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Université de Kinshasa
Faculté de Droit
Professeur Associé
Docteur en Sciences juridiques
Diplômé d’Etudes spécialisées en Droits de l’homme
1
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Introduction
1
A titre illustratif : LIHAU EBUA LIBANA-la-MOLENGO, Cours de droit constitutionnel et institutions
politiques, Université Nationale du Zaïre, Campus de Kinshasa, Faculté de Droit, polycopié, 1974-1975 ; DJELO
EMPENGE OSAKO, Cours de Droit constitutionnel et institutions politiques, polycopié, 1er graduat, Université
de Kinshasa, Faculté de Droit, 1986-1987 ; KITETE KEKUMBA OMOMBO, Cours de droit constitutionnel et
institutions politiques, 1er graduat, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, 1989-1990; MPONGO BOKAKO
BAUTOLINGA, Institutions politiques et droit constitutionnel, Kinshasa, Editions Universitaires Africaines,
2002; MBAYA NGANG, Droit constitutionnel et tradicentrisme des institutions politiques du Zaïre de 1960 à
1997, Kinshasa, éd. Ergosum, 1997; BOSHAB MABUDJ-ma-BILENGE (E.), Cours de Droit constitutionnel.
Théorie générale de l’Etat, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, 2012-2013 (inédit); DJOLI
ESENG’EKELI (J.), Droit constitutionnel. L’expérience congolaise (RDC), Paris, L’Harmattan, coll. « Comptes
rendus » 2013; KAMUKUNY MUKINAYI (A.), Droit constitutionnel congolais, Kinshasa, E.U.A., coll. « Droit
et Société », 2011; ESAMBO KANGASHE (J.-L.), Le Droit constitutionnel, Louvain-la-Neuve, Academia-
L’Harmattan s.a., 2013.
2
BURDEAU (G.), Traité de science politique. Tome I : Le pouvoir dans l’Etat, Paris, Montchrestien, 1969, p…
2
3
a) L’intitulé du cours
Le cours de Droit constitutionnel des droits de l’homme, que nous nous sommes proposé
d’exposer pour la première fois au CRIDHAC4, n’est pas tombé – loin s’en faut - sur
un terrain conquis. Aux yeux de beaucoup, rien que par son intitulé, souvent qualifié
d’ailleurs d’insolite, le cours posait déjà problème. Non seulement parce qu’il
n’apparaissait nulle part dans le programme universitaire national, mais aussi et
surtout parce qu’il était porteur d’un projet subversif, dans un environnement où le
Droit constitutionnel institutionnel - même là où il ne fait que très peu de cas des droits
de l’homme – dominait et domine encore les débats, il fallait stopper tout élan
« enthousiaste » pour la discipline5.
Certains lui auraient préféré volontiers l’intitulé «Droits humains (Droits de l’homme
et Libertés publiques) » qui figure déjà au programme de la deuxième année de
licence en Droit pour plus de conformisme juridique 6. D’autres suggèrent qu’on
s’arrête à l’intitulé « Droits humains, libertés fondamentales et devoirs du citoyen et
de l’Etat » qui est le choix officiel du Constituant congolais7. Cela est sans
conséquence sur le contenu et le bien-fondé de la discipline puisque le choix de
l’intitulé n’a pas suffi à convaincre les plus sceptiques des décideurs à la Faculté de
Droit, le cours paraissant, jusqu’à présent, souffrir d’une relative indifférence 8 Or,
comme souligné plus haut, les deux sous-branches du Droit constitutionnel général
ont partie liée. Elles expriment d’ailleurs des préoccupations d’une importance
relativement équipollente dans un Etat de droit démocratique : l’organisation du
pouvoir politique et l’affirmation des prérogatives de la personne humaine. Dans
cette perspective, pourquoi cette différence de traitement ? Pourquoi ce procès fait à
la nouvelle discipline ?
3
Cfr. art. 45, al. 5, 6 et 7 de la Constitution de la République démocratique du Congo telle que modifiée par la
loi n° 11/002 du 20 janvier 2011, in J.O.RDC, n° spécial, 05 février 2011, p. 18.
4
NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G.), Cours de Droit constitutionnel des droits de l’homme,
Syllabus à l’intention des Etudiants de DESS en Droits de l’homme, Université de Kinshasa, Centre de
Recherche Interdisciplinaire pour les Droits de l’Homme en Afrique Centrale, 2010-2011 (Polycopié)
5
Les débats qui agitent actuellement le climat pédagogique au sein de la Faculté de Droit de l’Université de
Kinshasa autour de la création d’un département autonome des droits de l’homme n’est d’ailleurs pas loin de ces
appréhensions.
6
Voy. MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET UNIVERSITAIRE, Programme des cours.
Réforme de la table ronde des universités du Congo, Kinshasa, Editions de la C.P.E., 2010, p. 25.
7
Lire Constitution, Titre II, Op. cit., p. 9
8
Par rapport au Droit constitutionnel institutionnel, le présent cours, officiellement dispensé au titre de la partie
« Libertés publiques » des « Droits humains », ne partage un volume-horaire que de 45heures avec la partie
« Droits de l’homme » cédé au Département de Droit international public et Relations internationales (sic).
3
4
A notre avis, les deux derniers intitulés évoqués précédemment, surtout celui inscrit
au programme de la deuxième licence, sont inutilement ombrageux, voire
polémiques. Ombrageux parce qu’au débat sémantique qui s’est toujours engagé, en
France comme ailleurs, sur la distinction entre « droits de l’homme » et « libertés
publiques », le Constituant et l’autorité réglementaire en RDC ont ajouté l’ambigüité
des concepts « droits humains », « libertés fondamentales » et « devoirs du citoyen et
de l’Etat ». Polémique aussi parce que, au lieu de trancher définitivement le litige qui
oppose, en réalité depuis les origines, jusnaturalistes et positivistes, l’on a préféré
jouer aux prolongations. Jusques-à-quand la fin du débat ?
Selon nous, il est sans intérêt pratique de continuer à opposer « droits de l’homme » à
« libertés publiques », ou « droits de l’homme » à « libertés fondamentales », pas plus
qu’il n’y a de progrès significatif à leur préférer le concept prétendument neutre ou
globalisant de « droits humains ». Tous ces concepts renvoient, à quelques
différences près, aux mêmes réalités, tout débat idéologique mis à part. D’ailleurs, ce
que Jean RIVERO appelait « libertés publiques », ce en opposition aux « droits de
l’homme », ce sont précisément - reconnaissait-il en fin de compte - « des droits de
l’homme que leur consécration par l’Etat a fait passer du droit naturel au droit
positif »9.
Dans notre ouvrage d’il y a quelques années, s’agissant d’une étude menée sur la
République démocratique du Congo à partir de différentes règles éparses existant à
l’époque, nous avons officiellement adopté l’intitulé Droit congolais des droits de
l’homme. L’étude s’attachait à glaner, dans les différentes disciplines du Droit
trouvées en RDC, l’essentiel des prérogatives que le Droit positif de l’époque
prétendait reconnaître à l’homme, sans limiter l’investigation à une simple question
de consécration officielle ou de protection juridictionnelle desdites prérogatives10.
Aujourd’hui, l’intitulé ne semble plus être du goût du jour. Mieux, il paraît plutôt
général pour prétendre saisir les réalités décrites exclusivement par la Constitution.
Le recentrage de la recherche sur cette source première du Droit justifie ainsi
l’intitulé Droit constitutionnel des droits de l’homme, plus expressif que ceux jusque-là
proposés par les textes officiels. Que contient donc une Constitution en matière des
droits de l’homme pour pouvoir justifier l’autonomie d’une telle discipline ?
9
RIVERO (J.), Libertés publiques. 1. Les droits de l’homme, Paris, P.U.F., 1973, p. 17. Italiques ajoutées.
10
NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Louvain-la-Neuve,
Academia-Bruylant, 2004, 489 p.
4
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b) Le contenu du cours
Une telle vue nous paraît, sinon prétentieuse, à tout le moins bornée car, par delà sa
négation du caractère transdisciplinaire du Droit des droits de l’homme, elle tend
surtout à faire croire que chaque discipline du Droit ou que l’ensemble de celles-ci
suffit à rendre compte de toute la matière du Droit des droits de l’homme.
Certes, chaque branche du Droit comporte effectivement des aspects des droits de
l’homme que chaque professeur, en fonction de sa sensibilité, s’efforce de mettre en
exergue. A titre d’exemple, lorsqu’il s’emploie à réprimer le meurtre, le vol ou toute
sorte d’arrestations arbitraires, le Droit pénal contribue effectivement, à sa manière, à
la protection du droit à la vie, du droit de propriété ou de la liberté individuelle ; en
cela, il fournit au Droit des droits de l’homme l’une des garanties les plus efficaces
que l’on est en droit d’attendre, à savoir : la sanction pénale. De même, pour rester
dans le même registre, l’on sait que la liberté du mariage, celle des contrats ou des
syndicats, le droit de grève et le droit au travail constituent des chapitres entiers
tantôt du Droit civil, tantôt du Droit du travail. Par ailleurs, en Droit public, le Droit
administratif par exemple fournit au Droit des droits de l’homme la plupart des
techniques selon lesquelles les droits de l’homme peuvent efficacement être protégés
(p. ex. le principe de la légalité administrative, le principe du recours devant le juge
administratif…) et que, par-delà le cadre étatique, la protection des droits de
l’homme est aujourd’hui devenue une affaire de la « Communauté internationale »
que le Droit international s’emploie à nous faire connaître. Toutes ces disciplines
juridiques, et bien d’autres, comportent effectivement des aspects des droits de
l’homme dans leurs objets propres.
Mais, peut-on, sur cette seule base, parvenir à construire une théorie générale des droits
de l’homme qui ne soit dépendante de l’objet propre de chacune de ces disciplines ? Le
Droit pénal, par exemple, peut-il prétendre avoir construit une théorie générale des
droits de l’homme qui se soit détachée, tant dans son esprit que dans ses techniques,
de sa fameuse ligne légaliste que lui impose le principe de la légalité des délits et des
peines ? A-t-on déjà vu le Droit civil abandonner sa doctrine individualiste, civiliste -
avec à la base le principe de l’autonomie de la volonté impliquant l’importance du
contrat - pour embrasser des thèmes aussi subversifs que ceux du collectivisme
juridique actuellement en vogue en Droit des droits de l’homme ? Le Droit
international a-t-il déserté le « cercle des Etats », avec à la base le principe
5
6
En tant qu’ils reposent sur la loi fondamentale et suprême d’un Etat, ces droits et
libertés sont de statut constitutionnel. Ils bénéficient, par conséquent, tant de la plus
grande autorité (a) que de la plus grande stabilité (b) par rapport à d’autres droits et
libertés affirmés dans tout autre instrument juridique.
11
BULA BULA (S.), Les immunités pénales et l’inviolabilité du ministre des Affaires étrangères en droit
international. Principe- caractère – portée- exceptions- limites- sanctions (Affaire du mandat du 11 avril 2000,
R.D. du Congo contre Royaume de Belgique, CIJ, Arrêt du 14 février 2002), Kinshasa, Presses de l’Université de
Kinshasa, Bruxelles, Bruylant, 2004, 186 p.
6
7
Le fait que certains droits et libertés inscrits dans la Constitution puissent bénéficier
de la plus grande autorité juridique par rapport à d’autres est une donnée du
constitutionnalisme. Cela découle du statut de la Constitution à l’intérieur de la
pyramide des normes juridiques en vigueur dans un Etat. Dans des pays qui
appliquent le monisme juridique avec primauté du Droit interne sur le Droit
international, c’est-à-dire avec primauté de la Constitution sur toutes les autres
normes juridiques - en ce compris les traités et accords internationaux -, cela va de
soi. En revanche, dans des pays où ce monisme juridique est plutôt à l’avantage du
Droit international, c’est-à-dire où les traités et accords internationaux ont une
autorité supérieure à la Constitution - encore que cela puisse heurter la doctrine
souverainiste - la question peut être discutée.
En République démocratique du Congo, cette discussion n’a pas lieu d’être. En dépit
de certaines dénégations provenant essentiellement des milieux des spécialistes du
Droit international, la République démocratique du Congo est, en effet, un pays de
tradition moniste avec primauté de la Constitution sur toutes les autres normes
juridiques. Il en est ainsi parce que la suprématie des traités et accords internationaux
proclamée par l’article 215 de la Constitution ne s’applique pas à la Constitution,
mais aux « lois » votées par le Parlement, d’ailleurs sous la triple condition de la
conclusion régulière desdits traités et accords internationaux, de leur publication au
Journal officiel de la République et de leur application par l’autre ou les autres
parties (réciprocité)12. Il en est ainsi surtout parce que, d’après l’article 216 de la
même Constitution, complété par l’article 43 de la loi organique sur la Cour
constitutionnelle, les traités et accords internationaux sont susceptibles de contrôle de
constitutionnalité, tant a priori qu’a postériori, devant le juge constitutionnel13. Une norme
n’est pas supérieure à une autre quand elle peut faire l’objet d’un contrôle de
conformité par rapport à cette dernière.
on, un seul instant, imaginer que, devenus en quelque sorte des « lois nationales », ils
puissent se placer au-dessus de la Constitution ?
Ainsi se renforce l’autorité des droits constitutionnels sur toutes les autres catégories
des droits de l’homme, qu’ils soient d’origine nationale ou d’origine internationale.
Ainsi se justifie la référence primordiale que les individus doivent faire aux droits
constitutionnels, lorsqu’ils sont en présence de deux normes de statut et de rang
différents.
14
ZOLLER (E.), Droit constitutionnel, 2ème éd., Paris, P.U.F., 1999, p. 32.
8
9
D’abord au niveau de l’initiative : pour que celle-ci soit recevable, elle doit provenir
soit du Président de la République, soit du Gouvernement « après délibération en
Conseil des ministres », soit de la « moitié » des députés nationaux ou des sénateurs,
soit encore de « 100.000 personnes » faisant partie de ce qu’on appelle le « peuple
congolais ». Ensuite au niveau de l’examen du bien-fondé : avant le vote proprement
dit, toute initiative visée ci-haut doit subir un examen préalable des motifs de la
révision constitutionnelle devant chacune des Chambres du Parlement se prononçant
séparément, avec cette conséquence qu’en cas de vote négatif dans l’une des
Chambres, l’initiative s’arrête15. Enfin au niveau de l’adoption de la loi de révision :
cette adoption « n’est définitive que si le projet, la proposition ou la pétition (de
révision constitutionnelle) est approuvée par référendum sur convocation du
Président de la République » ou, à défaut, par « l’Assemblée nationale et le Sénat
réunis en Congrès…à la majorité des trois cinquième des membres les composant »
16.
La Constitution du 18 février 2006 est allée même plus loin en déclarant intangibles,
c’est-à-dire éternelles, certaines de ses dispositions dont celles contenant les droits
fondamentaux. En effet, aux termes de l’alinéa 2 de son article 220, « Est
formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet
de réduire les droits et libertés de la personne… ». C’est l’ « effet standstill » des droits
reconnus dans la Constitution (Cfr. infra). Il en découle que les droits et libertés
contenus dans le titre II de la Constitution, ou même dans d’autres articles de la Constitution,
sont irrévisables car immunisés contre toute tentative de suppression ou de réduction de la
part de quelque autorité que ce soit.
En somme, le Droit constitutionnel des droits de l’homme est une partie du Droit
constitutionnel général qui peut être considérée comme le pendant du Droit
constitutionnel institutionnel (ou droit constitutionnel politique). Il est chargé de
l’étude particulière des droits et libertés bénéficiant du statut constitutionnel (droits
fondamentaux) ainsi que des mécanismes plus contraignants de leurs promotion et
protection (Cour constitutionnelle, Cour de cassation, Conseil d’Etat, autres Cours et
tribunaux…).
15
Cfr. art. 218, al. 2, de la Constitution, complété par l’article…du Règlement intérieur du Congrès, in…
16
Cfr. art. 218 de la Constitution, Op. cit., pp. 72-73.
9
10
Son étude tombe donc à point nommé au sein des facultés universitaires,
particulièrement au sein de la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, faculté
qui a souvent tendance à oublier que, historiquement, les droits de l’homme ont
toujours été de statut constitutionnel17, et ce, même dans notre pays18. Si aujourd’hui
le Droit international semble s’être accaparé la question, ce n’est qu’un simple
concours de circonstances, la question des droits de l’homme étant devenue, depuis
les grandes horreurs du siècle passé, également un sujet des relations internationales.
Plan de l’ouvrage :
17
Il suffit de songer par exemple, dans l’histoire de l’Angleterre, à la Carta Magna de 1215, à la Pétition du
droit de 1628, à l’Habeas Corpus de 1679 ou au Bill of Rights de 1689 ; dans l’histoire des USA à la Déclaration
américaine de 1787 ou, dans celle de la France, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
laquelle fait désormais partie du « bloc de constitutionnalité », pour s’en convaincre.
18
Cfr. Loi fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques, in Moniteur belge du 24 juin 1960, pp.
390-394.
10
11
Chapitre premier :
Les droits constitutionnels peuvent être définis comme des facultés reconnues à une
personne humaine par la loi fondamentale et suprême d’un Etat et qui, en raison du
statut spécial que détient la Constitution dans le système normatif de cet Etat,
bénéficient d’une plus grande autorité et d’une plus grande stabilité par rapport à
d’autres droits contenus dans d’autres instruments juridiques. Ce sont, en d’autres
termes, des droits constitutionnellement garantis, c’est-à-dire reconnus et protégés
comme tels dans le texte constitutionnel ou en vertu de celui-ci.
Tant que ces droits ne sont pas établis dans la Constitution ou en vertu d’elle, ils ne
bénéficient pas encore du statut constitutionnel. Ce sont peut-être des droits
conventionnellement ou légalement établis, mais on sait que toutes ces normes
juridiques n’ont pas nécessairement la même autorité. Bien plus, dans le système
11
12
Les droits constitutionnels jouissent donc d’un statut spécial par rapport à d’autres
droits parce que, du fait de la place éminente que détient la Constitution dans le
système normatif national, ils en épousent tant la suprématie que la stabilité. Ils
correspondent, en quelque sorte, au concept de « droits et libertés fondamentaux »
généralement utilisé dans le langage constitutionnel et ne peuvent, de ce point de
vue, être mieux identifiés que par l’adjectif « constitutionnels » qu’ils empruntent au
mot Constitution.
Ce qui donne auxdits droits leur caractère « fondamental » c’est simplement le statut
constitutionnel dont ils bénéficient et qui fait que, en cas de conflit ou d’opposition,
les autres droits cèdent le pas à ceux affirmés dans la Constitution. En d’autres
termes, en cas de divergence d’interprétation des droits constitutionnels et des autres
droits, c’est l’interprétation de ceux-là, soutenus par l’autorité souveraine des
décisions du juge constitutionnel, qui prévaut. C’est, en tout cas, le point de vue
défendu dans cet ouvrage
19
On touche là à l’un des sujets polémiques en Droit qui oppose souvent partisans et adversaires de la théorie du
monisme juridique. Alors que, pour certains, le monisme juridique en RDC est affirmé au profit du Droit
international, propulsant ainsi les normes de cet ordre juridique au-dessus de la Constitution (thèses des
internationalistes), pour d’autres en revanche, ce monisme est au profit du Droit interne puisque, à l’intérieur
d’un système juridique national, aucune norme juridique – fut-elle d’origine internationale - n’est et ne peut être
supérieure à la Constitution (thèse des internistes à laquelle nous nous rallions).
20
Constitution de la République démocratique du Congo, Exposé des motifs, in J.O.RDC., n° spécial, 18 février
2006, p. 80.
12
13
son cycle - ne peut avoir droit de cité. En Droit constitutionnel des droits de
l’homme, c’est le point de vue de la Constitution qui l’emporte. Voilà pourquoi, par
rapport à d’autres droits, ils sont qualifiés de « droits constitutionnels ».
Les droits constitutionnels doivent d’abord être rapprochés des droits fondamentaux,
notion qui leur est presque jumelle (A). Ensuite, ils doivent être distingués des
notions déjà évoquées de libertés publiques (B) et de droits de l’homme (C) puisque,
dès à présent, il convient de dissiper toute zone d’ombre à propos des rapports
existant entre ces différentes catégories.
A vrai dire, il n’y a pas de différence entre les deux expressions. Ce que l’on appelle
« droits fondamentaux », ce sont, en fait, les droits qui bénéficient d’une protection
constitutionnelle à l’intérieur d’un système juridique. « …L’expression désigne, ainsi
que le notait déjà en 1981 le maître de l’Ecole d’Aix-Marseille, les droits et libertés
constitutionnellement protégés »21. Et quoiqu’il y a ajouté plus tard également la
protection « européenne » et/ou « internationale » pour caractériser les mêmes
droits22, le concept ne s’applique pas moins aux droits et libertés affirmés dans la
Constitution, particulièrement dans des pays où la hiérarchie des normes juridiques
au profit de la Constitution ne souffre pas trop de cette concurrence internationale ou
régionale.
Les deux expressions peuvent donc être utilisées de manière interchangeable, même
si nous avons préféré, dans l’intitule de l’ouvrage, l’expression « droits
constitutionnels ». La préférence se justifie uniquement par le souci de souligner
l’importance du document (la Constitution) qui constitue le support desdits droits
fondamentaux ; sinon, dans le langage juridique moderne, ainsi que nous l’enseigne
d’ailleurs la même « Ecole d’Aix-Marseille », « droits fondamentaux » et « droits
constitutionnels » sont des termes presque identiques23.
Ce qui distingue avant tout les droits constitutionnels des libertés publiques c’est
leur « indisponibilité » (L. FAVOREU), c’est-à-dire le caractère qui fait que ces droits
soient considérés comme hors d’atteinte des pouvoirs publics constitués (législatif,
exécutif et judiciaire). Ceux-ci ne peuvent, en effet, supprimer ou porter atteinte à ces
21
FAVOREU (L.), « Rapport général introductif », in « Cours constitutionnelles européennes et droits
fondamentaux », Colloque international organisé par le Groupe d’étude et de rechercher sur la justice
constitutionnelle, Revue internationale de droit comparé, n° 2, avril-juin 1981, pp.255.
22
Cfr. FAVOREU (L.),GAÏA (P.), GHEVONTIAN (R.), MESTRE (J.-L.), ROUX (A.), PFERSMAN (O.) et
SCOFFONI (G.), Droit constitutionnel, Paris, Dalloz., 1998 p. 780.
23
Idem, p. 785.
13
14
droits qu’au prix d’une inconstitutionnalité ; ce qui, dans ce cas, expose leur œuvre à
la sanction du juge constitutionnel. Il en est ainsi parce que, comme nous l’avons dit
plus haut, les droits constitutionnels sont des droits affirmés dans la loi fondamentale
et suprême d’un Etat. Par voie de conséquence, ceux qui ne le sont pas, comme les
libertés publiques, sont constamment soumis aux menaces desdits pouvoirs publics
constitués.
De ce caractère découle une série de différences entre les deux notions au moins à
plusieurs niveaux.
Tout d’abord, les libertés publiques s’appuient généralement sur les textes juridiques
inférieurs à la Constitution (lois, règlements, principes généraux du droit…) alors
que les droits constitutionnels, comme on vient de le voir, tirent leur source
directement de la Constitution. Il s’ensuit qu’entre les deux expressions, la première
différence est d’ordre formel ; c’est une différence d’instrumentum.
Enfin, dernier élément de différence, les libertés publiques ne sont souvent garanties
que dans les rapports verticaux entre la puissance publique et les individus
(conséquence de leur statut légal) alors que les normes supra-législatives protégeant
les droits constitutionnels (effet de leur statut constitutionnel) peuvent également
produire des effets aussi bien dans les relations verticales entre l’Etat et les individus
que dans les relations horizontales entre les individus eux-mêmes. Cela veut dire que
la force juridique des libertés publiques est beaucoup moins étendue et moins
prégnante sur la vie des gens que celle des droits constitutionnels, oeuvre du Pouvoir
constituant. D’où leur caractère suprême et fondamental.
24
C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les termes de l’article 122, point 1, de la Constitution : « La loi fixe
les règles concernant…les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice
des libertés publiques », Constitution, Op. cit., p. 39. Seuls les droits créés en vertu de cet article relèvent du
Pouvoir législatif ; ceux déjà affirmés au Titre II de la Constitution échappent à l’autorité de ce dernier, sauf
délégation expresse du pouvoir par le Constituant lui-même (Cfr. infra).
14
15
Fondé sur des considérations d’ordre philosophique (école de droit positif versus
école de droit naturel), ce débat n’a pas lieu d’être ici et maintenant car nous
considérons que tous les droits de l’homme, dès l’instant où ils bénéficient d’une
reconnaissance et d’une protection constitutionnelles – ce qui est l’œuvre du Pouvoir
constituant originaire, lequel par définition est « initial, inconditionné et
insubordonné » - acquièrent par ce fait même un statut constitutionnel qui n’a plus
besoin d’être comparé à quelque temple philosophique ou à quelque hémicycle
législatif. Les droits inscrits dans la Constitution ont, à eux seuls, un temple – la
Constitution – et un statut – droits constitutionnels – et c’est la raison pour laquelle
ils ne peuvent être étudiés que dans le cadre d’une discipline spéciale appelée « Droit
constitutionnel des droits de l’homme ». Cette appellation suffit, à elle seule, à taire
la divergence.
Pour mieux comprendre la nature de ces droits, il faut chercher à connaître leurs
caractères juridiques propres (§1). Par la suite, on s’efforcera d’en proposer quelques
classifications possibles, dans la foulée de celles qui sont généralement utilisées pour
mieux les particulariser (§2).
Par rapport à d’autres droits, les droits constitutionnels sont revêtus de quelques
caractères. Tout d’abord, comme la plupart des droits, ils sont des droits subjectifs
(A). Ensuite, contrairement à une certaine opinion erronée, les droits constitutionnels
ne sont pas dépourvus de sanction juridique ; ils sont, comme tous les autres, des
droits justiciables (B). Enfin, en dépit de leur autorité et de leur respectabilité plus
25
A preuve, cet ouvrage de Dominique TURPIN, Libertés publiques & droits fondamentaux, Paris, Seuil, 2004,
où il continue à être affirmé que « …les notions de ‘droits de l’homme’ et de ‘libertés publiques’ ne se
recouvrent pas totalement. La premières est plus ancienne, plus large, plus ambitieuse, mais moins précise, car
plus philosophique ou politique…La seconde est plus récente, plus modeste, mais aussi plus juridique, donc plus
précise… » (p. 7).
15
16
grande, les droits constitutionnels ne sont pas tous absolus ; certains d’entre eux sont
limitables (C).
On peut, à titre d’exemple, citer le cas de la plupart des droits électoraux – qu’il
s’agisse du droit à l’électorat ou du droit à l’éligibilité - droits généralement rattachés
à la souveraineté de l’Etat. Dans un Etat qui promeut la souveraineté nationale, l’on
considère que l’élection étant une fonction exercée au nom d’une prétendue nation
indivise, elle n’est pas et ne peut pas être un droit subjectif des citoyens. Par voie de
conséquence, le contentieux auquel elle peut donner lieu étant un contentieux de
type objectif, il ne peut y avoir place pour diverses techniques d’investigation
électorale, ni pour le respect primordial des droits de la défense (Cfr. à ce sujet
l’abondante jurisprudence de la Cour suprême de Justice depuis 2006). La société
organise le procès électoral dans le seul intérêt de la légalité et non des droits
subjectifs des candidats qui, en l’occurrence, n’existent pas.
Cette conception est non seulement partielle, mais aussi surannée. Elle est partielle
parce que, s’adossant à la seule doctrine de la souveraineté nationale, elle ne voit
l’élection que comme une simple « fonction » exercée par le citoyen au nom d’une
hypothétique nation indivise. Or, dans le cadre de la souveraineté populaire, où
l’élection est un véritable droit subjectif du citoyen, l’on ne voit pas très bien où
pareilles conclusions peuvent trouver fondement. Il s’ensuit que, dans la plupart des
Etats démocratiques, où le citoyen est le véritable titulaire de la souveraineté, cette
conception est dépassée. Le droit à l’électorat, tout comme le droit à l’éligibilité, n’est
16
17
plus seulement un « droit objectif », il est avant tout un droit subjectif appartenant à
chaque citoyen. C’est l’exemple le plus topique pour démontrer le caractère suranné
de la conception ancienne des droits constitutionnels.
Au surplus, on peut citer l’exemple d’autres droits inscrits dans la Constitution dont
le caractère subjectif ne peut même pas faire l’objet de polémique. C’est le cas par
exemple du droit à la vie affirmé à l’article 16 de la Constitution congolaise du 18
février 2006. C’est aussi le cas des droits à l’égalité et à la non discrimination affirmés
aux articles 11, 12, 13 et 14 de la même Constitution. C’est encore le cas du droit à la
liberté de l’article 17, du droit à l’information de l’article 24, du droit à l’inviolabilité
du domicile de l’article 29, du droit à la propriété privée de l’article 34… Vient-il à
l’esprit d’un seul juriste que ces droits ne sont pas des prérogatives individuelles des
membres d’une communauté politique ? Inscrits dans la Constitution, ne le sont-ils
pas dans l’intérêt privé des individus ?
A poursuivre l’énumération, il apparaît que la grande majorité des droits affirmés dans la
Constitution sont des droits subjectifs. Il en est ainsi parce que, à côté du « compte
gouvernants », la Constitution contient aussi un « compte gouvernés »26. C’est en vue
de la protection des intérêts de l’Etat et de ceux de l’individu que les Constitutions
modernes existent. Si donc les intérêts individuels dans la Constitution ne peuvent
être protégés, s’ils doivent être sacrifiés sous l’autel de l’intérêt général, à quoi bon le
discours sur le constitutionnalisme et sur l’humanisme. A quoi bon la proclamation
solennelle de la foi en l’individu ? Les droits constitutionnels sont donc des droits
subjectifs au même titre que d’autres.
fondamentaux des citoyens. Une loi votée par le Parlement viole-t-elle une liberté
constitutionnellement garantie ? Le juge constitutionnel se chargera de son
annulation. Même le juge judiciaire suprême s’emploie à casser certaines décisions de
justice inférieures sur le simple motif qu’elles ont violé un droit
constitutionnellement garanti (p. ex. le droit à la publicité des débats). Une décision
de justice a-t-elle omis de convoquer l’une des parties au procès ou a-t-elle été
prononcée sur aucune base juridique ? La voilà qui est susceptible d’être cassée par
une juridiction supérieure au motif du non respect du droit à la défense ou de
l’obligation constitutionnelle de motivation des jugements.
Tous les droits constitutionnellement garantis sont donc susceptibles de fonder toute
décision de justice, en particulier celle de la juridiction constitutionnelle. Il
n’appartient donc qu’aux seuls justiciables, non seulement de découvrir ce caractère
fondamental des droits constitutionnels, mais surtout de mettre en mouvement tous
les mécanismes de recours qui leur sont ouverts afin de rendre la justiciabilité des
droits constitutionnels une réalité tangible.
27
Une restriction est une limitation qui, portant sur l’exercice d’un droit fondamental, a pour effet ou pour objet
de réduire la portée pratique de celui-ci sans porter atteinte à sa substance, à son objet, à son principe ou à son
existence. En revanche, une dérogation est une limitation qui, portant aussi bien sur l’exercice que sur la
jouissance d’un droit fondamental, a ceci de conséquent qu’elle porte nécessairement atteinte à sa substance, à
son objet, à son principe ou à son existence même. En d’autres termes, si une restriction est une modalité
d’exercice d’un droit fondamental, une dérogation en est nécessairement une violation autorisée.
28
Loi fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques, art. 9, 10, 11, 12, 14 et 15, Op. cit., pp. 392-
393
18
19
Selon le Rapport fait à cette époque au Sénat belge le 11 mai 1960, au nom des
Commissions réunies de la Justice et du Congo, par Mme CISELET, ces restrictions et
dérogations pouvaient être admises « … uniquement dans les cas et dans les conditions
prévus par la présente loi elle-même »29. Ces réserves d’interprétation sont, aujourd’hui,
reprises par la Constitution du 18 février 2006, particulièrement dans ses dispositions
qui affirment des droits de caractère relatif.
En dépit de leurs caractères propres, les droits constitutionnels, comme tous les
autres droits, sont aussi susceptibles de classifications. Il en est ainsi par exemple des
classifications fondées sur la nature de ces droits, qui sont communes à tous les
droits (A), ou des classifications opérées par le Constituant lui-même, qui témoignent
de la souveraineté de celui-ci et de la spécificité des droits constitutionnels.
1. Les droits-liberté
Chers à la doctrine occidentale, les droits-liberté sont ceux qui procurent à leur titulaire le
pouvoir d’agir ou de ne pas agir, le pouvoir de prester ou de s’abstenir, et à leur débiteur un
simple pouvoir d’abstention. Ils dérivent de la conception même de la liberté qui, selon
les mots de Littré, est la « condition de l’homme qui n’appartient à aucun maître ».
29
Projet de Loi fondamentale relative aux libertés publiques, Rapport fait au nom des Commissions réunies de la
Justice et du Congo belge et du Ruanda-Urundi par Mme CISELET, Sénat de Belgique, Doc. parl., Session de
1959-1960, Réunion du 11 mai 1960, p. 313. Italiques ajoutées.
19
20
Selon une sous-classification chère à Jean RIVERO, les droits-liberté se déclinent eux-
mêmes en quatre sous-catégories : la sûreté ou liberté individuelle (droit de base qui
postule notamment le respect de la liberté physique et l’interdiction de toute forme
arbitraire de répression), les libertés de la personne physique (qui comprennent entre
autres la libre disposition de sa personne, la liberté de circulation, le droit à la vie
privée, le droit au domicile...), les libertés de la personne intellectuelle et morale, encore
appelées « libertés de l’esprit » ou « libertés de la pensée » (liberté d’opinion, liberté
de conscience, liberté de culte, liberté de l’expression de la pensée sous toutes ses
formes…) ainsi que les libertés sociales et économiques (droit de propriété, liberté du
travail, liberté du commerce et de l’industrie, liberté de grève, liberté syndicale…)30.
2. Les droits-créance
30
RIVERO (J.), Op. cit., p. 23-26.
20
21
3. Les droits-participation
Se situant sur un autre plan – celui de l’existence de la vie politique – ce sont des droits
qui requièrent la participation des citoyens à la vie politique de leur Etat, indépendamment
de la question de savoir s’ils doivent être garantis par un tiers ou par le titulaire du
droit lui-même.
Pour l’essentiel, ces droits correspondent à ceux qu’on qualifie aujourd’hui de droits
politiques, qu’il s’agisse du droit de vote, du droit à l’éligibilité ou du droit d’accès
aux fonctions publiques de son pays, etc. Ce sont précisément ces droits qu’on
qualifiait jadis de « droits de la première génération », en raison de l’antériorité de
leur reconnaissance dans la plupart des pays et au niveau international.
D’où l’intérêt qu’il y a à scruter, dans cette Constitution, la classification qu’elle opère
pour se faire une idée de ce que le Droit constitutionnel congolais apporte, en la
matière, au Droit général des droits de l’homme.
Elle s’inspire des classifications onusiennes, qu’il s’agisse des droits civils et
politiques (1ère génération), des droits économiques, sociaux et culturels (2ème
génération), des droits collectifs et de solidarité (3ème génération) ainsi que des droits
pouvant être qualifiés de « quatrième génération » (droit à une répartition équitable
des richesses par exemple).
A notre avis et dans le silence du Constituant, par droits civils on entend des droits
reconnus à « toute personne », c’est-à-dire à tout individu, quelle que soit sa
condition ou son statut juridique à l’intérieur de l’Etat (national, étranger, réfugié,
apatride…). Ces droits seraient reconnus aux individus uniquement en considération
de leur personnalité humaine, même si le terme « civils » (civis en latin) peut
renvoyer à celui de « citoyen ». Il doit s’agir, tout au moins, du terme « citoyen »
détaché de celui de « nationalité ».
En revanche, par droits politiques, l’on vise spécialement ceux qui sont reconnus à
une personne en raison de son lien juridique avec la nation (lien de nationalité), lui
permettant, en tant que tel, de participer, d’une manière ou d’une autre, à la vie
politique de son pays, et par voie de conséquence, à l’expression de sa souveraineté.
Quant aux droits économiques, sociaux et culturels, ils souffrent de la même critique
: ni définition ni distinction en fonction de leur nature propre. Globalement, on peut
considérer, à la suite de Jean RIVERO, qu’il s’agit des droits qui concernent surtout
« la vie professionnelle et la vie économique »32, c’est-à-dire ceux qui concourent à la
satisfaction des besoins d’ordre économique, social et culturel33, même si l’inclusion
de certains d’entre eux peut paraître, dans la Constitution congolaise du 18 février
2006, plutôt douteuse34.
32
RIVERO (J.), Op. cit., p. 26.
33
NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Op. cit., p. 259 et ss.
34
C’est le cas des droits dits de l’enfant (art. 41) ou des droits des personnes âgées et de ceux des personnes
vivant avec handicap (art. 49). Au nom de quoi ces droits se limitent-ils aux seuls aspects « économique, social
et culturel » ? Ne peuvent-ils pas être considérés plutôt comme des droits « catégoriels » ?
22
23
scolaire (art. 43), le droit à la culture ainsi que la liberté de création intellectuelle et
artistique ou la liberté scientifique et technologique (art. 46).
En thèse générale, les droits économiques, sociaux et culturels sont, comme tous les
autres droits, justiciables devant le juge. Ce n’est pas leur caractère
« programmatoire », souvent mis en exergue dans la doctrine occidentale, qui
constitue un obstacle dirimant, y compris en Droit international, pour leur renvoie
devant le juge35. Il suffit que la Constitution en ait identifié tant le créancier que le
débiteur, étant donné que les garanties de protection prévues sont, elles, les mêmes
pour tous les droits constitutionnels (cfr. infra).
En réalité, les droits collectifs ne sont pas une catégorie à part qui se détacherait
autant des droits civils et politiques que des droits économiques, sociaux et culturels.
Quel est cet esprit perspicace qui ne rangerait pas, par exemple, dans la catégorie des
droits économiques, sociaux et culturels, le « droit à la jouissance des richesses
nationales » affirmé à l’article 58 de la Constitution ? De même, vient-elle à l’esprit
l’idée de nier le caractère collectif autant du droit de grève (art. 39) que de la liberté
syndicale (art. 38), rangés malencontreusement au seul chapitre des « droits
économiques, sociaux et culturels » ?
35
On se reportera entre autres à l’étude de NGOY LUMBU MALENGELA (Rémy), L’instauration du
mécanisme de communications individuelles devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Une
contribution à l’étude des voies et moyens pour une mise en œuvre efficiente du Pacte international relatif à ces
droits, Thèse pour le doctorat en Droit, Université catholique de Louvain, 2007, 400 p.
36
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, SENAT, Rapport de la Commission constitutionnelle….,
p…
23
24
On appelle titulaires des droits constitutionnels tous ceux qui bénéficient des droits
affirmés dans la Constitution, tant du point de vue de leur jouissance que de leur
exercice, et qui peuvent en revendiquer respect ou accomplissement de la part
d’autres personnes ou structures. A ce sujet, il y a risque de se tromper sur la liste
desdits bénéficiaires si le travail n’est pas fait avec une certaine dextérité, en
considération des données fournies par la Constitution.
A s’en tenir à leur formulation ainsi qu’à leur statut historique, les droits
constitutionnels bénéficient d’abord aux citoyens d’un pays, en l’occurrence aux
citoyens congolais qui, à cet effet, apparaissent comme les titulaires privilégiés des
droits constitutionnels (A). Ils bénéficient ensuite, en raison de l’extension moderne de
la juridiction personnelle des Etats, à « toute personne » se trouvant sous la
juridiction desdits Etats (B). Il convient cependant de distinguer, parmi ces droits,
ceux qui sont exclusivement réservés aux citoyens et ceux qui peuvent bénéficier à
tout le monde.
En droit constitutionnel, le citoyen est le titulaire privilégié des droits garantis. Il en est
ainsi parce que, en raison du lien de nationalité qui les lie à l’Etat, la plupart des
droits qui sont inscrits dans la Constitution sont d’abord destinés aux ressortissants
dudit Etat. Qu’il s’agisse des droits économiques, sociaux et culturels, des droits
collectifs, des droits de « X génération », et a fortiori des droits civils et politiques, ils
sont affirmés avant tout au profit des citoyens ressortissants d’un Etat.
37
Le citoyen national ne bénéficie pas du droit d’asile dans son pays parce que, non seulement l’asile ne peut
être accordé qu’aux « ressortissants étrangers » (art. 33 de la Constitution), mais surtout, en vertu de l’article 30
de la même Constitution, « Aucun Congolais ne peut être ni expulsé du territoire de la République, ni être
contraint à l’exil, ni être forcé à habiter hors de sa résidence habituelle », Loc. cit., pp. 13 et 14. Italiques
ajoutées.
24
25
La question de savoir si tel droit bénéficie à titre exclusif ou non aux citoyens se résout
par la lecture attentive de la disposition constitutionnelle en cause. Généralement,
pour en réserver le bénéficie exclusif aux nationaux, la Constitution affirme le droit
concerné en commençant par les expressions « Tout Congolais… » ou « Aucun
Congolais ne peut… ». Cela dénote son intention d’en priver le bénéfice aux « non
Congolais ». Exemples : « Tout Congolais a le droit d’adresser individuellement ou
collectivement une pétition à l’autorité publique… » (art. 27) ; « Aucun Congolais ne
peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre
matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire… » (art. 13).
En revanche, lorsqu’à la place de ces deux expressions, le Constituant utilise les mots
« toute personne », c’est que le droit en cause ne bénéficie pas qu’aux seuls
Congolais. Dans ce cas, quoique titulaires privilégiés de tous les droits
constitutionnellement garantis, les nationaux n’en sont pas pour autant des titulaires
exclusifs. Ils partagent le bénéfice desdits droits avec « toute personne » se trouvant
sous la juridiction de l’Etat. Que faut-il donc entendre par les mots « toute
personne » ?
B. « Toute personne »
Certains droits affirmés dans la Constitution ne bénéficient pas, en effet, qu’aux seuls
Congolais. Au nom du principe de l’universalité des droits de l’homme, ils
bénéficient également à « toute personne »38, entendue tant au sens de personne
physique qu’à celui de personne morale, à condition toutefois que celle-ci se trouve sous
la juridiction de la République démocratique du Congo.
La preuve que tous les droits garantis dans la Constitution, sauf les droits politiques,
bénéficient également aux étrangers est fournie notamment par l’article 50, alinéa 2,
de la Constitution : « Sous réserve de la réciprocité, tout étranger qui se trouve
légalement sur le territoire national bénéficie des mêmes droits et libertés que le
Congolais, excepté les droits politiques. Il bénéficie de la protection accordée aux
38
La Constitution parle parfois de « tout individu ». Cfr. p. ex. art. 28 et 40.
25
26
personnes et à leurs biens dans les conditions déterminées par les traités et les
lois »39. Le Constituant introduit cependant ici deux conditions pour pouvoir bénéficier
de cette égalité de traitement : la légalité du séjour de l’étranger sur le territoire de la
République et la réciprocité de la protection accordée aux Congolais par les Etats
étrangers ; ce qui, à coup sûr, est à l’opposé du Droit international des droits de
l’homme40. La Constitution viole-t-elle, de ce fait, le Droit international qui lui est
antérieur ? L’on ne peut y répondre par l’affirmative que si l’on est partisan du
monisme juridique au profit du Droit international. Or, notre opinion sur cette
question est plutôt à l’opposé de cet épouvantail (Cfr. supra).
En ce qui concerne les personnes morales, aucune limitation de bénéfice n’est a priori
prescrite, sauf à considérer qu’en raison de leur nature même ou du caractère fictif de
la notion de personnes morales, certains droits déterminés dans la Constitution ne
peuvent naturellement leur bénéficier. C’est le cas par exemple du droit au mariage
(art. 40) ou du droit à l’éducation scolaire (art. 43). Vient-il à l’esprit de quelqu’un
qu’une personne morale puisse contracter mariage ou s’asseoir sur le banc d’une
école ? En tout cas, ces deux droits, comme beaucoup d’autres, sont irreconnaissables
à la personne morale.
Ces exemples mis à part cependant, tous les autres droits constitutionnels bénéficient
aux personnes morales au même titre qu’aux personnes physiques. C’est le cas par
exemple de la plupart des droits liés à une procédure judiciaire : droit de la défense,
droit à un procès équitable (art. 19) ; droit à un jugement écrit et motivé, droit au
recours (art. 21) ; droit de saisir la Cour constitutionnelle en inconstitutionnalité de
tout acte législatif ou réglementaire (art. 162, al. 2), etc.
Un débiteur des droits constitutionnels est la personne tenue envers les titulaires de
ceux-ci d’exécuter une prestation ou une abstention. En d’autres termes, c’est la
personne tenue d’une certaine obligation – de moyen ou de résultat – dans la
réalisation concrète desdits droits et qui peut répondre, devant certaines instances,
de son action ou de son inaction.
39
Const. 18 fév. 2006, art. 50, al. 2, Op. cit., p. 19.
40
Cfr. art. 63 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
41
Art. 25 : « La liberté des réunions pacifiques et sans armes est garantie, sous réserve… » ; art. 25 : « La liberté
de manifestation est garantie. », Op. cit., p. 13.
26
27
Par Etat, il faut entendre l’ensemble des organes (institutions) qui ont le pouvoir de
vouloir pour lui et qui sont généralement connus sous l’expression générique de
« pouvoirs publics » ou, plus exactement, de « pouvoirs publics constitutionnels », à
quelque niveau qu’ils se placent dans la structuration ou la configuration
géographique de l’Etat. Ainsi, au niveau de l’Etat central, on citerait à titre d’exemple
le Président de la République, le Parlement, le Gouvernement, les Cours et
Tribunaux ainsi que les « Institutions d’appui à la démocratie ». A celui des
Provinces, il faut citer essentiellement l’Assemblée provinciale et le Gouvernement
provincial. Quant aux Entités territoriales décentralisées ou aux Entités territoriales
déconcentrées, leurs organes ne sont véritablement concernés que dans la limite de
leurs prérogatives ou obligations constitutionnelles (Conseils et Collèges urbains,
Conseils et Collèges exécutifs communaux, Conseil et Collèges exécutifs de secteur,
etc).
Un exemple de ce que l’Etat est tenu d’exécuter une certaine prestation ou une
certaine abstention en matière des droits constitutionnels est constitué notamment
par l’obligation générale qui lui est comminée à l’article 60 de la Constitution de
respecter, autant que toute personne, les « droits de l’homme et les libertés
fondamentales consacrés dans la Constitution ». De même, au titre d’obligation
générale toujours, « Les pouvoirs publics ont le devoir de promouvoir et d’assurer, par
l’enseignement, l’éducation et la diffusion, le respect des droits de l’homme, des
libertés fondamentales et des devoirs du citoyen énoncés dans la présente
Constitution… » (art. al. 5).
Sur le terrain des obligations spécifiques, elles sont légion. C’est le cas par exemple de
celui comminé à l’article 51 de la Constitution, en vertu duquel « L’Etat a le devoir
d’assurer et de promouvoir (notamment) la coexistence pacifique et harmonieuse de
tous les groupes ethniques du pays. Il assure également la protection et la promotion
des groupes vulnérables et de toutes les minorités. Il veille à leur épanouissement ».
C’est aussi le cas de ce devoir particulier incombant à l’Etat de « protéger les droits et
27
28
les intérêts des Congolais qui se trouvent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays »
(art. 50, al. 2). Toutes ces obligations incombent à l’Etat à tous les niveaux de son
autorité.
Dans le même ordre d’idées, il faut dire que chaque fois que le Constituant laisse à
un pouvoir public déterminé le soin de préciser par exemple les modalités
d’application d’un droit constitutionnel, il lui commine ainsi, soit un devoir de
législation, soit un devoir de réglementation. Dans certains cas mêmes, il y a des devoirs
d’application qui sont comminés.
B. Les individus
Les individus sont débiteurs des droits constitutionnels seulement dans la mesure où
il leur est demandé, dans la jouissance et dans l’exercice de leurs propres droits, de
respecter ou de ne pas porter atteinte aux droits d’autrui. C’est la conséquence de
l’obligation horizontale du respect des droits de l’homme, laquelle veut que les droits
de la personne humaine s’arrêtent là où commencent ceux d’autrui. Pas de liberté pour
les ennemis de la liberté !
C’est le sens qu’il convient de donner à l’obligation de respect des droits de l’homme
comminée par l’article 60 de la Constitution, laquelle est commune à l’Etat et aux
individus: « Le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrés
dans la Constitution s’impose aux pouvoirs publics et à toute personne » (Italiques
ajoutées). Cette obligation est prolongée par celle contenue dans l’article 66 de la
même Constitution, lequel affirme que «Tout Congolais a le devoir de respecter et de
traiter ses concitoyens sans discrimination aucune et d’entretenir avec eux des relations
qui permettent de sauvegarder, de promouvoir et de renforcer l’unité nationale, le
respect et la tolérance réciproques » (Italiques ajoutées). Et que dire du « devoir »
incombant aux parents de procurer « soins et éducation » à leurs enfants ou de ce
devoir réciproque incombant aux enfants « d’assister leurs parents » conformément à
l’article 40 de la Constitution ?
28
29
n’est tenu en général que par la seule obligation d’application, laquelle, en ce qui le
concerne, se traduit par celle du respect des droits consacrés.
Mais, les individus sont également débiteurs des droits constitutionnels lorsqu’ils en
sont expressément requis par la Constitution ou en vertu d’elle. Il en est ainsi en
matière des droits économiques, sociaux et culturels où, par exemple en matière du
droit du travail, les patrons d’entreprise sont tenus contractuellement de fournir du
travail aux salariés en contrepartie des prestations de ces derniers. Dans ce cas, le
travail étant « un droit et devoir sacrés pour chaque citoyen » (art. 36 de la
Constitution, Cfr. infra), l’on voit difficilement comment un patron lié par un contrat
de travail avec un Congolais se déroberait à son obligation sans violer la disposition
constitutionnelle concernée.
C. La Communauté internationale ?
Certes, la Charte des Nations Unies, à laquelle la RDC est partie, confie au Conseil de
Sécurité de cette Organisation internationale la charge de veiller au maintien et au
rétablissement de la paix dans le monde ; ce qui n’est pas en soi une sinécure. Mais, si
cette obligation existe, elle ne découle pas de la Constitution congolaise ; c’est une
obligation internationale découlant de la seule Charte des Nations Unies.
Par conséquent, sauf à y voir un vœu politique, il paraît difficile de faire reposer
l’obligation constitutionnelle d’assurer aux Congolais « la paix et la sécurité
internationales », du moins tel que la proclame la deuxième partie de l’article 52 de la
Constitution, sur une quelconque « Communauté internationale », fut-elle l’ONU.
Les seuls vrais débiteurs des droits constitutionnels demeurent l’Etat et les individus.
Il découle du chapitre premier de cet ouvrage que le Droit constitutionnel des droits
de l’homme existe ; que son objet est parfaitement identifiable ; qu’il est possible de
construire une théorie des droits constitutionnellement garantis sur la base des
caractères propres à la norme des normes et que, par conséquent, la reconnaissance
officielle de cette discipline dans les facultés universitaires n’est qu’une manière
29
30
42
Cons. 18 fév. 2006, art. al. 5, Op. cit., p. 18.
30
31
Chapitre deuxième :
31
32
Il s’agit notamment du principe de la sacralité de la personne humaine (art. 16, al. 1er
A) ; des principes de la liberté et de l’égalité de tous les êtres humains (art. 11, A) ; de
celui de l’égalité des Congolais devant la loi (art. 12, A) ; du principe général de non-
discrimination (art. 13), complété par celui plus spécial de la non-discrimination à
l’égard des femmes (art. 14, al. 1er) ; du principe de la parité homme-femme dans les
institutions nationales, provinciales ou locales (art. 14, al. 5) ainsi que du principe de
la laïcité de l’Etat (art. 1er, al. 1er, in fine).
L’affirmation de ces principes dans le texte constitutionnel revêt une double portée :
juridique d’abord, parce qu’ils peuvent en eux-mêmes être invoqués en tant que
sources du droit, notamment en matière du contrôle de constitutionnalité (ex : une loi
peut être censurée par le juge au nom du principe de la liberté ou de l’égalité de tous
les êtres humains); philosophique ensuite, parce qu’ils constituent, en quelque sorte,
des valeurs justificatives des droits et libertés affirmés à leur suite.
De tous ces principes, celui de la sacralité de la personne humaine (a) ainsi que celui
de la parité homme-femme (b) méritent une attention particulière, en raison non
seulement de leur nouveauté, mais surtout de leur importance dans les options
levées par le Constituant en 2006.
C’est pour la seconde fois que le Constituant congolais, sans doute inspiré par les
idées religieuses, reconnaît le caractère sacré de la personne humaine43. Sans doute, bien
avant cela, a-t-il déjà proclamé son « souci primordial d’assurer le respect de la
personne humaine »44. Mais le caractère « sacré » de celle-ci n’avait jamais
auparavant été affirmé avec la force d’une telle conviction.
Cela signifie qu’en Droit constitutionnel congolais, l’existence ainsi que les attributs
de la personne humaine ne sont pas dans l’ordre du temporel ; ils relèvent avant tout
du spirituel, et comme la laïcité congolaise n’est pas synonyme d’athéisme ou
n’interdit pas la référence à un Etre suprême (Cfr. infra), on peut presque dire que
cette existence et ces attributs humains relèvent, chez le peuple congolais, de Dieu45.
43
La première fois, il le fut sous la Constitution de la transition du 04 avril 2003 : « La personne humaine est
sacrée. L’Etat a l’obligation de la respecter et de la protéger… », Cfr. art. 15, in J.O.RDC, n° spécial, 5 avril
2003, p. 7.
44
Cfr. Loi fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques, art. 1 er, alinéa 2, Op. cit., p. 390.
45
Cfr. Préambule de la Constitution du 18 février 2006 : « Nous, Peuple congolais (…) ; Conscients de nos
responsabilités devant Dieu, la Nation, l’Afrique et le Monde ; Déclarons solennellement adopter la présente
Constitution », Op. cit., p. 5.
32
33
C’est une traduction juridique de la foi selon laquelle « l’homme est créé à l’image et
à la ressemblance de Dieu » (Gn 1, 26). Créature divine, l’homme mérite donc, sinon
la même dignité que Dieu, en tout cas la dignité que Dieu a voulu reconnaître à l’homme
parmi toutes les autres créatures.
Il s’ensuit que tout traitement qui doit être réservé à l’Homme (homme avec « h »
majuscule) doit l’être dans la mesure compatible non seulement avec sa dignité
intrinsèque, mais aussi et surtout avec la volonté de Celui qui est « le maître de
l’univers visible et invisible », le créateur. Pour avoir été ainsi consacré en droit
positif, le principe de la sacralité de la personne humaine emporte cette conséquence
juridique qu’il ne peut impunément être violé sans que ceux qui ont la mission de
veiller au respect de la Constitution puisse le sanctionner. Et en Droit constitutionnel
des droits de l’homme, il a valeur de norme de référence aux fins d’assurer le respect et la
protection du droit subjectif à la vie.
Car, dans l’esprit du Constituant, la parité proclamée n’est applicable que dans
lesdites institutions. Il ne s’agit donc pas d’une parité dans tous les domaines de la
vie, quoique le principe d’égalité des articles 11, 12 et 13, complété par celui de la
non-discrimination à l’égard de la femme (art. 14, al. 1er et 2), permet de couvrir
pareils domaines.
Un peu comme une traduction juridique des principes immanents justifiant l’ordre
constitutionnel des droits de l’homme, la Constitution congolaise du 18 février 2006
grouille des droits subjectifs à caractère civil reconnus à la personne humaine, en tant
que telle. Certains d’entre eux sont des droits précis ou concrets qui n’exigent du juge
aucun effort particulier d’interprétation (a). D’autres, par contre, sont des méta-droits
qui provoquent, grâce à l’interprétation, la naissance des droits dérivés ou, selon
l’expression de Dominique TURPIN, des « droits par ricochet »53 (b). Dans le cadre
du présent volume, l’on ne se pencherait, évidemment, que sur les plus significatifs
d’entre eux.
De manière générale, la Constitution consacre, dans ce domaine, tous les droits qui
manifestent ou renforcent la liberté en général, à savoir : le droit à la liberté d’expression
(art. 23) ; le droit à l’information (art. 24) ; le droit à des réunions et à des manifestations
pacifiques (art. 25 et 26) ; le droit à la désobéissance civile en cas d’un ordre manifestement
illégal (art. 28) ; le droit à l’inviolabilité du domicile (art. 29); le droit à la libre circulation et
50
Cfr. loi portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité, adoptée par l’Assemblée
nationale et le Sénat au cours de leur session de septembre 2013 et transmise pour promulgation au Président de
la République le 17 décembre 2013 (inédite).
51
Cfr. art. 2, art. 3 point 11 et art. 4, alinéas 3 et 4, de la loi votée.
52
Cfr. CSJ, arrêt R. Const. n° 274/TSR, 24 janvier 2014 (inédit).
53
TURPIN (D.), Libertés publiques et droits fondamentaux, Op. cit., p. 61.
34
35
à la libre résidence (art. 30, al. 1er) ; la liberté d’association (art. 37) ainsi que le droit à la
liberté du mariage et à la fondation d’une famille (art. 40).
On citerait en tout premier lieu le droit à la vie (art. 16, al. 2, A). Qu’est-ce que c’est la
vie en Droit si l’on veut y voir quelque prérogative de la personne humaine ? Quand
commence-t-elle et quand se termine-t-elle ? L’obligation qui incombe à l’Etat ou à
toute personne de la respecter et de la protéger s’étend sur quelle(s) tranche(s) de la
vie ? Existe-t-il un droit à l’assistance à la procréation médicale en République
démocratique du Congo (sous-forme d’insémination artificielle, de fécondation in
vitro ou de clonage humain…) ? Existe-il, a contrario, un droit à la mort (comme par
exemple l’euthanasie, le suicide, l’avortement ou la peine de mort) ? Le droit à la vie
est-il absolu ou relatif ? Dans quels cas et à quelles conditions peut-on y porter
atteinte ou y déroger ? Telles sont les problématiques posées par l’existence du droit
constitutionnel à la vie, que le texte constitutionnel postule, mais auxquelles d’autres
disciplines juridiques peuvent répondre, dans les limites de l’interprétation correcte
de la Constitution.
On citerait ensuite le droit à l’intégrité physique de sa personne (art. 16, al. 2, B). Voici un
autre méta-droit dont la seule évocation suffit à rappeler la liste des revendications
généralement entendues : droit de disposer de son corps, droit à des dons d’organe,
droit à des habitudes sexuelles, droit à ne pas être violenté ou souillé, etc.). Si le
Constituant de 2006 avait ajouté aussi l’intégrité « morale », sans doute cette liste
serait plus longue pour intégrer d’autres revendications, notamment le droit à la
réputation, le droit à l’image, le droit…
Il faut également citer, dans cette veine, le droit au libre développement de sa personnalité
(art. 16, al. 2, C) ; ce qui implique le droit au libre choix de son avenir, le droit à la
35
36
Les droits à la liberté de pensée, à la liberté de conscience et à la liberté de religion (art. 22, al.
1er) participent de la même protection de la dignité de la personne humaine, même
s’ils peuvent être distingués. Le droit à la liberté de pensée en effet c’est le droit d’avoir
des idées propres, des idées qui ne soient pas nécessairement partagées par d’autres
personnes. Quant à la liberté de conscience, sans impliquer nécessairement une ligne
idéologique mais sans l’exclure non plus, elle postule le droit de se former un
jugement propre en tous domaines, le droit d’être convaincu des choses que seule sa
conscience, son libre arbitre, est en mesure de supporter. En revanche, plus profond
que les deux autres, la liberté de religion suppose, après le jugement de la pensée et de
la conscience, une adhésion plus ou moins explicite à une idéologie, à une croyance
en un être suprême, laquelle croyance aboutit à des rites, à des pratiques et à des
regroupements qui professent la même foi, les mêmes vérités supra-humaines
(liberté des cultes). C’est ce que la Constitution appelle le droit de manifester sa religion
ou ses convictions (art. 22, al. 2) ; ce qui est la version extérieure de la liberté de religion
ou droit d’avoir des convictions philosophiques.
Tous ces droits sont reconnus par la Constitution à « toute personne » sans
distinction de sexe, de race, de tribu, d’ethnie, de nationalité, d’opinions, etc. Ils le
sont uniquement en raison de la possession par chacun de sa qualité de personne
humaine. Et c’est la raison pour laquelle nous les considérons comme des droits civils
reconnus à toute personne, quelle que soit sa situation.
Il s’agit des droits reconnus à une personne lorsqu’elle fait l’objet ou est susceptible
de faire l’objet d’une mesure d’arrestation ou de détention de la part des autorités
publiques (OPJ, magistrats, etc.). La Constitution se préoccupe d’abord de
l’encadrement de la procédure pénale par l’affirmation d’une série de principes qui
peuvent être regardés comme « sacro-saints » (1). Ensuite, dans le prolongement de
36
37
Si l’on ne s’en tient ici qu’à l’un d’entre eux, on dirait que le principe de la primauté de
la liberté sur la détention signifie qu’au-delà des pouvoirs reconnus à tout organe de
détenir par devers soi toute personne convaincue d’une violation de la loi, la
détention ne peut, et ce quelle que soit la loi qui l’ordonne, être ordonnée
qu’exceptionnellement, pour des motifs impérieux définis par la loi, sous réserve
pour chaque citoyen ou pour chaque personne de son droit de jouir en toute
circonstance de toutes ses libertés (liberté de circulation, liberté de visite, liberté de
dormir, liberté de se mouvoir, liberté de manger, de parler, etc.). Rien, même les
mesures d’enquêtes, ne peut justifier la détention que si elle l’est prévue par la loi.
En s’arrêtant un instant sur cette série de droits, on se rend compte que, dans le cadre
d’une procédure judiciaire régulière, tous sont liés et que certains d’entre eux,
bénéficiant du statut de droits indérogeables, renforcent de manière plus particulière
la liberté et la dignité de la personne humaine.
Tout d’abord, d’apparition récente, le droit d’être informé de ses droits, des motifs de son
arrestation et de toute accusation portée contre soi est celui qui doit être rappelé ; il
37
38
suppose, à tout le moins, l’obligation qui pèse sur les magistrats de porter à la
connaissance de leurs justiciables, et ce dans tous les actes importants de leur
procédure, tous les droits dont les justiciables seraient bénéficiaires dans le cadre
d’un processus judiciaire (qu’il s’agisse du droit de comparaître ou même de se
taire). Ce droit englobe en outre celui d’être informé des motifs de l’arrestation et de
toute charge pesant contre l’accusé, en l’absence de quoi il y aurait arrestation
arbitraire.
Ensuite, une fois arrêté, le justiciable a le droit d’être mis directement en contact avec sa
famille ou son conseil ; ce qui suppose une obligation positive de la part de toute
autorité compétente de mettre effectivement en relation, par voie téléphonique ou
physique, l’arrêté et sa famille ou son conseil, peu importe que cette arrestation ait
été ordonnée par la voie de la garde à vue, du mandat d’arrêt provisoire, de la
détention préventive ou de la condamnation définitive par un jugement.
Dans tous les cas de figure, tant qu’elle est en arrestation ou en détention, la
personne humaine a droit à un traitement sain et digne ; ce qui suppose non seulement
un séjour dans les lieux carcéraux conformes à la dignité de la personne humaine,
mais aussi une préservation sans concession de son intégrité physique et morale (ceci
justifierait par exemple la répression de toute forme de torture ou de tout traitement
cruel, inhumain ou dégradant).
38
39
Il s’agit tout particulièrement du droit à l’électorat et du droit à l’éligibilité (art. 5, al. 4).
Quoique traités dans un même contexte et ne figurant pas expressis verbis au chapitre
des droits politiques, ces deux droits ne sont ni à écarter ni à confondre ; c’est
l’essence même de toute démocratie participative ; et si le premier exprime la faculté
de choisir (droit actif), le second traduit la possibilité pour tout citoyen d’être choisi
dans le cadre d’un processus électoral (droit passif). Selon la Constitution du 18
février 2006, l’électorat et l’éligibilité s’obtiennent dès l’âge de dix-huit ans révolus ; ce
qui pose un problème de cohérence et d’harmonisation, s’agissant tout
particulièrement du droit à l’éligibilité à certaines fonctions politiques (Président de
la République, Député, Sénateur, Gouverneur de province…).
Quant au droit à la défense de son pays (art. 63), au droit à la résistance pacifique en
cas de prise de pouvoir par la force ou d’exercice inconstitutionnel de celui-ci (art.
64), à l’interdiction de l’expulsion des nationaux (art. 30, al. 2), à l’interdiction de
contrainte des nationaux à l’exil (art. 30, al. 2) ainsi qu’à l’interdiction de déplacement
forcé des nationaux (ce que la Constitution appelle « être forcé à habiter hors de sa
39
40
Le droit à la résistance pacifique par exemple est, de ce point de vue, plus que
révélateur. Dans la foulée des acquis de la Conférence nationale souveraine et pour
« contrer toute tentative de dérive dictatoriale » (Exposé des motifs de la Constitution
originaire, p. 5), ce droit est reconnu exclusivement aux seuls Congolais qui, de ce
fait, disposent du droit, voire même du « devoir de faire échec à tout individu ou
tout groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation
des dispositions de la …Constitution » ; ce qui signifie interdiction de toute forme de
coup d’Etat, qu’il soit de fait ou d’apparence constitutionnelle.
Le droit à la défense du pays est aussi digne de mention. Dans l’esprit du Constituant, il
s’analyse autant comme un « droit » que comme un « devoir » politique. Il s’agit de
cette possibilité laissée aux citoyens congolais de défendre leur pays et l’intégrité du
territoire national, en particulier face à une menace ou à une agression extérieure. Le
devoir peut même être accompli dans le cadre d’un « service militaire obligatoire »
(art. 63, al. 2) qu’il appartient au législateur d’organiser (cfr. infra).
Bref, en matière des droits civils et politiques, la Constitution est plus que prolifique ;
ce qu’elle ne semble l’être – quantitativement parlant - en matière des droits
économiques, sociaux et culturels.
Ce sont des droits, avons-nous dit, qui sont reconnus à une personne pour la
satisfaction de ses besoins économiques, sociaux et culturels. Comme tels et en raison
de leur statut constitutionnel, ces droits ne sont pas à discriminer par rapport aux
droits civils et politiques. En effet, contrairement à une certaine philosophie
véhiculée dans le contexte international, ils sont revêtus de la même autorité
juridique qu’eux tandis que les objectifs politiques qu’ils assignent aux pouvoirs
publics constituent de véritables contraintes juridiques qu’il appartient à ceux-ci de
traduire dans les faits. En contrepartie, les bénéficiaires de ces droits peuvent en
exiger le respect dans la satisfaction concrète de leurs besoins, au nom de la
40
41
Dans l’énumération qui vient d’en être faite, il apparaît que les droits proprement
économiques, c’est-à-dire ceux qui sont susceptibles de procurer un gain économique
direct, ne sont pas nombreux. Au droit de jouir des richesses nationales, qui est
d’apparition récente, la Constitution a joint le traditionnel droit à la propriété privée
ainsi que le droit à l’initiative privée. Quant au droit au développement, il n’est
affirmé que de manière elliptique, dans le sillage du droit à la jouissance des
richesses nationales.
On s’intéressera plus particulièrement au droit à la propriété privée, qui apparaît
mieux élaboré dans l’arsenal juridique national (A), ainsi qu’au droit de jouir des
richesses nationales, qui nécessite une véritable codification (B).
54
Droit à la propriété privée (art. 34), droit à l’initiative privée (art. 35), droit au travail (art. 36), liberté
d’association (art. 37), liberté syndicale (art. 38), droit de grève (art. 39), droit au mariage (art. 40), droit à
l’éducation scolaire (art. 43), droit de choisir le mode d’éducation à donner à ses enfants (art. 43, al. 4), droit
d’accès aux établissements d’enseignement national sans discrimination (art. 43, al. 3), droit à la culture (art. 46,
al. 1er), liberté de création intellectuelle et artistique (art. 46, al. 1 er), liberté de la recherche scientifique et
technologique (art. 46, al. 1er), les droits d’auteur et de propriété intellectuelle (art. 46 al. 2), droit à la santé et à
la sécurité alimentaire (art. 47), droit à un logement décent (art. 48), droit d’accès à l’eau potable et à l’énergie
électrique (art. 48), droit de jouir des richesses nationales (art. 58, al. 1er), droit au développement (art. 58, al. 2),
droit de jouir du patrimoine commun de l’humanité (art. 59), in Const. 18 fév. 2006, Op cit., pp. 14-21).
55
Pour aller plus loin, lire notamment NGONDANKOY NKOY_ea-LOONGYA, Droit congolais des droits
de l’homme, Op. cit., pp. 277-287.
41
42
Telle que conçue par la loi, la propriété apparaît comme un méta-droit qui, non
seulement est distinct de la chose qui en constitue le substrat, mais aussi contient des
démembrements qu’on peut qualifier de « droits dérivés ». En tant que tel, il couvre
non seulement les droits réels qui ont pour objet des meubles ou des immeubles
(actions et intérêts, gages et privilèges, concessions et emphytéoses, superficies et
autres sûretés), mais aussi les droits de créance tendant à l’acquisition ou au
recouvrement desdits droits (contrats, titres, attestations, certificats…). Il couvre
même un certain nombre de droits intellectuels dont notamment les droits d’auteur57.
Droit sacré, la propriété privée n’est cependant pas un droit absolu. Il ressort des
alinéas 3 et 4 de l’article 34 de la Constitution qu’elle peut faire l’objet non seulement
d’un certain nombre de mesures de privation (l’expropriation par exemple), mais
aussi de saisies (mobilières ou immobilières). Ces mesures ne sont cependant pas à
prendre d’une façon arbitraire.
1°. L’expropriation ne peut être décidée que pour cause d’utilité publique, la notion étant
définie par le législateur comme celle « de nature à s’étendre aux nécessités les plus
diverses de la collectivité sociale, notamment dans les domaines de l’économie, de la
sécurité, de la défense militaire, des services publics de l’hygiène, de l’esthétique, de
la sauvegarde des beautés naturelles et des monuments, du tourisme, des plantations
et de l’élevage, des voiries et des constructions, y compris ses ouvrages d’art » (art. 2,
loi du 22 février 1977) ;
56
Cfr. art. 3 de la loi n° 80-008 du 18 juillet 1980 modifiant et complétant la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973
portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés, in J.O.R.Z., n° 15, 1er août
1980, p. 3.
57
Idem, spéc. art. 3 et ss.
42
43
2°. L’expropriation ne peut être pratiquée que moyennant une juste et préalable indemnité, ce
qui suppose une bonne intelligence des termes utilisés :
3°. L’expropriation ne peut être exécutée que suivant la procédure prévue par la loi, ce qui
suppose l’intervention d’une décision administrative soit du Président de la
République (pour les expropriations « par zone »), soit du ministre des Affaires
foncières (pour les expropriations « ordinaires » ou « par périmètres »), lesquelles
décisions doivent être, à peine de nullité, être publiées au Journal officiel et portées à
la connaissance des expropriés par lettre recommandée à la poste avec accusé de
réception ou remise en mains propres par un messager contre récépissé daté et signé
(art. 6 de la loi du 22 février 1977).
Quant aux saisies, elles sont régies non seulement par l’alinéa 4 de l’article 34 de la
Constitution, lequel a l’avantage de préciser qu’elles sont de la compétence de l’autorité
judiciaire (ce qui les distingue de l’expropriation), mais surtout par les articles 106 à
139 du code de procédure pénale qui, à cet égard, font la distinction notamment entre
les « saisies-arrêts », les saisies-exécutions » et les « saisies conservatoires »58.
1°. Parmi les conditions de fond et de forme instituées, il y a par exemple l’exigence du
caractère liquide et exigible de la créance, la production d’un titre authentique
constatant ladite créance ou, à défaut, l’ordonnance de permission du juge et
l’observation d’un certain délai tant pour l’exécution, la validation que pour une
éventuelle dénonciation de ladite saisie.
58
Cfr. art. 106 à 139 du décret du 6 mars 1960 portant code de procédure civile, in Les Codes Larcier
République démocratique du Congo, Tome I : Droit civil et judiciaire, Bruxelles-Kinshasa, Larcier-Afrique
Editions, 2003, pp. 280-281.
43
44
Il en résulte que même s’il est susceptible de restrictions, le droit de propriété est tout
de même un droit fondamental dans la vie d’une personne. C’est ce qui justifie son
statut de droit constitutionnellement garanti.
Comme le dit l’article 58 de la Constitution, « Tous les Congolais ont le droit de jouir
des richesses nationales. L’Etat a le devoir de les redistribuer équitablement et de
garantir le droit au développement ». Le lien entre la répartition équitable des
richesses et la garantie du droit au développement est ainsi établi. De même, en
indiquant de manière plus précise la qualité des bénéficiaires de ce droit (« tous les
Congolais »), la Constitution confirme le caractère privilégié des citoyens nationaux
dans la jouissance et l’exercice de ce droit, même si la solidarité humaine incite à en
reconnaître également aux étrangers.
Deux questions méritent d’être abordées ici : d’une part, l’obligation de répartir les
richesses nationales aux nationaux (1) et, d’autre part, les modalités de la répartition
de ces richesses (2).
Elle incombe à l’Etat, ainsi que l’affirme l’alinéa 2 de l’article 58. Il s’agit de l’Etat
dans toutes ses composantes (Etat central, Provinces, Entités territoriales
décentralisées) et dans toutes ses structures (Pouvoir législatif, Pouvoir exécutif et
Pouvoir judiciaire). Bien entendu, en raison de son rôle dans la conduite des affaires
publiques, il est clair que le Pouvoir exécutif est le plus visé. C’est lui qui mettra en
pratique les objectifs fixés dans la Constitution, éventuellement confirmés dans les
lois, commandés dans des décisions de justice ou inscrits dans des programmes
politiques.
Cette répartition se fera d’abord à travers les lignes budgétaires, ce qui confirme ici le
rôle primordial du législateur. Les crédits alloués indiqueront par exemple comment
est réparti le revenu national par tête d’habitant, par entité territoriale décentralisée
44
45
ainsi que par province. Ils indiqueront ensuite, à l’intérieur des catégories sociales,
quels barèmes de rémunération sont réservés par exemple aux paysans, aux
agriculteurs, aux médecins, aux enseignants jusqu’aux plus hautes autorités du pays.
Enfin, la répartition « équitable » ne signifie pas que tous les individus, toutes les
catégories ou toutes les entités aient la même part. Les disparités existeront toujours,
mais il s’agit de combattre, jusqu’à les éliminer, les écarts les plus criants qui peuvent
paraître comme une manière de rompre l’équilibre ou de violer le principe d’égalité
affirmé à l’article 11 de la Constitution. A ce sujet, la caisse de péréquation, prévue
par l’article 181 de la Constitution, devra être d’un support nécessaire.
Un peu plus que les droits économiques, les droits sociaux sont ceux qui ont
bénéficié de la plus substantielle attention du Constituant (A). Quant aux droits
culturels, il faut un peu plus que l’attention substantielle pour pouvoir découvrir
l’intention du Constituant (B).
59
Il est cependant contestable que la « liberté d’association » (art. 37) ait été rangée parmi les droits
économiques, sociaux et culturels. En dehors de certaines organisations socioprofessionnelles, dans lesquelles
elle peut effectivement être exercée, n’est-elle pas avant tout un droit civil mais d’exercice collectif ?
45
46
premiers peuvent être considérés comme des droits qui s’exercent dans un cadre
professionnel (A), les seconds comme des droits particulièrement vitaux (B).
a) Le droit au travail
Toutefois, les deux ne se trouvent pas sur un même plan ou ne sont pas traités de la
même façon par rapport à la question de l’accès au travail. Tout d’abord, aux termes
de l’article 212, point 6, in fine, du nouveau Code du travail, tout contrat de travail
constaté par écrit en RDC « doit comporter (entre autres) la nationalité du
travailleur ». Ensuite, la loi a institué une « Commission nationale de l’emploi »
chargée précisément, entre autres, de « statuer sur la délivrance et le renouvellement
des cartes de travail pour étrangers » et « sur la demande d’engagement » de ces
derniers ; cette commission se trouve être le conseiller du ministre du Travail
notamment sur la politique de « protection de la main d’œuvre nationale contre la
concurrence étrangère » (art. 208-211, Code du travail). Au niveau du ministère lui-
même, il existe même une direction spécifique chargée de « préparer des accords
techniques avec des pays étrangers » et d’ « assurer le contrôle de l’emploi des
nationaux et des étrangers » (art. 203, Idem). Par-dessus tout, un arrêté ministériel
daté du 27 juillet 1970 fixe les pourcentages maxima des travailleurs étrangers
pouvant occuper un emploi rémunéré en vertu d’un contrat de travail : ceux-ci
60
Ce sont les termes mêmes de l’article 2 de la loi n° 015/2002 du 16 octobre 2002 portant Code du travail, in
Les codes Larcier République démocratique du Congo, Tome IV : Droit du travail et de la sécurité sociale,
Bruxelles-Kinshasa, Larcier-Afrique Editions, 2003, p. 3.
46
47
Quant aux débiteurs de ce droit, il est clair que l’Etat en est le débiteur principal, en
tant que personne qui doit « garantir » ce droit (art. 36, al. 2). Il doit le garantir soit en
incitant à la création d’emplois (comme régulateur de l’activité économique), soit en
les créant lui-même (comme entrepreneur). En dehors de l’Etat, tout entrepreneur peut
également, dans le cadre des relations contractuelles, être comptable de l’obligation
de fournir l’emploi à ceux envers qui il s’est obligé. C’est l’essence même de toute
obligation contractuelle.
61
Cfr. arrêté ministériel n° 70/0010 du 27 juillet 1970 portant réglementation du travail des étrangers
(pourcentages autorisés), in Les Codes Larcier de la République démocratique du Congo, Tome IV, Op. cit., p.
114.
62
Voyez cette Convention ainsi que les instruments d’adhésion de la RDC dans REPUBLIQUE
DEMOCRATIQUE DU CONGO, « Instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et au droit
international humanitaire ratifiés par la République démocratique du Congo », spécialement « Instruments
adoptés sous l’égide de l’Organisation Internationale du Travail », in J.O.RDC, n° spécial, septembre 2011, pp.
130-132.
63
Pour plus de détails, lire NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme,
Op. cit., pp. 266-271.
47
48
Le Code du travail, soutenu par l’article 8 du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, permet cependant de sortir de la difficulté, en
affirmant que « Tout travailleur ou employeur, sans distinction aucune, a le droit de
s’affilier à une organisation professionnelle de son choix et de s’en désaffilier » ; le
« travailleur » étant défini comme « Toute personne physique en âge de contracter,
quels que soient son sexe, son état civil et sa nationalité, qui s’est engagée à mettre son
activité professionnelle moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une
personne physique ou morale, publique ou privée, dans les liens d’un contrat de
travail », et le syndicat comme « toute organisation professionnelle constituée en vue
de l’objet défini à l’article 230 (étude, défense et développement des intérêts
professionnels des travailleurs ; poursuite du progrès social, économique et moral
des membres)»64
Comme toute liberté associative, la liberté syndicale comporte deux volets : le droit de
fonder des syndicats et le droit de s’affilier à un syndicat de son choix (et donc aussi de s’y
désaffilier).
Dans le souci de protéger cette liberté, le législateur interdit à tout employeur autant
un certain nombre de mesures discriminatoires que des mesures de représailles.
Ainsi, « Il est interdit à tout employeur de : a) subordonner l’emploi d’un travailleur
à son affiliation ou à sa non affiliation à une organisation professionnelle quelconque
ou à une organisation professionnelle déterminée » ; b) « licencier un travailleur ou
lui porter préjudice par tous les moyens, en raison de son affiliation à une
organisation professionnelle et de sa participation à des syndicales » (art. 234 C.T).
Ces interdictions sont même assorties d’une sanction pénale prévue à l’article 321 a)
du Code du travail (20.000 francs constants d’amende), ce qui prouve l’importance
que le législateur accorde à cette liberté.
64
Cfr. art. 233, 7, 237, 230 du décret du 16 octobre 2002 portant code du travail, Op. cit., p.28. Italiques
ajoutées.
48
49
En dépit de sa solide protection en droit positif, la liberté syndicale n’est pas absolue
car, comme le veut le Constituant lui-même, son exercice se déroule inévitablement
« dans les conditions fixées par la loi » (art. 38, al. 2, in fine).
C’est celui affirmé à l’alinéa 1er de l’article précité : « Le droit de grève est reconnu et
garanti » ; ce qui signifie qu’en droit constitutionnel congolais la grève, c’est-à-dire
cette possibilité laissée aux travailleurs de cesser collectivement et momentanément
leur travail pour appuyer une revendication, n’est ni prohibée ni réprouvée. Par voie
de conséquence, tout acte, toute action ou toute mesure tendant à en nier le principe
est donc inconstitutionnel(le). Sa substance réside dans l’acte de cesser collectivement
et momentanément le travail.
Comme la plupart des droits relatifs en effet, la grève admet d’abord la possibilité
d’être interdite, c’est-à-dire d’être non autorisée ou interrompue contre le gré des
grévistes. C’est cette forme de limitation qui atteint, de manière permanente,
notamment les militaires, les policiers et les agents des services de sécurité, en vertu
de l’alinéa 2 de l’article 39 de la Constitution et des statuts propres à ces corps. On se
trouve ici carrément dans l’hypothèse d’une dérogation à un droit fondamental,
laquelle atteint la substance même du droit (cfr. supra).
Quant aux autres « services publics d’intérêt vital pour la nation » (la santé,
l’éducation, la douane, les transports…), ils ne peuvent admettre que des restrictions à
leur droit de grève, c’est-à-dire des limitations temporaires qui ne suppriment pas le
principe même du droit de grève. C’est sous cette forme qu’on reconnaît un certain
nombre de limitations, comme par exemple le devoir d’informer au préalable les
autorités, le devoir de préavis, voire même le devoir d’assurer un service minimum.
Par « meilleur état de santé », il faut entendre absence de maladie pouvant affecter
gravement l’état de santé physique, mentale ou sociale d’une personne ; le groupe de
concepts « santé physique, mentale et sociale » signifiant lui-même bonne tenue ou
absence de troubles physiques, mentaux et sociaux dans la vie de quelqu’un.
De cette conception découlent plusieurs droits dérivés : droit à une alimentation saine,
équilibrée et suffisante (art. 54, CCDHP) ; « droit à un niveau de vie suffisant » (art. 11.
50
51
Ce droit n’est pas non plus défini dans la Constitution, ni son contenu dévoilé. Une
fois encore, c’est le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels (art. 11.2) qui nous en donne la meilleure formulation : c’est le « droit d’être
à l’abri de la faim », c’est-à-dire le droit de ne pas craindre de mourir de faim.
51
52
agraires… ». Dans ce cadre, des mesures de contrôle sanitaire (comme celles qui
peuvent être prises par le Centre national de planification de la nutrition humaine,
C.N.P.N.H, ou par l’Office congolais de contrôle, O.C.C.) incombent à l’Etat.
Il s’ensuit que le droit à la sécurité alimentaire, comme le droit la santé, est un droit
vital qui ne peut être négligé ni par l’Etat ni par les parents. Des sanctions,
notamment dans le cadre de la répression de l’inanition, sont-elles susceptibles de
peser aussi sur ces deux débiteurs ? La question est posée.
C’est l’un des droits qui souffre de la plus grave crise d’identité constatée dans la
tradition constitutionnelle congolaise : « droit à l’instruction » dans la Loi
fondamentale du 16 juin 1960 (art. 13), « droit à l’éducation » dans la Constitution du
1er août 1974 (art.33), simple obligation d’« assurer les soins et l’éducation aux
enfants » dans les Constitutions ultérieures (art. 12 Constitution du 24 juin 1967 ; art.
20, al. 5, Acte constitutionnel de la transition du 9 avril 1994…).
En affirmant dans son article 43, alinéa 1er, que « Toute personne a droit à l’éducation
scolaire… », plutôt qu’à l’éducation tout court, la Constitution du 18 février 2006
semble être revenue à la conception de 1960. En ce sens, ce droit ne se conçoit
aujourd’hui que comme un droit à l’instruction. D’ailleurs, l’article 43 lui-même le
confirme en renchérissant : « Il y est pourvu par l’enseignement national ». Il s’agit
donc d’une vision restrictive de ce que les autres instruments juridiques appellent
« droit à l’éducation » (cfr. p. ex. art. 26 de la DUDH ; art. 13 du PIDESC…). Or
l’éducation ne se conçoit pas que dans le cadre de l’enseignement, en tous cas pas
dans le seul cadre des « établissements publics » et « établissements privés
agréés » constituant « l’enseignement national » (art. 43, al. 2)65
65
Pour la Cour européenne des droits de l’homme, par exemple, « L’éducation…est la somme des procédés par
lesquels, dans toute société, les adultes tentent d’inculquer aux plus jeunes leurs croyances, coutumes et autres
52
53
- 2ème principe : le pluralisme éducatif : d’une part, sur le plan structurel, il se traduit
par le principe de la reconnaissance de plusieurs réseaux d’enseignement, qu’ils
soient publics ou privés (Cfr. art. 43, al. 2, de la Constitution et art. 4, 43, 45, 46, 49 à
60 de la loi-cadre de l’enseignement national) et, d’autre part, sur le plan matériel, il
suppose la tolérance des courants scientifiques, philosophiques ou religieux dans le
système éducatif (Cfr. notamment art. 45 précité, al. 2 et 3, de la Constitution).
On citerait notamment le droit pour les parents de choisir le mode d’éducation à donner à
leurs enfants (art. 43, al. 4, principe du pluralisme oblige) ainsi que tous les autres droits
découlant des principes énoncés ci-avant (et notamment de la liberté de l’enseignement).
a) Le droit à la culture
Visiblement, le Constituant vise ici, dans son principe même, le droit à l’identité
culturelle, c’est-à-dire cette faculté qui revient à chaque personne, à chaque peuple, de
se revendiquer, d’un point de vue culturel, différent d’autres (ce qu’en France on
appelle « l’exception culturelle »). Est-il besoin de rappeler que la culture est un
ensemble de représentations, de valeurs, de connaissances, d’usages et d’habitudes
propres à une personne, à un peuple ?
L’affirmation du droit à la culture n’est pas une question anodine, si l’on prend en
compte le contexte dans lequel évolue « la culture congolaise ». En effet, dans un
contexte où, par l’effet des médias principalement, cette culture est marquée
notamment par un certain mimétisme et par un certain relativisme, il peut paraître
utile de la protéger. Encore faut-il l’identifier concrètement, c’est-à-dire dire en quoi
consiste-t-elle précisément. S’agit-il d’une question de protection de la musique ou
d’autres arts typiquement congolais ; d’une question de préservation des mœurs, des
habitudes et des coutumes congolaises ; d’une question de promotion des langues
nationales et locales ; d’une question d’observation des croyances congolaises, qu’elles
soient religieuses ou laïques ? C’est probablement tout cela à la fois, la culture étant
un concept fourre-tout et les biens culturels variés.
Sur le plan africain, on peut saluer l’existence d’une « Charte culturelle de l’Afrique »
à laquelle la République démocratique du Congo est partie66. Quoique la liste des
66
Charte culturelle de l’Afrique du 5 juillet 1976, in J.O.R.Z., n° 9, 1er mai 1989, pp. 21 et ss.
54
55
« biens culturels » n’y figure pas de manière exhaustive, la Charte traduit la volonté
des Etats africains de « libérer les peuples africains des conditions socioculturelles
qui entravent leur développement… », de « réhabiliter, restaurer, sauvegarder,
promouvoir le patrimoine culturel africain » et de « combattre et éliminer les formes
d’aliénation, d’oppression et de domination culturelle partout en Afrique… » (art. 1er
). A cet égard, un principe important est affirmé : l’accès de tous les citoyens à
l’éducation et à la culture (art. 2 a).
67
Lire Convention du 8 janvier 1983 portant création du Centre international des civilisations Bantu (CICIBA),
in Les Codes Larcier République démocratique du Congo, Tome VI : Droit public et administratif, vol. 2 : Droit
administratif, Bruxelles-Kinshasa, Larcier-Afrique Editions, 2003, pp. 39 et ss.
55
56
Toutefois, comme les deux précédentes, cette liberté peut être limitée ou interdite
pour les mêmes raisons. L’on pense ici par exemple à certaines recherches menées ou
découvertes obtenues dans certains domaines, comme par exemple le domaine de la
biologie humaine où le débat sur l’étendue de la liberté de recherche reste encore
entier (jusqu’où par exemple l’homme doit-il aller dans la manipulation des cellules
humaines ?). Il se pose ici souvent un problème d’ordre moral.
Certains droits affirmés dans la Constitution ne sont classables ni dans l’une ni dans
l’autre catégorie traditionnelle. D’autres, tout en ayant été classés dans de telles
catégories, mènent cependant une existence tellement autonome, voire ambiguë,
qu’ils méritent d’être étudiés à part. Ils sont classés ici dans la catégorie des droits
divers, même si la doctrine a pris l’habitude de les classer plutôt en « générations ».
Aux termes de l’article 52 de la Constitution, « Tous les Congolais ont droit à la paix
et à la sécurité tant sur le plan national qu’international. Aucun individu ou groupe
d’individus ne peut utiliser une portion du territoire national comme base de départ
d’activités subversives ou terroristes contre l’Etat congolais ou tout autre Etat ».
Par rapport à la question du titulaire, est-il logique que ce droit ne puisse bénéficier,
comme l’accuse la formulation de l’article 52, qu’aux seuls « Congolais » ? L’Etat ne
56
57
Enfin, quant aux questions de l’étendue et du débiteur de ce droit, sans nier le droit
pour l’Etat congolais d’assurer la paix et la sécurité à l’intérieur de son espace, l’on
peut douter de sa capacité à assurer la même paix et la même sécurité « sur le plan
international ». Tout au plus l’engagement pourrait-il justifier le pouvoir qu’a l’Etat
de contribuer, en collaboration avec d’autres, au maintien de la paix internationale.
C’est peut-être la raison d’être de l’alinéa 2 de l’article 52, aux termes duquel, faut-il
le répéter, « Aucun individu ou groupe d’individus ne peut utiliser une portion du
territoire national comme base de départ d’activités subversives ou terroristes contre
l’Etat congolais ou tout autre Etat ». Cela revient à dire que tant l’Etat que les
individus sont tenus à l’obligation de paix et de sécurité ; ce qui devient,
effectivement, un droit subjectif pour tous les habitants de la République
démocratique du Congo.
Le fait qu’il s’agisse d’un patrimoine « commun » de l’humanité, l’on s’imagine que
la République démocratique du Congo et ses ressortissants ne sont pas les seuls à y
avoir un mot. Il faut en conclure que ce droit ne peut, en toute hypothèse, s’exercer
que dans le cadre des normes fixées par cette « Humanité commune », mieux par la
« Communauté internationale. L’on comprend dès lors pourquoi le Constituant a
pris soin de préciser que « L’Etat (n’a que) le devoir d’en faciliter la jouissance ».
L’innovation constitutionnelle consiste non dans le fait d’avoir lié ce droit avec la
question de la santé, mais plutôt dans celui de l’avoir assorti, et ce pour la première
57
58
Dans le même ordre d’idées, « Tout acte, tout accord, toute convention, tout
arrangement ou tout autre fait qui a pour conséquence de priver la nation, les
personnes physiques ou morales de tout ou partie de leurs propres moyens
d’existence tirés de leurs ressources ou de leurs richesses naturelles, sans préjudice
des crimes internationaux sur les crimes économiques, est érigé en infraction de
pillage punie par la loi » (art. 56).
A titre de circonstances aggravantes, « Les actes visés à l’article précédent ainsi que
leur tentative, quelles qu’en soient les modalités, s’ils sont le fait d’une personne
investie d’autorité, sont punis comme infraction de haute trahison » (art. 57).
58
59
Chapitre troisième :
En Droit des droits de l’homme, ces mécanismes sont soit d’origine nationale, soit
d’origine internationale. Si les mécanismes internationaux sont le plus souvent
connus, aidés pour cela par la « diplomatie des droits de l’homme » et relayés tant
par les médias que par l’action des associations de défense des droits de l’homme, il
n’en est pas souvent le cas des mécanismes nationaux, surtout ceux institués par la
Constitution. Le phénomène a pris de l’ampleur en République démocratique du
Congo non seulement à cause de la prolifération des associations de défense des
droits de l’homme - dont la majorité est financée par des fonds extérieurs – mais
surtout à cause de l’ignorance par la population, voire du mépris par les autorités, de
la Constitution dans la vie courante.
Ce sont les plus efficaces, en ce sens qu’ils disposent du pouvoir d’imposer, par la
force, le respect des droits constitutionnels. Comme l’affirme fort opportunément
l’article 150, alinéa 1er, de la Constitution du 18 février 2006, « Le Pouvoir judiciaire
59
60
est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens »68.
Des trois pouvoirs traditionnels de l’Etat, seul le Pouvoir judiciaire est ainsi
expressément désigné par le Constituant comme garant des droits constitutionnels.
Le pouvoir judiciaire ayant été dévolu, aux termes de l’article 149, alinéa 1er, de la
même Constitution, « aux cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la
Cour de cassation, le Conseil d’Etat, la Haute Cour militaire, les cours et tribunaux
civils et militaires … » (Cfr. supra), c’est en somme à l’ensemble des juridictions de
l’ordre constitutionnel, de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire qu’est ainsi
confiée la mission de protection des droits constitutionnels. Ces cours et tribunaux
peuvent, par principe et dans l’exercice de leurs compétences respectives, assurer la
protection des droits fondamentaux69.
On soulignera ici plus particulièrement le rôle joué, en ce domaine, par les plus
hautes juridictions coiffant les trois ordres juridictionnels créés par la Constitution du
18 février 2006, à savoir : la Cour constitutionnelle (A), le Conseil d’Etat (B) et la Cour
de cassation (C).
certes, être posée sous l’angle du respect du domaine de partage des compétences
entre la loi et le règlement (art. 122 et 123, combiné avec l’article 222, in fine, de la
Constitution) ; mais elle peut l’être surtout sous l’angle du respect par le Président de la
République des droits garantis aux citoyens par la Constitution, et notamment celui d’avoir
droit au juge. Si donc la Cour constitutionnelle est saisie de la constitutionnalité de
pareille ordonnance, celle-ci pourrait être censurée sur pied de l’article 19, alinéa 1er,
de la Constitution qui dispose que « Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre
son gré du juge que la loi lui assigne » (droit au juge) car, précisément, la corruption
est une infraction pénale dont la poursuite et la sanction relèvent des seuls cours et
tribunaux.
La sanction des fraudes et des irrégularités électorales constitue donc, en fait, l’une
des façons pour la Cour constitutionnelle d’assurer la protection de tous les droits à
62
63
Ne peut donc pas être accueillie ici l’opinion selon laquelle, lorsqu’elle est appelée à
statuer comme juge électoral, le juge constitutionnel est un « juge ordinaire » qui ne
doit pas apprécier la loi – ou les agissements électoraux – au regard de la
Constitution (voir Conseil constitutionnel français…. ; Cour suprême de Justice
congolaise…). S’il se comporte véritablement comme protecteur des droits
constitutionnels, le juge constitutionnel ne peut pas ne pas être, en l’occurrence, juge
de la constitutionnalité des agissements électoraux.
63
64
hypothèse, ce sont les « libertés publiques » des provinces qui sont ainsi
sauvegardées.
On voit donc que, par le biais du règlement des conflits de compétences entre les
autorités, certaines libertés publiques peuvent être protégées par le juge
constitutionnel sans que, au départ, cela ait été expressément prévu comme l’une de
ses attributions. Si donc le juge constitutionnel fait une bonne application des articles
de la Constitution, particulièrement ceux qui protègent les prérogatives tant des
individus que des collectivités publiques, il est et sera toujours compté comme l’un
des protecteurs les plus attitrés des droits fondamentaux.
Ici aussi, des esprits peu habitués peuvent se rebiffer. Comment un contentieux
pénal, qui vise avant tout et presqu’exclusivement la sanction de la « loi pénale »,
peut-il se transformer en contentieux constitutionnel et, par ce biais, en contentieux
des droits fondamentaux ?
Disons tout de suite que cette protection des droits constitutionnels est indirecte. Elle
n’est et ne peut être assurée que par le biais des victimes des infractions pénales
reprochées au Président de la République et/ou au Premier ministre. Pour autant,
qui sont-elles ces victimes ? Quelles sont les catégories de leurs droits fondamentaux
violées par les agissements illégaux du Président de la République et du Premier
ministre ?
Pour répondre à ces interrogations, il convient de passer par un exemple. L’une des
infractions pénales, sinon la plus fréquente, qui peut être reprochée au Président de
la République ou au Premier ministre c’est le détournement des deniers publics. Si cette
infraction est consommée, elle affecte non seulement le budget de l’Etat, mais aussi et
surtout, tous ceux qui sont obligés de vivre de ce budget (fonctionnaires dont le
versement des salaires ne peut plus convenablement être assuré, créanciers dont le
paiement des dus ne peut plus être dû, bailleurs qui attendent le remboursement des
prêts, et finalement, le citoyen lambda dont le développement du pays est
postposé…).
70
Cfr. NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G.), Droit du contentieux constitutionnel, Louvain-la-
Neuve, Academia-L’Harmattan s.a. (à paraître).
64
65
Toutes ces catégories de personnes sont les victimes de l’agissement illégal du Président de la
République ou du Premier ministre. Le jour où celui-ci est condamné par la Cour
constitutionnelle – et cela même si ceux-ci ne sont pas dus devant ce juge – les
victimes ne peuvent-elles pas réclamer les dommages-intérêts ? Ces dommages-
intérêts, destinés à compenser les pertes subies ou à rémunérer les « manque-à-
gagner », ne constituent-ils pas des droits subjectifs patrimoniaux des victimes, rentrant
dans le cadre du droit de propriété (art. 34, Cfr. infra) ?
Et que dire des victimes de la réputation de leur pays, ainsi entamée par le
comportement immoral, en tous les cas indélicat, de leurs hautes autorités ? Cette
mauvaise réputation ne peut-elle pas entamer le droit à l’image de chaque citoyen
(Cfr. supra) ? En tout cas, la question reste posée.
Il s’agit donc d’une action populaire directe exercée par le Procureur général près la Cour
constitutionnelle contre lesdits actes, lequel peut précisément fonder son action sur
une disposition de la Constitution consacrant un droit fondamental afin d’obtenir
l’annulation d’une loi, d’un édit, d’un acte ayant force de loi, d’un règlement
intérieur ou d’un règlement pris par les autorités publiques compétentes. A la
différence des premières hypothèses, on est ici dans la protection directe des droits
fondamentaux, c’est-à-dire dans une sorte d’amparo à l’espagnole, qui n’est certes pas
exercée par le peuple lui-même, mais qui l’est forcément à son profit. Il en découle
que les compétences de la Cour constitutionnelle ne proviennent pas uniquement du
texte de la Constitution.
71
Cfr. art. 106 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle, in J.O.RDC., n° spécial, 18 octobre 2013, p. 22.
72
Art. 49, loi organique sur la Cour constitutionnelle, Op. cit., p.11.
65
66
Il est essentiel de souligner que la plupart des droits protégés par la Constitution -
qu’il s’agisse des droits civils et politiques, des droits économiques, sociaux et
culturels ou de toute autre catégorie de droits - sont susceptibles de recevoir
protection du Conseil d’Etat par ce biais, étant donné que, jusqu’à présent, il n’existe
73
Cfr. art. 155 de la Constitution, Op. cit., p. 51.
66
67
74
LEROY (M.), Contentieux administratif, 2ème éd., Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 90. Italiques de l’auteur.
75
Idem, p. 87.
67
68
Naturellement, ce raisonnement ne peut tenir que si, dans l’annulation d’un acte
administratif illégal, l’on refuse de voir une mesure préventive protectrice
d’éventuels droits subjectifs et si, comme on l’a dit, l’on refuse d’admettre que,
quelque fois, le contentieux de l’annulation peut se combiner avec le contentieux de
l’indemnité. C’est ce que Michel LEROY lui-même semble reconnaître lorsqu’il écrit
que « Cela dit, il n’est nullement impossible de concevoir un contentieux
administratif comportant un recours en annulation qui soit axé sur la défense des
droits subjectifs : c’est la conception allemande…. » ; ou qu’il existe une « …position
mitigée (attribuant) au recours en annulation à la fois un caractère objectif et un
caractère subjectif… »76
L’auteur semble même multiplier des contradictions puisque, dans le même contexte,
il avoue que son « …analyse ne vaut que pour le contentieux de l’annulation des
actes et règlements. Au contentieux de la cassation administrative, le contexte
constitutionnel est différent. Les juridictions administratives connaissent de litiges
qui portent sur des droits subjectifs, nécessairement de nature politique, étant donné
les articles 144 et 145 de la Constitution. Quand le Conseil d’Etat statue (en effet)
comme juge de cassation, il rend une décision qui s’intègre dans un procès qui a
commencé par être soumis à la juridiction administrative de premier degré, et qui
porte sur des droits politiques… De même, quand il statue au contentieux de pleine
juridiction, le Conseil d’Etat se prononce sur les droits subjectifs des parties : il peut
s’agir notamment du droit d’un mandataire politique d’être élu ou de siéger, ou du
droit d’un c.p.a.s. au remboursement de frais d’assistance qu’il a exposés… »77
Si ceci n’est pas une conversion, il faudrait y voir la manifestation d’une simple foi en
un système (belge) dont le modèle et la philosophie ne sont peut-être pas
transposables en tout lieu. En tout cas, en République démocratique du Congo, une
telle transposition est impossible puisque la protection juridictionnelle des droits
fondamentaux par le Conseil d’Etat est envisageable et déjà envisagé. Cette
protection est organisée, au sein du Conseil d’Etat, aussi bien au contentieux de la
réparation qu’à celui de l’annulation.
76
Ibidem, p. 88.
77
Ib., pp. 90-91.
68
69
1. En tant que juge pénal, la Cour de cassation (et par ricochet toutes les juridictions de
l’ordre judiciaire) assure la protection des droits constitutionnels de deux manières :
- d’une part, en faisant application directe des garanties judiciaires prévues aux articles 17,
18, 19, 20 et 21 de la Constitution (principe de la primauté de la liberté sur la
détention ; principe de la légalité des crimes, des poursuites, des détentions, des
condamnations et des peines ; principe de la proportionnalité des peines ; principe de
la rétroactivité de la loi pénale douce ; principe de la responsabilité pénale
individuelle ; principe de la présomption d’innocence ; principe de la publicités des
audiences ; principe de la motivation des jugements ; droit d’être informé, dans sa
langue, des motifs de son arrestation et toute accusation portée contre soi ; droit
d’être informé de ses droits en cas d’arrestation ; droit d’entrer en contact avec sa
famille ou avec son conseil en cas de garde à vue ; droit à un traitement digne en cas
de détention ; droit au juge que la loi assigne ; droit à un procès raisonnable ; droits
de la défense ; droit au recours contre un jugement) ;
2. Comme juge de cassation, la Cour de cassation est, certes, avant tout « juge de la
légalité » des jugements intervenus au second degré, mais la généralité des termes de l’article
153 de la Constitution ne la confine pas à ce simple rôle de protectrice de la « légalité », à
moins d’entendre ce dernier terme dans son sens général. Lorsque la Constitution affirme en
effet que « la Cour de cassation connaît des pourvois en cassation formés contre les arrêts et
jugements rendus en dernier ressort par les Cours Tribunaux… », ces pourvois peuvent être
fondés aussi bien sur la violation de la loi que sur la violation d’une disposition expresse de la
Constitution (p. ex. sur l’article 21 qui commine l’obligation de motiver tout jugement). En
cassant un arrêt de la Cour d’appel qui aurait omis d’obtempérer à cette obligation, comment
la Cour de cassation n’assure-t-elle pas, par ce biais, la protection des droits
constitutionnellement garantis (ici le droit à la motivation des jugements) ?
Parfois même, les motifs de cassation sont tirés de la violation d’un droit
expressément formulé dans la Constitution, par exemple du droit de ne pas être
soustrait ou distrait du juge que la loi assigne, du droit à ce que sa cause soit
entendue dans un délai raisonnable par un juge compétent, du droit de la défense ou
du droit à l’assistance judiciaire prévus à l’article 19 de la Constitution. Dans ces
hypothèses, l’on ne peut pas dire que la cassation d’un arrêt qui aurait ouvertement
méconnu ces droits ne constitue pas un moyen de protection, par la Cour de
cassation, des droits fondamentaux.
Il en résulte que tous les cours et tribunaux – qu’ils soient de l’ordre constitutionnel,
de l’ordre administratif ou de l’ordre judiciaire – sont, de par leurs fonctions, des
69
70
Sans s’attarder sur la nébuleuse des associations de défense des droits de l’homme
existant au Congo, il sied de signaler la pratique récurrente de l’institution d’un
mécanisme gouvernemental de promotion et de protection des droits de l’homme
(B), alors même que, partant de l’expérience suédoise, l’idée de l’instauration d’un
Ombudsman n’est pas complètement abandonnée (A).
L’Ombudsman, c’est cette structure d’invention suédoise (1766) qui, à l’origine, était
une sorte de « délégué du Parlement chargé d’exercer une surveillance générale sur
l’application des lois par l’administration et la justice »79. Au fil du temps et à mesure
de la conquête de son autonomie, elle est devenue « le défenseur du peuple », même
contre les agissements du Parlement.
78
La constatation que tous les cours et tribunaux assurent, de par leurs prérogatives propres, la protection des
droits fondamentaux n’est pas exclusive de l’option - qui peut être levée un moment donné par un peuple -
d’instituer, à titre exclusif ou en collaboration avec les autres cours et tribunaux, un ordre juridictionnel spécial
des droits de l’homme. Ce dernier assumerait alors, y compris contre les décisions desdits cours et tribunaux, ce
rôle de « garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux » Cfr. NGONDANKOY NKOY-ea-
LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Op. cit., pp….
79
LEROY (M.), Op. cit., p. 29.
80
Voir quelques tentatives notamment en Belgique où est en vogue la pratique des « médiateurs » ou de
« délégués », qu’ils soient fédéraux, régionaux, communautaires, communaux ou simplement corporatifs. Pour
une étude, lire CENTRE D’ETUDES CONSTITUTIONNELLES ET ADMINISTRATIVES, Le médiateur,
Bruxelles, Bruylant, 1996.
70
71
commandement »)81. En Belgique même, il semble que « …les médiateurs ne sont pas
conçus comme des institutions de protection des droits fondamentaux, malgré la
relation faite avec le droit de pétition »(sic)82.
introduites pour violation des droits et libertés, de constater la ou les violations à ces
droits et libertés et d’ordonner toutes mesures de réparation, de redressement ou de
satisfaction équitable » 57 ; l’article 73 de la Charte ajoutant que « Toute personne ou
groupe de personnes victime directe ou indirecte d’une violation des droits et libertés
(...) pouvait saisir la Commission par une requête individuelle ou collective tendant à
faire redresser ou réparer la violation constatée » 58 .
Recevoir une plainte en matière des droits de l’homme, en constater une violation et,
surtout, avoir la capacité d’ordonner « toutes mesures » à la suite de cette violation
(qu’il s’agisse d’une mesure de réparation, de redressement et/ou de satisfaction
équitable) n’équivaut-il pas à l’exercice des compétences quasi-juridictionnelles ? Au
regard de ce chef de compétences, il n’y a pas de doute que l’ancienne Commission
congolaise des droits de l’homme et du peuple n’avait rien de semblable avec des
ombudsmans connus. Si elle n’était pas un organe juridictionnel, elle n’en disposait
pas moins de pouvoirs.
Selon le vœu des délégués à la Conférence nationale sur les droits de l’homme, la
Commission congolaise des droits de l’homme et du peuple devait être « composée
de 15 membres, dont deux tiers au moins des juristes, ayant une compétence et une
expérience éprouvées en matière des droits de l’homme et de procédure judiciaire »
(art. 72, al. 1, infra). Ces derniers devaient être désignés par le parlement, après avis
de la Commission nationale d’éthique (art. 72, al.2) et siéger dans la Commission à
titre individuel pour un mandat renouvelable de 7 ans (art. 72 al. 2). Dotée d’un
greffe au niveau de son siège central, la Commission devait aussi, au niveau de ses «
subdivisions provinciales », disposer de quelques « chambres d’instance » (art. 70, al.
3).
Ce sont ces indices qui indiquent que la Commission congolaise des droits de
l’homme et du peuple, telle que voulue par son créateur, était un organisme
juridictionnel d’un type tout à fait particulier. Si l’on veut, ce fut une structure quasi-
juridictionnelle.
83
« Les institutions d’appui à la démocratie sont dissoutes de plein droit dès l’installation du nouveau Parlement.
Toutefois, par une loi organique, le Parlement pourra, s’il échet, instituer d’autres institutions d’appui à la
démocratie », Constitution, Loc. cit., p. 74.
84
Art. 4, Loi organique n° 13/011 du 21 mars 2013 portant institution, organisation et fonctionnement de la
Commission nationale des droits de l’homme, in J.O.RDC, n° spécial, 1er avril 2013, p. 3.
72
73
Il est ainsi prévu que la Commission nationale des droits de l’homme a notamment
pour attributions d’enquêter sur tous les cas de violations des droits de l’homme,
d’orienter et d’aider les plaignants ainsi que les victimes dans leurs actions
judiciaires, de procéder à des visites périodiques des centres pénitentiaires et de
détention, voire de régler certains cas de violation des droits de l’homme par la
conciliation85.
Par ces dispositions, la Commission nationale des droits de l’homme apparaît comme
une structure quasi-juridictionnelle puisqu’au-delà des compétences d’appui aux
victimes et en dépit de ses autres missions de promotion, elle peut aller jusqu’à régler
certains cas de violation des droits de l’homme, fut-ce par la conciliation. C’est un
privilège qui n’est pas reconnu à tous les Ombudsman.
On citera ici essentiellement le cas de l’Observatoire national des droits de l’homme créé,
à l’issue du Dialogue inter-Congolais, par la Constitution de la transition du 4 avril
85
Art. 6, points 1, 2, 3 et 11 de la loi organique précitée, Loc.cit., pp. 4-5.
86
Art. 28, Idem, p. 11.
73
74
87
Cfr. NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Op. cit., pp. 414-417.
88
Cfr. Ordonnance n°87-034 du 22 janvier 1987 modifiant l’ordonnance n° 86-268 du 31 octobre 1986 portant
création d’un Département des Droits et Libertés des Citoyens, in J.O.R.Z., n° 4, 14 février 1987, p. 21.
74
75
République ainsi que ceux résidant à l’étranger… »; ce qui excluait, par principe,
toutes autres personnes n’ayant pas la nationalité zaïroise. « Le Département des
Droits et Libertés du Citoyen (avait) pour mission, précisait son Règlement interne
organique, de défendre le Citoyen injustement lésé dans ses droits ou atteint dans ses libertés
par une décision d’une Cour ou d’un Tribunal, d’une administration publique ou privée, ou
par des voies de fait, en prenant toute mesure propre à le rétablir dans ses droits ou libertés,
lorsqu’il aura régulièrement épuisé toutes les voies de recours légales habituelles (...) et que
celles-ci se seront révélées inefficientes, l’injustice dénoncée subsistant d’une manière
flagrante »89.
89
Art. 1er du Règlement interne organique du Département, in Arrêté départemental n° 0004/CAB/CE/DLC/87
du 2 février 1987, in J.O.R.Z., n°5, 1er mars 1987, p. 23. Italiques ajoutées.
90
Idem
75
76
Dans le décret du 16 septembre 2003, il était cependant précisé que le ministère avait
pour compétences « la promotion et la protection des droits de l’homme et des
libertés fondamentales; la diffusion et la vulgarisation des droits de l’homme; le suivi
du respect des droits humains; et la collaboration avec le Haut Commissariat aux
91
Pour aller plus loin, NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Op.
cit., pp. 373-393.
92
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, MINISTERE DES DROITS HUMAINS, Mission-Projets
prioritaires-Principales réalisations-Difficultés rencontrées-Perspectives d’avenir. Tout savoir sur le ministère
des Droits Humains, Dépliant de connaissance générale, s.d.
93
Idem
76
77
Tel que prévu par ces textes, le ministère des Droits humains se définit donc comme
le médiateur de la République, avec cependant cette particularité qu’il fait partie du
Gouvernement et ne relève pas, comme dans d’autres pays pratiquant ce modèle, du
Parlement (Cfr. supra). D’où l’éternelle question de l’indépendance de ce
« médiateur » d’un statut plutôt particulier. Celle-ci lui est-elle acquise ? Il est permis
d’en douter, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un organe du Gouvernement et son
titulaire, appelé ministre des Droits humains, est membre de ce dernier, soumis,
comme tous les autres ministres, aux règles déontologiques régissant la fonction
ministérielle.
§1. Le principe de l’applicabilité directe des normes constitutionnelles relatives aux droits
fondamentaux
Ce principe signifie qu’en dépit de la forme dans laquelle elle est exprimée, une
norme constitutionnelle relative aux droits fondamentaux, soit qu’elle les créée, soit
qu’elle les supprime de l’ordonnancement juridique, est d’application directe sans
qu’il soit nécessaire de recourir à la médiation d’une autre norme juridique, fut-elle
de rang législatif. Ce principe découle de la portée même des normes
constitutionnelles (A) et peut se traduire, sur le plan légistique, par un certain
94
Art. 1er B, 7è, du Décret n°03/027 du 16 septembre 2003 portant…., p. 28
95
Cfr. notamment n° 08/074 du 24 décembre 2008 fixant les attributions des ministères, in J.O.RDC., n°…
77
78
nombre de techniques de rédaction qui, pour être sophistiquées, ne laissent que très
peu de doute sur l’effet self-executing des normes constitutionnelles (B).
Les normes constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux ont au moins une
double portée juridique : d’une part, elles sont revêtues de l’autorité de la chose
constituée (1) et, d’autre part, elles sont d’application immédiate sauf volonté
contraire du Constituant (2).
En tant que norme suprême de l’Etat, il est donc normal que les droits affirmés dans
la Constitution bénéficient d’une autorité spéciale, celle des droits créés par le
Constituant lui-même (Cfr. supra).
Si cette règle cardinale du constitutionnalisme est admise, et si l’on sait que l’autorité
de la chose constituée met tous les articles de la Constitution à l’abri des atteintes de
toute autre norme juridique à l’intérieur d’un même système juridique, alors il ne
convient pas de relativiser l’autorité suprême de certains articles de la Constitution
relatifs aux droits fondamentaux qui, à force de renvoyer à la « loi », à « l’ordre
public » ou aux « bonnes mœurs » pour l’application aisée desdits droits, risquerait
de prêter le flan à certains discours subversifs. Exemples : « …La loi fixe les
modalités d’application de ces droits » (art. 14 in fine) ; «…La loi fixe les modalités
d’exercice de ces libertés » (art. 22 in fine, art. 24 al. 3) ; « …La loi détermine les
conditions d’application du présent article » (art. 45 in fine) ; « Le droit à la culture, la
liberté de création intellectuelle et artistique, et celle de la recherche scientifique et
96
NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G), Le droit constitutionnel de la République démocratique du
Congo, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan s.a. (à paraître).
78
79
technologique sont garantis sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes
mœurs » (art. 46 al. 1er ).
97
Constitution de la République du Portugal du 2 avril 1976, telle que révisée subséquemment, in CEREXHE
(E.) et le HARDY De BEAULIEU (L.), Douze Constitutions pour une Europe..., Diegem, Kluwer Editions
juridiques Belgique- E. Story-Scientia, 1994, P.12-P.13. Italiques ajoutées.
98
Art. 53-1 de la Constitution espagnole : « Les droits et les libertés reconnus au chapitre II du présent titre sont
contraignants pour tous les pouvoirs publics… », Loc. cit., E-22. Italiques ajoutées.
79
80
Mais, comment dont-on savoir si, pour l’application directe des normes
constitutionnelles, le législateur en a reçu ou non mandat ? Comment le Constituant
consacre-t-il, lui-même, l’effet self-executing d’une norme constitutionnelle contenant
un droit ou une liberté ?
Plusieurs techniques sont, à cet égard, généralement utilisées par les spécialistes de la
légistique constitutionnelle. On n’en citerait que deux.
99
Art. 60, Constitution de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 21.
80
81
Alors que, comme on l’a dit précédemment, dans certains articles de la Constitution
le Constituant peut faire un renvoi à la loi, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs
pour l’application aisée d’un droit fondamental (Cfr. supra), dans d’autres articles,
ces renvois ne sont guère opérés. Parfois même, les affirmations constitutionnelles
sont faites d’une telle manière qu’elles ne sont accompagnées d’aucune réserve ou
d’aucune délégation de pouvoirs au législateur.
81
82
Exemples : « Tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale
protection des lois » (art. 12) ; « Tout Congolais a le droit d’adresser individuellement
ou collectivement une pétition à l’autorité publique qui y répond dans les trois mois.
Nul ne peut faire l’objet d’incrimination, sous quelque forme que ce soit, pour avoir
pris pareille initiative » (art. 27).
Cela signifie que, pour l’application de ces droits fondamentaux, le Constituant n’a
pas voulu faire intervenir la volonté du législateur, qui ne peut ni en prévoir les
modalités d’exercice ni y apporter des limitations. La seule affirmation
constitutionnelle emporte effet décisoire de la norme constitutionnelle ; et c’est ce
caractère décisif qui confère à la norme constitutionnelle toute son autorité, c’est-à-
dire tous les attributs de la norme applicable.
82
83
La question mérite d’être posée, d’autant plus évidemment que, au sein de l’article
123 de la même Constitution, le Constituant utilise une autre expression
apparemment proche, mais jamais semblable, à savoir : « la loi détermine les
principes concernant… ». Que signifient donc ces deux expressions ? En l’absence
des travaux préparatoires et en attendant une jurisprudence congolaise en la matière
qui viendra peut-être fixer les esprits, la prudence commande au moins de
rechercher le sens de ce bout de phrase là où il a vu le jour.
En tout état de cause, lorsque le Constituant confère à la loi le pouvoir de « fixer les
règles », que ce soit en matière de droits fondamentaux ou en d’autres matières, il lui
confère par là d’abord un pouvoir régalien. La délégation du pouvoir ainsi consentie
signifie alors que la loi doit avoir un contenu normatif ; elle doit être une norme, au sens
kelsenien du terme, c’est-à-dire « la signification d’un acte par lequel une conduite
est ou prescrite, ou permise et en particulier habilitée », voire même interdite103.
Ce qui apparaît à première vue comme un flottement de mots ou une confusion des
genres est, en réalité, un acte délibéré du Constituant qui a voulu, sur cette question,
définir les pouvoirs du législateur tant à l’égard des droits fondamentaux eux-mêmes
– « droits civiques » pour reprendre l’expression de la Constitution – qu’à celui de
leurs « garanties… ». La distinction vise simplement à indiquer que, tant pour la
définition des droits fondamentaux que pour la prévoyance des garanties de leur
protection, une loi, c’est-à-dire l’intervention du pouvoir législatif, est nécessaire.
103
KELSEN (H.), Théorie pure du droit (trad. Ch. EISENMANN), Paris, Dalloz, 1962, p. 7.
84
85
Sans être limité, le domaine législatif défini à l’article 122-1 de la Constitution s’étend
également à tous les autres articles de la Constitution ayant trait aux droits
fondamentaux.
C’est le cas par exemple de l’article 5, alinéa 5, qui soumet l’exercice du droit à
l’électorat et du droit à l’éligibilité aux « conditions déterminées par la loi ». C’est
aussi le cas de l’article 11 qui permet l’extension légale, à titre exceptionnel, de la
jouissance des droits politiques aux étrangers. C’est encore le cas de l’article 14 qui
renvoie l’exercice effectif de certains droits spécifiques de la femme (droit à la non-
discrimination, droit à la protection et à la promotion de ses droits, droit à
l’épanouissement et à la pleine participation au développement de na nation, droit
de protection contre les violences, droit à une représentation équitable au sein des
institutions nationales, provinciales et locales…) à une « loi qui (doit fixer)
les modalités d’application de ces droits » (Cfr. supra).
Le Pouvoir législatif peut prendre des mesures d’application en vue d’assurer aux
bénéficiaires l’exercice effectif de leurs droits constitutionnellement garantis. C’est
85
86
l’hypothèse visée par plusieurs articles du titre II de la Constitution où l’on voit que,
dans certains cas, le Constituant délaisse son pouvoir, ou plutôt, délègue une partie
de son pouvoir au législateur en vue de prévoir des modalités concrètes ou
d’instituer des limites à l’exercice effectif desdits droits.
Les conclusions de cet arrêt furent cependant assez excessives et ses conséquences
fâcheuses sur le plan de l’exercice des droits fondamentaux puisque, du constat de
l’absence d’une loi d’application, l’on ne peut pas déduire l’inexistence du droit de
réunion ou de manifestation pourtant déjà affirmé dans la Constitution. En clair, il
n’y avait pas « vide juridique » puisque l’article 10 de la Constitution affirmait déjà le
principe de la jouissance, par toutes les personnes se trouvant sous la juridiction de la
République du Zaïre, du droit de réunion et de manifestation. Ceci démontre donc le
caractère subsidiaire de la loi d’application d’un droit fondamental, du moment que
cette loi intervient par délégation expresse du Constituant.
86
87
Ainsi se justifie la présence dans certaines lois de quelques catégories des droits
fondamentaux ne figurant pas expressément dans le corpus constitutionnel. C’est le
cas par exemple du droit au nom créé depuis 1987 par l’article 67 du Code la famille104.
C’est aussi le cas de plusieurs droits reconnus à l’enfant par la loi du 10 janvier 2009
portant protection de l’enfant (droit à l’identité dès la naissance, droit d’être
enregistré à l’officier de l’état civil dans les 90 jours suivant la naissance, droit à un
milieu familial, droit à l’adoption, etc.)105.
Aussi bien l’article 122-1 que les autres articles de la Constitution ayant trait aux
droits fondamentaux confèrent au législateur, s’il en est désigné, le pouvoir de
limiter la jouissance ou l’exercice de certains droits fondamentaux. Ce pouvoir de
limitation s’exerce soit sous la forme de restrictions, soit sous celle des dérogations que
le législateur peut, aux conditions fixées par la Constitution, être amené à apporter
aux droits fondamentaux.
104
Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille, Livre II, in J.O.RDC., n° spécial, 25 avril 2003, p.
55.
105
Loi n° 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant, art. 14 et ss, in J.O.RDC, n° spécial, 12
janvier 2009, pp. 17 et ss.
87
88
106
Loc.cit. A quelques exceptions près, voir aussi les articles 10 al. 2, 12-3, 15 al. 2 et 16 al. 2 de la Loi
fondamentale relative aux libertés publiques, Op. cit., pp. 392-394.
88
89
Sans les avoir reprises in extenso, la Constitution du 18 février 2006 n’ignore pas ces
exigences. Dans tous ses articles où sont affirmés les droits fondamentaux « sous
réserve du respect de la loi, de l’ordre public ou des bonnes mœurs », on peut
entrevoir la volonté du Constituant de laisser au législateur la possibilité d’y
apporter quelques restrictions. Seulement, pour que celles-ci soient régulières, il faut
que la loi elle-même qui les prévoit, adoptée dans le contexte d’un Etat
démocratique, existe et qu’elle permette le recours à ces restrictions (1). En outre,
après les avoir passées au test de nécessité et de proportionnalité (2), les mesures
restrictives des droits fondamentaux ne doivent pas, en règle générale, porter atteinte
à leur substance, sinon c’est la négation même de leur existence (3).
Selon toute logique juridique, pour pouvoir porter atteinte à un droit fondamental –
droit proclamé par la Constitution – il faut que la Constitution elle-même en ait
autorisé le recours. Déjà à ce niveau, l’on aperçoit l’exigence d’une autorisation
constitutionnelle pour pouvoir restreindre l’exercice d’un droit fondamental. Ainsi,
dans tous les articles de la Constitution où il n’est pas question de pareille
autorisation, il n’est pas permis de fonder le pouvoir de restriction d’un droit
fondamental que s’octroieraient certaines autorités. A contrario, là où la Constitution
a renvoyé l’exercice d’un droit fondamental à la loi, le législateur peut y prévoir un
régime de restriction, quitte à ce que les autorités administratives s’y conforment.
107
Lire NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Op. cit., pp. 147-151.
89
90
Selon la formule consacrée tant en droit interne qu’en droit international, toute mesure
restrictive de liberté doit être nécessaire à la sauvegarde d’un certain nombre d’objectifs ou de
valeurs suprêmes poursuivis par un Etat, lesquels doivent être définis préalablement
dans le contexte d’un Etat de droit démocratique. Ces objectifs ou valeurs, c’est par
exemple la sauvegarde de l’ordre public (notion qui doit être définie dans le contexte
d’un Etat démocratique), le maintien de la sécurité publique, la protection des droits
d’autrui ou même la protection des « intérêts supérieurs de la nation » (encore une
notion à bien définir dans le contexte d’un Etat démocratique). Cette exigence de
nécessité se fonde, d’une part, sur le souci de préserver les droits fondamentaux
contre des immixtions intempestives et, d’autre part, sur la liberté des Etats à
poursuivre des politiques d’intérêt général.
A la condition de nécessité il faut ajouter celle de proportionnalité. Cela veut dire que
toute mesure de restriction d’un droit fondamental doit être proportionnelle à l’objectif
poursuivi par la société démocratique sans quoi elle ne serait ni nécessaire ni utile. A titre
d’exemple, pour pouvoir restreindre la liberté de manifestation d’un groupe afin de
préserver « l’ordre public » dans la capitale, il n’est ni nécessaire ni utile d’utiliser des
chars de combat ou des avions de chasse. Le matériel habituel de la police
spécialement conçu pour ce genre d’événements (p. ex. les matraques ou les camions
à eau) suffirait pour atteindre l’objectif poursuivi. En l’occurrence, l’utilisation des
chars de combat et des avions de chasse paraît disproportionnée par rapport à l’objectif
poursuivi (préserver l’ordre public dans une agglomération habitée).
Les deux premières conditions exposées plus haut visent, en fait, à protéger la
substance du droit concerné par la mesure de restriction. Par « substance » d’un
droit fondamental, il faut entendre tout simplement « le respect de la dignité et de la
valeur humaine »108. Le principe veut que l’objet même du droit fondamental - son intégrité
- ne soit pas détruit par l’application de la mesure de restriction.
108
Cfr. Loi n° 13/011 du 21 mars 2013 portant institution, organisation et fonctionnement de la Commission
nationale des droits de l’homme, Exposé des motifs, Loc. cit., p. 1.
90
91
Deux questions se posent ici : primo, quel est le cadre fixé pour que des dérogations
apportées aux droits fondamentaux, sans aller jusqu’à leur suppression dans le
corpus constitutionnel, soient tout de même conformes à la Constitution ? (1) ;
secundo, tous les droits fondamentaux sont-ils, malgré tout, susceptibles de
dérogation ? (2).
Pour que le recours à ces deux circonstances soit valable, il faut, primo, qu’elles aient
été déclarées régulièrement (a) et, secundo, que des mesures spéciales permettant la
substitution de la légalité ordinaire par la légalité exceptionnelle aient été au
préalable prises (b).
Cette régularité est fonction du respect de deux types de critères quant au fond et
quant à la forme.
Fondamentalement, l’on doit se trouver dans l’hypothèse soit d’un état d’urgence, soit d’un
état de siège. Si l’on n’est pas dans ces deux hypothèses, le cadre de dérogation aux
droits fondamentaux n’est pas régulier et, par voie de conséquence, aucune
dérogation ne peut avoir de base constitutionnelle.
91
92
Dans la première hypothèse, en dépit du fait que le Constituant ne définit pas ces
« circonstances », la simple menace à l’indépendance ou à l’intégrité du territoire
national suffit à déclencher la procédure de l’état d’urgence. En revanche, dans la
seconde hypothèse, en dépit de la même imprécision, il faut qu’il y ait interruption
effective du fonctionnement régulier des institutions pour que l’état de siège soit
proclamé ; étant précisé que la guerre ne peut, en ce qui la concerne, être déclarée
que si les circonstances visées par le Constituant proviennent d’une puissance
étrangère (il serait en effet absurde de déclarer la guerre contre sa propre
population).
Il apparaît ainsi que, même en cas d’état d’urgence ou de siège, le Parlement reste le
dernier rempart pour la protection des droits fondamentaux, l’ordonnance portant
proclamation de l’état d’urgence ou de siège, c’est-à-dire le cadre de dérogation aux
droits fondamentaux, restant tout entière sous son contrôle.
92
93
C’est cette triple exigence qui est à la base de l’obligation faite au Président de la
République de soumettre au juge constitutionnel, « dès leur signature », toutes les
ordonnances contenant des mesures exceptionnelles, afin que « la Cour déclare,
toutes affaires cessantes, si elles dérogent ou non à la Constitution »109. La déclaration
de dérogation à la Constitution a pour effet de conférer à la légalité d’exception une
apparence de constitutionnalité, puisqu’à défaut de sanction précise de la part du
juge, elle donne à la population la conscience que les mesures exceptionnelles ont été
prises au moins dans le respect des procédures prévues par la Constitution. Sans
cette déclaration de dérogation, la légalité d’exception devient, elle-même,
problématique puisque son absence prive le juge de la possibilité de vérifier
notamment si oui ou non le Président de la République a, dans ces circonstances,
respecté le noyau dur des droits fondamentaux. Or ce noyau dur est inviolable
quelles que soient les circonstances.
109
Art. 46, al. 1er, de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle, Op. cit., p. 11.
110
Const. 18 fév. 2006, art. 61, Op. cit.,p. 21.
93
94
En d’autres termes, selon le vœu du Constituant, quelle que soit la circonstance qui
justifie l’état d’urgence ou l’état de siège, aucune autorité publique ne peut porter
atteinte aux onze droits énumérés à l’article 61 de la Constitution, qui restent ainsi
des droits intangibles. En d’autres termes aussi, aucune légalité d’exception ne peut
justifier la violation de l’article 61 de la Constitution, quelle que soit sa nécessité.
111
Art. 46, al. 2, de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, Op. cit., p. 11.
94
95
Garantie des garanties, le Constituant congolais du 18 février 2006 s’illustre enfin par
la consécration, dans le texte même de la Constitution, de ce qu’on appelle, en Droit
des droits de l’homme, l’effet de standstill des droits fondamentaux. Aux termes en
effet de son article 220, alinéa 2, « Est formellement interdite toute révision
constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la
personne… »112. Qu’est-ce à dire ? Quelle est la portée de cette disposition
constitutionnelle ? Quelle garantie de protection cette disposition constitutionnelle
apporte-t-elle aux droits fondamentaux ?
112
Const. 18 fév. 2006, art. 220, al. 2, Op. cit., p. 73.
95
96
L’article 220, alinéa 2, de la Constitution revêt donc une double portée juridique :
d’abord, il interdit de manière directe toute révision constitutionnelle ayant pour objet
ou pour effet la réduction des droits fondamentaux (1) ; ensuite, il interdit par ricochet
la réduction du niveau des droits fondamentaux touchant la liste de leur
reconnaissance et les garanties de leur protection (2).
Cela ressort clairement des termes de l’article 220, alinéa 2, de la Constitution. Reste à
en indiquer les hypothèses.
a) Hypothèses d’une révision ayant pour objet la réduction des droits fondamentaux
113
Cfr. HACHEZ (I.), « L’effet de standstill : le pari des droits économiques, sociaux et culturels », in APT,
2000, p. 30.
114
(Même auteure), Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative,
Bruxelles/Athènes/Baden-Baden, Bruylant/Sakkoulas/Nomos Verlagsgesellschaft, coll. « Droits
fondamentaux », 2008.
96
97
Si l’on prend en outre l’exemple de l’article 28 de la Constitution qui prône l’une des
formes du droit à la désobéissance civile, on sait que le droit de refuser d’exécuter
un ordre manifestement illégal appartient, à l’heure actuelle, à toute personne
puisque la Constitution n’en réserve pas le bénéfice aux seuls Congolais. Si, par
aventure, une initiative de révision constitutionnelle intervient pour en limiter le
bénéfice aux seuls Congolais, la portée personnelle d’un tel droit serait réduit ; ce qui
est formellement interdit par l’article 220, alinéa 2, de la Constitution.
On voit par là que, dans la première hypothèse, la révision qui est interdite est celle
qui attaque directement un droit fondamental déjà consacré dans le but d’en diminuer
la portée interprétative. L’effet standstill exige qu’on s’arrête au niveau déjà atteint au
moment de l’affirmation dudit droit fondamental.
b) Hypothèses d’une révision ayant pour effet la réduction des droits fondamentaux
Si, par exemple, une révision constitutionnelle est initiée pour introduire le droit à
l’orientation sexuelle. Apparemment neuf, un tel ajout du nombre de droits
fondamentaux consacrés par le titre II de la Constitution ne peut aboutir sans
enfreindre, en même temps, l’article 40 de la Constitution qui ne consacre le droit au
mariage que pour autant qu’il se noue entre deux personnes « de sexe opposé ». Cela
veut dire que l’introduction du droit à l’orientation sexuelle bouscule, dans le sens de
sa réduction, la conception que le Constituant de 2006 s’est faite du droit au mariage,
lequel exclut, en l’occurrence, une union entre les personnes de même sexe.
Dans le même ordre d’idées, si une révision constitutionnelle est initiée, par exemple,
pour méconnaître au Pouvoir judiciaire le rôle de « garant des libertés individuelles
et des droits fondamentaux des citoyens » (art. 150 de la Constitution), ce au profit
par exemple d’un autre Pouvoir d’Etat, une telle initiative de révision n’est pas sans
baisser le niveau de garanties de protection ainsi accordé aux droits fondamentaux
par le Pouvoir judiciaire, considéré comme plus indépendant et plus impartial que le
Pouvoir législatif ou le Pouvoir exécutif. La garde des droits fondamentaux par les
deux derniers Pouvoirs apparaît, en fait, comme une diminution du niveau de
protection qui était censée mieux assurée par l’indépendance et l’impartialité du
Pouvoir judiciaire.
97
98
Enfin, une révision constitutionnelle peut innocemment être initiée pour mieux
réécrire les articles de la Constitution du 18 février 2006, dont la « maladresse
d’écriture », les « maladies congénitales », les « contradictions », les « iniquités »,
voire même le « manque d’identité » sont connues de tous et du reste fréquemment
dénoncées115. L’opération ne peut juridiquement aboutir que si elle n’a pas pour
conséquence la suppression déguisée d’un article du titre II de la Constitution ou le
contingentement de quelque autre droit constitutionnel déjà protégé.
Par-delà l’interdiction de la révision constitutionnelle, ce qui est visé par l’article 220,
alinéa 2, de la Constitution, c’est, en réalité, le refus de réduction du niveau des
droits fondamentaux. En considération de cet objectif, et même si cela n’apparaît pas
clairement dans la Constitution, ce refus de diminution du niveau atteint par les
droits fondamentaux concerne tant la liste de leur reconnaissance (a) que les
garanties de leur protection (b). Les deux matières sont frappées d’une immunité
constitutionnelle qui n’autorise aucune révision allant dans le sens inverse de la
promotion des droits fondamentaux.
Ainsi, du droit à la liberté et à l’égalité entre tous les êtres humains (art. 11) au droit à
la protection de l’environnement (art. 53 et ss.), en passant par tous les autres « droits
civils et politiques » (chapitre I), « droits économiques, sociaux et culturels » (chapitre
II) et « droits collectifs » (chapitre III), l’effet de standstill étend son emprise. Par voie
de conséquence, il ne peut être porté atteinte – dans le sens de la réduction - au
115
Lire par exemple MUKADI BONYI, Projet de Constitution de la République Démocratique du Congo.
Plaidoyer pour une relecture, Kinshasa, Centre de Recherche en Droit Social, 2005 ; MAMPUYA KANUNK’A
TSHIABO (A.), Espoirs et acceptation de la Constitution congolaise. Clés pour comprendre le processus
constitutionnel du Congo-Kinshasa, Kinshasa, Ed. AMA, 2005 ; DJOLI ESENG’EKELI (J.), « Problématique de
l’identité du projet constitutionnel », in Congo-Afrique, n° 395, 2005, pp. 21-22 ; BOSHAB MABUDJ-ma-
BILENGE (E.), Entre la révision de la Constitution et l’inanition de la nation, Bruxelles, Larcier, 2013.
98
99
En même temps que les droits garantis, l’effet de standstill s’applique aussi aux
garanties de protection des droits consacrés. Cela veut dire que l’interdiction de
réduction des droits fondamentaux frappe aussi celle de leurs garanties de
protection, qu’il s’agisse des garanties institutionnelles déjà vues (mécanismes
juridictionnels et non juridictionnels) ou des garanties procédurales dont il est
question dans cette section. Par voie de conséquence, toute initiative révision
constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire la portée ou l’efficacité des
mécanismes de protection des droits de l’homme doit être appréciée au regard de
l’article 220, alinéa 2, de la Constitution. Car, l’effet de standstill agit aussi bien
matériellement que formellement sur le système national de protection des droits de
l’homme. S’il n’en était pas ainsi, l’article 220, alinéa 2, de la Constitution, affirmé de
manière générale, aurait manqué de son efficacité.
La fonction de l’article 220, alinéa 2, de la Constitution est d’assurer, sinon l’éternité, à tout
le moins la stabilité des articles de la Constitution proclamant ou protégeant les droits
fondamentaux. A travers elle, c’est la stabilité des droits fondamentaux eux-mêmes qui s’en
trouve ainsi assurée et confirmée. D’où le statut spécial reconnu aux droits constitutionnels
par rapport à d’autres droits.
En effet, si les droits fondamentaux n’avaient pas bénéficié de ce statut spécial, si leur
existence ou leur protection avait été laissée à la merci des pouvoirs constitués sans
quelques verrous, on serait dans un système national des droits de l’homme
complètement fragile, voire hypothétique ; le bénéfice des droits fondamentaux
dépendant des fluctuations des majorités au pouvoir. Ce que l’article 220, alinéa 2, a
voulu éviter, c’est précisément cet écueil. En conséquence, aucune majorité au
pouvoir ne peut se permettre de toucher aux articles de la Constitution ayant trait
aux droits fondamentaux sans être en porte-à-faux avec le principe de standstill.
99
100
100
101
Conclusion générale
En tant qu’ils sont proclamés par loi fondamentale et suprême d’un Etat, les droits et
libertés qui en font l’objet bénéficient de la plus grande autorité et de la plus grande
stabilité par rapport à tout autre droit fondamental. D’où l’intérêt de leur
connaissance et de leur domestication par toute personne vivant sous la juridiction
de la RDC. D’où l’intérêt également de la compréhension de tous les mécanismes
juridictionnels et non juridictionnels prévus ou autorisés par la Constitution pour en
assurer la pleine effectivité.
L’enseignement du Droit constitutionnel des droits de l’homme est avant tout une
contribution à l’expansion de la culture des droits de l’homme telle qu’elle est diffusée
par la norme suprême de l’Etat.
101
102
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
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19. PETTITI (L.E), DECAUX (E.) et IMBERT (PH.) (dir.), La convention européenne des droits
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21. RIVERO (J.), Les libertés publiques, - t. I: Les droits de l’homme, Paris, PUF, Coll. Thémis,
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22. ROBERT (O.), Libertés publiques, Paris, Éd. Montchrestien, 1971.
23. SERIAUX (A.), SERMET (L.), VÏIRIOT-BARRIAL (D.) Droits et libertés fondamentales, Paris,
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24. SODINI (R.), Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Paris,
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25. SUDRE (E), Droit international et européen des droits de l’homme, 4ème éd. (1999) et 6Eme
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26. TAVERNIER (R) (dir.), Recueil juridique des droits de l’homme en Afrique 1996-2000,
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30. WACHSMAN (P.), Les droits de l’homme, Paris, Dalloz, « Connaissance du droit», 3ème
éd., 1999.
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Introduction....................................................................................................................................... 2
1. Le cours de Droit constitutionnel des droits de l’homme .......................... 3
a) L’intitulé du cours ........................................................................................... 3
b) Le contenu du cours ....................................................................................... 5
2. Définition du Droit constitutionnel des droits de l’homme ...................... 6
a) Les droits constitutionnels bénéficient de la plus grande autorité .......... 7
b) Les droits constitutionnels bénéficient de la plus grande stabilité .......... 8
Chapitre premier : .............................................................................................................................. 11
THEORIE GENERALE DES DROITS CONSTITUTIONNELS .................................................... 11
Section 1 : La notion de droits constitutionnels ......................................................................... 11
§2. Distinction entre droits constitutionnels et autres notions voisines ............................. 13
A. Droits constitutionnels et droits fondamentaux .............................................. 13
B. Droit constitutionnels et libertés publiques ...................................................... 13
C. Droits constitutionnels et droits de l’homme ................................................... 15
Section 2 : La nature des droits constitutionnels ........................................................................ 15
§1. Caractères des droits constitutionnels .............................................................................. 15
A. Droits constitutionnels, droits subjectifs ........................................................... 16
B. Droits constitutionnels, droits justiciables ........................................................ 17
C. Droits constitutionnels, droits limitables .......................................................... 18
§2. Différentes classifications possibles des droits constitutionnels.................................... 19
A. Les classifications fondées sur la nature des droits constitutionnels ........... 19
1. Les droits-liberté ............................................................................................... 19
2. Les droits-créance.............................................................................................. 20
3. Les droits-participation ................................................................................... 21
B. La classification utilisée dans la Constitution du 18 février 2006 .................. 21
1. Les droits civils et politiques .......................................................................... 22
2. Les droits économiques, sociaux et culturels ................................................ 22
3. Les droits collectifs ........................................................................................... 23
Section 3 : Les titulaires et les débiteurs des droits constitutionnels ...................................... 24
§1. Les titulaires des droits constitutionnels ........................................................................... 24
A. Les citoyens congolais ......................................................................................... 24
B. « Toute personne » ................................................................................................ 25
A. L’Etat (les pouvoirs publics) ............................................................................... 27
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