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La communication politique

(Nouvelle édition revue et corrigée)

Arnaud Mercier (dir.)

DOI : 10.4000/books.editionscnrs.21153
Éditeur : CNRS Éditions
Année d'édition : 2017
Date de mise en ligne : 30 octobre 2019
Collection : Les essentiels d'Hermès
ISBN électronique : 9782271122186

http://books.openedition.org

Édition imprimée
ISBN : 9782271115058
Nombre de pages : 274
 

Référence électronique
MERCIER, Arnaud (dir.). La communication politique : (Nouvelle édition revue et corrigée). Nouvelle édition
[en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2017 (généré le 12 novembre 2019). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/editionscnrs/21153>. ISBN : 9782271122186. DOI : 10.4000/
books.editionscnrs.21153.

© CNRS Éditions, 2017


Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540
La communication
politique

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Collection « Les Essentiels d’Hermès »

Directeur de la publication
Dominique Wolton

Responsable de la collection
Éric Letonturier

Secrétariat de rédaction
Émilie Silvoz

© CNRS Éditions, Paris, 2017


ISBN : 978‑2-­271‑11505‑8
ISSN : 1967-3566

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La communication
politique

Sous la direction
d’Arnaud Mercier

Édition revue et augmentée

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Depuis maintenant vingt-­cinq ans, la revue Hermès analyse
la place centrale qu’occupe la communication dans nos sociétés, ses
conséquences et ses mutations profondes, au-­delà des représentations,
des idéologies et des discours techniques, économiques et politiques.
Inscrite dans le sillage de la revue, la collection « Les Essentiels
d’Hermès » souhaite faciliter l’accès à cette recherche contemporaine.

En format poche, chaque ouvrage est construit autour d’un


thème lié à la communication et propose de façon pédagogique un
dossier offrant au lecteur :

–  une introduction inédite qui dresse de façon synthétique


un état de l’art en fournissant des points de repère et en montrant
les enjeux soulevés par le thème ;
–  une sélection de textes publiés dans la revue, réactualisés
et retravaillés ;
– des articles inédits pour mieux approcher les différentes
dimensions et cerner les évolutions et les questions qu’engage
aujourd’hui le thème ;
–  des outils qui aident à la compréhension des textes : glos‑
saire et bibliographie sélective.

Sur la même architecture, la collection propose désormais


des numéros originaux, reflétant les préoccupations et les orienta‑
tions de la revue, sur des thèmes porteurs, émergents ou récurrents :
la neutralité de l’internet, les réseaux, la propriété intellectuelle ou
encore les utopies.

Le but est de donner envie au lecteur d’en savoir davantage et


de rappeler qu’à l’ère numérique, le livre demeure un média incon‑
tournable pour comprendre le monde et contribuer à la diffusion du
savoir et des connaissances.

Dominique Wolton
Directeur de la publication
www.cairn.info/revue-­hermes-­la-­revue.htm
http://irevues.inist.fr/hermes
www.hermes.hypotheses.org

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Sommaire

Avant-­propos à la nouvelle édition............................. 9


Arnaud Mercier
Autour du même thème, Hermès a déjà publié… ....... 11
Présentation générale
La communication politique
entre nécessité, instrumentalisation et crises................. 15
Arnaud Mercier
La communication politique :
construction d’un modèle........................................... 45
Dominique Wolton (1989)
Les dix contradictions
de la communication politique................................... 63
Dominique Wolton (1995)
Les nouvelles contradictions
de la communication politique................................... 79
Dominique Wolton (2017)

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La communication politique

Communication délibérative et démocratie


participative… ........................................................ 105
Éric Dacheux
Encadré
Le marketing politique.............................................. 117
Gilles Achache
Le phénomène Berlusconi :
ni populisme ni vidéocratie, mais néo-­politique........... 133
Pierre Musso
Donald Trump ou la communication
incantatoire.............................................................. 149
Marie-­Cécile Naves
Médiatisation du politique : stratégies, acteurs
et construction des collectifs........................................ 159
Eliseo Verón (1935-­2014)
Les bulletins municipaux : une contribution
ambiguë à la démocratie locale.................................. 169
Christian Le Bart
Encadré
Personnel politique et médias socionumériques :
nouveaux usages et mythes 2.0................................... 175
Alex Frame
Blogs, réseaux sociaux et « révolutions arabes » :
du fantasme à la réalité............................................. 203
Tourya Guaaybess

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Sommaire

La guerre de l’information russe :


une guerre multidimensionnelle................................. 223
Nicolas Tenzer
Point de vue
L’appui des médias à la destitution de Dilma Rousseff.... 239
Juremir Machado da Silva
Encadré
Bibliographie sélective............................................... 247
Les auteurs............................................................... 251
Table des matières..................................................... 255

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Avant-­propos
à la nouvelle édition

Dès les années 1980, il était commun de dire


que nous étions entrés dans une société de la com‑
munication. Avec la fulgurante progression de la
numérisation de notre monde, avec des supports de
communication toujours plus performants et mobiles
et un Internet toujours plus omniprésent et indispen‑
sable au quotidien, la tendance n’a fait que s’accélé‑
rer. La politique n’est pas épargnée par ces évolutions.
Que les acteurs politiques subissent ces phénomènes
ou qu’ils cherchent à en maîtriser les effets au profit
de leur effort persuasif ou des rapports de force qu’ils
souhaitent établir, les logiques de communication
politique sont plus présentes que jamais et se doivent
d’être mises à nue, disséquées, critiquées.
Neuf années après une première édition, la réé‑
dition d’un ouvrage entièrement revu et augmenté
nous apparaissait comme une nécessité impérieuse.
Dans un univers si mouvant, reprendre à nouveau
frais la critique de la communication politique est
un salutaire impératif. Au moment où certains des
textes publiés alors furent écrits, n’existaient ni

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La communication politique

l’internet grand public, ni Facebook ou Twitter, ni la


4G, ni les smartphones tels que nous les connaissons
aujourd’hui, ni les algorithmes de détection et classe‑
ment de nos traces numériques. C’est assez dire com‑
bien il était devenu indispensable d’offrir une édition
refondue de ce livre, tout en maintenant des textes
marquants et en actualisant les connaissances afin de
renforcer la pensée critique offerte à nos lecteurs.
À l’heure du débat sur la « post-­vérité » induit
par la victoire du Brexit en Grande-­Bretagne et de
Donald Trump aux États-­Unis ; à l’ère de l’usage
généralisé des réseaux socionumériques ; après une
élection présidentielle française incertaine où les
mensonges et les rumeurs malveillantes ont essaimé
depuis les réseaux socionumériques jusqu’au plateau
du débat télévisé du second tour, avec une mise en
cause massive du rôle des journalistes, ce livre entend
faire le point sur les ressorts de la communication
politique contemporaine. En établissant des paral‑
lèles entre la manière dont elle était conçue et prati‑
quée dans les années 1980 et aujourd’hui, l’intérêt de
cette publication revue et augmentée est de montrer
les évolutions de la communication politique depuis
trente ans.
Arnaud Mercier

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Autour du même thème, Hermès a déjà publié de nom‑
breuses études sous l’impulsion de son fondateur, Dominique
Wolton, spécialiste de la communication, qui figure parmi les
premiers à avoir étudié et théorisé la communication politique
moderne dès les années 1980. Il est notamment à l’initiative,
au CNRS du programme Sciences-­ Technologie-­
Sociétés
(1980-1985), du programme Communication (1985-2000),
et a créé deux structures : le Laboratoire Communication et
politique (1988) et l’Institut des sciences de la communica‑
tion (2007).
Que ce soit dans la revue Hermès, dans la collection des
« Essentiels d’Hermès » ou la collection d’ouvrages « CNRS
Communication », 38  titres de références ont été publiés
depuis 1988.

1) La revue Hermès


Les chercheurs au cœur Paroles publiques,
de l’expertise communiquer dans la cité
Hermès 64, L. Maxim et Hermès 47, F. Massit-­Folléa et
G. Arnold (dir.), 2012. C. Méadel (dir.), 2007.
Les langues de bois Économie et communication
Hermès 58, J. Nowicki, Hermès 44, J. Farchy et
M. Oustinoff et A.-­M. Chartier P. Froissart (dir.), 2006.
(dir.), 2010. Peuple, populaire, populisme
Les guerres de mémoires dans Hermès 42, P. Durand et M. lits
le monde (dir.), 2005
Hermès 52, P. Blanchard, Économie solidaire et
M. Ferro et I. Veyrat-­Masson démocratie
(dir.), 2008. Hermès 36, E. Dacheux et
Laville J.-­L. (dir), 2003.

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La communication politique

L’espace, enjeux politiques Argumentation et rhétorique


Hermès 34, I. Sourbès-­Verger vol. 1
(dir.), 2002. Hermès 15, A. Boyer et
L’opinion publique. G. Vignaux (dir.), 1995.
Perspectives anglo-­saxonnes Espaces publics en images
Hermès 31, L. Blondiaux et Hermès 13-­14, D. Dayan
D. Reynié (dir.), 2001. et I. Veyrat-­Masson (dir.),
Dérision-­Contestation 1994.
Hermès 29, A. Mercier (dir.), Espaces publics, tradition
2001. et communautés
www.démocratie locale.fr Hermès 10, J.M. Ferry (dir.),
Hermès 26-­27, 2000, É. Maigret 1992.
et L. Monnoyer-­Smith (dir.) Individus et politique
Mimesis. Imiter, représenter, Hermès 5-­6, E. Apfelbaum,
circuler J.-­M. Besnier et A. Dorna (dir.),
Hermès 22, S. Ossman (dir.), 1990.
1998. Le nouvel espace public
Voies et impasses de la Hermès 4, D. Bregman,
démocratisation D. Dayan, J.-­M. Ferry et
Hermès 19, P. Meyer-­Bisch et D. Wolton (dir.), 1989.
E. M. Swiderski (dir.), 1996. Masses et politique
Communication et politique Hermès 2, D. Reynié (dir.),
Hermès 17-­18, G. Gauthier, 1988.
A. Gosselin et J. Mouchon Théorie poltique et
(dir.), 1995. communication
Argumentation et rhétorique Hermès 1, C. Lazzerie
vol. 2 et J.-­P. Chrétien-­Goni (dir.),
Hermès 16, A. Boyer et 1988.
G. Vignaux (dir.), 1995.

12

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Autour du même thème

2) « Les Essentiels d’Hermès »


La communication L’économie solidaire
politique J.-­L. Laville (dir.), 2012.
A. Mercier (dir.), 2017 Médias et opinion publique
Nouvelle édition (2008). A. Mercier (dir.), 2012.
Les utopies L’argumentation
É. Letonturier (dir.), 2013. N. D’Almeida (dir.), 2011.
La rhétorique L’opinion publique
M. M. Carrilho (dir.), 2012. N. D’Almeida (dir.), 2009.
Internet et politique Populaire et populisme
A. Coutant (dir.), 2012. M. Lits (dir.), 2009.
Le marketing politique L’espace public
T. Stenger (dir.), 2012. É. Dacheux (dir.), 2008.

3) Collection « CNRS Communication »


L’expression gestuelle de la pensée d’un homme politique,
G. Calbris, 2003.
Prévention du sida et agenda politique. Les campagnes en direc-
tion du grand public (1987-­1996), G. Paichelier, 2002.
La démocratie mise en scènes. Télévision et élections,
M. Coulomb-­Gully, 2001.
Les oies du Capitole ou les raisons de la rumeur, F. Reumaux,
1999.
L’expert à la télévision. Traditions électives et légitimité média-
tique, Y. Chevalier, 1999.

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Présentation générale
La communication politique
entre nécessité,
instrumentalisation et crises
Arnaud Mercier

Même si le marketing politique contemporain


n’est pas sans dérives parfois, la communication n’est
pas l’ennemie de la démocratie. À tous les niveaux,
la politique a besoin de communication pour se
réaliser pleinement. Au niveau anthropologique, la
communication intervient comme mise en scène des
détenteurs du pouvoir, associée à un travail de légi‑
timation de l’autorité. Au niveau gouvernemental, la
communication est liée à la propagande qui contrôle
les représentations sociales et mobilise les gouvernés,
ou à l’art d’assurer la publicité la plus favorable aux
actions entreprises en s’appuyant sur les médias. Au
niveau électoral, la communication s’apparente à un
travail persuasif, pour s’attirer les suffrages. Au niveau
axiologique, la communication, associée au prin‑
cipe kantien de Publicité (au sens de rendre public
et transparent), s’avère constitutive du pacte démo‑
cratique et de l’avènement d’un espace public, où la

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La communication politique

libre expression dans le respect de procédures garan‑


tissant la reconnaissance d’autrui, permet un fonc‑
tionnement pacifié du système politique. Il convient
donc, à des fins pédagogiques, de se livrer à un travail
précis de repérage de la communication telle qu’elle
est imbriquée dans le politique, afin d’en comprendre
les enjeux multiformes.

La communication politique
comme nécessité sociohistorique
La mise en scène des pouvoirs
à travers l’histoire : une nécessité
anthropologique
Les détenteurs du pouvoir politique s’exposent
et se mettent en scène depuis toujours, afin d’attes‑
ter leur existence et celle de la collectivité qu’ils
incarnent. L’anthropologue Georges Balandier (1992)
décrit cette « théâtralisation du pouvoir » comme
un exercice de « transfiguration mystique », mobili‑
sant mythes, symboles, rites, et dont aucun pouvoir
ne « peut faire l’économie ». Claude Rivière (1988)
parle de « liturgies politiques ». Les démonstrations
d’existence et d’autorité des pouvoirs en place contri‑
buent à alimenter une véritable « mise en spectacle
du pouvoir », qui atteste selon l’anthropologue Marc

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

Abélès (1997) l’existence d’un « lien organique entre


politique et représentation ». La mise en représenta‑
tion n’est pas « une dimension subalterne ou dérivée
de l’action politique », mais plutôt « une condition
fondamentale, commune à l’ensemble des sociétés
humaines » écrit-­il.
Tout se passe donc comme si le pouvoir devait
exposer ses signes et ses représentations pour s’exer‑
cer. La « représentation » du détenteur du pouvoir
« joue son rôle parce qu’elle va être à la fois le moyen
de la puissance et son fondement » écrivait l’historien
Louis Marin. Le souci de communiquer du pouvoir
est donc loin d’avoir attendu l’essor des médias de
masse. Depuis toujours, toute forme d’autorité poli‑
tique se met en scène et en récit pour imposer ou
confirmer son statut. Au cœur de sa légitimité, on
trouve la démonstration de sa capacité à agir, en affi‑
chant son pouvoir de faire changer les choses. Ce qui
peut se résumer en une formule : « les hommes poli‑
tiques sont en représentation, agissent pour être vus
agissant » (Bourdieu, 1981, p. 15).

La communication : un substrat
de l’idéal démocratique
Si la théâtrocratie correspond à une forme d’uni‑
versel des pouvoirs, il n’en reste pas moins que l’avè‑
nement des idéaux démocratiques à l’ère moderne,

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La communication politique

change la donne. Puisqu’à l’ère moderne, la société


démocratique refuse tout fondement transcendant,
« l’être-­ensemble ne peut avoir d’autre légitimité que
la communication entre sujets définis originairement
comme “libres”. C’est dans le dialogue, dans l’argu‑
mentation que devra se former la règle commune »
(Akoun, 1993, p.  66). Cette communication de la
société avec elle-­même implique l’invention de modes
et de lieux de communication, l’invention des formes
modernes de Parlements, la diffusion de l’instruc‑
tion et de la presse pour que chacun communique à
distance avec autrui, en faisant connaître son point
de vue et en prenant connaissance des points de vue
qui s’expriment, bref, la création d’un espace public
et l’amélioration des conditions de la Publicité. Les
médias sont intrinsèquement liés à la démocratie,
comme l’huile est indispensable au bon fonctionne‑
ment d’une machinerie complexe. En assurant dif‑
férentes missions, d’information, d’éducation des
citoyens, de contrôle des pouvoirs, les acteurs média‑
tiques exercent un rôle politique, en ce sens qu’ils sont
amenés à soutenir le fonctionnement démocratique.
Le rôle dévolu aux médias dans une société représente
une sorte de miroir tendu qui dit l’état de fonction‑
nement de la démocratie et les voies empruntées pour
résoudre les problèmes qui se posent à elle. La liberté
de la presse est donc indispensable. Ils forment sys‑
tème avec le personnel politique et les citoyens dans

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

ce que Dominique Wolton a appelé le « triangle de la


communication » (Wolton, 2015 et infra).
Aujourd’hui, l’essentiel de la ­ communication
politique se joue dans la maîtrise ou non par les
hommes politiques, des médias de masse et la reprise
ou non par les journalistes, des intentions de com‑
munication des hommes politiques. Les médias
grand public ont contribué à élargir l’espace public,
espace d’information et de délibération (cf. Dacheux,
infra), et donc rendu possible une démocratie élargie.
Bernard Manin propose de replacer dans l’histoire les
caractéristiques de notre société politique depuis l’ap‑
parition des médias de masse. Il distingue trois temps
dans l’histoire moderne de la représentation. Après le
modèle parlementariste, né avec la Révolution, sont
apparues « la démocratie de parti », puis, « la démocra‑
tie du public » (Manin, 1995). L’auteur dégage alors
trois effets des médias audiovisuels sur la politique :
–  la personnalisation du choix électoral, les médias
conférant un caractère direct et sensible à la per‑
ception des candidats par les électeurs ;
– la quasi-­disparition de la presse d’opinion, du
fait des évolutions techniques et économiques,
puis de la désidéologisation. Radio et télévision
ayant finalement réussi à se construire sur des
bases non partisanes et grand public, la percep‑
tion des objets publics est donc devenue moins
dépendante des préférences politiques ;

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La communication politique

– l’apparition d’une volatilité électorale, partiel‑


lement due aux électeurs instruits, intéressés
par la politique, et qui peuvent bien s’informer.
Le vote redeviendrait pour une partie de l’élec‑
torat le fruit d’une délibération individuelle
rationnelle.

Mais cette catégorisation créée avant l’avène‑


ment de l’internet pour tous et des réseaux socionu‑
mériques se doit d’être complétée par une réflexion
sur ce que l’ère numérique change au fonctionne‑
ment démocratique.

L’instrumentalisation
de la communication politique :
de la propagande au marketing
Idéalement conçue comme une publicité, un
art de rendre accessible à tous ce qui se passe dans les
rouages de décision, la communication politique s’est
muée rapidement en vecteur d’influence politique,
surtout au moment du passage au suffrage universel
comme mode suprême de légitimation. D’idéal de
transparence, elle s’est transformée en un instrument
politique pour obtenir l’assentiment du peuple, avec

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

des modalités différentes en fonction de la nature du


régime politique1.

La propagande : un désir de contrôler


les représentations et de mobiliser les gouvernés
Traditionnellement, les détenteurs du pouvoir
ont recours à des moyens coercitifs pour servir leurs
stratégies de communication. Les régimes totalitaires
du xxe  siècle ont ainsi utilisé tous les supports d’in‑
formation disponibles pour conditionner les masses,
en mettant en place une véritable propagande, dont
les mécanismes ont été minutieusement décrits par
Jacques Ellul (1990). Par la répétition incessante des
mêmes thèmes, par la simplification des idées, par le
mensonge, par la désignation d’ennemis, la propa‑
gande permet de rallier au pouvoir de nombreuses
personnes qui finissent par croire les dogmes du
régime.
Mais ce mécanisme est aussi utilisé par les démo‑
craties en cas de guerre. La guerre de 1914-­1918 a
donné lieu à d’intenses campagnes de « bourrage de
crâne », avec des mensonges conséquents dans chaque
camp. Il en est allé encore de même en 2003, en Irak.
Parmi les raisons invoquées par l’administration Bush
et le gouvernement Blair pour justifier l’intervention

1.  Sur le marketing politique, lire Stenger, Thomas (dir.), 2012.

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La communication politique

militaire contre l’Irak, la plupart se sont avérées


fausses. L’Irak ne possédait absolument pas d’armes
de destruction massive, par exemple (voir Charon et
Mercier, 2004). La Russie de Poutine est passée maître
dans l’art d’orchestrer une information biaisée, via
des médias sous contrôle, arrivant par exemple à faire
croire à sa population qu’il n’y avait pas de soldats
russes dans l’est de l’Ukraine ou que ce pays avait à sa
tête des néo-­nazis (cf. Tenzer, infra. et Rakhmanova,
2014).

Le marketing électoral : un travail


de persuasion à destinations des citoyens
Depuis l’avènement du suffrage universel, les
forces en compétition déploient des trésors d’énergie
pour rallier le maximum de suffrages, en distribuant
des tracts, en collant des affiches, en organisant des
réunions publiques. À l’ère des médias de masse, les
choses ont encore évolué. La télévision sert de sup‑
port premier au marketing électoral. Face aux solli‑
citations des médias audiovisuels, et sous l’impulsion
de conseillers en image, les hommes politiques des
régimes démocratiques ont peu à peu accepté d’adap‑
ter leurs discours, leur look, leur physique aux exi‑
gences audiovisuelles. Ils acceptent de se prêter à des
mises en image qui relèvent plus du coup média‑
tique, de la séduction publicitaire, que de la solennité

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

historiquement associée au pouvoir. Ils exploitent ainsi


toutes les vertus persuasives du marketing et de l’au‑
diovisuel, comme ce fut le cas dans les années récentes
de Silvio Berlusconi en Italie (cf. Musso, infra), de
Barack Obama en Amérique, Jun’ichirō Koizumi au
Japon, etc., faisant de ce phénomène, le trait marquant
de la fin du xxe siècle et du début du xxie.
Le jeu politique dans son ensemble a été modi‑
fié par la montée en puissance des médias de masse
audiovisuels. Les élites politiques se sont adaptées
aux contraintes du style audiovisuel en s’attachant les
services de conseillers en communication, en suivant
des stages de préparation (media training) avant le
passage dans de grandes émissions politiques télévi‑
sées. Ces élites adaptent également leurs discours aux
contraintes de l’outil. Elles préparent des « coups »
médiatiques ou des « petites phrases » que repren‑
dront les journalistes. Elles s’obligent à se montrer
plus décontractées, à jouer de la séduction, à faire
appel aux affects plus qu’à la raison, à jouer la carte
du spectaculaire, ce qui appauvrit souvent le contenu
des discours.
Le style de communication politique actuel ne
peut plus être celui du passé. Comme le montrait Jean
Mouchon (1995), les longs monologues, sur le modèle
des conférences de presse du général de Gaulle, ont
cédé la place à des dispositifs de mise en scène plus
« interactifs ». Le dialogue remplace le monologue.

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La communication politique

Les médias induisent aussi une certaine starisation


qui incite les politiciens à « se livrer » davantage, à
mettre en scène leur « intimité » (Stanyer, 2013). La
politique s’humanise donc en apparence mais se pri‑
vatise, ce qui induit une certaine dépolitisation, sur‑
tout quand on tombe dans la franche pipolisation
(Dakhlia, 2008), comme dans les « unes » consacrées
au président Sarkozy et son épouse, ex-­mannequin
et chanteuse, Carla Bruni, ou au couple Brigitte et
Emmanuel Macron, plusieurs fois en couverture
de Paris ­Match en une année. À une rhétorique de
la mobilisation s’est substituée une esthétique de la
séduction, au risque de tomber dans une « démocratie
des consommateurs » (Scammell, 2014).

Le marketing gouvernemental :
une des clés de la gouvernance moderne
Les gouvernants doivent surmonter plusieurs
défis altérant la « gouvernabilité » de nos sociétés :
–  complexification des problèmes posés,
– mondialisation et libéralisation des économies,
qui ont ôté aux gouvernements beaucoup de
leur pouvoir réel d’intervention sur le fonction‑
nement de nos sociétés,
– opacité du circuit politico-­ administratif de la
décision.

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

En réponse à ces défis, la politique de commu‑


nication est devenue un complément indispensable
à toute action, soit pour se faire mieux comprendre,
soit pour mieux masquer les difficultés. Et dans un
univers médiatique marqué par le tempo de l’urgence,
la sphère politique peut être tentée de s’adapter à ces
exigences par des artifices qui visent deux objectifs :
faire croire qu’on fait quelque chose (effet d’annonce)
et habiller astucieusement les mesures prises pour
leur donner plus de visibilité, plus de force apparente
(effet d’emballage). La pression médiatique engendre
logiquement des « réponses » politiques médiatiques,
où l’événement est parfois créé plus par une annonce
que par une réelle action. L’effet d’emballage est repé‑
rable dans la façon dont Tony Blair, entouré de nom‑
breux « spin doctors 2 », a géré son image personnelle à
travers l’action de son gouvernement. Le Times révéla
ainsi le 17 juillet 2000 un « mémo » confidentiel du
gouvernement intitulé : « Touchstone issues » daté

2.  Le terme désigne ceux qui jouent un rôle de conseillers en com‑


munication des hommes politiques actuels. Si l’on prend l’étymo‑
logie du verbe to spin, on en vient à dire que « spin » signifie tout
à la fois : tisser une toile (donc attraper) ; raconter une histoire
(donc mettre en récit) ; baratiner (donc tromper par le mensonge).
Doctors étant un terme honorifique attribué de façon ironique
par les journalistes anglo-­saxons. On pourrait donc traduire par
« docteur es-­bobards », comme on disait docteur es-­sciences ou
es-­lettres.

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La communication politique

d’avril  2000. Tony Blair en personne fait un bref


bilan des sondages et de ce qui en ressort comme les
limites de son action. « Sur les questions de la famille
et la problématique homosexuelle, nous sommes per‑
çus comme faibles ». Aussi invite-­ t-­
il les quelques
ministres destinataires de la note à proposer : « deux
ou trois mesures frappantes allant dans le sens du ren‑
forcement de la famille conventionnelle ». On voit
bien qu’avec pareille attitude, le faire-­ semblant se
substitue au savoir-­faire.

Crises de la communication
politique contemporaine
Un nombre croissant de citoyens en France et
dans bien d’autres démocraties éprouvent la sensation
que la politique tourne à vide, qu’à force de vouloir
montrer une belle façade au détriment du contenu,
d’étaler la vie privée et la psychologie des dirigeants
au détriment des programmes, de cacher les défauts
sous des artifices cosmétiques et des rhétoriques d’en‑
fumage, la communication politique a fait perdre son
âme à la politique.

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

Quand la politique s’abîme


dans les excès de la communciation
La professionnalisation de la communication
politique si bien analysée par Negrine et Lilleker
(2002) a fini par porter un tort considérable à
la fonction politique, l’efficacité technique sem‑
blant l’emporter sur l’éthique de conviction. Les
excès de la pipolisation politique (Dakhlia, 2008 ;
Charbonneaux, 2015), où le personnel politique
se donne en spectacle à la façon des stars du show
business, comme des « célébrités » (Wheeler, 2013),
dans des mises en scène télévisuelles décrédibilisantes
depuis longtemps déjà (Neveu, 1995), contribuent
également à dévaloriser les fonctions politiques.
Un nombre croissant de citoyens se désolent
donc de ne pas trouver dans l’offre politique l’élan
attendu, la définition d’un cap, resituant leur pays
dans un imaginaire politique cher à l’anthropologue
Benedict Anderson (2006) qui écrit : « Cet imagi‑
naire n’est ni la réalité, ni une illusion de la réalité
mais une façon pour les peuples, les catégories sociales
et les individus, de s’approprier une réalité qui leur
échappe ». Si la communication politique s’est abi‑
mée à ce point, c’est qu’elle se propose trop souvent
en rustine d’une chambre à air dégonflée… à bout de
souffle, où la « bonne gouvernance » remplace l’action
politique, la maîtrise de sa communication semblant

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La communication politique

être l’horizon indépassable de nombreux profes‑


sionnels de la politique. La communication conçue
comme cosmétique, pour cacher la vacuité politique,
a montré ses limites, elle suscite deux formes de réac‑
tion : l’indifférence (montée de l’abstentionnisme
chronique) ou le rejet (montée des forces populistes
et démagogues qui entendent dénoncer le « système
politico-­
médiatique  »). Le marketing politique a
poussé trop loin sa déconnexion avec le sens politico-­
anthropologique profond de la communication, soit
un dialogue de la société avec elle-­même pour l’aider
à se (re)définir, à s’inventer un ou plusieurs imagi‑
naires mobilisateurs.

Politique, information en continu


et Internet : le choc des quatre temporalités
La politique se compose de quatre temporalités
qui ont bien du mal à cohabiter. Traditionnellement
en démocratie, s’opposent la temporalité politique et
la temporalité électorale. Le temps long de l’action
publique ne porte ses fruits que sur plusieurs années,
voire une décennie. Le tempo du renouvellement
électoral fait que les hommes politiques doivent se
faire réélire régulièrement. Une partie de leur action
est alors conditionnée par les effets qu’elle pourrait
avoir dans un temps assez proche pour que les élec‑
teurs puissent les voir. Ces deux temporalités ne sont

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

pas forcément compatibles. Les élus peuvent différer


certaines décisions impopulaires mais nécessaires au
pays pour ne pas gêner leur réélection, ou prendre
des mesures inappropriées à long terme mais dont les
premiers effets apparents seront visibles rapidement.
La présence des médias et l’usage quasi quotidien des
sondages ont introduit une nouvelle accélération. La
temporalité médiatico-­ sondagière évalue quasiment
au jour le jour l’action des gouvernants, ce qui peut
devenir un facteur d’ingouvernabilité, si les hommes
politiques se sentent dans l’obligation de répondre
à cette pression par des déclarations ou des actions
spectaculaires immédiates, comme l’a fait Nicolas
Sarkozy, ministre puis président. Enfin, l’arrivée mas‑
sive des chaînes d’information en continu, des sites
d’information et des réseaux socionumériques pour
commenter en direct permanent l’actualité, induit
une nouvelle accélération de la temporalité politique,
celle de l’urgence permanente. On réagit à chaud,
sans recul et souvent sans assez de discernement,
l’émotion l’emporte.

Les marchands de doute


et les mensonges électoraux
Deux historiens des sciences américains (Conway
et Oreskes, 2012) reviennent sur une série de contro‑
verses publiques concernant des thématiques où la

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La communication politique

science est impliquée directement. À partir des cas


du risque cancérigène du tabagisme, des interpréta‑
tions à donner du trou dans la couche d’ozone, des
pluies acides, du réchauffement climatique, les auteurs
démontrent avec une minutie chirurgicale, l’ampleur
des manipulations auxquelles des lobbies américains
se sont livrés pour nier l’ampleur des problèmes, voire
l’existence même d’un problème. Leur ouvrage met au
jour les réseaux d’influence américains qui ont financé
des stratégies de mise en doute systématique d’enjeux
de société et écologiques majeurs et des campagnes de
dénigrement ad nominem contre des scientifiques qui
jouaient le rôle de lanceur d’alerte (« whistleblower »).
La vertu de ce livre est de décrire avec rigueur des
mécanismes concrets d’influence et de manipula‑
tion. « Une étude académique a montré que parmi les
cinquante-­six livres climatosceptiques publiés dans les
années 1990, 92 % étaient liés à ces fondations (néo-­
conservatrices) » dont Donald Trump sert désormais
les intérêts à la Maison-­Blanche en démantelant sys‑
tématiquement les mesures de précaution prises par
l’administration Obama (cf. Naves, infra).
L’objectif premier de toutes ces actions d’indus‑
triels, relayées par des scientifiques (qui souvent sont
mus par une idéologie et/ou par l’obtention de sou‑
tiens financiers massifs, pour élaborer leurs propres
programmes de recherche, de la part de ces industriels)
est de créer un doute. Ils s’appuient ce faisant sur

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

la  « faiblesse » de la démarche scientifique. Celle-­ci


accepte en effet le doute, la critique. Elle chasse le
dogme, au profit d’allers-­retours critiques entre pairs,
jusqu’au moment où les faits et leur interprétation
feront l’objet d’un large consensus. Dès lors, il suf‑
fit de trouver des scientifiques prêts à ouvrir une
polémique, à dénoncer des assertions plutôt consen‑
suelles, pour jeter le trouble et gagner du temps, en
réclamant des études plus poussées, des corrélations
mieux établies… C’est une « industrie du mensonge »
(Stauber et Rampton, 2004) qui s’agite ainsi réguliè‑
rement pour paralyser la prise de décision politique.
On ne saurait donc s’étonner que cette stratégie
déborde directement sur la communication électo‑
rale, comme on l’a vu lors de la campagne du Brexit
en Grande-­Bretagne ou celle de Trump aux États-­
Unis, en 2016. Les pires mensonges ont été assénés,
répétés, sans vergogne, flattant un électorat qui avait
envie de les entendre, d’autant plus qu’il a la rage
contre les politiciens professionnels, les journalistes,
les experts, et tout ce qui est assimilé à du « politi‑
quement correct », à de la « pensée unique », à des
discours politiques habituels qui seraient déconnec‑
tés du vécu des « vrais gens ». Du coup, même quand
les journalistes rétablissent les vérités, ces électeurs
n’y croient pas. Ainsi, Michael Gove, l’un des fers de
lance de la campagne pour le « leave », finit par objec‑
ter aux économistes qui soulignaient les perspectives

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La communication politique

plus qu’hasardeuses de sa vision des bienfaits du


Brexit : « les gens de ce pays en ont assez des experts ».
Pareille posture visait à cacher, tant bien que mal, la
fausseté des arguments exposés. Comme par exemple,
l’affirmation faite par le leader du parti nationaliste
UKIP, Nigel Farage, que les économies réalisées sur
les contributions dues à l’Union européenne per‑
mettraient d’abonder le budget du National Health
Service (la Sécurité sociale britannique) de 350  mil‑
lions de livres sterling par semaine. Le lendemain
du vote en faveur du Brexit, le même Nigel Farage,
pressé de questions sur la manière de mettre en œuvre
ses promesses électorales, finit par avouer qu’il ne
pouvait offrir aucune garantie que cela serait mis en
place un jour : « Je ne le peux pas et je ne l’ai jamais
prétendu. C’était une erreur faite par le camp du
“Leave” » a-­t-­il asséné aussi froidement que cynique‑
ment. La presse britannique a alors beaucoup avancé
la thèse d’une démocratie « post-­vérité3 » ou « post-­
factuelle », pour souligner que de nombreux men‑
songes circulaient désormais et que même un travail
de démystification ne suffisait pas à les démonétiser
aux yeux des électeurs les plus convaincus, pour ne
pas dire les plus obtus.

3.  Cf. notre article sur le sujet : <http://www.inaglobal.fr/idees/


article/post-verite-nouveau-mot-ou-nouvelles-realites-9668>.

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

Internet et les réseaux socionumériques


comme vecteurs de contestation politique
Les nouvelles technologies favorisent la diffu‑
sion ultra-­rapide de formes protestataires de mobili‑
sation. Chaque citoyen peut recevoir par courriel, un
appel à manifestation, à boycott, une dénonciation et
avoir l’impression d’agir en se contentant d’en faire
profiter son carnet d’adresses, par un simple « transfé‑
rer », ou en signant une pétition en ligne, en activant
un « like » sur sa page Facebook. La dérision politique
aussi se porte bien sur Internet, grâce aux vidéos dif‑
fusées sur les sites spécialisés, à la circulation accélérée
et massive de caricatures, memes ou clips, comme la
campagne sarkostique de 2006-­2007 l’a bien montré.
Grâce à l’effet d’archivage que ce support permet, il
est devenu plus facile de proposer des montages met‑
tant des élus en flagrant délit de contradictions entre
leurs propos d’un jour et leurs propos et actes pré‑
sents (cf. Frame, infra). Grâce à la démocratisation
de la retouche photo et du webdesign, il est facile de
faire des montages corrosifs qui trouvent un public
conquis, hostile au personnel politique. Si Twitter
est devenu un espace politique, c’est largement parce
qu’il est un espace polémique (Mercier, 2015).
Ajoutons que les formes de militantisme obser‑
vables en ligne relèvent en partie d’une autre logique
que les actions collectives traditionnelles. Lance Bennett

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La communication politique

et Alexandra Segerberg parlent de connective actions


(Bennett et Segerberg, 2012). Les auteurs insistent sur
le poids, dans nos sociétés individualistes de masse, des
« orientations politiques individualisées qui se traduisent
par un engagement politique comme une expression
personnelle d’espoirs, de modes de vie, ou de griefs »
(p. 743) et « les idées et les mécanismes pour l’organi‑
sation d’actions deviennent plus personnalisés que dans
les cas où l’action est organisée sur la base d’un groupe
à identité sociale, d’une appartenance, ou d’une idéolo‑
gie » (p. 744). Benkler (2006) considère que la partici‑
pation politique est de plus en plus souvent redevable
d’une automotivation dès lors qu’un contenu expressif
personnel est partagé avec, et reconnu par, d’autres qui,
à leur tour, répètent ces activités de partage en réseau.
On le voit hélas tragiquement avec le nombre de jeunes
jihadistes occidentaux qui affirment s’être radicalisés
seuls, en ligne, dans leur chambre, grâce aux partages
sur Facebook ou YouTube.
En temps de campagne électorale, l’un des phé‑
nomènes les plus notables sur les réseaux sociaux est
l’apparition de téléspectateurs actifs et critiques, qui
commentent en direct un programme télé et la presta‑
tion des candidats et/ou qui suivent ces commentaires
sur leur smartphone, tablette ou ordinateur. Nous
appelons ces citoyens des twiléspectateurs (Mercier,
2013). Une partie non négligeable de ceux-­ci font
preuve d’un esprit critique ou activiste, tant vis-­à-­vis

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

des candidats que des journalistes. Le commentaire


live (plus encore s’il est doublé par des dispositifs de
fact checking journalistique –  recoupement des faits)
peut être un outil de subversion des tactiques mar‑
keting et rhétoriques. La parole politique est alors
contestée au moment même où elle est émise. Dans
un cadre de partage collectif de l’esprit critique, selon
une logique d’égalisation de la légitimité à prendre la
parole et sans pouvoir contrôler le flux créé par les
hashtags (sauf peut-­être en les saturant de messages
partisans de soutien ou de dénigrement des adver‑
saires), la parole politique est soumise à une nouvelle
épreuve de désacralisation, subissant des procès en
délégitimation par le biais de l’injure numérique, de
la critique factuelle, de la confrontation aux actes ou
propos passés, de la contre-­argumentation, de la réin‑
terprétation ou de la dérision.

Les effets relatifs


de la communication politique
À travers tous ces aspects, une question cen‑
trale est toujours présente, celle de l’influence de la
communication politique. Les travaux de l’équipe
de Paul Lazarsfeld ont prouvé, dans les années 1940
(The People Choice), que peu de citoyens changeaient
leurs intentions de vote durant la campagne, et que
ceux qui en changeaient citaient les discussions avec

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La communication politique

l’entourage bien avant les médias, comme facteur


d’influence de leur revirement. Cette théorie des
effets limités a été battue en brèche régulièrement par
ceux qui défendaient une vision marxiste bien plus
dominatrice des médias, leur attribuant notamment
un rôle de soutien à la domination idéologique des
classes dirigeantes (Philo, 1990).
En fait, ni limités ni puissants, d’autres travaux
permettent d’affirmer que ces effets sont : circons‑
tanciés et relatifs. En effet, comme Shanto Iyengar
(1991) le démontre, la télévision joue un rôle dans
l’attribution des responsabilités, dans l’émergence
de problèmes et dans leur résolution, à travers le
« framing effect » –  effet de cadrage. L’essentiel des
reportages s’inscrit dans une présentation qui ne relie
pas les faits à un environnement global, du coup les
causes politiques de ces faits sont moins immédia‑
tement perçues par le public. De même, les médias
ont parfois des effets sur la campagne électorale et
le vote, en faisant connaître les candidats et certains
aspects de leur personnalité ou de leur programme.
En outre, les médias mettent parfois au cœur de l’ac‑
tualité des questions qui peuvent devenir un critère
d’évaluation des candidats pour certains électeurs,
comme on l’a vu avec la forte médiatisation des
affaires politico-­judiciaires qui ont terni l’image du
candidat Fillon. Mais pas de façon systématique, pas
de façon automatique, pas chez tous les électeurs, pas

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

chez tous les publics, car encore faudrait-­il que tous


accèdent aux mêmes informations, avec la même
motivation, le même regard, dans le même contexte
affectif et social. Même sous son apparente passivité,
un citoyen téléspectateur ordinaire met en œuvre
des filtrages cognitifs qui le font potentiellement se
soustraire à la volonté d’influence contenue dans le
message émis. Les citoyens n’arrivent pas vierges,
sans passé, sans a priori, sans attentes, face aux cam‑
pagnes électorales. Et dans nombre de cas, ils don‑
neront d’autant plus de crédit à une information, un
message, un candidat que cela rencontre leurs opi‑
nions, leurs vécus, leurs espérances, qu’ils ont envie
d’y croire.
Pour comprendre au mieux l’influence de la
communication politique médiatisée, il faut donc
privilégier un mode de raisonnement qui restitue la
complexité des interactions formant le triangle de
la communication  : hommes politiques, médias,
publics (Wolton, 2015). Au sein de ce schéma, cha‑
cun influence l’autre, chacun agit en fonction de la
réaction attendue ou constatée de l’autre. Du coup,
l’accent est à porter sur la relativité des effets, en fonc‑
tion des profils du média, du consommateur, de la
consommation effective,  etc. Approche que la revue
Hermès a favorisée et que cet Essentiel permet de
mieux cerner.

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La communication politique

Hommes politiques

Médias
Medias Publics

Enjeux de la communication politique


Dans les premiers articles de cet ouvrage, on
trouve une volonté commune de conceptualiser l’ap‑
proche de la communication politique, en la reliant
à la notion d’espace public ou en la re-­situant dans le
rôle structurant global du politique, afin de sortir d’une
vision négative étroite de la communication politique,
assimilée au marketing politique, avec tout ce que
cela véhicule de suspicion en manipulation ou propa‑
gande. Dominique Wolton montre ainsi tout l’apport
démocratique de la communication politique envisagée
comme un triangle, où se critiquent librement, hommes
politiques, médias et l’opinion publique représentée
par les sondages. Il souligne aussi toutes les contradic‑
tions contemporaines de la communication politique.

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

Celle-­ci est un acquis du processus de démocratisation


de nos sociétés, car elle implique la reconnaissance de
l’autre, dans un esprit de tolérance et d’ouverture,
même si bien sûr, la tentation de la manipulation n’est
jamais absente. Tentation qu’il faut combattre, explique
Éric Dacheux, en prônant une approche délibérative de
la communication politique basée sur les travaux de
Patrick Viveret, et qui concerne l’art de la construction
des désaccords. Gilles Achache s’inscrit dans la même
approche, en offrant un distingo entre trois modèles
de la communication politique : dialogique, propagan‑
diste, marketing.
Eliseo Verón s’intéresse au rôle de l’instance poli‑
tique entendue comme gestionnaire des identités col‑
lectives, comme pourvoyeuse de repères sociaux pour
les populations gouvernées. Mais justement, le mar‑
keting introduit un affaiblissement des perspectives
à long terme, au profit d’une accélération du temps
(que la pression médiatique induit) et d’une hyperac-
tualisation du présent, comme disent les économistes.
Il montre alors que l’affaiblissement du système poli‑
tique (mesuré par la progression régulière de l’indéci‑
sion électorale et la montée régulière de l’abstention,
en France et en Europe) a renforcé la centralité sociale
des médias. Tout en soulignant que la télévision a pu
enrichir la communication politique, il explique que
ses logiques propres, gagnant la sphère politique, ont

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La communication politique

conduit à affaiblir la puissance symbolique du langage


politique.
Les articles suivants pointent d’autres consé‑
quences dommageables. Que ce soit la simplification
de l’argumentation politique, avec un appel de plus
en plus renforcé aux « émotions » (Karatzogianni,
2012) au détriment de l’argumentation. Que ce soit
la confusion dans le bulletin municipal, entre un outil
démocratique à destination d’une meilleure infor‑
mation des citoyens et un support d’autovalorisation
des élus (Christian Le Bart). Ces dérives par rapport
à l’idéal démocratique traditionnel n’obligent-­elles pas
à repenser les cadres d’analyse de la communication
politique, en interrogeant l’émergence d’une « néo-­
politique » dont Silvio Berlusconi serait le premier
archétype (Pierre Musso) et Donald Trump l’avatar le
plus récent (Marie-­Cécile Naves) ?
Deux contributions ouvrent ensuite la réflexion
sur les effets, sur la politique et la démocratie, de la
numérisation du monde. Sans tomber dans un déter‑
minisme technologique, la numérisation et la mise
en réseaux des citoyens ouvrent l’opportunité de tis‑
ser autrement les appartenances sociales et les mobi‑
lisations politiques, et donc de faire de la politique.
C’est ce que montre Alex Frame, en faisant la part
des choses entre la réalité de nouvelles pratiques
et le « mythe de la politique 2.0 ». Dans le même
esprit, Tourya Guaaybess revient sur les « Printemps

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La communication politique entre nécessité, instrumentalisation…

arabes » et tord le cou au fantasme de la « révolution


Facebook » au profit d’une analyse plus sereine des
usages numériques contestataires qui ont fleuri là-­bas
en 2011.
Enfin, Nicolas Tenzer et Juremir Machado ana‑
lysent la manière dont les médias traditionnels ou
socionumériques peuvent devenir des armes, pour
mener une « guerre de l’information » dans le cadre
d’un combat géopolitique et idéologique, comme
le fait la Russie de Vladimir Poutine, ou dans celui
d’une opération de déstabilisation politique interne
afin de destituer la présidente brésilienne.

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Politics, New York, Cambridge University Press, 2014.

43

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La communication politique

Stanyer, James, Intimate politics : Publicity, Privacy and the


Personal Lives of Politicians in Media-­
Saturated Democracies,
Cambridge, Polity, 2013.
Stauber, John et Rampton, Sheldon, L’industrie du mensonge.
Lobbying, communication, publicité et médias, Marseille, Agone,
2004.
Stenger, Thomas, Le marketing politique, Paris, CNRS Éditions,
coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2012.
Thorson, Esther et al., «  Co-­
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2015, vol. 9, no 3, p. 195-­214.
Wheeler, Mark, Celebrity politics : Image and Identity in
Contemporary Political Communications, Cambridge, Polity, 2013.
Wolton, Dominique, La communication, les hommes et la poli-
tique, Paris, CNRS Éditions, 2015 (Odile Jacob, 2012).

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La communication politique :
construction d’un modèle
Dominique Wolton1

Pas de politique sans communication. Contrai­


rement au stéréotype dominant, la communication
politique n’est pas la dégradation de la politique, mais
simplement la condition de son exercice. La  poli‑
tique, c’est parler et agir. Et expliquer. A fortiori en
démocratie où tout se joue devant l’opinion publique,
avec beaucoup d’informations et de médias.

Éléments de définition
Autant la démocratie de masse, le suffrage uni‑
versel, les sondages et même la télévision ont finale‑
ment réussi à acquérir leurs lettres de noblesse, autant
la communication politique continue de susciter des

1.  Ce texte a été publié pour la première fois dans son intégralité
dans Hermès no 4, « Le nouvel espace public », 1989, p. 27-­42. Il a
été réactualisé par l’auteur en mars 2017 et réédité. La version ori‑
ginale est disponible sur : < https://www.cairn.info/revue-­hermes-­
la-­revue-­1989-­1.htm>.

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La communication politique

réserves. Elle a « mauvaise presse » car elle condense


tout ce que l’on peut reprocher à la politique moderne.
La communication politique représente pourtant un
changement aussi important dans l’ordre de la politique
que les médias de masse l’ont été dans celui de l’infor-
mation, et les sondages dans celui de l’opinion publique.
La communication politique traduit l’importance
des échanges dans la politique, non pas au sens d’une
disparition de l’affrontement, mais au sens celui-­ ci
se fait maintenant sur le mode communicationnel,
c’est-­à-­
dire finalement en reconnaissant « l’autre ».
L’émergence de la communication politique comme
concept est l’aboutissement du processus de démocra‑
tisation et de communication qui a commencé il y a
deux siècles, avec pour conséquence l’élargissement de
l’espace public.
La communication politique n’est donc pas une
dégradation de la politique, mais au contraire la condi‑
tion du fonctionnement de notre espace public élargi.
En permettant l’interaction entre l’information, la
politique et la communication, elle se révèle être un
concept fondamental. Elle ne conduit pas à supprimer
la politique ou à la subordonner à la communication,
mais au contraire, à la rendre possible dans la démo‑
cratie de masse.
Je définis la communication politique comme
« l’espace où s’échangent les discours contradictoires des
trois protagonistes qui ont la légitimité de s’exprimer

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La communication politique : construction d’un modèle

publiquement sur la politique : les acteurs politiques, les


journalistes et l’opinion publique, au travers notamment
des sondages ».
Elle est un lieu d’affrontement des discours qui
portent sur la politique et dont l’enjeu est la maîtrise
de l’interprétation politique de la situation. Cette
définition insiste sur l’idée d’interaction, de discours
contradictoires tenus par des acteurs qui n’ont ni le
même statut ni la même légitimité.

Cette définition présente


cinq avantages
1. Élargir la perspective traditionnelle. La plu‑
part des travaux étudient l’influence des médias ou
des sondages, ou des hommes politiques, parfois les
relations deux à deux, mais très rarement les rela‑
tions entre les trois. Ici, au contraire l’interaction
constituée par la circulation simultanée des discours
des hommes politiques, des sondages et des médias
est d’emblée l’objet de la définition. Les trois dis‑
cours font système dans la réalité, au sens où ils se
répondent, mais aussi parce qu’ils représentent les
trois légitimités de la démocratie : la politique, l’infor-
mation, la communication. C’est leur interaction qui
est constitutive de la communication politique. Elle

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La communication politique

ne comprend qu’un nombre limité d’acteurs, ceux


qui ont légitimité à s’exprimer, et est consubstantielle
à une logique d’interaction. C’est aussi en ce sens
qu’elle est différente de ce que l’on appelle le débat
politique, qui réunit le discours des hommes poli‑
tiques au sens strict. En outre, dans l’idée de com‑
munication politique, il y a aussi celle du heurt entre
plusieurs légitimités et la sanction que représente
l’élection. Cette double contrainte lui donne un sta‑
tut différent de celui du débat politique.
2.  Souligner l’originalité de la communication poli-
tique : la prise en compte des trois dimensions contra‑
dictoires et complémentaires de la démocratie de masse
qui sont la politique, l’information et la communi­
cation.
La démocratie de masse est en effet inséparable
de trois caractéristiques. L’élargissement du poids de la
politique avec le nombre croissant de problèmes traités
au plan politique et par le nombre également croissant
d’acteurs impliqués dans le suffrage universel égali‑
taire. L’existence de médias de masse pour informer
le grand nombre grâce notamment à la radio, la télé‑
vision et Internet. La nécessité de connaître l’état de
l’opinion publique dans ses revendications et ses réac‑
tions à l’action des hommes politiques. L’originalité
et l’intérêt de la communication politique sont d’être
ce lieu d’expression et d’affrontement des légitimités

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La communication politique : construction d’un modèle

constitutives et contradictoires de la démocratie de


masse.
Les trois composantes de la communication
politique ne sont pas apparues simultanément. La
politique et l’information se sont d’abord développées
à partir du xviiie siècle, puis il y a eu la bataille pour
le suffrage universel et, enfin, l’arrivée plus récente du
concept d’opinion publique, puis des sondages.
Pourquoi rapprocher communication et opinion
publique ? Parce qu’il n’y a pas de démocratie de masse
sans prise en compte de l’opinion publique, insépa‑
rable d’un processus communicationnel, tant dans sa
constitution que dans son expression. En effet, l’opi‑
nion publique n’existe pas en soi, mais résulte d’un
mouvement permanent de construction/déconstruc‑
tion, lié à la manière dont certains thèmes émergent ou
non dans le domaine social et politique et sont l’objet
d’un intérêt politique. Par ailleurs l’opinion publique
n’existe aujourd’hui qu’à travers les sondages qui en
sont le porte-­voix et qui lui assurent sa publicité dans
l’espace public. Historiquement, ce sont donc les
logiques de l’opinion publique et de la communication
qui sont les plus récentes, mais aujourd’hui les trois
caractéristiques sont inséparables.
La différence entre la légitimité de la politique,
liée à l’élection et celle de l’information, liée à une
valeur indispensable au système démocratique, est
claire pour tout le monde. Par contre la différence

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La communication politique

de légitimité entre médias et sondages requiert une


précision, tant chacun a parfois tendance à considé‑
rer information et communication comme quasiment
synonymes. La légitimité de l’information repose sur
le droit à l’information et à la critique, qui est indé‑
pendant des techniques de communication, même si
celles-­ci ont eu progressivement une échelle de dif‑
fusion de plus en plus vaste. Les techniques ne sont
qu’un moyen. Le droit à l’information est premier,
même si aujourd’hui la communication technique lui
assure un écho sans commune mesure avec ce à quoi
pensaient les pères fondateurs de la démocratie amé‑
ricaine et même française.
Par contre, pour l’opinion publique, la commu‑
nication est une valeur essentielle. C’est en cela que
la communication politique assure la cohabitation
entre ces trois logiques dont chacune constitue une
partie de la légitimité démocratique. Les intellec‑
tuels peuvent faire partie de la communication poli‑
tique car ils ont autorité à s’exprimer publiquement.
Par contre, les experts, techniciens, technocrates qui
jouent un rôle décisif dans l’administration, le fonc‑
tionnement de l’État et donc dans la politique ne font
pas explicitement partie, au départ, de la communi‑
cation politique. Non que leur intervention ne soit
pas politique, mais parce qu’ils n’ont pas vocation a
priori à s’exprimer publiquement, comme ils veulent
quand ils veulent sur les dossiers politiques. Ce statut

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La communication politique : construction d’un modèle

de « partenaire silencieux » est de moins en vrai car


au travers des décisions, notes, rapports semi-­publics
et réseaux, ils influencent directement le discours
des acteurs politiques. Les journalistes et les hommes
politiques ont naturellement leur place dans l’espace
public. La formule « rendre public » exprime bien la
dimension de publicité au sens strict qui accompagne
la référence à l’espace public. Celui-­ci est un espace
ouvert où s’expriment tous ceux qui s’autorisent à par‑
ler publiquement, donc à assurer une certaine publi‑
cité et médiation à leur discours. Ce sont d’ailleurs
les contraintes liées à la démocratie de masse qui ont
obligé à délimiter cet espace plus restreint de la com‑
munication politique. L’espace public, lui, est plus
large, ouvert par principe à tous ceux qui s’y expriment
et dépasse donc largement le champ de la communica‑
tion politique. Il n’est pas sanctionné par l’élection.
Les techniciens, les technocrates et les experts,
s’expriment dans l’espace public comme d’ailleurs
les intellectuels et de plus en plus, les citoyens par le
biais des réseaux socionumériques. Si presque tout le
monde peut s’exprimer dans l’espace public, la com‑
munication politique est un espace symbolique plus
restreint, limité à la question du pouvoir.
3. Rappeler que tous les discours politiques du
moment ne sont pas dans la communication politique.
Seuls y figurent ceux qui font l’objet de conflits et de
polémiques. La communication politique est l’espace

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La communication politique

où s’affrontent les politiques contradictoires du


moment, ce qui signifie que son contenu varie dans
le temps. Chacun constate que les thèmes du chô‑
mage, de l’éducation, de l’immigration, de l’écologie,
de l’indépendance nationale, de la régionalisation…
n’occupent pas la même place au fil des années. Le
contenu contradictoire de ce qui s’échange a deux
sens : celui des oppositions politiques, qui peuvent
changer dans le temps ; celui du discours qui varie
lui-­même en fonction des thèmes conflictuels.
4.  Revaloriser la politique par rapport à la com-
munication. Ou plutôt, montrer que les deux sont
aujourd’hui intrinsèquement liées, tout en conservant
des différences radicales. La communication n’a pas
« mangé » la politique car c’est plutôt la politique qui
se joue aujourd’hui sur un mode communicationnel.
Pourquoi la communication est-­elle devenue en un
demi-­siècle un des problèmes essentiels ? Parce qu’elle
est une conséquence de la démocratisation en ce sens
que le suffrage universel et l’élévation du niveau de
vie et d’éducation obligent à la prise en compte des
aspirations d’un nombre croissant de citoyens. Il n’est
donc plus possible de gouverner sans « rétroviseur »,
c’est-­
à-­
dire en ignorant ce que souhaite l’opinion
publique, et les sondages sont les rétroviseurs de l’opi‑
nion publique. La communication est donc indispen‑
sable au fonctionnement de la démocratie de masse
dans le sens « descendant », du pouvoir politique vers

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La communication politique : construction d’un modèle

l’électorat via les médias, et « ascendant », de l’opi‑


nion publique aux hommes politiques, via les son‑
dages et de plus en plus via Internet et les réseaux.
Il y a donc deux causes différentes à la place
plus grande accordée à la communication. D’une
part, la croissance du rôle des médias, liée au modèle
démocratique et aux nécessités de fonctionnement de
la société de masse. D’autre part, l’apparition d’une
communication avec l’opinion publique par l’inter‑
médiaire des sondages, des événements et des réseaux.
C’est d’ailleurs cette croissance du rôle de la commu‑
nication qui aboutit à une disjonction : d’un côté une
logique de l’information qui est fondamentalement
celle de la presse ; d’un autre côté une logique de la
communication liée à l’opinion publique, aux événe‑
ments, aux sondages et aux réseaux.
5.  Montrer que le public n’est pas absent de cette
interaction. La communication politique n’est pas
seulement l’échange des discours de « la classe poli‑
tique et médiatique », mais on y trouve également
une présence réelle des autres acteurs et de l’opinion
publique par le biais des sondages et des réseaux.
Certes, le public et le corps électoral ne sont pas
équivalents à l’opinion publique et chacun fait la
différence entre les trois, tant d’un point de vue pra‑
tique que théorique, mais il est admis que l’opinion
publique est une figure temporaire et imparfaite du
corps électoral.

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La communication politique

Les sondages sont « représentatifs » de l’opinion


publique et elle-­même est en partie représentative des
comportements électoraux. C’est cette double hypo‑
thèse liée à notre philosophie politique centrée sur le
choix individuel qui permet de prendre en compte le
point de vue du public. Ceci dit, l’opinion publique
ne se réduit pas aux sondages. Il existe une tradition
de travaux expliquant les limites de cette réduction.
La méthode psycho-­ sociologique des sondages ne
suffit pas à rendre compte de la dynamique de l’opi‑
nion publique. Et surtout, personne ne comprend
réellement les processus lents, souvent peu visibles, du
mouvement de construction et déconstruction « des »
opinions publiques. Je montre ailleurs la nécessité
théorique de maintenir une différence de nature entre
sondages et opinion publique2. La hiérarchie des sujets
au sein des sondages ne reflète pas toujours celle au
sein de l’opinion publique, car le fonctionnement de
celle-­ci est plus complexe que celui des sondages, fina‑
lement behavioristes. C’est pour cela d’ailleurs que le
nombre des études qualitatives augmente pour com‑
pléter les sondages. En un mot, l’opinion publique
est une réalité fort complexe, non réductible aux

2. Wolton, Dominique, « Les médias, maillons faibles de la


communication politique », Hermès no  4, op. cit., p.  165-­179.
Disponible sur  : < https://www.cairn.info/revue-­hermes-­la-­revue-­
1989-­1.htm>.

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La communication politique : construction d’un modèle

sondages, même si aujourd’hui, ceux-­ci sont omni‑


présents… Les événements bouleversent souvent
les hiérarchies, et les réseaux sociaux accentuent une
autre logique : celle, croissante, de l’expression.
La communication politique apparaît comme
la scène sur laquelle s’échangent les arguments, les
pensées, les passions, à partir desquels les électeurs
font leur choix. Elle est simultanément une instance
de régulation, quand les élections donnent réguliè‑
rement la victoire à certains, et elle relance souvent
d’autres débats dont quelques-­uns seront constitutifs
de la communication politique suivante. Ce processus
indispensable à l’espace politique contemporain, per‑
met que se confrontent : l’idéologie et l’action pour
les hommes politiques ; l’information pour les jour‑
nalistes ; la communication pour l’opinion publique,
les sondages et les réseaux. Ces trois logiques sont en
tension permanente car chacune détient une partie
de la légitimité politique démocratique et peut donc
prétendre interpréter la « réalité » du moment en
excluant l’autre.
Pour les hommes politiques, la légitimité résulte
de l’élection. La communication est surtout assimi‑
lée à une stratégie de conviction pour faire adhérer
les autres politiques, les journalistes ou l’électorat.
Elle fonctionne souvent de haut en bas. Pour les
journalistes, au contraire, la légitimité est liée à l’in‑
formation qui a un statut évidemment fragile, mais

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La communication politique

qui autorise à faire le récit des événements et à exer‑


cer un droit de critique. Ils observent et relatent la
politique, ils sont les « face à face » des hommes poli‑
tiques. Pour les sondages, « représentants » de l’opi‑
nion publique, la légitimité est d’ordre technique.
L’objectif est de refléter au mieux une réalité qui n’a
d’existence objective qu’au travers de leur construc‑
tion. La politique constitue la principale cause de leur
succès parce que chacun, au lieu de n’y voir qu’une
photographie, y cherche une anticipation des com‑
portements du corps électoral.

Rôles et fonctions
Le rôle essentiel de la communication politique
est d’éviter le renfermement du débat politique sur
lui-­même. En intégrant les thèmes de toute nature
qui deviennent un enjeu politique et en facilitant ce
processus permanent de sélection, hiérarchisation,
élimination, elle apporte la souplesse nécessaire au
système politique. Ce va-­et-­vient entre les thèmes qui
entrent et ceux qui sortent se fait sans rationalité et
de manière inévitablement arbitraire, dépendant en
réalité des rapports de force.
La communication politique assure trois fonctions.
D’abord, elle contribue à identifier les problèmes
nouveaux qui surgissent, les hommes politiques et

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La communication politique : construction d’un modèle

les médias jouant ici un rôle essentiel. Ensuite, elle


favorise leur intégration dans les débats politiques
contemporains en leur assurant une sorte de légiti‑
mité. Le rôle des sondages et des hommes politiques
est ici sensible. Enfin, elle facilite l’exclusion de
thèmes qui ne sont plus l’objet de conflits ou sur les‑
quels un consensus temporaire existe. Là aussi, le rôle
des médias est important par la place qu’ils accordent
aux thèmes débattus sur la place publique.
En période d’élection, les sondages jouent un
rôle considérable puisque chacun essaie de savoir à
l’avance ce que pourra être le résultat, ceux-­ci étant
pour le moment le seul instrument représentatif
permettant une telle approximation. À chaque cam‑
pagne, on constate cette prééminence des sondages,
de plus en plus nombreux, et de plus en plus souvent
commandés et publiés par les médias. Ils ont presque
tendance à « devenir » l’agenda de la campagne, ren‑
dant plus difficile la nécessité pour les hommes poli‑
tiques de préserver une autre logique d’analyse.
En situation « normale », entre deux élections,
la communication politique est surtout animée par
les médias qui jouent au mieux leur rôle en faisant
remonter les événements et les problèmes qui ne
sont pas vus par le milieu politique. Ils assurent là
une fonction de « veille démocratique » devenant en
quelque sorte le cordon ombilical qui relie la classe
politique, inévitablement refermée sur elle-­même, au

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La communication politique

reste de la société. Certes, les hommes politiques sont


des élus en contact permanent avec les circonscrip‑
tions, mais le jeu politique et l’exercice du pouvoir
imposent souvent des règles différentes entre deux
élections. Les médias, en informant, sont les princi‑
paux facteurs d’animation et de renouvellement d’une
communication politique qui tend naturellement à se
refermer sur elle-­même. La concurrence entre médias
provoque, hélas, souvent l’effet paradoxal d’une
moindre représentation de la diversité de la société.
La question est aujourd’hui de savoir si cette diversité
est mieux assurée par la logique de l’expression sur les
réseaux. Ce n’est pas certain…
En situation de crise politique, intérieure ou
extérieure, l’équilibre de la communication politique
est encore différent, dominé par la prééminence des
hommes politiques. L’urgence de la situation, l’impor‑
tance de l’action et des décisions à prendre mettent
l’homme politique au centre de la communication
politique. Le rythme des événements et leur caractère
inattendu diminue, momentanément, le rôle de l’opi‑
nion publique et l’intérêt des sondages, car la responsa‑
bilité des acteurs dans de telles situations est rarement
d’agir en fonction de l’opinion publique. Si dans de
telles situations les hommes politiques n’assurent pas
cette maîtrise de la communication politique, le risque
est que ce soit les médias qui le fassent… comme on le
voit souvent en situation de crise.

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La communication politique : construction d’un modèle

La communication,
le « moteur » de l’espace public
L’existence de la communication politique, à la
fois réalité empirique et concept fondamental d’ana‑
lyse pour les démocraties dans les sociétés de masse
présente cinq intérêts du point de vue de la théorie
politique.
Elle est d’abord la preuve qu’il n’y a pas d’anta‑
gonisme structurel insurmontable entre les groupes
sociaux. La communication politique implique
l’échange, donc la reconnaissance de l’autre, c’est-­
à-­dire de l’adversaire. La conception de la commu‑
nication politique que je défends montre que non
seulement l’espace public n’est pas détruit, mais
que son fonctionnement, à l’échelle de la démo‑
cratie de masse, est inséparable de la valorisation
de ce concept. Quant aux médias et aux sondages,
ils n’ont pas non plus dénaturé l’espace public, tel
qu’il fut pensé au xviiie  siècle, ils permettent sim‑
plement son adaptation à cette nouvelle échelle de
la « démocratie de masse ». La communication poli‑
tique, sans être la seule, est probablement une des
conditions les plus importantes du fonctionnement
de l’espace public élargi. Mais cette conception n’est
pas fréquente tant domine, au contraire, l’analyse
critique qui voit dans la communication politique

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La communication politique

une dégradation de la démocratie et une logique de


manipulation…
La mise en valeur du rôle central de la commu‑
nication politique présente un avantage complémen‑
taire : déplacer l’éternelle question de la tyrannie des
médias et des sondages. Ces derniers ne détruisent
ni la politique, ni la communication politique, mais
sont au contraire une de ses conditions structurelles
de fonctionnement.
Le second intérêt est de retrouver l’importance
des acteurs derrière les discours. Les logiques contra‑
dictoires qui sont au cœur de la communication
politique sont en réalité incarnées par des acteurs.
D’ailleurs, cette revalorisation de leur rôle est paral‑
lèle à la revalorisation de la communication. Cela ne
signifie pas que les acteurs « communiquent » mieux,
mais que celle-­ci permet de gérer pacifiquement les
affrontements inhérents à la politique.
Le troisième intérêt est de rappeler l’autono‑
mie des trois logiques : la politique, l’information
et la communication. Cette autonomie a une consé‑
quence importante : souligner la séparation entre
la logique de l’information des médias et celle de
la communication, avec l’opinion publique. On
a vu qu’historiquement les deux étaient liées, mais
aujourd’hui, notamment à travers la croissance du
secteur de l’information et de l’industrie des son‑
dages, les différences de nature entre l’information

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La communication politique : construction d’un modèle

des médias et la communication des sondages sont


nécessaires à rappeler. Cette autonomisation de
l’opinion publique par rapport à l’information est
probablement un des changements les plus impor‑
tants, consécutifs à la mise au jour du rôle essentiel
joué par la communication politique. Rôle encore
renforcé avec l’arrivée des réseaux qui donnent
aussi une place croissante, et ambiguë, à l’opinion
publique dans la politique. Expression, communica‑
tion et information renforcent la nécessité de valori‑
ser l’action politique.
Le quatrième intérêt est de montrer que cette
conception de la communication politique est dyna‑
mique. L’idéal est une certaine égalité de tension
entre les trois logiques constitutives, mais cet équi‑
libre est rare, ne serait-­
ce que parce que les trois
logiques de discours n’obéissent pas au même rythme
et que le contexte historique introduit sans cesse des
facteurs de déséquilibre. C’est pourquoi la communi‑
cation politique est un modèle d’analyse dynamique
et constitue souvent un révélateur de l’état du sys‑
tème politique.
Le cinquième intérêt est de montrer que si la
communication joue un rôle essentiel dans nos
démocraties, la politique domine toujours. La com‑
munication ne se substitue pas à la politique mais lui
permet d’exister. On peut même avancer l’hypothèse
que la reconnaissance du rôle de la communication

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La communication politique

politique est le signe d’une certaine maturité poli‑


tique. Maturité au sens où sont acceptés, dans la ges‑
tion nécessairement contradictoire des intérêts, les
deux paramètres complémentaires de la communi‑
cation et de la politique. Mais force est de constater
qu’aujourd’hui la marge de manœuvre des politiques,
avec la pression de l’information, des sondages et des
réseaux, est plus étroite, souvent trop étroite même,
alors que la politique reste l’activité la plus difficile.

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Les dix contradictions
de la communication politique
Dominique Wolton1

La politique est inséparable de la communica‑


tion, et d’ailleurs l’histoire de la démocratie est celle
de leurs relations. Le problème, aujourd’hui, est de
mieux cerner la spécificité de la « communication
politique », au moment où, avec la radio, la télévi‑
sion, Internet et les sondages, la communication est
en pleine expansion.

1 – L’absorption de la société civile


par l’espace public
Si la société civile est historiquement antérieure
à la naissance de l’espace public, et conditionne son
apparition, le risque est aujourd’hui la fin de cette
séparation. L’espace public, avec la démocratisation,
ne cesse de s’étendre. Comme tout devient politique,

1.  Ce texte a été publié pour la première fois dans son intégralité
dans Hermès, no  17-­18, « Communication et politique », 1995,
p. 107-­124. Il a réactualisé par l’auteur en mars 2017 et réédité.
La version originale est disponible sur : < https://www.cairn.info/
revue-­hermes-­la-­revue-­1995-­3.htm>.

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La communication politique

tout se retrouve dans l’espace public, au point de


« manger » la société civile.
« L’espace public est l’espace symbolique où
s’opposent, et se répondent, les discours pour la plu‑
part contradictoires, tenus par les différents acteurs
politiques, sociaux, religieux, culturels, intellectuels,
composant une société2 ». C’est une zone intermé‑
diaire qui s’est constituée au moment des Lumières
–  Kant est le premier à vraiment en parler  – entre
la société civile et l’État. Elle est donc liée au double
phénomène de laïcisation et de rationalisation de la
société. La conséquence de cette extension de l’espace
public est la diminution du rôle de la société civile.
Et simultanément, l’extension de la politisation de
l’espace public aboutit à étendre l’espace politique au
détriment de l’espace public. L’emboîtement société
civile, espace public, espace politique se transforme
au profit de l’espace politique et du rôle de la com‑
munication politique. « Tout devient politique »,
comme on dit.

2.  Wolton, Dominique, Éloge du grand public. Une théorie cri-


tique de la télévision, Paris, Flammarion, 1990.

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Les dix contradictions de la communication politique

2 – La confusion espace public/espace politique,


la fin de la frontière vie publique/vie privée
La communication politique suppose la distinc‑
tion entre public et privé, c’est-­à-­dire entre ce qui, à
un moment, fait l’objet de discours publics, et au
sein d’entre eux, ceux qui peuvent faire l’objet d’un
affrontement politique. Ceci par opposition à ce qui
reste dans l’ordre du privé, à une échelle interperson‑
nelle ou de petits groupes, et qui n’est pas destiné à
être débattu sur la place publique. Sur trente ans de vie
politique, on voit bien par exemple que les thèmes du
chômage, de la ville, de l’éducation, de la sécurité, de
la formation professionnelle, de l’autonomie régionale,
du statut des femmes, de l’immigration, de l’aména‑
gement de la ville, des relations internationales, de la
décolonisation… n’ont pas eu la même place dans
l’espace public, et a fortiori dans la communication
politique. Certains thèmes concernant l’individu,
les mœurs, la sexualité, la reproduction, la morale,
sont même « sortis » de la sphère privée pour deve‑
nir « publics ». En revanche, d’autres thèmes comme
ceux, hier très importants, des anciens combattants
ou de la décolonisation, ont quitté la sphère publique.
D’autres encore, comme le statut des commerçants,
ont suivi le même chemin, alors que des discours liés
au secteur tertiaire et à l’informatisation par exemple,
qui auparavant ne posaient « pas de problèmes »,

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La communication politique

entrent progressivement dans la sphère politique du


fait de leur poids social et des mutations techniques.
Ces quelques exemples prouvent que la communica‑
tion politique, comme forme temporaire des affronte‑
ments, change dans le temps. À la limite, on pourrait
« tracer la carte » des grandes communications poli‑
tiques qui se sont succédé en un demi-­siècle.
Autrement dit, il y a trois interfaces : privé/public ;
société civile/espace public ; espace public/espace poli-
tique. La communication politique suppose ces trois
distinctions. La politisation réduit cette séparation
entre les trois niveaux. Le lien entre sphère privée,
espace public, espace politique et communication
politique n’a donc jamais été aussi direct qu’au‑
jourd’hui. Plus les espaces et les logiques de nature
différente « communiquent », plus il est difficile de
caractériser le rôle et l’enjeu de cette forme spécifique
d’interaction qu’est la communication politique. Son
efficacité dépend de la capacité à distinguer ce qui
relève du privé, du public, du politique. Autrement
dit, « plus tout communique », plus il faut maintenir
la distinction et l’autonomie de ces trois instances. Le
pire serait de croire qu’il y a un « progrès » dans la
disparition de ces distinctions qui sont au cœur du
fonctionnement de la société démocratique.

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Les dix contradictions de la communication politique

3 – L’égalitarisme, la fin
de la responsabilité sociale des élites
L’égalité devant le vote est le symbole de la
démocratisation. Chacun est au niveau de « tous »
pour penser et analyser les problèmes en tout genre,
et voter. Pourtant cette égalité politique symbolisée
par le suffrage universel n’existe pas pour le reste du
fonctionnement de la société. Avec la médiatisation
et la transparence, l’égalité semble se généraliser à
tous les aspects de la société. Et là intervient le glisse‑
ment douteux. À côté de l’égalité politique subsistent
les différences et les hiérarchies. Celles-­ ci peuvent
être critiquées, mais il n’y a pas de société sans hié‑
rarchie. La critique des élites et de tous les intermé‑
diaires est possible, mais pas la négation de leur rôle.
Bien que leur arrogance, trop visible aujourd’hui
avec les médias, rende cet élitisme insupportable.
L’égalitarisme est aussi dangereux que son symétrique,
l’immuabilité des hiérarchies. En d’autres termes, la
communication politique, comme enjeu de l’affron‑
tement des discours pour la conquête et la maîtrise
du pouvoir politique, joue ici un rôle central. Soit elle
renforce l’idéologie de l’égalité, peu compatible avec
la réalité, soit elle contribue à préserver le rôle essen‑
tiel des différences.
La communication politique est la possibilité de
pouvoir reconnaître tous les discours, mais aussi celle

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La communication politique

de pouvoir les critiquer. C’est un espace de débats


contradictoires. Acquis fragile et récent de la démo‑
cratie… L’écueil ? Un égalitarisme qui confond l’éga‑
lité politique par le suffrage universel avec toutes les
hiérarchies d’une société. Avec souvent pour consé‑
quence une croissance disproportionnée d’une part de
l’expression par l’intermédiaire des réseaux et, d’autre
part des experts qui, au nom de leur compétence,
créent une autre hiérarchie parallèle. Le renforcement
du pouvoir des experts serait le résultat paradoxal du
phénomène d’égalitarisation des discours.

4 – La médiatisation sans limite


Je ne reviens pas sur ce que j’ai analysé ailleurs,
lié aux contradictions de l’espace public médiatisé3 :
tyrannie de l’événement ; distorsion entre grande
capacité d’accès à l’information et faible capacité
d’action ; omniprésence de l’image… Je voudrais ici
évoquer un des effets les plus pervers du processus,
par ailleurs démocratique de publicisation, celui de
la médiatisation sans limite. On a vu que la publi‑
cité, par l’intermédiaire des médias, a l’avantage de
faciliter le passage des problèmes et discours dans
l’espace public : tout est devenu discutable.

3.  Wolton, Dominique, « Les contradictions de l’espace public


médiatisé », Hermès, no 10, « Espaces publics, traditions et com‑
munautés », 1992, p. 95-­114.

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Les dix contradictions de la communication politique

L’inconvénient, on l’a vu également, est la dis‑


parition de la frontière public/privé. Mais il y a un
autre effet discutable pour l’équilibre fragile de la
communication politique : le fait que les médias
deviennent le seul étalon de la légitimité. Autrement
dit, la logique de la communication devient le critère
ultime avec le syllogisme suivant : ce qui est visible,
connu est médiatisé, donc ce qui est légitime est
médiatisé. Ce qui n’est pas médiatisé n’est donc ni
important ni légitime. C’est la confusion entre visi‑
bilité et légitimité. L’omniprésence des réseaux et
l’absence actuelle de critique des médias à l’égard du
règne de l’expression renforcent ce déséquilibre.

5 – La représentativité omniprésente


Plus il y a de discours dans l’espace public, par
l’intermédiaire des médias et la prise de parole des
acteurs, plus se pose le problème, pour les journa‑
listes, du critère au nom duquel donner la parole aux
acteurs. Tout le monde ne peut parler ou s’exprimer.
La communication requiert donc une logique de
représentativité. Finalement, parle et s’exprime celui
qui est légitime, c’est-­à-­dire représentatif. Ce proces‑
sus produit un risque de rigidification, et d’inégalité,
car qui évalue la représentativité, si ce n’est finale‑
ment les journalistes et le microcosme ? La représen‑
tativité liée à la légitimité politique, avec l’élection,

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La communication politique

ne suffit plus et il n’y a plus de critère objectif pour


organiser la hiérarchie des événements des expressions
et des valeurs dans l’espace public. Le problème existe
depuis toujours, mais l’extrême médiatisation, ce que
l’on appelle pipolisation, depuis les années 2000, ren‑
force le pouvoir de « représentativité » exercé par les
médias. Autrement dit, il peut y avoir simultanément
médiatisation et conformisme. Conformisme car cha‑
cun sait que le processus de représentativité peut se
dénaturer en défense des intérêts acquis…, des modes
et des réseaux.
La représentativité assurée par l’élection ne suf‑
fit plus, médias, sondages et réseaux pouvant faciliter
l’émergence d’autres thèmes considérés comme aussi
« représentatifs » que ceux issus de l’élection.

6 – La simplification
de l’argumentation politique
L’avantage de la politique démocratique est
d’obliger à une simplification du discours politique :
la politique faite aux « balcons du peuple » doit être
compréhensible. La télévision, après la radio, facilite
ce phénomène. Internet et les réseaux sociaux, où cha‑
cun s’exprime librement, l’accentuent. L’inconvénient
est évidemment d’aller trop loin dans cette simplifi‑
cation au point de réduire l’argumentation politique
à un jeu de stéréotypes. Jusqu’où cette simplification

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Les dix contradictions de la communication politique

est-­elle possible sans appauvrissement et renforcement


des stéréotypes ? La visibilité, l’élargissement du champ
de la politique, la vitesse et la concurrence entre les
médias accentuent également ce processus. Avec pour
conséquence, dans un premier temps, une sorte de
clarification de la politique, et dans un second temps,
l’émergence d’une « politique sauvage » qui conteste
la politique institutionnelle. Ce risque est constant,
mais il devient dangereux s’il parvient à mettre en
cause l’efficacité de la communication politique.
Trop de simplification est aussi dangereux que trop de
représentativité. Avec le risque corollaire : l’illusion
de la maîtrise du temps. Car telle est la conséquence
ambiguë de cette simplification : comprimer l’échelle
du temps, déjà réduite par le jeu des calendriers élec‑
toraux. L’avantage de la démocratie médiatisée est
de pouvoir parler de tout, simplement ; l’inconvé‑
nient est l’usure de tout et le sentiment d’impuis‑
sance quand les problèmes demeurent, ce qui est le
cas par exemple avec le chômage. La simplification,
condition de la communication élargie, peut devenir
un handicap. Nous assistons à ce phénomène, avec la
persistance d’un discours politique d’extrême-­droite
concernant l’immigration et finalement l’identité.
Comme les autres forces politiques n’ont pas pour
l’instant réussi à trouver des contre-­arguments simples
et convaincants, et que le problème reste « délicat » en
Europe, on le laisse pour le moment en « jachère » de

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La communication politique

peur de relancer un débat politique « défavorable ». La


politique de l’autruche face aux arguments du Front
national… Comme si ne pas combattre et argumenter
faisait disparaître le problème… C’est finalement ce
que font la droite et la gauche depuis plus de vingt
ans. On en voit le résultat…
En un mot, la simplification de la communi‑
cation politique ne change rien à la complexité de
la politique. Au contraire ! Elle accentue les défauts
de nos sociétés « modernes » qui acceptent diffi‑
cilement le temps et la durée. L’accélération des
débats, des échanges, des arguments, des thèmes
qui entrent et sortent de la communication poli‑
tique n’a pas forcément de conséquence directe sur
la solution des problèmes politiques. La difficulté
est d’admettre ce découplage : la simplification des
débats ne signifie pas la simplification de la résolu‑
tion de problèmes.

7 – L’unidimensionalisation des discours


C’est le risque complémentaire du précédent.
La simplification et l’institutionnalisation des pro‑
blèmes de société réduisent l’hétérogénéité des dis‑
cours politiques, vidant ainsi progressivement la
communication politique de sa fonction de « car‑
refour symbolique ». La paix civile dépend de la
représentation que les différentes forces sociales se

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Les dix contradictions de la communication politique

font de leur vision du monde et tout autant de la


manière dont ils la retrouvent « au sein » de la com‑
munication politique. Un trop grand rétrécissement
de cet espace et trop de rationalisation favorisent
le retour de la politique sauvage et de son complé‑
ment, le populisme.
La communication politique assure la mise en
forme, et en scène, des discours politiques, avec le
double écueil d’un éventail trop large ou trop étroit.
Avec la menace de la « spirale du silence » : les acteurs
et les groupes qui ne se reconnaissant pas dans le jeu
de la communication politique s’en excluent sans
qu’on le voit, avec le risque d’un retour ultérieur
violent dans l’espace public, avec les sirènes de la
démagogie et du populisme. Depuis trente ans, on
souligne à juste titre les avantages de la communica‑
tion politique élargie, sans hélas réfléchir aux contra‑
dictions nouvelles qui en résultent.

8 – Le déséquilibre entre les trois discours


de la communication politique
On a vu que la communication politique est un
équilibre fragile entre les trois discours (journalistes,
acteurs, opinion publique) dont l’enjeu est la maî‑
trise, momentanée, de l’interprétation de la réalité
dans une perspective liée à la prise de pouvoir, ou à
son exercice.

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La communication politique

– Le premier risque est celui où les médias


« mangent » la politique : risque bien connu de
la « politique spectacle ».
– Le second risque est celui où les sondages
« mangent » l’opinion publique, en donnant
le sentiment d’une représentation possible
de celle-­ci. Ce qui est gagné en simplicité est
perdu en complexité, et vérité.
– Le troisième déséquilibre résulte de la rup‑
ture  de la relation entre médias et opinion
publique.

Hier, les journalistes représentaient l’opinion


publique face aux hommes politiques. Représentation
libre et subjective puisque par définition, le jour‑
naliste parle en son nom personnel. Il était ainsi le
« porte-­parole implicite » de cette opinion, au nom
de laquelle il posait des questions aux hommes poli‑
tiques, ou les critiquait. Mais il y a aujourd’hui une
sorte de concurrence entre les deux représentations
de l’opinion publique, celle des sondages, celle des
journalistes. Avec le risque suivant pour les jour‑
nalistes : les sondages offrent une « représentation
objective », en tout cas quantitative de l’opinion
publique que l’on peut trouver « supérieure » à celle
des journalistes. Le danger est donc une concurrence
des visions du monde et une subordination crois‑
sante, finalement, des médias à l’égard des sondages.

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Les dix contradictions de la communication politique

9 – Une communication
hors de l’échelle humaine
La communication politique n’est possible que
si les citoyens s’identifient, d’une manière ou d’une
autre, aux discours et enjeux qui y circulent. Or,
le drame de la « société individualiste de masse »
actuelle est la distance entre l’échelle de l’expérience
individuelle et l’échelle où sont organisées la poli‑
tique et l’économie. La mondialisation est d’ailleurs
la caricature de cette distance croissante. L’individu
est au centre du système politique, mais il est perdu
dans le nombre et la taille des problèmes. Souverain
et libre, il est en réalité seul et sans pouvoir. Sans
capacité d’action sur les grandes décisions. Comme je
l’ai souvent dit, « un géant en matière d’information,
un nain en matière d’action ».

10 – La communication politique


détachée des cadres nationaux
On retrouve ici le décalage structurel entre les
performances de la communication qui permettent
de tout voir, tout savoir sur tout, et le fait que la
communication politique, comme lieu d’affronte‑
ment des discours requiert du temps et le respect des
réalités sociopolitiques.
Les formes et le sens de la communication poli‑
tique sont différents à Paris, Berlin ou Rome, même

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La communication politique

si en grande partie, ce sont évidemment les mêmes


problèmes qui sont débattus. Mais tout, du langage,
des traditions, des vocabulaires, des représentations,
des références historiques, des symboles, est différent.
Il n’y a de communication politique que nationale. Et
que dire pour l’Amérique latine, l’Asie, l’Afrique ?
Il n’y a pas de citoyen mondial. Ce n’est pas parce que
certains problèmes sont mondiaux que la politique est
mondiale. Car il n’y a de politique que rapportée à un
territoire physique et symbolique à partir duquel les
citoyens se sont engagés. Aucun citoyen ne peut vivre
à l’échelle mondiale. Il n’a a même pas, finalement,
de consommateur mondial. À la rigueur, un finan‑
cier… mais ce n’est pas un modèle. Telle est la limite
à « l’universalisme » d’un certain modèle démocra‑
tique, ou plutôt la limite d’un modèle qui ignore le
poids déterminant des « identités culturelles ». Les
« variables locales » sont la condition du fonctionne‑
ment réel de la démocratie.
La force et la fragilité de la communication
politique demeurent la gestion contradictoire de deux
échelles de temps constitutives de la politique : celle
de l’événement ; celle de la structure. En un demi-­
siècle, tout a été vers une performance croissante
de la première. Le risque serait la délégitimation de
la seconde qui renvoie à l’anthropologie culturelle,
mais sans laquelle il n’y a pas de politique. A fortiori
démocratique. En un mot, plus l’événement domine,

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Les dix contradictions de la communication politique

plus le temps long doit conserver sa place. Car c’est au


carrefour des deux que se structure la communica‑
tion politique ; le temps court des communications
et des événements, le temps long de la politique et de
l’histoire.

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Les nouvelles contradictions
de la communication politique
Dominique Wolton

Depuis une trentaine d’années, je souligne l’im‑


portance conceptuelle de la communication politique
pour la démocratie, mais aussi le risque d’un déséqui‑
libre structurel entre ces trois dimensions : les poli‑
tiques, les journalistes et l’opinion publique. Entre ces
trois logiques, la plus fragile est celle des politiques.
Ils sont menacés d’être dominés par les journalistes et
l’opinion publique. En 1989, j’ai construit un modèle
théorique de la communication politique (cf. infra).
En 1995, j’en ai étudié les contradictions (cf. infra).
En 2017, il est possible de faire le point sur « les nou‑
velles contradictions de la communication politique ».
Elles sont au nombre de dix, certaines sont
nouvelles, d’autres se sont accentuées depuis 1995.
D’où l’intérêt de réunir ici trois textes, rédigés avec
plusieurs années d’écart, qui montrent les évolutions
essentielles de la communication politique. Il y a par
contre, hélas, une chose qui n’a pas changé : les stéréo‑
types concernant le statut de la communication poli‑
tique, réduite au marketing, aux logiques de com’ et
de manipulation. Elle vaut pourtant beaucoup mieux !

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La communication politique

Elle est plus que jamais un concept politique central


pour penser la démocratie de masse et les contradic‑
tions de la « société individualiste de masse » à l’heure
de la mondialisation. Et il est impossible de penser la
politique sans la communication politique.

Dix crises liées aux déséquilibres


des relations entre information,
communication et action
1 –  Les hommes politiques sont les plus fragiles
parce qu’ils ont perdu leur prestige. Descendus du
piédestal, ils sont sans cesse critiqués, soupçonnés
d’être inefficaces, voire corrompus. Et ce au moment
où il n’a jamais été aussi difficile de faire de la poli‑
tique, dans un monde dangereux, sans boussole, sans
idéologie autre que l’argent, dominé par l’impatience
et l’immédiateté et où tout doit être, de plus, transpa‑
rent et participatif…
Les journalistes, quant à eux, sont « montés » en
puissance de manière incroyable. Pas tous, mais du
moins la nomenclatura. Ils ont une proximité trop forte
avec les hommes politiques –  et plus généralement les
élites – qui sont souvent coupés de la réalité. Les deux,
d’ailleurs, se servent de manière excessive des sondages
et des réseaux sociaux pour « accéder à la réalité ». Avec

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

un double risque : l’enfermement des élites entre elles et


un découplage par rapport à une réalité de plus en plus
complexe. Aujourd’hui, avec le poids des sondages et
des réseaux sociaux, les journalistes ne représentent plus
qu’eux-­mêmes. Hier, ils parlaient plus ou moins au nom
de l’opinion publique. Aujourd’hui, celle-­ ci devient
autonome et la légitimité des journalistes devient plus
faible. Résultat : une contradiction entre la puissance de
leur rôle et une légitimité fragile. Après la dévalorisation
des hommes politiques, ce sont eux qui risquent d’être
déstabilisés. Le « dégagisme » menace tout le monde…
Or leur contre-­pouvoir est indispensable.
Quant à l’opinion publique, elle est réduite à ce qui
est en est dit dans les sondages et par la montée de l’ex‑
pression à travers les réseaux sociaux. Double simplifi‑
cation d’autant plus délicate que la compréhension des
opinions publiques, dans un monde ouvert, interactif et
« transparent » n’a jamais été aussi compliquée. On sait
de moins en moins comment elle se fabrique, comment
elle évolue. Les sondages sont successifs, quasi instan‑
tanés, donnant l’illusion d’une compréhension. Ils sont
inévitablement behavioristes. Or le plus important reste
toujours lent, silencieux et peu visible. La mode actuelle
de « l’expression généralisée » par les réseaux sociaux
confirme le sentiment d’une démocratie « en direct ».
Mais la démocratie en direct est une utopie dangereuse
qui ne se réduit pas au règne de l’expression. Et de plus,
« si tout le monde s’exprime, qui écoute ? »

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La communication politique

Par ailleurs, l’alliance sondages/réseaux conduit à


un déséquilibre de l’espace public : les chiffres se trans‑
forment en autant de lobbying. La demande et l’ex‑
pression s’imposent, sommant journalistes et hommes
politiques de « répondre ». Les hommes politiques
doivent « satisfaire les besoins de la société ». Mais que
reste-­t-­il de l’autre grande fonction de la politique, celle
qui vise à inventer une politique, anticiper des choix, tra‑
cer un avenir qui n’est pas dans l’air du temps ? Sortir de
la réponse à la demande, et valoriser l’offre… La politique,
ce n’est pas seulement du présent aménagé. Connaître le
prix de la baguette de pain ou du litre d’essence ne garan‑
tit pas d’être un bon chef d’État. Mieux vaut avoir une
vision… On reproche aux hommes politiques de ne pas
écouter les citoyens et leurs demandes. Mais quelles auto‑
nomie et responsabilités leur reste-­t-­il ? Le populisme
peut très bien se développer au bout de l’expression, des
demandes et de l’égalitarisme. Avec une idéologie quan-
titative redoutable. Les pourcentages des sondages et le
nombre de participants aux différents réseaux s’imposent
finalement comme quelque chose d’aussi important
que le résultat de l’élection, seul domaine où la quan‑
tité entraîne la légitimité. Que l’on donne aujourd’hui
la même valeur aux deux est un terrible contre‑
sens. Avec cette tyrannie supplémentaire : le direct.
Tout ce qui est en direct devient symbole de la
démocratie. À mort les intermédiaires… Pourtant,
la démocratie ce n’est pas la suppression des

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

intermédiaires, mais la possibilité de les critiquer. La


domination du « tout en direct, interactif et transpa‑
rent » vire à la démagogie. Les hommes politiques,
de peur d’être taxés de conservateurs et de profiteurs,
renforcent cette tyrannie de l’expression en y succom‑
bant eux-­mêmes, avec pour résultat le despotisme de
la demande : répondre à ce que veulent les citoyens,
identifiés aux sondeurs et aux internautes. Sous pré‑
texte d’être « à l’écoute », les hommes politiques
oublient leurs propres propositions et analyses. Ils
plongent dans les réseaux, les tweets, et passent 80 %
de leur temps enfermés dans la bulle de la com’, avec
les milieux de la presse et une partie des « élites ».
Du coup, on veut moins savoir ce qu’ils pensent que
comment ils vont répondre aux « demandes » ! Et
simultanément, une sorte de peur panique envahit les
acteurs, celle de perdre le contact avec « la réalité » de
l’expression et de l’interaction. Ils en arrivent alors au
résultat inverse : la perte de leur légitimité. Le poli‑
tique ne se réduit pas à la satisfaction des demandes.
Il y a toujours un conflit entre offres et demandes.
2 – La vitesse de l’information et la confusion entre
expression et information. Face à l’explosion de l’infor‑
mation et des réseaux, les journalistes devraient prendre
leurs distances. L’expression c’est très bien, mais ce
n’est pas de l’information. L’information est un travail
qui résulte d’une culture professionnelle, avec une res‑
ponsabilité. Le problème n’est pas de courir après les

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La communication politique

réseaux, mais au contraire d’y mettre de l’ordre et de


distinguer l’information journalistique de toutes celles
existant sur les réseaux. Aujourd’hui avec la vitesse, la
concurrence des chaînes d’information, la spécificité
de l’information journalistique, bien rare, est banalisée.
Tout se mélange, avec le risque d’une dévalorisation du
travail journalistique et de sa légitimité. Pourtant dans
l’océan informationnel actuel, il y a plus que jamais
besoin de distinguer l’information journalistique de
toutes les autres. Plus il y a d’informations, plus le travail
du journaliste est indispensable. Et non l’inverse. Sinon
c’est l’une des trois dimensions de la communication
politique qui s’effondre. L’abondance d’information
n’a rien à voir avec davantage de vérité et de sérieux.
3 – crise imprévue : l’extension de la médiatisation
ne s’accompagne pas d’un élargissement du champ de
l’information. L’abondance ne crée pas la diversité. On
pensait que plus il y aurait de tuyaux, plus il y aurait
de diversité. Or c’est l’inverse qui se produit. Tout le
monde traite la même chose, de la même manière, avec
en plus l’emprise croissante de la pipolisation. Celle-­ci,
après avoir humanisé les relations et désacralisé le
pouvoir, arrive à imposer la légitimité de l’expression,
des récits de vie. On est « tous pareil ». Une sorte de
« normalisation » qui s’accompagne d’une emprise de
l’entertainment. Non seulement on ne parle que de soi,
tout est ramené à l’expression quotidienne, mais tout
cela se fait sur le modèle de la bonne humeur.

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

Le monde de la connaissance se trouve margi‑


nalisé, à l’exception d’une minorité d’intellectuels
médiatiques qui deviennent les gourous, en général
affublés du titre prestigieux de philosophe…
Donc, d’un côté, il y a ce rétrécissement de
la diversité, avec le risque de la spirale du silence,
décrite par Elisabeth Noelle-­Neumann, et de l’autre
côté, une pipolisation croissante où l’on parle de tout
en quelques minutes, avec la seule boussole de la vie
quotidienne et du rire.
4 –  L’illusion de la transparence. « On a le droit
de savoir. » L’opinion publique est devenue un tribu‑
nal. Tout doit être visible et instantané. Tout ce qui est
lent et compliqué suscite de la méfiance. Si ce n’est pas
transparent, c’est que l’on cache quelque chose. La ten‑
tation paranoïaque n’est pas loin. « Ils nous disent ça,
donc ça veut dire qu’ils nous cachent ça ! » Autrement
dit, il n’y a jamais eu autant d’information, et simulta‑
nément, jamais autant de méfiance et d’informations
fausses. Les fake news deviennent l’horizon d’un monde
envahi d’informations ou chacun devrait tout savoir.
Elles ont mangé les fact news. On ne fait plus confiance
qu’à ses partenaires des réseaux, et la méfiance s’ins‑
talle à l’égard des hommes politiques, des journalistes
et en général de tous les professionnels, des élites…
Avec souvent, le règne du complotisme. Tout sim‑
plement parce que domine actuellement l’hypothèse
folle que sur les réseaux, on dit la « vérité » et que les

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La communication politique

internautes y sont vertueux ; avec comme conséquence la


suspicion à l’égard des autres, vite taxés de « menteurs »,
voire de « pourris » surtout s’ils ont du pouvoir. Et avec
ce mécanisme propre à l’être humain : la vérité n’inté‑
resse finalement pas toujours. Ce qui intéresse davantage
ce sont les secrets, les rumeurs et les mensonges. Une
information publique séduit moins qu’une révélation
ou un secret ! Les journalistes en réalité n’ont pas assez
dénoncé les limites et le nid à rumeurs des réseaux… Ils
ont fait l’inverse : ils ont fait croire que la vérité serait
plus présente grâce aux réseaux… Ils ont abandonné
leur sens critique. L’expression est devenue légitime en soi.
Démarche suicidaire à terme. Que des informations
puissent émerger dans l’espace public, cela existe depuis
longtemps –  les radios ont depuis toujours des « lignes
rouges » dédiées à l’information des citoyens –, mais cela
ne remplace pas le travail spécifique et continu des jour‑
nalistes. Faire de l’information est un métier, et d’ailleurs
faire de la politique, aussi. Les deux ne s’improvisent pas.
La société civile n’est ni meilleure ni plus transparente
que le « système », tant dénoncé par ceux qui y vivent.
5 –  La tyrannie de la demande et de l’expression.
« J’ai le droit de tout dire, j’ai le droit de donner mon
opinion. » La tyrannie de l’expression complète et ren‑
force la tyrannie de l’égalité. Pourtant nous ne sommes
pas tous égaux, sauf devant le suffrage universel, et
parfois devant la loi. La tyrannie de la demande et de
l’expression aboutit à la tyrannie de l’événement et de

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

l’égalité. L’information est écrasée entre les rumeurs et


l’expression. L’expression sans contrainte, sans intermé‑
diaire, sans culture, n’est pas la démocratie. Une société,
c’est une hiérarchie, évidemment critiquable en démo‑
cratie, mais tout le monde n’est pas égal. La perversion,
c’est la confusion entre le fait d’être égaux pour le suf‑
frage universel et d’étendre cette « capacité » à toutes les
autres situations de la vie. Admettre les compétences et
les hiérarchies, cela fait partie du système démocratique.
La limite des réseaux sociaux est de faire croire qu’ils
ont créé une égalité sociale. L’égalité peut être expres‑
sive, pas sociale. Et quid de ceux qui ne s’expriment pas
sur les réseaux ? Eux aussi sont intéressants ! Le para‑
doxe, triste, de notre époque transparente et interactive,
est que le conformisme n’a jamais été aussi fort. Ne pas
penser comme les autres peut être encore aujourd’hui
plus difficile qu’hier. La loi de l’expression a renforcé le
quantitatif. Si nous sommes aussi nombreux à penser la
même chose sur les réseaux, et si en plus les sondages
renforcent cette expression, c’est que la vérité est là…
La double alliance, terrible, de l’expression et du
quantitatif… Pourquoi s’en méfier puisqu’en politique,
juste à côté, c’est le quantitatif qui est légitime ? Quand
on dit que 60 % des Français pensent ceci ou cela, on
croit que c’est plus vrai, plus juste, plus intéressant que
s’il y en a 0,2 %. Mais dans l’opinion, si 90 % des gens
pensaient qu’il faut déclencher une guerre, serait-­ce for‑
cément juste pour autant ? Conséquence grave : quand

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La communication politique

un poète, un scientifique, un artisan pense différem‑


ment, on ne l’écoute pas. La démocratie ne consiste pas
à transformer l’expression en veau d’or. L’expression, la
demande et le quantitatif ne sont pas les seules valeurs
de la démocratie. Il n’y a que pour l’élection que le lien
entre quantité et légitimité existe. Pour le reste, il y a
des hiérarchies de compétences. La démocratie per‑
met de critiquer un médecin, un clerc, un prof… Mais
non de croire que tout le monde est l’égal de l’autre !
La confusion ? Généraliser le principe du suffrage uni‑
versel et de l’égalité au fondement de la légitimité poli‑
tique dans l’ensemble de la société civile. Dans cette
confusion intellectuelle, les journalistes ont une respon‑
sabilité, et les universitaires aussi !
6 – Le découplage élites/société. Les élites technocra‑
tiques, universitaires, politiques, perdent le contact avec
la société et ont tendance à taxer de « populisme » tout ce
qui n’est pas dans leur schéma. Dès que l’on sort des rets
culturels des élites du moment, on est « populiste ». Mais
si au bout d’un moment, 50 ou 60 % de la population
tombent sous le coup de ce vocabulaire, cela peut tout
de même signifier quelque chose. Autrement dit, il y a
deux contradictions symétriques : croire que l’expression
majoritaire signifie légitimité et disqualifier ceux qui ne
pensent pas comme les élites. Dans cette condamnation
des populismes, les élites s’exemptent de toute respon‑
sabilité et autocritique. D’ailleurs on le voit partout en
Europe : plus on brandit la menace du populisme, plus

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

les populations, par une sorte de pied de nez de l’His‑


toire l’assument, sans forcément y adhérer. Une chose
est certaine : il y a un décrochage de représentation de la
politique entre les élites et la société. Les cadres mentaux
et culturels des uns et des autres ne se rencontrent plus.
Une forme, une fois de plus, d’incommunication se
construit. Résultat, une méfiance à l’égard des élites, que
celles-­ci appellent un peu vite « populisme » et une sorte
de « politique sauvage » par les réseaux.
7 – La fascination pour les techniques. L’idéologie
technique est devenue, pour le moment, le substitut de
l’idéologie politique, qui s’est effondrée dans les années
1990. Les grandes idéologies traversaient et irriguaient
les sociétés avec leurs forces et faiblesses. Aujourd’hui,
ces idéologies se sont délitées. La société est en appa‑
rence plus transparente, mais en réalité plus statique,
renforcée par les effets inégalitaires de la mondialisation.
Résultat ? Le récit politique est en panne, l’émancipa‑
tion vient par les techniques, du moins elles en donnent
le sentiment. Internet comme utopie, idéologie de la
fraternité et de la démocratie directe. Le politique est
« mangé » par la technique, ou plutôt c’est la technique
qui devient, par ses promesses, l’utopie, et finalement
l’idéologie de la politique. Les deux se recouvrent.
8 –  Sortez les sortants ! C’est le dégagisme, lié à
la culture de l’internet. Réduire le temps au présent,
à l’immédiat, et penser qu’il faut toujours tout chan‑
ger. Et notamment dégager les sortants tous les dix

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La communication politique

ans… Pourquoi un politique de soixante-­dix ans est-­il


« dépassé » par rapport à celui qui a quarante ans ? Parce
qu’il faut que « ça change, que ça tourne ». Pourquoi le
jeunisme serait-­il une qualité pour la réalité politique ?
Les sociétés ont pratiquement toujours vénéré les
anciens, pourquoi l’inverse aujourd’hui ? Le jeunisme,
c’est la vitesse d’Internet. Oui à la vitesse, à condition de
ne pas confondre vitesse de traitement de l’information
avec capacité de compréhension du monde. D’autant
que l’on passe trop rapidement de la vitesse du traite‑
ment de l’information à l’illusion de la maîtrise et de
la connaissance. Avoir le monde à portée de main avec
le Smartphone contribue à donner l’impression de maî‑
triser le monde. Cela ne rend pas modeste, et renforce
plutôt le sentiment de toute puissance.
À la fois chacun est plus libre et plus indépen‑
dant, condition réelle de l’émancipation, mais en
même temps, on a tendance à croire que la maîtrise
de la compréhension, et de l’action, sur le monde
s’accroît avec le nombre d’applications. Jusqu’au jour
où il y aura une panne… On retrouvera la lenteur et
la complexité des choses. Le dégagisme ou l’idéologie
de la vitesse, de la compétence, de la sûreté de soi.
Bien sûr, cela n’a pas commencé avec le Smart‑
phone ! Notamment dans l’idéologie capitaliste libé‑
rale : passé cinquante ans, un individu est « dépassé »
et commence à coûter trop cher. Mais les performances
techniques renforcent l’idéologie libérale de la vitesse

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

et de la jeunesse. Les jeunes s’adaptent évidemment


rapidement au monde technique, mais l’erreur, liée
au point précédent est de faire du monde technique
le symbole du progrès. Pourtant chacun sait bien que
le temps est une variable plus complexe que la perfor‑
mance technique et qu’une société dépend de l’équi‑
libre entre les vieux et les jeunes, entre la vitesse des
techniques et la lenteur de l’Histoire et de l’expérience.
9 –  Une continuité artificielle entre compétence,
action, commentaire, communication
Puisque tout est transparent, chacun devient com‑
pétent. Résultat ? Autour d’un acteur, qu’il soit écono‑
mique ou politique, il y a maintenant une kyrielle de
commentateurs qui critiquent, et proposent. L’action et
le pouvoir étant dévalorisés, ou plutôt considérés comme
à la portée de chacun, ce sont les commentateurs, autres
experts et communicants qui deviennent centraux. Hier,
la spécificité de l’action valorisait l’acteur. Aujourd’hui,
la pseudo-­continuité entre information et action valorise
le communicant. Il n’y a plus de différence entre l’acteur
et le commentateur, et le communicant est omnipré‑
sent. Les réseaux et les plateaux de télévision regorgent
d’observateurs, d’experts… qui analysent tout. Tout le
monde sait tout, tout le monde a quelque chose à dire…
Chacun peut certes avoir une opinion sur tout, mais de
là à considérer qu’il pourrait, dans la continuité, devenir
l’acteur, il y a un fossé. Ce sont la complexité et surtout
la singularité de l’action qui sont niées.

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La communication politique

Aspect positif, la démocratisation permet aux


individus d’accéder à de plus en plus de connaissances.
Aspect négatif, ce n’est pas parce que l’on sait davan‑
tage de choses, plus rapidement, que l’on est capable
de tout commenter, et surtout de pouvoir agir plus
facilement. On ne voit plus la différence entre l’espace
politique, l’espace public et l’espace commun.
Un citoyen surinformé n’est pas forcément plus
qualifié pour devenir un acteur politique compétent.
Il subsiste une différence de nature entre l’information,
la connaissance et l’­action. L’idée générale ? Le citoyen
d’aujour­d’hui est intelligent et critique, mais cela ne
signifie pas que chacun d’entre nous puisse tout faire.
Il subsiste une spécificité bien particulière pour l’ac‑
tion, et chacun ne peut pas passer si facilement du
statut de commentateur à celui d’acteur ! Chacun
des mondes symboliques (information, connaissance,
communication, action) à ses logiques et ses limites.
Les gourous de la communication qui savent tout sur
tout et leurs cousins, les experts, ne peuvent pas deve‑
nir les maîtres de « la société numérisée »…
10 –  Les mondes virtuels face à l’expérience et à
l’action. On parle de tout, on accède à tout, et la mul‑
tiplication des applications banalise la distance entre
l’information et l’action. Tout est si facilement acces‑
sible qu’une sorte de continuité s’établit entre le monde
de l’information et celui de l’expérience. Or il s’agit bien
de mondes très distincts. L’expérience, l’action, la vie,

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

les responsabilités restent tout aussi difficiles qu’hier,


même si l’accès au monde paraît de plus en plus facile.
C’est la différence de nature entre le monde virtuel et
la réalité qui s’estompe. La frontière paraît dépassée.
Or elle subsiste. Accéder à tout ce qui est un progrès
ne signifie pas pour autant pouvoir tout faire. La dis‑
tinction est nette pour la politique. Chacun peut avoir,
et tant mieux, des opinions sur tout, mais la réalité et
l’expérience politique restent singulières. Agir pour l’Eu‑
rope, l’environnement, le respect de la diversité cultu‑
relle, est différent d’avoir des opinions sur ces sujets.
La réalité du village global, non seulement ne
réduit pas les incommunications culturelles, mais sur‑
tout ne simplifie pas les conditions de l’action, en
politique par exemple. Le raisonnement est identique
pour l’économie, la science, l’art… Les réseaux sociaux,
l’omni­présence de l’information, du direct, de la trans‑
parence, l’abondance des applications… ne résolvent pas
la différence de nature qui existe avec l’action et l’expé‑
rience. Les réseaux ne créent pas une « nouvelle réalité ».

Pour réduire ces contradictions


1 – Réaffirmer les distances entre politiques, journa-
listes et opinion publique. Que chacun reste à sa place !
Que les hommes politiques arrêtent le cousinage avec
les journalistes ; que les journalistes arrêtent de vivre

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La communication politique

en commandant et commentant les sondages ; que les


sondages ne soient plus présentés comme la « connais‑
sance de la société ». Retrouver au contraire les réalités,
voyager, enquêter, sortir des tweets et innombrables
réseaux, résister à la folie de la vitesse, du court terme et
de l’endogamie. Les visions du monde ne seront jamais
les mêmes et ce sont ces antinomies qu’il faut conser‑
ver à l’esprit. Chacun son rôle, l’information, l’action,
les connaissances. S’ouvrir sur les altérités de l’Europe.
Apprivoiser l’incommunication du monde devenu tout
petit, interactif, mais tellement incompréhensible au-­
delà des emprises de la consommation.
2 – Exercer son esprit critique à l’égard de l’explosion
de l’information. On a cru à juste titre pendant deux
siècles que l’information était le progrès. Elle l’est, parce
que l’esprit critique est toujours lié à l’existence de l’in‑
formation. Mais aujourd’hui elle explose, triomphante,
autant pour des raisons techniques qu’économiques ou
de liberté. Tout se mélange. Il faut faire le tri entre les
dimensions d’émancipation et toutes les autres. Arrêter
de s’imaginer que le monde est uniquement conduit
par l’information. D’abord parce que celle-­ci est liée
aux pouvoirs, comme le montre la puissance inouïe des
Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple). Ensuite,
parce que le monde n’est pas seulement régi par l’infor‑
mation. Certes, celle-­ci exerce un grand rôle, mais il y
a aussi les représentations, les idéologies, l’anthropolo‑
gie, mille autres choses. Évidemment, si on réduit le

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

monde à l’instantanéité et l’interactivité, l’information


est reine. Mais elle ne vaut rien sans les connaissances,
les idéologies, la mémoire, l’action et l’Histoire. Et les
discontinuités sont considérables entre ces différentes
logiques. La société de l’information n’existe pas. Dès
qu’on en sort, tout se complique.
3 –  Réfléchir aux liens de plus en plus complexes
entre information et communication. L’information,
c’est le plus simple, le message. La communication, le
plus compliqué, la relation. Et quand on introduit la
relation, on introduit le récepteur, donc l’autre, donc
l’incommunication. Ce n’est pas parce qu’il y a plus
d’information en ligne qu’il y a plus de communica‑
tion. Non seulement il y a de la perte en ligne, mais
il y a aussi des distorsions. La question centrale n’est
ni l’information, ni le message, ni l’émetteur, c’est le
récepteur. C’est-­à-­dire le début de l’incommunication
et la nécessité de la négociation. L’information, toujours
plus rapide et quantitative, butte de plus en plus sur la
lenteur de la communication. Et si le récepteur n’a pas
toujours raison, loin s’en faut, on ne peut pas l’éliminer.
Il faut faire avec lui… Informer n’est pas communiquer…
4 – Critiquer la nomenclatura journalistique, c’est-­
à-­dire la « classe supérieure » des journalistes. Rappeler
que le fondement du métier de journaliste n’est pas
d’être justicier, courtisan ou politique. La fonction
critique est indispensable, mais n’est pas l’essence du
métier. Ou plutôt, il faut réfléchir au triangle de plus

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La communication politique

en plus compliqué entre information-­ connaissance-­


critique, où cohabitent des logiques de temps et de
valeur différentes. Non seulement chacun doit rester à
sa place, mais l’avenir du journalisme dans un monde
saturé de méga données sera de plus en plus important.
Et fragile. Spécifier et valoriser son rôle est essentiel.
Agir pour rendre un peu plus modestes les communi‑
cants qui entourent la nomenclatura du pays. Non, ils
ne comprennent pas tout. Non, ils ne sont pas tout-
puissants. Non, il n’y a pas de gourous…
5 – Penser la classification de l’information. Il n’y a
pas une catégorie, ni une définition univoque de l’infor‑
mation, il y a en a plusieurs. J’ai distingué dès 1978/1980
cinq catégories  : l’information-­ presse, l’information-­
connaissance, l’information-­service,  l’information-­insti­
tutionnelle, l’information-­ relationnelle. Toutes ne
veulent pas dire la même chose, il faut casser le concept
de l’information dans sa fausse unité. Et en distinguer
les sens. C’est un travail critique, indispensable. L’info-­
presse et l’info-­service sont celles qui bénéficient le plus
d’Internet. Les plus complexes restent l’information-­
relationnelle, avec le poids des contacts humains, et sur‑
tout l’information-­connaissance, qui ne peut se réduire
à une somme d’informations. Il faut donc réfléchir à ces
distinctions, mais aussi à leurs points communs. Travail
épistémologique d’autant plus indispensable à effectuer
que les méga  données vont « étendre » encore plus le
champ de l’information… et ses marchés.

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

6 –  Réfléchir au statut des élites. Critiquer les


« élites people », les experts sûrs d’eux, les commenta‑
teurs omniprésents. Il y a trop de proximité entre eux.
La preuve, c’est la même poignée de personnes qui se
retrouvent comme éditorialiste et commentateur dans
tous les médias. Où est la diversité ? Il n’y a jamais eu
autant de supports, jamais autant d’uniformité dans
l’analyse de la réalité. Il faudrait accroître notamment
la présence du monde académique, mais aussi celle des
entrepreneurs, des poètes, des militaires, des artistes,
des religieux… Si un expert apporte une « réponse »,
une personnalité du monde académique par exemple
apporte « autre chose », pose aussi des questions, déplace
les problématiques et n’a pas toujours la réponse…
La réalité n’est pas un jeu de question-réponse…
Les journalistes réduisent souvent les personna‑
lités du monde académique à un statut d’« expert ».
C’est rassurant mais limité. Et la perversion de certains
académiques est alors de jouer le jeu. C’est au monde
académique de dire qu’une partie de ses compétences
peut être de l’expertise, et que l’autre partie reste de la
culture, de la tradition, du questionnement. Plus il y a
de faits et d’événements, plus on a besoin de distance.
7 –  Inventer pour la communication politique ce
qui existe pour la publicité. Dans la publicité, depuis les
années 1930, trois partenaires cohabitent, qui ne sont
pratiquement jamais d’accord entre eux : les annon‑
ceurs, les médias et les agences de communication. Il

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La communication politique

existe un organisme privé, l’ARPP (Autorité de régula‑


tion professionnelle de la publicité). J’y préside le CEP
(Conseil de l’éthique publicitaire) qui a pour fonction de
réfléchir aux enjeux globaux de la publicité. L’avantage
des trois instances de l’ARPP (CEP, CCP et JDP)1 est
que chacune est à la fois complémentaire et reste à sa
place. C’est la force de l’auto-­discipline. Il faudrait faire
la même chose avec la communication politique : orga‑
niser la cohabitation des logiques entre l’action, l’infor‑
mation, les sondages, l’expression et arbitrer les conflits.
Ce modèle d’autorégulation dans les faits, n’intéresse,
hélas, pas grand monde, mais serait pourtant très utile
pour comprendre un peu mieux le fonctionnement
de l’espace public. C’est ambitieux et plus utile que la
simple déontologie ou l’existence d’un ordre profession‑
nel. Cette méthodologie pourrait être élargie à d’autres
domaines où cohabitent plusieurs logiques, comme la
recherche ou l’éducation.
8 – Faire la critique des réseaux. Sortir de la mytho‑
logie « les réseaux sont la démocratie ». Avec la confu‑
sion entre extension de l’expression et démocratie. Où
est le progrès si l’expression généralisée ne se double pas
d’une capacité d’action ? Qui s’exprime et surtout quid
de tous ceux qui sont « hors réseaux ». La société ne se

1.  CEP – Conseil de l’éthique publicitaire, instance de réflexion ;


CPP – Conseil paritaire de la publicité, instance de concertation ;
JDP – jury de déontologie publicitaire, instance de contrôle.

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

réduit pas à une somme de réseaux. Mettre en pers‑


pective les réseaux par rapport à l’hétérogénéité indé‑
passable de la société permet de sortir des risques du
communautarisme inhérent aux réseaux. Ceci oblige à
ouvrir une réflexion critique sur le numérique, les méga
données, l’intelligence artificielle, l’humain augmenté,
l’École, l’Université, la société. Sortir du scientisme, du
technicisme et de l’économisme qui a envahi le numé‑
rique. Toujours le même constat : le poids de l’idéolo‑
gie technique, sans contrepoint critique.
9 – Pourquoi le silence absolu sur les Gafa ? Internet
est perçu, et encore plus avec l’extension des applica‑
tions, comme le symbole de la liberté. Mais la « condi‑
tion » de cette liberté et de cette émancipation, est
l’existence du plus grand système de contrôle politique,
économique, technologique et financier au monde. Les
Gafa sont les maîtres de la « révolution numérique ».
On n’en parle jamais. Comment valoriser à ce point la
liberté et oublier le contrôle ? Autrement dit, pour l’ins‑
tant, l’homme achète le sentiment de liberté, acquis par
ces outils, en contrepartie d’un silence sur les dimen‑
sions de pouvoir et de contrôle des quatre maîtres de
l’information. Arriver le plus vite possible à 7,5 milliards
d’internautes ne résoudra aucunement cette contradic‑
tion, mais au contraire la renforcera. Et pour étouffer
toute critique naissante, les Gafa sont prêts à équiper
gratuitement la planète… Pourquoi ce silence absolu
sur les enjeux de pouvoir économique, technique,

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La communication politique

politique ? Pourquoi cette schizophrénie entre séduc‑


tion des outils et réalité des rapports de force ?
Les élites intellectuelles ont une lourde respon‑
sabilité. Prêtes à toutes les concessions pour bénéfi‑
cier des recherches formidables sur l’IA, l’humain
augmenté, les universités virtuelles, les MOOCs…
elles n’exercent pas leur fonction critique indispen‑
sable. Où est l’esprit critique des scientifiques, des
universitaires d’il y a un demi-­siècle pour dénoncer
la dégradation de l’écologie ? On devrait les retrouver
aujourd’hui autour des Gafa pour faire le tri… Est-­ce
parce qu’il s’agit d’information, c’est-­à-­dire ce qui est
au cœur des connaissances, que les scientifiques ont
du mal à développer leur esprit critique ?
10 – Sortir de la fascination technique qui est deve‑
nue finalement le grand substitut à l’utopie politique
en crise. On a vu que la crise renforce le technicisme.
Jusqu’où ? Il faudra bien un jour sortir de l’idéologie
moderniste, cousine de l’idéologie technique, qui voit
le monde en binôme modernité/conservatisme, au pro‑
fit d’une vision plus complexe qui ne nie pas l’existence
des affrontements et des antagonismes. Le technicisme
devient parfois à son insu le moyen de reporter à plus
tard la nécessité d’une pensée critique pour sortir de cette
sorte d’unanimisme et distinguer les dimensions tech‑
niques, culturelles, sociales. Développer l’esprit critique
c’est faire confiance à l’École. Arrêter de taxer les ensei‑
gnants de réactionnaires parce qu’ils gardent une distance

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

par rapport à l’idéologie technique. Seuls l’École et tous


les lieux de formation peuvent permettre de ralentir, par
rapport à l’impérialisme de la vitesse et du quantitatif.

*
* *

En un mot, et pour confirmer la construction du


modèle que j’avais élaboré en 1989, soit il y a vingt-
huit ans, la communication politique n’a que peu
de choses à voir, malgré toutes les mutations inter‑
venues en trente ans, avec la caricature qui en a été
faite. Simplement, dans la politique, comme dans la
publicité, les stéréotypes ont la vie dure… La commu‑
nication politique n’est pas cette caricature de la mani‑
pulation, du marketing… qui supposent l’existence
d’un récepteur passif et manipulable.
En réalité, si l’on voulait un symbole du retard
de la réflexion théorique sur la communication, on
le trouverait dans cette sous-­ valorisation du rôle du
récepteur, et donc de l’altérité. Avec en symétrie la
domination de l’idée de manipulation. Mais qui dit
manipulation suppose de n’être pas soi-­même mani‑
pulé et de savoir, pourquoi et comment, les autres le
sont… Penser la communication politique, dans toutes
ses dimensions, c’est comprendre comment elle est le
véritable moteur de l’espace public. Un moteur qui doit
aujourd’hui échapper à une autre déviation du modèle

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La communication politique

démocratique : l’imperium du quantitatif. Le quanti‑


tatif est le cœur de la légitimité politique. Le gagnant
en politique est celui qui reçoit le plus grand nombre
de suffrages. Avec le succès massif d’Internet, on assiste
aujourd’hui à un glissement pervers dans lequel on
pense que le nombre équivaut à la vérité et à la légiti‑
mité. Mais en matière d’information, de connaissance
et de communication, il n’y a pas de lien direct, la
quantité ici n’est pas symbole de vérité. Et quid des dif‑
férences et des minorités ? Elles ne sont pas moins légi‑
times. Le règne du quantitatif accentué par toutes les
nouvelles technologies de communication risque bien
de renforcer une légitimité déplacée du quantitatif.
En conclusion, quels sont finalement les aspects
positifs et négatifs de ces nouvelles contradictions de
la communication politique, vingt-­cinq ans après ?
Six dimensions sont positives :
–  l’abondance d’information favorise toujours, fina‑
lement, la réflexion critique ;
– l’extension de la capacité d’expression élargit
l’espace public ;
–  les réseaux contribuent au jeu démocratique ;
–  les sondages éclairent partiellement les sociétés ;
– la crise des élites obligera celles-­ ci à regarder
autrement la société ;
–  la prise en compte du rôle du récepteur permet de
comprendre l’importance de la négociation et de
l’incommunication dans toute communication.

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Les nouvelles contradictions de la communication politique

Sept dimensions plus complexes obligent à un


vrai renouveau de réflexion :
– l’abondance de l’information, son statut, son
indus­trie, ses enjeux cognitifs et politiques ;
–  les rapports entre information, expression, com‑
munication et action ;
–  la réduction de la diversité de l’information au
moment où l’abondance de celle-­ci n’a jamais
été aussi grande ;
– la tyrannie de l’opinion publique, de l’expres‑
sion, des sondages et des réseaux qui introduisent
le règne du quantitatif, au nom de la démocratie
et mettent en cause finalement la légitimité du
régime majoritaire électif de la démocratie ;
– la fascination pour les techniques et les nou‑
velles applications, véritable fuite en avant pour
échapper aux contradictions de la communica‑
tion politique, humaine et sociale ;
– un réveil critique, indispensable pour mettre
en cause le pouvoir et l’hégémonie des Gafa.
Impossible de sauver la dimension d’émancipa‑
tion de la « révolution de l’information et de la
communication », sans introduire une politique
et une règlementation de ces industries ;
– une dernière chose, peut-­être la plus nécessaire
pour l’avenir. Faire du comparatisme des diffé-
rentes formes de communication politique. D’abord

103

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La communication politique

en Europe, où la ressemblance et les différences


sont finalement compréhensibles. Ensuite dans le
monde, par aires linguistiques et culturelles pour
domestiquer lentement cette incontournable
diversité culturelle. La communication politique
oblige toujours à tenir compte des différences
culturelles et politiques indépassables. Avec la
mondialisation, elle intègre inévitablement tous
les soubresauts de cette ouverture sans boussole.
En ce sens, la communication politique n’est pas
seulement le moteur de l’espace public national,
elle est aussi un des moteurs de cette inévitable et
difficile ouverture au monde. Un des « passeurs »
entre l’identité nationale et la diversité culturelle.

À lire

Wolton, Dominique, Communiquer c’est vivre. Entretiens avec


Arnaud Benedetti, Paris, Cherche-midi, 2016.
—, La communication, les hommes et la politique, Paris, CNRS
Éditions, 2015 (Odile Jacob, 2012).
—, Informer n’est pas communiquer, Paris, CNRS Éditions, coll.
« Débats », 2009.
—, Internet et après ? Une théorie critique des nouveaux médias,
Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2001.
—, Penser la communication, Paris, Flammarion, coll. « Champs »,
1998.
—, Éloge du grand public. Une théorie critique de la télévision, Paris,
Flammarion, coll. « Champs », 1993.

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Communication délibérative
et démocratie participative…
Éric Dacheux

Plus le marketing politique se développe et


plus le fossé se creuse entre les citoyens et leurs
élus (Dacheux, 2016). Pourquoi ? Sans doute
parce que les citoyens ne constituent pas seule‑
ment une opinion publique plus ou moins rétive
aux opérations de communication qui leur sont
adressées. Ce sont, également, des acteurs poli‑
tiques à part entière qui contribuent à la défi‑
nition de l’intérêt général. C’est pourquoi, les
citoyens sont aussi bien les destinataires que les
auteurs de la communication politique. Vu sous
cet angle, loin d’être une tumeur cancéreuse, la
communication politique est l’un des ventricules
de la démocratie. « La communication politique
sert à gérer la contradiction principale du sys‑
tème politique démocratique : faire alterner un
système d’ouverture aux problèmes nouveaux et
un système de fermeture destiné à éviter que tout
soit en débat permanent sur la place publique »
(Wolton, 1989, p. 36). Pour « gérer cette double

105

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La communication politique

fonction d’ouverture et de fermeture, poursuit


l’auteur, la communication politique assure
trois fonctions » qui sont : l’identification des
problèmes nouveaux, leur intégration dans les
débats politiques et l’exclusion des thèmes qui
ne sont plus l’objet de conflits.
Cette mise en lumière des rôles que joue la
communication politique permet de la différen‑
cier, nettement, de la propagande et du marketing
politique qui, par des voies différentes (la mani‑
pulation pour la première, la persuasion pour le
second), poursuivent le même objectif : fabriquer
de l’adhésion. Or, l’adhésion ne produit pas une
communauté politique, mais provoque une com‑
munion qui marque, non seulement la mort de la
communication, mais aussi la fin de la démocratie.
Car la vie démocratique n’est pas la perpétuation
d’un consensus à l’intérieur de règles préétablies,
mais un dissensus permanent. C’est la possibilité
de dire non, la possibilité de déclarer illégitime
une décision légitime qui est au cœur de la poli‑
tique démocratique (Lefort, 1986). Si, donc, il ne
faut pas confondre la communication politique
avec les techniques de persuasion et de manipula‑
tion utilisées en période électorale pour provoquer
l’adhésion des citoyens à un programme ou à un
candidat, il ne faut pas non plus tomber dans l’ex‑
cès inverse qui consiste à identifier communication

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Communication délibérative…

politique et information rationnelle, que cette


information soit échangée entre des participants
respectant des procédures préétablies (approche
dialogique) ou transmise par les pouvoirs poli‑
tiques à l’opinion publique (publicité politique).
Ainsi définie, la communication politique
n’est donc ni une manipulation, ni une métho‑
dologie de persuasion, ni un dialogue éthique, ni
même une transmission d’informations ration‑
nelles, mais un processus symbolique complexe
et ambivalent qui vise, par des moyens ration‑
nels et non rationnels, à faciliter la confrontation
d’opinions contradictoires dans l’espace public.
C’est pourquoi, nous nous proposons de
promouvoir une nouvelle approche –  délibéra‑
tive – de la communication politique basée sur les
travaux de Patrick Viveret (2006) concernant la
construction des désaccords. Partant du point de
vue que l’on ne partage pas tous, y compris dans
une même organisation, les mêmes manières de
percevoir, comprendre et agir, la construction de
désaccord consiste, selon ce philosophe, à iden‑
tifier les points qui font consensus et les points
qui font débat. Ce qui permet, d’une part, d’agir
de concert sur les points d’accord et, d’autre part,
de nourrir le débat démocratique sur les points
l’excès inverse qui consiste à identifier communica‑
tion politique et information rationnelle, que cette

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La communication politique

information soit échangée entre des participants


respectant des procédures préétablies (approche
dialogique) ou transmise par les pouvoirs poli‑
tiques à l’opinion publique (publicité politique).
Ainsi définie, la communication politique
n’est donc ni une manipulation, ni une métho‑
dologie de persuasion, ni un dialogue éthique, ni
même une transmission d’informations ration‑
nelles, mais un processus symbolique complexe
et ambivalent qui vise, par des moyens ration‑
nels et non rationnels, à faciliter la confrontation
d’opinions contradictoires dans l’espace public.
C’est pourquoi, nous nous proposons de
promouvoir une nouvelle approche –  délibéra‑
tive – de la communication politique basée sur les
travaux de Patrick Viveret (2006) concernant la
construction des désaccords. Partant du point de
vue que l’on ne partage pas tous, y compris dans
une même organisation, les mêmes manières de
percevoir, comprendre et agir, la construction de
désaccord consiste, selon ce philosophe, à identi‑
fier les points qui font consensus et les points qui
font débat. Ce qui permet, d’une part, d’agir de
concert sur les points d’accord et, d’autre part, de
nourrir le débat démocratique sur les points de
désaccord. Il y a donc, à la fois, agir stratégique
(défense de son point de vue sur l’intérêt général) et
agir communicationnel (recherche d’un consensus

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Communication délibérative…

partiel). Dans cette perspective, la construction de


désaccord est au centre de ce que nous appelons la
« délibération ».
Dans une vision classique incarnée par le
philosophe allemand J.  Habermas (1987 ; 1997),
la délibération peut se définir comme un échange
langagier rationnel entre égaux qui, sous certaines
conditions éthiques devant impérativement être
respectées, permet un accord. Nous nous écar‑
tons de cette définition restrictive et définissons la
délibération comme une construction de normes
communes à travers la confrontation de points de
vue différents portés par des acteurs égaux en droit
(un homme une voix). Ainsi, la délibération est,
pour nous, une forme de communication poli‑
tique visant l’intérêt général regroupant la publicité
de l’information (pour bien débattre il faut avoir
accès aux informations), la construction des désac‑
cords et l’approche dialogique (une fois les points
d’accord identifiés, il est possible de développer un
débat rationnel visant au consensus sur ces points).
Comme le montre le tableau ci-­dessous, la délibéra‑
tion politique se démarque donc des autres formes
de la communication visant le consentement poli‑
tique (la persuasion politique qui cherche l’adhé‑
sion, la symbolique politique qui vise la cohésion
et la négociation qui cherche un accord commun
préservant l’intérêt singulier des négociants).

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La communication politique

Tableau No 1 :
Deux approches opposées
de la communication politique

La délibération politique Le consentement


politique
Définition La construction de normes La construction de normes
communes à travers la communes à travers
confrontation de points l’adhésion aux décisions
de vue différents prises par les institutions
Problème Faire émerger une culture Obtenir l’adhésion
commune respectueuse des citoyens
des différences
Moyens Créer un conflit Cibler
intégrateur
Processus La communication La persuasion
principal
Composantes –  L’approche dialogique –  Négociation politique
–  La publicité de –  Persuasion politique
l’information –  Symbolique politique
–  La construction des
désaccords
Vision de la Participative Technocratique
démocratie (les citoyens doivent être (les citoyens choisissent
associés à ­l’élaboration des élites qui font pour
des normes qui les eux les choix nécessaires)
gouvernent)

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Communication délibérative…

Une telle approche délibérative de la com‑


munication politique ne prétend pas résoudre
tous les problèmes, en particulier ceux de la
participation des exclus à l’espace public qui est
l’un des grands défis des démarches de démocra‑
tie participative (Blondiaux, 2008). Cependant,
elle a le grand mérite de se démarquer d’une
approche persuasive de la communication insti‑
tutionnelle. Cette dernière, en cherchant à fabri‑
quer du consentement, mine l’esprit critique
pourtant nécessaire à la vitalité démocratique et
se rapproche alors dangereusement de la propa‑
gande (Chomsky et Herman, 2008). L’approche
délibérative de la communication, au contraire,
cherche à s’en démarquer radicalement en ravi‑
vant l’esprit critique des citoyens. Elle poursuit
donc un objectif totalement différent de celui du
marketing : non pas vendre un projet technocra‑
tique déjà réalisé à une population qui ne veut
plus écouter ceux qui ne l’écoutent plus, mais
créer une culture commune par l’intermédiaire
d’un « conflit intégrateur ».
En effet, le sociologue G. Simmel a montré
que le conflit est aussi un processus de sociali‑
sation (Simmel, 1995). Créer un conflit démo‑
cratique c’est donc produire une socialisation
démocratique. À condition, bien sûr, que ce
conflit ne soit pas destructeur du vivre ensemble

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La communication politique

mais, au contraire, vienne le renforcer. C’est, jus‑


tement, le cas des conflits portant sur l’élabora‑
tion de la norme juridique, de la loi commune.
En effet, comme le précise Simmel : « La sou‑
mission commune à la loi, la reconnaissance des
deux côtés que la décision ne doit être prise que
d’après le poids objectif des motifs, le respect des
formes qui sont considérées comme absolument
contraignantes par les deux parties, la conscience
que toute la procédure a lieu au sein d’un pou‑
voir et d’un ordre social, qui seuls lui donnent
son sens et la garantissent – tout cela fait que le
conflit juridique repose sur une large base d’unité
et de consensus entre les adversaires » (1995,
p.  50). Autrement dit, si comme le défend
Habermas (1997), le consensus est bien une
forme d’élaboration du droit, le conflit est éga‑
lement une source de la norme commune. C’est
même le signe d’une démocratie vivante, car sans
conflit le consensus n’est que pure idéologie,
unique vision commune de l’intérêt général.
Certes, le conflit peut aussi être destruc‑
teur, notamment lorsqu’il est porté par ce que
Simmel appelle une « pulsion d’hostilité » visant
la rupture des relations ou lorsque le conflit est
porté uniquement par l’amour du conflit ce qui,
selon Simmel, est rare en dehors du jeu (de la
compétition sportive). Or, nous l’avons dit, la

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Communication délibérative…

singularité de la société démocratique est d’être,


selon Lefort (1986), une société qui reconnaît
légitime le débat sur l’illégitimité d’une décision.
Pour le dire autrement, c’est la possibilité de
contester la légitimité d’une décision légitime qui
marque la véritable démocratie et la distingue des
régimes pseudo démocratiques comme celui de
la Russie actuelle. C’est donc le conflit, la contes‑
tation de la norme élaborée légitimement, qui est
au fondement de la démocratie entendue comme
gouvernement des citoyens par les citoyens selon
des lois qu’ils peuvent définir et récuser à tout
moment. Or, le conflit n’est jamais strictement
rationnel. Pour se déclencher, dit Simmel, il faut
de l’intérêt rationalisé mais aussi de la passion.
C’est donc en passionnant les débats publics que
l’on peut construire un conflit intégrateur qui
renforce la démocratie, donc légitime ses insti‑
tutions. Pour cela, il convient d’organiser des
débats publics sur des sujets qui clivent (le pro‑
tectionnisme, la fiscalité, la laïcité,  etc.) plutôt
que de développer une communication politique
aseptisée1 ou dangereusement unitaire2.

1.  À force de ne vouloir déplaire à personne on ne dit que des


banalités.
2.  L’unité se fait en rejetant l’autre. Ce dernier n’est plus l’adver‑
saire à combattre, mais l’ennemi à abattre.

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La communication politique

Une approche délibérative de la commu‑


nication politique peut accompagner un pro‑
cessus de mise en place d’une démocratie plus
participative, elle ne la crée pas de toute pièce.
Sans volonté politique de changer les pratiques,
l’évolution de la stratégie de communication ne
change rien à la démocratie. L’intérêt d’une com‑
munication politique délibérative est d’accompa‑
gner un processus revenant à l’essence même de
la démocratie : l’autonomie (Castoriadis, 1975),
la capacité à faire et à défaire constamment les
lois qui nous gouvernent. Pour résumer d’une
formule notre propos : ne plus nier le désaccord
permanent de nos sociétés démocratiques, mais
le valoriser.

Références bibliographiques

Blondiaux, Loïc, Le nouvel esprit de la démocratie, Paris, Seuil, 2008.


Castoriadis, Cornelius, L’institution imaginaire de la société,
Paris, Seuil, 1975.
Chomsky, Noam et Herman, Edward S., La fabrication du
consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Paris,
Agone, 2008.
Dacheux, Éric, Sans les citoyens l’Europe n’est rien. Pour une com-
munication publique au service de la démocratie, Paris L’Harmattan,
2016.

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Communication délibérative…

Habermas, Jürgen, Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997.


Habermas, Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel, tome  1
et 2, Paris, Fayard, 1987.
e e
Lefort, Claude, Essais sur le politique : xix et xx   siècles, Paris,
Seuil, 1986.
Simmel, Georg, Le conflit, Paris, Circé, 1995 (1918).
Viveret, Patrick, « Qualité démocratique et construction des
désaccords », in Caillé, Alain (dir), Quelle démocratie voulons-­
nous ?, Paris, La Découverte, 2006.
Wolton, Dominique, « La communication politique, construc‑
tion d’un modèle », Hermès, no 4, 1989.

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Le marketing politique
Gilles Achache1

Qu’entendons-­nous par modèle de la commu‑


nication politique ? Toute forme de communication
politique suppose que soit satisfait un certain nombre
d’exigences minimales. En nous inspirant du modèle
classique des conditions de la communication en
général, nous dirons que pour qu’il y ait communica‑
tion politique, il faut que soient définis :
– un émetteur, i.e. les conditions sous lesquelles
un acteur peut produire un énoncé politique ;
–  un récepteur, i.e. les conditions sous lesquelles
un acteur est visé et atteint par un énoncé poli‑
tique ;
– un espace public, i.e. les modalités selon les‑
quelles les individus se constituent en un récep‑
teur collectif. Puisque ce qui nous intéresse ici,
c’est la communication en tant qu’elle est poli‑
tique, en tant que communication dans et pour
une communauté ;

1.  Ce texte a été publié pour la première fois dans Hermès, no 4,
« Le nouvel espace public », 1989, p. 103-­112. La version origi‑
nale est en ligne sur : <https://www.cairn.info/revue-­hermes-­la-­
revue-­1989-­1.htm>.

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La communication politique

–  un ou des médias, c’est-­à-­dire que soient sélec‑


tionnées une ou plusieurs modalités selon les‑
quelles l’énoncé est pertinemment transmis, eu
égard à l’effet qu’on en attend (conviction, per‑
suasion, adhésion, etc.).

Dans nos sociétés ces conditions minimales


sont satisfaites de trois manières différentes, qui
constituent autant de modèles de la communication
politique, que nous avons baptisés : modèle « dialo‑
gique », modèle propagandiste et modèle marketing.

Le modèle dialogique
C’est le premier qui s’impose à nous comme
étant à la fois le plus ancien et celui qui est doté de la
légitimité la mieux assurée. Il se constitue autour du
mouvement des Lumières aux xviie et xviiie  siècles.
Le dialogue, au double sens d’échange de paroles et
de rationalité à plusieurs, y est présenté comme la
forme légitime de la communication politique.

Les acteurs de la communication politique


La compétence requise pour être acteur de la
communication politique est selon ce modèle de trois
ordres : les individus y sont rationnels, libres et égaux.

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Le marketing politique

La raison est ici entendue en deux sens. Elle est


tout d’abord ce que l’on pourrait appeler une faculté
« communicationnelle ». Elle n’est rien d’autre que la
capacité de tout homme à énoncer un argument qui
puisse être compris par n’importe quel autre homme.
Réciproquement, elle est la capacité à comprendre un
tel argument. La raison est la condition sans quoi on
ne saurait concevoir le dialogue. Elle est la présup‑
position qu’il faut bien faire dès lors que l’on entre‑
prend d’échanger ses arguments avec autrui. Je ne
m’efforce de convaincre autrui que dans la mesure où
je suppose que les raisons sur lesquelles je fonde ma
persuasion peuvent également devenir celles de mon
interlocuteur.
Le second trait de la rationalité est sa préten‑
tion à pouvoir énoncer un discours de validité uni‑
verselle. Si un discours rationnel est compréhensible
par tous, et peut éventuellement être admissible par
tous, c’est que la validité de son contenu est iden‑
tique pour tous. La prétention de la raison est donc
de tenir un discours dont l’adresse comme le contenu
sont universels.
La liberté de l’interlocuteur n’est pas primor‑
dialement la liberté de s’exprimer. Être libre dans le
modèle dialogique, c’est être capable de maîtriser en
soi toute détermination psychologique qui pourrait
perturber l’exercice de la raison, notamment tout ce
qui relève de sa particularité personnelle, ses affects

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La communication politique

et ses sentiments. La liberté consiste à maintenir et


à reproduire pour soi la distinction du public et du
privé (du rationnel et de l’affectif), et à ne pas laisser
influencer son opinion par des motifs ou des puis‑
sances qu’on ne saurait expliciter et rendre clairs pour
soi-­même et pour autrui. La liberté est donc la condi‑
tion qui permet d’évacuer la passion du discours
politique.
L’égalité consiste ici en ce que la compétence
pour prendre la parole ou pour comprendre celle que
l’on vous adresse est suffisante pour chaque individu.
Pour dire les choses dans les mots de la tradition :
« le bon sens est la chose du monde la mieux parta‑
gée ». Cette égalité suffit à fonder une réversibilité de
la relation émetteur/récepteur. Grâce à elle, chacun
peut prendre alternativement la place de l’autre au
gré de l’échange des arguments. Aucun rôle n’appar‑
tient en propre à aucun acteur. L’homme politique
n’est en fin de compte rien d’autre que l’un d’entre
nous.

L’espace public
L’espace public, dans le modèle dialogique est
d’abord défini par son contenu ; plus exactement par
un principe de sélection du contenu des énoncés qui
y sont mis en circulation : l’intérêt général (ou aussi
le bien commun). Pour le modèle dialogique, l’idée

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Le marketing politique

de l’intérêt général joue en effet un rôle discrimi‑


nant dans la communication politique en ce qu’elle
constitue l’exigence pour tous les énoncés échangés,
à ne porter que sur ce qui intéresse tout le monde au
même titre : l’intérêt commun. L’intérêt général ne
désigne donc pas un contenu déterminé sur lequel
tout le monde s’accorde. Il s’agit plutôt de l’idée
finale d’un accord possible en droit, vers lequel on
tend mais auquel, en fait, on ne parvient pas. Par
suite, la position de cet accord final à l’horizon de
l’espace public, fonde en retour celui-­ci comme le
lieu de sa recherche et de son élaboration commune
par l’échange des arguments.
Du point de vue de sa définition positive dans
le modèle dialogique, l’espace public comme espace
de communication, est caractérisé par deux traits soli‑
daires : l’homogénéité et la continuité. L’homogénéité
signifie que par principe, le sens de ce qui s’échange
dans la communication politique est le même pour
tous. On ne saurait y concevoir des communications
particulières dont le sens exigerait, pour être compris,
une grammaire particulière et spécifique. L’espace
public de la communication politique comme dia‑
logue est un. Le caractère de continuité de l’espace
public découle de son homogénéité.

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La communication politique

Les médias
Enfin le modèle dialogique opère une sélection
parmi les médias qui conviennent le mieux à la circu‑
lation des énoncés. D’une manière générale, il préfère
le discours à l’image, et par suite les médias discur‑
sifs. Pour la tradition rationaliste dont le modèle
dialogique est l’expression, l’image est toujours sus‑
pecte : elle a moins de sens que de puissance. Une
image n’est pas dialogique. Et elle demande plus à
être éprouvée qu’à être comprise. Elle s’adresse à
notre sensibilité, c’est-­à-­dire à cette dimension psy‑
chologique qui précisément ne relève pas de l’espace
public.

Le modèle propagandiste
Avec la propagande, nous sommes dans le
théologico-­politique, ou plus exactement dans une
forme théologique du politique. En premier lieu,
le terme même de propagande tient son origine de
l’Église avec la création en 1597, de la Congregado
de Propaganda Fide par le Vatican. Le terme gardera
cette connotation directement religieuse jusqu’au
début du xxe  siècle. Mais après que la propagande
s’est laïcisée quand à son contenu avec l’apparition
des partis de masse, elle gardera sa forme théologique.

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Le marketing politique

La propagande organise en effet sa communication


en posant comme instance dernière une réalité trans‑
cendante à l’espace de la communication lui-­même.
La propagande, c’est ce discours dont la référence est
la Terre Promise, la société sans classe, le Reich mil‑
lénaire,  etc. D’une manière générale il s’agit de ces
objets qui font les thèmes des grands récits politiques,
les idéologies. Le propre de tels récits, c’est qu’on ne
les discute ni ne les réfute. Ils échappent par nature
à l’évaluation et à la critique. C’est pourquoi le type
de conviction qui leur est attaché relève de la foi, de
la croyance, en tout cas d’une certitude indiscutable.
L’espace politique que suppose le modèle propagan‑
diste, c’est la communauté des croyants. C’est-­ à-­
dire une communauté qui se constitue moins dans
un partage de la parole que par celui d’une écoute.
Le modèle en est donc moins celui d’une assem‑
blée, organisée selon les règles de la réciprocité des
échanges, que celui d’une assistance, d’un auditoire.

Les acteurs
Le modèle propagandiste distingue les acteurs
selon des rôles qui ne sont ni réversibles ni inter‑
changeables. Certains parlent, d’autres écoutent. Il
y a une hiérarchie et un déséquilibre des rôles. C’est
ce déséquilibre et cette hiérarchisation des rôles que
relève Arendt (1958) quand elle voit la propagande

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La communication politique

totalitaire comme la rencontre entre l’élite et les


masses. L’émetteur, celui qui parle, c’est l’être d’élite,
celui dont le discours est légitime du fait que sa per‑
sonne est investie par les forces qui animent les grands
récits. C’est le visionnaire, l’intercesseur, l’élu chargé
d’une mission au regard de la destination historique
du corps politique : un chef et un guide. Le récep‑
teur de la propagande est défini par deux traits : son
nombre et son affectivité. La propagande est en effet
destinée aux foules. Le peuple à qui s’adresse la propa‑
gande, ce n’est pas le peuple qui s’est constitué par la
libre association d’individus volontaires. J. Ellul note
ainsi qu’avec la propagande moderne, « on cherche à
modifier une opinion publique dans son ensemble,
à obtenir des comportements de masse. En même
temps, on essaie d’utiliser le phénomène de masse
en tant que tel pour favoriser la propagande » (Ellul,
1967, p.  124). Pour ce qui est de la dimension de
la vie psychique à laquelle elle s’adresse, la propa‑
gande vise plus volontiers le sentiment que la raison.
Dès lors qu’il s’agit de produire ou d’entretenir une
croyance, la propagande se propose de susciter un sen‑
timent d’adhésion, plutôt que de fournir les éléments
d’un choix. Le modèle propagandiste suppose en effet
que la raison n’est pas le niveau pertinent de la com‑
munication politique, mais qu’il existe par-­delà la rai‑
son une couche psychologique constitutive du sens à
la fois plus profonde et plus déterminante.

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Le marketing politique

En conséquence, le récepteur de la propagande


n’est pas visé comme sujet libre et individuel, mais
comme sujet collectif et dominé par ses affects. De
la même façon que la raison structure l’espace de la
communication politique dialogique, c’est l’affect qui
joue le rôle pour la communication propagandiste.

L’espace public
En tant qu’espace de la communication, l’es‑
pace public du modèle propagandiste est continu et
homogène. Mais il l’est à la manière d’une compa‑
cification, d’une fusion des individus qui écoutent le
leader. C’est pourquoi l’unité de la foule/auditoire est
obtenue entre autres par l’exclusion de tout ce qui se
refuse à cette compacification, de tout ce qui ne par‑
tage pas l’affect commun, l’identité du sentiment.

Les médias
Pour ce qui est des modes de communica‑
tion privilégiés, le modèle propagandiste se présente
comme le symétrique inverse du modèle dialogique.
L’image trouve en effet ici la place qu’on lui refusait
tout à l’heure et précisément pour les mêmes raisons
qui la faisaient tenir en suspicion. C’est pourquoi à
la différence de l’image républicaine, l’allégorie est un
genre peu couru par la propagande. Elle lui préfère
le sigle, c’est-­à-­dire une image qu’il s’agit moins de

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La communication politique

déchiffrer ou d’interpréter que d’identifier et d’inves‑


tir. Le sigle est en effet cette image qui non seule‑
ment n’en appelle pas au discours, mais le décourage.
Qu’on songe, par exemple, à la croix gammée dont
on s’interroge encore sur le sens. Le discours se
trouve contaminé par la puissance que l’on réservait
à l’image. C’est par la forme du discours, son aspect
proprement dynamique, plutôt que par son contenu,
qu’agit la propagande.

Le modèle marketing
Le marketing politique présente un paradoxe2.
Il est aujourd’hui le modèle dominant de la commu‑
nication politique, et cependant, il a lui-­même une
assez mauvaise image. Sa légitimité reste encore à
constituer. On continue de penser qu’il y a quelque
chose d’insatisfaisant sur le plan éthique à « vendre
un candidat comme une savonnette », pour reprendre
le reproche traditionnel. On demandera donc com‑
ment un mode de communication peut ainsi se déve‑
lopper avec une légitimité si faible, précisément dans
un domaine, la politique, où la question de la légi‑

2. Pour un panorama plus complet sur cette question, lire


Thomas Stenger (dir.), Le marketing politique, Paris, CNRS
Editions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2012 (NdE).

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Le marketing politique

timité est centrale. Si, avec le modèle propagandiste,


le politique se présentait sous la forme du théolo‑
gique, avec le marketing il se présente sous une forme
commerciale. Quel est le sens d’une telle représen‑
tation ? Tout autre chose, en tout cas, que la (trop)
simple idée que l’on vend un candidat et que les élec‑
teurs l’achètent.
Retournons brièvement aux conditions de nais‑
sance du marketing lui-­même. L’apparition et le déve‑
loppement du marketing sont liés à la saturation du
marché de masse, dont il constitue une solution. Le
marketing est une des deux réponses que le capita‑
lisme a apportées au problème de l’extension de ses
marchés, rendue nécessaire par les contraintes de la
concurrence. La première fut l’impérialisme. Elle a
consisté à ouvrir de nouveaux marchés à l’extérieur.
L’autre, celle du marketing, a été de réarticuler le
marché à l’intérieur. C’est-­à-­dire de le redéfinir non
plus comme une réalité homogène et continue (le
marché de masse standardisé), mais plutôt comme
un assemblage de différentes zones, ce que les gens de
marketing appellent des « segments », chacun étant
caractérisé par une demande spécifique et distincte des
autres segments. La représentation qui préside à cette
opération de redéfinition du marché est que la sphère
des besoins se caractérise par une essentielle diversité.
Tous les besoins ne sont pas classés identiquement par
tous les acteurs. Il n’y a pas une seule hiérarchie des

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La communication politique

préférences pour l’ensemble des marchés. Il en existe


au contraire plusieurs, qui définissent autant de mar‑
chés. Une même valeur d’usage, un même produit,
n’est pas demandé de la même manière par tout le
monde, chaque segment du marché en exige sa propre
version. Le marketing a ainsi mis en œuvre une série
de critères de segmentation du corps social, afin de
mieux cerner la demande, mieux définir les marchés.
C’est pourquoi au développement du marketing est lié
celui des sondages, en tant que techniques de descrip‑
tion du corps social par segmentation sociographique.
Dans son sillage sont également apparues des tech‑
niques d’analyse plus qualitatives, telle la sociologie
des « styles de vie », des « socio-­styles » développés par
des organismes liés à des agences de publicité.
La mise en œuvre de ces techniques d’étude
des marchés conduit à la représentation d’un corps
social désarticulé, marqué d’hétérogénéité. Les rai‑
sons de cette segmentation sont, comme on l’a dit,
de rendre possible une lutte entre les forces concur‑
rentes que sont les entreprises. Cependant, cette lutte
n’est pas une lutte à mort. Les batailles auxquelles
elles donnent lieu ne consistent pas nécessairement
à chercher la mort de l’adversaire, mais plus simple‑
ment à lui infliger une défaite relative. Il ne s’agit pas
tant d’obtenir la totalité du marché (ce qui d’ailleurs
n’a plus guère de sens) que d’en obtenir des parts. La
concurrence est l’horizon indépassable du marketing.

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Le marketing politique

C’est cette représentation du social sous les espèces


de la diversité : diversité des marchés, diversité des
entreprises, que le marketing importe dans la poli‑
tique, et à partir de laquelle il repense l’espace public.
Puisque le marketing s’installe d’entrée de jeu dans
un univers politique à la fois pluriel et concurrentiel
qu’il accepte comme tel, il s’agit moins pour lui de
réduire cette diversité que de la gérer, de l’aména‑
ger à la marge. Ainsi, à la différence des deux autres
modèles de la communication politique que nous
avons vus, le marketing politique ne suppose aucun
point de vue, aucune valeur substantielle (ni inté‑
rêt général ni grand récit) par rapport à quoi devrait
s’organiser la totalité de l’espace de la communication
politique. N’en supposant aucun, il peut se mettre au
service de tous. C’est pourquoi il se présente comme
un ensemble de techniques purement instrumentales.

Les médias du marketing


Par principe, le marketing politique n’en exclut
aucun, se réservant la possibilité de les utiliser tous de
la manière la plus expédiente en fonction du segment
visé. Toutefois la publicité joue dans les moyens du
marketing politique un rôle privilégié. Ce privilège
accordé à la publicité permet de saisir comment le
marketing politique vise le destinataire de la commu‑
nication politique.

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La communication politique

Le récepteur
On sait que la publicité est d’autant plus effi‑
cace pour un produit, que l’achat de celui-­ci implique
peu celui qui l’effectue. Moins un acteur s’inves‑
tit dans son achat et moins il aura tendance à tester
les informations que lui communique la publicité, à
l’évaluer de manière rationnelle, et plus il se laissera
séduire par elle. Tout le monde sait en effet que la
publicité, ce n’est pas « sérieux ». On ne consent à la
regarder et à se laisser influencer par elle qu’à partir
du moment où il est admis que tout cela, au fond,
n’est qu’un jeu. C’est une des raisons qui font que
l’humour est un des ressorts les plus constants de la
publicité. Une publicité qui prendrait son auditoire
complètement au sérieux, et lui parlerait comme on
parle dans les livres, raterait très sûrement son effet.
Par suite, l’individu que vise la communication
politique selon le marketing est d’une part identifié
et visé à travers un segment social, et d’autre part
n’est investi, « impliqué », dans la politique que par‑
tiellement. Pour le marketing politique, l’existence
politique d’un individu ne résume ni n’engage son
existence en général. Elle n’est qu’une dimension,
parmi d’autres, qui se compose sans s’y opposer avec
les autres dimensions de son existence.

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Le marketing politique

L’émetteur
Le marketing politique, du fait qu’il se situe
dans un espace concurrentiel, ne peut supposer a
priori aucune légitimité à partir de laquelle un acteur
serait autorisé à parler. La légitimité selon le marke‑
ting ne tient pas à l’aptitude de l’homme politique à
incarner les forces qui meuvent l’histoire, ni à sa com‑
mune nature avec n’importe qui d’autre. Les légiti‑
mités pour le marketing peuvent être d’autres choses
encore. Aucune n’a un caractère obligatoire et exclu‑
sif par rapport aux autres. En fait sa légitimité est à
construire. Les conditions n’en sont pas définies par
avance. Cette construction s’opère par l’accumula‑
tion de traits qui, mis bout à bout, constituent ce que
l’on appelle une image, ou plus psychologiquement,
une personnalité. Il s’agit pour celui qui veut inter‑
venir dans le champ de la communication politique,
de composer sur lui-­même le plus grand nombre de
traits possibles, afin qu’à son association se compose
dans le corps social le plus grand nombre de seg‑
ments. Ainsi n’est-­il pas utile de chercher à les com‑
poser tous puisqu’il suffit d’en réunir sur soi 51 %.

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La communication politique

Références bibliographiques :

Arendt, Hanna, The Origins of Totalitarianism, New-­York,


Meridian Books, 1958. (Traduction française, Le système totali-
taire, Paris, Seuil, 1972.)
Ellul, Jacques, Propagandes, Paris, Economica, 1990

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Le phénomène Berlusconi :
ni populisme ni vidéocratie,
mais néo-­politique
Pierre Musso1

Silvio Berlusconi représente un phénomène ori‑


ginal, et même un cas unique, puisqu’il est le seul chef
d’entreprise du secteur des médias qui ait accédé, à
deux reprises, aux fonctions de Premier ministre dans
une grande démocratie. Les raisons de son double
succès tiennent, pour beaucoup d’observateurs, au
fait qu’il possédait trois grands réseaux nationaux de
télévision qui, en informant les électeurs, auraient
influencé, voire « déterminé », leurs choix électoraux.
La plupart des commentaires venus des dirigeants
politiques ou des « politologues » ont fonctionné
sur ce registre. En 1994, Laurent Fabius qualifia le
phénomène de « télé-­populisme », L’Événement du
Jeudi fit sa couverture sur le « téléfascisme » et le Wall
Street journal évoqua pour sa part, la « tycooncracy ».

1.  Ce texte a été publié pour la première fois dans Hermès, no 42,
« Peuple, populaire, populisme », 2005, p.  172-­180. La version
originale est en ligne sur : < https://www.cairn.info/revue-­hermes-­
la-­revue-­2005-­2.htm>.

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La communication politique

Dès l’entrée de Berlusconi en politique, Vincenzo


Vita, responsable du secteur communication au Parti
des démocrates de gauche, mit en garde contre les dan‑
gers du « péronisme électronique ». Le phénomène
Berlusconi était si dérangeant par rapport aux ratio‑
nalités traditionnelles du politique en Europe qu’il
fallait de toute urgence le classer dans une formule
boîte, comme pour mieux le conjurer en tant qu’« acci‑
dent ». Le télé-­populisme fit l’affaire. Or Berlusconi
s’est inscrit dans la vie politique italienne comme un
phénomène politique durable. Les interprétations de
sa seconde victoire de 2001 ont ajouté le qualificatif
de « populisme de droite » à la thèse de la vidéocratie.
Ce faisant, le phénomène Berlusconi a été plus sou‑
vent diabolisé qu’interprété. Umberto Eco a justement
souligné l’insuffisance d’analyse du « cas italien » trop
vite réduit à un nouveau césarisme (Bocca, 2002),
sinon même à un « populisme médiatique » (Candiard,
2003).

Populisme ou popularisme ?
La notion de populisme, au contenu flou, vise
en fait à disqualifier a priori le personnage politique
et à invalider sa démarche, tout en limitant le travail
d’interprétation.

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Le phénomène Berlusconi : ni populisme ni vidéocratie…

Quelle est la portée de cette étiquette « popu‑


liste » ? S’agit-­il de classer sa coalition à l’extrême-­
droite ? Or, elle occupe sur l’échiquier politique le
centre-­droit et a même récupéré une bonne partie
de l’électorat de l’ancien Parti socialiste. S’agit-­il de
comprendre son irruption soudaine dans la poli‑
tique ? Désormais, il s’y est installé depuis onze ans
et dirige un gouvernement qui a déjà la plus longue
durée de vie depuis l’après-­ guerre, avec plus de
50 mois d’existence. S’agit-­il d’indiquer qu’il est hors
–  voire anti  – système politique traditionnel ? C’est
ce que le Cavalière ne cesse de revendiquer pour se
démarquer de la « partitocratie2 », mais la question
demeure de savoir au nom de « quel ailleurs » il parle.
L’ambiguïté de la notion de « populisme »,
clef de son usage inflationniste, n’offre pas un éclai‑
rage suffisant sur ce phénomène. Elle sert avant
tout de marqueur idéologique péjoratif et, combi‑
née à la manipulation médiatique, elle finit par dis‑
créditer le politique. Le populisme serait la maladie
infantile (dans les pays en développement) ou sénile
(dans les pays industrialisés) de la démocratie. Paolo

2.  La partitocratie est le nom donné à un régime politique où plu‑


sieurs partis se partagent à l’amiable le pouvoir, en fonction de leur
influence électorale respective, et où ils se partagent également des
postes étatiques ou des allocations publiques pour satisfaire leur
clientèle électorale.

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La communication politique

Flores d’Arcais, philosophe italien et directeur de la


revue MicroMega, résumait ainsi : « C’est un popu‑
liste représentant un régime nouveau non démocra‑
tique, en partie péroniste… en partie vidéocratique »
(Libération, 13 septembre 2003). Le cocktail berlus‑
conien se réduirait donc à additionner populisme,
TV et publicité : autant d’éléments symboliques qui
le disqualifieraient aux yeux d’un idéal démocratique
fondé sur le débat argumenté et l’écrit.
Jean-­Gustave Padioleau a avancé la notion plus
intéressante de « popularisme », dans lequel, dit-­ il,
Berlusconi excelle (Padioleau, 2003). « Le popula‑
risme est une forme générale de l’action politique
[…]. Mettre en scène l’agir suffit au popularisme.
Impressionner, frapper, décider deviennent des preuves
manifestes de l’efficacité. La production d’effets subs‑
tantiels s’efface devant l’impératif de séduction […].
Le popularisme manipule, à bon marché, les ressorts
du consumérisme de satisfaction d’opinions. Il ne
connaît que le tempo de l’urgence, de la vitesse et de
l’immédiat. Il renvoie à plus tard les tests de l’action
efficace ou, avec adresse, tente de les faire oublier. Il
se soumet aux diktats d’un seul objectif : gagner le
pouvoir et le conserver ». Si certains traits du popu‑
larisme caractérisent Berlusconi, son action s’est
installée dans la durée, prise dans les institutions de
la République et le jeu politique classique, et s’est
donc inscrite en dehors de ce concept. Populisme

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Le phénomène Berlusconi : ni populisme ni vidéocratie…

et popularisme désignent plus qu’ils n’expliquent le


phénomène qui doit être appréhendé dans sa com‑
plexité et dans sa durée.
Le mystère Berlusconi est d’autant plus fort que
le personnage est biface : chef d’entreprise et homme
politique, animal mi-­politique et mi-­télévisuel, leader
médiatique surexposé et homme d’affaires obscur. Le
Cavaliere possède une grande capacité à passer d’une
figure à l’autre. Il définit lui-­même son savoir-­faire
comme une combinaison de rêve et de pragmatisme.
C’est ce savoir-­ faire mêlant fiction et action, que
Berlusconi applique dans les affaires et en politique.

L’art de la néo-­télévision commerciale


Si la télévision a contribué au succès politique
de Berlusconi, c’est moins comme un instrument de
manipulation de l’opinion que comme une machine
à « fictionner » une société et à dramatiser le débat
public. La « néo-­ télévision » de Berlusconi a joué
un rôle majeur, mais indirect, dans son dispositif de
conquête du pouvoir. C’est l’art de la programma‑
tion dans la néo-­télévision commerciale, c’est-­à-­dire
la capacité à choisir et à assembler des programmes en
fonction des désirs des téléspectateurs et des annon‑
ceurs, et non la télévision considérée globalement,

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La communication politique

qui s’avère être une arme redoutable dans le champ


politique. En fait, il ne s’agit même pas de « la » télé‑
vision, mais d’un type particulier de néo-­télévision
commerciale italo-­ américaine, mis au point par
Berlusconi à la fin des années 1970 et opposée sys‑
tématiquement à la RAI publique. La programma‑
tion des chaînes de la néo-­télévision commerciale de
Berlusconi, composée surtout de fictions et de varié‑
tés, est une télévision de la catharsis qui divertit, fait
s’évader et rêver : une télévision relationnelle et émo‑
tionnelle, avec publicité pré-­ insérée pour financer
cette industrie du rêve.
Dans son laboratoire télévisuel, Berlusconi a
expérimenté avec ses équipes ce savoir-­faire particu‑
lier de « programmateur » de la néo-­télévision com‑
merciale qu’il a pu, par la suite, exporter et imposer
dans un champ politique en ruines. Une connaissance
quasi-­ethnologique de la société italienne résulte du
travail très sophistiqué de la programmation télévi‑
suelle qui suppose une étude fine et dynamique des
désirs et attentes des téléspectateurs, une contre-­
programmation par rapport aux concurrents, en
l’occurrence la RAI, et une forte intuition, voire une
capacité créatrice, pour assembler ces programmes
dans une grille attractive. Le « rêveur pragmatique »
est un praticien de la vente d’imaginaire et de fictions
destinés au plus grand nombre. Son expérience du
négoce des biens immatériels, amplifiée par l’exercice

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Le phénomène Berlusconi : ni populisme ni vidéocratie…

du management de son groupe, la Fininvest, lui a


permis de développer la manipulation des signes et
symboles. Ce know-­how a donné à Berlusconi les clefs
de ses succès économiques et politiques.
Ainsi sa carrière d’entrepreneur passe de la
vente de « rêves » dans la promotion immobilière
et la finance dans les années 1960-­1970, à la télévi‑
sion durant la décennie 1980, pour entrer en poli‑
tique au début des années 1990. L’invariant dans ses
déplacements d’activités, c’est sa capacité à faire rêver
le consommateur et le citoyen. Il vend un rêve (ses
détracteurs disent qu’il vend du vent) dont il est le
producteur et un des messagers, avec ses proches. Il
n’exerce donc pas une séduction directe par simple
identification à sa personne, mais il sait produire des
clones, des médiateurs à son image, des copies fidèles.
Ainsi, le footballeur de son club du Milan AC, le
commercial de sa régie Publitalia, l’élu de son parti
Forza Italia ou l’animateur de ses chaînes de télévi‑
sion, tous deviennent des représentants « berlusclo‑
nés », mettant en valeur leur référent. Berlusconi
sait construire une fable pour séduire des consom‑
mateurs, puis se présenter comme le médiateur de ce
rêve, entouré de stars reflétant son image, et enfin,
le réaliser dans un produit ou un service. Il est un
représentant, au sens commercial du terme et au sens
symbolique, c’est-­à-­dire un messager des rêves qu’il
promeut. Ce ne sont ni la propriété de télévisions, ni

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La communication politique

son charisme qui, à eux seuls, expliquent sa victoire


politique en 1994, puis sa répétition sous une autre
forme en 2001, mais bien sa « praxis managériale de
l’imaginaire » qui porte remède à une crise profonde
de la représentation politique traditionnelle.

La réponse médiatique
à la crise de la politique
Après la chute du Mur de Berlin et avec l’en‑
quête Mani Pulite (« mains propres ») des juges ita‑
liens, se produisit au début des années 1990 en Italie
un vide politique qu’aucun autre pays européen n’a
connu, entraînant la disparition de plusieurs par‑
tis politiques, notamment la Démocratie chrétienne
(DC) et le Parti socialiste italien (PSI) qui gouver‑
naient ensemble depuis les années 1960. De ce fait,
les deux grandes forces culturelles, idéologiques et
politiques du pays, à savoir les courants démocrate-­
chrétien et communiste dont les positions opposées
se confortaient réciproquement depuis l’après-­guerre,
éclatent. Anti-­communisme et anti-­ catholicisme se
renvoyaient l’un à l’autre depuis plus de quarante
ans : Berlusconi vient occuper l’immense vide créé
au « centre » de l’échiquier politique, en se position‑
nant « anti-­partis » et « anti-­État », récupérant l’espace

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Le phénomène Berlusconi : ni populisme ni vidéocratie…

libéré par l’explosion de la DC et la disparition du


PSI.
Si l’on veut bien considérer que le politique est
d’abord une affaire de symbolique, on peut dire que
Berlusconi « remplit le vide politique », grâce à une
idéologie construite dans son entreprise, combinant
le discours du management et les techniques de la
télévision commerciale. Dans le contexte très parti‑
culier de crise dramatique que connaît l’Italie dans
les années 1992-­ 1994, Berlusconi sait utiliser une
idéologie puissante issue de l’entreprise de médias
pour conquérir le pouvoir. Berlusconi théâtralise le
discours managérial en le rendant télévisuel, c’est-­à-­
dire en le transformant en un spectacle : il construit
le « rêve » d’une Italie-­ entreprise moderne, euro‑
péenne, efficace, d’une Italie du plein emploi, qui
« gagne », comparable à son groupe, la Fininvest, et
à son parcours personnel de self-­made man. Maître
du « management du désir », il sait toujours offrir
aux consommateurs les produits et services qu’ils
attendent. En 1993, il fallait un nouveau parti poli‑
tique, pour remplir l’espace laissé vacant par les forces
traditionnelles, il le crée en quelques mois à partir de
la régie publicitaire de son groupe et le nomme Forza
Italia, slogan que tous les supporters de l’équipe
nationale de football crient sur les stades ou devant
leur téléviseur.

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La communication politique

Le Cavaliere purge ainsi la politique et la « rem‑


plit » d’un nouveau contenu, la symbolique mana‑
gériale, télévisuelle et sportive. Il importe dans le
champ politique les techniques de programmation et
de contre-­programmation télévisuelle utilisées pen‑
dant vingt ans, dans son combat frontal contre la
RAI. Son ennemi constant demeure le secteur public
et l’État, l’impôt, la bureaucratie et la partitocratie.
Dès lors, Berlusconi peut achever un processus de
conquête du pouvoir télévisuel et obtenir la victoire
définitive sur son adversaire public. Dans ce schéma,
le politique est instrumentalisé par l’entrepreneur de
télévision, et non l’inverse. C’est moins la télévision
qui permet de conquérir le pouvoir politique, que le
politique qui devient de « l’audiovisuel continué par
d’autres moyens ». Berlusconi a poursuivi dans le
champ politique, le travail de l’industrie du divertis‑
sement et de l’imaginaire, en injectant les techniques
de mises en scène de la néo-­télévision généraliste qui
permettent de transformer la vie quotidienne fami‑
liale en une fable consumériste. Avec sa « traversée
de l’écran » et sa « descente sur le terrain », le miracle
semble s’accomplir : Berlusconi occupe le vide poli‑
tique par la séduction publicitaire, devenue utopie
plébiscitaire.

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Le phénomène Berlusconi : ni populisme ni vidéocratie…

Espaces publicitaire et plébiscitaire


Dès l’origine, Berlusconi a construit un lien
étroit entre le programme télévisuel de divertissement
et la satisfaction marchande du désir consumériste
des téléspectateurs considérés comme des consomma‑
teurs de programmes et de publicité confondus. Son
expérience d’entrepreneur dans le secteur de la com‑
munication lui avait permis de toujours combiner les
sphères symbolique et marchande : la télévision où
s’échange le temps des téléspectateurs contre des pro‑
grammes et des spots publicitaires et le secteur de la
grande distribution où se vendent les produits pro‑
mus sur les écrans. Pendant dix ans, il a même intégré
ces deux activités en devenant propriétaire de chaînes
nationales de magasins (La Standa et Castorama),
afin de lier étroitement la promotion des marchan‑
dises et les images télévisuelles. Dans sa démarche, la
télévision n’est jamais « coupée » du social : elle est
fondue dans l’économie, la vie quotidienne et la poli‑
tique et s’adresse à des téléspectateurs qui sont aussi
des consommateurs et des électeurs. Pour Berlusconi,
la télévision n’est pas simplement un instrument de
pouvoir, mais le moyen de mise en relation de diffé‑
rentes sphères d’activités : elle permet l’échange et la
transformation du temps social des téléspectateurs en
ressources publicitaires et plébiscitaires. La télévision

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La communication politique

commerciale est un véritable outil de transsubstantia‑


tion du temps libre en argent, en actes d’achats ou en
votes.
Berlusconi suit le consommateur, notamment
la casalinga, la ménagère de moins de cinquante ans,
depuis l’amont du désir d’achat jusqu’à l’acte final
de consommation. Il a positionné son groupe, la
Fininvest, en amont du processus de consommation,
au moment du rêve, de la conception, de l’informa‑
tion et de la recherche du financement pour réaliser
l’achat. Pour le chef de l’entreprise de communication
postfordiste, pilotée par le désir du consommateur et
en contact direct avec lui, rien de plus facile que de
circuler du téléspectateur-­consommateur au citoyen-­
électeur : il s’agit à la limite, de lui présenter une offre
intégrée de produits et services (le packaging). La stra‑
tégie est simple : tant qu’à satisfaire le consommateur,
pourquoi ne pas lui faire aussi une offre politique, en
tant qu’il est un électeur ? Pourquoi ne pas lui vendre
un parti politique ? Dès lors, le parti Forza Italia n’est
plus que le dernier élément de l’offre « packagée » du
groupe Fininvest. Berlusconi étend ainsi sa « gamme
de produits » à l’espace public et vampirise la sphère
du politique.
Avec son entrée en politique, Berlusconi n’a fait
que pousser à son terme sa logique commerciale en
traitant le citoyen-­électeur comme un téléspectateur-­
consommateur, c’est-­ à-­
dire en gérant son passage

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Le phénomène Berlusconi : ni populisme ni vidéocratie…

du caddy à l’isoloir, via le petit écran. Il procède par


extension de l’intégration entre sphères imaginaire
et marchande, construite à l’intérieur de son groupe
Fininvest, vers une nouvelle fusion, celle de la sphère
de la représentation politique qu’il soumet au modèle
de la télévision commerciale étendu à la société tout
entière. Ne distinguant plus les espaces privé et public,
il traite le politique comme s’il fonctionnait au télévi‑
suel et efface les frontières entre activités individuelles
et sociales. Confusion générale qui autorise Berlusconi
à opérer un ultime « passage » de l’espace médiatico-­
publicitaire à l’espace politique plébiscitaire, par le
traitement du téléspectateur-­ consommateur comme
téléspectateur-­électeur. Le produit qu’il vend à ce der‑
nier est le « rêve italien ». Pour mettre en œuvre cette
stratégie, Berlusconi réalise grâce à son parti Forza
Italia, créé en quelques mois à partir de la régie publi‑
citaire de son groupe, l’identification de l’entreprise et
du parti. Avec ce parti-­entreprise – parti patrimonial –
dont les dirigeants commerciaux experts en marketing
deviennent les militants et les candidats, Berlusconi
injecte les techniques du management, de la télévision
et de la publicité dans la sphère politique.

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La communication politique

La néo-­politique prolongement
du management
En combinant le management par le rêve et la
programmation télévisuelle, Berlusconi réunit ratio‑
nalité et symbolique d’entreprise pour l’imposer
dans l’espace public. Pour saisir ce phénomène, nous
avons proposé le néologisme de « commanagement »,
notion qui met l’accent sur la puissance idéologique
du management, de la communication et de leur
combinaison. Ce néologisme identifie la confusion
entre le management de l’entreprise de spectacles et
l’hégémonie symbolique du discours communica‑
tionnel, en particulier du langage télévisuel. Lucien
Sfez a souligné que la « nouvelle religion mondiale
de la Communication évacue, entre autres, le ou la
politique » (Sfez, 1988, p.  15), et Pierre Legendre
insiste sur le dogme du management entendu comme
la « version technologique du Politique » (Legendre,
1993, p.  40). Le commanagement désigne ainsi le
règne simultané et universel de la symbolique de
la communication et du dogmatisme du manage‑
ment. Avec l’imposition générale à la société du
dogme managérial de l’efficiency et des formes de
la théâtralisation télévisuelle, la politique est refor‑
mulée en termes d’efficacité et de communication.
En période de dérégulation et de crise du politique,

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Le phénomène Berlusconi : ni populisme ni vidéocratie…

le commanagement est devenu le contrepoint et le


contrepoison à la crise d’identité de l’État-­nation. Le
commanagement occupe l’espace libéré par la critique
systématique de l’État – qui est au centre du discours
berlusconien  – et crée progressivement un nouvel
espace de croyances structurées autour de l’efficacité
technico-­économique. C’est sur ce terrain de la foi en
l’entreprise postfordiste dont il se dit le missionnaire
que Berlusconi mène son combat politique.
En prolongeant la distinction d’Umberto Eco
entre « paléo » et « néo-­télévision », on peut dire de
Berlusconi qu’il vise une « néo-­politique » entendue
comme une politique expressive, basée sur la relation
directe et affective avec l’électeur-­consommateur, par
différence à la « paléo-­ politique » construite sur le
message programmatique des partis et des élus. Cette
néo-­politique de la relation directe est issue du modèle
de la néo-­télévision commerciale qui met en scène le
téléspectateur ordinaire sur ses plateaux pour établir
une relation émotionnelle avec le téléspectateur placé
devant son écran. Berlusconi est alors dans la position
de l’animateur dans le talk-­show, celle d’un média‑
teur confident, complice et ordonnateur de l’échange
public. Il applique ainsi l’art de la théâtralisation télé‑
visuelle dans le politique. Dans cette translation, tout
se passe comme si le commanager visionnaire et ges‑
tionnaire, était capable d’occuper toutes les fonctions,
prouvant qu’il est omniscient, flexible, disponible et

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La communication politique

adaptable. Tel l’animateur de la néo-­ télévision, ses


blagues, sa décontraction, et surtout son éternel sou‑
rire, garantissent la permanence de son personnage.

Références bibliographiques

Bocca, Giorgio, Piccolo Cesare, Milan, Feltrinelli, 2002.


Candiard, Adrien, L’anomalie Berlusconi, Paris, Flammarion,
2003.
Legendre, Philippe, « Communication dogmatique », in Sfez,
Lucien (dir.), Dictionnaire critique de la communication, tome 1,
Paris, Presses universitaires de France, 1993.
Padioleau, Jean-­Gustave, International Regimes, Ithaca, Cornell
University Press, 1983.
Sfez, Lucien, Critique de la communication, Paris, Seuil, 1988.

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Donald Trump
ou la communication
incantatoire
Marie-­Cécile Naves

Depuis son entrée en campagne en juin  2015,


Donald Trump n’en finit pas d’interpeller les spé‑
cialistes de communication politique. À ceux qui
pensaient que, dès le 9  novembre 2016, au lende‑
main de sa victoire, il allait cesser ses formules et ses
tweets péremptoires, revanchards et mensongers, le
45e  président des États-­Unis a très vite donné tort.
Une fois à la Maison-­Blanche, il n’a pas rompu avec
sa frénésie de messages lapidaires qui lui permettent
de glorifier son action comme de vilipender ses adver‑
saires du moment (élus démocrates, juges, et plus
globalement tous ceux qui le critiquent) ou anciens
(Barack Obama, Hillary Clinton), et de rappeler,
inlassablement, sa promesse de « rendre sa grandeur
à l’Amérique ».
Avec Trump, le martellement de phrases toutes
prêtes et incantatoires vise à alimenter la certitude
collective que ses projets et ses menaces se traduiront
automatiquement dans les faits. Trump est sans doute

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La communication politique

le politicien occidental actuel qui mise le plus sur la


performativité de ses discours. En popularisant une
vision pessimiste de l’état de son pays et en garantis‑
sant qu’il instaurera un changement radical de société,
il nourrit l’imaginaire de ses partisans comme de ses
adversaires et instaure une dynamique qui fait dire aux
premiers qu’il tiendra ses promesses et qui exaspère les
seconds (Naves, 2016). Contrairement à ce que l’on
pourrait croire, en effet, la communication de Trump,
si elle pioche bien sûr allègrement dans le registre de la
provocation, n’est pas (que) spontanée ou impulsive.
Elle obéit en réalité à une double stratégie, construite
par ses plus fidèles conseillers, au premier rang des‑
quels le nationaliste Steve Bannon.

La double stratégie
de communication de Donald Trump
La première est de montrer à ses électeurs, au
peuple américain tout entier, mais aussi aux entre‑
prises, lobbies, associations militantes et décideurs
étrangers qu’il est déterminé, qu’il ne craint rien et
qu’il n’a rien à perdre. La seconde stratégie est de lais‑
ser penser qu’il instaure une démocratie directe aux
États-­
Unis. Sa casquette  rouge de base-­ ball, ornée
du slogan « Make America Great Again », incarnait
pendant la campagne le symbole d’un populisme

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Donald Trump ou la communication incantatoire

largement partagé en Occident (Fassin, 2017) et qu’il


entretient depuis qu’il est au pouvoir.
Point de relais entre le peuple et lui quand il
s’exprime, point de corps intermédiaires ni de frein
institutionnel quand il décide, nous dit Trump. Et
s’il échoue, comme avec ses deux tentatives de décrets
anti-­immigration, il pourra toujours accuser la par‑
tialité des juges, la frilosité des parlementaires démo‑
crates et républicains ou l’idéologie des défenseurs du
politiquement correct. Il leur reproche de lui mettre
des bâtons dans les roues. C’est un peu comme s’il
disait aux Américains : « vous voyez, en cherchant à
limiter l’immigration dangereuse, je fais ce que j’avais
dit pendant la campagne mais l’establishment que j’ai
tant combattu m’en empêche ! C’est la preuve que
j’ai raison ». Tentation autoritaire, mégalomanie ou
volonté de mettre en place une démocratie plébisci‑
taire ? Il y a sans doute un peu de tout cela chez ce
milliardaire longtemps méprisé par les élites politiques
et intellectuelles de la côte Est et qui compte bien,
aujourd’hui, tirer le profit maximum de sa présidence.

Un utile flou programmatique


Un autre point fort de Trump consiste en l’ab‑
sence de programme précis et cohérent. Que le mur

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La communication politique

contre la frontière mexicaine se fasse ou non, que des


millions de clandestins mexicains soient expulsés ou
non, il maintiendra sa rhétorique anti-­immigrés. Il en
va de même sur la réforme de la santé d’Obama, plus
connue sous le surnom d’« Obamacare », qu’il a sou‑
haité remplacer en quelques mois –  initialement en
quelques semaines –, mais dont on ne sait pas quelle
sera l’alternative tant les débats sont vifs chez les élus
républicains eux-­mêmes. L’Obamacare a créé un sys‑
tème permettant à des millions d’Américains peu for‑
tunés de bénéficier d’une assurance maladie et donc
d’accéder à des soins sinon hors de prix.
Le flou permet à Trump d’atténuer ses pro‑
messes, voire de retourner sa veste, en cas de nécessité.
Ce qui compte, c’est de s’exprimer avec assurance,
même s’il se contredit d’une semaine sur l’autre. Seuls
restent intacts le slogan sur la grandeur de l’Amérique
et le projet de société, bien réel celui-­là, d’un pays
nostalgique, blanc, patriarcal, fermé sur lui-­ même,
auto-­suffisant. Ce storytelling plaît à ses électeurs.
Le réel est pour eux si insupportable que Trump
s’efforce d’entretenir dénis et interprétations fausses
à son sujet. Cette réalité, c’est celle d’une Amérique
mondialisée économiquement et culturellement, lar‑
gement désindustrialisée, qui donne des droits aux
LGBT (Lesbians, Gays, Bi-­et Trans-­ sexuels), qui
permet aux femmes d’accéder de plus en plus à de
hautes fonctions, où les Blancs d’origine européenne

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Donald Trump ou la communication incantatoire

seront minoritaires d’ici trente ans et qui a rendu


possible l’accession d’un Noir à la Maison-­Blanche
(Kimmel, 2015).

Un usage inédit
des réseaux socionumériques
Le coup de force de Trump, c’est aussi d’avoir
renouvelé radicalement l’usage politique des réseaux
socionumériques. Il a fait de Twitter son arme incon‑
testable, sans doute la plus redoutable. Le candidat,
puis le président Trump, n’a cessé de laisser courir le
bruit qu’il twittait seul, à n’importe quelle heure du
jour et de la nuit, à destination de ses abonnés qui
étaient au nombre de 26,6  millions en mars  2017.
C’est pour lui une manière de faire savoir qu’il est
sans cesse en prise avec les tourments de son pays et
en lien direct et permanent avec le peuple américain.
Ceux qui sont de son côté ou qu’il consi‑
dère comme ses alliés, qu’il s’agisse de journalistes,
d’hommes d’affaires ou de leaders étrangers comme
Vladimir Poutine, par exemple, sont choyés, glori‑
fiés en 140 caractères. Quant à ceux qui le critiquent
ou se moquent de lui –  politiciens, acteurs, humo‑
ristes, médias, etc. –, il ne manque pas a contrario de
les prendre pour cible. Trump est habité par l’esprit

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La communication politique

de revanche, c’est même l’un de ses moteurs. Il ne se


prive pas de le faire savoir. Ses ripostes participent de
l’image virile qu’il veut donner de lui-­même : fort,
tranchant, radical, autoritaire. Il s’agit aussi pour lui
de rompre ouvertement avec le style consensuel de son
prédécesseur, qu’il qualifie régulièrement de « faible »,
de « mou », autrement dit de féminin, dans un sens
négatif. Sur ce point, Trump n’a rien inventé : parmi
les nombreuses critiques auxquelles Barack Obama
a été confronté pendant ses deux mandats, celle de
« président qui s’excuse » revenait souvent dans la
bouche des Républicains.
On peut d’ores et déjà parler d’un « style Trump »,
à l’écrit (tweets) comme à l’oral (interviews, conférences
de presse), qui vise lui aussi une connivence avec ses par‑
tisans. Le registre des onomatopées – « wow » –, l’utilisa‑
tion d’expressions et de mots familiers – « great », « who
cares ? », « enjoy ! », « will be fun », « bad guy »  –, le
recours à une palette restreinte de mots et de références
participent d’une volonté de proximité avec les classes
populaires et a pour but de désamorcer sa vulgarité récur‑
rente, apprise dans les codes de la téléréalité. « Il parle
comme nous », « il dit tout haut ce qu’on pense tout
bas », entendait-­on chez ses supporters pendant la cam‑
pagne. Afin de donner un gage supplémentaire de son
« authenticité », de son éloignement de l’establishment,
son compte Twitter s’appelle @ ­ realDonaldTrump. En
somme, il s’agit d’une stratégie populiste classique… et

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Donald Trump ou la communication incantatoire

en même temps moderne. En outre, Trump écrit régu‑


lièrement des mots en lettres majuscules dans ses tweets
–  « NO WAY », « JOBS JOBS JOBS » –, lesquels
se voient quasi systématiquement ajouter des points
d’exclamation, pour figurer qu’il élève la voix, qu’il ne
se laisse pas intimider. Quant au compte officiel du
Président, @Potus, il devait initialement être tenu par
un community manager mais un nombre important de
tweets montre que Trump s’en sert (aussi) lui-­même,
puisque, outre les messages relatifs à l’agenda présiden‑
tiel, il parle d’envoyer Snoop Dogg en prison (le rap‑
peur avait mis en ligne une vidéo où il feignait de tirer
sur Trump) ou lance des phrases comme « n’écoutez
pas ce que vous dit la presse ».
On trouve aussi sur son compte personnel des
injonctions, voire des menaces à l’encontre des entre‑
prises : « Build plant in U.S. or pay big border tax »
(« construisez votre usine aux États-­ Unis, ou bien
payez une taxe d’importation »). Il interpelle par‑
fois directement certaines multinationales (Toyota,
Boeing) ou les magasins Nordstrom après qu’ils ont
annoncé refuser de vendre les produits de la marque
« Ivanka Trump », ce qui pose une fois de plus la
question du conflit d’intérêts. On trouve aussi dans
ses tweets des remises en cause de conclusions du
renseignement américain sur le piratage des élec‑
tions par la Russie, des affirmations péremptoires
et parfois contradictoires sur des sujets complexes

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La communication politique

de géopolitique (colonisation des territoires pales‑


tiniens par Israël, critiques de la politique commer‑
ciale, financière ou militaire de la Chine, rôle de
l’OTAN,  etc.). Mais lorsque l’agence de presse
chinoise Xinhua regrette « l’obsession de la diploma‑
tie Twitter » de Trump, c’est un aveu d’impuissance.
L’appui sur les « fake news » (fausses nouvelles)
et autres « alternative facts » permet par ailleurs au pré‑
sident américain de justifier une interprétation très
personnelle, subjective, souvent fausse de la réalité.
Interrogée sur la comparaison des photos des foules
ayant assisté aux cérémonies d’investiture d’Obama en
2009 et de Trump en 2017, et sur les estimations chif‑
frées, sa conseillère Kellyanne Conway a évoqué l’exis‑
tence d’un débat entre les faits selon les journalistes et
des « alternatives facts », sous-­entendus des manières dif‑
férentes de voir le réel qui ne seraient pas des mensonges
ou des erreurs. Et lorsque D.  Trump remet en cause
les photos pourtant officielles de son investiture, qui
mettent en évidence une foule bien moins nombreuse
que pour celle d’Obama en janvier 2009, il entretient
l’idée qu’il existe un complot contre lui et qu’il a raison
contre tous. Sans vergogne, il déplore lui-­même l’exis‑
tence de « fake news » pour qualifier des informations
sur l’état du pays ou sur lui-­même qui lui déplaisent…

Cette manière d’agir lui permet de contourner


les journalistes, devant lesquels il serait obligé de se

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Donald Trump ou la communication incantatoire

justifier, d’expliquer, de détailler ses affirmations. Il ne


répond en outre que très rarement aux interpellations
ou aux questions qui lui sont adressées sur Twitter. Il
laisse Hope Hicks, sa directrice de communication,
interagir avec les journalistes qui, contraints de cou‑
vrir l’actualité de la présidence, ne l’éviteront pas, à
moins que Trump ne les exclue des points presse de
la Maison-­Blanche, comme cela a été le cas déjà pour
certains d’entre eux, sans raison objective.
Donald Trump cherche donc à galvaniser ses
partisans et conjointement à déstabiliser ses adversaires
et ses partenaires, notamment étrangers, avec lesquels il
a annoncé vouloir mettre en place une diplomatie par
le « deal », comme en affaires. Le bluff, les volte-­face
– sur Assad et Poutine, par exemple – et les provoca‑
tions en font partie. Nul ne sait quand surviendra le
prochain tweet, ni quels en seront la teneur ou l’écho.
Cette communication relève de la manipulation.
Cependant, il est difficile de la contrer : le fact-­checking
(la vérification des faits), pendant la campagne,
n’avait pas suffi à le décrédibiliser. Et la défiance dont
pâtissent aujourd’hui les médias traditionnels est
immense. À ce sujet, Trump ne cesse d’exprimer son
mépris vis-­à-­vis des grands quotidiens de la côte Est et
des chaînes de télévision nationales alors que ce sont
ces dernières qui l’ont fait connaître au grand public
via les séries, les films et les émissions de téléréalité où
il apparaissait, parfois dans son propre rôle.

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La communication politique

Au final, Trump parvient à dicter largement


l’agenda médiatique car, par ses provocations mêmes,
il occupe l’espace en continu. Il est incontournable,
toujours dans la lumière et c’est sans doute son but
premier, bien avant celui de gouverner. Il rejoint
ce faisant une stratégie de communication dont fut
adepte Nicolas Sarkozy, quand il était ministre de
l’Intérieur, puis président de la République de 2007
à 2012. Il considérait indispensable de capter l’at‑
tention des médias quasiment tous les jours, via la
multiplication d’actions de terrain, de coups specta‑
culaires, de déclarations fracassantes, de révélations
intimes,  etc. Trump pourrait, à l’instar de Sarkozy,
incarner une nouvelle forme d’« hyperprésident »
(Maigret, 2008) à l’heure des réseaux socionumé‑
riques, des fake news et alternative facts.

Références bibliographiques

Fassin, Éric, Populisme, le grand ressentiment, Paris, Éditions


Textuel, 2017.
Kimmel, Michael, Angry White Men : American Masculinity at the
End of an Era, New York, Nation Books, 2015.
Maigret, Éric, L’Hyperprésident, Paris, Armand Colin, 2008.
Naves, Marie-­Cécile, Trump, l’onde de choc populiste, Paris, FYP
Éditions, 2016.

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Médiatisation du politique :
stratégies, acteurs
et construction des collectifs
Eliseo Verón1 (1935-­2014)

L’orientation qui a longuement dominé la théo‑


rie de la démocratie dans la tradition anglo-­saxonne
était d’inspiration économique. Elle présupposait un
acteur-­citoyen individuel agissant selon une ratio‑
nalité instrumentale stricte. Je pense essentiellement
aux théories dites « néo-­utilitaristes ». Le sociologue
italien Alessandro Pizzorno leur a consacré plusieurs
travaux, dans lesquels il a montré leur impuissance
à rendre compte des comportements politiques en
démocratie (Pizzorno, 1978 ; 1985).
La démarche de Pizzorno aboutit à une concep‑
tion de la démocratie qui est, certes, bien plus inté‑
ressante et riche que celle fondée sur la rationalité
instrumentale du néo-­ utilitarisme. La démocratie
n’apparaît pas comme le système le moins mauvais

1. Ce texte a été publié pour la première fois dans Hermès,


no 17-­18, « Communication et politique », 1995, p. 201-­214. La
version originale est en ligne sur : <https://www.cairn.info/revue-­
hermes-­la-­revue-­1995-­3.htm>.

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La communication politique

que nous connaissons pour gérer les intérêts indivi‑


duels, mais comme le système le moins mauvais pour
gérer les identités collectives : « […] Il y a une valeur
que seule la démocratie peut réaliser : ce n’est pas la
liberté de choix politique (nous avons démontré que
c’est une illusion) mais la liberté de participer à des
processus d’identification collective ; et les droits de
ceux-­ci de ne pas être détruits ou déterminés uni‑
quement par le pouvoir de l’État national. Cette
liberté, dans notre hypothèse, est née comme une
réponse à la dissolution des identités traditionnelles »
(Pizzorno, 1978, p. 368).
Mais l’acteur « pizzornien », est-­il véritablement
en rupture avec l’acteur rationnel du néo-­utilitarisme,
qui fait le calcul coûts/bénéfices à la lumière de son
intérêt ? Il a certes compris qu’il se trouve dans une
situation impossible à évaluer entièrement à partir de
son point de vue individuel, qu’il est de son intérêt
de préserver la fonction stabilisatrice des cadres iden‑
titaires collectifs, et qu’étant donné la complexité de
la société où il vit, il est aussi de son intérêt de laisser
à des individus plus experts que lui-­même le soin de
gérer les incertitudes du long terme. On pourrait dire
que l’acteur social implicite dans la théorie proposée
par Pizzorno se caractérise donc par une rationalité
élargie.
Pizzorno souligne clairement que ces « collec‑
tivités identifiantes », essentielles pour comprendre

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Médiatisation du politique…

les fondements du système démocratique, sont des


produits de l’activité propre à la politique. Et si cette
production des collectifs dont l’entrelacement struc‑
ture l’identité de l’acteur ne se faisait plus dans le
champ du politique, mais ailleurs ? Et si la crise du
politique dont il est tant question aujourd’hui n’était
justement pas autre chose que le déclin du pouvoir
du système politique à générer et faire évoluer les col‑
lectifs identitaires des citoyens ? Autrement dit : et si
des démarches comme celle de Pizzorno, à « rationa‑
lité politique élargie » étaient, au fond, des théories
pré-­médiatiques de la démocratie ?

Le politique médiatisé, ou du déclin


de la logique du long terme
Après la Seconde Guerre mondiale, la conso‑
lidation des économies démocratiques industrielles
et la forte croissance ont été associées à une emprise
forte du politique sur l’économique. C’était bien une
période où les systèmes démocratiques géraient le
long terme en construisant et en faisant évoluer les
« collectivités identifiantes » du politique. Dans le
même temps, la médiatisation de ces sociétés progres‑
sait rapidement. Les médias se sont progressivement
articulés au marché de la consommation : ce sont eux

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La communication politique

qui ont fait des sociétés industrielles des sociétés de


consommation. Et c’est là que se situe le rôle histo‑
rique de la télévision, acteur « civilisateur » par excel‑
lence dans ce processus.
Soulignons que le marché de la consommation
ne doit pas être confondu avec le marché écono‑
mique des théories classiques. Le modèle du marché,
celui que le néo-­utilitarisme a essayé de transférer au
domaine de la théorie politique, est celui d’un champ
dominé par la logique rationnelle-­instrumentale. Ce
modèle fondait (ou prétendait fonder) les politiques
économiques de maîtrise du long terme. Or, le mar‑
ché de la consommation est un marché dominé par
la logique du court terme : celle de la communica‑
tion commerciale à travers les médias. La logique du
« ciblage marketing » est par définition une logique à
court terme, destinée à gérer le mieux possible l’uni‑
vers complexe et changeant de l’imaginaire quotidien
des consommateurs.
Depuis la guerre et jusqu’à la fin des années
1970 ont coexisté en France deux domaines bien
distincts : celui du politique, champ de construction
des collectifs identitaires associés à la gestion du long
terme, et celui des médias, lieu de construction de
collectifs associés, dans le court terme, à l’imaginaire
du quotidien et aux comportements de consomma‑
tion. Entre les deux, l’information médiatisée procla‑
mait son statut de « quatrième pouvoir ».

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Médiatisation du politique…

Dans les années 1980 s’accélère la médiatisation


du politique, avec la télévision comme support pivot.
C’est pendant ces mêmes années que s’amorce en
France la crise de légitimité du politique, qui devient
grave au début des années 1990. On aurait tort de
rendre les médias entièrement responsables de cette
crise, mais ils y sont, bien entendu, pour quelque
chose. Cette crise a plusieurs aspects entremêlés, dont
il est bien difficile d’évaluer le poids relatif.
Tout d’abord, bien entendu, la dissociation
croissante entre le système économique et le système
politique. Pendant les « trente glorieuses », comme
on dit, la politique économique était l’outil principal
de gestion du long terme, et partant, de clivage entre
les collectifs identitaires. L’internationalisation des
systèmes économiques nationaux les autonomisant de
plus en plus vis-­à-­vis du système politique, ce dernier
a de moins en moins de « substance » pour travail‑
ler le long terme tout en maintenant la dynamique
conflictuelle qui fait évoluer les identités. Cette trans‑
formation des économies nationales a sans doute
contribué largement à l’affaiblissement du pouvoir
du système politique à « sécréter » des « collectivités
identifiantes » adaptées à la nouvelle situation.
Cet affaiblissement du système politique (mesuré
le plus souvent par deux indicateurs classiques et inti‑
mement liés entre eux : la progression régulière des
citoyens indécis en situation électorale, et la baisse

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La communication politique

régulière des votants) a renforcé la centralité sociale


des médias. Ceux-­ci étaient déjà depuis longtemps les
principaux gestionnaires du court terme, c’est-­à-­dire de
l’imaginaire quotidien lié à la consommation. Et cette
logique du court terme tend à soumettre à son emprise
même l’information médiatisée, qui commence à être
conçue comme une marchandise parmi d’autres. (À
noter que l’affaiblissement des conflits dans le champ
politique a produit un affaiblissement conséquent des
positionnements des médias informatifs grand public
dans la presse écrite, dont le « contrat de lecture »
comportait, jusqu’au milieu des années 1980, une
dimension politique.) La tentation est grande, pour les
médias, de se substituer aux institutions politiques en
déclin et de devenir le lieu où les collectifs associés au
long terme se construisent. Mais cela est-­il possible ?
Que les médias soient de plus en plus sous l’em‑
prise de la logique du marché de la consommation,
c’est-­à-­dire, sous l’emprise d’une logique unidimen-
sionnelle à court terme n’est pas une explication suf‑
fisante de leur rôle dans la crise du politique. Après
tout, d’autres discours que ceux déterminés par la
logique commerciale peuvent s’insérer à la télévision,
à condition qu’ils préservent leurs propres contraintes de
production. Cela a été le cas pendant un certain temps
pour ce qui est du discours politique.
C’est ici qu’un autre facteur intervient : l’évo‑
lution de la communication politique elle-­ même,

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Médiatisation du politique…

et des logiques stratégiques qui s’y installent. Nous


l’avons déjà signalé : la logique unidimensionnelle du
« ciblage » opère de l’intérieur même du champ du
politique, à travers une approche qui emprunte au
marketing l’essentiel de sa démarche.
Nous assistons, d’un côté, au déclin du champ
où s’exerçait la gestion des collectifs du long terme
(celui du politique), et de l’autre, à la domina‑
tion croissante d’un autre champ (celui des médias)
essentiellement orienté en production par la gestion
de collectifs de court terme : c’est cela, à mon avis,
le sens profond de la crise de légitimité du politique
dont on parle tant aujourd’hui. Cela veut dire que
dans la médiatisation du politique, c’est ce dernier
qui a perdu face aux médias : cherchant à tout prix la
maîtrise des médias, les hommes politiques ont perdu
celle de leur propre champ.

Les registres du sens,


ou de la construction des collectifs
Dans le processus de médiatisation du poli‑
tique, le rôle de la télévision a été tout d’abord d’enri‑
chir la communication politique, et donc d’accroître
la complexité de cette dernière (Verón, 1989). Pour
le dire dans la terminologie du sémiologue Charles

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La communication politique

Peirce2 au registre symbolique (ordre traditionnel où


s’exerçait le discours politique), sont venus s’ajouter
l’ordre iconique et l’ordre indiciel médiatisés. J’ai
essayé de montrer dans d’autres travaux, que la télé‑
vision grand public est un média où l’ordre iconique
est subordonné aux dispositifs indiciels de contact
qui définissent la spécificité du média. L’ordre langa‑
gier du symbolique ne s’évanouit pas pour autant : à
la télévision, on parle aussi. Tout dépend de la nature
discursive de ce que l’on dit. La préservation de cet
enrichissement du discours politique était condition‑
née à la préservation des propriétés discursives qui
font la spécificité de la communication politique telle
qu’elle s’est construite dans l’histoire des démocraties
industrielles. Nous avons discuté ailleurs des com‑
posantes du discours politique en situation démo‑

2.  Le philosophe américain Charles Peirce (1839-­1914) a fondé


la science des signes, qu’on appelle la sémiologie. Parmi ces nom‑
breuses théorisations, il distingue trois catégories de signes, en
fonction de leur écart plus ou moins grand avec le dénoté (soit
ce qui se réfère à l’extension d’un concept). L’icône possède des
qualités identiques à l’objet qui est dénoté (une tache noire et la
couleur noire). L’indice est un signe qui se trouve en contiguïté
avec l’objet dénoté, « en vertu de la relation réelle qu’il entretient
avec lui » (un symptôme et une maladie). Le symbole est un signe
qui n’a de lien avec l’objet dénoté qu’après un travail interprétatif
et la reconnaissance d’une forme de codification, plus ou moins
arbitraire (les panneaux du code de la route et les situations réelles
qu’ils évoquent).

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Médiatisation du politique…

cratique (c’est-­à-­dire en situation de pluralisme des


partis) et de certains aspects de la structure énoncia‑
tive qui le caractérisent (Verón, 1987).
Or, il semble bien que la médiatisation de la com-
munication politique tende aujourd’hui à déstructurer
cette spécificité. Et on comprend pourquoi : si, à l’inté‑
rieur du champ du politique, la réflexion stratégique est
exclusivement orientée par la logique unidimension‑
nelle du « ciblage », la composante programmatique
va disparaître, et des trois destinataires du discours
politique : le contre-­destinataire (l’adversaire), le pro-­
destinataire (le partisan), et le para-­destinataire (l’indé‑
cis), il ne restera qu’un seul, le para-­destinataire, cible
d’une stratégie « commerciale » à court terme (ibid.).
Il n’y a pas de construction de collectifs iden‑
titaires à long terme sans le fonctionnement d’une
structure argumentative orientée à la formulation de
règles. En discutant de la théorie de Pizzorno, nous
avons signalé l’importance de la temporalité, qui est
inscrite dans la définition même de la démocratie : le
consensus des intérêts est le postulat d’une conver‑
gence dans le futur. Ceci correspond, point par point,
à la définition que propose Peirce de la vérité et de la
réalité, indissociables de la notion d’une communauté.
La gestion des identités en vue du long terme est bien
de l’ordre symbolique de la loi.
La logique marketing est parfaitement inca‑
pable de traiter de tels objets. On ne construit pas

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La communication politique

de collectifs identitaires dans le long terme avec les


seules images, ni non plus avec le seul contact indi‑
ciel de regard caractéristique de la télévision. Si le
discours politique est un discours dont l’un des axes
est la construction argumentative d’un projet, alors il
est qualitativement différent d’un discours unidimen‑
sionnel ciblé, car il n’est jamais purement persuasif.

Références bibliographiques

Pizzorno, Alessandro, «  Political Exchange and Collective


Identity in Industrial Conflict », in Crouch, Colin et Pizzorno,
Alessandro (dir.), The Resurgence of Class Conflict in Western
Europe since 1968, Londres, Macmillan, 1978.
Pizzorno, Alessandro, « On the Rationality of Democratic
Choice », Telos, no 63, 1985, p. 41-­69.
Verón, Eliseo, « Télévision et démocratie : à propos du statut de
la mise en scène », Mots, no 20, septembre 1989, p. 75-­90.
Verón, Eliseo, « Corps et métacorps en démocratie audiovi‑
suelle », Après-­demain, no 293-­294, 1987, p. 11-­26.

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Les bulletins municipaux :
une contribution ambiguë
à la démocratie locale
Christian Le Bart1

Évoquer les fonctions identitaires du bul‑


letin municipal, c’est rompre pour partie avec
le discours de légitimation qui en accompagne
la production. Mais pour partie seulement :
après tout, beaucoup de journalistes municipaux
reconnaissent à leur travail une fonction « inté‑
gratrice ». De même reconnaissent-­ils volontiers
que cette presse est autant levier d’action que res‑
titution, autant discours performatif que discours
constatif. Mais il est un point sur lequel l’ana‑
lyse savante peut et doit se poser contre (et non
plus seulement au-­delà de) ces discours d’acteurs,
c’est celui de leur fonctionnalité politique et
même électorale. Sujet tabou donnant lieu à de

1. Extraits du texte publié pour la première fois dans Hermès,


no  26-­27, « www.démocratie locale.fr », 2000, p.  175-­184. La
version originale est en ligne sur : <https://www.cairn.info/revue-­
hermes-­la-­revue-­2000-­1.htm>.

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La communication politique

récurrentes dénégations, le soupçon de politisa‑


tion plane inévitablement sur le bulletin munici‑
pal. Alimenté par quelques évidences (cette presse
est contrôlée par le maire, cette presse est destinée
à tous les électeurs, cette presse se recompose au
gré des alternances politiques), ces soupçons ont
troublé jusqu’au Législateur soucieux de l’égalité
entre candidats à l’approche des élections2.
Il semble toutefois que la question soit sou‑
vent mal posée, peut-­être par manque d’analyses
de contenu rigoureuses. Plutôt que de traquer les
dérapages repérables ici ou là sous la plume de
tel ou tel élu, il nous semble possible de démon‑
trer que par sa définition même, le genre bulletin
municipal contribue à la légitimation du maire
en place. Ce qui revient à dire que les variations
d’un bulletin à l’autre, sur lesquelles se centrent
les polémiques mettant en cause tel bulletin,
comptent finalement moins que les régularités, les
invariants, les lois du genre « journal municipal ».

2.  La loi du 15-­1-­1990 interdit, dans les six mois qui précèdent un
scrutin, toute « campagne de promotion publicitaire des réalisations
ou de la gestion d’une collectivité ». La jurisprudence n’interdit
pas la parution des bulletins municipaux pendant cette période,
mais elle sanctionne les numéros spéciaux qui se présenteraient par
exemple sous la forme d’un bilan de la municipalité sortante.

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Les bulletins municipaux…

D’abord, le bulletin érige le maire en


totem. L’élu apparaît comme le représentant de
tous (et non de ses seuls électeurs), au service de
tous (et non de ses seules clientèles électorales).
De ce point de vue, il n’y a évidemment aucune
symétrie entre la parole du maire et celle de l’op‑
position, quand bien même cette dernière aurait
droit de cité dans le bulletin. Le premier parle en
surplomb, du haut d’un rôle sacralisé, il parle le
premier (éditorial), il parle à tous et au nom de
tous, il dit l’intérêt général. La seconde prend la
parole dans la confusion, et se voit conférer le
rôle dévalorisant de messager du malheur (tout
ne va pas si bien que ça). Face à un jeu d’em‑
boîtements métonymiques qui ne donnent pas
prise à la critique (le maire, c’est la commune),
les opposants donnent toujours l’impression de
jouer contre leur camp : en dramatisant les pro‑
blèmes locaux, ils noircissent le territoire ; en
critiquant le maire, ils insultent la collectivité
que celui-­ ci symbolise. On pourrait répliquer
que cette totémisation du maire profite au rôle
(quasiment sacralisé) plus qu’à son titulaire :
mais ce distinguo est trop artificiel. Il néglige la
capacité des acteurs sociaux à incarner le rôle.
Un second argument peut être avancé : le
glissement de la presse municipale vers l’actua‑
lité locale (et non plus strictement municipale)

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La communication politique

peut certes s’analyser comme un élargissement


qui met en valeur les « citoyens », la « société
civile » (associations, entreprises, écoles…). Mais
cette vision des choses demeure superficielle. Il
convient en effet de ne pas oublier que l’efface‑
ment de l’instance politique n’est, dans les jour‑
naux municipaux, que très relatif. Si les élus ont
certes cessé d’être les personnages exclusifs du
récit municipal, ils n’ont pas cessé d’en être les
héros.
Car que signifie la prétention du bulletin à
couvrir l’ensemble de l’actualité locale, sinon la
prétention des élus à s’attribuer l’ensemble des
réussites repérables à l’échelle du territoire com‑
munal ? La frontière entre le strict domaine de
l’activité municipale (les politiques publiques) et
la vie locale qui déborde nécessairement la pré‑
cédente (vie associative, actualité économique,
activités culturelles…) n’est jamais vraiment
lisible. On fera certes valoir que cette frontière
est de fait souvent difficile à tracer : une muni‑
cipalité peut cofinancer un projet culturel, sub‑
ventionner une association, mettre un local à
disposition, etc. La réalité de l’action municipale
se perd en d’infinies subtilités. Mais précisé‑
ment : le bulletin ne donne pas à voir celles-­ci ;
par sa forme au moins, il accrédite la vision sim‑
pliste d’un pouvoir municipal souverain, qui

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Les bulletins municipaux…

connaît les problèmes, qui contrôle les ressources


disponibles, qui fait agir les acteurs de terrain.
La diversité s’ordonne alors : le maire en
est le chef d’orchestre. Son statut symbolique,
sa double position de locuteur maître du texte
et de personnage finalement toujours présent
dans le texte, tout ceci contribue à renforcer
une vision du territoire conforme aux mytholo‑
gies politiques les plus classiques : l’élu décide.
Le choix de matériaux composant le bulletin
municipal ne se fait plus par référence au critère
municipal/non municipal, mais par référence au
critère positif/négatif.
Tout ce qu’il se passe de positif à l’échelle
de la commune sera susceptible d’y figurer, afin
de nourrir les stratégies d’imputation des élus :
implantation d’une entreprise, performances
sportives, avancée dans la lutte contre la pol‑
lution, tout cela doit « quelque chose » (sans
qu’on sache jamais quoi) à l’action municipale.
Le maire, en se réservant le privilège de pouvoir
annoncer les bonnes nouvelles, joue de la confu‑
sion entre savoir et pouvoir. Il travaille à pro‑
duire une « impression causale » (Le Bart, 1992).
Le bulletin municipal ne donne pas à voir
la complexité décisionnelle, il ignore les considé‑
rations contemporaines sur la « gouvernance » :
il effectue des restrictions causales qui profitent

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La communication politique

aux seuls politiques. Il transforme des proces‑


sus sans sujet en bilan de l’action municipale,
il érige cette dernière en variable toujours déci‑
sive. Au total, il répond à la fois aux arrière-­
pensées des élus soucieux de leur image et aux
attentes des citoyens désireux de se voir offrir
une représentation positive et simplifiée de
leur territoire et de leur personne. D’où, sans
doute, le succès du genre, aussi bien auprès de
ses producteurs que de ses destinataires. Encore
celui-­ci ne doit-­il pas être exagéré : si les bulle‑
tins sont lus, s’ils apparaissent même comme la
première source d’information sur la commune
(avant la presse locale), la grande majorité des
lecteurs ne sont pas dupes des proclamations
de désintéressement politique des élus. Tout
semble indiquer qu’ils considèrent cette presse
comme une source d’information utile mais
qu’ils se refusent à y voir la marque d’une avan‑
cée décisive en matière de démocratie locale.

Référence bibliographique

Le Bart, Christian, La rhétorique du maire-­entrepreneur, Paris,


Pédone, 1992.

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Personnel politique
et médias socionumériques :
nouveaux usages et mythes 2.0
Alex Frame

Avec l’arrivée progressive, depuis bientôt une


quinzaine d’années, de Facebook, de Twitter, de
YouTube, d’Instagram et d’autres médias socionu‑
mériques à destination du grand public, commu‑
nément appelés « réseaux sociaux », les pratiques en
communication politique ont évolué, en France et
à l’étranger. Utilisateurs passionnés ou contraints
par la tendance, amateurs ou professionnels encadrés
par une équipe de communicants, les acteurs poli‑
tiques, du local au national, ont été confrontés à la
question de leur « présence numérique ». L’image
jeune et moderne de ces médias, l’impression qu’ils
peuvent donner d’immédiateté et de désintermédia‑
tion, le caractère ludique et personnel des contenus
qui s’y échangent et la facilité d’accès en perma‑
nence via leur téléphone portable sont autant de fac‑
teurs qui ont pu pousser des responsables politiques
à tester ou à adopter ces nouveaux dispositifs socio‑
techniques.

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La communication politique

De la publication de photographies de foo‑


tings matinaux sur Facebook ou Instagram (Nicolas
Sarkozy et Bruno Le Maire en avril  2016) à des
déclarations personnelles lancées depuis des pages
Facebook sous forme de pseudo-­ communiqués de
presse (Emmanuel Macron réagissant à une accu‑
sation de dissimulation fiscale en janvier  2016) ; de
l’échange de petites phrases assassines en 140 carac‑
tères sur Twitter ; de l’annonce d’un retour en poli‑
tique (Sarkozy) ou d’une candidature à l’élection
présidentielle sur Facebook, à la mise en scène de soi
sur YouTube comme a su si bien le faire Jean-­Luc
Mélenchon, les médias socionumériques remplissent
bien des fonctions, et pas des moindres, en commu‑
nication politique.
L’arrivée de nouveaux médias est toujours
accompagnée d’affirmations à propos de leur carac‑
tère « révolutionnaire », qui prévoient jusqu’à la dis‑
parition imminente de la technologie précédente.
Mais de telles craintes se dissipent le plus souvent
par la suite, au regard de l’évolution et de la spécia‑
lisation progressive des « vieux » médias qui adaptent
leur offre afin de mieux coexister avec le nouveau
venu (Gurevitch, Coleman et Blumler, 2009). Or,
la médiatisation de la communication politique et de
la politique elle-­même n’a pas attendu l’arrivée d’In‑
ternet ni des médias socionumériques (Kepplinger,
2002 ; Strömbäck, 2008). Les politiques adaptaient

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Personnel politique et médias socionumériques…

déjà leurs pratiques  communicationnelles aux for‑


mats spécifiques des ­différents médias, à travers les
« petites phrases », ou l’« info-­divertissement » (« info‑
tainment » ; Brants et Neijens, 1998). Par rapport
aux différents effets parfois attribués à la médiatisa‑
tion de la politique, tels que la baisse de la confiance
envers les figures politiques, l’augmentation du taux
d’abstention, le mélange du public et du privé et la
personnalisation de la politique, l’arrivée des médias
socionumériques a été vue par beaucoup comme un
pas de plus dans le mauvais sens (Lits, 2009).
Il ne sera pas directement question ici de cher‑
cher à qualifier l’impact des médias socionumériques
sur la pratique ou les formes de la politique au sens
de la participation ou de la démocratie électronique.
Différents auteurs ont été porteurs de regards plus
ou moins optimistes ou pessimistes sur l’avenir de la
politique à l’ère numérique (cf. par ex. Barber, 1998 ;
Norris, 2001). Des espoirs sur l’impact positif de
ces technologies sur la participation des plus  jeunes
n’ont pas été validés empiriquement (Jensen, 2013),
et d’autres voix ont critiqué l’activisme électronique
sous les termes de « slacktivisme » ou de « clickti‑
visme » (Morozov, 2009), prétendument moins enga‑
geant ou n’impliquant que ses formes non virtuelles.
Cet article s’intéresse plus spécifiquement à la
place occupée par les médias socionumériques parmi
d’autres dispositifs de communication politique, et à

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La communication politique

leur utilisation par les acteurs politiques individuels1


pour publier des contenus à destination de différents
publics : politiques, journalistes, activistes, citoyens…,
et à différentes fins. Les pratiques observées et décrites
ici ne sont ni stabilisées ni généralisées à tous les acteurs
politiques, qui présentent différents niveaux de pra‑
tique et de professionnalisation, et différents choix
dans leurs habitudes de communication. D’aucuns
procèdent par tâtonnement, alors que d’autres suivent
des formations professionnelles, qui peuvent même
leur être proposées par les grandes entreprises du
domaine (Roginsky, 2016). D’autre part, les dispositifs
sociotechniques dont ils se servent ne cessent d’évoluer,
que ce soit au niveau des interfaces et des fonctionna‑
lités, ou à travers l’arrivée de nouvelles plateformes et
services. Malgré cette hétérogénéité en constante évo‑
lution, nous partons du postulat qu’il commence à y
avoir une maturation de certaines pratiques. Grâce
aux nombreux travaux qui ont été menés ces dernières
années, et à des entretiens individuels réalisés en 2013
et 2014, auprès de figures politiques de premier rang et
de journalistes politiques, nous évoquerons ici certains

1.  Les partis politiques ont également une présence développée


sur ces médias, mais cet aspect ne sera pas évoqué directement
ici. Par ailleurs, cette discussion s’en tiendra aux dispositifs
généralistes communément appelés « réseaux sociaux », à l’ex‑
clusion des blogs, des pages Wikipédia et autres sites internet
personnels.

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Personnel politique et médias socionumériques…

« mythes » liés à la communication politique digitale, à


propos des interactions entre élus et citoyens, et sur la
nature de l’espace public numérique.
L’article présente la communication politique
numérique dans la continuité des pratiques préexis‑
tantes, mais également en se référant à la « culture
numérique » qui contribue à la façonner. Twitter,
par exemple, grâce à ses caractéristiques techniques,
semble particulièrement adapté à la pratique de
« vieilles » activités comme la veille informationnelle
ou la production de « petites phrases », alors que la
pratique des « retweets » –  mettant volontairement
en avant des messages d’autres utilisateurs via son
propre compte – semble davantage inédite lorsqu’il
s’agit pour les politiques de communiquer sur les
actions de leurs collègues. De la même manière, les
discours populistes, la controverse et les polémiques
politiques (Mercier, 2015a) trouvent de nouvelles
formes via les logiques de fonctionnement propres
aux médias socionumériques, tels les hashtags, la
parodie ou les phénomènes de « viralité ». En pas‑
sant en revue certaines fonctionnalités en com‑
munication politique pour lesquelles les médias
socionumériques semblent s’être imposés, l’article
évoquera la reconfiguration qu’elles entraînent, de
l’espace médiatique et de la communication poli‑
tique plus généralement.

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La communication politique

Le mythe des interactions


L’une des raisons évoquées pour l’utilisation des
médias socionumériques par les acteurs politiques est
la désintermédiation, la possibilité pour eux de com‑
muniquer, d’échanger directement avec leur élec‑
torat (Jensen, 2013 ; Linders, 2012). Or, la grande
majorité des études en France et à l’international
s’accordent pour dénoncer un « déficit d’interacti‑
vité » chez les élus, qui s’en servent avant tout à des
fins de diffusion d’informations (Compagno, 2016 ;
Larsson et Kalsnes, 2014). En réalité, les politiques
interagissent bien sur ces réseaux, notamment entre
eux ou avec une élite journalistique (Ausserhofer et
Maireder, 2013 ; Brachotte et Frame, 2015), mais
très peu avec les citoyens.
Dans un premier temps, l’absence d’échanges
directs entre politiques et citoyens, tous dispositifs
confondus, a pu être analysée comme un manque de
maturité de la part des premiers dans l’usage qu’ils
en faisaient. Or, il faut désormais admettre qu’un tel
fonctionnement paraît bien utopique. S’il peut sem‑
bler que les politiques aient intérêt à répondre aux
sollicitations de leurs électeurs, dans un monde idéal,
ne serait-­ce que pour des raisons liées à leur image,
cela est moins évident lorsqu’on prend en compte les
risques ou freins à l’interactivité.

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Personnel politique et médias socionumériques…

Le coût en temps ou en ressources pour un


élu de premier plan qui cherche à répondre à toute
sollicitation serait considérable. Mais plus encore,
bien au-­ delà des quelques bénéfices potentiels, de
telles interactions constitueraient une prise de risque
importante en termes d’image, pour tout politique
cherchant à répondre publiquement à des critiques ou
à des insultes qui lui sont adressées par des anonymes.
S’exposer ainsi sur les réseaux socionumériques serait
une sorte de pilori sur une place publique dématéria‑
lisée car, à la différence des réunions publiques, des
bains de foule ou des tours de marché en circons‑
cription, où le contact en face à face n’empêche pas
toutefois les débordements, les agressions commises
par voie électronique peuvent être relayées à l’infini
et constituent même le type de contenu partagé par
excellence via ces médias.
L’idée d’une communication interactive de proxi‑
mité ne correspond pas non plus à la réalité démogra‑
phique des réseaux socionumériques. Selon le réseau,
certaines catégories sociales y sont (encore) quasi
absentes, et même sur les réseaux assez bien implan‑
tés parmi les citoyens, tels que Facebook, relativement
peu d’individus communiquent autour de questions
politiques. En réalité, les usagers politiques de Twitter
et les consommateurs de contenus politiques sur
Facebook ou Instagram ne sont qu’une petite minorité
parmi l’électorat, plutôt bien avertie politiquement.

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La communication politique

La gestion des réseaux


Comme dans toute communication poli‑
tique, la question des réseaux est ici centrale pour
comprendre leur fonctionnement. Selon Klinger
et Svensson (2014), dans la logique des médias en
réseau (network media logic) le plus important n’est
pas ce qui s’échange (les contenus) mais bien les
connexions entre les individus. Que ce soit pendant
les périodes électorales qui provoquent systémati‑
quement une utilisation accrue de ces médias, ou
bien au quotidien, hors campagne, la première cible
pour bien des messages sur Twitter, Facebook ou
Instagram reste les sympathisants ou les activistes du
parti, notamment à l’échelle nationale.
Ces socionautes (soit les utilisateurs des réseaux
socionumériques) partisans constituent une part
importante des abonnés ou « followers » des comptes
de figures politiques sur ces réseaux et sont également
susceptibles de s’intéresser aux débats politiques en
ligne. Ils opèrent souvent dans une logique de ren‑
voi (retweet/« j’aime »), que l’on peut qualifier de
« positif 2 », de l’information postée par le responsable
politique. Leurs motivations pour procéder ainsi

2.  Les renvois « positifs » qui soutiennent le message relayé sont


à distinguer des renvois « négatifs » qui le détournent ou le cri‑
tiquent.

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Personnel politique et médias socionumériques…

peuvent inclure des questions d’image publique, la


volonté de souligner une affiliation politique, mais
aussi, puisque l’usager à l’origine du message est par
défaut informé de tout commentaire ou renvoi lié à
ses contenus, ces actions peuvent avoir pour objectif
de se donner de la visibilité (notamment si le respon‑
sable politique répond), d’interpeller ou d’établir des
contacts. Quelle qu’en soit la cause, le message d’ori‑
gine qui a été relayé, ainsi que son auteur, gagnent
potentiellement en visibilité à l’intérieur du réseau
des sympathisants.
Comme en communication politique de proxi‑
mité, la fonction phatique est également à prendre
en compte et semble être à l’origine de certains
messages envoyés. Ceux-­ ci visent à entretenir des
contacts, à remercier autrui, ou à donner de la visi‑
bilité aux actions d’un collègue, à travers un retweet,
par exemple.
Les échanges publics entre politiques de diffé‑
rents bords restent minoritaires, ce qui peut s’expli‑
quer par la volonté d’éviter le risque d’un conflit
public, visible aux sympathisants de l’opposant, qui
pourraient eux aussi décider de prendre part aux
échanges. C’est pour cette raison qu’il est assez rare
sur Twitter, par exemple, pour un personnage poli‑
tique avisé de citer le nom du compte d’un opposant,
sachant que dans ce cas le message deviendrait visible
à tous les followers de l’opposant. Il est plus habituel

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La communication politique

de citer le nom de la personne sans « @ » (le mar‑


queur d’un nom de compte sur Twitter), ou de faire
précéder le nom d’un « # » (hashtag) pour en faire un
sujet de conversation, afin d’éviter les réactions des
sympathisants de l’opposition, potentiellement diffi‑
ciles à gérer publiquement.
La logique de réseau joue également un rôle
important dans les appels à la mobilisation lancés
par les politiques via les médias sociaux. Dans ce
contexte, Bennett et Segerberg (2012) parlent de
« réseaux connectifs » (« connective networks ») dans
lesquels le capital personnel peut pousser les indivi‑
dus à s’engager dans des actions politiques, par ami‑
tié ou simplement en suivant l’exemple. Les auteurs
suggèrent que les citoyens se mobilisent plus faci‑
lement en réponse à des appels à l’action lancés sur
les réseaux socionumériques, en passant par des liens
apparemment désintéressés, fondés sur « l’amitié »,
que lorsque l’appel est envoyé via les canaux offi‑
ciels ou présenté par un militant inconnu. La cible
jeune est ici visée en première ligne, mais en politique
locale aussi, la proximité aidant, on peut mobiliser
des réseaux d’acteurs qui se connaissent, susceptibles
de relayer une information.
Quels sont les contenus envoyés via ces médias
à destination du réseau, et avec quels objectifs ? En
ce qui concerne les élus nationaux, la majeure partie
des informations diffusées concerne ce que Jackson et

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Personnel politique et médias socionumériques…

Lilleker (2011) appellent la gestion de la circonscrip‑


tion (« constituency service »). Sorte de newsletter élec‑
tronique, ce type de contenu relate l’agenda quotidien
du personnage politique, de manière assez linéaire, sur
le régime : « ce que je vais faire », « ce que je fais », « ce
que j’ai fait », « merci », à grand renfort de photos, plus
rarement de vidéos, et d’éventuels retweets sur Twitter.

Une reconfiguration des relations


avec les journalistes
L’un des avantages des médias socionumériques
par rapport aux autres médias est leur ubiquité. Cette
qualité, associée à leur fonctionnement en temps réel,
permet aux politiques de communiquer et de res‑
ter sur le devant de la scène médiatique, même loin
des micros et des caméras, sachant que les messages
peuvent ensuite être relayés par les « socionautes »
ou les journalistes politiques à l’affût des nouveautés
(Frame et Brachotte, 2015).
Cette situation contribue à redistribuer les rôles
entre journalistes et politiques3. Les messages postés

3.  Cette section s’appuie sur une série de 10 entretiens individuels


semi-­directifs menés par l’auteur et Gilles Brachotte, auprès d’élus
nationaux de premier rang et de journalistes politiques des médias
nationaux (presse écrite et télévision) en 2013 et 2014.

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La communication politique

sur les comptes Twitter et Facebook d’un responsable


politique sont devenus une source importante pour
les journalistes politiques, car ils ont le statut de prise
de parole officielle. Pour certaines informations, ils
remplacent les communiqués de presse, pour d’autres
ils peuvent anticiper le communiqué officiel. Si
l’information s’avère inexacte et/ou doit être retirée
par la suite, c’est au responsable politique de se jus‑
tifier, prétextant le piratage de son compte (Aurélie
Filippetti, avril 2015) ou encore les actions non auto‑
risées ou peu avisées d’un collaborateur ou d’un sta‑
giaire. Cela a pour effet d’obliger les journalistes à
consulter les comptes des politiques sur lesquels ils
s’apprêtent à écrire, et les oblige également à étendre
leur veille à Twitter et à Facebook (souvent via des
outils d’agrégation des contenus) en plus des fils des
agences de presse. Les politiques détournent ainsi, en
quelque sorte, le circuit d’information traditionnel.
Mis à part les quelques personnages politiques
connus pour poster régulièrement des informations
originales ou pour leurs prises de parole polémiques,
les journalistes politiques disent regretter la langue de
bois des politiques sur les réseaux et jugent leurs mes‑
sages publics assez peu utiles. En revanche, il arrive
aux acteurs politiques de suivre des journalistes, à
l’image d’une conseillère du ministre de l’Économie,
abonnée aux comptes Twitter des principaux jour‑
nalistes économiques qu’elle disait consulter avant

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Personnel politique et médias socionumériques…

même de faire sa revue de presse matinale, sachant


que des articles ou des informations importantes
seraient nécessairement commentés par ces journa‑
listes sur le réseau de microblogging4.

Les interactions publiques et privées


Il peut y avoir une autre raison pour qu’un jour‑
naliste suive un acteur politique et vice versa : le fait
de se suivre réciproquement était autrefois nécessaire
pour l’envoi de messages privés sur Twitter. Les mes‑
sages privés constituent une autre fonctionnalité impor‑
tante des médias socionumériques, mais qui est bien
moins en vue car non publique. Les journalistes et les
politiques qui se suivent peuvent échanger discrètement
des informations qu’ils ne pourraient raisonnable‑
ment divulguer publiquement, faisant de cette fonc‑
tionnalité une version électronique des conversations
officieuses. Dresser un portrait des liens réciproques
entre comptes Twitter permet ainsi de se faire une
idée des réseaux d’amitié et d’influence entre les poli‑
tiques et les journalistes (cf. Brachotte et Frame, 2015).
La messagerie directe de Twitter peut également
être utilisée entre acteurs politiques de bords ou de
partis opposés. Le fait de suivre un opposant politique

4.  Entretien personnel avec l’auteur en mai 2013.

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La communication politique

constitue une acceptation tacite de messages privés et


peut sembler moins engageant symboliquement que
d’échanger son numéro de téléphone portable. Enfin,
la fonctionnalité peut servir à d’autres personnes avec
lesquelles une communication publique serait inap‑
propriée, ou pour des contenus non destinés à l’œil
public. Les lobbyistes ou des messages envers les acti‑
vistes en sont un exemple, et les quelques « bourdes »
de députés (Éric Besson, Nadine Morano…), qui ont
envoyé publiquement sur Twitter des messages cen‑
sés rester privés, témoignent du fonctionnement des
dessous de l’Assemblée nationale.
En plus des messages privés, une autre utilisa‑
tion des médias socionumériques qui ne laisse pas de
traces visibles pour le chercheur mais qui est impor‑
tante en communication politique est la veille infor‑
mationnelle (Roginsky, 2015). Faciles et rapides
d’utilisation et accessibles à tout moment, ces médias
permettent aux politiques de rester au courant des
nouveautés, de se renseigner, de « prendre le pouls »
de l’opinion sur différents sujets. Activité réservée
à des moments perdus, dans les transports ou à des
séances qui ne demandent pas une attention sans
faille, les politiques peuvent passer autant voire plus
de temps à consulter ces médias qu’à rédiger des
contenus, sachant que souvent les deux activités sont
indissociées, dans le cas de « j’aime » ou de retweets,
par exemple.

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Personnel politique et médias socionumériques…

En période électorale
Les périodes électorales sont toujours des
moments forts d’utilisation de ces dispositifs et cer‑
tains comptes ne sont réactivés que pour les cam‑
pagnes électorales. Il s’agit alors de documenter la
campagne et les déplacements (agenda, vidéos et
photos, messages de remerciements, de mise en avant
du travail des militants, retweets d’autocongratula‑
tion…), de relayer les informations des candidats à la
tête du parti ou sur le programme, parfois d’attaquer
l’opposition ou de participer à des polémiques.
Le site internet grand public lancé par Marine
Le Pen en vue de l’élection présidentielle de 2017
(www.marine2017.fr) reproduit les informations
publiées sur ses différents comptes de médias socio‑
numériques. Portail unique, il donne un accès direct
pour ses supporters à tous les contenus postés depuis
ces comptes. Ce site vient couronner une stratégie
globale de contrôle et de fléchage des informations
opérée par la candidate. Ses messages renvoient très
souvent à des contenus médias plus longs, produits
par son parti, et son utilisation des médias socionu‑
mériques contribue à promouvoir ces mêmes conte‑
nus via différents canaux.
En plus des médias socionumériques et des sites
grand public, les grands partis ou même les candidats

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La communication politique

individuels, lors de scrutins nationaux, peuvent déve‑


lopper des dispositifs sur mesure dédiés à la cam‑
pagne, à la suite de la plateforme web baptisée « Désir
d’avenir » qui a été développée pour soutenir la cam‑
pagne de Ségolène Royal lors des primaires socialistes
en préparation des élections présidentielles de 2007.
Ces dispositifs sont dédiés à la diffusion des informa‑
tions à propos de la campagne, à l’annonce des mee‑
tings, à la gestion du réseau des militants, notamment
pour coordonner des actions de mobilité, et à la col‑
lecte de fonds. Cette dernière fonctionnalité n’est pas
aussi développée en France qu’aux Etats-­Unis où, en
2015/2016, Bernie Sanders, candidat à l’investiture
démocrate, a axé le financement de sa campagne sur
des micro-­donations via les réseaux sociaux, dépas‑
sant largement le montant des fonds levés par sa
rivale, Hilary Clinton.

La gestion de l’image politique


Fonctionnalité centrale des médias socionumé‑
riques, la gestion de l’image est critique pour la com‑
munication politique, puisque adopter ces dispositifs
implique également de se soumettre à leurs codes et
au droit de réponse de ses interlocuteurs. C’est jus‑
tement ce semblant de proximité, ainsi que le ton

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Personnel politique et médias socionumériques…

souvent informel et ludique qu’on y adopte, qui font


de ces médias des dispositifs intéressants pour tra‑
vailler l’image politique. Résolument modernes et
parfois associés à l’intime, ils permettent au politique
de chercher à cultiver une image plus personnelle
et humaine. Il peut ainsi se mettre en scène via des
images moins officielles, en se présentant « en cou‑
lisses », ou dans un cadre non professionnel.
La personnalisation des contenus soulève égale‑
ment la question de l’identité de la personne qui les
rédige. Parfois il s’agit de l’acteur politique en per‑
sonne, mais souvent, il est assisté dans cette tâche par
ses collaborateurs. Les pratiques varient énormément
et le profil de l’élu et son niveau d’exercice y jouent
un rôle. À un extrême, il y a des élus qui ne voient
jamais leur profil sur les médias socionumériques. À
l’autre, les politiques les plus acharnés, ou les moins
entourés, font tout eux-­mêmes. Parfois une coges‑
tion est affichée, et l’élu peut signer de ses initiales
les messages qu’il envoie lui-­ même, par exemple.
Michelle Delaunay tenait deux comptes Twitter lors
de sa délégation ministérielle : un compte personnel
ouvert avant la prise de fonction et qu’elle gérait elle-­
même ; et un deuxième lié à la fonction ministérielle,
mais géré uniquement par son équipe. Selon elle, ce
fonctionnement n’avait pas reçu, dans un premier
temps, l’approbation de Matignon : « Au début du
mandat de ministre, on nous a dit très clairement :

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La communication politique

“Moins vous tweeterez plus on vous aimera” […].


Le service de com’ du Premier ministre a quelquefois
recadré sévèrement des ministres5 ».

L’image politique et la « culture LOL »


Au mois d’août  2015, sur le compte Twitter
d’Hervé Morin, on pouvait lire : « Je viens juste de
trancher 94 fruits en mode Classique de @FruitNinja
sur iPad ! » Le tweet a été relayé au point de défrayer
la chronique sur Internet. L’intéressé a désigné son
jeune fils comme responsable de ce tweet semi-­
automatique généré par le jeu FruitNinja, mais
l’incongruité entre la posture politique et le message
peut prêter à sourire. Le fait qu’une nouvelle qui n’en
est pas une ait pu attirer bien plus l’attention qu’un
tweet politique habituel en dit long sur les risques
pour l’image politique qui proviennent de ce qu’on
a appelé la « culture LOL » (rire aux éclats/laughing
out loud en anglais). Une partie non négligeable des
contenus partagés sur les réseaux socionumériques
est censée faire rire, choquer ou surprendre : des
clips dans la tradition de Vidéo Gag aux cartoons
et aux blagues plus ou moins potaches, les « réseaux

5.  Entretien personnel, le 30 janvier 2014.

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Personnel politique et médias socionumériques…

sociaux » permettent à leurs utilisateurs de faire des


clins d’œil humoristiques à leurs « amis ».
Dans ce contexte, les représentants poli‑
tiques peuvent constituer une cible privilégiée de
cet humour en raison de leur statut dans la société
et indépendamment de leur usage ou non de ces
médias (Mercier, 2015a ; 2015b). Dans la tradition
de la satire politique, de nombreux sites web ont pris
le relais sur la presse écrite ou les émissions de télé‑
vision ou de radio dans ce domaine. Sur les médias
socionumériques, des vidéo-­montages circulent régu‑
lièrement, montrant les maladresses des politiques,
comme par exemple certaines « bourdes » diploma‑
tiques présidentielles de François Hollande. Toute
bourde est susceptible d’être relayée instantanément
via ces médias, d’autant plus s’il s’agit d’une mise en
scène ratée. Alors candidate aux élections régionales
de 2015, Valérie Pécresse s’était employée à nettoyer
le site d’un ancien campement Rom en région pari‑
sienne, action symbolique quelque peu compromise
lorsqu’elle a affirmé, devant les caméras, avec sa pelle
et ses gants en caoutchouc : « Il faut une femme pour
faire le ménage ». La vidéo a connu un grand succès
sur les réseaux.
Lorsque la bourde est commise directement
sur les médias socionumériques, elle circule rapide‑
ment et peut parfois donner lieu à des variantes créa‑
tives. Nicolas Sarkozy, dans un tweet en mai  2015,

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La communication politique

a écorché le titre du roman Quatrevingt treize de


Victor Hugo, en l’écrivant « 1793 ». D’autres « twit‑
tos » se sont saisis de l’erreur et ont envoyé des pro‑
positions de titres erronés en utilisant le hashtag
#TweeteCommeSarko. Ces « renvois négatifs » sont
susceptibles de nuire à l’image politique de l’auteur
du message original, et posent un vrai problème aux
équipes de communication impuissantes, qui perdent
alors tout contrôle du message.
Derrière la « culture LOL » se cachent aussi des
agressions d’une grande violence symbolique, aux‑
quelles les médias socionumériques exposent les per‑
sonnages politiques comme jamais auparavant. Ils
donnent aux citoyens un canal de réponse, la possibi‑
lité d’exprimer leur désaccord ou désapprobation face
aux politiques menées. Ce modèle de communica‑
tion horizontal se distingue des dispositifs tradition‑
nels verticaux qui donnaient la parole et le pouvoir
aux élus, tout en les protégeant symboliquement du
peuple. Lors des entretiens menés, plusieurs élus ont
évoqué leur malaise face à la violence des paroles des
citoyens via les médias socionumériques, en identi‑
fiant celle-­ci comme l’un des freins principaux à l’uti‑
lisation de ces dispositifs.
Cependant, rester absents des réseaux n’est pas
non plus une solution pour les politiques car de nom‑
breux faux comptes fleurissent sur les différents
médias socionumériques, satiriques pour la plupart,

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Personnel politique et médias socionumériques…

qui viennent alimenter encore la machine avec des


contenus humoristiques voire absurdes, semant par‑
fois le doute quant à leur authenticité. Mais même
lorsqu’il est clairement non authentique, ce type de
contenu drôle et irrespectueux rencontre générale‑
ment beaucoup de succès. Au sein de ce qu’Arnaud
Mercier (2015a) décrit comme un « contre espace
public » numérique, la participation politique répond
à des principes de fonctionnement tout autres que
celui de la délibération habermassienne, et les recettes
qui marchent sont l’anti-­institutionnalisme, l’ironie,
la parodie et le sensationnalisme.

Communication politique
bruyante et virale
Dans un contexte social de désenchantement
démocratique (Perrineau, 2003) dans lequel la com‑
munication politique via les médias traditionnels
semble avoir de plus en plus de mal à passionner les
foules, les médias socionumériques avec leur effer‑
vescence et leur « logique connective » constituent-­
ils une solution pour réenchanter la communication
politique ? Pour ce faire, il faudrait nécessairement
adapter cette communication aux spécificités socio‑
techniques des dispositifs. Ana Deumert met en avant

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La communication politique

l’importance, en quantité mais aussi en qualité, des


messages informels et ludiques sur les médias socio‑
numériques, souvent écartés en tant que « bruit »
dans les études «  sérieuses 
» de communication
(Deumert, 2015). Or, ce sont précisément ces mes‑
sages « bruyants » (« noisy »), affirme Deumert, qui
sont la clé pour comprendre la communication sur
ces réseaux. En dehors des espaces bien ordonnés de
la communication « sérieuse », c’est ce qu’il se passe
dans le « wilderness », cet espace sauvage qui échappe
au contrôle et aux bienséances, qui intéresse le plus les
« socionautes », justement pour la liberté d’expression
qu’ils y trouvent. Les discours anti-­Establishment des
figures populistes trouvent leur écho dans les détour‑
nements, les parodies, les « coups de gueule » et les
renvois négatifs où l’on répond publiquement, se
moquant des puissants en toute impunité.

Bourdes, dérapages
ou communication stratégique ?
L’utilisation stratégique des médias socionumé‑
riques qui se rapproche le plus de ces logiques est celle
de l’auto-­médiatisation. Pour des personnages poli‑
tiques qui ont peu d’accès aux médias traditionnels,
il peut sembler opportun de produire ses propres

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Personnel politique et médias socionumériques…

apparences médiatiques en se mettant en scène via les


médias socionumériques ou en essayant d’attirer l’in‑
térêt d’autres médias en provoquant des phénomènes
viraux, de « buzz ». La communication polémique
(Mercier, 2015a ; 2015b) peut constituer un exemple
de cette stratégie, lorsque la polémique a pour ori‑
gine un message posté par un acteur politique. Cela
pose la question de l’intentionnalité des polémiques
et plus généralement des messages à caractère sensa‑
tionnaliste, susceptibles d’être repris et relayés négati‑
vement par les socionautes.
La grande partie des polémiques politiques sur
ces réseaux semble échapper aux acteurs politiques,
car très souvent ils en sont la cible. Mais dans cer‑
tains cas, on peut soupçonner que des dérapages ou
des bourdes peuvent être orchestrés afin de donner de
la visibilité au personnage lui-­même. Selon la phrase
attribuée au propriétaire de cirque américain, Phineas
Barnum, il n’y a pas de publicité négative (« there’s
no such thing as bad publicity ») et de telles stratégies
visant à assurer la notoriété de leur auteur ne sont pas
nouvelles en communication politique. En France,
certains élus n’ont pas attendu les médias socionumé‑
riques pour commettre des « dérapages » lors d’une
prise de parole publique, dérapages ensuite sanction‑
nés ou non par leur parti, mais qui peuvent servir à
positionner politiquement leur auteur ou à augmen‑
ter sa popularité parmi certains partisans.

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La communication politique

Désormais, les médias socionumériques servent


de chambre de résonance pour ce « bruit », avec la
temporalité qui leur est propre permettant de dif‑
fuser très rapidement des messages à caractère sen‑
sationnaliste. En marge du parti Les Républicains,
Nadine Morano s’est longtemps servie de ces
logiques. Suite à une intervention télévisée sur
France  2 en septembre  2015 pendant laquelle elle
a qualifié la France de « pays judéo-­chrétien de race
blanche », elle a ravivé quelques semaines plus tard la
polémique via son tweet : « S’il n’y a pas de race, il
faut donc supprimer les subventions aux associations
antiracistes ». Quel peut être l’objectif de ce message
à la causalité quelque peu suspecte, si ce n’est de
faire réagir, de faire parler, d’affirmer une nouvelle
fois une position politique à propos de la question de
l’immigration ?

Cet article a mis en avant diverses tensions entre


les normes préexistantes de la communication poli‑
tique et les normes de communication via les médias
socionumériques. Ces tensions se cristallisent autour
des dimensions de la temporalité (instantanéité, rapi‑
dité, temps réel) ; les relations (réciprocité, anonymat,
public, privé et personnel, manque de hiérarchisa‑
tion) ; la désintermédiation (proximité, ouverture,
transparence, manque de barrières sociales et tech‑
niques, ubiquité) ; le sensationnalisme (polémiques,

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Personnel politique et médias socionumériques…

controverse, viralité) et l’humour (satire, détourne‑


ments, faux). Elles ont permis de faire émerger de
nouveaux usages en communication politique qui
s’inscrivent souvent dans la continuité des anciennes
pratiques, adaptées pour tirer profit des caractéris‑
tiques offertes par les dispositifs sociotechniques.
Mais, au terme de ce tour d’horizon, il nous
semble que la question de la professionnalisation de
la communication politique via les médias socio‑
numériques reste entière, car outre l’adoption des
quelques fonctionnalités somme toute assez évidentes
de ces dispositifs, bien des enjeux restent à maîtri‑
ser. Une fois déconstruite l’utopie de l’espace public
numérique à l’habermassienne et de la délibération
démocratique via des interactions interpersonnelles
entre élus et citoyens anonymes, d’autres objectifs
communicationnels font surface, liés à la gestion du
réseau, de l’image et de la notoriété du personnage
politique.

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La communication politique

Norris, Pippa, Digital Divide : Civic Engagement, Information


Poverty, and the Internet Worldwide, Cambridge University Press,
2001.
Perrineau, Pascal, Le désenchantement démocratique, La Tour
d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2003.
Roginsky, Sandrine, « Les députés européens sur Facebook et
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Strömbäck, Jesper, « Four Phases of Mediatization : An Analysis
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Press/Politics, vol. 13, no 3, 2008, p. 228‑246.

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Blogs, réseaux sociaux
et « révolutions arabes » :
du fantasme à la réalité
Tourya Guaaybess

Avant l’accès à l’Internet 2.0, les observateurs


avaient bien du mal à échapper à deux écueils en abor‑
dant les médias des pays du Sud, et tout spécialement
ceux des pays arabo-­musulmans. Le premier était de
nourrir des attentes inconsidérées en faveur de médias
capables d’apporter la modernité et le progrès –  sur
les plans sanitaire, éducatif, normatif –, de favoriser la
participation politique et, ainsi, d’accélérer de suppo‑
sés « processus de démocratisation ». Cette croyance est
encore vivace, alors même qu’aucune expérience n’est
venue démontrer ce caractère magique des médias. Le
second écueil était de ne point se départir d’une repré‑
sentation récurrente, celle de médias forcément mar‑
qués par une identité religieuse (Gonzalez-­ Quijano,
2012). Qu’il s’agisse de la radio, de la télévision, des
cassettes, des vidéocassettes, des chaînes satellitaires, les
médias dans les pays arabes ont souvent été porteurs
de promesses ou d’appréhensions. Ces deux visions,
utopiste ou culturaliste, sont biaisées et ne rendent pas

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La communication politique

compte des réalités sociales, forcément plus complexes,


et au sein desquelles les médias ne font pas tout.
Pour autant, les médias sont des prismes analy‑
tiques précieux qui permettent de rendre compte de
réalités sociales dans toutes leurs dimensions (cultu‑
relles, politiques, anthropologiques, économiques)
avant d’être des vecteurs de changement. Il suffit,
sans prénotion invalidante, d’y appliquer les outils
méthodologiques et théoriques à l’œuvre pour l’étude
des médias du Nord. Observer les structures média‑
tiques d’un pays donné pour comprendre le mode de
fonctionnement du pouvoir politique et son intrica‑
tion avec le champ économique, est plus sûr que de
faire des pronostics sur la capacité ou non des médias
à répandre les ferments de la démocratie. Avant 2010,
bien que quelques travaux en France avaient pris
la mesure de l’usage d’Internet dans les pays arabes
(Mermier, 2003 ; Mohsen-­ Finan, 2009 ; Gonzalez
et Guaaybess, 2009) ils étaient plus nombreux dans
les pays anglo-­saxons, historiquement plus actifs sur
l’étude des médias arabes (Lynch, 2006 ; Radsch,
2008 ; Elting et al. 2009 ; Hamdy, 2010 ; Hof heinz,
2005).
La découverte « grand public » de l’usage des
médias numériques et des réseaux sociaux se fait au
moment des printemps arabes et l’on évacue, pour un
temps, l’écueil d’une approche centrée sur le religieux
pour embrasser celui d’une approche politique du Net

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Blogs, réseaux sociaux et « révolutions arabes »…

arabe. La vieille antienne est remisée et appliquée au


dernier avatar médiatique (Internet) devenu porteur de
la démocratie.
Alors qu’au niveau international, l’un des enjeux
centraux d’Internet était celui de sa neutralité (Schafer
et Le Crosnier, 2011) et de la nécessité ou non de régu‑
ler le cyberespace, des mobilisations à l’est et au sud
de la Méditerranée ont (ré)suscité une vision idyllique
d’Internet et des médias numériques. Des populations
se sont soulevées contre des régimes qu’elles jugeaient
dépassés et corrompus : d’abord en Iran en 2009 (Hare
et Darani, 2010), puis ce fut en 2010-­2011 le début du
« printemps arabe » en Tunisie, en Égypte, en Libye,
en Syrie, au Yémen, au Maroc, etc. Et, ce sont autant
ces « révolutions arabes » qui ont pris de court les opi‑
nions publiques européennes (Martinez, 2011), que le
fait que les insurgés aient utilisé de nouveaux médias
via Internet (la génération dite Web 2.0), les réseaux
sociaux (Granjon, 2011) et les smartphones. Jamais, les
nouvelles technologies de l’information et de la com‑
munication n’avaient encore été à ce point les symboles
d’un évènement historique – et médiatique – si reten‑
tissant. Les médias numériques sont devenus pour les
révolutions arabes ce que Radio Free Europe avait été
aux soulèvements en Europe de l’Est à partir des années
1950 –  (Lepeuple, 1995) – (notamment en Hongrie
en 1956) ; à tel point que l’on ne parlait plus que de

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La communication politique

« révolution 2.0 » ou de « révolution Facebook », et


que l’on posât la question du rôle des médias dans ce
contexte, avant de poser celle du rôle des acteurs, par
le jeu d’une métonymie éclairante prenant le dispositif
technique pour l’acteur.
Aucune étude n’a permis d’établir qu’il existait
une relation de cause à effet mécanique entre nou‑
veaux médias et ouverture politique et, même, entre
nouveaux médias et soulèvements à grande échelle. Il
n’est pas question de nier le rôle possible des médias
mais il convient d’apporter deux bémols : les médias
numériques n’ont pas été les éléments déclencheurs
d’un processus démocratique mais des outils de mise
en visibilité des tensions sociales, un rôle déjà pré‑
cieux dans des régimes verrouillés. Ajoutons que tous
les médias, pas seulement ceux de l’ère d’Internet, ont
été les porte-­voix des soulèvements.

Les postulats de la révolution numérique


Le lien dialectique entre médias numériques et
démocratie est débattu dans les régimes démocratiques
comme autoritaires, mais en termes différents. Dans le
premier cas, la question est de savoir si les nouveaux
médias représentent un bienfait pour la démocratie et,
dans ce cas, s’ils peuvent contribuer à sa consolidation,
en favorisant par exemple la participation politique

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Blogs, réseaux sociaux et « révolutions arabes »…

via Internet et les réseaux socionumériques (Maigret


et Monnoyer-­Smith, 2002). Dans le cadre d’espaces,
réels ou symboliques, élargis tels que l’Union euro‑
péenne, ces sujets sont assortis de la thématique cen‑
trale d’un espace public commun que les médias
pourraient matérialiser sinon promouvoir (Dahlgren
et Relieu, 2000). Plus récemment, pour l’élection de
Donald Trump à la présidence des États-­Unis, une
vaste polémique fait de Facebook et des « informa‑
tions » non vérifiées qui y circulent (« fake news »),
une source de soutien aux arguments populistes du
candidat Trump, pouvant expliquer sa victoire.
Dans le cas des régimes autoritaires, il ne s’agit
pas de revivifier un espace public, ni de veiller à ce
que les médias jouent leur rôle pour rendre la démo‑
cratie plus effective. Il s’agit plus basiquement de lui
permettre d’émerger et de se construire. Et cela rend
épineuse la question du rapport dynamique entre nou‑
veaux médias et démocratie, s’agissant des pays arabes.
Quelques années après le début des soulève‑
ments dans les pays arabes, ces révoltes ne se sont pas
toutes traduites par l’instauration de régimes démocra‑
tiques stables. En Tunisie, où la destitution du régime
a donné lieu aux évolutions les plus encourageantes, la
nouvelle démocratie est encore en voie de définition
après des décennies d’autoritarisme. Y compris, sur la
base de nouvelles dispositions constitutionnelles – dans
les cas marocain, et quelques années après, tunisien

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La communication politique

et égyptien  –, tout reste à construire et à (ré)inventer


(Dobry, 2000). Le président Mohamed Morsi, démo‑
cratiquement élu par les Égyptiens en 2012, a été écarté
par l’armée après de vastes manifestations qui soute‑
naient cette dernière, et les caciques de l’ancien régime
du président Moubarak ( falafoul ) sont revenus sur le
devant de la scène, grâce aux militaires, réprimant sans
ménagement tant les opposants démocrates laïcs que
les partisans islamistes de l’ancien président Morsi.
Pour autant, il ne s’agit pas de nier les aspirations des
sociétés civiles à l’origine de ces révolutions et le rôle
qu’y ont joué les médias, mais ces aspirations n’ont pas
attendu Facebook pour exister et pour être relayées.
La perception d’un rapport entre technologie
et démocratie traduit une approche téléologique et
donne lieu à trois postulats :
–  les nouveaux médias sont des instruments per‑
formants, à même de promouvoir le progrès
social et la démocratie ;
– Internet et les réseaux sociaux correspondent à
une rupture historique dans l’histoire des régimes
autoritaires ;
– (ce qui induit que) les autres médias ne sont
pas des instruments démocratiques aussi perfor‑
mants que les nouveaux médias.

Ces postulats peuvent être sérieusement remis


en question.

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Blogs, réseaux sociaux et « révolutions arabes »…

Les nouveaux médias : instruments


d’émancipation et de contrôle
Dans la plupart des pays arabes, Internet et les
réseaux sociaux ont été des espaces d’information et
d’expression inédits bien avant le début des révolutions.
Les médias en ligne, dans les pays où l’information est
muselée, sont à la fois des instruments de résistance et
d’action et, tout simplement d’information. Ils ont per‑
mis aux dissidents de se faire entendre et de contour‑
ner efficacement la censure des autorités et les limites
qu’elles imposent à la liberté d’information (Mendel,
2009). Il n’était désormais plus possible de faire taire les
opposants sur la Toile et les exemples sont nombreux
où les cyberactivistes –  symbole d’une nouvelle forme
de résistance  – ont remis en cause les représentants
du pouvoir, au péril de leur vie parfois1. À l’époque
du président Ben Ali, alors que le pouvoir était parti‑
culièrement hostile à la liberté d’expression, Internet
a permis à des internautes et à des blogueurs tunisiens
habiles, parfois de l’extérieur du pays, d’avoir un espace
public alternatif (Zeineb, 2012). Plus tard, au moment

1.  Par exemple, le 9  avril 2011, le blogueur bahreïni, Zakariya


Rashid Hassan meurt en prison après y avoir été torturé. Il avait
été arrêté pour « incitation à la haine », « appel au renversement
du régime sur des forums en ligne ». Voir : <http://www.cpj.org/
killed/2011/zakariya-­rashid-­hassan-­al-­ashiri.php>.

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La communication politique

de la révolution dite « de Jasmin », quand les autori‑


tés officielles donneront une version euphémisée des
heurts à Kasserine où des dizaines de manifestants ont
trouvé la mort en janvier  2011, c’est Facebook qui a
servi de canal aux deux millions de Tunisiens abon‑
nés qui auront ainsi accès aux images de la répression,
à Kasserine comme dans les différentes villes du pays.
Le cas de l’Égypte est plus patent encore, où la
blogosphère politique d’opposition fut l’une des plus
vivaces et des plus précoces du monde arabe. De son
émergence au début des années 2000 avec une élite de
jeunes blogueurs férus d’informatique et bilingues, à
son accès plus large quelques années plus tard (Radsh,
2008), les cyberdissidents n’ont pas cessé de tester les
limites de la liberté d’expression et de remettre en cause
le régime en place et ses représentants (la police notam‑
ment). L’âge d’or de Facebook en Égypte pourrait bien
être en 2008, où un mouvement dit du 6 avril a consti‑
tué une page de 70 000  followers, qui manifestèrent
leur soutien aux ouvriers de l’usine textile de Mahalla.
Mais ces médias sont aussi des « armes numé‑
riques » entre les mains des régimes autoritaires
(Morozov, 2011) et des partisans de ces régimes. Ces
contre-­feux médiatiques constituent une réalité, même
s’ils collent moins au récit journalistique ou à l’image
d’Épinal enchantée des « printemps ». D’une part,
les autorités interceptent les messages ou surveillent
Internet avec des spywares ou logiciels de surveillance,

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Blogs, réseaux sociaux et « révolutions arabes »…

le plus souvent exportés par des entreprises occiden‑


tales peu soucieuses de leurs usages, telles Gamma,
Hacking Team, Amesys et Blue Coat2. Interception
des messages, blocage de sites (filtrage par URL ou
mots-­clés), ou carrément d’Internet et des téléphones
portables, en passant par les relais que sont les entre‑
prises de télécommunications, les fournisseurs d’accès
ou les propriétaires de cybercafés, tout a été mis en
œuvre pour contrôler les espaces publics numériques.
On se souvient à cet égard de l’État égyptien qui
moins de 72  heures après l’historique 25  janvier, jour
premier de la révolution place Tahrir, coupa simple‑
ment Internet et le réseau de téléphonie mobile3. On
a aussi vu que des États ont activement participé à la
diffusion de messages via des SMS ou sur Internet et

2.  Les produits exportés dans les régimes autoritaires par ces entre‑
prises « mercenaires de l’ère digitale » (sic) sont destinés à l’écoute
à grande échelle, à la surveillance du réseau dans son ensemble,
à l’espionnage via des logiciels (spyware) et à des dispositifs de
surveillance ciblée. Cf.  Reporters sans Frontières / Les ennemis
d’Internet, « Rapport spécial : Surveillance », 2013. Disponible
sur  : <http://surveillance.rsf.org/wp-­content/uploads/2013/03/
Ennemis-­dinternet-­20131.pdf>.
3.  Laissant sans le vouloir à la chaîne satellitaire Al-­Jazeera le soin
d’être le porte-­voix et le canal de diffusion des vidéos des manifes‑
tants égyptiens. Par ailleurs, des internautes solidaires du monde
entier, des groupes décentralisés tels que les Anonymous ou les
Telecomix, apportèrent leur soutien à leurs homologues Égyptiens
pour les « reconnecter ».

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La communication politique

les réseaux sociaux. En 2011, les présidents libyen et


syrien ont, par SMS, enjoint les populations à les soute‑
nir. Même chose en Égypte (via les sociétés Vodafone,
Etisalat et Mobinil), où les Égyptiens étaient invités
à manifester en faveur de l’ancien président, Hosni
Moubarak. La résistance progouvernementale se mani‑
feste à travers sa propre communication via des médias
numériques qu’on pourrait qualifier de « loyalistes »
(Rugh, 2004). Des groupes d’activistes, à l’affût de
voix dissidentes aux régimes, lancent des attaques à leur
encontre, comme par exemple le groupe « Moroccan
Kingdom Attack ». L’enjeu de ces actions est l’adhésion
de l’opinion publique nationale et internationale. Et si
à ce jeu les cyber-­opposants aux régimes ont dominé
durant les soulèvements de 2011, c’est moins grâce aux
médias, quels qu’ils fussent, qu’à la sympathie dont ils
bénéficiaient de facto compte tenu justement de leur sta‑
tut d’opposants à des régimes ouvertement désavoués.

Internet et les réseaux sociaux :


rupture et rémanences
L’histoire des médias arabes montre que l’on a
souvent assigné aux médias des missions de dévelop‑
pement social, politique, économique (Guaaybess,
2002). Cet espoir sera encore une fois déçu  sur le
terrain des mobilisations : il apparaît aujourd’hui que

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Blogs, réseaux sociaux et « révolutions arabes »…

les médias n’ont pas été à même de promouvoir un


« nouvel homme », et des « sociétés démocratiques »,
invalidant ainsi le modèle de Daniel Lerner (1958).
La démocratisation de l’usage d’Internet depuis
les années 1990 – la « révolution numérique » – pour
reprendre Dominique Cardon (2010) ou Rémy
Rieffel (2014) qui parle à juste titre d’une révolu‑
tion culturelle –  représente un moment singulier
dans l’histoire des médias. Le cyberespace n’est pas
régulé par les États, c’est un espace inédit de liberté et
d’échange, et une base infinie de données et d’infor‑
mations à la disposition d’un nombre croissant d’in‑
dividus à travers le monde. Ce phénomène est inédit
dans l’histoire, même si d’aucuns craignent que cet
espace soit soumis aux logiques d’États régulateurs ou
aux géants de l’internet. Le problème est que l’on cède
bien souvent à une vision simpliste en confondant ce
constat – Internet, un formidable espace de liberté et
d’échange – et le fait que compte tenu de son excep‑
tionnalité, Internet aurait un effet de « transformateur
social » qui aurait le pouvoir de faire apparaître des
démocraties en lieu et place de régimes autoritaires.
Le fait que le Web 2.0 soit participatif et igno‑
rant des frontières des États-­nations ne suffit pas à
renverser la donne politique. Les batailles que mènent
les Syriens, Égyptiens, Libyens, Algériens, Irakiens…
se jouent essentiellement à l’échelle des États-­nations.
Les expériences récentes l’ont démontré : le taux de

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La communication politique

pénétration d’Internet n’est en aucun cas corrélé au


degré de réussite des mobilisations. Le cas du Bahreïn
a été symptomatique : alors que la pénétration d’In‑
ternet le place en peloton de tête des pays arabes, que
les cyber-­opposants étaient actifs malgré les risques
qu’ils encourraient, c’est aussi le pays où les mouve‑
ments populaires de mars 2011 (le « Printemps de la
Perle ») ont été les plus sévèrement réprimés.
Un examen de la blogosphère arabe dans le
cadre d’une grande enquête menée à l’université de
Harvard (Elting et al., 2009) montrait d’ailleurs que
les internautes communiquaient essentiellement (mais
pas « exclusivement ») avec leurs concitoyens. L’étude
démontre que les réseaux de blogueurs s’articulent
davantage autour des sujets de la vie ordinaire, notam‑
ment en Arabie saoudite où la blogosphère était la
plus importante après l’Égypte. Les actualités et per‑
sonnalités politiques qui intéressent l’ensemble des
blogueurs arabes sont surtout nationales.

Les médias (« traditionnels »)


sont morts, vivent les médias !
Enfin, dernier présupposé, les médias de l’ère
numérique conduiraient plus directement et sans détour
à la démocratie, ce que n’ont pu faire les autres médias.

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Blogs, réseaux sociaux et « révolutions arabes »…

Nombre de professionnels des médias audiovi‑


suels ou de la presse écrite ont été censurés, arrêtés
ou remerciés, comme ce fut le cas du célèbre jour‑
naliste égyptien Ibrahim Eissa qui fut remercié en
2010 de son poste de rédacteur en chef de l’hebdo‑
madaire Al-­Doustour car jugé trop indépendant par
le nouveau propriétaire. On pourrait citer d’autres
exemples plus tragiques comme celui du Libanais
Samir Kassir, intellectuel critique à l’égard de la Syrie
du président Bachar al-­Assad, et journaliste du quo‑
tidien libanais Al-­Nahar, qui fut assassiné en 2005. Il
suffit pour alimenter cette triste chronique de se réfé‑
rer aux rapports des organisations de défense de la
liberté d’expression. On pourrait pour s’en convaincre
prendre les exemples de journalistes et de blogueurs
qui furent sanctionnés sous l’ère Moubarak, puis
sous l’ère Morsi, puis, plus durement encore, sous
l’ère du gouvernement Sissi. Ces journalistes ont à
chaque fois eu un écho social. Que leurs voix aient
été minoritaires, et sans effet immédiat, est récurrent
en raison des contextes qui n’encouragent pas ce type
d’initiatives.
Remettre en question l’idée d’une relation quasi
automatique entre nouveaux médias et démocratie
est, hélas, aisé aujourd’hui : le maintien de régimes
autoritaires dans l’écrasante majorité des pays arabes
confirme cette hypothèse. Les mouvements de résis‑
tance se poursuivent et s’organisent, notamment à

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La communication politique

travers les médias, de telle sorte qu’il est plus perti‑


nent de parler de période « de transition », aussi bien
dans les pays où les chefs d’État ont été renversés,
dans les pays en crise, que dans les pays où la stabilité
apparente ne trompe personne.
Des débats politiques décisifs ont lieu qui jettent
les bases des régimes politiques à venir. Les réflexions
largement entamées et parfois abouties ont porté sur les
systèmes électoraux, sur les modalités de mise en place,
la nature et le contenu des Constitutions, de même
que sur la façon dont les médias devaient être régu‑
lés et les instance(s) qui devraient en avoir la charge.
Les espoirs de libéralisation politique portés par
la jeunesse notamment, sont exacerbés par les pos‑
sibilités offertes par Internet et les nouveaux médias.
Ces médias donnent une visibilité aux voix dissidentes
et assurent leur diffusion. Au niveau supranational,
ils ont la vertu de donner à voir une partie de cette
opposition spécifique et de son discours, grâce à des
blogs et autres plateformes numériques destinés à une
audience internationale – ce que Marc Lynch appelle
les « bridge blogging » (Lynch, 2007) – car cette oppo‑
sition au sein des pays arabes n’est pas inédite : elle
devient juste visible pour l’opinion publique interna‑
tionale, notamment occidentale.
Cependant, les médias à l’œuvre au moment des
mobilisations ne se réduisent pas aux médias numé‑
riques et à Internet. Le déroulement des évènements

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Blogs, réseaux sociaux et « révolutions arabes »…

et les chiffres de fréquentation des médias prouvent


que ces nouveaux médias s’inscrivent dans une
« confluence médiatique » (Guaaybess, 2012), dans
le sens où chaque média (presse, télévision, Internet)
ne fonctionne pas en vase clos. En 2010, seulement
36 % des Tunisiens avaient accès à Internet selon les
chiffres de l’UIT. Si les médias numériques ont été
au cœur des espaces médiatiques, leur place et leur
rôle tiennent aussi à la relation qui les lie aux autres
médias : la radio, la télévision hertzienne ou satel‑
litaire et la presse écrite (eux-­mêmes présents sur la
Toile). Vidéos amateurs, reportages journalistiques,
textes, témoignages audio, écrits ou photos sont passés
d’un média à l’autre en fonction des modes de pro‑
duction des médias, de leurs publics, des possibilités
de réception, des canaux de diffusion accessibles. Ces
messages contournaient la censure des médias officiels
en passant par des médias alternatifs, lesquels leur ont
parfois apporté un tel écho qu’ils sont revenus par la
grande porte des médias de masse. Et c’est en reve‑
nant par les médias « mainstream » justement qu’ils
se sont fait connaître du grand public, dans leur pays
et à l’étranger. Le mouvement massif d’opposition
Kefaya ! en Égypte (qui signifie « Assez ! » et qui d’une
certaine manière annonçait le fameux « Dégage ! » des
manifestants tunisiens) s’est fait connaître sur Internet
en 2005, mais aussi et surtout par une presse écrite
indépendante, la presse en ligne et l’audiovisuel. Les

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La communication politique

vidéos amateurs qui ont sérieusement remis en cause


les représentants de l’État – la police le plus souvent –
en Égypte ou au Maroc par exemple, ont défrayé la
chronique parce que la presse puis les chaînes de télé‑
vision les avait reprises. Ainsi, c’est sur les écrans de la
télévision privée DreamTV que les Égyptiens, puis le
monde entier ont découvert le jeune bloggueur Wael
Ghoneim, employé chez Google et devenu une des
icones de cette révolution – dans le cadre de l’émission
de Mona Shazly  – et qu’ils l’acclameront quelques
heures plus tard sur la place Tahrir. On peut même
dire que les médias « traditionnels » servent de filtres,
ou au contraire de chambre d’écho, pour l’ensemble
des messages médiatiques.
Donnons un exemple plus récent et significatif
de la confluence médiatique. En octobre  2016, au
Maroc, une vidéo (et parfois juste la photo) a fait le
buzz. C’était celle d’un vendeur de poissons marocain
qui a été comparé à Mohamed Bouzizi, le vendeur de
rue qui s’est immolé le 4  janvier 2011 déclenchant
les soulèvements en Tunisie. La vidéo, relayée sur les
réseaux sociaux, montre trois personnes monter dans
l’arrière d’une benne à ordure pour s’opposer à une
saisie de poissons. Deux individus arrivent à sortir
du camion avant le déclenchement de la broyeuse, le
troisième, Mouhcine Fikri, se fait happer. Cet évè‑
nement, emblématique de la situation économique
et sociale marocaine, entraine le 31  octobre des

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Blogs, réseaux sociaux et « révolutions arabes »…

mouvements de contestations dans plusieurs villes


marocaines, ainsi que la réaction du palais qui dili‑
gente une enquête.
En réalité, ces faits ont aussi été relayés par la
presse et par la télévision, ce qui suscita dans les deux
cas la sympathie des populations et les réactions des
autorités. Les différents médias, sur un mode inte‑
ractif –  chacun avec ses spécificités, ses temporali‑
tés, ses modes de production, d’écriture et de mises
en récit, relayent une information, la traduisent en
mots, en sons, la traitent en temps réel – en live – ou
l’inscrivent dans le temps plus long avec force ana‑
lyses et données chiffrées. Ainsi ils apportent une
visibilité à certains faits ou même à des questions
sociales. Cela peut avoir des effets en termes de pro‑
cédures judiciaires, être suivis par des manifestations,
susciter des réactions de la part des dirigeants poli‑
tiques (et systématiquement des leaders d’opinion).
La confluence médiatique a permis par ailleurs à un
événement d’être relayé à l’extérieur des frontières des
États-­nations, par les médias extra-­nationaux, ou par
les usagers sur Internet, et cela constitue une pression
qui peut peser sur les politiques nationales.
Ce phénomène est-­il nouveau ? Oui, car l’ajout
des médias sociaux permet aux usagers d’Internet de
réagir publiquement. Non, si l’on pense au système
télévisuel arabe qui a émergé au moment de l’avène‑
ment des chaînes satellitaires dans les années 1990 et

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La communication politique

qui ont permis à certaines questions d’émerger, obli‑


geant les médias publics à se positionner. Pensons à
ce qu’on a appelé « l’effet Al-­Jazeera » au moment de
sa création et pendant toute une décennie…

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La guerre de l’information russe :
une guerre multidimensionnelle
Nicolas Tenzer

La guerre de l’information est l’une des com‑


posantes de la guerre tout court1. Elle combine ce
qu’on appelle soft et hard power et n’est pas limitée à
la Russie de Poutine. Moscou l’a toutefois dévelop‑
pée avec une ampleur inégalée ces dernières années
avec des moyens financiers et humains et une exten‑
sion géographique dont le KGB n’aurait jamais pu se
douter. Cette guerre a une dimension à la fois interne
et externe : elle vise, d’un côté, à laver le cerveau de
ses citoyens en leur faisant perdre tout repère (Irisova,
2015) tout en instillant la crainte et, de l’autre, à
gagner à ses thèses une partie des dirigeants et de
l’opinion publique à l’étranger.
Elle comporte des dimensions multiples, certaines
évidentes et vite repérables par des personnes vigilantes,
d’autres plus subtiles et pernicieuses. Une réponse qui
ne se limiterait qu’aux premières n’éradiquera pas le

1. Une première version de cet article est parue dans The


Conversation (France) le 24 juin 2016 sous le titre « La guerre de
l’information russe : pour une réponse globale ».

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La communication politique

virus, et si elle n’est que réplique et non affirmation,


elle sera vouée à l’échec.

Une guerre de l’information


multidimensionnelle
La pratique de la désinformation ne se limite
pas au mensonge, mais elle combine fausseté et vérité
partielle. Elle entend chambouler le monde et pri‑
ver les citoyens de toute référence et de toute évi‑
dence. Elle dérobe le sol sur lequel nous nous tenons,
déforme l’histoire (Foxall, 2016), subvertit le sens des
mots et annihile la distance entre le jour et la nuit, la
réalité et le cauchemar, la guerre et la paix. En cela,
1984 de George Orwell reste la référence indispen‑
sable. Cette mécanique a été bien décrite pour la face
interne de la désinformation par Peter Pomenrantzev
(Wood, 2015). Elle la conduit à reproduire l’argu‑
ment de cour de récréation : « c’est celui qui dit
qui est ». Elle dénoncera avec d’autant plus aplomb
la guerre de l’information de l’Occident, la menace
de l’OTAN ou la passivité devant le terrorisme isla‑
mique qu’elle lance la première, envahit ses voisins et
ne combat pas l’État islamique.
À l’extérieur, cette stratégie emprunte plusieurs
voies. L’une des plus connues est la mise au service de

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La guerre de l’information russe…

la propagande d’une armée de trolls (Parfitt, 2015),


très présente sur Twitter, qui vise à la fois à harce‑
ler l’adversaire, à lui répondre par des contre-­vérités,
à essayer de le faire douter si ses certitudes ne sont pas
suffisamment assises et à saper son moral, y compris
par des remarques agressives, parfois racistes et antisé‑
mites. Les trolls sont des taons dont l’impact est fort
chez les personnes vulnérables et crédules. La « post-­
vérité » est son instrument privilégié et la suspicion
jetée sur les médias classiques son mode opératoire
dans un monde où l’autorité, comme le développait
Hannah Arendt2, s’est évanouie.
Cette propagande est aussi développée par les
canaux officiels du Kremlin, comme Russia Today et
Sputnik, qui diffusent et twittent dans plusieurs lan‑
gues. Ces canaux non seulement répètent les thèses
de Moscou (pas d’armée russe en Ukraine, jusqu’au
demi-­démenti officiel ; guerre contre Daech en Syrie,
alors que les forces russes attaquent principalement
les rebelles qui s’opposent au régime d’Assad ; diri‑
geants de Kiev qui seraient des néo « nazis »,  etc.),
mais elles font aussi appel à tous ceux qui, à l’étran‑
ger, soutiennent la politique de Poutine. La présence
régulière sur ces chaînes de personnalités d’extrême
droite et de la frange dure de la droite classique,

2. Voir principalement « La crise de l’autorité », La crise de la


culture, Gallimard, 1972.

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La communication politique

parfois aussi d’extrême gauche et de partisans du


Brexit, soutenu par le régime russe, et la reprise des
propos de ceux qui demandent la levée des sanc‑
tions en constituent un signe. Elles donnent aussi la
parole à quelques-­uns qui visent à salir certains can‑
didats à une élection jugés trop hostiles à Moscou
–  Emmanuel Macron en a fait récemment les frais
(Haddad, Henin, Schmitt et al., 2017).
Mais cette guerre de l’information est aussi le
fait de médias apparemment plus anodins, qui dif‑
fusent des informations de manière apparemment
neutre, mais qui soit, dès qu’il s’agit de la Russie, de
la Syrie ou du Brexit, reprennent les positions russes,
soit alimentent les thématiques que Moscou agite
en Europe, notamment la peur des réfugiés. Leur
action installe dans le paysage, de manière discrète,
les thèses du Kremlin. Il en va de même des sites dits
« complotistes », souvent situés à l’extrême droite
de l’échiquier politique, qui reproduisent les mêmes
mensonges visant à déstabiliser les démocraties occi‑
dentales et à accréditer les thèses les plus extrêmes.

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La guerre de l’information russe…

Les soutiens nationaux


et les « idiots utiles »
de la communication de Poutine
Cette stratégie de désinformation ne peut avoir
un impact large qu’en prenant appui sur les natio‑
naux. Ceux-­ci relaient beaucoup plus efficacement
les thèses de Moscou que les réseaux aisément iden‑
tifiables. En leur sein, il existe toutefois plusieurs
catégories. Les plus connus sont les thuriféraires quasi
officiels du régime de Moscou, comme certaines per‑
sonnalités politiques, universitaires ou médiatiques
qui ne cachent pas leur attachement au régime de
Poutine. Situés à l’extrême droite (Marine Le Pen
et le Front national, certains sites « complotistes »,
des personnes connues pour leur révisionnisme,
ou le journal Valeurs actuelles), à l’extrême gauche
(Jean-­Luc Mélenchon et un Jacques Sapir, qui fait le
pont avec l’extrême droite –  Alemagna et Albertini,
2015  –, mais aussi Jean-­ Pierre Chevènement) ou
membres de partis de la droite classique (Nicolas
Sarkozy, François Fillon, Thierry Mariani, Yves
Pozzo di Borgo, etc.), ils ne font pas mystère de leur
allégeance. Il en va de même pour une partie de la
communauté d’affaires située en Russie.
Il faut aussi citer ceux qu’on nomme les « idiots
utiles », peu au fait de la réalité russe et de son action,

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La communication politique

mais dont l’anti-­américanisme et la nostalgie senti‑


mentale d’une Russie éternelle font des jouets aisés
pour la propagande russe. Parce qu’ils ont une forme
d’expression moins brutale, leur pouvoir de convic‑
tion paraît parfois plus élevé. Cette catégorie doit tou‑
tefois être complétée par quatre autres qui concourent
à populariser les thèses du Kremlin de manière plus
argumentée. Citons d’abord les « gentils », toujours
prompts à l’apaisement, qui ne sont que les succes‑
seurs des pacifistes de la guerre froide, soutenus par
Moscou, sur lesquels François Mitterrand avait eu
cette phrase définitive : « Les pacifistes sont à l’Ouest
et les euromissiles sont à l’Est ». Viennent ensuite les
naïfs, sincères ou non, qui pensent que la négociation
avec la Russie peut permettre de maîtriser la situation
(Tenzer, 2016), qu’on ne peut se permettre un bras
de fer avec elle et qu’elle peut nous aider à combattre
le terrorisme –  ce que les faits infirment. Une troi‑
sième catégorie est constituée par les « modérés »,
pour lesquels les fautes sont toujours équilibrées entre
les deux côtés, qui estiment que l’Ouest n’a pas tou‑
jours fait ce qu’il fallait avec la Russie et qui rejouent
le refrain de l’humiliation de l’Allemagne après la
Première Guerre mondiale. Viennent enfin ceux qui
se désignent eux-­mêmes comme réalistes ou pragma‑
tiques (Shevtsova, 2016), mais dont le réalisme se
résume à la non-­riposte et se conclut par un abandon
de notre sécurité.

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La guerre de l’information russe…

Une guerre de l’information


mue par des objectifs stratégiques
Comprendre comment ces relais sont utilisés
dans la guerre de l’information requiert la connais‑
sance des objectifs de Poutine. Son objectif cen‑
tral consiste à avoir les mains libres pour continuer
ses actions agressives en Europe et à faire régner
son ordre en Syrie après y avoir commis des crimes
de guerre et, partant, à annihiler toute velléité de
réponse. Dans cette perspective, il entend démante‑
ler l’Europe – Divide et impera (Nadeau, 2015) – et
propager la discorde entre ses membres et chez cha‑
cun d’entre eux. Pour ce faire, sa propagande entend
simultanément faire apparaître la Russie comme
un pays plutôt victime qu’agresseur et propager
une forme de peur –  risque terroriste, migrants  – à
laquelle Moscou pourrait apparaître comme une
solution. Les tensions internes aux pays européens
ne peuvent aussi que favoriser la montée des partis
extrêmes. Tout ce qui vise à baisser la garde et à mini‑
miser le risque russe va dans ce sens.
À long terme, la victoire du régime russe ne sera
entière que si elle s’accompagne d’une adhésion à ses
valeurs ou de leur banalisation. Sa propagande vise
ainsi à instiller un doute sur les valeurs libérales, à
jeter la confusion sur la concordance entre celles-­ci et

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La communication politique

les prises de position politiques – ainsi quand des per‑


sonnes censément modérées soutiennent le régime ou
demandent la levée des sanctions – et à présenter un
système de société fermée, conservatrice et nationa‑
liste qui résonne auprès de populations taraudées par
la crainte. Les médias sociaux donnent à cette propa‑
gande une force accrue et l’inattention de nombreux
gouvernements occidentaux aux droits de l’homme
(Tenzer, 2016) et aux simples règles de droit consti‑
tue un facteur permissif.

Une réponse technique,


mais aussi politique : ne pas laisser
la Russie définir l’agenda
Penser qu’il suffit de contrer les faux arguments
constitue une erreur. Un processus global de contre-­
information suppose certes de rectifier sans relâche
les mensonges et de démentir les récits inventés, mais
aussi de promouvoir un discours cohérent et positif,
fondé à la fois sur la vérité et sur des valeurs –  dif‑
férence fondamentale entre la démocratie et la dic‑
tature – et montrer l’attractivité de notre modèle. Il
ne suffit pas de répondre à la propagande russe, mais
de fixer les nouvelles règles. Si nous laissons la Russie
définir ses angles d’attaque, nous aurons perdu. Nous

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La guerre de l’information russe…

devons produire un discours propre, car le risque est


aussi que les autres pays qui sont engagés dans une
guerre de l’information exploitent notre faiblesse.
Notre contre-­offensive repose sur sept types d’action.
D’abord, il faut rectifier sans relâche les
contre-­vérités et rétablir les faits. C’est déjà ce que
font, au grand dam du Kremlin, de nombreux sites
indépendants –  Bellingcat notamment, qui pro‑
duit des faits incontestables  – notamment sur le
vol MH17, la guerre russe en Ukraine, les crimes
de guerre et contre l’humanité en Syrie –  grâce à
une analyse fondée sur les big data ou, de manière
différente, le centre dépendant du Center for
European Policy Analysis (CEPA) basé à Londres,
un site fondé par la Commission européenne,
MythBusters3, qui produit des rapports détaillés
sur les mensonges, ainsi que de nombreux jour‑
naux comme Le Monde avec son « decodex », mais
aussi le New York Times ou le Washington Post
soumis à la vindicte de Donald Trump. Ce n’est
pas pour rien que, dans l’univers de Moscou où le
vrai se mêle au faux et où les mots voient leur sens
vaciller, la vérité a quelque chose d’insupportable.
L’offensive, officielle désormais, de Poutine – suivi
par Trump ainsi que l’extrême droite, l’extrême
gauche et une partie de la droite en France – contre

3. <https://euvsdisinfo.eu/>.

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La communication politique

les « médias dominants4 », habillée aux couleurs de


la liberté –  l’assurance dans le mensonge est une
technique classique  –, est une autre manière de
jeter le doute sur toute information vraie, danger
numéro un du Kremlin comme des adversaires de
la démocratie et des faits. Que des sites proches du
Kremlin et, dans le premier cas, clairement situés
à l’extrême droite, empruntent leur nom à Voltaire
et à Orwell n’est que le point extrême de la subver‑
sion. Elle explique la volonté de détruire les médias
libres (Bentumov, 2016). De nombreux sites alliés
de Moscou ont d’ailleurs souvent un slogan inspiré
du « on vous ment » ou « on vous cache tout », et se
prénomment « libres ». L’information est l’une des
cibles de la théorie du complot – les médias seraient
dominés par la CIA, George Soros,  etc. La Russie
ne fait qu’exploiter un terreau fertile à cette théo‑
rie : le discrédit qui touche toutes les puissances
établies, dont les journalistes.
Ensuite, il convient de démonter point par
point le discours de l’humiliation et du mauvais trai‑
tement, beaucoup plus insidieux (Applebaum, 2014).
Cela suppose un travail de vérité historique, de rappel

4. Radio Free Europe/Radio Liberty, « Putin Preaches Free-­


Press Gospel At State-­Run Media Forum », 7 juin 2016, <http://
www.rferl.org/content/russia-­putin-­press-­freedom-­media-­
forum/27784901.html>.

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La guerre de l’information russe…

des faits, mais aussi de réponse systématique, y com‑


pris au niveau politique, à ceux qui propagent cela.
C’est l’un des principaux dangers : que des gens d’un
certain niveau, mais piètres connaisseurs de l’histoire,
répètent ces thèses de la propagande russe sans s’en
rendre compte. Un rappel analogue des faits doit être
effectué pour contrer le discours pseudo-­réaliste et
montrer ses dangers – dont la banalisation de l’agres‑
sion et du crime.
En troisième lieu, l’offensive contre les prin‑
cipes que mène la Russie ne pourra être combattue
uniquement par la dénonciation morale. Au discours
bigot, homophobe, parfois aussi outrageusement anti-­
scientifique que celui de Lyssenko5, et nationaliste
de la Russie, il faut être capable d’opposer une autre
cohérence. C’est tout le travail indispensable que doit
conduire l’Europe : définir les valeurs qui fondent son
projet.
Ajoutons au nombre des principes notre carac‑
tère irréprochable. C’est le propre de la propagande
que d’exploiter la moindre faille de l’adversaire qui
permet d’occulter les siennes propres. La minorité
de fascistes ukrainiens est devenue le prétexte au

5.  «  Kremlin Experts Blame Condoms for Russia HIV Epidemic  »,


The Moscow Times, 31 mai 2016, <http://www.themoscowtimes.
com/news/article/kremlin-­experts-­blame-­condoms-­for-­russian-­
hiv-­epidemic/571102.html>.

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La communication politique

discours repris à foison sur les « nazis de Kiev » ;


la corruption réelle de l’oligarchie ukrainienne
sert d’argument pour discréditer les libéraux de la
place Maidan et la cause ukrainienne en général,
et une bavure, inadmissible, de l’armée américaine
comme le bombardement de l’hôpital de Kunduz
le 3  octobre 2015 va être montée en épingle pour
dissimuler – et relativiser dans l’opinion – les bom‑
bardements volontaires des hôpitaux de Syrie. Aussi
injuste cela soit-­il, un pays agressé doit toujours faire
plus d’efforts que l’agresseur pour démontrer qu’il
est dans son droit. La légitimité est ici vitale : rien ne
sera pardonné à l’agressé parce que les attentes à son
endroit sont paradoxalement plus fortes qu’à celui
de l’attaquant.
En cinquième lieu, les démocraties ne doivent
pas garder le silence devant leurs adversaires.
Leurs dirigeants doivent se mobiliser davantage
en répondant aussi bien aux États qui s’opposent
aux valeurs de liberté qu’aux personnalités poli‑
tiques en leur sein. En France, notamment, ils ne
répondent pas suffisamment aux arguments fac‑
tuellement inexacts de ceux qui réclament la levée
des sanctions.
De manière globale, ils ne sauraient montrer
aucune tolérance envers les pays, même alliés, dont
les positions menacent les valeurs européennes. Le cas
de la Pologne est intéressant : clairement opposée à la

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La guerre de l’information russe…

politique agressive de la Russie, elle pourrait consti‑


tuer le maillon faible de ce combat dans la mesure où
ses valeurs épousent de plus en plus l’idéologie illibé‑
rale, et ses méthodes envers les médias les techniques
des régimes autoritaires.
Enfin, la riposte à la guerre de l’information
n’est pas dirigée contre la Russie en tant que telle, et
cela doit être clair. Contrairement au discours officiel,
il importe de montrer que Poutine n’est pas toute la
Russie. Il existe une autre Russie, celle des défenseurs
des droits, qui ont le courage de défiler en deman‑
dant pardon pour l’invasion de l’Ukraine, énonçant
que la Crimée n’est pas russe et exigeant la libéra‑
tion des prisonniers politiques. Il y a la Russie de
ceux qui manifestent en hommage à Boris Nemtsov6,
fleurissent le pont où il a été assassiné et continuent
d’honorer la mémoire d’Anna Politkovskaïa7, de

6. Boris Efimovitch Nemtsov est un homme politique libéral


russe, qui a notamment participé au gouvernement Eltsine.
Opposant résolu à V. Poutine, il fut assassiné le 27 février 2015,
dans la rue, à proximité de la place Rouge.
7.  Anna Politkovskaïa est une journaliste russe, militante des droits
de l’homme, vivement opposée à la politique de V. Poutine. Elle a
notamment dénoncé les exactions de l’armée russe lors du conflit
tchéchène. Elle a été assassinée le 7 octobre 2006. Le 14 décembre
2012, l’ancien lieutenant-­colonel Dmitri Pavlioutchenkov a été
condamné à onze ans de camp à régime sévère par un tribunal de
Moscou pour avoir organisé son assassinat.

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La communication politique

Natalia Estemirova8 et de centaines d’autres assas‑


sinés au nom de la liberté. La Russie qui soutient
Alexeï Navalny9 et qui défile contre la corruption des
élites politiques du clan Poutine. La Russie n’est pas
notre adversaire, mais ce régime est l’ennemi de son
peuple qui, lui, doit être soutenu. Répliquer, c’est
d’abord lutter pour la liberté de la Russie et lui offrir
l’espérance.

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tante des droits de l’homme, membre du Conseil d’administra‑
tion de l’ONG russe Memorial. Son travail a été distingué par
l’attribution à cette association, en 2004, du prix Nobel alter‑
natif décerné par le Parlement suédois. Enlevée à son domicile de
Grozny, en Tchétchénie, le 15 juillet 2009, son corps fut retrouvé
criblé de balles.
9.  Alexeï Anatolievitch Navalny est un avocat et militant poli‑
tique russe connu pour être un opposant au président Poutine et
qui a déclaré sa candidature pour la prochaine présidentielle en
2018 en dénonçant la corruption des membres du clan Poutine.

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La guerre de l’information russe…

for-­giving-­russia-­too-­much-­credita-­true-­achievement-­under-­
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La communication politique

Tenzer, Nicolas, « Les droits de l’homme au cœur de la poli‑


tique de sécurité : une perspective réaliste », The Conversation
France, 20  mars 2016, <https://theconversation.com/les-­droits-­
de-­lhomme-­au-­c-­ur-­de-­la-­politique-­de-­securite-­une-­perspective-­
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theconversation.com/pourquoi-­il-­ne-­faut-­pas-­negocier-­avec-­la-­
russie-­de-­poutine-­54748>.
Wood, Tony, « Nothing Is True and Everything Is Possible by
Peter Pomerantsev Review – Putinism and the Oil-­boom years »,
The Guardian, 4  février 2015, <https://www.theguardian.com/
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peter-­pomerantsev-­review-­russia-­oil-­boom>.

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Point de vue
L’appui des médias
à la destitution
de Dilma Rousseff
Juremir Machado da Silva

Dilma Rousseff, première femme à présider


le Brésil, a été destituée du pouvoir en 2016. Elle
a été victime d’une orchestration qui est en train
de devenir un nouveau classique en Amérique
du Sud : les élites de droite, ne pouvant pas
reprendre les rênes d’un pays par la voie élec‑
torale (dans le cas brésilien, la gauche en était à
son quatrième mandat consécutif à la présidence
de la République) et ne pouvant plus recou‑
rir aux coups d’État militaires du passé, pro‑
fitent de la crise économique pour, avec l’aide
des médias, dénoncer une supposée banque‑
route nationale et, trouvant un motif, se débar‑
rassent d’un élu devenu insupportable. À coups
de grands reportages à la télévision et d’édito‑
riaux impitoyables dans les journaux, la corrup‑
tion est souvent le bon prétexte pour préparer

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La communication politique

la population, avec les classes moyennes en pre‑


mière ligne, à la rupture de l’ordre constitution‑
nel tout en feignant de le défendre et même de
le valoriser.
Les médias et l’opposition ont donc réussi
un coup parfait : constitutionnel en apparence,
sans recours sur le fond à la Cour constitution‑
nelle, montré en direct à la télévision, avec simu‑
lation des droits de la défense, même si rien ne
pouvait changer, et exposé comme une opéra‑
tion de sauvetage national contre la corruption
de la gauche.
Pour comprendre, connaître et critiquer le
coup d’État brésilien de 2016, il faudrait pou‑
voir le situer dans l’histoire politique républi‑
caine du Brésil pour suivre la transition de la
dictature à la démocratie, avec l’entrée en scène
des quelques nouveaux acteurs sociaux parmi
lesquels le Parti des travailleurs (PT). Sans cette
contextualisation historique, l’éternelle insta‑
bilité brésilienne devient incompréhensible.
Ce coup d’État fait partie d’une série où tout
change pour revenir de la même façon. Nous
ne reviendrons pas ici sur ces racines histo‑
riques que nous avons déjà exposées (Machado,
2016), et nous ne focaliserons notre atten‑
tion que sur une seule question : pourquoi des
médias brésiliens ont-­ils appuyé la destitution

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L’appui des médias à la destitution de Dilma Rousseff

de Dilma Rousseff ? Comment ont-­ils fait ? De


quels médias s’agissait-­ il ?Rousseff ? Comment
ont-­ils fait ? De quels médias s’agissait-­il ?
Le 17 avril 2016, la Chambre des députés
a voté l’autorisation de procédure de destitu‑
tion de la présidente de la République. Dilma
Rousseff a obtenu, avec les fautes et abstentions,
146 votes. Il en fallait 172. C’était la première
partie d’une fin de règne divisée en trois étapes.
Puis, Eduardo Cunha, ancien vice-­ président
de Dilma, a été suspendu de ses fonctions de
député par la Cour suprême et Delcídio do
Amaral a perdu son mandat de sénateur. Le
11  mai 2016, Dilma Rousseff a été écartée du
pouvoir (55 votes à 22) par le Sénat. C’était sa
deuxième mort politique. Les sénateurs ont eu
180 jours pour prendre une décision définitive.
Dilma mourrait-­t-­elle une troisième fois ? Pour
que cela arrive, il fallait 54 votes sur 81 séna‑
teurs. Les dés étaient jetés.
Comme lors d’autres moments de l’his‑
toire du Brésil, par exemple en 1964, les médias
se sont mis en marche d’abord par idéologie
conservatrice : défense du libéralisme écono‑
mique réclamant moins d’État et plus de liberté
pour les patrons, allègement des lois du travail,
réforme de la sécurité sociale et prévalence des
négociations entre patrons et travailleurs sur

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La communication politique

la rigidité des lois. Puis les médias légitiment


leur action en affichant leur sens du devoir jour‑
nalistique accompli par la dénonciation de la
corruption du gouvernement. Enfin, il y a eu un
fort sentiment médiatique contre le Parti des tra‑
vailleurs, considéré comme porteur d’une idéo‑
logie marxiste ou étatiste dépassée. Les médias
ont mené campagne contre le gouvernement
soit en exagérant les méfaits de celui-­ci avec des
couvertures-­fleuves, soit en minimisant les accu‑
sations portées contre l’opposition. Il y a eu des
éditoriaux interminables demandant le départ
de Dilma ou sa destitution. Il fallait l’achever, la
disqualifier, la démonter, l’humilier et la mettre
à la porte.
La campagne médiatique contre Dilma
Rousseff et son gouvernement a été menée par
les « suspects de toujours » : le puissant réseau
Globo, les quotidiens Estado de S. Paulo et Folha
de S.  Paulo et les hebdomadaires Veja (avec un
tirage à plus d’un million d’exemplaires), Época
(appartenant à Globo) et IstoÉ. Le quotidien
français Libération a bien compris la situation
dans un texte publié le 17  avril 2016 : « Cette
hostilité s’expliquerait par le fait que les groupes
de presse sont aux mains d’une poignée de
grandes familles soucieuses de défendre leurs
intérêts économiques, soi-­disant menacés par la

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L’appui des médias à la destitution de Dilma Rousseff

gauche : les Marinho pour l’empire médiatique


Globo, les Frias pour la Folha de São Paulo, pre‑
mier quotidien national, les Civita pour l’hebdo‑
madaire à fort tirage Veja. Ce brûlot de droite
abonné aux unes sensationnalistes a fait de Lula
l’homme à abattre. Son concurrent Istoé, pour sa
part, se lâche contre Dilma Rousseff, accusée de
passer ses nerfs sur le mobilier du palais prési‑
dentiel… » Tout était bon pour faire des papiers
incandescents contre la « communiste ».
Les médias ont réduit Dilma Rousseff au
statut de femme arrogante, décervelée, incom‑
pétente, confuse et à bout de nerfs. Lula a été
transformé en homme assoiffé d’argent, ouvert
à toutes les magouilles possibles, ivrogne et
bavard. Le reste fait partie d’un scénario clas‑
sique. Un fait en appelle un autre, les classes
moyennes commencent à avoir peur, les réseaux
sociaux servent de champ de bataille entre les
défenseurs du gouvernement et les partisans de
la destitution de la présidente. Ce n’était plus
qu’une question de temps. Avec une demi-­
heure soutenue chaque soir au journal national
(le 20  heures de Globo), un gouvernement de
gauche ne pouvait pas tenir debout longtemps.
Comme dans un classique coup d’État, les
médias ont fait feu de tout bois : des reportages
basés sur des sources anonymes et manquant

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La communication politique

de preuves aux éditoriaux assassins repris un


peu partout dans le pays. L’alliance de Globo
avec le Parquet et la police fédérale a permis de
publier des scoops à l’heure où il fallait mettre
un grand coup de pied dans la fourmilière gou‑
vernementale. Le pari est gagné. Les médias
s’en réjouissent. Ce sont les médias étrangers
qui, petit à petit, racontent la véritable histoire
du coup d’État médiatique, constitutionnel et
juridique donné au Brésil en 2016. C’était l’au‑
tomne de la démocratie.
Dilma Rousseff a été destituée définitive‑
ment le 31 août 2016 par le Sénat avec 60 votes
favorables à son départ et 20 contre. Michel
Temer a pris le pouvoir. Eduardo Cunha, le pré‑
sident de la Chambre des députés responsable de
la procédure contre Dilma, devenu encombrant,
a été destitué et mis en prison. Teori Zavascki,
ministre de la cour suprême, chargé des affaires
de corruption touchant des hommes politiques,
est mort dans un accident d’avion en jan‑
vier 2017. Les médias voient la crise économique
grandir et la corruption se maintenir, mais ils
essaient quand même de trouver des qualités
dans le piètre gouvernement Temer pour qu’il
puisse survivre jusqu’à 2018. En échange, Temer
propose des reformes des lois du travail et des
retraites. Parmi ses propositions pour la retraite,

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L’appui des médias à la destitution de Dilma Rousseff

il y a l’exigence de 49 années de cotisation et


l’âge minimum de 65 ans pour toucher le béné‑
fice intégral, dans un pays où la population du
nord-­est vit en moyenne 66  ans. Le « marché »
et les médias s’en réjouissent. Voilà pourquoi il
était important de jouer le coup de la destitution
de Dilma Rousseff.
En 2016, les médias ont joué le rôle qu’on
attendait d’eux et le « coup » a bien marché. Un
nouveau gouvernement a été mis en place au
Brésil, mais plusieurs ministres de Temer ont été
accusés de corruption par la suite. Quelques-­uns
ont même été obligés de partir. Les mêmes médias
et les classes moyennes n’ont pas pour autant
demandé le départ du président. Notons toute‑
fois que Michel Temer a été rattrapé par la jus‑
tice, puisque le 4 avril 2017 son procès s’est ouvert
devant le Tribunal supérieur électoral  pour des
motifs de financement illégal de campagne élec‑
torale et de corruption lorsqu’il était le deuxième
membre du ticket formé avec Dilma Rousseff. À
peine ouvert, son procès a été ajourné lui donnant
quelques semaines de répit. Et ses avocats ont
annoncé qu’ils utiliseraient tous les recours pos‑
sibles en cas de condamnation, ce qui devrait lui
permettre de finir son mandat, ce dont la presse
brésilienne ne s’émeut pas particulièrement.

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La communication politique

Référence bibliographique

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Bibliographie sélective

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CNRS Éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2012.
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tion politique, Paris, Armand Colin, 2016.
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Guigo, Pierre-Emmanuel, Com et politique. Les liaisons
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Hendricks, John Allen et Kaid, Lee L.  (dir.), Techno
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Leroux, Pierre et Riutort, Philippe, La Politique sur
un plateau. Ce que la télévision fait à la représentation,
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Mercier, Arnaud (dir.), Médias et opinion publique, Paris,


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Neihouser, Marie, Un nouvel espace médiatique ? Socio-
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versitaire Varenne diff LGDJ-­Lextenso éditions, 2016.
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Riutort, Philippe, Sociologie de la communication poli-
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CNRS Éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès »,
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Claire, Sous les images, la politique… Presse, cinéma,
télévision, nouveaux médias (xx-­xxie siècle), Paris, CNRS
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Wolton, Dominique, Informer n’est pas communiquer,
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Wolton, Dominique, La Communication, les hommes et
la politique, Paris, CNRS Éditions, 2015 (Odile Jacob,
2012).

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Les auteurs

Gilles Achache est philosophe, maître de conférences


et chercheur associé à sciences Po Paris. Il a créé et
dirige l’institut d’études de l’opinion Scan-­research.
Il a notamment publié Le complexe d’Arlequin : Éloge
de notre inconstance (Grasset, 2010).
Éric Dacheux est professeur en sciences de l’informa‑
tion et de la communication, directeur du département
communication de l’université Clermont Auvergne où
il a fondé le groupe de recherche « Communication et
Solidarité » (EA 4647). Il est notamment l’auteur de
Sans les citoyens l’Europe n’est rien : pour une nouvelle
communication publique au service de la démocratie
(L’Harmattan, 2016).
Alex Frame est maître de conférences en sciences de
l’information et de la communication à l’université de
Bourgogne Franche-­Comté. Il a codirigé récemment
deux ouvrages : Citizen Participation and Political
Communication in a Digital World (Routledge, 2015)
et Tweets from the Campaign Trail : Researching
Candidates’ Use of Twitter during the European
Parliamentary Elections (Peter Lang, 2016).

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La communication politique

Tourya Guaaybess est maître de conférences en sciences


de l’information et de la communication à l’université
de Lorraine et chercheuse au CREM. Elle a notam‑
ment publié Les médias arabes, Confluences médiatiques
et dynamiques sociales, CNRS Éditions, 2012, et dirigé
l’ouvrage Cadrages journalistiques des « révolutions
arabes » dans le monde, Paris, L’Harmattan, 2015.
Christian Le Bart est professeur en science politique
à l’Institut d’Études Politiques de Rennes, et ancien
directeur de la Maison des sciences de l’homme en
Bretagne (2011-­2016). Il est notamment l’auteur de
Les mots de la vie politique locale (Presses universitaires
du Mirail, 2014) et L’égo-­politique, essai sur l’indivi-
dualisation du champ politique (Armand Colin, 2013).
Juremir Machado da Silva est journaliste, écrivain,
docteur en sociologie et professeur à l’université pon‑
tificale catholique du Rio Grande Sul (Porto Allegre).
Arnaud Mercier est professeur de sciences de l’infor‑
mation et de la communication à l’université Paris 2
–  Assas et chercheur au CARISM. Il a notamment
dirigé chez CNRS Éditions les ouvrages Médias et opi-
nion publique, 2012, et Le journalisme, 2009. Il est
le président du site d’information TheConversation
France.
Pierre Musso est professeur de sciences de l’infor‑
mation et de la communication à l’université de

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Les auteurs

Rennes 2 et à l’École Télécom ParisTech, conseiller


scientifique et Fellow associé à l’Institut d’Études
Avancées (IEA) de Nantes. Son dernier livre, La reli-
gion industrielle Monastère, manufacture, usine, Une
généalogie de l’entreprise a paru aux éditions Fayard
en avril 2017.
Marie-­Cécile Naves est chercheuse associée à l’Institut
de relations internationales et stratégiques (IRIS). Elle
a publié récemment le livre : Trump, l’onde de choc
populiste (FYP Éditions, 2016).
Nicolas Tenzer est chargé d’enseignement à Sciences Po
Paris, président du Centre d’étude et de réflexion
pour l’action politique (CERAP), think tank indépen‑
dant, et directeur de la revue Le Banquet (www.revue-­
lebanquet.com). Il a notamment publié Pour une
nouvelle philosophie politique, (PuF, 2007) et Le Monde
à l’horizon 2030. La règle et le désordre (Perrin, 2011).
Eliseo Verón (1935-­2014), anthropologue, sémioti‑
cien et sociologue argentin. Auteur d’une vingtaine
d’ouvrages, il a été un des pionniers des études en
communication, en France et en Amérique latine.
Il est entre autres auteur de Sémiotique ouverte :
Itinéraires sémiotiques en communication (avec Jean-­
Jacques Boutaud, Lavoisier, 2007).
Dominique Wolton est directeur de la revue Hermès
(depuis 1988, 75 numéros) et de la collection « Les

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La communication politique

Essentiels d’Hermès » (depuis 2008, 40 volumes).


Il a publié une trentaine d’ouvrages, traduits en
plus de vingt langues. Parmi ses derniers ouvrages :
La ­communication, les hommes et la politique (CNRS
Éditions, 2015) et Communiquer c’est vivre, livre
d’entretiens avec Arnaud Benedetti (Cherche-­Midi,
2016).

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Table des matières

Sommaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Avant-­propos à la nouvelle édition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9


Arnaud Mercier

Autour du même thème, Hermès a déjà publié… . 11

Présentation générale
La communication politique
entre nécessité, instrumentalisation et crises. . . . . . . . 15
Arnaud Mercier
La communication politique
comme nécessité sociohistorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
L’instrumentalisation de la communication politique :
de la propagande au marketing. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Crises de la communication politique
contemporaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Enjeux de la communication politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

La communication politique :
construction d’un modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Dominique Wolton
Éléments de définition. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Cette définition présente cinq avantages . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

255

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La communication politique

Rôles et fonctions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
La communication, le « moteur » de l’espace public . . . . 59

Les dix contradictions


de la communication politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Dominique Wolton

Les nouvelles contradictions


de la communication politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Dominique Wolton
Dix crises liées aux déséquilibres des relations
entre information, communication et action. . . . . . . . . . . . 80
Pour réduire ces contradictions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

Communication délibérative
et démocratie participative… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Éric Dacheux
Encadré

Le marketing politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117


Gilles Achache
Le modèle dialogique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Le modèle propagandiste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Le modèle marketing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126

Le phénomène Berlusconi :
ni populisme ni vidéocratie, mais néo-­politique. . . . 133
Pierre Musso
Populisme ou popularisme ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
L’art de la néo-­télévision commerciale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

256

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Table des matières

La réponse médiatique à la crise de la politique . . . . . . . . 140


Espaces publicitaire et plébiscitaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
La néo-­politique prolongement du management. . . . . . . . 146

Donald Trump ou la communication


incantatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Marie-­Cécile Naves
La double stratégie de communication
de Donald Trump. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
Un utile flou programmatique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Un usage inédit des réseaux socionumériques. . . . . . . . . . . . 153

Médiatisation du politique : stratégies, acteurs


et construction des collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Eliseo Verón (1935-­2014)
Le politique médiatisé, ou du déclin
de la logique du long terme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
Les registres du sens, ou de la construction
des collectifs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

Les bulletins municipaux : une contribution


ambiguë à la démocratie locale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Christian Le Bart
Encadré

Personnel politique et médias socionumériques :


nouveaux usages et mythes 2.0 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
Alex Frame
Le mythe des interactions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
La gestion des réseaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182

257

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La communication politique

Une reconfiguration des relations avec les journalistes. . . . 185


Les interactions publiques et privées. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
En période électorale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
La gestion de l’ image politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190
L’ image politique et la « culture LOL ». . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
Communication politique bruyante et virale. . . . . . . . . . . . 195
Bourdes, dérapages ou communication stratégique ?. . . . 196

Blogs, réseaux sociaux et « révolutions arabes » :


du fantasme à la réalité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
Tourya Guaaybess
Les postulats de la révolution numérique . . . . . . . . . . . . . . . . 206
Les nouveaux médias : instruments
d’ émancipation et de contrôle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Internet et les réseaux sociaux :
rupture et rémanences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
Les médias (« traditionnels »)
sont morts, vivent les médias !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214

La guerre de l’information russe :


une guerre multidimensionnelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
Nicolas Tenzer
Une guerre de l’ information multidimensionnelle. . . . . 224
Les soutiens nationaux et les « idiots utiles »
de la communication de Poutine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
Une guerre de l’ information
mue par des objectifs stratégiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Une réponse technique, mais aussi politique :
ne pas laisser la Russie définir l’agenda. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230

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Table des matières

Point de vue
L’appui des médias à la destitution
de Dilma Rousseff. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
Juremir Machado da Silva
Encadré

Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

Les auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251

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Titres parus d’Hermès

1 Théorie politique et communication, coordonné


par C. Lazzeri et J.-P. Chrétien-Goni 1988
2 Masses et politique, coordonné par D. Reynié 1988
3 Psychologie ordinaire et sciences cognitives,
coordonné par P. Engel 1988
4 Le nouvel espace public, coordonné par
D. Bregman, D. Dayan, J.-M. Ferry et D. Wolton 1989
5-6 Individus et politique, coordonné par
E. Apfelbaum, J.-M. Besnier et A. Dorna 1990
7 Bertrand Russell. De la logique à la politique,
coordonné par F. Clementz et A.-F. Schmid 1990
8-9 Frontières en mouvement, coordonné par
D. Dayan, J.-M. Ferry, J. Sémelin, I. Veyrat-
Masson, Y. Winkin et D. Wolton 1990
10 Espaces publics, traditions et communautés,
coordonné par J.-M. Ferry 1992
11-12 À la recherche du public. Réception, télévision,
médias, coordonné par D. Dayan 1993
13-14 Espaces publics en images,
coordonné par D. Dayan et I. Veyrat-Masson 1994
15 Argumentation et rhétorique (1),
coordonné par A. Boyer et G. Vignaux 1995
16 Argumentation et rhétorique (2),
coordonné par A. Boyer et G. Vignaux 1995

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17-18 Communication et politique, coordonné
par G. Gauthier, A. Gosselin et J. Mouchon 1995
19 Voies et impasses de la démocratisation,
coordonné par P. Meyer-Bisch et E. M. Swiderski 1996
20 Toutes les pratiques culturelles se valent-elles ?,
coordonné par J.-P. Sylvestre 1997
21 Sciences et médias, coordonné
par S. de Cheveigné 1997
22 Mimesis. Imiter, représenter, circuler, coordonné
par S. Ossman 1998
23-24 La cohabitation culturelle en Europe, coordonné
par É. Dacheux, A. Daubenton,
J.-R. Henry, P. Meyer-Bisch et D. Wolton 1999
25 Le dispositif. Entre usage et concept, coordonné
par G. Jacquinot-Delaunay et L. Monnoyer-Smith 1999
26-27 www.démocratie locale.fr, coordonné
par É. Maigret et L. Monnoyer-Smith 2000
28 Amérique latine. Cultures et communication,
coordonné par G. Lochard et P. R. Schlesinger 2000
29 Dérision-Contestation, coordonné par A. Mercier 2001
30 Stéréotypes dans les relations Nord-Sud,
coordonné par G. Boëtsch et C. Villain-Gandossi 2001
31 L’opinion publique. Perspectives anglo-saxonnes,
coordonné par L. Blondiaux et D. Reynié avec la
collaboration de N. La Balme 2001
32-33 La France et les Outre-mers. L’enjeu
multiculturel, coordonné par T. Bambridge,
J.-P. Doumenge, B. Ollivier, J. Simonin et
D. Wolton 2002
34 L’espace, enjeux politiques, coordonné
par I. Sourbès-Verger 2002

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35 Les journalistes ont-ils encore du pouvoir ?,
coordonné par J.-M. Charon et A. Mercier 2003
36 Économie solidaire et démocratie, coordonné par
É. Dacheux et J.-L. Laville 2003
37 L’audience. Presse, Radio, Télévision, Internet,
coordonné par R. Chaniac 2003
38 Les sciences de l’information et de la communication,
coordonné par Y. Jeanneret et B. Ollivier 2004
39 Critique de la raison numérique, coordonné
par V. Paul et J. Perriault 2004
40 Francophonie et mondialisation, coordonné par
T. Bambridge, H. Barraquand, A.-M. Laulan,
G. Lochard, D. Oillo 2004
41 Psychologie sociale et communication,
coordonné par B. Orfali et I. Marková 2005
42 Peuple, populaire, populisme, coordonné
par P. Durand et M. Lits 2005
43 Rituels, coordonné par G. Boëtsch et C. Wulf 2005
44 Économie et communication, coordonné
par J. Farchy et P. Froissart 2006
45 Fractures dans la société de la connaissance,
coordonné par D. Oillo et B. Mvé-Ondo 2006
46 Événements mondiaux, regards nationaux,
coordonné par J. Arquembourg, G. Lochard
et A. Mercier 2006
47 Paroles publiques, communiquer dans la cité,
coordonné par F. Massit-Folléa et C. Méadel 2007
48 Racines oubliées des sciences de la communication,
coordonné par A.-M. Laulan et J. Perriault 2007
49 Traduction et mondialisation, vol. 1
coordonné par J. Nowicki et M. Oustinoff 2007

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50 Communiquer – innover. Réseaux, dispositifs,
territoires, coordonné par N. D’Almeida, P. Griset
et S. Proulx 2008
51 L’épreuve de la diversité culturelle, coordonné par
J. Nowicki, M. Oustinoff et S. Proulx 2008
52 Les guerres de mémoire dans le monde,
coordonné P. Blanchard, M. Ferro
et I. Veyrat-Masson 2008
53 Traçabilité et réseaux, coordonné par M. Arnaud
et L. Merzeau 2009
54 La bande dessinée : art reconnu, média méconnu,
coordonné par É. Dacheux, J. Dutel et S. Le Pontois 2009
55 Société civile et Internet en Chine et Asie
orientale, coordonné par O. Arifon, L. Chang
et É. Sautedé 2009
56 Traduction et mondialisation, vol. 2, coordonné
par M. Oustinoff, J. Nowicki et A.-M. Chartier 2010
57 SCIENCES.COM, libre accès et science ouverte,
coordonné par C. Méadel, J. Farchy et P. Froissart 2010
58 Les langues de bois, coordonné par J. Nowicki,
M. Oustinoff et A.-M. Chartier 2010
59 Ces réseaux numériques dits sociaux, coordonné
par T. Stenger et A. Coutant 2011
60 Edgar Morin, aux risques d’une pensée libre,
coordonné par A. Pena Vega et S. Proutheau 2011
61 Les musées au prisme de la communication,
coordonné par P. Rasse et Y. Girault 2011
62 Les jeux vidéo. Quand jouer, c’est communiquer,
coordonné par J.-P. Lafrance et N. Oliveri 2012
63 Murs et frontières, coordonné par T. Paquot et
M. Lussault 2012

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64 Les chercheurs au cœur de l’expertise, coordonné
par L. Maxim et G. Arnold 2012
65 Le monde Pacifique dans la mondialisation,
coordonné par D. Barbe, R. Meltz et D. Tellier 2013
66 Classer, penser, contrôler, coordonné par
S. Kovacs et V. Liquète 2013
67 Interdisciplinarité : entre discipline et indicipline,
coordonné par J.-M. Besnier et J. Perriault 2013
68 L’Autre n’est pas une donnée. Altérités, corps et
artefacts, coordonné par F. Renucci, S. Lepastier
et B. Le Blanc 2014
69 Sexualités, coordonné par V. Schafer, E. A. Amato
et F. Pailler 2014
70 Le xxe siècle saisi par la communication.
Vol. 1, Les révolutions de l’expression, coordonné
par É. Letonturier et B. Valade 2014
e
71 Le xx siècle saisi par la communication.
Vol. 2, Ruptures et filiations, coordonné
par É. Letonturier et B. Valade 2015
72 L’Artiste, un chercheur pas comme les autres,
coordonné par F. Renucci et J.-M. Réol 2015
73 Controverses et communication, coordonné par
R. Badouard et C. Mabi 2015
74 La voie des sens, coordonné par B. Munier et
É. Letonturier 2016
75 Les langues romanes : un milliard de locuteurs,
coordonné par M. Oustinoff et L.-J. Calvet 2016
76 Le renseignement : un monde fermé dans une société
ouverte, coordonné par N. Moinet et F. Bulinge 2016
77 Les incommunications européennes, coordonné par
J. Nowicki, L. Radut-Gaghi et G. Rouet 2017

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La revue Hermès est accessible en ligne sur
www.cairn.info/revue-hermes-la-revue.htm
http://irevues.inist.fr/hermes

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Dans la même collection

Francophonie et mondialisation
coordonné par Anne-Marie Laulan et Didier Oillo 2008
La communication politique
coordonné par Arnaud Mercier 2008
L’espace public
coordonné par Éric Dacheux 2008
Les identités collectives à l’heure de la mondialisation
coordonné par Bruno Ollivier 2009
Le journalisme
coordonné par Arnaud Mercier 2009
L’opinion publique
coordonné par Nicole D’Almeida 2009
La télévision
coordonné par Guy Lochard 2009
L’audience
coordonné par Régine Chaniac 2009
La réception
coordonné par Cécile Méadel 2009
Les sciences de l’information et de la communication
coordonné par Éric Dacheux 2009
Populaire et populisme
coordonné par Marc Lits 2009
Sociétés de la connaissance, fractures et évolutions
coordonné par Michel Durampart 2009

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La cohabitation culturelle
coordonné par Joanna Nowicki 2010
Critique de la société de l’information
coordonné par Jean-Paul Lafrance 2010
Le rituel
coordonné par Aurélien Yannic 2010
La mondialisation de la communication
coordonné par Paul Rasse 2010
Médiations
coordonné par Vincent Liquète 2010
Racines oubliées des sciences de la communication
coordonné par Jacques Perriault 2010
La communication
coordonné par Éric Dacheux 2010
L’argumentation
coordonné par Nicole D’Almeida 2010
Traduction et mondialisation
coordonné par Michaël Oustinoff 2010
La neutralité de l’internet, un enjeu de communication
Valérie Schafer et Hervé Le Crosnier 2011
Sciences et médias
coordonné par Sébastien Rouquette 2011
L’économie solidaire
coordonné par Jean-Louis Laville 2011
Le marketing politique
coordonné par Thomas Stenger 2012
Médias et opinion publique
coordonné par Arnaud Mercier 2012
Internet et politique
coordonné par Alexandre Coutant 2012
Les réseaux
coordonné par Éric Letonturier 2012

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La rhétorique
coordonné par Manuel Maria Carrilho 2012
Art et science
coordonné par Jean-Paul Fourmentraux 2012
La diversité culturelle
coordonné par Paul Rasse 2013
Propriété intellectuelle, géopolitique et mondialisation
Mélanie Dulong de Rosnay et Hervé Le Crosnier 2013
L’humain augmenté
coordonné par Édouard Kleinpeter 2013
L’incommunication
coordonné par Samuel Lepastier 2013
Les utopies
coordonné par Éric Letonturier 2013
Bande dessinée et lien social
coordonné par Éric Dacheux 2014
Information et communication scientifiques
à l’heure du numérique
coordonné par Valérie Shafer 2014
Politiques sécuritaires et surveillance numérique
coordonné par Pierre-Antoine Chardel 2014
Cultures de l’information
coordonné par Vincent Liquète 2014
Ville, architecture et communication
coordonné par Thierry Paquot 2014
Identités numériques. Expressions et traçabilité
coordonné par Jean-Paul Fourmentraux 2015
Sport et médias
coordonné par Alexandre Obœuf 2015
Banlieues vues d’ailleurs
coordonné par Bernard Wallon 2016
Bande dessinée et numérique
coordonné par Pascal Robert 2016

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L’alimentation demain. Cultures et médiations
coordonné par Gilles Fumey 2016
La communication environnementale
coordonné par Thierry Libaert 2016
Guerre, armées et communication
coordonné par Éric Letonturier 2017
La communication politique, édition revue et augmentée
coordonné par Arnaud Mercier 2017

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Achevé d’imprimer en mai 2017
sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery
58500 Clamecy
Dépôt légal : juin 2017
N° d’impression : 705297

Imprimé en France

La Nouvelle Imprimerie Laballery est titulaire de la marque Imprim’Vert®

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