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MINISTÈRE DE LA DÉFENSE

L’ORGANISATION
DU SERVICE MILITAIRE,
REFLET DES ÉVOLUTIONS DE
LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
Actes de la journée d'études du 22 novembre 2005
organisée par
Le centre d’études en sciences sociales de la défense
Le centre d’études d’histoire de la défense
avec la participation de
La direction du service national

Préface de Frédéric Charillon


et Jean-Christophe Romer

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L'ORGANISATION DU SERVICE MILITAIRE,


REFLET DES ÉVOLUTIONS
DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

Actes du Colloque du 22 novembre 2005


sous la direction de Frédéric Charillon et Jean-Christophe Romer,
avec la partipation de la direction du service national
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PRÉFACE

L'Histoire et les sciences sociales se sont alliées pour analyser la genèse, le parcours,
la raison d'être et les développements d'une direction bien particulière du ministère de la
défense : celle du Service National.

Entre le moment de la création de cette direction et la période actuelle en effet,


des évolutions ont eu lieu, à la fois dans la vie de la nation, dans les impératifs de la
défense, et dans les méthodes de gestion administrative. Le parcours de la DSN illustre
ici à la fois les problématiques de l'adaptation, de la réforme et de la modernisation
de l'Etat. Il était logique, à ce titre, de mobiliser autour des acteurs eux-mêmes des
historiens, des sociologues et des politistes spécialistes de science administrative, pour
mieux cerner tout ce que nous donne à voir ce processus. De l'aptitude médicale au
service national jusqu'à l'organisation des JAPD, les contraintes ont changé, les
demandes sociales adressées à l'administration ont évolué, et les bilans sont
inévitablement nuancés.

Les rationalités bureaucratiques sont souvent, dit-on, déconnectées des réalités


humaines. Avec l'histoire de la DSN, c'est pourtant bien une partie de l'Histoire de la
société française qui se trouve déroulée ici. Avec l'exposition des logiques qui ont mené
à la fondation de cette direction puis aux transformations de ses missions, c'est bien un
miroir politique et social du pays qui nous est tendu, preuve que le Léviathan, s'il n'est
pas toujours optimal, n'en est pas pour autant nécessairement absurde. Preuve aussi que
l'État weberien occidental, dont la France serait l'un des modèles les plus achevés de par
son caractère centralisé, sait aussi être à l'écoute.

En cherchant à remonter et à dénouer ensemble le fil de cette histoire et de ces


logiques administratives, les chercheurs et les décideurs ont voulu explorer, comprendre,
mais aussi anticiper, prévoir. Ils ont montré là tout le bénéfice que l'on pouvait tirer d'une
telle collaboration entre acteurs et observateurs, et là n'est pas leur moindre mérite.
La disponibilité accordée par les premiers, l'intérêt manifesté par les seconds, ont été
exemplaires : qu'ils en soient remerciés ici. Lorsque la recherche et la pratique coopèrent,
lorsque avec la complicité d'un public averti elles suscitent ensemble le débat, elles
refondent un triple instrument vital pour la défense nationale : la compréhension,
la prospective et l'aide à la décision.

Frédéric CHARILLON
Jean-Christophe ROMER
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Table des matières

Première partie - Approche Historique page 07


Sous la direction de Jean-Christophe ROMER, directeur du CEHD

Histoire de la Direction du Service National page 09


par le Lieutenant-Colonel Henri LESOIN, direction du service national

L’organisation du service militaire en France de 1870 à 1914 page 25


par Jules MAURIN, professeur à l'université Paul-Valéry, Montpellier III

Survivre et renaître : l’organisation du service militaire


en France de 1940 à 1950 page 37
par Claude d’ABZAC-EPEZY, chargée de recherche au CEHD

Comment gérer les classes du baby-boom et du temps de paix :


l’organisation du service militaire dans les années 1960 et 1970 page 47
par Christophe GRACIEUX, doctorant à l'IEP de Paris, allocataire du CEHD

Comment suspendre le service national sans le supprimer? page 57


Par le Général de corps d'armée (cr) Jean-Pierre FASSIER, ancien directeur
central du service national

Deuxième partie - Approche Sociologique page 61


Sous la direction de Frédéric CHARILLON, directeur du C2SD

De l’aptitude médicale au service national à la direction


des jeunes en difficulté : de nouvelle pistes de réflexion page 63
par le médecin en chef Jean TEISSEIRE, ancien conseiller santé du service national

La Direction du Service National et les réformes


de l’Administration Centrale page 69
par Jacques CHEVALLIER, professeur à l'université Panthéon-Assas, Paris II
directeur du CERSA-CNRS

De l’influence des idées en politique : la transformation


de la Direction du Service National page 79
par Irène EULRIET, doctorante à l'université de Bristol,
chargée de recherche au C2SD

Conclusion - Allocution de clôture page 97


Par le général de division Jacques PÂRIS de BOLLARDIÈRE,
directeur du service national
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PREMIÈRE PARTIE

APPROCHE HISTORIQUE

Sous la direction de Jean-Christophe ROMER


directeur du CEHD
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HISTOIRE DE LA DIRECTION DU SERVICE NATIONAL

Par le Lieutenant-Colonel Henri LESOIN


direction du service national

Introduction :
La notion de service national n’apparaît qu’au cours du XXe siècle. La direction du
service national dont l’appellation actuelle est récente reste cependant une institution
vieille de plus de deux cents ans. Mais la notion du service au pays remonte à l’ancien
régime.

Cette première intervention a pour vocation de dresser un panorama historique de


l’institution et d’ouvrir le débat, en lien, notamment avec les différentes interventions de
la matinée.

Si l’histoire de la conscription a été largement abordée, en réalité, peu d’ouvrages ont


retracé celle de l’organisation et des hommes chargés de la mettre en œuvre.

En premier lieu, au cours des trois derniers siècles, la particularité de cette institution
a toujours été de se situer en prise directe du pouvoir politique. D’autre part, elle a tou-
jours répondu à un contexte de crise précis, s’appliquant le plus souvent dans un cadre
d’urgence, enfin, elle s’est dimensionnée en rapport à la démographie ou aux aspects
sociologiques du pays.

Ces trois facteurs seront toujours présents et marqueront en permanence les grandes
étapes de son évolution.

Avant la levée en masse

La mort du roi d’Espagne, Charles II, laisse ce royaume sans descendance


directe. En raison des liens familiaux entre les maisons souveraines, de
nombreux princes pouvaient prétendre à la succession espagnole, et parmi
eux, les princes de la maison de France. L’enjeu est de taille puisque l’empire
espagnol est immense en Europe et dans le monde entier. Des solutions
diplomatiques entre le roi d’Angleterre et le roi de France sont rejetées par les

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Espagnols qui n’acceptent pas de voir leur empire disloqué.


Un testament du défunt roi désignant le duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV,
déclenche le conflit, Le royaume de France doit faire face à une coalition
européenne, la guerre devient «mondiale».

Il existait déjà sous l’ancien régime un règlement daté du 29 novembre 1688 qui
prévoyait la levée de milices, mises en place par Louvois, afin de compléter les troupes
régulières constituées principalement par l’armée du Roi. Les bureaux de la guerre
fixaient le contingent imposé à chaque province. Puis l’intendant répartissait les hommes
à lever entre les paroisses selon le principe du tirage au sort. Dés 1700, les personnels
constituant ces milices furent mis directement à disposition des armées en campagne et
participèrent à toutes les guerres. Il faut notamment souligner le rôle primordial de ces
troupes dans les guerres de «Succession d’Espagne» qui eurent lieu de 1701 à 1714.
A partir de l’appel du Roi vers ses sujets au cours de l’hiver 1709-1710, les volontaires
jouèrent un rôle crucial dans la bataille de Denain (1712), qui fut déterminante
pour la survie du royaume engagé dans une véritable guerre de portée mondiale :
250 000 hommes, soit 46% des effectifs de l’armée (entraînés au camp de Compiègne),
recrutés parmi les 20 millions d’habitants (ce qui correspondrait aujourd’hui en rapport
avec la population à une armée maintenue à environ 800 000 hommes). Cette levée
annonçait déjà l’amalgame de 1793.

Pour la France, la notion du service militaire par tirage au sort, puis par l’appel aux
volontaires est bien née sous l’ancien régime.

La Révolution française

Janvier-février 1789 : émeutes et troubles à l’origine de la cherté du pain


(mauvaises récoltes de 1787 et 1788). 1er juin : le Tiers État se déclare
Assemblée nationale. 14 juillet : prise de la Bastille. 26 février 1790 : création
des départements. 27 août 1791 : déclaration de Pillnitz (mise en garde des
puissances européennes à la Révolution française). 20 avril 1792 : la France
déclare la guerre à l’Autriche. 11 juillet : l’Assemblée déclare la Patrie en
danger. Août-septembre : invasion du nord-est de la France. 20 septembre :
victoire de Valmy. Octobre : retraite des Prussiens, occupation de Mayence et
de Francfort, 6 novembre : victoire de Jemmapes et conquête de la Belgique.
Février-mars 1793 : déclaration de la guerre à l’Angleterre, à la Hollande et
à l’Espagne ; formation de la première coalition contre la France. 24 février :
levée de 300 000 hommes, qui porte les effectifs à 450 000. La même année
soulèvement des Vendéens. 6-8 septembre victoire de Hondschoote sur les
Anglais, et le 26 décembre de Geisberg. Janvier-février 1795 : conquête de la
Hollande et le 5 avril, paix avec la Prusse.

Néanmoins, la Révolution française constitue le véritable tournant. La France,


une nouvelle fois assiégée par une coalition, se trouve dans une situation militaire
presque identique à celle de la guerre de succession d’Espagne. Par l’appel libre des
gardes nationaux dès 1791 (d’ordinaire non autorisés à intervenir dans les conflits armés
avec une nation étrangère), puis par le décret du 24 janvier 1792, elle fixe la constitution

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d’une armée française. Comme sous l’ancien régime, cette conscription est gérée par
les bureaux de la guerre. Un conseil (non encore dit « de révision ») vérifie l’aptitude
sommaire des volontaires, mais il ne semble pas se tenir systématiquement dans chaque
chef lieu de sous-préfecture.

Un commissaire pris dans les administrations se rend au lieu de rassemblement, et


après avoir invité tous les citoyens à défendre la Patrie et la Liberté, inscrit sur un registre
tous ceux qui voudront souscrire à un engagement. Les municipalités mettent en route les
jeunes hommes dirigés vers quatre lieux de rassemblement. Il s’agit dès lors d’un service
militaire volontaire qui abroge le principe du tirage au sort. L’organisation repose sur :
- des fonctionnaires municipaux,
- des citoyens désignés par l’administration.

Mais ces mesures de recrutement restant insuffisantes (100 000 volontaires


seulement), le 11 juillet 1792, l’Assemblée déclare la «Patrie en danger». L’effectif est
porté à 450 000 hommes (pour une population de 26 millions d’habitants, cela
correspondrait aujourd’hui à une armée maintenue à un million d’hommes). Pour lever
les volontaires, elle fait mettre en place deux commissaires afin d’accélérer les différentes
levées au sein de chaque conseil de département, de district et de commune.
Progressivement, le ministère de la Guerre perfectionne l’outil en s’inspirant du modèle
de recrutement élaboré sous Louis XIV.

Mais ce recrutement souffre d’une trop grande improvisation et ne permet pas


de conserver un effectif suffisamment important. La loi Jourdan du 5 septembre 1798
est instaurée pour remédier à ce problème. Tous les jeunes gens de 20 ans, aptes
physiquement, sont appelés sous les drapeaux pour une durée de 5 ans, mais, cette
ressource reste trop lourde à gérer financièrement si bien que le tirage au sort est remis
en vigueur avec une possibilité de remplacement.

Le premier empire

25 décembre 1799 : mise en vigueur de la Constitution de l’an VIII, instauration


du Consulat, Bonaparte Premier consul. 17 février 1800 : création des préfets.
1802 : 25 mars : traité d’Amiens avec l’Angleterre. Paix générale.

Mai 1803 : rupture du traité d’Amiens avec l’Angleterre qui ne pouvait accepter
une prépondérance de la France sur l’Europe. Juillet : camp de Boulogne en
vue d’une invasion de l’Angleterre. 2 décembre 1804 : couronnement de
Napoléon 1er par le pape Pie VII à Paris, 26 mai 1805 : Napoléon couronné
roi d’Italie. Juillet-août 1805 : formation d’une nouvelle coalition contre la
France. Abandon du projet de débarquement en Angleterre, en septembre,
Napoléon envahit l’Allemagne, Victoire d’Ulm et d’Austerlitz. De 1805
à 1814 : extension des guerres napoléoniennes.

Il faut attendre la loi de 1802 pour voir apparaître une véritable institution de la
conscription, non plus cette fois sous la pression de l’urgence ni sous la menace
d’une invasion. Un « Service du recrutement » est mis en place pour répondre aux

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besoins du ministère de la Guerre. Le modèle de base, mais «à dimension variable», doit


pouvoir incorporer 60 000 hommes pour un service porté à 5 ans. Il est à noter qu’à
cette époque la population est sur le point de passer de 29 à 30 millions d’habitants en
métropole. Si le recensement touche tous les jeunes de 20 ans, seul un jeune homme sur
trois effectue son service actif, du moins au début de l’Empire.

Dans chaque département est créé un détachement du recrutement commandé par


un capitaine « du recrutement ». Ces capitaines, désignés par le ministre de la Guerre,
sont placés sous la tutelle d’un directeur de la conscription et des revues. Ils disposent
de lieutenants du recrutement chargés chacun d’un arrondissement et d’un sergent et
de deux caporaux pour quatre cantons.

L’ancêtre de l’actuelle direction du service national vient de prendre forme. Sous


des appellations différentes, à quelques exceptions près, on retrouvera cette structure tout
au long des XIXe et XXe siècles.

Le capitaine du recrutement fixe l’arrondissement dans lequel l’appel doit s’exercer.


Les contrôles de départ sont établis et les conscrits, qui ne se sont pas présentés,
sont dénoncés au préfet. Le capitaine vérifie l’aptitude physique des conscrits,
ses décisions sont soumises à un examen du conseil de recrutement. Cette revue est faite
par un général ou un officier supérieur. Elle a pour but de constater les noms,
prénoms, lieu et date de naissance, le domicile, le signalement et le numéro de tirage
au sort.

Par ailleurs, les conscrits désignés au sort pour la réserve forment une compagnie
qui est placée sous les ordres du capitaine de recrutement dans le chef-lieu du
département.

Pour augmenter les effectifs, il suffit alors, pour le ministre, d’indiquer à chaque
département le nombre de conscrits à fournir. Le conseil général répartit le contingent
demandé au département entre arrondissements, ces derniers fixent aux communes le
nombre d’hommes qui leur revient.

A partir de 1805, les communes doivent dresser la liste complète de tous les
individus de la classe 1805 qui ont leur domicile de droit dans la commune. Ces listes
sont ensuite envoyées puis fusionnées en une seule au niveau du sous-préfet, qui sera
affichée alors dans chaque commune. Le recensement est né.

De la restauration au second empire

Entre les guerres révolutionnaires, les guerres de Vendée et celles de l’Empire,


la France a perdu environ 2 000 000 d’hommes. En 1815, la France, qui est
occupée, est ramenée à ses frontières de 1790. Une lourde indemnisation lui
est imposée par les coalisés. Cependant, en quelques années l’économie du
pays est rétablie.

La conscription qui avait été abolie en 1814 est remise à l’ordre du jour dès 1818 avec
la Loi Gouvion St-Cyr.

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Chaque année, dans les premiers jours de janvier, les maires pratiquent le
recensement des jeunes gens qui ont accompli leur 20e année avant le premier du mois.
Un conseil de révision est mis en place pour définir l’aptitude de ces jeunes gens.

Une ordonnance royale fait connaître l’effectif du contingent annuel. Les préfets
répartissent le contingent par département, par arrondissement et par canton. Le contingent
assigné à chaque canton est fourni par tirage au sort avec possibilité de remplacement.
Les opérations de tirage au sort sont revues en séance publique, dans un conseil de
révision présidé par le préfet. L’intendant ou le sous-intendant chargé du recrutement
militaire y assiste. A l’issue de cette revue, le conseil dresse une liste unique dite «liste
départementale du contingent». La liste est remise à l’intendant militaire qui en remet
une copie au commandant de la légion départementale. A partir du moment où les
conscrits sont immatriculés sur les contrôles de la légion départementale, ils sont
administrés par elle. Le major de la légion est chargé, sous la surveillance du colonel,
de tout ce qui concerne le recrutement. Un officier lui est adjoint pour la tenue des
écritures. Il est désigné sous le nom de l’officier du recrutement. L’officier municipal leur
délivre un ordre de route, dès leur arrivée, les recrues sont incorporées dans la légion,
qui donnera forme à plusieurs régiments à partir de 1820.

L’effectif est proportionnel à la population du département. Selon l’ordonnance,


il peut être augmenté, puis réduit.

La durée du service est portée à 6 ans, assorti, à l’issue, d’un service territorial
de 6 ans.

L’armée est constituée de 240 000 hommes et renouvelée par un contingent annuel de
40 000 conscrits, ce qui correspondait à un homme incorporé pour 5 hommes recensés.

La campagne d’Espagne servit de banc d’essai au nouveau mode de conscription.


La France étant réintégrée dans le concert des monarchies, son armée se vit confier
par les gouvernements européens le soin de rétablir le régime du roi d’Espagne, qui était
prisonnier des libéraux.

Cette campagne se fait avec succès, mais nécessite la révision de l’organisation pour
monter ses effectifs à 400 000 hommes, avec une augmentation du contingent annuel à
60 000 conscrits. La durée du service passe de 6 à 8 ans, et devait concerner alors un
jeune sur quatre tirés au sort.

Cependant, cette loi de 1824 incite les conscrits, enrôlés pour des périodes aussi
longues, à renouveler les contrats, conduisant l’institution à réduire le nombre des
conscrits retenus et, de fait, à instaurer une véritable armée de métier. Cette armée sera
particulièrement efficace dans la conquête des colonies à partir de 1830.

Avec l’organisation territoriale de 1832, sont créés 30 dépôts du recrutement dits


«de 1re classe» commandés par des officiers supérieurs et 65 dépôts du recrutement
et de la réserve commandés par des capitaines. L’architecture du service du recrutement
est pratiquement bâtie et changera peu au cours du siècle suivant.

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Ces commandants de dépôts sont choisis par le ministre.

Ils ont les attributions suivantes :


- suivre les conseils de révisions,
- tenir les registres matricules des jeunes soldats compris dans le contingent
annuel et de tous les militaires de réserve,
- assurer l’exécution des dispositions d’ordre relatives aux engagés volontaires,
- concourir à la mise en route des jeunes soldats et des militaires de réserve,
- porter plainte contre les insoumis et les faire poursuivre.

Mais les succès dans les engagements extérieurs en Crimée (1854-1855) et dans la
campagne d’Italie (1859), qui sont à la fois de véritables opérations militaires combinées,
interarmées et interalliées, ne pousseront pas le commandement à s’appuyer sur cette loi
du recrutement. En dépit de la loi Niel de 1868 (mise en place d’un service actif à 5 ans
accompagné de 50 mois de réserve) qui renforce cette organisation afin de tenir compte
de la forte démographie (la population est estimée à environ 38 millions d’habitants,
immigrés non inclus), le commandement négligera la conscription. Dédaignés, les dépôts
régionaux et la réserve lui feront défaut en juillet 1870. Ces négligences conduiront à la
défaite. La dépêche d’Ems est au départ, un télégramme fort courtois que le roi
Guillaume 1er de Prusse écrit à l’intention de Napoléon III, mais, abrégé et réécrit par
Bismarck, il se transforme en insulte et rend la guerre inévitable. Elle impose en effet à
l’Empire français de mobiliser les conscrits en deux semaines, les états-majors ne sont
pas prêts pour ce type de mesure, d’autant que les dépôts sont éloignés et généralement
placés près du front. Le service du recrutement a pu néanmoins appeler avec succès
470 000 hommes et 140 000 réservistes en quelques semaines. Ces hommes rejoignent
bien leur dépôt, hélas dans la plus grande confusion, mais ne seront pas équipés à temps
pour le conflit qui s’annonce.

Les enseignements qui en seront tirés annoncent l’organisation de l’armée nouvelle.

D’un siècle à l'autre

Au choc de la défaite en septembre 1870, s’ajoute conséquemment celui de


l’insurrection de la Commune de mars à mai 1871. Ce début de guerre civile
a réveillé les consciences. «Obtenir la discipline sociale par la discipline
militaire», telle était l’ambition des fondateurs de la IIIe République. Gambetta
prône le rôle de l’instituteur et de l’armée, tandis que, plus tard, Lyautey
citera « l’armée du contingent sert à deux choses : en temps de guerre, à la
gagner, pendant la paix, à la cohésion sociale de la Nation».

Le maréchal de Mac-Mahon, bénéficiant d’un prestige intact malgré la défaite de


1870, est élu par les deux Chambres président de la République en 1873. Instaurateur
d’un régime d’ordre moral, il sera à l’origine de la réorganisation de l’armée, s’investissant
personnellement dans les questions militaires. On lui doit la loi du 24 juillet 1873,
aboutissement d’une longue réflexion personnelle. Plus que l’esprit de revanche, c’est
surtout la crainte d’une reprise immédiate du conflit avec la Prusse qui est à l’origine

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de ce redressement spectaculaire de l’organisation militaire. En 1874, à la suite de grandes


intempéries survenues dans les Pyrénées orientales, il engage l’action de l’armée pour
secourir les populations. Une nouvelle conception de l’emploi de l’armée, cette fois à
usage civil, est née.

Le service du recrutement est non seulement maintenu mais progressivement renforcé.


S’il reste encore soumis au tirage au sort, donnant lieu selon le choix à un service actif,
de réserve ou une dispense. En 1872, il devient universel (Loi Cissey), à tout le moins
pour les hommes (tirage au sort pour 5 ans ou un an), en 1889, le service devient
personnel (plus de remplacement possible, durée de 3 ans, loi Freycinet), et enfin,
égalitaire et obligatoire en 1905 (Loi André) avec une durée de service sous les drapeaux
de 2 ans. Cette dernière concerne des classes d’âge de 210 000 à 260 000 jeunes par an.
A cette époque, la population s’élève à plus de 41 millions d’habitants, colonies non
incluses, c’est-à-dire qu’à l’exception des inaptes, tous les jeunes hommes passent bien
sous les drapeaux.

Pour réaliser cet appel, les bureaux du recrutement, implantés par subdivisions
des régions militaires sont au nombre de 144 en 1873, passent à 153 en 1893 et enfin à
159 en 1905. Selon leur importance et la démographie locale, ils se répartissent entre
4 classes :
- 1re classe (SEINE, VERSAILLES et LILLE), commandés par des colonels
placés hors cadre,
- 2e classe, (BORDEAUX et les autres bureaux de la SEINE N° 1 à 6), commandés
par des lieutenants-colonels,
- 3e classe concernant 48 bureaux,
- et 4e classe concernant 102 bureaux, ces deux derniers bureaux étant commandés
par des chefs de bataillon.

Ils sont chargés du recrutement, de la mobilisation, des réquisitions et de l’armée


territoriale. Le principe du recensement est maintenu pour tous les jeunes hommes. Chaque
année, une circulaire fixe les modalités pratiques pour constituer le contingent. On établit
les listes de recrutement (jeunes ayant moins de 21 ans) et les ajournés de la classe
précédente. Au vu des résultats, le ministre fixe le contingent à fournir par subdivision.

L’officier en charge du bureau du recrutement doit mettre en route les jeunes soldats
qui sont convoqués ; aux bureaux du recrutement, ils reçoivent les effets d’habillement
et sont ensuite dirigés vers les corps de l’armée dans lesquels ils sont affectés.

Les bureaux sont divisés en deux sections :


- la première concerne tout ce qui a trait au service du recrutement (contingents,
engagements, administration des hommes sous les drapeaux),
- la seconde gère l’administration et la mobilisation des réserves.

Pour mener ces missions, les bureaux s’étoffent en personnel militaire et administratif
(loi de 1875, le dépôt devient bureau du recrutement, et loi de 1893, le bureau est
commandé par un officier supérieur). Les effectifs des différents bureaux sont renforcés,

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dont notamment par des soldats secrétaires, le nombre de personnel étant proportionnel
aux différentes catégories de classement. L’effectif total se monte à 1722 militaires
répartis de la façon suivante : 159 officiers supérieurs, 160 officiers subalternes, 60 officiers
d’administration, 168 adjudants, 168 caporaux et 839 soldats. Ce ne sera seulement qu’au
cours de la Première Guerre mondiale que le personnel civil et féminin fera son
apparition pour atteindre en 1929 le chiffre de 2500 civils.

La marche vers la guerre : le 21 mars 1905, la loi ramène le service militaire à 2 ans.
Le 31 mars, l’empereur Guillaume II se rend à Tanger au Maroc, ce déplacement
entraîne une véritable crise franco-allemande. 1907 : conclusion de la Triple-Entente
entre la France, le Royaume-Unis et la Russie. 1er juillet 1911 : coup de force allemand
à Agadir au Maroc, suivi d’un traité le 4 novembre suivant. Le 7 août 1913, le service
militaire passe à 3 ans. Le 28 juin 1914, par le jeu des alliances et des frictions
permanentes entre grandes puissances, l’attentat de Sarajevo déclenche un conflit,
estimé court au début, ne s’achèvera en réalité qu’en 1920 en Europe orientale.

L’entre-deux-guerres

En 1923, la durée du service militaire est ramenée à 18 mois (loi du 1er avril),
puis à 1 an le 31 mars 1928. Le 30 janvier 1933, Hitler accède au poste
de chancelier d’Allemagne. Tandis que son pays se réarme, en rupture avec
le traité de Versailles, le 13 janvier la Sarre est rattachée par plébiscite
à l’Allemagne. Le 1er mars 1938, l’Allemagne hitlérienne annexe l’Autriche,
puis les Sudètes. Le pacte germano-soviétique appelé aussi pacte
«Molotov-Ribbentrop» partage l’Europe de l’Est. La guerre est inévitable,
l’armée française rappelle les classes dès 1938. Le 3 septembre 1939,
la France déclare la guerre à l’Allemagne après l’invasion de la Pologne.

Pour des raisons d’économies budgétaires, de 1929 à 1933, le nombre de bureaux de


recrutement passe de 159 à 115, mais l’organisation ayant montré sa pleine efficacité
durant le premier conflit, celle-ci reste inchangée.

Seules les capacités d’accueil des classes rappelées en 1914, insuffisantes et obligeant
l’Etat à la réquisition d’édifices publics (collèges, écoles…), conduisent, en 1925,
à la création des centres mobilisateurs.

La féminisation (et la «civilianisation») du service du recrutement commencée


à partir de 1916 est maintenue.

A la veille de la guerre, les bureaux du recrutement disposent de 417 officiers,


d’au moins 345 sous-officiers et secrétaires militaires et de 2500 civils.

Le commandant du bureau a trois rôles :


- celui de recruteur,
- celui de répartiteur de la ressource administrée par l’envoi des fiches vers les
centres mobilisateurs,

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- celui d’administrateur (de la ressource et, de façon plus détaillée, des effectifs
non affectés aux centres mobilisateurs).

En 1939 et 1940, le service du recrutement procède à la mobilisation de l’armée fran-


çaise sur un modèle identique au premier conflit. Les hommes ne manquent pas, mais la
mobilisation humaine ne suffit pas à empêcher le désastre de 1940. La crise est plutôt
d’ordre moral, l’emploi des hommes sur le terrain est d’ordre conceptuel. Cependant, le
service du recrutement sort non seulement intact de ce désastre mais, dans une France
séparée en deux zones, soumise à l’occupant au nord d’une ligne de démarcation, est
appelé à vivre 4 ans dans la clandestinité. Il va faire preuve, durant cette période, d’une
incroyable capacité d'adaptation et d’une surprenante imagination.

De 1940 à 1944

A partir du 10 mai 1940, l’armée française subit un choc décisif, le 14 juin


l’armée hitlérienne pénètre dans Paris, ville ouverte. Tandis que le général de
Gaulle lance son appel dès le 18 juin, le 22 à Rethondes près de Compiègne,
l’armistice franco-allemand est signé, mettant fin aux hostilités. La France
est divisée en deux, l’une occupée au Nord, l’autre soumise aux accords
d’armistice. Que faire des dernières classes levées avant la défaite et qui
errent sur les routes ? La majorité des militaires maintenus en service, divisés
dans le mode d’action à tenir, sont toutefois animés par l’esprit de revanche.
La défaite prenant ses racines dans la perte des valeurs, un nouveau type de
service fait son apparition sur l’initiative du général de La Porte du Theil.

Le service national des statistiques (nouvelle appellation) tente de maintenir par


tous les moyens sa capacité à réagir face à une situation d’urgence. De 1940 à 1944,
les chantiers de jeunesse en ont été une composante, mais son originalité n’était-elle pas
d’orienter les jeunes vers une sorte de service civil avant la lettre ?

Maintenus pour une période de 8 mois, les jeunes gens sont employés principalement
aux travaux forestiers, produisant par la carbonisation le charbon de bois nécessaire aux
boulangeries ou au gazogène, comme substitution au carburant, c’est-à-dire aux énergies
vitales du pays. Mais l’essentiel est bien d’employer l’encadrement sous-officiers et
officiers dans une structure échappant aux conditions imposées par les accords
de l’Armistice, et de redonner un sens, des valeurs à la jeunesse, afin d’assurer une
mobilisation efficace le moment venu.

La situation militaire en Europe bascule sur le front ouest lorsque, le 8 novembre 1942,
le contingent américain débarque au Maroc. Les chantiers de jeunesse d’une part, et
les hommes issus de l’armée d’armistice ayant fuit soit par l’Espagne, soit par mer, soit
provenant des divers mouvements de résistance de métropole, fusionnent avec les unités
des forces françaises libres se battant au côté des alliés depuis 1940. En trois semaines, à
partir d’un fichier de recensement clandestin, une armée opérationnelle de 300 000 hommes
est mise sur pied à la stupeur des Allemands (c’est-à-dire 120% d’une classe d’âge des
années 40). Avec les débarquements alliés en Normandie et en Provence au cours de
l’année 44, l’armée d’Afrique absorbe progressivement les unités de la résistance armée.

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La nouvelle armée française mène le combat jusqu’à la capitulation allemande le


8 mai 1945. Le fichier clandestin de l’ingénieur militaire Carmille, sous couvert du
recensement de la totalité de la population, est repris en 1948 par l’état sous l’appellation
de fichier INSEE.

En 1944, l’institution prend la dénomination de service du recrutement et des


statistiques. La même année, les bureaux départementaux sont recréés à partir des
bureaux de recrutement clandestins et du fichier de recensement de l’ingénieur militaire
Carmille. Simultanément est mise sur pied la direction du recrutement et des statistiques.

Pour des raisons de politique intérieure et de sécurité intérieure, les membres de la


Résistance sont incorporés dans l’armée de Libération pour la poursuite des opérations
de guerre en Alsace, puis en Allemagne.

L’après guerre

Maintien d’une armée d’occupation en Allemagne et en Autriche. Un nouveau


conflit émerge en Cochinchine, seule l’armée de métier y est engagée.
Dès 1947, apparaissent des tentatives de déstabilisation de la France (et de
l’Italie) ; en décembre 1947, une grève insurrectionnelle communiste échoue
en France. Après le coup de Prague en 1948,( éviction du gouvernement libéral
tchécoslovaque par le parti communiste tchèque), le traité de l’Atlantique
nord est signé en 1949. Puis, le Pacte de Varsovie est mis en œuvre en 1955
par l’URSS confirmant la guerre froide, suivie d’une course aux armements
nucléaires, qui durera jusqu’en 1990.

A la libération de la France, le service du recrutement est rétabli avec les mêmes


missions et attributions qu’avant 1940, mais son organisation est profondément modifiée.
En effet, le recrutement est reconstitué à l’échelon de chaque région militaire, où
une direction régionale du recrutement et de la statistique prend à son compte toutes
les attributions que détenaient les anciens bureaux du recrutement de la région, à
l’exception de la Corse et de l’Afrique du nord où subsistent les bureaux de recrutement.
Chaque région reçoit des moyens mécanographiques afin d’assurer la gestion des
centaines de milliers d’hommes.

Ces directions régionales, placées sous l’autorité du général commandant la région,


sont couronnées à l’administration centrale du ministère des Armées, par une direction
centrale du recrutement et de la statistique.

En septembre 1946, le nombre de régions passe de vingt à dix, le nombre de


directions régionales également.

En 1948, avec la cession de la partie statistique à l’INSEE, la direction centrale


du recrutement et de la statistique est dissoute et devient le 7e bureau de la direction du
personnel de l’armée de terre.

A partir de 1952, une tentative de décentralisation est faite, ayant pour objet de
supprimer les directions régionales du recrutement et de revenir aux anciens bureaux de

18
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recrutement, afin de les placer sous l’autorité directe des commandants de subdivisions
responsables de la mobilisation dans leur circonscription.

C’est ainsi que réapparaissent les bureaux de recrutement.

Mais cette organisation ne pouvait se concevoir que dans le mesure où les subdivi-
sions étaient à même d’assurer la satisfaction de leurs besoins de mobilisation sur leur
propre territoire, ce qui ne fut pas le cas, et cette réforme ne tenait pas assez compte de
la dimension interarmées du recrutement. Les directions régionales du recrutement furent
donc maintenues malgré la recréation des bureaux de recrutement.

Le 7 mai 1954, la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu conduit à la


signature des accords de Genève en juillet suivant. Par ces accords, la France
reconnaît l’indépendance de l’Indochine. Le 31 juillet, l’autonomie de la
Tunisie est annoncée. Le 1er novembre de la même année, une vague d’attentats
secoue l’Algérie, département français. En mars 1956, le Maroc et la Tunisie
deviennent indépendants, mais ce même mois, la loi instituant des pouvoirs
spéciaux en Algérie est signée. Les classes du contingent sont rappelées dès
1956. En 1957, la bataille d’Alger débute et durera de janvier à août. Avec le
soutien politique de l’URSS, le conflit algérien entre dans le cadre des guerres
périphériques de la guerre froide. En 1960, le premier essai d’explosion d’une
bombe nucléaire française a lieu à Reggane en Algérie. Le 18 mars 1962,
les accords d’Evian mettent fin au conflit.

Durant le conflit algérien, en mars 1956, les classes 1951 à 1954 sont rappelées au
service, tandis qu’un décret prolonge la durée légale de 6 à 9 mois, puis en 1959, la durée
légale est portée à 24 mois. Au total, 450 000 appelés effectueront leur séjour en Algérie,
25 000 seront tués au combat.

Avant la suspension de l'appel sous les drapeaux

Les années 60 constituent le véritable tournant de l’armée française. Si les accords


d’Evian mettent un terme aux opérations de maintien de l’ordre en Algérie, la guerre froide
se maintient en Europe. Cette guerre froide ne prendra fin qu’au début des années 90.
La menace d’un conflit nucléaire et la crise des missiles en Europe conduit les armées
à mobiliser encore un grand nombre d’hommes. Cependant, en parallèle, le service
militaire passe à 16 mois en 1965, à un an en 1970, puis à 10 mois en 1992.

En 1961, la direction centrale du recrutement prend la dénomination de service


central du recrutement. En 1966, les centres de sélection, qui avaient été créés en 1954
sous l’égide de l’état-major de l’armée de terre, sont englobés dans le service du
recrutement. Les directions régionales du recrutement dirigent alors les bureaux
de recrutement et les centres de sélection, c’est-à-dire qu’elles rassemblent, sous
l’autorité des généraux commandant les régions militaires la totalité des moyens
nécessaires au traitement rationnel des problèmes relatifs au recrutement de l’armée.

Le conseil de révision est abandonné en 1970 au profit de la commission locale


d’aptitude appelée encore les «3 jours».

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Par arrêté du 18 août 1976 portant organisation du service du recrutement, le bureau


central des archives administratives militaires (BCAAM) de Pau qui relevait du 1er bureau
de l’état-major des armées passe sous l’autorité du service du recrutement. Il détient
les dossiers d’archives individuelles des personnels dégagés des obligations du service
national et les dossiers d’archives collectives, administratives, de commandement et
médicales des formations et organismes de l’armée de terre.

En 1977, le service du recrutement devient la direction centrale du service national,


mais reste toujours assujettie à l’armée de terre. Ce changement d’appellation révèle que,
depuis la loi du 9 juillet 1965 relative au recrutement en vue de l’accomplissement du
service national, le service du recrutement n’était plus seulement le pourvoyeur de
ressources humaines au profit de l’armée française, du fait du développement des formes
civiles du service national.

Cette direction, implantée à Paris, comprend pour la métropole :


- quatre directions locales du service national, à vocation régionale,
- douze bureaux du service national avec leur antennes,
- dix centres de sélection,
- un centre du service national,
- un bureau central des archives administratives militaires.

En outre-mer, placé sous le commandement supérieur des DOM et des TOM :


- deux directions locales du service national,
- six centres du service national.

En septembre 1982, la direction centrale du service national est transférée


à Compiègne. Elle compte alors un effectif total de 4 321 personnes comprenant
1626 militaires de métier, avec un taux de féminisation de 70 %, environ 400 soldats du
contingent et 2.295 civils avec un taux de féminisation de 80 %.

Le bureau spécial du service national de Chartres est dissous en 1987. En 1971, ce


bureau avait fusionné avec le bureau de recrutement de la ville qui détenait les archives
de tous les personnels musulmans d’Algérie ayant figuré sur les contrôles de l’armée
française. Il avait pris l’appellation de bureau spécial de recrutement. Ses attributions et
ses archives sont reprises par le BCAAM de Pau.

La suspension de l'appel sous les drapeaux

Malgré la disparition des classes issues du «Baby Boom» au cours des années
70, et en dépit du maintien d’un effectif important en appelés (crise
des missiles en Europe) et d’un service national réduit à 10 mois en 1992,
la gestion des classes laisse cependant apparaître que 24 % de la ressource
mobilisable ne peut effectuer son service national (données de 1994), faute
de capacités d’accueil suffisantes. La réduction des forces en Europe engagée
à la fin années 80, puis les conséquences de la chute du mur de Berlin

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le 9 novembre 1989, confirmées par la dislocation du Pacte de Varsovie en


1991, conduisent à revoir le format de l’armée française. Le 22 février 1996,
le président de la République Jacques Chirac annonce la suspension progressive
de l’appel sous les drapeaux de 1997 à 2002 et la professionnalisation des
armées. La France ne doit pour autant perdre sa capacité à mobiliser sa
jeunesse si l’urgence le commande.

La direction centrale du service national perd sa mission première, à savoir le


recrutement de l’armée par la conscription.

Pour autant, les pouvoirs publics souhaitent maintenir un lien obligatoire entre la
jeunesse et l’armée. Il est d’abord envisagé d’instituer un rendez-vous citoyen de cinq
jours, à charge pour la DCSN de l’organiser et de le gérer. Finalement, la DCSN était
prête à commencer le rendez-vous citoyen, le changement de gouvernement en 1997
provoque l’abandon de ce projet. Le nouveau gouvernement opte pour une journée
d’appel de préparation à la défense (JAPD), pour tous les garçons dès 1998, qui sera
étendue aux jeunes filles à compter de 2000.

La loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national confie à la DCSN


plusieurs missions :
- en prise directe avec les 36 600 mairies de France et d’outre-mer, recenser
toute une classe d’âge (jusqu’alors il ne s’agissait que de garçons) ;
- organiser, gérer et conduire la JAPD pour environ 750 000 jeunes par an ;
- gérer les dossiers militaires des Français ayant effectué leur service national ;
- tenir à jour tous les fichiers recensant les jeunes français de 18 à 25 ans en vue
d’un éventuel appel sous les drapeaux.

Pour assurer ces missions, la DCSN doit se réorganiser :


- en 1999, la DCSN cesse d’appartenir à l’armée de terre et relève désormais
du secrétariat général pour l’administration, à cette occasion elle prend la
nouvelle appellation de direction du service national ;
- entre 1999 et 2001, le centres de sélection, devenus inutiles du fait de la
suspension de la conscription, ont été soit dissous, soit transformés en centres
de sélection et d’orientation de l’armée de terre ;
- entre 1999 et 2002, quatorze centres du service national sont créés, afin qu’il
y ait au moins un établissement par région administrative.

Depuis 2003, à la détection de l’illettrisme (84 364 jeunes détectés en difficulté pour
l’année 2004), s’ajoutent l’initiation des jeunes aux gestes de premiers secours organisée
par la Croix Rouge Française et, quand cela est possible, la visite d’unités militaires, qui
rendent cette journée beaucoup plus dynamique. La journée d’appel de préparation à la
défense reste le seul contact des jeunes avec leur armée. Elle est globalement appréciée par
une majorité d’entre eux et se trouve désormais inscrite dans le paysage social de la France.

La nouvelle direction poursuit son «interarmisation». Elle est «civilianisée» au


deux-tiers de ses effectifs et comprend (chiffres 2005) 1 120 militaires des quatre armées
et 1 969 civils, soit un total de 3 089 personnes, établissements de l’outre-mer inclus.

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Entre 2000 et 2005, la DSN a perdu 765 personnes, soit 25 % de ses effectifs avec au
moins un doublement des charges dans le cadre d’une JAPD totalement universelle (filles
et garçons) et étendue sur toute la semaine depuis 2002. Sa culture du service public en
a été totalement modifiée. Au centre nerveux informatique de données «S@ga», s’est
ajouté un réseau moderne de communication. Aujourd’hui, 1 600 personnes civiles ou
militaires participent totalement à l’encadrement de la JAPD, environ 700 participent en
renfort, le reste est dédié au soutien.

Conclusion :
Au cours des deux siècles écoulés, nous venons de voir que les bureaux de la guerre,
puis ceux du service du recrutement, et aujourd’hui les établissements de la direction du
service national sont en réalité une compilation des structures dont la particularité est
d’avoir été placées sous la tutelle directe du ministre ou de ses principaux représentants.

Leurs structures se sont en permanence adaptées aux évolutions politiques, sociales


ou géopolitiques.

Elles ont fait parfois preuve d’une incroyable imagination, allant jusqu’à œuvrer dans
la clandestinité lorsque cela était nécessaire entre 1940 et 1944.

Par ailleurs, ces mêmes structures demeurent le lien permanent, de l’armée à la nation
par le biais de la jeunesse, impliquant les structures locales, hier les préfets et les
représentants locaux avec le conseil de révision, aujourd’hui les correspondants défense
des mairies.

Quand le serviteur de l’Etat entre dans une telle structure, il en mesure immédiate-
ment toute l’importance, l’enjeu et la richesse. Ce sont quelques unes des raisons qui
peuvent expliquer le souci de l’innovation et de l’adaptation permanentes.

Sources :
• Histoire de France - de Lucien Bély aux éditions Gisserot 1997.

• Le crépuscule de l’Occident - Démographie et politique par Jean-Claude Chesnais


aux éditions Pluriel 1995 (Chapitre 2, pages 38 à 48 : «Trois siècles de tournoi»).

• Essai sur l’Histoire du service national - par le LCL Challan Belval - Editions
CEF Graphic/Quasar 1994

• La conscription d’hier et d’aujourd’hui, travail collectif édité par le CEHD


cahier n° 15, actes du débat organisé le 8 mars 2000.

• La bataille de Malplaquet 1709, l’effondrement de la France évité par André


Corvisier, aux éditions Economica (page 14 et page 37).

• Denain (1712) Louis XIV sauve la mise par Gérard Lesage aux éditions
Economica (pages 28 et 29).

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• Le citoyen-soldat, une histoire de la conscription – par Annie Crépin et Philippe


Boulanger – La documentation française - bimestriel février 2001

• La Restauration par Bertier de Sauvigny aux éditions Flammarion 1955 (chapitre I 11,
chapitre X page 147, chapitre XV vie sociale, pages 242 et 266, chapitre XVI la vie
politique pages 282 et 284, chapitre XXII le ministère Polignac pages 438 à 443).

• Louis-Philippe par Guy Antonetti aux éditions Fayard 1994 (page 711, relevés
du conseil de révision).

• Napoléon III par Louis Girard aux éditions Fayard 1986 (pages 403 et 447 : effectifs
comparés entre la Prusse et la France, page 476 : causes de la défaite, pages 512
à 516, la réforme tardive de l’armée).

• La fin des terroirs par Eugen Weber aux éditions Fayard 1983 (chapitre 17,
pages 421 à 437)

• La guerre de Crimée 1853-1856 la première guerre moderne par Alain Gouttman


Editions Perrin 2003.

• La guerre de 70 par François Roth aux éditions Fayard 1990.

• Mac Mahon par Gabriel de Broglie aux éditions Perrin 2000 (page 270, de la mise
en œuvre de l’armée à des fins humanitaires, pages 279 à 286 la réorganisation de
l’armée, la crainte d’un nouveau conflit avec la Prusse).

• La France devant la conscription par Philippe Boulanger aux éditions Economica.

• Calais pendant la guerre par Albert Chatelle, librairie Aristide Quillet 1927
(1re partie, la mobilisation).

• Histoire des chantiers de jeunesse racontée par des témoins – actes du colloque
d’histoire du 12 et 13 décembre 1992 SHAT.

• L’armée française sous l’occupation tome 1 La dispersion par François Broche aux
éditions presse de la Cité 2002 (Livre II, première partie, la préparation de la revanche).

• La guerre de Cinquante ans par Georges-Henri Soutou aux éditions Fayard 2001
(chapitre V page 186 pour la période 1947, chapitre XII page 427 pour la période
1963, chapitre XVIII page 646 pour la dernière grande crise des missiles en Europe,
chapitre XX page 703, pour l’année 1989).

• Les grandes évolutions du service du recrutement puis de la direction du service


national – recherches effectuées par le Lieutenant Lecocq, responsable des archives
de la direction du service national.

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L’ORGANISATION DU SERVICE MILITAIRE


EN FRANCE DE 1870 A 1914

Par Jules MAURIN


professeur à l'université Paul-Valéry, Montpellier III

La mobilisation d’août 1914 en France est un succès1, succès d’autant plus éclatant
que les craintes les plus grandes avaient, pendant la dizaine d’années précédant la
déclaration de guerre, suscité des débats au plus haut niveau de l’État où on craignait une
insoumission importante2. Devant les proclamations antimilitaristes et les déclarations
véhémentes des anarcho-syndicalistes déclarant vouloir s’opposer à la guerre y compris
par la grève générale révolutionnaire les autorités avaient été amenées à prendre par
précaution un certain nombre de mesures restées secrètes pour leur conserver leur
efficacité. Ainsi en était-il du Carnet B minutieusement élaboré et tenu à jour préfecture
par préfecture et dont la mise en œuvre se révéla inutile : aucun groupe organisé, aucun
grand leader syndical ou politique ne s’opposa à la mobilisation générale décrétée le
2 août 19143. Et l’insoumission resta très limitée : contrairement à ce qu’annonçaient
certains auteurs tels Jacques Bainville qui dans son Journal de 19144 évoque 20 %
d’insoumis, le taux de l’insoumission fut marginal, de l’ordre de 1,5 % au plan national
même si des variations locales ou régionales existèrent5.

Ce succès au plan humain de la mobilisation se double d’un succès technique.


Les chemins de fer qui désormais irriguent tout le pays, puisque pratiquement tous les
chefs-lieux de canton ont leur gare, sont mis à contribution lors de la mobilisation. Toutes
les compagnies de chemin de fer, PLM, Midi, Est, Nord sont requises pour acheminer

1 J.-J. Becker, 1914, comment les Français sont entrés dans la guerre, PFNSP, Paris, 1977.
2 Messimy qui, par deux fois, fut Ministre de la Guerre, la première fois en 1911 dans le Cabinet Caillaux et la seconde en 1914 dans le
Cabinet Viviani, avait dit, à la tribune de la Chambre sa crainte d’avoir «deux corps d’armée» en moins du fait de l’importance supposée de
l’insoumission et de la désertion.
3 J.-J. Becker, Le Carnet B. Les pouvoirs publics et l’antimilitarisme avant la guerre de 1914, Paris, 1973.
4 Publié en 1953.
5 R. Girardet, La société militaire dans la France contemporaine, Paris, 1998, cite ce pourcentage (p. 185) issu probablement des enquêtes
parlementaires de l’immédiat après-guerre en particulier le rapport 335 de des Lyons de Feuchin de 1921. Il est en tout cas conforme à ce que
les études régionales que j’ai menées établissent : cf. J. Maurin, Armée, Guerre et Société ; soldats languedociens (1889-1919), Paris, 1982,
p. 379-385. En outre dans les statistiques brutes publiées avant la Grande Guerre on relève d’innombrables erreurs matérielles ce que déjà le
Capitaine J. Vidal dans sa thèse de doctorat de droit soutenue à Paris en 1913 avait souligné, Histoire et statistique de l’insoumission, p. 128-130.
Ainsi des jeunes gens décédés sont comptabilisés comme insoumis. En outre lors de la mobilisation de nombreux jeunes partis à l’étranger et
y séjournant longuement pour des raisons diverses sont répertoriés comme insoumis, cf. J. Maurin, op. cit., p. 312 et 379-385.

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vers les dépôts et les zones de concentration les mobilisés, le matériel et les chevaux6.
Les transports civils, de voyageurs comme de marchandises, furent suspendus le 2 août
par arrêté ministériel. Si bien que, en quelques jours et sans qu’aucun accident sérieux
n’intervînt, les mobilisés rejoignirent leurs casernes et tous, soldats des classes sous les
drapeaux et rappelés, les lieux de concentration divisionnaires et de corps d’armée. Cette
réussite exemplaire est un vrai succès technique : tous les trains circulèrent sans incident
pendant une quinzaine de jours. Ce succès s’explique parce que les cheminots mobilisables,
quelle que soit leur fonction, furent «maintenus dans leur poste du temps de paix», c’est-à-
dire mobilisés sur leur lieu de travail en tant qu’affectés spéciaux. C’est ainsi qu’environ
80 % des salariés des compagnies de chemin de fer bénéficient de l’affection spéciale7.

Le succès de cette mobilisation est dû au fait que, depuis 1870, 1871 le service
militaire est passé progressivement dans les mœurs et qu’il est maintenant assimilé,
accepté. En témoigne d’ailleurs l’évolution de la législation du service militaire qui porte
à la fois sur le recrutement qui affirme les grands principes d’universalité et d’égalité des
jeunes Français devant le service militaire8.

La loi de 18729, la première, affirme ce principe car l’armée prussienne qui a vaincu
l’armée française est une armée de conscription. Mais dans le même temps, cette armée
française, largement professionnalisée à cause du remplacement militaire antérieur, est
venue à bout de la Commune de Paris sans état d’âme. Il s’agit donc d’une loi de
compromis prenant en compte les données extérieures de défense du pays et celles
intérieures du maintien de l’ordre, tout en rompant avec la législation antérieure
autorisant le remplacement et rendant donc le service militaire personnel (art. 14)l. Cette
loi dite loi de Cissey, du nom du général versaillais qui fut un des «bourreaux» de
la Commune de Paris, et qui est alors ministre de la guerre, a été élaborée relativement
rapidement surtout si on compare avec la durée de gestation des lois de 1889 et plus
encore de 1905, ce dont témoignent les débats parlementaires. Dès le printemps 1871,
Adolphe Thiers a indiqué que cette réforme militaire était prioritaire et le 17 mars 1871
une commission parlementaire étoffée de quarante-cinq membres s’est formée pour y
réfléchir dans un contexte intellectuel où l’on cherche à établir les responsabilités de la
défaite et où les avis sur la question émanant d’hommes politiques et d’officiers foison-
nent. Cette commission, sous l’impulsion de son président, F. de Chasseloup-Laubat livre
un rapport essentiel dans l’élaboration des lois des années 1872 et 1873 dès le mois
d’août 187110.

Sous la pression d’Adolphe Thiers cette loi maintient un service long de cinq ans dans
l’armée active, de quatre ans dans la réserve, de cinq ans dans la territoriale et de six ans
dans la réserve de la territoriale11. Ce service actif long, dont sont exclus les jeunes gens
condamnés par une cour d’assises ou par un tribunal correctionnel à deux ans de prison
et plus, est assorti de deux mesures d’importance prévues par la loi.

6 M. Peschaud, Politique et fonctionnement des transports par chemin de fer pendant la guerre, Paris, 1928, 307 p.
7 J. Maurin, op. cit., p. 377.
8 J. Montheillet, L’obligation et l’égalité du service militaire dans les lois du 27 juillet 1872 et du 15 juillet 1889, Paris, 1903, 313 p.
9 Loi du 27 juillet 1872 in Journal Officiel du 17 août 1872, p. 5553-5558.
10 J. Ch. Jauffret, Parlement, Gouvernement, Commandement : l’armée de métier sous la Troisième République, 1871-1914, thèse d’État
dactylographiée, 1987, 2 vol., 1 355p.
11 Les interventions d’A. Thiers à la Chambre des 8 et 12 juin 1872 (cf. J.O.) furent décisives sur ce point.

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D’abord les possibilités d’exemption et de dispense sont larges. Aux exemptions


traditionnelles pour déficiences physiques – infirmités et maladies – s’ajoutent des
dispenses pour raisons familiales : les aînés d’orphelins de père et de mère, le fils aîné
d’une veuve, d’un père aveugle ou septuagénaire, le plus âgé des deux frères faisant
partie du même tirage, le frère d’un soldat ou d’un soldat mort, blessé, réformé pendant
son service actif. S’y ajoutent les dispenses dites conditionnelles dont bénéficient
les instituteurs et autres, les enseignants, les étudiants, les novices des congrégations
enseignantes, bref tous ceux qui ont pris «l’engagement de se vouer pendant dix ans à
l’enseignement», les élèves ecclésiastiques dont la liste est tenue par chaque évêché, les
artistes «qui ont remporté les grands prix de l’Institut». De même peuvent être dispensés
les soutiens de famille dont la liste est présentée par les maires lors du conseil de révision
dans la limite de 4 % du nombre des «bons pour le service» (art. 16 à 23).

Ensuite le tirage au sort est maintenu au moment du conseil de révision. Ce tirage au sort
détermine deux portions du contingent : celle qui effectue la totalité du service actif, celle
qui n’effectue qu’un an de service actif (art. 10) ou même seulement de six mois si
«l’instruction acquise antérieurement à son entrée au service et par celle reçue sous les
drapeaux» est jugée suffisante. Le tirage au sort, donc la chance, détermine la durée du séjour
sous les drapeaux. Pour les conscrits les bons numéros sont ceux qui permettent d’échapper
au service long, les mauvais sont ceux qui obligent à passer cinq ans sous l’uniforme12.

Les entorses au principe d’égalité proclamée (art. 3) sont donc nombreuses et variables
d’une année sur l’autre puisque le ministre de la Guerre fixe chaque année le nombre
de ceux qui accomplissent cinq ans de service. Mais au-delà, ces entorses multiples au
principe proclamé vont à l’encontre d’un des objectifs fixés par les promoteurs de la loi
de 1872, à savoir faire de l’armée l’école de la nation en inculquant aux jeunes gens le
sentiment du patriotisme, le sens de la discipline et de l’honneur en même temps qu’une
éducation virile qui permet d’avoir des jeunes hommes forts, courageux, résistants13. Or
ce vaste programme au demeurant bien ambitieux ne peut atteindre qu’une partie du
continent annuel, celui qui effectivement est contraint d’accomplir son temps de service
militaire. En effet cette nouvelle armée issue de la conscription, plongeant ses racines
dans les idéaux de 1789 permet à l’élite des jeunes de la nation de s’extraire du sort
commun en contractant un «engagement conditionnel» d’un an dans l’armée de terre :
ceci concerne les élèves des grandes écoles et les bacheliers (art. 53 à 56). Quant aux
élèves de l’École polytechnique et de l’École forestière, ils sont considérés comme
effectuant leur service militaire à l’école (art. 19). Les critiques contre ces engagés
conditionnels, privilégiés de loi de 1872 contribuent avec l’affirmation de la République
à la remise en cause de cette législation. On pouvait même craindre qu’il n'y ait trop de
diplômés pour cette raison et que cela ne nuise aux activités industrielles et agricoles.

La loi sur le recrutement de 1872 ne saurait être isolée : elle s’inscrit dans un contexte
législatif vaste et complexe qui touche à l’organisation territoriale des armées avec la loi
du 24 juillet 1873, avec celle relative à l’état civil et à la nationalité du 16 décembre 1874,
ou encore avec celle des cadres de l’armée active et de l’armée territoriale du 13 mars 1875.

12 O. Roynette, «Bons pour le service». L’expérience de la caserne en France à la fin du xixe siècle, Paris, 2000, 458 p. notamment p. 164-179.
13 Le rapport de la commission Chesseloup-Laubat, op. cit., qui annonce le projet de loi, développe largement ce thème.
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En outre l’une des dispositions de la loi avait été de supprimer les primes d’engagement
(art. 2). Confronté au manque de sous-officiers nécessaires à l’encadrement de la troupe
il fallut dès 1878 les rétablir puis faciliter le rengagement des sous-officiers par la loi du
23 juillet 1881, et même aller jusqu’à permettre l’engagement dans l’armée de terre
d’hommes ne sachant ni lire ni écrire comme cela était en cours dans la marine, et ceci
dans le temps même où Jules Ferry rendait l’école gratuite et obligatoire14. Tout cet
arsenal législatif rend progressivement possible une application plus stricte de la loi sur
le recrutement, y compris dans ses articles sur les périodes de la réserve de l’armée
active et de l’armée territoriale. Mais, pour franchir une étape vers plus d’égalité il fallut
modifier la loi elle-même.

La loi du 15 juillet 188915 initiée par le général Boulanger lors de son passage au
ministère de la Guerre, s’inscrit dans un contexte général de triomphe de l’idée
républicaine, de développement de la colonisation, de mise en place plus rapide des lois
Ferry sur l’école gratuite, laïque et obligatoire. Il ne faut pas omettre de la mettre en relation
avec la loi du Reich de 1888 qui ramenait la durée du service militaire à trois ans tout en
allongeant la durée totale des obligations militaires. On trouve semblable dispositif dans la loi
française de 1889 : l’obligation militaire passe à vingt-cinq ans, contre vingt ans avec la loi de
1872, répartis entre trois ans dans l’armée active, sept ans dans la réserve de l’active, six ans
dans l’armée territoriale et neuf ans dans la réserve de la territoriale.

Cette loi qui reprend les principes d’universalité et d’égalité des citoyens devant un
service militaire qui doit être personnel, tient compte des circonstances nationales et
extérieures, tout en faisant progresser l’idée d’égalité sans pour autant aller jusqu’au
bout. La réduction du service militaire actif de cinq à trois ans va dans le sens de ce que
souhaitait l’opinion, notamment l’opinion de la paysannerie, grande pourvoyeuse de
troupes. La réduction de la durée du service militaire actif, proposée par la commission
parlementaire qui travailla pendant l’année 1888, fut longuement discutée à la Chambre
comme au Sénat. Les monarchistes, derrière Albert de Mun défendant le principe d’un
service long seul en mesure selon eux de maintenir et propager «les vertus militaires».
Mais des républicains, tel Jules Simon, longtemps opposé à «l’esprit militaire» défendit
aussi ce principe au Sénat au nom de «l’instruction» et «l’éducation» militaire qu’il
faut donner aux hommes pour leur apprendre à obéir et à braver la mort ; cela ne s’apprend
pas en un an16. Plus encore que la durée, l’exigence d’égalité devant l’obligation militaire
fut discutée. Dès 1883, Jules Ferry, alors Président du Conseil, avait proposé que les
diplômés fassent un an de service actif. Freycinet y voyait un moyen de faire de la caserne
un lieu de brassage des différentes couches de la société. Quant à Jules Simon il défendit
l’idée que s’il n’y avait pas lieu de favoriser les jeunes gens privilégiés par la naissance
ou la fortune, il fallait aider ceux dont le parcours scolaire est nécessaire à la prospérité
du pays ; et on ne peut pas suspendre plusieurs années les études sans risques17. Au nom
de l’intérêt général ce sont les élites issues de l’école républicaine que l’on s’attache à
favoriser en limitant leur temps de service actif.

14 Loi du 27 janvier 1882, votée en pleine « ère » Ferry qui fut ministre de l’Instruction publique (1879-1883), Président du Conseil (1880-1881
et 1883-1995).
15 J.O. du 17 juillet 1889, p. 3437-3447.
16 J. Monteilhet, L’obligation et l’égalité du service militaire…, op. cit., p. 20-23.
17 J. Monteilhet, op. cit., p. 237-240.

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La discussion sur la durée du service à imposer aux séminaristes tint une place sans
rapport avec leur nombre car les dispenses dont ils bénéficiaient ne touchaient chaque
année qu’autour de deux mille deux cents deux mille trois cents personnes. Comme pour
l’élite scolaire et universitaire le Parlement leur impose un an de présence à la caserne
pour leur apprendre selon le sénateur et néanmoins général Billot «qu’il y a un culte qui
domine tous les cultes, le culte de la patrie»18. Ceci malgré la vigoureuse opposition des
monarchistes et des députés catholiques qui estiment que le service de la religion n’est
pas un métier comme un autre, que la caserne n’est pas nécessairement une école de
morale bonne pour ces jeunes dont l’idéal est de servir Dieu19. Très vite cependant
l’Église de France accepte la nouvelle réalité d’autant plus aisément que beaucoup
d’officiers sont catholiques pratiquants et que l’affectation des séminaristes les amène à
servir pour un an comme aumôniers ou surtout infirmiers et ambulanciers, fonctions dans
lesquelles on les retrouvera pendant la Grande Guerre. Le ralliement à la République
et l’Encyclique Rerum novarum de Léon XIII en 1891 feront que l’opposition à
cette mesure n’aura été que de courte durée. Cette disposition vaudra à cette loi d’être
dénommée loi des «curés sac au dos» alors que sa portée est bien plus large.

En effet cette loi maintient certes les dispenses après un an de service actif pour
raisons professionnelles : cela concerne les étudiants ecclésiastiques se préparant pour
exercer leur ministère dans «l’un des cultes reconnus par l’État», et les étudiants au sens
large du terme, élèves instituteurs laïques ou congréganistes qui s’engagent à servir dix
ans dans l’instruction publique en France ou dans les écoles françaises d’Orient ou
d’Afrique, les étudiants des universités, des grandes écoles (art. 23) ; cela concerne aussi
les ouvriers d’art. Cette dispense est aussi accordée pour raisons familiales : aîné
d’orphelins, fils unique de veuve ou d’un père handicapé, aîné d’une famille de sept
enfants et plus, soutiens de famille déclarés (art. 20 et 21). Quant à l’exemption elle n’est
accordée désormais qu’aux infirmes et malades.

Nouveauté et renversement de la donne par rapport à la loi de 1872 : les dispensés


après un an de service sont assujettis à une taxe militaire annuelle (art. 35). Mais la
loi introduit aussi des éléments nouveaux. C’est ainsi que la loi crée les bataillons
d’infanterie légère d’Afrique (art. 5) afin d’incorporer des repris de justice condamnés à
des peines de prison d’une durée supérieure à trois mois. C’est ainsi que «nul n’est admis
dans une administration de l’État s’il ne justifie avoir satisfait aux obligations de
la présente loi» (art. 7). C’est ainsi que les fils d’étrangers nés en France seront traités
pour le recrutement comme les Français ordinaires. S’ils refusent leurs obligations ils
seront déchus de la nationalité française (art. 11).

Si le service militaire actif est ramené de cinq à trois ans, le tirage au sort est
maintenu afin d’ajuster chaque année le nombre d’incorporables aux capacités de
l’armée : ceci s’opère, comme dans le cadre de la loi de 1872, en renvoyant dans leurs
foyers, après un an de service actif, les hommes désignés à cet effet par le tirage au sort
organisé lors du conseil de révision cantonal (art. 46). Avec cette loi on a certes réalisé
des progrès vers l’égalité citoyenne devant le service militaire mais sans y parvenir

18 J. Monteilhet, op. cit., p. 201.


19 J. Monteilhet, op. cit., p. 202. J. Ch. Jauffret, op. cit., p. 433 rapporte les propos de l’évêque d’Orléans, Mgr Frappel, et député du Maine-et-
Loire pour qui cette réforme est «un saut dans les ténèbres».

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complètement. Elle a permis un progrès sensible en ce sens que l’incorporation, pour une
durée certes variable, de jeunes gens plus nombreux est possible : avec la loi de 1872
un tiers seulement des bons faisaient cinq ans, avec la loi de 1889 les deux tiers font
trois ans20. Ceci n’empêche pas la loi dans son principe et dans son application de subir
de vigoureuses critiques notamment de ceux qui auraient souhaité un service de plus
courte durée, d’un an21.

Mais surtout, en pleine période d’expansion coloniale, cette loi concerne presque
exclusivement la métropole. Il y a là une carence que tente de combler la loi du 30 juillet 1893
qui précise que pour l’armée coloniale, «l’élément français» se recrute exclusivement
par engagements volontaires (art. 1). Cette loi est un échec par manque de volontaires et
de moyens financiers. Il faut donc encore renforcer les troupes de marine, par le biais
des affectations ou celui du prélèvement sur d’autres corps en cas de nécessité comme en
1898, avec l’affaire de Fachoda. La loi du 7 juillet 1900 concerne l’organisation des
troupes coloniales, troupes qui se substituent globalement aux troupes de marine et sont
spécialisées dans les guerres lointaines de conquêtes ou de maintien des conquêtes.
Si bien que dans les faits s’instaure une dualité de l’armée, armée métropolitaine
et armée coloniale. La première est une armée de conscription, la seconde une armée
professionnelle. Après une vingtaine d’années de débats au parlement et dans l’opinion,
après d’innombrables propositions de loi, le principe de réalité s’impose : les soldats
issus de la conscription ne serviront pas dans les colonies. Seuls les jeunes délinquants
condamnés à des peines légères seront incorporés dans les bataillons d’infanterie légère
d’Afrique ; les délinquants condamnés pour fautes graves à de lourdes peines rejoindront
les corps disciplinaires coloniaux, les «biribi».

Avec la loi du 21 mars 190522, le principe d’universalité et d’égalité est enfin atteint.
La mise au point de cette loi a été laborieuse. Six ans ont été nécessaires23 puisque le
premier projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat par le sénateur Rolland, date de
novembre 1898. Les radicaux, pour beaucoup membres de la franc-maçonnerie24 mènent
à bien cette tâche, d’abord sous la conduite du général André, ministre de la Guerre, puis
après sa démission consécutive à l’affaire des fiches, par son successeur au ministère
Maurice Bertraux. Une grande nouveauté caractérise cette loi : la suppression du tirage
au sort lors de la révision cantonale ce qui aboutit à ne plus introduire de différences de
durée pour le service militaire actif ramené uniformément à deux ans. Si les exemptions
sont maintenues en cas d’incapacité physique, les dispenses sont supprimées. En revanche
les sursis d’incorporation jusqu’à l’âge de 25 ans sont introduits dans la législation
(art. 18). Même les soutiens de famille feront leur temps de service : en contrepartie leurs
familles recevront de l’État une allocation journalière. Même les futurs officiers, élèves
de l’École polytechnique ou de Saint-Cyr devront «une année de service dans un corps
de troupe aux conditions ordinaires avant leur entrée dans ces écoles» (art. 23). Ce sera
le cas pour de Gaulle en 1909 qui effectuera son année de stage préalable à son entrée à

20 d’après Michel Aufray, L’âge des casernes, 1998, p. 122.


21 Retenons ici celle, véhémente, du journaliste Urbain Gohier qui publie en 1889 L’Armée contre la nation et Le Service d’un an : il y démontre
le bénéfice financier réalisé par les étudiants de Polytechnique ou de l’École forestière ou encore les «inégalités consacrées par la législation»
et l’arbitraire dans leur application.
22 J.O. du 23 mars 1905, p. 1869-1881.
23 G. Gugliotta, La loi de 1902-1905 devant le Parlement et l’opinion française, thèse de 3ecycle, Aix-Marseille, juin 1975.
24 Pierre Chevallier, Histoire de la franc-maçonnerie française, T. III, La Maçonnerie, Église de la République, 1877-1944, 1984.

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Saint-Cyr, au 33e régiment d’infanterie d’Arras25. Cette disposition vaut pour les élèves
des autres grandes écoles. Servir dans le rang, comme toute jeune recrue, doit permettre
à ces jeunes de l’élite intellectuelle de partager la vie ordinaire du soldat avant d’accéder
à l’encadrement militaire ou à celui de la société civile.

En contre partie des deux ans de service actif, le temps dans la réserve de l’active
passe à onze ans. L’attention portée à la réserve par la loi est d’importance, un chapitre
entier en traite explicitant l’obligation de rejoindre immédiatement son corps en cas de
mobilisation, rappelant l’obligation des exercices et des revues d’appel et celle du visa
individuel par la gendarmerie en cas de changement de domicile ou de résidence, ou
même d’un voyage d’une durée supérieure à deux mois. La loi met aussi l’accent sur la
formation des cadres de réserve mais également sur les mesures pour rendre identiques
les exercices créés en application de la loi du 27 janvier 1880 dans les lycées et autres
établissements scolaires en vue de préparer les jeunes au service militaire. C’est peut-être
pour ces raisons que Jean Jaurès, pourtant partisan d’un système militaire différent, se
félicite de l’apport de cette loi26. Nombre de dispositions des lois précédentes sont
reprises concernant les exclus de l’armée, les jeunes condamnés ; seule la durée de la
condamnation retenue pour l’affectation est modifiée : ainsi pour être versé dans les
bataillons d’infanterie légère d’Afrique la peine d’emprisonnement doit être de six mois
au moins. Il en va de même pour les naturalisés français qui suivent le sort commun. Les
avantages accordés aux engagés et rengagés sont réaffirmés, y compris celui de prétendre
à un emploi réservé (art. 69). Avoir rempli les obligations de la loi s’impose pour rentrer
dans une administration ou même occuper une fonction élective (art. 7). En revanche la
loi assouplit quelque peu la participation au vote des militaires qui en étaient jusque là
totalement exclus : désormais ceux qui seront, lors de l’élection, en résidence libre, en
congé, en disponibilité pourront voter.

Le loi de 1905 crée bien concrètement l’armée de la nation grâce à un service


militaire enfin égalitaire et où la chance du tirage au sort ne joue plus sur les destins
individuels. Nombre de militaires craignent que ce service de deux ans ne permette pas
à l’armée française de remplir correctement ses missions de défense au moment même
où les tensions internationales s’accroissent et se figent dans les grandes alliances, dont
la triple entente, la «toile d’araignée» tissée méthodiquement par Delcassé, ministre
des Affaires étrangères. Pour protester le général Hagron, généralissime, démissionne.
Le pouvoir politique accepte cette démission, affirmant ainsi la primauté du politique y
compris dans les affaires militaires d’importance comme celle du recrutement.

Il aura donc fallu plus de vingt ans, une génération, pour que les principes
d’universalité et d’égalité sur lesquels on s’était accordé dès 1872 passent dans les faits.
Les raisons en sont nombreuses et diverses. L’organisation d’ensemble de l’armée joue
ici un rôle essentiel sans pour autant être exclusif. En effet, les grandes lois sur le
recrutement et le service militaire s’accompagnent de lois d’organisation27. Ainsi la loi

25 J. Maurin, «De Gaulle saint-cyrien», in Charles de Gaulle, La jeunesse et la Guerre 1890-1920, Paris, 2001, p. 187-193.
26 Jean Jaurès, L’Armée nouvelle, 1911 ; réédition présentée et annotée par Madeleine Rebérioux en 1977.
27 J.-Ch. Jauffret, Parlement, gouvernement, commandant : l’armée de métier sous la IIIe République (1871-1914), Doctorat d’État de l’Université
de Paris I-Panthéon-Sorbonne, 1987, 2 tomes, 1352 p.
28 J.O. du 7 août 1873, p. 5281-5283.

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du 6 août 187328 divise la France en dix-huit régions militaires, chacune disposant de


plusieurs subdivisions. Ces subdivisions sont particulièrement destinées à s’occuper du
recrutement car ce sont leurs bureaux qui tiennent les registres matricules que les
hommes soient dans l’armée active, dans sa réserve, dans la territoriale ou dans la
réserve de la territoriale. Ces bureaux «suivent» méthodiquement les hommes dans leurs
changements de domicile qui doit être déclaré à la gendarmerie du nouveau domicile29.
L’importance de ce suivi est considérable dans cette période de fort exode rural.

En outre les bureaux de recrutement doivent recenser chaque année «les chevaux,
mulets ou voitures susceptibles d’être utilisés» pour les besoins de l’armée (art. 5).
Des registres spéciaux sont tenus à cet effet. Chaque région militaire correspond à
un corps d’armée qui dispose des forces nécessaires à ce corps d’armée : elles sont
complémentaires car à côté des deux divisions d’infanterie, on trouve une brigade de
cavalerie, une brigade d’artillerie (qui sera étoffée dans les années 1905-1913), un
bataillon du génie, un escadron du train des équipages, les états-majors et les services
nécessaires. Ces moyens humains sont répartis sur tout le territoire couvert par le corps
d’armée30. De la même façon chaque région militaire et chaque subdivision dispose des
magasins nécessaires pour équiper les forces en approvisionnement, en armes et
munitions, en habillement. Cette administration est très hiérarchisée autour du général
commandant le corps d’armée. C’est cette administration variée, complexe, un tantinet
rigide qui est chargée de gérer les incorporations pour la durée du service actif, pour les
périodes de réserve, d’organiser les exercices et manœuvres dans les camps dont chaque
région militaire doit disposer31. Elle doit aussi être prête en cas de mobilisation pour
effectuer rapidement le rappel des hommes, leur encasernement, leur équipement, leur
acheminement vers les lieux de concentration. Pour ce faire elle dispose de moyens. Suite
à un décret du président de la République elle peut réquisitionner chevaux et voitures
(art. 25). Les compagnies de chemin de fer doivent, en cas de mobilisation, mettre à la
disposition du corps d’armée tous les moyens pour permettre l’acheminement et la
concentration des troupes et du matériel. De même l’administration du télégraphe devra
se mettre à la disposition du service de télégraphie militaire.

Avec le temps cette organisation de base évolue peu à peu et s’adapte. Des corps
d’armée nouveaux sont créés au nombre de deux, dont l’un outre mer et un en métropole
même, le XXe corps, des unités nouvelles apparaissent en particulier les troupes coloniales avec
leurs régiments composés de jeunes issus des colonies et/ou de jeunes métropolitains qui
glissent, au tournant du siècle, des troupes de marine aux troupes coloniales. Les appelés
des unités coloniales d’origine métropolitaine servent en France même, sauf s’ils sont
volontaires pour l’outre mer. Le nombre de régiments d’artillerie de campagne croît avec au
moins un régiment de plus par région militaire dans la décennie précédant la Grande Guerre.

En fait l’organisation militaire française pendant cette période est une organisation
régionale, largement décentralisée. Ce phénomène est assez rare en France pour être
souligné. Il semble d’ailleurs que cela ait été efficace en soudant l’organisation militaire

29 J. Maurin, op. cit., p. 63 et suivantes.


30 On en trouvera un exemple précis, pour le XVIe Corps d’Armée dans ma thèse, op. cit., p. 168-171.
31 Ainsi en va-t-il par exemple pour le camp militaire du Larzac, créé dans les années 1890, pour permettre aux troupes du XVIe Corps de manœuvrer
cf. F. Laur, Le plateau du Larzac, thèse Droit Montpellier, 1929.

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au milieu et aux populations. On mesure bien d’ailleurs ce phénomène avec l’acceptation


progressive du recrutement et du service militaire par la population32. Paradoxalement
cette acceptation est intégrée, au moins dans les milieux paysans et bourgeois, vers les
années 1890. C’est précisément dans ces années que se multiplient les publications
antimilitaristes les plus virulentes33. Elle est tellement intégrée que, contrairement aux
périodes précédentes, le jeune homme – et sa famille – ne cherche plus à échapper à
l’obligation militaire : les traces de mutilation volontaire se font rares ou même
disparaissent lors de l’examen du conseil de révision. Les mutilés volontaires détectés
sont regroupés à la deuxième compagnie de pionniers dont on connaît le nombre : ils ne
sont plus qu’une vingtaine par an à la fin du XIXe siècle ce qui n’est donc plus un
problème pour l’institution34. Mieux on cherche à effectuer «son temps» de service
de crainte qu’une exception ne nuise ensuite : soit qu’on vous suspecte d’avoir une
« maladie interne », la tuberculose en l’occurrence, doute qui vous met à part dans les
villages et vous empêche de trouver l’âme sœur, soit que, conformément à la loi de 1889
l’exception ne vous permette pas d’intégrer ensuite la fonction publique ou les
compagnies de chemin de fer, professions convoitées par les très nombreux émigrants
ruraux et leur famille car synonyme de promotion sociale rapide et sans risques35.

Mais c’est aussi dans ces années que le Génie a pu enfin couvrir la France entière de
casernes susceptibles d’accueillir un flot important d’appelés et bientôt leur totalité, au
fur et à mesure aussi que la natalité se réduit. Ces constructions rendues nécessaires
par la politique militaire du recrutement tracée en 1872 furent longues à sortir de terre.
Il fallait pour cela trouver les emplacements alors même qu’une partie importante
du casernement était perdu avec l’annexion à l’Empire allemand de l’Alsace-Lorraine.
Il fallait surtout trouver les moyens techniques et financiers. Cela prit du temps. Pour
aboutir finalement à la multiplication des casernements, y compris dans les toutes
petites cités désireuses d’avoir leur garnison pour alimenter le commerce et stimuler
l’économie. On trouva le moyen financier : la convention entre la ville et l’État/ministère
de la Guerre. Ainsi par exemple, à Montpellier, une première convention est passée entre
la Ville et l’État en 1899. Elle ne put être exécutée car la Ville avait confié cette tâche par
contrat à une société immobilière qui ne vit jamais le jour. Une nouvelle convention
fut signée en 1902 et celle-ci fut couronnée de succès : l’expansion du parc immobilier
militaire jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale en atteste36. Généralement ces
conventions sont longues à mettre au point car d’importants intérêts sont en jeu. Ils sont
d’ordre financier et économique mais aussi urbanistiques. Les villes, y compris les plus
modestes, proposent subventions et terrains à tel point qu’un auteur, Georges Clause,
a défini Châlons-sur-Saône comme «la ville qui voulait des soldats»37. Mais le cas est loin
d’être isolé et partout en France les villes importantes ou modestes sont à la recherche de

32 Frédéric Rousseau, Service militaire au xixe siècle : de la résistance à l’obéissance, Montpellier, 1998, 225 p.
33 Citons ici : A. Hermant, Le cavalier Miserey, 21e Chasseurs, mœurs militaires contemporaines, Paris, 1887 ; L. Descaves, Sous offs, roman
militaire, 1889 ; ou encore G. Yvetot, manuel du soldat, 1902. J. Rabaut donne un bon aperçu de cette «vague» dans L’antimilitarisme en France
1810-1975, 253 p.
34 E.-J. Duval, Regards sur la conscription 1790-1997, Paris, 1997, p. 89.
35 Sur tous ces points, J. Maurin, op. cit., p. 260-268. P. Jakez-Helias dans Le cheval d’orgueil évoque aussi ces problèmes notamment p. 445.
36 A. Petitjean, «L’expansion du domaine militaire pendant la Revanche, l’exemple de Montpellier» in Défense et aménagement du territoire,
Montpellier, 2001, p. 221-232.
37 Ph. Pividori, «Prospérité et dépendance des espaces militaires dans la Marne d’avant 1914» in Défense et aménagement du territoire, op. cit.,
p. 199-220.

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garnisons afin d’alimenter le commerce local38. L’économie induite par un régiment


résidant est évidente aux yeux de tous les édiles locaux. Odile Roynette a longuement
analysé ce phénomène39 : si plus de cent cinquante casernes ont été construites en France
pendant cette période, d’importantes différences régionales se font jour : ainsi la région
du Nord avec son réseau de casernes vétustes, datant des périodes antérieures et jamais
modernisées.

Devant le nombre de recrues à loger toutes les possibilités, toutes les bâtisses militaires,
même très anciennes sont utilisées. Ces dernières sont souvent dans les centres des villes
alors que les nouvelles s’édifient à leur périphérie sur des espaces plus larges et ouverts.
Dans les villes du sud de la France ceci est tout à fait caractéristique. Ainsi par exemple
à Béziers la nouvelle caserne Duguesclin est construite avec sa place, le champ de Mars,
à l’est de la ville, le centre abritant toujours la caserne Saint-Jacques. À Agde,
Montpellier, et dans la plupart des villes-garnisons, on constate le même dédoublement.
Ceci est vrai pour les casernes recevant des régiments d’infanterie. C’est indispensable
pour celles où s’installent les nouveaux régiments d’artillerie de campagne : ainsi, à
Montpellier, route de Toulouse, en 1909 s’installe au quartier Lepic sur une douzaine
d’hectares à la périphérie urbaine la caserne du 56e RAC susceptible de recevoir les hommes,
les chevaux, les canons et leurs munitions40. Parfois l’armée profite des circonstances :
quand consécutivement aux lois sur les congrégations enseignantes (1904) de séparation
de l’Église et de l’État (1905), des congrégations sont chassées ou s’en vont, leurs locaux
sont réaffectés. À Montpellier les bâtiments du «petit séminaire», quartier Boutonnet,
reviennent à la ville puis à l’armée qui y loge désormais le 81e RI.

La caserne nouvelle, conçue par le Génie, modèle 1874, est construite sur un plan
type du Nord au Sud de la France et d’Est en Ouest. Les bâtiments enserrent une grande
cour rectangulaire d’environ dix mille m2 propre à l’exercice. Sur un ou deux côtés on
trouve les locaux «techniques» capables de recevoir les magasins, de loger les animaux
de transport et leur matériel d’attelage mais aussi, bien protégée, l’armerie. Sur les
autres côtés la caserne s’élève généralement sur quatre niveaux. Au rez-de-chaussée se
trouvent la cuisine et le réfectoire et plusieurs autres locaux communs. Aux premier et
second étage les chambrées qui ne reçoivent désormais chacune que vingt-quatre soldats,
ce qui est un progrès considérable même par rapport aux casernes de la première moitié
du XIXe siècle. À partir de 1907, la chambrée n’accueillera plus que quatorze hommes
de troupe. Enfin les combles aménagées sont destinées à recevoir les réservistes du régi-
ment venus accomplir «leurs périodes».

Le souci d’hygiène est bien présent avec les lavabos obligatoires, les ouvertures par
de vastes baies permettant l’aération des locaux et la pénétration de la lumière extérieure.
Bref on pense aux exigences de l’instruction militaire, mais ce souci organisationnel
n’est pas nouveau dans les préoccupations du Génie. Ce qui l’est en revanche c’est bien
le souci de bien-être des hommes41.

38 J. Maurin, Armée-Guerre-Société…, op. cit., p. 167-186 et du même «Les constructions militaires en France sous la IIIe République avant 1914»
in Défense et aménagement du territoire, op. cit., p. 221-232.
39 O. Roynette, «Bons pour le service»…, op. cit., p. 128-152.
40 Cette caserne est actuellement occupée par l’École d’Application de l’Infanterie.
41 F. Dallemagne, Les casernes françaises, 1990, 256 p., en particulier le chap. X qui traite des «casernes républicaines 1875-1914» p. 195-210.
Mais aussi plus récemment Odile Roynette, Bons pour le service…, op. cit., p. 128-152.

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Ainsi, au début du XXe siècle, grâce aux efforts financiers et matériels consentis sur
plusieurs décennies, efforts du ministère de la Guerre mais aussi d’innombrables
municipalités, l’Armée était désormais en mesure d’accueillir tous les «bons service
armée» d’une classe d’âge. L’adaptation matérielle aux exigences d’égalité devant
le service militaire étant réalisée on pouvait donc appliquer totalement ce principe
d’universalité et d’égalité devant le service militaire et donc l’inscrire dans la loi.

Cette concordance entre les principes et les conditions matérielles permettant de les
appliquer résulte aussi de l’évolution démographique du pays pendant toute cette période.
Les études démographiques montrent que le nombre de naissances va en diminuant, et
corrélativement celui du taux de natalité, à tel point que certains auteurs contemporains
ont pu parler de dépopulation42. Et les historiens et démographes ont su mesurer le
phénomène43.

La grande faiblesse de la fécondité et de la natalité caractérise cette période en France


contrairement à ce que l’on observe ailleurs en Europe, au Royaume-Uni, en Allemagne,
en Autriche-Hongrie. La comparaison de la pyramide des âges française et allemande
en 1911 traduit la réalité de l’évolution démographique des deux pays : en France le
nombre des jeunes diminue d’année en année44, mais avec d’importantes différences
régionales. Il y a deux France, l’une malthusienne, l’autre nataliste. Cet état de fait aboutit
à augmenter l’immigration étrangère méditerranéenne, italienne d’abord, espagnole
ensuite. Cela a des conséquences directes sur le recrutement militaire : si la France veut
avoir une armée équivalente à celle du Reich il faut soit «lever» plus de classes d’âges
en avançant l’âge d’appel à 19 ans, soit augmenter la durée du service, soit combiner les
deux systèmes. C’est ainsi qu’en 1913, à la veille du conflit, gouvernement et parlement
reviendront aux trois ans45 pour répondre à la loi allemande sur le recrutement et maintenir
l’équilibre des forces. Il y a une évidence démographique qui s’impose au législateur.

Un autre point important consiste à s’interroger si le service militaire, au-delà de sa


fonction purement militaire, a eu une fonction sociale, a constitué un creuset pour
les jeunes de différentes générations et des différentes régions françaises, bref s’il a
contribué à la naissance et à l’affirmation d’une conscience nationale et républicaine.
Lorsqu’à la fin du XXe siècle on commença à s’interroger sur le maintien ou non du
service militaire cette question fut abordée et les partisans de son maintien affirmèrent
que le service désormais national était bien un creuset social, que ce n’était pas
seulement une affaire technique mais bien sociologique voire morale parce que favorisant
l’intégration. Pour la période 1871-1914, le service militaire a pu favoriser cette prise de
conscience notamment par son caractère institutionnel. Il est le même, au même moment,
partout en France. Et les législateurs de 1872, au lendemain de la Commune, pouvaient
en espérer plus de concorde entre les classes sociales.

42 Ainsi Bertillon, La dépopulation de la France, 1911.


43 André Armengaud, La population française au XIXe siècle, Paris, 1971, 121 p. M. Garden, «Un siècle après : regards sur la population
française avant 1914» in M. Garden, «Un siècle après : regards sur la population française avant 1914» in Yves Lequin, Histoire des Français
XIX-XXe siècle. Un peuple et son pays, 1984, p. 200-232.
44 Le nombre de naissances masculines était d’environ 500 000 dans les années 1872-1876, de 450 000 dans les années 1891-1896, de moins de
400 000 dans les années 1906-1911.
45 Loi publiée au J.O. du 8 août 1913, p. 7138-7142.

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Force est de constater que, dans les faits, le brassage social est limité au moins
jusqu’en 1905 à cause des dispenses et des dispenses conditionnelles dont bénéficient
les élites. Le brassage géographique est lui inopérant, ce qui contraste avec la période
précédente. En effet avec la région militaire le recrutement est régional et même en
pratique local à cause des affectations. Les trois quarts des appelés servent dans
l’infanterie et souvent dans le régiment d’infanterie le plus proche de leur domicile. Cela
est souhaité par les familles et l’institution militaire y trouve de nombreux avantages46.
Ce n’est qu’avec les armes plus techniques comme l’artillerie, les équipages de la flotte
que le brassage géographique s’opère de façon plus large, régionalement, et qu’avec les
régiments par excellence du maintien de l’ordre, les dragons, sur un espace encore
élargi. En revanche on sait que l’affectation dans l’arme doit beaucoup aux caractères
anthropologique – taille toujours puis poids au début du XXe siècle – caractères qui
recouvrent largement les différences sociales et culturelles. Si bien que, dans les faits,
l’affectation dans l’arme au service militaire éloigne les jeunes d’origine et de condition
sociale différentes. Avec le service militaire l’armée ne brasse pas les catégories
socio-professionnelles. Elle les perpétue, ce qui accentue la coupure47.

Dans son organisation, dans son fonctionnement le service militaire a réussi à s’imposer
progressivement entre 1871 et 1914. Il est rentré dans les mœurs et a été accepté. Il est
l’événement marquant de la vie des jeunes hommes et a consolidé le sentiment
d’appartenance à la classe d’âge. En permettant à l’État de construire une armée solide,
structurée, fortement organisée, il a contribué à l’affirmation de la nation bien avant la
Grande Guerre. Cela n’a pu se réaliser que parce que trois idées forces ont soutendu la
législation de façon constante et donc la mise en place et le fonctionnement du service
militaire. En premier lieu la notion d’honneur, l’honneur de servir réservé aux nationaux
et naturalisés, réservé aux jeunes hommes sans casier judiciaire entaché de graves
condamnations. Mais, bien évidemment, ce principe n’a pas touché le grand nombre,
resté totalement indifférent à cette notion ; cela n’a pu qu’avoir une influence très
marginale. En second lieu la notion de devoir et de devoir personnel puisque le service
est dû personnellement. Cette notion a certainement eu de l’importance dans une
société où le sens du devoir est prégnant. Mais c’est sans conteste le principe d’égalité,
qui s’est concrétisé progressivement, qui a eu le plus d’influence sur l’acceptation du ser-
vice militaire.

46 J. Maurin, Armée-Guerre-Société, op. cit., p. 291-309.


47 J. Maurin, André-Guerre-Société, op. cit., p. 337.

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SURVIVRE ET RENAITRE : L'ORGANISATION


DU SERVICE MILITAIRE DE 1940 A 1950

Par Claude d’ABZAC-EPEZY


chargée de recherche au CEHD

L’histoire du service militaire a souvent servi à exalter les valeurs républicaines


et en particulier l’égalité de tous les citoyens ainsi que la grandeur de l’État. Il est donc
difficile d’intégrer les années 1940 à 1950 dans cette histoire glorieuse. Cette période est
en effet caractérisée, certes par la reprise de la lutte et la victoire de 1945, mais aussi par
la défaite, l’occupation, l’affaiblissement de la puissance de l’État et les luttes fratricides.
Aux antipodes des récits mythiques sur le service militaire48, l’histoire de ces années
écorne l’image des Français rassemblés sous un même drapeau et unis dans un même
sacrifice pour leur patrie. C’est pourtant à ce moment-là que d’immenses mutations
voient le jour, qui préfigurent et anticipent à bien des égards les transformations
ultérieures du service national.

En juin 1940, l’armistice impose une réduction drastique des forces armées qui met fin
à l’organisation issue des lois de 1905 et 1928. Le service militaire universel et la
conscription disparaissent donc officiellement. Or, en 1943, en Afrique du Nord et en 1944
en métropole, la France est amenée à mobiliser pour reprendre sa place aux côtés des Alliés
et participer à la guerre contre l’Allemagne. Comment l’administration du service militaire
a-t-elle pu gérer cette disparition brutale et cette renaissance non moins brutale ?

En fait, les contraintes de l’armistice amènent à mettre en place une organisation de


substitution semi-clandestine accompagnée d’une importante modernisation administrative.
Mais ce système qui a permis la mobilisation parfaitement réussie de l’Afrique du Nord
en 1943, a totalement échoué en métropole à partir de 1944.

Une modernisation longtemps différée

Au moment où éclate la Seconde Guerre mondiale, le service militaire est directement


issu des grandes lois militaires du début du XXe siècle. La loi du 21 mars 1905 crée le
service universel, obligatoire et égal pour tous. La loi du 31 mars 1928 sur le recrutement

48 Sur le mythe du service militaire cf. le point de vue «contestataire» de Michel Auvray, L’âge des casernes, histoire et mythes du service
militaire, Paris, l’Aube, 1998, 327 p. (avec une abondante bibliographie).

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de l’armée établit les règles fondamentales : le recensement est effectué par les maires
des communes pour tous les jeunes hommes de 19 ans révolus. Il entraîne la convocation
devant le conseil de révision, qui est assuré par le préfet assisté de commissions civiles
et militaires. Par la suite, les listes sont transmises à des bureaux de recrutement qui
procèdent, sur la foi du dossier papier à l’appel et à l’incorporation. Une fois celle-ci
réalisée, les conscrits sont immédiatement conduits dans les unités d’affectation qui
prennent en charge l’instruction.

Un certain nombre de réformes et d’aménagements, réalisés entre 1905 et 1939,


portent sur la durée du service actif et sur l’âge d’incorporation. Ces réformes donnent
lieu à des débats parlementaires passionnés49. Dans les faits, l’égalité de tous devant le
service n’est pas respectée car la durée de celui-ci varie selon les classes d’âge : d’une
durée de 3 ans en 1913, le service est ramené à 18 mois en 1923 et 1 an en 1930. Toutes
les analyses d’époque confirment que cette durée réduite du service ne permet pas à
l’armée de remplir les missions qui lui sont imparties, ni à réagir rapidement en cas
d’alerte. En 1935, le problème devient insoluble, car la classe 1935 rassemble des
conscrits nés en 1915, donc au début des classes creuses dues au déficit de naissances de
la guerre 1914-1918. Ainsi, les effectifs d’appelés sous les drapeaux, par un simple effet
démographique, sont divisés par deux. Malgré l’urgence, le parlement refuse de voter un
allongement officiel de la durée du service militaire actif, il accepte juste qu’une classe
de disponibles soit maintenue un an de plus. La gauche française ne veut pas s’engager
dans ce qu’elle appelle «une course aux effectifs». Les jeunes Français effectuent donc
un service de un an et sont maintenus une autre année au titre de la disponibilité. Mais
leurs aînés sont nombreux à n’avoir connu que le service de 18 mois (7 classes d’âge) ou
de 1 an (5 classes)50.

Mais le débat sur la durée du service, qui accapare l’attention des parlementaires laisse
dans l’ombre un problème essentiel : celui de l’organisation de la conscription, de
l’instruction et de la mobilisation. Pendant l’Entre-deux-guerres, seuls quelques observateurs
constatent que le système est inadapté et dénoncent la sélection inexistante, l’instruction
insuffisante, la mauvaise organisation des réserves, la difficulté à gérer les affectations
spéciales, l’impossibilité de faire coïncider la ressource et les besoins. Des personnalités
comme le général de Gaulle dans son livre Vers l’armée de métier51 tentent de mettre en
lumière les insuffisances du système d’armée de masse en préconisant la constitution
d’unités professionnalisées. Mais pour d’autres analystes, comme les généraux Debeney
et Bourret, la solution est à trouver dans la formation des spécialistes de qualité52.

Avec l’élan donné par cette réflexion, des études pour moderniser le service militaire
sont lancées. Ainsi, en février 1934, au moment où Pétain est ministre de la Guerre, la
direction du contrôle de l’Armée confie à un ingénieur, René Carmille, des études sur le
service de recrutement. Pendant 10 mois, ce polytechnicien né en 1886, se livre à un
«audit» complet dans trois régions militaires et inspecte tous les centres de recrutement
et de mobilisation. De décembre 1934 à février 1935, il présente au ministre les résultats

49 Henry Dutailly, Les problèmes de l’armée de Terre française 1935-1939, Paris, SHAT, Imprimerie nationale, 1980, p. 208-211.
50 En 1939, les obligations militaires se définissent ainsi : 28 années de service militaire dont : 1 an de service actif ; 3 ans de disponibilité ;
16 ans de première réserve ; 8 ans de 2e réserve, (unités territoriales).
51 Charles de Gaulle, Vers l’armée de métier, Paris, Berger-Levrault, 1934.
52 Général Debeney, «Armée nationale, armée de métier», Revue des Deux Mondes, 15 septembre 1929 ; Dutailly, op. cit., p. 215.

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de son enquête dans cinq rapports (en tout 223 pages)53. Il prend acte de l’inadaptation de
l’administration du service militaire et préconise une réforme globale qui permettrait
d’opérer une sélection centralisée. Dans son projet, il prévoit un grand service unique,
avec une direction nationale et des directions régionales correspondant aux régions
militaires. Les bureaux départementaux doivent être supprimés. Elément essentiel :
chaque direction régionale devra être dotée d’ateliers mécanographiques (à base de
fiches perforées) permettant une comptabilité automatisée des recrues et une évaluation
statistique des spécialités. À cet effet, il prévoit l’établissement pour chaque appelé de
«fiches mécanographiques» avec l’attribution d’un numéro matricule unique à 13 chiffres,
ou numéro d’identification.

Les années 1930 étant caractérisées par un blocage parlementaire face à toute réforme
du service militaire – comme en témoignent les débats virulents à propos de la durée du
temps passé sous les drapeaux ou de l’organisation de la nation en temps de guerre –,
un changement aussi radical de l’organisation de la conscription avait peu de chances
d’aboutir. Le projet Carmille reste donc dans les cartons. Les difficultés apparaissent au
moment de la mobilisation partielle de 193854 et de la mobilisation générale de 1939.
En effet, faute de fichier de sélection, les ouvriers et les cadres des usines d’armement
sont d’abord mobilisés en unités combattantes, ce qui désorganise la production des
usines, puis, seulement dans un second temps, et quelques mois plus tard, ils sont
rappelés dans leurs usines au titre de l’affectation spéciale, ce qui désorganise les unités
combattantes. L’état-major de l’armée décide de mettre en œuvre partiellement la
modernisation préconisée par Carmille. Ainsi, le bureau de recrutement de Rouen,
commandé par le commandant Rocques, est doté à titre expérimental d’un centre
mécanographique en mai 193955. Comme la France a disposé de près de deux ans entre
Munich et l’attaque allemande, on peut faire état d’une réussite de la mobilisation et le
haut commandement français s’en félicite56.

La suite est connue : la défaite, que le général de Gaulle attribue à l’infériorité du


matériel, mais où d’autres voient l’effet de l’insuffisante préparation des hommes. Des
documents parlent d’officiers de réserve insuffisamment aguerris. Marc Bloch dans
L’Etrange Défaite déclare : «On a raconté des histoires de fuite, où l’auto du chef aurait,
de beaucoup, devancé la panique des piétons. On a cité des cas d’abandon de poste. On
a évoqué des sauve-qui-peut venus d’en haut5.» Des articles envoyés aux revues
militaires au cours de l’année 1941 se gaussent de ces officiers sans aucun prestige
physique, qualifiés de «ventripotents» ou «binoclards»58; sans endurance — incapables
de supporter une journée de privation de nourriture59 — ou, plus fréquemment, gravement
incompétents60. La défaite projette ainsi sa tragique lumière sur des dysfonctionnements

53 Robert Carmille, Les services statistiques français pendant l’occupation, ed. Robert Carmille, sept 2000, 64 p. (+ annexes), cf. p. 5.
54 Note n° 758/C/EMA du 12 novembre 1938, SHD département Terre 7N 2293/10. «Enseignements de la mobilisation partielle de novembre
1938» et Jean Vial, «La mobilisation militaire de 1919 à 1939» étude dactylographiée, SHAT.
55 Carmille, op. cit., p. 5.
56 André Corvisier, Histoire militaire de la France, tome 3, de 1871 à 1940, p. 380.
57 Marc Bloch, L’Etrange Défaite, Paris, A. Michel, 1957, p. 141.
58 Article du Lt-colonel Rée, proposé à l’EMA/3, Loches, octobre 1940, «Le recrutement et la formation des officiers», SHD département terre,
3P129.
59 Le général Schlesser, déclare qu’il a été profondément choqué par ces officiers qui, en 1940, préféraient se rendre plutôt que de supporter
quelques jours de privation de nourriture. Général Guy Schlesser, entretien avec Robert O. Paxton, le 8 juillet 1961. Repris dans
Robert O. Paxton, L’armée de Vichy, Paris, Tallandier, 2004, p. 68.
60 Marc Bloch, op. cit., p. 142.

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anciens mais jamais corrigés. Plus que jamais, il apparaît urgent de procéder à une
réforme en profondeur de l’administration du service militaire. Pourtant, alors que les
conditions psychologiques et politiques d’une telle réforme deviennent enfin possibles,
sa mise en place est interdite par les conventions d’armistice.

Après la défaite de 1940 : une organisation de substitution qui permet


une réelle modernisation

Les clauses militaires des armistices de Rethondes et Villa Incisa, qui entrent
tous deux en vigueur le 25 juin 1940, sont assez imprécises. Les contraintes imposées aux
forces armées sont définies quelques jours plus tard, le 29 juin, à la suite d’une réunion
entre les commissions d’armistice allemandes et italiennes. Ces «accords de Wiesbaden»
réduisent les effectifs de l’armée française à 100 000 hommes en métropole et entre
30 000 et 50 000 outre-mer. Leur mission est exclusivement le maintien de l’ordre.
Aucune unité mécanisée ne doit subsister dans l’armée de terre. L’aviation militaire,
comme la marine doivent disparaître. Très vite, les puissances occupantes accordent des
dérogations par rapport à ces clauses drastiques. L’armée est progressivement réarmée,
tout spécialement en Afrique du Nord. Ses effectifs autorisés augmentent ainsi que son
armement. Une marine et une armée de l’air sont maintenues «à titre provisoire» à la
suite des attaques anglaises de Mers el-Kébir et de Dakar en juillet et en septembre 1940.
Au total, l’armée dite «de l’armistice» atteint des effectifs de plus de 500 000 hommes
au printemps 1942.

Le texte des accords de Wiesbaden ne précise pas expressément que l’armée devra
être composée uniquement de volontaires61. Mais, de fait, comme son format réduit
interdit d’incorporer toute une classe d’âge et que les réserves mobilisables sont interdites,
le service militaire universel est suspendu pendant toute la durée de l’armistice et tout
laisse à penser qu’il ne sera pas autorisé lors du futur traité de paix avec l’Allemagne
nazie. Cependant, pour assurer la transition entre une armée de conscription et une armée
de volontaires, le maintien sous les drapeaux des classes 1938 et 1939 est autorisé. Les
effectifs de l’armée de l’armistice sont donc, pour une grande part, composés d’appelés.

Ces aménagements ne sauraient satisfaire le maréchal Pétain, le général Weygand et


l’équipe de militaires au pouvoir à Vichy à l’été 1940. Ces derniers sont en effet particu-
lièrement attachés à l’idée de service militaire universel. Ils font partie de la catégorie
d’officiers que l’on pourrait qualifier de «meneurs d’hommes». Sensibles, dans la
tradition de Lyautey, au «rôle social de l’officier»62, ils s’opposent aux officiers de
culture plus technique, qui, à l’instar de l’amiral Darlan ou du secrétaire d’État à l’Air,
le général Bergeret, s’accommoderaient volontiers d’une professionnalisation63. Aussi
vont-ils consacrer tous leurs efforts à rendre cette suspension du service militaire
facilement réversible, afin que l’on puisse aisément revenir à la situation antérieure si les
circonstances le permettent.

61 Le texte complet des accords de Wiesbaden sur l’armée française a été publié par Romain Rainero, La commission italienne d’armistice avec la
France, les rapports entre la France de Vichy et l’Italie de Mussolini, Vincennes, SHAT, 1995, p. 399-403.
62 Louis-Hubert Lyautey (lieutenant) «Du rôle social de l’officier», Revue des deux Mondes, 15 mars 1891, p. 443-459.
63 Claude d’Abzac-Epezy, «La rénovation de la formation militaire à Vichy en 1941», Revue Historique des armées, 2/2001, p. 17-30.

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Pour cela il faut impérativement veiller à ce que la continuité de la conscription ne


soit pas interrompue : le recensement et la vérification de l’aptitude des jeunes hommes
doit se poursuivre. Ainsi toutes classes d’âges sans exception pourront rester mobilisables
dans l’hypothèse d’une entrée en guerre dans les 27 années suivantes64. Dans ce but, il
faut également maintenir une administration tenant à jour un fichier de mobilisables.

La première de ces exigences va être remplie par l’instauration des Chantiers de la


jeunesse. Ceux-ci sont nés dans l’urgence de la défaite, car il semblait inconcevable de
renvoyer dans leurs foyers les 100 000 conscrits de la classe 1940 qui venaient d’être
incorporés mais qui n’avaient pas encore reçu d’instruction. Le général Colson, ministre
de la Guerre, confie donc au général de La Porte du Theil le soin d’organiser l’encadrement
de ces soldats. Ce dernier met en place une organisation inspirée du scoutisme et
rassemble tous les jeunes dans des camps en pleine nature où ils sont employés à des
travaux forestiers et ruraux65. Le 18 janvier 1941, cette organisation provisoire devient
une institution définitive et tous les jeunes Français doivent y effectuer un service
obligatoire de huit mois. Quatre classes sont appelées, de la classe 1940 à la classe 1944.
Au total, près de 400 000 jeunes passent par les Chantiers entre ces deux dates. Les
Chantiers de la jeunesse sont une organisation civile dépendant du ministère de
l’Education nationale. En réalité, au départ, la totalité des 10 500 cadres environ est
composée de militaires d’active mis en congé d’armistice ou d’officiers et sous-officiers
de réserve. Par la suite seulement, les gradés sont recrutés parmi les conscrits ayant
quatre mois de présence dans les Chantiers66.

L’organisation des Chantiers de la jeunesse diffère profondément de celle du service


militaire à laquelle elle succède. Le principal changement étant la centralisation avec la
suppression de l’échelon départemental, mesure qui avait été préconisée par les travaux
de Carmille. On aboutit donc à une structure pyramidale, avec, au sommet, le commis-
sariat général et son état-major, installés à Chatelguyon, et six régions : cinq en zone Sud,
une en Afrique du Nord. Chacune de ces régions, avec à sa tête un commissariat régional,
comprend de huit à dix groupements dont l’effectif varie entre 1 500 et 2 200 hommes.
Chaque groupement (équivalent d’un régiment avec à sa tête un commissaire) est divisé
en groupes de 150 à 200 hommes répartis chacun en une dizaine d’équipes67. Les modalités
d’appel et d’incorporation connaissent aussi des changements. Les jeunes sont convoqués
dans les commissariats généraux, à l’échelon régional, par voie d’affichage en mairie.
Le conseil de révision est supprimé, l’examen médical, la sélection et l’affectation
s’effectuent dans les services spécialisés du commissariat, qui procède aux formalités
d’incorporation et à l’affectation dans les groupements68. Cette nouvelle organisation
préfigure, avec treize ans d’avance, la mise sur pied des centres de sélection en 1954.

Les plus grandes transformations s’effectuent néanmoins au niveau de la gestion des


effectifs. Le service du recrutement ne disposait pas d’assez de moyens pour contrôler les
bureaux de recrutement nombreux et disséminés dans toute la France à raison d’un ou de

64 Ces 27 années correspondant à la durée des obligations militaires prévues par la loi de 1928.
65 Joseph de La Porte du Theil (général), Un an de commandement des chantiers de la jeunesse, Paris, Sequana, 1941, 333 p.
66 Histoire des Chantiers de la jeunesse racontée par des témoins, SHAT, journée d’études des 12 et 13 février 1992, SAM/CJF, 1992, 286 p.
67 Loi du 18 janvier 1941 et Instruction sur l’organisation et l’administration des Chantiers de la jeunesse, cinq volumes, Paris-Limoges,
Charles Lavauzelle, 1941-1943.
68 André Souyris-Rolland, «quelques éléments pour la compréhension d’une organisation paramilitaire sous l’occupation allemande», 1940-1944,
in Histoire des Chantiers de la jeunesse racontée par des témoins, op. cit., p. 25-31.

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plusieurs par département. Il ne pouvait donc faire réaliser aucune synthèse prospective
sur une mobilisation future et ce système fonctionnait presque totalement à l’aveugle.
A cet égard, les dysfonctionnements mis en lumière par la défaite facilitent la mise
en œuvre d’une véritable révolution administrative et technique : tous les bureaux de
recrutement et, naturellement, les centres de mobilisation, sont supprimés. Leurs fichiers
sont centralisés et versés à un service unique, le service de la démographie du ministère
des Finances, créé par la loi du 14 novembre 1940 et localisé à Lyon.

Tout comme pour les Chantiers de la jeunesse, ce nouveau service est officiellement
un organisme civil et ne dépend ni des états-majors, ni des ministères militaires mais du
ministère des Finances69. En fait, ce sont presque exclusivement des officiers, spécialistes
du recrutement qui composent l’encadrement sous la direction du contrôleur général
Carmille70. Le nouveau directeur est en relation avec le colonel Rivet, chef des services
spéciaux militaires clandestins. Après l’armistice, des officiers oeuvrent pour assurer
la survie des éléments de l’armée interdits par les conventions de l’armistice, avec
l’assentiment tacite du ministre de la Guerre, le général Huntziger et de son état-major71.
Ces actions de camouflage prennent trois directions principales : la poursuite de l’activité
des services secrets de renseignement et de contre-espionnage, le camouflage du matériel
militaire et le maintien d’une administration de mobilisation clandestine. Robert Carmille
est chargé officieusement de cette dernière mission : sous couvert d’un service officiel
chargé des études statistiques sur l’ensemble de la population française, son but est
clairement de sauver de la destruction le service du recrutement et de maintenir la
possibilité d’une mobilisation future72. Dans cette perspective, le Service de la démographie
centralise tous les fichiers des militaires démobilisés, ainsi que les fiches des contingents
des Chantiers de la jeunesse, des prisonniers de guerre et des anciens affectés spéciaux.
A partir de janvier 1941, le service de la démographie est réorganisé, il devient service
national de la statistique (SNS) avec une direction nationale à Lyon et 18 directions
régionales dont l’une à Alger. Il procède à des recensements civils, comme celui
des activités professionnelles du 17 juillet 1941, qui établit la liste de toutes les personnes
des deux sexes entre 14 et 65 ans, résidant en zone non occupée. C’est à l’occasion
de l’exploitation de ce recensement qu’est créé le numéro national d’identification à
13 chiffres que nous utilisons encore aujourd’hui sous l’appellation courante de «numéro
de sécurité sociale».

Au lieu de détruire ou de réduire l’efficacité du système antérieur, cette réorganisation


imposée par la défaite permet une modernisation sans précédent de l’administration du
recrutement : le système de mécanographie autorise le croisement de plusieurs fichiers,
permet de vérifier et d’éliminer les doublons. Les données statistiques militaires peuvent
être croisées avec d’autres données concernant le reste de la population civile. Il est

69 Il fait d’ailleurs doublon avec un service civil dépendant du même ministère, la Statistique générale de France (SGF) dirigé par Henri Bunle.
70 La note n° 6945 EMA/1 du 15 novembre 1940 du ministre, secrétaire d’État à la Guerre aux généraux commandant les divisions militaires
demande que les officiers de l’armée d’active spécialistes du recrutement se portent candidats pour devenir administrateurs du nouveau Service
de la Démographie, cit. in Carmille, op. cit., p. 15.
71 Ces actions de camouflage prennent en 1940 trois directions principales : le maintien des services secrets de renseignement et de contre-espionnage,
le camouflage du matériel militaire et le maintien d’une administration de mobilisation clandestine. Cf. Robert O. Paxton, op. cit., p. 307-335,
«Le parti de la revanche, la résistance dans l’armée de l’armistice» et les études faites par deux anciens de l’Organisation de Résistance de
l’Armée : Augustin Oudot de Dainville, L’ORA, la résistance de l’Armée, guerre 1939-1945, Paris, Lavauzelle, 1974, 345 p. ; Bernard de
Boisfleury, L’armée en résistance, France 1940-1944, Paris, L’Esprit du livre, 2005, 718 p.
72 Carmille, op. cit., p. 15.

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possible désormais d’éviter, comme en 1939, de mobiliser d’abord les ouvriers ou les
pères de famille, pour ensuite les renvoyer dans leurs foyers. À l’issue de cette extraordinaire
révolution administrative, on peut espérer, pour la première fois dans l’histoire du service
militaire, avoir une vision claire de l’ensemble de la population soumise aux obligations
militaires et d’effectuer une mobilisation sélective. Cependant, une telle activité ne peut
être jugée qu’à ses résultats : ces structures de substitution ont-elles réellement favorisé
la mobilisation en 1943 et 1944 ?

Une renaissance difficile du service militaire de 1943 à 1947

Force est de constater que le bilan de la renaissance du service militaire après la


période d’occupation, est mitigé : en Afrique du Nord, les choses se passent plutôt bien,
puisque, en 1943 et 1944 s’effectue la plus importante levée en masse jamais réalisée en
termes de ponction sur la population : près de 300 000 hommes, soit 21 classes d’âge sont
mobilisées simultanément. Pour la première fois les musulmans sont également concernés.
L’ordonnance du 7 mars 1944 considère qu’il y aura désormais un traitement identique
des deux communautés en ce qui concerne les obligations militaires. Mais seulement
quatre classes d’âges (1929 à 1943) sont mobilisées, contre 21 classes d’âge pour les
Français73. Cette mobilisation n’a été possible que grâce aux structures de substitution
mises en place pendant l’occupation. D’abord par les Chantiers de la jeunesse qui, dès
1943, sont militarisés et intégrés en unités constituées dans la nouvelle armée française
qui reprend le combat aux côtés des Alliés74. Ensuite et surtout par le travail de la
direction d’Alger du SNS qui, en 1941, met en place le fichier national d’identification,
rassemblant pour la première fois français et musulmans dans des répertoires centralisés
et compatibles entre eux75.

En France, en revanche, les choses sont bien différentes : avant le Débarquement, le


Comité Français de Libération Nationale (CFLN) avait prévu qu’il faudrait organiser une
mobilisation en métropole afin de lever les effectifs promis aux Alliés dans le plan
d’Anfa76. Le décret du 20 juin 1944 pris par le Gouvernement provisoire de la République
française (GPRF) organise ainsi la mise sur pied en métropole des effectifs nécessaires
aux formations militaires. Il n’y a pas de nouvel ordre de mobilisation générale,
simplement l’article 1 stipule que l’ordre de mobilisation de 1939 est toujours en vigueur.
Le décret décline ensuite les méthodes de mobilisation : «Pour obtenir les effectifs
nécessaires, il sera procédé à des appels sous les drapeaux, en fonction des besoins, soit
par ordres de rappel individuels et collectifs, soit par classes». Dans un
premier temps, les classes 1940/2 à 1945 sont rappelées en fonction de la disponibilité
des moyens d’instruction. Il est indiqué aussi que les FFI (Forces françaises de
l’intérieur) font partie de l’armée et sont soumises aux lois militaires. Enfin, le Service
national des statistiques est chargé du recensement des classes 1919 à 1945 qui doivent

73 Christine Lévisse-Touzé, L’Afrique du Nord dans la guerre, 1939-1945, Paris, Albin Michel, 1998, p. 366-367 ; Belkacem Recham : Les musulmans
algériens dans l’armée française (1919-1945), Collection Histoire et Perspectives méditerranéennes. Paris, L’Harmattan, 1999, p. 129.
74 Général Van Hecke, Les Chantiers de la jeunesse au secours de la France, souvenirs d’un soldat, Paris, Nouvelles éditions latines, 1970, 304 p.
75 Carmille, op. cit., p. 36.
76 Note n° 128/EMGG/1 du 5 juin 1944 traitant de la mobilisation en territoire libéré. Cité par Jacques Vernet, Le Réarmement et la réorganisation
de l’armée de Terre française, 1943-1946, Vincennes, SHAT, 1980, p. 27.

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être mobilisées77. En fait, le GPRF se rend compte très vite qu’il est impossible de
rappeler les classes d’âge en question faute de fichiers de mobilisation et faute
d’administration du recrutement en état de marche. Face à l’impossibilité d’imposer son
décret, il renonce à la mobilisation générale et déclare que celle-ci s’effectuera par rappel
de spécialistes, incorporation de volontaires et intégration des unités FFI78. La mobilisation
en métropole de 1944 à 1945 est donc extrêmement inégalitaire. Les classes 1939 à 1943
sont officiellement rappelées, mais ce rappel ne donne que peu de résultats vu le nombre
de prisonniers, de déportés du travail ou de réfractaires au STO… injoignables. De plus,
le fichier de la classe 1943 est inexistant. Le rappel individuel de spécialistes des classes
1931 à 1943 peut néanmoins être réalisé avec un certain succès79.

Après la victoire du 8 mai 1945, le désordre persiste : il est prévu d’incorporer la classe
1944 à partir du mois d’avril 1946. En réalité, cet appel sous les drapeaux n’aura jamais
lieu. Dès le début 1946, le Gouvernement repousse l’appel de la classe 1944 et
l’Assemblée impose l’incorporation immédiate d’une partie de la classe 46. Cette
mesure dispense tacitement les classes 44 et 45 de tout ordre d’appel80. C’est un fait
unique dans l’histoire du service militaire depuis 1905 : deux classes d’âge échappent
totalement à leurs obligations militaires. Les choses ne s’améliorent pas par la suite : malgré
la volonté de réforme du général de Lattre et du ministre des Armées Edmond Michelet81,
l’administration du service militaire a du mal à se reconstruire après guerre, essentiellement
pour des raisons financières. Une ordonnance du 22 avril 1945 introduit la préparation
militaire obligatoire pendant les trois années qui précèdent l’incorporation, mais faute de
moyens, cette pratique est très rapidement abandonnée. La loi du 7 octobre 1946 réduit
le service militaire à un an. Des réformes sont adoptées, appliquées partiellement puis
abandonnées, ce qui aboutit à une absence totale de continuité. Ainsi le rythme des appels
ne semble plus obéir à aucune règle82.

Le sommet est atteint lors des grandes grèves d’octobre et de novembre 1947 : le
gouvernement décide de faire appel au contingent et mobilise deux classes d’âges disponibles :
la classe 1943 et la classe 1946 qui doivent former des unités mises à disposition du
ministre de l’intérieur. Or cette mobilisation partielle est une véritable déroute. Les archi-
ves montrent des scènes ubuesques, des rappelés à qui nulle carte de mobilisation n’a été
envoyée qui viennent encombrer des centres de mobilisation dont le commandement n’a
pas été prévenu et qui est incapable de les loger de les équiper et de les nourrir83. De
Lattre parlant du problème à Vincent Auriol n’hésite pas à dire : «la mobilisation a été
tellement écœurante que j’ai failli foutre le camp»84. Début 1948, l’état-major fait le
constat que la France ne dispose pas de force de réserve mobilisable. Une note du 5 janvier

77 Analyse complète du décret in Vernet, op. cit., p. 27-29.


78 Télégrammes du 22 juin 1944 et directive du 26 juin 1944,Vernet, op. cit., p. 28.
79 Télégramme n° 997/EMGG/1 du 2 novembre 1944, Vernet, op. cit., p. 130.
80 Les classes 1944 et 1945 n’ont pas été mobilisées. «elles satisferont ultérieurement à leurs obligations militaires par de courtes périodes d’instruction»
CEM/MA/22, ministre des armées, communiqué de presse du 11 mars 1946 du ministre Edmond Michelet, archives Edmond Michelet, Brive,
(Ancien classement : Ministère des Armées, dossier 22), et Informations militaires, n° 78, 25 octobre 1946, p. 6.
81 Bien décrites dans la brochure du ministère des armées «Vers les armées de demain», novembre 1945-mai 1946, 22 p. cf. également,
Claude d’Abzac-Epezy, «Edmond Michelet et la reconstruction des forces armées», in Edmond Michelet, homme d’État, colloque organisé par le Centre
national d’Etudes de la Résistance et de la Déportation Edmond Michelet (CRDEM), Paris, 14-15 octobre 1999, éd. CRDEM, Brive, 2000, p. 61-86.
82 Selon les termes d’Alain Huyon (colonel), «la conscription, évolution historique sommaire du service militaire obligatoire» étude réalisée pour
le Service Historique de l’armée de Terre, Vincennes, 2001, p. 10.
83 «Synthèses sur le moral» : décembre 1947, janvier 1948 ; SHD département Air E 2792 et «Réunions des chefs d’état-major des régions aériennes»
1945-1951, E 4158.
84 Vincent Auriol, Journal du Septennat, Tome 1, 1947, Paris, Armand Colin, 1970, 18 décembre 1947, p. 633.

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du général Revers, chef d’état-major général, signale que «sur les effectifs des dix
dernières classes, soit deux millions d’hommes, 800 000 ne sont pas instruits, 600 000
ne sont pas équipables, et 100 000 de plus ne peuvent être habillés». Il propose un plan
d’urgence, dit plan R pour constituer rapidement une armée de maintien de l’ordre, dont
certaines unités devront garder faute de mieux leur tenue civile. Ces unités seront levées
sur une base régionale, voire locale faute de moyens d’acheminement85. Les commandements
militaires sont donc amenés en désespoir de cause, à envisager de revenir à une sorte
de degré zéro de la conscription. Heureusement, la situation intérieure s’apaise et les
événements n’imposent pas la mise en œuvre des solutions préconisées par Revers, mais
l’alerte a été donnée. Il est urgent de lancer une réflexion pour comprendre l’échec de la
mobilisation de 1947 et d’entamer un programme de réformes du service militaire afin
de lui redonner a minima son efficacité d’avant 1939.

L’illusion d’une continuité qui masque une rupture profonde

Au début de la IVe République, l’armée française affirme sa renaissance. Mais celle-ci


n’est qu’un trompe l’œil. Maintenue en perfusion pendant trois ans par l’aide américaine,
elle a bien du mal à survivre dans un après-guerre marqué par de drastiques réductions
budgétaires. Cette période d’immenses difficultés dure jusqu’au retour de l’aide américaine,
en 1950. Les années 1945 à 1950 sont donc des années d’éclipse de l’armée française.
Malgré les affirmations de principe martelées par la presse militaire, le choc de la guerre
et de l’occupation n’a pas été digéré, et la reconstruction de l’outil militaire est restée
inachevée. Ce constat est particulièrement vrai pour l’administration du service militaire :
les structures de substitution mises en place pendant l’occupation ont joué un effet pervers,
dans la mesure où elles ont donné l’illusion d’une continuité alors que le système du
recrutement avait été bel et bien brisé par l’occupation en métropole.

En dépit de leur intention proclamée, les Chantiers de la jeunesse n’ont pas eu les
moyens d’assurer la continuité d’un service obligatoire. Ils ne sont pas égalitaires – les
jeunes de la zone occupée sont dispensés – et surtout, ils sont boycottés par la population
dès 1943. En effet, la loi sur le STO, instituée par Pierre Laval le 1er février 1943, oblige
les jeunes des classes 1940, 1941 et 1942 à partir en Allemagne. Aussi, pour y échapper,
il faut éviter le recrutement des Chantiers et le fichage du SNS. Le taux de réfractaires
augmente avec le temps puisque la classe 1940 des Chantiers rassemble 90 000 jeunes
incorporés en métropole et la classe 1944 seulement 30 000. Certes, les fichiers existent,
mais ils sont incomplets, parfois «trafiqués», ils ne sont pas mis à jour et sont par là
même difficilement utilisables.

Plus grave : le SNS est amené à participer au fichage des juifs et des requis du STO.
En juin 1941, Carmille demande au commissaire général aux questions juives,
Xavier Vallat, que le recensement des juifs de France soit confié à son service86.
Le directeur du SNS, qui appartient par ailleurs à un réseau de résistance et qui est en
relation avec les chefs de l’Organisation de Résistance de l’Armée87 réalise-t-il à quel
usage les fichiers du SNS peuvent servir ? Selon plusieurs témoignages collectés par son

85 Note résumée par le général Revers lors de la séance du conseil d’état major n° 36 du 16 février 1948, SHD département Air, E 2753.
86 Lettre n° 01 1300/01 du 18 juin 1941 reproduite in Carmille, op. cit., annexes X et XI.
87 Ce qui lui vaudra d’être arrêté par la Gestapo de Lyon, interrogé par Klaus Barbie et déporté à Dachau où il mourra.

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fils Robert Carmille, il fait traîner les travaux demandés à tel point que Vichy doit créer
d’autres services pour les besoins non satisfaits par le SNS88. Si tel est vraiment le cas,
quelle valeur accorder aux réalisations de ce service ? Les fichiers sont-ils exacts ou
sciemment falsifiés, et quelle a été leur utilisation par Vichy et par l’occupant ?

Sans entrer dans ce débat qui exigerait de longues recherches et qui n’est pas au cœur
de notre problématique, il demeure certain que le SNS ne pouvait assurer la mission de
mobilisation clandestine sans que l’occupant n’en soit un jour ou l’autre informé.
D’ailleurs, cette activité ne survit pas à l’invasion de la zone libre : en novembre 1942,
Carmille décide de protéger le fichier clandestin de mobilisation qui est caché dans un
collège de jésuites à Villefranche-sur-Saône. À la Libération, ces derniers apportèrent
le fichier à un officier de la région militaire de Lyon qui, ne comprenant pas de quoi il
s’agissait, le fit détruire89. Néanmoins, sur la demande de Giraud, Carmille réussit au
début de l’année 1944 à faire passer à Alger une liste de 120 000 spécialistes, sélectionnés
grâce aux mesures modernes de mécanographie. Ce fichier permit les rappels individuels
à la Libération90.

Au terme de cette étude, il faut admettre que les structures de substitution mises en
place après l’armistice n’ont pas permis une véritable renaissance du service militaire
après la guerre. Pour diverses raisons : refus du recensement, volonté de camouflage des
données sensibles ou destructions des fichiers, le travail effectué par le SNS n’est guère
exploitable à la Libération. Il faut alors rebâtir l’administration de la conscription, mais
les difficultés financières que connaît la France après 1945 ne lui permettent pas de le
faire. Entre 1945 et 1949, il n’y a même pas suffisamment de ressources budgétaires pour
incorporer des classes d’âge complètes, ce qui amène une multiplication des exemptions.
Pourtant la période est marquée par un véritable désir de renouveau : le général de Lattre
tente de mettre en œuvre ses nombreuses propositions d’innovation comme la formation
pré-militaire, la sélection psychotechnique et les camps d’instruction91. Mais, faute
d’argent et de volonté politique, elles ne peuvent être maintenues. En fait, la véritable
renaissance du service militaire n’a pas lieu en 1944, ni même en 1945, mais en 1950.
Disposant de l’aide américaine, la France peut désormais rénover son armée. L’adoption
de la loi du 30 novembre 1950 marque cette renaissance officielle. Cette loi décide, entre
autres, la création de «centres de sélection et d’orientation» dans chaque région militaire92.
La nouvelle organisation, demandée déjà par le rapport Carmille de 1935, tentée partiellement
sous l’occupation avec les Chantiers de la jeunesse, puis par de Lattre après la Libération
dans ses éphémères centres d’instruction militaire, est perçue à juste titre comme formant
la base de tout système de conscription moderne car elle introduit une sélection
préalable à l’affectation en unité. Il aura fallu pourtant plus de 20 ans et les bouleversements
de la guerre pour qu’elle soit enfin mise en œuvre sur une grande échelle. Rappelons que
la réforme de 1996 maintient la conscription, mais choisit d’abandonner la sélection,
ce qui rend certainement très difficile tout futur appel sous les drapeaux des classes d’âge
ayant effectué la JAPD…

88 Carmille, op. cit., p. 54.


89 Ibid., p. 27.
90 Ibid., p. 28.
91 Note du général de Lattre «il faut refaire l’armée française», 10 décembre 1945, 32 p. , archives Edmond Michelet, Brive. (ancien classement :
ministère des Armées, dossier 43).
92 Ceux-ci seront en état de fonctionner en juillet 1954, c’est là que s’effectueront les célèbres «trois jours».

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COMMENT GÉRER LES CLASSES DU BABY-BOOM


ET DU TEMPS DE PAIX :
L'ORGANISATION DU SERVICE MILITAIRE
DANS LES ANNÉES 1960 ET 1970

Par Christophe GRACIEUX


doctorant à l'IEP de Paris, allocataire du CEHD

Les périodes d’après-guerre, lors desquelles l’armée française elle-même a été réformée,
ont souvent été propices à d’importants ajustements, voire à de véritables refontes de
l’organisation du service militaire. Ce fut le cas après la guerre de 1870, à la suite
de laquelle la conscription fut totalement repensée et fondée sous sa forme moderne93.
Les années immédiatement postérieures à la guerre d’Algérie marquent, elles aussi, une
profonde réorganisation du service militaire, d’une ampleur jamais atteinte depuis la
mise en place de la conscription obligatoire et universelle en 190594.

Cette adaptation substantielle de l’organisation du service militaire à partir de 1962


résulte en grande partie des bouleversements que connaissent alors la société et l’armée
française. Au premier rang de ces bouleversements figurent l’arrivée au milieu des
années 1960 des classes du baby-boom, les plus nombreuses que la France ait connues, à
l’âge du recensement militaire, ainsi que les transformations de l’armée et de la stratégie.

Les autorités militaires et politiques ont pris conscience de l’ampleur des mutations
démographiques et stratégiques à venir bien avant la signature des accords d’Evian95.
Mais c’est véritablement à partir du cessez-le-feu en Algérie et du retour des troupes
françaises en France que la nécessité d’une réforme de l’organisation du service militaire
se pose avec une plus grande acuité.

La fin de la guerre d’Algérie représente en effet une césure décisive dans l’histoire de
la conscription en France. Décisive, elle l’est tout d’abord par l’entrée de la France dans
une ère de paix continue : la cessation des hostilités en Algérie le 19 mars 1962 marque

93 Cf. Jules Maurin et Jean-Charles Jauffret, «L’appel aux armes, 1872-1914», in André Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, t. III,
De 1871 à 1914, Paris : P.U.F., rééd. «Quadrige», 1997, p. 80-82.
94 La loi du 21 mars 1905 impose un service militaire universel et obligatoire de deux ans.
95 Dès 1959, le Premier ministre Michel Debré fait conduire des études pour réorganiser le service militaire dans le cadre du service national
(Service historique de la défense, département terre [SHDT], 7 T 313-2). C’est ensuite sous la conduite du ministre des Armées Pierre Messmer
que la réforme du service militaire est entreprise.

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en effet la clôture d’un cycle guerrier de près d’un siècle – la guerre de 1870, les deux
guerres mondiales, et les deux guerres coloniales – qualifié par Jean-François Sirinelli de
«trend belliqueux»96.

Surtout, les appelés qui ont été envoyés en Algérie – près de 1 180 000 jeunes conscrits
ont participé à la guerre97 – apparaissent comme les derniers à avoir été massivement
confrontés à un conflit dans la France du XXe siècle. C’est très justement que
Jean-Charles Jauffret a pu les qualifier de «dernière génération du feu»98. Une profonde
faille générationnelle sépare effectivement ces jeunes hommes, qui ont effectué leur service
militaire en Algérie, de leurs cadets qui appartiennent à «la génération de la non-guerre»99.

C’est ce que constate Michel Debré, alors ministre d’Etat chargé de la Défense nationale,
lorsqu’il présente son projet de loi relatif au service national en juin 1970 : «Les jeunes
qui arrivent aujourd’hui à la porte des quartiers et des casernes n’ont connu aucune des
guerres, ni l’Occupation et même pour certains d’entre eux, au moins à l’âge d’homme,
ce qu’ont été les épreuves de l’Indochine et de l’Algérie»100.Ces jeunes nés peu après la
Seconde Guerre mondiale sont appelés à remplir leurs obligations militaires dans un
contexte de paix, et ils ne croient plus vraisemblable d’être confrontés à un nouveau
conflit101, d’autant que la période de coexistence pacifique entre les blocs occidental et
soviétique réduit considérablement les risques de guerre. La signification et le rôle
traditionnellement dévolus à la conscription s’en trouvent profondément transformés : comme
le note le général Jean Nougues, directeur du Service central du recrutement102, dans son
rapport sur le moral pour l’année 1972, ces jeunes Français sont beaucoup plus nombreux à
ne pas comprendre l’utilité du service militaire, puisqu’ils n’ont connu que la paix.

Outre l’entrée de la France dans un temps de paix, la fin de la guerre d’Algérie


marque le début d’une période de grandes transformations de l’armée elle-même qui ont,
elles aussi, des répercussions importantes sur l’organisation du service militaire. La sortie
de la guerre d’Algérie bouleverse en effet l’armée française. Elle doit se replier sur le
territoire métropolitain et ne se trouve désormais plus engagée dans des opérations
permanentes. Elle connaît également une modernisation technique accélérée, de même
qu’un tournant stratégique majeur avec le développement de la force de dissuasion à
partir de l’explosion de la première bombe atomique à Reggane en février 1960. La stratégie
militaire est dorénavant fondée essentiellement sur l’idée d’une guerre nucléaire,
qui relègue à l’arrière-plan les combats de proximité et semble rendre inutile l’armée
de masse103.

96 Jean-François Sirinelli, «1962 : relève de génération et changement de configuration de l’histoire», in Robert Vandenbussche et Alain-René
Michel (dir.), L'Idée de paix et ses représentations au XXe siècle, Villeneuve-d'Ascq : CRHEN-O/Centre de recherche sur l'histoire de l'Europe
du Nord-Ouest/Université Charles de Gaulle-Lille III, 2001, p. 423.
97 Cf. Jean-Charles Jauffret, «Pour une typologie des hommes du contingent en guerre d’Algérie», in Jean-Charles Jauffret (dir.), Des Hommes et
des femmes en guerre d’Algérie, Paris : Éditions Autrement, 2003, p. 387.
98 Ibid., p. 386.
99 Jean-François Sirinelli, Les Baby-boomers. Une génération 1945-1969, Paris : Fayard, p.77.
100 Journal officiel. Débats parlementaires. Assemblée nationale, 9 juin 1970, p. 2346.
101 Selon une enquête du ministère de la jeunesse et des sports réalisée en 1966, les jeunes Français «ne croient pas à la vraisemblance d’un conflit
prochain et n’en tiennent aucun compte dans leurs projets individuels». Jeunes d’aujourd’hui, d’après le rapport d’enquête du ministère de la
jeunesse et des sports (1967), Paris : La Documentation française, 1967, p. 222.
102 Le Général Nougues est à la tête du Service central du recrutement de 1972 à 1975.
103 Sur les mutations de l’armée française après 1962, voir notamment André Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, t. IV, De 1940 à nos
jours, sous la direction d’André Martel, Paris : P.U.F., 1994.

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Ayant des besoins d’hommes moins importants, l’armée française subit une réduction
drastique de ses effectifs à partir de 1962, évoluant rapidement, comme le remarquent
justement Jean Doise et Maurice Vaïsse, «du modèle des gros bataillons de la Grande
Guerre à un modèle d’armée de techniciens»104 : l’effectif militaire global passe ainsi de
plus d’un million d’hommes au moment de la fin de la guerre d’Algérie – et ceci depuis
1957 –, à 657 000 hommes dès 1964. Et en 1969, ils ne sont plus que 500 000 à servir
dans l’armée, soit une réduction de plus de la moitié en seulement sept ans105.

Or, cette déflation intervient au moment précis où l’armée se retrouve confrontée


à une difficulté de taille : gérer l’afflux de classes106 pléthoriques. En d’autres termes,
l’offre dépasse très largement la demande. Cet excédent d’appelés se pose d’autant plus
qu’il apparaît tout à fait nouveau, l’armée ayant auparavant le plus souvent souffert d’un
sous-effectif d’appelés. Ce fut notamment le cas encore peu de temps avant, au cours de
la guerre d’Algérie : les classes recensées étaient numériquement peu importantes – en
moyenne 300 000 hommes par classe107 –, reflétant la faible natalité des «classes creuses»
de la deuxième moitié des années 1930 et du début des années 1940. Ceci précisément
alors que les besoins liés à l’engagement militaire en Algérie étaient élevés108. De ce fait,
la ressource appelée n’étant pas suffisante pour mener à bien la guerre, il avait été décidé
à partir d’août 1955 de maintenir sous les drapeaux les appelés au-delà de la durée
légale de service – en l’occurrence dix-huit mois109 –, jusqu’à vingt-huit mois. En outre,
le gouvernement avait procédé au rappel d’appelés appartenant à des classes ayant déjà
achevé leur service110.

A partir du milieu des années 1960, les armées se retrouvent dans une situation
symétriquement inverse, disposant désormais de classes pleines, alors que, on l’a vu,
leurs besoins en effectifs ont diminué de façon très sensible. En effet, à partir du milieu
de l’année 1965 les classes nées après la Seconde Guerre mondiale parviennent à
l’âge du recensement militaire. Or, la France avait connu, essentiellement à partir de
1946111 une formidable croissance de sa fécondité, popularisée sous l’appellation
de baby-boom112. C’est une véritable explosion démographique qui s’était produite avec
des cohortes annuelles de plus de 800 000 nouveau-nés : 844 000 naissances en 1946,
870 000 en 1947 ou encore 873 000 en 1949, dont la moitié environ de garçons, qui vingt
ans après seront amenés à passer dans les centres de sélection.

104 Jean Doise et Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil militaire. Politique étrangère de la France, 1871-1969, Paris : Le Seuil, rééd. 1992, p. 619.
105 Ibid.
106 Comme le précise Odile Roynette (Les Mots des soldats, Paris : Belin, 2004, p. 73), la classe comprend «l’ensemble des jeunes gens qui ont
vingt ans révolus au 1er janvier de l’année civile».
107 La classe d’âge 1955 comprenait quelque 302 000 hommes recensés, la classe 1956 306 000, la classe 1957 305 000, la classe 1958 295 000,
la classe 1959 296 000, la classe 1960 274 000, la classe 1961 258 000 et la classe 1962 283 000 (données tirées de : Institut national de
la statistique et des études économiques, Annuaire rétrospectif de la France. 1948-1988 : séries longues, Paris : I.N.S.E.E., 1990, p. 646).
108 De près de 200 000 hommes présents en Algérie à la fin de l’année 1955, on passe à 450 000 à partir de 1957.
109 Durée fixée par la loi du 30 novembre 1950.
110 Sur les rappels durant la guerre d’Algérie, voir notamment Jean-Charles Jauffret, «Le mouvement des rappelés en 1955-1956», in Mohammed
Harbi et Benjamin Stora (dir.), La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de l’amnésie, Paris : Robert Laffont, 2004, p. 133-160.
111 En fait, l’inflexion est perceptible dès la guerre : le nombre de naissances, tombé à environ 523 000 en 1941, remonte dès l’année suivante
à 576 000, atteint 616 00 en 1943 et 630 000 en 1944. Cf. Jacques Dupâquier (dir.), Histoire de la population française, t. 4, De 1914 à nos
jours, Paris : P.U.F., 1988, p. 290 et p. 297.
112 La France n’est pas la seule à connaître ce phénomène démographique, dénommé du reste de manière significative par une expression
américaine : l’ensemble des pays occidentaux et industrialisés possèdent au début des années 1960 un taux de fécondité élevé. La spécificité
française tient au fait qu’il y a eu deux pics, situés à la fin des années 1940, puis au début des 1960. De telle sorte que pour les démographes
le baby-boom en France recouvre la période 1946-1964 : cf. Jacques Dupâquier (dir.), op. cit., p. 298-300.

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L’armée est en effet, avec l’école, l’institution sur laquelle l’évolution démographique
a le plus de répercussions puisque l’alimentation de ses effectifs dépend très largement
du niveau atteint par le taux de fécondité une vingtaine d’années auparavant. Il ne paraît
ainsi guère surprenant de voir l’armée française touchée de plein fouet par l’arrivée des
classes pleines du baby-boom à l’âge du recrutement. De la sorte, si dans l’immédiat
après-guerre d’Algérie les classes 1963, 1964 et 1965 avoisinaient les 300 000 hommes,
la classe 1966 dépasse les 400 000 : 412 000 jeunes gens nés en 1946 doivent être recensés
à partir de 1965. En l’espace d’un an, ce sont ainsi plus de 100 000 hommes supplémentaires
– 308 000 avaient été dénombrés pour la classe 1965 – que l’armée doit sélectionner.
Cette abondance démographique perdure par la suite : tout au long de la seconde
moitié des années 1960 et lors de la décennie 1970, les classes d’âge sont comprises
entre quelque 425 000 – en 1975 – et 457 000 hommes – en 1969113. Au cours de cette
période, la France connaît les classes de conscrits les plus nombreuses de son histoire.

A partir du milieu des années 1960 un décalage très important se fait donc jour entre
la ressource et les besoins. Or, l’armée ne se trouve pas en mesure d’absorber la totalité
de ce contingent. Aussi, dès la fin de la guerre d’Algérie, réformer le service militaire et
son organisation devient une véritable priorité pour le ministre des Armées Pierre
Messmer et les états-majors114 : étant donné l’arrivée des classes pleines du baby-boom,
mais aussi les mutations décisives connues par l’armée et la stratégie militaire, la
conscription ne peut faire l’économie d’une refonte de grande ampleur. Les années 1960
et 1970 sont de la sorte marquées par des réformes profondes de l’organisation du service
militaire. Plusieurs solutions complémentaires sont ainsi retenues dans le but d’adapter
le service au nouveau contexte démographique et militaire de l’après 1962.

Le choix est tout d'abord fait de réduire de manière graduelle le temps passé sous les
drapeaux : il s’agit d’une part de prendre en compte la fin des opérations permanentes pour
l’armée française à la suite de son retrait d’Algérie, et d’autre part de diminuer la ressource
appelée. Si la durée du service militaire avait initialement été fixée à dix-huit mois par la
loi du 30 novembre 1950, les besoins en hommes durant le conflit algérien et l’arrivée des
classes 1936 à 1942 à l’âge du recrutement avaient entraîné son allongement à vingt-huit
mois au cours des années 1956 à 1962, l’ordonnance du 7 janvier 1959 la déterminant, elle,
à deux ans115. Dès la fin du conflit, cette durée est progressivement ramenée à dix-huit mois :
si la fraction de contingent 1961/1 A, libérée le 25 novembre 1962, fait encore vingt-deux
mois et vingt-cinq jours de service, la 1961/2 B, libérée le 1er mars 1963, n’effectue plus
qu’un an et demi116. A partir du décret du 16 octobre 1963, les appelés ne passent ensuite plus
que seize mois sous les drapeaux, puis seulement douze mois dès l’entrée en application de
la loi du 9 juillet 1970 relative au service national117. Ainsi, huit ans après les accords d’Evian,
les conscrits du début des année 1970 revêtent l’uniforme seize mois de moins que leurs
aînés qui ont accompli leur service militaire durant la guerre d’Algérie.

113 La classe 1967 comprend 436 000 hommes, la classe 1968 446 000, la classe 1969 457 000, la classe 1970 455 000, les classes 1971 et 1972
chacune 434 000, la classe 1973 439 000, la classe 1974 429 000, la classe 1975 426 000, la classe 1976 433 000, la classe 1977 451 000,
la classe 1978 432 000, la classe 1979 451 000 et la classe 1980 443 000 (cf. I.N.S.E.E, op. cit.).
114 Cf. notamment à ce sujet la note sur la réorganisation du service national qu’adresse Pierre Messmer au Premier ministre Georges Pompidou
le 11 mai 1962 : SHDT, 7 T 313-2.
115 Ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense.
116 Revue de défense nationale, août-septembre 1963, p. 1424.
117 L’article 1er de la loi n° 70-596 du 9 juillet 1970 stipule que «les obligations du service national comportent un service actif de douze mois»,
Journal Officiel de la République française, 10 juillet 1970. Il est à noter que cette durée de douze mois demeure inchangée jusqu’à la loi
du 4 janvier 1992 qui la réduit à dix mois.

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Par-delà cette diminution substantielle du temps passé par les appelés à l’armée, c’est
toute l’architecture institutionnelle du service militaire qui est repensée et réformée au
cours des années 1960 et 1970. La principale innovation apportée à son organisation
résulte de la loi du 9 juillet 1965. Cette loi qui institue officiellement le service dit
«national», qui avait certes déjà été introduit par l’ordonnance du 7 janvier 1959, marque
une véritable révolution dans l’histoire de la conscription en France : pour la première
fois, le service militaire n’apparaît plus que comme l’un des éléments constitutifs des
obligations dues à la nation par les citoyens de sexe masculin. Là aussi, il s’est agi de
répondre aux deux principales mutations déjà évoquées, à savoir la surabondance des
appelés issus des classes du baby-boom, et la diminution des besoins des armées.

Les obligations nationales peuvent désormais être accomplies sous quatre formes
différentes, dont trois sont civiles : si le service sous son aspect militaire subsiste bien118,
apparaissent également un service de défense – ayant pour objet de «satisfaire les
besoins de la défense et notamment la protection des populations civiles en personnel non
militaire»119 –, un service de l’aide technique – il doit contribuer au «développement des
départements et territoires d’outre-mer»120 –, et enfin un service de la coopération «en
faveur des Etats étrangers qui en font la demande»121. Ces nouveaux aménagements
sont confirmés par la loi du 9 juillet 1970 qui permet à un certain nombre d’appelés
d’effectuer leur service dans la gendarmerie122, et donne également aux jeunes femmes la
possibilité d’un service national volontaire123. Est aussi officiellement créé un service
militaire adapté124 qui consiste principalement en des tâches d’intérêt général effectuées
par des jeunes des départements d’outre-mer.

Certes, à l’issue de ces réformes, le service proprement militaire demeure prédominant


au sein du service national. Par exemple, en 1976, environ 10 000 appelés seulement sur les
quelque 294 000 incorporés servent autrement que dans l’armée : 4 700 en coopération
(soit 1,58% de l’ensemble des appelés), 4 400 dans la gendarmerie (1,49%), 1 000 dans
le service de défense et 900 dans l’aide technique (0,30%)125. Du reste, le Service
central du recrutement, qui gère l’affectation des appelés, reste chargé d’alimenter les
armées «en priorité»126. Mais si la progression des formes civiles du service demeure
numériquement limitée, ne concernant chaque année que quelques milliers de jeunes
gens, ces nouveaux types de service valent surtout par leur force symbolique. L’ouverture
vers des formes civiles laisse effectivement penser que l’on peut consacrer du temps au
service de la nation sans pour autant le passer sous les drapeaux. Le ministre des Armées
Pierre Messmer, à l’origine de la loi du 9 juillet 1965 instituant le service national, juge
lui-même que pour la coopération et l’aide technique «on ne peut plus parler de service
militaire du fait qu’il n’y a plus d’uniforme et plus la moindre formation militaire»127.

118 Il a toujours pour but de « répondre aux besoins des armées ». Article 2 de la loi n° 65-550 du 9 juillet 1965 : Journal Officiel de la République
française du 10 juillet 1965.
119 Ibid.
120 Ibid.
121 Ibid.
122 Article 14 de la loi n° 70-596 du 9 juillet 1970.
123 Article 24 de la loi n° 70-596 du 9 juillet 1970.
124 Il était en fait en place depuis 1961 aux Antilles et en Guyane, et depuis 1965 à La Réunion. En 1967 2 000 appelés antillais et guyanais sont
ainsi concernés par le service militaire adapté (Archives nationales [CARAN], 5 AG 1-882).
125 Données tirées de la brochure du Service d’information et de relations publiques des armées, Ce qu’il faut savoir sur le service national, 1976
(SHDT, 16 R 37).
126 Note de l’état-major de l’armée de terre sur le Service central du recrutement, 8 octobre 1969 (SHDT, 7 T 92-4).
127 SHDT, 2 T 27-2.

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Toujours dans le souci d’adapter l’organisation du service aux évolutions militaires et


sociales, la période qui suit la guerre d’Algérie est également marquée par la mise en
place définitive d’un système de recrutement s’appuyant sur la sélection des conscrits.
Avant 1954, date de création des centres de sélection, c’est uniquement devant le conseil
de révision que les jeunes Français âgés entre dix-huit et dix-neuf ans devaient se présenter
pour que soit déterminée leur aptitude au service militaire. Le conseil de révision les
déclarait bons ou non pour le service armé à l’issue d’une visite médicale sommaire128.
Tribunal administratif placé sous la présidence du préfet ou de son représentant, il était
strictement soumis à l’autorité civile, l’armée n’y étant représentée que par un membre
de l’organisme chargé du recrutement et par deux médecins militaires.

Or, à partir du milieu des années 1950 se met également en place une sélection, dont
le principe avait été inscrit pour la première fois en France dans la loi sur le recrutement
du 30 novembre 1950. Cette loi prévoyait que les recrues du contingent seraient
convoquées avant leur incorporation durant trois jours à des épreuves médicales et
psychotechniques. La sélection des appelés est ainsi mise en place en 1954129 avec la
création de neuf centres de sélection en métropole, soit un par région militaire130. Le but
est de déterminer une affectation rationnelle fondée sur les aptitudes physiques,
intellectuelles et professionnelles des jeunes soldats, à la suite d’un examen médical
complet – donc très éloigné de celui pratiqué lors du passage devant le conseil
de révision – et d’épreuves psychotechniques. A l’inverse du conseil de révision,
la sélection est placée entièrement sous l’autorité militaire, qui dispose de ce fait d’une
plus grande flexibilité pour adapter la ressource aux besoins en effectifs.

A partir de la fin de la guerre d’Algérie, la sélection connaît un essor croissant qui


s’opère au détriment du conseil de révision. Si jusqu’en 1965, les appelés continuent, une
fois recensés, de passer d'abord devant le conseil de révision, et ensuite seulement dans
un centre de sélection, avec l’apparition de la sélection le conseil fait l’objet de critiques
de plus en virulentes, qui ont notamment trait à son fonctionnement, décrit comme
obsolète : en 1957, la jeune Commission Armées-Jeunesse préconise déjà sa
suppression131, et en 1959 une proposition de loi est déposée dans ce sens à l’Assemblée
nationale132. Ces critiques redoublent d’intensité dès le retrait des troupes françaises
d’Algérie, et sa disparition est souhaitée par de nombreux élus133. La sélection
rationnelle apparaît alors davantage capable d’adapter le service militaire à la modernisation
de l’armée – celle-ci devient plus technique et nécessite encore plus qu’auparavant que
les hommes soient placés au poste pour lequel ils sont le plus compétents –, ainsi qu’au
défi de la gestion d’une ressource abondante.

128 Sur l’histoire du conseil de révision, cf. Michel Bozon, Les Conscrits, Paris : Berger-Levrault, 1981, 155 p., et du même auteur «Le conseil de
révision», L’Histoire, n° 27, octobre 1980, p. 102-103. Concernant le fonctionnement du conseil de révision au cours des années 1950,
voir notamment Ludivine Bantigny, Le Plus Bel Âge ? Jeunes, institutions et pouvoirs en France des années 1950 au début des années 1960,
thèse d’histoire sous la direction de Jean-François Sirinelli, Institut d’études politiques de Paris, 2003, p. 550-553.
129 SHDT, 7 T 95-1.
130 A Vincennes pour la 1re Région Militaire, à Cambrai pour la 2e, à Guingamp pour la 3e, à Limoges pour la 4e, à Auch pour la 5e, à Commercy
pour la 6e, à Mâcon pour la 7e, à Lyon pour la 8e, et à Tarascon pour la 9e.
131 Ludivine Bantigny, op. cit., p. 553.
132 Les opérations du conseil de révision y sont notamment décrites comme une «atteinte à la dignité humaine» en raison de la présentation
quelquefois publique de «difformités» des conscrits. Cf. Ludivine Bantigny, ibid.
133 Parmi de nombreux autres, le maire de Lyon Louis Pradel propose à son conseil municipal un vœu dans ce sens (Le Monde, 22 février 1963).

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La loi du 9 juillet 1965 entérine le déclin du conseil de révision au profit des centres
de sélection, inversant l’ordre de passage des appelés, et donc également la préséance des
deux instances : dorénavant, à partir de 1966, les épreuves de sélection se déroulent avant
les opérations du conseil de révision134. Et désormais ce dernier est tenu de fonder
ses décisions sur les propositions émises auparavant par les médecins des centres
de sélection135. Finalement, le conseil de révision est définitivement supprimé en 1970,
remplacé par une commission locale d’aptitude, chargée de statuer une fois par mois
avant l’incorporation des appelés sur leur aptitude au service national, à la suite des
examens médicaux qu’ils ont subis dans les centres de sélection136.

L’organisation du service militaire est donc très largement rénovée après 1962,
s’insérant dans le cadre plus large du service national et s’appuyant de manière
définitive sur le principe de sélection des recrues. C’est de manière assez logique
qu’émerge également un véritable service chargé de gérer la conscription et d’administrer
les appelés. Est en effet créé en 1961 le Service central du recrutement, prédécesseur de
l’actuelle Direction du service national. La création d’un service central atteste bien d’un
changement d’échelle dans l’organisation du service militaire. En effet, depuis 1949, la
mise en œuvre de la conscription et la gestion des conscrits relevaient d’un bureau
méconnu, en l’occurrence le 7e bureau de la Direction du personnel militaire de l’armée
de terre137. Si le Service central du recrutement, – qui prend par la suite, en 1977,
l’appellation de Direction centrale du service national –, est toujours placé sous la
tutelle du chef d’état-major de l’armée de terre, il possède une autonomie bien plus grande.

Il prend rapidement une place essentielle dans le cadre du nouveau service national.
A partir de l’instauration de ce dernier en 1965, le Service central du recrutement ne se
contente plus en effet de répartir la ressource en fonction des besoins des armées. Il doit
désormais aussi répondre aux besoins des services civils (coopération, aide technique,
service de la défense), même s’il continue d’honorer en priorité ceux des Armées.
Surtout, en 1966 il se voit confier l’administration des dix centres de sélection138, qui
depuis leur création dépendaient de l’armée de terre139. Le Service central du recrutement
occupe donc une place essentielle dans la gestion du service militaire : par le biais des
centres de sélection et des bureaux de recrutement, il sélectionne et affecte les appelés,
les informe, et gère leurs dossiers. Finalement, dans la chaîne de l’organisation de la
conscription, seul le recensement – qui demeure assuré par l’autorité civile – lui échappe.

Mais l’ensemble des rénovations apportées à l’organisation du service militaire


après 1962 – création du service national, essor de la sélection, mise en place d’un
organisme autonome en charge du recrutement, ou bien encore réduction de la durée du
temps passé sous les drapeaux – ne suffisent pas à répondre au défi majeur qui se pose à
l’armée dans la deuxième moitié des années 1960 et dans les années 1970 : comment

134 Article 7 de la loi du 9 juillet 1965.


135 SHDT, 8 S 414.
136 SHDT, 7 T 92-5. Dépêche ministérielle du 22 juillet 1971 sur les attributions de la commission locale d'aptitude. Cette dernière est
essentiellement composée de médecins.
137 De 1882 à 1940, le recrutement était géré par le 2e Bureau de la direction de l’infanterie, puis de 1944 à 1949 par la Direction du recrutement
et de la statistique.
138 Le centre de sélection n° 10 est implanté à Blois en 1963.
139 Décision du ministre des Armées en date du 22 mars 1966 (SHDT, 7 T 92-4).

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faire face à la pléthore des conscrits du baby-boom ? En fait, deux outils principaux sont
utilisés pour réguler la ressource globale de ces classes nombreuses : d’une part les
dispenses, d’autre part les exemptions.

Les dispenses de service sont généralisées par la loi du 9 juillet 1965140 instituant le
service national. Attribuées en tenant uniquement compte de la situation sociale des
jeunes gens concernés : elles sont notamment accordées aux jeunes reconnus soutiens de
famille ou dont un parent est «mort pour la France» ou «mort en service commandé».
Mais ces dispenses ne réduisent pas suffisamment l’excédent d’appelés, bien que
connaissant une hausse régulière au fil des années : d’environ 4 000 dispenses accordées
pour la classe 1968, on passe à quelque 14 000 pour la classe 1970141, et 37 000 pour la
classe 1978 – soit 8,6% de cette classe142.

En fait, l’effort accompli pour endiguer le flot des appelés du baby-boom dans la
deuxième moitié des années 1960 et dans les années 1970 porte essentiellement sur
l’accroissement des exemptions. Ces dernières sont décidées à la suite du constat de
l’inaptitude médicale d’un jeune homme au service armé143 ; contrairement à la dispense
qui n’est accordée qu’en se fondant sur des critères sociaux, l’exemption de service est
donc théoriquement attribuée en se fondant exclusivement sur les résultats des examens
médicaux pratiqués sur les conscrits lors de la sélection144. Néanmoins la nécessité déjà
évoquée de disposer d’une ressource suffisante au moment de la guerre d’Algérie avait
alors conduit à abaisser très nettement les critères de sélection, et partant, à diminuer
fortement le nombre des exemptions médicales accordées aux jeunes du contingent.
Si en 1953, soit un an avant le début du déclenchement des hostilités, 53% de la classe
d’âge effectuaient leur service, seuls 8% des appelés appartenant aux classes 1961
et 1962 – les dernières effectuant leur service militaire durant le conflit algérien – sont
réformés. En revanche, dès la fin de la guerre, les normes d’aptitude sont très nettement
rehaussées de façon à accroître sensiblement le nombre des exemptions. Il s’agit bien de
diminuer la ressource appelée devenue largement excédentaire : en seulement cinq ans,
de 1962 à 1967, la proportion totale des réformés – englobant ceux qui l’ont été à la révision,
à la sélection et à l’incorporation – passe de quelque 8,3% à 26,5% d’une classe145.

En 1971, les exemptions prononcées avant l’incorporation atteignent même un pic


exceptionnel. En effet, les classes se présentant à la sélection s’avèrent alors plus
nombreuses encore que lors des années précédentes, du fait de la conjonction de trois
principaux facteurs : l’afflux démographique des baby-boomers déjà évoqué, mais
également les répercussions de deux dispositions contenues dans la loi du 9 juillet 1970
réformant le service national, à savoir la possibilité de devancer l’appel sous les drapeaux

140 L’article 1 de cette loi stipule notamment que «des dispenses des obligations peuvent être accordées». Cf. Journal Officiel de la République
française, 10 juillet 1965.
141 Chiffres tirés du rapport sur l’exécution du service national (exemptions et dispenses), rédigé par le contrôleur général des Armées Lebel
en 1972. SHDT, 8 S 414.
142 Défense nationale, février 1979, p. 149.
143 L’article 3 du code du service national, établi par la loi n° 71-424 du 10 juin 1971, dispose ainsi que les jeunes Français accomplissent
le service national actif «s’ils possèdent l’aptitude nécessaire et médicalement constatée» (Journal Officiel de la République française,
12 juin 1971, p. 5660).
144 C’est le conseil de révision qui prend la décision finale d’exemption jusqu’en 1970 – même si à partir de 1965 il se voit tenu de fonder ses
décisions sur les propositions émises auparavant par les médecins des centres de sélection –, date à laquelle la commission locale d’aptitude
lui succède.
145 SHDT, 8 S 413.

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avant l’âge légal de dix-neuf ans146 ainsi que la suppression des sursis147. Le devancement
d’appel connaît un très grand engouement, dépassant de beaucoup les prévisions du
Service central du recrutement : plus de 130 000 jeunes se portent volontaires dès la
première année d’application de la mesure148. En outre, 80 000 sursitaires bénéficiant
encore de l’ancien régime des sursis avant que ce dernier ne soit complètement supprimé
doivent être incorporés en 1971, pesant donc d’un poids très lourd dans l’antichambre de
l’armée.

La conjonction de l’arrivée aux portes des centres de sélection des classes


du baby-boom – la classe 1971 comporte environ 433 000 hommes149 –, des jeunes gens
faisant le choix d’un appel avancé et du reliquat de sursitaires à incorporer conduit de fait
à un accroissement brutal du contingent qui doit être appelé au service national en 1971.
L’effectif budgétaire des conscrits n’étant que de quelque 280 000 hommes, l’armée se
trouve dans l’incapacité matérielle de recevoir l’ensemble des jeunes gens déclarés
aptes150. Aussi Michel Debré, ministre d’Etat chargé de la Défense nationale, décide-t-il
en juin 1971, après avoir consulté les états-majors et le Service de santé des armées, de
rehausser fortement les normes médicales d’aptitude : ne sont désormais plus jugées
aptes au service que les recrues classées à la sélection dans l’une des quatre premières
catégories médicales151. Tous les jeunes gens de la classe 1972 placés dans la catégorie
médicale 5 lors de leur passage en sélection sont dorénavant dispensés du service
national. Surtout, tous ceux de la classe 1971 non encore incorporés qui avaient déjà été
examinés et qui, classés en catégorie médicale 5, avaient de ce fait été déclarés aptes,
voient leur aptitude transformée en inaptitude. Un courrier adressé par leur bureau de
recrutement leur annonce que, sauf volonté contraire de leur part, ils sont rétroactivement
exemptés152 : eux qui avaient été déclarés bons pour le service se voient donc réformés.

L’exemption totale de cette catégorie médicale conduit à un accroissement brutal du


nombre des réformes à partir de juillet 1971 : en un an, le taux des exemptions médicales
avant incorporation passe de 16,5% à quelque 29%153 ; et près de 75 000 jeunes gens
voient quant à eux leur aptitude transformée en exemption entre le 1er juillet et le
31 décembre 1971154, toujours dans le but de «réduire une ressource incorporable

146 L’article 2 de la loi n° 70-596 du 9 juillet 1970 stipule que les jeunes gens peuvent être appelés pour accomplir leurs obligations militaires à
dix-neuf ans, mais leur laisse la possibilité de « demander, sous leur seule signature, (…) à être appelés au service actif dès l’âge de dix-huit
ans ou même à partir du 30 septembre de l’année civile au cours de laquelle ils atteignent cet âge ».
147 La loi du 9 juillet 1970 a décidé la suppression des sursis pour études, ne prévoyant plus désormais que des possibilités de report d’incorpo-
ration jusqu’à l’âge de vingt-et-un ans (article 2 de la loi n° 70-596 du 9 juillet 1970). C’est pour protester contre l’application de cette mesu-
re que les lycéens manifestent au printemps 1973.
148 SHDT, 8 S 400-2.
149 Recensés.
150 Jean Chevance, directeur de cabinet d’André Fanton, secrétaire d’Etat auprès de Michel Debré, qui remet en avril 1972 un rapport sur le
service national, parle même de «situation de crise» (SHDT, 7 T 425).
151 L’examen des recrues par les médecins des centres de sélection donne lieu à l’établissement d’un profil médical, dit «SIGYCO », ensuite
condensé dans une catégorie médicale (il y en a sept en tout).
152 La lettre est rédigée en ces termes : «J’ai été amené à réexaminer votre dossier à la suite d’un aménagement des règles d’aptitude au service
national. De cet examen, il ressort que vous êtes susceptible d’être déclaré inapte et, par voie de conséquence, de ne pas être appelé au
service actif. (…)». (SHDT 8 S 414).
153 Les commissions locales d’aptitude prennent 132 503 décisions d’exemptions du service national au total en 1971, contre 65 768 durant
l’année 1970, soit une augmentation de près de 50% (réponse de Michel Debré à une question du député Pierre Weber, Journal Officiel. Débats
parlementaires. Assemblée nationale, 29 juillet 1972).
154 78 936 jeunes gens qui avaient été classés en catégorie médicale 5 et de ce fait déclarés aptes reçoivent le courrier leur annonçant leur
exemption. Parmi eux, seuls 3 988 jeunes remettent en cause cette décision pour diverses raisons et finalement seulement 2 014 sont de
nouveau déclarés aptes. (SHDT 8 S 414).

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arrivée à un point tel que le service national ne pouvait plus l’absorber»155. Finalement,
après de nombreuses critiques contre cette mesure accusée de porter atteinte au principe
d’égalité devant le service national156, les anciennes normes médicales d’aptitude sont
officiellement rétablies dès février 1973.

Ces exemptions massives font ainsi partie de l’éventail des solutions prises durant les
années 1960 et 1970 pour adapter l’organisation du service militaire à l’afflux de classes
nombreuses aux portes d’une armée qui n’a précisément plus besoin d’effectifs
pléthoriques. Si le recours à l’exemption totale d’une catégorie médicale a été choisi en
1971 pour résoudre dans l’urgence un déséquilibre important entre la ressource et les
besoins, d’autres mesures, telles que l’instauration du service national ou le développement
de la sélection, ont visé, elles, à ajuster le service militaire dans la durée. C’est du reste
très largement cette organisation rénovée au cours des années 1960 et 1970 qui demeure
en place jusqu’à la suspension du service en 2001 : à partir de 1965, et de la loi instituant
officiellement le service national, les grandes lignes de l’organisation du
service militaire ne sont quasiment plus modifiées, même si sa durée est par exemple de
nouveau réduite à dix mois en 1992.

On peut donc considérer que les profondes réformes de ses structures dans les années
1960 et au début des années 1970 ont permis au service militaire de passer le cap de
l’après guerre d’Algérie. Il a de la sorte pu s’adapter aux mutations décisives connues par
la société et l’armée françaises après 1962, parvenant à s’insérer dans un contexte de
paix continue, de transformations de l’armée et de la stratégie, et d’abondance
démographique. Toutefois, ayant touché à sa nature même, en particulier par l’instauration
de formes civiles ou par la croissance des exemptions – qui remettent en cause le
principe d’égalité devant la conscription –, ces réformes ont également ouvert dans une
certaine mesure la voie à une remise en cause de la nécessité du service militaire157, qui
trouve son aboutissement en octobre 1997 avec la loi qui professionnalise les forces
armées et suspend le service national.

155 Rapport sur l’exécution du service national (exemptions et dispenses), SHDT 8 S 414.
156 Notamment dans les milieux militaires, mais aussi de la part de députés membres de la Commission de la Défense nationale et des Forces
Armées : cf. Archives de l’Assemblée nationale, procès-verbal de la séance du 7 octobre 1971.
157 La plupart des chefs de corps soulignent la progression régulière au cours des années 1960 et 1970 du détachement à l’égard des obligations
militaires chez les appelés servant sous leur commandement. Du reste, les années 1970 sont marquées par une remise en cause importante
des conditions d’exécution du service. Ceci dès avant l’incorporation, comme au printemps 1973 lors du mouvement lycéen contre la loi
du 9 juillet 1970 qui supprimait la plupart des sursis. La contestation gagne par la suite dans une certaine mesure les casernes avec la formation de
«comités de soldats», essentiellement de 1974 à 1976.

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COMMENT SUSPENDRE LE SERVICE NATIONAL


SANS LE SUPPRIMER ?

Par le Général de corps d'armée (cr) Jean-Pierre FASSIER


ancien directeur central du service national

Directeur central du service national de 1993 à 1999 je puis témoigner des boulever-
sements qui nous ont conduit en quelques années, de l’armée de conscription à l’armée
professionnelle ; pour cela je pense utile de faire un bref retour en arrière afin de mettre
les faits en perspective :

Années 80 La durée du service national est de 12 mois .


L’organisation de nos forces armées nous montre l’armée de conscription massivement
présente dans l’Est de la France et en Allemagne et les unités professionnalisées présentes
dans l’Ouest et le Sud du pays, prêtes à intervenir autant que de besoin en Afrique.

Année 1985 La commission «Service national» du RPR rédige une étude prônant le
passage à l’armée de métier.

Année 1989 Chute du mur de Berlin et effondrement du pacte de Varsovie ; il faut


repenser nos concepts stratégiques et l’organisation de nos forces, d’autant que certains
sont très pressés de «toucher les dividendes de la fin de la guerre froide» en réduisant les
crédits de la Défense nationale.

Année 1992 Le Président Mitterand réduit la durée du service national à 10 mois .

Année 1993 Monsieur François Léotard lance la réflexion stratégique par le Livre
blanc de la Défense nationale publié en 1994.

Le concept retenu est celui de l’armée mixte associant appelés et engagés en


proportions variables selon les options choisies.

Année 1995 Elections présidentielles et le nouveau ministre de la défense,


Charles Millon est rapidement confronté au mécontentement de parlementaires dénon-
çant «l’inégalité devant le service national» ; le ministre fait donc étudier la faisabilité
d’un service civique universel de 6 mois.

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Les chefs d’Etat-major des armées et le directeur général de la Gendarmerie nationale


refusent cette option qu’ils jugent inefficace, difficile à mettre en œuvre et surtout
trop coûteuse.

A l’automne, le Président Chirac, demande à Jean Picq Secrétaire général de la


Défense nationale de réunir un groupe de travail sur l’avenir de la conscription, chargé
de remettre ses conclusions dans les 3 mois. Quinze personnes (universitaires, historiens,
sociologues, philosophes, personnalités qualifiés et deux représentants de la Défense) se
mettent au travail : auditions, réunions, déplacements etc. ils remettent leur copie courant
janvier 1996.

Les participants ont pris l’engagement de ne pas communiquer sur leurs propositions
et leurs conclusions… Je peux seulement dire qu’elles n’étaient pas incompatibles avec
une conscription rénovée.

Février 1996 Annonce présidentielle sur la fin de l’obligation et le recours au volontariat.


Dans la foulée, lancement d’une consultation nationale organisée par les préfets et d’une
commission parlementaire présidée par Philippe Seguin

Hélas, la décision centrale ayant été prise «en amont», le débat ne pouvait «en aval»
qu’être stérilisé. Cela n’empêche pas le foisonnement des idées et l’originalité des prises
de position ; j’en cite une : «le service national ne serait pas un héritage de la révolution
française mais une transposition du modèle militaire prussien après la défaite de 1870»
(Michel Auvray auteur de «l’âge des casernes»)
On peut retenir trois choses de ces débats :
- l’attachement évident à certains aspects de la conscription tels que l’outil intégrateur,
l’universalité du SN, la pérennité du lien armée-nation etc… avec des différences
importantes suivant l’âge des participants.

- l’inquiétude face aux dangers présents et futurs d’un monde dont l’avenir est fait
de bruit et de fureur.

- la volonté de pouvoir revenir en arrière en cas de besoin donc de ne pas rendre


les choses irréversibles.

Prenant acte des résultats souvent contradictoires des consultations, le ministère


conçoit la maquette du «Rendez-vous citoyen» à partir d’un recensement universel et
appelant la jeunesse à une semaine d’activités diverses, en site fermé appartenant à la
Défense, avec une participation inter-ministérielle pour l’animation des sessions.

L’organisation et la conduite étant confiée à la DCSN dont les effectifs passaient à


12 000 personnes dont 2000 venant d’autres ministères.

Après 2 passages à l’Assemblée nationale, une première lecture au Sénat, la seconde


étant prévue la semaine où survint la dissolution de l’Assemblée…

La date d’ouverture de trois sites expérimentaux avait été fixée à début juillet 1996
(Mâcon, Nîmes et Compiègne) et les travaux d’infrastructure bien entamés.

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Divine surprise pour la gauche qui arrive au pouvoir et reprise du dossier par le
nouveau ministre Alain Richard. Rude tâche car il lui est impossible de ne pas tenir
compte de la décision présidentielle abrogeant la conscription, il doit se souvenir que la
gauche dans l’opposition était favorable au maintien d’une obligation de quelques mois
et il ne peut pas chausser les bottes de son prédécesseur avec le «rendez-vous citoyen»

Le 14 juillet, la DCSN lui propose plusieurs choix allant de :


- l’option 0 (ni recensement ni convocation)
- un simple recensement administratif
- un recensement par démarche individuelle avec convocation ultérieure de 1 jour
à quelques semaines.
- organisation dans les établissements de la DCSN ou organisation déconcentrée.
- bilan médical ou non.

Le ministre retient la solution suivante :


- recensement obligatoire par démarche individuelle
- convocation effective indispensable pour vérifier le recensement
- maintien d’une structure particulière, la DSN, et de son outil informatique pour
exploiter le recensement, assurer les convocations et permettre une remontée en
puissance si nécessaire.
- localisation déconcentrée sur 250 sites(donc absence de bilan médical)
- Le ministre choisit personnellement le nom : Journée d’Appel de Préparation à
la Défense (JAPD) dont il faut bien noter le parallélisme de forme avec l’Appel
Sous les Drapeaux.
- Maintien de la détection de l’illettrisme
- le jour de convocation retenu est le samedi.

La loi est votée le 28 octobre 1997, portant réforme du service national en suspendant
l’appel sous les drapeaux et instituant la JAPD

La première JAPD aura lieu le 3 octobre 1998, avec la convocation de 25 000 jeunes
gens dans 250 sites. La DCSN n’a pas eu la possibilité de procéder à un essai de
convocation ; les modules d’enseignement ont simplement été testés sur une population
de candidats à l’engagement.

La Direction avait mis à profit ce délai d’une année pour se transformer et se


réorganiser en profondeur avec beaucoup de bonne volonté. Je rappelle que les
personnels qui la composaient étaient des militaires et de nombreux civils, en
grande majorité des femmes, très compétentes et spécialisées dans l’application du Code
du Service national et qui ont dû se remettre en question et apprendre de nouveaux
métiers.

Pour illustrer cette première journée, je vous livre un souvenir personnel : je faisais
le tour de certains sites de la région parisienne et me suis trouvé à Versailles avec
deux représentants du Sénat qui étaient Monsieur de Villepin, le Père, sénateur des

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Français de l’étranger et Monsieur Delanoë, sénateur de Paris ; ces deux représentants


de l’opposition et de la majorité de l’époque ont pris successivement la parole devant
les jeunes en des termes identiques.

Pour moi cette image est symptomatique d’une page qui se tournait et marquait la fin
du processus qui nous avait conduit de l’armée mixte de François Léotard à la JAPD
d’Alain Richard.

Il avait fallu 5 années, 3 ministres et 2 présidents de la République pour accomplir ce


cheminement parachevé le 8 avril 2000 avec l’arrivée des premières jeunes filles aux
JAPD et par la fin des incorporations à l’été 2001.

Pour conclure, je dirai que l’appel sous les drapeaux était beaucoup plus qu’une
technique destinée à fournir les ressources humaines nécessaires aux forces armées.
C’était un véritable mythe qui s’enracinait profondément dans l’histoire du pays et qui
inspire encore de nombreuses réactions. Ce mythe ne peut se balayer d’un revers de main
ou d’un coup de menton, fût-il présidentiel.

Mais pas plus qu’on ne peut réduire le Service militaire à un simple mode de
recrutement, on ne peut réduire l’armée à un corps technique créé pour pallier des
« menaces » ; elle est bien plus largement un outil au service d’un «projet» ce qui
faisait dire à Fustel de Coulanges dans La Cité antique : «L’état social et politique d’une
nation est toujours en rapport avec la nature et la composition de ses armées»

En fait on ne remplace bien un mythe qu’en suscitant l’adhésion à un autre mythe et


je regrette que nous n’ayons pas su, pu ou voulu concevoir rapidement un grand projet
mobilisateur et fédérateur qui aurait pu être le VOLONTARIAT, comme réponse aux
défis et attentes de notre société.

L’annonce présidentielle d’un service civil volontaire associant accompagnement et


formation et concernant 50 000 jeunes en 2007 tout comme les déclarations du ministre
de la jeunesse des sports et de la vie associative le 14 novembre dernier «Je souhaite que
2005 soit en France et en Europe, l’année de la mise en place du développement
massif au bénéfice des jeunes, de tous les jeunes dans leur diversité, d’un volontariat de
solidarité et de projets», vont dans le bon sens mais arrivent bien tard alors qu’une
dizaine d’années ont été perdues.

Je termine par cette phrase tirée du manifeste des 300 publié il y a quelques
jours : «L’armée est un formidable outil d’intégration sociale, elle peut jouer un rôle
majeur en faveur des jeunes issus de l’immigration.» quand j’avais été défendre cette
position en 1995 auprès du cabinet de Monsieur Juppé il m’avait alors été répondu que
le seul outil intégrateur dans notre société était « la télévision » ; je pense que c’était
une forme d’humour.

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PARTIE II

APPROCHE SOCIOLOGIQUE

Sous la direction de Frédéric CHARILLON


directeur du C2SD
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DE L’APTITUDE MÉDICALE AU SERVICE NATIONAL


A LA DÉTECTION DES JEUNES EN DIFFICULTÉ :
DE NOUVELLES PISTES DE RÉFLEXION

Par le médecin en chef Jean TEISSEIRE


ancien conseiller santé du service national

Les obligations liées au code du service national connaissent ces dernières années
leur plus profonde mutation en raison principalement des enjeux qu’elles représentent,
enjeux directement liés à leur raison d’être.

L’exposé qui vous est proposé va tenter d’éclaircir la signification de l’exemption,


c’est-à-dire l’inaptitude médicale à satisfaire à ces obligations soumises à des mesures
législatives évolutives.

A - L’aptitude médicale au service national


L’aptitude médicale au service national actif est déterminée au cours des opérations
médicales de sélection puis, pour les aptes et après un délai variable, lors des opérations
médicales d’incorporation.

Les opérations de sélection émanent de l’application des dispositions du code du


service national en vigueur avant sa réforme récente, les obligations du service national
ne concernent dès lors que les citoyens de sexe masculin.

1) Les opérations médicales de sélection

Ces opérations interviennent en général après convocation sur une journée (les «Trois
Jours») dans des centres de sélection, organismes sous tutelle de la direction centrale
du service national (DCSN). Parallèlement aux opérations médicales, interviennent dans
ces centres de sélection des tests psychotechniques ainsi que des tests de dépistage
de l’illettrisme. En règle générale, les jeunes gens convoqués ont atteint leur majorité,
et par le jeu des reports légaux, ont, pour certains, dépassé cette majorité.

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Les données recueillies au cours de ces opérations médicales de sélection sont


diverses allant de données biométriques systématiques (poids, taille, vue, audition) à
l’expertise rendue nécessaire pour certains jeunes gens au sein d’un hôpital d’instruction
des armées (HIA) : l’asthme, l’hypertension en sont des exemples. Tous ces examens
médicaux ont comme principal objectif l’appréciation ou la détermination
d’une aptitude au service national sous ses diverses formes (civiles et militaires),
les résultats en sont exprimés par la formule dite «profil médical», transcrit sous la forme
du SIGYCOP.

L’éventail des coefficients attribués à ces sept sigles couvre différents degrés
d’aptitude allant de la normalité apparente qui traduit l’aptitude sans restriction, jusqu’à
l’affection grave ou l’impotence fonctionnelle majeure qui commandent l’inaptitude.
Le «profil médical» est condensé sous forme de lettres majuscules (A à M), devenant le
profil seuil médical (PSM) composant une grille d’aptitude établie par le commandement.
Ainsi ce dernier, connaissant la ressource incorporable, peut faire une adéquation de cette
ressource dite «utile» aux besoins des armées (système ADREBA) qui équivaut à
un «système d’affectation des appelés». Il s’agit bien de critères que le commandement
a lui-même définis avant d’affecter ou d’employer de la manière la plus rationnelle les
personnels mis à sa disposition.

Les taux d’exemption, sensiblement variables d’un centre de sélection à l’autre


(variabilité due en partie à l’abonnement des populations), tendent vers une moyenne
nationale de 18 à 23 % suivant les années.

Les opérations de sélection précèdent habituellement de plusieurs mois l’incorporation


effective, c’est-à-dire le début du service national actif qui peut dans certains cas concerner
des jeunes gens de 29 ans (médecins), limite d’âge optimale fixée par la législation pour
effectuer les obligations.

2) Les opérations médicales d’incorporation


Tout assujetti aux obligations du service national, non dispensé par l’autorité civile
(raison sociale) ou non exempté par l’autorité militaire (raison médicale) à l’occasion des
opérations de sélection, est en règle générale incorporé à l’issue de son report légal : ce
délai entre la sélection et l’incorporation est donc extrêmement variable (de quelques
jours pour les volontaires, à un appel avancé à plusieurs années pour certains reports en
général liés à des études longues).

Les opérations médicales d’incorporation, situées au plus près de la date d’arrivée


au corps (dans les deux jours généralement), permettent au médecin incorporateur de
vérifier les données de la sélection médicale, les aptitudes requises pour certains emplois
spécifiques, de prendre en compte tous les événements médicaux qui ont pu intervenir
depuis la sélection, voire omis par cette dernière, ceci grâce en partie à une durée légale
d’observation au corps de 90 jours de service effectif. Ce médecin peut ainsi, devant une
jeune recrue devenue inapte au service, la présenter devant une commission de réforme
du service national (C.R.S.N.). Ce taux de réforme intéresse donc des sujets devenus
inaptes à poursuivre leurs obligations légales ; celui-ci relativement invariable, se situant
dans la fourchette 9 à 10 %.

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On dénombre en somme quelques 26 % à 33 % d’assujettis au service national


reconnus inaptes à l’occasion des opérations médicales de sélection-incorporation,
inaptes donc à un service actif dont la durée tout comme les exigences sont fixées par
le commandement.
*****

Toutes ces inaptitudes, à la sélection comme à l’incorporation bénéficient d’une saisie


de données exprimées dès leur origine sur des pièces médicales selon la classification
internationale des maladies (CIM), élaborée par l’O.M.S.

Les organismes du service national collectent dès lors leurs données médicales rendues
anonymes et qui sont exploitées par la direction centrale du service de santé des armées
(DCSSA). Cet organisme central détient ainsi certains critères épidémiologiques de la
population, objet de publications périodiques : les bilans des opérations médicales de
sélection incorporation, bilans qui mettent notamment en exergue les principales causes
d’inaptitude au service.

A quelques exceptions près, les exemptés et les réformés du service national ne font
l’objet d’aucun suivi initié par l’autorité médicale militaire.

B - La détection des jeunes en difficulté


La profonde réforme du code du service national apparaît sous la forme du décret
n° 98.180 du 17 mars 1998 modifiant le service national.

Ce décret suspend les obligations du service national actif traditionnel pour ne


retenir que :
- L’obligation de recensement pour tous les jeunes Français au cours de leur 17e année,
garçons et filles, ce qui correspond à toute une classe d’âge.

- La présence à une Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD), seconde


obligation pour toutes les classes d’âge, ceci avant l’âge de 18 ans, c’est-à-dire la
majorité légale.

A l’occasion de cette journée d’appel sont conservés les tests de dépistage de


l’illettrisme permettant ainsi la poursuite d’une mission de repérage des jeunes gens en
difficulté de lecture, et l’initiation d’un suivi personnalisé mais à base de volontariat.

Aucune visite médicale n’est retenue dans le cadre de la réforme à l’occasion de cette
journée d’appel : des difficultés matérielles sont prévisibles compte tenu de la multiplicité
des sites de convocation non équipés, mais parallèlement, l’obligation à se soumettre
à un examen médical complet, calqué sur celui des centres de sélection de jadis,
reste-t- elle opportune, voire applicable ? Seule reste envisageable une visite médicale
organisée en dehors de la journée d’appel dans un objectif de santé publique visant le
dépistage et la prise en charge du déficit physique ou psychique à l’origine de difficultés
diverses, cette visite restant basée sur le volontariat, mais fortement encouragée.

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1) L’exemption de participation à la JAPD

Cette exemption ne paraît concerner de prime abord que le seul grand handicap,
les grands infirmes au sens de l’article 169 du code de la famille et de l’aide sociale.

En fait, de nombreuses autres situations vont révéler des difficultés à satisfaire à cette
présence sur un site JAPD, difficultés liées au transport qui est plus ou moins long, à
l’accompagnement nécessaire, au temps de présence sur le site avec repas du midi, de
nombreuses situations qui ne motivent pas ou n’ont pas encore motivé la délivrance
d’une carte d’invalidité.

C’est ainsi qu’une instruction relative aux demandes d’exemption est rendue
nécessaire : elle est élaborée par la direction du service national (DSN) et publiée sous
timbre du secrétaire général pour l’administration (SGA).

Cette instruction a certainement le mérite d’évoquer la notion de maladie invalidante


soumise à l’appréciation de médecins agréés auprès du ministre de la Défense, direction
des statuts, des pensions et de la réinsertion sociale (DSPRS), autre direction du SGA.

Cette demande d’exemption peut être initiée lors du recensement ou lors de la


convocation. Elle émane le plus souvent du tuteur légal d’un jeune administré (parent)
ou d’un organisme de protection sociale. La demande est formulée auprès du centre du
service national (CSN) de rattachement.

Une fiche navette à l’attention du médecin agréé est élaborée par le CSN, accompagnée
des pièces médicales ou médico-administratives justificatives (certificats médicaux,
carte d’invalidité, décisions COTOREP, certificats de présence en centre spécialisé).

Le médecin agréé instruit ainsi sur pièces un dossier médical de demande d’exemption,
sur lequel, par l’intermédiaire de la fiche navette, il émet un avis. Ce médecin se réserve
la possibilité de solliciter un complément d’information, si ce dernier est rendu strictement
nécessaire ; le dossier médical ainsi constitué devient consultable dans le temps par un
personnel habilité à cet effet, il demeure confidentiel.

Depuis la mise en place des demandes d’exemption, avec les petits réglages rendus
nécessaires et dus à la grande diversité des cas soumis au médecin agréé, il est devenu
exceptionnel qu’une demande ne soit pas suffisamment motivée. La satisfaction à cette
demande est ainsi la règle. Une attestation d’exemption est ainsi adressée au demandeur,
attestation qui permet à ce dernier de justifier sa régularisation vis-à-vis de ses obligations
légales.

2) Significations de l’exemption

L’exemption de participation à la Journée d’appel de préparation à la défense relève


d’un objectif fondamentalement différent de celui relatif à un service national actif.
Le volume des exemptés est extrêmement plus réduit, ce de façon attendue, on ne
retrouve qu’une seule cause commune puisqu’il s’agit de la présence chez une certaine
population de difficultés notables, incompatibles avec une convocation sur une journée.

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La sélection telle qu’envisagée dans l’ancien code prévoyait bien cette convocation
pour les épreuves de sélection sur une journée, l’exemption «sur pièces» par le médecin
chef du centre de sélection était possible et formulée par ce dernier : son taux n’excédait
pas 1 % de la population convoquée. Les pièces médicales de sélection laissaient
apparaître, en vue d’une saisie et d’exploitation des données, le motif d’exemption selon
la codification de la CIM, mais ces motifs d’exemption étaient brassés avec toutes les
autres causes d’exemption révélées lors de la sélection.

La mise en place de la fiche navette dans la procédure d’exemption à la JAPD


ne prévoit plus cette codification des affections à l’origine de l’exemption, il n’y a ainsi
plus de possibilité de recueil épidémiologique, recueil qui permettrait cependant une
connaissance précise des principaux motifs d’exemption, une connaissance précise de
la maladie invalidante, certaines des ses spécificités (liées au sexe par exemple).
Parallèlement l’importance du taux d’exemption n’apparaît pas dans les publications de
la DSN, il reste bien inférieur à 1 %, l’épaisseur du trait en somme.

Le recours du CSN auprès du médecin agréé a perdu sa justification initiale,


il devient superflu dans l’état actuel : il n’existe pratiquement plus, après une période
de quelques années de mise en œuvre du nouveau code du service national, cette
confusion initiale, notamment pour les parents et surtout les médecins traitants, entre cette
présence à la journée citoyenne et les activités du service militaire, ses aspects sportifs et
disciplinaires, etc.

3) De nouvelles pistes de réflexion

Grâce à cet extraordinaire outil que représente la Journée d’appel, les pouvoirs
publics ont la possibilité, outre l’information dispensée à cette occasion (raison d’être de
cette journée), d’initier les enquêtes ciblées, anonymes, dont l’intérêt majeur est de
concerner toute une classe d’âge, filles et garçons à la veille de leur passage à la majorité :
exemple de l’enquête sur la santé et les comportements lors de l’appel de préparation
à la défense (ESCAPAD), menée sous l’égide de l’observatoire français des drogues et
des toxicomanies (OFDT) et publiée dans le rapport technique présenté au comité
consultatif de santé des armées (CCSA).

Les pouvoirs publics possèdent parallèlement un moyen tout à fait légal, par le biais
de l’exemption de participation à la JAPD, de connaître une composante supplémentaire du
profil de la jeunesse française dont une partie est confrontée à des difficultés majeures,
puisqu’il s’agit de la maladie invalidante, du grand handicap, qui heureusement
n’intéresse qu’une infime partie de cette jeunesse, mais demeure un problème relevant de
la compétence de santé publique.

- Dans ce domaine de la santé publique, en dehors des réseaux existants, n’existe-t-il


pas désormais un outil de recensement national fiable des maladies génétiques ou
potentiellement génétiques, environnementales, comportementales, etc., de contrôle
des prises en charge effectives et adaptées par la collectivité, de ces difficultés
exprimées à l’occasion des demandes d’exemption.

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- Dans le domaine de la sécurité routière, les pouvoirs publics (les préfectures)


sont détenteurs de cet indicateur pertinent que représente l’exemption : toute
maladie invalidante ne doit-elle pas faire l’objet d’une étude relative préalable à la
délivrance du permis de conduire ? Cette délivrance est-elle compatible avec la
sécurité des usagers de la voie publique ? Certaines affections se distinguent en effet
par la survenue de manifestations imprévisibles chez un individu pouvant par
ailleurs avoir une vie normale.

- Il y a certainement d’autres domaines à explorer, à soumettre à une réflexion


d’experts idoines, tout projet demandant une fin en soi.

Si la conscription «à l’ancienne» a vécu, victime de l’évolution de sa légitimité,


la Journée d’appel de préparation à la défense, minimum retenu après l’aboutissement de
la réforme du service national, journée citoyenne devenue pérenne, ne doit-elle pas
évoluer toujours plus dans ses objectifs, en particulier la prise de conscience des
difficultés issues du handicap ?

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LA DIRECTION DU SERVICE NATIONAL


ET LES RÉFORMES DE L’ADMINISTRATION CENTRALE

Par Jacques CHEVALLIER


professeur à l'université Panthéon-Assas, Paris II
directeur du CERSA-CNRS

La modification de la place occupée par la direction du service national (DSN) au


sein de l’administration centrale du ministère de la Défense, qui résulte du décret du
8 mars 1999, est bien évidemment indissociable de l’inflexion de ses missions, consécutive
à la profonde réforme du service national opérée par la loi du 28 octobre 1997 : la fin
du système de conscription transforme le rôle imparti à la DSN, désormais chargée de
mettre en œuvre le nouveau dispositif de «service national universel», notamment en
organisant les Journées d’appel de préparation à la défense (JAPD) ; son changement
d’appellation et son rattachement au secrétariat général pour l’administration (SGA)
du ministère sont la traduction logique de la redéfinition de ses missions afférente au
passage à une armée de métier. Néanmoins, l’option prise en 1999 de rattacher la DSN
au SGA ne saurait manquer d’être mise en relation avec le mouvement plus général de
reconfiguration des administrations centrales, qui tendait à s’esquisser en France depuis
le milieu de la décennie et qui a connu dernièrement de nouveaux prolongements. C’est
ce mouvement qu’on s’efforcera ici d’expliquer et de synthétiser, d’abord en cherchant
à comprendre les raisons qui poussent à la relance d’une dynamique de réforme qui
semblait en voie d’épuisement (I), puis en mettant en évidence les nouvelles tendances
qui se dessinent à travers les réformes récentes (II).

I - LA RELANCE DES RÉFORMES


A première vue, la cause semblait entendue : toutes les tentatives de réforme de
l’administration centrale étaient apparemment vouées à s’enliser sous le poids de
contraintes diverses, aussi bien politiques que bureaucratiques ou sociales ; tantôt
conjoncturelles, tantôt épiphénoménales, les mesures adoptées étaient dans tous les cas
insusceptibles de modifier la logique d’organisation et de fonctionnement du niveau
central. Ces échecs répétés étaient considérés comme le signe tangible de l’incapacité
congénitale de l’État français à se réformer, que pourfendront les auteurs du livre

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collectif Notre État158. Cette vision était cependant schématique, comme en témoignent
les initiatives prises depuis le milieu des années 90, sous la pression de contraintes
nouvelles.

A) Les dysfonctionnements traditionnels

1 - Les conditions dans lesquelles l’appareil d’État est structuré au niveau central ont
toujours suscité des critiques récurrentes : la concentration excessive des responsabilités
et du pouvoir de décision à ce niveau se double en effet d’un ensemble de carences
organiques.

Les découpages ministériels en tout premier lieu sont caractérisés par l’instabilité et
l’incohérence : la formation de tout nouveau gouvernement entraîne des réajustements,
des découpages, des redéfinitions, en fonction de considérations politiques purement
circonstancielles ; et cette même logique pousse irrésistiblement, en dépit d’efforts
conjoncturels159, à l’inflation du nombre des départements ministériels. Sans doute, cette
instabilité est-elle compensée par la permanence plus grande des directions, à
partir desquelles les ministères sont formés, mais d’autres problèmes existent à ce niveau.

D’abord, l’importance croissante prise par les cabinets ministériels. Si ces cabinets
remplissent une fonction de coordination à la fois externe, en assurant la liaison avec
les autres ministères, et interne, en harmonisant l’action des services, et s’ils constituent
d’utiles relais d’impulsion politique pour les ministres, leur institution n’en est pas moins
génératrice d’un ensemble d’effets pervers souvent relevés : on dénonce l’inflation des
effectifs160, l’ingérence dans le fonctionnement des services, la dilution des responsabilités
— mise en évidence dans l’affaire du sang contaminé —, l’écran établi entre le ministre
et les directeurs ; sapant l’autorité des directeurs, elle interdit la constitution dans les
ministères d’une véritable équipe de direction, porteuse d’une stratégie et d’une politique
communes.

Corrélativement, l’administration centrale tend à se présenter, dans le cadre de chaque


ministère, sous la forme d’une mosaïque de structures diversifiées, dotées d’une grande
permanence, isolées les unes des autres et disposant chacune d’une logique propre de
fonctionnement et de développement : de nombreux ministères, tels que celui de
l’Économie et des Finances, mais aussi ceux de l’Agriculture ou de l’Éducation nationale,
ont ainsi été constitués d’un assemblage de grandes directions anciennes, prestigieuses et
très autonomes ; toute mesure de restructuration se heurte aux vives résistances
des intéressés, soucieux de préserver leur sphère de compétence et de sauvegarder leur
identité.

2 - En dépit de leurs insuffisances et des effets pervers qu’ils suscitent, ces principes
d’organisation de l’administration centrale ont résisté pour l’essentiel aux différentes
entreprises de réforme qui se sont succédées, notamment depuis l’avènement de la
Cinquième République.

158 Roger FAUROUX, Bernard SPITZ (dir.), Notre État. Le livre vérité de la fonction publique, R. Laffont, 2000.
159 Le gouvernement Villepin ne comporte que 16 ministres et 15 ministres délégués, et aucun secrétaire d’État.
160 Les effectifs des cabinets ministériels ont crû de 30 % au cours des vingt dernières années, tournant autour de 700 membres.

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Les années soixante ont été marquées en effet par l’adoption d’un ensemble de mesures
de réorganisation visant au renforcement de la cohésion administrative, qui ne pouvaient
à ce titre que séduire le général de Gaulle161. Attaché à la formule du «cabinet de guerre»,
ne comportant qu’un nombre restreint de ministres, celui-ci ne pouvait que voir d’un bon
œil la constitution de «grands ministères», sur le modèle de celui des Armées, produit
en 1959 de la fusion des trois ministères d’armes (Guerre, Marine, Air) au sein d’une
administration unique. Cependant, les regroupements tentés notamment en 1966 avec
la fusion des ministères du Travail et de la Santé au sein d’un ministère des Affaires
sociales et la création du ministère de l’Équipement — regroupements assortis de
la fusion des services départementaux concernés (DDASS, DDE) — n’auront guère de
prolongements162 ; si le mouvement sera ultérieurement repris, ce sera de manière
ponctuelle — à l’exception pourtant du regroupement en 1998 des Affaires étrangères et
de la Coopération, ainsi qu’en 2002 de l’Économie et des Finances et de l’Industrie.

Parallèlement, de Gaulle était favorable à la rationalisation des structures internes


des ministères. L’élément le plus significatif à cet égard sera le recours à la formule des
secrétaires généraux163, qui avait connu bien des vicissitudes164. Inaugurée après la
Première Guerre mondiale au ministère des Affaires étrangères (1920), la formule avait
été généralisée sous le régime de Vichy, vingt et un secrétaires généraux ayant été
institués dans les ministères165, mais la Quatrième République était revenue à un usage
beaucoup plus modéré (Affaires étrangères, Aviation civile, Marine marchande, Intérieur
(1953), PTT (1953) ; on assiste en revanche dans la période gaulliste à un regain
de faveur pour la formule, qui s’étend à un ensemble de ministères, au prix d’une
diversification : à côté de secrétaires généraux chargés d’une fonction générale de
coordination de l’activité des services (Affaires étrangères et Éducation nationale
en 1963), d’autres, placés à la tête de services, sont spécialisés (PTT, Aviation civile,
Marine marchande, Départements d’outre-mer (1958) Energie (1963), Police (1966) ;
quant au secrétaire général mis en place au ministère des Armées en 1961, il sera
investi d’attributions fonctionnelles, en matière administrative, financière et sociale166 en
1989 (décrets du 19 avril). Néanmoins, cette tentative fera long feu : la plupart de ces
secrétaires généraux disparaîtront rapidement (l’Éducation nationale dès 1968, la Police
en 1969, les PTT en 1971…) : les Affaires étrangères et la Défense demeurent les deux
seuls points d’application de la formule, entendue cependant de manière très différente ;
le secrétaire général du ministère de la Défense sera d’ailleurs lui-même supprimé en
1986167, avant d’être rétabli trois ans plus tard168 compte tenu de la prise de conscience de
la nécessité de grands pôles de coordination au sein d’un ministère aux structures
particulièrement lourdes et complexes.

161 Jacques CHEVALLIER, « De Gaulle, l'administration, la réforme administrative », in De Gaulle en son siècle, Tome 3 "Moderniser la France",
Plon-La Documentation française, 1992, pp. 560 sq.
162 La fusion du Travail et de la Santé sera remise en cause dès 1969.
163 Yannick MOREAU, « Les secrétariats généraux des ministères », in De Gaulle en son siècle, op. cit., pp. 569 sq.
164 Patricia LEMOYNE DE FORGES, « Les secrétaires généraux des ministères », IFSA, ;Ed. Cujas, n° 8, 1973, pp. 99 sq.
165 L’article 1 de la loi du 15 juillet 1940 indique que « dans les ministères civils, les services sont placés sous les ordres d’un ou de plusieurs
secrétaires généraux ».
166 Le rôle qui lui était imparti était d’animer et de coordonner l’action de trois directions de l’administration centrale : celle des services
financiers, celle de la fonction militaire et des affaires juridiques, celle des personnels civils, ainsi que du service central de l’action sociale
des Armées.
167 Roland MANAL, Revue administrative, n° 231, 1986, p. 375.
168 Roland MANAL, Revue administrative, n° 249, 1989, p. 244.

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Après la période gaulliste, on renonce en fait à toute réforme en profondeur de


l’administration centrale. Cet immobilisme a cependant pris fin.

B) Des contraintes nouvelles

1 - La relance de l’idée de réforme des administrations centrales est le produit d’une


double contrainte.

D’une part, une conception nouvelle des missions de l’État que résume assez bien
le thème de l’«État stratège»169. Un des axes essentiels des politiques de réforme de
l’État qui se sont développées dans les pays occidentaux au cours des dernières années a
ainsi consisté à distinguer les fonctions dites «stratégiques», incombant à l’État central,
et les fonctions dites «opérationnelles», systématiquement déléguées aux structures
fonctionnelles ou territoriales, voire purement et simplement externalisées ; cette séparation
est considérée à la fois comme une garantie de meilleure gestion et comme le moyen de
renforcer la capacité d’action stratégique de l’État. Cette problématique implique bien
évidemment une redéfinition complète des missions et des structures des administrations
centrales.

D’autre part, l’accent mis sur l’impératif d’efficacité de l’action publique appelle
une rationalisation, voire une remise à plat, de l’architecture étatique. Dans tous les pays
occidentaux, l’accent est mis sur une «gestion axée sur les résultats» (OCDE, 2002) :
les crédits doivent être alloués à des programmes, sur la base d’objectifs clairement
définis, les résultats obtenus faisant l’objet d’une évaluation pratique en fonction
d’indicateurs de performance préalablement établis ; la notion de performance est ainsi
mise au centre de la gestion publique. Or, la structuration traditionnelle de l’appareil
administratif central, fondée sur une logique de moyens, est incompatible avec cette
nouvelle «culture du résultat».

2 - C’est à partir du milieu des années 90 que le thème de la réforme de l’administra-


tion centrale est mis à nouveau au premier rang des préoccupations des responsables
politiques.

Point de départ et signe annonciateur de cette relance, les rapports Blanc170 et Picq171
soulignent tous deux l’exigence d’une telle réforme, qu’ils conçoivent dans des termes
pratiquement identiques. L’un et l’autre mettent en cause le «rôle excessif» (rapport Picq)
joué par les cabinets ministériels, qui serait «l’un des maux les plus graves de notre
République», et souhaitent la réduction de leur influence : réduits à une équipe restreinte
de collaborateurs personnels du ministre, les cabinets sont invités à s’en tenir à leur rôle
de «conseil politique», des relations beaucoup plus directes devant s’établir entre les
ministres et les directeurs ; pour le rapport Picq, le pilotage de l’action du ministère
devrait ainsi incomber à un «comité de direction», formé des directeurs et présidé par le
ministre. Parallèlement, les structures de l’État sont jugées «trop nombreuses, trop
instables et trop éclatées» (rapport Blanc) pour permettre la prise en charge efficace des

169 Jacques CHEVALLIER, « L’État stratège », Mélanges Birnbaum, Fayard, 2006 (à paraître)
170 Pour un État stratège, garant de l’intérêt général, La Documentation française, 1993.
171 L’État en France. Servir une nation ouverte sur le monde, La Documentation française, 1994.

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problèmes : un «effort important de rationalisation s’impose», passant par la réduction


du nombre des ministres et des secrétaires d’État mais aussi par la recomposition des
directions172. Le rapport Picq souhaite par ailleurs l’institution de secrétaires généraux,
éventuellement communs à plusieurs ministères, sous la forme adoptée à la Défense, que
connaît bien Jean Picq : à ces secrétariats seraient rattachés les services de moyens,
le secrétaire général étant en charge de la coordination des procédures administratives,
juridiques et financières des ministères ; le rapport préfigure ainsi la formule actuelle.

La «réforme de l’État et des services publics» conçue par le gouvernement


Juppé s’inscrit dans le droit fil de ces propositions, en faisant figurer la réforme de
l’État central au nombre de ses objectifs prioritaires (circulaire du 26 juillet 1995) :
un redimensionnement de l’administration centrale du ministère de la Défense est
envisagée, impliquant la distinction entre les missions propres à toute administration
centrale et celles exercées «au bénéfice direct et permanent des forces», qui devraient
être détachées de l’administration centrale, et éventuellement déconcentrées.
Le programme n’aura cependant pas de traduction immédiate, en dehors des mesures
de déconcentration ; quant au gouvernement Jospin, il privilégiera d’autres objectifs.
Il faudra donc attendre 2002 pour que les ministres soient invités à procéder à un réexamen
systématique «de leurs missions et des structures qui les servent» (circulaire du
25 juin 2003 relative aux stratégies ministérielles de réforme), un groupe de travail présidé
par Francis Mer ayant été ultérieurement constitué pour assurer le suivi de ces stratégies
(circulaire du 2 juin 2004). La même circulaire du Premier ministre du 2 juin 2004 a
prévu que, «dans chaque ministère dont la taille et les charges de gestion administrative
le justifient», sera nommé un «secrétaire général», directement rattaché au ministre et
exerçant au moins deux missions : la mise en œuvre de la stratégie de réforme du ministère
et le management des cadres dirigeants et supérieurs ; à défaut, un haut fonctionnaire
sera désigné pour assurer ces responsabilités. Dans son allocution du 5 janvier 2005,
le président de la République reprendra l’idée, en indiquant que tous les grands
ministères se verront «dotés de secrétaires généraux ayant autorité sur l’ensemble des
services en matière de gestion» et dont la mission sera de conduire les actions de
modernisation. La réforme des structures centrales apparaît dès lors intimement liée à la
rationalisation des méthodes de gestion publique. Le bilan des mesures prises n’est
cependant qu’en demi-teinte.

II - UN BILAN MITIGÉ
Une observation préalable ici s’impose : toute réforme des structures administratives
est une entreprise délicate, qui se heurte à une série d’obstacles, tenant aux pesanteurs
organisationnelles mais aussi à la prégnance des logiques institutionnelles ; la conception
purement instrumentale de l’administration sur laquelle repose trop souvent le réformisme
administratif néglige le fait que celle-ci, comme les autres milieux sociaux, est un
univers social complexe, dont la malléabilité n’est qu’apparente173. Ceci est encore plus
vrai quand on s’attaque au cœur même de l’appareil administratif, au noyau central, dont
les membres peuvent mobiliser un ensemble des ressources pour bloquer ou dénaturer les

172 Le rapport Picq va jusqu’à proposer qu’elles soient réduites de moitié en cinq ans…
173 Jacques CHEVALLIER, « Prévenir l’échec », Revue française d’administration publique, n° 87, juillet-septembre 1998, p.375 sq.

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processus de réforme. Marquées du sceau de l’incrémentalisme, les réformes qui


touchent aux administrations centrales sont vouées à procéder par touches successives
et ne sauraient bouleverser de fond en comble leur organisation.

A) Des innovations incontestables

Ayant vu leurs fonctions redéfinies, les administrations centrales sont en passe de


connaître une série de réorganisations.

1 - La redéfinition des fonctions est conforme à la distinction stratégique/opérationnel


précédemment évoquée. Le décret du 1er juillet 1992 portant charte de la déconcentra-
tion, pris en application de la loi «Administration territoriale de la République» du 6 février
1992, opère à cet égard un tournant essentiel, en cantonnant les administrations centrales
dans «un rôle de conception, d’animation, d’orientation, d’évaluation et de contrôle» (art.
2 § 1) : les tâches de gestion n’entrent plus dans le champ de leurs attributions mais
sont censées relever des seuls services déconcentrés ; si la formulation excessivement
rigide a été assouplie en 1995 par l’institution des «services à compétence nationale»,
prenant en charge les services qu’il n’apparaît pas souhaitable de gérer dans un cadre
territorial, le principe du cantonnement des administrations centrales dans les seules
missions d’intérêt stratégique n’a pas été remis en cause.

On peut sans doute s’interroger sur les conditions d’application de cette disposition
dans certains ministères, tels que celui de la Défense : on a vu que ce problème avait été
posé en mars 1996, dans le cadre des réflexions préparatoires à la réforme de l’État.
Certaines tâches, telles que celles incombant à la direction du service national, coïncident
mal en effet avec le champ d’attributions désormais assignées aux administrations
centrales et semblent relever davantage de la compétence d’un service à compétence
nationale ; ceci montre qu’il est parfois difficile de dissocier responsabilités de gestion
et responsabilités conceptuelles. Il n’en reste pas moins que la logique d’action des
administrations centrales a été profondément modifiée : la formule d’une gestion en régie
directe par le ministère, sur le mode de ce qui était pratiqué jusqu’en 1990 au ministère
des Postes et Télécommunications, est désormais obsolète ; les administrations centrales
sont tenues à un recentrage vers les fonctions stratégiques.

2 - Corrélativement, un processus de regroupement des services s’est engagé dans un


certain nombre de ministères.

Ce processus se traduit parfois par la création de «directions générales», absorbant ou


coiffant des directions préexistantes : le décret du 15 novembre 2004 a ainsi créé, au sein
du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, une «direction générale
du Trésor et de la politique économique», qui absorbe trois directions, celle du Trésor,
celle des Relations économiques extérieures, celle de la Prévision et de l’analyse
économique ; une réforme comparable a été engagée en novembre 2004 au ministère de
l’Équipement. Une «direction générale de la modernisation de l’État», regroupant la
direction de la réforme budgétaire (DRB) et les trois services interministériels à la réforme
de l’État spécialisés mis en place en 2003, doit par ailleurs être mise en place d’ici la fin
de l’année au sein du ministère délégué au Budget et à la Réforme de l’État (Conseil des
ministres, 27 juillet 2005).

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L’innovation la plus intéressante n’en reste pas moins la réactivation de la formule des
secrétaires généraux, qui était, on l’a vu, préconisée par le rapport Picq : ont ainsi été
institués des secrétaires généraux dans les ministères de l’Economie, des Finances et
de l’Industrie (créé dès le mois de mai 2000)174, de l’Intérieur (29 janvier 2004), des
Affaires sociales (7 février 2005), de l’Agriculture (25 avril 2005), de l’Équipement
(16 mai 2005), de la Justice (24 août 2005), de l’Éducation — sept nouveaux secrétaires
généraux qui rejoignent ceux des Affaires étrangères et de la Défense qui ont été
maintenus. Si ces secrétaires généraux disposent d’une insertion variable dans leur ministère,
la finalité de leur institution est la même : chargés des fonctions d’administration générale,
ils sont plus précisément responsables de la politique de modernisation menée dans le
cadre de leur ministère ; à ce titre ils sont chargés de mettre en œuvre les stratégies de
réforme, de veiller au développement de la gestion par objectifs, de définir les principes
de la gestion des ressources humaines, de conduire les procédures d’évaluation.
Parallèlement, ils sont investis d’une fonction générale de coordination de l’activité des
services (Agriculture, Justice…), qui évoque le rôle traditionnel joué par le secrétaire
général du ministère des Affaires étrangères, mais sans disposer pour autant d’une réelle
prééminence.

En fait, le secrétaire général apparaît surtout comme chargé d’une «fonction support»,
parallèle aux «fonctions opérationnelles», qui le conduit à coiffer les directions
«horizontales» du ministère, en tenant un rôle identique à celui d’une direction générale.
Le secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense dispose ainsi de
six directions — affaires financières (DAF), fonction militaire et personnel civil (DFP),
affaires juridiques (DAJ), mémoire, patrimoine et archives (DMPA), statuts, pensions et
réinsertion sociale (DSPRS), service national (DSN) —, ainsi que d’un service, celui des
moyens généraux (SMG) ; une série d’organismes (le centre d’études d’histoire de la
Défense, le centre d’études en sciences sociales de la Défense, le centre de formation au
management de la Défense, la délégation aux restructurations, la commission consultative
médicale des anciens combattants et victimes de guerre) lui sont rattachés : il s’agit
donc d’une structure lourde, qui constitue le troisième pôle du ministère, en charge de
l’administration générale, à côté de l’état-major, en charge de l’opérationnel175 et de
la Délégation générale pour l’armement (DGA), en charge des programmes
d’armement176, dont le statut a par ailleurs été revu. La logique est identique pour les
autres secrétaires généraux, même si leur poids est inégal.

La nature des attributions ainsi confiées aux nouveaux secrétaires généraux devrait
permettre d’éviter les écueils qui avaient entraîné l’abandon de la formule, et notamment
le fait que les ministres et leurs cabinets prenaient rapidement ombrage de l’existence
d’un personnage jugé trop puissant177 : l’institution des secrétaires généraux répond
désormais avant tout à un souci de mutualisation des moyens, de rationalisation de leur
gestion et de suivi des actions de modernisation.
Si elles sont appelées à se poursuivre, ces mesures de réorganisation ne signifient pas
pour autant que tous les problèmes soient en voie d’être surmontés.

174 La nouvelle direction générale du Trésor et de la politique économique créée en novembre 2004 dispose de son propre secrétaire général.
175 Le décret du 21 mai 2005 a renforcé parallèlement les attributions du chef d’état-major des armées — au prix de certaines controverses (voir
les opinions opposées de Louis GAUTIER, Le Monde, 19 juillet 2005 et Olivier DARRASON et Jean RANNOU, Le Monde, 16 août 2005)
176 Se substituant au décret du 17 janvier 1997, le décret du 31 janvier 2005 conforte les attributions et revoit l’organisation interne de la DGA.
177 On connaît le mot d’Edgar Faure : « Monsieur Pierre Laurent est irremplaçable. C’est la raison pour laquelle il ne sera pas remplacé »…

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B) Des hypothèques persistantes

1 - La première de ces hypothèques réside dans l’incidence potentielle de la réforme


budgétaire sur les structures des administrations centrales. Reflet de la nouvelle conception
de la gestion publique axée sur les résultats, la logique budgétaire, résultant de l’application
de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, est censée, non
seulement améliorer le contrôle parlementaire sur le processus budgétaire, mais encore
être le moteur d’une réforme en profondeur de l’État : la nouvelle architecture d’un budget
construit autour des grandes «missions» de l’État, traduites en «programmes», eux-
mêmes déclinés en «actions», est conçue comme le vecteur d’une transformation des
modes de gestion publique ; dotés de marges de manœuvre nouvelles, les responsables
des programmes sont désormais tenus de s’engager sur des objectifs, mesurés par des
indicateurs de performances, en fonction desquels seront évalués les résultats.

Logiquement, cette réforme aurait dû impliquer un complet remodelage des structures


des administrations centrales, les directions étant reconstruites autour des programmes,
ce qui aurait par là-même ramené leur nombre aux quelques 150 souhaitées par les
rapports précités. Un tel bouleversement, constitutif d’une véritable «révolution»
administrative, était cependant peu concevable ; il était au demeurant peu compatible
avec l’idée de regrouper l’ensemble des services en charge des moyens sous la houlette
d’un secrétaire général : aussi l’architecture administrative traditionnelle subsiste-t-elle
en marge des programmes. La réforme budgétaire aboutit ainsi en pratique à la coexistence
de deux logiques organisationnelles au niveau de l’administration centrale, l’une
opérationnelle, sous-tendue par l’idée de programmes, dont la réalisation est confiée à un
«responsable de programme», l’autre gestionnaire, héritée de la conception traditionnelle,
et structurée autour des directions, à compétence verticale ou horizontale. Ces deux
logiques ne sauraient pourtant être seulement juxtaposées : l’articulation indispensable
qui doit exister entre elles résulte notamment du fait que la responsabilité des programmes
est, en règle générale, confiée à des directeurs d’administration centrale, ce qui a pour
effet d’établir une hiérarchisation implicite au sein de cette population. Cette superposition
joue aussi au profit des secrétaires généraux, qu’elle permet de réintégrer dans la logique
des programmes : le secrétaire général pour l’administration de la Défense est responsable
des programmes «soutien de la politique de Défense», ainsi que «liens entre la nation et
son armée» et «mémoire, reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant».
Les secrétaires généraux sont notamment appelés à prendre la responsabilité des
programmes-support, dont la création permet d’éviter d’avoir à répartir de manière
artificielle les agents entre les différents programmes opérationnels — non sans quelque
contradiction avec la logique de la LOLF puisqu’elle rend du même coup difficile
l’évaluation du coût réel de ces programmes.

2 - Par ailleurs, le mouvement de réforme ne s’attaque pas à certains des dysfonctionne-


ments majeurs de l’organisation administrative centrale française. D’abord, l’instabilité
des structures ministérielles reste la règle, comme en témoignent les remaniements
opérés à l’occasion des derniers changements de gouvernement : si certains des
regroupements opérés au cours des dernières années, tels que ceux des Affaires étrangères
et de la Coopération ou celui de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, semblent
voués à être durables, le phénomène reste marginal ; quant aux efforts de limitation du

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nombre des départements ministériels, ils restent conjoncturels et à la merci de l’évolution


du contexte politique. Or, cette instabilité n’est pas sans incidence sur le fonctionnement
des services, le rattachement à tel ou tel ministère influant tout à la fois sur leur logique
d’action et sur leurs conditions d’insertion dans l’appareil administratif. Ensuite, la
conception extensive du rôle des cabinets ministériels n’est nullement mise en cause, en
dépit des critiques récurrentes qu’elle suscite : sapant l’autorité des directeurs, elle constitue
aussi un vecteur de politisation du fonctionnement administratif : indissociable des nouveaux
rapports entre administration et politique qui se sont progressivement noués depuis
l’avènement de la Cinquième République, cette permanence s’explique aussi par le fait
que le passage par les cabinets ministériels est devenu un des éléments-clés des
trajectoires professionnelles dans la haute fonction publique.

Si elles sont bien entendu liées à l’inflexion de ses missions résultant de la fin de la
conscription, les nouvelles conditions d’insertion de la direction du service national
dans l’organisation centrale du ministère de la Défense arrêtées en 1999 s’inscrivent donc
dans un panorama plus général de redéfinition des fonctions et des structures des
administrations centrales : le rattachement au secrétariat général pour l’administration est
le reflet d’une volonté de regroupement des moyens, qui préfigure les formules adoptées
ultérieurement dans d’autres ministères ; en revanche, la nature des missions assignées à
la DSN, qui débordent assez largement le cadre des fonctions désormais imparties aux
administrations centrales, témoigne de la persistance des spécificités de l’organisation
de la Défense, en montrant plus largement que la volonté de rationalisation précitée ne
saurait déboucher sur l’adoption d’un moule unique.

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DE l'INFLUENCE DES IDÉES EN POLITIQUE :


LA TRANSFORMATION
DE LA DIRECTION DU SERVICE NATIONAL

Par Irène EULRIET


doctorante à l'université de Bristol, chargée de recherche au C2SD

Introduction
Les motifs et les modalités de la suspension du service national dans les pays
européens ont été amplement analysés dans des études sociologiques (par exemple
Ajangiz, 2002 ; Boëne et Dandeker, 1998 ; Buffotot, 1996) ou politiques (Irondelle, 2003,
pour la France, par exemple). Les raisons du maintien, et même de l'extension, de la
conscription universelle en France par le biais de l'appel de préparation à la défense sont
néanmoins demeurées largement inexplorées (à l'exception de Charlier et Marichy, 2004,
p. 19-37). Or, la mission qui a été confiée à la direction centrale du service national
(DCSN) devenue direction du service national (ci-après DSN), apparaît indubitablement
atypique par rapport aux stratégies de sortie de conscription favorisées par nos voisins
européens. En effet, que ce soit en Espagne (qui annonça la suppression de l'appel et
du service en 1996) ou en Italie (qui opta pour la professionnalisation de ses forces
armées en 1999) – pour ne citer que ces exemples proches dans le temps – rien n'est venu
se substituer au service national après que les derniers appelés eurent rempli leurs obligations.
L'appel ne fut pas maintenu dans ces pays et la question du lien armée-nation, même si
elle apparaît préoccupante à certains acteurs178, ne fut pas résolue à travers la mise sur
pied d'un dispositif comparable à celui désormais en vigueur en France. La mission
d'administration de la Journée d'appel de préparation à la défense (ci-après JAPD)
confiée à la DSN par la loi Richard du 28 octobre 1997, apparaît par comparaison,
tout à fait singulière et devrait à ce titre retenir notre attention.

Ce sont précisément les raisons de cette spécificité française que j'aimerais aborder
ici. Pourquoi un dispositif tel que la JAPD (et plus largement le 'parcours citoyen'179)
fut-il élaboré? Quelles fins sert-il ? Comment la direction du service national a-t-elle

178 C’est notamment le cas en Espagne. Communication informelle du Professeur Paricio, juin 2005.
179 Le parcours citoyen comprend trois volets : premièrement, l’enseignement relatif à la défense française et européenne dans le cadre
des programmes des établissements du second degré (Code du service national, Livre I, art. L. 114-1) ; le recensement volontaire dès
16 ans (ibid., art. L. 113-1) ; et finalement la participation à la JAPD (ibid., L. 114-2).

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évolué depuis la tenue de la première JAPD en octobre 1998 ? Ses missions ont-elles
changé depuis cette date? Si oui, comment rendre compte des inflexions qui ont été
données à la DSN et à ses missions au cours de la période récente180? Comme cela est le
cas pour toute institution sociale, les raisons de la transformation de la DCSN/DSN sont
de nature variée, c'est-à-dire relevant entre autres, de dynamiques politiques,
économiques ou sociologiques. Jacques Chevallier (dans ce volume) a mis en évidence
les processus politico-administratifs de la modernisation du service public et par
extension de la direction qui nous intéresse. Une autre dimension importante à prendre
en compte afin de saisir la spécificité française en matière de sortie du système de
service national universel masculin se rapporte aux idées qui y ont présidé. La présente
contribution s'attache ainsi à examiner les dynamiques idéelles ayant sous-tendu la
fondation et la configuration des missions de la DSN.

L’influence et la circulation des idées représentent depuis quelques années un champ


privilégié d'investigation dans les sciences sociales181. Plusieurs concepts furent forgés
pour appréhender cette dimension de la vie sociale, dont les «cadres normatifs»,
les «matrices cognitives», les «schèmes mentaux», les «rhétoriques» ou encore les
«référentiels». Tous désignent, avec leurs connotations théoriques particulières, la façon
dont les individus placés dans des situations définies tendent à mobiliser des idées selon
un nombre limité de conventions de représentation récurrentes et structurantes. Dans
cette perspective, un référentiel d'action publique – concept opératoire retenu
dans la présente enquête – désigne «l'ensemble des normes ou images de référence
[socialement constituées] en fonction desquelles sont définis les critères d'intervention de
l'État ainsi que les objectifs de la politique publique considérée» (Müller, 1990, p. 94).
Les référentiels d'action publique sont donc à considérer tout à la fois comme instruments
d'analyse et objets de conflits pour les acteurs sociaux, se révélant ainsi matière à
recomposition permanente au cours du processus délibératif et décisionnel (Vennesson,
2000, p. 95). En repérant la prééminence relative de tels référentiels dans des contextes
donnés, en identifiant la façon dont ils ont été mobilisés et spécifiés, et en reconstituant
les discordes auxquels ils ont donné lieu, il est possible pour l'analyste d'appréhender
l’influence des idées dans les processus de transformation des institutions sociales
et politiques.

Dans le domaine de la ressource humaine dans les forces armées, trois référentiels ont
été identifiés comme constitutifs de la formulation des politiques publiques, à savoir le
référentiel politique, le référentiel stratégique et le référentiel technocratique (ibid.). Ces
référentiels apparaissent en effet de façon répétée dans les débats touchant au mode
de recrutement à adopter dans les forces armées et plus largement aux dispositifs à
mettre en place pour modeler le lien armée-société. Ils forment en tant que tels un
schéma analytique pour l’investigation de la dimension idéelle de l’action publique
dans le domaine militaire. En appliquant ce modèle à un corpus de sources

180 La mission de la direction du service national est l’administration du service national universel, qui inclut le recensement, l’appel de préparation
à la défense et un éventuel appel sous les drapeaux (Code du service national, Livre I, art. L.111-2). Dans ce cadre, l’organisation de la JAPD
constitue l’activité principale de cette direction. Cependant, le recensement, la fiabilisation des fichiers des 18-25 ans et la gestion des archives
relatives aux personnels non officiers ayant servi et n’étant plus dans la réserve, représentent des missions parallèles également fortement
mobilisatrices de ressources.
181 Sur le rôle des idées dans la détermination des politiques et des stratégies de défense, voir le numéro de la Revue Française de Science Politique,
consacrée à ces questions (Vol. 54, n°. 5, octobre 2004).

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documentaires – principalement les comptes rendus de comités de pilotage inter-armées


(CPIA)182 – et orales – en l'occurrence les entretiens menés avec des acteurs clefs de la
mise en place et du déploiement de la DSN –, les idées principales qui ont guidé l'action
des responsables politiques et administratifs de cette direction au cours des 7 ou 8
dernières années ont pu être identifiées et seront restituées ici. L’analyse idéelle permettra
de révéler les tensions existantes quant à la définition des missions de cette direction,
de dévoiler les tendances marquantes du processus décisionnel dans ce secteur de la
défense, et plus généralement de contribuer à la mémoire institutionnelle de la DSN
autant qu’à la formulation des pistes de recherches futures.

Après avoir présenté le contenu général des référentiels politique, stratégique et


technocratique, cette contribution s’attachera à la restitution des débats, enjeux et
dissensions ayant influé sur l’organisation et l’activité de la DSN depuis sa re-fondation
en 1997. Il est possible de distinguer trois phases dans le développement de cette direction.
Une première phase de fondation (1997 - début 2002) fut marquée par une neutralisation
réciproque de ces trois référentiels, en laissant cependant une prépondérance relative
aux objectifs politiques, et en particulier sociétaux. Une seconde phase d'évolution
(2002 - début 2005) révèle la double prééminence du référentiel stratégique et de
l'approche technocratique dans un contexte de fragilité institutionnelle. Enfin, une
troisième phase, ouverte il y a quelques mois, semble contenir la possibilité d’une
résolution des tensions ayant caractérisé les deux périodes précédentes, notamment par
le biais d’un rapprochement entre tenants d’une détermination des missions de la DSN
par référence à des objectifs stratégiques et partisans du développement de son activité
dans un sens plus politique. Il ne fait aucun doute que cette dernière phase apportera son
lot de débats et de tractations autour de ces trois objectifs. Mais avant d'aborder plus en
détail cette chronique, commençons par examiner brièvement la teneur des référentiels
d'action publique mentionnés plus haut.

A) Trois référentiels
a) Le référentiel politique : enjeux sociaux et sociétaux

Le premier des trois référentiels majeurs qui préside généralement à l'orientation des
politiques touchant aux ressources humaines dans les forces armées et, plus généralement
au lien armée-société, est politique. En France, cette orientation idéelle est à la fois
sociale et sociétale, ces deux dimensions politiques étant imbriquées l'une dans l'autre.
Le premier volet de cette représentation, le volet social, renferme l'idée que le service

182 Le comité de pilotage inter-armées (CPIA) est une institution qui joua un rôle fondamental dans la ré-organisation de la direction. Il fut
initialement créé par François Roussely pour le Rendez-Vous Citoyen afin de «coordonner la montée en puissance des centres du rendez-vous
citoyen dans le domaine des soutiens» (Note 1080, 29.10.1996). Il fut réactivé à la demande du Directeur de la DCSN de l'époque,
le Général Fassier. Dans une lettre faisant suite à cette demande (n° 594, 31.07.1997), le secrétaire général pour l'administration,
Jean-François Hébert, confiait la direction double du CPIA à la DCSN et à l'EMA, et chargeait ce comité d'étudier la participation et le rôle
de chaque organisme dans le cadre de la «Journée d'Appel de Préparation à la Défense». «Sa pérennisation au-delà de la tenue de la première
JAPD (3 octobre 1998), de même que le rattachement de la DCSN au SGA, autant que l’autonomie budgétaire de la direction par la mise en
place d'un gouvernorat de crédit à partir du 1er janvier 1999, furent décidés en Conseil extraordinaire de gestion du 5 mai 1998. Bien d'autres
sujets que les questions de méthode et d’organisation du travail en vinrent à être abordés lors des réunions du CPIA, qui peuvent être
extraordinaires (présidées par le ministre), ordinaires (présidées par le directeur du service national) et techniques (présidées par le sous-directeur
réglementation et de la gestion du service national ou autre). Ce comité est donc rapidement devenu un instrument essentiel de gestion et de
concertation entre les différents acteurs impliqués. Les comptes rendus des rencontres constituent de ce point de vue une source irremplaçable
d'informations.

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national permet (tout au moins, a permis dans le passé) aux plus démunis professionnel-
lement d'acquérir des compétences leur servant à ré-intégrer le marché du travail.
Même si des études ont pu montrer que l'efficacité de cette «fonction sociale» du service
national est pour le moins sujette à caution183, l'idée que l'appel et le service pendant une
période donnée constituent pour les jeunes les plus vulnérables professionnellement une
opportunité de formation de la «deuxième chance» – après que l'école et les services
sociaux ont échoué dans leur mission –, et ainsi un mécanisme de rattrapage des
manquements de l'Etat à la justice sociale, demeure dotée d’une force certaine au sein du
cercle des responsables politiques et administratifs dans le secteur de la défense.

Mais le référentiel politique inclut également l'idée que ces acquis professionnels
favorisent la réintégration dans la communauté politique nationale de jeunes potentiellement
ou actuellement «en marge de la République»184. C'est ici que la visée sociale s’associe à
une visée sociétale. L'appel et le service des jeunes hommes sont envisagés de ce point
de vue comme ayant rempli une mission historique, en l'occurrence de renforcement de
la cohésion nationale autour des «valeurs» républicaines. Selon cette représentation, les
forces armées et la conscription masculine universelle ont exercé une fonction d'intégration
politique irremplaçable au cours des XIXe et XXe siècles en France, en concourant aux
côtés de l'école à l'exécution du projet français «de construction nationale, d'instruction
civique, de cohésion sociale et de réalisation de la République» (Lecomte, 2000, p. 148).
Si l’évocation de ce passé se fonde sur certains faits avérés de l'histoire de la Troisième
République, tels qu'ils furent par exemple décrits par Eugen Weber (1976), des auteurs
ont cependant relevé son caractère mythique pour la période la plus récente (voir par
exemple Lecomte, 2000, p. 159-162). Ceci n’enlève cependant rien à la force de cette
représentation pour les acteurs sociaux.

b) Le référentiel stratégique : enjeux de défense

Le référentiel stratégique constitue le second cadre idéel à partir duquel les politiques
publiques en matière de ressources humaines dans le domaine militaire et de lien armée-
société sont généralement pensées. Il implique de considérer la situation stratégique et de
sécurité du moment comme déterminante pour le format à donner aux forces armées et à
la relation qu’elles entretiennent avec la société civile. La spécification de ce référentiel
varie selon les perceptions qu’ont les acteurs des risques et menaces pesant sur leur pays,
et selon les projets sécuritaires maximalistes ou minimalistes qui en dérivent. Les
impératifs de défense correspondants peuvent donc se décliner sous divers aspects, qui
sont (dans le cas présent) à la fois fonction de l’invalidation de l’hypothèse d'une guerre
totale après les bouleversements de 1989-90185 et des traditions de recrutement (conscription
versus volontariat) du pays concerné186. Dans un pays à tradition de conscription
nouvellement converti à la professionnalisation des forces armées tel que la France,

183 Notamment GM2, Enquête sur le devenir des jeunes appelés rendus à la vie civile (contrat DRET/Observatoire de la condition militaire),
rapport de synthèse, mai 1986 ; aussi Nicolas Herpin et Michèle Mansuy, «Le rôle du service national dans l'insertion des jeunes», Economie
et statistiques, 1995, n° 283-284 (cité in Lecomte, 2000, p. 163).

184 Entretien avec un ancien membre de la Mission Liaison-Partenariats, 5 juillet 2005.

185 Invalidation qui s’est traduite par la «révolution dans les affaires militaires» et stratégiques (voir par exemple Matthews et Treddenik, 2001),
ainsi que l’émergence d'une nouvelle forme de guerre dite «asymétrique» (voir par exemple Gray, 2002).

186 La France et la Grande-Bretagne sont sous cet aspect en opposition de longue date.

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le référentiel stratégique recouvre en théorie diverses options, allant du maintien de


l’appel sous les drapeaux (sous une forme rénovée) à la suppression d’un tel système,
en passant par des formes de conscription faibles. En tout état de cause, la mobilisation
et la spécification du référentiel stratégique sont toujours effectuées par rapport à
l’ambition de «préserver une efficience organisationnelle [militaire] dans l’accomplissement
de missions complexes» (Venesson, 2000, p. 103).

c) Le référentiel technocratique : enjeux administratifs et financiers

Le référentiel technocratique va au-delà de l'évaluation des besoins des forces armées


en personnel par rapport aux risques et menaces auxquels elles sont ou seront confrontées.
Il ne recoupe pas non plus l'enjeu social et sociétal, même s'il peut en infléchir le sens et
la portée de façon significative. Le référentiel technocratique équivaut à la recherche des
moyens les plus appropriés, c'est-à-dire les plus favorables d'un point de vue économique
et financier, afin de répondre à un besoin quelle qu'en soit la définition. Il correspond à
une logique d'action se fondant principalement sur un calcul d'efficacité en vue d'atteindre
un objectif donné au moindre coût. Cette orientation normative trouve son expression
dans la nébuleuse sémantique de la «modernisation de l'État», qui fait désormais partie
des lieux communs de la pensée et du vocabulaire politico-administratifs. Selon cette
représentation, la définition des missions et de l’organisation de toute administration
serait principalement à envisager par rapport à un objectif de rationalisation budgétaire
et fonctionnelle. Celui-ci pourrait se décliner en deux temps : d’une part, un contrôle des
dépenses serait à effectuer par le biais de réductions du personnel, du recours éventuel à
l’externalisation et de l’introduction d’une «culture» de la performance ; d’autre part,
l’efficacité de la dite administration pourrait être accrue à travers le décloisonnement
des appareils bureaucratiques et la mise en commun des savoir-faire et des budgets,
conduisant ainsi à accentuer le travail en réseau, notamment au niveau interministériel
mais aussi avec d’autres acteurs publics ou privés. Sans déterminer à lui seul les
politiques publiques, ce troisième référentiel peut intervenir au niveau du référentiel
politique ou du référentiel stratégique, et peser sur leur contenu respectif. Voyons
maintenant comment ces référentiels ont été mobilisés par les acteurs clefs du processus
décisionnel depuis 1997.

B) Trois époques
a) Fondation : neutralisation réciproque des référentiels d'action publique
au profit de la dimension sociétale

L’enquête documentaire et la conduite d’entretiens ont révélé que la première phase


d'existence de la DSN, qui recouvre les années fondatrices (1997-2002), est caractérisée
par une certaine neutralisation réciproque des référentiels précédemment évoqués. En
effet, alors que les référentiels, politique, stratégique et technocratique, figurent tous trois
simultanément dans le discours des acteurs impliqués, leur contenu fait invariablement
l’objet de limitations. Les tentatives de développement des missions de l’institution vers
le social (référentiel politique) ou vers le recrutement (référentiel stratégique) de même
que la mise en avant de l’impératif de modernisation (référentiel technocratique) par tel

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ou tel acteur ne sont pas rares. Pourtant, ces invocations répétées ne parviennent pas à
étendre les missions de la DSN au-delà du projet minimaliste tendanciellement focalisé
sur la dimension politique, et en particulier sociétale, qui sous-tendit sa refondation et
motiva la loi Richard du 28 octobre 1997. Afin d’apprécier la mesure de ces limitations,
un petit détour généalogique par le Rendez-Vous Citoyen est nécessaire.

Suite à l'annonce de la suspension du service national, le débat public organisé par les
préfets autant que les études réalisées par les groupes de travail parlementaires187 ont fait
ressortir l'attachement des Français, et parmi ceux-ci de la classe politique toutes
tendances confondues, à la «fonction sociale» et même «socialisatrice» du service.
Les concepteurs du Rendez-Vous Citoyen avaient donc fondé leur approche sur l'idée
qu'il importait de pérenniser les éléments promoteurs d’intégration républicaine de cette
institution. Leur projet enrichissait toutefois l’ancienne formule sous certains aspects par
sa portée désormais véritablement universelle et l’ajout des volets d’évaluation scolaire
et sanitaire des jeunes hommes et femmes appelés (voir Charlier et Marichy, 2004, p. 31).
Ce renouveau se produisait en outre dans un contexte institutionnel inédit, puisque
la mission de «creuset républicain» n’incombait plus aux seules armées, mais à une
structure interministérielle188. Un tel projet revêtait très certainement une signification
particulière après la campagne présidentielle de 1996, axée sur le thème de la fracture
sociale. Les entretiens avec les responsables politiques et administratifs de l’époque189
ont révélé que le maintien de la «fonction sociale» et «sociétale», autrefois assumée par
le service national, représentait de ce point de vue un impératif politique auquel il n’était
pas envisageable que l’Etat s’y soustraie.

Les aléas du jeu politique ont pourtant contribué à réduire la portée de ce projet
ambitieux. Après la dissolution de l'Assemblée nationale le 21 avril 1997 et la nomination
de Alain Richard au poste de ministre de la Défense dans le nouveau gouvernement
Jospin, des plans alternatifs au Rendez-Vous Citoyen durent être envisagés. Si le dispositif
de remplacement ne s’est pas révélé aussi complet que le précédent projet, l’actuelle
DSN et la JAPD sont néanmoins demeurées tributaires de la place particulière qu'occupent
les représentations relatives à la fonction sociale et sociétale de la conscription dans
l'imaginaire socio-politique français. Seulement, le référentiel politique, et spécifiquement
la dimension sociale, furent réduits au minimum dans la loi du 28 octobre 1997. Cette
dernière en vint en effet à «trait[er] plus de la conscription que du social», pour reprendre
les propos quelque peu désappointés d'un acteur ayant suivi les deux projets (CPIA
ordinaire 5 septembre 1997). Ainsi, le bilan sanitaire, scolaire et professionnel
originellement envisagé par les concepteurs du Rendez-Vous Citoyen fut restreint aux
tests relatifs à la maîtrise des fondamentaux de la langue française. Par la suite, les plans

187 Travaux qui aboutirent au rapport Darrasson n° 2810 du 23 mai 1996 pour l'Assemblée nationale et au rapport Vinçon n° 349 du 9 mai 1996
pour le Sénat.
188 Il est cependant à noter que cette collaboration interministérielle fut parfois difficile à mettre en œuvre. Certaines réunions durent en effet être
convoquées à Matignon afin de «faciliter» le dialogue entre les différents partenaires. Mais en avril 1997, le conseiller auprès du Premier
ministre Stefanini en charge de régler la question de la participation des autres ministères, avait déjà obtenu de ses interlocuteurs des accords
sur des mesures concrètes, dont des quotas budgétaires et autres aménagements réglant la répartition interministérielle du travail (Entretien
avec un ancien directeur du service national, 23 mai 2005). Malgré ces avancées considérables, seul le financement du projet concernant
l’appel des jeunes hommes (c’est-à-dire la moitié du groupe de population à traiter) était garanti à ce stade (Conversation informelle avec un
ancien membre du cabinet ministériel, 18 novembre 2005).
189 Entretien avec un ancien directeur du service national, 23 mai 2005 ; entretien avec un ancien membre de la Mission Liaison-Partenariats,
5 juillet 2005 ; entretien avec un ancien membre du cabinet ministériel, 10 juin 2005.

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ambitieux de prise en charge des jeunes par voie de coopération interministérielle


se réduisirent avec la JAPD à la simple transmission de données les concernant aux
différents partenaires190.

Ainsi, le référentiel politique ne fut pas complètement évacué, mais c'est sa dimension
sociétale, plus que sociale, qui en vint à dominer le sens donné à l'institution. Les concepteurs
de la JAPD et certains de leurs successeurs soulignent ici que le «modèle américain» de
recensement (Selective Service System)191 constitua une source importante
d’inspiration192. Mais ils ne s’y limitèrent pas, puisque l’appel en France est universel
– conformément aux vœux du ministre – et non à destination des jeunes hommes
uniquement (comme cela est encore le cas aujourd’hui aux Etats-Unis). Par ailleurs,
le recensement fut directement lié au droit de vote par l'inscription automatique sur les
listes électorales à partir de la base de données de la DSN. Dans cette perspective,
Alain Richard déclarait dans une lettre adressée à ses homologues :

«Je souhaite appeler tout particulièrement votre attention sur l’importance


que revêt désormais le recensement de tous les jeunes Français, au-delà de son
utilité pour la défense de notre pays. Les listes de recensement constitueront
en effet une des bases principales pour l’inscription automatique sur les listes
électorales, réforme majeure pour favoriser et faciliter l’accès à la citoyenneté»
(Lettre n° 010362, 9 mars 1998).

Ainsi, citoyenneté et engagement (potentiel) se trouvaient intimement associés dans


ce nouveau dispositif, mais d’une façon toute formelle et sans tenir compte – contrairement
au projet précédent – des conditions sociales de l’exercice de la citoyenneté.

L'affirmation sans détour de la dominante sociétale au détriment de l'aspect social du


référentiel politique trouve une illustration parlante dans l'incident des DDJ. Ce journal
«droits des jeunes» (DDJ), édité sous l'égide du ministère de la Jeunesse et des Sports,
avait été distribué à la demande du cabinet du ministre de la Défense lors d'une JAPD le
20 mars 2000. Mais sa diffusion suscita de vives réactions de la part des animateurs, et
en particulier des militaires (CPIA ordinaire 6 avril 2000). L'information prodiguée dans
ce journal sur les droits, c'est-à-dire sur l'Etat social, apparaissait aux protestataires,
contredire la visée de la JAPD et donc leur mission. En réponse à ce mécontentement

190 De nombreux partenariats furent ainsi établis entre la DSN et d’autres ministères. Un premier protocole d’accord entre le ministère de
la Défense et le ministère de l'Education nationale fut initialement signé le 14 avril 1998 (BOC, p. 1791) concernant les tests d’évaluation des
apprentissages fondamentaux de la langue française. Il fut suivi d’un protocole incluant les deux partenaires précités et le ministère de l'Emploi
et de la Solidarité (dont le groupement de permanent de lutte contre l'illettrisme – GPLI – et la délégation interministérielle à l'insertion des
jeunes (DIIJ) chapeautant les missions locales et de permanence d’accueil, d’information – PAIO) signé le 23 septembre 1998 (BOC., 1999,
p. 1683). Ce texte ainsi que sa convention d’application du 11 janvier 1999 (BOC, p. 2195) visaient à préciser le contour et la mise en œuvre
de la «démarche d’insertion proposée aux jeunes détectés en grande difficulté». Le 12 février 2001 (BOC, p. 2023), c’est avec l’observatoire
français des drogues et des toxicomanies que fut signé un protocole d’accord à propos de l’enquête ESCAPAD. Concernant l’orientation des
jeunes vers le service militaire adapté (SMA) en vigueur outre-mer, un protocole fut signé avec le ministère éponyme le 3 juillet 2003 (BOC,
p. 5199). Le 13 novembre 2003 (BOC, p. 7401), un protocole d’accord portant sur une démarche d’accompagnement personnalisé des
jeunes Français(es) repéré(e)s en difficulté de lecture fut signé avec la fondation dite «caisse d’épargne pour la solidarité». Plus récemment,
de nouveaux partenaires (notamment l’enseignement privé et agricole) furent associés aux dispositifs d’insertion à travers le protocole
du 1er avril 2004 (BOC/PP, 11 octobre 2004, n° 52 , p. 5351).
191 Ce système, mis en place dès la suppression du service national aux Etats-Unis en 1971, contraint les jeunes hommes entre 18 et 25 ans à se
faire recenser sous peine d’amendes, voire d’incarcération.
192 Entretien avec un ancien directeur du service national, 23 mai 2005 ; entretien avec un ancien membre du cabinet ministériel, 10 juin 2005.
Les données fournies par la DSN à la Cour des comptes dans le cadre de son enquête en 2003, confirment la centralité de l’exemple américain
dans la définition des missions de la DSN (voir par exemple Cour des comptes, Fiche complémentaire n° 8 ; lettre du directeur du service
national au Président de la deuxième chambre de la Cour des comptes).

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généralisé, le ministre lui-même ordonna de ne plus diffuser cette publication lors des
sessions (ibid.). La direction centrale, pour sa part, prit soin de ré-affirmer clairement
les buts du dispositif. Dans une lettre adressée à l'un des mécontents, le directeur193
souligna que «l'objectif principal de la JAPD (…) vise à informer et à sensibiliser les
jeunes à leurs responsabilités de futur citoyen en matière de défense. La notion de devoir
et de la solidarité entre l'ensemble des Français et celle de l'engagement pour une cause
nationale, y sont très largement diffusées (…). C'est bien dans ses objectifs que doit être
appréciée cette journée.» (Brouillon de lettre, mai 2000). La dimension sociale qu'aurait
pu également revêtir la journée – au-delà des tests d'illettrisme, s'entend – fut ainsi
limitée, et ce par le concours d'acteurs divers.

Durant cette phase de mise en œuvre, la question du recrutement, et donc le référentiel


stratégique, furent largement évacués. La réduction du référentiel politique à sa dimension
sociétale n’aboutit en effet pas à ce que le référentiel stratégique s'impose, malgré les
demandes et les tentatives répétées de l'armée de terre en particulier (CPIA ordinaire
17 mai 2000 ; Note 999/CMIDF/EM/BI/J-APD). Les longues discussions tout au long
des années 1999 et particulièrement 2000 sur le projet de «deuxième journée» et son
avortement (principalement pour des raisons financières et juridiques) en témoignent.
Ainsi, il fut nécessaire de rappeler de nombreuses fois lors de sessions de CPIA que
«la deuxième rencontre reste un prolongement concret de l'instruction théorique de
la JAPD et n'est pas directement une action de recrutement» (CPIA ordinaire 5 juillet 2000 ;
voir aussi CPIA ordinaire 17 mai 2000). Dans ce contexte, les opérations orientées vers
le recrutement de façon trop ostentatoire lors des JAPD ont été censurées. Lorsqu'en
2000, par exemple, certains animateurs avaient pris l'initiative de présenter du matériel
militaire au cours de la session – en entamant pour ce faire quelque peu les modules
d'enseignement – un clair rappel à l'ordre s'en suivit (CPIA ordinaire 14 juin 2000).
L'absence d'ambition de recruter, et même sa prohibition, constituent un leitmotiv de
cette première phase d'existence de la DSN.

Le référentiel technocratique, s'il n'était pas imperceptible lors de la première période,


n'en demeurait pas moins en retrait par rapport aux deux autres. Certes, la réduction
des effectifs de la DSN représentait une nécessité pour de nombreux acteurs, dont la
direction de la fonction militaire et du personnel civil (DFP), qui en discernait la source
dans les «gains en productivité» pouvant être réalisés dans cette direction (Note
n° 222/DEP/SGA/DFP/ADP, 4 septembre 1997). Cependant, il apparaît que la mise en
œuvre de cet objectif dès 1998 releva plus de contraintes fonctionnelles (le changement
de mission) que d’exigences de rationalisation budgétaire à strictement parler194. En ce
qui concerne l’obligation imposée par le nouveau ministre à la DSN d’accomplir ses
missions dans le cadre d’une structure déconcentrée, elle s’inscrivait dans l’objectif plus
large de modernisation de l’Etat et n’était pas propre à cette direction. En fait, le thème
de la modernisation de l'outil ne s'affirmera singulièrement et avec force qu'au cours
de la deuxième phase de l'existence de la DSN, qui est également caractérisée par un
privilège notoire accordé au référentiel stratégique.

193 L’auteur de cette lettre s’avère en effet très probablement être le directeur du service national (à l’époque le Général Vincent), même si seul un
brouillon non signé était consultable.
194 Entretien avec un ancien adjoint au directeur du service national, 24 mai 2005.

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b) Consolidation : double dominance des référentiels stratégique et techno-


cratique dans un contexte de fragilité institutionnelle

Le changement de secrétaire d'État, c'est-à-dire la nomination de Jacques Floch le


3 septembre 2001 en remplacement de Jean-Pierre Masseret, le renversement de majorité
aux législatives de juin 2002 résultant en la nomination de Michèle Alliot-Marie au poste
de ministre de la Défense, ainsi que le renouvellement de l'équipe à la direction du service
national, notamment l'arrivée du Général Lebourg en septembre 2001, ont fortement
contribué à un revirement de l'orientation générale de la DSN. Cette nouvelle conjoncture
permit de satisfaire les vœux de l'armée de terre, à savoir d'orienter l'action de la direction
plus résolument vers le recrutement. Elle favorisa également l'affirmation sans détour
d'une approche 'modernisatrice' de la direction, manifestée, entre autres, par des réductions
nettes de personnel et la mise en œuvre de nouveaux principes de management public.
Si des travaux préparatoires à ces développements avaient été sérieusement amorcés par
le précédent directeur du Service national, le Général Vincent, leur calendrier fit l’objet
d’une accélération et d’une amplification évidentes dans le cadre de cette nouvelle
conjoncture.

Le recrutement, considéré comme «tabou» lors de la première phase d'existence de la


DSN195, fut affirmé comme un objectif à poursuivre plus clairement dès décembre 2001
(CPIA extraordinaire 6 décembre 2001 ; MEC, 2004, p. 8). A la suggestion de la
direction du service national, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants Floch permit
l'aide au recrutement à travers la présentation «dans tous les sites [d']une information
équilibrée et suffisante» sur l'engagement volontaire, qu'il soit civil ou militaire (CPIA
extraordinaire 6 décembre 2001). Plus tard, le ministre valida la proposition de convoquer
«les jeunes à la Journée d'Appel de Préparation à la Défense (JAPD) à un âge plus
proche de l'âge légal d'engagement» (CPIA extraordinaire 17 janvier 2003), et enjoignit
la DSN de réduire à 24 heures le délai de transmission des fiches de jeunes intéressés par
les métiers de la défense aux organismes recruteurs (ibid.). En outre, un effort fut demandé
aux responsables de sites militaires pour organiser des visites, dont l'impact sur le
recrutement apparaissait particulièrement significatif (CPIA ordinaire 15 mai 2003).
Le principe selon lequel la JAPD ne devait contenir aucune référence au recrutement
avait volé en éclat, et ce durablement.

La question de la contribution de la DSN au recrutement des armées continua à


gagner en importance dans le contexte d’une certaine fragilité institutionnelle. Les audits
de la Cour des comptes en 2003 et de la Mission d’Évaluation et de Contrôle de la
commission des finances, de l’économie générale et du plan de l’Assemblée nationale
(MEC) en 2004 aboutirent en effet à un renforcement du référentiel stratégique. En
particulier, ces deux instances remirent plus ou moins directement en cause la «mission
civile» de la DSN, pour reprendre les termes de la Cour des comptes, ainsi que sa mission
relative au recensement (voir Lettre n° 009373, 30 juin 2003196 ; MEC, 2004, p. 35, p. 52, p. 72).

195 Voir Fiche complémentaire n°1, Enquête sur la direction du service national par la Cour des comptes, p. 1; entretien avec un ancien directeur
du service national, 23 mai 2005 ; entretien avec un ancien directeur du service national, 23 juin 2005 ; entretien avec un adjoint au directeur
du service national, 11 août 2005.
196 Faute d'un accès direct au relevé de constatations provisoires de la Cour des comptes sur la professionnalisation à la direction du service
national, la réponse du ministre au Président de la deuxième chambre de la Cour des comptes citée constitue une source de première impor-
tance afin d'avoir connaissance des critiques formulées contre la DSN.

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En d’autres termes, ces deux audits prirent clairement position pour une
«militarisation» accrue de la JAPD. Répondant aux réserves de la Cour des comptes sur
l’utilité de la JAPD, le ministre de la Défense insista sur le fait que les jeunes convoqués
lors de la Journée d’appel de préparation à la défense constituent une «manne extrêmement
importante» pour les organismes de recrutement et dont le ministère a désormais
reconnu l’attrait (Lettre n° 009373, 30 juin 2003, p. 6). Une argumentation similaire fut
déployée face aux auditeurs de la MEC (voir par exemple MEC, 2004, p. 25), dont les
recommandations concernant le renforcement de la dimension militaire de la journée
(MEC, 2004, p. 30) furent accueillies favorablement par la DSN et le ministère de la
Défense (voir par exemple CPIA technique 10.01.2005).

La MEC et la Cour des comptes insistèrent par ailleurs sur la nécessité de procéder
à des réductions budgétaires supplémentaires (voir MEC, 2004, p. 19, p. 29-31 ;
Lettre n° 009373, 30 juin 2003, p. 14-20). Ce faisant, elles contribuèrent ici aussi à
renforcer une tendance lourde de la deuxième phase d’existence de la DSN, à savoir sa
focalisation sur l’objectif technocratique de modernisation. Un «plan d'action» avait en
effet été lancé en 2002 – sur la base de travaux débutés dès 2001197 – afin de «rendre la
JAPD (…) plus productive pour l'État et la Défense, tout en limitant ses coûts, notamment
en personnel» (Fiche complémentaire n°1, Enquête sur la direction du service national
par la Cour des comptes, p. 2). Comme le souligne le directeur du service national de
l'époque, «la réduction d'effectifs de la DSN a été volontariste, proposée par la direction
elle-même» (ibid., p. 3). En tout état de cause, ce plan d'action ne comprenait pas
seulement l'idée de rationalisation budgétaire, mais aussi une conversion plus générale
aux nouveaux principes de management public (Chevallier, 2004, p. 66 et p. 70-73). La
mise en œuvre d'une démarche évaluative ainsi que l'utilisation accrue de l'outil de
communication en témoignent de façon exemplaire.

Si une «expérience de contrôle qualité de la JAPD» avait été «initiée en région terre
sud est (RTSE)» dès le premier semestre 2001 (CPIA ordinaire 17 mai 2001), et un groupe
de travail constitué sur ce thème à la même période (CPIA ordinaire 11 octobre2001)198,
ce n'est qu'en décembre 2001 que la démarche évaluative permanente fut consacrée par
le secrétaire d'Etat199. Celle-ci fut réalisée à travers la définition d'indicateurs de
performance et l'introduction du benchmarking afin d'apprécier les résultats de chacun
des établissements déconcentrés (régionaux ou locaux). Elle alla de pair avec la respon-
sabilisation des personnels, dont les initiatives et la polyvalence furent désormais
fortement valorisées. L’entreprise de certification qualité, définie par la norme BVQI des
organismes déconcentrés, couronne ces développements internes à la DSN. Alors que
quatre établissements, à savoir Valenciennes, Lyon, Rouen et Poitiers, sont d'ores et déjà
certifiés ISO 9001, plusieurs interlocuteurs soulignèrent au cours de l’enquête le caractère
moteur du management par la qualité et la nécessité d’étendre cette démarche à plus
d’organismes encore, voire à l’ensemble de l’établissement200. Cette posture va au-delà
des exigences du processus de déconcentration des services de l’Etat relancé à partir du
milieu des années 1990.

197 Documents personnels communiqués par un ancien directeur du service national, 23 juin 2005.
198 Encore auparavant, des projets avaient été proposés quant à l'élaboration de procédures d'évaluation et de contrôle de la mise en œuvre de la
JAPD et de la bonne réalisation de la mission impartie aux différents acteurs (par exemple CPIA 9 octobre 1998). Mais ils ne se concrétisèrent
pas pendant cette période.
199 Elle fut définitivement validée par une note du 3 avril 2002 signée du secrétaire d'Etat (CPIA ordinaire 14 mars 2002).
200 Entretien avec un adjoint au sous-directeur de la réglementation et de la gestion du service national, 26 avril 2005 ; Entretien avec un directeur
du service national, 22 juin 2005.

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Une cellule communication autonome fut par ailleurs mise sur pied dès 2002201.
Elle permet à la DSN plus d'indépendance et de réactivité quant à ses propres besoins,
particulièrement quant à ses besoins internes. Le «Flash-info DSN» fut créé, ainsi que
des lettres trimestrielles à destination de l'ensemble du personnel, de même que des
plaquettes d’information pour les civils ou militaires intéressés par une affectation dans
cette direction (Lebourg, 2004, pp. 7-8). Dans le domaine de la communication externe,
des articles relatifs à la DSN et à ses activités furent diffusés régulièrement dans les
médias (ibid., p. 8). Mais le développement le plus fort symboliquement en cette matière
est sans doute l’élaboration d’un logo DSN, et ce en dépit des réserves - voire des interdits
- formulées par la cellule communication du secrétariat général pour l’administration
(SGA)202. Cette initiative, tout comme la réalisation récente d’une bande dessinée sur la
JAPD, procèdent de la volonté des responsables de la DSN d'affirmer l’image de leur
institution, de la maîtriser et de la promouvoir plus adéquatement auprès de son public cible203.

Comme l’illustrent les deux exemples cités, le référentiel technocratique fut décliné
sous des formes variées et aboutit à une rénovation en profondeur de la DSN. Si l’initiative
de modernisation (c’est-à-dire la valorisation du référentiel technocratique) fut spontanée
de la part de la direction du service national, les divers acteurs en présence se rallièrent
bientôt à cette cause et en vinrent même à demander des actions supplémentaires dans ce
sens204. Récemment, le ministre félicita tous les acteurs pour leurs efforts soutenus de
modernisation de l’institution et les encouragea à poursuivre en ce sens (CPIA extraor-
dinaire 24 mars 2005). Globalement, le référentiel technocratique se révèle être fortement
fédérateur, à la différence des référentiels, politique ou stratégique, qui suscitent invaria-
blement des discussions. La force consensuelle du référentiel technocratique tient
certainement au fait qu’il n’implique pas de se prononcer sur la question de fond,
soulevée automatiquement par la mobilisation des deux autres référentiels, relative à la
vocation de la DSN.

Enfin, il est à noter que dans la seconde période d’existence de cette jeune institution,
le référentiel politique, dans sa dimension sociale ou sociétale, demeura largement
secondaire par rapport aux objectifs stratégique et technocratique. Le ministre parvint
certes à imposer l’intégration du module secourisme dans les nouveaux programmes
pédagogiques de la Journée d’appel de préparation à la défense employés depuis
début 2004 (voir par exemple MEC, 2004, p. 58). De même, une information relative aux
comportements à risques, dont la consommation de drogue, d’alcool et la conduite
automobile dangereuse, fut inclue dans ces nouveaux modules. Mais les réflexions
menées sur la faisabilité d'une journée spéciale à destination des jeunes naturalisés, dans
le cadre d'un partenariat interministériel, échouèrent (CPIA ordinaire 5 février 2004).
Les plans relatifs à la mise en œuvre effective d’une visite médicale lors de la JAPD (voir
CPIA extraordinaire 17 janvier 2003), pour leur part, n’ont toujours pas abouti à ce jour.

201 Entretien avec un chargé de mission information et communication, 27 mai 2005.


202 Le logo de la DSN est intéressant en ce qu’il combine la symbolique républicaine (les trois couleurs du drapeau) et la symbolique du rite de
passage (l’arche), promouvant ainsi une image de la JAPD comme initiation à l’âge d’adulte et de citoyen.
203 A cette fin, il est d’ailleurs prévu d’affecter un chargé de communication dans tous les organismes déconcentrés (si possible) afin de gérer
directement le contact avec les partenaires locaux. Entretien avec un chargé de mission information et communication, 27 mai 2005.
204 Dans le cadre du projet Ariane sur la conduite du changement dans le secteur public mené par le commissariat général du plan, il est apparu
que les initiatives spontanées de modernisation pouvaient parfois s’avérer doublement ardues dans le sens où «il semble que des efforts
supplémentaires soient en priorité demandés aux administrations qui on déjà apporté la démonstration qu’elles savaient se réformer». (Voir
www.plan.gouv.fr/intranet/upload/publications/documents/4PagesAriane2.pdf, p. 4 [document consulté le 26 mai 2005])

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Les fortes réticences de la part des partenaires potentiels, y compris les armées, semblent
être à la source de ces échecs (CPIA ordinaire 5 février 2004 ; aussi par exemple MEC,
2004, p. 86). Ces développements attestent du passage de la dominance relative d’un
référentiel «politique» – l’intégration républicaine – à celle plus marquée d’un double
référentiel «stratégique» et «technocratique» – l’efficacité de l’outil en vue du recrutement
dans les forces armées – pour penser l'orientation de la DSN entre 2002 et 2005.

c) Évolution : résolution des tensions et ouverture des possibles

Les deux premières phases d’existence de la DSN administratrice de la journée


d’appel de préparation à la défense se démarquent par leur orientation inverse. Plus que
le constat d’une évolution chronologique, ce résultat révèle en réalité une tension
fondamentale parmi les responsables politiques et administratifs de cette direction, à
savoir l’opposition entre partisans d’un développement politique de son activité centré
sur la citoyenneté, et tenants d’un usage résolument stratégique de la JAPD au bénéfice
des armées professionnalisées205. Une anecdote rendra suffisamment compte ici de la
légitimité simultanée de ces référentiels opposés et du conflit qu’ils génèrent parmi les
acteurs concernés. Lors de leur entretien, deux de mes informateurs ont en effet employé
une formule équivalente pour décrire tout l’enjeu de la DSN et de la JAPD, à savoir :
«Une fois qu'on était tombé d'accord sur le principe [d'une convocation des jeunes] – il
fallait la rendre utile»206. Le sens à donner à cette phrase varie cependant selon le contexte :
pour mon premier informateur, l'utilité additionnelle présumée de la JAPD se rapportait
à sa fonction sociale et sociétale, alors que du point de vue du second, elle touchait
directement à son contenu stratégique. Ce bref exemple illustre combien la tension entre
le référentiel politique et le référentiel stratégique est constitutive de l'évolution de
la DSN et de sa mission. De ce point de vue, la priorité accordée au recrutement et la
faveur consensuelle donnée à la modernisation au cours de la deuxième phase d’existence
de l’institution n’ont constitué qu’une prorogation du conflit, et la question, éminemment
polémique, de la vocation de la DSN n’a pas été résolue de façon définitive.

Or, une troisième phase d’évolution, peut-être porteuse d’un aplanissement de ce


conflit, s’est ouverte récemment. Elle coïncide d’une part avec l’arrivée d’un nouveau
directeur à la tête de la DSN ainsi qu’avec une nouvelle initiative ministérielle. Elle s’inscrit
d’autre part dans un contexte socio-politique spécifique appelant une réponse des pouvoirs
publics. En ce qui concerne le premier facteur d’évolution, le ministre Alliot-Marie a
récemment formulé la demande que la DSN conduise «une réflexion prospective sur son
périmètre et son organisation future, notamment au regard de ses contacts avec la
jeunesse et avec ses multiples partenaires» (CPIA extraordinaire, 24 mars 2005). Il est à
anticiper que des solutions quant à la façon de valoriser les divers accords existants entre
la DSN et ses partenaires au-delà de la simple transmission de données seront proposées.
En effet, si l’architecture informatique et de communication fonctionne bien, et garantit
l’échange efficace d’informations entre la DSN et les mairies, l’INSEE, l’Éducation
nationale, les missions locales (PAIO), ou encore l’armée, l’élaboration de projets de

205 Louis Giscard d’Estaing, membre de la MEC, résumait donc le problème de façon radicale en déclarant : «[i]l y a donc une question de
définition du concept même de JAPD» (MEC, p. 35).
206 Entretien avec un ancien chargé de mission au sein de la Mission Liaison-Partenariats de la DSN, 5 juillet 2005; entretien avec un ancien
directeur du service national, 23 mai 2005.

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coopération plus substantiels, a de façon persistante fait l’objet de réticences de la part


de ces partenaires ou d’autres partenaires potentiels (notamment le ministère de la Santé).
L’échec répété du projet de deuxième journée, lancé dès les premières années d’existence
de la DSN, en est un exemple tangible. En d’autres termes, il s’agira dans les prochaines
années d’élaborer un modèle permettant le dépassement du cloisonnement notable entre
administrations à travers une articulation plus harmonieuse des intérêts et visées,
politique et stratégique, des différents acteurs (potentiellement) impliqués.

Les événements socio-politiques récents représentent, par ailleurs, autant d’incitations


pour les responsables politiques et administratifs à défricher de nouvelles pistes de travail.
A la suite du vote négatif sur le projet de Constitution européenne et du remaniement
ministériel qui en suivit, le Premier ministre Villepin impulsa le «Plan Défense 2e Chance»
afin de répondre à la question de l’emploi des jeunes éprouvant des difficultés
d’insertion professionnelle. La DSN est bien entendue partie prenante d’un tel dispositif
s’inspirant du service militaire adapté (SMA), notamment par le biais de la détection des
jeunes concernés et de leur orientation vers un volontariat dans le cadre de cette formation.
Le rôle de la DSN dans ce contexte représente l’amorce d’une articulation plus substantielle
et cohérente des fonctions, militaire, sociale et sociétale, entre lesquelles elle apparaît être
tiraillée. Quand bien même on entrerait ici dans le domaine de la spéculation, l’annonce
par le Président Chirac le 14 novembre 2005 de la création de 50 000 places de volontariat
civil en réponse au soulèvement des banlieues pourra éventuellement confirmer de tels
développements207. Un aplanissement des tensions entre adeptes des fonctions stratégiques
et partisans de la vocation politique de la DSN pourrait en résulter.

Plus fondamentalement, cette nouvelle phase d’existence de la DSN conduira sans


doute les décideurs à s’interroger sur le rôle exact qu’elle peut remplir dans le contexte
d’une République en mutation. En effet, les impératifs sociétaux ayant initialement largement
justifié le maintien de l’appel après le passage à des armées professionnalisées, devront
être reconsidérés à la lumière de la nouvelle donne socio-politique nationale et internationale.
Si le spectre de la Troisième République hante les représentations politiques de la plupart
des Français au sujet du service national, la toute puissance de l’État et l’exaltation
des sentiments nationalistes qui ont pour un temps façonné l’identité des communautés
politiques en Europe, ne sont plus de mise. Au contraire, le contexte actuel est plutôt celui
d’une fragmentation identitaire infra-étatique – entre autres, par la perte de légitimité de
l’État-nation et le développement de «politiques d’identité» (Heyes, 2005) – et supra-étatique –
notamment à travers le processus de regroupement des Etats en grands ensembles
régionaux (dont l’Union européenne) et l’hybridation des modèles socio-politiques qui
en découle (Delmas-Marty, 2004). Ce nouveau contexte implique de repenser les conditions
d’existence et de réalisation du républicanisme à la française, et ainsi de s’interroger sur
les formes que peuvent revêtir la cohésion et l’intégration républicaines aujourd’hui,
autant que sur les mécanismes qui peuvent les produire. S’il appartient en priorité aux
politologues, philosophes et sociologues, de spéculer sur ces enjeux, la DSN ne pourra
probablement pas faire l’économie de telles réflexions pour la réalisation de ses missions.
La DSN est désormais rentrée dans une phase indubitablement palpitante d’exploration
et d’évolution.

207 Les socialistes ont proposé, pour leur part, l’instauration d’un service civil obligatoire de six mois pour répondre à cette crise lors de leur
dernier congrès au Mans du 18 au 20 novembre 2005.

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Conclusion
L’enquête menée a permis de rendre compte de l'oscillation des orientations données
à la DSN depuis le vote de la loi Richard en 1997, en identifiant la préférence accordée
au référentiel politique, stratégique ou technocratique selon les périodes et les acteurs
en présence. L'évolution de la mission de la DSN a ainsi pu être reconstituée, faisant
ressortir trois phases distinctes dans l’existence de cette jeune institution. La première
phase s’est révélée être caractérisée par la prédominance du référentiel politique, conçu
en tant que réciprocité fondamentale du droit de vote et du recensement militaire. C’est
sur cette base que furent simultanément justifiés le maintien d’un système d’appel après
la suspension du service national et la prohibition de toute ambition de recrutement lors
des premières JAPD. La deuxième phase fut marquée par un revirement net d’orientation,
avec la valorisation forte du référentiel stratégique autant que du référentiel technocratique.
Dans un contexte de remise en question de l’institution de la part d’instances d’évaluation
et de contrôle externes aux ministère de la Défense, la DSN passa durant cette période
d’une culture de moyens à une culture de résultats, conçue en terme de gestion budgétaire
stricte et d’efficience pour les armées. Un tel revirement n’a cependant pas définitivement
résolu le conflit fondamental qui est constitutif de la DSN depuis sa refondation, à savoir
celui qui oppose tenants d’une vocation politique et partisans d’une orientation stratégique
de sa mission. La résolution d’un tel conflit constitue sans doute la tâche la plus importante
à accomplir au cours de la troisième phase d’existence de la DSN, qui s’est ouverte tout
récemment, et qu’il s’agira bien sûr de suivre et de documenter.

Par ailleurs, cette enquête idéelle permet de tirer quelques conclusions au niveau du
processus décisionnel. Quatre caractéristiques apparaissent à la lumière de l’examen
documentaire et de la conduite d’entretiens menés au cours de la recherche.
Premièrement, la prééminence du ministre et du cabinet dans l'orientation donnée à la
DSN est évidente et l’intérêt qui a été porté à cette direction lors du lancement de la
JAPD ne s’est pas démenti jusqu’à ce jour. La perpétuation de réunions bisannuelles du
comité de pilotage interarmées sous la présidence du ministre lui-même, illustre cette
tendance. Deuxièmement, le ministre connaît cependant des limitations à sa capacité
décisionnaire en provenance de deux sources principales : l’une réside dans les difficultés
de mise en œuvre de coopérations interministérielles. Que ces difficultés soient imputables
à l’inertie des administrations ou à des logiques de concurrence bureaucratique, il n’en
demeure pas moins qu’un cloisonnement administratif important a persisté tout au long
des 8 années passées, en dépit des tentatives répétées de la part du ministère de la
Défense d’établir des passerelles avec des partenaires potentiels. L’autre limitation
importante au pouvoir du ministre est à mettre au compte d’acteurs internes au ministère
de la Défense, notamment les armées. Ces dernières bénéficient en effet d’une marge
de négociation, ou de blocage, significative, comme l’épisode des DDJ au cours de
la première phase d’existence de la DSN et le changement d’orientation au cours de la
deuxième période en témoignent. Troisièmement, il est important de relever l’impact
notoire d’institutions de contrôle et d’évaluation, telles la MEC et la Cour des comptes.
Même si l’intervention de ces instances reste exceptionnelle et ne participe pas au
processus décisionnel routinier dans ce secteur de la défense, elle a indubitablement
contribué à renforcer l’orientation stratégique et technocratique de cette direction.

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Quatrièmement, la direction du service national jouit d’une capacité d’initiative


importante dans certains domaines, comme en atteste l’engagement résolu et spontané
dans la modernisation de l’outil durant les années 2002-2005.
Finalement, cette enquête ouvre des voies pour des recherches futures, qui pourraient,
entre autres, contribuer à mettre en perspective les résultats obtenus au cours de la présente
enquête. Une approche focalisée plus directement sur les structures institutionnelles et
les procédures légales qui ont conditionné le processus décisionnel relatif à la transfor-
mation de la DSN pourrait être ainsi favorisée. Une telle triangulation permettrait
d’éprouver la validité de l’analyse idéelle présentée ici, et éventuellement de nuancer la
place à accorder à l’influence des normes et des idées concernant les choix opérés au
sujet de cette direction depuis 1997. Le travail réalisé par les chercheurs d’inspiration
néo-institutionnaliste, dont Skocpol (1993 ; avec Rueschemeyer, 1985) ou Avant (1994),
par exemple, fournit, de ce point de vue, autant d’éléments de réflexion et de théorisation
pour une investigation plus globale des dynamiques de la transformation de la DSN.
Bien que des recherches supplémentaires soient donc nécessaires afin d’acquérir
une compréhension plus fine des modalités particulières de la suspension du service
national en France, cette étude aura sans doute contribué à éclaircir certains aspects
de la question.

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Bibliographie

Sources documentaires, rapports et lois

Les sources documentaires, incluant les comptes rendus de CPIA, notes


internes, courriers, ainsi que les fiches de synthèse et autres textes en rapport avec
l'enquête de la Cour des comptes, utilisées dans le cadre de cette étude proviennent des
dossiers de la DSN. Leur date d’émission, numéro de courrier ou autres ont été présentés
le plus exhaustivement possible dans les pages précédentes. Les sources citées sont donc
accessibles à partir des éléments fournis dans le texte et sous réserve d’acceptation d’une
demande de visite à la DSN.

Lebourg (2004), La Modernisation du service public, document non publié.


Mission d'Evaluation et de Contrôle de la commission des finances, de l'économie
générale et du plan (2004) Rapport d'information sur la direction du service national
et la journée d'appel de préparation à la défense, N° 1721, disponible à www.assemblee-
nationale.fr/12/pdf/rap-info/i1721.pdf [consulté le 24 juin 2005].

Loi 97-1019 portant réforme du service national, 28 octobre 1997, JO n°260


du 8 novembre 1998, p. 16251.

Loi organique 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, JO n°177
du 2 août 2001, p. 12480.

Loi 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale,


18 janvier 2005, JO n°15 19 janvier 2005, p. 864.

Code du service national, 20 décembre 2004, direction du service national,


documentation.

Entretiens

Seuls les entretiens cités sont reportés ici :


Avec un adjoint au sous-directeur de la réglementation et de la gestion du service
national, 26 avril 2005.
Avec un ancien directeur du service national, 23 mai 2005.
Avec un ancien adjoint au directeur du service national, 24 mai 2005.
Avec un chargé de mission Information et Communication, 27 mai 2005.
Avec un chef de la section Réglementation, 30 mai 2005.
Avec un ancien membre du cabinet ministériel, 10 juin 2005.
Avec un sous-directeur Informatique, 20 juin 2005.
Avec un directeur du service national, 22 juin 2005.
Avec un ancien directeur du service national, 23 juin 2005.

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Avec un ancien membre de la Mission Liaison-Partenariats, 5 juillet 2005.


Avec un adjoint au directeur du service national, 11 août 2005.

Littérature secondaire

Certaines sources citées dans leur intégralité en note de bas de page ne sont pas
reprises dans la liste suivante :

Ajangiz, R. (2002), «The European Farewell to Conscription», in Mjøset, L. et


Holde s. van (dir.) The Comparative Study of Conscription in the Armed Forces,
Amsterdam: JAI-press, Elsevier Science.

Avant, D. (1994), Political Institutions and Military Change, Ithaca: Cornell UP.

Boëne, B. et Dandeker, C. (1998) (dir.), Les Armées en Europe, Paris, La Découverte.

Buffotot, P. (1996), «La réforme du service national» in Problèmes politiques et


sociaux, no. 769.

Charlier, M.-D. et Marichy, J.-P. (2004), La perception de la journée d'appel de


préparation à la défense, cinq ans après, Paris, C2SD.

Chevallier, J. (2004) L’État post-moderne, Paris, L.G.D.J.

Dandeker, C. (2000), «The overstretched military», in Moskos, C., Williams, J. and


Segal, D.R. (dir.) The Postmodern Military, Oxford: Oxford UP, pp. 32-50.

Delmas-Marty, M. (2005), «Régionalisation», in Les forces imaginantes du droit – II.


Le pluralisme ordonné, Cours au Collège de France, Chaire d’Etudes Juridiques
Comparatives et Internationalisation du Droit, Paris, 14 mars 2005.

Gray, C.S. (2002), «Thinking Asymmetrically in Times of Terror», in Parameters, vol.


32, no. 1, pp. 5-14.

Heyes, C. (2005), «Identity Politics», in Edward N. Zalta (ed.), The Stanford


Encyclopedia of Philosophy, Fall 2002 Edition [consulté le 24 novembre 2005 sur
http://plato.stanford.edu/archives/fall2002/entries/identity-politics].

Irondelle, B. (2003), Gouverner la défense : analyse du processus décisionnel de la


réforme militaire de 1996, Thèse de doctorat, IEP Paris.

Lecomte, J.-P. (2000), «Entre mythes de fonctions sociales et incertitudes de faisabilité :


la suppression du service militaire en France», in Vennesson, P. (dir.) Politiques de
Défense : Institutions, Innovations, Européanisation, Paris, L’Harmattan, pp. 113-208.

Matthews, R. et Treddenik, J. (2001), Managing the Revolution in Military Affairs,


Basingstoke : Palgrave.

95
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Müller, P. (1990), Les Politiques publiques, Paris : PUF-Que sais-je?.

Skocpol, T. (1993), Protecting Soldiers and Mothers, Cambridge, MA, Harvard UP.

Skocpol, T. et Rueschemeyer, D. (1985), Bringing the State Back In, New York:
Cambridge UP.

Vennesson, P. (2000), «La ressource humaine dans les armées : trois référentiels en
quête d’une politique publique», in Vennesson, P. (dir.) Politiques de Défense :
Institutions, Innovations, Européanisation, Paris, L’Harmattan, pp. 87-112.

Weber, E. (1976), Peasants into Frenchmen. The Modernization of Rural France,


Standford, Stanford UP.

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CONCLUSION

Allocution de clôture

Par le général de division Jacques PÂRIS de BOLLARDIÈRE


directeur du service national

Je suis très heureux d’avoir, comme vous je l’espère, assisté à cette journée d’étude
consacrée au service national et à l’administration qui le gère, la DSN. C’est la première
fois que ce sujet est véritablement exploré à l’occasion d’un colloque de cette ampleur et
je remercie le centre d’études en sciences sociales et le centre d’études d’histoire de
la défense qui ont organisé pour vous et nous ce moment de réflexion : ils ont su croiser
avec subtilité des témoignages pertinents, complémentaires et enrichissants.

J’ai été frappé par l’expertise des professeurs et chargés de recherche, mais aussi par
la force du témoignage de ceux qui ont participé pendant plusieurs années au bon
fonctionnement et à l’évolution de la DSN.

L’approche historique a montré que le service national et plus particulièrement


le service militaire ont toujours répondu aux attentes politiques et militaires du moment.

Je souhaite également remercier le général Fassier qui nous a livré son inestimable
expérience des problématiques soulevées lors de la suspension du service obligatoire et
de la mise en place du parcours de citoyenneté, comme le général Vincent qui a, quant à
lui, mis en place ce parcours et adapté la DSN à cet effet.

Les interventions plus sociologiques nous ont, elles aussi, captivés par la complé-
mentarité et l’expertise de leurs approches, en même temps qu’elles nous ouvrent de
réelles pistes de réflexion et d’actions.

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La richesse des interventions et des débats rend impossible une synthèse à chaud ;
aussi me contenterai–je, dans l’immédiat et convaincu que cette richesse sera exploitée
par tous, dans la durée, de m’essayer à retirer quelques «idées forces» - quelques cons-
tats - qui, me semble-t-il, peuvent se dégager de cette belle journée consacrée au service
national, en notant – au passage – qu’il n’est pas fréquent qu’une grande administration
de l’État s’ouvre autant à l’analyse et puisse en tirer – j’espère – autant de bénéfices.

Première idée, premier constat :


Le concept de service national est bien ancré dans le conscient et l’inconscient
populaires français.

Le mot même de SERVICE dit bien la finalité de ce concept d’abord qui,


historiquement, a plus ou moins soumis le citoyen à une forme d’impôt vis-à-vis de la
communauté de défense : le service militaire, expression la plus aboutie de ce service
place bien, historiquement, ce devoir au niveau même qui conditionne l’existence et la
sauvegarde de notre pays, celui de sa défense.

Notons au passage que, si ce concept a si bien su passer les années en dépit de


critiques parfois, le conscient et l’inconscient de notre nation n’oublient jamais les
richesses que ce même service a pu et peut apporter - effectivement - à la société en tant
que collectivité, dans ses formes militaires et civiles, comme aux individus ; mais
observons bien – et cela me paraît essentiel pour lever toute confusion - que, jusqu’à
une époque récente, le service rendu à l’individu était bien plus un effet (notion d’école
pratique du citoyen de la vie en société) qu’une finalité directe.

Deuxième idée, deuxième constat :


Le concept de service national est assez ouvert pour donner lieu, selon le moment
et les attentes de la nation, à des mises en œuvre évolutives et adaptées.

L’histoire du service national nous a montré combien ce concept a donné lieu à de très
nombreuses mises en œuvre plus ou moins concomitantes, là encore selon les attentes de
notre pays : au moins 2 grandes «logiques» me semblent, à cet égard, révélatrices :

L’approche par les finalités permet de distinguer :


- celle où seul le concept militaire s’applique,
- celle où vont de pair des formes civiles et militaires de service national.

D’un autre coté, l’approche par les devoirs permet de mettre en lumière celles qui
- offrent des formes obligatoires, plus ou moins universelles ou sélectives,
- et celles qui privilégient le volontariat.

Ceci me conduit à partager avec vous une grande constatation :


Il semble que, si notre pays a très fortement marqué son attachement à ce concept de
service national, il s’est - avec sagesse - donné les moyens législatifs de ne fermer

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aucune porte en matière de mise en œuvre : l’actualité nous permet de constater que ce
concept est vivant et objet de beaucoup d’idées…

Ainsi, les modalités du service national évoluent et s’adaptent en permanence aux


finalités que notre pays lui attribue.

Troisième idée, troisième constat :


Le parcours de citoyenneté - en vigueur depuis la suspension du service national
obligatoire pour les garçons – et son expression la plus visible qu’est la Journée d’appel
de préparation à la défense - sont bien dans l’esprit pérenne du service national.

En effet, Parcours de Citoyenneté et JAPD


- d’une part, affirment leur caractère universel en ce qu’ils sont obligatoires
pour tous les jeunes Français, garçons et filles ;
- d’autre part, répondent à une ambition et à une volonté nationales
puisqu’ils visent à mettre tous les jeunes citoyens en situation d’hommes et de
femmes libres, avertis et responsables vis-à-vis d’eux-mêmes et de notre
collectivité ;
- ensuite, mobilisent effectivement de très nombreux acteurs de notre société,
pour la satisfaction de cette ambition nationale : citons les 36 000 mairies
(recensement), le monde éducatif (enseignement civique et de défense),
les armées et les différents organismes chargés d’exploiter les constats
effectués lors de la JAPD, qu’ils soient d’ordre statistique (INSEE) ou de
«remédiation» ;
- enfin, (Parcours de Citoyenneté et JAPD) permettent d’établir, de maintenir et
de renforcer les liens historiques qui doivent être tissés entre notre pays et
ses forces armées. 800 000 jeunes Françaises et Français sont en effet reçus
chaque année par les armées lors de la JAPD : outre le fait qu’elle permet à ces
armées de jouer leur rôle éducatif traditionnel en direction des jeunes, cette
journée donne l’occasion aux militaires de conduire – au quotidien – leur plus
vaste opération d’information et de relations armées- jeunesse.

Quatrième idée, quatrième constat :


Les organisations et structures chargées de mettre en œuvre ce concept (DSN et
établissements du service national) sont tenues d’être forces de propositions et de
s’adapter sans délai à des décisions d’ordre politique en offrant quasi immédiatement des
réponses concrètes aux besoins nouveaux.

Devant tant d’attentes, tant d’évolutions juridiques et pratiques du service national,


nombreux sont - nous l’avons vu - les acteurs impliqués ; mais parmi tous ces acteurs,
deux sont incontournables : la direction du service national (DSN) et ses établissements
de terrain, qui créent effectivement ce lien entre les institutions et la jeunesse.

La direction du service national (DSN) tout d’abord.

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«Fille» de l’armée de terre et désormais attachée au secrétariat général


pour l’administration (SGA), quels qu’en soient les termes formels, la DSN joue
essentiellement les rôles suivants :
- rétablir l’appel sous les drapeaux si la mesure en était décidée,
- créer le lien organisé entre la nation, ses armées et sa jeunesse,
- participer à l’accueil et à l’information, à l’éducation de la jeunesse en
matière de citoyenneté et de défense
- orienter cette jeunesse vers les structures concernées par les différentes formes
de services possibles ;
- administrer les dossiers de celles et ceux qui ont poursuivi une activité au titre
des armées ;
- être un laboratoire d’analyse sur l’évolution de la société française émergente.

Ainsi, la DSN comporte quelques particularités : c’est une administration centrale


au service de besoins militaires et civils et, bien davantage encore, au service d’une
politique nationale ; c’est également une tête de chaîne opérationnelle car c’est elle qui
met en œuvre le service national et qui conduit l’action de terrain.

Ces dix dernières années, cette grande direction n’a eu de cesse de se remettre en
cause, dans son organisation, son fonctionnement, ses structures, ses méthodes et ses
outils pour s’adapter à l’exigence de service public : elle a divisé par deux ses effectifs,
s’est interarmisée, a formalisé de nouveaux partenariats - internes avec les armées et
externes avec plusieurs ministères et grands partenaires nationaux -, a déployé de
nouveaux et très puissants moyens informatiques, ses agents (et en particuliers ses civils),
formés à cet effet, se sont adaptés à la rencontre et à l’orientation de la jeunesse sur le
terrain. S’investissant dans la stratégie ministérielle de réforme, elle inscrit son action
dans un souci permanent de service public efficient. Ceci se traduit, pour sa mission
majeure actuelle, par l’action 1 du programme 167 (liens armées-nation) de la LOLF et
se matérialise par :
- un objectif :
› «mettre en œuvre pour une classe d’âge une JAPD de qualité pour un
coût maîtrisé»,

trois indicateurs :
› le taux d’une classe d’âge ayant effectué sa JAPD,
› le taux de satisfaction des jeunes ayant effectué leur JAPD,
› le coût moyen par jeune ayant effectué sa JAPD.

Les établissements de la DSN, quant à eux (BSN et CSN), se sont redéployés à


raison théorique d’un établissement par région économique ; ils se sont réorganisés dans
une logique inspirée de l’approche processus et se sont lancés dans une démarche orientée
usagers et clients, ce que formalise l’accession progressive et rapide de chacun d’eux
à une certification aux normes ISO 9001 – 2000 ; simultanément, leurs agents, formés
spécifiquement, s’approprient des méthodes et des outils modernes et performants et leur
emploi s’est totalement transformé : d’agents administratifs assez «statiques», ils ont

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muté en acteurs de terrain pour mieux être au contact de la jeunesse et de leurs multiples
partenaires. Enfin, ce sont des acteurs dynamiques qui participent à l’évolution constante
de la mise en œuvre de la JAPD : en effet, la JAPD elle-même évolue en permanence :
la «JAPD 2000» ne ressemble pas à la «JAPD 2005» ; la «JAPD 2005» ne ressemble pas
tout à fait à celle qui sera mise en oeuvre fin 2006 : l’introduction de nouveaux modules
comme le secourisme, l’arrivée de «Défense Deuxième Chance» comme partenaire
incontournable, la nécessaire réflexion sur l’Europe en sont quelques illustrations.

*******

La réforme de 1997 a fait inaugurer une nouvelle ère dans la relation que le citoyen
entretient avec la défense. En effet, plus que jamais, pour une armée professionnelle
renforcée de réservistes, ce lien armée-nation est essentiel.

Il faut sans cesse - au quotidien - affermir et développer ce lien. Cela passe, notamment,
par une présence affirmée du militaire dans la Cité et par un ancrage fort dans le tissu
national : cet ancrage ne sera assuré que pour autant que l’on aura multiplié les canaux
de connaissance et d’échanges, à tous les niveaux… Car un fait s’impose : en dehors
des périodes de crise, l’Armée n’est souvent connue et appréciée à sa juste valeur des
Français, et plus particulièrement des jeunes, que le jour où des contacts personnels
concrets, individuels, ont été établis.

C’est aujourd’hui une ambition forte de la DSN que de rendre la JAPD, le parcours
de citoyenneté et les différentes formes de service national, populaires par les services qu’ils
rendent aux armées, aux jeunes et, partant, à notre France en perpétuelle construction.

Il nous faut donc penser, organiser, présenter et accompagner ces actions évolutives
de manière qu’elles soient vécues activement par les jeunes eux-mêmes, et positivement
par la nation.

Des événements et des besoins récents ont ramené le service national dans le débat
politique, non pas en termes militaires puisque le rétablissement du service militaire
n’est pas à l’ordre du jour, mais en terme sociétal : je veux en déduire que ce concept
est toujours bien vivant.

C’est bien à la nation de continuer à exprimer ce qu’elle en attend.

Pour ce qui la concerne, la direction du service national continuera, comme elle l’a
toujours fait, à mettre son énergie au service de ce que l’on attend du service national, en
privilégiant toujours les liens armées–jeunesse et armées- nation.

Quant à son évolution et à ses travaux de prospective, la DSN travaille selon plusieurs axes :
- dans le champ de l’organisation et du fonctionnement
› H1 optimisation de l’existant,
› H2 évolution des contours intra ministériels,
› H3 évolution des actions interministérielles,

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- sur le parcours de citoyenneté et la JAPD


› optimisation du lien armées-jeunesse,
› optimisation de l’intégration citoyenne,

- sur le service national (finalités) : (post JAPD)


› notion de services à la nation,
› notion de services à l’individu,

- sur les archives : dématérialisation des supports et des services à l’usager.

Avant de conclure, je me permets de vous livrer une ultime réflexion - voire


une question - liée à l’indispensable culture de défense, voire de connaissance de nos
armées qu’auront, dans quelques années, nos futurs cadres dirigeants (politiques,
économiques, publics, privés…). Car, si à l’époque du service militaire, chaque futur
citoyen était physiquement impliqué dans sa défense (expérience) et pouvait poursuivre
son éducation par un engagement naturel et volontaire dans nos réserves, si le recrutement
de réservistes opérationnels se poursuit bien aujourd’hui, si de grandes institutions
(IHEDN…) et des particuliers (réservistes citoyens…) participent plus que jamais à cette
diffusion de connaissance, la question du caractère «universel» de cette connaissance de
la défense par nos futurs dirigeants me semble néanmoins posée : il convient, peut-être,
d’y réfléchir.

*******

Au nom du secrétaire général pour l’administration et, indirectement, au nom


du ministre de la Défense, je vous remercie encore pour la contribution de chacune
et chacun ici à une réflexion pleine de richesse et d’avenir

Merci.

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Couv C2SD-CEHD 24/04/07 12:08 Page 2

Au moment où l'appel sous les drapeaux a été suspendu, il est intéressant de retracer l'historique
et de dresser le bilan des services qui se sont succédé pour gérer le service national.

S'il existe bien des histoires de la conscription, aucune ne retrace celle des services chargés de
la gérer.

Au delà de l'historique des organismes du service national, il faut analyser les transformations
de ces organismes, leur adaptation à l'évolution, tant des mœurs que des usages administratifs,
et mesurer leur apport à la collectivité nationale.

Il convient également de retracer l'évolution des ressources humaines (civils et militaires, hommes
et femmes, fonctionnaires et ouvriers, par catégories de grades…) et du rôle de chacun, celle
des travaux effectués par le personnel des organismes. En particulier, il serait intéressant de
retrouver dans quelle mesure les civils comme les militaires s'étaient spécialisés dans les tâches
de recensement et de sélection du contingent, en effectuant une grande partie de leur carrière
au sein des organismes du service national.

DIRECTION DU
SERVICE NATIONAL

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