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Maquette de couverture : L’Agence libre

© Armand Colin, 2016

Armand Colin est une marque de


Dunod Éditeur, 5 rue Laromiguière, 75005 Paris
www.armand-colin.com

ISBN : 978-2-200-61371-6
Collection « U »
Science politique

HATTO Ronald, Le Maintien de la paix. L’ONU en action, 2015


BRACK Nathalie, DE WAELE Jean-Michel, PILET Jean-Benoît (dir.), Les
Démocraties européennes. Institutions, élections et partis politiques,
2015 (3e éd.)
AUCANTE Yohann, Les Démocraties scandinaves. Des systèmes politiques
exceptionnels ?, 2013
ALEXANDRE-COLLIER Agnès, AVRIL Emmanuelle, Les Partis politiques en
Grande-Bretagne, 2013
MORIN Jean-Frédéric, La Politique étrangère. Théories, méthodes et
références, 2013
MOREAU DEFARGES Philippe, L’Ordre mondial, 2008
Table des matières
Page de titre

Copyright

Collection « U »

Introduction

Première partie
La communication politique : définitions et incertitudes

Chapitre 1 Des conceptions théoriques contrastées

Un objet flou
L’interface politique-communication

Publicisation, politisation et polarisation

Un processus multidimensionnel
La dimension symbolique

La dimension pragmatique

La dimension structurelle

Un champ théorique concurrentiel


L’approche comportementaliste

L’approche structuro-fonctionnaliste

L’approche interactionniste

L’approche dialogique

Chapitre 2 Un espace public « modernisé »


La médiatisation de la vie politique
Le mythe de la société de l’information

L’effectivité des innovations

Le processus de publicité « moderne »

Les techniques de rationalisation de la compétition politique


Le marketing politique

Les sondages d’opinion et les études qualitatives

La publicité politique et ses menaces


La communication contrôlée à coûts croissants

La menace de dérive vers la marchandisation de la communication politique

Chapitre 3 Les effets persuasifs de la communication


et de l’information

Le truisme des effets d’opinion et la question de la réception


L’analyse relativiste de la réception

Les formes de l’opinion publique

Les avancées de l’approche cognitiviste

La persuasion directe, la persuasion indirecte et leur


complémentarité
La persuasion directe

Les mécanismes de l’effet de cadrage

Les mécanismes de l’effet d’amorçage

La mise en œuvre des mécanismes persuasifs


L’emprise sur l’attention, les perceptions publiques et les préférences collectives

Recontextualiser et désagréger les effets et les publics


Une technique de gestion de l’information : le « spin control »

Les effets macropolitiques de la communication modernisée


Média-malaise et démocratie duale

Mobilisation cognitive et cercle vertueux

Deuxième partie
Pratiques de communication et positions de pouvoir

Chapitre 4 La communication, l’information et l’élection

L’évolution de la communication électorale


Les types de campagne depuis le XIXe siècle

L’évolution depuis l’après-guerre

La campagne électorale, la construction de la réalité politique


et les effets de campagne
L’émergence de la campagne comme moment symbolique privilégié

La composition d’effets d’interaction

Des effets directs aux effets indirects : la complémentarité des approches

Les dernières élections présidentielles françaises : de 1988 à 2012


La visibilité hiérarchisée

Le cadrage discriminant

Conjonction et disjonction entre communication et information

La prépondérance des facteurs politiques


Les effets politiques différés des campagnes

L’encadrement juridique des campagnes

Les positions de pouvoir, les crédibilités sectorielles et les stratégies de communication

Les structures politico-institutionnelles


Chapitre 5 La communication, l’information et l’exercice du pouvoir

La communication présidentielle
La communication du président

La couverture médiatique du président

La communication, l’information et la recherche du soutien public

La communication gouvernementale
La communication du Premier ministre

La communication des ministères

L’information sur l’action gouvernementale

La communication et la popularité de l’exécutif


Les facteurs de popularité

Les facteurs contextuels de la gestion de l’information

Cohabitation et « divided government »

Chapitre 6 La communication, l’information et la participation


des citoyens

Représentations des médias et comportements d’information


La communication interpersonnelle

Pratiques d’information et intérêt

Les crédibilités et les motivations

Préférences déclarées et préférences effectives

L’expression et l’action collectives des citoyens


De la conversation aux organisations

Les mobilisations et manifestations

La formation de l’agenda politique et les stratégies de visibilité


Communication et démocratisation
L’idéal de la démocratie électronique

Les ambigüités de la démocratie locale

Les défis de la démocratie délibérative

Les principes de la démocratie délibérative

Les technologies politiques de la démocratie participative

Le problème de la compétence civique

Conclusion

Bibliographie

Index
Introduction

L’HISTOIRE ET LA SOCIOLOGIE de la science montrent que les objets de


connaissance ont souvent des destins curieux. La communication politique
rentre assurément dans la classe des trajectoires étranges. Voilà un objet
d’étude considéré comme illégitime, trivial, voire inexistant il y a trente
ans, qui stimule aujourd’hui une curiosité manifeste même si elle est
davantage suscitée par un engouement pour la communication que par les
vicissitudes de la politique. Paradoxalement, on parle volontiers aujourd’hui
de crise de la représentation politique, de désenchantement démocratique,
de désordre électoral ou d’antipolitisme alors que l’emprise, l’explosion, la
révolution voire la notion de culte sont associées à la communication.
Même s’il existe une sociologie critique vivace de la communication, il
faudrait bien sûr s’interroger sur le point de savoir s’il existe une corrélation
négative entre ces deux séries de phénomènes et si elle constitue un signal
de causalité. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui la communication intéresse tout
le monde. Il suffit de constater quelques signes sociaux de sa
reconnaissance. En France, l’institutionnalisation au sommet de l’État en est
certainement un dont la visibilité est incontestable. C’est avec l’alternance
de 1981 qu’apparaît un ministère de la Communication dirigé pendant cinq
ans par Georges Fillioud et, depuis, rares sont les périodes où ne figure pas
au gouvernement un département ministériel en charge de la
communication. Mais la société, elle aussi, accomplit une conversion à cet
égard. La communication explose ainsi dans les filières d’enseignement,
dans les rubriques des journaux quotidiens, dans l’avènement d’une presse
spécialisée, dans la création de postes et de structures dédiés à sa gestion
dans les secteurs privé et public. Certains n’hésitent pas à affirmer que la
révolution des technologies de la communication des XXe et XXIe siècles sera
d’une amplitude comparable à la révolution industrielle du XIXe siècle, la
société post-industrielle devenant une société informationnelle ou société de
communication. Les économistes comme M. Porat enregistrent déjà ces
transformations lorsqu’ils proposent de substituer à la classique partition en
trois secteurs de Colin Clark la dichotomie des productions matérielles et
immatérielles. La proportion de la population active et la part de la
production dégagée dans les secondes attestent, entre autres, que des
changements lourds affectent en profondeur les sociétés technologiquement
avancées. Or, si les médias changent les formes de socialité (travail,
enseignement, transactions, etc.) en favorisant l’éclosion d’une télé-
socialité, d’une socialité à distance, problématique, comment pourrait-on
penser que la relation politique échappe à ces bouleversements (Coleman et
al., 2015) ?
Communiquer c’est mettre en commun, et la cité est le lieu par
excellence de la réunion des hommes. La cité comme unité politique est
rendue possible par l’usage de la parole et son pouvoir de pacification de
la relation sociale. D’emblée, chez les premiers théoriciens politiques et
dans l’invention pratique de la politique, la place du discours est
fondamentale. Chez Aristote, l’homme est doublement défini comme un
animal social et comme un animal doué d’une capacité langagière, c’est-
à-dire symbolique. Ces propriétés essentielles reçoivent leur
concrétisation institutionnelle dans des règles centrales du
fonctionnement de la cité qui encouragent la participation aux affaires
publiques. Chaque citoyen a en effet un droit égal de prendre la parole
(iségoria) dans l’Assemblée du peuple où il s’engage, par ailleurs, à
parler librement (parrhésia). La condamnation à mort ou à l’exil est la
manière la plus efficace d’éliminer l’indésirable. « La communication
orale était ainsi supprimée, et rien d’autre n’importait vraiment » écrit
Moses Finley dans L’Invention du Politique. On comprend donc à quel
point la communication politique constitue un problème d’ordre pratique,
universel et permanent. Mais elle constitue aussi pour ceux qui veulent
l’étudier un problème théorique dont les limites sont difficiles à cerner
parce que la communication moderne est caractérisée par l’ubiquité et
que la politique n’est pas assignée à résidence dans un site social fermé.
A cela s’ajoute qu’il est toujours possible de décrire les relations sociales
et politiques en recourant de façon métaphorique aux concepts des
théories de la communication puisqu’il paraît impossible de penser le lien
social hors de la communication.
La communication politique se présente donc comme un ensemble
disparate de théories et de techniques, mais elle désigne aussi des
pratiques directement politiques. Elle inspire, en effet, des stratégies et
des conduites qui varient selon les positions de pouvoir occupées et les
situations vécues par les acteurs concrets de la vie politique. Pour tenter
d’intégrer ces aspects multiples de la communication artificiellement
dissociés, nous avons décidé de regrouper dans une première partie le
substrat théorique des analyses et le phénomène de « modernisation »
technique de l’espace public politique, et d’introduire une présentation et
une réflexion sur les effets de la communication politique souvent mis en
cause. La deuxième partie sera quant à elle organisée à partir de la
classique distinction entre conquête du pouvoir et exercice du pouvoir. Il
apparaît aujourd’hui indispensable d’y développer un ensemble
d’éléments relatifs à la participation des citoyens qui animent de plus en
plus la communication politique par le bas. Car à travers l’information
spontanée, les multiples formes que prend l’action collective et tous les
efforts entrepris localement ou à partir d’une mise en œuvre de la
technologie ou encore par l’institutionnalisation de la délibération, ce qui
est en jeu c’est la capacité des citoyens à prendre la parole et à intervenir
activement dans la distribution démocratisée du pouvoir.
PREMIÈRE PARTIE

La communication politique :
définitions et incertitudes
Chapitre 1

Des conceptions théoriques


contrastées

NI LA COMMUNICATION, NI LA POLITIQUE ne se laissent aisément enfermer dans


des définitions parfaitement étanches. L’élasticité conceptuelle qui les
caractérise a causé bien des tourments à ceux qui ont cherché à les penser.
C’est notamment le cas pour la politique, qui sous ce jour convoque toute
l’histoire de la pensée politique et sociale et les exercices innombrables de
repérage du politique. Pour illustrer cette polysémie de la communication
politique, nous allons d’emblée présenter quatre conceptions, qui ne
prétendent pas à l’exhaustivité même si elles couvrent un large spectre de
représentations du phénomène. Pour mieux comprendre la communication
politique, il nous paraît nécessaire de montrer comment politique et
communication s’articulent non pas pour produire un phénomène isolable
mais pour, au contraire, s’imbriquer continuellement et de façon diffuse, ce
qui autorise le travail du politique dans la société, ou comme le dirait Pierre
Rosanvallon le travail de la société sur elle-même. La mise en sens, la mise
en scène et la mise en forme de la société telles que les conceptualise
Claude Lefort seraient en effet impossibles sans la communication pour
remédier à « l’indétermination du politique ». Ainsi, c’est en rendant
saillants certains problèmes que des citoyens font advenir à la conscience
publique des situations indésirables. C’est en attribuant aux autorités
publiques la responsabilité de leur prise en charge que des groupes essayent
de faire entrer ces problèmes sur l’agenda politique. Et c’est en élaborant
des propositions, des projets de règlement des problèmes que les forces
politiques arrivent à s’affronter, à s’opposer ou bien à coopérer pour trouver
une voie commune vers des décisions, des politiques publiques et, au total,
une action publique dotée de légitimité.
L’appréhension intellectuelle de cet objet flou passe, tout d’abord, par
la distinction de différentes conceptions concurrentes de la
communication politique avant de montrer en quoi politique et
communication sont largement consubstantielles parce que liées par des
phénomènes tels que la publicisation, la politisation et la polarisation.
Ensuite, nous concentrerons l’attention sur les propriétés du processus de
communication et les différentes approches théoriques qu’il a suscitées.

Un objet flou

Quatre conceptions de la communication


Sans nécessairement adhérer au déterminisme technologique de Mac Luhan
(« Le message, c’est le medium »), il faut considérer l’idée que les médias
modifient les conditions de déroulement du jeu politique. Mais partant de
cette transformation induite par la diffusion de l’innovation technologique,
on a souvent très rapidement construit un discours fragile sur la
communication politique assimilée à une technique innovante. Rien n’est
pourtant plus douteux que cette réduction qui fait passer pour un instrument
neuf ce que l’homme a pensé depuis bien longtemps comme une question et
une condition de sa participation à la cité. Le développement de la publicité
commerciale, du marketing et des relations publiques, le recours aux
techniques d’enquêtes comme les sondages et les analyses qualitatives, la
diffusion massive des messages politiques par les médias ont concouru à
faire émerger une industrie politique à laquelle on assimile aujourd’hui trop
facilement la communication politique.
Une conception instrumentale et réductrice s’installe, bien que
rarement explicitée, qui repose pour l’essentiel sur une vision où la
communication politique est constituée par l’ensemble des techniques et
procédés dont disposent les acteurs politiques, le plus souvent les
gouvernants, pour séduire, gérer et circonvenir l’opinion. Cette
représentation aujourd’hui dominante mutile la communication tout
autant que la politique, notamment parce qu’elle les dissocie. Elle
projette une conception technique de la première sur une conception
manipulatoire de la seconde. C’est donc une conception technocratique
du problème de la communication politique principalement considérée
comme habileté à gérer une image. Dans cette logique réductrice,
renouant avec les premières analyses (Charlot, 1970), certains vont même
jusqu’à assimiler communication et marketing politique et à considérer la
« nouvelle communication politique » comme le produit de trois
techniques : la télévision, les sondages et la publicité (Cayrol, 1986).
Cette assimilation est secondairement « adoucie » par une critique de
leurs rapports et des dérives qu’ils peuvent occasionner (Cayrol, 1997).
C’est à cette acception instrumentale de la communication politique que
se rattache également Ph. Riutort (2007), certes pour mieux la critiquer,
lorsqu’il la définit comme « l’ensemble des actions conduites par des
professionnels de la communication agissant pour le compte des
professionnels de la politique et à destination des gouvernés ».
Ce qui est probablement juste dans cette simplification, c’est que la
communication politique comme objet de discours à la mode doit
beaucoup à ces techniques et à la fascination qu’elles exercent aussi bien
sur les hommes politiques que sur le grand public. Dans cette
perspective, la communication politique gravite autour de l’« expertise »
dans l’utilisation des outils, plus particulièrement dans le couplage de
techniques d’observation sociale et de techniques de promotion et de
diffusion pour asseoir la domination des gouvernants sur les gouvernés.
S’il n’est pas douteux que de telles formes de communication existent,
leur prétention à épuiser la question doit néanmoins être contestée.
À cette conception strictement instrumentale, s’oppose une vision
œcuménique de la communication politique définie comme « un
processus interactif concernant la transmission de l’information entre les
acteurs politiques, les médias d’information et le public » (Norris, 2000).
On est ici très proche d’une représentation d’influence systémique où
dominent le fonctionnalisme et les idées de circulation sans entraves de la
communication et d’absence de rapports de force entre les protagonistes.
Ceci explique sans doute la proximité avec la définition que donnait, il y
a déjà quarante ans, un précurseur en France tel J.-M. Cotteret (1973)
pour qui il s’agissait de « l’échange d’informations entre gouvernants et
gouvernés par des canaux de transmission structurés ou informels ». Au
moins, dans ce cas la première dichotomie avait le mérite de ne point
éluder le rapport de domination. L’inconvénient, toutefois, tenait
premièrement à cette notion d’échange qui semblait impliquer une
communication plus symétrique que complémentaire, et donc ne pas faire
grand cas des disparités de toute nature qui contraignent certains plus que
d’autres dans cet exercice. Autrement dit, dans la conception
œcuménique tout se passe comme si l’égalité présidait à
l’accomplissement des échanges communicationnels avec de surcroît une
indétermination conceptuelle forte, chez les deux auteurs précédents,
quant à la nature de l’information transmise. Il est, par ailleurs, douteux
que les acteurs concernés n’échangent que de l’information. On sait que
d’autres biens symboliques sont en cause comme les images, les
représentations, les préférences, etc. Un degré est franchi, toutefois dans
cette même logique, avec l’insistance sur la notion d’échange. Dans un
livre qui se présente comme « le premier manuel avancé de
communication politique en français » et qui a pour ambition de
présenter un « état des savoirs, enjeux et perspectives » (Gingras, 2003),
on trouve pour seule définition explicite que la communication politique
est « la gestion du pouvoir fondé sur l’échange » ou bien « l’étude de
l’espace public où s’exercent les dynamiques du pouvoir sous toutes ses
formes ». On reste alors très proche de Wolton (1989), qui assimile la
communication politique à « l’espace où s’échangent les discours
contradictoires des trois acteurs qui ont la légitimité à s’exprimer
publiquement sur la politique et qui sont les hommes politiques, les
journalistes et l’opinion publique au travers des sondages ». Ici est
présumé, sous la notion d’échange, qu’intervient une authentique
réactivité des acteurs les uns aux autres. Or, on sait que cette réactivité est
pour le moins imparfaite. Elle peut être contingente, stratégiquement
anticipée ou bien carrément simulée lorsqu’il s’agit des autorités
officielles1. On ne voit donc guère de raison de restreindre la légitimité à
cette triple catégorie d’acteurs en éliminant tous les autres.
C’est à Jay G. Blumler (1990) qu’on doit la conception compétitive
de la communication : c’est « une compétition pour influencer et
contrôler, grâce aux principaux médias, les perceptions publiques des
événements politiques majeurs et des enjeux ». Ainsi, on passe ici de
l’échange indéterminé à la lutte explicite pour le contrôle des
représentations collectives, les médias faisant une entrée spectaculaire
dans le processus. Cette définition présente, en outre, le mérite de
souligner le rôle central du cognitif et du symbolique dans les processus
politiques et donc de rapprocher conflit ou coopération d’une part et
construction du sens d’autre part en insistant sur l’intrusion des médias
dans cette interaction.
La conception délibérative enfin, que certains tels B. Barber (2004)
n’hésitent pas à marier avec la fascination technologique, fait
partiellement retour sur la révolution intellectuelle grecque du Ve siècle
avant J.-C. : la communication et la politique sont consubstantielles2.
C’est dans la discussion, dans le débat collectif que se trouvent les
conditions d’une démocratie élargie où l’inclusion des citoyens, en
nombre grandissant (lorsque tombent les critères de genre, de nationalité,
d’âge, par exemple) permet la formation d’un authentique espace public.
Inspiré par une théorie normative de la démocratie, Joshua Cohen (1989)
explique que « la notion de démocratie délibérative s’enracine dans
l’idéal intuitif d’une association démocratique dans laquelle la
justification des termes et des conditions de l’association procède d’une
argumentation et d’un raisonnement public de citoyens égaux. Les
citoyens, dans un tel ordre, partagent un engagement commun vis-à-vis
de la résolution des problèmes de choix collectifs à travers un
raisonnement public, et considèrent leurs institutions de base légitimes
dans la mesure où elles établissent un cadre favorable à une délibération
publique libre ».

L’interface politique-communication
La communication politique est un objet d’étude difficile à saisir parce
qu’elle prend appui sur des concepts eux-mêmes déjà surchargés de sens et
dont les relations ne peuvent être que problématiques et les manifestations
multidimensionnelles. Ce que l’on appelle aujourd’hui communication
politique est un domaine aux contours très incertains selon qu’on le
considère comme un ensemble de théories, de techniques ou de pratiques.
C’est d’abord un savoir caractérisé par l’interdisciplinarité et la diversité
des approches tenant à la transversalité des problèmes posés. La sociologie,
la linguistique, la sémiotique, l’anthropologie, le droit, l’histoire, la
psychosociologie, la philosophie sont autant de sites d’analyse de la
communication politique que la science politique doit s’efforcer d’intégrer à
ses propres interrogations en faisant face aux différents paradigmes qui s’y
affrontent. Mais la communication politique s’entend ensuite comme
procédé. Elle s’apparente alors à une boîte à outils autorisant tous les
bricolages, de la rhétorique à base de langage naturel au marketing direct
des campagnes high-tech (Selnow, 1994 ; Howard, 2004, Chadwick et al.,
2009). Or, le recours croissant à ces techniques s’accompagne d’une
transformation de l’espace public et de ses règles du jeu.
La notion de communication politique telle qu’on la trouve employée
dans le discours politique, journalistique et scientifique d’aujourd’hui est
extrêmement confuse. Faut-il vraiment s’étonner que le sens de
l’expression « communication politique » soit incertain tant les termes
qui la composent sont polysémiques ? La communication est un concept
caractérisé par la surcharge de sens, dans le langage ordinaire et dans des
disciplines différentes, aggravée par un succès de mode qui tend à
multiplier les emplois du terme et lui donne un tour quelque peu
magique. L’étymologie latine communicare renvoie à deux significations
principales, partager et transmettre ou établir une relation, qui se
perpétuent dans l’ambiguïté moderne. Nombreux sont les sociologues à
considérer le caractère fondamental de la communication dans
l’établissement du lien social quelle que soit par ailleurs leur obédience
théorique. Des penseurs contemporains aussi éloignés que J. Habermas et
N. Luhmann s’accordent à voir dans la communication le concept-clé de
leur réflexion théorique. L’un recherche les conditions de possibilité du
consensus rationnel en élaborant une théorie de l’activité
communicationnelle. L’autre reconnaît que « sans communication, il
n’est pas de relations humaines. D’où l’impossibilité, pour une théorie de
la communication, de se limiter à l’étude de certains aspects de la vie
sociale. Elle ne saurait se borner à l’analyse d’un certain nombre de
techniques de communication, même si, dans la société d’aujourd’hui,
ces techniques et leurs incidences, en raison de leur nouveauté, retiennent
tout particulièrement l’attention » (Luhmann, 1981).
Deux points sont ici fondamentaux auxquels nous souscrivons
entièrement : tout d’abord, les aspects techniques ne sont qu’une
dimension du processus de communication (cf. plus bas, les dimensions
de la communication). Ensuite, ce n’est pas de la communication mais
bien de la politique qu’il faut partir pour comprendre les processus de
communication politique. Luhmann n’hésite pas à prédire que « le
rapport entre communication et société apparaîtra non seulement comme
le sujet d’une étude spécifique de la communication, mais comme le
thème central de toute théorie de la société ». Quant à lui, A. Giddens
(1989) écrit : « Je considère que mes idées impliquent la centralité des
études de communication dans la science sociale dans son ensemble.
L’étude de la communication est absolument centrale pour la théorie
sociale et pour la science sociale. » Avant eux, l’anthropologue Claude
Lévi-Strauss illustre que la communication est l’objet même des sciences
sociales en rapprochant l’échange des biens, des femmes et des
messages. Pour lui, le langage est autant une condition qu’un produit et
qu’une partie de la culture. Au début du XXe siècle, Charles Cooley
entend déjà par communication « le mécanisme par lequel les relations
humaines existent et se développent » (Social Organisation, 1909). Aux
États-Unis, on considère certains auteurs comme des « pères fondateurs »
des sciences de la communication (Rogers, 1994). Il s’agit de Paul
Lazarsfeld, Kurt Lewin, Carl Hovland et Harold Lasswell, c’est-à-dire un
sociologue, deux psychosociologues et un politiste, mais chacun a
profondément marqué l’étude de la communication politique. Le premier
s’est particulièrement consacré à l’étude des moyens de communication
de masse et de leurs effets, notamment en situation électorale. Le
deuxième a centré son attention sur les problèmes de communication
dans les groupes. Le troisième s’est spécialisé de manière expérimentale
dans l’étude de la « nouvelle rhétorique » de la persuasion. Quant à H.D.
Lasswell, on lui doit, entre autres, l’impulsion des études de propagande
et des techniques d’analyse de contenu des messages. Mais il est plus
connu encore pour son approche de la communication comme somme de
facteurs : « Qui dit quoi ? à qui ? par quel canal ? et avec quels effets ? »,
qui n’est pas sans rappeler le titre d’un de ses ouvrages princeps :
Politics : Who Gets What, When and How ? (1936). On constate que les
préoccupations scientifiques de ces quatre chercheurs clés sont toutes en
intersection avec la communication politique. La communication
imprègne donc toute l’activité politique dans la mesure où presque tous
les comportements de ce type impliquent un recours à une forme
quelconque de communication. Mais une deuxième difficulté surgit, déjà
pointée par un précurseur comme R. Fagen (1966). Même lorsque cela
n’est pas particulièrement évident, on peut décrire de nombreux aspects
de la vie politique en termes de communication. Il s’agit alors d’une
utilisation métaphorique de la communication comme procédé d’analyse
du politique. Tout est en ce cas justiciable d’une approche de
communication : le système politique, l’activité gouvernementale, le
fonctionnement des partis politiques, les mouvements sociaux, les
groupes d’intérêt, etc.

Publicisation, politisation et polarisation


Mais qu’entendre alors par politique ? Pour penser la communication
politique, deux approches principales sont à distinguer. Une approche
dissocie communication et politique et donne au premier concept la priorité
pour comprendre le processus de la communication politique. L’autre
approche insiste à l’inverse sur la consubstantialité de la politique et de la
communication. Or, il paraît souhaitable de corriger la propension actuelle à
expliquer le politique par la communication même si les techniques de
communication connaissent un essor sans précédent. En effet, toute
communication humaine présente une dimension sociale. Selon les auteurs,
elle est assimilée à la simple transmission de signes ou à leur échange ou
bien encore au partage du sens qui en résulte. Elle présuppose l’existence
d’un autre avec lequel on inaugure une relation dont la teneur politique
dépendra d’une forme comprise entre la coopération et le conflit et d’une
substance contingente selon les enjeux de la situation. Par ailleurs, il est
aisé de constater que la politique sans communication serait impossible,
puisque la société elle-même sans communication est impensable. Or, le
politique est foncièrement d’ordre collectif par opposition à l’économique,
par exemple.
Pour mieux comprendre l’articulation du politique à la communication,
examinons comment le tryptique publicisation-politisation-polarisation
révèle leur consubstantialité. Le politique implique le social et la
communication est, premièrement, un prérequis du lien social. Par
ailleurs, tout groupe ou unité politique se trouve tôt ou tard confronté à
des situations à décider, des situations où une ligne d’action commune
s’impose, une « policy » comme on dit en anglais. Mais les problèmes ne
proviennent pas d’une génération spontanée : ils sont construits
publiquement. La publicisation d’un problème, c’est précisément le
processus par lequel l’unité sociale concernée reconnaît son existence en
tant que problème, en tant qu’écart par rapport à une situation désirable.
Autrement dit, la publicisation d’un problème c’est son installation dans
l’agenda public du groupe qui passe par l’exercice d’activités de
communication (conversation, discussion, réunion, manifestation, etc.)
par lesquelles le groupe des « entrepreneurs » originels fait connaître et
admettre le caractère problématique de la situation existante, par exemple
l’absence d’un équipement collectif.
Ce que nous nommons politisation, de façon peu orthodoxe il est vrai,
c’est le travail qui consiste à affecter à une autorité publique la prise en
charge du problème ainsi publiquement reconnu. Politiser une situation,
c’est donc faire admettre que le règlement du problème revient à
l’autorité publique quelle qu’elle soit, c’est la reconnaissance de la
responsabilité du traitement de la question concernée. Bref, c’est la
construction de ce que la langue anglaise nomme l’« accountability ». Ce
principe central de la démocratie représentative suppose, lui aussi, un
travail de communication où s’investissent à divers titres des groupes
intéressés au sens matériel du terme et des groupes attentifs au sens
civique du terme qui viennent s’agréger aux entrepreneurs originels.
Enfin, la polarisation signale que des « projets mutuellement
exclusifs » selon l’expression de S. Finer (Comparative Government,
1970) se sont solidifiés et prétendent porter le règlement adapté à la
situation problématique. La polarisation ajoute à l’articulation et à
l’agrégation des demandes l’idée d’un affrontement entre policies portées
par des groupes antagonistes. On le voit, la communication, prérequis du
lien social indispensable à l’unité politique, vient servir la publicisation,
la politisation et la polarisation par l’expression qu’elle permet de
l’insatisfaction, par le transfert de responsabilité qu’elle autorise, par la
formation de programmes d’action alternatifs et finalement par la
réduction pacifique de la tension dans la politique démocratique. La
communication agonistique libère le conflit alors que la communication
coopérative rend possible l’intégration du groupe. Elle joue dès lors un
rôle central dans la dialectique de l’accord et du désaccord comme
tension constitutive du politique. En construisant les problèmes publics,
en les politisant, en les polarisant et en facilitant leur réduction, la
communication vient pallier l’indétermination fondamentale du politique,
jamais assigné à résidence dans un quelconque périmètre de la société.
La politique ne se définit pas par un ensemble de secteurs ou de
problèmes définitivement isolables dans la société puisque n’importe
quelle question dans la société peut devenir politique à un moment
donné. La politique se nourrit en effet d’enjeux économiques, sociaux,
culturels, religieux, ethniques, linguistiques, etc. L’activité politique
concerne donc l’émergence des problèmes collectifs, la révélation des
demandes adressées aux autorités publiques, l’élaboration de projets de
solution, le conflit entre ces projets et son mode de règlement. Dans
chacun de ces processus se trouve impliquée la communication. Sa
contribution à l’activité politique est omniprésente qu’il s’agisse de la
socialisation et de la participation, de l’élaboration de l’agenda, de la
mobilisation ou de la négociation. En particulier, la communication est
fondamentale dans le mécanisme de détermination des politiques
publiques. Au total, dans les régimes démocratiques, c’est grâce à elle
qu’est censé advenir le passage d’une situation où des projets
mutuellement exclusifs sont en conflit à une situation où un règlement est
censé s’imposer à tous.
Un processus multidimensionnel
L’acceptation des définitions concurrentes de la communication conditionne
les contours de la communication politique, qui s’en trouvent modifiés. Car
si la communication désigne toute interaction sociale ou si elle ne désigne
que l’interaction symbolique c’est-à-dire celle qui utilise des signes codés,
la définition de la communication politique s’en trouve affectée. Dans le
premier cas, sont acceptables toutes les analyses métaphoriques de la
politique en termes de communication. Dans le second cas, ne sont
recevables que les définitions fondées sur l’analyse des pratiques
symboliques. On va donc s’attacher à examiner les différentes dimensions
du processus de communication. Trois dimensions peuvent être retenues
comme fondamentales pour la communication politique dont l’importance
varie selon les approches théoriques : la dimension symbolique, la
dimension pragmatique, et la dimension structurelle.

La dimension symbolique
Dans une large mesure, l’activité politique repose sur l’utilisation du
langage. Qu’on veuille persuader ou convaincre, négocier ou intimider, le
recours au langage se présente comme une alternative à la violence
physique. Comme l’écrit J. Ellul, « la violence est toujours une incrédulité
dans la possibilité des mots ». Le Parlement n’est-il pas ce lieu
institutionnel où l’on parle pour traiter des affaires publiques ? La politique
est donc, certes, un univers de forces mais aussi un univers de signes qui
ont une efficacité sociale et pas seulement cognitive ou expressive. Le
langage et sa réalisation en discours permettent de trouver l’accord, le
compromis. Il a donc une vertu pacificatrice dans les relations sociales.
Mais le discours sert aussi le conflit, la stratégie, la manipulation, la
domination. Les signes sont donc aussi des armes, des ressources dans le
combat politique. Non seulement par la possibilité qu’ils offrent d’agresser
directement un adversaire, mais aussi parce qu’ils portent en eux des
représentations du monde, des perceptions de la réalité sociale et physique
comme l’hypothèse du relativisme linguistique des ethnologues l’a mis en
évidence. Un code linguistique est davantage qu’un stock de mots et un
répertoire de règles pour les assembler de façon acceptable. C’est également
un système de significations, une grille d’appréhension de soi, des autres et
de l’environnement. Sa mise en œuvre dans le discours entretient avec le
pouvoir un rapport que Michel Foucault dans son ouvrage « L’Ordre du
discours » décrit sans équivoque : « Le discours n’est pas simplement ce
qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce
par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer. » Tous les
groupes exercent sur leurs membres une police discursive qui assure
l’intégration sociale mais aussi qui exclut ceux qui ne respectent pas les
procédures par lesquelles « la production du discours est à la fois contrôlée,
sélectionnée, organisée et redistribuée ». Le langage ne peut être réputé
neutre pour une troisième raison que résume P. Bourdieu : « Il suffit de
recenser le nombre d’univers où le bon usage de la langue constitue le droit
d’entrée tacite pour apercevoir que le pouvoir sur la langue est sans doute
l’une des dimensions les plus importantes du pouvoir. » Il ajoute ailleurs
qu’« il est légitime de traiter les rapports sociaux – et les rapports de
domination eux-mêmes – comme des interactions symboliques, c’est-à-dire
comme des rapports de communication impliquant la connaissance et la
reconnaissance, on doit se garder d’oublier que les rapports de
communication par excellence que sont les échanges linguistiques sont
aussi des rapports de pouvoir symbolique où s’actualisent les rapports de
force entre les locuteurs ou leurs groupes respectifs » (2001). On note qu’il
est ici très proche des préoccupations d’Habermas concernant la
pragmatique universelle et la distribution socialement homogène des actes
de langage dans la société. En d’autres termes, les ressources linguistiques
sont inégalement distribuées dans la société et la maîtrise affichée d’un
code est un facteur de distinction. Les sociolinguistes comme B. Bernstein
(Langage et classes sociales, 1975) montrent le rapport entre la division de
la société et la division du langage. Les politistes comme D. Gaxie (Le cens
caché, 1978) insistent sur les handicaps culturels à la participation
politique. Les inégalités d’accès à la connaissance, et le langage en est une
condition, se prolongent ainsi dans les inégalités d’acquisition de la
compétence politique et donc de la performance politique, c’est-à-dire de la
chance d’exercer du pouvoir.
Pour produire le sens de leur expérience, les hommes se servent de
symboles. Symboliser c’est représenter le réel et établir un rapport de
signification entre des choses. Pour ce faire, l’être humain dispose du
langage mais aussi des rites, des mythes. La communication politique
comme les autres formes de communication humaine utilise les signes
qui sont disponibles dans les codes. Un code est un stock de signes et un
répertoire de règles pour les combiner de façon acceptable pour les
membres d’une communauté linguistique. Les signes, par exemple les
mots, sont sélectionnés dans le stock et agencés conformément aux règles
pour produire des énoncés ou des messages. Les travaux sur le langage
politique ont mis en évidence les possibilités stratégiques qu’il offre à ces
différents niveaux de fonctionnement. La stratégie des symboles suppose
des choix entre la description et la condensation pour reprendre la
distinction d’Edward Sapir. Les symboles condensés se caractérisent par
leur surcharge sémantique et leur pouvoir d’évocation, d’identification ou
de projection. Ainsi, parler de racisme ou de distance culturelle,
d’avortement ou d’interruption volontaire de grossesse, de
nationalisation ou d’extension du secteur public, de chômage ou de
main-d’œuvre disponible, de réfugiés ou de migrants n’est pas indifférent
quant au travail de la connotation. Ces mots s’opposent par leur charge
émotionnelle, comme le chaud au froid, dans une alternative, registre
ordinaire versus registre technocratique.
La stratégie d’énonciation permet aux locuteurs individuels ou
collectifs d’accomplir des actes de langage contrôlés, de prendre plus ou
moins en charge leurs énoncés (distance) et de les tendre vers l’auditoire
(tension) pour produire des messages d’implication, d’interpellation ou
d’association. Le didactique et le polémique sont deux options
rhétoriques actualisables dans le discours politique, de même que les
choix entre les contenus posés et présupposés. Les stratégies
argumentatives jouent sur toutes les opérations logico-discursives pour
construire des schématisations acceptables, c’est-à-dire des
représentations de l’objet du discours mais aussi des images des
interlocuteurs (Grize, 1982). L’utilisation stratégique des normes de
communication (normes situationnelles, discursives, conversationnelles)
révèle aussi la façon dont les interlocuteurs interprètent leurs rôles de
communication pour se qualifier et disqualifier leur adversaire.
Le langage et sa mise en discours sont souvent considérés comme le
« patron » de toutes les pratiques signifiantes. La sémiologie s’est
appliquée au domaine des images fixes (photos, affiches) ou animées
(cinéma, télévision) pour démonter leurs mécanismes et leur efficacité
symbolique. Les technologies de la communication ouvrent, à cet égard,
de nouvelles voies notamment avec la vidéo-culture. La musique, la
peinture, la littérature et toutes les formes d’expression artistiques
attestent que le « texte politique » peut prendre des formes multiples.
Hors de la « culture cultivée », le message politique peut être véhiculé
selon des modalités plus ou moins organisées par toutes sortes de
supports : chansons, slogans, banderoles, bannières, graffitis, tags,
gadgets, bandes dessinées… La force de l’humour populaire des histoires
et blagues en fait souvent un vecteur puissant des stéréotypes sociaux,
raciaux et nationaux, mais aussi un instrument non négligeable de
dérision des régimes politiques. La communication politique passe aussi
par les rites dont les anthropologues comme G. Balandier ont montré
l’universalité et les manifestations typiques comme les rites consensuels
et rites d’affrontements (Abélès, 1989). L’élection, qui assure une forme
de communication entre gouvernants et gouvernés, ne s’interprète-t-elle
pas comme un acte rituel de participation (Bon, 1991) ?
L’étude des pratiques de communication rapportées aux positions de
pouvoir nous donnera l’occasion de revenir largement sur la pragmatique
de la communication politique. Mais d’ores et déjà, on peut mentionner
quelques types de discours politiques qui ont été étudiés et dont les
propriétés ont été mises en évidence. Ainsi, par exemple, l’opposition
entre le discours-bilan et le discours-appel dans les allocutions télévisées
du général de Gaulle (Cotteret et al., 1979). Autre distinction classique,
celle qui oppose le discours didactique et le discours polémique. Le
premier cale le discours politique sur le registre de l’évidence et de la
naturalisation comme dans un énoncé scolaire du type « la terre est
ronde ». Le second, au contraire, se caractérise par les nombreuses
marques énonciatives de présence du locuteur dans son discours qui
expriment la prise de position et donc la possibilité de la controverse ou
de l’affrontement. On a pu ainsi opposer la rhétorique de L. Blum et celle
de M. Thorez. Grâce à l’utilisation du système pronominal d’un discours
de débat électoral, nous avons aussi montré qu’on peut identifier des
discours d’interpellation où le « vous » est central pour divers usages, des
discours d’association où le « nous » prend sa place et des discours
d’implication où le « je » règne en maître3. Enfin, lors des campagnes
électorales, le discours de confirmation réaffirme une identité partisane
alors que le discours d’agrégation vise à mobiliser des indécis autour de
soutiens assurés par le noyau des électeurs acquis.

La dimension pragmatique
La pragmatique désigne l’étude des pratiques de communication effectives.
Par extension de la sémiologie, ou théorie des signes, qui fait l’étude de la
relation entre les signes et leurs usagers, la pragmatique concerne davantage
« la relation qui unit émetteur et récepteur en tant qu’elle est médiatisée par
la communication » (Watzlawick et al. 1972). Il est ici suggéré que la
communication politique est utilisée pour interagir selon des modalités
variables telles que, entre autres, persuader, convaincre, séduire, informer,
commander, négocier, inviter à. Ce n’est pas le contenu du message ni la
structure d’un système de communication qui sont ici en cause, mais bien la
forme de la relation sociale qui s’établit à l’occasion de la communication.
La mise en œuvre de la communication peut être conçue à travers une
représentation du politique défini comme un espace social de tension entre
la coopération et le conflit. Lorsqu’elle travaille à la coopération des
partenaires, la communication politique est une discussion orientée par le
souci d’intercompréhension. Ainsi, la délibération est-elle l’examen
collectif en vue d’une décision. Lorsqu’elle est finalisée par la volonté de
domination des protagonistes, elle prend le visage de l’injonction ou de la
manipulation. Le sens commun admet volontiers que « plus on se parle,
mieux on se comprend ». Ce postulat n’est certainement pas étranger au
succès du discours médiaphilique et sert d’accompagnement à la diffusion
des innovations technologiques pour cristalliser une idéologie de la
communication (Neveu, Une société de communication ?, 1994). Sous ce
postulat se trouve néanmoins pointée la question du lien social et sa
dimension politique, c’est-à-dire ici l’aptitude à vivre ensemble, à coopérer
et à s’intégrer ou à s’opposer et se combattre. Un axiome de Watzlawick
désigne très directement le caractère politique inexorable de toute relation
sociale : « Tout échange de communication est symétrique ou
complémentaire, selon qu’il se fonde sur l’égalité ou la différence. » La
communication est donc politique dès qu’elle s’inscrit dans une tension
entre la coopération et le conflit. L’idée de coopération est sous-jacente à
l’étymologie du terme communication qui renvoie à la fois à une
transmission et une mise en commun, un partage des significations. Le
principe de coopération ou de l’intercompréhension est au cœur de la
théorie sociale moderne. Les théoriciens des actes de langage comme Grice
et les ethnométhodologues, par exemple, affirment l’existence d’un
« principe de coopération » comme condition de possibilité de la
conversation et des systèmes d’échange en général (débat, entretien,
cérémonie, rite, etc.). Quand on s’engage dans une conversation, on postule
le partage d’un certain nombre d’éléments comme le code, l’intérêt ou le
plaisir de l’interlocution, le respect d’un minimum de règles de
communication relatives à la quantité, la qualité, la pertinence de
l’information et à ses modalités d’expression. Ces règles concernent aussi le
déroulement de l’interaction comme l’alternance dans les tours de parole et
l’attention aux propos de l’interlocuteur.

La dimension structurelle
Les aspects structurels de la communication, enfin, concernent les voies par
lesquelles elle est acheminée. Il s’agit donc des canaux, réseaux et médias
qui permettent les flux de communication. En utilisant la métaphore
informatique, on pourrait avancer que les aspects pragmatiques de la
communication sont l’équivalent du logiciel, les aspects symboliques sont
les données culturelles spécifiques à une communauté particulière alors que
les aspects structurels désignent le matériel de traitement de l’information.
On distingue généralement pour la communication politique entre les
canaux institutionnels tels le Parlement ou l’administration, les canaux
organisationnels tels les partis politiques et les autres forces organisées, les
canaux médiatiques tels les organes d’information écrits et audiovisuels, et
les canaux interpersonnels que constituent les groupes sociaux et les
relations interindividuelles. Il convient ici d’être vigilant sur le concept de
réseau (dans le sens non informatique du terme) car sa signification change
selon son contexte d’utilisation.
Distinguons entre réseau social et réseau de communication. Le
premier se définit par opposition à un appareil comme une organisation
sociale non constituée, c’est-à-dire aux frontières floues, avec des acteurs
faiblement spécialisés dans des rôles et des connexions aléatoires
(Lemieux, 1999). Au contraire, le réseau de communication se définit
comme une infrastructure, c’est-à-dire un ensemble de possibilités
matérielles de communication, qui est différente de la structure de
communication conçue comme étant l’ensemble des communications
réellement échangées dans un groupe. Un réseau de communication
détermine donc l’éventail des possibilités matérielles mais pas forcément
la structure réelle de la communication. Comme le pointe G. Tremblay4,
à l’intérieur d’un réseau, trois facteurs déterminent l’établissement d’une
structure de communication : les ressources informationnelles
inégalement distribuées, l’intérêt de l’échange pour les partenaires et la
répartition du pouvoir en termes de contrôle de l’information
(accessibilité, capacité de stockage, de rétention, de manipulation et
capacité à utiliser l’information au moment opportun). Mais la
communication peut être acheminée par un réseau physique ou bien un
réseau social et donc une transmission strictement humaine, voire de
façon mixte sur les deux modes.
La nature du réseau peut influencer le résultat du processus car si le
réseau physique se caractérise davantage par l’infrastructure, par le signal
et sa circulation, par la mise en accès et par ce que Jacques Ellul appelait
« l’information structurelle » c’est-à-dire essentiellement univoque, le
réseau social de communication a pour substrat la relation sociale,
échange interpersonnel des symboles qui s’effectue dans une
pragmatique et se nourrit « d’information existentielle ». Alors que le
réseau physique est évalué pour sa fiabilité, le réseau social vaut pour la
confiance que ses membres se portent et les conséquences qui s’attachent
à ce sentiment. Considérons deux manifestations de la réticulation en
politique : la question de l’influence sociale et l’impact du capital social
sur la participation politique.
L’analyse de réseau permet, en effet, de reprendre à nouveaux frais la
vieille question de l’influence personnelle ou sociale dans la formation et
la transformation des préférences politiques qui était au cœur des
préoccupations de Lazarsfeld et Katz notamment dans les années 1950 et
1960. Leurs enquêtes, en particulier « The People’s Choice », avait
montré que la propagande électorale était inefficace du fait de
l’interposition protectrice des groupes sociaux entre sources et cibles de
la propagande. L’appartenance à des groupes sociaux conduisait
l’électeur à suivre les normes de ces groupes en quelque sorte
prescripteurs pour produire un vote reflet de sa position sociale.
L’influence des leaders d’opinion reconnus par ces groupes consistait à
décoder le message initial et à le recoder dans le langage du groupe en
assurant ainsi un relais de la communication dans un processus à deux
temps, le fameux « two-step flow of communication ». Le modèle
d’explication de cette analyse de l’influence socio-politique reposait sur
le principe de la cohésion sociale, où conformité et socialisation faisaient
qu’alter et ego partageant les mêmes propriétés sociales étaient censés
partager les mêmes valeurs. Le modèle de Michigan a remplacé ce type
d’explication du comportement électoral en mettant l’accent sur les
attitudes proprement politiques telles que l’identification partisane, puis
le modèle du choix rationnel a insisté sur l’utilité individuelle des acteurs
agissant sur le marché politique qu’il s’agisse des électeurs ou des
candidats. L’analyse de réseau permet aujourd’hui de reprendre à
nouveaux frais le problème des effets contextuels sur le vote hors du
modèle de la cohésion sociale. En effet, les acteurs ne sont plus
discriminés par leur Catness, mais par leur Netness, comme dirait
Harrison White. Ce n’est plus la catégorie d’appartenance sociale qui les
spécifie et les détermine mais le fait qu’ils occupent une position
particulière, identique ou différente, dans une structure de relations dont
l’examen relève précisément de l’analyse structurale de réseau. Dès lors,
le principe de cohésion sociale s’efface au profit du principe de
l’équivalence structurale. Ce ne sont plus les relations réciproques d’alter
et d’ego qui conditionnent leur conduite mais leur profil relationnel
équivalent ou non.
L’analyse du capital social et de son influence sur la participation
politique représente une deuxième application de la notion de réseau en
politique. C’est là un domaine immense où les particularités
interprétatives sont nombreuses sur le lien entre réseau social et capital
social. L’attestent quelques définitions provenant d’auteurs consacrés et
représentatifs de paradigmes contrastés. James Coleman5, qui est à
l’origine de la relance du concept de capital social en s’appuyant sur
Granovetter dans les années 1980, estime qu’il existe trois types de
capital : physique, humain et social. Le capital social est caractérisé par
trois éléments constitutifs : les obligations et attentes qui forgent la
confiance, la capacité de la structure sociale à générer des flux
d’information et les normes. Selon Robert Putnam6, le capital social
concerne trois aspects de la vie sociale qui facilitent l’action collective :
les réseaux, les normes et la confiance. Pour P. Bourdieu (1980), le
capital social est « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui
sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins
institutionnalisées, d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance : ou en
d’autres termes, l’appartenance à un groupe ». Quant à R. Ingelhart
(1997), il assimile le capital social à « une culture de la confiance et de la
tolérance dans laquelle des réseaux extensifs d’associations volontaires
émergent ». La notion de réseau constitue donc un facteur commun à ces
définitions par ailleurs assez divergentes.
Putnam en fait l’utilisation la plus directement proche de l’analyse
macro-politique. Pour lui, il existe un lien entre le développement du
capital social que traduit l’intensité de la vie dans la société civile et les
performances institutionnelles garantes de l’efficacité démocratique.
L’érosion du capital social aux États-Unis constituerait par conséquent
une menace pour le système politique tout entier (Putnam, 2000).
Huckfeldt et Sprague (1995) ont mené des travaux micro-politiques aux
États-Unis qui montrent, entre autres, que le capital social représente un
facteur de participation politique autonome, et dont les effets sont
spécifiques par rapport au capital humain. Le capital social produit des
relations sociales d’interdépendance et d’interaction à travers les réseaux
sociaux et trois dimensions sont reconnues comme efficientes : la taille
du réseau, la fréquence des interactions et le degré de compétence
politique des participants pèsent sur l’engagement politique de ces
derniers.
L’analyse de réseau renouvelle l’analyse des voies de l’influence
sociale et politique par la brèche de « l’équivalence structurale », et met
en évidence l’effectivité du capital social. Certes, la littérature concernant
le capital social a également développé un versant critique et Putnam a
suscité une réaction, toutes choses égales par ailleurs, comparable à celle
qu’a connue Habermas. Espace public et capital social n’en restent pas
moins des concepts qui ont fait progresser la réflexion sur les aspects
macro-structurels de la vie démocratique et ses aspects microstructurels
comme la réalité et l’intensité de la participation et de l’engagement.
Suffisamment de manifestations du réseau dans la société industrielle
avancée ont une pertinence pour ne pas renoncer à ce concept au motif
que le processus d’érosion dont il devrait témoigner ne se produit pas de
façon universelle (Hamidi et al., 2003). Les réseaux de mobilisation, les
réseaux de politiques publiques, les réseaux de clientélisme, les réseaux
civiques, les réseaux associatifs ou partisans constituent autant de formes
d’activité politique fondée sur le réticulaire non physique mais social et
témoignent de son ubiquité7.
Par exemple, les sociologues de l’action publique ont depuis une
dizaine d’années opéré un recours spectaculaire à la notion de réseau.
Cette référence est considérée comme une alternative aux modèles
pluraliste et néo-corporatiste et comme un outil descriptif d’un État
fragmenté entre hiérarchie et marché (Le Galès, et al., 1995). La
méthodologie sous-jacente n’a pas grand-chose à voir avec l’analyse
structurale précédemment évoquée, mais l’emprunt a une portée
heuristique certaine puisqu’il permet de forger une définition et de
construire une typologie. Ainsi, pour Le Galès et ses collègues, « Dans
un environnement complexe, les réseaux sont le résultat de la coopération
plus ou moins stable, non hiérarchique, entre des organisations qui se
connaissent et se reconnaissent, négocient, échangent des ressources et
peuvent partager des normes et des intérêts ». À côté des communautés
de politique publique, on trouve donc des réseaux professionnels, des
réseaux intergouvernementaux, des réseaux producteurs, des réseaux
d’idées ou thématiques auxquels on pourrait associer, pour leur proximité
d’inspiration réticulaire, les communautés épistémiques de Peter Haas et
les coalitions de cause de Paul Sabatier. Ce qui fait écrire à Pierre
Lascoumes (1996) que « l’ordinaire de l’action publique est en grande
partie une lutte sourde et continue des réseaux en place pour leur
repositionnement face aux enjeux sociaux. »
Soulignons que les trois dimensions de la communication que nous
venons d’évoquer (pragmatique, symbolique et structurelle) ne doivent
pas être considérées comme exclusives l’une de l’autre mais qu’elles se
révèlent plus ou moins pertinentes selon les objets de recherche. Au total,
la communication politique, c’est donc d’abord et avant tout de la
politique. Nous la définissons comme l’ensemble des efforts s’appuyant
sur des ressources structurelles, symboliques et pragmatiques pour
mobiliser des soutiens et faire prévaloir une définition de la situation qui
est censée contribuer au règlement d’un problème collectif et/ou bien
rendre efficaces les préférences de l’acteur, c’est-à-dire son pouvoir. Il
s’agit donc de tous les efforts de communication accomplis par ceux qui
cherchent à faire adhérer à leur vision du monde, soit en l’imposant par la
propagande, soit en la rendant acceptable par la discussion (négociation,
délibération, etc.).

Un champ théorique concurrentiel


La communication politique représente aujourd’hui un domaine de
connaissance où se reflète parfaitement la concurrence des principaux
paradigmes de la pensée politique et des sciences sociales. Comportement,
système, interaction et dialogue permettent d’étiqueter des logiques
d’analyse de la communication politique.

L’approche comportementaliste
En 1948, Lasswell énonce sa question « Qui dit quoi, à qui, par quel canal
et avec quels effets ? » pour décrire une action de communication. La
logique est celle de « la théorie mathématique de la communication »
proposée en 1949 par Shannon et Weaver. La communication, d’abord, est
conçue comme une somme de facteurs : l’émetteur, le message, le
récepteur, le code, le canal et la situation. Elle est, ensuite, conçue comme
un processus linéaire qui est la transmission de l’information contenue dans
le message depuis l’émetteur vers le récepteur. Elle est, enfin, caractérisée
par son effet sur le destinataire. À partir de cette conception, c’est sur le
mode empirique que la recherche, principalement américaine, s’est
développée pour constituer un domaine scientifique en voie d’émergence
qui prend appui sur quatre problématiques principales d’après le bilan qu’en
dresse en 1977 D. Nimmo8 : la propagande, les études électorales, les effets
de la communication de masse ainsi que les relations entre la presse,
l’opinion et les autorités publiques. On voit à quel point, dans la perspective
comportementaliste, la question des effets de la communication est centrale.
Les études de propagande jouent un rôle fondamental dans les débuts
de la recherche en communication politique, rôle que l’on a tendance
aujourd’hui à oublier. La propagande peut être considérée comme une
modalité de la communication persuasive qui, en général, n’implique pas
de dialogue entre la source et la cible et vise à conformer les
représentations, attitudes et conduites des propagandés aux préférences
des propagandistes. Même si la pratique en est bien antérieure, le
développement d’expériences massives de propagande au début du
e
XX siècle, avec la Première Guerre mondiale et la révolution bolchévique
de 1917, attire l’attention des chercheurs et constitue l’une des origines
des études modernes sur la communication politique. Dès 1927, Lasswell
publie un ouvrage sur les techniques de propagande pendant la Première
Guerre mondiale. Il la définit comme le management des attitudes
collectives par la manipulation des symboles, un point de vue assez
proche de certaines définitions actuelles de la communication politique.
Dans les années 1930 a été créé aux États-Unis l’Institute for
Propaganda Analysis qui a mis en évidence des procédés classiques qui
gardent, semble-t-il, un caractère opérationnel dans les pratiques de
désinformation : « name calling, glittering generalities, transfer,
testimonial, plain folks appeals, card stacking, band wagon appeals ». En
1946, Lasswell publie avec Casey « Propaganda, Communication and
Public Opinion » et il porte une attention croissante au rôle des symboles
en politique puisqu’il a monté avec Lerner et de Sola Pool tout un projet
de recherche centré sur ce thème, le Radir Project (The Comparative
Study of Symbols, 1952). Ceci l’a conduit aussi à étudier de façon
empirique le rôle du langage en politique (Language of Politics : Studies
in Quantitative Semantics, 1949) et à analyser la presse d’élite (The
Prestige Papers, 1952). Dans le même temps, les psychosociologues de
Yale travaillent sous la direction de Carl Hovland sur les mécanismes de
la persuasion et la composition des messages impressifs. L’autre domaine
majeur où s’actualise la conception behavioriste de la communication
centrée sur la notion de transmission et sur la problématique des effets est
incontestablement la recherche électorale.
C’est à partir de 1940 que Lazarsfeld et ses collègues du Bureau of
Applied Social Research de Columbia donnent leur essor aux enquêtes
systématiques sur l’influence de la communication durant les campagnes
électorales. Dans les années 1950 et 1960 se multiplient les études sur les
effets de la communication de masse au moment où celle-ci se généralise.
Les sociologues tendent à considérer que les médias ont des effets limités
sur leurs publics tandis que les psychosociologues recherchent les
mécanismes effecteurs de l’influence et du changement d’attitude. Pour
résumer les principales étapes de l’étude des effets de la communication
électorale, trois générations de modèles peuvent être distinguées. Dès
l’origine des études de communication politique, est mis en œuvre le
schéma stimulus-réponse d’abord appliqué à la propagande puis aux
campagnes électorales. Ce schéma linéaire est associé à l’hypothèse des
effets directs sur une cible rendue possible par la croyance dans
l’uniformité des réactions humaines. Le modèle de l’être humain est
fondé sur sa nature réputée irrationnelle et dominée par les instincts.
C’est parce que les êtres humains sont essentiellement irrationnels qu’ils
vont tous réagir de façon uniforme aux messages de propagande qu’on
leur administre. Or, à partir des années 1940, les résultats empiriques
infirment cette hypothèse en montrant que les individus réagissent
différemment à la communication électorale selon leurs caractéristiques
sociales (modèle de Columbia) ou leurs attitudes politiques (paradigme
de Michigan). Ces facteurs à long terme font obstacle aux effets directs
de la communication électorale qu’ils filtrent, n’autorisant que des effets
limités. Il n’en demeure pas moins que l’électeur est encore conçu en
situation passive de destinataire qui n’émet en retour qu’un vote reflet de
sa position sociale (Columbia) ou un vote réflexe commandé par son
identification partisane (Michigan).
Ce bloc de représentations est ébranlé par le modèle de l’audience
active de R. Bauer9. La diversité des usages des médias et des
motivations qui les commandent atteste la sélectivité et donc l’activité
dans les choix opérés par le public à l’égard de la communication
politique. Dans le même temps, se renforce l’idée que l’électeur peut se
déterminer à plus court terme non plus mécaniquement à partir de sa
position sociale ou de ses prédispositions politiques, mais en fonction de
sa perception de la situation politique et de l’offre électorale. La
recherche empirique des années 1970 est encore dominée par le modèle
factoriel de Lasswell avec son schéma linéaire et son obsession des
effets. On l’observe bien à la façon dont sont découpés et regroupés les
problèmes. Le domaine de la communication politique concerne alors les
problèmes posés par les communicateurs, les langages politiques et la
persuasion, les canaux, les types de public et leur comportement ainsi que
les effets de la communication. Exemplaire de cette approche est
l’ouvrage de L.L. Kaid (2004), Handbook of Political Communication
Research, dont les principaux chapitres concernent les théories, les
messages politiques, la couverture informationnelle, l’opinion publique,
la recherche internationale et l’internet.

L’approche structuro-fonctionnaliste
Cette approche modifie la définition de la communication politique en
l’inscrivant dans le contexte de la société comme ensemble de systèmes en
relations. La communication politique consiste alors en l’ensemble des
processus interactifs entre les éléments d’un système politique et entre ce
système et son environnement. Qu’il s’agisse de l’analyse cybernétique de
Deutsch en 1963, de l’analyse fonctionnaliste d’Almond et Coleman en
1960 ou de l’analyse systémique d’Easton en 1965, la logique d’ensemble
est identique. Système, échange, équilibre sont ici les concepts clés. Ils
remplacent les facteurs, la transmission et l’effet qui avaient ce statut dans
l’approche comportementale originelle. Les différents systèmes qui
composent la société (systèmes politique, économique, culturel, etc.)
s’échangent des informations. On est dans une logique de circulation de
l’information à travers des flux qui assurent l’adaptation de chaque système
à son environnement. Les définitions qui en résultent situent le politique
comme secondaire. La communication politique est pour R. Fagen une
« activité de communication qui est politique en raison de ses
conséquences, actuelles ou potentielles, sur le fonctionnement du système
politique » (1966). Pour Deutsch, la communication n’a pas d’existence
propre et c’est toute la politique qu’il faut analyser en termes de
communication car « diriger est avant tout une affaire de communication ».
On est alors en présence d’une utilisation métaphorique de la
communication qui sert de modèle pour décrire les phénomènes politiques.
Des flux d’information sont filtrés par des écrans pour aboutir à des
décisions. L’efficacité du système est conditionnée par quatre facteurs : le
poids de l’information, le temps de latence nécessaire au système pour
réagir, le gain réalisé par chaque opération corrective et le déplacement de
la cible de communication. Pour Almond, la communication est l’élément
dynamique du système politique dont dépendent les autres processus tels
que la socialisation, le recrutement, la participation. C’est la communication
qui permet l’effectivité des autres fonctions de conversion du système
comme l’articulation et l’agrégation des intérêts. Chez Easton, enfin, la
communication n’est pas présentée comme un concept central mais tout son
modèle repose sur la même logique d’échange d’informations entre le
système et son environnement. Les demandes et les soutiens qui entrent
dans le système politique sont transformés en décisions et reviennent agir
sur l’environnement par le mécanisme du feedback. On a vu que l’approche
structuro-fonctionnaliste est inspirée par une conception holiste du
politique. Ceci n’a pas empêché des analyses appliquées à des systèmes de
taille plus restreinte que la société globale. L’illustrent l’analyse du
gouvernement comme réseau, du lobbying comme processus de
communication et l’analyse des partis politiques comme systèmes et agents
de communication. La question du développement politique a suscité une
quantité importante de travaux recourant au concept de communication
(Badie)10 compris en termes empiriques ou fonctionnalistes. Elle a donné
lieu à des recherches sur les relations entre les institutions et les organes de
communication, le développement des réseaux et le rôle des médias comme
agents du changement social. La communication y est présentée comme une
variable explicative du niveau de participation politique au même titre que
l’éducation ou l’urbanisation. Pour Pye, entre autres, elle est un facteur de
développement politique. C’est aussi l’analyse de Galnoor (1982) qui, en
disciple de Deutsch, définit le développement politique comme la
« construction de l’infrastructure de communication permettant d’atteindre
chaque membre de la société. » Le développement est démocratique quand
il « renforce l’influence des membres sur le pilotage du système politique
par inclusion et participation dans le réseau de communication. »

L’approche interactionniste
L’approche interactionniste de la communication politique s’impose dès
qu’on admet que la communication est une forme d’interaction. Elle
présente deux courants qui se distinguent notamment par le statut inverse
qu’ils accordent à la dimension symbolique et à la dimension pragmatique
de la communication. Pour l’interactionnisme stratégique, la
communication n’est pas limitée à l’utilisation de signes codés puisque tout
comportement est communication. La dramaturgie de Goffman est à un
point de jonction entre les formes stratégique et symbolique de
l’interactionnisme qui s’applique aux situations de face à face et plus
généralement aux rencontres sociales.
Contrairement à l’approche systémique, l’approche stratégique revient
au point de vue d’un acteur qui doit affronter des adversaires et prendre
des décisions marquées par l’interdépendance. De par sa nature
instrumentale, la communication politique se présente comme une action
stratégique. Au-delà des signes, messages et codes qu’elle utilise et qui
constituent sa dimension symbolique, au-delà des canaux et réseaux qui
révèlent sa dimension structurelle, il faut considérer sa dimension
pragmatique qui est déterminante. Lemieux11 préconise une praxéologie
de la communication pour caractériser l’utilisation des messages et des
échanges qui est commandée par les préférences de l’émetteur et la
stratégie qu’il suit. Autrement dit, le pouvoir, défini comme la capacité
de rendre ses préférences efficaces, utilise les symboles, messages et
codes, les canaux et réseaux comme des ressources. La communication
politique est une structure de jeu qui régit un ensemble de moyens de
pouvoir que sont les biens, les insignes, les droits, les soutiens et les
connaissances. Elle peut donc être vue comme « un jeu de relations de
pouvoir dont les ressources et les enjeux sont des moyens matériels,
symboliques, informationnels, juridiques ou encore humains ». Cette
approche inscrit l’analyse de la communication politique dans la
perspective de l’interaction stratégique. Une telle interaction est
caractérisée par la « séquence estimation par les protagonistes de leur
situation, décision (choix d’une ligne d’action), mise en œuvre de cette
ligne d’action puis rétribution (résultat) » (Dobry12).
À l’évidence, les campagnes électorales sont des situations
exemplaires d’interdépendance stratégique. La conception, la mise en
œuvre et la correction des stratégies de communication jouent sur de
multiples ressources : discours, information, publicité, rumeurs, avec
lesquelles les candidats essayent de jouer des coups directs ou indirects à
un rythme accéléré par le jeu propre des médias. Les protagonistes
interprètent toute initiative, geste et parole pour s’informer des
agissements de l’adversaire, anticiper ses coups et évoluer en maximisant
ou optimisant ses chances de succès dans une situation en perpétuelle
construction. Le jeu se tend ou se relâche selon que les coups portent
directement ou bien sont médiatisés par des agences d’exécution. Les
situations de crise et de scandale constituent également des conjonctures
où l’observation des stratégies de communication présente un intérêt
particulier.
Face au courant de l’interactionnisme stratégique, l’interactionnisme
symbolique, qui s’inspire de G.H. Mead (Mind, Self and Society, 1934),
est l’étude des relations entre le soi et la société, considérées comme un
processus de communication symbolique entre les acteurs sociaux. Il
tend à concevoir la société comme émergeant de l’infinité des
transactions sociales. L’interaction symbolique est « l’activité dans
laquelle les êtres humains interprètent leurs comportements réciproques
et agissent sur la base des significations conférées par cette
interprétation » (Blumer, 1969). De Goodman (Ways of Wordmaking,
1978) à Bourdieu (1987) la « genèse sociale des schèmes de perception,
de pensée et d’action » est un élément important du constructivisme. En
communication politique, Edelman (1988) illustre l’émergence de cette
approche (Swanson, 1981). Cette perspective déplace l’accent mis par la
recherche sur les processus d’interprétation et d’une manière plus
générale sur « la construction sociale de la réalité » pour reprendre le
titre de l’ouvrage de sociologie de la connaissance donné par Berger et
Luckmann (1966).
Cette approche est au confluent de différentes sources d’inspiration et
de recherche. Toute la tradition des études sur les effets montre que
l’individu socialement situé ou isolé est actif dans le processus de
communication notamment dans son travail d’attribution du sens au
message politique. La recherche d’inspiration cognitiviste, par ailleurs,
s’efforce de mettre en lumière les schèmes mobilisés par l’individu dans
son traitement de l’information. La construction de la réalité politique,
avec ses mécanismes de réification et d’institutionnalisation du sens,
s’effectue par la communication. Sous toutes ses formes, (information,
argumentation, narration, illustration, etc.) s’élaborent et se diffusent les
typifications (Schütz), les définitions de la situation (Thomas),
l’étiquetage (Becker) qui vont orienter les schèmes de perception
politique. Les principaux courants qui placent la communication
politique dans un cadre interprétatif sont donc l’interactionnisme
symbolique, l’ethnométhodologie, le dramatisme et le narrativisme
(Swanson, Nimmo, 1990). Alors que l’interactionnisme symbolique voit
l’attribution du sens comme le résultat des transactions sociales, le
symbolisme ou dramatisme y voit davantage la mobilisation de structures
de signification profondes d’origine culturelle comme les mythes. Au-
delà du dramatisme de Burke et Goffman, la théorie de la convergence
symbolique de Bormann (1985), par exemple, s’attache à comprendre
comment des représentations fantasmatiques collectives se dégagent, se
solidifient et s’imposent. Le « storytelling », entendu comme stratégie de
communication fondée sur la puissance du récit, est fortement influencé
par cette conception. L’analyse de la communication politique en termes
de récit à laquelle incite le narrativisme semble d’ailleurs prometteuse
bien que peu pratiquée. Elle permet de confronter les « histoires » que
racontent les acteurs politiques pour forger ou consolider des identités
collectives y compris la leur à travers leur présentation d’eux-mêmes.
Elle permet aussi d’observer le travail des médias d’information dans
leur « mise en intrigue » (P. Ricœur) de la vie politique quotidienne et de
faire des hypothèses sur les effets de récit dont J.-P. Faye a montré la
puissance dans les Langages Totalitaires.
L’étude des stratégies de communication montre, au total, que se
rejoignent dans le domaine politique les mécanismes symboliques et
stratégiques de l’interaction dans les « manipulations de l’impression
politique » (Hall, 1972) : « Conquiert le pouvoir, le contrôle des autres,
celui qui arrive à faire accepter par autrui ses vues et perspectives. Il y
arrive en contrôlant, en influençant et en soutenant sa propre définition
de la situation, puisque faire partager sa propre réalité par autrui, c’est le
conduire à agir dans le sens que l’on prescrit ». Les deux méthodes
principales de manipulation de l’impression relèvent de la
communication politique. Le contrôle du flux d’information par des
procédures telles que la rétention, le secret, la routinisation, le débit, etc.,
règle la nature et le rythme de la communication. La mobilisation
symbolique des soutiens concerne les pratiques publiques de persuasion
par des spectacles. Plus précisément, c’est l’emploi de symboles verbaux
et non verbaux dans le spectacle pour renforcer ou maintenir la position
politique des acteurs.

L’approche dialogique
Cette dernière approche présente ce point commun avec la précédente
qu’elle est centrée sur une conception intersubjective de la communication
(interactionnisme symbolique) et une conception praxéologique de la
communication (interactionnisme stratégique). Le modèle dialogique repose
sur l’idée que la légitimité réside dans le consensus obtenu par discussion.
Louis Quéré en résume bien le contenu en décrivant l’espace public
« comme un espace de discussion, c’est-à-dire un lieu de formation des
consensus sur des questions pratiques ou politiques, par une confrontation
publique d’arguments »13. Ce modèle prolonge une tradition philosophique
qui remonte à Aristote et qu’on a caractérisée plus haut par la
consubstantialité du politique et du communicationnel. C’est par le discours
que les hommes peuvent établir des points communs entre des opinions
contradictoires et délibèrent c’est-à-dire qu’ils parviennent à une décision
grâce à une discussion argumentée. L’espace public résulte de
l’interlocution des citoyens qui accomplissent leur liberté dans la
participation aux affaires publiques. Dans « Droit et démocratie », qui date
de 1992 dans sa version originale, Habermas oppose l’espace public
successivement à une institution, à une organisation et à un système. Pour
signifier qu’il « échappe aux concepts traditionnels de l’ordre social », il
affirme que « L’espace public se décrit le mieux comme un réseau
permettant de communiquer des contenus et des prises de position, et donc
des opinions ». Après qu’Hannah Arendt (Condition de l’homme moderne)
a dénoncé le dépérissement de l’espace public, J. Habermas (1962) se livre
à une reconstruction historique du principe de publicité sous ses formes
hellénique, féodale, bourgeoise et sa désintégration dans la technicisation de
l’activité politique. « S’assurer l’assentiment plébiscitaire d’un public
vassalisé », c’est l’objectif de la publicité manipulée qui dévoie la
communication en spectacle. Or, toujours selon Habermas, « La libération
de la communication c’est la discussion publique sans entraves et exempte
de domination ». Le retentissement considérable de cet ouvrage, malgré sa
traduction tardive tant en français qu’en anglais, n’a pas toutefois empêché
toutes réflexions critiques (Neveu, 1995) ni les redéploiements du concept
(François et al. 1999).
Effectuant ce que certains ont nommé son « tournant linguistique »,
Habermas (1981) est amené à développer une théorie de la compétence
communicationnelle présentée comme une pragmatique universelle. Sont
selon lui à distinguer deux types d’actions sociales : celles qui sont
orientées vers l’intercompréhension (l’agir communicationnel) et celles
qui sont orientées vers le succès (l’agir stratégique). L’agir stratégique est
mis en œuvre de façon ouverte ou dissimulé. Dans ce cas, il s’agit soit
d’une manipulation définie comme illusion consciemment engendrée,
soit d’une communication systématiquement déformée où l’illusion est
inconsciemment produite. Dans l’agir communicationnel, au contraire,
« les participants ne sont pas primordialement orientés vers le succès
propre ; ils poursuivent leurs objectifs individuels avec la condition qu’ils
puissent accorder mutuellement leurs plans d’action sur le fondement de
définitions communes des situations ». L’intercompréhension présuppose
des universaux constitutifs du dialogue qui sont la prétention à
l’intelligibilité, la prétention à la vérité, la prétention à la sincérité et la
prétention au respect des normes de la situation de communication. Le
consensus vrai est rendu possible par le respect de cette pragmatique
universelle qui correspond à une situation de communication idéale.
Idéale, la situation l’est aussi par son caractère de dialogue symétrique,
c’est-à-dire que chaque interlocuteur a la même chance de produire des
actes de paroles conformes à ces universaux. Cette situation de
communication est donc exempte de domination et permet de penser les
conditions d’exercice public de la raison dans une démocratie où seule
triomphe la « force du meilleur argument ». Mueller (1973) a appliqué de
façon convaincante à l’analyse comparée cette conception de la
communication politique définie comme « discussion des problèmes,
enjeux et idées d’intérêt public ». Dans cette logique, il s’est penché sur
les formes historiques prises par la distorsion de la communication
conceptualisée par Habermas et qui consiste en entraves à la discussion
politique. Le langage y est analysé comme un facteur décisif du contrôle
social et de la légitimation qui s’actualise sous trois types : la
communication dirigée qui est plus spécifique des régimes totalitaires, la
communication empêchée qui correspond aux situations d’inégale
distribution des ressources de communication, et la communication
publique qui est détournée lorsque les élites la mettent au service du
maintien de la structure du pouvoir et la réduisent à une fonction de
maintenance symbolique du système comme M. Edelman la décrit aussi
lorsqu’il traite de la réassurance symbolique.
On constate au terme de cette confrontation des principaux modèles
théoriques disponibles que le clivage le plus fort réside dans l’opposition
des modèles comportementaliste et structuro-fonctionnaliste d’une part
constructiviste et dialogique d’autre part. Les premiers travaillent à partir
d’une conception de la communication vue avant tout comme
transmission et circulation d’informations. Les seconds font droit à la
signification et sa construction conjointe dans l’interaction sociale pour
faire émerger un monde commun positif ou normatif.

1. GERSTLÉ J., 2003, « Introduction : démocratie, représentative, réactivité politique et


imputabilité », in Revue Française de Science Politique, vol. 53(6), pp. 851-858.
2. GERSTLÉ J., 1987, « La communication et la dualité public/privé », in Revue Française de
Science Politique, vol. 37(5), pp. 659-674.
3. GERSTLÉ J., 1981, « Eristique électorale », pp. 450-474, in COTTERET J.-M., GERSTLÉ J.,
AYACHE G., CASILE N., 1981, « Démocratie cathodique. L’élection présidentielle à la télévision »,
Les Cahiers de la Communication, vol. 1(4-5).
4. TREMBLAY G., 1981, « Technologie de communication, démocratisation et régionalisation »,
pp. 3-17, in Les Cahiers de la Communication, (1).
5. COLEMAN J., S., 1990, Foundations of Social Theory, Cambridge, Mass, Harvard University
Press.
6. PUTNAM R., 1993, Making Democracy Work : Civic Tradition in Modern Italy, Princeton
University Press.
7. GERSTLÉ J., 2003, « Réseaux de communication, réseaux sociaux et réseaux politiques », in
MUSSO P. (dir.), Critique des réseaux, PUF.
8. NIMMO D., 1977, “Political Communication. Theory and Research: an overview”, in Ruben
B.D. (dir.), Communication Yearbook I, New Brunswick Transaction Books, pp. 441-452.
9. BAUER R., 1964, “The obstinate audience: The influence process from the point of view of
social communication”, American Psychologist, vol. 19(5), pp. 319-328.
10. BADIE B., 1988, Le Développement politique, Economica.
11. LEMIEUX V., 1970, « Le jeu de la communication politique », Revue Canadienne de Science
Politique, (3).
12. DOBRY M., 1986, Sociologie des crises politiques, Presses de la FNSP.
13. QUERE L., 1992, « De la théorie politique à la métathéorie sociologique », pp. 75-92, in
Quaderni (18).
Chapitre 2

Un espace public « modernisé »

LA COMMUNICATION POLITIQUE a toujours présenté une dimension technique.


Dans l’antiquité grecque, la rhétorique en était la manifestation principale,
qui permettait l’utilisation stratégique du discours à des fins de persuasion.
Mais l’une des caractéristiques essentielles du XXe siècle pour de nombreux
sociologues consiste dans la révolution des médias et l’émergence d’une
« société de communication » où la dimension technique tend à déterminer
de nouvelles pratiques. Ainsi, de nouvelles techniques de communication
politique se développent à partir des années 1950 aux États-Unis
notamment. C’est, en effet, en 1952 qu’apparaissent, par exemple, les
premiers spots publicitaires télévisés dans la campagne présidentielle
d’Eisenhower. Publicité politique et télévision y sont jumelles car la
première apparaît quand l’ensemble du territoire national est couvert par la
seconde. De même, c’est à partir de la campagne présidentielle de 1960 que
se généralise le recours aux sondages. L’implantation des techniques est un
peu plus tardive en France. L’importation en France du marketing politique
est ainsi réputée se faire en 1965 à l’occasion de l’élection présidentielle
sans déboucher sur une généralisation irrésistible. Cette réputation est
l’enjeu de luttes entre « experts » qui tentent par des récits concurrents de
légitimer leur compétence et d’asseoir leur domination comme l’ont montré
les travaux de Jean-Baptiste Legavre1 sur les professionnels de la
communication politique nationale et locale.
Si la technique des sondages est bien établie dans l’hexagone, la
publicité politique y est fortement limitée puisqu’elle a vu réduit ses
conditions de mise en œuvre par l’adoption d’un dispositif législatif sur
le financement et la moralisation des activités politiques. Par ailleurs,
l’équipement audiovisuel des ménages s’améliore rapidement comme le
montre, par exemple, la progression du parc des téléviseurs en France.
On comptait 125 000 récepteurs en 1955, 988 000 en 1959, 3.4 millions
en 1963 et 7,4 millions en 1967. En 1973, 79 % des ménages sont
équipés de téléviseurs (14,5 millions) et en 1988 le taux dépasse 94 %
avec 28 millions d’appareils. L’essor des moyens audiovisuels de la
communication de masse change les conditions de fonctionnement de la
communication politique et facilite l’application des nouvelles
technologies politiques. À titre comparatif, on notera cependant que la
moitié des foyers américains disposent déjà d’un téléviseur au début des
années 1950, contre 10 % en Grande-Bretagne et en France et 5 % en
Allemagne occidentale. Pour comparer cette fois l’utilisation politique,
R. Dalton (2013) avance que 51 % de l’électorat américain se sert de la
télévision comme source d’information dès 1952 et que cette utilisation
atteint 90 % dès 1960. Alors qu’en Allemagne de l’ouest, il faut attendre
1961 pour voir 50 % du public avoir le même comportement et 1974
pour que les 90 % soient atteints. Les profils comparables en Grande-
Bretagne et en France expliquent en large partie pourquoi la recherche
américaine a été confrontée beaucoup plus tôt que la recherche
européenne aux problèmes posés par l’impact social et politique de la
télévision.
L’analyse de la modernisation de l’espace public politique nous
conduira à envisager successivement quatre aspects centraux dans cette
évolution : la médiatisation de la vie politique, les techniques de
rationalisation de la vie politique telles le marketing politique, les
sondages et études qualitatives, puis la publicité et les menaces qu’elle
fait peser sur l’espace public.

La médiatisation de la vie politique


On entend de plus en plus fréquemment affirmer que les médias jouent un
rôle croissant dans la vie politique aussi bien interne qu’internationale. Non
seulement les professionnels de la politique accordent une attention
soutenue à la préparation de leurs stratégies médiatiques, mais encore les
gouvernés acquièrent l’essentiel de leur information grâce aux médias, ceux
de l’audiovisuel étant considérés comme plus crédibles. Mais qu’entendre
ici par média ? Dans la théorie générale de la communication, le terme
désigne tout moyen de communication, naturel ou technique, qui autorise la
transmission d’un message. Dans le langage courant, le terme renvoie plus
restrictivement à une situation caractérisée par la domination des moyens de
diffusion collective qui permettent d’atteindre des publics vastes,
hétérogènes et anonymes. Si bien que lorsqu’on parle des médias sans autre
spécification, c’est aux médias de masse que le discours se réfère et non pas
aux autres canaux reconnus de la communication politique que sont les
organisations ou les relations interpersonnelles. Dès lors, les médias
d’information sont principalement la télévision, l’internet, la radio et la
presse écrite. Mais il ne faut pas oublier les réseaux câblés et les satellites
qui concernent la télédiffusion et la télécommunication. Aux États-Unis, les
réseaux de télévision câblés concurrencent de plus en plus les grandes
chaînes nationales et peuvent redonner un certain souffle à la
communication locale ou à l’expression des particularismes, avec l’essor
des chaînes locales, bien plus important qu’en France2. Par la précision de
la cible touchée, ces chaînes locales facilitent l’intercession des relais
d’opinion locaux chargés de décoder et recoder le message politique pour
l’adapter aux exigences d’une situation particulière. Les réseaux câblés
peuvent aussi être servis grâce à des satellites de télédiffusion qui
permettent aux candidats d’être doués d’ubiquité et ainsi de réduire ces
déplacements coûteux en temps et argent dont les « airport stops »
américains sont la manifestation quasi-rituelle. La téléconférence combine
ainsi le câble et le satellite pour faciliter les contacts et échanges. Les
télécommunications renforcent les ressources du candidat qui s’affranchit à
la fois des contraintes de l’espace et du filtre des médias d’information. De
même, la distribution de vidéocassettes, de CD ou DVD essayait déjà de
profiter du succès du magnétoscope et des lecteurs pour atteindre des
citoyens submergés par le papier. Plus généralement, les perfectionnements
en matière de télédiffusion, télécommunication, d’informatique et de
technologies audio et vidéo mais aussi les possibilités offertes par leur
couplage ont des applications ou des répercussions sur les pratiques
politiques. Le rôle émergent reconnu aux médias dans la société se présente
donc comme une conséquence des révolutions technologiques relatives
avant tout aux médias électroniques qui tend à rendre obsolètes les formes
plus traditionnelles de la communication politique. Les sociologues utilisent
diverses expressions pour décrire les mutations sociales liées à cette
modernisation : révolution des médias, révolution de l’information,
révolution technétronique, société de communication, société
informationnelle, société digitale, société télématique, société numérique,
etc.

Le mythe de la société de l’information


Quels que soient leurs mérites respectifs, ces expressions recouvrent des
thèmes communs qui structurent le discours mi-descriptif, mi-prospectif et
mi-normatif sur la société d’information et de communication. Ils
s’organisent autour de trois axes : la quantité des messages en circulation, la
qualité du contenu et la restructuration des relations sociales. Tout d’abord,
le thème de l’explosion de l’information est un leitmotiv que l’on retrouve,
par exemple, chez A. Toffler sous le label « infosphère de la troisième
vague » ou chez A. Moles (Théorie structurale de la communication et de
la société, 1986) avec le concept d’opulence communicationnelle. La
transmission instantanée d’informations à distance fait éclater le temps et
l’espace, ce qui ne peut manquer de se répercuter sur les conduites
politiques. Non seulement, il est possible de faire circuler l’information à
très grande vitesse d’un bout à l’autre de la planète et ainsi de s’affranchir
des contraintes territoriales, mais encore il est possible de dilater la
mémoire sociale grâce à de très grandes capacités de conservation de
l’information comme les banques de données et le « big data ». Ensuite, le
thème du partage de la connaissance et de la culture permet d’assigner une
vocation égalisatrice à la technique. Pour J. Naisbitt, par exemple, les
technologies de la communication permettent un « partage instantané de
l’information ». Le même optimisme pousse certains à soutenir que la
diversification culturelle est facilitée par la multiplication des médias.
Toffler parle, à ce propos, d’une « société d’hyperchoix ». Que la
technologie conduise inéluctablement à la déstandardisation de la culture
est une hypothèse insoutenable pour ceux qui pensent, au contraire, que
l’industrialisation de la culture génère de la « barbarie stylisée » selon les
termes d’Adorno. Enfin, on avance l’idée que la société pourrait être
resserrée grâce à la médiation technologique. Dans le secteur des
télécommunications, la publicité exploite beaucoup cet argument comme
l’illustra en 1979-1980 le slogan des PTT « Les hommes qui relient les
hommes » ou plus récemment, en 2015, le slogan d’Orange « Vous
rapprocher de l’essentiel ».
D’une part, en effet, la communication devient de plus en plus
interactive en offrant une possible alternance dans les rôles de
communication et en se rapprochant de la forme conversationnelle de la
communication sociale ordinaire. D’autre part, la pratique de la
communication étant de moins en moins unidirectionnelle, l’organisation
hiérarchique va se trouver concurrencée par la multiplication des réseaux
où l’information s’échange et les contacts sont facilités. On voit donc que
ce qui est ici en cause n’est rien moins que l’organisation sociale globale
avec l’anticipation du passage d’une société pyramidale à une société
réticulaire fondée sur des groupes ouverts, adaptatifs et évolutifs où se
développe la capacité d’auto-organisation. On constate combien ces trois
axes renvoient à un questionnement plus directement politique.
L’explosion de l’information appelle la question du partage de la
connaissance et de l’accès à cette ressource de pouvoir.
L’industrialisation de la culture repose la question de la distinction
élite/masse et de la menace de standardisation et d’uniformisation. La
dissémination de l’information et l’autonomie croissante des membres du
réseau social sollicitent la réflexion sur les mécanismes de la décision et
du centre politique. Si l’on quitte maintenant les anticipations pour
examiner les conséquences plus immédiates de la révolution médiatique
sur les conduites politiques, on observe des transformations indéniables
tant chez les gouvernants que chez les gouvernés et dans le
fonctionnement de l’espace public.
L’effectivité des innovations
La médiatisation est un processus de transformation au sens multiple (Esser,
2014). Elle affecte le travail des gouvernants et leur conduite des affaires
notamment en accentuant le souci de visibiliser leur action et ses
prolongements en termes de popularité. Invité à s’exprimer sur la puissance
médiatique à la fin des années 19803, Michel Rocard, à partir de son
expérience de ministre de l’Agriculture, évaluait ainsi à 70 % le temps
qu’un responsable en fonction consacre à la communication. Dans son livre
de 1987, Le Coeur à l’Ouvrage, il analyse les contraintes qui pèsent sur le
système d’information : la transparence, condition de la démocratie ;
l’instantanéité, techniquement possible, qui pousse à la recherche du scoop
et aux effets d’annonce ; la redondance, qui tient à la diffusion collective de
l’information et à sa reproduction circulaire par surveillance mutuelle des
médias entre eux ; enfin la symbolisation de l’information en termes de
dramatisation et de spectacularisation. La combinaison de ces contraintes
présente trois risques principaux pour l’action politique. Tout d’abord, la
vitesse de circulation de l’information et son caractère éphémère
encouragent plutôt chez le décideur le souci du court terme. Ensuite, les
exigences de la communication pour rendre visible et légitime l’action des
gouvernants supplantent les impératifs de gestion, par définition moins
spectaculaires. Enfin, s’accroît la difficulté du politique à prendre des
mesures impopulaires : « On ne peut prendre une mesure impopulaire, que
l’on croit nécessaire, qu’à la condition d’espérer balancer son impopularité
électorale avec l’enregistrement des résultats positifs qu’elle va produire. »
En 2004, Michel Rocard confirmait un jugement très sévère sur la
responsabilité des médias : « Il y a quelque chose de terrifiant dans la
différence entre la réalité de la société et des enjeux politiques et les
simplifications produites par les médias »4.
La médiatisation affecte aussi les conditions de recrutement du
personnel politique. Aux États-Unis, par exemple, où le processus est
plus avancé, les médias jouent un rôle de filtre important dans la
sélection des candidats aux postes électifs. Ceci présente l’avantage de
faciliter l’accès à l’exercice de responsabilités politiques en réduisant le
contrôle des organisations partisanes. Ils peuvent ainsi donner une
notoriété à des hommes nouveaux dans le circuit politique (comme
Barack Obama, quasiment inconnu au plan national avant les primaires
démocrates de 2008). Mais l’inconvénient serait de voir les médias
remplir de façon dominante cette fonction politique de « screening
committee » pour laquelle ils n’ont pas de légitimité. Dans la course à
l’élection présidentielle, le temps des primaires est marqué par les
stratégies des candidats peu connus, ou pas du tout, qui cherchent à
gagner de la notoriété grâce aux médias et donc du poids sur le marché
politique. Ici se pose très concrètement le lien avec le problème du
financement des activités politiques. Pour faire surface (« surfacing »)
sur le marché électoral, c’est-à-dire être considéré comme un candidat
crédible, il est en effet nécessaire d’être médiatiquement visible. Or, le
temps d’antenne pour la publicité électorale télévisée s’achetant, la
visibilité devient une fonction des moyens financiers. Dans les autres
phases de la campagne, la relation entre média et financement ne se
dément pas car l’efficacité de la collecte des fonds et de la mobilisation
dépend aussi de l’intensité des efforts publicitaires du candidat et de la
couverture de sa campagne par les journalistes. Il n’est donc pas
surprenant de voir s’élaborer, depuis 1988 en France bien que la publicité
électorale y soit interdite, une réglementation des rapports entre la
politique et l’argent. La montée des coûts de la communication politique
atteste bien la pression exercée par la médiatisation sur le déroulement de
la vie politique. De même, la médiatisation a poussé à une
institutionnalisation de la communication politique avec la création
depuis 1976 d’une structure de communication gouvernementale, le SID
(devenu SIG en 1996) et depuis 1982 d’une instance de régulation de la
communication audiovisuelle. Succédant en 1989 à la Haute Autorité de
la Communication Audiovisuelle puis à la Commission Nationale de la
Communication et des Libertés, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel est
chargé d’assurer la régulation de la communication audiovisuelle dans
l’indépendance à l’égard du pouvoir dans un paysage audiovisuel
travaillé par la logique de l’ouverture au privé. Il a pour mission de
veiller, entre autres, à l’expression pluraliste des courants de pensée et
d’opinion et à l’honnêteté de l’information. C’est assez dire combien le
traitement de l’information est devenu un point sensible de la
communication politique
Le processus de publicité « moderne »
La multiplication des médias et l’accélération de la circulation de
l’information pourraient constituer un facteur de démocratisation de la vie
politique en facilitant la transparence de l’action des gouvernants et l’accès
du plus grand nombre de citoyens à la connaissance des affaires publiques.
Encore faudrait-il que le travail de fabrication de l’information soit inspiré
par ces préoccupations. Les recherches portent une attention croissante à
l’information des médias comme mode de construction de la réalité
politique, notamment la construction de l’agenda politique, c’est-à-dire
l’ensemble des enjeux et problèmes perçus comme appelant un débat public
et éventuellement une décision qui s’impose à tous. Ces travaux montrent
que les médias ne sont pas seulement des miroirs reflétant les problèmes
que se pose une collectivité mais des filtres qui facilitent ou entravent leur
carrière politique jusqu’au stade de la décision publique. La focalisation
médiatique sur certains enjeux serait un facteur de sélection et de
reconnaissance par le public des enjeux prioritaires du moment. Dès lors, si
les médias d’information contribuent à la formation de l’agenda politique,
la qualité de l’information devient un point névralgique. Or, certains biais
de l’information médiatisée sont bien analysés tels que la personnalisation,
la dramatisation, la fragmentation et la normalisation pour utiliser les
catégories de L. Bennett (1988). Qu’est-ce à dire ? Premièrement, la presse
convertit aisément les problèmes collectifs en affrontements personnalisés :
par exemple, l’élection présidentielle de 1995 a été « métamorphosée » en
brouille entre les « amis de trente ans » J. Chirac et E. Balladur.
Deuxièmement, les journalistes reconnaîtront plus facilement une valeur
d’information (newsworthiness) à un fait spectaculaire dès lors consacré en
événement au détriment de situations problématiques mais sans attrait pour
l’audience avant qu’elles n’atteignent un stade critique. C’est ce que l’on
dénonce dans l’info-spectacle, l’infotainment, voire la tabloïdisation de
l’information par référence aux journaux anglais qui ont une prédilection
pour le scandale. Troisièmement, la presse, notamment audiovisuelle,
soumise à des fortes contraintes de temps, est poussée à atrophier les sujets
en unités d’information juxtaposées mais souvent sans lien intelligible.
Quatrièmement, la presse a tendance à insister sur la capacité du système
politique à permettre le retour à l’ordre social et donc à légitimer la
structure du pouvoir. Empiriquement, il suffit de constater dans
l’information la surreprésentation des autorités publiques comme
« premiers définisseurs » des situations pour parler comme Stuart Hall et
ses collaborateurs5. Mais il serait incomplet de ramener la construction
médiatique de la réalité politique aux informations stricto sensu. En effet,
les médias proposent aussi des contenus prioritairement culturels et de
divertissement mais qui véhiculent de façon plus ou moins implicite des
contenus politiques. De même que l’information se scénarise, se dramatise,
se spectacularise, la fiction transmet des symboles, des valeurs, des modèles
de comportement, des schèmes de perception qui pèsent sur la façon dont
on se représente la réalité politique. C’est particulièrement évident pour les
caricatures et dessins de la presse écrite et pour des émissions satiriques du
type « Guignols de l’info » ou leur ancêtre le « Bébête Show » dont l’objet
est précisément la dérision du politique (Collovald6). Les fictions elles aussi
portent des messages politiques en ce sens qu’elles offrent des modèles de
comportement, des normes de régulation, des situations sociales
problématiques dont les scénarios permettent d’intégrer ou d’exclure, de
« distinguer » ou de stigmatiser des caractères sociaux, d’informer ou de
désinformer (Bon, 1991 ; Darras, et al., 1998 ; Gamson, 2001 ; Graber,
2012).
Qu’en est-il enfin du pouvoir des médias tels que se le représentent les
différents acteurs en cause ? Il faut ici distinguer les réponses possibles
selon la position des intéressés. Les acteurs politiques ont tendance à
considérer que le pouvoir médiatique est aujourd’hui une réalité avec
laquelle il faut compter et à laquelle il faut s’adapter. Leurs stratégies
intègrent de plus en plus le schème « médiacratique », d’ailleurs parfois
naïvement si l’on contraste les efforts dépensés et la difficulté
d’évaluation d’un résultat pratique. Les médiateurs, si l’on entend par là
le groupe large de tous ceux qui peuvent jouer un rôle dans la conception,
la diffusion des messages politiques contrôlés et dans le traitement
journalistique de l’information, constituent un deuxième pôle
d’observation. De plus en plus professionnalisés pour les premiers
(publicité, marketing politiques et relations publiques) et « vedettisés »
pour les seconds, tout au moins dans l’audiovisuel, ces groupes
apparaissent comme collectivement et mutuellement intéressés par la
promotion de la croyance dans le pouvoir de leur champ de compétences.
Ils apparaissent ainsi comme des auxiliaires du jeu politique auquel ils
peuvent participer par le secret, par la proximité du pouvoir ou même en
acquérant une notoriété qu’ils cherchent à convertir en position politique.
Notons que les citoyens gardent globalement leur confiance aux médias
comme source d’information crédible mais regrettent les excès de la
médiatisation de la vie politique notamment ses conséquences quant au
renforcement du rôle de l’argent en politique. Les transformations
évoquées concernant les pratiques, les institutions et les représentations
modifient les conditions de fonctionnement de l’espace public entendu
comme milieu et processus de formation de l’agenda politique et des
opinions qui s’y rapportent. L’intrusion croissante des médias dans la vie
politique façonne un espace public « modernisé ». Pour un spécialiste
reconnu comme J. Blumler, l’intrusion croissante des médias dans la vie
politique est en train de modeler un nouvel espace public marqué par le
« processus de publicité moderne ». Il consiste, comme on l’a indiqué
plus haut, en une compétition pour influencer et contrôler ce que le
public perçoit des événements et enjeux politiques à travers les
principaux médias de masse. Les nouvelles formes de cette compétition
seraient caractérisées par l’attention grandissante des acteurs politiques à
leurs stratégies médiatiques, la professionnalisation (Negrine et al., 2007)
du secteur de la communication politique, l’intensification de la
concurrence entre les professionnels de la politique et les journalistes et
leur pouvoir de définir les situations, le malaise croissant des journalistes
devant leur rôle de communicateurs politiques. De même, la proportion
croissante de messages négatifs échangés, par exemple dans la publicité
télévisée américaine, pourrait être considérée comme le signe de la
transformation d’une communication politique qui perd sa dimension de
critique rationnelle au profit d’une négativité outrancière et qui affaiblit
la crédibilité du politique dans son ensemble. Les campagnes électorales,
moment décisif de la démocratie représentative où se révèlent plus
nettement les traits saillants de la communication politique, illustrent
l’effectivité de ces processus et des effets d’interaction entre les
différents médias et leurs usages publicitaires et informationnels pour
construire la réalité politique. La médiatisation de la vie politique reste
cependant inégale selon les systèmes et cultures et le déterminisme
technologique rencontre ici la résistance des pratiques, des forces, des
réseaux et des représentations qui sont à l’œuvre dans un espace politique
consistant (Pfetsch, 2004). De plus, la médiatisation de la vie politique
est très dépendante du type d’interactions qui se nouent entre les médias
et le système politique. À cet égard, Hallin et al. (2004) ont mis au jour
trois systèmes de relations étiquetés comme étant le modèle libéral
d’inspiration anglo-saxonne, le modèle du pluralisme polarisé répandu
dans les pays du sud de l’Europe et le modèle corporatiste démocratique
de l’Europe centrale et du nord. Ils s’appuient à cette fin sur quatre
critères essentiels : l’émergence d’une presse de masse, l’implication de
l’État, le degré de « parallélisme politique » et le degré de
professionnalisation du système des médias.

Figure 2.1 – Pourcentage d’utilisateurs de chaque


média pour l’acquisition d’information
dans les campagnes présidentielles américaines
de 1952 à 2000
(Source : ANES, 1952-2000)

Revenons sur le cas de la médiatisation de l’espace politique américain tel


que la traduisent les réponses aux enquêtes d’opinion concernant
l’utilisation des médias comme sources d’information au cours des
campagnes présidentielles. Les données recueillies par l’American National
Election Study exhibent (Figure 2.1) le pourcentage d’individus qui
déclarent utiliser la télévision, la radio, les quotidiens et les magazines
entre 1952 et 2000. La télévision s’installe rapidement dans presque tous les
foyers au cours des années 1960. 1952 est la première élection
présidentielle au cours de laquelle on considère que la télévision joue un
rôle important. En 1956, l’équipement en téléviseur a doublé et il semble,
qu’en termes d’utilisation au moins, on atteigne aux alentours de 1960 le
point de saturation. Comparativement, il faut attendre sans doute la fin des
années 1970 en France pour trouver des taux d’équipement et des
comportements d’information comparables (Bourdon, 1994 ; Blumler et
al. ; 1978). Selon l’Insee, les années 60 voient le taux d’équipement passer
de 13 % à 70 % et il faut attendre l’élection présidentielle de 1974 pour
atteindre 82 %. Les observations antérieures de R. Dalton (2013) sont ici
recoupées. La télévision américaine conserve sa position largement
dominante avec un fléchissement en 1996 imputé à la facile réélection de
Bill Clinton qui génère peu de suspense. On voit également sur la figure 2.2
le fort déclin des quotidiens depuis la fin des années 1980 et dans le même
temps la résurgence de la radio qui sont dus principalement à la « talk
radio » et à la mobilisation d’auditeurs conservateurs et anti-establishment.
Pour prolonger la série, le PEW Research Center publie en septembre 2012
des résultats qui révèlent notamment quels médias les américains interrogés
ont utilisé pour s’informer la veille de l’enquête.

Figure 2.2 – Évolution des sources d’information


des Américains de 1991 à 2012
(Information digitale = information en ligne et applications
smartphone + informations sur les réseaux sociaux + email +
podcasts)
(Source : Pew Research Center for the People and the
Press ; Trends in news consumption 1991-2012)

Le paysage médiatique semble largement bousculé par l’arrivée d’internet.


Si la télévision résiste bien, la presse écrite et la radio affichent un repli très
net au profit de l’information en ligne et d’origine digitale. Ajoutons
qu’entre 2004 et 2008, le pourcentage de ceux qui déclarent recevoir
d’internet leurs informations sur la campagne électorale a fortement
augmenté. À titre comparatif, le tableau 2.1 ci-dessous indique le
pourcentage d’utilisateurs hebdomadaires déclarés de différentes sources
d’information tel que l’a enregistré l’enquête World Value Survey (vague
2006-2008) dans quatre pays occidentaux.
Tableau 2.1 – Utilisation des sources d’information aux États-
Unis,
en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne (en %)

USA Grande-Bretagne France Allemagne


Infos radio/télé 87 93 95 96
Conversations 82 83 77 87
Internet 67 49 37 48
Journaux 64 72 62 85
Magazines 44 48 48 51
Livres 32 42 33 37

Les techniques de rationalisation


de la compétition politique
Marketing, sondages, télévision et publicité ont partie liée dans l’entreprise
de rationalisation des pratiques politiques sans toutefois que leur degré de
professionnalisation soit identique.

Le marketing politique
Le marketing politique constitue une technique de rationalisation des
prétendants au pouvoir et, comme les sondages d’opinion, il se réclame
d’une démarche scientifique dans l’élaboration des stratégies d’influence. Il
consiste en l’application des techniques de marketing par les organisations
politiques et les pouvoirs publics pour susciter le soutien concentré ou
diffus de groupes sociaux ciblés. Il est fondé sur le postulat que les
comportements des consommateurs et les comportements des citoyens sont
justiciables d’analyses voisines. La logique du marketing est marquée par
une représentation de la société comme somme de segments dont il est utile
de connaître les traits distinctifs (socio-démographiques, culturels,
politiques, etc.) pour apprécier leurs demandes. L’applicabilité du
marketing à la politique est principalement passée par le marketing électoral
et constitue sa forme la plus avancée. Il s’agit d’assister l’offre électorale
dans ses efforts de conformation de la demande politique ou d’ajustement à
la demande. Les deux procédés fondamentaux sur lesquels peut, en effet,
jouer le marketing consistent à « vendre » un produit en persuadant la cible
de ses qualités ou à changer le produit pour l’adapter aux attentes du
groupe-cible. On reconnaît en général trois niveaux dans cette démarche
comme le fait G. Mauser (1983). L’analyse de la situation politique indique
l’état des forces en compétition, leurs ressources et leurs faiblesses
respectives, c’est-à-dire une évaluation des entreprises sur le marché en
termes électoraux, organisationnels et symboliques. Elle permet de définir
ensuite une stratégie de campagne, notamment dominée par le choix d’un
positionnement et d’une communication stratégiques. La conduite de la
campagne, enfin, pose des problèmes de mise en place et de fonctionnement
de l’organisation, de collecte des fonds et de gestion de l’agenda du
candidat et des opérations de communication. Cette représentation est
affinée par Kotler (1999) lui-même, autorité reconnue du marketing
commercial. Cartographiant le marketing du candidat, Kotler distingue dans
la première étape de Mauser premièrement la recherche sur les paramètres
de l’environnement (état de l’économie, humeur de l’électorat,
préoccupations centrales de l’électorat, sociographie de l’électorat, forme
des organisations partisanes, disposition au changement ou au
renouvellement des sortants, niveau de participation). Deuxièmement, il
suggère de procéder aux analyses consacrées à l’évaluation interne et
externe des forces : le candidat est sortant ou challenger ; opportunités pour
les enjeux de campagne ; atouts et faiblesses comparées des candidats et de
leurs organisations de campagne. Ensuite vient le temps du marketing
stratégique avec ses trois composantes caractéristiques : la segmentation des
électeurs (selon différentes variables sociodémographiques et politiques
traditionnelles), le ciblage (c’est-à-dire le choix des segments stratégiques)
et le positionnement (essentiellement l’image du candidat par opposition à
celle son concurrent). La quatrième phase est constituée par la
détermination des buts et la stratégie de campagne où le positionnement est
précisé en termes de style et d’attributs personnels à souligner dans la
construction de l’image, en termes de formation et de qualifications. Sont
alors choisis les messages définissant la « philosophie » politique du
candidat ainsi que les enjeux et solutions préconisées. La communication, la
distribution et le plan d’organisation constituent la cinquième phase. Il
s’agit alors de fixer le « campaign mix » qui répartira les efforts entre la
« vente au détail » et la « vente en gros » pour paraphraser le marketing
commercial : c’est la gestion des déplacements, la publicité, le choix des
médias, des messages, des formats, mais aussi des soutiens. L’organisation
concerne tous les acteurs impliqués dans la campagne : depuis les
collecteurs de fonds jusqu’aux volontaires et militants en passant par les
sondeurs, les spécialistes des médias et de la publicité, les membres des
partis et des groupes d’intérêts associés. La phase ultime consiste à
atteindre les objectifs fixés s’agissant des « marchés du candidat » c’est-à-
dire ceux qui vont contribuer financièrement, les électeurs et tous ceux qui
peuvent devenir des prosélytes. Comme on le voit à l’issue de ce tableau du
marketing politique du candidat, parler de rationalisation des pratiques n’est
pas une expression illusoire, au moins dans la théorie. C’est bien ce que
montre Th. Vedel (2007) dans son analyse des stratégies des candidats à
l’élection présidentielle en France.
Les méthodes du marketing politique font donc appel à la sociologie
électorale, aux sondages d’intention de vote et d’opinion, aux entretiens
qualitatifs individuels ou de groupe. En effet, « les conseils en
communication politique mesurent l’opinion publique, fabriquent les
messages publicitaires, ciblent les électeurs potentiels, lèvent les fonds,
écrivent les blogs et maintiennent les sites web, s’occupent de
l’“opposition research” » à en croire D. Johnson (2009). Les analyses
statistiques de données de type descriptif comme les analyses factorielles
et typologiques, l’analyse des similarités et préférences et aussi de type
explicatif comme la segmentation ou l’analyse conjointe (« trade-off »)
sont souvent combinées avec des modèles de simulation pour assister la
décision stratégique. Les sondages électoraux sont ici un outil privilégié
d’analyse des intentions de vote (Marc et al., 2007). Ils rendent, en effet,
possible l’identification des cibles stratégiques. Les analyses statistiques
multidimensionnelles servent à connaître les perceptions et préférences
des citoyens et les modèles mathématiques contribuent à identifier et
évaluer les opportunités stratégiques qui permettent aux concurrents de se
positionner sur le marché électoral.
Le positionnement du candidat est, selon Lindon (1988), un sous-
ensemble de son image, composé de traits saillants et distinctifs qui
permettent de le situer par rapport à ses concurrents Cette
« représentation simplifiée » peut être stratégiquement maîtrisée par le
candidat s’il tient compte des besoins et attentes des électeurs lorsqu’il
articule ses orientations politiques et les qualités personnelles privilégiées
dans sa communication de campagne. La combinaison efficace doit
associer simplicité, attrait, crédibilité et originalité. Il nous paraît plus
juste de requalifier ces exigences pour mieux les préciser. Le
positionnement doit premièrement être lisible, c’est-à-dire à la fois
perceptible dans le brouhaha de la campagne et intelligible pour les
citoyens. Il doit, deuxièmement, être adéquat aux préférences et/ou
préoccupations des citoyens : ces deux types de considérations n’étant
pas équivalentes et posant des problèmes théoriques et stratégiques
différents. Une préoccupation peut être éphémère et plus facilement
inspirées par les médias et les professionnels de la politique. Néanmoins,
il semble que même les préférences collectives de politique publique (et
pas seulement les préférences partisanes) soient aujourd’hui plus
aisément contrôlées par le politique7. On voit que l’adéquation du
positionnement peut facilement devenir formatage des préférences et
donc « réactivité simulée » des candidats aux attentes des électeurs dans
la mesure où c’est bien de ces derniers que procède la demande révélée.
Le positionnement doit, troisièmement, être crédible, c’est-à-dire offrir
une représentation simplifiée qui soit compatible avec l’image
mémorisée par le citoyen. La mémoire concerne ici beaucoup de
considérations : aussi bien de nature personnelle comme la personnalité
et son ajustement à la fonction, le capital politique du candidat, sa
carrière, son projet politique et sa garantie par son action antérieure.
C’est la question de l’« issue ownership » qui est ici notamment en cause
(cf. chapitre 4). Les formations politiques ont des réputations par rapport
aux enjeux politiques. En France, les forces de droite semblent plus
crédibles lorsqu’elles parlent de la liberté de l’entreprise, de lutte contre
la pression fiscale ou de l’insécurité et celles qui se revendiquent de
gauche quand elles insistent sur la protection sociale et la défense de la
fonction publique, par exemple.
Enfin, il paraît judicieux pour un candidat ou une liste de présenter un
profil discriminant, c’est-à-dire identifier l’offre électorale comme
singulière par rapport à ses concurrents. Le choix du positionnement est
éclairé par l’étude de l’image effective du candidat, des préoccupations et
aspirations de l’électorat et du positionnement de ses concurrents. Dans
la démarche marketing, la stratégie de communication consiste alors à
identifier les cibles prioritaires, fixer le contenu des messages et mettre
au point un plan média. Ainsi, Lindon et Weill dans Le Choix d’un
Député, publié en 1974, ont proposé de distinguer parmi les électeurs, les
segments critiques, composés d’électeurs fragiles ou potentiels, le noyau
des électeurs acquis à une candidature et les électeurs lointains c’est-à-
dire ceux qui sont acquis à l’adversaire. L’électorat présente donc des
zones rigides et des zones plus malléables. À l’automne 1987, on a
estimé que la volatilité potentielle de l’électorat présentait les mêmes
proportions à gauche et à droite et qu’elle concernait près d’un Français
sur deux (Grunberg et al.8). De plus, les sondages permettent de
connaître le profil sociologique des électorats potentiels de chaque
candidat et les thèmes qui assurent la spécificité et la crédibilité de leur
positionnement politique aussi bien que personnel. De même, en 1988,
les conseillers de Bush identifient les Reagan-democrats comme
constituant le segment critique de l’élection présidentielle. En mai, ils
réunissent à Paramus, New Jersey, deux groupes de démocrates, électeurs
du Républicain Reagan en 1984, qui soutiennent aujourd’hui le nouveau
candidat démocrate. Parmi les enseignements retirés de l’analyse de ces
« focus groups » émergent, notamment, les enjeux-clés de l’élection pour
ce segment critique. C’est autour d’eux que G. Bush va articuler sa
communication durant la phase finale de sa campagne et notamment sa
publicité négative pour disqualifier son concurrent, le démocrate
M. Dukakis : la défense nationale, la fiscalité, le serment au drapeau, la
peine de mort, les permissions aux détenus, la lutte contre la drogue. Ces
thèmes ont été tout particulièrement exploités dans la campagne
publicitaire à la télévision9.
Les médias utilisés dans le marketing commercial sont ouverts au
marketing politique sous certaines conditions réglementaires variables
selon les pays. La part du lion revient aux supports de la communication
de masse avec accès payant ou gratuit c’est-à-dire à l’affichage, à la
presse écrite, à la radio et à la télévision avec des variantes nationales
dues aux particularités des systèmes de médias. Tandis que démarchage
direct, réunions et meetings mettent en œuvre une communication face à
face, le marketing téléphonique (« phoning »), le publipostage
(« mailing ») et le « fundraising » par internet permettent une
communication plus personnalisée mais à distance pour promouvoir un
message ou collecter des fonds. D’une manière générale, on considère
que les techniques de marketing direct prennent un essor considérable.
Elles correspondent mieux aux exigences d’adéquation aux cibles et sont
plus adaptées à la collecte des fonds qui devient d’autant plus importante
que la politique se technicise et se professionnalise. Leur principe est
qu’une communication adressée à une cible précise est plus efficace
qu’une communication anonyme telle qu’elle est autorisée par les médias
de masse. Green et Gerber (2008) ont bien montré l’efficacité du contact
personnel et du « direct mail » contrairement aux appels téléphoniques
automatisés. En France, Liégey et al. (2013) appliquent les principes du
« Get Out The Vote » et développent la pratique du porte à porte. Le
démarchage par correspondance et le télémarketing constituent les deux
outils privilégiés du marketing direct en politique avec aujourd’hui le
renfort du marketing direct par e-mail. Le télémarketing permet en
particulier de recueillir des fonds et/ou des réactions qui sont traitées par
ordinateur et alimentent les banques de données. De plus les sites
officiels des candidats et les publicités internet permettent de segmenter
les messages de façon très pointue pour faciliter le « micro-targeting »
(Issenberg, 2012).
On voit le lien qui existe entre les différentes techniques : téléphone,
automatisation des appels personnalisés, banque de données, démarchage
par correspondance, technologies digitales du « citizen-campaigner » de
Gibson10 et les effets induits par leur couplage sur l’acquisition de
connaissances relatives aux segments d’électeurs, sur la circulation de
l’information électorale et sur les incitations à agir – s’inscrire, se réunir,
contribuer, voter, etc. Mais les techniques de marketing direct reposent
sur l’accès à des fichiers nominatifs où sont identifiés des électeurs et
leurs caractères discriminants. Ceci pose le problème délicat des fichiers
commerciaux dont l’utilisation politique était interdite en France depuis
une délibération de la Commission Nationale Informatique et Libertés en
1985. Depuis 2006 la Cnil admet que « seuls les fichiers loués ou cédés à
des fins de prospection commerciale peuvent être utilisés par un candidat,
un élu ou un parti politique à des fins de communication politique ». Il
faut noter que contrairement aux médias de masse qui favorisent une
uniformisation du message politique, ces techniques, comme d’ailleurs le
recours à l’internet, peuvent exercer un effet d’affirmation d’opinions très
tranchées en rapport à des positions économiques, sociales et politiques
particulières puisqu’elles correspondent à des cibles concentrées
(Godwin, 1988). Le discours peut devenir plus manichéen et émotionnel
puisqu’il est non contradictoire en présentant des menaces qui sont
présumées peser sur des intérêts ou des situations particulières, en
identifiant l’organisation qui mobilise et en incitant à un comportement
de soutien. La technique peut aussi engendrer une fermeture du débat
politique sur quelques ou un seul enjeu prioritaire et ainsi favoriser la
mobilisation par les « single-issue groups » plutôt que par les partis. Quoi
qu’il en soit, il suffit de comparer deux ouvrages publiés à seize ans
d’intervalle pour apprécier l’évolution du domaine (Mauser, 1983 ;
Newman, 1999). De même, le périodique américain traditionnel
« Campaigns and Elections » se trouve aujourd’hui concurrencé par le
« Journal of Political Marketing » d’allure plus académique. « Winning
Elections » de R. Faucheux (2003) réunit en un volume un ensemble de
recettes pratiques publiées dans « Campaigns and Elections » très
caractéristique de la professionnalisation de la communication électorale
américaine.

Les sondages d’opinion et les études


qualitatives
On l’a vérifié à plusieurs reprises, les sondages s’intègrent au marketing
politique sans que cela signifie pour autant qu’ils se confondent avec lui.
Leur convergence tient à leur commune logique de segmentation de la
société et des opinions qui en émanent. Les sondages sont donc des outils
du marketing politique même s’il est abusif de les réduire à cela,
notamment lorsque l’observation scientifique s’inscrit dans la durée à partir
du travail sur des séries chronologiques longues. Dans le contexte
américain, on a estimé à 900 % la croissance du recours aux enquêtes
d’intention de vote entre 1984 et 2000. On connaît les formes classiques
d’enquête que sont les sondages instantanés (« benchmark polls ») opposés
aux sondages par panel qui permettent de suivre l’évolution des attitudes
d’un groupe constant d’individus. Bien avant le début de la campagne, on
procède à des enquêtes de faisabilité. Il s’agit de repérer les opportunités
électorales qui s’offrent aux challengers potentiels en identifiant les sortants
du parti adverse en position fragile et les thèmes susceptibles d’accroître
leur vulnérabilité. Les gros sondages instantanés sont davantage utilisés en
début de campagne pour estimer l’état des forces en présence et les
positionnements politiques et personnels.
Depuis les années 1980, les « tracking polls » ou « rolling polls » sont
davantage utilisés pour assurer le suivi des dispositions de l’électorat à
court terme. L’échantillon d’environ 500 personnes est tiré au hasard sur
l’ensemble du territoire. Les questions posées par téléphone chaque soir
portent sur les derniers développements de la campagne et les intentions
de vote. Au fur et à mesure du déroulement de la campagne, on élimine
les anciens résultats pour tenir à jour des moyennes mobiles. On obtient
ainsi une indication de tendance générale et on enregistre des fluctuations
plus immédiates qui expriment la sensibilité des sondés à certains
événements de campagne. Ces sondages sont également utilisés au
niveau local. L’échantillon quotidien est alors réduit à 50 ou
100 personnes. Pour obtenir une mesure fiable, on regroupe les résultats
obtenus pendant plusieurs jours consécutifs11. Ces sondages autorisent
des ajustements très rapides des stratégies de communication et
notamment aux États-Unis l’élaboration, la production et la diffusion de
spots télévisés pour répondre à une attaque de l’adversaire sous forme de
publicité souvent négative ou pour réagir à un évènement imprévu.
Sondages, achat d’espace et publicité sont associés par les « pollsters »,
« media advisors » et « campaign managers » pour piloter à vue. Le
rythme des échanges s’en trouve accéléré puisque les temps de latence
dans les séquences de communication sont réduits.
Une autre technique a pris un essor important depuis 1980 pour les
campagnes de tout niveau : les « focus groups ». Un petit groupe de 10
électeurs environ est rassemblé sous la conduite d’un « facilitator » pour
discuter de la campagne et des candidats. Le groupe est composé
d’individus qui présentent tous certains attributs communs de nature
sociodémographique, culturelle ou politique. Le contenu des échanges
révèle des représentations, des interprétations de la situation politique qui
sont mises en rapport avec le profil du groupe et peuvent inspirer des
axes ou des thèmes de communication. Les exemples donnés plus haut
concernant la campagne de G. Bush en 1988 et celle de T. Blair en 1997
illustrent l’intérêt de cette technique pour déterminer le contenu des
messages destinés à des segments de l’électorat considérés comme
critiques. C’est aussi à partir de 1980 qu’est employée par les
Républicains et les Démocrates la méthode de mesure des réactions
spontanées d’un auditoire au message électoral. Le « dial testing » ou
« médiascopie » en français est une méthode de mesure en temps réel des
réactions spontanées d’adhésion des téléspectateurs au cours d’une
émission de télévision. Elle fournit une évaluation immédiate des
propositions du discours qui suscitent l’adhésion et la réprobation ainsi
que l’intensité de ces réactions. La limite, outre les discussions appelées
par la taille et la composition de l’échantillon (même s’il est désormais
possible de recourir à cette méthode sur de vastes échantillons grâce aux
« Access Panels »12), réside précisément dans le caractère immédiat du
jugement enregistré alors que les réactions qui vont alimenter le débat
public ne sont pas prises en considération. En effet, on sait combien sont
puissants les effets a posteriori13 des prises de position des autres
professionnels de la politique via le « spin control » et des commentaires
des journalistes. De multiples exemples, en France, pourraient être
évoqués depuis les commentaires sur les débats télévisés pour en
désigner le vainqueur jusqu’au « retournement d’évaluation du Plan
Juppé de 1995 »14. L’expression de « spin control » désigne le processus
par lequel les gouvernants, à différents niveaux de responsabilité et avec
l’aide d’auxiliaires spécialisés (« spin doctors »), peuvent contrôler le
contenu, la forme et les effets de l’information diffusée dans le système
des médias afin que par leur propre dynamique ces effets touchent les
groupes-cibles visés ou l’ensemble des citoyens. On a du mal à distinguer
entre « spin doctors » et « image makers », dans la mesure où s’appuyant
sur des vecteurs différents (l’information ou bien la communication
contrôlée), ils sont inspirés par le même objectif : l’élaboration de
l’image de l’acteur politique. Une littérature très développée en Grande-
Bretagne et aux États-Unis sur le sujet laisse penser que ces pratiques se
sont largement implantées sous les gouvernements britanniques
conservateurs depuis M. Thatcher jusqu’aux travaillistes de T. Blair et
dans les administrations américaines depuis R. Nixon (Maltese, 1992 ;
Kavanagh, Seldon, 1999 ; Kumar, 2007). Le « spin doctoring » n’a pas
(encore) atteint en France la visibilité qu’il connaît dans d’autres
systèmes politiques représentatifs. Pour s’en convaincre on se reportera à
l’article d’Esser et al. (2001) qui sous le terme de « spin doctors » (voir
chap. 6) mettent pourtant une grande variété d’intervenants dans la
campagne : « 1) Consultants politiques professionnels tels que les
consacrent les États-Unis, 2) experts en médias et relations publiques
payés pour leur connaissances du marketing et des médias mais sont
dénués de connaissances politiques et 3) les professionnels de la politique
partisane qui ont acquis une expérience particulière des campagnes ».
Dans l’hexagone, le développement de la pratique des sondages
politiques a été beaucoup plus spectaculaire (Bréchon et al., 2013). À
s’en tenir à un inventaire brut de leur usage dans les campagnes
présidentielles de la Ve République, on dénombre 14 enquêtes publiées
en 1965, 19 en 1969, 24 en 1974 (alors que ces deux dernières
campagnes sont impromptues consécutivement à la démission du général
de Gaulle et au décès de G. Pompidou). C’est alors qu’est adoptée la loi
du 19 juillet 1977 qui s’applique à « tout sondage d’opinion ayant un
rapport direct ou indirect avec un référendum, une élection présidentielle
ou l’une des élections réglementées par le code électoral ainsi qu’avec
l’élection des représentants à l’Assemblée des Communautés
Européennes. » Des garanties de fiabilité technique et de transparence
sont requises et une Commission des Sondages est instituée pour veiller
au respect des règles déontologiques dans ce domaine. Cette autorité
administrative indépendante dispose en ce sens de pouvoirs
d’investigation et de rectification. Mais surtout la loi prévoit que
« pendant la semaine qui précède chaque tour de scrutin, ainsi que
pendant le déroulement de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que
ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage ».
L’interdiction concerne tous les médias lors des élections présidentielles,
européennes, référendaires et toutes celles qui sont régies par le Code
électoral. Malgré cette interdiction, il est à remarquer que la réalisation
de sondages reste possible si la connaissance des résultats n’est pas
rendue publique. Enfin, l’interdiction n’empêche pas les opérations
« estimations » électorales qui sont organisées par les instituts de
sondages et les médias dont les résultats sont diffusés entre la fermeture
des derniers bureaux de vote et la proclamation officielle des résultats du
scrutin. Quel fut l’effet de cette interdiction ?
Dès la présidentielle de 1981, la Commission des Sondages enregistre
111 enquêtes. En 1988, lors de la campagne pour l’élection présidentielle,
on a assisté à une prolifération des sondages qui s’est manifestée par une
augmentation de 40 %. En effet, entre janvier et mai 1988, la
Commission a enregistré et contrôlé 153 sondages15. À titre de
comparaison, on note que lors des élections municipales de 1989 le total
de sondages atteint 112. Ce chiffre est certainement en dessous de la
vérité car beaucoup de sondages sont demeurés ignorés de la
Commission car il ne faut pas confondre sondage réalisé et sondage
diffusé. Certains n’ont pas été portés à la connaissance du public car ils
étaient destinés à l’information exclusive des candidats, des partis ou des
autorités publiques. Lors de l’élection présidentielle de 1988, l’immense
majorité de ces sondages portaient sur des intentions de vote et non sur
les enjeux considérés comme prioritaires par les candidats ou l’opinion
publique. On doit s’interroger sur les usages sociaux du sondage
d’opinion, et spécialement sur sa capacité à influencer en retour l’opinion
publique voire de la formater complètement. L’influence virtuelle des
sondages sur l’électeur passe par l’examen des conditions de leur
publication. À titre d’illustration, l’analyse des journaux télévisés
américains et français durant les présidentielles de 1988 (Gerstlé et al.,
1992) fait bien voir l’attention nettement plus soutenue de la chaîne
française TF1 par rapport à ses homologues américaines CBS, ABC,
NBC s’agissant des sondages. Ceci confirme le succès en France des
sondages politiques et leur contribution à la transformation de l’espace
public par le biais de leur visibilité médiatique. En 1995, 157 enquêtes
sont enregistrées. En 2002, suite à un arrêt de la Cour européenne des
Droits de l’Homme, considérant l’interdiction de publication comme
contraire au principe de la liberté de la presse, une nouvelle législation
autorise la publication, la diffusion et le commentaire des sondages
jusqu’au vendredi à minuit précédant un scrutin dominical. On compte
193 sondages entre le 1er avril 2001 et le 5 mai 2002. En 2007, on passe à
293 sondages effectués entre la fin 2005 et le 6 mai 2007. Enfin, au soir
du second tour de la présidentielle de 2012, un nouveau record était
enregistré avec 409 enquêtes dont 375 pour le premier tour (Bréchon et
al. 2013). Ce développement spectaculaire s’est néanmoins accompagné
d’une « dévitalisation de la teneur démocratique des sondages dans les
perceptions des Français »16. La critique des sondages s’est nourrie à la
fois d’arguments théoriques soulevés depuis longtemps (Galtung in
Padioleau, 1981), notamment en France par P. Bourdieu (1973), et de
défaillances pratiques plus récentes. Leur légitimité et leur méthodologie
sont donc sources de très nombreuses interrogations dont on trouve un
écho synthétique dans A. Garrigou et al., (2011) ; N. Hubé et al., (2008) ;
G. Grunberg, et al., (2002).
L’utilisation d’internet dans le cadre des sondages suscite également
beaucoup d’intérêt17. Pour des raisons de moindre coût, la quasi-totalité
des sondages politiques et d’opinion auprès d’échantillons nationaux est
en effet désormais réalisée en ligne auprès d’« Access Panels »
(généralisés en politique depuis 2013 en France). Ces derniers sont
constitués d’individus ayant accepté de répondre régulièrement à des
questionnaires, sur invitation par courrier électronique et en échange de
points-cadeaux.
Au total, le marketing politique surévalue probablement la plasticité
des images politiques et la labilité des citoyens. Il postule, en effet, que
les représentations attachées aux hommes et aux forces politiques sont
aisément modifiables et que la mémoire collective ou individuelle est
facilement prise en défaut. Il semble, au contraire, que le capital politique
des acteurs soit beaucoup plus illiquide pour reprendre l’expression de
S.C. Kolm18. À s’en tenir à l’expérience française, la campagne de J.
Chaban-Delmas en 1974 ou de J. Chirac en 1988 tendraient à étayer
l’argument qu’il est difficile de métamorphoser une image politique. Si
donc le marketing n’est pas une technologie politique infaillible, il ne
faut pas pour autant occulter ses effets sociaux réels. Parmi les
conséquences certaines du marketing politique restent la
professionnalisation des auxiliaires non partisans du jeu politique et le
renchérissement des coûts de l’activité politique impliqué par le recours à
cette expertise. Sur le premier point, il est très éclairant de confronter les
deux versions successives du « Que-Sais-Je ? » intitulé
Le Marketing politique : la première de D. David et al. en 1978 et la
seconde de M. Bongrand en 1986, ce dernier ayant su comme J. Séguéla,
ou J. Pilhan19 par la suite, mettre en scène et publiciser une figure
particulière du consultant politique, le dernier conseillant successivement
François Mitterrand puis Jacques Chirac et dont la carrière a été analysée
par F. Bazin (2011)20. Une véritable industrie politique s’est développée
aux États-Unis principalement, qui fonctionne à la division du travail
politique et contribue à sa marchandisation (Bennett, 1992). Le
développement de cette industrie politique nécessite un travail de
légitimation sociale qui se heurte à un dilemme majeur : comment
convaincre en même temps les candidats-clients potentiels que le
marketing politique est efficace et les citoyens-cibles qu’il ne comporte
pas de risque de manipulation, c’est-à-dire qu’il ne l’est pas ? On attend
encore la réponse.

La publicité politique et ses menaces


La publicité pourrait être considérée comme l’essence même de la
communication politique dans la mesure où pour reprendre les termes de G.
Lagneau (Sociologie de la Publicité) « le concept de publicité désigne
moins une chose qu’un mouvement qui va du privé au public ». Mais
conçue comme technique transposée de l’univers économique, elle reçoit
une signification restrictive éloignée du principe philosophique et des
modèles historiques de construction et de fonctionnement de l’espace public
au sens de Habermas.

La communication contrôlée à coûts


croissants
La publicité politique est une communication contrôlée par un acteur
politique individuel ou collectif et caractérisée par une diffusion payante.
Qui l’utilise ? L’État est une puissance publicitaire qui entre en action à
l’occasion des campagnes gouvernementales ou ministérielles analysées
dans la seconde partie. Les organisations politiques ont, elles aussi, un
recours croissant à ces techniques en conjoncture électorale ou non. Si les
dépenses publicitaires à caractère politique sont encadrées par la loi en
France, ce qui n’a toutefois pas empêché des contournements, la croissance
de ces dépenses est importante à l’étranger. La dimension économique de la
publicité politique est aisément vérifiable lorsqu’on examine les budgets
publicitaires des acteurs institutionnels et politiques. Ainsi, les budgets de
campagne électorale aux États-Unis font apparaître une croissance
spectaculaire. En 1980, Carter et Reagan ont consacré plus de la moitié de
leurs dépenses de campagne à la publicité électorale à travers les médias.
En 1988, chaque candidat recevant 46 millions de dollars de crédit fédéral
pour financer sa campagne, Bush et Dukakis ont dépensé un total de
65 millions de dollars uniquement en publicité télévisée auxquels il faut
ajouter 14 millions dépensés par leur parti respectif. La régulation
américaine du financement élaborée en 1974 a été contournée, notamment à
partir de 1996, par l’addition des publicités orchestrées par les coalitions de
cause, la coordination des groupes d’intérêt et du « soft money » pour
pratiquement réduire à néant les plafonnements de dépenses. G.W. Bush
atteint des records historiques en commençant sa collecte de fonds dès
janvier 1998 et recueille 94,5 millions de dollars contre 66 millions pour
l’ensemble de ses rivaux à l’exclusion de Buchanan. En février 2000, sa
campagne lui coûte 400 000 dollars par jour. En 2008 le développement
d’internet comme mode de collecte de fonds combiné au rejet du système
public de financement par B. Obama explique comment ce dernier a pu
dépenser 700 millions de dollars (deux fois plus que G.W. Bush et J. Kerry
séparément en 2004 et deux fois plus que Bush et Gore réunis en 2000). Six
milliards de dollars ont été dépensés dans la campagne de 2012, la plus
chère de l’histoire, et 3,3 milliards ont été dépensés en publicité politique
exclusivement contre 2,5 milliards en 2008. Et c’est tout le système
politique qui est concerné par l’impact de l’argent sur le choix des
gouvernants. En 2012, on a pu noter une relation inverse forte entre le
niveau des dépenses électorales d’un challenger et le succès d’un candidat
sortant à la chambre des représentants. En d’autres termes, il y a une
relation évidente entre le niveau de dépenses et le résultat d’un candidat et
comme l’observe A. François21 on constate « un effet dépressif sur la
mobilisation électorale des plafonds de dépense ».
L’évolution britannique va dans le même sens. La publicité représente
approximativement 70 % des dépenses de campagne engagées par les
conservateurs au niveau national lors des élections générales de 1983 et
1987. Mais on observe aussi des pratiques préférentielles selon les
cultures. L’univers américain est ainsi le paradis (ou l’enfer) de la
publicité télévisée qui reste souvent prohibée ou associée à de la
communication sur financement public dans l’univers européen. C’est en
France qu’on a eu le plus recours, semble-t-il, à l’affichage politique
jusqu’en 1988 mais c’est la presse écrite qui se taille la part du lion des
dépenses publicitaires au Royaume-Uni. En 1987, les conservateurs lui
consacrent 71 % du budget publicitaire et les travaillistes 85 %, le solde
allant à l’affichage. En France, la loi du 15 janvier 1990 plafonne les
dépenses de campagnes et limite le recours aux formes les plus coûteuses
de publicité. Les émissions publicitaires à caractère politique sont
définitivement interdites à la radio et à la télévision. De plus, déjà au
cours de la pré-campagne, est interdite l’utilisation à des fins de
propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale dans la
presse écrite ou par tout moyen de communication audiovisuelle. Enfin,
pendant les six mois qui précèdent des élections générales, « aucune
campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion
d’une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités
intéressées par le scrutin ». Cela signifie, par exemple, que les ressources
publiques comme le mobilier urbain, notamment, ne pourront servir la
promotion électorale d’une équipe municipale sortante.
Par la publicité, un acteur politique achète du contrôle sur sa
communication. Il s’assure le concours d’un média, au minimum, pour
diffuser à un moment et dans un espace donnés un message calibré vers
un public plus ou moins large, plus ou moins fidélisé et connu. La
justification de la publicité politique ne peut que se trouver dans la
possibilité qu’elle donne d’atteindre des catégories de citoyens dépourvus
de sens civique ou de compétence politique : des « handicapés civiques »
comme les nommait Cotteret (1981) qu’on ne désespère pas de rendre
moins indifférents au choix de leurs dirigeants, si on est pessimiste, au
sort de leur société, si on est optimiste. Mais le prix à payer pour cette
entreprise est extrêmement lourd pour le contenu même du discours
supposé attractif dans la mesure où l’appauvrissement de ce dernier va se
faire douloureusement entendre. Cette logique et ce paradoxe de la
communication électorale nous en retrouverons les signes en examinant
plus loin leur évolution. Le plus souvent, les stratégies de communication
notamment électorales sont de type multimédia mais la télévision se
présente aujourd’hui comme le support assurément le plus massif, le plus
sophistiqué mais aussi le plus coûteux et hypothétiquement comme le
support le plus efficace pour peu qu’il soit autorisé sous sa forme
publicitaire.
Les enseignements qu’on peut retirer de la vie politique américaine où
la publicité télévisée a droit de cité depuis plus d’un demi-siècle peuvent
être pris comme une illustration satisfaisante sinon comme une
anticipation d’un genre émergent de communication politique dans
d’autres systèmes (Gerstlé, 1989). Elle est aujourd’hui d’utilisation
courante à tous les niveaux électifs de la vie politique américaine au
point d’affecter globalement l’ensemble des processus et stratégies de
campagne (Kaid, 2004 ; West, 2013). Le genre a évolué vers la
sophistication formelle du produit, le raccourcissement du format et la
montée en puissance de la publicité négative caractérisée par la
disqualification des rivaux. On a également travaillé sur les types de
spots et leur utilisation selon les phases de la campagne électorale.
Diamond et Bates (The Spot, 1992) repèrent une stratégie récurrente
fondée sur la succession de quatre formes. Aux spots d’identification de
la personne même du candidat orientés vers la recherche de notoriété
succèdent des spots d’enjeux où s’énoncent des prises de position sur un
mode factuel ou émotionnel. Les spots négatifs, ensuite, visent à
discréditer l’identité ou les propositions de l’adversaire en procédant par
allusion, comparaison ou attaque directe. La phase finale consiste à
revenir à une vision apaisée voire euphorique de la communauté
nationale dont le destin rencontre celui du candidat providentiel. La mise
en scène audiovisuelle ici est l’élément clé qui assure la fusion
symbolique du « feel good spot ».
La publicité politique, communication coûteuse puisque
communication contrôlée, est-elle une communication efficace ? À s’en
tenir au discours tenu par les « cibles » que sont les électeurs sondés, on
pourrait en douter. Invariablement depuis 1974, lorsqu’on enquête en
France sur le point de savoir quel est le média le plus important pour
prendre sa décision de vote, l’affiche arrive en dernière position, qu’il
s’agisse d’élections présidentielle ou législatives. De deux choses l’une :
ou bien les sondés disent ce qu’ils pensent être leur vérité ou bien ils
rationalisent a posteriori leur choix. Dans ce cas, il faut bien évidemment
rapporter ces réponses à l’image sociale du support lui-même. En vertu
de l’idée civique, il ne paraît pas très « sérieux » de fonder son vote sur
une image et donc la tentation est grande de sous-estimer son impact
dans la décision électorale. Ainsi nuancée, cette évaluation collective
nous apprend au moins une chose qui n’est pas négligeable : la publicité
n’est pas considérée comme un support légitime de la communication
politique puisqu’on ne peut avouer lui reconnaître une influence. Par
ailleurs, en mai 1987, 81 % des Français interrogés pensent qu’une
publicité ne peut pas les faire changer d’avis sur un homme ou un parti
politique contre 11 % d’un avis contraire. Alors il faut peut-être, comme
le font prudemment les publicitaires eux-mêmes, limiter les ambitions à
des mesures plus faibles. On a ainsi mis en œuvre une batterie
d’indicateurs pour évaluer l’impact de l’affichage politique : la
reconnaissance pour mesurer la proportion d’individus déclarant avoir vu
une affiche ; l’attribution et la confusion indiquant la qualité de la
restitution d’une affiche à sa source ; l’agrément positif et négatif de
l’affiche testée dénombrant ceux auxquels elle a plu ou non. Mais il y a
loin de ces indicateurs au calcul d’un effet sur le vote.
Les études sur l’impact des spots électoraux américains ont été
beaucoup plus poussées. Une littérature pléthorique s’est développée,
parallèlement à l’essor de la pratique elle-même, qui met en œuvre
différentes techniques de recherche empirique pour apprécier un impact
difficile à isoler compte tenu de la concurrence qui existe sur le marché
des messages de toute nature. L’impression générale qui se dégage,
d’études souvent très étroites, est que la publicité politique à la télévision
peut effectivement produire des effets repérables à différents niveaux
dans le contexte américain. Des effets directs, tout d’abord, sur
l’information des électeurs, sur l’évaluation des candidats et sur les
comportements de participation. À commencer par les effets conatifs,
c’est-à-dire sur les comportements, la fourchette proposée à propos de
l’élection présidentielle américaine de 1972 rend songeur sur la
possibilité d’une telle mesure au niveau le plus large. D’après
Mendelsohn et O’Keefe (The People Choose a President, 1976), 25 %
des électeurs de 1972 déclarent que leur décision de vote est influencée
par les spots TV. Mais pour Patterson et McClure (Political Advertising,
1983), c’est approximativement 3 % des électeurs qui se sont ainsi
déterminés dans cette compétition qui s’est soldée par un écart de voix de
plus de 23 % en faveur de Nixon sur McGovern. Ceci pourrait affaiblir
l’hypothèse d’un éventuel effet stratégique marginal mais décisif des
dépenses publicitaires de campagne. Selon un sondage New York
Times/CBS réalisé en octobre 1988, pourtant, un quart des électeurs
admettent qu’au cours de la campagne présidentielle la publicité politique
a pu les aider à faire un choix. Cette proportion représente le double de
celle qui avait été enregistrée en 1984. Ceci est-il imputable à la
configuration des candidatures, à la légitimation du genre, à un impact
direct ou indirect réellement supérieur des stratégies publicitaires de 1988
ou à la combinaison des trois facteurs ?
Quoi qu’il en soit, de nombreuses études de type expérimental
notamment ont pu mettre en évidence des effets partiels comme
l’amélioration de l’image du candidat ou comme l’impact émotionnel des
spots (Kaid et al., 1991). Patterson et McClure estimaient déjà que les
Américains obtenaient leur information sur les positions respectives des
différences candidats à l’égard des enjeux davantage grâce aux spots
publicitaires qu’aux « news » dans la proportion d’un pour quatre. Plus
récemment, D. Shaw22 s’est penché sur les effets de l’achat d’espace
publicitaire dans les campagnes présidentielles américaines et a montré
l’existence d’impact fort sur les électeurs et des effets d’interaction avec
la présence physique du candidat sur le terrain. Plus inattendu, les effets
de connaissance produits par les spots électoraux seraient supérieurs à
ceux des journaux ou de l’information télévisée selon Brians et
Wattenberg23. D. West (2013) procure le tour d’horizon le plus complet
historiquement sur la publicité télévisée aux États-Unis entre 1952 et
2012. Quant à Lenz et al.24, ils ont mis en évidence que les candidats qui
exhibent des caractéristiques attractives stimulent chez les moins
compétents des choix électoraux fondés sur des considérations
superficielles.
Mais on ne peut comptabiliser les effets seulement en termes
d’intentions de vote : il y a aussi la participation électorale et le capital
politique des candidats qui est en jeu pour préparer d’autres échéances.
S’agissant du premier point, Ansolabehere et Iyengar (1995) ont montré
que la publicité négative produit un effet de démobilisation électorale.
Par publicité négative, il faut entendre un spot visant à critiquer ou
discréditer la personne ou le programme de son adversaire, le modèle le
plus extrême de recours à cette forme étant représenté par la campagne
américaine de 1988 où G.H. Bush attaque frontalement sur des enjeux
stratégiques le programme de M. Dukakis. Un forum de l’American
Political Science Review en 1999 revient sur l’hypothèse de
démobilisation grâce à une méta-analyse de nombreuses études et
expériences relatives à la publicité négative pour en nuancer les effets sur
la participation électorale prenant mieux en considération les propriétés
de l’électorat, le contenu des messages et les cibles visées.
Comment expliquer ces effets ? On peut remarquer tout d’abord, que la
publicité télévisée permet de par sa diffusion massive et répétitive de
rompre l’exposition sélective des individus à leurs acteurs politiques
préférés, le meilleur prédicteur d’exposition aux spots étant simplement
l’intensité de la consommation de télévision. Ensuite, le format très court
et le contenu réduit permettent de penser qu’il y a acquisition d’une
information minimale au moindre coût individuel. De plus, la forme
audiovisuelle généralement très soignée du message renforce sa capacité
d’attrait pour en faire une source de plaisir ou au moins d’émotion. Quant
à l’intensité de ces effets, elle est généralement corrélée avec le niveau
d’intérêt et d’engagement de l’électeur de telle sorte qu’il y a une relation
inverse entre efficacité de la publicité et implication politique de
l’individu. Elle dépend aussi des perceptions de l’offre électorale et donc
du degré de définition de la campagne c’est-à-dire de la clarté du choix.
Moins les offres sont discriminées, plus l’impact publicitaire risque d’être
fort. Enfin, elle est fonction du degré d’indécision de l’électeur et donc
du moment de la campagne et du caractère de la compétition. Les effets
sont alors réputés plus puissants soit chez les indécis et changeurs de
dernière heure soit en début de campagne lorsque la compétition est
ouverte et que les positions sont à prendre. La faible implication d’un
électeur associée à une grande indécision dans une campagne à faible
définition, par exemple avec des candidats nouveaux, renforce la
probabilité d’effets directs de la publicité politique. Il paraît cependant de
plus en plus artificiel d’isoler des effets directement déterminés par
l’utilisation de la publicité télévisée sans tenir compte de tout
l’environnement d’information dans lequel elle est conçue, diffusée et
reçue. L’hypothèse des effets indirects paraît, en revanche, plus
fructueuse. Elle consiste à poser que les candidats, par leur
communication publicitaire, cherchent à définir la situation électorale et à
peser sur la dynamique symbolique et l’agenda de la campagne.
L’exemple de G.H. Bush en 1988 correspond bien à cette stratégie
publicitaire qui va permettre d’imposer sa définition de l’agenda
électoral, notamment l’importance de la criminalité, grâce à la reprise
qu’en fait la couverture médiatique notamment des journaux télévisés de
grande audience. Le principe consiste à favoriser au maximum le relais,
par les médias d’information qui sont gratuits et plus crédibles, de
l’information contrôlée et payante qu’est la publicité électorale.
La menace de dérive vers
la marchandisation de la communication
politique
La question de l’utilité sociale de la publicité politique renvoie aux intérêts
des professionnels de la communication, des professionnels de la politique
mais aussi à l’intérêt collectif des citoyens qui constituent la communauté
politique25. Cette dernière question est encore plus délicate car elle renvoie
à la théorie politique et ses critères normatifs. Les techniques examinées,
médias, marketing, publicité et sondages d’opinion et leur couplage pèsent
sur les nouvelles formes prises par la communication politique modernisée
et les problèmes qu’elle pose : accélération de la circulation de
l’information et consécutivement du rythme des échanges politiques,
professionnalisation de la communication politique, renchérissement des
coûts de l’activité car le recours à toutes ces techniques est coûteux
(sondages, achat d’espace, constitution et exploitation de fichiers, etc.).
En France, au moins deux indices témoignent d’une authentique dérive
publicitaire de la campagne électorale officielle au moins dans la forme
du message électoral audiovisuel : sa durée et sa teneur en inserts
vidéographiques. Sur le premier point, il suffit de prendre acte de la
réduction progressive des formats des messages électoraux. Chaque
candidat dispose en 1965, en vertu du principe d’égalité, de deux grandes
émissions télévisées de 28 minutes, de quatre de 14 minutes et d’une
ultime émission de huit minutes. Mais par la suite, la fourchette ne cesse
de se réduire entre l’émission la plus longue et l’émission la plus courte
(tableau 2.2 ci-dessous), alors qu’on ne peut mettre en cause
systématiquement l’augmentation du nombre de candidats qui pourraient
justifier la réduction comme en 2002 où seize candidats s’affrontent.
Tableau 2.2 – Durées des émissions de la campagne officielle
les plus longues et les plus brèves (1974-2012)

La campagne officielle se réduit donc comme une peau de chagrin dans les
médias audiovisuels et à cela s’ajoute globalement « la diminution de la
place consacrée à l’information et aux débats politiques sur la plupart des
chaînes généralistes » comme le reconnaît le Conseil Supérieur de
l’Audiovisuel (2002). On sera ainsi surpris par la logique qui consiste à
réduire encore davantage les formats d’émission en vue de la campagne
pour l’élection au Parlement européen de 2004. Des modules courts d’1’15
pour toutes les listes, des modules moyens de 2’30 et des modules de 3’50
réservés aux listes émanant de partis représentés par un groupe à
l’Assemblée ou au Sénat.
Deuxième indicateur, l’ampleur des inserts (documents
vidéographiques ou sonores intégrés dans le message de campagne). À
l’occasion des élections européennes de 1984 et des législatives de 1986
déjà, la Haute Autorité de l’Audiovisuel accepte l’insertion de
vidéogrammes réalisés aux frais des listes et partis dans la proportion de
30 % de chaque émission de la campagne officielle. À partir de 1988, la
Commission Nationale de la Communication et des Libertés étend à
40 % du temps de l’émission la place que peut occuper l’insert. Cette
opportunité est largement utilisée par les candidats et le spot de
F. Mitterrand « France unie » reste un modèle du genre26. En 1995 sont
augmentées les possibilités d’insertion jusqu’à la moitié de la durée pour
les émissions courtes et moyennes c’est-à-dire les plus visibles et les plus
vues. Pour l’élection présidentielle de 2002, cette proportion de la moitié
concerne l’ensemble des trois types d’émissions (1’45, 5’et 1’). Dans le
prolongement de cette logique, le CSA innove en 2004 pour les élections
européennes et les inserts vidéo désormais atteignent 50 % de la durée
totale des émissions dont bénéficie chaque liste au lieu de 50 % de la
durée de chaque émission. La différence est loin d’être négligeable car
lorsqu’on couple la réduction du format de chaque émission avec cette
extension des 50 % à la durée totale des émissions, rien n’empêche
qu’une émission de la campagne officielle se présente entièrement sous la
forme d’un spot télévisé publicitaire appliqué au politique comme le
connaissent de longue date les citoyens américains, entre autres. C’est
bien d’une dérive publicitaire qu’il s’agit puisque le temps de
l’expression politique s’aligne sur celui de la proposition commerciale
standard et que nécessairement la contrainte du temps va imposer son
exigence de compacité, sa loi au contenu du discours politique.
Curieusement, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel affiche des
logiques contradictoires. En avril 2002 (Lettre no 150, p. 30), il « déplore
une tendance lourde, constatée depuis plusieurs années, à la diminution
de la place consacrée à l’information et aux débats politiques sur la
plupart des chaînes généralistes » et il se déclare « préoccupé par cette
raréfaction de l’espace consacré au débat politique, a fortiori pour le
rendez-vous majeur de notre démocratie ». Et voilà que le CSA se félicite
dans sa Lettre de juin 2004 d’avoir amélioré l’audience de la campagne
officielle pour les élections européennes grâce au format court des
émissions (1’15) privilégié et la « modernisation de l’expression ». Le
CSA ajoute cette réflexion riche d’enseignements : « Dans un contexte
pourtant particulièrement défavorable, où le manque d’intérêt des
Français pour ces élections était attesté chaque jour par de nombreux
sondages et par d’innombrables commentaires journalistiques et
politiques, le pari a pu être tenu puisque l’audience mesurée a été très
significativement supérieure à celle des échéances électorales antérieures
– dont l’enjeu était pourtant décisif –, à savoir les élections
présidentielles et législatives de 2002. »
En 2007, les 216 émissions télévisées de la campagne officielle durant
les trois semaines de diffusion ont touché une audience agrégée de plus
de 115 millions de contacts/individus de 15 ans et plus contre un peu plus
de 108 millions en 2002. Il s’agit de totaux supérieurs de 15,5 millions à
ceux de 2002 pour le premier tour, mais de 8 millions de moins pour le
second tour caractérisé par l’issue du « séisme électoral » du 21 avril.
Dans le rapport sur l’élection présidentielle de 2012, le CSA écrit :
« Selon une étude Médiamétrie-Kantar Média, durant les quatre semaines
de diffusion (du 9 avril au 4 mai 2012), les (210) émissions de la
campagne officielle diffusées sur France 2, France 3 et France 4 ont
touché 64,2 % de la population métropolitaine (âgée de plus de 4 ans et
équipée d’un téléviseur). Chaque individu a vu en moyenne 16
émissions ». Certes, l’audience augmente, mais à quel prix. Encore un
effort : supprimons la campagne officielle et l’audience montera
certainement davantage. Le problème est que l’abstention en France a
atteint aux élections européennes de 2009 un niveau record de 59,4 %,
toutes élections confondues (hors référendum). Faut-il se réjouir d’une
audience restaurée ou se lamenter d’une mobilisation déclinante ? Bien
sûr, il s’agit d’information d’un côté et de propagande électorale de
l’autre. Mais on ne peut pas soutenir le débat électoral en regrettant le
déclin de la première et en organisant le déclin de la seconde. On se
trompe d’objectif en visant la maximisation de l’audience par évidement
de la communication électorale au lieu d’encourager la participation en
favorisant une communication argumentée qui donne à l’électeur des
raisons de s’exprimer.
Sortant du cadre français, la comparaison montre que les États-Unis
restent le seul pays de l’OCDE à exclure l’attribution de temps d’antenne
gratuit aux candidats à la télévision. En revanche, de nombreux pays ont
recours à un système mixte et d’autres encore à un système entièrement
public au cours des campagnes électorales, comme c’est le cas de la
France :
Tableau 2.3 – Pays groupés selon le coût d’accès à la télévision
pendant les élections

Accès gratuit Système Accès gratuit


et payant à la TV mixte restrictif unique à la TV

Australie Allemagne (c) Belgique


Autriche Danemark (a) France
Canada Espagne (c) Irlande
Grèce Finlande (c) Norvège
Italie Hongrie (e) Royaume-Uni
Japon Pays-Bas (a) Suisse
Mexique Pologne (d) Turquie
Nouvelle-Zélande Suède (b) Portugal

(Sources : F. Plasser, G. Plasser, G, 2002 ; L. Le Duc, R. Niemi,


P. Norris, 2003)

Encore faut-il préciser que certaines restrictions existent pour l’accès payant
dans certains systèmes mixtes : a) Au Danemark et aux Pays-Bas, la
publicité payante n’est possible que sur les chaînes locales ; b) En Suède,
seule la télévision par satellite est ouverte à la publicité qui est prohibée sur
les chaînes terrestres, comme d’ailleurs toute campagne officielle ; c) En
Espagne, en Finlande et en Allemagne, on ne peut faire de publicité
électorale que sur les chaînes privées ; d) En Pologne, les comités
électoraux peuvent acheter un temps limité complémentaire ; e) En
Hongrie, la publicité à caractère politique reste soumise à des conditions
comme l’ajout de la mention « publicité électorale payante ». Ajoutons
qu’au Royaume-Uni, l’accès gratuit est garanti non seulement par la BBC
mais aussi par les diffuseurs privés hertziens.
La « fausse américanisation de la vie politique », tel est le titre que M.-
F. Toinet donnait à l’un des articles du Journal des élections à propos de
l’élection présidentielle française de 1988. Elle y défendait, après
d’autres, la thèse qu’il s’agissait bien davantage d’une modernisation de
la vie politique caractérisée par l’hypermédiatisation, la personnalisation,
la professionnalisation et la modération idéologique. Sur le troisième
point au moins, il suffira de se reporter au forum qu’une revue
américaine a consacré dix ans plus tard aux consultants de campagne
(PS, 1998). À lire la littérature française concernant le marketing
politique, on a le net sentiment que la pratique reste en retrait par rapport
à la situation anglo-saxonne notamment. En retrait par sa quantité : peu
d’auteurs ou de professionnels revendiquent cette qualification et en
retrait par sa qualité lorsqu’on constate combien sont ignorées le plus
souvent les ressources et contraintes du jeu politique en vigueur au profit
de récits anecdotiques ou de recommandations de conduites qui
paraissent artisanales comparées au niveau de professionnalisation du
politique.
En ce sens, encore, c’est à une fausse ou faible américanisation de la
communication politique qu’il faut conclure pour le cas français bien que
le diagnostic opposé ait pu être tenu27. La professionnalisation du conseil
politique, ajouterons-nous, est restée en France beaucoup plus
embryonnaire et épisodique pour toute une série de raisons politiques :
structure de l’État unitaire, modalités du recrutement du personnel
politique, nombre de mandats électifs plus limité, consistance des
structures partisanes, entre autres. L’argument de l’hypermédiatisation
n’emporte pas non plus la conviction, ne serait-ce qu’en raison des
restrictions imposées par la loi à la fois aux dépenses électorales et à la
prohibition, notamment de la publicité politique audiovisuelle pour
limiter le rôle de l’argent dans la compétition. Il faut encore « serrer des
mains », prendre des bains de foule et faire de la communication de
proximité, de la « vente au détail » pour parler aussi cyniquement que
Kotler (1999). S’agissant de la personnalisation, elle procède davantage
de l’arrangement institutionnel provoqué par l’élection du président de la
République au suffrage universel direct que d’une influence
transatlantique et des tendances médiatiques à traiter le politique à partir
de plan resserré, au sens propre comme au figuré, souvent avec l’aide des
professionnels de la politique eux-mêmes. Enfin, la modération fut
souvent un positionnement choisi par le candidat américain en quête des
voix de l’électorat flottant. Certains politistes, comme John Zaller (1998),
considèrent qu’il s’agit là d’une condition nécessaire à la victoire
électorale aux États-Unis de même que la paix et la prospérité. À
l’inverse, d’autres politistes, tel Larry Bartels28, avancent qu’un retour à
la polarisation idéologique s’est fait sentir dans ce pays où l’on a
excessivement insisté sur l’inéluctabilité du désalignement partisan. Il
n’hésite pas à écrire : « Les fidélités partisanes ont au moins autant
d’impact sur le vote présidentiel dans les années 1980 que dans les
années 1950 et encore davantage dans les années 1990 que dans les
années 1980 ». En France, la chasse à l’électeur médian ne date pas
d’hier et même si le « tournant néo-libéral » est effectif, bien des lignes
de clivages subsistent ou apparaissent (songeons à la tripartition de
l’espace politique) qui ne permettent pas de penser qu’un consensus mou
alimente le positionnement électoral gagnant.
En d’autres termes, les processus de transformation de l’espace public
politique repérables, même s’ils ont des antécédents ou des équivalents
aux États-Unis, ne sont pas des importations de la culture politique
américaine dans son sens le plus pratique. Ils consistent, le plus souvent,
en accommodation de nos arrangements institutionnels particuliers avec
des innovations technologiques dans un contexte général de
rationalisation des activités sociales. Seul peut-être le « nouveau désordre
électoral » (Cautrès et al., 2004) apparaît-il comme une authentique
fenêtre d’opportunité pour les prétendants à la spécialisation en
marketing politique en déplaçant fortement les lignes de clivages
traditionnelles.
Un signe néanmoins reste visible de l’importance indéniable de la
communication dans la vie politique : son financement requiert des
dépenses croissantes. C’est évident pour les États-Unis où de 1996 à
2000, si on ajoute les dépenses « présidentielles » et les dépenses pour les
élections fédérales on assiste à un doublement du total pour approcher les
trois milliards de dollars. En février 2008, Hillary Clinton recueille en
deux jours 8 millions de dollars de contributions sur internet et Barack
Obama en a collecté 7,6 millions en moins de quarante-huit heures. Tout
cela pour faire face à des dépenses de publicité engagées dans des États
où ils ne pensaient pas investir c’est-à-dire ceux dans lesquels les
démocrates vont voter après le « Super Tuesday ». Sur la montée du coût
des campagnes aux États-Unis, ses pratiques et ses raisons, on lira avec
grand profit le chapitre consacré au recrutement ploutocratique du
personnel politique par Yves Déloye et Olivier Ihl (2008) dans leur
ouvrage sur L’acte de vote.
Pour illustrer la tendance au renchérissement des coûts de la
communication électorale française on en est réduit à des estimations
jusqu’en 1988. Selon R-G. Schwarzenberg, les coûts de campagne
auraient été en 1965 de 1 MF pour François Mitterrand (hors campagne
des partis), 5 MF pour J. Lecanuet et plus du double pour le général de
Gaulle. En 1969, A. Poher aurait dépensé seulement 3 MF, le PCF
1,50 MF pour la campagne nationale de J. Duclos et autant au niveau des
fédérations, sections et cellules. M. Rocard avance le chiffre de
310 000 francs. S’agissant des socialistes « on avouait, à la fin de la
campagne de 1974 des dépenses de l’ordre de 4 à 5 millions de francs
environ, soit deux fois ce qu’avait dépensé A. Poher en 1969 et quatre à
cinq fois moins que les sommes engagées par G. Pompidou à la même
époque (plus de trois milliards d’anciens francs, dit-on) »29. En 1981, le
coût estimé de la campagne de Valéry Giscard d’Estaing serait
approximativement de 14,50 MF30. À partir de 1988, les comptes de
campagne sont disponibles mais l’impératif semble s’imposer d’un
redressement à la hausse des chiffres présentés, ne serait-ce qu’en raison
de la date tardive d’entrée en vigueur de la loi sur le financement de la
vie publique, le 12 mars 1988.
La réglementation des dépenses s’est élaborée en trois temps : en 1988
(c’est-à-dire tardivement lorsqu’on compare avec les principales
démocraties occidentales), puis en 1990, enfin les lois du 19 janvier et du
8 février 1995 interdisent le financement par les personnes morales et
change les conditions d’attribution des subventions publiques aux partis
politiques. Outre le remboursement public, les trois principales sources
de financement sont donc aujourd’hui constituées par les apports
personnels des candidats, les contributions des partis politiques et les
dons des particuliers
Depuis que la Commission Nationale des Comptes de Campagne et
des Financements Politiques (Français et al., 2015) est installée en
janvier 1990, on en sait un peu plus grâce à son rapport annuel bien que
le mot de J.-C. Colliard (1995) sur le financement politique n’ait pas
perdu toute sa valeur, ni sa saveur : « C’est le sujet mystérieux par
excellence, qui donne naissance à toutes les rumeurs et à toutes les
hypothèses. Il faut là considérer deux situations bien différentes, avant et
après l’intervention de la loi du 11 mars 1988 (modifiée par les lois des
15 janvier et 10 mai 1990) : ou comment passer du brouillard à la
lumière… tamisée ». Avant 1988, c’est, en effet, l’impressionnisme qui
domine le domaine de l’évaluation du financement et des coûts. Seuls
sont connus les remboursements forfaitaires, de cautionnement et les
frais pris en charge par l’État (affiches, professions de foi, bulletins et
mise à disposition gratuite du temps d’antenne radiotélévisé). Après
1988, c’est la fluctuation des plafonds qui caractérise la limitation des
dépenses électorales. Pour s’en tenir au cas de l’élection présidentielle,
120 millions de francs de dépenses par candidat au premier tour, plus
20 millions au second tour éventuel. En 1990, ce dernier chiffre passe à
40 millions, puis on révise l’ensemble à la baisse en 1995 avec des
plafonds de 90 et de 30 millions. Il faut cependant signaler que pour
chaque élection (et chaque circonscription lorsqu’elle n’est pas nationale)
le plafond de dépenses varie31. Par exemple, pour les élections
législatives de 1997 les plafonds de dépenses se montent en moyenne à
369 000 FF par candidat soit 5,5 FF par électeur inscrit. Dans la loi du
15 janvier 1990, les dépenses sont plafonnées à des niveaux variables
selon la nature de la consultation. Pour l’élection des représentants au
Parlement européen le plafond est de 80 millions pour chaque liste de
candidats. Pour les élections législatives il est de 500 000 francs ou de
400 000 francs selon que la population de la circonscription est
supérieure ou inférieure à 80 000 habitants. Pour les élections
municipales, cantonales et régionales le plafond est calculé en fonction
du nombre d’habitants. L’ensemble de ces dispositions restrictives ou
prohibitives atteste la volonté du législateur français de limiter l’horizon
de la publicité politique dans un souci d’assurer la moralisation des
activités politiques. Il faut y voir une limitation et non un total
empêchement du recours à ces techniques. En effet, s’agissant de la
publicité, support qui est principalement visé, elle reste toujours possible
en dehors des conjonctures électorales pour ce qui concerne l’affichage et
la presse écrite.
S’agissant de l’élection présidentielle, les recettes autorisées par le
droit électoral sont de trois types : les dons, l’apport personnel et le
remboursement public qui est la principale. Outre les 153 000 euros
d’avance versés à chaque candidat retenu par le Conseil Constitutionnel,
le remboursement public a été porté à un maximum de la moitié du
plafond autorisé pour l’élection pour les candidats qui ont obtenu au
moins 5 % des suffrages exprimés au 1er tour de scrutin. Les autres
candidats ont droit à un remboursement fixé au vingtième du plafond
autorisé. Il y a une sanction de non-remboursement si le compte de
campagne devenu obligatoire pour chaque candidat n’est pas conforme
aux exigences de la loi. Mais la somme prévue par le remboursement
forfaitaire est loin de permettre aux candidats de faire face à l’explosion
des coûts de campagne dont témoignent les chiffres comparés des
dernières campagnes présidentielles françaises. S’agissant, enfin, des
recettes, est à remarquer la contribution des partis puisqu’elle s’élève en
1988 à 40 MF pour J. Chirac et 37 MF pour F. Mitterrand entre autres.
Comme le pointe Y.-M. Doublet en 1997, « l’expérience a en effet
montré que parce qu’elles étaient lacunaires, les candidats savaient tirer
parti des règles régissant les apports personnels des candidats, les prêts,
le financement d’une fraction de leur campagne par une formation
politique et les dons en espèces ». Les dépenses officielles des différents
candidats s’établissent ainsi en 1988, 1995, 2002, 2007 et 2012
(tableaux 2.4 à 2.7) :
Tableau 2.4 – Dépenses officielles des candidats aux élections
présidentielles de 1988 et 1995 (exprimées en millions
de francs)

1988
Mitterrand Chirac Barre Le Pen Lajoinie Waechter Juquin Laguiller Boussel
99,8 96 64,1 36,5 33,3 6,9 6,8 6,4 4

1995
Chirac Jospin Balladur Le Pen Hue Laguillier de Villiers Voynet Cheminade
116,6 88,2 83,8 41,3 48,7 11,3 24,1 7,9 4,7

Tableau 2.5 – Détails des dépenses des candidats


à la présidentielle de 2002 (exprimées en euros)

(Source : Conseil constitutionnel, élection présidentielle, 2002)


En 2007, le plafond des dépenses de campagne a été fixé à 21,594 millions
d’euros pour les candidats présents au second tour et à 16,166 millions pour
les candidats du premier tour après avoir été fixé à 18,3 millions et
13,7 millions d’euros pour 2002. Les candidats ont déclaré les sommes
suivantes dans leur compte de campagne avant le contrôle de la
Commission nationale des comptes de campagne et des financements
politiques pour ouvrir droit au remboursement forfaitaire prévu par la loi :

Tableau 2.6 – Les dépenses officielles des candidats


à la présidentielle de 2007 (en millions d’euros)

Sarkozy 21,038

Royal 20,172

Bayrou 9,7

Le Pen 9,7

Buffet 4,8

De Villiers 3,1

Laguiller 2,1

Voynet 1,4

Bové 1,2

Besancenot 0,900

Nihous 0,800

Schivardi 0,700

En 2012, le plafond des dépenses pour le premier tour est fixé à


16,851 millions d’euros et celui du deuxième tour à 22,509 millions
d’euros. Les dépenses des candidats telles qu’elles sont déclarées dans leur
compte de campagne sont les suivantes :
Tableau 2.7 – Les dépenses officielles des candidats
à la présidentielle de 2012 (en millions d’euros)

21,769
Hollande
21,339
Sarkozy
9,514
Mélenchon
9,095
Le Pen
7,042
Bayrou
1,812
Joly
1,237
Dupont-Aignan
0,824
Poutou
1,022
Arthaud
0,498
Cheminade

Concernant la dernière campagne de 2012, il faut rappeler que la CNCCFP


n’a pas validé les comptes de campagne de N. Sarkozy pour défaut de prise
en charge intégrale d’un meeting de campagne32.
Au total, la rationalisation des pratiques appelle, en quelque sorte, la
professionnalisation de la politique par le recours notamment à des
auxiliaires extérieurs au jeu politique lui-même qui vendent leur service
sur le marché électoral. Qu’il s’agisse de conseil en image, de publicité,
de spécialiste en études, notamment les sondages d’opinion, ou du
conseil en communication ou média, on comprend que l’expertise
professionnelle s’accompagne d’une hausse des coûts de la vie politique
et des campagnes électorales en particulier. Les professionnels de la
communication constituent de nouveaux auxiliaires pour les
professionnels de la politique. Leur expertise prétendue est souvent
d’origine publicitaire même si leur discours ne s’en ressent pas toujours.
Leur intervention dans le jeu politique contribue à le marchandiser car
ces services sont « payants », directement ou indirectement, de manière
immédiate ou différée. En ce sens, ils pourraient souscrire à ce que, l’un
d’entre eux, Thierry Saussez reconnaît de façon très cynique : « La
communication politique représente 10 % de mon chiffre d’affaires, mais
90 % de mon image de marque » (cité in J. Asline, Profession
présidentiable, 1993). On lira avec circonspection, dépit ou accablement
selon sa connaissance du problème, les leçons triviales que ce conseiller
en communication politique tire de son expérience dans son livre Le style
réinvente la politique (2004). Notons néanmoins qu’en France la
professionnalisation de la communication politique s’effectue davantage
à l’intérieur des cabinets des acteurs politiques, avec des conseillers
chargés spécifiquement de la communication et des relations avec les
médias, que dans des cabinets de consultants externes. Le lien existe
manifestement entre technicisation, professionnalisation et augmentation
du coût de la vie politique auquel fait pièce le renforcement de la
réglementation pour préserver l’égalité des candidatures, l’expression du
pluralisme et, au total, un caractère plus démocratique à la compétition
électorale.
La dérive publicitaire et la libéralisation en matière de publication de
sondages s’accompagnent et sont même précédées par les
transformations du système médiatique (Chupin et al., 2009 ; Dagnaud,
2000 ; Charon, 2003) fortement marquées par la privatisation dans le
domaine télévisuel dès le milieu des années 1980 avec l’arrivée de « La
5 » et la privatisation de TF1. Ces transformations font pression sur la
forme et le contenu de la communication en ce sens que les contraintes
commerciales touchent l’audiovisuel public par le biais de la concurrence
avec le privé. Les écarts sont considérables concernant les dépenses
électorales des candidats de même que pour les ressources médiatiques
sans comparaison dont ils disposent lorsqu’on examine la couverture
télévisée. De multiples indicateurs convergent donc vers l’idée d’une
marchandisation de la communication avec les inégalités qui vont en
s’aggravant et que l’encadrement juridique de la compétition politique a
des difficultés à juguler. A. François (2003) conclut de ses recherches de
thèse que « les dépenses de campagne permettent de financer des
activités de production et de diffusion d’informations par les candidats
afin de réduire les coûts pour les électeurs de l’acquisition de
connaissances politiques ». La critique d’assimilation de l’homo politicus
à l’homo oeconomicus est ici aisée avec toutes les conséquences qu’elle
emporte. Il n’empêche qu’à l’épreuve des faits, notamment les élections
législatives de 1997, « ces activités se traduisent d’une part,
empiriquement et à un niveau individuel, par un accroissement des
suffrages obtenus et de la probabilité d’élection des candidats dépensiers,
et d’autre part et à un niveau agrégé par une augmentation des taux de
participation dans les circonscriptions dépensières. »
Il est manifeste qu’en ce qui concerne le cadre juridique, la campagne
présidentielle s’est vue considérablement précisée, spécifiée et
réglementée dans ses multiples aspects allant de l’accès à la candidature,
aux conditions de financement, en passant par la communication et le
traitement de l’information. Cette institutionnalisation par solidification
des contraintes juridiques a été en quelque sorte imposée logiquement par
la tendance à la rationalisation des campagnes électorales. Au total, il est
clair que l’espace public politique s’est modernisé et transformé. Il s’est
modernisé dans ses dimensions technologiques dans la mesure où une
place croissante est faite aux outils procurés par l’informatique, internet
et les bases de données pour la création et l’exploitation des fichiers,
mais aussi aux instruments nouveaux de l’observation sociale comme
l’utilisation d’internet dans l’enquête par sondage. La médiatisation de la
vie politique n’est que l’aspect le plus visible de cette technologisation
qui a eu pour conséquence de rationaliser les pratiques au niveau de la
division du travail politique et de la sophistication des stratégies. De
nouvelles pratiques ont imposé des experts comme auxiliaires à but
lucratif dans le jeu politique sous les diverses formes que connaît
aujourd’hui la spécialisation des tâches de communication.
L’accroissement des coûts et l’acuité des problèmes de financement
signalé par la multiplication des affaires à caractère politico-financier ont
entraîné une juridicisation par un encadrement de plus en plus resserré de
la vie politique. Technologisation, rationalisation, professionnalisation,
marchandisation et réglementation de la vie politique ont donc partie liée
et constituent des transformations profondes de l’espace public politique
moderne.
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rôle, Thèse de doctorat de science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
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8. GRUNBERG G., DUPOIRIER E., 1988, « Les cibles de la campagne », Médiapouvoirs, (9).
9. C’est une démarche similaire que suivent les travaillistes de Tony Blair lors des élections
législatives britanniques de 1997. En amont de la campagne, de multiples « focus groups »
réunissent en effet des électeurs du Parti conservateur de 1992 hésitant à voter travailliste. Il en
ressort le choix stratégique d’un repositionnement vers le centre, symbolisé par la nouvelle
appellation « New Labour ». Voir GOULD P., 1998, The Unfinished Revolution. How the
Modernisers Saved the Labour Party, Little, Brown ; et SAVIGNY H., 2011, The Problem of
Political Marketing, Continuum.
10. GIBSON R.K., 2009, “New Media and the Revitalisation of Politics”, in Representation,
45(3), pp. 289-299.
11. Le « rolling » est une enquête d’intention de vote quotidienne, permanente et continue. Mise
en place très en amont de la campagne de 2012 pour la première fois en France par l’IFOP (voir
DABI F., « Le Rolling: un instrument novateur pendant la campagne présidentielle », pp. 240-248,
in Revue Politique et Parlementaire, no 1063-1064, avril-septembre 2012). Cette technique a en
particulier été affinée dans le monde académique par des universitaires nord-américains (voir
JOHNSTON R., BLAIS A., BRADY H., CRETE J., 1992, Letting the people decide, McGill-Queen’s
University Press).
12. Voir plus loin la définition des « Access Panels ».
13. THOMAS D.B., BAAS L.R., 1996, “The post-election campaign : competing constructions of
the Clinton victory in 1992”, in The Journal of Politics, vol.58(2), pp. 309-331.
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présidentielle, L’Harmattan-éd. Pepper, pp. 171-181,
Chapitre 3

Les effets persuasifs


de la communication
et de l’information

COMME NOUS L’AVONS VU DANS LE PREMIER CHAPITRE, la communication


politique est la manifestation de la politique alternative à la violence pour
régler les conflits (c’est sa face coopérative), mais peut être aussi une
stratégie symbolique de domination (c’est sa face conflictuelle). Dans les
deux hypothèses, la communication politique implique le recours à la
persuasion. Celle-ci aboutit au changement endogène des préférences d’un
interlocuteur ou d’un auditoire. De façon plus simple, on est en droit alors
de définir la communication politique par son but : « entraîner ses
destinataires à adhérer aux choix politiques qui leur sont proposés par les
discours, les formes et les stratégies des partis, des acteurs de la vie
politique et institutionnelle. » (Lamizet, et al., 1997). Il s’agit alors d’un
mécanisme de transformation et non simplement d’agrégation des
préférences comme le vote, qui permet la vie démocratique. Nous allons
concentrer maintenant notre attention sur cette face potentiellement, mais
non nécessairement « déceptive » de la communication, avant d’examiner
dans le dernier chapitre de cet ouvrage l’articulation de la persuasion à la
délibération démocratique.
Jon Elster (1998) considère que dans les sociétés modernes, il existe
trois moyens de parvenir à une décision collective : argumenter, négocier
et voter, les deux premières étant des formes de communication
puisqu’elles reposent sur des actes de parole. L’examen des analyses
menées montre la convergence des résultats attribués à la communication
politique en termes de changement d’attitude. La persuasion est induite
soit par ce que nous nommons la communication contrôlée en ce sens
que l’émetteur est supposé avoir la maîtrise totale du message quel qu’il
soit (discours, affiche, spots, slogans, SMS, etc.), soit par l’information
diffusée par la presse. C’est, en effet, un des gains d’intelligibilité récent,
dû en particulier aux acquis des études cognitives, que de reconnaître la
difficulté croissante à séparer l’information de la persuasion, sacro-sainte
dichotomie qui alimente pourtant l’orthodoxie du journalisme
professionnel.
L’argumentation est un point de passage obligé dans l’étude de la
communication politique car « argumenter c’est chercher, par le discours,
à amener un auditeur ou un auditoire donné à une certaine action »
(Grize, L’argumentation : explication ou séduction, 1981). Argumenter,
convaincre et persuader ont donc des dimensions logique, psychologique
et sociologique à dissocier1.
Quatre mécanismes de persuasion sont désormais bien identifiés,
d’application très large puisqu’ils peuvent intervenir dans tous les effets
potentiels de la communication politique : la persuasion directe, l’effet
d’agenda, l’effet de cadrage et l’effet d’amorçage (Gerstlé, 1996). À la
différence de la persuasion directe, opérant par ajout d’informations au
stock de considérations disponibles dans la mémoire qui étayent les
attitudes des récepteurs, l’effet de cadrage (« framing ») active des
considérations particulières déjà présentes et en modifie le poids alors
que l’effet d’amorçage (« priming ») rend certaines considérations
temporairement plus accessibles. Quant à l’effet d’agenda, il repose lui
aussi sur le mécanisme des variations d’accessibilité de l’information
mais la validité du concept varie avec son extension : s’agit-il d’un terme
générique pour désigner l’ensemble des effets potentiels liés à la mise en
accessibilité réalisée par la diffusion de l’information ? S’agit-il d’une
manipulation des préférences des citoyens ou plus vraisemblablement et
plus restrictivement d’une pression exercée sur leur attention ? Après
avoir montré que l’information produit même involontairement des
effets, en priorité cognitifs, et abordé les relations des effets à la
réception, nous distinguerons entre la persuasion stricto sensu et les
mécanismes persuasifs de l’information pour conclure que leur
concomitance facilite l’emprise sur l’attention et les perceptions
publiques.

Le truisme des effets d’opinion


et la question de la réception
Par définition, l’information supprime ou réduit l’incertitude du récepteur.
Qu’on le veuille ou non, elle est caractérisée par l’effet qu’elle produit sur
au moins un destinataire, sans parler du public général de l’information de
masse. À cela s’ajoute un deuxième argument en faveur de la théorie des
effets. Tout simplement, c’est un truisme de dénoncer que l’information
génère des effets d’opinion, car là aussi, on touche, pourrait-on dire, à son
« principe actif ». L’information c’est bien ce qui fait passer un individu ou
un groupe social d’un état à un autre : c’est le processus même de la
publicisation. C’est le facteur qui fait advenir ce qui est public et qui
resterait privé sans son intercession, c’est-à-dire privé de publicité.
L’information est l’agent de la publicisation et donc de la politisation et de
la polarisation éventuelle dans une situation sociale donnée. Comment dès
lors répudier le modèle des effets lorsqu’il est à ce point le centre de gravité
du principe de publicité au sens de l’espace public ? La lecture du manuel
de Iyengar (2015), Media Politics. A citizen’s guide, qui décrit certes la
situation américaine, est une incitation forte à considérer sérieusement
l’hypothèse d’effets relativement importants de la communication politique.
Pour illustrer la co-existence d’une activité intellectuelle du citoyen
avec le modèle des effets de la communication politique, tournons-nous
vers William Gamson (1992). Tirant parti des travaux de Richard
Hoggart, Stuart Hall avait déjà montré que le public peut opérer un
décodage de conformité ou bien un décodage oppositionnel des textes
hégémoniques. Gamson montre que le discours des médias constitue une
ressource parmi d’autres pour permettre au public de donner un sens aux
enjeux politiques. L’observation de 188 travailleurs américains
« ordinaires » le conduit à distinguer trois types de stratégie selon les
ressources interprétatives principalement utilisées lorsqu’on leur soumet
des thèmes aussi variés que la discrimination positive, le soutien étatique
aux industries en difficulté, la régulation de l’industrie nucléaire ou
l’engagement américain dans le conflit israélo-arabe. Ces individus n’ont
pas un capital culturel ni une compétence politique élevés et pourtant ils
« traitent » de ces sujets en mobilisant des ressources disponibles et
accessibles. Une stratégie de ressources culturelles s’appuie sur les
médias et le sens commun pour configurer l’enjeu ; une stratégie de
ressources personnelles associe l’expérience personnelle de l’individu et
le sens commun ; une stratégie dite de ressources intégrées combine
l’ensemble des ressources et articule donc discours des médias et
expérience personnelle. S’agissant de l’influence des médias, Gamson
écrit qu’il est « impossible d’affirmer que ce que pensent ou sentent les
individus a été affecté par leur exposition aux médias, mais quelques
hypothèses paraissent acceptables ». Les individus révélant des stratégies
culturelles vont être davantage sensibles à des effets médiatiques et
notamment plus facilement exposés aux effets de cadrage médiatique.
Leurs attitudes et croyances vont être relativement instables et suivre les
fluctuations du discours des médias. Au contraire, avance Gamson, ceux
qui se fondent sur des stratégies personnelles sont davantage immunisés
contre les effets des médias puisqu’ils ignorent ou écartent leurs
interprétations des situations. Enfin, avec le recours aux stratégies
intégrées, l’influence des médias devient sélective et dépend de la
correspondance perçue entre les cadres médiatiques et les cadres
provenant du sens commun et de l’expérience personnelle.

L’analyse relativiste de la réception


Certains auteurs considèrent que la notion d’effet n’a plus sa place dans
l’analyse de la communication et qu’il est préférable de lui substituer la
notion de réception en raison, notamment de la relativité de la réception. Ce
serait, pensons-nous, une erreur au nom d’un argument on ne peut plus clair
déjà invoqué : « Disons le simplement et brutalement, il est absurde de
penser que l’information et la communication qui la porte n’ont pas d’effet :
ce serait nier d’emblée l’existence même de l’information qui, par
définition, est caractérisée par un effet, de type cognitif. L’information est
précisément ce qui réduit ou supprime l’incertitude d’un récepteur. C’est un
effet de modification de l’état des connaissances, le passage de l’ignorance
à la connaissance et donc bien un effet produit par un processus. Ayant dit
cela, il reste néanmoins au politiste à montrer comment l’effet cognitif peut
être assorti d’un effet de persuasion, de modification des préférences et pas
simplement des connaissances, donc à travailler le lien entre cadre de
connaissance et cadre de préférence. Et cela sans même évoquer la
dimension pragmatique de la communication dont on ne voit pas vraiment à
quoi elle se réduit si on retire du raisonnement la notion d’effet : qu’est-ce
qu’un performatif sans effet ? »2. Cela revient à se demander à quoi
correspond une relation sociale sans effet. Il ne s’agit bien évidemment pas
de céder à ce que Roland Barthes nommait « le terrorisme sémiotique »
pour désigner l’illusion ou le danger de la lecture univoque de l’œuvre.
Suffisamment d’études (Le Grignou, 2003) ont montré les procédés
d’appropriation personnelle des produits culturels, de braconnage pour
reprendre l’expression de Michel de Certeau, la variation des pratiques
culturelles (Bourdieu), les « cultural studies », les communautés
interprétatives (Radway), la pluralité des décodages (Hall), mais aussi
l’ambiguïté de la notion de « lecture préférentielle » qui nous ramène vers
la problématique des effets. On va voir plus loin qu’il est hors de question
de sacrifier l’idée d’un public actif, mais que l’activité est à chercher
également ailleurs que dans la conformité ou l’opposition à la diffusion
d’une idéologie dominante. La place qu’occupe aujourd’hui la réception
comme phase du processus de communication apparaît comme décisive
pour le traitement de l’information et les choix opérés en aval comme on le
verra avec les effets de la communication persuasive. On notera, cependant,
que la recherche des effets déborde celle de la réception en ce qu’elle
« sort » du paradigme « texte-lecteur » : c’est bien cela que signifient les
travaux de Diana Mutz (1998), par exemple, lorsqu’elle déplace les effets
collectifs de la « spirale du silence » mise au jour par Élisabeth Noelle-
Neuman pour montrer comment une « influence impersonnelle » peut être
véhiculée par les médias qui mettent en scène tous les autres « lecteurs ».
Au total, nous pensons qu’il convient de faire un double travail, ou un
travail en pince comme dirait Gregory Bateson : d’une part, il faut
concevoir qu’il n’existe que rarement dans des situations historiques un
public homogène ; d’autre part, il faut sortir de la relativité dans laquelle
nous plonge irrémédiablement la thèse de l’interprétation individuelle
généralisée de la communication ou de l’information. Il faut travailler à
la mise en évidence de publics aux contours variés qui peuvent réagir en
témoignant d’effets des messages qu’ils reçoivent sous peine de rendre
volatil voire inexistant le processus de publicisation qui est à l’origine de
toute activité politique. Certaines pistes se dégagent déjà pour faire face à
la tâche en travaillant cette notion de « publics » (Cefaï, Pasquier, 2003).
Au risque de faire long, citons sur ce point l’énumération non limitative
des auteurs : « Il y a des citoyens qui sont aussi des élus ou des activistes,
des entrepreneurs ou des militants de la chose publique, qui font la
politique autant qu’ils la subissent ; il y a des citoyens qui n’agissent
guère que lorsqu’ils se sentent personnellement concernés ou lorsque la
cause leur paraît de force majeure, mais qui s’informent, ont un niveau de
culture civique appréciable sans franchir la frontière de l’action ; il y a
des citoyens qui ont une sensibilité aiguë pour un type déterminé de
problème public, la santé ou l’écologie, la ville, la distribution de l’eau
ou l’animation culturelle, mais qui ne s’intéressent que de loin aux autres
sujets ; d’autres qui s’investissent en politique parce qu’ils se sentent
proches d’une formation ou d’un leader politique, mais qui perdent leur
passion quand la configuration du pouvoir se modifie ; il y a un grand
nombre de citoyens qui ont une attention “oblique” pour la chose
publique, qui peuvent ressentir un attrait pour l’intrigue publique lors
d’événements forts comme une guerre ou un scandale, lors de cérémonies
électorales ou de rituels de commémoration, mais qui d’ordinaire vaquent
à leurs affaires courantes sans chercher à influer sur le cours des affaires
publiques ; il y a une masse de citoyens que la politique n’intéresse tout
simplement pas, par manque de compréhension, par désenchantement ou
par désillusion, qui font comme si ça ne les concernait pas parce qu’ils se
sentent aucune légitimité à prendre position, ou qui s’en détournent parce
que cela leur paraît le privilège d’un tout petit nombre. » Cette
énumération a le mérite de souligner la variété des postures de réception.
Elle a l’inconvénient de ne pas le faire en tenant compte des catégories de
la science politique qui, de différentes origines, ont pu mettre au jour la
fragmentation (Padioleau, 1982) voire la stratification des publics
politiques (Neuman, 1986). On a reconnu dans l’inventaire des citoyens
la pyramide des publics avec les publics d’identification, les publics
attentifs, le public intéressé et le grand public. On a reconnu les
« groupes à enjeu unique ». On a reconnu les groupes de ralliement. On a
reconnu les professionnels, les profanes et les désenchantés. Sans
multiplier les références, il est manifeste que l’on retrouve tous les
niveaux possibles sur l’échelle de l’engagement à l’apathie et que le
degré de politisation et l’intensité de la participation sont ici mobilisables
pour analyser les effets de la communication et de l’information hors de
l’emprise des « œuvres socialement valorisées » qui définissent la culture
haute selon Passeron (Le raisonnement sociologique) auxquelles on a
trop longtemps cantonné l’étude de la réception. Ceci ouvre un espace de
travail empirique considérable sur les effets d’opinion sans réduire
nécessairement cette dernière à sa forme sondagière.

Les formes de l’opinion publique


On a présenté différentes tentatives d’identification de l’opinion publique
dont l’intérêt heuristique correspond à ce rapprochement du public et des
états et mouvements d’opinion comme produits d’un effet3. L’opinion
agrégée des préférences individuelles est dans sa forme sondagière la plus
communément manipulée (en tous les sens du terme), sans d’ailleurs que
cela ruine son utilisation scientifique dans des conditions notamment
d’observation diachronique sur le fondement de séries temporelles. Mais il
est possible et, davantage utile, de la désagréger pour mettre en évidence
des effets d’opinion liés à la communication ou l’information, des effets qui
restaient masqués lorsque l’opinion publique restait trop trivialement
sondagière. Entman et Herbst (2001) opèrent une distinction entre
« activated public opinion », « latent public opinion » et « perceived public
opinion » qu’ils ajoutent à l’idée de « mass opinion ». La première,
l’opinion mobilisée n’est pas sans rappeler les publics intéressés et attentifs
de Cobb et Elder (1972) ou encore le mécanisme de la prise de position ou
des opinions constituées décrit par P. Bourdieu (1973) : « On prend les
positions que l’on est prédisposé à prendre en fonction de la position que
l’on occupe dans un certain champ ». Il s’agit de citoyens engagés,
informés et organisés, mobilisables rapidement même hors campagnes
électorales. L’opinion publique latente semble pour ces auteurs plus
flottante puisqu’ils évoquent « les préférences publiques fondamentales qui
sous-tendent les opinions plus fluctuantes et superficielles… c’est l’état
final de l’opinion publique à l’issue d’un débat ». Larry Bartels en propose
une définition plus fonctionnaliste lorsqu’il y voit « les préférences et
croyances auxquels les professionnels de la politique s’attendent à être
confrontés lors des prochaines élections, alors que les politiques en cours
ont produit leurs effets et que les promesses des opposants se sont fait
entendre »4. Cela ressemble à l’interprétation de B. Page (2000), selon qui
l’opinion latente correspond tout simplement à l’opinion anticipée par les
décideurs5. Pour J. Stimson (1999), l’opinion latente traduit une forme
d’opinion publique : « l’opinion publique existe largement à l’état latent et
passe à l’état activé seulement lorsque les politiques publiques sollicitent un
secteur quelconque d’acceptabilité publique ». Mais c’est J. Zaller (2003)
qui revient de façon la plus stimulante sur la conception de l’opinion latente
chez son véritable initiateur, V.O. Key. Dès 1888, Bryce sépare « la classe
active des entrepreneurs politiques » et la « classe passive des citoyens
ordinaires ». En 1961, V.O. Key ne partage pas de vision plus unanimiste ou
harmoniste de l’opinion publique puisque pour lui il s’agit « des opinions
défendues par des particuliers que les gouvernements jugent prudent de
prendre en considération ».
L’analyse du leadership dans la crise et la guerre du golfe de 1991
conduit, par ailleurs, Zaller à livrer une vision synthétique de la réactivité
anticipée des gouvernants à l’opinion latente : « Rendre au mieux compte
du leadership d’opinion des élites n’implique pas un public qui répond
aux signaux de l’élite de façon complètement mécanique, bien qu’un
soutien à des initiatives soigneusement préparées par l’élite puisse être
généralement attendu. Le leadership d’opinion des élites correspond
plutôt à la situation suivante : les élites ont leurs propres idées, elles
surveillent constamment le public pour vérifier qu’il les suit, et elles
s’efforcent toujours d’anticiper ce que le public dira, lorsque la poussière
sera retombée, à propos de ce qu’il a souhaité pendant toute la période
écoulée, en d’autres termes les élites tentent de diriger et de suivre en
même temps ». Ceci conduit à examiner, enfin, dans l’univers de
« l’opinion latente », ce que Lemert nomme l’opinion publique efficace
qu’il définit comme « l’opinion qui atteint les décideurs au moment où
précisément ils cherchent à l’identifier et décident comment y
répondre »6. Il faut donc distinguer l’opinion de masse, l’opinion
majoritaire et l’opinion efficace. L’opinion majoritaire est caractérisée
par la coïncidence, l’indifférence aux autres et le désengagement
politique. L’opinion efficace ignore le problème de la participation : une
minorité active peut devenir plus efficace qu’une majorité silencieuse,
dirions-nous pour parler comme Lemert et faire comprendre la nécessité
de dissocier ce qui est le plus souvent grossièrement agrégé.
Les majorités perçues, enfin, sont des sortes de mythes essentiellement
produits par les médias qui alimentent « le sens général de l’opinion du
public soutenu par la plupart des observateurs, des journalistes aux
politiques en passant par les membres du public eux-mêmes » (Entman,
2000). Cette notion de majorité perçue est, d’ailleurs, l’un des thèmes
majeurs sur lesquels des efforts de recherche doivent porter comme le
montre Diana Mutz (1998). La conformation et l’influence sociales
trouvent un vecteur privilégié dans une opinion putative. Tous les
mécanismes dits de falsification des préférences, pour reprendre
l’expression de Timur Kuran, et de ce qui était appelé « pluralistic
ignorance » sont ici mobilisables (spirale du silence, effet de troisième
personne, etc.) pour actualiser cette influence impersonnelle dont les
médias sont si puissants à véhiculer les effets. Robert Entman distingue
plus précisément quatre notions connexes (« referents ») au concept
d’opinion publique : les préférences individuelles authentiques, l’opinion
sondagière, l’opinion publique perçue et les priorités. Cette dernière
notion est nouvelle et désigne « l’arbitrage que l’individu fait entre des
préférences incompatibles quand il est placé devant l’obligation de faire
un choix politique sommaire, qu’il s’agisse d’un vote ou d’une réponse à
un sondage de popularité ». La priorité est fortement dépendante de
mécanismes de persuasion par l’information en l’occurrence l’amorçage
du jugement (priming) que les médias effectuent en insistant dans leur
couverture de l’actualité sur tel ou tel thème. Ces mécanismes, nous
confirme Entman, opèrent tant pour l’opinion sondagière que pour
l’opinion perçue ou que pour les priorités. On voit donc qu’il y a lieu de
séparer les préférences authentiques de l’individu et les trois autres
modalités de l’opinion publique qui sont très dépendantes du traitement
de l’information courante.
Les recherches actuelles d’Entman, de Herbst, de Mutz, de Zaller, de
Althaus, de Bartels, de Luskin (avec le sondage délibératif qui atteste le
lien entre public informé, public mobilisé et jugements) entre autres,
permettent de désagréger l’opinion publique et indiscutablement de
mieux en comprendre les ressorts. En France, M. Brugidou (2008)
s’efforce d’ouvrir l’analyse de l’opinion publique à une compréhension
plus large que l’opinion strictement sondagière en intégrant l’analyse du
discours des publics explorés. Les préférences sont ainsi bien différentes
selon qu’on observe les souhaits, les perceptions et les pronostics. Il n’est
pas sûr que les questionnaires de sondage d’opinion fassent toujours
preuve d’une précision suffisante pour éviter les contresens. En tout cas,
nous comprenons ce que Diana Mutz appelle « l’influence
impersonnelle », c’est-à-dire comment les perceptions issues de
l’expérience collective affectent les attitudes politiques. Les médias sont
directement visés puisque d’après elle, ils parviennent même à supplanter
l’expérience individuelle dans la formation des attitudes et constituent
donc une source de dépolitisation de l’expérience personnelle.

Les avancées de l’approche cognitiviste


Sans être réellement alternative à l’étude de la réception au sens des
Cultural Studies, une autre voie est aujourd’hui pratiquée par l’approche
cognitiviste en communication politique. Elle est centrée sur l’étude des
modalités individuelles du traitement de l’information par le récepteur du
message et c’est pourquoi elle est associée à ce que les Américains
dénomment la psychologie politique dans la mesure où des concepts
centraux sont empruntés aux avancées de la psychologie cognitive comme
chez James Kuklinski (2002). Quatre concepts principaux ont été mis en
évidence dans l’analyse du vote et de l’opinion publique : l’heuristique,
l’amorçage, l’évaluation en ligne et le raisonnement motivé7. Le concept
d’heuristique désigne des raccourcis de jugement (« shortcuts ») communs
que les individus utilisent pour faire des inférences compliquées (et prendre
des décisions) à partir d’indices simples de l’environnement. En d’autres
termes, ce sont des stratégies de simplification qui mettent les opérations de
jugement à la portée de tout un chacun. Pour voter, l’électeur peut
s’appuyer sur l’identification partisane, des résultats de sondage, des traits
personnels du candidat, etc. Le concept d’amorçage par les médias
s’applique quand les informations télévisées (par exemple) en attirant
l’attention sur certains problèmes influencent les critères d’évaluation
utilisés pour juger les dirigeants et les candidats comme l’ont mis en
évidence Iyengar et Kinder (1987). Ainsi, les citoyens exposés à des
informations concernant la politique de défense auront tendance à fonder
leur évaluation globale du président sur ses performances en matière de
défense. Le concept de traitement en ligne de l’information politique est
utilisé pour décrire l’évaluation immédiate et consécutive à l’exposition à
un message brut et son intégration à un étalonnage courant. Par exemple, un
électeur favorable à « l’immigration choisie » peut recevoir une information
de soutien à l’égard de cette position d’un candidat. Il va alors mettre à jour
son évaluation en faveur de ce candidat puis peut être oublier l’information
précise jusqu’au jour du vote où il se rappellera uniquement l’évaluation
positive du candidat. En conséquence, il se peut qu’il n’y ait aucune relation
entre la mémoire d’un électeur et son choix électoral. Au contraire, les
tenants du modèle du vote fondé sur la mémoire admettent l’hypothèse que
l’électeur fonde son vote sur l’information qu’il garde en mémoire. Enfin, le
raisonnement motivé est un processus de rationalisation dirigé par des biais
affectifs inconscients. Il s’agit donc de réintroduire l’influence de l’affect
dans le raisonnement politique, en d’autres termes de montrer que « la
causalité intervient de l’affect à la cognition, des préférences à la pensée, du
sentiment à l’action »8. En l’occurrence, il s’agit de montrer comment et
pourquoi l’étalonnage affectif formé en faveur d’un candidat, d’un parti ou
d’un enjeu va probablement influencer le traitement ultérieur de
l’information en le biaisant en faveur de l’évaluation initiale. Ainsi, la
psychologie politique est fondée sur des hypothèses contraires à celles du
modèle de l’électeur rationnel qui postule une information complète et un
calcul synoptique des alternatives pour déboucher sur la décision qui va
maximiser l’utilité individuelle du décideur. En effet, les raccourcis
cognitifs sont le contraire du calcul synoptique impliqué par le modèle du
choix rationnel. Dans le cas du priming, c’est l’accessibilité de
l’information qui induit l’effet d’amorçage et ceci implique une information
incomplète. Enfin, la dimension affective du raisonnement motivé et son
lien avec le traitement en ligne de l’information éloignent également ces
concepts du cadre du modèle du choix rationnel.

La persuasion directe, la persuasion


indirecte et leur complémentarité
Il convient d’éclaircir les particularités attachées à différents mécanismes
qui, seuls ou ensemble, peuvent altérer les préférences politiques : la
persuasion directe, le cadrage, l’amorçage. D’autre part, on doit s’attacher à
montrer leurs conditions d’utilisation et leur impact.

La persuasion directe
La persuasion, dans sa définition standard, se produit lorsqu’un message
modifie, dans un sens positif ou négatif, chez son interlocuteur le contenu
d’une croyance à propos d’un objet d’attitude. Mais on verra plus loin que
la persuasion peut prendre d’autres formes que le changement direct de la
croyance. Il faut rappeler qu’une attitude est fonction d’une croyance
favorable ou défavorable à propos d’une personne, d’un enjeu ou d’une
manière générale de l’objet d’attitude. La persuasion est directe lorsque le
message contrôlé par l’acteur ou diffusé par les médias modifie l’attitude
d’un individu à l’égard d’une réforme, d’une image politique ou tout autre
objet publicisé, politisé et polarisé par ajout d’informations au stock de
considérations disponibles en mémoire. « L’approche cognitive des
mécanismes responsables de la persuasion a porté un éclairage nouveau sur
l’analyse du changement d’attitude, notamment en mettant en évidence le
fait que le sujet psychosocial n’est pas un simple “réceptacle” dans lequel
on déverse l’information, mais qu’il traite au contraire activement le
contenu de cette information » écrivent Bromberg et al. (1996). Ainsi le
modèle dominant de la vraisemblance d’élaboration (« Elaboration
Likelihood Model ») de Petty et Cacioppo (1986) postule que l’individu, s’il
est motivé et dispose des capacités cognitives suffisantes, s’engage dans le
processus de traitement central de l’information. Cela implique pour celui
qui cherche à persuader qu’il émette des messages différents selon le degré
de motivation de la cible. Les individus faiblement motivés par une
campagne utiliseront des raccourcis cognitifs (identification partisane,
télégénie du candidat, etc.) et procéderont à un traitement dit périphérique
du message9. En effet, le candidat a intérêt à mettre l’accent sur des
soutiens de la part de célébrités, à favoriser l’association avec des symboles
d’agrégation (le drapeau, la famille), à solliciter des signes physiques (voix,
attractivité personnelle)10 ou à solliciter la proximité sociale (race, classe,
genre). Le traitement périphérique du message concerne en particulier les
campagnes en vue des élections locales ou de second ordre. Le traitement
central des messages est le fait des individus plus impliqués en politique qui
vont évaluer par exemple de façon rétrospective le bilan du sortant. Les
enjeux y jouent un rôle plus important et le candidat doit expliquer
comment son projet est au service des citoyens en traitant des problèmes
centraux soulevés par la campagne.
Les temps ne sont plus au minimalisme des « effets limités » des
médias sur les citoyens tels que Lazarsfeld les entrevoyait. Pour autant, le
modèle hypodermique de la communication persuasive pénétrant comme
une seringue qui lâche sa substance pour propager la croyance n’a plus
cours lui non plus. D’autres modèles sont venus les remplacer qui font
droit à une gamme élargie d’effets de la communication notamment de
type cognitif. Voilà bien une trentaine d’années que les chercheurs ne
réduisent plus les effets de la communication électorale à du
renforcement d’attitude et de la mobilisation associés à de faibles
conversions. Ce n’est pas pour autant que toute persuasion directe est
devenue impensable comme le montre, par exemple, Zaller (1996). Mais
pour cela, il a fallu admettre un élargissement des effets à plusieurs
niveaux : du comportemental à l’attitudinal en passant par le cognitif ; du
court terme au long terme ; du non cumulatif au cumulatif, entre autres.
Dès 1968, la théorie de McGuire énonce que les propriétés de
l’audience qui augmentent la probabilité de son exposition à la
communication sont celles-là mêmes qui réduisent la probabilité de son
acceptation. Par exemple, les plus éduqués s’informent davantage en
même temps qu’ils sont mieux « équipés » intellectuellement et
idéologiquement pour résister à une persuasion quelconque. Exposition
au message et acceptation du message politique travaillent donc en sens
inverse, en vertu de quoi on peut s’attendre à une courbe en cloche pour
figurer la relation entre caractéristiques de l’audience (comme le degré
d’information) et changement d’attitude.
S’en inspirant, John Zaller, qui s’appuie également sur les résultats de
Converse, a proposé un modèle du changement d’attitude au niveau
individuel fondé sur le tryptique (receive/accept/sample). Envisageant
l’opinion comme produit d’une combinaison de prédispositions et
d’information, Zaller (1992) développe un modèle explicatif très
performant du changement d’attitude fondé sur la notion de
« considération » qui correspond simplement au critère d’interprétation
variable appliqué à un enjeu : une considération est définie comme
« toute raison qui pourrait inciter un individu à décider un enjeu politique
d’une façon ou d’une autre ». Premièrement, plus un individu est engagé
sur le plan cognitif (awareness) à l’égard d’un enjeu, plus la réception
(comprise à la fois comme exposition et compréhension) de l’enjeu est
probable. L’information ou la connaissance acquise favorise la réception
d’un message sur l’enjeu. Deuxièmement, les individus tendent à résister
aux arguments contraires à leurs prédispositions politiques s’ils disposent
de l’information contextuelle pour relier le message et leurs
prédispositions (par exemple, quel est l’auteur de tel discours). On
retrouve la protection de l’identification partisane face à la persuasion
adverse, centrale dans le paradigme de Michigan. Troisièmement, plus
une considération a été évoquée récemment, plus elle sera rapidement
remémorée et activera une attitude mémorisée lui correspondant. Au
niveau agrégé, Zaller (1996) montre que le « volume » de certains
messages surpassant celui des autres et les attributs de certains citoyens y
aidant produisent des effets de composition dans la réception des
messages : des « différences de réception » donnent toute probabilité à
certains électeurs, par exemple, d’entendre davantage les messages d’un
candidat plutôt que d’autres. Ce type d’électeurs provient de façon
disproportionnée des catégories d’engagement politique intermédiaires.
Au total, la relation entre engagement et soutien au candidat le plus
entendu n’est pas linéaire, comme on le postule souvent dans la
recherche des effets des médias, mais bien de type curvilinéaire. On
retiendra que pour Zaller, toutefois, les citoyens à faible compétence
politique qui sont malgré tout atteints par la communication politique se
montrent plus réactifs au contenu des médias, car ils n’ont pas les
moyens de s’y opposer. Pour d’autres, au contraire, ce sont les
indépendants qui se montrent les plus sensibles aux effets des médias car
ils ne disposent d’aucune protection idéologique (Ansolabehere S., Behr
R., Lyengar S., 1993).
Le second apport de Zaller, au niveau de la persuasion, a trait à
l’environnement d’information qui est soit homogène (one sided
information flow) soit hétérogène (two sided information flow). Dans le
premier cas, les médias vont générer un effet d’opinion à caractère
uniformisant (mainstreaming), dans le second cas, l’effet est au contraire
de renforcement des oppositions (polarization). Le mécanisme central de
la persuasion directe relève d’un processus cognitif additif. Il s’agit
d’ajouter de l’information (bonne ou mauvaise) au stock de
considérations déjà disponibles chez le récepteur11. Notons à ce propos
que la question de la polarisation est actuellement au centre de recherches
empiriques importantes liées à la délibération, car il n’est pas sans
conséquence de savoir si les citoyens sont capables de discuter en
s’unissant ou en se divisant, si la discussion sur les questions d’intérêt
commun les engage dans un inexorable mouvement centrifuge qui
sonnerait le glas des espoirs de règlements pacifiés par le débat. Les
résultats des sondages délibératifs, pour l’instant, poussent à rejeter cette
hypothèse.

Les mécanismes de l’effet de cadrage


Avec le mécanisme du « framing » (cadrage), on passe à l’effet de la
définition d’un problème, d’une situation ou d’un enjeu politique produit
par la présentation sélective, par discrimination de certaines considérations,
qui induit ou oriente vers une interprétation particulière de l’objet. Par
exemple, on peut présenter la canicule de l’été 2003 comme un phénomène
imprévisible ou au contraire insister sur l’insuffisance des moyens collectifs
pour faire face à ce type de catastrophe climatique ou encore s’insurger
contre le manque de solidarité interindividuelle et le délitement du lien
social, etc. Il est bien évident que l’élément central du dispositif
argumentatif est investi par la source du discours d’une charge persuasive
bien différente selon qu’on adhère à l’une de ces formules. Le prix Nobel
d’économie en 2002, D. Kahneman, a attaché son nom, ainsi que A.
Tversky, à l’étude de l’effet de cadrage défini comme « la conception que le
décideur se fait des actes, résultats et aléas associés à un choix
particulier »12. Lorsqu’on présente une alternative au choix des individus,
expliquent-ils, les résultats sont très dépendants du « cadrage » de
l’alternative. Le choix présenté en termes de gains induit une préférence
pour la conduite qui évite le risque ; le même choix présenté en termes de
pertes favorise la prise de risque. On réalise rapidement l’ampleur des
prolongements théoriques, empiriques… et pratiques de ce constat pour le
cadrage de l’action publique et sa « mise en acceptabilité ».

Dans leur enquête expérimentale devenue célèbre, Tversky et Kahneman


demandent aux participants d’imaginer que les États-Unis se préparent à l’arrivée
d’une grave épidémie, dont le nombre de victimes est estimé à six cents personnes.
Deux programmes alternatifs sont proposés pour la combattre. Il est expliqué aux
sujets de l’expérimentation que les scientifiques considèrent que si le programme A
est adopté, deux cent personnes seront sauvées, et que si le programme B est
choisi, il y a une probabilité d’un sur trois que les six cent personnes seront sauvées
et une probabilité de deux sur trois que personne ne sera sauvé. Il est alors
demandé aux participants de choisir entre les deux programmes. 72 % d’entre eux
choisissent le programme A et 28 % le programme B. Les auteurs reproduisent
ensuite la même expérimentation auprès d’un autre groupe, mais en insistant cette
fois non plus sur le nombre de personnes sauvées dans chacun des programmes,
mais sur le nombre de personnes qui décéderont. Il est ainsi expliqué aux sujets que
les scientifiques estiment que si le programme A est adopté, quatre cent personnes
mourront, et que si le programme B est choisi, il y a une probabilité d’un sur trois que
personne ne décédera et une probabilité de deux sur trois que six cent personnes
mourront. Ces programmes reviennent donc exactement au même que les
programmes précédents. Mais ils sont cadrés différemment. Or, 78 % des
participants choisissent cette fois le programme B et seulement 22 % le programme
A. Les auteurs en concluent que les êtres humains ont tendance à refuser de
prendre des risques lorsqu’ils pensent aux gains potentiels (comme dans la première
phase de l’expérimentation), et à accepter d’en prendre lorsqu’ils pensent aux pertes
potentielles (comme dans la seconde phase).

En sociologie, pour Erving Goffman (Frame Analysis, 1974) « toute


définition de la situation est construite selon des principes d’organisation
qui structure les événements…, opère une stratification de la réalité ».
Gamson et Modigliani (1989) voient quant à eux dans le cadre « l’idée
organisatrice centrale pour donner un sens à des événements et suggérer
la nature de l’enjeu ». C’est « le principe d’organisation qui tient
ensemble et donne leur cohérence et leur signification à un ensemble de
symboles », écrit encore Gamson (1996). Il est clair que les mécanismes
de cadrage fondent le processus délibératif c’est-à-dire qu’il est ancré
dans des associations entre des cadres interprétatifs plus ou moins
concurrents. Les cadres sont, en somme, des candidats aux « prétentions
à la validité » chez Habermas. Selon Entman (1993), « cadrer c’est
sélectionner certains aspects d’une réalité perçue et les rendre plus
saillants dans un message pour promouvoir une définition particulière
d’un problème, une interprétation causale, une évaluation morale et/ou
une recommandation concernant le traitement de l’objet en question ».
Cette définition très compréhensive est spécialement intéressante car elle
intègre une conception particulière du cadrage présentée par Iyengar
(1991). Il existe, en effet, deux compréhensions du phénomène du
cadrage. À côté de ce que nous nommons personnellement « cadrage de
configuration » de l’objet qui consiste, donc, à le définir et en construire
la contextualisation, Iyengar conçoit un « cadrage d’imputation »,
d’attribution causale, de mise en cause de la responsabilité face à un fait.
Mais il nous paraît utile de bien séparer les deux formes conformément à
l’énumération des aspects du cadrage proposée par Entman. Rendre plus
saillants certaines dimensions d’un problème ne revient pas
nécessairement à attribuer une responsabilité. La catégorisation d’un
événement n’équivaut pas au jugement que l’on porte sur lui. On y
reviendra à propos du rôle des médias d’information car il est, en
revanche, évident que lorsqu’un cadrage d’imputation est manipulé, il
touche au principe central de la démocratie représentative,
« l’accountability », et il recèle un potentiel destructeur considérable
puisqu’il met en jeu la responsabilité politique.
Pour T. Nelson (1999) et ses collaborateurs, il faut bien distinguer
persuasion directe et persuasion par effet de cadrage : le changement de
contenu de la croyance d’une part, et le changement d’importance
accordée à la croyance d’autre part. Si dans la persuasion directe, il s’agit
d’ajouter de l’information (bonne ou mauvaise) au stock de
considérations déjà disponibles, le cadrage peut produire un effet par
activation de considérations déjà présentes dans la mémoire du récepteur.
Pour susciter une opinion, une considération doit être disponible,
accessible et applicable (Olmastroni, 2014). Dans ce cas, ce n’est pas la
croyance qui va changer de contenu, mais l’importance qui lui est
accordée qui va varier. Autrement dit, il ne faut pas confondre les deux
formes de changement d’attitude : dans la persuasion traditionnelle,
croyances ou cognitions individuelles sont modifiées ; avec la persuasion
par cadrage, c’est le poids attaché à la considération concernée qui est
modifié. Par exemple, comme on l’a évoqué précédemment, on peut
s’accorder sur les bénéfices économiques de l’énergie nucléaire, tout en
étant en profond désaccord sur l’importance de ces bénéfices comparés
aux risques de catastrophe présentés par l’implantation proche d’une
centrale (avec un effet Nimby13). Selon que l’effort persuasif porte sur le
premier point ou sur le second, on comprend que le cadrage du nucléaire
est fondamentalement en cause. Doit-on mettre en avant le « droit à la
vie » ou bien « la liberté de choix » dans le problème de l’interruption de
grossesse ? « Les cadres indiquent au public comment évaluer des
considérations en concurrence qui font partie de la délibération politique
quotidienne. Les cadres peuvent n’apporter aucune information nouvelle,
mais leur influence sur nos opinions peut être décisive pour leur
contribution à la hiérarchisation de considérations alternatives »14. On
distinguera entre l’effet de cadrage qui résulte des opérations de sens et
l’effet du cadrage qui concerne les implications socio-politiques du sens
ainsi créé. L’effet du cadrage va consister à fixer l’attention sur un ou
plusieurs aspects d’un problème et ainsi induire une réaction. L’effet de
cadrage peut prendre la forme d’une hiérarchisation d’objectifs, d’une
catégorisation d’un enjeu par affectation à une classe de problème
(économique, sociale, politique, culturel, etc.), par assignation de rôle
institutionnel comme dans l’attribution de la responsabilité d’un
problème à une institution particulière.
Scheufele (1999) a contribué à éclaircir les différentes questions
posées par le cadrage (de la part des médias et de la part des audiences) et
les rapports qu’ils entretiennent selon qu’on leur attribue un statut de
variable dépendante ou indépendante. Dans l’étude de la communication
politique, les cadres sont majoritairement placés en position de variables
indépendantes (qu’il s’agisse des cadres médiatiques ou des cadres
individuels) pour expliquer les effets sur l’attention et les perceptions
publiques. Ainsi on se demandera, lorsque le cadre constitue la variable
explicative, comment tel type de cadre médiatique influence la
perception publique de tel enjeu (Entman, 1993) ou bien comment les
cadres individuels influencent la perception individuelle de telle question
sociale (Snow, et al, 1986). Lorsque le cadre est en position de variable à
expliquer, il s’agira comme chez Tuchman (1978) de connaître les
facteurs qui influencent les représentations des journalistes ou d’autres
groupes sociaux ou bien comment fonctionnent les processus de cadrage
notamment chez les journalistes. Chez Gamson (1992) ou Iyengar
(1991), on s’interroge sur l’origine individuelle ou médiatique des cadres
interprétatifs voire sur leur combinaison. On se demande quels facteurs
influencent l’élaboration des cadres et notamment le poids des facteurs
médiatiques. La question peut aussi devenir celle de l’identification des
membres du public qui contribuent à l’élaboration des cadres ou à la
résistance aux cadres médiatiques.
De multiples effets du cadrage ont été mis en évidence, notamment de
façon expérimentale. Iyengar a insisté sur l’opposition entre cadrage
épisodique et cadrage thématique des événements dans les médias. Le
premier a tendance à inciter à une attribution de responsabilité
individuelle contrairement au second qui pousse à l’imputation
collective. Par exemple, raconter la vie d’un SDF induit un jugement qui
facilitera la mise en cause de sa responsabilité individuelle. En revanche,
contextualiser l’information en expliquant la précarisation du travail ou
d’autres phénomènes affectant l’environnement induira chez le
téléspectateur un jugement davantage inspiré par la responsabilité
collective. Dans les campagnes électorales, l’opposition entre cadre du
jeu et cadre des enjeux est aussi fréquemment utilisée15. Par ailleurs,
Druckman (2001) nous invite à ne pas confondre un effet de cadrage par
équivalence et un effet de cadrage par accentuation. Dans le premier cas,
il s’agit de présenter une situation strictement identique sous son jour le
plus flatteur (proposer un objectif économique de 95 % d’emploi au lieu
de 5 % de chômage). Dans le second cas, il s’agit d’insister sur des
considérations qui ne sont pas équivalentes (un programme électoral
centré sur des problèmes internes au lieu de questions internationales, par
exemple), ou bien apprécier l’effet sur la tolérance d’une manifestation
du Ku Klux Klan produit par un cadrage médiatique insistant sur la
liberté de parole ou sur la défense de l’ordre public (Nelson et al., 1997).
Les Républicains américains ont par exemple tendance à présenter les
dépenses publiques en objectifs généraux tandis que les démocrates
avancent des dépenses programmatiques plus précises. Ce qui est donc en
cause avec le cadrage, c’est le mécanisme cognitif et le résultat en termes
d’attitude que cela provoque. Les enjeux généraux font appel à une
attitude à l’égard du gouvernement lui-même et suscitent davantage de
réticence aux États-Unis où l’intervention de l’État n’est pas toujours
souhaitée, que l’évocation de cibles particulières qui facilite un soutien
populaire plus aisé dans la mesure où les bénéficiaires sont identifiés16. Il
faut aussi reconnaître que l’analyse de cadre déborde assez largement le
domaine politique ou tout au moins celui de la politique institutionnalisée
et, qu’en ce sens, elle peut constituer un instrument utile pour étudier ce
qu’il est convenu d’appeler le « hors-champ » politique et qui est
cependant lourd de sens (Reese, 2001 ; Darras, 1998). Iyengar (in
Chambers et al. 2000) montre, par exemple, combien les stéréotypes
raciaux et de genre passent facilement par la couverture des chaînes
locales de télévision qui touchent une audience supérieure à celle des
réseaux nationaux. En d’autres termes, c’est bien parce que le public est
constitué d’« avares cognitifs » pour parler comme Fiske et Taylor
(1991), c’est-à-dire d’individus limités dans leur capacité à traiter de
l’information, que les effets du cadrage peuvent intervenir lors de ce
traitement. Et cette propriété universelle de la nature humaine que H.
Simon a désignée par le concept de « rationalité limitée » explique sans
doute le succès spectaculaire des analyses de cadrage dans le domaine
politique (Hallahan, 2011).

Les mécanismes de l’effet d’amorçage


L’effet d’amorçage (« priming ») consiste en une modification momentanée
des critères de jugement sous l’effet d’une information temporairement plus
accessible. Admettons qu’un objet de préoccupation submerge
soudainement les médias et le public, la conséquence sera qu’il va imposer
un critère d’évaluation des acteurs politiques en charge des affaires. À titre
d’exemple, songeons à la canicule de l’été 2003 en France et ses effets
politiques a priori inattendus. Un exemple, plus proche de la
communication présidentielle, est fourni par l’analyse des fluctuations de la
popularité de G.H. Bush (Edwards III, et al., 1995). Nous retrouvons ici la
définition des initiateurs de la recherche sur le priming (Iyengar, Kinder,
1987) : les médias, en favorisant la saillance de certains enjeux, influencent
« les critères de jugement appliqués aux gouvernements, présidents,
politiques publiques et candidats ». La guerre du Golfe qui avait fait l’objet
d’une couverture médiatique intensive (« saturation coverage ») s’était
accompagnée de fluctuations de popularité dont plusieurs chercheurs ont
déjà montré la robustesse et la variété de leurs relations avec les médias
(Brody, lyengar et Simon, par exemple). Edwards démontre en reliant la
popularité présidentielle au contenu de la couverture médiatique que la
première varie en raison directe de la seconde. Pour cela, il part de l’écart
qu’il observe au temps t entre la popularité « globale » ou l’évaluation
portée sur sa conduite des affaires comme président d’une part et les
évaluations portées sur ses performances sectorielles d’autre part. Au
moment où G.H. Bush bénéficie de 70 % d’approbation « globale », il est
approuvé à 81 % pour sa façon de gérer les relations avec l’Union
soviétique mais seulement à 30 % pour sa façon de gérer le problème de la
pauvreté et des sans-logis. C’est donc bien qu’au même moment, certains
enjeux « pèsent » plus lourd que d’autres dans l’évaluation globale.
L’auteur mesure alors entre 1989 et 1992 la probabilité d’impact sectoriel
sur la popularité globale. Jusqu’à la fin de la guerre du Golfe, la politique
étrangère domine la politique économique dans sa probabilité d’impact.
Cette mesure est, par ailleurs, strictement parallèle à ce que l’on constate
dans l’ascension de la popularité présidentielle jusqu’à la fin de la guerre
puis son déclin postérieur. Or, c’est là que le « priming » se trouve
confirmé, ceci correspond à la périodisation des médias dans l’attention
qu’ils ont portée à l’une et à l’autre de ces deux politiques. Si nous
restituons le processus d’ensemble, nous obtenons la séquence causale
suivante :

Tableau 3.1 – Schématisation du processus d’amorçage


de l’évaluation du président

L’information diffusée par les médias fonctionne ainsi comme un menu


déroulant dans un logiciel : elle indique laquelle de ces politiques doit être
considérée comme essentielle pour juger le président au moment t. Dans le
schéma ci-dessus, la politique économique est privilégiée par les
journalistes qui transmettent ou imposent « leurs » critères d’évaluation au
public, c’est-à-dire « leurs » priorités et leur définition de la situation.
L’approbation globale est prioritairement, mais pas exclusivement, fonction
du critère de la politique économique valorisé par les organes
d’information. C’est pourquoi nous pouvons grossir le trait en écrivant que
l’approbation globale = f (B), c’est-à-dire qu’elle est principalement
déterminée par les considérations économiques. Ce que les médias
privilégient comme enjeux couverts « signale » au public quel critère (ou
quelle performance sectorielle) il doit retenir pour fixer le niveau de son
soutien. La notion d’amorçage est alors bien manifeste : l’information
« amorce » le jugement. Quand il y a couverture maximale des
préliminaires et de la guerre du Golfe, le critère « international » est sur-
valorisé par le public. Quand elle prend fin, place est faite aux
préoccupations économiques et à l’état de la conjoncture et des affaires.
Edwards mesure même l’impact de la couverture télévisuelle et de la presse
écrite dans les domaines international et économique sur le degré
d’approbation, la télévision étant toujours supérieure à la presse sauf pour
les sujets qui font la « une ». Là où le problème se complique
électoralement pour Bush, c’est que son adversaire de 1992, Clinton, a bien
compris qu’il faut appuyer sur l’économie puisqu’elle constitue un domaine
défavorable au président sortant dans les médias réputés non partisans. On
comprend ici le parti stratégique qu’un entrepreneur politique tire de l’appui
indirect qu’il trouve dans le message dominant diffusé par les médias
d’information, ou, en d’autres termes, lorsqu’il y a conjonction entre sa
communication contrôlée et l’information des médias réputée impartiale.
Johnston, Blais et al. (1992) mettent très clairement en évidence un effet
d’amorçage en conjoncture électorale. Au cours de la campagne électorale
canadienne de 1988, le parti victorieux parvient à déplacer le centre du
débat des enjeux à la personnalité et au leadership de son candidat.
Comme les autres mécanismes, l’amorçage est donc fondé sur un biais
d’accessibilité de l’information. Mais comme le note Scheufele et al.
(2007), dans une importante mise au point conceptuelle et théorique, la
logique de l’amorçage est plus proche de la formation de l’agenda que de
la logique du cadrage. C’est, en effet, la saillance de l’objet qui est
l’élément essentiel dans les deux premiers mécanismes, alors que c’est la
saillance des attributs de l’objet qui domine dans le troisième. L’effet
d’amorçage, par ailleurs, est un mécanisme cognitif qui implique la
mémoire et son activation puisque des traces mnésiques, les attitudes
conservées en mémoire, sont temporairement activées par une
accessibilité renforcée. Par opposition, le cadrage est fondé sur des
théories telles que l’attribution (Heider) ou l’analyse de cadre (Goffman)
inutiles à la théorie de l’agenda-setting ou agenda des médias.
Au total, on comprend, néanmoins, qu’il ne s’agit pas du même
mécanisme persuasif lorsque : 1) change une croyance ou une
connaissance par persuasion directe ; 2) change l’importance que
l’individu attache à une information nouvelle sur le même objet ; 3)
changent temporairement les critères de jugement sur cet objet parce que
certaines attitudes à long terme dans la mémoire ont soudainement ont
été activées ; 4) change plus superficiellement l’attention portée à un
objet. C’est un authentique succès de la recherche empirique sur les effets
des médias en termes d’agenda, d’amorçage et de cadrage comme le
notent Chong et al. (2012). Depuis 1994 pas moins de 308 articles dans
treize revues importantes les mentionnent dans leur titre ou abstract.
Après avoir examiné les relations entre les trois concepts, Chong et
Druckman montrent comment l’introduction du contexte de compétition
et la prise en considération de la variable du temps sont décisives pour la
recherche.

La mise en œuvre des mécanismes


persuasifs
L’objectif (contrôlé) ou le résultat (non maîtrisé) des mécanismes persuasifs
consiste dans l’emprise sur l’attention et les perceptions publiques.
Schattschneider (1960) fut le premier à souligner combien la maîtrise d’une
définition de la situation est décisive pour la prétention à exercer le pouvoir.
« Le conflit politique, écrit-il, n’est pas comparable à un débat académique
où les protagonistes partagent d’emblée une définition des enjeux. En
réalité, la définition des alternatives est l’instrument suprême du pouvoir ;
les adversaires peuvent rarement s’accorder sur l’identification des enjeux
parce que le pouvoir est partie prenante de la définition… Celui qui
détermine sur quoi porte l’activité politique a le pouvoir de diriger ».
La définition d’un enjeu est centrale parce que la « portée du conflit » va
conditionner la mobilisation, l’expansion du conflit et en définitive tout le
processus démocratique. La définition de l’enjeu participe donc de la
« mobilisation des biais » qui constitue le travail de l’organisation politique.
C’est clairement reconnaître le caractère stratégique du contrôle de l’agenda
politique, au sens général, tant au niveau du filtrage des problèmes à traiter
qu’au niveau de leur définition. Pour approfondir la connaissance de ces
mécanismes, il conviendrait de contextualiser davantage les objets de
recherche et d’introduire des variables explicatives plus socio-politiques.
Une autre voie s’ouvre en dissociant davantage l’étude de ces mécanismes
et de leur effet d’interaction et en observant le comportement de groupes
aux propriétés sociales et politiques différentes. En tant que stratégie de
contrôle de l’opinion, la gestion de l’information (« spin control ») qui
passe par un calibrage et un formatage ajustés des messages diffusés montre
à quel point les décideurs sont loin d’être démunis dans la domination du
processus de publicité moderne pour reprendre la formulation de J. Blumler.

L’emprise sur l’attention, les perceptions


publiques et les préférences collectives
L’idée centrale est ici celle d’effet d’agenda, par où il est d’usage de
commencer la présentation des mécanismes persuasifs de l’information. La
raison en est qu’historiquement, la recherche s’est développée sur ce
fondement avec le fameux énoncé de Bernard Cohen en 1963 : « Il se peut
que la presse échoue le plus souvent à dire aux gens comment il faut penser.
Mais elle réussit le plus souvent à leur dire à propos de quoi il faut penser ».
Le virage qu’implique cette assertion indique clairement que ce qui est
décisif ce sont les objets sur lesquels l’attention publique est focalisée par
les médias. Le corollaire implicite est que cette focalisation de l’attention
fonctionne comme une diversion à l’égard de tous les autres objets de
l’environnement qui ne sont pas placés sous le feu des médias. Autrement
dit, montrer, c’est aussi cacher.
Mais c’est sans doute l’effet d’agenda tel qu’il est conceptualisé dès
l’origine qui reste le plus problématique des effets persuasifs : il repose
lui aussi sur le mécanisme des variations d’accessibilité de l’information
mais la validité du concept varie avec son extension : s’agit-il d’un terme
générique pour désigner l’ensemble des effets potentiels liés à la mise en
accessibilité réalisée par la diffusion de l’information ? S’agit-il d’une
manipulation des préférences des citoyens, ou bien, plus
vraisemblablement, et plus restrictivement, à notre sens, d’une pression
exercée sur leur attention comme nous en ferons l’analyse dans le
chapitre 5. D’autres auteurs expriment aussi des réserves quant à la
portée du concept (McLeod, et al, 2002). Deux propositions fondent la
reconnaissance du processus. La première consiste à affirmer que les
médias contrôlent l’agenda en assurant par leur tri sélectif une couverture
massive à certains enjeux. La deuxième avance que la saillance établie a
pour conséquence de déterminer la hiérarchisation publique des enjeux.
Si les recherches empiriques semblent conforter la seconde proposition,
cela ne paraît pas une « preuve » nécessaire et suffisante pour clamer la
puissance des effets politiques des médias car les « événements »
imposent souvent leur propre poids. Les auteurs cités sont plus
circonspects à propos de la première proposition, c’est-à-dire sur la
capacité des médias à construire l’agenda notamment en raison des
rapports entre sources et médias où les seconds ne paraissent pas en
position de force. Si montrer c’est en même temps cacher, l’attention
collective n’est que temporairement captive de ce qui est montré car c’est
une norme professionnelle de renouvellement perpétuel de l’information
qui l’exige. Par définition l’information est éphémère comme le montre
la présence de « jour » dans le terme « journalisme » ou même le terme
de « nouvelle ». Reste le problème de cette rotation accélérée de
l’information qui peut déterminer la labilité du public. Il faudra bien un
jour travailler directement cette question du lien causal entre la durée de
vie brève des problèmes médiatisés et l’impatience publique pointée par
les gouvernants comme M. Rocard (1987) et donc, peut-être lorsqu’elle
est couplée aux tendances aux désalignements social et partisan, la
rotation accélérée des gouvernements dans des alternances au rythme
élevé. C’est là une hypothèse d’accélération du temps public tout entier
sous l’effet des médias. Il ne suffit pas, cependant, le plus souvent qu’un
problème soit médiatisé pour que son règlement intervienne et même, en
amont, il ne suffit pas qu’une situation soit jugée indésirable pour que
conscience soit prise de l’existence d’un problème collectif. Pour que la
transformation s’opère, il faut que des aspects antérieurement ignorés ou
minorés de la situation acquièrent une saillance nouvelle. C’est le travail
des « policy makers » et des entrepreneurs de cause de redéfinir les
enjeux et donc le contenu du débat public (et pas seulement celui des
médias). Un accroissement de l’attention institutionnelle et collective à
un enjeu indique un changement d’attentes, mais ne débouche pas
nécessairement sur un changement de politique publique, même s’il
signale qu’un défi est lancé au statu quo. Comme le souligne Bryan Jones
(1994), un changement du degré d’attention à un problème n’est pas
forcément assorti d’un changement des préférences sur le problème
concerné. Véritable « goulot d’étranglement » pour parler comme
Herbert Simon, l’allocation de l’attention se révèle néanmoins critique
dans les trois effets examinés (agenda, cadrage, amorçage) : qu’il s’agisse
de faire monter ou baisser un problème en visibilité publique, une
dimension spécifique ou plusieurs afin de favoriser une perception
préférentielle ou bien de peser sur l’environnement général d’information
pour transformer des critères de jugement, on voit bien que c’est
l’allocation de l’attention qui est le mécanisme de « mise à feu » de
l’effet d’information17. Il faut, cependant, bien reconnaître que les
gouvernants disposent d’un arsenal pour orienter voire manipuler cette
attention publique qui reste hors du commun. Indépendance des
gouvernants, survisibilité sociale, continuité de l’État constituent trois
conditions de possibilité majeures pour assurer la faisabilité de la
gouvernance de l’attention publique. L’agenda des gouvernants prend
appui sur l’information quotidienne. Il bénéficie d’une prime de visibilité
permanente, certes à double tranchant, et on peut supposer que le poids
privilégié qu’il acquiert par sa médiatisation lui confère de la légitimité.
Le contrôle de l’attention publique participe donc déjà du travail de
légitimation de l’action des gouvernants. Ils peuvent travailler à
différents « paliers d’emprise » selon les instruments et les processus
qu’ils choisissent de mettre en œuvre telles la gouvernance de l’attention
publique aux enjeux et la maîtrise des définitions de ces problèmes18.
Baumgartner et al. (1993) ont bien montré comment les communautés de
politiques publiques exploitent la visibilité médiatique pour pousser ou
freiner la carrière d’un enjeu dans l’agenda politique. La gouvernance de
l’attention publique et l’orientation des perceptions publiques facilitent
l’emprise sur les préférences collectives19 à tel point qu’on est en droit de
se demander si la réactivité des gouvernants aux attentes des gouvernés
est contingente, anticipée par rapport à l’élection ou carrément simulée.
La séquence suivante de contrôle de l’opinion est alors parfaitement
concevable :

Gouvernants → Visibilité des médias → Saillance d’un enjeu → Attention publique


→ Mise en acceptabilité publique de la définition du problème → Préférence
collective.

Il faut malgré tout garder à l’esprit que les formes indirectes de persuasion
ne se confondent pas nécessairement avec les effets de l’information, même
si elles ont un lien privilégié avec eux. Le cadrage et l’amorçage peuvent
inspirer d’authentiques stratégies de persuasion que l’entrepreneur politique
cherche à contrôler. Ainsi, J.F. Kennedy développe en 1960 une authentique
stratégie de « priming » où il met l’accent sur l’enjeu de la protection
sociale pour induire un effet d’image personnelle à propos de sa proximité
et son souci d’autrui20. Ensuite, il faut bien faire observer que formes
directes et indirectes ne sont pas exclusives l’une de l’autre mais peuvent
opérer simultanément. On note alors que s’explique en partie la difficulté
empirique à observer des effets persuasifs dans toute leur ampleur si on se
concentre uniquement sur une forme ou une autre.
Globalement on peut retenir que les effets d’information sont des effets
d’accessibilité procurés par l’information : ce qui est rendu accessible par
les médias va, premièrement, focaliser l’attention publique plus ou moins
selon l’objet ; deuxièmement, va contribuer à configurer l’objet ou la
situation et donc leurs perceptions publiques en privilégiant certaines
interprétations et en induisant, par exemple, des attributions de
responsabilités à tel ou tel acteur ; troisièmement, l’effet d’information va
amorcer le jugement en imposant par son insistance certaines
considérations comme critères de jugement de l’objet, de l’acteur ou de
la situation. Les trois effets ainsi décrits correspondent à l’effet d’agenda,
l’effet de cadrage et l’effet d’amorçage. Autrement dit, la présentation
d’un objet, d’un enjeu, d’un évènement, etc., affecte leur compréhension
en manipulant des catégories d’entendement qui vont solliciter des
catégories de jugement alors que ça n’est pas la vocation de l’information
de le faire, mais simplement de porter à la connaissance du public un
certain état de choses. La question est de savoir si ces effets résultent
d’une activation de connaissances déjà « stockées » en mémoire et qui
sont soudain sollicités par la visibilité médiatique. Si la perspective
dynamique commande le processus de formation de l’attention et des
perceptions publiques, l’exemple de l’enjeu « Insécurité » dans la
campagne présidentielle française de 2002 s’impose. Qu’observons-nous
dans la durée : premièrement, un thème sur lequel les forces politiques
s’affrontent très tôt dans la compétition ; deuxièmement, des faits
délictueux ou criminels isolés et soulignés par les médias ; troisièmement
un « climat d’opinion » où l’insécurité devient dominante ;
quatrièmement la sélection par les candidats de l’enjeu insécurité comme
prioritaire dans l’agenda électoral ; cinquièmement, un discours électoral
auto-réflexif, détaché de la réalité sociale, où les candidats débattent et
concourent sur des prises de position et des propositions plus ou moins
originales. Ce cycle n’est pas sans rappeler celui que les Lang (1983)
avaient mis au jour concernant le Watergate : les médias révèlent et
mettent au premier plan certains événements et personnalités ; ces
éléments de conflit sont combinés dans un cadrage commun ; l’enjeu est
lié à des symboles secondaires et devient central sur la scène politique ;
les professionnels s’emploient à faire monter la visibilité de l’enjeu pour
le rendre décisif. Entre ces deux cycles, une différence importante
concerne la place des entreprises politiques. Elle est première, nous
semble-t-il dans la situation française de l’insécurité en 2002 ; elle est
seconde par rapport à l’activité des médias dans le cas américain tel que
les Lang l’ont interprétée.

Recontextualiser et désagréger les effets


et les publics
Goidel et al. (1997) notamment, ont mis en évidence une des raisons pour
lesquelles on sous-estime systématiquement les effets des médias dans les
campagnes électorales après que Zaller (1996) en a pointé une autre : la
tentation de voir l’exposition et l’influence varier de façon linéaire. Tout
simplement, on observe soit la persuasion directe soit un ou plusieurs
mécanismes de persuasion indirecte. Mais, avancent-ils et vérifient-ils,
observons empiriquement comment ces processus travaillent simultanément
et on obtiendra une correction à la hausse des effets des médias, notamment
en l’occurrence comment la persuasion directe n’exclue en rien les effets de
l’amorçage. Un autre aspect de cette complémentarité, sur lequel le débat
scientifique porte avec insistance actuellement, concerne les catégories
sociales concernées par ces différents mécanismes et les conséquences pour
la démocratie attachées aux différentes hypothèses. L’une des grandes
différences entre la persuasion « traditionnelle » par voie de communication
et la persuasion par cadrage concerne les attributs des individus les plus
susceptibles d’en être affectés. Dans la persuasion classique, il est
généralement retenu que les plus intellectuellement fragiles et les moins
politiquement éduqués constituent des cibles privilégiées. Leur capital
culturel, leur compétence civique expliquent que les heuristiques qu’ils sont
en mesure de mobiliser et les connaissances dont ils disposent ne leur
permettent pas de faire autre chose que de la « remise de soi » à des
représentants « acclamés » dirait Habermas.
Mais des chercheurs prospectent dans d’autres directions. Zaller
(1996) considère que les catégories sociales intermédiaires sont les plus
soumises à la persuasion directe. En effet, elles ne sont pas protégées par
des prédispositions politiques fortes, mais elles sont suffisamment
exposées à la communication persuasive des candidats via les médias. En
d’autres termes, elles sont plus fragiles que les catégories
« idéologiquement » équipées pour déjouer la propagande électorale.
Quant aux catégories totalement démunies à cet égard, leurs chances de
s’exposer à la communication électorale est faible, ainsi que la
probabilité de leur sensibilité à la campagne. Pourtant, une troisième
hypothèse est aussi travaillée : celle qui met en tête des catégories les
plus influencées par les médias, les plus gros consommateurs
d’informations, les « info-junkies ». Politiquement sophistiqués et ultra-
informés, ils mettent une confiance telle dans l’information sélectionnée
par les médias qu’ils en adoptent les catégories sans nécessairement faire
preuve d’une vigilance suffisante à leur égard. Le mécanisme du cadrage
et de l’amorçage seraient alors plus caractéristiques de l’influence
politique sur ces groupes21. On voit donc combien la recherche est
effervescente dans ce domaine décisif pour les relations entre la
compétence politique et la démocratie et parfois parvient à des résultats
contradictoires. R. Claassen22 montre comment le degré de compétence
(« awareness ») fait varier les effets persuasifs : les moins compétents
sont les plus susceptibles d’être persuadés, les plus compétents sont les
plus sensibles aux effets d’amorçage et les catégories intermédiaires sont
les plus à même d’apprendre lors des campagnes électorales, ce qui ouvre
la porte au « knowledge gap » c’est-à-dire au différentiel d’acquisition de
l’information.
Il paraît indispensable de recontextualiser et de dissocier les publics
concernés et de désagréger les effets persuasifs de l’information. Par la
recontextualisation s’offre une voie de rapprochement avec le paradigme
des études de réception. Si on suit des auteurs comme McLeod et al.
(2002), il faut en terminer avec un modèle de communication politique
fondé sur le couple stimulus-réponse pour évaluer les réactions, typique
du modèle de la seringue hypodermique. Il faut se tourner vers des
modèles plus complexes qui intègrent des variables préalables à la
réception du message telles que la sophistication politique, l’engagement,
le degré d’allégeance partisane, l’image des médias, etc. et les dissocier
des variables liées à la réception telles que l’attention, les stratégies de
traitement de l’information reçue, etc. Il y a lieu d’intégrer l’activité de
l’audience dans la genèse des effets. En décomposant les mécanismes de
traitement de l’information (« selective scanning », « active processing »,
« reflective integration »), on se rapproche de la démarche interprétative
et de décodage du texte qui inspire ce que nous avons nommé plus haut
« analyse relativiste de la réception » soutenue par des auteurs comme
Morley, Jensen, Livingstone, etc.

Une technique de gestion de l’information :


le « spin control »
Le concept de « professionnalisation des sources » a notamment été
développé par Philip Schlesinger23. Dénonçant le travers
« médiacentrique » des études sur le journalisme, par lequel ces dernières
appréhendent les journalistes comme étant les seuls véritables acteurs de la
fabrication de l’information, cet auteur insiste sur la nécessité de prendre en
compte la capacité des sources à concevoir et à mettre en œuvre des
stratégies de communication reposant sur l’anticipation des routines et des
pratiques journalistiques et leur permettant d’influencer le contenu de
l’actualité. Parmi les moyens d’influence aux mains des gouvernants, il faut
bien admettre que l’arsenal s’est considérablement renforcé. Là où
autrefois, on ne parlait que de rumeur, de « photo opportunity », de
communication directe, de « thème du jour », de « video news release » par
laquelle le politique fabriquait lui-même l’information transmise au
journaliste dépossédé alors de sa fonction, on parle aujourd’hui de « spin
control » qui a connu un développement parallèle à l’émergence de
l’information face à la communication politique. Fondé sur l’agencement de
l’information aux fins de susciter l’adhésion des gouvernés, il met en œuvre
un ensemble de techniques dont certaines ne peuvent être considérées
comme nouvelles. Certaines activités sont dites « above the line », ce sont
des initiatives ouvertes. Avec les « annonces », on alimente les médias
d’informations qu’il est facile de mettre en exergue ou de minimiser,
l’essentiel étant de garder en quelque sorte le contrôle des flux. La
« réaction aux déclarations » permet notamment d’organiser la réfutation
voire d’anticiper grâce à des bases de données comme au Royaume-Uni la
fameuse Excalibur (au nom symboliquement puissant et magique) où sont
archivés tous les propos antérieurs des différents acteurs politiques sur un
sujet quelconque. La « publicisation » des messages est soigneusement
gérée en tenant compte des supports médiatiques et de leurs capacités à
atteindre des audiences particulières ou générales. Enfin, la « réaction aux
événements » met en scène l’omniprésence de l’acteur et sa capacité à
maîtriser toutes les opportunités de se manifester. « Below the line », on
trouve une série de techniques de contrôle moins classiques. Le
« spinning » consiste, avant le discours de la personnalité politique, à mettre
en condition les médias en leur présentant les lignes de force à retenir, les
thèmes essentiels voire les « sound bites », les très brefs extraits qui doivent
être impérativement repris dans l’information publique. Cette opération
peut être dupliquée à l’issue de la performance de communication et le
« spin doctor » viendra ainsi enfoncer le clou, pour ainsi dire, à propos de
ce qu’il faut retenir de l’intervention concernée. Fixer le thème du jour
permet de peser sur l’agenda médiatique et politique et donc de pousser ou
entraver la dynamique de certains problèmes dans la campagne. Le
« firebreaking » est une technique qui permet la diversion par rapport à des
sujets gênant le candidat. Inversement, le « stocking the fire » va consister à
s’approvisionner en éléments d’information susceptibles de perturber
l’adversaire. Le terme plus noble des Américains (« opposition research »)
traduit la même réalité. « Building up a personality » et, à l’inverse
« undermining a personality » sont des objectifs symétriques de
construction ou destruction d’une identité stratégique mais qui se donne
pour vraie. Le « pre-empting » consiste tout simplement à anticiper
l’information pour en désamorcer l’effet éventuel. Le « kite-flying » est un
ballon-sonde qu’on envoie dans les médias pour tester les réactions du
public et/ou de l’opposition. « Milking a story », c’est exploiter une histoire
pour en tirer le meilleur parti en lui donnant toute la visibilité qui s’impose
et en espérant des effets de transposition sur les thèmes adjacents.
« Throwing out the bodies » revient à noyer le poisson : faire passer une
information défavorable dans un flot d’informations pour mieux la
dissimuler. On peut attendre une situation de « hot news » et la chose
passera inaperçue. Avec le « laundering », on cherchera la bonne nouvelle,
ou ce qui pourrait en tenir lieu, et qui serait susceptible d’équilibrer voire de
surpasser l’effet négatif de la mauvaise nouvelle. Le « white
commonwealth » regroupe les journalistes dont la loyauté est éprouvée, en
mesure de faire des commentaires ou des éditoriaux complaisants et qui
bénéficient d’un accès privilégié aux « sources sûres ». Enfin et pour s’en
tenir là, le « bullying » consiste à priver d’informations ou d’en menacer les
journalistes jugés trop malveillants en limitant ou en supprimant les
contacts avec les dits conseillers en communication. Tout n’est pas neuf
dans cette battterie de moyens, mais deux points au moins attirent
l’attention. Premièrement, la concentration entre les « spin doctors » d’un
nombre non négligeable d’instruments de pression et de contrôle sur les
médias et, au final, sur le public. Deuxièmement, la ressource essentielle
qui permet le travail symbolique est constituée par l’information davantage
que par la communication. C’est bien ce que confirme l’ouvrage du porte-
parole de Tony Blair qui décrit l’art du « spin » (Campbell, 2007).
Bien entendu, les journalistes ne sont pas restés inertes face à ces
tentatives de crainte d’apparaître comme de simples courroies de
transmission de la communication des acteurs politiques, « de simples
sténographes de la version officielle de la réalité sociale » pour parler
comme M. Schudson24, ce qui ne pourrait qu’être néfaste à leur statut
professionnel. Ils ont ainsi réagi en mettant en œuvre une double pratique
que J. Zaller nomme d’une part la règle d’importance anticipée et d’autre
part la règle de substitution de produit. Selon la première, la couverture
médiatique des candidats décidée par les journalistes sera fonction de la
valeur marginale d’une information pour comprendre par avance les
développements de la vie politique. Selon la seconde, dans la compétition
qui les oppose, plus les journalistes seront pressés par les politiques de
faire passer leur message, plus ils y réagiront de façon défavorable en
diffusant d’autres informations25. La situation en Grande-Bretagne
illustre bien ce mécanisme d’auto-défense, qui a un impact direct sur la
nature de l’actualité offerte au public. La pression sur l’information
exercée par les conseillers de Tony Blair à partir de la campagne des
élections législatives de 1997, puis dans l’exercice du pouvoir, a en effet
largement transformé le comportement des journalistes politiques
britanniques, qui adoptaient jusqu’alors une posture plus « sacerdotale »
que « pragmatique ». De plus en plus sous la pression des stratégies de
gestion de l’information, les journalistes ripostent donc par ce que J.
Blumler appelle le « journalistic fight back », qui leur permet de protéger
et de défendre leur autonomie professionnelle26.

Les effets macropolitiques


de la communication modernisée
Les transformations de l’espace public politique modernisé ne sauraient se
réduire à la somme ou à la composition de ces effets immédiats de la
communication persuasive. Toute une série de modifications formelles ou
substantielles ont affecté la composition du message politique, sa poétique
comme diraient les anciens. La communication contrôlée a vu fondre le
format des discours pour s’aligner sur celui des « sound bites » et des
« spots ». Le contenu s’est simplifié avec les médias de masse. Ces derniers
donnant accès à une audience plus large l’ont « lissé », dépolitisé, banalisé,
édulcoré dans la mesure où les accents partisans ont été plutôt abrasés. Là
aussi, on peut se demander quel est le sens du rapport de causalité ? Est-ce
le discours unidimensionnel qui provoque le désalignement partisan ou le
second qui précède et commande l’uniformisation du discours ?
L’information a également été modifiée en s’adaptant à des contraintes
commerciales et en voyant quasiment disparaître la presse d’opinion et on
peut se poser la question de savoir, si comme le pense B. Manin (1995),
c’est vraiment une situation désirable que tous les organes de presse se
posent au même moment les mêmes questions. Quoi qu’il en soit,
l’information s’est fragmentée, personnalisée, dramatisée, scénarisée au
point que la question de l’« infotainment » ou « soft news » est aujourd’hui
posée comme une menace potentielle pour le citoyen éclairé que requiert la
démocratie classique. Le débat entre Baum (2003) et Prior (2007) aux
États-Unis reste pour l’instant ouvert en étant repris à nouveaux frais en
France (Le Foulgoc, 2010 ; Leroux et al., 2013).
Lorsqu’on pose la question globale des effets politiques de toutes ces
transformations, il est indispensable d’examiner les effets sur le
fonctionnement du système politique. On peut alors confronter les
performances du système des médias aux exigences démocratiques
(Gurevitch et al., 1990). La démocratie requiert, en effet, le respect d’un
certain nombre de services et fonctions de la part des médias : surveiller
l’environnement, contribuer à l’élaboration de l’agenda, constituer une
plateforme pour la communication politique, permettre le dialogue social,
permettre la mise en jeu de la responsabilité politique, permettre aux
citoyens de participer à la vie politique, résister aux forces qui cherchent
à subvertir les médias, respecter le public.
Pour simplifier outrageusement, là où le recul historique nous manque
pour apprécier les conséquences des transformations de l’espace public
politique, opposons deux diagnostics de tonalité opposée. Sur le registre
euphorique, nous disposons des théories de la mobilisation cognitive et
du cercle vertueux de la communication politique. Sur le versant
dysphorique, le média-malaise et la démocratie duale nous menacent.
Média-malaise et démocratie duale
Il est certain que la somme des conséquences néfastes attribuées aux
transformations de la communication politique forme un inventaire
impressionnant. Nombreux sont les griefs que l’on peut invoquer en faveur
des citoyens. L’érosion du capital social aux États-Unis est imputée par
Putnam (2000) à la consommation excessive de télévision et à des
représentations dépréciatives de la société qui ne sont guère susceptibles
d’augmenter la confiance en autrui mais plutôt le cynisme à l’égard des
institutions. H. Milner (2004), substituant la compétence civique au capital
social comme variable centrale, montre que sur 14 pays d’Europe,
Amérique du Nord, Australie et Nouvelle-Zélande, la dépendance vis-à-vis
de la télévision « peut servir d’indicateur indirect des compétences
civiques ». Du coup, la participation organisée dans les partis ou les
syndicats s’effrite au profit de la participation spontanée, même si les
associations et les « groupes à enjeu unique » résistent mieux. Ainsi,
lorsque l’Eurobaromètre interroge les Européens sur leur degré de
confiance à l’égard de quelques institutions, les résultats sont les suivants :

Tableau 3.2 – Confiance dans les partis politiques,


la presse écrite et la télévision

Confiance dans Les partis politiques La presse écrite La télévision


Plutôt pas Plutôt Plutôt pas Plutôt Plutôt pas Plutôt
Allemagne 71 21 45 47 36 60
France 90 6 49 45 62 34
Italie 85 9 42 50 43 49
Royaume-Uni 80 14 73 23 46 50
Union européenne 80 14 49 43 45 50

(Source : Eurobaromètre, novembre 2014)

Le rejet massif des organisations politiques s’accompagne d’une confiance


limitée dans les organes de presse avec des variations nationales où l’on
voit le discrédit des tabloïds britanniques et l’opposition quant à la
confiance dans la télévision en Allemagne et en France. Par ailleurs,
l’espace public politique se privatise : là où tout se jouait en réunions
publiques, en relations interpersonnelles, en manifestations sur le domaine
public, les médias ont replacé le citoyen dans son espace privé, où il
consomme de façon isolée le spectacle du jeu politique et son obscénité
dans la lutte pour le pouvoir.
C’est globalement une représentation disqualifiante du politique qui
est offerte où le jeu politicien l’emporte largement sur la présentation des
problèmes collectifs (Farnsworth et al., 2009). De plus, la dépolitisation
de l’expérience personnelle (Mutz, 1998) pousse les individus à s’en
remettre à l’information des médias et facilite les effets d’information. La
passivité ou l’apathie politique, chère à Converse déjà, ne sont pas
réduites comme en témoignent le reflux des inscriptions sur les listes
électorales ou la baisse tendancielle de la participation institutionnelle
hormis l’augmentation du nombre de candidats qui peut avoir des causes
contingentes telles le financement public. L’instabilité voire la volatilité
électorale atteste l’affaiblissement des identifications partisanes et la
perte de repères idéologiques donc cognitifs et symboliques dans la
compréhension de l’actualité politique. Cela pourrait ne pas être étranger
à la labilité de l’attention à laquelle les médias invitent les
« consommateurs » d’informations.
Nous voulons pointer là l’idée que le traitement de l’information peut
être en cause : il peut être politique, apolitique ou antipolitique. Tout
d’abord est en cause la visibilité du politique : si on observe l’évolution
de l’offre de programmes par genre en pourcentages, on constate un très
fort déclin de l’information de 1983 à 1993 :
Tableau 3.3 – Le déclin du temps d’information dans
la structure des programmes

Genres 1983 1986 1989 1991 1993


Fiction
18,7 % 23,3 % 37,1 % 35,0 % 29,6 %
Divertissement
18,2 % 14,2 % 15,6 % 14,2 % 14,1 %
Information
25,9 % 24,7 % 11,7 % 12,3 % 10,1 %
Magazines/docu
14,1 % 10,3 % 11,6 % 15,9 % 22,0 %
Sport
6,3 % 8,8 % 4,1 % 4,4 % 4,0 %
Jeunesse
4,9 % 8,6 % 9,0 % 7,7 % 6,7 %
Autres
11,9 % 10,1 % 10,9 % 10,5 % 13,5 %
Total
en heures 10 942 14 296 36 798 40 345 34 960

Source : Médiamétrie ; total trois chaînes pour 1983 et 1986/total cinq


chaînes à partir de 1989.

Ce déclin continue ensuite puisqu’au cours de la décennie des années 1990


on passe de 12,3 % à 9,3 % pour la part d’information dans les programmes
des chaînes nationales en clair (TF1, France 2, France 3, La Cinq, M6, Arte,
La Cinquième). De 1998 à 2009, les journaux télévisés des chaînes
hertziennes en clair (TF1, F2, F3, Arte, La Cinquième, M6) représentent de
5,7 à 5,6 % de l’offre de programme et de 14,4 à 13,7 % de la
consommation de programme. L’écart entre la diffusion et la consommation
montre l’importance que le téléspectateur attache au Journal Télévisé, à la
« grand-messe » de 20 heures. Certes, l’arrivée des chaînes d’information
en continu bouleverse le paysage audiovisuel (BFM TV et i-Télé étant
accessibles gratuitement depuis 2005 sur la TNT) mais dans son rapport
d’octobre 2009 intitulé « France Télévision, nouvelle télévision publique »,
la Cour des Comptes calculait que la part de l’information ne représentait
que 26 % du temps d’antenne sur France Télévision et que cette part avait
baissé de 28,1 % à 26,2 % de 2004 à 2007 : « Le fort développement d’une
concurrence spécifique en matière d’information n’y est sans doute pas
étranger. Les canaux d’information se sont diversifiés et les rendez-vous
que représentent les journaux télévisés des chaînes historiques
n’apparaissent plus comme incontournables. » Si le volume horaire
consacré à l’information a augmenté depuis 2004, c’est principalement en
raison d’une forte croissance de l’offre d’information de France 3 en
régions. En revanche, la part du temps dédié à l’information au sein des
grilles nationales a reculé, tout comme l’audience de ces programmes.
S’agissant des entrepreneurs politiques, bien des concessions ont dû
être faites pour s’accommoder de l’intrusion croissante des médias dans
le jeu politique (Kuhn et al., 2002) avec lesquels les rapports deviennent
plus compétitifs. Les rapports avec les journalistes ne sont plus marqués
par la déférence qu’on a pu connaître au début de la Ve République, par
exemple, et il est possible que la subordination du médiatique au
politique fléchisse (ce qui reste à établir). Les contraintes commerciales
de production et de vente de l’information poussent à la négativité des
contenus diffusés : « bad news makes better news than good news » dit
un adage professionnel anglo-saxon. Les mauvaises nouvelles
n’épargnent donc pas les gouvernants et ils sont en droit de se plaindre du
traitement volontiers critique dont ils font l’objet. Dans les transactions
avec les journalistes, les professionnels de la politique ne peuvent
échapper aux contraintes de l’interdépendance : ils ont besoin des médias
comme les journalistes ont besoin d’eux pour produire de l’actualité ;
encore faut-il que l’actualité politique garde une place significative dans
la programmation ou la rédaction et ne se réduise pas comme une peau de
chagrin avec le temps qui passe.
Certes, les effets d’information offerts par les médias augmentent la
marge de manœuvre des acteurs politiques en renforçant leurs moyens
d’attirer ou de capter l’attention publique, de définir une situation,
d’imputer une responsabilité ou de toucher aux critères de jugement du
public. Leur offre électorale ou politique prend moins souvent la forme
du programme et s’est vue élargir en prises de positions et en
performances personnelles auxquelles les profanes (et les réputés
compétents) peuvent toujours se raccrocher comme des sortes de « valeur
par défaut » pour juger. On peut aussi considérer que l’information-
spectacle leur facilite la tâche dans la mesure où elle exonère la
responsabilité des autorités dans la création des situations indésirables.
En ce sens, il est possible de diagnostiquer un affaiblissement de
l’imputabilité de l’action publique d’origine médiatique. La
dépolitisation de l’information peut aussi avoir pour origine
l’entrepreneur politique lui-même qui a intérêt à voir un enjeu ne pas
monter en visibilité, à décourager une mobilisation populaire. Le déni
d’agenda, le « rétrécissement » ou la « limitation » des enjeux (Cobb et
al., 1997) ont, par exemple, été typiques du discours du Front national
qui concentre sa communication sur quelques axes (lutte contre
l’immigration, l’insécurité, l’établissement des partis politiques
centraux). Une autre forme de dépolitisation par les forces politiques
elles-mêmes consiste en ce que S. Stokes (1998) nomme les
« pathologies de la délibération », qui concernent les différentes formes
d’intervention des groupes d’intérêt pour faire obstruction ou faire
échouer ou infléchir une politique publique et que nous avons présentée
ailleurs27.
Lorsqu’on étudie la littérature sur le « médiamalaise », on est frappé
par deux points. Premièrement, l’ignorance ou le refus de voir que le
politique lui-même peut être la source des distorsions dont il est affecté
par les médias ; deuxièmement, l’indétermination conceptuelle qui
domine. Ainsi, Newton définit le « médiamalaise » comme « un terme
largement utilisé pour englober les pathologies de la démocratie
supposées être engendrées par les médias modernes : apathie politique,
aliénation, défiance, cynisme, confusion, déception et même peur »28 La
difficulté d’une telle définition est qu’elle ignore la différence entre trois
dimensions psychosociologiques de l’attitude à l’égard du politique.
Premièrement, la politisation qui renvoie à l’intérêt, l’attention et la
valeur attachée au politique ; deuxièmement, la participation qui désigne
les différents types de conduites politiques conventionnelles ou pas ;
troisièmement, l’orientation politique qui exprime une préférence comme
le placement sur une échelle gauche-droite. Le risque existe donc de
transférer les effets repérés des médias d’une dimension à l’autre. Par
ailleurs, une des faiblesses récurrentes de ces études empiriques est de
privilégier l’exposition aux médias en lieu et place de l’attention comme
indicateur. C’est le cas chez Putnam, mais aussi chez ceux qui s’y
opposent comme Newton et Norris dont nous critiquerons les arguments
en exposant la thèse de la mobilisation cognitive. Nous pouvons donc
concevoir deux scénarios pour penser le rapport entre reflux du politique
et recours aux médias : l’un impute aux médias l’entière responsabilité du
phénomène ; l’autre l’attribue aux professionnels de la politique qui
savent se servir des médias pour espérer voir leur responsabilité limitée.
Le scénario du déclin d’accessibilité aux « considérations politiques »
dû à la réduction de l’information médiatique conduit vraisemblablement
le public à moins raisonner avec des catégories d’entendement
proprement politiques. L’argument de Zaller selon lequel la réception
favorise l’activation d’une considération est ici complètement applicable.
De plus ce déclin accompagné d’une montée du « soft news » et de
l’info-spectacle délégitime le politique institutionnalisé. Comme l’écrit
Blumler (1995), on assiste à une sorte de popularisation de l’information,
avec l’émergence d’une démocratie de « talk-show » (Neveu, 2003) où
les préoccupations ou l’expression du téléspectateur ordinaire supplantent
le discours de l’expert. Cet anti-élitisme et cette revendication d’accès
médiatique de la vox populi s’accommodent bien des leaders populistes
qui dénoncent les turpitudes de la classe politique, ses scandales et ses
affaires. De telle sorte que la désinstitutionnalisation de l’information
accompagne, en quelque sorte, la montée du discours populiste
(Mazzoleni29).
La théorie du médiamalaise n’est donc pas invalidée car la quantité des
griefs, la fréquence des dénonciations (de Patterson à Swanson en passant
par Entman, Bennett, Jamieson et Sartori, pour ne citer que quelques
noms) constituent un lourd dossier à charge. Mais notre point de vue
consiste à retenir les responsabilités du politique lui-même dans cette
situation où les médias, loin d’émanciper, contribuent à l’aliénation
politique du citoyen. La théorie de la démocratie duale ou à deux vitesses
de W.L. Bennett et al. (1996) qui s’était déjà attaché à montrer le
dévoiement de la démocratie représentative par l’introduction de
techniques et de modes de financement est à cette fin particulièrement
pertinente. Il montre comment le public ordinaire est généralement exclu
(enjeux de politique étrangère et de politique économique) ou au
contraire mobilisé (enjeux dits personnels) dans l’information dès lors
que sont en cause ces types d’enjeux. Les enjeux personnels concernent
la morale, les questions dites de société ou les conditions de vie. Dès lors
que ce type d’enjeu est évoqué, on a des chances de voir se mobiliser un
certain activisme contre les décideurs (les problèmes d’avortement ou de
prière à l’école, droits civiques, protection de l’environnement). En
revanche, la politique étrangère ou les questions monétaires ou de crédit
ne vont susciter que des réactions du type « consensus permissif » pour
reprendre l’expression traditionnellement appliquée à la construction
européenne. Dès lors, on se trouve devant une démocratie à double
vitesse caractérisée par une forte mobilisation, une action citoyenne et
une réactivité des gouvernants dans certains domaines qui contrastent
avec une culture civique beaucoup plus faible dans d’autres. « Une
interprétation cynique conduirait à penser que le système de
communication de masse favorise la démocratie dans des domaines
secondaires alors qu’il détourne l’intérêt populaire des domaines du
pouvoir d’État qui portent à conséquence. Une interprétation moins
cynique s’appuierait sur l’intérêt des citoyens comme dépendant des
enjeux » écrit Bennett. Dans ce cas, la réalité divisée que produisent les
médias devient « naturelle ». Cette théorie de la « démocratie divisée »
est spécialement intéressante en ce qu’elle articule la responsabilité des
médias et celle des élites pour expliquer la fabrication de l’information.

Mobilisation cognitive et cercle vertueux


Dès 1977 (The Silent Revolution), R. Inglehart voit dans la mobilisation
cognitive le « développement des compétences requises pour manier les
abstractions politiques et par là coordonner des activités distantes dans
l’espace et dans le temps ». Cela renvoie à deux processus :
« Premièrement, le coût d’acquisition de l’information politique a baissé.
Deuxièmement, la capacité du public à traiter cette information a
augmenté » écrit Dalton (2013). Dans ce contexte, un certain nombre
d’arguments plaident en faveur de la communication et de l’information
comme indispensables au processus de démocratisation. L’argument de
l’inclusion attesté par les phases de développement de la communication
que nous avons décrit vient à propos pour attester une démocratisation. Là
où la parole politique était réservée à des élites et cantonnée à des enceintes
réduites, les médias lui donnent accès au grand public. L’éducation se
généralisant et l’information se diffusant, la compétence civique s’accroît
quasi-mécaniquement puisqu’avec un capital culturel en hausse les
catégories d’entendement s’affinent et peuvent s’adapter à la complexité
des affaires politiques. D’autre part, la capacité critique s’améliore et
l’usage public de la raison, comme dirait Kant, est facilité.
L’autonomisation des citoyens à l’égard des organisations partisanes est
permise par l’existence de canaux d’information politique alternatifs que
sont les médias. Les citoyens ne sont plus captifs des partis mais usent de
leurs capacités cognitives et de leurs connaissances pour faire des choix
mieux éclairés.
Certains auteurs, comme Popkin (1991) ou Lupia et al. (1998),
soutiennent même qu’au fond une information complète n’est pas requise
pour se comporter en bon citoyen. Des raccourcis cognitifs
(« shortcuts ») comme l’identification partisane ou telle propriété d’un
candidat serviront de points d’appui à la décision. Des heuristiques, c’est-
à-dire des modes de raisonnement, doivent permettre de traiter
l’information nécessairement incomplète du citoyen ordinaire, qui de
plus est un « avare cognitif » désireux d’acquérir le minimum
d’informations utiles pour prendre une décision « satisfaisante » et pas
maximisatrice, comme on le sait depuis H. Simon. En effet, les
heuristiques sont, d’après Kahneman, des « stratégies de simplification
qui réduisent la complexité des opérations de jugement » comme pour les
rendre « effectuables », les mettre à portée d’exécution par tout un
chacun. Au niveau agrégé, les risques de choix inopportuns sont limités
par la compensation entre les erreurs de jugement (Page et al., 1992) À
l’évidence, sur le plan théorique nous sommes là assez éloignés des idées
de John Stuart Mill et de sa démocratie d’épanouissement.
Certes, il est évident que l’environnement d’information s’est
considérablement enrichi au moins quantitativement. On pourra alléguer
qu’au plan qualitatif la circularité de l’information rend les médias
beaucoup moins performants puisqu’ils véhiculent une information
uniforme. Les tenants de la mobilisation cognitive restent pourtant
convaincus que la démocratisation s’intensifie et qu’on évolue d’une
politique dirigée par les élites vers une politique de plus en plus dirigée
par les citoyens. Les traces empiriques d’une amélioration du degré
d’information sont multiples. P. Bréchon et G. Derville (1998),
s’appuyant sur les données Eurobaromètres, constatent que le niveau
d’exposition à l’information s’est accru en un quart de siècle, bien sûr à
la télévision mais aussi pour la presse écrite. En France ceux qui suivent
tous les jours l’actualité à la télévision passent de 49 % en 1970 à 71 %
en 1994, tandis que la hausse est presque aussi spectaculaire pour la
presse écrite qui monte de 27 % à 45 % dans la même période. Plus
récemment, dans une enquête BVA d’août 2003, on trouve 75 % de
répondants pour approuver l’énoncé que « les médias d’information en
France informent aujourd’hui mieux les gens qu’il y a dix ans », contre
23 % et seulement 2 % de sans-réponse. Dans le même temps, ces
répondants sont bien conscients de l’uniformité de cette information
puisqu’à 89 % ils s’accordent à penser que « les médias parlent
globalement tous des mêmes sujets au même moment, contre 10 % et
1 % de sans-réponse ». Au Royaume-Uni, P. Norris (2000) calcule que,
dans le cas des élections de 1997, les variables de communication
(exposition et attention à la télévision et à la presse) après contrôle des
variables socio-démographiques, sont bien prédictrices de l’engagement
civique et de ses indicateurs particuliers (sentiment d’efficacité, intérêt
politique, connaissance politique et participation électorale). Certes le
sens du rapport de causalité entre les variables est incertain. Il se peut
que, en conformité avec le modèle des usages et satisfactions, mes
propres motivations expliquent mon comportement d’information. Il se
peut aussi et inversement, que l’hypothèse de l’engagement civique
comme produit de la consommation médiatique soit unidirectionnelle.
Mais on peut également concevoir un flux d’influence interactif où ceux
qui sont intéressés par la politique s’exposent davantage et que cette
attention supérieure renforce leurs connaissances et leur intérêt pour la
politique. Pour elle, il y a un « cercle vertueux » de la communication
politique qui fonctionne bien sur le long terme comme un processus de
socialisation politique (Norris, 2000) et « l’utilisation de tous les médias
réduit l’écart entre les attentes démocratiques et les performances perçues
et donc réduit le déficit démocratique » (Norris, 2011). Mêmes les plus
désengagés politiquement, qui prêtent une faible attention à l’information
politique, vont tirer parti de ce que les « tabloïds » filtreront et ils
pourront s’en servir comme raccourcis cognitifs dans leur choix. On peut
suivre P. Norris sur sa conviction que le public ne réagit pas selon un
modèle simpliste stimulus/réponse et qu’il trie, écarte, interprète ce qu’il
entend, voit ou lit. Là où elle trouvera plus de difficulté à nous
convaincre c’est sur la possibilité, à long terme comme elle le suggère, de
voir se résorber le fossé entre ceux qui savent et participent et les autres ;
elle paraît très optimiste quant à la disparition du « knowledge gap », de
l’écart des connaissances entre « info rich » et « info poor », son impact
sur les comportements politiques et leurs conséquences pour le système
démocratique. À l’opposé, contrairement à l’idée selon laquelle
l’information croissante favoriserait un désalignement partisan, Zaller
(1992) montre de façon indéniable que la polarisation politique varie en
raison directe du degré d’information : l’écart s’accroît entre les attitudes
des démocrates et des républicains, par exemple, en fonction de leur
« awareness », de leur conscience du problème concerné c’est-à-dire de
leur degré d’information. Par ailleurs, Prior (2007) montre très bien
comment l’extension du choix des médias, avec le câble et internet,
sépare les citoyens intéressés par la politique et qui participent à
l’élection de ceux qui préfèrent le divertissement et s’abstiennent. En
d’autres termes, l’extension du choix des médias conduit à plus
d’inégalité dans la participation politique.
Nous avons jusqu’à présent confronté les différentes définitions
proposées de la communication politique, comparer les principaux
paradigmes qui permettent de la penser et nous avons pris position pour
une conception fondée sur le couplage du symbolique et du stratégique.
Dans un deuxième temps, nous avons enregistré les principales
transformations qui affectent l’espace public politique, avant de montrer
en quoi la communication persuasive passe aujourd’hui de plus en plus
par une conjonction avec des effets de l’information ordinaire. Pour clore
cette première partie, consacrée aux définitions et incertitudes suscitées
par le champ de la communication politique, il a été fait état des
diagnostics à caractère macrosociologique qui peuvent être établis
concernant la communication politique modernisée. Il faut maintenant
montrer comment les pratiques de communication politiques et
d’information varient en raison de la position qu’occupent les acteurs
face au pouvoir. Une précision doit ici être apportée. Si nous ne
dissocions pas communication et information, c’est qu’elles nous
semblent totalement complémentaires dans la production d’effets
singuliers ou macrosociologiques. C’est pourquoi, comme nous l’avons
argumenté ailleurs (Gerstlé, 1997), on ne peut se contenter ni d’une
approche sémiologique ou des dispositifs, ni d’une approche écologique
des relations entre sources et journalistes comme les effectue, entre
autres, A. Mercier (1996) : il est indispensable d’analyser aussi les
contenus de la communication et de l’information car les perspectives
ouvertes par l’analyse cognitive nous invitent à y déceler des sources
d’effets propres.

1. GRIZE J.-B., 1995, « Argumentation et logique naturelle : convaincre et persuader », Hermès,


(15), éd. Cnrs.
2. GERSTLÉ J., 2004, « Presse écrite et comportements politiques. Analyse empirique de
l’influence », pp. 337-350, in LEGAVRE J.-B. (dir.), La Presse écrite : objets délaissés, L’Harmattan.
3. GERSTLÉ J., 2003, « La réactivité aux préférences collectives et l’imputabilité de l’action
publique », in Revue Française de science politique, vol. 53(6), pp. 859-885.
4. BARTELS L., 2001, “Public opinion : political aspects”, in International Encyclopaedia of
Social and Behavioral Sciences, Amsterdam, Elsevier, pp. 12560-63.
5. PAGE B.I., 2000, “Toward general theories of the media, public opinion and foreign policy”,
in NACOS B.L., SHAPIRO R.Y., ISERNIA P. (dir.), Decisionmaking in a Glass House. Mass Media,
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Rowman & Littlefield, pp. 85-94.
6. LEMERT J.B., 1992, “Effective public opinion”, in KENNAMER J.D., (dir.), Public Opinion, the
Press and Public Policy, Westport, Praeger, pp. 41-61.
7. DRUCKMAN J.N., KUKLINSKI J.H., SIGELMAN L., 2009, “The unmet potential of
interdisciplinary research: political psychological approaches to voting and public opinion”, in
Political Behavior, vol.31, pp. 485-510.
8. LODGE M., TABER C.S., 2013, The Rationalizing Voter, Cambridge University Press.
9. CHONG D., DRUCKMAN J.N., 2007, “Framing public opinion in competitive democracies”, in
American Political Science Review, 101, pp. 637-655.
10. LENZ G.S., LAWSON C., 2011, “Looking the part: Television leads less informed citizens to
vote based on candidates’appearance”, in American Journal of Political Science, 55, pp. 574-589.
11. La formule suivante permet de mieux comprendre la différence entre persuasion directe et
persuasion indirecte : Oi = Cci Pci.
Oi est l’opinion à l’égard d’un objet i, Cci renvoie au contenu des considérations relatives à cet
objet et Pci au poids de ces considérations. Alors que la persuasion directe modifie le contenu des
considérations (Cci), la persuasion indirecte (Pci) en modifie le poids. Prenons l’exemple d’un projet
de centrale nucléaire. Celle-ci présente notamment une dimension économique, puisqu’elle peut
permettre de réduire le coût de l’électricité, et une dimension environnementale, car elle peut
présenter des risques pour l’environnement. Or, un même citoyen peut estimer simultanément que
le projet va être bénéfique sur le plan économique (ses considérations économiques à l’égard du
nucléaire ont donc un contenu positif) mais qu’il va être dangereux pour la nature (ses
considérations environnementales à l’égard du nucléaire ont donc un contenu négatif). Dès lors,
l’opinion à l’égard du projet de centrale nucléaire va dépendre du poids de chacune de ces
considérations. Si les considérations économiques pèsent davantage dans son jugement, le citoyen
se prononcera en faveur de l’installation de la centrale nucléaire. À l’inverse, si les considérations
environnementales pèsent plus lourd, il se prononcera contre. C’est ainsi la persuasion indirecte
qui intervient dans ce mécanisme. La persuasion directe consisterait quant à elle ici à modifier le
contenu des considérations, les considérations économiques devenant négatives ou les
considérations environnementales devenant positives.
12. KAHNEMAN P., TVERSKY A. (dir.), 2000, Choice, Values and Frames, Cambridge University
Press.
13. Not in my backyard.
14. NELSON T.E., OXLEY Z.M., CLAWSON R.A., 1997, “Toward a psychology of framing effects”,
pp. 221-246, in Political Behavior, vol. 19(3).
15. GERSTLÉ J., DUHAMEL O., DAVIS D.K., 1992, « La couverture télévisée des campagnes
présidentielles. L’élection de 1988 aux États-Unis et en France », pp. 53-70, in Pouvoirs, (63).
16. JACOBY W.G., 2000, “Issue framing and public opinion on government spending”, pp. 750-
767, in American Journal of Political Science, 44.
17. GERSTLÉ J., 2004, « Les effets d’information », in BOUSSAGUET L., JACQUOT S., RAVINET P.
(dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Presses de Sciences Po.
18. GERSTLÉ J., 2003, « Gouverner l’opinion publique », in BRÉCHON P. (dir.), La gouvernance
de l’opinion publique, Paris, L’Harmattan, pp. 19-33.
19. GERSTLÉ, J., « La réactivité aux préférences collectives et l’imputabilité de l’action
publique », in Revue Française de Science Politique, vol. 53 (6), pp. 859-885.
20. JACOBS L.R., SHAPIRO R.Y., 1994, “Issue, candidate image and priming : the use of private
polls in Kennedy 1960 presidential campaign”, in American Political Science Review, vol. 88(3),
pp. 527-540.
21. MILLER J.M., KROSNICK J.A., 2000, “News impact on the ingredients of presidential
evaluations: Politically knowledgeable citizens are guided by a trusted source”, in American
Journal of Political Science, vol. 44(2), pp. 295-309.
22. CLAASSEN R., 2011, “Awareness Effects and Campaign Effects: Maximum Effects for
Minimum Citizens ?”, pp. 203-223, in Political Behavior, 33.
23. SCHLESINGER P., 1992, « Repenser la sociologie du journalisme. Les stratégies de la source
d’information et les limites du média-centrisme », Réseaux, 10(51), pp. 75-98.
24. SCHUDSON M., 1998, Discovering the news, p. 185, Basic Books.
25. ZALLER J., 1998b, “The rule of product substitution in presidential campaign news”, Annals
of the American Academy of Political and Social Science, 560, pp. 111-128.
26. BLUMLER J., 1997, « Origins of the crisis of communication for citizenship », Political
Communication, 14(4), pp. 395-404.
27. GERSTLÉ, J., 2003, « La réactivité aux préférences collectives et l’imputabilité de l’action
publique », in Revue Française de Science Politique, vol. 53(6), pp. 859-885.
28. NEWTON K., 1999, “Mass media effects : mobilization or mediamalaise?”, in British Journal
of Political Science, vol. 29(4), pp. 577-599.
29. MAZZOLENI G., STEWART J., HORSFIELD B., 2003, The Media and Neo-populism. A
Contemporary Comparative Analysis, Westport, Praeger.
DEUXIÈME PARTIE

Pratiques de communication
et positions de pouvoir
Chapitre 4

La communication, l’information
et l’élection

CARACTÉRISÉE PAR UNE GRANDE AMBIGUÏTÉ CONCEPTUELLE, par la concurrence


théorique et par l’ubiquité des phénomènes, la communication laisse mieux
approcher ses rapports au politique par l’analyse de ses pratiques. Au
niveau international, la communication est une réalité aujourd’hui beaucoup
plus qu’hier dans la mesure où les moyens de télécommunication
continuent de « finir » le monde en affaiblissant les contraintes d’espace.
On a généralement considéré la communication internationale sous certains
aspects privilégiés. La circulation de l’information à l’échelle planétaire fait
apparaître des inégalités massives entre les pays industriellement avancés et
le tiers-monde, ce qui a suscité l’aspiration à « un nouvel ordre mondial de
l’information et de la communication plus juste et plus efficace » pour
reprendre le sous-titre du rapport Mac Bride (Voix multiples, un seul monde,
1980). Les analyses des relations internationales inspirées par le
systémisme ou le transnationalisme soulignent ainsi l’importance des flux
de communication. On a aussi réfléchi sur le rôle de l’information dans
l’émergence hypothétique d’une opinion publique internationale. De même,
la possibilité ouverte par les propriétés du système international de
production et de diffusion de l’information de masse incite à comprendre
les possibilités stratégiques de la désinformation entendue comme
manipulation de l’information réputée objective, notamment dans les phases
de crise ou de guerre. À lui seul, ce champ de problèmes mériterait une
réflexion autonome. Mais c’est à l’impact de la communication dans l’ordre
politique interne que sont consacrés les développements qui suivent. Les
pratiques peuvent y être utilement examinées à partir des positions de
pouvoir qui conduisent à distinguer entre les contributions de la
communication à la conquête du pouvoir, à son exercice et à la participation
des citoyens grâce à de nouvelles formes d’engagement civique.

L’évolution de la communication électorale


Construite dans le prolongement des études de propagande, l’étude des
campagnes électorales constitue de longue date un secteur de prédilection
de la recherche en communication politique. En ce sens, on peut dire que
cette dernière s’est principalement fondée sur l’observation des
comportements dans ces moments réputés décisifs pour le choix des
gouvernants et des politiques publiques. De plus, l’intérêt pour l’étude des
mécanismes de campagne est renforcé par la tendance actuelle de la vie
politique à se transformer en campagnes permanentes, où les professionnels
de la politique cherchent à légitimer leurs actions en s’appuyant sur des
stratégies de communication. Cette évolution ne semble pourtant pas avoir
pour effet jusqu’à présent de diluer le poids des facteurs politiques de la
communication électorale.

Les types de campagne depuis


le XIXe siècle
Diverses tentatives pour rendre compte de l’évolution de la communication
électorale ont été menées à bien qui sont complémentaires sans être
identiques et méritent donc d’être confrontées. Ainsi, P. Norris (2003)
distingue trois périodes qui connaissent des changements affectant
simultanément les organisations de campagne, les médias et l’électorat.
Tout d’abord, la période pré-moderne court du milieu du XIXe siècle aux
années 1950. Elle se caractérise par des relations d’interconnaissance entre
candidats et citoyens et une organisation légère et éphémère de volontaires
qui assurent le porte à porte ou les réunions publiques locales. Les médias
sont limités aux affiches (« tenir les murs », comme l’écrit Offerlé), aux
tracts et libelles, aux émissions de radio, à la presse partisane ou encore aux
tournées des candidats. Les électorats sont stables et commandés par les
allégeances partisanes qui les rendent prédictibles. Les campagnes restent
donc périphériques et peu coûteuses.
Ensuite, la période moderne court du début des années 1960 à la fin
des années 1980. Elle voit la durée des campagnes s’allonger, monter en
puissance la coordination centrale et la professionnalisation avec ses
corollaires : le recours aux sondages, à la segmentation des électeurs pour
l’envoi de courriers ou de messages téléphoniques ciblés, la centralité
croissante de la télévision, les points de presse, les « photo-
opportunities » et les débuts de la gestion de l’information, tout cela
entraînant l’augmentation des coûts. Ces transformations s’accompagnent
d’un désalignement social et partisan. De telles modalités restent encore
en usage mais sont concurrencées par de nouvelles techniques : on a par
exemple calculé, que pas moins de 38 % des Américains ont été
contactés par téléphone à des fins électorales pendant la campagne
présidentielle de 2000. (Cette mesure tombe pour les appels pré-
enregistrés à 25 % des électeurs inscrits en 2008 et 2012 auxquels
s’ajoutent 8 % d’appels téléphoniques personnels.1)
Enfin, dans la période post-moderne, qui s’ouvre dans les années 1990,
la coordination centrale et la professionnalisation s’intensifient pour
contrôler des « campagnes permanentes » où coopèrent (plus ou moins
conflictuellement) spécialistes internes aux partis et experts extérieurs.
L’environnement d’information s’enrichit de nouveaux supports tels que
les télévisions locales et l’internet (sites, blogs, courrier électronique,
groupes de discussions, listes de diffusion, intranets, podcasts, etc.). Les
sondages et études qualitatives régulièrement pratiqués permettent avec
les sites internet la vitesse de réaction aux événements de campagne alors
que le « spin control » accroît l’instrumentalisation de l’information
grand public. Les problèmes de financement deviennent plus aigus. Les
processus de désalignement se prolongent.
On pourra reprocher à cette périodisation sans être véritablement
« développementaliste », en impliquant une sorte de voie unique de
modernisation, d’évacuer un peu facilement les « dégâts collatéraux » de
l’américanisation de la communication électorale. Les caractéristiques de
la communication politique américanisée décrites par Plasser (2002)
permettent de mieux apprécier si et jusqu’à quel point nos propres
campagnes sont affectées par ces tendances.
Tableau 4.1 – Caractéristiques des campagnes
« américanisées »

Pratiques de campagne Relations médias Couverture médiatique

Dominées par les Gestion de Modèle « course de


médias l’information chevaux »
Centrées sur la Effets d’agenda Le style domine la
télévision substance
Importance du Cadrage des enjeux Info-spectacle
financement
Recherche stratégique Spin control Négativité
Interventions des Interprétation
consultants stratégique (game-
frames supérieurs aux
issues frames)
Campagne négative Tabloïdisation
Marketing Sélection de « petites
évènementiel phrases »
Recours au web Journalisme
commercial
Couverture minimale
des chaînes
généralistes
Candidats Électeurs Journalistes

Priorité à la télévision Faible implication Centrés sur le « jeu


politique »
Discipline des Faible participation Centrés sur la stratégie
messages
Gestion de Attitudes cyniques Couverture
l’impression interprétative
Apathie politique Style adversatif
Audience Tonalité négative
inattentive
Saturation Sensationalisme
médiatique et
publicitaire

(Source : adapté de F. Plasser, G. Plasser, 2002)

La présentation de P. Norris semble très proche de celle que B. Manin


(1995) livre à propos des métamorphoses de la démocratie représentative :
la succession du parlementarisme, de la démocratie des partis et de la
démocratie du public ressemble assez bien aux trois périodes que P. Norris
décèle en se fondant uniquement sur le critère de la campagne électorale
alors que Manin examine ce qui, pour lui, constitue les trois autres piliers
du gouvernement représentatif : l’indépendance relative des gouvernants, la
liberté de l’opinion publique et l’épreuve de la discussion.

L’évolution depuis l’après-guerre


J.G. Blumler (1995) propose, en quelque sorte, un agrandissement de la
photo concernant la période plus récente, en sous-distinguant trois âges de
la communication politique à partir de l’après-guerre. La période de 1945 à
1960 correspond à l’ère pré-télévisuelle où le système de la communication
politique est complètement dominé par les partis politiques, eux-mêmes
articulés aux clivages sociaux. De plus, un niveau de confiance élevé dans
les institutions publiques permet une subordination globale à des croyances
stables. Les messages politiques sont marqués par une forte densité en
informations, en prises de position, en propositions et disposent d’un accès
facile aux médias puisque les partis contrôlent le système. Enfin, les
électeurs répondent sélectivement, comme dirait Lazarsfeld, et renforcent
leurs attitudes durant les campagnes, avec toutefois une masse d’électeurs
flottants difficiles à atteindre.
Le deuxième âge est celui de la télévision, qui impose sa loi aux
fidélités partisanes, leur substituant des normes d’impartialité, de respect
du pluralisme. La télévision élargit l’audience de la communication
politique et réduit l’influence de la propagande électorale mais, de fait
accroît l’importance de l’information à court terme et rend l’électeur
moins captif des organisations partisanes. Ce deuxième âge est donc
caractérisé par la professionnalisation et l’adaptation à ces nouveaux
standards : un nouveau discours plus « lisse », des techniques de
campagne plus inspirées par les exigences du marketing, la
personnalisation de l’actualité, la négativité renforcée des messages
électoraux, la compétition accrue avec les journalistes pour le contrôle de
l’agenda, mais aussi le reflux de la considération pour le politique
confronté à tous ces défis. Curieusement, cet âge de la communication
politique n’échappe pas à un paradoxe. Alors que la période précédente
combinait des messages à contenu politique dense adressés à des publics
captifs du fait de leur allégeance partisane, l’âge de la télévision met en
place un système où des messages à contenu limité vont être envoyés
vers des publics plus autonomes parce que plus informés et au total plus
ouverts. Ainsi, au moment où la mobilisation cognitive se produit les
messages politiques s’appauvrissent.
Le troisième âge de la communication politique s’ouvre vers la fin des
années 1980. Il se caractérise par une prolifération et la fragmentation
des supports de communication, par l’émergence de l’internet et par
l’ouverture ainsi procurée à l’expression des profanes au-delà des
professionnels de la politique et des médias mais aussi par la
« libération » d’attentes de popularisation aux conséquences douteuses
comme on les a examiné en fin de chapitre 3 à propos des effets
macrosociologiques des transformations de l’espace public.

La campagne électorale, la construction


de la réalité politique et les effets
de campagne
L’attention portée aux campagnes électorales s’est accentuée et déplacée à
mesure que l’espace public s’est modernisé. Cette modernisation a
encouragé l’idée que les attitudes et les comportements politiques pouvaient
être modifiés dans un délai plus bref qu’on ne l’imaginait auparavant. En
effet, l’étude des campagnes telle qu’elle a été conçue depuis l’après-guerre
a considérablement évolué comme on l’a montré dans le chapitre 1 avec
l’approche comportementaliste. Des effets directs du modèle de la
propagande, on est passé avec Lazarsfeld au modèle de Columbia qui
discerne des effets limités des médias et des campagnes puis au modèle de
Michigan avec des effets limités essentiellement par le mécanisme de
l’identification partisane. Le temps de reconnaître la campagne électorale
comme un objet d’étude autonome est alors venu.

L’émergence de la campagne comme


moment symbolique privilégié
Au tournant des années 1980, un ensemble de recherches témoigne d’un
changement de perspective comme, par exemple, les travaux sur l’impact et
les usages de la télévision (Blumler et al., 1978 ; 1983), les analyses des
stratégies de discours électoraux (Cotteret et al., 1976, 1981), l’enquête sur
la constitution des enjeux politiques dans une élection municipale (Gaxie et
al. 1984) et l’étude de l’agenda électoral des législatives de 1986 (Dupoirier
et al. 1987). Ces recherches vont dans le sens d’une autonomisation de la
campagne électorale comme objet d’investigation fortement centré sur la
variable de communication. Par ailleurs, se transforme la représentation de
la campagne elle-même. L’analyse classique était focalisée sur les acteurs
patentés du jeu politique que sont les personnalités, les forces et les
coalitions dont on décrit les dispositifs, manœuvres et prises de positions.
Juxtaposé à l’analyse des stratégies, le contenu des médias d’information
est parfois décrit mais leur rôle est limité à une intercession entre les
candidats et les électeurs.
Les nouvelles analyses redistribuent les rôles et recomposent une autre
scène électorale inspirée non plus par la juxtaposition mais par
l’interaction des protagonistes. On est ainsi conduit à considérer la
campagne comme une structure de jeu caractérisée par du conflit, de la
coopération ou des relations mixtes qui produisent aussi des effets de
composition maîtrisés par aucun des compétiteurs. Ce dernier point est
d’autant plus sensible qu’on évalue les effets d’une campagne non
seulement en termes de résultats électoraux immédiats, mais aussi en
termes de redéfinition d’une situation politique c’est-à-dire sur un plan
symbolique. Les signes qui ont circulé pendant la séquence électorale ont
des effets cognitifs et symboliques différés comme l’acquisition et le
recyclage des connaissances politiques, la redistribution du capital
politique, la reconstitution des identités politiques et plus globalement la
légitimation du système lui-même. La campagne électorale se présente
donc comme une séquence privilégiée de construction de la réalité
politique à laquelle contribuent tous les acteurs selon leurs ressources,
leurs contraintes et leurs intérêts. Ceux qui aspirent au pouvoir se livrent
une lutte qui passe par les représentations, les images que tous les
citoyens se font, souvent inconsciemment, du passé, du présent et de
l’avenir d’eux-mêmes, de leurs groupes d’appartenance et de référence et
de leur collectivité nationale. C’est pourquoi la communication des
prétendants au pouvoir consiste dans les efforts pour exercer un contrôle
symbolique sur la définition collective de la situation politique. Ils
cherchent à imposer la domination de leur définition grâce à des
symboles qui sont des mots, des images, des films, des récits, des
arguments, des discours, des petites phrases, des photos, des affiches, des
clips, des livres, des professions de foi, des lettres, des musiques, etc. Il
s’agit donc de construire une interprétation qui a une vocation stratégique
et qui va se heurter aux interprétations rivales pour la conquête du
pouvoir.
De cet affrontement symbolique va résulter non seulement l’issue
électorale immédiate mais aussi la nouvelle configuration des
interprétations politiques. La campagne électorale s’analyse donc en
termes de communication comme l’interaction d’interprétations
stratégiquement orientées de la situation politique. Interaction car
aucune partie prenante ne peut prétendre contrôler l’intégralité du
processus. Le terme d’interprétation désigne le processus d’attribution du
sens et son résultat. Dans cette perspective, les candidats interprètent les
demandes et attentes des citoyens, l’offre électorale de leurs concurrents
et les intègrent pour donner un contenu cohérent à leur communication
stratégique. Les médias interprètent à travers le traitement de
l’information à la fois l’ensemble des offres, l’ensemble des demandes et
les conditions de leur ajustement. Le public interprète les messages
électoraux adressés directement, mais aussi les interprétations
secondaires fournies par les médias. De même que le mécanisme de
l’influence interpersonnelle fonctionne comme la transmission ou
l’échange d’interprétations plus ou moins spontanées de la situation.
Toutes ces interprétations consistent en façons de définir la situation. Les
campagnes électorales analysées du point de vue de la communication
politique apparaissent ainsi comme des moments de « surchauffe
symbolique » où s’affrontent (d’où la pertinence de l’orientation
statégique) des définitions de la situation dont chacune vise à devenir
dominante. Ces définitions de la situation peuvent prendre des formes
variables selon le mélange d’argumentations et de récits qu’elles
mobilisent.
Deux méthodes se présentent ici pour rendre intelligibles les
mécanismes de définitions de la situation. L’insistance sur la dimension
argumentative du discours politique incite à examiner les procédures
logico-discursives par lesquelles sont élaborées des schématisations
(Grize) c’est-à-dire des représentations simplifiées des situations
politiques. Au contraire, l’insistance sur la dimension narrative pousse à
comprendre les mécanismes de la mise en récit qu’implique le discours
électoral à la fois marqué par une rétrospective, le bilan de l’action
gouvernementale, et tendu par une prospective, le programme de l’action
à entreprendre. L’enjeu de la communication électorale n’est rien moins
que le contrôle de la construction d’une réalité à travers les
représentations, car c’est en fonction de ces représentations que les
conduites vont s’orienter. C’est là tout le sens de la célèbre proposition
du sociologue W.I. Thomas, qui écrivait dès 1928 « Si les hommes
définissent des situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs
conséquences ». C’est très clairement dire la part des représentations
subjectives dans ce qui apparaît comme des conséquences objectives de
l’interaction. Si donc un acteur politique parvient à installer en position
dominante sa représentation de la situation politique, il augmente sa
capacité d’influencer les conduites et de peser sur l’ordre politique.

La composition d’effets d’interaction


Les modèles successifs que les chercheurs ont appliqués pour envisager les
effets de la communication électorale, dont nous avons étudié plus en détail
au chapitre 3 les développements récents, sont une indication précieuse
pour révéler l’orientation générale de leurs efforts. Ansolabehere, Iyengar et
Simon (1995) ont mis en évidence comment le modèle dit de la seringue
hypodermique, le modèle de résonance et le modèle de compétition ont
constitué des perspectives ou des cadrages scientifiques qui se sont succédé
pour rendre compte des effets de campagne. Bien connu, le premier consiste
à voir la communication de campagne comme une opération qui va
consister à inoculer un certain nombre de convictions ou de croyances à un
récepteur passif, désarmé devant les actes de propagande. À partir du
moment où on comprend que les électeurs sont intégrés dans des groupes
sociaux qui, en quelque sorte, les protègent par leurs propres constructions
symboliques et leurs propres normes, on se tourne vers le modèle de
résonance dans lequel le candidat, par exemple, va s’efforcer de répondre
aux attentes des différents publics ou électorats. Être à l’unisson, en phase
avec l’électeur médian, par exemple, peut constituer une stratégie de
résonance puisqu’il est fait écho aux préférences de segments sociaux
réputés représentatifs de l’ensemble et surtout réputés critiques pour leur
comportement décisif dans l’élection. On s’est, ensuite, rendu compte que
ce modèle avait quelque chose de fruste : il oubliait tout simplement le
caractère concurrentiel de l’élection, prérequis élémentaire de la démocratie
représentative. C’est pourquoi le modèle de la compétition est venu
satisfaire cette condition en introduisant l’interdépendance stratégique entre
les concurrents. Les candidats « jouent » des coups, font des choix de
positionnement ou de communication qui dépendent les uns des autres.
Leurs conduites respectives, qui visent à l’emprise sur les perceptions
publiques en produisant une offre acceptable par le plus grand nombre, ne
peuvent échapper au discours de dénégation de l’offre adverse et cet
ensemble génère des effets d’interaction difficilement contrôlables par
chacun d’entre eux. La communication de campagne doit donc tenir compte
des effets d’interaction entre les messages stratégiquement calibrés. Les
prétendants au pouvoir se conduisent comme des stratèges, c’est-à-dire que
leurs actions sont orientées vers le succès de leur campagne de mobilisation
des électeurs. Leurs stratégies consistent à déterminer une offre et à la
communiquer du mieux qu’ils peuvent en gérant des flux de
communication à travers les médias et en manipulant des mots, des récits,
des arguments, des images, etc., c’est-à-dire des ressources symboliques. La
mise en oeuvre de ces ressources est continuellement gênée par les
perturbations, les bruits dans la théorie mathématique de la communication,
provoqués par les stratégies adverses dans une situation par définition
polémique. Chaque stratégie se heurte aux autres et la campagne est
marquée par ce que les sémiologues appellent l’intertextualité. Dans toute
communication polémique, le message, le discours et l’image renvoient à
d’autres séquences de signes. L’interdépendance stratégique commande une
partie des coups joués par les candidats et le caractère foncièrement
structural de toute campagne. L’intertextualité, chère à R. Barthes, est donc
une figure imposée de la communication électorale, comme l’est le respect
des préconstruits socio-culturels. Les débats télévisés, qui ont la faveur des
citoyens, à en croire les sondages et les audiences convergents, sont
exemplaires de la nécessaire conformité de la communication politique aux
préconstruits socio-culturels : « Le débat télévisé qui confronte des
professionnels choisis pour leur compétence spécifique mais aussi pour leur
sens de la bienséance et de la respectabilité politiques, en présence d’un
public réduit au statut de téléspectateur, réalisant ainsi la lutte des classes
sous la forme d’un affrontement théâtralisé et ritualisé entre deux
champions, symbolise parfaitement l’aboutissement d’un processus
d’autonomisation du jeu proprement politique, plus que jamais enfermé
dans ses techniques, ses hiérarchies, ses règles internes. » (Bourdieu, 1981).
Mais on aurait tort de restreindre les comportements stratégiques aux
seuls candidats, à leurs entourages et aux forces qui les soutiennent. Les
médias et les publics ont eux aussi leurs conduites stratégiques. Les
organisations d’information, comme les chaînes de télévision, les stations
de radio, les quotidiens et hebdomadaires doivent faire face à des
contraintes imposées par la réglementation de la campagne ou la
déontologie (égalité des temps de parole, honnêteté de l’information,
publication des sondages, impartialité, etc.), des contraintes liées à la
concurrence sur le marché de l’information et de la communication, des
pressions émanant des organisations et des pouvoirs politiques de même
qu’elles doivent satisfaire les attentes du public. Les organes
d’information adoptent donc certaines lignes de conduite sur la place
accordée à la campagne dans l’ensemble du traitement de l’information
et sur les modalités de la couverture. Indépendamment du dispositif mis
en place pour le suivi de la campagne, on observe que les journalistes
peuvent adopter différentes attitudes dans la fabrication de l’information
électorale. Ainsi, Blumler et al. (1986) ont distingué quatre types de
conduite chez les journalistes de la BBC lors de l’élection de 1983 selon
que leur démarche est dominée par la prudence du journaliste soucieux
d’une irréprochabilité politique, par le souci de restitution des actes
présentés par les acteurs politiques eux-mêmes comme des événements
de campagne, par des standards professionnels conventionnels
concernant la sélection des informations comme leur nouveauté, leur
intérêt dramatique, etc. ou enfin par l’ambition d’analyse politique du
commentateur éclairé. L’américanisation des normes ou
l’universalisation des procédures est toutefois résistible et les pratiques
journalistiques varient encore de façon sensible (Lemieux, 2004).
Quant au public, la variété des usages qu’il fait de la communication
politique atteste la sélectivité de ses comportements : certains évitent les
messages électoraux, d’autres s’y exposent avec des motivations diverses
telles que connaître les programmes des candidats, leur apparence
physique, acquérir des arguments de discussion, surveiller
l’environnement ou savoir comment voter. Le modèle dit des usages et
satisfactions de la communication politique a empiriquement observé
l’effet de ces motivations. Plus récemment, se sont développées les
recherches portant sur les stratégies cognitives et les mécanismes
d’acquisition de l’information. Mais ce qui rend la communication
électorale particulièrement complexe, c’est l’interaction relativement
rapide de ces interprétations stratégiquement orientées. En effet, chaque
participant à la campagne, qu’il soit prétendant au pouvoir, électeur ou
médiateur, interprète le déroulement de la campagne avec des disparités
considérables d’implication et de précision. L’aspect interactif produit la
construction de la réalité politique dont nul ne peut prétendre la contrôler
puisqu’elle résulte des échanges de tous et s’apparente ainsi à un effet de
composition symbolique. Elle peut être décrite comme un processus non-
sommatif où la totalité est supérieure à la simple somme de ses
composantes. L’interaction entre définitions de la situation donne lieu à
des effets particuliers ou localisés concernant, par exemple, la
solidification d’un agenda électoral particulier (Weaver, 1987, Van
Bontum et al., 2015), c’est-à-dire la sélection et la hiérarchisation
d’enjeux politiques émergents comme prioritaires dans la campagne. Il
peut aussi s’agir d’une dynamique dans la construction des identités
politiques individuelles comme l’image politique d’un candidat ou
collectives avec la prise de conscience d’une communauté de vues ou
d’intérêts. Le mouvement d’autonomisation dans l’étude des campagnes
électorales s’est aussi fait sentir au niveau local. Le travail de Ch.
Restier-Melleray (2002) sur les élections municipales de Bordeaux de
1995, où A. Juppé vient assurer la succession de J. Chaban-Delmas, est
exemplaire à la fois de ce regain d’intérêt pour le « local campaigning »
et pour la réflexion d’ensemble sur les contributions des différents
acteurs du processus électoral lui-même.
Les effets d’agenda, de cadrage et d’amorçage, d’une part, les effets
« bandwagon » et « underdog », d’autre part (mouvement d’opinion par
agrégation des intentions autour du vainqueur pressenti ou au contraire
par déplacement vers celui dont les chances de succès paraissent faibles)
sont des exemples de combinaison qui génèrent des effets de composition
macro-symboliques. L’insistance sur certains problèmes, thèmes ou
enjeux dans la couverture médiatique de l’actualité inciterait l’audience à
juger les acteurs politiques sur leur capacité respective à les prendre en
charge et les régler. Tous ces effets spéciaux liés à des séquences de
communication se combinent pour générer des effets macroscopiques. De
l’affrontement des interprétations ou de leurs affinités émergent des
représentations qui se cristallisent à propos des individus, des forces, des
offres et des enjeux qui configurent la scène électorale. La convergence
symbolique, selon Bormann (1985), apparaît comme un terme acceptable
pour exprimer cet effet de composition de toutes les interprétations en
circulation, qu’elles viennent des candidats, des sondés, des médias, des
forces politiques ou de tout autre participant à la co-production de la
réalité électorale.

Des effets directs aux effets indirects :


la complémentarité des approches
La question des effets des campagnes électorales présente un aspect
obsédant dans la recherche empirique consacrée à la communication
électorale. Holbrook (1996) fournit des arguments aux deux diagnostics
opposés sur l’existence d’effets de campagne. Un premier camp rassemble
ceux qui réfutent une telle éventualité tant au niveau individuel qu’au
niveau agrégé. Ils s’appuient sur les travaux de Lazarsfeld qui montre dans
« The People’s Choice » que les effets de conversion sont faibles des
électeurs d’un parti en faveur d’un autre, mais qu’en revanche la campagne
se traduit par des effets de renforcement des prédispositions politiques et
des effets d’activation de la participation politique. On ne peut donc pas
vraiment parler d’inexistence des effets chez Lazarsfeld mais d’effets
limités en termes de modification du choix électoral. De même, Campbell,
Converse, Miller et Stokes dans « The American Voter » observent que
l’identification partisane est le meilleur prédicteur du vote et qu’elle est
stable aux États-Unis dans les années 1950. Un peu plus tard, V.O. Key
avance que les « électeurs ne sont pas fous » et que leur réflexion
rétrospective sur les gouvernants influence directement leur vote.
M. Fiorina prolonge cette ligne de pensée en faisant remarquer que les
considérations rétrospectives ont une double influence, directe (sur le vote)
et indirecte, car elles pèsent aussi sur l’identification partisane. L’école
américaine, sur le point des effets de campagne, rencontrait au moins
l’école française de l’écologie électorale. Depuis 1913, avec son « Tableau
politique de la France de l’Ouest », A. Siegfried explique comment le
« milieu », l’environnement dans ses différentes dimensions (historique,
sociale, culturelle, économique et géographique) pèse et détermine le choix
électoral. L’opposition du « vote du granit » et du « vote du calcaire » est
emblématique de ce refus de voir se produire des effets de campagne. Si la
nature du sol est en cause (qu’y a-t-il de plus stable à long terme ?), cela
réduit à néant le rôle des facteurs à court terme et donc des campagnes
électorales.
En faveur de la thèse des effets de campagne, Holbrook retient les
électeurs tardifs, la baisse de l’identification partisane, la fluctuation des
intentions de vote et l’intrusion croissante des médias. Progressivement, à
partir des années 1970, l’idée que la campagne joue un rôle effectif
émerge et se consolide. Les différents indicateurs empiriques retenus par
Holbrook confortent cette hypothèse et par-dessus tout le déclin de
l’identification partisane accompagné de l’instabilité du vote d’une
consultation à l’autre. Iyengar et Petrocik (2003) font le point et
défendent une conception de compromis. Trois arguments expliquent,
pour eux, le constat de faiblesse des effets de campagne. Tout d’abord, la
compensation peut masquer de réels mouvements des électeurs entre les
candidats et donc se traduire par une neutralisation des effets et un impact
net minimal. Ensuite, la méthodologie utilisée peut produire des résultats
d’enquête biaisés, notamment lorsqu’il s’agit de l’auto-évaluation
concernant l’exposition à la campagne. Aux erreurs de mesure, s’ajoute
le lien entre exposition et attitude politique qui rend l’analyse des effets
réciproques difficiles à discerner. Enfin, le cadre temporel de
l’observation, quand il est trop court, peut empêcher le repérage des
effets. Dès lors, Iyengar et Petrocik suggèrent une conception où effets
structurels et effets de campagne à court terme sont complémentaires. :
« Les campagnes jouent un rôle parce qu’elles favorisent la congruence
entre la situation politique et les prédispositions d’une part et le vote
d’autre part. ». On est alors proche des « préférences éclairées » par la
campagne électorale façon Gelman et King (voir Gerstlé, 1996).
L’appartenance partisane et l’évaluation du président sortant, le long et le
court terme donc, sont considérées pour les États-Unis comme les
variables fondamentales du vote de base. Quoi qu’il en soit de la nature
de ces variables explicatives d’un système à un autre, ce qui est
significatif dans cette démarche est la tendance émergente à combiner
différentes approches opposées par le passé. Il faut tenir compte de trois
groupes de variables comme le soulignent Miller et Niemi (2003) : 1)-
Les facteurs du choix (intérêts, valeurs et identifications) et les facteurs à
court terme (candidats, enjeux et déroulement de la campagne) ; 2)- les
conditions médiatiques et contextuelles générales ; 3)- les contraintes,
principalement le système électoral et l’offre électorale. Ce dernier volet
renvoie assez directement, en termes cognitifs, à ce que P. Sniderman
(2000) appelle « ensemble des choix » et J. Kuklinski, l’environnement
politique. De la tradition des études électorales, nous avons hérité du
paradigme des effets limités, mais nous savons maintenant que des effets
de campagne peuvent se révéler puissants concernant la participation
électorale, la transmission de l’information, l’acquisition de
l’information, les effets d’agenda, de cadrage et d’amorçage, etc.
Au-delà des effets conatifs, il faut considérer des effets cognitifs ; au-
delà des effets directs, il faut considérer les effets qui influencent
indirectement le vote et il est aujourd’hui généralement accepté par la
communauté des chercheurs que l’interaction entre ces différents
éléments produit des résultats particuliers. Différentes typologies d’effets
ont été proposées à partir des années 1990 : Ansolabehere et al., (1993)
identifient quatre mécanismes par lesquels « les médias influent sur
l’opinion publique » : l’acquisition d’information, l’effet d’agenda, le
cadrage et la persuasion directe. Deux ans plus tard, (Ansolabehere et al.,
1995) trois classes d’effets sont décrites : l’acquisition d’information, la
mobilisation et la persuasion directe. En 2000, Iyengar et Simon
réduisent la liste à l’acquisition d’information, au contrôle de l’agenda et
à la persuasion. Dans leur étude des élections générales britanniques de
1997, Norris et al. (1997) utilisent trois concepts pour examiner les
effets : l’engagement civique (incluant cognitions et mobilisation), l’effet
d’agenda (conçu comme le pouvoir de définir la priorité des enjeux
majeurs) et la persuasion comme processus orienté vers la formation des
préférences. Cette brève méta-analyse d’un petit nombre d’études
théoriques et empiriques signées par des auteurs reconnus donne deux
indications. Premièrement, la persuasion directe reste un objet d’intérêt
scientifique actuel. Deuxiémement, elle est maintenant associée à l’étude
d’effets de communication et d’information divers qui, quelle que soit la
dénomination utilisée, introduisent très nettement les paramètres
cognitifs.
Sur le premier point, les effets de persuasion directe ne sont pas
remplacés par les autres. On constate que des auteurs comme Zaller
(1996) ou bien Bartels (1993) s’interrogent sur les faiblesses
méthodologiques qui empêchent l’observation d’effets directs puissants.
Cet intérêt persistant est bien illustré par l’étude de Dobrzynska et al. sur
les élections canadiennes de 1997. Le Canada est caractérisé par un
système médiatique dominé par la télévision. Les auteurs ont eu recours à
deux procédures de recherche qui étaient par le passé très séparées dans
la recherche empirique : l’une centrée sur la relation entre la couverture
médiatique et les intentions de vote ; l’autre centrée sur le degré
d’attention individuelle et son lien avec la décision électorale. Ils
combinent ainsi préférences électorales, attention aux médias et tonalité
de la couverture médiatique : « Une couverture médiatique
systématiquement positive ou négative a un impact sur ceux qui ont la
double caractéristique d’être très attentifs et de choisir leur candidat
pendant la campagne (…) mais les plus attentifs ne votent pas
globalement de façon différente des moins attentifs ». Les médias
affectent donc temporairement l’évolution des intentions de vote mais on
ne décèle pas d’impact direct sur le comportement électoral. Comme
ultime exemple de cette stratégie complémentaire, Goidel et al. (1997)
ont, eux aussi, élaboré une perspective intégrée de l’influence des médias
en campagne. Ils montrent que l’influence totale des médias sur les
attitudes individuelles est sous-estimée du fait de la séparation dans la
recherche empirique des effets persuasifs et des effets cognitifs. Ils ont
recours au modèle de Zaller (1992) concernant le changement d’attitude
(Receive, Accept, Sample) dont ils testent la validité simultanée avec les
effets du mécanisme d’amorçage par les médias : un processus de
persuasion directe et un modèle de persuasion indirecte fonctionnent
donc de façon concommittante. L’appartenance partisane et la couverture
médiatique s’appliquent de manière simultanée et indépendante pour
certains individus pour le cas de la campagne américaine de 1992.
Mesurer la totalité des effets des médias dans la campagne impliquent
donc que l’on observe les différents processus par lesquels ils peuvent
simultanément agir et il y a lieu de penser que ces effets sont supérieurs à
ce qu’on évalue généralement dans le discours académique français
dominant.
Sur le second point, à savoir l’émergence des dimensions cognitives,
l’une des caractéristiques des effets cognitifs est certainement leur impact
sur la saillance publique des « considérations » (Zaller, 1992) visibilisées
pour orienter le débat électoral. Or, la psychologie cognitive appliquée au
politique, comme le fait J. Kuklinski (2002) en l’appelant psychologie
politique, montre le fonctionnement de « biais d’accessibilité » suggérant
que l’influence de l’information quotidienne lui vient de sa capacité à
rendre accessible ce qui a été mémorisé à propos de tel ou tel « objet »
politique. Selon Iyengar, (1991) l’information la plus facilement
accessible tend à dominer les jugements, les opinions, les décisions.
Ainsi, l’effet d’agenda suppose que plus un enjeu est rendu saillant dans
les médias plus il est important pour le public. La recherche européenne
semble plus sceptique qu’outre-atlantique à propos de cet effet (Miller,
1991 ; Norris et al., 1999 ; Missika et al., 1986 ; Gerstlé, 1996). Il
convient, à notre sens, de distinguer l’effet d’agenda comme transfert de
préocupations des médias vers le public, qui paraît douteux, et d’autre
part l’effet d’agenda comme focalisation de l’attention publique qui
paraît beaucoup plus vraisemblable. Les conséquences des deux
mécanismes sont assez éloignées car ce n’est pas parce qu’on fait
attention à un problème qu’il devient pour autant une priorité dans la
compétition électorale sur laquelle on fondera son choix. L’effet
d’amorçage, comme on l’a vu plus haut, concerne l’altération des critères
d’évaluation des « objet » politiques (personnes, programmes, partis,
enjeux, etc.). Quant aux effets de cadrage, ils résultent de biais
d’accessibilité qui sont produits par la présentation de l’objet (tel angle
conduit à telle interprétation) : c’est alors le cadrage par configuration.
Le cadrage par imputation (Iyengar, 1991) correspond à la mise en cause
de la responsabilité d’un acteur du fait de la présentation de l’objet. Le
processus d’accountability qui est au cœur de la démocratie
représentative est donc directement affecté par les effets de cadrage
d’imputation et il est de ce fait inutile de préciser à quel point ces
derniers sont stratégiques.
Les dernières élections présidentielles
françaises : de 1988 à 2012
Autant la campagne présidentielle de 1974 apparut personnalisée et
marquée par des pratiques de modernisation liée surtout à la diffusion d’une
image personnelle, autant celle de 1981 sembla se jouer sur la substance et
le contenu des programmes concurrents (Cayrol, 1985). Elles semblent
encore fortement dynamisées par la communication contrôlée des candidats
et leurs choix opposés. Portons maintenant le regard sur le rôle de
l’information dans les cinq dernières campagnes qui, en France, ont précédé
l’élection du président de la République. 1988, 1995 et 2002 se sont
présentées comme des élections singulières qui partagent des points
communs, le moindre n’étant pas qu’elles viennent ponctuer les trois
expériences de cohabitation qu’a connu la Cinquième République de 1986 à
1988, de 1993 à 1995 et de 1997 à 2002. Comme on l’a développé plus
haut, la réglementation française, bien qu’en voie de modification, reste
relativement restrictive quant aux recours aux moyens de communication
électorale. L’information quotidienne diffusée à la télévision servant
principalement de support pour l’acquisition de l’information électorale, il
est particulièrement recommandé d’examiner les représentations biaisées
qu’elle a pu contribuer à créer ou relayer. La faible crédibilité du personnel
politique et les audiences limitées de la campagne officielle dans
l’audiovisuel public renforcent d’autant cette source d’information
considérée comme plus fiable. Des biais d’accessibilité majeurs
apparaissent quand on étudie systématiquement l’information télévisée qui
concernent : la visibilité des candidats, des effets de cadrage et d’amorçage
notamment dûs à la conjonction entre « l’issue ownership » ou réputation
de crédibilité d’un côté et contenu de l’information générale de l’autre.

La visibilité hiérarchisée

Premièrement, la visibilité des candidats varie considérablement en dépit de


recommandations qui auraient pour principe l’évolution vers l’égalité des
temps d’antenne et de parole au fur et à mesure que la campagne avance
vers l’élection elle-même. Gerstlé et al. (1992) ont étudié systématiquement
les journaux télévisés de 20 heures diffusés par la première chaîne entre le
1er janvier et le 23 avril 1988. Trois classes de candidats (et leurs soutiens)
peuvent être hiérarchisées en fonction de la visibilité. La classe dominante,
tout d’abord, comprend F. Mitterrand (le président sortant), J. Chirac
(Premier ministre sortant) et R. Barre (ancien Premier ministre entre 1976
et 1981). À eux trois, ils représentent plus de la moitié des unités
d’information électorale ou pouvant être liées à l’élection. Cette proportion
monte à 70 % si on tient compte des sujets où ils sont traités ensemble
comme dans les résultats de sondages. Dans cette classe, le président
domine et représente près du quart du corpus analysé. Le moins visible est
nettement R. Barre alors que le Premier ministre occupe une position
intermédiaire compensée par la forte visibilité des membres du
gouvernement dans l’actualité télévisée. On constate donc qu’une hiérarchie
de visibilité reproduit la hiérarchie des positions de pouvoir à l’intérieur
même des dominants. Une deuxième classe est constituée par le candidat du
Front national et ses soutiens ainsi que le candidat du PCF qui reçoivent à
eux deux environ 10 % de la couverture télévisée. Est sans doute à l’œuvre
ici le souci des journalistes d’apparaître impartiaux en reconnaissant le
même poids à des formations qui ont obtenu des scores comparables aux
élections européennes de 1984 et législatives de 1986, qui jouissent d’une
légitimité politique consacrée par la présence de 35 députés (le même
nombre pour les deux formations) à l’Assemblée Nationale et qui
obtiennent des intentions de vote voisines dans les enquêtes. L’équilibre est
ainsi justifié par les apparences qui renforcent la position du FN en
l’assimilant à celle du PCF. Enfin, reste la classe des candidats
« résiduels » : ceux que la presse appelle les « petits candidats » (ce qui
n’aide certainement pas à les grandir). A. Laguiller, P. Boussel, A. Waechter
et P. Juquin ne représentent à eux quatre que 41 unités d’information contre
205 au président sur les 115 éditions étudiées. Parler de disparités
considérables est donc un euphémisme pour qualifier le différentiel de
visibilité télévisuelle des compétiteurs dans la campagne.
Qu’en est-il du contenu de l’information traitée ? Une dichotomie
s’impose qui distingue entre les unités d’information centrées sur le jeu
politique et celles qui se concentrent sur les enjeux de l’élection en
termes de politiques publiques. L’information traitée fait apparaître un
déséquilibre lourd entre le jeu électoral qui représente 75 % des unités
d’information et les enjeux qui se contentent du reste. Il y a tout
simplement dans le média télévisé hypertrophie du jeu politicien et
atrophie dans le traitement des problèmes publics qu’est censé fournir le
débat électoral. Brugidou (1995) confirme pour la campagne
présidentielle de 1988 que la stratégie est mise en vedette pendant la pré-
campagne par les invités de « L’Heure de Vérité », l’émission politique
phare depuis 1982 jusqu’en 1995. De même, Neveu (1997) et Missika et
al. (1986) constatent pour la campagne de 1995 et celle de 1986 que ce
qui intéresse au premier chef les journalistes dans les émissions
politiques c’est la compétition entre les candidats bien davantage que les
problèmes publics. On a calculé que les proportions respectives du jeu et
des enjeux dans la couverture des campagnes présidentielles de 1981 à
2007 par les journaux de 20 heures étaient de 73 % pour le premier et de
27 % pour les seconds (Piar, 2012). La responsabilité des producteurs de
l’actualité paraît donc bien documentée pour la France concernant leur
propension à « cadrer » l’élection avant tout comme un jeu entre
professionnels de la politique2.
Si on détaille les formes du jeu en 1988, on voit dominer les sujets de
mise en place (33 %) des professionnels de la politique qui prennent
littéralement position dans l’espace de la compétition. On voit ensuite,
que les sujets de mise en scène (événements de campagne, portraits des
candidats, action de communication, etc.) représentent près du quart de la
couverture et participent largement de la « construction du spectacle
politique » (Edelman, 1988). On voit aussi que la mise au point par le
rendu de sondages ou le commentaire de la campagne par le journaliste
en plateau tient une place non négligeable (15 %). L’avantage de la
visibilité a favorisé en 1988, en 1995, en 2002 comme en 2007 et 2012
les candidats présidentiables : Mitterrand/Chirac/Barre, puis
Balladur/Chirac et in fine Jospin, puis Chirac/Jospin, puis Sarkozy/Royal
et Hollande/Sarkozy. Il suffit de comparer les temps d’antenne des 16
candidats de 2002 pour le vérifier immédiatement (Gerstlé, 2003). Là où
J. Chirac et L. Jospin disposent sur les trois chaînes principales
respectivement de 828 et de 856 minutes les autres candidats vont de 266
minutes pour J.-P. Chevènement à 44 minutes pour A. Glückstein. Le
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, dans sa lettre d’avril 2002, fustige
télévisions et radios pour s’être placées « dans une logique d’anticipation
du second tour » au cours des deux premiers mois de l’année. En 2007, la
visibilité des quatre principaux candidats laisse apparaître de profondes
disparités qui profitent vraisemblablement aux présidentiables (Gerstlé et
al., 2008). En effet, N. Sarkozy et S. Royal obtiennent une couverture de
près de 390 minutes alors que F. Bayrou et J.-M. Le Pen ne totalisent
chacun qu’un peu plus de 150 minutes et les huit autres candidats ne
disposent que d’une couverture beaucoup plus faible. On retrouve bien
les trois catégories de candidats repérées en 1988 : ceux qui concourent
pour le titre, ceux qui essayent de peser sur la compétition et les autres
assignés à un statut résiduel. En 2012, N. Sarkozy et F. Hollande
dominent largement leurs concurrents en termes d’impact médiatique
(Gerstlé et al., 2014). Comme le remarquent, avec à-propos, les
chercheurs italiens qui ont travaillé sur la politique télévisée en Italie, où
la pression des entreprises médiatiques et politiques de S. Berlusconi est
massive : « il tempo non è tutto, ma… » (Sani, Legnante, 2002).

Le cadrage discriminant

Concentrons-nous sur la manière dont sont traités les candidats


« présidentiables » (Duhamel, Jaffré, 1987), c’est-à-dire dotés de notoriété,
bénéficiant d’une popularité, reconnus comme ayant une compétence de
chef d’État et issus d’un parti central dans l’espace politique national. Le
traitement de l’information met en place ce que nous nommons un
« cadrage discriminant », dans la mesure où les candidats concernés ne sont
pas rapportés aux mêmes « considérations » dirait Zaller, ne sont pas
associés aux mêmes enjeux, bref ne sont pas regardés avec les mêmes yeux.
C’est un effet de cadrage typique qui se traduit d’abord quantitativement
par la balance entre jeu et enjeu qui est conforme à la moyenne chez
F. Mitterrand et qui est aspiré par le jeu lorsqu’on parle de R. Barre. Deux
conséquences importantes en découlent : premièrement, c’est le président
qui « contrôle » le plus d’enjeux de politique publique et cela renforce sa
légitimité et la reconnaissance de sa compétence. Deuxièmement, c’est R.
Barre qui reçoit le traitement le plus orienté vers le jeu et la mise en place
des professionnels de la politique notamment. Tout au long de la campagne,
la question revient comme une sorte de leitmotiv : « Qui soutient Barre ? ».
On comprend ici toute la puissance de délégitimation d’un tel traitement
puisque ce qui est mis en doute c’est bien sa viabilité politique. On voit bien
l’effet de cadrage qui discrimine entre des légitimités. Ce qui est
particulièrement insidieux avec le cadrage discriminant, c’est qu’il se passe
du moindre jugement explicite. Le cadre adopté pour présenter le candidat
ou un autre objet politique se suffit à lui-même pour faire sens et se
dispense de tout engagement verbal précis pour distinguer les candidats
légitimes et viables et les autres. Globalement, 1) le traitement télévisé de la
campagne est fondé prioritairement sur un cadrage en termes de jeu et de
compétition entre des élites politiques bien davantage qu’en termes de débat
électoral sur le règlement collectif des problèmes publics. Cette propriété ne
peut que renforcer la désaffection du politique dès lors qu’il est présenté
comme un jeu obscène tourné uniquement vers la conquête du pouvoir pour
lui-même. Plutôt que de stimuler la compétence politique et d’éclairer le
citoyen, l’information diffusée est de nature à discréditer les professionnels
de la politique et d’une manière encore plus générale à affaiblir la confiance
dans les autres à travers ce que Robert Putnam après Gerbner appelle le
« mean world syndrom » (le syndrome du monde dur). Si le diagnostic est
pertinent, cela signifie que les médias en insistant sur les aspects douteux du
monde social ne font que renforcer le discrédit et la perte de confiance dans
la société et ses institutions. 2) Le traitement de l’actualité lors des
campagnes électorales est susceptible de favoriser et de défavoriser les
candidats par la visibilité, par le cadrage et par l’amorçage du jugement
qu’il induit. Il peut aussi le faire en se mettant à l’unisson de la campagne
« contrôlée » de tel ou tel candidat.

Conjonction et disjonction entre communication


et information

L’avantage procuré à la campagne d’un candidat passe par la conjonction de


l’information et de sa propre communication contrôlée : c’est, à notre sens,
le cas de F. Mitterrand et J.-M. Le Pen en 1988, de J. Chirac et J.-M. Le Pen
en 2002. Il se peut que le handicap procuré à un candidat passe par la
disjonction entre l’information quotidienne et sa communication contrôlée :
c’est le cas de R. Barre en 1988, d’E. Balladur en 1995 et de L. Jospin en
2002.
Revenons sur ces différents cas particuliers pour en tirer quelques
enseignements généraux. Tout d’abord, l’avantage de la conjonction est
manifeste dans le cas de 1988 aussi bien pour le président sortant que
pour le candidat du FN. Le succès de F. Mitterrand ne semblait guère
faire de doute et les choix de non-campagne qu’il opère ne sont destinés
qu’à renforcer cette impression. Il se déclare candidat seulement un mois
avant le premier tour de scrutin, comme de Gaulle en 1965, et adopte une
posture complémentaire à l’égard des Français dont il brigue les
suffrages. Contrairement à V. Giscard d’Estaing, qui opte en 1981 pour
un positionnement symétrique de « citoyen candidat », il choisit de
mettre l’accent sur sa légitimité présidentielle et donc une
communication « complémentaire » : c’est lui le chef de l’État, il entend
le rester jusqu’au terme de son mandat et c’est parce qu’il a été un
président qui s’est imposé à son Premier ministre dans la cohabitation
que les Français le choisiront. Sa candidature, complètement adossée à la
position présidentielle, est portée par l’information sans qu’il soit dès lors
nécessaire de forcer sa communication contrôlée comme un candidat
ordinaire. Les médias vont rapporter le moindre de ses faits et gestes dans
l’exercice de ses fonctions et il interprète entièrement cette partition de la
légitimité en narrant dans « La Lettre à tous les Français » comment il
s’est imposé durant la cohabitation à son Premier ministre. Il est
indéniable que la couverture informationnelle « sert » de communication
électorale au président en mettant quotidiennement en scène sa stratégie.
S’agissant du candidat du Front national, la conjonction entre
communication et information tient à un effet d’amorçage positif. En
effet, les enjeux mis en avant par l’actualité durant la campagne vont
largement résonner avec les thèmes sécuritaires favoris du FN : le
mouvement indépendantiste kanak et les événements sanglants de
Nouvelle-Calédonie (Ouvéa), les journalistes français retenus en otages
au Liban, la relance « stratégique » par F. Mitterrand de la question du
vote des étrangers aux élections locales sont autant d’occasions données
aux médias de faire monter les problèmes de sécurité et d’immigration
dans l’agenda électoral. Dans le même temps, la visibilité du candidat Le
Pen augmente en raison des recommandations de la CNCL de respecter
le pluralisme dans le traitement de l’information audiovisuelle. On est
donc en présence d’une concomitance de phénomènes qui profite à J.-M.
Le Pen : 1) sa visibilité personnelle augmente ; 2) les thèmes qui lui sont
proches sont plus saillants dans l’actualité ; 3) les intentions de vote en sa
faveur s’accroissent et les médias en « informent » le public. On est donc
dans une sorte de spirale positive où l’agenda, la visibilité et l’évolution
des électeurs convergent pour améliorer la position du candidat du FN.
Ce qui est particulièrement remarquable, c’est le rôle de l’information
générale (« background news ») beaucoup plus important dans ce
processus que l’information électorale. On constate également que
l’amorçage peut être une authentique stratégie, en l’occurrence chez
F. Mitterrand qui en plaçant sur l’agenda électoral la question du vote des
étrangers va diviser l’électorat de droite.
Le cas du candidat Chirac en 2002 constitue également un modèle
d’avantage par la conjonction de l’information et de la communication
associée à un mécanisme d’amorçage (Gerstlé, 2003). La situation
s’apparente à celle de 1988 pour ce qui est de l’installation d’un agenda
électoral dominé par les préoccupations sécuritaires. Mais si le processus
d’amorçage a été éruptif du fait de l’actualité exploitée en 1988, en 2002
il s’agit davantage d’un processus cumulatif pour plusieurs raisons :
l’émergence progressive et la construction lente de l’insécurité comme
enjeu majeur ; la cohabitation qui pousse le président et le Premier
ministre sortants à promouvoir des enjeux identiques dont l’insécurité. Il
n’y a pas eu de réel débat idéologique polarisé entre les principaux
candidats, mais plutôt un débat sur un ensemble commun de problèmes
auxquels les candidats donnaient des réponses plus ou moins différentes.
Pour reprendre les termes de D. Campus (2001) travaillant sur la
compétition entre les partis italiens en 1996, le style de la compétition
était en 2002 plus conforme à la théorie de la confrontation qu’à la
théorie de la saillance où chaque compétiteur cherche à faire prévaloir
une « issue ownership ». Et de fait, les enquêtes révèlent que le public ne
discerne pas d’écart majeur entre J. Chirac et L. Jospin sur les thèmes de
l’insécurité, des impôts, des pensions. On peut affirmer à partir des
mêmes sources (cf. CSA/SSU 21 avril 2002) que si un parti peut se
prévaloir d’une crédibilité très forte sur l’insécurité, c’est bien le Front
national. L’analyse du journal télévisé de TF1 depuis le 21 janvier
jusqu’à la veille du premier tour de l’élection présidentielle fait
apparaître un temps (mesuré en minutes par semaine) considérable
accordé aux questions d’insécurité traité dans l’information générale
comparativement au traitement de l’information électorale.

Figure 4.1 – Temps consacré aux thèmes


de l’insécurité et des élections dans le journal télévisé
de 20 heures de TF1 durant les dernières semaines
de la campagne présidentielle de 2002 (en secondes
par semaine)
Deux mécanismes sont convergents : 1) la stratégie d’amorçage du
président qui souligne l’importance de cet enjeu pour critiquer l’action
gouvernementale en intensifiant la pression en janvier 2001 alors que se
préparent les élections municipales ; 2) l’information générale traitée par le
média télévision (qui en l’occurrence est assez représentatif d’un
emballement médiatique global). Dès lors, le Premier ministre, à partir du
moment où les sondages indiquent que la préoccupation de l’insécurité
supplante celle du chômage, en décembre 2000/janvier 2001, se sent obliger
d’adopter cet enjeu bien qu’il soit éloigné de sa zone de crédibilité
prioritaire. Quand les téléspectateurs sont soumis quotidiennement au
journal télévisé à un déluge de violence, de délinquance, de crimes,
d’émeutes, de voitures brûlées, de racket à l’école et de meurtres, c’est tout
le poids électoral du « background news » qui s’abat sur la campagne
électorale. Une enquête Louis Harris du 22 avril porte sur les thèmes qui
ont le plus déterminé le vote du premier tour : 43 % citent l’insécurité, 24 %
les inégalités sociales et 23 % le chômage. N. Mayer et V. Tiberj confirment
que l’insécurité a stimulé le vote sur enjeux à droite et à l’extrême droite3.
W.L. Miller (1991), à propos de la campagne britannique de 1987, a déjà
mis en évidence comment les conservateurs ont profité de l’accent mis sur
l’insécurité par l’information générale.
L’information générale, support cognitif de mobilisation, agit de plus
comme un moyen puissant de validation ou d’invalidation des discours
électoraux. Elle fonctionne comme une preuve (souvent visuelle) de
pertinence dans la façon dont les candidats ont déterminé leurs priorités.
Elle devient une évidence « naturalisant » le diagnostic et donc la
définition de la situation concernée. En d’autres termes, c’est moins le
discours électoral, par lui-même, que sa compatibilité avec l’actualité vue
comme authentique qui dicte les « considérations » prioritaires à utiliser
pour faire son choix électoral. Ce mécanisme garde sa force lorsqu’il
produit des effets négatifs.
Le handicap procuré à un candidat du fait de la disjonction entre
l’information quotidienne et sa communication contrôlée est illustré par
R. Barre en 1988, E. Balladur en 1995 et L. Jospin en 2002. En 1988, on
a vu plus haut comment le différentiel de visibilité et le cadrage
discriminant convergeaient pour marginaliser le présidentiable R. Barre.
En 1995, le cas est particulier car il s’agit d’une désintégration « en plein
vol » vers le succès pour E. Balladur, considéré comme le vainqueur
probable trois mois avant l’élection. Là encore, l’analyse systématique de
l’information télévisée du début janvier à la mi-mars (Gerstlé, 1996)
permet de révéler clairement un effet d’amorçage typique au mois de
février 95, c’est-à-dire un changement des critères d’évaluation sous
l’influence de l’information quotidienne. Que se passe-t-il à y regarder de
plus près ? Si on compare les priorités dégagées par les enquêtes
d’opinion, on constate qu’elles changent de façon beaucoup plus forte en
1995 qu’en 1981 : cela signifie qu’il y a une acquisition publique
d’information plus importante et donc impact plus lourd de la campagne
dans le premier cas, au moins s’agissant du degré de saillance des enjeux.
On en retiendra que la campagne de 95 est plus décisive que celle de
1988 où, comme on l’a montré, la stratégie de la légitimité présidentielle
est orientée vers une campagne à faible visibilité.
En 1995, le Premier ministre se déclare candidat le 18 janvier, bien
après J. Chirac (le 4 novembre 1994) et peu avant que L. Jospin soit
investi par des primaires chez les socialistes le 3 février. L’information
télévisée insiste pendant le mois de janvier sur la campagne électorale
dont la visibilité est croissante. Puis, brutal retournement de situation
début février, sans que l’entrée en jeu du candidat socialiste prolonge cet
intérêt, on assiste au contraire à un basculement de l’attention médiatique
sur toutes les difficultés rencontrées non pas par le candidat Balladur
mais par le Premier ministre Balladur : l’action gouvernementale non liée
à l’élection devient prédominante qu’il s’agisse des réactions hostiles
suscitées par une circulaire (rappelant les désordres provoqués chez les
« jeunes » par l’échec de la réforme du CIP en 1994) sur les IUT mais
surtout par l’affaire Maréchal-Schüller qui, en cascade, voit se succéder
une série d’affaires délicates : écoutes téléphoniques, affaires GSI, entre
autres. Cela va complètement faire voler en éclat la solidarité
gouvernementale, donc diviser ses soutiens et mettre en cause la capacité
du chef du gouvernement à devenir chef de l’État. Il y a, certes, une
conduite stratégiquement discutable du Premier ministre candidat, qui
déclare sa candidature puis retourne à Matignon gérer les affaires
facilitant ainsi le déplacement de l’attention médiatique de l’électoral
vers le gouvernemental.
Néanmoins, la soudaineté et l’intensité des pertes de ressources
d’opinion incitent à penser que le mouvement est bien induit par un
travail persuasif de l’information : les indicateurs de popularité d’E.
Balladur, sa crédibilité sectorielle (Chiche et al.4), ses qualités
personnelles, sa présidentiabilité, tout s’effondre en un mois. Cette
désintégration se produit alors que l’information électorale reste limitée
(l’effondrement n’est donc pas imputable aux adversaires) et qu’il y a eu
forte acquisition d’information chez les citoyens durant la campagne
(l’information est donc bien en cause puisque la campagne officielle n’a
pas débuté). Enfin, le cas de L. Jospin en 2002 nous semble illustrer le
handicap procuré par la disjonction entre l’information quotidienne et sa
communication contrôlée pour une série de raisons que nous avons
développées par ailleurs (Gerstlé, 2003) : la perception généralisée d’une
présidentielle à premier tour joué, fortement étayée par les médias depuis
1997, la dispersion de l’attention médiatique sur un grand nombre de
candidats alternatifs à un candidat qui ne se présente pas comme
socialiste et la forte pression d’un agenda sécuritaire. À cet égard, on
peut dire que le processus éruptif de 1988 devient un processus cumulatif
en 2002 dans la mesure où le thème de l’insécurité est installé
progressivement et de façon croissante dans l’agenda médiatique
aiguillonné par la pression présidentielle.
Bien différente est la campagne de 2007 où l’information ne s’est pas
focalisée sur un enjeu particulier comme le montre la figure 4.2.
L’information télévisée prise ici comme point de référence moyen des
comportements journalistiques montre une volatilité extrême de l’agenda
électoral médiatique. Le « zapping » permanent auquel elle invite
l’opinion, ainsi incitée à la labilité, a-t-il profité davantage à un
candidat ? On peut le penser a posteriori, car avec le recul apparaît
l’isomorphisme entre la gestion de l’information par le futur Président
Sarkozy et le candidat Sarkozy caractérisée par une rotation permanente
des thèmes prioritaires qui empêche la solidification d’un agenda hormis
celui que propose le leader en campagne ou bien dans l’exercice du
pouvoir. En raison d’une information générale elle-même très fluctuante,
le thème principal de l’agenda électoral change presque toutes les
semaines. D’autre part, on a mis en évidence (Gerstlé et al., 2011) que le
cadrage télévisuel insistant sur la stratégie de rupture avait influencé les
électeurs dès lors plus sensibles à un agenda labile.

Figure 4.2 – Dynamique des principaux enjeux dans


l’information électorale (Journaux de 20 heures de TF1
et France 2, 18 septembre 2006-21 avril 2007)

Si nous nous sommes attardés sur les campagnes présidentielles sous la


Ve République c’est qu’elles sont réputées plus exemplaires des
transformations de l’espace public politique et de la distribution du pouvoir
au plus haut niveau. Il n’en reste pas moins que les élections législatives
(Missika, 1986), les élections régionales (Habert et al., 1992), les élections
municipales (Gaxie, et al., 1984 ; Restier-Melleray, 2002), les élections
européennes (Blumler, 1983), présentent leurs spécificités de même que les
élections sénatoriales ou cantonales. Il est aussi possible de consulter nos
propres contributions aux Chroniques électorales publiées par les Presses de
Sciences Po pour les régionales et cantonales de 1992 et 2004 (Piar et al.
2005), les législatives de 1993 et 1997, les européennes de 1994, 1999 et
2004 ainsi que les présidentielles de 1995, 2002, 2007 et 2012 (Gerstlé et
al., 2014). Chaque niveau de consultation a ses contraintes politiques
propres.

La prépondérance des facteurs politiques


Les campagnes électorales se sont modernisées sous l’influence de la
médiatisation de la vie politique et des techniques de communication. Reste
pourtant la permanence des facteurs politiques qui prévalent dans les choix
stratégiques et qui font sentir leur influence dans le moyen terme. Nous
avons pu constater toute leur importance en analysant l’évolution de la
communication électorale. Il s’agit de montrer maintenant que les
campagnes génèrent des effets politiques différés et comment des processus
spécifiquement politiques ou des arrangements institutionnels déterminent
des dynamiques de campagne.

Les effets politiques différés


des campagnes
Il convient de garder à l’esprit que « ce qui se passe durant une campagne
électorale n’est pas réductible au résultat final » comme l’écrit P. Lefébure5.
Ses conséquences ne s’arrêtent pas à la dévolution immédiate du pouvoir.
La campagne a également des effets différés ou qui ne se feront sentir que
dans un terme plus éloigné. Sans pouvoir les développer, citons quelques
questions soulevées par ces effets différés.
1) Le « knowledge gap » (traduisons, fracture cognitive) qui
caractérise la distribution inégale de la compétence politique ou civique
(Gaxie, 2007, Milner, 2004), de la sophistication (R. Luskin) ou de
« l’awareness » (J. Zaller) selon les auteurs est-elle altérée par la
campagne ne serait-ce que momentanément ? Est-ce que les citoyens
acquièrent de l’information sur l’état de leur pays et des problèmes
majeurs auxquels il se trouve confronté ? Est-ce que les individus riches
en capital culturel capitalisent davantage que les « pauvres », le fossé
s’accroissant ainsi au lieu de se réduire ? S’il y a, par exemple, un
changement de système électoral sera-t-il compris par tous de la même
manière ? S’il y a couplage d’élections (par exemple, aux niveaux local
et national) les campagnes sont-elles de nature à bien éclairer les
électeurs sur les différents enjeux ?
2) La mobilisation électorale est, on le sait, dépendante de l’intensité
de la campagne mesurée par la saillance et la fréquence de sa couverture.
Mais qu’en est-il de la participation politique une fois que l’agitation
électorale est retombée ? Est-elle stimulée par les résultats (cf. l’effet Le
Pen qualifié pour le deuxième tour en 2002) ? Cette activation de
participation est-elle durable ou éphémère ? Touche-t-elle davantage la
participation institutionnelle, la participation organisée ou la participation
spontanée ? Favorise-t-elle une polarisation accentuée des perceptions
publiques, un intérêt croissant pour la politique ?
3) La réactivité des gouvernants est-elle modifiée par leur succès ? Le
cours des politiques publiques est-il changé en réponse aux vœux
exprimés par les électeurs (Gerstlé, 2003) ?
4) La légitimité et la confiance dans les institutions et le système
politique sont-elles renforcées par la campagne ? La perception des
forces et la popularité des leaders affectés par les résultats ouvrent-elles
des fenêtres d’opportunité pour relancer une dynamique positive dans les
attitudes à l’égard de la communauté politique, des valeurs, des principes
du régime, des performances du régime, des institutions, voire du
personnel politique pour reprendre la distinction de P. Norris (1999) ? On
dispose de peu de comparaisons empiriques sur la capacité des médias à
conforter au niveau individuel le soutien au régime. Mais selon Banducci
et al. (2003) des effets indirects interviennent pour témoigner de
l’influence des médias sur le contenu des politiques publiques. Plus
généralement, on peut s’interroger sur la négativité des campagnes dans
la communication des candidats eux-mêmes ou dans les représentations
dévalorisantes que les médias diffusent du politique : sont-elles à
l’origine ou contribuent-elles au développement de sentiments anti-
politiques (Mastropaolo, 2000 ; Gerstlé, 2002) ? 5) Au niveau de la
culture politique, la campagne électorale permet-elle de faire progresser
le partage de règles, de pratiques et de représentations communes ? Ce ne
sont donc pas les effets différés qui manquent mais plutôt l’intérêt que
leur portent commentateurs et chercheurs, obnubilés par la question de la
conquête immédiate du pouvoir.

L’encadrement juridique des campagnes


L’encadrement juridique des activités politiques est un phénomène saillant
qu’il s’agisse des activités électorales, de l’information routinisée dont le
pluralisme est surveillé (Marcangelo-Leos6) ou du financement de la vie
politique, pour ne prendre que quelques exemples. Il suffit de lire ce que
décrivait dans la Revue Française de Science Politique en 1966 G.
Rochecorbon à propos du « contrôle de la campagne électorale » et ce qui
est aujourd’hui en vigueur (Gerstlé, 2013) pour aboutir à ce constat du
renforcement général de l’encadrement juridique de la compétition
électorale.
S’agissant des campagnes, la situation actuelle fait coexister dans les
stratégies de communication électorale les moyens traditionnels et les
moyens modernes de propagande. On compte toujours sur les réunions
électorales, les circulaires ou professions de foi et les affiches
réglementaires, mais aussi sur les tracts, « l’affichage sauvage » et les
journaux électoraux. Mais les médias ont largement modifié le paysage
avec notamment la campagne radio-télévisée, les sondages et le
développement de la publicité en particulier directe grâce au publipostage
et au marketing téléphonique ou à l’internet et aux réseaux sociaux. À la
réglementation générale de la propagande électorale traditionnelle
s’ajoutent les nouvelles normes concernant l’utilisation des médias
audiovisuels et électroniques. Toute campagne se présente aujourd’hui
comme un ensemble d’efforts pour intégrer ces différentes ressources de
communication disponibles en proportions variables selon les candidats,
les niveaux de consultation et le degré de modernisation de l’espace
public concerné. Même à l’occasion des élections locales, on peut
observer que le travail politique de la sociabilité fondée sur les réseaux
municipaux, les réseaux partisans et les réseaux associatifs vient s’ajouter
à l’emploi des sondages dans le choix des thèmes électoraux. Les
premiers permettent de faire remonter l’information sur les attentes de la
population pour mieux cibler le message. Mais le porte-à-porte, les
réunions de quartier ainsi que l’utilisation de questionnaires produisent
un « effet » supplémentaire qui consiste à montrer sa force, à manifester
sa capacité de mobilisation. Les deux aspects du contenu informatif et de
la relation sociale sont indissociables, de telle sorte que militantisme et
communication sont les ressources majeures d’activation de la
campagne7. Le dispositif juridique va donc encourager les actions
publicitaires précoces pour tourner l’interdiction matérielle. Ceci va
inciter aux démarrages de campagne anticipés et aux pratiques de
campagne permanente où la gestion des ressources et du calendrier des
actions va se révéler plus complexe et ainsi renforcer l’importance du
contrôle stratégique des « managers de campagne ».
Outre ces possibilités, l’intérêt de la publicité hors-média se trouve
rehaussé par l’absence d’interdiction touchant le démarchage
téléphonique et le publipostage. La loi favorise une modalité de
communication politique certes caractérisée par la personnalisation et
l’immédiateté, mais aussi facilite le ciblage des électeurs et la brièveté du
message qui vont dans le sens d’un discours moins argumenté et
contradictoire. Outre les formes publicitaires encore mobilisables, le
changement des règles juridiques du jeu ne peut que renforcer le poids
des autres modalités disponibles et moins coûteuses de la communication
électorale. Les forces militantes avec leurs moyens humains et matériels
peuvent accomplir un travail de porte à porte, d’organisation de réunions
et manifestations, de diffusion d’informations, d’activation de la
discussion politique et d’influence interpersonnelle. Mais la propagande
électorale de la campagne officielle met à la disposition des candidats des
moyens non négligeables plus particulièrement dans les consultations
d’importance nationale. L’affichage officiel, les documents imprimés et
les allocutions radiotélévisées continuent de susciter un regain d’intérêt
du fait qu’ils sont les seuls moyens légaux dans la dernière phase de la
campagne.
Outre la communication des militants et les moyens de propagande
officielle, les acteurs politiques sont tentés d’utiliser dans leur campagne
les médias d’information comme des vecteurs de leurs stratégies. Car non
seulement le traitement de l’information est gratuit pour le candidat, mais
encore il lui assure l’accès à une large audience à travers les journaux
écrits, radiodiffusés ou télévisés. De plus la couverture journalistique de
la campagne prise en charge par les organes d’information n’est pas le
plus souvent réputée véhiculer une propagande particulière et cette
propriété la rend d’autant plus stratégique. Les recherches
psychosociologiques ont montré, notamment depuis Hovland et
Festinger, que la résistance à la persuasion est d’autant moins forte que la
source du message n’est pas directement identifiable. En d’autres termes,
la propagande la plus efficace n’est pas celle qui se donne pour telle mais
celle qui est diffusée par ces supports réputés neutres et crédibles que
sont généralement les supports d’information. Dans cette perspective, on
conçoit aisément tout l’intérêt que les acteurs politiques ont à capter
l’attention des médias soit en tissant avec eux des liens de coopération
régulière, soit en montant des opérations ponctuelles, des pseudo-
événements (Boorstin, The Image, 1964) qui attireront la couverture
médiatique par leur caractère spectaculaire, soit en distillant des « petites
phrases » qui feront entendre leur voix sur les ondes ou s’étaleront dans
les manchettes des journaux. La communication politique devient alors
un marché qui s’active de façon plus intense dans les conjonctures
électorales mais qui cherche à pérenniser son existence à travers la
communication institutionnelle.
Qu’est-ce qu’une communication électorale efficace ? Celle qui permet
à un candidat d’être élu en maximisant les voix qui se portent sur lui ;
celle qui optimise le soutien politique dans le court terme de la campagne
ou assure la maintenance d’un capital politique à plus long terme ou bien
encore celle qui va assurer la délibération la plus satisfaisante entre les
citoyens ? Le choix du critère du temps, c’est-à-dire la période
considérée pour apprécier l’efficacité, et du critère des acteurs
privilégiés, c’est-à-dire les professionnels de la politique, les
professionnels de la communication et la collectivité des citoyens, sont
lourds de conséquences sur le résultat de l’évaluation. La mesure de
l’efficacité de l’affichage publicitaire est exemplaire de cette incertitude.
On l’a vu plus haut, il est possible d’évaluer des taux d’attribution, de
confusion ou d’agrément sur une vague d’affichage. Quant à connaître
son impact spécifique sur le comportement électoral, ceci est largement
conjectural comme c’est aussi le cas, d’ailleurs, pour les autres moyens
de communication. En effet, non seulement les différents moyens de la
communication électorale engendrent par les messages qu’ils véhiculent
des effets de composition irréductibles aux effets produits par chacun
d’eux, mais encore ils viennent exprimer ou s’articuler à un substrat
politique préexistant.
Les effets de composition sont d’autant plus complexes que les
candidats où les forces en lice sont nombreux et donc que l’accès à la
candidature est plus ou moins facilité par la règle juridique. Il suffit de
comparer les seize candidats présidentiels de 2002 et le nombre de leurs
prédécesseurs pour comprendre que les règles d’accès à la candidature
vont peser non seulement sur la configuration de l’offre électorale mais
aussi sur le résultat de l’élection. Le nombre, la variété des candidats
conditionnent la qualité représentative de l’offre, les stratégies des
candidats, les coûts d’acquisition de l’information des électeurs,
l’intensité du travail des journalistes. En 1958, le général de Gaulle est
élu par 62 394 grands électeurs. Il suffit alors de recueillir 50
présentations dans le collège électoral. En 1965, 1969 et 1974, le
candidat doit être parrainé par 100 signataires, anonymes, élus provenant
d’au moins dix départements : ce régime connaît 6 candidatures en 1965,
7 en 1969 et 12 en 1974. En 1976, la barre est relevée puisque sont
exigées 500 signatures, rendues publiques (ce qui peut décourager le
soutien), d’élus provenant d’au moins trente départements et au
maximum un dixième du même département. Cette aggravation des
conditions a réussi à limiter le nombre des candidatures à 10 en 1981,
puis 9 en 1988 comme en 1995. Mais la réforme du financement des
partis politiques a indirectement rendu insuffisant ce dispositif en 2002,
comme, d’ailleurs, pour ce qui est des élections législatives. Suite à la
mise en place des subventions publiques liées aux résultats à ces
dernières, à partir de 1990, on assiste à une explosion des candidatures
puisque la moyenne de candidats par circonscription passe de 5 en 1988 à
14,8 en 2002, avec des paliers de 9,2 en 1993 et 11,2 en 1997. En 2007,
on redescend légèrement à 13,2. La réforme de l’élection du président de
la République au suffrage universel direct modifie considérablement les
conditions d’énonciation de la prétention à diriger le pays : c’est
désormais plus de 44 millions d’inscrits qu’il faut convaincre ou
persuader en 2015. Ceci va bien sûr avoir des incidences sur l’octroi de
ressources publiques (financières ou médiatiques) égales, par principe, et
qui face à l’augmentation des candidats vont voir leur volume s’affaiblir
dans le partage. On ne peut rentrer ici dans le détail des dispositions
multiples qui spécifient l’encadrement juridique de la compétition.
L’important est de comprendre combien ces règles contraignent
lourdement la compétition électorale et qu’elles ont tendance à se
renforcer (Gerstlé, 2013).

Les positions de pouvoir, les crédibilités


sectorielles et les stratégies
de communication
On a proposé de discerner les composantes nécessaires au candidat
présidentiable en France, c’est-à-dire aux propriétés que doit présenter son
capital politique pour concourir avec des chances réelles de succès à une
élection présidentielle. Dans ces conditions, la présidentiabilité s’attache
plutôt à un capital politique construit dans la durée, tout au moins pour ce
qui est du système politique français. Plus explicitement rapportée aux
effets de la mémoire en politique, l’hypothèse des « actes lourds » avancée
par J.-L. Parodi (1989) illustre le principe d’illiquidité du capital politique.
La communication politique se nourrit de souvenirs et la décision électorale
se construit dans le temps. Certains actes accomplis sur la scène politique
laissent une trace plus profonde dans l’opinion. Ils se caractérisent par leur
aspect évocateur, classeur ou différenciateur et leur durabilité est fonction
de la concurrence et de la résonance des autres actes accomplis par le même
acteur. La compétition entre acteurs consiste d’abord en une compétition
entre agglomérats de souvenirs d’actes lourds. La « soumission
tribunitienne », selon les termes de J.-L. Parodi, du président Mitterrand
après les élections législatives de 1986 est ainsi une conduite qui va
favoriser l’issue de l’élection présidentielle de 1988, comme la suppression
de l’impôt sur les grandes fortunes est restée une décision qui marque de
façon prégnante l’image de J. Chirac. Ce modèle est compatible avec les
propositions théoriques avancées plus haut sur la campagne comme
séquence de construction de la réalité politique. En effet, affirmer que les
jeux électoraux de 1988 étaient faits six mois avant l’échéance ne suffit pas
à ruiner l’importance de la communication au cours de la campagne elle-
même. Il fallait, in fine, rafraîchir la mémoire des électeurs et leur raconter
les péripéties du « drame » de la cohabitation pour réactiver en eux les
mécanismes qui les avaient conduits à soutenir la popularité présidentielle.
On peut dire en ce sens que la campagne du président sortant était
complètement adossée à la position institutionnelle. En réduisant le plus
possible la distance entre le président et le candidat par sa déclaration
tardive comme par ses actes et discours de campagne, F. Mitterrand a choisi
de tirer profit des bénéfices de la légitimité présidentielle. C’est le parti
inverse qu’avait choisi V. Giscard d’Estaing lorsqu’en 1981 il avait opté
pour la stratégie du citoyen-candidat compte tenu des conditions difficiles
de sa fin de mandat. On voit donc que l’avantage de la position
institutionnelle doit être assorti d’un bilan satisfaisant en termes de
popularité.
Sur le court terme, enfin, les positions de pouvoir occupées par les
protagonistes contraignent largement leur stratégie. Pour illustrer cette
dépendance des stratégies de communication à l’égard du contexte
politique, la position de pouvoir conditionne largement le contenu du
message. Comme le résume bien S.C. Kolm (1977) : « Être au pouvoir
est donc à la fois un moyen privilégié de faire connaître ce que l’on veut
et peut faire, et une contrainte particulièrement forte sur les déclarations
d’intention : il est difficile de promettre de faire, si l’on est réélu, quelque
chose de très différent de ce que l’on vient de faire ou de ce que l’on est
en train de faire. » Ainsi, les analyses des « commercials », les spots
télévisés préparés par les candidats américains à l’élection présidentielle
depuis 1952, révèlent des régularités dans les choix stratégiques. Les
sortants victorieux soulignent les compétences requises par la fonction
présidentielle, exploitent le pouvoir de la légitimation qu’elle recèle et
font valoir les réalisations accomplies durant leur mandat. Les
challengers ont plutôt tendance à se montrer physiquement à l’image, à
dénoncer les insuffisances de l’administration sortante et à appeler au
changement. Tandis que les sortants insistent davantage sur leurs qualités
personnelles, les challengers privilégient le discours sur les enjeux.
A. Johnston (in Kaid et al., 1991) a bien montré qu’en France et aux
États-Unis, les candidats à la présidence adoptent des stratégies
conformes à leur rôle de sortant ou de challenger. De même, L. Vavreck
(2009) distingue entre challengers et sortants pour décrire les stratégies
de communication optimales auxquelles ils peuvent recourir aux États-
Unis, perspective qu’elle élargit dans son analyse de la campagne
présidentielle de 2012 (Vavreck et al., 2013). Toute communication doit
donc satisfaire des conditions d’acceptabilité multiples liées au capital
politique. Les conditions d’acceptabilité varient avec la position de
pouvoir occupée. La position de pouvoir forte (pensons au titulaire de
plusieurs mandats électifs) réduit l’importance des efforts
supplémentaires de communication. Il est acceptable aux yeux de
l’électorat que ce candidat ne dépense pas davantage pour accroître sa
notoriété. Si bien qu’un candidat qui dispose d’une forte notoriété, d’un
soutien partisan crédible et qui occupe déjà une position institutionnelle
pourra plus facilement faire face au plafonnement des dépenses
électorales. Se fait ainsi jour le lien entre communication, financement
des activités politiques et relève du personnel politique aux niveaux local
et national.
Même si les facteurs politiques restent déterminants dans les choix
stratégiques de communication, une pression croissante s’exerce grâce
aux techniques de communication et leurs conséquences sur l’espace
public en voie de modernisation. Il est probablement excessif d’affirmer
que la médiatisation de la politique conduirait à des « élections sans
choix ». Cependant, les systèmes où s’implante l’espace public
« modernisé » sont caractérisés par une symbolisation des choix
politiques qui n’est pas sans rappeler ce que Walter Benjamin évoquait
avec « l’esthétisation de la politique ». On est en droit de se demander si
l’essentiel, en effet, dans ce type de communication politique ne consiste
pas de plus en plus en une construction d’identités stratégiques dans des
mises en scène médiatisées sous forme de messages publicitaires
(affiches, clips, spots, etc.) mais aussi sous la forme d’information
notamment audiovisuelle plus ouverte à la spectacularisation et à la
dramatisation. Les stratégies de communication et la couverture
médiatique de la campagne se combinent pour suspendre la réalité
politique, comme si le principe de plaisir supplantait le principe de réalité
en une levée fantasmatique des contraintes réelles par une mise en fiction
du débat politique. Le silence à propos du déficit budgétaire, par
exemple, est remplacé par le discours à propos de problèmes sur lesquels
la compétence du président n’a pas de prise parce que ces enjeux sont
plus « payants » pour son positionnement. Si l’offre électorale se réduit
alors à un choix entre des enjeux symboliques ou des « images », au
double sens d’icône et de représentation, que deviennent les théories de
la démocratie et leurs prérequis concernant l’information de l’électeur
rationnel et la recherche coopérative à travers la délibération politique
des problèmes collectifs ? On voit ici comment la communication
électorale, par-delà les contingences techniques, interpelle la théorie
politique. La réflexion de K. Lipsitz (2011) est ici particulièrement
opportune, en ce sens qu’elle confronte la communication électorale aux
attendus de trois formes de démocratie : la démocratie concurrentielle
fondée sur la compétition, la démocratie agrégative fondée sur l’égalité
des ressources et la démocratie délibérative fondée sur la force du
meilleur argument. Elle montre bien comment la communication
électorale revêt des caractéristiques très différentes selon les exigences de
chaque forme de démocratie.
On ne contestera pas l’idée que les candidats et les professionnels de la
politique en général développent des « identités stratégiques » pour
utiliser l’heureuse expression d’A. Collovald8. Mais ces stratégies sont
sévèrement limitées par tout un ensemble de contraintes qui vont des
arrangements institutionnels jusqu’à la conjoncture la plus immédiate.
Par exemple, la question de la crédibilité est plus large que celle de la
position de pouvoir car elle renvoie au temps et à la réputation qui en a
besoin pour se constituer. Les candidats et les partis politiques sont plus
ou moins crédibles, certes selon la position de pouvoir qu’ils occupent et
les enjeux qu’ils contrôlent. Mais dans les stratégies de communication
politique, sont mises en valeur des crédibilités rémanentes, des
réputations de capacités à prendre en charge certains problèmes selon
l’origine partisane ou la famille politique que l’on représente. Il suffit
pour s’en convaincre de confronter quelques résultats d’enquêtes sur des
consultations récentes. Entre autres, Chiche et Mayer (1997) identifient
pour l’élection présidentielle de 1995 les zones de crédibilité sectorielle
des candidats : la France dans le monde, la construction européenne, le
chômage et la sécurité sont reconnus comme des enjeux dont J. Chirac
serait plus capable de résoudre les problèmes. L. Jospin est à son
avantage sur le partage du temps de travail, la protection sociale, les
salaires et le pouvoir d’achat. D. Voynet est associée à l’environnement et
J.-M. Le Pen à l’immigration. Avec des candidats différents, parfois, et
pour s’en tenir à une opposition schématique, les candidats de droite sont
considérés comme davantage associés à la sécurité et les candidats de
gauche à l’emploi et à la lutte contre les inégalités sociales.
En changeant de période et de niveau de consultation, Grunberg et al.9
pointent pour les élections législatives de 1986 des crédibilités
rémanentes qui correspondent à celles que nous venons de citer. On
comprend bien, dès lors, tout le parti stratégique dont les acteurs en
compétition peuvent tirer d’un processus où effet d’information par
amorçage (altérer les critères de jugement) et « réputation de
compétence » ou crédibilité ou « issue ownership » fonctionnent de façon
simultanée. L’information quotidienne attirant l’attention sur des enjeux
réputés relever de tel ou tel bord incline le public à soutenir les candidats
représentant cette portion de l’espace partisan. Mais il se peut que la
configuration des candidatures perturbe cet ordonnancement. Songeons à
J. Chirac qui dans sa compétition à droite avec E. Balladur tient un
discours sur la « fracture sociale » où, manifestement, il sort du cadre de
l’« issue ownership ». C’est ce que les Anglo-saxons appellent l’« issue
trespassing », ou triangulation lorsqu’il y a en plus alignement sur la
position de l’adversaire.
Le choix des enjeux stratégiques qu’un candidat va retenir comme
essentiels pour se positionner peut dépendre de la structure des
préférences collectives dans l’ensemble des domaines dont le candidat
aura la charge. On a cité plus haut une alternative stratégique claire (D.
Campus) : il faut choisir entre une stratégie de saillance où certains
enjeux spécifiques sont placés au cœur des propositions électorales ou
bien choisir une stratégie de confrontation où les enjeux principaux sont
les mêmes que ceux de l’adversaire mais assortis de propositions de
règlement différentes. Le cas Chirac 1995 correspond bien à cette
deuxième éventualité contrairement au cas Chirac 1988 qui s’assimile à
la première, de même que G. W Bush a consacré davantage de temps aux
enjeux réputés démocrates dans ses spots électoraux en 2000. Aux États-
Unis, Petrocik et al. (2003) a attaché son nom à l’étude de l’« issue
ownership » et montre que cette réputation de compétence spécialisée ou
cette crédibilité sectorielle est indéniable empiriquement sur les treize
dernières campagnes présidentielles depuis 1952, c’est-à-dire dans la
période qui correspond à la communication politique moderne et
l’émergence de la communication politique dite post-moderne10.
Il faut évoquer les choix entre deux ultimes stratégies qui apparaissent
aujourd’hui fondamentales. Une première stratégie vise la cible de
l’électeur médian, celui qui partage l’électorat en deux fractions égales,
et qui se caractérise par des préférences floues ou nulles. Dans ce cas de
figure, le candidat suit les préférences de l’électeur médian pour
composer son offre. Il s’adapte complètement à la « demande » telle que
la lui révèlent, par exemple, les sondages. Une seconde stratégie consiste,
au contraire, à proposer un projet fondé sur des préférences spécifiques
au candidat, mais dans sa communication il mettra l’accent sur les
propositions de son projet qui ont l’assentiment du public tout en
conservant les autres pour les convertir tout de même, l’heure venue, en
politiques publiques. Tout est alors affaire de volume, d’intensité : le
candidat insiste pour faire entendre au maximum ses orientations
compatibles avec l’opinion majoritaire et met en sourdine les aspects
moins populaires sans pour autant y renoncer. C’est une stratégie qui
exprime une forme de « réactivité simulée » des gouvernants aux attentes
des gouvernés, l’autre forme se rapprochant de la conformation, de la
fabrication pure et simple des préférences des gouvernés par les
gouvernants.
La position de pouvoir et la crédibilité imposent d’autres choix aux
candidats que ceux liés aux enjeux. Le cas de G.H. Bush illustre bien le
problème posé par le choix des armes dans la compétition électorale.
Nous avons vu qu’en 1988, lors de sa première élection, il fait un usage
sans retenue de la publicité négative où il parvient à « détruire » l’image
de son adversaire démocrate, le gouverneur Dukakis. Quatre ans plus
tard, alors qu’il a dirigé le pays, qu’il a été un chef de guerre victorieux
autour duquel la nation américaine s’est rassemblée, il ne peut plus
utiliser les mêmes instruments de communication. Sa position
présidentielle de candidat sortant l’empêche d’utiliser une publicité
négative aussi violente contre son nouvel adversaire, B. Clinton, car son
statut rend cette voie impraticable sous peine de donner l’impression de
ne pas se conformer à son rôle et de sortir de ce qui est acceptable dans
cette position. On retrouve alors la dichotomie sortant/challenger qui
pose des problèmes au niveau des moyens de communication
compatibles avec un rôle politique donné.
Il convient, enfin, pour rester au niveau des préférences partisanes des
électorats, d’évoquer la question complexe de leur instabilité croissante
qui présente des conséquences contradictoires en termes de stratégies de
communication électorale. D’un côté, la mobilité des électeurs ouvre
incontestablement des fenêtres d’opportunité électorale dans lesquelles
peuvent s’engouffrer toutes sortes de projets plus ou moins compatibles
avec les attendus de la théorie démocratique et le modèle du parti
responsable. D’un autre côté, c’est le signe d’une indépendance, d’une
autonomisation que les électeurs actualisent en abandonnant leur
captivité passée à l’égard des formations politiques. L’acceptabilité de ce
deuxième diagnostic est conditionnée par la validité de la mobilisation
cognitive. L’électeur ne s’autonomise qu’à la condition de bénéficier
d’une compétence civique ou politique authentique. Par ailleurs, il y a
lieu sans doute de prendre la mesure réelle de cette instabilité. Il
convient, alors, de distinguer entre la volatilité nette (celle qui apparaît
entre deux élections consécutives) et la volatilité brute qui correspond au
total des changements tels que les saisissent les grandes enquêtes à
l’échelle nationale. La difficulté vient de l’absence de tendances lourdes
suffisamment claires dans les démocraties industrielles avancées pour en
déduire que le changement social est en cause. Il apparaît plutôt que la
volatilité, pour autant qu’elle existe, dépend d’abord de la conduite des
partis et de l’offre politique en général, ce qui en conséquence renforce
l’importance de la communication contrôlée, de l’information en
conjoncture électorale et de l’évolution des systèmes partisans.

Les structures politico-institutionnelles


Le politique ne se confond pas avec l’électoral, et son inscription dans la
durée longue contraint les stratégies de campagne. Sur le long terme pèsent
les traditions historiques, les dispositifs institutionnels, les normes
culturelles, la distribution des attachements partisans. Ils forment un
ensemble de conditions qui préexistent à la campagne et se présentent
comme un préconstruit social. Les stratégies de communication doivent
impérativement respecter ce préconstruit pour être considérées comme
recevables. C’est la transposition dans le politique d’un principe général
d’isomorphisme. En d’autres termes, le message politique, par son contenu,
sa forme, sa transmission doit s’ajuster à un certain nombre des conditions
de sa production. Considérons à titre d’exemple le lien qui existe entre un
processus politique tel que le recrutement du personnel politique d’une part
et une technique de communication légitime d’autre part pour montrer que
la communication électorale doit respecter des conditions politiques
historiquement posées. Dans le mode de vie américain la publicité est une
pratique promotionnelle complètement légitime, ce qui rend son application
au domaine politique beaucoup plus aisée qu’en France. Par ailleurs, le
recrutement du personnel politique laisse ouvert l’accès à des non-
professionnels de la politique qui, pour acquérir rapidement une notoriété
minimale dans la course électorale, ont recours aux techniques publicitaires.
Il est possible aux États-Unis de se lancer dans la course à la Maison
Blanche sans disposer d’une notoriété politique nationale, comme l’illustre
le cas de Ross Perot en 1992. On voit comment se renforcent mutuellement
la condition culturelle et la condition politique. La publicité gagne de la
légitimité puisqu’elle s’ennoblit dans la prise en charge des questions
d’intérêt collectif alors que le prétendant au pouvoir gagne de la notoriété
c’est-à-dire améliore ses chances de succès. Lorsque l’on confronte la
communication électorale dans l’univers culturel américain et dans
l’univers culturel français apparaît de façon nette la différence de
consistance de l’espace public. Dans le premier univers, l’expression plus
occasionnelle et fragmentée du politique se laisse plus facilement altérer par
le jeu de la médiatisation sans pour autant être annulée. Sur le moyen terme,
ensuite, intervient le capital politique des acteurs antérieurement acquis qui
présente une certaine rigidité. On ne façonne pas une image politique aussi
facilement que ne le laissent penser les experts en marketing. Les acteurs
politiques produisent des actions, des gestes, des discours, des prises de
positions qui contribuent à construire leur identité politique par
accumulation. Leur notoriété, leur popularité, leur crédibilité, leurs traits
d’image personnelle, leur localisation dans l’espace politique se dessinent
ou se précisent de façon progressive. Le capital acquis par un homme
politique est illiquide en ce sens qu’il est difficile de le transférer d’un
usage, d’un projet ou d’une image à un ou une autre. Pour S.-C. Kolm,
(1977), l’illiquidité du capital politique s’expliquerait par trois raisons
essentielles : la difficulté à détruire de l’information acquise, la perte de
crédibilité et la déception affective. Les analyses en termes « d’actes
lourds » ou de facteurs de popularité peuvent être rapprochées, bien qu’elles
ne le soient pas explicitement, de cette analyse du capital politique et
illustrent le principe d’illiquidité au moins dans le moyen terme.
S’il est une contrainte institutionnelle évidente pour la détermination
des stratégies électorales et de leur communication, ce sont bien les
règles qui fixent le système électoral lui-même. Il est hors de question
d’inventorier les conséquences attachées à chaque système, mais
simplement d’évoquer quelques-unes de ces règles pour rappeler leur
profonde incidence. Grossièrement, on peut avancer que si le système
majoritaire met l’accent sur le candidat, le système proportionnel insiste
sur l’organisation partisane et que le système mixte voit son impact varier
sur l’un ou l’autre selon la nature de la circonscription où s’applique le
système retenu. Le nombre de variables à prendre en compte est
considérable, allant du suffrage à caractère intégralement universel ou
pas, direct ou indirect, jusqu’au découpage électoral, en passant par le
nombre de tours ou de sièges en jeu dans la circonscription, le caractère
obligatoire et secret du vote, des modes d’inscription, des seuils à
franchir pour obtenir un financement, ou le gain d’un siège ou plus
simplement de maintien au second tour, etc. (Martin, 1994 ; Norris,
2004). Milner (2004) montre bien le poids des arrangements
institutionnels et des choix publics (financement public de l’éducation
pour les adultes) comme facteurs de participation électorale en
Scandinavie.
Directement lié au système électoral, le système partisan fait partie de
ces éléments déterminant les formes, l’intensité, le contenu de la
communication électorale et plus généralement de la communication
politique. On a évoqué en traitant des règles d’accès à la candidature
quelques problèmes posés par le nombre des compétiteurs. Une réflexion
élargie du même ordre peut s’appliquer à la communication du parti
unique aux partis multiples en passant par les formes de bipartisme en
tenant compte de leur polarisation, de leur capacité à se coaliser ou à se
succéder dans des alternances commandées par les élections en
démocratie représentative.
À un autre niveau d’intégration institutionnelle, la nature du régime est
également un facteur décisif pour la communication politique. Par
opposition aux systèmes majoritaires, on distingue les démocraties
consociationnelles dont le modèle repose sur quatre critères selon
Lijphart : une large coalition de partis régulent les intérêts communs aux
différents segments de la société qui disposent eux-mêmes d’une grande
autonomie pour s’organiser. Le principe proportionnel permet de
représenter les différents segments à tous les niveaux. Un droit de veto
est opposable lorsqu’un segment voit ses intérêts vitaux menacés.
Marletti et Roncarolo (2000) ont appliqué la distinction majoritaire et
consociationnelle aux relations entre médias et politique en Italie. En
démocratie majoritaire, les professionnels de la politique alertent et
mettent ainsi à contribution l’opinion publique pour trouver un règlement
aux controverses partisanes. La logique des médias est mise à
contribution pour capter l’attention publique. En démocratie
consociationnelle, au contraire, les partis évitent ce type de publicisation
et s’arrangent pour garder le contrôle du règlement des enjeux. Toutes
sortes de segmentation y aident : la segmentation sociale, les groupes de
pression, les courants partisans, les identités régionales, etc. La crise de la
communication politique en Italie tient largement à la coexistence
d’éléments majoritaires nouveaux et consociationnels anciens qui
freinent les aspirations à l’autonomisation des médias audiovisuels à
l’égard du politique. On saura gré à Hallin et Mancini (2004) d’avoir
étudié les relations entre systèmes politiques et systèmes médiatiques
pour proposer une typologie qui distingue entre le modèle libéral, le
modèle corporatiste démocratique et le modèle du pluralisme polarisé
présentés au chapitre 2.

1. Pew Research Center, February 7, 2012, Cable Leads the Pack as Campaign News Source.
Twitter, Facebook Play Very Modest Roles.
2. Dans une situation concurrentielle où l’impératif économique de maximisation des profits
s’impose aux rédactions, le traitement de la campagne en termes de jeu permet en effet davantage
de maintenir l’attention de l’audience. Ce type de couverture se conforme d’ailleurs parfaitement
aux biais de la dramatisation, de la personnalisation et de la fragmentation déjà évoqués.
3. MAYER N., TIBERJ V., 2003, “Do Issues matter ? Law and order in the 2002 French
presidential election”, in LEWIS-BECK M. (dir.), The French Voter. Before and after the 2002
Elections, New York, Palgrave MacMillan.
4. CHICHE J., MAYER N., 1997, « Les enjeux de l’élection », in BOY D., MAYER N. (dir.),
L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 219-237.
5. LEFÉBURE P., 2014, « Dynamiques des campagnes électorales et stratégies d’analyse du vote.
Pour une approche séquentielle et communicationnelle de la formation des choix électoraux », in
DÉLOYE Y., DÉZÉ A., MAURER S. (dir.), Institutions, élections, opinion, Presses de Sciences Po,
pp. 139-158.
6. MARCANGELO-LEOS Ph., 2004, Pluralisme et audiovisuel, LGDJ.
7. SCHIER S.E., 2006, “Aiming a Riffle and Missing Millions: Campaign Polling in
Contemporary Politics”. A paper presented at the Conference on Polling and Campaigns, Center
for the Study of Politics and Governance, Hubert Humphrey Institute, University of Minnesota-
Twin Cities, February 27, 2006.
8. COLLOVALD A., 1988, « Identités stratégiques », in Actes de la recherche en sciences sociales,
vol. 73, pp. 29-40.
9. GRUNBERG G., HAEGEL F., ROY B., 1986, « La bataille pour la crédibilité », in GRUNBERG G.,
DUPOIRIER E. (dir.), Mars 1986 : la drôle de défaite de la gauche, Paris, Puf, pp. 116-135.
10. Pour une actualisation problématisée du concept, se rapporter à TRESCH A., LEFEVERE J.,
WALGRAVE S., 2015, “Issue ownership: how the public links parties to issues and why it matters”,
in West European Politics, vol. 38(4), pp. 778-796.
Chapitre 5

La communication, l’information
et l’exercice du pouvoir

MÊME SI ELLES CONSTITUENT des moments particulièrement forts de la vie


politique qui voient leurs effets prolongés au-delà d’une séquence de
campagne, les élections ne sauraient épuiser toute l’activité de
communication politique. Le pouvoir conquis doit, en effet, être exercé et la
tendance croissante à transformer la vie politique en campagnes
permanentes incite à penser que la communication devient un aspect
important de cet exercice. Sans prétendre aucunement rendre compte ici des
pratiques de toutes les institutions, on se limitera à trois types de problèmes
concentrés autour du président de la République, du gouvernement et de
leur popularité.

La communication présidentielle
Dans la France de la Ve République, l’élection du président au suffrage
universel direct a eu pour effet de présidentialiser la vie politique et cette
évolution a probablement été facilitée par sa médiatisation croissante qui
constitue une arme à double tranchant auprès de l’opinion publique.

La communication du président
Aux États-Unis, où le régime présidentiel est en place de longue date, les
médias ont déjà acquis depuis longtemps un rôle stratégique dans le jeu du
pouvoir. La séparation des pouvoirs a incité le président à s’appuyer sur
l’opinion pour surmonter les difficultés politiques soulevées par le Congrès
et dans cet effort la gestion quotidienne de la communication présidentielle
est devenue une arme indispensable. Dès lors, la communication n’est plus
affaire seulement de séquences isolées, comme c’est le cas des conjonctures
électorales, mais devient une condition permanente du soutien populaire
(Farnsworth et al., 2006). Le président conduit une campagne incessante où
la communication pèse sur la popularité. Rapportant le déroulement des
séances de travail à la Maison Blanche, un conseiller de R. Reagan, qui fut
aussi le manager de la campagne de G. H. Bush en 1988, déclare : « Je ne
me souviens pas d’avoir assisté à une seule réunion pendant plus d’une
heure sans que quelqu’un demande : “Comment cela va-t-il passer dans les
médias ?” C’est toujours comme ça. Les grandes décisions ont été
influencées par les médias. » (H. Smith, Le Jeu du Pouvoir, 1988).
L’institution présidentielle offre des possibilités de contrôle de la
communication. Ce contrôle opère de façon directe ou indirecte sur la
construction médiatique de la scène politique. La politique de
communication s’appuie, tout d’abord, sur l’organisation et/ou la
participation à des événements médiatiques plus ou moins spectacularisés,
comme par exemple les émissions politiques à la radio et à la télévision.
De 1958 à 1969, le général de Gaulle a recours à 81 interventions
radiotélévisées si l’on intègre aussi les 18 conférences de presse et ses 5
entretiens avec le journaliste M. Droit. Trois caractéristiques opposent les
conférences de presse américaines et gaulliennes selon Chalaby (2002) :
la fréquence, la mise en scène et le caractère plus adversatif chez les
Américains opposés à la déférence française. Le tableau suivant donne
une idée de l’écart qui existe entre le nombre de conférences de presse :
Tableau 5.1 – Comparaison des conférences de presse
télévisées des présidents américains et de Charles de Gaulle

Président Conférences Nombre de mois Moyenne mensuelle


de presse
Eisenhower 190 96 1,97
Kennedy 63 34 1,85
Johnson 135 62 2,17
Nixon 39 67 0,58
De Gaulle 18 130 0,13

Source : d’après les dénombrements de J.K. Chalaby, 2002.

La gestion du silence présidentiel et de sa rupture, qu’il s’agisse de


déterminer quand, où et surtout de quoi il faut parler, présente également un
caractère stratégique. Outre ses interventions rituelles motivées par les
vœux du 31 décembre et la fête nationale du 14 juillet, le président
Mitterrand a un rythme de passage à la télévision très irrégulier. À la
discrétion des premiers mois de l’état de grâce avec l’opinion, succède une
période de communication intensive pour enrayer la perte de popularité des
années 1983 et 1984. Puis, le président se fait plus rare jusqu’aux élections
législatives de 1986, comme s’il anticipait le repli présidentiel de la
cohabitation. Entre 1986 et 1988, enfin, il multiplie les occasions de
visibilité télévisuelle pour compenser symboliquement le rétrécissement de
son champ d’action réel. Il ne faudrait cependant pas exagérer l’impact de
ces conduites, ne serait-ce qu’en raison des conduites d’esquive de
l’audience. Aux États-Unis, par exemple, où le choix des programmes TV
est plus important notamment grâce au câble et au satellite, on note un
déclin, net à partir de R. Reagan, de l’audience moyenne (mesurée en
termes de foyers équipés) recueillie par les émissions présidentielles. Sur
128 conférences de presse et discours télévisés diffusés en prime time des
présidents américains entre 1969 et 1998, Nixon, Ford et Carter sont
regardés au moins une minute par presque la moitié des foyers possédant la
télévision. La baisse s’installe avec Reagan, qui au cours de ses 51
allocutions n’atteint qu’une moyenne de 40 %. G.H. Bush, avec 8
allocutions, obtient une audience légèrement supérieure à 30 %, alors que
Clinton descend sous la barre des 30 % avec 15 allocutions. C’est bien le
développement du câble et non la désaffection du politique qui explique ce
déclin comme l’ont montré Baum et Kernell (1999, op. cit.) Dans le même
temps, la durée moyenne du « sound bite » (bref extrait parlé) présidentiel a
reculé de 42 secondes en 1968 à 7 secondes en 1996 et à 6 secondes en
2004 dans les journaux télévisés de la soirée1. En France, on assiste à une
évolution parallèle qui voit les extraits des propos des candidats à l’élection
présidentielle se réduire continuellement de 44 secondes en 1981 à 28
secondes en 1988, 19 secondes en 1995, 16 secondes en 2002 et 13
secondes en 2007.

La couverture médiatique du président


La visibilité n’est pas uniquement commandée par l’accès direct du
président, mais aussi par la couverture médiatique de l’action présidentielle
à travers les programmes d’information, notamment les journaux télévisés.
Aujourd’hui, la présidence américaine est de loin l’institution la plus visible
dans les médias d’information écrits et audiovisuels. On a calculé que sur la
période 1969-1983, plus de la moitié des articles ou sujets de nature
institutionnelle portaient sur la présidence. Dès lors, la gestion de l’agenda
présidentiel permet d’orienter la couverture en collant à l’actualité ou de
préférence en la faisant. En France, la structure bicéphale du pouvoir
exécutif semble plus favorable au gouvernement. Si on se réfère aux temps
d’antenne du président et du gouvernement à différents moments (1990,
2000, 2003 et 2014) (cf. tableaux 5.7 et 5.8), on constate l’infériorité
chronique de la présence médiatique présidentielle. Néanmoins, ce temps ne
se disperse pas sur des ministères ou des personnalités multiples mais reste
bien concentré sur un pouvoir le plus souvent incarné par un seul homme. Il
apparaît, de plus, que la fonction présidentielle, telle qu’elle a été
reconfigurée par l’expérience de la cohabitation, par l’élection de 1988, et
les années écoulées depuis cette date, présente un rayon d’action
suffisamment développé notamment dans l’exercice des responsabilités
internationales pour susciter une couverture médiatique non sollicitée. Dans
différentes logiques de situation, la stratégie de communication est
commandée par les dimensions de la fonction présidentielle. Dans les crises
internes ou internationales, dans les conjonctures électorales ou dans
l’exercice ordinaire du pouvoir, il s’agit de gérer les différents aspects
symboliques du rôle : gardien des institutions, garant de l’unité nationale,
arbitre, figure tribunitienne, chef militaire et diplomatique. La situation
commande le choix des virtualités qui composent le répertoire de l’identité
présidentielle.
À cet égard, la politique extérieure présente une instrumentalité
intérieure très forte, car elle permet de mobiliser derrière le président,
symbole de la communauté nationale, des segments d’opinion
généralement hostiles, comme l’ont montré les réactions à la crise du
Golfe qui débute en août 1990. Le souci de contrôler le contenu de la
couverture médiatique du président est très clairement exprimé par D.
Gergen qui fut directeur de la communication de R. Reagan : « Nous
voulions façonner nous-mêmes l’information et non laisser ce soin à la
télévision… J’entends par là que les aspects essentiels du gouvernement
sont devenus l’objet d’une mise en scène, d’une mise en scène par la
télévision, et la véritable question est de savoir qui va contrôler la scène.
Est-ce que ce doit être les chaînes, ou les collaborateurs du candidat ou
du Président ? » (H. Smith, 1988). Quel est l’enjeu de ce contrôle ou de
cette compétition pour le contrôle ?

La communication, l’information
et la recherche du soutien public
Au total, la communication présidentielle est inspirée par la gestion du
soutien public au président, à ses décisions et la maintenance de sa
légitimité. Le président peut jouer sur l’accès direct, l’accès indirect aux
médias et sur l’interaction entre les deux selon les circonstances et les
objectifs. Le mécanisme qui permet de maintenir la légitimité de l’action et
la popularité de la personne repose sur la combinaison de la visibilité des
problèmes qui composent l’agenda politique, de la visibilité du président et
du lien qui peut être établi entre les deux. Le président peut donc, soit
inciter de façon couverte au traitement de certains problèmes particuliers
par les médias pour en orienter l’agenda, soit prendre personnellement
l’initiative de promouvoir certains enjeux. Dans les deux cas, il peut
compter sur une association entre les enjeux et la fonction présidentielle.
Dans la gestion de la crise du Golfe, par exemple, le président Mitterrand
multiplie les points de presse et interventions télévisées, onze au total, qui
le placent au centre de l’information nationale. Cependant, toutes les
informations sur la crise contribuant à dramatiser la situation fonctionnent
aussi comme un appel à la prise en charge par l’autorité présidentielle. La
comparaison des effets de popularité de G.H. Bush et F. Mitterrand induits
par la crise du Golfe montre des différences d’intensité et de vitesse de mise
à feu évidentes, mais aussi des processus communs comme les gains
d’approbation effectués chez les opposants liés au silence des leaders de
l’opposition (Gerstlé, 1994).
La visibilité médiatique du président s’est considérablement accrue
avec la crise du Golfe (Gerstlé, 1990). On constate d’ailleurs que dans les
médias audiovisuels d’information, le temps d’intervention du président
au troisième trimestre 1990 réduit son écart avec celui du gouvernement.
Les informations ont un effet d’amorçage de l’évaluation politique par le
mécanisme visibilité/imputation/popularité. C’est l’effet d’amorçage
étudié par Iyengar et Kinder (1987) : plus un problème est traité par les
médias, plus s’imposent les critères d’évaluation propres à l’autorité dont
il relève. Mais il ne faudrait pas restreindre la communication
présidentielle à son expression télévisuelle. Les déplacements notamment
à l’étranger sont aussi des moyens de communiquer des messages à visée
extérieure mais aussi intérieure. À ceci s’ajoutent les gestes à portée
symbolique comme la participation à la manifestation de masse
consécutive à la profanation du cimetière de Carpentras en 1990 ou bien
à la gigantesque manifestation du 11 janvier 2015 symbolisée par le
slogan « Je suis Charlie ».
Toutefois, la logique de fonctionnement se ramène pour le grand
public à celle qui vient d’être analysée, c’est-à-dire à participer à un
évènement ou organiser un pseudo-événement qui crée l’actualité en
déclenchant la couverture médiatique. D’une manière plus générale, la
stratégie de communication présidentielle ne se réduit pas à l’utilisation
de quelques techniques. Elle se présente comme l’ensemble des efforts de
la présidence pour contrôler symboliquement par la parole, le silence et
l’action, la définition de la situation politique offerte par les médias et les
autres acteurs politiques en s’appuyant sur les ressources liées à la
position institutionnelle. L’objectif est de les orienter vers une
représentation de la situation conforme aux vues présidentielles. Ceci est
possible en gérant dans le temps les prises de parole, les séquences de
silence et la politique symbolique. Le président, en parlant, fait parler de
lui par les autres qui racontent, rapportent, commentent, critiquent,
soutiennent, etc.
Mais le président, institution centrale de la vie politique nationale fait
aussi parler de lui en se taisant. Pourquoi ne parle-t-il pas ? Depuis
quand ? Sur quel sujet ? Qu’a-t-il dit auparavant dans ce domaine ?
Qu’en disent son entourage, ses adversaires, ses amis et l’opinion ? Un
discours de substitution est toujours disponible pour faire parler la
présidence même quand elle est muette. De locuteur central, il devient
délocuteur et perd ainsi une partie du contrôle de son message.
L’activité présidentielle, enfin, revêt une dimension symbolique par la
mise en œuvre des différents aspects de la fonction présidentielle. Le
président parle, se tait, agit en actualisant tout ou partie du répertoire de
son rôle : chef militaire, chef de la diplomatie dans son domaine
privilégié mais aussi arbitre, responsable, garant selon l’interprétation
qu’il fait de l’institution présidentielle. La communication politique
engage aussi des ressources de communication liées à une position
institutionnelle prééminente comme par exemple la facilité d’accès aux
médias ou la visibilité immédiate de l’action2.
S. Kernell (1986) a bien théorisé cet aspect étudié de longue date aux
États-Unis en expliquant comment le « pluralisme institutionnalisé »
fondé sur le « bargaining » mis en avant notamment par R. Dahl, Ch.
Lindblom et R. Neustadt, comme pouvoir majeur du président, avait fait
place au « pluralisme individualisé » dont le moteur était devenu le
« going public » (et dont Schudson (1997) a bien su tirer parti).
L’affaiblissement des protocoalitions partisanes a libéré le président dans
sa capacité à imposer son agenda et à « convaincre un nombre suffisant
de professionnels de la politique que le coût impliqué par la résistance à
sa politique excède tout gain éventuel ». C’est une adaptation au nouvel
âge de l’information de la part du président américain et qui consiste à en
appeler directement au peuple pour le soutenir dans sa conduite des
affaires du pays grâce à toutes les techniques de masse disponibles.
Adaptation parce qu’il ne s’agit pas d’une nouveauté pour le chef de
l’État de mobiliser le soutien de l’opinion publique comme le montre
l’exemple du célèbre discours de H. S. Truman du 12 mars 1947, qui
ouvre officiellement la guerre froide. Ces techniques reposent ensuite
largement sur une classe d’activités qui ont fait leurs preuves pendant les
campagnes électorales, de telle sorte qu’on est en « campagne
permanente » et que les relations publiques, les sondages, les discours,
les déplacements et les apparitions publiques font désormais partie du
répertoire d’action présidentielle. Kernell en donne quelques exemples :
« un voyage en Chine, une conférence de presse télévisée, un discours
ciblé à la nation diffusé en prime time, une cérémonie à la Maison
Blanche pour décorer un héros local, télévisée par satellite à la chaîne
locale, etc. ».
Est-ce à dire que le président peut prétendre ainsi contrôler sa
popularité ? Le scepticisme est ici de rigueur (Druckman et al., 2015) et
pour Edwards (2003, 2009) le pouvoir du président américain tient
davantage à sa capacité de faciliter certaines opérations qu’à son pouvoir
de persuader. Il suffit d’observer les courbes pour s’apercevoir que les
vicissitudes ne l’épargnent guère indépendamment des latitudes. Mais le
président n’est pas démuni face aux événements même si son
environnement a considérablement changé (déclin de la confiance, déclin
des audiences, émergence du « soft news », émergence de l’information
en continu, fragmentation du public, négativité de l’information, etc.)
comme le constate Cohen (2008). Pour faire face à ce nouvel
environnement, le président américain adopte la stratégie du « going
local » qui lui permet de toucher le grand public plus facilement (Cohen,
2009). Toutefois, comme nous l’avons vu avec les effets persuasifs de la
communication, il peut jouer sur sa capacité à définir ou interpréter les
événements ; il peut s’imposer aux médias ; il peut rassembler même les
opposants derrière lui en cas de crise internationale. Tout d’abord, les
événements ne le ballottent pas, car c’est vers lui que l’opinion va se
tourner en priorité pour les interpréter. Il dispose d’une capacité de
cadrage officielle de la situation qu’il doit imposer aux médias, en
somme concurrents comme « premiers définisseurs » des situations. Au
fond, cela n’est rien moins que l’application de l’analyse symbolique-
interactionniste de P.M. Hall sur « la manipulation de l’impression
politique » et plus en amont du théorème déjà cité de W.I. Thomas selon
lequel, « si les hommes définissent des situations comme réelles, elles
sont réelles dans leurs conséquences ». Ensuite, il peut s’imposer aux
médias qui eux-mêmes peuvent jouer avec les différentes branches du
gouvernement et leurs occupants, notamment en cas de cohabitation.
Mais la force de frappe présidentielle en matière de communication
excède toutes les autres, au moins aux États-Unis car les données
françaises auraient tendance à nuancer le tableau. On remarquera
cependant que le président de la République n’est contraint dans son
accès aux médias que pour ce « qui relève du débat politique national » et
ce depuis juillet 2009 et l’adoption du « nouveau principe de pluralisme
politique ». Le président américain garde donc une force d’attraction
considérable pour la couverture médiatique ordinaire, supérieure aux
autres institutions notamment. De plus, les « speech writers » du
président élaborent avec le plus grand soin les « sound bites », extraits
brefs et percutants qui structurent les discours pour en assurer les reprises
médiatiques. Qu’il s’agisse de scandale ou de crise interne ou
internationale, le travail des « spin doctors » consistera à calibrer la
définition de la situation la plus favorable à l’administration et à
« domestiquer », pour parler comme T. Cook, le quatrième pouvoir tenté
de faire entendre d’autres interprétations sur les événements
controversés. Enfin, le président détient un pouvoir symbolique d’une
terrible puissance : celui de rassembler autour de lui-même les opposants
dans les situations de crise qui mettent en péril la communauté nationale
et qu’on appelle « rally around the flag ».
Défini il y a une trentaine d’années par J. Mueller (War, Presidents and
Public Opinion, 1973), l’effet de ralliement est produit par un évènement
généralement international, qui implique la nation et son président
directement, qui est spécifique, dramatique et capte l’attention publique.
Pearl Harbour, l’intervention militaire en Corée, le fiasco de la Baie des
cochons, le discours de la doctrine Truman, le lancement du premier
Spoutnik, les sommets-américano-soviétiques, la crise des missiles de
Cuba, l’offensive du Tet au Vietnam, la prise des otages à Téhéran, la
guerre des Malouines en ce qui concerne le Royaume-Uni, la guerre du
Golfe en 1991 sont autant d’exemples de ces divers types d’événements.
Auxquels un quatrième type doit être ajouté : l’attaque du 11 septembre
2001 sur le sol américain. Tous ces événements se traduisent par des
mouvements forts de popularité, d’ailleurs indépendants du résultat
obtenu par le président : l’attentat du Word Trade Center permet à G.W.
Bush d’enregistrer le record des gains de popularité avec près de 40
points d’accroissement en 12 jours (Hetherington, et al., 2003), l’annonce
de l’accord de paix au Vietnam se traduit par un gain de 15 points de
popularité présidentielle, la crise du Mayaguez (+ 13 pour G. Ford), le
discours de la majorité silencieuse (+ 12 pour R. Nixon en 1969), les
accords de camp David (+ 11 pour J. Carter en 1978). Il peut aussi y
avoir des baisses non moins spectaculaires : la reprise des
bombardements sur Hanoï (- 10 pour Nixon), le scandale Bert Lance (- 9
pour J. Carter), la signature du traité de Panama (- 8 pour Carter), le
pardon de Ford à Nixon (- 30), etc. Les gains de popularité se font chez
ceux qui d’ordinaire désapprouvent le président davantage que chez les
« sans-opinion ».
Quant aux causes de ces mouvements de popularité, deux thèses
s’affrontent : le réflexe patriotique et le leadership d’opinion. Dans le
premier cas, l’explication tient à l’unidimensionalisation de l’identité
politique dans son aspect national et dont le président est l’incarnation et
le symbole. Dans le second cas le ralliement n’opère que si les leaders de
l’opposition le laissent s’accomplir en s’abstenant de critiquer la conduite
présidentielle. Brody, (Assessing the President, 1991) applique de
manière convaincante sa théorie au ralliement à G.H. Bush durant la
guerre du Golfe en montrant que deux ressorts différents sont à l’œuvre :
le silence de l’opposition dans la phase initiale de la crise et l’invasion du
Koweït ; les résultats victorieux salués par l’opinion pendant la courte
guerre. Dans les deux cas, le ralliement est associé à une information
positive pour le président mais qui n’a simplement pas la même origine.
On peut toutefois opposer à la thèse du leadership qu’elle est
tautologique : le silence ou le soutien de l’opposition au président peut
tout simplement signifier que les leaders politiques trouvent plus
prudents de s’aligner sur les réactions de l’opinion (conformément à la
conception de Key énoncée plus haut). Il se peut que l’explication
patriotique s’adresse au statut de chef d’État, symbole de la nation et que
l’explication par le leadership convienne mieux au jugement porté sur le
chef du gouvernement qu’est aussi le président américain.
Les ralliements présentent des variations importantes d’intensité et de
durabilité. Alors que le soutien à J.F. Kennedy ne s’accroît que de 13
points lors de la crise de Cuba qui constitua une menace de troisième
guerre mondiale, G.H. Bush passe de 61 % de soutien en décembre 1990
à 90 % en février 91 après l’opération « Tempête du désert » en Irak. Son
fils, G.W. Bush passe de 50 %, le 10 septembre, à 90 % de soutien, le
22 septembre 2001. La durabilité du ralliement de Kennedy et de G.H.
Bush se ressemble puisqu’elle est limitée à 6 ou 8 mois alors que celle de
G.W. Bush, six mois après avoir atteint son pic en était encore à 80 %
d’approbation pour descendre à 68 % seulement en novembre 2002. Au
total, les flux d’information vont peser lourd sur les mouvements
d’opinion et, si les flux sont homogènes (silence de l’opposition), il y
aura un mouvement de convergence publique alors que la polarisation
partisane visible dans une information hétérogène va entraver le
ralliement et le stopper conformément à la théorie de J. Zaller sur le
« one sided information flow ». C’est très clair lorsqu’on regarde dans
quelles catégories d’individus s’effectuent les déplacements
d’approbation temporaires ou de retour aux attitudes durables. Le
cadrage du président, dans son propre discours et dans la couverture
médiatique, comme chef de l’État ou comme chef du gouvernement
produira également des effets d’opinion différents. Autrement dit, le lien
s’établit nettement entre capacité de ralliement du président et capacité à
orienter l’information sur les affaires publiques. Il y a cependant un
risque associé à cette stratégie de « going public », de recherche
permanente du soutien populaire : c’est le risque de se voir imputer des
résultats indésirables et de stimuler « l’erreur d’attribution », ce qui en
régime d’« accountability » peut être fatal au détenteur du pouvoir. Il est
aussi des décisions isolées qui peuvent avoir des effets désastreux ou que
leur médiatisation rend désastreux. Songeons à la reprise des essais
nucléaires annoncée par le président Chirac le 13 juin 1995 alors qu’il
vient juste d’être élu comme chef de l’État le 7 mai. Il peut faire le calcul
que l’état de grâce post-électoral va protéger sa popularité. C’était sans
compter sur le combat médiatique intensif que l’association Greenpeace a
mené contre cette mesure, entraînant à travers le monde une chaîne de
réactions hostiles qui n’est, sans doute, pas passée inaperçue en France et
se traduit par une chute de popularité aussi rapide que sérieuse. Même
lorsque les autorités reprennent le dessus dans cette lutte pour la
définition ou le cadrage de l’évènement à travers les médias, on compte
au moins une victime politique : le décideur en chef a perdu sa popularité
d’état de grâce et il lui faudra attendre 1996 pour remonter la pente de la
confiance (Derville, 1997).

Tableau 5.2 – Cote de confiance de J. Chirac après la reprise


des essais nucléaires en 1995

Dates Confiance Pas confiance Dates Confiance Pas confiance


Juin 1995 64 32 Sept. 1995 41 57
Juil. 1995 63 35 Oct. 1995 37 61
Août 1995 56 41 Nov. 1995 39 59
Déc. 1995 54 44

(Source : Sofres)

La communication gouvernementale
En contraste avec la précédente, la communication du gouvernement est
marquée par la multiplicité des acteurs engagés. Elle concerne, en effet, le
gouvernement dans son ensemble, mais aussi des institutions particulières
comme les ministères et des hommes qui occupent des positions de pouvoir
comme les ministres. Elle est donc travaillée par des forces centripètes et
centrifuges qui dépendent de l’organisation institutionnelle en vigueur. En
effet, dans les exécutifs bicéphales, la communication gouvernementale
c’est d’abord la communication du Premier ministre puis celle des
différents départements ministériels.
La communication du Premier ministre
Le rôle des médias est ici prépondérant dans la mesure où le Premier
ministre peut atteindre grâce à eux un public et développer une relation plus
personnalisée que ne l’autorise le canal de la communication
gouvernementale institutionnalisée. Déjà Pierre Mendès-France, président
du Conseil, avait compris et utilisé les vertus de proximité des médias de
masse dans ses allocutions radiodiffusées, reprenant en cela l’exemple
américain des causeries au coin du feu du président Roosevelt. Les
interventions des Premiers ministres dans les médias entre 1981 et 1991 se
distribuent comme l’indique le tableau ci-dessous établi par M. Dagnaud
d’après des sources du Service d’Information et de Diffusion. On constate
des choix différents quant au support de prédilection, à l’intensité et la
fréquence des actes de communication.

Tableau 5.3 – Interventions de Premiers ministres dans


les médias
Premier ministre Mauroy Fabius Chirac Rocard
(38 mois) (20 mois) (26 mois) (34 mois)
Émissions TV 23 25 48 27
Émissions Radio 24 7 38 30
Articles 82 41 121 82
Interviews

Quant aux émissions de télévision, il s’agit dans 45 % des cas


d’interventions au journal télévisé, pour 10 % de participation à des
émissions politiques régulières et reconnues comme « L’Heure de Vérité »,
« Questions à Domicile » ou « 7/7 ». L. Fabius s’est distingué en recourant
à douze reprises à une émission ad hoc (« Parlons France ») qui lui a permis
sous forme d’entretien informel avec un journaliste d’évoquer
périodiquement les problèmes censés nourrir l’agenda public. J. Chirac fut
incontestablement le Premier ministre le plus bruyant sur tous les canaux de
communication. La cohabitation lui a imposé l’obligation d’exposer en
permanence la politique suivie notamment pour lutter contre la concurrence
du président en situation préélectorale. En effet, le président de la
République a lui-même renforcé sa présence médiatique durant la
cohabitation. Il est intervenu autant à la télévision durant ces deux années
qu’au long des cinq années antérieures. Se lisent ici clairement les effets
d’une conjoncture politico-institutionnelle sur l’intensification de la
communication au sommet de l’État.
Sans que les catégories soient totalement comparables, il est
intéressant de confronter la communication des deux premières années de
cohabitation d’Édouard Balladur et de Lionel Jospin :

Tableau 5.4 – Interventions dans les médias d’E. Balladur


et de L. Jospin au cours des deux premières années
de cohabitation
Interventions Interventions Interventions Total
télévisées radiodiffusées Presse
44 19 114 177
E. Balladur
16 10 26 52
L. Jospin

Entre mars 1993 et mars 1995, la communication médiatique d’E. Balladur


est trois fois plus intense que celle de son futur homologue entre juin 97 et
juin 99. Il ne faut pas oublier que la campagne présidentielle d’avril/mai 95
approche et que le premier des deux est un des candidats considéré comme
favori. Le déséquilibre s’explique aussi par le privilège que L. Jospin
accorde à la prise de parole parlementaire et sa stratégie contribue à
relégitimer l’institution. Quand il fait 52 interventions médiatiques,
L. Jospin intervient à 84 reprises au Parlement, alors que les 177
interventions médiatiques ne s’accompagnent que de 51 interventions
parlementaires en ce qui concerne E. Balladur. La désaffection pour la
communication télévisée de L. Jospin se prolonge dans le temps puisqu’en
2001, il ne lui consacre en tout et pour tout que deux interventions de 44 et
de 52 minutes puis huit interventions qui ne totalisent pas davantage que
13 minutes. Au cours de l’année pré-électorale de 2001, L. Jospin est donc
apparu à dix reprises très inégalement réparties qui représentent une durée
totale d’intervention télévisée de 1 heure 49 minutes (Festa3). Deux
stratégies sont donc clairement ici en opposition sur les supports et le site
institutionnel privilégiés. Si on recherche la ventilation des interventions
médiatiques, des écarts permettent d’affiner le diagnostic. Le journal
télévisé de 20 heures et la presse quotidienne sont les canaux de
communication qui assurent l’essentiel de la présence médiatique d’E.
Balladur et son accès au grand public. Les choix de communication se
révèlent donc complexes du fait des incidences éventuelles et des
interprétations toujours possibles : faut-il préférer toucher directement
l’ensemble des citoyens qui s’informent ou les atteindre indirectement par
le truchement de l’institution parlementaire où le Premier ministre bénéficie
de la majorité de la « gauche plurielle », mais risque de donner une image
plus partisane et professionnelle de la politique en parlant prioritairement
dans une enceinte restreinte ?

La communication des ministères


Mais la communication gouvernementale déborde celle du Premier
ministre. Elle atteste un processus d’institutionnalisation de la
communication publique qui se traduit par l’émergence de structures
différenciées. La communication gouvernementale peut passer par des
canaux institutionnels multiples dont la configuration varie avec le
gouvernement : le porte-parole du gouvernement à part entière ou qui
occupe une seconde fonction ministérielle, le porte-parole du Premier
ministre et son service de presse, le SID puis SIG et les services
d’information de chaque ministère. Les structures interministérielles de
coordination coopèrent ou concourent avec les cabinets du président, du
Premier ministre, des ministres, avec les services d’information ministériels
pour produire et diffuser l’information de l’exécutif. La communication
gouvernementale est mise en œuvre par un ensemble d’intervenants divers :
le SIG, les services de communication des ministères notamment les
cabinets ministériels. Presque tous les ministères disposent d’une structure
en charge de la communication de nature juridique et d’intitulé variable
comme la Direction de la communication du ministère des Affaires
étrangères ou la Délégation à l’Information et à la Communication du
ministère de l’Intérieur. Généralement, un conseiller spécialisé est en charge
de la communication dans les cabinets ministériels. En France, on a vu sous
la IVe puis la Ve République se succéder et parfois disparaître des ministres
ou des secrétaires d’État chargés de l’Information. De 1963 à 1968, le
Service de Liaison Interministériel pour l’Information coordonne et oriente
l’information gouvernementale. Il est remplacé par le Comité
Interministériel pour l’Information puis par la Délégation Générale à
l’Information en 1974 et en 1976, par le Service d’Information et de
Diffusion du Premier ministre qui devient Service d’Information du
Gouvernement en octobre 2000. Le Service d’Information du
Gouvernement est rattaché pour sa gestion au secrétariat général du
Gouvernement. Il est chargé d’analyser l’évolution de l’opinion publique et
le contenu des médias ; de diffuser aux élus, à la presse et au public des
informations sur l’action gouvernementale ; d’entreprendre des actions
d’information d’intérêt général à caractère interministériel sur le plan
national et, en liaison avec les préfets et les ambassadeurs, dans le cadre des
services déconcentrés de l’État ; d’apporter une assistance technique aux
administrations publiques et de coordonner la politique de communication
de celles-ci, en particulier en matière de campagnes d’information et
d’études d’opinion.
Le rôle du SID/SIG dépend des cabinets du président et du Premier
ministre ainsi que du porte-parole. Il peut se trouver confiné à des
fonctions d’exécution, assurer une coordination effective ou contribuer à
l’élaboration et la mise en œuvre d’une authentique stratégie de
communication. En effet, le SID/SIG a pour vocation d’informer le
gouvernement et sur le gouvernement. D’une part, il coordonne les
études d’opinion, effectue les analyses de presse et met en forme
l’agenda de l’activité gouvernementale. D’autre part, il réalise des
publications sur l’action du gouvernement et les diffuse selon leur
contenu politique ou administratif vers les représentants du
gouvernement, vers les relais d’opinion ou le grand public. Il coordonne
les campagnes d’information et les actions publicitaires, gère les relations
publiques et relations avec la presse et coordonne l’information des
usagers. À la coordination de la communication gouvernementale, le
SID/SIG ajoute une fonction d’assistance aux ministères pour les besoins
de leur communication propre et une fonction de mémoire pour le
gouvernement. C’est également le SIG qui instruit les demandes
d’agrément pour les sondages depuis 2006 et les actions de
communication. En 2010, le SIG représente près de 40 % des dépenses
d’études et de sondages de l’ensemble des ministères contrôlés par la
Cour des Comptes alors que son poids dans la dépense de communication
totale n’est que de 16 %. De 2006 à 2010 il est à noter que les dépenses
d’études et sondages ont augmenté de 40 %. Les demandes provenant de
l’Élysée ne sont pas étrangères à cette augmentation.
Les campagnes gouvernementales, dont l’une des premières fût dans
l’hexagone « En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées »,
représentent toutefois la manifestation la plus spectaculaire de l’action du
SID/SIG. Le SIG, depuis 2009, élabore un « planning stratégique de la
communication gouvernementale » qui regroupe les informations
relatives aux campagnes gouvernementales, aux interventions
télévisuelles des ministres et au climat d’opinion. Ces campagnes
peuvent être regroupées en quatre catégories selon leur objet : elles
portent sur le changement de comportement du public, promeuvent des
mesures, réformes ou dispositifs, ou concernent l’image de certains
métiers et favorisent le recrutement ou bien encore font appel à des
contributions. Elles attestent des budgets publicitaires en expansion.
Cette tendance à l’expansion de la communication gouvernementale se
généralise. L’explosion des dépenses de communication du
gouvernement dans la décennie 80/90 est bien rendue par le passage de
56 millions en 1979 à 322 en 1990. Les professionnels se demandent en
1989 si l’État n’est pas devenu « la première puissance publicitaire de
France » (Brochand et al., Le Publicitor). Un pic est atteint en 1992 avec
445 millions, puis on fluctue entre 237 et 312 millions de 1993 à 1998.
En 1992, l’État se placerait au même niveau que le 7e annonceur de
France. En 2010, l’État et ses quatre opérateurs (Ademe, Inpes, Inca,
Ansp) se situent, en termes d’investissements bruts, en troisième position
dans le classement des annonceurs, derrière Renault Automobiles et
Orange France, et en septième position dans le classement des groupes
derrière L’Oréal, PSA, Vivendi, Mulliez, Renault et France Télécom4.
Bien sûr, il y a des variations liées à la conjoncture et au ministère qui
engage les opérations comme le montre le tableau suivant :

Tableau 5.5 – Évolution de la dépense de communication


par ministère (2006-2010)
En euros 2006 2007 2008 2009 2010 Évolution
Aff. étrangères 5 973 371 6 074 226 4 664 109 4 556 841 – 24 %
Culture 5 342 819 5 480 475 5 668 899 4 674 5965 4 463 665 – 16 %
Défense 24 430 000 24 190 000 23 690 000 34 730 000 28 260 000 + 16 %
Écologie (y.c.
23 466 895 26 634 005 23 991 326 26 447 695 33 473 435 + 26 %
SR)
Éco – finances 23 393 392 20 469 407 23 191 888 28 841 719 20 631 543 – 12 %
Éduc nat –
6 843 764 7 772 626 9 741 931 8 783 297 9 464 408 41 %
ens sup
Intérieur 6 386 048 7 343 549 6 297 147 7 223 017 5 288 962 – 17 %
Justice 7 268 683 8 246 970 6 587 588 6 099 524 – 16 %
Total
89 862 918 105 132 116 111 902 387 121 592 021 112 240 378 + 25 %
ministères
SIG 4 958 000 4 590 000 9 117 000 21 028 000 21 020 000 + 324 %
Total général 94 820 918 109 722 116 121 019 387 142 620 021 133 440 378 + 41 %

(Source : Cour des comptes, sur la base des données déclarées par les
ministères)

Après une forte augmentation de 2006 à 2009, les dépenses de


communication connaissent une diminution nette en 2010. D’après la Cour
des Comptes, « la part du SIG dans la dépense totale s’est fortement accrue
depuis 2008. En 2006, les dépenses du SIG représentaient environ 5 % des
dépenses de communication des ministères concernés par la présente
enquête ». En 2010, ce pourcentage atteint près de 16 %. En 2012, le budget
global de communication de 19 directions et services de communication
s’est élevé à 164,2 millions d’euros5. Les ministères consacrent 2/3 de leurs
dépenses au hors média (dépenses non publicitaires) et seulement 1/3 aux
campagnes publicitaires, contrairement aux opérateurs qui affectent plus de
70 % de leur budget aux campagnes publicitaires. Les ministères mettent
davantage en œuvre des campagnes portant sur des mesures, tandis que les
opérateurs conduisent des campagnes visant à changer les comportements
sur des thématiques traitées dans la durée (santé, sécurité routière,
économie d’énergie,…) et plus marginalement de recrutement (agence du
service civique).

Tableau 5.6 – Dépenses de communication du SIG,


des ministères et des opérateurs en 2012

2012
Budget
Nombre de campagnes moyen par
Budget campagne
campagnes
publicitaires* Changement Information
de Recrutement sur des Total
comportement mesures
TOTAL ministères
20 579 288,26 5 5 9 19 1 083 120,43
+ SIG
TOTAL
69 546 232,65 33 3 2 38 1 830 164,02
5 opérateurs
TOTAL 90 125 520,91 38 8 11 57 1 581 149,49

* achat d’espace + frais technique + honoraires

(Source : Rapport SGMAP, 2013)


De 2006 à 2010, il faut pointer le poids des campagnes, en particulier de
l’achat d’espace dans la dépense totale. Il se monte à plus du tiers des
dépenses de communication déclarées par les services centraux des
ministères observés. En 2012, la majorité des ministères ont investi moins
de 1 M€ en achat d’espace. Or, une moindre exposition aux campagnes
gouvernementales se traduit par une baisse de la satisfaction à l’égard de
cette communication alors même que les Français considèrent que le
gouvernement ne communique pas assez, notamment sur l’emploi (67 %)
ou l’économie (66 %). Un baromètre de la communication
gouvernementale mesure régulièrement depuis 2009 la satisfaction à l’égard
de cette communication. L’enquête est réalisée par l’IFOP cinq fois par an.
Outre ce baromètre, l’évaluation des performances des campagnes se
résume à des taux de mémorisation ou de notoriété après leur diffusion dans
les médias. Entre octobre 2012 et automne 2013, six campagnes ont été
diffusées par les ministères : harcèlement, emplois d’avenir, CICE, contrats
de génération, débat transition énergétique, égalité hommes-femmes. Les
post-tests de la plupart d’entre elles montrent une visibilité trop limitée en
raison d’un achat d’espace insuffisant. Pour faire face à la raréfaction des
ressources, le Secrétariat à la modernisation de l’action publique fait en
2013 un certain nombre de préconisations qui semblent s’orienter vers une
accentuation des efforts vers le digital puisque 83 % des Français sont
internautes en février 2013 : « Le digital doit se situer au cœur de la
communication gouvernementale en remplissant trois fonctions : gérer
l’actualité gouvernementale et permettre une présence dans le débat public,
développer une communication d’influence, adopter une posture
servicielle ».
Pour ce qui est des campagnes les plus directement politiques, citons à
titre d’exemple la campagne « les yeux ouverts » concernant la politique
économique des socialistes de lutte contre l’inflation en 1982 ou bien
encore avant et après l’élection présidentielle de 1988, la mise en œuvre
de la campagne consacrée au bilan de l’action gouvernementale de
J. Chirac puis la campagne d’information sur le référendum pour l’avenir
de la Nouvelle-Calédonie initié par M. Rocard.
Les campagnes d’intérêt général orientées vers l’information et
l’éducation ou les campagnes institutionnelles destinées à améliorer
l’image présentent des thèmes aussi diversifiés que les ministères ou
organismes annonceurs : par exemple, en 1984, « les conditions de
travail », le « service national », « l’orientation des filles », « des emplois
c’est possible ». De plus, les ministères lancent aussi des campagnes
« produits » (emprunts d’État, chèques postaux…) qui ne nécessitent pas
l’agrément du SID/SIG. En 1988, outre les campagnes politiques
précitées, la communication gouvernementale concerne par exemple la
lutte contre le tabagisme chez les jeunes, le recrutement d’enseignants, la
sécurité des piétons ou la promotion des sports d’hiver. Dans les années
2010, signalons la campagne sur les violences conjugales, la campagne
sur le RSA, sur la réforme des retraites, la taxe professionnelle, le service
civique ou la modernisation de l’État.
La situation française n’a rien d’exceptionnelle. Si on observe ce qui
se passe au Royaume-Uni (Scammell, 1995), le « Central Office of
Information » créé en 1946 joue un rôle considérable dans la publicité
gouvernementale qui a été renforcé avec M. Thatcher pour « populariser
le capitalisme » en communiquant sur les privatisations (notamment les
compagnies British Gas et British Telecom). De 1986 à 1993, le
gouvernement britannique s’est trouvé parmi les plus importants
annonceurs britanniques, en compagnie de Procter & Gamble et Unilever,
quant aux budgets de publicité. 1986 est l’année où cette publicité
explose littéralement par rapport aux années précédentes puisqu’elle
triple presque en quantité. On a pu calculer que le budget total des
services d’information et de relations publiques du gouvernement
supplantait même en 1987 celui d’une firme comme Unilever.
L’implication de la publicité gouvernementale dans la mise en
acceptabilité des privatisations montre bien à quel point cette
communication publique peut devenir une arme politique et pousse donc
à s’interroger sur les limites de la persuasion publique. À travers
différents exemples, Klingemann et Römmele (2002) illustrent le
développement voire la généralisation des campagnes d’informations
publiques et la place qu’y prend la connaissance de l’opinion. Qu’il
s’agisse de Greenpeace, du WWF, de l’Union européenne ou du syndicat
des « national farmers » (NFU), on assiste à une sorte
d’internationalisation ou de transnationalisation des campagnes qui visent
à toucher l’opinion publique ou certaines de ses formes.
La communication gouvernementale ne va pas sans poser des
problèmes de légitimité. Outre le détournement possible des campagnes
dans un sens plus politique qu’institutionnel ou éducatif et le risque d’une
exploitation individuelle par les décideurs des bénéfices obtenus grâce à
la mise en jeu de ressources collectives (cf. rapport de la Cour des
Comptes, 2011), la persuasion gouvernementale est-elle acceptable ? De
même, on peut s’interroger sur les limites à assigner à la communication
au service des politiques publiques. L’information et la communication
sont des facteurs indispensables à tous les niveaux du cycle des
politiques : émergence des problèmes, élaboration et prise des décisions,
exécution et contrôle. Cobb et Elder (1976) ont établi une typologie des
modèles théoriques de formation de l’agenda politique qui met bien en
évidence le rôle de la communication dans ce domaine. Il faut distinguer,
en adoptant leur terminologie, entre le modèle d’initiative extérieure, le
modèle d’accès intérieur et le modèle de mobilisation. Dans les deux
derniers cas, il s’agit pour le gouvernement de faire accepter par la
communauté politique une décision qui ne répond pas à une large
demande sociale. La communication gouvernementale persuasive est
alors d’autant plus nécessaire que la mise en œuvre de la décision
implique la coopération de la population. Songeons à une politique de
contrôle de la natalité sans mise en acceptabilité préalable, c’est-à-dire
sans travail de légitimation d’une décision bureaucratique. La persuasion
est donc un instrument de mise en œuvre des politiques publiques
souvent indispensable qui peut être utilisé de façon exclusive ou
cumulative avec d’autres moyens d’intervention de la puissance publique
tels que la réglementation et les mécanismes de régulation économique.

L’information sur l’action gouvernementale


La couverture de l’action gouvernementale par les médias d’information
prend une ampleur rendue, certes, intelligible par l’étendue actuelle de
l’action des pouvoirs publics et de sa complexité. On peut l’évaluer
approximativement et de façon comparative en observant, pour ce qui
concerne la France, les temps d’intervention de l’exécutif et des principales
formations politiques dans les journaux et flashs d’information de trois
chaînes d’information en continu et de huit chaînes de télévision au cours
de l’année 2014. Ces chaînes sont : TF1, France 2, France 3, Canal +, M6,
D8, TMC et NT1. Les temps d’intervention sont calculés en minutes ou
heures.

Tableau 5.7 – Temps d’interventions télévisées en 2014


calculés d’après les décomptes du CSA (en minutes
et heures)

(Source : Calcul personnel à partir des décomptes du CSA)

Quelques enseignements majeurs ressortent de ce tableau. Tout d’abord, et


comme il fallait s’y attendre, on constate la domination écrasante des
chaînes d’information en continu, notées TV INFO, que sont I Télé, BFM
TV et LCI par rapport aux huit autres chaînes. Les chaînes d’information en
continu donnent une visibilité considérable au président et au gouvernement
par rapport aux autres chaînes. Ensuite, la visibilité du gouvernement atteint
plus du double de celle du président et cela sur les deux types de chaîne. La
suprématie du gouvernement s’y révèle nettement mais elle est très
nettement en déclin par rapport aux observations faites entre 1976 et 1985
qui montraient un écart considérable sur les trois chaînes publiques
(Florenson6). Enfin, on observe de très fortes fluctuations dans la
couverture des acteurs politiques qui traduit une volatilité importante de
l’agenda médiatique. Ainsi, le pic de visibilité accordé au gouvernement en
avril 2014 correspond à la formation du gouvernement Valls. S’agissant des
partis politiques, on lit bien dans l’intensité de la couverture médiatique
certains événements qui ont focalisé l’attention publique : la formation du
gouvernement Valls en avril 2014, le retour annoncé en septembre dans la
vie politique de N. Sarkozy et l’élection pour la présidence de l’UMP en
novembre 2014, la consolidation médiatique du FN fin 2014 suite aux
élections européennes de mai 2014. Mais les chaînes d’information doivent
se conformer au principe du pluralisme politique adopté par le CSA en
juillet 2009 en vertu duquel il faut « veiller à ce que les volumes des temps
de parole politique correspondent aux équilibres démocratiques nationaux
en intégrant celles des interventions du président de la République qui, en
raison de leur contenu et de leur contexte, relèvent du débat politique
national. » Longtemps, la règle des trois tiers, puis le principe de référence
ont « permis au CSA de s’assurer de la représentation équilibrée de la
majorité parlementaire, du Gouvernement et de l’opposition parlementaire
tout en veillant à ce que les partis non représentés au Parlement et les
formations politiques ne relevant ni de la majorité, ni de l’opposition
parlementaires bénéficient d’un accès équitable à l’antenne. »7 Le principe
du pluralisme politique est décrit dans le schéma ci-dessous.

Figure 5.1 – Décompte des interventions


des personnalités politiques
Si on compare ces observations avec celles réalisées en 2000 par le CSA on
se rend compte que les cinq « acteurs » (président, gouvernement, PS,
UMP, FN) ne représentent en 2014 que 64 heures et 56 minutes d’antenne
alors qu’ils étaient couverts pour 142 h 43 en 2000 sur les cinq chaînes qui
existaient alors (TF1, France 2, France 3, Canal +, M6). On a là un indice
supplémentaire du déclin quotidien de l’information politique
institutionnelle diffusée par le média télévision.
Tableau 5.8 – Temps d’antenne du président
de la République, du gouvernement et des grands partis
Acteur 2000 2014

Président 11 h 53 8 h 12
Gouvernement 56 h 32 19 h 25
Parti Socialiste 41 h 13 12 h 06
RPR/UMP 34 h 41 21 h 13
Front National 0 h 24 4 h 10
Total 142 h 43 64 h 56

(Source : Calcul personnel à partir des décomptes du CSA)

La chute de l’information « institutionnelle » est certes inégale et on voit


bien la visibilité médiatique émergente du Front National. Dans les années
2000, la quasi-invisibilité du Front national est surprenante et n’est pas sans
relation avec sa « performance » lors de l’élection présidentielle de 2002.
Comme on a pu le remarquer (Gerstlé, 2003), le contraste est énorme entre
l’absence du FN dans l’information routinisée et son irruption massive lors
des campagnes électorales. Sur la totalité de l’année 2000, il passe de 23
minutes sur cinq chaînes à 169 minutes sur les trois premières chaînes
nationales. En trois mois de pré-campagne, le FN a disposé de deux heures
d’antenne, alors que sa présence se monte à 18 minutes au cours des neuf
premiers mois de 2001. Cette situation d’irruption massive est sans doute
contributive d’effet d’opinion dont l’impact peut être « potentialisé » par les
caractéristiques de la conjoncture et de l’environnement d’information, en
particulier sécuritaire s’agissant de 2002.

La communication et la popularité
de l’exécutif
Les stratégies de l’exécutif sont de plus en plus tournées vers l’assentiment
public immédiat de la conduite des affaires collectives. Il convient donc
d’examiner les différentes théories qui ont pu être avancées pour expliquer
ses fluctuations. L’usure du pouvoir, la conjoncture, la communication font
partie de ces facteurs de popularité qui ont été observés. Mais des facteurs
plus contextuels tels que le système politique, le système des médias et la
culture des médias pèsent sur la façon dont est gérée l’information. Les
régimes de cohabitation ou de « divided government » posent, enfin, des
problèmes particuliers en matière de popularité.

Les facteurs de popularité


La recherche du soutien public se fait, souvent, par le truchement des
médias comme le soutiennent les épigones de Kernell (1986). Il faut
pourtant situer ce type de stratégie parmi d’autres causes de popularité.
Trois groupes de théories peuvent être, à cet égard, distingue (Gerstlé et al.,
2011). Tout d’abord, les théories qui mettent l’accent sur le temps et son
corollaire, l’érosion du pouvoir. Deux variantes apparaissent ici. L’une
d’entre elles défend l’idée qu’une coalition de minorités va se former avec
le temps, car les décisions présidentielles vont faire des mécontents en
termes de répartition des coûts et des bénéfices de l’action publique. L’autre
variante, assez voisine, défendue par J. Stimson (1999), repose sur l’idée de
cycles psychologiques où se succèdent attentes et déceptions. La promesse,
ou les projections faites sur la promesse électorale, excède toujours le bilan
et dans l’une ou l’autre des théories, la présidence ne peut jamais triompher
de cette usure. C’est la théorie de la « no win presidency ». Le facteur temps
est donc à relier aux variables d’attitudes politiques et à leur fermeté
(identification partisane, intention de vote, image personnelle du président,
congruence entre préférences de politique et action présidentielle). Ensuite,
la dynamique de la popularité présidentielle est souvent rapportée à la
conjoncture dans ses différentes dimensions. La situation économique est
un terrain d’investigation très prolifique où les taux de chômage,
d’inflation, d’intérêt, etc. sont systématiquement comparés aux états du
soutien envers l’action présidentielle à l’aide de séries chronologiques et
d’analyses multivariées. Il en va de même, comme on l’a constaté avec les
ralliements au drapeau, des situations internationales, des crises et des
conflits armés. Une troisième composante de la conjoncture immédiate est
constituée par les événements non anticipés (les mouvements sociaux, l’état
de santé du chef de l’État ou une catastrophe écologique).
Un point nous paraît aujourd’hui plus clair sur l’impact de cet
ensemble d’éléments conjoncturels. Longtemps, la perception que les
publics se donnaient de ces états socio-économiques, internationaux ou
événementiels et le rôle des médias dans leur formation ont été sous-
estimés. Autrement dit, par exemple, ce qui importe c’est moins
l’économie « réelle », celle des indicateurs administrativement construits,
que l’économie perçue à travers l’information ou l’« économie
subjective ». L’étude de Gavin et Sanders (1998) explique
magistralement comment l’économie décrite par les médias conditionne
l’évaluation de la compétence économique et in fine la popularité
gouvernementale en Grande-Bretagne. De même, Kull et al. (2003)
montrent comment le soutien des Américains à l’engagement militaire en
Irak en 2003 est conditionné par des « misperceptions » (collusion de
Saddam Hussein avec Al Qaïda ; possession par l’Irak d’armes de
destruction massive ; croyance dans le soutien de la communauté
internationale). Ces « idées fausses » sont le produit de la communication
contrôlée par l’administration et de la couverture médiatique plus ou
moins coopérative dans sa diffusion de la propagande nationale. L’impact
de ces perceptions est aussi dépendante des attitudes politiques, comme J.
Zaller l’a déjà bien étudié sur d’autres sujets, notamment l’intention de
vote et secondairement l’identification partisane.
Enfin, un troisième ensemble de facteurs de popularité est directement
relié à la communication et à l’information. Il s’agit alors d’apprécier
comment les gouvernants manipulent la dimension symbolique de leurs
fonctions et comment ils usent des ressources qui leur sont attachées. Il
convient alors d’insister sur la façon dont se fait la définition de la
situation (le cadrage, en d’autres termes) soit qu’elle émane du contrôle
stratégique à travers la communication contrôlée soit qu’elle résulte de la
fabrication, de la diffusion et de l’utilisation de l’information véhiculée
par les médias. Plusieurs études publiées ont mesuré dans des analyses
multivariées l’impact des discours télévisés, des déplacements dans le
pays, des visites à l’étranger, des cérémonies officielles, des conférences
de presse pour reconnaître que leur impact était limité par rapport aux
autres facteurs. Ces éléments jouant sur des ressources symboliques
n’apportent qu’une contribution marginale à la popularité, voire même
parfois une contribution négative à la popularité du président qui,
voyageant « trop », donne l’impression de délaisser les problèmes de ses
concitoyens.
R. Reagan a particulièrement attiré l’attention, sans doute en raison de
sa réputation de « grand communicateur ». La vérité est que Reagan n’a
pas fait plus de discours télévisés que ces prédécesseurs (une moyenne de
4,29 par an) et Schudson (1997) a bien décrit les ressources de sa
popularité. D’autre part, les voyages constituent un moyen contrôlé de
visibiliser la fonction présidentielle. Mais lorsqu’on compare leur effet
aux autres variables (chômage, inflation, événements positifs et négatifs,
scandale de l’« Irangate ») ce sont les discours et les déplacements
présidentiels qui ont l’impact mesuré le plus faible sur les gains de
popularité. La « force de l’évènement » comme dirait J.-L. Parodi, c’est
qu’il implique visibilité présidentielle, attribution de responsabilité (en
tant que chef de l’État ou chef du gouvernement, avec des effets
différents sur la popularité) et lisibilité. Les médias rendent accessible la
lecture, l’interprétation présidentielle et les décisions qu’elle impose. Ce
tryptique conditionne la mise en acceptabilité de l’action présidentielle
qui est d’abord spécifique et concerne une façon de gérer la crise, par
exemple, puis s’élargit vers une popularité aux contours plus amples
expliquant les ralliements autour du drapeau.

Les facteurs contextuels de la gestion


de l’information
Les mécanismes persuasifs de l’information permettent de comprendre
pourquoi et comment les gouvernants ont tendance à être proactifs dans la
détermination de l’agenda pour mieux contrôler le public. Ils ont bien sûr
tout intérêt à inverser les rôles analysés par R. Chartier (1990) à propos de
l’opinion publique sous la Révolution française : l’opinion publique comme
tribunal des gouvernants et comme audience de leur spectacle. Le spectacle
qu’ils offrent en contrôlant l’agenda doit inhiber le jugement défavorable.
On aurait tort de croire que les stratégies de communication visant à
former, tester, réviser des messages pour encourager des effets recherchés
sont réservées aux gouvernants. Tous les acteurs sociaux, individuels et
collectifs, qui en ont les moyens se livrent à l’exercice : des organisations
partisanes aux gouvernements étrangers en passant par les groupes
d’intérêt et les entreprises publiques ou privées. Mais tous n’ont pas les
charges ni les ressources des gouvernants en exercice. Faut-il rappeler
qu’aux termes de l’article 5 de la Constitution de 1958 : « Le président de
la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son
arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la
continuité de l’État. Il est garant de l’indépendance nationale, de
l’intégrité du territoire et du respect des traités ». L’article 20 dispose
quant à lui que « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la
Nation ». On a vu que les moyens disponibles permettaient aux
gouvernants, par ailleurs, d’être informés de l’état de l’opinion et de
l’informer de ses choix. Si on compare la visibilité des branches du
gouvernement aux États-Unis, on voit qu’en 1994-1995 les informations
télévisées de la soirée consacrent en moyenne 107 sujets mensuels au
président, 24 sujets au Congrès, 5 à la Cour Suprême. Environ 80 % de
l’information couvrent l’exécutif. Pour ce qui concerne la France, V. Le
Torrec (2000) a calculé que sur 4 mois répartis entre 1995 et 1999 sur
TF1 et F2, l’information parlementaire n’atteignait qu’une moyenne de
22 % des sujets politiques institutionnels (Présidence, gouvernement,
partis), l’exécutif se taillant la part du lion. En France on a dans
l’information télévisée une suprématie de l’exécutif, bien qu’à la
différence des États-Unis ce soit le gouvernement qui domine largement
le président en visibilité et que la visibilité des partis politiques, au moins
de gouvernement, soit bien plus importante.
Il convient cependant de distinguer entre la gestion politique et la
gestion médiatique de l’information. Dans la première, les objectifs
politiques sont premiers et les médias sont mis à leur service. Il s’agit de
maximiser ou d’optimiser des résultats dans la compétition politique en
instrumentalisant les médias pour des attaques politiques ou du « spin
control » (saillance et surtout cadrage des enjeux). Au contraire, l’autre
logique s’impose lorsqu’on cherche à peser par des pratiques médiatiques
pour infléchir l’état de l’opinion en organisant des pseudo-événements,
en promouvant des images, en visualisant l’action de l’exécutif ou en
segmentant les publics destinataires. Alors que la logique politique va
conduire à renforcer le côté négatif de l’information par l’intensité des
critiques, la logique médiatique va porter sur la construction de la réalité
politique à travers le cadrage, la diversion thématique, et le « spin
control » destiné non seulement à fixer dans les esprits les résultats mais
aussi à formater les attentes.
Trois traits de l’environnement politiques ont été soulignés qui
expliquent les différences de styles dans ces stratégies d’influence des
gouvernants (Pfetsch, in Graber, 2007) : le système politique, le système
des médias et la culture des médias. Le système présidentiel à
l’américaine est concentré sur le président, indépendant du Congrès, d’où
l’existence d’une organisation autonome de la communication très
structurée, les efforts des experts du président pour mobiliser le soutien
public et l’accent placé sur sa personne autant que sa politique. Au
contraire, le système parlementaire incite au recours à des stratégies
destinées à orchestrer le débat entre les partis, à l’intérieur du Parlement.
Le chef du gouvernement, comme le chancelier allemand, doit gérer non
seulement l’information pour montrer la supériorité de sa coalition mais
il doit aussi faire face aux efforts particuliers des membres de la coalition
pour marquer leurs différences en termes d’objectifs ou de responsabilité
dans les résultats. Tout ceci va dans le sens d’une insistance sur les
enjeux dans la compétition et oriente les stratégies vers la thématisation,
le cadrage, le « spin control ». Le cas du Premier ministre britannique qui
dispose d’un gouvernement homogène et autorise un fort leadership dans
le cabinet, lui permet d’adopter une stratégie mixte de promotion des
thèmes du parti en même temps qu’une personnalisation de son leader.
Ces différences imposent une organisation spécifique dans les relations
entre l’exécutif comme source et les médias comme relais actifs.
Le deuxième facteur contextuel concerne le système des médias.
L’existence d’un secteur privé et d’un secteur public (Charon, 2003),
comme en France, est décisive. Même si la logique de la privatisation et
les contraintes du marché imposent des contraintes de contenu et de
formes à l’audiovisuel public, ce dernier reste plus sensible aux
exigences de l’espace public politique et on ne peut que s’inquiéter de la
réduction de la place faite au politique dans l’audiovisuel. Il y a une
opposition nette entre des systèmes de médias : les États-Unis et
l’Allemagne d’une part ont une presse commerciale prépondérante,
d’autre part l’audiovisuel américain est dominé par le privé alors que le
service public reste fort au Royaume-Uni concernant l’audiovisuel,
l’Allemagne occupant une position intermédiaire. De fait, le Royaume-
Uni, avec une presse plus partisane et un secteur public audiovisuel fort,
est plus sensible aux préoccupations politiques. Les stratégies de gestion
de l’information s’adaptent à ces différences structurelles. Plus centrées
sur les médias et la personnalisation du pouvoir dans le système
américain, elles mettent davantage l’accent sur les enjeux et les positions
partisanes dans le contexte parlementaire, bien que le présidentialisme
français ouvre à cet égard des opportunités non négligeables.
Enfin, la culture des médias se caractérise par la définition du rôle des
journalistes dans l’espace public politique et par l’attitude dominante des
journalistes à l’égard des institutions. Vont-ils adopter une position
« légitimiste » et considérer qu’une information politique doit être
couverte ou bien « pragmatique » en la mettant en compétition avec des
informations qui ne le sont pas ? Sont-ils respectueux ou cyniques à
l’égard du monde politique ? En-ont-ils une représentation étroite et
professionnelle ou bien large et sociétale ? Les réponses à ces questions
conditionnent le type de normes que les journalistes suivent dans
l’exercice de leur profession et donc dans la gestion de l’information par
les gouvernants. Aux États-Unis, par exemple, le passage d’un
journalisme descriptif à un journalisme interprétatif s’est accompagné
d’une croissance de la négativité de la couverture du politique
professionnel (Patterson, 1993 ; Jamieson et al., 2003). En d’autres
termes, tous ces moyens et tous ces efforts sont autant de facteurs
contextuels facilitant la tache de l’exécutif qui peut ainsi compter aussi
sur l’information pour gouverner (Cook8 ; Gerstlé9).
On aurait tort de croire, donc, que la popularité est une pure affaire de
sondages d’opinion. Certes, les enquêtes montrent que le principal
facteur de la popularité est sa propre inertie : c’est du moins la conclusion
des analyses de régression qui comparent l’impact respectif des
principaux « ingrédients » de l’approbation publique. Ils n’empêchent
que les sondages jouent un rôle important auprès des gouvernés
notamment en donnant un point de repère « barométrisé » qui permet à
chacun de connaître comment les autres semblent apprécier l’action du
président ou du Premier ministre : c’est une manifestation supplémentaire
de « l’influence impersonnelle » des médias dans la mesure où ce qui est
en cause c’est davantage la diffusion des résultats que leur fabrication.
C’est donc, en partie, une affaire de perceptions des évaluations
collectives.
Un autre aspect est bien mis en évidence par Schudson (1997) et Just
et Crigler (2000). Le premier explique comment R. Reagan a construit le
mythe de sa popularité en s’appuyant sur les journalistes accrédités à la
Maison-Blanche et sur ses soutiens au Congrès : « Si Reagan en vint à
être décrit dans la presse comme un Grand Communicateur, c’est moins
pour son talent particulier à communiquer directement avec le peuple
américain qu’à cause de son habileté singulière à communiquer avec les
élites qui comptent et notamment la presse ». Ce diagnostic est confirmé
et complété par M. Just et A. Crigler (2000). Selon leur travail, l’image
du leader est construite par trois types d’acteurs : les professionnels de la
politique, les médias et le public, chacun mettant l’accent sur certains
aspects. Le public fait davantage attention au comportement antérieur du
leader (ce qui suppose une mémorisation source de capital politique) ; les
médias sont plus attentifs aux événements immédiats, aux résultats
obtenus, alors que les politiques se fondent prioritairement sur les
ressources politiques du leader, c’est-à-dire sa capacité à s’attacher le
soutien des autres professionnels de la politique. Ce soutien tempère
d’ailleurs les élans médiatiques inopportuns.
Les cas de Nixon face au Watergate et de Clinton dans le Monicagate
sont exemplaires de ce modèle. Le second a pu préserver sa popularité
malgré la menace de l’« impeachment » parce que le public n’avait
aucune attente morale à son égard (compte tenu de son passé turbulent) et
qu’il bénéficiait d’une conjoncture et de résultats économiques positifs.
Au contraire, Nixon a pâti de sa réputation de probité prise en défaut et
de la déception qu’a suscitée sa gestion économique (voir aussi Zaller
pour la même interprétation économique, 1998a). Quant au poids des
médias, et en particulier de la presse écrite, il est bien mis en évidence
dans une étude consacrée à Helmut Kohl entre 1975 et 1984, donc avant
et pendant l’exercice du pouvoir à partir de l’automne 1982. Les articles
des journaux allemands ont été analysés à l’aide de 66 caractéristiques
regroupées en 6 catégories : capacités politiques, personnalité, relations
avec les acteurs politiques, allure personnelle, attitudes principales et
comparaisons avec les autres acteurs politiques. Les tendances de la
couverture médiatique anticipent de plusieurs mois l’évolution de
l’image de Kohl dans l’opinion publique et non l’inverse (Kepplinger et
al., 1989).

Cohabitation et « divided government »


Une dernière sorte de facteurs doit impérativement être considérée dans cet
inventaire : les facteurs institutionnels : J.-L. Parodi (1997) a montré qu’elle
était leur importance sous la Ve République où le Premier ministre est
dominé en popularité par le président, du moins jusqu’à la présidence de N.
Sarkozy. « Ni le rang dans le septennat, ni la personnalité du titulaire ne
modifient sensiblement cette structure ». Une seule exception au tableau : le
Premier ministre de cohabitation qui dispose d’une légitimité électorale,
jouit d’une popularité autonome. Quid de la communication et de
l’information dans cette conjoncture singulière ?
Une forme bien particulière de communication d’exercice du pouvoir
s’est pratiquée en France durant les périodes dites de cohabitation entre
1986 et 1988, puis 1993-1995 et 1997-2002. Cette période se présente, en
effet, comme exceptionnelle dans la vie politique française puisqu’elle
est marquée par la coexistence institutionnelle au sommet de l’État d’un
président de la République et d’un Premier ministre issus de majorités
politiques contraires. Le découplage des majorités consécutif à l’arrivée
d’une majorité de droite n’a laissé subsister que « la dimension
constitutionnelle de la fonction présidentielle désormais privée de sa base
politique » pour reprendre les termes de P. Avril. Dans cette situation de
repli du pouvoir présidentiel, F. Mitterrand s’est largement appuyé sur
une stratégie de communication politique pour faire entendre sa voix, son
désaccord avec la politique du gouvernement dans une attitude qualifiée
de tribunitienne par J.-L. Parodi.
Toutes choses égales par ailleurs, le caractère stratégique de sa
communication en conjoncture de cohabitation s’apparente aux efforts du
président américain recherchant l’appui de l’opinion pour faire pièce à un
congrès hostile dans ce que les Américains nomment le « divided
government ». Il a été montré que cette situation était profitable à la
popularité présidentielle du fait de l’ambigüité dans les mécanismes
d’imputation (voir le cadrage d’imputation chez S. Iyengar). Il faut
ajouter pour mieux rendre la complexité de cette situation que la
coexistence institutionnelle entre le président et le Premier ministre
devait se métamorphoser progressivement en compétition électorale les
mettant aux prises dans les rôles de sortant et de challenger. La
concurrence entre deux positions institutionnelles et deux rôles
électoraux s’articule au jeu respectif de deux leaders à la personnalité et
au capital politique contrastés qui portent les espoirs de familles
politiques opposées. Au niveau institutionnel, le président et le Premier
ministre entretiennent une relation hiérarchique et coopérative alors
qu’ils sont voués à l’affrontement sur les plans politique et électoral.
Dans l’exercice de leur fonction institutionnelle, ils doivent trouver une
compatibilité minimale pour éviter une crise politique dont l’opinion
rendrait responsable le premier à mettre en péril la cohabitation si l’on
accepte le « théorème de Balladur ». Ceci tout en veillant à préparer
l’échéance électorale dans les meilleures conditions. La situation pourrait
être conceptualisée en termes de rôles : comment jouer les différents
rôles sans dissonance ? et en termes de jeux : comment coopérer, c’est-à-
dire se comporter sur le plan institutionnel dans un jeu à somme non
nulle tout en luttant pour renforcer ses chances de succès comme
candidat dans un jeu de conflit ? La complexité de cette situation atteste
que les stratégies de communication ne se résument pas à des choix de
techniques de communication. L’étude approfondie de la campagne
présidentielle de 1988 exhibe très clairement que la cohabitation a donné
l’essentiel de sa trame et de son ressort à la campagne telle que l’ont
jouée les présidentiables et l’ont interprétée les médias (Kaid, Gerstlé,
Sanders, 1991).
Aux États-Unis la popularité présidentielle se montre sensible aux
périodes de gouvernement divisé, caractérisé par un contrôle partisan
différent de la branche exécutive et de la branche législative. Ceci
s’explique par l’ambiguïté que cette situation génère sur l’attribution de
la responsabilité des résultats (Nicholson et al.,10). B. Clinton, par
exemple, a bénéficié d’un soutien supérieur après que les démocrates ont
perdu le contrôle du Congrès. Non seulement la popularité du président
n’est pas fonction du soutien populaire accordé aux membres de son
parti, mais il se pourrait bien qu’elle varie en raison inverse. Le président
est moins désapprouvé dans les périodes de « divided government » car il
existe une alternative dans la responsabilité et on comprend bien ici
l’importance de la communication des branches du gouvernement pour se
renvoyer la balle. Vue la négativité dominante de l’information
américaine, le président qui pâtit davantage des critiques qu’il ne
bénéficie des éloges, verra sa popularité moins souffrir lorsqu’il n’y a pas
de gouvernement homogène. On vérifie, une fois de plus, l’existence
d’effets d’information, en constatant que la propension à exonérer la
responsabilité du président est plus forte chez les individus qui savent
que le gouvernement est divisé. Pour la cohabitation à la française Lewis-
Beck et Nadeau (2001) n’écrivaient-ils pas : « Le message journalistique
a-t-il contribué à consolider l’attrait de la cohabitation ? Il est permis de
l’avancer à la lumière des données de l’analyse de contenu de la section
précédente. La cohabitation fait maintenant partie intégrante du discours
médiatique. »

1. BAUM M., 2012, “Media, public opinion and presidential leadership”, in BERINSKY A.J. (ed.),
New Directions in Public Opinion, London, Routledge, pp. 258-270.
2. La seule étude de synthèse sur la communication présidentielle en France sous la Ve
République est issue d’une thèse et publiée en langue allemande : SEGGELKE S., 2007, Frankreichs
Staatspräsident in der politische Kommunikation. Offentlichkeitsarbeit in der V. Republik, Berlin,
LIT Verlag.
3. FESTA R., 2002, « L’audience des émissions politiques », in Dossiers de l’Audiovisuel, no 102,
2002, pp. 72-75.
4. Cour des comptes, Communication à la commission des finances, de l’économie générale et
du contrôle budgétaire de l’Assemblée Nationale, Les Dépenses de communication des ministères,
octobre 2011, 154 pages. De ce rapport est issue une grande partie des informations relatives à la
communication gouvernementale.
5. Voir le rapport du Secrétariat général à la modernisation de l’action publique, 2013, La
modernisation de l’action publique. Evaluation de la communication gouvernementale, 20 pages.
Ces directions étaient composées du SIG, de 13 directions et services de communication des
ministères et 5 établissements publics sous tutelle appelés opérateurs : la direction de la sécurité et
circulation routières, l’Ademe, l’Institut national du cancer, l’agence du service civique, et
l’institut national de prévention et d’éducation pour la santé.
6. FLORENSON P., BRUGIÈRE M., MARTINET D., 1987, Douze ans de télévision. 1974-1986, La
Documentation française, p. 136.
7. http://www.csa.fr/Television/Le-suivi-des-programmes/Le-pluralisme-politique-et-les-
campagnes-electorales.
8. COOK T., 2005, Governing with the news, University of Chicago Press.
9. GERSTLÉ J., 2003, « Gouverner l’opinion publique », in BRÉCHON P. (dir.), La Gouvernance de
l’opinion publique, L’Harmattan, pp. 19-33.
10. NICHOLSON S.P., SEGURA G.M., WOODS N.D., 2002, “Presidential approval and the mixed
blessing of divided government”, in The Journal of Politics, vol. 64, (3), pp. 701-720.
Chapitre 6

La communication, l’information
et la participation des citoyens

LES DIFFÉRENTES THÉORIES DE LA DÉMOCRATIE ont ceci de commun qu’elles


requièrent la participation, à des degrés certes différents, des citoyens au
fonctionnement du système politique. Elles sont loin d’avoir toutes les
mêmes exigences quant au moment, à la durée, à l’intensité et à
l’expression de cette participation. Ainsi, la démocratie élective se contente-
t-elle d’une participation limitée aux consultations électorales, alors que la
démocratie de participation exige un intérêt et un engagement permanents
de tous dans les affaires publiques. La communication est une condition de
la participation. Communiquer c’est prendre part, c’est participer à quelque
chose qui peut prendre des formes plus ou moins achevées telles que
l’échange de signes ou le partage du sens. Communiquer politiquement
c’est mettre en commun des opinions, des arguments, des récits relatifs à la
communauté. Aujourd’hui, on assiste à une crise du politique qui touche la
représentation mais aussi la participation des citoyens. Il est tentant de
mettre en relation la tendance récente au désengagement et au rejet du
politique professionnalisé, d’une part et la médiatisation croissante de
l’activité politique, d’autre part. Tout se passe ici comme si était pris
globalement en défaut l’hypothèse optimiste que l’opulence
communicationnelle conduisait automatiquement à la démocratie. Comme
le remarque amèrement le sociologue américain T. Gitlin « À mesure que la
politique devient plus professionnelle, la participation électorale décroît ».
La participation politique désigne l’ensemble des pratiques par
lesquelles les citoyens cherchent à influencer l’activité politique de la
communauté politique concernée. En termes macrosociologiques, la
participation politique est ou bien un processus de révélations des
préférences et de leur transmission au système politique ou bien
l’exercice de la démocratie directe. On retrouve alors les analyses
fonctionnalistes de l’articulation et de l’agrégation des intérêts. De
même, l’élection est considérée comme un instrument de communication
entre gouvernants et gouvernés. En termes de comportement, tous les
modes de participation impliquent une forme de communication qu’il
s’agisse du concours à une campagne politique, des contacts noués avec
les responsables locaux ou nationaux, de la coopération des individus
dans des groupes informels ou des organisations structurées pour
reprendre la description classique de Verba et Nie (Participation in
America, 1972). Une conception élargie intègre également la protestation
comme modalité non conventionnelle et la communication plus intense
des citoyens qui se tiennent politiquement informés, qui engagent
volontiers la discussion politique et envoient des messages aux journaux
et aux leaders politiques. La démocratie délibérative, qui ne se contente
pas de l’agrégation des suffrages pour dégager une décision collective,
peut être définie de différentes façons. Elle peut reposer sur le critère du
résultat, le changement des préférences, mais aussi par les modalités du
processus de discussion ou bien encore par les conditions
institutionnelles qui garantissent l’impartialité (Elster, 1998). Face à
l’élargissement continu des modes de participation (Van Deth, 2014),
avec notamment l’émergence du numérique, il est utile de connaître les
représentations et pratiques en matière d’information et de
communication, d’appréhender les modes d’expression et d’action
collectives des citoyens et d’examiner quelques aspects de la démocratie
participative comme les transformations de la démocratie locale ou les
nouvelles pratiques délibératives (cf. chap. 6).

Représentations des médias


et comportements d’information
La participation autonome est celle qui permet à l’individu de traduire plus
spontanément son intérêt pour la politique par ses comportements
d’information et d’expression d’opinion selon Meynaud et Lancelot. Il est
hors de question ici d’envisager tous les facteurs sociaux et politiques qui
conditionnent la production des opinions politiques. Il s’agit d’évoquer
quelques points plus directement liés à la communication interpersonnelle
et au rôle des médias.

La communication interpersonnelle
Depuis Katz et Lazarsfeld (Personal Influence, 1955), on connaît
l’existence des leaders d’opinion et le mécanisme de la communication à
deux temps pour diffuser l’information et la propagande. On a montré
expérimentalement comment les conversations politiques sont influentes
dans la transmission de l’information, des perceptions et des convictions
(Gamson, 1992 ; Neuman et al., 1992). Les enquêtes confirment cette
conclusion : aux élections britanniques de 1997 qui voient le triomphe de
Tony Blair, Worcester et al. (Explaining Labour’s landslide, 1999) ont
évalué à plus de quatre millions le nombre d’individus qui ont cherché à en
persuader d’autres de voter en faveur du Labour. Zuckerman et al. affirment
de même que les réseaux de discussion altèrent la nature des attitudes et la
stabilité des choix électoraux en Grande-Bretagne1 : « en l’absence de
réseaux de discussion qui renforcent les opinions préexistantes et de
rencontres avec des militants, les individus ont davantage de chances de
modifier leur vote que de le reproduire entre deux élections consécutives ».
Le même auteur édite un volume qui dans la tradition du modèle de
Columbia montre comment la famille, les amis, les voisins, les collègues de
travail forment des réseaux sociaux qui impactent lourdement les
comportements politiques (Zuckerman, 2005). D’autres auteurs américains
établissent que l’influence de la communication interpersonnelle dans les
réseaux personnels est supérieure à celle du contenu des médias (Beck et
al., 2002). De même, pour S. Lenart la communication d’influence doit être
analysée comme intégrant différents niveaux de relations interpersonnelles :
l’interindividuel comme dans la tradition du « two-step flow of
communication », les interactions de groupe et le climat d’opinion tel que le
définit E. Noelle-Neuman. En 1992, une grève des journaux à Pittsburgh a
fourni à J.J. Mondak (1995) l’opportunité d’observer le rôle des discussions
politiques et celui de la presse dans une ville comparable dans ses
caractéristiques démographiques et politiques, Cleveland. De cette situation
quasi-expérimentale, il ressort que des deux modèles en concurrence pour
expliquer l’influence, ce n’est pas le modèle de la cohésion sociale qui
l’emporte mais le modèle de l’équivalence structurelle que nous avons
présenté en étudiant les réseaux. Le premier modèle impliquerait l’efficacité
d’un discours persuasif explicite entre les individus. Le second modèle
repose, au contraire, sur l’idée que l’individu tient compte des propos de
ceux qui sont dans une situation structurelle identique à la sienne dans un
réseau ou groupe social. Nul besoin de contacts fréquents, ou de persuasion
ouverte, mais tout est affaire de position commune dans le réseau des
structures sociales (voir l’opposition entre catness et netness).
Les enquêtes montrent aussi en France le rôle non négligeable de la
conversation dans l’orientation des attitudes politiques. Lorsqu’on pose à
l’occasion de l’élection présidentielle de 1981 (Cotteret et al., p 485) la
question de savoir le moyen qui compte le plus pour se faire une opinion
sur un candidat à l’élection présidentielle, on obtient les réponses
suivantes : Ce que dit le candidat lui-même (42,6 %), les discussions
avec l’entourage (23,7 %), les commentaires des journalistes (10,9 %),
les réactions des autres hommes politiques (7,6 %), les sondages (3,9 %).
Cayrol (Blumler et al, 1978, p. 118) exagère donc, vraisemblablement, en
affirmant que les « conversations sont nettement surclassées » par les
autres médias pour la campagne présidentielle de 1974. C’est une
pratique de communication politique des citoyens dont on vérifie
d’ailleurs encore l’universalité dans les études comparatives à l’occasion
des élections européennes (Blumler, 1983, p. 153). L’approche
ethnographique préconisée par Braconnier (2010) montre bien que « ceux
qui parlent ensemble votent ensemble » et que si conversion lors des
élections il y a, elle passe souvent par la conversation. Une explication de
cette universalité réside peut-être dans le principe d’homophilie dont le
sociologue Lazarsfeld avait eu l’intuition. On communique plus
facilement avec quelqu’un qui vous ressemble socialement et qui partage
vos attitudes. Cette communauté de propriétés renforce la probabilité
d’une interprétation convergente de la communication. L’homophilie et la
communication se renforcent mutuellement, car en communiquant on
augmente ses chances de faire comprendre et partager son point de vue.
Mais comme l’observe D. Mutz (2006), les médias en facilitant l’accès à
des points de vue alternatifs permettent d’éviter le renforcement des
attitudes par homophilie, pour reprendre le terme de Lazarsfeld.
Une enquête révélatrice à bien des égards est celle que livre depuis
novembre 2003 le tableau de bord de l’Ifop sur un échantillon de la
population française de 18 ans et plus, questionné chaque semaine,
auquel est proposée une liste fermée de sujets touchant à l’intérieur et à
l’international, sur des thèmes d’actualité : de quoi parlent les Français ?
Quels sont les sujets de conversation les plus cités sur les six premiers
mois de 2015 ? (voir tableau 6.1)
Tableau 6.1 – Sujets de conversation les plus cités de janvier
à juin 2015

Période Sujet OUI


92 %
Janvier 2015 Attentats islamistes
de Charlie Hebdo
67 %
Février 2015 5e titre de champion
du monde de
handball pour la
France
50 %
Mars 2015 Survol de drones en
France
90 %
Avril 2015 Crash du vol de la
Germanwings
79 %
Mai 2015 Séisme au Népal
62 %
Juin 2015 Arrestation de
9 membres de la
FIFA

(Source : IFOP, 2015)

Comme on peut le lire, l’agenda des conversations interindividuelles est très


volatile à l’instar de l’agenda médiatique. Les sujets strictement politiques
sont loin d’y être prioritaires en dehors des périodes électorales. En 2007, la
disparition de l’abbé Pierre constitue l’évènement le plus évoqué par les
Français alors que la propension à parler de la campagne pour l’élection
présidentielle a animé une part croissante des conversations (69 % en
février, 81 % et 82 % en mars et avril) avec un intérêt plus prononcé pour
certains événements comme les violences de la gare du Nord (76 % en
avril). En matière économique, c’est la question du pouvoir d’achat qui
focalise l’attention des Français puisqu’elle dépasse en priorité la question
du chômage à partir de décembre 2007. En 2012, même si la visibilité
médiatique de la campagne présidentielle atteint un record absolu (164 400
ubm qui en font l’évènement le plus médiatisé de l’histoire de l’indicateur
ubm2) et qu’elle anime pourtant moins les conversations (61 % en février,
68 % en mars, 72 % en avril) la hiérarchie des conversations par mois fait
apparaître le classement suivant :

La vague de froid (février) : 84 %


L’ouragan Sandy à New York (novembre) : 82 %
L’affaire Merah (avril) : 81 %
Hausses des prix et taxes au 1er janvier (janvier) : 78 %
Baisse des prix des carburants (septembre) : 76 %
Hausse d’impôts (octobre) : 76 %
La crise de l’UMP (décembre) : 74 %
Hausse du prix des carburants (avril) : 73 %
Élection présidentielle (avril) : 72 %
Oscar pour Jean Dujardin (mars) : 71 %
Décès de Jean Luc Delarue (septembre) : 70 %
Naufrage du Costa Concordia (février) : 70 %
Rentrée scolaire (septembre) : 67 %
Drame à Echirolles (octobre) : 66 %
Mariage pour tous-adoption (décembre) : 65 %

Pratiques d’information et intérêt


L’importance cruciale de l’information médiatisée dans la formation et les
changements de l’opinion fait maintenant l’objet de recherches empiriques
fiables qu’on a longuement abordées notamment aux chapitres II et IV.
Travaillant sur la longue durée, Page et al. (1987) ont mis par exemple en
évidence, dans la situation américaine, que des changements à court terme
dans les préférences de l’opinion sondée sur des questions de politiques
publiques peuvent être liés au contenu des informations télévisées.
Notamment, le point de vue des journalistes (présentateurs, commentateurs)
et des experts sollicités par les médias a un impact supérieur sur le
changement d’opinion à ceux du président et des partis politiques. C’est
aussi la sensibilité du public à l’information des médias qui inspire la
théorie de la spirale du silence d’E. Noelle-Neuman (1980). Elle incite à
renoncer à l’idée que les médias ont des effets limités au profit d’une
réévaluation nettement à la hausse de leur contribution à l’installation d’un
« climat d’opinion ». Pour elle, l’opinion publique est l’opinion dominante
conformément à laquelle chacun peut agir ou s’exprimer sans craindre de
s’isoler. La définition repose sur certains postulats. La société punit les
déviants en les isolant. Les individus craignent l’isolement et cherchent
continuellement à évaluer le climat d’opinion ambiant. Ils adaptent leur
comportement en public et l’expression de leurs opinions personnelles. Les
médias étant devenus le reflet le plus puissant de la société (au mieux) ou
l’instrument qui la façonne (au pire), ils contribuent largement à faire
entendre et à visibiliser les opinions majoritaires et en conséquence à
éliminer les opinions trop dissidentes par un processus en spirale de
formation de l’opinion publique. La question des effets des sondages sur la
distribution des opinions mériterait qu’on teste davantage cette hypothèse.
Des évolutions sensibles sont à pointer dans les usages informationnels
en France : « une baisse constante de la lecture des quotidiens, une
écoute relativement stable de la radio, une fragmentation des pratiques
télévisuelles et une forte croissance de la consultation de l’internet. »3
L’évolution des pratiques culturelles des Français étudiée par l’INSEE
indique qu’en 1973, 55 % des 15 ans et plus lisaient un quotidien chaque
jour. En 1989, ils ne sont plus que 43 %. Cette baisse de la lecture
quotidienne de journaux affecte presque toutes les catégories sociales
mais se trouve plus marquée chez les employés et les ouvriers qualifiés.
En 2008, 11 % des Français lisent un quotidien national plus d’une fois
par semaine contre 13 % en 1997 et 32 % lisent un quotidien régional
contre 38 % onze ans plus tôt4. Dans la même période, l’écoute de la
radio a reculé de 88 à 85 % avec un effritement de sa fonction
informative puisque le nombre des auditeurs exclusivement intéressés par
les informations baisse de 22 % à 19 %. L’enquête permanente sur les
conditions de vie des ménages conduite par l’INSEE en octobre 1999 par
S. Dumartin et C. Maillard sur le lectorat de presse d’information
générale indique que trois Français sur quatre ne lisent jamais de
quotidien national et deux sur trois sont des lecteurs occasionnels de la
presse quotidienne régionale.
Certes, la presse régionale d’information générale a mieux résisté à la
baisse, sa lecture est plus régulière et mieux socialement distribuée. La
presse magazine a progressé et les journaux spécialisés se sont
considérablement développés. Mais le rétrécissement sociologique du
lectorat est de nature à inquiéter, comme indicateur du fossé culturel qui
se creuse entre citoyens de compétences politiques inégales via les
disparités d’accroissement ou non du capital culturel, entre riches et
pauvres en informations (voir Prior, 2007). Autrement dit, la presse écrite
n’a probablement pas perdu son influence, mais sans étendre son lectorat,
elle a même, peut-être, étendu son influence en mobilisant de plus en
plus des élites. C’est, en tout cas, ce que nous avons cherché à montrer à
travers le cas britannique en distinguant l’influence sur la mobilisation et
le vote, et l’influence sur les préférences politiques. Mais il est aussi
opportun de reconnaître que la presse britannique est plus marquée par
ses soutiens partisans que ne l’est la presse française (Gerstlé, 2004).
Quant à la télévision, la proportion de Français qui la regardent
quotidiennement se monte à 47,1 millions en 2012. Elle a fortement
progressé en passant de 77 % en 1997 à 87 % en 2008. En 25 ans la
durée d’écoute quotidienne de la TV sur l’écran de télévision a augmenté
de près de 23 %, passant de 3 h à 3 h 41 minutes par individu en 2014 et
à 4 h 33 par téléspectateur selon « l’année TV 2014 » de Médiamétrie.
Selon « Les + de la TV » du SNPTV, 55 % des Français s’informent de
l’actualité nationale ou internationale en regardant la télévision en 20155
alors qu’ils sont 22 % à s’informer sur internet, puis 19 % à la radio et
4 % dans la presse (version papier). L’information télévisée quotidienne
bénéficie donc d’une très large audience. Entre septembre 1989 et 1990,
et hors vacances, c’est en moyenne de 17 à 20 millions d’individus de
plus de 15 ans qui suivent les journaux télévisés diffusés à l’heure de
grande écoute par TF1, A2, FR3 et la 5. En 2014, les audiences
moyennes des journaux télévisés de 20 h et de 13 h de TF1 (les plus
regardés d’Europe) se montaient à plus de 5,8 millions et 5,4 millions
d’individus de 15 ans et plus. Il faut noter que l’émission satirique
« C’est Canteloup » réunit 7,1 millions de téléspectateurs en moyenne
soit nettement plus que le JT de la même chaîne. Le journal de F2
réunissait quant à lui en 2014 plus de 4,4 millions de téléspectateurs à
20 heures et celui de 13 heures plus de 2,4 millions.
Cependant, l’actualité politique se trouve mêlée dans l’information
télévisée aux informations économiques et sociales, culturelles, sportives
et générales. De telle sorte que les magazines télévisés constituent des
émissions politiques plus représentatives de la recherche d’information
comme participation politique autonome. Les grandes émissions
politiques régulières, du type « L’Heure de Vérité » (disparue en 1997),
« 7 sur 7 » (disparue en 1997), « Questions à Domicile » (disparue en
1989), ont une audience qui fluctue entre 1985 et 1988 de 9 à 23 % des
foyers. Elles intéressent beaucoup ou assez un téléspectateur sur trois6.
Mais le public intéressé est plus vieux de dix ans que l’âge médian de la
population française (43 ans) et il est davantage parisien que provincial.
L’intérêt est plus faible chez les jeunes, les ouvriers et les agriculteurs. La
proximité politique du Parti Communiste ou du Front National
s’accompagne d’un évitement plus marqué de ces émissions. On
constate, par ailleurs, que ces émissions politiques qui avaient
traditionnellement la faveur des téléspectateurs français n’obtiennent plus
des scores d’audience considérables même en conjoncture pré-électorale.
Certes, il existe encore des émissions authentiquement politiques à la
télévision française qui attestent une réelle résistance face à l’information
de divertissement (« infotainment ») et à la « tabloïdisation », bien que
leur programmation ne soit pas équivalente à leurs prestigieuses
devancières pourtant considérées à l’époque déjà comme du spectacle
politique (Neveu, 1995). « Des Paroles et des Actes », par exemple, est
regardée par 2,4 millions de téléspectateurs. Certains considèrent que la
représentation de la politique à la télévision n’a pas à souffrir de cette
extension à un « hors champ ». Il n’y aurait pas de perte de substance de
la politique télévisée à travers les « soft news » mais une tendance à sa
déprofessionnalisation, à une diversification qui profiterait aux
téléspectateurs jusqu’ici marginalisés (Baum, 2003, Le Foulgoc, 2007).
La télévision délinéarisée qui permet la vidéo à la demande et la
télévision différée ou de rattrapage assure encore un bel avenir au média
télévision lorsqu’il vient se combiner à internet qui bénéficie d’un taux
de pénétration en France d’environ 85 %. « En 2012, trois personnes sur
quatre résidant en France métropolitaine ont utilisé internet au cours des
trois derniers mois, contre seulement 56 % en 2007. La fracture
numérique se réduit entre catégories sociales : internet touche la quasi-
totalité des cadres depuis 2007 ; quatre ouvriers sur cinq l’utilisent en
2012, contre un sur deux cinq ans auparavant. Des différences de
pratique selon l’âge demeurent, mais l’usage de l’internet se banalise. De
nombreuses fonctionnalités disponibles sur la toile sont de plus en plus
utilisées »7. Elles font l’objet d’analyses fines dans l’ouvrage dirigé par J.
Jouet et R. Rieffel, « S’informer à l’ère numérique » (2013).
P. Rosanvallon (2006) est sans doute celui qui a le mieux analysé la
contribution d’internet à la vie politique en ce qu’il permet l’exercice des
fonctions de vigilance, de dénonciation et de notation caractéristique de
ce qu’il dénomme la « démocratie d’expression ». Internet se présente
comme un « espace généralisé de veille et d’évaluation du monde » qui
autorise la « contre-démocratie ». On examinera plus tard les promesses
de la démocratie électronique (voir chapitre 6, section 3). Mais d’ores et
déjà, il faut constater l’opportunité de l’article qui appelle à une écologie
des pratiques informationnelles (Le Hay et al., 2011). Il faut entendre par
là l’analyse du « système de relations que les individus entretiennent avec
un ensemble diversifié de supports informationnels dans un espace social
donné ». Dans un environnement caractérisé par la sur-information se
distinguent quatre modes de consommation de l’information politique qui
sont ainsi résumés par Jouet et Rieffel (2013) : « Deux pratiques
informationnelles dites uni-modales se dégagent. D’abord, l’une centrée
sur le support de la télévision comme moyen d’information prioritaire
des classes populaires ; l’autre centrée sur l’internet, ce support étant
privilégié par les moins de 34 ans qui ont un rapport distant au politique.
Une troisième pratique qualifiée de bimodale émerge autour du couple
presse quotidienne + télévision auprès des populations les plus âgées.
Enfin, la consommation dite multimodale est le fait des individus issus
des couches les plus diplômées et aisées qui combinent plusieurs médias :
la presse et l’internet, mais aussi la radio ». Cette combinaison des
sources médiatiques semblent devoir devenir universelle (46 % des
Américains affirment obtenir leurs informations à partir de quatre à six
plateformes médiatiques différentes de façon récurrente déjà en 2010)8.
S’agissant du lien entre intérêt politique et consommation
d’information, il est possible de renvoyer aux observations non
nécessairement convergentes de Bréchon et Derville (1998), de Pierru
(2004) et de Mercier (2007). Les poids des propriétés sociales des
individus, des logiques sociales d’appropriation de l’information et de la
politisation y sont notamment des pommes de discorde. Lors d’une étude
comparative des relations entre média et recherche d’information dans
sept pays européens (Allemagne, Espagne, France, Grande-Bretagne,
Pays-Bas, Pologne, Suède) A. Mercier (2007) conclut : « La France
s’oppose par ses usages aux habitudes dominantes en Europe du Nord, et
offre le profil d’un pays qui reste plus politisé et “contestataire” que la
moyenne mais qui n’en trouve pas pour autant motif à rechercher avec
assiduité les informations politiques : les pratiques télévisuelles et
radiophoniques oscillent autour de la moyenne des sept pays européens,
tandis que la frileuse lecture des articles politiques traduit une faiblesse
structurelle de sa culture de la presse écrite. » Le lien très fort entre
intérêt pour la politique et recherche d’information dans ces pays est ainsi
mesuré :
Tableau 6.2 – Intérêt pour la politique et recherche
d’information
Répartition des consommations d’information politique entre les intéressés
et les désintéressés par la politique (moyenne des sept pays en %)
Intéressés Désintéressés
par la politique par la politique
24 76
Jamais de télévision
politique
36 64
Jamais de radio politique
29 71
Jamais d’articles politiques
64 36
Plus d’une heure de
télévision politique
64 36
Plus d’une heure de radio
politique
80 20
Plus d’une heure d’articles
politiques

(Source : Mercier A., 2007)

Les crédibilités et les motivations


Si la participation autonome des citoyens est marquée par leur mode
d’acquisition de l’information, il faut s’interroger sur leurs représentations
des moyens d’information, car on sait depuis Hovland et le programme de
Yale l’importance des effets de source dans l’acceptation de la
communication. Plusieurs questions sont à distinguer et on ne peut manquer
d’observer les ambiguïtés de l’évaluation du rôle des médias lorsque l’on
contraste l’intérêt pour l’information, la crédibilité des différentes sources,
la pression mise sur le fonctionnement du jeu politique et le poids politique
qu’ils sont réputés exercer. Le baromètre annuel de TNS Sofres suit les
évolutions de la crédibilité des médias français depuis 1975. Étrangement,
la télévision reste le média préféré des Français pour acquérir de
l’information alors que la radio reste depuis 1990 le média le plus crédible
devant la presse écrite et qu’internet reste le moins crédible (avec toutefois
25 % de sans réponse) et malgré une progression continue depuis 2005. La
méfiance (71 %) concerne aussi les réseaux sociaux et sur internet les
principales sources d’information sont les sites internet ou les applications
mobiles des titres de la presse écrite devant les réseaux sociaux et les sites
des chaînes de télévision et stations de radio. Certes, l’actualité pèse
lourdement sur la crédibilité des médias. En octobre 1990, on assiste, par
exemple, à une baisse de crédibilité généralisée des médias liée
probablement aux conditions de la couverture des événements
internationaux de l’année écoulée notamment la révolution roumaine (les
faux charniers de Timisoara) et la crise du Golfe Persique, mais pas encore
la guerre au moment de l’enquête. En janvier 2015, l’intérêt pour l’actualité
connaît un très net accroissement (+7 points) lié à l’impact des attaques
contre Charlie Hebdo et l’hypercasher, juste un point de moins que lors de
l’élection présidentielle de 1995.
Quittant la crédibilité, on peut s’interroger à propos des effets des
médias sur le fonctionnement de la vie politique française. On obtient
alors une évaluation plutôt négative puisque 54 % des répondants
considèrent que la médiatisation est un signe d’appauvrissement du débat
politique et 43 % y voient un signe de sa modernisation (Journal des
élections, septembre 1989). Enfin, la représentation sociale du pouvoir
des médias est assez mal connue. D’importantes disparités se font jour
d’un pays à l’autre et à en croire une enquête déjà très ancienne (Institut
Louis Harris International d’avril 1987) c’est aux États-Unis que la
réputation d’influence des médias obtient ses scores les plus élevés et,
tous pays confondus, c’est sur l’opinion publique que les médias sont
réputés exercer l’influence la plus importante.
Lorsque R.A. Bauer, à partir des années 1960, conçoit que l’audience a
une contribution active au mécanisme de la communication, cette
évolution conduit à renverser la question classique « Que fait la
communication à l’électeur ? » en « Que fait l’électeur de la
communication ? ». L’inversion a tout d’abord orienté la recherche vers
la sociographie des comportements d’information notamment avec le
modèle des usages et satisfactions qui décrit les pratiques et leurs
motivations et de façon plus récente vers les mécanismes cognitifs à
l’œuvre dans la compréhension et la mémorisation de l’information
politique (Robinson et al. 1986). Ainsi, Blumler et McQuail distinguent
les motivations politiques (aide à la décision électorale, renforcement des
attitudes), les motivations de surveillance de l’environnement (évaluation
des acteurs, des partis et informations sur les enjeux) et les motivations
de plaisir même ne sont pas exclues (estimation des chances de gagner,
plaisir du spectacle politique). Selon les motivations privilégiées, quatre
types d’électeurs sont présentés : le citoyen consciencieux qui avance le
mobile d’aide à la décision ; le partisan qui cherche du renforcement de
ses prédispositions ; le vigilant qui, avant tout, prétend surveiller le
contexte et le spectateur pour qui l’attente est principalement de
divertissement. Le sondage réalisé du 15 au 17 mars 1988 par Sofres-
Télérama (no 1995) est très révélateur des comportements de l’audience.
La télévision y apparaît comme le moyen le plus utile pour savoir
comment voter selon 62 % des personnes interrogées loin devant les
journaux (37 %), la radio (30 %), les conversations (20 %), les sondages
(12 %), les meetings (6 %), les affiches (4 %), les tracts (4 %) mais la
motivation principale déclarée est la recherche d’information (83 %) et
non la détermination du vote (3 %). Les motivations pour suivre les
émissions politiques à la télévision sont les suivantes : pour être informé
sur les programmes des hommes politiques (40 %) ; pour connaître les
arguments des hommes politiques dont je ne suis pas proche (25 %) ;
parce que l’homme politique invité est proche de mes idées (22 %) ;
parce que je m’intéresse à la politique et je suis régulièrement les
émissions politiques à la télévision (21 %) ; parce que les émissions
politiques sont de véritables spectacles (16 %) ; je ne regarde jamais les
émissions politiques à la télévision (14 %).

Préférences déclarées et préférences


effectives
Cette hiérarchie est assez stable de 1974 (Blumler et al., 1978) aux années
2000. En 2006, la hiérarchie des médias les plus utiles pour s’informer en
politique s’établit ainsi selon le Baromètre Politique Français du Cevipof9 :
la télévision (58 %), la radio (17 %), la presse écrite nationale (10 %), la
presse écrite régionale (9 %), internet (5 %), la presse gratuite (1 %). En
mars 2012, l’enquête Présidoscopie10 indique la hiérarchie suivante : la
télévision (62 %), la radio (15 %), internet (12 %), la PQN (7 %), la PQR
(2 %). Il est clair qu’internet progresse inexorablement puisqu’il vient en
troisième position et même en deuxième position chez les moins de 35 ans
et ce au détriment de la presse écrite. Mais par-delà les préférences
déclarées, il convient de tenir compte de l’impact des pratiques effectives
qui pourraient ne pas être sans conséquences sur l’issue de la compétition.
En effet, s’agissant de l’impact de leurs prestations télévisées sur l’image
des candidats, Nadeau et al. (2012) constatent qu’environ « un tiers des
répondants ont changé leur opinion… en bien ou en mal » lors des
campagnes de 1995 et 2002.
Pour prendre la mesure des comportements d’information électorale,
comparons les audiences enregistrées au cours des émissions officielles
diffusées par la télévision au cours de différentes campagnes. En dix ans,
de 1978 à 1988 on passe pour la campagne des législatives d’une
audience cumulée sur TF1, A2 et FR3 se montant en moyenne à 38,8 % à
des audiences moyennes se situant entre 1 à 10 points selon les heures de
diffusion. En 1989 pour les élections européennes on observe une
moyenne quotidienne de 2,8 millions d’individus. On peut certes
invoquer la lassitude des téléspectateurs ou bien l’absence de
multidiffusion des émissions. Le chiffre de 1978 était déjà en recul par
rapport aux audiences des campagnes antérieures comme les législatives
de 1973 avec 51 % en moyenne et la présidentielle de 1974 avec 47 % au
premier tour et 55 % au second (N. Casile, 1978). Que s’est-il passé ? La
privatisation de la télévision a « libéré » les téléspectateurs captifs des
émissions officielles en offrant des programmes alternatifs. L’audience a
tendance à esquiver la communication électorale quand elle le peut
comme aux États-Unis (Prior, 2007). Les comportements effectifs des
citoyens Français pendant la campagne de 1988 sont analysés par
Semetko (in Kaid et al., 1991) et comparés à ceux des Américains. 23 %
des répondants français expriment un très vif intérêt pour la campagne. Si
les taux d’exposition des Américains aux informations sont supérieurs
aux taux des Français, ces derniers se caractérisent par une attention plus
soutenue. En revanche, les répondants déclarent n’avoir vu à la télévision
aucune émission officielle dans 50 % des cas pour Mitterrand et 53 % des
cas pour Chirac. Ils sont seulement 5,5 % à en avoir regardé un grand
nombre pour le premier et 5,3 % pour le second. Le débat télévisé entre
ces deux candidats a été vu par 69,5 % des personnes interrogées. Ces
données confirment-elles ce que des enquêtes antérieures (Cayrol, 1985)
ont établi ? Les campagnes présidentielles de 1974 et 1981 avaient
suscité un intérêt plus important puisque 9 % des électeurs seulement
déclaraient ne pas suivre la campagne chaque jour ou presque. Il y a aussi
des fluctuations de la croyance dans l’utilité des médias en général pour
la formation du vote, probablement expliquées par la conjoncture. Pour la
télévision, la série se présente ainsi : 63 % en 1974, 68 % en 1981 et
62 % en 1988 ; pour la radio, 10 %, 33 % et 30 % et pour la presse écrite
13 %, 45 % et 37 %. La hiérarchie des préférences reste donc stable et
largement en faveur de la télévision. Globalement, la baisse d’intérêt
pour la campagne pourrait s’expliquer par des facteurs politiques et des
variables de communication. En effet, la campagne de 1988 s’est
présentée sous un jour beaucoup moins conflictuel sur le plan
idéologique que celles de 1974 et 1981. D’autre part, l’apparition des
chaînes privées non soumises aux obligations de diffusion des émissions
officielles a permis au public d’esquiver cette forme de communication
électorale.
À s’en tenir aux audiences des principaux programmes télévisés en
2012, l’enquête Médiapolis11 indique que les comportements effectifs ont
été les suivants :
Tableau 6.3 – Pourcentage de personnes déclarant avoir
regardé l’émission (suivant la modalité entre parenthèses)
74 % (au moins quelques moments)
Débat télévisé Hollande-Sarkozy
50 % (souvent ou de temps en temps)
Émissions humoristiques (Le Petit
Journal, C’est Canteloup, etc.)
48 % (souvent ou de temps en temps)
Émissions politiques avec les
candidats (hors débat)
33 % (souvent ou de temps en temps)
Spots de la campagne officielle à
la télévision

La campagne présidentielle est certainement aujourd’hui en France le


moment où la médiatisation de la vie politique est malgré tout la plus
intense. S’agissant des émissions de la campagne officielle à la radio et à la
télévision, il faut d’abord souligner que l’audience ne doit pas être
confondue avec son impact, ne serait-ce que parce que l’équipement des
foyers évolue en passant d’un million de récepteurs en 1960 à une situation
caractérisée par l’existence de : 4 % de Français de 15 ans et plus sans
téléviseur au foyer en 1989 et 1997 ; 72 % en 1989 et 52 % en 1997 dotés
d’un téléviseur ; 21 % en 1989 et 33 % en 1997 dotés de deux téléviseurs ;
3 % en 1989 et 12 % en 1997 dotés de 3 téléviseurs et plus, selon l’enquête
sur les pratiques culturelles des Français de 1997. Par ailleurs, on a insisté
sur l’évolution des formats, et des modalités de programmation qui rend les
scores difficilement comparables.
Trois étapes sont distinguées par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
dans le processus d’amélioration des audiences des campagnes
officielles :
– la campagne pour le référendum sur la ratification du traité de
Maastricht en 1992 n’avait attiré que 20 millions de téléspectateurs sur
les deux chaînes du service public ;
– les campagnes pour les élections législatives de 1993 et les
européennes de 1994 réunissent respectivement 85 et 77 millions ;
– la campagne présidentielle de 1995 atteint 127 millions qui ont vu au
moins une fois une de ces émissions grâce à une démultiplication des
horaires de programmation, et le choix des horaires de grande écoute
(94 millions pendant les deux premières semaines et 39 dans la dernière).
Y a-t-il dans les enquêtes des traces d’influence politique telle que
l’utilité du média comme aide à la décision électorale ? Les préférences
médiatiques pour faire son choix au cours des campagnes présidentielles
1995 en France sont les suivantes (réponses multiples possibles) :

Tableau 6.4 – Les médias préférés comme aide à la décision


électorale en 1995
Journal télévisé 43 % Professions de foi 6%
Journaux 32 % Sondages 5%
Émissions politiques 27 % Tracts 4%
télévisées
Discussions 25 % Affiches 1%
Radio 23 %
Émissions satiriques télévisées 13 % Ne sait pas 10 %

(Source : Institut CSA, Sondage sortie des urnes, du 23 avril 1995)

En 2012, les moyens d’information considérés comme les plus utiles pour
se faire une opinion sur les candidats (avec la possibilité de fournir jusqu’à
trois réponses) sont ainsi mesurés par l’enquête Médiapolis :

Les informations à la télévision ou à la radio : 62 %


Les interventions des experts dans les médias : 31 %
Les informations dans les quotidiens ou les hebdomadaires : 28 %
Les sites internet d’information : 24 %
Les discussions avec des personnes de votre entourage : 23 %
Les professions de foi des candidats : 17 %
Les tracts et brochures des candidats : 15 %
Les sondages : 10 %
Les sites internet des candidats : 7 %
Les discussions sur internet ou les réseaux sociaux en ligne : 6 %
(Source : Enquête Médiapolis)

À propos de la campagne présidentielle de 2002, notons les scores


d’audience réalisés par les 208 émissions des 16 candidats diffusées sur F2
et F3 et les 144 émissions diffusées sur France 5. Le public cumulé se
ventile en 33 millions de téléspectateurs pour la première semaine et 27
pour la seconde du premier tour. L’unique semaine de programmation du
second tour a permis de réunir un public beaucoup plus important de
48 millions de téléspectateurs. En 201212, le rapport du CSA concernant la
campagne présidentielle indique qu’« avec 210 émissions au total,
l’exposition des candidats est restée stable par rapport à 2007 où la
campagne audiovisuelle avait donné lieu à la diffusion de 216 émissions.
Le débat reste la forme la plus appréciée et au cours des campagnes
présidentielles il réunit des audiences exceptionnelles. Il bénéficie d’une
promotion médiatique dramatisante et même lorsque le débat est refusé,
comme en 2002 pour la première fois depuis 1974, il devient un enjeu de
la campagne elle-même. Il est vrai que c’est pratiquement la seule
opportunité pour les candidats de vaincre l’obstacle de l’exposition
sélective, chère à Lazarsfeld, selon laquelle on a tendance à ne s’exposer
qu’à la communication de son champion. Même les indifférents à la
politique peuvent se satisfaire du spectacle de l’affrontement
personnalisé. Le premier débat télévisé de 1974 réunit 23 millions de
téléspectateurs représentant 71 % du public potentiel qui y assiste. En
1981, 23,4 millions de téléspectateurs qui représentent 60 % des
téléspectateurs regardent les mêmes protagonistes. En 1988, l’audience
se monte à 30 millions si on ajoute les diffusions directes (TF1 et A2) et
différées (FR3, La Cinq et M6). En 1995, le débat a touché 17 millions
de personnes en direct contre 15 millions sept ans plus tôt. En 2007, le
débat Sarkozy/Royal dure 2 h 40 et réunit plus de vingt millions de
téléspectateurs en direct. En 2012, le débat a réuni 17,79 millions de
téléspectateurs en moyenne sur TF1 et France 2, avec un pic d’audience
de 19,45 millions de téléspectateurs à 21 h 25. Ces tranches de
communication dominées par la mise en scène et le spectacle où se
concentre la tension entre le politique personnalisé et le médiatique de
masse, ne doivent toutefois pas occulter les formes plus permanentes ou
fréquentes que prend la contribution de la communication à la
participation plus organisée de citoyens actifs.

L’expression et l’action collectives


des citoyens
La communication politique descendante des gouvernants vers les
gouvernés a davantage retenu l’attention des chercheurs, le cumul de la
domination de la problématique des effets avec une conception élitiste de la
société et une conception élective de la démocratie y a sans doute contribué.
Mais l’analyse de la communication ascendante qui, selon l’expression de
G. Burdeau (1977), opère « la conversion des rapports sociaux en rapports
politiques » s’est considérablement développée. La communication sert, en
effet, à révéler au système politique les demandes qui émanent de la société
et ses réactions aux décisions et politiques publiques. Elle s’inscrit alors
dans une participation collective dont témoignent l’activité des partis
politiques, les mécanismes d’élaboration de l’agenda public et les
mobilisations politiques, mais aussi la communication interpersonnelle qui
ne s’active pas seulement en conjoncture électorale. C’est donc tout le
rapport de la « société civile » (Offerlé, 2003) à la sphère politique qui est
ici concerné par la communication et l’information.

De la conversation aux organisations


Nous avons déjà longuement argumenté plus haut pour signaler combien la
discussion est sans doute sous-estimé encore par la recherche sur
l’influence sociale et politique. La conversation et la discussion politiques
sont des modes ordinaires et pourtant puissants de la communication
politique puisque par elles circulent les représentations, les discours, les
stéréotypes, les cadres interprétatifs comme on l’a entrevu et souligné à
plusieurs reprises en traitant des réseaux, des normes, du capital social, des
pratiques de communication déclarées ou préférées. Paul Waldman (2001),
entre autres, estime que l’engagement dans la conversation politique est la
forme la plus achevée de participation politique des citoyens ordinaires. De
nombreuses recherches empiriques sont dédiées à ce sujet aux États-Unis
surtout depuis les premières études électorales de Lazarsfeld et al. (1944) et
le livre inaugural de Katz et Lazarsfeld (Personal Influence, 1955)13
consacré aux effets de la communication interpersonnelle. Dès 1948, le
mécanisme du leadership d’opinion était mis en évidence à travers le « two-
step flow of communication ». Onze ans plus tard, c’est la redécouverte des
idées de Charles Cooley concernant les groupes primaires qui s’expriment
dans les relations interindividuelles entre voisins, amis et proches. Quand
l’information des médias est transmise entre individus, ces individus
deviennent motivés pour prendre des décisions et agir. Muxel (2015)
analyse, par exemple, les conversations de proximité et leur impact sur la
décision de vote en France. Nous avons évoqué, par ailleurs (chapitre 3), les
perspectives de la falsification des préférences14 dans la lignée de Noelle-
Neuman. Mais d’autres travaux concluent à l’importance déterminante des
discussions concernant le choix du vote (Huckfeldt et al, 1995, Braconnier,
2010). D’autres considèrent que cette forme de communication permet
d’établir un pont entre l’expérience personnelle et l’information des médias
sur un enjeu : les perceptions d’un enjeu seraient dans ce cas le fruit d’une
transaction entre les conceptions individuelles et les conceptions sociales.
Cette forme de communication politique est certainement la plus ancienne
et la plus répandue dans le monde15. En tout état de cause, ce qui reste
déterminant pour la participation est de savoir si les « pressions croisées »
d’origine socio-politique qui s’exercent sur les individus vont faciliter ou
entraver la participation politique, la comparaison avec les médias se
révélant alors très significative comme le montre D. Mutz (1998). C’est la
question désormais récurrente de l’hétérogénéité des réseaux et les
conséquences du désaccord qui dominent l’étude de l’engagement politique.
Mutz (2006) étudie empiriquement la question de la diversité politique et
ses conséquences sur la délibération et la participation politique. Elle
parvient à la conclusion que la délibération entre individus politiquement
hétérogènes est inversement reliée aux niveaux de participation politique.
En effet, l’exposition à des conceptions politiques différentes semble
affaiblir la participation politique. L’idéal de la démocratie délibérative et
celui de la démocratie participative semblent donc contradictoires. La
contextualisation de la discussion est lourde de conséquences en rapport
avec l’hétérogénéité : en effet, elle permet d’expliquer l’existence
d’opinions plurielles dans un contexte d’incertitude, c’est-à-dire
possiblement contradictoires. « Un acteur discutant avec des partenaires
dans des relations appartenant à des contextes hétérogènes peut avoir, sur le
même objet, plusieurs opinions selon les relations dans lesquelles elles sont
exprimées »16.
Les partis et, d’une manière plus générale les organisations politiques,
peuvent être décrits à partir des trois dimensions structurelle, symbolique
et praxéologique de la communication politique présentées au premier
chapitre. Un parti se présente, en effet, comme structure de
communication et communauté symbolique tendues vers des buts ou
profits. Un parti est une « machine à communiquer » à la fois sur le plan
interne comme organisation et sur le plan externe comme système ouvert
sur l’environnement. Il est lui-même un système de communication relié
à d’autres systèmes que sont les autres partis, les institutions, les groupes,
etc. La communication intrapartisane (Marwick, 1973) est alors
justiciable d’une analyse qui rend compte de la variété des éléments en
interaction, de la capacité des canaux de communication, du volume des
flux de messages, de la structure de réseau de la direction, du degré de
liberté et de probabilité des relations entre les éléments, du type de
message communiqué. On retrouve ici les classiques aspects structuraux
et fonctionnels, c’est-à-dire l’organisation spatiale des composants d’un
système et l’organisation temporelle des mêmes éléments. Mais un parti
est ouvert sur un environnement dans lequel il n’est qu’un élément dans
le système politique global et où il accomplit certaines fonctions. Almond
et Powell (Comparative Politics, 1984) considèrent, par exemple, que
dans le système politique la fonction de communication est une condition
nécessaire à l’exécution des autres fonctions comme l’articulation et
l’agrégation des intérêts. Les partis sont donc des structures d’expression
et de transmission des demandes et des soutiens pour suivre D. Easton
qui ne fait pas de la communication une fonction particulière. Lasswell
reconnaissait déjà trois fonctions principales à la communication à
l’intérieur des groupes : surveillance de l’environnement, concertation
pour répondre à l’environnement mais aussi transmission de l’héritage
social d’une génération à une autre.
Mais la communication partisane ne se réduit pas simplement à des
flux, ni à des supports : elle implique le recours à un code de
communication et l’approche fonctionnelle cède ici le pas à l’approche
symbolique. Le parti se présente comme une communauté de langage, de
discours, de symboles, de récits. Ses membres connaissent et utilisent un
système de signes plus ou moins typé qui leur permet de communiquer,
c’est-à-dire de mettre en commun. Le langage est donc la condition mais
aussi le produit de la culture partisane. Non seulement il permet de
découper le monde par l’utilisation des catégories de pensée qui lui sont
attachées, selon l’hypothèse des ethnolinguistes Sapir et Whorf, mais
encore il permet de se reconnaître et de se distinguer, c’est-à-dire de
classer les autres dans l’en-groupe ou dans l’hors-groupe. Un parti
politique est donc une formation sociale où se solidifie le langage et où
parfois il arrive qu’il se vitrifie. C’est une communauté de langage
restreinte caractérisée par la « compétence que possèdent en commun les
individus qui en font partie, d’émettre et de recevoir un certain type de
discours » (Greimas, Sémiotique et Sciences Sociales, 1976). L’exemple
du langage socialiste (Gerstlé, 1978) illustre ces phénomènes. L’analyse
du lexique et des énoncés montre qu’il existe des « effets d’inertie »
suffisants pour parler de code partisan. Il se manifeste non seulement par
des fréquences d’emplois des mots et des récurrences thématiques, mais
aussi par l’existence de « blocs de langage » dans la combinatoire des
mots et des notions. Il se manifeste aussi par des effets de registre dans
l’encodage des textes partisans. Les déclarations de principes, les
programmes et les motions de congrès présentent des propriétés
formelles et sémantiques qui permettent de les identifier et de les classer.
La typologie des messages partisans fait apparaître un répertoire de
communication qui se pérennise dans le temps alors que la conjoncture
change et que les contenus d’actualité se succèdent. Des routines de
discours, des énoncés figés circulent ainsi transversalement et assurent
l’homogénéité du système de textes. Tout porte à penser que le groupe
partisan transmet à ses membres une authentique compétence à la
communication qui passe par l’acquisition du code, des registres et du
système de messages dans son entier et la reconnaissance de ces formes.
L’étude du langage partisan révèle des « biens discursifs » et ses usages,
des répertoires de communication homologues aux répertoires d’action.
Ce ne sont pourtant pas les seuls aspects communicationnels. M. Offerlé
(2012) suggère d’analyser le parti politique comme « un espace de
concurrence objectivé entre des agents ainsi disposés qu’ils luttent pour
la définition légitime du parti et pour le droit de parler au nom de l’entité
et de la marque collective dont ils contribuent par leur compétition à
entretenir l’existence ou plutôt la croyance en l’existence ». La lutte pour
la définition de la situation, le travail de légitimation, la construction de
l’identité, le droit de parler sont autant de processus ou d’aspects dans
lesquels est mise en œuvre l’activité communicationnelle qu’il convient
d’analyser dans une perspective proche du constructivisme. Aussi bien
dans la compétition interne pour la conquête des positions de pouvoir que
dans la compétition interpartisane, la manipulation des ressources
symboliques revêt un caractère stratégique fondamental : il faut installer
au pouvoir sa définition de la situation et les mots pour la décrire et la
rendre acceptable par le plus grand nombre.

Les mobilisations et manifestations


Mais l’action politique passe aussi par des formes non routinisées et
ponctuelles de mobilisation. Quand les canaux institutionnels et partisans
dédiés à l’expression politique n’accomplissent plus correctement leur
travail ou sont perçus comme défaillants, les citoyens se tournent vers des
moyens non conventionnels pour faire entendre leur voix. Outre les paroles
pour exprimer leur mécontentement (Hirschman, Exit, Voice and Loyalty,
1970), l’importance de la communication dans les mobilisations politiques
apparaît clairement dans les mouvements de protestation et dans la
formation de l’agenda politique. Quand le loyalisme n’est plus possible, il
reste, en effet, aux citoyens la défection c’est-à-dire une mise en retrait
apathique et, au contraire, des comportements très variés : participation à
une manifestation, organisation et signature de pétition, assistance à une
réunion de protestation ou de soutien, blocage de la circulation, grève et
boycott politiques, grève des loyers et des impôts, usage de la force
physique, atteinte aux biens, occupation de locaux, écriture murale (Barnes,
et al., 1979).
La communication, on le voit, n’est pas qu’affaire de convention
puisqu’elle permet aux citoyens de s’exprimer (voice) par des
manifestations aussi bien légales qu’illégales. On note, par ailleurs, que
protester, contester, revendiquer, pétitionner sont autant de verbes
performatifs. Ils sont en même temps de l’ordre du dire et de l’ordre du
faire. L’expression a ce privilège de modifier l’ordre des choses par sa
seule occurrence, comme le signale O. Ducrot. Un groupe accomplit
l’action de protestation dès lors qu’il l’exprime collectivement. Le
recours croissant aux pratiques non conventionnelles de participation
traduit-il un rejet des médiations politiques institutionnelles ?
Selon Van Deth (2014), on assiste à une expansion sans fin des modes
de participation politique liée notamment aux intentions des acteurs face
à laquelle il propose un cadre de définition actualisé. Cette expansion fait
que tout ou presque peut être désigné par le concept de participation
politique. La définition de la participation porte, en effet, à conséquence
quant au diagnostic opéré sur son extension ou bien son déclin dans les
démocraties établies. Ce cadre distingue quatre variantes de la
participation politique. Premièrement, la définition minimaliste repose
sur une conception institutionnelle qui met en avant l’activité civique et
volontaire dans les affaires publiques : voter, soutenir un candidat, être
membre d’un parti politique, être actif dans un budget participatif.
Deuxièmement, la participation politique ciblée sur des problèmes
publics qui prend une forme non-conventionnelle de protestation ou
d’activisme, par exemple pétitionner, manifester, peindre des slogans ou
prendre part à des « flash mob ». Troisièmement, la participation ciblée
sur la résolution de problèmes collectifs ou des communautés qui se
traduit par de l’engagement civique ou de la participation sociale sur la
base du volontariat pour modifier la vie collective de l’unité politique
considérée. Quatrièmement, la participation politique expressive ou
personnalisée renvoie à toute activité non-politique par des citoyens dans
le but d’exprimer leurs buts et leurs intentions. Cela peut prendre la
forme du consumérisme politique ; du boycott, du buycott, des suicides
publics. Cet effort de définition permet à Van Deth de produire une carte
conceptuelle où figurent les variantes, les types et formes de la
participation politique. On y voit que communication et participation
politiques sont consubstantielles qu’il s’agisse des formes
conventionnelles, non-conventionnelles ou expressives.
Il se pourrait que la médiatisation de la vie politique incite à l’action
non-conventionnelle par la visibilité immédiate du mécontentement
exprimé et ses conséquences sur la propagation du mouvement. Ces
pratiques ont un caractère plus spectaculaire qui correspond bien aux
exigences de la fabrication des informations par exemple en termes
d’images. Une « manif » sera toujours plus visuelle et dramatique et donc
un « sujet » qui « passera » mieux au journal télévisé qu’une négociation
dans un ministère ou l’accueil d’un chef d’État sur le perron de l’Élysée.
Comme l’écrit Etzioni (1979) à propos des États-Unis : « Le nombre de
manifestations dans la décennie (1948-1958) qui précède la télévision de
masse était beaucoup plus faible que dans la décennie suivante. (…) La
télévision a joué un rôle essentiel dans l’évolution de cette forme
particulière d’expression politique, dans son utilisation croissante et par
conséquent dans la création de la démocratie de manifestation ». Si l’on
suit ce raisonnement, les médias favoriseraient une désaffection de la
médiation politique à travers des acteurs institutionnels et partisans au
profit d’une expression et d’une action médiatisables. Inglehart (1997),
de même, soutient que les années 1980/1990 connaissent un
accroissement des activités de protestation dans les sociétés industrielles
avancées et que l’âge de la protestation n’est pas derrière nous. La
manifestation est une forme très répandue d’action collective à caractère
non-conventionnelle particulièrement en France (Fillieule et al., 2008).
Les organisateurs sont aujourd’hui vigilants quant à la programmation
de leur manifestation, comme les leaders politiques veillent à prononcer
leurs discours de sorte à ce qu’ils fassent l’objet d’une amplification
médiatique instantanée. On retrouve dans la manifestation comme mode
d’action collective la même exigence stratégique que nous avions
soulignée pour la communication présidentielle ou gouvernementale : la
logique du contrôle de l’information qui s’impose dans la stratégie de
communication des acteurs. Il faut être visible pour exister et surmonter
la terrible concurrence qui règne sur le marché des messages en
circulation. Pour atteindre son objectif de reconnaissance et de diffusion,
il faut que la couverture de l’évènement soit la plus conforme aux
objectifs de l’acteur individuel ou collectif qui cherche à parler (voice)
mais surtout à faire parler de lui dans des termes qui incitent le public à le
comprendre et si possible à le soutenir. Dans les deux cas, les médias sont
plus que des supports : ils sont des vecteurs de légitimation de la
revendication et du groupe qui l’émet parce qu’ils vont définir la
situation, construire une interprétation de l’évènement dont il est sûr
qu’elle aura une diffusion collective quelle que soit sa validité.
Le rapport aux médias varie avec la nature de la manifestation
(Champagne, 1990). Il est décisif pour une manifestation initiatrice qui
vise à installer une revendication dans l’agenda politique et à faire
reconnaître le groupe porteur comme interlocuteur légitime. La
manifestation routinière, par définition, est plus prévisible dans son
contenu et sa forme, ses porte-parole et ses rites. L’intervention des
médias est plus faible dans la mesure où pour reprendre l’analyse de P.
Favre (1990) « à la limite, la manifestation s’absorbe dans sa seule
expression communautaire : être entre soi, se donner le spectacle de sa
force, conforter l’image qu’on a de soi ». Dans la manifestation de crise,
enfin, « nul besoin d’attirer l’attention des médias, puisqu’ils ne peuvent
ignorer l’évènement, il s’impose à eux ».
Les mouvements de protestation locaux (Garraud, 1987) illustrent bien
le caractère stratégique de l’information. Il faut recueillir l’information
nécessaire pour exposer de façon crédible les revendications et
enclencher leur diffusion par des réunions, manifestations, pétitions,
contacts avec la presse. Par ces mêmes moyens de communication il faut
exercer une pression sur les autorités publiques. L’amplification de la
contestation qui résulte de sa couverture journalistique explique que
l’accès aux médias locaux et nationaux est une forme d’action
privilégiée. Elle s’accompagne d’une légitimation du mouvement par son
accession au statut de producteur d’évènement digne d’être rapporté.
Faire parler de soi, pour un mouvement de contestation locale comme
pour le président de la République, mais pas avec les mêmes moyens ni
les mêmes chances de succès, est devenu une condition de son influence.
La protestation débordant le cadre local motive aussi le discours
altermondialiste et ses porte-parole qui ont compris le parti à tirer des
processus de communication. Ainsi, lors du Forum social européen de
Florence de 2002, les « disobbedienti » ont créé un « laboratoire
permanent de la communication ». « Le thème de la communication est
central en Italie où l’un des plus importants éditeurs est aussi chef du
gouvernement » déclarent-ils (Le Monde, 09/12/03). « C’est un champ de
bataille, car la communication est un droit fondamental, au sein duquel
l’information fonctionne comme un outil puissant de contrôle social ».
Les rapports de la communication, de l’information et de la
protestation sont donc aujourd’hui beaucoup mieux connus qu’il y a une
vingtaine d’années. Les sociologues et politistes spécialistes de l’action
collective comme Fillieule (1993), Neveu (1996), Sommier (2003), ceux
réunis dans Réseaux (1999) ont multiplié les études de cas et
conceptualisé leurs résultats empiriques en s’appuyant sur les théories de
la mobilisation des ressources, des nouveaux mouvements sociaux ou des
approches interprétatives. Le mouvement social de décembre 1995 et la
« découverte du peuple » par les journalistes pour reprendre l’expression
de S. Lévêque, puis celui des chômeurs à l’hiver 97/98, la mobilisation
européenne contre la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde en 97 ont
donné lieu à des travaux qui ont tous souligné la contribution des médias
à la carrière des conflits sociaux. Les mobilisations altermondialistes
(Fillieule et al.)17 ou anti-racistes (Juhem)18 font progresser la
connaissance des mécanismes de cadrage de l’action collective tout en
posant la question de l’autonomie ou de l’hétéronomie des médias à
l’égard du champ politique. Aux contributions de B. Le Grignou, de P.
Lefébure et E. Lagneau et de J. Lafargue publiées dans « Les effets
d’information en politique » (Gerstlé, 2001), il faut aussi ajouter les
travaux de G. Garcia (2012) sur la médiatisation de l’exclusion des sans-
papiers, des sans-logis et des sans-emplois. Il convient, aussi, de revenir
sur la contribution de Th. Vedel à la même table ronde du VIe congrès de
l’AFSP qui était consacrée à la construction de l’agenda et aux stratégies
d’accès aux médias des groupes contestataires ou des mouvements
sociaux.
La formation de l’agenda politique
et les stratégies de visibilité
Le concept d’agenda politique s’applique aux niveaux étatique et local pour
désigner « l’ensemble des problèmes perçus comme appelant un débat
public, voire l’intervention des autorités politiques légitimes » (Padioleau,
1982). À ce sens politique large est venu s’ajouter un sens plus étroit qui
renvoie exclusivement à l’influence des médias sur l’agenda tel qu’il est
perçu par l’opinion publique. Pour qu’un problème s’inscrive dans l’agenda
politique, il faut, d’abord, que se fasse entendre une définition de la
situation comme problématique par des citoyens plus ou moins organisés ou
bien des responsables syndicaux, administratifs ou politiques. Il faut,
ensuite, que le problème révélé soit étiqueté comme appelant une décision
des autorités publiques. Définition de la situation et étiquetage sont des
concepts qui proviennent directement de la théorie sociologique de
l’interactionnisme symbolique. Pour Padioleau, « les problèmes de l’agenda
politique traduisent de façon continue des opérations de construction et de
reconstruction symboliques » notamment de la part des « entrepreneurs
politiques ». La carrière d’une controverse se décompose en quatre étapes
dans lesquelles les variables de communication changent de rôle. Les
phases d’émergence, de spécification et de diffusion sont marquées par la
lutte que se livrent les entrepreneurs politiques promoteurs ou adversaires
de la cause concernée. L’objectif des promoteurs est de propager leur
mouvement et de mobiliser le soutien de l’opinion. Il faut conquérir au-delà
des publics d’identification directement concernés, des publics de plus en
plus larges, publics attentifs au débat politique et social, publics intéressés
mais peu enclins à l’action, enfin le grand public qui est le plus difficile à
impliquer. Pour élargir cette audience, la communication est une variable
décisive dans la construction de l’agenda public. Elle est non moins
décisive pour l’entrée de l’enjeu sur l’agenda formel, c’est-à-dire l’ordre du
jour reconnu par les autorités publiques comme devant donner lieu à une
décision. La logique du nombre qui est à l’œuvre dans l’extension des
individus attentifs à une cause doit être visibilisée de façon spectaculaire
pour exercer la pression de l’opinion sur les décideurs. Les médias jouent
ici incontestablement un rôle de légitimation et de facilitation dans la
carrière de l’enjeu controversé.
Il faut auparavant rappeler que l’élaboration de l’agenda politique a
donné lieu à diverses conceptualisations. Pour simplifier, on a la version
américaine que l’on doit à Cobb et Elder (1972, 1976) et la version
française de Ph. Garraud (1990) qui sont très convergentes en dépit de
formulations particulières. Les auteurs américains distinguent le modèle
d’initiative extérieure qui correspond à la mobilisation de groupes
sociaux pressant les autorités publiques d’inscrire un problème à l’agenda
pour le « décider » ; le modèle descendant, qu’ils appellent mobilisation
car les décideurs cherchent à susciter l’assentiment public afin de mettre
en œuvre leur politique, constitue l’ordinaire de la communication
gouvernementale ; le modèle d’accès intérieur où des intérêts particuliers
s’efforcent d’accéder directement au centre de décision spécialisé pour
obtenir un bénéfice concentré alors que le coût sera diffus puisque payé
par la collectivité. James Wilson affirme notamment que les perceptions
des coûts et des bénéfices associés aux différents enjeux d’une
collectivité construisent les conflits politiques et, dès 1973, R. Bartlett
avance l’idée que la fabrication de l’information va peser sur les
perceptions et les politiques publiques. On comprend donc pourquoi ce
troisième modèle est un modèle « silencieux » selon Garraud : il ne faut
surtout pas éveiller l’attention des médias et de l’opinion publique. Il faut
noter que ce même auteur ajoute à cette typologie des modalités
« bruyantes » où les médias, notamment, tiennent un rôle décisif par la
visibilité qu’ils donnent soudainement à un problème qui va se publiciser
(catastrophe naturelle, risque technologique, évènement particulier, etc.).
De même, il tient compte d’une variété de mise à l’agenda où l’offre
politique joue le rôle central d’impulsion de l’agenda.
Aujourd’hui, l’analyse cognitive des politiques publiques19 a permis
de mettre en évidence différentes modalités de pression exercée par
l’information, la communication et d’une manière générale la gestion du
sens, qu’il s’agisse de référentiel (Jobert, Muller), de coalition de cause
(Sabatier), de récit de politique publique (Radaelli), de paradigme (Hall)
ou de discours (Schmidt). On conviendra que cette approche cognitive est
pertinente que le modèle soit bruyant ou silencieux : dans le premier cas,
le sens doit être acceptable pour le plus grand nombre, dans le second il
doit l’être au moins pour une « communauté épistémique » restreinte. Th.
Vedel remarque que la traditionnelle théorie du « gate-keeping »
(filtrage) des médias et ses multiples ajustements ne suffisent pas à
expliquer le processus d’élaboration de l’agenda et les stratégies d’accès
aux médias. L’inégalité est la règle et les sources légitimes, les sources
riches en information ou capables d’en produire à faible coût pour les
journalistes sont systématiquement privilégiées. Cela, l’écologie du
journalisme, qui s’intéresse aux relations entre les sources et les médias,
nous l’a confirmé empiriquement au moins depuis Sigal en 1973. Vedel,
s’appuyant sur les exemples de Greenpeace, Act Up Paris et Droit au
Logement, décrypte les stratégies alternatives des organisations moins
bien dotées. Qu’il s’agisse de défense de l’environnement, de droit au
logement ou de lutte contre le sida, de fortes ressemblances se font jour
entre les stratégies des trois associations à l’égard des médias. 1) Elles
« placent les médias au centre de leur stratégie de communication… (car)
ils sont perçus comme des instruments qu’on peut utiliser rationnellement
pour atteindre des buts précis ». 2) Pour être médiatisés, il faut être
médiatiques. À cet effet, « elles mettent en œuvre divers procédés ou
tactiques choisis délibérément de façon à capter l’attention des médias ».
La valeur d’une information peut être externe, lorsqu’elle peut avoir un
retentissement sur le déroulement du débat politique ou tout simplement
la vie des gens. Sa valeur interne s’apprécie en fonction de sa capacité à
être utilisée par les médias, à être conformes à leurs normes de sélection,
à leurs canons esthétiques, etc. Dès lors, trois stratégies d’accès aux
médias sont concevables inspirées par la trilogie d’Hirschman (exit,
voice, loyalty). La stratégie de conformation consiste à s’adapter aux
exigences des médias en formatant des messages acceptables par les
organes de diffusion massive. La stratégie de contestation refuse
d’utiliser les médias par crainte d’en renforcer la légitimité. Elle dénonce
les mécanismes de fabrication de l’information au risque de voir
l’organisation et sa cause marginalisées aux yeux du « grand public » du
fait de la sanction silencieuse des médias qui vont « trapper » les sujets
concernés. Enfin, la stratégie de contournement recourt à d’autres canaux
pour peser sur l’agenda et l’opinion. Aux espoirs déçus de l’avènement
des radios locales, fait place aujourd’hui internet comme nouveau moyen
de construire un espace public plus ouvert à la diversité des groupes
sociaux. Quoi qu’il en soit des solutions technologiques, ce sont, de toute
façon, les modalités de l’organisation du pouvoir politique qui
imposeront leur logique.
Communication et démocratisation
Un des défis majeurs posé par la communication et l’information à la démocratie est
son extension. La démocratisation est « l’inclusion progressive de groupes et
catégories divers dans la vie politique » écrit Dryzek20. Elle peut aussi « comprendre
l’extension des enjeux soumis au contrôle populaire ou bien une meilleure authenticité
de ce contrôle ». Nous avons vu que les auteurs s’accordaient à voir dans l’histoire des
âges de la communication politique depuis le XIXe siècle une inclusion croissante de
nouveaux citoyens. Au moins deux problèmes se révèlent décisifs pour penser la
communication politique en des termes compatibles avec les exigences des processus
de la démocratisation : d’une part la question de la compétence civique, de la
sophistication, de l’« awareness », peu importe le terme, c’est le concept qui compte.
Les citoyens doivent-ils disposer d’une compétence civique minimale pour faire
marcher le système démocratique et quelles doivent être les tâches des médias à cette
fin ? Il s’agit alors de l’inclusion quantitative de ceux qui ont accès à l’information
aussi bien que de l’extension qualitative des enjeux sous contrôle. D’autre part, le
processus de mondialisation, aux contours incertains, convoque rapidement, dans le
troisième âge de la communication politique, les moyens électroniques et notamment
ceux qui sont portés par l’internet avec, à l’horizon, la promesse ou le mythe de la
démocratie électronique (Hindman, 2008). En creux, est alors posée la question de la
démocratie locale et de ses conditions (l’interconnaissance sociale supplanterait-elle la
compétence civique ou bien des procédures garantissant l’information du citoyen
constituent-elles la solution ?) mais aussi au titre du rôle que la démocratie
électronique peut y jouer quand elle est couplée à la démocratie délibérative ou
participative comme alternative à la démocratie représentative.

L’idéal de la démocratie électronique


Parmi les différentes technologies mises en œuvre dans les campagnes électorales, le
recours aux pratiques liées à l’internet est typique de l’ère post-moderne. Selon Wojick
(2011), la notion de « démocratie électronique » renvoie à l’idée de développer la
participation politique à travers les réseaux électroniques, qu’il s’agisse pour les
citoyens d’échanger entre eux ou avec leurs représentants. Il s’agit donc d’une variété
d’initiatives, de dispositifs, de pratiques, reposant pour tout ou partie sur les
technologies de l’information et de la communication au travers desquelles
responsables politiques et institutions publiques affirment vouloir favoriser les
différentes dimensions (information – discussion – vote – contrôle) du processus
démocratique en régime représentatif… mais aussi l’ensemble des expériences
politiques mobilisant les TIC, à travers les prises de parole, individuelles ou
collectives, des citoyens non contraintes par les pouvoirs publics, et concourant de ce
fait à reconfigurer l’espace public traditionnel (Cardon, 2010) ».
Une littérature pléthorique est en train de se développer sur ce thème où les
données empiriques sont encore à l’état embryonnaire et il reste donc à échafauder
des scénarios pour le futur (Barber, 1998). Il est bien délicat de faire un point sur
une technique en plein essor à tous les niveaux et qui prétend devenir la nouvelle
forme dominante de la télé-socialité. Quelques auteurs s’y essayent comme P. Norris
(2001), qui s’efforce de raisonner précisément en termes de démocratisation
puisqu’elle constate l’explosion de la technique mais fait aussi le départ entre
l’aspect international, l’aspect social et l’aspect démocratique de la fracture
numérique. C’est incontestablement l’innovation la plus marquante depuis le début
des années 1990 dans les sociétés post-industrielles. Entre 1995 et 2000, on est passé
de 26 à 377 millions d’utilisateurs du web, la proportion d’Américains dans cet
effectif baissant dans le même temps de 70 % à 40 %. Ils ne représentent plus que
14 % en 2012 même si l’engagement en nombre d’heures est supérieur aux États-
Unis. En 2015, c’est plus de 3 milliards d’individus qui sont connectés à internet.
Comment imaginer que ce fait reste sans conséquence sur leur vie sociale et donc
politique ?
En 2000, sur 179 pays observés, les pays africains ont moins d’1 % de la
population en ligne (9 % en 2012), contre 50 % pour les pays scandinaves. Comme
la division mondiale, le fossé numérique social repose sur la distribution inégale de
l’accès aux ressources de toute nature, dont internet, et met directement en cause les
facteurs économiques qui rendent illusoires les politiques publiques de
développement de l’internet.
Tableau 6.5 – Utilisateurs d’internet dans le monde en 2015
Utilisateurs Utilisateurs Pénétration
Régions du Population Croissance
d’internet d’internet (dernières (%
monde (2015 Est.) 2000-2015
Dec. 31, 2000 données) Population)
Afrique 1 158 353 014 4 514 400 318 633 889 27,5 % 6,958.2 %
Asie 4 032 654 624 114 304 000 1,405 121 036 34,8 % 1,129.3 %
Europe 827 566 464 105 096 093 582 441 059 70,4 % 454.2 %
Moyen Orient 236 137 235 3 284 800 113 609 510 48,1 % 3,358.6 %
Amérique du
Nord 357 172 209 108 096 800 310 322 257 86,9 % 187.1 %
Amérique
latine/Caraïbes 615 583 127 18 068 919 322 422 164 52,4 % 1,684.4 %
Océanie/Australie 37 157 120 7 620 480 26 789 942 72,1 % 251.6 %
Total Monde 7 264 623 793 360 985 492 3 079 339 857 42,4 % 753.0 %

(Source : Internet World Stats, www.internetworldstats.com/stats.html)

Le fossé numérique n’est que le reflet des inégalités mondiales et nationales. Selon
Norris, le système politique virtuel est composé des ressources politiques en ligne
offertes par le gouvernement, le parlement, les partis, les médias et les groupes
civiques. Mais il profite surtout aux partis les plus faibles et aux organisations civiques
bien qu’internet se développe à partir de 1996 et soit aujourd’hui utilisé par tous dans
les campagnes électorales américaines (Bimber et al., 2003 ; Stromer-Galley, 2014).
Selon Mabi et al. (2014), trois thèses se dégagent de la littérature sur les rapports
entre web et politique sous l’angle de la participation politique. La thèse de la
normalisation consiste à minimiser les effets de renouvellement du web dans l’ordre
politique en observant que ce sont les plus compétents politiquement qui ont
tendance à investir davantage l’espace digital (cf. conclusions de l’enquête
Médiapolis ou bien Margolis21). Cette évaluation correspond à peu près au
diagnostic des cyber-réalistes. La thèse de la mobilisation consiste, au contraire, à
insister sur la capacité du web à attirer de nouveaux publics compte tenu de
l’anonymat, de la quantité, de la richesse, de la pertinence, de l’accessibilité de
l’information, etc. Cela correspond approximativement au discours des cyber-
optimistes. La thèse de la différenciation consiste à sortir des espaces militants
ordinaires et à sociologiser l’analyse des internautes pour mettre en évidence leurs
logiques de mobilisation en ligne au-delà des dispositifs techniques.
Selon Norris, les internautes tendent à s’engager davantage en politique ; à être
plus radicaux sur les questions sociales, plus conservateurs sur les questions
économiques et plus post-matérialistes que les autres. Le consensus existe selon
lequel c’est à l’internet que les partis politiques se sont le plus vite adaptés parmi les
innovations technologiques. Norris a analysé les sites ouverts par 39 % des 1 244
partis politiques dans 179 pays. Les plus représentés étaient les Verts (71 %) à
l’opposé des conservateurs (51 %). Programme électoral, historique du parti et
communiqués de presse constituent le menu essentiel des sites qui sous-emploient
les fonctions strictement interactives de l’internet. Le bilan que dirige F. Greffet en
2011 montre bien la « diversité des formes de cyberprésence des partis politiques ».
Au début des années 2000, les sites de campagne sont caractérisés par « une faible
exploitation des potentialités dialogiques d’internet ». En 2007, la fracture
numérique fait encore sentir ses effets et « ceux qui participent aux luttes politiques
en ligne restent une minorité, qui ne préfigure pas forcément une majorité à venir. »
Néanmoins, cinq enseignements majeurs semblent se dégager du bilan pour T. Vedel
(Greffet, 2011) : la faible influence de l’idéologie sur les pratiques du web que
semble confirmer l’étude comparative de Vaccari (2013) portant sur l’Allemagne,
l’Australie, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Italie, le Royaume-Uni ; l’internet
n’égalise pas l’accès à l’espace politique ; l’internet aboutit souvent à une
duplication électronique des pratiques politiques traditionnelles ; l’internet ne
semble que faiblement contribuer à un élargissement de l’espace public ; le web
politique demeure une sorte d’îlot qui ne parvient pas à se relier à l’espace politique.
Cette étude met aussi en évidence que l’internet est un catalyseur de la discussion
politique et donc favorise l’hybridation de l’information. En conclusion de leur
chapitre sur les pratiques informationnelles durant la campagne présidentielle de
2012, Koc Michalska et Vedel (2013)22 observent qu’« internet n’a pas, jusqu’à
présent revitalisé l’espace public, que ce soit en intégrant à celui-ci de nouveaux
groupes de population ou en facilitant un débat politique de meilleure qualité. »
Les espoirs qu’avait suscités l’émergence de l’internet concernant la
démocratisation de la vie politique semblent donc excessifs. Pour le moment, la
technologie ne semble pas avoir bouleversé ni l’offre politique ni la demande
(Ethuin, Lefebvre, 2002), ni les institutions centrales du gouvernement électronique,
ni en profondeur la communication partisane. « Politics as usual » publié par
Margolis et Resnick en 2000 est un titre assez évocateur à cet égard. C’est la
démocratie locale, les mouvements sociaux et les communautés citoyennes qui en
tirent le meilleur parti. Les mobilisations sont facilitées par les forums et moteurs de
recherche. Les coûts de coordination sont allégés et la vitesse de réaction des
groupes concernés est accélérée : « Internet pourrait favoriser, aux côtés des groupes
institués, l’émergence de nouvelles forces politiques ou sociales qui jusque là étaient
handicapées par l’absence d’appareil structuré (comme par exemple les
coordinations d’étudiants ou d’agriculteurs. » (Vedel, 2003b).
Cela attire rétrospectivement notre attention sur les promesses et les scénarios qui
ont pu être imaginés sur son impact. Le conditionnel est un mode souvent utilisé
dans le discours sur internet qui incite à penser que le registre prospectif reste
dominant, ouvert, encore, à toutes les espérances sur les potentialités de l’outil à
trois niveaux. Premièrement, en termes d’information où il paraît incomparable,
l’internet ne peut qu’améliorer la circulation de l’information qui est un ingrédient
central de la démocratie comme le rappelle D. Apter : « le système politique de la
démocratie est, en effet, un système d’informations. L’échange d’informations est
inhérent à tous les aspects de son fonctionnement. Dans une large mesure, la
démocratie tourne autour de la question de savoir comment créer, traiter et
transformer l’information ». L’axe de l’information est donc incontestable comme
voie de développement de l’internet parce qu’il est accepté par différentes théories
de la démocratie qui lui reconnaissent, cependant, des vocations plus ou moins
étendues. La fonction d’information semble ressortir d’ailleurs parmi les principales
utilisations politiques de l’internet lors de la campagne américaine de 2004 puisque
le tiers des électeurs américains soit 63 millions de personnes y ont cherché des
informations. Cette fonction d’information semble également ressortir de l’examen
des pratiques en France comme l’atteste la figure suivante :

Figure 6.1 – Engagement politique en ligne (en % de réponses)

(Source : KOC MICHALSKA K., et al., p. 63)23


Deuxièmement, en termes de discussion ou de débat, la controverse se renforce dans la
mesure où toutes les conceptions démocratiques ne font pas droit à l’exigence d’un
espace public dynamique tel que le conçoit Habermas dans Droit et Démocratie où la
notion de réseau est expressément associée à celle d’agenda. Néanmoins, comme le
souligne Vedel (2003a), l’internet est un espace de liberté et d’authenticité, qui
transcende les frontières et les obstacles socio-culturels et qui de ce fait favorise le lien
social et la mobilisation collective. Troisièmement, en termes de décision, il semble
que la démocratie électronique « redescende » au niveau local car la démocratie directe
paraît à beaucoup inconcevable lorsqu’est en jeu la démocratie au centre et non plus à
la périphérie.
Dès lors, à quels scénarios peut-on penser pour l’avenir de cette démocratie
électronique ? B. Barber, thuriféraire de la « démocratie forte », en discerne trois en
1998 incarnés par Pangloss, Pandore et Jefferson. Sans adhérer au déterminisme
technologique, Barber considère que nous allons vivre dans une société où la
technologie dominera de façon croissante, mais tout dépendra de l’usage que nous
en ferons. Les cyberoptimistes de Newt Gingrich jusqu’à Al Gore (initiateur des
autoroutes de l’information), pensent que la technologie sauvera le monde et ses
problèmes sociaux en minimisant ou ignorant tous les maux que les forces du
marché sont susceptibles de déchaîner par son usage privatif et commercial. Ils
favoriseront l’efficacité de l’entreprise, les communications des médias, et le
divertissement du consommateur de préférence à la communication civique ou
l’éducation politique. Il faut pourtant bien constater que toutes les privatisations de
la technologie se sont opérées aux États-Unis au profit de marchés étroits et
fragmentés voire au « colonialisme électronique » pour satisfaire la recherche du
profit et la subordination aux grands groupes de communication. « Le marché ne
fera rien pour utiliser la nouvelle technologie s’il ne peut en attendre des bénéfices
commerciaux, de divertissement ou pour les entreprises et, au pire, il le fera au
détriment de l’égalité et de la liberté ».
Pandore représente les cyberpessimistes qui envisagent les usages technologiques
à des fins de standardisation, de contrôle ou de répression. Le spectre de la société
de surveillance se substitue au mythe de la transparence. « Le potentiel de monopole
et de contrôle sur l’information et la communication, fait apparaître la nouvelle
technologie comme un dangereux adjuvant pour la tyrannie ».
Jefferson et son idéal de citoyen éclairé représente pour Barber le scénario à la
fois le moins probable et le plus désirable. Sa faisabilité lui paraît hors de doute et
son attrait lui semble évident lorsqu’il passe en revue toutes les potentialités de
l’outil. Il faut remédier aux insuffisances de la démocratie par plus de démocratie.
La solution ne réside ni dans le système représentatif, ni dans le modèle
plébiscitaire : elle est constituée par le choix pour la démocratie délibérative : « une
démocratie qui reflète le jugement attentif et prudent de citoyens qui participent en
délibérant dans des communautés auto-gouvernées ». Le problème posé par les
cyberoptimistes n’est pas leur incompréhension de la technologie mais leur
incompréhension de la démocratie elle-même. Autrement dit, c’est bien le politique
qui prévaut sur la technique. C’est bien le sens qui doit l’emporter sur l’instrument
comme nous le défendions au chapitre 2 en déconstruisant le mythe de la société de
l’information et les excès de la médiatisation du politique. Quoi qu’il en soit, il se
pourrait bien que le diagnostic de Dahlgren (2001) se révèle le plus pertinent :
« L’internet n’est pas en mesure de contrer le “grand retrait” à l’égard de la politique
traditionnelle, ni de procurer des alternatives extra-parlementaires de masse. Il ne
changera probablement pas les constellations actuelles de pouvoir, mais peut au
mieux faciliter l’émergence de contre-sphères publiques, tout autant qu’approfondir
et élargir la sphère publique traditionnelle dominante ».

Les ambigüités de la démocratie locale


Parmi les tendances caractéristiques du troisième âge de la communication politique,
Blumler et Kavanagh (1999) distinguent l’intensification de la professionnalisation,
l’accroissement de la compétition, l’émergence du populisme, et la diversification
centrifuge qui substitue la relation à une communauté ou une identité particulière à la
massification centripète du deuxième âge. Cette fragmentation de la communication
profite aux aspects locaux qui connaissent un développement important. On voit, par
exemple, le président américain satisfaire une stratégie de communication fondée sur le
« going local » pour établir son leadership, observée par Cohen (2009), qui vient se
substituer au « going public » de Kernell (1986). Mais si on souhaite montrer en quoi
la communication locale est une condition de la démocratisation du processus
politique, il est indispensable de concevoir la prééminence du politique sur le
communicationnel.
C’est sans doute au niveau local que l’impact d’internet sous-tendu par l’idée de
proximité et l’illusion du forum participatif s’est fait davantage sentir. Et pourtant
c’est là que le risque de désintermédiation, comme dit J.-M. Guéhenno, pourrait
paraître le plus élevé. En effet, l’analyse localisée du politique montre bien tout ce
que doit l’activité politique à la capillarité sociale et à l’interconnaissance. Il y a
donc ici comme un paradoxe entre ce succès relatif de la « net-politique » et la
réalité des réseaux sociaux de proximité. En 2009, 84 % des maires sont à la tête
d’une commune disposant d’un site Internet24. L’autre paradoxe est souligné par
Vedel quand il remarque que les NTIC sont supposées abolir les contraintes spatiales
et donc donner lieu à des projets de grande ampleur. Les villes numériques capturent
l’attention des chercheurs, qui restent pourtant très prudents sur les bouleversements
introduits. L’échelon municipal semble profiter bien plus que les autres de cette
reviviscence d’une mise en œuvre de la démocratie locale électronique. Le numéro
de la revue Hermès consacré en 2000 à www.democratie-locale.fr et celui de la
revue Sciences de la Société (2003) sur « Démocratie locale et internet » attestent
cette résurgence de l’intérêt pour le local dopé par internet.
La communication est tout autant consubstantiellle à l’activité politique locale
que nationale ou internationale mais les changements institutionnels récents ont
modifié sensiblement son rôle. Le maire a vu ses pouvoirs élargis, les conseillers
généraux et régionaux ont accédé au pouvoir exécutif, l’intercommunalité s’est
fortement développée. Ils doivent par conséquent faire face aux problèmes posés par
la communication d’exercice du pouvoir. P. Dauvin (2015) a particulièrement bien
mis en évidence les difficultés théoriques et pratiques que l’on rencontre dès qu’on
veut distinguer la communication des collectivités locales comme forme de
communication publique ou de communication politique. En effet, la personnalité
politique locale s’est faite entrepreneur et en tant que tel développe une rationalité
managériale dans laquelle s’intègre la communication comme l’a montré Le Bart25.
Pour l’élu local, le modèle du notable a cédé le pas devant le modèle du manager. À
propos du territoire local, on a pu distinguer avec M. Abélés (1989) l’espace de
gestion et l’espace de représentation. Tous deux sont justiciables d’une politique de
communication locale qu’il s’agisse de façonner l’image personnelle d’un élu, de
construire ou consolider l’identité du territoire notamment départemental et régional,
d’établir ou de consolider des réseaux de communication et d’information. Pour
analyser les contextes d’actualisation de la communication locale définis par le
concept de « politique de proximité » (Le Bart et al., 2005), il est impératif de tenir
compte des règles du jeu politique qui organisent les relations entre l’État et ses
territoires que P. Sadran26 décrit ainsi : « la surdétermination du local par le
national ; l’étroite articulation des arènes politiques locales et nationale ;
l’hégémonie reconnue à l’élite républicaine via la professionnalisation du métier
politique ». Au niveau local, on compte en France trois élections au suffrage direct
(municipales, départementales, régionales) et quatre niveaux de responsabilité si
l’on ajoute aux trois précédents le niveau de l’intercommunalité et pas moins de
530 000 élus. On comprend d’emblée toute la complexité du jeu politique
qu’organise un tel cadre juridique, ne serait-ce qu’en termes de perception pour les
électeurs des enjeux politiques et en termes d’instrumentalisation au plan national
des résultats locaux. La figure du maire si prisée dans l’opinion publique concentre
cette ambiguïté puisqu’il est en même temps le chef de la majorité municipale, le
chef de l’administration et le président du conseil municipal.
Certes, les supports de la communication locale se sont modernisés depuis le
tambour de ville qui assurait la coïncidence de la parole d’État et de la parole locale
(Noel, 1983). Du bulletin municipal au journal électronique, de l’affichage à la
télématique puis à l’internet avec ces points d’accès publics, de la vidéo aux radios
et télévisions locales, etc. tous les instruments de la boîte à outils de communication
sont utilisables. Mais les acteurs de la communication locale que sont les services
publics, les élus, les groupes politiques et associatifs, les médias et les citoyens
entretiennent des relations qu’une conception harmoniste souhaite toujours placer
sous l’égide de la coopération, mais dont les échanges réels sont souvent plus
proches de l’interaction stratégique. La multiplication des espaces publics
numériques ne suffira vraisemblablement pas à l’instauration d’une démocratie
locale pleine et entière. L’information n’est, en effet, pas une denrée neutre mais sa
détention, sa rétention, sa circulation, en un mot les stratégies mises en œuvre par les
décideurs et ceux qui aspirent à les remplacer structurent le pouvoir local. Pour J.
Lagroye (1980), « on ne saurait en déduire que l’information donne le pouvoir (…).
Elle fonctionne plutôt comme le “signe” de l’appartenance, comme indicateur d’une
position privilégiée. » On ne saurait mieux dire, au-delà d’une approche formelle et
décisionnelle du pouvoir, la valeur réputationnelle de la manipulation de
l’information. Le mécanisme de la « régulation croisée » qui désigne
l’interpénétration de l’administration locale et des élus et leur contrôle mutuel était
une autre manifestation de ces interactions. De même qu’ailleurs mais un peu plus
tardivement la communication locale s’est professionnalisée et le recours aux
conseils en communication est aujourd’hui largement répandu pour seconder le
travail des structures spécialisées internes aux collectivités territoriales imposées par
l’évolution vers le modèle de l’édile-manager (J.-B. Legavre, 1989). Les bulletins
municipaux font leur apparition dans les années 1960. Dix ans plus tard sont créés
les premiers services d’information dans les grandes villes. Les années 1980 sont
celles de leur généralisation, de leur modernisation, de leur renforcement en effectifs
et moyens financiers et de leur extension à de nouvelles collectivités. Les années
1990 sont celles de la relance par la « netpolitique ». Cependant, dès 1985,
Langenieux-Villard remarquait déjà que l’information municipale prend trois formes
essentielles selon que la municipalité, conseille, informe le public ou active la
démocratie. Pour d’autres, la communication municipale s’élargit en prenant un
caractère civique lorsqu’elle diffuse la connaissance des institutions et de leur
fonctionnement. Elle se fait exécutive lorsqu’elle touche aux décisions, à leur
élaboration et leur explication. Elle devient communication de service lorsqu’elle
facilite l’accès du public aux services offerts par la municipalité, les administrations
et les associations. La communication municipale se fait relationnelle lorsqu’au-delà
de l’information, elle assure l’accueil et l’écoute des individus et qu’elle répond à
leurs demandes. Enfin, outre sa propre communication interne, la municipalité prend
en charge la communication institutionnelle qui promeut l’image de la collectivité.
La traduction pratique de ce travail consisterait à organiser l’information, consulter
la population, dialoguer avec les associations et de rendre la mairie plus
transparente27. Ce tableau un peu idéal s’est trouvé mieux achevé ici que là à en
croire les différents modèles de ville numérique.
En revanche, au plan local, la diffusion des techniques, la croyance dans
l’avènement de la société informationnelle, la redistribution des compétences et des
moyens par la mise en œuvre des différentes vagues de décentralisation permettent
l’éclosion d’un authentique marché de la communication locale, qui va néanmoins
être limité par les regroupements de régions et la suppression programmée des
départements. Le principe selon lequel la technique autorise le partage du pouvoir et
du savoir constitue la composante égalitariste du mythe de la société de
communication. Comme la décentralisation initiale a consolidé le poids de l’exécutif
local dominé par de grands notables locaux, la modernisation de la communication
locale peut renforcer la position des détenteurs de pouvoir institutionnel. On peut
penser qu’au niveau local joue, au moins autant qu’au niveau national, la position de
pouvoir comme facteur déterminant des stratégies de communication. En effet, la
communication institutionnelle des collectivités est contrôlée par le détenteur du
pouvoir qui peut ainsi en user pour faire connaître et valoir son action. « La
communication comme faire-valoir des élus, la médiatisation de leur action, l’effort
pour améliorer leur image de marque, la construction et l’amélioration de locaux, le
choix de logos et de slogans ; les brochures qui exposent ce qui est fait en matière
d’action sociale témoignent de l’omnipotence de l’exécutif dans la commune, le
département ou la région » (Raséra, 2002). La loi du 15 janvier 1990 a voulu faire
pièce à cette tentation puisqu’elle interdit pendant six mois avant des élections
générales les campagnes de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion
d’une collectivité. De plus, le contrôle de l’agenda médiatique est plus aisé sur la
scène locale du fait de la fréquente faiblesse de la concurrence entre médias locaux,
d’une part, et de la plus grande fragilité des structures politiques, d’autre part
(Frisque28).
Au niveau local comme au niveau national, l’information revêt une importance
capitale dans la formation des enjeux, des images, des identités politiques. Certes
32 % des Français lisent un quotidien régional contre 38 % onze ans plus tôt selon
Donnat (2009). Mais on aurait tort de trop sous-estimer l’impact politique de ces
médias au motif que les médias audiovisuels ont accompli la nationalisation de
l’information. On sait notamment que les médias locaux sont principalement
appréciés pour leur fonction de reliance sociale, c’est-à-dire leur capacité à
permettre la surveillance de l’environnement proche. Ils constituent donc des
instruments importants de construction de la réalité politique locale par la
visibilisation inégale des acteurs et forces politiques en compétition, par la
hiérarchisation permanente de l’information et l’installation de l’agenda public
local. L’enquête INSEE de 2000 confirme que le lectorat régional de la presse
d’information générale a mieux résisté au déclin depuis 1985 que celui de la presse
nationale : « les lecteurs fidèles sont trois à quatre fois plus nombreux pour les
journaux régionaux que pour les journaux nationaux ». Il ne faudrait certainement
pas sous-estimer l’impact de l’ensemble des médias à portée locale en France
surtout quand on garde à l’esprit le pourcentage des internautes indiqués plus haut.
Si l’on ajoute à ce contrôle direct ou indirect des ressources de communication
qui existent au niveau de la ville, du département, de la circonscription et de la
région, la pratique du cumul des mandats29, la communication politique locale
devient vite une figure potentielle de ce que l’on a appelé un « modèle oligarchique
imbriqué ». Au total, la communication locale contrôlée par les élus présente
certaines caractéristiques qui la rapprochent de la communication sur le marché
politique central. Les principes de cohérence globale et d’acceptabilité sociale d’une
communication politique sont des principes généraux qui valent au centre et à la
périphérie. Observer qu’un maire joue dans la présentation de lui-même sur quatre
registres symboliques (politique, proximité sociale, compétence, valeurs locales) qui
doivent converger vers une représentation légitime du rôle30, c’est énoncer une
stratégie dont la logique est analogue à celle des campagnes nationales dans les
principes de cohérence et d’acceptabilité. En termes de communication, cependant,
la différence essentielle tient au second registre, c’est-à-dire aux ressources
spécifiques qui sont liées à la proximité, la familiarité, l’interconnaissance et ses
expansions dans les réseaux sociaux (Le Bart, et al., 2005) alors que la
communication du marché politique central est de plus en plus médiatisée.
Comme l’exprimait sur un mode prospectif le rapport du Conseil Économique et
Social de 1991 : « Il n’est pas exclu que ces mutations servent à mieux animer le
tissu social, à enrichir la vie locale, à faciliter l’exercice d’une citoyenneté plus
active. Mais il ne s’agit pas d’un effet mécanique : il y faudra la volonté politique, la
conscience des enjeux, la mise en place de programmes, de structures et de lieux
spécifiques pour que la société médiatique évite ses dérives possibles, et que les
citoyens s’approprient les outils modernes de la communication locale. » Il
paraissait déjà imprudent de croire que l’implantation de nouvelles techniques de
communication allait automatiquement générer de la démocratie locale, et
l’émergence d’internet dans un contexte d’incertitude et de reflux du politique
associée au manque de recul sur les retombées socio-politiques de l’outil rendent les
pronostics difficiles voire hasardeux.
Depuis la première décentralisation des lois Defferre, le renouveau de l’intérêt
pour le local est perceptible et l’internet vient donner un deuxième souffle à ce que
la réforme institutionnelle a initié. En effet, le local en France est, dès cette époque,
lui aussi saisi par la communication. Deux mouvements convergent pour assurer cet
essor : l’explosion des technologies de la communication qui n’épargne aucun
territoire31 et la volonté politique de décentraliser qui se concrétise dans les lois de
1982 ouvrant le « cycle Defferre » pour parler comme P. Sadran. Ces lois ont, en
effet, favorisé un regain d’intérêt pour les territoires politiques infra-nationaux
comme le département et la commune alors qu’en 1986 avait lieu la première
élection des conseillers régionaux au suffrage direct. Le mouvement de réforme
institutionnelle de la décentralisation se prolonge dans quelques temps forts à
caractère législatif : la loi de 1992 qui traite de la déconcentration des services de
l’État, la loi de 1999 sur l’intercommunalité, la loi constitutionnelle de 2003 qui
affirme que l’organisation de la République est décentralisée (le cycle Raffarin), les
lois de réforme des collectivités territoriales de 2010, de nouvelle délimitation des
régions de 2014 et pour finir (provisoirement) avec la « nouvelle organisation
territoriale de la République » portant sur la répartition des compétences et la
configuration générale des collectivités de juillet 2015. Outre le renforcement des
intercommunalités, la loi NOTRe assure la prééminence de la région qui va se
vérifier au détriment du département notamment en matière économique et dans les
politiques de l’emploi, des transports scolaires et des transports interurbains. Par
ailleurs, la loi de février 2014 met fin à partir de 2017 au cumul des fonctions
exécutives locales avec le mandat de député, de sénateur et de représentant au
Parlement européen. On mesure l’importance de cette réforme quand on rappelle
que les trois quarts des parlementaires nationaux exercent encore une fonction
exécutive locale et « la place déterminante que le système du cumul occupe dans
l’articulation des arènes politiques locales et nationale, la professionnalisation
politique et la construction des carrières, et l’accumulation du capital de notoriété et
d’influence au profit d’une oligarchie élective » selon P. Sadran. Même si ce n’est
pas la fin du cumul car « la recherche de la multipositionalité optimale peut se
poursuivre », on sort quand même du sentier de dépendance antérieur. Gageons que
l’information médiatique sera décisive pour la consécration des nouvelles
compétences des collectivités et pour la promotion de l’interterritorialité qui apparaît
comme le nouvel enjeu de la réforme territoriale. Au total, « le “local” n’est pas la
démocratie rêvée qu’évoque la rhétorique de la proximité et la décentralisation n’a
pas eu la vertu régénératrice que beaucoup lui prêtaient » selon P. Sadran. Toutefois,
les dernières réformes lui paraissent porter « un programme cohérent de refondation
de l’organisation territoriale de la République » caractérisé par « un changement
d’échelle du cadre de l’action publique, une diversification des territoires et une
adaptation de leur gouvernance ».

Les défis de la démocratie délibérative


Il ne tient pas au hasard ni à la technologie que les problèmes évoqués dans ce dernier
chapitre tournent continuellement autour des mêmes concepts : information,
consultation, participation. On comprend bien avec eux que le centre du débat sur la
communication politique n’est pas autour des tuyaux mais se trouve dans les relations
qui se nouent entre citoyens et décideurs. Les problèmes ne sont pas structurels mais
pragmatiques. Démocratie électronique, démocratie locale, démocratie délibérative ou
dialogique, les mêmes repères reviennent pour graduer l’échelle de la démocratisation
de la communication.

Les principes de la démocratie délibérative

La théorie démocratique a pris, au tournant du XXIe siècle, une orientation délibérative


marquée qui doit être associée à l’approche dialogique comme nous l’avons examinée
au chapitre 1. Un nombre très élevé d’auteurs se recommandent aujourd’hui de la
démocratie délibérative qu’ils travaillent dans le secteur du droit public, des relations
internationales, des politiques publiques, de la recherche empirique ou sur la politique
des identités selon S. Chambers (2003). « À peu près tout le monde s’en recommande
peu ou prou » au point que L. Blondiaux (2008) voit dans la démocratie participative
« le nouvel esprit de la démocratie ». C’est là une affirmation qui peut surprendre le
politiste français, moins enclin à de tels élans, mais tout de même sensible à certains
aspects au moins pratiques de la délibération. Pour Simone Chambers, la démocratie
délibérative ne doit pas être confondue avec la démocratie directe, mais se conçoit
davantage comme un prolongement de la démocratie représentative qui se caractérise
par certains éléments particuliers. Elle prétend à un meilleur traitement du pluralisme
que les modèles agrégatifs de la démocratie. S’écartant des postulats individualistes et
économiques, elle préconise une démocratie de discussion où l’on rend réellement des
comptes. Centrée sur la parole et non sur le vote, la démocratie délibérative se focalise
sur les processus de communication qui participent à la formation de l’opinion et de la
volonté. Des distinctions sont nécessaires entre les différents types de parole que
représentent la délibération, la négociation et la rhétorique. « Généralement, la
délibération est le débat et la discussion orientés vers la formation raisonnable,
d’opinions bien informées grâce auxquelles des participants souhaitent réviser leurs
préférences à la lumière de la discussion, d’une information nouvelle et des discours
des autres participants ». Bien que le consensus ne soit pas requis, existe un intérêt
dominant pour la légitimité des résultats. Ainsi grossièrement délimitée, la théorie de
la démocratie délibérative peut aborder une quantité de problèmes qui traversent les
domaines précités et porte à conséquence dans les règlements d’ordre pratique
apportés. Avant d’y venir, remarquons combien le « tournant délibératif » apparaît,
avec le recul, comme la conséquence politique logique du « tournant linguistique »
dans les sciences humaines et sociales.
Dans le domaine des politiques publiques, par exemple, la démocratie délibérative
a permis de réfléchir aux aspects procéduraux pour choisir et développer certaines
actions ; mais elle a également utilisé ce type de modèle pour parvenir à des résultats
substantiels dans de nombreux secteurs d’activité. Nous verrons plus loin quelques
technologies qui correspondent au premier aspect. Quatre buts principaux sont visés
s’agissant de la mise en œuvre des forums délibératifs : 1) argumenter de façon
légitime, responsable et coopérative ; 2) encourager, par la coopération, une
représentation des enjeux inspirée par l’intérêt public ; 3) promouvoir le respect
mutuel entre les parties prenantes au débat grâce à l’inclusion et la civilité ; 4)
améliorer la qualité de la décision et des opinions à travers le débat informé et
substantiel. D’autre part, même si dans la démocratie délibérative le but principal
n’est pas l’obtention d’un résultat substantiel, elle est un instrument qui permet de
déterminer ce sur quoi les participants vont tomber d’accord.
Le second domaine considéré, celui des recherches empiriques, nous rapproche
des problèmes traités dans cet ouvrage concernant la formation des opinions et des
préférences. Un postulat de la délibération est que les préférences sont endogènes à
la discussion politique et ceci pose de nombreux problèmes quant à la réactivité des
gouvernants, notamment sur le point de savoir s’il existe des préférences
authentiques, c’est-à-dire exogènes. La promotion de la tolérance, de la
compréhension entre les groupes et d’une solution publique aux controverses
paraissent aux théoriciens de la délibération des objectifs supérieurs à la recherche
du consensus. Trois catégories de recherches empiriques ont été développées dans
cette direction : la première sur l’opinion publique, la conduite des jurys, la
psychosociologie ; la deuxième orientée vers l’expérimentation des formes,
principes, etc. de la délibération ; la troisième plaçant sous observation des cas réels
comme tests de la théorie elle-même.

Les technologies politiques de la démocratie participative

L’importance de la dimension cognitive de la communication délibérative est attestée


par le développement de technologies ou dispositifs d’information inspirés par l’idée
de citoyenneté comme les sondages délibératifs, les questionnaires de choix ou les
conférences de consensus. Ces pratiques plus ou moins institutionnalisées reposent
largement sur le partage de la connaissance ou sa diffusion pour stimuler l’échange et
donner à la démocratie un tour plus délibératif (Blondiaux et al., 2002). Il n’est pas
possible de dresser ici un tableau de toutes ces pratiques émergentes, mais seulement
d’en évoquer l’existence pour montrer que l’effervescence de la réflexion et l’intensité
des pratiques ouvrent des voies alternatives aux modèles traditionnels de prise de
décision.
De l’information, il a largement été question dans les chapitres qui précèdent bien
qu’elle ait été abordée davantage au niveau national que local. De fait, on n’a pas
évoqué l’accès aux décisions des autorités locales ni la communication des
documents de la gestion locale aux citoyens, ni les obligations d’information
sectorielle (risques, marchés publics, environnement, santé, etc.) (Lascoumes, 2001).
Depuis une quinzaine d’années, un incontestable renouveau se fait jour dans les
modes de délibération mis à contribution pour épauler la gestion publique. Les
contours et les pouvoirs en sont variables, mais le principe actif de l’association de
parties prenantes autres que la puissance publique et les experts est permanent.
D’abord, il y eut l’information : « Des commissions locales d’information (CLI)
plus proches d’un modèle délibératif ont été mises en place auprès des laboratoires
préfigurant les sites d’enfouissement des déchets nucléaires (loi du 30 décembre
1991) et en matière de déchets industriels (loi du 29 décembre 1993), elles sont
obligatoires pour les sites de conservation des “déchets ultimes” ou sur demande
(des élus, des populations ou de l’administration) dans les autres cas. On peut classer
dans le même modèle les commissions consultatives auprès des aérodromes (loi du
21 mai 1987), les commissions locales de l’eau (loi du 3 janvier 1992) et les
commissions départementales des carrières (loi du 4 janvier 1993) ». Puis, ont été
mis en place le Comité national d’éthique (1983), la Commission de la nationalité
(1987), les États généraux de la sécurité sociale (1987), le Conseil national du sida
(1989), le Haut conseil à l’intégration, la Commission nationale du débat public
(1997), les États généraux de la santé (1998-1999).
Les dispositifs participatifs sont très hétérogènes : référendums ou consultations
(conseils de quartier, de développement, de jeunes…), ou délibérations (conférences
de consensus, débats publics, sondages délibératifs, questionnaires de choix) ou
prise de décision (budget participatif). Ces dispositifs constituent pour des citoyens
ordinaires « des temps de mise en examen discursive, pluraliste et publique des
choix collectifs »32 À travers le référendum local, U. Windisch33 indique que les
citoyens suisses sont appelés à se prononcer environ quatre ou cinq fois par an, sur
un total d’une quinzaine de sujets de l’actualité politique. La votation populaire
permet aux citoyens de donner leur avis « (en votant par oui ou par non) sur trois à
quatre problèmes d’intérêt national, auxquels s’ajoutent quelques autres relevant des
cantons et communes. Ce système référendaire repose sur l’initiative populaire et le
référendum qui permettent à une minorité, respectivement 100 000 citoyens dans le
cas de l’initiative populaire et 50 000 dans le cas du référendum, d’obliger
l’ensemble du pays à s’intéresser à ce qui la préoccupe ». Avec Y. Papadopoulos
(1998), il faut bien en rabattre un peu lorsqu’on lit que « la démocratie référendaire
ne remédie pas au déficit délibératif ». Réponses binaires aux questions posées,
acceptation ou rejet en bloc de propositions, manipulation démagogique, risque
d’atteintes aux droits des minorités ont de quoi freiner l’engouement pour la
démocratie référendaire classique. Le référendum local décisionnel prévu par la loi
constitutionnelle d’organisation décentralisée de la République instaure, entre autres,
un droit de pétition permettant aux électeurs d’obtenir l’inscription d’un problème à
l’ordre du jour d’une assemblée locale. Mais comme P. Sadran34 le note, la portée
participative de cette modification du droit positif se trouve réduite par le fait que les
citoyens peuvent « demander » sans être certains de l’« obtenir ».
D. Boy (2003) classe les modes de délibération selon l’aire concernée
(national/local), le caractère public ou privé de la consultation ainsi que le critère
agrégatif (référendum, consultation publique, sondages)/délibératif (focus group) ou
mixte (sondage délibératif) de la procédure. La délibération nationale est indirecte
comme dans les comités intégrant des représentants de la société civile ; elle est
directe dans le cas des conférences de consensus. La délibération locale est directe
lorsqu’elle fait appel aux représentants de la société civile (type CLI). Elle est
indirecte dans le cas des enquêtes d’utilité publique ou des citizen juries d’origine
allemande et américaine (Donnet-Kamel, in Vallemont, 2001). Elle est mixte avec
les comités de quartier et les commissions particulières de la Commission Nationale
du Débat Public. De longue date, des expériences de comités de quartier ont été
mises en place. Comme le conclut L. Blondiaux à propos des conseils de quartiers
dans un arrondissement parisien (in Curapp, 1999). « Les conseils de quartier s’y
présentent comme des institutions inachevées : il s’agit d’institutions représentatives
qui n’opèrent pas de véritable délégation ; d’institutions délibératives qui
n’autorisent pas vraiment le conflit ; d’institutions participatives, enfin qui ne
transfèrent guère d’autre pouvoir que celui (essentiel cependant) de la parole. »
C’est justement sur la prise de parole observable dans cette expérience qu’il
s’interroge sur les modalités de la « démocratie par le bas » (Hermès, 2000). Le
rapport Mauroy présenté en 2000 a préparé la loi sur la « démocratie de proximité »
adoptée en 2002 qui est apparue à certains comme « relativement frileuse » (Raséra,
2002).
La conférence publique de consensus, née au Danemark, connaît un
développement mondial. Introduite en France dans les années 1990, elle est devenue
une pratique répandue. La France a organisé une telle conférence sur « les
organismes génétiquement modifiés dans l’alimentation et l’agriculture » en
juin 1998 (Bourg et al., 2005). Le principe de la conférence de consensus, quant à
lui, repose sur la sélection d’un panel de citoyens que l’on va informer longuement
puis auxquels on demande de formuler des questions concernant le problème et de
préciser le type d’experts à entendre. Au cours de la conférence qui dure un jour et
demi, les profanes mènent le débat en public. Après réunion à huis clos, les profanes
rédigent collectivement un avis motivé qui est diffusé. Le processus long (plusieurs
mois) et coûteux explique l’application première de la procédure à des enjeux
nationaux. L’application française qui a retenu l’appellation de « conférence de
citoyens » s’est faite en deux week-ends de formation sous la direction d’un comité
de pilotage plus ou moins contrôlé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et techniques. La relation aux médias constitue un point important du
dispositif en amont (pour éviter les campagnes de pression) comme en aval de la
conférence (pour la diffusion de ses conclusions). Avec le questionnaire de choix
(Bütschi, 1999), un sondage classique est réalisé sur un problème donné qui précède
l’envoi d’une information contradictoire élaborée par les parties prenantes. On
procède, ensuite, à une nouvelle interrogation de l’échantillon.
Créée en 1995, la Commission Nationale du Débat Public ne concerne que les
projets locaux susceptibles de détériorer l’environnement. Depuis 2002, elle est
devenue une autorité administrative indépendante qui consacre sa légitimité,
augmente ses moyens et intensifie son activité à une vingtaine de débats annuels qui
pourront sortir du cadre local. Elle constitue une expérience originale de démocratie
participative (Revel et al., 2007). Certes, tous ces dispositifs peuvent faire l’objet
d’instrumentalisation ou bien être ignorés par les élus qui « ne croient pas réellement
à la démocratie participative » selon P. Sadran ou bien susciter « la désaffection de la
part du public lassé – hors période électorale – par le peu de portée des débats ».
Au total, comme le rappelle P. Lascoumes, « il est nécessaire de rompre avec un
schéma qui assimile automatiquement soit l’information-participation à la
démocratie, soit l’information-communication à une manipulation légitimante. »
Mais le risque existe que « la mise en public des données de l’action publique (ne
soit) qu’un nouveau rituel de légitimation » sans renouveler les pratiques
délibératives en modifiant les conditions du débat, l’argumentation des politiques,
celle des experts et des profanes, ainsi que les ressources participatives des citoyens.
Bref que le « dialogisme des procédures » reste douteux. « Tous les acteurs sociaux
ne disposent pas d’un accès équivalent à la compréhension et à l’expression. Donner
la parole ne signifie pas que tous les acteurs sociaux sont aptes à la saisir, c’est-à-
dire disposent de compétences et de statuts équivalents les autorisant à s’en emparer
et à l’utiliser de façon efficace. La prise de parole est une compétence bien
spécifique et inégalement répartie, ce que les approches libérales veulent ignorer.
Comme toute autre, la pratique de l’expression démocratique suppose apprentissage
et légitimité. C’est pourquoi les différentes formes de “consultation du public” sont
marquées par de profondes ambiguïtés qui, progressivement, au vu des pratiques se
voient levées ou confirmées. »

Le problème de la compétence civique

C. B. Macpherson, fervent participationniste, affirme qu’« on peut difficilement


attendre de la moyenne des citoyens qu’ils soient en mesure de fournir des réponses
aux questions qui justement pourraient servir de directives précises ». Qu’on en appelle
à la démocratie électronique, la démocratie locale ou à la démocratie délibérative, la
compétence civique est directement impliquée dans le processus de démocratisation et
de développement de la démocratie participative. L’une des technologies politiques
évoquées est particulièrement éloquente à cet égard, il s’agit du sondage délibératif de
Fishkin (1997) et Luskin qui, à l’instar des conférences de consensus ou des
questionnaires de choix, implique l’information et la formation des citoyens.
En quoi tout ceci concerne-t-il le problème de la communication et de
l’information politiques ? Tout simplement, en montrant que la distribution de la
connaissance, de l’information n’est pas étrangère aux comportements des citoyens.
Certes, il est nécessaire d’élargir la notion de compétence politique à ses dimensions
pratiques35, mais cela n’éliminera pas pour autant ses dimensions cognitives. En
2002, 18 sondages délibératifs avaient eu lieu aux États-Unis, au Royaume-Uni, en
Australie et au Danemark sur des sujets d’intérêt national comme la politique
criminelle, le rôle de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, l’avenir du
service national de santé, etc. Aujourd’hui, c’est plus de trente sondages délibératifs
qui ont été effectués dont dix-sept aux États-Unis et six en Grande-Bretagne et
même jusqu’en Chine. Certains sondages ont été d’ampleur régionale notamment
sur la politique scolaire. Les changements de préférences repérés dans les sondages
sont très nets et constituent un argument empirique incontestable en faveur de
l’information et de sa qualité, en faveur de la discussion collective, en faveur de la
sophistication, comme la nomme Luskin, ou de la compétence civique selon H.
Milner (2004) comme facteurs lourds dans la formation des préférences de politique
publique. Les pays scandinaves ont un haut niveau de compétence politique, de
niveau éducatif et une consommation de médias à niveau culturel plus élevé, c’est-à-
dire notamment avec moins de publicité. La compétence civique élevée
s’accompagne d’investissements importants dans le secteur public audiovisuel, de
subventions à la presse quotidienne et périodique. Selon Milner (page 173), les
sociétés démocratiques qui distribuent de façon égalitaire les ressources
intellectuelles parviennent à de meilleurs taux de participation électorale,
notamment au niveau local. La réactivité des gouvernants à un électorat participatif
est supérieure, ce qui permet d’entrevoir un autre « cercle vertueux » que celui de P.
Norris. Les sociétés qui distribuent mieux les ressources intellectuelles distribuent
mieux aussi finalement les ressources matérielles, parce qu’elles permettent le
développement de la compétence civique et des préférences électorales qui
soutiennent cette politique. Les bénéfices de la compétence civique, au-delà de la
participation, se font sentir sur les politiques publiques combinant équité et efficacité
pour la croissance économique. Dès lors, les citoyens sont incités de façon
rétroactive à soutenir les programmes qui favorisent le développement de la
compétence civique.
Un sondage délibératif, façon Fishkin et Luskin (2005), est destiné à mettre en
évidence ce que le public pourrait penser s’il était en mesure de le faire grâce à une
information satisfaisante sur un sujet donné. En somme, on rejoint la proposition de
J. Zaller selon laquelle la domination des élites est fondée sur « le soutien du public
à des opinions qu’il n’aurait pas admises s’il avait reçu la meilleure information et la
meilleure analyse disponibles ». Comment est organisé un sondage délibératif ? Il
suppose un échantillon aléatoire d’électeurs qu’on interroge sur un problème donné.
Il reçoit une documentation équilibrée en termes de positions possibles dans la
controverse. Les membres de l’échantillon sont ensuite réunis pendant plusieurs
jours pour discuter en petits groupes tirés au hasard qui sélectionnent des questions
posées à un panel bien équilibré d’experts en action publique et de leaders
politiques. Ils sont enfin ré-interrogés de la même manière qu’au début.
Accessoirement, il est possible de tirer une émission de télévision de cet ensemble
de séquences (Luskin, et al., 2002). Ce dispositif quasi-expérimental permet de
saisir les préférences collectives non comme elles sont, mais comme elles seraient si
l’information et la réflexion avaient été optimales. Les résultats obtenus par les
sondages délibératifs montrent, sans nier l’existence de réactions postérieures à la
réception du message, qu’il existe des prédispositions cognitives importantes et que
le fait même de discuter est de nature à faire changer d’avis et donc susceptible de
favoriser l’implication politique, de faire pièce aux sentiments antipolitiques de ceux
qui se sentent dépossédés de compétence politique (Gaxie, 2002, 2007 ou Bennett,
1997). Est-ce à dire que les acteurs en charge de la production et de la diffusion des
biens d’information ne sont pas à la hauteur de la tâche pour émanciper les citoyens
aliénés ? Les médias ne font leur travail d’information politique que médiocrement
et de façon orientée. Nous en avons expliqué les mécanismes et relaté quelques
épisodes électoraux. Les gouvernants cherchent souvent à éluder ou transférer le
poids de leur responsabilité. Les citoyens eux-mêmes, pas encore convaincus des
mérites de la démocratie délibérative, peuvent rechercher l’information dont
l’acquisition est la moins coûteuse et souvent la plus biaisée.
Les entrepreneurs politiques dans le cadre de la démocratie représentative n’ont
pas nécessairement intérêt à concevoir leur campagne en termes de dialogue avec
leurs adversaires. Dans le meilleur des cas, ceci correspond à une stratégie
électorale. Différentes écoles d’explication du vote, et non des moindres,
acquiescent sur l’inopportunité de la campagne dialogique. Le modèle de Michigan
pousse l’électeur dans le « tunnel de causalité » où son identification partisane va lui
dicter le vote ; l’école de Rochester, sous la houlette d’A. Downs, défend
l’ignorance rationnelle et s’écarte des objectifs de la politique délibérative ; quant au
modèle Popkin de « rationalité à faible information », il incitera l’électeur à se
bricoler des « raccourcis » pour juger et le candidat à trouver le positionnement
performant servant de « valeur par défaut » pour combler les carences de l’électeur.
Son offre ne sera pas forcément la plus élaborée mais électoralement la plus
attractive, la plus discriminante et surtout la plus efficace. Bref, le « message
gagnant » n’a pas encore grand-chose à attendre d’un véritable dialogue électoral
(Simon, 2002).
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2. Sur cet indicateur et son utilisation pour l’analyse de la campagne présidentielle de 2012, voir GERSTLÉ J.,
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Conclusion

L’ANALYSE DE LA COMMUNICATION POLITIQUE se heurte à divers obstacles en


apparence de différentes natures. Ils ne tiennent pas aux traditionnelles
difficultés de l’analyse comparative puisqu’aujourd’hui la question de la
communication politique est posée pour toutes les variétés de régime
(Gunther et al. 2000), (Plasser et al. 2002), (Esser et al., 2004) qu’il
s’agisse de démocraties réputées avancées (Canel et al., 2014) ou de
systèmes en voie de transition ou de consolidation démocratique (Voltmer,
2013).
Elle soulève, tout d’abord, des questions d’ordre théorique, technique
et pratique et ne saurait être limitée à l’un d’entre eux comme elle ne
saurait être réduite à l’une de ses dimensions constitutives, le
symbolique, le structurel et le pragmatique. La tentation est pourtant
grande chez les différents types d’experts et de professionnels concernés
de s’emparer du concept et de chercher à en imposer une définition. Ainsi
les publicitaires plaident-ils pour des stratégies de séduction que les
journalistes dénoncent comme symptômes d’une « maladie infantile de la
communication ». Or en politique nombreux doivent être, par définition,
les acteurs intéressés par la communication non plus sous son caractère
privé d’exercice d’une profession mais sous son caractère public de
révélation et de règlement des problèmes collectifs.
La deuxième difficulté se traduit par la tendance moderne à mettre
l’accent sur une conception technique de la communication dominée par
l’idée de transfert d’informations au détriment de la signification et de
l’interprétation. L’erreur consiste ici à prendre pour univoque ce qui est
pluriel, ou pour reprendre J. Ellul, à confondre l’information d’ordre
structurel et la parole d’ordre existentiel. La communication politique
n’est plus alors qu’une forme particulière, un système partiel parmi
d’autres qui respecteraient les mêmes principes, participeraient des
mêmes facteurs, ceux de la Communication avec un grand « C »
s’appliquant aux machines, aux animaux comme aux hommes. Certes, en
politique comme ailleurs dans l’univers social la proposition de
Watzlawick garde sa valeur : « il est impossible de ne pas
communiquer ». Mais cela n’implique nullement que la logique de la
communication s’impose à la logique politique.
L’ultime écueil réside dans le discours médiacentrique qui se
développe dans l’analyse de la vie politique considérée comme gravitant
autour de ce nouveau pouvoir. Il est hors de question d’ignorer les
bouleversements technologiques et leur impact social. Dans la société
post-industrielle, la distance sociale peut s’accroître dans la mesure où les
relations fondées sur la proximité et l’interconnaissance sont
concurrencées par les relations interposées grâce aux médias qui
affranchissent des contraintes du temps et de l’espace. La communication
est devenue une ressource dont les médias ont accru le caractère
stratégique par la fabrication rapide et la diffusion massive de
l’information. On aurait tort d’ignorer que cette ressource est
inégalement distribuée parmi les acteurs politiques. Certains sont ou se
sentent ignorants, incompétents, indifférents ou aliénés alors que d’autres
font profession de l’exercice de leur capacité politique. La
communication politique agit dans un univers de différences et
d’inégalités que le discours médiacentrique tend à ignorer. Les positions
de pouvoir conditionnent largement la détention des ressources de
communication et l’élaboration des stratégies. La densité de l’espace
politique en institutions, en organisations, en codes détermine largement
la consistance de l’espace public. La communication politique reste, de
plus, dépendante de contraintes économiques. Elle se présente, en effet,
comme une activité limitée par la distribution inégale des ressources, une
activité coûteuse car elle implique des dépenses d’accès aux médias, eux-
mêmes soumis à des exigences de viabilité, et une activité réputée utile à
certains, les prétendants au pouvoir ou à tous, la communauté des
citoyens. L’efficacité de la communication politique dépend aussi de
l’acceptabilité culturelle des messages émis et de la légitimité des
émetteurs. N’importe qui ne produit pas nécessairement un effet politique
en disant n’importe quoi sous prétexte qu’il parle à tout le monde à
travers un média de masse. Les préconstruits culturels, les codes
symboliques, les normes et règles du jeu de la communauté concernée
imposent lourdement leurs contraintes. Au total, les différents obstacles
décrits à l’analyse de la communication politique présentent un point
commun. Qu’il s’agisse de la compétition entre des définitions
socialement intéressées, qu’il s’agisse du triomphe de la pensée
technique ou qu’il s’agisse de la vision médiacentrique de la vie
politique, le risque est toujours de rabattre le politique sur le
communicationnel, c’est-à-dire de réduire le politique à une
manifestation parmi d’autres au lieu d’y voir une forme élémentaire de la
vie en société.
Pour en terminer, nous souhaitons appuyer le propos sur trois aspects
de l’évolution de la communication politique qui nous paraissent
remarquables. Premièrement, il semble qu’une évolution soit repérable
dans l’impact supérieur de la délocution au détriment de la perlocution.
Par là, nous voulons signifier que ce que rapportent les médias de l’acteur
politique est devenu plus important et peut-être plus important que ce que
dit l’acteur lui-même. Certes le reflux du politique y est sans doute pour
quelque chose, mais la tendance existe d’accorder plus de crédit aux
médias qu’aux professionnels de la politique. D’où les stratégies
d’information croissantes dont nous avons décrit les mécanismes
d’agenda, de capture de l’attention, de cadrage, d’amorçage.
Deuxièmement, et en conformité avec notre première proposition, la
référence prend valeur d’inférence (Gerstlé, 1997). C’est parce qu’on est
cité ou montré dans les médias qu’on attire l’attention. Cela signifie que
les raccourcis cognitifs et les schématisations mènent rapidement les
citoyens aux conclusions dans l’évaluation des acteurs et de leurs
performances parce que les mécanismes associatifs sont bienvenus chez
« l’avare cognitif » que représente l’individu ordinaire. Troisièmement, la
disjonction entre l’information et la communication contrôlée par l’acteur
politique est aussi coûteuse pour lui qu’est profitable leur conjonction.
De multiples exemples de compétition politique ont illustré ce point. La
crédibilité est à ce prix qu’il ne faut pas dissocier son image, sa
représentation, son capital politique ou sa réputation. De la délocution à
la perlocution, de la référence à l’inférence, de la disjonction à la
conjonction, on a là trois systèmes de tensions, par ailleurs articulés, qui
sont représentatifs de ce qu’est aujourd’hui devenue la communication
politique.
Comme K. Lipsitz (2011), à propos du processus de campagne
électorale, il conviendrait de penser la relation entre valeurs désirables
pour la démocratisation et conditions de la communication. Faut-il
satisfaire l’exigence de la compétition, de l’égalité ou de la délibération ?
C’est sans doute au prix d’une réflexion théorique qu’évoluera la
communication politique vers des formes qui s’écartent du simulacre de
représentation et des stratégies de domination pour rechercher des
mécanismes de participation du citoyen qui donnent une chance
authentique à l’usage public de la raison de s’exercer, de s’exprimer et de
prévaloir.
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Journal of Political Research, 33.
Index

acceptabilité (mise en) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8


accessibilité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
accountability 1, 2, 3, 4
acquisition d’information 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
acte lourd 1, 2
activation 1, 2, 3, 4
activité communicationnelle 1, 2
agenda 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41,
42, 43, 44
allocation de l’attention 1
américanisation 1
de la communication 1, 2
de la vie politique 1
amorçage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21
attention 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23
auxiliaire du jeu politique 1, 2, 3, 4, 5
auxiliaire
du jeu politique 1
background news 1, 2
bien symbolique 1
cadrage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23
de configuration 1
d’imputation 1, 2
discriminant 1
épisodique 1
par accentuation 1
par configuration 1
par équivalence 1
par imputation 1
thématique 1
cadre 1
du jeu 1, 2
campagne
électorale 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39
électorale (définition) 1
moderne 1
permanente 1, 2, 3
post-moderne 1, 2
pré-moderne 1
canal 1, 2
capital
politique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
social 1, 2, 3, 4, 5
changement d’attitude 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
circularité de l’information 1
climat d’opinion 1, 2, 3
code 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
cognitif 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24
Commission des Sondages 1
Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements
Politiques (CNCCFP) 1, 2
communication
contrôlée 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
politique (définition) 1
compétence
civique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
politique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
conception de la communication 1
conférence de consensus 1, 2
conjonction 1, 2, 3, 4, 5, 6
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
conseiller en communication politique 1, 2, 3
consensus 1, 2
considération 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
disponible 1
construction 1
de la réalité politique 1, 2, 3, 4, 5
de la réalité sociale 1, 2
médiatique 1
consubstantialité 1
de la politique et de la communication 1, 2, 3, 4, 5, 6
convergence symbolique 1, 2
conversation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
coût 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
de la communication politique 1
crédibilité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
sectorielle 1
débat télévisé 1, 2, 3, 4
définition
de la situation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
délibération 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
démocratie
délibérative 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
duale 1
électronique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
désinformation 1, 2
déterminisme technologique 1, 2, 3
digital 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
discours 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35
d’agrégation 1
de confirmation 1
politique 1
discussion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25
disjonction 1, 2, 3, 4
échange 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
digital 1
effet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22,
23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42,
43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51
« bandwagon » 1
« underdog » 1
d’activation 1
de cadrage 1, 2
de conversion 1
de renforcement 1
émission 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
politique 1, 2, 3, 4, 5, 6
engagement 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
civique 1, 2
équilibre 1
équivalence structurale 1
espace public 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28
numérique 1
évaluation en ligne 1
exposition sélective 1, 2
falsification des préférences 1, 2
fiction 1
focus group 1, 2
heuristique 1, 2, 3
hors-champ 1, 2
identification partisane 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
identité stratégique 1, 2
indétermination
du politique 1, 2, 3
influence
impersonnelle 1, 2
interpersonnelle 1, 2, 3, 4, 5, 6
sociale 1
information
en continu 1, 2, 3
générale 1, 2, 3, 4
info-spectacle 1, 2, 3, 4
interaction
symbolique 1, 2
interactionnisme
stratégique 1, 2, 3
symbolique 1, 2
interdépendance
stratégique 1, 2, 3
internet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29
issue ownership 1, 2, 3, 4, 5
jeu politique 1, 2, 3, 4
knowledge gap 1, 2, 3
mainstreaming 1
majorité perçue 1
manifestation 1, 2, 3, 4
manipulation de l’impression politique 1
marketing direct 1, 2, 3, 4
médiamalaise 1, 2
médias 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41,
42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61,
62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81,
82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96
médiascopie 1
médiatisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21
mise au point 1
mise en place 1
mise en scène 1
mobilisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
cognitive 1, 2, 3
modèle 1, 2
de Columbia 1, 2
de compétition 1
de l’audience active 1
de Michigan 1, 2, 3, 4
de résonance 1
d’usage et satisfaction 1
négativité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
norme de communication 1
one sided information flow 1, 2
opinion
latente 1, 2
mobilisée 1
publique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25
opposition research 1, 2
palier d’emprise 1
participation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26
perception 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28
personnalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6
persuasion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
directe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
indirecte 1, 2, 3
pluralisme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
polarisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
politique 1
popularité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26
positionnement 1, 2, 3, 4
pragmatique 1, 2
universelle 1, 2, 3
préférence 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38
éclairée 1
préoccupation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
principe
de cohésion sociale 1, 2, 3
de l’équivalence structurale 1
de publicité 1, 2
d’équivalence structurelle 1
priorité 1, 2, 3, 4
professionnalisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
propagande 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
publicité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
électorale 1, 2
négative 1, 2, 3, 4
question des effets 1, 2, 3
raccourci 1
cognitif 1, 2, 3, 4, 5
raisonnement
motivé 1, 2
public 1
ralliement 1, 2
réception 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
régulation de la Communication Audiovisuelle 1
réseau 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21
réseau social 1, 2, 3, 4
rhétorique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
rite 1
seringue hypodermique 1
Service d’Information du Gouvernement (SIG) 1, 2, 3, 4, 5
situation politique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
sondage 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34
délibératif 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
sound bite 1, 2, 3, 4
spectacularisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
spin control 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
spirale du silence 1, 2
spots 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
storytelling 1
stratégie
argumentative 1
de confrontation 1
de saillance 1
d’énonciation 1
structure de communication 1, 2, 3
symbole condensé 1
système
politique 1, 2
théorème de Thomas 1, 2
triangulation 1
tryptique publicisation-politisation-polarisation 1
two sided information flow 1
two-step flow of communication 1, 2, 3
usage et satisfaction 1
usage public de la raison 1, 2, 3
utilisation métaphorique de la communication 1, 2, 3
valeur d’information 1, 2
visibilité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
volatilité de l’agenda 1, 2
électorale 1, 2, 3, 4
vote
reflet 1, 2
réflexe 1

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