Vous êtes sur la page 1sur 8

TD 3 : PRINCIPE DE LA LÉGALITÉ CRIMINELLE

III) Rétroactivité

1/ Le législateur peut-il refuser la rétroactivité in mitius de la loi pénale plus favorable ?

La non-rétroactivité de la loi pénale est un principe fondamental du droit pénal. On dit qu’il
bénéficie d’un tempérament : la rétroactivité des lois pénales plus douces. C’était un principe
coutumier sous l’Ancien Régime, c’est devenu un principe appliqué sur le fondement de l’article 8
de la DDHC par les juges à partir de la Révolution (« la loi ne doit établir que des peines strictement
et évidemment nécessaires »). L’explication tient au fait que, puisque le législateur ne peut
édicter que des peines strictement nécessaires, il n’y a plus lieu, si une loi nouvelle prévoit des
dispositions nouvelles plus douces, d’appliquer des lois plus rigoureuses à quelqu’un qui n’est pas
définitivement jugé, dès lors que précisément cette sanction n’est plus nécessaire.

Cependant, il était également admis que le législateur puisse décider expressément de la non
application de ce principe à une loi pénale plus douce : le principe se fondant sur l’absence de
nécessité d’application de sanctions devenues non-nécessaires, il est loisible au législateur de
considérer qu’au contraire, il est nécessaire d’appliquer la loi pénale telle qu’elle existait
antérieurement.

En réalité, cette question de l’application ou pas de la rétroactivité des lois pénales plus douces se
posait essentiellement pour les lois de circonstances, soit celles qui ont vocation à évoluer en
fonction des situations parce qu’elles s’inscrivent dans une politique publique. C’est notamment le
cas des lois qui interviennent en matière économique ou fiscale.

On va trouver une évolution à ce propos. À l’origine, la Cour de cassation considérait qu’en la


matière, l’ancienne loi devait s’appliquer. Sauf que, le Conseil constitutionnel a élevé ce principe
au rang de principe à valeur constitutionnelle dans une décision du 19-20 janvier 1981. Cette
consécration a été critiquée car le législateur faisait de ce principe un absolu. La Cour de cassation
n’a pourtant pas abandonné les principes antérieurs, et malgré l’absoluité de principe, elle réserve
les cas où le législateur prévoit expressément la non-application de la loi pénale plus douce : ex :
Cass. crim. 3 février 1986, Bull. crim. n° 41 : « une loi nouvelle, qui modifie une incrimination ou
les sanctions applicables à une infraction, ne trouve à s'appliquer aux faits commis avant son
entrée en vigueur et non définitivement jugés qu'à la condition que cette loi n'ait pas prévu de
dispositions expresses contraires ». On remarque d’ailleurs qu’elle édicte ce principe comme s’il
était général et non pas réservé à des lois particulières. En effet, une fois qu’une loi a franchi (au
moins jusqu’à l’introduction de la QPC) l’étape d’un potentiel contrôle a priori, le juge est tenu
d’appliquer la loi et non point d’opérer un contrôle : si le législateur exclut la rétroactivité in mitius,
le juge l’exclut aussi.

Au niveau conventionnel, il existe l’article 15-1 du pacte international des droits civils et politiques
(1966) et puis surtout l’article 7 de la CEDH. S’agissant de ce dernier, la Cour a d’abord adopté une
interprétation conforme à l’esprit français : elle considérait que l’article 7§1 ne conférait pas un
droit à l’application d’une loi pénale plus douce (X c. Allemagne, n° 7900-77, décision de la
Commission du 6 mars 1978). Cette appréciation de l’article 7 de la CEDH a permis à la Cour de
cassation de maintenir sa jurisprudence. En revanche, l’article 15-1 du Pacte pouvait constituer un
obstacle. Dans l’arrêt qui vous est présenté (6 mars 2004), la Cour de cassation, pour permettre une
survivance des principes anciens, adopte une interprétation littérale de l’article 15-1 selon lequel :
« Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux
d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera
infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été
commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère,
le délinquant doit en bénéficier. » .
Elle conclut que l’article 110 de la loi du 17 juillet 1992 était applicable puisqu’il ne concernait pas
les sanctions.

Depuis : que s’est-il passé ?

D’abord, la CrEDH est revenue sur l’interprétation de l’article 7 (Scoppola c/ Italie, 29 octobre
2009) : elle considère que, l’article 7 de la CEDH, en plus d’imposer une non-rétroactivité des
textes plus sévères instaure un principe de rétroactivité des dispositions plus douces. Ce qui est
assez incroyable, c’est que pour justifier son revirement de jurisprudence la Cour constate qu’il y a
eu « une évolution » sur ce point en Europe et elle cite pléthore de textes qui eux-mêmes ne
consacrent qu’un principe de rétroactivité in mitius pour les peines (à l’exception de la CPI et
TPIY). « La Cour considère qu'un long laps de temps s'est écoulé depuis le prononcé de la
décision X c. Allemagne précitée et que pendant ce temps des développements importants se sont
produits au niveau international. En particulier, outre l'entrée en vigueur de la Convention
américaine relative aux droits de l'homme, dont l'article 9 garantit la rétroactivité de la loi
prévoyant une peine plus légère édictée après la commission de l'infraction (paragraphe 36 ci-
dessus), il convient de signaler la proclamation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne. Le libellé de l'article 49 § 1 de ce texte s'écarte – et cela ne peut être que délibéré
(voir, mutatis mutandis, Christine Goodwin, précité, § 100 in fine) – de celui de l'article 7 de la
Convention en ce qu'il précise que « si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine
plus légère, celle-ci doit être appliquée » (paragraphe 37 ci-dessus). Dans l'affaire Berlusconi et
autres, la Cour de justice des Communautés européennes, dont la jurisprudence a été entérinée par
la Cour de cassation française (paragraphe 39 ci-dessus), a estimé que ce principe faisait partie
des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres (paragraphe 38 ci-dessus). Enfin,
l'applicabilité de la loi pénale plus douce a été inscrite dans le statut de la Cour pénale
internationale et affirmée dans la jurisprudence du TPIY (paragraphes 40 et 41 ci-dessus). »

Ensuite, le Conseil constitutionnel est revenu sur son absolu, c’est ce qui nous permet sans doute de
maintenir certaines exceptions : il a réservé sans le dire (ce qui n’est pas le cas de la CrEDH)
l’hypothèse de la législation économique lorsque le législateur le prévoit. C’est une décision du 3
décembre 2010 QPC. Le Conseil prévoit la possibilité de déroger à la rétroactivité in mitius lorsque
« la répression antérieure plus sévère est inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle s’est
substituée ». La formule est abstruse, mais il semble falloir comprendre que le Conseil renvoie ici
aux lois de circonstances dans l’hypothèse où il existe entre les différentes lois un lien intrinsèque
parce qu’elles s’inscrivent dans une même politique économique. On aurait dû lire « la répression
antérieure est inhérente à la loi économique à laquelle la loi nouvelle se substitue » (vous avez sur
ce point un article du Professeur DREYER de qui j’emprunte la formule => La Semaine Juridique
Edition Générale n° 4, 24 Janvier 2011, 82, Limitation constitutionnelle de la rétroactivité in mitius)
Il existe le même mécanisme en matière règlementaire : un règlement qui est sanctionné par une
disposition pénale ne bénéficie pas de l’application immédiate des dispositions plus douces (ex :
Crim. 7 avril 2004 n° 03-8419).

2/ Un système juridique peut-il appliquer rétroactivement une loi ancienne plus sévère ?

Système juridique, définition du CORNU : « droit d’un État ou d’une société territoriale ou
personnelle, considéré pour l’application d’une règle de conflit de lois, ou en législation comparée,
dans sa totalité. »

Que nous dit l’arrêt ? Que le fait de condamner le requérant sur le fondement d’un texte qui n’était
pas en vigueur le jour de la commission des faits viole l’article 7 de la CEDHSLF. Cependant, la
Cour apporte une précision importante « sauf s’il est établi que la condamnation de l’intéressé était
fondée sur le droit international applicable à l’époque pertinente ». Cela signifie que si le crime de
génocide était prévu par des textes internationaux en 1953, le requérant aurait pu être condamné sur
ce fondement… Pourtant, et notamment en droit français, les conventions internationales ne sont
pas directement applicables : principe de la légalité oblige !
Ici, la Cour propose de permettre la condamnation en se référant au droit international et va
examiner si en 1953 il existait des dispositions interdisant le génocide dans les mêmes conditions
que celles qui ont permis la condamnation de V., même si l’État ne l’avait pas signé (Adhésion
Lituanie à la CPRCG en 1996). Pour VASILIASKIS, elle va considérer que comme le génocide
s’était exercé contre un groupe politique, il n’existait ni en droit international, ni dans le jus cogens
(alors que normalement la coutume n’est plus une source de droit pénal, c’est une notion trop
évanescente) une interdiction de ce chef. Si tel avait été le cas, elle aurait validé la condamnation.
Elle ne se pose même pas la question de savoir si cela était prévisible et accessible… Comment
VASILIASKIS pouvait prévoir qu’il serait condamné pour génocide 50 ans plus tard ? C’est
impossible. Dans un arrêt très récent DEREGLAS C/ lituanie, (15 avril 2019) on va trouver une
affaire avec les mêmes faits où les juridictions lituaniennes pour condamner du chef de génocide en
se fondant sur le droit international (convention 1948), on fait valoir que le groupe politique
correspondait à une partie du groupe national en ce que les opposants aux soviétiques avaient pour
but de protéger la population nationale, représentaient une partie substantielle du groupe national et
qu’ils défendaient l’identité nationale donc que c’était applicable, condamnation…

Cas pratique :

Le 3 septembre 2010, un individu commet un délit crée par une loi entrée en vigueur le 2 juillet
2010 et sanctionné par une amende pouvant atteindre jusqu’à 5 000 euros. L’infraction
nouvellement créée était à ce point obscure que le législateur a dû intervenir pour modifier le texte
d’incrimination et préciser qu’il s’agissait d’une infraction d’habitude. Cette précision est le fait
d’une loi entrée en vigueur le 15 novembre 2010.

Première hypothèse :
Le 2 juillet 2011, le prévenu est jugé et condamné du chef de ce délit à une amende portant sur une
somme modique en raison de l’absence de répétition de l’acte incriminé.

1) Quelle est la situation juridique décrite ?


Il s’agit d’un problème d’application de la loi dans le temps. Il s’agit de déterminer si la loi du 15
novembre 2010 était applicable à des faits commis antérieurement à son entrée en vigueur. Le droit
pénal est régi par le principe de la légalité criminelle. Selon ce principe, nul ne peut être condamné
pour des faits qui ne constituaient pas une infraction prévue par un texte le jour où ils ont été
commis. De ce principe découle celui de la non-rétroactivité de la loi pénale qui connaît toutefois
des tempéraments.

2) Ce jugement est-il fondé ?

A) L’application de la loi du 2 juillet 2010 précisée par la loi du 15 novembre 2010 :

En vertu de l’article 112-1 du Code pénal, « sont seuls punissables les faits constitutifs d'une
infraction à la date à laquelle ils ont été commis. » Une loi pénale nouvelle ne peut s’appliquer à des
faits antérieurement commis à son entrée en vigueur.

En l’espèce, la loi du 15 novembre 2010 est postérieure à la commission des faits constitutifs d’un
délit. Elle ne devrait donc pas s’appliquer au prévenu.

Toutefois, les lois interprétatives sont d’application immédiate. En effet, - la solution est ancienne et
de jurisprudence constante (Crim. 21 octobre 1943) -, ces lois font corps avec la loi qu’elles
interprètent : elles n’instituent pas de nouvelles règles, mais révèlent celles qui leur préexistaient.
En l’espèce, la loi nouvelle est une loi interprétative. Elle sert à préciser les éléments d’un délit crée
par la loi du 2 juillet 2010. En tant que telle, elle est donc immédiatement applicable dès lors que le
prévenu n’a pas été définitivement jugé.

Donc, les dispositions de la loi du 15 novembre 2010 étaient applicables au prévenu.

B) La nature de l’infraction et ses conséquences sur la déclaration de culpabilité du prévenu

En vertu de l’article 112-1 du Code pénal, une loi pénale nouvelle ne peut s’appliquer à des faits
antérieurement à son entrée en vigueur sauf lorsque ses dispositions sont plus douces. Les lois
interprétatives, en ce qu’elles font corps avec la loi qu’elles interprètent échappent à ce principe et
sont d’application immédiate.

En l’espèce, la loi du 15 novembre 2010 précise que le délit incriminé par la loi du 2 juillet 2010
constitue une infraction d’habitude. L’infraction d’habitude suppose que le comportement incriminé
soit adopté à plusieurs reprises pour être constituée et partant punissable (exemple : exercice illégal
de la médecine). Dès lors, le prévenu ne pouvait pas être condamné alors qu’il n’avait commis
l’acte incriminé qu’à une seule reprise. En effet, la loi du 2 juillet 2010 étant interprétative, ces
dispositions s’appliquent immédiatement ; précisons donc qu’il importait peu que ses dispositions
soient moins sévères que celles qui auraient pu être interprétées à la lecture de la loi du 2 juillet
2010.

Donc, le jugement est erroné, le prévenu ne pouvait pas être condamné de ce chef fusse à une faible
amende. (N.B. : je précise, car ça m’a été posé en TD, pas de bras, pas de chocolat ; pas de
déclaration de culpabilité (= pas d’infraction constituée), pas de peine !)
Deuxième hypothèse :

Le 2 juillet 2011, le prévenu est condamné à une amende de 6 000 euros et est déclaré coupable du
délit incriminé par la loi du 2 juillet 2010 interprétée par la loi du 15 novembre 2010. Cette dernière
a précisé que le délit prévu était une infraction d’habitude et a porté l’amende encourue à 7 000
euros. Le prévenu avait adopté à plusieurs reprises le comportement incriminé.

3) La constitution du délit, la culpabilité du prévenu :

En vertu de l’article 112-1 du Code pénal, une loi pénale nouvelle ne peut s’appliquer à des faits
commis antérieurement à son entrée en vigueur sauf lorsque ses dispositions sont plus douces. Les
lois interprétatives, en ce qu’elles font corps avec la loi qu’elles interprètent échappent à ce principe
et sont d’application immédiate.

En l’espèce, le prévenu a adopté à plusieurs reprises le comportement incriminé. La loi du 2 juillet


2010 étant interprétative et ayant précisé que le délit était une infraction d’habitude, elle était
applicable au prévenu sans égard pour son caractère moins sévère.

Donc, dans cette hypothèse, puisque l’infraction est constituée, le prévenu pouvait être déclaré
coupable de ce chef.

4) La condamnation à une amende

En vertu de l’article 112-1 du Code pénal, une loi pénale nouvelle ne peut s’appliquer à des faits
commis antérieurement à son entrée en vigueur sauf lorsque ses dispositions sont plus douces.
L’alinéa 2 de cet article prévoit que seules les peines en vigueur lors de la commission des faits
peuvent être appliquées. Les lois interprétatives, en ce qu’elles font corps avec la loi qu’elles
interprètent échappent à ce principe et sont d’application immédiate.

En l’espèce, si les dispositions de la loi du 15 novembre 2010 qui interprètent celles de la loi du 2
juillet 2010 sont immédiatement applicables, tel n’est pas le cas de celles qui durcissent la
répression de l’infraction en augmentant le quantum de l’amende encourue. En effet, en présence de
dispositions qui peuvent être scindées, l’application de la loi est distributive. Dès lors, les
dispositions de la loi du 15 novembre 2010 qui augmentent l’amende encourue ne sont pas
applicables aux faits commis postérieurement à son entrée en vigueur.

Donc, le prévenu ne pouvait pas être condamné à une amende excédant 5 000 euros.

IV) Le principe de la légalité criminelle et la jurisprudence :

1/La jurisprudence et les sources du droit pénal

Décision du 16 juillet 1996, dont on a vu qu’elle annonçait un renversement du principe de la


légalité (interprétation du juge).

Dans une décision du 13 janvier 2011 : on peut voir deux choses. D’abord, le fait que comme vous
l’a indiqué à titre de remarque le Professeur CONTE, le Conseil applique les principes régissant la
matière pénale tant aux peines, qu’aux « sanctions ayant le caractère d’une punition ». Le
« problème » c’est qu’on ne sait toujours pas à l’heure actuelle quels sont les critères exacts
permettant de distinguer une sanction d’une sanction ayant le caractère d’une punition… C’est très
peu clair.

La seconde, c’est que le Conseil déclare ici l’article L. 442-6 du Code du commerce conforme au
principe de la légalité alors que la seule lecture du texte n’emporte pas la conviction quant à leur
caractère « clair et précis ». Le Conseil, pour justifier son raisonnement, fait valoir que ce texte se
réfère à la notion de « déséquilibre significatif » figurant dans un autre texte dont le contenu a été
précisé par la jurisprudence. La décision du 16 juillet 1996 n’était que le point de départ à ce type
d’abus…

CEDH Cantoni C/ France 15 novembre 1996 : On a un nouvel exemple de la conception


européenne du principe de la légalité. La Cour, de façon très claire, énonce que selon elle des
dispositions générales ne sont pas incompatibles avec l’article 7 pourvu que dans la majorité
des cas elles soient claires, elle poursuit « la fonction des juridictions est précisément de dissiper
tout doute » (ce qui semble être la position du Ccel) « en tenant compte des évolutions de la
pratique quotidienne ». Cela signifie qu’elle a une conception évolutive des textes, que ceux-ci
vont tous devenir nécessairement circonstanciés. Elle fait valoir également que les professionnels
doivent avoir de part leur qualité, une prudence accrue dans le comportement : ils doivent envisager
avec d’autant plus de sérieux toutes les hypothèses qui peuvent découler de leurs comportements…
La prévisibilité de la loi n’est pas évaluée en fonction du bon père de famille, mais en fonction
du juriste qui pouvait éclairer l’individu…

2/ Les revirements de jurisprudence et la non rétroactivité de la loi pénale :

30 janvier 2002, Crim : la Cour de cassation fait valoir que le principe de non-rétroactivité ne
s’applique pas aux interprétations jurisprudentielles. C'est assez conforme au principe de la légalité
à la française, selon lequel le juge ne fait qu’exprimer ce qui figure dans la loi. Seulement en
l’espèce, on pouvait se demander si la Cour de cassation par son expression lapidaire ne masquait
pas son embarra pour donner une solution à propos d’un revirement de jurisprudence. Normalement
l’article 112-1 ne s’applique pas : la jurisprudence est déclarative, pas créatrice de droit. Ici
toutefois, la solution a été critiquée car peu soucieuse de la sécurité juridique des justiciables : le
texte prévoyait que « toute personne physique devait… ». Sauf qu’en 1998, la Cour dans un arrêt se
réfère à l’esprit du texte (empêcher l’évasion fiscale) et décide qu’il n’est applicable qu’aux
résidents et non pas aux non-résidents. Elle est démentie par l’administration fiscale et abandonne
cette solution en 2000.. Il est vrai cependant que les faits avaient été commis en 1996, le texte
disposait que « toute personne physique » devait déclarer. Or, là où le texte ne distingue pas il ne
faut pas distinguer donc le requérant aurait dû déclarer.

C’est la solution classique de la Cour de cassation : voyons celle de la CrEDH.

Arrêt PESSINO C/ France, 10 octobre 2006 : on sait que pour la Cour, la loi et la jurisprudence sont
élevées au même rang, la jurisprudence n’a pas une vocation supplétive mais complémentaire :
elle a pour fonction de permettre à la loi d’évoluer en fonction des circonstances. Selon cette
conception, les revirements ne sont pas hypothétiques, accidentels, ils sont souhaités. Pour
déterminer si une « loi » est conforme ou non à l’article 7, la CrEDH vérifie si deux critères sont
satisfaits, l’accessibilité et la prévisibilité de la loi. Donc un revirement peut s’appliquer de façon
rétroactive s’il était suffisamment prévisible (dans le principe). Elle fait valoir dans cet arrêt
qu’en l’absence de jurisprudence préalable qui permettait de prévoir une assimilation entre sursis à
exécution et interdiction de construire, la condamnation du requérant était non conforme.

Mais qu’est ce qu’un précédent topique ? Sachant que la Cour assimile juridictions du fond et
Cour de cassation alors que seuls les arrêts de la Cour de cassation font autorité en France (cf.
Séance n°1). Par ailleurs, si on creuse l’affaire dont il était question, on s’aperçoit qu’il ne s’agissait
pas vraiment d’un revirement de jurisprudence : la Cour avait énoncé dans un arrêt que le fait de
construire avant que le permis soit délivré constituait une infraction, de la même manière que
lorsque le permis était périmé. Si bien que la solution de la Cour de cassation n’était pas tout à
fait imprévisible… Par rapport à l’arrêt CANTONI, la prévisibilité semblait peu ou prou la
même, et pourtant, les solutions sont différentes…

La Cour prend soin de préciser que l’espèce était différente que l’arrêt SW C/ RU, pour parer toute
critique… Il y aurait donc une différence à faire entre les infractions relavant du droit naturel
et celles qui n’en sont pas, ce qui n’a pas le mérite de la clarté et de la rigueur… Qu’est-ce que
le droit naturel ? Il va nécessairement varier en fonction des « civilisations » : les grecs
n’avaient pas la même conception que Saint-Thomas, que Grotius, que Kant etc (cf. Michel
Villey, Philosophie du droit).

Arrêt SW C/ RU 22 novembre 1995 : Ici, aucune jurisprudence, aucun revirement, les rares
tribunaux qui avaient eu à connaître de l’immunité conjugale l’avait approuvée et puis
condamnation… Ce n’est pas contraire à l’article 7 car c’est conforme à une notion civilisée du
mariage (qu’est ce que c’est qu’un mariage civilisé ?) Et qu’est ce que c’est que la dignité de la
personne humaine ? Avec un soupçon de morale : ce qu’elle n’a pas fait dans l’arrêt KA c/
Belgique alors qu’on était en présence de faits contraires à l’article 3 CEDH.. C’est de l’autorité de
chose créée : comment anticiper la règle ?

Cour de cassation : elle n’a pas varié dans sa jurisprudence postérieure. Sans jamais statuer
tout à fait sur la rétroactivité, elle a réaffirmé que « le principe de non rétroactivité ne
s’applique pas à l’interprétation » et pour l’arrêt PESSINO après condamnations de la
France, elle s’est appuyée sur du DPS pour ne pas condamner mais elle n’a pas repris
l’argumentaire de la Cour.

Thèmes de réflexion :

1/ Le §2 de l’article 7 : Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une


personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était
criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.

À l’origine, c’est une disposition insérée pour éviter toute remise en cause des condamnations pour
les exactions commises pendant le seconde guerre mondiale. En effet à Nuremberg on a condamné
sur le fondement des dispositions qui créaient le tribunal en même temps qu’elles incriminaient des
comportements (Statut du tribunal). Le principe de la légalité a été assez malmené, bien que ce ne
soit pas si simple dans la mesure où un droit de la guerre avait commencé à sérieusement émerger
avant 1945 et qu’on peut considérer, dans cette hypothèse, qu’il y avait une atteinte à la dignité de
la personne humaine (au sens de Kant, dans le système concentrationnaire, c’est l’extermination
industrialisée d’individus en raison de ce qu’ils sont, c’est la réification de certains êtres humains
(on leur a donné des numéros…). (NB : la plupart des condamnations au TN n’étaient pas pour
crime contre l’humanité, mais pour crime de guerre en raison de la résistance d’Henri Donnedieu de
Vabres, un des 4 juristes français au procès précisément en raison de la légalité criminelle).

En réalité, et quoi qu’en dise la CrEDH (arrêt 18 juillet 2013 Maktouf) en suggérant que seuls les
crimes qui ont émergé pendant la seconde guerre mondiale sont concernés, l’article §2 a vocation à
permettre la répression ou plutôt la légitimité de la répression de crimes sur le fondement de
dispositions internationales voire coutumières… Et si elle ne l’a pas fait dans Vasiliauskis, elle l’a
fait en 2019 pour Déréglas…. (ce à quoi se refuse la Cour de cassation : pour elle il faut qu’il y ait
un élément d’introduction des textes en droit national, pour les crimes contre l’humanité commis
pendant la seconde guerre mondiale elle s’est fondée sur une loi de 1964 qui « constatait
l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité » pour y voir une loi déclarative (cf. Arrêts
PAPON, TOUVIE, BARBIE), mais elle a refusé d’appliquer l’incrimination de crime contre
l’humanité à des exactions antérieures à 1992 (date à laquelle le nouveau CP incrimine les crimes
contre l’humanité en droit français) et commises en Algérie ou en Indochine, cf. BOUDAREL).

2/ L’originalité de la conception européenne : ça reprend tout ce qu’on a pu dire tout au long de ces
séances. La conception européenne de la légalité est très souple : elle considère que la norme y
compris en matière pénale désigne la loi mais aussi la jurisprudence. Que pour satisfaire à l’article
7§1 de la CEDH, il faut qu’elle soit accessible et suffisamment prévisible. Elle considère que la loi
ne doit pas être excessivement rigide pour permettre une évolution adaptée aux circonstances et qui
sera le fait de la jurisprudence.

3/ L’amélioration de la conception française : la légalité criminelle française n’était pas dans son
application un principe exempt de critiques, mais il avait le mérite de formuler une théorie qui
assurait une sécurité juridique aux citoyens. Tout ce qui n’est pas interdit en des termes clairs et
précis est permis. Seule la loi est suffisamment légitime pour déterminer ces hypothèses.
Désormais, la loi est conditionnelle, et il appartient au citoyen de rechercher lui-même dans
chaque situation quelles sont les évolutions possibles de la jurisprudence, y compris
lorsqu’elles sont hypothétiques.. Pas sûr, comme le dit le Professeur CONTE que l’on ait gagné au
change (je vous renvoie à l’article cité plus haut, « principe de la légalité : quelques airs nouveaux
sur des paroles anciennes »). On passe d’un système où existe un cadre à un système évanescent,
même si on doit toujours être dans la nuance.

Vous aimerez peut-être aussi