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La rhétorique

Manuel Maria Carrilho (dir.)

DOI : 10.4000/books.editionscnrs.19177
Éditeur : CNRS Éditions
Année d'édition : 2012
Date de mise en ligne : 29 octobre 2019
Collection : Les essentiels d'Hermès
ISBN électronique : 9782271121998

http://books.openedition.org

Édition imprimée
ISBN : 9782271075109
Nombre de pages : 174
 

Référence électronique
CARRILHO, Manuel Maria (dir.). La rhétorique. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2012
(généré le 22 février 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionscnrs/
19177>. ISBN : 9782271121998. DOI : 10.4000/books.editionscnrs.19177.

© CNRS Éditions, 2012


Conditions d’utilisation :
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LA RHÉTORIQUE
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Collection « Les Essentiels d’Hermès »


dirigée par Dominique Wolton

Directeur de la publication
Dominique Wolton

Responsable de la collection
Éric Dacheux

Secrétariat de rédaction
Émilie Silvoz

CNRS Éditions, Paris, 2012


ISBN : 978-2-271-07239-9
ISSN : 1967-3566
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LA RHÉTORIQUE

Coordonné par
Manuel Maria Carrilho
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 4

Depuis plus de vingt ans, la revue Hermès analyse la place


centrale qu’occupe désormais la communication dans nos sociétés, ses
conséquences et ses mutations profondes. À travers des centaines
d’articles, plus de mille auteurs ont contribué à la construction d’un
nouveau champ de connaissance au-delà des représentations, des idéo-
logies et des discours techniques, économiques et politiques. Ce patri-
moine constitue ainsi une irremplaçable base de données scientifiques
sur l’état de la recherche dans des domaines majeurs : information,
communication, culture, science et politique. C’est ainsi que, pour les
sciences de la communication, ont été abordés depuis 1988 des
concepts essentiels : espace public ; communication politique ; opinion
publique ; journalisme ; réception ; audience ; identité ; diversité cultu-
relle ; économie solidaire ; médiations...
Inscrite dans le sillage de la revue, la collection « Les Essentiels
d’Hermès » souhaite faciliter l’accès à cette recherche contemporaine.
En format poche, chaque ouvrage est construit autour d’un thème et
propose de façon pédagogique un dossier offrant au lecteur :
– une introduction inédite qui dresse de façon synthétique
un état de l’art en fournissant des points de repère et en montrant
les enjeux soulevés par le thème ;
– une sélection de textes fondateurs publiés dans la revue,
réactualisé et retravaillés ;
– des articles inédits pour mieux approcher les différentes
dimensions et cerner les évolutions et les questions qu’engage aujour-
d’hui le thème ;
– des outils qui aident à la compréhension des textes : glos-
saire et bibliographie sélective d’une quinzaine d’ouvrages de base.
Sur la même architecture, la collection propose désormais des
numéros originaux, reflétant les préoccupations et les orientations de
la revue, sur des thèmes porteurs, émergents ou récurrents : la neutra-
lité de l’Internet, les réseaux, les biens communs ou encore les utopies.
Le but est de donner envie au lecteur d’en savoir davantage
et de rappeler qu’à l’ère numérique, le livre demeure un média incon-
tournable pour comprendre le monde et contribuer à la diffusion du
savoir et des connaissances.
Dominique Wolton
Directeur de la publication
http://irevues.inist.fr/hermes
http://www.iscc.cnrs.fr
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Dominique Wolton et l’équipe éditoriale d’Hermès


remercient chaleureusement M. Éric Dacheux (Université
Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand). À l’initiative de cette collec-
tion, il en a assuré la responsabilité depuis 2008 et trente titres
sont désormais disponibles.
La succession est assurée par M. Éric Letonturier
(Université Paris Descartes-Sorbonne).
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SOMMAIRE

Présentation générale
Les métamorphoses de la rhétorique ......................... 9
Manuel Maria Carrilho

Argumentation et anti-rhétorique
Le contenu de la logique classique en France ........... 25
Sylvain Auroux

Argumentation et logique naturelle


Convaincre et persuader ......................................... 41
Jean-Blaise Grize

Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique 55


Jean-Claude Anscombre

Problématologie et argumentation ou la philosophie


à la rencontre du langage ....................................... 83
Michel Meyer

Du discours argumenté
à l’interaction argumentative .................................. 105
Rui Alexandre Grácio

Bibliographie générale ............................................. 123

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La rhétorique

Glossaire ................................................................ 125


Les auteurs ............................................................. 157
Table des matières .................................................. 161

Les termes repris dans le glossaire sont suivis d’un astérisque*


Les notes figurent en fin de texte.
Les textes qui suivent ont été retravaillés pour des raisons
éditoriales.
Les textes de la revue Hermès publiés entre 1988 et 2009
sont en accès libre sur http://irevues.inist.fr/hermes
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Présentation générale
Les métamorphoses de
la rhétorique
Manuel Maria Carrilho

Autrefois discipline phare de l’Antiquité gréco-


latine, la rhétorique commence à décliner à partir de
la Renaissance en Occident, pour tomber dans l’oubli
au XIXe siècle : pourtant, elle retrouvera son éclat
d’antan au XXe. Comment expliquer ce spectaculaire
regain d’intérêt qui en fait désormais une figure de
proue des sciences humaines ?
La rhétorique est étymologiquement l’art
d’argumenter, l’art de parler en public. Elle est née,
probablement, cinq siècles avant notre ère, en Sicile,
lors de conflits juridiques liés à la propriété pour
s’étendre à toutes les manifestations de l’art oratoire.
Or, comme le souligne Dominique Wolton :
« L’argumentation* est indissociable de la commu-
nication, et depuis un demi-siècle, presque tout a
changé en matière de communication. Sans pour
autant susciter de renouvellement substantiel dans les
problématiques de l’argumentation. Tel est le para-

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La rhétorique

doxe1. » La rhétorique ne pouvait par conséquent que


retrouver une place centrale dans le monde contem-
porain, où la communication joue désormais un rôle
essentiel : il ne s’agit plus simplement d’un art, mais
d’une pratique à laquelle nous sommes tous exposés
quotidiennement, quand il ne s’agit pas pour nous
d’en faire usage. En ce sens, il s’agit bien d’explorer
une « nouvelle rhétorique », pour reprendre le titre
du célèbre ouvrage de Chaïm Perelman et Lucie
Olbrechts-Tyteca (1970), et l’on comprend l’intérêt
d’une telle redécouverte, sans laquelle on ne saurait
pleinement comprendre la communication moderne.

Ne pas confondre logique


et rhétorique
Pour définir la rhétorique, le meilleur moyen
est de l’opposer à la logique dont la prétention
centrale est celle de la vérité. Nous savons que, durant
longtemps, cette conception a été le modèle dominant
de l’argumentation. Il n’est donc pas étonnant que la
spécificité d’un registre rhétorique ne puisse être obte-
nue que parallèlement à une critique de la logique.
Ce fut le travail que réalisèrent, dans les années 1950,
deux penseurs originaux qui ont publié la même
année (1958) deux ouvrages qui changèrent en
profondeur la compréhension du travail rhétorique :

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Présentation générale. Les métamorphoses de la rhétorique

The Uses of Argument de Stephen Toulmin et le Traité


de l’argumentation de Chaïm Perelman, écrit en colla-
boration avec Lucie Olbrechts-Tyteca.

L’argumentation
selon Stephen Toulmin
Le principal objectif de Toulmin a été de rendre
autonome le champ argumentatif. Il propose ainsi une
autre conception de l’argumentation, inspirée de la
jurisprudence plutôt que de la logique. Cette inspi-
ration prétend, tout compte fait, réformer la logique
en la rendant plus empirique* par « l’étude des
formes courantes de l’argumentation dans n’importe
quel domaine » (Toulmin, 1986, p. 257) et plus histo-
rique selon l’idée que « dans les sciences naturelles,
par exemple, des hommes comme Kepler, Newton,
Lavoisier, Darwin et Freud ont non seulement trans-
formé nos croyances, mais aussi nos modes d’argu-
mentation et nos modèles de pertinence et de
vérification » (ibid.).
Ainsi, dans l’exemple de Toulmin, il est affirmé
que : « Harry est un sujet britannique » (thèse) ; la
raison est donnée : « Harry est né aux Bermudes »
(donné), transition qui devient admissible par le
recours à une règle de dérivation ; dans ce cas, « un
homme qui est né aux Bermudes est en général un

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La rhétorique

sujet britannique » (justification), fait dont la plausi-


bilité est justifiée et qui rend plus précis « les statuts
et les dispositions légales en question ». Le passage du
donné à la thèse se réalise au moyen d’une règle de
dérivation qui, lorsqu’elle est mise en cause, impose
le recours à d’autres énoncés qui pourront la renfor-
cer. Soulignons que ce passage n’est pas toujours
valable, comme le suggère la logique formelle*, et
surtout il n’est pas indépendant du contexte où il
apparaît. Ceci explique en quoi l’argumentation est
un dispositif complexe qui, mis à part le fait d’inclure
toujours les éléments mentionnés, est modulée par les
caractéristiques spécifiques du domaine dans lequel
elle s’exerce et où elle prétend se faire valoir.
L’ouvrage de Toulmin visait une réforme de la
logique, de sorte qu’elle devienne une science épisté-
mologiquement* plus large, empiriquement plus
fondée et historiquement plus informée. Ce sont là
les réquisits pour une compréhension de l’argumen-
tation qui ne soit pas privée de ses aspects essentiels.
Mais The Uses of Argument n’a pas été à la hauteur
des espoirs de son auteur. Et ce fut en dehors de la
logique que ses effets ont été les plus efficaces et les
plus créatifs, notamment dans le développement
d’études sur la pluralité des pratiques argumentatives,
qui ne peut être réduite à une approche logique.

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Présentation générale. Les métamorphoses de la rhétorique

L’argumentation
selon Chaïm Perelman
C’est là que les voies de Stephen Toulmin et de
Chaïm Perelman se rencontrent. Mais chez Perelman,
les problèmes énoncés par Toulmin vont trouver des
solutions assez différentes. Il suffit, pour s’en convain-
cre, de lire le sous-titre qu’il a donné à son Traité :
La nouvelle rhétorique. Effectivement, il n’est pas
question ici de réformer la logique. Il s’agit plutôt
d’une opposition tranchée, qui vise la constitution
d’un nouveau domaine spécifique. Ce point est décisif
et doit être bien souligné car c’est grâce à lui que s’est
opérée une rupture dont l’enjeu n’est pas négligeable :
couper avec la tradition rationaliste moderne qui,
depuis Descartes, avait justement conduit au privilège
attribué à la logique et au rabattement de l’argumen-
tation sur elle, toutes deux marquées par la nécessité
et l’évidence démonstrative.
Or, Perelman affirme que : « La nature même
de la délibération et de l’argumentation s’oppose à la
nécessité et à l’évidence, car on ne délibère pas là où
la solution est nécessaire et l’on n’argumente pas
contre l’évidence. Le domaine de l’argumentation est
celui du vraisemblable, du plausible, du probable*,
dans la mesure où ce dernier échappe aux attitudes
du calcul » (Perelman, 1970, p. 1). En limitant le
domaine de l’argumentation au vraisemblable, au

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La rhétorique

plausible et au probable, Perelman se concentre sur


un phénomène tout particulier, qu’il considère essen-
tiel dans la théorie de l’argumentation, c’est-à-dire
l’adhésion : « l’objet de cette théorie est l’étude des
techniques discursives permettant de provoquer ou
d’accroître l’adhésion des esprits aux thèses que l’on
présente à leur assentiment » (ibid., p. 5).
C’est pourquoi cette théorie se caractérise comme
une nouvelle rhétorique : par le poids donné à l’adhé-
sion, ce qui importe n’est plus la valeur formelle des
arguments (ce qui était le cas avec la logique), mais
leur caractéristique opératoire et l’espace de leur récep-
tion. Ce qui compte, ce sont les schémas argumentatifs
utilisés et l’auditoire* visé par l’argumentation, car
« c’est en fonction d’un auditoire que se développe
toute argumentation » (ibid., p. 7). Il s’agit donc – à
l’inverse de celle de Toulmin – d’une théorie descrip-
tive plutôt que normative, dont l’ambition première
est la description des différents types d’argumentation.
Son souci des mécanismes de persuasion utilisés dans
un certain contexte la consacre, sans ambiguïté,
comme une authentique théorie rhétorique.

Les apports de la revue Hermès


La revue Hermès a consacré deux numéros (no 15
o
et n 16, 1995) au sujet « argumentation et rhétori-

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Présentation générale. Les métamorphoses de la rhétorique

que ». Ces deux numéros avaient l’ambition de renou-


veler les liens entre l’argumentation, la rhétorique et
la communication, de plusieurs points de vue. Du
point de vue historique, mettant en lumière ses
rapports avec la philosophie ; du point de vue de la
langue, pointant les rapports de la rhétorique, soit
avec la linguistique, soit avec la logique ; du point de
vue de l’ouverture de l’argumentation sur les sciences
de l’homme, valorisant les apports de l’économie, des
savoirs juridiques, de la théorie politique.
Le volume des « Essentiels » consacré à l’argu-
mentation a déjà repris quelques-uns des textes alors
publiés (D’Almeida, 2011). Ici figurent d’autres
approches : celles de Sylvain Auroux, de Jean-Blaise
Grize, de Jean-Claude Anscombre, de Michel Meyer,
ainsi qu’un texte inédit de Rui A. Grácio, qui propose
une nouvelle approche de la dynamique argumenta-
tive, mettant en valeur – dans toute interaction argu-
mentative – le rôle constitutif d’une indépassable
tension entre les diverses parties.
Sylvain Auroux nous rappelle dans son texte les
moments oubliés de l’histoire de l’argumentation, où
le fossé entre la rhétorique et la logique n’était pas
celui que l’on connaît depuis le XVIIIe siècle : le cas de
la « logique » de Port-Royal est, de ce point de vue,
fort instructif, par rapport à une très complexe problé-
matique philosophique qu’il analyse d’une façon
détaillée.

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La rhétorique

Les points de convergence et de divergence entre


la logique et l’argumentation sont au cœur de l’étude
de Jean-Blaise Grize, ainsi que la différence entre la
conviction et la persuasion. Grize parie sur la complé-
mentarité des perspectives, la seule façon de garantir
les trois formes de cohérence (interne, externe et
discursive) que l’argumentation exige. Ce que Grize
valorise, c’est la logique naturelle* qui caractérise le
fonctionnement de la pensée « quand elle ne mathé-
matise pas » et là, le langage naturel se révèle associé
à l’omniprésence de l’argumentatif. Et même si de
façon stricte, l’opposition entre l’argumentation et la
démonstration est critiquable à partir de la pratique
de la science contemporaine, comme l’a montré Grize
dans d’autres travaux (Grize, 1982), cela ne diminue
en rien l’importance de la stratégie qui en constitue
la base ; au contraire, cela ne peut que renforcer
l’importance de la pluralité argumentative, ainsi que
l’attention portée sur la diversité des auditoires.
Ce point a aussi été repris et développé par
Michel Meyer qui, dans la lignée de Chaïm Perelman,
a opposé d’une façon élaborée la logique à l’argumen-
tation. Dans sa perspective, la logique n’autorise
aucune ambiguïté, et l’univocité qui en est la règle
n’est pas le fait des situations réelles d’usage du
langage. Dans ces situations, on ne stipule pas toute
l’information, ni les règles selon lesquelles il faut la
traiter. On laisse aux interlocuteurs, donc à l’audi-

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Présentation générale. Les métamorphoses de la rhétorique

toire, le soin de décider, et même de rendre univoques


les concepts utilisés. C’est cette équivocité, typique
du langage naturel, qui a été à l’origine de la mauvaise
réputation de l’argumentation rhétorique, car si les
termes d’un message sont équivoques, on peut faci-
lement jouer sur cette pluralité des sens, et ainsi mani-
puler l’assentiment de l’auditoire. Cette équivocité
fait cependant la richesse des langues naturelles car,
comme M. Meyer l’a bien souligné, en laissant au
contexte le soin de fournir à l’auditoire les moyens de
trancher en faveur d’un sens, le langage naturel est
susceptible d’une grande souplesse, quasiment infinie
au regard de toute situation possible d’usage.
Cependant, s’il est certain que, comme Perel-
man l’affirme, la théorie de l’argumentation doit
globalement se placer en situation de rupture avec la
tradition rationaliste, il n’en est pas moins vrai qu’elle
doit affronter plus directement les prétentions de ceux
qui, depuis G. Frege, visent la mise en place d’une
compréhension purement logique du langage.

Évolution contemporaine de la
logique et critique de cette évolution
Au-delà des controverses qui ont déchiré ses
propres partisans, ce projet prétend instituer un
langage logique rigoureux, c’est-à-dire un langage où

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La rhétorique

chacun de ses éléments soit référentiellement précis


et corresponde simultanément à la structure logique
même de la réalité. Ces deux conditions, une fois
remplies, permettent à la logique de s’affirmer en tant
qu’instance supérieure et donc critique relativement
au langage ordinaire.
Ainsi s’instaure une philosophie pure du langage
(Rorty, 1990, p. 287), une approche du langage qui
le réduit à la syntaxe et à la sémantique*. Et les
dimensions pragmatique* et rhétorique du langage
sont ainsi remises en second plan, voire élidées.
Contre cette exclusion, d’importantes démarches
théoriques se sont développées dans la pensée contem-
poraine, depuis celles qui débutent avec la mise en
valeur du langage naturel dans la deuxième période
de Wittgenstein, jusqu’aux critiques faites par Strawson
à Russell à propos de la théorie des présuppositions*,
sans oublier l’étude de l’articulation du langage sur
l’action dans le cadre de la théorie des speech acts
d’Austin (1970) et de Searle (1972).
Strawson, quant à lui, a mis en évidence le carac-
tère incontournable de la dimension présupposition-
nelle dans la détermination de la vérité (Strawson,
1977). Grice a montré comment l’implicite assurait
la signification des énoncés2. Mais ce fut Searle qui
porta cette exigence plus loin, lorsqu’il défendit l’idée
selon laquelle la compréhension du sens de la plupart
des phrases était impossible sans une mise en rapport

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Présentation générale. Les métamorphoses de la rhétorique

avec les backgrounds assumptions qui l’accompagnent


toujours. Le contexte devient ainsi décisif pour la
détermination du sens, lequel, selon Searle3, comporte
une grande variété de présuppositions impossibles à
limiter.
Ainsi se dessine un holisme contextuel qui assure
la primauté des présuppositions et qui conteste la
pertinence de la distinction entre la pragmatique et
la sémantique. Mais l’effacement de cette distinction
peut également découler d’une autre approche du
langage qui insiste, non pas sur l’importance, mais
sur l’insuffisance des présuppositions pour produire
du sens.

Le rôle du contexte
Il s’agit de mettre en valeur l’argumentativité de
la langue, selon la perspective que Jean-Claude
Anscombre a développée, en collaboration avec
Oswald Ducrot. Pour ces auteurs, la présupposition
est perçue comme une tactique argumentative des
interlocuteurs, et le contexte est, à son tour, absorbé
par l’argumentation elle-même. L’argumentativisme
radical conduit de cette façon (dans la mesure où il
prétend assurer la conversion totale de l’informatif en
dérivé de l’argumentatif) à un holisme a-contextuel qui
affirme que la valeur sémantique des phrases est de

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La rhétorique

permettre et d’imposer l’adoption de points de vue


argumentatifs vis-à-vis des faits. Choisir de qualifier
un objet de « cher » et non de « bon marché », ce
n’est pas donner des indications quant à son prix,
mais choisir de lui appliquer les topoï relatifs à la
cherté plutôt que ceux concernant le bon marché.
Dans la rhétorique de Perelman, la notion de
contexte apparaît surtout associée à celle d’auditoire,
ce qui permet de lui attribuer plusieurs rôles précis :
il est, par exemple, un élément important pour le
choix des points de départ de l’argumentation, spécia-
lement en ce qui concerne les accords basés sur des
faits ou sur des vérités (Perelman, 1970), et aussi en
ce qui concerne la sélection et l’interprétation des
données. Par ailleurs, son poids est également consi-
dérable aussi bien dans le travail de persuasion que
dans la création métaphorique ou encore dans la varia-
tion de la signification. La prépondérance du rôle de
l’auditoire dans les thèses de Perelman fait de sa théo-
rie de l’argumentation une théorie très fortement
contextualiste ; il n’est donc pas étonnant qu’à la fin
de son Traité, il affirme que « tout langage est celui
d’une communauté, qu’il s’agisse d’une communauté
unie par des liens biologiques ou par la pratique d’une
discipline ou d’une technique commune. Les termes
utilisés, leur sens, leur définition, ne se comprennent
que dans le contexte fourni par les habitudes, les

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Présentation générale. Les métamorphoses de la rhétorique

façons de parler, les méthodes, les circonstances exté-


rieures et les traditions connues des usagers » (p. 681).

Questions, réponse et contexte


selon Michel Meyer
On peut maintenant mieux se rendre compte de
tout l’intérêt de la démarche de Michel Meyer sur la
différence problématologique : « Parler, dit Meyer
dans le texte publié dans ce volume, c’est traiter de
certains problèmes qui nous animent. Ce sont eux qui
mettent la pensée en branle et déclenchent tout le reste
des opérations associées à l’usage du raisonnement et
du langage. Les questions que les hommes doivent
résoudre sont multiples, mais ils le font toujours au
départ de deux façons essentielles. Soit ils proposent
la solution, soit ils communiquent la question à autrui
dont ils attendent, sinon la réponse, du moins la
coopération à cet effet. Le couple essentiel de la pensée
humaine est celui de la question et de la réponse : on
l’a appelé la différence problématologique. »
Si nous tenons compte du processus de la
problématisation au sein duquel la rhétorique se
déploie et du rôle essentiel que la différence problé-
matologique y joue, il est possible de comprendre,
d’une façon plus précise, le rôle du contexte. Il est le
lieu de la dynamique entre ce qui se dit et ce qui

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La rhétorique

donne un sens à ce qui est dit : les présupposés sont,


pour cette raison, son élément le plus fondamental.
La voie est ouverte pour penser que, comme le
dit Rui A. Grácio dans son article, la perspectivation
est « inhérente à toute discursivité et qu’il faut, d’une
part, considérer l’argumentation en tant que lieu de
controverse où se confrontent, s’évaluent et se criti-
quent entre soi des perspectives dissonantes et, d’autre
part, comprendre que toute mise en perspective d’un
sujet implique une “axiologisation” qui procède à
l’articulation entre le réel et le virtuel-idéal, l’empiri-
que et le normatif, le monde et un contre-monde. »

Conclusion
Toutes ces approches contribuent sans doute,
aujourd’hui, à repenser l’ensemble argumentation/
rhétorique/communication, ce qui était le souhait de
Dominique Wolton en organisant les numéros 15 et
16 de la revue Hermès : « On ne sauvera la commu-
nication qu’en approfondissant simultanément la
connaissance des changements qui en résultent du
coté de la rhétorique et de l’argumentation. C’est ainsi
que l’on évitera la réduction de la communication à
une seule logique expressive et narcissique4. »
C’est là un souhait qui trouvera assurément un
écho chez toutes celles et tous ceux qu’intéresse le

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Présentation générale. Les métamorphoses de la rhétorique

champ des sciences humaines, toutes disciplines


confondues, compte tenu de l’utilité de la rhétorique
pour comprendre le monde d’aujourd’hui et, singu-
lièrement, celui de la communication. Tel est l’objec-
tif de cet « Essentiel », respectant ainsi l’esprit de la
collection, qui consiste à mettre à la disposition de
ses utilisateurs une synthèse d’un domaine qui, de
surcroît, est définitoire de l’espèce humaine. Claude
Hagège n’a-t-il pas intitulé un de ses ouvrages
L’homme de paroles (1985) ?

NOTES

1. WOLTON, D., « Argumentation : le déficit d’analyse »,


Hermès, no 15, Argumentation et rhétorique, vol. 1, Paris,
CNRS Éditions, 1995, p. 11.
2. GRICE, H.-P., « Meaning », Philosophical Review, no 66,
1957.
3. SEARLE, J., « Le sens littéral », trad. fr. in La Langue française,
no 42, « La Pragmatique », Paris, Larousse, mai 1979.
4. WOLTON, D., op. cit., 1995, p. 17.

Références bibliographiques
D’ALMEIDA, N. (dir.), L’argumentation, Paris, CNRS Éditions,
coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2011.
GRIZE, J.-B., De la logique à l’argumentation, Genève, Droz, 1982.

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 24

La rhétorique

HAGÈGE, C., L’homme de paroles, Paris, Fayard, 1985.


MEYER, M., De la problématologie, Bruxelles, P. Mardaga éditeur,
1986.
PERELMAN, Ch., OLBRECHTS-TYTECA, L., Traité de l’argumenta-
tion : La nouvelle rhétorique, Bruxelles, Ed. de l’Université de
Bruxelles, 1970.
RORTY, R., L’homme spéculaire, Paris, Seuil, 1990 (trad.).
STRAWSON, P. F., Études de logique et de linguistique, Paris, Seuil,
1977 (trad.).
TOULMIN, S., The Uses of Argument, Cambridge, Cambridge
University Press, 1986 (8e éd.).
WITTGENSTEIN, L., Tractatus logico-philosophicus, Londres, RKP,
1921.
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Argumentation
et anti-rhétorique
Le contenu de la logique
classique en France
Sylvain Auroux

Reprise1 du no 15 de la revue Hermès,


Argumentation et rhétorique, vol. 1, 1995

Depuis le XVIe siècle, l’enseignement connaît


une primauté de la rhétorique, qui remplace la dialec-
tique*. Le cursus scolaire (écoles, collèges, écoles
militaires, académies) a pour matières principales :
grammaire, logique, rhétorique et philosophie (Char-
tier et al., 1976). Dans l’enseignement de la rhétori-
que, on a remarqué la tendance chez les jésuites à
conserver une rhétorique complète2. Il n’y a pas à
notre connaissance d’étude systématique de l’ensei-
gnement de la logique à l’époque qui nous intéresse,
contrairement à la rhétorique3, et dans une certaine
mesure à la grammaire (cf. Chevalier, 1968). C’est

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La rhétorique

évidemment une lacune qu’il faudrait combler, car à


l’âge classique la logique est essentiellement une
matière d’enseignement. La logique de Port-Royal est
un manuel, et les items analysés ici sont essentielle-
ment des manuels. Les ouvrages de recherche pure
(comme par exemple les essais de Leibniz) sont rares,
et le plus souvent inédits.

L’enseignement de la logique
La logique est une étude préliminaire, prépara-
toire à l’éloquence et à la réflexion scientifique4. Pour
cette raison, les exemples utilisés ne sont pas toujours
les classiques propositions simples du formalisme
scolastique*, mais des fragments de textes scienti-
fiques (cf. Condillac) ou littéraires – par exemple
Hauchecorne, utilise La Fontaine, Racine ou J.-B.
Rousseau) qu’il s’agit d’élucider. La logique possède
de ce point de vue une dimension herméneutique*.
À l’inverse, les exercices ne consistent jamais dans
l’application mécanique de règles pour démontrer
quelque chose. Buffier (1714, p. 381-443) joint à son
manuel des Exercices de logique. Il s’agit de disserta-
tions aboutissant à une thèse (par exemple : « la pure
intelligence ne diffère point en soi de l’imagination »),
dont le but est d’exemplifier les principes et de
montrer comment ils fonctionnent : « Les exercices

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Argumentation et anti-rhétorique

ordinaires des logiciens consistent en deux points : 1.


À choisir des sujets sur quoi l’on puisse découvrir avec
la plus exacte précision la vérité des règles ; 2. À tâcher
de l’éclaircir encore davantage, par les arguments
qu’on a coutume d’y proposer les uns contre les
autres ; j’emploie ici ces deux formes d’exercices5. »
(p. 381)
D’après ce qui précède, on devrait concevoir que
la logique est une introduction à la rhétorique. Les
deux seuls ouvrages qui envisagent la discipline de ce
point de vue sont Hauchecorne (1784) et Le Breton
(1788, dans la préface, p. VIII) ; il s’agit de travaux
passablement retardataires6, pour lesquels, comme le
précise Le Breton (p. VII), le but est le même
– persuader – entre rhétorique et logique. Le seul
ouvrage – outre Crousaz qui parle de tout – qui envi-
sage la dispute est celui de Wolff (1736). L’abbé
Jurain (1765), quant à lui, entend se dégager des
servitudes de la dialectique. De façon quasi unanime,
la logique au XVIIIe siècle est orientée vers la positivité
de la connaissance du monde, il s’agit de découvrir,
de prouver, d’enseigner le vrai. Méditation, prépara-
tion, méthode7, exposition, sont transportées de la
rhétorique vers la doctrine du vrai. Le Traité des tropes
de Dumarsais (1730) est présenté comme une intro-
duction à la grammaire et à la logique, inversant le
rapport de cette dernière à la rhétorique, parce qu’il

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La rhétorique

s’agit de présenter à la connaissance un discours


débarrassé des pièges de l’ornement.
Nous n’avons aucune idée précise de la façon
dont ce déplacement intervient dans le cursus scolaire,
d’autant que la logique qui, dans certains programmes,
figure avant la rhétorique, fait également partie du
cours de philosophie qui vient après. En tout état de
cause, cette orientation n’exclut pas le débouché vers
les Belles-Lettres à une époque où la littérature est
évaluée selon sa clarté et l’agencement des pensées
qu’elle exprime. On remarquera à ce propos que
Condillac n’a pas rédigé une rhétorique, mais un Art
d’écrire (1775). Il faut attendre l’extrême fin du siècle
pour voir, avec Condillac et Condorcet, le projet péda-
gogique de la rédaction d’éléments mathématiques
rejoindre explicitement le travail des logiciens. Nous
pouvons présenter deux hypothèses pour tenter
d’expliquer ce phénomène : soit la lenteur du déve-
loppement de l’enseignement mathématique, soit la
spécificité d’un enseignement logique qui, autonome
et séparé, est assez loin de la pratique scientifique.

Utilité et extension de la logique


Son rôle dans l’enseignement dote la logique
classique d’un aspect pragmatique* qu’a perdu la
logique moderne. Pour le logicien, il s’agit de produire

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Argumentation et anti-rhétorique

un apprentissage susceptible d’amener l’élève à la


maîtrise de ses facultés cognitives* et rationnelles. La
légende bâtie par Port-Royal pour expliquer la nais-
sance de son manuel (donner à un jeune homme la
possibilité d’apprendre facilement et rapidement une
matière ardue) parcourt tout l’âge des Lumières : si
Buffier la reprend pour son propre compte, nombre
de préfaces font état d’anecdotes assez semblables. Cela
explique sans doute qu’on discute énormément de
l’utilité de la logique. La logique qui, dans le fond,
n’apprend guère qu’à penser comme on pense déjà,
devient essentiellement la connaissance théorique de
la pensée. Il y a peu d’auteurs pour dénigrer totale-
ment le rôle pédagogique de la logique, qui reste un
art de penser. Toutefois, il est symptomatique de voir
Condorcet réserver la partie logique de son manuel
d’arithmétique aux maîtres (1794), ou Boisgelin de
Cucé (1789) invoquer Condillac8, pour soutenir que
l’apprentissage de la pensée juste n’a besoin que
d’exemples : « Oubliez la logique, étudiez la physique
ou la géométrie, votre esprit suit les mêmes calculs ou
les mêmes observations ; et chacun convient qu’on
peut commencer par l’étude de la physique ou de la
géométrie, sans avoir passé par celle de la logique »
(op. cit., p. 9).
Il n’y a pas au XVIIIe siècle de logicien profession-
nel, c’est-à-dire de chercheur dont le travail soit voué
au développement de la seule logique. Les auteurs

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La rhétorique

étudiés ici ont pour la plupart travaillé ou publié dans


d’autres domaines9. De ce point de vue, il n’y a guère
de règle : métaphysique, physique, mathématique,
grammaire, linguistique historique et descriptive, droit
et politique sont également représentés. Si les grands
noms rencontrés sont ceux de créateurs en mathéma-
tique et en grammaire, il n’y a pas d’exclusive. En
particulier, il est tout à fait intéressant de constater que
la logique n’est pas connectée de façon privilégiée avec
la spéculation abstraite (mathématique et grammaire).
Un de nos auteurs, Elie Bertrand, est essentiellement
tourné vers la recherche empirique : outre des mono-
graphies en géologie et paléontologie, il a écrit une
lettre à Buffon sur la théorie de la terre, et publié en
1758 des Recherches sur les langues anciennes et modernes
de la Suisse et principalement du Pays de Vaud, qui
constituent un intéressant travail de dialectologie
historique.
D’Argens n’hésite pas à écrire : « [...] Gassendi
parut tout à coup [...]. Gassendi fut suivi de Descartes,
qui acheva de ruiner les chimères scolastiques. L’esprit
humain reprit entièrement ses droits : la Raison, le
Bon-Sens et la Lumière Naturelle furent les seules
règles qu’on affecta d’employer ; et la logique devint
l’une des parties de la philosophie scolastique qu’on
méprisa le plus » (1738, p. 128). Ce jugement est sans
doute excessif, mais il est incontestable que nous
assistons à une perte de complexité (qui suppose des

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Argumentation et anti-rhétorique

pertes de connaissance) et à une redéfinition maxi-


maliste de la logique. Son domaine s’étend aussi loin
que la méthode d’une saine raison peut régner.
La logique a pour but de « former l’esprit »
(Bertrand, 1764), de « contribuer à la netteté et l’éten-
due des connaissances » (Crousaz, 1712), elle contient
le « germe des connaissances » (Guinot, 1778), guide
« les forces de l’entendement » (Wolff, 1736),
présente un « art de juger » (Boisgelin de Cucé, 1789),
ou une « manière de bien penser » (Bouhours, 1687).
De ce point de vue, il y a une stabilité remarquable
tout au long du siècle, et on peut emprunter à de
Felice (1770, p. 1-2) une définition qui ne brille guère
par son originalité : « La logique est l’art de diriger
notre entendement dans la recherche de la vérité soit
pour la découvrir avec plus de sagacité, soit pour nous
assurer avec plus de certitude que nous l’avons décou-
verte, soit pour la faire mieux connaître et la prouver
plus solidement aux autres hommes qui la cherchent,
et à qui il importe comme à nous de la trouver. » On
comprendra mieux comment s’effectue le recouvre-
ment du champ de la rhétorique, en comparant avec
une définition qui recoupe les mêmes éléments, mais
exprimée dans un vocabulaire qui trahit son origine :
« La logique nous enseigne à bien penser ; c’est-à-dire
à concevoir bien les choses, à les bien proposer, à
conclure bien, et à les bien arranger comme il faut »
(Bayle, 1785, rédigé au plus tard en 1706).

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La rhétorique

Comme la pensée concerne toute l’activité


humaine, on rencontre sous le nom de logique des
tentatives pour subsumer des opérations, à nos yeux,
les plus diverses. Ainsi Blanchet (1760) qui s’adresse
aux dames (d’où ses exemples pour la réduction des
verbes actifs à la prédication : « je suis brodant, je suis
dansant » (p. 34), après une exposition simplifiée
(p. 62-64) du syllogisme, termine-t-il son travail par
un chapitre intitulé : De la méthode et de son applica-
tion aux passions (chap. V, p. 75-103). Bouhours
(1687) ramène à la logique un travail réédité huit fois
au XVIIIe siècle, consacré à ce que Kant nommera le
jugement de goût10, et que nous classerions dans la
critique littéraire. La positivité de la logique, liée à
l’idée d’une rectitude naturelle des opérations de
l’entendement, conduit à une expansion considérable
du domaine. Pour avoir une idée de l’extension du
domaine de la logique à l’époque des Lumières, il suffit
de consulter la bibliographie de l’article « Logique »
(1765) de l’Encyclopédie. Outre des traités publiés
explicitement sous ce titre, on y recense l’Essai sur
l’entendement humain de Locke, et le traité De la recher-
che de la vérité de Malebranche. Autrement dit, le
principal problème à résoudre pour l’historien c’est
celui du rapport de la logique à la théorie de l’origine
des idées et à la métaphysique.
Si l’on en juge par les titres des ouvrages figurant
dans notre bibliographie, il y a au moins un rapport

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Argumentation et anti-rhétorique

de conjonction entre logique et métaphysique. Les


premières lignes du Discours préliminaire de Lacretelle
(1786) éclairent directement la question : « Les deux
sciences que l’on réunit ici dans le même dictionnaire
étant l’une, l’étude des facultés de notre esprit, l’autre
la direction de ses opérations vers la vérité, se tiennent
de toutes parts, elles ont toujours marché du même
pas : soit que l’obscurité et la lumière y aient régné,
elles n’ont jamais été, n’ont pu être que deux divisions
d’un même corps de doctrine. » En fait, le rappro-
chement de la logique et de la métaphysique corres-
pond à un double mouvement : la logique est rabattue
sur la théorie de l’entendement – héritage cartésien,
qui est parfaitement caractérisé dans son aspect tech-
nique par le rôle des idées (cf. Auroux, 1993), et
l’ontologie* dans une perspective idéiste ou repré-
sentationnaliste (nous ne connaissons pas les choses,
mais les idées des choses) l’est également. Il n’en
demeure pas moins que les auteurs s’efforcent de sépa-
rer les deux domaines. Un reproche constant (on le
retrouve dans l’article « Logique » de l’Encyclopédie)
fait à Crousaz, c’est de les avoir confondus et d’avoir
produit une logique qui finit par tout contenir11.

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La rhétorique

Logique, formalisme
et logique actuelle
Les historiens de la discipline reprochent géné-
ralement à la logique classique de ne pas être formelle.
On rattache l’aspect formel d’une théorie à la
construction d’un formalisme, ou plus largement à
l’utilisation des symboles et des variables. La logique
est formalisée lorsqu’elle est entièrement symbolique
(utilise des variables) et que l’introduction de
symboles (en particulier des constantes logiques) se
fait uniquement par le biais des règles de leur mani-
pulation. Il faut sans doute rattacher l’apparition de
la logique formelle à l’utilisation de symboles et de
variables12. Toutefois ce n’est pas une raison pour
identifier les deux : si l’utilisation de variables impli-
que l’aspect formel de la logique, l’inverse n’est pas
vrai. Dans une théorie logique, on doit distinguer les
trois éléments présentés dans le schéma suivant :
– a) la théorie logique (LG) qui est la théorie
de l’objet du niveau b ; si ce dernier est un langage-
objet, il s’agit d’un métalangage qui permet de carac-
tériser les expressions du langage objet et d’en parler.
– b) l’objet (0) ou système logique à propre-
ment parler (ce peut être un langage-objet).
– c) le langage-cible (LC), c’est-à-dire les inter-
prétations des expressions du langage-objet en langue
naturelle (LN), lorsqu’elles servent d’exemples.

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Argumentation et anti-rhétorique

De nos jours, la logique procède en construisant


directement un langage-objet de type formel (il s’agit
le plus souvent d’un langage artificiel symbolique), la
théorie est donc décrite par le biais de l’un de ses
objets possibles, à quoi on ajoute quelques éléments
métalogiques (très souvent en langage naturel). Procé-
der ainsi n’est toutefois pas une obligation. Lorsqu’il
s’agit des constantes logiques, on peut rester dans le
langage-objet sans utiliser de symboles, mais des
expressions plus ou moins canoniques de la langue
naturelle, expressions qui correspondent à des opéra-
teurs logiques (et, si... alors, donc, etc.). Le langage-
objet est alors très proche du langage cible. La
généralité est produite dans la logique moderne par
l’utilisation des variables ; on peut s’en dispenser en
utilisant dans le métalangage LG des méta-termes qui
sont le nom caractéristique des éléments qui occupe-
raient les positions que l’on noterait par des variables
(par exemple : le sujet). Il est donc possible de traiter
un objet logique formel et/ou formalisable sans
construire de langage-objet, ni de métalangage
symbolique formel. Telle est la pratique de Port-Royal
et de la plupart des logiques classiques. A priori, cette
pratique ne diminue en rien le caractère formel
(implicite) des théories en question (bien entendu il
peut y avoir des limitations qui proviennent du
contenu même des théories). Nous avons soutenu

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La rhétorique

ailleurs (Auroux, 1993) qu’elle avait conduit la logi-


que classique sur la voie de la mathématisation.

NOTES

1. Publié sous le titre « Argumentation et anti-rhétorique. La


mathématisation de la logique classique », p. 129.
2. Voir F. Douay-Soublin, in S. Auroux (dir.), 1992.
3. Cf. KUENTZ, P., « La rhétorique », Communications, no 16,
1970 et « L’enjeu des rhétoriques », Littératures, no 18, 1975 ;
BARTHES, R., « L’ancienne rhétorique aide-mémoire »,
Communications, no 16, 1970 ; DE DAINVILLE, F., « L’évolu-
tion de l’enseignement de la rhétorique au XVIIe siècle », Dix-
septième siècle, no 80-81, 1968. Pour des points de vue plus
modernes, on se reportera à F. Douay-Soublin, dans son
édition de Dumarsais (Paris, Flammarion, 1988). Sur le
e
XVII siècle, voir Fumaroli, 1980.

4. Cf. le titre de l’ouvrage de F. Cochet, 1750.


5. On trouve des renseignements analogues dans Wolff, 1736,
chap. XVI, rajouté lors de la 5e éd. allemande qui propose
de lire les livres écrits selon les règles de la logique (p. 253-
254), et même de lire les logiques et de rendre raison par les
règles qu’elles proposent de tout ce qu’elles avancent.
6. L’ouvrage de Le Breton (clerc régulier théatin) a reçu appro-
bation en Sorbonne le 26 sept. 1787, et l’abbé Hauchecorne,
bachelier de Sorbonne, est professeur de philosophie au
Collège des Quatre Nations.
7. Voir Arndt, 1971, p. 15-28 sur ce dernier terme.
8. L’Art de Raisonner, dans sa deuxième partie, ne contient que
des raisonnements mathématiques.

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Argumentation et anti-rhétorique

9. Nos informations sur ce sujet sont très fragmentaires, la


plupart des auteurs recensés étant peu (ou pas) connus.
10. « Il ne s’agit proprement que des jugements ingénieux qui se
rapportent à la seconde opération et qui s’appellent pensées
en matière d’ouvrages d’esprit » (Avertissement, p. 1).
11. Cf. BUFFIER, C., « Remarques sur la logique de M. Crousaz »,
1724 : « dessein (...) un peu vaste pour une simple logique,
traite (...) des sujets les plus importants de la métaphysique »
(p. 277).
12. Cf. Aristote ; Alexandre d’Aphrodise l’a remarqué et J. Philo-
pon en donne une interprétation substitutive.

Références bibliographiques
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physique, Berlin, S. Pitra, 1785 ; Nouvelle édition in Œuvres,
t. IV, La Haye, P. Husson, 1731.
BERTRAND, É., Essai sur l’art de former l’esprit ou premiers éléments
de logique, La Haye et se vend à Lyon, G. Regnauld, 1764.
BLANCHET, J., La logique de l’esprit et du cœur à l’usage des dames,
Paris, Cailleau, 1760.
BOISGELIN DE CUCÉ, Cardinal Jean de Dieu, Raymond (de), L’art
de juger par l’analyse des idées, Paris, 1789.
BOUHOURS, D., La manière de bien penser dans les ouvrages de
l’esprit, Dialogues, Paris, Veuve de S. Mabre-Cramoisy, 1687.
BUFFIER, C., Les principes du raisonnement exposés en deux logiques
nouvelles avec des remarques sur les logiques qui ont eu le plus de
réputation en notre temps, Paris, P. Witte, 1714.

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La rhétorique

BUFFIER, C., Traité des premières vérités et de la source de nos


jugements, Paris, Veuve Mongé, (1724) repris in Œuvres philoso-
phiques du Père Buffier, Paris, Charpentier, 1843.
CHEVALIER, J.-C., Histoire de la syntaxe : naissance de la notion de
complément (1530-1750), Paris Genève, Droz, 1968.
CONDILLAC, E. BONNOT, abbé de, Essai sur l’origine des connais-
sances humaines, 2 vol., Amsterdam, P. Mortier, 1746.
– Traité des systèmes, La Haye, Neaulme, 1749.
– Cours d’étude pour l’instruction du Prince de Parme, 13 vol.,
Parme, Imprimerie Royale, (t. 1, Grammaire, t. 2, Art d’écrire,
t. 3, Art de raisonner, t. 4, Art de penser, etc.), 1775.
CONDORCET, M.J.A.N. Caritat, Marquis de, Moyens d’apprendre
à compter sûrement et avec facilité, Paris, Libraires associés, 1794.
D’ARGENS, J.-B., La philosophie du bon sens ou réflexions philoso-
phiques sur l’incertitude des connaissances humaines, à l’usage des
cavaliers et du beau sexe, Londres, Aux Dépens de la Compagnie,
1738.
DUMARSAIS, C. Ch., Voir articles de l’Encyclopédie, 1751.
FELICE, F.-B. de, Leçons de logique, Yverdon, 2 vol., 1770.
GUINOT, Abbé, Leçons philosophiques, ou le germe des connaissances
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HAUCHECORNE, Abbé, Logique française pour préparer les jeunes
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JURAIN, Abbé Henri, La Logique ou l’art de penser dégagé de la
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LACRETELLE, P. L., Logique et Métaphysique (et morale), 4 vol.,
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LE BRETON, Père Joachim, Clerc régulier théatin, La logique adap-
tée à la rhétorique, Paris, Pichard, 1788.

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Argumentation et anti-rhétorique

WOLFF, C., Logique ou Réflexions sur les forces de l’entendement


humain et sur leur légitime usage dans la connaissance de la vérité
(trad. Jean Des Champs), Berlin, 1736.

B. Autres textes et sources critiques


ARNDT, H. W., Methodo Scientifica pertractatum. Mos Geometricus
und Kalkulbegriff in der philosophischen Theorienbildung des 17
und 18 Jahrhunderts, Berlin, New York, De Gruyter, 1971.
AUROUX, S., La sémiotique des encyclopédistes. Essai d’épistémologie
historique des sciences du langage, Paris, Payot, 1979.
AUROUX, S. (dir.), Histoire des idées linguistiques, t. 2, Le dévelop-
pement de la grammaire occidentale, Liège, Mardaga, 1992.
AUROUX, S., La logique des idées, Montréal, Bellarmin & Paris,
Vrin, 1993.
BUFFIER, C, Cours de science sur des principes nouveaux et simples,
pour former le langage, l’esprit et le cœur dans l’usage ordinaire de
la vie, Paris, G. Cavelier, 1732.
CHARTIER, R., COMPÈRE, M. M., JULIA, D., L’éducation en France
du XVIe au XVIIe siècle, Paris, Sedes, 1976.
CONDILLAC, E. BONNOT abbé de, Grammaire, 1775 (citée d’après
l’éd. Le Roy, Corpus des Philosophes Français. Paris, P.U.F,
1947).
FUMAROLI, M., L’âge de l’éloquence. Rhétorique et « res literaria »
de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Droz, Genève, 1980.
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Argumentation
et logique naturelle
Convaincre et persuader
Jean-Blaise Grize

Reprise du no 15 de la revue Hermès,


Argumentation et rhétorique, vol. 1, 1995

L’argumentation* peut être considérée comme


un art dont on cherche à dégager quelques principes,
à formuler quelques règles de plus ou moins mauvaise
foi et rien n’empêche alors, en évoquant Blaise Pascal,
de se servir des Provinciales plutôt que De l’esprit
géométrique et de L’art de persuader. Tel n’est pas
aujourd’hui mon propos. Je voudrais ici procéder à
une étude de nature théorique, et voir comment
l’argumentation se rattache à la logique, en quoi elle
en diffère et dans quelle mesure il est possible de parler
d’une logique de l’argumentation. Il faut d’ailleurs
immédiatement souligner qu’une telle logique, si elle
existe, n’enseignera pas plus à argumenter que la logi-

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La rhétorique

que mathématique n’enseigne à démontrer. Celle-ci


stipule quelles sont les opérations de pensée qui prési-
dent nécessairement à une démonstration ; celle-là
devrait expliciter les opérations propres à une
argumentation.
Encore convient-il de faire une distinction : celle
entre convaincre et persuader. « Quand [un acte de
croyance] est valable pour chacun, pour quiconque
du moins a de la raison, le principe en est objective-
ment suffisant, et c’est alors la conviction » (Kant,
1934, vol. II, p. 284). C’est dire que la conviction est
de l’ordre de la nécessité logique. Il y a « vaincre »
dans convaincre. Persuader, c’est autre chose. Des
idées dont nous sommes persuadés, « ... bien peu
entrent par l’esprit, au lieu qu’elles y soient introduites
en foule par les caprices téméraires de la volonté, sans
le conseil du raisonnement » (Pascal, 1960, p. 593).
S’il y a victoire, c’est celle du cœur.
Je commencerai par examiner les mécanismes
propres à convaincre et passerai ensuite à l’examen de
quelques-uns de ceux qui conduisent à la persuasion.

Fournir des preuves


Il faut tout d’abord dissiper un malentendu qui
a souvent cours : dans une argumentation, je crois
pouvoir dire qu’une preuve n’a rien à voir avec une

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Argumentation et logique naturelle

démonstration. C’est ce que Raymond Duval a remar-


quablement mis en évidence dans plusieurs de ses
travaux. Il relève trois différences1 :
1) « Les relations entre les prémisses et l’énoncé
tiers (le principe qui est à la base du modus ponens*)
portent dans un cas sur des propositions, et, dans
l’autre cas, elles portent sur des termes constituant le
contenu de la proposition. »
2) Dans une démonstration, la « conclusion
d’un pas de déduction* affirme ce qui est déjà dans
la partie Conséquence de l’énoncé tiers. C’est une
simple opération de détachement, la conclusion d’un
pas d’argumentation* peut affirmer autre chose que
ce qui est dit dans l’énoncé tiers ».
3) « Les énoncés tiers n’ont pas la même auto-
rité dans les deux cas. » Ceux d’une démonstration
ont un statut préalablement fixé, axiome, définition,
théorème ; ceux d’une argumentation ont une
« valeur épistémique de certitude ou d’évidence atta-
chée aux propositions prises comme énoncé tiers [...]
directement liée au contenu de ces propositions ».
En conséquence, les enchaînements des pas qui
vont des prémisses à une conclusion ne sont pas de
même nature. Ceux d’une démonstration transfor-
ment le statut des propositions, ils procèdent à des
« recyclages2 » ; ceux d’une argumentation transfor-
ment des valeurs épistémiques et, s’ils n’ont rien de
démonstratif, ils se déroulent néanmoins dans un

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La rhétorique

cadre logique. C’est le modèle de Toulmin (1958)


qui le montre le plus nettement. Selon lui, le mouve-
ment de pensée est en substance le suivant : à partir
de D (data), puisque on sait que W (warrant), et eu
égard à B (backing), on peut conclure C (conclusion),
à moins que R (restriction).
Même s’il ne s’agit encore que de la forme d’une
preuve, celle-ci n’en fait pas moins passer de la valeur
de vérité de la conclusion à la connaissance de cette
valeur. « La distinction entre la vérité et la connais-
sance de la vérité relève de l’opposition ontique/
épistémique, c’est-à-dire de l’état des choses et de
notre connaissance des choses » (Gasser, 1989, p. 59).
Dès lors qu’il y a connaissance, il y a quelque
sujet qui connaît. Quel est-il ? La perspective formelle
que Toulmin propose n’est finalement pas très éloi-
gnée du syllogisme* et Marie-Jeanne Borel a bien
montré qu’en définitive « on peut toujours trouver
des prémisses qui rendent l’argument analytique3 ».
De sorte que, si sujet il y a, ce ne peut être que
l’auditoire universel de Perelman, c’est-à-dire un sujet
abstrait, réduit à du pur cognitif*, sans désirs ni
émotions. On peut être convaincu, mais rien n’assure
que Je sois persuadé. Pour cela, il faut bien davantage.
Le destinataire que je suis doit, non seulement savoir
que telle est la valeur de la proposition, il doit encore
en avoir le sentiment. Ce n’est donc pas tellement la
valeur épistémique de la conclusion qui importe que

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Argumentation et logique naturelle

la croyance que l’on en a. Donner des raisons ne suffit


pas – parfois ce n’est même pas nécessaire – il faut
faire voir les choses.

Donner à voir
Le 23 novembre 1771, l’abbé Galiani écrivait à
Madame d’Epinay : « Toutefois que la cervelle
humaine ne peut pas se former l’idée de quelque chose,
la démonstration ne peut pas se changer en persuasion
[...]. Les idées ne sont pas des suites du raisonnement ;
elles précèdent le raisonnement, elles suivent les sensa-
tions » (in Diderot, 1971, t. 9, p. 1134-1135). Le
problème est alors de donner occasion, par le biais du
discours, à des sensations, de proposer à l’interlocuteur
une représentation de ce dont il s’agit, dans notre
terminologie une schématisation.
Une schématisation n’est pas un modèle au sens
scientifique du terme et ceci pour deux raisons. D’une
part, elle est tout à la fois un processus et un résultat,
tandis qu’un modèle s’entend comme une représen-
tation achevée. Certes, implantés dans un ordinateur,
les modèles fonctionnent, ils sont faits pour cela. Mais
ils y sont tout entiers et ils demeurent ce qu’ils sont
jusqu’à ce que quelqu’un s’occupe de les modifier.
Une schématisation, elle, se déroule d’un début à une
fin, d’ailleurs toujours provisoire. D’autre part, elle

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La rhétorique

est une construction que le locuteur fait pour l’inter-


locuteur, devant lui, elle lui donne quelque chose à
voir. Comme le dit Georges Vignaux, elle est « théâ-
tralité », de sorte que le « discours argumentatif doit
[...] toujours être considéré comme “mise en scène
pour autrui” » (Vignaux, 1976, p. 71-72). Le « pour
autrui » est essentiel et implique, d’une part que la
mise en scène est adaptée au spectateur et, d’autre
part, que ceux-ci y prennent une part active. Le spec-
tacle a son devenir propre et tout l’art consiste en ce
qu’il se développe dans le sens des intentions argu-
mentatives de l’auteur-metteur en scène.
Sans entrer dans des détails, on peut dire qu’une
schématisation propose des objets de pensée que les
interlocuteurs construisent ensemble. Ces objets ne
sauraient partir de rien et, en fait, ils reposent sur tout
un ensemble de connaissances communes qui sont
caractérisées par deux aspects principaux. L’un est
qu’elles sont, non seulement partagées, mais que
« chacun sait que les autres savent, et qu’ils savent que
les autres savent » (Dupuy, 1992, p. 56). C’est là
quelque chose de très important qui rend compte de
ce qu’un discours en langue naturelle ne dit jamais
tout ce qui serait logiquement nécessaire. On sait
bien, en effet, que si quelqu’un vous dit « La France
est la France » par exemple, il veut signifier autre
chose, et c’est à vous, dans la situation d’énonciation,
de l’interpréter. L’autre est qu’elles sont toujours

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Argumentation et logique naturelle

« déjà là » et qu’elles sont de nature essentiellement


sociales, d’où la possibilité de les tenir pour des
préconstruits culturels.
Même si en droit il y a co-construction, en fait
c’est le locuteur qui parle. Il lui faut donc diriger son
discours de sorte qu’apparaissent des objets qui vont
dans le sens de son projet, des objets qui permettent
telle inférence et en empêchent telle autre. Il y a donc
un nécessaire filtrage des préconstruits culturels qui
s’opère par un double jeu d’opérations : 1) des opéra-
tions qui construisent les objets en classes d’éléments
pertinents ; 2) des opérations de détermination qui
les prédiquent des propriétés requises et les mettent
en relation convenable les uns avec les autres, requises
et convenables en fonction du propos. La démarche
doit alors nécessairement en appeler aux représenta-
tions que le locuteur se fait de son partenaire et elle
est d’autant plus complexe qu’il ne lui suffit pas de
construire, mais qu’il doit aussi effacer certaines
« idées » qu’il estime pouvoir passer par la tête de
l’autre et qui seraient contre-productives. C’est à quoi
sert ce que L. Danon-Boileau appelle la « négation
polémique » ou « dénégation » (Danon-Boileau, 1987,
Ch. II). Il est vrai que l’auteur se situe dans une pers-
pective psychanalytique, mais il est tout aussi possible
de dénier ce que l’on ne veut pas que l’autre pense
que ce que l’on se refuse à penser soi-même.

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La rhétorique

En résumé, « Système psychologique en équili-


bre, acte de communication d’un sujet, (la schémati-
sation) est aussi une construction toujours originale
de l’objet de discours4 », toujours originale parce que
toujours située au sein d’une situation, avec ses parte-
naires et son contexte actuel. Elle apparaît ainsi
comme une logique de l’action, action sur le destina-
taire des discours, et ne peut donc s’en tenir au général,
pour ce que « en ce qui concerne les actions, qui en
général raisonne dans le vide » (Aristote, 1950, II.7,
p. 73). Il ne faudrait pas en conclure pour autant que
la logique naturelle soit une sorte d’analyse de
contenu. Elle porte bien sur des contenus, non pour
les saisir en tant que tels, mais pour mettre en évidence
les opérations qui leur ont donné naissance et dégager
les relations que le discours a établi entre eux.

Faire adhérer
Nous avons donc vu que celui pour lequel on
argumente n’est pas un simple récepteur. C’est fina-
lement à lui de se persuader, de sorte que son activité
face à une schématisation est décisive et que, en consé-
quence, elle doit être faite pour qu’il puisse la recevoir,
l’accepter et y adhérer.
1) Recevoir une schématisation ne réclame que
des conditions en principe assez simples, c’est avant

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Argumentation et logique naturelle

tout une question de langage et d’aides à la recons-


truction : précisions terminologiques, rappels de ce
qui a été dit, annonces de ce qui va venir et bien
d’autres procédés à proprement parler rhétoriques. Si
je viens d’écrire que les conditions sont « en principe »
assez simples, c’est qu’il faut d’abord que le destina-
taire comprenne ce qui lui est proposé et cela dépasse
de loin ce qu’on appelle « savoir une langue ». J’ai
tenté de lire Lacan, qui use du français, et j’ai été
incapable de recevoir ce qu’il schématisait. L’accep-
tabilité pose un problème plus complexe. Celui pour
lequel on argumente doit reconnaître :
– que les choses qui lui sont présentées sont
bien comme il les a reconstruites ;
– qu’elles impliquent ceci et non cela.

2) « L’année 1977 restera une année charnière


pour ceux qui s’intéressent à la structure et à l’évolu-
tion des gènes5. » Vais-je croire cela ou non ?
Pour répondre à la question, il convient de
distinguer trois aspects :
a) L’aspect sous lequel l’année 1977 est envisa-
gée. Il est celui du développement de la génétique,
c’est le choix du locuteur et je ne peux qu’entrer en
matière ou m’y refuser.
b) La source de l’information, ici l’auteur de
l’article : Richard Breathnach, professeur de génétique
moléculaire à l’université de Nantes, spécialiste de la

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La rhétorique

structure des gènes chez les eucaryotes. Je vais donc


accepter son assertion, mais pourquoi ? Ce ne peut
être que pour des raisons culturelles et sociales, pour
ce que je crois déjà savoir de la génétique et pour le
respect que je porte à mes collègues spécialistes. Au
fond, il s’agit de raisons bien proches de celles qui
poussent le public à se servir d’un dentifrice, et c’est
pour cela que des médecins américains (et pas des
médecins papous, ni même français) en sont garants.
c) De plus, la suite de l’article étaie l’assertion.
Elle fournit des raisons en sa faveur, ce qui montre
que, si persuasion et conviction sont distinctes, elles
n’en sont pas moins complémentaires. J’en profite
pour remarquer que ces raisons consistent ici en l’his-
toire de ce qui s’est passé en génétique en 1977 et
que, d’une façon générale, les récits constituent un
moyen puissant d’explication, donc une façon impor-
tante de faire accepter ce qui est présenté.
Mais ce n’est pas tout. Si ce qui précède repose
de façon évidente sur des données culturelles, les
préconstruits ne comportent pas que des propriétés
d’objets. Une rose sent bon, elle a des épines, mais il
y a plus. L’objet de pensée, ici la rose, est encore
source de multiples inférences. « Dans le défilé, il
portait une rose à la boutonnière », d’où je vais inférer
qu’il est socialiste d’opinion. Ce qui est remarquable,
ce qu’il faut donc remarquer, c’est que ce genre d’infé-
rence ne se dit que rarement et qu’il est laissé à l’acti-

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Argumentation et logique naturelle

vité du destinataire. Ceci me paraît fondamental, en


ce sens que nous doutons beaucoup moins de ce que
nous inférons nous-mêmes que des conséquences qui
nous sont proposées, et ainsi en quelque sorte
imposées.
3) Reste l’adhésion qui est d’autant plus diffi-
cile à traiter que « tout ce qu’il y a d’hommes sont
presque toujours emportés à croire non pas par la
preuve, mais par l’agrément » et que « la manière
d’agréer est bien sans comparaison plus difficile, plus
subtile, plus utile et plus admirable (que celle de prou-
ver) » (Pascal, 1960, p. 592 et p. 595). C’est ici que
l’on quitte le domaine du raisonnement à proprement
parler pour pénétrer dans le monde des valeurs et des
désirs. Cela ne signifie aucunement que la logique
naturelle déclare forfait. Elle peut parfaitement faire
une place à des opérations d’éclairage et examiner
quelques-uns des moyens par lesquels l’orateur séduit
l’auditeur6. Toutefois, c’est aussi le lieu où elle cesse
d’être autonome. J’entends par là que, s’il lui est possi-
ble de fixer un cadre au sein duquel déployer des
procédés séducteurs, elle est totalement incapable de
le remplir. Elle devra nécessairement en appeler à
d’autres disciplines, comme la sociologie, la psycho-
logie et la psychanalyse. Comme le remarque Emilio
Gattico (1993), une schématisation argumentative
doit satisfaire à trois sortes de cohérence. Une cohé-
rence interne, que connaissent aussi les systèmes

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La rhétorique

formels et les modèles ; une cohérence externe, rela-


tive aux connaissances communes à la situation
d’interlocution ; une cohérence, que l’on pourrait dire
discursive, entre les multiples représentations cogni-
tives* et affectives que les interlocuteurs se font d’eux.
La logique formelle* dirige la cohérence
interne, la logique naturelle* peut aider à dégager la
cohérence externe, mais il lui reste beaucoup à faire
pour saisir la cohérence discursive.

NOTES

1. DUVAL, R., « Argumenter, démontrer, expliquer : continuité


ou rupture cognitive ? » Petit x, no 31, 1992-1993, p. 45-46.
2. DUVAL, R., « Structure du raisonnement déductif et appren-
tissage de la démonstration », Educational Studies in Mathe-
matics, vol. 22, 1991, p. 239.
3. BOREL, M.-J, « Raisons et situation d’interlocution. Intro-
duction à une étude de l’argumentation », Revue Européenne
des Sciences Sociales, t. XII, no 32, 1974, p. 81.
4. AQUECI, F., « La logique naturelle de Jean-Biaise Grize »,
Revue Européenne des Sciences Sociales, 1984, t. XXII, no 87,
p. 179-200.
5. Le Monde, 13 oct. 1993, p. 10.
6. GRIZE, J.-B., « L’argumentation : explication ou séduction »,
L’argumentation, Lyon, Presses Universitaires, Lyon, 1981,
p. 29-40.

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Argumentation et logique naturelle

Références bibliographiques
ARISTOTE, Éthique de Nicomaque (Trad. Jean Voilquin), Paris,
Garnier, 1950.
DANON-BOILEAU, L., Le sujet de renonciation. Psychanalyse et
linguistique, Paris, Ophrys, 1987.
DIDEROT, D., Œuvres complètes (15 vol.), Paris, Le Club français
du Livre, 1971.
DUPUY, J-P., Logique des phénomènes collectifs, Paris, Éditions
Marketing, 1992.
GASSER, J., Essai sur la nature et les critères de la preuve, Cousset
(Fribourg Suisse), Édition Del Val, 1989.
KANT, E., Critique de la raison pure (2 vol., trad. J. Barni), Paris,
Flammarion, 1934.
PASCAL, B., Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de
la Pléiade, 1960.
TOULMIN, S., The Uses of Argument, Cambridge, University Press,
1958.
VIGNAUX, G., L’argumentation. Essai d’une logique discursive,
Genève et Paris, Librairie Droz, 1976.
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Des topoï aux stéréotypes :


sémantique et rhétorique
Jean-Claude Anscombre

Reprise1 du no 15 de la revue Hermès,


Argumentation et rhétorique, vol.1, 1995

Le langage ne comporte aucun côté naturel, non


rhétorique, auquel on pourrait faire appel : ce sont
uniquement des procédés rhétoriques qui ont produit
le langage… le langage est rhétorique car il vise à
transmettre une doxa, pas une épistémè
(F. Nietzsche).

Cette étude propose la mise en perspective de


trois théories sémantiques* – la Théorie de l’argumen-
tation dans la langue, la Théorie des topoï et enfin la
Théorie des stéréotypes*, selon trois angles d’attaque.
1) La nature du sens, et en particulier sa relation avec
l’univers des actions ; 2) Le sens lexical et sa relation
au monde réel – qui soulève en particulier la difficile
question de la référence ; 3) Le rapport entre la séman-

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La rhétorique

tique (comprise comme l’étude du sens) et la rhéto-


rique (conçue comme la construction de discours).
Notre but est de faire le point sur les tenants et
les aboutissants des théories mentionnées, et nous
avons donc évité tout développement technique, nous
contentant d’illustrer les points pertinents par
quelques exemples judicieusement choisis. Pour des
analyses plus spécifiques, on se reportera aux travaux
mentionnés dans la bibliographie.

La Théorie de l’argumentation
dans la langue

Les hypothèses de départ


Je rappellerai les grandes lignes du cheminement
qui nous a conduits à adopter les positions sous-
jacentes à la Théorie de l’argumentation dans la langue,
la Théorie des topoï en étant le dernier avatar. Notre
propos était d’établir une théorie de l’interprétation
des énoncés (cf. Anscombre, Ducrot, 1983) ou
encore, selon une terminologie largement répandue,
une théorie du sens des énoncés. Ce qui suscite immé-
diatement deux questions : a) Comment obtient-on
ce sens ? b) Qu’est-ce que le sens d’un énoncé ?
Notre réponse à la première question était que
le sens d’un énoncé ne s’obtient pas directement à

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Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

partir de la forme de surface qui le manifeste. Il faut


procéder de façon médiate, par le bais d’entités
construites et de règles de manipulation de ces entités.
En bref, le sens des énoncés sera « calculé » à partir
de valeurs sémantiques « profondes » (i.e. abstraites),
qui jouent en sémantique un rôle analogue à celui de
la structure profonde en grammaire générative. Cette
façon de procéder repose sur l’idée que la structure
de surface n’est que la trace d’opérations sous-jacentes
non directement visibles, et qu’il s’agit donc de
reconstituer.
La seconde question se reformule alors comme
suit : Quelle va être cette valeur sémantique
profonde ? Pour y répondre, nous ferons appel à la
notion d’énonciation, en entendant par là l’événe-
ment historique unique en quoi consiste la produc-
tion d’un énoncé. En termes d’opposition
procès/produit, l’énonciation est un procès dont le
produit est un énoncé. Le sens d’un énoncé sera alors
la description qu’il donne de sa propre énonciation.
De ce point de vue, on doit inclure dans le sens d’un
énoncé comme « J’exige une réponse », la valeur de
demande pressante qu’accomplit son énonciation
sous peine d’inadéquation. Et pour nous, une telle
valeur non seulement est dans le sens, mais doit être
prévue dès le niveau sémantique profond. Si on
entend par pragmatique* l’étude des valeurs d’action

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 58

La rhétorique

attachées aux énoncés, notre position inclut du prag-


matique dès ce niveau sémantique profond. C’est
l’hypothèse de la pragmatique intégrée2 : la valeur
sémantique profonde comporte des indications de
nature pragmatique3. Et la Théorie de l’argumentation
dans la langue se proposait de caractériser la nature
de telles indications.
Nous partions de la constatation que certains
enchaînements discursifs ne se comportaient pas
comme le laissait prévoir une analyse sémantique clas-
sique faisant des indications descriptives le noyau
même de la valeur sémantique profonde4. Nombre de
ces enchaînements étant de type argument + conclu-
sion, nous avions alors émis l’hypothèse que certaines
relations argumentatives ne sont pas rhétoriques au
sens ordinaire. Loin de se surajouter à des valeurs
sémantiques plus fondamentales, elles sont linguis-
tiques stricto sensu, et donc présentes de droit dès le
premier niveau de l’analyse, le niveau profond. Et si
la rhétorique argumentative concerne ce que l’on fait
avec le langage, notre hypothèse situe le problème de
plain-pied dans la pragmatique intégrée.
Nous avons évoqué à plusieurs reprises
(Anscombre, Ducrot, 1983 par exemple) divers argu-
ments à l’appui de cette hypothèse. En particulier, le
fait que certaines valeurs informatives sont en fait
dérivées de valeurs argumentatives plus profondes, ce

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Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

qui est contraire à ce que ce que postulent les théories


traditionnelles pour qui la rhétorique est seconde par
rapport à un niveau informatif profond. Nous illus-
trerons notre hypothèse de façon non technique, à
l’aide de l’opposition entre instant et moment, lexèmes
très proches par le sens, et commutables dans de
nombreux contextes. Ainsi, pour une durée envisagée
de cinq minutes, les trois énoncés ci-dessous nous
paraissent également acceptables :
– Max est parti il y a (un instant + un moment
+ cinq minutes).
Ils peuvent faire penser à une quasi-synonymie
entre les trois expressions considérées. Il n’en est en
fait rien, ce qui apparaît sur les possibilités
d’enchaînement5 :
– Tu as raté Max de peu : il est parti il y a (un
instant + ??un moment + cinq minutes).
– Tu ne risquais pas de rencontrer Max : il est
parti il y a (??un instant + un moment + cinq minutes).
On voit ce qui se passe : instant et moment ne
peuvent servir respectivement que des arguments de
brièveté et de durée et cinq minutes les deux types
d’argument indifféremment6. De plus, ce n’est pas
une affaire de contexte, comme le montrent les
exemples supplémentaires ci-après :
– Max est parti il y a déjà (??un instant + un
moment).

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La rhétorique

– Max était là il y a tout juste (un instant + *un


moment).
– Max était là il y a encore (un instant + ??un
moment).
Nous tirions de telles données que ni instant ni
moment ne servent à quantifier une durée, mais à la
qualifier, et sont fondamentalement des indications
argumentatives.
Une telle théorie s’opposait radicalement à
d’autres conceptions de la langue, et en tout premier
lieu, à la langue vue comme instrument de commu-
nication (hypothèse déjà implicite chez Saussure,
1965), qu’il s’agisse de communiquer sa pensée
(comme chez Bally, qui suit en cela Port-Royal) ou
une expérience (position de Martinet). En second
lieu, elle s’opposait aussi aux conceptions qui font du
sens la description d’un état externe des choses : thèse
dont la position extrême est le sens vu comme descrip-
tion des conditions de vérité de l’énoncé, à la suite
d’une certaine lecture de Frege7 (1971).
Par ailleurs, la Théorie de l’argumentation dans
la langue était une réponse possible au débat entre le
descriptivisme* et l’ascriptivisme*. Rappelons briè-
vement que dans l’optique descripiviste, un énoncé
comme Cet hôtel est bon est fondamentalement une
description, celle d’un objet. Toute occurrence d’un
tel énoncé comporte donc cette description quoi qu’il
fasse par ailleurs. Et s’il lui arrive d’introduire d’autres

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Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

éléments de sens, c’est parce qu’il est une telle descrip-


tion et par son biais. Pour les ascriptivistes à l’inverse,
toute occurrence de Cet hôtel est bon accomplit non
pas une description, mais un acte, par exemple de
recommandation de l’hôtel. Et il en est ainsi pour
toute assertion. Ainsi, selon Hare (1972), le mot
mauvais sert à exprimer une désapprobation ou une
condamnation ; selon Strawson8, vrai sert à acquiescer
ou encore à souscrire à une affirmation ; d’après
Austin9, savoir est essentiellement la garantie d’une
affirmation, et Toulmin (1956), voit dans probable-
ment la modification d’un engagement.
Or, la Théorie de l’argumentation dans la langue
permet en fait de répondre aux objections faites aux
ascriptivistes par les descriptivistes – sans pour autant
adopter aucune des deux positions. Le point est
important : ce qui est en cause dans ce débat est la
notion de proposition comme subsumée dans tout
énoncé assertif et représentant un sens littéral (présent
donc dans toutes les occurrences) susceptible de
valeurs de vérité. Notion calquée donc sur le calcul
propositionnel. Dans le cadre de la Théorie de l’argu-
mentation dans la langue, nous ne disions pas que Cet
hôtel est bon réalise un acte de recommandation, mais
y voyions simplement un argument pour un tel acte.
Proférer un tel énoncé revenait pour nous à argumen-
ter en faveur de l’hôtel en question. Par ailleurs, dans
la mesure où la structure profonde de Cet hôtel est bon

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La rhétorique

était quelque chose comme « il y a une conclusion r


pour laquelle Cet hôtel est bon est argument », le sens
de l’énoncé relève non plus d’une sémantique véri-
conditionnelle, mais d’une sémantique cette fois
instructionnelle. On n’aura plus à traiter une constante
propositionnelle (à valeur de vérité), mais une fonc-
tion propositionnelle sans valeur de vérité puisqu’elle
comprend des variables instanciables à l’extérieur de
l’énoncé qui la subsume. Certes commune à toutes
les occurrences de l’énoncé, elle ne représentera pas
pour autant un sens littéral dont on sait les problèmes
qu’il pose.
Ainsi résumée, notre position apparaît comme
un ascriptivisme modéré, reposant non sur la notion
d’acte accompli, mais sur le concept de potentialités
argumentatives. Le sens profond d’un énoncé n’est
pas tant de décrire un état de choses que de rendre
possible une certaine continuation du discours au
détriment d’autres. Dans la mesure où les phéno-
mènes sémantiques étudiés par cette méthode vont
bien au-delà de la simple rhétorique habituelle, le
terme d’argumentation n’était pas le plus approprié,
et a d’ailleurs donné lieu à certaines erreurs d’inter-
prétation. Notons cependant que le type de séman-
tique que défend la Théorie de l’argumentation dans
la langue voit le sens comme des instructions pour la
construction de discours, d’où la parenté avec la
rhétorique. Enfin, cette théorie voit le sens comme

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 63

Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

étant de nature syntagmatique – il concerne la posi-


tion de l’énoncé dans un discours et son articulation –
alors que les sémantiques vériconditionnalistes attri-
buent au sens une valeur paradigmatique : la valeur
d’un énoncé ne provient pas de sa place dans le
discours, mais de sa meilleure valeur descriptive que
d’autres énoncés susceptibles d’occuper la même
place. De façon lapidaire, la Théorie de l’argumenta-
tion dans la langue voit le sens « profond » d’un
énoncé comme constitué des stratégies discursives
qu’il met et est destiné à mettre en place.

De l’argumentation dans la langue


à la Théorie des topoï
Si la théorie que nous venons d’exposer succinc-
tement permet d’expliquer un nombre non négligea-
ble de phénomènes, elle se heurte néanmoins à une
série de problèmes à l’origine de son réaménagement.
Notre erreur a été de penser que les énoncés renvoient
directement à des classes de conclusions, et d’en faire
une relation à deux termes, sans pousser la réflexion
plus loin. Nous allons montrer sur un exemple qu’un
troisième terme est en fait présent, même s’il se trouve
fréquemment occulté. Considérons en effet : Donne
donc une pièce au livreur : il a apporté le colis jusqu’ici.

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La rhétorique

Non seulement cet enchaînement conclusif est parfai-


tement formé, mais la rhétorique qu’il déploie semble
banale. Or cette banalité même est suspecte aux yeux
d’un linguiste, car il ne semble pas y avoir de relation
systématique a priori entre « apporter un colis » et
« recevoir un pourboire ». Alors qu’on admettrait faci-
lement l’existence d’une telle relation avec « avoir
travaillé », « avoir rendu service », « avoir mouillé sa
chemise » même. C’est donc que cette apparente
banalité est le fait d’un mécanisme caché, d’un troi-
sième terme, plus ou moins visible selon les contextes.
Dans le cas présent, ce mécanisme qui assure l’enchaî-
nement, qui est le « garant » (terme dû à Toulmin,
1958) de la validité du passage de l’argument à la
conclusion, c’est le principe d’usage quotidien qu’un
travail doit être payé. Comme dit le proverbe, toute
peine mérite salaire. Et pour banal qu’il soit, il ne
présente cependant aucun caractère de nécessité. Il
pourrait d’ailleurs être éventuellement contrebalancé
par un autre principe, tout aussi banal, selon lequel
l’exécution du seul travail ne mérite que le seul salaire,
et rien d’autre. D’où l’enchaînement : Pas la peine de
donner une pièce au livreur : d’accord, il apporté le colis
jusqu’ici, mais ça fait partie de son travail.
L’idée de garant validant un enchaînement
argument + conclusion n’est pas nouvelle. Elle expli-
citement mentionnée chez Aristote, dès les premières
lignes des Topiques10, et on trouve une approche

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 65

Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

semblable chez Perelman-Obrechts Tyteca (1958),


pour qui il n’y a pas d’argumentation juridique sans
un cadre pour la réguler : il s’agit des règles de justice,
et plus généralement de ce qui est juste. Rapprochant
les constructions logiques et l’effort de rationalisation
de la pensée non formelle, Toulmin postule l’exis-
tence d’une licence d’inférer (warrant), qui fonde le
passage d’un énoncé à un autre.
Adoptant une démarche identique, nous avions
postulé l’existence de garants, que nous appelions des
topoï, en hommage à Aristote, et caractérisés de la
façon suivante :
a) Ce sont des principes généraux qui servent
d’appui au raisonnement, mais ne sont pas ce raison-
nement. Ils ne sont en effet pas assertés par le locuteur
qui les met en place, mais simplement utilisés, et
présentés comme allant de soi dans une communau-
té11 plus ou moins vaste. C’est ce qui leur permet
d’être créés de toutes pièces sans perdre un pouce
d’efficacité, caractéristique exploitée d’ailleurs par les
slogans : présenter comme ayant force de loi un topos
fabriqué ad hoc. Ainsi le discours politique, lieu par
excellence d’exercice des topoï : on peut par exemple
estimer très satisfaisant le principe Pour une meilleure
justice sociale, il faut redistribuer les richesses, mais il ne
repose sur aucune base logique. Il est issu d’une
certaine idéologie, et pourrait être refusé au nom

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La rhétorique

d’une autre. Par exemple, celle reflétée dans le


proverbe arabe Quand le riche est pauvre, le pauvre a
faim. Nous voyons apparaître ici le lien entre le
linguistique et le sociologique : c’est un fait linguis-
tique qu’il y a des topoï, mais l’existence ou non de
tel topos particulier est affaire d’idéologie, de civilisa-
tion. Et les inférences qu’autorisent les topoï relèvent
de la plausibilité et non de l’inférence logique stricto
sensu. Les idéologies n’étant pas plus monolithiques
que l’être humain, un même état de langue voit
fréquemment coexister un topos et son contraire. D’où
de fréquentes antinomies12, ainsi les proverbes Les
apparences sont trompeuses et L’habit ne fait pas le
moine, ou encore Une hirondelle ne fait pas le printemps
ou Il n’y a pas de fumée sans feu.
b) Deuxième caractéristique des topoï : ils sont
intralinguistiques, c’est-à-dire présents en langue. En
ce sens, nous divergions de l’approche de Perelman,
pour qui ce qui est juste l’est en fonction de principes
de justice externes au discours juridique lui-même. Et
nous étions plus proches de Toulmin dans la mesure
où certaines de ses positions sont voisines de l’ascrip-
tivisme, même si la nature des warrants – linguistique
ou pas – ne semble pas l’avoir intéressé.
En quoi les topoï sont-ils intralinguistiques ?
Une première remarque sera qu’il y a des représenta-
tions langagières des topoï, ou du moins de certains
d’entre eux. Supposons par exemple que Dupont se

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Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

déclare mécontent des décisions adoptées lors d’une


assemblée à laquelle il n’a pas jugé utile d’assister. Il
pourrait se voir objecter – objection qui serait perçue
comme fondée – qu’il n’avait qu’à être présent, que
ses plaintes sont irrecevables car Les absents ont
toujours tort. Le mécanisme utilisé consiste en l’occur-
rence à rejeter Dupont et son mécontentement au
terme d’une argumentation qui prend son appui sur
une forme sentencieuse13. Et tel est bien l’usage des
formes sentencieuses en général : disponibles en
permanence – leur existence ne dépend pas du locu-
teur qui n’est responsable que de leur sélection – elles
sont le moteur argumentatif qui confère sa validité à
un raisonnement.
Mais il y a plus : supposons qu’un individu A
s’indigne auprès d’un ami du comportement de Max :
J’ai rendu un service à Max, et il ne m’en a gardé aucune
reconnaissance. Si cette indignation nous paraît légi-
time, c’est parce que nous avons à notre disposition
un topos évident, issu d’un code moral usuel (mais
non nécessaire) selon lequel un service rendu suppose
la reconnaissance du bénéficiaire. Ce qui frappe ici,
c’est que ce topos fonde la notion de gratitude ; plus,
il définit le sens de ce mot. Connaître le sens du terme
« gratitude », c’est savoir que le français possède dans
son stock le topos ci-dessus mentionné, qu’on admette
ou non la validité de ce principe. On voit ainsi appa-

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La rhétorique

raître une thèse fondamentale : le sens d’un mot est


un faisceau de topoï attaché à ce mot.
c) Dernière caractéristique des topoï : ils sont
graduels. Caractéristique qui nous paraissait découler
du rôle que nous assignions aux topoï dans notre théo-
rie. Nous les voyions en effet comme ce qui permet
le passage d’un argument à une conclusion dans un
enchaînement. Or un argument est plus ou moins
convaincant – en tant qu’argument – pour une
conclusion donnée. Il y a donc une force persuasive
plus ou moins grande résultant de l’application d’un
topos. Ce qui supposait pour nous une gradabilité du
topos. On peut d’ailleurs remarquer que, bien souvent,
les formes sentencieuses – qui sont pour nous des
représentations langagières de topoï – ou bien exhi-
bent des marques de degré (Plus on est de fous, plus
on rit), ou bien des adjectifs, adverbes ou verbes à
gradation (Qui veut voyager loin ménage sa monture ;
Pierre qui roule n’amasse pas mousse, etc.)
Résumons : dans le cadre de la Théorie des topoï,
le passage d’un argument à une conclusion s’opère
sur la base d’un principe général, ou topos. En termes
de graphes, on pourrait dire qu’un topos est un chemin
(un arc) qui permet de se rendre d’un point « argu-
ment » à un point « conclusion » (de tels points étant
les sommets du graphe). Ce qui rend un enchaîne-
ment énoncé + conclusion possible, c’est l’existence
d’un chemin allant de l’un à l’autre, en bref, du topos

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Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

correspondant. Et cette existence est liée à l’idéologie


(au sens large) envisagée lors de l’énonciation. On
voit ainsi, sur cette présentation simplifiée à l’extrême,
comment fonctionnait pour nous le concept de topos,
et les avantages qu’il procurait. Parmi ces avantages,
outre le fait d’expliquer le comportement de certains
enchaînements, figurait la possibilité de le faire inter-
venir dès le niveau lexical, et de rendre ainsi compte
de certaines propriétés.

Théorie des topoï et structuration


du lexique
Le comportement de certains items lexicaux est
suffisamment bizarre pour qu’on se propose de l’expli-
quer. Or il se trouve que, du moins dans les cas que
nous avons étudiés, une explication est possible en
termes de topoï. Elle consiste à appliquer la Théorie
des topoï à la sémantique lexicale, ce que nous illus-
trerons sur l’exemple de la troncature14 (cf. Anscom-
bre, 1995). Il s’agit des constructions du type de facile
à/difficile à/impossible à, dans La cible est facile à attein-
dre ; Cet enfant est difficile à élever ; Cette solution est
impossible à mettre en œuvre.
Convenons d’appeler troncature le procédé qui
consiste à effacer, dans nos constructions, le segment
à + infinitif. On remarque alors que la troncature

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La rhétorique

n’est possible avec préservation du sens que dans


certains cas. Par exemple, pour ces trois énoncés : La
cible est facile à rater, La cible est facile à repérer, La
cible est facile à atteindre, elle n’est possible qu’avec le
troisième énoncé, puisque La cible est facile signifie
exclusivement « la cible est facile à atteindre ». De la
même façon, Cet enfant est difficile ne signifiera
jamais, du moins dans les contextes habituels, « diffi-
cile à laver » ou « difficile à habiller », mais toujours
« difficile à élever ». Et dans le cas de Cette solution
est impossible à mettre en œuvre, la troncature sélec-
tionnera des valeurs comme « impossible à mettre en
œuvre/à appliquer » et non « impossible à faire adop-
ter/à financer ». On voit que la troncature ne retient
que le(s) sens conforme(s) aux topoï attachés aux mots
en jeu. Il s’agit d’ailleurs vraisemblablement d’une
propriété générale des troncatures. Ainsi, alors qu’on
peut dire : Max a un article en cours de (rédaction +
publication + correction), l’énoncé tronqué correspon-
dant Max a un article en cours sera interprété comme
« en cours de rédaction », plus difficilement comme
« en cours de publication », et certainement pas
comme « en cours de correction ». Le sens sélectionné
« par défaut » correspond à l’un des topoï attaché à
l’entité lexicale pertinente.

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Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

La Théorie des stéréotypes


La Théorie des topoï représente un réel progrès
par rapport la Théorie de l’argumentation dans la
langue tout en en préservant certains acquis fonda-
mentaux. On peut cependant montrer qu’elle est
contradictoire avec une des hypothèses de base de ces
théories15. Par ailleurs, la thèse d’une gradation obli-
gatoirement présente dès le niveau profond oblige à
adopter des positions contraires à l’intuition. Ainsi,
on peut raisonnablement supposer la validité de la
phrase générique Les chats chassent les souris. Or, une
telle phrase ne se représente que difficilement dans le
cadre de la Théorie des topoï. Elle entraîne en effet que
l’énoncé x est un chat est éventuellement un argument
pour la conclusion x chasse les souris. En termes de
topoï gradables, il nous faudrait alors admettre l’exis-
tence quelque peu discutable d’un topos du type de
« plus on est un chat, plus on chasse les souris ». Et
il ne s’agit pas là d’un cas isolé : le même problème
se pose avec Le chien est le meilleur ami de l’homme
ou encore On se marie pour avoir des enfants.
Par ailleurs, certains énoncés semblent scalaires
dès la base, ainsi Les légumes sont bons pour la santé,
qu’on peut penser à représenter par « plus on mange
de légumes, meilleure est la santé ». L’idéal serait
donc une théorie conservant les acquis de la Théorie
des topoï – en particulier l’idée d’un sens de nature

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La rhétorique

syntagmatique, compatible avec une possible grada-


bilité fondamentale, sans la rendre obligatoire.
C’est ce que nous tentons de réaliser avec la
Théorie des stéréotypes linguistiques. Les bases de cette
théorie sont dues à Putnam16 pour qui le sens d’un
mot n’est pas la description de son référent, position
qui était la règle en sémantique17. Pour Putnam, le
renvoi par un terme au référent se fait par désignation
rigide18 – référence sans description, mais sur un mode
proche de la monstration. Et il voit le sens comme
une conjonction de propriétés non nécessairement
suffisantes pour l’identification du référent. Repre-
nant cette idée pour le traitement des anaphores
associatives*, Fradin voit cet ensemble de propriétés
non comme la conjonction d’un nombre fini d’élé-
ments discrets, mais comme une suite non-finie de
phrases de la langue : le stéréotype attaché au terme
considéré19. Nous avons généralisé cette approche aux
termes nominaux et verbaux d’une langue, et fait du
stéréotype le responsable des propriétés linguistiques
des termes20. Il y a donc une certaine parenté entre
la Théorie des topoï et la Théorie des stéréotypes, telle
du moins que nous l’avons envisagée. Considérons
par exemple l’opposition
– Elle a ouvert l’écrin, mais (elle n’a pas trouvé +
*elle n’en a pas trouvé) le collier.
Fradin rend compte du comportement de cette
anaphore associative en incluant dans le stéréotype de

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 73

Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

bijou l’énoncé Un bijou est dans un écrin, alors que la


Théorie des topoï y verrait l’intervention d’un topos
(dont la gradabilité ferait d’ailleurs problème).
Le choix d’une suite ouverte et non fermée est
destiné à préserver la possibilité que, outre les énoncés
stéréotypiques habituels, puissent intervenir dans des
contextes particuliers des énoncés stéréotypiques en
quelque sorte « secondaires », uniquement valables hic
et nunc. Considérons ainsi le couple chercher/trouver,
et supposons que nous ayons décidé de lui attacher
le stéréotype illustré en particulier par la forme senten-
cieuse Qui cherche, trouve. Rien que de très banal en
fait, un tel stéréotype permettant d’expliquer une
opposition comme –
Max a cherché une solution, mais (il n’a rien
trouvé + *il en a trouvé une).
Or, certains contextes locaux permettent en fait
d’avoir un second enchaînement que nous avons
qualifié – un peu trop rapidement – d’impossible.
Supposons en effet que dans un laboratoire, les cher-
cheurs expliquent à leur directeur qu’ils ont cherché,
mais n’ont pas trouvé la solution d’un problème. Ce
dernier pourrait très bien s’exclamer : Tout le monde
a cherché, mais Max, lui, a trouvé !
Notons au passage qu’il n’existe pas de forme
sentencieuse de type Qui cherche, ne trouve pas, ni
même de simple phrase générique comme Quand on
cherche, on ne trouve pas, ce qui va dans le sens du

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 74

La rhétorique

caractère « local » du principe représenté. On aura


sans doute remarqué que les quelques phrases stéréo-
typiques que nous avons utilisées – Qui cherche,
trouve ; Un bijou est dans un écrin, etc. – font partie
de ce qu’on appelle les phrases génériques21. Ainsi, pour
expliquer notre conception des castors comme
constructeurs de barrages, on attachera à castor le
stéréotype Les castors construisent des barrages (Kleiber,
1990). Bien entendu, une telle décision ainsi que la
forme à donner à la phrase générique reposent en
particulier sur les propriétés linguistiques du mot
castor, puisqu’elles sont censées en rendre compte22.
Autre remarque : en remplaçant la notion de
topos par celle de phrase ou d’énoncé générique, on reste
dans l’optique d’une sémantique syntagmatique.
Comme les topoï, les énoncés génériques déterminent
l’articulation du discours. Mais on renonce à voir la
gradabilité du lien comme attachée en propre aux
mots. Elle ne réside plus dans les mots d’un topos,
mais dans le lien entre les mots d’un stéréotype. En
effet, les phrases génériques qui font partie du stéréo-
type d’un mot peuvent être de plusieurs types. Elles
peuvent tout d’abord être analytiques, c’est-à-dire
vraies hors de toute vérification empirique ; ainsi Les
oiseaux sont des vertébrés ovipares, mais aussi des phrases
typifiantes a priori23, qui sont les phrases définition-
nelles de la langue ; ainsi Les oiseaux volent. Les
propriétés qu’elles dénotent définissent le prototype

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Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

d’une classe, mais n’entraînent pas la possession


nécessaire de cette propriété. De telles phrases sont
donc génériques, mais non analytiques : contraire-
ment aux analytiques, elles admettent des exceptions
et ne représentent donc qu’une relation plausible et
non une implication stricte. Ce qui permet des
dialogues du style :
A – Tu devrais mettre cet oiseau dans une cage,
il risque de s’envoler, les oiseaux volent…
B – D’accord les oiseaux volent, mais pas tous.
La force de l’argument « être un oiseau » pour
la conclusion « voler » dépend donc du nombre plus
ou moins grand d’exceptions dont un locuteur crédite
la phrase générique au moment où il la met en œuvre.
La gradabilité est ainsi reliée au sens des mots via les
propriétés générales des phrases génériques typifiantes
a priori.

Sémantique des stéréotypes


et rhétorique
Dernier volet de cette étude : l’éventuelle rela-
tion entre la sémantique et la rhétorique, la sémanti-
que envisagée ici étant celle reflétée par la Théorie des
stéréotypes.
Dans une optique traditionnelle, l’opposition
entre ces deux disciplines était nette : la rhétorique

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 76

La rhétorique

s’occupait de l’organisation du discours, en particulier


de l’articulation des énoncés entre eux d’un point de
vue pragmatique – il s’agissait de persuader, de
convaincre, d’inciter, d’enthousiasmer, etc. La séman-
tique en revanche, était le lieu de l’adéquation des
mots aux choses, au plus des énoncés au monde : il
fallait cette fois décrire, rapporter, communiquer, etc.
Or cette opposition s’estompe considérablement avec
la Théorie des stéréotypes, comme déjà avec la Théorie
de l’argumentation dans la langue, version topique ou
pas. Il s’agit en effet de théories qui traitent aussi de
l’organisation du discours, ce qui semblait justifier
dans un premier temps la dénomination d’argumen-
tation dans la langue. Est-ce à dire que la sémantique
ne serait au fond qu’une sous-classe de la rhétorique ?
Il y a en fait de sérieuses différences entre la
sémantique telle que l’entend la Théorie des stéréotypes
et la rhétorique. On peut affirmer en simplifiant que
la Théorie des stéréotypes voit le sens d’unité lexicale
comme un faisceau de phrases stéréotypiques, en
particulier de phrases génériques, comme nous l’avons
dit précédemment24. Celles de ces phrases qui admet-
tent des exceptions sont ce qu’il est convenu d’appeler
des implicatures, qui sont en fait des schémas argu-
ment + conclusion. Ce que dit donc la Théorie des
stéréotypes, c’est que le sens des mots concerne préci-
sément leurs potentialités de combinatoire discursive.
L’évocation d’une société tolérante n’autorise pas les

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Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

mêmes enchaînements que celle d’une société permis-


sive. Or, ce n’est pas là, selon nous, le domaine
d’application de la rhétorique entendue au sens habi-
tuel. De façon sans doute lapidaire, on peut dire
qu’alors que la sémantique s’occupe de déterminer le
sens des unités lexicales et de leurs combinaisons dans
les phrases, la rhétorique s’occupe à l’inverse du choix
des mots et des constructions – sachant quelle est leur
valeur sémantique – en vue d’un certain effet. La
sémantique cherchera à spécifier les combinaisons
auxquelles par exemple tolérant et permissif donnent
respectivement lieu. La rhétorique de son côté tentera
de déterminer lesquelles de ces combinaisons choisir
pour favoriser une conclusion établie par avance. Il
s’agit donc de deux objectifs distincts, même si bien
entendu, ils apparaissent comme indissolublement
liés.

NOTES

1. Ce texte est une version entièrement révisée par l’auteur du


texte paru sous le titre « La théorie des topoï : sémantique
ou rhétorique ? », p. 185-198.
2. Terme qui apparaît pour la première fois chez Milner, 1973,
« Wieso Pragmatik ? », DRLAV, Univ. de Paris VIII, no 7,
puis est repris dans ANSCOMBRE, J.-C., « Il était une fois une
princesse aussi belle que bonne », Semantikos, no 1, 1975,
p. 1-28.

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 78

La rhétorique

3. Position qui refuse donc le schéma tripartite de Morris, 1938,


syntaxe/sémantique/pragmatique, où chaque composant
dépend de celui qui précède, et non l’inverse. MORRIS, C. W.,
« Foundations of the Theory of Signs », International Ency-
clopedia of Unified Science, vol. 1, no 2, Chicago, University
of Chicago Press, 1938.
4. Il s’agit des sémantiques dites vériconditionnelles, pour
lesquelles le sens est fondamentalement bâti sur une descrip-
tion du monde réel.
5. En linguistique, ? signifie que l’énoncé est étrange, ?? que
l’énoncé est très étrange et * que l’énoncé est impossible.
6. On peut également le voir sur les possibilités de combinaison
avec certains adjectifs : un (court + bref + *long) instant versus
un (?court + *bref + long) moment versus cinq (brèves +
longues) minutes.
7. Rappelons en effet que pour Frege, le référent d’une phrase
est sa valeur de vérité. Le glissement s’opère dès lors qu’on
ne distingue pas sens et description du référent.
8. STRAWSON, P. F., « Truth », in MacDonald, M. (ed.), Philo-
sophy and Analysis, Oxford, 1954.
9. AUSTIN, J. L., « Other Minds », in Logic and Language,
Oxford, Blackwell, New York, Philosophical Library, 1953.
10. ARISTOTE, Topiques, Tome I, livre I, chap. XVIII.

11. Il ne s’agit pas de communautés réelles, mais présentées


comme telles. Cf. la notion de ON-vérité chez Berrendonner,
1981.
12. ANSCOMBRE, J.-C., « Le problème de l’antonymie dans le
champ parémique », in Anscombre, J.-C., Ródríguez Somo-
linos, A. et Gómez-Jordana Ferary, S., Voix et marqueurs du
discours : des connecteurs à l’argument d’autorité, Lyon, ENS
Éditions, 2012.
13. Ce terme est destiné à regrouper sous une même étiquette

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Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

les proverbes, dictons, apophtegmes, adages, sentences, etc.


Sur ce point, cf. entre autres ANSCOMBRE, J.-C., « Parole
proverbiale et structures métriques », Langages, no 139, 2000,
p. 6-26.
14. On en trouvera d’autres dans ANSCOMBRE, J.-C. « Les syllo-
gismes en langue naturelle. Déduction logique ou inférence
discursive ? », Cahiers de linguistique française, no 11, 1990,
p. 215-240 ; « Pourquoi un moulin à vent n’est pas un venti-
lateur », Langue française, no 86, 1990, p. l03-125 ; « L’insou-
tenable légèreté morphologique du préfixe négatif in- dans
la formation d’adjectifs », Linx, numéro spécial, Université
de Paris X-Nanterre, 1994, p. 299-321.
15. Pour un exposé plus technique sur ce point, cf. ANSCOMBRE,
J.-C., « Le rôle du lexique dans la théorie des stéréotypes »,
Langages, no 142, 2001, p. 57-76 ; « Dénomination, sens et
référence dans une théorie des stéréotypes nominaux »,
Cahiers de praxématique, no 36, Linguistique de la dénomina-
tion, 2001, p. 43-72.
16. PUTNAM, H., « The Meaning of “Meaning” », Philosophical
Papers, vol. 2, Cambridge University Press, 1975,
p. 215-271.
17. On la trouvera parfaitement explicite chez Milner, 1982.
18. Sur ce sujet, cf. Kripke, 1972 et Anscombre, op. cit., 2001,
pour l’angle linguistique.
19. FRADIN, B., « Anaphorisation et stéréotypes nominaux »,
Lingua, no 64, 1984, p. 325-369.
20. Anscombre, op. cit., 1994. Fradin se cantonne en effet aux
seuls noms désignant des objets fabriqués, des substances ou
des espèces naturelles. Par ailleurs, il n’utilise la notion de
stéréotype que pour le traitement des anaphores associatives,
sans envisager d’autres applications, par exemple à la
morphologie ou à la sémantique.
21. Il s’agit d’une sous-classe des énoncés dits gnomiques (déno-

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La rhétorique

tant des propriétés intemporelles), très précisément de la


sous-classe des énoncés gnomiques caractérisant une classe
d’entités, ainsi Les chats chassent les souris, Le lynx a une vue
perçante, etc.
22. Rappelons que les formes sentencieuses font partie de la classe
des énoncés génériques.
23. Sur tous ces problèmes, cf. Anscombre, op. cit., 2001.
24. Il y a également des phrases non génériques, en particulier
des phrases événementielles faisant partie de la mémoire collec-
tive. Il semble par exemple raisonnable d’attacher au mot
gaulois la phrase Les gaulois étaient nos ancêtres – bien que
cette affirmation soit factuellement fausse pour une partie de
la population.

Références bibliographiques
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ANSCOMBRE, J.-C., DUCROT, O., L’argumentation dans la langue,
Paris-Liège, Mardaga, 1983.
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FREGE, G., Écrits logiques et philosophiques, Paris, Seuil, 1971.
HARE, R. M., The Language of Morals, Londres, Oxford Univer-
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KLEIBER, G., La sémantique du prototype, catégories et sens lexical,
Paris, PUF, 1990.
MILNER, J. C., Ordres et raisons de langue, Paris, Seuil, 1982.
PERELMAN, Ch., OLBRECHT-TYTECA, L., Traité de l’argumenta-
tion. La nouvelle rhétorique, Bruxelles, Ed. de l’Université de
Bruxelles, 1958.

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Des topoï aux stéréotypes : sémantique et rhétorique

SAUSSURE, F. de, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1965.


STRAWSON, P. F., Études de logique et de linguistique, Seuil, Paris,
1971.
TOULMIN, S. E., Essays on Conceptual Analysis, Londres, 1956.
TOULMIN, S. E., The Uses of Argument, Cambridge, Cambridge
University Press, 1958.
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Problématologie
et argumentation ou
la philosophie à la rencontre
du langage
Michel Meyer

Reprise du no 15 de la revue Hermès,


Argumentation et rhétorique, vol. 1, 1995

La problématologie est une nouvelle manière de


philosopher, de penser la raison et le langage. Elle le
fait en s’attachant à l’interrogativité qui traverse
l’ensemble des activités intellectuelles. Parler, comme
penser, c’est traiter de certains problèmes qui nous
animent. Ce sont eux qui mettent la pensée en branle
et déclenchent tout le reste des opérations associées à
l’usage du raisonnement et du langage. Les questions
que les hommes doivent résoudre sont multiples, mais
ils le font toujours au départ de deux façons essen-
tielles. Soit, ils en proposent la solution, soit ils
communiquent la question à autrui dont ils attendent,

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La rhétorique

sinon la réponse, du moins la coopération à cet effet.


Le couple essentiel de la pensée humaine est celui de
la question et de la réponse : on l’a appelé la différence
problématologique (Meyer, 1994).

La différence problématologique
Ce qui est intéressant, c’est d’étudier les diverses
formes que prend la différenciation problématologi-
que. Le fait de simplement communiquer la réponse,
parce que la question est connue ou se dégage aisé-
ment du propos, va définir une première forme de
mise en œuvre du couple problème-solution : c’est
l’opposition de l’implicite et de l’explicite. Par contre,
s’il y a lieu de faire part du problème qui nous préoc-
cupe, par exemple parce que la réponse dépend
d’autrui, alors la question devra être explicitée, par
une forme propre. C’est là une seconde manière de
mettre en œuvre la différence problématologique. La
formalisation de celle-ci repose sur l’usage de formes
langagières spécifiques, comme par exemple l’opposi-
tion de la forme interrogative et de la forme déclara-
tive. La troisième possibilité est l’impérative et son
but est de mettre le poids sur la résolution attendue
plutôt que sur le problème qui lui correspond, sans
doute parce que celui-ci n’a pas simplement pour
réponse une phrase mais une action.

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Problématologie et argumentation

Mais le poids de la forme n’est tel que par


rapport à une information maximale qu’il convient
de communiquer verbalement. Bien souvent, le
contexte permet de repérer ce qui fait problème sans
recours à un explicite précis pour ce faire. La forme
peut alors être utilisée à d’autres fins, elle acquiert des
degrés de liberté par rapport à la différence problé-
matologique. Celle-ci se distribue entre la forme et le
contexte. A contrario, lorsque le contexte est faible en
information sur ce qui fait question et sur ce qui
vaudra comme réponse, tout doit être précisé, ainsi
que la forme mathématique des théories scientifiques
l’atteste à suffisance.
En littérature, le texte doit créer sa propre
problématique en l’auto-contextualisant, surtout lors-
qu’il s’agit de reproduire un contexte naturel plutôt
que de l’évacuer comme en science. À la limite, cepen-
dant, on peut imaginer une poésie sans contexte, donc
énigmatique en plein. C’est là que le poète et le
mathématicien se rejoindront sans doute, si ce n’est
que la « résolution » poétique n’est pas à chercher dans
des règles préétablies et extérieures. Le texte est lui-
même réponse en quelque façon, il ne la donne pas,
et il ne fournit pas pour autant la clé qui permettrait
de le résoudre. D’ailleurs, plus un texte est probléma-
tique de par sa forme, plus le figuratif exprime ce côté
problématique et plus le lecteur doit répondre par un
rôle actif dans l’interprétation. Inversement, plus la

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La rhétorique

résolution est donnée dans et par le texte, comme


dans l’intrigue romanesque ou policière, plus le texte
« colle » au monde extérieur, moins il est figuré, et
plus le lecteur a un rôle passif puisque la résolution
se déroule sous ses yeux en tant que réponse textuelle.
J’ai appelé cette loi poïétique de base, la loi de problé-
maticité inversée (Meyer, 1992), car il est question de
la variation de la problématicité dans les textes, dans
la réponse textuelle, et qui la constitue en propre.

La problématologie comme nouvelle


conception de la raison et du langage
La problématologie repose sur une idée somme
toute assez évidente, mais aux conséquences incalcu-
lables dans bien des domaines de la pensée. Quelle
est cette idée ? L’activité intellectuelle, dont l’usage
du langage fait partie, consiste à traiter les problèmes
qui se posent à nous. Or, on a toujours conçu la
raison, comme le langage d’ailleurs, comme étant
tissés de propositions, s’emboîtant les unes dans les
autres, se soutenant d’elles-mêmes, grâce à un premier
principe lui-même infondé, pour les besoins de la
« cause », sinon de la causalité dans son ensemble,
aussi paradoxale que soit cette idée de cause sans cause
alors que tout a une cause. Soit. Ce qui compte ici
est de bien voir cette clôture de l’ordre propositionnel

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Problématologie et argumentation

sur lui-même : il ne répond à rien, il est. Une telle


conception de la raison est aujourd’hui épuisée, et
l’on sait bien que la raison elle-même est une réponse,
donc un problème. Il s’agit désormais d’aller au
fondement de la raison, pour voir la problématique
dont elle est issue et qui, du même coup, oblige la
rationalité à chercher son principe véritable, à s’en
emparer par le langage et à construire sa propre
discursivité comme un répondre susceptible de rendre
compte des questions, des problèmes.
Le langage non plus n’échappe pas à l’analyse
problématologique. On peut bien évidemment conti-
nuer d’analyser sempiternellement les phrases en
constituants dits grammaticaux. Mais on peut aussi,
et c’est plus intéressant, s’attacher à voir de quoi il est
question. « Napoléon a gagné la bataille d’Auster-
litz » : voilà une phrase apparemment exempte de
problématicité ; de quoi justifier les bonnes vieilles
analyses linguistiques, quitte à les mâtiner de prag-
matique*. Pourtant, l’exemple ci-dessus traite de
questions.
De quoi est-il question ? De Napoléon, d’Aus-
terlitz, de bataille. Napoléon est celui qui a fait le
18 Brumaire, Austerlitz est l’endroit où telles et telles
choses se sont passées, qui ont conduit à ce qu’une
victoire, qui est ceci ou cela, a pu se produire. Tous
ces qui, ces ce que, ces où, sont autant d’interroga-
tifs que les termes Napoléon, bataille ou Austerlitz,

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La rhétorique

résolvent, suppriment, parce que ces questions sont,


dans le chef du locuteur, inutiles : il pense les avoir
traitées adéquatement. Elles ne se posent donc plus ;
on sait qui est Napoléon ou ce qu’est Austerlitz ;
personne ne posera de telles questions. Le sens, qui
fait connaître ce dont il est question, qui le commu-
nique, est donc implicite au propos tenu, recouvre
même l’intention du locuteur, puisque celui-ci
n’explicite pas et n’a pas le souci de préciser ce dont
il est question. Ceci se révèle dans et par la commu-
nication comme une intention très nette. Certes, il
peut se tromper. L’interlocuteur lui demandera, par
exemple, « Qui est Napoléon ? ». Le locuteur, qui a
ainsi mésestimé le niveau de compréhension de son
interlocuteur, se verra obligé de répondre en précisant
qui est Napoléon. Ainsi, « Napoléon est le vainqueur
d’Austerlitz » peut se rendre par « Napoléon est celui
qui a vaincu à Austerlitz ».
Une telle clause (ou expansion) interrogative
maintient le sens de la phrase première puisqu’elle dit
ce dont il était question dans celle-ci sans rien ajouter
de neuf ou de différent au niveau de la réponse. À la
limite, de telles expansions interrogatives sont
infinies : le point d’arrêt est fixé au moment où s’équi-
librent les savoirs mutuels, où se stabilise un contexte
interlocutoire qui permet la transaction linguistique.
Savoir ce dont il est question, c’est connaître la signi-
fication. Si une vieille dame m’aborde dans la rue

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Problématologie et argumentation

pour me dire que Totor est malade, je vais sans doute


comprendre de quoi il est question en voyant un chien
à ses côtés qui semble souffrir. Mais je ne saisirai pas
pleinement le sens de sa démarche si j’ignore qui est
cette dame, à quoi répond sa démarche, donc son
propos.
Élargir la raison et le langage à ce à quoi ils
répondent, tel est le but de la problématologie, qui
se situe ainsi entre Socrate, qui privilégiait les ques-
tions, et Platon, qui ne connaît plus que les réponses.

Le rôle de l’argumentation
et la raison
À en croire la bonne vieille tradition, parler
d’argumentation*, c’est s’occuper de la « raison
impure ». Elle est la faiblesse de la seule et vraie raison,
qui ne connaît que raisonnements contraignants et
propositions découlant presque mathématiquement
les unes des autres. Mais d’où vient la nécessité de la
nécessité sinon d’elle-même ? La Raison pure se
postule, s’affirme, exclut, mais ne se justifie pas. Au
mieux, dit Kant, elle se limite. Pourtant, bien des
raisonnements sont justes et contingents. La plupart
de nos conclusions relèvent de la raison impure, non
de l’autre, dite pure, qui s’apparente au mausolée de

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La rhétorique

nos espérances défuntes (sauf pour quelques-uns, des


nostalgiques de l’Ancien Régime philosophique).

Que dit l’argumentation ?


Qu’est-ce que la rhétorique ?
Avec l’abandon de la subjectivité pure, qui
ignore et même rabote les subjectivités empiriques,
l’Homme a retrouvé les hommes. L’identité, vide, a
cédé la place aux différences, aux opacités, aux voix
multiples qui discutent. Une raison qui tâtonne, qui
met à l’épreuve, qui cherche à convaincre, à plaire, à
manipuler, pour agir et faire agir. Déplorons-le.
Amen. Et retournons aux faits, à la réalité : les
hommes vivent dans la dimension rhétorique. Plus
d’idéologie assortie de sanctions pour nous couler
dans le moule de la vérité préalable. Il faut donc bien
s’accommoder de cette rhétorique dont Platon voulait
tant nous prémunir. Mais qu’est-ce que la rhétorique,
et en quoi se différencie-t-elle de l’argumentation ?
C’est l’art de bien parler, disait Quintilien. De plaire,
de convaincre, d’en imposer par la parole. Mais aussi
de raisonner, avec des arguments, des opinions, des
lieux communs, des prémisses implicites. Sans oublier
les passions, les émotions, les croyances de l’audi-
toire*, qu’il faut savoir mobiliser quand il faut et
comme il faut.

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Problématologie et argumentation

Comment se retrouver dans tous ces enchevê-


trements ? Y a-t-il une rationalité qui se cache derrière
tout cela ? La rhétorique, c’est avant tout une relation
entre des locuteurs, des utilisateurs de langage,
immergés dans le réel, le social, l’Histoire. Ethos-
pathos-logos : les trois mots-clés de la rhétorique selon
Aristote. L’ethos, c’est le jeu de l’orateur, ce qu’il est,
ce qu’il prône, ce qu’il veut. Le logos, ce sont les
moyens qu’il met en œuvre pour convaincre ou
séduire : des raisonnements, du langage, avec ou sans
marques argumentatives, comme mais (ce qui oppose
pour réorienter) ou donc (qui pousse à conclure,
même quand ce n’est ni évident ni assuré). Enfin, il
y a le pathos ou les réactions de l’auditoire, qui sont
fonction de ce qu’il ressent et de ce qu’il croit, ou
veut croire.
Si l’on passe en revue les grandes théories rhéto-
riques du passé, et même les contemporaines, on peut
observer que toutes on plus ou moins privilégié, qui
le logos, qui le pathos, qui l’ethos. Qu’est-ce que cela
donne en fait ? Se centrer sur le pathos engendre l’assi-
milation de la rhétorique à une simple opération de
manipulation des esprits : c’est la rhétorique-
propagande, la sophistique, le jeu sur les émotions et
les croyances, la tromperie par le langage. Si l’on fait
tout partir de l’ethos, la conception de la rhétorique
change quelque peu. L’accent est mis sur les inten-
tions, bonnes ou mauvaises (éthiques) du sujet. Si

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La rhétorique

c’est le logos qui est considéré comme déterminant,


on privilégiera le langage et le raisonnement, et la
rhétorique se fera argumentation ou théorie littéraire,
c’est selon.
Qui a raison ? Tout le monde et personne, car
la rhétorique est une relation ethos-pathos-logos et
privilégier l’une ou l’autre dimension pour subordon-
ner les deux autres n’a donné que des conceptions
unilatérales de la rhétorique. Depuis Aristote,
toutefois, la dimension du logos a été prépondérante
dans l’esprit de ceux qui accordaient du crédit à la
rhétorique. Car il y avait, à disposition, une théorie
du logos avec laquelle on pouvait travailler : c’était la
logique. À côté du raisonnement probable propre à
la rhétorique. Le modèle implicite aux deux est le
modèle propositionnaliste : débattre, c’est agencer,
relier des propositions, vraies ou jugées telles. Mais ce
qui est vrai exclut nécessairement la thèse opposée :
la rhétorique devient ou impossible en tant que débat,
ou elle repose sur l’ignorance et la croyance qui s’auto-
risent de thèses opposées, faute de savoir laquelle choi-
sir, chacun des protagonistes croyant détenir la vérité
puisque ne l’ayant pas en réalité. La rhétorique,
soumise à l’exclusive attachée au propositionnalisme,
est donc le parent pauvre d’une théorie du logos
centrée sur la proposition, comme c’est le cas depuis
toujours. Elle est alors l’enfant handicapé de la raison

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Problématologie et argumentation

(pure). Elle a droit aux miettes, comme Cosette chez


les Thénardier.
Encore au vingtième siècle, la rhétorique est de
nature propositionnaliste. Que ce soit Perelman ou
Toulmin, ils se situent l’un et l’autre par rapport à la
logique, dont ils combattent, certes, le monopole,
mais sans le dépasser. Est-ce possible, demandera-
t-on ? Bien évidemment : le tout est de savoir ce dont
il est question dans un débat, une prise de parole, un
acte de langage ou de discours. De quoi est-il ques-
tion, sinon, précisément, d’une question, qui anime
voire oppose les locuteurs, ou un orateur et son audi-
toire ? On ne débat pas de « thèses », sinon de manière
seconde, mais de problèmes et de questions ; là où
l’alternative, donc la contradiction se trouve encore
possible, on est en deçà de l’affirmation, et de la
négation, même si elles vont surgir du fait même qu’il
y a problème. L’alternative, qui exprime la probléma-
tique, loin d’être un défaut du logos, une ignorance,
(c’est le point de vue de l’ethos) ou une passion aveugle
(si l’on se place du côté du pathos), apparaît alors
comme étant dans la nature des choses. Il y a des
questions à résoudre, et être rationnel consiste à
apporter des solutions aux problèmes qui se posent.
Il n’y a rien de négatif à ne pouvoir offrir des solutions
nécessaires, incontournables, apodictiques. Une solu-
tion suffit. Tant mieux si la logique nous permet
d’atteindre la seule possible, quand c’est le cas.

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La rhétorique

Comme on le voit, une nouvelle théorie du logos


s’impose : la proposition a cédé la place à la réponse,
puisqu’il y a des questions. On les exprime, donc on
peut en discuter. On les résout, donc on affirme et
on nie. Si on perd de vue la dimension interrogative,
qu’est-ce qui peut encore différencier les réponses de
simples propositions ?
Que consacre l’irruption de l’interrogativité, ou
plus exactement la reconnaissance de son rôle inau-
gural, dans le champ rhétorique ? D’abord, en tant
que position théorique, il s’agit d’une autre manière
de l’envisager, de le concevoir, de l’étudier ; c’est aussi
le sortir du monopole propositionnaliste qui l’infé-
riorise, voire rend la rhétorique superflue au regard
de cette quête de la vérité sans partage. Ensuite, il
faut préciser que l’interrogativité est l’expression de
ce qui divise et sépare les interlocuteurs, comme une
seule réponse est ce qui les rassemble. Ils auront alors
une conviction commune, comme on dit générale-
ment. Dès lors, la rhétorique est la négociation de la
distance entre les sujets à propos d’une question. Ce
sont les problèmes qui séparent les hommes, mais
aussi ce qui fait qu’ils se groupent pour pouvoir
(mieux) les résoudre.
La rhétorique rejoint ainsi la science politique.
Dans une telle conception, quelle est la place qu’occu-
pent l’ethos, le pathos, et le logos ? En quoi leur mission
se clarifie-t-elle de par leur mise en relation à l’inter-

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Problématologie et argumentation

rogativité ? Dans un débat, une question est soulevée,


une réponse proposée, et s’il y a débat, celle-ci est
remise en question, une autre réponse surgit, et ainsi
de suite, du moins en théorie. Reprenons notre exem-
ple : Napoléon est le vainqueur d’Austerlitz. On y
suppose que l’on sait qui est Napoléon. Si ce n’est
pas le cas, le locuteur va devoir dire quelque chose
sur Napoléon, par exemple qu’il est l’homme qui a
épousé Joséphine. On peut encore imaginer l’incom-
préhension, donc l’ignorance de l’auditoire : qui est
Joséphine ? Ce petit jeu peut se poursuivre indéfini-
ment, du moins en théorie. Quel est le point d’arrêt
de facto de cette interrogation indéfinie ? L’ethos n’est
rien d’autre que le « caractère » du locuteur, son rôle
social, son statut, qui lui permet de dire ce qu’il dit,
donc ce qui va faire qu’on va le croire. L’ethos, c’est
l’argument d’autorité enfoui au creux de tout
discours. À un moment donné, on s’arrête de ques-
tionner l’orateur ; on accepte ce qu’il dit, on se dit
qu’il est dans le vrai, puisqu’il le dit (« c’est écrit, donc
c’est juste » ; variante antédiluvienne du « ils l’ont dit
à la télé »). Certes, une question sur la signification
des termes utilisés n’est pas identique à la question
qui porte sur la vérité du propos même. Le point
d’arrêt dépend ici du niveau de connaissance de
l’interlocuteur. La connaissance joue le même rôle que
l’argument d’autorité : on sait, donc on a la réponse,
ce qui clôt le débat.

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La rhétorique

Quant au pathos, ce sont les opinions et les lieux


communs qui animent l’auditoire, ce sont aussi bien
ses questions que ses réponses, mais également la
manière dont ces réponses se manifestent et se
marquent. On parlera de passions ou d’émotions.
L’ethos considère le rôle et la place de l’orateur, ce qui
soulève la question de ce qui fait problème et de la
solution apportée. On s’accorde avec quelqu’un. La
factualité est en cause, avec le problème corrélatif de
la vérité ou de la probabilité. Le pathos oriente l’inter-
rogation sur ses aspects communicationnels et inter-
subjectifs, sur la légitimité des questions soulevées qui
« intéressent » ou non l’auditoire. Le logos est centré
sur la qualification des faits quant aux réponses
proposées ; c’est le lieu de croisement des faits et des
hommes, des sujets et du sujet. D’où la tentation d’en
faire un pivot pour la théorisation. Mais ne nous y
trompons pas : la rhétorique est une relation inter-
subjective et le langage ne fait que mettre en forme
cette relation, mais celle-ci ne s’y réduit pas. Dès lors,
ethos, pathos et logos sont indissociables en tant que
moments constitutifs de l’interrogation rhétorique, et
partant, du raisonnement qui la sert.
Si la rhétorique est la négociation de la distance
entre les sujets sur une question donnée, qui peut aller
du plaire au raisonner, et du raisonner au combattre
(verbal), alors l’argumentation s’impose comme une
technique de résolution de cette distance, donc de

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Problématologie et argumentation

cette question. La résolution n’est autre que l’adhésion


à une réponse commune, une négociation de la diffé-
rence par le choix raisonné d’une identité entre les
sujets qui se retrouvent sur cette réponse commune.

Le juridique, l’épidictique
et le délibératif comme genres
rhétoriques majeurs
Lorsqu’une question surgit, trois possibilités se
dessinent : soit on a déjà la réponse à disposition, soit
on peut la trouver dans des codes et des systèmes
externes, soit on se trouve contraint à la produire
soi-même, faute de l’avoir ou de pouvoir la puiser
dans un réservoir existant. C’est à cette problématicité
croissante que correspondent les trois genres rhéto-
riques qu’a retenus Aristote (1991). Le genre épidic-
tique*, qui couvre la simple approbation passive,
comme dans les éloges funèbres, se présente sous
forme de questions entièrement résolues : on expose
les réponses. Qui était le défunt ? Qu’a-t-il fait dont
on doive se remémorer ? Et ainsi de suite. Personne
ne va contester. Les conversations quotidiennes,
banales, offrent un caractère conventionnel sembla-
ble. On approuve ensemble les idées reçues et les
formules toutes faites qui plaisent à tout le monde et
qui nourrissent par là les bons voisinages.

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La rhétorique

Mais on peut très bien débattre de vrais


problèmes : on en a ou on peut en avoir les réponses,
ou alors tout est à définir. Dans le premier cas, l’infé-
rence de la réponse exige recherche, « invention »
comme disent les rhétoriciens. Le modèle est l’activité
judiciaire. La question y est incertaine, mais les codes
et la jurisprudence sont là pour apporter une réponse.
Les critères de résolution finissent par aboutir
dans l’autorité (ethos) du juge et de ses arrêts, fixée
par la loi. Second cas : c’est le troisième type de ques-
tions, celles dont on ne sait même pas si elles sont
légitimes, encore moins comment on peut être sûr de
la réponse. La problématicité est maximale. C’est le
genre délibératif*, que l’on retrouve en politique, où
tout peut être mis sur la table, et du même coup, le
débat peut se muer en combat.
En fait, on retrouve dans ces trois genres de
problématiques, une structure commune, où viennent
se mêler de façon variable l’ethos, le pathos et le logos.
L’ethos met l’accent sur la factualité des faits, de ce
dont il est question comme objet : c’est le quoi, le
que, le qui, que l’on interroge. L’alternative est donnée
par la négation des faits : non, X n’a pas tué Y, il était
ailleurs au moment où le meurtre s’est produit.
Le logos vérifie la qualification de ces faits : oui,
il s’agit bien d’un assassinat, non d’un acte de légitime
défense. C’est toute la barrière entre la condamnation
et l’acquittement, la culpabilité et l’innocence. Il faut

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Problématologie et argumentation

donc rapporter la qualité aux faits dans le logos, ce


qui donne une structure duale, appelée aussi sujet-
prédicat ou jugement. Pour nous, c’est une réponse,
puisqu’il y est question de quelque chose qui est
établie, mais sur laquelle on s’interroge néanmoins.
De là vient la distinction sujet-prédicat, et leur rela-
tion, que l’on ne saurait d’ailleurs considérer comme
première, comme une notion primitive ainsi que le
font habituellement logiciens et rhétoriciens.
Il reste le pathos. Celui-ci met à l’épreuve la
réponse en relation avec la question, évalue la perti-
nence de celle-ci par rapport à l’auditoire qui les reçoit
l’une et l’autre. Le pathos est l’interrogation sur la
pertinence des questions traitées ; interrogation sur la
« légitimité » du répondre, sur le lien question-
réponse, qui se trouve réfléchi. Du quoi, on est passé
au ce que, et du ce que au pourquoi.
Ce sont là des éléments essentiels à toute inter-
rogation, et on les retrouve forcément dans les trois
« genres rhétoriques » majeurs selon Aristote, même
si certaines questions sont résolues dans un genre et
pas dans l’autre, ce qui atténue la problématicité
globale. Le genre épidictique met l’accent sur le logos,
puisque le problème est surtout de qualifier les choses,
les événements, les gens. Le judiciaire s’interroge
davantage sur l’occurrence des faits, qui peuvent être
problématiques. Le genre délibératif met en question
les questions mêmes qui sont soulevées, ainsi que les

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 100

La rhétorique

gens qui les soulèvent. Cela n’empêche pas de voir les


autres types de questions s’y manifester.

Le questionnement rhétorique :
la question des « serpents venimeux »
Il est temps maintenant de se pencher sur la
structure de l’interrogativité. Considérons un exem-
ple : deux individus se promènent en forêt et ils aper-
çoivent comme des cordes enroulées au travers de leur
route. Se pourrait-il que ce soit des serpents ? La ques-
tion est d’importance, car les serpents sont venimeux.
Et pourtant ils passent leur chemin. Qu’est-ce que
cela signifie ? Que mettent-ils en question par leur
attitude ? Ils peuvent contester que les serpents soient
venimeux, l’ignorer, ou simplement nuancer la quali-
fication par la quantification : tous les serpents ne
sont pas venimeux. Mais ils peuvent aussi admettre
que les serpents sont dangereux.
Que nient-ils alors, si ce n’est que le x rencontré
n’est pas un serpent, mais par exemple des cordes
enroulées ? La question ne porte donc plus sur la
qualification mais sur l’objet. Cette double mise en
question, toujours possible, correspond à la structure
de toute réponse : celle-ci a un sujet et un prédicat.
« Ce serpent est venimeux », répond à deux questions
implicites toutes deux, à savoir que ce x est bien un

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 101

Problématologie et argumentation

serpent, et que ce x est (un) y. Il reste évidemment la


troisième possibilité, qui est de ne pas contester que
x est un serpent et qu’à ce titre il est y, tout en
continuant son chemin, question de prendre des
risques en récusant la pertinence de la réponse à la
situation et au problème qui est de poursuivre sa
route. On est alors au métaniveau : on se prononce
sur la réponse en tant que réponse.
La logique diffère de la rhétorique précisément
en ce qu’elle pose expressément toutes ces questions
comme étant résolues. Il n’y a plus alors de débat
possible ; d’où le caractère contraignant de la logique :
– 1) Les serpents sont venimeux (= y) ce qui
n’engage en rien quant à ce que l’on rencontre.
– 2) ceci est un serpent, ce x est bien un
serpent.
En conclusion,
– 3) x est y, ce serpent est venimeux.
Toutes ces questions ne sont bien évidemment
pas traitées comme résolues dans les raisonnements
courants et quotidiens. On dit : « Attention, c’est un
serpent » ; sous-entendu : « les serpents sont veni-
meux, donc méfions-nous ! ». Ou encore : « les
serpents sont venimeux » ; sous-entendu : ce x est un
serpent, donc il est dangereux. Si l’on dit tout cela,
c’est bien évidemment parce que la question se pose ;
mais quelle question ? Celle qui concerne ce que l’on
rencontre, de savoir ce que c’est, ou si on le sait, ce

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 102

La rhétorique

que cela implique. En elle-même, la question des


serpents (ou des cordes enroulées) s’autorise de la
double lecture : factualisation versus qualification. Sur
quoi s’interroge-t-on, sur le fait-serpent ou sur ce que
sont les serpents ? Lorsqu’on répond en disant que les
serpents sont venimeux, on ne s’engage pas sur ce que
l’on voit, mais on ne le dirait pas si, dans le contexte,
la question de ce qui se trouve en travers de la route
n’était pas de quelque façon résolue.
L’argumentation commence lorsque se posent
toutes ces questions, sur le factualisable, sur la quali-
fication, et que l’on doit donner des raisons pour telle
ou telle réponse.
Trois types de questions définissent ainsi l’inter-
rogation en général : ils portent sur la pertinence de
la question, donc du répondre (pathos), sur la factua-
lité du sujet x (ethos) et sur la qualification de x (logos).
Que l’ethos soit associé à la factualité pourra sembler
surprenant. En réalité, l’ethos renvoie à qui dit quoi,
donc à la vraisemblance du propos qui porte sur les
faits invoqués. Comme on le voit, les trois moments
ethos, pathos et logos sont indissociables. En termes
modernes, ils signifient la relation intersubjective qui
se dessine autour d’une question dont les sujets
parlent ou qui simplement les anime. On peut mettre
l’accent sur l’une de ces composantes, afin de mettre
en évidence l’un ou l’autre genre rhétorique, mais il
ne faut jamais oublier que l’on y trouvera également

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 103

Problématologie et argumentation

les deux autres composants de la relation. Certes, on


peut isoler l’une d’entre elles pour en faire un type
de problèmes à part entière. Cela donne au pathos un
côté plus politique et évaluatif, au logos, une dimension
plus épidictique, puisqu’on est d’accord ou non sur
l’attribution proposée ; et à l’ethos, un relief plus judi-
ciaire en raison de la factualité qui sous-tend et justifie
que ce qui est dit par tel ou tel est bien juste. Il
n’empêche que la meilleure manière de définir ces
problèmes rhétoriques repose davantage sur l’estima-
tion de leur problématicité : nulle, faible et forte,
selon que l’on a déjà la solution (on n’a plus qu’à
approuver ou rejeter), selon qu’on peut la trouver
(dans des textes de loi par exemple), ou qu’il faut
entièrement la définir, jusque dans la formulation
même du problème (sur lequel on délibère égale-
ment). Le pathos peut être plus déterminant dans ce
genre de délibération, mais il ne l’est pas moins dans
certaines plaidoiries passionnelles, ainsi que le faisait
déjà remarquer Quintilien, contre Aristote. De même,
le logos, déterminant dans la qualification des faits, se
retrouve aussi dans les autres procédés argumentatifs.
De même pour l’ethos, dont on ne niera pas le rôle
essentiel dans l’action judiciaire, sans toutefois en
minimiser le rôle dans les autres types de résolution.
Aux trois types de questions mis en évidence
correspondent trois types de négation. Ce sont là des
types argumentatifs.

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 104

La rhétorique

Au quoi de la factualité répond une argumen-


tation de type dialectique. On teste la véracité de ce
que l’autre soutient, on le et la met à l’épreuve.
Le ce que de la qualification définit une argu-
mentation davantage centrée sur la signification, et
par voie de conséquence, une rhétorique plus « esthé-
tique ». Enfin, au pourquoi de la réponse et du répon-
dre correspond davantage une argumentation de type
« communicationnel » et politique, de métaniveau, où
se jouent les rapports de consensus (Habermas) et de
différend (Lyotard) ; c’est-à-dire une rhétorique plus
éthique (au sens moderne) et politique.

Références bibliographiques
ARISTOTE, La Rhétorique, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Les
classiques », 1991.
MEYER, M., De la problématologie, Paris, Le Livre de Poche, coll.
« Quadrige », 1994 et PUF, 2008.
MEYER, M., Principia Rhetorica, Paris, Fayard, éditions de poche,
coll. « Quadrige », 2008.
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 105

Du discours argumenté
à l’interaction argumentative
Rui Alexandre Grácio

Inédit

Ce texte propose une réflexion sur la valeur et


les limites de certaines théorisations de l’argumenta-
tion*. Tout en prenant en considération l’importance
des approches qui voient dans l’argumentativité le
tissu même du discours, nous suggérons que, du point
de vue de l’adéquation descriptive*, l’analyse argu-
mentative doit se concentrer sur les situations d’inter-
action où une opposition entre discours reste claire.
Cela signifie que les arguments doivent être considérés
dans le cadre d’une tension critique entre discours et
que l’étude des argumentations est l’analyse dont
l’opposition se construit par les différents tours de
parole sur le sujet en question.

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La rhétorique

De la logique à l’argumentation
La principale conquête de la théorisation
contemporaine de l’argumentation a consisté, d’une
part, à abandonner l’approche formaliste qui privilé-
gie une image propositionnaliste de la raison et du
raisonnement et, d’autre part, en la considérant en
termes de discours et de communication, pour
lesquels les critères de la « machine logique » sont
visiblement insuffisants.
Ce déplacement s’est réalisé, chez Perelman, par
la dissociation entre vérité et adhésion, c’est-à-dire,
en ramenant au premier plan la question des effets
communicationnels dans le cadre d’une problémati-
que de l’influence du discours. Au lieu de prendre en
considération le raisonnement isolé du discours à des
fins d’évaluation, Perelman a préféré souligner le lien
entre les notions pratiques inhérentes à l’usage naturel
du langage et l’argumentativité ainsi que l’importance
des procédés de liaison et de dissociation de notions
dans la modulation argumentative, en montrant leur
dépendance, en termes d’effets et d’efficacité, à l’audi-
toire* auquel le discours est adressé. Au lieu de cher-
cher à formuler des critères logiques qui, au départ,
pourraient être appliqués à l’évaluation de l’argumen-
tation (dans des paramètres tels que, par exemple,
l’acceptabilité, la pertinence ou la suffisance), Perel-
man a proposé que la force des argumentations soit

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Du discours argumenté à l’interaction argumentative

examinée de façon à ce que nous puissions décrire


l’efficacité des discours, leur impact en fonction des
auditoires auxquels ils sont adressés. En plaçant
l’argumentation dans le cadre du discours et dans une
situation de communication, il rompt avec une appro-
che limitée en termes d’analyse plus ou moins forma-
lisée des raisonnements.
Cette orientation discursive et communicative
se trouve également dans la logique naturelle de Jean-
Blaise Grize qui, en cherchant à savoir « comment
fonctionne la pensée lorsqu’elle ne mathématise pas »
(Grize, 1996, p. 115), considère les opérations argu-
mentatives de saillance et filtrage comme inhérentes
aux procédures discursives qui sont à l’origine de ce
qu’il désigne comme les « schématisations ». L’usage
du langage naturel surgit, ainsi, associé à « l’omnipré-
sence de l’argumentatif », idée exprimée par Grize
lorsqu’il affirme que « communiquer ses idées à quel-
qu’un, c’est toujours peu ou prou argumenter »
(Grize, 1997, p. 9). Une telle vision renvoie, d’une
part, à l’affirmation que la discursivité s’organise à
partir d’opérations sélectives qui sont, en même
temps, des options qui configurent des modes de voir
et de donner à voir ; et implique, d’autre part, que
les représentations parviennent toujours au discours
avec une incidence guidée par la spécificité de la situa-
tion de communication.

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 108

La rhétorique

Cette affirmation de l’omniprésence de l’argu-


mentatif est aussi présente dans la Théorie de l’argu-
mentation dans la langue d’Anscombre et de Ducrot,
qui s’organise autour de la notion d’orientation. En
effet, Ducrot (1988, p. 14) affirme que « parler est
construire et tenter d’imposer aux autres une sorte
d’appréhension argumentative de la réalité », ce qui
signifie refuser l’existence d’un registre soi-disant
neutre et purement informatif des phrases. Or, en
voulant expliquer les mécanismes de l’argumentation,
et en ne prenant en considération que le fonctionne-
ment de la langue, Ducrot soutient que « l’argumen-
tation linguistique n’a aucun rapport direct avec
l’argumentation rhétorique1 ».
Toutefois, ceci est un aspect contesté par Ruth
Amossy, pour qui l’inhérence de l’argumentation au
fonctionnement de la langue est extensible à l’usage
intentionnel du langage dans le discours : « Je soutiens
que cette argumentativité constitue une caractéristi-
que inhérente du discours. La nature argumentative
du discours n’implique pas que les arguments formels
sont utilisés, pas plus qu’il ne signifie que l’ordre
séquentiel de la prémisse à la conclusion est imposée
sur le texte oral ou écrit. Orienter la façon dont la
réalité est perçue, influencer un point de vue et diriger
le comportement sont des actions effectuées par toute
une gamme de moyens verbaux. Dans cette perspec-

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 109

Du discours argumenté à l’interaction argumentative

tive, l’argumentation est totalement intégrée dans le


domaine des études du langage2. »

Penser la théorisation
de l’argumentation
Bien que nous n’ayons pris comme exemple
que certains théoriciens de l’argumentation, nous
pourrons ajouter que, cherchant à insérer l’argumen-
tation dans le cadre des procédés linguistiques et
langagiers propres à une situation de communication,
ils partent d’une synonymie entre argumentativité et
argumentation. Toutefois, et parce qu’elles privilégient
la notion d’orientation, ces conceptions finissent par
tomber dans ce qu’on pourrait désigner comme une
« vision pan-argumentative », dont le problème prin-
cipal consiste à ne pas céder de place à la question
critique de l’évaluation des argumentations qui est,
néanmoins, essentielle à la compréhension de la dyna-
mique argumentative même. S’il reste indéniable qu’il
n’y a pas de discours neutres et que la perspectivation
est inhérente à la discursivité – l’explicitation des
procédures d’influence contribuant à une plus ample
acuité dans la lecture et l’analyse des discours – ceci
nous semble, néanmoins, insuffisant pour capter
l’argumentation en tant que forme spécifique de
communication qui est simultanément un art prati-

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La rhétorique

que, c’est-à-dire, comme interaction entre argumen-


tateurs qui thématisent leurs dissensions sur un sujet
en question.
En effet, s’il est vrai, comme l’observe Zarefsky
(2006, p. 288), que cela nous amène presque à faire
du terme « argumentation » un terme générique
commode – les paroles de Gronbeck allant dans le
même sens, lorsqu’il rappelle que « dans la mesure où
l’on pourrait appeler “stratégique” une manipulation
symbolique nous étions disposés à la designer comme
“argumentative”3 » –, nous pensons que le défi actuel
de la théorisation de l’argumentation est son adéqua-
tion descriptive qui nous conduit à souligner la
dimension interactive et incontournablement
tensionnelle des dynamiques argumentatives. En
d’autres termes, il nous semblerait qu’il faille, d’une
part, considérer l’argumentation en tant que lieu de
controverse où se confrontent, s’évaluent et se criti-
quent entre soi des perspectives dissonantes et, d’autre
part, comprendre que toute perspectivation d’un sujet
implique une axiologisation qui procède à l’articula-
tion entre le réel et le virtuel-idéal, l’empirique et le
normatif, le monde et un contre-monde. Comme le
constate incisivement Angenot (2008, p. 240), « le
raisonnement axiologique est alors “création” d’une
connexion entre ces deux mondes ou ces deux ordres
incommensurables. Axiologiser consiste à coller sur
les données empiriques des signes transcendants […].

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Du discours argumenté à l’interaction argumentative

Toute évaluation est transvaluation dans la mesure où


les valeurs n’émanent pas du monde brut, mais
soumettent ce monde à leur examen ».
Si l’élaboration de tout point de vue argumen-
tatif est solidaire de processus de valorisation et de
dévalorisation, d’une construction qui ne dit pas le
monde mais la façon dont l’argumentateur se place
dans un discours argumenté, un point de vue dans
une argumentation implique, néanmoins, son affir-
mation en contre position, le processus argumentatif
étant ce qui découlera de la thématisation de cette
opposition ou divergence. C’est pour cette raison que,
à l’inverse de divers autres théoriciens, nous ne
pensons pas que l’argumentation se situe dans « la
langue » mais qu’elle est tout simplement « une bran-
che de l’analyse du discours » (Amossy, 2006, p. 246),
parce que la spécificité du discours est d’être convoqué
dans le cadre d’une situation où il y a une différence
de perspectives, c’est-à-dire quand une situation de
conflit se trouve à l’origine du déroulement d’une
controverse.
Nous affirmerions donc que toute analyse des
argumentations doit partir d’une situation de bilaté-
ralité par rapport au sujet en question. Faisons, néan-
moins, attention au fait que ce sujet « en question »
est le dénominateur commun d’une situation de
conflit, il dérive d’un choc de perspectives et est
formulé et perceptible autour de la présence de

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 112

La rhétorique

discours incompatibles et alternatifs. Aristote lie ces


sujets en question au besoin de délibérer : « nous ne
délibérons que sur des questions qui sont manifeste-
ment susceptibles de recevoir deux solutions
opposées ; quant aux choses qui, dans le passé, l’avenir
ou le présent ne sauraient être autrement, nul n’en
délibère, s’il les juge telles ; car cela ne lui servirait à
rien » (1967, p. 1357a). C. Kock4 (2008) met à son
tour en relief le fait que la discussion et le choix ne
sont pas des phénomènes unidimensionnels mais
multidimensionnels, tissés d’incommensurabilités.
En ce qui nous concerne, et en voulant préci-
sément aller dans le sens de cet espace multidimen-
sionnel, nous tenons à dire que, dans le cadre de
l’argumentation, le discours thématise et que la théma-
tisation correspond au processus par lequel les parti-
cipants d’une argumentation dessinent les sujets en
faisant des distinctions, invoquant des recours pour
donner de la force à la perspective avancée et déve-
loppant des raisonnements orientés dans ce cadre. Il
s’agit donc d’un processus de configuration des sujets,
mis en perspective à partir de la sélection et de la
nucléarisation de certaines considérations vues
comme importantes et dont l’admission oriente la
pensée vers certaines normes d’évaluation, de juge-
ment et de raisonnement.

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Du discours argumenté à l’interaction argumentative

Au-delà du propositionnalisme
Cette façon de voir l’argumentation comme une
discipline critique (en somme, organisée, contrôlée et
problématisante) de lecture permet d’éviter les
problèmes auxquels se trouvent confrontées les théo-
risations qui insistent sur une image propositionna-
liste de la raison. Comme l’a remarqué Kock5, celles-ci
se révèlent parfaitement pénibles quand nous nous
déplaçons vers l’espace de la délibération, parce
qu’elles ne prennent pas au sérieux ces intuitions
essentielles : « 1) que l’argumentation délibérative est
le cas standard, où il y a des bons arguments des deux
côtés ; 2) qu’un bon argument pour une action
n’autorise pas une inférence à cette action ; 3) que les
bons arguments des côtés opposés ne s’annulent pas ».
Nous pensons que la situation de communication
appelée argumentation implique une opposition, une
incompatibilité, et la corrélative confrontation entre
discours et contre-discours menés à bout par ceux qui
y participent. C’est, en l’occurrence, pourquoi il nous
semble important de faire la distinction entre l’argu-
mentativité, inhérente aux discours, de l’argumenta-
tion en tant que situation qui a à sa base un diptyque
argumentatif.

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La rhétorique

Argumentativité et argumentation
L’argumentativité des discours peut être centrée
sur trois niveaux principaux.
1. Comme une force projective inhérente à
l’usage de la langue, la tonique étant placée sur les
mécanismes d’orientation énonciative.
2. Comme une force configurative inhérente au
discours ; la tonique étant, ici, placée sur les méca-
nismes d’influence discursive qui préparent la réception
du discours.
3. Comme une force conclusive ou d’ilation ; la
tonique, ici, étant placée sur les mécanismes d’inférence.
L’argumentation, telle que nous nous proposons
de la concevoir, ne peut se réduire à l’argumentativité,
à la force argumentative en termes de produit ou hors
d’un cadre tensionnel, ni à la présentation d’argu-
ments considérés du point de vue des mécanismes
d’orientation, d’influence ou d’inférence, mais doit
être envisagée comme une interaction qui a pour base
une situation argumentative caractérisée selon les
aspects suivants :
a) L’existence d’une opposition entre discours
(c’est-à-dire, d’une situation d’interaction entre deux
argumentateurs et dans laquelle on peut signaler la
présence d’un discours et d’un contre-discours).
b) L’alternance de tours de parole polarisés dans
un sujet en question et prenant en considération les

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 115

Du discours argumenté à l’interaction argumentative

interventions des participants. C’est dans cette alter-


nance que peut être capté le dynamisme propre aux
argumentations.
c) Une éventuelle progression au-delà du dipty-
que argumentatif initial et où l’interdépendance discur-
sive est visible, c’est-à-dire où le discours de chacun
est, d’une certaine façon, repris et mis en référence
dans le discours de l’autre.
Nous pouvons donc dire qu’une interaction
communicative devient une argumentation quand,
dans cette interaction, les discours en confrontation
polarisés dans un sujet en question deviennent déta-
chables. Dans les pratiques conversationnelles, les
sujets sont rarement abordés sous la forme du « en
question » ou suffisamment thématisés pour que l’on
parvienne à se concentrer sur le sujet à traiter, bien
que l’on reconnaisse fréquemment des épisodes de
contradiction conversationnelle.

Stratégies et rationalité rhétoriques


Nous pouvons donc dire que nous trouvons
aussi dans l’interaction des stratégies rhétoriques qui
visent à encourager les participants à l’argumentation,
et Goodwin suggère que nous les voyions à partir des
analogies suivantes : « Les incitations peuvent généra-
lement être classées comme des carottes ou des
bâtonnets. En offrant les carottes, l’argumentateur

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 116

La rhétorique

veut faire un problème de la question ; la question


apparaîtra comme souhaitable, attrayante ou intéres-
sante pour l’autre. Menaçant avec des bâtonnets,
l’argumentateur essaierait d’obliger l’autre à faire une
question de celui-ci ; la question semblera être quel-
que chose auquel l’autre a été obligé, ou forcé par les
circonstances, de faire face et à s’adresser ou, au
moins, à tenter d’esquiver, d’éviter, éluder ou patiner
sur6. »
D’autre part, l’argumentable dérive de la disso-
nance de perspectives, et c’est à partir de cette dernière
que doivent être compris les arguments présentés et
les raisonnements développés. En effet, nous pouvons
toujours être d’accord avec un raisonnement et en
désaccord avec la perspective à partir de laquelle il
prétend avoir du sens. C’est-à-dire que l’essentiel de
la rationalité argumentative ne se trouve pas dans les
raisons qui sont présentées, mais dans la perspectiva-
tion en fonction de laquelle les raisons peuvent être
présentées en tant que justification. Willard (1983,
p. 141 sq.) a donc pu conclure que la prise d’une
perspective est le mouvement qui sert le mieux la
définition de la rationnalité. C’est également en
mettant en relief l’identité des stratégies rhétoriques
avec l’activité de perspectivation que Manuel Maria
Carrilho a suggéré le déplacement du registre méta-
physique, dont plusieurs théoriciens continuent à
thématiser l’argumentation, et qu’il a proposé la possi-

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 117

Du discours argumenté à l’interaction argumentative

bilité d’un « perspectivisme sans nihilisme » (1994,


p. 100). La vision interactionniste de l’argumentation
que nous proposons partage cette orientation philo-
sophique et ne souligne pas seulement les situations
d’incompatibilité comme base des situations argu-
mentatives, mais recentre également les dynamiques
argumentatives dans la notion de sujet en question.

Discours argumenté et interaction


argumentative
Si cette proposition de théorisation a plus
d’acuité du point de vue de l’adéquation descriptive,
certaines distinctions additionnelles devront être alors
mises en relief, surtout celle qui établit la différence
entre la considération monologale et monogérée des
discours et la situation dialogale, où peut être consta-
tée une polygestion.
Grosso modo, nous pourrions dire que les phéno-
mènes de l’argumentativité renvoient à une approche
monologale ou monogérée du langage, où celui-ci est
vu comme un produit textuel susceptible d’être
analysé. Une telle analyse part d’une théorie prélimi-
naire de ce que peut être un argument, cherche à
identifier et interpréter la présence d’arguments dans
le discours, à reconstruire et analyser ces arguments

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 118

La rhétorique

et, pour certains théoriciens, à les évaluer dans leur


force.
L’argumentation, telle que nous l’avons définie
ci-dessus, implique une situation d’interaction qui,
plus que dialogique (c’est-à-dire de s’adresser toujours
à quelqu’un et d’invoquer, ou de renvoyer polypho-
niquement à d’autres voix, ne cessant pas, toutefois,
d’être monogérée) est dialogale (ce qui veut dire
qu’elle invoque la polygestion d’un sujet en question
et par rapport auquel il y a une différence de pers-
pectives), où les participants peuvent assumer tout
rôle qui définisse la dynamique argumentative : celui
de proposant, d’opposant et de questionneur. Les argu-
ments ne sont jamais, dans ce cas précis, considérés
« en solo » mais toujours à partir (au moins) du
« duo » d’argumentateurs en interaction et en tant que
valeurs d’échanges assujettis à la vigilance, lors de
l’interaction communicationnelle.
Par conséquent, l’analyse et l’évaluation d’argu-
ments « en solo » ne sont pas conformes au caractère
profondément situationnel et interdépendant des
argumentations. Il faut ajouter à cela la profonde
divergence entre l’attitude de l’analyste et les
contraintes impliquées quand on se trouve dans la
peau de l’argumentateur, dont la position est diffé-
rente de celle d’un juge qui évalue avec les critères
méta-argumentatifs. Nous pourrions rétorquer que,
de cette façon, nous n’aurions pas de critères pour

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 119

Du discours argumenté à l’interaction argumentative

évaluer les argumentations. Sauf si, comme le propose


Plantin, nous avancions vers une vision immanente
de la question critique de l’argumentation, et, dans
ce cas, nous pourrons dire que la norme du discours
de l’un est dans le discours de l’autre. Si c’est le cas,
« la pratique de l’évaluation des arguments est guidée
par un principe simple : celui qui n’admet pas un
discours en est le premier, voire le meilleur critique, et
il parle d’abord ; il faut donc prendre en compte sa
parole. Cette dernière affirmation est un principe
normatif portant non pas sur l’activité argumentative,
mais sur la méthode en théorie de l’argumentation.
La tâche de cette théorie est de rendre compte du
mieux possible de cette activité critique, et non pas
de s’y substituer7. »

Conclusion
En ce qui concerne la pratique argumentative,
plus que de vouloir faire de la pédagogie en disant
que l’important est d’éviter les conflits, en réussissant
à transformer les argumentations en une activité
coopérative, plus que de mettre en relief qu’elle repré-
sente une voie de civilité alternative à la violence et,
finalement, plus que de chercher à enseigner que la
meilleure voie pour gérer les conflits est de déperson-
naliser les arguments, il nous semble plus correct,

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 120

La rhétorique

comme le propose Goodwin de partir du fait que les


« controverses sont réelles, les arguments ont de la
force, et leur force est inévitablement personnelle8 ».
Promouvoir la mise au point des perspectives
qui vont au-delà d’une logique possibiliste qui ne
défie pas mais se conforme, qui ne propose pas mais
se limite à faire des tests, qui ne crée pas d’alternatives
mais s’incline devant des règles, tout comme prôner
l’élaboration de contre-discours en fonction des situa-
tions spécifiques d’interaction, dont le but varie selon
notre participation en tant qu’argumentateur, voilà
donc quelques corollaires de la perspective interac-
tionniste que nous avons cherché à ébaucher dans ses
lignes générales.

NOTES

1. DUCROT, O., « Argumentation rhétorique et argumentation


linguistique » in Doury, M., Moirand, S. (dir.), L’Argumen-
tation aujourd’hui. Positions théoriques en confrontation, Paris,
Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 17.
2. AMOSSY, R., « Argumentation in Discourse : A Social
Approach to Arguments », Informal Logic, vol. 29, no 3,
2009, p. 254.
3. GRONBECK, B., « From Argument to Argumentation. Fifteen
Years of Identity Crises », in Benoit, W. L., Hample, D. et
Benoit, P. J. (eds.), Readings on Argumentation, Berlin/New
York, Foris Publications, 1992, p. 22.
4. KOCK, C., « The Domain of Rhetorical Argumentation », in

120
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Du discours argumenté à l’interaction argumentative

Van Eemeren, F. H., Blair, A. J., Willard, Ch. A., Garssen,


B. (eds.), Proceedings of the 6th ISSA Conference, 2007, Inter-
national Center for the Study of Argumentation, Sic Sat,
Amsterdam, 2008.
5. KOCK, C., « Dialectical Obligations in Political Debate »,
Informal Logic, no 27, 2007, p. 241.
6. GOODWIN, J., « Designing Issues », in Eemeren, F. H.,
Houtlousser, P. (eds.), Dialectic and Rhetoric. The Warp and
Woof Argumentation Analysis, Dordrecht, Kluwer Academic
Publishers, 2002, p. 88.
7. PLANTIN, Ch., « Laissez dire : La norme du discours de l’un
est dans le discours de l’autre », in Atayan, V., Pirazzini, D.
(eds.), Argumentation : théorie – langue – discours. Actes de
la section Argumentation du 30o Congrès des Romanistes
Allemands, Vienne, septembre 2007, Bonn, Peter Lang,
2009, p. 70.
8. GOODWIN, J., « Theoretical Pieties, Johnstone’s Impiety, and
Ordinary Views on Argumentation », Philosophy and Rheto-
ric, vol. 40, no 1, 2007, p. 43.

Références bibliographiques
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Colin, 2006.
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1967.
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1994.

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antilogique, Paris, Mille et une nuits, 2008.
ARISTOTE, Rhétorique, Paris, Hachette, Le Livre de
Poche, 1991.
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CONLEY, T. M., Rhetoric in the European Tradition,
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Rhetorics, Londres, The Bristol Classical Press, 1993.
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Cambridge University Press, 1986 (1958). Traduc-
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VIGNAUX, G., L’argumentation, essai d’une logique
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Glossaire

Ce glossaire a été réalisé par M. M. Carrilho, Rui A.


Grácio, J.-C. Anscombre et M. Oustinoff.
Les mots qui figurent dans le glossaire sont signalés
par un astérisque* dans le texte.

Adéquation descriptive
Signifie « d’un point de vue qui permet de décrire les
phénomènes étudiés de manière adéquate ». L’adéqua-
tion observationnelle implique la validation des
énoncés. Or, il existe de nombreux énoncés plus ou
moins difficiles à valider. Selon Noam Chomsky, une
grammaire adéquate devra aussi rendre compte de ce
phénomène. Par exemple, à certaines phrases dites
ambiguës peuvent correspondre plusieurs sémantiques
et par conséquent plusieurs structures. Une grammaire
descriptivement adéquate doit donc être capable
d’engendrer autant de structures que de sens possibles.
Théoriquement, cette adéquation doit représenter la
compétence (savoir intuitif) du locuteur.
Anaphore associative
L’anaphore associative est un des grands types de
reprise par anaphore d’un syntagme nominal. Elle

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 126

La rhétorique

consiste à reprendre par un syntagme nominal R


(l’anaphorisant) un autre syntagme nominal A (l’ana-
phorisé, ou encore antécédent) tels que : le lien entre
A et R est un lien indirect, supposant l’activation d’un
mécanisme, très généralement une phrase générique.
Par ailleurs, A et R n’ont pas même référent, i.e. ne
sont pas co-référentiels. Pour reprendre un exemple
célèbre, l’énoncé :
Nous arrivâmes dans un village : l’église était fermée.
comporte une anaphore associative, avec R = l’église,
A = un village, et un mécanisme générique du type
de : Dans un village, il y a une église. Diverses classi-
fications ont été proposées pour les anaphores asso-
ciatives, fondées sur les différents types de mécanismes
susceptibles d’intervenir. Notons que l’anaphore asso-
ciative s’oppose d’une part à une anaphore co-réfé-
rentielle comme :
Notre chat avait disparu : l’animal était parti courir la
gueuse.
Il y a en effet un mécanisme générique Un chat est
un animal, mais il y a en revanche co-référence entre
notre chat et l’animal. Et à une anaphore directe
comme :
Une voiture est passée : (cette voiture + elle) avait un
phare cassé.
Exemple dans lequel aucun mécanisme n’est néces-
saire pour relier A et R.

126
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 127

Glossaire

Pour en savoir plus :


KLEIBER, G., L’anaphore associative, Paris, PUF, coll.
« Linguistique nouvelle », 2001.
Ascriptivisme
La position ascriptiviste, soutenue par des chercheurs
comme Strawson ou encore Austin, s’oppose à la posi-
tion descriptiviste défendue par exemple par Geach et
Searle. Dans l’optique descriptiviste, un énoncé
comme Cet hôtel est bon est fondamentalement une
description, et la description d’un objet. Toute occur-
rence d’un tel énoncé comporte donc fondamentale-
ment cette description, quoi qu’il fasse par ailleurs, les
autres éléments de sens en étant dépendants. Pour les
ascriptivistes à l’inverse, toute occurrence de Cet hôtel
est bon accomplit non pas une description, mais un
acte, par exemple de recommandation de l’hôtel. Et il
en est ainsi pour toute assertion. Ainsi selon Strawson,
vrai sert à acquiescer ou encore à souscrire à une affir-
mation ; et d’après Austin, savoir est essentiellement la
garantie d’une affirmation. Cette problématique est
centrale en sémantique puisque ce qui est en cause est
en fait la notion de proposition comme subsumée dans
tout énoncé assertif, et représentant un sens littéral a)
présent donc dans toutes les occurrences, et b) suscep-
tible de valeurs de vérité. La Théorie de l’argumentation
dans la langue d’Anscombre-Ducrot représente une
solution intermédiaire entre les deux tendances, puis-

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 128

La rhétorique

que Cet hôtel est bon y est considéré non comme effec-
tuant un acte de recommandation, mais simplement
comme un argument pour un tel acte. Proférer un tel
énoncé revient alors à argumenter en faveur de l’hôtel
en question. La structure profonde de Cet hôtel est bon
y sera quelque chose comme « il y a une conclusion r
pour laquelle Cet hôtel est bon est argument ». On
n’aura plus à traiter une constante propositionnelle (à
valeur de vérité), mais une fonction propositionnelle
sans valeur de vérité puisqu’elle comprend des variables
instanciables à l’extérieur de l’énoncé qui la subsume.
Dans cette optique, le sens de l’énoncé relève non plus
d’une sémantique vériconditionnelle, mais d’une
sémantique cette fois instructionnelle.
Pour en savoir plus :
ANSCOMBRE, J.C., DUCROT, O., L’argumentation
dans la langue, Liège-Bruxelles-Paris, Mardaga, 1983.
SEARLE, J.R., Speech Acts, Cambridge University Press,
1969.
Argumentation
Les définitions du concept d’argumentation présentées
ici sont multiples. Cette diversité correspond aux diffé-
rentes perspectives adoptées par les théoriciens et
révèle que l’argumentation est un phénomène multi-
dimensionnel. Nous pouvons signaler les incidences
suivantes, parmi d’autres :
– l’argumentation est un phénomène social (elle impli-

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 129

Glossaire

que la sociabilité du langage, elle soulève le problème


de l’autorité et a des implications avec la doxa) ;
– l’argumentation est un phénomène rhétorique (elle
implique l’émergence d’intérêts partagés et présuppose
l’efficacité du point de vue de la communication) ;
– l’argumentation est un phénomène logique (elle
implique la production de raisonnements, elle permet
de vérifier l’existence de structures et de schémas et
fait appel à des processus illatifs) ;
– l’argumentation est un phénomène philosophique
(elle indique qui sommes nous et où nous nous
plaçons, elle suppose la mise en perspective de sujets
en question et renvoie à la prise de décisions spécu-
latives et de principes) ;
– l’argumentation est un phénomène affectif (puis-
qu’elle est développée autour d’une opposition, elle
suscite des émotions qui ne sont pas seulement liées
à l’image de soi-même, mais aussi au doute, à l’incer-
titude et aux risques qui découlent de l’interaction) ;
– l’argumentation est un phénomène interactif (elle
implique l’évaluation du discours de l’un par le
discours de l’autre et représente une interaction criti-
que et problématisante) ;
– l’argumentation est un phénomène linguistique (le
mot ne peut être utilisé sans qu’il y ait recours à une
langue, dans la mesure où signifier, à travers des
énoncés, revient à orienter).
Hormis les options théoriques prises par chacun, du

129
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 130

La rhétorique

point de vue pratique et dans le cadre interactif d’une


situation d’argumentation, il est possible de dire que
les interlocuteurs font preuve de sensibilité argumen-
tative en ce qui concerne : les mots (précisions concer-
nant l’interprétation, compréhension de positions et
effets d’hologramme provoqués par les mots choisis
pour classifier ou juger) ; le mode de focalisation de sujet
en question (détermination de la relevance du « point » :
« la question n’est pas là », « ce qui est vraiment impor-
tant ») ; les resserrements focaux (les illations à tirer étant
mises en cause, ainsi que la forme de raisonner, les
incompatibilités, les contradictions et les distinctions
du point de départ) ; les procédés du débat (visant la
parité ou la justesse relationnelle des interlocuteurs
comme condition d’interaction) ; la relevance des consi-
dérants évoqués (ce qui est en cause c’est ce qu’il y a
d’important pour thématiser le sujet en question).
Ces différents types de sensibilité se manifestent dans
la tension dont s’alimente la reprise du discours de
l’un par l’autre, c’est-à-dire dans les situations argu-
mentatives où les argumentateurs thématisent un
désaccord et où il se produit un choc entre un discours
et un contre discours. Par conséquent, nous pouvons
dire que l’argumentation est la discipline critique
(c’est-à-dire organisée, contrôlée et problématisante)
de lecture et d’interaction entre les perspectives
propres à la discursivité et la divergence des argumen-
tateurs qui thématisent autour d’un sujet en question.

130
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 131

Glossaire

Auditoire
En ce qui concerne l’art oratoire, le terme auditoire
désigne génériquement ceux à qui s’adresse le discours
de l’orateur. La relation oratoire-auditoire reflète le
cadre situé de la production du discours de l’orateur
et met en évidence le principe de l’adaptation de
l’auditoire comme une composante rhétorique fonda-
mentale du discours. Dans la rhétorique ancienne,
l’auditoire implique une dimension présentielle d’un
groupe de personnes avec qui s’établit une commu-
nication asymétrique : il incombe à l’orateur l’initia-
tive discursive et à l’auditoire des manifestations de
contentement (applaudissements, hourras, etc.) ou
de mécontentement (sifflements, huées, etc.), qui
permettent d’examiner l’efficacité persuasive du
discours. Ainsi, l’auditoire est différent de la notion
actuelle de « public ». Avec la médiatisation de la
rhétorique, le public n’a, d’une part, plus besoin d’être
physiquement présent et, d’autre part, la communi-
cation, unilatérale ici, se déroule à l’aide de moyens
audiovisuels divers conduisant à la spectacularisation
de la communication.
Selon Perelman, il est possible de différencier quatre
types d’auditoire. L’auditoire universel (dont l’appel
est corrélatif de l’usage d’expressions telles que « cela
ne passera par la tête de personne », « tous seront
d’accord », « nous savons tous que »), et trois types
d’auditoire particuliers : l’auditoire composé par un

131
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 132

La rhétorique

groupe de personnes, l’auditoire composé par un


unique interlocuteur et l’auditoire en tant que mise
en scène duelle de soi-même (c’est-à-dire, quand s’éta-
blit un dialogue intérieur capable d’équilibrer des
positions distinctes).
La conceptualisation de l’argumentation en termes
d’oratoire-auditoire correspond à une vision rhétori-
que de l’argumentation, c’est-à-dire qu’elle accepte
l’asymétrie interlocutive et met l’accent sur l’adhésion
et la persuasion de l’auditoire par l’orateur en lui
conférant unilatéralement l’initiative discursive. Dans
une conception interactionniste et dialogale, qui
privilégie l’opposition entre les discours et l’existence
de tours de parole de la part des participants – et par
conséquent, une relation bilatérale quant à l’initiative
discursive – l’argumentation sera vue à partir de la
relation argumentateur-argumentateur. La prévalence
de la persuasion s’allie à la progression de l’interac-
tion, ce qui présume coordination et interdépendance
entre le discours des participants et la reprise du
discours de l’un par le discours de l’autre, bien que
l’auditoire puisse surgir comme une instance de déci-
sion (comme pour un juré au tribunal qui, bien qu’il
ne participe pas en tant qu’argumentateur dans l’inte-
raction argumentative, détient toutefois le pouvoir de
décider en faveur de l’une des parties).

132
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 133

Glossaire

Cognitif/tive
Qui se rapporte à la cognition, notamment pour les
moyens et les mécanisme d’acquisition des connais-
sances ou qui fait référence aux grands paradigmes
des sciences cognitives.
Cognitique
Sciences du traitement de la connaissance ; ensemble
des méthodes et techniques visant à adapter la tech-
nologie aux capacités, limites et préférences humaines.
Cognition
Ensemble des processus qui touchent au cerveau et à
la pensée, en tant que phénomène biologique, psycho-
logique, social, culturel et technique. Sont notam-
ment concernés le langage, la mémoire, la perception,
le comportement, la communication, le raisonne-
ment, l’attention et l’apprentissage.
Cognitives (sciences)
Approches scientifiques combinées de l’informatique,
de la psychologie, des neurosciences, de la linguisti-
que, de l’éthologie, de la sociologie, de la philosophie,
des mathématiques, de l’automatique, etc., apportant
des éléments de représentation, des modèles interpré-
tatifs, ou encore des outils et techniques de renforce-
ment ou de suppléance des processus de cognition.
Délibératif (genre)
Discours fondé sur l’utile ou l’inutile.

133
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 134

La rhétorique

Démonstration versus argumentation


Pour Chaïm Perelman, la notion d’argumentation est
expliquée à partir de son opposition avec la démons-
tration. Les différences entre elles peuvent être sché-
matisées de la façon suivante :

Démonstration Argumentation
Logique formelle Logique informelle
Vérité Adhésion
Monologique Dialogique
Fixité des axiomes de départ, qui Malléabilité quant au point de
ne doivent pas être mis en cause départ et à son questionnement
Raisonnement restrictif et Notions modulables et de force
nécessaire (Calcul) variable (Essai)
Tout ce qui n’est pas strictement L’amplitude de l’argumentation
nécessaire pour la preuve logique varie, l’accumulation utile
est superflu d’arguments ne pouvant être
définie a priori
L’ordre n’est pas important pour La disposition des arguments se
le résultat trouve directement liée à ses effets
La rigueur de l’évidence est exigée Les notions de départ sont
généralement obscures et
confuses
Le rôle joué par le temps est sans Le temps utile joue un rôle
importance lors de essentiel
l’établissement de la certitude

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 135

Glossaire

Cette distinction entre démonstration et argumenta-


tion doit être dûment contextualisée et insérée dans
l’opposition entre sciences et humanités, à une époque
d’hégémonie des premières sur les secondes, et repré-
sente une tentative pour élargir l’idée de rationalité,
qui permettrait d’inclure les deux champs. Elle est
donc parallèle à l’introduction de deux types de
preuve : la preuve scientifique (caractérisée par le fait
d’être démonstrative, exacte, impersonnelle, anhisto-
rique, abstraite, rigoureuse, formelle, infaillible, et de
ne pas faire appel à la décision) et la preuve rhétorique
(caractérisée par la justification, l’obtention d’adhé-
sion, la personnalisation, par le fait d’être située,
concrète et plausible, de se reporter à des convictions,
d’être faillible et de faire appel à la décision).
Nous pouvons également affirmer que la distinction
entre démonstration et argumentation renvoie à
l’usage de la raison dans son articulation avec l’usage
du langage : alors que la démonstration se trouve asso-
ciée à une construction préalable d’un jeu de langage
dans lequel le raisonnement va fonctionner (avec des
composantes formelles concernant les règles de son
usage et la spécificité des objectifs du jeu), l’argumen-
tation se lie à l’usage du langage naturel et au mode-
lage créatif de la signification et des notions de façon
à communiquer et y inscrire les choix de celui qui
propose ses façons de voir. C’est aussi pour cette
raison que l’argumentation, au contraire de la

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 136

La rhétorique

démonstration qui est, pour ainsi dire, un usage de


la raison « dans la boîte » (c’est-à-dire qu’elle fonc-
tionne à partir de principes méthodologiques et de
règles ne pouvant être remis en question), elle apparaît
liée à la liberté (c’est-à-dire à l’usage de la raison « hors
de la boîte ») : « seule l’existence d’une argumenta-
tion, qui ne soit ni contraignante ni arbitraire, accorde
un sens à la liberté humaine, condition d’un choix
raisonnable » (Perelman, Olbrechts-Tyteca, 1988,
p. 682).
La distinction entre démonstration et argumentation
doit aussi être comprise à la lumière de l’opposition
entre formalisme et pragmatisme, le premier corres-
pondant à l’idée de système clos et le deuxième accen-
tuant ce qui, dans l’usage du langage, est toujours
différent de l’application mécanique de règles établies
au préalable. Le paradigme de la démonstration, est
la mathématique du raisonnement logique-formel,
qui présuppose une méthode de certification de
résultats en termes de produits monologiques et
impersonnels. Le paradigme de l’argumentation est le
sujet en question, le perspectivisme où les façons de
voir sont mises en cause, leurs principes ne peuvant
être soumis à des méthodes de certification dans la
mesure où elles impliquent axiologisation et inscrip-
tion personnelle de celui qui, ainsi, laisse voir. L’argu-
mentation croise le possible avec le préférable et ne
se fonde pas sur le raisonnement mais sur l’opposition

136
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 137

Glossaire

entre les discours. L’argumentation possède la ligne


d’inscription personnelle dans la prise en considéra-
tion des sujets et, dans ce sens, Perelman affirme que :
« tout discours qui ne prétend pas à une validité
impersonnelle relève de la rhétorique » (Perelman,
1977, p. 177).
Pour Plantin, une ligne de continuité peut être établie
entre argumentation et démonstration, la première
correspondant à un champ plus vaste et la deuxième
se rapportant à des processus de resserrement focal
qui apparaissent lors de l’introduction de règles et de
processus formels qui font surgir, de façon clairement
bénéfique, les processus de formalisation qui augmen-
tent les niveaux d’impersonnalité. Ainsi, il est possible
de parler d’une « construction argumentative de la
démonstration » (Plantin, 2010, p. 16-17). Cette
vision qui établit une relation de continuité entre
l’argumentation et la démonstration est avantageuse
dans la mesure où elle permet de comprendre
comment s’effectue le passage d’une logique du préfé-
rable à une logique de la certitude.
Descriptivisme : voir ascriptivisme.
Dialectique
Discipline de l’art du raisonnement qui, avec la gram-
maire et la rhétorique, formait le Trivium au sein des
« sept arts libéraux » enseignés de l’Antiquité jusqu’au
Moyen Âge dans le monde occidental. Les quatre

137
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 138

La rhétorique

autres étaient l’arithmétique, la musique, la géométrie


et l’astronomie (Quadrivium).
Epistémologie
Discipline qui étudie les fondements des connais-
sances scientifiques, leurs concepts, méthodologies de
productions des données, principes de validation.
Épidiptique (genre)
Discours quotidien, où l’aspect se concentre sur le
blâme ou l’approbation.
Formalisme scolastique
La scolastique est l’enseignement philosophique
donné dans les « écoles », c’est-à-dire les universités,
du Xe au XVIe siècle en Occident. À la Renaissance,
son excès de formalisme, inspiré des catégories d’Aris-
tote, fut remis en cause par l’avènement de l’huma-
nisme et des sciences modernes.
Herméneutique
Science de l’esprit qui vise non pas à expliquer (décou-
vrir des lois universelles) mais à comprendre (donner
un sens aux actions et aux textes étudiés).
Logique informelle
Du point de vue théorique, la logique informelle
correspond à une approche normative de l’argu-
mentation, ainsi qu’à des préoccupations d’ordre
pédagogique. Ce courant a pour son origine trois

138
- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 139

Glossaire

interrogations quant à la relation entre l’argumenta-


tion, la logique formelle et l’enseignement de la logi-
que. D’une part, la possibilité de l’argumentation,
telle qu’elle est élaborée dans le langage naturel (par
opposition aux langages artificiels), de pouvoir être
analysée de façon déductive ; d’autre part, la mise en
évidence de la difficulté qui existe dans la reconstruc-
tion des argumentations, avec ses charges symbo-
liques, en termes de codification déductive ; enfin,
l’interrogation sur l’adéquation de l’enseignement de
la logique propositionnelle et du calcul de prédicats
visant l’amélioration des capacités de raisonnement
des élèves.
D’une manière générale, lors de l’évaluation infor-
melle des raisonnements, trois critères principaux sont
proposés : le critère de l’acceptabilité des prémices, de
leur crédibilité et de leur pertinence pour établir la
conclusion. Dans la même ligne d’approche, d’autres
auteurs, comme Douglas Walton, se lancent dans ce
qu’ils appellent une « pragmatique dialogique », qui
ne s’intéresse pas seulement au raisonnement consi-
déré en termes de produit, mais plutôt au contexte
du type de dialogue où il s’insère. C’est donc à partir
d’une typologie des dialogues que peuvent être
établies les normes. Par conséquent, il s’agit d’une
théorie fonctionnelle et normative qui cherche à criti-
quer l’adéquation des raisonnements en fonction des
finalités du dialogue où ils s’insèrent. Ainsi, Walton

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La rhétorique

pense que la logique informelle est un instrument


critique essentiel à l’évaluation de la crédibilité et de
la force des argumentations, pouvant être considérée
comme une discipline pratique, un art appliqué qui
constitue la pierre de touche des théories de l’argu-
mentation émergentes.
Logique naturelle
La logique naturelle est la désignation adoptée par
Jean-Blaise Grize pour sa théorie des processus spon-
tanés, qui sont actionnés quand nous raisonnons en
parlant. Il ne s’intéresse pas à la dimension normative
de l’argumentation, mais plutôt à l’étude des opéra-
tions de la pensée qui sont mises en jeu dans le
discours. De telles opérations sont envisagées en
opposition à celles que nous trouvons dans la logique
mathématique et formelle.
La question centrale de l’argumentation, dans la pers-
pective de la logique naturelle, ne se trouve pas tant
dans les effets ou résultats produits pour cette inter-
vention, mais dans l’explication de la façon dont se
produit ce que Perelman désigne comme le « contact
des esprits », qui est, pour Grize, l’établissement d’une
plateforme commune rendant possible l’influence à
partir d’un partage : « telle que je l’entends, l’argu-
mentation considère l’interlocuteur, non comme un
objet à manipuler, mais comme un alter ego auquel il
s’agira de faire partager sa vision. Agir sur lui, c’est

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 141

Glossaire

chercher à modifier les diverses représentations qu’on


lui prête, en mettant en évidence certains aspects des
choses, en en occultant d’autres, en en proposant de
nouvelles et tout cela à l’aide d’une schématisation
appropriée » (Grize, 1997, p. 40). Ce partage est dès
lors véhiculé par les images préalables que l’on peut
avoir du sujet en question, de soi-même, de celui ou
celle à qui le discours s’adresse et dont l’interprétation
aura pour but de reconstruire les représentations du
premier.
En quoi consistent ces représentations ? Ce sont des
façons de voir qui précèdent le discours et qui y appa-
raissent sous la forme de « schématisations » orientées
par la finalité de « donner à voir ». Mais l’originalité
de la pensée de Grize est qu’il considère que ces sché-
matisations sont un acte de sémiotique : elles ne cher-
chent pas à soutenir de thèse mais à donner à voir le
modèle à partir duquel elles dissertent, montrent une
perspective : « il y a là un acte sémiotique qui consiste
à donner à voir, donner à voir son modèle mental à
travers le discours que l’on tient. Dès lors, et parce
que visibles, les schématisations sont analysables et,
comme je l’ai dit, l’instrument d’analyse sera pour
moi la logique naturelle. Je suggère que les résultats
de ses analyses fournissent des indices propres à obte-
nir des données sur les modèles mentaux » (Grize,
1992, p. 3).

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 142

La rhétorique

L’approche de la logique naturelle indique donc une


omniprésence de l’argumentatif dans le discours.
« Communiquer ses idées à quelqu’un, c’est toujours
peu ou prou argumenter » (Grize, 1997, p. 9). Telle
idée renvoie, d’une part, à considérer que la discur-
sivité s’organise par le biais d’opérations sélectives qui
sont, simultanément, des options configurant les
façons de voir et de donner à voir. Autrement dit, la
perspectivation est inhérente à la discursivité et c’est
cette inhérence de configuration qui fait de l’argu-
mentativité une dimension incontournable du
discours. Sur le plan de la communication et de
l’interlocution, la logique du discours, guidée par les
représentations du sujet en questions, de nous-
mêmes, de celui à qui nous nous adressons lors d’une
situation concrète et, par la façon particulière dont la
sélection opère dans les schématisations (notamment,
par des processus de filtrage et de saillance), nous
montre l’argumentativité comme l’une des compo-
santes constitutives de la logique naturelle du
discours.
Pragmatique
Dans le schéma linéaire tripartite de C.W. Morris –
syntaxe, puis sémantique, puis pragmatique – la prag-
matique désigne l’étude des relations entre les signes
et les personnages du discours. De ce point de vue,
la déixis relève de la pragmatique en ce sens. Très vite

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 143

Glossaire

cependant, les valeurs d’action des énoncés – par


exemple les actes de langage – ont été affectées au
champ pragmatique, ce qui a posé une double ques-
tion. D’une part, la relation éventuelle de certains
phénomènes pragmatiques avec le lexique, l’exemple
type étant les verbes dits performatifs, ainsi promettre.
Doit-on considérer ou non que la valeur particulière
que peut prendre leur emploi à la première personne
du présent de l’indicatif leur est attachée en propre
ou dépend de mécanismes plus généraux ? Et d’autre
part, par voie de conséquence, si certaines valeurs
d’action ne sont pas à considérer dès le niveau
sémantique.
Probable (le)
Au sein du champ argumentatif, le probable ne fait
aucunement référence à un calcul de probabilités, c’est
surtout une notion qui allie le possible et le préférable
en ce qui concerne une façon de voir ou des chemins
d’action. Il y a, dans ce sens, un dilemne. Le probable
inclut le risque de l’indétermination tout en étant
utile et capable d’influencer les options en pesant le
pour et le contre. Le probable n’est pas le parent
pauvre de la certitude, mais la meilleure caution de
la pensée pratique, limité en fonction des situations
et poussé par l’exigence du temps utile. C’est ainsi
que le probable se trouve associé à la vraisemblance,
c’est-à-dire à ce qui, ne pouvant être déclaré comme

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La rhétorique

vrai ou faux et échappant aux certitudes du calcul,


fonctionne, du point de vue pratique, comme une
hypothèse à assumer.
Angenot (2008, p. 66) écrit que « en dépit des préten-
tions philosophiques à la recherche incessante et à la
découverte des vérités absolues sur les choses
humaines, dans la vie on argumente par le doxique,
par le probable, on y met du pathos et on y joint des
figures oratoires, parce qu’on n’a pas le choix. Parce
que c’est ainsi ou il faut renoncer à délibérer et à
décider. Le probable est inséparable de considérations
pratiques : nous devons nous orienter et agir dans ce
monde, le rendre intelligible et pas trop déconcertant
dans le cours de l’action, nous n’avons guère le loisir
de nous arrêter à tout moment pour fonder logique-
ment tout le chemin de notre pensée ».
Nous pourrions donc associer le probable au principe
de la raison insuffisante, en ce qui concerne l’urgence
de l’action : d’abord nous continuons, après nous
commençons. Comme le dit encore Angenot « le
probable, c’est donc une zone de la connaissance où,
dans le meilleur des cas, on sait des choses, mais
vaguement et imprécisément » (ibid., p. 69). Le sens
du probable peut, ainsi, se trouver lié à la notion de
« sujet en question » comme quelque chose qui est
constitué par un ensemble de références occupant une
place intermédiaire, mais nuancé par des situations
pratiques, entre les idées et les raisonnements.

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 145

Glossaire

Pour en savoir plus :


ANGENOT, M., Dialogues de sourds. Traité de rhétori-
que antilogique, Paris, Mille et une nuits, 2008.
Modus ponens
En logique formelle, règle d’un raisonnement qui
affirme que si une proposition A implique une propo-
sition B, alors si A est vraie, B l’est aussi. Plus géné-
ralement, raisonnement de base permettant de passer
des prémisses à leur conclusion par l’intermédiaire
d’un énoncé tiers.
Ontologie
Étude de l’être en tant qu’être.
Pas de déduction
Elément constitutif d’un raisonnement s’appuyant sur
la déduction propre à la logique formelle et non sur
l’argumentation, propre au langage ordinaire.
S’oppose au « pas d’argumentation ».
Pas d’argumentation
Elément constitutif d’un raisonnement s’appuyant sur
l’argumentation propre au langage ordinaire, et non
sur la déduction, propre à la logique formelle.
S’oppose au « pas de déduction ».
Présupposition
En linguistique, désigne l’ensemble des informations
implicites d’un énoncé (non exposées mais déduc-

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 146

La rhétorique

tibles). Par exemple, la phrase « Sophie a arrêté


d’enseigner » présuppose que Sophie enseignait. Plus
généralement, une présupposition est une hypothèse
de départ : « La recherche scientifique se fonde sur
des présuppositions ».
En rhétorique, ce procédé peut être une forme de
manipulation plus ou moins subtile, surtout sous
forme de question. Par exemple, la question
« Avez-vous arrêté d’espionner votre voisin ? » présup-
pose que l’interlocuteur espionnait son voisin. La
langue française ne prévoit pas de réponse simple dans
le cas contraire. Si l’interlocuteur n’espionnait pas son
voisin, ou encore s’il n’a pas de voisin, les deux
réponses standard à ce qui semble une question
fermée, « oui » et « non », sont inappropriées :
« oui » implique qu’il a un voisin et qu’il l’espionnait ;
« non » implique qu’il a un voisin, qu’il l’espionnait
et qu’il continue de le faire.
Ainsi, la simple formulation de la question exclut une
partie des situations possibles, mettant l’interlocuteur
dans une situation inconfortable.
Sémantique
La sémantique a majoritairement été considérée
comme l’étude du sens, le sens étant une certaine
valeur qu’une théorie décide d’attribuer à un mot
et/ou un énoncé. La sémantique s’oppose ainsi à la
syntaxe – étude des règles de combinaison des mots,

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Glossaire

syntagmes, propositions, phrases, etc., et à la prag-


matique* – étude de l’usage qui est fait des mots,
syntagmes propositions et phrases. La ligne de partage
n’est pas fixée une fois pour toute, et il incombe à
toute théorie de la définir. Deux grandes positions
s’affrontent à l’heure actuelle : une sémantique réfé-
rentialiste, qui voit le sens des mots et des énoncés
comme une description du monde réel, et fonctionne
sur le mode de la vériconditionnalité. Et une séman-
tique non référentialiste, qui voit le sens comme une
représentation d’un monde non nécessairement en
conformité avec le monde réel. Bien qu’il n’y ait pas
d’implication directe, les tenants de cette dernière
position intègrent généralement dans le sens une
composante pragmatique, i.e. des valeurs d’action.
C’est l’hypothèse d’une pragmatique intégrée.
Pour en savoir plus
ANSCOMBRE, J.C., « Regards sur la sémantique fran-
çaise contemporaine », Langages, vol. 32, no 129,
1998, p. 37-51.
Théorie des Stéréotypes
La Théorie des stéréotypes, telle qu’elle apparaît chez
Putnam (1975) et Kripke (1972) est avant tout un
refus de voir dans le sens un état mental – position
psychologisante habituelle en sémantique*, et remise
à la mode par le cognitivisme*, ainsi que celui de
considérer que le sens des syntagmes nominaux est la

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La rhétorique

description de leur référent dans le monde réel. Pour


Putnam et Kripke, la référence ne se fait pas au travers
d’une description identifiante du référent, mais direc-
tement, sur un mode monstratif appelé désignation
rigide. Dans une telle optique, signifier et référer sont
deux opérations indépendantes, ce qu’elles ne sont
pas dans par exemple la sémantique véricondition-
nelle. Pour Putnam, le sens ne permet pas nécessai-
rement l’identification du référent, et comprend en
particulier un composant stéréotypique, formé d’un
nombre fini de traits, par exemple [+ rafraîchissant]
pour le terme eau. Une avancée décisive sera faite par
Fradin (1984), qui propose de voir le stéréotype
comme composé d’une suite ouverte d’énoncés, et
traite ainsi de nombreux problèmes d’anaphores
associatives.
Cette vision stéréotypique des termes nominaux sera
généralisée et étendue à certains termes verbaux entre
autres dans Anscombre (2001), qui définit le sens
d’un terme comme les relations qu’il entretient avec
d’autres termes par l’intermédiaire de phrases qui lui
sont attachées, dont des phrases génériques. Ainsi, le
stéréotype attaché à chat comportera entre autres une
phrase générique comme Les chats chassent les souris,
qui relie chat à souris et à manger, et définit le sens
de chat. Cet outil lui permet de traiter, outre des
problèmes de syntaxe, des problèmes de sémantique

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 149

Glossaire

lexicale, de sémantique et de pragmatique des


marqueurs de discours.
Pour en savoir plus
ANSCOMBRE, J.C., « Dénomination, sens et référence
dans une théorie des stéréotypes nominaux », Cahiers
de praxématique, no 36, « Linguistique de la dénomi-
nation », 2001, p.43-72.
FRADIN, B., « Anaphorisation et stéréotypes nomi-
naux », Lingua, no 64, 1984, p.325-369.
KRIPKE, S., Naming and Necessity, Harvard University
Press, Cambridge, Massachusetts, 1972.
PUTNAM, H., « The Meaning of “Meaning” », Philo-
sophical Papers, vol. 2, Cambridge University Press,
1975, p. 215-271.
Typologies argumentatives
Toulmin, Rieke et Janik établissent une classification
non exhaustive des arguments qu’ils regroupent en
cinq types : le raisonnement par l’analogie, par la
généralisation, par le signe, par la cause et par l’auto-
rité, en ajoutant à cette liste les argumentations par
le dilemme, par la classification, par les opposés et
par le degré. Nous assumons qu’il y ait, dans le raison-
nement par analogie, des similitudes suffisantes entre
deux choses distinctes pour accepter la thèse que ce
qui est vrai pour l’une l’est également pour l’autre.
La réfutation du raisonnement analogique s’appuiera
donc sur l’idée que l’on compare des choses qui sont

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La rhétorique

essentiellement différentes, c’est-à-dire qui ne parta-


gent pas de mêmes caractéristiques primordiales. Il
faut également considérer le fait que l’analogie peut
ne pas être seulement utilisée pour affirmer la vérité
d’une proposition, mais aussi comme un moyen
d’expression sur la justesse de la thématisation du sujet
en question.
Le raisonnement par la généralisation : quand des
personnes ou des objets sont suffisamment sem-
blables, il devient possible de les regrouper en popu-
lations, ou « espèces », et d’établir des thèses générales
à leur sujet. La réfutation du raisonnement par la
généralisation renverra, naturellement, à l’accusation
que les instances particulières considérées ne sont pas
suffisamment sûres pour être généralisées.
Le raisonnement par le signe : quand le signe et son
référent surviennent conjointement, le fait d’observer
le signe peut être utilisé pour soutenir la thèse de la
présence de l’objet ou de la situation auxquels le signe
fait référence. Si nous voyons, par exemple, un
drapeau en berne dans une institution, cela peut être
le signe du décès d’une personne appartenant à cette
institution. De la même façon, si nous voyons de la
fumée, nous pouvons imaginer qu’il y a un feu. Ce
type d’inférence peut, bien évidemment, être critiqué
quant au niveau de certitude qui permet d’associer le
signe à ce qu’il est censé signaler.

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 151

Glossaire

Le raisonnement par la cause établit une connexion


entre deux événements, voyant dans l’un la cause et
dans l’autre l’effet. La critique de cette forme de raison-
nement repose sur la capacité d’établir avec exactitude
et d’une façon probante qu’il existe, effectivement, une
relation causale entre les deux événements.
Le raisonnement par l’autorité est essentiellement un
raisonnement dont la validité est supportée par la
référence à quelqu’un qui est a priori crédible et
connaisseur. La critique ici se trouve soit dans le ques-
tionnement de la crédibilité de celui qui est présenté
en tant qu’autorité, soit dans l’interrogation de sa
légitimité en tant qu’autorité.
En ce qui concerne le raisonnement par le dilemme,
une thèse repose sur la garantie que seulement deux
choix ou deux explications sont possibles et que les
deux sont mauvais. La critique à cette forme de
raisonnement est précisément de montrer qu’il existe
plus de choix que proposés.
Les arguments pour la classification, pour les opposés
et pour le degré sont très fréquents dans le raisonne-
ment pratique : pour les premiers, on argumente à
partir des caractéristiques typiques que définit un
certain concept ; pour les seconds, on argumente la
différence totale entre les choses à partir de certains
aspects qui les différencient ; pour les troisièmes, on
argumente à partir d’une gradation qui permet de
différencier des choses qui semblent semblables.

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La rhétorique

Bien qu’en envisageant la classification isolée de la


structure des arguments comme une tâche quelque
peu arbitraire, dans le Traité, Perelman et Olbrechts-
Tyteca présentent aussi une typologie argumentative,
en partant de deux procédés fondamentaux qui sont :
la liaison et la dissociation de notions. Les procédés
de liaison sont des schémas « qui rapprochent des
éléments distincts et permettent d’établir entre ces
derniers une solidarité visant soit à les structurer, soit
à les valoriser positivent ou négativement l’un par
l’autre » (Perelman, Olbrechts-Tyteca, 1988, p. 255).
Il faut ajouter que ces éléments, devenus solidaires
par la technique de liaison, peuvent, en principe, être
considérés comme indépendants.
Les procédés de dissociation sont des « techniques de
rupture ayant pour but de dissocier, de séparer, de
désolidariser, des éléments considérés comme formant
un tout, ou du moins un ensemble solidaire au sein
d’un même système de pensée : la dissociation aura
pour effet de modifier pareil système en modifiant
certaines des notions qui en constituent des pièces
maîtresses » (Perelman, Olbrechts-Tyteca, 1988, p.
255-256). Ajoutons, à la suite de cette définition, que
les processus de dissociation consistent en une tenta-
tive de réordonner de façon plus profonde et cohé-
rente ce qui surgit comme incompatible, en faisant
disparaître cette incompatibilité.

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Glossaire

Notons que ces deux types de procédés sont complé-


mentaires (et, dans la mesure où des éléments divers
sont, simultanément, unis dans un tout bien structuré
et dissociés du fond neutre d’où nous les avons retirés)
et que ces deux types de technique opèrent en simul-
tané, même si, dans chacune des situations, on met
l’accent sur l’une ou sur l’autre. Ces deux procédés
ayant été pris en considération par les auteurs, ils
proposent une typologie tripartie des arguments, divi-
sée en arguments quasi-logiques, arguments basés sur la
structure du réel (liaison de succession et liaisons de
coexistence) et arguments qui fondent la structure du
réel. Cette classification repose sur l’idée que chacun
d’eux retire sa force de la possibilité d’adhésion au
moyen de formes différentes d’influence. La force des
arguments quasi-logiques se trouve directement liée à
la proximité ou à la similitude de leur structure avec
les raisonnements de type formel, logique et mathé-
matique. La force des arguments basés sur la structure
du réel réside dans leur caractéristique de partir de
choses reconnues pour en introduire d’autres que l’on
veut voir être admises. La force des arguments qui
fondent la structure du réel réside essentiellement
dans sa capacité de procéder à des généralisations, en
cherchant à établir des règles et des principes.
La contradiction et l’incompatibilité, l’identité et la
définition, la réciprocité, la transitivité, l’inclusion de
la partie dans le tout, la division du tout en parties,

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La rhétorique

la comparaison, le sacrifice et les probabilités font


partie des arguments quasi-logiques. La liaison
causale, l’argument pragmatique, le gaspillage, la
direction, le développement illimité, la personne et
les actes, le groupe et ses membres, l’acte et l’essence,
la relation symbolique, la double hiérarchie, le degré
et l’ordre, l’exemple, l’illustration, le modèle et l’ana-
logie font partie des arguments basés sur la structure
du réel (liaisons de succession).
Syllogisme
Raisonnement par déduction sur trois propositions
qui entretiennent des relations de sens.
Topoï
Dans un sens générique, nous pouvons dire que les
topoi (singulier topos) sont des « nodules d’association
active pour des idées », c’est-à-dire qu’ils représentent
des catégories et des relations qui peuvent fonctionner
comme des modèles heuristiques à partir desquels
nous pouvons découvrir des façons d’aborder et de
parler à l’égard des certains questions. Les topoi fonc-
tionnent comme des pivots dans la production du
discours et à un ensemble plus ou moins systématisé
de topoi on donne le nom de « topique ».
Les topoi ont trois propriétés principales : ils se carac-
térisent par le fait d’être, simultanément, analytiques
(ils fournissent une perspective mentale à partir de
laquelle nous pouvons analyser les sujets), vides de

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Glossaire

contenu (dans le sens où ils s’appliquent à une diver-


sité de cas spécifiques) et communs (puisqu’ils sont
partagés socialement). En outre, selon Roland Barthes
et Jean-Louis Bouttes, nous pouvons reconnaître dans
nos lieux communs quatre traits constitutifs : la répé-
tition (critère proprement linguistique), l’historicité (le
lieu commun naît, triomphe, passe, est substitué par
un autre) la sociabilité (la conscience du lieu commun
en général et d’un lieu commun particulier dépend
du milieu social) et la valeur (lorsqu’il est perçu, le
lieu commun est objet d’appréciation fréquemment
dépréciative). Une des façons de signaler le lieu
commun de façon dépréciative est de le considérer
comme un simple stéréotype ou comme un cliché,
c’est-à-dire un prêt à penser de l’esprit et une forme
de penser par défaut.
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Les auteurs

Jean-Claude Anscombre. Directeur de recherche


émérite, rattaché au laboratoire Langues, Dictionnaires
et Informatique (UMR 7187, Paris XIII). Ses travaux
concernent essentiellement la sémantique (en particu-
lier la sémantique lexicale) et la pragmatique (plus
spécialement les connecteurs et particules discursives).
Il est l’auteur seul ou en collaboration de nombreux
articles et ouvrages. Le dernier d’entre eux, Le figement
linguistique: la parole entravée, réunit des textes de réfé-
rence sur ce problème central en linguistique.
Sylvain Auroux. Directeur de recherche au CNRS
(Laboratoire d’Histoire des Théories linguistiques,
Université Paris 7), spécialiste de philosophie du
langage et de l’histoire des sciences. Il a rédigé de
nombreux ouvrages et articles sur le sujet. Il a dirigé
l’Histoire des Idées linguistiques (Liège, Mardaga, 3
vols, 1989-2000) et le Dictionnaire des Notions philo-
sophiques (Paris, PUF, 2 vols, 1990). Dernier livre
paru : La philosophie du langage, Paris PUF, 2009.
Manuel Maria Carrilho. Philosophe, professeur à
l’Université Nouvelle de Lisbonne et auteur de

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- CNRS - La rhétorique - 12 x 19 - 25/7/2012 - 16 : 33 - page 158

La rhétorique

plusieurs ouvrages, publiés en portugais et dans


d’autres langues, notamment en français. Il a aussi été
ministre de la culture du Portugal (1995-2000) et
ambassadeur se son pays à l’Unesco (2008-2010).
Rui Alexandre Grácio. Après des études de philoso-
phie à l’Université de Coimbra, il obtient une thèse
de doctorat en sciences de la communication à l’uni-
versité du Minho. Il est chercheur à l’Institut de
Philosophie du Langage de l’Université Nouvelle de
Lisbonne. Il est auteur de plusieurs ouvrages, notam-
ment Consequências da Retórica (1998) et Teorias da
Argumentação (2010).
Jean-Blaise Grize. Professeur extraordinaire à l’Uni-
versité de Genève de 1964 à 1968, il travaille de 1958
à 1968 au Centre international d’épistémologie géné-
tique, dirigé par Jean Piaget avant de retourner à
l’Université de Neuchâtel où il est recteur de 1975 à
1979.
En 1969, il fonde, puis dirige le Centre de recherches
sémiologiques de l’Université de Neuchâtel. Il ensei-
gne également à l’École pratique des hautes études de
Paris et est Docteur honoris causa des universités de
Besançon (1982), Genève (1987) et Paris-Nord
(1989). Ses travaux portent principalement sur l’épis-
témologie, la logique, l’étude de l’argumentation et la
psycholinguistique. Il est l’un des instigateurs de la
théorie de la logique naturelle.

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Les auteurs

Michel Meyer. Professeur de rhétorique et de philo-


sophie à l’Université libre de Bruxelles. Il a enseigné
à Berkeley, à la Sorbonne et au Collège de France.
Directeur de la Revue Internationale de philosophie, il
est aussi directeur de la collection « l’Interrogation
Philosophique » aux PUF. On lui doit plus de vingt-
cinq ouvrages, traduits dans une dizaine de langues
dont les Principia Rhetorica, chez Fayard (en poche :
Quadrige, PUF, 2010) et les Principia Moralia, chez
Fayard également (2012). Son maître-livre sur la
problématologie, Questionnement et historicité, est
sorti aux PUF en 2000.
Michaël Oustinoff. Maître de conférences HDR à
l’Institut du monde anglophone, Université Paris 3
Sorbonne Nouvelle, membre de l’EA 4356 (Prismes)
et chercheur associé à l’Institut des sciences de la
communication du CNRS (ISCC). Son troisième
ouvrage, Traduire et communiquer à l’heure de la
mondialisation est paru chez CNRS Éditions en 2011.
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Table des matières

Présentation générale
Les métamorphoses de la rhétorique .......... 9
Manuel Maria Carrilho
Ne pas confondre logique et rhétorique ............ 10
L’argumentation selon Stephen Toulmin .......... 11
L’argumentation selon Chaïm Perelman .......... 13
Les apports de la revue Hermès ........................ 14
Évolution contemporaine de la logique et critique
de cette évolution ............................................ 17
Le rôle du contexte .......................................... 19
Questions, réponse et contexte selon Michel
Meyer ............................................................. 21

Argumentation et anti-rhétorique
Le contenu de la logique classique en France 25
Sylvain Auroux
L’enseignement de la logique ............................ 26
Utilité et extension de la logique ..................... 28
Logique, formalisme et logique actuelle ............ 34

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La rhétorique

Argumentation et logique naturelle


Convaincre et persuader .............................. 41
Jean-Blaise Grize
Fournir des preuves ......................................... 42
Donner à voir ................................................. 45
Faire adhérer .................................................. 48

Des topoï aux stéréotypes : sémantique et


rhétorique ..................................................... 55
Jean-Claude Anscombre
La Théorie de l’argumentation dans la langue . 56
De l’argumentation dans la langue à la Théorie
des topoï ......................................................... 63
Théorie des topoï et structuration du lexique .... 69
La Théorie des stéréotypes ................................ 71
Sémantique des stéréotypes et rhétorique ........... 75

Problématologie et argumentation ou la
philosophie à la rencontre du langage ....... 83
Michel Meyer
La différence problématologique ....................... 84
La problématologie comme nouvelle conception de
la raison et du langage .................................... 86
Le rôle de l’argumentation et la raison ............ 89
Que dit l’argumentation ? Qu’est-ce que la rhéto-
rique ? ............................................................ 90
Le juridique, l’épidictique et le délibératif comme
genres rhétoriques majeurs ............................... 97

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Table des matières

Le questionnement rhétorique : la question des


« serpents venimeux » ...................................... 100

Du discours argumenté à l’interaction


argumentative ............................................... 105
Rui Alexandre Grácio
De la logique à l’argumentation ...................... 106
Penser la théorisation de l’argumentation ......... 109
Au-delà du propositionnalisme ......................... 113
Discours argumenté et interaction argumentative 117

Bibliographie générale ................................. 123

Glossaire ....................................................... 125

Les auteurs .................................................... 157


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TITRES PARUS D’HERMÈS

1 Théorie politique et communication, 1988


coordonné par C. Lazzeri
et J.-P. Chrétien-Goni
2 Masses et politique, coordonné par D. Reynié 1988
3 Psychologie ordinaire et sciences cognitives, 1988
coordonné par P. Engel
4 Le nouvel espace public, coordonné 1989
par D. Bregman, D. Dayan, J.-M. Ferry
et D. Wolton
5-6 Individus et politique, coordonné par 1990
E. Apfelbaum, J.-M. Besnier et A. Dorna
7 Bertrand Russell. De la logique à la politique, 1990
coordonné par F. Clementz et A.-F. Schmid
8-9 Frontières en mouvement, coordonné par 1990
D. Dayan, J.-M. Ferry, J. Sémelin, I. Veyrat-
Masson, Y. Winkin et D. Wolton
10 Espaces publics, traditions et communautés, 1992
coordonné par J.-M. Ferry
11-12 À la recherche du public. Réception, télévision, 1993
médias, coordonné par D. Dayan
13-14 Espaces publics en images, coordonné par 1994
D. Dayan et I. Veyrat-Masson
15 Argumentation et rhétorique (1), coordonné 1995
par A. Boyer et G. Vignaux
16 Argumentation et rhétorique (2), coordonné 1995
par A. Boyer et G. Vignaux
17-18 Communication et politique, coordonné par 1995
G. Gauthier, A. Gosselin et J. Mouchon

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Titres parus d’Hermès

19 Voies et impasses de la démocratisation,


coordonné par P. Meyer-Bisch
et E. M. Swiderski 1996
20 Toutes les pratiques culturelles se valent-elles ?,
coordonné par J.-P. Sylvestre 1997
21 Sciences et médias, coordonné
par S. de Cheveigné 1997
22 Mimesis. Imiter, représenter, circuler,
coordonné par S. Ossman 1998
23-24 La cohabitation culturelle en Europe,
coordonné par É. Dacheux, A. Daubenton,
J.-R. Henry, P. Meyer-Bisch et D. Wolton 1999
25 Le dispositif. Entre usage et concept,
coordonné par G. Jacquinot-Delaunay
et L. Monnoyer-Smith 1999
26-27 www.démocratie locale.fr, coordonné
par É. Maigret et L. Monnoyer-Smith 2000
28 Amérique latine. Cultures et communication,
coordonné par G. Lochard et P. R. Schlesinger 2000
29 Dérision-Contestation, coordonné
par A. Mercier 2001
30 Stéréotypes dans les relations Nord-Sud,
coordonné par G. Boëtsch et C. Villain-
Gandossi 2001
31 L’Opinion publique. Perspectives anglo-
saxonnes, coordonné par L. Blondiaux et
D. Reynié avec la collaboration de N. La Balme 2001
32-33 La France et les Outre-mers. L’enjeu
multiculturel, coordonné par T. Bambridge,
J.-P. Doumenge, B. Ollivier, J. Simonin et
D. Wolton 2002
34 L’espace, enjeux politiques, coordonné par
I. Sourbès-Verger 2002

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La rhétorique

35 Les journalistes ont-ils encore du pouvoir ?,


coordonné par J.-M. Charon et A. Mercier 2003
36 Économie solidaire et démocratie, coordonné
par É. Dacheux et J.-L. Laville 2003
37 L’audience. Presse, Radio, Télévision,
Internet, coordonné par R. Chaniac 2003
38 Les Sciences de l’information
et de la communication, coordonné
par Y. Jeanneret et B. Ollivier 2004
39 Critique de la raison numérique, coordonné
par V. Paul et J. Perriault 2004
40 Francophonie et mondialisation, coordonné
par T. Bambridge, H. Barraquand,
A.-M. Laulan, G. Lochard, D. Oillo 2004
41 Psychologie sociale et communication,
coordonné par B. Orfali et I. Marková 2005
42 Peuple, populaire, populisme, coordonné par
P. Durand et M. Lits 2005
43 Rituels, coordonné par
G. Boëtsch et C. Wulf 2005
44 Économie et communication, coordonné par
J. Farchy et P. Froissart 2006
45 Fractures dans la société de la connaissance,
coordonné par D. Oillo et B. Mvé-Ondo 2006
46 Événements mondiaux, regards nationaux,
coordonné par J. Arquembourg, G. Lochard
et A. Mercier 2006
47 Paroles publiques, communiquer dans la cité,
coordonné par F. Massit-Folléa et C. Méadel 2007
48 Racines oubliées des sciences
de la communication, coordonné
par A.-M. Laulan et J. Perriault 2007

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Titres parus d’Hermès

49 Traduction et mondialisation, coordonné 2007


par J. Nowicki et M. Oustinoff
50 Communiquer – innover. Réseaux, dispositifs, 2008
territoires, coordonné par N. D’Almeida,
P. Griset et S. Proulx
51 L’épreuve de la diversité culturelle, coordonné 2008
par J. Nowicki, M. Oustinoff et S. Proulx
52 Les guerres de mémoire dans le monde, 2008
coordonné P. Blanchard, M. Ferro
et I. Veyrat-Masson
53 Traçabilité et réseaux, coordonné 2009
par M. Arnaud et L. Merzeau
54 La bande dessinée, art reconnu, média méconnu, 2009
coordonné par É. Dacheux, J. Dutel et S. le Pontois
55 Société civile et Internet en Chine et Asie orien- 2009
tale, coordonné par O. Arifon, L. Chang et
É. Sautedé
56 Traduction et mondialisation, vol. 2, coordonné 2010
par M. Oustinoff, J. Nowicki et J. Machado da Silva
57 SCIENCES.COM, libre accès et science ouverte, 2010
coordonné par C. Méadel, J. Farchy et P. Froissart
58 Les langues de bois, coordonné par J. Nowicki, 2010
M. Oustinoff et A.-M. Chartier
59 Ces réseaux numériques dits sociaux, coordonné 2011
par T. Stenger et A. Coutant
60 Edgar Morin, aux risques d’une pensée libre, 2011
coordonné par A. Pena Vega et S. Proutheau
61 Les musées au prisme de la communication, coor- 2011
donné par P. Rasse et Y. Girault
62 Les jeux vidéo. Quand jouer, c’est communiquer, 2012
coordonné par J.-P. Lafrance et N. Oliveri
63 Murs et frontières, coordonné par T. Paquot et 2012
M. Lussault

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Les textes de la revue Hermès


sont accessibles sur les sites
de la revue Hermès et de l’Inist
http://irevues.inist.fr/hermes
http://www.iscc.cnrs.fr
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Les Essentiels d’Hermès en Librairie


(liste non exhaustive : Paris, banlieue et province)

Compagnie, 58, rue des Écoles, 75005 Paris


Palimpseste, 16, rue de Santeuil, 75005 Paris
Tekhné, 7, rue des Carmes, 75005 Paris
Joseph Gibert, 26, bd Saint-Michel, 75006 Paris
La Hune, 170, bd Saint-Michel, 75006
Thierry Garnier, 41, rue de Vaugirard, 7506 Paris
Tschann, 125, bd du Montparnasse, 75006 Paris
Librairie Documentation Française, 29, quai Voltaire, 75007
Paris
Sciences politiques, 30, rue Saint-Guillaume, 75007 Paris
Le Roi Lire, 4, rue Florian, 92330 Sceaux
Berthet, 107, grande rue Charles-de-Gaulle, 94130 Nogent sur
Marne
Regards, 2, rue de la Charité, 13002 Marseille
Vents du Sud, 7, rue Maréchal-Foch, 13100 Aix-en-Provence
Au Brouillon de Culture, 29, rue Saint-Sauveur, 14000 Caen
Librairie de l’Université, 17, rue de la Liberté, 21000 Dijon
Études, 5, allée Antonio-Machado, 31000 Toulouse
Ombres Blanches, 50, rue Gambetta, 31000 Toulouse
Privat, 14, rue des Arts, 31000 Toulouse
La Machine à Lire, 18, place du Parlement, 33000 Bordeaux
Librairie universitaire, 40, cours Pasteur, 33000 Bordeaux
Mollat, 14, rue Vital-Carles, 33000 Bordeaux
Gibert, 6, rue de l’Université, 34000 Montpellier
La Boîte à Livres, 13, rue des Halles, 37000 Tours
Librairie de l’Université, 2, place Léon-Martin, 38000 Grenoble
Vent d’Ouest, 5, place du Bon-Pasteur, 44000 Nantes
Richer, 6-8, rue Chaperonnière, 49100 Angers
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Guerlin Marin, 70, place Drouet d’Orlon, 51100 Reims


Le Hall du Livre, 38 rue Saint-Dizier, 54000 Nancy
Géronimo, 2, rue Ambroise-Thomas, 57000 Metz
Le Furet du Nord, 15, place du Général-de-Gaulle, 59000 Lille
Les Volcans, 80, bd Gergovia, 63000 Clermont-Ferrand
Librairie des facultés, 2, rue de Rome, 67000 Strasbourg
Kleber, 1, rue des Francs-Bourgeois, 67000 Strasbourg
Flammarion, 19, place Bellecour, 69002 Lyon
Librairie Documentation Française, 165, rue Garibaldi, 69003
Lyon
L’Armitère, 5, rue des Basnage, 76000 Rouen
Forum du Livre, 5, quai Lamartine, 35000 Rennes
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Dans la même collection

2008
La communication politique, coordonné par Arnaud Mercier
Francophonie et mondialisation, coordonné par Anne-Marie
Laulan et Didier Oillo
L’espace public, coordonné par Éric Dacheux

2009
L’audience, coordonné par Régine Chaniac
Les identités collectives à l’heure de la mondialisation, coordonné
par Bruno Ollivier
Le journalisme, coordonné par Arnaud Mercier
L’opinion publique, coordonné par Nicole D’Almeida
Populaire et populisme, coordonné par Marc Lits
La réception, coordonné par Cécile Méadel
Le rituel, coordonné par Aurélien Yannic
Sociétés de la connaissance, fractures et évolutions, coordonné par
Michel Durampart
La télévision, coordonné par Guy Lochard

2010
La cohabitation culturelle, coordonnée par Joanna Nowicki
Critique de la société de l’information, coordonné par Jean-Paul
Lafrance
Médiations, coordonné par Vincent Liquète
La mondialisation de la communication, coordonné par Paul Rasse
Racines oubliées des sciences de la communication, coordonné par
Jacques Perriault
Les sciences de l’information et de la communication, coordonné par
Éric Dacheux

2011
L’argumentation, coordonné par Nicole D’Almeida
La communication, coordonné par Éric Dacheux
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L’économie solidaire, coordonné par Jean-Louis Laville


La neutralité d’Internet, coordonné par Valérie Schafer et Hervé
Le Crosnier
Sciences et médias, coordonné par Sébastien Rouquette
Traduction et mondialisation, coordonné par Michaël Oustinoff

2012
Art et science, coordonné par Jean-Paul Fourmentraux
Internet et politique, coordonné par Alexandre Coutant
Le marketing politique, coordonné par Thomas Stenger
Médias et opinion publique, coordonné par Arnaud Mercier
Les réseaux, coordonné par Éric Letonturier
La rhétorique, coordonné par Manuel Maria Carrilho
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