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LES PREUVES PENALES A L’EPREUVE DE LA

METAMORPHOSE DES REGLES DE LA PROCEDURE


PENALE SENEGALAISE

Dieunedort NZOUABETH
Agrégé des Facultés de Droit
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
Faculté des Sciences juridiques et politiques

ANNALES
AFRICAINES
Nouvelle série

Revue de la Faculté des Sciences juridiques et politiques


de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Volume 2
Décembre 2018
N°9

Une publication
CREDILA

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CREDILA, 2018
ISSN : 0850-9247

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LES PREUVES PENALES A L’EPREUVE DE LA
METAMORPHOSE DES REGLES DE LA PROCEDURE PENALE
SENEGALAISE

Par
Dieunedort NZOUABETH,
Agrégé des Facultés de Droit
Université Cheikh Anta Diop de Dakar

1. Nul ne peut contester aujourd’hui que le développement de


nouvelles formes de criminalité fait bouger les lignes juridiques ; il
soumet incontestablement les systèmes juridiques à une forte pression
qui impose aux gouvernants d’innover, parfois dangereusement. C’est
ainsi qu’on assiste par exemple, en France, a « un mouvement de
sortie de la répression pénale par la militarisation et par
l’administrativisation de la répression antiterroriste »1, tandis qu’au
Sénégal on semble privilégier l’exceptionnalisation et la normalisation
de la lutte contre la criminalité organisée2. Ces mutations se
caractérisent par une prolifération législative.
En effet, il est vrai que face aux phénomènes d’inflation, les
différents secteurs ne sont pas frappés de la même manière, même si
tous le sont. Il en va de même de l’inflation législative : les secteurs,
les domaines potentiellement législatifs ne sont pas soumis à la même
inflation, mais on sait que le domaine pénal, qu’il s’agisse du fond du
droit ou de sa procédure, est atteint par ce phénomène. Il n’y a aucun
doute que le droit pénal, dans son ensemble a connu et connaît encore
des métamorphoses3. Depuis l’élaboration des premiers textes pénaux,
ceux-ci au gré des évènements, ont été révisés, amendés, complétés et

1
J. ALIX et O. CAHN, « Mutations de l’antiterrorisme et l’émergence d’un droit
répressif de la sécurité nationale », Rev. Sc. Crim. 2017, p. 845 ; O. CAHN, « La
politique criminelle française en matière de lutte contre le terrorisme », in S. PELLE
(dir.), Le terrorisme : nouveaux enjeux, nouvelles stratégies - Aspects juridiques et
criminologiques, PUPau/CRAJ, coll. Le Droit en mouvement n° 6, 2017, pp. 19 à
33.
2
Cela se traduit par l’adoption, dans la matière pénale dérogatoire, des textes qui
ressemblent aux lois d’exception.
3
M. LENA, « 1986-2016 : 30 ans de lois antiterroristes », AJ Pénal, 2016, p. 105.
112 ANNALES AFRICAINES

parfois même refondus. Mais force est de reconnaître que ces


dernières années, ces réformes ont été faites à une cadence accélérée4,
pour ne pas dire vertigineuse. Ces changements sont intimement liés à
l’évolution de la criminalité qui oblige la matière à être, elle aussi, en
constante évolution5. Il en est ainsi au Sénégal où, dans le souci
d’enrayer les nouvelles formes de délinquance et de mettre la loi
pénale en conformité avec les traités internationaux ratifiés, le
législateur a modifié la carte judiciaire6 et prévu de nouvelles
incriminations7. Mais en février 2007 on va assister à un ébranlement
de la politique pénale sénégalaise8, puisque sous le prétexte de vouloir
davantage être en phase avec la communauté internationale dans sa
lutte contre le terrorisme9, le législateur va instituer de nouvelles
règles de procédure pénale dérogatoires10. Près d’une décennie après,
il est revenu à la charge pour corriger les tares originelles de son

4
S. GUINCHARD, « Vers une démocratie procédurale », Justices, 1999, nouvelle
série, p. 91 ; « Les métamorphoses de la procédure à l'aube du IIIe millénaire », in
Clefs pour le siècle, Paris 2, Dalloz, 2000, p. 1183.
5
M.-H. GOZZI, « Lutte contre le terrorisme : une législation entre émotion et
réaction », J.C.P., G. n° 26, 27 juin 2016, 738 ; G. CARCASSONNE, « Qui inspire
les réformes pénales ? », in Cycle Procédure pénale 2006, Cour de cassation,
Conférence du 23 février 2006,
https://www.courdecassation.fr/venements_23/colloques_formations_4/2006_55/car
cassonne_professeur_8479.html (consulté le 27 juillet 2018).
6
V. Loi n° 2014-26 du 3 novembre 2014 abrogeant et remplaçant la loi n° 84-19 du
2 février 1984 fixant l’organisation judiciaire, JORS n° 6818, numéro spécial du 10
novembre 2014, pp. 1359 et s.
7
V. Loi n° 2014-27 du 3 novembre 2014 modifiant la loi n° 65-60 du 21 juillet 1965
portant Code pénal, JORS n° 6818, numéro spécial du 10 novembre 2014, pp. 1361
et s; Loi n° 2016-29 du 08 novembre 2016 modifiant la loi n° 65-60 du 21 juillet
1965 portant Code pénal, JORS n° 6975 du vendredi 25 novembre 2016, pp. 1614 et
s.
8
T.A. NDIOGOU, « Réflexions sur la nouvelle législation sénégalaise
antiterroriste », Droits fondamentaux, n° 16, janvier 2018 – décembre 2018, p. 3,
www.droits-fondamentaux.u-paris2.fr
9
Loi n° 2007-01 du 12 février 2007 modifiant le Code pénal, JORS n° 6332 du 10
mars 2007, pp. 2375 à 2377.
10
V. Loi n° 2007-04 du 12 février 2007, modifiant le Code de procédure pénale
relatif à la lutte contre les actes de terrorisme, JORS n° 6332 du 10 mars 2007.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 113

dispositif procédural répressif11, tout en consacrant, au passage, de


nouvelles techniques de collecte de preuves12.
2. Pour une plus grande efficacité de l’action judiciaire dans la
lutte contre ces nouveaux phénomènes criminels, il est évident que le
défi lancé à la matière pénale, particulièrement à la procédure pénale
sénégalaise, est alors devenu celui de la preuve. Celle-ci se décline en
autant de moyens qu’il est de nécessité d’établir la réalité d’une
infraction, a fortiori suivant sa gravité.
3. Si la procédure pénale, dans son ensemble, a comme objectif
principal la manifestation de la vérité, la preuve est le moyen
d’approcher cette vérité. La preuve est présente dans tous les
domaines de la vie juridique. Cependant, elle revêt une importance
particulière en droit pénal, plus qu’en toute autre matière, puisqu’il
s’agit de démontrer l’existence d’une infraction et de se prononcer sur
la culpabilité d’une personne poursuivie, dont l’honneur et la liberté
sont en cause. La preuve concerne l’ensemble du procès pénal, depuis
le soupçon de la commission d’une infraction jusqu’au jugement
définitif. Au stade des enquêtes de police, on recherche une ou
plusieurs causes permettant de suspecter que la personne considérée a
commis ou tenté de commettre une infraction13; au stade de
l’instruction préparatoire, le juge doit examiner s’il existe des charges
suffisantes susceptibles de justifier le renvoi de l’intéressé en
jugement14 et enfin, au stade de jugement, on s’interroge sur la preuve
des faits mais aussi sur la culpabilité15.
4. Il apparaît dès lors que toute la chaîne pénale est dominée par
le problème de la preuve à telle enseigne qu’une décision judiciaire ne

11
Loi n° 2014-28 du 3 novembre 2014 modifiant la loi n° 65-61 du 21 juillet 1965
portant Code de procédure pénale, JORS n° 6818, numéro spécial du 10 novembre
2014, pp. 1363 et s. ; Loi n° 2016-30 du 08 novembre 2016 modifiant la loi n° 65-61
du 21 juillet 1965 portant Code de procédure pénale, JORS n° 6976 du samedi 26
novembre 2016, pp. 1628 et s.
12
V. Loi n° 2016-33 du 14 décembre 2016 relative aux Services de renseignement,
JORS n° 6984 du samedi 07 janvier 2017.
13
CPP du Sénégal, Art. 46 et s.
14
CPP du Sénégal, Art. 72 et s.
15
CPP du Sénégal, Art. 414 et s.
114 ANNALES AFRICAINES

peut se passer de la preuve16 ; « la preuve est inséparable de la


décision judiciaire : c’en est l’âme et la sentence n’est qu’une
ratification »17. Comme le rappelle François Terré, « le mécanisme du
procès appelle nécessairement celui de la preuve et le juge ne peut
statuer sans avoir analysé, même sommairement, les éléments de
preuve qui lui sont présentés»18.
Il s’agit essentiellement pour la partie poursuivante de
rapporter la preuve de la culpabilité d’un auteur présumé par la
démonstration de la constitution d’une infraction19 recouvrant ses
éléments matériel et moral20. Déterminante dans tout type de procès21,
la preuve l’est davantage en matière pénale puisque grâce à elle, de
simples soupçons peuvent être transformés en certitude.
5. Elle est à la fois une opération intellectuelle et une opération
matérielle22. Opération intellectuelle, elle est un processus, une
démonstration proprement juridique distincte des autres sciences.
Opération matérielle, elle renvoie au fait, au document qui permet
d’établir l’existence de quelque chose. « La preuve se réalise grâce à
des preuves », disait Raymond Legeais23. Elle établit l’existence d’un

16
B. BOULOC et H. MATSOPOULOU, Droit pénal général et procédure pénale,
16ème éd., Dalloz-Sirey, Paris, 2006, n° 429 et s.
17
H. LEVY-BRUHL, La preuve judiciaire. Etude de sociologie juridique, Librairie
Marcel Rivière et Cie, Paris, 1964, spéc. p. 22 et s.
18
F. TERRE, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 7ème éd., 2006, n° 560, p.
460.
19
Les contraventions qui, par principe, sont purement matérielles ne sont pas
visées.
20
Ce n’est pas toujours la partie poursuivante qui apporte la preuve. En certaines
circonstances, la personne poursuivie peut ou est tenue d’apporter la preuve.
21
En dépit de certains rapprochements, les règles qui régissent la preuve dans le
procès pénal diffèrent sur de nombreux points de celles qui s’appliquent au procès
civil. La preuve en matière civile est plus aisée car elle est dans la plupart des cas
préconstituée sous forme d’un écrit : V. par ex. C. COHEN, « Actualité et pérennité
du problème de l’administration de la preuve en droit pénal », Gaz. pal. 18 mai
1999, chr. p. 610 s.
22
Sur cette distinction, L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI-MEKKI,
Théorie générale du procès, P.U.F., 2ème édition, 2013, n° 250 et s. Un parallèle
peut-être fait avec la distinction entre evidence et proof. Evidence renverrait aux
moyens de preuve alors que proof désignerait davantage le processus.
23
R. LEGEAIS, Les règles de preuve en droit civil. Permanences et
transformations, Préf. R. Savatier, L.G.D.J., 1955, spéc. p. 144.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 115

fait et lève le doute, d’où l’importance particulière qu’elle revêt


d’autant plus qu’elle expose l’honneur et la liberté de la personne mise
en cause. Pour cette raison, elle ne doit pas, du fait des nécessités de la
répression, être facilement acquise.
6. En droit, la preuve est essentiellement judiciaire. Nous disons
essentiellement, car elle peut être concurrencée ou complétée par
d’autres vérités : vérité légale, vérité scientifique ou « vérité » plus
consensuelle, telle celle de la transaction24.
7. Prouver signifie « établir la vérité par des témoignages, des
raisonnements, etc.»25. La preuve est ainsi intimement liée à cette
notion de vérité et désigne le « moyen de parvenir à la connaissance
de la vérité d’un fait »26, étant entendu que la vérité a une qualité
particulière, celle d’être indéfinissable27. Elle est de l’ordre du
discours28 et constitue rarement une représentation exacte de la
réalité29. La vérité est une notion contingente qui varie selon le temps
et le lieu30. Prouver consiste donc moins à établir la vérité qu’à
convaincre le juge d’une vérité. Aussi bien en matière civile qu’en
matière pénale, prouver c’est emporter la conviction du juge31.

24
M. MEKKI, « Vérité et preuve. Rapport français », in La preuve. Journées
internationales 2013 d'Amsterdam, Pays-Bas et Liège, Belgique, coll. Travaux Henri
Capitant, vol. LXIII, Paris / Bruxelles, LB2V et Bruylant, 2015.
25
Dictionnaire Larousse, V°. Prouver.
26
E. MOLINA, « Réflexion critique sur l’évolution paradoxale de la liberté de la
preuve des infractions en droit français contemporain » ; Rev. Sc. crim. 2002, p. 263.
27
G. CORNU, « La vérité et le droit », in L’art du droit en quête de sagesse, PUF,
coll. Doctrine juridique, 1998, p. 211 et s., spéc. p. 212 : « la sagesse est (…) de ne
pas la définir, à l’idée que les notions élémentaires, comme l’être ou la vérité
justement, sont indéfinissables ».
28
Ibidem : la vérité est dans la réalité, « la vérité de ce qui est » et dans le discours «
la vérité devient la conformité de ce qui est dit à ce qui est ».
29
Y. CHARTIER, Avant-propos, in La vérité, Rapport de la Cour de cassation,
2004, p. 39 et s.
30
Ibidem : « (…) ce qui est tenu pour vrai à un moment donné ne l’est pas
nécessairement pour toujours ; le juge, comme le citoyen, sait que la vérité est
relative, contingente. Il se crée un dialogue permanent entre un absolu, un idéal, et
les exigences qui naissent de l’application concrète de la règle de droit à des
situations données ».
31
Ph. THERY, « Les finalités du droit de la preuve en droit privé », Droits, n° 23,
1996, spéc. p. 48 ; A. BERGEAUD, Le droit à la preuve, préf. J.-C. Saint-Pau, Bibl.
dr. privé, t. 525, LGDJ, 2010, n° 2, p. 3.
116 ANNALES AFRICAINES

L’autorité de la chose jugée n’est donc pas la « vraie vérité ; elle est
reçue (accipitur) par le bon peuple pour tenir lieu de vérité »32.
Appréhendée à travers la personne du juge et de son jugement, la
vérité judiciaire est subjective et Pierre Hugonet souligne, à juste titre,
que « dans tous les pays du monde, la somme des angles d’un triangle
est égale à deux angles droits. [Et qu’] Il n’en est pas de même dans
les sciences du réel ni surtout dans les sciences normatives, fondées
sur les jugements de valeur, comme la morale, le droit, la politique
»33. Ce constat est accentué en matière pénale puisque cette vérité
repose alors sur l’intime conviction du juge34, ce qui éloigne par
essence toute vérité absolue ou objective. Autrement dit, l’intime
conviction confirme qu’en matière pénale, la vérité par la preuve est
plus une question de certitude35, vérité purement subjective.
8. Par ailleurs, en matière pénale, la notion de vérité est différente
selon les stades de la procédure puisque la recherche de la « certitude
policière » n’a pas le même degré que celle de la « vérité judiciaire
»36. Le Code de procédure pénale du Sénégal énonce, en effet, qu’au
stade de l’enquête, la mission de la police judiciaire est de « […]
constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et
d’en rechercher les auteurs tant qu’une information n’est pas ouverte
»37. En conséquence, si l’objectif de l’enquête reste bien la
manifestation de la vérité, celle-ci n’est conçue que comme une vérité
provisoire qui pourra faire l’objet d’une remise en cause au stade de
l’instruction38. C’est ainsi qu’« au fur et à mesure que le procès pénal

32
J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 27ème éd., PUF, 2002, n° 192.
33
P. HUGONET, La vérité judiciaire, Paris, Litec, 1986, p. 21 s.
34
J.-D. BREDIN, « Le doute et l’intime conviction », Droits, 1996, n° 23, p. 21 et s.
35
F. HELIE, Traité de l’instruction criminelle ou théorie du Code d’instruction
criminelle, Tome IV, 2ème éd., Plon, Paris, 1866, n° 1759, p. 324, cité par A.
BERGEAUD, op. cit., n° 2, p. 3. Il est question de la « certitude intérieure » du
juge, en ce sens, E. Vergès, « Eléments pour un renouvellement de la théorie de la
preuve en droit privé », in Mélanges J.-H. Robert, LexisNexis, 2012, p. 893.
36
P. BOLZE, Le droit à la preuve contraire en procédure pénale, Thèse, Université
Nancy 2, 2010, p. 15.
37
CPP, Art. 14, al. 1.
38
P. BOLZE, op.cit., p. 15.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 117

progresse la vérité judiciaire apparaît logiquement en termes plus


précis et plus absolus»39.
9. La recherche de cette vérité judiciaire doit prendre en compte
certains paradigmes à savoir la nécessaire protection de l’ordre public
et la sécurité publique ainsi que la sauvegarde des droits et libertés des
personnes mises en cause. En effet, l’objectif de sauvegarde de l’ordre
public impose au législateur de mettre à la disposition des autorités
policières judiciaires un dispositif probatoire efficace. C’est pour cette
raison qu’au gré des évolutions techniques et scientifiques et à la
faveur de l’émergence de nouveaux visages du phénomène criminel40,
le législateur sénégalais a institué un dispositif probatoire dense en
matière pénale. La mise en place de mesure de garde à vue de longue
durée pour les infractions les plus graves41/42 a ainsi par exemple
répondu à l’objectif de favoriser le recueil de l’aveu. C’est dans cette
même perspective qu’en matière de criminalité organisée il a rendu
possible les sonorisations des lieux et même la géolocalisation en
édictant que « les services spéciaux de renseignement peuvent, [….]
recourir à des procédés techniques, intrusifs, de surveillance ou de
localisation pour recueillir les renseignements utiles à la
neutralisation de la menace »43.
10. Toutefois, la promotion d’une preuve efficace du point de vue
de la sauvegarde de l’ordre public se heurte à la nécessaire protection
des droits et libertés des personnes mises en cause dans une procédure
pénale. Les autorités veillent donc à ce que la recherche et
l’administration de la preuve pénale ne leur portent aucune atteinte qui

39
P. RAVIER, « Vérité et vérité judiciaire », Revue de la gendarmerie nationale,
2ème trimestre 1976, n° 108, p. 23.
40
A. PONSEILLE, « Les infractions de prévention, argonautes de la lutte contre le
terrorisme », RDLF 2017, Chron. n° 26, disponible sur le lien suivant :
http://www.revuedlf.com/droit-penal/les-infractions-de prévention-argonautes-de-la-
lutte-contre-le-terrorisme/ (consulté le 27 avril 2018) ; J.-P. DOUCET, « Les
infractions de prévention », Gaz. Pal. 1973, II, doct., p. 764.
41
Terrorisme, trafic de stupéfiants, criminalité organisée.
42
S. WANE, Le temps dans la procédure pénale sénégalaise, Thèse de doctorat,
Paris I, 2017, pp. 284 à 285.
43
V. Loi n° 2016-33 du 14 décembre 2016 relative aux Services de renseignement,
JORS n° 6984 du samedi 07 janvier 2017, Art. 10.
118 ANNALES AFRICAINES

ne serait pas nécessaire ou qui s’avèrerait disproportionnée à l’objectif


poursuivi. Ainsi, le principe de la liberté de la preuve, connaît une
limite générale consistant dans le devoir imposé aux juges de puiser
leur conviction dans des sources légalement recherchées et examinées
: les preuves utilisables se limitent à celles légalement admissibles44.
Plusieurs modes de preuve sont dans cette perspective depuis
longtemps proscrits parce qu’ils sont attentatoires aux droits de la
défense, au principe de loyauté de la preuve ou encore à la protection
de la vie privée, tandis que la recherche et la discussion des preuves
obéissent à des règles procédurales précises, dont les garanties doivent
se combiner avec les exigences fondamentales en relation avec les
droits humains. Ainsi, sont prohibés les preuves obtenues par les
tortures et les traitements inhumains et dégradants. De même, des
investigations supposant une atteinte à l’intégrité physique, telles que
les prélèvements corporels internes ou externes sans le consentement
sont interdites.
11. Le législateur sénégalais, tenant compte des nombreuses
évolutions technologiques et scientifiques45, a revu le régime juridique
de la preuve en conférant plus de pouvoirs aux autorités chargées
d’investiguer et de juger et en créant de nouveaux moyens de preuve
destinés à lutter plus efficacement contre les phénomènes criminels
récents46. Sans aller aussi loin que ses homologues de certains pays

44
V. Loi n° 2016-33 du 14 décembre 2016 relative aux Services de renseignement,
JORS n° 6984 du samedi 07 janvier 2017, Art. 9 : « Pour l’exécution des missions
qui leur sont assignées, les services de renseignement apprécient la consistance des
moyens opérationnels à mettre en œuvre. Ils s’assurent cependant de la légalité des
moyens et de leur proportionnalité à la gravité de chaque menace ».
45
R. HOUIN, « Le progrès de la science et le droit de la preuve », in Revue
internationale de droit comparé, vol. 5 n°1, Janvier-mars 1953. pp. 69-75.
46
Loi n° 2016-30 du 08 novembre 2016 modifiant la loi n°65-61 du 21 juillet 1965
portant Code de procédure pénale, JO n° 6976 du 25 novembre 2016, p. 1627 : «
Des mesures normatives tendant à lutter efficacement contre le phénomène du
terrorisme ont été prises dans le Code pénal et le Code de procédure pénal, en vue,
d’une part, de réprimer plus efficacement les actes terroristes et leur financement,
d’autre part de permettre la mise en place d’institution destinées à prévenir les
actes de terrorisme. Avec l’acuité particulière que revêt le phénomène du terrorisme
au regard de ses manifestations récentes aussi bien sur le plan international que
dans la sous-région, il est apparu nécessaire d’améliorer certains aspects de la
législation pour une plus grande efficacité de l’action judiciaire dans la lutte contre
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 119

d’Europe, notamment la France, la Belgique et l’Allemagne qui en ont


profité pour instituer le fichier génétique, le dossier judiciaire
numérique, les interrogatoires et auditions par visioconférence, il a
autorisé les perquisitions et investigations informatiques, les
interceptions électroniques et même la géolocalisation.
12. Ce faisant, il a étendu le champ d'application des procédures
dérogatoires en se souciant peu ou prou de l'effectivité du contrôle
exercé par l'autorité judiciaire, seule « gardienne de la liberté
individuelle »47. L’évolution est telle que la question se pose
aujourd’hui de savoir sur le terrain probatoire, comment dans ce
tourbillon de réformes, la matière pénale parvient-elle à concilier
l’impératif de protection de l’ordre public avec la nécessaire
préservation des droits et libertés des justiciables? En d’autres termes,
prouve-t-on aujourd’hui comme l’on prouvait hier ? Plus
prosaïquement, les évolutions les plus récentes n’ont-elles pas remis
en cause l’équilibre général de la procédure pénale sénégalaise ?
13. Il paraît important de mener cette réflexion autour des actes
d’investigation, car la procédure pénale sénégalaise, comme celle des
autres pays démocratiques, est au cœur d’un conflit entre la protection
des droits fondamentaux et la nécessité de garantir l’efficacité des
investigations. Elle est obligée de rechercher un équilibre entre ces
deux impératifs et le but de cette étude est de permettre de voir si,
après tant de modifications, cet objectif est atteint. La procédure
pénale sénégalaise connaît de plus en plus un nouvel aspect sans pour
autant perdre son âme qui se caractérise par la recherche d’un
équilibre entre les exigences de la répression et la nécessité de
protéger les libertés individuelles.
14. Etant à la croisée du droit et des faits, la preuve se trouve aussi
au confluent de deux logiques antagonistes : la logique des droits de
l’individu et celle des droits de la société ; ces droits que l’on est tenté

cette forme de criminalité. C’est ainsi qu’il est envisagé des réaménagements
susceptibles d’améliorer le dispositif de lutte contre le terrorisme, avec notamment
[…] ».
47
H. MATSOPOULOU, « Les nouveaux moyens de preuve au service de la
criminalité organisée. – À propos de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 », J.C.P, G.
n° 25, du 20 juin 2016, 707.
120 ANNALES AFRICAINES

de défendre en profitant des technologies modernes et en bâtissant au


profit des autorités de police et de justice un système de pouvoirs
important48. Cette preuve s’est diversifiée autant qu’elle s’est
réinventée au fil du temps. Ainsi, face aux mutations subies ou
connues par les règles de procédure pénale et ayant pour corollaire le
renouvellement fort inquiétant des modes de preuve pénale (I), on
observe, dans un souci d’encadrement, la survivance poussive d’un
régime juridique commun en la matière (II).

I : Le renouvellement inquiétant des modes de preuve en matière


pénale

15. Renouvellement ne signifie pas nécessairement révolution49,


puisque le renouvellement évoque davantage le fait de donner un
nouvel aspect aux choses sans en modifier radicalement la substance
et la finalité. Le renouvellement des règles de procédure pénale se
traduit de façon plus prégnante dans les mécanismes de preuve. Ainsi,
on constate que le renouvellement des modes de preuve est sans doute
pour une large part lié à la diversification des techniques de recherche
de la preuve dans un contexte de frénésie sécuritaire50. Il ne fait guère
de doute aujourd'hui que cette multiplication des techniques, qui paraît
assez risquée, pèse sur le renouvellement des moyens de preuve
ouverts à l’ensemble de la matière pénale (A). Paradoxalement,
d'autres types de diversification contribuent également à renforcer le
mouvement, en l’occurrence ceux exercés sur les moyens réservés à la
matière pénale dérogatoire (B).

48
J. PRADEL, « Rapport général », in La preuve en procédure pénale comparée,
RIDP, 1er et 2ème trimestres, 1992, p. 13.
49
L. GROSCLAUDE, Le renouvellement des sanctions en droit des sociétés, Thèse
Droit privé, Paris 1, 1997.
50
L. MUCCHIELLI (dir.), La frénésie sécuritaire : le retour à l’ordre et nouveau
contrôle social, éd. La découverte, 2008.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 121

A/ La diversification risquée des modes de preuve des


infractions de droit commun

16. Aux termes de l’article 414, al. 1 CPP, « hors les cas où la loi
en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout
mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction ». Il
s’agit là du prolongement des dispositions du Code de procédure
pénale qui confèrent au juge d’instruction le pouvoir de procéder,
conformément à la loi, à tous les actes utiles à la manifestation de la
vérité51.
17. Ces dispositions confirment ainsi la diversification des modes
de preuve en matière pénale. Mais cela paraît spectral, car si elle
favorise une liberté de la preuve instituée dans l’intérêt de la société
qui a besoin de connaître la vérité, cette même liberté constitue un
risque négatif pour les droits du justiciable. Avant donc d’être relayée
par la légalité, la multiplication des modes de preuve pénale a été
rendue possible par le principe de liberté de la preuve (1) et amplifiée
par les moyens de preuve dérogatoires (2).

1. Une diversification facilitée par la liberté de la preuve

18. Il est établi qu’il existerait des systèmes de preuve légale et des
systèmes de preuve libre. Le premier signifie que la loi soumet aussi
bien les justiciables que les juges à la hiérarchie des modes de preuve,
tandis que le second reconnaît aux sujets de droit la liberté du moyen
de preuve. A la différence de la procédure civile, plus formaliste, qui
exclut du champ du débat certains modes de preuve52, la procédure
pénale admet le principe dit de la liberté de la preuve, conséquence de
l’application du principe fondamental de l’intime conviction du juge.
Cette différenciation s’explique par l’objet même de ces procédures.

51
CPP, Art. 72, al. 1.
52
Les articles 12 et s. C.O.C.C. déterminent les modes de preuve, leur admissibilité
et leur valeur probante. Il en est de même des articles 382 et 383 C.O.C.C. en
matière immobilière et l’article 382 du Code de la Famille du Sénégal.
122 ANNALES AFRICAINES

Alors que la matière civile s’attache le plus souvent à établir


l’existence d’actes juridiques53, dont la preuve peut être préétablie, la
matière pénale s’attache quasi exclusivement à établir des faits
juridiques dont la preuve ne peut être préconstituée54. La finalité du
droit pénal qui tend à la manifestation de la vérité confirme également
l’impérieuse nécessité de la liberté de la preuve afin que cette
recherche ne soit pas contrainte inutilement par un formalisme étroit55.
19. L’exercice du droit à la preuve s’inscrit donc dans la démarche
qui consiste à laisser toute latitude à la personne qui accuse de
produire des preuves au soutien de sa prétention mais aussi à celle
poursuivie de rapporter les éléments de preuve contraires à
l’accusation et favorables à la démonstration de son innocence.
L’application ultime du principe fondamental de la présomption
d’innocence56 doit permettre aux parties de produire librement les
preuves pénales. De même, pour fonder son intime conviction, le juge
doit librement apprécier les preuves qui lui sont présentées.
20. En effet, l’un des principes fondamentaux régissant la preuve
pénale tient à la liberté de la preuve57. A la différence du droit civil,

53
Il est vrai qu’en dehors du droit des contrats, ce qui est généralement en cause en
matière de responsabilité civile, c’est presque toujours des faits juridiques.
54
J. PATARIN, « Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal », in
Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, Paris, Dalloz, 1956, p. 44 s ; V.
également F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure
pénale, Paris, PUF, coll. « Major », 2ème éd., 2006, p. 506.
55
P. BOLZE, Le droit à la preuve contraire en procédure pénale, op. cit, p. 177.
56
H. M. MONEBOULOU MINKADA, « La crise de la présomption d’innocence :
regard croisé sur la procédure pénale camerounaise et de la Cour pénale
internationale », Juridical Tribune, Vol. 4, Issue 2, Décembre 2014, p. 69 ; J.
PRADEL, « La présomption d’innocence : un colosse au pied d’argile ? Droit de la
France et droits d’ailleurs», in Mélanges Jacques-Henri ROBERT, LexisNexis,
2012, p. 605 ; Y. POZO et P. REBUGHINI, Présomption d’innocence et stéréotypes
sociaux : quand deux mères sont accusées d’infanticides, in « La présomption
d’innocence », Revue de l’Institut de criminologie de Paris, volume 4, 2003-2004, p.
92. Pour un bref historique des présomptions en droit pénal, V. Philippe MERLE,
Les présomptions légales en droit pénal, Paris, LGDJ, 1970, pp. 19-24.
57
G. LEVASSEUR, « Le régime de la preuve en droit répressif français », in La
présentation de la preuve et la sauvegarde des libertés individuelles, Bruxelles, éd.
Bruylant, 1977, p. 9 et s., spéc. p. 29 s.; M. DELMAS-MARTY, « La preuve pénale
», Droits, 1996, n°23, p. 55 s. ; G. DANJAUME, « Le principe de la liberté de la
preuve en procédure pénale », D. 1996, chr. 153 ; F.-J. PANSIER, « Proof and
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 123

qui ne statue que sur la vérité formelle, c'est-à-dire celle établie devant
le juge par les plaideurs, le juge pénal recherche la vérité matérielle, «
c'est-à- dire ce qui est vraiment et non pas ce que les parties lui
offrent de la vérité telle qu'elles la conçoivent et la limitent »58.
Ainsi, pour l’appréciation des preuves qu’il confie au juge
répressif, le Code de procédure pénale sénégalais, consacre, outre
l’admissibilité de tous les modes de preuve59, le principe de l’intime
conviction60, qui laisse au juge la liberté d’apprécier la valeur des
preuves qui lui sont fournies61. Si la preuve est libre en matière pénale,
son administration ne l’est pas62.
Par ailleurs, cette liberté ne signifie pas pour autant arbitraire
dans la mesure où, bien que libre, le juge a une double obligation de
motivation de sa décision et de cohérence dans sa motivation63/64, à
peine de nullité pour absence, insuffisance ou contradiction de
motifs65. La motivation des décisions des juridictions répressives

évidence : la preuve pénale en droits français et anglais », Gaz. pal. 7-8 juill. 1993,
p. 2.
58
R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, t. II. Procédure pénale, ed.
Cujas, 5ème éd, 2001, n° 141.
59
Le législateur sénégalais n’a pas préféré le système dit des preuves légales dans
lequel est établie une forme de tarification des preuves qui s’impose au juge.
60
Sur l’historique et les conséquences de l’intime conviction, V. A. RACHED,
L’intime conviction du juge, Thèse, Paris, 1942.
61
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, éd. Litec, LexisNexis, 9ème
éd. 2013, n° 563.
62
J.-M. BOHUON, L’administration de la preuve en matière pénale, Thèse de
doctorat, Université Paris 2, 1980 ; C. MICHTA, L’administration de la preuve en
droit pénal français (Exemple et pratique judiciaire de la gendarmerie nationale),
Tome 1, Thèse de doctorat Université de Strasbourg, 2017.
63
CA de Dakar, arrêt n° 372 du 11 Mai 2009, MP – Alioune Badara SY c/ Henry
Aïssatou Guèye DIAGNE, Bulletin des arrêts rendus par la cour d’Appel de Dakar
en matière pénale, volume n°2, 2011, pp 26 et s.
64
V. sur l’histoire de la motivation : P. TIXIER, Jalons pour une histoire de la
motivation des sentences - Travaux de l’Association Capitant, Paris, LGDJ, 1998, p.
5 s. ; J-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle ; Paris,
PUF, 2000, n° 85 s. ; M. GIACOPELLI, « Vers une généralisation des motivations
en droit de la peine », D. 2017, p. 931 ; E. DREYER, « La motivation des peines :
quoi et comment ? », JCP 2018, p. 330 ; « Pourquoi motiver les peines ? », D. 2018,
p. 576.
65
J. BORE et L. BORE, La cassation en matière pénale, éd. Dalloz 3ème
éd.2012/2013, n° 83 et s.
124 ANNALES AFRICAINES

permet au prévenu de savoir pour quelles raisons il a été condamné ou


à la personne inculpée de connaître les raisons de son placement en
détention provisoire. Elle permet également d’apprécier l’opportunité
d’exercer un recours contre une décision66. Elle est donc un gage de
transparence et de cohérence67.
La motivation est aussi un gage de cohérence en ce qu’elle
permet de vérifier la rationalité de la conclusion apportée par le juge.
François Gorphe déclarait à ce propos que « tous ceux qui ont préparé
des jugements se sont rendus compte de la grande utilité de la
motivation […] pour la précision des pensées, le contrôle de soi-
même et l’évocation d’idées, qui peuvent amener à changer d’avis »68.
L’obligation pour le juge de motiver sa décision a un domaine
extrêmement large. Elle s’applique tant aux jugements et arrêts rendus
par les juridictions de jugement qu’aux ordonnances des juges
d’instruction.
En plus de cette double obligation exclusive de l’arbitraire du
juge, ce dernier doit asseoir sa conviction sur une vraisemblance69.
Elle se fonde sur une légitimité de la probabilité dans la mesure où «
le juge ne recherche pas une vérité absolue ; il se borne à relever les
indices qui engendreront dans son esprit un sentiment de probabilité
»70. C’est d’ailleurs ce qu’affirmaient Charles Aubry et Charles Rau
en ces termes : « nous savons que la preuve judiciaire se ramène
invariablement à une probabilité plus ou moins grande, à une
vraisemblance plus ou moins accusée (…). Cette probabilité et cette

66
En ce sens, voir CEDH, 24 juillet 2007, Baucher c. France, requête n° 53640/00.
67
C. DU PARC, Du rôle respectif du juge et des parties dans le procès pénal,
Thèse, Poitier, 2002, p. 215.
68
F. GORPHE, Les décisions de justice. Etude psychologique et judiciaire, Paris,
PUF, 1952, p. 116.
69
J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, op. cit., n° 28, p. 76 ; D. AMMAR,
« Preuve et vraisemblance. Contribution à l’étude de la preuve technologique »,
R.T.Dciv., 1993, p. 501 et s; C. PUIGELIER, « Vrai, véridique et vraisemblable », in
La preuve, sous la dir. C. Puigelier, Economica, 2004, p. 195 et s.
70
R. PERROT, obs. sous Cass. civ., 29 mai 1951, J.C.P. G, II, 6421.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 125

vraisemblance (sont les) résultats possibles de preuve judiciaire


(…)»71.
21. Or, l’image commune et transversale à toutes les branches du
droit que l’on peut avoir du juge est, à n’en pas douter, celle d’un
personnage à l’écoute des arguments invoqués par les parties qui se
présentent devant lui. Cette fonction de réception des éléments de
preuve et des prétentions constitue une phase essentielle avant la prise
de décision. La difficulté viendra de justifier l’absence d’arbitraire et
d’une écoute objective des arguments pour faire œuvre de justice72.
Comme le disait Saint Thomas d’Aquin, le recours du juge à sa
conscience peut être « le correcteur de l’esprit et le pédagogue de
l’âme » et par là-même tracer « la voie de la raison »73.
22. L’intime conviction ou le recours à la conscience du juge est
indissociable du doute qui justifie en partie la règle de la présomption
d’innocence. Il est en effet impossible de penser que la conviction des
juges dans l’analyse de toute cause est absolue. Toute action de juger
met en œuvre la confrontation entre les arguments qui vont en faveur
de la culpabilité et ceux qui plaident pour l’innocence. Selon Me
Henri Leclerc, la démarche rationnelle du juge pour aboutir à son
intime conviction, doit passer par le doute, « ce don de la raison
donné au juge pour qu’il puisse aboutir à une certitude »74. Selon un
autre auteur, « douter certes ce n’est pas décider, mais c’est souvent
l’étape nécessaire, non pas à la décision en soi, mais à la bonne
décision»75. Il nous semble en effet que ce doute dans la démarche de
juger permet d’aboutir à la décision la plus juste en remettant en cause

71
Ch. AUBRY et Ch. RAU par E. BARTIN, Cours de droit civil français selon la
méthode de Zachariae, Tome 12, 1897, spéc. §. 749, p. 84, note 19b.
72
Cette difficulté existe en toute matière et singulièrement en matière pénale lorsque
des sanctions parfois lourdes, allant jusqu’à la privation de liberté peuvent être
prononcées.
73
Saint THOMAS D’AQUIN, La somme théologique, Ia question 79, trad. française
par C. Spicq, Paris, Desclée et Cie, 1947.
74
H. LECLERC, « Le doute, devoir du juge », in Le doute et le droit, dir. F. Terré,
Paris, Dalloz, 1994, p. 50.
75
R. SEVE, « Douter c’est décider », in Le doute et le droit, dir. F. Terré, Paris,
Dalloz, 1994, p. 120.
126 ANNALES AFRICAINES

toutes les affirmations et certitudes qui peuvent apparaître dans le


déroulement du procès pénal.
De ce doute constructif mettant au premier plan l’exercice du
droit à la preuve découlera la conviction du juge. Cette conviction est
à tort souvent présentée comme une certitude alors que dans l’œuvre
de juger, l’absolue certitude n’est pas la règle76. En outre, le juge
répressif ne doit fonder sa décision que sur des preuves produites aux
débats et conformément au principe du contradictoire, soumises à la
libre discussion des parties77.
23. Enfin, le juge a le devoir de rejeter les moyens de preuve
illégalement ou déloyalement recueillis par l’autorité publique.
24. Toutefois, dans certains cas, le juge n'est pas libre dans
l'appréciation des preuves pénales. Ainsi en est-il lorsque le législateur
attribue une valeur probante spécifique à certaines preuves78.
25. Soutenue par le juge, en vertu de son pouvoir de libre
appréciation des preuves pénales, la diversification des preuves
pénales s’amplifie, sous l’égide du législateur, qui a consacré celles
issues des nouvelles techniques scientifiques.

2. Une diversification amplifiée par de nouvelles


méthodes probatoires

26. Les acteurs de la procédure pénale se voient désormais offrir


une panoplie de moyens de preuve qui en facilitent le recueil tant dans
les procédures de droit pénal commun que dans celles qui y dérogent.

76
P. BOLZE, Le droit à la preuve contraire en procédure pénale, Thèse de doctorat,
Université Nancy 2, 2010, op.cit. p. 258.
77
CPP du Sénégal, Art. 414, al. 2.
78
C’est le cas par exemple, en matière contraventionnelle, pour les rapports et
procès-verbaux de police et de gendarmerie (V. CPP du Sénégal, Art. 525, al. 2 :
« Sauf dans les cas où la loi dispose autrement, les procès-verbaux ou rapports
établis par les officiers ou agents de police judiciaire ou les fonctionnaires ou
agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire auxquels la loi a attribué
le pouvoir de constater les contraventions, font foi jusqu’à preuve contraire »). Il en
est donc aussi ainsi des procès-verbaux de douane rédigés par deux agents
assermentés.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 127

En effet, face à un acte de délinquance, la police judiciaire est


chargée de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les
preuves et d'en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas
ouverte ; lorsqu'une information est ouverte, elle exécute les
délégations des juridictions d'instruction et défère à leurs
réquisitions79. Afin que cette mission de police judiciaire soit remplie
dans des conditions alliant efficacité et respect des droits des citoyens,
le législateur a élaboré des cadres juridiques différents : l’enquête
préliminaire80, l’enquête de flagrance81 et l’enquête sur commission
rogatoire ou sur délégation judiciaire. Selon ces cadres, la police
judiciaire pourra travailler sans coercition ou user d'une coercition
plus ou moins élevée en fonction de l'urgence et du caractère
particulièrement grave de l’infraction commise82.
27. A cet effet, on assiste au développement de nouveaux procédés
probatoires qui ont tendance à supplanter ce qui autrefois était la «
reine des preuves », l’aveu. En témoigne la diversification des moyens
de preuve à travers l’essor des techniques scientifiques et
technologiques qui favorisent indéniablement l’établissement de la
vérité. Les progrès de la science permettent aux enquêteurs de
disposer de constatations d’une extrême fiabilité à l’aide de
prélèvements et d’analyses. Les officiers de police judiciaire peuvent
ainsi procéder ou faire procéder sur certaines catégories de
personnes83 à des prélèvements sur le corps84, aux opérations de
relevés signalétiques et notamment de prise d'empreintes digitales,
palmaires ou de photographies nécessaires à l'alimentation et à la
consultation des fichiers de police85. Au demeurant, les experts

79
CPP du Sénégal, Art. 142.
80
CPP du Sénégal, Art. 67 à 69.
81
CPP du Sénégal, Art. 45 à 66.
82
CPP du Sénégal, Art. 83 à 88 et 677-34 à 677-39.
83
Il s’agit généralement des récidivistes et des repris de justice.
84
Sang, salive, urine, cheveu, tissu par exemple.
85
La police technique et scientifique sénégalaise ne dispose pas de fichiers
d’empreintes génétiques. En revanche, elle tient un fichier d’empreintes digitales
grâce à un accord de coopération entre le gouvernement du Sénégal et AFRICOM
des Etats Unis à travers leur produit baptisé AFIS (Automated Fingerprint
Identification System).
128 ANNALES AFRICAINES

nommés par le juge d’instruction ont la faculté de procéder à des


expertises médicales, notamment le test ADN86.
28. Par ailleurs, lorsque les cybers délinquants utilisent les réseaux
électroniques à des fins délictuelles, la nature dématérialisée de
l’objet87 de l’activité infractionnelle ne manque pas d’entrainer une
dilatation des repères des techniques traditionnelles d’investigation
judiciaire (perquisition, saisie, transport sur les lieux…)88. Dès lors,
l’avènement de la cybercriminalité au Sénégal s’est très vite
accompagné de «l’inadéquation des normes d’organisation du procès
pénal »89 et il en a résulté une certaine érosion des prérogatives du
juge répressif. Ainsi, les magistrats se sont retrouvés devant des
difficultés pour transposer les solutions traditionnelles du système
procédural aux nouveaux problèmes suscités par l’apparition des
réseaux et devant l’impossibilité de recourir à de nouveaux
mécanismes procéduraux en dehors des prévisions légales. Il a fallu
alors procéder à des réformes afin de rendre à la procédure pénale
sénégalaise toute son efficacité.
29. La stratégie d’amélioration du processus répressif élaborée
dans la législation moderne sénégalaise s’est articulée autour d’une
politique d’extension des pouvoirs d’investigation du juge pénal grâce
à une politique d’instrumentalisation des technologies d’information
et de la communication à des fins probatoires, c’est-à-dire à travers un

86
CPP du Sénégal, Art. 149 et s.
87
Données informatiques, système d’information, programmes, etc.
88
Ch. MEUNIER, « La loi du 28 novembre 2000, relative à la criminalité
informatique ou le droit pénal et la procédure pénale à l’ère numérique », Rev.
(belge) dr. pén., 2001, p. 657 ; Ch. FERAL-SCHUHL, « La collecte de la preuve
numérique en matière pénale », in Dossier « Cybercriminalité : morceaux choisis »,
Act. jur. pén., n° 3, mars 2009, p. 101.
89
A. CISSE, « La réflexion sur les éléments constitutifs et avant projets de lois sur
la société de l’information », in Rapport Général, Séminaire « Informatique et
libertés, quel cadre juridique pour le Sénégal ?», Dakar, 29 et 30 août 2005, p. 207;
P.A TOURE, « L’audit des normes applicables à la cybercriminalité »,
Communication, Séminaire « Informatique et libertés, quel cadre juridique pour le
Sénégal ?», Dakar, 29 et 30 août 2005, p. 117; Nd. DIOUF, « La procédure pénale à
l’épreuve des nouvelles technologies de l’information », Rev. Ass .sén. dr. pén . n° 5,
6, 7 et 8, 1997-1998, p. 14.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 129

aménagement des mécanismes probatoires classiques et une institution


de nouvelles techniques de recherche de preuve.
L’aménagement des dispositifs classiques de recherche de la
preuve s’est traduit en législation par la consécration de la perquisition
et de la saisie informatique et par un accroissement des pouvoirs du
juge caractérisé notamment par l’extension de sa compétence
territoriale90. Quant aux nouvelles procédures de recherche de
preuves, elles renvoient en droit positif sénégalais à la conservation
rapide de données archivées et à l’interception de données relatives au
contenu.
30. En effet, compte tenu de l’évanescence et de la volatilité des
données informatiques qui sont souvent nécessaires à l’enquête,
l’article 90-8, al.1 du Code de procédure pénale sénégalais permet à
l’autorité judiciaire de faire injonction à toute personne de conserver
et de protéger l'intégrité des données en sa possession ou sous son
contrôle aussi longtemps que nécessaire91. Cette mesure suppose qu’il
y ait des raisons de penser que des données archivées dans un système
informatique sont particulièrement susceptibles de perte ou de
modification. Le gardien des données, qui peut être une personne
physique ou morale, est tenu au secret professionnel.
A l’occasion, le même Code de procédure pénale permet
l’interception des données informatiques puisqu’il autorise les
magistrats et les enquêteurs, si les nécessités de l’information
l’exigent, à utiliser les moyens techniques appropriés pour collecter ou
enregistrer en temps réel, les données relatives au contenu de
communications (données, vidéos, courriers électroniques,
télécommunications…) sur son territoire, transmises au moyen d’un
système informatique. Le juge peut également obliger un fournisseur
de services, à collecter, à enregistrer ou à prêter aux autorités
compétentes son concours et son assistance pour collecter ou
enregistrer lesdites données92.

90
CPP du Sénégal, Art. 90-1 à 90-6.
91
L’article 90-8, al. 1 CPP fixe un délai maximal de conservation de deux (02) ans
afin de favoriser la bonne marche des investigations judiciaires.
92
CPP, Art. 90-11.
130 ANNALES AFRICAINES

31. A partir du moment où le principe est celui de la liberté de la


preuve en matière pénale, les données informatiques93 peuvent
prouver la commission d’infractions, à la seule condition qu’elles
soient discutées à l’audience. Ainsi, par exemple, la Cour d’Appel de
Dakar, dans un arrêt inédit du 17 avril 2009 rendu à propos de l’affaire
du navire « Lobella », a admis la preuve d’un vol en réunion commis
dans un navire alors que cette preuve a été faite au moyen d’un
enregistrement par système de vidéosurveillance94. Il en a été de
même en France où la chambre sociale de la Cour de cassation s’est
prononcée en faveur de la recevabilité des SMS comme éléments de
preuve d’un harcèlement sexuel commis par un employeur envers son
employée95.
32. Pour autant, le développement technologique ne doit pas
conduire à estimer que sa valeur probatoire est absolue, la marge
d'erreur devant être nécessairement prise en considération. Ainsi la
valeur d’un avis d’expert sera toujours appréhendée comme relative96.
A ce titre, il sera soumis à l'appréciation des autorités judiciaires, à qui
appartient in fine le pouvoir d'interpréter les résultats de l'expertise. En
effet, l’absolutisme de la preuve scientifique n’écartera pas le risque
d’erreur judiciaire, tout au contraire.
33. A cette diversification des preuves pénales, s’ajoute le fait que
certains des procédés n’interviennent que de façon exclusive, en
l’occurrence pour les infractions d’une certaine gravité. En effet, il a
été prévu toute une série de mesures coercitives, particulièrement
attentatoires à la vie privée, qui peuvent être pratiquées dans la phase
des enquêtes policières, en élargissant ainsi considérablement et de
façon anxiogène le champ d'application des procédures dérogatoires.

93
SMS, images numérisées, courriers électroniques, vidéosurveillance, etc.
94
P. A. TOURE, Le traitement de la cybercriminalité devant le juge : l’exemple du
Sénégal, Thèse Doctorat, Saint-Louis (Sénégal), 2010.
95
Cass. soc., 23 mai 2007, Droit et procédure 2007, n° 6, p. 339, obs. A. Bobant ;
JCP 2007, éd. G, II, 10140, note L. Weiller.
96
J. MOURY, « Les limites de la quête en matière de preuve : expertise et
jurisdictio», RTDciv, 2009, p. 665.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 131

B/ L’ajout anxiogène des modes de preuve réservés à la


matière pénale dérogatoire

34. Au Sénégal, pour faire face à la criminalité organisée et au


terrorisme, les autorités d’investigation et de jugement sont dotées de
pouvoirs dérogatoires au droit commun, justifiés par les difficultés
accrues d’établissement des preuves97 et la dangerosité de ces
organisations criminelles98. A cet effet, les principes du procès
équitable sont souvent aménagés ou écartés en matière de lutte contre
le terrorisme et contre la criminalité organisée99, et l’exercice des
droits de la défense parfois réduit ou différé pour les affaires relevant
de cette forme de criminalité100.
35. Ainsi, face à l’évolution de la criminalité, la matière pénale
s’est dotée de nouveaux moyens d’investigations (2) réservés aux
infractions d’une certaine gravité dont le champ d’application a été
élargi (1).

1. Un ajout soutenu par l’extension du champ de la


matière dérogatoire

36. La recherche de la preuve se fait à travers des actes


d’investigation lesquels sont réalisés dans un cadre législatif précis et

97
Nd. DIOUF, « La procédure pénale à l’épreuve des nouvelles technologies de
l’information et de la communication », RASDP n° 5, 6, 7 et 8, 1997-1998, p. 9 et s ;
« Infractions en relation avec les nouvelles technologies de l’information et
procédure pénale : l’inadaptation des réponses nationales face à un phénomène de
dimension internationale », Rev. Sén. dr. aff., n° 2, 3,4, 2003-2004, p.63.
98
O. CAHN, « "Cet ennemi intérieur, nous devons le combattre". Le dispositif
antiterroriste français, une manifestation du droit pénal de l'ennemi », Arch. pol.
crim. 2016 n° 38, pp. 91 à 121 ; P. CURRAT, « Le criminel dangereux et
l’émergence d’un ‘‘droit pénal de l’ennemi’’ », Revue LE TEMPS du 18 septembre
2013, disponible sur le site : https://www.letemps.ch/opinions/2013/09/18/criminel-
dangereux-emergence-un-droit-penal-ennemi (consulté le 26 avril 2018).
99
J. ALIX, « La lutte contre le terrorisme entre prévention administrative et
prévention pénale », in Le code de la sécurité intérieur, trois ans après : artisan
d'ordre ou semeur de désordre ?, Dalloz, Les sens du droit, 2017, pp. 147 à 158.
100
B. BOCOUM, Les droits de la défense dans le procès pénal au Mali, Thèse de
doctorat, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2018.
132 ANNALES AFRICAINES

soumis à des conditions d’exécution prévues par les textes qui les
consacrent. Ces conditions varient selon le type d’enquête diligentée,
mais aussi selon les formes de délinquance ou de criminalité
concernée. Ainsi, à la lecture de l’article 8, al. 2 du Code de procédure
pénale sénégalais, il est permis de penser que rentrent dans cette
catégorie d’infractions soumises à une procédure dérogatoire, les
détournements et soustractions de deniers publics, les atteintes à la
sûreté de l’Etat101. Mais il ne s’agit pas des seules infractions dont la
sanction obéit à une procédure dérogatoire, car des procédures
dérogatoires sont prévues en matière d’infractions douanières102/103.
37. Il en est de même du Code de la drogue qui dispose
que : « Nonobstant les dispositions du Code de Procédure pénale,
relatives aux perquisitions et visites domiciliaires, les visites,
perquisitions et saisies dans les locaux où sont fabriqués ou
entreposés illicitement des drogues ou des précurseurs, équipements
et matériels destinés à la culture, la production ou la fabrication
illicites desdites drogues et dans les locaux, domiciles où l’on use des
drogues peuvent être effectuées à toute heure, de jour et de nuit.
Toutefois elles ne peuvent se faire de nuit que pour la recherche et la
constatation des infractions prévues aux articles 95 à 103 à peine de
nullité de la procédure établie pour toute autre cause »104. Au
demeurant, les personnes mises en cause peuvent être soumises à des
examens médicaux toutes les 24 heures pour déceler une
consommation de drogues. Les certificats médicaux délivrés sont
joints à la procédure établie105.

101
CPP du Sénégal, Art. 55, al. 8 : « les délais prévus au présent article sont doublés
en ce qui concerne les crimes et délits contre la sûreté de l’État ; ils sont également
doublés pour tous les crimes et délits en période d’état de siège, d’état d’urgence ou
d’application de l’article 47 de la Constitution sans que ces deux causes de
doublement puissent se cumuler » et Art. 672 et s.
102
M. FAYE, Le droit positif à l’épreuve du droit douanier (Réflexions sur le droit
douanier), Thèse de doctorat, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2014.
103
Par exemple, Code des douanes, Art. 321 à 324.
104
Code de la drogue, Art. 124, al. 1.
105
Code de la drogue du Sénégal, Art. 123 in fine.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 133

38. Par ailleurs, le Code pénal définit les contours des actes de
terrorisme et des actes assimilés106 tandis que le Code de procédure
pénale met en place des outils juridiques de lutte et largement
dérogatoires au droit commun des enquêtes. Au titre de l'adaptation de
la justice aux évolutions de la criminalité, il a été introduit dans le
Code de procédure pénale de nombreuses dispositions spécifiques aux
enquêtes portant sur des faits relevant du terrorisme et autres actes
assimilés107. Parce que ces affaires sont parfois anationales,
complexes, commises sur un ressort territorial étendu, voire
international, elles requièrent la mise en œuvre de moyens
d'investigation performants et efficaces. Inscrites dans cette nouvelle
loi, ces mesures ont pour effet d’étendre les pouvoirs des enquêteurs
pour faciliter la recherche de la preuve108.
39. Il convient de souligner que les actes terroristes et autres actes
d’appui énumérés par le Code Pénal sénégalais109, sont pour
l’essentiel des actes relevant de la criminalité organisée, mais pas
seulement. C’est pourquoi ces dernières années ont vu naître et se
multiplier en matière pénale des procédures d'enquêtes dérogatoires au
droit commun mises en place par le législateur en raison de la nature
de l'infraction commise. Ces procédures d'enquête dérogatoires
concernent, entre autres, le terrorisme, la cybercriminalité, le
blanchiment de capitaux, la fabrication ou la détention d’armes
prohibées, les vols et extorsions, les atteintes à la défense nationale,
les infractions liées à l’aviation civile, à la navigation maritime et aux
plateformes fixes, aux infractions liées aux attentats terroristes à
l’explosif, aux matières nucléaires ou radioactives et aux installations
nucléaires, etc.
Ces procédures pénales dérogatoires qui répondent à un champ
d'application toujours plus vaste concurrencent à ce point le droit
commun qu’on est en droit de se demander ce qui relève désormais du
principe ou de l’exception. Le développement des preuves pénales est

106
CP du Sénégal, Art. 279-1 et s.
107
Cette assimilation est non sans conséquences sur les droits des justiciables.
108
Lire l’exposé des motifs de la loi, J.O.R.S. n° 6976 du 26 novembre 2016.
109
C.P., Art. 279-1 à 279-7.
134 ANNALES AFRICAINES

tel qu’il en vient à bouleverser l’équilibre procédural des enquêtes de


police en effritant le critère de distinction traditionnel pour en dessiner
un nouveau, davantage en lien avec la nature de l'infraction commise
qu’avec celui de l'urgence de l'intervention policière.
40. Dans un contexte international et sous régional marqué par la
persistance de menaces graves et multiformes aux effets destructeurs
tel le terrorisme, le législateur a adopté une loi qui donne compétence
au personnel du service de renseignement à utiliser tous procédés
intrusifs afin de mettre hors d’état de nuire les personnes soupçonnées
de préparer une attaque terroriste. Ce faisant, elle crée et facilite une
rencontre entre l'univers de la police administrative et celui de la
police judiciaire.
41. La police administrative est celle de la prévention des atteintes
à l'ordre public. Elle intervient pour empêcher les évènements de se
réaliser. La police judiciaire, quant à elle, est une police de la
répression110. Elle prend appui sur des infractions déjà commises et a
pour finalité d'en découvrir les auteurs. Par voie de conséquence,
polices administrative et judiciaire travaillent sur la base d'actes et
d'informations qui peuvent être les mêmes, mais qui relèvent de
catégories juridiques distinctes111. L'information est ainsi qualifiée de
« renseignement » en matière administrative et de « preuve » en
matière judiciaire112. Les finalités de l'activité de renseignement sont
fondées sur la dangerosité potentielle d'une situation, non sur
l'existence de soupçons déterminés à l'égard d'un individu. C’est pour
cette raison que l'activité de renseignement doit être une activité peu
visible, tant par le législateur que par le juge. Occulte par nature, elle
devrait s'appuyer sur quelques procédures légales, telles les écoutes
administratives. Mais les opérations de renseignement ne nécessitaient

110
Th. HERRAN, « Le contrôle des perquisitions administratives à l'occasion des
procédures judiciaires incidentes à l'état d'urgence », Gaz. Pal. 19 juill. 2016, n° 27,
p. 75 ; « L'impact de la loi relative à la sécurité publique sur la distinction entre la
police judiciaire et la police administrative », AJ pénal 2017, p. 472.
111
R. PARIZOT, « Surveiller et prévenir... à quel prix ? Loi n° 2015-912 du 24
juillet 2015 relative au renseignement », JCP 2015, doctr. 1077.
112
F. FOURMENT, « La loi "Renseignement", le renseignement incident de
commission d'une infraction et l'autorité judiciaire », Gaz. Pal. 26 janv. 2016,
dossier « Le renseignement dans un dossier pénal », p. 637.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 135

pas de base légale, car elles n'étaient pas destinées à fournir des
informations utilisables par la justice pénale. Tout au plus, la loi
pouvait être utile pour protéger les agents du renseignement à l'égard
du risque de poursuites pénales, en leur offrant une cause
d'irresponsabilité.
42. Mais on découvre aujourd'hui, avec la loi relative aux Services
de renseignement sus-évoquée que le monde du renseignement
entretient des rapports nombreux et ambigus avec la justice pénale,
alors que les finalités et le mode de fonctionnement de ces deux
univers divergent sensiblement. La loi relative au renseignement a
ainsi créé une voie différente de celle de la procédure pénale, pour
permettre de recueillir des informations au moyen de techniques
intrusives identiques à celles utilisées par les officiers de police
judiciaire113.
En théorie, cette voie devait être parallèle et ne pas rencontrer
la voie pénale. Il n’en serait autrement que dans l’hypothèse d’un
détournement de procédure, c'est-à-dire l'utilisation des pouvoirs de
police administrative dans le dessein de contourner les garanties
prévues par le Code de procédure pénale alors qu'il s'agit de prouver
une infraction ; les actes de police administrative ne sont donc pas des
actes de police judiciaire114.
43. De façon plus ou moins consciente, le législateur poursuit une
œuvre qui consiste à faire confluer les procédures administrative et
judiciaire, ajoutant ainsi aux méthodes probatoires dérogatoires, sans
pour autant que ce glissement du renseignement vers la preuve pénale
ne dissipe tout scepticisme et doute115.

113
E. VERGES, « La procédure pénale au temps des confluences », Rev. Sc. Crim.
2018, p. 153.
114
J.-E. GICQUEL, « Lutte contre le terrorisme. Le droit de l’antiterrorisme, un
droit aux confins du droit administratif et du droit pénal », J.C.P.G n° 40, 2 oct.
2017, doctr., 1039.
115
Lire M.-H. GOZZI, selon laquelle « le chantier de la "judiciarisation du
renseignement" reste, en conséquence, toujours ouvert », « Sed quis custodiet ipsos
custodes ? À propos de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement », JCP
2015, 961 ; H. MATSOPOULOU, « La transposition dans le droit permanent des
principales mesures de l'état d'urgence », JCP 2017. 1268.
136 ANNALES AFRICAINES

2. Un ajout relayé par de nouvelles méthodes


probatoires

44. Les nouvelles méthodes probatoires ressortant de la procédure


pénale dérogatoire permettent soit aux autorités policières et
judiciaires d’administrer les preuves pénales issues du droit commun
de manière plus coercitive, soit d’en connaître de nouvelles réservées
au droit pénal dérogatoire. C’est pourquoi le législateur a renforcé les
pouvoirs d’enquête préexistants pour les infractions entrant dans le
champ d’application de la nouvelle procédure pénale dérogatoire.
45. Afin de répondre aux besoins conjugués d’efficacité, de
cohérence, de proportionnalité et de simplification de lecture, le
régime de la garde à vue a été refondu. Cette refonte a notamment
conduit à l’élargissement du champ d’application des dispositions
relatives aux gardes à vue de longue durée. La loi permet ainsi de
porter la durée de cette mesure à quatre-vingt-seize heures
susceptibles d’être renouvelée deux fois116, quel que soit le cadre
d’enquête ; alors qu’en droit commun, elle ne peut dépasser une durée
maximale de quarante-huit heures117.
C’est en application de cette disposition dérogatoire que
l’imam Alioune Badara Ndao, arrêté le 27 octobre 2015 à son
domicile dans la commune de Kaolack, ne sera présenté au juge
d’instruction que onze jours après son arrestation et sera par la suite
inculpé pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise
terroriste, blanchiment de capitaux dans le cadre d’activités terroristes
en bandes organisées et complicité de terrorisme. Cette longue garde à
vue avait suscité la crainte et l’ire de certaines organisations
sénégalaises de promotion et de protection des droits de l’homme qui
craignaient des abus et autres atteintes aux droits du suspect118.

116
CPP du Sénégal, Art 677-28.
117
CPP du Sénégal, Art. 69.
118
La Déclaration conjointe d’Amnesty International (AI Section Sénégal) et la
Ligue Sénégalaise des Droits de l’Homme (LSDH). Cette Déclaration est disponible
sur le lien suivant : http://www.pressafrik.com/Amnesty-international-et-LSDH-
plaident-contre-la-loi-sur-le-terrorisme-et-la-cybercriminalite_a158082.html
(consulté le 24 août 2018).
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 137

46. Au surplus, le législateur a réformé le régime des perquisitions


dans le cadre des investigations relatives à la criminalité organisée.
Désormais, les enquêteurs peuvent jouir de pouvoirs extraordinaires et
procéder à des perquisitions nocturnes. En effet, pour la recherche
d'une infraction relevant du crime organisé visé aux articles 279-1 à
279-19 du Code pénal, des perquisitions et saisies peuvent être
effectuées de jour, dans les conditions de droit commun, soit entre
cinq heures et vingt-et-une heures119. En outre, des perquisitions et
saisies de nuit sont autorisées, aussi bien dans le cadre d’une enquête
préliminaire ou de flagrance que dans celui de l’exécution d’une
commission rogatoire120. L’article 677-26 CPP autorise des
perquisitions même en l’absence du « consentement de la personne
au domicile de laquelle elles ont lieu ou de toute autre personne
concernée ». Pourtant, de telles opérations dans les locaux d'habitation
ne peuvent être effectuées qu'en enquête de flagrance121 ou, dans
certaines hypothèses et seulement en cas d'urgence, en exécution d'une
commission rogatoire.
47. En effet, il est évident qu’en cette matière, les plaintes et
dénonciations sont fort rares : les victimes participent à l’infraction et
les tiers restent muets122. Ainsi, privée de plaintes et dénonciations, la
police judiciaire ne doit pas se contenter d’être passive. Elle va devoir
rechercher activement les preuves, dès qu’elle soupçonne des faits de
crime terroriste ou assimilé.
48. La spécificité de la lutte contre cette forme de délinquance
justifie que les enquêteurs disposent de moyens adaptés et intrusifs,
soit par le renforcement des actes d’enquête classiques, soit par
l’utilisation de prérogatives spécifiques. L’un des principaux apports
de ces nouvelles lois a consisté dans la mise en place d’une nouvelle
procédure pénale dérogatoire ayant vocation à s’appliquer, de manière
générale, à des infractions nombreuses et diverses, dont le seul point

119
CPP du Sénégal, Art. 51.
120
CPP du Sénégal, Art. 677-26.
121
M. KONATE, Le temps et le procès pénal au Sénégal, Thèse de doctorat,
Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2017, pp. 95 et s.
122
J. PRADEL, Procédure pénale, 15ème éd., Cujas, 2010, p. 369.
138 ANNALES AFRICAINES

commun est d’avoir été commises, tentées ou préparées en bande


organisée. Ainsi, la loi sur les Services de renseignement, a créé de
nouvelles méthodes d’investigation, qui ne sont ordinairement pas
possibles dans les enquêtes de droit commun.
49. A l’enquête réactive traditionnelle succède donc, pour la
criminalité organisée, une enquête proactive faite de provocations123.
Les enquêteurs sont ainsi autorisés à surveiller, sur l’ensemble du
territoire national124, les personnes et les objets, les biens et les
produits dont il existe des raisons plausibles de penser qu’ils ont un
lien avec les infractions terroristes, la criminalité organisée ou les
trafics internationaux, bref les infractions visées aux articles 279-1 à
279-19 du Code pénal sénégalais.
50. Ils peuvent également procéder aux opérations policières
d’infiltration afin de surveiller des personnes suspectées de commettre
un crime ou un délit relevant du terrorisme et actes d’appui en se
faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs,
complices ou receleurs grâce à une identité d’emprunt et en
commettant si nécessaire des infractions pénales, de manière à
recueillir les preuves de l’infraction125. Dans ces hypothèses, on ne fait
aucune distinction selon que la mesure s’inscrit dans le cadre des
enquêtes de police ou de l’information judiciaire. L'idée étant
d’identifier les ententes criminelles de manière à les prévenir ce qui
n’est pas sans exposer le droit de chacun au respect de sa vie privée.
51. Parmi les prérogatives spécifiques à la criminalité organisée
figurent, en outre, les sonorisations, la localisation et la
surveillance126. L’installation et l’exploitation de ces dispositifs
techniques ayant pour objet la captation, la transmission et
l’enregistrement, sans le consentement des intéressés, de paroles

123
C. BRANTS, S. FIELD, « Les méthodes d’enquête proactives et le contrôle des
risques », Déviance et Société, 1997, vol. 21, n° 4, pp. 401-414 ; J. PRADEL « De
l’enquête pénale proactive : suggestions pour un statut légal », D 1998, chr., p. 57.
124
Loi n° 2016-33, Art. 7, al. 1.
125
Loi n° 2016-33, Art. 22, al. 2 « les services compétents de l’Etat fournissent à ces
personnels les documents administratifs nécessaires pour leur procurer les identités
d’emprunt. La délivrance de ces documents est enregistrée sur des registres et
fichiers spéciaux protégés par le secret ».
126
Loi n° 2016-33, Art. 10.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 139

prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou


confidentiel, dans des lieux publics ou privés doivent se faire avec
l’autorisation et sous le contrôle du procureur de la République127. Ce
qui veut dire que ces procédés ne sont possibles que dans le cadre des
enquêtes préliminaires ou de flagrance. Or, une telle perception peut
paraître restrictive, car il est d’avis que ces procédés peuvent être
autorisés par le juge d’instruction dans le cadre d’une information
judiciaire128. Cette analyse trouve appui dans l’interprétation de
l’article 72, al. 1 CPP qui dispose « Le juge d’instruction procède,
conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles
à la manifestation de la vérité ». Le renforcement des pouvoirs
d’enquête en matière d’actes terroristes et actes assimilés n’est donc
pas négligeable vis-à-vis du droit fondamental au respect de sa vie
privée et de son domicile129.
52. Que faut-il penser de ces nouveaux moyens de preuve ? A
première vue, l'ensemble de ces mesures pourrait satisfaire aux
nécessités de la répression en matière de criminalité organisée. De
plus, la loi exige le respect du critère de proportionnalité, puisque les
opérations en cause doivent être justifiées par la gravité des infractions
ayant donné lieu à l'ouverture d'une enquête130.
53. Néanmoins, les gardes à vue, les écoutes téléphoniques, les
perquisitions ou encore les sonorisations et autres procédés intrusifs
ne sont-ils pas incompatibles avec l’intégrité physique, le secret des
correspondances et l’intimité de la vie privée, valeurs sociales

127
Loi n° 2016-33, Art. 8, al. 1 : « Les entités d’enquête peuvent, avec l’autorisation
et sous le contrôle du procureur de la République compétent, recourir aux moyens
d’investigation prévus à l’article 10 ».
128
A. BONNET, « La licéité du recours à la surveillance par géolocalisation », note
sous Cass. crim. 21 nov. 2011, JCP G 2012, n° 3; M. MAAS, « Est-il prévisible que
le juge d'instruction ait un coup d'avance sur le législateur ? », Droit pénal 2012,
n°1, comm. 12.
129
C. RIBEYRE, « Etat d'urgence et procédure pénale : le juge pénal compétent
pour contrôler les perquisitions administratives - A propos de : Cass. crim., 13 déc.
2016, n° 16- 84.794 et 16-82.176 », Droit pénal n° 3, mars 2017, étude 6.
130
Loi n° 2016-33, Art 9 « Pour l’exécution des missions qui leur sont assignées, les
services de renseignement apprécient la consistance des moyens opérationnels à
mettre en œuvre. Ils s’assurent cependant de la légalité des moyens employés et de
leur proportionnalité à la gravité de chaque menace ».
140 ANNALES AFRICAINES

auxquelles les citoyens sont particulièrement attachés et dont les


conventions internationales assurent la protection ?
54. En effet, le juge des libertés et de la détention, ne pouvant
appartenir à la composition du tribunal, il ne participe donc pas au
procès pénal. Il apparait plus neutre que le parquet et, de fait, il semble
qu'il soit mieux à même de protéger la présomption d'innocence ainsi
que la vie privée des justiciables. Dès lors, son absence dans le
dispositif procédural sénégalais laisse au procureur de la République,
véritable maître absolu de la procédure pénale au Sénégal, en vertu de
ses pouvoirs exorbitants, la possibilité d’ordonner, sans contrepoids,
des mesures attentatoires à la vie privée.
55. On peut, par ailleurs, se demander si le critère de
proportionnalité sera réellement respecté. En effet, alors que le
législateur ne cesse de multiplier les règles dérogatoires destinées à
s'appliquer aux infractions de terrorisme et actes assimilés, il permet,
dans toutes les hypothèses de valider les saisies incidentes. Ainsi, une
perquisition nocturne dans un local d'habitation, autorisée pour la
recherche et la constatation d'une infraction relative au terrorisme,
peut révéler des faits autres que ceux visés dans l'autorisation
judiciaire et la procédure sera valable. Or, si la gravité des infractions
peut justifier le recours à des mesures extrêmement attentatoires à la
vie privée et à l'inviolabilité du domicile, le dispositif actuel aboutit
finalement à ce que ces opérations puissent se trouver justifiées par la
commission d'autres infractions moins graves. Dans ces conditions, le
critère de proportionnalité de l'ingérence dans la vie privée au but
légitime recherché sera loin d'être respecté, ce qui paraît contestable
au regard des conventions internationales131.
56. Le Code de procédure pénale attribue de façon regrettable à
l'autorité de poursuite le pouvoir d'ordonner, même pendant une durée
limitée, certaines mesures particulièrement attentatoires à la vie
privée, telles que les interceptions de correspondances téléphoniques

131
Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques du 16 décembre 1966,
ratifié par le Sénégal le 13 février 1978, Art. 17 ; Charte Africaine des Droits de
l’Homme et des Peuples, adopté le 27 juin 1981 et ratifiée par le Sénégal en 1982,
Art. 4 et 5.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 141

ou émises par la voie électronique132 et la loi sur les services de


renseignement autorise les opérations de sonorisation et de captation
d'images dans des lieux publics ou privés133. De tels dispositifs nous
paraissent peu conformes aux exigences imposées par les textes
internationaux relatifs aux droits de l’homme134/135.
57. Si le législateur, prenant en considération les nombreuses
évolutions technologiques, est amené à créer de nouveaux moyens de
preuve afin de lutter efficacement contre les formes les plus graves de
criminalité, il lui appartient, d'abord et avant tout, de se soucier de
l'effectivité du contrôle exercé par l'autorité judiciaire, seule «
gardienne de la liberté individuelle ». Il est, dès lors, nécessaire de
penser sérieusement la place et le rôle du juge des libertés et de la
détention dans le dispositif répressif sénégalais afin que ces coups de
boutoirs donnés aux libertés fondamentales au nom d’une certaine
efficacité de la répression136 ne compromettent pas durablement le
grand équilibre de la procédure pénale sénégalaise.
58. La volonté du législateur sénégalais de rendre effective et
efficace la répression des actes terroristes et actes assimilés, a conduit
à faciliter l’obtention des preuves par un élargissement des pouvoirs
d’investigation des magistrats et officiers de police judiciaire. Les
preuves pénales ont été renouvelées et diversifiées avec en arrière
fond l’apparent souci de préserver les droits et libertés individuels.
C’est ce qui explique le maintien, certes fragile mais nécessaire, du
socle classique en matière de preuve pénale.

132
CPP du Sénégal, Art. 90-16.
133
Loi 2016-33, Art. 8 et 10.
134
V. en Europe l’affaire Uzun contre Allemagne, CEDH, 5e sect., 2 sept. 2010,
JCP G 2019, act. 905, obs. K. Grabarczyk ; JCP G 2011, doctr. 94, n° 12, obs. F.
Sudre.
135
H. MATSOPOULOU, « La surveillance par géolocalisation à l'épreuve de la
Convention européenne des droits de l'homme », D. 2011, p. 724.
136
M. KONATE, Le temps et le procès pénal au Sénégal, op. cit., pp.35 et s.
142 ANNALES AFRICAINES

II : La survivance poussive d’un régime juridique commun en


matière probatoire

59. La théorie de la preuve pénale est une construction mouvante


et inaboutie. Si l’on peut s’accorder sur l'existence de certains
principes qui dominent la matière, à savoir la liberté de prouver et son
corollaire, la liberté d'apprécier les preuves, force est de reconnaître
que les autres principes restent sujets à évolution et à controverse.
Ainsi en est-il des principes de loyauté et de licéité, dont les contours
et la place dans la théorie de la preuve soulèvent un certain nombre
d'interrogations.
60. L’unification du régime d’encadrement des preuves en matière
pénale demeure une des préoccupations majeures du législateur
sénégalais qui, nonobstant les réformes successives et l’érection de
nouveaux procédés de preuve, maintient tant bien que mal, les grands
principes en la matière. Ainsi, si les preuves pénales participent de la
manifestation de la vérité, elles ne devraient toutefois pas s’affranchir
du respect des principes de légalité (A) et de loyauté probatoire137 (B).

A/ L’encadrement relatif des preuves pénales par la légalité

61. La recherche des preuves étant l'étape du procès pénal la plus


attentatoire aux droits et garanties des individus, il ne faut pas, pour
autant tolérer toutes les violations. Dans un Etat de droit, il n’est pas
acceptable que la vérité soit établie par n’importe quel moyen. Aussi,
la liberté de la preuve est-elle encadrée par quelques règles
fondamentales imprégnées d’éthique138. Certains s’appuient sur des
dispositions textuelles, d’autres sur des principes généraux quasiment
sacrés qui résident essentiellement dans le respect de la dignité

137
J.-B. PERRIER, « Le fair-play de la preuve pénale », AJ pénal 2017, p. 436 ; O.
DECIMA, « Vers une définition stricte de la loyauté de la preuve en matière pénale
? », JCP 2015, p. 789.
138
F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, 3ème
éd., PUF, 2010, p. 508.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 143

humaine, de l’intimité de la vie privée et de la liberté d’expression139.

62. Cet encadrement des preuves pénales (1), à l’instar de leur


sanction (2), est à géométrie variable suivant la teneur ou l’auteur de
l’atteinte portée aux droits et libertés individuels.

1. La variabilité dans l’encadrement de la légalité

63. Afin de garantir la protection des libertés et droits


fondamentaux, la loi réglemente l’emploi des divers modes de preuve
et les soumet à de nombreuses formalités. Les actes d’investigation
doivent être exercés dans les conditions et dans les limites fixées par
les textes qui les prévoient140. Ainsi, la loi confère aux officiers de
police judiciaire le pouvoir de placer une personne en garde à vue
pour les nécessités de l’enquête. Néanmoins, plus que d'un pouvoir
d’investigation, il s'agit d'une lourde charge qui doit être maniée avec
prudence et discernement. C'est là qu'interviennent les qualités telles
que la légalité et l'intégrité.
64. Si la preuve est libre, elle doit malgré tout observer un certain
cadre légal. Selon que les droits et les libertés auxquels la preuve est
susceptible de porter atteinte sont d’une protection absolue ou relative,
leur encadrement sera soit permissif, soit prohibitif.
65. Devant opérer un équilibre entre la nécessaire recherche de la
vérité et la protection des droits et libertés, le législateur aménage
l’arsenal probatoire afin de concilier cette finalité avec ces derniers.
Ce faisant, ce n’est que lorsqu’une loi viendra expressément
l’autoriser qu’il pourra être porté atteinte aux droits et libertés.
Autrement dit, seule la loi prise dans son sens large permet, lors de la
recherche de la preuve, de porter atteinte aux droits et libertés. Pour
cette raison, le juge va contrôler que les atteintes aux droits

139
Ils sont reconnus comme des principes fondamentaux du droit de la preuve, et les
atteintes à ces principes entraînent l’illégalité matérielle de la preuve.
140
F. EL HAJJ CHEHADE, Les actes d’investigation, Thèse de doctorat, Université
du Maine, 2010, pp. 140 et s.
144 ANNALES AFRICAINES

fondamentaux sont à la fois nécessaires à la poursuite d’un but


légitime, mais aussi proportionnées au but recherché.
66. Il en va ainsi de la présomption d’innocence qui met la preuve
à la charge du Ministère public. S’il ne parvient pas à emporter
l’intime conviction du juge, l’acquittement ou la relaxe est de droit
conformément à la maxime in dubio pro reo. Cet adage exprime de
façon indirecte, dans le Code de procédure pénale sénégalais, la
présomption d’innocence141.
67. En effet, la conception de la présomption d’innocence a été
forgée au fil du temps et a acquis un caractère philosophique par son
affirmation comme principe fondamental du droit pénal142. Sa raison
d’être est d’assurer la protection de la personne mise en cause dans le
cadre de la commission d’une infraction tant que sa culpabilité n’a pas
été légalement établie. La résonnance de ce principe est telle que la
simple idée de permettre à une personne mise en cause de prouver son
innocence alors qu’elle bénéficie d’une présomption favorable, peut
sembler contraire à ce principe143.
68. Même si les articles 7, al. 1. b de la Charte Africaine des Droits
de l’Homme et des Peuples et 14, 2° du Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques ne semblent accorder le bénéfice de la
présomption d’innocence qu’à la personne accusée144, force est de
constater qu’une telle situation est de nature à fragiliser la protection
des droits et libertés. A tort ou à raison, la situation dans laquelle se
trouve « l’accusé » doit être confondue, par nécessité de protection,
avec celle dans laquelle se trouve « le suspect». Ce dernier est une
personne « contre laquelle des éléments de suspicion existent ou sont
recherchés, c’est-à-dire qu’il est, peu ou prou, une personne
susceptible d’être déclarée coupable par une juridiction de

141
CPP du Sénégal, Art. 457. Selon l’alinéa 1 de ce texte, s’il ne résulte pas du
dossier des éléments de preuve suffisants pour asseoir la culpabilité, le prévenu doit
être renvoyé des fins de la poursuite.
142
C. DIAKHOUMPA, Traité théorique et pratique de procédure pénale. Tome 1 :
la phase préparatoire du procès pénal, 1ère éd. Imprimerie Saint-Paul, Dakar, 2015,
n° 21 et s.
143
P. BOLZE, op. cit., p. 20.
144
PIDCP, Art. 14 «« toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée
innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 145

jugement »145 ; il est un homme dont la liberté, le patrimoine et la vie


sont menacés146. Par conséquent, il est nécessaire d’assurer sa
protection conformément à la présomption d’innocence, car il est très
possible que la personne soupçonnée d’une infraction n’en soit pas
l’auteur147.
69. Ce principe, reconnu par le droit pénal international, a été
intégré dans les statuts de la Cour pénale internationale signés à Rome
le 17 juillet 1998 qui exposent dans leur article 66 que « toute
personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été
établie devant la Cour conformément au droit applicable»148.
70. Mais à l’épreuve de la réalité, il convient de constater que ce
principe paraît anachronique et très relatif, car la qualité de présumé
innocent est l’« état, à la fois provisoire et ambigu de celui qui, qu’on
le veuille ou non, n’est plus tout à fait un innocent mais n’est pas
encore un coupable »149. Formulant la relativité de la présomption
d’innocence, Claude Lombois écrivait « si l’on vous dit que c’est un
grand principe, n’allez pas le croire, ou pas trop vite »150. Il est rejoint
dans sa réflexion par Robert Badinter qui ajoute que ce principe
constitue « une course poursuite entre une procédure pénale vouée à
la découverte de la vérité et à la protection de l’ordre social et un
principe dont la vocation n’a pas toujours réussi à garantir le

145
N. LAURENT, La notion de suspect en matière pénale, Thèse Lyon, 2001, n°16 ;
F. DEFFERARD, Le suspect dans le procès pénal, LGDJ, 2005, p. 21 et 22 : « La
qualité de suspect correspond à l’existence d’éléments de preuve permettant
d’estimer, au terme d’un raisonnement, que la personne, selon un certain niveau de
probabilité, a tenu un rôle dans une infraction ».
146
A. FAYE, « Le suspect dans les enquêtes de police », R.A.S D. P., Doit
sénégalais, n° 9, 2010, p. 17.
147
M. KONATE, op. cit., p. 19.
148
Les juridictions pénales internationales qui ont été créées font également
référence à ce principe fondamental : Tribunal pénal international pour l’ex-
Yougoslavie de La Haye (Pays-Bas), Tribunal pénal international du Rwanda à
Arusha (Tanzanie), les Chambres Africaines Extraordinaires (Sénégal), etc.
149
R. KOERING-JOULIN, « La présomption d’innocence, un droit fondamental ? »,
Rapport introductif au colloque organisé par le Centre français de droit comparé à la
Cour de cassation le 16 janvier 1998, Paris, Société de législation comparée, 1998.
150
C. LOMBOIS, « La présomption d’innocence », Pouvoirs, 1990, n° 55, pp. 81 et
s.
146 ANNALES AFRICAINES

respect »151. En plus, on peut difficilement affirmer l’existence d’une


présomption d’innocence alors que la base même d’une enquête ou
d’une instruction est d’approfondir une intuition de culpabilité et que
la majorité des actes de recherche de la vérité auront pour destination
de confirmer cette intuition de culpabilité.
D’ailleurs, il n’est pas rare de constater, pour le déplorer, que
malgré l’existence de nombreux textes garantissant la présomption
d’innocence, le suspect, le prévenu, l’inculpé ou l’accusé est souvent
qualifié par certains de « diable » et son défenseur d’ « avocat du
diable », attachant ainsi au premier une pleine culpabilité avant tout
jugement et débat contradictoire. Cette atteinte de fait à la
présomption d’innocence est, en certaines circonstances, renforcée par
des atteintes de droit, puisque le législateur consacre dans certains
types d’infractions une présomption de culpabilité152. Parce que la
preuve de certains éléments constitutifs de l’infraction est parfois
difficile, sinon impossible, à rapporter et parce qu’il ne faut pas
omettre l’importance de la répression dans nos sociétés, de telles
présomptions sont parfois posées afin de simplifier l’établissement de
la preuve de la culpabilité par l’accusation153. Il arrive également que
ces présomptions soient posées parce que la personne poursuivie
apparait la mieux placée pour apporter les justifications permettant de
l’exonérer154.
71. Malgré cette relativité du principe de présomption
d’innocence, il constitue encore un principe fondamental de la

151
R. BADINTER, « "La présomption d’innocence". Histoire et Modernité », in Le
droit privé français à la fin du XXème siècle, Etudes offertes à Pierre Catala, Litec,
2001, pp. 133 et s.
152
J. BUISSON, « Les présomptions de culpabilité », Procédures, 1999, chron. n°
15.
153
Ph. MERLE, Les présomptions légales en droit pénal, LGDJ, Paris, 1970 ; J.
PRADEL, Procédure pénale, éd. CUJAS, Paris, 2011, p. 323.
154
CP du Sénégal, Art. 264 « Toute reproduction d’une imputation qui a été jugée
diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son
auteur » et Art. 323, 4°) « sera considéré comme proxénète et puni d’un
emprisonnement (….) celui ou celle ….Qui, étant en relations habituelles avec une
ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution, ne peut justifier de ressources
correspondant à son train de vie » et Code des douanes du Sénégal, Art. 369 « Le
détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude ».
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 147

philosophie pénale155 qui trouve sa principale application dans le droit


de la preuve, s’agissant principalement des règles régissant la charge
de la preuve, mais également celles relevant de l’appréciation de la
preuve156.
72. Dans le souci de protéger les droits et libertés malgré la
nécessité de la prévention ou de la répression, la loi autorise les
interceptions téléphoniques comme procédés d’investigation
criminelle, malgré leur caractère attentatoire à la vie privée. En effet,
face aux nouveaux visages du phénomène criminel qui menacent les
fondements des Etats, les interceptions de correspondances
téléphoniques ou émises par voie électronique peuvent être prescrites
par le juge d’instruction. Cependant, il ne doit le faire qu’avec
beaucoup de réserve, d’une main tremblante, en soulignant en
particulier la nature exceptionnelle de ce moyen d’investigation et en
imposant sa description explicite et détaillée par la loi157. Ce qui veut
dire que les interceptions téléphoniques sont légitimes pour défendre
l’Etat contre les menaces terroristes et la délinquance organisée, mais
que des garanties doivent permettre d’éviter l’arbitraire. Cela signifie
que le système doit reposer sur une loi précise, viser une personne
déterminée suspectée d’avoir commis des infractions particulières. Le
processus doit respecter les droits de la défense, prévoir des conditions
de temps et de lieux précises et définir les procédés de transcription158.
En somme, il est loisible de dire que les intrusions étatiques
dans l’intimité des personnes ne peuvent être légitimes, dans une
société démocratique, qu’à la double condition d’avoir été prévues par
une loi claire et précise et d’être nécessaires à la préservation d’un des
buts légitimes, notamment la poursuite d’auteurs d’infractions
pénales. C’est grâce à cette réserve que sont possibles les
perquisitions, les écoutes téléphoniques et les sonorisations en droit
sénégalais. Le législateur s’est efforcé de réglementer expressément

155
F. ROUSSEAU, « Le principe de nécessité. Aux frontières du droit de punir »,
Rev. Sc. Crim., Avril-Juin 2015, p. 257.
156
M. DELMAS-MARTY, « La preuve pénale », Droits, avril 1996, n° 23, p. 57.
157
CPP du Sénégal, Art. 90-16.
158
N. FRICERO, Droit européen des droits de l’homme, Gualino, 2007, p. 90.
148 ANNALES AFRICAINES

ces situations extrêmement dangereuses pour les droits fondamentaux


et de mettre en conformité la législation avec les impératifs posés par
les Conventions internationales.
73. Pour bien insister, l’article 9 in fine de la loi n° 2016-33
relative aux services de renseignement prescrit que toute mesure de
contrainte devrait respecter la légalité et être proportionnelle à la
gravité de chaque menace. Le principe de proportionnalité apparaît
donc comme un instrument de contrôle des mesures qui portent
atteinte aux libertés et droits fondamentaux159/160.
74. Si l’impératif de poursuite de la vérité implique une nécessaire
tolérance de la part du législateur quant à l’ingérence de certains
moyens d’administration de la preuve dans les droits et libertés
individuels, à l’inverse certains de ces moyens sont fermement
prohibés en ce qu’ils touchent à des droits et libertés qui ne sauraient
souffrir d’aucune tempérance, des droits et libertés qui bénéficient
d’une protection absolue. Ainsi, l’emploi d’une preuve qui serait
attentatoire à la dignité humaine ou contraire aux droits de la défense
est interdit.
75. La garde à vue et les interrogatoires par les autorités publiques
peuvent en effet être le théâtre d’abus, notamment, la violence, le
chantage, la menace, le mensonge et le mauvais traitement. Ainsi,
dangereuse à la fois pour les libertés individuelles, mais surtout pour
l’intégrité de la personne retenue, la garde à vue nécessite un
encadrement strict. Afin de veiller à ce que toute personne privée de sa
liberté soit traitée avec humanité et dans le respect de la dignité
inhérente à la personne humaine, la Déclaration universelle des droits

159
Nous pensons qu’il revient au juge constitutionnel de contrôler la légalité et la
proportionnalité des moyens opérationnels mis en œuvre.
160
M.Y. DIALLO, « Le contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence
constitutionnelle en Afrique », Annales Africaines, nouvelle série, vol. 2, n° 7,
décembre 2017, pp. 255 et s. ; F.J. AIVO, « Contribution juridictionnelle à la
protection des droits fondamentaux », in Afrilex mai 2016 ; K. HOUNAKE,
« L’exigence de proportionnalité dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
du Bénin », RTSJ, janv-juin 2015, pp. 155 et s. ; B. KANTE, « Les droits
fondamentaux constituent-ils une nouvelle catégorie juridique en Afrique ? », in
Mélanges J.-F. FLAUSS, L’homme et le droit, Paris, Pedone, 2014, pp. 445 et s. ; M.
M. SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique :
l’exemple du Sénégal, L’Harmattan 2007.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 149

de l’homme du 10 décembre 1948 prescrit, à tout Etat partie d’exercer


« une surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes
et pratiques d’interrogatoire et sur les dispositions concernant la
garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues, ou
emprisonnées de quelque façon que ce soit sur tout le territoire de sa
juridiction, en vue d’éviter tout cas de torture »161. C’est dans un sens
similaire que va la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des
Peuples lorsqu’elle déclare que « Tout individu a droit au respect de
la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de
sa personnalité juridique. Toutes formes d'exploitation et
d'avilissement de l'homme notamment l'esclavage, la traite des
personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les
traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites »162. La
violence sous toutes ses formes, physique ou morale, est donc
prohibée dans le recueil des preuves, et ce, de manière absolue dans la
mesure où elle ne peut être fondée sur une quelconque nécessité163.
76. Conscient de l’impérieuse nécessité de protéger les droits du
justiciable, le législateur communautaire UEMOA prévoit que « les
avocats assistent leur client dès l’interpellation, durant l’enquête
préliminaire, dans les locaux de la police, de la gendarmerie ou
devant le procureur »164. Cette disposition constitue un vrai rempart
contre les atteintes aux droits et libertés des suspects, car il est
généralement établi que les locaux de la police et de la gendarmerie
sont loin d’être des « hôtels quatre étoiles », lieux de plaisir et de
détente. Cette disposition vient rappeler, à juste titre, que
l’administration de la preuve doit être effectuée dans le strict respect
des droits de la défense165/166.

161
DUDH, Art. 11.
162
CADHP, Art. 5.
163
Dans le cadre de l’Europe, voir : CEDH, 27 août 1992, Tomasi c/ France, série
A, n° 241-A, §.115, Rev. Sc. Crim., 1993, p. 33, obs. F. Sudre.
164
Règlement n°05/CM/UEMOA, relatif à l’harmonisation des règles régissant la
profession d’avocat dans l’espace UEMOA, Art. 5, al. 1.
165
CADHP, Art. 7, al. 1. d.
166
Voir, Cour de Justice de la CEDEAO, Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/17/18 du 29 juin
2018, aff. Khalifa Ababacar SALL et autres c/ Etat du Sénégal,
www.courtecowas.org, site
150 ANNALES AFRICAINES

77. Les agents de la force publique n’ont donc pas le droit de


recourir à tout procédé ; les actes qui heurtent certaines valeurs
comme l’intimité de la vie privée, de la correspondance et du domicile
sont interdits. Pourtant, des circonstances particulières pourront
neutraliser de telles valeurs et justifier le recours à ces actes.
Néanmoins, une proportion entre les moyens mis en œuvre et
l’objectif qu’il faut atteindre est exigée. C’est en ce sens que l’article 9
de la loi n° 2016-33 relative aux Services de renseignement prévoit
que les services de renseignement dans le cadre de l’exercice des
missions qui leur sont assignées, « apprécient la consistance des
moyens opérationnels à mettre en œuvre167. Ils s’assurent cependant
de la légalité des moyens employés et de leur proportionnalité à la
gravité de chaque menace ».
78. Par ailleurs, l’article 17, 1° du Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques prévoit la protection de la vie privée, du
domicile et de la correspondance qui sont des garanties ayant un
contenu évolutif, s’adaptant aux changements affectant les mœurs et
les enjeux sociaux168.
79. En tout état de cause, il s’agit essentiellement de prémunir les
personnes contre les intrusions arbitraires dans leur intimité, émanant
des autorités publiques169. Les ingérences dans la vie privée ne sont
possibles que dans la mesure où certaines conditions sont remplies; il
faut que l’ingérence soit prévue par une loi, qu’il y ait un but légitime,
et qu’un rapport de proportionnalité entre le but recherché et les
moyens employés puisse être établi. Le non-respect de ces conditions
fonde les sanctions susceptibles de remettre en cause la procédure
pénale déclenchée.

2012/pdf files/decisions/judgements/2018/ECW_CCJ_JUD_17_18.pdf (consulté le


14/09/2018).
167
Les critères d’appréciation n’étant pas dégagés par la loi, nous craignons que du
fait de la forte subjectivité susceptible d’entourer cette appréciation des moyens
opérationnels ne soit à l’origine des excès attentatoires aux libertés.
168
N. FRICERO, op. cit., p. 81.
169
Nous avons vu plus haut, qu’en certaines circonstances ces droits deviennent très
relatifs parce que les lois peuvent prévoir des ingérences au nom, notamment, de la
sécurité nationale ou de la prévention des infractions pénales.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 151

2. La variabilité de la sanction de l’illégalité

80. L'infraction, une fois commise, ou en voie d’être commise,


implique en principe soit le déclenchement de l'action publique qui
doit permettre de poursuivre et de condamner les auteurs, afin
d’assurer la tranquillité et de rétablir l'ordre social troublé par les
comportements antisociaux, soit l’ouverture d’une enquête en vue de
mettre hors d’état de nuire le délinquant. C'est à la procédure pénale,
dont l’objectif principal est la recherche de la vérité, qu'incombe cette
lourde tâche. C’est en quelque sorte le mode d’emploi pour les
policiers, gendarmes et magistrats. Les droits et les devoirs qui les
accompagnent dans l’enquête qui va de la constatation d’une
infraction à la condamnation définitive de son auteur. Faustin Hélie, à
ce propos, écrivait : « les formes de la procédure sont destinées,
comme des phares, à éclairer la marche de l’action judiciaire. Elles
doivent être assez puissantes pour faire sortir la vérité du sein des
faits. Le but de la procédure pénale est la complète manifestation de
la vérité judiciaire »170.
81. Sans doute, la police judiciaire doit-elle rechercher les preuves
d’infractions et livrer les auteurs après identification aux services
judiciaires, mais elle ne peut procéder de manière déloyale. Le respect
de la vie, de la liberté et de l’intégrité physique est au cœur de tout
système procédural respectueux des droits de l’homme. Les agents de
l’autorité judiciaire ont l’interdiction absolue de recourir à la torture171
et aux traitements inhumains ou dégradants afin d’obtenir des aveux.
Aussi bien, le respect de l’intimité doit être sauvegardé ; toute atteinte
à la vie privée ou à la liberté doit être proportionnée. Ce qui signifie
que la qualité de membre de la police judiciaire ne confère pas une
immunité172.
82. Tout procédé de preuve contraire à la loi ou à la morale est
irrégulier et sanctionné comme tel. La sanction de cette irrégularité

170
F. HELIE, Traité de l’instruction criminelle, Nypels, Tome 1, 2ème éd., Paris,
1866, pp. 2 et 3.
171
CP du Sénégal, Art. 295.
172
A. FAYE, op. cit., pp. 31 et s.
152 ANNALES AFRICAINES

probatoire est d’une portée relative, qu’on l’envisage d’un point de


vue matériel ou de celui qui l’administre.
Du point de vue matériel, la sanction de l’illégalité d’un acte
entraîne inévitablement des effets sur la procédure selon qu’elle se
circonscrive au seul acte entaché d’irrégularité ou, en sus, aux actes
subséquents173. Ainsi par exemple, on peut penser que la nullité d'une
garde à vue n'entraîne l'annulation des actes subséquents qu'à la
condition que ces derniers aient eu pour support nécessaire la mesure
annulée, ceci en vertu de la théorie « des fruits de l’arbre
empoisonné »174.
83. La sanction de l’illégalité est, en outre, plus ou moins aisée
selon que la partie lésée doit ou non rapporter la preuve d’un grief175.
Elle en sera dispensée lorsque l’irrégularité rejoint une nullité d’ordre
public176 alors que la preuve d’un grief sera exigée, sauf à ce qu’il soit
présumé, dans le cadre d’une nullité d’intérêt privé. Il convient de
préciser que seule la personne qui conteste l’acte ou la mesure est
fondée à en demander la nullité. Ainsi, seule la personne ayant fait
l’objet de la garde à vue irrégulière dispose de la qualité nécessaire
pour en soulever la nullité.
84. Les formalités générales de la garde à vue, les conditions de
prolongation ainsi que l’information du gardé à vue de ses droits
constituent des obligations impératives sanctionnées en cas
d’inobservation par une nullité textuelle automatique. Il aurait ainsi
suffi qu’une garde à vue soit affectée d’une cause de nullité pour que
les procès-verbaux de garde à vue soient annulés dans leur

173
CPP du Sénégal, Art. 166, al. 2 : « La chambre d’accusation décide si
l’annulation doit être limitée à l’acte vicié ou s’étendre à tout ou partie de la
procédure ultérieure ».
174
En vertu de cette théorie, la nullité ne se limite pas au seul acte irrégulier
concerné elle va s’étendre à la procédure ultérieure au motif que les actes constituent
un tout qui aura été vicié par contagion.
175
CPP du Sénégal, Art. 165, al. 3 : « Si c’est l’inculpé ou la partie civile qui estime
qu’une nullité a été commise, il saisit par une requête motivée la chambre
d’accusation qui réclame immédiatement le dossier de la procédure au juge
d’instruction ».
176
CPP du Sénégal, Art. 166, al. 1. Ce texte parle de la violation des dispositions
substantielles du Code.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 153

ensemble177. Il en est ainsi par exemple, du dépassement de délai de la


garde à vue, car cela porte nécessairement atteinte aux intérêts de la
personne gardée à vue. En ce sens, il a été jugé par la Cour d’Appel de
Dakar, dans l’affaire Awa Ndiaye, qu’une garde à vue de dix-sept (17)
jours avait largement dépassé la durée prévue par la loi, par
conséquent le procès-verbal de première comparution ainsi que le
mandat de dépôt subséquent qui a eu pour support le procès-verbal
vicié étaient nuls178.
85. Dans l’hypothèse où c’est la nullité partielle qui a été admise,
la preuve illicite doit être retirée du dossier ou cancellée179. Il est
interdit d’y puiser un renseignement contre les parties, à peine de
forfaiture pour les magistrats, et de poursuites disciplinaires pour les
défenseurs. En privant de tout effet la preuve illicite, le système
procédural sénégalais tente de garantir l’effectivité des droits et
libertés des justiciables.
86. Dans les cas les plus graves, viendra s’ajouter à la nullité de la
preuve illicite la sanction de celui qui l’aura recherchée ou
administrée. Ainsi, l’officier de police judiciaire qui déciderait d’une
garde à vue en dehors ou en violation des dispositions de la loi, ou qui
commettrait des extensions sera soumis à des sanctions. Ces sanctions
de violations des dispositions de fond et de forme sont d’ordre civil,
pénal ou disciplinaire. Elles s’attachent d’abord à la personne de
l’officier de police judiciaire responsable qui peut être poursuivi en
cas de garde à vue arbitraire, mais aussi à la garde à vue elle-même
qui peut être annulée ainsi que tous les actes subséquents.
87. La personne faisant l’objet d’une mesure de garde à vue, qui
s’estime victime d’un préjudice résultant d’une telle violation peut
engager à l’encontre de l’Etat une action en responsabilité180 qui

177
C. DIAKHOUMPA, Le régime juridique des nullités dans le Code de procédure
pénale sénégalais, Thèse de Doctorat, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2012.
178
C.A. Dakar, arrêt n° 10 du 25 janvier 1990, inédit.
179
CPP du Sénégal, Art. 167.
180
A. DUPRAU, « Précisions sur le juge administratif, la faute lourde et la
responsabilité des services de renseignement », note sous arrêt, CE 18 juillet 2018,
JCP G, n° 39, 24 sept. 2018, p. 989.
154 ANNALES AFRICAINES

relève de la compétence des juridictions judiciaires parce que l’acte


générateur du dommage relève de la police judiciaire181/182.
88. La nullité est prévue expressément à propos des perquisitions
et saisies. En effet, ces actes portent atteinte à la vie privée, valeur
fondamentale183. C’est pourquoi l’article 51, al. 2 du Code de
procédure pénale dispose que « les formalités mentionnées aux
articles 48, 49 et au présent article sont prescrites à peine de nullité ».
Les inobservations des garanties des perquisitions sont donc des
causes de nullité textuelles. En revanche, durant l’enquête
préliminaire, l’inobservation des formalités de la perquisition obéit au
régime des nullités substantielles. Ainsi, il a été jugé que « les formes
et délais prescrits par l’article 55 du Code de procédure constituent
des formalités substantielles dont l’inobservation est sanctionnée par
la nullité du procès-verbal d’enquête et des actes ultérieurs. Doit donc
être déclaré nul le procès-verbal d’enquête ainsi que toute la
procédure subséquente, dès lors qu’il est établi que la garde à vue a
été prorogée au-delà de 48h sans autorisation du procureur de la
République ni accomplissement des formalités prescrites par l’article
55 susvisé »184.
89. Le principe de liberté des modes de preuves qui différencie la
procédure pénale de la procédure civile n'emporte pas celle de leur
administration, de sorte que les preuves sont soumises au principe de
légalité. Aussi, ce principe de légalité se doublerait-il de l'exigence de
loyauté dans la recherche des preuves. Et un auteur185 note que la
recherche ou l’administration des modes de preuve obéit à deux
principes généraux ; la légalité doit être entendue largement puisque,

181
COA, Art. 145 « La faute commise par un agent public à l’occasion de l’exercice
de ses fonctions engage la responsabilité […], l’administration doit être mise en
cause. Elle répond de la faute de son agent […] ».
182
C.A. Dakar, 27 juillet 1979, aff. Seynabou Ndiour, RIPAS n° 2, octobre 1981, p.
339, note J.-M. Nzouankeu.
183
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., p. 522.
184
C.A Dakar, arrêt n° 379 du 18 Mai 2009, MP, Déguène MBAYE c/ Henry Louis
Houmenou alias Loulou CAMARA- Aliou SENE, Bulletin des arrêts rendus par la
cour d’Appel de Dakar en matière pénale, volume n°2, 2011, pp 28 et s.
185
J. PRADEL Procédure pénale, op. cit., p. 323.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 155

au-dessus des règles, existe un principe de loyauté qui oblige à


rechercher des preuves selon des normes conformes à la morale.

B/ L’encadrement modulable des preuves pénales par la loyauté


90. Très souvent, la loyauté de la preuve est présentée comme
fuyante, insaisissable186. Parce qu'elle est issue de la déontologie des
magistrats, sa traduction juridique serait malaisée187. Elle est un
standard classique de contrôle des preuves pénales188.
91. Si toutes les preuves doivent respecter le principe de loyauté,
celui-ci trouve à s’appliquer différemment selon la qualité du
prouvant, car à partir du moment où le législateur a fait le choix
d'ouvrir largement le droit, pour toute personne, d'engager l'action
publique en se constituant partie civile, les preuves produites par une
partie privée (2) ne doivent pas être soumises aux mêmes exigences
que celles émanant des autorités policières et judiciaires189 (1).

1. La loyauté des preuves recueillies par les autorités


policières et judiciaires
92. Le principe de la liberté des preuves est plus directement
imprégné de la nécessité de respecter les exigences de légalité, de
loyauté, de proportionnalité et de dignité. Cependant, lorsque la
preuve est rapportée par une autorité policière ou judiciaire, cette
dernière ne doit pas être déloyale dans la recherche de la preuve ; elle
doit respecter les droits et libertés fondamentaux190.

186
B. DE LAMY, « De la loyauté en procédure pénale, brèves remarques sur
l'application des règles de la chevalerie à la procédure pénale », in Mélanges J.
Pradel, Cujas, 2006, p. 101.
187
O. DECIMA, « De la loyauté de la preuve pénale et de ses composantes », D.
2018, p. 103.
188
L. ASCENSI, « Retour sur le principe de la loyauté de la preuve », AJ Pénal
2012, p. 346.
189
P. LEMOINE, « La loyauté de la preuve à travers quelques arrêts récents de la
chambre criminelle », http://www.courdecassation.fr/article6401.html (consulté le
27 juillet 2018).
190
F. DESPORTES et L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale,
2ème éd. Economica, Paris, 2012, n° 565 et s.
156 ANNALES AFRICAINES

93. Le recours aux nouvelles technologies, aussi bien pour


commettre l'infraction que pour tenter d'empêcher l'identification de
leurs auteurs, a fait évoluer le phénomène criminel à telle enseigne
que les infractions deviennent plus sophistiquées, élaborées et
occultes. La justice répressive se trouve alors contrainte d’adapter
dans une certaine mesure ses moyens de recueil des preuves à cette
nouvelle criminalité. On parle donc de pièges ou d'artifices pour
désigner les stratagèmes par lesquels les enquêteurs parviennent à
surprendre des malfaiteurs, en dépit des précautions qu'ils prennent
pour agir impunément. Pourtant, la loyauté impose que la preuve ne
soit pas obtenue par n'importe quel moyen, notamment par le biais de
manœuvres191.
94. En matière probatoire, le Code de procédure pénale sénégalais
ne pose pas d’autres principes que celui de la liberté de la preuve 192, le
principe de loyauté de la preuve est ainsi dénué de consécration
textuelle explicite. En l’absence de la jurisprudence sénégalaise, c’est
la jurisprudence française qui est venue pallier cette carence en
consacrant très tôt un principe général de loyauté dans la recherche
des preuves, principe qui interdit à l’autorité policière ou judiciaire qui
administre la preuve l’utilisation de procédés déloyaux, de ruses ou de
stratagèmes193. On cite souvent, volontiers, l'affaire Wilson194, ayant
donné lieu à un arrêt fondateur en 1888, et l'affaire Imbert195 jugée en
1952. La Cour de cassation française y avait sanctionné un procédé
déloyal de recherche de preuve, consistant dans l'utilisation d'un
stratagème visant à obtenir des aveux de la part du suspect, mais à son
insu. Dans l'arrêt rendu en 1952, la loyauté n'apparaissait pas

191
F. EL HAJJ CHEHADE, Les actes d’investigation, Thèse op. cit., pp. 162 et s.
192
CPP du Sénégal, Art. 414 ; Loi n° 2016-33, Art. 9 in fine.
193
La jurisprudence française d’avant les indépendances des pays africains fait
partie de l’héritage colonial et nous la considérons comme faisant partie du droit
positif de chaque ex-colonie française d’Afrique.
194
Cass., ch. réun., 31 janv. 1888, S. 1889, 1, p. 241. Dans cette affaire, la Cour de
cassation française a affirmé que « le juge a employé un procédé s'écartant des
règles de la loyauté que doit observer toute information judiciaire ». Mais l'arrêt ne
tranchait pas une question de recevabilité de la preuve. Il portait sur la procédure
disciplinaire conduite contre le juge.
195
Cass. Crim. 12 juin 1952, S. 1954, 1, 69 ; JCP 1952, II., 7241.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 157

formellement mais la Cour de cassation a fait usage d'une formule


plus générale, estimant que le stratagème utilisé par les autorités
publiques avait « pour but et pour résultat d'éluder les dispositions
légales et les règles générales de procédure ». Le principe de loyauté
de la preuve semble donc acquis en matière pénale.
95. La place croissante prise par le principe de loyauté probatoire
en matière pénale pose plus fondamentalement la question de la
recherche de la vérité comme objectif du procès pénal196. Cet
impératif de loyauté semble indispensable à l'image de la justice. Le
procès pénal ne saurait échapper aux règles morales d'une société dont
il est chargé d'assurer la paix. Selon Pierre Bouzat, « la justice doit
inspirer confiance et respect. Elle doit mener sa lutte ingrate contre
les délinquants avec dignité : on comprendrait mal qu'elle utilisât
pour confondre les malfaiteurs les moyens qu'elle leur reproche
d'employer »197. La loyauté dans la recherche des preuves contribue
donc à la crédibilité de la justice, à la conformité de son
fonctionnement à une norme éthique supérieure, faisant ainsi accepter
moralement l'autorité de cette institution.
L’exigence de loyauté probatoire est nécessaire dans un Etat de
droit, car elle représente la garantie de l’honnêteté des enquêteurs.
Cette obligation de se comporter loyalement qui pèse sur les autorités
policières et judiciaires est un élément pondérateur ayant pour finalité
de protéger l'individu contre d'éventuels abus, en imposant un certain
style à l'enquête. La loyauté intervient donc comme une limite au
principe de liberté des preuves et réduit considérablement l'action des
enquêteurs dans la recherche des preuves198. La loyauté apparaît donc
comme un principe processuel de droit matériel, une règle inhérente à
toute procédure, une exigence d’essence supérieure.
96. Le fait pour un enquêteur d’inciter directement quelqu’un à
commettre une infraction par l’emploi de moyens fallacieux et

196
A. GALLOIS, « Loyauté de la preuve pénale : le réel reporté à une date ultérieure
? », J.C.P., G., n° 52, 25 déc. 2017, 1366.
197
P. BOUZAT, « La loyauté dans la recherche des preuves », in Mélanges L.
Hugueney, Sirey, 1964, p. 155.
198
B. LAVIELLE, « Entre exigence de loyauté et principe de proportionnalité, la
preuve pénale en liberté surveillée ? », Gaz. Pal. 24/10/2017, n°36, p. 77.
158 ANNALES AFRICAINES

mensongers, comme l’offre d’un avantage est déloyal puisque par ce


procédé, il fait renforcer l’intention criminelle chez celui qui réalisera
l’infraction, l’amenant ainsi à commettre une infraction, qu’il n’aurait
sans doute pas commise en l’absence de pressions ou de tromperie199.
Le provocateur commet un acte positif consistant en une pression sur
la volonté de celui qui va commettre l’infraction200.
97. Il est interdit à un magistrat de se faire passer pour quelqu’un
d’autre ; la provocation lui est donc interdite. Dès lors, cette
interdiction vaut également pour les officiers de police judiciaire
agissant sur délégation judiciaire. L’enquêteur ne peut davantage faire
à un suspect de fausses promesses ou lui mentir pour le pousser à
avouer, ce qui pourrait vicier la sincérité des déclarations. Un tel
procédé peut conduire le suspect à dire des choses qu’il n’aurait
certainement pas dites sans cet artifice, et porter ainsi atteinte à son
libre-arbitre201 ou à son droit au silence.
98. Cependant, les policiers agissant de leur propre initiative, dans
la mesure où ils ne sont pas tenus de faire connaître leur qualité avant
de faire des constatations ont le droit d’employer la ruse et la
dissimulation pour parvenir à leurs fins ; ils peuvent se déguiser, se
cacher sous des apparences trompeuses, infiltrer un réseau de
trafiquants de stupéfiants, se présenter comme acheteurs de drogue ou
encore enregistrer indiscrètement une conversation publique. Pour
autant, jamais les policiers ne doivent pousser un indécis à commettre
une infraction. L’utilisation de certaines formes de ruse ou mensonge
n’est donc naturellement pas prohibée durant l’enquête de police, à
condition que le comportement de l’agent ait simplement servi de
révélateur au délit et n’ait pas soumis le prévenu à une contrainte,
caractérisée par une provocation à commettre l’infraction reprochée,

199
E. VERGES, « Provocation policière : l’évolution de la jurisprudence », AJ pénal
2006, p. 354.
200
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., p. 376.
201
B. DE LAMY, « De la loyauté en procédure pénale, brèves remarques sur
l'application de la chevalerie à la procédure pénale », in Mélanges Jean PRADEL,
Cujas, 2006, p. 97.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 159

qui annihile la volonté de ce dernier et fait de sorte qu’il n’est pas


l’auteur moral du délit202.
99. En effet, durant l’enquête, il est admis que les policiers
peuvent utiliser le mensonge et la ruse pour confondre les malfaiteurs.
Tant qu’ils se bornent passivement à constater une infraction, ils
n’agissent pas déloyalement. En outre, le principe de loyauté des
preuves n’interdit pas l’observation attentive et souvent dissimulée à
laquelle se livrent nécessairement les policiers afin de caractériser
l’existence d’une conduite répréhensible203. La provocation sera donc
considérée comme valable lorsque le procédé sert seulement à faire
apparaître la preuve d'une infraction qui, de toute façon, aurait été
commise sans l'intervention du policier. Pour Jean Pradel, « il est plus
facile de définir la loyauté par son contraire : il y a déloyauté lorsque
l’enquêteur ou le juge d’instruction use de procédés non conformes
aux principes fondamentaux de notre ordre juridique pour obtenir des
éléments de preuve ; la déloyauté évoque la tromperie, les artifices,
les promesses, les menaces, tous agissements réduisant ou supprimant
le libre-arbitre »204.
100. En revanche, la déloyauté est manifeste et vicie la procédure,
dès lors que le policier devient actif dans le processus délictueux et
provoque l'infraction. Il suffit qu'il s'agisse d'un véritable montage de
nature à déterminer les agissements délictueux des individus pour que
la preuve obtenue soit déloyale. En effet, l’intérêt public ne saurait
justifier l’utilisation d’éléments recueillis suite à une provocation
policière dès lors que dans une société démocratique, le droit à une
bonne administration de la justice occupe une place si prééminente,
qu’on ne saurait le sacrifier à l’opportunité205.

202
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit., p. 434.
203
P.-J. DELAGE, « Le "laisser faire" de l'autorité publique et le principe de la
loyauté de la preuve », Rev. Sc. Crim. 2018, p. 117.
204
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., p. 373.
205
Ch. DE VALKENEER, « La provocation policière à la lumière de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme », Commentaire de
l'arrêt Ramanauskas c/ Lituanie du 5 février 2008, RTDH, 2009, n° 77, p. 211 : Pour
apprécier s'il y a eu provocation policière, la Cour examine si les policiers ont
adopté une attitude passive ou ont joué un rôle dans le passage à l'acte. Pour ce faire,
elle va chercher à déterminer si l'accusé était au préalable animé d'une intention
160 ANNALES AFRICAINES

101. Il faut distinguer selon que la provocation, licite, a pour simple


but de fournir la preuve d’une activité délictueuse, dans ce cas il s’agit
de la provocation à la preuve ou que, irrégulière, elle entraîne la
commission d’une infraction qui, en son absence, ne se serait pas
produite, c’est la provocation à l’infraction.
102. La déloyauté probatoire peut aussi se manifester à travers le
détournement de procédure206. Il en est ainsi lorsque les pouvoirs
d’investigation conférés aux officiers et agents de police judiciaire ou
à certains fonctionnaires sont strictement délimités par la loi, de sorte
que tous ces agents ne sauraient sortir de ces limites pour appréhender
des infractions dans un but de plus grande efficacité. De façon plus
concrète, un officier de police judiciaire ne peut mettre en œuvre une
enquête de flagrance, que si les conditions prévues aux articles 45 à 66
du Code de procédure pénale sénégalais sont remplies. En pareil cas,
les pouvoirs coercitifs des enquêteurs sont plus élargis et peuvent être
mis en œuvre d'office, alors que dans le cadre d’une enquête
préliminaire, les perquisitions, visites domiciliaires et saisies sont
subordonnées à l'assentiment exprès de la personne concernée. Plus
précisément, le fait pour un policier d'utiliser, en connaissance de
cause, une autre procédure, plus rapide et plus efficace, que celle
devant être normalement appliquée à l'enquête, peut donc aisément
s'apparenter à un procédé frauduleux207.
103. Si les autorités policières et judiciaires sont tenues de
rechercher la vérité et de le faire en respectant le principe de loyauté,
les preuves recueillies par les parties privées ne semblent pas être
assujetties à cette exigence.

délictueuse. Elle va également vérifier si les autorités nationales se sont livrées à un


contrôle du déroulement de l'opération et ont permis à l'accusé d'exercer ses droits
de la défense à cet égard.
206
J. PRADEL, « Vers une "aggiornamento" des réponses de la procédure pénale á
la criminalité. Apports de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 dite Perben II.
Deuxième partie », J.C.P., 2004, I, 134.
207
Ch. DE VALKENEER, La tromperie dans l'administration de la preuve pénale :
Analyse en droits belge et international complétée par des éléments de droits
français et néerlandais, Larcier, 2000, p. 574.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 161

2. La problématique de la loyauté des preuves


recueillies par une partie privée

104. Dans l’application du principe de loyauté dans la recherche de


la preuve, la question se pose de savoir si les preuves rapportées par
les particuliers doivent y être soumises. Le Code de procédure pénale
est silencieux en la matière. Mais il est admis que la loyauté doit être
sacrifiée à l’efficacité de la procédure puisque les parties privées, et
notamment les victimes, éprouvent souvent de grandes difficultés à
rassembler les preuves des agissements dont elles ont souffert ou qui
leur sont reprochés. Il n’est donc pas inopportun de leur laisser un plus
large pouvoir en la matière d’autant qu’elles ne disposent pas de
moyens aussi importants que l’autorité publique208. Les personnes
privées peuvent légitimement se constituer des preuves par des
pratiques qui seraient condamnées si elles émanaient des autorités
policières et judiciaires209.
105. Les particuliers ne sont pas astreints au respect de la loyauté
dans la recherche des preuves pénales et ont, de ce fait, une liberté
considérable en la matière. En effet, le juge ne peut refuser de joindre
au dossier une preuve administrée par la partie, au seul motif qu’elle
aurait été obtenue de façon illicite ou déloyale ; il lui appartient
seulement d’en apprécier la pertinence et la valeur probante210. C’est
l’article 414 du Code de procédure pénale sénégalais qui, après avoir
édicté, en son premier alinéa, le principe de liberté de la preuve,
soumet, dans le second, la recevabilité d'une preuve aux seules
exigences de son versement aux débats et de sa discussion
contradictoire devant le juge. En d’autres termes, si la recherche des
preuves n’est pas toujours marquée par une obligation de loyauté, le
respect des droits de la défense et le principe du contradictoire

208
Nd. FALL, Le droit pénal africain à travers le système sénégalais, éd. EDJA.,
Dakar, 2003, p. 154.
209
Ph. BONFILS et J. LASSERRE CAPDEVILLE, « Tentative de clarification de la
loyauté de la preuve en matière pénale », in La réforme du Code pénal et du Code de
procédure pénale, Opinio doctorum, V. Malabat, B. de Lamy et M. Giacopelli, (dir.)
Dalloz, 2009, p. 247 et s.
210
Nd. FALL, op. cit. p. 155.
162 ANNALES AFRICAINES

imposent la loyauté lors de la discussion des preuves. A l’issue de


cette discussion, la décision du juge sera en principe dictée par son
intime conviction. Ce qui nous amène à dire que si une preuve
obtenue par un particulier l’a été par la contrainte ou à la suite d’un
acte de corruption, elle pourra être admise si après discussion
contradictoire le juge s’en fait une opinion fondant sa décision.
106. Une telle position pourrait être comprise si elle devait être
interprétée, comme permettant à un particulier, dans un Etat de droit,
de se constituer illégalement une preuve et la produire valablement en
justice, sans que la juridiction saisie ne doive relever l’illégalité ou la
déloyauté commise. Au cours d’un procès pénal, toutes les parties et
même les témoins peuvent verser aux débats tous éléments de
conviction quel qu’ait été le moment de leur obtention ou le moyen
utilisé. Le principe de liberté de la preuve prend ici tout son sens, la
seule réserve étant le respect du contradictoire, lequel est censé
permettre de purger les preuves des vices affectant leur obtention : la
preuve est valable dès lors qu'elle a fait l'objet d'une discussion
contradictoire par les parties.
107. Le plus souvent, les parties civiles, victimes d’une infraction,
sont tentées de recourir à des procédés en principe interdits par le droit
pénal. La preuve illégalement obtenue peut cependant apparaître
comme le moyen le plus efficace et rapide pour prouver la culpabilité
du délinquant. Ainsi, certaines victimes peuvent procéder à des
enregistrements de voix ou de gestes à l’insu des délinquants. De
même, une personne poursuivie peut avoir recours à de tels
enregistrements pour rapporter la preuve des faits dont elle est accusée
ou victime. Cette pratique est devenue davantage courante à la faveur
des progrès technologiques et surtout le développement des téléphones
portables de dernière génération.
108. L’enregistrement clandestin d’une conversation peut être
qualifié d’atteinte au droit au respect de la vie privée. Ce droit
subjectif s’analyse en effet non seulement comme un pouvoir
d’autonomie211, mais également comme un pouvoir de maîtrise des
informations personnelles que le titulaire est en droit de conserver

211
La liberté de la vie privée.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 163

secrètes212/213. Or, un enregistrement clandestin d’une conversation


porte assurément atteinte à la liberté de la vie privée, puisque l’auteur
des propos est privé de la liberté de choisir son destinataire, mais
également au secret de la vie privée lorsque la personne concernée
entendait conserver confidentielles les informations échangées.
109. Pourtant, un tel enregistrement peut être invoqué dans le cadre
d’une procédure judiciaire à titre de moyen de preuve et au nom de la
liberté de la preuve214. Cela revient à dire que le principe de légalité
procédurale quant aux actes d’investigation réalisés par des
particuliers, doit être évincé et compensé par les principes du
contradictoire et de l’intime conviction qui permettent une discussion
judiciaire de la fiabilité technique et informative de l’enregistrement.
Mais alors, on ne peut être véritablement certain de la consistance
réelle de ce qui est apporté par les particuliers. Il n'est pas improbable,
par exemple, que les bandes magnétiques d'un enregistrement soient
manipulées et faussées par la partie qui l'invoque. Cette possibilité de
manipulation est, en effet, soulignée par de nombreux experts215.
110. L’enregistrement ne peut, à lui seul, établir la conviction du
juge et en outre, la preuve sera irrecevable s’il est établi que le
particulier a agi à l’instigation d’une autorité publique pour provoquer
l’infraction216.
111. Il convient de constater que la violation des libertés et droits
fondamentaux et la dangerosité de certaines méthodes d’investigation
ont contribué à l’affirmation doctrinale d’une obligation de loyauté.
La doctrine contemporaine semble en effet réprouver l’utilisation de

212
Le secret de la vie privée.
213
J.-C. SAINT-PAU, « L’enregistrement clandestin d’une conversation », Dr.
pénal 2008, p. 21.
214
E. MOLINA, « Réflexion critique sur l'évolution paradoxale de la liberté de la
preuve des infractions en droit français contemporain », Rev. Sc. Crim., 2002, p.
263.
215
C. AMBROISE-CASTEROT, « Recherche et administration des preuves en
procédure pénale: la quête du graal de la vérité », AJ pénal 2005, p. 269.
216
Ph. CONTE, « La loyauté de la preuve dans la jurisprudence de la chambre
criminelle de la Cour de cassation : vers la solution de la quadrature du cercle ? »,
Dr. pénal 2009, chron. p. 13.
164 ANNALES AFRICAINES

procédés déloyaux aux fins d’établir la preuve de l’infraction217. Selon


Pierre Bouzat, « la loyauté n’est pas une notion juridique autonome et
elle est intimement liée avec la morale contrairement à la liberté de la
preuve qui est rattachée à des considérations sociales, c’est donc une
manière d’être dans la recherche des preuves, conforme au respect
des droits de l’individu et à la dignité de la justice» 218.

Conclusion

112. De tout ce qui précède, il convient de retenir que pour


poursuivre avec célérité et efficacité les auteurs d'une infraction, il est
nécessaire de pouvoir les confondre par le rassemblement de preuves.
Il y a donc obligation de rechercher partout les éléments utiles à la
manifestation de la vérité. La question de la recherche de la vérité a en
effet toujours été au centre du débat sur la preuve en matière pénale.
Elle a d’ailleurs souvent été présentée comme étant au cœur de la
séparation entre le système accusatoire et le système inquisitoire219.
Alors que la recherche de la vérité est omniprésente dans une
procédure inquisitoire, elle constitue parfois un objectif secondaire en
procédure accusatoire220.
113. Confrontée au difficile équilibre entre la nécessaire efficacité
de la répression et la préservation des libertés fondamentales, la
procédure pénale sénégalaise n’a cessé d’être agitée; tout débat autour
d’elle mettant en balance ces deux impératifs. Et les transformations
de la criminalité et la volonté de renforcer, en conséquence, la lutte
contre la délinquance organisée n’ont pas facilité les choses, d’où de
nombreuses modifications de la procédure pénale. Ces formes
particulières de criminalité nécessitent, pour la découverte des preuves

217
Pour une synthèse, avec de nombreuses références, relative au contentieux pénal
en matière de loyauté de la preuve, v. Ph. CONTE, « La loyauté de la preuve en
procédure pénale : fragile essai de synthèse », Procédures, 2015. Dossier 12.
218
P. BOUZAT, « La loyauté dans la recherche des preuves », op. cit., p.172.
219
E. JOUANNET, « La preuve comme reflet des évolutions majeures de la société
internationale », in La preuve devant les juridictions internationales, Dir. H. Ruiz-
Fabri et J.-M. Sorel ; Paris, éd. A. Pedone, 2007, p. 239 s.
220
A. FABRI et C. GUERY, « La vérité dans le procès pénal ou l’air du catalogue »,
Rev. sc. crim. avril-juin 2009, Variétés, p. 343 et s.
Les preuves pénales à l’épreuve de la métamorphose des règles de la procédure pénale … 165

qui les caractérisent, la mise en œuvre de moyens d’enquête


particuliers, car les moyens classiques que confère le droit commun se
sont vite révélés insuffisants et peu efficaces221, d’où la diversification
des moyens de preuve. Par ailleurs, avec l’évolution de la science et
des techniques, de nouveaux modes de preuves ont été développés
pour détecter et confondre les malfaiteurs. Ils consistent en des
enregistrements dissimulés qui prennent la forme d’écoutes
téléphoniques, de perquisition et interception électroniques ou encore
de sonorisations et de géolocalisation. Aussi, la durée de la garde à
vue a été allongée pour certaines infractions. Cette mesure coercitive
constitue la pierre de voûte des investigations.
114. Parce que ces différentes procédures vont, au cours de leur
déroulement, de par leur nature même, occasionner des atteintes aux
droits fondamentaux, elles sont étroitement réglementées et soumises
à un régime juridique précis, et ce à la fois pour respecter ces droits,
comme pour permettre une répression effective de la criminalité. Tout
l’art consiste à trouver un équilibre acceptable entre les intérêts de la
société, aspirant à une répression effective de la criminalité, et la
nécessaire protection de l’individu, toujours présumé innocent. Même
si les enquêteurs sont tenus de respecter en tous points les garanties
fixées par le législateur et de protéger les citoyens, sans mettre en péril
leur liberté ou leur vie privée au risque de voir leurs actes annulés et
leur responsabilité engagée, force est de constater que cet équilibre est
très fragile, si on observe les pouvoirs exorbitants du procureur de la
République dans la procédure pénale sénégalaise ; pouvoirs
liberticides sans contrepoids, car il n’existe pas dans ce système
procédural un juge des libertés et de la détention.

221
J. ALIX, « Quelle place pour le droit pénal dans la lutte contre le terrorisme ? »,
Humanisme et justice, Mélanges en l'honneur de Geneviève Giudicelli-Delage,
Paris, Dalloz, 2016, pp. 423 à 440.

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