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TD N2 : PRINCIPE DE LA LÉGALITÉ

Le principe de la légalité des délits et des peines signifie…

À l’origine, la légalité formelle, soit le fait que la loi ait été adoptée par les représentants du peuple
dans les conditions exigées par la Constitution, instituait une présomption quant à sa légalité
matérielle. En d’autres termes, la validité du contenu de la loi était simplement tributaire de la
légitimité de l’autorité qui avait adopté le texte. Nécessaire et proportionnée, la loi l’était
puisqu’adoptée par le peuple souverain qui ne peut se tromper ; le peuple qui oeuvre pour tous sait
ce qui est son juste. L’avènement du Conseil constitutionnel et de la CEDH a modifié cette équation
et a engendré une autre présentation de la légalité où son origine ne présume plus de la validité de
son contenu.

I) La conformité de la loi à la Constitution :

La Constitution de 1958 créé un Conseil constitutionnel doté de compétences lui permettant


d’apprécier, à l’occasion d’un contrôle a priori, si la loi édictée ne méconnaît pas le domaine de
compétence du législateur tel qu’institué par l’article 34 de la Constitution. Il apparaît comme un
véritable coup porté aux parlementaires. M. DEBRÉ dira lui-même qu’il est « une arme contre la
déviation du régime parlementaire1». À l’origine donc, bien que signant la fin d’une tradition
légiscentriste, le Conseil constitutionnel n'avait qu’une compétence restreinte, le corps de la
Constitution de 1958 étant essentiellement composé de dispositions visant à régir les rapports entre
les différents organes de l’appareil étatique. Cependant, dans deux décisions du 16 juillet 19712 et
du 27 décembre 1973,3 le Conseil constitutionnel décide d’intégrer aux dispositions
constitutionnelles vis-à-vis desquelles il exerce son contrôle le Préambule de la Constitution du 27
octobre 1946 et la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Partant, il s’arrogeait
une compétence pour apprécier les lois qui lui étaient déférées à l’aune des droits et libertés
fondamentaux « consacrés » par ces deux textes. Depuis, son office n’a cessé de s’étendre, d’abord
par la loi constitutionnelle du 24 octobre 1974 qui a permis sa saisine par 60 députés ou 60
sénateurs, alors que seuls le Président de la République, le Premier ministre et les Présidents de
deux Assemblés pouvaient le saisir à l’origine.4 Ensuite, parce que la loi constitutionnelle du 23
juillet 2008 a introduit un article 61-1 permettant à tout justiciable de soulever à l’occasion d’un
litige une question prioritaire de constitutionnalité tendant à faire valoir l’inconstitutionnalité d’une
loi au regard « des droits et libertés que la Constitution garantit ». Cette révision constitutionnelle
est de taille : elle sacre l’existence d’une juridiction qui sera dotée du pouvoir d’abroger une loi qui
ne serait pas conforme aux libertés garanties constitutionnellement. (N.B. : je n’arrive pas à ôter les
bas de pages, c’est un simple extrait de mon mémoire).

1 « Une sociologue au Conseil constitutionnel », D. Schnapper, Éd. Gallimard, 11 mars 2009.

2 Décision n°7144 DC du 16 juillet 1971, Conseil constitutionnel, Cons. n°2 « Considérant qu'au nombre des principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution
il y a lieu de ranger le principe de la liberté d’association »
3 Décision n°7351 DC du 27 décembre 1973, Conseil constitutionnel, Cons n°2 « qu'ainsi ladite disposition porte
atteinte au principe de l'égalité devant la loi contenu dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et
solennellement réaffirmé par le préambule de la Constitution »
4 Loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre 1974 portant révision de l'article 61 de la Constitution
En droit pénal de fond, (comme en droit pénal de forme) le Conseil a érigé un certain nombre de
principes au rang de « principe à valeur constitutionnelle ». On parle d’un phénomène de
constitutionnalisation de la matière pénale.

Plusieurs principes cardinaux ont été élevés au rang de principe à valeur constitutionnelle :

Le principe de la légalité criminelle (déduit des articles 8 DDHC et 34 constitution)


Le principe de clarté et de précision de la loi pénale (article 8)
La rétroactivité in mitius (article 8 DDHC)
La responsabilité du fait personnel (articles 8 et 9 combinés)
Principe de nécessité (des peines) mais par lequel, sans avoir une appréciation aussi étendue que
celle du législateur, le Ccel peut contrôler la teneur des infractions (c’est déjà arrivé en matière de
terrorisme).

Parfois, le Conseil opère une balance des intérêts et vérifie qu’il existe une proportion entre
l’atteinte aux droits et libertés et un OVC (prévention des infractions ou sauvegarde de l’ordre
public).

Le harcèlement sexuel :

C’est une des premières décisions de censure d’un texte légal. Auparavant, le CC avait déclaré
l’inceste inconstitutionnelle sur le même fondement car le législateur n’avait pas défini ce qu’il
entendait « par membre de la famille ».

Le harcèlement sexuel était très critiqué en doctrine car le texte ne permettait pas de distinguer ce
qui relevait d’une séduction insistante et maladroite, du véritable harcèlement sexuel (cf. L’arrêt
dont je vous ai parlé à propos du LIDO du 19 janvier 2005, n°04-83.443, si vous lisez les faits, on
se rend compte que l’employeur ne cherchait pas à nuire à la prévenue, mais en était très
certainement amoureux…). Il a une certaine histoire que reprend le Conseil constitutionnel :
initialement, le harcèlement sexuel était prévu dans le cadre d’une relation de subordination et
envisagé comme un abus d’autorité. Il est modifié une première fois en 1994, on ajoute la notion de
« pressions graves »: plutôt que de compléter le délit, cette notion vague ne fait qu’ajouter à son
manque de précision. Puis, une loi du 17 janvier 2002 le modifie pour élargir considérablement sa
portée, elle supprime l’exigence d’un abus d’autorité mais réduit le délit comme une peau de
chagrin : « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Censure
légitime du Conseil constitutionnel.

Finalement, à travers cette décision, on peut critiquer le principe même du contrôle de


proportionnalité, mais pas vraiment la résultante de son intervention en l’espèce. Pourquoi le
principe du contrôle est critiquable :
- D’abord, parce qu’il postule la remise en cause de la loi, expression de la volonté générale, par
des personnes qui ne sont pas élues. Qui plus est, la constitution du conseil, des sages, n’exclut
absolument pas l’entremise de considérations politiciennes…
- Ensuite parce que les normes de contrôle sont à ce point larges, puisque n’ayant pas à l’origine
une vocation normative mais une vocation principielle, que l’on peut tout dire lors du contrôle : il
n’y a pas de critères permettant d’apprécier l’existence d’une application de la norme de contrôle.
C’est une appréciation opportuniste, même si elle parvient parfois à des solutions louables. Le
Conseil substitue sa propre interprétation à celle du législateur (cf. Les réserves d’interprétation).
- Enfin parce que ça postule une possibilité de remise en cause de la loi par un individu dans le
cadre d’un contrôle a posteriori : la loi devient conditionnelle.

Au final, au motif que la légalité formelle ne suffisait pas à assurer la qualité de la loi, on a crée un
système qui permet une remise en cause de la légalité formelle sans aucune garantie quant à la
validité de la matérialité. L’appréciation du Conseil n’a aucune légitimité démocratique, et il peut
potentiellement faire ce qu’il veut : « qui garde les gardiens ? » comme le fait valoir le Professeur
J.H. ROBERT. Pour reprendre la critique du Professeur CONTE, c’est un raisonnement
téléologique : le Conseil pose un dispositif et l’habille.

À propos de l’abrogation du harcèlement : La Semaine Juridique Edition Générale n° 23, 4 Juin


2012, 662, A. LEPAGE « à propos de l’abrogation de l’article 222-33 du CP ».

Quant aux suites de cette décision, le harcèlement sexuel a fait l’objet d’une nouvelle incrimination
par la loi du 6 août 2012 qui a fait l’objet de critiques (Droit pénal n° 11, Novembre 2012, étude 24,
Invenias disjecti membra criminis : lecture critique de la nouvelle définition du harcèlement sexuel,
P. CONTE).

Décision sur la garde à vue, 30 juillet 2010 :

1/ Quelle réflexion vous inspire cette solution ?

- La justification donnée par le Conseil à un nouvel examen des dispositions contestées.


En effet, le Conseil avait déjà déclaré ces dispositions constitutionnelles dans une décision du 11
mars 1993. Pour connaître à nouveau de la constitutionnalité de ces dispositions, il s’agissait donc
de le justifier par un « changement de circonstances » au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7
novembre 1958.

Ces circonstances peuvent être de droit ou de faits : en l’espèce, le Conseil se justifie à la fois en
raison par des circonstances de droit et des circonstances de fait. S’agissant du droit, il fait valoir
qu’en 1993, il n’avait pas examiné la totalité du régime applicable à la GAV, mais simplement
certaines dispositions contenues dans la nouvelle loi portée à son examen. Ce que l’on peut d’ores
et déjà trouver curieux c’est que même si effectivement, le Conseil n’a pas examiné toutes les
dispositions relatives à la GAV en 1993, il avait déclaré conformes à la Constitution celles qui
étaient soumises à son examen et on peu ajouter que, si postérieurement à 1993 il y a eu de
nombreuses réformes du régime de GAV, elles sont allées dans un sens plus favorable à la personne
poursuivie (globalement, il y a eu quelques exceptions, notamment notification du droit de se taire).
C’est peut-être pour ces raisons que le Ccel insiste davantage sur les circonstances de fait
(évolutions sociales et procédurales, comme le souligne le Professeur B. DE LAMY). On a eu
davantage recours à la GAV. A contratio, faut-il comprendre qu’une procédure marginale n’a pas à
offrir des garanties suffisantes ?

En réalité, ce qui a surtout changé c’est que la Turquie vient d’être condamnée par la CrEDH pour
son régime de garde à vue : ce sont les arrêts SALDUZ c/Turquie 27 novembre 2008 et DAYANAN
C/ Turquie du 13 octobre 2009. Dans ces arrêts, la Cour au visa de l’article 6 § 1 de la Convention
décide que “pour que le droit à un procès équitable (…) demeure suffisamment «  concret et
effectif  »    il faut, en règle générale,  que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier
interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances
particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit” . Par ailleurs,
elle précise que “ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions
graves, car c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être
assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques”. En somme, la Cour exige
l’intervention effective d’un avocat dès le commencement de la garde à vue et le respect du droit de
ne pas s’auto-incriminer. Or, le régime de GAV de la Turquie était très proche du régime français. Il
y avait toutes les raisons de croire que la France finirait par être condamnée par la CrEDH, ce qu’il
s’est produit dans l’arrêt BRUSCO C. FR le 14 octobre 2010.

Donc plutôt que de reconnaître cette jurisprudence de la CrEDH, le Conseil « bredouille » des
circonstances de fait. Or, dans cette même décision et dans des décisions postérieures, le Conseil va
refuser d’examiner les dispositions relatives au régime dérogatoire de GAV aux motifs qu’il les
avait déjà déclarées conforme à la Constitution en 2004… Pourtant, les arrêts de la CrEDH
s’appliquent bien aux infractions les plus graves : les deux arrêts avaient été rendus à propos
d’infractions en matière de criminalité organisée. Il censure les dispositions du régime général de
GAV mais pas les dispositions qui s’appliquent pour les infractions les plus graves et qui sont plus
attentives aux libertés alors qu’elles s’articulent sur le régime général…. (Décision du 20 septembre
2010).

Ensuite, sur l’appréciation faite par le Conseil : que nous dit le Conseil ? Que les articles du CPP
en ce qu’ils permettent le placement en GAV et sa prolongation quelle que soit la gravité de
l’infraction d’une part, qu’ils ne permettent pas à l’avocat d’assister son client pendant les
interrogatoires d’autre part, méconnaissent les articles 9 et 16 de la DDHC. Il est vrai que le respect
des droits de la défense pendant la garde à vue était largement en deçà de ce que l’on pouvait
attendre. Cependant, dans la confrontation reprenons les textes qui sont les normes de contrôle :
Article 9 : Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé
indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne
doit être sévèrement réprimée par la loi. «  le Conseil constitutionnel exerce un contrôle de
proportionnalité entre la gravité des mesures portant atteinte à la liberté individuelle et les objectifs
qui motivent ces atteintes  » = La disproportion entre les différentes hypothèses où l’on pouvait
mettre en oeuvre une GAV était criante. Effectivement, la nécessité de cette mesure s’impose
différemment selon que l’infraction reprochée est un délit puni d’une peine d’emprisonnement de 6
mois et un crime. Or, l’ancien texte ne faisait aucune distinction (maintenant puni
d’emprisonnement et pour renouvellement 1 an). Pour autant, si le Conseil avait décidé l’inverse,
quelle vérification du raisonnement juridique aurions-nous pu faire ? Comme le dit le Professeur
CONTE, apprécier la nécessité de quelque chose, c’est apprécier son opportunité.

Article 16 : Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. Le Conseil y rattache les droits de la défense
depuis une décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006. C’est sur le fondement cet article que le
Conseil censure l’absence d’avocat. La critique que l’on faisait à propos de l’article 9 et de son
application s’impose avec d’autant plus de force que l’article 16 et la présence de l’avocat
entretiennent un lien extrêmement ténu. Comme le souligne le Professeur CONTE ou bien encore le
Professeur LAZERGE : il y a, entre la norme de contrôle et la norme controlée un écart tel, que
la confrontation entre les deux laisse nécessairement place à l’arbitraire.

Enfin sur l’abrogation des dispositions par le Conseil : L’article 62 de la Constitution prévoit que
les dispositions déclarées inconstitutionnelles sont immédiatement abrogées par le Conseil
constitutionnel ou à défaut, à une date ultérieure qu’il définit. Ici, le Conseil déclare le régime de la
GAV inconstitutionnel et reporte les effets de cette inconstitutionnalité au 1er juillet 2011.
• On peut considérer qu’effectivement, si l’abrogation avait été immédiate, les OPJ se seraient
retrouvés sans régime applicable à la GAV en sorte que tous les actes accomplis sur le fondement
de la GAV (on parle des actes subséquents mais je vous laisse tout le loisir de les découvrir à
l’occasion d’un cours de procédure pénale) auraient pu être annulés. Il aurait été donc très
préjudiciable de se retrouver sans encadrement de la GAV…
• D’un autre côté, l’idée que des dispositions continueront à s’appliquer en dépit de leur
inconstitutionnalité révélée apparaît assez dérangeante… Surtout, cette prérogative reconnue au
Conseil (abrogation immédiate ou à une date qu’il souhaite) montre bien l’ambiguïté de sa nature
et de son rôle : comme le souligne Maître Hervé CROZE, le CCel ne se limite pas à déclarer les
dispositions inconstitutionnelles, il décide de la date de leur disparition. En quelque sorte, «  il
prévoit le droit transitoire, ce qui est déjà de la législation  » (Procédures n° 10, Octobre 2010,
repère 9, 'Inconstitutionnalité de la garde à vue : une loi peut-elle être en sursis ? » H. CROZE).
Cet auteur souligne que le Conseil fixe d’une certaine manière le calendrier législatif : le
législateur est averti au 1er juillet 2011, il devra avoir élaboré une nouvelle loi. Dans le même
sens : « Le pouvoir d'abrogation, exorbitant, conféré au Conseil mord sur l'action du Parlement
puisqu'il défait, lui-même, la loi ce qui jette, à nouveau, le trouble sur la nature de cet organe qui
se veut juge mais a des aspirations de législateur. » (= « L’avancée des garanties en matière de
garde à vue ou la consécration d'un basculement de la procédure pénale vers la phase policière ? »
– Bertrand de Lamy – RSC 2011. 165).

2/ Pouvait-on contester sur le fondement de l’article 6 dans un contrôle de conventionnalité ?

Oui. Le Conseil constitutionnel se refuse à opérer le contrôle de conventionnalité depuis la décision


IVG du 15 janvier 1975. Depuis l’arrêt Jacques VABRES (24 mai 1975), la Cour de cassation s’est
déclarée compétente pour apprécier la conventionnalité d’une loi. Les deux contrôles sont distincts
et dissociés. Une norme constitutionnelle peut être déclarée inconventionnelle.

On sait que le législateur a imposé une priorité à la QPC : ainsi, lorsque deux moyens sont
soulevés dont l’un conteste la constitutionnalité des textes tandis que l’autre conteste la
conventionnalité, le juge doit sursoir à statuer et renvoyer le CC avant de statuer sur la
conventionnalité du texte. Mais une fois la décision du Conseil rendu, le juge statue sur le moyen
tiré de l’inconventionnalité des textes. A fortiori, pendant le délai de survie des textes en cas de
déclaration d’inconstitutionnalité dont les effets sont reportés, tout justiciable pouvait parfaitement à
l’occasion de son procès soulever un moyen tiré de l’inconventionnalité des textes. D’ailleurs la
Cour de cassation le dit : je vous renvoie à son rapport annuel 2014, Titre I, Chapitre 3 : la Cour de
cassation, gardienne de la conformité immédiate de la loi aux normes supralégislatives. Le Conseil
constitutionnel l’énonce lui aussi : décision du 12 mai 2010 n°2010-605 DC : « L'autorité qui
s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 62 de la Constitution ne
limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces
engagements [internationaux] sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque
cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution ».

Et c’est précisément ce qu’il s’est passé : des justiciables ont soulevé un moyen tiré de
l’inconventionnalité de leur GAV et la Cour de cassation a adopté une position en trois temps :
• Crim., 19  octobre 2010, pourvoi n°  10-82.306,  Bull.  crim. 2010, n°  163  ; pourvoi
n° 10-82.902, Bull. crim. 2010, n° 164 et pourvoi n° 10-85.051, Bull. crim. 2010, n° 165 : trois
arrêts dans lesquels la chambre criminelle au visa de l’article 6 §1 de la CEDH considère les
textes inconventionnels. Elle fait valoir, à propos de gardes à vue dans lesquelles les suspects
n’avaient pas bénéficié de l’assistance effective de leur avocat : «  sauf exceptions justifiées par
des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule
nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction
doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf
renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat  ». Cependant, la Chambre criminelle
refuse de tirer les conséquences de ce contrôle {donc l’annulation des GAV et de leurs actes
subséquents} aux motifs que ce serait préjudiciable à une bonne administration de la justice
et au principe de sécurité juridique. Elle se range du côté du Conseil constitutionnel.
• Arrêt du 4 janvier 2011, n°10-85.520 : la chambre criminelle va essayer de limiter la portée de
cette jurisprudence en insinuant que les déclarations obtenues en l'absence d'avocat et sans
notification du droit au silence ne peuvent pas constituer des éléments de preuve fondant la
décision de culpabilité.
• Puis, dans quatre arrêts rendus le 15 avril 2011 (en matière de retenue douanière)
l’Assemblée plénière est intervenue et tout en consacrant la solution de la chambre criminelle («
pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 de la Convention de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en
règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l'assistance d'un
avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires »), elle a décidé d’écarter
immédiatement le texte. Parallèlement, une loi est intervenue le 14 avril 2011 pour modifier le
régime de la GAV. Cette loi devait entrer en vigueur le 1er juin 2011. Or, le jour même de l’arrêt
rendu par l’AP la chancellerie a fait passé aux chefs de juridiction et parquets une note demandant
d’appliquer les dispositions de la nouvelle loi sans attendre son entrée en vigueur.

En réalité, entre les arrêts de la chambre criminelle et les arrêts de l’AP, la CrEDH avait condamné
l’Allemagne pour n’avoir pas fait application immédiate de la jurisprudence strasbourgeoise
en invoquant des raisons de «  protection de l’ordre public  » (CEDH, 13 janv. 2011, n°
17792/07, Kallweit c/ Allemagne, mais il y en a eu plusieurs).

3/ Quelles réflexions vous inspire le passage souligné ? (À propos de la décision du 16 juillet


1996).

-> La conception du principe de la légalité qu’adopte le Conseil constitutionnel, bien que n’ayant
pas encore le niveau de la CrEDH est souple (j’emprunte l’expression au Professeur B. DE LAMY,
Le principe de la légalité criminelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Cahiers du
Ccel, n°26 août 2009) : il suffit que les dispositions soient suffisamment claires et précises pour
qu’elles soient constitutionnelles. En gros, il suffit que l’interprétation donnée par la Cour de
cassation ait sa cohérence, ne soit pas du pur opportunisme pour que ça soit conforme au principe
légaliste.

> N’y a-t-il pas inversion du principe ? Comme le fait valoir le Professeur CONTE, auparavant la
loi devait être claire et précise, et à défaut, il appartenait au juge de « restituer la volonté populaire,
non pas de substituer sa propre interprétation ». Désormais, le loi est conforme au principe de la
légalité dès lors qu’elle est suffisamment claire et précise pour que le juge puisse l’interpréter
convenablement. « Qu’importe que la loi soit imprécise puisqu’il existe un petit bricoleur (…) On
est passé de « puisque la loi est précise elle doit être interprétée strictement » à puisque « la loi
peut être interprétée sans encourir le risque d’arbitraire (NB : ce qui ne signifie pas strictement et
littéralement), elle peut être imprécise » ». > Cf. Droit pénal n° 6, Juin 2020, étude 17, Principe de
la légalité criminelle : quelques airs nouveaux sur des paroles anciennes, P. CONTE

Bien sûr, on n’en n’est pas encore à la conception de la CrEDH qui elle, considère qu’il n’y a pas
violation de l’article 7 dès lors que la norme (loi ou jurisprudence) était «  raisonnablement
prévisible »…

II) La conformité de la loi à la CrEDH

1/ Fiche d’arrêt :

Accroche : En dehors de toute prévision légale, l’inapplication d’une infraction pourtant constituée
peut désormais se justifier par la nécessité de ne pas porter une atteinte disproportionnée aux droits
et libertés que la CEDH garantis. En témoigne, un arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 février
2020.

Faits : En l’espèce, une personne, militante pour la cause féministe, s’est introduit dans un musée
pour s’y dévêtir et exhiber sa poitrine nue portant l’inscription « Kill putin ». Après avoir renversé
la statue du président russe, elle s’est saisie d’un pieu métallique partiellement peint en rouge et l’a
planté à plusieurs reprises en proférant des invectives.

Procédure : Poursuivi des chefs d’exhibition sexuelle et dégradations volontaires du bien d’autrui, le
tribunal correctionnel de Paris l’a déclarée coupable de ces deux délits et l’a condamnée à une
amende de 1500 euros dans un jugement du 15 octobre 2014. La prévenue et le ministère public ont
interjeté appel de cette décision devant la cour d’appel de Paris qui s’est prononcée dans un arrêt du
12 janvier 2017. Saisie par un premier pourvoi, la Cour de cassation, casse et annule l’arrêt rendu
par les juges du second degré dans un arrêt du 10 janvier 2018 et renvoie l’affaire devant cette
même juridiction autrement formée. Au terme d’un nouvel examen de l’affaire, la cour d’appel de
Paris conclut à la relaxe de la prévenue aux motifs que d’une part « le regard de la société sur le
corps des femmes a évolué dans temps » de sorte que « la seule exhibition de la poitrine d’une
femme, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle et ne vise
pas à offenser la pudeur d’autrui n’entre pas dans les prévisions de l’article 222-32 du CP », d’autre
part, que cette exhibition relève d’une manifestation politique qui dès lors qu’elle ne porte pas
atteintes à des prescriptions légales ou règlementaires ne saurait être punissable.

Un nouveau pourvoi est formé par le ministère public. Celui-ci soutient que, d’une part, le délit
d’exhibition sexuelle consiste seulement dans l’exposition à la vue d’autrui, dans un lieu public ou
accessible aux regards du public d’un corps ou d’une partie d’un corps dénudé, d’autre part, on ne
pouvait justifier le comportement de la prévenue en invoquant un mobile politique ou prétendument
artistique. Enfin, en exigeant que le délit, pour être constitué, contrevienne à une prescription légale
ou réglementaire, l’arrêt ajoute au texte d’incrimination une condition supplémentaire.

Question de droit : Le délit d’exhibition sexuelle est-il constitué en l’absence d’une intention
connotée sexuellement ? Dans l’hypothèse où le délit est constitué, le comportement infractionnel
de l’auteur peut-il être justifié par sa nature politique et son contexte ?
Réponse de la Cour : Dans un arrêt du 26 février 2020, la chambre criminelle de la Cour de
cassation répond par l’affirmative. Elle rejette le pourvoi formé aux motifs que si c’est à tort que
la cour d’appel énonce que « la seule exhibition de la poitrine d’une femme dès lors que l’intention
exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle n’entre pas dans les prévisions de
l’article 222-32 du CP », l’arrêt n’encourt pas pour autant la censure dès lors que « le
comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique » et que « son
incrimination, compte tenu, de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une
ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression. » (Vous remarquerez que la
Cour procède à une substitution de motifs).

CF : PH. CONTE, Droit pénal n° 3, Mars 2018, comm. 42, Éléments constitutifs Commentaire par
Philippe CONTE, EXHIBITION SEXUELLE

Dans cet arrêt, les juges du fond ont confondu l’intention et le mobile. L’intention de l’exhibition
sexuelle suppose d’avoir voulu se dénuder dans un lieu accessible aux regards du public et donc, en
prenant le risque d’être vu. Ici, la prévenue avait bien l’intention requise. Le mobile (la dimension
politique du comportement, c’est la motivation de l’infracteur) va permettre de justifier l’infraction
mais grâce à un contrôle de proportionnalité :

Le contrôle de proportionnalité :

Sous la présidence de Bertrand LOUVEL, la Cour de cassation a décidé d’introduire un contrôle de


proportionnalité y compris en matière pénale. Que cela signifie-t-il ? À côté du contrôle de
conventionnalité classique (interprétation de textes à la lumière des principes européens ou encore
possibilité d’écarter une norme qui abstraitement est incompatible avec les droits et libertés
fondamentaux de la CEDH) la Cour de cassation a introduit en 2016 un contrôle de proportionnalité
in concreto : dans cette hypothèse, la Cour procède à une balance des intérêts en présence et vérifie
que l’application concrète de la norme ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits et
libertés que la CEDH garantis. Dans cette hypothèse, ce sont les « circonstances de la cause » qui
justifient l’inapplication d’un texte.

Cette introduction, justifiée pour que la Cour demeure une Cour suprême, la CrEDH exerçant en
principe un contrôle subsidiaire (interview de B. LOUVEL en ce sens, La Semaine Juridique
Edition Générale n° 43, 19 Octobre 2015, 1122 « Pour exercer pleinement son office
de Cour suprême, la Cour de cassation doit adapter ses modes de contrôle », Entretien Entretien
avec Bertrand Louvel Premier président de la Cour de cassation) a fait énormément couler d’encre.
Il a été fortement décrié par la doctrine (M. CONTE, M. P.Y. GAUTHIER…) : on a considéré que
la Cour avait modifié son rôle (appréciation potentielle des faits, même si la Cour s’en défend,
introduction de l’équité, imprévisibilité juridique…)

Toutes les infractions sont susceptibles d’être remises en cause (exemple célèbre de l’escroquerie
qui a inauguré le bal). Ici exhibition constituée mais, la Cour nous dit que la condamnation de la
prévenue, puisque son acte était motivée par des considérations militantes et partant politiques,
constituerait une atteinte excessive à sa liberté d’expression. Donc vous avez une infraction qui
normalement représente l’intérêt général neutralisée au nom d’un autre intérêt général qui ressemble
franchement à un intérêt particulier.
On annihile complètement la dimension publique du procès pénal… On est face à une situation
d’insécurité juridique et d’imprévisibilité totale… Article de Mr. CONTE sur ce point : « Le droit
n’est plus le tennis, un juge vous le dira », Droit pénal, 2016 qui reprend une conversation avec le
Professeur LARGUIER : le code civil peut être « Art. 1 le juge fait ce qu’il veut », « Art 2 tant
mieux » ; le code pénal « le juge fait ce qu’il veut ; tant pis » ; également Droit pénal n° 9,
Septembre 2019, étude 20, Contrôle de cassation et légalité pénale, E. DREYER).

2/ Qu’apporte cet arrêt par rapport au précédent ?

Cette fois, la Cour de cassation considère que la condamnation de la militante n’a pas porté une
atteinte excessive à sa liberté d’expression MAIS parce que celle-ci DOIT SE CONCILIER avec la
liberté religieuse des victimes. A contrario, s’il n’y avait eu personne dans l’église, elle aurait pu
faire jouer le contrôle de proportionnalité. D’une certaine manière, cela signifie que lorsque la
Cour apprécie la proportionnalité entre l’atteinte et le but poursuivi par l’incrimination, elle
donne au but poursuivi une appréciation concrète : l’exhibition avait donc pour but de ne pas
offenser la liberté religieuse des croyants présents dans cette église… C’est liberté des uns
contre liberté des autres.

Les arrêts de la CrEDH?

Eon C/ France, 14 mars 2013 : Un individu est poursuivi et condamné pour offense au président de
la République. Un recours individuel est introduit devant la CrEDH. Il s’agit de savoir si la
restriction faite à la liberté d’expression de l’infracteur est proportionnelle à la nécessité d’une
libre discussion sur un débat d’intérêt général. Donc, pour apprécier cette balance des intérêts la
Cour propose une analyse in concrèto et notamment, en fonction de la qualité du destinataire et en
fonction de la qualité du requérant. Celle-ci considère que le caractère public d’un personnage, son
exposition médiatique accrue, ne lui confère pas un privilège et qu’au contraire, les possibilités de
critiques doivent être accrues.

Mais à l’égard du requérant : elle fait valoir que celui-ci était politiquement engagé et elle établit un
lien avec l’insulte en faisant valoir qu’il éprouvait de l’amertume car une initiative qu’il avait prise
c’était soldée d’un échec… Quel lien avec la liberté d’expression ?

Cette conception aboutit à des analyses casuistiques dont on peine à établir une quelconque
prévisibilité.

Sunday Times C/ RU, 26 avril 1979 : Vous montre la conception que se fait la CrEDH du principe
légaliste ; c’est une conception extensive en ce sens que pour la CrEDH la « loi » correspond à toute
norme suffisamment accessible et raisonnablement prévisible. Donc suffisamment accessible pour
que le citoyen ait les renseignements nécessaires. Et raisonnablement prévisible, c’est-à-dire
suffisamment claire pour qu’un citoyen « au besoin à l’aide de conseil éclairé » puisse prévoir les
conséquences de son acte. Cependant, pas besoin que ce soit prévisible avec une certitude absolue
car ce serait une rigidité excessive qui empêche le droit de s’adapter à l’évolution du temps.

Donc, pour la Cour, la norme est par nature imprécise et il appartient au juge de la faire évoluer :
une norme trop précise serait d’une « rigidité excessive ». Réciproquement donc, là où auparavant
le citoyen devait à la lecture du texte savoir d’emblée ce qui lui était applicable, il doit désormais,
lorsqu’il agit, vérifier le sens de l’évolution de la jurisprudence et savoir envisager des revirements
prévisibles… Voire parfois imprévisibles… « On est passé d’une loi pénale de certitude à une loi
synonyme de doutes : est ce que le citoyen a gagné au change ? Pas sûr. » M. Conte.

6 octobre 2011, Sorros C/ FR : Confirme ce que nous venons de voir, et à quel point l’opportunité
remplace la légalité. La Cour considère que la loi est par nature imprécise et que c’est à la
jurisprudence de la préciser, fort bien. Ici pourtant, la Cour nous dit que ces affaires ne sont pas
analogues à la sienne, donc on devrait se dire que ce n’est pas suffisamment prévisible
puisqu’aucune précision n’a été apportée par la jurisprudence et contre toute attente, elle considère
que les situations « sont suffisamment proches » pour permettre au requérant « de se douter »
que son comportement était répréhensible. Je vous signale en plus que ce sont des jurisprudences
de première instance qui n’ont normalement aucune autorité par rapport à ce qu’incarne la
cassation…

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