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MÉTHODES DE RECHERCHE

DE LA COUTUME INTERNATIONALE
DANS LA PRATIQUE DES ÉTATS

par

LUIGI FERRARI BRAVO


-«w

L. FERRARI BRAVO
237

TABLE DES MATIERES

Chapitre I. Coutume internationale et pratique des Etats 243


1. La coutume d'après le Statut de la Cour internationale de Jus-
tice.
2. «Pratique générale » et coutumes localisées.
3. Le dynamisme du droit international coutumier.
4. La «quantité de pratique» nécessaire à la formation des règles
internationales coutumieres.
5. Droit coutumier transitoire?
6. Certains aspects du rapport entre droit coutumier et droit conven-
tionnel.
7. L'élément psychologique de la coutume dans la perspective d'une
recherche sur la pratique des Etats.
8. Plan de la recherche.
Chapitre II. Phénoménologie de la pratique des Etats 257
1. Relations bilatérales et relations multilatérales.
2. Limites de la possibilité d'utilisation de la pratique touchant aux
relations conventionnelles.
3. Pratique internationale et structure interne des Etats.
4. Concept de pratique pris comme base de la recherche.
5. La pratique diplomatique : la correspondance diplomatique.
6. Correspondance diplomatique par l'intermédiaire d'organisations
internationales.
7. Pertinence de certains documents issus à l'occasion de la stipu-
lation d'accords internationaux.
8. La diplomatie par mass media.
9. Les instructions. Les avis des conseillers juridiques.
10. Les déclarations générales de politique juridique étrangère.
11. Les documents bidons.
12. Pratique concernant les règles coutumieres se dégageant de la
participation à des systèmes conventionnels.
13. Les actes paraconventionnels: les déclarations communes à plu-
sieurs Etats.
14. La pratique parlementaire.
15. La législation. La pratique administrative.
16. La jurisprudence nationale.
Chapitre III. La pratique des Etats dans les relations multilatérales . . . 288
1. Phénoménologie de la pratique des Etats dans les relations multi-
latérales.
2. Les conférences internationales et la documentation qui y est
produite.
3. L'impact des procédures régissant l'activité des conférences inter-
nationales.
4. La prise de décision au sein des conférences internationales.
5. Les organisations internationales: pratique de l'organisation et
pratique des Etats agissant au sein de l'organisation.
6. L'adoption des résolutions de l'organisation.
7. Les «suites» des résolutions adoptées par l'organisation.
238 Luigi Ferrari Bravo

8. La documentation sur la pratique de l'organisation. — La Sixième


Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies.
9. Les prises de position par groupes de pays.
10. L'imputation à l'Etat des prises de position du porte-parole du
groupe auquel l'Etat appartient.
11. La coordination institutionnalisée : les prises de position au nom
de la Communauté européenne et de ses Etats membres.
Chapitre IV. Quelques remarques finales 309
1. La disponibilité de la documentation sur la pratique des Etats.
2. Quelques carrefours du problème de la pratique des Etats.
3. Commission du droit international, Cour internationale de
Justice et sensibilité aux nouvelles exigences de la communauté
internationale.
4. Coutume internationale, assentiment des Etats et vitesse de
transformation des règles coutumières internationales.
Notes 317
Bibliographie 329
239

NOTICE BIOGRAPHIQUE

Luigi Ferrari Bravo, né à Naples le 5 août 1933.


Docteur en droit (1956). Assistant de droit international.à l'Université de
Naples (1956-1961). Chargé de cours, puis professeur titulaire de droit inter-
national à l'Université de Bari (1961-1974). Professeur à l'Istituto universitario
orientale de Naples (1974-1976). Professeur à l'Ecole supérieure de l'adminis-
tration publique (Rome, 1976-1979). Professeur à l'Université nationale de
Somalie (Mogadishu, 1971). Professeur à l'Université de Rome (depuis 1979)
où il occupe à présent la chaire de droit international public de la faculté de
sciences politiques.
Membre de nombreuses sociétés savantes italiennes et étrangères. Membre
du comité de rédaction de plusieurs revues scientifiques. Fondateur et codi-
recteur de YItalian Yearbook of International Law.
A développé depuis 1967 une intense activité diplomatique pour le compte
du Gouvernement italien. A représenté l'Italie, entre autres, au Comité pour la
définition de l'agression (1973-1974). au Comité de la Charte des Nations
Unies et du raffermissement du rôle de l'Organisation (1975-1983), au Comi-
té spécial sur le renforcement du principe du non-recours à la force dans les
relations internationales (1978-1983); au Comité spécial pour l'élaboration
d'une convention contre la prise d'otages (1978-1979), au Comité spécial
pour l'élaboration d'une convention contre le recrutement, l'emploi, l'entraî-
nement et le financement de mercenaires (1981-1983); à la Commission des
entreprises multinationales des Nations Unies (1980-1983) et à ses organes
subsidiaires; à la Commission des Nations Unies pour le droit commercial
international (CNUDCI) (1980-1983), etc. Délégué de l'Italie à la Sixième
Commission de l'Assemblée générale (1976-1983). Président de la Sixième
Commission (1978). Délégué de l'Italie à de nombreuses conférences interna-
tionales dont la Conférence de Genève sur le droit humanitaire de guerre
(1974-1977).
Conseiller juridique de la mission permanente d'Italie auprès des Nations
Unies à New York (1981-1984). Conseiller juridique de la mission permanente
d'Italie auprès des organisations internationales à Genève (y inclus la Confé-
rence du désarmement) (1984-1985). Secrétaire général du service du conten-
tieux diplomatique, des traités et des affaires législatives du Gouvernement
italien (depuis le P septembre 1985).
240

PRINCIPALES PUBLICATIONS

« Le controversie in materia d'impiego presso enti internazionali e la giurisdi-


zione italiana », Rivista di diritto internazionale, 1956.
La prova nel processo internazionale, Naples, Jovene, 1958.
«La questione dell'Africa sud-occidentale », Diritto internazionale, 1960.
«Gli effetti delle condanne penali nel diritto internazionale privato italiano»,
Rivista di diritto internazionale, 1960.
«Il luogo di commissione dell'illecito nel diritto internazionale privato»,
Rivista di diritto civile, 1961.
« Aspetti generali della disciplina della responsabilità per fatto illecito nel di-
ritto internazionale privato», Annali della facoltà di giurisprudenza della
Università di Bari, voi. XVII, 1963.
« Note in margine alla recente sentenza della Corte internazionale di Giustizia
nel caso dell'Africa sud-occidentale», Rivista di diritto internazionale,
1963.
« L'opera delle Nazioni Unite e degli Istituti specializzati nella lotta contro le
discriminazioni », Diritto dell'uomo e Nazioni Unite, Padoue, 1963.
Diritto internazionale e diritto interno nella stipulazione dei trattati, Naples,
Morano, 1964.
«Le operazioni finanziarie degli enti internazionali (Banca mondiale, SF1,
IDA)», Annuario di diritto internazionale, 1965.
«Commentaires des articles 177, 219 et 235 du traité CEE», Trattato istitutivo
della Comunità economica europea, dirigé par Rolando Quadri, Riccardo
Monaco, Alberto Trabucchi, Milan, Giuffrè, 1965.
«Problemi interpretativi dell'art. 177 del trattato CEE»,- Comunicazioni e
studi dell'Istituto di diritto internazionale e straniero dell'Università di
Milano, voi. XII, 1966.
«Natura giuridica dell'adesione degli accordi internazionali», Annuario di
diritto internazionale, 1966.
La giurisprudenza italiana di diritto internazionale privato e processuale. Re-
pertorio 1942-1966 (par F. Capotorti, B. Conforti, L. Ferrari Bravo,
V. Starace), Leonardo da Vinci, Bari, 1967.
« L'issue de l'affaire Costa e. ENEL. — Observations sous l'arrêt du Conciliatore
de Milan du 4 mai 1966 », Cahiers de droit européen, 1967.
Les incidences des régies de concurrence et de l'article 222 sur les possibilités
de nouvelles nationalisations ou socialisations de secteurs économiques,
Bruges, De Tempel, 1968.
«Nazionalizzazioni e mercato comune», Annuario di diritto internazionale,
1967-1968.
« Observations sous l'arrêt du Conciliatore de Milan du 2 janvier 1967 », Cahiers
de droit européen, 1969.
«Commentaires des articles 41 et 87 du traité CECA», Trattato istitutivo
della Comunità europea del carbone e dell'acciaio, commentaire dirigé par
Rolando Quadri, Riccardo Monaco, Alberto Trabucchi, Giuffrè, Milan,
1970.
«La Conferenza europea delle facoltà giuridiche», Rivista di diritto interna-
zionale, 1971.
Responsabilità civile e diritto internazionale privato, Naples, Jovene, 1973.
«European Communities and the Italian Legal Order», Multitudo legum ius
unum, Berlin, 1973.
«Organizzazioni internazionali», Enciclopedia Feltrinelli-Fischer, sezione
Scienze politiche, voi. 2 («Relazioni internazionali»), 1973.
La coutume internationale dans la pratique des Etats 241

«Jurisprudence sur les problèmes généraux de l'intégration», Kölner Schriften


zum Europarecht, 1974 (actes du sixième Congrès de la FIDE).
« Les procédés nationaux de mise en vigueur des obligations souscrites et des
accords conclus par les gouvernements», Associazione italiana di diritto
comparato, Rapporti italiani al XI Congresso internazionale di diritto
comparato (avec A.Giardina), Milan, 1974.
«Schema della disciplina dei trattati internazionali», Istituto diplomatico.
Corso di preparazione al concorso diplomatico, Testi, 1974.
Lezioni di diritto internazionale I, Libreria Scientifica Editrice, Naples, 1974
(2e éd., 1977).
«Poteri della Commissione CEE e suo ruolo nello sviluppo della integrazione
europea (1974)», Tavole rotonde di diritto comunitario, organisées par
G. Biscottini, Raccolta delle relazioni scritte, v o l . I (1967-1977), Milan,
1980.
«I decreti ingiuntivi italiani e la Corte comunitaria», Foro italiano, 1975, III
(aussi dans Etudes en honneur de G. Morelli,-Milan, 1976).
«Les rapports entre contrats et obligations délictuelles en droit international
privé», Recueil des cours de l'Académie de droit international, tome 146
(1975-III).
« I vertici, il Consiglio europeo e il difficile equilibrio fra Consiglio e Parlamento
europeo», Atti del Convegno di Milano del 2-3 marzo 1979, convoqué par
l'Università cattolica del Sacro Cuore.
« Aspetti tecnici dell'adesione delle Comunità europee alla Convenzione euro-
pea dei diritti dell'uomo», Rivista di diritto europeo, 1979, pp. 309 ss., et
dans Italia e diritti umani, Padoue, 1982.
«Aspects internationaux du contrôle de la recherche scientifique», Actes du
dixième Colloque européen, Liège, 1980.
Nombreux chapitres du tome premier du Manuale di diritto delle Comunità
europee, sous la direction de Pennacchini, Monaco, Ferrari Bravo, Turin,
UTET, 1983 («La recherche de l'union politique européenne», pp. 41-56;
«Le Parlement européen», pp. 93-114; «La Commission», pp. 116-136;
«Le Conseil des ministres», pp. 137-146; «Les organes de la coopération
politique», pp. 177-184.).
« International Law and Municipal Law : the Complementary of Legal Sys-
tems», dans McDonald et Johnston (ed.), The Structure and Process of
International Law,.'Let Haye, Nijhoff, 1983, pp. 715 ss.
«All'origine della ricerca sulla consuetudine internazionale. Riflessioni sulla
prassi diplomatica degli Stati», Studi in onore di G. Sperduti, Milan, 1984,
p. 15.
« Accordi internazionali », Enciclopedia giuridica Treccani, 1984 (sous presse).
«Adesione», ibid.
243

CHAPITRE I

COUTUME INTERNATIONALE
ET PRATIQUE DES ÉTATS

1. L'article 38, paragraphe 1, lettre a), du Statut de la Cour


internationale de Justice dit que la Cour applique la coutume
internationale «comme preuve d'une pratique générale, acceptée
comme étant le droit». Très probablement, l'intention des auteurs
de cette disposition, qui se lisait dans les mêmes termes à l'époque
de la Cour permanente, n'était pas de donner « la » définition de la
coutume internationale mais, dans un but plus modeste, d'indiquer,
de façon pratique, comment le juge doit parvenir à saisir le contenu
des règles coutumières qu'il devra appliquer1. Il en reste tout de
même que le libellé de l'article 38 permet de formuler quelques
remarques qui nous semblent utiles afin d'introduire, de la façon la
plus appropriée, l'examen des questions qui sont l'objet principal
de notre recherche,
La coutume internationale comme «preuve» d'une pratique
générale. Ce bout dé phrase, que maints auteurs ont trouvé obscur,
n'est certes pas de nature à apporter un appui à ceux qui pensent
que la coutume en tant que telle soit une des sources des règles du
droit international. En d'autres mots, que l'on puisse séparer la
coutume, en tant que procédé de formation des règles coutumières,
de celles-ci, de la même manière que l'on sépare le traité, en tant
que source, des règles conventionnelles issues d'un traité conclu en
bonne et due forme. En effet, la preuve du droit est une chose, la
formation du droit en est une autre. En parlant de la coutume in-
ternationale comme preuve d'une entité qui est considérée comme
étant le droit, l'article 38 semble ouvrir la porte aux théories qui
nient l'existence, au-dessus des règles coutumières, d'un procédé
précis de formation de celles-ci, donc aux théories qui penchent, à
cet égard, vers l'idée du droit spontané2.
Il n'est pas dans notre intention de nous livrer à des exercices de
haute théorie du droit international qui, tout en étant méritoires,
ne rentrent pas dans l'optique de cet essai. Qu'il nous suffise de
noter que les remarques qui précèdent semblent mieux s'adapter à
cette souplesse du traitement de la pratique des Etats qui, de nos
244 Luigi Ferrari Bravo

jours, se révèle de plus en plus nécessaire, compte tenu de la com-


plexité de la phénoménologie de la pratique. Une complexité qu'on
explorera abondamment par la suite.

2. L'article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice


parle de «pratique générale». C'est maintenant sur le qualificatif
du mot pratique qu'il convient de porter notre attention.
Il est hors de doute qu'en parlant de «pratique générale» les au-
teurs du Statut de la Cour avaient à l'esprit les règles coutumières
liant la communauté internationale tout entière. Cela correspond à
l'optique d'une époque où la communauté internationale apparais-
sait encore comme un ensemble homogène, au moins pour ce qui
concerne les règles juridiques de base régissant les comportements
de ses acteurs. Il faut ajouter que, à la même époque, l'ensemble
des règles coutumières internationales pouvait apparaître prépon-
dérant, sinon quantitativement, au moins qualitativement, vis-à-vis
des règles issues des traités. Les quelques matières régies par un
droit international codifié — surtout dans le domaine du droit de
la guerre — l'étaient d'une façon tout à fait spéciale, car ce droit
codifié se déclarait être un reflet du droit coutumier, présenté sous
forme écrite pour des simples raisons de praticità d'application par
des organes étatiques (les forces combattantes) qui ne sont pas nor-
malement chargés de résoudre des questions de droit international
et qui, dans les circonstances, n'ont pas le temps de consulter, avant
l'application de la règle de droit, les organes centraux de l'Etat.
En effet, à l'époque en question et sauf dans les cas susmention-
nés, le droit international conventionnel se caractérisait par la pré-
pondérance de son aspect contractuel, la projection normative erga
omnes qui est typique des formes de codification contemporaines
étant encore presque inconnue.
Cette situation, néanmoins, permettait déjà d'envisager, quoique
à titre exceptionnel et selon une interprétation assez restrictive,
l'existence de coutumes internationales régionales, notamment
pour ce qui concerne l'ensemble latino-américain. Mais il faut dire
que cette vision, tout en ayant été admise, en ligne de principe, par
la plus haute juridiction internationale, n'a jamais franchi de pas
réellement importants3.
Quoi qu'il en soit, il nous semble que cette manière d'envisager
la place de la règle coutumièregénérale (c'est-à-dire «universelle»)
dans l'ensemble des règles qui constituent l'ordre juridique interna-
La coutume internationale dans la pratique des Etats 245

tional, ainsi que le rapport entre règles coutumières générales et


règles coutumières qui n'ont pas ce qualificatif, ne tienne plus de-
bout. Le problème, aujourd'hui, est beaucoup plus complexe.

3. Tout d'abord, et même en tenant compte de l'acquis de la


codification contemporaine du droit international, il est clair que
le nombre et l'importance relative des règles coutumières interna-
tionales générales a diminué récemment. Les raisons sont diverses
et ont trait surtout aux brèches d'ordre idéologique, culturel,
socio-économique et autre qui caractérisent la communauté inter-
nationale contemporaine. L'étude de ce phénomène et de ses
implications a vu couler tellement d'encre qu'il ne nous paraît pas
opportun de nous attarder là-dessus.
Mais une règle coutumière internationale générale peut s'effacer
en tant que telle, c'est-à-dire dans sa généralité, tout en résistant à
un échelon plus restreint. Il serait toutefois difficile, de nos jours,
de parler de coutumes régionales si le qualificatif devait se référer
à un ensemble identifiable par des coordonnées géographiques ou
même par des coordonnées ayant trait à un héritage historique
commun. Il faudra plutôt parler d'une régionalisation au sens géo-
politique, quitte à admettre aussi d'autres régionalisations axées sur
une base culturelle commune (par exemple, le monde islamique),
ou socio-économique (par exemple, les pays en voie de développe-
ment). Parfois plusieurs critères devront être utilisés en même
temps.
Pour nous en tenir à l'exemple qui nous semble le plus frappant,
il est certain que les Etats du monde occidental ont tendance à
rester attachés à l'ancienne règle coutumière d'après laquelle la
nationalisation de biens étrangers, si elle est effectuée par l'Etat
territorial, doit être suivie par le versement d'une compensation
«prompte, adéquate et effective». On peut probablement affirmer
que cette règle coutumière existe toujours dans le monde occidental,
mais il serait très risqué de lui attribuer une généralité qui est
contestée soit par les pays à économie d'Etat soit par les pays en
voie de développement. L'impasse dans laquelle se retrouve, au
moment où.nous écrivons, le projet d'un code de conduite pour les
entreprises transnationales, au sein duquel la question que nous
venons d'évoquer constitue l'obstacle majeur, semblé confirmer
notre propos4.
D'autre part, le déni par les pays non occidentaux de l'ancienne
246 Luigi Ferrari Bravo

règle (ainsi que de son corollaire procédural qui est l'intervention


en protection diplomatique) ne signifie pas que ces mêmes pays ne
puissent accepter l'applicabilité de ladite règle si cela se fait dans
le cadre d'un accord international ad hoc, surtout d'un accord bila-
téral. Là-dessus la pratique contemporaine offre des exemples fort
intéressants5.
Bien entendu si un groupe d'Etats rejette une règle coutumière
préexistante, il peut en créer une autre valable, dans les mêmes ma-
tières, au sein du groupe en question. Il se peut aussi que certaines
règles nouvelles s'affirment dans certaines relations intergroupes,
mais toujours à un échelon non universel. Peut-être le fait d'avoir
aperçu trop tard cette possibilité est à l'origine des difficultés
qu'éprouve la marche de la codification, effectuée par La Commis-
sion du droit international des Nations Unies, du sujet relatif aux
clauses de la nation la plus favorisée. Il est possible qu'une règle
résiduelle unique (même si à l'apparence très libérale comme celle
du fonctionnement inconditionné de la clause) ne corresponde plus
aux exigences du commerce juridique international6.
La dimension spatiale du problème de la généralité des règles
coutumières internationales doit être discutée aussi d'un autre
point de vue.
On sait que traditionnellement la « généralité » de la pratique dont
on déduit l'existence d'une règle coutumière n'est pas synonyme
d'unanimité, dans le sens qu'il n'est pas nécessaire de rechercher
dans la pratique de tout et chacun des Etats composant la commu-
nauté internationale l'adhésion aux valeurs exprimées par la règle
coutumière en question. Il se peut bien qu'un Etat n'ait jamais eu
l'occasion de prendre position au sujet d'un droit ou d'une obliga-
tion qu'on prétend déduire d'une règle coutumière, et cela soit dans
une affaire contentieuse soit à un autre titre. En effet, dans un
passé même récent on avait tendance à considérer suffisant à cette
fin de constater l'adhésion auxdites valeurs des grandes puissances
sans qu'il y eût eu opposition tenace et manifeste de la part du
reste des pays membres de la communauté internationale7.
Cette situation a changé. La conséquence en est que, à l'heure
actuelle, la recherche de la «quantité» de pratique nécessaire et
suffisante pour affirmer la naissance ou la persistance d'une règle
coutumière internationale se présente beaucoup plus difficile.
Tout d'abord, le fait que le nombre des Etats membres de la com-
munauté internationale ait plus que triplé en moins de cinquante
La coutume internationale dans la pratique des Etats 247

ans fait que le nombre des Etats auprès desquels il faut vérifier
l'adhésion aux valeurs exprimées par une règle coutumière ait
énormément augmenté. De plus, on constate une augmentation
incessante des «Etats clés», c'est-à-dire des Etats dont l'opposition
est en mesure de bloquer le processus d'évolution du droit interna-
tional coutumier8.
Mais si le nombre des protagonistes de la vie juridique de la
communauté internationale augmente (et cela comporte, comme
on le verra mieux par la suite, une complexité accrue, même du
point de vue pratique, de toute recherche concernant les compor-
tements des Etats), il est aussi vrai que.les occasions, pour tous les
Etats, de prendre position sur les règles juridiques internationales
générales se multiplient.
Cela est dû essentiellement à deux facteurs qui sont, en large
mesure, convergents. Il s'agit de l'œuvre de codification du droit
international qui a pris une allure très rapide à la suite de l'établis-
sement de l'organe subsidiaire de l'Assemblée générale des Nations
Unies chargé de cette tâche, c'est-à-dire de la Commission du droit
international établie en 1947 en conformité à l'article 13, para-
graphe 1, de la Charte. Il s'agit aussi du fait que la mise sur pied
des règles générales du droit international, qu'elle passe ou non par
l'activité de la Commission du droit international, voit, presque
inévitablement, la participation de l'Assemblée générale des Nations
Unies, organe à compétence générale et indéterminée mais aussi
organe à composition pratiquement universelle. Cela implique que,
ne fût-ce qu'au sein de l'Assemblée générale, tous les Etats ont
l'occasion et parfois sont « forcés » de prendre position sur des prin-
cipes généraux, même dans les cas où la prudence aurait conseillé
de garder une attitude ambiguë et interlocutoire.
Du point de vue de notre recherche ce qui précède implique la
nécessité d'une attention constante aux prises de position des Etats
dans les organes à composition universelle lorsqu'il s'agit de pro-
blèmes généraux du droit international. Mais cette attention ne
doit pas être aveugle. Il nous incombe de cerner les prises de posi-
tions étatiques selon la nature, le texte et le contexte du document
en discussion. Malgré toute apparence, il ne s'agit nullement d'une
œuvre facile.

4. Lorsqu'on parle de «pratique générale» en tant qu'élément


permettant de reconnaître l'existence d'une coutume, on est amené,
248 Luigi Ferrari Bravo

presque inévitablement, à penser à un certain laps de temps, plus


ou moins long, qui serait nécessaire afin que l'on puisse conclure
que la pratique dont il est question est véritablement bien assise.
D'ailleurs, à une époque antérieure à celle de la codification con-
temporaine - une époque, toutefois, qui n'est pas si lointaine - la
recherche sur la généralité de la pratique comportait, nécessaire-
ment, ainsi qu'on l'a déjà dit, la recherche des occasions dans les-
quelles les Etats auraient tenu un comportement conforme à la règle
dont on veut affirmer l'existence. Or, ces occasions se présentant à
des dates éparpillées selon le développement factuel des relations
internationales, il s'ensuivait la nécessité de prendre en considéra-
tion une période de temps assez longue.
Cette exigence, qui s'exprimait par le mot latin diuturnitas appli-
qué à la coutume, est souvent mise en cause par les caractéristiques
des relations internationales contemporaines.
Quoiqu'il existe toujours des règles coutumières qui évoluent
assez lentement (on peut penser, par exemple, aux règles relatives
aux immunités des Etats et de leurs biens), d'autres évoluent de
nos jours beaucoup plus rapidement.
Ici, l'élargissement et la diversification de la communauté inter-
nationale contemporaine ont sans doute leur part car il faut faire
droit, dans les matières où le droit international est d'application
quotidienne, aux instances dont se font porteurs les Etats «nou-
veaux» ainsi que les Etats qui ont transformé radicalement leur
structure socio-politique, et qui ne sont pas disposés à se soumettre
à des règles inspirées par une philosophie politique qu'ils rejettent.
Mais ce n'est pas là le facteur le plus important.
Beaucoup de règles coutumières nouvelles sont plutôt inspirées
par le développement toujours plus rapide de la science et de la
technologie qui comporte un besoin de réglementation juridique
internationale qui se fait sentir parfois même avant la lettre, c'est-
à-dire avant que l'utilisation systématique des technologies nou-
velles soit commencée. Les exemples sont bien connus de tous: la
simple possibilité d'exploitation de l'espace extra-atmosphérique
pour des buts divers et toujours croissants ; celle de l'exploitation
massive des ressources de la mer et des fonds marins à n'importe
quelles profondeur ou distance des côtes ; la possibilité de modifi-
cations importantes de l'environnement terrestre ; celle de mettre
sur ordinateur n'importe quelles données, de les élaborer et de les
transmettre à n'importe quel endroit; les mouvements massifs de
La coutume internationale dans la pratique des Etats 249

personnes issues du déséquilibre du niveau de vie d'un Etat à l'autre ;


tout cela accentue la nécessité d'une réglementation internationale
rapide et efficace.
Il est vrai qu'à la plupart de ces exigences nouvelles on essaie de
parer par la voie de conventions internationales à vocation univer-
selle, mais très souvent ces conventions se veulent comme la mise
par écrit d'un droit qui existe même au-delà de la convention et
qui, dans ses idées maîtresses, dont la convention s'inspire, dépasse
la force obligatoire d'un instrument conventionnel en s'imposant
même aux Etats qui décident de ne pas se lier par la convention.
En plus, il est arrivé que des instances judiciaires internationales
aient été appelées à appliquer une convention in fieri avec la con-
viction que le travail préparatoire de celle-ci avait déjà dégagé des
principes à valeur universelle 9.
Mais il se peut aussi que certaines règles se soient affirmées même
en absence de convention ou bien avant que celle-ci ne soit négociée.
Le noyau juridique qui s'exprime par l'idée de « patrimoine com-
mun de l'humanité » a très probablement précédé ses spécifications
tout en ayant eu, dès le début, une orientation d'application bien
précise qui visait, sans doute et au moins, l'espace extra-atmosphé-
rique et les espaces marins au-delà des limites de la juridiction de
l'Etat côtier10.
A l'égard de tels problèmes, notamment les problèmes de l'espace
extra-atmosphérique, on a lancé une formule désormais célèbre,
celle de la «coutume instantanée» (instant custom) dont l'élément
révélateur pourraient être certaines résolutions de l'Assemblée
générale des Nations Unies, souvent dénommées «déclarations de
principes»11.
Il n'est pas dans notre intention d'apporter une contribution
quelconque à la querelle, toujours très aiguë, concernant la valeur
des déclarations de principes de l'Assemblée générale. D'autant
plus que nous pensons que la question est souvent mal posée12. A
nos fins, il suffit d'avoir rappelé l'indéniable phénomène, important
surtout de nos jours, de la formation rapide de valeurs juridiques
de base (outre l'idée de patrimoine commun de l'humanité on
pourrait citer, par exemple, l'idée d'illégalité de toute domination
coloniale). Or, afin de pouvoir apercevoir l'existence de ces valeurs,
il peut devenir inévitable de tabler sur les occasions auxquelles les
valeurs se sont manifestées. Et les déclarations en question comptent
parmi ces manifestations. Au-delà donc de ce qui pourrait être leur
250 Luigi Ferrari Bravo

place dans l'ensemble des sources formelles du droit international,


elles peuvent, sans doute, être utilisées comme source matérielle,
ou documentaire, de l'attitude des Etats vis-à-vis des valeurs aux-
quelles elles s'inspirent. La pratique qui se forme au sein d'une
organisation internationale entre donc de plein droit, ne fût-ce
qu'aux fins du problème que nous venons de discuter, dans l'op-
tique d'une recherche sur la contribution de la pratique des Etats
à la formation des règles coutumières internationales. Bien entendu,
ce n'est pas à ce seul titre que cette pratique est pertinente à l'éco-
nomie de notre discours.
Une dernière observation est toutefois nécessaire avant de con-
clure nos remarques sur ce point. Il nous paraît évident que le
discours sur la « vitesse » de formation des coutumes se lie à celui
qui précède concernant la «quantité» de pratique nécessaire afin
de reconnaître l'existence d'une règle coutumière internationale.
Or, la synthèse de ces deux aspects ne peut se faire que là où la
communauté internationale est présente tout entière. Ce n'est donc
qu'à l'échelon des institutions à vocation universelle que des phé-
nomènes tels que ceux auxquels nous avons fait allusion peuvent
se manifester. Mais rien n'est facile. Car il faut la plus grande pru-
dence ainsi qu'un sens très aigu de la réalité internationale pour
cerner ce qui est du droit réellement en formation de ce qui n'est
que des déclarations purement politiques, dont la viabilité est tout
à fait éphémère.

5. Il n'est pas impossible qu'en matière de pratique des Etats


pertinente à l'évolution des règles coutumières internationales
l'élément temporel soit mis en relief aussi d'un autre point de vue.
Nous nous référons ici à la possibilité, qui ne peut pas être exclue,
que la dynamique des règles en question soit influencée par des
exigences qui, tout en étant d'une importance extrême, soient, de
par leur nature, à caractère transitoire. Elles pourraient donc causer
l'évolution des règles coutumières, surtout dans le sens de l'efface-
ment de règles préexistantes, quitte à permettre auxdites règles,
une fois disparues les exigences qui en recommandaient la mise de
côté, de reprendre leur vigueur, peut-être sous une forme modifiée
ou simplifiée.
Une telle situation pourrait s'être présentée, en coïncidence avec
le phénomène de la décolonisation, pour ce qui a trait aux règles
coutumières internationales concernant la succession d'Etats. On
La coutume internationale dans la pratique des Etats 251

pourrait penser que le principe de la tabula rasa des obligations


conventionnelles contractées par l'Etat prédécesseur, principe qui
inspire en large mesure les deux conventions des Nations Unies en
la matière (Vienne, 1978 et 1983), soit un principe indissoluble-
ment lié aux problèmes de la décolonisation de manière que, une
fois la décolonisation achevée, les exigences qui étaient à la base
des anciennes règles puissent refaire jour, au moins en partie, et
que, partant, certains aspects de l'ancienne réglementation puissent
être récupérés, peut-être aussi avec l'accord des « nouveaux » Etats,
parmi lesquels on ne peut pas exclure a priori que des phénomènes
de succession «non issus de la décolonisation» se manifestent.
Evidemment, nous ne venons d'exposer qu'une hypothèse, dont
seulement le futur pourra démontrer la plausibilité, mais il nous a
paru opportun de la formuler ici, car elle est susceptible de fournir
une clé de lecture de la pratique qui s'est formée au cours de la
négociation des deux conventions codifïcatoires susmentionnées,
dont la deuxième surtout a été adoptée malgré des oppositions
très nettes de la part d'un groupe important d'Etats13. En d'autres
mots, les divergences d'opinion qui se sont manifestées quant aux
sujets en question pourraient être interprétées non pas comme
l'inexistence d'une pratique conforme aux stipulations des deux
conventions — donc, comme un déni de leur portée innovatrice
vis-à-vis du droit préexistant — mais plutôt comme la manifestation
d'une opinion visant à limiter, ratione temporis strattonemateriae,
la portée des règles nouvelles.

6. Les rapports entre droit coutumier et droit d'origine conven-


tionnelle ont été traditionnellement étudiés du point de vue de la
théorie des sources du droit international. Mais il ne s'agit pas de
la seule optique possible pour cette étude ni, peut-être, de la plus
importante.
La plupart des règles coutumières du droit international étant
dérogeables par les Etats, il est bien connu que très souvent des
traités s'insèrent dans des matières qui, en leur absence, seraient
régies par le droit international coutumier. Or, il peut arriver que,
le traité n'étant pas tout à fait clair sur les points qu'il règle, une
pratique des Etats contractants s'insère pour en acheminer l'inter-
prétation ; et que cette pratique, au demeurant, ne soit pas conforme
au droit coutumier qui, en absence de traité ou en cas de lacunes
de celui-ci, aurait régi la matière. Un tel phénomène, d'ailleurs,
252 Luigi Ferrari Bravo

apparaît conforme à la prévision de l'article 31 de la Convention


de Vienne de 1969 sur le droit des traités là où il est dit qu'aux fins
de l'interprétation
«il sera tenu compte ... b) de toute pratique ultérieurement
suivie dans l'application du traité par lequel il est établi l'ac-
cord des parties à l'égard de l'interprétation du traité».
Il n'est pas exclu que des pratiques en question puissent, petit à
petit, se transformer en des coutumes subcontractuelles ; d'où un
échelonnement des sources des règles coutumières dans un domaine
donné qui s'articulerait dans la direction : coutume -*• traité -*• cou-
tume.
Sans nous livrer à des développements qui pourraient être hors
de propos dans le présent contexte, la possibilité que nous venons
d'évoquer nous semble mériter un peu d'attention à un double
égard. Tout d'abord, parce qu'elle souligne la difficulté de séparer
trop nettement une pratique pertinente au droit coutumier inter-
national d'une pratique qui ne concernerait que l'application d'un
traité. Parfois, l'utilisation de la pratique est, ou peut devenir,
double.
En deuxième lieu, les idées exprimées ci-dessus nous acheminent
vers les cas, en effet très fréquents, où la pratique qui se forme a
trait, plutôt qu'à l'évolution d'une règle à caractère général (dans
le sens d'une règle visant une série indéterminée de cas), à la régle-
mentation d'un cas concret et spécifique. Mais là aussi il se peut que
se forment des entités relevant du droit international coutumier.
L'exemple des baies historiques que même la récente Convention
des Nations Unies sur le droit de la mer, pourtant si détaillée, s'est
abstenue de réglementer, nous paraît pertinent à ce sujet14.
En deux mots, il ne faut pas croire qu'il soit toujours possible
de distinguer clairement entre règle générale (ou abstraite) et situa-
tion juridique, soit-elle valable erga omnes ou seulement au sein
d'un groupe d'Etats déterminé. Les choses sont souvent plus com-
pliquées ; mais ce qui importe, à nos fins, c'est qu'un élément nor-
matif soit présent car ceci justifie la prise en considération, en
fonction de notre discours, de la pratique d'où cet élément se dégage.
Et il nous semble que les développements les plus récents de la
jurisprudence de la Cour internationale de Justice, de plus en plus
orientés vers les caractéristiques du cas concret soumis à sa juridic-
tion, portent, en fin de compte, dans la même direction 1S .
La coutume internationale dans la pratique des Etats 253

7. D'après l'article 38, paragraphe 1, lettre b), du Statut de la


Cour internationale de Justice, la pratique dont il est question aux
fins de la recherche des règles coutumières internationales est une
pratique «acceptée comme étant le droit». On a égard, par ce bout
de phrase, au soi-disant élément psychologique de la coutume, sujet
sur lequel les contributions scientifiques, surtout dans la doctrine
moins récente, sont innombrables.
On va d'un extrême à l'autre. D'une part, la théorie, d'origine
grotienne, selon laquelle la coutume ne serait qu'une convention
tacite (tacita conventio). De l'autre, la thèse d'après laquelle l'élé-
ment psychologique ne serait pas du tout pertinent car, dans le cas
contraire, on serait forcé d'admettre qu'au début de la série de
comportements qui permet la formation d'une règle coutumière
la conviction chez les Etats que le comportement en question est
obligatoire serait tout simplement erronée, la règle n'existant pas
encore16.
Nous ne voulons pas nous livrer à de tels exercices de haute
théorie qui, d'ailleurs, nous semblent tout à fait stériles. Nous nous
bornerons à constater.que, tout au long de l'histoire des relations
juridiques internationales, à chaque occasion où l'on s'est posé la
question de l'existence d'une règle coutumière, les entités concer-
nées (juridictions internationales, Etats, conférences internatio-
nales, organismes internationaux) se sont toujours demandé si, en
tenant un certain comportement, l'Etat en question avait à l'esprit
de se conformer à une obligation internationale et non pas d'accom-
plir un acte libre. D'ailleurs, s'il n'en était pas ainsi on ne saurait
comment distinguer les règles juridiques coutumières des simples
règles d'étiquette ou des engagements d'ordre purement politique.
Il est vrai toutefois que souvent il n'est pas facile de saisir l'élé-
ment psychologique dont il est question. Autant que possible,
les Etats essaient de ne pas se lier les mains et d'éviter de créer des
précédents qui pourraient se retourner contre eux. Mais cela ne
comporte qu'une difficulté de lecture de la pratique des Etats,
difficulté qui, ainsi que le prouve l'histoire des relations juridiques
internationales, n'est pas insurmontable.
Il y a toutefois un élément qu'il faut noter dans ce contexte et
qui se lie à une remarque que nous avons déjà faite plus haut.
L'élément psychologique de la coutume se manifeste lorsqu'on a
l'occasion de tenir un comportement ou lorsqu'on a l'occasion de
prétendre que quelqu'un d'autre tienne le même comportement.
254 Luigi Ferrari Bravo

Selon les circonstances, ceci peut, ou non, arriver dans le contexte


d'un différend. Mais alors une observation purement statistique fait
ressortir que les quelques Etats qui ont le plus de relations interna-
tionales, les Etats qui se trouvent mêlés à toutes, ou presque, les
affaires du monde, sont ceux qui produisent le plus de pratique
pertinente à nos effets. On revient aux grandes puissances, aux
protagonistes de la scène juridique internationale.
Mais la communauté internationale d'aujourd'hui ce n'est plus
la communauté d'antan où cette donnée, ainsi que l'abondance
des sources de connaissance de la pratique d'un nombre restreint
d'Etats, faisait qu'on était forcé de rechercher la pratique perti-
nente aux fins de la formation des coutumes presque seulement
chez les Etats en question. La communauté internationale d'aujour-
d'hui est beaucoup plus vaste et une recherche menée exclusive-
ment auprès de certains Etats ne serait pas satisfaisante.
De cette situation, il en découle une série de conséquences dont,
entre autres, la tendance contemporaine vers la codification du
droit coutumier international, vue comme un moyen de faire parti-
ciper le plus grand nombre possible d'Etats au processus de cristal-
lisation de la règle. Si cette participation est pleinement consciente
ou non, et comment elle se manifeste, c'est une question sur laquelle
nous pourrons revenir par la suite. Mais il nous appartient ici de si-
gnaler, encore une fois, le rôle central que déploie, de nos jours, la
pratique qui se forme au sein des grandes conférences internatio-
nales ainsi qu'au sein des organisations internationales à vocation
universelle, surtout s'il s'agit d'organisations à compétence politique
générale. Car, en effet, celles-ci sont souvent les seuls endroits où,
d'une manière ou de l'autre, la voix de ces pays qui, autrement,
n'auraient vraisemblablement pas l'occasion de participer à la for-
mation des règles coutumières se manifeste. Il en dérive que, dans
une étude consacrée à la contribution de la pratique des Etats à la
formation des règles coutumières internationales, la pratique en
question occupe une place de choix.
La mise en valeur de la pratique qui se forme au sein des instances
internationales universelles (notamment, les Nations Unies) a par-
tant une importance primordiale pour la science du droit interna-
tional si celle-ci veut se montrer réellement moderne en se libérant
de schémas désormais dépassés. D'autre part, il appartient aux
Etats qui participent à ces instances de prendre au sérieux ce qu'il
s'y passe en sachant que des dispositions prises à la légère, en pen-
La coutume internationale dans la pratique des Etats 255 \

sant que, souvent, il ne s'agit pas de se prononcer sur un texte


contraignant, pourraient tôt ou tard se retourner contre eux. Notre
sentiment est que cette simple vérité n'est pas toujours présente à
l'esprit (et cela même au niveau d'Etats importants) et que la coor-
dination de l'action de l'Etat dans les différentes enceintes aux-
quelles il participe et où des problèmes de ce genre se présentent
laisse encore beaucoup à désirer.
Sans doute, l'utilisation de la pratique dés instances internatio-
nales présente des problèmes. Il faut peser les prises de position
des Etats selon différents critères comme celui, déjà mentionné,
du caractère contraignant ou non du document auquel elles s'appli-
quent, ou, ce qui est encore plus difficile, selon la nature, provisoire
ou définitive, du texte pris en considération. A part cela, les néces-
sités pratiques issues du grand nombre de participants auxdites
instances ont engendré le recours croissant à des manifestations
d'opinion faites par groupes d'Etats où il peut être assez difficile
de discerner les attitudes individuelles. Sur ces problèmes et sur les
variantes qu'ils déterminent dans la phénoménologie de la pratique
internationale nous aurons l'occasion de nous exprimer dans les
pages qui suivent17.

8. Dans les paragraphes qui précèdent nous avons essayé d'indi-


quer, quoique d'une façon succincte, les principaux problèmes qui
se présentent lorsqu'on décide d'étudier la contribution de la pra-
tique des Etats à la formation des règles coutumières internationales.
Ce que nous venons de dire devra constituer la toile de fond sur
laquelle se développera notre analyse de la phénoménologie de la
pratique des Etats en espérant que, de cette analyse, on puisse
tirer quelques conclusions.
Mais il convient ici de dire encore quelques mots quant aux buts
d'une recherche sur la pratique des Etats. Au-delà de celui consis-
tant à saisir la contribution que chaque Etat apporte à la dynamique
des coutumes internationales, une telle recherche peut, plus mo-
destement, servir à orienter un juge international ou un autre Etat
sur ce qui pourrait être considéré comme une solution acceptable
d'un différend dans lequel l'Etat dont la pratique est en cause serait
mêlé. En tout cas, et même en dehors d'un différend, une telle
étude peut servir à prévoir la réaction d'un Etat vis-à-vis d'une
prise de position, sur une question juridique quelconque, effectuée
par un autre Etat. Elle peut, enfin, servir pour évaluer, a priori, les
256 Luigi Ferrari Bravo

conséquences d'un changement, par un Etat, de la pratique suivie


antérieurement et cela aux fins, surtout, de parer à des reproches
d'incohérence.
Cela dit, il est facile d'esquisser, ici, le plan de notre recherche.
Nous nous proposons d'examiner en détail les manifestations de la
pratique des Etats (pratique diplomatique, législative, jurisprudence
des tribunaux nationaux, pratique des négociations internationales
et ainsi de suite). Comme nous l'avons déjà dit, une place impor-
tante reviendra à la pratique qui se forme au sein des instances
multilatérales (conférences, organismes internationaux, etc.), ce qui
permettra, entre autres, de discerner la pratique d'un Etat en tant
que membre d'une institution internationale et la pratique de l'ins-
titution en tant que telle. Evidemment, tout cela devra se faire en
ayant constamment à l'esprit la nature et l'objet des entités sur
lesquelles la pratique des Etats se forme et la manière dont elle se
manifeste.
Au cours de notre recherche il nous arrivera de nous pencher
aussi sur la question des sources documentaires de la pratique des
Etats. C'est un problème normalement un peu négligé, mais dont
l'importance nous paraît considérable si l'on veut saisir, d'une façon
équilibrée, l'impact réel de la pratique de chaque Etat aux fins de
la formation des règles générales du droit international.
En un mot, notre recherche visera à répondre à la question:
qu'est-ce que la pratique des Etats dans les relations internationales ?
En effet, ce n'est qu'après avoir essayé de fournir une telle réponse
que l'on pourra se permettre d'en dégager des conséquences d'ordre
plus général qui pourront aussi, le cas échéant, toucher au problème,
si cher aux théoriciens du droit, de la nature juridique de la cou-
tume internationale. Mais si on en arrivera là, on l'aura fait par un
chemin pragmatique et non pas par voie de déduction de principes
«éternels» et donc, par définition, non susceptibles de démons-
tration.

c
257

CHAPITRE II

PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PRATIQUE DES ÉTATS

1. Nous commençons maintenant à répondre à la question que


nous avons posée à la fin du chapitre précédent, à savoir: qu'est-ce
que la pratique des Etats? Toutefois, avant de développer nos
idées, il nous paraît nécessaire de justifier le partage que nous fai-
sons entre ce chapitre et le suivant, en discutant ici d'une façon
générale et non différenciée de la pratique des Etats, tandis que
l'autre chapitre sera consacré à la pratique des Etats dans les rela-
tions multilatérales.
Il est parfois arbitraire de tracer un clivage entre relations bila-
térales et relations multilatérales. En effet, et surtout à l'époque
contemporaine, il arrive souvent qu'un Etat s'adresse à un autre
par l'intermédiaire d'une instance multilatérale (c'est-à-dire, essen-
tiellement d'une organisation internationale) à laquelle les deux
Etats participent. Si un Etat est en guerre avec un autre Etat, ou
si, plus simplement, il ne reconnaît pas cet Etat ou s'il n'a pas avec
lui de relations diplomatiques, il arrive toutefois que le fait d'appar-
tenir tous les deux à une organisation internationale permette un
dialogue indirect (parfois parsemé d'injures) entre les deux Etats18.
Ce phénomène se manifeste notamment dans les organisations à
vocation universelle et à compétence politique générale, comme le
sont de nos jours les Nations Unies. Nous assistons alors à l'envoi à
l'organisation, aux fins de publication sous un point de l'ordre du
jour de ses organes, de documents (parfois sous forme de simples
lettres) qui sont en réalité adressés à un seul autre Etat et qui sou-
vent sont suivis par une réponse parallèle (c'est-à-dire sous la
même forme) de celui-ci. Dans beaucoup de cas lesdits documents
ne demandent pas une action de la part de l'organisation, celle-ci
n'étant que le lieu d'affichage des thèses des deux parties. Dans de
telles situations il nous paraît opportun de classer les documents
en question parmi la pratique des Etats dans les relations bilatérales,
car l'organisation n'y intervient que comme une boîte aux lettres
ou, peut-être, une caisse de résonance des prises de position réci-
proques des Etats.
Mais il est juste de reconnaître que des zones grises persistent. Il
258 Luigi Ferrari Bravo

en est ainsi lorsque les documents en question sont pris en considé-


ration aussi dans le cadre de l'élaboration d'une prise de position
d'un organe de l'organisation. D'ailleurs, dans l'analyse de la pra-
tique des instances internationales multilatérales, il devient de plus
en plus difficile de distinguer entre l'acte de l'instance multilatérale
en tant que telle et ce qui, en réalité, ne représente que l'occasion
pour que des Etats, individuellement pris, manifestent leur attitude
sur telle ou telle autre question. On aura, dans ce dernier cas, des
faisceaux de positions individuelles (deux ou plusieurs, selon les cas)
et l'instance multilatérale n'aura été que le lieu où ces positions se
seront manifestées. On restera donc dans le cadre d'une relation
qui n'est pas vraiment multilatérale19.

2. Une autre remarque liminaire est nécessaire, qui s'applique


aussi bien à l'un qu'à l'autre volet de la pratique des Etats. Dans
notre recherche nous avons affaire à la pratique des Etats relative
à l'évolution des règles coutumières internationales. Mais cela ne
signifie pas que seules les prises de position des Etats concernant
des coutumes soient utilisables à nos fins. On sait très bien, en effet,
que la plupart du droit coutumier international est dérogeable par
voie de traité, donc que beaucoup de traités s'insèrent dans des
matières qui, en leur absence, seraient régies par des règles coutu-
mières internationales. Il est juste, partant, de prendre en considé-
ration, le cas échéant, ces traités, surtout si leur conclusion, la
façon dont les Etats concernés les interprètent et les appliquent,
permet de dégager des tendances non occasionnelles de la pratique
d'un Etat déterminé qui, en tant que telles, puissent servir comme
élément révélateur de l'attitude de l'Etat en question vis-à-vis d'une
règle coutumière du droit international. C'est ce que d'ailleurs fait
normalement la Cour internationale de Justice.
Il va sans dire que parmi la pratique pertinente pour l'économie
de notre recherche il y a celle qui se forme autour des traités de
codification du droit international. La chose est tellement évidente
qu'il n'est pas nécessaire de s'attarder là-dessus. Il est bon toutefois
de remarquer que certains aspects de la codification du droit interna-
tional coutumier sont si intimement liés à la pratique des relations
conventionnelles internationales, que celle-ci devient un élément
indispensable pour saisir l'attitude des Etats vis-à-vis de la règle
coutumière en question. Nous pensons ici surtout aux problèmes
des clauses de la nation la plus favorisée où la règle coutumière
La coutume internationale dans la pratique des Etats 259

(pourvu qu'elle existe) est non seulement dérogeable par volonté


contraire des Etats contractants, mais elle est aussi dans une certaine
mesure secondaire vis-à-vis du traité. Cela pour la simple raison que
la question du contenu de ladite règle ne se pose que s'il y a un
traité qui contient la clause de la nation la plus favorisée. On est
ici sur le plan du droit international coutumier supplétif.

3. Dans l'évolution de la pratique des Etats il faut avoir toujours


à l'esprit la complexité de l'Etat moderne et, par conséquent, la
façon dont le pouvoir étatique est distribué à l'intérieur de l'Etat.
Surtout dans les pays occidentaux, dont les systèmes juridiques
se sont inspirés des idéologies libérales et pluralistes, toute une série
d'organes étatiques sont parfois souverains l'un vis-à-vis de l'autre,
dans le sens qu'il n'y a pas une hiérarchie qui culmine, au sommet,
en dépositaire ultime de la souveraineté.
Or, chacun de ces organes souverains et réciproquement indépen-
dants est parfois en contact avec les règles du droit international
qui s'adressent à l'Etat auquel il appartient. Bon nombre des obli-
gations internationales de l'Etat ne sont pas, quant à leur gestion,
du ressort exclusif de l'administration des Affaires étrangères. Le
pouvoir judiciaire réclame sa part, en toute souveraineté, par
exemple, dans la matière de l'immunité de juridiction des Etats
étrangers et de leurs agents diplomatiques et consulaires. La même
situation se produit, dans maints Etats fédéraux, comme le Canada,
pour ce qui concerne les prérogatives des pouvoirs locaux vis-à-vis
du gouvernement central. Et l'on pourrait continuer.
Cette question, qui n'est pas nouvelle, a été étudiée jusqu'ici
surtout du point de vue de la responsabilité des Etats et même,
récemment, la Commission du droit international des Nations
Unies a réaffirmé, sous la suggestion de son rapporteur spécial,
M. Ago, la règle classique selon laquelle la responsabilité de l'Etat
(un peu comme la République française) est une et indivisible20.
Cela implique que l'Etat répond des violations du droit internatio-
nal commises par ses organes, même dans les cas où, d'après le
système constitutionnel, l'administration des Affaires étrangères
n'était pas en mesure d'empêcher la commission de l'acte illicite.
Mais si, du point de vue de la responsabilité, l'Etat doit être
considéré comme un bloc unitaire, il n'en reste pas moins que son
activité dans les relations internationales connaît souvent la parti-
cipation d'organes étatiques divers. Par conséquent, si l'on se penche
260 Luigi Ferrari Bravo

sur la pratique de l'Etat en tant que moteur du dynamisme du droit


coutumier international, il serait erroné de s'arrêter à l'examen de
la pratique des organes qui sont chargés uniquement de la gestion
des affaires internationales. Il faut, au contraire (bien entendu sans
exagérer), faire la place qui lui revient aussi à l'activité d'autres
organes (législatifs, judiciaires, administratifs) si, pour une raison
quelconque, ils ont, en fait, joué un rôle déterminant dans l'orien-
tation de la pratique de l'Etat auquel ils appartiennent. On voit donc
que, encore une fois, il est en réalité impossible de séparer totale-
ment l'aspect international de l'aspect national des problèmes.
Pour se convaincre de la véracité de ce que nous venons de dire,
qu'il suffise de rappeler la disparition, qui eut lieu au cours de la
première moitié du XIXe siècle, de l'ancienne règle coutumière
internationale concernant l'obligation de ratifier les traités signés
par les plénipotentiaires dans le respect des instructions qu'ils
avaient reçues aux fins de la négociation21. Nul doute que l'évolu-
tion de cette règle coutumière a dû être la conséquence de la pression
des assemblées parlementaires qui réclamaient leur part dans la
gestion des affaires internationales, suite à la substitution de l'Etat
libéral à l'Ancien Régime. Ici, la pratique qui se formait au sein des
assemblées législatives mit hors jeu les intérêts du pouvoir exécutif
et se répercuta sur l'attitude de l'Etat tout entier à l'égard d'une
règle coutumière internationale. Il serait donc impossible de com-
prendre la dynamique du droit des traités sur le point ici évoqué
sans tenir compte d'une pratique qui n'a pas eu comme protago-
niste le pouvoir exécutif. Et, ajoutons-nous, cette conclusion reste
vraie pour ce qui concerne l'interaction entre droit international et
droit national dans la conclusion des traités, malgré le compromis
(d'ailleurs obscur et, en fin de compte, boiteux) que représente
l'article 46 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités.
Nos remarques ne coïncident pas avec l'orientation de la doctrine
positiviste qui a beaucoup influencé la pensée juridique au cours
de la première moitié du XXe siècle. En effet cette doctrine avait
tendance à privilégier, en tant que pratique des Etats pertinente
aux fins du droit international, les attitudes prises par les organes
de l'Etat spécialement habilités à la gestion des relations interna-
tionales, notamment la correspondance diplomatique 22 . Cela, mal-
gré l'ouverture vers d'autres sources nationales de documentation
qui est faite (pour ce qui concerne la jurisprudence nationale) à
La coutume internationale dans la pratique des Etats 261

l'article 38, paragraphe 1, lettre d), du Statut de la Cour interna-


tionale de Justice.
Cette doctrine, inspirée de la conception hégélienne de la volonté
de l'Etat, ne correspond plus aux exigences contemporaines. D'ail-
leurs, si le système des relations internationales doit être fondé sur
le principe de la bonne foi, un problème important devient celui
de la prévisibilité du comportement de l'Etat, ce qui soulève la
question de la recherche d'un certain degré de stabilité de la pra-
tique de l'Etat en question. Mais la stabilité, à son tour, n'est que
le point d'équilibre et de convergence d'opinion entre les pouvoirs
qui forment la structure de l'Etat, telle qu'elle existe réellement,
même au-delà de l'interprétation littérale de sa constitution. On
voit donc l'importance d'étudier, en plus des manifestations de la
pratique qui étaient chères à la doctrine positiviste, aussi d'autres
éléments pour s'assurer de l'adhésion stable et fiable des Etats aux
valeurs juridiques en discussion.

4. Ayant présent à l'esprit tous les développements qui précèdent,


nous pouvons maintenant énoncer le concept général que nous
prenons comme base de travail.
Par pratique des Etats nous entendons, au cours de la présente
recherche, tout comportement d'un Etat qui soit révélateur d'une
attitude consciente de celui-ci vis-à-vis d'une règle de droit interna-
tional ou d'une situation juridique internationale. Ces comporte-
ments émaneront d'habitude des organes de relations internationales
des Etats. Mais il ne s'agira là que d'une simple constatation d'ordre
statistique. En effet, aucun organe appartenant au contexte éta-
tique ne peut être exclu a priori de l'optique de notre recherche.
Et encore, même des comportements qui n'émanent pas d'un or-
gane spécifique de l'Etat ou de ses subdivisions pourraient, à la
rigueur, entrer en ligne de compte, pourvu qu'il soit possible de dire
que l'Etat s'y reconnaît dans ses relations avec d'autres Etats23.
Sur la base de cette prémisse nous allons développer notre ana-
lyse de la phénoménologie de la pratique des Etats. Aux seules fins
de la clarté de notre discours, nous allons classer la pratique, dans
l'ordre, dans les catégories suivantes : pratique diplomatique ; légis-
lation ; jurisprudence ; pratique administrative. Mais, en conformité
avec ce qui précède, il n'est nullement exclu que, dans un cas dé-
terminé, la pratique pertinente d'un Etat puisse se manifester sous
262 Luigi Ferrari Bravo

une forme qui ne corresponde à aucune des catégories mentionnées


ci-dessus.

5. Par pratique diplomatique on doit comprendre une pluralité


d'entités. Il est question tout d'abord de la correspondance diplo-
matique adressée à des Etats étrangers. Dans cette catégorie, il
peut s'agir de documents formés par le gouvernement d'un Etat et
adressés au représentant diplomatique d'une puissance étrangère
accrédité auprès de cet Etat. Il peut s'agir au contraire de documents
que les représentants diplomatiques accrédités auprès d'un Etat
adressent, sur instructions, au gouvernement de celui-ci.
Les documents en question, qui peuvent avoir des dénominations
diverses (notes diplomatiques, signées ou paraphées, notes verbales,
aide-mémoire ou, tout simplement, lettres) peuvent, le cas échéant,
être l'objet d'un échange et, partant, dans certains cas, ils peuvent
constituer un accord international conçu justement sous la forme
d'un échange de notes. Dans ce dernier cas la partie des documents
constituant l'accord aura, normalement, un contenu identique 24 .
La correspondance diplomatique dont nous venons de parler et
qui, de par sa nature, est destinée à un Etat étranger, est à classer
au premier rang parmi les sources documentaires qui permettent
de se former une opinion quant à l'attitude d'un Etat vis-à-vis
d'un problème juridique déterminé. A cet égard, il faut remarquer
que, d'habitude, les Etats essaient de ne pas aborder une question
juridique d'un point de vue abstrait et général, de ne pas, s'il est
possible, en faire une question de principe; mais plutôt d'axer leurs
prises de position sur les exigences du cas d'espèce en mettant en
relief les aspects principaux de celui-ci qui les intéressent. Cela, bien
entendu, tout en ayant à l'esprit les principes juridiques auxquels
ils se considèrent comme fidèles.
Mais les principes juridiques en question restent souvent comme
une toile de fond que l'interlocuteur n'aperçoit pas toujours très
clairement, car l'Etat qui s'y tient n'a pas toujours intérêt à se
lier les mains à l'égard d'un point de droit que son interlocuteur
(ou d'autres Etats) pourrait lui rétorquer dans d'autres futures
occasions et non déterminables à l'avance. Il en découle qu'il est
parfois assez difficile de tirer, des notes diplomatiques ou, en géné-
ral, de la correspondance diplomatique, des conclusions d'ordre
général sur l'attitude d'un Etat vis-à-vis des règles juridiques qui
sont en cause dans l'affaire qui est l'objet de ladite correspondance
La coutume internationale dans la pratique des Etats 263

diplomatique. Quoi qu'il en soit, il reste que les entités que nous
venons de mentionner sont les éléments classiques de la pratique
des Etats qui relève du point de vue de la recherche de la dyna-
mique des coutumes internationales.

6. Ainsi qu'on l'a remarqué plus haut on assiste de plus en plus,


de nos jours, à des échanges de correspondance diplomatique entre
Etats qui se font au sein d'une organisation internationale dont les
Etats intéressés sont membres. Cela peut arriver en coïncidence
avec la pathologie des relations internationales, c'est-à-dire quand
les Etats qui échangent des prises de position n'ont pas de relations
diplomatiques normales ou n'en ont pas du tout. Mais cela peut
arriver aussi lorsque des relations normales existent, si les Etats en
question jugent bon de porter leur échange de vues à la connaissance
des autres membres de l'organisation internationale en question ou
de celle-ci en tant que telle. Il se peut que ce phénomène soit lié à
l'existence ou à la possibilité de développement d'un différend, mais
il peut se présenter même en dehors de celui-ci. Bref, et comme on
l'a remarqué plus haut, il arrive assez souvent que les Etats décident
de se servir de l'organisation comme caisse de résonance de leurs
thèses respectives.
La correspondance diplomatique en question prend normalement
la forme d'une note que le représentant permanent d'un Etat auprès
d'une organisation internationale adresse au plus haut fonctionnaire
de l'organisation (secrétaire général, directeur général, etc., selon
les cas) afin que celui-ci fasse circuler parmi les Etats membres la
note en tant que document de l'organisation. A part cela, la forme
que prend le document ne diffère pas de celle des notes échangées
entre gouvernements. Seule chose à remarquer, c'est que le desti-
nataire de la note normalement n'y répond pas. Parfois, mais assez
rarement, il se borne à en accuser réception. Cela confirme qu'il
s'agit en réalité d'un destinataire apparent, donc plutôt d'un inter-
médiaire.
Les détails procéduraux d'une telle pratique, qui peuvent varier
selon les règles procédurales propres à chaque organisation, ne
nous intéressent pas ici. Il convient plutôt de rappeler que les do-
cuments en question peuvent, selon les cas, comporter ou ne pas
comporter la saisine d'un organe de l'organisation afin qu'il exerce
les pouvoirs qui lui appartiennent selon le statut de l'organisation
elle-même25. Si la réponse est affirmative, on peut parfois se trou-
264 Luigi Ferrari Bravo

ver devant un document qui relève d'un double titre : en tant que
manifestation d'opinion d'un Etat dans ses rapports individuels
avec d'autres Etats, et en tant qu'acte régi par le droit interne de
l'organisation. Mais, jusqu'à ce niveau de pénétration dans le sys-
tème de l'organisation, cette situation n'a pas de conséquences aux
fins de notre discours. En effet on est encore sur le plan des relations
interétatiques non structurées.
Pour s'en tenir au cadre des Nations Unies, qui sont l'organisation
où de pareilles situations se présentent le plus souvent, il s'avère que
les Etats sont libres, dans la pratique, de demander au Secrétaire
général la publication de n'importe quel document sur n'importe
quel point de l'ordre du jour soit de l'Assemblée générale soit du
Conseil de sécurité. Evidemment, si le but de l'envoi du document
est aussi de saisir l'un des deux organes, l'Etat envoyeur pourra, s'il
le juge bon, demander en outre l'inscription à l'ordre du jour d'un
point nouveau26.
Si la circulation du document est assurée sous un point déjà
existant de l'ordre du jour, le choix de celui-ci est parfois un indice
qui peut avoir son importance pour interpréter la manifestation
d'opinion de l'Etat qui s'exprime dans le document dont on de-
mande la publication 27 . De ce point de vue-là elle peut être mise
en relief aux fins de la présente étude, étant donné la liaison qui,
de ce fait, s'établit avec d'autres documents afférents au même
point, notamment les prises de position de l'organe de l'organisa-
tion adoptées sous ce même point de l'ordre du jour dans le passé,
ainsi que les débats qui les ont précédées. On a dans ces cas un
contexte dans lequel le document en question vient s'insérer, ce
qui peut avoir une influence sur l'interprétation de celui-ci même
lorsque la demande de publication n'est pas accompagnée, ou
suivie, par le début d'un débat sur les circonstances, de fait ou de
droit, énoncées dans le document dont il est question.

7. Tout le monde sait que les secrétariats des grandes organisa-


tions internationales exercent les fonctions de dépositaires des plus
importants traités multilatéraux. En outre, d'après l'article 102 de
la Charte tout traité devrait être enregistré auprès de l'Organisation
des Nations Unies.
Les fonctions en question impliquent la gestion de bon nombre
de documents concernant les traités : instruments de ratification,
La coutume internationale dans la pratique des Etats 265

d'acceptation, d'adhésion, d'approvai, réserves, objections à celles-


ci, déclarations interprétatives et ainsi de suite.
La quasi-totalité des documents reçus par les secrétariats dans le
cadre des fonctions susmentionnées n'intéresse pas notre recherche,
qui porte sur la contribution de la pratique des Etats à l'évolution
des règles internationales coutumières et non pas du droit issu des
traités. Mais, puisque même dans leurs fonctions de dépositaires
des traités les secrétariats deviennent, de plus en plus, des boîtes
aux lettres dépourvues du pouvoir de refuser de recevoir les docu-
ments qui leur sont présentés, il arrive que, parmi les déclarations
afférentes à la gestion des traités qu'ils reçoivent, il y en ait qui,
tout en se liant à la stipulation d'un traité déterminé, sont plutôt
l'expression d'une position de l'Etat dont elles émanent vis-à-vis
d'une règle de droit international général. Sous cette optique ces
déclarations sont pertinentes pour notre recherche.
Nous nous référons ici, par exemple, aux déclarations par les-
quelles des Etats contestent le droit d'un gouvernement de stipuler
un traité au nom de l'Etat qu'il prétend représenter. Cela arrive
lorsque deux (ou plusieurs) gouvernements se disputent le droit de
représenter légitimement un Etat et donc prétendent stipuler des
traités en son nom. Deux décennies de l'histoire récente ont été
occupées par la célèbre question des «deux Chines», tandis qu'à
l'époque actuelle il y a celle des deux gouvernements du Cambodge.
Et les exemples pourraient se multiplier. Or, si, comme dans le cas
du Cambodge, des Etats contestent, par une note adressée au
Secrétariat de l'Organisation des Nations Unies, le droit de l'un ou
de l'autre gouvernement de signer — ou de ratifier — au nom du
Cambodge, nous sommes en effet en présence de prises de position
d'Etats qui élèvent la contestation à l'égard non pas d'une règle
conventionnelle, mais de règles de droit international concernant
l'identité de l'Etat et les caractéristiques que doit posséder un
gouvernement pour s'exprimer en son nom. En d'autres mots, on
se situe dans le domaine des règles concernant l'Etat comme sujet
du droit international. Cette pratique est, sans aucun doute, perti-
nente à notre discours et, en plus, il s'agit de la pratique unilatérale
d'un Etat et non pas de la pratique de l'organisation, qui se borne
à recevoir et à diffuser de tels documents ainsi que, le cas échéant,
les contre-objections des Etats qui, au contraire, considèrent légi-
time l'acte de stipulation contesté.
Le même raisonnement s'applique dans les cas où la contestation
266 Luigi Ferrari Bravo

concerne le droit d'un Etat de déclarer que le traité qu'il vient de


stipuler s'appliquera à un territoire que d'autres Etats ne consi-
dèrent pas comme soumis à sa souveraineté. Lesfichiersdes Nations
Unies sont pleins d'objections (et contre-objections) à l'application
à Berlin-Ouest de traités stipulés par la République fédérale d'Alle-
magne. Ici, encore une fois, la question n'a rien à voir avec les
règles issues des traités en question, mais plutôt elle a trait aux
règles coutumières, concernant l'étendue de la souveraineté terri-
toriale.
On pourrait encore mentionner certaines objections (des pays de
l'Europe de l'Est) à la stipulation de traités par les Communautés
européennes qui, d'après l'opinion dominante dans lesdits pays,
n'auraient pas une personnalité internationale séparée de celle de
leurs Etats membres.
Les exemples pourraient se multiplier28. Mais nous nous arrête-
rons ici car pour notre but il nous suffit d'avoir montré que l'examen
de la documentation diplomatique concernant la formation des
traités peut ne pas être sans intérêt aux fins de la recherche des
attitudes des Etats à l'égard des règles coutumières du droit inter-
national et cela abstraction faite de l'importance que, aux mêmes
fins, peut avoir, dans des cas déterminés, le contenu d'un traité.
Il serait erroné, à notre avis, de considérer les prises de position
que nous venons de mentionner en tant qu'actes assimilables aux
réserves apposées aux traités. En effet, une réserve ne peut que
concerner le contenu du traité auquel elle se réfère, tandis qu'ici
on est en présence d'une entité juridique qui reste à l'extérieur du
traité. Le traité n'est que l'occasion pour qu'un Etat manifeste son
attitude à propos d'une règle du droit international général qui est
en jeu dans le processus de stipulation de celui-ci.
On est d'ailleurs aussi en dehors du droit de l'organisation inter-
nationale dépositaire du traité car celle-ci n'exerce — ni, probable-
ment, n'aurait le droit d'exercer — aucun contrôle de légitimité sur
les déclarations dont elle est la destinataire.

8. Il n'y a pas d'identité entre correspondance diplomatique et


pratique diplomatique car cette dernière peut se manifester même
par d'autres moyens. Parmi ceux qui ne consistent pas dans l'envoi
d'une communication à un Etat étranger ou à une organisation
internationale, une place grandissante est prise, à l'heure actuelle,
par ce qu'on pourrait appeler la diplomatie par mass media : décla-
La coutume internationale dans la pratique des Etats 267

ration, ou interview, à la presse, à la radio, aux chaînes de télévision.


Il peut s'agir, évidemment, soit des organes d'information du pays
dont la déclaration émane, soit des mass media d'un autre pays (sou-
vent ceux du pays qui est le véritable destinataire de la déclaration).
Cette habitude, qui est d'origine américaine (et qui remonte à
l'idée de la « diplomatie ouverte » dont se fit le porte-parole le pré-
sident Wilson), s'est de nos jours diffusée partout dans le monde.
La plupart des prises de position importantes en matière de désar-
mement sont, tôt ou tard, rendues publiques, souvent avec beau-
coup de bruit et avec organisation, au préalable, du cadre le plus
approprié pour leur assurer une audience la plus vaste possible. Les
déclarations finales — conjointes ou non — à l'issue d'une rencontre
de quelque importance abondent et sont en effet devenues le pain
quotidien de l'information sur les affaires internationales.
Cela s'applique aussi aux prises de position politiques concernant
des sujets qui ont un aspect juridique prépondérant. Pour ne donner
qu'un seul exemple, on peut rappeler que la phase finale de la
troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer a été
marquée du côté américain par bon nombre de ces déclarations
accompagnant le revirement soudain de l'attitude des Etats-Unis
vis-à-vis de la Conférence qui s'est produit à la suite de l'élection
du président Reagan29. En effet, dans les deux dernières années de
la Conférence (1981 et 1982), c'était plutôt à la presse qu'aux
autres délégations de la Conférence que les Etats-Unis réservaient
le privilège de connaître en premier les attitudes nouvelles du Gou-
vernement de Washington et les autres participants à la Conférence
devaient parfois se fonder plutôt sur les journaux que sur les procès-
verbaux des séances. Il en reste tout de même que les véritables
destinataires de ces déclarations étaient, malgré tout, les Etats par-
ticipant à la Conférence dont on voulait forcer l'attitude vers des
compromis plus favorables aux intérêts des Etats-Unis. En somme,
en brûlant les ponts derrière eux par des déclarations publiées au
grand jour, les Etats-Unis essayaient de tester la capacité de résis-
tance des autres Etats participant à la Conférence.
Sans doute, de telles déclarations rentrent, dans la mesure où
elles touchent à des problèmes juridiques, dans l'optique de la
présente étude. Il faut toutefois souligner que la diplomatie par
mass media doit être étudiée avec la plus grande prudence car il
peut souvent s'agir de déclarations faites à l'usage de l'opinion pu-
blique nationale et non pas des gouvernements étrangers.
268 Luigi Ferrari Bravo

Ceci vaut surtout lorsqu'on prétend utiliser de telles déclarations


dans le cadre d'un différend bien déterminé opposant deux (ou
plusieurs) Etats. Ceci vaut encore plus si l'usage en question se fait
pour une affaire portée devant une instance judiciaire internationale.
Notre référence ici est claire. Nous pensons aux fameuses affaires
des Essais nucléaires portées devant la Cour internationale de Justice
par l'Australie et par la Nouvelle-Zélande, qui s'étaient faites par-
ties demanderesses vis-à-vis de la France 30 . La voie choisie par la
Cour pour se dessaisir des affaires sans toucher à la question soule-
vée par le Gouvernement français appelle de notre part les réserves
les plus amples. La Cour, en effet, a cru pouvoir déduire de certaines
déclarations faites à la presse par le président de la République
française, M. Giscard d'Estaing, ainsi que par d'autres déclarations
rendues par le ministre des Affaires étrangères et par le ministre de
la Défense français (déclarations selon lesquelles les essais nucléaires
dans l'atmosphère dont se plaignaient les Gouvernements australien
et néo-zélandais n'étaient plus nécessaires et ne seraient plus pour-
suivis), que ces déclarations comportaient un engagement de la
France vis-à-vis de la communauté internationale. D'où la conclu-
sion que les deux différends dont la Cour était saisie étaient devenus
sans objet.
La prémisse du raisonnement de la Cour prête à de sérieuses
critiques car la lecture des déclarations en question ne semble pas
permettre la conclusion que la Cour en a tirée. Les déclarations
dont il est question n'avaient pas de destinataire et, ce qui plus est,
ne semblaient pas en vouloir. Aucun passage de leur texte ne semble
montrer l'intention de prendre un engagement quelconque vis-à-vis
de qui que ce soit ni, par ailleurs, ne semble impliquer l'acceptation
de l'existence d'une règle juridique dans la matière ou la volonté
de créer une situation juridique ayant des effets obligatoires. Par
conséquent, la Cour aurait dû, à notre avis, aborder la question
juridique, quitte à arriver, probablement à juste titre, à la même
conclusion négative, quant à la possibilité de poursuivre l'examen
des affaires, à laquelle elle est parvenue par la voie, assez douteuse,
qu'elle a suivie.
En conclusion, les éléments dont il a été question dans ce para-
graphe peuvent, dans des circonstances appropriées, constituer des
éléments de la pratique diplomatique des Etats. Mais, compte tenu
de la façon peu orthodoxe dans laquelle ils se manifestent, la plus
grande prudence est requise dans leur évaluation. En d'autres mots,
La coutume internationale dans la pratique des Etats 269

il faut s'assurer, au-delà de tout doute raisonnable, que les déclara-


tions en question impliquent une volonté de prise de position, à
l'égard d'Etats étrangers, sur un point de droit. Cela peut résulter
même de circonstances de contour comme, par exemple, la commu-
nication du texte à une instance internationale ou la discussion de
la déclaration au sein de celle-ci sans que l'Etat dont la déclaration
émane y fasse objection. Si, au contraire, cette preuve des inten-
tions de l'Etat déclarant ne peut pas être fournie, les déclarations
en question peuvent, au plus, être évaluées comme des indices
d'une ligne de tendance qui demande à être confirmée par d'autres
éléments plus substantiels.

9. Les prises de position des représentants des Etats ne naissent


pas dans le vide. Surtout lorsqu'il ne s'agit pas des organes suprêmes
de l'action internationale de l'Etat (chefs d'Etat, chefs de gou-
vernement, ministre des Affaires étrangères), la déclaration d'un
représentant de l'Etat est faite normalement sur instructions, ce
qui parfois est dit clairement dans le contexte de la déclaration
elle-même. Cela dit, quel est le poids qu'il faut donner, dans une
recherche sur la pratique d'un Etat déterminé, aux instructions
reçues par les représentants de celui-ci?
Il arrive rarement que les instructions soient officiellement dé-
voilées à la partie à l'égard de laquelle une déclaration est émise.
Cela n'arrivait même pas à l'époque, désormais très lointaine, où la
question des instructions revêtait une certaine importance à propos
de la règle, déjà rappelée, selon laquelle un souverain était tenu de
ratifier un traité signé par son plénipotentiaire dans le respect des
instructions reçues31. En effet, dans les rares controverses qui se
présentèrent là-dessus, la question fut plutôt visée en tant que pro-
blème de bonne foi, à savoir de la confiance qu'avait inspirée à
l'autre partenaire la conduite des négociations par un plénipoten-
tiaire, confiance dans le fait que celui-ci eût respecté les instructions
reçues de son souverain32.
Mais, à part cette pratique très ancienne, on voit mal comment
des instructions non portées à la connaissance de l'autre partie
pourraient avoir un relief quelconque dans l'appréciation, politique
ou juridique, des conséquences d'une déclaration d'un représentant
d'un Etat. Dans la plupart des cas, elles restent des interna corporis
de l'Etat dont elles émanent; des entités qui intéressent plutôt
l'historien que le juriste.
270 Luigi Ferrari Bravo

Il faut dire toutefois que s'il s'agit d'instructions de caractère


général, émises au début d'une négociation d'une certaine ampleur
(par exemple une conférence internationale), elles peuvent devenir
intéressantes du point de vue d'une recherche comme la nôtre, dans
la mesure où elles coïncident avec les déclarations concernant ladite
négociation émises, au début de celle-ci, par les autorités suprêmes
de l'Etat et rendues publiques. Mais alors ce n'est que d'une façon
déguisée que les instructions entrent en ligne de compte.
De toute manière, il est important de remarquer que la diplomatie
contemporaine connaît un déclin de plus en plus marqué des ins-
tructions formelles, c'est-à-dire des instructions émises par écrit.
La diffusion de nouveaux moyens de communication fait ainsi qu'il
est possible de suivre, de la capitale, et minute par minute, une né-
gociation même compliquée et lointaine et de donner, si besoin en
est, des instructions purement orales. En effet, l'histoire des rela-
tions internationales, ainsi que le juriste qui veut se servir de la
documentation diplomatique, aura de plus en plus de mal, dans le
futur, à retracer les instructions réellement données aux plénipo-
tentiaires car, à la différence de ce qui arrivait à des époques moins
récentes, il ne trouvera presque rien dans les archives. Il faudra donc,
de plus en plus, tabler uniquement sur le texte des déclarations
effectivement émises. D'ailleurs, l'abondance de ces déclarations,
surtout à l'époque de la diplomatie multilatérale, et le fait que l'on
doit présumer qu'on en ait informé au préalable les autorités cen-
trales agissent un peu comme un contrepoids en augmentant leur
importance ainsi qu'en pénalisant les Etats qui s'expriment à la
légère.
Il faut toutefois dire que, si des instructions écrites existent, et
si, d'autre part, elles sont publiées dans un délai raisonnable, ces
éléments peuvent avoir de l'importance aux fins de l'interprétation
d'une prise de position ambiguë ou, plus en général, pour la recons-
truction des lignes de tendance de l'attitude d'un Etat à l'égard d'un
problème juridique.
Des remarques similaires s'appliquent pour ce qui concerne
les avis des conseillers juridiques qui ont été parfois, comme au
Royaume-Uni, l'objet de publications ad hoc, d'ailleurs fort inté-
ressantes33.
Ici le juriste, ne fût-ce que par complicité de métier, est souvent
tenté de donner à ces documents une importance disproportionnée.
Les avis des conseillers juridiques — à ne pas confondre avec les
La coutume internationale dans la pratique des Etats 271

plaidoiries dans un procès international — sont, peut-être encore


plus que les instructions, des interna corporis, d'autant plus que
souvent ils ne sont pas suivis. Si on veut donc en faire usage dans
une recherche sur la pratique des Etats concernant le droit interna-
tional, il faut d'abord vérifier soigneusement s'ils ont eu un écho
véritable dans les prises de position de l'Etat vis-à-vis des puissances
étrangères. Peu importe, à cet égard, que le raisonnement juridique
contenu dans l'avis soit réitéré ou non dans la prise de position
officielle : ce qui est nécessaire c'est que cette prise de position soit
essentiellement conforme à l'avis et que l'on puisse démontrer
qu'elle fut inspirée par celui-ci. Preuve qui n'est pas toujours facile,
étant donné que, comme on l'a déjà remarqué, les Etats en général
s'abstiennent, dans leurs déclarations officielles, de raisonnements
juridiques trop développés qui pourraient, on ne sait jamais, se
retourner un jour contre leurs auteurs.
La question de la valeur à attribuer aux avis des conseillers juri-
diques mérite encore quelques mots. Il arrive souvent que, une fois
une question soumise aux conseillers juridiques, la conclusion que
ceux-ci en tirent soit qu'il ne faut entreprendre aucune action. Si
l'avis est suivi, le résultat c'est le silence. Or, peut-on attribuer au
silence une signification quelconque quant à l'attitude d'un Etat
vis-à-vis d'un problème juridique qui s'est posé à lui?
Dans la plupart des cas, et pour des raisons d'ordre pratique, la
réponse sera négative. Mais il s'agit là plutôt d'une impossibilité de
preuve que d'un obstacle d'ordre logique. Il se peut toutefois que,
lorsqu'une question du même genre se présentera de nouveau,
l'attitude prise par l'Etat sur cette nouvelle question puisse jeter de
la lumière sur le silence gardé à l'occasion précédente en permettant
d'utiliser, aux fins de la recherche, l'avis rendu en son temps par
les conseillers juridiques.

10. Si la plus grande prudence s'impose pour ce qui concerne les


entités dont on vient de parler, le contraire est vrai lorsqu'un Etat
proclame, avec tout le poids de sa puissance, une déclaration géné-
rale de politique étrangère qui touche à des problèmes juridiques.
L'histoire des relations internationales des Etats-Unis d'Amérique
est particulièrement riche là-dessus. De la doctrine Monroe à la\
doctrine Stimson, de la doctrine Truman à la doctrine Eisenhower,
etc., toute une série de déclarations générales ont été proclamées
qui avaient un impact sur des problèmes juridiques importants.
272 Luigi Ferrari Bravo

Ainsi la question de la reconnaissance d'Etats et de gouvernements


et celle des conséquences du recours à la force sont profondément
touchées par la doctrine Stimson, qui se trouve en effet à la base
d'importantes évolutions de la pratique internationale sur ces
deux problèmes 34 .
La proclamation des déclarations générales en question n'est pas
un privilège du Gouvernement de Washington. On trouve des entités
similaires dans la pratique d'autres Etats, comme l'Union soviétique
ou la République fédérale d'Allemagne pour ne citer que les
exemples les plus fameux35. Ces proclamations peuvent prendre
des formes diverses. Il peut s'agir d'une communication adressée à
d'autres Etats mais il peut s'agir d'une prise de position confiée à
un moyen de communication de masse. Dans ces cas la déclaration
s'adresse à l'opinion publique internationale, y compris les gouver-
nements étrangers.
A plus forte raison sont pertinentes aux fins de notre discours
les déclarations de politique juridique qu'on trouve parfois chez
certains Etats. Encore une fois les Etats-Unis nous fournissent des
exemples importants.
On peut citer, à ce titre, la fameuse Tate letter, c'est-à-dire la
lettre, datée du 19 mai 1952, officiellement adressée parle conseiller
juridique ad interim du département d'Etat américain au ministre
de la Justice du même pays, lettre par la suite publiée et par laquelle
le département de la Justice était informé que, à partir de la date de
la lettre elle-même, et compte tenu de l'évolution du droit inter-
national en matière d'immunité de juridiction des Etats, le départe-
ment d'Etat américain n'aurait plus invoqué la règle de l'immunité
dans toute une série de situations, ce qui équivalait à se rallier à une
thèse proche de celle de l'immunité restreinte des Etats soutenue
notamment dans les jurisprudences belge et italienne. Le but de la
Tate letter était, de toute évidence, d'influencer la pratique des
tribunaux des Etats-Unis en ce qui concerne l'immunité réclamée
par des Etats étrangers, but atteint dans une très large mesure. Cela
d'autre part a permis en 1976 au Congrès des Etats-Unis d'adopter
le Foreign Sovereign Immunities Act qui a finalement consacré au
niveau législatif la conception plus restrictive de la règle de l'immu-
nité des Etats étrangers qui s'était affirmée dans les tribunaux amé-
ricains à la suite de la Tate letter36.
La forme prise par la Tate letter s'explique par le fait que la
question de l'immunité de juridiction des Etats étrangers est une
La coutume internationale dans la pratique des Etats 273

question de droit international qui est gérée surtout au niveau des


rapports entre pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire. Mais le fait
que la lettre fut publiée au bulletin officiel du département d'Etat
lui donne un caractère de note circulaire aux Etats avec lesquels les
Etats-Unis entretenaient des relations.
En général, les déclarations d'acceptation de la juridiction obliga-
toire de la Cour internationale de Justice (article 36, paragraphe 2,
du Statut) ne rentrent pas dans l'optique de notre recherche. Il se
peut toutefois que d'après leur contenu elles soient une manifesta-
tion de l'opinion de l'Etat dont elles émanent vis-à-vis d'un pro-
blème réglé par le droit international général. Ainsi le fait de se
réserver le droit souverain de décider si une requête touche ou non
au domaine réservé, par l'Etat acceptant la juridiction, à sa compé-
tence exclusive, a un impact sur la question (régie par le droit inter-
national général) de savoir si la Cour est (et, en cas affirmatif, dans
quelle mesure) maîtresse de juger de sa propre juridiction (le soi-
disant principe de la Kompetenz-Kompetenz)31.

11. Avant de terminer sur la pratique diplomatique des Etats, il


faut dire quelques mots sur des situations dans lesquelles les cher-
cheurs qui se penchent sur cette pratique pourraient, malgré toute
leur bonne volonté, être égarés.
Il faut d'abord attirer l'attention sur ce que nous nous permettons
d'appeler, par une expression peut-être un peu forte et dont nous
nous excusons à l'avance auprès du lecteur, les documents bidons.
Il s'agit ici de documents qui sont créés dans le seul but de parer
à une conséquence d'une défaite diplomatique possible. Ils servent
à leur auteur pour lui permettre de dire : «Je vous avais prévenus. »
Mais, en réalité, ces documents n'ont été d'aucun guide pour l'ac-
tion diplomatique.
A ce sujet nous nous permettons de renvoyer nos lecteurs à des
remarques très pertinentes faites par un expert réputé des relations
internationales, M. Kissinger. Dans ses mémoires, l'ancien secrétaire
d'Etat américain écrit ce qui suit :
«When an historian deals with previous centuries, the prob-
lem is to find sufficient contemporary material ; when he writes
of modern diplomacy, the problem is to avoid being inundated
by it. . . . The written record would by its very volume obs-
cure as it illuminated ; it would provide no criteria for deter-
274 Luigi Ferrari Bravo

mining which documents were produced to provide an alibi


and which genuinely guided decisions, which reflected actual
participation and which were prepared in ignorance of crucial
events . . . By a selective presentation of documents one can
prove almost anything. Contemporary practices of unauthor-
ized or liberalized disclosure come close to ensuring that every
document is written with an eye to self-protection. The jour-
nalist's gain is the historian's loss. »38

La citation de M. Kissinger n'appelle pas de commentaire, sauf,


ce qui d'ailleurs est évident, d'inviter à la plus grande prudence
dans l'évaluation de la portée réelle des sources documentaires.
Le deuxième point qu'il convient de souligner ici concerne des
documents qui contiennent des développements juridiques impor-
tants mais qui, pourtant, sont fondés sur des circonstances de fait
qui se révèlent, par la suite, erronées.
Là aussi les Etats-Unis nous offrent un exemple pertinent cons-
titué par un fameux pamphlet publié vers la fin des années soixante
par le département d'Etat américain et intitulé The Legality of
United States Participation in the Defense of Viet Nam39. Les
thèses juridiques développées dans ce document étaient fort inté-
ressantes, mais un des points de départ, ainsi que l'histoire l'a dé-
montré plus tard, était faux parce qu'il était constitué par le célèbre
incident du golfe du Tonkin sur lequel les documents publiés
quelques années plus tard ont permis d'arriver à la conclusion que
l'attaque contre les navires américains qui avait été à la base de la
riposte contre le Viet Nam en 1964 n'avait probablement pas eu
lieu.
Faut-il considérer le document en question comme non pertinent
aux fins de la recherche des attitudes des Etats-Unis vis-à-vis des
problèmes juridiques qui y sont soulevés? Nous ne le croyons pas.
Sans compter que les auteurs du document ne connaissaient pro-
bablement pas, au moment de sa rédaction, qu'une de ses bases de
fait était erronée, il en reste que ce document a représenté l'exposé
officiel de la position des Etats-Unis sur des sujets fondamentaux
du droit international tels que celui de la légitime défense ou, plus
en général, des cas où le recours à la force serait licite. Et ces thèses,
nous paraît-il, sont tout à fait indépendantes des circonstances de
fait qui ont permis de les exposer. Il s'agit donc d'un véritable pré-
cédent pertinent à la recherche sur les sujets auxquels il se réfère.
La coutume internationale dans la pratique des Etats 275

12. On a déjà remarqué qu'une étude sur la contribution de la


pratique des Etats à l'évolution des règles coutumières internatio-
nales ne peut pas passer totalement sous silence la question de la
participation d'un Etat à des systèmes de règles conventionnelles,
car ce dernier fait est souvent un indice de l'attitude du même Etat
vis-à-vis du droit coutumier. Cela s'applique aussi bien si le système
conventionnel a pour but la codification du droit international en
la matière que si la convention veut tout simplement déroger au
droit coutumier existant. Dans ce dernier cas, il est en effet possible
que la stipulation répétée par un Etat de conventions qui dérogent
aux règles coutumières régissant la matière qu'elles couvrent per-
mette de conclure que l'Etat en question ne sent plus d'attachement
pour ces règles. Cela peut alors dégager une pratique qui, si elle se
poursuit pendant un laps de temps approprié, peut permettre de
conclure que l'Etat auquel elle appartient ne partage plus Vopinio
juris quant au contenu (ou à l'existence) de la règle coutumière en
question.
Quelques exemples peuvent illustrer nos affirmations. On sait
très bien que, pendant presque deux siècles, le Royaume-Uni a été
indiqué comme le champion de la thèse selon laquelle les Etats
jouissent de l'immunité absolue de la juridiction d'autres Etats.
Cette attitude vient de changer. Or, pour percevoir la nouvelle
attitude des autorités britanniques, il n'est pas suffisant de se bor-
ner à l'examen de la jurisprudence des tribunaux anglais. On doit
faire état de la nouvelle législation britannique ainsi que du fait que
le Gouvernement de Londres ait signé et ratifié certaines conven-
tions qui s'inspirent d'une philosophie incompatible avec les règles
de l'immunité absolue, telles que la Convention de Bàie de 1972
conclue sous les auspices du Conseil de l'Europe. Les opinions
exprimées au nom du Gouvernement britannique sur la codifica-
tion en cours en la matière de la juridiction des Etats ne font que
confirmer ce que nous venons de dire40.
Dans une certaine mesure il en est de même pour ce qui concerne
la matière des nationalisations des biens étrangers. Le fait que des
Etats nationaux des personnes (physiques ou morales) auxquelles
appartenaient les entreprises nationalisées n'aient pas insisté sur la
trilogie classique de la compensation «prompte, adéquate and
effective», mais qu'ils se soient contentés, par voie d'accord inter-
gouvernemental, de sommes forfaitaires (en stipulant les soi-disant
lump-sum agreements) est, au moins, une preuve de l'infléchisse-
276 Luigi Ferrari Bravo

ment de leur opinion quant à la validité de l'ancienne règle. Un in-


fléchissement, bien entendu, et non pas un abandon, car les mêmes
Etats peuvent avoir stipulé, en même temps ou plus récemment,
d'autres accords qui contiennent les trois critères d'indemnisation
susmentionnés41.
Ce qui précède est confirmé par le souci qu'en d'autres instances
les Etats prennent soin de mettre bien au clair que la stipulation
d'un traité qui, en soi, serait incompatible avec une situation relevant
du droit international coutumier (existant ou prétendu existant)
est sans préjudice des droits dont ils pourraient se réclamer sur cette
base. L'exemple classique ici est l'article 4 du Traité de Washington
du 1er décembre 1959 sur l'Antarctique : les parties contractantes y
réservent expressément tout droit, toute revendication ou tout titre
qu'elles pourraient avoir sur le continent ou sur ses parties.
Le même souci explique, très souvent, la difficulté qu'on éprouve
dans la rédaction des préambules des traités, là où il est indiqué le
contexte dans lequel l'instrument conventionnel s'insère. En effet,
le préambule est souvent invoqué comme élément d'interprétation
du traité.
Enfin, le désir de ne pas toucher au contenu d'une règle de droit
international général peut amener les Etats à s'abstenir même de
conclure un traité qui en aurait le même objet, et encore que ce
traité soit répétitif de la règle en question. Car, dit-on, on pourrait
penser que le fait de rédiger un traité là-dessus pourrait être inter-
prété comme une manifestation de doute quant à la vigueur de la
règle qui serait l'objet du traité. Ceci a de l'importance surtout s'il
s'agit d'une règle de jus cogens. Ainsi, si l'on reconnaît ce caractère
au principe du non-recours à la force dans les relations internatio-
nales et si l'on pense que l'article 2, paragraphe 4, de la Charte des
Nations Unies n'est que le reflet d'une règle juridique de jus cogens
qui existerait même au-delà de la Charte, on comprend mieux l'ar-
gument principal avancé par les pays occidentaux pour s'opposer,
jusqu'ici, à la rédaction d'un traité en la matière, ainsi que le pro-
pose, inlassablement, l'Union soviétique depuis 1976 42 .

13. De semblables remarques s'appliquent à des entités qu'on


pourrait définir paraconventionnelles car, s'il ne s'agit pas de traités,
il s'agit toutefois de quelque chose qui n'équivaut pas à un simple
faisceau de prises de position unilatérales comme ce pourrait être
le cas, par exemple, d'un communiqué conjoint issu à l'occasion
La coutume internationale dans la pratique des Etats 277

d'une rencontre de chefs d'Etat, de chefs de gouvernement ou de


ministres des affaires étrangères.
Nous parlons ici des prétendues déclarations communes, assez
fréquentes, par exemple, à l'occasion des rencontres périodiques
des représentants suprêmes d'un certain groupe d'Etats. Ainsi, il
nous semble opportun de citer la Déclaration de Bonn de 1978
issue à la suite du sommet des sept pays occidentaux les plus indus-
trialisés et qui prenait position (en envisageant même des mesures
concrètes) sur la question des comportements d'Etats qui seraient
en mesure de mettre en danger la sécurité de l'aviation civile inter-
nationale43.
L'intensité normative des déclarations communes peut varier
beaucoup. Peut-être, l'entité qui, tout en n'étant pas un traité, est
la plus proche de celui-ci est constituée jusqu'ici par l'Acte d'Hel-
sinki du 1er août 1975, issu de la Conférence sur la sécurité et la
coopération en Europe. Ce n'est pas par hasard si, en allemand, on
parle de Vereinbarung, en utilisant un mot qui exprime une valeur
normative très intense. D'ailleurs il serait difficile de nier que l'Acte
d'Helsinki (et les documents qui l'ont suivi au sein du processus
de la CSCE) ne représente pas un élément de la plus haute impor-
tance aux fins de la reconstruction de l'attitude des Etats qui l'ont
signé à l'égard des très importants principes du droit international
qui y sont évoqués44.

14. Il convient de dire maintenant quelques mots sur la pratique


parlementaire en tant qu'élément, souvent non négligeable, de la
pratique des Etats dans les relations internationales. Cette pratique
est normalement plus facilement accessible que la pratique diplo-
matique, car les comptes rendus des débats parlementaires sont —
à quelques exceptions près — publiés dans des délais assez courts
et souvent dans leur intégralité.
De toute évidence, la pratique parlementaire des Etats est im-
portante si un organe parlementaire existe (ce qui dépend de la
constitution «vivante» de chaque Etat), si celui-ci s'occupe de
relations internationales et, ce qui plus est, si l'organe parlemen-
taire se diversifie, par sa composition politique, du gouvernement
de l'Etat en question. Si, au contraire, il y a identité politique
entre gouvernement et parlement — ce qui arrive dans les Etats
où une seule entité politique, soit-elle un parti unique ou une autre
coalition unitaire de forces sociales, exprime tant le gouvernement
278 Luigi Ferrari Bravo

que l'organe parlementaire dans sa totalité - la pratique parlemen-


taire ne se différencie pas de la pratique diplomatique exprimée
par le gouvernement et, par conséquent, elle ne présente pas, en
tant que telle, de l'intérêt aux fins de notre recherche.
En d'autres mots, on ne peut parler de pratique parlementaire
intéressant les relations internationales que chez les Etats à système
démocratique pluraliste. Il ne s'agit pas, ce disant, de faire l'éloge
desdits Etats, mais simplement de constater un fait, en tant que
prémisse des développements qui suivent.
La pratique parlementaire dont il est question ici peut se déve-
lopper à l'occasion de la discussion, par le parlement, d'actes de
législation concernant les relations internationales (lois de ratifica-
tion de traités, autres mesures législatives dans les matières régies
par le droit international) ; mais elle peut aussi bien se manifester
en dehors de tout acte de législation dans l'exercice par le parlement
de l'activité de contrôle des agissements du pouvoir exécutif. Son
but, dans ce dernier cas, c'est d'orienter les agissements en question
ou, le cas échéant, d'en corriger l'orientation.
La pratique parlementaire consiste, avant tout, de débats qui, à
côté des membres du parlement, ont pour protagonistes les membres
de l'exécutif eux-mêmes (qui peuvent, bien entendu, et selon les
différents systèmes constitutionnels, revêtir aussi la double qualité
de membres de l'exécutif et de membres du parlement). On aura
donc les interventions, dans les débats parlementaires, des premiers
ministres, des ministres des affaires étrangères, d'autres ministres
pouvant avoir, plus ou moins exceptionnellement, des compétences
internationales, d'autres porte-parole du gouvernement, et ainsi de
suite. L'ensemble constitué par les prises de position de ces entités,
d'une part, et la réaction de l'assemblée, de l'autre, constitue la
partie essentielle de la pratique parlementaire.
A part ce qu'on vient de mentionner, il ne faut pas oublier, tou-
tefois, les prises de position des personnes, membres du parlement,
qui, tout en n'étant pas aussi membres de l'exécutif, parlent, dans
telle ou telle autre occasion, au nom de la majorité parlementaire
qui soutient le cabinet au pouvoir; ainsi que le débat qui s'instaure
là-dessus. La phénoménologie en est diverse et cela varie non seu-
lement d'un Etat à l'autre, mais aussi, au sein du même Etat,
selon les circonstances. Il n'est donc pas nécessaire de donner des
exemples.
A part les actes de législation dont on parlera séparément, la
La coutume internationale dans la pratique des Etats 279

volonté du parlement se manifeste par l'adoption de résolutions


(ou de notions) dont le cabinet est censé normalement tenir compte
dans son activité (ici, les relations internationales). Peu importe si,
pour des raisons qui relèvent de l'organisation du parlement, elles
soient adoptées par l'assemblée plénière ou par des comités du par-
lement. Il se peut aussi que des déclarations du gouvernement, issues
à la suite d'interrogations, ou plus simplement de la demande d'un
débat en matière de politique étrangère, ne soient pas suivies par
l'adoption d'une motion ou d'une résolution.
Les entités dont on vient de parler font, dans leur ensemble,
partie de la pratique d'un Etat pertinente, le cas échéant, aux rela-
tions juridiques internationales. A ce titre, d'ailleurs, des extraits
des débats parlementaires concernant ces relations sont souvent
publiés dans des revues spécialisées en droit international, à côté
de la pratique diplomatique des Etats. De plus, dans certains pays,
les réponses données par le gouvernement au parlement sont pu-
bliées au journal officiel, donc au même endroit où l'on publie les
actes de législation.
De par sa nature, la pratique parlementaire a donc de fortes
ressemblances avec la pratique diplomatique. Faut-il en conclure,
dès lors, que les deux catégories se réduisent à une seule et qu'un
Etat étranger peut tabler sur la pratique parlementaire dans la
même mesure qu'il le ferait s'agissant d'une note diplomatique qui
lui serait adressée?
Cette conclusion nous paraît excessive. En effet, tout en étant
un élément important de la pratique internationale des Etats, la
pratique parlementaire est, beaucoup plus que d'autres catégories,
influencée par des considérations d'ordre politique national. A bien
y regarder, elle n'est pas destinée en soi à servir de moyen de com-
munication avec les Etats étrangers, ce qui fait que souvent on exa-
gère, devant le parlement, certains aspects d'une affaire internatio-
nale en en passant presque sous silence d'autres qui en soi semblent
également importants. Et cela, pour des raisons de politique interne.
Bien entendu, les exceptions existent, mais, en général, le degré de
fiabilité de la pratique parlementaire (à part les actes de législation)
est moins élevé que celui de la pratique diplomatique au sens strict
du mot.
En définitif, on se trouve ici dans une situation qui ressemble à
celle, déjà analysée, des déclarations rendues à la presse ou, en
général, aux mass media. Comme dans ce dernier cas, il faut cerner
280 Luigi Ferrari Bravo

soigneusement ce qui sert à un usage purement interne de ce qui


contient des messages adressés aux Etats étrangers. C'est sur la base
de cette distinction qu'il faut retenir ce que, de bonne foi, un Etat
étranger est autorisé à considérer comme un élément de l'attitude
de l'autre Etat vis-à-vis du problème concerné par l'action menée
au sein du parlement 45 .

15. Aussi bien la jurisprudence du droit international que la


doctrine se sont toujours accordées à attribuer à la législation na-
tionale une place fondamentale comme élément révélateur de la
pratique des Etats. La chose va de soi, étant donné que les autorités
administratives ou politiques de l'Etat, dont font partie les organes
des relations internationales, sont censées respecter les lois du pays
auquel elles appartiennent. De ce point de vue là, on pourrait dire
qu'un acte de législation dans un domaine relevant du droit inter-
national représente le degré le plus élevé de la pratique de l'Etat
dont il émane.
Ainsi qu'on l'a remarqué plus haut la législation est autre chose
que la pratique parlementaire. La législation peut émaner du parle-
ment directement ou indirectement, et selon les systèmes constitu-
tionnels des différents pays, mais, une fois adoptée, elle représente
la prise de position de l'Etat tout entier, tandis que la pratique
parlementaire reste, même lorsqu'elle se manifeste à l'occasion du
processus de formation d'un acte législatif, l'expression du dialogue
entre les forces politiques présentes à l'intérieur du pays et repré-
sentées au parlement.
Les domaines dans lesquels des actes de législation concourent à
former la pratique des Etats dans des matières régies par des règles
de droit international coutumier sont très divers. On peut citer des
aspects importants du droit de la mer, comme celui de la détermi-
nation de l'ampleur de la mer territoriale, ainsi que celui de la dé-
termination des lignes de base à partir desquelles on mesure ladite
ampleur. On peut citer aussi la matière des immunités de juridiction
ou des mesures d'exécution à l'égard des Etats étrangers, de leurs
représentants et de leurs biens; ou le droit de la guerre, terrestre,
maritime, aérienne ; ou la matière de l'acquisition et de la perte de
la nationalité; ou celle de la condition des étrangers, et ainsi de
suite.
Les actes de législation en question sont parfois la traduction de
règles générales du droit international et le contenu de ces dernières
La coutume internationale dans la pratique des Etats 281

est perçu par l'Etat dont la législation émane. Traduction qui est
souvent nécessaire, comme c'est le cas du droit de la guerre, car la
règle du droit international demande à être appliquée par une série
assez vaste d'organes étatiques qui ne sont pas des organes spécialisés
en droit international. Pour qu'elle soit applicable exactement, la
règle du droit international demande alors d'être soigneusement
spécifiée par un acte législatif46.
Mais à d'autres occasions l'acte de législation est la manifestation
d'une intention innovatrice. Sans doute, le fait que dans les années
récentes un nombre toujours croissant d'Etats ait adopté des me-
sures législatives visant à élargir l'ampleur de la mer territoriale
jusqu'à la limite de 12 milles (et parfois au-delà) a été un facteur
fondamental pour que la communauté internationale tout entière
reconnaisse la validité internationale de la nouvelle limite maxi-
male de la mer territoriale ainsi qu'il ressort de l'article 3 de la
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer47 ; une disposi-
tion que l'on s'accorde à considérer comme correspondant à l'état
actuel du droit international coutumier. Et cela s'applique aussi
pour d'autres innovations contenues dans la même convention.
Evidemment, l'orientation dominante de la législation des Etats
dans des matières régies par le droit international coutumier n'est
pas, à elle seule, la preuve du contenu desdites règles. D'autres
facteurs doivent concourir, tels que, le cas échéant, des prises de
position dans le même sens d'organes, surtout judiciaires, interna-
tionaux ou, plus encore, l'acquiescement progressif d'Etats autres
que ceux dont la législation émane. Cet acquiescement peut de-
mander à être démontré par l'absence, ou par l'assouplissement
progressif, d'oppositions, ou par d'autres indices. De ce point de
vue-là, reste toujours valable, à notre avis, le célèbre passage de
l'arrêt de la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire
du vapeur Lotus, là où il est dit que la concordance des actes légis-
latifs (et de la jurisprudence) nationaux ne suffit pas en soi pour
justifier l'existence d'une règle coutumière de droit international ;
il faut vérifier l'existence aussi d'autres éléments et notamment de
l'élément psychologique de la coutume, c'est-à-dire et pour ce qui
concerne les Etats qui adoptent les pratiques législatives (ou judi-
ciaires) en question, la conviction chez lesdits Etats de se conformer
par cela à une obligation internationale48.
D'après les caractères propres à chaque système constitutionnel,
la législation nationale connaît des articulations très variées. A
282 Luigi Ferrari Bravo
f

partir du niveau législatif suprème, qui est représenté par la consti-


tution de l'Etat, on peut avoir une série, même très vaste, d'actes
de nature législative mais qui ne sont pas nécessairement appelés
«lois». D'ailleurs, la force normative respective de ces actes varie
selon l'ordonnancement hiérarchique des sources législatives des
différents pays. Toute tentative de classement, dans le présent
contexte, serait inutile et, en définitive, impossible.
Ce qui, au contraire, il convient de remarquer ici, c'est que sou-
vent la pratique législative des Etats dans les matières régies par le
droit international général peut se référer aussi à des cas d'espèce
et non pas à une série indéterminée et indéterminable de situations
qui pourraient se présenter à l'avenir. Si l'on prend, par exemple, la
matière des nationalisations de biens étrangers, ou celle des contrats
d'investissement avec des capitaux étrangers, on constate que ces
questions, tout en étant concernées par des règles du droit interna-
tional coutumières ou conventionnelles, sont souvent l'objet, au
niveau étatique, de mesures législatives touchant à des cas d'espèce ;
de ce que, en latin, on appelle lex singularis. Pour ne citer qu'un
seul exemple qu'il suffise de rappeler la nationalisation de la Com-
pagnie universelle du Canal de Suez décidée par la loi égyptienne
n° 365 du 26 juillet 1956. Quant aux grands contrats d'investisse-
ment, ils sont souvent approuvés par une loi du pays où l'investisse-
ment aura lieu. Or, si cela est vrai, l'on comprend mieux une des
raisons pour lesquelles, malgré les réticences des juristes anglo-
saxons, la Commission du droit international des Nations Unies a
cru bon d'insérer, dans son projet d'articles sur la responsabilité
des Etats, un article 20 qui admet la possibilité qu'un Etat soit tenu
responsable d'avoir commis un acte illicite par le seul fait d'avoir
édicté (ou de ne pas avoir édicté) une mesure législative49.
L'activité législative des Etats étant très variée même du point
de vue des buts qu'elle se propose, il est parfois difficile de tracer la
frontière entre ladite activité et celle qui est plus proprement une
activité administrative. On a mentionné tout à l'heure des exemples
de mesures législatives prises pour accomplir des actes (comme
l'approbation d'un contrat) qui semblent plutôt relever de la caté-
gorie des actes d'administration. Mais l'inverse existe aussi, c'est-
à-dire que des formes juridiques normalement réservées aux actes
d'administration peuvent, en l'occurrence, contenir des prises de
position de caractère paralégislatif ou, de toute manière, d'ordre
général.
La coutume internationale dans la pratique des Etats 283

Prenons par exemple les circulaires. Il arrive souvent que par voie
de circulaire administrative un Etat prenne position sur des sujets
comme les impôts (ainsi que les critères pour leur calcul) auxquels
pourraient être soumis des agents diplomatiques ou consulaires ou
des fonctionnaires internationaux. Il en est de même pour ce qui
concerne les obligations découlant de la législation nationale en
matière de travail et/ou de sécurité sociale auxquelles pourraient
être soumis des Etats étrangers, des organisations internationales
ou les agents (diplomatiques ou non) de ces entités lorsqu'ils em-
bauchent du personnel non diplomatique résidant dans l'Etat.
Dans toutes ces matières la pratique des Etats pertinente aux fins
de notre recherche consiste souvent et presque exclusivement
dans ces circulaires qui tantôt se veulent comme des éléments
d'interprétation de textes législatifs nationaux, tantôt sont indé-
pendantes de ceux-ci. En conclusion, il y a donc toute une zone
grise entre la pratique législative et la pratique administrative de
l'Etat, une zone qui est pourtant importante aux fins de savoir ce
que sont, globalement, les comportements des Etats pertinents à
une recherche sur la contribution des Etats à l'évolution du droit
international coutumier50.
Cette situation a d'ailleurs de l'importance du point de vue de la
mise en œuvre des prises de position en question. Il est évident, en
effet, que les tribunaux du pays ne se sentiront pas liés par des
actes édictés par voie non législative de la même manière qu'ils se
sentiraient liés s'il s'agissait de véritables actes de législation.
Pour ce qui concerne les éléments de la pratique des Etats que
nous venons de mentionner, ainsi que, plus en général, pour ce qui
est de la pratique administrative des Etats, l'autre remarque qu'il
nous paraît opportun de formuler ici c'est qu'il est souvent très
difficile, pour un observateur étranger, de retenir les prises de po-
sition pertinentes. A la différence de la législation les entités en
question ne sont pas toujours publiées systématiquement, même
dans des pays importants. Ceci peut soulever des problèmes. Par
exemple, lorsqu'il est question de vérifier, à l'occasion d'un diffé-
rend international, l'épuisement 'effectif des voies internes de re-
cours avant de faire heu à l'exercice de la protection diplomatique.

16. Avant de terminer l'analyse de la phénoménologie de la pra-


tique des Etats il faut se pencher sur la jurisprudence nationale en
tant qu'élément de cette pratique.
284 Luigi Ferrari Bravo

La jurisprudence nationale, on le sait, est mentionnée à l'ar-


ticle 38, paragraphe 1, lettre d), du Statut de la Cour internationale
de Justice, qui autorise la Cour à la prendre en considération en tant
que «moyen auxiliaire de détermination des règles de droit». Cette
disposition garde toute sa logique car, dans tous les pays du monde,
les décisions des organes judiciaires, lorsqu'elles sont devenues dé-
finitives, s'imposent aux entités (personnes physiques ou morales,
de droit privé ou de droit public, organes de l'Etat et ainsi de suite)
vis-à-vis desquelles elles ont été rendues. D'ailleurs, la puissance
publique est dans l'obligation d'assurer le respect des décisions
judiciaires.
De l'impuissance de l'Etat pour ne pas faire exécuter un juge-
ment définitif de ses propres tribunaux dérive, ainsi que tout le
monde le sait, la fameuse théorie de la responsabilité de l'Etat à
cause des comportements de ses organes judiciaires, lorsque ceux-ci
ont appliqué de façon erronée une règle de droit international. Il
en dérive aussi, et inversement, la règle bien connue de l'épuisement
préalable des voies internes de recours.
Mais, si cela est vrai, il en dérive aussi, et peut-être à plus forte
raison, l'apport de la jurisprudence nationale à la formation de la
pratique de l'Etat aussi lorsque celle-ci est visée du point de vue
de la dynamique des règles du droit international. Cette « poussée »
vers le changement du contenu d'une règle de droit international
général, qui, ainsi qu'on l'a déjà remarqué, peut-être provoquée par
une orientation législative innovatrice, peut aussi se manifester par
des tendances de plus en plus stables des jurisprudences nationales
qui finissent pour orienter l'action des gouvernements. De ce point
de vue-là, il n'y a pas, à nos fins, de différence entre législation et
jurisprudence quant à l'effet que leurs orientations peuvent
produire sur'le dynamisme des règles internationales. L'une et
l'autre peuvent produire les mêmes effets et l'une et l'autre peuvent
se manifester à l'égard des mêmes sujets, peut-être selon une
séquence chronologique qui voit la jurisprudence, parfois, précéder
la législation. Il arrive aussi, d'ailleurs, que les sujets abordés par la
jurisprudence soient autres que ceux investis par des actes de légis-
lation; il s'agit ici seulement d'un calcul des probabilités qui
touche au contenu de la règle internationale qui, dans chacune des
occasions, est en question. Il ne s'agit donc pas d'une différence
fonctionnelle.
L'articulation de la jurisprudence nationale dépend de la structure
La coutume internationale dans la pratique des Etats 285

constitutionnelle de chaque pays. Ceux qui possèdent des cours


constitutionnelles (ou cours suprêmes) ont aussi l'expérience d'une
jurisprudence qui peut, le cas échéant, même abroger des lois ou
leur donner une interprétation contraignante pour tous. Ces remèdes
judiciaires peuvent, à l'occasion, aussi servir à assurer un meilleur
respect du droit international à l'intérieur de l'Etat, ou bien, à
l'autre extrême, proclamer l'incompatibilité entre une règle inter-
nationale et la constitution de l'Etat.
A part la jurisprudence des cours constitutionnelles, les décisions
judiciaires des principaux pays sont riches de références au droit
international. Il peut s'agir de décisions de tribunaux civils, admi-
nistratifs ou jugeant au criminel. La distinction entre les différentes
juridictions n'a, en soi, aucune importance pour notre étude, quitte
à mentionner la situation des juridictions administratives françaises
où l'interprétation d'un traité international liant la France, telle que
fournie par l'exécutif, s'impose51. Aussi, mérite d'être mentionné
le cas, jusqu'ici unique, de l'interaction entre jurisprudence natio-
nale et jurisprudence internationale qui se produit dans la Commu-
nauté européenne par le biais de l'article 177 du traité CEE. Il est
possible — et en effet, dans le cas du GATT, il est même arrivé —
que l'interprétation donnée par la Cour de Luxembourg à une règle
de droit international ayant un impact sur le droit de la Commu-
nauté se répercute sur les juridictions nationales de tous les Etats
membres de la Communauté en devenant un élément d'orientation
de la jurisprudence de celle-ci et, par cet intermédiaire, de la pra-
tique des Etats52.
La jurisprudence nationale en matière de droit international est
normalement publiée dans des revues spécialisées. Elle est donc
facilement accessible.
Mais le problème le plus épineux en matière de jurisprudence
c'est comment en faire lecture. Il est en effet indispensable, pour
ne pas surévaluer certaines prises de position qui risquent de pro-
duire des réactions en chaîne, de séparer soigneusement les opinions
qui sont vraiment à la base de la décision du cas d'espèce, de ce
que les Anglais qualifient d'obiter dicta, c'est-à-dire des affirma-
tions qui ne sont pas indispensables à l'économie de l'arrêt.
Dans une certaine mesure cette recherche est la plupart du temps
confiée à la sensibilité du lecteur. Ses résultats d'ailleurs dépendent
beaucoup du style de la jurisprudence examinée qui, selon les pays,
est plus ou moins concise dans ses décisions. Encore, faut-il se mé-
286 Luigi Ferrari Bravo

fier des prétendues maximes de jurisprudence établies tantôt par


des institutions officielles (comme le service des maximes de la
Cour de cassation d'Italie), tantôt par les rédacteurs des revues qui
publient des décisions jurisprudentielles. Rien, en effet, ne peut se
substituer à une lecture attentive de la jurisprudence, soit-elle na-
tionale ou internationale.
Il faut dire toutefois que des pratiques qui ressemblent à celles
des maximes peuvent acquérir, en fait, de l'autorité lorsque les
tendances qui se dégagent de la jurisprudence sont présentées,
comme il arrive aux Etats-Unis, sous la forme de restatement.
L'autorité scientifique de ces publications peut devenir, en effet,
une autorité juridique.
Il serait oiseux de s'atteler sur la liste des questions de droit
international qui peuvent faire l'objet de la jurisprudence nationale
d'autant plus qu'on ne peut pas faire d'exclusion a priori, mais plu-
tôt des évaluations fondées sur la probabilité qu'une question soit
portée devant un juge national. Il est clair que la probabilité est plus
forte lorsqu'il s'agit de règles matérielles du droit international
coutumier qui peuvent empiéter plus directement sur des situations
juridiques (de droit interne) concernant des particuliers. Mais, nous
le répétons, il ne s'agit nullement d'une règle absolue.
Il convient plutôt de dire quelques mots quant aux rapports
entre manifestations de la jurisprudence nationale et différends
internationaux. A cet égard il faut noter qu'il est rare que la juris-
prudence nationale en matière de droit international se forme à
l'occasion de l'éclatement d'un différend international. Plus sou-
vent, elle en est le préalable et ceci lorsque le différend éclate jus-
tement à cause de l'impossibilité d'obtenir ce qu'on prétend être
son droit par la voie de l'intervention des autorités judiciaires du
pays concerné.
Toutefois, il arrive aussi que la jurisprudence nationale accom-
pagne un différend international dont elle peut compliquer ou fa-
ciliter la solution selon les cas. Nous songeons ici, par exemple,
aux différends qui ont opposé les Etats-Unis à Cuba au sujet des
nationalisations cubaines décrétées après l'avènement au pouvoir
de Fidel Castro. Ces différends ont été accompagnés par des affaires
judiciaires très connues, notamment l'affaire Sabbatino, qui a eu
une influence remarquable sur le développement de la pensée juri-
dique américaine (y compris la pensée officielle) sur des points de
droit international importants, tels que la doctrine de la souverai-
La coutume internationale dans la pratique des Etats 287

neté (the act of State doctrine)53. On peut aussi songer aux sé-
quelles judiciaires, à l'échelon national, de la prise d'otages améri-
cains à Téhéran en novembre 1979 au vu des mesures de rétorsion
adoptées par le Gouvernement des Etats-Unis et des contre-mesures
iraniennes54.
Une dernière remarque qui a trait, à bien y regarder, à la façon
de «lire» la jurisprudence nationale, concerne l'optique dans la-
quelle celle-ci se situe. De toute évidence cette optique est celle du
litige entre les parties en justice, alors que les soucis concernant la
position internationale des Etats et la responsabilité que l'Etat
pourrait encourir à cause des prises de position de ses juges restent
souvent à l'arrière-plan. On en a eu quelques exemples dans la
matière des relations commerciales d'entreprises occidentales opé-
rant en Afrique du Sud et de l'impact des condamnations de la
politique d'apartheid pratiquée par le Gouvernement sud-africain
sur la valeur juridique des actes accomplis par les entreprises en
question.
288

CHAPITRE III

LA PRATIQUE DES ÉTATS


DANS LES RELATIONS MULTILATÉRALES

l.On est en présence d'une pratique de l'Etat concernant les


relations multilatérales lorsque la prise de position de l'Etat s'adresse
à une pluralité d'autres entités internationales (deux ou plusieurs
Etats ou, le cas échéant, deux ou plusieurs entités internationales
dont certaines peuvent ne pas avoir une nature étatique), sans que
cette prise de position ne vise spécifiquement une seule d'entre
elles et à condition que les entités visées soient considérées en tant
que groupe. Sans exclure des circonstances exceptionnelles qui
pourraient se présenter dans des contextes ad hoc, le phénomène
ci-dessus se présente notamment dans le cadre des conférences
internationales (bien entendu si elles comptent plus de deux parti-
cipants) ainsi que dans le cadre des organisations internationales.
Ainsi qu'on l'a déjà remarqué, il est fort possible que des prises
de position des Etats manifestées au sein d'enceintes multilatérales
relèvent en effet de la politique bilatérale des Etats lorsque l'en-
ceinte multilatérale ne donne que l'occasion pour un dialogue qui
est en réalité un dialogue à deux. Il n'en reste pas moins que dans
la normalité des cas le contexte multilatéral donne lieu à une pra-
tique des Etats qui, en soi, est conçue comme s'adressant à toutes
les entités qui participent à ce contexte.
Beaucoup des remarques développées dans le chapitre précédent
s'appliquent aussi aux phénomènes que nous étudions ici. En parti-
culier, l'analyse des manifestations de la pratique des Etats autre
que la pratique diplomatique est aussi valable pour ce qui concerne
les relations multilatérales. Ainsi, des actes législatifs, des prises de
position au sein d'organes parlementaires, des actes d'administra-
tion, des manifestations jurisprudentielles peuvent avoir lieu aussi
en fonction d'un ensemble multilatéral. Peut-être, cela se présen-
tera-t-il plus rarement, mais la situation ne peut pas être exclue.
Quant à la pratique diplomatique, la possibilité d'appliquer les
remarques que nous avons développées (ou, pour mieux dire, la
plupart d'entre elles) aussi aux relations multilatérales nous semble
aller de soi. On ne répétera pas, de ce fait, ce qu'on a dit au chapitre
La coutume internationale dans la pratique des Etats 289

qui précède, et on se bornera ici à faire état des particularités qui


sont propres aux contextes multilatéraux.
Dans les pages qui suivent on s'occupera, d'abord, de la pratique
des Etats telle qu'elle se développe au sein des conférences interna-
tionales et, ensuite, de la même pratique lorsqu'elle se manifeste
dans le cadre des organisations internationales. Dans une large me-
sure, les deux situations se recoupent et cela pour deux raisons
fondamentales. D'abord, la plupart des conférences internationales
d'aujourd'hui sont préparées, et souvent convoquées, par des orga-
nisations internationales. Deuxièmement, l'évolution des organisa-
tions internationales fait qu'elles se comportent, de plus en plus,
selon la logique des conférences internationales. La plupart de nos
remarques s'appliqueront donc à la fois aux deux situations.
Tant dans les conférences internationales que dans les organisa-
tions internationales on voit que, de nos jours, les Etats ont une
tendance croissante à se prononcer par groupe dont la composition,
la cohésion et l'homogénéité varient beaucoup. Le phénomène
nous paraît assez important pour mériter un examen spécifique.
Toutefois, comme ses caractéristiques ne changent pas selon qu'il
s'applique à une conférence ou à une organisation internationale,
on en traitera, de façon unitaire, à la fin du chapitre, après l'exa-
men des problèmes propres, respectivement, aux conférences et
aux organisations internationales.

2. Si une conférence internationale est ouverte seulement à la


participation des Etats, elle se définit, d'après la doctrine classique
du droit international, comme une réunion d'organes des Etats55.
Chaque Etat participant y dispose, par l'intermédiaire de sa délé-
gation à la conférence (délégation qui personnifie l'organe dont on
parlait tout à l'heure), et souverainement, de ses propres positions.
Si, au contraire, la conférence est ouverte aussi à la participation
d'entités non étatiques (organisations internationales ou autres) on
aura une réunion mixte, c'est-à-dire des organes dont certains seront
des organes des Etats, d'autres - dans le cas des organisations in-
ternationales — des organes internationaux.
La question de savoir si les entités non étatiques participent à la
conférence sur le même plan que les Etats ne nous concerne pas
directement56. Aussi, ne nous concerne pas le cas, en vérité très
rare, d'une conférence à laquelle participeraient seulement des
290 Luigi Ferrari Bravo

entités non étatiques. L'objet de notre recherche, en effet, ce n'est


que la pratique des Etats.
Dans la mesure où les prises de position d'un Etat participant à la
conférence s'adressent aux autres Etats participants collectivement
pris, on est, sans aucun doute, sur le plan de la pratique multilaté-
rale des Etats.
A l'égard des considérations exposées au chapitre précédent, une
première observation à faire concerne les instructions.
On a déjà constaté le déclin, dans la pratique contemporaine,
des instructions mises sous forme écrite. Cela s'applique aussi à la
participation aux conférences internationales. Toutefois, et surtout
lorsqu'il s'agit de conférences de longue durée touchant à des sujets
complexes, il est moins rare que la préparation de la conférence
faite au niveau de l'Etat participant voie l'établissement d'instruc-
tions générales, parfois sous la forme d'études essayant de prévoir
des scénarios alternatifs, qui seront à la base de l'action de la délé-
gation de l'Etat concerné, quitte, évidemment, à faire intégrer ces
instructions générales par d'autres indications, souvent orales, au
fur et à mesure que la conférence progresse. Nous parlons ici des
entités documentaires que le jargon américain qualifie souvent de
position papers.
Une partie seulement, et, à vrai dire, une partie minoritaire, des
nombreuses conférences qui sont convoquées de nos jours est
mandatée pour établir des textes juridiquement contraignants, à
savoir des traités. Il y a aussi des conférences, à compétence géné-
rale et dont la durée est, dès le début, indéterminée, qui, par la
force des choses, ont un mandat polyvalent. Elles peuvent, selon
les circonstances, produire à la fois des textes contraignants ou
non contraignants (recommandations ou simples conclusions)57.
Encore une fois ces distinctions ont peu d'importance à nos fins
car, tant dans l'une que dans l'autre hypothèse, une pratique des
Etats participants va se former qui peut, le cas échéant, toucher à
des problèmes juridiques, voir à l'attitude des Etats en question
vis-à-vis de règles générales du droit international.
De nos jours, la préparation d'une conférence internationale est
souvent plus importante que la conférence elle-même. L'usage
consistant à ce qu'un Etat prépare un texte à soumettre à la
conférence qu'il convoquera par la suite a pratiquement disparu.
En effet, si un texte de base est soumis à la conférence, celui-ci est
ou bien l'œuvre d'un organe ad hoc (dans la plupart des conférences
La coutume internationale dans la pratique des Etats 291

de codification du droit international, la Commission du droit inter-


national des Nations Unies) ou bien il s'agit du produit des travaux
d'un comité préparatoire qui n'aura pas vu nécessairement la parti-
cipation de tous les Etats présents à la conférence et qui est sou-
vent formé au sein d'une organisation internationale. Il se peut alors
que la conférence ne se réduise qu'à un peu plus qu'une simple
formalité lorsque le comité préparatoire s'abstient de la convoquer
jusqu'au moment où ses membres se sont mis d'accord, jusqu'aux
détails, sur le texte à approuver. Dans ces cas-là, la conférence, une
fois convoquée, est destinée à aboutir.
Il arrive toutefois, comme cela a été le cas à la troisième Confé-
rence des Nations Unies sur le droit de la mer, que le comité prépa-
ratoire s'occupe seulement d'enregistrer l'accord préalable sur cer-
taines lignes générales du texte qui sera établi par la conférence58.
Celle-ci s'ouvrira alors sans texte de base et le produit final se for-
mera petit à petit au fil des négociations menées pendant que la
conférence est en cours.
Quoi qu'il en soit, la tendance qui se dégage des expériences sus-
mentionnées porte vers une réduction des occasions pour les Etats
de prendre officiellement position sur tel ou tel autre problème.
Dans la plupart des cas, les travaux des comités préparatoires d'une
conférence internationale, même lorsque les procès-verbaux des
séances sont publics (ce qui n'est pas toujours le cas) sont assez
maigres. Le véritable travail se sera fait plutôt au cours de réunions
officieuses, souvent restreintes, sur la base de papiers anonymes
(les soi-disant non-papers) dont seuls les participants à ces réunions
connaissent les véritables auteurs. Il s'agit en effet de papiers dont
la fonction est plutôt d'effectuer un sondage à la suite duquel, si le
résultat est encourageant, un autre papier suivra, faisant la synthèse
des différentes propositions ou suggestions (souvent orales), jusqu'à
arriver à un texte final qui normalement sera attribué au président
(du comité, ou d'un groupe de travail, ou d'un groupe de contact)
et sur lequel on enregistrera l'absence d'objections.
On trouvera donc des prises de position attribuables à tel ou tel
Etat seulement dans les rares procès-verbaux et si, pour des raisons
politiques, un Etat, tout en étant prêt à se rallier à un compromis,
aura tenu à faire enregistrer officiellement sa position de principe.
Mais, à d'autres occasions, il n'y aura même pas de procès-ver-
baux. Il n'y aura qu'un rapport qui pourra mentionner les diffé-
rentes options, sans même les attribuer à des Etats déterminés mais
/
292 Luigi Ferrari Bravo

en utilisant des formules neutres (un Etat, certains Etats, de nom-


breux Etats, et ainsi de suite). Encore une fois la reconstruction de
l'attitude des participants reste confiée à la mémoire (pas toujours
fidèle) de ceux-ci.
Ce que nous venons de dire s'applique aussi, encore que dans une
mesure plus atténuée, aux travaux des conférences. Là aussi la
documentation officielle maigrit ou, pour être plus précis, son am-
pleur est inversement proportionnelle au succès de la conférence.
Par exemple, la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer,
qui a duré presque dix ans, n'a tenu qu'environ deux cents séances
plénières, la plupart très brèves et souvent consacrées à des questions
de procédure. La même remarque est valable pour ses grandes
commissions. Donc, l'apport des travaux préparatoires officiels à
la compréhension de la Convention de Montego Bay est modeste
et il est bien connu, d'ailleurs, que le projet de convention n'a
reçu ce nom que vers la fin de la Conférence, quand son texte était
presque complet s9 .
La tendance que nous venons de noter ne fait pas de discrimina-
tion entre conférences qui préparent des textes contraignants et
conférences qui n'en préparent pas. Ainsi sont-elles maigres les
sources documentaires relatives au code de conduite sur le transfert
de technologies, texte important mais non contraignant et pour-
tant non encore achevé malgré les efforts accomplis au sein de la
CNUCED60.
La tendance en question s'explique facilement. Souvent les Etats
se disent d'accord pour participer à une conférence internationale
(ou à sa préparation) mais ils ne savent pas si l'initiative aboutira.
Dans ces conditions l'anonymat officiel des textes est une mesure
protectrice qui peut arranger tout le monde. Tout Etat peut, jusqu'à
la fin, sauvegarder ses positions de principe tout en collaborant à
l'établissement d'un texte de compromis mais, comme ce texte est
anonyme, il pourra, si besoin en est, le désavouer sans heurter trop
de susceptibilités. Au contraire, si un Etat a intérêt à saboter l'ini-
tiative de négociation, il pourra trouver avantageux de présenter de
façon officielle ses positions, surtout s'il s'agit de positions extrêmes
qui n'ont aucune chance d'être acceptées par les autres participants.
La documentation sur les positions des Etats est peut-être plus
abondante pour ce qui concerne les conférences de codification
convoquées à la suite de l'établissement d'un projet d'articles par
la Commission du droit international. Il faut dire toutefois que, au
La coutume internationale dans la pratique des Etats 293

moins, les conférences de codification les plus récentes ont vu un


affrontement de positions très net et que partant elles n'ont pas
donné un résultat satisfaisant. Cela explique, pour les raisons que
l'on vient d'indiquer, la clarté des positions respectives61.
De toute manière, et pour ce qui concerne les conférences de
codification, il faut rappeler que, déjà au moment où la Commis-
sion élaborait ses projets d'articles, les Etats avaient eu l'occasion de
s'exprimer soit au sein de la Sixième Commission de l'Assemblée
générale, qui chaque année discute le rapport de la Commission du
droit international, soit (ce qui nous semble plus important) en
commentant par écrit les projets d'articles ou en répondant aux
questionnaires que, sur la demande de la Commission, l'Organisa-
tion des Nations Unies adresse aux Etats membres. Mais, avec ces
dernières entités documentaires, on sort du cadre de la pratique des
conférences internationales et on en revient à la matière étudiée
au chapitre précédent. Il n'en reste pas moins que les entités en
question peuvent avoir une fonction importante pour expliquer
les positions — ou les votes - prises par les Etats une fois la confé-
rence convoquée62.

3. La relative pauvreté de la documentation produite par les


conférences internationales contemporaines s'explique aussi au vu
des procédures qui y sont en effet suivies.
Toute conférence, on le sait, est maître de sa propre procédure
et, en effet, un des premiers actes de toute conférence (après l'élec-
tion du président) c'est l'adoption du règlement intérieur. Ces règle-
ments, qui ont tendance de plus en plus à la standardisation63,
prévoient, normalement, que les décisions sur les questions de fond
seront prises à la majorité des deux tiers. Mais, parallèlement, la
plupart des conférences s'accordent, parfois tacitement, de s'en
tenir dans toute la mesure du possible et pour les mêmes questions
(mais parfois aussi pour des questions de procédure) à la règle du
consensus, c'est-à-dire, en gros, à la règle selon laquelle une décision
n'est prise qu'en absence d'objections. Parfois la recherche du
consensus est aussi réglementée, ainsi qu'il ressort de l'article 37
du règlement de procédure de la troisième Conférence des Nations
Unies sur le droit de la mer qui, dans cette matière, fait désormais
jurisprudence64.
Quitte à revenir plus tard sur certains aspects du problème du
consensus, il en reste que, de toute évidence, la recherche du consen-
294 Luigi Ferrari Bravo

sus est facilitée, parfois pour des raisons de prestige des Etats par-
ticipants, si un texte n'a pas de parents bien reconnaissables ; si, en
d'autres mots, il peut apparaître comme le produit de l'effort col-
lectif de tous les participants, dont l'heureux résultat est annoncé
par un organe de la conférence, normalement le président.
Or, pour arriver à ce résultat, il faut souvent que des proposi-
tions précises ne soient pas présentées officiellement au nom de tel
ou tel Etat, qu'elles ne soient non plus discutées ; et cela pour per-
mettre aux mêmes Etats un changement de leurs positions de base
en sauvant toutefois la face.
Evidemment, nous ne voulons pas dire que dans les conférences
contemporaines les Etats ne mettent jamais sur papier, et en leur
propre nom, leurs propositions. Mais la tendance est celle que nous
venons de mentionner. Parfois, et même souvent, des Etats, tout
en ayant l'intention de se rallier au consensus sur un texte autre
que celui qu'ils avaient souhaité, demandent un vote sur certaines
de leurs propositions, tout en sachant à l'avance que le résultat
sera négatif. Il s'agit alors d'un vote de principe, non assisté par un
effort de négociation, qui est demandé pour qu'il y ait constat d'une
position, car cela pourra servir un jour ou bien devant l'opinion
publique nationale ou, le cas échéant, pour justifier certaines
interprétations du texte adopté par consensus.
Comme toute règle admet des exceptions, il existe pourtant des
conférences pour ainsi dire à l'ancienne où les Etats participants
abondent en propositions présentées en leur propre nom, et offi-
ciellement. L'exemple qui nous vient à l'esprit ici est celui de la
Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement
du droit humanitaire applicable aux conflits armés qui, au bout de
quatre sessions de négociations très intenses, a produit, en 1977, les
deux protocoles additionnels aux quatre Conventions de Genève
du 12 août 1949 sur le droit humanitaire de la guerre65.

4. Nous avons évoqué tout à l'heure la possibilité qu'un Etat


soumette en son nom un texte à une conférence internationale et
demande un vote là-dessus tout en sachant à l'avance que le résul-
tat sera négatif. Ceci nous amène à dire un mot sur le poids qu'il
convient de donner aux propositions formulées officiellement par
les Etats au sein des conférences internationales.
Il est évident qu'un Etat se reconnaît dans les thèses juridiques
sous-entendues par les textes qu'il présente officiellement. Il faut
La coutume internationale dans la pratique des Etats 295

toutefois ne pas appuyer trop sur cette donnée mais évaluer toujours
dans son ensemble le contexte de la négociation. En effet, des textes
sont parfois présentés pour des raisons purement tactiques quitte
à être retirés ou simplement oubliés par la suite.
Il arrive aussi, et très souvent, que les textes changent au cours
de la négociation à la suite d'amendements présentés par d'autres
Etats, ou bien à la suite de révisions proposées par leurs auteurs
mêmes. Il arrive aussi qu'un Etat déclare vouloir retirer sa proposi-
tion, mais qu'un autre Etat la fasse sienne; la proposition, alors,
change de parrain. Il arrive, enfin, que des amendements soient
adoptés qui changent si radicalement le sens de la proposition ori-
ginaire que l'Etat qui en avait été l'auteur décide de la répudier en
s'en dissociant et, en l'occurrence, en votant contre sa propre pro-
position telle qu'amendée. Tout cela peut ou non être accompagné
par des déclarations. Mais, que ces déclarations existent ou non,
c'est seulement à la fin du processus de négociation sur le point en
question qu'on peut évaluer, à un degré suffisant de fiabilité et en
vue de l'ensemble des autres propositions en discussion, l'attitude
de l'Etat sur le point de droit qui était visé par l'initiative de celui-
ci. Isoler le document tel qu'il était présenté sans tenir compte soi-
gneusement de l'ensemble de la discussion risque de donner une
idée fausse des attitudes de l'Etat considéré, donc de sa pratique.
Ce que nous venons de dire permet de répondre à la question
suivante : est-ce qu'il faut prétendre des Etats une cohérence totale
dans leur activité au sein d'une conférence internationale? La ré-
ponse est: oui, mais; car une conférence est une entité, comme on
dirait en anglais, in progress. Elle se juge plutôt par ses résultats
(positifs ou négatifs), que par les différents moments dans lesquels
elle se déroule. Cela vaut aussi pour les attitudes des Etats partici-
pants qui sont, inévitablement, influencées par l'ensemble des
circonstances dans lesquelles se développe l'activité du forum mul-
tilatéral.
Les remarques qui précèdent s'appliquent aussi à l'activité des
organes collectifs de la plupart des organisations internationales,
surtout de l'Assemblée générale des Nations Unies, quand le fonc-
tionnement de ces organes et le déroulement des débats qui y ont
lieu ne présentent pas des différences substantielles avec le fonc-
tionnement des conférences internationales. Et, en effet, telle est
la situation chez la vaste majorité des organisations à vocation
universelle.
296 Luigi Ferrari Bravo

Nos conclusions ne font que confirmer la sagesse des délégations


présentes à la Conférence de Vienne sur le droit des traités, lors-
qu'elles ont adopté, à la suite d'un débat où, à un moment donné,
la délégation des Etats-Unis s'était trouvée isolée, les articles 31 et
32 de la convention 66 . De ces articles il ressort que le recours aux
travaux préparatoires d'une convention n'est qu'un moyen complé-
mentaire d'interprétation de celle-ci (art. 32). Au contraire, ce qui
prend le devant c'est le texte vu dans son objectivité et dans son
ensemble. En outre, la Convention de Vienne accorde plus d'im-
portance à la pratique qui s'est établie à la suite de l'adoption du
texte (art. 31) qu'à celle qui s'est formée avant: c'est-à-dire les
travaux préparatoires. C'est donc à la lumière de ces principes qu'il
convient d'apprécier l'importance des prises de position des Etats
au sein des conférences internationales et cela, ajoutons-nous, aussi
bien si les conférences ont servi à arrêter le texte d'un traité, que si
elles ont produit des textes non contraignants67.
Les considérations que nous venons de développer ainsi que la
remarque, faite plus haut, que la documentation sur la pratique
des Etats agissant au sein des conférences internationales n'est pas
aussi abondante qu'on pourrait le croire permettent de découvrir
une tendance de plus en plus marquée vers l'obscurcissement de la
pratique individuelle des Etats dans lesdites instances, pendant que
l'accent se déplace vers le produit final. Cette tendance n'est pas à
regretter. Car, dans la mesure où, à la fin de la négociation multi-
latérale, un texte est adopté (si possible par consensus) sans qu'il
soit facile de trop explorer quelles avaient été, au moment de la
négociation, les positions des Etats individuellement pris, il y aura
probablement plus de chance qu'au fil des années ce texte puisse
devenir le grain de sable autour duquel, comme la perle qui se forme
dans les valves de l'huître, pourra se manifester, par l'acquiescement
progressif des Etats, ce comportement conforme doublé de la con-
viction de son caractère obligatoire qu'est la coutume internationale.
Voilà donc comment les nouvelles techniques de la diplomatie
multilatérale, tout en escomptant une transformation du processus
de formation des règles coutumières internationales, n'arrivent pas,
malgré toute polémique entre différentes écoles de pensée, à élimi-
ner cette forme traditionnelle de production du droit international.

5. Il y a beaucoup de continuité entre la pratique des Etats au


sein des conférences internationales et celle que ces mêmes Etats
La coutume internationale dans la pratique des Etats 297

développent dans le cadre des organisations internationales, surtout


s'il s'agit d'organisations à vocation universelle et si ces organisa-
tions ont un caractère plutôt politique que technique.
Á cet égard il faut dire tout d'abord que la frontière entre l'orga-
nisation internationale et la conférence devient souvent presque
insaisissable du fait que, de plus en plus, des organisations interna-
tionales convoquent des conférences de leurs Etats membres et cela
pour s'acquitter de tâches qui leur appartiendraient d'après leurs
statuts. Elles se transforment donc, à l'occasion, en conférences
internationales tout en gardant, à quelques détails près, leurs règles
de procédure.
Deuxièmement, il faut remarquer que, même lorsqu'on reste
dans le cadre de l'organisation en tant que telle, la tendance mo-
derne est de faire fonctionner le système plutôt comme une confé-
rence que comme un système intégré qui pourrait, le cas échéant,
s'imposer aux Etats membres. Il en dérive que le régime de la
documentation d'où ressort la pratique des Etats est pareil — ou
presque — dans les deux situations. Les remarques qui précèdent
s'appliqueront donc, dans la plupart des cas, aussi à notre sujet et
nous nous bornerons dans les pages qui suivent à faire état des seuls
variantes ou développements qui nous semblent pertinents.
Dans cette situation il devient extrêmement difficile de séparer,
dans l'ensemble des papiers produits par une organisation interna-
tionale, la pratique des Etats en tant qu'acteurs d'une négociation
multilatérale de la pratique de l'organisation en tant que telle. De
ce point de vue-là, on ne peut que constater le déclin, désormais
irréversible (au moins pour ce qui concerne les Nations Unies) de
la thèse qui était prépondérante dans la période de l'après-guerre et
qui appuyait beaucoup sur le caractère institutionnel des organisa-
tions internationales, qui auraient constitué un ensemble d'organes
susceptibles de produire des valeurs juridiques devant lesquelles, le
cas échéant, les Etats auraient dû s'incliner. Cette thèse a comme
point de référence le fameux avis consultatif de la Cour internatio-
nale de Justice rendu en 1949 sur la Réparation des dommages subis
au service des Nations Unies66. La même tendance s'est manifestée
plus tard, toujours à l'échelon de la Cour mais sous une forme plus
atténuée, dans l'avis concernant Certaines dépenses des Nations
Unies (1962)69, mais le déroulement des événements qui ont suivi
le prononcé de ce dernier avis s'est chargé de démontrer l'inaccep-
tabilité, par les Etats concernés, de la position prise par la Cour
298 Luigi Ferrari Bravo

ainsi que son abandon progressif par l'Assemblée générale qui,


pourtant, avait demandé l'avis consultatif70.
Même les répertoires de la pratique des organes de l'Organisation
des Nations Unies, plus ou moins régulièrement publiés par le Se-
crétariat, confirment nos propos. Au fur et à mesure que le temps
passe ils deviennent de moins en moins des recueils des actes de
l'Organisation (analysés par articles de la Charte) précédés par une
simple synthèse du débat qui avait eu lieu avant l'adoption de l'acte.
Au contraire, ils deviennent de plus en plus des collages de prises
de position des Etats membres en tant que tels, donc des répertoires
de la pratique des Etats en tant que membres de l'Organisation.
L'identification des Etats qui ont pris part au débat, qui, au début,
était l'exception, devient désormais la règle71.
Dans ces conditions est-il encore possible de séparer la pratique
de l'Organisation de la pratique des Etats qui y agissent en tant que
membres? Peut-être que oui, à condition d'admettre que des zones
grises, des secteurs obscurs, des questions douteuses resteront.
D'ailleurs, l'interprétation, qui s'est consolidée à l'époque de la fa-
meuse querelle sur les «deux Chines», et d'après laquelle l'Assem-
blée générale peut, à son gré, décider qu'une question est ou n'est
pas «importante » aux fins des règles de vote contenues à l'article 18
de la Charte, et qu'elle peut aussi changer d'avis à propos de la
même question, ne fait que confirmer ce que nous venons de
dire72.
En gros et non sans hésitation, nous pensons que le critère de
distinction entre pratique de l'organisation et pratique des Etats
membres doit être trouvé en fonction de la nature des normes du
statut de l'organisation auxquelles la dictinction devrait s'appliquer.
Lorsque la pratique se forme à propos des règles du statut qui sont
plus proches des règles du droit international général (par exemple
les paragraphes 3, 4 et 7 de l'article 2 de la Charte, ou l'article 51
ou, encore, l'article 39) il nous semble que l'on est en présence
plutôt d'une pratique des Etats qui se forme à l'occasion des débats
au sein de l'Organisation. Il nous paraît donc juste d'appuyer sur
les déclarations faites là-dessus par les Etats membres afin de les
utiliser en tant que manifestations de l'attitude des mêmes Etats
vis-à-vis des règles du droit international qui sont sous-entendues
par lesdites clauses de la Charte. D'ailleurs les normes en question,
qui sont des normes matérielles, sont aussi des normes clés qui font
la liaison entre le système de la Charte des Nations Unies et le
La coutume internationale dans la pratique des Etats 299

système du droit international, général ou conventionnel. Ce sont


donc des normes auxquelles les Etats, avant de prendre position,
prêtent beaucoup d'attention en essayant d'éviter de tomber en
contradiction avec l'attitude prise par eux-mêmes en dehors du
cadre de l'Organisation73.
D'autres normes, au contraire, sont moins proches du système
du droit international, général ou conventionnel. Tout en étant
importantes, elles touchent plutôt à des problèmes de mise sur
pied d'une structure organisée (que l'on songe, par exemple, à
l'article 55 de la Charte). Là-dessus, il nous semble qu'il serait plus
fondé de parler, le cas échéant, de pratique de l'organisation et de
voir les Etats comme des parties composantes de la personne juri-
dique internationale. Nous avouons toutefois que c'est une distinc-
tion qui se fait assez mal, notamment dans les organisations à
vocation universelle. Dans les organisations régionales, à l'inverse,
et au fur et à mesure que les liens entre Etats membres deviennent
plus serrés, comme c'est le cas dans les Communautés européennes
où l'organisation peut, parfois, parler au nom de ses Etats membres
ou en se substituant à eux (mais peut-on alors encore parler d'orga-
nisation internationale?), la distinction esquissée ci-dessus devient,
au contraire, plus nette et évidente.

6. Une bonne partie de la documentation produite par les Etats


dans leur activité au sein des organisations internationales à voca-
tion universelle (déclaration au cours d'un débat général sur tel ou
tel sujet, déclarations de vote, etc.) n'appelle pas de commentaires
qui se différencient de ceux déjà exposés par rapport aux confé-
rences internationales. Cela vaut aussi, en grande mesure, pour les
projets de résolution présentés par un Etat (ou par un groupe
d'Etats) pour adoption par un organe de l'organisation.
Il faut toutefois s'arrêter un instant sur la pratique de l'adoption
tacite de résolutions et, à cette fin, on fera état de la situation de
l'Assemblée générale des Nations Unies qui, à chaque session, en
adopte quelques centaines.
Bien entendu, il y a les résolutions qui sont votées. Mais cela
arrive lorsqu'un Etat important, ou un groupe d'Etats, veut s'en
dissocier ouvertement. Au contraire, le cas devient de plus en plus
rare qu'un texte soit voté pour faire constater l'unanimité sur son
libellé. La règle, de nos jours, et lorsque des négociations abou-
tissent, c'est plutôt l'absence de vote, tantôt appelée «consensus»,
300 Luigi Ferrari Bravo

tantôt justement appelée «adoption sans vote». Les deux expres-


sions semblent équivalentes, mais évidemment elles ne le sont pas et
la deuxième marque une tolérance plutôt qu'une véritable absence
d'objections : du moins telle semble être la thèse soutenue par les
délégués de l'Union soviétique 74.
Or ce qu'il convient de noter, aux fins du relevé de la pratique
des Etats, c'est que d'après les articles 88 et 128 du règlement
intérieur de l'Assemblée générale les Etats qui se portent coauteurs
d'un projet de résolution (dont l'un d'entre eux effectue la présen-
tation) n'ont pas le droit d'expliquer leur vote 75 . Ceci fait qu'il
leur est interdit aussi de formuler les explications, interprétations
et parfois lourdes réserves qui deviennent de plus en plus d'usage
lorsqu'un texte est adopté par consensus ou sans vote. Explications,
interprétations et réserves que d'ailleurs il est essentiel de prendre
en considération si l'on veut saisir dans sa vraie portée l'attitude
d'un Etat donné à l'égard de la matière qui est l'objet d'une résolu-
tion. En d'autres mots les coauteurs renoncent, par ce même fait,
à fournir leur interprétation subjective du texte, tandis que les
autres gardent la possibilité de faire usage de cette prérogative et
en effet en font usage plus souvent qu'on ne pourrait croire 76 .

7. Ainsi qu'on l'a vu au pragraphe précédent, l'adoption d'une


résolution d'un organe d'une organisation internationale est sou-
vent l'occasion de la formation d'éléments de la pratique des Etats
membres (ainsi que, le cas échéant, de l'organisation elle-même)
sur des problèmes juridiques qui y sont évoqués. Mais une résolu-
tion peut être l'occasion de la formation d'une pratique même à
un autre titre, et cela lorsque son dispositif demande aux Etats de
prendre position par écrit sur tel ou tel autre sujet, d'envoyer des
renseignements ou, le cas échéant, des rapports surla mise en œuvre
de la résolution. Ces ensembles d'entités qui sont les suites d'une
résolution peuvent ne pas manquer d'intérêt. En effet, si on en
fait une lecture attentive, ils peuvent être révélateurs de l'attitude
des Etats à l'égard des problèmes qui sont visés par la résolution.
Or, il arrive que des résolutions, surtout de l'Assemblée générale
des Nations Unies, contiennent des invitations à s'exprimer adres-
sées aussi à d'autres organisations, notamment régionales. Dans
ces derniers cas, faut-il considérer que la réponse donnée par une
organisation régionale reflète l'attitude de ses Etats membres? La
La coutume internationale dans la pratique des Etats 301

réponse est difficile et non univoque. En effet, si l'organisation


en question se caractérise par des liens très serrés entre ses Etats
membres, comme c'est le cas des Communautés européennes, la
réponse sera normalement affirmative. Les commentaires en ques-
tion auront été, en effet, le résultat d'une coordination très étroite
à l'échelon de l'organisation régionale. Mais il n'en est pas de même
dans d'autres cas où la réponse de l'organisation régionale peut très
bien n'exprimer que les vues de son secrétariat77.

8. Très souvent, la limite de l'utilisation de la pratique qui se


forme à l'occasion des débats qui se déroulent au sein d'une orga-
nisation internationale, ainsi que les décisions qui y sont prises, est
constituée par la disponibilité de la documentation pertinente. En
effet, à part les documents dont les Etats demandent la publication
et qu'on a déjà mentionnés au chapitre qui précède, l'abondance
des comptes rendus des débats est tout à fait inégale.
Pour ce qui concerne l'Organisation des Nations Unies la publi-
cation est complète, mot pour mot, seulement en ce qui concerne le
Conseil de sécurité, l'Assemblée générale plénière et la Première
Commission. Les autres grandes commissions doivent se contenter
de comptes rendus sommaires tandis que, normalement, les organes
subsidiaires de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité n'ont
pas de comptes rendus mais seulement des rapports qu'ils établissent
à l'intention de l'organe supérieur.
Sans doute ce matériel est important, aussi quant à son volume.
Il en est ainsi surtout des actes du Conseil de sécurité, même en
l'absence de résolutions, et en vue aussi de la pratique, de plus en
plus suivie au Conseil, de permettre à tout Etat membre de l'Orga-
nisation d'y prendre la parole et même de présenter (avec le copar-
rainage de membres du Conseil) des projets de résolution.
Mais il n'en reste pas moins que les questions importantes, et
pourtant longuement débattues, n'arrivent presque pas en surface.
Par exemple, le Comité de la Charte des Nations Unies et du raffer-
missement du rôle de l'Organisation a, pendant de longues années,
débattu le texte de ce qui a été adopté en 1982, par l'Assemblée
générale, comme Déclaration de Manille sur le règlement pacifique
des différends. Or, ceux qui lisent le texte, assez maigre et, de l'opi-
nion de beaucoup, décevant, ne pourront jamais se rendre compte
de la richesse des propositions et des alternatives discutées au sein
302 Luigi Ferrari Bravo

du Comité. Ni les actes officiels du Comité (à savoir les rapports à


l'Assemblée générale) ni les comptes rendus des débats à la Sixième
Commission de l'Assemblée générale n'apportent de clarifications
suffisantes. En effet, la pratique des Etats qui s'est développée
là-dessus reste confiée à la mémoire de ceux qui ont vécu cette
négociation78. Et cela vaut aussi pour d'autres grandes résolutions
juridiques de l'Assemblée générale.
Ce que nous venons de dire n'est que le constat d'un fait et non
pas la dénonciation d'un inconvénient. En effet, il est fort possible
que si les comptes rendus de tous les débats avaient dû être publiés
les Etats participants à la négociation auraient été beaucoup plus
réticents à formuler des propositions ou à discuter celles des autres.
Il ne faut pas en effet oublier que même autour d'actes non contrai-
gnants, comme le sont les déclarations contenues dans des résolu-
tions de l'Assemblée générale, la pratique des Etats utilisable aux
fins de la recherche de leur attitude quant aux règles du droit in-
ternational général se développe et les autres Etats en tiennent
compte. Ce phénomène, que nous avons à maintes reprises déjà
souligné, étant bien connu par les responsables de la politique
étrangère des Etats, on s'explique très bien les raisons sous-jacentes
à la réduction de l'ampleur de la documentation disponible.
Avant de conclure sur la pratique qui se forme au sein des orga-
nisations internationales et en restant toujours à l'exemple des
Nations Unies, il convient de noter que la façon d'aborder les pro-
blèmes juridiques est loin d'être homogène. Il arrive souvent qu'un
point de droit qui est l'objet de longues négociations à la Sixième
Commission (la commission juridique) ne le soit pas lorsqu'il est
évoqué dans d'autres commissions et que dans celles-ci les Etats
votent de gaieté de cœur des textes qu'ils n'auraient jamais adoptés
à la Sixième Commission79.
Cela, au fond, a trait à la spécialisation juridique de la Sixième
Commission ainsi qu'au fait que, de plus en plus, la pratique est
abandonnée d'envoyer pour avis à la Sixième Commission des textes
qui, à titre principal, seraient du ressort d'autres commissions.
Cette tendance, désormais irréversible, est à regretter, d'autant
plus que le contrôle de l'Assemblée générale plénière sur les pro-
duits des grandes commissions est, faute de temps, inexistant. Il
en dérive une incertitude sans doute dangereuse quant à la compré-
hension de l'attitude des Etats vis-à-vis de certains problèmes juri-
diques débattus aux Nations Unies80.
La coutume internationale dans la pratique des Etats 303

9. Dans la diplomatie multilatérale contemporaine il arrive de


plus en plus que les Etats, au lieu d'agir individuellement, s'expri-
ment par groupes. Ce phénomène est relativement récent et n'a pas
de parenté avec le cas des anciens protectorats ou de certains Etats
minuscules, tels le Liechtenstein ou la principauté de Monaco, dont
les relations internationales sont assurées par d'autres Etats plus
grands (dans les deux exemples susmentionnés, respectivement par
la Suisse et par la France).
Le problème de l'expression par groupes se ramène à une plura-
lité de causes. D'abord, l'extension du nombre des Etats membres
de la communauté internationale qui fait que, parfois, des Etats
relativement petits et devenus récemment indépendants n'aient pas
de ressources humaines suffisantes pour assurer une représentation
adéquate dans toutes les négociations multilatérales auxquelles
ils ont le droit de participer. D'ailleurs, cette situation s'aggrave du
fait que les occasions de négociations multilatérales universelles se
multiplient.
Une deuxième cause, politiquement plus importante, se rapporte
à la communauté d'intérêts qui se manifeste de plus en plus entre
Etats qui partagent les mêmes aspirations issues des caractères com-
muns de leur origine. Ainsi, les « nouveaux » pays issus du processus
de décolonisation ont souvent des exigences communes vis-à-vis
des problèmes internationaux, y compris les problèmes juridiques.
Evidemment, ceci n'implique pas qu'on puisse les mettre tous dans
le même faisceau, vu les différences de leur héritage culturel, reli-
gieux, social, ainsi que le degré différencié de leur développement
économique. Mais en général une certaine mesure de communauté
d'intérêts persiste et elle devient un facteur important de la forma-
tion de groupes. A leur tour les « anciens » pays, en tout ou en partie,
peuvent, parfois par réaction, développer des intérêts communs.
Ils ont d'autre part des caractéristiques idéologiques bien précises,
et souvent opposées, ainsi qu'il arrive dans la dialectique du rapport
Ouest-Est, ce qui stimule, encore une fois, la formation de groupes.
Troisièmement, l'époque contemporaine a assisté, parallèlement
à l'universalisation de la communauté internationale et à une pre-
mière ébauche d'institutionnalisation de celle-ci, à la formation
d'institutions régionales parfois très serrées, comme c'est le cas de la
Communauté européenne qui, malgré toutes ses défaillances, reste,
à l'heure actuelle, l'exemple le plus important d'intégration entre
Etats. En général, on peut dire que c'est dans le monde occidental
304 Luigi Ferrari Bravo

que la régionalisation institutionnalisée s'est développée avec la plus


forte envergure et cela même si des organisations régionales existent
aussi chez les autres parties composantes de la communauté inter-
nationale d'aujourd'hui.
La subdivision des Etats en groupes est, presque dans toutes les
négociations multilatérales, un phénomène de pur fait, car tout Etat,
dans l'exercice de sa souveraineté, reste libre de ne pas partager les
vues du groupe auquel il est censé appartenir. D'ailleurs la subdivi-
sion elle-même varie selon la nature de la négociation multilatérale
et de son objet. Il arrive aussi qu'un Etat appartienne à plusieurs
groupes et cela dans le cadre du même ensemble de négociation. Il
arrive enfin que dans certaines négociations où les intérêts en cause
ne peuvent pas être ramenés aux groupes traditionnels, des groupe-
ments ad hoc se forment, ainsi que cela a été le cas au cours de la
troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, où
des groupements nouveaux se sont formés, comme celui des Etats
sans littoral ou celui des Etats producteurs sur terre de minéraux
susceptibles d'être extraits aussi des fonds marins.
Dans les grandes négociations politiques à l'échelon universel on
parle souvent de trois groupes d'intérêts fondamentaux : les Etats
occidentaux, les Etats socialistes, les pays non-alignés : tripartition
d'ailleurs fort approximative (car il y a des Etats qui ne font partie
d'aucun des trois groupes) et non contraignante (car nul Etat n'est
obligé de partager les vues de la majorité du groupe auquel il s'iden-
tifie). Cela dit, il reste que la coordination interne à chacun des
trois groupes est un fait. Les pays non-alignés, par exemple, ont
l'habitude de se réunir avant toute session de l'Assemblée générale
des Nations Unies et d'essayer d'unifier, autant que possible, leurs
positions sur les problèmes qui y seront débattus. Il en est de même,
bien que de façon moins publique et solennelle, dans les deux autres
groupes.
Le mouvement des pays non-alignés, qui se forma à la suite de
la Conférence afro-asiatique de Bandung de 1955 et qui fut animé,
pendant longtemps, par d'éminentes personnalités telles que le
président yougoslave Tito, le président égyptien Nasser, le premier
ministre indien Nehru (ainsi que sa fille et successeur, Mme Gandhi),
ne coïncide pas avec le groupe des Soixante-dix-sept fondeen 1964
à Genève lors de la première réunion de la CNUCED. Le groupe des
Soixante-dix-sept (qui comprend maintenant plus de cent vingt-cinq
Etats) inclut en effet des pays non-alignés, alors que certains pays
La coutume internationale dans la pratique des Etats 305

non-alignés ne sont pas membres de ce groupe. Le groupe des


Soixante-dix-sept est en effet le groupe des pays qui se considèrent
en voie de développement et dont la position est institutionnalisée
au sein de la CNUCED où les négociations, qui ont justement trait
aux différents problèmes du déséquilibre entre monde développé
et monde en voie de développement, se déroulent par groupes : le
groupe des Soixante-dix-sept, le groupe B (pays industrialisés à
économie de marché) et le groupe D (pays à économie centralisée),
la Chine faisant cavalier seul81. A la CNUCED on s'exprime en effet
presque toujours par la voie du porte-parole de chaque groupe.
La même répartition ne s'applique pas aux affaires du désarme-
ment (au sens large du terme) ainsi qu'à des instances régionales
telles que la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe
(CSCE). Ici on partage entre pays occidentaux (parfois pays mem-
bres de l'OTAN) ; pays socialistes (parfois pays membres du Pacte
de Varsovie) ; et pays neutres et non-alignés. Cette dernière formule
permet de mettre dans le même panier la plupart des pays en voie
de développement et des pays fort développés tels que la Suède, la
Suisse ou l'Autriche.
La répartition purement géographique (pays asiatiques, africains,
latino-américains, de l'Europe orientale, euro-occidentaux et autres)
n'a pas vraiment d'importance politique ou juridique. Elle joue
presque uniquement dans l'attribution des sièges («selon une équi-
table répartition géographique») au sein d'organes à composition
restreinte.
En abordant maintenant les groupes régionaux, il faut constater
que certains d'entre eux ont un rôle presque nul et une valeur seu-
lement morale. C'est le cas par exemple des pays nordiques (Dane-
mark, Finlande, Islande, Norvège, Suède). D'autres groupes aussi
jouent un rôle modeste étant donné la faiblesse des liens institu-
tionnels entre les pays qui en font partie : c'est le cas de l'ASEAN
ou du Pacte andin. D'autres groupes encore, quoique importants,
voient leur activité se situer sur un plan qui relève plutôt des
transactions transnationales ou, pour mieux dire, de la logique des
cartels : c'est le cas de l'OPEP.
Reste le cas de la Communauté européenne, qu'elle soit vue sur
le plan des négociations relevant du secteur économique, ou qu'elle
soit vue sur le plan de la coopération politique entre les Dix (au
moment où ces lignes sont rédigées, en juillet 1985, mais sous peu
les Douze). On reviendra là-dessus par la suite.
306 Luigi Ferrari Bravo

10. Lorsque le représentant d'un Etat déclare parler au nom d'un


groupe, faut-il attribuer ses prises de position (en l'occurrence, et
pour ce qui nous concerne, ses thèses juridiques) à tous les membres
du groupe, pris individuellement? La réponse affirmative, qui sem-
ble évidente, ne l'est pas toujours en vue de la réalité des choses.
Tout d'abord, pour justifier la réponse affirmative, il faut envi-
sager l'existence d'un mandat, fût-il tacite, confié par chacun des
membres du groupe au porte-parole. L'existence de ce mandat
pourrait se déduire de la présence de tous les membres du groupe
au moment où le porte-parole s'exprime sans qu'aucun d'entre eux
n'élève d'objections. Ou bien par des comportements concluants,
même postérieurs, comme le serait un vote sur un document
conforme (ou non conforme) aux positions prises par le porte-
parole. On peut même envisager de recourir aux antécédents, à
savoir les instructions données par le groupe au moment où celui-ci
a choisi le porte-parole.
Tout cela est facile à dire, mais en réalité en présence dégroupes
très nombreux (comme le groupe des Soixante-dix-sept) ou nom-
breux et à statut très souple (comme les non-alignés), où souvent
certains Etats n'ont pas participé aux étapes pertinentes de la prise
de position, la solution peut ne pas être toujours très nette. Il fau-
dra alors vérifier le contexte d'ensemble, y compris les prises de
position individuelles des Etats concernés pendant un laps de temps
assez long sur des problèmes qui présentent des aspects similaires à
ceux qui font l'objet de la prise de position du porte-parole.
La prudence que nous venons de conseiller ne s'applique pas seule-
ment aux prises de position des porte-parole des Etats «nouveaux»,
ou, plus en général, en voie de développement. Elle s'applique à
tous les groupes d'Etats car la souveraineté de tout Etat, grand ou
petit, est la prémisse de notre discours. En effet, même auprès des
Etats occidentaux, les propos du porte-parole (quand il y en a un)
ne représentent souvent que le dénominateur commun minimum
de l'opinion des membres du groupe, un dénominateur commun
qu'il faut interpréter à la lumière des déclarations individuelles qui
pourront s'ajouter à cette prise de position sans bien entendu la
contredire, mais parfois en la manipulant beaucoup. Encore une
fois, le point de référence c'est le contexte.
Il est difficile d'aller au-delà de ce point sans aborder des cas
d'espèce. Mais notre but nous paraît atteint, car il consistait à indi-
quer une méthode pour aborder ce phénomène, au fond assez
La coutume internationale dans la pratique des Etats 307

nouveau, qu'est la prise de position des Etats par l'intermédiaire du


porte-parole d'un groupe dans lequel ces Etats se reconnaissent.

11. La coordination régionale institutionnalisée, qui existe aussi


bien dans les pays socialistes (Comecon, Pacte de Varsovie) que
dans les pays occidentaux (Conseil de l'Europe, OTAN, OCDE,
cette dernière faisant parfois aussi fonction d'instance de coordina-
tion du groupe B, avec invitation du Japon en tant qu'observateur),
donne lieu, lorsqu'elle produit des prises de position communes, à
des mandats. Cela fait que lesdites prises de position sont, sans
aucun doute, imputables aux Etats au nom desquels elles ont été
émises en faisant ainsi, de bon droit, partie de leur pratique diplo-
matique. Evidemment, même ici il est possible qu'un Etat, ou un
sous-groupe d'Etats (les Etats de la CEE, par exemple, vis-à-vis du
reste du groupe B) y fassent des rajouts qui ne lient pas les autres
membres du groupe.
A plus forte raison il convient de parler de mandat lorsque le
pays qui exerce la présidence du Conseil de la Communauté euro-
péenne s'exprime au nom des Etats membres de celle-ci. Ici aussi, un
Etat membre de la Communauté, dont les intérêts sont spécialement
en jeu dans l'affaire en question, peut ajouter des développements
individuels, tout en faisant noter au début de son intervention
qu'il se rallie à ce qui a été dit par le porte-parole de tous les Etats
membres.
La situation que nous venons de mentionner s'applique, notam-
ment, dans le cadre de la coopération politique européenne qui
s'est développée, à partir de 1974, dans des formes bien réglemen-
tées, mais qui pourtant n'ont pas fait l'objet d'un traité amendant
les traités instituant les Communautés européennes82.
La même situation s'applique dans les matières qui font l'objet
du Traité de Rome. Selon les cas, c'est la Présidence ou la Commis-
sion communautaire qui s'exprime, dans les forums multilatéraux,
au nom de la Communauté et de ses Etats membres. La différen-
ciation entre les deux possibilités relève du droit interne de la
Communauté européenne et ne nous intéresse pas ici. Qu'il suffise
de rappeler que dans les deux cas il y a un mandat qui est plus
formel lorsque c'est la Commission qui s'exprime. D'autre part le
fait de mentionner, à côté des Etats membres de la Communauté,
celle-ci en tant que telle, ne change rien à notre analyse de la pra-
tique des Etats : il y aura ici, à côté des Etats membres, une autre
308 L uigi Ferrari Bra vo

entité que les Etats tiers seront libres de considérer ou non comme
autonome vis-à-vis des Etats qui en font partie. A son tour le fait
que la Commission de la Communauté puisse s'exprimer au nom
des Etats membres de celle-ci, tout en représentant, dans la négo-
ciation en question, une entité qui a un statut d'observateur et non
pas de membre à part entière, c'est un problème qui relève du règle-
ment intérieur qui régit la négociation mais, qui n'affecte pas notre
discours. D'ailleurs cela n'est pas toujours vrai car il y a des instances
où le statut de la Communauté est plus élevé que le statut d'obser-
vateur 83 . Mais de toute manière rien n'empêche que des participants
à part entière à une négociation puissent se faire représenter par
un observateur soit dans le débat, soit, le cas échéant, au moment
de la prise de décision et, en l'occurrence, du vote. Il y aura donc
une pratique des Etats membres de la Communauté qui se sera
formée à travers les prises de position de la Présidence ou de la
Commission. A cette pratique s'ajoute celle, évidemment conforme,
de la Communauté en tant que telle. D'autre part, dans les rares
cas où la Commission agit seule on pourra, à la limite, parler de
pratique de la Communauté qui, par le truchement du système
juridique communautaire, lie aussi les Etats membres de la Com-
munauté et qui, de ce fait, leur est aussi attribuable par les entités
tierces.
309

CHAPITRE IV

QUELQUES REMARQUES FINALES

1. Il ne nous semble pas nécessaire de tirer de véritables conclu-


sions de ce que nous avons exposé dans les chapitres qui précèdent. Il
nous semble plutôt opportun d'ajouter quelques remarques, soit sur
des points déjà en partie abordés, soit sur des questions connexes
ou complémentaires à celles que nous venons d'étudier.
D'abord, la question de la documentation disponible sur la
pratique des Etats. Sans doute, cette documentation est plus abon-
dante aujourd'hui que dans le passé. Mais il s'agit d'une abondance
tout à fait inégale.
A cet égard, la documentation constituée par les textes issus au
sein des organisations internationales (surtout les organisations à
vocation universelle) est fondamentale. Elle permet de retracer, sur
de nombreux points, l'attitude de puissances moyennes et petites
qui, pour des raisons sur lesquelles on s'étendra sous peu, serait
autrement insaisissable. A cette fin, la distinction, que nous avons
esquissée, entre pratique bilatérale et pratique multilatérale au sein
des forums multilatéraux ainsi que la distinction entre pratique des
organisations internationales et pratique de leurs Etats membres
révèlent toute leur importance. Il faut noter, à ce propos, que
l'utilisation des prises de position des Etats au sein des organisa-
tions internationales pour retracer l'attitude desdits Etats sur des
questions de droit international est admise aussi par la Cour inter-
nationale de Justice, ainsi qu'il ressort notamment des nombreux
prononcés de la plus haute juridiction internationale à propos de
la condition de la Namibie84.
Evidemment, il faut tenir compte du style des Etats, surtout
dans les réponses envoyées à la suite de résolutions de l'Assemblée
générale des Nations Unies. Il y a des Etats qui sont plus «bavards»
et d'autres qui sont plus avares de mots. En général, les pays occi-
dentaux sont un peu plus réticents que les autres, peut-être par
crainte de créer des précédents qui pourraient se retourner contre
eux à propos d'autres affaires où la même règle juridique est en
jeu. D'ailleurs ces mêmes Etats ont, en gros, intérêt à conserver,
dans la mesure du possible, le droit international préexistant.
310 Luigi Ferrari Bravo

D'autres Etats apportent, dans le même domaine, des contribu-


tions fort inégales: parfois abondantes, parfois nulles, et cela même
sur des questions qui devraient les intéresser. On est amené à se
demander si la cause n'est pas une cause banale, à savoir la dispo-
nibilité ou pas', à un moment donné, de personnel qualifié pour
rédiger des exposés cohérents. La question se pose notamment
pour les petits pays nouvellement indépendants qui ont de graves
problèmes de formation de cadres et qui parfois sont amenés à
emprunter ailleurs des spécialistes.
A part la documentation publiée par les organisations interna-
tionales, celle publiée directement par les Etats pose des problèmes.
Tout d'abord, seul un petit nombre d'Etats occidentaux effectue
une publication systématique de leur pratique juridique et cela
selon des techniques assez diversifiées85. Il s'agit de toute manière
d'une publication qui, au moins pour ce qui concerne les périodes
les plus récentes, n'est pas complète, à cause du caractère confi-
dentiel de bon nombre de documents importants. D'autre part, de
nombreuses difficultés, soit financières soit d'organisation, interdi-
sent souvent de dire plus et mieux. Il faut ajouter encore le facteur
linguistique qui favorise très nettement les pays dont la langue na-
tionale est aussi une langue véhiculaire internationale. Lorsque ceci
n'est pas le cas, la partie de la pratique qui est effectivement publiée
se réduit considérablement.
Quoi qu'il en soit, il s'agit presque toujours d'une pratique occi-
dentale, qui devient donc souvent, du moins au niveau des scienti-
fiques, la seule pratique sur laquelle se fonde la recherche sur le
contenu des règles de droit. D'où la tendance, souvent impercep-
tible, vers l'accentuation de l'importance des prises de position des
pays occidentaux, ou, en d'autres mots, vers l'occidentalisation du
droit international.
En effet, le reproche, souvent formulé, d'une prépondérance
occidentale dans les instances internationales qui s'occupent de
problèmes juridiques (tribunaux internationaux, Commission du
droit international, Sixième Commission de l'Assemblée générale),
reproche qui parfois entraîne une certaine méfiance — à notre avis,
injuste — des pays non occidentaux à l'égard desdites instances, a
souvent sa racine profonde dans le phénomène que nous venons
d'évoquer, un phénomène qui, en soi, est de pur fait. Il devrait être
donc possible, par un effort concerté des « autres » pays intéressés
à faire bien connaître leurs vues, d'y apporter un remède.
La coutume internationale dans la pratique des Etats 311

2. En essayant de séparer, d'une part, la pratique bilatérale de la


pratique multilatérale des Etats, de l'autre, la pratique des Etats au
sein d'une organisation internationale de la pratique de l'organisa-
tion elle-même, on a déjà eu l'occasion de noter que la frontière
entre ces entités est très incertaine et que des zones grises subsistent.
Il est peut-être opportun de dire ici encore quelques mots sur ce
genre de problèmes.
Il faut noter, à ce propos qu'une initiative prise au sein d'un
forum multilatéral est très souvent précédée par des sondages au
niveau bilatéral qui peuvent donner lieu, le cas échéant, à une
correspondance diplomatique. Il en est ainsi lorsqu'un projet
de résolution (ou tout autre document) destiné à être discuté, à
l'initiative d'un Etat, au sein d'une organisation internationale,
est présenté, au préalable, aux Etats qui vraisemblablement pour-
raient y voir mis en cause certains de leurs intérêts, et cela afin
d'obtenir leur assentiment préalable ou, au moins, leur acquiesce-
ment. Et que, à cette fin, le texte originaire soit révisé de façon
opportune, avant qu'il ne soit «lancé» dans l'arène multilatérale.
Il est évident qu'ici pratique bilatérale et pratique multilatérale
s'entrecroisent, même en dehors de l'enceinte désignée pour la
négociation officielle.
Une autre remarque a trait au problème, déjà évoqué, des com-
portements successifs à l'adoption d'un texte, lorsqu'ils sont utili-
sables pour y découvrir une pratique d'un Etat conforme à ce texte,
encore que, à l'occasion de l'adoption de celui-ci, l'Etat en question
ne l'eût pas appuyé. Ces comportements peuvent prendre les formes
les plus diverses. On pourra, dès lors, noter l'absence d'opposition
à un comportement d'un autre Etat conforme au texte en ques-
tion, si ce comportement lèse les intérêts de l'Etat à l'égard duquel
il est tenu. On pourra aussi noter, par exemple, le fait de se servir
du texte en son temps contesté. Ainsi, l'appui à une résolution qui
dans son préambule cite le texte en question peut constituer un
indice d'assouplissement successif d'opposition. De même, l'utilisa-
tion d'une référence audit texte (par exemple lorsque celui-ci est
visé comme point de l'ordre du jour d'une réunion postérieure)
pour y accrocher des déclarations faites par l'Etat qui en son temps
s'y était opposé. Et ainsi de suite. En deux mots, on ne saura jamais
trop insister sur le contexte, antérieur ou postérieur, des prises de
position des Etats.
En vérité, il est fort possible que, par un ensemble de facteurs
312 Luigi Ferrari Bravo

qui se manifestent à des occasions diverses et dans des enceintes


qui ne sont pas les mêmes, des pratiques se forment qui auront eu
comme point de départ un texte, souvent non contraignant et aussi,
parfois, contesté 86 . S'il n'en était pas ainsi on ne s'expliquerait pas
pourquoi des organes importants tels que l'Assemblée générale des
Nations Unies sacrifient énormément de temps et d'efforts pour
rédiger des déclarations, dites de principes, tout en sachant qu'il ne
s'agit pas d'établir des textes contraignants et que, de surcroît, il
s'agit souvent de textes controversés. Ils le font, en effet, parce
que les Etats participants savent bien qu'à partir de tels textes
peut se dégager un processus de création normative. Que celui-ci
passe, par la suite, par des chemins autres que celui de sa matrice
originaire, peu importe. Ce qui compte c'est le résultat. Un résultat
qui relève, enfin, de la formation du droit coutumier et qu'accep-
tent, peut-être sans l'avouer, aussi les Etats qui se font, en théorie
générale, les champions de la négation de la capacité, pour la cou-
tume, de contribuer, dans le monde contemporain, à l'évolution
du droit international.

3. Toute recherche sur l'évolution contemporaine de la pratique


des Etats vis-à-vis des règles coutumières du droit international fait
une place de choix aux tendances qui se dégagent au sein de la
Commission du droit international, qui est l'organe subsidiaire de
l'Assemblée générale des Nations Unies spécialement habilité à
s'occuper de la codification du droit international. Même si les
membres de la Commission y siègent à titre individuel, il est cons-
tant que beaucoup d'entre eux occupent des postes de haute res-
ponsabilité diplomatique dans leurs pays respectifs et que, de sur-
croît, à l'occasion de la discussion, à la Commission juridique de
l'Assemblée générale, du rapport annuel de la Commission, bon
nombre des membres de la Commission du droit international y
participent en tant que délégués de leur pays.
Il y a donc un fort degré d'interdépendance des deux organes
auquel s'ajoute l'ensemble des entités documentaires constitué par
les réponses des Etats aux questions qui, par l'intermédiaire de
l'Assemblée générale, leur sont posées par la Commission du droit
international au fur et à mesure que le travail de codification pro-
gresse. Débats de la Commission du droit international, réponses
des Etats y afférentes, débats de la Sixième Commission de l'Assem-
blée générale deviennent ainsi une des sources les plus précieuses
La coutume internationale dans la pratique des Etats 313

aux fins de la connaissance de l'attitude des Etats sur les matières


qui sont l'objet de la codification.
Cette réalité est bien présente à l'esprit de la Cour internationale
de Justice qui s'est souvent référée aux travaux de codification en
cours (c'est-à-dire même avant qu'ils ne soient pris en considération
par les Etats pour en faire l'objet d'une convention codificatoire).
Qu'il suffise de rappeler à cet égard l'avis consultatif donné, à la
demande de l'Organisation mondiale de la Santé, sur les questions
de droit connexes au projet de déplacement, du Caire à Amman,
d'un bureau de l'organisation. Les travaux de la Commission du
droit international sur la question des traités entre Etats et organi-
sations internationales y ont été utilisés87.
L'épisode que l'on vient de mentionner n'est pas isolé. 11 témoigne
de l'attention aiguë que la Cour apporte à l'évolution de la pratique
des Etats dans les forums où celle-ci se forme aujourd'hui, même
s'il s'agit de pratique en formation. D'ailleurs, la Cour internationale
de Justice avait admis de pouvoir tenir compte des conventions
codificatoires même à l'égard des pays qui ne les auraient pas rati-
fiées, lorsque la règle conventionnelle en question apparaissait, au
vu des tendances qui s'étaient dégagées lors de sa formation, comme
le reflet de la situation du droit coutumier88. Plus récemment, et
même si cela était prévu par le compromis entre les parties au diffé-
rend, la Cour a tenu compte des simples tendances qui se font jour
dans une œuvre de codification qui n'est pas encore achevée89.
La sensibilité de la Cour internationale de Justice aux nouvelles
tendances du droit international se manifeste aussi par rapport aux
formes diverses que prend la pratique contemporaine des Etats, des
formes que nous avons essayé de décrire dans les deux chapitres
qui précèdent.
Ainsi, comme on l'a déjà rappelé, la Cour n'a pas hésité à déduire,
des manifestations d'opinion exprimées par des Etats au sein d'une
organisation internationale, l'existence d'une opposition de vues
entre deux Etats déterminés (donc quelque chose qui ressemble à la
pratique bilatérale) et cela pour affirmer que la condition de l'in-
succès des négociations, préalable à la saisine de la Cour, était rem-
plie (affaires du Sud-Ouest africain, arrêt du 21 décembre 1962)90.
De même, la Cour s'est montrée assez libérale dans l'utilisation
de formes modernes de manifestation de l'attitude d'un Etat, ainsi
que le témoignent tant les deux arrêts sur les Essais nucléaires
(1974)91 que l'arrêt concernant le Plateau continental de la mer
314 Luigi Ferrari Bravo

Egée (1978) où la Cour a admis qu'un simple communiqué conjoint


émis à la suite d'entretiens entre les parties au différend aurait pu,
dans les circonstances appropriées, constituer la base consensuelle
de la juridiction de la Cour elle-même92.
Si les prises de position de la Cour qu'on vient de mentionner
(et auxquelles on pourrait en ajouter d'autres) témoignent de l'at-
tention de la plus haute juridiction internationale à la phénoméno-
logie contemporaine de la pratique des Etats, elles témoignent aussi
du désir de la Cour de se tenir le plus proche possible des particu-
larités de l'affaire concrète qui est soumise à son jugement. Cela non
seulement dans le but de rechercher une solution juste en droit
et aussi équitable (but qui pourtant nous semble de plus en plus
préoccuper la Cour) 93 , mais aussi pour faire ressortir le plus claire-
ment possible que la solution à laquelle la Cour arrive dans sa dé-
cision est aussi une solution que les parties auraient trouvée par
consentement mutuel si elles avaient mené jusqu'au bout des négo-
ciations entre elles. La Cour en d'autres mots essaie de convaincre
les lecteurs de ses arrêts que les solutions qu'elle retient sont, tant
pour ce qui concerne les règles de droit appliquées que pour ce qui
a trait aux conséquences de cette application du droit, aussi des
conclusions qui jouissent d'un certain degré de consentement des
parties concernées.
L'exploration des implications ultimes de cette tendance que
nous croyons déceler dans la jurisprudence de la Cour internatio-
nale de Justice pourrait se faire sous des points de vue très divers.
Nous nous bornerons, dans le paragraphe qui suit, et à titre de
conclusion de notre discours, à en indiquer un seul qui, plus que
les autres, nous semble pertinent à l'objet du présent essai.

4. La tendance, assez manifeste dans la jurisprudence la plus


récente de la Cour internationale de Justice, vers la recherche du
consentement des parties au différend sur l'application, à l'affaire
en discussion, de la règle du droit international 94 , peut-elle faire
penser que la Cour penche vers la contractualisation du droit inter-
national général? Doit-on dire, alors, que la Cour, encore qu'indi-
rectement, donne un appui aux thèses qui prônent un renouveau
de l'ancienne théorie de Grotius selon laquelle la coutume ne serait
qu'une convention tacite ?
Cette conception de la coutume a pas mal de partisans aujour-
La coutume internationale dans la pratique des Etats 315

d'hui95. Surtout les pays du tiers monde, qui, lorsqu'ils appuient le


processus de codification du droit international, le font, de toute
évidence, en vue de son «développement progressif», donc, à leurs
yeux, de son changement. Or, ce changement ne peut se faire, dans
des délais rapides, que par voie de substitution, à la règle coutu-
mière, d'un accord de codification liant la totalité ou presque des
Etats membres de la communauté internationale. Sur ce point,
d'ailleurs, les exigences du tiers monde se lient à la position de
principe des Etats socialistes qui, comme tout le monde sait, favo-
risent nettement l'accord comme source des règles matérielles du
droit international.
Dans cette situation, qui voit la plus haute juridiction interna-
tionale prise un peu entre Charybde et Scylla, on s'explique la ten-
dance à rechercher la solution qui s'adapte le mieux aux exigences
du cas concret, en évitant, dans la mesure du possible, toute prise
de position de caractère général et abstrait. D'où la partie prépon-
dérante faite à la pratique des Etats parties au différend, une « pra-
tique » qui interprète la règle de droit et qui pourrait, le cas échéant,
faire ressortir aussi l'existence d'une coutume interprétative à por-
tée réduite, liant ces Etats et ces Etats seulement.
A notre avis, et tout en faisant la partie qui leur appartient aux
coutumes «non générales», soient-elles régionales ou pas, ainsi que
tout en donnant une importance non négligeable aux pratiques d'où
peuvent découler des obligations par le biais de phénomènes tels
que Y estoppel, il ne nous semble pas qu'on en soit déjà à l'abandon
de l'idée même de règle coutumière générale. Il est vrai plutôt que,
à notre époque, les règles coutumières sont soumises à un processus
de changement assez poussé, où la codification, qu'elle soit achevée
ou non, qu'elle donne lieu ou non à une convention codificatoire
ratifiée par la grande majorité des Etats, joue un rôle important
comme point de référence de la recherche des attitudes des Etats.
En effet, ainsi que l'ont remarqué d'autres auteurs, on peut bien
se demander si les travaux de codification, même lorsqu'ils n'abou-
tissent pas à un accord universellement accepté, ne seraient pas
utilisables comme « preuve » de Y opinio juris qui soutient la règle
coutumière et cela à travers l'examen de la pratique des Etats qui
se serait formée autour de ces travaux96. D'ailleurs, s'il devait s'agir
d'une convention tacite, elle serait au moins une convention non
taciturne car dans le monde d'aujourd'hui une foule d'Etats sont
amenés à se prononcer sur ces règles, donc un nombre d'Etats
316 Luigi Ferrari Bravo

beaucoup plus grand que ceux qui formaient la Respublìca Chris-


tiana dont on parlait à l'époque de Grotius.
Encore une fois, en effet, nous nous trouvons dans une zone de
frontière. Zone de frontière entre droit coutumier et droit conven-
tionnel, entre droit général et droit propre à un nombre réduit
d'Etats, entre droit et pratique capable de produire des situations
juridiques obligatoires. C'est un signe de la fluidité du droit inter-
national contemporain.
Toutes ces réflexions nous ramènent aussi à un autre point qu'on
avait déjà évoqué au début de notre exposé, à savoir la vitesse de
l'évolution contemporaine du droit international97. On a parlé, à
ce propos, et avec quelque peu d'exagération, de droit coutumier
instantané. Sans doute la nouvelle dimension de la communauté
internationale ainsi que l'évolution toujours plus rapide de la science
et des technologies y ont leur part. Mais si l'on se retourne vers le
passé on peut se demander si de tels phénomènes ne s'étaient pas
déjà produits quand les pays du concert européen arrivaient à «im-
poser» assez rapidement des règles nouvelles. La vérité, à notre
avis, c'est que des règles qui préexistent à l'état latent peuvent,
sous la pression d'événements non prévus, se manifester presque sou-
dainement, à cause de la formation rapide d'une pratique générale
conforme à leur contenu. Cela arrive, à l'époque contemporaine,
plus souvent que dans le passé98.
Le phénomène de la vitesse du changement des règles non écrites
du droit international général est peut-être le phénomène le plus
caractéristique de l'état contemporain de ce droit. C'est un phéno-
mène typique d'une époque d'instabilité et d'incertitude qui est la
nôtre et il nous a paru opportun de le rappeler ici, en conclusion
de notre discours.
317

NOTES

1. L'origine de la formule en question se trouve dans une proposition faite


par le baron Descamps, en tant que président du Comité consultatif de juristes,
qui élabora le Statut de la Cour permanente de Justice internationale. Voir
Procès-verbaux des séances du Comité, La Haye, 1920, p. 306. La discussion
sur ce point ne semble pas avoir donné lieu à des difficultés.
2. La critique de l'idée selon laquelle on pourrait rechercher la «source»
des règles coutumières a été développée surtout par Ago, dans Scienza giuri-
dica e diritto internazionale, Milan, 1950, notamment pp. 84 ss., et dans «Droit
positif et droit international », Annuaire français de droit international, 1957,
pp. 14 ss. et notamment 49 ss.
3. Dans l'affaire du Droit d'asile (Colombie/Pérou) (arrêt du 20 novembre
1950) la Cour internationale de Justice admet la possibilité d'existence de
coutumes locales (ici relevant du «droit international américain»), mais elle
observe {CURecueil 1950, p. 276) :
«La Partie qui invoque une coutume de cette nature doit prouver
qu'elle s'est constituée de telle manière qu'elle est devenue obligatoire
pour l'autre Partie. »
Plus tard, dans l'affaire du Droit de passage sur territoire indien (Portugal c.
Inde) (arrêt du 10 avril I960), la Cour va même au-delà en admettant qu'une
coutume locale puisse lier deux Etats seulement (CU Recueil 1960, p. 39).
Mais elle ajoute immédiatement :
« La Cour ne voit pas de raison pour qu'une pratique prolongée et
continue entre deux Etats, pratique acceptée par eux comme régissant
leurs rapports, ne soit pas à la base de droits et d'obligations réciproques
entre ces deux Etats. » (Les italiques sont de nous.)
On peut se demander si les éléments que nous avons mis en relief dans les deux
passages ne peuvent orienter, dans la pensée de la Cour, la recherche d'une
coutume locale vers une direction qui est en effet très proche de phénomènes
paraconventionnels (accord tacite, acquiescement). De toute façon la valeur
de la pratique en tant que telle semble un peu se superposer à la valeur de
l'entité normative (la règle coutumière). Ceci nous permet de renvoyer aux
développements qui suivent et notamment à ce qui est dit, infra, au chapitre IV.
4. Pour l'état actuel des travaux sur le code voir le rapport de la Commis-
sion des sociétés transnationales, session extraordinaire (1983) à l'ECOSOC:
doc. E/C.10/1983/S/5/Rev.l. Le texte du code y est annexé. Parmi les para-
graphes les plus riches de formules alternatives, toujours entre crochets, on
trouve le paragraphe 54 intitulé Nationalisation et indemnisation. Les diffé-
rentes variantes reflètent les positions des différents groupes d'Etats.
5. Voir sur ce point, dans la doctrine la plus récente, par exemple Gattiker,
« Behandlung und Rolle von Auslandinvestitionen im modernen Völkerrecht :
eine Standortbestimmung», Annuaire suisse de droit international, XXXVII
(1981), pp. 25 ss. En général, pour la pratique consistant à régler par des
paiements forfaitaires des dettes causées par des nationalisations (mais il s'agit
essentiellement ou bien de situations liées aux événements de la seconde guerre
mondiale ou bien de situations assez spéciales comme celle causée par les faits
qui ont suivi la nationalisation du Canal de Suez), voir Lillich et Weston (ed.),
International Claims: Their Settlement by Lump-Sum Agreements, 2 vol.,
Charlottesville (Va.), 1975, avec ample reproduction de textes d'accords en la
matière.
318 Luigi Ferrari Bravo

6. Voir sur ce point l'ample analyse de Triggiani, Il trattamento della


nazione più favorita, Naples, 1984, spécialement pp. 77 ss., 221 ss., qui con-
tient aussi une bibliographie pertinente. Ce n'est pas un mystère que le projet
d'articles approuvé en 1978 par la Commission du droit international à sa
trentième session (Annuaire CDI, 1978, vol. II, 2, pp. 7 ss.) n'a pas encore
trouvé une issue devant l'Assemblée générale des Nations Unies.
7. Aussi bien pour des raisons d'ordre pratique (disponibilité de la docu-
mentation nécessaire: voir infra, chapitre IV, paragraphe 1) qu'au nom de
l'idée, très répandue, que le droit international était, en dernier ressort, le
produit de la volonté des grandes puissances, la doctrine positiviste se bornait
à la recherche de l'attitude de certains Etats (les pays européens occidentaux,
la Russie, les Etats-Unis, parfois le Japon et la Turquie) et, lorsque celle-ci était
concordante, proclamait l'existence de règles générales du droit international.
Le reste des Etats membres de la communauté internationale n'étant considé-
rés pas plus que des spectateurs (notamment les pays de l'Amérique latine).
C'est ainsi que certaines normes du droit international (surtout en matière de
condition des étrangers) ont donné l'impression d'avoir été «imposées».
8. Au fur et à mesure que les sujets dont s'occupent les règles générales du
droit international s'élargissent, le nombre des «Etats clés» augmente car il
n'est pas possible de se passer de l'attitude de pays, même en soi assez faibles,
qui se trouvent au carrefour des intérêts (économiques, sociaux, stratégiques)
qui sont en jeu dans la formation (ou l'évolution) d'une règle juridique. L'ex-
périence de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer
en est un exemple eminent.
9. L'article 1 du compromis entre la Libye et la Tunisie qui a été à la base
de la juridiction de la Cour internationale de Justice dans l'affaire du Plateau
continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (arrêt du 24 février 1982) de-
mandait à la Cour de «tenir compte ... des tendances récentes admises à la
troisième Conférence sur le droit de la mer» (CIJ Recueil 1982, p. 21). Le
compromis avait été signé le 10 juin 1977; la Conférence s'est achevée le
10 décembre 1982.
10. La notion de «patrimoine commun de l'humanité» a été utilisée sur-
tout à propos de l'environnement mais elle va bien au-delà de ce domaine.
Parmi les publications les plus récentes voir Kiss, « La notion de patrimoine
commun de l'humanité», Recueil des cours, tome 175 (1982-11), pp. 99 ss.,
ainsi que la bibliographie y annexée.
11. Voir Cheng, « United Nations Resolutions on Outer Space : "Instant"
International Customary Law?», Indian Journal of International Law, vol. 5
(1965), pp. 23 ss.
12. A notre avis, une façon correcte de poser le problème est celle qui ins-
pire l'article d'Arangio-Ruiz, «The Normative Role of the General Assembly of
the United Nations...», Recueil des cours, tome 137 (1972-IH), pp. 419 ss.,
notamment pp. 444 ss. et 469 ss. Ceci, pourtant, n'implique pas que nous
partagions toutes les vues de ce distingué juriste.
13. La Convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités
a été adoptée le 22 août 1978 par 76 voix pour et 4 abstentions. Elle n'est pas
encore entrée en vigueur. Celle sur la succession d'Etats en matière de biens,
dettes et archives d'Etat a été adoptée (Vienne, 7 avril 1983) par 54 voix pour,
11 contre et 11 abstentions. Il est à noter que toutes les voix négatives et les
abstentions proviennent de pays occidentaux, dont aucun n'a voté en faveur.
14. Après avoir exposé de façon détaillée le régime des baies, l'article 10
de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego Bay,
10 décembre 1982) se borne à dire: «6. Les dispositions précédentes ne s'ap-
pliquent pas aux baies dites «historiques»...» Il ne donne pas non plus de
définition de ce qu'est une baie historique, en renvoyant ainsi au droit coutu-
mier préexistant. L'autre référence de la convention auxdites baies, contenue
à l'article 298, ne donne pas, elle non plus, de précisions.
La coutume internationale dans la pratique des Etats 319

15. Il nous semble utile de citer le passage qui suit :


« une règle de droit international, coutumier ou conventionnel, ne s'ap-
plique pas dans le vide ; elle s'applique par rapport à des faits et dans le
cadre d'un ensemble plus large de règles juridiques dont elle n'est qu'une
partie. Par conséquent, pour qu'une question présentée dans les termes
hypothétiques de la requête puisse recevoir une réponse pertinente et
utile, la Cour doit d'abord s'assurer de sa signification et en mesurer
toute la portée dans la situation de fait et de droit où il convient de
l'examiner.» (Avis consultatif du 20 décembre 1980,Interprétation de
l'accord du 25 mai 1951 entre l'OMS et l'Egypte, CU Recueil 1980,
p. 76.)
16. Voir notamment Kelsen, «Théorie du droit international coutumier»,
Revue internationale de ¡a théorie du droit, 1939, pp. 253 ss. Dans le même
sens, dans la doctrine italienne, Quadri, Diritto internazionale pubblico, 5 e éd.,
Naples, 1968, p. 130.
17. Pour ce qui concerne la question des prises de position par groupes
d'Etats voir infra, chapitre III, paragraphes 9 et 10.
18. La pratique récente offre de nombreux exemples. Qu'il suffise de rap-
peler la guerre qui se poursuit depuis des années entre l'Iran et l'Iraq, qui sont
pourtant tous les deux membres des Nations Unies et qui échangent, au sein
de l'Organisation, toutes sortes d'accusations. Ou le différend entre les Etats-
Unis et le Nicaragua, ou encore l'opposition entre la Chine et le Viet Nam.
19. En effet une large partie de la pratique qui se forme au niveau des or-
ganisations internationales s'explique si on a à l'esprit l'existence, au sein de
ces organisations, de phénomènes conventionnels ou paraconventionnels, qui
d'ailleurs peuvent coexister, sur le même sujet, avec des phénomènes qui n'ont
pas cette nature. Voir sur ce point les développements de Conforti, «Le rôle
de l'accord dans le système des Nations Unies », Recueil des cours, tome 142
(1974-11), pp. 203 ss.
20. Voir l'article 6 du projet d'articles adopté par la Commission :
« Le comportement d'un organe de l'Etat est considéré comme un fait
de cet Etat d'après le droit international, que cet organe appartienne au
pouvoir constituant, législatif, exécutif, judiciaire ou autre, que ses fonc-
tions aient un caractère international ou interne, et que sa position dans
le cadre de l'organisation de l'Etat soit supérieure ou subordonnée. »
Pour son commentaire voir Annuaire de la CDI, 1973, II, pp. 197 ss.
21. Sur ce point nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrageJDiViffo
internazionale e diritto interno nella stipulazione dei trattati, Naples, 1964,
notamment pp. 108 ss. Voir la bibliographie et la pratique pertinentes.
22. Voir Anzilotti, Corso di diritto internazionale (1928), éd. SIOI, Padoue,
1955, p. 73.
23. Voir à ce sujet les articles 8 et 11 du projet d'articles sur la responsabi-
lité des Etats adopté par la Commission du droit international, mais voir sur-
tout l'arrêt de la Cour internationale de Justice du 24 mai 1980 dans l'affaire
relative au Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran
(Etats-Unis d'Amérique e. Iran), CU Recueil 1980, pp. 3 ss., notamment
p. 35.
24. Nous soulignons l'adverbe «normalement». Car il y a des accords,
conclus par échange de notes, où le contenu des deux notes n'est pas identique.
Il s'agit d'une question purement technique, le problème restant toujours celui
de bien saisir le contenu de l'accord et d'en interpréter correctement les dis-
positions.
25. L'entrée en vigueur du compromis qui a permis la saisine de la Cour
internationale de justice dans l'affaire du Plateau continental (Jamahiriya
arabe libyenne/Malte), terminée récemment par l'arrêt de la Cour du 3 juin
320 Luigi Ferrari Bravo

1985, a été précédée par des moments de tension entre les deux Etats qui
s'accusaient réciproquement du retard dans l'échange des ratifications du
compromis. Cette question fut portée par Malte devant le Conseil de sécurité
des Nations Unies (voir parmi les différents documents publiés à l'époque le
rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité, doc. S/14786, du 9 dé-
cembre 1981).
Toutefois les parties réussirent à régler leurs divergences sans qu'il y eût de
prise de position du Conseil et l'échange des ratifications eut lieu en juillet
1982.
26. En effet tout Etat peut demander l'inscription à l'ordre du jour de
l'Assemblée générale de n'importe quel point (règles 13 et 14 du règlement).
Il y a seulement des limites temporelles (règle 15). Bien évidemment, l'ordre
du jour tout entier doit être approuvé par l'Assemblée sur rapport du Comité
général et l'Assemblée pourrait éliminer des points (règle 22). Mais dans la pra-
tique on ne recourt presque jamais à cette procédure et si la discussion de cer-
tains points est jointe, cela se fait d'habitude avec l'accord de l'Etat intéressé.
27. Lorsqu'un point est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée générale
(ou du Conseil de sécurité) la mention de ce point est accompagnée par des
références aux documents pertinents : par exemple, les résolutions adoptées
par l'Assemblée à des sessions antérieures sur ce même point de l'ordre du
jour. Or, si, en prenant pour base le point en question, l'Etat X décide d'y lier
un document qu'il désire porter à la connaissance des autres membres de l'Or-
ganisation, on peut présumer que cet Etat reconnaisse une certaine validité à
l'objet de la discussion prévue par le point en question. La chose peut avoir de
l'importance si, par exemple, la discussion dont il s'agit porte sur le point de
vérifier les suites données par les Etats à une résolution adoptée dans le passé
et si l'Etat qui se sert de ce point de l'ordre du jour avait, en son temps, voté
contre la résolution en question (ou s'il s'était abstenu). On pourrait alors voir
dans le nouveau comportement un indice de consentement successif au texte
de la résolution à laquelle l'Etat s'était, auparavant, opposé.
28. Tant à l'occasion de la signature qu'à celle de la ratification de la Con-
vention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego Bay, 10 décembre
1982) un grand nombre d'Etats signataires (ou ratifiants) ont assorti leur si-
gnature (ou ratification) de déclarations, parfois très longues et détaillées, sur
différents aspects, importants même, de la convention. Il faudra donc, si et
quand la convention entrera en vigueur, faire état de tout ce matériel pour
en comprendre la portée dans une affaire déterminée qui pourrait concerner,
le cas échéant, aussi les rapports entre la convention et le droit coutumier
préexistant, auquel celle-ci fait, à plusieurs reprises, référence.
29. Ce revirement consista essentiellement dans le refus d'accepter la par-
tie XI de la convention qui vise à établir une Autorité internationale des fonds
marins (au-delà des limites de la juridiction nationale) qui serait seule compé-
tente à accorder les permis d'exploitation minière moyennant le paiement de
royalties en faveur de l'Autorité elle-même (qui les redistribuerait à tous les
Etats contractants, notamment aux pays sous-développés) et d'autres obliga-
tions spécifiées par la convention. La position américaine, qui a aussi porté
sur la signature, à Genève, le 3 août 1984, d'un mini-accord entre huit pays
industrialisés, dont la compatibilité avec la Convention de Montego Bay est
contestée, est aussi à l'origine du refus de signer la convention non seulement
des Etats-Unis mais aussi d'autres pays développés tels que le Royaume-Uni et
l'Allemagne fédérale. Ces mêmes pays, ainsi que d'autres Etats qui, tout en
partageant les soucis des Etats-Unis, ont pourtant décidé de signer la conven-
tion, s'efforcent de convaincre les autres à entamer un processus de renégocia-
tion de la partie XI en vue d'arriver à un texte acceptable par tous.
30. Voir arrêt du 20 décembre 1974, CU Recueil 1974, pp. 253 ss., et sur-
tout 268 ss. (Australie c. France), et pp. 457 ss., notamment 473 ss. (Nouvelle-
Zélande c. France). On pourra rappeler aussi l'arrêt de la Cour du 19 décembre
La coutume internationale dans la pratique des Etats 321

1978 dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie),


CU Recueil 1978, pp. 3 ss., où toutefois la Cour arriva à la conclusion qu'un
communiqué conjoint émis à Bruxelles à la suite d'entretiens entre les deux
Etats n'était pas une preuve suffisante de l'intention des parties de signer un
compromis établissant la juridiction de la Cour. Par conséquent, la Cour se
déclara non compétente à juger de l'affaire.
31. Voir supra, dans ce même chapitre, paragraphe 3.
32. Voir Ferrari Bravo, op. loc. cit. supra à la note 21.
33. Voir, par exemple, McNair, International Law Opinions, Cambridge
1956, 3 vol., qui contient une première sélection des opinions des juristes de
la Couronne britannique.
34. Le texte de la note adressée par le secrétaire d'Etat Stimson en date
du 7 janvier 1932 aux Gouvernements de la Chine et du Japon est reproduit
dans Hyde, International Law Chiefly as Interpreted and Applied by the US,
Boston, 1945, vol. 1, pp. 374 ss., qui fait état aussi de la bibliographie contem-
poraine à renonciation de la doctrine Stimson.
35. On peut citer, pour l'Allemagne fédérale la fameuse doctrine Hallstein,
maintenant répudiée, par laquelle la République fédérale d'Allemagne devait
interrompre toute relation diplomatique avec les Etats qui reconnaîtraient la
République démocratique allemande. Quant à l'URSS, la soi-disant doctrine
Brejnev de la «souveraineté limitée» des pays du camp socialiste, doctrine
énoncée en 1968 lors des événements de Tchécoslovaquie, est bien connue.
Mais on peut remonter en arrière. En effet une ébauche de philosophie sovié-
tique du droit des relations internationales (par exemple l'idée qu'il faut défi-
nir par des critères précis ce qu'est l'agression) se trouve déjà dans le fameux
Décret sur la paix proclamé par Lénine au début de l'époque révolutionnaire.
36. Le texte de la Tate letter peut se lire dans Whiteman, Digest of Inter-
national Law, vol. 6, Washington, 1968, pp. 569 ss.
37. Encore une fois l'exemple le plus connu est celui de la déclaration des
Etats-Unis faite par le président Truman en date du 26 août 1946 (mais ré-
cemment amendée dans un sens encore plus restrictif). Il y est dit que
« this declaration shall not apply ...(b) disputes with regard to matters
which are essentially within the domestic jurisdiction of the United
States of America as determined by the United States of America . . . »
(Voir International Court of Justice, Yearbook 1983-1984, p. 90.)
38. Voir Kissinger, White House Years (premier tome des Mémoires),
Boston-Toronto, 1979, p. XXII.
39. Le texte du document, publié par le département d'Etat américain, est
reproduit dans American Journal of International Law, 1966, pp. 565 ss.
40. Sur l'évolution de la pratique britannique en la matière voir Sinclair,
«The Law of Sovereign Immunity. Recent Developments», Recueil des cours,
tome 167 (1980-11), pp. 113 ss., notamment pp. 147 ss., 257 ss.
41. La situation du droit international en la matière ne peut être discutée
ici. La pratique des lump-sum agreements est compensée dans certains accords
internationaux, même récents, par la réaffirmation de la règle selon laquelle la
compensation, en cas de nationalisation, doit être «prompte, effective et adé-
quate». Mais en même temps les Etats destinataires de l'investissement sont
assez réticents à l'arbitrage en cas de différend et surtout à l'arbitrage interna-
tional (en effet, ils acceptent plus volontiers des formes telles que" celles pré-
vues par la Convention de Washington de 1965 sur la solution des différends
en matière d'investissement entre Etats et nationaux d'autres Etats, adoptée
sous les auspices de la Banque mondiale, qui en assure aussi le secrétariat:
ICSID). De plus, ils s'opposent très nettement à l'intervention en protection
diplomatique. Il en résulte un état assez flou de la matière.
42. A sa trente-deuxième session l'Assemblée générale des Nations Unies
a établi, par la résolution 32/150, le Comité spécial sur le renforcement du
322 Luigi Ferrari Bravo

principe de non-recours à la force dans les relations internationales. Jusqu'ici


ce Comité a tenu huit sessions sans réussir à se mettre d'accord sur la base
même (ou si l'on veut, le schéma) de la discussion. Quant au projet de traité
présenté par l'Union soviétique il n'a jamais été discuté sérieusement. Peut-être
que des perspectives meilleures s'ouvrent, à de telles initiatives soviétiques,
dans le cadre de la réunion de Stockholm qui fait partie de l'exercice de la
CSCE. Mais, au moment où nous écrivons, même à Stockholm on n'est pas
allé au-delà de l'acceptation de principe, de la part des pays occidentaux,
d'étudier un texte normatif concernant le non-recours à la force.
43. Voir le texte de cette déclaration dans Keesing's Contemporary Ar-
chives, 1978, p, 29295 (le sommet eut lieu à Bonn les 1er et 2 août 1978).
44. Dans la terminologie diplomatique de langue anglaise on parle souvent
de «Helsinki Accords». Mais le mot «accord» n'a pas de sens vraiment contrai-
gnant en langue anglaise. En effet l'Acte d'Helsinki n'est pas un traité mais
quelque chose de sui generis qui s'en approche beaucoup. A ce propos il est
intéressant de noter que tous les documents issus des suites d'Helsinki ne
«peuvent pas», selon plusieurs gouvernements, avoir un rang normatif supé-
rieur à l'Acte d'Helsinki lui-même, et ceci représente un autre obstacle à
l'accomplissement du vœu de l'Union soviétique pour la mise sur pied, au sein
de la CSCE, d'un traité sur le non-recours à la force (voir supra note 42).
45. Nous avons renoncé à donner des exemples car il est difficile de saisir
à sa juste mesure l'importance de la pratique parlementaire sans faire une ana-
lyse détaillée d'une affaire déterminée. En effet, la pratique parlementaire doit,
dans la plupart des cas, être utilisée en conjonction avec la pratique diploma-
tique, ces deux entités se faisant écho. Qu'il nous soit donc permis de renvoyer
le lecteur qui voudrait en savoir plus à la méthode suivie dans l'ouvrage La
prassi italiana di diritto internazionale, 7 vol., publié à partir de 1970 par
Oceana, New York, et couvrant la période 1861-1918. Cet ouvrage, qui est le
résultat du travail d'une vaste équipe de chercheurs coordonnée par nous-même,
peut donner une idée du dosage et des coupures que, d'après nous, il convient
de faire. Pour l'époque la plus récente voir aussi la section «Diplomatie and
Parliamentary Practice» de Vltalian Yearbook of International Law (à partir
de 1975), publiée par les soins de M. Caggiano sous notre supervision.
46. Un commandant militaire, même isolé, peut devoir appliquer une
règle internationale et sa conduite est immédiatement «imputable» à l'Etat.
Et, au vu des circonstances, il n'y a pas de possibilité de remède judiciaire
efficace. D'où la nécessité de la clarté de la règle. D'ailleurs, les exigences de la
discipline militaire font ainsi que l'impact de la règle internationale doit être
ressenti au niveau des forces armées comme le résultat de la volonté des or-
ganes suprêmes de l'Etat. La fameuse querelle quant à la responsabilité de
ceux qui donnent exécution à des « ordres supérieurs » illégaux se base en large
mesure sur la considération de la situation que nous venons de décrire. Sur les
problèmes du droit de la guerre, voir les développements récents de Cassese,
Il diritto internazionale nel mondo contemporaneo, Bologne, 1985, pp. 283 ss.
47. L'article de la convention reconnaît à tout Etat le droit d'établir l'am-
pleur de sa mer territoriale jusqu'à 12 milles des lignes de base. Ici, par consé-
quent, l'acte de législation est prévu par la règle internationale et en permet la
mise en œuvre.
48. Voir affaire du Lotus (France/Turquie, 7 septembre 1927), CPJI,
arrêt n° 9, série A n° 10.
49. L'article 20 du projet de la Commission du droit international est ainsi
rédigé :

« Il y a violation par un Etat d'une obligation internationale le requé-


rant d'adopter un comportement spécifiquement déterminé lorsque le
comportement de cet Etat n'est pas conforme à celui requis par cette
obligation.»
La coutume internationale dans la pratique des Etats 323

La référence à la responsabilité par actes de législation ressort surtout du


commentaire de l'article ainsi que de sa juxtaposition à l'article 21 intitulé
«Violation d'une obligation internationale requérant d'assurer un résultat dé-
terminé». (V'oir Annuaire de la CDI, 1977, vol. II, deuxième partie, pp. 13 ss.)
A la trente-deuxième session de l'Assemblée générale le débat, en Sixième
Commission, sur ce point a permis plusieurs remarques critiques, surtout des
représentants des pays anglo-saxons, qui n'arrivaient pas à saisir l'importance
de cet article.
50. Dans le cadre de la recherche, déjà mentionnée (supra note 45), sur
La prassi italiana di diritto internazionale un des problèmes les plus épineux
a été celui du partage entre les circulaires administratives qui pouvaient être
assimilées aux actes de législation et celles qui n'étaient que de simples phéno-
mènes d'application, par l'autorité administrative, du droit préexistant. Nous
notons ici que parfois le doute n'a pu être totalement dissipé.
51. Voir pour les détails Rousseau, Droit international public, I, Paris,
1970, pp. 251 ss., 263 ss.
52. D'après l'article 177 du traité CEE la Cour de justice des Communautés
européennes peut être saisie par n'importe quel juge national sur toute ques-
tion concernant l'interprétation des traités communautaires ou la validité des
actes de la Communauté. Le prononcé de la Cour s'impose au juge qui l'a saisi. Il
s'impose aussi, de facto, et au nom de l'uniformité de l'interprétation du droit
communautaire, à toutes les juridictions des pays membres. Voir sur les pro-
blèmes de l'article 177 notre commentaire dans Quadri, Monaco, Trabucchi
(éd.), Commentaire CEE, Milan, 1965, à l'article 177. Quant à la jurisprudence
de la Cour de Luxembourg concernant l'Accord général sur les tarifs et le com-
merce (GATT), voir, parmi les nombreux jugements, surtout l'arrêt du 12 dé-
cembre 1974 dans les affaires jointes 21 à 24/72, InternationalFruits Company
NV et autres¡Produktsçhap voor groenen en fruit, Recueil, 1972, pp. 1219 ss.
53. L'arrêt cité dans le texte est celui de la Cour suprême des Etats-Unis
dans l'affaire Banco Nacional de Cuba v. Sabbatino, 376 US 398, et date de
1964. Il a donné lieu à des démarches législatives connues comme le «Second
Hickenlooper Amendment» ainsi qu'à une longue série de décisions jurispru-
dentielies et d'opinions doctrinales qui ont permis un réexamen en profondeur
de la doctrine américaine de 1'« act of State.».
54. Voir la mention de ces mesures, ainsi que des actions en justice enta-
mées (et par la suite canalisée vers le tribunal arbitral irano-américain siégeant
à La Haye), dans les textes qui marquèrent la solution de la crise relative aux
«otages» américains détenus à Téhéran: International Legal Materials, XX,
(1981), n° 1, pp. 223 ss.
55. Voir en ce sens Romano, Corso didiritto internazionale, 2 e éd., Padoue,
1929, pp. 203 ss.; Perassi, Lezioni di diritto internazionale, I, Padoue, 1951,
pp. 120 s.
56. Cette question se présente, au moment où nous écrivons, pour la con-
vocation, à Vienne, en février-mars 1986, de la Conférence de codification sur
les traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations
internationales. Plusieurs Etats (dont notamment l'Union soviétique et la
France) s'opposent à une participation des organisations internationales sur le
même plan que les Etats. Des négociations difficiles sont en cours (aussi sur
d'autres sujets touchant à l'organisation de la Conférence et aux clauses finales
de la future convention). Elles devraient aboutir à la session de 1985 de
l'Assemblée générale où l'on s'attend à l'adoption d'une résolution contenant
des directives pour la Conférence.
57. Tel est le cas, par exemple, de la Conférence du désarmement, organe
désormais permanent qui se réunit à Genève et qui fait rapport, chaque année,
à l'Assemblée générale. Le mandat de la Conférence, qui est justement poly-
valent, se retrouve dans les conclusions de la session spéciale de l'Assemblée
générale sur le désarmement (la dernière de ses sessions a eu lieu en 1982).
324 Luigi Ferrari Bravo

58. La troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer a été
précédée, entre 1968 et 1973, par l'intense activité du Comité des utilisations
pacifiques du fond de la mer et des océans au-delà des limites de la juridiction
nationale, dont les travaux sont consacrés dans les documents publiés sous les
cotes A/AC.135 et A/AC.138, ainsi que dans le rapport final, en plusieurs
tomes (doc. A/9021). Voir aussi Stevenson et Oxman, «The Preparation for
the Law of the Sea Conference », A merican Journal of In ternational Lavi, 1974,
pp. 1 ss.
59. En 1980, au bout de sept ans de négociations on était encore au texte
de négociation composite officieux qui seulement par la suite et vers la fin de
la Conférence a été appelé projet de convention. Voir Buzan, «Negotiating by
Consensus : Developments in Technique at the UN Conference on the Law of
the Sea», American Journal of International Law, 1981, pp. 324 ss.¡Treves,
La Convenzione delle Nazioni Unite sul diritto del mare del 10 dicembre 1982,
Milan, 1983, pp. 4 ss. Voir aussi, pour un tableau des groupes (officieux) de
négociations dans lesquels la Conférence s'est articulée dans sa phase centrale,
la décision prise à sa quatre-vingt-dixième séance plénière (13 avril 1978) et
reproduite dans le document A/CONF.62/62.
60. Les travaux de la Conférence des Nations Unies (UNCTAD) sur ce code
de conduite piétinent. Des sessions de la Conférence sont convoquées de temps
en temps mais sans résultat (la dernière a eu lieu en mai 1985). Il n'y a presque
pas de documents nouveaux ni de procès-verbaux, le dernier texteer consolidé
du projet de code remontant à 1983 (doc.TD/CODE.TOT/41 du 1 décembre
1983). Toutefois la négociation n'est pas abandonnée.
61. Ceci est vrai surtout pour la Conférence de Vienne de 1983 sur la
succession d'Etats en matière de biens, dettes et archives d'Etats où l'affron-
tement ainsi que l'on l'a rappelé plus haut {supra, chapitre I, paragraphe 5, et
note 13) a été très net.
62. Il serait à souhaiter que les Etats s'expriment de manière plus.précise
lorsqu'ils commentent (par écrit ou à la Sixième Commission de l'Assemblée
générale) les travaux de la Commission du droit international au fur et à mesure
que ceux-ci progressent. Ils éviteraient alors de donner l'impression d'approu-
ver des résultats (en encourageant la CDI à continuer dans la voie qu'elle a
choisie) quand, au contraire, ils ont des réserves très lourdes qui voient sou-
vent le jour seulement quand le projet d'articles est achevé. Peut-être un des
facteurs de la réticence des Etats à critiquer à temps l'œuvre de la Commission
du droit international est le fait que souvent ce sont les mêmes membres de la
Commission qui siègent en tant que délégués des Etats à la Sixième Commis-
sion de l'Assemblée générale; ils ne sont donc pas disposés à faire... l'autocri-
tique !
63. Tendance regrettable car le règlement doit s'adapter aux besoins de la
Conférence qui ne sont pas toujours les mêmes. Dans cette optique nous par-
tageons l'accueil très froid que la Sixième Commission de l'Assemblée générale
a réservé à une initiative visant à faire approuver par l'Assemblée générale un
règlement type pour les conférences internationales. Voir le dernier rapport
concernant cette matière, doc. A/38/298 (8 août 1983) et les Add.1 et 2 qui
contiennent les observations de nombreux Etats. Par décision 39/419 du 13 dé-
cembre 1984 l'Assemblée générale a encore une fois renvoyé toute décision
sur la question.
64. Le règlement intérieur de la Conférence est reproduit dans le docu-
ment A/CONF.62/30/Rev.l. L'article 37 dit, entre autres, que
«avant de procéder à un vote sur une question de fond, il y a lieu
d'adopter une décision confirmant que tous les efforts tendant à par-
venir à un accord général ont été épuisés... »
Le même article spécifie dans les détails la procédure de prise de décision qu'il
envisage.
La coutume internationale dans la pratique des Etats 325

65. La Conférence, qui se tint à Genève de 1974 à 1977 sur l'invitation du


Gouvernement suisse, fut précédée par une longue série de réunions officieuses
organisées par le Comité international de la Croix-Rouge et dont le résultat
fut la préparation de deux projets de protocoles qui furent soumis par la suite
à la Conférence. Les deux projets ainsi que le travail préparatoire mené à la
Conférence ont fait l'objet de publication. Voir, Documents officiels de la
Conférence internationale humanitaire applicables dans les conflits armés:
Genève, 1974-1977, Berne, Département politique fédéral, 1978, 17 vol. Voir
aussi le numéro 1-3 de 1978 dela Revue générale de droit international public.
66. Un amendement américain qui visait à renforcer la valeur interprétative
des travaux préparatoires, et qui avait été proposé par le professeur McDougal,
reçut très peu de soutien et fut, en définitive, retiré. Voir la description des
positions américaines à la Conférence de Vienne dans Kearney et Dalton, «The
Treaty on Treaties D , American Journal of International Law, 1970, pp. 495 ss.,
spécialement 576 ss.
67. L'article 31, intitulé Règle générale d'interprétation, stipule au para-
graphe 3, qu'«il sera tenu compte, en même temps que du contexte» ... ab) de
toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle
est établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité » ; tandis
que l'article 32, intitulé «Moyens complémentaires d'interprétation», fait
référence aux travaux préparatoires en soulignant leur caractère auxiliaire.
(Les italiques sont de nous.)
68. Avis consultatif du 11 avril 1949, CU Recueil 1949, pp. 173 ss.
69. Avis consultatif du 20 juillet 1962, CU Recueil 1962, pp. 151 ss.
70. Voir, sur le déroulement de la querelle au sein de l'ONU et sur ses
aboutissements, Conforti, Le Nazioni Unite, 3 e éd., Padoue, 1979, pp. 240 ss.
71. Les Nations Unies publient (avec un grand retard) deux répertoires : le
Répertoire de la pratique des organes des Nations Unies et le Répertoire de la
pratique du Conseil de sécurité. Le classement y est fait par articles de la Charte.
72. Cette pratique nous semble prévaloir sur tout argument qu'on pourrait
tirer de l'exégèse de l'article 18 de la Charte. En sens contraire Conforti, op.
cit., pp. 88 ss.
73. Les négociations pointilleuses qui ont accompagné la définition de
l'agression (résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974), la déclaration de
Manille sur la solution pacifique des différends (résolution 37/10 du 15 no-
vembre 1982) ainsi que, bien entendu, la déclaration des Nations Unies sur les
principes de droit international touchant aux relations amicales entre Etats
(résolution 2625 du 24 octobre 1970) en sont la preuve.
74. La question a été discutée à plusieurs reprises à la Sixième Commission
de l'Assemblée générale (voir, par exemple, le procès-verbal de la séance du
9 décembre 1983, A/C.6/38/SR.72, pp. 10 ss.). En gros on peut dire que dans
le cas d'adoption sans vote la dissociation peut être presque totale. En effet,
des Etats arrivent à déclarer que, s'il y avait eu un vote, ils auraient voté contre.
Mais, pourtant, les mêmes Etats n'ont pas demandé de vote.
75. Pour contourner ces dispositions des Etats se prortent coauteurs d'un
projet de résolution seulement à la dernière minute. Ainsi leurs représentants
demandent la parole pour une déclaration de vote avant celui-ci et, après avoir
exprimé toutes les interprétations et éventuellement réserves qu'ils croient
bon de manifester, ils concluent leur déclaration en annonçant leur intention
de se porter coauteurs du texte.
76. La pratique du consensus a été l'objet de nombreuses études : voir, par
exemple, de Lacharrière, «Consensus et Nations Unies•>>, Annuaire français de
droit international, 1968, pp. 9 ss.; Cassese, «Consensus and Some of Its Pit-
falls», Rivista di diritto internazionale, 1975, pp. 754 ss. ; Sperduti, «Consen-
sus in International Law», Italian Yearbook of International Law, 1976,
pp. 33 ss.
77. La résolution 35/49 du 4 décembre 1980 demandait aux Etats et aux
326 Luigi Ferrari Bravo

organisations intergouvernementales internationales intéressées d'exprimer


leurs vues sur l'opportunité de reprendre la considération d'un code de crimes
contre la paix et la sécurité de l'humanité qui avait été abandonnée en 1954
après une première tentative de codification conduite au sein de la Commission
du droit international. Si on considère les prises.de position des Etats sur cette
question on ne peut ne pas noter que les pays occidentaux sont réticents et
parfois même très négatifs. On est surpris par conséquent, lorsqu'on trouve dans
un document (A/36/416, pp. 16 ss.) une réponse assez positive du Conseil de
l'Europe car, jusqu'à preuve du contraire, le Conseil de l'Europe regroupe
justement les Etats qui s'étaient exprimés en termes peu enthousiastes.
78. Sur la déclaration de Manille voir l'article d'Economidès, «La déclara-
tion de Manille sur le règlement des différends internationaux», Annuaire
français de droit international, 1982, pp. 613 ss.
79. Notre expérience nous a permis parfois de constater des contradictions
frappantes entre les soucis (on pourrait dire les scrupules) que se fait la Sixième
Commission et la facilité dont font preuve d'autres commissions (par exemple
la troisième) qui se trouvent souvent à aborder des sujets juridiques. Et pour-
tant il s'agit des mêmes Etats. Sans doute une meilleure coordination serait
souhaitable et peut être possible si la Sixième Commission, débarrassée de
nombreux points de son ordre du jour, reprenait, au moins en partie, sa fonc-
tion consultative des autres commissions.
80. Il nous paraît opportun de signaler ici les conclusions auxquelles est
arrivé le Comité de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle
de l'Organisation sur le sujet de la rationalisation des procédures qu'il a étudié
longuement. Les conclusions ont été entérinées par l'Assemblée générale par
la résolution 39/88B du 13 décembre 1984. Il reste à voir si la mise en œuvre
de ses suggestions aura des effets bénéfiques quant au travail des commissions
de l'Assemblée générale et quant à leur coordination réciproque.
81. Les règles de procédure de la CNUCED (dernière édition dans le docu-
ment TD/B/16/Rev.3 de 1980) regroupent les Etats participants à la Confé-
rence en quatre listes: A, B, C, D. En effet on parle souvent des groupes B
(pays à économie de marché) et D (pays à économie centralisée). Les listes A
et C comprennent des pays qui s'expriment en tant que groupe des Soixante-
dix-sept (avec des exceptions, toutefois, car la liste A comprend la Chine, qui
est indépendante de tout groupe, Israël, qui ne fait partie que du groupe des
Soixante-dix-sept, l'Afrique du Sud, qui se tient à l'écart des négociations et
qui aussi ne fait pas partie du groupe des Soixante-dix-sept comme l'est au
contraire la Roumanie, qui pourtant figure sur la liste D). Ces listes sont mises
à jour périodiquement par la CNUCED surtout lorsque de nouveaux Etats
accèdent à l'indépendance.
82. Au moins jusqu'ici. Pour une esquisse du système de la coopération
politique européenne et de ses structures voir notre contribution dans Monaco,
Pennacchini, Ferrari Bravo, Manuale di diritto comunitario, Turin, 1984,
vol. I, pp. 177 ss., et la bibliographie y mentionnée.
83. Voir à ce sujet, et aussi pour une bibliographie pertinente, Adam, dans
l'ouvrage cité à la note qui précède, pp. 407 ss., notamment 449 ss.
84. Voir déjà l'avis consultatif du 11 juillet \950, Statut international du
Sud-Ouest africain, CU Recueil 1950, pp. 127 ss., spécialement pp. 135 et
142; mais voir aussi l'arrêt du 21 décembre 1962, affaires du Sud-Ouest afri-
cain, CIJ Recueil 1962, notamment pp. 344 ss.
85. On pourrait dire qu'il s'agit essentiellement des Etats-Unis, qui publient
systématiquement et officiellement le Digest of United States Practice in In-
ternational Law (depuis 1973 ; avant ils publiaient périodiquement des Digests
sous le nom d'un curateur comme Moore, Hackworth et Whiteman,' respecti-
vement), et de la Suisse (la rubrique sur « La pratique suisse en matière de
droit international public » dans YAnnuaire suisse de droit international). Mais
en effet des sources documentaires sont disponibles même dans d'autres pays
La coutume internationale dans la pratique des Etats 327

occidentaux à la suite d'initiatives prises par des institutions savantes. Ainsi


on compte pour le Royaume-Uni, Parry, British Digest of International Law
(5 vol.), Londres, 1965, et Lauterpacht (E.), The Contemporary Practice of
the United Kingdom in the Field of International Law, Londres, 1962 ss.;
pour la France, Kiss, Répertoire de la pratique française en matière de droit
international public, Paris, 1962, ainsi que les informations publiées par la
Revue générale de droit international public et par YAnnuaire français de droit
international. Pour l'Italie, La prassi italiana di diritto internazionale, cit., et
les rubriques de pratique contemporaine que publie Vltalian Yearbook of
International Law. Des contributions similaires sont'apportéeS par la Zeitschrift
für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht pour l'Allemagne fédé-
rale; par YAnnuaire canadien de droit international; par la Revue belge de
droit international; par le Netherlands Yearbook of International Law; par
YAustralian Yearbook of International Law, etc.
86. Une recherche intéressante, qu'il serait utile de faire, est celle concer-
nant la cohérence des prises de position d'un Etat dans des enceintes politiques
différentes. Nous avons l'impression que c'est une recherche qui pourrait ré-
server des surprises. Il serait par exemple utile de voir si, à l'échelon des insti-
tutions du Conseil de l'Europe compétentes en matière de droits de l'homme,
les Etats membres s'en tiennent aux mêmes, standards qu'ils soutiennent à
l'échelon universel. En outre, est-ce que le Gouvernement des Etats-Unis
applique les mêmes principes au sein de l'Organisation des Etats américains et
au sein des Nations Unies. L'expérience de l'affaire des îles Falkland ou Ma-
louines telle qu'elle s'est déroulée au printemps 1982 dans les deux organisa-
tions en fait douter.
87. Avis consultatif du 20 décembre 1980, Interprétation de l'accord du
25 mai 1951 entre ¡VMS et l'Egypte, CU Recueil 1980, pp. 72 ss., notam-
ment pp. 92 et 96.
88. Voir l'arrêt du 20 février 1969 dansles affaires du Plateau continental de
la mer du Nord (République fédérale d'Allemagne/Danemark; République fédé-
rale d'Allemagne/Pays-Bas), CIJRecueil 1969, pp. 3 ss., notamment pp. 43 ss.
89. Arrêt du 24 février 1982 dans l'affaire du Plateau continental (Tunisie/
Jamahiriya arabe libyenne), CIJ Recueil 1982, pp. 17 ss., notammentpp. 37 ss.
90. CU Recueil 1962, pp. 344 ss.
91. CIJ Recueil 1974, pp. 265 ss. et 469 ss.
92. CU Recueil 1978, pp. 39,43.
93. C'est à partir de l'affaire du Plateau continental de la mer du Nord, CIJ
Recueil 1969, p. 59, que la Cour s'interroge sur la signification de l'expression
«principes équitables» (de répartition), expression qui maintenant correspond
à la «solution équitable» dont parle l'article 83 de la Convention des Nations
Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982. Voir pour la dernière expres-
sion de la pensée de la Cour l'arrêt du 3 juin 1985 dans l'affaire du Plateau
continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), par. 45.
94. Voir par exemple l'arrêt du 24 février 1982 dans l'affaire du Plateau
continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), CIJ Recueil 1982, par. 118,
p. 84.
95. Voir par exemple Kartashkin, «The Marxist-Leninist Approach: The
Theory of Class Struggle and Contemporary International Law», dans McDo-
nald et Johnson (ed.), The Structure and Process of International Law, La Haye,
Boston, Lancaster, 1983, p. 88.
96. Cette opinion a été soutenue par L. de Lacharrière dans une interven-
tion à la Sixième Commission de l'Assemblée générale, à sa trente-sixième
session (1981): voir doc. A/C.6/36/SR.36 (séance du 30 octobre 1981),
pp. 11 ss. Il est regrettable que le procès-verbal de la séance n'ait pu reproduire
toute la richesse des argumentations développées dans cette intervention que
nous n'hésitons pas à définir comme une des contributions les plus profondes
et brillantes que nous ayons eu la chance d'écouter aux Nations Unies.
328 Luigi Ferrari Bravo

97. Voir supra, chapitre I, paragraphe 4.


98. Cette situation avait été saisie par Quadri (Diritto internazionale pub-
blico, cit., pp. 119 ss., 131 s.) lorsqu'il parlait d'abrogation instantanée d'une
norme coutumiere par un «principe de droit». Tout en repoussant la distinc-
tion entre principes et normes coutumières comme étant fondée sur une ques-
tion de rang respectif des deux catégories (ce qui ramène à l'idée, inacceptable,
de source formelle du droit international non écrit), il reste quand même que
dans sa sensibilité aux données réelles Quadri avait saisi, avant la lettre, l'exis-
tence du problème auquel nous nous sommes référé.
329

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