dans un premier temps, le fondement de la démocratie,


avant d’envisager dans un second temps, le droit de suffrage.

Section 1 : Le fondement de la démocratie

Qui est le détenteur de la souveraineté dans l’Etat ? D’où tient-il le


pouvoir ?

Jusqu’au XVIII e siècle les théories théocratiques ont tenté de justifier le


pouvoir royal par référence à Dieu. Selon ces théories le fondement du pouvoir
est d’origine divine. Ainsi dans l’Egypte des pharaons, le Roi était un Dieu.

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Dans la théologie chrétienne, tout pouvoir vient de Dieu (saint Paul). Ce pouvoir
est confié à son titulaire soit directement par Dieu (droit divin surnaturel) soit
par les gouvernés inspirés par la Providence qui se choisissent un chef (droit
divin providentiel)

La modernité politique a consisté, au XVIII e siècle, à donner un


fondement juridique à la souveraineté qui ne tient plus à la religion mais plutôt
dans la collectivité des citoyens. Deux conceptions de la souveraineté ont ainsi
été dégagées : la souveraineté nationale et la souveraineté populaire

Paragraphe 1 : La théorie de la souveraineté nationale

Selon cette première théorie préconisée par Montesquieu et développée


par l’abbé SIEYES (Qu’est ce que le tiers Etat ?, 1789), la souveraineté
appartient à la nation, en tant que personne morale distincte des individus qui
la composent. La nation- personne ne se confond pas avec la somme des
citoyens vivant à un moment donné sur un territoire. La nation est faite non
seulement des vivants mais aussi des morts et de ceux qui naîtront.

Cette théorie de la souveraineté nationale emporte plusieurs


conséquences.

D’abord, la souveraineté est une et inaliénable. Elle appartient à la Nation


et aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
« la souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible » proclamait
la constitution de 1791 en France. Cette formule implique l’unité de la nation.
La souveraineté ne peut être atomisée. Il n’ y a pas 1, 5 millions de
cosouverains au Gabon.

Ensuite, la nation étant une entité abstraite, sa volonté doit être exprimée
par des individus qui parleront au nom de la nation. Le représentant ne
représente pas ses électeurs mais la nation toute entière. Il n’existe pas de lien
entre l’électeur et le représentant : le mandat de ce dernier est dit représentatif.

Enfin, la théorie de la souveraineté nationale implique que l’électorat


n’est pas un droit mais une fonction. Le choix des représentants n’est pas une
manifestation de la souveraineté individuelle de chaque citoyen électeur. Ce
dernier exerce une fonction. Cette conception de l’électorat- fonction justifie
ainsi le suffrage restreint : tous les citoyens ne sont pas électeurs.

Cette théorie de la souveraineté nationale a été critiquée. Elle était


suspectée d’un certain mépris pour le peuple et d’une prégnance conservatrice.

La théorie de la souveraineté nationale débouche sur la démocratie


représentative qui est aujourd’hui la forme la plus répandue. Elle est apparue

59
véritablement au XX e siècle avec la généralisation du suffrage universel. Elle
repose sur la notion de mandat, notion bien connue en droit civil, qui est le
titre par lequel le peuple confie aux représentants le pouvoir de vouloir en son
nom.

La démocratie représentative comporte un risque majeur, celui de voir les


représentants confisquer le pouvoir du peuple à leur profit ; c’est le
parlementarisme absolu (CARRE DE MALBERG) ou le régime ultra-
représentatif (G. VEDEL).

Ce risque peut être contourné soit par l’instauration d’un contrôle de


constitutionalité pour encadrer la volonté des représentants par des principes
et règles de valeur constitutionnelle ; soit en tempérant la démocratie
représentative par des techniques de démocratie directe avec le recours au
référendum.

Paragraphe 2 : La théorie de la souveraineté populaire

Cette théorie a été développée par J-J ROUSSEAU dans le contrat social.
Selon cette théorie, la souveraineté appartient au peuple, c’est-à-dire à tous les
citoyens. La souveraineté est ainsi atomisée. Chaque citoyen détient une
parcelle de la souveraineté. Au Gabon, il y aurait 1,5 co-souverains.

Cette théorie est séduisante en raison de sa simplicité mais aussi par son
caractère égalitaire.

Cette théorie habile n’échappe cependant pas à quelques critiques. Si


chaque citoyen est souverain, comment peut-il être soumis à la volonté des
autres citoyens sans son accord ? En se soumettant à la majorité, que devient
sa souveraineté ?

Elle a des conséquences différentes de celle de la théorie souveraineté


nationale.

D’abord, si chaque citoyen détient une parcelle de la souveraineté, il


importe que sur chaque problème son avis soit recueilli. La théorie de la
souveraineté populaire débouche ainsi sur la démocratie directe, le peuple doit
s’exprimer librement sans l’intermédiaire des représentants.

Ensuite, l’électorat est un droit et non une fonction. Tous les citoyens en
sont titulaires. Le suffrage est universel. Les citoyens peuvent exercer librement
leur droit, le vote est rendu facultatif.

60
Enfin, le lien entre électeurs et représentants est très étroit, le mandat est
impératif. Les représentants doivent respecter la volonté des électeurs ;

La distinction souveraineté nationale et souveraineté populaire n’a plus


qu’un intérêt théorique. La constitution gabonaise, comme la constitution
française de 1958, consacrent les deux théories en proclamant que la
souveraineté nationale appartient au peuple.

La théorie de la souveraineté populaire débouche sur la démocratie


directe ou semi- directe. C’est la forme la plus pure de la démocratie dans la
mesure où c’est le peuple qui décide des affaires de l’Etat sans l’intermédiaire
des représentants.

Dans la pratique, cependant, une telle forme de démocratie est


impossible. J J ROUSSEAU qui en était pourtant le défenseur était le premier à
le reconnaître. La démocratie directe d’Athènes dans l’antiquité ou de certains
cantons suisses aujourd’hui demeure un mythe. (A Athènes, seule une minorité
disposait du droit de vote ; en Suisse on est plus proche du folklore).

La démocratie directe a mis en œuvre une technique permettant de


tempérer le régime ultra – représentatif, c’est le référendum. C’est une
consultation par laquelle le peuple est appelé à répondre à une question. C’est
une votation (et non une élection)

On distingue le référendum selon son domaine et selon le système


d’initiative.

Selon le domaine, on oppose le référendum constituant au référendum


législatif. Le référendum constitutionnel a pour objet la modification de la
constitution. L’idée ici est que cette dernière étant le renouvellement du contrat
social, sa modification exige l’assentiment de tous les citoyens. Il est pratiquée
dans de nombreux pays soit obligatoirement (Suisse, Autriche, Espagne etc.)
soit de manière facultative (France, Gabon). Le référendum législatif, quant à
lui, a pour objet l’adoption d’une loi. Le risque ici est l’adoption de lois
démagogiques. Aussi les constituants s’en méfient et prévoient des limites
quant à son champ d’application. Ainsi par exemple, dans certains pays, le
référendum ne peut déboucher sur l’adoption de lois fiscales (Italie). Le
référendum législatif est prévu en France, au Gabon.

Selon le système d’initiative, nous avons d’une part, le référendum sur


initiative des autorités publiques, d’autre part, le référendum sur initiative
populaire. Le premier peut être provoqué soit par le Parlement (exemple en
Grande Bretagne) soit par le pouvoir exécutif (France, Gabon etc).

61
Le second, c’est—dire le référendum d’initiative populaire est provoqué
par une fraction du peuple. Il est peu usité. On le retrouve cependant en Suisse
et en Italie. Il existe trois types de référendums d’initiative populaire :
-le référendum d’initiative populaire suspensif. Il vise à suspendre une loi
adoptée par le Parlement mais non encore entrée en vigueur.
-le référendum d’initiative populaire abrogatif dont l’objet est l’abrogation
d’une loi en vigueur. Il existe aujourd’hui en Italie.
-le référendum d’initiative populaire propositif. Ici le peuple ou une
fraction du peuple initie le référendum et les auteurs du texte soumis au
référendum. Ce système est appliqué en Suisse ;

Section 2 : Le droit de suffrage

Le droit de suffrage permet d’élire un homme ou de donner son opinion


sur une décision. L’évolution du droit de suffrage dans les grandes démocraties
est marquée par le passage d’un suffrage restreint à un suffrage universel. Le
droit de vote présente des caractères. Enfin, les modes de scrutins seront
abordés.

Paragraphe 1 : Suffrage restreint et suffrage universel

La consécration du suffrage universel a été tardive dans les démocraties


puisqu’elle n’est apparue qu’après la première guerre mondiale. Pendant
longtemps, le suffrage était restreint, c’est-à-dire qu’il était réservé à quelques
individus, soit en raison de leur fortune (suffrage censitaire), soit en raison de
leurs capacités (suffrage capacitaire).

Le suffrage censitaire suppose que pour être électeur et éligible, il faut


acquitter un impôt, un cens électoral. Plus cet impôt est élevé moins le nombre
d’électeurs est important. Le suffrage censitaire était consacré par la
constitution française de 1791 qui faisait la distinction entre les citoyens actifs
(titulaires du droit de vote, en raison du paiement d’un impôt équivalent à trois
journées de travail) et les citoyens passifs (exclus du droit de vote).

Le suffrage capacitaire, quant à lui, lie l’électorat au niveau d’instruction


des individus. Pour être électeur le citoyen doit passer un examen permettant
de juger de ses capacités intellectuelles ou sa connaissance de la constitution.
Il s’agit en réalité d’un procédé visant à exclure certaines catégories. Ainsi aux
Etats-Unis, jusqu’en 1965, certains Etats du sud ont eu recours à cette
technique pour exclure les noirs du droit de vote.

Le suffrage universel attribue l’électorat à chaque citoyen. Il a été


consacré définitivement en France en 1944, avec le droit de vote des femmes ;
en Grande Bretagne, il est institué en 1918 et aux Etats-unis en 1965.

62
Toutefois, la mise en œuvre du suffrage universel est soumise à certaines
conditions de fond et de forme. Les conditions de fond sont au nombre de trois.
La première concerne l’âge. Pour être électeur, il faut avoir la majorité
électorale. La deuxième condition est celle de la capacité, pour être électeur, il
faut jouir de ses droits civils et politiques et n’être dans aucun cas d’incapacité
prévue par la loi. Cette condition vise d’abord les incapables majeurs, c’est-à-
dire les majeurs placés sous tutelle. Elle vise ensuite certaines personnes
condamnées pénalement et privées, de ce fait, de la capacité électorale. La
troisième condition est la nationalité. Le droit de vote est lié à la nationalité. Les
étrangers n’ont pas le droit de vote. Cependant, dans les pays de l’Union
européenne, les ressortissants de l’Union ont le droit de vote pour les élections
municipales, dans un autre Etat de l’Union que le leur (mais ils ne peuvent pas
être maire ou adjoint au maire en France).

Les conditions de forme tiennent essentiellement à l’inscription sur les


listes électorales pour pouvoir voter.

Le suffrage universel doit présenter trois caractères : il doit être égal, libre
et sincère. L’égalité du suffrage signifie que chaque électeur dispose d’une voix,
le poids de chaque citoyen est égal à celui des autres. One man one vote. Il
interdit le vote multiple qui permet de voter dans plusieurs endroits (domicile,
domicile fiscal, lieu de travail) ; et le vote plural qui attribue à un électeur
plusieurs voix.

L’égalité du suffrage implique que le découpage électoral doit reposer sur


des critères essentiellement démographiques afin de réaliser l’égalité de la
représentation. Tous les élus doivent représenter un nombre aussi égal que
possible d’habitants. Est ainsi interdit le gerrymandering (du nom du
gouverneur du Massachusets GERRY dont le découpage évoquait étrangement
la silhouette ondoyante de la salamandre, mandering en anglais).

Le suffrage doit ensuite être libre, c’est-à-dire que l’électeur doit être
protégé contre toutes formes de prosélytisme et les pressions. Le vote secret est
la garantie de la liberté du suffrage. Ce principe du vote secret est consacré par
la constitution et mis en œuvre par le procédé de l’isoloir. La liberté du vote
implique aussi l’obligation d’utiliser une enveloppe

Enfin, la sincérité du suffrage c’est le fait de respecter la volonté de


l’électeur. Cela suppose que les pressions et les fraudes soient évitées. En cas
de contestation de la sincérité du vote, le juge de l’élection peut être saisi dans
le cadre du contentieux électoral. Au Gabon, c’est le juge constitutionnel qui
connaît du contentieux électoral. Dans certains cas, c’est l’Assemblée elle-
même qui se prononce sur la sincérité du scrutin. C’est le système de la
vérification des pouvoirs.

63
Paragraphe 2 : Les modes de scrutins

Les modes de scrutins ou systèmes électoraux sont des techniques de


calcul par lesquels on attribue des sièges en fonction des résultats électoraux
obtenus. Le choix des modes de scrutin n’est jamais neutre. Il est guidé par des
considérations politiques. Le mode de scrutin est fixé soit par la loi soit par la
constitution. Il existe deux modes de scrutins : le scrutin majoritaire, la
représentation proportionnelle.

 I - Le scrutin majoritaire

Le scrutin majoritaire est le mode de scrutin où est proclamé élu le


candidat ou la liste qui a obtenu la majorité des suffrages exprimés. (Les
suffrages exprimés sont les suffrages dont on a déduit les bulletins blancs ou
nuls). Le scrutin majoritaire peut être uninominal (l’électeur choisit un
candidat) ou plurinominal l’électeur vote pour une liste).

Le scrutin majoritaire peut être à un tour ou à deux tours.


Le scrutin majoritaire à un tour est celui qui proclame élu le candidat ou la
liste ayant obtenu la majorité simple ou relative, c’est-à-dire arrivé en tête de
l’élection. C’est le mode le plus simple mais aussi le plus brutal. C’est celui qui
est appliqué en Grande Bretagne et aux Etats-Unis mais aussi au Gabon.

Le scrutin majoritaire à deux tours est celui qui proclame élu au premier
tour le candidat ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, c’est-
à-dire la moitié plus une voix. Si aucun candidat ou aucune liste n’obtient la
majorité absolue au premier tour, il est procédé à un second tour. On parle
alors de ballottage. Au second tour, est déclaré élu, le candidat ayant obtenu la
majorité simple ou relative des suffrages exprimés. Ce mode de scrutin qui est
plus complexe est appliqué en France pour l’élection présidentielle et celle des
députés.

Le scrutin majoritaire a plusieurs avantages mais aussi des


inconvénients. Parmi les avantages, il y a le fait qu’il permet d’assurer une
stabilité gouvernementale en permettant de dégager des majorités cohérentes.
Ensuite, il simplifie la vie politique soit en conduisant au bipartisme (Grande
Bretagne ou Etats-Unis) ou à la bipolarisation (France).

Mais les inconvénients ne manquent pas. D’abord, on lui reproche son


manque de représentativité. En amplifiant la victoire du vainqueur, il déforme
les résultats obtenus en voix au moment de la transformation en sièges. En
Grande Bretagne par exemple, il arrive qu’un parti minoritaire en voix, soit
majoritaire en sièges. Ensuite, il élimine les formations minoritaires de la
représentation parlementaire.

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II - La représentation proportionnelle

Théorisée par le mathématicien Victor D’HONDT et appliquée pour la


première fois en Belgique en 1899, a représentation proportionnelle est le
système qui répartit les sièges entre les listes en présence en proportion des
voix obtenues par chacune d’elles. Cette répartition est calculée à partir du

65
quotient électoral qui est le rapport entre le nombre de suffrages exprimés et le
nombre de sièges à pourvoir.

Le nombre de sièges obtenus par chaque liste est défini en divisant le


total de ses voix par le quotient électoral. Mais cette opération entraîne souvent
des restes dont la répartition peut se faire selon deux méthodes principales :
celle du plus fort reste et celle de la plus forte moyenne.

Exemple : soit une circonscription de 90 000 inscrits. Il y a 82 000


votants et 2000 bulletins blancs et nuls. 5 sièges sont à pourvoir entre 4 listes

Liste A : 35 000 voix


Liste B : 22 000 voix
Liste C : 15 000 voix
Liste D : 8000 voix
Nombre de suffrages exprimés : 82 000 -2000 =80 000
Le quotient électoral = 80000 /5 = 16 000
Les sièges sont d’abord attribués au quotient

Liste A : 35 000 /16 000 =2 sièges il reste 3000


Liste B : 22 000/16 000 =1 siège il reste 6000
Liste C : 15 000 / 16 000 =O siège il reste 15 000
Liste D : 8000/16 000 =0 siège il reste 8000

Il reste 2 sièges à pourvoir


Selon la méthode des plus forts restes, le 4ème siège sera attribué à la liste C et
le 5ème siège à la liste D.

Selon la méthode de la plus forte moyenne.

Après la répartition au quotient électoral, les sièges restant sont attribués


les uns après les autres aux listes ayant obtenu la plus forte moyenne, c’est-à-
dire la division du nombre de leurs suffrages par le nombre de sièges qu’elles
ont déjà obtenus auquel on ajoute un siège fictif.

On a ainsi :

Liste A : 2 sièges au quotient. Moyenne : 35 000 /2+1=11 666

Liste B : 1 siège au quotient. Moyenne : 22 000/1+1=11 000

Liste C : 0 Siège au quotient Moyenne : 15 000 / 0+1=15 000

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Liste D : O siège au quotient. Moyenne : 8000/0+1=8000

On attribuera le 4ème siège à la liste C.


Puis on recommencera pour l’attribution du 5ème siège.

Liste C : nouvelle moyenne : 15 000/1+1=7500

Le cinquième siège ira à la liste A

Le principal avantage de la RP est qu’elle assure et garantit le pluralisme


des courants et opinions politiques et leur représentation dans les principales
instances politiques délibératives.

En revanche, ce mode de scrutin a l’inconvénient d’être complexe et


présente le danger d’ingouvernabilité en raison de l’absence d’une majorité
cohérente source d’instabilité politique.

La recherche de combinaison entre les scrutins majoritaires et la RP a


donné naissance aux modes de scrutin mixtes. On retrouve ce mode de scrutin
mixte par exemple en Allemagne pour l’élection des membres du Bundestag
(une moitié des membres est élue au scrutin majoritaire à un tour, l’autre
moitié à la RP à partir des listes partisanes au niveau du land. Chaque électoral
dispose de deux voix) ou en Italie, depuis 1993, pour l’élection à la chambre des
députés (le scrutin uninominal majoritaire à un tour permet d’élire les ¾ des
députés, et le ¼ restant est élu à la RP dans le cadre régional)/.

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