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Université de Kinshasa
Faculté de Droit

COURS DES LIBERTES PUBLIQUES


(30 heures théoriques + 15 heures pratiques)

Syllabus à l’intention des Etudiants de Deuxième Licence

Par Paul-Gaspard NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA

Professeur Associé
Docteur en Sciences juridiques
Diplômé d’Etudes spécialisées en Droits de l’homme

Année académique 2013-2014

1
2

Introduction

Droit fondé sur la Constitution, le Droit constitutionnel est généralement défini


comme une discipline du Droit public comportant un double objet : l’étude des règles
relatives à l’organisation et au fonctionnement du pouvoir politique, d’une part et
d’autre part, l’étude des règles se rapportant aux prérogatives reconnues aux
individus vivant sous la juridiction d’un Etat. Le premier objet, souvent mis en
exergue, est à l’origine d’une sous-branche de la discipline généralement qualifiée de
Droit constitutionnel institutionnel tandis que le second, moins mis en valeur, devrait
pouvoir donner naissance à une autre sous-branche, qu’on pourrait appeler Droit
constitutionnel des droits de l’homme.

Dans beaucoup de facultés universitaires, si le Droit constitutionnel institutionnel est


abondamment enseigné, au point d’avoir accaparé chez beaucoup l’essentiel du Droit
constitutionnel1, le Droit constitutionnel des droits de l’homme est, quant à lui, une
matière qui se recherche. Mieux, c’est une discipline qui souffre d’une sorte de
clandestinité, voire d’une certaine méfiance. Or, s’il est admis que la Constitution est
essentiellement un ensemble de règles de dévolution, d’exercice et de perte du
pouvoir politique, il n’en reste pas moins vrai que, depuis l’apparition du
mouvement constitutionnaliste au VIIIème siècle européen, les Constitutions
modernes grouillent d’articles relatifs aux droits et libertés fondamentaux de la
personne humaine. Pratiquement, aucune Constitution moderne n’est dépourvue de
ce que Georges BURDEAU qualifiait de « compte gouvernant » et de « compte
gouverné »2. C’est autant dire que les droits de l’homme sont, à côté du pouvoir
politique, l’objet essentiel d’une Constitution. C’est d’ailleurs eux qui donnent aux
Constitutions modernes la mesure du degré de leur intégration dans le vaste
mouvement du constitutionnalisme, souvent confondu d’ailleurs avec le mouvement
humaniste, qu’il soit d’obédience chrétienne ou de tendance athée.

Si donc toute Constitution sans constitutionnalisme est un leurre, la recherche du


constitutionnalisme devient sans lueur d’espoir si l’étude du Droit constitutionnel ne
commence par celle, primordiale, du Droit des droits de l’homme. Car en effet, avec
l’humanisme ambiant qui le sous-tend, le mouvement constitutionnaliste apparaît
avant tout comme le fer de lance des actions politiques et intellectuelles en faveur de

1
A titre illustratif : LIHAU EBUA LIBANA-la-MOLENGO, Cours de droit constitutionnel et institutions
politiques, Université Nationale du Zaïre, Campus de Kinshasa, Faculté de Droit, polycopié, 1974-1975 ; DJELO
EMPENGE OSAKO, Cours de Droit constitutionnel et institutions politiques, polycopié, 1er graduat, Université
de Kinshasa, Faculté de Droit, 1986-1987 ; KITETE KEKUMBA OMOMBO, Cours de droit constitutionnel et
institutions politiques, 1er graduat, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, 1989-1990; MPONGO BOKAKO
BAUTOLINGA, Institutions politiques et droit constitutionnel, Kinshasa, Editions Universitaires Africaines,
2002; MBAYA NGANG, Droit constitutionnel et tradicentrisme des institutions politiques du Zaïre de 1960 à
1997, Kinshasa, éd. Ergosum, 1997; BOSHAB MABUDJ-ma-BILENGE (E.), Cours de Droit constitutionnel.
Théorie générale de l’Etat, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, 2012-2013 (inédit); DJOLI
ESENG’EKELI (J.), Droit constitutionnel. L’expérience congolaise (RDC), Paris, L’Harmattan, coll. « Comptes
rendus » 2013; KAMUKUNY MUKINAYI (A.), Droit constitutionnel congolais, Kinshasa, E.U.A., coll. « Droit
et Société », 2011; ESAMBO KANGASHE (J.-L.), Le Droit constitutionnel, Louvain-la-Neuve, Academia-
L’Harmattan s.a., 2013.
2
BURDEAU (G.), Traité de science politique. Tome I : Le pouvoir dans l’Etat, Paris, Montchrestien, 1969, p…
2
3

la reconnaissance, de la promotion et de la protection des droits de l’Homme. Et dans


le cas de la République démocratique du Congo, où le Constituant a fait obligation
aux pouvoirs publics d’assurer, par l’enseignement, l’éducation, la diffusion et le
respect des droits de l’homme3, le pari devient plus que compétitif. Comment sortir
cette sous-branche du Droit constitutionnel général de sa clandestinité ? Quelle est la
place à lui accorder dans les différentes facultés universitaires de la RDC ?

1. Le cours de Droit constitutionnel des droits de l’homme

a) L’intitulé du cours

Le cours de Droit constitutionnel des droits de l’homme, que nous nous sommes proposé
d’exposer pour la première fois au CRIDHAC4, n’est pas tombé – loin s’en faut - sur
un terrain conquis. Aux yeux de beaucoup, rien que par son intitulé, souvent qualifié
d’ailleurs d’insolite, le cours posait déjà problème. Non seulement parce qu’il
n’apparaissait nulle part dans le programme universitaire national, mais aussi et
surtout parce qu’il était porteur d’un projet subversif, dans un environnement où le
Droit constitutionnel institutionnel - même là où il ne fait que très peu de cas des droits
de l’homme – dominait et domine encore les débats, il fallait stopper tout élan
« enthousiaste » pour la discipline5.

Certains lui auraient préféré volontiers l’intitulé «Droits humains (Droits de l’homme
et Libertés publiques) » qui figure déjà au programme de la deuxième année de
licence en Droit pour plus de conformisme juridique 6. D’autres suggèrent qu’on
s’arrête à l’intitulé « Droits humains, libertés fondamentales et devoirs du citoyen et
de l’Etat » qui est le choix officiel du Constituant congolais7. Cela est sans
conséquence sur le contenu et le bien-fondé de la discipline puisque le choix de
l’intitulé n’a pas suffi à convaincre les plus sceptiques des décideurs à la Faculté de
Droit, le cours paraissant, jusqu’à présent, souffrir d’une relative indifférence 8 Or,
comme souligné plus haut, les deux sous-branches du Droit constitutionnel général
ont partie liée. Elles expriment d’ailleurs des préoccupations d’une importance
relativement équipollente dans un Etat de droit démocratique : l’organisation du
pouvoir politique et l’affirmation des prérogatives de la personne humaine. Dans
cette perspective, pourquoi cette différence de traitement ? Pourquoi ce procès fait à
la nouvelle discipline ?

3
Cfr. art. 45, al. 5, 6 et 7 de la Constitution de la République démocratique du Congo telle que modifiée par la
loi n° 11/002 du 20 janvier 2011, in J.O.RDC, n° spécial, 05 février 2011, p. 18.
4
NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G.), Cours de Droit constitutionnel des droits de l’homme,
Syllabus à l’intention des Etudiants de DESS en Droits de l’homme, Université de Kinshasa, Centre de
Recherche Interdisciplinaire pour les Droits de l’Homme en Afrique Centrale, 2010-2011 (Polycopié)
5
Les débats qui agitent actuellement le climat pédagogique au sein de la Faculté de Droit de l’Université de
Kinshasa autour de la création d’un département autonome des droits de l’homme n’est d’ailleurs pas loin de ces
appréhensions.
6
Voy. MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET UNIVERSITAIRE, Programme des cours.
Réforme de la table ronde des universités du Congo, Kinshasa, Editions de la C.P.E., 2010, p. 25.
7
Lire Constitution, Titre II, Op. cit., p. 9
8
Par rapport au Droit constitutionnel institutionnel, le présent cours, officiellement dispensé au titre de la partie
« Libertés publiques » des « Droits humains », ne partage un volume-horaire que de 45heures avec la partie
« Droits de l’homme » cédé au Département de Droit international public et Relations internationales (sic).
3
4

A notre avis, les deux derniers intitulés évoqués précédemment, surtout celui inscrit
au programme de la deuxième licence, sont inutilement ombrageux, voire
polémiques. Ombrageux parce qu’au débat sémantique qui s’est toujours engagé, en
France comme ailleurs, sur la distinction entre « droits de l’homme » et « libertés
publiques », le Constituant et l’autorité réglementaire en RDC ont ajouté l’ambigüité
des concepts « droits humains », « libertés fondamentales » et « devoirs du citoyen et
de l’Etat ». Polémique aussi parce que, au lieu de trancher définitivement le litige qui
oppose, en réalité depuis les origines, jusnaturalistes et positivistes, l’on a préféré
jouer aux prolongations. Jusques-à-quand la fin du débat ?

Selon nous, il est sans intérêt pratique de continuer à opposer « droits de l’homme » à
« libertés publiques », ou « droits de l’homme » à « libertés fondamentales », pas plus
qu’il n’y a de progrès significatif à leur préférer le concept prétendument neutre ou
globalisant de « droits humains ». Tous ces concepts renvoient, à quelques
différences près, aux mêmes réalités, tout débat idéologique mis à part. D’ailleurs, ce
que Jean RIVERO appelait « libertés publiques », ce en opposition aux « droits de
l’homme », ce sont précisément - reconnaissait-il en fin de compte - « des droits de
l’homme que leur consécration par l’Etat a fait passer du droit naturel au droit
positif »9.

Il y a donc entre « libertés publiques » et « droits de l’homme » un tel rapport de


dépendance, voire un tel degré d’identité, que la simple « consécration par l’Etat » ne
saurait opposer. Il y a mieux : dans la mesure où tous les droits de l’homme et toutes
les libertés publiques tirent leur origine d’abord de la Constitution, comment ne pas
mieux promouvoir ce sceau baptismal en leur préférant le prénom de « droits
fondamentaux », objet de la discipline du Droit constitutionnel des droits de l’homme !

Dans notre ouvrage d’il y a quelques années, s’agissant d’une étude menée sur la
République démocratique du Congo à partir de différentes règles éparses existant à
l’époque, nous avons officiellement adopté l’intitulé Droit congolais des droits de
l’homme. L’étude s’attachait à glaner, dans les différentes disciplines du Droit
trouvées en RDC, l’essentiel des prérogatives que le Droit positif de l’époque
prétendait reconnaître à l’homme, sans limiter l’investigation à une simple question
de consécration officielle ou de protection juridictionnelle desdites prérogatives10.
Aujourd’hui, l’intitulé ne semble plus être du goût du jour. Mieux, il paraît plutôt
général pour prétendre saisir les réalités décrites exclusivement par la Constitution.
Le recentrage de la recherche sur cette source première du Droit justifie ainsi
l’intitulé Droit constitutionnel des droits de l’homme, plus expressif que ceux jusque-là
proposés par les textes officiels. Que contient donc une Constitution en matière des
droits de l’homme pour pouvoir justifier l’autonomie d’une telle discipline ?

9
RIVERO (J.), Libertés publiques. 1. Les droits de l’homme, Paris, P.U.F., 1973, p. 17. Italiques ajoutées.
10
NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Louvain-la-Neuve,
Academia-Bruylant, 2004, 489 p.
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5

b) Le contenu du cours

Quand on pose le problème du contenu de la nouvelle discipline, quoique certains le


trouvent évident, d’autres, par contre, y vont jusqu’à en nier l’autonomie car,
estiment-ils, chaque branche du Droit comporte une partie « droits de l’homme » ou
que chaque professeur de Droit parle des droits de l’homme dans sa discipline. Par
voie de conséquence, il serait inutile, sinon quelque peu déplacé, de parler du
« Droit des droits de l’homme » comme d’une branche autonome détachée des autres
disciplines du Droit.

Une telle vue nous paraît, sinon prétentieuse, à tout le moins bornée car, par delà sa
négation du caractère transdisciplinaire du Droit des droits de l’homme, elle tend
surtout à faire croire que chaque discipline du Droit ou que l’ensemble de celles-ci
suffit à rendre compte de toute la matière du Droit des droits de l’homme.

Certes, chaque branche du Droit comporte effectivement des aspects des droits de
l’homme que chaque professeur, en fonction de sa sensibilité, s’efforce de mettre en
exergue. A titre d’exemple, lorsqu’il s’emploie à réprimer le meurtre, le vol ou toute
sorte d’arrestations arbitraires, le Droit pénal contribue effectivement, à sa manière, à
la protection du droit à la vie, du droit de propriété ou de la liberté individuelle ; en
cela, il fournit au Droit des droits de l’homme l’une des garanties les plus efficaces
que l’on est en droit d’attendre, à savoir : la sanction pénale. De même, pour rester
dans le même registre, l’on sait que la liberté du mariage, celle des contrats ou des
syndicats, le droit de grève et le droit au travail constituent des chapitres entiers
tantôt du Droit civil, tantôt du Droit du travail. Par ailleurs, en Droit public, le Droit
administratif par exemple fournit au Droit des droits de l’homme la plupart des
techniques selon lesquelles les droits de l’homme peuvent efficacement être protégés
(p. ex. le principe de la légalité administrative, le principe du recours devant le juge
administratif…) et que, par-delà le cadre étatique, la protection des droits de
l’homme est aujourd’hui devenue une affaire de la « Communauté internationale »
que le Droit international s’emploie à nous faire connaître. Toutes ces disciplines
juridiques, et bien d’autres, comportent effectivement des aspects des droits de
l’homme dans leurs objets propres.

Mais, peut-on, sur cette seule base, parvenir à construire une théorie générale des droits
de l’homme qui ne soit dépendante de l’objet propre de chacune de ces disciplines ? Le
Droit pénal, par exemple, peut-il prétendre avoir construit une théorie générale des
droits de l’homme qui se soit détachée, tant dans son esprit que dans ses techniques,
de sa fameuse ligne légaliste que lui impose le principe de la légalité des délits et des
peines ? A-t-on déjà vu le Droit civil abandonner sa doctrine individualiste, civiliste -
avec à la base le principe de l’autonomie de la volonté impliquant l’importance du
contrat - pour embrasser des thèmes aussi subversifs que ceux du collectivisme
juridique actuellement en vogue en Droit des droits de l’homme ? Le Droit
international a-t-il déserté le « cercle des Etats », avec à la base le principe

5
6

« inexpugnable » de l’égalité souveraine de ceux-ci11, pour se transfigurer, tout entier,


en un Droit des individus ?

Si chaque branche du Droit peut, au nom du principe de l’unicité de l’ordre


juridique, comporter des aspects des droits de l’homme, il paraît cependant douter
que, dans la poursuite de son objet propre, chaque discipline du Droit ait pour souci
primordial la protection de l’homme et de sa dignité. D’ailleurs, n’y trouve-t-on pas,
à titre d’exemples, certaines théories (comme celles de l’état de nécessité, de force
majeure ou de légitime défense) qui autorisent, précisément, la mise sous le boisseau
des droits de l’homme ? La prétention n’en vaut donc pas la chandelle car ce n’est
pas de chacune de ces disciplines que peut poindre la culture des droits de l’homme si
nécessaire à la particularité de cette discipline.

De notre point de vue donc, la contestation de l’autonomie du Droit constitutionnel des


droits de l’homme, tout comme celle de toute filière consacrée à cette discipline, est,
sinon un simple saut d’humeur passager, à tout le moins un désir de simple
consolation de la part de ceux qui croient avoir épuisé, dans leurs disciplines
particulières, l’enseignement du Droit des droits de l’homme. Celui-ci est une
discipline dont l’objet et l’autonomie ne sont plus sérieusement contestées
aujourd’hui dans le monde universitaire. En ce qui le concerne, le Droit constitutionnel
des droits de l’homme se propose, dans ce souci, d’en présenter une théorie générale
pour le moins transdisciplinaire, une théorie qui, une fois captée dans toutes les
disciplines juridiques, pourrait contribuer – on peut l’espérer – à une autonomisation
réelle de la discipline que seule la modestie scientifique peut contribuer à
promouvoir.

Il était donc temps, à défaut de considération exceptionnelle de la part de ses


adversaires, de réserver quelques pages à cette partie – à cette première partie - de la
discipline la plus emblématique du Droit public au sein de nos facultés.

2. Définition du Droit constitutionnel des droits de l’homme

Prosaïquement parlant, l’on peut définir le Droit constitutionnel des droits de


l’homme comme étant une discipline du Droit public, une sous-branche du Droit
constitutionnel général, qui s’attache à l’étude particulière des droits et des libertés
fondamentaux consacrés par la Constitution (ou par les lois qui en constituent le
prolongement immédiat), dans la mesure où la Constitution est la norme fondamentale et
suprême qui, dans un Etat, régit les prérogatives de la personne humaine.

En tant qu’ils reposent sur la loi fondamentale et suprême d’un Etat, ces droits et
libertés sont de statut constitutionnel. Ils bénéficient, par conséquent, tant de la plus
grande autorité (a) que de la plus grande stabilité (b) par rapport à d’autres droits et
libertés affirmés dans tout autre instrument juridique.

11
BULA BULA (S.), Les immunités pénales et l’inviolabilité du ministre des Affaires étrangères en droit
international. Principe- caractère – portée- exceptions- limites- sanctions (Affaire du mandat du 11 avril 2000,
R.D. du Congo contre Royaume de Belgique, CIJ, Arrêt du 14 février 2002), Kinshasa, Presses de l’Université de
Kinshasa, Bruxelles, Bruylant, 2004, 186 p.
6
7

a) Les droits constitutionnels bénéficient de la plus grande autorité

Le fait que certains droits et libertés inscrits dans la Constitution puissent bénéficier
de la plus grande autorité juridique par rapport à d’autres est une donnée du
constitutionnalisme. Cela découle du statut de la Constitution à l’intérieur de la
pyramide des normes juridiques en vigueur dans un Etat. Dans des pays qui
appliquent le monisme juridique avec primauté du Droit interne sur le Droit
international, c’est-à-dire avec primauté de la Constitution sur toutes les autres
normes juridiques - en ce compris les traités et accords internationaux -, cela va de
soi. En revanche, dans des pays où ce monisme juridique est plutôt à l’avantage du
Droit international, c’est-à-dire où les traités et accords internationaux ont une
autorité supérieure à la Constitution - encore que cela puisse heurter la doctrine
souverainiste - la question peut être discutée.

En République démocratique du Congo, cette discussion n’a pas lieu d’être. En dépit
de certaines dénégations provenant essentiellement des milieux des spécialistes du
Droit international, la République démocratique du Congo est, en effet, un pays de
tradition moniste avec primauté de la Constitution sur toutes les autres normes
juridiques. Il en est ainsi parce que la suprématie des traités et accords internationaux
proclamée par l’article 215 de la Constitution ne s’applique pas à la Constitution,
mais aux « lois » votées par le Parlement, d’ailleurs sous la triple condition de la
conclusion régulière desdits traités et accords internationaux, de leur publication au
Journal officiel de la République et de leur application par l’autre ou les autres
parties (réciprocité)12. Il en est ainsi surtout parce que, d’après l’article 216 de la
même Constitution, complété par l’article 43 de la loi organique sur la Cour
constitutionnelle, les traités et accords internationaux sont susceptibles de contrôle de
constitutionnalité, tant a priori qu’a postériori, devant le juge constitutionnel13. Une norme
n’est pas supérieure à une autre quand elle peut faire l’objet d’un contrôle de
conformité par rapport à cette dernière.

En République démocratique du Congo, ce débat est donc clos, puisqu’il n’y a


supériorité d’aucune règle de Droit international sur la Constitution, pas moins les
traités et accords internationaux que les autres sources supplétives comme la
coutume internationale et les principes non écrits du Droit international. D’ailleurs,
dans la mesure où, une fois ratifiés ou approuvés, les traités et accords
internationaux s’insèrent dans l’ordonnancement juridique national, comment peut-
12
Art. 215 de la Constitution : « Les traités et accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur
publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application
par l’autre partie », Loc. cit., p. 72.
13
Art. 216 de la Constitution : « Si la Cour constitutionnelle consultée par le Président de la République, par le
Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat, par un dixième des députés ou
un dixième des sénateurs, déclare qu’un traité ou accord international comporte une clause contraire à la
Constitution, la ratification ou l’approbation ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution », in
J.O.RDC., n° spécial, 5 février 2011, p. 72 (Italiques ajoutées); Art. 43 de la loi organique : « La Cour
(constitutionnelle) connaît de la constitutionnalité des traités et accords internationaux, des Lois, des actes ayant
force de loi, des édits, des Règlements intérieurs des Chambres parlementaires, du Congrès et des Institutions
d’Appui à la Démocratie ainsi que des actes réglementaires des autorités administratives », cfr. loi organique n°
13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, in J.O.RDC., n°
spécial, 18 octobre 2013, p. 10 (Italiques également ajoutées).
7
8

on, un seul instant, imaginer que, devenus en quelque sorte des « lois nationales », ils
puissent se placer au-dessus de la Constitution ?

Comme l’affirme Elizabeth ZOLLER, « …une constitution normative s’oppose à ce


qu’une norme étrangère ou internationale, introduite dans l’ordre interne, puisse
l’emporter sur elle. Elle est ‘suprême’ dans son domaine, celui de l’ordre interne,
comme le roi de France autrefois était ‘empereur en son royaume’. A ce titre, elle
peut reconnaître à des normes externes une certaine place dans l’ordre interne. Elle
peut, selon le vocabulaire consacré, les ‘intégrer’ dans l’ordre interne en leur
assignant un certain rang dans la hiérarchie des normes. Mais, en tout état de cause,
la constitution ne peut rester loi suprême que si c’est elle, et toujours elle, qui
détermine la position hiérarchique de la norme externe dans l’ordre juridique
interne »14.

De cette autorité suprême de la Constitution découle la considération selon laquelle


les droits et libertés qu’elle affirme ont nécessairement une autorité supérieure à ceux
affirmés dans d’autres instruments juridiques, qu’ils soient nationaux ou
internationaux. En sorte que, en cas d’opposition ou de divergence d’interprétation
entre un droit ou une liberté affirmé(e)e dans la Constitution et celui ou celle
affirmé(e) dans un autre instrument juridique, le point de vue de la Constitution
l’emporte - et doit l’emporter - à l’intérieur du système juridique national. Par
exemple, si le droit à la vie affirmé dans la Constitution a une portée plus large que
celui affirmé dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (allant de
la protection du fœtus jusqu’à l’interdiction de l’euthanasie ou du suicide), c’est le
point de vue de la Constitution qui l’emporte ; non pas seulement parce que cette
portée est plus large, mais surtout parce que la Constitution est, en Droit positif
congolais, supérieur au Pacte.

Ainsi se renforce l’autorité des droits constitutionnels sur toutes les autres catégories
des droits de l’homme, qu’ils soient d’origine nationale ou d’origine internationale.
Ainsi se justifie la référence primordiale que les individus doivent faire aux droits
constitutionnels, lorsqu’ils sont en présence de deux normes de statut et de rang
différents.

b) Les droits constitutionnels bénéficient de la plus grande stabilité

Quant au caractère de stabilité, il apporte aux droits constitutionnels cette


considération qu’ils ne peuvent subir de modification, voire même de limitation que si
et dans la mesure où le Constituant lui-même, auteur de la norme suprême et
fondamentale, le permet. En effet, à cause ou grâce à la rigidité de la procédure de
révision de la Constitution, les droits et libertés y consacrés bénéficient, non
seulement de la plus grande protection, mais aussi d’une plus longue durée de vie.
Il en est ainsi surtout dans des pays où la révision constitutionnelle n’est que très
difficilement soumise aux caprices de la majorité au pouvoir (complication de
l’initiative de révision, renforcement des majorités requises pour le vote de la

14
ZOLLER (E.), Droit constitutionnel, 2ème éd., Paris, P.U.F., 1999, p. 32.
8
9

révision, nécessité de passer par le référendum pour la ratification de la révision…).


C’est le cas précisément de la République démocratique du Congo, où le caractère
rigide de la Constitution du 18 février 2006 se manifeste presque dans toutes les
phases de l’opération.

D’abord au niveau de l’initiative : pour que celle-ci soit recevable, elle doit provenir
soit du Président de la République, soit du Gouvernement « après délibération en
Conseil des ministres », soit de la « moitié » des députés nationaux ou des sénateurs,
soit encore de « 100.000 personnes » faisant partie de ce qu’on appelle le « peuple
congolais ». Ensuite au niveau de l’examen du bien-fondé : avant le vote proprement
dit, toute initiative visée ci-haut doit subir un examen préalable des motifs de la
révision constitutionnelle devant chacune des Chambres du Parlement se prononçant
séparément, avec cette conséquence qu’en cas de vote négatif dans l’une des
Chambres, l’initiative s’arrête15. Enfin au niveau de l’adoption de la loi de révision :
cette adoption « n’est définitive que si le projet, la proposition ou la pétition (de
révision constitutionnelle) est approuvée par référendum sur convocation du
Président de la République » ou, à défaut, par « l’Assemblée nationale et le Sénat
réunis en Congrès…à la majorité des trois cinquième des membres les composant »
16.

La Constitution du 18 février 2006 est allée même plus loin en déclarant intangibles,
c’est-à-dire éternelles, certaines de ses dispositions dont celles contenant les droits
fondamentaux. En effet, aux termes de l’alinéa 2 de son article 220, « Est
formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet
de réduire les droits et libertés de la personne… ». C’est l’ « effet standstill » des droits
reconnus dans la Constitution (Cfr. infra). Il en découle que les droits et libertés
contenus dans le titre II de la Constitution, ou même dans d’autres articles de la Constitution,
sont irrévisables car immunisés contre toute tentative de suppression ou de réduction de la
part de quelque autorité que ce soit.

Il git de ce double caractère – autorité et stabilité - que les droits constitutionnels


bénéficient d’un statut particulier au sein des différentes catégories des droits de
l’homme. Formellement supérieurs aux autres, ils peuvent même recevoir un autre
contenu, une autre signification que celle véhiculée dans d’autres instruments
juridiques. D’où l’intérêt de leur étude dans le cadre d’une discipline particulière qui,
comme eux, bénéficie tant de la plus grande autorité que de la plus grande stabilité.

En somme, le Droit constitutionnel des droits de l’homme est une partie du Droit
constitutionnel général qui peut être considérée comme le pendant du Droit
constitutionnel institutionnel (ou droit constitutionnel politique). Il est chargé de
l’étude particulière des droits et libertés bénéficiant du statut constitutionnel (droits
fondamentaux) ainsi que des mécanismes plus contraignants de leurs promotion et
protection (Cour constitutionnelle, Cour de cassation, Conseil d’Etat, autres Cours et
tribunaux…).

15
Cfr. art. 218, al. 2, de la Constitution, complété par l’article…du Règlement intérieur du Congrès, in…
16
Cfr. art. 218 de la Constitution, Op. cit., pp. 72-73.
9
10

Son étude tombe donc à point nommé au sein des facultés universitaires,
particulièrement au sein de la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, faculté
qui a souvent tendance à oublier que, historiquement, les droits de l’homme ont
toujours été de statut constitutionnel17, et ce, même dans notre pays18. Si aujourd’hui
le Droit international semble s’être accaparé la question, ce n’est qu’un simple
concours de circonstances, la question des droits de l’homme étant devenue, depuis
les grandes horreurs du siècle passé, également un sujet des relations internationales.

Plan de l’ouvrage :

Chap.I : Théorie générale des droits constitutionnels


Chap.II : Les catégories des droits constitutionnellement garantis
Chap.III : Les garanties de protection des droits constitutionnels

17
Il suffit de songer par exemple, dans l’histoire de l’Angleterre, à la Carta Magna de 1215, à la Pétition du
droit de 1628, à l’Habeas Corpus de 1679 ou au Bill of Rights de 1689 ; dans l’histoire des USA à la Déclaration
américaine de 1787 ou, dans celle de la France, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
laquelle fait désormais partie du « bloc de constitutionnalité », pour s’en convaincre.
18
Cfr. Loi fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques, in Moniteur belge du 24 juin 1960, pp.
390-394.
10
11

Chapitre premier :

THEORIE GENERALE DES DROITS CONSTITUTIONNELS


La théorie générale des droits constitutionnels renvoie à une série de principes, de
questions transversales en matière du Droit constitutionnel des droits de l’homme,
qui forment une unité de connaissances propre à produire une culture générale des
droits de l’homme et dont l’existence permet l’attestation ou la réaffirmation de
l’autonomie de la discipline. Ces questions, parce qu’elles ne peuvent recevoir de
réponses satisfaisantes et complètes dans le cadre d’une discipline particulière du
Droit, occupent ici une place particulière pour fonder l’étude proprement dite du
contenu des droits fondamentaux.

On se pose par exemple la question de savoir ce que signifie le concept « droits


constitutionnels » et comment établir sa différence avec les autres notions qui lui sont
voisines. Ces deux questions, qui dépassent le seul souci de la taxinomie, renvoient à
une série de principes et de caractères qui commandent la compréhension même de
la notion de droits constitutionnels (Section 1). De même, on peut se poser la
question de la nature des droits constitutionnels, au double point de vue de leurs
caractères et de différentes possibilités de classification auxquelles ils peuvent
donner lieu. Ce deuxième ordre de préoccupations n’est pas des moindres dans la
théorie générale des droits constitutionnels (Section 2). Enfin, qui peut revendiquer le
respect des droits constitutionnels et auprès de qui ? Se trouve ainsi posé, en fin de
compte, le problème des titulaires et des débiteurs des droits constitutionnels
(Section 3).

Section 1 : La notion de droits constitutionnels

On se proposera d’abord de tenter d’en donner une définition (§1) avant sa


distinction d’avec certaines notions voisines (§2).

§1. Définition des droits constitutionnels

Les droits constitutionnels peuvent être définis comme des facultés reconnues à une
personne humaine par la loi fondamentale et suprême d’un Etat et qui, en raison du
statut spécial que détient la Constitution dans le système normatif de cet Etat,
bénéficient d’une plus grande autorité et d’une plus grande stabilité par rapport à
d’autres droits contenus dans d’autres instruments juridiques. Ce sont, en d’autres
termes, des droits constitutionnellement garantis, c’est-à-dire reconnus et protégés
comme tels dans le texte constitutionnel ou en vertu de celui-ci.

Tant que ces droits ne sont pas établis dans la Constitution ou en vertu d’elle, ils ne
bénéficient pas encore du statut constitutionnel. Ce sont peut-être des droits
conventionnellement ou légalement établis, mais on sait que toutes ces normes
juridiques n’ont pas nécessairement la même autorité. Bien plus, dans le système

11
12

normatif congolais, elles se rangent toutes derrière, c’est-à-dire en-dessous de la


Constitution19.
L’opposition tend d’ailleurs à s’estomper car, dans un contexte où la République
réaffirme ouvertement son « …attachement aux droits humains et libertés
fondamentales tels que proclamés par les instruments juridiques internationaux
auxquels elle a adhéré », la technique de réception utilisée est celle d’avoir « intégré
ces droits et libertés dans le corps même de la Constitution »20. Aussi n’allons-nous
pas davantage insisté sur les droits inscrits dans lesdits instruments internationaux.

Les droits constitutionnels jouissent donc d’un statut spécial par rapport à d’autres
droits parce que, du fait de la place éminente que détient la Constitution dans le
système normatif national, ils en épousent tant la suprématie que la stabilité. Ils
correspondent, en quelque sorte, au concept de « droits et libertés fondamentaux »
généralement utilisé dans le langage constitutionnel et ne peuvent, de ce point de
vue, être mieux identifiés que par l’adjectif « constitutionnels » qu’ils empruntent au
mot Constitution.

Quant au caractère « fondamental » de ces droits, il ne résulte pas de l’importance


plus ou moins grande accordée aux droits et libertés affirmés dans la Constitution ou
aux valeurs véhiculées par eux. Formellement, il n’existe en principe aucune
hiérarchie entre les différents droits affirmés dans la Constitution. Il n’y a pas par
exemple d’hiérarchie entre « droit à la vie » affirmé dans l’article 16 de la
Constitution du 18 février 2006 et la « liberté de pensée, de conscience et de religion »
figurant à l’article 22 de la même Constitution. Tous bénéficiant du même statut, ils
sont, d’un point de vue formel, de même rang juridique, même si tout le monde peut
comprendre l’importance de la vie par rapport à toute forme de liberté.

Ce qui donne auxdits droits leur caractère « fondamental » c’est simplement le statut
constitutionnel dont ils bénéficient et qui fait que, en cas de conflit ou d’opposition,
les autres droits cèdent le pas à ceux affirmés dans la Constitution. En d’autres
termes, en cas de divergence d’interprétation des droits constitutionnels et des autres
droits, c’est l’interprétation de ceux-là, soutenus par l’autorité souveraine des
décisions du juge constitutionnel, qui prévaut. C’est, en tout cas, le point de vue
défendu dans cet ouvrage

A titre d’exemple, si le droit à la vie affirmé dans l’article 16 de la Constitution


postule une interprétation qui interdit autant l’avortement que l’euthanasie – ce qui
est une manière plus extensive de considérer ledit droit – aucune autre interprétation
dudit droit - tendant par exemple à limiter la protection de la vie à une tranche de

19
On touche là à l’un des sujets polémiques en Droit qui oppose souvent partisans et adversaires de la théorie du
monisme juridique. Alors que, pour certains, le monisme juridique en RDC est affirmé au profit du Droit
international, propulsant ainsi les normes de cet ordre juridique au-dessus de la Constitution (thèses des
internationalistes), pour d’autres en revanche, ce monisme est au profit du Droit interne puisque, à l’intérieur
d’un système juridique national, aucune norme juridique – fut-elle d’origine internationale - n’est et ne peut être
supérieure à la Constitution (thèse des internistes à laquelle nous nous rallions).
20
Constitution de la République démocratique du Congo, Exposé des motifs, in J.O.RDC., n° spécial, 18 février
2006, p. 80.
12
13

son cycle - ne peut avoir droit de cité. En Droit constitutionnel des droits de
l’homme, c’est le point de vue de la Constitution qui l’emporte. Voilà pourquoi, par
rapport à d’autres droits, ils sont qualifiés de « droits constitutionnels ».

§2. Distinction entre droits constitutionnels et autres notions voisines

Les droits constitutionnels doivent d’abord être rapprochés des droits fondamentaux,
notion qui leur est presque jumelle (A). Ensuite, ils doivent être distingués des
notions déjà évoquées de libertés publiques (B) et de droits de l’homme (C) puisque,
dès à présent, il convient de dissiper toute zone d’ombre à propos des rapports
existant entre ces différentes catégories.

A. Droits constitutionnels et droits fondamentaux

A vrai dire, il n’y a pas de différence entre les deux expressions. Ce que l’on appelle
« droits fondamentaux », ce sont, en fait, les droits qui bénéficient d’une protection
constitutionnelle à l’intérieur d’un système juridique. « …L’expression désigne, ainsi
que le notait déjà en 1981 le maître de l’Ecole d’Aix-Marseille, les droits et libertés
constitutionnellement protégés »21. Et quoiqu’il y a ajouté plus tard également la
protection « européenne » et/ou « internationale » pour caractériser les mêmes
droits22, le concept ne s’applique pas moins aux droits et libertés affirmés dans la
Constitution, particulièrement dans des pays où la hiérarchie des normes juridiques
au profit de la Constitution ne souffre pas trop de cette concurrence internationale ou
régionale.

Les deux expressions peuvent donc être utilisées de manière interchangeable, même
si nous avons préféré, dans l’intitule de l’ouvrage, l’expression « droits
constitutionnels ». La préférence se justifie uniquement par le souci de souligner
l’importance du document (la Constitution) qui constitue le support desdits droits
fondamentaux ; sinon, dans le langage juridique moderne, ainsi que nous l’enseigne
d’ailleurs la même « Ecole d’Aix-Marseille », « droits fondamentaux » et « droits
constitutionnels » sont des termes presque identiques23.

B. Droit constitutionnels et libertés publiques

Ce qui distingue avant tout les droits constitutionnels des libertés publiques c’est
leur « indisponibilité » (L. FAVOREU), c’est-à-dire le caractère qui fait que ces droits
soient considérés comme hors d’atteinte des pouvoirs publics constitués (législatif,
exécutif et judiciaire). Ceux-ci ne peuvent, en effet, supprimer ou porter atteinte à ces

21
FAVOREU (L.), « Rapport général introductif », in « Cours constitutionnelles européennes et droits
fondamentaux », Colloque international organisé par le Groupe d’étude et de rechercher sur la justice
constitutionnelle, Revue internationale de droit comparé, n° 2, avril-juin 1981, pp.255.
22
Cfr. FAVOREU (L.),GAÏA (P.), GHEVONTIAN (R.), MESTRE (J.-L.), ROUX (A.), PFERSMAN (O.) et
SCOFFONI (G.), Droit constitutionnel, Paris, Dalloz., 1998 p. 780.
23
Idem, p. 785.
13
14

droits qu’au prix d’une inconstitutionnalité ; ce qui, dans ce cas, expose leur œuvre à
la sanction du juge constitutionnel. Il en est ainsi parce que, comme nous l’avons dit
plus haut, les droits constitutionnels sont des droits affirmés dans la loi fondamentale
et suprême d’un Etat. Par voie de conséquence, ceux qui ne le sont pas, comme les
libertés publiques, sont constamment soumis aux menaces desdits pouvoirs publics
constitués.

De ce caractère découle une série de différences entre les deux notions au moins à
plusieurs niveaux.

Tout d’abord, les libertés publiques s’appuient généralement sur les textes juridiques
inférieurs à la Constitution (lois, règlements, principes généraux du droit…) alors
que les droits constitutionnels, comme on vient de le voir, tirent leur source
directement de la Constitution. Il s’ensuit qu’entre les deux expressions, la première
différence est d’ordre formel ; c’est une différence d’instrumentum.

Ensuite, les libertés publiques, du moins dans la tradition française, étaient


essentiellement protégées contre le Pouvoir exécutif alors que les droits
constitutionnels, à mesure qu’ils ont été protégés par le juge constitutionnel, l’ont été
et sont encore protégés aussi bien contre le Pouvoir exécutif que contre le Pouvoir
législatif, voire même contre le Pouvoir judiciaire. Il s’ensuit que, de par leur statut,
les droits constitutionnels s’imposent à tous les Pouvoirs publics constitutionnels ; ce
qui n’est pas souvent le cas pour les libertés publiques, lesquelles relèvent
essentiellement du Pouvoir législatif24. Il en résulte, par voie de conséquence, que les
libertés publiques ne sont, en principe, protégées que par le juge administratif et par
le judiciaire (en raison du fait qu’ils appliquent la loi et les principes généraux du
droit) alors que les droits constitutionnels, eux, requièrent, pour leur protection,
l’intervention non seulement de ces juges, mais surtout du juge constitutionnel, seul
« gardien de la Constitution ».

Enfin, dernier élément de différence, les libertés publiques ne sont souvent garanties
que dans les rapports verticaux entre la puissance publique et les individus
(conséquence de leur statut légal) alors que les normes supra-législatives protégeant
les droits constitutionnels (effet de leur statut constitutionnel) peuvent également
produire des effets aussi bien dans les relations verticales entre l’Etat et les individus
que dans les relations horizontales entre les individus eux-mêmes. Cela veut dire que
la force juridique des libertés publiques est beaucoup moins étendue et moins
prégnante sur la vie des gens que celle des droits constitutionnels, oeuvre du Pouvoir
constituant. D’où leur caractère suprême et fondamental.

24
C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les termes de l’article 122, point 1, de la Constitution : « La loi fixe
les règles concernant…les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice
des libertés publiques », Constitution, Op. cit., p. 39. Seuls les droits créés en vertu de cet article relèvent du
Pouvoir législatif ; ceux déjà affirmés au Titre II de la Constitution échappent à l’autorité de ce dernier, sauf
délégation expresse du pouvoir par le Constituant lui-même (Cfr. infra).
14
15

C. Droits constitutionnels et droits de l’homme


Le débat ici est semblable à celui qui a opposé, en France, les partisans de
l’expression « libertés publiques » et ceux de l’appellation « droits de l’homme » (cfr.
supra). Et, en fait, ce débat n’a pas complètement perdu de ses adeptes dans ce pays25.

Fondé sur des considérations d’ordre philosophique (école de droit positif versus
école de droit naturel), ce débat n’a pas lieu d’être ici et maintenant car nous
considérons que tous les droits de l’homme, dès l’instant où ils bénéficient d’une
reconnaissance et d’une protection constitutionnelles – ce qui est l’œuvre du Pouvoir
constituant originaire, lequel par définition est « initial, inconditionné et
insubordonné » - acquièrent par ce fait même un statut constitutionnel qui n’a plus
besoin d’être comparé à quelque temple philosophique ou à quelque hémicycle
législatif. Les droits inscrits dans la Constitution ont, à eux seuls, un temple – la
Constitution – et un statut – droits constitutionnels – et c’est la raison pour laquelle
ils ne peuvent être étudiés que dans le cadre d’une discipline spéciale appelée « Droit
constitutionnel des droits de l’homme ». Cette appellation suffit, à elle seule, à taire
la divergence.

En d’autres termes, l’expression « droits de l’homme » peut se trouver incluse dans


celle de « droits constitutionnels » dès l’instant où ces droits figurent dans la
Constitution. Il y a donc entre « droits de l’homme » et « droits constitutionnels » une
simple différence de degré, de statut, dès l’instant où apparaissent d’autres droits de
l’homme non affirmés dans la Constitution. Mieux, entre les deux il y a presqu’un
rapport d’inclusion, droits de l’homme étant inclus dans droits constitutionnels.

Section 2 : La nature des droits constitutionnels

Pour mieux comprendre la nature de ces droits, il faut chercher à connaître leurs
caractères juridiques propres (§1). Par la suite, on s’efforcera d’en proposer quelques
classifications possibles, dans la foulée de celles qui sont généralement utilisées pour
mieux les particulariser (§2).

§1. Caractères des droits constitutionnels

Par rapport à d’autres droits, les droits constitutionnels sont revêtus de quelques
caractères. Tout d’abord, comme la plupart des droits, ils sont des droits subjectifs
(A). Ensuite, contrairement à une certaine opinion erronée, les droits constitutionnels
ne sont pas dépourvus de sanction juridique ; ils sont, comme tous les autres, des
droits justiciables (B). Enfin, en dépit de leur autorité et de leur respectabilité plus

25
A preuve, cet ouvrage de Dominique TURPIN, Libertés publiques & droits fondamentaux, Paris, Seuil, 2004,
où il continue à être affirmé que « …les notions de ‘droits de l’homme’ et de ‘libertés publiques’ ne se
recouvrent pas totalement. La premières est plus ancienne, plus large, plus ambitieuse, mais moins précise, car
plus philosophique ou politique…La seconde est plus récente, plus modeste, mais aussi plus juridique, donc plus
précise… » (p. 7).
15
16

grande, les droits constitutionnels ne sont pas tous absolus ; certains d’entre eux sont
limitables (C).

A. Droits constitutionnels, droits subjectifs


Dire des droits constitutionnels qu’ils sont des droits subjectifs, cela revient à dire que,
comme tous les autres droits et à l’exception peut-être de certains d’entre eux qui
relèvent exclusivement de la puissance publique (cfr. infra), ce sont des droits
destinés à protéger des intérêts individuels (intérêts privés). Pour mieux les définir,
on dirait que ce sont des prérogatives particulières reconnues à des personnes
humaines sur des choses ou sur d’autres personnes humaines. Et en tant que
prérogatives humaines, ces droits sont susceptibles de sanction juridique en cas de
leur violation (pour ce dernier aspect, cfr. infra).

Longtemps, du fait de la priorité accordée à l’Etat, l’on a considéré que le Droit


constitutionnel étant essentiellement un Droit objectif, il ne pouvait définir que des
prérogatives de la puissance publique. Ceci correspond parfaitement à la conception que
nous avons décrite plus haut du Droit constitutionnel institutionnel ou politique,
conception qui, fort heureusement, tend de plus en plus à se discréditer. Dans cette
conception en effet, l’individu étant tout entier englouti dans l’Etat, les droits
auxquels il peut prétendre ne peuvent s’exercer que dans le cadre, voire même dans
l’intérêt de cet Etat (intérêt général). Ces quelques droits ne peuvent, du reste, être
invoquées ou appliquées que dans la mesure où elles sont, au préalable, mises en
œuvre par une disposition légale ; la Constitution étant considérée comme un texte
définissant les « grands principes » et dont le caractère normatif est, sinon nié, à tout
le moins sérieusement relativisé.

On peut, à titre d’exemple, citer le cas de la plupart des droits électoraux – qu’il
s’agisse du droit à l’électorat ou du droit à l’éligibilité - droits généralement rattachés
à la souveraineté de l’Etat. Dans un Etat qui promeut la souveraineté nationale, l’on
considère que l’élection étant une fonction exercée au nom d’une prétendue nation
indivise, elle n’est pas et ne peut pas être un droit subjectif des citoyens. Par voie de
conséquence, le contentieux auquel elle peut donner lieu étant un contentieux de
type objectif, il ne peut y avoir place pour diverses techniques d’investigation
électorale, ni pour le respect primordial des droits de la défense (Cfr. à ce sujet
l’abondante jurisprudence de la Cour suprême de Justice depuis 2006). La société
organise le procès électoral dans le seul intérêt de la légalité et non des droits
subjectifs des candidats qui, en l’occurrence, n’existent pas.

Cette conception est non seulement partielle, mais aussi surannée. Elle est partielle
parce que, s’adossant à la seule doctrine de la souveraineté nationale, elle ne voit
l’élection que comme une simple « fonction » exercée par le citoyen au nom d’une
hypothétique nation indivise. Or, dans le cadre de la souveraineté populaire, où
l’élection est un véritable droit subjectif du citoyen, l’on ne voit pas très bien où
pareilles conclusions peuvent trouver fondement. Il s’ensuit que, dans la plupart des
Etats démocratiques, où le citoyen est le véritable titulaire de la souveraineté, cette
conception est dépassée. Le droit à l’électorat, tout comme le droit à l’éligibilité, n’est

16
17

plus seulement un « droit objectif », il est avant tout un droit subjectif appartenant à
chaque citoyen. C’est l’exemple le plus topique pour démontrer le caractère suranné
de la conception ancienne des droits constitutionnels.

Au surplus, on peut citer l’exemple d’autres droits inscrits dans la Constitution dont
le caractère subjectif ne peut même pas faire l’objet de polémique. C’est le cas par
exemple du droit à la vie affirmé à l’article 16 de la Constitution congolaise du 18
février 2006. C’est aussi le cas des droits à l’égalité et à la non discrimination affirmés
aux articles 11, 12, 13 et 14 de la même Constitution. C’est encore le cas du droit à la
liberté de l’article 17, du droit à l’information de l’article 24, du droit à l’inviolabilité
du domicile de l’article 29, du droit à la propriété privée de l’article 34… Vient-il à
l’esprit d’un seul juriste que ces droits ne sont pas des prérogatives individuelles des
membres d’une communauté politique ? Inscrits dans la Constitution, ne le sont-ils
pas dans l’intérêt privé des individus ?

A poursuivre l’énumération, il apparaît que la grande majorité des droits affirmés dans la
Constitution sont des droits subjectifs. Il en est ainsi parce que, à côté du « compte
gouvernants », la Constitution contient aussi un « compte gouvernés »26. C’est en vue
de la protection des intérêts de l’Etat et de ceux de l’individu que les Constitutions
modernes existent. Si donc les intérêts individuels dans la Constitution ne peuvent
être protégés, s’ils doivent être sacrifiés sous l’autel de l’intérêt général, à quoi bon le
discours sur le constitutionnalisme et sur l’humanisme. A quoi bon la proclamation
solennelle de la foi en l’individu ? Les droits constitutionnels sont donc des droits
subjectifs au même titre que d’autres.

B. Droits constitutionnels, droits justiciables

La conséquence de la reconnaissance du caractère subjectif des droits


constitutionnels est que ceux-ci sont justiciables. Cela signifie qu’en cas de violation
ou de non respect, ils sont invocables devant le juge, qu’il s’agisse du juge
administratif, du juge judiciaire, du juge constitutionnel ou de tout autre juge.

La justiciabilité des droits constitutionnels n’est plus, à ce jour, contestée depuis


l’apparition et surtout l’action courageuse de bon nombre de juridictions
constitutionnelles à travers le monde. Cette justiciabilité renvoie à l’idée moderne
selon laquelle tout droit, toute liberté, dans la mesure il(elle) est porté(e) par un texte
juridique, peut, en cas de violation ou de non respect, être renvoyé(e) à la
connaissance d’un juge, lequel dispose d’un pouvoir de sanction à l’encontre des
personnes ou des actes impliqués dans cette violation ou dans ce non respect. C’est
en somme le caractère de ce qui peut être renvoyé en justice afin de recevoir une
décision revêtue de l’autorité de la chose jugée relevant du pouvoir d’un juge institué
à cet effet.
A l’heure actuelle, il est devenu presque banal de dire que la plupart des juridictions
constitutionnelles modernes existent avant tout pour la protection des droits
26
BURDEAU (G.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, L.G.D.J., 1969.
17
18

fondamentaux des citoyens. Une loi votée par le Parlement viole-t-elle une liberté
constitutionnellement garantie ? Le juge constitutionnel se chargera de son
annulation. Même le juge judiciaire suprême s’emploie à casser certaines décisions de
justice inférieures sur le simple motif qu’elles ont violé un droit
constitutionnellement garanti (p. ex. le droit à la publicité des débats). Une décision
de justice a-t-elle omis de convoquer l’une des parties au procès ou a-t-elle été
prononcée sur aucune base juridique ? La voilà qui est susceptible d’être cassée par
une juridiction supérieure au motif du non respect du droit à la défense ou de
l’obligation constitutionnelle de motivation des jugements.

Tous les droits constitutionnellement garantis sont donc susceptibles de fonder toute
décision de justice, en particulier celle de la juridiction constitutionnelle. Il
n’appartient donc qu’aux seuls justiciables, non seulement de découvrir ce caractère
fondamental des droits constitutionnels, mais surtout de mettre en mouvement tous
les mécanismes de recours qui leur sont ouverts afin de rendre la justiciabilité des
droits constitutionnels une réalité tangible.

C. Droits constitutionnels, droits limitables


En principe, tous les droits affirmés dans la Constitution sont de respect absolu, en ce
sens qu’ils ne peuvent tolérer de violation de la part de qui que ce soit et ne sont
donc, en tant que tels, susceptibles ni de restriction ni de dérogation. Toutefois,
certains d’entre eux peuvent, au moins dans leur exercice, faire l’objet de certaines
restrictions ou dérogations, dans les conditions définies par la Constitution elle-même
(Cfr. infra). C’est cela qui fait que certains droits affirmés dans la Constitution soient
de caractère relatif.

C’est en effet un principe général de droit constitutionnel en RDC, en vigueur depuis


la Loi fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques, que certains
droits inscrits dans la Constitution puissent, à certaines conditions, être limitées,
c’est-à-dire puissent être susceptibles de restriction ou de dérogation27. Ce fut le cas par
exemple du droit au respect de l’inviolabilité du domicile, du droit au respect de la
correspondance - « en ce compris ses communications télégraphiques et
téléphoniques » - du droit de se marier et de fonder une famille, du droit à la liberté
de pensée, de conscience et de religion, du droit de propriété ainsi que du droit
d’exprimer et de diffuser librement ses opinions notamment par la parole, la plume
et l’image28.

27
Une restriction est une limitation qui, portant sur l’exercice d’un droit fondamental, a pour effet ou pour objet
de réduire la portée pratique de celui-ci sans porter atteinte à sa substance, à son objet, à son principe ou à son
existence. En revanche, une dérogation est une limitation qui, portant aussi bien sur l’exercice que sur la
jouissance d’un droit fondamental, a ceci de conséquent qu’elle porte nécessairement atteinte à sa substance, à
son objet, à son principe ou à son existence même. En d’autres termes, si une restriction est une modalité
d’exercice d’un droit fondamental, une dérogation en est nécessairement une violation autorisée.
28
Loi fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques, art. 9, 10, 11, 12, 14 et 15, Op. cit., pp. 392-
393
18
19

La plupart des restrictions autorisées à l’époque devaient cependant être « prévues


par la loi ou les édits » et constituer « des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique,
à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la
morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui » (Cfr. les articles cités
en note). Des dérogations étaient même prévues pour certains de ces droits « en cas de
guerre ou de troubles graves menaçant la sûreté intérieure de l’Etat… » (art. 18).

Selon le Rapport fait à cette époque au Sénat belge le 11 mai 1960, au nom des
Commissions réunies de la Justice et du Congo, par Mme CISELET, ces restrictions et
dérogations pouvaient être admises « … uniquement dans les cas et dans les conditions
prévus par la présente loi elle-même »29. Ces réserves d’interprétation sont, aujourd’hui,
reprises par la Constitution du 18 février 2006, particulièrement dans ses dispositions
qui affirment des droits de caractère relatif.

Il en découle que l’exception d’apporter des limitations aux droits fondamentaux


doit, en règle générale, être prévue par la Constitution elle-même ; qu’elle est, elle-
même, de recours exceptionnel et qu’elle ne peut, par voie de conséquence,
s’interpréter que restrictivement.

§2. Différentes classifications possibles des droits constitutionnels

En dépit de leurs caractères propres, les droits constitutionnels, comme tous les
autres droits, sont aussi susceptibles de classifications. Il en est ainsi par exemple des
classifications fondées sur la nature de ces droits, qui sont communes à tous les
droits (A), ou des classifications opérées par le Constituant lui-même, qui témoignent
de la souveraineté de celui-ci et de la spécificité des droits constitutionnels.

A. Les classifications fondées sur la nature des droits constitutionnels

On a pris l’habitude, en théorie, de classifier les droits de l’homme, et par conséquent


aussi les droits constitutionnels, selon leur nature ou, plus exactement, selon les
bénéfices qu’ils sont susceptibles de procurer à leur titulaire. On distingue ainsi
fondamentalement trois types de droits : les droits-liberté (A), les droits-créance (B)
et les droits-participation (C).

1. Les droits-liberté

Chers à la doctrine occidentale, les droits-liberté sont ceux qui procurent à leur titulaire le
pouvoir d’agir ou de ne pas agir, le pouvoir de prester ou de s’abstenir, et à leur débiteur un
simple pouvoir d’abstention. Ils dérivent de la conception même de la liberté qui, selon
les mots de Littré, est la « condition de l’homme qui n’appartient à aucun maître ».

29
Projet de Loi fondamentale relative aux libertés publiques, Rapport fait au nom des Commissions réunies de la
Justice et du Congo belge et du Ruanda-Urundi par Mme CISELET, Sénat de Belgique, Doc. parl., Session de
1959-1960, Réunion du 11 mai 1960, p. 313. Italiques ajoutées.
19
20

C’est en somme le groupe de droits qui confère à leur titulaire un pouvoir


d’autodétermination personnelle en vertu duquel l’homme choisit lui-même, et ce sans
contrainte extérieure, le type de comportement personnel qu’il veut ou le bénéfice du
comportement personnel qu’il espère.

Selon une sous-classification chère à Jean RIVERO, les droits-liberté se déclinent eux-
mêmes en quatre sous-catégories : la sûreté ou liberté individuelle (droit de base qui
postule notamment le respect de la liberté physique et l’interdiction de toute forme
arbitraire de répression), les libertés de la personne physique (qui comprennent entre
autres la libre disposition de sa personne, la liberté de circulation, le droit à la vie
privée, le droit au domicile...), les libertés de la personne intellectuelle et morale, encore
appelées « libertés de l’esprit » ou « libertés de la pensée » (liberté d’opinion, liberté
de conscience, liberté de culte, liberté de l’expression de la pensée sous toutes ses
formes…) ainsi que les libertés sociales et économiques (droit de propriété, liberté du
travail, liberté du commerce et de l’industrie, liberté de grève, liberté syndicale…)30.

Quoique susceptible de critique, on retrouve cette classification également en Droit


constitutionnel, ne serait-ce que parce que l’ensemble de ces droits figurent
également dans les Constitutions modernes (cfr. infra). S’ils bénéficient d’un tel degré
de protection, c’est que le Constituant veut préserver la valeur cardinale à la quelle
ils se réfèrent – la liberté – de toute forme d’atteinte ou de mépris qui supprimerait,
du coup, l’un des attributs naturels de la personne humaine, à savoir : le libre arbitre
ou la libre disposition de sa personne, de ses facultés.

2. Les droits-créance

Au contraire des « droits-liberté », les droits-créance ne confèrent pas à leur titulaire


le même type de pouvoir. Chers à la doctrine tiers-mondiste des droits de l’homme,
ce sont des droits qui confèrent à leur titulaire une sorte de droit de créance sur d’autres,
c’est-à-dire le droit d’exiger d’autrui une certaine prestation, le plus souvent positive. En
général, il s’agit de ce groupe de droits qui sont suivis, au niveau de leur
formulation, par la préposition « à », une manière d’indiquer que ce ne sont pas les
titulaires eux-mêmes qui s’obligent à les respecter, mais d’autres personnes, qu’on
qualifierait de débiteurs, qui sont précisément chargées de les leur garantir.

On parle ainsi par exemple du droit à un logement décent, du droit à un


environnement sain, du droit au travail, à la santé, à l’éducation, etc. Dans cette
conception, le logement décent, l’environnement sain, le travail, la santé et
l’éducation deviennent autant des créances de leurs titulaires que des dettes de leurs
débiteurs. Si les premiers sont fondés à en réclamer la prestation, les seconds seraient
investis d’une sorte d’obligation positive de les garantir, mieux de les procurer.

Il en résulte, par voie de conséquence, un sérieux problème de tension entre le droit


légitime à la prestation souhaitée et l’obligation tout autant douteuse, de la part du
débiteur, de la fournir à autrui sans justification objective ou convaincante (cfr. infra).

30
RIVERO (J.), Op. cit., p. 23-26.
20
21

3. Les droits-participation

Se situant sur un autre plan – celui de l’existence de la vie politique – ce sont des droits
qui requièrent la participation des citoyens à la vie politique de leur Etat, indépendamment
de la question de savoir s’ils doivent être garantis par un tiers ou par le titulaire du
droit lui-même.

Pour l’essentiel, ces droits correspondent à ceux qu’on qualifie aujourd’hui de droits
politiques, qu’il s’agisse du droit de vote, du droit à l’éligibilité ou du droit d’accès
aux fonctions publiques de son pays, etc. Ce sont précisément ces droits qu’on
qualifiait jadis de « droits de la première génération », en raison de l’antériorité de
leur reconnaissance dans la plupart des pays et au niveau international.

La Constitution peut, à juste titre, être considérée comme le lieu privilégié de


reconnaissance et de garantie de ce type de droits. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien
qu’elle se donne le double but de garantir autant les droits de l’Etat que ceux de
l’individu. De principe général, les droits politiques sont exclusivement reconnus aux
nationaux ; les étrangers ne peuvent en être titulaires que par dérogation de la loi permise par
la Constitution et sous certaines conditions. A ce sujet, l’article 11 de la Constitution du
18 février 2006, héritière de ses devancières, confirme le principe général : « …la
jouissance des droits politiques est reconnue aux seuls Congolais, sauf exceptions
établies par la loi »31.

D’où l’intérêt qu’il y a à scruter, dans cette Constitution, la classification qu’elle opère
pour se faire une idée de ce que le Droit constitutionnel congolais apporte, en la
matière, au Droit général des droits de l’homme.

B. La classification utilisée dans la Constitution du 18 février 2006

Elle s’inspire des classifications onusiennes, qu’il s’agisse des droits civils et
politiques (1ère génération), des droits économiques, sociaux et culturels (2ème
génération), des droits collectifs et de solidarité (3ème génération) ainsi que des droits
pouvant être qualifiés de « quatrième génération » (droit à une répartition équitable
des richesses par exemple).

Le Titre II de la Constitution congolaise du 18 février 2006 n’épouse cependant pas, à


la lettre, cette classification. Discutable dans son lien logique et sans aucune valeur
juridique en soi, il s’agit d’une présentation qui considère que les droits
constitutionnels ne sont pas avant tout affaire des classifications (d’où l’absence
desdites classifications dans les Constitutions antérieures). Reconnus aussi bien aux
citoyens qu’à « toute personne » (cfr. infra), ces droits ont, pour l’essentiel, été
regroupés en trois catégories : « droits civils et politiques » (chapitre premier),
« droits économiques, sociaux et culturels » (chapitre deuxième) et « droits
collectifs » (chapitre troisième).
31
Const. 18 fév. 2006, Op. cit., p. 9.
21
22

1. Les droits civils et politiques

La Constitution n’en donne aucune définition et, de la cinquantaine des droits


concernés par cette expression (voir art. 11 à 33), rien ne permet de tirer une
quelconque distinction, pourtant nécessaire, entre « droits civils » et « droits
politiques ».

A notre avis et dans le silence du Constituant, par droits civils on entend des droits
reconnus à « toute personne », c’est-à-dire à tout individu, quelle que soit sa
condition ou son statut juridique à l’intérieur de l’Etat (national, étranger, réfugié,
apatride…). Ces droits seraient reconnus aux individus uniquement en considération
de leur personnalité humaine, même si le terme « civils » (civis en latin) peut
renvoyer à celui de « citoyen ». Il doit s’agir, tout au moins, du terme « citoyen »
détaché de celui de « nationalité ».

En revanche, par droits politiques, l’on vise spécialement ceux qui sont reconnus à
une personne en raison de son lien juridique avec la nation (lien de nationalité), lui
permettant, en tant que tel, de participer, d’une manière ou d’une autre, à la vie
politique de son pays, et par voie de conséquence, à l’expression de sa souveraineté.

A l’intérieur de la catégorie, il convient donc d’opérer chaque fois cette démarcation,


de manière à mieux distinguer, en fonction de leur nature propre, les droits
politiques des droits civils. Car, en effet, les deux ne sont pas de même contenu.

2. Les droits économiques, sociaux et culturels

Quant aux droits économiques, sociaux et culturels, ils souffrent de la même critique
: ni définition ni distinction en fonction de leur nature propre. Globalement, on peut
considérer, à la suite de Jean RIVERO, qu’il s’agit des droits qui concernent surtout
« la vie professionnelle et la vie économique »32, c’est-à-dire ceux qui concourent à la
satisfaction des besoins d’ordre économique, social et culturel33, même si l’inclusion
de certains d’entre eux peut paraître, dans la Constitution congolaise du 18 février
2006, plutôt douteuse34.

La Constitution congolaise, en effet, en dénombre une bonne vingtaine ; ce qui


constitue un cinglant démenti face à une certaine vision pessimiste, voire
condescendante, de ces droits dans certains systèmes juridiques, et notamment
européens. En attendant leur étude particulière, on peut citer, à titre d’exemples, le
droit à la propriété individuelle et collective (art. 34), le droit à l’initiative privée (art.
35), le droit au travail (art. 36), la liberté syndicale (art. 38), le droit à l’éducation

32
RIVERO (J.), Op. cit., p. 26.
33
NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Op. cit., p. 259 et ss.
34
C’est le cas des droits dits de l’enfant (art. 41) ou des droits des personnes âgées et de ceux des personnes
vivant avec handicap (art. 49). Au nom de quoi ces droits se limitent-ils aux seuls aspects « économique, social
et culturel » ? Ne peuvent-ils pas être considérés plutôt comme des droits « catégoriels » ?
22
23

scolaire (art. 43), le droit à la culture ainsi que la liberté de création intellectuelle et
artistique ou la liberté scientifique et technologique (art. 46).
En thèse générale, les droits économiques, sociaux et culturels sont, comme tous les
autres droits, justiciables devant le juge. Ce n’est pas leur caractère
« programmatoire », souvent mis en exergue dans la doctrine occidentale, qui
constitue un obstacle dirimant, y compris en Droit international, pour leur renvoie
devant le juge35. Il suffit que la Constitution en ait identifié tant le créancier que le
débiteur, étant donné que les garanties de protection prévues sont, elles, les mêmes
pour tous les droits constitutionnels (cfr. infra).

3. Les droits collectifs

Initialement qualifiés de « droits de jouissance collective » par le Rapport de la


Commission constitutionnelle du Sénat36, ces droits ne peuvent pas être considérés
comme de reconnaissance récente ; ils figurent dans l’arsenal constitutionnel
congolais depuis 1960, même si la liste s’est entretemps enrichie. Certains d’entre eux
sont effectivement des droits collectifs, en ce sens qu’ils appartiennent aux groupes
auxquels ils s’adressent, mais d’autres sont, au contraire, plutôt des droits d’expression
collective, c’est-à-dire des droits qui appartiennent aux individus mais, pour leur
exercice, demandent l’association de deux ou plusieurs personnes (ex. le droit à la
grève, la liberté syndicale).

En réalité, les droits collectifs ne sont pas une catégorie à part qui se détacherait
autant des droits civils et politiques que des droits économiques, sociaux et culturels.
Quel est cet esprit perspicace qui ne rangerait pas, par exemple, dans la catégorie des
droits économiques, sociaux et culturels, le « droit à la jouissance des richesses
nationales » affirmé à l’article 58 de la Constitution ? De même, vient-elle à l’esprit
l’idée de nier le caractère collectif autant du droit de grève (art. 39) que de la liberté
syndicale (art. 38), rangés malencontreusement au seul chapitre des « droits
économiques, sociaux et culturels » ?

En toute évidence, la classification adoptée par la Constitution congolaise du 18


février 2006 pose problème. En réalité, elle manque de cohérence et de logique, en
raison précisément du désordre qui y règne (cfr. chap. II). Si l’essentiel des
classifications onusiennes a été préservé, on trouve cependant dans les différentes
catégories retenues des droits qui n’ont pas leur place dans l’une ou l’autre catégorie,
tout comme la légitimité de faire des droits collectifs une catégorie à part reste plutôt,
à tous points de vue, sérieusement douteuse.

35
On se reportera entre autres à l’étude de NGOY LUMBU MALENGELA (Rémy), L’instauration du
mécanisme de communications individuelles devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Une
contribution à l’étude des voies et moyens pour une mise en œuvre efficiente du Pacte international relatif à ces
droits, Thèse pour le doctorat en Droit, Université catholique de Louvain, 2007, 400 p.
36
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, SENAT, Rapport de la Commission constitutionnelle….,
p…
23
24

Section 3 : Les titulaires et les débiteurs des droits constitutionnels

La question de savoir si les droits constitutionnels sont susceptibles ou non d’être


opposés à des tiers soulève celle de la détermination de leurs titulaires (§1) ainsi que
de leurs débiteurs (§2). A qui revient le bénéfice des droits affirmés dans la
Constitution ? Qui en sont comptables ?

§1. Les titulaires des droits constitutionnels

On appelle titulaires des droits constitutionnels tous ceux qui bénéficient des droits
affirmés dans la Constitution, tant du point de vue de leur jouissance que de leur
exercice, et qui peuvent en revendiquer respect ou accomplissement de la part
d’autres personnes ou structures. A ce sujet, il y a risque de se tromper sur la liste
desdits bénéficiaires si le travail n’est pas fait avec une certaine dextérité, en
considération des données fournies par la Constitution.

A s’en tenir à leur formulation ainsi qu’à leur statut historique, les droits
constitutionnels bénéficient d’abord aux citoyens d’un pays, en l’occurrence aux
citoyens congolais qui, à cet effet, apparaissent comme les titulaires privilégiés des
droits constitutionnels (A). Ils bénéficient ensuite, en raison de l’extension moderne de
la juridiction personnelle des Etats, à « toute personne » se trouvant sous la
juridiction desdits Etats (B). Il convient cependant de distinguer, parmi ces droits,
ceux qui sont exclusivement réservés aux citoyens et ceux qui peuvent bénéficier à
tout le monde.

A. Les citoyens congolais

En droit constitutionnel, le citoyen est le titulaire privilégié des droits garantis. Il en est
ainsi parce que, en raison du lien de nationalité qui les lie à l’Etat, la plupart des
droits qui sont inscrits dans la Constitution sont d’abord destinés aux ressortissants
dudit Etat. Qu’il s’agisse des droits économiques, sociaux et culturels, des droits
collectifs, des droits de « X génération », et a fortiori des droits civils et politiques, ils
sont affirmés avant tout au profit des citoyens ressortissants d’un Etat.

La Constitution congolaise consacre au moins cinquante-six articles à la définition


des droits fondamentaux. Tous ces droits, à l’exception du droit d’asile, bénéficient
avant tout aux citoyens37. Il en résulte que, même quand ils ne sont pas cités
nommément, les citoyens nationaux sont, de principe, titulaires privilégiés des droits
affirmés dans la Constitution.

37
Le citoyen national ne bénéficie pas du droit d’asile dans son pays parce que, non seulement l’asile ne peut
être accordé qu’aux « ressortissants étrangers » (art. 33 de la Constitution), mais surtout, en vertu de l’article 30
de la même Constitution, « Aucun Congolais ne peut être ni expulsé du territoire de la République, ni être
contraint à l’exil, ni être forcé à habiter hors de sa résidence habituelle », Loc. cit., pp. 13 et 14. Italiques
ajoutées.
24
25

La question de savoir si tel droit bénéficie à titre exclusif ou non aux citoyens se résout
par la lecture attentive de la disposition constitutionnelle en cause. Généralement,
pour en réserver le bénéficie exclusif aux nationaux, la Constitution affirme le droit
concerné en commençant par les expressions « Tout Congolais… » ou « Aucun
Congolais ne peut… ». Cela dénote son intention d’en priver le bénéfice aux « non
Congolais ». Exemples : « Tout Congolais a le droit d’adresser individuellement ou
collectivement une pétition à l’autorité publique… » (art. 27) ; « Aucun Congolais ne
peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre
matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire… » (art. 13).

En revanche, lorsqu’à la place de ces deux expressions, le Constituant utilise les mots
« toute personne », c’est que le droit en cause ne bénéficie pas qu’aux seuls
Congolais. Dans ce cas, quoique titulaires privilégiés de tous les droits
constitutionnellement garantis, les nationaux n’en sont pas pour autant des titulaires
exclusifs. Ils partagent le bénéfice desdits droits avec « toute personne » se trouvant
sous la juridiction de l’Etat. Que faut-il donc entendre par les mots « toute
personne » ?

B. « Toute personne »
Certains droits affirmés dans la Constitution ne bénéficient pas, en effet, qu’aux seuls
Congolais. Au nom du principe de l’universalité des droits de l’homme, ils
bénéficient également à « toute personne »38, entendue tant au sens de personne
physique qu’à celui de personne morale, à condition toutefois que celle-ci se trouve sous
la juridiction de la République démocratique du Congo.

S’agissant des personnes physiques, la distinction classique concerne les nationaux et


les étrangers. Aux termes de l’article 11 de la Constitution du 18 février 2006, « Tous
les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Toutefois, la
jouissance des droits politiques est reconnue aux seuls Congolais, sauf exceptions
établies par la loi ». Il résulte de cette disposition constitutionnelle que tous les droits
affirmés dans la Constitution, et en particulier la liberté et l’égalité en droits et en
dignité, bénéficient, sauf les limitations introduites au profit des seuls Congolais, à
toute personne physique de nationalité congolaise ou étrangère. Les seules
limitations introduites à l’encontre des étrangers sont celles qui touchent à la
jouissance et à l’exercice des droits politiques, encore que, aux termes de la deuxième
partie de l’article 11 précité, la loi peut y établir des exceptions, c’est-à-dire autoriser
par exemple les ressortissants de tel ou tel pays de jouir ou d’exercer, sur le territoire
de la RDC, des droits politiques (voy. art. 11 et 50, al. 2 combinés).

La preuve que tous les droits garantis dans la Constitution, sauf les droits politiques,
bénéficient également aux étrangers est fournie notamment par l’article 50, alinéa 2,
de la Constitution : « Sous réserve de la réciprocité, tout étranger qui se trouve
légalement sur le territoire national bénéficie des mêmes droits et libertés que le
Congolais, excepté les droits politiques. Il bénéficie de la protection accordée aux
38
La Constitution parle parfois de « tout individu ». Cfr. p. ex. art. 28 et 40.
25
26

personnes et à leurs biens dans les conditions déterminées par les traités et les
lois »39. Le Constituant introduit cependant ici deux conditions pour pouvoir bénéficier
de cette égalité de traitement : la légalité du séjour de l’étranger sur le territoire de la
République et la réciprocité de la protection accordée aux Congolais par les Etats
étrangers ; ce qui, à coup sûr, est à l’opposé du Droit international des droits de
l’homme40. La Constitution viole-t-elle, de ce fait, le Droit international qui lui est
antérieur ? L’on ne peut y répondre par l’affirmative que si l’on est partisan du
monisme juridique au profit du Droit international. Or, notre opinion sur cette
question est plutôt à l’opposé de cet épouvantail (Cfr. supra).

En ce qui concerne les personnes morales, aucune limitation de bénéfice n’est a priori
prescrite, sauf à considérer qu’en raison de leur nature même ou du caractère fictif de
la notion de personnes morales, certains droits déterminés dans la Constitution ne
peuvent naturellement leur bénéficier. C’est le cas par exemple du droit au mariage
(art. 40) ou du droit à l’éducation scolaire (art. 43). Vient-il à l’esprit de quelqu’un
qu’une personne morale puisse contracter mariage ou s’asseoir sur le banc d’une
école ? En tout cas, ces deux droits, comme beaucoup d’autres, sont irreconnaissables
à la personne morale.

Ces exemples mis à part cependant, tous les autres droits constitutionnels bénéficient
aux personnes morales au même titre qu’aux personnes physiques. C’est le cas par
exemple de la plupart des droits liés à une procédure judiciaire : droit de la défense,
droit à un procès équitable (art. 19) ; droit à un jugement écrit et motivé, droit au
recours (art. 21) ; droit de saisir la Cour constitutionnelle en inconstitutionnalité de
tout acte législatif ou réglementaire (art. 162, al. 2), etc.

Pour montrer que pareils droits bénéficient à « toute personne », la Constitution


utilise parfois plusieurs expressions différentes. Exemple : « tout individu » (art. 40),
« Nul ne peut…» (art. 16, 17, 19, 26, 28…) ou « tous » (art. 21 al. 2). Quelque fois
même, il ne vise aucun sujet déterminé, laissant transparaître par-là que le droit en
question bénéfice à tout le monde ; c’est le cas par exemple de la liberté des réunions
pacifiques ou de celle de manifestation garanties aux articles 25 et 2641. Autant dire
qu’au contraire de celle des débiteurs, la liste des bénéficiaires des droits
constitutionnels peut s’avérer plus longue.

§2. Les débiteurs des droits constitutionnels

Un débiteur des droits constitutionnels est la personne tenue envers les titulaires de
ceux-ci d’exécuter une prestation ou une abstention. En d’autres termes, c’est la
personne tenue d’une certaine obligation – de moyen ou de résultat – dans la
réalisation concrète desdits droits et qui peut répondre, devant certaines instances,
de son action ou de son inaction.

39
Const. 18 fév. 2006, art. 50, al. 2, Op. cit., p. 19.
40
Cfr. art. 63 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
41
Art. 25 : « La liberté des réunions pacifiques et sans armes est garantie, sous réserve… » ; art. 25 : « La liberté
de manifestation est garantie. », Op. cit., p. 13.
26
27

A la lecture de la Constitution congolaise du 18 février 2006, il apparaît que l’Etat est


le premier débiteur des droits constitutionnels (A). Ensuite, il ne faut pas négliger la
place des individus, surtout dans leurs rapports horizontaux avec leurs semblables
(B). Faut-il inclure dans cette liste, comme une certaine opinion tente de l’accréditer,
la fameuse « Communauté internationale » ? (C).

A. L’Etat (les pouvoirs publics)

La plupart des droits constitutionnellement garantis sont d’abord affirmés contre


l’Etat. C’est d’ailleurs contre différents régimes absolutistes à travers le monde que
sont affirmés dans la loi fondamentale et suprême des Etats, hier comme aujourd’hui,
un certain nombre de prérogatives humaines. Par voie de conséquence les droits
constitutionnels font naître à charge de l’Etat un certain nombre d’obligations ou de
charges, en termes d’actions positives ou négatives, auxquelles celui-ci ne peut se
dérober qu’au prix d’une carence ou d’une démission coupable des responsabilités.

Par Etat, il faut entendre l’ensemble des organes (institutions) qui ont le pouvoir de
vouloir pour lui et qui sont généralement connus sous l’expression générique de
« pouvoirs publics » ou, plus exactement, de « pouvoirs publics constitutionnels », à
quelque niveau qu’ils se placent dans la structuration ou la configuration
géographique de l’Etat. Ainsi, au niveau de l’Etat central, on citerait à titre d’exemple
le Président de la République, le Parlement, le Gouvernement, les Cours et
Tribunaux ainsi que les « Institutions d’appui à la démocratie ». A celui des
Provinces, il faut citer essentiellement l’Assemblée provinciale et le Gouvernement
provincial. Quant aux Entités territoriales décentralisées ou aux Entités territoriales
déconcentrées, leurs organes ne sont véritablement concernés que dans la limite de
leurs prérogatives ou obligations constitutionnelles (Conseils et Collèges urbains,
Conseils et Collèges exécutifs communaux, Conseil et Collèges exécutifs de secteur,
etc).

Un exemple de ce que l’Etat est tenu d’exécuter une certaine prestation ou une
certaine abstention en matière des droits constitutionnels est constitué notamment
par l’obligation générale qui lui est comminée à l’article 60 de la Constitution de
respecter, autant que toute personne, les « droits de l’homme et les libertés
fondamentales consacrés dans la Constitution ». De même, au titre d’obligation
générale toujours, « Les pouvoirs publics ont le devoir de promouvoir et d’assurer, par
l’enseignement, l’éducation et la diffusion, le respect des droits de l’homme, des
libertés fondamentales et des devoirs du citoyen énoncés dans la présente
Constitution… » (art. al. 5).

Sur le terrain des obligations spécifiques, elles sont légion. C’est le cas par exemple de
celui comminé à l’article 51 de la Constitution, en vertu duquel « L’Etat a le devoir
d’assurer et de promouvoir (notamment) la coexistence pacifique et harmonieuse de
tous les groupes ethniques du pays. Il assure également la protection et la promotion
des groupes vulnérables et de toutes les minorités. Il veille à leur épanouissement ».
C’est aussi le cas de ce devoir particulier incombant à l’Etat de « protéger les droits et
27
28

les intérêts des Congolais qui se trouvent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays »
(art. 50, al. 2). Toutes ces obligations incombent à l’Etat à tous les niveaux de son
autorité.

Dans le même ordre d’idées, il faut dire que chaque fois que le Constituant laisse à
un pouvoir public déterminé le soin de préciser par exemple les modalités
d’application d’un droit constitutionnel, il lui commine ainsi, soit un devoir de
législation, soit un devoir de réglementation. Dans certains cas mêmes, il y a des devoirs
d’application qui sont comminés.

A titre d’exemples, lorsqu’à l’article 48 de la Constitution, il est affirmé que « Le


droit à un logement décent, le droit d’accès à l’eau potable et à l’énergie électrique
sont garantis » et que « La loi fixe les modalités d’exercice de ces droits », il y a ici,
manifestement, un devoir de législation comminé à l’endroit du Pouvoir législatif. De
même, si l’article 58 de la Constitution affirme que « Tous les Congolais ont le droit
de jouir des richesses nationales » et que « L’Etat a le devoir de les redistribuer
équitablement et de garantir le droit au développement », il y a ici manifestement un
devoir d’application qui incombe spécifiquement à l’Etat, lequel ne doit pas ainsi s’y
dérober au profit d’autres débiteurs comme les individus.

B. Les individus

Les individus sont débiteurs des droits constitutionnels seulement dans la mesure où
il leur est demandé, dans la jouissance et dans l’exercice de leurs propres droits, de
respecter ou de ne pas porter atteinte aux droits d’autrui. C’est la conséquence de
l’obligation horizontale du respect des droits de l’homme, laquelle veut que les droits
de la personne humaine s’arrêtent là où commencent ceux d’autrui. Pas de liberté pour
les ennemis de la liberté !

C’est le sens qu’il convient de donner à l’obligation de respect des droits de l’homme
comminée par l’article 60 de la Constitution, laquelle est commune à l’Etat et aux
individus: « Le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrés
dans la Constitution s’impose aux pouvoirs publics et à toute personne » (Italiques
ajoutées). Cette obligation est prolongée par celle contenue dans l’article 66 de la
même Constitution, lequel affirme que «Tout Congolais a le devoir de respecter et de
traiter ses concitoyens sans discrimination aucune et d’entretenir avec eux des relations
qui permettent de sauvegarder, de promouvoir et de renforcer l’unité nationale, le
respect et la tolérance réciproques » (Italiques ajoutées). Et que dire du « devoir »
incombant aux parents de procurer « soins et éducation » à leurs enfants ou de ce
devoir réciproque incombant aux enfants « d’assister leurs parents » conformément à
l’article 40 de la Constitution ?

Il en résulte que là où la Constitution combine, contre l’Etat, l’obligation de


législation, l’obligation de réglementation et l’obligation d’application, l’individu, lui,

28
29

n’est tenu en général que par la seule obligation d’application, laquelle, en ce qui le
concerne, se traduit par celle du respect des droits consacrés.

Mais, les individus sont également débiteurs des droits constitutionnels lorsqu’ils en
sont expressément requis par la Constitution ou en vertu d’elle. Il en est ainsi en
matière des droits économiques, sociaux et culturels où, par exemple en matière du
droit du travail, les patrons d’entreprise sont tenus contractuellement de fournir du
travail aux salariés en contrepartie des prestations de ces derniers. Dans ce cas, le
travail étant « un droit et devoir sacrés pour chaque citoyen » (art. 36 de la
Constitution, Cfr. infra), l’on voit difficilement comment un patron lié par un contrat
de travail avec un Congolais se déroberait à son obligation sans violer la disposition
constitutionnelle concernée.

C. La Communauté internationale ?

La question de l’admission de la « Communauté internationale » dans le cercle des


débiteurs des droits constitutionnels est ambiguë, voire douteuse. D’une part, parce
que la « Communauté internationale » n’est pas un sujet de droit. D’autre part, parce
que, en principe, le droit constitutionnel national n’est opposable ni aux Etats tiers, ni
aux Organisations internationales.

Dans cette perspective, l’article 52 de la Constitution, qui proclame au profit des


Congolais un hypothétique « droit à la paix et à la sécurité, tant sur le plan national
qu’international », risque de demeurer un discours incantatoire dépourvu de force
juridique dans la mesure où il est insusceptible d’engendrer, à charge de cette
fameuse « Communauté internationale », une quelconque obligation
constitutionnelle. En tout cas, celle-ci n’est ni de résultat ni d’ailleurs de moyens.

Certes, la Charte des Nations Unies, à laquelle la RDC est partie, confie au Conseil de
Sécurité de cette Organisation internationale la charge de veiller au maintien et au
rétablissement de la paix dans le monde ; ce qui n’est pas en soi une sinécure. Mais, si
cette obligation existe, elle ne découle pas de la Constitution congolaise ; c’est une
obligation internationale découlant de la seule Charte des Nations Unies.

Par conséquent, sauf à y voir un vœu politique, il paraît difficile de faire reposer
l’obligation constitutionnelle d’assurer aux Congolais « la paix et la sécurité
internationales », du moins tel que la proclame la deuxième partie de l’article 52 de la
Constitution, sur une quelconque « Communauté internationale », fut-elle l’ONU.
Les seuls vrais débiteurs des droits constitutionnels demeurent l’Etat et les individus.

Il découle du chapitre premier de cet ouvrage que le Droit constitutionnel des droits
de l’homme existe ; que son objet est parfaitement identifiable ; qu’il est possible de
construire une théorie des droits constitutionnellement garantis sur la base des
caractères propres à la norme des normes et que, par conséquent, la reconnaissance
officielle de cette discipline dans les facultés universitaires n’est qu’une manière

29
30

pour l’Etat de s’acquitter de son « devoir de promouvoir et d’assurer, par


l’enseignement, l’éducation et la diffusion, le respect des droits de l’homme, des
libertés fondamentales et des devoirs du citoyen énoncés dans la…Constitution »42

42
Cons. 18 fév. 2006, art. al. 5, Op. cit., p. 18.
30
31

Chapitre deuxième :

LES CATEGORIES DES DROITS


CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
L’on entend ici décliner la liste des droits affirmés dans la Constitution, même si
l’entreprise paraît plutôt ardue dans le cadre de ce volume étroit. En raison de leur
statut constitutionnel, les droits constitutionnels méritent d’être connus du public
puisque, en cas de besoin de protection, ce sont eux qui doivent, dans l’ordre interne,
être invoqués prioritairement, à cause de leur autorité et de leur stabilité, surtout
lorsque leur contenu sémantique ou leur niveau de protection est, en sus, différent de
celui conféré par la loi ou par les traités et accords internationaux.

Quels sont les droits généralement garantis par la Constitution ? La Constitution


congolaise, ainsi qu’il l’a été mentionné plus haut, distingue à cet égard trois grandes
catégories de droits : les droits civils et politiques (section 1), les droits économiques,
sociaux et culturels (section 2) ainsi qu’une série de droits divers difficilement
classables (section3). L’on y ajoutera cependant, dans le cadre de la philosophie
sociale africaine mais sans y insister outre mesure, la liste des « devoirs »
constitutionnellement prescrits (section 4).

Section 1 : Les droits civils et politiques

Quoique consacrée dans le langage courant, l’expression « droits civils et politiques »


ne peut dérouter. Les catégories de droits qu’elle renferme – droits civils et droits
politiques - ne recouvrent pas nécessairement les mêmes réalités ou celles qu’elles
annoncent. L’étude gagnerait pourtant à les distinguer pour mieux faire ressortir,
d’une part, ce que l’on peut considérer comme les droits singulièrement civils (§1) et,
d’autre part, ce qu’il convient d’appeler les droits proprement politiques (§2).

§1. Les droits singulièrement civils

La lecture des différentes Constitutions congolaises, singulièrement celle du 18


février 2006, indique que les droits civils pourraient être sériés en deux groupes
distincts, en fonction de la situation de la personne : d’une part, les droits de la personne
en état de liberté (A) et, d’autre part, les droits de la personne en situation de
privation de liberté (B).

A. Les droits de la personne en état de liberté


Ce sont les droits reconnus à la personne « à l’air libre », c’est-à-dire lorsque celle-ci
ne fait l’objet d’aucune mesure privative de liberté. Avant la consécration des droits
proprement dits (2), la Constitution du 18 février 2006 se distingue, ici, d’abord par
l’affirmation d’une série de principes immanents (1) qui, à y regarder de près,

31
32

s’analysent comme des principes justificateurs, gage de l’effectivité de leur


compréhension et de leur justification.

1. Les principes immanents

Il s’agit notamment du principe de la sacralité de la personne humaine (art. 16, al. 1er
A) ; des principes de la liberté et de l’égalité de tous les êtres humains (art. 11, A) ; de
celui de l’égalité des Congolais devant la loi (art. 12, A) ; du principe général de non-
discrimination (art. 13), complété par celui plus spécial de la non-discrimination à
l’égard des femmes (art. 14, al. 1er) ; du principe de la parité homme-femme dans les
institutions nationales, provinciales ou locales (art. 14, al. 5) ainsi que du principe de
la laïcité de l’Etat (art. 1er, al. 1er, in fine).

L’affirmation de ces principes dans le texte constitutionnel revêt une double portée :
juridique d’abord, parce qu’ils peuvent en eux-mêmes être invoqués en tant que
sources du droit, notamment en matière du contrôle de constitutionnalité (ex : une loi
peut être censurée par le juge au nom du principe de la liberté ou de l’égalité de tous
les êtres humains); philosophique ensuite, parce qu’ils constituent, en quelque sorte,
des valeurs justificatives des droits et libertés affirmés à leur suite.

De tous ces principes, celui de la sacralité de la personne humaine (a) ainsi que celui
de la parité homme-femme (b) méritent une attention particulière, en raison non
seulement de leur nouveauté, mais surtout de leur importance dans les options
levées par le Constituant en 2006.

a) Le principe de la sacralité de la personne humaine

C’est pour la seconde fois que le Constituant congolais, sans doute inspiré par les
idées religieuses, reconnaît le caractère sacré de la personne humaine43. Sans doute, bien
avant cela, a-t-il déjà proclamé son « souci primordial d’assurer le respect de la
personne humaine »44. Mais le caractère « sacré » de celle-ci n’avait jamais
auparavant été affirmé avec la force d’une telle conviction.

Cela signifie qu’en Droit constitutionnel congolais, l’existence ainsi que les attributs
de la personne humaine ne sont pas dans l’ordre du temporel ; ils relèvent avant tout
du spirituel, et comme la laïcité congolaise n’est pas synonyme d’athéisme ou
n’interdit pas la référence à un Etre suprême (Cfr. infra), on peut presque dire que
cette existence et ces attributs humains relèvent, chez le peuple congolais, de Dieu45.

43
La première fois, il le fut sous la Constitution de la transition du 04 avril 2003 : « La personne humaine est
sacrée. L’Etat a l’obligation de la respecter et de la protéger… », Cfr. art. 15, in J.O.RDC, n° spécial, 5 avril
2003, p. 7.
44
Cfr. Loi fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés publiques, art. 1 er, alinéa 2, Op. cit., p. 390.
45
Cfr. Préambule de la Constitution du 18 février 2006 : « Nous, Peuple congolais (…) ; Conscients de nos
responsabilités devant Dieu, la Nation, l’Afrique et le Monde ; Déclarons solennellement adopter la présente
Constitution », Op. cit., p. 5.
32
33

C’est une traduction juridique de la foi selon laquelle « l’homme est créé à l’image et
à la ressemblance de Dieu » (Gn 1, 26). Créature divine, l’homme mérite donc, sinon
la même dignité que Dieu, en tout cas la dignité que Dieu a voulu reconnaître à l’homme
parmi toutes les autres créatures.

Il s’ensuit que tout traitement qui doit être réservé à l’Homme (homme avec « h »
majuscule) doit l’être dans la mesure compatible non seulement avec sa dignité
intrinsèque, mais aussi et surtout avec la volonté de Celui qui est « le maître de
l’univers visible et invisible », le créateur. Pour avoir été ainsi consacré en droit
positif, le principe de la sacralité de la personne humaine emporte cette conséquence
juridique qu’il ne peut impunément être violé sans que ceux qui ont la mission de
veiller au respect de la Constitution puisse le sanctionner. Et en Droit constitutionnel
des droits de l’homme, il a valeur de norme de référence aux fins d’assurer le respect et la
protection du droit subjectif à la vie.

b) Le principe de la parité homme-femme

Ce principe est également de préoccupation récente dans les Constitutions


congolaises. Certes, la Constitution de la transition du 04 avril 2003 est la toute
première à avoir vu les Constituants se déclarer ouvertement « déterminés…à
défendre (les droits) de la femme et de l’enfant »46. Mais, cela n’a jamais dépassé le
stade de la reconnaissance d’un simple « droit à une représentation significative au
sein des institutions nationales, provinciales et locales »47. Que pouvait-elle signifier
cette « représentation significative » ?

Aujourd’hui, la Constitution du 18 février 2006 a franchi le rubicond et proclame


sans ambages que, non seulement « La femme a droit à une représentation équitable au
sein des institutions nationales, provinciales et locales », mais surtout « L’Etat garantit la
mise en œuvre de la parité homme-femme dans lesdites institutions »48. Toute la question
est de savoir ce que signifient le concept « représentation équitable » et, surtout, le
terme « parité ». C’est là où les Romains s’empoignent.

En toute vraisemblance, le concept « représentation équitable » peut signifier


plusieurs choses à la fois : « représentation juste », « représentation proportionnelle »,
voire même « représentation significative ». En revanche, le terme « parité », lui, est
plus précis. Il signifie « égalité » ou « similitude ». Et si, en mathématique, la parité
est la qualité de ce qui est pair ou impair, on se rend bien compte que, dans les
sciences exactes, la parité suppose l’existence de deux choses, de deux réalités ou de
deux êtres49. En d’autres termes, la parité c’est l’égalité proclamée de l’homme et de la
femme dans leur représentation au sein des institutions nationales, provinciales et locales.
46
Cfr. Constitution de la transition du 04 avril 2003, Préambule, Op. cit., p. 3
47
Idem, art. 51, p. 15.
48
Art. 14, alinéas 4 et 5, Const. 18 fév. 2006, Op. cit., p. 10. Italiques ajoutées.
49
Ce n’est pas Ben Sirac le Sage qui contredit cette équation : « Contemple donc toutes les œuvres du Très Haut,
allant deux par deux, opposés l’une à l’autre…Toutes choses vont par deux, l’une correspond à l’autre et il n’a
rien créé d’imparfait. L’une renforce le bien de l’autre… » (Si 33, 15 puis 42, 24), in La Bible, Traduction
Œcuménique de la Bible, Paris, Société biblique française – Le Cerf, 2008, pp. 1346 et 1359.
33
34

Car, dans l’esprit du Constituant, la parité proclamée n’est applicable que dans
lesdites institutions. Il ne s’agit donc pas d’une parité dans tous les domaines de la
vie, quoique le principe d’égalité des articles 11, 12 et 13, complété par celui de la
non-discrimination à l’égard de la femme (art. 14, al. 1er et 2), permet de couvrir
pareils domaines.

Le législateur de 2013, chargé par le Constituant de « fixer les modalités


d’application » de ce principe, l’a-t-il entendu ainsi ?50 Rien n’est si sûr. D’abord,
parce que le champ d’application de la loi a été élargi « à tous les domaines de la vie
nationale notamment politique, administratif, économique, social, culturel, judiciaire
et sécuritaire », alors que tel n’est pas le prescrit de l’article 14, alinéas 4 et 5, de la
Constitution, s’agissant plus spécifiquement de la parité. Ensuite, parce que, au lieu
de consacrer directement « l’égalité fonctionnelle » entre l’homme et la femme, le
législateur a plutôt préféré instituer un « quota initial de 30% », quitte à ce qu’un
décret du Premier ministre délibéré en Conseil des ministres vienne fixer
« progressivement les paliers conduisant à la parité »51. Cette manière de procéder
n’est ni conforme à la Constitution ni proche de l’objectif de la parité. On comprend
dès lors pourquoi, soumise au juge constitutionnel pour son contrôle de
constitutionnalité, la loi n’a pas pu franchir le seuil du Palais de la Cour suprême de
Justice52.

2. Les droits consacrés

Un peu comme une traduction juridique des principes immanents justifiant l’ordre
constitutionnel des droits de l’homme, la Constitution congolaise du 18 février 2006
grouille des droits subjectifs à caractère civil reconnus à la personne humaine, en tant
que telle. Certains d’entre eux sont des droits précis ou concrets qui n’exigent du juge
aucun effort particulier d’interprétation (a). D’autres, par contre, sont des méta-droits
qui provoquent, grâce à l’interprétation, la naissance des droits dérivés ou, selon
l’expression de Dominique TURPIN, des « droits par ricochet »53 (b). Dans le cadre
du présent volume, l’on ne se pencherait, évidemment, que sur les plus significatifs
d’entre eux.

a) Quelques droits civils libellés plus ou moins précisément

De manière générale, la Constitution consacre, dans ce domaine, tous les droits qui
manifestent ou renforcent la liberté en général, à savoir : le droit à la liberté d’expression
(art. 23) ; le droit à l’information (art. 24) ; le droit à des réunions et à des manifestations
pacifiques (art. 25 et 26) ; le droit à la désobéissance civile en cas d’un ordre manifestement
illégal (art. 28) ; le droit à l’inviolabilité du domicile (art. 29); le droit à la libre circulation et

50
Cfr. loi portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité, adoptée par l’Assemblée
nationale et le Sénat au cours de leur session de septembre 2013 et transmise pour promulgation au Président de
la République le 17 décembre 2013 (inédite).
51
Cfr. art. 2, art. 3 point 11 et art. 4, alinéas 3 et 4, de la loi votée.
52
Cfr. CSJ, arrêt R. Const. n° 274/TSR, 24 janvier 2014 (inédit).
53
TURPIN (D.), Libertés publiques et droits fondamentaux, Op. cit., p. 61.
34
35

à la libre résidence (art. 30, al. 1er) ; la liberté d’association (art. 37) ainsi que le droit à la
liberté du mariage et à la fondation d’une famille (art. 40).

Dans le cadre de la nécessité du respect de la dignité de la personne humaine, elle


consacre en outre l’interdiction du travail forcé ou obligatoire comme un droit subjectif
de la personne (art. 16, al. 5). Ce droit signifie que, en principe, aucun travail ne peut
être demandé à quelqu’un ou accompli par lui sans son consentement exprès. C’est,
en quelque sorte, la liberté du travail qui se trouve ainsi consacrée. Toutefois, par
exception à cette règle, l’article 63, alinéa 2, de la Constitution admet l’instauration
d’un service militaire obligatoire « dans les conditions fixées par la loi », en
particulier lorsqu’il s’agit de donner effet à l’obligation qui incombe à tout citoyen de
« défendre son pays et son intégrité territoriale face à une menace ou à une agression
extérieures » (art. 63, al. 1er).

La Constitution consacre aussi l’interdiction de l’esclavage ou de toute condition analogue


(art. 16, al. 3) comme pour renforcer la dignité de la personne humaine; elle signifie
qu’aucune mesure ou acte ne peut réduire l’homme, doté de la dignité divine, à la
situation d’un esclave, c’est-à-dire à la situation d’une personne qui, quelle que soit
sa situation, peut être traitée comme un sous-homme, « bon à tout faire ».

b) Quelques méta-droits à caractère civil

On citerait en tout premier lieu le droit à la vie (art. 16, al. 2, A). Qu’est-ce que c’est la
vie en Droit si l’on veut y voir quelque prérogative de la personne humaine ? Quand
commence-t-elle et quand se termine-t-elle ? L’obligation qui incombe à l’Etat ou à
toute personne de la respecter et de la protéger s’étend sur quelle(s) tranche(s) de la
vie ? Existe-t-il un droit à l’assistance à la procréation médicale en République
démocratique du Congo (sous-forme d’insémination artificielle, de fécondation in
vitro ou de clonage humain…) ? Existe-il, a contrario, un droit à la mort (comme par
exemple l’euthanasie, le suicide, l’avortement ou la peine de mort) ? Le droit à la vie
est-il absolu ou relatif ? Dans quels cas et à quelles conditions peut-on y porter
atteinte ou y déroger ? Telles sont les problématiques posées par l’existence du droit
constitutionnel à la vie, que le texte constitutionnel postule, mais auxquelles d’autres
disciplines juridiques peuvent répondre, dans les limites de l’interprétation correcte
de la Constitution.

On citerait ensuite le droit à l’intégrité physique de sa personne (art. 16, al. 2, B). Voici un
autre méta-droit dont la seule évocation suffit à rappeler la liste des revendications
généralement entendues : droit de disposer de son corps, droit à des dons d’organe,
droit à des habitudes sexuelles, droit à ne pas être violenté ou souillé, etc.). Si le
Constituant de 2006 avait ajouté aussi l’intégrité « morale », sans doute cette liste
serait plus longue pour intégrer d’autres revendications, notamment le droit à la
réputation, le droit à l’image, le droit…

Il faut également citer, dans cette veine, le droit au libre développement de sa personnalité
(art. 16, al. 2, C) ; ce qui implique le droit au libre choix de son avenir, le droit à la

35
36

différence par rapport à d’autres humains, le droit de refuser de s’inscrire dans un


projet de développement de la personnalité incompatible avec ses choix...

Comme pour renforcer le droit à l’intégrité physique, la Constitution consacre aussi


l’interdiction de tout traitement cruel, inhumain ou dégradant (art. 16, al. 4). Même si le
Constituant ne l’a pas défini, par traitement « cruel » il faut entendre tout celui qui
inflige une souffrance aiguë, à un degré tel que celle-ci dépasse le seuil du
supportable par l’humain. Quant au traitement inhumain, il se rapporte à tout
traitement qui, quel que soit le degré de sa souffrance, tend à assimiler quelqu’un à
une personne moins ou non humaine. En revanche, le traitement « dégradant » ne
nécessite pas nécessairement une souffrance ; c’est tout traitement susceptible
d’entamer la dignité de la personne humaine; il suffit pour cela que cette dignité de
la personne humaine, même de façon légère, soit dégradée ou susceptible d’être
dégradée.

Les droits à la liberté de pensée, à la liberté de conscience et à la liberté de religion (art. 22, al.
1er) participent de la même protection de la dignité de la personne humaine, même
s’ils peuvent être distingués. Le droit à la liberté de pensée en effet c’est le droit d’avoir
des idées propres, des idées qui ne soient pas nécessairement partagées par d’autres
personnes. Quant à la liberté de conscience, sans impliquer nécessairement une ligne
idéologique mais sans l’exclure non plus, elle postule le droit de se former un
jugement propre en tous domaines, le droit d’être convaincu des choses que seule sa
conscience, son libre arbitre, est en mesure de supporter. En revanche, plus profond
que les deux autres, la liberté de religion suppose, après le jugement de la pensée et de
la conscience, une adhésion plus ou moins explicite à une idéologie, à une croyance
en un être suprême, laquelle croyance aboutit à des rites, à des pratiques et à des
regroupements qui professent la même foi, les mêmes vérités supra-humaines
(liberté des cultes). C’est ce que la Constitution appelle le droit de manifester sa religion
ou ses convictions (art. 22, al. 2) ; ce qui est la version extérieure de la liberté de religion
ou droit d’avoir des convictions philosophiques.

Tous ces droits sont reconnus par la Constitution à « toute personne » sans
distinction de sexe, de race, de tribu, d’ethnie, de nationalité, d’opinions, etc. Ils le
sont uniquement en raison de la possession par chacun de sa qualité de personne
humaine. Et c’est la raison pour laquelle nous les considérons comme des droits civils
reconnus à toute personne, quelle que soit sa situation.

B. Les droits de la personne en situation de privation de liberté

Il s’agit des droits reconnus à une personne lorsqu’elle fait l’objet ou est susceptible
de faire l’objet d’une mesure d’arrestation ou de détention de la part des autorités
publiques (OPJ, magistrats, etc.). La Constitution se préoccupe d’abord de
l’encadrement de la procédure pénale par l’affirmation d’une série de principes qui
peuvent être regardés comme « sacro-saints » (1). Ensuite, dans le prolongement de

36
37

l’ « habeas corpus », elle se montre particulièrement attentive aux droits de la victime


d’une arrestation, d’une détention et même d’une condamnation (2).

1. Les principes sacro-saints régissant la procédure pénale

Il convient de citer : le principe de la primauté de la liberté sur la détention (art. 17,


al. 1er) ; le principe de la légalité des crimes, des poursuites, des détentions et des
condamnations (art. 17, al. 2-4) ; le principe de la proportionnalité de la peine à
l’infraction (art. 17, al. 5) ; le principe de la rétroactivité de la peine la plus douce (art.
17, al. 6) ; le principe de la responsabilité pénale individuelle (art. 17, al. 7) ; le
principe de la présomption d’innocence (art. 17, al. 8) ; le principe de la publicité des
audiences (art. 20 et art. 21, al. 1er, B) ainsi que le principe de la motivation des
jugements (art. 21, al. 1er, A).

Si l’on ne s’en tient ici qu’à l’un d’entre eux, on dirait que le principe de la primauté de
la liberté sur la détention signifie qu’au-delà des pouvoirs reconnus à tout organe de
détenir par devers soi toute personne convaincue d’une violation de la loi, la
détention ne peut, et ce quelle que soit la loi qui l’ordonne, être ordonnée
qu’exceptionnellement, pour des motifs impérieux définis par la loi, sous réserve
pour chaque citoyen ou pour chaque personne de son droit de jouir en toute
circonstance de toutes ses libertés (liberté de circulation, liberté de visite, liberté de
dormir, liberté de se mouvoir, liberté de manger, de parler, etc.). Rien, même les
mesures d’enquêtes, ne peut justifier la détention que si elle l’est prévue par la loi.

2. Les droits consacrés

En application de ces principes, la Constitution énonce les droits suivants : le droit


d’être informé de ses droits, des motifs de son arrestation et de toute accusation
portée contre soi (art. 18, al. 1er et 2) ; le droit d’entrer immédiatement en contact avec
sa famille ou son conseil en cas d’arrestation (art. 18, al. 3) ; le droit d’être mis à la
disposition de l’autorité judiciaire compétente ou d’être relâché en cas de
dépassement du délai de garde à vue (art. 18, al. 4) ; le droit de bénéficier d’un
traitement sain et digne (art. 18, al. 5) ; le droit au juge que la loi assigne (art. 19, al.
1er) ; le droit à un procès dans un délai raisonnable (art. 19, al. 2) ; le droit à la défense
et à l’assistance judiciaires (art. 19, al. 3-5 + art. 61, 5 A) ;le droit au recours contre
tout jugement (art. 21, al. 2 + art. 61, 5 B) ainsi que l’interdiction de tout
emprisonnement pour dette (art. 61, 6).

En s’arrêtant un instant sur cette série de droits, on se rend compte que, dans le cadre
d’une procédure judiciaire régulière, tous sont liés et que certains d’entre eux,
bénéficiant du statut de droits indérogeables, renforcent de manière plus particulière
la liberté et la dignité de la personne humaine.

Tout d’abord, d’apparition récente, le droit d’être informé de ses droits, des motifs de son
arrestation et de toute accusation portée contre soi est celui qui doit être rappelé ; il

37
38

suppose, à tout le moins, l’obligation qui pèse sur les magistrats de porter à la
connaissance de leurs justiciables, et ce dans tous les actes importants de leur
procédure, tous les droits dont les justiciables seraient bénéficiaires dans le cadre
d’un processus judiciaire (qu’il s’agisse du droit de comparaître ou même de se
taire). Ce droit englobe en outre celui d’être informé des motifs de l’arrestation et de
toute charge pesant contre l’accusé, en l’absence de quoi il y aurait arrestation
arbitraire.

Ensuite, une fois arrêté, le justiciable a le droit d’être mis directement en contact avec sa
famille ou son conseil ; ce qui suppose une obligation positive de la part de toute
autorité compétente de mettre effectivement en relation, par voie téléphonique ou
physique, l’arrêté et sa famille ou son conseil, peu importe que cette arrestation ait
été ordonnée par la voie de la garde à vue, du mandat d’arrêt provisoire, de la
détention préventive ou de la condamnation définitive par un jugement.

A l’issue de l’arrestation ou de la détention préventive - et c’est le troisième volet de


la série des droits concernés - il faut que la personne soit mise à la disposition de
l’autorité judiciaire compétente (tribunal compétent pour le juger) ou être relâché en cas
de dépassement du délai légal de garde-à-vue ou en cas de dépassement du délai de la
détention préventive. Il s’agit donc d’une alternative incontournable, de même que le
droit au relâchement s’analyse comme un droit automatique, en cas de dépassement
desdits délais légaux ; c’est une application du principe selon lequel la liberté est la
règle tandis que la détention est l’exception.

Dans tous les cas de figure, tant qu’elle est en arrestation ou en détention, la
personne humaine a droit à un traitement sain et digne ; ce qui suppose non seulement
un séjour dans les lieux carcéraux conformes à la dignité de la personne humaine,
mais aussi une préservation sans concession de son intégrité physique et morale (ceci
justifierait par exemple la répression de toute forme de torture ou de tout traitement
cruel, inhumain ou dégradant).

Toujours dans le même cadre de l’arrestation ou de la détention, l’individu ne peut être


transféré que devant le juge que la loi lui assigne ; cela veut dire qu’il doit s’agir du juge
que la loi déclare compétent à l’égard du prévenu, et ce tant du point de vue
personnel, territorial que matériel. Une fois devant ce juge, l’individu a droit non
seulement à tous les droits de la défense et de l’assistance judiciaire (droit de se défendre
soi-même ou de se faire assister d’un défenseur de son choix et ce, à tous les niveaux
de procédure pénale, y compris l’enquête policière et l’instruction
préjuridictionnelle), mais aussi au recours ainsi qu’à toute interdiction d’emprisonnement
pour dettes.

Rappelons qu’aux termes de l’article 61 de la Constitution, le droit au recours et


l’interdiction de tout emprisonnement pour dette constituent droits indérogeables
(cfr. supra). Ceci confirme donc la primauté de la personne humaine, tant en situation
de jouissance que de privation de liberté.

38
39

§2. Les droits proprement politiques

Ici aussi, la Constitution commence par l’affirmation d’une série de principes


transcendants (A) ; puis vient la proclamation des droits proprement dits (B).

A. Les principes transcendants

Quoique peu nombreux, il convient de citer notamment le principe de réservation


des droits politiques aux citoyens sous réserve des dérogations apportées par la loi
(art. 11 B, art. 50, al. 2, in fine) ; le principe démocratique (art. 1er) ; le principe selon
lequel la souveraineté nationale appartient au peuple (art. 5, al. 1er) ainsi que le
principe du suffrage universel (art. 5, al. 3).

On pourrait même y ajouter le principe selon lequel la République démocratique du


Congo est un Etat de droit, social, démocratique et laïc, en raison des implications
que cette affirmation comporte sur le plan de la jouissance d’un certain nombre de
droits politiques (cfr. infra).

B. Les droits consacrés

Il s’agit tout particulièrement du droit à l’électorat et du droit à l’éligibilité (art. 5, al. 4).
Quoique traités dans un même contexte et ne figurant pas expressis verbis au chapitre
des droits politiques, ces deux droits ne sont ni à écarter ni à confondre ; c’est
l’essence même de toute démocratie participative ; et si le premier exprime la faculté
de choisir (droit actif), le second traduit la possibilité pour tout citoyen d’être choisi
dans le cadre d’un processus électoral (droit passif). Selon la Constitution du 18
février 2006, l’électorat et l’éligibilité s’obtiennent dès l’âge de dix-huit ans révolus ; ce
qui pose un problème de cohérence et d’harmonisation, s’agissant tout
particulièrement du droit à l’éligibilité à certaines fonctions politiques (Président de
la République, Député, Sénateur, Gouverneur de province…).

La Constitution du 18 février 2006 innove ensuite par la consécration du droit pour


tout citoyen d’adresser des pétitions aux autorités (art. 27). Tel qu’affirmé, ce droit n’est
reconnu qu’aux seuls Congolais (ce qui confirme sa nature politique). En outre, nul
ne peut faire l’objet d’incrimination, c’est-à-dire de poursuites judiciaires, du seul fait
d’avoir adressé une pétition aux autorités publiques. L’interdiction gagnerait
cependant à être assortie de sanctions à l’encontre de toute personne qui exercerait
des représailles aux pétitionnaires.

Quant au droit à la défense de son pays (art. 63), au droit à la résistance pacifique en
cas de prise de pouvoir par la force ou d’exercice inconstitutionnel de celui-ci (art.
64), à l’interdiction de l’expulsion des nationaux (art. 30, al. 2), à l’interdiction de
contrainte des nationaux à l’exil (art. 30, al. 2) ainsi qu’à l’interdiction de déplacement
forcé des nationaux (ce que la Constitution appelle « être forcé à habiter hors de sa
39
40

résidence habituelle », Idem), ils traduisent la tendance moderne du Droit


constitutionnel de renforcer la gouvernance démocratique par la reconnaissance aux
citoyens d’une catégorie de droits politiques qui, jusque-là, n’apparaissaient que
comme de simples vœux politiques.

Le droit à la résistance pacifique par exemple est, de ce point de vue, plus que
révélateur. Dans la foulée des acquis de la Conférence nationale souveraine et pour
« contrer toute tentative de dérive dictatoriale » (Exposé des motifs de la Constitution
originaire, p. 5), ce droit est reconnu exclusivement aux seuls Congolais qui, de ce
fait, disposent du droit, voire même du « devoir de faire échec à tout individu ou
tout groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation
des dispositions de la …Constitution » ; ce qui signifie interdiction de toute forme de
coup d’Etat, qu’il soit de fait ou d’apparence constitutionnelle.

Les interdictions d’expulsion des nationaux, de contrainte des nationaux à l’exil ou de


déplacement forcé de ceux-ci participent également du renforcement des droits
politiques des citoyens congolais, en particulier de leur droit à l’établissement. Elles
se fondent sur la considération que, le droit de nationalité emportant aussi celui du
sol, personne ne peut être mis hors du territoire national alors même qu’il possède la
nationalité du pays. En d’autres termes, la détention de la qualité de Congolais
emporte, par elle seule, le droit de s’établir et de demeurer sur le territoire de la RDC
sans crainte aucune d’être délocalisé.

Le droit à la défense du pays est aussi digne de mention. Dans l’esprit du Constituant, il
s’analyse autant comme un « droit » que comme un « devoir » politique. Il s’agit de
cette possibilité laissée aux citoyens congolais de défendre leur pays et l’intégrité du
territoire national, en particulier face à une menace ou à une agression extérieure. Le
devoir peut même être accompli dans le cadre d’un « service militaire obligatoire »
(art. 63, al. 2) qu’il appartient au législateur d’organiser (cfr. infra).

Bref, en matière des droits civils et politiques, la Constitution est plus que prolifique ;
ce qu’elle ne semble l’être – quantitativement parlant - en matière des droits
économiques, sociaux et culturels.

Section 2 : Les droits économiques, sociaux et culturels

Ce sont des droits, avons-nous dit, qui sont reconnus à une personne pour la
satisfaction de ses besoins économiques, sociaux et culturels. Comme tels et en raison
de leur statut constitutionnel, ces droits ne sont pas à discriminer par rapport aux
droits civils et politiques. En effet, contrairement à une certaine philosophie
véhiculée dans le contexte international, ils sont revêtus de la même autorité
juridique qu’eux tandis que les objectifs politiques qu’ils assignent aux pouvoirs
publics constituent de véritables contraintes juridiques qu’il appartient à ceux-ci de
traduire dans les faits. En contrepartie, les bénéficiaires de ces droits peuvent en
exiger le respect dans la satisfaction concrète de leurs besoins, au nom de la

40
41

« démocratie économique, sociale et culturelle » voulue par le Constituant lui-même


(Préambule de la Constitution, 2ème « Considérant »).

La Constitution du 18 février 2006, à sa manière, en énumère une bonne vingtaine, en


ce compris les droits à caractère économique, social ou culturel rangés au chapitre
des « droits collectifs »54. Pour mieux les cerner, on distinguera cependant les droits
économiques (§1) des droits sociaux et culturels (§2), même si cette catégorisation,
elle-même, n’est pas parfaite.

§1. Les droits économiques

Dans l’énumération qui vient d’en être faite, il apparaît que les droits proprement
économiques, c’est-à-dire ceux qui sont susceptibles de procurer un gain économique
direct, ne sont pas nombreux. Au droit de jouir des richesses nationales, qui est
d’apparition récente, la Constitution a joint le traditionnel droit à la propriété privée
ainsi que le droit à l’initiative privée. Quant au droit au développement, il n’est
affirmé que de manière elliptique, dans le sillage du droit à la jouissance des
richesses nationales.
On s’intéressera plus particulièrement au droit à la propriété privée, qui apparaît
mieux élaboré dans l’arsenal juridique national (A), ainsi qu’au droit de jouir des
richesses nationales, qui nécessite une véritable codification (B).

A. Le droit à la propriété privée


Aux termes de l’article 34 de la Constitution, la propriété privée – qu’elle soit
individuelle ou collective, mobilière ou immobilière – est considéré comme un droit
« sacré ». Même si cela ne traduit pas nécessairement une idée religieuse, ce caractère
lui confère une place et un rôle, au sein de la catégorie des droits économiques, si
importants qu’il ne peut être violé que pour des nécessités impérieuses.

Appartenant à toute personne, et ce quelle que soit sa nationalité, ce droit,


d’apparence modeste, dispose d’un contenu très large (a) et ne peut, en principe,
subir de restriction ou de dérogation que dans le cadre des saisies ou des
expropriations pour utilité publique (b). D’où l’intérêt de son étude détaillée55

54
Droit à la propriété privée (art. 34), droit à l’initiative privée (art. 35), droit au travail (art. 36), liberté
d’association (art. 37), liberté syndicale (art. 38), droit de grève (art. 39), droit au mariage (art. 40), droit à
l’éducation scolaire (art. 43), droit de choisir le mode d’éducation à donner à ses enfants (art. 43, al. 4), droit
d’accès aux établissements d’enseignement national sans discrimination (art. 43, al. 3), droit à la culture (art. 46,
al. 1er), liberté de création intellectuelle et artistique (art. 46, al. 1 er), liberté de la recherche scientifique et
technologique (art. 46, al. 1er), les droits d’auteur et de propriété intellectuelle (art. 46 al. 2), droit à la santé et à
la sécurité alimentaire (art. 47), droit à un logement décent (art. 48), droit d’accès à l’eau potable et à l’énergie
électrique (art. 48), droit de jouir des richesses nationales (art. 58, al. 1er), droit au développement (art. 58, al. 2),
droit de jouir du patrimoine commun de l’humanité (art. 59), in Const. 18 fév. 2006, Op cit., pp. 14-21).
55
Pour aller plus loin, lire notamment NGONDANKOY NKOY_ea-LOONGYA, Droit congolais des droits
de l’homme, Op. cit., pp. 277-287.
41
42

1. Contenu du droit de propriété

Même si la Constitution ne la définit pas, la propriété est, aux termes de l’article 14


de la loi dite foncière, « le droit de disposer d’une chose d’une manière absolue et
exclusive, sauf les restrictions qui résultent de la loi et des droits réels appartenant à
autrui »56. Il s’agit donc d’un droit patrimonial qui confère à son titulaire un droit
exclusif sur une chose, c’est-à-dire celui d’en user (usus), d’en jouir (fructus) et d’en
abuser (abusus) d’une manière exclusive.

Telle que conçue par la loi, la propriété apparaît comme un méta-droit qui, non
seulement est distinct de la chose qui en constitue le substrat, mais aussi contient des
démembrements qu’on peut qualifier de « droits dérivés ». En tant que tel, il couvre
non seulement les droits réels qui ont pour objet des meubles ou des immeubles
(actions et intérêts, gages et privilèges, concessions et emphytéoses, superficies et
autres sûretés), mais aussi les droits de créance tendant à l’acquisition ou au
recouvrement desdits droits (contrats, titres, attestations, certificats…). Il couvre
même un certain nombre de droits intellectuels dont notamment les droits d’auteur57.

L’on comprend pourquoi, tenant compte de cet élargissement, le Constituant cite


expressément la « sécurité des investissements privés » comme un des devoirs
impartis à l’Etat dans le cadre de la protection du droit de propriété (art. 34, al. 2). Il
s’agit d’un de ses aspects les plus problématiques, surtout dans le cadre des pouvoirs
de restriction reconnus à l’Etat.

2. Restrictions au droit de propriété

Droit sacré, la propriété privée n’est cependant pas un droit absolu. Il ressort des
alinéas 3 et 4 de l’article 34 de la Constitution qu’elle peut faire l’objet non seulement
d’un certain nombre de mesures de privation (l’expropriation par exemple), mais
aussi de saisies (mobilières ou immobilières). Ces mesures ne sont cependant pas à
prendre d’une façon arbitraire.

En ce qui concerne par exemple l’expropriation, la Constitution et la loi du 22 février


1977 en aménage un régime spécial. Ce régime est fondé sur une triple idée :

1°. L’expropriation ne peut être décidée que pour cause d’utilité publique, la notion étant
définie par le législateur comme celle « de nature à s’étendre aux nécessités les plus
diverses de la collectivité sociale, notamment dans les domaines de l’économie, de la
sécurité, de la défense militaire, des services publics de l’hygiène, de l’esthétique, de
la sauvegarde des beautés naturelles et des monuments, du tourisme, des plantations
et de l’élevage, des voiries et des constructions, y compris ses ouvrages d’art » (art. 2,
loi du 22 février 1977) ;

56
Cfr. art. 3 de la loi n° 80-008 du 18 juillet 1980 modifiant et complétant la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973
portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés, in J.O.R.Z., n° 15, 1er août
1980, p. 3.
57
Idem, spéc. art. 3 et ss.
42
43

2°. L’expropriation ne peut être pratiquée que moyennant une juste et préalable indemnité, ce
qui suppose une bonne intelligence des termes utilisés :

- « indemnité juste » (« équitable » selon la loi) signifie indemnité proportionnelle à


la perte subie ; son montant est calculé sur base d’un « procès-verbal d’expertise
dressé et signé par deux géomètres experts immobiliers du cadastre, auxquels on
adjoint, si nécessaire, un agronome ou un autre spécialiste suivant la nature du bien à
exproprier » (art. 12, al. 2 de la loi du 22 février 1977) ;

- « indemnité préalable » signifie indemnité payée à l’avance, c’est-à-dire avant de


pratiquer l’expropriation, ce qui, aux termes de la loi, s’opère « avant
l’enregistrement de la mutation et, au plus tard, dans les 4 mois à dater du jugement
fixant les indemnités. Passé ce délai l’exproprié peut poursuivre l’expropriant en
annulation de l’expropriation, sans préjudice des dommages et intérêts » (art. 18) ;

3°. L’expropriation ne peut être exécutée que suivant la procédure prévue par la loi, ce qui
suppose l’intervention d’une décision administrative soit du Président de la
République (pour les expropriations « par zone »), soit du ministre des Affaires
foncières (pour les expropriations « ordinaires » ou « par périmètres »), lesquelles
décisions doivent être, à peine de nullité, être publiées au Journal officiel et portées à
la connaissance des expropriés par lettre recommandée à la poste avec accusé de
réception ou remise en mains propres par un messager contre récépissé daté et signé
(art. 6 de la loi du 22 février 1977).

Quant aux saisies, elles sont régies non seulement par l’alinéa 4 de l’article 34 de la
Constitution, lequel a l’avantage de préciser qu’elles sont de la compétence de l’autorité
judiciaire (ce qui les distingue de l’expropriation), mais surtout par les articles 106 à
139 du code de procédure pénale qui, à cet égard, font la distinction notamment entre
les « saisies-arrêts », les saisies-exécutions » et les « saisies conservatoires »58.

Au-delà de la garantie offerte par la nécessaire intervention du juge, le régime


général des saisies a ceci d’utile aux droits de l’homme que, quoique constituant une
restriction au droit de propriété, les saisies ne peuvent être pratiquées n’importe
comment. Tout d’abord, elles doivent obéir à certaines conditions de fond et de
forme instituée par la loi. Ensuite et, par-dessus-tout, elles ne peuvent être pratiquée
sur tous les biens du propriétaire.

1°. Parmi les conditions de fond et de forme instituées, il y a par exemple l’exigence du
caractère liquide et exigible de la créance, la production d’un titre authentique
constatant ladite créance ou, à défaut, l’ordonnance de permission du juge et
l’observation d’un certain délai tant pour l’exécution, la validation que pour une
éventuelle dénonciation de ladite saisie.

58
Cfr. art. 106 à 139 du décret du 6 mars 1960 portant code de procédure civile, in Les Codes Larcier
République démocratique du Congo, Tome I : Droit civil et judiciaire, Bruxelles-Kinshasa, Larcier-Afrique
Editions, 2003, pp. 280-281.
43
44

2°. En ce qui concerne tout particulièrement la saisie-exécution (mais l’interdiction


peut aussi être étendue aux deux autres formes de saisie), aucune saisie ne peut être
pratiquée sur un certain nombre de biens, considérés comme le minimum vital d’une
personne. Il s’agit des biens suivants : le coucher et les habits du saisi ainsi que ceux
de sa famille ; les livres indispensables à la profession du saisi et, s’il est artisan, les
outils nécessaires à son travail personnel ; les provisions de bouche nécessaires à la
nourriture du saisi et de sa famille pendant un mois ; une bête à corne, ou trois
chèvres, ou trois moutons, au choix du saisi (art. 127 du Code).

Il en résulte que même s’il est susceptible de restrictions, le droit de propriété est tout
de même un droit fondamental dans la vie d’une personne. C’est ce qui justifie son
statut de droit constitutionnellement garanti.

B. Le droit de jouir des richesses nationales

Comme le dit l’article 58 de la Constitution, « Tous les Congolais ont le droit de jouir
des richesses nationales. L’Etat a le devoir de les redistribuer équitablement et de
garantir le droit au développement ». Le lien entre la répartition équitable des
richesses et la garantie du droit au développement est ainsi établi. De même, en
indiquant de manière plus précise la qualité des bénéficiaires de ce droit (« tous les
Congolais »), la Constitution confirme le caractère privilégié des citoyens nationaux
dans la jouissance et l’exercice de ce droit, même si la solidarité humaine incite à en
reconnaître également aux étrangers.

Deux questions méritent d’être abordées ici : d’une part, l’obligation de répartir les
richesses nationales aux nationaux (1) et, d’autre part, les modalités de la répartition
de ces richesses (2).

1. L’obligation de répartir équitablement les richesses nationales

Elle incombe à l’Etat, ainsi que l’affirme l’alinéa 2 de l’article 58. Il s’agit de l’Etat
dans toutes ses composantes (Etat central, Provinces, Entités territoriales
décentralisées) et dans toutes ses structures (Pouvoir législatif, Pouvoir exécutif et
Pouvoir judiciaire). Bien entendu, en raison de son rôle dans la conduite des affaires
publiques, il est clair que le Pouvoir exécutif est le plus visé. C’est lui qui mettra en
pratique les objectifs fixés dans la Constitution, éventuellement confirmés dans les
lois, commandés dans des décisions de justice ou inscrits dans des programmes
politiques.

2. Modalités de répartition équitable des richesses nationales

Cette répartition se fera d’abord à travers les lignes budgétaires, ce qui confirme ici le
rôle primordial du législateur. Les crédits alloués indiqueront par exemple comment
est réparti le revenu national par tête d’habitant, par entité territoriale décentralisée

44
45

ainsi que par province. Ils indiqueront ensuite, à l’intérieur des catégories sociales,
quels barèmes de rémunération sont réservés par exemple aux paysans, aux
agriculteurs, aux médecins, aux enseignants jusqu’aux plus hautes autorités du pays.

La répartition équitable des richesses se traduira aussi dans la manière dont le


Gouvernement répartit les investissements en vue de la production desdites richesses.
Car, comment convertir les ressources en richesses s’il n’y a pas investissement ? Et
comment produire les richesses sur toute l’étendue du territoire national si les
investissements ne sont pas équitablement répartis entre les Provinces et les entités
territoriales décentralisées ?

Enfin, la répartition « équitable » ne signifie pas que tous les individus, toutes les
catégories ou toutes les entités aient la même part. Les disparités existeront toujours,
mais il s’agit de combattre, jusqu’à les éliminer, les écarts les plus criants qui peuvent
paraître comme une manière de rompre l’équilibre ou de violer le principe d’égalité
affirmé à l’article 11 de la Constitution. A ce sujet, la caisse de péréquation, prévue
par l’article 181 de la Constitution, devra être d’un support nécessaire.

Il s’en faut cependant de beaucoup qu’en l’absence d’une législation contraignante et


d’une volonté politique claire, ce droit fondamental puisse recevoir sur le terrain une
application effective, à moins que la seule autorité de la Constitution suffise à obliger
les autorités.

§2. Les droits sociaux et culturels

Un peu plus que les droits économiques, les droits sociaux sont ceux qui ont
bénéficié de la plus substantielle attention du Constituant (A). Quant aux droits
culturels, il faut un peu plus que l’attention substantielle pour pouvoir découvrir
l’intention du Constituant (B).

A. Les droits sociaux


De l’énumération précédente, il ressort que certains droits sociaux sortent du lot,
même s’il ne faut pas en négliger d’autres59. Il s’agit tout particulièrement du droit au
travail, de la liberté syndicale, du droit de grève, du droit à la santé et à la sécurité
alimentaire. D’autres, d’apparition récente, sont particulièrement révolutionnaires
dans le contexte d’un Etat « en voie de développement » comme la RDC. Il s’agit
notamment du droit à un logement décent ainsi que du droit d’accès à l’eau potable
et à l’énergie électrique, dont on attend toujours un régime d’aménagement
spécifique.

On s’arrêtera dans le cadre de ce cours, d’une part, au droit au travail, à la liberté


syndicale et au droit de grève et, d’autre part, au droit à la santé et à la sécurité
alimentaire, pour voir comment ils sont concrètement aménagés en droit positif. Les

59
Il est cependant contestable que la « liberté d’association » (art. 37) ait été rangée parmi les droits
économiques, sociaux et culturels. En dehors de certaines organisations socioprofessionnelles, dans lesquelles
elle peut effectivement être exercée, n’est-elle pas avant tout un droit civil mais d’exercice collectif ?
45
46

premiers peuvent être considérés comme des droits qui s’exercent dans un cadre
professionnel (A), les seconds comme des droits particulièrement vitaux (B).

1. Les droits exercés dans le cadre d’une profession

a) Le droit au travail

Il ressort de l’article 36 de la Constitution, conforme à toute la tradition


constitutionnelle en la matière, que le travail est à la fois un droit et un devoir,
qualifiés de « sacrés », pour chaque Congolais. De cette lecture, on peut inférer, d’une
part, que le travail est à la fois d’une faculté et d’une obligation et, d’autre part, que
son titulaire désigné c’est « chaque Congolais ». Est-ce vrai et juste ? Quid de la
question du débiteur de ce droit ?

a. 1. La question du titulaire et du débiteur du droit au travail

Le « Congolais » apparaît dans la Constitution comme le titulaire désigné du droit au


travail parce que c’est à lui que l’Etat s’adresse en premier lieu. Toutefois,
conformément à l’article 6.1 du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels et à l’article 2 du nouveau Code du travail, le travail ou « la
possibilité de gagner sa vie » est à la fois un droit et un « devoir moral pour tous ceux
qui n’en sont pas empêchés par l’âge ou l’inaptitude constatée par un médecin »60. Il s’ensuit
que le droit au travail appartient aussi bien aux Congolais qu’aux étrangers.

Toutefois, les deux ne se trouvent pas sur un même plan ou ne sont pas traités de la
même façon par rapport à la question de l’accès au travail. Tout d’abord, aux termes
de l’article 212, point 6, in fine, du nouveau Code du travail, tout contrat de travail
constaté par écrit en RDC « doit comporter (entre autres) la nationalité du
travailleur ». Ensuite, la loi a institué une « Commission nationale de l’emploi »
chargée précisément, entre autres, de « statuer sur la délivrance et le renouvellement
des cartes de travail pour étrangers » et « sur la demande d’engagement » de ces
derniers ; cette commission se trouve être le conseiller du ministre du Travail
notamment sur la politique de « protection de la main d’œuvre nationale contre la
concurrence étrangère » (art. 208-211, Code du travail). Au niveau du ministère lui-
même, il existe même une direction spécifique chargée de « préparer des accords
techniques avec des pays étrangers » et d’ « assurer le contrôle de l’emploi des
nationaux et des étrangers » (art. 203, Idem). Par-dessus tout, un arrêté ministériel
daté du 27 juillet 1970 fixe les pourcentages maxima des travailleurs étrangers
pouvant occuper un emploi rémunéré en vertu d’un contrat de travail : ceux-ci

60
Ce sont les termes mêmes de l’article 2 de la loi n° 015/2002 du 16 octobre 2002 portant Code du travail, in
Les codes Larcier République démocratique du Congo, Tome IV : Droit du travail et de la sécurité sociale,
Bruxelles-Kinshasa, Larcier-Afrique Editions, 2003, p. 3.
46
47

varient de 1 à 10 % de l’effectif global, en fonction des branches d’activités et des


catégories d’emploi61

Ces mesures de restriction, quoique compréhensibles, posent cependant un problème


de compatibilité notamment avec la Convention n° III de l’Organisation
Internationale du Travail sur la discrimination en matière d’emploi et de profession.
En vertu de cette Convention, chaque Etat membre – dont la RDC – ne s’était-il pas
« engagé à formuler et à appliquer une politique nationale visant à promouvoir, par
des méthodes adaptées aux circonstances et aux usages nationaux, l’égalité de chances
et de traitement en matière d’emploi et de profession, afin d’éliminer toute discrimination en
cette matière » ? Et, précisément, aux fins de ladite Convention, le terme
‘discrimination’ n’est-il pas défini comme « toute distinction, exclusion ou préférence
fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion ou l’ascendance nationale en matière
d’emploi ou de profession » ?62

Quant aux débiteurs de ce droit, il est clair que l’Etat en est le débiteur principal, en
tant que personne qui doit « garantir » ce droit (art. 36, al. 2). Il doit le garantir soit en
incitant à la création d’emplois (comme régulateur de l’activité économique), soit en
les créant lui-même (comme entrepreneur). En dehors de l’Etat, tout entrepreneur peut
également, dans le cadre des relations contractuelles, être comptable de l’obligation
de fournir l’emploi à ceux envers qui il s’est obligé. C’est l’essence même de toute
obligation contractuelle.

a.2. Les composantes du droit au travail

Aux termes de l’article 36, alinéa 2, de la Constitution, le droit au travail apparaît


également comme un méta-droit dont le contenu ne se limite pas qu’à la question de
la fourniture de l’emploi. Il comprend entre autres le droit à la protection contre le
chômage (ce qui pose le problème de la sécurité de l’emploi); le droit à une
rémunération équitable et suffisante (ce qui est une obligation interne à tout contrat
de travail); le droit à d’autres moyens de protection sociale (comme par exemple les
primes, les allocations diverses, la pension de retraite, la rente viagère, la rente des
orphelins…) ainsi que le droit à des conditions de travail décentes, voire même le
droit au repos et aux loisirs63.

61
Cfr. arrêté ministériel n° 70/0010 du 27 juillet 1970 portant réglementation du travail des étrangers
(pourcentages autorisés), in Les Codes Larcier de la République démocratique du Congo, Tome IV, Op. cit., p.
114.
62
Voyez cette Convention ainsi que les instruments d’adhésion de la RDC dans REPUBLIQUE
DEMOCRATIQUE DU CONGO, « Instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et au droit
international humanitaire ratifiés par la République démocratique du Congo », spécialement « Instruments
adoptés sous l’égide de l’Organisation Internationale du Travail », in J.O.RDC, n° spécial, septembre 2011, pp.
130-132.
63
Pour plus de détails, lire NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme,
Op. cit., pp. 266-271.
47
48

b) Le droit à la liberté syndicale

b.1. Titulaire de la liberté syndicale

Contrairement à la Constitution du 4 avril 2003 qui en réservait le bénéfice aux seuls


Congolais (art. 41), la Constitution du 18 février 2006 n’a pas précisé le titulaire du
droit à la liberté syndicale. Elle se contente d’affirmer que « La liberté syndicale est
reconnue et garantie » (art. 38, alinéa 1er), ce qui prouve que le Constituant a voulu en
étendre le bénéfice à toute personne se trouvant sous la juridiction de la RDC, pourvu
qu’elle se trouve dans une relation de travail. Toutefois, à la lecture de l’alinéa 2 du
même article, on peut craindre une interprétation contraire, puisqu’il y est précisé
que « Tous les Congolais ont le droit de fonder des syndicats ou de s’y affilier
librement, dans les conditions fixées par la loi ».

Le Code du travail, soutenu par l’article 8 du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, permet cependant de sortir de la difficulté, en
affirmant que « Tout travailleur ou employeur, sans distinction aucune, a le droit de
s’affilier à une organisation professionnelle de son choix et de s’en désaffilier » ; le
« travailleur » étant défini comme « Toute personne physique en âge de contracter,
quels que soient son sexe, son état civil et sa nationalité, qui s’est engagée à mettre son
activité professionnelle moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une
personne physique ou morale, publique ou privée, dans les liens d’un contrat de
travail », et le syndicat comme « toute organisation professionnelle constituée en vue
de l’objet défini à l’article 230 (étude, défense et développement des intérêts
professionnels des travailleurs ; poursuite du progrès social, économique et moral
des membres)»64

b.2. Contenu de la liberté syndicale

Comme toute liberté associative, la liberté syndicale comporte deux volets : le droit de
fonder des syndicats et le droit de s’affilier à un syndicat de son choix (et donc aussi de s’y
désaffilier).

Dans le souci de protéger cette liberté, le législateur interdit à tout employeur autant
un certain nombre de mesures discriminatoires que des mesures de représailles.
Ainsi, « Il est interdit à tout employeur de : a) subordonner l’emploi d’un travailleur
à son affiliation ou à sa non affiliation à une organisation professionnelle quelconque
ou à une organisation professionnelle déterminée » ; b) « licencier un travailleur ou
lui porter préjudice par tous les moyens, en raison de son affiliation à une
organisation professionnelle et de sa participation à des syndicales » (art. 234 C.T).
Ces interdictions sont même assorties d’une sanction pénale prévue à l’article 321 a)
du Code du travail (20.000 francs constants d’amende), ce qui prouve l’importance
que le législateur accorde à cette liberté.

64
Cfr. art. 233, 7, 237, 230 du décret du 16 octobre 2002 portant code du travail, Op. cit., p.28. Italiques
ajoutées.
48
49

b.3. Restrictions à la liberté syndicale

En dépit de sa solide protection en droit positif, la liberté syndicale n’est pas absolue
car, comme le veut le Constituant lui-même, son exercice se déroule inévitablement
« dans les conditions fixées par la loi » (art. 38, al. 2, in fine).

Déférant à cette prérogative lui reconnue par le Constituant, le législateur organise


actuellement un seul type de restrictions, liées à l’objet des syndicats. Comme le précisent
les articles 237 et 230 précités du Code du travail, les organisations syndicales ne
peuvent avoir « exclusivement pour objet (que) l’étude, la défense et le
développement des intérêts professionnels des travailleurs ainsi que le progrès
social, économique et moral de leurs membres ». Il leur est donc interdit de
poursuivre des buts autres que ceux en rapport avec la défense des intérêts matériels
de leurs membres (les intérêts corporatistes), quoique le concept « progrès social et
moral » puisse être de nature à prêter à confusion.

Quant à la question de l’interdiction de la liberté syndicale à certaines catégories


professionnelles comme les militaires, les policiers et les agents des services de sécurité,
ainsi qu’une certaine opinion le soutient, la question n’est pas encore tranchée.

c) Le droit de grève (art. 39)

Le droit de grève est reconnu par l’article 39 de la Constitution en ces termes : « Le


droit de grève est reconnu et garanti. Il s’exerce dans les conditions fixées par la loi
qui peut en interdire ou en limiter l’exercice dans les domaines de la défense
nationale et de la sécurité ou pour toute activité ou tout service public d’intérêt vital
pour la nation ».

Cette formulation dénote de la part du Constituant qu’en matière du droit de grève,


il y a un principe nécessaire à respecter et il y a une possibilité légale d’admettre des
interdictions ou des restrictions.

c.1. Principe du droit de grève

C’est celui affirmé à l’alinéa 1er de l’article précité : « Le droit de grève est reconnu et
garanti » ; ce qui signifie qu’en droit constitutionnel congolais la grève, c’est-à-dire
cette possibilité laissée aux travailleurs de cesser collectivement et momentanément
leur travail pour appuyer une revendication, n’est ni prohibée ni réprouvée. Par voie
de conséquence, tout acte, toute action ou toute mesure tendant à en nier le principe
est donc inconstitutionnel(le). Sa substance réside dans l’acte de cesser collectivement
et momentanément le travail.

Toutefois, comme droit relatif, la grève admet un certain nombre de restrictions,


voire d’interdictions.
49
50

c.2. Possibilité d’interdictions ou de restrictions

Comme la plupart des droits relatifs en effet, la grève admet d’abord la possibilité
d’être interdite, c’est-à-dire d’être non autorisée ou interrompue contre le gré des
grévistes. C’est cette forme de limitation qui atteint, de manière permanente,
notamment les militaires, les policiers et les agents des services de sécurité, en vertu
de l’alinéa 2 de l’article 39 de la Constitution et des statuts propres à ces corps. On se
trouve ici carrément dans l’hypothèse d’une dérogation à un droit fondamental,
laquelle atteint la substance même du droit (cfr. supra).

Quant aux autres « services publics d’intérêt vital pour la nation » (la santé,
l’éducation, la douane, les transports…), ils ne peuvent admettre que des restrictions à
leur droit de grève, c’est-à-dire des limitations temporaires qui ne suppriment pas le
principe même du droit de grève. C’est sous cette forme qu’on reconnaît un certain
nombre de limitations, comme par exemple le devoir d’informer au préalable les
autorités, le devoir de préavis, voire même le devoir d’assurer un service minimum.

L’on estime que la spécificité et la délicatesse de ces différentes fonctions justifient de


telles restrictions ou dérogations. La situation n’est cependant pas identique à tous
les pays.

2. Les droits particulièrement vitaux : le droit à la santé et à la sécurité alimentaire

Quoiqu’affirmés dans le même contexte dans la Constitution du 18 février 2006 (art.


47), ces deux droits peuvent être distingués, même s’ils sont complémentaires : droit
à la santé (a) et droit à la sécurité alimentaire (b).

a) Le droit à la santé (art. 47 al. 1er A)

De formulation elliptique, le droit à la santé n’est pas défini dans la Constitution, si


bien qu’on n’en connaît pas les contours exacts. Pour une formulation plus heureuse,
mieux vaut se référer plutôt à l’article 12 du PIDESC : « Les Etats parties au présent
Pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique,
mentale et sociale ».

Par « meilleur état de santé », il faut entendre absence de maladie pouvant affecter
gravement l’état de santé physique, mentale ou sociale d’une personne ; le groupe de
concepts « santé physique, mentale et sociale » signifiant lui-même bonne tenue ou
absence de troubles physiques, mentaux et sociaux dans la vie de quelqu’un.

De cette conception découlent plusieurs droits dérivés : droit à une alimentation saine,
équilibrée et suffisante (art. 54, CCDHP) ; « droit à un niveau de vie suffisant » (art. 11.

50
51

1 PIDESC) et droit à un environnement sain et propice à son épanouissement intégral (art.


53, Const.), droit à un logement décent, etc.

Se pose à propos de ce droit surtout la question des obligations en matière de santé.


Qui doit fournir « le meilleur état de santé possible » au peuple, à l’individu ?
Comment se déclinent les différentes obligations en matière de santé ?

Si l’on s’en tient à l’alinéa 2 de l’article 47 de la Constitution, c’est à l’Etat


qu’incombe, au premier chef, le droit de veiller à la santé de la population, puisque,
au titre d’obligation générale, « La loi (et donc le Pouvoir législatif) (doit fixer) les
principes fondamentaux et les règles d’organisation de la santé publique et de la
sécurité alimentaire ». L’Etat s’est même engagé, dans le cadre du PIDESC (art. 12.2),
à exécuter un certain nombre d’obligations concrètes qui donnent au droit à la santé
tout son effet :
- obligation de diminuer la mortinatalité et la mortalité infantile et de veiller au
développement sain de l’enfant ;
- obligation d’améliorer tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène
industrielle ;
- obligation d’assurer la prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques,
endémiques, professionnelles et autres, et de lutter contre ces maladies ;
- obligation de créer des conditions propres à assurer à tous des services
médicaux et une aide médicale en cas de maladie (construction des hôpitaux,
création et financement des mutuelles de santé, etc.).

b) Le droit à la sécurité alimentaire (art. 47, al. 1er B)

Ce droit n’est pas non plus défini dans la Constitution, ni son contenu dévoilé. Une
fois encore, c’est le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels (art. 11.2) qui nous en donne la meilleure formulation : c’est le « droit d’être
à l’abri de la faim », c’est-à-dire le droit de ne pas craindre de mourir de faim.

D’après cette conception donc, le droit à la sécurité alimentaire suppose non


seulement une disponibilité permanente de la nourriture (ce qui doit se mesurer par le
nombre de repas par jour), mais aussi une assurance de la qualité de la nourriture
consommée (ce qui se mesure notamment par son apport en calories, d’après les
normes de l’OMS). Sous ce dernier aspect, le droit à la sécurité alimentaire se conçoit
comme « le droit de consommer des aliments sures », c’est-à-dire ceux qui sont
dépourvus de bactéries ou de tout autre agent susceptible de nuire à la santé. De ce
point de vue, le droit à la sécurité alimentaire complète le droit à la santé.

L’obligation d’assurer la sécurité alimentaire à sa population incombe tout


naturellement d’abord à l’Etat, ainsi qu’il l’est précisé notamment à l’article 11.2
PIDESC : obligation de « prendre des mesures en vue d’améliorer les méthodes de
production, de conservation et de distribution des denrées alimentaires par la pleine
utilisation des connaissances techniques et scientifiques, par la diffusion de principes
d’éducation nutritionnelle et par le développement ou la réforme des régimes

51
52

agraires… ». Dans ce cadre, des mesures de contrôle sanitaire (comme celles qui
peuvent être prises par le Centre national de planification de la nutrition humaine,
C.N.P.N.H, ou par l’Office congolais de contrôle, O.C.C.) incombent à l’Etat.

Dans le prolongement de l’action de l’Etat, l’obligation d’assurer la sécurité


alimentaire aux enfants, notamment dans son volet de la disponibilisation
permanente de la nourriture, incombe aussi aux parents dans le cadre de l’article 41,
alinéa 5, de la Constitution (« devoir de prendre soin des enfants »).

Il s’ensuit que le droit à la sécurité alimentaire, comme le droit la santé, est un droit
vital qui ne peut être négligé ni par l’Etat ni par les parents. Des sanctions,
notamment dans le cadre de la répression de l’inanition, sont-elles susceptibles de
peser aussi sur ces deux débiteurs ? La question est posée.

B. Les droits culturels

De tous les droits de la « seconde génération » reconnus par la Constitution du 18


février 2006, ceux qualifiés de « culturels » sont ceux qui sont les plus méconnus ;
non qu’ils soient dépourvus de la même protection que d’autres, mais parce qu’ils
n’occupent qu’une portion congrue du chapitre. A peine peut-on les repérer : « droit
à l’éducation scolaire » d’abord (1), ensuite le droit à la culture ainsi que les autres
droits dérivés (2).

1. Le droit à l’éducation scolaire (art. 43)

C’est l’un des droits qui souffre de la plus grave crise d’identité constatée dans la
tradition constitutionnelle congolaise : « droit à l’instruction » dans la Loi
fondamentale du 16 juin 1960 (art. 13), « droit à l’éducation » dans la Constitution du
1er août 1974 (art.33), simple obligation d’« assurer les soins et l’éducation aux
enfants » dans les Constitutions ultérieures (art. 12 Constitution du 24 juin 1967 ; art.
20, al. 5, Acte constitutionnel de la transition du 9 avril 1994…).

En affirmant dans son article 43, alinéa 1er, que « Toute personne a droit à l’éducation
scolaire… », plutôt qu’à l’éducation tout court, la Constitution du 18 février 2006
semble être revenue à la conception de 1960. En ce sens, ce droit ne se conçoit
aujourd’hui que comme un droit à l’instruction. D’ailleurs, l’article 43 lui-même le
confirme en renchérissant : « Il y est pourvu par l’enseignement national ». Il s’agit
donc d’une vision restrictive de ce que les autres instruments juridiques appellent
« droit à l’éducation » (cfr. p. ex. art. 26 de la DUDH ; art. 13 du PIDESC…). Or
l’éducation ne se conçoit pas que dans le cadre de l’enseignement, en tous cas pas
dans le seul cadre des « établissements publics » et « établissements privés
agréés » constituant « l’enseignement national » (art. 43, al. 2)65

65
Pour la Cour européenne des droits de l’homme, par exemple, « L’éducation…est la somme des procédés par
lesquels, dans toute société, les adultes tentent d’inculquer aux plus jeunes leurs croyances, coutumes et autres
52
53

Se posent à propos de ce droit notamment la question du régime juridique de


l’enseignement (a) et celle des droits dérivés du droit à l’éducation scolaire (b)

a) Le régime juridique de l’enseignement national

Ce régime juridique est constitué d’un ensemble de principes, consacrés en droit


positif, qui, dans le cadre de la promotion et de la protection du droit à l’éducation
scolaire, fondent l’organisation et le fonctionnement de l’enseignement national. La
violation de ces principes est susceptible de sanction au titre de violation du droit à
l’éducation scolaire ou de tout autre droit dérivé.

- 1er principe : l’égalité d’accès à l’enseignement : Cfr. art. 13 de la Constitution : «Aucun


Congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques, ni en
aucune matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire… » ; Cfr. aussi art. 45 al. 2
de la Constitution : « Toute personne a accès aux établissements d’enseignement national,
sans discrimination de lieu d’origine, de race, de religion, de sexe, d’opinions politiques ou
philosophiques, de son état physique, mental ou sensoriel, selon ses capacités ». Cfr surtout
art. 61 de la loi-cadre de l’enseignement national : « Tous les établissements de
l’enseignement national accueillent sans distinction de lieu, d’origine, de race, d’ethnie,
tout élève ou étudiant remplissant les conditions déterminées par la présente loi ».

- 2ème principe : le pluralisme éducatif : d’une part, sur le plan structurel, il se traduit
par le principe de la reconnaissance de plusieurs réseaux d’enseignement, qu’ils
soient publics ou privés (Cfr. art. 43, al. 2, de la Constitution et art. 4, 43, 45, 46, 49 à
60 de la loi-cadre de l’enseignement national) et, d’autre part, sur le plan matériel, il
suppose la tolérance des courants scientifiques, philosophiques ou religieux dans le
système éducatif (Cfr. notamment art. 45 précité, al. 2 et 3, de la Constitution).

- 3ème principe : la liberté d’enseignement (Cfr. art. 45 al. 1er de la Constitution): il


signifie, pour tout entrepreneur, la liberté de construire et d’ouvrir des
établissements d’enseignement (liberté d’entreprendre); pour les apprenants et leurs
parents, la liberté de choisir et de recevoir un enseignement conforme à leurs
convictions ou espérances (liberté de choix); et pour l’enseignant, la liberté de
concevoir, de transmettre et d’évaluer son enseignement (liberté scientifique).

- 4ème principe : l’obligatoriété et la gratuité de l’enseignement primaire (art. 43, dernier


alinéa) : limité à l’enseignement « primaire », l’obligation scolaire pèse surtout sur les
parents qui ne doivent pas, avec l’aide de l’Etat, garder leurs enfants mineurs (de 0 à
12 ans en principe) à la maison ; quant à la gratuité, jusqu’à présent le Gouvernement
congolais ne l’applique que jusqu’à la cinquième année primaire et seulement sur
quelques provinces (villes de Kinshasa et de Lubumbashi exceptées) ; en outre, la
gratuité ne touche qu’aux frais appelés « minerval », les autres frais scolaires restant
dus !

valeurs, tandis que l’enseignement ou l’instruction vise notamment la transmission d es connaissances et la


formation intellectuelle », CEDH, « Valsamis et Afstratiou c/ Grèce », 18 décembre 1996, Rec., 1996, 2312, cité
par SUDRE (F.), Droit international et européen des droit de l’homme, 4ème éd. , Paris, P.U.F., 1999, p. 67.
53
54

b) Les droits dérivés du droit à l’éducation scolaire

On citerait notamment le droit pour les parents de choisir le mode d’éducation à donner à
leurs enfants (art. 43, al. 4, principe du pluralisme oblige) ainsi que tous les autres droits
découlant des principes énoncés ci-avant (et notamment de la liberté de l’enseignement).

2. Droit à la culture et droits dérivés (art. 46)

Aux termes de l’article 46 de la Constitution, « Le droit à la culture, la liberté de


création intellectuelle et artistique, et celle de la recherche scientifique et
technologique sont garantis sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des
bonnes mœurs. Les droits d’auteur et de propriété intellectuelle sont garantis et
protégés par la loi… ».

Il ressort de seul article 46 que le Constituant « garantit et protège » au moins quatre


groupes de droits de nature culturelle : le droit à la culture lui-même (a), la liberté de
création intellectuelle et artistique (b), la liberté de la recherche scientifique et
technologique (c) ainsi que les droits d’auteur et de propriété intellectuelle (d).

a) Le droit à la culture

Visiblement, le Constituant vise ici, dans son principe même, le droit à l’identité
culturelle, c’est-à-dire cette faculté qui revient à chaque personne, à chaque peuple, de
se revendiquer, d’un point de vue culturel, différent d’autres (ce qu’en France on
appelle « l’exception culturelle »). Est-il besoin de rappeler que la culture est un
ensemble de représentations, de valeurs, de connaissances, d’usages et d’habitudes
propres à une personne, à un peuple ?

L’affirmation du droit à la culture n’est pas une question anodine, si l’on prend en
compte le contexte dans lequel évolue « la culture congolaise ». En effet, dans un
contexte où, par l’effet des médias principalement, cette culture est marquée
notamment par un certain mimétisme et par un certain relativisme, il peut paraître
utile de la protéger. Encore faut-il l’identifier concrètement, c’est-à-dire dire en quoi
consiste-t-elle précisément. S’agit-il d’une question de protection de la musique ou
d’autres arts typiquement congolais ; d’une question de préservation des mœurs, des
habitudes et des coutumes congolaises ; d’une question de promotion des langues
nationales et locales ; d’une question d’observation des croyances congolaises, qu’elles
soient religieuses ou laïques ? C’est probablement tout cela à la fois, la culture étant
un concept fourre-tout et les biens culturels variés.

Sur le plan africain, on peut saluer l’existence d’une « Charte culturelle de l’Afrique »
à laquelle la République démocratique du Congo est partie66. Quoique la liste des

66
Charte culturelle de l’Afrique du 5 juillet 1976, in J.O.R.Z., n° 9, 1er mai 1989, pp. 21 et ss.
54
55

« biens culturels » n’y figure pas de manière exhaustive, la Charte traduit la volonté
des Etats africains de « libérer les peuples africains des conditions socioculturelles
qui entravent leur développement… », de « réhabiliter, restaurer, sauvegarder,
promouvoir le patrimoine culturel africain » et de « combattre et éliminer les formes
d’aliénation, d’oppression et de domination culturelle partout en Afrique… » (art. 1er
). A cet égard, un principe important est affirmé : l’accès de tous les citoyens à
l’éducation et à la culture (art. 2 a).

Le besoin d’affirmation de l’identité culturelle a poussé certains Etats africains


jusqu’à adopter une convention spécifique pour « la conservation, la promotion et la
préservation des valeurs authentiques des civilisations bantu », une manière de dire que,
même au sein de l’espace africain, certaines spécificités culturelles sont revendiquées
et que le droit à la culture n’est pas qu’une vague idée67.

Au plan national, la culture est « garantie et protégée » notamment dans le cadre de


la création d’un ministère ayant la culture et les arts dans ses attributions, de la
réglementation des archives nationales (dont les « Archives nationales de la
République démocratique du Congo » et la « Bibliothèque nationale » constituent des
instruments de gestion et de protection), de la création d’un projet culturel et
scientifique dénommé « Observatoire des langues » ainsi que dans le cadre de
l’existence, au sein du ministère de la Justice, d’une Commission de censure de la
musique. Elle l’est également dans le cadre de la création des centres et instituts de
formation dont notamment l’Institut national des arts et métiers (I.N.A), l’Institut des
bâtiments et travaux publics (IBTP), etc. Il s’en faut cependant de beaucoup que tous
ces beaux projets aient un impact réel et concret sur la préservation de l’identité
culturelle congolaise.

b) La liberté de création intellectuelle et artistique

Dans le cadre du droit à la culture, la liberté de création intellectuelle et artistique est


une liberté particulièrement importante. Elle suppose un régime de création
intellectuelle et artistique, c’est-à-dire de production de toutes sortes d’œuvres de
l’esprit, qui n’admet d’autres limitations que celles prévues par la loi, dans le cadre
d’un Etat démocratique, et ce dans le but de la préservation de l’ordre public, des
bonnes mœurs et des droits d’autrui. Les œuvres de l’esprit dont question englobent
entre autres les productions littéraires, scientifiques, musicales, cinématographiques,
artistiques ou autres.

La Constitution affirme le principe de la liberté de production de toutes ces œuvres.


Toutefois, la loi peut limiter l’exercice de ce droit ou l’interdire, en particulier dans le
cadre de la protection de l’ordre public, des bonnes mœurs ou des droits d’autrui.

67
Lire Convention du 8 janvier 1983 portant création du Centre international des civilisations Bantu (CICIBA),
in Les Codes Larcier République démocratique du Congo, Tome VI : Droit public et administratif, vol. 2 : Droit
administratif, Bruxelles-Kinshasa, Larcier-Afrique Editions, 2003, pp. 39 et ss.
55
56

c) La liberté de la recherche scientifique et technologique

La Constitution affirme aussi le principe de la liberté de la recherche scientifique et


technologique. Celle-ci suppose la liberté de concevoir et de mener des recherches
scientifiques et technologiques dans tous les domaines du savoir et d’en diffuser, par
des moyens légaux, les résultats.

Toutefois, comme les deux précédentes, cette liberté peut être limitée ou interdite
pour les mêmes raisons. L’on pense ici par exemple à certaines recherches menées ou
découvertes obtenues dans certains domaines, comme par exemple le domaine de la
biologie humaine où le débat sur l’étendue de la liberté de recherche reste encore
entier (jusqu’où par exemple l’homme doit-il aller dans la manipulation des cellules
humaines ?). Il se pose ici souvent un problème d’ordre moral.

d) Les droits d’auteur et de propriété intellectuelle

Apparemment, la formulation de l’article 46 de la Constitution est ici peu heureuse.


Peut-on dissocier la propriété intellectuelle des droits d’auteur ou vice versa ? En
d’autres termes, tout droit d’auteur ne constitue-t-il pas une propriété intellectuelle ?

Dans la législation congolaise, on distingue les « droits d’auteur » proprement dits


des « droits voisins » (…).

Section 3 : Les droits divers

Certains droits affirmés dans la Constitution ne sont classables ni dans l’une ni dans
l’autre catégorie traditionnelle. D’autres, tout en ayant été classés dans de telles
catégories, mènent cependant une existence tellement autonome, voire ambiguë,
qu’ils méritent d’être étudiés à part. Ils sont classés ici dans la catégorie des droits
divers, même si la doctrine a pris l’habitude de les classer plutôt en « générations ».

§1. Le droit à la paix et à la sécurité

Aux termes de l’article 52 de la Constitution, « Tous les Congolais ont droit à la paix
et à la sécurité tant sur le plan national qu’international. Aucun individu ou groupe
d’individus ne peut utiliser une portion du territoire national comme base de départ
d’activités subversives ou terroristes contre l’Etat congolais ou tout autre Etat ».

De reconnaissance récente en Droit constitutionnel congolais, ce droit pose plus de


problèmes qu’il n’en résout. Ces problèmes se posent en termes tant du titulaire de ce
droit, de son contenu, de son étendue que de son débiteur.

Par rapport à la question du titulaire, est-il logique que ce droit ne puisse bénéficier,
comme l’accuse la formulation de l’article 52, qu’aux seuls « Congolais » ? L’Etat ne

56
57

risque-t-il pas d’engager sa responsabilité en cas de privation de paix et de sécurité


aux étrangers se trouvant sous sa juridiction ?

Quant au contenu du droit en cause, on peut se poser la question de la signification


des mots « paix » et « sécurité » : est-ce l’absence de guerre ou l’absence de toute
situation pouvant menacer la sûreté d’une personne ? Ici encore, le droit gagnerait à
être mieux précisé.

Enfin, quant aux questions de l’étendue et du débiteur de ce droit, sans nier le droit
pour l’Etat congolais d’assurer la paix et la sécurité à l’intérieur de son espace, l’on
peut douter de sa capacité à assurer la même paix et la même sécurité « sur le plan
international ». Tout au plus l’engagement pourrait-il justifier le pouvoir qu’a l’Etat
de contribuer, en collaboration avec d’autres, au maintien de la paix internationale.

C’est peut-être la raison d’être de l’alinéa 2 de l’article 52, aux termes duquel, faut-il
le répéter, « Aucun individu ou groupe d’individus ne peut utiliser une portion du
territoire national comme base de départ d’activités subversives ou terroristes contre
l’Etat congolais ou tout autre Etat ». Cela revient à dire que tant l’Etat que les
individus sont tenus à l’obligation de paix et de sécurité ; ce qui devient,
effectivement, un droit subjectif pour tous les habitants de la République
démocratique du Congo.

§2. Le droit de jouir du patrimoine commun de l’humanité

Il s’agit, comme le précédent, d’un nouveau droit reconnu par l’article 59 de la


Constitution, aux termes duquel, encore une fois, « Tous les Congolais ont droit de
jouir du patrimoine commun de l’humanité ».

Le fait qu’il s’agisse d’un patrimoine « commun » de l’humanité, l’on s’imagine que
la République démocratique du Congo et ses ressortissants ne sont pas les seuls à y
avoir un mot. Il faut en conclure que ce droit ne peut, en toute hypothèse, s’exercer
que dans le cadre des normes fixées par cette « Humanité commune », mieux par la
« Communauté internationale. L’on comprend dès lors pourquoi le Constituant a
pris soin de préciser que « L’Etat (n’a que) le devoir d’en faciliter la jouissance ».

§3. Le droit à un environnement sain et propice à son épanouissement intégral

Droit qu’il convient d’envisager, à notre sens, dans le prolongement du droit à la


santé (cfr. infra), le droit à un environnement sain et propice à son épanouissement intégral
est certes affirmé d’une manière autonome par l’article 53 de la Constitution.
Toutefois, il est difficile de l’envisager indépendamment de la question de la santé
(Cfr. alinéa 3 dudit article).

L’innovation constitutionnelle consiste non dans le fait d’avoir lié ce droit avec la
question de la santé, mais plutôt dans celui de l’avoir assorti, et ce pour la première

57
58

fois en Droit constitutionnel, d’un certain nombre tant d’obligations que


d’incriminations à caractère écologique.

Ainsi, au nom du droit à un environnement sain et propice à l’épanouissement, la loi


sera désormais attentive aux « conditions de construction d’usines, de stockage, de
manipulation, d’incinération et d’évacuation des déchets toxiques, polluants ou
radioactifs provenant des unités industrielles ou artisanales …». D’ores et déjà, la
Constitution a formalisé le principe du pollueur-payeur en décidant que « toute
pollution ou destruction résultant d’une activité économique donne lieu à
compensation et/ou réparation » (art. 54).

Toujours au nom du droit à un environnement sain et propice à l’épanouissement,


désormais « Le transit, l’importation, le stockage, l’enfouissement, le déversement
dans les eaux continentales et les espaces maritimes sous juridiction nationale,
l’épandage dans l’espace aérien des déchets toxiques, polluants, radioactifs ou de
tout autre produit dangereux, en provenance ou non de l’étranger, constitue un
crime puni par la loi » (art. 55).

Dans le même ordre d’idées, « Tout acte, tout accord, toute convention, tout
arrangement ou tout autre fait qui a pour conséquence de priver la nation, les
personnes physiques ou morales de tout ou partie de leurs propres moyens
d’existence tirés de leurs ressources ou de leurs richesses naturelles, sans préjudice
des crimes internationaux sur les crimes économiques, est érigé en infraction de
pillage punie par la loi » (art. 56).

A titre de circonstances aggravantes, « Les actes visés à l’article précédent ainsi que
leur tentative, quelles qu’en soient les modalités, s’ils sont le fait d’une personne
investie d’autorité, sont punis comme infraction de haute trahison » (art. 57).

C’est dire que le droit a un environnement sain et propice à l’épanouissement est un


droit particulièrement protégé sur le marbre constitutionnel.

On pourrait allonger la liste à l’infini, à la mesure de la prolixité de la Constitution du


18 février 2006 et à la lumière de son style.

58
59

Chapitre troisième :

LES GARANTIES DE PROTECTION DES DROITS


CONSTITUTIONNELS
Ainsi que la doctrine le professe, les droits de l’homme resteraient de simples
énoncés théoriques si aucune garantie concrète et effective de leur protection n’était
offerte aux personnes qui en sont titulaires. Par garanties de protection des droits de
l’homme, l’on entend l’ensemble des mécanismes organiques et procéduraux prévus
par le Droit en vue d’assurer la sauvegarde, quelque fois la promotion, des
prérogatives reconnues à la personne humaine contre d’éventuels atteintes qui
proviendraient de toutes parts ou de n’importe qui.

En Droit des droits de l’homme, ces mécanismes sont soit d’origine nationale, soit
d’origine internationale. Si les mécanismes internationaux sont le plus souvent
connus, aidés pour cela par la « diplomatie des droits de l’homme » et relayés tant
par les médias que par l’action des associations de défense des droits de l’homme, il
n’en est pas souvent le cas des mécanismes nationaux, surtout ceux institués par la
Constitution. Le phénomène a pris de l’ampleur en République démocratique du
Congo non seulement à cause de la prolifération des associations de défense des
droits de l’homme - dont la majorité est financée par des fonds extérieurs – mais
surtout à cause de l’ignorance par la population, voire du mépris par les autorités, de
la Constitution dans la vie courante.

Deux types de garanties de protection des droits fondamentaux peuvent, en général,


être considérés comme institués ou permis par la Constitution : il y a, d’une part, un
certain nombre de garanties qui apparaissent comme de nature institutionnelle
(section 1) et, d’autre part, des garanties que l’on peut regarder comme d’essence
procédurale (section 2).

Section 1 : Les garanties institutionnelles

Elles regroupent l’ensemble des institutions créées ou habilitées par la Constitution à


assurer la protection des droits fondamentaux, particulièrement ceux revêtus de
l’épithète « constitutionnels ». Ces mécanismes sont tantôt de nature juridictionnelle
(§1), tantôt de nature non juridictionnelle (§2).

§1. Les mécanismes juridictionnels de protection des droits fondamentaux

Ce sont les plus efficaces, en ce sens qu’ils disposent du pouvoir d’imposer, par la
force, le respect des droits constitutionnels. Comme l’affirme fort opportunément
l’article 150, alinéa 1er, de la Constitution du 18 février 2006, « Le Pouvoir judiciaire

59
60

est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens »68.
Des trois pouvoirs traditionnels de l’Etat, seul le Pouvoir judiciaire est ainsi
expressément désigné par le Constituant comme garant des droits constitutionnels.

Le pouvoir judiciaire ayant été dévolu, aux termes de l’article 149, alinéa 1er, de la
même Constitution, « aux cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la
Cour de cassation, le Conseil d’Etat, la Haute Cour militaire, les cours et tribunaux
civils et militaires … » (Cfr. supra), c’est en somme à l’ensemble des juridictions de
l’ordre constitutionnel, de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire qu’est ainsi
confiée la mission de protection des droits constitutionnels. Ces cours et tribunaux
peuvent, par principe et dans l’exercice de leurs compétences respectives, assurer la
protection des droits fondamentaux69.

On soulignera ici plus particulièrement le rôle joué, en ce domaine, par les plus
hautes juridictions coiffant les trois ordres juridictionnels créés par la Constitution du
18 février 2006, à savoir : la Cour constitutionnelle (A), le Conseil d’Etat (B) et la Cour
de cassation (C).

A. La garantie juridictionnelle que constitue la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle est en soi une garantie institutionnelle de protection des


droits fondamentaux. Toute juridiction constitutionnelle a, en effet, nécessairement
dans ses attributions la protection des droits constitutionnels, même si cela n’est pas
dit expressément dans la Constitution. Elle assure cette protection à travers
l’ensemble des contentieux qui lui sont dévolus, qu’il s’agisse du contrôle de la
constitutionnalité des normes juridiques (contentieux normatif), du contrôle de la
régularité et de l’authenticité des manifestations de la volonté populaire (contentieux
électoral et référendaire), du contrôle du respect des règles répartitrices de
compétences entre pouvoirs publics (contentieux relatif aux conflits de compétence),
du jugement pénal de certaines autorités politiques (contentieux pénal) ou même du
contrôle du respect proprement dit des droits constitutionnels (contentieux des droits
constitutionnels).

a) La protection juridictionnelle par le biais du contentieux normatif

La Cour constitutionnelle assure la protection des droits fondamentaux par le biais


du contentieux normatif en assurant le contrôle de conformité à la Constitution d’un
certain nombre d’actes désignés par la Constitution ou par les lois de la République
aux fins de garantir leur régularité ainsi que leur sécurité juridique. Il s’agit de faire
en sorte que ces actes ne puissent porter atteinte aux droits garantis aux personnes
par la norme suprême et fondamentale de l’Etat.
68
Const, art. 150, al. 1er, Op. cit., p. 48. Italiques ajoutées.
69
Sur la question de savoir comment, à titre illustratif, le juge pénal et le juge civil assure, à leur manière, la
protection des droits de l’homme, lire NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de
l’homme, Op. cit., pp…
60
61

Parmi les actes concernés par ce contrôle de constitutionnalité, la Constitution cite,


bien évidemment, les lois (qu’elles soient de nature constitutionnelle, organique ou
ordinaire), les actes ayant force de loi (essentiellement les ordonnances-lois), les
Règlements intérieurs des Chambres parlementaires (Assemblée nationale, Sénat et
Congrès), ceux des Institutions d’appui à la démocratie (Commission électorale
nationale indépendante, Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la
communication…) ainsi que les actes réglementaires des autorités administratives
(art. 139, 160 et 162, alinéa 2, de la Constitution). Il faudra y ajouter aussi les traités et
accords internationaux ainsi que les édits des Assemblées provinciales,
conformément à l’article 43 précité de la loi organique sur la Cour constitutionnelle
(Cfr. supra).

La Cour constitutionnelle s’acquitte de ce devoir de protection en appréciant la


constitutionnalité de ces différents actes au regard des articles 6, 7, 8, 11 à 51 de la
Constitution, c’est-à-dire au regard des dispositions relatives aux droits constitutionnels. En
effet, lorsque la Cour constitutionnelle est appelée à censurer un traité ou accord
international, un acte législatif national ou provincial, un règlement intérieur des
Chambres parlementaires et des Institutions d’appui à la démocratie ou un acte
réglementaire d’une autorité administrative au regard de ces dispositions, elle
prévient, par le fait, la violation des droits fondamentaux du fait de ces actes et assure,
par ce biais, la protection des « droits humains, des libertés fondamentales et des
devoirs du citoyen et de l’Etat » reconnus au Titre II de la Constitution. Cette
protection est, certes, indirecte et médiate parce qu’elle prévient une violation
potentielle d’un droit ou d’une liberté ; elle n’en est pas moins réelle et effective.

Il y a donc entre contrôle de constitutionnalité des normes juridiques et protection


des droits constitutionnels un tel rapport de causalité et d’interdépendance que la
mission du juge constitutionnel en matière de protection des droits fondamentaux
n’a pas besoin d’être définie expressément. Cette mission est indissociablement
affirmée dans l’attribution au juge constitutionnel de la compétence d’assurer la
conformité des actes juridiques aux dispositions de la Constitution relatives aux
droits fondamentaux.

Prenons un exemple : le parlement a-t-il voté une loi interdisant, en République


démocratique du Congo, ce que l’on appelle « le mariage homosexuel », ce au nom
du pouvoir que la Constitution lui reconnaît de « fixer les règles sur le mariage et
l’organisation de la famille » (art. 40 in fine) ? La question peut être regardée sous
l’angle du « droit (pour tout individu) de se marier avec la personne de son choix … » (même
article 40, alinéa 1er). Et, en fait, si la Cour constitutionnelle est saisie de la
constitutionnalité d’une telle loi, elle peut être amenée à donner raison au législateur
puisque, précisément, aux termes de l’alinéa 1er dudit article, le mariage en RDC n’est
autorisé qu’entre deux personnes « de sexe opposé ».

Un autre exemple : le Président de la République a-t-il pris une ordonnance portant


création d’une « commission nationale de lutte contre la corruption », avec pouvoir
de traquer toute personne indélicate convaincue de ce crime ? La question peut,
61
62

certes, être posée sous l’angle du respect du domaine de partage des compétences
entre la loi et le règlement (art. 122 et 123, combiné avec l’article 222, in fine, de la
Constitution) ; mais elle peut l’être surtout sous l’angle du respect par le Président de la
République des droits garantis aux citoyens par la Constitution, et notamment celui d’avoir
droit au juge. Si donc la Cour constitutionnelle est saisie de la constitutionnalité de
pareille ordonnance, celle-ci pourrait être censurée sur pied de l’article 19, alinéa 1er,
de la Constitution qui dispose que « Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre
son gré du juge que la loi lui assigne » (droit au juge) car, précisément, la corruption
est une infraction pénale dont la poursuite et la sanction relèvent des seuls cours et
tribunaux.

Ces deux exemples suffisent à démontrer que le contrôle de constitutionnalité des


normes juridiques, lorsqu’il est opéré sur la base des articles de la Constitution
reconnaissant aux personnes des droits fondamentaux, aboutit nécessairement et
indirectement à la protection de ceux-ci.

b) La protection juridictionnelle par le biais du contentieux électoral et référendaire

Dans le cas du contentieux électoral ou référendaire, la protection assurée par la Cour


constitutionnelle est encore plus directe puisqu‘elle peut viser directement la
sauvegarde d’un des droits politiques les plus en vue, à savoir : soit le droit à
l’électorat, soit le droit à l’éligibilité. Ici la Cour assure, en effet, la protection de ces
deux droits constitutionnels à travers la sanction des fraudes et des irrégularités électorales
et/ou référendaires qui les affectent et qu’elle aurait su, dans ses investigations,
découvrir. Etant entendu qu’elle est habilitée à prononcer cette sanction sur pied de
l’article 161, alinéa 2, de la Constitution - qui fait d’elle le juge du contentieux
électoral et référendaire – et que lesdites fraudes ou irrégularités peuvent être
appréciées au regard des dispositions de la Constitution protégeant ces deux droits,
l’on ne peut pas dire que le juge électoral ainsi désigné n’est pas protecteur des droits
fondamentaux.

Un candidat à l’élection présidentielle accuse-t-il son challenger d’avoir planifié des


fraudes ou des irrégularités par la falsification des listes électorales (électeurs non
inscrits, fictifs ou rayés) ou par la multiplication des obstacles à l’expression du
suffrage (répression des opinions dissidentes, refus d’accréditation des observateurs,
bâillonnement de la liberté de la presse…) ? Cette dénonciation ne peut pas ne pas
être regardée sous l’angle du respect par ce challenger des droits électoraux des autres
candidats et des électeurs. Et, au moment du règlement du contentieux électoral par la
Cour constitutionnelle, comment peut-elle ne pas apprécier la situation au regard de la
nécessité du respect de tous ces droits électoraux violés (liberté d’inscription sur les listes
électorales, sincérité et fiabilité des listes électorales, liberté d’expression, liberté de
vote, libertés de la presse…), tous découlant, d’une manière ou d’une autre, soit du
droit à l’électorat, soit du droit à l’éligibilité (art. 5, alinéa 5, de la Constitution) ?

La sanction des fraudes et des irrégularités électorales constitue donc, en fait, l’une
des façons pour la Cour constitutionnelle d’assurer la protection de tous les droits à

62
63

la participation à la vie politique (en l’occurrence le droit à l’électorat et le droit à


l’éligibilité) affirmés, à l’article 5 ou dans d’autres articles de la Constitution ; ce qui
est une façon de protéger lesdits droits. La Cour ne peut donc pas faire comme si la
sanction des fraudes et des irrégularités électorales n’est qu’une simple question
technique de la conformité des agissements électoraux au Droit positif électoral ; elle
est surtout un enjeu pour la protection des droits constitutionnellement garantis.

Ne peut donc pas être accueillie ici l’opinion selon laquelle, lorsqu’elle est appelée à
statuer comme juge électoral, le juge constitutionnel est un « juge ordinaire » qui ne
doit pas apprécier la loi – ou les agissements électoraux – au regard de la
Constitution (voir Conseil constitutionnel français…. ; Cour suprême de Justice
congolaise…). S’il se comporte véritablement comme protecteur des droits
constitutionnels, le juge constitutionnel ne peut pas ne pas être, en l’occurrence, juge
de la constitutionnalité des agissements électoraux.

c) La protection juridictionnelle par le biais du contentieux du conflit des compétences

De tous les chefs de compétence de la juridiction constitutionnelle, celui-ci paraît être


le plus éloigné des préoccupations en rapport avec les droits fondamentaux. D’abord
parce que, comme son nom l’indique, il s’agit ici d’un conflit de compétence entre les
autorités, tantôt entre le Pouvoir législatif et le Pouvoir exécutif, tantôt entre l’Etat et
les provinces (art. 161, al. 3, de la Constitution). Ensuite parce que, aussi bien dans la
doctrine que dans la jurisprudence, il n’est pas de coutume de rapprocher ce type de
contentieux de celui des droits fondamentaux.

En réalité, la sanction par le juge constitutionnel des empiètements de compétences


est une manière comme une autre de protéger les droits fondamentaux, c’est-à-dire
les libertés publiques tantôt des personnes physiques - qui sont obligées chaque jour
de subir le poids des prérogatives de ces autorités - tantôt celles des personnes
morales publiques - qui sont obligées ainsi de défendre leurs propres prérogatives
contre la toute puissance de l’Etat (ce qu’on appelle parfois « les libertés des
collectivités publiques »).

A titre d’exemple, lorsque le Président d’une assemblée provinciale congolaise


accuse le Président de la République d’avoir relevé de ses fonctions le gouverneur de
sa province sur pied de l’article 198, alinéa 10, de la Constitution révisée, il peut
invoquer le même article 198, alinéa 2, qui laisse la prérogative d’élire – et donc de
faire partir – un gouverneur de province à l’Assemblée provinciale, combiné avec
l’article 220, alinéa 2, de la Constitution qui rend les prérogatives des provinces et
des entités territoriales décentralisées intangibles. Le conflit de compétence étant
ainsi né (entre l’Assemblée provinciale et le Président de la République), la Cour
constitutionnelle, saisie sur pied de l’article 161, alinéa 3, peut être amenée à faire
prévaloir l’argument du Président de l’Assemblée provinciale. Et si le conflit de
compétence est vidé au profit de celui-ci, on peut dire que la prérogative des
assemblées provinciales d’élire et de faire partir leurs gouverneurs de province est
ainsi sauvegardée, en dépit de la révision constitutionnelle de 2011. Dans cette

63
64

hypothèse, ce sont les « libertés publiques » des provinces qui sont ainsi
sauvegardées.

On voit donc que, par le biais du règlement des conflits de compétences entre les
autorités, certaines libertés publiques peuvent être protégées par le juge
constitutionnel sans que, au départ, cela ait été expressément prévu comme l’une de
ses attributions. Si donc le juge constitutionnel fait une bonne application des articles
de la Constitution, particulièrement ceux qui protègent les prérogatives tant des
individus que des collectivités publiques, il est et sera toujours compté comme l’un
des protecteurs les plus attitrés des droits fondamentaux.

d) La protection juridictionnelle par le biais du jugement pénal de certaines autorités

Ici aussi, des esprits peu habitués peuvent se rebiffer. Comment un contentieux
pénal, qui vise avant tout et presqu’exclusivement la sanction de la « loi pénale »,
peut-il se transformer en contentieux constitutionnel et, par ce biais, en contentieux
des droits fondamentaux ?

La question de savoir si le jugement pénal du Président de la République et du


Premier ministre, prévu par les articles 164 et 165 de la Constitution, est un
contentieux constitutionnel fait l’objet d’autres développements70. Contentons-nous,
pour l’instant, de celle du rôle de ce juge pénal spécial qu’est la Cour
constitutionnelle dans la protection des droits fondamentaux par le biais du
jugement pénal des autorités visées ci-dessus. Comment les droits fondamentaux
peuvent-ils se trouver protégés par ce biais ?

Disons tout de suite que cette protection des droits constitutionnels est indirecte. Elle
n’est et ne peut être assurée que par le biais des victimes des infractions pénales
reprochées au Président de la République et/ou au Premier ministre. Pour autant,
qui sont-elles ces victimes ? Quelles sont les catégories de leurs droits fondamentaux
violées par les agissements illégaux du Président de la République et du Premier
ministre ?

Pour répondre à ces interrogations, il convient de passer par un exemple. L’une des
infractions pénales, sinon la plus fréquente, qui peut être reprochée au Président de
la République ou au Premier ministre c’est le détournement des deniers publics. Si cette
infraction est consommée, elle affecte non seulement le budget de l’Etat, mais aussi et
surtout, tous ceux qui sont obligés de vivre de ce budget (fonctionnaires dont le
versement des salaires ne peut plus convenablement être assuré, créanciers dont le
paiement des dus ne peut plus être dû, bailleurs qui attendent le remboursement des
prêts, et finalement, le citoyen lambda dont le développement du pays est
postposé…).

70
Cfr. NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G.), Droit du contentieux constitutionnel, Louvain-la-
Neuve, Academia-L’Harmattan s.a. (à paraître).
64
65

Toutes ces catégories de personnes sont les victimes de l’agissement illégal du Président de la
République ou du Premier ministre. Le jour où celui-ci est condamné par la Cour
constitutionnelle – et cela même si ceux-ci ne sont pas dus devant ce juge – les
victimes ne peuvent-elles pas réclamer les dommages-intérêts ? Ces dommages-
intérêts, destinés à compenser les pertes subies ou à rémunérer les « manque-à-
gagner », ne constituent-ils pas des droits subjectifs patrimoniaux des victimes, rentrant
dans le cadre du droit de propriété (art. 34, Cfr. infra) ?

Visiblement, la condamnation du Président de la République ou du Premier ministre


aux dommages-intérêts résultant d’une infraction de la compétence de la Cour
constitutionnelle est susceptible d’engendrer, au profit de leurs victimes, quelques
droits patrimoniaux en termes d’argent ou de tout autre bien patrimonial. Sur l’octroi
de ces droits, la Cour constitutionnelle n’aura été finalement que pourvoyeuse, la
compétence d’allouer effectivement lesdits dommages-intérêts à la suite de ces
infractions ayant été réservée au « juge ordinaire »71.

Et que dire des victimes de la réputation de leur pays, ainsi entamée par le
comportement immoral, en tous les cas indélicat, de leurs hautes autorités ? Cette
mauvaise réputation ne peut-elle pas entamer le droit à l’image de chaque citoyen
(Cfr. supra) ? En tout cas, la question reste posée.

e) La protection juridictionnelle directe des droits fondamentaux par la Cour constitutionnelle

En dehors de toutes ces hypothèses de protection indirecte des droits fondamentaux,


la Cour constitutionnelle congolaise est aussi compétente pour assurer, de manière
directe, la protection des droits constitutionnels à travers cette sorte d’action populaire
organisée par l’article 49 de sa loi organique, aux termes duquel « A l’exception des
traités et accords internationaux, le Procureur Général saisit d’office la Cour pour
inconstitutionnalité des actes visés à l’article 43 de la présente Loi, lorsqu’ils portent
atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés publiques »72.

Il s’agit donc d’une action populaire directe exercée par le Procureur général près la Cour
constitutionnelle contre lesdits actes, lequel peut précisément fonder son action sur
une disposition de la Constitution consacrant un droit fondamental afin d’obtenir
l’annulation d’une loi, d’un édit, d’un acte ayant force de loi, d’un règlement
intérieur ou d’un règlement pris par les autorités publiques compétentes. A la
différence des premières hypothèses, on est ici dans la protection directe des droits
fondamentaux, c’est-à-dire dans une sorte d’amparo à l’espagnole, qui n’est certes pas
exercée par le peuple lui-même, mais qui l’est forcément à son profit. Il en découle
que les compétences de la Cour constitutionnelle ne proviennent pas uniquement du
texte de la Constitution.

71
Cfr. art. 106 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle, in J.O.RDC., n° spécial, 18 octobre 2013, p. 22.
72
Art. 49, loi organique sur la Cour constitutionnelle, Op. cit., p.11.
65
66

En définitive, la Cour constitutionnelle peut assurer la protection des droits


fondamentaux même si, formellement, cette attribution ne lui est pas reconnue dans
la Constitution ou dans la loi. Dans ce cas, elle s’acquitte de cette noble mission de
façon indirecte par le biais de ces autres types de compétence. En revanche, lorsque
cette compétence lui est expressément reconnue – à l’instar de l’article 49 de la loi
organique du 15 octobre 2013 – cette protection des droits constitutionnels est
forcément directe. Autant dire que l’exercice par la Cour constitutionnelle de
l’ensemble de ses compétences est une manière comme une autre pour elle d’assurer
la protection des droits fondamentaux. Et sur ce point, la Cour constitutionnelle
apparaît comme le premier mécanisme juridictionnel institué par la Constitution
pour la protection desdits droits.

B. La garantie juridictionnelle que constitue le Conseil d’Etat

Les juridictions administratives en droit positif congolais, surtout lorsqu’il s’agit de


la plus haute d’entre elles, disposent essentiellement de deux types de compétences :
le contrôle de la légalité des actes administratifs et la réparation des préjudices
exceptionnels « résultant des mesures prises ou ordonnées par les autorités de la
République, dans le cas où il n’existe pas d’autres juridictions compétentes »73. Ces
deux chefs de compétences donnent-ils au Conseil d’Etat la possibilité d’assurer la
protection des droits constitutionnels ? Si la réponse paraît évidente s’agissant du
second type de compétence (1), quelques objections ont pu être soulevées ça et là à
propos du contentieux de l’annulation (2).

1. La protection juridictionnelle des droits fondamentaux par le biais du contentieux


de la réparation des préjudices exceptionnels

Ici, le Conseil d’Etat assure la protection juridictionnelle des droits fondamentaux


essentiellement par le truchement d’une indemnité réparatrice ou compensatoire
qu’il peut octroyer à la victime d’une mesure prise ou ordonnée par une autorité
publique qui aurait violé un de ces droits fondamentaux, qu’il s’agisse d’une
indemnité de nature pécuniaire, matérielle ou simplement morale. Dans la mesure,
en effet, où cette indemnité est destinée à réparer, selon les termes mêmes du
Constituant, un « dommage matériel ou moral », l’on s’imagine que celui-ci est
nécessairement une atteinte qui a dû avoir été porté à un droit civil, économique, social,
culturel ou politique (p.ex. droit à la liberté de circulation, droit à la propriété, droit au
logement, droit à la réputation ou droit d’accès à une fonction publique), pourvu que
le préjudice ainsi subi ne puisse être réparé par une autre juridiction compétente.

Il est essentiel de souligner que la plupart des droits protégés par la Constitution -
qu’il s’agisse des droits civils et politiques, des droits économiques, sociaux et
culturels ou de toute autre catégorie de droits - sont susceptibles de recevoir
protection du Conseil d’Etat par ce biais, étant donné que, jusqu’à présent, il n’existe

73
Cfr. art. 155 de la Constitution, Op. cit., p. 51.
66
67

pas encore en droit congolais – à la différence de la France ou de la Belgique – de


démarcation, en termes de compétences des juridictions, entre le Conseil d’Etat et les
autres cours et tribunaux en la matière. Tous les cours et tribunaux étant qualifiés de
« garants des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens » (art.
150 al. 1er de la Constitution), l’on ne peut s’imaginer une exclusion du Conseil d’Etat
de cette liste de mécanismes de protection.

2. la protection juridictionnelle des droits fondamentaux par le biais du contrôle de


la légalité des actes administratifs

Un peu à la manière de la Cour constitutionnelle, le Conseil d’Etat peut être amené à


assurer la protection des droits constitutionnellement garantis lorsque, transposés
dans une loi ou dans un acte ayant force de loi, ceux-ci doivent lui servir de norme de
référence au contentieux de l’annulation pour excès de pouvoir ; l’annulation par la
juridiction administrative de l’acte illégal constituant, dans ce cas, une mesure
préventive protectrice desdits droits. Ladite protection peut même paraître comme
directe au contentieux de pleine juridiction, la réparation du préjudice résultant de l’acte
illégal pouvant se traduite ici par l’octroi d’une indemnité compensatoire ou
réparatrice.

Faisant une distinction nette entre le « contentieux objectif » et le « contentieux


subjectif », Michel LEROY conteste cependant un tel rôle au juge administratif,
s’agissant tout spécialement du Conseil d’Etat belge. Pour lui, le critère de distinction
entre droit objectif et droit subjectif « …place le Conseil d’Etat dans une situation
particulière au regard des articles 144 et 145 de la Constitution (belge). Le recours en
annulation ne porte pas sur un droit. Ni sur un droit civil, ni sur un droit politique.
La contestation qu’il engage n’est ni une contestation portant sur des droits civils ni une
contestation portant sur des droits politiques… »74.

L’administrativiste belge en arrive à cette conclusion parce que, d’après la conception


que la France et la Belgique auraient de la juridiction administrative, « Toute la
différence vient de ce que le recours en annulation n’est pas la sanction d’un droit qui
serait déposé dans le patrimoine du requérant. Le recours en annulation se situe sur
le plan du droit objectif, locution qui désigne globalement l’ensemble des règles de
droit applicables dans un territoire ou à un ensemble de situations déterminées. La
question que tranche le juge, c’est de savoir si un acte administratif ou un règlement
est ou n’est pas compatible avec l’ensemble des règles qui figurent dans cet arsenal
juridique. Si l’acte ou le règlement y est contraire, il l’annule, éliminant du droit
objectif une antinomie qui s’y était glissée. Le procès ici n’est pas dirigé contre la
personne morale qui a édicté l’acte irrégulier ; il est dirigé contre cet acte lui-
même… », de sorte qu’il n’y a aucun droit subjectif qui est en cause ici75

74
LEROY (M.), Contentieux administratif, 2ème éd., Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 90. Italiques de l’auteur.
75
Idem, p. 87.
67
68

Naturellement, ce raisonnement ne peut tenir que si, dans l’annulation d’un acte
administratif illégal, l’on refuse de voir une mesure préventive protectrice
d’éventuels droits subjectifs et si, comme on l’a dit, l’on refuse d’admettre que,
quelque fois, le contentieux de l’annulation peut se combiner avec le contentieux de
l’indemnité. C’est ce que Michel LEROY lui-même semble reconnaître lorsqu’il écrit
que « Cela dit, il n’est nullement impossible de concevoir un contentieux
administratif comportant un recours en annulation qui soit axé sur la défense des
droits subjectifs : c’est la conception allemande…. » ; ou qu’il existe une « …position
mitigée (attribuant) au recours en annulation à la fois un caractère objectif et un
caractère subjectif… »76

L’auteur semble même multiplier des contradictions puisque, dans le même contexte,
il avoue que son « …analyse ne vaut que pour le contentieux de l’annulation des
actes et règlements. Au contentieux de la cassation administrative, le contexte
constitutionnel est différent. Les juridictions administratives connaissent de litiges
qui portent sur des droits subjectifs, nécessairement de nature politique, étant donné
les articles 144 et 145 de la Constitution. Quand le Conseil d’Etat statue (en effet)
comme juge de cassation, il rend une décision qui s’intègre dans un procès qui a
commencé par être soumis à la juridiction administrative de premier degré, et qui
porte sur des droits politiques… De même, quand il statue au contentieux de pleine
juridiction, le Conseil d’Etat se prononce sur les droits subjectifs des parties : il peut
s’agir notamment du droit d’un mandataire politique d’être élu ou de siéger, ou du
droit d’un c.p.a.s. au remboursement de frais d’assistance qu’il a exposés… »77

Si ceci n’est pas une conversion, il faudrait y voir la manifestation d’une simple foi en
un système (belge) dont le modèle et la philosophie ne sont peut-être pas
transposables en tout lieu. En tout cas, en République démocratique du Congo, une
telle transposition est impossible puisque la protection juridictionnelle des droits
fondamentaux par le Conseil d’Etat est envisageable et déjà envisagé. Cette
protection est organisée, au sein du Conseil d’Etat, aussi bien au contentieux de la
réparation qu’à celui de l’annulation.

C. La garantie juridictionnelle que constitue la Cour de cassation

La Cour de cassation exerce, aux termes de l’article 153 de la Constitution, deux


types de compétences : elle connaît des pourvois en cassation formés contre les arrêts
et jugements rendus en dernier ressort par tous les cours et tribunaux de l’ordre
judiciaire certes (2), mais elle est aussi, en premier et dernier ressort, juge des
infractions commises par certains justiciables bénéficiant du privilège de juridiction
(1).

76
Ibidem, p. 88.
77
Ib., pp. 90-91.
68
69

1. En tant que juge pénal, la Cour de cassation (et par ricochet toutes les juridictions de
l’ordre judiciaire) assure la protection des droits constitutionnels de deux manières :

- d’une part, en faisant application directe des garanties judiciaires prévues aux articles 17,
18, 19, 20 et 21 de la Constitution (principe de la primauté de la liberté sur la
détention ; principe de la légalité des crimes, des poursuites, des détentions, des
condamnations et des peines ; principe de la proportionnalité des peines ; principe de
la rétroactivité de la loi pénale douce ; principe de la responsabilité pénale
individuelle ; principe de la présomption d’innocence ; principe de la publicités des
audiences ; principe de la motivation des jugements ; droit d’être informé, dans sa
langue, des motifs de son arrestation et toute accusation portée contre soi ; droit
d’être informé de ses droits en cas d’arrestation ; droit d’entrer en contact avec sa
famille ou avec son conseil en cas de garde à vue ; droit à un traitement digne en cas
de détention ; droit au juge que la loi assigne ; droit à un procès raisonnable ; droits
de la défense ; droit au recours contre un jugement) ;

- d’autre part, en sanctionnant pénalement des comportements liberticides préalablement


érigés en infractions par le législateur, étant entendu que ces infractions ne sont qu’une
manière pénale de protéger un droit, une liberté (ex : meurtre et assassinat sanctionnés
comme atteinte au droit à la vie ; arrestations arbitraires et détentions illégales
sanctionnées comme atteintes à la liberté individuelle ; diffamations et dénonciations
calomnieuses sanctionnées comme atteintes au droit à l’honneur et à la dignité, etc.).

2. Comme juge de cassation, la Cour de cassation est, certes, avant tout « juge de la
légalité » des jugements intervenus au second degré, mais la généralité des termes de l’article
153 de la Constitution ne la confine pas à ce simple rôle de protectrice de la « légalité », à
moins d’entendre ce dernier terme dans son sens général. Lorsque la Constitution affirme en
effet que « la Cour de cassation connaît des pourvois en cassation formés contre les arrêts et
jugements rendus en dernier ressort par les Cours Tribunaux… », ces pourvois peuvent être
fondés aussi bien sur la violation de la loi que sur la violation d’une disposition expresse de la
Constitution (p. ex. sur l’article 21 qui commine l’obligation de motiver tout jugement). En
cassant un arrêt de la Cour d’appel qui aurait omis d’obtempérer à cette obligation, comment
la Cour de cassation n’assure-t-elle pas, par ce biais, la protection des droits
constitutionnellement garantis (ici le droit à la motivation des jugements) ?

Parfois même, les motifs de cassation sont tirés de la violation d’un droit
expressément formulé dans la Constitution, par exemple du droit de ne pas être
soustrait ou distrait du juge que la loi assigne, du droit à ce que sa cause soit
entendue dans un délai raisonnable par un juge compétent, du droit de la défense ou
du droit à l’assistance judiciaire prévus à l’article 19 de la Constitution. Dans ces
hypothèses, l’on ne peut pas dire que la cassation d’un arrêt qui aurait ouvertement
méconnu ces droits ne constitue pas un moyen de protection, par la Cour de
cassation, des droits fondamentaux.

Il en résulte que tous les cours et tribunaux – qu’ils soient de l’ordre constitutionnel,
de l’ordre administratif ou de l’ordre judiciaire – sont, de par leurs fonctions, des

69
70

mécanismes de protection des droits constitutionnels. En cette matière, ils


appliquent, sous l’éclairage de la Cour constitutionnelle, toutes les dispositions
constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux autant que leur mission de
« garants de libertés individuelles et de droits fondamentaux » le leur recommande.
A cause de la force de contrainte de leurs décisions - qui découle d’ailleurs de leur
nature juridictionnelle - ils bénéficient par voie de conséquence de la plus grande
efficacité d’action que les mécanismes non juridictionnels78.

§2. Les mécanismes non juridictionnels de protection des droits constitutionnels

Sans s’attarder sur la nébuleuse des associations de défense des droits de l’homme
existant au Congo, il sied de signaler la pratique récurrente de l’institution d’un
mécanisme gouvernemental de promotion et de protection des droits de l’homme
(B), alors même que, partant de l’expérience suédoise, l’idée de l’instauration d’un
Ombudsman n’est pas complètement abandonnée (A).

A. Les tentatives d’instauration d’un Ombudsman à la suédoise

L’Ombudsman, c’est cette structure d’invention suédoise (1766) qui, à l’origine, était
une sorte de « délégué du Parlement chargé d’exercer une surveillance générale sur
l’application des lois par l’administration et la justice »79. Au fil du temps et à mesure
de la conquête de son autonomie, elle est devenue « le défenseur du peuple », même
contre les agissements du Parlement.

D’exportation difficile80, chargé en général de recueillir les plaintes des administrés


contre le mauvais fonctionnement de l’administration, l’Ombudsman dispose, en
Suède, de larges pouvoirs d’investigation et d’enquête (avec une autonomie parfois
plus grande que celle des ministres). Cependant, il ne se borne guère qu’à adresser
des recommandations aux fonctionnaires qui ont commis des irrégularités ou qui ont
pris des décisions malencontreuses, sans jamais disposer d’un pouvoir de sanction
réelle contre ces derniers. On a pu dire d’elle qu’elle exerce une « magistrature
d’influence » (ou « d’ordre moral ») et non «une magistrature de sanction » (ou « de

78
La constatation que tous les cours et tribunaux assurent, de par leurs prérogatives propres, la protection des
droits fondamentaux n’est pas exclusive de l’option - qui peut être levée un moment donné par un peuple -
d’instituer, à titre exclusif ou en collaboration avec les autres cours et tribunaux, un ordre juridictionnel spécial
des droits de l’homme. Ce dernier assumerait alors, y compris contre les décisions desdits cours et tribunaux, ce
rôle de « garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux » Cfr. NGONDANKOY NKOY-ea-
LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Op. cit., pp….
79
LEROY (M.), Op. cit., p. 29.
80
Voir quelques tentatives notamment en Belgique où est en vogue la pratique des « médiateurs » ou de
« délégués », qu’ils soient fédéraux, régionaux, communautaires, communaux ou simplement corporatifs. Pour
une étude, lire CENTRE D’ETUDES CONSTITUTIONNELLES ET ADMINISTRATIVES, Le médiateur,
Bruxelles, Bruylant, 1996.
70
71

commandement »)81. En Belgique même, il semble que « …les médiateurs ne sont pas
conçus comme des institutions de protection des droits fondamentaux, malgré la
relation faite avec le droit de pétition »(sic)82.

Quoiqu’il en soit, en République démocratique du Congo, c’est en relation avec la


promotion et la protection des droits de l’homme que l’institution a été souvent
évoquée, même si la République n’est pas allée jusqu’à en emprunter l’appellation.
En réponse à la méfiance manifestée à l’endroit des mécanismes gouvernementaux,
on a pu concevoir, en effet, plusieurs formules d’Ombudsman à la congolaise,
empruntant tantôt l’étiquette de « commission », tantôt celle d’« observatoire » sans
jamais prendre la place des mécanismes juridictionnels. Dans la marmaille des
expériences tentées, deux types de mécanismes de ce genre émergent : d’une part, les
ombudsmans qui ont pu disposer des pouvoirs quasi-juridictionnels (1), d’autre part,
ceux qui en ont été ou en sont encore quasiment dépourvus (2).

1. Les ombudsmans avec des pouvoirs quasi-juridictionnels

La République démocratique du Congo en a expérimenté quelques-uns. Au nombre


de ceux-ci, on peut citer, à titre d’exemples, la Commission des droits de l’homme et
du peuple créée en 2001 dans le cadre de Charte nationale (mort-née) des droits de
l’homme et du peuple (a) ainsi que l’actuelle Commission nationale des droits de
l’homme (b).

a) L’éphémère Commission des droits de l’homme et du peuple

La « Commission Congolaise des Droits de l’Homme et du Peuple était une structure


particulière de promotion et de protection des droits de l’homme et du peuple créée
en juin 2001 par la « Conférence nationale sur les droits de l’homme », convoquée et
organisée par le ministère des Droits humains, avec entre autres pour but
d’appliquer les principes du « Plan national de promotion et de protection des droits
de l’homme » adopté auparavant par les instances gouvernementales. Cette
Conférence ayant abouti à l’adoption d’une « Charte congolaise des droits de
l’homme et du peuple », celle-ci a prévu la création d’un organisme public autonome,
indépendant et permanent, doté de la personnalité juridique, avec deux domaines
principaux d’intervention pour la sauvegarde des droits de l’homme : la promotion
et la protection.

Aux termes de l’article 71 de la Charte, la Commission congolaise des droits de


l’homme et du peuple avait reçu comme pouvoir, non seulement de « promouvoir »,
nais surtout, de «protéger» les droits de l’homme. A ce titre, disait la Charte, elle
avait le pouvoir notamment « de recevoir des requêtes individuelles et/ou collectives
81
Lire MONETTE (P.-Y), « Du contrôle de la légalité et au contrôle de l’équité : une analyse du contrôle exercé
par l’ombudsman parlementaire sur l’action de l’administration », in Revue belge de droit constitutionnel, n° 1,
Bruxelles, Bruylant, 2001, pp. 6-7.
82
LEROY (M.), Op. cit., p. 33.
71
72

introduites pour violation des droits et libertés, de constater la ou les violations à ces
droits et libertés et d’ordonner toutes mesures de réparation, de redressement ou de
satisfaction équitable » 57 ; l’article 73 de la Charte ajoutant que « Toute personne ou
groupe de personnes victime directe ou indirecte d’une violation des droits et libertés
(...) pouvait saisir la Commission par une requête individuelle ou collective tendant à
faire redresser ou réparer la violation constatée » 58 .

Recevoir une plainte en matière des droits de l’homme, en constater une violation et,
surtout, avoir la capacité d’ordonner « toutes mesures » à la suite de cette violation
(qu’il s’agisse d’une mesure de réparation, de redressement et/ou de satisfaction
équitable) n’équivaut-il pas à l’exercice des compétences quasi-juridictionnelles ? Au
regard de ce chef de compétences, il n’y a pas de doute que l’ancienne Commission
congolaise des droits de l’homme et du peuple n’avait rien de semblable avec des
ombudsmans connus. Si elle n’était pas un organe juridictionnel, elle n’en disposait
pas moins de pouvoirs.

Selon le vœu des délégués à la Conférence nationale sur les droits de l’homme, la
Commission congolaise des droits de l’homme et du peuple devait être « composée
de 15 membres, dont deux tiers au moins des juristes, ayant une compétence et une
expérience éprouvées en matière des droits de l’homme et de procédure judiciaire »
(art. 72, al. 1, infra). Ces derniers devaient être désignés par le parlement, après avis
de la Commission nationale d’éthique (art. 72, al.2) et siéger dans la Commission à
titre individuel pour un mandat renouvelable de 7 ans (art. 72 al. 2). Dotée d’un
greffe au niveau de son siège central, la Commission devait aussi, au niveau de ses «
subdivisions provinciales », disposer de quelques « chambres d’instance » (art. 70, al.
3).

Ce sont ces indices qui indiquent que la Commission congolaise des droits de
l’homme et du peuple, telle que voulue par son créateur, était un organisme
juridictionnel d’un type tout à fait particulier. Si l’on veut, ce fut une structure quasi-
juridictionnelle.

b) L’actuelle Commission nationale des droits de l’homme

La Commission nationale des droits de l’homme est une institution d’appui à la


démocratie créée sur pied de l’article 222, alinéa 3, de la Constitution83, « chargée de
la promotion et de la protection des droits de l’homme », plus exactement de « veiller
au respect (de ceux-ci) et des mécanismes de garantie des libertés fondamentales »84
par les pouvoirs publics, suivant la procédure, les moyens d’action et les pouvoirs
mis à sa disposition par la loi.

83
« Les institutions d’appui à la démocratie sont dissoutes de plein droit dès l’installation du nouveau Parlement.
Toutefois, par une loi organique, le Parlement pourra, s’il échet, instituer d’autres institutions d’appui à la
démocratie », Constitution, Loc. cit., p. 74.
84
Art. 4, Loi organique n° 13/011 du 21 mars 2013 portant institution, organisation et fonctionnement de la
Commission nationale des droits de l’homme, in J.O.RDC, n° spécial, 1er avril 2013, p. 3.
72
73

Comme institution d’appui à la démocratie, la Commission ne fait pas partie des


institutions traditionnelles de l’Etat et n’est soumise, dans l’accomplissement de sa
mission, qu’à l’autorité de la loi (art. 4 al. 2), la Constitution en étant la toute
première. Cette autonomie lui garantit ainsi une indépendance non seulement
fonctionnelle, mais aussi et surtout organique, en dépit du fait de la désignation de
ses membres par l’Assemblée nationale (art. 16), de leur investiture par ordonnance
présidentielle (art. 17) ou de la prestation de leur serment devant la Cour
constitutionnelle (art. 22). La Commission reste toujours indépendante tant dans son
action que dans son statut, en dépit de la présence de tous ces mécanismes, lesquels
reflètent, en fait, le souci de la collaboration qui doit exister entre différentes
institutions de l’Etat.

Le caractère quasi-juridictionnel de la Commission ressort très clairement des


principales attributions que la loi lui assigne ainsi que de la procédure qu’elle est
appelée à mettre en œuvre dans la protection des droits fondamentaux.

Il est ainsi prévu que la Commission nationale des droits de l’homme a notamment
pour attributions d’enquêter sur tous les cas de violations des droits de l’homme,
d’orienter et d’aider les plaignants ainsi que les victimes dans leurs actions
judiciaires, de procéder à des visites périodiques des centres pénitentiaires et de
détention, voire de régler certains cas de violation des droits de l’homme par la
conciliation85.

Il est aussi prévu que toute personne physique (agissant individuellement


collectivement) ainsi que toute personne morale (essentiellement les organisations de
défense et de promotion des droits de l’homme) peuvent saisir la Commission de
toute violation des droits consacrés dans la Constitution ou dans les instruments
internationaux ratifiés par la RDC, sans préjudice du pouvoir de saisine d’office qui
revient à la Commission elle-même86. Il lui est même reconnu le pouvoir de requérir,
sans refus de leur part, la collaboration des forces de l’ordre, des autorités
administratives et judiciaires ainsi que le pouvoir d’accéder à tout lieu pour vérifier
toute allégation relative à une violation des droits de l’homme (art. 30 et 31 de la loi
organique).

Par ces dispositions, la Commission nationale des droits de l’homme apparaît comme
une structure quasi-juridictionnelle puisqu’au-delà des compétences d’appui aux
victimes et en dépit de ses autres missions de promotion, elle peut aller jusqu’à régler
certains cas de violation des droits de l’homme, fut-ce par la conciliation. C’est un
privilège qui n’est pas reconnu à tous les Ombudsman.

2. Les Ombudsman sans pouvoirs juridictionnels précis

On citera ici essentiellement le cas de l’Observatoire national des droits de l’homme créé,
à l’issue du Dialogue inter-Congolais, par la Constitution de la transition du 4 avril

85
Art. 6, points 1, 2, 3 et 11 de la loi organique précitée, Loc.cit., pp. 4-5.
86
Art. 28, Idem, p. 11.
73
74

2003 et qui, depuis lors, a disparu de l’ordonnancement institutionnel national. Sans


qu’il soit besoin de s’y étendre, l’on notera simplement que, pour l’essentiel, cette
structure n’avait aucun pouvoir de nature juridictionnelle, la plupart de ses
compétences s’étant limités dans le domaine de la promotion et de la sensibilisation 87

B. La pratique d’un mécanisme gouvernemental de promotion et de


protection des droits de l’homme

1. L’ancien Département des droits et libertés du citoyen

On retiendra que la création, en 1986, du Département des droits et libertés du


citoyen constitue, au Zaïre de Mobutu, le moment le plus solennel et le plus visible
de l’histoire de la protection gouvernementale des droits de l’homme au pays. Cette
création inaugure, quoiqu’on en dise, l’âge de la prise en charge institutionnelle
spécifique de la protection des droits de l’homme par un organe autre que les cours
et tribunaux traditionnels.

Créé par l’ordonnance n° 86-268 du 31 octobre 1986, le Département des droits et


libertés du citoyen s’est vu confirmé dans sa mission de protection des droits et
libertés du citoyen zaïrois par une ordonnance de 1987, laquelle précisait, en même
temps, sa nature institutionnelle. Aux termes, en effet, de l’article 1er de cette dernière
ordonnance, « il (était) créé au sein du Conseil Exécutif un Département chargé de la
protection des droits et des libertés des Citoyens, dénommé ‘Département des Droits
et Libertés du Citoyen’»88. Le Département des droits et libertés du citoyen zaïrois
était donc un organe de l’Exécutif, faisant partie du Gouvernement. Son titulaire,
appelé « Commissaire d’État », était membre du Gouvernement, nommé et révoqué
ad nutum par le Président de la République, dans le cadre des pouvoirs exorbitants
qui étaient ceux du «Président-Fondateur du MPR, Président de la République ».

Dans la hiérarchie institutionnelle de l’époque, le Commissaire d’Etat aux droits et


libertés du Citoyen occupait l’un des cinq premiers rangs des postes ministériels. A
un certain moment, il fût même un des «Vice-premiers Commissaires d’Etat »,
preuve de l’importance qu’avait acquise la question des droits de l’homme au sein
du régime. En dépit de tout cela, et comme membre du Gouvernement, le
Commissaire d’Etat aux droits et libertés du citoyen n’était pas forcément
indépendant dans son action car soumis tant à la tutelle du Chef de l’État qu’à toutes
les règles déontologiques gouvernant la fonction ministérielle, par exemple la
solidarité gouvernementale.

La mission du Département, aux termes de l’ordonnance précitée, consistait


principalement à protéger les droits et libertés des « citoyens zaïrois résidant dans la

87
Cfr. NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Op. cit., pp. 414-417.
88
Cfr. Ordonnance n°87-034 du 22 janvier 1987 modifiant l’ordonnance n° 86-268 du 31 octobre 1986 portant
création d’un Département des Droits et Libertés des Citoyens, in J.O.R.Z., n° 4, 14 février 1987, p. 21.
74
75

République ainsi que ceux résidant à l’étranger… »; ce qui excluait, par principe,
toutes autres personnes n’ayant pas la nationalité zaïroise. « Le Département des
Droits et Libertés du Citoyen (avait) pour mission, précisait son Règlement interne
organique, de défendre le Citoyen injustement lésé dans ses droits ou atteint dans ses libertés
par une décision d’une Cour ou d’un Tribunal, d’une administration publique ou privée, ou
par des voies de fait, en prenant toute mesure propre à le rétablir dans ses droits ou libertés,
lorsqu’il aura régulièrement épuisé toutes les voies de recours légales habituelles (...) et que
celles-ci se seront révélées inefficientes, l’injustice dénoncée subsistant d’une manière
flagrante »89.

Cette mission de protection, qui apparaissait comme supra-juridictionnelle - puisque


le Département pouvait même prendre « toute mesure » à l’encontre d’une décision
de justice manifestement attentatoire aux droits et libertés des citoyens - était à la fois
son point fort et son point faible. Point fort parce que, grâce à ce Département
ministériel, désormais aucune institution publique ne pouvait plus fonctionner sans
quelques égards aux droits et libertés reconnus aux « citoyens ». Point faible aussi
parce que, en censurant jusqu’aux décisions de justice, le Département ministériel
pouvait apparaître comme une super-Cour suprême de Justice ; ce qui était
manifestement contraire aux principes tant de la séparation des pouvoirs que de
l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions de justice.

La gageure, pour le citoyen, était surtout de démontrer que la décision de justice ou


la décision administrative attaquée devant le Département laissait subsister, pour lui
et contre lui, une injustice flagrante; cette dernière notion étant définie comme « celle
que concourent à établir des éléments de preuve vérifiables et crédibles, en dépit de
la décision contraire de la justice ou de l’administration »90. Le mécanisme
apparaissait donc quelque peu judiciarisé, en dépit de son origine gouvernementale.
On peut aujourd’hui constater que, rétroactivement parlant, il s’agissait d’un
Département ministériel qui, de toute évidence, était conçu avec un certain souci
d’efficience et d’efficacité, tant plusieurs précautions étaient prises pour éviter de
courcircuiter les cours et tribunaux.

En ce qui concerne la procédure devant cet ancien Département, l’arrêté


départemental n° 0005/CAB/CE/DLC/MAWU/87 du 2 février 1987 indiquait
clairement le parcours de trois phases successives : la phase préjudicielle, supposant
l’épuisement préalable de toutes les voies de recours ordinaires offertes par le Droit
commun, la phase préliminaire, commençant avec la saisine proprement dite du
Département à travers ses structures et ses embranchements, ainsi que la phase du
contentieux, celle qui se déroulait devant l’une des Directions de l’Administration
centrale du Département (Direction du Contentieux judiciaire, Direction du
Contentieux administratif et Direction du Contentieux politique). Ces directions
centrales «jugeaient » les dossiers « sur pièce» (art. 12).

89
Art. 1er du Règlement interne organique du Département, in Arrêté départemental n° 0004/CAB/CE/DLC/87
du 2 février 1987, in J.O.R.Z., n°5, 1er mars 1987, p. 23. Italiques ajoutées.
90
Idem
75
76

Il ressort des textes organisationnels de l’ancien Département des droits et libertés du


citoyen que cette structure gouvernementale particulière était habilitée à prendre
deux types de sanctions à l’encontre de tout violateur des droits ou des libertés du
citoyen : une sanction de nature judiciaire, pouvant déboucher sur certaines formes de
réparation ou de redressement, et une sanction de nature politique, beaucoup plus
lourde de conséquence vu le contexte politique de l’époque qui se matérialisait dans
l’établissement d’un certain « fichier de moralité » pour tout responsable coupable de
violation des droits de l’homme. L’efficacité du mécanisme mis en place tenait, entre
autres, à ce genre de fichage91. Le Ministère des Droits humains qui lui a succédé lui
est –il comparable ?

2. Le ministère des Droits humains

La création, en 1998, par le Président L.D. Kabila, d’un ministère dénommé «


Ministère des Droits Humains » est intervenue dans un contexte politique et
juridique particulièrement « nouvelle », après l’expérience connue du Département
des Droits et Libertés du citoyen. Cette création fut ressentie non seulement comme
un pis-aller pour les nouvelles autorités « révolutionnaires », mais surtout comme un
test de leur bonne volonté à cesser de considérer les droits de l’homme comme une
« petite question ».

Dans un Document de présentation générale publié à l’époque avant la promulgation


du Décret du 16 septembre 2003, le Ministère des Droits humains se présentait lui-
même d’une façon pour le moins ambitieuse. Il s’agissait d’un ministère « créé par la
seule volonté de M’zee Laurent-Désiré Kabila, président de la République, pour
mieux promouvoir et protéger, en temps de paix comme en temps de guerre, les
droits des Congolais et des étrangers résidant sur le territoire de la République
démocratique du Congo »92. Aux contacts des réalités, le ministère devait cependant
se présenter comme celui qui devait se limiter à « …aider les nationaux et les
étrangers à mieux connaître leurs droits et à les faire valoir en toutes
circonstances...sans se substituer ni aux cours et tribunaux, ni aux services d’ordre et
de sécurité. Le ministère intercède en qualité de ‘Médiateur de la République’ (sic)
appelé à amener les autorités administratives et judiciaires à rétablir les citoyens lésés
dans leurs droits. Il joue ce rôle, devait-on préciser, selon les règles de l’art, en usant
du tact et en tenant compte du contexte du cas d’espèce... »93.

Dans le décret du 16 septembre 2003, il était cependant précisé que le ministère avait
pour compétences « la promotion et la protection des droits de l’homme et des
libertés fondamentales; la diffusion et la vulgarisation des droits de l’homme; le suivi
du respect des droits humains; et la collaboration avec le Haut Commissariat aux

91
Pour aller plus loin, NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Op.
cit., pp. 373-393.
92
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, MINISTERE DES DROITS HUMAINS, Mission-Projets
prioritaires-Principales réalisations-Difficultés rencontrées-Perspectives d’avenir. Tout savoir sur le ministère
des Droits Humains, Dépliant de connaissance générale, s.d.
93
Idem
76
77

Droits de l’Homme, avec la Commission Africaine aux Droits de l’Homme et avec


d’autres Institutions Nationales, Régionales et Internationales compétentes en
matière des droits de l’homme » ainsi que l’ « examen des cas flagrants de violation
des droits humains par des mécanismes propres tels que la Médiation en matière de
droits de l’homme et la Commission de contrôle, sans se substituer aux Cours et
Tribunaux, ni aux procédures administratives prévues par la loi »94. Depuis, ces
compétences sont demeurées inchangées95.

Tel que prévu par ces textes, le ministère des Droits humains se définit donc comme
le médiateur de la République, avec cependant cette particularité qu’il fait partie du
Gouvernement et ne relève pas, comme dans d’autres pays pratiquant ce modèle, du
Parlement (Cfr. supra). D’où l’éternelle question de l’indépendance de ce
« médiateur » d’un statut plutôt particulier. Celle-ci lui est-elle acquise ? Il est permis
d’en douter, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un organe du Gouvernement et son
titulaire, appelé ministre des Droits humains, est membre de ce dernier, soumis,
comme tous les autres ministres, aux règles déontologiques régissant la fonction
ministérielle.

Section 2 : Les garanties procédurales

Elles concernent un certain nombre de principes utilisables dans toute procédure,


judiciaire ou administrative, en vue d’assurer la défense de ses droits fondamentaux.
Comme tels, ces mécanismes procéduraux s’analysent en termes de conditions de
jouissance, voire même d’existence des droits proclamés dans la Constitution car,
sans eux, la garantie de protection effective des droits fondamentaux devient
illusoire, voire hypothétique.

Parmi ces principes, on citerait, à titre d’exemple, le principe de l’applicabilité directe


des normes constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux (§1), le principe de
la réserve de compétence en matière d’aménagement des droits fondamentaux au
législateur (§2), le caractère exceptionnel et conditionné des limitations aux droits
fondamentaux (§3) ainsi que l’interdiction de réduction du niveau de reconnaissance
ou de protection des droits fondamentaux (§4).

§1. Le principe de l’applicabilité directe des normes constitutionnelles relatives aux droits
fondamentaux

Ce principe signifie qu’en dépit de la forme dans laquelle elle est exprimée, une
norme constitutionnelle relative aux droits fondamentaux, soit qu’elle les créée, soit
qu’elle les supprime de l’ordonnancement juridique, est d’application directe sans
qu’il soit nécessaire de recourir à la médiation d’une autre norme juridique, fut-elle
de rang législatif. Ce principe découle de la portée même des normes
constitutionnelles (A) et peut se traduire, sur le plan légistique, par un certain
94
Art. 1er B, 7è, du Décret n°03/027 du 16 septembre 2003 portant…., p. 28
95
Cfr. notamment n° 08/074 du 24 décembre 2008 fixant les attributions des ministères, in J.O.RDC., n°…
77
78

nombre de techniques de rédaction qui, pour être sophistiquées, ne laissent que très
peu de doute sur l’effet self-executing des normes constitutionnelles (B).

A. La portée juridique des normes constitutionnelles relatives aux droits


fondamentaux

Les normes constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux ont au moins une
double portée juridique : d’une part, elles sont revêtues de l’autorité de la chose
constituée (1) et, d’autre part, elles sont d’application immédiate sauf volonté
contraire du Constituant (2).

1. Les normes constitutionnelles sont revêtues de l’autorité de la chose constituée

Contrairement à une opinion largement répandue, la Constitution n’est pas un texte


de portée générale qui se bornerait à poser des principes tout autant généraux,
dépourvus de force juridique et dont la mise en œuvre dépendrait d’une autre
normativité située en dehors d’elle. La Constitution est, en elle-même, une norme
juridique. Elle est la loi fondamentale et suprême d’un Etat. Par voie de conséquence, tous
les principes généraux qu’elle peut être amenée à édicter sont des normes juridiques
revêtues de toute la normativité, de la plus haute normativité juridique nécessaire,
découlant de l’autorité suprême des décisions du Constituant. En termes clairs, on
dirait que tous les articles de la Constitution bénéficient de la plus grande autorité par
rapport à d’autres normes juridiques. Ils sont revêtus de l’autorité de la chose constituée,
c’est-à-dire de l’autorité de la chose instituée par le Constituant96.

En tant que norme suprême de l’Etat, il est donc normal que les droits affirmés dans
la Constitution bénéficient d’une autorité spéciale, celle des droits créés par le
Constituant lui-même (Cfr. supra).

Si cette règle cardinale du constitutionnalisme est admise, et si l’on sait que l’autorité
de la chose constituée met tous les articles de la Constitution à l’abri des atteintes de
toute autre norme juridique à l’intérieur d’un même système juridique, alors il ne
convient pas de relativiser l’autorité suprême de certains articles de la Constitution
relatifs aux droits fondamentaux qui, à force de renvoyer à la « loi », à « l’ordre
public » ou aux « bonnes mœurs » pour l’application aisée desdits droits, risquerait
de prêter le flan à certains discours subversifs. Exemples : « …La loi fixe les
modalités d’application de ces droits » (art. 14 in fine) ; «…La loi fixe les modalités
d’exercice de ces libertés » (art. 22 in fine, art. 24 al. 3) ; « …La loi détermine les
conditions d’application du présent article » (art. 45 in fine) ; « Le droit à la culture, la
liberté de création intellectuelle et artistique, et celle de la recherche scientifique et

96
NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA (P.-G), Le droit constitutionnel de la République démocratique du
Congo, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan s.a. (à paraître).
78
79

technologique sont garantis sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes
mœurs » (art. 46 al. 1er ).

Même si pareils renvois peuvent être constatés dans l’affirmation constitutionnelle


des droits fondamentaux, cela ne signifie pas que le principe même du droit
fondamental en question (son essence ou sa substance) se trouve être nié ou
suspendu par le renvoi à la loi, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Le principe,
l’essence ou la substance du droit fondamental reste maintenue dans la norme
constitutionnelle, même si son exercice effectif dépend de sa conformité à la loi, à
l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Ces derniers référents ne sont d’ailleurs que de
simples mesures de la liberté, de simples bornes à son exercice. Ils ne peuvent, par
conséquent, pas la nier dans son existence même.

Il faut toujours se souvenir, en pareille circonstance, que l’article de la Constitution


qui proclame un droit fondamental ne perd pas de sa normativité par le simple
renvoi à quelque référent que ce soit (loi, ordre public ou bonnes mœurs). Mieux, le
renvoi à la loi, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs pour l’application ou l’exercice d’un
droit fondamental n’a ni pour vocation ni pour signification de vider l’article de la
Constitution de sa substance ou de relativiser le principe de base du droit affirmé ; il n’est
qu’une simple modalité d’application du droit contenu dans cette norme constitutionnelle qui,
elle, ne perd pas de sa positivité. Sans ce renvoi - et même en présence de ce renvoi - l’article
de la Constitution reste d’application directe, du moins dans son principe, dans sa substance
matricielle, même si le Constituant veut que cette application se fasse d’une certaine manière.
Il en résulte que, sauf volonté contraire du Constituant, la norme constitutionnelle
contenant un droit fondamental est d’application directe.

2. Les normes constitutionnelles sont d’application immédiate sauf volonté contraire


du Constituant

L’exemple topique de ce principe est donné notamment par l’article 18-1 de la


Constitution portugaise : « Les normes constitutionnelles relatives aux droits, aux
libertés et aux garanties sont directement applicables et s’imposent aux entités
publiques et privées »97. Adoptée après la dictature franquiste - dont on connaît
l’importance de la liberté qu’elle s’est faite de la norme constitutionnelle - une telle
prescription ne peut guère étonner. Elle est d’ailleurs reprise, à quelques exceptions
près, par l’article 53-1 de la Constitution espagnole, qui l’assortit même d’un effet
contraignant98.

En République démocratique du Congo, l’expérience des violations répétées ou des


négligences dont les autorités se sont souvent rendues coupables vis-à-vis des droits
fondamentaux a conduit le Constituant de 2006 à créer un article nouveau dans le

97
Constitution de la République du Portugal du 2 avril 1976, telle que révisée subséquemment, in CEREXHE
(E.) et le HARDY De BEAULIEU (L.), Douze Constitutions pour une Europe..., Diegem, Kluwer Editions
juridiques Belgique- E. Story-Scientia, 1994, P.12-P.13. Italiques ajoutées.
98
Art. 53-1 de la Constitution espagnole : « Les droits et les libertés reconnus au chapitre II du présent titre sont
contraignants pour tous les pouvoirs publics… », Loc. cit., E-22. Italiques ajoutées.
79
80

corpus constitutionnel, lequel traduit, dans un même contexte, la double


préoccupation rencontrée, dans les pays de Franco et de Salazar, par les
Constitutions portugaise et espagnole : « Le respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales consacrés dans la Constitution s’impose aux pouvoirs publics et à toute
personne »99. C’est une façon de proclamer le caractère contraignant des droits
constitutionnels, lesquels, une fois affirmés dans la Constitution, « s’imposent à tous
les pouvoirs publics », en ce compris le Pouvoir législatif. C’est également une façon
de reconnaître ainsi leur effet direct, puisque l’imposition de leur respect par les
pouvoirs publics signifie que ni le Pouvoir législatif, ni le Pouvoir exécutif, encore
moins le Pouvoir judiciaire ne peuvent, dans l’exercice de leurs compétences
respectives, les violer, à partir du moment où ces droits sont inscrits dans le marbre
constitutionnel. Cette inscription emporte, en elle-même, l’effet direct du droit
constitutionnel en cause puisque même le législateur ne peut que le traduire dans sa
loi.

Quoiqu’il en soit, l’effet self-executing de la norme constitutionnelle proclamant un


droit fondamental n’a pas besoin d’être affirmé dans le texte constitutionnel lui-
même. Il découle de l’autorité suprême de la norme constitutionnelle elle-même,
autorité sans laquelle l’Etat de droit constitutionnel n’est qu’un vain mot. Il serait en
effet illusoire de proclamer l’autorité suprême de la norme constitutionnelle si les
normes infraconstitutionnelles peuvent impunément les paralyser ou en retarder
l’application. Pour que cette application immédiate soit retardée, ou pour qu’elle soit
modalisée, il faut que le Pouvoir législatif en ait reçu expressément mandat de la part
du Pouvoir constituant. Sans ce mandat, sans cette délégation de pouvoir, la loi ne
peut en aucune façon faire échec à l’application de la norme constitutionnelle
proclamant un droit fondamental.

Mais, comment dont-on savoir si, pour l’application directe des normes
constitutionnelles, le législateur en a reçu ou non mandat ? Comment le Constituant
consacre-t-il, lui-même, l’effet self-executing d’une norme constitutionnelle contenant
un droit ou une liberté ?

B. La traduction juridique de l’applicabilité directe des normes


constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux

Plusieurs techniques sont, à cet égard, généralement utilisées par les spécialistes de la
légistique constitutionnelle. On n’en citerait que deux.

1. La technique de l’affirmation péremptoire de la norme constitutionnelle

Du point de vue de la légistique constitutionnelle, certains droits affirmés dans la


Constitution le sont d’une façon presque péremptoire, c’est-à-dire décisif, qui n’admet
aucune discussion sur la volonté créatrice du Constituant. C’est alors à une sorte de

99
Art. 60, Constitution de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 21.
80
81

discours ex-cathedra que l’on a à faire dans le texte constitutionnel. Et pour


découvrir l’autorité suprême du Constituant, il suffit de faire attention aux
expressions auxquelles ce dernier fait recours. Exemples : « Le pluralisme est reconnu
en République Démocratique du Congo » (art. 6, al. 1er) ; « Tous les êtres humains
naissent libres et égaux en dignité et en droits » (art. 11 ) ; « Toute personne arrêtée
doit être immédiatement informée des motifs de son arrestation et de toute
accusation portée contre elle, et ce, dans la langue qu’elle comprend » (art. 18, al. 1er).

En présence de telles formulations, l’esprit spéculatif s’arrête, le pouvoir interprétatif


du juge diminue puisque la volonté créatrice du Constituant – à la manière de celle
du Dieu le Père - est sans aucune équivoque. Le droit est créé, la liberté est affirmée.
Plus personne ne peut le/la nier sinon, ce serait contredire la volonté du Constituant.
Devant une telle volonté, seul l’esprit juridique, celui-là même qui s’attache à
l’application stricte de la norme constitutionnelle, est ici mis à contribution ; car, si
toute norme juridique est faite pour être appliquée, il lui faut un véritable esprit
juridique pour trouver à s’appliquer correctement. C’est ce qui a pu fonder
notamment la doctrine du « juge, bouche de la loi »...

L’on remarquera que cette volonté créatrice du Constituant recourt à plusieurs


expressions pour rendre compte de sa majesté. La toute première est l’utilisation du
verbe d’action à l’indicatif présent comme pour exprimer un impératif. Exemple : « Le
pluralisme est reconnu en République Démocratique du Congo ». Parfois même, le
verbe d’action est précédé d’un autre qui, en lui-même, est un impératif. Exemple :
« Toute personne arrêtée doit être immédiatement informée… ». Mais la technique la
plus expressive de l’autorité créatrice, impératrice, du Constituant est sans doute
l’utilisation des adverbes de commandement comme « nul(le) », « aucun(e) » ou
« tout(e) ». Exemples : « Nul ne peut être tenu en esclavage ni dans une condition
analogue » (art. 16, al. 3) ; « Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation et
d’accès aux fonctions publiques ni en aucune matière, faire l’objet d’une mesure
discriminatoire… » (art. 13) ; « Toute personne accusée d’une infraction est présumée
innocente… » (art. 17, al. 9).

Ces différentes expressions, ce sont les différentes manières péremptoires utilisées


par le Constituant pour exprimer un commandement, un impératif ; ce qui prouve
qu’il n’a, en l’espèce, aucune volonté manifeste de transiger sur l’effet direct du droit
ainsi affirmé et qu’il entend marquer presque d’un seau d’inviolabilité.

2. La technique de l’absence ou du refus de délégation du pouvoir au législateur

Alors que, comme on l’a dit précédemment, dans certains articles de la Constitution
le Constituant peut faire un renvoi à la loi, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs
pour l’application aisée d’un droit fondamental (Cfr. supra), dans d’autres articles,
ces renvois ne sont guère opérés. Parfois même, les affirmations constitutionnelles
sont faites d’une telle manière qu’elles ne sont accompagnées d’aucune réserve ou
d’aucune délégation de pouvoirs au législateur.

81
82

Exemples : « Tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale
protection des lois » (art. 12) ; « Tout Congolais a le droit d’adresser individuellement
ou collectivement une pétition à l’autorité publique qui y répond dans les trois mois.
Nul ne peut faire l’objet d’incrimination, sous quelque forme que ce soit, pour avoir
pris pareille initiative » (art. 27).

Cela signifie que, pour l’application de ces droits fondamentaux, le Constituant n’a
pas voulu faire intervenir la volonté du législateur, qui ne peut ni en prévoir les
modalités d’exercice ni y apporter des limitations. La seule affirmation
constitutionnelle emporte effet décisoire de la norme constitutionnelle ; et c’est ce
caractère décisif qui confère à la norme constitutionnelle toute son autorité, c’est-à-
dire tous les attributs de la norme applicable.

Par conséquent, et sauf dérogation ou habilitation expresse du Constituant, la norme


constitutionnelle relative aux droits fondamentaux ne doit souffrir aucune
« conditionnalité » s’il n’existe en la matière aucune délégation expresse du pouvoir
faite à la loi pour son application.

§2. Le principe de la réserve de compétence législative en matière de droits


fondamentaux

Dans le système de la démocratie représentative, si le Parlement est l’organe qui


exprime la volonté générale, il en est ainsi parce que, au départ, au moment de la
constitution de la « société civile » (J. LOCKE), le peuple avait accepté de lui
abandonner une partie de ses prérogatives, une partie de ses droits. C’est la raison
pour laquelle, en France notamment, le Pouvoir législatif a toujours été considéré
comme « le délégué à nos libertés ». A partir de là a été défini son rôle de « gardien
des libertés ». Quel est le fondement (A) et l’étendue (B) de ce pouvoir ainsi reconnu
au Parlement ?

A. Fondement du pouvoir du législateur en matière de droits fondamentaux

Outre le fondement philosophique lié à la doctrine de la démocratie représentative, le


pouvoir du législateur en matière des droits fondamentaux découle, du moins en
République démocratique du Congo, directement des articles de la Constitution,
lesquels dénotent de la volonté du Constituant de céder une partie de ses
prérogatives au Parlement. Dans le respect de cette délégation de pouvoir, le
Parlement exerce ses attributions en matière des droits fondamentaux d’abord sur
pied de l’article 122-1 de la Constitution (1), ensuite sur pied de tous les articles de la
Constitution ayant trait aux droits fondamentaux et dans lesquels un pouvoir
résiduel lui est laissé (2).

82
83

1. L’article 122-1 de la Constitution

A l’instar de l’article 34 de la Constitution française du 4 octobre 1958, la Constitution


congolaise du 18 février 2006 dispose que « Sans préjudice des autres dispositions de
la présente Constitution, la loi fixe les règles concernant : 1. les droits civiques et les
garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés
publiques »100.

Au-delà de l’attention qu’il convient de réserver à la distinction entre « droits


civiques » et « garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des
libertés publiques » (b), la question fondamentale qui s’est souvent posée, à propos
de pareils articles, est surtout celle du sens donné au bout de phrase « la loi fixe les
règles concernant… » (a). Que signifie cette phrase ?

a) « La loi fixe les règles concernant… »

La question mérite d’être posée, d’autant plus évidemment que, au sein de l’article
123 de la même Constitution, le Constituant utilise une autre expression
apparemment proche, mais jamais semblable, à savoir : « la loi détermine les
principes concernant… ». Que signifient donc ces deux expressions ? En l’absence
des travaux préparatoires et en attendant une jurisprudence congolaise en la matière
qui viendra peut-être fixer les esprits, la prudence commande au moins de
rechercher le sens de ce bout de phrase là où il a vu le jour.

En France, si la question est souvent discutée, un consensus s’est dégagé au moins


sur l’essentiel. L’on considère en effet que, tandis que « fixer les règles » permet au
législateur de descendre jusque dans les détails de la loi, « déterminer les principes »
signifie que le législateur doit simplement rester dans les hauteurs de la loi pour
laisser au règlement le soin d’en préciser les détails. En d’autres termes, dans
l’expression « déterminer les principes », le pouvoir réglementaire reçoit un champ
d’intervention plus large que le pouvoir législatif, précisément pour permettre
l’application de la loi, tandis que dans l’expression « fixer les règles », il serait
simplement résiduel, voire parfaitement inutile ; la loi s’étant déjà occupée de tous
les détails nécessaires à la production de la nomre101. Selon Dmitri Georges
LAVROFF, « fixer les règles » permet ainsi à la loi de « dépasser le simple cadre des
principes pour statuer dans le détail de la réglementation mais sans aller jusqu’aux
circonstances de fait qui peuvent varier »102.

Un tel point de vue rejoint d’ailleurs la position du Conseil constitutionnel français


qui, régulièrement, fait la distinction, pour mieux préciser ces deux expresions, entre
l’élément déterminant de la règle, qui relèverait de la loi, et les éléments secondaires, qui
dépendraient des circonstances de l’espèce et n’ont par conséquent pas besoin d’être
définis par la loi.
100
Const. 18 fév. 2006, art. 122-1, Op. cit., p. 39.
101
Voy. e.i. ARDANT (Ph.), Institutions politiques & droit constitutionnel, 17ème éd., Paris, L.G.D.J., 2005, pp.
563-564.
102
LAVROFF (D.G.), Le droit constitutionnel de la Vème République, Paris, Dalloz, 1999, p. 720.
83
84

En tout état de cause, lorsque le Constituant confère à la loi le pouvoir de « fixer les
règles », que ce soit en matière de droits fondamentaux ou en d’autres matières, il lui
confère par là d’abord un pouvoir régalien. La délégation du pouvoir ainsi consentie
signifie alors que la loi doit avoir un contenu normatif ; elle doit être une norme, au sens
kelsenien du terme, c’est-à-dire « la signification d’un acte par lequel une conduite
est ou prescrite, ou permise et en particulier habilitée », voire même interdite103.

Il en résulte que lorsque le législateur intervient en matière des droits fondamentaux,


comme en toute matière de sa compétence, sur pied de l’article 122-1 de la
Constitution, il a tout à fait le pouvoir de prescrire, de permettre, d’habiliter ou
d’interdire un comportement déterminé (Cfr. infra). Il en est ainsi parce que telle est
la volonté du Constituant.

b) « Droits civiques » et « garanties fondamentales accordées pour… »

Ce qui apparaît à première vue comme un flottement de mots ou une confusion des
genres est, en réalité, un acte délibéré du Constituant qui a voulu, sur cette question,
définir les pouvoirs du législateur tant à l’égard des droits fondamentaux eux-mêmes
– « droits civiques » pour reprendre l’expression de la Constitution – qu’à celui de
leurs « garanties… ». La distinction vise simplement à indiquer que, tant pour la
définition des droits fondamentaux que pour la prévoyance des garanties de leur
protection, une loi, c’est-à-dire l’intervention du pouvoir législatif, est nécessaire.

En d’autres termes, si l’article 122-1 de la Constitution insiste sur le couple de mots


« droits civiques » et « garanties fondamentales accordées aux citoyens pour
l’exercice des libertés publiques », c’est une manière de soustraire à la compétence
d’autres Pouvoirs d’Etat – l’Exécutif et le Judiciaire en l’occurrence – la matière
relative à la définition (ou à la suppression) des droits fondamentaux, d’une part et
d’autre part, celle relative aux garanties de leur protection. Il est clair en effet qu’à
travers l’article 122-1 de la Constitution, le législateur a reçu du Constituant le
pouvoir de définir, seul, les règles concernant les droits fondamentaux et leurs
garanties de protection, les Pouvoirs exécutif et judiciaire devant déployer leur force
à faire respecter, sur ces matières, la volonté du législateur.

Il découle de cette constatation que ni le Pouvoir exécutif ni le Pouvoir judiciaire ne


dispose, proprio motu, de la compétence de créer ou de supprimer un droit
fondamental si ce n’est par subdélégation du législateur. A fortiori ne doivent-ils pas
violer ou ignorer ceux déjà consacrés dans la Constitution ou dans la loi. Car, comme
il l’a été rappelé plus haut, la caractéristique fondamentale des droits fondamentaux
est de n’être soumis ni au Pouvoir exécutif ni au Pouvoir judiciaire. En tant
qu’attributs de la personne humaine, ils relèvent de la compétence exclusive du
Constituant et, par délégation constitutionnelle, du législateur.

103
KELSEN (H.), Théorie pure du droit (trad. Ch. EISENMANN), Paris, Dalloz, 1962, p. 7.
84
85

2. Les autres articles de la Constitution ayant trait aux droits fondamentaux

Sans être limité, le domaine législatif défini à l’article 122-1 de la Constitution s’étend
également à tous les autres articles de la Constitution ayant trait aux droits
fondamentaux.

C’est le cas par exemple de l’article 5, alinéa 5, qui soumet l’exercice du droit à
l’électorat et du droit à l’éligibilité aux « conditions déterminées par la loi ». C’est
aussi le cas de l’article 11 qui permet l’extension légale, à titre exceptionnel, de la
jouissance des droits politiques aux étrangers. C’est encore le cas de l’article 14 qui
renvoie l’exercice effectif de certains droits spécifiques de la femme (droit à la non-
discrimination, droit à la protection et à la promotion de ses droits, droit à
l’épanouissement et à la pleine participation au développement de na nation, droit
de protection contre les violences, droit à une représentation équitable au sein des
institutions nationales, provinciales et locales…) à une « loi qui (doit fixer)
les modalités d’application de ces droits » (Cfr. supra).

Bref, tous les articles du titre II de la Constitution renvoyant à la loi pour la


jouissance ou l’exercice effectifs d’un droit fondamental constituent un autre
fondement juridique du pouvoir du législateur en la matière, qui peut s’en prévaloir
autant qu’il le ferait de l’article 122-1. Si ce dernier article peut être considéré comme
le fondement de base, il n’en reste pas moins que les autres articles de la Constitution
jouent le même rôle en matière de compétence du législateur sur les droits
fondamentaux. L’important est de savoir circonscrire l’étendue du pouvoir ainsi reçu
du Constituant.

B. Etendue du pouvoir du législateur en matière de droits fondamentaux

Si le législateur a reçu du Constituant le pouvoir de « fixer les règles » concernant les


droits fondamentaux et leurs garanties (art. 122-1), c’est-à-dire celui de prescrire, de
permettre, d’habiliter ou d’interdire un comportement en rapport avec ces droits ; si
ce pouvoir trouve son fondement également dans les autres articles de la
Constitution ayant trait aux droits fondamentaux, on peut considérer que la
compétence du Pouvoir législatif en matière des droits fondamentaux s’exerce au
moins dans trois directions : tout d’abord, par habilitation expresse du Constituant,
le législateur peut prendre des mesures d’application en vue de permettre un
exercice effectif des droits déjà reconnus dans la Constitution (1) ; ensuite, il peut
créer des droits fondamentaux ad abrupto sans contredire ceux déjà reconnus par la
Constitution (2) ; enfin, il peut limiter l’exercice de certains droits fondamentaux non
soustraits au pouvoir des autorités publiques (3).

1. Le pouvoir de prendre des mesures d’application des droits fondamentaux

Le Pouvoir législatif peut prendre des mesures d’application en vue d’assurer aux
bénéficiaires l’exercice effectif de leurs droits constitutionnellement garantis. C’est

85
86

l’hypothèse visée par plusieurs articles du titre II de la Constitution où l’on voit que,
dans certains cas, le Constituant délaisse son pouvoir, ou plutôt, délègue une partie
de son pouvoir au législateur en vue de prévoir des modalités concrètes ou
d’instituer des limites à l’exercice effectif desdits droits.

En vertu des principes gouvernant toute délégation de pouvoir, cette réserve de


compétence législative doit cependant être expresse, c’est-à-dire découler directement
du texte de la Constitution, sinon ce serait une usurpation de pouvoir. En effet, pour
que le législateur se déclare compétent en la matière, il est nécessaire que l’article en
question de la Constitution ait prévu la délégation de pouvoir, c’est-à-dire ait
renvoyé expressément la question de l’exercice effectif dudit droit à une mesure
d’application précise à prendre par le législateur. A défaut de ce renvoi, on est en
présence d’une déclaration péremptoire du Constituant, qui indique qu’il n’a pas
voulu déléguer une partie de son pouvoir de création des droits fondamentaux au
législateur.

Ainsi par exemple, dans l’article 12 de la Constitution déjà cité – où le Constituant


affirme de manière péremptoire le principe de l’égalité des Congolais devant la loi - il
ne saurait s’y concevoir une intervention du législateur, soit pour procurer effet à ce
principe, soit pour en réduire la portée, puisque le Constituant n’a pas renvoyé au
législateur la question de son application effective. A contrario, si, pour l’application
d’une norme constitutionnelle relative aux droits fondamentaux, le Constituant a
prévu l’intervention d’une loi – soit « pour fixer les modalités d’exécution de ce
droit », soit pour soumettre l’exercice de ce droit « au respect de la loi, de l’ordre
public ou des bonnes mœurs » - la jouissance d’un tel droit risque de demeurer
théorique si une loi d’application conforme à la Constitution n’est pas édictée. Ainsi
en avait décidé par exemple la Cour suprême de Justice à propos notamment de la
liberté de réunion et de manifestation prévue par l’article 10 de l’Acte constitutionnel
de la transition du 9 avril 1994 (CSJ, arrêt Bavela Vuadi et crts…).

Les conclusions de cet arrêt furent cependant assez excessives et ses conséquences
fâcheuses sur le plan de l’exercice des droits fondamentaux puisque, du constat de
l’absence d’une loi d’application, l’on ne peut pas déduire l’inexistence du droit de
réunion ou de manifestation pourtant déjà affirmé dans la Constitution. En clair, il
n’y avait pas « vide juridique » puisque l’article 10 de la Constitution affirmait déjà le
principe de la jouissance, par toutes les personnes se trouvant sous la juridiction de la
République du Zaïre, du droit de réunion et de manifestation. Ceci démontre donc le
caractère subsidiaire de la loi d’application d’un droit fondamental, du moment que
cette loi intervient par délégation expresse du Constituant.

2. Le pouvoir de création des droits fondamentaux

En dehors de l’hypothèse visée précédemment, le Parlement dispose du pouvoir de


créer - et donc de supprimer – des droits fondamentaux sur pied de l’article 122-1 de
la Constitution, si le Constituant lui-même n’y est pas déjà intervenu. Ayant reçu en
effet de celui-ci la compétence de « fixer les règles concernant les droits civiques et les

86
87

garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés


publiques », il peut exercer ce pouvoir motu proprio pour créer ad abrupto, sous le
contrôle de la Cour constitutionnelle, certains droits fondamentaux.

Ainsi se justifie la présence dans certaines lois de quelques catégories des droits
fondamentaux ne figurant pas expressément dans le corpus constitutionnel. C’est le
cas par exemple du droit au nom créé depuis 1987 par l’article 67 du Code la famille104.
C’est aussi le cas de plusieurs droits reconnus à l’enfant par la loi du 10 janvier 2009
portant protection de l’enfant (droit à l’identité dès la naissance, droit d’être
enregistré à l’officier de l’état civil dans les 90 jours suivant la naissance, droit à un
milieu familial, droit à l’adoption, etc.)105.

Ce qui justifie le caractère « fondamental » de ces droits, ce n’est ni leur importance


plus moins relative ni la qualité de leurs bénéficiaires, encore moins leur origine
législative ; c’est la considération qu’étant créés sur pied de l’article 122-1 de la
Constitution, ils empruntent à cette norme fondamentale et suprême sa nature et ses
différentes qualités. Il n’en reste pas moins vrai qu’en cas de conflit entre ces droits et
ceux affirmés directement dans la Constitution, ce sont ceux-ci plutôt qui doivent
formellement l’emporter, si et seulement si il ya entre eux quelques différences de
contenu ou de portée. C’est la raison pour laquelle, étant formellement d’origine
législative, ces droits restent soumis au contrôle de constitutionnalité.

3. Le pouvoir de limitation des droits fondamentaux

Aussi bien l’article 122-1 que les autres articles de la Constitution ayant trait aux
droits fondamentaux confèrent au législateur, s’il en est désigné, le pouvoir de
limiter la jouissance ou l’exercice de certains droits fondamentaux. Ce pouvoir de
limitation s’exerce soit sous la forme de restrictions, soit sous celle des dérogations que
le législateur peut, aux conditions fixées par la Constitution, être amené à apporter
aux droits fondamentaux.

Dans le cas le cas de l’article 122-1 de la Constitution, ce pouvoir découle de celui de


création des droits fondamentaux reçu par le législateur, étant donné que « la loi fixe
les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux
citoyens pour l’exercice des libertés publiques » (Cfr. supra). La logique est ici
simple : le législateur ayant reçu le pouvoir de créer des droits fondamentaux, il peut
aussi en limiter la jouissance ou l’exercice. Qui peut le plus peut le moins !

En revanche, dans le cas des articles faisant partie du titre II de la Constitution, ce


pouvoir de limitation doit être expressément formulé, le Constituant ayant pris
l’habitude, pour ce faire, d’affirmer l’existence de certains droits constitutionnels
« sous réserve du respect de la loi » ou « dans les formes et les conditions prévues par

104
Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille, Livre II, in J.O.RDC., n° spécial, 25 avril 2003, p.
55.
105
Loi n° 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant, art. 14 et ss, in J.O.RDC, n° spécial, 12
janvier 2009, pp. 17 et ss.
87
88

la loi ». En d’autres termes, le « sous réserve de la loi » ou le respect des « formes et


conditions prévues par la loi » peuvent être analysés comme un titre conféré au
législateur de limiter, s’il échet, la jouissance ou l’exercice de certains droits
fondamentaux déterminés par la Constitution, sans en altérer la substance.

Seulement, ces limitations aux droits fondamentaux – qu’elles s’expriment sous


forme de restrictions ou de dérogations - obéissent à des conditions d’une exigence
tellement élevée que celles-ci apparaissent, en fin de compte, comme des freins au
pouvoir du législateur, malgré le « feu vert » lui reconnu. En d’autres termes, les
conditions d’exercice du pouvoir de limitation légale des droits fondamentaux
s’analysent en des garanties indispensables qui profitent aux bénéficiaires. La
garantie réside en effet dans le fait que l’on ne peut apporter une limitation à un droit
fondamental que de manière exceptionnelle et conditionnée. D’où l’intérêt
d’examiner cette autre garantie.

§3. Le caractère exceptionnel et conditionnel des limitations aux droits fondamentaux

L’importance accordée aux droits fondamentaux est telle, de la part du Constituant,


que des mesures spéciales de leur protection ont été prévues afin de ne pas les laisser
à la merci de n’importe qui. Ainsi, même quand il en transfère le pouvoir au
législateur, le Constituant ne tolère des limitations aux droits fondamentaux qu’à
titre exceptionnel et, d’ailleurs, sous certaines conditions. Dans le respect de ces
conditions, deux moyens de limitation sont alors utilisés : en temps normal, le
Constituant permet en principe que des restrictions soient apportées à l’exercice de
certains droits sans porter atteinte à leur substance (A) ; en des circonstances
exceptionnelles, il en va jusqu’à autoriser des dérogations pouvant déboucher sur leur
mise en parenthèse momentanée (B).

A. Les conditions d’admission des restrictions aux droits fondamentaux

Quoique de portée historique, l’article 4, alinéa 2, de la Charte congolaise des droits


de l’homme et du peuple affirmait que « Les seules restrictions aux droits
fondamentaux sont ceux qui, dans une société démocratique, sont prévues par la loi,
relatives à un droit déterminé et nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public, de la
sécurité nationale, des droits d’autrui, du bien-être économique, social et culturel du
pays et à la prévention des infractions pénales »106. De là découlaient au moins cinq
conditions pour pouvoir restreindre l’exercice d’un droit fondamental : une «
condition de légalité » (la restriction doit avoir été prévue par la loi), une « condition
de relativité » (la restriction doit concerner un droit déterminé et non tous les droits),
une « condition de nécessité » (la restriction décidée doit être nécessaire, dans une
société démocratique, à la réalisation des buts ou des intérêts supérieurs que la loi

106
Loc.cit. A quelques exceptions près, voir aussi les articles 10 al. 2, 12-3, 15 al. 2 et 16 al. 2 de la Loi
fondamentale relative aux libertés publiques, Op. cit., pp. 392-394.
88
89

détermine), une « condition de proportionnalité » (les moyens utilisés pour atteindre


ces buts doivent être proportionnels aux buts eux-mêmes ainsi qu’à la gravité de la
décision de restriction) et une « condition d’intégrité du droit protégé » (la restriction
ne doit pas porter atteinte à la substance du droit concerné)107.

Sans les avoir reprises in extenso, la Constitution du 18 février 2006 n’ignore pas ces
exigences. Dans tous ses articles où sont affirmés les droits fondamentaux « sous
réserve du respect de la loi, de l’ordre public ou des bonnes mœurs », on peut
entrevoir la volonté du Constituant de laisser au législateur la possibilité d’y
apporter quelques restrictions. Seulement, pour que celles-ci soient régulières, il faut
que la loi elle-même qui les prévoit, adoptée dans le contexte d’un Etat
démocratique, existe et qu’elle permette le recours à ces restrictions (1). En outre,
après les avoir passées au test de nécessité et de proportionnalité (2), les mesures
restrictives des droits fondamentaux ne doivent pas, en règle générale, porter atteinte
à leur substance, sinon c’est la négation même de leur existence (3).

1. La légalité des mesures de restriction

Selon toute logique juridique, pour pouvoir porter atteinte à un droit fondamental –
droit proclamé par la Constitution – il faut que la Constitution elle-même en ait
autorisé le recours. Déjà à ce niveau, l’on aperçoit l’exigence d’une autorisation
constitutionnelle pour pouvoir restreindre l’exercice d’un droit fondamental. Ainsi,
dans tous les articles de la Constitution où il n’est pas question de pareille
autorisation, il n’est pas permis de fonder le pouvoir de restriction d’un droit
fondamental que s’octroieraient certaines autorités. A contrario, là où la Constitution
a renvoyé l’exercice d’un droit fondamental à la loi, le législateur peut y prévoir un
régime de restriction, quitte à ce que les autorités administratives s’y conforment.

Une fois l’autorisation constitutionnelle acquise, un texte juridique attributif de


compétence (en l’occurrence la loi) est en outre nécessaire, non seulement pour
désigner l’autorité habilitée à restreindre un droit, mais surtout pour indiquer les
mesures de restrictions à prendre, tout au moins leur nature ou leur portée. A titre
d’exemple, si un article de la Constitution dispose que toute manifestation sur les
voies publiques et en plein air impose à leurs organisateurs le devoir d’informer par
écrit l’autorité administrative compétente (art. 26, Const. 18 fév. 2006), il est
nécessaire, pour appliquer cette disposition constitutionnelle, que la loi ait désigné
cette « autorité administrative compétente » et qu’elle ait explicité la mesure
restrictive d’« information » préalable, requise pour l’exercice de la liberté de
manifestation. A défaut de ces précisions, la loi manque de prévisibilité, de clarté et de
lisibilité et, par voie de conséquence, les mesures restrictives de liberté à prendre manquent de
base légale.

107
Lire NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Op. cit., pp. 147-151.
89
90

2. La nécessité et la proportionnalité des mesures de restriction

Selon la formule consacrée tant en droit interne qu’en droit international, toute mesure
restrictive de liberté doit être nécessaire à la sauvegarde d’un certain nombre d’objectifs ou de
valeurs suprêmes poursuivis par un Etat, lesquels doivent être définis préalablement
dans le contexte d’un Etat de droit démocratique. Ces objectifs ou valeurs, c’est par
exemple la sauvegarde de l’ordre public (notion qui doit être définie dans le contexte
d’un Etat démocratique), le maintien de la sécurité publique, la protection des droits
d’autrui ou même la protection des « intérêts supérieurs de la nation » (encore une
notion à bien définir dans le contexte d’un Etat démocratique). Cette exigence de
nécessité se fonde, d’une part, sur le souci de préserver les droits fondamentaux
contre des immixtions intempestives et, d’autre part, sur la liberté des Etats à
poursuivre des politiques d’intérêt général.

A la condition de nécessité il faut ajouter celle de proportionnalité. Cela veut dire que
toute mesure de restriction d’un droit fondamental doit être proportionnelle à l’objectif
poursuivi par la société démocratique sans quoi elle ne serait ni nécessaire ni utile. A titre
d’exemple, pour pouvoir restreindre la liberté de manifestation d’un groupe afin de
préserver « l’ordre public » dans la capitale, il n’est ni nécessaire ni utile d’utiliser des
chars de combat ou des avions de chasse. Le matériel habituel de la police
spécialement conçu pour ce genre d’événements (p. ex. les matraques ou les camions
à eau) suffirait pour atteindre l’objectif poursuivi. En l’occurrence, l’utilisation des
chars de combat et des avions de chasse paraît disproportionnée par rapport à l’objectif
poursuivi (préserver l’ordre public dans une agglomération habitée).

3. La protection de la substance du droit en cause

Les deux premières conditions exposées plus haut visent, en fait, à protéger la
substance du droit concerné par la mesure de restriction. Par « substance » d’un
droit fondamental, il faut entendre tout simplement « le respect de la dignité et de la
valeur humaine »108. Le principe veut que l’objet même du droit fondamental - son intégrité
- ne soit pas détruit par l’application de la mesure de restriction.

Si par exemple les autorités veulent restreindre la liberté de manifestation des


étudiants afin de préserver l’ordre public, l’interdiction de cette manifestation
apparaît comme une mesure destructive de la liberté alors qu’une simple déviation de
l’itinéraire aurait suffi. Dans la première hypothèse, la substance même de la liberté
de manifestation est atteinte (les étudiants ne peuvent plus sortir de leurs campus)
tandis que dans la seconde elle est simplement atténuée (les étudiants peuvent se
mouvoir mais ils ne pourront pas perturber l’ordre public en empruntant un
itinéraire de leur choix).

108
Cfr. Loi n° 13/011 du 21 mars 2013 portant institution, organisation et fonctionnement de la Commission
nationale des droits de l’homme, Exposé des motifs, Loc. cit., p. 1.
90
91

C’est cette condition de protection de la substance ou de l’intégrité du droit


fondamental qui distingue une mesure de restriction d’une mesure de dérogation. Si
celle-là peut être appliquée à tout moment de la vie courante, celle-ci ne peut
intervenir, heureusement, que dans des circonstances exceptionnelles.

B. Les circonstances exceptionnelles autorisant les dérogations aux droits fondamentaux

Deux questions se posent ici : primo, quel est le cadre fixé pour que des dérogations
apportées aux droits fondamentaux, sans aller jusqu’à leur suppression dans le
corpus constitutionnel, soient tout de même conformes à la Constitution ? (1) ;
secundo, tous les droits fondamentaux sont-ils, malgré tout, susceptibles de
dérogation ? (2).

1. L’analyse du cadre de dérogation

Aux termes des articles 85 et 86 de la Constitution, l’état d’urgence et l’état de siège


constituent les seules circonstances exceptionnelles prévues par la Constitution pour
autoriser les dérogations aux droits fondamentaux. En théorie générale, quand
surviennent ces circonstances, le Président de la République, après une série de
consultations, à le pouvoir de substituer à la « légalité ordinaire » une « légalité
exceptionnelle » permettant de déroger au respect de certains droits fondamentaux.

Pour que le recours à ces deux circonstances soit valable, il faut, primo, qu’elles aient
été déclarées régulièrement (a) et, secundo, que des mesures spéciales permettant la
substitution de la légalité ordinaire par la légalité exceptionnelle aient été au
préalable prises (b).

a) La régularité du cadre de dérogation

Cette régularité est fonction du respect de deux types de critères quant au fond et
quant à la forme.

Fondamentalement, l’on doit se trouver dans l’hypothèse soit d’un état d’urgence, soit d’un
état de siège. Si l’on n’est pas dans ces deux hypothèses, le cadre de dérogation aux
droits fondamentaux n’est pas régulier et, par voie de conséquence, aucune
dérogation ne peut avoir de base constitutionnelle.

En dépit de la formulation quelque peu malencontreuse de l’article 85 de la


Constitution, il y a état d’urgence « lorsque les circonstances graves menacent, d’une
manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ». En
revanche, il y a état de siège, encore appelé état de guerre, lorsque ces mêmes
circonstances « provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des
institutions ».

91
92

Dans la première hypothèse, en dépit du fait que le Constituant ne définit pas ces
« circonstances », la simple menace à l’indépendance ou à l’intégrité du territoire
national suffit à déclencher la procédure de l’état d’urgence. En revanche, dans la
seconde hypothèse, en dépit de la même imprécision, il faut qu’il y ait interruption
effective du fonctionnement régulier des institutions pour que l’état de siège soit
proclamé ; étant précisé que la guerre ne peut, en ce qui la concerne, être déclarée
que si les circonstances visées par le Constituant proviennent d’une puissance
étrangère (il serait en effet absurde de déclarer la guerre contre sa propre
population).

Formellement, l’état d’urgence ou l’état de siège doivent être déclarés conformément à la


procédure prévue par la Constitution. Celle-ci prévoit en effet, d’une part, qu’il y ait
consultation préalable entre le Président de la République et les Présidents des deux
Chambres du Parlement avant la proclamation de l’état d’urgence ou de siège et,
d’autre part, que le Parlement se réunisse de plein droit dès la proclamation dudit
état d’urgence ou de siège et, s’il est congé, qu’il soit convoqué en session
extraordinaire. Pourquoi cette réunion permanente du Parlement ? Parce que,
d’après l’article 144 de la Constitution, la durée de l’état d’urgence ou de l’état de
siège – qui ne peut excéder trente jours – ne peut exceptionnellement être prorogée
que sur autorisation du Parlement, et ce pour des périodes successives de quinze
jours ; étant entendu que le Parlement peut, à tout moment, mettre fin audit état
d’urgence ou de siège.

Il apparaît ainsi que, même en cas d’état d’urgence ou de siège, le Parlement reste le
dernier rempart pour la protection des droits fondamentaux, l’ordonnance portant
proclamation de l’état d’urgence ou de siège, c’est-à-dire le cadre de dérogation aux
droits fondamentaux, restant tout entière sous son contrôle.

b) La nécessité d’une légalité d’exception

En plus de l’ordonnance de proclamation de l’état d’urgence ou de l’état de siège, la


Constitution exige la prise d’une autre ou de plusieurs autres ordonnances, cette fois
« délibérée(s) en Conseil des ministres », pour la fixation des « mesures nécessaires
pour faire face la situation » (art. 145). De quoi s’agit-il ?

Il ressort, en effet, de l’article 145 de la Constitution que toutes les mesures


nécessaires pour faire face à la situation exceptionnelle doivent être indiquées dans
un texte juridique pris conformément aux règles de procédure et de compétence,
lequel constitue, en l’occurrence, le cadre dérivé de la légalité d’exception. Et puisqu’il
s’agit d’un cadre, l’ordonnance ou les ordonnances en cause doivent être en mesure
d’indiquer aux citoyens les droits fondamentaux précis sélectionnés pour faire l’objet de
dérogation, c’est-à-dire de violation autorisée, durant toute cette période
exceptionnelle. Sans cette indication, le cadre de la légalité d’exception manque de
prévisibilité, de clarté et de lisibilité.

92
93

C’est cette triple exigence qui est à la base de l’obligation faite au Président de la
République de soumettre au juge constitutionnel, « dès leur signature », toutes les
ordonnances contenant des mesures exceptionnelles, afin que « la Cour déclare,
toutes affaires cessantes, si elles dérogent ou non à la Constitution »109. La déclaration
de dérogation à la Constitution a pour effet de conférer à la légalité d’exception une
apparence de constitutionnalité, puisqu’à défaut de sanction précise de la part du
juge, elle donne à la population la conscience que les mesures exceptionnelles ont été
prises au moins dans le respect des procédures prévues par la Constitution. Sans
cette déclaration de dérogation, la légalité d’exception devient, elle-même,
problématique puisque son absence prive le juge de la possibilité de vérifier
notamment si oui ou non le Président de la République a, dans ces circonstances,
respecté le noyau dur des droits fondamentaux. Or ce noyau dur est inviolable
quelles que soient les circonstances.

2. Le noyau dur des droits fondamentaux

En dépit de l’autorisation donnée au Président de la République de prendre des


mesures permettant de déroger à certains droits fondamentaux, il existe, selon la
volonté du Constituant lui-même, un certain nombre de droits insusceptibles de
dérogation. Ils sont appelés droits indérogeables ou droits intangibles. L’indication de la
liste de ces droits (a) permettra de scruter la conséquence que le Constituant attache à
cette dérogation à la dérogation (b).

a) La liste des droits fondamentaux insusceptibles de dérogation

Aux termes de l’article 61 de la Constitution, « En aucun cas, et même lorsque l’état


de siège ou l’état d’urgence aura été proclamé conformément aux articles 85 et 86 de
la présente Constitution, il ne peut être dérogé aux droits et principes fondamentaux
énumérés ci-après… »110. Il est donc dérogé au principe selon lequel, dans certaines
circonstances, des dérogations pourraient être apportées aux droits fondamentaux.
D’après la Constitution actuelle, la liste comprend au moins onze droits dont
certains sont affirmés dans le même contexte : 1. le droit à la vie ; 2. l’interdiction de
la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; 3.
l’interdiction de l’esclavage et de la servitude ; 4. le principe de la légalité des
infractions et des peines ; 5. les droits de la défense et le droit de recours ; 6.
l’interdiction de l’emprisonnement pour dettes ; 7. la liberté de pensée, de
conscience et de religion.

Les différentes « interdictions » formulées s’analysent en termes de « droits » parce


que, regardées d’une manière positive, elles sont des attributs, des prérogatives
reconnues à leurs bénéficiaires. Ainsi en est-il de l’interdiction de l’emprisonnement
pour dettes qui signifie, en réalité, « droit de ne pas être emprisonné pour motif de

109
Art. 46, al. 1er, de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle, Op. cit., p. 11.
110
Const. 18 fév. 2006, art. 61, Op. cit.,p. 21.
93
94

dettes ». Ainsi en est-il également de l’interdiction de l’esclavage, de celle de la


servitude ou de celle de la torture... qui peuvent s’analyser, respectivement, comme
des « droits à ne pas subir ou l’esclavage, ou la servitude ou la torture… ».

Quant au « principe » de la légalité des infractions et des peines, il s’analyse, lui


aussi, en termes de « droit » parce que, précisément, il donne à toute personne la
faculté de n’être poursuivie pour une infraction et de n’être condamné à une peine
que celles qui auront au préalable été prévues par la loi. En plus de garantie de
sécurité juridique qu’il constitue, ce principe est devenu, avec la doctrine de l’Etat de
droit démocratique, une prérogative à part entière de la personne humaine dont la
violation ne peut manquer d’entraîner quelque conséquence juridique.

b) Conséquence de l’établissement du noyau dur des droits fondamentaux

Pourquoi le Constituant a-t-il prévu un certain nombre de droits échappant à la


puissance de l’Administration publique ? Les travaux préparatoires ne permettent,
malheureusement, pas de répondre à la question puisqu’il est difficile d’en tirer
quelque motivation que ce soit. En revanche, on peut en théorie présumer que le
Constituant a considéré qu’il s’agit là des valeurs suprêmes auxquelles, même en cas
de nécessité, il n’est pas permis de porter atteinte.

C’est la raison pour laquelle le législateur en a tiré la conséquence pratique selon


laquelle les ordonnances présidentielles portant mesures exceptionnelles « ne
peuvent être mises en application que dans le respect des dispositions de l’article 61
de la Constitution »111.

En d’autres termes, selon le vœu du Constituant, quelle que soit la circonstance qui
justifie l’état d’urgence ou l’état de siège, aucune autorité publique ne peut porter
atteinte aux onze droits énumérés à l’article 61 de la Constitution, qui restent ainsi
des droits intangibles. En d’autres termes aussi, aucune légalité d’exception ne peut
justifier la violation de l’article 61 de la Constitution, quelle que soit sa nécessité.

Cette interdiction de violation de l’article 61 de la Constitution fonde-t-elle la


possibilité de naissance d’un régime de véritable contrôle des mesures
exceptionnelles dans le cadre d’un état d’urgence ou de siège ? La question reste
posée. En attendant, il faut constater que, par ces multiples verrous, le Constituant a
entendu, en fait, rendre exceptionnel le recours à des mesures de limitation des droits
fondamentaux. La multiplication des obstacles à la dérogation en est la preuve que, à
côté des conditions de restriction, le régime de protection institué par la Constitution
est de loin plus rigide et plus sûr que tout autre régime.

111
Art. 46, al. 2, de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, Op. cit., p. 11.
94
95

§4. L’interdiction de réduction du niveau de reconnaissance et de protection des droits


fondamentaux

Garantie des garanties, le Constituant congolais du 18 février 2006 s’illustre enfin par
la consécration, dans le texte même de la Constitution, de ce qu’on appelle, en Droit
des droits de l’homme, l’effet de standstill des droits fondamentaux. Aux termes en
effet de son article 220, alinéa 2, « Est formellement interdite toute révision
constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la
personne… »112. Qu’est-ce à dire ? Quelle est la portée de cette disposition
constitutionnelle ? Quelle garantie de protection cette disposition constitutionnelle
apporte-t-elle aux droits fondamentaux ?

A. La notion d’effet de standstill

Littéralement parlant, « standstill » est un anglicisme dérivant de l’expression


populaire « to stand still » ; ce qui signifie « rester tranquille ». En Droit des droits de
l’homme, l’expression a été transposée, non sans quelque talent humoristique, pour
apporter une double assurance : la certitude citoyenne de pouvoir bénéficier d’un
niveau de reconnaissance et de protection acceptable des droits fondamentaux et la
confiance politique d’appartenir à un système démocratique conforme aux standards
internationaux en matière de reconnaissance et de protection des droits de l’homme.

Encore appelé « effet cliquet » ou « théorie du non-retour », l’effet de standstill interdit


aux autorités publiques de légiférer à rebours des droits déjà garantis et de diminuer
le niveau de reconnaissance ou de protection déjà acquis par les droits
fondamentaux. Il interdit à l’Etat, en l’absence de motifs sérieux de justification
conformes au système de valeurs en vigueur, de diminuer, par quelque mesure que
ce soit, ce niveau atteint au moment où la norme constitutionnelle qui les consacre a
commencé à s’imposer à lui.

En effet, au moment de la consécration des droits fondamentaux dans la


Constitution, l’Etat est censé avoir atteint un niveau acceptable de reconnaissance et
de protection desdits droits fondamentaux conforme à l’objectif politique
d’instauration d’un Etat de droit démocratique. Pour le cas de la République
démocratique du Congo, cet objectif figure en bonne place au fronton de la
Constitution (art. 1er). Il serait dès lors un recul démocratique que de pouvoir baisser
ce niveau, notamment au moyen d’une révision constitutionnelle (ou même d’une loi
d’application) portant diminution de ces droits. C’est ce que l’article 220, alinéa 2, de
la Constitution congolaise interdit.

B. La portée de l’article 220, alinéa 2, de la Constitution


Contrairement par exemple au système juridique belge où l’effet de standstill est
surtout évoqué à propos des droits économiques, sociaux et culturels

112
Const. 18 fév. 2006, art. 220, al. 2, Op. cit., p. 73.
95
96

(particulièrement du droit à l’environnement de l’article 23 de la Constitution)113 et


où, semble-t-il, ce principe est plutôt d’une irréversibilité relative114, en Droit
constitutionnel congolais, l’effet de standstill proclamé de manière générale par
l’article 220, alinéa 2, de la Constitution s’étend sur tous les droits constitutionnels.
Aucun élément des travaux préparatoires ne permettant pas d’y déceler quelque
réserve d’interprétation voulue par le Constituant, cet effet est par conséquent d’une
irréversibilité absolue d’autant qu’il est affirmé dans la logique de l’intangibilité de
certaines dispositions constitutionnelles.

L’article 220, alinéa 2, de la Constitution revêt donc une double portée juridique :
d’abord, il interdit de manière directe toute révision constitutionnelle ayant pour objet
ou pour effet la réduction des droits fondamentaux (1) ; ensuite, il interdit par ricochet
la réduction du niveau des droits fondamentaux touchant la liste de leur
reconnaissance et les garanties de leur protection (2).

1. Interdiction de la révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet la


réduction des droits fondamentaux

Cela ressort clairement des termes de l’article 220, alinéa 2, de la Constitution. Reste à
en indiquer les hypothèses.

a) Hypothèses d’une révision ayant pour objet la réduction des droits fondamentaux

On se trouve en présence d’une révision constitutionnelle de ce type lorsque


l’initiative prise conformément à l’article 218 de la Constitution vise directement un
article du titre II de la Constitution, ou quelque autre article de la Constitution
proclamant un droit fondamental, dans le but d’en diminuer la portée matérielle,
personnelle, temporelle ou territoriale.

A titre d’exemple, si une initiative de révision constitutionnelle est prise pour


interpréter le principe de la parité de l’article 14 comme acceptant un quota de 30%
de représentativité féminine, alors que la parité postule plutôt une représentativité de
50% de chacun des deux sexes, une telle initiative, visiblement ayant pour objet la
diminution de la portée matérielle de la notion de parité, est interdite par l’article
220, alinéa 2, de la Constitution.

Il en est de même de toute initiative qui tendrait à interpréter l’article 16 de la


Constitution comme ne protégeant que le seul droit à la vie des personnes
« nées viables et vivantes », autorisant par exemple les avortements ou autres

113
Cfr. HACHEZ (I.), « L’effet de standstill : le pari des droits économiques, sociaux et culturels », in APT,
2000, p. 30.
114
(Même auteure), Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative,
Bruxelles/Athènes/Baden-Baden, Bruylant/Sakkoulas/Nomos Verlagsgesellschaft, coll. « Droits
fondamentaux », 2008.
96
97

procédés de suppression de la vie. Dans l’état actuel du droit positif, puisque le


caractère sacré de la personne humaine n’autorise pas pareille interprétation (cfr.
supra), toute initiative de révision constitutionnelle allant dans ce sens est contraire à
l’article 220, alinéa 2, de la Constitution puisqu’elle tend à diminuer la portée
matérielle du droit à la vie.

Si l’on prend en outre l’exemple de l’article 28 de la Constitution qui prône l’une des
formes du droit à la désobéissance civile, on sait que le droit de refuser d’exécuter
un ordre manifestement illégal appartient, à l’heure actuelle, à toute personne
puisque la Constitution n’en réserve pas le bénéfice aux seuls Congolais. Si, par
aventure, une initiative de révision constitutionnelle intervient pour en limiter le
bénéfice aux seuls Congolais, la portée personnelle d’un tel droit serait réduit ; ce qui
est formellement interdit par l’article 220, alinéa 2, de la Constitution.

On voit par là que, dans la première hypothèse, la révision qui est interdite est celle
qui attaque directement un droit fondamental déjà consacré dans le but d’en diminuer
la portée interprétative. L’effet standstill exige qu’on s’arrête au niveau déjà atteint au
moment de l’affirmation dudit droit fondamental.

b) Hypothèses d’une révision ayant pour effet la réduction des droits fondamentaux

Dans cette seconde hypothèse, la révision constitutionnelle peut ne pas viser


directement un droit fondamental déterminé, tel qu’il est consacré dans un article de
la Constitution. Il suffit que cette révision entraîne pour conséquence la diminution du
niveau de reconnaissance ou de protection dudit droit.

Si, par exemple, une révision constitutionnelle est initiée pour introduire le droit à
l’orientation sexuelle. Apparemment neuf, un tel ajout du nombre de droits
fondamentaux consacrés par le titre II de la Constitution ne peut aboutir sans
enfreindre, en même temps, l’article 40 de la Constitution qui ne consacre le droit au
mariage que pour autant qu’il se noue entre deux personnes « de sexe opposé ». Cela
veut dire que l’introduction du droit à l’orientation sexuelle bouscule, dans le sens de
sa réduction, la conception que le Constituant de 2006 s’est faite du droit au mariage,
lequel exclut, en l’occurrence, une union entre les personnes de même sexe.

Dans le même ordre d’idées, si une révision constitutionnelle est initiée, par exemple,
pour méconnaître au Pouvoir judiciaire le rôle de « garant des libertés individuelles
et des droits fondamentaux des citoyens » (art. 150 de la Constitution), ce au profit
par exemple d’un autre Pouvoir d’Etat, une telle initiative de révision n’est pas sans
baisser le niveau de garanties de protection ainsi accordé aux droits fondamentaux
par le Pouvoir judiciaire, considéré comme plus indépendant et plus impartial que le
Pouvoir législatif ou le Pouvoir exécutif. La garde des droits fondamentaux par les
deux derniers Pouvoirs apparaît, en fait, comme une diminution du niveau de
protection qui était censée mieux assurée par l’indépendance et l’impartialité du
Pouvoir judiciaire.

97
98

Enfin, une révision constitutionnelle peut innocemment être initiée pour mieux
réécrire les articles de la Constitution du 18 février 2006, dont la « maladresse
d’écriture », les « maladies congénitales », les « contradictions », les « iniquités »,
voire même le « manque d’identité » sont connues de tous et du reste fréquemment
dénoncées115. L’opération ne peut juridiquement aboutir que si elle n’a pas pour
conséquence la suppression déguisée d’un article du titre II de la Constitution ou le
contingentement de quelque autre droit constitutionnel déjà protégé.

Par ces exemples, on voit que l’interdiction de la révision constitutionnelle en vue de


déboucher sur une réduction des droits fondamentaux peut porter aussi bien sur leur
« reconnaissance » que sur leur « protection ». Ce qui signifie, d’une part, que la liste
et, d’autre part, que les garanties des droits fondamentaux ne doivent, en aucune
manière, subir de réduction du fait de la révision constitutionnelle.

2. Interdiction de la réduction touchant la liste de reconnaissance ou les garanties de


protection des droits fondamentaux

Par-delà l’interdiction de la révision constitutionnelle, ce qui est visé par l’article 220,
alinéa 2, de la Constitution, c’est, en réalité, le refus de réduction du niveau des
droits fondamentaux. En considération de cet objectif, et même si cela n’apparaît pas
clairement dans la Constitution, ce refus de diminution du niveau atteint par les
droits fondamentaux concerne tant la liste de leur reconnaissance (a) que les
garanties de leur protection (b). Les deux matières sont frappées d’une immunité
constitutionnelle qui n’autorise aucune révision allant dans le sens inverse de la
promotion des droits fondamentaux.

a) Le refus de réduire la liste des droits fondamentaux déjà consacrés

La Constitution du 18 février 2006 dispose actuellement de pas moins de 57 articles


consacrés aux droits fondamentaux. Dans ces 57 articles, plusieurs droits
fondamentaux, dont le nombre est difficile à établir, sont affirmés. L’effet de standstill
reconnu par l’article 220, alinéa 2, de la Constitution s’oppose à ce que la liste de ces
droits fondamentaux, qu’elle résulte expressément du titre II ou d’autres articles de
la Constitution, soit réduite.

Ainsi, du droit à la liberté et à l’égalité entre tous les êtres humains (art. 11) au droit à
la protection de l’environnement (art. 53 et ss.), en passant par tous les autres « droits
civils et politiques » (chapitre I), « droits économiques, sociaux et culturels » (chapitre
II) et « droits collectifs » (chapitre III), l’effet de standstill étend son emprise. Par voie
de conséquence, il ne peut être porté atteinte – dans le sens de la réduction - au
115
Lire par exemple MUKADI BONYI, Projet de Constitution de la République Démocratique du Congo.
Plaidoyer pour une relecture, Kinshasa, Centre de Recherche en Droit Social, 2005 ; MAMPUYA KANUNK’A
TSHIABO (A.), Espoirs et acceptation de la Constitution congolaise. Clés pour comprendre le processus
constitutionnel du Congo-Kinshasa, Kinshasa, Ed. AMA, 2005 ; DJOLI ESENG’EKELI (J.), « Problématique de
l’identité du projet constitutionnel », in Congo-Afrique, n° 395, 2005, pp. 21-22 ; BOSHAB MABUDJ-ma-
BILENGE (E.), Entre la révision de la Constitution et l’inanition de la nation, Bruxelles, Larcier, 2013.
98
99

nombre de droits fondamentaux figurant actuellement dans le texte de la


Constitution, à moins de violer ouvertement l’article 220, alinéa 3, de la même
Constitution.

b) Le refus de diminuer les garanties de protection déjà assurées

En même temps que les droits garantis, l’effet de standstill s’applique aussi aux
garanties de protection des droits consacrés. Cela veut dire que l’interdiction de
réduction des droits fondamentaux frappe aussi celle de leurs garanties de
protection, qu’il s’agisse des garanties institutionnelles déjà vues (mécanismes
juridictionnels et non juridictionnels) ou des garanties procédurales dont il est
question dans cette section. Par voie de conséquence, toute initiative révision
constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire la portée ou l’efficacité des
mécanismes de protection des droits de l’homme doit être appréciée au regard de
l’article 220, alinéa 2, de la Constitution. Car, l’effet de standstill agit aussi bien
matériellement que formellement sur le système national de protection des droits de
l’homme. S’il n’en était pas ainsi, l’article 220, alinéa 2, de la Constitution, affirmé de
manière générale, aurait manqué de son efficacité.

Ainsi donc, tous les mécanismes institutionnels et procéduraux institués ou autorisés


par la Constitution pour protéger les droits fondamentaux sont, en principe,
immunisés contre tentative de révision constitutionnelle, si celle-ci a pour objet ou
pour effet de diminuer le niveau de protection atteint, aussi bien matériellement que
formellement, par le système national des droits de l’homme. L’on comprend dès lors
pourquoi l’article 220, alinéa 2, de la Constitution a été écrit comme un principe général.
L’on comprend aussi pourquoi toute modification des articles touchant aux droits
fondamentaux suscite autant de questionnements. Car ce qu’il faut avant tout
rechercher c’est son utilité dans le corpus constitutionnel.

C. L’utilité de l’article 220, alinéa 2, de la Constitution

La fonction de l’article 220, alinéa 2, de la Constitution est d’assurer, sinon l’éternité, à tout
le moins la stabilité des articles de la Constitution proclamant ou protégeant les droits
fondamentaux. A travers elle, c’est la stabilité des droits fondamentaux eux-mêmes qui s’en
trouve ainsi assurée et confirmée. D’où le statut spécial reconnu aux droits constitutionnels
par rapport à d’autres droits.

En effet, si les droits fondamentaux n’avaient pas bénéficié de ce statut spécial, si leur
existence ou leur protection avait été laissée à la merci des pouvoirs constitués sans
quelques verrous, on serait dans un système national des droits de l’homme
complètement fragile, voire hypothétique ; le bénéfice des droits fondamentaux
dépendant des fluctuations des majorités au pouvoir. Ce que l’article 220, alinéa 2, a
voulu éviter, c’est précisément cet écueil. En conséquence, aucune majorité au
pouvoir ne peut se permettre de toucher aux articles de la Constitution ayant trait
aux droits fondamentaux sans être en porte-à-faux avec le principe de standstill.
99
100

Ce principe ne conduit pas à l’immobilisme des autorités ; il ne les empêche pas


d’augmenter encore le niveau de reconnaissance ou de protection des droits
fondamentaux ; il leur interdit simplement de légiférer à rebours des droits déjà
consacrés ; il leur interdit, en somme, un recul significatif sur le terrain des droits de
l’homme. Car, si l’effet de standstill emporte aussi un effet de cliquet sur les droits
fondamentaux, c’est parce qu’il se déduit de l’obligation positive qui incombe à l’Etat
d’assurer progressivement un système national des droits de l’homme conforme à la
pleine dignité de la personne humaine. Or, dans cette recherche progressive, tout
retour en arrière est forcément un manquement à cette obligation. La fonction de
l’article 220, alinéa 2, de la Constitution c’est d’empêcher ce retour en arrière pour
continuer à magnifier la dignité humaine. Telle est son utilité.

Comme garantie des garanties donc, l’interdiction de la révision constitutionnelle


ayant pour objet ou pour effet de réduire le niveau de reconnaissance ou de
protection des droits constitutionnels apparaît, en fin de compte, comme le mécanisme
procédural le plus efficace pour renforcer le système constitutionnel des droits de l’homme.

100
101

Conclusion générale

En dépit de l’hostilité du contexte de son émergence, le Droit constitutionnel des droits


de l’homme existe. Partie du Droit constitutionnel ayant pour objet spécifique l’étude
des droits et libertés reconnus à toute personne humaine par la Constitution, cette
discipline ne demande plus qu’à être reconnue et promue.

En tant qu’ils sont proclamés par loi fondamentale et suprême d’un Etat, les droits et
libertés qui en font l’objet bénéficient de la plus grande autorité et de la plus grande
stabilité par rapport à tout autre droit fondamental. D’où l’intérêt de leur
connaissance et de leur domestication par toute personne vivant sous la juridiction
de la RDC. D’où l’intérêt également de la compréhension de tous les mécanismes
juridictionnels et non juridictionnels prévus ou autorisés par la Constitution pour en
assurer la pleine effectivité.

Si le présent cours doit revendiquer quelque autonomie, c’est en raison du statut


spécial que détiennent les droits constitutionnels dans la grande famille des droits de
l’homme. C’est surtout en raison de la « théorie générale » qu’il se propose de
promouvoir dans la vraie connaissance de cette discipline particulière du Droit
constitutionnel. Car si l’étude du Droit constitutionnel doit se limiter à celle des
institutions de la République, il manquerait à notre constitutionnalisme cette autre
condition indispensable d’implantation qu’est le respect avant tout des droits
fondamentaux.

L’enseignement du Droit constitutionnel des droits de l’homme est avant tout une
contribution à l’expansion de la culture des droits de l’homme telle qu’elle est diffusée
par la norme suprême de l’Etat.

101
102

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

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TABLE DES MATIERES

Introduction....................................................................................................................................... 2
1. Le cours de Droit constitutionnel des droits de l’homme .......................... 3
a) L’intitulé du cours ........................................................................................... 3
b) Le contenu du cours ....................................................................................... 5
2. Définition du Droit constitutionnel des droits de l’homme ...................... 6
a) Les droits constitutionnels bénéficient de la plus grande autorité .......... 7
b) Les droits constitutionnels bénéficient de la plus grande stabilité .......... 8
Chapitre premier : .............................................................................................................................. 11
THEORIE GENERALE DES DROITS CONSTITUTIONNELS .................................................... 11
Section 1 : La notion de droits constitutionnels ......................................................................... 11
§2. Distinction entre droits constitutionnels et autres notions voisines ............................. 13
A. Droits constitutionnels et droits fondamentaux .............................................. 13
B. Droit constitutionnels et libertés publiques ...................................................... 13
C. Droits constitutionnels et droits de l’homme ................................................... 15
Section 2 : La nature des droits constitutionnels ........................................................................ 15
§1. Caractères des droits constitutionnels .............................................................................. 15
A. Droits constitutionnels, droits subjectifs ........................................................... 16
B. Droits constitutionnels, droits justiciables ........................................................ 17
C. Droits constitutionnels, droits limitables .......................................................... 18
§2. Différentes classifications possibles des droits constitutionnels.................................... 19
A. Les classifications fondées sur la nature des droits constitutionnels ........... 19
1. Les droits-liberté ............................................................................................... 19
2. Les droits-créance.............................................................................................. 20
3. Les droits-participation ................................................................................... 21
B. La classification utilisée dans la Constitution du 18 février 2006 .................. 21
1. Les droits civils et politiques .......................................................................... 22
2. Les droits économiques, sociaux et culturels ................................................ 22
3. Les droits collectifs ........................................................................................... 23
Section 3 : Les titulaires et les débiteurs des droits constitutionnels ...................................... 24
§1. Les titulaires des droits constitutionnels ........................................................................... 24
A. Les citoyens congolais ......................................................................................... 24
B. « Toute personne » ................................................................................................ 25
A. L’Etat (les pouvoirs publics) ............................................................................... 27

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B. Les individus ......................................................................................................... 28


C. La Communauté internationale ? ....................................................................... 29
Chapitre deuxième : ........................................................................................................................... 31
LES CATEGORIES DES DROITS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS ...................... 31
Section 1 : Les droits civils et politiques ...................................................................................... 31
§1. Les droits singulièrement civils .......................................................................................... 31
A. Les droits de la personne en état de liberté ...................................................... 31
1. Les principes immanents .................................................................................. 32
a) Le principe de la sacralité de la personne humaine .............................. 32
b) Le principe de la parité homme-femme .................................................. 33
2. Les droits consacrés .......................................................................................... 34
a) Quelques droits civils libellés plus ou moins précisément ................. 34
b) Quelques méta-droits à caractère civil .................................................... 35
B. Les droits de la personne en situation de privation de liberté ....................... 36
1. Les principes sacro-saints régissant la procédure pénale ........................... 37
2. Les droits consacrés .......................................................................................... 37
§2. Les droits proprement politiques ....................................................................................... 39
A. Les principes transcendants................................................................................ 39
B. Les droits consacrés .............................................................................................. 39
Section 2 : Les droits économiques, sociaux et culturels ........................................................... 40
§1. Les droits économiques ....................................................................................................... 41
A. Le droit à la propriété privée .............................................................................. 41
2. Restrictions au droit de propriété................................................................... 42
B. Le droit de jouir des richesses nationales .......................................................... 44
a) L’obligation de répartir équitablement les richesses nationales ............ 44
b) Modalités de répartition équitable des richesses nationales .............. 44
§2. Les droits sociaux et culturels ............................................................................................. 45
A. Les droits sociaux ................................................................................................. 45
1. Les droits exercés dans le cadre d’une profession ......................................... 46
a) Le droit au travail ......................................................................................... 46
a. 1. La question du titulaire et du débiteur du droit au travail .............. 46
a.2. Les composantes du droit au travail ...................................................... 47
b) Le droit à la liberté syndicale .................................................................... 48
b.1. Titulaire de la liberté syndicale ............................................................. 48
b.2. Contenu de la liberté syndicale .............................................................. 48

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b.3. Restrictions à la liberté syndicale .......................................................... 49


c) Le droit de grève (art. 39) ............................................................................ 49
c.1. Principe du droit de grève........................................................................ 49
c.2. Possibilité d’interdictions ou de restrictions ....................................... 50
2. Les droits particulièrement vitaux : le droit à la santé et à la sécurité
alimentaire ............................................................................................................. 50
a) Le droit à la santé (art. 47 al. 1er A) ............................................................ 50
b) Le droit à la sécurité alimentaire (art. 47, al. 1er B) ................................... 51
B. Les droits culturels ................................................................................................ 52
1. Le droit à l’éducation scolaire (art. 43) .......................................................... 52
a) Le régime juridique de l’enseignement national ................................... 53
b) Les droits dérivés du droit à l’éducation scolaire .................................. 54
2. Droit à la culture et droits dérivés (art. 46) ................................................... 54
a) Le droit à la culture ...................................................................................... 54
b) La liberté de création intellectuelle et artistique ................................... 55
c) La liberté de la recherche scientifique et technologique .......................... 56
d) Les droits d’auteur et de propriété intellectuelle .................................. 56
Section 3 : Les droits divers ........................................................................................................... 56
§1. Le droit à la paix et à la sécurité ......................................................................................... 56
§2. Le droit de jouir du patrimoine commun de l’humanité ................................................ 57
§3. Le droit à un environnement sain et propice à son épanouissement intégral ............. 57
Chapitre troisième : ............................................................................................................................ 59
LES GARANTIES DE PROTECTION DES DROITS CONSTITUTIONNELS ........................... 59
Section 1 : Les garanties institutionnelles.................................................................................... 59
§1. Les mécanismes juridictionnels de protection des droits fondamentaux ................... 59
A. La garantie juridictionnelle que constitue la Cour constitutionnelle ........... 60
a) La protection juridictionnelle par le biais du contentieux normatif . 60
b) La protection juridictionnelle par le biais du contentieux électoral et
référendaire ........................................................................................................ 62
c) La protection juridictionnelle par le biais du contentieux du conflit des
compétences ....................................................................................................... 63
d) La protection juridictionnelle par le biais du jugement pénal de
certaines autorités .............................................................................................. 64
e) La protection juridictionnelle directe des droits fondamentaux par la
Cour constitutionnelle ...................................................................................... 65
B. La garantie juridictionnelle que constitue le Conseil d’Etat ........................... 66

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1. La protection juridictionnelle des droits fondamentaux par le biais du


contentieux de la réparation des préjudices exceptionnels ......................... 66
2. la protection juridictionnelle des droits fondamentaux par le biais du
contrôle de la légalité des actes administratifs ............................................... 67
C. La garantie juridictionnelle que constitue la Cour de cassation .................... 68
a) En tant que juge pénal .................................................................................. 69
b) Comme juge de cassation ............................................................................ 69
§2. Les mécanismes non juridictionnels de protection des droits constitutionnels .......... 70
A. Les tentatives d’instauration d’un Ombudsman à la suédoise ..................... 70
1. Les ombudsmans avec des pouvoirs quasi-juridictionnels ........................ 71
a) L’éphémère Commission des droits de l’homme et du peuple ............. 71
b) L’actuelle Commission nationale des droits de l’homme ....................... 72
2. Les Ombudsman sans pouvoirs juridictionnels précis ............................ 73
B. La pratique d’un mécanisme gouvernemental de promotion et de protection
des droits de l’homme .............................................................................................. 74
1. L’ancien Département des droits et libertés du citoyen ........................... 74
2. Le ministère des Droits humains .................................................................... 76
Section 2 : Les garanties procédurales ......................................................................................... 77
A. La portée juridique des normes constitutionnelles relatives aux droits
fondamentaux ............................................................................................................ 78
1. Les normes constitutionnelles sont revêtues de l’autorité de la chose
constituée ................................................................................................................ 78
2. Les normes constitutionnelles sont d’application immédiate sauf volonté
contraire du Constituant ...................................................................................... 79
B. La traduction juridique de l’applicabilité directe des normes
constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux ......................................... 80
1. La technique de l’affirmation péremptoire de la norme constitutionnelle
.................................................................................................................................. 80
2. La technique de l’absence ou du refus de délégation du pouvoir au
législateur ............................................................................................................... 81
§2. Le principe de la réserve de compétence législative en matière de droits
fondamentaux ............................................................................................................................. 82
A. Fondement du pouvoir du législateur en matière de droits fondamentaux 82
1. L’article 122-1 de la Constitution ................................................................... 83
b) « Droits civiques » et « garanties fondamentales accordées pour… » .. 84
2. Les autres articles de la Constitution ayant trait aux droits
fondamentaux ........................................................................................................ 85
B. Etendue du pouvoir du législateur en matière de droits fondamentaux ..... 85

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1. Le pouvoir de prendre des mesures d’application des droits fondamentaux


.................................................................................................................................. 85
2. Le pouvoir de création des droits fondamentaux ......................................... 86
3. Le pouvoir de limitation des droits fondamentaux ..................................... 87
§3. Le caractère exceptionnel et conditionnel des limitations aux droits fondamentaux. 88
A. Les conditions d’admission des restrictions aux droits fondamentaux ....... 88
1. La légalité des mesures de restriction ............................................................ 89
2. La nécessité et la proportionnalité des mesures de restriction .................. 90
3. La protection de la substance du droit en cause ........................................... 90
B. Les circonstances exceptionnelles autorisant les dérogations aux droits
fondamentaux ............................................................................................................ 91
1. L’analyse du cadre de dérogation ................................................................... 91
a) La régularité du cadre de dérogation ......................................................... 91
b) La nécessité d’une légalité d’exception...................................................... 92
2. Le noyau dur des droits fondamentaux.......................................................... 93
a) La liste des droits fondamentaux insusceptibles de dérogation ............ 93
b) Conséquence de l’établissement du noyau dur des droits
fondamentaux .................................................................................................... 94
§4. L’interdiction de réduction du niveau de reconnaissance et de protection des droits
fondamentaux ............................................................................................................................. 95
A. La notion d’effet de standstill ............................................................................. 95
B. La portée de l’article 220, alinéa 2, de la Constitution ..................................... 95
1. Interdiction de la révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour
effet la réduction des droits fondamentaux ....................................................... 96
a) Hypothèses d’une révision ayant pour objet la réduction des droits
fondamentaux .................................................................................................... 96
b) Hypothèses d’une révision ayant pour effet la réduction des droits
fondamentaux .................................................................................................... 97
2. Interdiction de la réduction touchant la liste de reconnaissance ou les
garanties de protection des droits fondamentaux ............................................ 98
a) Le refus de réduire la liste des droits fondamentaux déjà consacrés .... 98
b) Le refus de diminuer les garanties de protection déjà assurées ............ 99
C. L’utilité de l’article 220, alinéa 2, de la Constitution ....................................... 99
Conclusion générale ..................................................................................................................... 101
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES ..................................................................................... 102

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