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AVERTISSEMENT

L’université de Yaoundé II n’entend donner ni approbation ni improbation aux idées


émises dans la présente thèse. Celles-ci demeurent propres à son auteur.

i
IN MEMORIAM

BOULOUMEGUE Joseph, mon père.

ii
DEDICACES

À ma mère, ADIDANGABA Marie Xaverie

À Monsieur le Doyen Magloire ONDOA

À Paul Gabriel

À Josiane Sandra

À ce Pont qui nous aide à gagner l’autre rive… François AMOUGUI


« MINKOUMILAN »

iii
REMERCIEMENTS
Malgré le caractère fondamentalement solitaire que revêt l’aventure d’une
recherche de thèse, il reste qu’elle a très souvent besoin d’apports extérieurs multiformes
pour pouvoir être menée à bien. La présente n’échappe pas à cette réalité. Aussi sommes
nous en devoir de nous acquitter d’une dette de reconnaissance et de gratitude vis-à-vis de
toutes celles et ceux qui, de près ou de loin, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à
l’aboutissement de ce travail. Nous pensons notamment :

A Dieu, dont l’Amour et la Miséricorde nous ont conservé en vie tout au long de ces
années de sacrifice ;

A notre directeur de thèse, Monsieur le Doyen Magloire ONDOA. Homme d’une


grande générosité et vrai maitre de rigueur, il a su avec confiance et patience nous guider
dans ce parcours difficile et exigent de recherche doctorale. Sans lui, la préparation de cette
thèse n’aurait jamais pu être ni entamée, ni poursuivie, ni achevée ;

A Monsieur le Doyen honoraire Joseph-Marie BIPOUN WOUM, à qui nous devons


notre vocation de juriste publiciste, et dont le génie n’a jamais cessé de nous inspirer depuis
notre Première année de Droit et nous a toujours incité au dépassement de soi ;

A tous les enseignants du Département de droit public interne de l’Université de


Yaoundé II, dont le côtoiement a été pour nous un motif d’encouragement et de
persévérance ;

A la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Yaoundé II dont


la contribution, dans le cadre du Fond d’Appui à la Finalisation des Thèses (FAFIT), nous a
été particulièrement bénéfique ;

A toute la Famille BOULOUMEGUE, pour le soutien tant moral que matériel ;

A nos amis du « Cercle restreint », pour le débat intellectuel ;

Au « Chœur des Anges », en particulier à M. Thomas Martin OTANG MOTH, pour


le soutien fraternel ;

A la « Cité de David », en particulier au Père Pierre et à la Sœur Marie-Hélène, pour


le soutien spirituel ;

A la famille BADGA, en particulier à M. BADGA Jean Marie Louis, pour ses


encouragements ;

A la famille NGOS, en particulier à M. NGOS Sirice Michel Audiard, pour le cadre


de travail, pour tous les encouragements et le soutien multiformes.

iv
PRINCIPAUX SIGLES ET ABREVIATIONS

ALCAM : Assemblée législative du Cameroun

ARCAM : Assemblée représentative du Cameroun

ARSEL : Agence de régulation du secteur de l’électricité

ATCAM : Assemblée territoriale du Cameroun

AIJC : Annuaire international de justice constitutionnelle

AJDA : Actualité juridique –Droit administratif

Al. Alinéa

AN. Assemblée nationale

APD : Archives de philosophie du droit

Art. Article

AT : Administration du Territoire

BAM : Bibliothèque africaine et malgache

BDP : Bibliothèque de droit public

C/ : contre

CA : Cour d’appel

Cf. : Confère

CNC : Conseil National de la Communication

Coll. : Collection

Concl. Conclusions des commissaires du gouvernement

CCA : Conseil du contentieux administratif

CCC : Cahiers du Conseil constitutionnel

CE : Conseil d’Etat

CFJ : Cour fédérale de justice

v
CFJ/CAY : Cour fédérale de justice, Chambre administrative de Yaoundé

CFJ/SCAY : Cour fédérale de justice, Section du contentieux administratif de

Yaoundé

Chr. : Chronique

Conl. : Conclusions

CPE : Commune de plein exercice

CS : Cour suprême

CSCO : Cour suprême du Cameroun oriental

CS/AP : Cour suprême, Assemblée plénière

CS/CA : Cour suprême, Chambre administrative

D: Dalloz

Dir. : Sous la direction de

DGSN : Délégation générale à la sûreté nationale

Ed. : Editions

EDCE : Etudes et documents du Conseil d’Etat

EDLK : Les Editions le Kilimandjaro

FDSE : Faculté de droit et de science économique

FSJP : Faculté des sciences juridiques et politiques

GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative

Ibid. (ibidem) : Au même endroit

Infra : Plus bas ; ci dessous

JO : Journal officiel

JOC : Journal officiel du Cameroun

JOEC : Journal officiel de l’Etat du Cameroun

JORF : Journal officiel de la République française

vi
JORC : Journal officiel de la République du Cameroun

JORFC : Journal officiel de la République fédérale du Cameroun

JORUC : Journal officiel de la République unie du Cameroun

JOTOAC : Journal officiel des Territoires occupés de l’ancien Cameroun

LF : Loi fédérale

LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence

LPA : Les petites affiches

MINFI : Ministère des finances

MFPRA ou MINFOPRA : Ministère de la fonction publique et de la réforme administrative

MINATD : Ministère chargé de l’Administration Territoriale et de la

Décentralisation

MINCOM : Ministère de la Communication

OF : Ordonnance fédérale

ONG : Organisation non gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

Op. cit. (Opere citato) : Dans l’ouvrage cité

Ord. : Ordonnance

PCA : Président de la Chambre Administrative

PM : Premier ministre

PR : Président de la République

PRC : Présidence de la République du Cameroun

PUA : Presses Universitaires d’Afrique

PUAM : Presses Universitaires d’Aix –Marseille

PUF : Presses universitaires de France

PUL : Presses universitaires libres

vii
RCD : Revue camerounaise de droit

RA : Revue administrative

RADP : Revue africaine de droit public

RASJ : Revue africaine des sciences juridiques

RDA : Revue de droit administratif

RDP : Revue du droit public et de la science politique

RDPC : Rassemblement démocratique du peuple camerounais

Rec. Recueil des décisions (du Conseil d’Etat ou du Conseil

constitutionnel français, selon les cas)

RFAP : Revue française d’administration publique

RFDA : Revue française de droit administratif

RFDC : Revue française de droit constitutionnel

RFSP : Revue française de science politique

R.I.D : Revue ivoirienne de droit

RIDC : Revue Internationale de Droit Comparé

RJA : Revue juridique africaine

RJPIC : Revue juridique et politique indépendance et coopération

R.J.P.O.M : Revue juridique et politique d’outre-mer

RRJ : Revue de la recherche juridique-Droit prospectif

RTDciv : Revue trimestrielle de droit civil

RTDH : Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme

RUDH : Revue universelle des droits de l’homme

S. : Suivant(es)

SDN : Société des nations

SESI : Secrétariat d’Etat à la sécurité intérieure

viii
Supra : Plus haut ; ci dessus

TA : Tribunal administratif

TC : Tribunal des conflits

TE : Tribunal d’Etat

UCAC : Université d’Afrique centrale

UPC : Union des populations du Cameroun

V. : Voir

Vol. : Volume

ix
SOMMAIRE
AVERTISSEMENT .............................................................................................................i
IN MEMORIAN ............................................................................................................... iii
DEDICACES ..................................................................................................................... iii
REMERCIEMENTS .........................................................................................................iv
PRINCIPAUX SIGLES ET ABREVIATIONS ............................................................... v
SOMMAIRE........................................................................................................................ x
RESUME ............................................................................................................................xi
INTRODUCTION GENERALE ....................................................................................... 1
PREMIERE PARTIE :L’EMERGENCE D’UN LIBERALISME FORMEL ........... 54
TITRE PREMIER :LA RECONFIGURATION DES SOURCES ..................................... 57
CHAPITRE I :LA REORIENTATION DE LA SOURCE CONSTITUTIONNELLE ..... 59
CHAPITRE II :LA REACTIVATION DE LA SOURCE LEGISLATIVE ..................... 131
TITRE II :L’AMELIORATION DES PROCEDES ......................................................... 203
CHAPITRE I :LA RATIONALISATION DES PROCEDES DE CRISE ....................... 207
CHAPITRE II :LA « NORMALISATION » DES PROCEDES ORDINAIRES ............ 274
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ................................................................ 347
DEUXIEME PARTIE :LA PERSISTANCE D’UN AUTORITARISME
MATERIEL ..................................................................................................................... 348
TITRE I :L’IMPERIALISME DES FONDEMENTS ...................................................... 351
CHAPITRE I :L’ABSOLUTISME DU FONDEMENT DE LA POLICE
GENERALE ..................................................................................................................... 353
CHAPITRE II :L’EXPANSIONNISME DES FONDEMENTS DES POLICES
SPECIALES...................................................................................................................... 412
TITRE II :L’ETATISME DANS L’AMENAGEMENT .................................................. 480
CHAPITRE I :LE MAXIMALISME DANS L’AMENAGEMENT DE
L’EXERCICE ................................................................................................................... 482
CHAPITRE II :LE MINIMALISME DANS L’AMENAGEMENT DU CONTROLE .. 562
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE ............................................................... 653
CONCLUSION GENERALE ........................................................................................ 654
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE .................................................................................. 659
INDEX DES TEXTES .................................................................................................... 696
INDEX DE JURISPRUDENCE .................................................................................... 718
TABLE DES MATIERES .............................................................................................. 727

x
RESUME

La police administrative au Cameroun n’a pas jusque là fait l’objet de


nombreuses études. Pourtant, cette fonction essentielle de l’Etat est au cœur d’enjeux à
l’importance évidente, dont le moindre n’est pas la garantie des droits fondamentaux,
dont nul ne peut à ce jour nier à la fois l’actualité et la nécessité. Etudier aujourd’hui
cette activité administrative qui a pour objet et pour but le maintien de l’ordre public,
dans un contexte de réelles mutations au sein du droit public camerounais oblige à
prendre en compte cet environnement mouvant. L’enjeu majeur des droits africains
actuels étant la construction de véritables Etats de droit, l’étude s’inscrit donc dans le
cadre général de l’évolution du droit administratif camerounais. Or dans ce cadre, deux
lectures possibles semblent se faire face. L’une, vraisemblablement majoritaire, peut
tendre à soutenir l’idée d’une libéralisation du droit administratif camerounais, à la suite
des mutations observées ici à partir des années 1990. L’autre, minoritaire, peut tendre à
s’orienter vers l’idée contraire, à savoir que le droit admnstratif camerounais reste encore
mu par l’autoritarisme.

Au milieu de ces deux lectures sans doute extrêmes, le droit de la police


administrative au Cameroun semble s’inscrire dans une voie médiane, sur la base d’une
lecture positiviste, mais dans une perspective réaliste modérée. Il n’est donc ni un droit
entièrement libéralisé, ni un droit entièrement mu par l’autoritarisme. Il en ressort plutôt
une police administrative caractérisée au Cameroun par un relent autoritaire : malgré
l’émergence d’une libéralisation formelle, elle persiste au plan matériel dans la
trajectoire autoritaire d’avant les années 90. Les aspects libéraux de la police
administrative sont relatifs essentiellement aux sources du droit y relatif, lesquelles sont
caractérisées par une incontestable évolution, et aux procédés employés par cette
activité, marqués par une nette amélioration. Quant aux aspects autoritaires, ils sont
relatifs aux fondements de l’activité même de police administrative, qui apparaissent
ainsi marqués du sceau de l’impérialisme, et à l’aménagement institutionnel auquel
donne lieu cette fonction étatique, d’où transparait un réel étatisme.

Au regard de tout ceci, il ressort que la police administrative reste régie par des
règles à la dualité ontologique marquée, d’une part formellement libérales, d’autre part
matériellement autoritaires. Cette dualité ontologique du droit de la police administrative
montre au minimum une incontestable continuité d’un droit administratif autoritaire,
dont on peut certes discuter de la portée, mais dont nul ne peut contester la réalité.

xi
INTRODUCTION GENERALE

1
« A voir ce que peut la police, on sait ce qu’est l’Etat1 ». Si la célèbre formule de
Francis-Paul BENOIT suppose une correspondance quasi parfaite entre l’Etat et le
modèle de police qu’il met en œuvre, et qu’un changement de ce dernier a une incidence
immédiate sur la figure du premier,2 elle démontre aussi la place centrale qu’occupe la
police administrative dans la vie d’un Etat, et donc dans le droit public et surtout
administratif de celui ci. Il est donc possible qu’en étudiant la police administrative d’un
pays, l’on contribue nécessairement à la connaissance du droit administratif de celui-ci,
dont elle est un chapitre central3.

Activité la plus fondamentale de l’Etat, dont elle peut manifester la toute


puissance, la police administrative n’a pas toujours mobilisé l’intérêt de la doctrine. En
son temps, le Doyen HAURIOU écrivait : « Les matières de police, n’ont pas jusqu’ici
chez nous été suffisamment étudiées du point de vue théorique ; elles sont
manifestement incohérentes. On n’a pas encore cherché à établir la liste des droits
que contient le pouvoir de police. On a beaucoup disserté sur la forme des règlements
et sur la compétence réciproque des autorités qui font les règlements, presque jamais,
on ne s’est préoccupé de la limite des pouvoirs réglementaires du côté de la liberté.
C’est une étude à faire, elle en vaut la peine »4. Ce constat du Maître de Toulouse, qui
s’appliquait alors au contexte français, correspond parfaitement à la situation actuelle de
l’Afrique et plus particulièrement du Cameroun. En effet, si cette « abstention
doctrinale »5, qui « a pour résultat de faire du chapitre de la police un des moins

1
F-P. BENOIT, Le droit administratif français, Paris, Dalloz, 1968, p. 763.
2
D. MAILLARD DESGREES du LOÛ, Police générale, Polices spéciales. (Recherche sur la spécificité des
polices générale et spéciales), Thèse pour le Doctorat d’Etat en Droit, Rennes, 1988, p. 1.
3
La police administrative est même une branche centrale du droit public, d’abord parce que le besoin d’ordre
est le besoin primaire de toute société. Si, en effet, on peut concevoir une société sans justice, on ne peut
concevoir une société sans ordre, (même si le Doyen RIPERT nous enseigne que l’injustice est un désordre :
G. RIPERT, Le déclin du droit, Paris, LGDJ, 1949, VI). Quoiqu’il en soit, l’ordre apparait de tout temps
comme le besoin premier et même primaire de toute société, quelle qu’elle soit. D’où la centralité des règles
garantissant cet ordre, condition de toute vie publique, de toute vie tout court. Ensuite, l’importance de la
police administrative prend un relief beaucoup plus net dans un environnement singulier comme celui du
Cameroun, et même de celui de l’ensemble des pays d’Afrique noire francophone, en raison des vicissitudes ici
du model d’Etat-nation, et de la crise constante des notions et des institutions de la démocratie et de l’Etat de
droit, si bien que le besoin d’ordre est ici encore plus impérieux qu’ailleurs. Et, du fait de la jeunesse de
l’institution étatique, maintenir l’ordre apparait comme la fonction essentielle de l’Etat, celle qui mobilise
l’essentiel de ses ressources et de ses énergies. L’essentiel des règles juridiques apparaissent ainsi orientées
vers ce but, quelle que soit par ailleurs la branche du droit concernée par l’analyse.
4
M. HAURIOU, Note sous Conseil d'État, 3 décembre 1897, Ville de Dax, S.1898.III.145.
5
Cette expression est de Jean Marie AUBY dans sa préface à la Thèse de Jean CASTAGNE. Lire : J.
CASTAGNE, Le contrôle juridictionnel de la légalité des actes de police administrative, Paris, LGDJ, B.D.P.,
1964.

2
approfondis du droit administratif »6 a depuis longtemps été comblée en France7, ce
vaste champ de recherche reste, en Afrique et particulièrement au Cameroun, caractérisé
par sa quasi virginité. Même s’il est vrai que la police administrative est une matière qui
ne se laisse pas facilement organiser dans un « système8 », l’absence d’études tant
générales que sur un aspect particulier de la police administrative au Cameroun est la
première réalité qui apparaît au chercheur s’intéressant à ce domaine de l’activité de
l’Etat9.

Expliquant cette situation en France en 1964, Jean Marie AUBY affirmait qu’elle
était due à « une sorte de réflexe libéral, un sentiment plus ou moins conscient de
suspicion et de méfiance à l’égard d’une des activités les plus contraignantes de la
puissance publique, une de celles sur lesquelles l’emprise de la légalité s’est établie le
plus difficilement »10. Cette explication tient parfaitement pour ce qui est du contexte

6
Ibid
7
Il n’est pas matériellement possible de recenser ici tous les précieux travaux réalisés en France sur la théorie
de la police administrative, tant dans le cadre d’ouvrages généraux de droit administratif que dans le cadre des
thèses, d’articles ou de notes diverses. Mentionnons toutefois, outre la thèse de P-H. TEITGEN (P.-H.
TEITGEN, La police municipale générale, l’ordre public et les pouvoirs du maire, Paris, Sirey, 1934), celle
monumentale et précieuse d’Etienne PICARD, (E. PICARD, La notion de police administrative, Paris, LGDJ,
B.D.P., 1984, 2 tomes), à propos de laquelle la doctrine s’est étendue en superlatifs et en éloges. Roland
DRAGO, dans sa préface à cette dernière, affirme par exemple : « On demeure confondu quand on mesure le
capital de science, d’intelligence et de méthode enfermé dans la thèse(…) d’Etienne PICARD (…),
entreprise (…), véritable traité de police (…), synthèse de connaissances et de réflexions. La culture
juridique portée à ce point suscite l’admiration et presque l’envie. (…) Cinquante années après Pierre
Henry TEITGEN, le flambeau est repris et avec la même maîtrise», Tome I, p. 11. Plus récemment encore,
toujours montrant ce foisonnement de travaux scientifiques en France sur la police administrative, on peut
évoquer : J. PETIT, « La police administrative », in P. GONOD, F. MELLERAY, Ph. YOLKA (Dir.), Traité
de droit administratif, Paris, Dalloz 2011, T. II, p. 6 ; du même auteur : « Art. 15 - La police », in J.-J.
BIENVENU, J. PETIT, B. PLESSIX, B. SEILLER (Dir.), La Constitution administrative de la France, Paris,
Dalloz, Coll. Thèmes et commentaires, 2012, p. 227 ; RFDA n° 5/2013, « Le juge administratif et la police -
Anniversaire de trois « grands arrêts » : Couitéas, Benjamin et Maspero » ; Ch. VAUTROT-SCHWARZ
(Dir.), La police administrative, Paris, PUF, coll. Thémis - Essais, 2014 ; RFDA n° 5/2015, « Les vingt ans de
l'arrêt Commune de Morsang-sur-Orge - À propos de la dignité de la personne humaine ».
8
C-E. MINET, Droit de la police administrative, Paris, VUIBERT, 2007 p. 5.
9
A noter tout de même : J. de N. ATEMENGUE, La police administrative au Cameroun. Recherches sur le
maintien de l’ordre public, Thèse, Droit public, Lyon III, 1995 ; Voir également du même auteur : « Le
pouvoir de police du Président de la République au Cameroun : réflexions sur le fondement de l’ordre
juridique », in Verfassung und Recht in Ubersee, 35. Jahrgang- 1. Quartal 2002, pp. 81-101 ; et dans une
certaine mesure : J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public
camerounais », in R.C.D., n°6, juil-déc. 1974 pp. 104-123. Mais plus récemment : A. MAKOUGOUM, Ordre
public et libertés publiques en droit camerounais. Contribution à l’étude de la construction de l’Etat de droit
au Cameroun depuis 1990, thèse de Doctorat/Ph. D en droit public, Université de Yaoundé II, 2013-2014, 721
pages.
10
J. M. AUBY, op. cit., à la même page. Il faut sans doute dire ici que lorsqu’elle est formulée en France sous
l’Ancien régime, la théorie de la police administrative est tout d’abord rejetée par les libéraux, car elle en
heurte les schémas dans la mesure où elle vise à restreindre l’exercice des libertés, en totale opposition avec le
libéralisme alors de mise. Mais, plus tard, des concessions seront faites par la théorie libérale au pouvoir de

3
camerounais, mais à un degré supérieur. Ici en effet, le faible niveau
d’institutionnalisation de l’Etat, ajouté à la jeunesse de celui-ci11, révèle une police
administrative fortement sensibilisée au phénomène politique12. C’est donc ainsi que
contrairement aux autres domaines du droit administratif qui ont donné lieu à plusieurs
études13, la police administrative est de loin le parent pauvre de la recherche juridique

police administrative à la condition que celui-ci soit minimum et résiduel, circonscrit au maintien de l’ordre
public. Selon M. Etienne PICARD, c’est cette incompatibilité entre théorie libérale et pouvoir de police
administrative qui expliquerait l’abstention doctrinale évoquée par J. M. AUBY vis-à-vis de la notion de police
administrative, qui aurait un caractère « tabou ». Sur la question, lire : E. PICARD, thèse précitée, p.458, où il
affirme notamment : « au regard de notre système et de notre théorie, la notion est foncièrement taboue ».
Lire également : D. GREGOIRE, Recherches sur les évolutions de la police administrative. Une notion en voie
de disparition, Thèse, Droit, Bordeaux IV, 2006, pp. 11 à 32.
11
Le Cameroun n’est devenu un Etat indépendant que depuis le 1er Janvier 1960, du moins pour ce qui est de
la partie orientale sous ancienne tutelle française. Mais l’Etat, dans ses dimensions actuelles, ne sera
véritablement constitué que le 1er octobre 1961 lors de la réunification avec la partie occidentale sous ancienne
tutelle britannique. Sur le Cameroun, lire : M. PROUZET, Le Cameroun, Paris, LGDJ, Coll. « comment sont-
ils gouvernés? », 1974 ; P. VERGNAUD, « La levée de la tutelle et la réunification du Cameroun »,
R.J.P.O.M, 1964, pp. 556 et s. ; J. F. BAYART, L’Etat au Cameroun, Paris, Presses de la Fondation Nationale
de Sciences Politiques, 1985, pp. 9 et s. ; J. BENJAMIN, Le sort des camerounais occidentaux(1961-1969),
Paris, Presses de la Fondation Nationale de Sciences Politiques, 1970 ; T. LE VINE VICTOR, Le Cameroun,
du mandat à l’indépendance, Dakar, Présence africaine, 1971.
12
J. de N. ATEMENGUE, La police administrative au Cameroun, op. cit., p. 33. Ce caractère fortement
politique de la question du maintien de l’ordre public peut aussi sans doute expliquer l’abstention doctrinale
dont elle est frappée au Cameroun et dans bon nombre de pays africains, car s’intéresser à cette question est
longtemps apparu comme s’intéresser à la gestion du pouvoir. Or ce dernier apparait encore même aujourd’hui
dans une certaine mesure, comme une zone « interdite » d’investigation scientifique.
13
Il n’est pas possible et même absolument nécessaire de dénombrer ici la totalité de ces études. Notons
simplement que la majorité de celles-ci portent sur l’aspect contentieux du droit administratif : J. C. ABA’A
OYONO, La compétence de la juridiction administrative en droit camerounais, Thèse de Doctorat (N-R),
Droit public, Université de Nantes, F.S.J.P., 1994 ; J. BINYOUM, Le contentieux de la légalité en droit
administratif camerounais, Thèse de Doctorat en droit public, Université des sciences sociales de Toulouse,
1978-1979 ; A. NCHOUWAT, Le juge et l’évolution du droit administratif au Cameroun, Thèse de Doctorat
de 3e cycle en droit public, Université de Yaoundé II-SOA, F.S.J.P., 1993-1994 ; C. SIETCHOUA
DJUITCHOKO, L’appel dans le contentieux administratif au Cameroun : contribution à l’étude de la
juridiction administrative , Thèse de Doctorat (N-R) en droit public, Université de droit, d’Économie et des
Sciences d’Aix-Marseille, 2001 ; B. R. GUIMDO DONGMO, Le juge administratif camerounais et l’urgence :
Recherche sur la place de l’urgence dans le contentieux administratif camerounais, Thèse de Doctorat d’État
en droit public, Université de Yaoundé II-SOA, F.S.J.P., 2003-2004 ; et dans une certaine mesure : J.
GOUDEM, L’organisation juridictionnelle du Cameroun, Thèse de Doctorat de 3e cycle en droit privé,
Université de Yaoundé, F.D.S.E., 1985. Néanmoins, plusieurs traitent du droit des services publics, notamment
en ce qui concerne leur privatisation : J. E. MANGA ZAMBO, L’environnement et l’efficacité des entreprises
publiques dans une économie en développement : le cas du Cameroun, Thèse droit, Lille, 1996, 2 Tomes, 650
pages ; J. BIAKAN, L’expérience camerounaise de privatisation des entreprises du secteur public, Thèse de
Doctorat (N-R), Droit public, Montpellier, 1994 ; du droit de la responsabilité : M. ONDOA, La protection des
dépenses d’indemnisation en droit administratif camerounais, Thèse de Doctorat de 3e cycle en droit public,
Université de Yaoundé, FDSE, 1990 ; M. ONDOA, Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en
développement : contribution à l’étude de l’originalité des droits africains, Thèse de Doctorat d’État en droit
public, 3 Tomes, Université de Yaoundé II-SOA, FSJP, 1997 ; S. BILONG, Responsabilité de la puissance
publique et compétence du juge en droit camerounais, Thèse de Doctorat de 3e cycle en droit public, Université
de Douala, FSJP, 2000-2001 ; du système administratif : R.-G. NLEP, L’administration publique
camerounaise : contribution à l’étude des systèmes africains d’administration publique, Paris, LGDJ, 1986 ;
du domaine public : A. MPESSA, Essai sur la notion et le régime juridique des biens domaniaux au
Cameroun, Thèse de Doctorat (N-R) en droit public, 2 Tomes, Université de Paris I- Panthéon-Sorbonne,

4
camerounaise. L’objet de la présente thèse, loin de vouloir complètement combler ce
vide, est, plus modestement, de contribuer à le diminuer, en proposant un essai de
systématisation de l’activité de l’Etat ayant pour objet principal le maintien de l’ordre
public au Cameroun. Il convient pour cela, avant toute chose, de bien fixer la police
administrative au sein de l’activité administrative.

D’une manière générale en effet, on sait que l’administration remplie deux types
de fonctions : une fonction normative et une fonction de prestation 14. A travers la
première, elle tend à soumettre la vie sociale à un ordre juridique déterminé, à une
réglementation. En conséquence des normes édictées, certains comportements seront
prescrits, d’autres interdits, d’autres encore autorisés15. A travers la seconde fonction,
l’administration tend à fournir elle-même des biens et services dont elle a ou non le
monopole16. De cette distinction reprise et systématisée par Charles EISENMANN17
dans sa théorie des fonctions de l’Etat, on tire celle classiquement établie au sein de
l’objet de l’action administrative entre d’un côté le service public qui renvoie à la
fonction de prestation et de l’autre, la police administrative qui renvoie à la fonction
normative ou de règlementation.

Cette distinction n’entraîne toutefois pas une séparation stricte entre les deux
fonctions18, car il existe très souvent un peu des deux caractères dans chacune d’elle, le

1998 ; OBAKER BALINAN, La distinction domaine public domaine privé en droit administratif camerounais,
thèse de doctorat Ph./D en droit public, Université de Yaoundé II-SOA, 2013 ; etc.
14
Il s’agit là d’une présentation qui correspond à l’exposé traditionnel du cours de droit administratif, qui fait
une distinction entre fonction de défense sociale et fonction de développement social, des auteurs classiques
(E. LAFERRIERE, Cours de droit public et administratif, Paris, Joubert, 1839 ; L. AUCOC, Conférences sur
l’administration et le droit administratif, 3 Volumes, Dunod, 3ème édition, 1885-1886 ; A. BATBIE, Traité
théorique de droit administratif, 1869, p. 22) jusqu’aux plus modernes (E. PICARD, Thèse, op cit. p. 796 et s.
L’auteur distingue « la fonction de défense de l’institution primaire libérale » de « la fonction de réalisation
d’un ordre social nouveau ». Voir, dans le même sens, la plupart des manuels de droit administratif). Sur la
systématisation des fonctions de l’administration, lire par exemple C. EISENMANN, Cours de droit
administratif, Paris, L.G.D.J., 1984, Tome II, p. 15 et s. L’auteur parle en l’occurrence des fonctions sociales
de l’Administration. Pour une critique de cette présentation somme toute classique et simpliste d’une réalité
juridique administrative aujourd’hui plus complexe, Lire : D. GRÉGOIRE, Thèse, op. cit., pp. 2 et s.
15
R. CHAPUS, Droit administratif général, Paris, Domat Montchrestien, Tome 1, 2001, p. 469.
16
Ibid.
17
Voir sa contribution aux Journées d’Etudes en l’honneur de Carré de Malberg et intitulée : « La théorie des
fonctions de l’Etat chez Carré de Malberg », in Annales de la Faculté des sciences politiques de Strasbourg,
tome XV, 1966, p. 49 à 69, ainsi que son article dans la deuxième édition de l’Encyclopédie Française, tome
X, et intitulé « Les fonctions de l’Etat », pp. 291-311. Voir également, P. AMSELEK, (Dir.), La pensée de
Charles EISENMANN, Paris, Economica/PUAM, 259 p., surtout le rapport de R. DRAGO, « les fonctions de
l’Etat dans la pensée de Charles EISENMANN », pp 75-83.
18
C’est sans doute ce caractère non absolument étanche de la séparation entre service public et police
administrative qui semble expliquer aujourd’hui la tendance à la jonction de ces deux fonctions et rappeler,
selon une partie de la doctrine, l’unité fondamentale de l’action administrative. Lire dans ce sens : D.

5
tout étant une question de fondamentalité. C’est ainsi que dans l’activité de service
public, existe une fonction qu’on peu qualifier de réglementation, comme tend à le
démontrer le service public de la régulation qui se manifeste organiquement par la
création des agences de régulation19. Egalement, au sein de l’activité de police, on trouve
un aspect prestatif important, comme par exemple les secours qui peuvent être donnés à
certaines victimes de catastrophes, notamment la distribution de l’eau, de médicaments
ou de denrées de première nécessité. Pour certains même20, la police administrative peut
être perçue comme un service public véritable, à savoir le service public du maintien de
l’ordre public21. Quoiqu’il en soit, en France comme au Cameroun, la fonction de police
reste fondamentalement une fonction de réglementation.

Dire que la police administrative est une fonction, c’est l’appréhender


uniquement dans son sens matériel, c’est à dire celui qui en fait une activité
administrative. Cette proposition appelle deux observations utiles pour la suite de
l’analyse.

Tout d’abord, si la police administrative est bel et bien une activité, à savoir
l’activité administrative qui a pour but le maintien de l’ordre public, ce ne saurait être là
son seul sens. Le terme police a également une connotation institutionnelle, au sens
organique du terme. Si le premier sens doit être privilégié, le second ne doit en aucun cas
être ignoré, surtout qu’il permet de s’interroger sur les autorités détentrices du pouvoir

LINOTTE, « l’unité fondamentale de l’action administrative ou l’inexistence de la police administrative en tant


que catégorie juridique » in La police administrative existe-t-elle ?, Paris, Economica/PUAM, coll. Droit
public positif, 1985, p. 11 ; Delphine GREGOIRE va d’ailleurs dans le même sens lorsqu’elle démontre qu’en
« présentant la police administrative comme une fonction de nécessité résiduelle et minimale circonscrite à
la préservation des conditions matérielles et extérieures propres à garantir l’exercice des libertés et reposant
sur le principe de la distinction entre l’Etat et la société, la sphère publique et la sphère privée, la théorie de
la police administrative semble bien aujourd’hui devoir être dépassée ». Thèse, op cit., p. 5.
19
Il faut tout de suite dire, s’agissant de l’activité de régulation, que sa qualification est sujette à controverse
dans la doctrine. Selon le professeur Didier TRUCHET en effet (D. TRUCHET, « La structure du droit
administratif peut-elle demeurer binaire ? », in Clés pour le siècle, Paris, Université Panthéon-Assas, Dalloz,
2000, p. 436), « on éprouve de grandes difficultés à qualifier la régulation elle-même (…) comme une police
ou comme un service public ; activité de réglementation, de prestation, mais aussi d’orientation non
contraignante, elle emprunte aux deux et est autre chose que leur simple addition ». Sur la notion de
régulation, lire : Y. GAUDEMET, « Introduction », in Colloque : La concurrence des modes et des niveaux de
régulation, R.F.A.P., 2004, n°409, p. 13 ; M.-A. FRISON- ROCHE, Le droit de la régulation, Paris, Dalloz,
2001 ; J. CHEVALLIER, « La régulation juridique en question », Droit et Société, n° 49, 2001, p. 287.
20
A commencer par le Conseil d’Etat français : C.E., 17 Juillet 1950, Société la Mutuelle Richelieu, Rec., p.
446.
21
R. CHAPUS, Droit administratif général, op. cit, p. 700. Toutefois, le Conseil d’Etat affirme qu’il s’agit
d’un service public qui, par sa nature, ne saurait être délégué : C.E., 17 Juin 1932, Ville de Castelnaudary, Rec.
p. 595.

6
de police22, c'est-à-dire du pouvoir d’édicter des normes de police, visant le maintien de
l’ordre public et également sur les forces de police qui sont chargées en général
d’accomplir des actes matériels de police, bref d’exécuter les mesures prises par les
autorités de police administrative.

Ensuite, et c’est la deuxième observation, appréhender la police administrative


comme activité, c'est-à-dire comme une fonction administrative peut susciter une
question importante, à savoir si la police est une tâche irréductiblement administrative.
Plus qu’une fonction administrative, n’est-ce pas une fonction de l’Etat, sa fonction
même par excellence ? Si cette dernière proposition est vraie, que faut-il entendre par
fonction de l’Etat ?

Sans vouloir rentrer dans un débat qui a pendant longtemps divisé la doctrine et
mobilisé les auteurs les plus prestigieux23, retenons ici, parmi tant de conceptions, celle
dégagée par Charles EISENMANN. Ce dernier distinguait deux types de fonctions, à
savoir les fonctions juridiques et les fonctions sociales de l’Etat. Il intégrait alors la
police administrative dans cette deuxième catégorie. Pour lui, les fonctions juridiques
sont des fonctions-moyens tandis que les fonctions sociales sont des fonctions-fins. Les
premières produisent des « objets » c'est-à-dire des instruments juridiques tandis que les
secondes visent les finalités poursuivies par lesdits objets ou instruments. L’éminent

22
Cette perspective est importante, surtout dans un contexte particulier comme celui du Cameroun où
l’observation tend, au regard d’une extrême multiplication et diversification des autorités de police
administrative, à donner l’impression qu’il y a ici une tendance à la confusion ou à l’identification entre
pouvoir administratif et pouvoir de police administrative et donc entre autorité administrative et autorité de
police administrative. Pourtant, si sur le plan du principe, toutes les autorités de police administratives sont
d’abord des autorités administratives, la réciproque n’est pas forcément vraie. Toutes les autorités
administratives ne sont pas dotées de pouvoirs en matière de police administrative. La tendance à la confusion
évoquée ici est un signe incontestable de la centralité de l’activité de maintien de l’ordre au sein de
l’administration et même de l’Etat camerounais, si bien que la reconnaissance d’un pouvoir administratif
semble d’abord orientée vers la préservation de l’ordre dans le domaine de compétence de l’autorité concernée.
Cette phobie du désordre donne alors une importance particulière aux considérations institutionnelles, ou si
l’on veut organiques qu’implique l’étude de la police administrative ici. Une autre raison, et même plus
importante, donne ici à l’analyse organique droit de cité. C’est que le droit public camerounais (et en toile de
fond l’immense majorité des droits africains francophones) ne semble pas réserver une place première à la
notion de fonction, mais plutôt à celle d’organe. Ainsi, si la police administrative est la manifestation d’un
pouvoir, c’est bien dans le cadre d’une fonction dévolue à un ensemble d’organes. Il faut donc en analysant la
fonction qui débouche sur le pouvoir, remonter jusqu’à l’organe détenteur de ladite fonction, lequel apparait ici
comme la clé de voûte du système étatique. Voir infra, chapitre I, Titre II de la deuxième partie. Voir pour une
analyse contraire : G. TIMSIT, Le rôle de la notion de fonction administrative en droit administratif français,
précité, pp. 1-3.
23
Voir par exemple les vues de : R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat,
Préface d’Eric MAULIN, Paris, Dalloz, 2004, pp. 259 et s., et de : L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel,
Paris, Ed. De Boccard, 1923, p. 58, critiquées par Charles EISENMANN dans ses articles précités et dans ses
Cours de droit administratif précités.

7
maître, remettant en cause les théories élaborées par Carré de MALBERG 24 et
DUGUIT25, envisage, dans l’étude des fonctions de l’Etat, de dépasser le cadre de
l’analyse juridique pure pour s’intéresser aux fins, aux finalités poursuivies par l’action
de l’Etat26.

Ces conceptions seront adoptées et reprises en France par un auteur comme


Gérard TIMSIT dans sa thèse sur « le rôle de la notion de fonction administrative en
droit administratif français27 », et au Cameroun par Jean de Noël ATEMENGUE dans
sa thèse justement intitulée « la police administrative au Cameroun28 ». Ces auteurs, à
la suite du savant maître, soutiennent qu’une conception purement juridique de la notion
de fonction a pour inconvénient d’enfermer les actes, les objets qui sont les produits des
activités juridiques de l’Etat dans un univers clos, en les considérant dans ce qu’ils sont
en eux-mêmes, sans tenir compte des fins poursuivies par ces dernières. Or selon eux, ce
qui est important, c’est de rechercher les buts ultimes, les finalités poursuivies par les
actes des divers organes étatiques. Appliquée au domaine de la police administrative,
cette doctrine amènerait dans une étude, à ne pas se cantonner aux seuls actes, aux seuls
« objets » produits dans le cadre de la mise en œuvre de la fonction de police, mais à
rechercher surtout la finalité poursuivie par lesdits actes ou objets.

Cette conception de la notion de fonction étatique développée par Charles


EISENMANN, bien que séduisante et rigoureuse car conforme au sens à elle donné dans
son domaine originaire, à savoir le domaine biologique, ne peut toutefois échapper à une
critique imparable. En effet, la notion de fonction-fin qu’il (l’auteur) appelle est une
notion métajuridique. Elle ne relève pas du droit. Si tel était le cas, quel instrument
juridique pourrait permettre de là mesurer ? Les risques de débordement extra juridiques
dont est chargée la notion de fonction-fin autorisent une mise à l’écart ici de cette

24
R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat..., op. cit, à la même page.
25
L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel…, op. cit, à la même page.
26
L’éminent auteur, dont on connaît par ailleurs la rigueur et la précision légendaires, s’inspire ici du sens que
revêt le mot fonction dans son domaine originaire, à savoir celui biologique. Ici en effet, lorsqu’on affirme que
tel organe exerce une fonction, ce que l’on recherche à travers l’activité de cet organe, c’est le résultat, la
finalité de son action. Ainsi, lorsqu’on recherche la fonction accomplie par un organe, on vise non seulement le
produit de son activité, mais aussi et surtout le but de celle-ci. Par exemple, si l’on affirme que la fonction du
foie est de sécréter la bile, sa fonction apparaît incomplètement identifiée. Il faut en effet rechercher le but
d’une telle sécrétion, à savoir la facilitation de la digestion, pour que la fonction du foie soit identifiée de
manière complète. Lire par exemple dans ce sens : G. TIMSIT, Le rôle de la notion de fonction administrative
en droit administratif français, précité, p. 10 et s.
27
Op cit.
28
Op cit.

8
conception des fonctions de l’Etat29. Il importe ici de bâtir l’analyse prioritairement sur
des instruments juridiques à savoir les actes produits par les diverses autorités investies
de compétences en matière de police, en gardant un regard sur la pratique30 afin de coller
fidèlement à la réalité, mais dans une perspective surtout de droit positif. C’est à ce prix
que l’objectif de systématisation du droit de la police administrative au Cameroun peut
être réalisé.

Mais une fois cela dit, la question demeure de savoir comment l’étude peut être
menée, tant elle soulève des questions qui sont au cœur de ce que l’on pourrait appeler
l’épistémologie juridique africaine. La recherche juridique ici se heurte en effet à un
certain nombre d’obstacles épistémologiques, entretenus par des opinions doctrinales
puissantes, et qui peuvent de ce seul fait tendre à anesthésier la réflexion juridique sur ce
continent. Il est donc primordial de prendre clairement position sur toutes ces
controverses et braver en même temps tous ces obstacles afin de rendre possible l’étude
de la police administrative au Cameroun. Ces questions peuvent être rattachées soit à des
difficultés conceptuelles (II), soit à des difficultés d’ordre opératoire (III). Mais celle qui
constitue une sorte de préalable indispensable à l’étude, qui apparait comme une de ses
conditions de faisabilité et en détermine donc le cadre général, porte sur la possibilité
même de parler de police administrative au Cameroun, et donc d’un droit public
camerounais. Elle mérite d’être abordée en premier (I).

29
A propos de la théorie des fonctions de l’Etat, et sur une littérature abondante et fort diversifiée, lire, outre
les études déjà mentionnées de R. CARRE DE MALBERG, L. DUGUIT, C. EISENMANN et Roland
DRAGO : G. BERGERON, Fonctionnement de l’Etat, Paris, Armand Colin, 1965 ; G. BURDEAU,
« Remarques sur la classification des fonctions étatiques », R.D.P., 1945, pp. 202 et s. ; H. KELSEN, Théorie
générale du droit et de l’Etat, trad. franç., B. LAROCHE et V. FAURE, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, coll.
« La pensée juridique », 1997, p.55 ; MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, consultable sur le site :
http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html ; A. POSADA, Les
fonctions sociales de l’Etat, Paris, 1929 ; M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’Etat, Paris, P.U.F.,
Collection LEVIATHAN, 1994 ;
30
Celle-ci est entendue non pas comme l’expression d’une séparation entre création et application du droit,
mais comme l’expression d’une liaison entre ces deux aspects de l’expérience de la dynamique juridique : « la
pratique d’un système juridique conduit à le préciser, à le perfectionner ou le pervertir, à le transformer, à
le remettre en question en bref à imprimer les contours de son être et de son devenir ». De ce point de vue, la
pratique apparait, à la lumière de cette absence de cloisonnement, non pas comme une source matérielle du
droit, mais comme une espèce de source formelle du droit : elle « contribue en effet à façonner les
instruments juridiques mis en vigueur par le législateur, à leur donner leur portée véritable, leur touche
finale, par la manière dont elle les interprète et les applique ». La pratique apparait alors ici comme une « re-
création ». Voir, sur tous ces aspects : P. AMSELEK, « Le rôle de la pratique dans la formation du droit :
Aperçus à propos de l’exemple du droit public français », in P. AMSELEK, Etudes de droit public, Paris,
Editions Panthéon Assas/LGDJ, 2009, pp. 47-83.

9
SECTION I- LE CADRE GENERAL : LE DROIT ADMINISTRATIF
CAMEROUNAIS

Le cadre général permet, globalement, de régler une question essentielle, relative


à la problématique des droits africains transposable au droit administratif camerounais, et
porte sur une donné essentielle de celui-ci, à savoir son existence. L’on ne peut en effet
différer plus longtemps encore l’étude systématique des droits africains à partir des
réalités nationales, c'est-à-dire des études qui contribueraient à expliquer la réalité
africaine, à la rendre intelligible par elle-même, sans forcément là comparer avec des
modèles dits référentiels, ceci dans la perspective de contribuer à la construction d’un
droit public authentiquement africain31, sous prétexte que la réalité africaine se prête
difficilement à l’analyse scientifique et à la théorisation. Certes la doctrine s’y est déjà
intéressée32, mais cette tendance reste, il faut le reconnaître, marginale. Les chapitres
principaux du droit public et plus principalement du droit administratif camerounais33
restent à écrire.

Si la question de l’existence d’un droit camerounais a, depuis très longtemps,


suscité l’intérêt de la doctrine, elle n’a pas pour autant permis de faire l’unanimité.
Plusieurs courants, correspondant à autant de points de vue, s’affrontent sur la question.
Malgré l’extrême hétérogénéité des divers points de vue, il est permis de tenter ici une
classification en deux catégories, à savoir ceux qui croient en son existence et ceux qui
n’y croient pas. Nous qualifierons le second courant de sceptique (I), tandis que le
premier sera qualifié de dogmatique (II).

31
R.-G. NLEP, L’Administration publique camerounaise. Contribution à l’étude des systèmes africains
d’administration publique, Paris, LGDJ, BDP, 1986, p. 2.
32
L’idée de « l’originalité des droits africains » est défendue en Afrique par le Doyen Magloire ONDOA
principalement dans son imposante thèse intitulée : Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en
développement. Contribution à l’étude de l’originalité des droits africains. Université de Yaoundé II, 1997, 3
tomes, 923 pages. Malgré le fait que cette thèse n’ait pas jusque là donné lieu à des prolongements conséquents
au sein de la doctrine, elle mérite qu’on lui rende justice en la confrontant à d’autres chapitres du droit public
africain, pour constater que dans un domaine aussi sensible que celui de la police administrative par exemple,
elle garde toute sa pertinence et permet de récuser définitivement l’idée d’un droit administratif camerounais
réplique intégrable de celui français.
33
L’expression Droit administratif camerounais est employée ici dans son sens plein, qui postule entre autre
son autonomie par rapport au droit administratif français, dont il tire néanmoins historiquement ses techniques
essentielles.

10
I- LA NEGATION DE L’EXISTENCE D’UN DROIT ADMINSTRATIF
CAMEROUNAIS : LE COURANT SCEPTIQUE

L’étude ici menée, pour produire des résultats crédibles, doit braver un certain
scepticisme qui semble avoir envahi la doctrine relativement à l’existence, en Afrique,
de véritables Droits nationaux34, à l’exemple du cas occidental. Le scepticisme dont il
s’agit s’appuie sur des arguments qui, nous allons le voir, ne manquent pas de
pertinence, bien que devant être relativisés et même à certains égards disqualifiés.

A- Exposé du point de vue sceptique

Le courant sceptique est incarné au Cameroun par un éminent maitre du droit


public africain à savoir le Professeur Joseph-Marie BIPOUN WOUM. Cet auteur, à
l’issue d’une étude magistrale sur « la représentation de l’Etat en justice au
Cameroun35 », est saisi par un « désarroi36 » et se demande « par référence à quoi on
peut parler d’un droit africain et, au niveau de chaque Etat, d’un droit national37 ».
Pour cet éminent juriste, pour parler d’un droit national, il ne suffit pas qu’il existe des
codes. Il ajoute : « c’est que le droit ayant une vocation instrumentale, les règles ne
suffisent pas à elles seules, à constituer un ordre. Elles doivent être soutendues par un
fond d’idées, de principes et de conventions publiques qui, exprimant une conception
précise de l’Etat et de l’ordre politique en général, renforcent et finalisent ces
règles »38. C’est ce qui explique, d’après l’auteur, « qu’un droit aussi technique que le

34
C’est nous qui soulignons
35
J. M. BIPOUN WOUM, « la représentation de l’Etat en justice au Cameroun », in R.C.D., 2e série, n° 23,
1984, pp. 17-57 ; voir du même auteur, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit
administratif dans les Etats d’Afrique noire d’expression française : le cas du Cameroun », in R.J.P.I.C. 1972,
pp 360-388. Cette étude, antérieure à la première citée, pouvait déjà annoncer le scepticisme de l’auteur quant
à l’existence d’un droit véritablement camerounais, car pour lui, dans sa « réception » des règles du droit
administratif, le législateur camerounais se contente de « reprendre à la lettre les dispositions du droit positif
français », et s’il arrive que cette réception ait un caractère sélectif, ce dernier n’est que de « circonstance ».
Quant au juge, il est souvent « non enclin à l’originalité » ; voir dans un sens similaire, M. KAMTO, « La
fonction administrative contentieuse de la Cour suprême du Cameroun », in J. Du BOIS de GAUDUSSON et
G. CONAC, Les Cours suprêmes en Afrique, la jurisprudence administrative, Paris, ECONOMICA, Tome III,
1988, pp. 31-67. L’auteur parle d’ « acclimatation tropicale », pour caractériser les modifications que
subissent les règles juridiques françaises (surtout jurisprudentielles) lorsqu’elles rentrent en contact avec la
réalité camerounaise. Idem, p. 60.
36
J. M. BIPOUN WOUM, « La représentation de l’Etat en justice au Cameroun », op. cit., p. 17.
37
Idem, à la même page.
38
Ibid., p. 18.

11
droit administratif soit également l’un des plus denses en contenu idéologique et
apparaisse en fin de compte comme le pilier normatif de l’Etat libéral français »39.

A bien lire l’auteur, ce qui fait défaut aux droits africains pour être considérés
comme de véritables droits, c’est un substrat idéologique pouvant servir de base
explicative à l’élaboration du droit et pouvant irriguer et nourrir l’ensemble des
institutions et des normes des Etats pour en faire de véritables ordres juridiques. Ceci a
pour conséquence de déboucher sur des pseudos droits nationaux qui en fait « résultent
d’emprunts sélectifs faits à des législations étrangères, ce qui pour chaque cas aboutit
moins à un ensemble cohérent qu’à un montage juridique difficile à interpréter (si ce
n’est à appliquer) »40. Or, « le droit n’est pas seulement un ensemble de règles, c’est
aussi une structure, c’est-à-dire un certain agencement de règles entre elles. Le droit
c’est moins un ensemble de règles de conduite existant à un moment donné que la
manière dont ces règles sont agencées, comprises et appliquées. D’ailleurs, un acte
quelconque ne devient une norme, une règle juridique que dans une certaine relation
avec une règle supérieure. La règle se définit par sa relation à un ordre normatif »41,
lequel ordre doit être assis et trouver sa cohérence sur un ensemble d’idées et de
conceptions qui lui offrent sa philosophie, en même temps qu’elles justifient sa logique
interne. Dépourvus de cette infrastructure, les droits africains manquent de « pertinence
systémique42 » et sont frappé d’un « défaut d’arrière fond légitimant43 ». Cette pensée
de l’éminent maitre tend ainsi à se rapprocher d’un courant plus vaste qui a animé la
doctrine africaniste et même africaine dès le lendemain des indépendances, à savoir le
courant du mimétisme juridique, même si l’auteur s’en défend en affirmant qu’« il ne

39
Ibid.
40
Ibid., p. 19.
41
A. S. MESCHERIAKOF, Le droit administratif ivoirien, Paris, Economica, 1982 p. 11. Cette caractéristique
du droit, qui est en fait une caractéristique de l’ordre juridique selon la conception qu’en a le normativisme
kelsenien (H. KELSEN, Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 2ème édition, Traduction Charles EISENMANN,
1962, pp. 258 et suiv.), est issue de la distinction qu’établi Kelsen entre hiérarchie statique et hiérarchie
dynamique du droit : la première fonde la validité de la norme juridique en fonction de sa conformité
matérielle (contenu) à la norme supérieure, alors que la seconde s’attache à une conformité purement formelle
(procédure) à la norme supérieure. Si Kelsen ne retient comme vrai que cette deuxième forme de hiérarchie
pour fonder l’ordre juridique, la première n’en est pas moins attestée par le droit positif, ce qui lui a valu les
critiques de la doctrine. Voir sur ces aspects : M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’Etat, op cit., p.
173 et s. ; P. AMSELEK, « Réflexions critiques autour de la conception kelsenienne de l’ordre juridique », in
R.D.P., 1978, I, pp. 5-19 ; M. TROPER, « La pyramide est toujours debout ! Réponse à Paul AMSELEK », in
R.D.P. 1978, II, pp1523-1536.
42
BIPOUN WOUM (J.M.), « la représentation de l’Etat en justice au Cameroun », op cit., p. 18.
43
Ibid.

12
s’agit point de décourager l’innovation ou d’inciter à un quelconque mimétisme
législatif qui serait plutôt un travers d’ordre psychologique de type postcolonial à
l’instar de certains comportements observés dans le domaine administratif 44 ». Il n’en
demeure pas moins que ce point de vue reste critiquable, en raison de son caractère
aridifiant et même anesthésiant pour la recherche juridique sur ce continent.

B- Critique du point de vue sceptique

Comme on le voit, ces arguments, qui ne manquent pas d’intérêt et de pertinence,


doivent quand même être relativisés, et même contestés, tant ils nient l’adage « ubi
societas ibi jus » légué par les Romains. Il est vrai qu’il n’existe pas en Afrique une
idéologie aussi enracinée, aussi stable et aussi fertile que l’idéologie libérale qui est à la
base de la majorité des droits Européens. Mais de là à conclure à une absence d’un
substrat idéologique à l’aventure étatique et juridique africaines, il y a un pas qu’il faut
éviter de franchir allègrement. Il ne peut y avoir de comparaison entre une idéologie
libérale, fruit d’une longue tradition séculaire et savamment construite, avec celle d’un
continent où les Etats se distinguent par leur jeunesse et dont le droit, il convient de le
concéder, n’est pas définitivement assis. Mais cela dit, il convient d’avoir une attitude
beaucoup moins sceptique et donc beaucoup plus dogmatique. Il faut croire en
l’existence des droits africains, œuvrer à leur consolidation scientifique car l’existence
de l’Etat en dépend. Il faut redonner toute sa vigueur à l’adage « ubi sociétas ibi jus »
légué par les anciens, et accepter l’idée que s’il existe des sociétés en Afrique, elles sont
nécessairement régies par un droit, et celui ci n’est pas du tout la photocopie de celui qui
44
Ibid., page 20. Sur le débat mimétisme autonomie, on lira utilement : dans une perspective synthétique, M.
ONDOA, Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en développement : Contribution à l’originalité
des droits africains post-coloniaux, Yaoundé, Editions l’Harmattan, 2010, 968 pages ; A. R. ATEBA EYONG,
Le juge et la création du droit. Essai sur l’élaboration jurisprudentielle du droit administratif camerounais,
Thèse de doctorat Ph/D en droit public, Université de Yaoundé II-SOA, 2014, 844 pages. Pour des points de
vue plus localisés : J. BUGNICOURT, « Le mimétisme administratif en Afrique, obstacle majeur au
développement », R.F.S.P., n°6, 1973 ; E. SCHAEFFER, « Aliénation-Réception-Authenticité. Réflexion sur
le droit du développement », Penant, 1974, pp. 411-332 ; F.-P. BENOIT, « Des conditions de développement
d’un Droit administratif autonome dans les Etats nouvellement indépendants », Annales africaines, 1962, pp.
129-138 ; M. BERNARD, « Existe-t-il un Droit Administratif ivoirien ? », R.I.D., n°4, 1970, pp. 11-16 ; A. S.
OULD BOUBOUTT, « Existe-t-il un contentieux administratif autonome en Mauritanie ? Réflexions à propos
d’une décision juridictionnelle récente », Penant, n° 786-787, 1985, pp. 58-88 ; A. BOCKEL, « Sur la difficile
gestation d’un droit administratif sénégalais », Annales africaines, 1973, pp. 137-154 ; M. YEM GOURI, « Le
bilan de l’unité du Droit Administratif dans les pays d’Afrique noire francophone », Penant, n° 797, 1988, pp.
293-307 ; du même auteur : « La responsabilité civile de l’Etat : une application maladroite du Droit
administratif par le Juge judiciaire africain. A propos de l’arrêt Etat du Niger contre SEYNI HAMIDOU et
Dame Borigabanda de la Cour d’Etat en date du 15 mai 1980 », R.J.P.I.C., n° 3, juillet-septembre 1987, pp.
199-214 ; J. Du BOIS de GAUDUSSON, « Le mimétisme postcolonial, et après ? », Pouvoirs 2009/2, N°
129, p. 45-55.

13
là historiquement inspiré. Le courant sceptique semble recommander, dans la recherche
d’une pertinence systémique des droits africains, de « partir moins du présupposé qu’ils
existent nécessairement45 », pour insister sur leur spécificité ou leur originalité, sur les
données qui les ordonnent et fondent leur cohérence46.

Mais ce faisant, une confusion essentielle semble s’insérer ici dans l’esprit de
l’éminent auteur, car il faut distinguer ici la notion de « non connaissance » du substrat
théorique des droits africains de celle « d’absence » de substrat théorique de ceux-ci. En
effet, les droits africains sont bels et bien ancrés dans une logique propre, prétendent à
un substrat théorique spécifique et comportent une cohérence dont le courant
dogmatique révèle la force inspiratrice et la valeur explicative.

Cela étant dit, la véritable question consiste à savoir si le droit camerounais


constitue un ordre juridique, ce dernier entendu comme « un ensemble organisé et
structuré de normes juridiques possédant ses propres sources, dotés d’organes et de
procédures aptes à les émettre, à les interpréter ainsi qu’à en faire constater et
sanctionner, le cas échéant, les violations47 ». Il serait alors bien curieux de soutenir
que le droit d’un Etat souverain ne constitue pas un ordre juridique ou un système
juridique48. Cela reviendrait à dire que le droit en vigueur au sein de l’Etat camerounais
n’est pas un droit voulu. Car seul un droit non voulu, c’est-à-dire à la limite constitué en
un bric-à-brac pourrait manquer de logique et donc d’arrière fond légitimant. Or si l’on
admet que le droit camerounais est un droit voulu, alors on peut estimer qu’il est voulu
pour un certain but, c’est-à-dire qu’il est soutenu par une certaine philosophie. Il exige
alors d’être pris au sérieux. Il importe plus que jamais de prendre les droits africains au
sérieux.
45
J. M. BIPOUN WOUM, « la représentation de l’Etat en justice au Cameroun », précité, p. 18
46
D. TRUCHET, « Réflexions sur le Droit Economique Public en Droit Français », in R.D.P., 4-1980, p.
1010 ; cet auteur soutient en effet que : « une collection de règles ne fait pas un droit : il faut encore que cette
collection soit ordonnée, qu’elle présente une certaine spécificité et une certaine cohérence », rejoignant par
là même le point de vue sus évoqué du Professeur MESCHERIAKOFF.
47
G. ISAAC, Droit communautaire général, Paris/Milan/Barcelone, Masson, 4ème édition, 1994, p. 115.
48
Pour certains auteurs (H. KELSEN, S. ROMANO, N. BOBBIO, ou M. TROPER), l’expression ordre
juridique est synonyme de celle de système juridique, même si cette dernière met plutôt l’accent sur l’idée que
« le droit est non une collection de normes, mais un ensemble coordonné de normes, qu’une norme ne se
trouve jamais seule, mais liée à d’autres normes avec lesquelles elles forment un système normatif ». V. sur
ce point : M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’Etat, op cit., p. 162 ; H. KELSEN, Théorie pure du
droit, précité, p. 257 ; adde : F. OST et M. VAN de KERCHOVE, Le système juridique entre ordre et
désordre, Paris, P.U.F., Collection « Les voies du droit », 1988, pp. 23-24. Sur l’ordre juridique camerounais
en particulier, lire essentiellement : D. J. ZAMBO ZAMBO, Le droit applicable au Cameroun. Essai sur les
conflits de loi dans le temps et dans l’espace, Thèse de Doctorat /Ph.D en Droit, Université de Yaoundé II-
SOA, 2008-2009, 620 pages.

14
II- L’AFFIRMATION DE L’EXISTENCE D’UN DROIT ADMINISTRATIF
CAMEROUNAIS : LE COURANT DOGMATIQUE

Il repose sur l’idée que les droits africains existent. Seulement, ils ne sont pas
sous-tendus par les mêmes idées que celles à la base d’autres droits de par le monde, en
particulier du droit français. Ces droits se distinguent donc par leur spécificité, et surtout
par leur originalité. A la question de savoir par rapport à quoi l’on peut parler d’un Droit
africain, et plus particulièrement d’un Droit étatique à l’instar de celui camerounais, ce
courant soutient qu’il existe bel et bien en Afrique et particulièrement au Cameroun un
ensemble d’idées et de conceptions qui sont à la base de la construction des institutions
étatiques, à l’instar de l’idéologie de la construction nationale 49, qui a longtemps servi à
expliquer et à rendre intelligible la réalité juridique de certains Etats Africains et
particulièrement du Cameroun50. Il est vrai que l’idéologie de la construction nationale
ne peut pas expliquer ou justifier l’ensemble des solutions adoptées par les pouvoirs
publics camerounais depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, mais elle reste une clé de
compréhension du système, la clé par excellence.

A- Exposé du point de vue dogmatique

Le point de vue dogmatique, en réponse à l’idée d’un manque de substrat


théorique au droit camerounais, propose plutôt d’analyser ce dernier comme une
expression normative de l’idéologie de la construction nationale, laquelle repose sur
deux aspects bien connus à savoir l’unité nationale et le développement.

Comment en effet occulter le fait que le droit public camerounais a longtemps été
(et ne l’est-il pas toujours dans une large mesure?) un instrument de construction de
l’unité nationale51 ? Est-il possible de minimiser l’impact de l’idéologie de la

49
M. KAMTO, Pouvoir et droit en Afrique. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats
d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, BAM, 1987 ; l’auteur affirme que « L’idéologie de la construction
nationale est une idéologie de mobilisation des énergies physiques, de captation de l’imagination et des
pulsions affectives des populations. Elle vise à mobiliser celles-ci sur des thèmes ayant une portée
globalisante, totalisante; à façonner une conscience collective nouvelle marquée par le désir de vivre en
commun et la volonté de combler son aspiration au bien être matériel », p. 325. Objectif prioritaire de l’Etat,
elle apparaît comme « la mobilisation de l’ensemble du potentiel (humain et économique) national en vue de
la réalisation, d’une part, de l’unité nationale, d’autre part, du développement national, celle là s’affirmant
comme une condition de celle-ci », p. 329.
50
L’essentiel des travaux scientifiques réalisés depuis l’indépendance est d’ailleurs profondément marqué par
cette réalité.
51
A. KONTCHOU KOUOMEGNI, « Le droit public Camerounais, instrument de construction de l’unité
nationale », in R.J.P.I.C., n°42, Octobre-Décembre 1979, pp 415 et s.

15
construction nationale qui est pourtant un instrument incontournable dans la
compréhension de l’évolution du droit public de la majorité des Etats Africains
francophones52 ? Il n’y a certes pas de commune mesure entre libéralisme et idéologie de
la construction nationale, mais il y a une similarité de fonctions. Tout comme le
libéralisme sert de base idéologique à l’élaboration et au développement non seulement
du droit administratif mais aussi de la société française, de même l’unité nationale a
depuis longtemps guidé les actions et les choix des pouvoirs publics camerounais dans la
recherche des solutions institutionnelles propres à l’Etat camerounais53. Il est vrai, cette
dernière idéologie ne présente pas la même logique, ni la même stabilité et la même
cohérence que l’idéologie libérale, mais elle sert de base explicative au renforcement et à
la finalisation des règles juridiques.

L’un des tenants de cette thèse affirme d’ailleurs à juste titre que : « notre droit
public, dans l’essentiel de ses principes autant que de ses dispositions précises,
apparaît comme un instrument délibérément mis en place par les responsables du pays
pour consolider et, au besoin imposer et accélérer le processus d’affirmation de l’unité
nationale »54.

Le « désarroi »55 exprimé par la doctrine par rapport à cette absence (apparente, il
faut le dire tout de suite) de véritables Droits en Afrique ne doit donc pas conduire au
renoncement. Ce désordre apparent ne constitue-t-il pas au surplus la véritable originalité
des droits africains ?

Au-delà de l’unité nationale, l’on peut décrypter la logique des droits africains
comme l’ont fait certains auteurs, à partir de l’idée de développement 56. Ils apparaissent

52
Le droit privé lui-même n’est pas resté en marge de cette influence. Voir par exemple, P.-G. POUGOUE, La
famille et la terre. Essai de contribution à la systématisation du droit privé au Cameroun, Thèse Droit,
Bordeaux I, 1977, p. 245 ; A. MINKOA SHE, Essai sur l’évolution de la politique criminelle au Cameroun
depuis l’indépendance, Thèse Droit, Strasbourg, 1987, p. 106
53
A. KONTCHOU KOUOMEGNI, « Idéologies et institutions politiques : l’impact de l’unité nationale sur
l’Etat camerounais », in Dynamique et finalités des droits africains, (Dir.), G. CONAC, Paris, Economica,
1980, pp. 442 et s.
54
A. KONTCHOU KOUOMEGNI, « Le droit public Camerounais … », op. cit. p. 416.
55
Sentiment exprimé par le Professeur BIPOUN WOUM dans l’article précité, consacré à l’étude de
l’institution de la représentation de l’Etat en justice
56
Voir par exemple: M. KAMTO, Pouvoir et droit en Afrique…, op. cit. ; M. ONDOA, Le droit de la
responsabilité dans les Etats en développement… op. cit. ; R. GRANGER, « Pour un droit du développement
dans les pays sous développés (Dix ans de conférences d’agrégation) », D., 1961 ; KEBA MBAYE, « Le
développement et les Droits de l’Homme », RSD, n°22, Spécial, 1978, p. 32 et s. R. G. NLEP
L’Administration publique camerounaise…op. cit. ; J. M. RAYNAUD, « Réflexions sur le droit administratif
du développement », in G. CONAC, (Dir.), Les grands services publics dans les Etats francophones d’Afrique

16
alors ici comme « un instrument de politique de développement57 ». En effet, s’il est
vrai que les Etats africains sont sous développés, et donc engagés dans la lutte pour le
développement, il apparaît incontestable que le droit, instrument irremplaçable
de régulation sociale ne peut qu’être au service de la réalisation de cet idéal. Sa vocation
instrumentale se trouve par là renforcée si bien qu’il n’est pas exagéré de parler en
Afrique, du moins jusqu'à une certaine période, de l’existence d’un véritable droit du
développement58. Par là, les droits africains vont donc fondamentalement se distinguer
des droits occidentaux, en raison justement de l’incompatibilité de leurs fondements
théoriques59 respectifs. Si le droit français et les droits africains francophones partagent
la même source d’inspiration à savoir la tradition romano germanique, leurs ressorts
respectifs les distinguent. D’un coté on a un droit promouvant l’ultra libéralisme propre
aux sociétés occidentales développées et sur-industrialisées, de l’autre on a des droits
orientés vers la recherche du développement et donc profondément déterminés par des
sociétés en construction ou plutôt en reconstruction suite au choc culturel subi du fait de
la rencontre avec le monde occidental au moment de la colonisation. On a en Afrique et
particulièrement au Cameroun, un droit correspondant à la rareté des ressources
économiques et financières, et donc chargé de réguler en permanence la pénurie et
l’insuffisance des moyens, qu’ils soient financiers ou institutionnels.

On note tout de même en Afrique depuis la fin des années 80 une percée
spectaculaire de l’idéologie libérale, notamment à travers l’œuvre des bailleurs de fonds
internationaux qui soumettent l’octroi de leur aide, principalement financière, à la mise
en œuvre de réformes politiques et juridiques fortement empreintes de libéralisme.
Démocratie et Etat de droit deviennent alors ici des leitmotivs qui doivent guider et

noire, Economica, coll. La vie du droit en Afrique, 1984, pp. 53 et s. ; E. SCHAEFFER, « Aliénation-
Réception-Authenticité. Réflexions sur le droit du développement », précité, pp. 314 et s.
57
B. MASQUET, « Cote d’Ivoire: Pouvoir présidentiel, palabre et démocratie », in Afrique Contemporaine,
n°114, mars avril 1981, p. 22.
58
Il existe en fait au moins deux conceptions majeures du « droit du développement ». La première, qui prône
le développement du droit, croit en la nécessité du développement en soi de chaque secteur et donc de celui
juridique, même en l’absence du développement concomitant des autres secteurs. Elle croit en une hiérarchie
entre les systèmes juridiques. La seconde conception, qui prône la mise en place d’un véritable droit du
développement, c'est-à-dire élaboré sur la base des réalités économiques et sociopolitiques africaines, de
manière à intégrer ce continent dans le processus global du développement, récuse l’idée d’une échelle entre
les systèmes juridiques, la valeur de ceux-ci s’appréciant dans leur capacité à remplir le rôle qui leur incombe.
Seule cette deuxième conception suscite notre adhésion, la première promouvant en arrière fond des relents
d’acculturation. Pour une présentation succincte de ces deux conceptions, voir : E. SCHAFFER « Aliénation-
réception-authenticité. Réflexion sur le droit du développement », op. cit. , pp. 313 et s.
59
M. ONDOA, thèse, op cit., p. 59 et s. ; du même auteur : « Le droit administratif français en Afrique… », op.
cit., p. 313.

17
constituer le tableau de bord de l’action des pouvoirs publics. C’est dans ce cadre qu’il
faut situer le formidable renouveau du constitutionnalisme dans cette partie du monde,
caractérisé par l’adoption de constitutions très libérales et fortement tournées vers la
garantie des droits et libertés. Il reste néanmoins, de notre point de vue, que le véritable
impact de ces réformes sur les droits africains reste à déterminer. S’il y a eu évolution de
ce point de vue, la révolution espérée n’est certainement pas encore parvenue à
l’effectivité60.

L’idéologie de la construction nationale peut donc apparaitre ainsi, bien que


cohabitant avec une idéologie libérale, comme le substrat théorique et idéologique des
droits africains et plus spécifiquement du droit camerounais61. Elle autorise une lecture
particulière et originale de la réalité juridique de ces pays. Car s’il est un domaine où la
particularité et même l’originalité du droit administratif camerounais est le plus marqué,
c’est bien celui de la police administrative, activité importante de la vie de l’Etat, qui
touche à sa raison d’être, et donc à son essence et son devenir. En tant qu’elle vise le
maintien de l’ordre public qui est le besoin primaire de toute société organisée, la police
administrative constitue un excellent champ d’expérimentation de l’idée de l’originalité
du droit public et plus principalement administratif de l’Etat du Cameroun. Le droit de la
police administrative au Cameroun n’est pas la photocopie du droit de la police
administrative en France62. Si des techniques similaires existent de part et d’autre, ces

60
D’ailleurs, certains acquis qu’on croyait désormais consolidés (tels par exemple ceux relatifs à la limitation
des mandats présidentiels) sont aujourd’hui fortement remis en cause. Sur l’évolution du constitutionnalisme
en Afrique, lire par exemple A. BOURGI, « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à
l’effectivité », in RFDC n°52, oct.-dec 2002, pp. 721 et s. ; J. M. BRETON, « Trente ans de
constitutionnalisme d’importation dans les pays d’Afrique noire francophone entre mimétisme et réception
critique : cohérences et incohérences (1960-1990) », communication présentée à Heidelberg, en octobre 2002,
devant la Gesellschaft fur Afrikanisches Recht, de l’Université de Bayreuth ; sur les transitions démocratiques
en Afrique : G. CONAC (Dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, La vie
du droit en Afrique, 1993 ; J. P. DALOZ et P. QUANTIN (Etudes réunies et présentées par), Les transitions
démocratiques africaines : dynamiques et contraintes, Paris, Karthala, 1997. Sur l’évolution du
constitutionnalisme au Cameroun : M. KAMTO, « La dynamique constitutionnelle du Cameroun
indépendant », RJA, 1991 ; M. NGUELE ABADA, Etat de droit et démocratisation. Contribution à l’étude de
l’évolution politique et constitutionnelle du Cameroun, Thèse Droit public, Paris I, 1995 ; du même auteur :
« Ruptures et continuités constitutionnelles en République du Cameroun », in RJPIC, 1996 ; J. MOUANGUE
KOBILA, « Peut-on parler d’un reflux du constitutionnalisme au Cameroun ? », in RASJ, vol. 6, n° 1, 2009,
pp. 267-306. Cela dit, si l’impact véritable de ce mouvement libéral sur les droits africains reste à déterminer,
sa réalité est tout de même incontestable. Nous y reviendrons dans le courant de cette introduction.
61
L’originalité de l’arrière fond légitimant de ces droits pourrait alors être ce mélange qui est fait entre une
idéologie libérale d’origine occidentale et une idéologie dite de la construction nationale, et qui permet à ces
droits, tout en faisant allégeance aux influences externes de rester campés sur des conceptions beaucoup plus
en harmonie avec les données institutionnelles et culturelles locales.
62
Au moins le fait qu’un certain équilibre soit depuis longtemps réalisé en France entre l’autorité et la liberté
en matière de maintien de l’ordre public, preuve d’une meilleure prise en compte des libertés et droits

18
techniques ne sont pas identiquement mises en œuvre, elles n’ont pas toujours le même
contenu et ne sont pas ordonnées à la même fin. Elles sont différemment mobilisées par
les pouvoirs publics, appellent des grilles d’analyse différentes et conduisent à des
résultats parfois totalement opposés les uns par rapport aux autres. Ceci est le signe
d’une certaine autonomie.

B- La thèse de l’autonomie des Droits africains63

Il est un truisme d’affirmer aujourd’hui que le Cameroun a subi de manière


profonde l’influence du modèle juridique français64. Si le débat ne se situe plus au niveau
de la réalité de cette influence, il a longtemps porté sur son impact réel, sur sa véritable
portée. Il n’est pas question de revenir sur la problématique de l’autonomie des droits
africains, car de notre point de vue elle semble acquise et le débat y relatif a déjà
suffisamment mobilisé l’énergie des chercheurs parmi les plus talentueux65. La question
qui se pose ici de manière pertinente est celle de la gestion de cette autonomie. En effet,
comment les droits africains ont-ils géré l’héritage du droit colonial ? Une fois inspirés
par les anciennes puissances mandatrices puis tutrices, quel itinéraire ont empruntés les
droits africains ? S’il est vrai que la métropole a longtemps été considérée comme « la
citée qui donne sa loi66 », faisant ainsi des territoires sous domination de simples

fondamentaux, contrairement au Cameroun où l’autorité a toujours primé outrageusement devrait pouvoir


convaincre les plus sceptiques.
63
Outre les autres travaux déjà cités de M. le Doyen M. ONDOA et pour une synthèse et un
approfondissement plus récents : M. ONDOA, Introduction historique au droit camerounais : la formation
initiale. Eléments pour une théorie de l’autonomie des droits africains, Yaoundé, E.D.L.K., 2013, 319 pages.
64
Sur le droit Français en Afrique, lire : J. M. BIPOUN WOUM, « Recherche sur les aspects actuels de la
réception du Droit administratif dans les Etats d’Afrique noire d’expression française : Le cas du Cameroun »
op cit ; M. ONDOA, « Le droit administratif Français en Afrique francophone : contribution à l’étude de la
réception des droits étrangers en droit interne », op cit. pp. 6 et s. ; M. ROUSSET et autres, Droit
administratif marocain, Ed. LAPORTE, Collection Manuels de Droit et d’Economie du Maroc, Rabat, 1970, p.
511 ; P.-F. GONIDEC, Les droits africains, Evolution et sources, Paris, LGDJ, 1976, 2e édition ; G.
KOUASSIGAN, Quelle est ma Loi ?, Paris, Pedone, collection du CREDILA, 1974, p. 26 et s. ; R. DEGNI
SEGUI, La succession d’Etat en Côte d’Ivoire, Thèse D.E Aix-Marseille 1979, p. 55 ; KAMTO Maurice, « La
fonction administrative contentieuse de la Cour Suprême du Cameroun », in J. Du BOIS de GAUDUSSON et
G. CONAC (Dir.), Les Cours Suprêmes en Afrique, Paris, ECONOMICA, III, 1988, pp. 31 et s., etc.
65
Voir notamment les travaux du Professeur ONDOA Magloire: Le droit de la responsabilité dans les Etats en
développement : contribution à l’étude de l’originalité des droits africains op cit ; « Le droit administratif
Français en Afrique francophone : contribution à l’étude de la réception des droits étrangers en droit interne »
op cit. ; Introduction historique au droit camerounais : la formation initiale. Eléments pour une théorie de
l’autonomie des droits africains, op cit.
66
C. ROUSSILLON, Le régime législatif de la France d’Outre-Mer, Bibliothèque juridique de l’Union
Française, Ed. de l’Union Française, Paris, 1952 p. 25, cité par M. ONDOA, « Le droit administratif Français
en Afrique… » op cit., p. 287.

19
« consommateurs du droit produit par le colonisateur67 », il était crucial, une fois
l’indépendance acquise, que les nouveaux Etats désormais pleinement souverains, se
déterminent clairement devant la question de la décolonisation juridique. Jean FOYER
lui-même, alors ministre français de la coopération, annonça la couleur en affirmant sans
ambages : « par le droit français, mais au-delà du droit français68 ». Cette exhortation
adressée aux jeunes Etats et les invitant en quelque sorte à transcender le modèle
juridique français ou du moins à se l’approprier ne pouvait que poser les bases d’une
démarcation entre la conception occidentale du droit propre à l’ancienne métropole et les
solutions proprement africaines aptes à « aider à la détermination de l’identité et du
contour réels des systèmes juridiques africains69 ». Il est incontestable d’affirmer
aujourd’hui que l’incompatibilité des fondements théoriques70 entre les droits français et
africains ne pouvait que conduire à une application réformée du modèle juridique
français. La théorie de l’autonomie des droits africains vient alors de ce point de vue
affirmer la différence des droits africains, par rapport à celui des anciennes puissances
dominatrices, notamment la France.

La notion d’autonomie doit ici être bien définie : « l’autonomie d’un système de
droit par rapport à un autre, signifie simplement que les règles de droit édictées pour
régir l’un des deux, ne sont pas automatiquement applicables à l’autre ; autrement dit,
que les deux systèmes sont indépendants, les sources du droit étant distinctes pour
chacun d’eux71 ». Perçue ainsi, l’autonomie semble avoir de tout temps caractérisé les
droits africains, et donc nécessité une lecture propre et originale de ceux-ci. Avant les
indépendances, le principe de la spécialité législative72, trace déjà une ligne de

67
M. ONDOA, « Le droit administratif Français en Afrique francophone… », op cit., à la même page.
68
J. FOYER, « Les destinées du droit Français en Afrique », Penant, 1962, p. 10.
69
M. ONDOA, « Le droit administratif Français en Afrique francophone… », op cit., p. 292.
70
M. ONDOA, « Ajustement structurel et réforme du fondement théorique des droits africains post-coloniaux :
l’exemple camerounais », RASJ, volume 2, N° 1, 2001, p. 75 et s.
71
A. DE LAUBADERE, « Les éléments d’originalité de la responsabilité contractuelle de l’administration »,
in Mélanges à Jean Claude MAESTRE, 1949, p. 384, cité par M. ONDOA, Introduction historique au droit
camerounais : la formation initiale. Eléments pour une théorie de l’autonomie des droits africains, précité, p.
28.
72
Le Roi de France, par une lettre de cachet du 26 octobre 1774, s’adressait ainsi aux présidents des Conseils
Supérieurs de St Domingue : « Quoique je vous ai déjà expliqué ce que vous devez observer par rapport à
l’enregistrement en mes Conseils Supérieurs des Iles-sous-le vent de mes édits, déclarations et autres
expéditions, je vous fais cette lettre pour vous dire que mon intention est que vous empêchiez qu’il soit
enregistré auxdits Conseils Supérieurs, non seulement aucun édits, déclaration, arrêt, règlement et
ordonnances autre que ceux qui, par mes ordres, vous seront adressés par mon Secrétaire d’Etat ayant le
département de la marine, mais encore aucune lettre de grâce, de rémission ou d’absolution ». Cette
consécration du principe de la spécialité législative posait les bases d’une certaine originalité reconnue aux

20
démarcation entre le droit métropolitain et les droits d’outre mer. Après les
indépendances, cette autonomie prend les contours du principe de souveraineté73, car il
faut bien admettre, contrairement à ce que suggère la thèse du mimétisme juridique, que
les droits africains comportent une logique qui leur est propre. Le Doyen Magloire
ONDOA démontre excellemment cette autonomie tant formelle que foncière des droits
africains. Et s’il démontre que l’autonomie concerne surtout les sources formelles, il met
en exergue aussi l’originalité dont sont marquées les solutions de fond des droits
africains. En le faisant, il contribue à démontrer leur existence, car « il existe un lien
indissociable entre l’originalité et l’existence d’un système juridique, c’est-à-dire sa
présence dans les classifications opérées (…). Démontrer l’originalité d’un système
juridique, c’est mettre en évidence un ensemble d’éléments prouvant son existence
séparée des autres et sa présence à coté d’eux74 ». L’autonomie dont il est question ici
ne signifie pas enfermement, encore moins autarcie. Elle signifie simplement que le
système juridique camerounais reste libre d’importer telle ou telle solution juridique,
pourvu que la situation de fait pour laquelle l’emprunt est effectué soit réglée de manière
satisfaisante.

Et si l’on peut contester la pertinence de la théorie de l’autonomie après les


indépendances, et donc la nécessité de là convoquer dans une étude faite en aujourd’hui,
il importe de souligner que la mise à contribution de cette théorie sert à corriger une
anomalie qui a longtemps affecté les travaux faits sur les droits africains, à savoir le
recours sans cesse fréquent aux textes et à la jurisprudence français, si bien que les
études n’avaient d’africain que le nom. Cette anomalie nuisait à la connaissance des
droits africains, si bien que la théorie du mimétisme ne pouvait que prospérer.
L’affirmation de l’autonomie des droits africains doit donc être un préalable à toute
étude sur ce continent, car elle détermine la perspective à emprunter par la recherche, et
surtout la crédibilité des résultats de celle-ci. Dans le domaine du maintien de l’ordre
public, cette démarcation est clairement établie, car si en France la police administrative,

droits africains. Voir M. ONDOA, Thèse précitée, p. 40 et suivante(s). Le Professeur Pierre LAMPUE défini
ce principe comme étant un « principe bien assuré suivant lequel les lois ne régissent les territoires d’Outre-
mer que si elles ont été faites précisément en vue de les régir ou si elles ont été étendues par une disposition
spéciale contenue soit dans la loi elle-même, soit dans un décret ». P. LAMPUE, « Les lois applicables dans
les territoires d’Outre-mer », Penant, 1950, p. 1
73
Du moins au plan strictement formel. Voir : M. ONDOA, Introduction historique au droit camerounais : la
formation initiale. Eléments pour une théorie de l’autonomie des droits africains, op cit., p. 30.
74
Idem, p. 38.

21
sous les auspices de la révolution libérale de 1789, est parvenue alors à réaliser un
équilibre satisfaisant entre le besoin d’assurer l’ordre et la nécessité de garantir les
libertés publiques, en Afrique et plus particulièrement au Cameroun, cette police
apparaît surtout comme « un acte de force intéressé75 », dont le but est d’assurer et de
protéger au besoin par la force, les intérêts de la nation dominatrice76. Cette dernière
ayant cédé la place à un nouveau pouvoir du fait de l’indépendance et au regard des
enjeux à affronter par le nouvel Etat, ce déséquilibre en faveur de l’autorité ne sera pas
rompu jusqu’à sa remise en cause au début des années 90. L’analyse du concept
fondamental de l’étude permet de le restituer amplement.

SECTION II- LE CONCEPT FONDAMENTAL : LA POLICE


ADMINISTRATIVE

Comme on demandait un jour à Confucius ce qu’il ferait s’il était Dieu, il


répondit sans hésitation : « je fixerais d’abord le sens des mots ». Cette anecdote
rapportée par Paul Bernard77 montre la nécessité qu’il y a, dans tout discours et encore
plus dans toute discussion scientifique, à procéder toujours à une remise en ordre
conceptuelle, étape nécessaire au développement de tout argumentaire. Cette nécessité
s’avère en plus impérieuse lorsqu’on est en face d’un concept aussi général 78 et aussi
indéterminé79 que celui de police. Il importe donc de bien fixer la notion de police
administrative tout d’abord dans son cadre originaire(I), mais en réalité telle que générée
dans le contexte français qui là engendré, avant de là fixer dans sa variante
spécifiquement administrative (II).

75
A. SARAULT, Grandeurs et servitudes coloniales, Paris, Ed. Du Sagittaire, 1931, p. 226.
76
J. de N. ATEMENGUE, Thèse, op cit., p. 2.
77
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, Paris, LGDJ, 1962, Epigraphe de
l’introduction.
78
Pour G. VEDEL et P. DELVOLVE, le mot police est assurément « l’un des plus généraux qui soient ».
Lire : G. VEDEL et P. DELVOLVE, Droit administratif, Paris, PUF, 1992, tome 2, p. 677. Pour la doctrine
classique, il a pendant longtemps été considéré que « la police n’est autre chose que l’administration
considérée sous son aspect le plus actif ». Cf. G. PELATANT, De l’organisation de la police, Thèse Dijon,
1899, p. 226 ; Pour le Professeur P. LEGENDRE, le terme police apparaît comme « la première appellation
du droit administratif ». Cf. P. LEGENDRE, L’histoire de l’Administration de 1750 à nos jours, Thémis,
Paris, PUF, 1968, p. 72. Rapporté par D. GREGOIRE, thèse, op cit., p. 14.
79
E. PICARD, La notion de police administrative, op cit., p. 16.

22
I- LE CONCEPT ORIGINAIRE : LA POLICE

Le concept de police administrative tire son origine de celui plus général de


police. Le sens de ce dernier n’est pas le même selon que l’on se situe dans la période de
l’ancien régime ou à partir de la révolution de 1789. Il est donc important de bien
distinguer ces deux sens, pour bien comprendre le processus de spécification dont elle a
été affectée au long des siècles et qui a permis son affinement de la période classique où
elle revêt une dimension particulièrement extensive(A), à la période moderne où elle
acquiert une signification beaucoup plus affinée(B).

A- Le sens classique

« Le sens du terme police s’est considérablement réduit au cours des siècles ».80
Plongeant ses racines dans le lointain passé de civilisations disparues81, il dérive du latin
« politia », lui-même issu du grec « politéia », qui désignait l’action de gouverner,
l’administration de la Cité (polis). De ce point de vue, la police apparait aussi vieille que
la cité elle même82. Dès l’origine, elle revêt un caractère extrêmement large. Ce sens
extrêmement étendu et large en faisait un synonyme d’organisation politique et
administrative83 de toute société politique, au sens où les Anciens entendaient ce terme84.
Montesquieu dans cette lignée, parle de la police comme s’appliquant à la forme
constitutionnelle et politique des Etats pratiquant la séparation des pouvoirs85.

Ce sens classique du terme police qui signifie alors en quelque sorte « évolution
positive dans l’organisation politique et sociale de la cité86 », et qui sert à distinguer les
sociétés policées des sociétés barbares, bien que très large, va, selon Charles-Edouard

80
P. BON, La police municipale, Thèse, Bordeaux I, 1975, p. 1.
81
M. F. DELHOSTE, Les polices administratives spéciales et le principe d’indépendance des législations,
Paris, LGDJ, collection BDP, 2001, p. 3.
82
Elle était en effet observable bien avant d’exister comme notion juridique. Dans ce sens, C.-E. MINET, op
cit., pp. 7 et s.
83
P. BON, La police municipale, op cit., à la même page.
84
Si l’on en croit C.-E. MINET (op cit., p. 8 et s.), « dans l’ancien droit, les détenteurs du pouvoir ont une
mission de maintien de l’ordre public qui se confond le plus souvent avec le reste de leurs attributions ».
C’est ainsi que l’Empire Romain plaçait chaque province conquise sous l’autorité d’un magistrat qui était
chargé confusément de l’administration générale, de la justice et de la police. Avec l’installation du royaume
des francs, cette organisation disparait, même si l’héritage romain reste connu pendant plusieurs siècles à
travers le bréviaire d’Alarie.
85
MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, XI. II, cité par le Littré, Dictionnaire de la langue française, 1982,
tome 3, p. 4820.
86
J. de N. ATEMENGUE, La police administrative au Cameroun, op cit, p. 5.

23
MINET, « perdurer quasiment jusqu’à la fin de l’ancien Régime87 ». Elle garde alors
un sens extrêmement large, qui englobe pratiquement l’ensemble du droit public88. Mais
cela dit, dès 1607, le terme police s’inscrit déjà dans une ambiguïté, car faisant coexister
une conception large à côté d’une conception stricte. Nicolas DELAMARE, dans son
célèbre Traité de la police, écrit à propos de la signification du mot police : « On le
prend quelquefois pour le gouvernement général de tous les Etats, sous quelques
formes qu’il soit établi et dans ce sens il se divise en monarchie, aristocratie et
démocratie, et en quelques autres parties moins parfaites formées de différents
mélanges qui peuvent se faire des trois premiers. D’autres fois, il signifie le
gouvernement de chaque Etat en particulier, alors il se divise en police ecclésiastique,
police civile, police militaire. Mais ordinairement dans un sens limité, il se prend pour
l’ordre public dans chaque ville et l’usage l’a tellement attaché à cette signification
que toutes les fois qu’il est prononcé absolument et sans suite, il n’est entendu que
dans ce dernier sens89 ». Cette coexistence d’une notion de police au sens large et au
sens étroit90 est également mise en lumière par Domat dans son Traité des Lois, lorsqu’il
écrit que : « la police universelle de la société règle chaque nation par deux sortes de
lois : la première est de celles qui regardent l’ordre public du gouvernement, comme
sont ces lois qu’on appelle les lois de l’Etat, et qui comprennent notamment la police
des villes et tous les autres règlements publics ; la seconde est de ces lois qu’on appelle
le droit privé91 ». Cette amorce bien que timide mais résolue d’une conception stricte de
la notion de police va s’avérer inéluctable, puisqu’au fil des siècles, « le sens du mot n’a
cessé de se restreindre pour désigner, dans la langue ordinaire, soit l’idée de
commandement ou de discipline, soit les forces de police92 ». Cette nouvelle conception
de la police, moderne, est celle qui, à partir de la révolution française, va s’affirmer dans
l’ensemble du droit public pour générer sa variante administrative.

87
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit, p. 6.
88
Ibid, p. 10.
89
N. DELAMARE, Traité de la police, tome 1, op cit., p. 02.
90
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit., p. 11.
91
DOMAT, Traité des seigneuries, cité par Charles-Edouard MINET, Idem, à la même page.
92
E. PICARD, La notion de police administrative, op cit, p. 17. Sur le plan institutionnel, c’est l’Edit de Saint-
Germain-en-Laye pris par LOUIS IV le 15 mars 1667 qui est considéré comme l’acte de naissance de la police
moderne au sens organique du terme. Il crée la fonction de lieutenant de police et, pour la toute première fois,
distingue clairement les fonctions de justice et les fonctions de police. Le premier homme à occuper les
fonctions de lieutenant de police, et qui les exercera pendant 30 ans, est Gabriel Nicolas de La REYNIE. Sur ce
point, C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit, p. 11.

24
B- Le sens moderne

C’est à partir de la Révolution que la notion de police acquiert sa forme moderne,


et que la police administrative s’en détache sous le double effet de la séparation des
pouvoirs et de la séparation des autorités93. Mais pour bien comprendre ce processus de
spécification de la police, il importe de partir du concept de base, unique et originaire, en
situant l’analyse sur le terrain des fondements du pouvoir de police, au sens général de
ce terme.

Du point de vue de ses fondements, la police apparaît, selon la magnifique


formule du Professeur Etienne PICARD, comme « la fonction disciplinaire de
l’institution politique globale94 », autrement dit, comme « la fonction publique
consistant à mettre en œuvre les exigences de l’ordre public au sein de cette institution
politique globale95 ». Cette institution politique globale, qui correspond à la notion de
cité dans son sens le plus classique, regroupe et régit toutes les personnes et institutions
publiques ou privées existant en son sein96. Elle est instituée sur certains principes dont
le premier est celui du primat des droits de la personne humaine, droits dits
fondamentaux97. Principe proclamé par la Révolution française de 1789, cette primauté
des droits de la personne humaine sur toute autre considération est magnifiquement
rappelée par le Commissaire du Gouvernement Corneille dans ses célèbres conclusions
sur l’Affaire Baldy du 10 Août 1917, lorsqu’il affirme : « Le point de départ de notre
droit public est dans l’ensemble des libertés des citoyens, que la déclaration des droits
de l’homme est, explicitement ou implicitement, au frontispice des constitutions
républicaines, et que toute controverse de droit public doit, pour se calquer sur les

93
C.-E. MINET, op cit., p. 11. C’est aussi à cette période que la police est mise en rapport avec ce qui
constitue à la fois son objet et sa limite, à savoir les libertés publiques.
94
E. PICARD, « Police », in D. ALLAND et S. RIALS (Dir.), Dictionnaire de la culture Juridique, Paris,
PUF, 2003, p. 1163.
95
Ibid.
96
Ibid.
97
La doctrine sur le concept de droits fondamentaux est foisonnante. Lire par exemple J. ROBERT et J.
DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Paris, Montchrestien, collection Domat, 1994 ; J.
MOURGEON, Les droits de l’homme, Paris, PUF, collection « Que-sais-je ? » 1990 ; G. LEBRETTON,
Libertés publiques et droits de l’homme, Armand COLIN, 1997 ; H. PAILLARD et S. TZITZIS, Droits
fondamentaux et spécificités culturelles, Paris, l’Harmattan, 1997 ; M. LEVINET, Droits et libertés
fondamentaux, Paris, P.U.F., « Que sais-je ? », 2010, 125 pages ; Numéro spécial AJDA, Les droits
fondamentaux. Une nouvelle catégorie juridique ?, juillet 1998 ; E. Dreyer, « La fonction des droits
fondamentaux dans l'ordre juridique », Recueil Dalloz 2006, p. 748.

25
principes généraux, partir de ce point de vue que la liberté est la règle, et la restriction
de police l’exception98 ».

Pour bien comprendre la pertinence de ce principe cardinal de l’Etat libéral, il


faut partir de la séparation qui existe entre l’Etat et la société, entre la puissance publique
et la liberté privée, entre la sphère publique en général et la sphère privée 99. En effet,
dans le type d’institution politique globale ici considéré, les conditions de l’harmonie
sociale s’établissent par priorité de principe et par les seules relations interpersonnelles
qu’établissent entre eux les sujets de droits privés. C’est seulement de façon supplétive,
c'est-à-dire lorsque les mécanismes propres à cette société s’avèrent insuffisants ou
défaillants que la cité assure elle-même, directement ou indirectement les conditions de
la cohésion sociale. Ainsi, le droit qui régit les relations interpersonnelles est qualifié de
statutaire100, tandis que celui qui constitue les sauvegardes instituées pour le suppléer est
qualifié de « droit disciplinaire », selon une expression chère au Doyen HAURIOU101.
La police, dans son sens général, correspond donc à cette fonction disciplinaire, en cela
qu’elle impose aux sujets de droit une certaine discipline collective. On comprend ainsi
que les règles de la fonction disciplinaire, non seulement doivent être ponctuelles, mais
aussi doivent être minimales102. La police administrative de ce point de vue n’apparaît
que comme l’une des multiples variantes de cette fonction disciplinaire103.

98
Conclusions CORNEILLE sur CE 10 Août 1917, Baldy, Recueil LEBON, p. 640, cité par C.-E. MINET, op
cit, p. 13.
99
E. PICARD, « Police », op cit, à la même page.
100
Sur cette notion lire : M. HAURIOU, L’institution et le droit statutaire, Recueil de législation de Toulouse,
2e série, Tome II, 1906.
101
Maurice HAURIOU, Principes du droit public, 1910, p. 137. « Le droit disciplinaire est constitué par
l’ensemble des actes juridiques et des règles juridiques émanant de l’autorité sociale instituée qui ont pour
objet soit d’imposer aux individus des mesures, soit de créer des situations opposables, soit de réprimer des
écarts de conduite, le tout principalement dans l’intérêt de l’institution et sous la seule sanction de la force
de correction dont elle dispose ». Cité par L. SFEZ, Essai sur la contribution du Doyen HAURIOU au droit
administratif français, Paris, LGDJ, BDP, 1966, p. 91.
102
Il s’agit là d’une concession faite par la théorie libérale à celle de la police administrative, condition de son
intégration dans les schémas libéraux qu’elle heurtait alors au moment de sa conception. Voir par exemple : J.
GALTI-MONTAIN, « La notion de police dans l’œuvre de Maurice HAURIOU », in Police et politique, C.
JOURNES (Dir.), P.U.L. 1987, p. 47 ; également, la thèse du Professeur PICARD, op cit., p. 461. D’un point
de vue schématique, on peut tenter de synthétiser l’histoire contemporaine de la police administrative à travers
les principales étapes suivantes : 1- Rejet de la police administrative par la théorie libérale 2- Survie de la
police administrative du fait de sa nécessité 3- Intégration de la police dans les schémas libéraux 4- soumission
de la police aux principes de légalité et de responsabilité 5- banalisation de la police administrative 6-
disparition ? Voir dans ce sens, C.-E MINET., op cit., p. 11 ; D. GREGOIRE, op cit.
103
On peut distinguer aussi entre autres, la police judiciaire, la police législative etc.

26
II- LE CONCEPT DERIVE : LA POLICE ADMINISTRATIVE

Il importe d’en dégager la signification d’abord dans le cadre français, avant de


procéder à un essai de définition dans le cadre spécifiquement camerounais, car les deux
contextes ne sont pas du tout les mêmes.

A- La notion de police administrative en France

A l’intérieur du concept général de police, la police administrative jouit d’une


réelle spécificité, d’une notable identité, d’une incontestable originalité. Toutefois,
malgré cette spécification et cet affinement, la notion de police administrative reste
susceptible de qualifications extrêmement diverses104. « Terme portrait105 », elle
apparaît, selon la judicieuse expression du Professeur PICARD, comme une « véritable
notion protée106 ». Sa définition reste en effet objet de difficultés, et sujette à
controverse, car marquée par la complexité. Si la majorité des auteurs de droit
administratif prennent en général soin de définir la notion de police administrative, le
moins qu’on puisse dire est que ces définitions ne correspondent pas toujours, et sont
même parfois très éloignées les unes des autres. Mais au-delà de cette extrême diversité
de conceptions, tous les auteurs sont d’accord pour rattacher la police administrative à
une source d’inspiration unique, à savoir le libéralisme.

1 - L’extrême diversité des définitions

Pour Maurice HAURIOU, « la police est le règlement de la cité, c'est-à-dire de


l’Etat, c'est-à-dire le maintien de l’ordre public assuré par une réglementation
appuyée sur la force publique et les organisations publiques. Tous les autres moyens
que ceux de la justice répressive sont des moyens de police »107. Cette assimilation de la
police administrative à la notion générale de réglementation tend à là rapprocher de la
définition classique évoquée plus haut, ce qui là rend inopérante dans le contexte
moderne. Elle se rapproche de la vision d’un René CAPITANT pour qui pouvoir

104
Ces qualificatifs pouvant être associés à la notion de police administrative sont recensés par le Professeur
PICARD dans sa Thèse : « Institution », « activité » ou « ensemble d’activités » ; « ensemble
d’interventions » ; « forme d’intervention de certaines autorités » ; « fonction » ; « fonction de l’Etat » ;
« fonction de l’administration » ; « pouvoir » ; « prescriptions » ; « limitations » ; « régime » etc., op cit., p.
33.
105
M.-F. DELHOSTE, op cit, p. 6.
106
E. PICARD, Thèse, op cit., Tome I, p. 26.
107
M. HAURIOU, Précis élémentaire de droit administratif, Paris, Sirey, 1933, p. 139.

27
réglementaire et pouvoir de police s’assimilent l’un l’autre 108. Bien que dans la pensée
du Maître de Toulouse la police se rattache au maintien de l’ordre public, elle tend à
s’opposer par la vision extrêmement large de cette dernière notion à la doctrine libérale
classique qui concevait l’ordre public dans un sens non seulement subsidiaire mais aussi
minimum.

Léon DUGUIT va plus loin dans la conception large de la notion de police


administrative. Pour lui, « La loi donne à l’autorité des pouvoirs particuliers qui
s’appellent des pouvoirs de police, et en vertu desquels elle peut d’avance prendre
certaines mesures pour empêcher que tel acte ou tel fait contraire au droit ne se
produise109 ». Il rattache alors le particularisme de la police administrative non pas à la
notion d’ordre public, mais à ce qu’il appelle la solidarité sociale110.

Ces diverses conceptions de la notion de police administrative se distinguant par


leur caractère extensif, les auteurs modernes ont travaillé à leur affinement et à leur
précision. C’est ainsi que si presque tous s’accordent pour fonder la police
administrative sur le maintien de l’ordre public, ils ne sont pas toujours en accord sur la
manière de décliner le sens véritable de cette notion, « ces auteurs se référant en la
matière tantôt à un pouvoir, tantôt à une fonction, une institution ou encore à une
activité ou à un procédé d’action111 ».

Ainsi pour André de LAUBADERE112 et Yves GAUDEMET113, la police


administrative est « une forme d’intervention qu’exercent certaines autorités
administratives et qui consiste à imposer en vue d’assurer l’ordre public des
limitations aux libertés individuelles ».

Pour Georges VEDEL, elle correspond à « l’ensemble des activités


administratives ayant pour objet l’édiction des règles générales et des mesures
individuelles nécessaires au maintien de l’ordre public114 ».

108
In Encyclopédie française, Tome X, Paris, 1964, p. 144, cité par J. de N. ATEMENGUE, Thèse précitée, p.
16.
109
L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, édition du Boccart, Paris, 1923, p. 58.
110
Ibid.
111
D. GREGOIRE, thèse, op cit., p. 01.
112
A. de LAUDADERE, Traité élémentaire de droit administratif, Paris, LGDJ, 1979
113
Y. GAUDEMET, Droit administratif, Paris, LGDJ, 18e édition, 2005, p. 305.
114
G. VEDEL, Droit administratif, Thémis, Paris, Economica, 1976, p. 784.

28
Pour Pierre Laurent FRIER, elle est « la fonction de l’administration qui a pour
but de faire régner l’ordre public en imposant en amont aux membres de la société des
restrictions à leurs libertés publiques pour assurer la discipline qu’exige la vie
sociale115 ».

Jean RIVERO n’est pas très loin de cette conception, lorsqu’il considère la police
administrative comme « l’ensemble des interventions de l’administration qui tendent à
imposer à la libre action des particuliers la discipline exigée par la vie en société116 ».

Quant au Professeur CHAPUS117, il l’assimile purement et simplement à une


activité de service public, celle qui « tend à assurer le maintien de l’ordre public dans
les différents secteurs de la vie sociale et cela autant que possible, en prévenant les
troubles qui pourraient l’atteindre, sinon, en y mettant fin118 ».

«L’immutabilité de cette présentation traditionnelle de la police


administrative119 », bien qu’étant aujourd’hui remise en cause120, ne manque pas de
soulever certaines questions essentielles relatives à la nature profonde de la police
administrative : s’agit-il d’une fonction, d’une forme d’intervention, d’une institution ou
d’un régime ? Car de la réponse à cette question dépend la démarche à adopter dans le
cadre d’une recherche qui se veut sérieuse. La difficulté vient alors du fait que la police
administrative est tout cela à la fois, ce qui ne peut que complexifier la démarche de
l’analyste. Une chose est toutefois sûre, c’est que la police administrative doit être
rattachée à la notion d’ordre public. Car en effet, la police administrative c’est d’abord
une activité, ou si l’on veut une fonction. Fonction de l’Administration certainement,
mais aussi fonction de l’Etat121. Elle a, de ce point de vue, un caractère
fondamentalement préventif, même si en la matière, il existe également une part de
répression. Ce dernier caractère ne doit toutefois pas amener à là confondre avec la

115
P.-L. FRIER, Précis de droit administratif, Domat droit public, Paris, Monchrestien, 2004, p. 238.
116
J. RIVERO et J. WALINE, Droit administratif, Paris, Dalloz, collection « Précis », 2004, n° 347.
117
R. CHAPUS, Droit administratif général, op cit, p. 697.
118
Idem, à la même page.
119
D. GREGOIRE, Thèse, op cit., p. 2.
120
Ibid
121
C’est en effet dans ce cadre que le Professeur PICARD l’étudie dans sa thèse, démarche reprise par M.
ATEMENGUE également dans sa thèse (op cit., pp. 21 à 31).

29
police judiciaire dont elle se distingue fondamentalement, cette dernière ayant,
contrairement à elle, un caractère prioritairement répressif122.

Toujours dans son sens matériel, la police administrative est susceptible de


recevoir plusieurs qualifications. Ainsi classiquement, on distingue la police
administrative générale des polices administratives spéciales. Si la première n’est pas
limitée du point de vue de son objet123, les secondes voient leur objet et leur but précisés
par les textes qui les créent nécessairement124. La Doctrine française a fait apparaître
aujourd’hui la spécificité des ces deux formes de polices administratives. En effet, « la
police administrative générale est cette partie de la fonction de police qui comporte
l’établissement de la discipline et l’accomplissement des activités nécessaires au
maintien de l’ordre public général125 ». Quant aux polices administratives spéciales,
elles apparaissent surtout comme « un moyen de suppléer les insuffisances de la police
générale126 », insuffisances matérielles, mais aussi insuffisances conceptuelles. Elles se
révèlent donc en définitive, comme « cette partie de la fonction de police qui comporte
l’établissement de la discipline et l’accomplissement d’activités nécessaires à la
satisfaction d’intérêts spécifiques d’ordre public, isolés pour quelques raisons que ce
soit de l’ordre public général, ou hors d’atteinte de celui-ci127 ».

Toutefois, si l’étude de la doctrine contemporaine fait apparaître une


prépondérance du sens matériel de la notion de police administrative, cela ne doit pas
occulter le sens institutionnel de ce concept, au double sens de ce mot 128. Car, au delà de
son sens fonctionnel, la police administrative, terme polysémique s’il en est, doit être
également entendue dans un sens organique ou si l’on veut formel. Ce sens permet

122
Ceci est une distinction classique reprise par la quasi-totalité des auteurs. Voir pour une étude approfondie
de la question : J. MOREAU, « Police administrative et police judiciaire. Recherche d’un critère de
distinction », AJDA, Fév. 1963, p. 68 et s. ; pour une évaluation aujourd’hui de cette distinction : L.
BEAULAC, La distinction Police administrative - Police judiciaire conserve-t-elle une utilité ? Thèse Pau,
2001.
123
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit, p. 53.
124
Alors qu’en France, les polices spéciales ont une origine strictement législative, nous verrons dans la suite
de cette étude qu’au Cameroun, on peut se demander si le pouvoir exécutif ne créé pas des polices
administratives spéciales. Voir par exemple le cas de la police des débits de boissons.
125
D. MAILLARD DESGREES du LOÛ, Police générale, Polices spéciales. (Recherche sur la spécificité des
polices générales et spéciales) op cit., p. 9.
126
Idem, à la même page.
127
Ibid, p. 12.
128
Sur la notion d’institution, voir les travaux du Doyen Maurice HAURIOU.

30
d’envisager l’aménagement129 ou si l’on veut les organes de la police administrative et
permet d’étudier entre autre, les autorités et les forces de police.

Au total, « si la police administrative apparaît assez difficile à définir


précisément130 », il reste qu’elle peut être approchée en isolant les différents éléments
constants qui reviennent dans les multiples définitions proposées par les illustres auteurs
sus évoqués. Ainsi, la police administrative, plus qu’un ensemble de personnels,
d’autorités et de services, désigne une activité, laquelle a pour but d’assurer l’ordre
public, notion plus restreinte que celle d’intérêt général. Elle impose par là des limites à
la libre action des particuliers dans un but préventif et exceptionnellement répressif, en
édictant des règles juridiques contraignantes, mais également en réalisant des opérations
matérielles d’exécution des dites règles131. En France, elle est profondément irriguée par
une idéologie libérale.

2 - L’unicité de la source d’inspiration : le libéralisme

La police administrative ainsi précisée est celle de l’Etat libéral, en l’occurrence


français. Elle est entièrement construite sur une conception libérale de l’ordre public,
laquelle met en lumière une consubstantialité entre l’ordre et la liberté. Ici, il n’existe pas
une hiérarchie, encore moins une opposition entre l’ordre et la liberté. Car si dans l’Etat
libéral, « toutes les attentions sont tournées du côté des libertés qu’il s’agit de protéger
et de garantir132 », ces dernières font partie intégrante de l’ordre. Dans cette police
administrative de l’Etat de droit, « il ne saurait y avoir d’ordre public autonome ou
transcendant, c'est-à-dire conçu indépendamment des exigences de la liberté133 ».
Dans ce contexte, et comme le résume si bien le philosophe Alain, « la liberté ne va pas
sans l’ordre et l’ordre ne vaut rien sans la liberté134 ». Ordre et liberté habitent tous
l’idée de droit propre à la société libérale. L’ordre public y est donc « nécessaire à la
liberté, laquelle ne peut se concevoir ni s’exercer sans lui135 ». « Il (l’ordre public) ne
pourrait s’autoriser d’aucune légitimité ni d’aucune validité s’il n’était ordonné,

129
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit, p. 89.
130
Idem, p. 14.
131
Ibid, p. 15.
132
G. DELPHINE, Thèse, op cit., p. 21.
133
E. PICARD, « L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public », AJDA 1996, numéro
spécial, p. 58.
134
Cité par J. de N. ATEMENGUE, Thèse, op cit., II.
135
E. PICARD, « L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public », op cit., à la même page.

31
défini et mis en œuvre sans servir à la garantie et à la protection même de la liberté ou
plus généralement des droits fondamentaux qui, au sens propre, se trouvent au
fondement de cet ordre juridique, pour lui donner son sens et sa raison d’être : pour
lui servir de fondations136 ». Mais en même temps, « toutes les libertés et tous les droits
même fondamentaux, ne sauraient se définir sans se heurter à cette limite de l’ordre
public constitutive de ces droits, en ce qu’il les garantit et les protège, tout en en
indiquant l’étendue, car ils ne sauraient prétendre à l’infinitude. Ils s’arrêtent là où il
commence ; et il commence là où ils ne pourraient plus s’exercer dans s’abîmer ou se
détruire137 ». Ainsi dans l’Etat libéral, l’ordre public n’est pas l’antithèse des droits, mais
leur abri. Il « présente donc à priori et abstraitement la même valeur et le même rang
normatif que ces droits138 ».

Au regard donc de cette police administrative de l’Etat libéral qui, il faut le dire
tout de suite, correspond à la société occidentale et développée, on est amené à
s’interroger sur la situation qui prévaut dans des contextes sous développés ou que l’on
qualifie pudiquement de pays en voie de développement ? Si le modèle libéral s’est
largement exporté, on peut se demander ce qu’il en a résulté.

B- La notion de police administrative au Cameroun

La police administrative existe au Cameroun139. Mais si le droit camerounais


reconnait et consacre l’existence d’une institution police administrative, cette dernière
est d’une systématisation malaisée, en raison notamment du fait que cette existence n’a
pas donné lieu à une définition de la notion dans un texte ou dans une décision de justice.
Quand à la doctrine, elle ne s’est jamais risquée à proposer une définition de cette
notion, en raison de l’abstention doctrinale déjà soulignée140. La notion de police
administrative est donc ici entourée d’un voile d’obscurité très opaque, lequel est
entretenu par une extrême austérité de l’environnement juridique y relatif, et par un amas
de textes non seulement difficile à trouver, mais aussi difficile à interpréter et donc à
systématiser. Pourtant, cette situation obéit à une rationalité bien propre au droit

136
Idem, p. 58 à 59.
137
Ibid, p. 59
138
Ibid, à la même page.
139
Si en effet elle n’existait pas, et pour paraphraser une formule célèbre de Saint Paul, vaine serait notre foi
d’auteur d’une thèse sur la police administrative au Cameroun, vaine notre espérance de contribuer à une
connaissance du droit public camerounais en ce domaine spécifique.
140
Voir supra

32
administratif camerounais, qui consiste à entretenir un floue artistique autour de
certaines institutions afin de pouvoir les utiliser à des fins propres aux desseins de l’Etat
démiurge. Faute donc d’une définition claire de la notion, l’on est forcée de procéder à
des rapprochements entre les divers textes pour donner un contenu à la notion de police
administrative, laquelle apparait comme particulièrement extensive (1). Ce caractère
extensif peut alors s’expliquer par les bases substantielles dont elle procède, lesquelles
oscillent entre autoritarisme et libéralisme (2).

1- Une approche notionnelle nécessairement extensive

Comment appréhender la notion de police administrative au Cameroun ? On peut


d’abord observer que les textes actuellement en vigueur tout comme la jurisprudence
restent muets sur la question141. Il faut, pour trouver une définition, remonter au début du
siècle dernier. Ainsi, un décret du 20 mai 1903142 dispose en son article 59 : « la police
administrative a pour objet la tranquillité du pays, le maintien de l’ordre et l’exécution
des lois et règlements d’administration publique… ». Quant à l’ordre public,
« considéré dans son aspect le plus large, il comprendra tout ce qui, dans l’ordre

141
Toutefois, des réponses éparses et partielles sont données par certains textes, dont la jonction pourrait
fournir une réponse assez proche de la réalité juridique. Il faut d’emblé souligner que l’expression même de
« police administrative » ne semble pas ravir les faveurs des jurislateurs, si bien que lors même qu’elle est
utilisée, son contenu n’est point précisé. Il lui est préféré celle de « maintien de l’ordre » ou de « maintien de
l’ordre public », dont l’emploi est plus fréquent dans les textes. Et c’est d’ailleurs cette dernière qui bénéficie
régulièrement d’un contenu au plan textuel, si bien qu’en en isolant les éléments constants, il soit possible de
donner un contenu à la notion de police administrative, si l’on part de l’idée que la police administrative ici se
rattache également au maintien de l’ordre public, lequel apparait comme son objet essentiel. Et si l’on est
d’accord également pour concevoir la police administrative comme une fonction de l’Etat, ce qu’elle est ici
plus encore qu’ailleurs, alors il peut être avancée à ce niveau de l’étude que la police administrative est la
fonction de l’Etat qui a pour but le maintien de l’ordre public, le tout restant à fixer le contenu de ce que
recouvre l’expression maintien de l’ordre public.
142
Décret du 20 mai 1903 portant règlement sur l’organisation et le service de la gendarmerie (applicable aux
militaires de la gendarmerie à titre personnel en vertu de l’article 42 du décret du 27 mars 1953 infra, et en
attendant l’intervention de l’arrêté prévu à l’article 6 de ce décret). Au-delà de ce décret, il faut noter que le
premier texte à régir véritablement la matière au Cameroun est beaucoup plus ancien. En effet, lorsque la
France prend possession du Cameroun au début de la première guerre mondiale (1916), elle y étend sa
législation sur la police administrative, notamment dans sa variante municipale. C’est ainsi que la Loi du 5
avril 1884 sur l’organisation municipale y est étendue. Mais pour tenir compte des spécificités propres à
l’Afrique et conformément au principe de la spécialité législative, cette législation sera régulièrement adaptée
et mise à jour au moyen de plusieurs textes ultérieurs. Parmi ceux-ci, on a la Loi n° 55-1489 du 18 novembre
1955 relative à la réorganisation municipale en Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale
française, au Togo, au Cameroun et à Madagascar. Dans le domaine de la police municipale, on a, comme un
des tous premiers textes camerounais, l’Arrêté n° 7255 du 1er novembre 1956 déterminant les pouvoirs de
police des maires des communes de plein exercice. Dans le domaine de la circulation routière au Cameroun,
voir, pour une application de l’arrêté précité : Arrêté n° 60-40 du 5 mai 1960 fixant des interdictions de
stationner dans certaines artères des quartiers de la Briqueterie et de Messa (J.O.R.C., septembre 1960, p.
1255).

33
social, économique ou national, est de nature à influencer l’esprit des populations et
peut donner lieu à des mesures de précaution, de redressement ou de répression 143 ».
Le décret du 31 décembre 1960 sur le service de la gendarmerie 144 se voudra beaucoup
plus explicite par rapport aux éléments « de nature à influencer l’esprit des
populations » et pouvant « donner lieu à des mesures de précaution, de redressement
ou de répression145 ». Toutefois, si ce texte tend à perpétuer l’esprit de ses devanciers en
maintenant une approche infiniment large de l’ordre public objet de la police
administrative, il délimite le champ d’intervention de cette dernière en disposant en son
article 96 que : « la police administrative a pour objet la tranquillité du pays, le
maintien de l’ordre et la sécurité du pays. Elle a un caractère essentiellement préventif
et a pour but d’empêcher tous les actes délictueux que la police judiciaire réprime ».

A ce stade, la police administrative a donc un caractère essentiellement préventif


alors que celle judiciaire a un caractère répressif. Quoiqu’il en soit, l’appréhension large
de la police administrative demeure, surtout si l’on se réfère à des textes ayant une égale
prétention à fixer la notion de maintien de l’ordre public. Ainsi, « le maintien et le
rétablissement de l’ordre public comportent la protection des personnes et des biens,
l’exécution des lois et règlements, la répression des troubles intérieurs »146. « Le
maintien de l’ordre a pour objet de prévenir les troubles afin de n’avoir pas à les
réprimer. Il comporte également, si l’ordre vient à être troublé, des mesures destinées
à les rétablir147 ». Et si l’on évoque le texte le plus récent tendant à fixer un contenu de
la notion de police administrative, bien que ce soit dans sa variante municipale, on
constate que celui-ci n’est pas des plus précis. En effet, la loi n°2004/018 du 22

143
Ibid, article 87. Voir dans le même sens, arrêté n° 6130 du 13 septembre 1956 portant règlement sur le
service de la gendarmerie du Cameroun français, in J.O.C. du 26 septembre 1956, p. 1694.
144
Décret n°60-280 du 31 décembre 1960 sur le service de la gendarmerie, Article 34 -1° in J.O.C., n° 1427
du 16 février 1961, p. 177
145
Il mentionne ainsi les grèves, les ravitaillements, les trafics d’armes ou de munitions, les activités suspectes
d’étrangers résidant ou de passage, les fausses nouvelles, la propagande etc.
146
Article 8 de la Convention franco-camerounaise du 31 décembre 1958 relative à la défense, à l’ordre public
et à l’emploi de la gendarmerie, in J.-P. GUIFFO MOPO, Constitutions du Cameroun. Documents politiques
et diplomatiques, Yaoundé, 1977, p. 42.
147
Article 1er du Décret n° 68-DF-33 du 29 janvier 1968 fixant les missions de défense des forces régulières
supplétives et auxiliaires, in J.O.C., 1er février 1968, pp. 274-277. Ce texte distingue en outre les différentes
formes de maintien de l’ordre, à savoir la forme préventive, à base de renseignement et pouvant entrainer
l’action des forces territoriales locales avec ou sans réquisition, la forme active, en cas de menaces de troubles
justifiant la mise en application des plans de protection, et la forme renforcée, en cas de troubles graves et
généralisés justifiant la proclamation de l’état d’urgence. Il divise et classe en trois catégories les forces
régulières, du point de vue de leurs missions pour le maintien de l’ordre : 1ère catégorie : gendarmerie et
police ; 2ème catégorie : gendarmerie mobile et unités mobiles de police ; 3ème catégorie : armée de terre, marine
nationale, armée de l’air. Les forces supplétives et auxiliaires appartiennent à la première catégorie (article 3).

34
décembre 2004 fixant les règles applicables aux communes dispose en son article 87(1)
que « la police municipale a pour objet, sous réserve des dispositions de l’article 92 148,
d’assurer le bon ordre, la sûreté, la tranquillité, la sécurité et la salubrité
publiques149 ». En procédant à une lecture combinée des divers textes ici cités, et qui
sont les rares à pouvoir donner un aperçu de la notion de police administrative au
Cameroun, on peut, à l’analyse, dégager quelques constantes concernant cette notion :
premièrement, la police administrative a un caractère très englobant ; deuxièmement,
elle se distingue difficilement de la police judiciaire.

a)- Une notion de police administrative très englobante

Le caractère très englobant de la police administrative ici tient au fait que d’une
part, le contenu qui lui est donné par les différents textes cités va largement au-delà de ce
qui lui est classiquement reconnu comme faisant partie de son assiette150. Ainsi, si l’on
combine le décret du 20 mai 1903 et la Convention franco-camerounaise précitée, l’on
peut dégager comme relevant de la police administrative, en plus du maintien de l’ordre
et la sauvegarde de la tranquillité du pays151, l’exécution des lois et règlements. Si
classiquement on a coutume de faire rentrer cette dernière mission dans le champ de la
police administrative, il s’agit uniquement des lois et règlements visant le maintien de

148
Lequel est ainsi énoncé en son alinéa 1er qui nous intéresse ici : « En l’absence d’un service de police
municipale, le maire peut créer un service d’hygiène chargé de la police sanitaire de la commune ».
149
L’alinéa 2 de ce même article poursuit : « ses missions comprennent notamment : a) la sûreté et la
commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, en l’occurrence le nettoiement,
l’éclairage, l’enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices menaçant ruine,
l’interdiction de ne rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse causer des dommages
ou des exhalaisons nuisibles ; b) le mode de transport des personnes décédées, des inhumations et
exhumations, le maintien du bon ordre et de la décence dans les cimetières, sans qu’il soit permis d’établir
des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des circonstances qui ont accompagné la mort ;
c) l’inspection des appareils et/ou instruments pour les denrées qui se vendent au poids ou à la mesure, et
sur la salubrité des denrées comestibles exposées en vente ; d) la prévention, par des précautions
convenables, et l’intervention par la distribution des secours nécessaires, en cas d’accident et de fléaux
calamiteux, tels que les incendies, les inondations ou tous autres accidents naturels, les maladies
épidémiques ou contagieuses, les épizooties, la mise en œuvre des mesures d’urgence en matière de sécurité,
d’assistance et de secours et, s’il ya lieu, le recours à l’intervention du représentant de l’Etat auquel il est
rendu compte des mesures prescrites ; e) les mesures nécessaires contre les aliénés, dont l’état pourrait
compromettre la morale publique, la sécurité des personnes ou la conservation des propriétés ; f)
l’intervention pour prévenir ou remédier aux évènements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la
divagation des animaux ; g) la démolition des édifices construits sans permis de bâtir »
150
A savoir la sécurité, la tranquillité et la salubrité, ce qui est par ailleurs une présentation très inexacte d’une
réalité beaucoup plus riche et tout autant complexe.
151
Il faut, pour la justesse du propos, dire que les textes les plus récents ont abandonné l’expression
« tranquillité du pays », au profit de celle de « tranquillité » ou de « bon ordre » (voir par exemple la loi sur
les communes de 2004), ceci non sans un surcroit d’ambigüité ou d’interrogations concernant le contenu exact
et exhaustif de ces notions. Voir infra.

35
l’ordre public152, et non tous les lois et règlements sans aucune spécification. Faute de
cette dernière spécification, il est à craindre que l’on ait conçu l’application des lois et
règlements au Cameroun comme devant se faire sous le seul régime généralement
exorbitant de la police administrative. Et si l’on ajoute à ceci le caractère infini du
contenu de l’ordre public ici153, l’on se rend compte que la notion de police
administrative peut, en fonction des intérêts mis en jeu, revêtir un caractère infini.

D’autre part, le caractère englobant de la notion de police administrative tient au


fait qu’ici, la notion n’est pas spécialement compartimentée telle qu’elle pourrait l’être
ailleurs154. Ainsi, si l’on peut, à la suite de l’usage sporadique et bien localisé des notions
de police générale155 et de police spéciale156, inférer l’existence d’une telle distinction
dans le système juridique camerounais, aucune analyse rigoureusement formelle ne peut
permettre de le soutenir. En effet, ni les textes, ni la jurisprudence ne consacrent
clairement une distinction entre ces deux formes de police administrative, et à fortiori le
critère qui constituerait la base d’une telle distinction. Et si l’on abouti néanmoins à
accepter l’idée de l’existence de ces deux formes de police, c’est essentiellement sur la
base d’un constat matériel, lié notamment à la façon dont les compétences des
différentes autorités sont conditionnées157. Mais il reste que la distinction entre police
générale et police spéciale est extrêmement floue, et particulièrement difficile à établir,

152
Ainsi lorsqu’un texte fait rentrer par exemple dans les compétences de police d’un maire l’application des
lois et règlements, cela ne peut que concerner les lois et règlements de police qu’il n’a pas eu la compétence de
prendre lui-même.
153
Voir infra.
154
Le système juridique camerounais semble ne pas accorder d’importance particulière aux différentes
spécifications qui sont accordées aux diverses manifestations de la notion de police ailleurs, à savoir par
exemple la distinction entre police administrative et police judiciaire, police administrative et police législative,
police nationale et police municipale, et surtout entre police générale et police spéciale.
155
Aucun texte du Cameroun indépendant n’emploi l’expression police générale. Il faut remonter à la période
du Mandat, pour trouver un texte applicable au Cameroun et employant cette expression. En effet, l’arrêté du
1er juin 1946 portant réorganisation du service de la Sûreté générale dans les Territoires du Cameroun
(J.O.C., 15 juin 1946, pp. 809-811), en son article 5, mentionne la « centralisation et la diffusion des
renseignements de police générale intéressant l’ordre public et la sûreté du Territoire » (c’est nous qui
soulignons).
156
Quant à l’expression police spéciale, elle est employée surtout pour désigner la police spéciale des chemins
de fer, et avec une connotation principalement organique. Elle fait d’ailleurs l’objet de la sollicitude très
régulière des autorités normatives.
157
On peut en effet observer que parmi les autorités détentrices du pouvoir de police, certaines tiennent leur
habilitation en ce domaine d’une manière telle que leurs pouvoirs s’avèrent limités au plan matériel, voir
juridiquement encadrés : elles s’apparentent alors à des autorités de police spéciale. Quant à d’autres autorités
de police administrative elles tiennent leur habilitation soit d’une clause générale ne spécifiant pas la nature ou
l’étendue de leur intervention, soit n’en dispose pas du tout au plan strictement formel, mais exercent quand
même de manière manifeste et incontestable un réel pouvoir de police. De cette différence de conditionnement
des compétences, on peut tirer l’existence d’autorités de police générale distinctes des autorités de police
spéciale, et inférer l’existence au Cameroun d’une distinction entre police générale et police spéciale.

36
si bien qu’il ne serait pas exagéré de conclure au caractère interchangeable des deux, et
donc, à l’inutilité d’un critère de distinction. Quant à la distinction police étatique police
municipale, si elle est effectivement consacrée à travers la mise en place d’une police
municipale (au sens matériel du terme), cette distinction est atténuée par le fait que l’on
ne sait pas toujours si c’est sur la base de ce même titre qu’agissent les autorités de
police générale étatiques, ou si c’est sur la base d’une habilitation distincte. La police
administrative apparait ainsi comme une notion fourre-tout, un concept obèse, si bien
que sa fonction au sein du système juridique apparait comme principalement
instrumentale, au service prioritaire des intérêts de la puissance publique, qui est en fin
de compte la seule à pouvoir l’employer dans le sens qui sied le mieux à ses intérêts.

b)- Une police difficilement distincte de la police judiciaire

Si la police administrative apparait au Cameroun comme une notion au contenu


infini, elle est également difficilement distinguable de la police judiciaire, et ceci les
textes y contribuent d’une manière assez remarquable. Cette distinction peut être inférée
par la lecture des divers textes qui déterminent les missions des forces de police, et qui à
chaque fois révèlent l’emploi distinct de l’une après l’autre des expressions de police
administrative et de police judiciaire158, preuve de leur nature distincte. Cette distinction
peut également être entérinée par quelques textes anciens, notamment le décret du 31
décembre 1960 déjà cité159. Si ces différents textes prennent soin de distinguer les
expressions de police administrative et de police judiciaire ne serait-ce que dans
l’emploi, le dernier cité est l’un des tous premiers du Cameroun indépendant et l’un des
rares jusqu’à ce jour à donner une caractéristique propre à chaque forme de police. Il
dispose en effet que « la police administrative a pour objet la tranquillité du pays, le
maintien de l’ordre et la sécurité du pays. Elle a un caractère essentiellement préventif

158
En effet, la majorité des textes définissant les missions des forces de police évoquent à chaque fois que ces
dernières exercent des pouvoirs de police administrative et de police judiciaire, laissant ainsi conclure que ces
deux formes de police existent bel et bien dans le système juridique camerounais et qu’elles sont également
bien distinctes. L’un des plus récents de ceux-ci, à savoir le Décret n° 2012-540 du 19 novembre 2012 portant
organisation de la Délégation Générale à la Sûreté Nationale, énonce en son article 3(1) : « La sûreté
nationale a pour mission fondamentale d’assurer le respect et la protection des institutions, des libertés
publiques, des personnes et des biens » ; (2) « elle assure le respect de l’exécution des lois et règlements » ;
(3) « elle concourt à l’exercice de la police administrative et de la police judiciaire ».
159
Ce texte dispose en son article 96 que : « La police administrative a pour objet la tranquillité du pays, le
maintien de l’ordre et la sécurité du pays. Elle a un caractère essentiellement préventif et a pour but
d’empêcher toux les actes délictueux que la police judiciaire réprime ».

37
et a pour but d’empêcher tous les actes délictueux que la police judiciaire réprime160 ».
Ainsi, l’élément qui permet de distinguer les deux formes de police est leurs caractères
respectifs, à savoir le caractère préventif de la police administrative et le caractère
répressif de la police judiciaire. Ce dernier caractère répressif de la police judiciaire est
entériné par le Code de procédure pénale161 qui dispose en son article 82 : « La police
judiciaire est chargée : a) de constater les infractions, d’en rassembler les preuves,
d’en rechercher les auteurs et complices et, le cas échéant de les déférer au parquet
(…) ».

Mais cette distinction peut avoir tendance à se diluer, et ceci pour deux raisons.
D’une part, le caractère tentaculaire de la police administrative peut conduire à ce qu’elle
vienne empiéter sur le champ de la police judiciaire, puisque comme le disent clairement
certains textes, la police administrative comporte une dimension répressive
importante162. Ce risque est d’ailleurs accentué par les textes, qui donnent aux autorités
de police administrative des missions qui, si l’on s’en tient à leur nature, devraient
revenir logiquement aux autorités judiciaires. Il s’agit ainsi par exemple de la lutte contre
le grand banditisme163, de la répression des atteintes à la propriété164, etc. D’autre part,
l’on ne note pas une action particulière du juge en cette matière, dans le sens de contenir
chaque forme de police dans son champ de compétence. Quoiqu’il en soit, cette
incertitude sur les frontières entre les deux formes de police confirme le caractère
160
Article 96 du décret du 31 décembre 1960 précité.
161
Voir la loi n° 2005/007 du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale.
162
A l’instar de la convention franco camerounaise du 31 décembre 1958 relative à la défense, à l’ordre public
et à la gendarmerie qui dispose : « Le maintien et le rétablissement de l’ordre public comportent la
protection des personnes et des biens, l’exécution des lois et règlements, la répression des troubles
intérieurs ». D’une manière générale, il est admis que la police administrative développe une dimension
répressive, comme le démontre l’essor contemporain de ce que la doctrine a cru devoir appeler le droit
administratif pénal. Cette perspective est accentuée au Cameroun par l’importance des pouvoirs de sanction
dont dispose l’administration ici.
163
La loi n° 90/054 du 19 décembre 1990 sur le maintien de l’ordre public donne ainsi en son article 2 (dernier
alinéa), des compétences aux autorités de police administrative, en matière de lutte contre le grand banditisme :
elles peuvent « prendre des mesures de garde à vue d’une durée de 15 jours renouvelables », et ceci « dans
le cadre de opérations de maintien de l’ordre public ». Voir, sur cet aspect particulier du maintien de l’ordre
public : E. KITIO, « La garde à vue administrative pour grand banditisme et respect des droits de l’homme au
Cameroun. Application de la loi n° 90/054 du 19 décembre 1990 sur le maintien de l’ordre », in Juridis
périodique, N° 30, avril-mai-juin 1997, pp. 47-56 ; R. DJILA, « Contribution à l’étude de la protection de la
liberté individuelle au Cameroun depuis 1990 », in Juridis Périodique N° 26 avril-mai-juin 1996, pp. 84 et
suiv; F. ANOUKAHA, « Droit pénal et démocratie en Afrique noire francophone (suite et fin) », Juridis Infos,
n° 23 juillet-aout-septembre, pp. 73 et suiv.
164
Les articles 10 alinéa 2 et 40 alinéa 2 du Décret n°2008/377 du 12 novembre 2008 fixant les attributions des
chefs de circonscriptions administratives et portant organisation et fonctionnement de leurs services accordent
respectivement au Gouverneur et au Préfet, comme entre autres attributions de « constater les crimes et les
délits et d’en délivrer les auteurs aux tribunaux dans les formes et délais impartis par les textes en
vigueur ».

38
infiniment large de la police administrative, preuve d’une oscillation de sa base
substantielle entre autoritarisme et libéralisme.

2- Une dualité de la base substantielle : entre autoritarisme et libéralisme

La substantialisation autoritaire ou libérale de la police administrative ne s’est pas


faite d’un même coup. Si avant 1990 l’autoritarisme ne fait l’ombre d’aucun doute,
celui-ci est remis en cause à partir de cette date, du fait de la montée d’une tendance
libérale indéniable. Cette dernière n’a pas cependant permis de faire disparaitre la
première, si bien que la police administrative apparait aujourd’hui comme écartelée,
duale, et à la limite d’essence paradoxale. Cette cohabitation entre autoritarisme et
libéralisme constitue néanmoins la marque substantielle de la police administrative au
Cameroun en ce début de millénaire.

a)- Avant 1990 : l’étreinte de l’autoritarisme

Sitôt l’indépendance acquise, le Cameroun, tout comme ses homologues


d’Afrique noire francophone, s’est trouvé confronté à d’important défis, dont le moindre
n’était pas la pacification de son espace social et politique165. C’est ainsi que « les
impératifs de la construction nationale, du développement économique et de la
stabilité politique ont influé d’une façon particulière sur l’œuvre
d’institutionnalisation de l’Etat camerounais166 ». Ces impératifs qui s’analysent en des
choix politiques prioritaires du jeune pouvoir guident à cette époque de manière étroite
l’entreprise du maintien de l’ordre au sein de l’Etat. Le fait qu’ici, « les règles
applicables à l’action administrative découlent, au moins dans cette phase
immédiatement consécutive à l’indépendance, d’actes législatifs, confère
incontestablement quelque originalité au droit qu’elles concourent à former167 », car,
pour le Professeur BIPOUN WOUM qui analyse alors l’état du droit administratif reçu
par le jeune Etat, « la prépondérance de la source législative risque d’imprimer aux

165
J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public Camerounais », op cit, p.
3. L’auteur emploi l’expression « funestes augures » pour caractériser le contexte de la naissance et des
premiers moments de l’Etat camerounais.
166
J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public camerounais », op cit, p.
105.
167
J. M. BIPOUN WOUM, « Recherche sur les aspects actuels de la réception du droit administratif… », op
cit. p. 362.

39
règles administratives en cours de formation un caractère unilatéral, favorable à la
puissance publique168 ». Cette prédiction, qui s’avèrera fondée par la suite au regard de
l’institutionnalisation d’une légalité d’exception dans le droit public camerounais169,
videra ici de tout son sens l’idée de garantie des particuliers vis-à-vis de
l’Administration170. On note alors une hypertrophie des pouvoirs de cette dernière dans
tous les domaines de la vie sociopolitique. Période qualifiée de « dictature
constitutionnelle » ou de « parenthèse de césarisme171 », caractérisée par la mise en
place de ce que le Professeur BIPOUN appelle « une législation de la peur 172», elle
démontre de manière claire le choix opéré par les autorités camerounaises au profit de
l’autorité, alors même que la liberté se trouvera mise sous l’éteignoir. Ainsi, avant 1990,
toute la fonction de police est assurée dans le cadre fixé par la législation de crise mise
en vigueur.

Elle est le parfait reflet de l’exorbitance du pouvoir administratif173 en matière de


maintien de l’ordre public. Cette exorbitance est exacerbée lorsqu’on examine tout le
dispositif juridique relatif à la fameuse répression de la subversion174, véritable
camouflet infligé une fois de plus à la liberté. La réglementation visant à réprimer la
subversion reposant sur une conception extrêmement large et autoritaire de la notion
d’ordre public, en correctionnalisant le contentieux y relatif175, contribue à développer à
l’extrême une fonction répressive au sein de la police administrative, signe d’une volonté
incontestable des pouvoirs publics d’assurer l’ordre public par tous les moyens, surtout
autoritaires176. Le régime des sanctions applicables ici, et qui peut conduire à déclarer un

168
Idem, p. 368.
169
J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public camerounais », op cit.
170
J. M. BIPOUN WOUM, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit administratif dans les
Etats d’Afrique noire d’expression française… », op cit. p. 369.
171
J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public camerounais », op cit.,
p. 106.
172
J. M. BIPOUN WOUM, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit administratif dans les
Etats d’Afrique noire d’expression française… », op cit., p. 374.
173
Sur cette notion, voir F. MELLERAY, « L’exorbitance du droit administratif en question(s) », AJDA, 2003,
p. 961 ; du même auteur, L’exorbitance du droit administratif en question(s), Faculté de droit et de sciences
sociales de Poitiers, Paris, LGDJ, 2004 ; J. CHEVALIER, « Le droit administratif : droit de privilège? »,
Pouvoirs,-46 1988.
174
Voir par exemple l’ordonnance n° 62-OF-18 du 12 Mars 1962 portant répression de la subversion in
J.O.E.C du 1er Avril 1962, p. 32, modifiée par la loi n° 63-LF-30 du 30 Octobre 1963 complétant l’ordonnance
n° 61-OF-6 du 04 Octobre 1961 fixant l’organisation judiciaire militaire de l’Etat.
175
L’article 4 de l’Ordonnance n°62-OF-18 pose en effet que « les infractions prévues aux articles 1, 2 et 3 de
la présente ordonnance seront déférées aux tribunaux correctionnels… »
176
L’énoncé des dispositions de l’Ordonnance n°62-OF-18 est parfaitement révélatrice de cette tendance au
regard de leur énonciation :

40
fonctionnaire incapable d’exercer une fonction publique, est parfaitement révélateur
d’une conception tentaculaire de la fonction de police.

L’application de cette réglementation permettra de développer une délation


particulièrement nuisible non seulement au sein de l’Administration mais aussi au sein
de la société, contribuant par là à donner à l’ordre public un caractère particulièrement
délétère. La tendance autoritaire de la police administrative s’appuie également sur
l’article 7 de l’ordonnance du 26 aout 1972 sur l’état d’urgence, qui donne aux autorités
administratives de l’ensemble du pays les mêmes pouvoirs exorbitants que ceux des
autorités administratives des circonscriptions administratives sous état d’urgence.
Prenant prétexte du contexte d’insécurité de cette époque, la puissance publique
maintiendra une police administrative autoritaire, sous le sceau de la crise permanente,
jusqu’à sa remise en cause à l’aube des années 1990.

b)- Après 1990 : l’empreinte du libéralisme...

Le vent de libéralisation qui a soufflé sur la majorité des pays africains 177 à l’aube
des années 1990 n’a pas épargné le Cameroun. La poussé libertaire qui s’est affirmée dès
la fin des années 80 a conduit, à la faveur d’une conjugaison de facteurs autant
endogènes178 qu’exogènes179, à la remise en cause de l’ordre autoritaire jusque la en
vigueur180. Emoussé par trois décennies de développement économique non réalisé et

« Article premier.- Quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, incité à résister à l’application des lois,
décrets, règlements ou ordre de l’autorité publique, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à trois ans
et d’une amende de 100.000 à un millions de francs ou l’une de ces deux peines seulement ».
« Article 2.- Quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, porté atteinte au respect dû aux autorités
publiques ou incité à la haine contre le gouvernement de la République fédérale ou des Etats fédérés ou
participé à une entreprise de subversion dirigée contre les autorités et les lois de ladite République ou des
Etats fédérés, ou encouragé cette subversion sera puni d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une
amende de 200.000 à 2 millions de francs ou de l’une de ces deux peines seulement, sans préjudice, s’il ya
lieu, des peines plus fortes prévues par les lois et décrets en vigueur »
« Article 3.- Quiconque aura émis ou propagé des bruits, nouvelles ou rumeurs mensongers, soit assorti de
commentaires tendancieux des nouvelles exactes, lorsque ces bruits, nouvelles, rumeurs ou commentaires
sont susceptibles de nuire aux autorités publiques sera puni des peines prévues à l’article 2 ».
177
Voir l’ouvrage de G. CONAC précité, l’Afrique en transition vers le pluralisme politique, spécialement sa
contribution intitulée « le processus de démocratisation en Afrique », p. 11 ; J. P. DALOZ et P. QUANTIN
(Etudes réunies et présentées par), Les transitions démocratiques africaines : dynamiques et contraintes, Paris,
Karthala, 1997
178
M. KAMTO « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun » in G.
CONAC (Dir.) L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, op cit, pp 211 et s.
179
Ibid.
180
Voir par exemple, J. Du BOIS de GAUDUSSON, « Crise de l’interventionnisme et libéralisation en
Afrique », RJPIC tome 38, N°1, janv. 1984, pp. 1 et s. ; M. ONDOA, « Ajustement structurel et réforme du
fondement théorique des droits africains postcoloniaux : l’exemple camerounais », op cit., pp. 76 et s.

41
d’unité nationale dont il est un truisme de dire qu’elle est inachevée, l’ordre autoritaire
mis en place à l’indépendance se trouve à bout de souffle. La crise économique qui sévit
ici181, comme d’ailleurs dans la majorité des pays africains182, l’incapacité des pouvoirs
publics à là résorber à l’aide des instruments juridico-économiques en place183, ainsi
qu’un environnement international de plus en plus hostile à laisser prospérer des
systèmes autoritaires depuis l’effondrement de l’Union Soviétique et de son idéologie
marxiste184, invitent à un changement de cap, à une nouvelle façon de voir et de faire. Le
droit du développement et de la construction nationale semble alors connaître une crise
profonde185. Un droit de la crise s’avère indispensable pour voler au secours de la crise
du droit186 jusque la en vigueur.

En effet le droit, instrument irremplaçable de régulation sociale, se trouvait alors


au centre de toutes les attentions, car devant servir de moteur à un nouveau départ d’un
Etat au bord de la faillite. Est interpellé le droit politique certainement, pour assurer un
meilleur exercice du pouvoir, dans le sens d’une meilleure expression de la liberté. Est
également sollicité le droit administratif, car ici plus qu’ailleurs, l’Administration est et
demeure le principal moteur du développement187. Au delà même des cloisonnements
disciplinaires, c’est la norme juridique qui est au cœur de tous les enjeux, et qui est
appelée à conduire le changement. Prônée par les bailleurs de fonds internationaux vers
lesquels se sont tournés la quasi-totalité des pays africains afin d’obtenir une aide
financière dans le but de juguler les effets de la crise188, l’idée de changement ou de

181
La reconnaissance officielle de la réalité de la crise au Cameroun est faite par la voix la plus autorisée le 19
février 1987. Ce jour là, dans une déclaration solennelle à la télévision nationale, le Président de la République
Paul BIYA affirme sans ambages : « la crise économique est là », rapporté dans TOUNA MAMA, (Dir.), Crise
économique et politique de déréglementation au Cameroun, Paris, l’Harmattan, (Collection Alternatives
rurales), 1996, p. 144.
182
BANQUE MONDIALE, Rapport sur le développement dans le monde, 1991. Le défi du développement,
Banque Mondiale, Economica, p. 10.
183
J. Du BOIS de GAUDUSSON, « Crise de l’interventionnisme et libéralisation en Afrique », op cit, aux
mêmes pages ; G. CONAC, « Le processus de démocratisation en Afrique », précité, pp. 11 et s.
184
Pour une vue des transitions démocratiques en Europe de l’Est, lire : J. P. MASSIAS, Justice
constitutionnelle et transition démocratique en Europe de l’Est, Paris, LGDJ, 1997, p. 14 et s.
185
BANQUE MONDIALE, Rapport sur le développement dans le monde. Les institutions juridiques de l’Etat
de droit. De l’économie planifiée à l’économie de marché, 1996, p. 74 et s.
186
Cf., Droit de la crise : crise du droit ? Les incidences de la crise économique sur l’évolution du système
juridique, Travaux des Cinquièmes Journées RENE SAVATIER (tenues à Poitiers les 5 et 6 Octobre 1995),
Paris, PUF, 236 pages.
187
R. G. NLEP, L’Administration publique camerounaise. Contribution à l’étude des systèmes africains
d’administration publique, op cit., p. 1.
188
Ceci conformément aux recommandations d’Elliot BERG. Lire, E. BERG, Rapport sur le développement
accéléré en Afrique au Sud du Sahara. Programme indicatif d’action. Banque Mondiale 1981 ; Egalement, J.

42
réforme des structures jusqu’alors en vigueur devient une conditionnalité189 imposée par
le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale : elle prend le nom de
Programme d’Ajustement Structurel190. A la base instrument de politique économique,
l’ajustement structurel se mue en instrument de politique juridique191, au point de
constituer le substrat de la construction de la démocratie et de l’Etat de droit. La doctrine
semble d’ailleurs unanime à affirmer ou confirmer l’idée de mutation 192, de réforme193,
ou de transformation194 des droits africains195. L’orientation de ces derniers semble alors
être clairement et incontestablement libérale196. La police administrative n’a pas échappé
à cette mouvance libérale, d’où les importants changements opérés dans l’armature
juridique autoritaire alors en vigueur. Ces changements ont d’ailleurs suscité les éloges
de la doctrine, qui, en général très prudente, n’hésite pas à parler de « révolution
normative », pour caractériser les changements opérés dans le domaine du maintien de
l’ordre public.

L. AMSELLE, « La politique de la Banque Mondiale au Sud du Sahara », Politique Africaine, n° 10, 1983,
pp114 et s.
189
Sur la notion de conditionnalité, lire : J.M. SOREL, Les aspects juridiques de la conditionnalité du FMI,
Thèse, Paris XIII, 1990, 2 tomes ; A. PIQUEMAL, « La notion de conditionnalité et les organisations
internationales économiques et financières », in P. ISOART, (Mél. à ), Paris, Pédone, 1996, pp. 314 et s. ; M.
KAMTO, « Pauvreté et souveraineté dans l’ordre international contemporain », in P. ISOART., op cit, p. 20 et
s. Pour un point de vue historique : M. L’HERITEAU, Le Fonds Monétaire International et les pays du tiers
monde, Paris, P.U.F., 1986, p 21 et s.
190
Sensés agir sur les structures économiques, les PAS, qui ont remplacés les politiques de stabilisation mises
en place au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, s’analysent en des « programmes conçus et mis en
œuvre, dans le but premier et essentiel de rétablir la croissance économique ».Voir, M. ONDOA
« Ajustement structurel et réforme du fondement théorique des droits africains postcoloniaux : l’exemple
camerounais », op cit., p101 ; dans le même sens, J. FOSTER, « Ajustement structurel », Préface à G.
BLARDONE, Le Fonds Monétaire International, l’Ajustement structurel et les coûts de l’Homme, Paris, Les
Editions de l’Epargne, 1990, p. 9
191
En effet, selon la juste affirmation du Professeur Magloire ONDOA, « toute crise économique transforme
le système juridique en vigueur et se présente comme un puissant facteur de remise en cause de l’ordre
établi ». Lire : M. ONDOA, « Le droit public des Etats africains sous ajustement structurel : le cas du
Cameroun », in B. BEKOLO EBE, TOUNA MAMA, S. M. FOUDA, (Dir.), Mondialisation, exclusion et
développement africain: stratégies des acteurs privés, Mélanges offerts au Professeur Georges NGANGO,
Paris, Maison Neuve et Larose, p. 375.
192
C. KEUTCHA TCHAPNGA, « Les mutations récentes du droit administratif camerounais », in Afrilex
2000/01, p. 17 ; voir le même article dans la revue Juridis Périodique, n° 41, Janvier-Mars 2000, pp. 75-87
193
M. ONDOA, « Ajustement structurel et réforme du fondement théorique des droits africains postcoloniaux :
l’exemple camerounais », op cit., p 75.
194
F. GALLETTI, Les transformations du droit public africain francophone. Entre étatisme et libéralisation,
Bruxelles, Bruylant, 2004, 682 pages.
195
S’agissant de l’exemple spécifiquement camerounais, le professeur Maurice KAMTO emploi l’expression
« révolution normative » pour caractériser les changements normatifs survenus à l’occasion de l’accession du
Cameroun au libéralisme politique. Cf. M. KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme
politique au Cameroun », op cit, p. 221.
196
M. ONDOA, « La constitution duale : Recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au
Cameroun », in RASJ, Vol. 1, n°2, 2000, pp. 20 et s.

43
La police administrative semble donc désormais empreinte de libéralisme, même
si la question demeure de savoir à quel degré. Ce libéralisme somme toute doctrinal a-t-il
fait disparaitre l’idéologie de la construction nationale ? Une réponse négative s’impose,
car au plan substantiel, la nature de l’ordre public n’a pas changé. Ce dernier n’est pas
devenu un ordre public libéral, celui-ci entendu comme la résultante du libre jeu des
libertés individuelles et n’intervenant que subsidiairement pour suppléer l’ordre social
défaillant. Il s’apparente plutôt à un ordre autoritaire, imposé par l’Etat qui mène alors
comme une sorte de mission socialisante visant à construire un idéal social voulu et
imposé par les détenteurs du pouvoir. Les libertés ne sont pas considérées ici de manière
absolue comme relevant d’une axiologie transcendantale, mais comme des instruments
reconnus aux individus tant que les exigences du pouvoir ne sont pas remises en cause.
C’est pourquoi les libertés sont toujours énoncées ici sous réserve des exigences d’ordre
public, de sécurité de l’Etat et de respect des bonnes mœurs. Cet ordre public de l’Etat
sous développé du Cameroun « n’apparait plus comme un ordre qu’il s’agit
ponctuellement de rétablir lorsqu’il n’est plus produit par le libre jeu des libertés, mais
apparait davantage comme un ordre à instaurer préalablement à l’exercice des
libertés197 ». L’étude des questions opératoires relatives à l’étude permet de l’attester.

SECTION III- LES QUESTIONS OPERATOIRES : L’OBJET, LA METHODE


ET L’HYPOTHESE DE RECHERCHE

Etudier la police administrative au Cameroun, en systématiser les mécanismes


essentiels exige que l’on fixe de manière claire non seulement la question principale de
l’ouvrage c'est-à-dire son objet(I), mais aussi et surtout la démarche méthodologique à
laquelle l’on devra s’astreindre(II).

I- L’OBJET DE L’ETUDE

L’étude entend être circonscrite autour d’un objet principal, à savoir la


caractérisation de la police administrative au Cameroun. Mais, cela dit, elle s’inscrit au
cœur d’un autre enjeu, à savoir une meilleure connaissance du droit administratif
camerounais, ce dernier constituant le cadre général de la thèse. Ainsi, si la

197
D. GREGOIRE, Thèse, op cit., p. 50.

44
caractérisation de la police administrative apparait comme l’objet immédiat (1), l’objet
latent, mais tout aussi important, est en définitive la systématisation de l’évolution du
droit administratif camerounais (2).

A- L’objet immédiat : la caractérisation de la police administrative au Cameroun

Ce dont il est question ici c’est de la police administrative au Cameroun, c'est-à-


dire, et il n’est pas superflu de le rappeler, de l’étude du droit camerounais. L’étude
entend ainsi systématiser les solutions dégagées par le législateur et le juge198
camerounais en matière de maintien de l’ordre public199 depuis l’indépendance jusqu’à
ce jour200. De ce point de vue, elle apparaît comme extrêmement vaste, tellement la
matière est ici éparse, multiple, hétérogène et souvent difficile à saisir. Il faut alors partir
d’une question qui permette d’en restituer l’économie essentielle, en évitant au
maximum de mutiler l’objet de la recherche. Pour cela, il ne peut qu’être intéressant de
s’interroger sur les traits caractéristiques de la police administrative au Cameroun
aujourd’hui. Pour réaliser un tel objectif, il est indispensable de détecter la clé du
système, l’élément qui confère à l’institution police administrative sa logique
d’ensemble, et qui rend donc possible sa compréhension systématique. Cet élément peut
être révélé par la réponse à une question fondamentale. Elle est simplement et

198
La recherche a révélé s’agissant de l’œuvre du juge en matière de police administrative une contribution
quantitativement faible par rapport à toutes les potentialités que peut fournir la mise en place d’une police
administrative largement autoritaire et donc portant de manière permanente atteinte aux libertés. Le paradoxe
qu’il ya au Cameroun entre les multiples violations des libertés et le nombre très faible des recours adressés au
juge ne peut manquer de susciter la perplexité. On rentre là semble-t-il dans la problématique déjà analysée par
la doctrine du recours au juge et de la mise en œuvre de la fonction administrative contentieuse au Cameroun.
Sur la problématique du recours au juge, lire : B. R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès a la justice
administrative au Cameroun. Contribution à l’étude d’un droit fondamental », in RASJ, vol. 4 n° 1, 2007, pp.
169 et s. ; L. GARRIDO, Le droit d’accès au juge administratif. Enjeux, progrès et perspectives, Thèse Droit,
Bordeaux IV, 2005, p. 4 ; M.-A. FRISON ROCHE, « Le droit d’accès à la justice et au droit », in R.
CABRILLAC, M.-A. FRISON ROCHE, T. REVET, (Dir.), Libertés et droits fondamentaux, Paris, 12ème
édition, Dalloz, 2006, pp. 489-490 ; J. M. RAYNAUD, « Le droit au juge devant les juridictions
administratives », in J. RIDEAU, (Dir.), Le droit au juge dans l’Union européenne, 1998, p. 34 ; F. M.
SAWADOGO, « L’accès à la justice en Afrique francophone : problèmes et perspectives. Le cas du Burkina
Faso », in RJPIC n° 2, 1995, pp. 168 et s.. Sur la question de la faiblesse quantitative des recours contentieux
adressés au juge, lire : J. du BOIS de GAUDUSSON, « Le statut de la justice dans les Etats d’Afrique
francophone », in J. du BOIS de GAUDUSSON, G. CONAC, (Dir.), La justice en Afrique, in Afrique
contemporaine, Paris, La documentation française, 1990, pp. 6-12 ; A. S. MESCHERIAKOFF, « Le déclin de
la fonction administrative contentieuse au Cameroun », in RJPIC 1980,n°4, pp. 825-840 ; J. M. BIPOUN
WOUM, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit administratif dans les Etats d’Afrique
noire d’expression française », op cit., pp. 382 et s. ; J. C. ABA’A OYONO, La compétence de la juridiction
administrative en droit camerounais, Thèse droit, N. R., Nantes, 1994, pp. 194 et s. ; A. BOCKEL, « Le juge et
l’administration en Afrique noire francophone », in Annales africaines, 1971-1972, pp. 1-31.
199
Dans sa dimension intéressant la police administrative.
200
Mais des recours seront faits au droit en vigueur avant l’indépendance chaque fois que cela sera nécessaire
pour éclairer la situation du droit administratif dans le Cameroun indépendant.

45
globalement posée comme suit : qu’est ce qui caractérise la police administrative au
Cameroun ?

Il est évident qu’ainsi abstraitement et généralement formulée, cette


problématique peut ne renvoyer à rien de précis, aussi est-il impératif de là fixer dans le
cadre ci-dessus ébauché, celui de l’évolution générale du droit administratif
ccamerounais. En effet, alors que la doctrine soutient assez largement l’idée selon
laquelle le droit public et donc administratif camerounais est, depuis le début des années
1990, rentré dans une phase de libéralisation ayant conduit à des mutations au sein de
l’Etat et de son Droit, on peut se demander si la police administrative est, elle aussi,
concernée par ce constat doctrinal. Peut-on valablement soutenir que l’autoritarisme, qui
jadis caractérisait l’activité de police administrative a, du fait de certaines évolutions
somme toute incontestables, fait place au libéralisme ? C’est la réponse à cette question
qui, de notre point de vue, constitue la caractéristique de la police administrative au
Cameroun.

En effet, si la police administrative apparaît déterminée par le type d’Etat dans


lequel elle se déploie, elle reste comme partout tributaire de l’état des rapports entretenus
entre l’ordre et la liberté. Elle doit en effet concilier deux exigences, contradictoires aux
yeux de certains, mais parfaitement conciliables. D’un coté l’exigence d’ordre, besoin
vital pour toute société, et de l’autre l’exigence de liberté, sans laquelle toute entreprise
humaine serait vaine. Ainsi peut être décliné l’objet immédiat de l’étude. Mais elle
comporte aussi un objet latent, dont il convient d’esquisser les contours.

B- L’objet latent : la contribution à la systématisation d’un Droit administratif


authentiquement africain

L’évolution de la police administrative au Cameroun ne s’est pas faite en marge


de celle de l’ensemble des droits africains qui, à l’aube des années 90, ont connus des
bouleversements profonds, dont on n’a pas fini aujourd’hui de mesurer la portée exacte
et réelle. L’hypothèse selon laquelle le droit de la police administrative a certainement
connu des changements à la faveur de ce que la doctrine a appelé le « nouveau
constitutionnalisme201 » en Afrique trouve donc ici toute sa pertinence. La lecture

201
F. MELEDJE DJEDJRO, « La révision des constitutions dans les Etats africains francophones : Esquisse de
bilan », R.D.P., 1992, pp. 111-134, p. 134 ; dans un sens similaire : A. BOURGI, « L’évolution du

46
aujourd’hui de l’armature juridique régissant la police administrative appelle,
incontestablement, à envisager l’évolution de cette institution à travers celle du droit
public dans son ensemble, d’où l’intérêt de l’étude.

Cet intérêt apparait sous de multiples aspects, les uns aussi importants que les
autres. Il s’agit, tout d’abord, de jeter un voile de lumière sur l’une des activités les plus
essentielles de l’Etat au Cameroun, activité souvent durement ressentie par les citoyens
au regard des atteintes portées à leurs droits, mais surtout activité mal connue, sinon
méconnue aux plans scientifique et doctrinal. Plus d’un demi siècle après les
indépendances, la police administrative apparait, au regard du constat d’une abstention
doctrinale manifeste, comme frappée de tabou au sein de la doctrine publiciste
camerounaise. Si l’on est d’accord pour reconnaitre cette indifférence de la doctrine, à
quelque rares exception, l’intérêt d’une telle initiative apparait de lui-même.

Il s’agit ensuite, au regard de l’évolution brièvement décrite ci-haut, d’évaluer,


dans le domaine de la police administrative, l’impact véritable de ce que la doctrine a
semblé identifier comme étant la libéralisation des Droits africains, et donc du droit
public camerounais. Cette libéralisation s’applique-t-elle avec pertinence à cette activité
de la puissance publique ? L’intérêt scientifique de l’étude est alors incontestable, car il
s’agit de récuser l’idée, souvent avancée sans inventaire, de la libéralisation de l’Etat
camerounais, et donc de son droit. Dans un contexte d’enthousiasme libéral au sein de la
doctrine, une telle prise de position ne peut que, par son hétérodoxie, susciter le débat, et
ce ne serait pas la plus petite des victoires.

Il s’agit enfin, au plan purement doctrinal, de rendre justice à la thèse de


l’autonomie des droits africains, défendue par le Professeur ONDOA Magloire. Si
l’éminent juriste a excellemment mis en exergue cette autonomie en terme d’originalité
en partant du droit de la responsabilité publique de certains Etats africains, il était temps
que cette idée soit confrontée à d’autres champs du droit administratif, dans le but de

constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l’effectivité », op. cit. ; K. AHADZI, « Les nouvelles


tendances du constitutionnalisme africain ; le cas des Etats d’Afrique noire francophone », in Afrique juridique
et politique, juil-déc. 2002, pp. 35-86 ; J. L. ATANGANA AMOUGOU, « Rigidité et instabilité
constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme africain », in Afrique juridique et politique, vol. 2, n° 2,
juil-déc. 2006, pp. 42-87 ; également : J. Du BOIS de GAUDUSSON, « Défense et illustration du
constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir », in, Mélanges en l’honneur de Louis
FAVOREU, Paris, Dalloz, 2007, pp. 607-627.

47
parvenir, peut-être un jour, à satisfaire le vœu de Roger Gabriel NLEP202, que soit
systématisé un droit public authentiquement africain. Dans tous les cas, le droit de la
police administrative au Cameroun est un excellent champ d’expérimentation de la
pertinence de l’idée selon laquelle il existe un droit administratif et donc un droit public
camerounais, et que ce dernier n’est pas la photocopie de celui français, comme l’a
pendant longtemps affirmé une certaine doctrine. Il apparait alors nécessaire de décliner
la méthode choisie pour réaliser l’objectif ainsi défini.

II- LA METHODE

S’il est un problème que se doit de résoudre le chercheur en sciences sociales


avant de se lancer dans toute investigation, c’est bien celui du choix d’une méthode.
Selon J. L. BERGEL, « au sens étymologique, la méthode est un « cheminement ».
Elle est conçue comme un enchainement raisonné de moyens en vue d’une fin, plus
précisément comme la voie à suivre pour parvenir à un résultat203 ». Démarche
rationnelle de l’esprit pour arriver à la connaissance ou à la démonstration d’une vérité,
la méthode est directement liée à la question à laquelle le chercheur voudrait donner une
réponse. C’est donc dire que le choix de la méthode de recherche ne procède pas du
hasard, il n’est pas gratuit. Il détermine de manière étroite les éventuels résultats
auxquels pourrait parvenir le chercheur. Cependant, on peut aussi dire que le chercheur
reste tout à fait libre de choisir entre plusieurs méthodes, celle ou celles qui lui paraissent
à même de l’aider à résoudre le problème qu’il a en face de lui. Toutefois, s’il demeure
libre dans ce choix, il reste conditionné par une exigence, celle de parvenir à des
résultats révélant la stricte réalité, et attestés par cette dernière.

Il faut aussi dire que chaque discipline scientifique élabore sa ou ses méthodes de
recherche. C’est d’ailleurs là une condition de scientificité. Même si on admet parfois
des échanges de nature méthodologique entre les sciences, il est nécessaire, de notre
point de vue, d’œuvrer pour une plus grande orthodoxie, pour une plus grande pureté

202
R. G. NLEP, L’administration publique camerounaise…, op cit., p. 2. L’auteur affirme en substance:
« l’étude du droit public africain s’enrichira davantage à travers des analyses monographiques seules
susceptibles de fournir des données de base nécessaires à une systématisation postérieure d’un droit public
africain authentique ».
203
J. L. BERGEL, Méthodologie juridique, Paris, PUF, 2001, p. 17.

48
dans les choix méthodologiques de tout chercheur204. Ainsi, si le droit est une discipline
scientifique, ce qui est incontestable205, il a ses méthodes, ou même pourrions nous dire
sa méthode. Même s’il est vrai que celle-ci n’a pas donné lieu à des développements et à
des évolutions importants, comme c’est le cas pour les sciences empiriques par exemple,
il est nécessaire que les juristes promeuvent prioritairement leurs méthodes de recherche
avant tout emprunt.

Aussi, la méthode qui sera adoptée dans le cadre de la présente étude est,
principalement, la méthode juridique. Elle sera axée sur les deux piliers bien connus des
juristes que sont la casuistique et la dogmatique.

La dogmatique, qui est essentiellement une démarche exégétique, est axée sur
l’étude des textes juridiques. Elle permettra de voir quel est le sort réservé par les
autorités éditrices des normes juridiques aux questions intéressant la police
administrative au Cameroun depuis l’indépendance jusqu’à ce jour. Mais nous entendons
bien évidemment remonter au delà de cette date, lorsque ce sera nécessaire, pour intégrer
les éléments rentrant dans l’hypothèse de travail. La démarche sera donc principalement
exégétique, basée sur une interprétation des énoncés textuels qui prend en compte autant
la lettre des textes que leur esprit.

Quant à la casuistique, qui est l’étude de la jurisprudence, elle nous aidera à voir
comment le juge, qui est chargé du contrôle de l’application de la loi, traite des questions
relatives à la police administrative. Il est en effet incontestable de nos jours que, par son
pouvoir d’interprétation, le juge crée le droit. Et même si pour ce qui est du Cameroun,
la contribution du juge à la création du droit de la police administrative reste, à l’analyse,
mineure, la démarche casuistique ne saurait être ici ignorée.

Ceci étant précisé et pour enlever au caractère éventuellement arbitraire du choix


de la méthode juridique dans le cadre de ce travail, il est indispensable non seulement

204
E. KANT n’affirmait-il pas la nécessité d’une division des travaux afin que chacun puisse s’acquitter de la
manière la plus parfaite et avec davantage de facilité, d’un type d’activités scientifiques données ; car,
« chacune réclame peut être un talent particulier dont la réunion en une seule personne ne produit que des
bousilleurs d’idées? » , cité par M. KAMTO, « L’utilité des savoirs scientifiques », intervention faite en
ouverture à la Journée de réflexion en hommage au Professeur Roger Gabriel NLEP, RASJ, vol. 4, n° 1, 2007,
i.
205
Et le positivisme juridique a énormément contribué à ce que le droit parvienne à ce statut et le conserve. Cf.
M. KAMTO, « l’utilité des savoirs scientifiques », op. cit., iv.

49
d’expliquer dans un plus grand détail à quoi peut renvoyer cette méthode, mais aussi de
justifier le pourquoi de celle-ci dans l’étude de la police administrative au Cameroun.

Lorsqu’on entreprend une étude sur le droit camerounais, on est tout de suite
frappé par le départ ou plutôt la distance qui existe entre d’un coté le droit élaboré par les
jurislateurs206, c'est-à-dire le droit formellement posé et de l’autre la pratique des acteurs.
Cette dernière est parfois fort éloignée de ce qui est prévu par les textes juridiques. Ceci
a pour effet pervers d’amener certains chercheurs à se départir des textes pour ne
s’intéresser qu’aux pratiques207, avec comme résultats des travaux dont le caractère
juridique laisse très souvent à désirer. On affirme alors que les sociétés africaines et
principalement la société camerounaise, vu son faible niveau de développement, ne peut
être étudiée sous le prisme de l’analyse juridique stricte, en raison justement de la
distance qui existe entre le droit formellement consacré et le droit effectivement vécue.
D’où le recours à des syncrétismes méthodologiques qui nuisent gravement à la qualité
des travaux scientifiques. En raison de tout cela, il est nécessaire de se départir de cette
déviance en se cantonnant à l’étude des textes et de la jurisprudence, pour ressortir les
traits caractéristiques de la police administrative au Cameroun. Non pas que la
pratique208 sois inintéressante pour le juriste, mais pour assurer le caractère juridique de
l’étude.

On là comprit, l’option ici est faite en faveur du positivisme juridique, qui


s’entend, du moins dans sa variante normativiste kelsenienne, « d’une doctrine qui
considère le droit comme un ensemble de normes juridiques posées suivant une
procédure préétablie et articulées entre elles209 ». Mais l’étude entend aller au-delà du

206
Ce terme est employé par le Professeur René CHAPUS. Il permet de désigner en général « les autorités
créatrices des normes juridiques » ou bien de dire « par quel acte les normes ont été édictées ». Cf. R.
CHAPUS, Droit administratif général, op cit, n°45, p. 27.
207
Celle-ci entendue au « sens large et indéterminé d’activités, de comportements, de manières de
procéder », au sens ou H. LEVY-BRUHL (H. LEVY-BRUHL, Aspects sociologiques du droit, Paris, 1955, p.
8, cité par P. AMSELEK, in « Le rôle de la pratique dans la formation du droit », précité, p. 48), affirme que
« pour avoir une vision tant soit peu exacte du droit existant, il faut connaitre le véritable comportement
juridique des hommes, fût-il paralégal ou même illégal. Ces pratiques constituent le droit, si elles sont
généralement observées, même lorsqu’elles ne sont pas inscrites dans les textes » ; or par la pratique (c’est
nous qui soulignons), il faut entendre « la pratique du droit, la pratique de la technique juridique, des
instruments juridiques, c’est-à-dire les comportements ou manières d’agir envisagés non pas en tant que
tels, mais dans le cadre des normes juridiques en vigueur (…), des comportements-réponses aux stimuli
juridiques ». Seuls ces derniers doivent être considérés comme importants pour le juriste. Sur toute cette
question, voir P. AMSELEK, Le rôle de la pratique dans la formation du droit, op cit, à la même page.
208
Cette pratique là…
209
M. KAMTO, L’utilité des savoirs scientifiques, op cit, iv. Il faut cependant dire que la qualification du
positivisme comme une doctrine est habituellement le fait surtout de ses adversaires. Pour ce qui nous

50
formalisme pur et dur, souvent reproché à Hans KELSEN, pour intégrer des
considérations d’ordre matériel, lesquelles sont rendues indispensables dans une étude
sur la police administrative. Cette activité administrative, ayant comme il été vu pour
fondement essentiel l’ordre public, lequel ne peut être épuisé quand à sa consistance
dans une simple norme juridique, impose de considérer inévitablement des données
factuelles, qu’un positivisme essentiellement formaliste ne pourrait qu’ignorer. La
démarche ici se veut donc principalement formelle, mais complétée chaque fois que ce
sera nécessaire par des analyses matérielles. Elle s’attachera strictement à l’étude de la
norme telle que posée par le législateur et appliquée par le juge, conformément aux
perspectives tant statique que dynamique, telles qu’identifiées par Hans KELSEN.

Mais au-delà de la méthode purement juridique l’étude entend s’enrichir d’autres


approches, notamment celle historique. Aussi, la démarche, en concédant inévitablement
à la diachronie et à la synchronie, se veut aussi synoptique et transversale. Institution
héritée de la tradition juridique française et ayant pour objet le maintien de l’ordre
public, la police administrative est fortement déterminée par le type d’Etat dans lequel
elle se trouve mise en œuvre. Elle apparaît alors intimement déterminée par des
circonstances de temps et de lieu, dans tous les sens suggérés par ces termes. La
combinaison des approches diachronique et synchronique permet alors de restituer le
trait caractéristique de la police administrative au Cameroun, lequel permet de lui donner
sa logique interne, et fourni par là même l’hypothèse démontrée dans la thèse.

III – L’HYPOTHESE

Par rapport à la question posée par l’étude, si plusieurs hypothèses sont


envisageables, une seule est ici retenue.

concerne, le positivisme peut être considéré comme une méthode, plus précisément une méthode d’approche
du droit, même si l’objectif de KELSEN n’a jamais été d’en construire une. Ce point de vue est d’ailleurs
partagé par la majorité de la doctrine. Elle considère le positivisme juridique donc d’abord comme « une
conception du droit dans laquelle on n’admet, comme critérium de la valeur juridique d’une norme, que sa
conformité, formelle et matérielle, avec une autre norme, prise pour étalon des valeurs juridiques, dans un
système juridique donné, et que l’on appelle norme juridique fondamentale, ainsi qu’avec les autres normes
régulièrement édictées par les autorités qualifiées par cette première norme, qui est, en ce qui concerne le
droit d’un Etat, la constitution de cet Etat ». Cf. M. WALINE, « Défense du positivisme juridique », in APD,
1969, p. 83 ; sur le positivisme juridique en général, v. par exemple, C. GRZGORCYK et (Autres), Le
positivisme juridique, Paris, L.G.D.J., coll. « La pensée juridique moderne », 1992, 535p. ; U. SCARPELLI,
Qu’est ce que le positivisme juridique ?, Paris L.G.D.J., coll. « La pensée juridique », 1996, 107p.

51
D’abord, on peut concevoir l’idée d’un Etat où le besoin de liberté l’emporte sur
les nécessités de l’ordre public. Quoique proche de la pure théorie, cette éventualité doit
quand même être ici évoquée, ne serait ce que pour le plaisir de l’esprit. Mais elle doit
immédiatement être écartée, en raison de son caractère invraisemblable dans le monde
contemporain. Toutefois, sur le plan symbolique, elle semble s’apparenter à la société
primitive décrite par certains auteurs comme étant celle de l’état de nature210. Elle ne
peut donc correspondre à la situation actuelle du Cameroun.

Ensuite, on peut envisager la possibilité d’un Etat où l’on est parvenu à réaliser
un équilibre parfait entre l’ordre et la liberté. Beaucoup plus vraisemblable, cette
hypothèse trouve sa réalisation dans les Etats libéraux, dont le niveau de développement
est déjà parvenu à un stade très avancé. Tel est le cas de l’Etat libéral français, où, grâce
à une succession historique de révolutions, il existe un consensus social et politique sur
les libertés.

Enfin, reste l’hypothèse où, en raison du faible niveau de développement, on


assiste à une victoire de l’ordre sur la liberté. Le Cameroun correspond à cette dernière
hypothèse. Ici en effet, il existe encore plus qu’un doute sur un éventuel consensus
relativement à la place des libertés dans l’ordre juridique. Cette priorité en terme de
primauté de l’ordre public apparaît alors, au regard de l’évolution actuelle du droit public
camerounais, comme l’élément qui permet de décrypter les idées et les mécanismes
concourant au maintien de l’ordre public. En effet, alors qu’en France, pays dont le
Cameroun à « hérité » son système juridique du fait de la colonisation, l’on est parvenu
depuis longtemps à concilier les exigences liées au maintien de l’ordre public avec celles
relatives à la garantie des libertés publiques, au Cameroun, le rapport entre ordre et
liberté débouche encore largement sur la victoire du premier sur la seconde. Ici, les
exigences liées au maintien de l’ordre public priment celles relatives à la garantie des
libertés publiques. Ce point de vue doit cependant être relativisé à partir des années
1990, en raison des changements si dessus évoqués. S’ils n’ont pas permis d’éradiquer
totalement l’ordre autoritaire, ils ont cependant permis de l’infléchir, et autorisent à
envisager à ce jour une réorientation du rapport entre l’autorité et la liberté. Ce rapport,
semble désormais concéder, bien que timidement, mais de manière certaine une plus

210
Voir par exemple toute la doctrine développée par Jean Jacques ROUSSEAU dans son œuvre maitresse Du
contrat social, ou par Thomas HOBBES, dans Le Leviathan.

52
grande considération à l’exercice des libertés. Cette tendance ne saurait être ignorée,
bien que ce soit encore pour certains aspects en termes de perspective, en tout cas en
terme purement formel.

L’on sait que si la question de la libéralisation effective des droits africains se


pose, c’est parce que l’enjeu justement se situe dans le sort qui est réservé aux valeurs
d’ordre et de liberté. Sur le plan logique, l’ordre domine dans l’hypothèse d’un droit
public autoritaire, alors dans celle d’un droit public libéral, c’est la liberté qui en sort
grandie. La police administrative, domaine par excellence d’expression de cet
affrontement permanent entre autorité et liberté, ne peut donc qu’être fortement marquée
par cette évolution du droit administratif.

A la question donc de savoir ce qui caractérise la police administrative au


Cameroun, la réponse doit être recherchée au sein de cet antagonisme
autoritarisme/libéralisme. Comment le droit public camerounais le résout-il dans le
cadre spécifique de la police administrative ? L’étude des textes et de la jurisprudence
camerounais montre, en leur état actuel, une évolution mitigée du droit de la police
administrative. En effet, malgré l’émergence d’un libéralisme formel, la police
administrative reste marquée par un autoritarisme matériel incontestable. Ce relent
autoritaire du droit de la police administrative apparait donc comme la caractéristique
essentielle de la police administrative au Cameroun.

D’où le plan suivant :

Première partie : L’EMERGENCE D’UN LIBERALISME FORMEL

Deuxième partie : LA PERSISTANCE D’UN AUTORITARISME MATERIEL

53
PREMIERE PARTIE :

L’EMERGENCE D’UN LIBERALISME FORMEL

54
La police administrative au Cameroun se caractérise, incontestablement, un demi-
siècle après les indépendances et plus de vingt ans après les bouleversements socio
politiques des années 1990, par l’émergence d’une libéralisme formel. Les
bouleversements ici évoqués n’auront donc pas laissé le droit administratif insensible au
changement. Il apparait de ce point de vue, particulièrement dans le domaine de la police
administrative, une sensibilisation plus accrue des règles encadrant cette activité aux
exigences du libéralisme juridique. Si on peut s’interroger sur le caractère réversible ou
irréversible de ce qui s’analyse comme un mouvement, la réalité de celui-ci ne saurait en
aucun cas faire l’objet de débat. Mais il faut, une fois ceci dit, s’interroger sur la nature
de celui-ci, avant de voir quelles sont ses différentes articulations ou alors la façon dont
il a affecté la fonction de police administrative.

Ce qu’il faut dire, s’agissant du premier point, c’est que la libéralisation dont il
s’agit ici est fondamentalement et presqu’exclusivement de nature formelle. Cette
considération, importante dans la compréhension du phénomène juridique ici analysé,
emporte des conséquences dont la prise en compte détermine la pertinence de l’étude. Le
caractère formel des mutations subies par la police administrative fait simplement
référence aux formes et procédures relatives à cette fonction étatique. Les différents
régimes prévus par les divers textes, les procédures d’adoption de ceux-ci et même les
formes qu’ils revêtent apparaissent, à la lumière des recherches, fortement sensibilisés
aux exigences du libéralisme juridique.

Quand au deuxième point, celui relatif à la façon dont ce mouvement de


libéralisation affecte la police administrative, il faut souligner que l’étude révèle une
action orientée vers deux directions.

Tout d’abord, les sources du droit de la police administrative vont se trouver


profondément réorientées, de telle sorte qu’elles apparaissent en pleine évolution, cette
dernière ayant pour ferment leur arrimage aux exigences libérales actuelles. L’origine
des règles juridiques formant le régime de la police administrative est en effet apparu
comme un indice pertinent d’évaluation du degré de pénétration des exigences libérales
au sein de cette activité étatique. Aussi, en investiguant sur la base de la question de
savoir si l’origine des règles formant le régime de la police administrative s’était vue
affecté par les évolutions du droit administratif, il a fallu se rendre à l’évidence que les
sources de ce droit, à l’image des sources du droit public tout entier, avaient connu une

55
évolution notable, au point de modifier formellement l’équilibre jadis en faveur de
l’autorité pour le mettre désormais au service de la liberté. Cette considération, qui est
apparue comme première dans l’émergence d’une tendance libérale au sein de la police
administrative, sera analysée en première approximation, dans le cadre d’un titre
premier.

Ensuite, l’émergence d’une libéralisation formelle de la police administrative va


se caractériser par une profonde mutation des procédés de police administrative. Cette
mutation, à défaut d’en revêtir le qualificatif, frise néanmoins la transformation. Signe
manifeste de la pénétration des exigences libérales au sein de la police administrative,
c’est-à-dire des instruments par lesquels la police administrative opère pour encadrer la
libre action des particuliers, la mutation des procédés de police administrative est
assurément au cœur de l’émergence d’une tendance libérale au sein de la police
administrative au Cameroun. Cette considération, au moins aussi importante que la
première sera analysée en seconde approximation, dans le cadre d’un titre second.

En étudiant successivement ces deux phénomènes dans cette première partie de la


thèse, il n’est sans doute pas inutile d’expliquer, au-delà des intitulés des deux titres
qu’elle comporte, l’esprit général qui là soutend à la lumière même de son intitulé. L’on
sait, dans cet ordre d’idées, que le terme émergence, s’il sert à désigner dans le langage
courant l’action qui consiste à sortir de l’eau, et dont d’apparaitre à l’air libre, dans le
cadre de la présente étude, il manifeste la même idée, mais, avec cette idée
supplémentaire de nouveauté, ou tout au moins de naissance et de croissance de quelque
chose. Il a l’avantage de ne pas nier la possibilité qu’il y ait eu une certaine libéralisation
au sein de la police administrative avant les années 90, mais il met surtout l’accent sur
l’idée que cette tendance est devenue forte, même si on ne peut dire d’elle qu’elle est
dominante. Le terme libéralisation quant à lui, au-delà de la multiplicité des définitions
qu’on peut lui donner, même dans le champ restreint du droit, sert ici simplement à
exprimer l’idée qu’une plus grande considération est accordée aux droits et libertés.
Quand au qualificatif formel, il servira à caractériser l’analyse à laquelle il sera procédé
dans le cadre de cette première partie, pour dire qu’il s’agit d’une analyse purement
formelle et aussi et surtout l’idée que les objets qui sont saisis dans le cadre de la
tendance libérale de la police administrative au Cameroun sont essentiellement des
objets de nature formelle. Autrement dit, les objets saisis par le mouvement de
libéralisation de la police administrative sont de nature strictement formelle, à l’instar
des sources et des procédés.

56
TITRE I :

LA RECONFIGURATION DES SOURCES

57
Les sources du droit de la police administrative sont en perpétuelle évolution au
Cameroun depuis le début des années 1990. Cette évolution s’apparente en une véritable
libéralisation, au sens ou ce terme signifie prise en compte des droits et libertés
fondamentaux. En effet, si la première chose que l’on peut faire, en étudiant la police
administrative au Cameroun, c’est de se demander d’où viennent les différentes règles
qui composent le régime applicable à cette activité administrative, c’est parce que cette
origine des règles détermine leur contenu et oriente sur le sens libéral ou autoritaire à
donner à ce régime. S’agissant de cette origine, il faut dire que si aujourd’hui la tendance
est à l’internationalisation du droit, la police administrative au Cameroun, contrairement
à cette tendance, reste encore majoritairement et presqu’essentiellement marquée par une
origine strictement interne de ses règles. Aussi, les sources constitutionnelle et
législative de ce droit apparaissent-elles comme centrales dans une telle investigation.
Les évolutions subies par ces sources au cours des dernières décennies vont donc
considérablement modifier la dimension formelle de la police administrative.

La source constitutionnelle, tout d’abord, connait un formidable renouveau depuis


les années 1990, ce dernier tributaire des mouvements de libéralisation observés un peu
partout en Afrique, et qui s’est caractérisé dans tous ces pays et particulièrement au
Cameroun par l’adoption de constitutions très libérales, imprégnées des exigences du
constitutionnalisme moderne et garantes de la mise en place de véritables Etats de droit.
La loi constitutionnelle camerounaise du 18 janvier 1996 portant révision de la
Constitution du 2 juin 1972 apparait à cet égard comme ayant complètement modernisé,
au plan formellement constitutionnel tout au moins, l’activité de police administrative.
Dans tous les cas, elle en a modernisé la source constitutionnelle.

La source législative ensuite, apparait comme contribuant à cette libéralisation de


la police administrative, car elle se voit réactivée, après plusieurs décennies de mise sous
le boisseau. L’étude révèle alors ici une dimension inexplorée des mutations actuelles
ayant affecté la police administrative, à savoir une sorte de relégalisation de celle-ci, au
moyen d’une réactivation de sa source législative. Cette dernière, négligée et
abandonnée pendant les décennies précédentes, redevient aujourd’hui la voie de
réglementation privilégiée choisie dans le processus d’édiction des règles ayant comme
objet le maintien de l’ordre public. Seront donc successivement étudiées dans le présent
titre la modernisation de la source constitutionnelle et la réactivation de la source
législative du droit de la police administrative.

58
CHAPITRE I :

LA REORIENTATION DE LA SOURCE CONSTITUTIONNELLE

59
Existe-t-il une référence constitutionnelle à l’exercice du pouvoir de police
administrative au Cameroun ? Plus largement, la police administrative au Cameroun est-
elle intéressée par les normes constitutionnelles ou, y a-t-il des normes constitutionnelles
susceptibles de régir l’activité de police administrative ? Telle peut être globalement
posée la question essentielle des sources constitutionnelles du droit de la police
administrative. A l’heure ou le phénomène de la constitutionnalisation du droit211 connait
une expansion remarquable, la question mérite d’être posée dans le cadre de la présente
étude, du lien entre police administrative et Constitution. En effet, le regretté Doyen
Louis FAVOREU a excellemment démontré dans ses travaux que « l’ensemble des
branches du droit est entrain de subir l’influence de la Constitution et de son
droit212 ». Cette influence apparait d’autant plus efficace que « la constitution règle
essentiellement le système des sources du droit qui se présente plutôt comme une
cascade des sources213 ». Aussi, la constitutionnalité est-elle désormais considérée
comme « la source des sources » et « le véhicule des valeurs essentielles ou
fondamentales214 ». Il apparait ainsi que toutes les branches du droit, tant public que
privé comportent, soit explicitement, soit implicitement une origine constitutionnelle, ou
du moins sont chapeautées par une référence constitutionnelle215. Car la
constitutionnalisation d’une branche du droit « signifie (…) que cette branche du droit a
désormais des bases constitutionnelles qu’il est nécessaire de prendre en considération
dans tout exposé pédagogique et dans tout travail de recherche, sous peine de

211
Sur ce phénomène, lire : P. BON, « Constitution de 1958 et droit administratif », LPA, 1er décembre 1993,
n°144, p.4. ; L. FAVOREU, « L’apport du Conseil constitutionnel au droit public », Pouvoirs, 1980, n°13, pp.
17-26, Rééditions et mises à jour : 1986, pp. 17-31 et 1991, pp. 17-31 ; « L’influence de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel sur les diverses branches du droit », in Itinéraires, Mélanges en hommage à Léo
HAMON, Paris, Economica, 1982, pp. 235-244 ; « Le droit constitutionnel, droit de la constitution et
constitution du droit », R.F.D.C., 1-1990, pp. 71-90 ; « La constitutionnalisation du droit », in L’unité du droit,
Mélanges en hommage à Roland DRAGO, Paris, Economica, 1996, pp. 27 et s. ; « La constitutionnalisation de
l’ordre juridique. Considérations générales », Revue belge de droit constitutionnel, 3-1998, pp. 233-243 ; « La
constitutionnalisation du droit administratif français », in Mélanges Spiliotopoulos EPAMINONDAS,
Sakkoulas-Bruylant, 1998, pp. 97-114 ; « Droit administratif et normes constitutionnelles », in Mouvement du
droit public. Du droit administratif au droit constitutionnel. Du droit français aux autres droits, Mélanges en
l’honneur de Franck MODERNE, Paris, Dalloz, 2004, pp. 649-671 ; pour une vue d’ensemble sur la
question de la justice constitutionnelle : D. ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, Paris,
Montchrestien, Collection Thémis, 1990, p. 335 et s.
212
L. FAVOREU, « Le droit constitutionnel, droit de la constitution et constitution du droit », op cit, p. 71
213
A. PIZZORUSSO, « Les effets des décisions du juge constitutionnel », AIJC., 1994, Economica-PUAM,
1995, p. 12.
214
L. FAVOREU, « Légalité et constitutionnalité », in Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n°3, 1997, p.
77.
215
G. VEDEL, « Les bases constitutionnelles du droit administratif », in EDCE, 1954, p. 36.

60
méconnaitre le droit positif216 ». Aussi convient-il de développer ce que le Doyen d’AIX
appelle « le réflexe constitutionnel217 », à savoir l’attitude systématique que devrait
avoir le juriste, quelle que soit sa spécialité disciplinaire, à rechercher les dispositions
constitutionnelles qui l’irriguent218. Un tel réflexe ne saurait en aucun cas être gratuit ou
dénué d’intérêt, car, si « le droit constitutionnel est la partie fondamentale du droit
public », que « toutes les autres branches de ce droit en supposent l’existence » et que
« le droit privé lui-même, là ou il se présente sous la forme de la loi écrite 219 », n’en est
pas exempt, si dans un Etat de droit, le droit constitutionnel est considéré comme « le
droit des droits220 », l’enjeu est justement celui de la garantie des droits et libertés
fondamentaux.

Aujourd’hui en effet, « c’est la constitutionnalité qui est considérée comme


garante du contenu essentiel des droits fondamentaux et non la légalité221 ». Aussi,
« en tant qu’il garantit des droits et principes fondamentaux, le droit constitutionnel
apparait comme la matrice de toutes les branches du droit, mais plus spécifiquement
du droit administratif qui concourt avec lui à encadrer l’action publique222 ». Cette
garantie nécessaire des droits fondamentaux n’est pas, et c’est le moins que l’on puisse
dire, sans incidence sur les rapports entre le droit administratif et le droit constitutionnel.
En effet, si le premier a jouit d’une hégémonie incontestable jusqu’au milieu du
vingtième siècle, hégémonie accentuée par une séparation stricte entre les deux
disciplines223, la création d’un conseil constitutionnel en France en 1958 et le
développement prodigieux d’une justice constitutionnelle sans cesse protectrice des

216
L. FAVOREU, « Le droit constitutionnel, droit de la constitution et constitution du droit », op cit, 86.
217
Ibid, p. 88.
218
N. MOLFESSIS, « L’irrigation du droit par les décisions du Conseil constitutionnel », in Pouvoirs, 105,
2003, pp. 89-101.
219
A. ESMEIN, Eléments de droit constitutionnel, Paris, Librairie de la Société du Recueil Général des Lois et
des Arrêts, 1836, p. 1.
220
G. CONAC, « Le juge et la construction de l’Etat de droit en Afrique francophone », in L’Etat de droit,
Mélanges offerts à Guy BRAIBANT, Paris, Dalloz, 1996, p. 107.
221
L. FAVOREU, « Légalité et constitutionnalité », in Les Cahiers du Conseil constitutionnel, op cit., à la
même page.
222
O. SCHRAMECK, « Droit administratif et droit constitutionnel », in A.J.D.A., 1995, numéro spécial, p. 34.
223
« Longtemps droit constitutionnel et droit administratif [...] ont été conçus non seulement comme des
disciplines différentes, mais comme des disciplines autonomes, cloisonnées entre elles. Or voici que la
dialectique du double contrôle des actes des autorités publiques tisse entre les deux disciplines des liens qui
restituent la réalité juridique fondamentale, à savoir l'identité de l'Etat « constitutionnel » et de l'Etat «
administratif », c'est-à-dire l'unité du droit public français », G. VEDEL, « Excès de pouvoir administratif et
excès de pouvoir législatif », Cahiers du Conseil Constitutionnel 1996, n° 1, p. 57 ; dans le même sens,
« Réflexions sur quelques apports de la jurisprudence du Conseil d'Etat à la jurisprudence du Conseil
constitutionnel », in Droit administratif, Mélanges CHAPUS, 1992, p. 647.

61
droits fondamentaux a renversé la hiérarchie ancienne, hissant définitivement le droit
constitutionnel au dessus du droit administratif et de toutes les autres branches du droit,
en raison de la considération selon laquelle la constitution, source principale et
essentielle du droit constitutionnel, est la norme fondamentale de l’Etat224, celle qui règle
tout le système de valeur juridique de celui-ci, et dont toutes les autres normes étatiques
tirent leur conformité et surtout leur validité.

La constitutionnalisation du droit a donc peu à peu brisé les frontières qui


tendaient à s’ériger entre les deux disciplines225. « L’imbrication est devenue si forte et
les analogies si prégnantes que le droit administratif ne peut plus se comprendre et se
pratiquer sans maitrise des fondements, des principes et des garanties du droit
constitutionnel226 ». Aussi, « moins que jamais, il n’existe donc de frontière étanche
entre droit administratif et droit constitutionnel. A mesure que s’est développée la
source constitutionnelle du droit public, les règles constitutionnelles ont affirmé leur
présence dans toutes les branches du droit administratif227 », débouchant sur une
« jonction228 » des deux disciplines, si bien que la doctrine n’a pas hésité à célébrer « la
réunification du droit public (français)229 » et « la profonde unité du droit public230 ».
Ce souci de garantie constitutionnelle des droits fondamentaux a contribué à une
« humanisation du droit administratif231 », car « la traduction juridique des droits et
libertés est un bien commun du droit constitutionnel et du droit administratif,
générant une forme d’union matérielle232 » entre ces deux branches du droit public.

Le droit camerounais n’est pas resté en marge de ces conquêtes du


constitutionnalisme moderne. En effet, malgré le fait que la justice constitutionnelle ici
ne connait pas encore le même essor et le même développement que dans bon nombre de
pays, il n’en demeure pas moins que les bases d’un tel essor ne sont pas absentes du
dispositif normatif en vigueur. En particulier, la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996,

224
H. KELSEN, Théorie pure du droit, op cit., p. 64.
225
Ces frontières, il faut le dire, étaient surtout tributaire d’un certain corporatisme de la part des membres du
Conseil d’Etat qui voyaient, avec la création du Conseil constitutionnel, l’avènement d’une juridiction
concurrente, susceptible de leur enlever leur position éminente au sein du système institutionnel français.
226
O. SCHRAMECK, « Droit administratif et droit constitutionnel », précité, p. 35.
227
L. FAVOREU, « Droit administratif et normes constitutionnelles », précité, p. 671.
228
R. CHAPUS, Droit administratif général, op cit., p.8.
229
G. VEDEL et P. DELVOLVE, Droit administratif, Paris, PUF, 11ème édition, tome I, 1990, p. 65 et s.
230
M. VERPEAUX, « La constitution du droit administratif », AJDA, 2008, p. 1793.
231
L. FAVOREU, « Droit administratif et normes constitutionnelles », op cit., p. 668.
232
O. SCHRAMECK, ibid.

62
en consacrant la « rupture du passage d’un ordre juridique globalement liberticide
malgré une façade constitutionnelle mystificatrice à un ordre juridique résolu à se
montrer protecteur des libertés233 », en se donnant pour vocation de « permettre
l’établissement et le règne de l’Etat de droit234 », contribue indubitablement à « inscrire
le Cameroun dans la modernité235 » constitutionnelle.

Cette ambition du texte constitutionnel de 1996 ne fait l’ombre d’aucun doute. En


effet, dès l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle 236, l’objectif de
libéralisation est clairement défini. On peut ainsi lire que le texte vise à assurer « une
consolidation de notre démocratie, à limiter le pouvoir au sein de l’Etat et le pouvoir
de l’Etat au sein de la société ». La loi aura ainsi pour objectif « la promotion d’une
société plus libérale, plus démocratique et plus respectueuse des droits et libertés du
citoyen… ». Si la réalisation matérielle et effective de cet objectif peut faire aujourd’hui
l’objet d’un débat, sa réalisation formelle ne fait l’ombre d’aucun doute. La doctrine a
d’ailleurs salué cette « avancée libérale considérable237», elle célèbre quasi
unanimement « le passage d’un ordre constitutionnel autoritaire à un ordre
constitutionnel libéral et démocratique238 », affirme qu’il s’agit d’un « tournant
majeur239 » dans le processus de démocratisation, avec pour conséquence dans le
domaine du maintien de l’ordre public un fléchissement et même une remise en cause de
l’autorité au profit de la liberté240.

Bref, en tirant toutes les conséquences de l’avènement de la loi constitutionnelle


du 18 janvier 1996, on est en mesure d’affirmer que l’espace public s’est

233
A. D. OLINGA, « Vers une garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux », in S. MELONE,
A. MINKOA SHE, et L. SINDJOUN, op cit. p. 321.
234
A. MINKOA SHE, « Quelques variations sur la portée de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 »,
in S. MELONE, A. MINKOA SHE, et L. SINJOUN, op cit, p. 72.
235
L. DONFACK SOCKENG, « Les ambigüités de la « révision constitutionnelle » du 18 janvier 1996 au
Cameroun », in S. MELONE, A. MINKOA SHE, et L. SINDJOUN, op cit, p. 48.
236
Voir le projet de loi n° 590/PLJ/AN, Inédit
237
L. DONFACK SOKENG, « Les ambigüités de la « révision constitutionnelle » du 18 janvier 1996 au
Cameroun », op cit., à la même page.
238
M. ONDOA, « La constitution duale : Recherche sur les dispositions constitutionnelles transitoires au
Cameroun », op cit. p.
239
M. NGUELE ABADA, « Ruptures et continuités constitutionnelles en République du Cameroun :
Réflexions à propos de la réforme constitutionnelle du 18 Janvier 1996 », RJPIC, n° 3 Septembre-Décembre
1996, pp. 272-293
240
Le Professeur A. D. OLINGA affirme à cet égard qu’ « avec la promulgation le 18 Janvier 1996 de la loi
constitutionnelle portant révision de la Constitution du 2 Juin 1972, il n’est pas excessif de dire que le
Cameroun a opéré un saut remarquable vers une constitution des libertés ». Cf. OLINGA A. D., « Vers une
garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux », in S. MELONE, A. MINKOA SHE, et L.
SINDJOUN, op cit. p. 320

63
considérablement libéralisé, que la constitution, en tant que norme juridique suprême241
et « base positive de l’ensemble de l’ordre juridique étatique242 » et irriguant l’ensemble
du système normatif243, consacre désormais une source constitutionnelle tout à fait
libérale. Car la consécration244 massive245 des droits et libertés dans le préambule246 de la
loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, la pleine constitutionnalisation de celui-ci247
ainsi que la mise en place d’une véritable justice constitutionnelle, éclairent d’un jour
nouveau l’entreprise de maintien de l’ordre public, puisque ce sont précisément ces
droits et libertés que l’exercice du pouvoir de police est susceptible de menacer248.

La consolidation constitutionnelle du droit de la police administrative ouvre alors


de larges perspectives à la garantie des droits et libertés fondamentaux qui est la marque
des Etats libéraux, car « la constitutionnalisation d’une branche du droit signifie (…)
que la matière concernée va se transformer sous l’effet de l’application des normes
constitutionnelles249 », et cette application « va toujours dans le sens d’une
libéralisation et d’une application plus favorable aux individus de règles respectant
leurs droits fondamentaux250 ».

241
H. KELSEN, Théorie pure du droit, Traduction de la deuxième édition par Charles EISENMANN, Paris,
Dalloz, 1962, p. 299.
242
Ibid., p 300.
243
L. FAVOREU, « L’apport du Conseil Constitutionnel au droit public », Pouvoirs, 1980, n° 13 ; du même
auteur, « La constitutionnalisation du droit », in l’Unité du droit. Mélanges en Hommage à Roland DRAGO,
Paris, Economica, 1996, pp. 27 et s.
244
M. KAMTO, « L’énoncé des droits dans les constitutions des Etats africains francophones », RJA, 1991,
n°s 2 et 3, p. 15 ; A. D. OLINGA, « L’aménagement des droits et libertés dans la constitution camerounaise
révisée », R. U. D. H., 1996, p. 116.
245
A. D. OLINGA, « Vers une garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux », in S. MELONE,
A. MINKOA SHE, et L. SINDJOUN (Dir.), La réforme constitutionnelle du 18 Janvier 1996 au Cameroun.
Aspects juridiques et politiques, Yaoundé, Friedrich Ebert, 1996, pp. 329 et suivantes.
246
Voir, J. MOUANGUE KOBILA, « Le préambule du texte constitutionnel du 18 Janvier 1996 : de
l’enseigne décorative à l’étalage utilitaire », in Lex lata, n° 023-024, p. 33.
247
Confère infra.
248
Voir dans ce sens, T. M. DAVID-PECHEUL, « La contribution de la Jurisprudence constitutionnelle à la
théorie de la police administrative », RFDA 14 (2), mars-avril 1998, p. 362. Selon le Professeur A. D.
OLINGA (in « L’Afrique face à la globalisation des techniques de protection des droits fondamentaux »,
Revue Camerounaise des Relations Internationales, n°…pp. 145-168, surtout p. 148), « certes, le
constitutionnalisme africain d’avant la décennie 1990 n’était nullement indifférent à la question des droits
de l’homme, qui étaient souvent énoncés dans les lois fondamentales. Toutefois, quand cette dynamique ne
relevait pas d’un constitutionnalisme rédhibitoire, elle était en proie à des difficultés sérieuses
d’effectivité ». Voir dans ce sens : J. OWONA, « L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire :
étude de quelques « constitutions janus », in l’Etat moderne à l’horizon 2000. Aspects internes et externes,
Mélanges offerts à Pierre François GONIDEC, Paris, LGDJ, 1985 ; G. CONAC, « Les constitutions des Etats
d’Afrique et leur effectivité », in G. CONAC (Dir.), Dynamiques et finalités des droits africains, Paris,
ECONOMICA, 1980, pp. 385-413.
249
L. FAVOREU, « Le droit constitutionnel, droit de la constitution et constitution du droit », op cit, p. 87.
250
Ibid.

64
Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Aussi, pour mieux apprécier le saut qualitatif
effectué en 1996, il faut faire un saut dans l’histoire pour voir le sort que les textes
constitutionnels réservaient à la police administrative. S’il faut dire que même avant
1990, et déjà même avant l’indépendance cette constitutionnalisation existait déjà, il faut
reconnaitre que celle-ci restait marquée par l’apathie (section 1). En supprimant les bases
de cette apathie, la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 donnera une énergie
nouvelle à la source constitutionnelle du droit de la police administrative (section 2). Le
constituant de 1996 a donc contribué à la modernisation, ou si l’on veut à la
libéralisation ne serait-ce que formelle des sources du droit de la police administrative,
car pour le Doyen FAVOREU « la modernisation du droit est l’une des conséquences
de la constitutionnalisation, dans la mesure ou, le plus souvent, la transformation du
droit se traduit par une modernisation de celui-ci (…). Cette modernisation est
synonyme de libéralisation car les changements s’analysent comme des progrès
commandés ou impliqués par la logique des droits fondamentaux251 ».

SECTION I – UNE SOURCE INITIALEMENT APATHIQUE

Si, avant la réforme de 1996, la police administrative figure dans les textes
constitutionnels qui ont jalonné l’histoire du Cameroun et même avant l’indépendance
dans les textes fondamentaux du territoire, cette inscription constitutionnelle est toujours
restée lettre morte. Cette apathie est instituée par le « constituant colonial », avant que
le constituant national ne là reconduise dans les toutes premières constitutions du
Cameroun indépendant.

I– L’INSTITUTION DE L’APATHIE PAR LE « CONSTITUANT COLONIAL »

Avant l’indépendance, au moment où le Cameroun est successivement un


Territoire sous mandat et sous tutelle franco-britannique, on note une omniprésence de
références à la police administrative dans les textes fondamentaux du Territoire (A).
Mais cette omniprésence tranche avec l’impuissance de ces textes à irriguer la police
administrative de leurs principes libéraux (B). Ce paradoxe, dont on a quelques éléments
d’explication, contribue à donner à ce premier embryon de « constitutionnalisation » de

251
L. FAVOREU, « La constitutionnalisation du droit », op cit, p. 38.

65
la police administrative un caractère anecdotique et même illusoire. Il pose les bases
d’une apathie de la source constitutionnelle du droit administratif, et en l’occurrence du
droit de la police administrative. Car si au plan formel les textes dont il est question ici
ne sauraient prendre le nom de constitution, au sens d’acte souverain, ils n’en sont pas
moins les textes fondamentaux du Territoire, c’est-à-dire ceux se situant au dessus de
tous les autres appliqués par les puissances mandataires et tutélaires, et qui par analogie
seraient une projection dans le Territoire sous mandat ou sous tutelle de ce que la
Constitution est dans un Etat indépendant. C’est tout le sens de leur utilisation dans ce
chapitre consacré à la source constitutionnelle du droit de la police administrative.

A – L’omniprésence de la police administrative dans les textes fondamentaux du


Territoire

Avant l’indépendance, tous les textes qui ont une prétention à régir le Territoire
Cameroun comportent des dispositions relatives à la police administrative. Il importe,
pour plus de clarté, d’adopter une démarche chronologique afin de présenter la police
administrative, telle qu’elle est inscrite dans les textes du mandat (1), et de la tutelle (2).

1- La police administrative dans les textes instituant le Mandat

Deux textes essentiels peuvent être considérés comme régissant l’institution du


Mandat dans les territoires habités par les « peuples non encore capables de se diriger
eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne252 » : il
s’agit, pour l’ensemble de ces Territoires, du Traité de VERSAILLES du 28 juin 1919,

252
Selon une terminologie adoptée par les plénipotentiaires des puissances victorieuses de la première guerre
mondiale et réunis dans le cadre de la Conférence de Versailles, dont est issu le Traité ici évoqué. Ce traité, qui
institue le mandat dans les territoires sus évoqués, fixe l’esprit de cette institution qui aura plus tard une
importance décisive dans l’évolution du Cameroun. Selon un extrait plus explicite de cet article 22, « Les
principes suivants s’appliquent aux colonies et territoires qui, à la suite de la guerre, ont cessé d’être sous la
souveraineté des Etats qui les gouvernaient précédemment et qui sont habités par des peuples non encore
capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne. Le bien
être et le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation, et il convient
d’incorporer dans le présent Pacte des garanties pour l’accomplissement de cette mission ».
2. « La meilleure méthode de réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle de ces peuples aux
nations développées qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique,
sont le mieux à même d’assumer cette responsabilité et qui consentent à l’accepter : elles exerceraient cette
tutelle en qualité de Mandataires et au nom de la Société ».
3. « Le caractère du mandat doit différer suivant le degré de développement du peuple, la situation
géographique du territoire, ses conditions économiques et toutes autres circonstances analogues ».

66
et pour le Cameroun en particulier, de l’Acte du 20 juillet 1922 donnant à la France
mandat d’administrer le Cameroun253.

Le premier de ces textes, en son article 22 alinéa 5, fait une référence non
équivoque à la police administrative, en énonçant : « le degré de développement où se
trouve d’autres peuples, spécialement ceux de l’Afrique centrale, exige que le
mandataire y assume l’administration du territoire à des conditions qui, avec la
prohibition d’abus, tels la traite des esclaves, le trafic des armes et celui de l’alcool
garantiront la liberté de conscience et de religion, sans autres limitations que celles
que peut imposer le maintien de l’ordre public et des bonnes mœurs, et l’interdiction
d’établir des fortifications ou des bases militaires ou navales et de donner aux
indigènes une instruction militaire, si ce n’est pour la police ou la défense du territoire
et qui assureront également aux autres membres de la société des conditions d’égalité
pour l’échange et le commerce ». La mention du maintien de l’ordre public dans ce
traité constitue une référence claire et non équivoque à la police administrative. Cette
mention n’est d’ailleurs pas sans appeler quelques constats intéressants pour la suite de
l’analyse. En effet, le maintien de l’ordre public, objet essentiel de la police
administrative, est ici joint aux bonnes mœurs, dont on sait classiquement qu’elles sont
préservées par des institutions juridiques allant au-delà de la police administrative, et
même qui interpellent le droit dans son ensemble.

Ensuite, le maintien de l’ordre public est ici déjà entendu comme une limite, à
savoir une limite à une administration du Territoire garantissant la liberté de conscience
et de religion, ces dernières considérées à cette époque comme les libertés les plus
essentielles pour les habitants de ces territoires non évolués.

Enfin, malgré le fait que le maintien de l’ordre public objet de la police


administrative soit ici considéré comme une limite aux libertés, la mention de ces
dernières montre néanmoins un soucis de leur accorder une certaine place, et même une
place certaine dans les rapports juridiquement établis entre les valeurs d’ordre et celles
de liberté. Les contours de cet ordre à maintenir par la police administrative sont
d’ailleurs subtilement, mais clairement esquissés. Il devra prohiber des « abus » tels la
traite des esclaves, le trafic des armes et celui de l’alcool. Cette précision, que l’on peut

253
Ce texte se caractérise par une curiosité, car, non publié au Cameroun, il est plutôt inséré comme
préambule à la Convention Franco-américaine du 13 février 1923. Voir J.O.C., 1924, p. 388.

67
considérer comme relevant du détail, contenu dans un texte de ce rang, montre
l’importance que l’on accorde à cette époque à la police administrative. Quelle que soit
par ailleurs la façon dont cette police administrative est insérée dans ce texte
fondamental du Territoire camerounais, sa seule présence ici constitue un signe
prémonitoire à la constitutionnalisation future de la police administrative, trajectoire
dans laquelle se situe identiquement l’Acte du 20 juillet 1922 donnant à la France
mandat d’administrer le Cameroun.

Ce texte, en parfaite conformité avec le Traité de Versailles dont il tire sa validité


formelle et matérielle, précise les dispositions sus évoquées et en prolonge l’économie. Il
dispose, en son article 2, que : « Le mandataire sera responsable de la paix, du bon
ordre et de la bonne administration du territoire, accroitra par tous les moyens en son
pouvoir le bien être matériel et moral et favorisera le progrès social des habitants ».
Cette disposition est le fondement même du pouvoir de police administrative sur
l’ensemble du territoire camerounais administré par la France. Elle introduit, pour la
toute première fois, dans les textes fondamentaux de l’entité Cameroun, la valeur de paix
comme objet et objectif de la police administrative.

Au-delà du seul fait que ce texte fondamental du territoire inscrit la police


administrative comme une donnée essentielle pour la puissance mandatrice, sa mission
première par excellence, il pose, dans le prolongement du Traité de Versailles, une
exigence essentielle pour la garantie des droits et libertés. Ainsi, « La puissance
mandataire assurera, dans l’étendue du territoire, la pleine liberté de conscience et le
libre exercice de tous les cultes qui ne sont contraires ni à l’ordre public, ni aux
bonnes mœurs ; elle donnera à tous les missionnaires ressortissants de tout Etat
membre de la Société des Nations la faculté de pénétrer, de circuler et de résider dans
le territoire, d’y acquérir et posséder des propriétés, d’y élever des bâtiments dans un
but religieux et d’y ouvrir des écoles, étant entendu, toutefois, que le mandataire aura
le droit d’exercer tel contrôle qui pourra être nécessaire pour le maintien de l’ordre
public et d’une bonne administration et de prendre à cet effet toutes mesures utiles ».
Au regard de ces dispositions pertinentes du Traité de Versailles et de l’Acte du 20
juillet 1922, la police administrative apparait comme l’objet le plus important des textes
fondamentaux du Territoire Cameroun, le maintien de l’ordre public étant la toute

68
première mission incombant à la puissance mandataire. Cette option sera pérennisée au
moment du passage à la tutelle internationale.

2 – La police administrative dans les textes instituant la tutelle

La police administrative figure en bonne place dans les textes instituant la Tutelle
au Cameroun. Elle semble d’ailleurs être l’objet principal de ces textes, car le maintien
de l’ordre public est la condition sine qua non à la réussite de la mission civilisatrice qui
soutend la domination des puissances occidentales sur les Territoires sous tutelle. Les
accords de Tutelle sur le Togo et le Cameroun, adoptés par l’Assemblée générale des
Nations Unies le 14 décembre 1946254, reconduisent pour l’essentiel le dispositif en
vigueur pendant la période du Mandat, et même dans une certaine mesure, les consolide.

Dans le sens de la reconduction, l’article 3 de ces accords dispose que «


l’Autorité chargée de l’administration sera responsable de la paix, du bon ordre et de
la bonne administration du territoire255 ». Cette disposition, qui rappelle l’article 2 de
l’Acte du 20 juillet 1922, consolide l’option pour une détermination
« constitutionnelle » du pouvoir de police administrative. C’est d’ailleurs dans ce même
sens qu’il faut comprendre les dispositions de l’article 9 selon lequel, conformément à
l’article 76 de la Charte, « l’Autorité chargée de l’administration a l’obligation de
maintenir l’ordre public et le bon gouvernement… ».

Ainsi, le maintien de l’ordre public apparait, à la lumière de ces textes, comme


une obligation fondamentale de rang constitutionnel pour la puissance mandataire. Mais
cette obligation n’est pas de nature absolue ou sans limite. Elle doit intégrer et même
respecter certaines libertés. C’est dans ce sens que l’article 10 de ce texte pose la règle
selon laquelle « l’Autorité chargée de l’administration assurera dans l’étendue du

254
Voir : Décret n°48-152 du 27 janvier 1948 portant publication des accords de tutelle sur le Togo et le
Cameroun (J.O.R.F., 1er août 1948, p. 787). L’article 1 er de ce décret affirme : « Les accords de tutelle sur le
Togo et le Cameroun, approuvés par l’Assemblée générale des Nations unies, le 14 décembre 1946, seront
publiés au journal officiel ». (Textes sur les accords de tutelle sur le Cameroun paru au J.O.C. du 10 juillet
1948, p. 771). Voir également : Arrêté du 26 juillet 1948 portant promulgation d’un texte (JOC du 1er août
1948, p. 787) dont l’article 1er dispose : « Est promulgué au Cameroun le texte suivant : Décret n° 48-152 du
27 janvier 1948 portant publication des accords de tutelle sur le Togo et le Cameroun » (J.O.R.F. du 29
janvier 1948, p. 926, texte publié à titre d’information J.O.C. du 15 juillet 1948, p. 771).
255
Cette autorité, selon l’article 3 in fine, « sera responsable également de la défense dudit territoire et
veillera à ce qu’il apporte sa contribution au maintien de la paix et de la sécurité internationale ». De même,
aux termes de l’article 4 B 2°, elle « pourra prendre dans les seules limites imposées par la Charte, toutes
mesures d’organisation et de défense propres à assurer : (…) le respect de l’ordre intérieur ; la défense du
territoire dans le cadre des accords spéciaux pour le maintien de la paix et de la sécurité internationale »

69
territoire la pleine liberté de pensée et le libre exercice de tous les cultes et des
enseignements religieux qui ne sont pas contraires ni à l’ordre public, ni aux bonnes
mœurs ». Cette règle, qui existait déjà dans le régime du mandat, apparait ici également
comme une limite à l’exercice de la fonction de maintien de l’ordre public, et une prise
en compte véritable des exigences libérales dans l’exercice de cette fonction, à travers la
reconnaissance, quoique minimale, mais significative tout de même, de droits à
l’avantage des populations indigènes dans la mise en œuvre de cette fonction de
maintien de l’ordre public, même si le constituant colonial s’empresse d’affirmer dans le
même article que « les dispositions du présent article n’affecteront en rien le devoir qui
incombe à l’autorité chargée de l’administration d’exercer le contrôle nécessaire au
maintien de l’ordre public et des bonnes mœurs, ainsi qu’au développement de
l’éducation chez les habitants du territoire ».

Mais la véritable innovation des textes instituant la tutelle, par rapport aux textes
du mandat, réside dans l’enrichissement des droits qui sont reconnus aux individus et
que doit respecter la fonction de police administrative. C’est ce qu’exprime la
disposition selon laquelle « L’Autorité chargée de l’administration garantira aux
habitants du territoire la liberté de parole, de presse, de réunion et de pétition, sous la
seule réserve des nécessités de l’ordre public ». Même si la réserve des nécessités
d’ordre public reste ici permanente, la reconnaissance de ces nouvelles libertés à
l’avantage des individus est une avancée notable dans la prise en compte des droits et
libertés individuels. Quoiqu’il en soit, la seule présence de ces dispositions relatives au
maintien de l’ordre public dans ce texte fondamental du Territoire Cameroun est le signe
visible d’une «constitutionnalisation», même sans le nom, de cette activité
administrative essentielle.

A ce stade de l’analyse, et étant donné les dispositions de l’article 4(a) des


accords de tutelle selon lesquelles « la France a plein pouvoirs de législation,
d’administration et de juridiction sur lesdits territoires et les administre selon la
législation française », l’on peut se poser la question de l’applicabilité, même non
toujours suivie d’application, de la constitution française sur le Territoire du Cameroun.
Autrement dit, les lois constitutionnelles de 1875 et la constitution française d’octobre
1946 étaient-elles applicables aux Territoires sous domination, particulièrement au
Cameroun ? Même si ces constitutions ne contenaient pas de références expresses à

70
l’existence d’un pouvoir de police administrative, au moins le préambule de celle de
1946 qui énonçait d’importants droits à l’avantage des individus aurait pu en influencer
l’exercice.

Interrogé sur une question similaire en 1948 pour le cas général des lois
métropolitaines, le Conseil d’Etat affirmait déjà que « Les lois métropolitaines
concernant la législation criminelle, le régime des libertés publiques et l’organisation
politique et administrative ne sont pas applicables aux territoires d’outre-mer en
l’absence de dispositions expresses256 ». Ce n’est qu’en 1954, c’est-à-dire au moment où
le Cameroun est déjà membre de l’Union française257, que cette applicabilité est
reconnue par le Conseil d’Etat258. Ce dernier affirme en effet que : « Considérant qu’en
vertu de l’article 4 (a) des accords de tutelle sur le Togo et le Cameroun, la France a
plein pouvoirs de législation, d’administration et de juridiction sur lesdits territoires et
les administre selon la législation française ; qu’en conséquence, les territoires
associés sont assimilés aux territoires français d’outre-mer dont le régime législatif est
établi par l’article 72 de la Constitution ».

Comme déjà suggéré, si l’applicabilité des textes constitutionnels français au


Territoire Cameroun n’emporte aucune conséquence majeure en ce qui concerne la
police administrative, sauf pour ce qui est des droits et libertés susceptibles d’en

256
Avis du Conseil d’Etat du 23 mars 1948 sur l’interprétation de l’article 72 de la Constitution de la
République française
257
Selon le préambule de la constitution de 1946, « (…) La France forme avec les peuples d’outre-mer une
union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion » ; « l’union
française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et
leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroitre leur bien-être et assurer leur sécurité
(…) ». Quand à l’article 60 de ce texte, il énonce que : « L’union française est formée, d’une part de la
République française qui comprend la France métropolitaine, les départements et territoires d’outre-mer,
d’autre part, des territoires et Etats associés ». L’on sait que d’une manière générale, le principe de la
spécialité législative s’est imposé jusque dans les dernières années de la tutelle. Ainsi, si, aux termes de
l’article 72 de la Constitution du 27 octobre 1946, « dans les territoires d'outre-mer, le pouvoir législatif
appartient au Parlement (français) en ce qui concerne la législation criminelle, le régime des libertés
publiques et l'organisation politique et administrative », « en toutes autres matières, la loi française n'est
applicable dans les territoires d'outre-mer que par disposition expresse ou si elle a été étendue par décret
aux territoires d'outre-mer après avis de l'Assemblée de l'Union. En outre, par dérogation à l'article 13, des
dispositions particulières à chaque territoire pourront être édictées par le président de la République en
Conseil des ministres sur avis préalable de l'Assemblée de l'Union». Il faut sans doute rappeler que, selon le
Conseil d’Etat, Le terme législation criminelle doit être regardé ici comme équivalent à la législation pénale ;
« qu’il englobe tout ce qui a trait à l’organisation des juridictions répressives, à l’échelle des peines, à la
détermination et à la qualification des infractions, l’institution des pénalités pour réprimer ces infractions ».
Voir sur ce point, Avis du Conseil d’Etat du 29 juillet 1948 sur l’interprétation de l’article 72 de la
constitution de la République française, l’organisation des juridictions répressives et les règles de la
procédure pénale sont du domaine de la loi (quel est le sens exact de l’expression « tout ce qui a trait à
l’organisation des juridictions répressives » employée par le Conseil d’Etat dans son avis du 13 août 1947 ?)
258
Avis du Conseil d’Etat du 25 mars 1954 ( Rep. Civ. Voir territ. Sous tutelle n° 17).

71
constituer des limites, car de manière expresse, ces textes constitutionnels français ne
comportaient aucune référence au pouvoir de police administrative, il faut dire que sur ce
point, les textes applicables au Cameroun étaient en avance sur ceux français, car du
mandat à la tutelle, les textes fondamentaux du Territoire comportent des références
expresses au pouvoir de police administrative. La constitutionnalisation du droit de la
police administrative est donc ici beaucoup plus ancienne, comme le montrent les
premiers textes camerounais de statut constitutionnel adoptés vers la fin de la tutelle.

En effet, la tutelle ayant pour objectif de préparer les territoires qui y étaient
soumis à s’auto-administrer à l’issu de celle-ci259, il était nécessaire que des textes
spécifiques soient adoptés dans ce sens. L’article 72 in fine de la Constitution de la
Quatrième République disposait à cet effet que « par dérogation à l’article 13260, des
dispositions particulières à chaque territoire pourront être édictées par le président de
la République en Conseil des ministres sur avis préalable de l’Assemblée de l’Union ».
C’est dans ce cadre que certains textes seront adoptés vers la fin de la tutelle. Il s’agit,
chronologiquement, du Décret du 16 avril 1957 portant statut du Cameroun 261, de
l’Ordonnance du 30 décembre 1958 portant également statut du Cameroun262 et de la loi
du 18 février 1959 tendant à fixer le fonctionnement des pouvoirs publics263.

Ces différents textes, s’ils ne supprimaient pas les Accords de tutelle, avaient à
terme pour ambition progressive de s’y substituer. Ils revêtaient donc ainsi un caractère
fondamental, car si au plan formel ils ne revêtaient pas le nom de constitution,
matériellement, ils en avaient tous les éléments. Il n’est donc pas déplacé de les
considérer comme les touts premiers textes constitutionnels camerounais. Ils ont
perpétué la tradition consistant, pour tous les textes fondamentaux du Territoire, à
259
Le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 énonçait en effet que :
« La France forme avec les peuples d'outre-mer une Union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs,
sans distinction de race ni de religion ».
« L'Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs
ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer
leur sécurité ».
« Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la
liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartant tout
système de colonisation fondé sur l'arbitraire, elle garantit à tous l'égal accès aux fonctions publiques et
l'exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus ».
260
Selon cet article, « L'Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit ».
261
Décret n° 57-501 du 16 avril 1957 portant statut du Cameroun (J.O.R.F. du 18 avril 1957 ; J.O.C., 9 mai
1957, pp. 655-660).
262
Ordonnance n° 58-1375 du 30 décembre 1958 portant statut du Cameroun (JOC du 1er janvier 1959, p. 1).
263
Loi n°59-2 du 18 février 1959 tendant à fixer le fonctionnement des pouvoirs publics (J.O.C., du 18 février
1959, pp. 192-195).

72
contenir des dispositions concernant la police administrative. Ils en ont donc constitués,
chacun à sa manière, une source importante.

D’abord le décret du 16 avril 1957. Il dispose, en son article 16, que


« l’Assemblée législative camerounaise peut assortir les lois camerounaises de peines
correctionnelles ou de simple police ». Mais surtout, il détermine les pouvoirs de police
administrative du Haut-commissaire de la République et fait de celui-ci l’autorité
centrale en la matière. Aussi, « conformément à l’article 3 de l’accord de tutelle, le
Haut-commissaire a la responsabilité de l’ordre public et assure la sécurité des
personnes et des biens. Il dispose des services de sûreté et de sécurité, de la
gendarmerie stationnée sur le Territoire ». Il « délègue par arrêté ses pouvoirs en
matière de police administrative urbaine et rurale au Premier ministre, Chef du
Gouvernement camerounais ». Il « peut, en cas d’urgence, prendre toute mesure utile
pour la sauvegarde de l’ordre ou son rétablissement. Il en informe immédiatement le
Premier ministre ».

Ensuite, l’Ordonnance du 30 décembre 1958 ne fait pas exception à cette


tendance du constitutionnalisme naissant. Aussi, dispose-t-elle en son article 16 in fine,
parlant du Premier Ministre, qu’ « il a la responsabilité de l’ordre public et assure la
sécurité des personnes et des biens ». Mais surtout, l’article 25 de ce texte établi une
possibilité de renforcement des mesures de maintien ou de rétablissement de l’ordre
public, à travers le régime de l’état d’exception264.

Enfin, la loi du 18 février 1959, si elle n’est pas très bavarde sur la police
administrative comme les deux textes devanciers, elle vise néanmoins indirectement la
police administrative lorsqu’elle dispose en son article 1er alinéa 2 que « tout citoyen
bénéficie de la liberté de parole, de presse, de réunion et d’association, dans le cadre
de la législation en vigueur et sous réserve des nécessités de l’ordre public ». Cela dit,
ce texte, à l’instar de ses devanciers, énonce un ensemble de droits et libertés à
l’avantage des citoyens, droits et libertés que l’exercice du pouvoir de police
administrative est tenu de respecter. Mais, au-delà de l’énonciation de ces droits et
libertés dans ces textes, c’est la seule référence directe ou indirecte à la police
administrative dans ces textes de valeur constitutionnelle qui doit ici retenir l’attention,

264
Cf. infra, chapitre I, Titre II, cette partie.

73
car cette référence entérine et pérennise l’idée que le constituant colonial accorde à la
police administrative un intérêt certain, de telle sorte que l’on aurait pu s’attendre à ce
que cette constitutionnalisation de la police administrative, bien que embryonnaire,
contraigne cette activité au respect des principes libéraux contenus dans ces textes
fondamentaux du Territoire Cameroun265. Mais rien n’en a été. La source
constitutionnelle s’est montrée particulièrement apathique au cours de cette période,
anesthésiant par là même toute possibilité de prise en compte des droits et libertés dans
l’activité de police administrative.

B– L’impuissance des textes fondamentaux du Territoire à irriguer la police


administrative de leurs principes libéraux

Malgré le fait que bien avant l’indépendance, la police administrative soit revêtue
d’une investiture constitutionnelle, cela ne s’est jamais accompagné de la conséquence à
laquelle l’on aurait pu légitimement s’attendre, à savoir une libéralisation de cette
activité étatique. Bien au contraire, cette période de l’histoire de la police administrative
reste marquée par une véritable négation des droits et libertés individuels à l’endroit de
ceux que l’on appelait alors les indigènes. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette
inertie du texte constitutionnel : l’inefficience du contrôle alors institué (1), mais aussi et
surtout le poids de l’idéologie coloniale (2).

1 – L’inefficience du contrôle

Les dispositifs juridiques mis en vigueur dans le cadre du mandat et de la tutelle


induisaient presque tous des procédures de contrôle, afin de s’assurer que les normes
mises en vigueur étaient respectées par les différentes autorités chargées de les
appliquer. Comme nous venons de le voir, ces textes consacraient d’importants droits et
libertés à l’avantage des individus, de telle sorte que leur rang quasi supérieur leur
265
A titre d’exemple tous ces textes d’autonomie comportent des droits et libertés consacrés à l’avantage des
citoyens. Ainsi, selon l’article 8 du Décret du 16 avril 1957, « les citoyens camerounais, aussi longtemps que
l’Etat sous tutelle administré par la France reste régi par le présent statut, jouissent des droits civils,
civiques et sociaux des citoyens français ». Cette disposition sera reconduite dans l’ordonnance de 1958 en
son article 2. Ce texte dispose par ailleurs en son article 5 que : « Les lois et règlements camerounais doivent
respecter les traités et accords internationaux, les principes et libertés fondamentales inscrits dans la
déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations unies, ainsi que les dispositions du
présent statut ». Dans le même sens, la loi de 1959 dispose en son article 1er que « L’Etat du Cameroun est
soumis au régime de la démocratie parlementaire, dans le respect de la Déclaration Universelle des Droits
de l’Homme ». Et que « Tout citoyen bénéficie de la liberté de parole, de presse, de réunion, d’association
dans le cadre de la législation en vigueur et sous réserve des nécessités de l’ordre public (…) ». Cf. infra.

74
permettait d’irriguer, le cas échéant, l’ensemble du système juridique applicable dans le
Territoire sous mandat ou dans l’ « Etat sous tutelle ». Si l’on considère que les normes
dont il s’agit ici avaient un caractère fondamental, comparable à celui que revêt la
constitution dans un Etat, on peut considérer aussi que le contrôle de leur respect revêt
tout aussi un caractère fondamental et s’apparente à une forme de contrôle de
constitutionnalité, ou si l’on veut simplement, de fondamentalité. Mais à l’analyse,
aucun de ces contrôles ne s’est avéré efficace, de telle sorte que les dispositions somme
toute libérales susceptibles de contraindre le pouvoir de police administrative sont
restées lettre morte.

S’agissant du mandat tout d’abord, le traité de Versailles prévoyait que le


mandataire envoie au Conseil de la Société des Nations un rapport annuel concernant les
territoires dont il a la charge. Et le texte de poursuivre : « Une commission permanente
sera chargée de recevoir et d’examiner les rapports annuels des mandataires et de
donner au conseil son avis sur toutes les questions relatives à l’exécution des
mandats266 ». Allant dans le même sens, l’Acte du 20 juillet 1922 disposait en son article
10 que « la puissance mandataire présentera au conseil de la société des nations un
rapport annuel répondant à ces vues267. Ce rapport devra contenir tous
renseignements sur les mesures prises en vue d’appliquer les dispositions du présent
mandat ».

S’agissant ensuite de la tutelle, un dispositif de contrôle est également prévu,


notamment par les articles 87 et 88 de la Charte des Nations unies, et par l’article 2. 1-,
ce dernier disposant que « le gouvernement français s’engage à présenter à
l’Assemblée générale des Nations unies le rapport annuel prévu à l’article 88 de la
Charte, fondé sur le questionnaire établi par le conseil de tutelle conformément au dit
article, ainsi qu’à joindre à ce rapport les études qui lui seraient éventuellement
demandées par l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité ».

266
Article 22 in fine du traité de Versailles du 28 juin 1919.
267
Les vues dont il s’agit ici sont celles prévues comme objectifs poursuivi par l’institution du mandat, dont
celles concernant la police administrative, à savoir que « le mandataire sera responsable de la paix, du bon
ordre et de l’administration du territoire, accroitra par tous les moyens en son pouvoir le bien être matériel
et moral et favorisera le progrès social des habitants »(article 2), et qu’il « ne devra établir sur le territoire
aucune base militaire ou navale, ni édifier aucune fortification, ni organiser aucune force militaire
indigène, sauf pour assurer la police locale et la défense du territoire »(article 3), de l’Acte du 20 juillet
donnant à la France mandat d’administrer le Cameroun.

75
Enfin, dans le cadre des textes d’autonomie, et bien que ceux-ci soient chapeautés
par les accords de tutelle, il existe toujours une possibilité de contrôle, soit dans le cadre
du contrôle de la tutelle proprement dit, soit dans le cadre des rapports entretenus avec la
puissance tutélaire. Toutefois, cela sera rendu inopérant en raison de l’absence de
contrôle de constitutionnalité, le dispositif du comité constitutionnel 268 alors en vigueur
sous la Quatrième République, ayant montré ses limites.

Tous ces contrôles, particulièrement ceux prévus dans le cadre de la SDN puis de
l’ONU, s’ils avaient été effectués tel que prévus, auraient donné lieu à d’excellents
résultats, en terme de garantie du respect des quelques principes libéraux contenus dans
les textes fondamentaux de cette époque. Mais à l’expérience, ces normes et principes
libéraux resteront lettre morte, en raison principalement du fait que lesdits contrôles
resteront pour une large part inopérants.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette léthargie dans le contrôle des dispositifs
juridiques fondamentaux ici analysés. La première et principale de ces raisons est
assurément la mauvaise foi de la puissance mandataire, qui ne fournissait pas toujours
les rapports attendus annuellement. Quand il lui arrivait d’en faire, ceux-ci étaient soit
non exhaustifs, soit irréalistes, car n’exprimant pas généralement la situation sur le
terrain. Au final, les quelques normes libérales prévues par les textes fondamentaux et
susceptibles de contraindre l’exercice du pouvoir de police administrative à moins
d’autoritarisme s’avéraient sans conséquence sur la situation des individus habitant ces

268
Voir la Constitution française du 27 octobre 1946 : « Article 91 : Le Comité constitutionnel est présidé par
le président de la République. Il comprend le président de l'Assemblée nationale, le président du Conseil de
la République, sept membres élus par l'Assemblée nationale au début de chaque session annuelle à la
représentation proportionnelle des groupes et, choisis en dehors de ses membres, trois membres élus dans
les mêmes conditions par le Conseil de la République. Le Comité constitutionnel examine si les lois votées
par l'Assemblée nationale supposent une révision de la Constitution ». « Article 92 : Dans le délai de
promulgation de la loi, le Comité est saisi par une demande émanant conjointement du président de la
République et du président du Conseil de la République, le Conseil ayant statué à la majorité absolue des
membres le composant. Le Comité examine la loi, s'efforce de provoquer un accord entre l'Assemblée
nationale et le Conseil de la République et, s'il n'y parvient pas, statue dans les cinq jours de sa saisine. Ce
délai est ramené à deux jours en cas d'urgence. Il n'est pas compétent pour statuer sur la possibilité de
révision des dispositions des titres Ier à X de la présente Constitution ». « Article 93 La loi qui, de l'avis du
Comité, implique une révision de la Constitution est renvoyée à l'Assemblée nationale pour nouvelle
délibération. Si le Parlement maintient son premier vote, la loi ne peut être promulguée avant que la
présente Constitution n'ait été révisée dans les formes prévues à l'article 90. Si la loi est jugée conforme aux
dispositions des titres Ier à X de la présente Constitution, elle est promulguée dans le délai prévu à l'article
36, celui-ci étant prolongé de la durée des délais prévus à l'article 92 ci-dessus ». La curiosité de ce dispositif
réside en effet dans le fait que lorsqu’il y avait une contrariété entre la loi et la constitution, c’est cette dernière
qui était immanquablement révisée. Il s’agissait donc d’un dispositif basé sur une conception légicentriste de
l’ordre juridique, impropre à aider au contrôle des textes fondamentaux applicables dans les territoires.

76
territoires. Aussi, si la Charte des Nations unies donne aux puissances tutélaires comme
missions essentielle d’ « encourager le respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales pour tous, sans distinction de race, sexe, de langue ou de
religion269… », cette disposition restera pour l’essentiel un vœu pieux, en raison de
l’inefficacité du dispositif de contrôle en place. Ce dispositif, ne reposant sur aucune
possibilité de sanction, en raison du fait que la puissance tutélaire se considérait comme
assurant une mission de civilisation de caractère humanitaire, principalement à ses
propres frais, et donc s’estimait libre de faire ce qu’elle voulait. Du coup, le Conseil de
la Société des Nations ou le Conseil de sécurité des Nations unies s’en trouvaient
désarmés face à la puissance mandatrice, laquelle en fin de compte, en raison aussi de sa
position dominante dans les relations internationales de cette époque, pouvait mener sur
le territoire sous mandat une politique orientée uniquement vers ses choix politiques et
idéologiques propres.

Une autre raison et pas des moindres, peut expliquer cette quasi absence de
contrôle des dispositions mises en œuvre, à savoir l’absence de souveraineté. Il est
difficile, on le sait, de voir se développer un quelconque système de contrôle au sein
d’un espace non constitué en système, ou à fortiori en un ordre juridique. La notion de
contrôle d’un ensemble normatif est en effet intimement liée à celle de l’existence d’un
système juridique ou idéalement d’un ordre juridique. Or, ces derniers sont
essentiellement tributaires, qu’on le veuille ou non, de la notion de souveraineté. N’étant
pas encore une entité souveraine, le Cameroun pouvait-il développer, ou même
simplement prétendre à un contrôle rigoureux des normes applicables au sein du
Territoire270 ? Assurément, la réponse ne peut qu’être difficilement affirmative, en raison
justement du déficit de pouvoirs auquel donne droit le principe de souveraineté. La
souveraineté, on le sait, est une condition essentielle à l’existence de l’Etat. Selon Louis
LE FUR, « la souveraineté est la qualité de l’État de n’être obligé ou déterminé que
par sa propre volonté dans les limites du principe supérieur du droit et conformément
au but collectif qu’il est appelé à réaliser271 ». Elle comporte deux facettes, d’où il a pu

269
Article 76(c)
270
Surtout pour ce qui concerne les textes d’autonomie.
271
L. LE FUR, État fédéral et Confédération d'États, Paris, 1896, p. 443 ; on sait, suivant une conception
désormais classique même si débattue, que « le mot souveraineté connait quatre significations juridiques
différentes : la souveraineté peut renvoyer à l’un des caractères de l’Etat. La formule « souveraineté de
l’Etat » signifie que le pouvoir étatique est exclusif au sein du Territoire. La souveraineté peut désigner la

77
être écrit que « suivant la plupart des auteurs, la souveraineté se compose de deux
éléments complémentaires : un avers, ou face interne, qui est l’autonomie ; et un
revers, ou face externe, qui est l’indépendance. Par l’autonomie, l’État jouit de la
summa potestas : il exerce sur son territoire une juridiction suprême par rapport à ses
composantes et monopolise la contrainte physique. Sa compétence est discrétionnaire ;
son autorité est immédiate. Par l’indépendance, l’État bénéficie de la plenitudo
potestatis. Il entretient des rapports directs avec les autres États et traite avec chacun
d’eux sur un pied d’égalité272 ».

Au regard de cette définition, ce qui est le plus important pour notre sujet c’est la
summa potestas, car c’est elle qui permet à l’Etat de déployer son autorité et donc son
contrôle sur l’ensemble de son territoire, afin de s’assurer que les règles édictées par lui
sont effectivement appliquées, y compris par lui-même. Faute de disposer d’une telle
autorité à l’époque ici considérée, le Cameroun ne pouvait donc pas veiller lui-même à
l’application des règles juridiques applicables sur son territoire. Cette capacité juridique
qu’est la souveraineté lui étant méconnue, il lui était impossible de contraindre lui-même
au respect des normes juridiques susceptibles d’assouplir l’exercice du pouvoir de police
administrative, dans le sens d’une meilleure prise en compte des droits et libertés des
destinataires de ce pouvoir. L’absence de souveraineté s’avérait donc pour lui un
obstacle diriment à une prise en compte libérale de l’exercice de la police administrative.

La seule possibilité qui lui restait, et qui était d’ailleurs suggérée par les textes,
était celle consistant, lorsque ses intérêts s’avéraient menacés, de saisir l’organe
mandant, à savoir soit la Société des Nations soit l’Organisation des Nations Unies au
moyen de pétitions, ou de messages adressés lors des assemblées générales de ces
institutions internationales273. L’observation de la pratique de l’époque montre d’ailleurs

puissance d’un organe placé au sommet d’une hiérarchie lorsque la volonté de cet organe est productrice de
droit. On parlera ainsi de la souveraineté de la Cour de Cassation ou de la souveraineté du Parlement. La
souveraineté peut renvoyer aux pouvoirs que l’Etat peut exercer par l’intermédiaire de ses divers organes
(Droit de battre monnaie, de rendre justice, de faire les lois, de lever une armée, le droit de légation etc.). La
souveraineté peut indiquer la qualité de l’être, réel ou fictif, au nom de qui le pouvoir est exercé au sein de
l’Etat. On parle dans ce cas de la souveraineté de la nation ou du peuple ». Voir à ce propos : P. SEGUR,
« La souveraineté », http://ph.segur.free.fr/Site/Documents/1C8D04D2-96CD-4D00-A7AC-BBFE6C9587,
consulté le 09/08/2009.
272
A. PATRY, « La notion de souveraineté », in L'Encyclopédie de L'Agora, consultable sur
http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Souverainete--La_notion_de_souverainete_p, consulté le
09/08/2009.
273
Aux termes de l’article 87 de la Charte des Nations Unies, « l’Assemblée générale et, sous son autorité le
Conseil de tutelle, dans l’exercice de leurs fonctions peuvent : (…) b) recevoir des pétitions et les examiner

78
que les dirigeants camerounais n’hésitaient pas à se servir de cette possibilité qui leur
était offerte pour faire valoir leurs revendications. Si vers la fin de la tutelle, ces pétitions
avaient surtout pour objet de demander l’indépendance, les préoccupations liées au
maintien de l’ordre public n’en étaient pas absentes, et l’on peut même dire qu’elles en
constituaient le ferment, en raison du régime d’extrême rigueur sous lequel s’exerçait
effectivement l’activité de police administrative. Cet autoritarisme était la manifestation
visible d’une prégnance de l’idéologie coloniale dans la gestion des territoires sous
mandat.

2 – La prégnance de l’idéologie coloniale

Selon l’article 22 même du traité de Versailles, le bien être et le développement


des peuples non encore capables de se prendre en charge dans les conditions difficiles du
monde moderne forment une mission sacrée de civilisation. Mais il faut dire qu’en
arrière de ce paravent généreux, sous ce philanthropisme, se trouve toute une idéologie
de domination et d’asservissement portée à son paroxysme juridique dans ce que l’on a
qualifié de code de la colonisation, et qui consistait en réalité en une négation de toute
humanité à l’homme africain. De cette sorte, les textes ont beau disposer, s’agissant par
exemple du mandat, que le mandataire, en plus d’assurer la paix, le bon ordre et la bonne
administration du territoire, « accroitra par tous les moyens en son pouvoir le bien être
matériel et moral et favorisera le progrès social des habitants 274», la réalité restera
celle d’une véritable négation des droits des populations qualifiées d’indigènes, dans
l’exercice du maintien de l’ordre public.

Dans le même sens et s’agissant cette fois du régime de la tutelle, la Charte des
Nations unies a beau donner comme objectif à ce régime de « favoriser le progrès
politique, économique et social des populations des territoires sous tutelle ainsi que le
développement de leur instruction ; favoriser également leur évolution progressive

en consultation avec ladite autorité (…)». Selon le vocabulaire juridique de l’association Henri CAPITANT,
une pétition est une « réclamation entourée d’une certaine publicité adressée à une autorité par un ou
plusieurs intéressés en vue de provoquer une décision à leur avantage ou en faveur de la cause qu’ils
défendent ». De manière plus spéciale, il s’agit d’une « demande adressée par un particulier ou groupe de
particuliers à une autorité publique, la priant d’exercer sa compétence de telle façon ». Il s’agit aussi et
surtout d’un « document écrit, adressé par un ou plusieurs individus, isolément ou collectivement, à un
organe institué sous la direction duquel ils se trouvent placés, à l’effet de rendre publics certains faits,
généralement dommageables et d’obtenir l’intervention de mesures de prévention ou de réparation ». Voir à
cet effet, G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Collection Quadrige, 4ème édition, 2003, p. 655.
274
Article 2 de l’Acte du 20 juillet 1922 donnant mandat à la France d’administrer le Cameroun.

79
vers la capacité à s’administrer eux même ou l’indépendance, compte tenu des
conditions particulières à chaque territoire (…)275 », d’ « encourager le respect des
droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race,
sexe, de langue ou de religion (…)276 », la vérité du terrain est très souvent restée
contraire à ces vues, en raison des véritables raisons de cette pseudo mission de
civilisation, à savoir la seule réalisation des intérêts des nations dominatrices, intérêts
commerciaux et économiques, intérêts politiques et stratégiques.

La politique d’assimilation pratiquée par la France, si en apparence elle signifie


qu’il faut transformer les structures sociales et politiques africaines pour les rendre
identiques à celles françaises, conduit en réalité à anéantir le progrès authentique des
peuples sous domination, à travers la négation de leurs droits, principalement au moyen
d’une police administrative extrêmement autoritaire. Le poids de l’idéologie coloniale
est ici perceptible d’autant plus qu’au plan strictement juridique, le Cameroun n’est pas
une colonie de la France, mais juste un territoire sous mandat, avant de devenir un
territoire sous tutelle. Mais usant des prérogatives que lui octroyait le régime du
mandat277, la France administra le Cameroun comme une colonie, en le soumettant au
même régime juridique que l’Afrique équatoriale française, sans pourtant l’y incorporer,
de telle sorte que dans le fond, c’est la même politique et donc la même idéologie
coloniale applicable la bas qui était appliquée ici. L’objectif inavoué était alors de
formater les structures sociales et mentales camerounaises afin de les rendre propices à
la réussite de la mission coloniale uniquement bénéfique à la puissance dominatrice. Car

275
Article 76(b) de la Charte des Nations Unies.
276
Article 76(c) de la Charte des Nations Unies ; il faut dire que, s’agissant de la Charte en elle-même, elle est
toute imprégnée d’un esprit libéral et se donne pour ambition de promouvoir le développement des droits de
l’homme, ambition motivée par le souvenir encore vivace des atrocités perpétrées au cours de ce conflit armé,
tout comme la paix et la sécurité internationales. Ces objectifs, sensés rejaillir sur l’ensemble des territoires sur
lesquels la Charte était destinée à s’appliquer, n’altèreront pas fondamentalement la rigueur de l’idéologie
coloniale dans les territoires sous domination.
277
Il n’est pas inintéressant, à ce niveau, de rappeler les dispositions pertinentes de l’article 9 de l’Acte du 20
juillet 1922 donnant mandat à la France d’administrer le Cameroun, dispositions sur la base desquelles sera
étendue au Cameroun d’abord progressivement, puis de manière générale le 24 mai 1924, la législation
applicable en Afrique équatoriale française : « La puissance mandataire aura pleins pouvoirs
d’administration et de législation sur les contrées faisant l’objet du mandat. Ces contrées seront
administrées selon la législation de la puissance mandataire comme partie intégrante de son territoire et
sous réserve des dispositions qui précèdent ».
« La puissance mandataire est, en conséquence, autorisée à appliquer aux régions soumises au mandat sa
législation sous réserve des modifications exigées par les conditions locales et à constituer ces territoires en
unions ou fédérations douanières, fiscales ou administratives avec les territoires avoisinants relevant de sa
propre souveraineté ou placés sous son contrôle, à condition que les mesures adoptées à ces fins ne portent
pas atteinte aux dispositions du présent mandat ».

80
il ne faut pas oublier que les conquêtes coloniales sont d’abord mues par un désir
d’étendre au maximum les débouchées commerciales des firmes européennes, et surtout
d’approvisionner les économies de ces pays en matières premières. Cette impotence des
textes fondamentaux du Territoire sera prolongée dans les textes constitutionnels du
Cameroun indépendant.

II – LA RECEPTION DE L’APATHIE PAR LE CONSTITUANT NATIONAL

L’avènement de l’indépendance du Cameroun ne change pas grand-chose dans


les rapports entre police administrative et Constitution. On peut en effet faire le constat
de la reconduction d’une même apathie de la source constitutionnelle du droit de la
police administrative. Si le constituant national n’hésite pas à donner dès cette période
des bases constitutionnelles à l’exercice de la police administrative, il est incontestable
que cette inscription constitutionnelle de la police administrative restera stérile jusqu’à la
réforme constitutionnelle de 1996.

A– La constitutionnalisation de la police administrative dans le Cameroun


indépendant

Bien que pouvant être considérée comme de faible ampleur par rapport à la
situation actuelle, cette constitutionnalisation n’en est pas moins sans équivoque et
claire. Il est sans doute nécessaire de souligner, d’entrée de jeu, que dans la doctrine
classique française, la constitutionnalité du pouvoir de police administrative se heurte à
deux principes, à savoir celui selon lequel seul le législateur est compétent pour fixer des
bornes à la liberté278 et celui de l’égalité de tous devant la loi, auquel se heurte le pouvoir
de police exercé au niveau local279. Mais il faut tout de suite dire que, outre le fait que le
légicentrisme a vécu280, la question ne peut plus faire l’objet de débat à partir du moment
où le constituant lui-même a pris soin d’investir certaines autorités du pouvoir de
278
Voir l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « La liberté consiste à pouvoir
faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes
que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne
peuvent être déterminées que par la Loi ».
279
L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, tome IV, 1924, p. 732 ; R. CARRE DE MALBERG,
Contribution à la théorie générale de l’Etat, précité ; contra : G. VEDEL, « Les bases constitutionnelles du
droit administratif », Etudes et Documents du Conseil d’Etat », 1954, p. 36. Sur l’ensemble de la question,
lire : D. GREGOIRE, Recherches sur les évolutions de la police administrative. Une notion en voie de
disparition, précité, p. 135.
280
L. FAVOREU, « Légalité et constitutionnalité », précité.

81
maintenir l’ordre public, ou lorsque, de manière plus large, il a donné des bases
constitutionnelles à l’activité de police administrative.

1 – La constitutionnalisation de la compétence de certaines autorités de police


administrative

Le constituant camerounais s’est saisi très tôt de cette question. Ainsi, dans la
toute première constitution du Cameroun indépendant281, après avoir posé qu’« il dirige
l’Administration et dispose de la force publique », il assigne au Premier Ministre Chef
du Gouvernement comme entre autres compétences d’assurer « le maintien de l’ordre et
la sécurité publique282 ». Il s’agit la incontestablement d’une constitutionnalisation de la
compétence de cette autorité dans le domaine de la police administrative.

Mais on peut considérer cette compétence comme s’exerçant uniquement en


période normale, puisque l’article 20 de la même constitution donne au Président de la
République d’importants pouvoirs de police en période de crise, notamment en cas d’état
d’urgence ou d’état d’exception, et dont on peut valablement penser qu’ils rendent nuls
ceux détenus par le Premier ministre. On peut voir dans cette superposition de pouvoirs
de police au sein de l’exécutif une maximalisation constitutionnelle de la compétence en
ce domaine.

281
Constitution du 4 mars 1960. Ce texte reste d’ailleurs fidèle à une tradition instituée par les textes
fondamentaux auxquels il succédait, et qui tous réservaient des dispositions importantes relativement au
maintien de l’ordre public, ou si l’on veut à la police administrative, preuve s’il en était besoin de l’importance
accordée à cette matière tant par le constituant colonial que par celui national. Ainsi, le Décret n°57-501 du 16
avril 1957 portant Statut du Cameroun, en son Titre IV Chapitre 1er (articles 40 et 41), réserve au Haut
Commissaire de la République française au Cameroun l’essentiel des pouvoirs de police administrative
(conformément à l’article 3 de l’Accord de tutelle) jusqu’à la délivrance des passeports, pouvoir dont il peut
donner délégation au Premier ministre Chef du Gouvernement camerounais. L’Ordonnance n°58-1375 du 30
décembre 1958 portant Statut du Cameroun maintiendra cet intérêt pour les questions relatives à la police
administrative, puisqu’elle consacrera un accroissement des pouvoirs du Premier Ministre en cette matière à
travers l’article 16 qui dispose qu’ « il a la responsabilité de l’ordre public et assure la sécurité des personnes
et des biens ».Il exerce désormais également les pouvoirs de crise conjointement avec le Haut Commissaire
(article 25). Quant à la loi n°59-2 du 18 février 1959 tendant à fixer le fonctionnement des pouvoirs publics
(« au fond, cette loi avait tout d’une constitution, à défaut de pouvoir en revêtir la forme », in J. M. BIPOUN
WOUM, « Les origines constitutionnelles du Cameroun », Revue juridique politique et économique du Maroc,
numéro spécial 22-1989, p.93.), si elle n’est pas aussi explicite que ses textes devanciers sur les questions
relatives au maintien de l’ordre public, n’en est pas moins une source potentielle du pouvoir de police, si on
considère ce dernier comme une des missions essentielle du pouvoir exécutif que ce texte consacre du reste, ou
si on interprète largement la disposition de l’article 32 qui donne au gouvernement mission d’assurer la gestion
administrative de l’Etat.
282
Voir article 21.

82
Ces compétences seront réitérées dans la constitution fédérale du 1 er septembre
1961283, mais cette fois uniquement au profit du Président de la République. En effet,
l’article 12 qui fixe les attributions de ce dernier dispose clairement qu’ « il veille à la
sécurité intérieure et extérieure de la République fédérale ». On observera au passage
que la disposition selon laquelle le Premier Ministre assure le maintien de l’ordre et la
sécurité publique disparait ici du corpus constitutionnel. Cependant, les pouvoirs de
police en période de crise sont maintenus intacts, comme le montre l’article 15 du
texte284. Ces compétences seront reconduites dans des termes identiques dans la
constitution du 2 juin 1972285, et dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996286,
moyennant tout juste une adaptation rédactionnelle liée au changement de forme de
l’Etat287.

Comme on peut le constater, le constituant a toujours donné, avec une régularité


remarquable, des bases constitutionnelles à l’exercice du pouvoir de police
administrative288, tout comme il a régulièrement traité du fondement de cette activité.

2 – La constitutionnalisation du fondement de la police administrative

La police administrative s’exerce en vue de la sauvegarde de l’ordre public. Si


dans la tradition française, cette notion comporte comme composantes classiques la
sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques289, la situation est sensiblement trouble

283
Loi n°61-24 du 1er septembre 1961 portant révision constitutionnelle et tendant à adapter la Constitution
actuelle aux nécessités du Cameroun réunifié.
284
Lequel dispose : « Le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, proclamer par
décret l’état d’urgence qui lui confère des pouvoirs spéciaux dans les conditions fixées par la loi fédérale ».
« En cas de péril grave menaçant l’intégrité de l’Etat, la vie, l’indépendance ou les institutions de la nation,
le Président de la République fédérale peut, après consultation des Premiers ministres des Etats fédérés,
proclamer par décret l’état d’exception et prendre toutes mesures qu’il juge nécessaires ».
285
Art. 9 in fine et art. 11.
286
Art. 8 alinéa 3 et art. 9.
287
La rédaction de cette disposition a en effet évolué au fil des constitutions en fonction du fait que l’on était
sous le régime de l’Etat fédéral ou de l’Etat unitaire.
288
Voir la note 46 ci-dessus. Sur la théorie du Doyen VEDEL ci-dessus évoquée, outre son étude parue dans
Etudes et Documents du Conseil d’Etat en 1954 déjà citée, lire également : G. VEDEL, Les bases
constitutionnelles du droit administratif, in Paul AMSELEK (dir.), La pensée de Charles EISENMANN,
Economica, PUAM, p. 133. ; G. VEDEL, « Préface à Bernard STIRN », Les sources constitutionnelles du
droit administratif, préc. p. VII. ; C. EISENMANN, « La théorie des « bases constitutionnelles du droit
administratif », RDP 1972, p. 1345, 97 p. ; E. BREEN, « Le Doyen Vedel et Charles EISENMANN : une
controverse sur les fondements du droit administratif », in RFDA 2002, p.232 ; C. GOYARD, « Le Doyen
Vedel et Charles EISENMANN (à propos de l'article de E. Breen) », RFDA, 2002, p. 838. P. DELVOLVE,
« L'apport du Doyen Vedel au droit administratif », in RFDA 2002, p. 222.
289
Ceci est évidemment une présentation très simpliste et assez inexacte de la réalité, car les buts de la police
générale en France vont bien au-delà des cette trilogie municipale. C’est ainsi qu’on devrait y ajouter la
moralité, le respect de la dignité humaine, et pour des composantes encore discutées : la protection des

83
dans le contexte camerounais. Ici en effet, les jurislateurs290 ont tendance à séparer
l’ordre public de ces composantes, de telle sorte qu’il n’est pas saugrenu de penser que le
système juridique ici entend donner à cette notion d’ordre public un contenu indépendant
des notions de sécurité, de salubrité et de tranquillité publiques. Il n’est pas jusqu’au
texte constitutionnel qui n’entretienne cette incertitude autour du contenu de l’ordre
public, de sa signification véritable. C’est ainsi que le constituant emploi d’une part et
avec récurrence l’expression ordre public, et que d’autre part il emploi les notions de
sécurité et de tranquillité, la consécration de la notion d’environnement sain donnant à
penser qu’il constitutionnalise, quoique de manière implicite, le but de salubrité.

Une chose est certaine, c’est que la notion d’ordre public semble revêtir ici un
statut constitutionnel, tout comme les buts de sécurité et de tranquillité. Il reste à savoir
si le but de salubrité peut prétendre lui aussi à cette dignité. La détermination
constitutionnelle du fondement de la police administrative a pour siège essentiel le
préambule de la constitution. Il y est en effet inscrit, à plusieurs reprises, la notion
d’ordre public. Ainsi, le constituant affirme tout d’abord que « tout homme a le droit de
se fixer en tout lieu et de se déplacer librement, sous réserve des prescriptions légales
relatives à l’ordre, à la sécurité et à la tranquillité publics291 ». Même si le constituant
se contente de viser l’ « ordre », sans adjectif qualificatif, il n’y a aucun doute sur le fait
de savoir que l’ordre dont il s’agit, c’est l’ordre public. Un peu plus loin, et toujours dans
le préambule, il est énoncé que : « nul ne peut être inquiété en raison de ses origines,

individus contre eux-mêmes, la protection de la jeunesse. Pour une présentation synthétique et récente des buts
de la police générale en France, voir : C.-E. MINET, Droit de la police administrative, précité, pp. 34-49.
290
Il en est ainsi du constituant comme du législateur ou des autorités réglementaires. Tous, dans l’énonciation
des normes susceptibles de décliner l’ordre public, déclinent ce dernier en lui donnant un contenu autonome,
distinct de la sécurité de la salubrité et de la tranquillité. La loi constitutionnelle du Janvier 1996 dispose ainsi
par exemple que « tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement, sous réserve des
prescriptions légales relatives à l’ordre, à la sécurité et à la tranquillité publics » La loi de 2004 fixant les
règles applicables aux communes dispose quand à elle que « la police municipale a pour objet (…)d’assurer
le bon ordre, la sûreté, la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques ». Quand au décret de 2012 portant
organisation de la sûreté nationale, il charge la sureté nationale du « maintien de l’ordre, de la paix, de la
sécurité et de la salubrité publics ». Comme on peut aisément le voir, toutes ces autorités normatives
distinguent l’ordre public ou le maintien de l’ordre des notions de sécurité, de salubrité, de tranquillité ou de
paix. Cette situation est accentuée par le fait que même le juge, lorsqu’il lui arrive d’aborder la question,
procède à la même distinction, confirmant ainsi qu’au Cameroun, la notion d’ordre public comporte une
signification propre, indépendante des composantes connues ailleurs.
291
Si cette disposition existe dans les mêmes termes dans la Constitution du 2 juin 1972, son énonciation dans
la toute première constitution du Cameroun indépendant, à savoir celle du 4 mars 1960 était légèrement
différente. Cette dernière disposait : « tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer
librement, sous réserve des prescriptions légales relatives à l’ordre et à l’hygiène publique ». On peut ainsi
voir, à la lumière de ces dispositions, que la notion de tranquillité a remplacé celle de salubrité. Quand à la
constitution du 1er octobre 1961, elle ne pose pas de problème, puisqu’elle n’avait pas de préambule.

84
de ses opinions ou croyances en matière religieuse, philosophique ou politique sous
réserve du respect de l’ordre public et des bonnes mœurs ». Cette inscription de l’ordre
public dans le texte constitutionnel n’est pas du tout une innovation du texte
constitutionnel de 1996292. Tous ses devanciers comportaient eux aussi des dispositions
consacrant la notion d’ordre public. Cette présence de la notion d’ordre public dans le
texte constitutionnel ne devrait pas surprendre, car « la constitution reflète un ordre
politique et social à maintenir, et cet ordre ne peut être maintenu que par l’existence
d’une fonction policière293 ».

Dans la première évocation constitutionnelle de l’ordre public, cette notion est


posée comme une limite à la liberté d’aller et venir. Quand à la deuxième, elle pose
l’ordre public comme une limite potentielle aux libertés religieuse, philosophique ou
politique. Est-ce à dire que l’ordre public dont il s’agit ne concerne que ces aspects de la
vie socio politique ? S’agit-il même de l’ordre public de la police administrative ?

Il faut dire que la réponse à cette question est tributaire de l’interprétation qu’aura
le juge constitutionnel des dispositions constitutionnelles ci-dessus évoquées. Mais il lui
sera difficile de ne pas s’en servir pour contribuer à la construction d’une notion d’ordre
public dont le constituant a déjà posé les bases. En effet, il n’est pas sérieusement
soutenable que l’ordre public dont il s’agit ici n’est pas celui visé par la police
administrative. Même si le constituant l’énonce dans des conditions bien particulières, la
notion reste extensible et peut concerner tous les autres champs de la police
administrative.

Il reste maintenant à savoir s’il suffit qu’une notion existe dans le texte
constitutionnel pour que l’on conclu à sa constitutionnalisation. Autrement dit,
l’existence dans le texte de la constitution de la notion d’ordre public suffit-elle à lui
donner un statut constitutionnel ? Pour répondre à cette question, on peut commencer à
en énoncer la réciproque : peut-on envisager la constitutionnalisation d’une notion en
l’absence de son existence dans le texte constitutionnel ? La réponse à cette question ne

292
Tous les textes constitutionnels antérieurs comportaient peu ou prou des dispositions relatives à la police
administrative. Ainsi, avant même l’indépendance, la loi n°59-2 du 18 février 1959 tendant à fixer le
fonctionnement des pouvoirs publics dispose en son article 1 er alinéa 2 : « Tout citoyen bénéficie de la liberté
de parole, de presse, de réunion et d’association dans le cadre de la législation en vigueur et sous réserve des
nécessités d’ordre public ».
293
C. BAILLON, H. DELTORT, M.H. MATTERA, « Les fondements de la police administrative générale »,
in LINOTTE Didier (Dir), La police administrative existe-t-elle ?, op cit., p. 39.

85
peut être positive que sur la base d’une jurisprudence constitutionnelle. C’est donc cette
dernière qui en quelque sorte introduit la notion dans le champ constitutionnel. Faute
d’une jurisprudence constitutionnelle, la notion garde le statut qu’elle avait hors du
champ constitutionnel. Cela revient à dire que dans l’hypothèse où la justice
constitutionnelle n’est pas activée, la seule existence d’une notion dans le texte de la
constitution suffit à lui donner un statut constitutionnel. L’on ne peut envisager
sérieusement une sorte d’attitude déconstructive du juge en la matière, car son pouvoir
d’interprétation ne saurait en aucun cas se déployer contra-legem.

C’est pour cette raison que la notion d’ordre public peut, même au stade actuel,
bénéficier d’un statut constitutionnel, à l’instar des notions de sécurité et de tranquillité.
Quand à la notion de salubrité, la question de son existence dans notre corpus
constitutionnel mérite d’être posée. Mais cette inscription de la police administrative
dans les textes constitutionnels restera stérile pendant plusieurs décennies.

B– Une constitutionnalisation294 stérilisée avant la loi constitutionnelle du 18


janvier 1996

Si la constitutionnalisation de la police administrative dès l’indépendance du


Cameroun est incontestable, le système juridique, et particulièrement les destinataires du
pouvoir de police n’ont pas, jusqu’en 1996, bénéficié des bienfaits de cette
constitutionnalisation, en raison de deux faits majeurs : l’incertitude sur la valeur
constitutionnelle du préambule de la constitution, et l’inexistence d’une véritable justice
constitutionnelle.

1 – L’incertitude sur la valeur constitutionnelle du préambule

Le plus simple, pour les lois fondamentales qui se sont succédées dans notre
histoire constitutionnelle, aurait été de spécifier elles mêmes que leurs préambules
revêtaient une pleine valeur juridique. Faute de l’avoir fait, une confusion s’est installée

294
En guise de rappel, soulignons que ce concept est entendu comme « le processus par lequel le pouvoir
constituant intègre dans la constitution des matières qui jusque là étaient restées en dehors ». Voir J. C.
TCHEUWA, « L’environnement en droit positif camerounais », in Juridis périodique, N° 63, juillet-août-
septembre 2005, pp. 87-113. Pour une vue plus large, outre les études citées au début de ce chapitre (voir la
note), on consultera utilement : L. FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 7ème édition, 2003,
p. 80 ; F. MELIN-SOUCRAMANIEN, Constitution de la République française, Paris, Armand-Colin, 2004, p.
xvi ; S. MOUTON et H. ROUSSILLON, « Le rôle des cours constitutionnelles dans la constitution-nalisation
des branches du droit », in Constitution et droit interne, ACADEMIE INTERNATIONALE DE DROIT
CONSTITUTIONNEL, 16ème session, Tunis, 2000, CERES, Tunis 2001, pp. 89-129.

86
dans les esprits, au point où on en est venu à dénier toute valeur juridique à cette partie
du texte constitutionnel. Mais la vérité est qu’en la matière, les autorités chargées de
trancher le débat en pareille circonstance, à savoir les autorités juridictionnelles, sont
rentrées elles même dans une controverse ininterrompue, accentuant ainsi le doute des
divers sujets de droit. Quand aux faiseurs de systèmes, ils ont également entretenus
l’incertitude sur la question, n’arrivant pas à dégager une opinion commune à tous,
ajoutant par là même à une incertitude déjà grande, laquelle ne pouvait qu’être
préjudiciable aux droits inscrits dans le préambule du texte constitutionnel.

a) L’incertitude jurisprudentielle

En l’absence d’une disposition constitutionnelle expresse donnant au préambule


de la constitution une pleine valeur juridique295, le juge aurait pu lui donner toute
l’applicabilité qu’on lui déniait. Mais tel n’a pas été le cas. En l’absence d’une véritable
justice constitutionnelle296, il appartenait aux autres juges, à savoir le juge administratif
ou le juge judiciaire, de donner le cas échéant toute leur valeur juridique aux normes
contenues dans le préambule de la constitution. La jurisprudence de ces derniers révèle
une attitude contradictoire du juge judiciaire et une position ambigüe du juge
administratif.

Cette indécision tient au fait que la position du juge a fluctué au cours du temps,
oscillant entre affirmation et négation de la valeur constitutionnelle du préambule.
Malgré l’extrême difficulté qu’il y a à étudier la jurisprudence surtout judiciaire au
Cameroun, du fait surtout de son inaccessibilité, il est néanmoins possible de retracer les

295
La question peut être posée de savoir s’il est absolument nécessaire que le constituant spécifie, expressis
verbis, à travers une disposition constitutionnelle que le préambule a une valeur juridique. La réponse à cette
question ne peut qu’être négative, car, à la limite, cette disposition aurait un caractère superfétatoire. En effet,
le préambule, siège de ce que le Doyen HAURIOU appelait la constitution sociale, n’a nullement besoin d’une
disposition expresse lui donnant valeur juridique. La constitution n’a pas pour objet exclusif l’exercice du
pouvoir, elle a aussi pour objet essentiel l’exercice de la liberté. Or traditionnellement, cette deuxième partie de
l’objet de la constitution a pour lieu essentiel d’expression le préambule de la constitution. A quoi servirait-il
alors d’inscrire dans le préambule de la constitution des droits et libertés fondamentaux à l’avantage des
citoyens, si ces derniers ne peuvent pas en obtenir la justiciabilité à travers la reconnaissance de leur pleine
valeur juridique.
296
Inexistante de 1961 à 1972, la justice constitutionnelle sera mise en place dans la constitution de 1972. Mais
cette dernière ne sera jamais mise en fonctionnement en raison de son caractère fortement politique, lié à
l’omnipotence du Président de la République, seule autorité habilité à saisir la Cour suprême alors érigée en
juridiction partiellement constitutionnelle.

87
différents éléments de l’indécision du juge judiciaire en cette matière, sur la base
principale des travaux des rares doctrinaires qui s’y sont intéressé297.

Selon le Professeur Adolphe MINKOA SHE, l’incertitude sur la valeur juridique


du préambule au sein de la jurisprudence judiciaire a connu deux moments forts, avec
pour date de démarcation l’année 1972298. Selon l’éminent juriste en effet, si avant cette
date, le juge judiciaire a toujours reconnu une valeur juridique au préambule de la
constitution, sa position a changé après cette date, puisqu’il là lui dénie désormais. Avant
cette date, le juge reconnait une valeur juridique au préambule aussi bien en matière
civile qu’en matière pénale.

En matière civile, la Cour Suprême du Cameroun oriental a, dans un arrêt du 11


juin 1963, écarté l’application d’une coutume qui établissait en matière successorale une
discrimination fondée sur le sexe, au motif que le préambule de la constitution du 4 mars
1960 posait, de manière définitive, le principe de l’égalité des sexes299. Ce préambule
énonçait en effet que : « tous les hommes sont égaux en droit et en devoir. L’Etat
s’efforce à assurer à tous les citoyens les conditions nécessaires à leur plein
développement300 ».

En matière pénale, la même juridiction a, « dans un arrêt du 8 octobre 1968


relatif à une condamnation pénale (…), cassé une décision de la cour d’appel de
Douala, qui avait méconnu une disposition du préambule de la constitution du 4 mars
1960 proclament l’égalité de tous les citoyens quel que soit leur sexe301 ».

Mais après 1972, cette situation va changer. Si, dans un premier temps, la Cour
suprême va continuer à affirmer la valeur constitutionnelle du préambule, comme le
prouve un arrêt du 22 février 1973 où elle affirme : « attendu que les droits de la
personne résultant du mariage, de la paternité et de la filiation dont la Constitution du
4 mars 1960 proclame en son préambule le caractère inaliénable et sacré, ne peuvent

297
Il s’agit essentiellement de : A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, précité ; A.
D. OLINGA, « Vers une garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux ? », précité ; et dans une
certaine mesure : J. MOUANGUE KOBILA, « Le préambule du texte constitutionnel du 18 janvier 1996 : de
l’enseigne décorative à l’étalage utilitaire », précité.
298
A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, précité, pp. 21 et suiv.
299
CSCO, n°67 du 11 juin 1963, Bull. p. 554 ; voir, dans le même sens : CSCO, n° 65 du 19 mai 1964, Bull. p.
804 ; CSCO, n° 42 du 9 mai 1967, Bull. p. 5603 ; CS, 28 mars 1972, RCD, n°5, p. 75.
300
Voir préambule de la Constitution du 4 mars 1960.
301
Lire à ce sujet : J. C. KAMDEM, « Mise en œuvre des mécanismes juridiques garants des droits de
l’homme en Afrique : le cas du Cameroun », in D. MAUGENEST, et P.-G. POUGOUE, Droits de l’homme en
Afrique centrale, UCAC/Karthala, 1996, p. 147.

88
faire l’objet de transaction ni constituer la contrepartie d’une dette ou d’une créance ;
que ces principes sont d’ordre public ; attendu que la coutume invoquée, dans la
mesure où elle établit une discrimination fondée sur le sexe, va à l’encontre du
principe constitutionnel de l’égalité des sexes ; que de ce fait ladite coutume ne saurait
recevoir la sanction des cours et tribunaux, la vocation héréditaire de la femme
apparaissant désormais comme indiscutable302 », elle a par la suite catégoriquement
dénié à cette partie de la constitution toute valeur juridique. L’arrêt de principe en la
matière est assurément celui rendu par la Cour d’appel de Garoua, dans une affaire dite
« affaire des voleurs de coffre-fort303 ». Dans cette espèce, le juge déclare : « il est
largement admis que les préambules n’énoncent que les principes généraux du droit,
et ce à titre indicatif alors que la loi énonce les dispositions constitutionnelles
proprement dites et, de ce fait, l’emporte sur le préambule de la constitution ».

Malgré le fait que l’essentiel de l’œuvre jurisprudentielle du juge judiciaire dans


la matière ici étudiée ne porte pas prioritairement sur la police administrative, les
analyses qui en sont faites sont néanmoins transposables en ce domaine, et les
conclusions sont identiques indifféremment des matières.

La position du juge administratif a également été très fluctuante au fil des


affaires. S’il a dès l’origine refusé de reconnaitre une quelconque valeur juridique au
préambule, sa position a évolué progressivement vers une reconnaissance, même si l’on
a pu noter à certains moments des hésitations, et même des retours en arrière. Il semble
alors que la meilleure lecture de son attitude à cet égard, soit celle chronologique.

Ainsi, dès le départ, c’est-à-dire sous l’empire du Conseil de contentieux


administratif, sa position a été de nier toute valeur juridique au préambule du texte
constitutionnel. Celui en vigueur était alors le préambule de la constitution française de
1946. C’est ainsi que, dans une affaire BETOLO MVOMO Martin c/ Administration du
Territoire304, il déclare : « Considérant qu’il n’appartient pas à la présente juridiction
de s’immiscer dans le domaine qui lui est étranger et d’interpréter la délibération du
Conseil de Tutelle et les dispositions de la loi constitutionnelle du peuple français ».
Le juge de la toute première juridiction administrative du Cameroun refuse donc ainsi de

302
Arrêt du 22 février 1973, RCD, n° 9, janvier-avril 1976, pp. 82-83.
303
CA Garoua, n° 96 du 5 mai 1973, RCD, n° 6, 1974, p. 143.
304
CCA, Arrêt n°251du 25 septembre 1953, BETOLO MVOMO Martin c/ Administration du Territoire

89
considérer la norme constitutionnelle comme faisant partie de celles qu’il peut soit
appliquer, soit interpréter. Il trace une ligne de démarcation entre sa compétence et la
norme constitutionnelle. En le faisant, il refuse de faire application de la norme
constitutionnelle et lui dénie ainsi toute valeur juridique.

Mais une fois l’indépendance acquise, le Tribunal d’Etat, qui a remplacé le


Conseil du contentieux administratif, sera la toute première juridiction administrative à
reconnaitre, quoique implicitement mais certainement, une valeur juridique au
préambule de la Constitution du 4 mars alors en vigueur. Dans une espèce Sieur Bernard
DUTREIL EDOUARD c/ État du Cameroun 305, il déclare : « Considérant (…) qu’il
n’est pas contesté que par l’effet de la loi sus visée du 31 décembre 1957, le sieur
Bernard Dutreil serait à l’avenir soumis au paiement de cet impôt bien qu’étant
domicilié à l’étranger et ne possédant pas de résidence habituelle au Cameroun ; Que
ladite loi n’ayant été publiée qu’au Journal officiel le 26 mars 1958, la question se
pose de savoir si elle pouvait néanmoins être appliquée à la date du 1er janvier 1958,
c’est-à-dire avec effet rétroactif ; Considérant qu’aux termes de l’article 2 du Code
Civil applicable au Cameroun, « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point
d’effet rétroactif » ; Que ce principe de la non rétroactivité des lois rappelé dans le
préambule de la Constitution du 04 mars 1960306 est applicable en toutes matières ;
Que les lois fiscales et budgétaires y sont soumises comme toutes les autres ; Que si le
législateur peut y déroger et disposer qu’une loi déterminée s’appliquera
rétroactivement, encore doit-il manifester sa volonté de façon sinon expresse, du
moins certaine et non équivoque ». Le juge fait ainsi application du principe de non
rétroactivité des lois inscrit dans le préambule de cette constitution. Par là, il rend
possible l’application de toutes les autres normes constitutionnelles contenues dans cette
partie de la Constitution, y compris celles concernant la police administrative.

Mais malgré cette prise de position sans équivoque et avantageuse pour les droits
et libertés des citoyens, la Cour Fédérale de Justice, qui remplace le tribunal d’Etat à la
faveur de la réforme constitutionnelle de 1961, revirera cette jurisprudence, pour revenir
au statuquo ante. Elle marque par là un retour à la négation de la valeur constitutionnelle

305
TE, Arrêt N°129 du 23 décembre 1960, Sieur Bernard DUTREIL EDOUARD c/ État du Cameroun
306
C’est nous qui soulignons

90
du préambule307. Elle le fera dans l’espèce Société des Grands Travaux de l’Est c/ État
du Cameroun Oriental308 : « Considérant qu’il est généralement admis que les
principes contenus dans le préambule de la Constitution, tel le principe de la non
rétroactivité des lois, ont valeur de principes généraux de droit, c’est-à-dire non pas
supérieure mais égale à celle de la loi ordinaire ; Que par suite, le législateur peut y
déroger expressément, ce qu’a effectivement fait le législateur de 1966 ; (…)
Considérant qu’en somme, l’imposition attaquée par la SGTE, fondée sur une
disposition légale, est régulière et échappe par suite à l’annulation309 ». Cette
incertitude est également entretenue par la doctrine.

307
Tandis que l’application du dispositif de la constitution semble être allé de la négation (Voir CS/CA,
Jugement n°62/79-80 du 25 septembre 1980, société "Assureurs Conseils Franco-Africains" (ACFRA) c/ État
du Cameroun (MINFI) : « Attendu que les actes administratifs sont soumis au principe de la légalité,
principe fondamental du droit administratif moderne ; Que ce principe signifie que l’acte administratif doit
respecter les lois formelles et cela du reste en deux points de vue : d’une part, il ne doit pas enfreindre une
disposition de la loi, d’autre part, il doit s’appuyer sur la loi, c'est-à-dire que l’autorité administrative qui
l’édicte doit en avoir reçu de la loi compétence ») à l’acceptation définitive (voir CS/CA, Jugement N°43/82-
83 du 7 avril 1983, Kouoh Emmanuel Christian c/ État du Cameroun « Attendu que le requérant estime que
suivant la Constitution camerounaise, l’on ne peut légiférer que par des lois ou des actes réglementaires du
pouvoir exécutif et non par voie de circulaire ; (…) Attendu que, ainsi que l’a rappelé le requérant l’article
20 de la Constitution du 02 juin 1972 fixe les matières qui sont du domaine de la loi, entre autres, le régime
des obligations commerciales ; Qu’aux termes de l’article 22, "les matières autres que celles qui sont du
domaine de la loi ressortissent au pouvoir réglementaire" ; Que par conséquent il revenait à l’autorité
compétente de prendre l’acte adéquat soit pour interdire, soit pour réglementer la profession d’agent de
recouvrement ; (…) Mais attendu qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne pose encore cette
interdiction ; Qu’il s’ensuit qu’en l’absence de tout texte législatif ou réglementaire interdisant la profession
d’agent de recouvrement, le Ministre de la justice a commis un excès de pouvoir en décidant de
l’interdiction de cette profession par voie de circulaire »), op cit.
308
CFJ/CAY, arrêt n°68 du 30 septembre 1969, Société des Grands Travaux de l’Est c/ État du Cameroun
Oriental.
309
Voir, pour la suite de cette affaire : CFJ, n° 4 du 28 octobre 1970, Affaire société des grands travaux de
l’Est, in J.-M. BRETTON, Recueil des principales décisions de la Cour Fédérale de Justice statuant au
contentieux (1967-1972), Université de Yaoundé, FDSE, 1972, pp. 141-142. La doctrine (par exemple A.
MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, précité, p. 22) a eu pour coutume de présenter
certaines espèces comme manifestant le refus du juge administratif de donner valeur juridique au préambule de
la constitution. Il s’agit des : Arrêt n° 118/CFJ/SCAY du 29 mars 1972 Eitel MOUELLE KOULA c/République
Fédérale du Cameroun ; Arrêt n° 194/CFJ/SCAY du 25 mai 1972, NANA TCHANA Daniel Roger c/
République Fédérale du Cameroun, in RCD, n° 31 janv.-juin 1973, pp. 54-59, Obs. Eric Boehler. Mais c’est à
tort que ces arrêts ont été introduits dans le débat sur la constitutionnalité du préambule car, comme l’affirme à
juste titre le Professeur A. D. OLINGA, ils « ne font nullement référence au préambule d’une quelconque
constitution, mais plutôt à l’article 1er alinéa 2 de la Constitution du 1er septembre 1961, dans lequel est
affirmé l’attachement de l’Etat aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des
droits de l’homme et à la Charte des Nations Unies ». On aurait pu, en surfant sur l’hypothèse non démontrée
que ce soit en droit positif ou en doctrine, de la reconduction du préambule de la Constitution de 1960 dans
celle de 1961, admettre une éventuelle inclusion de ces arrêts dans le débat. Mais, pour les raisons qui viennent
d’être données, ils doivent en être écartés. Voir, sur cet aspect de la question : Alain Didier OLINGA, « Vers
une garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux ? », précité, pp. 325-326.

91
b) L’incertitude doctrinale

En général pauvre en controverses, la doctrine camerounaise s’est pourtant


montrée très prolixe et intéressée par la question de la constitutionnalité du préambule,
comme le révèlent les différentes contributions apportées par les uns et les autres au
débat. Cet intérêt montre l’importante place que la doctrine accorde à la question de la
protection constitutionnelle des droits et libertés, enjeu véritable du débat. Ce débat
intéresse la police administrative à plus d’un titre, car il remet l’entreprise de maintien de
l’ordre public à l’honneur, en raison du fait que ce sont les droits et principes qui sont
inscrits dans le préambule de la constitution qui sont susceptibles d’être remis en cause,
ou simplement malmenés par l’exercice de la police administrative310.

Il n’est toutefois pas évident de décrypter et de classer les divers points de vues,
tant ils s’entremêlent et sont parfois fluctuant chez le même auteur d’une étude à une
autre, et même parfois à la limite de la contradiction. Mais cela dit, il est cependant
possible de proposer une classification ternaire, allant du courant négateur au courant
favorable, en passant par un courant que l’on pourrait qualifier de médian311. Il serait
d’ailleurs plus juste de parler non pas de courant, mais de point de vue, car, il arrive
comme cela vient d’être dit, que le même auteur soutienne des points de vue différents
d’une étude à l’autre.

Il s’agit tout d’abord de la négation de la valeur juridique du préambule. Ce point


de vue pourrait être résumé de la sorte : le préambule n’a aucune valeur juridique. Sa
seule valeur n’est que philosophique, donc cela n’emporte aucune conséquence au plan
des droits qu’il contient, si oui, le fait que ceux-ci sont injusticiables, ou plutôt n’ont
aucune existence juridique. Un tel point de vue peut être tiré de certains écrits des
professeurs Maurice KAMTO et Paul-Gérard POUGOUE, notamment lorsqu’ils écrivent
qu’« on peut légitimement contester la valeur constitutionnelle du préambule de la
constitution du 2 juin 1972312 ». Ce point de vue, en niant toute juridicité à la partie
préambulaire du texte constitutionnel, semble l’assimiler à ce que Adhémar ESMEIN

310
T.-M. DAVID-PECHEUL, « La contribution de la jurisprudence constitutionnelle à la théorie de la police
administrative », op cit.
311
Ces thèses sont présentées par le Professeur A. MINKOA SHE dans son ouvrage : Droits de l’homme et
droit pénal au Cameroun, n°s 38-41.
312
M. KAMTO et P.-G. POUGOUE, « Commentaire de la loi n°89/018 du 28 juillet 1989 portant modification
de la loi n°75/16 du 08 décembre 1975 fixant la procédure et le fonctionnement de la Cour suprême », Juridis
infos, n°1, 1990, pp. 5-9.

92
appelait une déclaration des droits, et qui à ses yeux ne devait revêtir aucune valeur
juridique313.

On peut s’interroger sur le point de savoir ce que ces auteurs dénient au


préambule. Est-ce une valeur juridique ou une valeur constitutionnelle ? Car il importe
de bien établir la nuance subtile qui existe entre ces deux expressions. La valeur
juridique n’est pas la valeur constitutionnelle. Un texte peut avoir une valeur juridique et
ne pas avoir une valeur constitutionnelle. Mais tout texte ayant une valeur
constitutionnelle a nécessairement une valeur juridique. La juridicité est
fondamentalement une « nature », tandis que la constitutionnalité est davantage une
« valeur ». Ne pourrait-on pas alors, pour la pureté du langage314, écrire plutôt que le
préambule n’avait pas, aux yeux de ces auteurs, une valeur constitutionnelle, ce qui
n’enlevait rien à sa nature juridique potentielle ou même réelle. C’est ce qui peut justifier
que le professeur KAMTO, dans d’autres écrits, reconnaisse une nature juridique au
préambule, bien que ce soit de manière nuancé.

Il est principalement soutenu par le professeur Maurice KAMTO, dans une étude
publiée après celle où il semble dénier toute valeur constitutionnelle au préambule, ce
qui peut laisser croire à une évolution de la pensée de l’éminent auteur sur ce point. Basé

313
L’éminent auteur distinguait les déclarations des droits des garanties des droits. Selon lui, seules les
secondes étaient importantes et emportaient des conséquences au plan des droits. Voir, sur ce point : A.
ESMEIN, Eléments de droit constitutionnel français…, précité, pp. 554-559. La doctrine affirme d’ailleurs,
dans cette logique, qu’en introduisant la donnée temporelle dans l’analyse, « il serait aisé de faire une
distinction entre des textes récents, dont les préambules sont importants, et les constitutions mises en place
entre 1789 et 1848, qui, tout en comportant des textes introductifs, n’impliqueraient sur ce point précis
aucune conséquence juridique majeure », A. COUTANT, « De la valeur d’un texte introductif : la
Constitution française de 1848 et son Préambule », op cit., p. 682.
314
On peut, dans cette lancée à la limite spéculative mais nous dirons purement théorique, après avoir avancé
l’idée d’une distinction entre nature juridique et valeur constitutionnelle, se demander si, au fond, les deux
expressions ne renvoient pas à la même réalité, puisque la reconnaissance d’une nature juridique au préambule
emporte nécessairement celle de sa valeur constitutionnelle. Mais cette dernière proposition n’est pas du tout
vrai, puisque l’on peut parfaitement envisager l’hypothèse selon laquelle le préambule puisse avoir une valeur
juridique mais infra constitutionnelle. C’est d’ailleurs ce que semble avoir retenu le juge dans la fameuse
affaire des voleurs de coffre-fort, lorsqu’il affirme que « les principes contenus dans le préambule de la
Constitution ont valeur de principes généraux de droit (…), c'est-à-dire non pas supérieure mais égale à
celle de la loi ordinaire ». On voit bien qu’ici, le juge ne dénie pas de nature juridique au préambule, mais lui
dénie plutôt une valeur constitutionnelle. C’est pour cela qu’il lui reconnait plutôt une valeur simplement
législative. Mais en fait, la question revient plutôt à savoir si les notions de natures et de valeur sont
synonymes. La nature juridique n’équivaut-elle pas à la valeur juridique ? A priori, la réponse devrait être
positive. Ainsi, la nature juridique d’une norme signifie sa valeur juridique. Mais dans une perspective
beaucoup plus rigoureuse, il est possible d’établir une distinction entre ces deux notions : la nature renvoie à
l’essence. A la substance ? La valeur renvoie au rang, dans la hiérarchie des normes. Mais peut-on en conclure
la nature a une dimension substantielle tandis que la valeur a une dimension purement formelle ? Il n’est peut-
être pas permis d’en conclure à ce stade, car ce serait un peu prématuré. Dans tous les cas, il est permis
d’affirmer que la doctrine camerounaise, sur la question du préambule ; n’a pas suffisamment médité sur la
nuance subtile qu’il y a à établir entre la nature juridique et la valeur juridique de celui-ci.

93
sur la logique juridique pure, ce point de vue est exprimé ainsi par le Professeur Alain
Didier OLINGA : « un minimum de cohérence logique impose, pour que les énoncés
relatifs aux droits fondamentaux ne soient pas évacués du champ des règles
constitutionnelles, de reconnaitre la valeur constitutionnelle du préambule. Il y a là
une exigence logique, mais surtout une nécessité pratique, une chance donnée à
l’effectivité des droits315 ». Mais alors que l’on croit la question réglée, le professeur
KAMTO ajoute une phrase qui semble plutôt être le cœur de sa pensée sur ce point, et
qui remet en cause ce l’on semblait déjà retenir comme acquis. Il pose en effet que «de
façon générale, on peut poser le principe que les préambules ont une valeur
constitutionnelle, mais seulement de lege feranda ou par simple déduction
logique316 ». Cette phrase bouleverse ainsi le point de vue initial de l’auteur, et renverse
la perspective qui voulait que le préambule ait une valeur constitutionnelle, sauf
disposition juridique contraire. Désormais, il faut plutôt entendre que le préambule n’a
qu’une valeur constitutionnelle de lege feranda, à moins que le texte constitutionnel n’en
dispose autrement. Néanmoins, cette affirmation semble être indubitablement une
évolution dans la pensée de l’auteur, si l’on tient compte du fait que son point de vue
initial317 était de dénier toute valeur constitutionnelle au préambule. Une partie de la
doctrine318 semble affirmer que ce point de vue serait également soutenu par le
Professeur OWONA. Mais une analyse attentive permet de dire que cet auteur est plutôt
favorable à une reconnaissance d’une valeur constitutionnelle au préambule.

Le point de vue approbateur est soutenu par le Professeur Adolphe MINKOA


SHE319, et par MM. Eric BOEHLER320 et François-Xavier MBOUYOM321. A cette liste,
on pourrait ajouter le Professeur OWONA Joseph. Ce dernier écrit dans son manuel

315
A. D. OLINGA, « Vers une garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux », précité, p. 327.
316
M. KAMTO, « L’énoncé des droits dans les constitutions des Etats africains francophones », in RJA, n° 1, 2
et 3, 1991, pp. 9 et s.
317
Voir le point de vue de l’auteur selon lequel : « on peut légitimement contester la valeur constitutionnelle
du préambule de la constitution du 2 juin 1972 », in M. KAMTO et P.-G. POUGOUE, « Commentaire de la
loi n°89/018 du 28 juillet 1989 portant modification de la loi n°75/16 du 08 décembre 1975 fixant la procédure
et le fonctionnement de la Cour suprême », précité, pp. 5-9.
318
D. J. ZAMBO ZAMBO, Le droit applicable au Cameroun. Essai sur les conflits de loi dans le temps et
dans l’espace, thèse précitée, note 598.
319
Voir A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, précité, p. 23 ; mais surtout, du
même auteur : Essai sur l’évolution de la politique criminelle au Cameroun depuis l’indépendance, op cit., p.
232.
320
Observations sous CFJ, n°194 du 25 mai 1972, cité par A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal
au Cameroun, op cit, p. 24, note 1.
321
F. X. MBOUYOM, « Les mécanismes juridiques de protection des droits de la personne au Cameroun », in
RJPIC, 1982, pp. 58 et s.

94
précité322 : « il est généralement reconnu un caractère de règle constitutionnelle
solennelle et intangible aux droits énumérés au préambule ou aux déclarations dont il
est fait référence. La constitution tchadienne de 1962 dispose expressément que les
dispositions du préambule font ‘‘partie intégrante de la constitution’’. Et la
constitution camerounaise du 2 juin 1972, sans les incorporer de manière expresse,
disposait non moins clairement que ‘‘l’Etat garantie à tous les citoyens de l’un et
l’autre sexe les droits et libertés énumérés au préambule de la Constitution’’323 ».

Une telle prise de position quand à la constitutionnalité du préambule semble


claire et sans équivoque. Elle procède de la simple logique juridique. A quoi servirait-il
de consacrer des droits dans le préambule du texte constitutionnel s’il faut par la suite
leur dénier toute nature juridique ? Tel semble être la question qui constitue la trame du
raisonnement de ceux qui n’hésitent pas à donner toute sa valeur juridique au préambule
du texte constitutionnel. C’est ainsi que le Professeur MINKOA SHE affirme, dans sa
thèse, qu’à la question de savoir si les principes inscrits dans le préambule de la
Constitution du 2 juin 1972, que « la raison juridique appelle à l’heure actuelle une
réponse affirmative. Car non seulement c’est la réponse qui est donnée à cette
question dans le système dont s’est inspiré le constituant camerounais, mais surtout
c’est la seule réponse qui puisse réellement donner un sens au principe même de
contrôle de constitutionnalité324 ». L’auteur ajoute que l’affirmation selon laquelle
« l’Etat garantie à tous les citoyens de l’un et l’autre sexe les droits et libertés
énumérés au préambule de la Constitution325 », « n’aurait aucun sens si on
n’accordait pas valeur constitutionnelle aux principes auxquels référence est faite326 ».
Si l’on peut être d’accord avec la deuxième partie de l’argument de l’éminent auteur, il
faut toutefois se défier de la tendance facile à conclure que c’est la bonne réponse au
Cameroun parce qu’ailleurs, notamment en France, c’est comme cela que le système

322
J. OWONA, Droit constitutionnel et régimes politiques africains, p. 225.
323
Cité par A. D. OLINGA, « Vers une garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux », op cit.,
pp. 327-328.
324
A. MINKOA SHE, Essai sur l’évolution de la politique criminelle au Cameroun depuis l’indépendance, p.
232
325
Cette formule est présente dans les préambules des constitutions de 1960, 1972 et même 1996, au dernier
alinéa.
326
A. MINKOA SHE, Essai sur l’évolution de la politique criminelle au Cameroun depuis l’indépendance, à
la même page.

95
juridique résout le problème327. Cela dit, l’on ne peut qu’être d’accord avec ce point de
vue, car non seulement, comme le disent les auteurs, lui seul permet de donner un sens
au principe de contrôle de constitutionnalité, mais aussi, seule une telle issue permet de
donner vie aux droits et libertés fondamentaux qui y sont inscrits, et qui sont de nature à
contraindre l’activité de police administrative, afin de là mettre en phase avec les
exigences constitutionnelles de l’Etat de droit et donc du constitutionnalisme moderne328.
Mais encore faudrait-il qu’existe une véritable justice constitutionnelle.

327
Il faut en effet, comme cela a été indiqué plus haut, se défier de toute attitude mimétique, car les mêmes
causes ne produisent pas toujours les mêmes effets, surtout lorsque l’on ne se trouve plus dans les mêmes
contextes spatial et temporel.
328
Au terme de cette controverse à la fois jurisprudentielle et doctrinale, il n’est pas inutile de s’interroger sur
les origines de cette problématique de la nature constitutionnelle ou non du préambule. Pourquoi le constituant
n’a pas dès le départ donné expressément une valeur constitutionnelle au préambule ? Etant donné que toute
disposition juridique en la matière serait superfétatoire, comme nous l’avons démontré plus haut, pourquoi les
diverses autorités normatives, n’ont-elles jamais, si l’on peut dire, naturellement, tiré toutes les conséquences
d’une nature constitutionnelle du préambule ? Quelques éléments de réponse sont à trouver dans l’histoire
constitutionnelle française. On peut dire, que dès le départ, le souci des révolutionnaires a été de dénier toute
valeur juridique aux textes introductifs des constitutions et aux préambules, en raison (pour partie tout au
moins) du dogme de la souveraineté parlementaire, telle qu’issu de la déclaration de 1789. En effet, le
Professeur TROPER a excellemment démontré, s’agissant par exemple de la déclaration des droits et des
devoirs de la Constitution de l’An III (M. TROPER, « La déclaration des droits et des devoirs de l’homme de
la Constitution de l’An III », in Renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l’honneur de Louis
FAVOREU, Paris, Dalloz, 2007, pp. 1731-1746.) que celle-ci repose sur les mêmes conceptions que celles de
1789 et 1793, notamment l’absence de valeur juridique de celui-ci. L’un des rédacteurs de la Constitution de
l’An III, un certain BOISSY d’ANGLAS (cité par Michel TROPER, op cit.) affirmait sans ambages que « cette
déclaration n’est pas une loi, et il est bon de le répéter, mais elle doit être le recueil de tous les principes sur
lesquels repose l’organisation sociale : c’est le préambule nécessaire de toute constitution libre et juste ;
c’est le guide des législateurs ». Quand à MERLIN, un autre membre du Comité de rédaction de cette même
constitution, il affirme que « une déclaration des droits est une déclaration des principes, dans laquelle on ne
doit pas exprimer les exceptions que les lois humaines apportent à l’étendue des principes » (Ibid.). Selon le
Professeur TROPER (Ibid, p. 1739), « cette conception de la Déclaration des droits était déjà celle des
constituants de 1789, qui la considéraient non comme un ensemble d’énoncés prescriptifs exprimant la
volonté de leurs auteurs, mais comme l’exposé de principes, ce mot étant pris dans son sens de propositions
premières qui s’imposent parce qu’elles sont évidemment vraies. Affirmer que de telles propositions sont
obligatoires serait tout aussi absurde que de le dire d’un axiome mathématique ». Il apparait ainsi que la
volonté des révolutionnaires est de n’accorder aucune valeur juridique au préambule, car ils craignaient « que
les citoyens prennent le texte au sérieux et se prévalent de la Déclaration des droits pour résister à l’autorité,
réclamer des secours ou simplement ‘‘substituer le raisonnement à la soumission qu’ils doivent à la loi’’ »
(M. TROPER, Ibid, p. 1740). Aussi les rédacteurs de ce texte constitutionnel se trouvaient-ils, aux dires de
l’auteur entre trois possibilités : soit renoncer à la Déclaration des droits ce qui permettrait « aux terroristes et
aux malveillants, de dire que vous avez foulé aux pieds la DDHC », soit de rédiger une Déclaration non pas
sous forme d’une loi, mais comme un simple préambule ou discours, avec la même conséquence que dans la
première possibilité, soit alors d’ajouter au texte rédigé une disposition qui ôte à la Déclaration des droits tout
caractère obligatoire, ce qui fut rejeté car considéré comme dangereux. C’est pourquoi la solution du silence
peut être considérée comme la meilleure, car d’une part, elle ne dénie pas le caractère fondamental du
préambule, mais d’autre part pour s’assurer que les droits ne seront pas en quelque sorte exigibles, elle scelle,
par sa connotation fortement philosophique, une sorte de pacte social dont on peut revendiquer la valeur
morale, mais jamais l’applicabilité juridique. Tel peut-être, de notre point de vue, l’origine de l’incertitude sur
la valeur juridique du préambule de la constitution. Elle est purement politique. Et si l’on admet aujourd’hui la
constitutionnalité de cette partie du texte constitutionnel, cela signifie que l’on ne se défie plus, d’une
quelconque revendication concernant la justiciabilité de ces droits.

96
2 – L’absence d’une véritable justice constitutionnelle

Le constat est unanime au sein de la doctrine329 : jusqu’en 1996, il n’existe pas au


Cameroun une véritable justice constitutionnelle. L’on pourrait même dire qu’il n’existe
pas de justice constitutionnelle du tout, tant le système mis en place alors peut être
considéré aujourd’hui, avec le recul, comme mort né330.

La toute première constitution du Cameroun indépendant, à savoir celle du 4 mars


1960, ne prévoit aucun mécanisme de contrôle de constitutionnalité des lois, pas plus
qu’elle ne met en place un quelconque mécanisme juridique susceptible de se rattacher à
une idée de justice constitutionnelle. Aussi, c’est la constitution ou plutôt la loi
constitutionnelle de 1961 qui introduira, pour la toute première fois dans le paysage
constitutionnel camerounais, des éléments de justice constitutionnelle. Ainsi par
exemple, on peut lire à l’article 34 de ce texte que : « Le Président de la République
fédérale saisit la Cour fédérale de justice dans les conditions prévues à l’article 34
lorsqu’il estime qu’une loi fédérale est contraire à la présente constitution ou qu’une
loi de l’un des Etats fédérés est prise en violation des dispositions de la constitution ou
d’une loi fédérale ». D’autres dispositions encore, par exemple celles de l’article 29
troisième paragraphe, confirment l’institution d’un mécanisme de contrôle de
constitutionnalité des lois, même si celui-ci apparait lacunaire, confirmant l’allégeance
du Cameroun à cet instrument du constitutionnalisme moderne qu’est la justice
constitutionnelle. Ce dispositif, repris de manière quasi identique dans la constitution du
2 juin 1972 présente des lacunes qui peuvent faire conclure à l’absence d’une véritable
justice constitutionnelle. Ces lacunes sont d’ordre à la fois organisationnel et
fonctionnel.

Au plan organisationnel, les éléments mettant une hypothèque sur l’émergence


d’une véritable justice constitutionnelle sont relatifs à la composition de l’instance de
contrôle.

329
A. KONTCHOU KOUOMEGNI, « Vers un nouveau modèle de contrôle de la constitutionnalité des lois au
Cameroun », in G. CONAC (s/dir.) Les Cours Suprêmes en Afrique, Tome 2, La jurisprudence et le droit
constitutionnel, Paris, ECONOMICA, 1989, pp. 44-63 ; P. MANGA, « Le contrôle de constitutionnalité des
lois au Cameroun : un cliché à corriger », in Juridis info, n° 11, Yaoundé, 1992, pp. 62-63 ; F. MBOME, « Le
contrôle de la constitutionnalité des lois au Cameroun », in RJPIC, avril-juin 1981, n°2, pp. 30-43.
330
L. D. SOCKENG, « Cameroun : le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd’hui. Réflexions sur
certains aspects de la réception du constitutionnalisme moderne en droit camerounais », in S. MELONE, A.
MINKOA SHE, et L. SINDJOUN (Dir.), La réforme constitutionnelle du 18 Janvier 1996 au Cameroun.
Aspects juridiques et politiques, précité, p. 363.

97
D’abord, l’instance dont il s’agit est une formation de la Cour suprême. Cette
juridiction qui est par ailleurs située au sommet des ordres judiciaires et administratifs,
en se voyant confiées des compétences contentieuses constitutionnelles, anesthésie en
même temps toute possibilité de spécialisation de ce contentieux, ce qui ne pouvait que
nuire à la mise en place d’une véritable justice constitutionnelle.

Ensuite, s’agissant proprement de la composition de l’instance de contrôle, on


observe que celle-ci est fortement politisée. En effet, l’article de l’ordonnance n° 72/6
disposait : « lorsque la Cour suprême statue en application des articles 7, 10 et 27 de la
Constitution, elle est complétée par cinq personnalités désignées pour un an par le
Président de la République en raison de leur compétence et de leur expérience ». Une
telle disposition ne pouvait qu’être de nature à fidéliser la Cour suprême statuant en
matière constitutionnelle vis-à-vis du Président de la République, et donc à là politiser,
surtout qu’il n’existait aucune garantie d’indépendance des membres de cette instance.

Au plan fonctionnel, l’extrême restriction du droit de saisine était également de


nature à hypothéquer fortement l’efficacité du dispositif de contrôle alors mis en
vigueur. En effet, en disposant que « le Président de la République saisit la Cour
Suprême dans les conditions déterminées par la loi prévue à l’article 32 lorsqu’il
estime qu’une loi est contraire à la présente constitution », l’article 10 de la
Constitution du 2 juin 1972, suivant en cela sa devancière de 1961, reconnait au seul
président de la République le droit de saisine de la Cour suprême statuant en matière
constitutionnelle. Cette situation, couplée aux développements précédents, fait du
Président de la République le « véritable juge de la constitutionnalité des lois au
Cameroun331 », ce qui fait dire à François MBOME que « de fait, de l’analyse
minutieuse de l’aménagement et du fonctionnement du contrôle de la
constitutionnalité des lois au Cameroun, il ressort en outre qu’en réalité, il n’y a de
suprématie constitutionnelle que seulement dans la mesure où le Président de la
République veut le reconnaitre ; autrement dit, l’ordre juridique suprême dans l’Etat
n’est plus la Constitution, mais le Président de la République qui est alors le seul
gardien de la constitutionnalité ; situation qui, de toute évidence, contribue à déformer

331
L. D. SOCKENG, « Cameroun : le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd’hui. Réflexions sur
certains aspects de la réception du constitutionnalisme moderne en droit camerounais », in S. MELONE, A.
MINKOA SHE, et L. SINDJOUN (Dir.), La réforme constitutionnelle du 18 Janvier 1996 au Cameroun.
Aspects juridiques et politiques, op cit., p. 374.

98
la hiérarchie des normes, et partant, la notion de Constitution332 ». Bien que cette
affirmation soit un peut exagérée en quelques points, elle traduit la négation même de
toute idée de justice constitutionnelle a laquelle abouti le système mis en place avant
1996. C’est pourquoi ce système a pu être qualifié à juste titre de mort-né, montrant bien
qu’il ne pouvait permettre l’émergence d’une véritable justice constitutionnelle. Cette
absence ne pouvait donc que laisser insensible la police administrative aux quelques
principes libéraux contenus dans les textes constitutionnels successifs jusqu’en 1996,
date à laquelle on assistera à un tournant majeur dans la mise en place d’une véritable
justice constitutionnelle au Cameroun.

SECTION II – UNE SOURCE ACTUELLEMENT ENERGIQUE

Il faut savoir gré à la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 d’avoir


redonné à la source constitutionnelle toute sa fertilité et toute sa vigueur. Cette
revivification de la source constitutionnelle du droit n’a pas laissé le droit administratif
indifférent. En particulier, la police administrative en a tiré un parti avantageux,
s’agissant des éléments pouvant concourir à sa libéralisation. Deux aspects majeurs de
cette réforme constitutionnelle, s’ils ne concernent pas uniquement la police
administrative, l’ont affectée durablement et peuvent être considérés comme contribuant
à rendre cette source du droit de la police administrative particulièrement énergique. Il
s’agit de la création d’une juridiction constitutionnelle (I), et de la constitutionnalisation
du préambule du texte constitutionnel (II).

I – LA CREATION D’UNE JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE

Aux termes de l’article 46 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, « Le


Conseil constitutionnel est l’instance compétente en matière constitutionnelle. Il
statue sur la constitutionnalité des lois. Il est l’organe régulateur du fonctionnement
des institutions ». L’on sait, classiquement, que les compétences ainsi définies du
Conseil constitutionnel, lorsqu’elles sont pleinement exercées visent à terme à irriguer
l’ensemble du système juridique des valeurs contenues dans le texte constitutionnel.

332
Cité par L. D. SOCKENG, Idem, pp. 374 et 375.

99
Cette irrigation (A), ne peut que contribuer, à terme, à une transformation de la police
administrative (B).

A – La possibilité d’une irrigation constitutionnelle de la police administrative

Dans l’absolu, tous les principes constitutionnels ont vocation à s’imposer à


l’activité de police administrative, au regard du fait que cette dernière embrasse
l’ensemble de l’activité humaine, et peu donc peu ou prou être influencée par n’importe
quelle norme constitutionnelle333. Cependant, dans l’impossibilité d’étudier en détail tous
ces principes constitutionnels, il importe ici de choisir les plus importants, ou plutôt les
plus représentatifs de cette constitutionnalisation de la police administrative.

1– L’irrigation par des exigences334 constitutionnelles extrinsèques à la police


administrative

Dans cette perspective indirecte, nous envisagerons tout d’abord le principe


d’égalité de tous devant la loi, et ensuite les exigences constitutionnelles du procès
équitable.

a) Le principe de l’égalité de tous devant la loi

Considéré par la doctrine comme « un des piliers de l’Etat de droit335 », Le


principe d’égalité336 apparait comme la pierre d’angle de l’Etat républicain337. Il apparait

333
En effet, si l’on part du fait que la police administrative embrasse l’ensemble de l’activité humaine, et que la
Constitution régit ou tend à régir les bases essentielles de cette vie en société, il serait difficile de trouver des
règles constitutionnelles qui n’aient un lien ne serait-ce que lointain avec la police administrative. Toutes les
règles constitutionnelles ont donc, dans cet ordre d’idée, de près ou de loin, un lien avec l’activité de police
administrative. Car si la constitution est considérée comme le fondement de l’ordre juridique, au sens littéral
du terme, la police administrative apparait comme l’instrument qui permet de garantir, ou plutôt d’assurer
matériellement cet ordre, de le rendre tangible, afin que l’exercice des droits que le texte fondamental a
consacré puisse se faire sans heurts. Ainsi, l’exercice de la police administrative est donc ce qui rend possible
et même pertinent tout l’ordre institué par le constituant. La Constitution est donc l’acte qui, en même temps
qu’il rend possible ou permet la police administrative, est également soumis, pour sa survie, à un succès de
cette dernière dans sa mission de préservation de l’ordre public. Si la constitution légitime la police
administrative, la police administrative, en retour, permet à la constitution de s’inscrire dans la durée (Sur tous
ces aspects, on consultera utilement : N. JACQUINOT, Ordre public et constitution, Thèse, précité, première
partie). Mais comme il s’agit ici en même temps d’éviter de faire feu de tout bois, il est plus important
d’évoquer les principes qui apparaissent comme essentiels, ou qui importent le plus à cette activité essentielle
de la vie de l’Etat.
334
D’une manière générale, « le terme "exigence" est utilisé pour désigner de manière générale la
prescription normative de sécurité juridique, indépendamment de son énonciation formelle ou de sa densité
normative. Dans son sens générique, il permet de désigner la substance de cette prescription imposée au
titre du droit en général et de la Constitution en particulier, sans préjuger de sa consécration explicite ni
(…) de sa qualification formelle ». Voir A.-L.VALEMBOIS, « La constitutionnalisation de l’exigence de
sécurité juridique en droit français », in Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 17, mars 2005, p. 7.

100
aussi comme un droit, et même comme une sorte de « droit tuteur338 », nécessaire à la
mise en œuvre des autres droits fondamentaux. Il est énoncé dans la constitution à deux
reprises, ce qui montre l’importance que lui accorde le constituant.

Il est d’abord énoncé dans le préambule en ces termes : « tous les hommes sont
égaux en droits et en devoirs ». Il est également énoncé à l’article 1er alinéa 2 in fine,
lorsque le constituant dispose que la République « assure l’égalité de tous les citoyens
devant la loi ». On peut penser, à la lecture de ces deux déclinaisons du principe
d’égalité, et au regard de la différence d’énonciation, que la première déclinaison
consacre le droit à l’égalité, qui est un droit fondamental, tandis que la seconde
énonciation consacre plus spécifiquement le principe de l’égalité devant la loi, qui est
moins un droit qu’un principe républicain. Quoiqu’il en soit, la vérité juridique est que le
constituant camerounais consacre l’égalité, dans tous les sens que l’on pourrait lui
donner339. Il faut d’ailleurs dire que toutes les déclinaisons de l’égalité se recoupent pour
consacrer une exigence constitutionnelle essentielle pour l’ensemble du droit, et surtout
pour le droit de la police administrative.

Dans une acception générale, le principe d’égalité est « une injonction donnée à
ceux qui appliquent la règle de ne pas faire de distinction ou d’exception qui ne soit
pas prévue par la règle340 ». Il signifie que « la loi doit traiter toutes les situations de
manière identique », qu’elle « ne doit pas établir de discriminations injustifiées341 ».

335
F. MELIN-SOUCRAMANIEN, « Le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Quelles perspectives pour la question prioritaire de constitutionnalité ? », Les Nouveaux Cahiers du Conseil
constitutionnel, 2010/3 N° 29, p. 89-100.
336
G. PELISSIER Le principe d’égalité en droit public, Paris, LGDJ, Coll. Systèmes, 1996.
337
Il ne faut surtout pas en effet oublier que le principe d’égalité est une conquête de la Révolution française
qui, en mettant fin à la monarchie absolue, consacre la République comme instrument de garantie et cadre
absolu d’expression de cette égalité entre les individus. C’est pourquoi ce principe est inscrit dès l’article
premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen car représentant « la force agissante de la
Révolution ». (M. HAURIOU, La science sociale traditionnelle, Larose, Paris, 1896, p. 80).
338
F. MELIN-SOUCRAMANIEN, « Le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Quelles perspectives pour la question prioritaire de constitutionnalité ? », Op cit, p. 90 ; dans le même sens : F.
MELIN-SOUCRAMANIEN, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel,
ECONOMICA-PUAM, coll. « Droit public positif », Paris, 1997.
339
Que ce soit en tant que droit, ou en tant que principe etc.
340
N. BELLOUBET-FRIER, « Le principe d’égalité », in AJDA 1998, p. 152.
341
Ibid, p. 154 ; Selon le Professeur Olivier JOUANJAN, « Celui-ci, en effet, n’est pas seulement « vague »,
notion « standard ». Si l’on prend en considération le principe général d’égalité ou principe d’égalité devant
la loi ou ce que j’appellerai les principes sectoriels d’égalité qui spécifie le champ d’application matériel du
principe (devant l’impôt, les services publics, les charges publiques, le suffrage etc.), à l’exclusion donc des
principes personnels d’égalité si l’on admet que, dans sa formulation la plus générale – on pourrait dire : le
principe du principe, partout admis, à ma connaissance dans les ordres juridiques contemporains libéraux
et démocratiques – l’égalité signifie traiter de manière égale ce qui est essentiellement égal ». In Le Conseil

101
Si le principe d’égalité a longtemps été considéré comme un principe de
philosophie politique, visant surtout à combattre les inégalités politiques et sociales, son
introduction dans la constitution en fait une norme juridique, et c’est en ce sens qu’il est
susceptible d’affecter la police administrative.

D’abord, en tant que principe constitutionnel, il est une norme de référence


potentielle du contrôle de constitutionnalité des lois342 ; il est donc susceptible d’influer
sur le contrôle de constitutionnalité des lois de police. Il veillera donc à ce que ces
dernières respectent l’égalité de tous devant la loi, que les lois de police ne soient pas en
rupture avec l’égalité en droits et en devoirs à laquelle doivent légitimement prétendre
les destinataires des lois de police.

Ensuite, le principe constitutionnel de l’égalité en droits et en devoirs et de


l’égalité de tous devant la loi revêt une très grande importance dans le domaine de la
police municipale. En effet, en fonction de la notion de circonstances locales, et qui
permet à chaque maire d’adopter des mesures de polices justifiées par les circonstances
de sa commune, l’on est susceptible d’assister à une très grande disparité de situation
juridique en fonction de la commune ou l’on se trouve, et donc de rompre le principe
d’égalité de tous devant la loi, ou l’égalité en droits et en devoirs. Il appartient donc au
juge constitutionnel343 de veiller à ce que le principe d’égalité consacré dans la
constitution ne soit remis en cause par l’exercice de la police administrative au niveau
municipal.

constitutionnel, gardien de l’égalité ? Contribution au colloque ‘‘Le Conseil constitutionnel, gardien des
libertés publiques ?’’ organisé à Strasbourg le 6 mai 2011.
342
En France par exemple, « le Conseil constitutionnel a fait du principe d’égalité la première norme de
référence du contrôle de constitutionnalité des lois ». Voir sur ce point : F. MELIN-SOUCRAMANIEN, « Le
contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil constitutionnel (Le contrôle du respect du principe
d’égalité) », in Les Petites affiches, 5 mars 2009, n° 46, p. 70.
343
Il faut dire que l’action du juge constitutionnel est ici complétée, ou doit pouvoir s’harmoniser avec celle
des autres juges, et notamment du juge administratif. C’est ainsi que ce dernier a d’ailleurs déjà commencé à
lui donner un contenu. Bien que ce ne soit pas dans le domaine de la police administrative, les prises de
position jurisprudentielles sur ce principe donnent néanmoins une idée du contenu qu’il donne à cette notion.
C’est ainsi qu’en matière d’accès aux emplois publics, il affirme successivement dans deux espèces que :
« Attendu (…) qu’en effet, il est de principe que lorsque le recrutement dans un emploi de la fonction
publique est conditionné par le passage dans une école spéciale, seul est exigé le succès durant cette
scolarité ou alors à un examen en fin de scolarité ; Que dès lors, lui refuser l’intégration dans la fonction
publique camerounaise serait créer une discrimination entre les camerounais devant un emploi public ; ce
qui est une violation de la Constitution » (Affaire Dame NDONGO née MBONZI NGOMBO c/ État du
Cameroun), et plus récemment que : « Attendu que le principe de l’égalité que prévoit la Constitution du
Cameroun suppose l’égalité de chance et d’accès aux emplois publics ; Qu’il en résulte qu’au moment de
postuler à un emploi public tous les candidats doivent être compétitifs au même pied d’égalité (CS/CA,
jugement n°29/2005-2006 du 14 décembre 2005, MOUKON à EBONG Martin c/ État du Cameroun
(M.F.P.R.A).

102
Enfin, au niveau national, le principe d’égalité tend à épouser les contours
généraux de l’égalité devant la loi, notamment en n’instituant pas de discriminations
injustifiées entre les citoyens, destinataires des mesures de police générales344.

En outre, le principe d’égalité joue surtout, au niveau national, pour ce qui


concerne les polices spéciales, dans la mesure où celles-ci visant à régir des
compartiments spécifiques de l’ordre public et même allant parfois au-delà de cet ordre
public, elles sont susceptibles d’introduire des inégalités dans la régulation de certaines
activités sociales345. En créant une juridiction constitutionnelle, le constituant donne au
juge constitutionnel toute latitude de tracer les contours véritables du principe d’égalité,
non seulement dans le domaine de la police administrative, mais dans l’ensemble du
droit constitutionnel et du droit tout court.

Mais ce qu’il convient de dire à ce stade de l’analyse, c’est que le principe


d’égalité peut connaitre des exceptions en matière de police administrative, notamment
lorsque l’on procède à des réglementations spécifiques de police346 ou que l’on procède à
des mesures individuelles de police347. La limite de ces exceptions réside toutefois dans
leur justification par les circonstances, ce qui n’empêchera donc pas au principe
d’égalité, à l’action du juge constitutionnel, d’irriguer la police administrative de sa sève
libérale, tout comme d’ailleurs les exigences du procès équitable.

344
La mesure de police s’analyserait alors en un détournement de pouvoir, car le pouvoir de police apparaitrait
comme utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles il a été conçu.
345
En effet, la multiplication contemporaine des polices spéciales dans les divers secteurs de la vie sociale est
de nature à favoriser cet état de fait. Car on a l’impression que chaque nouvelle activité bénéficie
automatiquement de l’attention du législateur qui lui réserve une loi, ce qui conduit à une équation du genre
une activité égale une police spéciale. Or, ce compartimentage de la régulation sociale ne peut se faire sans
risque pour le principe d’égalité, puisque chaque secteur social voudra avoir les meilleures faveurs du
législateur, ce qui à la limite abouti à une forme de corporatisme, facteur de rupture de l’égalité entre les
citoyens.
346
Les règlements spécifiques s’opposent aux règlements généraux. La loi peut, par exemple, réglementer la
circulation sur la voie publique ; elle le fera de manière générale, ce qui permet de sauvegarder le principe
d’égalité. Mais, si un maire, ou une autorité de police administrative compétente quelconque, soumet à un
régime restrictif un mode spécifique de circulation, cette règlementation, bien que légale et édictée en vue
d’assurer l’ordre public et notamment la sécurité et la commodité de la circulation, est nécessairement
inégalitaire et même dans une certaine mesure discriminatoire. Le principe d’égalité sera difficilement respecté
ici, car la valeur ordre public lui sera préférée. Voir pour plus de détail : P. BON, La police municipale, thèse
précitée, pp. 256 et suiv.
347
Par leur nature même, les mesures individuelles de police font courir au principe d’égalité le risque d’être
remis en cause, dans la mesure ou elles servent souvent à faire bénéficier certaines personnes de certains
avantages de telle ou telle nature. Voir pour plus de détail : BON Pierre, idem, pp. 258 et suiv.

103
b) Les exigences constitutionnelles du procès équitable

Ces exigences qui s’analysent en réalité en un droit, c’est-à-dire le droit à un


procès équitable348, sont une conquête essentielle du droit processuel moderne. Tout
comme le droit à l’égalité apparait comme un droit tuteur, le droit à un procès équitable
est en fait un droit carrefour, c’est-à-dire la synthèse de plusieurs autres droits ou
exigences de valeur également constitutionnelle. Il comprend ainsi le droit au juge349, ce
dernier devant être indépendant et impartial350, le droit à un procès public351, ainsi que le
droit à l’égalité des armes352 et au respect des droits de la défense353, ce dernier ne
pouvant se faire que par le respect du principe du contradictoire354. Tous ces droits que
nous résumons dans l’expression exigences du procès équitable, sont, globalement,
consacrés par le droit camerounais, même si c’est avec des valeurs diverses 355. Mais il
n’en demeure pas moins que les bases du développement de ces exigences sont posées
par les normes constitutionnelles, qui se donnent pour objet en la matière de fixer les

348
Pour une analyse des exigences du procès équitable comme droit fondamental : S. GUINCHARD, « Le
procès équitable, droit fondamental ? », AJDA 1998 p. 191.
349
Autrement appelé « droit au tribunal », ou « droit d’accès à un tribunal », ou « droit d’agir en justice »,
ou « droit au recours juridictionnel », ce droit a toujours été consacré dans la constitution camerounaise. Il
apparait comme « la prérogative matrice de tous les droits, puisqu’instrument d’effectivité de ceux-ci »
(Marie-Anne FRISON-ROCHE, « Le droit d’accès à la justice et au droit », in R. CABRILLAC, M.-A.
FRISON-ROCHE, T. REVET (Dir), Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 12ème édition, 2006, pp.
458-459. Sur l’ensemble de la question : B. R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la justice
administrative au Cameroun. Contribution à l’étude d’un droit fondamental », in RASJ, volume 4, numéro 1,
2007, p. 171 ; L. GARRIDO, Le droit d’accès au juge administratif. Enjeux, progrès et perspectives, thèse
pour le doctorat en droit, Université Montesquieu-Bordeaux IV, novembre 2005.
350
A. SEBAN, « Le principe d’impartialité et les autorités de régulation : le cas du Conseil des marchés
financiers », in RFDA 2000, p. 584 ; O. DUGRIP et F. SUDRE, « Du droit à un procès équitable devant les
juridictions administratives. L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 24 octobre 1989 », in
RFDA 1990, p. 203. Egalement : J. BARTHELEMY et L. BORE, « Constitution et procès équitable », in
Constitutions, 2010, p. 67.
351
Idem
352
J. P. EFFA, « Le principe du contradictoire dans la procédure contentieuse administrative au Cameroun »,
in RDA, numéro 3, 2013, pp. 235-306
353
A. SEBAN, « Le principe d’impartialité et les autorités de régulation : le cas du Conseil des marchés
financiers », précité.
354
Il faut toutefois dire que la distinction entre droits de la défense et principe du contradictoire est parfois
délicate à établir, car ce dernier principe est un élément essentiel des droits de la défense. Néanmoins, pour une
tentative de distinction : J. P. EFFA, « Le principe du contradictoire dans la procédure contentieuse
administrative au Cameroun », op cit.
355
Il n’est en effet pas certain que toutes les composantes du procès équitable ci-dessus esquissées aient un
statut constitutionnel. Si le droit d’accès à la justice et les droits de la défense ont ce statut, l’on ne peut en dire
autant avec certitude des éléments tels le caractère public du procès, l’indépendance et l’impartialité du juge.
Néanmoins, on peut penser qu’une démarche constructive du juge constitutionnel pourra à l’avenir donner un
statut constitutionnel à toutes ces composantes du procès équitable par exemple à partir d’une interprétation
dynamique de la notion de pouvoir judiciaire. Dans tous les cas, les bases minimales d’un pareil essor sont
posées.

104
règles les plus élémentaires devant contribuer à leur essor. Le constituant le fait de deux
manières.

Il le fait d’abord en intégrant dans le bloc de constitutionnalité via le préambule


de la constitution, les normes internationales consacrant toutes ces exigences tant
processuelles que substantielles. C’est ainsi que sont intégrées dans le bloc de
constitutionnalité la Déclaration universelle des droits de l’homme 356, la Charte des
Nations unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et toutes les
conventions relatives aux droits de l’homme et dument ratifiées par le Cameroun.

Il le fait ensuite en intégrant directement dans le texte constitutionnel des


dispositions consacrant des exigences rentrant dans le champ du procès équitable. C’est
ainsi que, dans le préambule de la constitution, il est par exemple affirmé que « la loi
assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice », consacrant par là le droit
d’accès à la justice, ou que « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa
culpabilité soit établie au cours d’un procès conduit dans le strict respect des droits de
la défense », consacrant par là du même coup la présomption d’innocence, les droits de
la défenses dont on sait qu’ils englobent des exigences essentielles telle celle du
caractère contradictoire de la procédure.

Ainsi, même si le constituant ne consacre pas expressis verbis et dans le détail les
différents éléments qui ailleurs ou même généralement sont connus comme rentrant dans
les exigences du procès équitable357, il pose néanmoins les bases d’une garantie
constitutionnelle crédible des exigences du procès équitable. Il appartiendra au Conseil
constitutionnel de procéder à une interprétation constructive des dispositions
considérées, afin de donner un contenu spécifique à la notion ou au droit à un procès
équitable.

Cela dit, certains esprits non avertis pourraient se demander quel rapport il y a
entre les exigences du procès équitable et la police administrative. En fait ce serait ne pas
prendre en considération le caractère essentiel des exigences du procès équitable en
matière contentieuse, car le procès équitable importe à la police administrative surtout en

356
Dont l’article 10 dispose : « toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue
équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et
obligations, soit du bienfondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
357
L’on peut observer que le constituant ne rentre pas ici dans le détail, ce qui peut laisser une certaine marge
au pouvoir d’interprétation du juge constitutionnel en la matière.

105
ce qui concerne le contentieux de cette dernière. En effet, si l’on considère le caractère
potentiellement liberticide de la police administrative, il importe que le contentieux
auquel elle peut donner lieu soit conduit dans le respect des droits fondamentaux des
victimes éventuelles de l’activité de maintien de l’ordre public. Ainsi, bien que les
exigences du procès équitable ne soient pas directement élaborées au bénéfice de la
police administrative, elles sont susceptibles de s’imposer à elle quoiqu’indirectement
dans le but de contribuer à son humanisation. Mais au-delà même des aspects purement
contentieux, ces exigences, qui sont au cœur de la garantie des droits fondamentaux de la
personne humaine, peuvent inspirer les phases non contentieuses d’exercice de la police
administrative. En effet, on peut valablement penser que la police administrative ayant
une dimension gracieuse importante, c’est-à-dire donnant lieu à des procédures parfois
non contentieuses, que ces dernières soient elles aussi encadrées par des garanties
d’inspiration constitutionnelle, sur la base d’un raisonnement à fortiori, à savoir que si
l’on peut déjà garantir les procédures contentieuses au moyen des principes
constitutionnels du procès équitable, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une procédure
non contentieuse, c’est-à-dire se déroulant devant l’administration, et donc susceptible
de porter plus encore atteinte aux droits des citoyens.

Il apparait ainsi que les exigences du procès équitable sont importantes pour la
fonction de police administrative. Elles contribuent, au moyen de leur statut
constitutionnel, à irriguer afin de moderniser, sans doute indirectement mais
certainement, l’activité de police administrative, et donc à là libéraliser.

Cette modernisation constitutionnelle de la police administrative au moyen des


exigences constitutionnelles d’égalité et du procès équitable, bien qu’indirecte, n’en est
pas moins importante et décisive pour elle par les impératifs qu’elle lui impose. Elle
côtoie d’autres exigences qui elles, sont plus au cœur de l’activité de police
administrative.

2 – L’irrigation par des exigences intrinsèques à la police administrative

Il est envisagé ici les exigences qui sont au cœur de la police administrative,
c’est-à-dire les exigences qui lui sont internes, contrairement à celles déjà étudiées qui

106
sont externes à la police administrative. Il s’agit essentiellement du principe de la légalité
des délits et des peines, et de l’exigence de respect des droits fondamentaux.

a) Le principe de la légalité des délits et des peines

Principe cardinal du droit pénal, le principe de la légalité des délits et des peines
est également au cœur de la police administrative. Il est énoncé au préambule de la
constitution en ces termes : « nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les
cas et selon les formes déterminées par la loi ». Encore appelé principe de la légalité
criminelle, il signifie de manière globale et simple, que la répression pénale doit
nécessairement reposer sur un texte. Il ne faut en effet pas se laisser abuser ici par
l’emploi du terme « loi » ou « légalité », car il est évident que toute la répression pénale
ne peut reposer sur la seule loi entendue strictement, au sens organico-formel. Il s’agit
donc d’entendre le terme loi ici comme synonyme de texte juridique et donc de droit.

Cette précision est importante pour ce qui est de la police administrative, car il
faut rappeler que les mesures de police sont souvent assorties de sanctions pénales358, et
ces dernières, si elles sont en général définies par le législateur, elles n’excluent
nullement la compétence des autorités exécutives en la matière359, surtout pour les peines
qui se situent au bas de l’échelle des sanctions pénales. Il faut dire que la signification de
ce principe a évolué avec le temps, et ceci ne s’est pas fait sans une contribution du juge
constitutionnel. Au départ en effet, le principe signifie simplement que la définition des
infractions et des peines qui leurs sont applicables relève de la compétence législative,
ou plus exactement doit reposer sur l’existence d’un texte. Mais avec le temps et sous les
auspices du juge constitutionnel français360 notamment, il s’est vu affecté une dimension
substantielle au point où aujourd’hui, il est soutenu et exigé de la loi pénale qu’elle
définisse les incriminations et les peines en termes clairs et précis361 : c’est toute la

358
On peut en effet s’en référer, pour preuve, au Code pénal camerounais qui réprime les atteintes à la sécurité
publique (articles 227 à 230), à la paix publique (articles 231 à 251), à la santé publique ( articles 258 à262), à
la moralité publique ( articles 263 à 268), il est vrai que le législateur en la matière ne distingue pas dans ce
texte les peines qui sont infligées au titre de la police administrative de celles qui le sont au titre de la police
judiciaire.
359
Il en est ainsi des textes qui donnent aux autorités exécutives compétences pour instituer ou infliger des
peines de simple police ou des amendes.
360
B. DE LAMY, « Le principe de la légalité criminelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in
La Constitution et le droit pénal. Les cahiers du Conseil constitutionnel, N° 26, 2009, pp. 16 et suiv.
361
Formule de la décision n° 80-127 DC rendue les 19 et 20 janvier 1981 au sujet de la loi dite "sécurité-
liberté"

107
problématique de la qualité de la loi qui est ici soulevée362. Il n’est pas du tout exclu que
le juge constitutionnel camerounais emprunte lui aussi un jour cette même voie.

Ce principe apparait donc ainsi comme essentiel à la police administrative,


surtout si l’on considère que la quasi-totalité des mesures de police administrative sont
assorties de sanctions pénales363. Police administrative et droit pénal se trouvent donc par
là imbriqués, et en plus sous les auspices de la constitution. Car la constitutionnalisation
du principe de la légalité des délits et des peines, en contribuant à la
constitutionnalisation du droit pénal, contribue également à la constitutionnalisation de
la police administrative, car ce principe en est un des éléments essentiels. Ce statut
constitutionnel du principe de la légalité criminelle accroit les exigences
constitutionnelles vis-à-vis de la police administrative, car la nature désormais
constitutionnelle du principe en accroit l’obligation de respect de la part des autorités
administratives, et du législateur.

On peut noter avec le Professeur Marc SEGONDS 364 que « la


constitutionnalisation du droit pénal est source d’enrichissement mutuel pour la
science constitutionnelle et la science pénale en permettant d’en (re)découvrir les
éléments fondateurs ». Elle est donc également source d’enrichissement pour le droit de
la police administrative, car l’accession à la dignité constitutionnelle de cette matière
l’oblige à en entériner les exigences, et donc à se moderniser, bref à se libéraliser. En
effet, « la constitutionnalisation du droit pénal, s’est accompagnée non seulement de
la reconnaissance de la valeur constitutionnelle des principes qui gouvernent la
matière mais également, et surtout, de la redécouverte du sens dont sont dotés ces
mêmes principes365 ». Il est donc évident que l’action du juge constitutionnel est
particulièrement attendue sur ce point, car il s’agira pour lui certes d’entériner la
signification donnée par le législateur à ce principe, mais aussi et surtout de lui donner
un contenu propre de nature à ce que son statut constitutionnel ait un sens à la fois
moderne et libéral.

362
Sur cette problématique :
363
Il ne s’agit nullement pour nous de soutenir ici que le critère de la décision de police est celui de la sanction
pénale. Ce critère est en effet inopérant, dans la mesure où plusieurs mesures administratives sont assorties de
sanctions pénales mais ne sont pas pour autant des mesures de police administrative, tout comme il existe des
mesures de police administrative qui ne sont pas assorties de sanctions pénales.
364
M. SEGONDS « Brèves observations sur le lien unissant la valeur constitutionnelle et le sens des principes
de droit pénal », in La Constitution et le droit pénal, Les cahiers du Conseil constitutionnel, op cit., p. 6.
365
Idem, à la même page.

108
Quoiqu’il en soit, il reste que la stabilité constitutionnelle du principe de la
légalité des délits et des peines au Cameroun366 n’a jamais eu plus qu’aujourd’hui, de
chance d’être implémentée par le juge constitutionnel. La mise en place de ce dernier
reste la dernière pierre de l’édifice que devra constituer la justice constitutionnelle dans
ce pays. Cela dit, il n’en demeure pas moins vrai que la seule existence de ce principe
dans l’armature constitutionnelle est le signe d’une contrainte constitutionnelle pesant
sur l’activité de police administrative dans le sens de là rendre plus en phase avec les
exigences de modernisation et donc de libéralisation à laquelle semble voué le droit
constitutionnel camerounais actuel, comme peut aussi en témoigner l’exigence de
respect des droits fondamentaux.

b) L’exigence de garantie des droits fondamentaux

Le phénomène des droits fondamentaux connait dans le monde contemporain une


hypertrophie qui ne peut laisser personne indifférent. En effet, « jamais les droits de
l’homme n’avaient trouvé, auprès des instances nationales et internationales et dans
les opinions publiques, un écho comparable à celui qui est le leur aujourd’hui367 ». Le
droit, qui apparait à plusieurs égards comme le véhicule des valeurs sociales essentielles,
ne pouvait rester en marge de cette mouvance. Il faut même dire qu’il s’agit d’une
aspiration qu’il a portée et menée à son accomplissement au moyen de la norme
constitutionnelle368. Car « quel que soit l’idéologie dont ils sont issus, l’éthique dont ils
procèdent, c’est de l’ordre juridique qu’ils relèvent, et c’est cette appartenance qui
conditionne leur efficacité369 ». La notion de droit fondamental a été et est toujours la
source de plusieurs controverses au sein de la doctrine, car leur attractivité est
366
Ce principe existe dans le droit constitutionnel camerounais depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, et n’
jamais cessé d’être reconduit par le constituant.
367
J. RIVERO, « Déclarations parallèles et nouveaux droits de l’homme », RUDH, 1990, p. 323 et s. Voir, sur
les droits fondamentaux : P. WACHSMANN, « L’importation en France de la notion de ‘droits fondamentaux’
», RUDH, vol. 16, 2004, pp. 40 s. ; V. CHAMPEIL-DESPLATS, « Les droits et libertés fondamentaux en
France. Genèse d’une qualification », in P. LOKIEC, A. LYON-CAEN (Dir.), Droits fondamentaux et droit
social, Paris, Dalloz, 2004, p. 28 ; Louis FAVOREU, Droit des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, 3ème
édition, 2005 ; B. MATHIEU et M. VERPEAUX, Contentieux constitutionnel et droits fondamentaux, Paris,
LGDJ, 2ème édition, 2009 ; E. Dreyer, « La fonction des droits fondamentaux dans l'ordre juridique », Recueil
Dalloz 2006 p. 748 ;
368
A propos de la constitutionnalisation des droits fondamentaux en Afrique, lire par exemple : M. KAMTO,
« Charte africaine, instruments internationaux de protection des droits de l’homme, constitutions nationales :
articulations respectives », in J. F. FLAUSS, E. LAMBERT-ABDELGAWAD (Dir), L’application nationale
de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 32 et suiv. Selon
l’auteur, la constitutionnalisation des droits fondamentaux de l’homme se fait ici au moyen de deux techniques
essentielles, à savoir la constitutionnalisation bloquée et la technique du bloc de constitutionnalité.
369
Idem, p. 324.

109
inversement proportionnelle à leur intelligibilité. Il est néanmoins possible d’en donner
une esquisse de définition qui ne fasse pas rougir les plus fervents apôtres de
l’orthodoxie juridique.

Il convient tout d’abord de là distinguer de celle très proche de libertés publiques.


En effet, pour le très regretté Doyen Louis FAVOREU, « l’expression libertés
fondamentales ou droits fondamentaux utilisée couramment en droit constitutionnel
comparé n’a pas exactement le même sens que celle de liberté publique. Cette dernière
expression désigne essentiellement des libertés protégées contre l’exécutif, en vertu de
la loi et par le juge ordinaire (administratif ou judiciaire) ; tandis que la première
expression qualifie les libertés protégées contre l’exécutif et le législatif, en vertu de
textes constitutionnels ou internationaux, par le juge constitutionnel (ou le juge
international)370 ». A en croire l’éminent auteur, c’est leur rang au sein de la hiérarchie
juridique qui permet de les distinguer. Il s’agit donc d’une démarche strictement
normativiste371 à laquelle nous souscrivons volontiers, et qui en fait des droits de rang
supérieur, c’est-à-dire soit constitutionnel, soit international.

Mais il est possible de les envisager aussi « dans leur aspect purement
fondamental, au sens de fondateur ou constituant ». Cela dit, « la distinction entre ce
qui est fondamental et ce qui ne l’est pas est très délicate : tout ce qui garantit une
liberté est fondamental ». Aussi peut-on comprendre la vigueur des controverses
doctrinales au sujet des droits fondamentaux, car tout le monde ne s’accorde pas sur le
degré de fondamentalité372 qu’il faut pour parvenir à la dignité des droits qualifiés
comme tels. Néanmoins, on peut avancer avec le professeur PAVIA qu’ « au sens
profond et initial, un droit fondamental mérite son nom lorsqu’il est constituant-au
sens d’établir-de l’identité de l’homme dans une société démocratique déterminée373 ».

370
L. FAVOREU, « Le droit constitutionnel, droit de la constitution et constitution du droit », précité, pp. 81-
82.
371
Conformément à cette démarche, « dans les systèmes juridiques qui connaissent une liste de liberté et
droits ou principes fondamentaux qualifiés expressément comme tels (Allemagne, Espagne, Portugal, Italie
etc), une réponse positiviste rapide serait : les droits fondamentaux sont ceux inscrits dans la liste. Les droits
sont fondamentaux parce que des textes juridiques ou les jugent ou les qualifient comme tels ». Cf : V.
CHAMPEIL-DESPLATS, « La notion de droit « fondamental » et le droit constitutionnel français », Recueil
Dalloz, 1995, p. 323.
372
Car en effet, comme l’a bien montré M. Etienne PICARD, si la fondamentalité ne s’épuise dans aucune
norme, aucune norme n’épuise en retour la fondamentalité. Cf. E. PICARD, « L’émergence des droits
fondamentaux en France », in AJDA n° spécial, 1988, pp. 6 et s.
373
M.-L. PAVIA « Eléments de réflexions sur la notion de droit fondamental », in LPA, 6 mai 1994, p. 6.

110
Le Professeur Véronique CHAMPEIL-DESPLATS374 affirme, dans ce sillage, que « ces
droits sont fondamentaux parce qu’ils sont « essentiels », « particulièrement
importants », « immuables », « inviolables ». Ils sont fondamentaux en raison du sujet
de droit dont ils constituent des prérogatives, à savoir l’homme. Elle rejoint ici M. Bruno
GENEVOIS pour qui « ils sont fondamentaux d’une part parce qu’ils se rapportent à
l’homme qui est le fondement de tout droit, et d’autre part, parce que les conséquences
de leur reconnaissance traversent ou devraient traverser tour l’ordre juridique 375 ». On
touche là à la dimension qui nous semble ici la plus importante, et qui pose les droits
fondamentaux comme des bornes érigées au profit de la liberté et de la dignité humaine.
C’est ainsi que le Professeur PICARD affirme qu’il s’agit de « droits assez essentiels
pour fonder plus ou moins directement les grandes structures de l’ordre juridique tout
entier dans ses catégories. Ce sont tous les droits qui apparaissent suffisamment
essentiels au jurislateur, seraient susceptibles de prévaloir contre telle autre prétention
qui pourrait s’y opposer. Ces prétentions peuvent être des pouvoirs, des compétences,
voire d’autres droits, d’autres principes juridiques ou diverses exigences comme celles
susceptibles de se voir tirées de l’intérêt général ou de l’ordre public (…). Dans
chaque cas, ces considérations doivent céder devant le droit fondamental376 ».

Il apparait donc ainsi que « les droits fondamentaux sont moins une espèce
particulière de droits que de bornes indiquant à tous et en tous domaines les limites à
ne pas franchir et parfois la direction où s’engager377 ». C’est donc à ces « libertés
fondamentales378 » là que le constituant camerounais « affirme son attachement ».
Même si cette dernière expression a une signification beaucoup plus politique que
juridique379, il reste que les droits fondamentaux sont bel et bien consacrés comme
faisant partie de l’ordre constitutionnel camerounais. La lecture du préambule du texte
constitutionnel de 1996 laisse apparaitre leur richesse, car ceux-ci embrassent l’ensemble

374
V. CHAMPEIL-DESPLATS, « La notion de droit « fondamental » et le droit constitutionnel français »,
précité, à la même page.
375
B. GENEVOIS, La jurisprudence du Conseil constitutionnel. Principes directeurs, Paris, LGDJ, Coll.
Systèmes, 1988, p. 189.
376
E. PICARD, « L’émergence des droits fondamentaux en France », op cit., pp. 9 et 10.
377
M. DELMAS-MARTY, Libertés et droits fondamentaux : Introduction, textes et commentaires, 2ème
édition, 2002, p. 10
378
Selon la terminologie régulièrement employée par le constituant camerounais.
379
Le constituant se contente en effet du terme « attachement », qui a un caractère non contraignant, plutôt que
par exemple ceux de « garantie » ou de « respecte » ou « protège ».

111
des divers aspects de la vie sociale380. Elles vont ici constituer des bornes à l’exercice de
la police administrative, ce dernier devant les respecter, sous peine de voir son action
sanctionnée par les diverses autorités juridictionnelles chargées d’assurer la suprématie
de la norme constitutionnelle, et donc de ces droits fondamentaux. Cette exigence de
respect des droits fondamentaux n’est pas déclinée expressis verbis par le constituant,
mais elle n’en existe pas moins, d’abord parce que par leur seule consécration, ces droits
constituent des limites à l’exercice des pouvoirs qui pourraient les enfreindre en leur
qualité de prérogatives reconnues aux individus, mais aussi et surtout parce que ce sont
précisément ces droits et libertés fondamentaux que l’exercice du pouvoir de police est
susceptible de violer381.

La police administrative au Cameroun doit donc respecter les droits


fondamentaux constitutionnellement garantis, et ce respect s’analyse à la longue en une
forme de constitutionnalisation de ce pouvoir, car en garantissant les droits
fondamentaux, la police administrative se conforme aux exigences constitutionnelles, et
par là même, se laisse innerver par ces exigences là : elle se modernise et se libéralise, à
plus forte raison lorsqu’elle est carrément modelée par les normes constitutionnelles.

B– La probabilité d’une transformation constitutionnelle de la police


administrative

L’action du Conseil constitutionnel, particulièrement sa jurisprudence, devrait, à


la suite de l’irrigation déjà décrite, transformer de manière complète la police
administrative, selon deux perspectives complémentaires. Tout d’abord, elle devrait
transformer fondamentalement la notion d’ordre public, qui devrait tout simplement
devenir une constellation des droits fondamentaux. Ensuite, conséquence directe de ce
premier phénomène, la police administrative elle-même devrait très vite devenir une
activité de garantie desdits droits fondamentaux.

380
Le préambule du texte constitutionnel de 1996 s’est en effet enrichi au regard des différents droits qui ont
fait leur entrée dans le champ constitutionnel. Sur la question : J. MOUANGUE KOBILA, « Le préambule du
texte constitutionnel du 18 janvier 1996 : de l’enseigne décorative à l’étalage utilitaire », in Lex Lata, n° 023-
024, février-mars 1996, pp.33-38.
381
T. M. DAVID-PECHEUL, « La contribution de la Jurisprudence constitutionnelle à la théorie de la police
administrative », précité.

112
1– La transformation de l’ordre public en une constellation de droits fondamentaux

Cette transformation s’analyse en une véritable modernisation de la notion. Il est


indispensable de commencer par préciser, en guise de rappel, la signification du concept
de modernisation382. L’on sait que dans le langage courant, le terme modernisation sert à
caractériser ce qui appartient au temps présent. Est moderne donc ce qui souscrit aux
exigences du moment, ce qui est entériné par les canons scientifiques en vigueur.
Puisque nous nous situons ici dans le domaine du droit, et plus précisément du droit
constitutionnel, l’on peut se demander ce qui, à l’heure actuelle, permet de satisfaire aux
exigences de cette discipline. Qu’est ce qui, en effet, fait sa modernité ? On peut
constater alors que celle-ci se développe aujourd’hui sous la bannière impériale des
droits fondamentaux383, si bien que parler de la modernisation de la police administrative
signifierait que cette dernière intègre cette prééminence, au plan formel tout au moins,
des droits fondamentaux en son sein. Le droit camerounais de la police administrative
n’est pas loin de satisfaire à cette exigence, car l’analyse formelle à laquelle nous venons
de nous livrer démontre une sensibilisation croissante de cette activité centrale de
l’administration à l’impératif de respect des droits fondamentaux384.

Cette montée en puissance croissante des droits fondamentaux au sein de la police


administrative se fait d’abord, comme nous l’avons vu, à travers l’érection de ces droits
comme limites à observer par l’activité de maintien de l’ordre public. Cette dernière est

382
Notre boussole étant en la matière la définition donnée par le Doyen Louis FAVOREU et selon laquelle :
« la modernisation du droit est l’une des conséquences de la constitutionnalisation, dans la mesure où, le
plus souvent, la transformation du droit se traduit par une modernisation de celui-ci (…). Cette
modernisation est synonyme de libéralisation car les changements s’analysent comme des progrès
commandés ou impliqués par la logique des droits fondamentaux ». Voir : L. FAVOREU, « La
constitutionnalisation du droit », op cit.
383
L. FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2013. Pour une synthèse des influences
identifiables au sein du droit constitutionnel : D. MAUS, « Où en est le droit constitutionnel ? », in Mouvement
du droit constitutionnel. Du droit administratif au droit constitutionnel, du droit français aux autres droits,
Mélanges en l’honneur de Franck MODERNE, Paris, Dalloz, 2004, pp. 691-741.
384
Cette sensibilisation s’est faite de manière progressive. Mais cette tendance, bien que louable, ne
garantissait pas effectivement le respect de ces droits et libertés, d’abord à cause du fait que ces droits étaient
très souvent consacrés sous condition du respect de l’ordre public, ce dernier y mettant alors, en raison du
contexte de l’époque, constamment une hypothèque. Ensuite, la justiciabilité effective de ces droits était
anesthésiée par l’absence d’une justice constitutionnelle. La réforme constitutionnelle de 1996 a donc permis,
en raison du changement des circonstances et de la mise en place d’une véritable juridiction constitutionnelle
(J. JICQUEL, « La mise en place du Conseil constitutionnel camerounais », in Mélanges en l’honneur de
Henri JACQUOT, Presses universitaires d’Orléans, 2006, pp. 253-263 ; voir également J.-L. ATANGANA
AMOUGOU, « La constitutionnalisation du droit en Afrique : l’exemple du Conseil constitutionnel
camerounais », in Annuaire International de Justice constitutionnelle, XIX 2003, Economica-PUAM, 2004,
pp. 45-63) de jeter un voile d’optimisme quand à une prise en compte effective désormais de ces droits et
libertés fondamentaux dans l’exercice de l’activité de police administrative.

113
tenue de les respecter et même de les promouvoir, sous peine de s’abimer dans la
sanction du juge, qu’il soit constitutionnel ou non385.

La montée en puissance des droits fondamentaux se fait également à travers un


phénomène beaucoup plus novateur, subtil et jusqu’ici passé inaperçu au sein de la
doctrine camerounaise, à savoir la transformation de certaines composantes de l’ordre
public en droits fondamentaux386 et leur introduction dans le préambule de la
constitution, au rang des droits que cette activité de maintien de l’ordre doit respecter.
Tel est par exemple le cas de la sécurité, qui est donc désormais à la fois une composante
de l’ordre public entérinée comme nous l’avons vu par le constituant, et un droit
fondamental. Que faut-il alors en déduire ?

Ce phénomène tend tout d’abord à développer une dimension fondamentale au


sein de l’ordre public, c’est-à-dire à transformer387 l’ordre public en une constellation de
droits fondamentaux, si bien qu’à terme, maintenir l’ordre public serait assurer la
garantie des droits fondamentaux, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour le respect de
ceux-ci et le développement de la personne humaine. Mais il faut dire que ce n’est là que
la partie visible de l’iceberg, puisque ce phénomène tendrait également à développer une
dimension conflictuelle entre les droits fondamentaux au sein et en dehors de l’ordre

385
En effet, outre le juge constitutionnel, d’autres juges peuvent sanctionner le nom respect des règles
constitutionnelles. Tel est le cas par exemple du juge judiciaire ou du juge administratif, pour ce qui est des
actes des autorités exécutives, puisque s’agissant des actes législatifs c’est-à-dire essentiellement les lois, il est
interdit à ces juges d’en contrôler la constitutionnalité en raison de la théorie de la loi écran. Pour ce qui est du
contrôle de constitutionnalité des actes administratifs, il faut dire que le juge administratif a d’ores et déjà
commencé à y procéder comme le montrent les espèces CS/CA, jugement n°07/94-95 du 27 octobre 1994,
Dame Ndongo née Mbonzi Ngombo c/ État du Cameroun (P.R) ; CS/CA, jugement n°29/2005-2006 du 14
décembre 2005, Moukon à Ebong Martin c/ État du Cameroun (M.F.P.R.A) ; CS/CA, jugement n°59/CE/2001-
2002 du 03 septembre 2002, Nya Clébert c/ État du Cameroun (MINAT) pour l’application du préambule et les
espèces CS/CA, Jugement N°43/82-83 du 7 avril 1983, Kouoh Emmanuel Christian c/ État du Cameroun. Dans
cette affaire qui, en une certaine mesure concerne la police administrative, le juge déclare : « Attendu que le
requérant estime que suivant la Constitution camerounaise, l’on ne peut légiférer que par des lois ou des
actes réglementaires du pouvoir exécutif et non par voie de circulaire ; (…) Attendu que, ainsi que l’a
rappelé le requérant l’article 20 de la Constitution du 02 juin 1972 fixe les matières qui sont du domaine de
la loi, entre autres, le régime des obligations commerciales ; Qu’aux termes de l’article 22, "les matières
autres que celles qui sont du domaine de la loi ressortissent au pouvoir réglementaire" ; Que par conséquent
il revenait à l’autorité compétente de prendre l’acte adéquat soit pour interdire, soit pour réglementer la
profession d’agent de recouvrement ; (…) Mais attendu qu’aucune disposition législative ou réglementaire
ne pose encore cette interdiction ; Qu’il s’ensuit qu’en l’absence de tout texte législatif ou réglementaire
interdisant la profession d’agent de recouvrement, le Ministre de la justice a commis un excès de pouvoir en
décidant de l’interdiction de cette profession par voie de circulaire ».
386
Il s’agit par exemple de l’érection de la sécurité publique en droit fondamental et dans une certaine mesure
aussi de la salubrité publique, si l’on tient compte du fait que la consécration du droit à un environnement sain
est une forme implicite de constitutionnalisation du droit à la salubrité. Ce phénomène, aux dires de la doctrine
française, donne à l’ordre public un aspect « fondamental ». Sur la question : D. GREGOIRE, thèse op cit., pp.
112-115.
387
Idem

114
public, dans la mesure où il s’agirait à chaque fois d’arbitrer entre plusieurs droits, de
promouvoir certains au détriment d’autres. Heureusement, le faible niveau
d’enracinement de ce phénomène au Cameroun et la non assurance de son
développement futur peuvent permettre d’en sous estimer la dangerosité.

Ce phénomène tend ensuite à développer une dimension liberticide388 au sein de


l’ordre public, car au nom de la protection des droits fondamentaux, il pourrait servir à
mettre en échec certaines libertés, car comme nous l’avons vu, les droits fondamentaux
se situent au sommet de la hiérarchie juridique, et s’imposent donc aux libertés publiques
qui elles, sont simplement protégées par le législateur389. Assurer l’ordre public,
constellation des droits fondamentaux, serait donc les imposer aux diverses libertés, et
donc développer une transcendance axiologique des premiers sur les secondes. Cette
conséquence est fortement liée à la troisième.

Le phénomène de fondamentalisation de l’ordre public, c’est-à-dire de présence


des droits fondamentaux au sein de l’ordre public peut, enfin, avoir comme conséquence
de « modifier le point d’équilibre entre ordre public et libertés publiques en ce sens où
l’aspect de droit fondamental de certaines des composantes de l’ordre public va
conforter la légitimité de restrictions aux libertés et permettre ainsi des restrictions
renforcées à leur exercice390 ». La fonction même de l’ordre public pourrait alors se
trouver modifiée, car « à partir du moment où il ne s’agit plus seulement de concilier
l’ordre et la liberté au profit de l’égale liberté de tous mais de concilier des droits
fondamentaux, leur exercice avec des libertés publiques ou d’autres droits
fondamentaux, alors disparait la fonction d’ordonnancement des rapports sociaux
dans l’intérêt de tous traditionnellement dévolue à l’ordre public au profit d’une
fonction d’arbitrage entre prétentions, entre droits et libertés opposés391 ».

Quoiqu’il en soit, le phénomène ici décrit, pour déployer toutes ses réalités
nécessite que la justice constitutionnelle soit activée et qu’elle œuvre effectivement dans
388
Ibid, p. 116.
389
Aux termes de l’article 26 alinéa 2 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, « sont du domaine de la
loi : a) Les droits, garanties et obligations fondamentaux du citoyen :1-La sauvegarde de la liberté et de la
sécurité individuelle ; 2- le régime des libertés publiques ; 3- le droit du travail, le droit syndical, le régime
de la protection sociale ; 4- les devoirs et obligations du citoyen en fonction des impératifs de la défense
nationale. A) Le statut des personnes et le régime des biens : 1- la nationalité, l’état et la capacité des
personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ; 2- le régime des obligations civiles et
commerciales… ».
390
D. GREGOIRE, thèse, op cit., p. 114.
391
Idem, à la même page.

115
le sens ici esquissé. Mais nous n’en sommes pas encore là, de telle sorte que le
phénomène reste pour une large part sur le terrain des perspectives possibles de
développement de la police administrative. Néanmoins, cela montre au moins que cette
activité centrale de la puissance publique tend à s’arrimer aux exigences modernes,
c’est-à-dire celles qui situent l’évolution du droit principalement dans le champ
constitutionnel. De ce point de vue, la police administrative comporte, d’un point de vue
formel tout au moins, des bases modernes, et donc libérales, car comme là montré le
Doyen Louis FAVOREU, la libéralisation est généralement un préalable à la
modernisation du droit392. L’on sait que ce terme de modernisation est également utilisé
pour caractériser les transformations de l’Etat contemporain393, et que sa mobilisation
signifie une conception précise de cette forme d’organisation sociale. Parler donc de
modernisation de la police administrative serait, envisager à terme, celle de l’Etat lui-
même. Au cœur de cette problématique, réside le problème délicat de la construction
d’un Etat de droit, à partir de l’étude de la dimension constitutionnelle de la police
administrative.

2 – La transformation de la police administrative en garantie des droits fondamentaux

Elle peut être soutenue à la lumière de plusieurs dispositions. Le constituant


énonce tout d’abord que « la liberté et la sécurité sont garantis à chaque individu dans
le respect des droits d’autrui et de l’intérêt supérieur de l’Etat ». Immédiatement après,
il poursuit : « tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement,
sous réserve des prescriptions légales relatives à l’ordre, à la sécurité et à la
tranquillité publics ».

On peut noter, à la lecture de ces extraits du préambule de la constitution, que les


notions de sécurité et de tranquillité sont clairement constitutionnalisées, c’est-à-dire
introduites telles qu’elles dans le texte constitutionnel. Cependant, si la notion de
tranquillité publique peut ne pas à priori soulever de problèmes majeurs, celle de sécurité

392
Cf. supra, introduction.
393
Voir J. CHEVALIER, « La politique française de modernisation de l’action administrative », in L’Etat de
droit : Mélanges en l’honneur de Guy BRAIBANT, Paris, Dalloz, 1996, p. 71 ; du même auteur : « L’Etat-
postmoderne : retour sur une hypothèse », Droits, vol. 39, 2004, pp. 107-120.
2004, pp. 107-120 ; « vers un Etat postmoderne ? Les transformations de la régulation juridique », in RDP
1998, pp. 659-690 ; L’Etat postmoderne, Paris, LGDJ, coll. « Droit et société », 4e éd., 2008.

116
appelle quelques clarifications qui ne sont pas sans conséquence pour l’ensemble de la
théorie de la police administrative au Cameroun.

La notion de tranquillité tout d’abord, est évoquée comme limite ou condition à


observer en matière de liberté d’aller et venir, et de ce que l’on pourrait appeler ici le
droit pour chaque citoyen de s’établir sur un lieu quelconque du territoire national394.
Mais cela ne l’empêche pas de revêtir un statut constitutionnel général, qui lui permettra
sans doute d’influer sur l’ensemble de l’activité de police administrative, grâce à sa
nature désormais constitutionnelle qui, comme nous l’avons déjà vu, n’est pas sans
conséquence en terme de libéralisation ou de modernisation.

S’agissant maintenant de la notion de sécurité, elle appelle quelques nuances qui


sont essentielles pour la constitutionnalisation de la police administrative. Il faut en effet
observer, tout d’abord, que la notion de sécurité peut recevoir deux acceptions nettement
distinctes. La notion de sécurité, telle qu’elle est mobilisée par le constituant, apparait
d’abord comme un droit fondamental. C’est pourquoi il affirme, qu’avec la liberté, elles
sont garanties à chaque individu. Ce sont donc pour eux des prérogatives, dont le
constituant se charge d’assurer le respect. Mais la notion de sécurité est aussi, dans la
bouche du même constituant, un but de la police administrative, c’est-à-dire une limite
posée à l’exercice de la liberté d’aller et venir, aux termes même des dires de la
constitution, ou une limite à la liberté tout court. C’est cet objectif ou ce but qui est
recherché lorsque le constituant donne compétence au Président de la République de
veiller à la sécurité intérieure et extérieure de la République. Cette dualité de la notion de
sécurité sous onction constitutionnelle soulève des problèmes théoriques qui sont au
cœur même de la conception moderne de la police administrative. Ils seront évoqués
dans les implications de la constitutionnalisation du pouvoir de police. Mais avant, il
convient d’étudier l’hypothèse d’une constitutionnalisation du but de salubrité.

Les donnés du problème ici sont très simples. La constitution, du moins dans sa
version actuellement en vigueur, n’emploi pas le mot salubrité395. Mais n’est-il pas
possible, à la lecture de certaines dispositions, de soutenir néanmoins l’idée d’une
existence implicite de cette valeur dans la constitution, moyennant une interprétation des

394
Cette condition n’est d’ailleurs pas la seule, du moins si l’on s’en tient à la disposition qui énonce que
« l’Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément
à la loi » : mais ça c’est une autre histoire.
395
Contrairement à celle du 4 mars 1960, comme nous l’avons vu. Voir la note ci-dessus.

117
dispositions pertinentes de cette dernière ? En effet, le préambule du texte
constitutionnel énonce que « toute personne a droit à un environnement sain. La
protection de l’environnement est un devoir pour tous. L’Etat veille à la défense et à la
protection de l’environnement396 ». A la lecture de ces dispositions constitutionnelles,
ne peut-on pas voir la consécration implicite mais certaine de la salubrité comme but
constitutionnel de la police administrative ? La notion d’environnement sain suppose en
effet, même dans une interprétation minimale, celle de salubrité. Un environnement sain
est un environnement propre, salubre, qui respecte les règles d’hygiène nécessaires à une
bonne santé. Cette interprétation, qui devrait être celle du juge constitutionnel, est la
condition nécessaire à l’entrée de la salubrité dans le champ constitutionnel. Faute d’une
justice constitutionnelle active, il est fort possible que l’on continu de se contenter d’une
incertitude en la matière. Mais cela dit, si la constitutionnalisation de la salubrité en tant
que but de la police administrative est à ce jour incertaine, il reste que celle du droit à un
environnement sain, et donc du droit à la salubrité l’est beaucoup moins.

Quoiqu’il en soit, cette constitutionnalisation de la police administrative via ses


buts que sont l’ordre public, la sécurité et la tranquillité comporte des implications
importantes sur cette institution, lesquelles appellent une attention particulière. Les
composantes de l’ordre public que sont la sécurité, la salubrité et la tranquillité étant
presque toutes érigées en droits fondamentaux, et la police administrative ayant pour
objet de préserver les exigences de cet ordre public, cette fonction administrative se
transforme donc immédiatement en une garantie des droits fondamentaux. Mais encore
faudrait-il que le préambule constitutionnel qui comporte ces exigences ait une pleine
valeur juridique.

II – LA CONSTITUTIONNALISATION DU PREAMBULE

Devant les tergiversations de la jurisprudence et les spéculations de la doctrine, il


était important que le débat sur la nature juridique du préambule soit définitivement
396
Voir, pour une analyse de ces dispositions : J. C. TCHEUWA, « L’environnement en droit positif
camerounais », in Juridis périodique N° 63, juillet-aout- septembre 2005, pp. 87-113, surtout p. 90. Mais le
plus intéressant dans cette étude est le point de vue de l’auteur selon lequel « les règles de police en matière de
pollution sont désormais exprimées sous forme de prescriptions techniques, physiques, chimiques ou
acoustiques conduisant à un véritable ordre public environnemental » (p. 87). Il soutient par ailleurs que
dans l’objectif de parvenir à un développement durable, « il nait donc à partir de là, dans la réglementation
camerounaise, un ordre public écologique confirmant bien les options camerounaises en faveur des
prescriptions internationales relatives à l’environnement ». Selon lui donc, l’affirmation d’un ordre public
environnemental est un aspect essentiel de la constitutionnalisation de l’environnement au Cameroun.

118
tranché. L’occasion a été saisie par le constituant, à la faveur de la réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996. Celle-ci, dont on a dit en doctrine qu’elle devait
signer l’acte de décès de l’ordre ancien caractérisé par l’autoritarisme et permettre la
naissance d’un ordre nouveau plus soucieux des droits et libertés397, qu’elle devait
marquer la consécration d’une rupture, « le passage d’un ordre juridique globalement
liberticide malgré une façade constitutionnelle mystificatrice à un ordre juridique
résolu à se montrer protecteur des droits et libertés398 », et constituer donc un tournant
majeur399 dans l’histoire du constitutionnalisme camerounais, ne pouvait que concentrer
les attentions de la doctrine, du microcosme politique et du corps social dans son
ensemble. L’un des enjeux majeurs était, en n’en point douter, le sort que le constituant
réserverait aux droits et libertés fondamentaux, surtout que la dite réforme apparaissait
comme le couronnement au niveau constitutionnel d’un mouvement plus vaste de
refondation de l’ordre juridique tout entier, sur fond de revendications sociales et
politiques parfois très violentes400, ayant frisé, entre les années 1990 et 1994 la guerre
civile401. Les attentes étaient donc particulièrement grandes, car si les réformes
souhaitées concernaient d’abord la constitution politique, elles portaient aussi et surtout
sur la constitution sociale, afin de rétablir le pacte social brisé par les pratiques policières
anciennes et les violations manifestes et quotidiennes des droits de l’homme.

La question de l’intangibilité des droits inscrits dans le préambule du texte


constitutionnel apparait donc ainsi comme fondamentale, car si la reconnaissance de leur
pleine nature juridique doublée de leur valeur constitutionnelle ne pouvait en garantir
l’effectivité substantielle, elle en assurait tout au moins la garantie formelle, ce qui ne

397
M. ONDOA, « La constitution duale : Recherche sur les dispositions constitutionnelles transitoires au
Cameroun », op cit.
398
A. D.OLINGA, « Vers une garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux », in S. MELONE,
A. MINKOA SHE et L. SINDJOUN, op cit.
399
M. NGUELE ABADA, « Ruptures et continuités constitutionnelles en République du Cameroun :
Réflexions à propos de la réforme constitutionnelle du 18 Janvier 1996 », op cit.
400
M. KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », op cit.
401
Sur le processus d’élaboration de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, on consultera utilement : F.
MBOME, « Le processus d’élaboration de la Constitution du 18 janvier 1996 », in Lex Lata, n° 30, septembre
1996, pp. 3-8 ; A. D. OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, 2ème édition revue et corrigée,
Yaoundé, Presses universitaires de l’UCAC, 2013, pp. 25-35. Dans une perspective plus globale sur ce
contexte : M. MEBENGA, « La participation du citoyen à la création du droit : l’exemple du « large débat
national » sur la réforme constitutionnelle au Cameroun », in D. DARBON et J. Du BOIS de GAUDUSSON
(Dir.), La création du droit en Afrique, Paris, Karthala, 1997, pp. 197-216 ; L. SINDJOUN et M. E. OWONA
NGUINI, « Politisation du droit et juridicisation de la politique : l’esprit sociopolitique du droit de la transition
démocratique au Cameroun », in D. DARBON et J. Du BOIS de GAUDUSSON (Dir.), La création du droit en
Afrique, op cit, pp. 217-245.

119
pouvait être, au regard du contexte, la plus maigre des victoires. Mais si le principe
d’une consécration de la valeur constitutionnelle du préambule semblait acquis, il restait
à voir la forme qu’elle allait prendre. C’est pourquoi il est important d’en étudier la
consistance et les incidences402.

A – La consistance de la constitutionnalisation

Pour dégager la consistance de cette consécration de la nature juridique du


préambule de la constitution, il importe d’en évoquer non seulement l’énonciation, mais
aussi et surtout la signification profonde que l’on doit en attendre.

402
Le Cameroun ne saurait en aucun cas revendiquer un quelconque brevet d’invention de ce débat sur la
valeur juridique du préambule, présente depuis longtemps dans un pays comme la France. C’est ainsi qu’en
son temps, et parlant du préambule de la Constitution de 1848, A. ESMEIN écrivait : « Les déclarations des
droits de l’homme et du citoyen sont un produit direct de la philosophie du XVIIIe siècle et du mouvement
d’esprit qu’elle a développé. Ce sont les principaux axiomes dégagés par les philosophes et les publicistes,
comme les fondements d’une organisation politique juste et rationnelle, que proclamèrent solennellement
les auteurs des constitutions nouvelles destinées à en faire l’application (…). Ce ne sont pas des articles de
loi précis et exécutoires. Ce sont purement et simplement des déclarations de principes (…). La Constitution
de 1848, sous le titre de préambule et en huit articles, contient une véritable déclaration des droits et aussi
des devoirs ; mais moins encore peut être que celle de 1793 et de l’an III, cette déclaration n’a pas eu
d’influence sur le développement de notre droit constitutionnel » (A. ESMEIN, Éléments de droit
constitutionnel français et comparé, Paris, Editions Panthéon Assas, LGDJ, 2001, p. 554-559 ; voir dans le
même sens : R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat, précité, pp. ; pour une
synthèse : D. ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, Paris, Montchrestien, 6e éd., 2001, p.102.).
Cette déclaration de l’éminent auteur est caractéristique de conceptions longtemps restées prégnantes au sein
de la doctrine : « elle illustre une position longtemps défendue par les publicistes français, visant à limiter
l’importance juridique des textes introductifs des constitutions » (A. COUTANT, « De la valeur d'un texte
introductif : la Constitution française de 1848 et son Préambule », RFDC, 2011/4 n° 88, p. 681-707.). C’est
ainsi qu’avant la décision liberté d’association du Conseil constitutionnel en 1971(CC, 16 juillet 1871, Liberté
d’association. Il s’agissait de l’appréciation de la conformité d’une loi aux principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République, et en l’espèce au principe de la liberté d’association. Mais il faut dire que le
Conseil constitutionnel n’a fait que suivre en cela la Conseil d’Etat qui, à la première occasion, avait manifesté
son désir de voir le préambule du texte constitutionnel revêtir une valeur pleinement juridique : CE, Section, 12
février 1960, Société EKY. Il s’agissait de l’examen au fond d’un moyen tiré de la violation par un décret de
l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, consacrant le principe de non
rétroactivité des lois pénales), la valeur juridique du préambule de la constitution de 1958 a longtemps été
incertaine(J. GEORGEL, « Aspects du préambule de la Constitution de 1958 », RDP 1960, p. 85 ; G. BACOT,
« La Déclaration de 1789 et la Constitution de 1958 », in RDP 1989, p. 685 ; F. GAZIER, M. GENTOT, B.
GENEVOIS, La marque des idées et des principes de 1789 dans la jurisprudence du CE et du CC, EDCE,
1989, N° 40, p. 151). Quand à celui de la constitution de 1946, il n’a pas fait exception, justifiant d’ailleurs la
conduite d’importants travaux sur la question (Voir : Le Préambule de la Constitution de 1946, antinomies
juridiques et contradictions politiques, colloque PUF, 1996, 296 p. ; M. CLAPIE, « Le Conseil d’Etat et le
préambule de la Constitution de 1946 », Rev. Adm., 1997, p. 278 ; G. CONAC, X. PRETOT, G. TEBOUL, Le
Préambule de la Constitution de 1946, histoire, analyses et commentaires, Paris, Dalloz, 2001, 467 p., ou
encore J.-M. LASSAIGNE, « Commentaires de la constitution de 1946 », Sirey, 1947, p. 545 577 ; R.
PELLOUX, « Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 », RDP, 1947, p. 347-398 et Loïc Philip, «
La valeur juridique du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 selon la jurisprudence du Conseil
constitutionnel », in Mélanges PELLOUX, Paris, L’Hermès, 1980, 342 p. ; pp. 265-280 ; D. ROUSSEAU, « Le
Conseil constitutionnel et le préambule de 1946 », Rev. Adm., 1997, p. 160).

120
1- L’énonciation

L’énonciation de la constitutionnalité du préambule de la constitution est le fait


de l’article 65 de la Constitution. Ce dernier est ainsi énoncé : « le préambule fait partie
intégrante de la Constitution ». Cette énonciation sans ambages du constituant, par son
ton péremptoire et sans équivoque, met fin à toute controverse, qu’elle soit
jurisprudentielle ou doctrinale. Le ton employé n’est pas d’ailleurs sans inférer que le
constituant avait à l’esprit ladite controverse, d’où sa volonté d’y mettre fin de matière
définitive et non équivoque.

Il faut dire que cette issue n’était pas la seule possible. La constitutionnalisation
du préambule n’était pas nécessairement une affaire du constituant lui-même. Elle aurait
pu se faire par la voie jurisprudentielle, que le résultat aurait été le même. Egalement,
même de la part du constituant, l’énonciation aurait pu être différente, avec à la clé le
même résultat.

Sur le plan jurisprudentiel d’abord, il a été démontré plus haut que le juge avait
largement le pouvoir de reconnaitre pleine valeur juridique au préambule du texte
constitutionnel, et ceci sans aucune fioriture. Tel a par exemple été le cas du juge
français qui, ayant été confronté à la même situation que ce soit en 1946 ou en 1958, a
tôt fait d’y remédier de manière définitive, tant au plan de la jurisprudence
administrative que de la jurisprudence constitutionnelle. Mais’ s’agissant du juge
camerounais, au regard de l’environnement politique qui a été le sien, le pouvait-il
vraiment ? De toute manière, l’on ne peut que constater les tergiversations de celui-ci et
l’incertitude qu’elles ont créée. Cette voie n’a donc pas été empruntée par les autorités
normatives, qui ont préféré celle du texte constitutionnel.

Sur le plan textuel ensuite, le choix du mode d’énonciation ne saurait en aucun


cas être gratuit403. L’on sait en effet l’importance jouée par les sciences du langage
aujourd’hui au sein du droit. Le constituant avait ainsi le choix entre plusieurs
possibilités. Il aurait par exemple pu entériner la formule de l’avant-projet de texte
constitutionnel qui était énoncée : « les normes consacrées dans le préambule de la

403
En effet, comme le dit si bien Daniel BOURCIER, « Les mots sont, et restent, les signes privilégiés du
travail herméneutique du juriste ». D. BOURCIER, « L'émergence d'une problématique : l'approche cognitive
du droit », in D. BOURCIER et P. MACKAY, (Dir.), Lire le droit. Langue, texte, cognition, Paris, LGDJ,
1992, p. 11.

121
constitution ont une valeur égale à celles contenues dans le dispositif 404 ». Tel n’a pas
été l’option du constituant. Il a choisi une formule qui, pour être claire, n’emporte pas
moins quelques subtilités.

Lorsque le constituant affirme en effet que le préambule fait partie intégrante de


la Constitution, cela a d’abord l’avantage de la simplicité et de la concision. La formule
permet de faire l’économie de démarches savantes qui auraient pu conduire à de
nouvelles controverses, ce qui aurait alors plombé toute l’entreprise de modernisation de
la source constitutionnelle préambulaire.

Ensuite, la formule choisie par le constituant revêt une certaine neutralité, dans la
mesure ou il ne dit pas expressément que le préambule a une nature juridique, ou si l’on
veut une valeur constitutionnelle, mais se contente de dire que celui-ci fait partie
intégrante de la constitution, laissant ainsi aux différentes autorités d’application des
normes toute latitude d’en tirer toutes conclusions possibles, ces dernières devant être
désormais nécessairement favorables à une concrétisation des normes inscrites dans la
préambule.

Enfin, il faut dire que le mode d’énonciation choisi par le constituant, bien qu’il
soit sans équivoque, n’en soulève pas moins une ou même des interrogations relatives à
la portée véritable de l’article 65. En effet, il est question, à partir des dispositions de
l’article 65, de rechercher le contenu véritable des dispositions constitutionnelles405
pertinentes en la matière afin d’en dégager une signification pouvant en donner toutes la
portée ainsi que les implications véritables pour la police administrative.

2- La signification

Une fois que le constituant a consacré explicitement la valeur constitutionnelle du


préambule, tous les problèmes ne sont pas réglés, dans la mesure où il reste aux autorités
d’application des normes, notamment les autorités juridictionnelles, d’en fixer la
véritable portée, permettant ainsi de donner une signification exhaustive à l’article 65.

404
Voir, pour une analyse des propositions de révisions constitutionnelles ainsi que des avants projets de textes
constitutionnels ayant été enregistrés dans l’histoire constitutionnelle récente du Cameroun : M. KAMTO, « La
dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant », in RJA., précité, pp. 36 et suiv.
405
Selon Le Professeur A. D. OLINGA en effet, « il est des clarifications génératrices d’ambigüités
connexes, d’effets pervers, la déclaration de la valeur constitutionnelle du préambule en droit camerounais,
pour bienvenue qu’elle soit, n’en suscite pas moins des interrogations ». Voir A. D. OLINGA, « Vers une
garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux », précité, p. 328.

122
S’il est vrai que le juge administratif, pour ne parler que de lui, a commencé à faire
application de ces dispositions et donc à en fixer la véritable portée406, il reste que le
chantier est encore immense. Il importe donc de rechercher la signification profonde des
dispositions ici étudiées.

Selon le Professeur Alain Didier OLINGA, les dispositions de l’article 65


impliquent, s’agissant du préambule, « que toute méconnaissance de ses énoncés, de
tous ses énoncés, constitue une violation de la loi fondamentale susceptible de donner
lieu à un contentieux407 ». Aussi, selon l’auteur, la « justiciabilité non équivoque des
dispositions du préambule408 » apparait-elle comme « la première conséquence de la
déclaration de la valeur constitutionnelle de ce dernier, la plus importante409 ».
L’auteur semble donc soutenir ici l’idée selon laquelle toute méconnaissance d’un
énoncé quelconque du préambule de la constitution est susceptible de donner lieu à un
contentieux. Ce point de vue semble d’ailleurs voisin de celui du Professeur MINKOA
SHE, pour qui la déclaration de la valeur constitutionnelle du préambule aligne toutes
les dispositions de ce dernier sur l’ensemble du régime des autres dispositions
constitutionnelles410.

Mais il faut dire que s’agissant de ces divers points de vue, la vérité est plus
subtile et plus nuancée. L’analyse exige un peu plus de rigueur, car bien que se trouvant
dans la constitution, toutes les dispositions de celles-ci ne sont pas utilisables au même

406
C’est ainsi qu’ en matière électorale par exemple, dans une espèce CS/CA, jugement n°59/CE/2001-2002
du 03 septembre 2002, Nya Clébert c/ État du Cameroun (MINAT), il déclare : « attendu que la non inclusion
des autochtones dans la liste SDF gagnante, équivaut à l’exclusion de ces populations de la vie politique de
leur terre d’origine avant d’appartenir aux autres qui s’y trouvent, et constitue en même temps une violation
flagrante des dispositions préambulaires de la Constitution du 18 janvier 1996 (…) Attendu que les
dispositions constitutionnelles en la matière sont d’ordre public et priment sur celles de la loi sur les
municipales ; Attendu que le juge ne doit pas rester indifférent aux violations flagrantes des dispositions
d’ordre public de notre Constitution (…) ; Attendu que le juge qui constate de telles violations doit les
évoquer d’office (…) à fin de garantir le respect de nos lois par tous et assurer par conséquent, le principe
d’égalité de tous et de toutes devant la loi ».
407
Voir A. D. OLINGA, « Vers une garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux », in S.
MELONE, A. MINKOA SHE et L. SINDJOUN, op cit. Précité ;
408
Idem.
409
Ibidem.
410
A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, précité, p. 26. Quand au point
consistant à dire que l’article 65 met fin à toute velléité de considérer les droits consacrés dans le préambule
comme relevant d’une supra constitutionnalité (point soulevé par la doctrine ; voir notamment : Voir A. D.
OLINGA, « Vers une garantie constitutionnelle crédible des droits fondamentaux », précité ; Adolphe
MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, précité, ibid.), il faut dire qu’il n’enlève rien à
l’avancée libérale opérée. Car si la théorie de la supra constitutionnalité vise à soustraire les droits concernés
de tout processus de révision, leur donnant une intangibilité absolue au sein de l’ordre juridique, il faut dire que
ce même résultat peut être atteint en rangeant ces droits au rang des principes démocratiques qui, selon la
constitution sont insusceptibles de révision.

123
degré. En effet, il faut distinguer ici les énoncés qui ont la nature de véritables normes
juridiques, de ceux qui nécessitent un travail supplémentaire de conversion en normes
véritablement juridiques.

L’on sait en effet que, dans une démarche purement rigoureuse, une norme
juridique prescrit, interdit ou autorise411. Or, plusieurs énoncés du préambule n’ont pas
de caractère normatif412, au sens strict du terme. Ces derniers ne peuvent donc prétendre
à une application directe de la part du juge, qui doit œuvrer à leur conversion en normes
juridiques véritables. C’est bien ce que semble avoir perçu une partie de la doctrine,
notamment le Professeur James MOUANGUE KOBILA, lorsqu’il soutient que
« l’affirmation de la valeur juridique du préambule de la constitution n’épuise pas la
problématique de la force contraignante des normes qui y sont édictées. Il importe
d’identifier ceux des droits proclamés qui peuvent donner matière à contrôle de
constitutionnalité et dont la violation peut être sanctionnée par le juge, qu’il soit
constitutionnel, administratif ou judiciaire, des dispositions qui ne répondent pas aux
critères d’identification des normes juridiques413 ». L’auteur va d’ailleurs plus loin en
soutenant que « la force juridique de chaque droit garanti par le préambule est
détachable de la valeur juridique globale du texte du préambule414 ». Nous dirons pour
notre part que tous les énoncés du préambule n’ont pas une nature systématique de
norme juridique. Certains de ces énoncés, manquant de clarté, de précision ou plus
simplement de sens normatif, vont exiger un travail supplémentaire des autorités
d’application des normes, condition sine qua non de leur mobilisation à l’avantage des
titulaires des droits énoncés dans le préambule. Dire donc que le préambule fait partie
intégrante de la constitution, c’est certes aligner les dispositions de ce dernier sur le
même régime que celui des dispositions de la partie articulée de la constitution, mais
aussi et surtout, c’est donner une chance à tous les énoncés, y compris ceux dépourvus
de caractère normatif, d’être un jour convertis en norme véritablement juridique, aux fins
411
Voir dans ce sens, F. TERRE, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 7ème édition, 2006, pp.
412
Par exemple, l’énoncé selon lequel le peuple camerounais « affirme son attachement aux libertés
fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations Unies, la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les Conventions internationales y relatives et
dument ratifiées ». Cette disposition n’a en elle-même aucune valeur normative, surtout que comme nous
l’avons vu il n’est affirmé que « l’attachement » aux libertés énoncées dans ce texte. Mais au-delà, seul le juge
peut donner une valeur contraignante à ces dispositions, par exemple en sanctionnant systématiquement les
atteintes portées contre les droits et libertés garantis par ces textes.
413
J. MOUANGUE KOBILA, « Le préambule du texte constitutionnel du 18 janvier 1996 : de l’enseigne
décorative à l’étalage utilitaire », précité
414
Idem.

124
d’application. Cela ne signifie donc aucunement que tous les énoncés peuvent donner
lieu à un contentieux, ou du moins qu’ils ont tous un caractère juridique, ou plus
rigoureusement, normatif415.

La nature constitutionnelle du préambule apparait donc ainsi comme marquée du


sceau de la potentialité pour bon nombre de ses énoncés, ce qui, du reste, n’enlève rien à
l’avancée réalisée par le constituant qui, en donnant pleine valeur constitutionnelle au
préambule du texte constitutionnel de 1996, contribue indéniablement à moderniser la
source constitutionnelle du droit de la police administrative, car comme nous l’avons
déjà vu, l’essentiel des énoncés constitutionnels concernant la police administrative se
trouvent dans le préambule du texte constitutionnel416. Ceci n’est pas sans emporter des
implications pour cette activité essentielle de la puissance publique.

B – Les implications

La consécration de la valeur constitutionnelle du préambule du texte


constitutionnel de 1996 emporte des implications, ou plutôt des conséquences pour la
police administrative jusque là inexplorées par la doctrine417. Il importe ici d’essayer de
dégager les incidences d’une pareille démarche du constituant de 1996. Tout d’abord, la
conséquence immédiate est l’érection de ce que le professeur Louis FAVOREU a appelé
si judicieusement un « bloc de constitutionnalité418 », ouvrant alors des perspectives
insoupçonnées pour la police administrative. La deuxième conséquence est la
construction, par cet acte du constituant, d’une police administrative de l’Etat de droit.

1 – L’érection d’un bloc de constitutionnalité

La question de la valeur juridique du préambule n’est pas neutre. L’enjeu, c’est


précisément l’opposabilité de tous les principes et droits fondamentaux qui y sont
inscrits et qui sont en général à l’avantage des individus, car ils contribuent à en garantir

415
Le Professeur MOUANGUE distingue les normes certaines, c’est-à-dire celles dont l’énoncé est clair et
précis, des normes incertaines, dont le caractère flou des titulaires, des débiteurs et même parfois de l’objet fait
hésiter sur leur caractère normatif. La doctrine classique quand à elle (voir notamment G. BURDEAU, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, LGDJ, 15ème édition, 1972, 640 pages, pp. 72.) distingue plutôt
les normes réalistes et les normes programmatiques, utopiques ou déclamatoires. Aujourd’hui, on parle
d’énoncés normatifs, différents des énoncés non normatifs. Pour plus de précisions :
416
Voir le début de ce chapitre.
417
Ceci en raison sans doute de l’abstention doctrinale soulignée à l’introduction. Voir supra, introduction.
418
L. FAVOREU, « Le principe de constitutionnalité. Essai de définition d’après la jurisprudence du Conseil
constitutionnel », in Recueil d’études en hommage à Charles EISENMANN, pp. 33-48.

125
la liberté et la dignité humaines. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit de s’assurer que
les principes constitutionnels qui tendent à contraindre la police administrative afin de là
rendre en phase avec les exigences de l’Etat de droit sont effectivement applicables.

Selon le Professeur Joseph OWONA, « les droits et libertés fondamentaux sont


garantis de trois manières : la constitutionnalisation du préambule, la définition dans
le corps de la constitution des droits et libertés et la reconnaissance de la primauté du
droit international419 ». Il peut toutefois arriver que certains systèmes juridiques
combinent plusieurs de ces techniques. Tel est par exemple le cas du Cameroun qui,
même s’il a eu tendance à privilégier depuis l’indépendance la reconnaissance de la
primauté du droit international420, a eu également à mettre en œuvre la technique de
l’inscription dans le préambule de la constitution des droits et libertés fondamentaux à
l’avantage des citoyens421, bien que cette seconde technique ait pendant longtemps été
mise en œuvre à moitié, du fait de l’incertitude entretenue sur la valeur juridique du
préambule422. Comme le dit si bien le Professeur Maurice KAMTO, « la détermination

419
J. OWONA, Droit constitutionnel et régimes politiques africains, Paris, Berger-Levrault, 1985, p. 225.
420
Affirmé sans équivoque dans le texte constitutionnel de 1996 en son article 45 qui dispose : « les traités ou
accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité
supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie »,
article qui rappelle celui 40 de la Constitution du 4 mars 1960 qui disposait : « les traités et accords
régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois, sous
réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie », ce principe de la primauté du
droit international est cependant remis en cause entre 1961 et 1996, car ni la constitution de 1961, ni celle de
1972 ne le mentionne expressément. Si la doctrine considère que cette période correspond à une négation du
principe, ce point de vue doit toutefois être relativisé pour la période 1961-1972, d’abord parce que plusieurs
lois le mentionnent expressément (Loi n° 65/LF/24 du 12 novembre 1965 qui enclenchait le processus
d’élaboration du système pénal actuel et Loi n° 28/LF/03 du 11 juin 1968 portant Code de la nationalité) ainsi
que certaines jurisprudences(CSCO, arrêt n° 53/CC du 20 avril 1970 ; CFJ/SCAY, n° 163/A du 18 juin 1970 ;
dans l’affaire compagnie des Chargeurs Réunis c/ État du Cameroun du 8 juin 1971 par exemple, le juge
administratif déclare : « Considérant que les conventions internationales constituent des sources du droit
interne ; que leur violation peut être invoquée à l’appui d’un recours par devant le juge administratif »),
mais aussi et surtout parce que le mutisme de constitution de 1961 ne pouvait en aucun cas signifier la
négation, parce que ce texte ne visait qu’à adapter la constitution aux nécessités du Cameroun réunifié. Il
s’agissait donc d’une loi de révision. Si l’on considère que ce texte supprimait la primauté du droit
international, cela signifie que toutes les lois qui le mentionnaient étaient inconstitutionnelles. On ne peut en
effet soutenir l’idée d’une suppression constitutionnelle du principe de la primauté du droit international et
soutenir celle d’une consécration législative. Contra : D. J. ZAMBO ZAMBO, Le droit applicable au
Cameroun. Essai sur les conflits de loi dans le temps et dans l’espace, thèse précitée, pp. 252 et suiv ; Adolphe
MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, précité, pp. 30 et suiv.
421
Presque toutes les constitutions qui se sont succédées dans notre histoire constitutionnelle étaient dotées
d’un préambule, la seule exception étant la Constitution de 1961 qui n’en avait pas un. L’explication de cette
situation peut être trouvée dans le fait que ladite constitution n’était en fait qu’une loi de révision, son titre
officiel étant : « loi n°61-24 du 1er septembre 1961 portant révision constitutionnelle et tendant à adapter la
Constitution actuelle aux nécessités du Cameroun réunifié ». Il a d’ailleurs été affirmé non sans intérêt que le
préambule du texte de 1960 lui était toujours joignable.
422
Ni le constituant, ni le juge ne procédant clairement et de manière définitive à une assimilation du
préambule au texte constitutionnel.

126
du lieu d’énonciation des droits dans les constitutions africaines est une étape
essentielle dans la recherche de leur assise juridique ; car avant même de s’interroger
sur leur garantie effective, il faut déjà s’assurer qu’il s’agit de normes juridiques 423 ».
Une fois ce lieu déterminé comme étant le préambule, ce dernier va s’insérer dans un
ensemble plus important et plus riche, que Louis FAVOREU a appelé le « bloc de
constitutionnalité ».

Il est indéniable que le constituant camerounais, à travers l’article 65, contribue424


à la construction d’un bloc de constitutionnalité, ce dernier entendu comme un ensemble
de normes qui, avec la constitution strictement entendue, servent de normes de référence
au contrôle de constitutionnalité425. On peut donc identifier comme rentrant dans le bloc
de constitutionnalité en droit positif camerounais, la constitution et son préambule, tous
les textes internationaux visés par ce dernier, à savoir la Déclaration universelle des
droits de l’homme, la Charte des Nations Unies, la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales relatives aux droits de
l’homme dûment ratifiées par le Cameroun.

La première conséquence est assurément la fin de l’insécurité juridique


concernant les droits garantis par le préambule de la constitution. Si l’on a pu affirmer
que l’insécurité juridique est une maladie « sécrétée par tout système juridique et qui
tend à croître dans les sociétés modernes426 », il faut dire que celle engendrée par
l’incertitude décrite plus haut était particulièrement inique. La constitutionnalisation du
préambule contribue donc à « combattre l’insécurité juridique427 », particulièrement
dans le domaine de la police administrative.

423
M. KAMTO, « L’énoncé des droits dans les constitutions des Etats africains francophones », in RJA,
1991/2 p. 210.
424
Il importe d’insister sur le verbe contribuer, car il faut dire que même si le constituant prend sur lui de créer
un bloc de constitutionnalité, c’est au juge qu’il appartient d’en définir le contenu et les contours définitifs. On
peut donc penser que le constituant ne fait qu’en poser les bases.
425
Ces normes de références, comme on peut s’en douter, seront définies de manière exhaustive par le juge
constitutionnel. Il n’est pas impossible qu’il y inclut, au-delà de la constitution et de son préambule, ainsi que
des normes internationales visées au préambule et relatives aux droits de l’homme, toutes les lois complétant
l’œuvre constituante, qui ailleurs sont appelées lois organiques, catégorie inconnue du droit camerounais, mais
lois dont le contenu matériellement constitutionnel ne fait l’ombre d’aucun doute.
426
A.-L. VALEMBOIS, « La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français »,
Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 17, mars 2005, p. 1.
427
N. MOLFESSIS, « Combattre l’insécurité juridique ou la lutte du système juridique contre lui-même »,
Conseil d’État, Rapport public annuel 2006, Sécurité juridique et complexité du droit, Études et documents, n°
57, La Documentation française, 2006, p. 391.

127
Cette démarche du constituant a pour seconde conséquence d’étoffer le tissu
constitutionnel, ou si l’on veut plus simplement d’étendre la notion de constitution, ce
qui est bénéfique pour les droits que le pouvoir de police est susceptible d’enfreindre,
puisque l’essentiel des textes internationaux introduits dans le bloc de constitutionnalité
par le constituant garantissent des droits fondamentaux. La police administrative se
trouve alors, par la médiation de la voie constitutionnelle, soumise aux normes
internationales que l’on sait très favorables aux droits fondamentaux.

Dans l’absolu, l’érection d’un bloc de constitutionnalité, en étendant


considérablement la notion de constitution et donc les normes de référence du contrôle
de constitutionnalité, étend également les possibilités de libéralisation et de
modernisation de la police administrative, car les normes constitutionnelles se
distinguent par ces deux caractéristiques.

2 – La construction d’une police administrative de l’Etat de droit

L’idée est ici simple. Et si, à travers le droit de la police administrative, l‘on
contribuait ou procédait également à la construction d’un Etat de droit, ce dernier
entendu surtout ici dans sa dimension formelle428 ?

La police administrative constitue en effet un excellent champ d’expérimentation


de cette construction, car l’on ne saurait concevoir un Etat de droit dont la police
conserve une nature autoritaire, ou ne détient pas les caractères de la police
administrative d’un Etat de droit. La police administrative de l’Etat de droit est en effet
celle qui est soucieuse de la garantie des droits et libertés des citoyens, celle qui réalise
un équilibre satisfaisant entre les exigences liées au maintien de l’ordre et celles relatives
à la garantie des droits et libertés429. Elle soumet l’Etat au droit. Elle valorise les vertus
du constitutionnalisme430. La puissance publique, dans sa mission de maintien de l’ordre

428
L’on sait en effet qu’au moins deux conceptions de la notion d’Etat de droit sont possibles, à savoir une
conception formelle et une conception substantielle. La première, essentiellement normativiste assimile
purement et simplement l’Etat de droit à la hiérarchie des normes ou plutôt de l’ordre juridique. Quand à la
seconde, elle met l’accent sur les qualités substantielles de l’ordre juridique ou des normes en vigueur. Ainsi,
pour cette conception, l’Etat de droit est celui dont l’Etat, au-delà de la simple hiérarchie des normes, comporte
des qualités substantielles : l’Etat de droit est celui dont le droit garanti les droits fondamentaux : l’Etat de droit
c’est l’Etat des droits de l’homme. Sur tous ces aspects, voir : Jacques CHEVALIER, « L’Etat de droit », in
RDP 2-1988, pp. 513-580 ; du même auteur : L’Etat de droit, Paris, Montchrestien, Collection Clés,
429
Il s’agit là de la police administrative de l’Etat de droit. Voir supra, introduction.
430
Celui-ci entendu au sens strict comme : « la primauté des droits et libertés fondamentaux garantis par la
constitution et protégés par un juge indépendant… ». Voir Léopold DONFACK SOKENG, « Les ambigüités
de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun », précité, p. 49 ; dans le même sens : Michel

128
public, rencontre des limites qui garantissent non seulement la liberté, mais surtout, la
dignité de la personne humaine.

Si, dans une perspective classique et « conformément à une idée bien partagée,
les conditions indispensables au règne de l’Etat de droit sont d’une part la hiérarchie
des normes dans la mise en place de l’armature juridique de la société et d’autre part
l’effectivité de l’obligation faite aux pouvoirs publics de se soumettre à cette
hiérarchie, soumission se traduisant par le respect de la validité constitutionnelle des
lois et règlements par rapport à ces principes proclamés soit par le corps de la
Constitution, soit par le préambule431 », la notion formelle d’Etat de droit aujourd’hui se
décline à travers celle de justice constitutionnelle et plus précisément de
constitutionnalisation. Un Etat de droit est alors celui qui comporte en son sein une
justice constitutionnelle, celui dont la constitution innerve ou irrigue l’ensemble du
système juridique et notamment la police administrative, pour soumettre cette dernière
aux exigences d’une constitution source et sommet de l’ordonnancement juridique.

Nul ne peut contester l’origine constitutionnelle du pouvoir de police


administrative au Cameroun. Il a été démontré plus haut que dans une perspective
purement formelle, cette dernière non seulement est constitutionnalisée, et donc en
épouse les exigences libérales, mais aussi, que si elle était activée, la justice
constitutionnelle mettrait la police administrative en avant-garde de cette conquête d’un
Etat de droit. Cette place éminente de la police administrative dans la construction d’un
Etat de droit ne devrait pas surprendre, car c’est cette activité qui manifeste le plus les
prérogatives de puissance publique, et qui est donc susceptible de porter le plus atteinte
au droits et libertés des citoyens. Sur un plan strictement formel 432, la police

TROPER, « Le concept de constitutionnelle et la théorie moderne du droit », in Théorie et pratique du


gouvernement constitutionnel : la France et les Etats Unis, Paris, Editions de l’espace européen, 1992, pp. 36-
37 ; L. COHEN TANUGI, La métamorphose de la démocratie, Paris, Odile Jacob/seuil, 1989, p. 21 et suiv.
431
Stanislas MELONE, « Constitution et droit pénal : pistes de recherche après la loi n° 96/06 du 18 janvier
1996 », in S. MELONE, A. MINKOA SHE, et L. SINJOUN, « La réforme constitutionnelle du 18 janvier
1996 », op cit, p. 54.
432
Cette analyse peut d’ailleurs être étendue au plan matériel. C’est ainsi que le Professeur James
MOUANGUE KOBILA a pu écrire, non sans raison d’ailleurs, que « tant par son contenu que par sa valeur
juridique constitutionnellement consacrée, le préambule du texte constitutionnel du 18 janvier 1996 réalise
une avancée significative dans la voie de la construction d’un Etat de droit au Cameroun », in James
MOUANGUE KOBILA, « Le préambule du texte constitutionnel du 18 janvier 1996 : de l’enseigne décorative
à l’étalage utilitaire », précité, p. 36. Toutefois, une telle extension ne peut qu’être modérée, en raison du fait
que toutes les exigences d’une pareille issu ne sont pas encore mise en œuvre, notamment l’activation d’une
véritable justice constitutionnelle, afin de donner pleine vie aux normes inscrites dans le préambule de la
constitution.

129
administrative au Cameroun n’est pas loin de satisfaire à un tel dessein, aussi faut-il
espérer que l’activation de la justice constitutionnelle longtemps espérée y contribue
fortement.

Quoiqu’il en soit pour l’instant, la réorientation de la source constitutionnelle du


droit de la police administrative apparait incontestablement dirigée vers un sens libéral,
ce qui aura un effet d’entrainement vers la source législative de ce régime. Les acquis
constitutionnels des années 1990 permettront en effet une réactivation de la source
législative du droit de la police administrative, contribuant ainsi à une reconfiguration
des sources de ce droit, dans un sens clairement libéral.

130
CHAPITRE II :

LA REACTIVATION DE LA SOURCE LEGISLATIVE

131
Le second aspect, tout aussi important, de l’évolution des sources du droit de la
police administrative au Cameroun est, sans aucun doute, le regain que l’on peut
observer de la loi comme source de ce droit. Ce phénomène, que l’on peut prendre la
liberté de qualifier de réhabilitation de la source législative433, apparait comme l’un des
faits marquants de l’évolution de la police administrative au Cameroun depuis le début
des années 90. L’importance de la loi comme source potentielle du droit de la police
administrative n’est plus à démontrer, car, la loi est au cœur de l’activité de police
administrative. En effet, en guise d’exemple parmi tant d’autres, « lorsque les
limitations sont imposées par le législateur et ne requièrent aucune intervention de la
part des autorités administratives, la police s’exerce par voie législative. On dit qu’il y
a alors une loi de police434 ».

La question peut être posée de savoir en quoi la source législative du droit peut
être considérée comme une source libérale en soi, surtout après le constat unanime de la
« mort » du légicentrisme435, et à la lumière des développements récents de la source
constitutionnelle qui apparait alors comme la seule garante de la construction de l’Etat
de droit436. N’est-il pas en tout point paradoxal de parler de libéralisation au travers de la
source législative du droit de la police administrative à l’ère du constitutionnalisme
triomphant ? Le Doyen FAVOREU a excellemment démontré dans une de ses études
précitées437 le déplacement du pôle central de l’ordre juridique de la Loi vers la
Constitution, avec pour enjeu essentiel le passage de l’Etat légal à l’Etat de droit.
Pourquoi donc parler de libéralisation en s’appuyant sur la source législative ?

En fait, il s’agit de considérer ici, tout d’abord, que le devancement de la loi par
la constitution dans la hiérarchie des normes ne signifie pas que la première voit ses
433
Il s’agit de signifier par là l’idée qu’en subissant une sorte de réhabilitation en terme de réactivation, la
source législative contribue à la libéralisation du droit de la police administrative, en partant de l’idée simple
que la loi est, dans son essence même, une source du droit libérale, en raison de son caractère démocratique
exprimé déjà dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais qui n’a pas totalement disparu
aujourd’hui. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, « la loi
est l’expression de la volonté générale ».
434
D. MAILLARD DESGREES du LOÛ, Police générale, Polices spéciales. (Recherche sur la spécificité des
polices générale et spéciales). Thèse précitée, p. 1.
435
L. FAVOREU, « Légalité et constitutionnalité », in Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n°3, 1997, p.
77. Sur le légicentrisme, voir l’ouvrage classique de R. CARRE DE MALBERG, La loi, expression de la
volonté générale, Paris, Sirey, 1931. L’auteur y affirme que « la loi tire ses caractères distinctifs de la qualité
spéciale de son auteur (…) ; le domaine de la loi est sans bornes, comme celui de la volonté générale »
(Chapitre II. n° 34 et 24). Sur son déclin : Cons. Const., décision n° 85-197 DC du 23 août 1985, Loi sur
l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec. 70, Rev. adm. 1985, p. 572, note R. Etien.
436
L. FAVOREU, « Légalité et constitutionnalité », précité.
437
Ibid.

132
valeurs définitivement disqualifiées par celles de la seconde. Cela signifie simplement
que dans la hiérarchie que l’on établi entre les deux niveaux de valeurs législatives et
constitutionnelles, ces dernières viennent en premier et supplantent les premières. En
d’autres termes, c’est moins un problème de nature des valeurs qu’un problème de rang
des valeurs, ou, si l’on peut permettre l’expression, de valeur des valeurs.

Ensuite, tout le système de garantie de la suprématie de la norme constitutionnelle


n’étant pas encore mis en place ici, les valeurs législatives restent parfaitement
essentielles pour tester ou évaluer celles de l’ordre juridique tout entier, la norme
législative restant matériellement la plus importante de l’ordre juridique, puisque sa
conformité à la norme constitutionnelle n’est pas du tout sytématiquement assurée.

Enfin, la prise en compte de la loi comme source importante de la libéralisation


du droit de la police administrative tient à ce que celle-ci, malgré l’évolution du
constitutionnalisme, n’a pas cessé d’être considérée comme un instrument de
libéralisme, surtout par rapport aux normes réglementaires, car il ne faut pas oublier que
c’est surtout par rapport à ces dernières que le caractère libéral de la loi est apprécié. Le
Professeur Bertrand MATHIEU perçoit très bien cette réalité lorsqu’il affirme que «
indépendamment des règles de compétence fixées par la constitution, aujourd’hui
comme hier, la loi est une expression plus directe du principe démocratique que le
règlement438 ». En effet, le retour en grâce de la source législative du droit de la police
est ici analysé à l’aune de sa comparaison avec la source réglementaire, laquelle
apparaissait avant les années 1990 comme la source principale et essentielle de ce droit.
Le regain de la loi ne peut donc apparaitre autrement que comme une forme de
libéralisation, en raison du caractère plus démocratique traditionnellement reconnu à la
loi, caractère tiré de la nature de l’organe qui l’édicte certes, mais surtout de la procédure
qui conduit à son adoption. La réhabilitation de la source législative apparait donc ici
incontestable, au regard des changements intervenus dans les rapports entre loi et
règlement, notamment depuis le début des années 1990439, d’où la considération
nécessaire de ces deux plans.

438
B. Mathieu, « La part de la loi, la part du règlement. De la limitation de la compétence réglementaire à la
limitation de la compétence législative », Pouvoirs 2005/3, n° 114, p. 73-87, spéc. p. 82.
439
Le Cameroun ayant importé une technique essentielle de la Cinquième République française consistant à
assigner un domaine limité à la loi et à attribuer la compétence normative de droit commun au règlement, on
pouvait penser que le règlement serait désormais, qualitativement et surtout quantitativement, la voie

133
Sur les plans législatif et réglementaire440 en effet, une action considérable a été
menée depuis lors dans le sens d’un toilettage441 de tout le système répressif mis en place
dans les années 60 et 70. Une session spéciale de l’Assemblée Nationale tenue en
Novembre/Décembre 1990 a permis ainsi l’adoption d’un ensemble de lois permettant
une meilleure expression des droits et libertés. Ont ainsi été promulgués 442 par le
Président de la République un ensemble de textes dont plusieurs avaient un apport direct
avec le maintien de l’ordre public,443 et donc l’expression des libertés, car comme le
démontre excellemment Georges MORANGE, « toutes les fois ou il y a décision de
police, une liberté, sous une forme ou sous une autre, risque d’être en cause444 ».

principielle de législation. Mais la pratique révèle une issue totalement inattendue. En France, l’on a pu
constater que la loi n’avait pas pu être supplantée par le règlement, et que l’on avait même assisté à un retour
en force de celle la au détriment de celui-ci : Jean RIVERO peut alors affirmer, en un ton sentencieux dans le
rapport de synthèse du Colloque d’AIX (L. FAVOREU (Dir.), Le domaine de la Loi et du règlement.
L’application des articles 34 et 37 de la Constitution depuis 1958. Bilan et perspectives, PUAM, 1978, et 2ème
édition, ECONOMICA/PUAM, 1981) : « la révolution était possible, la révolution n’a pas eu lieu ». Au
Cameroun, si l’on a pu assister à une utilisation abusive et quasi systématique de la voie réglementaire au cours
des trois décennies ayant suivi l’indépendance, l’ouverture démocratique des années 1990 a eu pour
conséquence de rétablir la loi comme moyen de législation par excellence, reléguant le règlement à un rôle
secondaire. Cette situation est confortée tant par le jeu des équilibres (ou des déséquilibres) entre pouvoir
législatif et pouvoir exécutif que par l’absence de mécanismes efficaces de contrôle des compétences
législatives et réglementaires. On peut alors en conclure avec Guillaume DRAGO (G. DRAGO, « Le périmètre
de la loi », in Renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l’honneur de Louis FAVOREU, Paris Dalloz,
2007, pp. 661-672) que : « en définitive, le problème du cantonnement des deux autorités, législative et
réglementaire, renvoie à la logique constitutionnelle de l’inscription de ces deux domaines dans la
Constitution. C’est donc par voie de conséquence la question du contrôle qui apparait ; celui du pouvoir
réglementaire par le juge administratif, celui du législateur par le juge constitutionnel et d’un mécanisme de
sanction réellement efficace. Il ne suffit pas de fixer un domaine limité au législateur, car sa fonction de
« puissance initiale » le conduit nécessairement à repousser les limites de sa compétence. Il faut instituer-ou
restaurer-un mécanisme de sanction lui rappelant les limites de sa compétence constitutionnellement
définie. Sans ce mécanisme et cette sanction possible, aucune délimitation, même inscrite dans la
Constitution, ne peut être respectée », p. 672.
440
D’un point de vue chronologique, les premiers changements législatifs et réglementaires sont antérieurs aux
changements constitutionnels. En effet, dès le 20 juillet 1990, le Président de la République crée, par un arrêté
n° 416/CAB/PR signé le même jour, une Commission de révision de la législation sur les libertés publiques.
Celle-ci, constituée de 11 membres, doit dans un délai de trois mois adresser au Président de la République un
rapport assorti de propositions dans le but de modifier la législation sur les libertés publiques. Ce rapport,
déposé en novembre 1990, enclenchera la procédure qui conduira au dépôt en novembre de la même année, par
le gouvernement, d’une trentaine de projets de loi à l’Assemblée Nationale dont plus de douze relatifs aux
libertés publiques.
441
Voir dans le même sens, M. ONDOA, « La constitution duale: Recherche sur les dispositions
constitutionnelles transitoires au Cameroun », op cit. p. 20.
442
Pour consulter ces textes, voir, JOURNAL OFFICIEL DE LA REPUBLIQUE DU CAMEROUN. Spécial
libertés, n° 31, 1er Janvier 1991, 31e année ; voir également les textes rassemblés dans Cameroun. Droits et
libertés. Recueil des nouveaux textes, SOPECAM, Yaoundé, 1990.
443
Le Professeur KAMTO ne pense pas autre chose lorsqu’il affirme que « de façon générale, la législation
sur le maintien de l’ordre subit un réaménagement important avec quelques assouplissements ». M.
KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », op cit p. 222.
444
G. MORANGE, « Réflexions sur la notion de sécurité publique », D. S., 1977, ch. VII, p. 62.

134
Ce mouvement de libéralisation concernait des secteurs aussi variés que la carte
nationale d’identité445, les conditions d’entrée, de séjour et de sortie du territoire
camerounais446, l’état d’urgence447, l’organisation judiciaire militaire448, la liberté de
communication sociale449 et la liberté d’association450, le régime des réunions et des
manifestations publiques451 etc. La fameuse ordonnance n° 62-OF-18 du 12 mars 1962
portant répression de la subversion452, qui avait fait tant de mal à l’expression des
libertés, est abrogée par la loi n° 90- 46 du 19 décembre 1990453. Dans la foulée, un
Comité National des Droits de l’Homme est créé454 avec pour mission la « défense et la
promotion des droits de l’homme et des libertés455 ». Egalement, la loi n° 90-54 du 19
décembre 1990456 sur le maintien de l’ordre établi un régime plus libéral, s’agissant
d’une action des forces de l’ordre sur le terrain et visant à rétablir la paix et la sécurité.

Mais plus que le contenu des lois adoptées, il s’agit d’analyser dans le présent
chapitre la loi en tant que source du droit de la police administrative au Cameroun. Pour
ce faire, il est nécessaire de donner de manière exacte la place que celle-ci occupe
notamment par rapport à la source réglementaire457, avec laquelle elle est permanemment
en concurrence. Cette approche de la loi comme source désormais essentielle du droit de

445
V. Loi n° 90-42 du 19 décembre 1990 instituant la carte nationale d’identité.
446
V. Loi n° 90-43 du 19 décembre 1990 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de sortie du territoire
camerounais. Cette loi pose le principe de la libre circulation des nationaux et supprime le visa de sortie
institué par la loi n° 74/21 du 5 décembre 1974 portant répression de l’émigration et de l’immigration
clandestine.
447
V. Loi n° 90-47 du 19 décembre 1990 relative à l’état d’urgence.
448
V. Loi n° 90-48 du 19 décembre 1990 modifiant l’ordonnance n° 72-5 du 26 Août 1972 portant
organisation judiciaire militaire.
449
V. Loi n° 90-52 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale
450
V. Loi n° 90-53 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association
451
V. Loi n° 90-55 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des manifestations publiques.
452
Pour le Professeur KAMTO, « cette loi-symbole, emblématique en quelque sorte, marque la fin du délit
d’opinion, et partant la fin d’une époque qui vit tant de camerounais finir leur existence dans des camps de
la mort (Tcholiré, yoko, Mantum) sans jugement aucun ». Cf. M. KAMTO, « Quelques réflexions sur la
transition vers le pluralisme politique au Cameroun », op cit, p. 222
453
Voir le texte de cette loi dans le numéro spécial du journal officiel précité, p. 8
454
V. Décret n° 90-1459 du 8 novembre 1990 portant création du Comité national des droits de l’homme
455
Ibid., article 2
456
Voir le texte de cette loi dans le numéro spécial du journal officiel précité, p. 28
457
Sur les rapports entre loi et règlement en général : L. FAVOREU (Dir.), Le domaine de la loi et du
règlement, Actes du colloque d’Aix-en-Provence, 2 et 3 décembre 1977, Paris-Aix-en-Provence, Economica-
PUAM, 2e éd., 1981 ; J. GROUX, Les domaines respectifs de la loi et du règlement d’après la Constitution de
1958, Paris, La Documentation française, 1963 ; F. HAMON, La loi et le règlement, Paris, La Documentation
française, Documents d’études, n° 108, 1958 ; X. LABROT, La répartition des compétences législative et
réglementaire en matière de sécurité sociale, Th., Aix-Marseille III, 1995 ; E. OLIVA, L’article 41 de la
Constitution du 4 octobre 1958. Initiative législative et Constitution, Paris, Aix-en-Provence, Economica-
PUAM, 1992 ; J. TREMEAU, La réserve de loi. Compétence législative et Constitution, Paris-Aix-en-
Provence, Economica-PUAM, Coll. « Droit public positif », 1997.

135
la police administrative nécessite ainsi que l’on se départît de tous les clichés dont elle
est traditionnellement victime, pour là considérer avec froideur et objectivité, sans
arrière pensée, ni préjugé. Car, au Cameroun458 et même ailleurs459, « l'approche
habituelle de la loi se fait de manière négative : elle met l'accent sur la crise 460, sa
dévalorisation, ses insuffisances461 ». Or, il importe aujourd’hui de prendre la loi au
sérieux, de là considérer par exemple au regard de l’organe qui l’édicte, le Parlement,
pour constater son caractère désormais plus démocratique, et donc plus libéral.

En effet, « Le Parlement se trouve dans une situation privilégiée pour deux


raisons : il bénéficie d'une investiture représentative, et il exerce un pouvoir
délibérant462 ». S’il peut apparaitre rétrograde de qualifier la loi aujourd’hui
d’expression de la volonté générale463, il reste que dans le cadre spécifiquement
camerounais, la loi est en ce moment, à considérer sous le prisme valorisant du regain de
vitalité464, malgré l’institution paradoxale d’un contrôle de constitutionnalité. Mais la
réhabilitation de la source législative est à analyser non pas par rapport à la constitution,
mais par rapport au règlement. Pour bien apprécier les changements subis par la source

458
T. BILOUNGA, « La crise de la loi », in Revue camerounaise de droit public RADSP, Vol. 1, n° 1, janvier-
juin 2013, pp. 57-86.
459
J. BOULAD-AYOUB, B. MELKEVIK, P. ROBERT (Dir.), L’amour des lois. La crise de la loi moderne
dans les sociétés démocratiques, Paris, Presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996.
460
Sur cette problématique en général : G. RIPERT, Le déclin du droit. Etude de la législation contemporaine,
Paris, LGDJ, 1949 ; H. BATIFFOL, « Le déclin du droit », Archives de philosophie du droit, t. VIII, 1963, p.
43 ; G. BURDEAU, « Le déclin de la loi », Archives de philosophie du droit, t. VIII, 1963, p. 35 ; P.
DURAND, « La décadence de la loi dans la Constitution de la Ve République », JCP, 1959, I, n° 1470 ; B.
OPPETIT, « L’hypothèse du déclin du droit », Droits, n° 4, 1986, p. 9 ; A. ROUX, « La crise de la loi »,
communication aux Journées d’études de l’Association brésilienne de droit constitutionnel, Sao Paulo, 27 août
1999 ; A. VIANDIER, « La crise de la technique législative », Droits, n° 4, 1986, p. 75.
461
N. POULET-GIBOT LECLERC, « La loi revisitée », in Petites affiches, 11 décembre 2009 n° 247, P. 3
462
Idem
463
Selon le fameux ouvrage de Raymond CARRE DE MALBERG, La loi, expression de la volonté générale,
précité. Si l’on en croit Pierre BRUNET, « Dans tous les cas, il n’y a plus beaucoup de place pour une loi
entendue au sens d’une volonté initiale, impersonnelle et produite par délibération : parce que la loi doit
être conforme à la Constitution, elle doit être contrôlée conformément à la Constitution ; parce que la
volonté générale réside dans la Constitution, ceux qui en assurent le respect apparaissent à certains comme
des représentants », in P. BRUNET « Que reste-t-il de la volonté générale? Sur les nouvelles fictions du droit
constitutionnel français », in POUVOIRS n° 114, La loi, pp. 5-19.
464
C’est pourquoi parler de crise de la loi aujourd’hui au Cameroun peut apparaitre comme particulièrement
aberrant, car comme le démontre pertinemment la doctrine, « le déclin de la loi n’est une réalité que si on le
mesure par rapport au mythe révolutionnaire de la loi ». Cf. H. DUMONT et S. VAN
DROOGHENBROECK, « La loi », in M. TROPER et D. CHAGNOLLAUD (Dir.), Traité international de
droit constitutionnel, Tome II. Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012, p. 530. Le Professeur Bertrand
MATHIEU abonde d’ailleurs dans ce sens, lorsqu’il écrit que « songer à la loi, telle qu’elle devrait( ?) être,
c’est avoir à l’esprit la mystique révolutionnaire de la loi, la Loi sacrée, divinisée, œuvre de perfection ». Cf.
B. MATHIEU, La loi, Paris, Dalloz, 2ème édition, 2002. Or, le droit public camerounais ne peut ni revendiquer
cet héritage révolutionnaire de la loi propre au droit français, ni donner la preuve d’un essor ou d’un
rayonnement antérieur de la loi et ayant précédé la supposée crise actuelle.

136
législative du droit de la police administrative, il importe de présenter d’abord ce qu’était
cette source avant les années 90, le sort qui lui était réservé avant cette période, en
partant de l’indépendance jusqu’à ce jour, sort déterminé par la situation en vigueur dès
les périodes du Mandat et de la Tutelle.

SECTION I- UNE SOURCE ANTERIEUREMENT BAFOUEE

La source législative du droit de la police administrative au Cameroun n’a pas


toujours été valorisée. Tout au contraire, pendant longtemps, la voie législative a été
écartée dans le choix des instruments d’édiction du droit de la police administrative. Si le
phénomène est surtout criard à partir de l’indépendance, il peut néanmoins être observé
bien avant celle-ci, il est vrai pour des raisons différentes.

I- UNE SOURCE MARGINALISEE AVANT L’INDEPENDANCE

Il peut être curieux de parler de marginalisation de la source législative du droit


de la police administrative dans un pays non indépendant, c’est-à-dire qui n’a pas encore
accédé à la souveraineté465, et qui ne peut donc se prendre en charge lui-même. Ceci
amène inévitablement à se poser la question de savoir si l’on peut parler de loi en
l’absence de toute souveraineté466. Sans vouloir donner une réponse définitive à cette
question, il importe néanmoins de dire que les notions de souveraineté et de loi sont

465
Seul un pays souverain peut en effet se donner une loi. L’on sait en effet que la souveraineté peut d’abord se
définir selon une perspective externe, ou si l’on veut de droit international : « en ce sens, la souveraineté est la
qualité d'un État, qui n'est soumis à aucune puissance extérieure ou intérieure (…) Qu'un État souverain
puisse néanmoins être soumis au droit international ne comporte nulle contradiction, parce que cette
soumission résulte seulement de sa propre volonté. On peut donc dire que la souveraineté se définit par la
soumission au seul droit international et qu'elle comporte à l'intérieur le pouvoir de tout faire ». La
souveraineté peut aussi se définir dans une perspective de droit interne : en ce sens, « la souveraineté est
l'ensemble des pouvoirs ou des compétences que peut exercer cet État. On appelle aussi cet ensemble
puissance d'État ». Les pouvoirs exercés ainsi sont d’ordre divers, la justice, les relations extérieures,
l’économie, l’éducation, le maintien de l’ordre etc. Toutes ces opérations exercées par l’Etat le sont par
l’édiction des normes juridiques (lois, décrets, sentences etc.). « La production d'une catégorie de normes
relève de l'une des fonctions juridiques de l'État. La puissance d'État comprend donc les grandes fonctions
juridiques : législative, exécutive et juridictionnelle ». Or, « comme les normes juridiques sont hiérarchisées,
les fonctions le sont aussi. D'où un troisième sens du mot souveraineté. Le souverain est sans doute celui
qui détient la totalité de la puissance d'État, celui qui peut tout faire, mais, en raison de la hiérarchie, le seul
pouvoir d'adopter les normes appartenant aux niveaux les plus élevés, la Constitution et la loi, lui permet de
déterminer indirectement le contenu des normes de niveau inférieur. Dans un troisième sens, la
souveraineté est donc l'ensemble du pouvoir constituant et du pouvoir législatif ». Sur tous ces aspects, voir
M. TROPER, « Comment la Constitution de 1958 définit la souveraineté nationale ? », in http://www.conseil-
constitutionnel.fr, consulté le 14 juillet 2010.
466
Les notions de loi et de souveraineté apparaissent en effet extrêmement liées. Voir en ce sens : « La loi,
expression de la souveraineté »

137
étroitement liées, la loi étant de manière indubitable l’expression parfaite de la
souveraineté. Ainsi énoncée, la réponse amènerait à clore tout de suite le débat, mais ce
serait ne pas tenir compte de la situation particulière du Cameroun avant son
indépendance.

Territoire tour à tour sous mandat et sous tutelle franco-britannique, le Cameroun


a subi l’influence du droit de ces pays. C’est donc ainsi par exemple que le droit français
a pu s’appliquer sur ce Territoire. Mais a coté de ce droit, il faut tenir compte de
l’amorce de l’édiction d’un droit purement camerounais, c’est-à-dire produit par des
autorités normatives camerounaises. Ces deux couches juridiques, ayant une double
nature tantôt législative tantôt règlementaire, révèlent, à l’analyse, une majoration des
secondes sources par rapport aux premières. On peut donc étudier la loi comme source
du droit de la police administrative avant l’indépendance, celle-ci entendue dans son
origine française et dans ses prémisses camerounaises, pour constater que si les actes
législatifs à cette période jouent un rôle mineur en matière de police administrative, cela
tranche avec l’importance en la matière des actes réglementaires.

A – Le rôle mineur des actes législatifs

Les actes législatifs, au rang desquels on peut évoquer prioritairement et


presqu’essentiellement les lois, ne sont pas une source importante du droit de la police
administrative avant l’indépendance au Cameroun. Tout au contraire, leur impact est
particulièrement insignifiant, du moins par rapport aux autres sources, et notamment la
source réglementaire. La loi, entendue ici au sens formel, joue donc un rôle mineur en
matière de police administrative. Cette considération est essentielle tant en ce qui
concerne la loi française que pour ce qui est de la « loi camerounaise ». La première est
appliquée de manière conditionnée, la seconde est édictée de manière limitée en matière
de police administrative.

1 – Une application conditionnée de la loi française

Cela est maintenant établi en doctrine467. Bien que la domination politique


française ait été incontestable sur le Cameroun, laquelle était doublée d’une domination

467
Voir les travaux de monsieur le Doyen Magloire ONDOA déjà cités.

138
juridique468, le droit français n’était pas automatiquement ou systématiquement
applicable au Cameroun. On le sait, il était soumis à plusieurs conditions, dont l’une des
plus importantes était tirée du principe de la spécialité législative469. Cette condition, de
nature formelle, ou si l’on veut procédurale, cachait en fait une condition beaucoup plus
substantielle. En effet, sous couvert de conditionner formellement l’applicabilité des lois
françaises sur le Territoire camerounais à leur publication préalable dans ce dernier, l’on
établissait en fait une démarcation substantielle entre le droit français et le droit
camerounais, puisque la précaution contenue dans le principe de la spécialité législative
avait pour objectif de s’assurer que la règle juridique à exporter correspondait aux
réalités du Territoire470.

468
Les mandats français sur le Cameroun et le Togo, adoptés, le 20 juillet 1922, par le Conseil de la Société
des Nations, ont stipulé, en effet, que « ces contrées seraient administrées selon la législation de la puissance
mandataire, comme partie intégrante de son territoire ».
469
Principe posé par plusieurs textes français, de nature constitutionnelle ou législative, et même
réglementaire, et rappelé à souhait par les diverses autorités publiques françaises. A titre illustratif, une
dépêche du 20 juillet 1910 du ministre des colonies au Gouverneur de la côte française des Somalis au sujet de
la législation applicable dans la colonie (Principes applicables dans toute l’union française) énonce ce qui suit :
« Toutes ces dispositions sont la conséquence de cette constatation qu’une législation applicable aux
européens s’impose dans une colonie nouvellement acquise le jour même de l’établissement des premiers
colons ; qu’on ne saurait improviser en quelques jours une législation spéciale, que, d’ailleurs, les citoyens
de la mère patrie qui fondent la nouvelle colonie, emportent avec eux leurs droits. Ceci est historiquement et
juridiquement exact (voir sur ce point, les nombreux arrêts rendus par la Cour de Cassation en ce qui
concerne l’Algérie, notamment l’arrêt du 17 avril 1863). (…). En résumé, sous réserve des règles de droit
public applicables à toutes les colonies, la Côte des Somalis y comprise, la législation de la possession placée
sous notre autorité comprend : 1° L’ensemble de la législation en vigueur en France au 2 septembre 1887 ;
2° Les lois et décrets dûment promulgués par arrêtés locaux dont elle a fait l’objet depuis cette date.
Ceci posé, dans quel sens doivent être dirigés, en matière de législation, les efforts de votre administration,
chargée de préparer et de me soumettre des propositions, et de mon département ? Ils me paraissent devoir
avoir pour but de substituer progressivement à une législation faite pour la métropole imposée par nécessité
à la colonie et forcément défectueuse, une législation adaptée à ces besoins. Les décrets du 6 juillet 1899, 4
août 1901 et 19 mars 1905 sur les mines, du 1 er mars 1909 sur le régime foncier, peuvent être cités comme
exemple de cette préoccupation. (…) Ainsi, au lieu d’être une combinaison parfois inextricable de
dispositions spéciales et d’emprunts aux lois métropolitaines, ce qui est aujourd’hui le caractère commun
des législations de nos diverses colonies, la législation de la Côte des Somalis pourrait arriver à présenter
l’aspect d’un tout homogène. J’ajouterai même que, étant destiné à un pays neuf, cette législation pourrait
sur bien des points, devancer les progrès de la législation métropolitaine et favoriser par sa simplicité et son
caractère, l’évolution économique de la colonie ».
470
Dans cet ordre d’idées, l’exposé des motifs de l’ Arrêté du 12 juillet 1924 promulguant le décret du 22 mai
1924 rendant exécutoires dans les territoires du Cameroun placé sous le mandat de la France les lois et décrets
promulgués en Afrique Equatoriale Française antérieurement au 1 er janvier 1924 (J.O.C., du 15 juillet 1924, p.
331) énonce que : « la législation applicable au Togo et au Cameroun est constituée, en dehors des textes qui
ont fait l’objet d’une promulgation spéciale dans ces territoires, par la législation antérieure à notre
occupation que la Convention de la Haye du 18 octobre 1907 nous a contraint de maintenir en principe.
Il conviendrait, me semble-t-il, de mettre un terme à cette situation anormale. Les mandats français sur le
Cameroun et le Togo, adoptés, le 20 juillet 1922, par le Conseil de la Société des Nations, ont stipulé, en
effet, que « ces contrées seraient administrées selon la législation de la puissance mandataire, comme partie
intégrante de son territoire ». Toutefois, il ne peut être question d’étendre aux pays dont il s’agit la
législation métropolitaine. Les textes en vigueur dans les colonies voisines sont incontestablement mieux
appropriés à ces territoires, qui présentent avec elles certaines analogies au point de vue des mœurs et des
institutions locales ».

139
Mais au-delà de cette subtilité, il est important de noter la place essentielle de la
loi, entendue au sens organico-formel, dans ce dispositif de sélection des normes
applicables outre-mer. Celle-ci est centrale, puisque à cette période le principe de la
souveraineté de la loi est encore très prégnant dans le droit public français. Au regard de
ceci, la source juridique la plus touchée par le principe de la spécialité législative ne
pouvait être que la source législative. Autrement dit, bien que ce principe ait concerné le
droit en général, il s’appliquait d’abord à la loi prise au sens strict. Par ce mécanisme
donc, l’application des lois de police françaises sur le Territoire du Cameroun s’y
trouvait conditionnée par leur publication. Du coup, la source législative du droit de la
police administrative au Cameroun s’en trouvait marginalisée. Ainsi par exemple, la
fameuse loi municipale de 1884 ne sera jamais appliquée dans son intégralité sur le
Territoire471. Juste certaines de ses dispositions y seront étendues, moyennant au passage
une mutilation de cette dernière au contact des réalités tropicales.

2 – Une contribution infime de la " loi " Camerounaise

Au regard du caractère conditionnel dont souffre l’application de la loi française


sur le territoire du Cameroun avant l’indépendance et eu égard aux effets que cette
situation a en terme d’amoindrissement de la source législative du droit de la police
administrative, on aurait pu s’attendre à ce que la « loi camerounaise » combla ce
déficit. Mais rien n’en est, puisqu’à l’analyse, la « loi camerounaise » n’a pu avoir,
avant l’indépendance, qu’une contribution infime dans l’édiction du droit de la police
administrative. Ce constat peut s’expliquer par plusieurs raisons. La première est liée à
ce qu’il peut y avoir d’abus à employer l’expression même de la loi camerounaise. En
effet, peut-on soutenir l’idée d’un pays non indépendant mais susceptible d’édicter des
lois472 ? Cependant, quelques prémisses législatives pouvaient être identifiées à travers

471
Elle y fit en effet l’objet d’une publication « choisie », c’est-à-dire en certaines seulement de ses parties.
472
L’hypothèse est difficilement soutenable, surtout si l’on met en avant la théorie normativiste de
l’identification, de la confusion ou si l’on veut de l’assimilation de l’Etat au droit. En l’absence d’un Etat donc,
point de droit aux termes de cette théorie. L’idée ne pourrait avoir de sens que dans le cadre des théories qui
dissocient les phénomènes d’Etat et de droit, surtout celles qui envisagent l’hypothèse d’un droit précédant
l’Etat, à savoir, la théorie du droit spontané. Deux autres théories pourraient justifier l’idée de l’existence d’un
droit sans Etat, à savoir la théorie du droit naturel qui situe le droit au dessus de l’Etat, et la théorie du droit
objectif incarnée par Duguit, qui situe le droit à l’extérieur de l’Etat, dans ce qu’il appelle la solidarité
sociale472. Mais il faut dire qu’aucune de ces théories ne sera retenue ici, pour la simple raison que la méthode
choisie dans le cadre de l’étude est celle purement juridique, qui perçoit le droit comme un phénomène
indissociable de l’Etat. Conformément donc à cette école du droit, on ne saurait parler de loi au Cameroun

140
l’existence d’une assemblée locale chargée de « légiférer » sur des matières bien
précises, et d’adopter des actes que l’on peut considérer comme des embryons de lois
camerounaises. Ces assemblées ont successivement eu pour nom : ARCAM (Assemblée
Représentative du Cameroun)473, ATCAM (Assemblée Territoriale du Cameroun)474 et
ALCAM (Assemblée Législative du Cameroun) 475. Mais, même en qualifiant
l’assemblée locale ici de législative, il est théoriquement difficile d’attribuer aux actes
pris par ces assemblées successives la nature de loi en raison de l’absence de
souveraineté. C’est donc uniquement par commodité de langage que l’expression « loi
camerounaise » est employée à ce stade, révélant par cette incertitude même sur la
notion et même l’institution de la loi une contribution insignifiante de cette source du
droit locale à l’édiction du droit de la police administrative.

La deuxième raison du caractère infime de la contribution de la loi camerounaise


à l’édiction du droit de la police administrative tient au fait que, lors même que l’on
analyse les compétences dévolues à ces assemblées successives, les matières de police y
sont quasiment absentes, et ceci pour une raison simple : le maintien de l’ordre est une
question très importante, la base même de la mission coloniale, pour que l’on puisse le
confier à une institution locale, qui de surcroit n’est qu’à son état embryonnaire et
balbutiant. Le maintien de l’ordre fait donc partie du domaine réservé du gouvernement
français, compétence qu’il exerce d’ailleurs sans partage. Cette soustraction des matières
de police du domaine de compétence des assemblées camerounaises va toutefois aller en

avant l’indépendance, puisque le pays n’avait pas encore la pleine capacité à s’administrer, s’autogouverner, ou
si l’on veut à se donner un droit. Le Cameroun n’était pas souverain.
473
Voir le décret n°46-2376 du 25 octobre 1946 portant création d’une assemblée représentative au Cameroun
(J.O.C., du 15 novembre 1946, p. 1302), décret promulgué par l’arrêté n°2679 du 20 novembre 1945 (J.O.C.,
du 15 décembre 1945, p. 865), dont l’article 1 er dispose : « il est institué au Cameroun une Assemblée
représentative territoriale portant la dénomination d’assemblée représentative, chargée de la gestion des
intérêts propres du territoire. Son siège est au Chef lieu du territoire ».
474
Voir la Loi n°92-130 du 6 février 1952 relative à la formation des assemblées de groupe et des assemblées
locales d’Afrique occidentale française et du Togo, d’Afrique équatoriale française et du Cameroun et de
Madagascar (JOC, 13 février 1952, pp. 188-191), dont l’article 1er dispose : « Il est institué dans les territoires
africains de la France d’outre-mer, à l’exception de la Côte française des Somalis, des assemblées locales
qui se substituent aux assemblées créées par les décrets du 25 octobre 1946 et par la loi du 31 mars 1948
instituant le Conseil général de la Haute-Volta. Ces assemblées portent le nom de : Assemblées territoriales
en Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale française, au Cameroun et au Togo ». Cette
assemblée sera dissoute par le décret n°56-1113 du 8 novembre 1956 portant dissolution de l’Assemblée
territoriale du Cameroun (J.O.R.F., du 9 novembre 1956, p. 10729), promulgué au Cameroun par un arrêté
n°7488 du 13 novembre 1956 (J.O.C., du 21 novembre 1956, p. 1947).
475
Voir le décret n°57-501 du 16 avril 1957 portant statut du Cameroun (J.O.C., 9 mai 1957, pp. 655-660), qui,
en son article 55, dispose : « L’assemblée territoriale en fonction deviendra l’Assemblée législative dès
l’entrée en vigueur du présent statut du Cameroun ».

141
se relativisant, à mesure que le territoire va évoluer vers une certaine autonomie, et donc
vers l’indépendance. A l’époque de l’ARCAM, les compétences de police de
l’assemblée camerounaise sont nulles. La raison en est simple : cette assemblée est la
toute première du Cameroun sous tutelle, et son rôle est donc purement consultatif. Il
s’agit surtout d’aider les autorités coloniales françaises à bien exercer leurs missions, en
leur donnant toutes les informations de toutes natures susceptibles de les y aider. Le
pouvoir législatif de cette assemblée en matière de police est donc tout simplement
nul476.

La mutation de cette assemblée représentative en Assemblée Territoriale n’aura


pas une grande conséquence sur l’état de la situation, puisque la réforme a surtout pour
but de régler les questions de représentativité auprès de cette instance. La possibilité de
voir édicter des lois camerounaises en matière de police reste donc encore quasi nulle,
même si l’on commence à voir, à travers l’évolution des compétences de cette
assemblée, l’amorce d’une reconnaissance à cet organe, de compétences ayant un lien
bien qu’indirect avec le maintien de l’ordre public477. Cette évolution sera confirmée
avec la transformation de l’ATCAM en ALCAM. La terminologie employée dans le
cadre de cette transformation par le décret N° 57-501 du 16 Avril 1957 n’est pas du tout
neutre. Le qualificatif « législatif » ici, en mettant l’accent sur la nature de l’organe,
qualifie également la nature des actes que celui-ci sera emmené à prendre. Ceci est
d’ailleurs confirmé par l’article 11 de ce texte qui dispose que « l’Assemblée législative
du Cameroun a le pouvoir législatif ». Le doute semble donc balayé, du moins au plan
formel, sur la nature des actes que l’ALCAM sera emmené à prendre : il s’agit
incontestablement de lois. D’ailleurs, l’article 13 de ce même texte, comme pour
confirmer cette analyse, dispose clairement : « dans les matières relevant des

476
Et ce, malgré le fait que dans sa structure interne, elle s’aménage de telle sorte qu’elle puisse travailler
comme une véritable assemblée légiférante. Ainsi, aux termes de l’article 5 de son règlement intérieur en date
du 15 avril 1948 (JOC, 1951, pp. 11-13) on peut noter l’ « existence de 4 commissions (en plus d’une
commission chargée du budget, voir article 4) dont l’une est chargée d’étudier 1° l’organisation administrative
du territoire ; 2° l’organisation des cadres locaux ; 3° l’organisation judiciaire ; 4° la règlementation en matière
pénale ou comportant des peines supérieures à celles de simple police. Quand à une autre des quatre
commissions, elle est chargée d’étudier les propositions relatives aux questions sociales, régime du travail,
santé, instruction publique, état civil des personnes »
477
A titre d’exemple, l’article 37 du décret de 1945 qui créé les assemblées représentatives dispose :
« l’Assemblée représentative est obligatoirement consultée, à l’exception des décisions individuelles, sur
toutes mesures d’ordre général placées aux termes de la législation en vigueur au Cameroun dans la
compétence réglementaire du gouverneur et dans la limite de cette compétence qui intéresse (…) 3°
l’organisation administrative de la colonie ; 4° l’organisation judiciaire ; 5° la réglementation en matière
pénale ou comportant des peines supérieures à celles de simple police ».

142
compétences propres de l’Etat sous tutelle du Cameroun, l’Assemblée législative vote
seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit ». Quant aux articles 15 et 16, ils emploient
clairement l’expression « lois camerounaises ». Toutefois, si cette instance peut déjà
édicter des lois en bonne et due forme, les compétences en matière de police restent
toujours insignifiantes. Elles ont bien sur évolué par rapport à celles de ses devancières,
mais par rapport à celles des autorités françaises, elles sont sans comparaison. Ainsi,
l’ALCAM est compétente en matière d’hygiène et de santé478, d’eaux et forêts, de
chasses et de pêche479, d’urbanisme480. Elle « peut assortir les lois camerounaises de
peines correctionnelles ou de simple police481 ». Là s’arrêtent ses compétences en
matière de police. Tous les autres reviennent aux organes français. Par exemple l’article
14 dispose en substance que « relèvent limitativement des organes centraux de la
république française la législation et la réglementation relatives : au régime des
libertés publiques ». Si l’on tient compte de l’interpénétration qui existe entre les
matières d’ordre et celles des libertés, il n’est pas excessif de dire que l’essentiel des
questions relatives à la police administrative restent de la compétence des autorités
françaises.

Dans tous les cas, cette disproportion entre compétences françaises et


compétences camerounaises au profit des premières en matière de police administrative
confirme l’idée d’une contribution infime de la loi camerounaise à l’édiction du droit
relatif à cette matière. La source législative du droit de la police administrative se trouve
donc ici marginalisé en raison du faible rôle joué par la loi en la matière, faiblesse qui
tranche en la matière avec la prépondérance des actes des autorités exécutives.

B – Le rôle majeur des actes règlementaires

L’essentiel du droit de la police administrative est constitué par des actes des
autorités exécutives, et principalement par des sources réglementaires. S’il est un truisme
de dire, conformément à un point de vue unanimement soutenu en doctrine, que la
fonction de police fait partie des fonctions traditionnelles et même naturelles de

478
Art. 11 (13°) du décret de 1957.
479
Art. 11 (18°) Idem.
480
Art. 11 (19°), Ibid.
481
Art. 16, Ibid.

143
l’exécutif482, le phénomène ici décrit va bien au-delà de cette réalité. En effet, au-delà de
la compétence traditionnelle reconnue à l’exécutif ici, il apparait comme une extrême
prépondérance des actes réglementaires en la matière, tranchant avec la taciturnité
législative décrite ci-haut. Ce caractère dominant des sources réglementaires du droit de
la police, s’il peut se justifier par la recherche d’une certaine célérité dans l’édiction des
normes, détient quand même le tort de marginaliser une source à priori plus libérale et
démocratique, à savoir la source législative. En révélant un droit de la police
administrative à dominance réglementaire, du moins dans cette phase pré-indépendance,
le Cameroun manifeste une certaine allégeance à l’autoritarisme, schématiquement
accolé aux actes unilatéraux, et à fortiori de police. En la matière, la mise à l’écart des
autorités exécutives camerounaises consacre une intervention exclusive des autorités
françaises, qu’elles soient centrales ou locales.

1 – Les sources réglementaires centrales françaises

En l’absence d’autorités exécutives camerounaises, l’essentiel, ou plus


exactement la totalité des sources réglementaires de la police administrative sont
d’origine française, au sens purement géographique du terme. Autrement dit, le droit de
la police administrative applicable au Cameroun avant l’indépendance est d’abord édicté
par les autorités exécutives centrales françaises. Il s’agit particulièrement du Président du
Conseil ou du Président de la République française, selon les époques de la 3e, 4e ou 5e
République, du Ministre de la guerre ou du Ministre des colonies, en fonction du fait que
l’on se trouve en période des hostilités ou non, et dans une certaine mesure du Premier
Ministre Français, ou une mesure encore moindre le Ministre de l’Intérieur483.

Le pouvoir réglementaire de ces autorités au sein des colonies est d’une


importance particulière en raison du caractère lui aussi particulier des territoires d’outre

482
Selon le Professeur Dominique MAILLARD DESGREES Du LOÛ en effet, (Thèse, op cit., p. 5), « la
police générale est cette police qui ressortit naturellement à la compétence des autorités exécutives, car il
n’est pas de vie sociale harmonieuse possible ni d’usage paisible de la liberté sans ordre public. Il y a, en
effet, une nécessité de l’ordre public qui impose la fonction de (…) et suppose des organes pour l’exercer.
Les nécessités les plus pressantes sont confiées à la vigilance des organes exécutifs car ce sont les mieux
adaptés à l’exercice quotidien de la fonction ». Pierre-Henry TEITGEN affirmait quand à lui dans le même
sens que « la police fait essentiellement partie de la compétence naturelle du pouvoir exécutif » (Thèse, op
cit., p. 1).
483
Ces diverses autorités interviennent selon des proportions quantitatives très variées, qu’il n’est pas
nécessaire de spécifier ici. Le plus important est de savoir que d’une manière ou d’une autre, elles
interviennent dans l’élaboration du droit de la police administrative applicable dans les territoires d’outre-mer,
auquel était assimilé le Cameroun, territoire sous mandat puis sous tutelle franco-britannique.

144
mer. En effet, lorsqu’il légifère avant la mise en place de l’union Française, le Parlement
français légifère d’abord pour la métropole. Les nécessités d’administration de l’outre
mer étant à cette époque incontournables, il devait y être pourvu au point de vue
juridique soit par extension du droit métropolitain dans l’outre-mer, soit par adaptation
de celui aux réalités de l’outre-mer. Or, par soucis de pragmatisme et surtout de célérité,
ces trois opérations ici évoquées se faisaient essentiellement au moyen d’actes
réglementaires, les autorités exécutives étant plus proches des questions d’administration
de l’outre-mer que celles législatives. Ainsi, le Président de la République et le Ministre
des colonies ou de l’outre-mer plus tard jouent-ils ici un rôle important.

S’agissant tout d’abord du Président de la République Française, son intervention


dans l’édiction du droit de la police administrative mérite d’être soulignée, car
s’inscrivant dans un paradoxe qui marque bien l’idée selon laquelle les sources
réglementaires de ce droit tendent à supplanter la source législative. L’on sait en effet
que jusqu’en 1958, date de l’avènement de la constitution de la 5e république, l’on vit
sous le règne de la souveraineté de la loi c'est-à-dire que jusque là, la loi est considérée
comme le démiurge des sources du droit, parce qu’elle est selon l’expression de Carré de
Malberg l’expression de la volonté générale484. Aucune autre source ne lui est supérieure
et toutes les autres sources doivent lui être conformes485. Le pouvoir réglementaire, s’il
existe à cette époque ne peut être qu’un pouvoir réglementaire d’application des lois486,
d’où le fait que ce pouvoir réglementaire est nécessairement soumis au pouvoir législatif.
En d’autres termes, le règlement est absolument soumis à la loi au moins théoriquement
jusqu’en 1958487. C’est à ce niveau donc que réside l’originalité du dispositif réellement

484
Selon cet auteur : « Le domaine de la loi, envisagée dans ses rapports avec le règlement, est illimité.
D’après les constitutions modernes, le Corps législatif élève à la supériorité de matière législative tout objet,
susceptible de réglementation, qu’il lui plait d’évoquer à lui, de traiter par lui-même et d’incorporer ainsi au
domaine de la législation statutaire. Dans l’Etat moderne, en effet, la loi a pour vraie fonction qui lui soit
exclusivement propre, de régir supérieurement l’activité des autorités administratives, et en particulier de
placer au dessus de la volonté de ces autorités et à l’abri de toute atteinte de leur part toutes les matières et
dispositions régulatrices touchant lesquelles le Corps législatif entend se réserver une compétence exclusive.
Toutes les fois que le Corps législatif veut atteindre ce résultat, il n’a qu’à s’emparer de la matière pour là
réglementer lui-même ». Cf. R. CARRE De MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat.
Spécialement d’après les données fournies par le droit français, Paris, Editions du CNRS, 1962, p. 351 ; voir
également du même auteur, La loi, expression de la volonté générale, Paris, Sirey, 1931.
485
La constitution de 1791, titre III, chapitre II, section 1 ère ne disposait-elle pas en son article 3 que « il n’y a
pas en France d’autorité supérieure à celle des lois. » ?
486
R. CARRE De MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat. Spécialement d’après les données
fournies par le droit français, op cit., p. 351 et s.
487
Date à laquelle à la faveur de l’adoption de la Constitution de la Cinquième République, l’on institue un
domaine réglementaire en lui assignant la compétence normative de droit commun.

145
appliqué, car malgré la supériorité formelle de la source législative du droit, vis-à-vis de
celle réglementaire, les nécessités d’administration des territoires d’outre-mer imposent
aux autorités particulièrement exécutives la nécessité de prendre des textes susceptibles
de régir la vie dans ces territoires. Or le droit ainsi édicté porte sur une réalité sociale
fondamentalement différente de celle de la métropole, de telle sorte que la loi Française,
prise au sens strict, ne peut que se trouver en porte à faux par rapport aux réalités de
l’outre mer, d’où l’intervention prioritaire du Président de la République française, chef
du pouvoir exécutif, aux fins de donner à ces territoires sous domination un droit
répondant à leurs besoins, lesquels n’étaient pas forcément satisfaits par la loi Française.
Concrètement donc, les autorités exécutives se trouvaient propulsées au rang d’autorités
normatives premières dans les colonies488. Leur proximité avec les questions de ces
dernières les y disposaient logiquement. Encore plus concrètement, cette place première
pouvait s’exprimer à travers la mise en place de dispositifs tels celui de la pratique des
décrets-lois donnant aux autorités exécutives le soin de légiférer assez rapidement pour
les colonies ou plus tard territoires d’outre-mer. Cette pratique des décrets lois est
particulièrement révélatrice du rôle joué par les autorités exécutives dans l’édiction du
droit de la police administrative. La consultation des textes en vigueur dans ces
territoires, particulièrement dans le Cameroun sous mandat et dans le Cameroun sous
tutelle révèle une importance considérable en terme tout au moins quantitatif, des
décrets-lois489.

Mais l’importance des sources réglementaires du droit de la police ne se réduit


pas à la pratique des décrets-lois. En effet, même au moyen des décrets originaires, il

488
Le Professeur Adolphe MINKOA SHE abonde dans ce sens lorsqu’il écrit que « s’agissant plus
précisément de la fonction législative, les autorités françaises détenaient le pouvoir absolu et c’est au seul
parlement français qu’incombait la tâche de légiférer pour le Cameroun. Mais on sait que dans la pratique,
le véritable législateur colonial était le gouvernement français. Celui-ci était représenté au Cameroun par
un commissaire de la République, qui avait notamment pour tâche de veiller à l’exécution des lois et des
décrets gouvernementaux. Le Commissaire de la République était un véritable satrape et décidait tout lui-
même, bien qu’il fût assisté d’un Conseil d’administration composé de fonctionnaires nommés par lui.
Mais, comme ce haut fonctionnaire relevait de l’autorité hiérarchique du ministère des colonies, c’est en
définitive à Paris que la politique appliquée au Cameroun était décidée ». Cf. Thèse précitée, p. 13, note en
fin de page.
489
Selon Bernard STIRN (B. STIRN, « Lois et règlements : le paradoxe du désordre », RDP 2006, pp. 129 et
s.), « Sous la IIIe République, la pratique, en marge des lois constitutionnelles, des décrets-lois avait traduit, à
partir de 1926 et surtout de 1930 à 1940, le déséquilibre institutionnel qui résultait de lois trop nombreuses,
trop détaillées, en même temps que de l'incapacité d'un Parlement sans majorité stable à prendre rapidement
des mesures notamment financières, économiques et sociales, souvent impopulaires mais imposées par les
circonstances. De plus en plus fréquents, reposant sur des délégations à l'objet toujours plus large, les décrets-
lois connaissent leur aboutissement extrême avec la loi du 10 juillet 1940 par laquelle le Parlement confère au
gouvernement du Maréchal Pétain tous les pouvoirs, y compris, cette fois, le pouvoir constituant ».

146
arrive qu’à l’analyse, le Président de la République Française aille, à l’occasion d’un
décret au-delà de la simple application de la loi, lorsqu’il réglemente la vie dans les
colonies. Cette application création490 du droit est d’ailleurs l’une des manifestations les
plus importantes des sources réglementaires du droit de la police administrative, car il ne
faut pas oublier que l’une des missions les plus essentielles des autorités mandataires
puis tutélaires est le maintien de l’ordre public. Il arrive même dans cette priorisation du
pouvoir réglementaire, que le décret soit expressément désigné par un texte supérieur,
législatif ou constitutionnel, pour être utilisé afin de régir certains domaines de la vie
coloniale, lorsque pour des raisons de stratégie coloniale, ou tout simplement de célérité,
le législateur ne peut y pourvoir lui-même491. Le texte supérieur charge alors le Président
de la République ou le Ministre des colonies de prendre les textes nécessaires pour régir
les domaines identifiés.

S’agissant ensuite du Ministre des colonies, transformé plus tard en Ministre de


l’outre mer, son action en matière d’édiction du droit de la police administrative est non
négligeable. Il intervient au moyen de décrets ou d’arrêtés prioritairement pour appliquer
les textes législatifs ou réglementaires de sa hiérarchie, mais aussi accessoirement et non
pas toujours négligemment, pour exercer des compétences qui lui sont reconnues en
propre. Il est donc chargé prioritairement de mettre en application les décrets
présidentiels dans son domaine de compétence. Mais d’un point de vue technique, le
Ministre des colonies rempli un rôle consultatif qui est considérable. Il exerce donc la
tâche précieuse d’aide à la décision. Il semble même à l’analyse, que ce soit là son rôle
principal en matière légistique. Ainsi, c’est le ministre des colonies ou plus tard le
Ministre de l’outre mer qui, grâce à sa fine connaissance de ces territoires et avec le
concours des experts dont il dispose dans ses services, initie la plupart des textes qui
seront signés soit par le Président de la République Française sous forme de décrets ou

490
P. E. ABANE ENGOLO, L’application de la légalité par l’administration camerounaise, Thèse, op cit., pp.
264 et s.
491
Il arrive même qu’un décret modifie une loi, dans un mépris total du respect de la hiérarchie des normes. A
titre illustratif, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse fut modifiée par décret, notamment le décret
du 21 avril 1939, modifiant les articles 32, 33 et 60 et rendu applicable au Togo et au Cameroun par un décret
du 12 mai 1939 (voir J.O.C., 15 juin 1939, pp. 534-536). Si la modification de cette loi par un simple décret
peut trouver une explication dans le contexte de guerre qui caractérise le début de cette année 1939, il ne se
justifie pas pour autant, surtout que l’on ne situe qu’au début des hostilités, et l’on ne peut pas dire qu’à ce
moment précis, les institutions de la République aient été troublées dans leur fonctionnement.

147
d’arrêtés pour la plupart, soit votés sous forme de lois par le parlement pour certains492.
En proposant à chaque fois le projet de texte à l’autorité compétente, il le fait précéder
presque systématiquement d’un rapport fait à cette autorité, rapport qui s’analyse en un
véritable exposé des motifs, expliquant et présentant de manière claire la ratio légis du
texte. Les recherches en la matière montrent que dans la quasi-totalité des cas, ses vues
se sont vues entérinées par l’autorité normative compétente, consacrant implicitement
une forme d’avis conforme dont pourraient tenir lieu les projets de textes initiés par cette
autorité.

La considération simultanée ou si l’on veut combinée des interventions du


Président de la République Française et du Ministre des colonies ou de l’outre mer laisse
entrevoir une certaine complémentarité entre ces deux autorités, et même une véritable
symbiose. Elles semblent constituer un chœur chantant à l’unisson le chant du droit de la
police administrative dans les territoires sous domination, au grand dam parfois du chant
du parlement.

S’agissant enfin des autres autorités exécutives intervenant peu ou prou dans
l’édiction du droit de la police administrative, leurs actes, par leur multiplicité d’origines
et leur diversité de domaines, contribue à enrichir la quantité des actes réglementaires493,
ou plutôt des sources réglementaires de ce droit au Cameroun, confortant l’idée selon
laquelle celles-ci prennent généralement le pas, en cette période pré indépendance, sur la
source législative.

Au total, l’importance de ces sources réglementaires, si elle prend


géographiquement racine au sein même de la métropole, n’en appelle pas moins un
complément ou une symétrie de la part des sources purement locales.

492
Ce rôle consultatif et technique joué le ministre des colonies ou plus tard de l’outre-mer se fait en respect
des principes de législatif en la matière. Une circulaire ministérielle du 20 juin 1911 intitulée projets de lois et
de décrets applicables aux colonies est illustrative à cet effet. Il y est énoncé que « D’une façon générale, le
principe de la spécialité de la législation coloniale a été posé par les différents actes organiques qui régissent
nos établissements d’outre-mer, et consacré par une jurisprudence constante. En fait, l’application aux
colonies d’actes métropolitains avec ou sans modalités peut entrainer, suivant le cas, des conséquences
graves dont le ministre des colonies demeure seul responsable. Enfin, je viens de réorganiser
l’administration centrale de mon département sur des bases nouvelles et dans des conditions telles qu’il doit
être désormais plus facile d’approprier à chaque colonie la législation qui lui convient ».
493
Pour se faire une idée édifiante de l’importance tant quantitative que qualitative de la source réglementaire
du droit de la police administrative à cette période, bien vouloir se reporter à l’index des textes cités figurant à
la fin de cette étude.

148
2 – Les sources réglementaires locales Françaises

Elles sont ainsi caractérisées car elles désignent les représentants du pouvoir
Français au plan local : il s’agit prioritairement des chefs de territoires, et accessoirement
de toutes les autorités chargées de les assister dans leurs tâches multiples,
particulièrement celles en rapport avec le maintien de l’ordre public. Ces sources
réglementaires locales se distinguent par le fait qu’elles ne sont concurrencées par
aucune autre source, même législative, car comme il a été démontré plus haut, du moins
jusqu’à l’autonomie interne élargie, la source législative est restée longtemps asséchée
avant l’indépendance, du fait de l’absence de souveraineté. La source réglementaire peut
alors déployer toute sa fécondité et en quelque sorte régner en solitaire, car en plus tenue
uniquement par des autorités Françaises. Parmi ces autorités, la plus haute, celle qui tient
en quelque sorte le flambeau en matière d’édiction du droit de la police administrative,
c’est le Haut Commissaire de la France au Cameroun. Aux termes du décret du 23 Mars
1921 déterminant les attributions du Commissaire de la République Française dans les
territoires du Cameroun, précisément en son article 2, « Le Commissaire de la
République est le dépositaire des pouvoirs de la République. Tous les services civils
relèvent de son autorité. Il exerce à l’égard des services militaires les pouvoirs
conférés aux gouverneurs des colonies autonomes, il correspond seul avec le
Gouverneur. Il détermine les circonscriptions administratives et prend des mesures
nécessaires pour assurer leur développement et leur organisation 494 ». En tant que
dépositaires des pouvoirs de la République et chef de tous les services civils se trouvant
sur son territoire, le Haut Commissaire a donc la possibilité, ou si l’on veut le pouvoir de
prendre tous les actes nécessités par le maintien de l’ordre public. Il apparait alors
comme l’autorité locale suprême en matière de police administrative. Il peut, à cet égard,
non seulement édicter des mesures qui vont réglementer la vie des habitants du territoire
au regard des exigences de l’ordre public, mais aussi organiser et gérer les services
administratifs susceptibles de l’aider dans l’accomplissement de ces tâches de police
administrative. En la matière, sans encadrer ses pouvoirs, la législation lui accorde une
habilitation implicite des plus générales, c'est-à-dire que ses pouvoirs de police
administrative ne sont pas formellement définis, ce qui lui laisse une très large marge de
manœuvre dans l’accomplissement de cette mission. Tout au plus peut-on observer de

494
J.O.C., 1er juin 1921, pp. 88-89.

149
temps à autre un texte lui octroyant certaines prérogatives, mais là encore, à l’analyse, il
s’agit pour l’essentiel de prérogatives généralement exorbitantes. Par exemple, dans le
décret n° 45-889 du 03 Mai 1945 relatif au pouvoir de police des gouverneurs généraux,
gouverneurs, résidents supérieurs et chef de territoire, il est spécifié à l’article 1 er que :
« dans les colonies relevant du ministère des colonies autres que les Antilles et la
Réunion, les fait prévus par les règlements de police émanés de l’autorité locale sont
considérés comme contravention de simple police et puni des même peines.
Néanmoins, les gouverneurs généraux, gouverneurs, résidents supérieurs et chefs de
territoires ont le droit, pour régler les matières d’administration et pour l’exécution
des lois, décrets et règlements promulgués dans les groupes de colonies, colonies,
protectorat ou territoires, de prendre des arrêtés avec pouvoir de les sanctionner de
quinze jours de prison et 1 200 francs d’amende au maximum ». Il s’agit là de la
consécration d’une prérogative particulièrement exorbitante au profit du Haut
Commissaire, laquelle lui permet de sanctionner durement certaines atteintes aux règles
de police495. Ces pouvoirs vont d’ailleurs aller en s’accroissant, ceci en dépit de
l’évolution politique du Cameroun vers une autonomie interne renforcée. Le décret n°
57-501 di 16 Avril 1957 portant statut du Cameroun est parfaitement révélateur de cette
réalité, de même d’ailleurs que l’ordonnance n° 58-1375 du 30 Décembre 1958 portant
elle aussi statut du Cameroun.

Le premier texte érige le Haut Commissaire de la République Française au


Cameroun en véritable alpha et oméga de la police administrative dans l’Etat sous tutelle

495
On peut ainsi voir se développer déjà à cette époque une conception particulière du principe de la légalité
des délits et des peines, laquelle plutôt que de faire prévaloir la loi dans la détermination des infractions et des
sanctions pénales fait primer plutôt le pouvoir réglementaire en la matière. Même si ce principe ne signifie pas
forcément que l’on doive l’entendre comme impliquant la loi au sens strict, la compétence ici du Haut-
commissaire sur une question aussi importante ne peut qu’entériner l’importance du pouvoir réglementaire en
ce domaine. Un arrêté du 25 janvier 1946 prévoyant des peines de simple police (J.O.C., du 1 er février 1946, p.
171) est d’ailleurs illustratif à cet égard. Il dispose que « Tous actes, paroles, gestes, manœuvres quelconques,
toute dissimulation ou tentative de dissimulation d’identité, toutes abstentions volontaires susceptibles de
constituer une opposition à l’autorité légitime d’un chef de région administrative, d’un chef de subdivision ou
d’un chef de poste administratif, et, par la d’atteindre l’ordre public ou d’entraver la bonne marche du service
seront punis des peines prévues par l’article 1er alinéa 2 du décret du 3 mai 1945, la peine de prison n’étant
applicable qu’en cas de récidive ». Et même si, consulté sur la question de savoir si les gouverneurs généraux,
les gouverneurs, les résidents supérieurs et chefs de territoire pouvaient, en matière de police, prévoir des
peines de 15 jours de prison et de 1200 francs d’amende pour sanctionner les règlements de police émanés de
l’autorité locale, le Conseil d’Etat par un avis du 15 novembre 1949 répond par la négative, estimant que les
pouvoirs reconnus à ces autorités d’ériger des sanctions, conformément a l’article 1 er du décret du 3 mai 1945,
reprenant lui-même l’article 3 de la loi du 8 janvier 1877, ne portent que sur les matières d’administration et
pour l’exécution des lois, puisque ces pouvoirs sont définis distinctivement et limitativement, cela n’empêcha
pas cette réglementation du Haut-commissaire de continuer d’être appliquée..

150
du Cameroun. Son article 40 dispose que : « Le Haut Commissaire assure la défense et
la sécurité extérieures du Cameroun dans le cadre des lois et règlements en vigueur ;
(…). Il reçoit du premier Ministre les renseignements intéressant la mise en œuvre de
la défense et notamment la protection civile ». L’article 41 est plus précis sur les
pouvoirs du Haut-commissaire en matière de police administrative. Il énonce :
« conformément à l’accord de tutelle, le Haut Commissaire a la responsabilité de
l’ordre public et assure la sécurité des personnes et des biens. Il dispose des services de
sureté et de sécurité, de la gendarmerie stationnée sur le territoire ». Cette compétence
de police administrative reconnue au Haut-commissaire l’érige ipso facto en source
principale du droit de la police administrative au plan local. Même si son pouvoir en la
matière n’est pas initial, en raison des autorités hiérarchiques qu’il a au dessus de lui à
savoir le Président de la République Française et le Ministre des colonies, son statue de
chef du territoire lui donne des possibilités stratégiques lui permettant d’innover dans
l’application des règles édictée par ses supérieurs, mais également, la particularité des
questions qu’il est appelé à traiter localement lui donne une certaine légitimité à édicter
des règles très souvent ne pouvant être endossée par la réglementation de ses supérieurs.
C’est là la véritable originalité de sa fonction d’autorité édictrice des règles de police
administrative. Cet originalité se justifie par le fait que les territoires à maintenir dans la
paix et la sécurité étant très souvent marqués du sceau de la complexité, il est laissé une
marge de manœuvre très grande aux autorités locales, dont principalement le Haut
Commissaire. Son pouvoir en la matière s’exprime au moyen d’arrêtés, de décisions ou
même parfois de circulaires496, d’instructions497 et de directives. Il peut s’agir de
règlement généraux en matière d’hygiène498, de sécurité499, de salubrité500, de santé501 ou

496
Circulaire du 20 mars 1917 relative à l’hygiène coloniale et à la ségrégation (J.O.T.O.A.C., 1 er avril 1917, p.
39). Aux termes de cette circulaire, « le premier souci de l’européen aux colonies doit être de protéger sa
santé contre les diverses maladies, rares ou inconnues en Europe, qui sévissent sur les populations
indigènes. Beaucoup de ces maladies demandent des moyens de défense spéciaux ; toutes exigent une
mesure commune : la ségrégation ».
497
Par exemple, instructions relatives à la lutte contre les moustiques (J.O.T.O.A.C., 1 er décembre 1917, p.
190)
498
Arrêté du 1er décembre 1916 instituant u service d’hygiène dans les centres européens et dans les escales des
territoires occupés de l’ancien Cameroun (J.O.T.O.A.C., 1 er février 1917, p. 13) ; arrêté du 25 février 1933
réglementant le service d’hygiène de la ville de Douala (JOC, mars 1933, pp. 144-147) ; arrêté fixant les règles
générales d’hygiène et de salubrité publique à appliquer dans le territoire du Cameroun sous mandat français
(JOC, n°422, 15 octobre 1937, pp. 860-868).
499
Arrêté n°6677 du 5 octobre 1956 fixant les mesures particulières d’hygiène et de sécurité applicables dans
les établissements dont le personnel est exposé à l’intoxication benzénique (J.O.C.F., 17 octobre 1956, pp.
1806-1809).
500
Arrêté du 28 novembre 1933 sur la salubrité et la sécurité publiques (J.O.C., décembre 1933, p. 721)

151
même de tranquillité, concernant soit l’ensemble du territoire, soit une circonscription à
l’intérieur de celui-ci, soit de mesure individuelle ou individualisée concernant certains
individus ou une catégories d’individu.

Le second texte cité, s’il marque une progressive cession du pouvoir normatif en
matière de police au premier Ministre du jeune Etat sous tutelle du Cameroun502, n’en
révèle pas moins le maintien important de la main mise du Haut Commissaire sur
l’exercice de cette fonction503. Quoiqu’il en soit, il s’agit dune manifestation de
l’importance de la source réglementaire du droit de la police administrative au Cameroun
avant l’indépendance, faisant par là même de la source législative de ce droit, une source
marginalisée. Cette tendance sera poursuivie après l’indépendance.

II - UNE SOURCE DELAISSEE APRES L’INDEPENDANCE

On aurait pu croire qu’une fois l’indépendance acquise, une fois l’Etat pleinement
souverain, c'est-à-dire capable de faire lui-même sa loi, cette dernière serait le mode de
jurislation principal, la principale source du droit national. Si l’étroitesse de l’étude ne
permet pas de dire ce qu’il en est dans tous les champs du droit public, il est tout de
même possible d’affirmer que dans le domaine de la police administrative, cette source,
la source législative, sera délaissée pendant les décennies consécutives à l’indépendance.
Elle ne sera pas inexistante, mais elle sera très faiblement mobilisée par les autorités
normatives, en tant que mode de jurislation principal au sein de l’Etat. La loi ne jouit pas
alors d’un prestige, d’une estime ou d’une considération comparable à celle qu’elle avait
en France dès la Révolution. Elle est plutôt une source banale et banalisée, sans
considération particulière au sein de l’ordre juridique. La source législative du droit de la
police administrative s’avère délaissée au moyen de deux phénomènes remarquablement
501
Arrêté du 16 novembre 1916 portant réglementation du service médical (J.O.T.O.A.C., 1 er décembre 1916,
p. 16) ; arrêté concernant les mesures à prendre pour prévenir et faire cesser les maladies épidémiques
(J.O.T.O.A.C., 1er avril 1917, p. 200).
502
Selon l’article 16 in fine de ce texte en effet, c’est désormais le Premier ministre qui a la responsabilité de
l’ordre de l’ordre public et qui assure la sécurité des personnes et des biens.
503
En raison du fait que s’agissant des pouvoirs les plus importants, le Premier ministre les exerce
conjointement avec le Haut-commissaire. C’est ainsi qu’aux termes de l’article 25 de ce texte, « en cas de
troubles à main armée, de présomptions graves indiquant l’éventualité de tels troubles, ou de guerre
étrangère, le Haut-commissaire et le Premier ministre peuvent prendre un arrêté conjoint proclamant l’état
d’exception. L’initiative de cette procédure appartient au haut commissaire ou au Premier ministre en
conseil des ministres. En cas de désaccord ou d’empêchement absolu de l’une ou de l’autre des parties, le
Gouvernement français peut être saisi par le Haut-commissaire ou le Premier ministre aux fins de
proclamer l’état d’exception ».

152
liés, à savoir une répartition des compétences en faveur du règlement, source du droit
concurrente, et surtout une prédilection des autorités normatives ou si l’on veut du
système juridique pour le choix de la législation par ordonnance.

A – Une répartition des compétences en faveur du règlement

Le Cameroun, dès son indépendance, a fait sien une des techniques essentielles
du systême juridique Français de la Cinquième République, à savoir la répartition
constitutionnelle des compétences entre la loi et le règlement504. Cette répartition
consiste en une sorte de répartition des tâches, en une assignation de domaines respectifs
à la loi et au règlement, consacrant par là même une forme d’équilibre (ou d’égalité ?)
tout au moins matérielle entre ces deux sources du droit. Technique de la Cinquième
République, elle est historiquement et quasi unanimement reconnue comme un
instrument de rationalisation du parlementarisme où, pour parler simple, un instrument
de limitation de l’importance de la loi, arme principale du Parlement, de son hégémonie
dans les régimes précédents505. En introduisant cette technique dans le systême juridique
camerounais, le constituant à, non pas comme en France limité l’importance de la loi
jusque là omnipotente, mais affaibli une source législative du droit à peine naissante. Le
résultat en est que, au plan de la police administrative qui nous intéresse ici, l’on a
assisté à une forme de consécration d’un déséquilibre entre la loi et le règlement comme
sources du droit de la police administrative, déséquilibre favorable au règlement, du
moins dans les trois décennies qui ont suivi l’indépendance. En atrophiant le domaine de
la loi, l’on a par là même hypertrophié celui du règlement.

1 – L’atrophie du domaine de la loi

Le domaine de la loi s’en trouve atrophié d’abord parce qu’il est formellement
défini, ensuite parce qu’il est matériellement limité. Tous les juristes connaissent bien

504
Selon René CHAPUS en effet (R. CHAPUS, Droit administratif général, op cit., p. 652), la répartition des
compétences entre la loi et le règlement « est une innovation de la Constitution de 1958 ». Voir, sur cette
innovation de la Constitution de 1958 : F. HAMON, La loi et le règlement, Paris, La Documentation française,
Documents d’études, n° 108, 1958 ; J. GROUX, Les domaines respectifs de la loi et du règlement d’après la
Constitution de 1958, Paris, La Documentation française, 1963 ; L. FAVOREU (Dir.), Le domaine de la loi et
du règlement, Actes du colloque d’Aix-en-Provence, 2 et 3 décembre 1977, Paris-Aix-en-Provence,
Economica-PUAM, 2e éd., 1981 ; J.-M. BRUN, Les domaines de la loi et du règlement sous la Ve République.
Nouvelles perspectives, Th., Paris XII, 1985.
505
Idem, à la même page. « Sous les régimes antérieurs, une autorité unique, chef du pouvoir exécutif, était
investie par la constitution du pouvoir réglementaire général : le chef de l’Etat jusqu’en 1946 ; le Président
du Conseil des ministres sous la IVe République ».

153
cette technique légistique qui consiste, lorsque l’on procède à une répartition des
compétences entre deux organes, à déterminer tout d’abord les matières qui relèvent de
l’un, et ensuite à affirmer que toutes les autres matières, qui ne sont pas citées, relèvent
de la compétence de l’autre. Le premier organe, celui dont les compétences sont citées
reçoit une compétence dite d’attribution, tandis que le second reçoit une compétence dite
de droit commun. Autrement dit, pour parler précisément de la loi et du règlement, on
peut dire que la législation de principe est celle qui est faite par voie réglementaire, alors
que celle d’exception est faite par voie législative, ce qui est une inversion des valeurs
absolument grave, si l’on tient compte du fait que la loi est hiérarchiquement supérieure
au règlement. L’on sait que toute compétence d’attribution est par essence limitative. En
procédant donc de la sorte à la répartition des compétences entre la loi et le règlement, le
constituant a implicitement mais certainement formellement défini le domaine de la loi
et matériellement délimité celui-ci.

Il là fait d’abord dans la toute première constitution du Cameroun indépendant, à


savoir celle du 04 Mars 1960. L’article 23 de ce texte fondamental dispose : « (…) sont
du domaine de la loi : 1° les garanties et obligations fondamentales du citoyen : -
sauvegarde de la liberté individuelle ; - régime des libertés publiques ; (…) – devoirs et
obligations du citoyen en fonction des impératifs de la défense nationale » Quant à
l’article 24, il dispose que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi
ressortissent au pouvoir réglementaire ». Il faut noter à ce niveau, le caractère assez
éloquent des termes constitutionnels. Si l’on s’en tient en effet à ceux-ci, ne sont confiés
au domaine de la loi que « les garanties fondamentales du citoyen », à l’exclusion de
celles de l’homme. Ces garanties du citoyen sont d’ailleurs limitativement citées. Ceci
revient à dire que lorsque ces garanties ne sont pas fondamentales et ne sont pas celles
citées, elles peuvent, elles sont même du domaine réglementaire.

Ces dispositions de l’article 23 seront reconduites in extenso dans la Constitution


du Cameroun fédéral, précisément dans l’article 24. Toutefois, une évolution
considérable est à noter dans ce texte, à savoir la non reconduction de la disposition
donnant au pouvoir réglementaire compétence pour édicter des normes sur toutes les
autres matières ne rentrant pas dans l’article 24 du texte constitutionnel de 1961. On peut
à priori penser qu’une telle omission est préjudiciable à l’état du droit en vigueur en la
matière, et qu’elle fait donc disparaitre le pouvoir réglementaire de police, du moins

154
dans le texte constitutionnel de 1961. Mais il n’en est rien du tout. En effet, toute
énumération étant par essence limitative, il serait hors de question de penser que le
parlement pourrait légiférer sur des matières qui ne sont pas citées dans l’article 24 du
texte constitutionnel de 1961506.

L’atrophie du domaine de la loi en matière de police administrative est maintenue


en 1972 dans la constitution promulguée le 02 Juin de cette année507. Il faut d’ailleurs, à
ce propos, noter une subtilité rédactionnelle identifiable dans tous les textes
constitutionnels cités. Lorsqu’ils définissent les compétences, ou plus exactement,
lorsqu’ils définissent les domaines respectifs de la loi et du règlement, ils mentionnent
systématiquement la « loi » d’un côté et le pouvoir réglementaire de l’autre. Autrement
dit, ils mentionnent d’une part un instrument juridique, une source du droit, et de l’autre
un organe. Pourquoi cette dissymétrie terminologique ? S’agit-il d’une démarche
constitutionnelle absolument neutre ? Pourquoi le constituant ne dit-il pas : « sont du
domaine du pouvoir législatif » d’une part et « ressortissent au pouvoir réglementaire »
d’autre part, ou alors « sont du domaine de la loi » d’une part et « ressortissent au
règlement » d’autre part ?

La réponse n’est pas véritablement aisée. Mais on peut se risquer à avancer l’idée
que le constituant se fait une opinion très restrictive et même très étriquée du pouvoir
législatif et même de son domaine d’intervention, qui doit être restreint et précis, c’est
pourquoi il ne mentionne que le seul acte par lequel il est susceptible d’agir dans le
commerce juridique, à savoir la loi. Par contre, il conçoit le domaine réglementaire
comme un champ très large, suffisamment large et s’exprimant par des actes
suffisamment diversifiés qu’il soit nécessaire de désigner l’organe qui édicte lesdits
actes, organe détenteur d’un véritable pouvoir. Au-delà de tout ceci, la véritable atrophie
du domaine de la loi en matière de police administrative est à analyser autant en largeur
qu’en profondeur.

506
Cependant, la question demeure de savoir à qui revient-il donc de légiférer sur les matières non citées à
l’article 24 ? Mais la réponse peut être aisément trouvée dans la compétence du pouvoir réglementaire, puisque
le titre dans lequel est situé l’article 24 est intitulé « des rapports entre l’exécutif et le législatif fédéral ». On
peut donc penser que le domaine du législatif fédéral ayant été défini, toutes les autres matières ressortissent à
la compétence de l’exécutif fédéral, lequel n’agira qu’au moyen de son pouvoir réglementaire.
507
La technique employée est identique aux précédentes, l’assignation d’un domaine limité à la loi au moyen
de l’article 20, l’octroi de la compétence législative de droit commun au pouvoir réglementaire à l’article 22.

155
Selon la première perspective, la loi, ne bénéficiant que d’une compétence
d’attribution en la matière, voit son champ réduit et limité par le constituant. Elle ne peut
donc intervenir que sur les matières ainsi limitativement citées, à savoir les garanties et
obligations fondamentales du citoyen : sauvegarde de la liberté individuelle, régime des
libertés publiques ; devoirs et obligations du citoyen en fonction des impératifs de la
défense nationale : le statut des personnes et des biens (nationalité et statut personnel).
L’organisation politique, administrative et judiciaire concernant, les règles générales
d’organisation de la défense nationale ; la détermination des crimes et délits et
l’institution des peines de toute nature, la procédure pénale, la procédure civile, les voies
d’exécution etc.

Mais, c’est surtout selon la seconde perspective que la loi voit son domaine
d’intervention restreint. En effet, lorsqu’on analyse en profondeur le domaine reconnu à
la loi en matière de police administrative, on s’aperçoit que ce qui est reconnu à cet
organe, en matière de sauvegarde de la liberté individuelle et de régime des libertés
publiques, c’est juste la fixation des garanties et obligations fondamentales du citoyen.
C’est dire que, lorsque ces garanties ne sont pas fondamentales, elles ressortiront à un
autre organe. Le tout à ce stade, c’est de pouvoir dire en la matière ce qui est
fondamental et ce qui ne l’est pas. Il appartient au juge de fixer le contenu ici de la
notion de « fondamental ». Faute d’une telle jurisprudence l’on ne peut que spéculer.
Mais il reste parfaitement objectif de voir dans les dispositions ici analysées une
atrophie, au moins sur le plan du principe, du domaine de la loi en matière de police
administrative.

2 – L’hypertrophie du domaine du règlement

La loi ayant reçu une compétence d’attribution en matière d’édiction du droit de


la police administrative, c’est donc au règlement que revient la compétence de droit
commun en la matière, conformément à la disposition constitutionnelle selon laquelle
« les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ressortissent au pouvoir
réglementaire ». Le pouvoir réglementaire de police est donc ainsi érigé implicitement
mais certainement en pouvoir premier. Quantitativement, il n’est pas possible de
dénombrer les matières de police sur lesquelles le pouvoir réglementaire peut trouver à
s’exercer, puisque, sur le plan du principe, ce domaine étant formellement indéfini, il

156
apparait également matériellement illimité. Ou alors, la seule limite de ce domaine
pourrait être constituée par celui de la loi, or nous venons de voir que celui-ci est défini,
et donc limité. Concrètement, le pouvoir réglementaire va régir tous les domaines de la
police administrative ne rentrant pas dans le domaine législatif.

Qualitativement, le règlement n’est pas forcément une source subordonnée à celle


législative508. Autrement dit, aux termes des textes constitutionnels, le pouvoir
réglementaire n’est pas un pouvoir absolument subordonné au pouvoir législatif. Il est,
sous la plume du constituant, un pouvoir concurrent, puisque historiquement, il lui est
réservé un domaine propre aux fins de concurrencer la loi, dont l’omnipotence et
l’hégémonie avait fini par lasser. Le pouvoir réglementaire de police apparait donc ici
hypertrophique au regard de deux considérations.

La première et la plus communément admise, c’est que le pouvoir réglementaire


est un pouvoir d’application des lois. Le pouvoir réglementaire de police est donc un
pouvoir d’application des lois de police. Ce pouvoir peut être expressément prévu ou
alors il peut être implicitement conçu. Dans ce second cas, il est généralement apparu
comme minimal, ne consistant qu’en la fixation des éléments les plus basiques ou les
plus matériels nécessaires à l’application de la loi. Mais dans le premier cas, on peut
penser que le fait qu’il soit expressément prévu lui donne une importance beaucoup plus
grande et parfois considérable, conditionnant l’application de la loi. Aussi peut on penser
que pour avoir prévu le pouvoir réglementaire d’application des lois dans toutes les
constitutions du Cameroun indépendant509, le constituant a consacré par là même un

508
Tel est du moins l’interprétation que l’on peut faire dans l’immédiate lecture du texte constitutionnel. Bien
que cette lecture soit démentie par les faits ultérieurs, la question de la hiérarchie entre la loi et le règlement
n’en demeure pas moins posée du fait de la répartition constitutionnelle des compétences entre la loi et le
règlement. « En effet la répartition matérielle des compétences entre le domaine de la loi et le domaine du
règlement, et alors même que les matières les plus importantes relevaient encore du législateur, pouvait
laisser entendre que, dans son domaine, le pouvoir réglementaire était l’égal du pouvoir législatif, ou tout
du moins ne lui était pas soumis ». Voir sur ce point, B. MATHIEU, La part de la loi, la part du règlement. De
la limitation de la compétence réglementaire à la limitation de la compétence législative, in La loi, précité, p.
73.
509
Constitution du 4 mars 1960, article 21 : « Le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire et assure
l’exécution des lois (…) » ; Constitution du 1er septembre 1961, article 12 : le Président de la République « est
chargé de l’exécution des lois fédérales et éventuellement de celle des lois prises dans les Etats fédérés par
application de l’article 6 (qui comporte plusieurs matières de police administrative), dernier alinéa, lequel
dispose que : « en ce qui concerne les compétences énumérées au présent article, les autorités des Etats
fédérés pourront continuer à légiférer et à diriger les services administratifs correspondants jusqu’à ce que
l’Assemblée nationale fédérale ou le Président de la République fédérale, chacun en ce qui le concerne, ait
décidé d’exercer les compétences qui luis ont reconnues » ; Constitution du 2 juin 1972, article 9 : le
Président de la République est « chargé de l’exécution des lois » ; loi constitutionnelle du 18 janvier 1996,
article 12 : Le Premier ministre (…) « est chargé de l’exécution des lois ».

157
pouvoir réglementaire de police, condition d’exercice du pouvoir législatif en la matière.
En d’autres termes, l’application des lois de police se trouve conditionnée par
l’intervention du pouvoir réglementaire de police, contribuant à donner à ce dernier une
importance considérable.

Le pouvoir réglementaire de police s’avère également hypertrophique au regard


de son caractère autonome, vis-à-vis de la loi. En réservant à ce stade la question
longtemps débattue en doctrine de l’existence ou non des règlements autonomes510, en se
basant sur le seul principe formel de l’érection d’un pouvoir réglementaire concurrent du
pouvoir législatif, on constate, ou ne peut que constater un élément supplémentaire de
l’hypertrophie du pouvoir réglementaire en matière de police administrative.

Autre élément rentrant en droite ligne de cette considération hypertrophique du


pouvoir réglementaire de police administrative, est l’extrême tangibilité dont jouit ce
pouvoir, ou plutôt des actes juridiques qui en découlent. En effet, le pouvoir
réglementaire étant celui qui est le plus prêt du terrain, c'est-à-dire des nécessités liées au
maintien de l’ordre public, il apparait donc comme celui qui est le plus mobilisé par les
autorités chargées d’assurer les missions de police administrative. Alors que le pouvoir
législatif semble éloigné des citoyens, car exercé en un seul lieu unique et concentré
entre les mains d’un seul organe, le pouvoir réglementaire est plutôt proche des citoyens.
Il apparait déconcentré voir même à certains égards éclaté. L’extrême multiplicité des
tâches qu’il a à accomplir et la grande proximité qu’il a vis-à-vis des préoccupations des
populations relativement à la préservation de la sécurité, de la salubrité et de la
tranquillité publiques font de lui la source la plus importante, tant quantitativement que
qualitativement du droit de la police administrative.

Ajouté à ceci, la multiplicité des autorités susceptibles de l’exercer, tant dans le


cadre constitutionnel que celui infra constitutionnel. L’on sait qu’au plan constitutionnel,
deux autorités ont régulièrement été investie par le texte fondamental, pour exercer le
pouvoir réglementaire : il s’agit, à travers l’histoire constitutionnelle du Cameroun, du
Premier Ministre et du Président de la République511. Mais elles ne sont pas les seules à
pouvoir le détenir. Si elles sont les seules à détenir en la matière une investiture

510
Voir sur ce point les études classiques du Doyen Louis FAVOREU dans les Mélanges BURDEAU et à la
RFDA de 1987.
511
Ces deux autorités ont, parfois simultanément, parfois chacune prise isolement exercé le pouvoir
réglementaire de police.

158
constitutionnelle, d’autres, ne bénéficiant pas d’une telle investiture, n’en exercent pas
moins un pouvoir réglementaire qui, s’il est souvent qualifié de dérivé, n’en est pas
moins de très brande importance pour la police administrative512.

Mention doit également être faite du pouvoir réglementaire de police exercé par
un type particulier de personnes morales, ailleurs qualifiées d’autorités administratives
indépendantes, mais qu’ici nous préférons qualifier pour le moment d’établissements
publics administratifs, et dont la multiplication actuelle ajoute au caractère
hypertrophique du champ réglementaire du droit de la police administrative.

Au total, le règlement apparait comme la source principale du droit de la police


administrative au Cameroun, dans les décennies consécutives à l’indépendance. Ceci est
d’ailleurs conforté par l’importance qu’y occupe par ailleurs la technique des
ordonnances.

B – Une prédilection pour la législation par ordonnances

Pendant les premières décennies qui ont immédiatement suivi l’indépendance, le


mode principal de législation, à l’analyse, s’est avéré être celui par ordonnances. Le
domaine le plus affecté par ce phénomène est sans aucun doute celui de la police
administrative.

Le Cameroun ne saurait en aucun cas revendiquer un quelconque brevet


d’invention de cette technique de législation, dont on situe les origines dans la 3e
république Française, à travers notamment la pratique des décrets-lois. Concrètement, il
s’agit de la possibilité donnée au pouvoir réglementaire, contre toute logique, de prendre
des actes dans le domaine de compétence du pouvoir législatif en violation flagrante du
principe de la séparation des pouvoirs. Possibilité légale, la législation par ordonnance se
justifie par des raisons surtout politiques, tenant essentiellement à la volonté de
rationaliser l’omnipotence de la loi.

Mais au Cameroun, deux raisons essentielles peuvent expliquer l’importation de


cette technique. En effet, outre et au-delà de la recherche d’une certaine célérité dans

512
Ces autorités sont innombrables. Il s’agit, au plan central, des ministres et autres membres du
Gouvernement et assimilés. Au plan régional et local, il s’agit des Gouverneurs de région, des préfets, des sous
préfets, ainsi que des représentants régionaux et locaux des Ministres, dans le cadre de ce que l’on appelle la
déconcentration technique. L’extrême diversité de ces autorités donne au pouvoir réglementaire de police un
caractère hypertrophique, tendant à éclipser parfois et même très souvent les compétences législatives en la
matière.

159
l’activité de législation, la technique des ordonnances est surtout l’expression d’une
hégémonie du pouvoir réglementaire sur la loi, sur fond de domination présidentielle du
système juridique513. Permettant une économie considérable d’énergie et de temps, la
technique de la législation par ordonnances s’est progressivement érigée en technique de
législation si l’on puis dire de droit commun, manifestant un délaissement de la
technique de législation classique c'est-à-dire celle menée de bout en bout au moins
formellement par le parlement. Au cœur de ce phénomène, se trouve l’activité de police
administrative. C’est en effet cette dernière qui est la principale inspiratrice de cette
politique de délaissement de la loi. Comme pour tout jeune Etat, l’urgence, une fois
l’indépendance acquise a été de pacifier l’espace sociopolitique national du fait des
conditions troubles de l’accession à la souveraineté internationale. Aussi la législation
par ordonnance est-elle apparue comme la technique de législation de prédilection
justifiée par l’urgence de l’accomplissement de la fonction de police administrative. En
la matière, les techniques instituées ont permis l’institutionnalisation de pratiques
particulièrement huilées.

1 – Les techniques instituées

La législation par ordonnance est la technique de prédilection de législation dans


le Cameroun post indépendance, surtout en matière de police administrative. De manière
globale, deux modalités de recours aux ordonnances sont mises en place par les
constituants successifs. La technique des ordonnances sur habilitation constitutionnelle
et la technique des ordonnances sur habilitation législative.

Selon la première modalité, le constituant lui-même habilite l’exécutif à prendre


des actes juridiques constitutionnellement désignés ordonnances, dans le domaine de
compétence du pouvoir législatif. La technique est suffisamment ancienne dans l’histoire
constitutionnelle nationale, même si elle est la moins connue, et donc peu analysée. Elle
fût inaugurée par la loi n° 59-56 du 31 octobre 1959 accordant au Gouvernement le

513
Assise sur un contexte socio politique particulièrement volatile et délétère, la technique des ordonnances,
en donnant les coudées franches au pouvoir exécutif ou, pour être plus exact au Président de la République afin
qu’il mette en œuvre sa politique, permet, au bout du compte, d’assurer la domination présidentielle sur le
processus législatif, et même sur le système juridique tout entier.

160
pouvoir de légiférer et de préparer la Constitution Camerounaise514. En accordant au
Gouvernement le soin de légiférer par des décrets dénommés ordonnances, ce texte
institue pour la toute première fois la technique de législation par ordonnances. Il est un
truisme de dire ici que ce texte marque le début d’une longue tradition dans l’histoire
constitutionnelle du Cameroun. En effet, il sera suivi dans cette voie par la constitution
du 04 Mars 1960. Celle-ci, en son article 52 dernier alinéa dispose : « les lois organiques
prévues par la présente constitution, ainsi que les mesures législatives nécessaires à la
mise en place des institutions et, jusqu’à cette mise en place, au fonctionnement des
pouvoirs publics, seront pris en Conseil des Ministres par ordonnance ayant force de
loi ». Même si la possibilité de légiférer par ordonnance concerne ici surtout la mise en
place des institutions, les questions en rapport avec la police administrative ne sont pas
du tout absentes. D’abord parce que la fonction de police administrative est absolument
concernée par la mise en place des pouvoirs publics quels qu’ils soient. Ensuite parce
que les ordonnances évoquées à l’article 52 concernent également le « fonctionnement
des pouvoirs publics », au rang desquels ceux intervenant en matière de police
administrative515.

La constitution du Cameroun fédéral maintiendra cette tendance au délaissement


de la source législative du droit de la police administrative à travers notamment son
article 50, lequel dispose : « à titre exceptionnel, pendant une durée de 06 mois à
compter du 1er octobre 1961, les textes législatifs nécessaires à la mise en place des
institutions et, jusqu’à cette mise en place, au fonctionnement des pouvoirs publics et
à la vie de l’Etat fédéral, seront pris par le Président de la République fédérale sous
forme d’ordonnances ayant force de loi ». On peut noter des évolutions en lisant ces
dispositions. La première et la plus frappante est que la législation par ordonnance, de la
bouche même du constituant de 1961, intervient à titre exceptionnel, ce qui veut dire que
lui-même est conscient d’enfreindre un principe essentiel de l’Etat libéral, à savoir le
principe de la séparation des pouvoirs. La seconde évolution, qui n’est pas sans lien avec
514
Bien que ce texte se qualifie lui-même de loi, sa valeur constitutionnelle ne laisse aucun doute, au regard de
l’importance des questions qu’il aborde, principalement celle de la procédure d’élaboration et d’adoption de la
toute première constitution du pays.
515
On sait par exemple que le texte constitutionnel de 1960 prévoyait la mise en place des provinces, conçues
comme premier échelon de la décentralisation. Ces collectivités locales chargées entre autre d’assurer
certaines missions de police ne seront jamais mise en place. On peut alors penser que les missions qu’on aurait
pu confier à ces entités décentralisées soient effectivement exercées par les autorités centrales elles même, à
travers leur pouvoir réglementaire de police, consacrant de la sorte un délaissement de la voie législative
d’édiction du droit de la police administrative.

161
la première, est liée à l’enfermement de cette technique exceptionnelle dans un délai de
six mois, ce qui tranche avec le régime antérieur qui ne fixait aucune limitation dans le
temps, d’où par ailleurs l’extrême inertie des autorités à matérialiser les exigences
constitutionnelles, débouchant sur une constitution restée lettre morte. Mais cela dit, la
disposition de l’article 50 n’en maintient pas moins une tendance forte du droit de la
police administrative et du droit administratif tout court, à savoir le délaissement de la
loi au profit du règlement.

Cette tendance culmine avec la Constitution du 2 juin 1972. Celle-ci se démarque


de toutes ses devancières par le fait qu’elle ne consacre pas explicitement la législation
par ordonnance sur habilitation constitutionnelle. Mais cette dernière est-elle pour autant
absente du dispositif constitutionnel ? L’on ne peut répondre par l’affirmative. Car à bien
regarder, on se rend compte que l’article 38 de ce texte, qui dispose que « la législation
résultant des lois et règlements applicables dans l’Etat fédéral du Cameroun et dans
les Etats fédérés à la date de prise d’effet de la présente constitution reste en vigueur
dans ses dispositions qui ne sont pas contraires aux stipulations de celle-ci, tant
qu’elle n’aura pas été modifiée par voie législative ou réglementaire », semble
reconduire la législation par ordonnances sur habilitation constitutionnelle, si l’on
introduit celle-ci comme faisant partie des textes visés par l’article 38. Malgré le
caractère relativement flou de cette analyse, elle semble entérinée par les faits, le
Président de la République ayant eu à prendre plusieurs ordonnances en l’absence de
toute habilitation législative, mais en visant expressément l’article 38 sus cité516.

Selon la seconde modalité de législation par ordonnance, c’est le Parlement lui-


même qui, au moyen d’une loi, habilite l’exécutif ou plus précisément le Président de la
République à prendre des actes dans le domaine de la loi. Cette modalité, apparaissant
comme la plus connue et donc la plus étudiée, est une atteinte manifeste au principe de la
séparation des pouvoirs et affecte particulièrement le domaine de la police
administrative, car la majorité des ordonnances prises selon cette modalité concernaient
de près ou de loin cette fonction essentielle de l’Etat du Cameroun.

516
A titre d’exemple, ordonnance n°72-7 du 26 aout 1972 portant organisation de la Haute Cour de justice, en
application de l’article 34 de la Constitution du 2 juin 1972, dont le visa unique porte sur la Constitution du 2
juin 1972, notamment ses articles 34, 38 et 42 ;

162
Cette modalité est au moins aussi vieille que l’Etat de Cameroun lui-même. Si la
technique des ordonnances sur habilitation législative est absente des textes
d’autonomie, elle apparait dès la toute première constitution du Cameroun indépendant.
En effet, l’article 25 de la constitution du 4 Mars 1960 énonce que « Le Premier
Ministre peut, après accord formel du Président de la République, pour l’exécution de
son programme, demander à l’Assemblée l’autorisation de prendre par ordonnances,
pendant un délai limité, des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi ».
Cette disposition constitutionnelle institue pour la première fois la technique des
ordonnances sur habilitation législative. En raison de la nature du régime politique alors
en vigueur, c’est au Premier Ministre que revient la prérogative de mettre en quelque
sorte entre parenthèses la loi, au profit du règlement. Car la possibilité ainsi donnée au
Premier Ministre de prendre des ordonnances, donc des actes réglementaires, ouvre de
larges perspectives pour l’édiction du droit de la police administrative par les autorités
exécutives, délaissant par là même la loi.

Depuis cette date la technique des ordonnances sera perpétuée et même


pérennisée dans le droit public camerounais. La constitution de l’Etat fédéral lui réserve
un article 24 bis, au terme duquel : « toutefois, dans les matières énumérées à l’article
24, l’Assemblée Nationale Fédérale peut autoriser le Président de la République,
pendant un délai limité et sur des objets déterminés à prendre des ordonnances ayant
force de loi ». On peut noter quelques changements dans le régime des ordonnances
ainsi reconduites. Tout d’abord, ce n’est plus le Premier Ministre mais le Président de la
République qui en est le bénéficiaire, évolution justifiée sans doute par le changement de
la nature du régime politique qui, de parlementaire, devient présidentiel. Ensuite, si en
1960, le domaine matériel des ordonnances est constitué par le programme du Premier
Ministre, lui donnant un caractère vague et donc très étendu, en 1961, ces ordonnances
ne peuvent intervenir que « sur des objets déterminés ». Enfin, si en 1960 les
ordonnances encourraient la caducité en cas de non dépôt dans les délais du projet de loi
de ratification, en 1961, le texte constitutionnel prévoit simplement qu’« elles demeurent
en vigueur tant que l’Assemblée n’a pas refusé de les ratifier », faisant ainsi disparaitre
toute possibilité de caducité. On constate alors aisément un renforcement du régime des
ordonnances, manifestant une prédilection des pouvoirs publics pour cette technique de
législation, expression d’un délaissement de la source législative du droit de la police

163
administrative517. Le régime des ordonnances de 1961 sera intégralement reconduit en
1972 et permettra au Président de la République de prendre à nouveau plusieurs
ordonnances ayant un lien direct avec l’exercice de la fonction de police
administrative518. Ce dispositif développera un ensemble de pratiques au sein du systême
juridique, lesquelles finiront elles aussi par s’institutionnaliser progressivement.

2 – Les pratiques institutionnalisées

L’institution au Cameroun de la technique de la législation par ordonnances a


conduit à des pratiques singulières dans l’activité de jurislation. Précisément, le recours à
la pratique des ordonnances s’est multiplié, banalisé au point de friser
l’institutionnalisation. L’expression pratique institutionnalisée ici signifie donc
simplement que la technique des ordonnances, mode de législation exceptionnel, s’est,
au regard de la pratique institutionnelle, mué en mode principal de législation. Reléguant
ainsi le mode de législation ordinaire ou classique au rang de mode exceptionnel.

Cette institutionnalisation de la pratique des ordonnances est d’abord rendue


possible par l’extrême fréquence du recours à cette voie de législation. La plupart du
temps, dès que le Gouvernement et surtout le Président de la République ressentait la
nécessité de légiférer, il recourait à la voie des ordonnances, alors même que les
circonstances ne l’y contraignaient pas spécialement.

Tout d’abord, le monolithisme de l’époque imposait la mise en place d’une


Assemblée Nationale monocolore, donc toujours du bord politique du Président de la
République, en plus chef du parti unique. Cela pouvait donc lui permettre, quelque soit
le cas, de faire adopter le texte de son choix à l’Assemblée à travers au moins la
discipline du parti.

Ensuite, pendant toute cette période, le Président de la République dominait tout


le système institutionnel, de telle sorte qu’il avait un contrôle absolu non seulement sur
la procédure d’adoption des textes réglementaires, mais aussi et surtout sur l’adoption

517
C’est d’ailleurs sous l’emprise de cette constitution de 1961 que la majorité des textes qui gouverneront
pendant plusieurs décennies l’exercice du pouvoir de police administrative seront prises : Ordonnance n°62-
OF-18 du 12 mars 1962 portant répression de la subversion ; ordonnance n°61-OF-5 du 4 octobre 1961
relative à l’Etat d’urgence ; décret n° 61/DF/11 du 30 octobre 1961relatif à la sûreté intérieure de l’Etat
fédéral, etc.
518
Ordonnance n° 72-13 du 26 aout 1972 relative à l’Etat d’urgence ; ordonnance n° 72-6 du 26 aout 1972
fixant l’organisation de la Cour Suprême etc.

164
des lois. A cet effet, il jouissait d’un ensemble de prérogatives à la fois constitutionnelles
et législatives lui permettant de maitriser, de contrôler et même de phagocyter toute la
procédure législative, au point où il pouvait faire adopter la loi de son choix, dans le
contenu qui lui convenait, quand il le voulait et comme il le voulait.

Enfin, en raison du climat sociopolitique de l’époque, les autorités avaient tout à


gagner, tant au plan politique qu’au plan juridique à faire adopter l’essentiel de leurs
textes par la voie législative. En effet, étant donné le caractère autoritaire du régime
politique, les autorités auraient pu, en recourant à la procédure législative, donner ainsi
des gages de libéralisme, ou tout au moins d’ouverture du régime politique vis-à-vis des
intérêts du peuple. Car la procédure législative par son caractère contradictoire, discuté
et à la limite concerté, donne plus de gage de libéralisme et même de qualité de la
décision519. Au lieu donc de donner la préférence à ce mode de législation, le Président
de la République prendra sur lui de faire adopter l’essentiel de ces textes par la voie des
ordonnances, et ceci de manière quasi systématique.

L’institutionnalisation de cette option vient du fait que l’ensemble du système


juridique et institutionnel semblera le cautionner. S’agissant tout d’abord des autorités
exécutives, aucune d’elle ne s’élèvera contre ce choix de jurislation, le Président de la
République jouissant de ce point de vue d’un soutien et d’un appui indéfectibles. Mais la
caution la plus remarquable et en même temps la plus surprenante viendra de
l’Assemblée Nationale elle-même. En effet, celle-ci encouragera ou contribuera à
l’institutionnalisation de la pratique des ordonnances, à travers plusieurs attitudes.

D’abord, c’est elle qui votera régulièrement les différentes lois habilitant le
Président de la République à prendre des ordonnances dans son domaine de compétence.
Elle le fera toutes les fois qu’elle sera sollicitée, sans jamais émettre la moindre réserve
vis-à-vis de ce mode de législation. Et même lorsque, par soucis de faire passer le texte
plus rapidement, la législation sera par certains points contournée ou tout simplement
violée, elle restera invariablement muette, tout comme pas une seule fois elle ne refusera
de ratifier les dites ordonnances, comme le lui permettait pourtant la constitution.

Ensuite, l’Assemblée Nationale contribuera à l’institutionnalisation de la pratique


des ordonnances à travers ce qu’il est convenu d’appeler ici l’octroi d’une habilitation
519
La loi apparait, qu’on le veuille ou non, sinon comme l’expression de la volonté générale, du moins comme
l’expression même indirecte, de la souveraineté.

165
permanente au Président de la République frisant par là une délégation pure et simple du
pouvoir législatif, laquelle est pourtant constitutionnellement prohibée. Concrètement,
l’Assemblée Nationale le fera de deux sortes : soit en n’enfermant pas son habilitation
dans un délai fixe, soit en ne sanctionnant pas les ordonnances prises au-delà de la
période d’habilitation, et donc sans loi d’habilitation. Dans un cas comme dans l’autre, il
s’agissait d’une caution absolue donnée au Président de la République en matière
d’édiction des ordonnances.

Enfin, l’Assemblée Nationale contribuera à l’institutionnalisation de la pratique


des ordonnances en ne respectant pas le domaine d’intervention qu’elle devait, aux
termes de la Constitution, nécessairement définir520.

Mais la caution la plus dangereuse pour l’Etat de droit à l’institutionnalisation de


la pratique des ordonnances est sans aucun doute celle qui vient du Juge. En effet, le rôle
de ce dernier est décisif dans la sauvegarde des principes qui doivent sous-tendre la
pratique au quotidien de l’Etat de droit. Ultime rempart contre l’arbitraire des pouvoirs
publics, il appartient au juge de réguler le fonctionnement des pouvoirs publics en
préservant des principes essentiels tel celui de la séparation des pouvoirs, en
l’occurrence la séparation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

En la matière, le juge constitutionnel joue un rôle essentiel, mais il n’est pas le


seul, son action étant complétée par celle des autres juges, notamment le juge
administratif. Le juge constitutionnel aurait pu contribuer à lutter contre la pratique des
ordonnances à travers la mission classique de contrôle de la constitutionnalité des lois.
Mais la nature hybride des ordonnances a contribué à les soustraire d’un tel contrôle dont
on sait qu’il était extrêmement concentré et à priori. Aussi, n’étant pas jusqu’à leur
ratification des lois, les ordonnances ne pouvaient être défférées devant le juge
constitutionnel. De même, le juge constitutionnel ne pouvant être saisi que par un
nombre très réduit d’autorités, au rang desquelles le Président de la République, qui,

520
En effet, si les textes constitutionnels lui imposaient une obligation de fixer le champ d’intervention
matériel des ordonnances, elle ne respectait pas toujours cette prescription. Il arrivait ainsi régulièrement que le
Président de la République aille au delà des objets fixés par la loi d’habilitation. De même et plus grave
d’ailleurs, il arrivait que l’Assemblée nationale elle-même ne fixe pas de limite matérielle au champ
d’intervention des ordonnances, de sorte que le Président de la République s’engouffrait dans la large brèche
ainsi ouverte, pour faire passer des ordonnances dans les matières de son choix. Cette attitude de l’Assemblée
nationale était paradoxale, si l’on tient compte du fait qu’en général, toutes les institutions sont jalouses de
leurs compétences, car ce sont celles-ci qui conditionnent leur existence, et qui conditionnent donc leur raison
d’être.

166
précisons le, pouvait ne pas y avoir intérêt, son action apparaissait comme
particulièrement hypothétique, autant qu’est resté apathique la justice constitutionnelle
pendant toute cette période. Quand au juge administratif, il pouvait, en contrôlant les
ordonnances en tant que des actes réglementaires, contribuer à en combattre
l’exponentialité, ou tout au moins à la rationaliser. Mais tel n’en est pas le cas, la
pratique ici décrite ayant prospéré jusque dans les années 90.

Il apparait ainsi, parvenus à ce stade de la réflexion, que la pratique des


ordonnances jusqu’à la banalisation a conduit à leur institutionnalisation. Il s’agit là
d’une manifestation de la prédilection, de la préférence par les autorités normatives de la
législation par ordonnances, manifestant par là un délaissement de la source législative
du droit de la police administrative dont il est principalement question ici. Ce
délaissement de la source législative du droit de la police administrative, couplé à une
marginalisation de cette source avant l’indépendance, contribuent à faire de la source
législative de ce droit, avant les années 1990, une source bafouée, au profit de la source
réglementaire. Mais à partir des années 1990, à la faveur d’une libéralisation formelle du
droit de la police administrative, la source législative sera progressivement restaurée
consolidant par là la source législative du droit de la police administrative qui apparait
comme une source en pleine réhabilitation.

SECTION II- UNE SOURCE ACTUELLEMENT RESTAUREE

Depuis le début des années 1990, la source législative du droit de la police


administrative est rentrée dans un processus de réhabilitation ou de restauration
incontestable521. Ce retour en grâce de la loi comme source du droit de la police
administrative ne devrait pas surprendre. En effet, alors que depuis 1990 l’on assiste, à
un mouvement de libéralisation de l’Etat camerounais, la loi, instrument essentiel
d’expression d’une souveraineté redevenue démocratique, ne pouvait rester insensible à
tous ces changements. C’est donc ainsi progressivement qu’elle a regagné la confiance
des autorités normatives et s’est imposée à nouveau et désormais comme moyen de
législation de principe. Désormais, on peut observer que la quasi-totalité des réformes

521
Ce phénomène n’est d’ailleurs pas propre à la police administrative, il est général à l’ensemble du droit
public. En fait, il est plus juste de dire que la réhabilitation générale de la loi comme source du droit rejaillit sur
la fonction de police administrative dont la loi est une source essentielle.

167
qui ont été opérées depuis cette date dans le domaine de la police administrative ont une
nature législative. Ce recours à la loi ou plutôt ce retour de la loi ne devrait pas
surprendre, au moins en raison du potentiel libéral dont elle est désormais affectée522.

Mais ce n’est pas plus le contenu des lois que la loi elle-même, c'est-à-dire le
recours à ce procédé normatif qui doit retenir l’attention. En effet, l’observation montre
désormais un recours plus fréquent et quasi systématique au procédé législatif d’édiction
du droit de la police administrative, renversant la perspective ancienne favorable au
règlement. Ce renversement qui s’analyse en un véritable rétablissement de la normalité,
si on peut passer l’expression, est à analyser sous le double prisme de la loi elle-même
d’abord et du règlement ensuite. Sous le prisme de la loi, on note un retour en grâce de
cette dernière dans le processus normatif, retour qui s’analyse en un véritable regain,
parmi les sources du droit de la police administrative. Sous le prisme du règlement, on
peut constater un recul de ce dernier comme mode principal de jurislation en matière de
police administrative. Ces deux mouvements, corrélatifs, subtils mais incontestables,
contribuent à restaurer la loi comme source du droit de la police administrative, et donc à
la réhabiliter.

I- LE REGAIN DE LA LOI

La source législative du droit de la police administrative est en plein regain au


Cameroun depuis les années 1990. Ce regain en guise de retour ou si l’on veut tout
simplement de consolidation de la loi peut être observé, quelque soit par ailleurs l’angle
d’analyse par lequel on aborde la question, car, « en dépit des bouleversements qui ont
abaissé son rang dans la hiérarchie des sources du droit, la loi demeure la norme
fondamentale au moyen de laquelle les gouvernants s’efforcent de traduire leur action
publique523 ». Que ce soit au plan matériel, c'est-à-dire celui du domaine de la loi, que ce
soit au plan formel ou si l’on veut organique, c'est-à-dire celui de l’institution de la loi à

522
Ce retour du pluralisme politique, la pratique désormais effective et régulière de la démocratie élective
contribue à crédibiliser la loi, œuvre d’une Assemblée nationale couplée désormais à un SENAT pour former
un parlement complètement rénové et moderne, garant d’une plus grande légitimité démocratique, car
désormais marqué du sceau du pluralisme. Ce parlement là, au regard de son nouveau visage, ne peut que
confectionner ou si l’on veut adopter des lois à sa propre image, c'est-à-dire des lois démocratiques, exprimant
la volonté générale, porteuses de plus de libéralisme.
523
L.-V. FERNANDEZ-MAUBLANC, « Accessibilité et intelligibilité de la loi ou la réhabilitation de la loi
par le Conseil constitutionnel », in La Constitution et les valeurs : mélanges en l’honneur de Dimitri Georges
Lavroff, 2005, pp. 161-169

168
savoir le parlement, que ce soit même tout simplement au plan symbolique, la loi
apparait comme une source du droit en plein renouveau. Cette considération est
particulièrement importante pour ce qui concerne la fonction de police administrative car
elle est, cette dernière, antithétique aux libertés, lesquelles apparaissent comme la valeur
essentielle qui doit désormais sous tendre les droits administratifs des Etats Africains,
qui apparaissent alors en plein renouveau524. Les dimensions matérielles,
institutionnelles et symboliques seront donc simultanément prises en compte ici pour
témoigner juridiquement de ce regain de la source législative du droit de la police
administrative. Seront donc successivement abordées la question essentielle de
l’enrichissement du domaine de la loi, et ensuite celle du renforcement de la valeur de la
loi.

A – L’enrichissement du domaine de la loi

Bien que la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 ait perpétué la tradition


inaugurée en 1960 et consistant à définir et donc à limiter le domaine de la loi, faisant
ipso facto du règlement le mode principiel de législation, ce texte introduit au plan
matériel, une innovation majeure. Il contribue à élargir considérablement le domaine de
la loi, l’enrichissant du même coup, ce qui ne manque pas de rejaillir sur le domaine de
la police administrative. A la faveur donc du texte constitutionnel de 1996, le domaine
de la loi s’est considérablement enrichi, augmentant tant quantitativement que
qualitativement les matières législatives de police, c'est-à-dire les matières ressortissant
du domaine de la loi et ayant un lien direct ou indirect avec l’exercice de la fonction de
police administrative. Cet enrichissement, qui est la marque d’un regain ou alors d’un
renouveau de la loi comme source du droit de la police administrative s’est opéré de
deux manières complémentaires. Tout d’abord, le domaine de la loi défini à l’article 20
de la constitution de 1972 et devenu article 26 alinéa 2 dans la constitution de 1996 s’est

524
Selon le Professeur DEMBA SY en effet (DEMBA SY, « Droit administratif et communicabilité en
Afrique », inédit), « c’est que le droit administratif est un droit vivant et situé. En Afrique, ce droit
administratif qui est né dans un contexte marqué par l’interventionnisme économique et social et l’existence
de régimes présidentiels et dictatoriaux, a eu du mal à se développer durant les trente premières années des
indépendances. A partir des années 1990, à la faveur d’un contexte international économique et politique
plus favorable, l’Etat africain a subi des transformations importantes avec l’adoption d’un régime
économique libéral, la constitutionnalisation et la démocratisation des systèmes politiques, l’instauration de
l’Etat de droit, la protection des droits et libertés des citoyens et l’introduction de méthodes modernes de
gestion dans l’administration. Le contexte a changé ; le droit a évolué avec le contexte. On assiste dès lors à
ce que qu’on pourrait appeler, sans doute avec quelque exagération, une réhabilitation, voire une
renaissance du droit administratif en Afrique ».

169
considérablement enrichi, c'est-à-dire s’est vu affecté de nouvelles matières concernant
très souvent l’exercice de la police administrative. Ensuite cet enrichissement s’est fait à
travers une technique très peu étudiée mais ô combien importante, à savoir le renvoi. Ces
deux procédés contribuent à enrichir fortement les matières législatives de police
administrative.

1 – Le domaine de l’article 26 alinéa 2 de la constitution

Il s’agit de l’ensemble des matières sur lesquelles le Parlement doit, pour


participer à la régulation du système juridique par la production de normes ayant une
force obligatoire, prendre des lois525. En disposant à l’alinéa premier de l’article 26 que
« la loi est votée par le parlement », le constituant marque par là la compétence
exclusive du parlement dans la fonction législative. Cette exclusivité de la compétence
normative du Parlement porte donc sur un certain nombre de matières dont l’énonciation
à l’article 26 alinéa 2 révèle un enrichissement indéniable du point de vue de la police
administrative, au regard de l’état du droit antérieur. Principalement, par rapport à
l’article 20 du texte de 1972, l’article 26 alinéa 2 du texte de 1996 fait relever quelques
« additions innovantes526 ». Il est un truisme de dire ici que les innovations qui nous
intéressent sont celles en rapport avec l’exercice du pouvoir de police administrative.

Il s’agit tout d’abord d’une innovation en termes de clarification, à savoir celle


qui concerne les successions et libéralités. En effet, le texte de 1972 faisait rentrer,
comme faisant partie du domaine de la loi, « le statut des personnes et des biens », et
d’évoquer « nationalité et statut personnel ». Or, cette expression de statut personnel est
particulièrement floue et ne renvoi à rien de précis. Aussi le texte de 1996 innove-t-il en
étant plus explicite. Il mentionne, à la place du statut personnel, « l’état et la capacité
des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ». S’agissant
particulièrement de ces dernières, l’on sait qu’elles intéressent la police administrative, à
travers notamment une police spéciale que l’on peut appeler ici la police des appels à la

525
A. D. OLINGA, La Constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, 2ème édition, Presses de
l’Université catholique d’Afrique centrale, 2013, p. 99. L’auteur écrit que cette définition restrictive côtoie une
autre, extensive, selon laquelle le domaine de la loi est « l’ensemble des matières à propos desquelles
l’intervention du législateur est jugée nécessaire, voire indispensable, sous la forme de lois ». Idem, à la
même page.
526
A.D. OLINGA, La constitution de la République du Cameroun, précité, op cit., à la même page.

170
générosité publique527, ces derniers pouvant donner lieu à des libéralités. Par ailleurs, il
n’est pas exclu que d’autres matières ici mentionnées intéressent même de loin la police
administrative, à l’instar par exemple de la nationalité528 et surtout de l’état et de la
capacité des personnes529. Les clarifications constitutionnelles opérées vis-à-vis d’elles
en 1996 permettent de noter une amélioration de la loi les concernant.

Il s’agit ensuite, de l’introduction du régime des associations dans les matières


législatives. En effet, dans le régime constitutionnel de 1972, le régime des associations
ne figurait pas au rang des matières législatives, d’où par ailleurs la faible protection qui
leur était accordée. Même si le préambule du texte constitutionnel reconnaissait parmi
les libertés constitutionnellement garanties la liberté d’association, elle ne réservait pas
la police relative à celle-ci au domaine législatif530. L’inclusion du régime des
associations dans le domaine législatif a donc pour principale conséquence le fait que la
police des associations est donc désormais une police nécessairement législative. Ceci
n’a d’ailleurs pas tardé à se concrétiser, à travers l’adoption d’une loi régissant cette
matière, à savoir la loi n° 90/054 19 Décembre 1990 portant liberté d’association,
modifiée en 1999531.

Il s’agit enfin de l’introduction dans le domaine de la loi de certaines matières


telles que le régime minier ou celui des ressources naturelles, ou même le régime
domanial et foncier. S’agissant particulièrement des régimes des ressources naturelles,
des mines, du domaine public et foncier, on sait qu’ils sont au cœur de la police
administrative, notamment au regard des polices spéciales relatives à ou issues de ces
matières532. Leur inclusion en 1996 dans le domaine législatif leur donne une importance
et une considération beaucoup plus grandes, et introduit ipso facto leurs polices dans le
rang des polices législatives. On sait que le régime des ressources naturelles par exemple
débouche sur la fixation législative de plusieurs polices spéciales, à l’instar de la police
de l’eau, de la police des produits pétroliers, de la police des parcs, de la police de

527
Voir la loi n°83 du 21 juillet 1983 régissant les appels à la générosité publique, J.O.R.U.C., 1 er aout 1983, p.
1912 ; décret n° 85-1134 du 14 aout 1985 fixant les conditions d’octroi de l’autorisation d’appel à la générosité
publique, J.O.R.U.C., septembre 1985, pp. 3057-3058.
528
Police des étrangers
529
Police des handicapés
530
Bien qu’il existait une loi à ce sujet, à savoir la loi n°67-LF-19 du 12 juin 1967 sur la liberté d’association
531
Loi n°99/011 du 20 juillet 1999 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°90/053 du 19
décembre 1990 relative à la liberté d’association.
532
Police des mines, du domaine public, de la chasse etc.

171
l’abattage, de la police des forêts, etc. On sait aussi que le régime minier débouche sur
une fixation nécessairement législative des polices spéciales telles la police des carrières,
la police des établissements classés dangereux, insalubres et incommode etc.

Le domaine de la loi défini à l’article 26 alinéa 2 apparait donc ainsi comme


enrichi par rapport à celui défini à l’article 20 de la constitution de 1972. Cet
enrichissement n’a pas seulement une signification matérielle, à savoir le grossissement
des matières législatives de police administrative. Elle a aussi et surtout une signification
symbolique, à savoir marquer le retour du parlement comme institution ou organe
principal de production des normes au sein de l’Etat, et positionner la loi comme source
principale du droit de la police administrative au Cameroun.

Ce retour de la loi, qui peut s’analyser en un regain ou un renouveau de cette


source du droit ne se caractérise pas seulement par un enrichissement du domaine qui lui
est constitutionnellement reconnu. En effet, le fait de réserver la compétence normative
de droit commun au règlement n’interdit pas du tout la possibilité pour le parlement de
s’intéresser à ces matières réglementaires, c'est-à-dire aux matières qui ne sont pas du
domaine de la loi.

Tout d’abord, le parlement peut s’y intéresser pour simplement en débattre, et il


n’est pas impossible qu’un tel débat débouche sur une réforme même de nature
réglementaire qui aura donc été suscité et, pourquoi pas, orientée par le parlement.

Ensuite une évolution est toujours possible, dans le sens de conduire le Parlement
à se saisir des matières qui sont du domaine du règlement pour légiférer dessus. En effet,
l’hypothèse n’est pas chimérique, puisqu’il peut arriver que le pouvoir exécutif lui-
même trouve un intérêt à une telle démarche. Il laissera alors faire le pouvoir législatif,
attendant simplement que le texte soit adopté pour en tirer tous les bénéfices non
seulement juridiques, mais aussi politiques. Une telle situation est observable par
exemple en France, où, malgré une distinction constitutionnelle des domaines de la loi et
du règlement, on a observé un retour en force de la loi au détriment du règlement 533,

533
Selon le Professeur Bertrand MATHIEU, « la revalorisation incontestable de l’exécutif opérée par la
Constitution de 1958 s’est accommodée du maintien de la prééminence de la loi dans le champ normatif.
La « révolution » visant à faire du règlement édicté par l’exécutif un concurrent de la loi « expression de la
volonté générale » est pour l’essentiel restée lettre morte. La limitation du pouvoir réglementaire a tenu
essentiellement au fait que ce dernier dispose, consubstantiellement, d’une puissance moindre que celle du
Parlement ». in La part de la loi, la part du règlement, précité, p. 74.

172
malgré tous les contrôles qui existent dans ce pays pour garantir l’intégrité de la
répartition constitutionnelle des compétences. L’intérêt du pouvoir exécutif à laisser se
développer un tel phénomène, la jurisprudence très souple et même en certains points
encourageante du Conseil Constitutionnel sur la question contribue à faire de la loi non
pas un mode de législation concurrencé par le règlement, mais complété par celui. A la
question qu’il posait en 1980 dans les Mélanges BURDEAU, à savoir : « les règlements
autonomes existent-ils ?534 », le Doyen FAVOREU peut donc lui-même y répondre une
décennie plus tard par la négative, à savoir que « les règlements autonomes n’existent
pas535 ».

Une telle évolution n’est pas inenvisageable au Cameroun. En tout cas, elle
donnerait à la loi une importance beaucoup plus grande encore, et même en certains
points une importance hégémonique, si l’on tient en plus compte du domaine du renvoi.

2- Le domaine issu du renvoi par le constituant

Moins connu que celui de l’article 26 alinéa 2, le domaine de la loi issu du renvoi
n’en est pas moins très important lorsque l’on veut analyser le domaine de la loi. Le
domaine de la loi par renvoi du constituant peut être défini comme étant l’ensemble des
matières à propos desquelles le constituant renvoi à une loi pour la fixation de leur
régime, en dehors de l’article 26 alinéa 2536. A l’analyse, ce domaine apparait
particulièrement vaste, ou tout au moins riche par rapport à celui de l’article 26, alinéa 2,
même si on peut noter des doublons de temps à autres. De toutes les façons, le domaine
de la loi par renvoi du constituant contribue à nourrir l’idée d’un enrichissement du
domaine général de la loi en 1996. Plusieurs de ces matières issus du renvoi
constitutionnel sont au cœur de la fonction de police administrative.

Tout d’abord, le constituant renvoi systématiquement à la loi pour la


réglementation des libertés énoncées au préambule du texte constitutionnel537. Nul ne

534
L. FAVOREU, « Les règlements autonomes existent-ils ? », in Le pouvoir, Mélanges offerts au Professeur
Georges BURDEAU, Paris, LGDJ, 1976, p. 405.
535
L. FAVOREU, « Les règlements autonomes n’existent pas », in RFDA, 1987, p. 871.
536
Même s’il est vrai que l’on assiste parfois à des redites entre l’article 26 alinéa 2 et certains renvois
constitutionnels.
537
A titre d’exemple : « la liberté de communication, la liberté d’expression, la liberté de presse, la liberté de
réunion, la liberté d’association, la liberté syndicale et le droit de grève sont garantis dans les conditions
fixées par la loi ». Ceci ne manque pas de poser la question du véritable statut de ces libertés. Leur fixation par
la loi pourrait en effet laisser penser qu’elles ont un statut simplement législatif. Mais il faut reconnaitre que ce

173
peut contester la centralité des droits et libertés dans l’activité de la police
administrative, puisque ce sont précisément ces droits et libertés qui sont susceptible
d’être menacés par l’usage du pouvoir de police. Le renvoi systématique à la loi pour la
réglementation de ces libertés constitutionnellement consacrées fait de cette source du
droit la principale en la matière, du moins par rapport à la source réglementaire qui
apparait ici comme secondaire et même mineure ou insignifiante. Cela signifie donc que
toutes les libertés en question doivent voir leur régime nécessairement fixé par la loi,
rejoignant ainsi l’article 26 alinéa 2 sur la question538.

Ensuite, le constituant renvoi à la loi pour la fixation du régime de l’état


d’urgence. Il s’agit là d’une matière particulièrement importante voire délicate, quand on
sait le potentiel liberticide de ce procédé exceptionnel de police administrative.
L’histoire ici renseigne d’ailleurs sur les dérives autoritaires et liberticides auxquelles a
donné lieu l’abandon par le passé de cette matière à la compétence du pouvoir exécutif
par la voie des ordonnances. En effet, jusqu’en 1990, le régime de l’Etat d’urgence est
resté presque toujours fixé par voie d’ordonnance, donc à la discrétion du Président de la
République539. Même si dans l’absolu son intervention en cette même matière et par le
même moyen reste toujours possible, le rappel itératif de la compétence législative par
renvoi constitutionnel est au moins la preuve que cette matière importe au constituant, au
point où il la confie expressément au législateur.

Enfin, le constituant renvoi à la loi pour la fixation de l’habilitation nécessaire à


l’adoption des ordonnances. Il s’agit là d’une condition absolue, cette prérogative ne
pouvant être réalisée par aucun autre moyen. En effet l’habilitation que donne le
parlement au Président de la République et qui fixe les matières et les délais dans
lesquels il doit prendre des ordonnances tient nécessairement et absolument en une loi, et

serait sous estimer la valeur de leur inscription dans le préambule du texte constitutionnel, lequel fait désormais
partie intégrante de la constitution. Elles ont donc bel et bien un statut constitutionnel. Le législateur
n’intervient donc ici que pour compléter en quelque sorte l’œuvre constituante, dans le respect strict des
garanties constitutionnelles dont elles bénéficient déjà.
538
La question peut être posée de savoir si le Président de la République peut, sur habilitation législative,
prendre des ordonnances sur ces matières. Dans l’absolu, l’hypothèse n’est pas impossible, mais on voit mal le
parlement, sur une matière aussi sensible que celle des libertés et droits des citoyens, concéder, même
momentanément, une telle compétence au pouvoir réglementaire.
539
Ordonnance n°60-52 du 7 mai 1960 portant loi organique sur l’état d’urgence ; ordonnance n°61-OF-5 du
4 octobre 1961 relative à l’Etat d’urgence ; ordonnance n°72-13 du 26 aout 1972 relative à l’état d’urgence.
On notera au passage la curiosité de la toute première ordonnance citée, laquelle porte loi organique. Si l’on
sait que la loi organique est celle qui complète en général l’œuvre constituante, il ne serait pas exagéré de
considérer que le Président de la République d’alors, en édictant des ordonnances ayant la valeur de loi
organique, apparaissait, à lui tout seul, comme un véritable pouvoir constituant qui ne disait pas son nom.

174
cette règle ne peut en aucun cas subir une quelconque dérogation. Cette considération
importe pour le droit de la police administrative, puisque celui-ci peut être concerné par
une ordonnance. L’habilitation législative tient alors ici en une caution donnée par le
parlement à l’acte du Président de la République. En outre, le constituant renvoi à la loi
pour d’autres matières qui, bien que n’étant pas au cœur de la fonction de police
administrative, importent tout de même à celle-ci, au moins indirectement. C’est ainsi
que l’article 37 alinéa 3 renvoi à la loi pour l’organisation et le fonctionnement du
Conseil Supérieur de la Magistrature, de même que l’article 52 renvoi à la même loi pour
l’organisation, le fonctionnement, la saisine et la procédure suivie devant le Conseil
Constitutionnel. On sait, s’agissant de la première institution, que c’est elle qui gère la
carrière des magistrats, donc des juges qui sont appelés au quotidien à contrôler
l’exercice du pouvoir de police administrative, pour s’assurer que celui-ci ne reste dans
le cadre des bornes fixées par la loi. Il s’agit là d’une évolution notable, quand on sait
que cette même question est restée depuis le 26 Août 1972 essentiellement réglementée
par les autorités exécutives, principalement le Président de la République540. Quant à la
seconde institution, nul n’est besoin de s’appesantir sur son importance pour la police
administrative. Etant au cœur de la construction d’Etat de droit, l’instrument même de
cette construction, le Conseil Constitutionnel ne peut qu’être au centre de la régulation
de l’activité de police administrative. L’intervention de la loi ici ne peut donc être que
plus normale, et en parfaite logique avec cette recherche d’un souffle de libéralisme.

B – Le renforcement de la valeur de la loi

Le renforcement de la valeur de la loi est une manifestation incontestable du


regain de celle-ci au sein du système juridique. Alors que jusqu’à la fin des années 80, la
loi semble être une source du droit sans valeur, méprisée, totalement décrédibilisée, alors
que cette institution est longtemps restée sans véritable considération au sein du système
juridique. Elle semble retrouver, ou alors trouver à partir des années 90, une certaine
considération, une certaine valeur. Cette reconsidération du système juridique vis-à-vis
de la loi culminera en 1996 avec la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996. A
travers cette réforme, la loi voit sa valeur renforcée de manière considérable, si bien
qu’elle tend à se démarquer de sa devancière d’avant 1990.
540
Voir ainsi l’ordonnance n°72-8 du 26 août 1972 fixant l’organisation et le fonctionnement du Conseil
supérieur de la magistrature.

175
La valeur dont il s’agit ici est d’abord la valeur symbolique. En effet, le
renouveau de la loi a d’abord consisté à gommer toutes les apparences de discrédit,
d’insignifiance, de banalité, d’opprobre dont elle semblait frappée. Il a fallu en nettoyer
tous les aspects externes, toutes les dimensions allégoriques afin d’en présenter un
visage tout à fait nouveau ou rénové, lui donnant donc justement plus de considération,
plus de valeur. Ce dernier terme doit donc ici être entendu comme synonyme de
considération, de respect et pourquoi pas d’égard. Mais il s’agit surtout du prestige,
prestige dont jouit désormais la loi, et qui n’était pas forcément le sien avant les années
1990541.

Le renforcement de la valeur de la loi emprunte deux voies distinctes mais


complémentaires. Il passe par deux perspectives, essentielles pour la compréhension du
regain de cette source du droit au sein du système juridique. Tout d’abord, le
renforcement de la valeur de la loi est à analyser au plan matériel, c'est-à-dire du contenu
de la loi, certains diront de sa substance. Il s’analyse au travers des matières sur
lesquelles la loi devra être édictée et votée. L’analyse révèle de ce point de vue que les
matières législatives jouissent d’une réelle éminence. Ensuite, le renforcement de la
valeur de la loi est à analyser au plan institutionnel, c'est-à-dire en se situant au plan de
l’organe qui produit, qui édicte la loi. Selon cette seconde perspective, la loi apparait
également en plein renouveau. En effet, les réformes engagées à partir des années 1990
n’ont pas épargné le parlement, et ont contribué à donner à celui-ci un visage nouveau,
totalement rénové, moderne. Tous ces changements importent à la police administrative
dont la loi est une source essentielle.

1 – Le renforcement de la valeur matérielle de la loi

Cette idée trouve sa pertinence à la lumière de l’enrichissement dont a été objet le


domaine de la loi en 1996, tel que décrie ci haut. Mais plus qu’au plan quantitatif, c’est
plutôt au plan qualitatif que peut s’apprécier le renforcement de la valeur matérielle de
la loi. En effet, l’idée ici est que depuis 1996, la loi a vu sa valeur matérielle se renforcer
à travers les matières sur lesquelles elle est appelée à légiférer. Il s’agit des matières

541
L’idée de renforcement ici ne doit pas être entendu comme signifiant que la loi jouissait déjà d’un certain
prestige, et qu’on y a juste ajouté, afin d’augmenter. Elle doit surtout être entendue comme signifiant que la loi
jouit désormais d’une considération, d’un prestige d’une valeur qu’elle n’avait pas du tout avant. Sa situation
d’aujourd’hui est sans commune mesure, sans comparaison avec celle d’antan.

176
ayant une importance de premier plan dans l’Etat et bénéficiant donc d’une réelle
éminence. Il ne s’agit point de soutenir ici l’idée, par ailleurs fausse, selon laquelle les
matières législatives n’étaient ni importantes, ni éminentes avant 1996. Il s’agit plutôt de
dire que cette importance s’est accrue, d’où l’idée de renforcement. Elle s’est accrue
d’abord parce que, comme nous l’avons montré, de nouvelles matières ont été introduites
dans le champ législatif, montrant ainsi une plus grande considération des pouvoirs
publics, ou si l’on veut du constituant, vis-à-vis de cette source du droit. Cette adjonction
de matières correspond alors à un surcroit de crédibilité vis-à-vis de la loi.

L’importance matérielle de la loi s’est également accrue au regard de


l’importance des matières qu’elle est appelée à régir. On constate en effet la création, en
1996, de nombreuses institutions dont la mise en place est au cœur de la construction de
l’Etat de droit au Cameroun, et qui jouent un rôle tantôt direct, tantôt indirect en matière
de police administrative. Il s’agit des régions542, du Senat543, du Conseil
Constitutionnel544, pour ne parler que de ceux-ci. On sait que les régions sont au cœur de
la police administrative puisqu’elles exercent certaines missions dans ce sens. Quand au
Sénat, son rôle est surtout celui d’un législateur, puisqu’il contribue à édicter, avec
l’Assemblée Nationale, le droit de la police administrative. S’agissant du Conseil
Constitutionnel, son rôle est incontournable545. En tant que garant ou plutôt instrument
essentiel de construction de l’Etat de droit, il contribue de manière décisive à garantir les
libertés et droits fondamentaux546. Or, ces libertés et droits fondamentaux sont justement

542
En plus de préciser les modalités d’application des dispositions constitutionnelles relatives aux régions
(articles 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62), il revient à la loi de fixer d’autres modalités soit de suspension ou de
dissolution du Conseil régional par le Président de la République (article 59), soit de suspension ou de
destitution du Président du Conseil régional par le Président de la République (article 60).
543
Article 22 alinéa 2 « Le Sénat fixe lui-même ses règles d’organisation et de fonctionnement sous forme de
loi portant règlement intérieur » c’est nous qui soulignons.
544
Article 52 « L’organisation et le fonctionnement du Conseil Constitutionnel, les modalités de saisine,
ainsi que la procédure suivie devant lui sont fixés par la loi ».
545
A travers ses deux compétences que sont le contrôle de la constitutionnalité des lois et la régulation de
l’activité des pouvoirs publics, le Conseil constitutionnel est (en France) ou devrait être (au Cameroun), « le
gardien du trésor » des droits de l’homme, selon l’expression du Doyen VEDEL : « Le Conseil
constitutionnel, gardien du droit positif ou défenseur de la transcendance des droits de l’homme »,
communication au colloque des 17-19 septembre 1987 organisé par l’Université de Paris X, Pouvoirs, Paris,
PUF, no 45- 1988, p. 153.
546
Bien qu’une partie de la doctrine soutient que « l’affirmation d’après laquelle le Conseil constitutionnel
représente, dans l’équilibre institutionnel mis en place par la Constitution de 1958, le gardien privilégié des
droits et libertés fondamentales », qu’elle « est récurrente dans les médias et assez largement répandue dans
la doctrine », et donc qu’ « elle est aussi un élément essentiel de la stratégie de communication de
l’institution elle-même », (E. LEMAIRE PAPADOPOULOS, « Dans les coulisses du Conseil constitutionnel.
Le poids des considérations politiques et prudentielles dans l’élaboration de la jurisprudence », Contribution au
colloque

177
susceptibles d’être menacés par l’exercice du pouvoir de police. Toutes ces institutions
éminentes, bien que créées par la constitution voient leur régime juridique confié aux
compléments de la loi. Cette dernière, en se voyant du même coup confiée de pareilles
matières voit son importance s’accroitre et sa valeur se renforcer par l’éminence des
matières ainsi évoquées. Quand on sait que chez nous, le texte constitutionnel ne fait que
poser les grands principes de l’ordre juridique et institutionnel, qu’il ne fait qu’en poser
les bases, sans rentrer dans le détail, on peut comprendre le rôle de la loi en la matière,
qui s’avère ainsi d’une importance décisive. Matériellement, la loi est donc associée à la
régulation des matières qu’on pourrait croire de nature purement constitutionnelle. Cette
situation est accentuée par le fait qu’ici il n’existe que deux types de lois, à savoir les lois
référendaires et les lois parlementaires. Il est vrai qu’on peut encore faire une distinction
entre les lois constitutionnelles et les lois ordinaires. Mais globalement, en dehors de la
loi référendaire par ailleurs jamais adoptée depuis plusieurs décennies, la loi est soit
constitutionnelle, soit ordinaire. Régir donc des matières d’une importance éminemment
constitutionnelle par des lois simplement ordinaires donne la preuve de la considération
que l’on a pour la loi. Au plan matériel, la loi s’en trouve donc associée à l’œuvre
constituante, dénotant une confiance du système juridique vis-à-vis de cette source du
droit.

Mais la manifestation la plus éclatante du renforcement de la valeur matérielle de


la loi, source du droit de la police administrative, vient de la mutation qui s’est
subrepticement opérée entre le règlement et la loi. En effet il semble s’être opéré comme
un passage de témoin entre le règlement et la loi dans ce domaine. Si avant les années
1990 l’essentiel des matières de police, hormis celles prises en compte par la constitution
semblaient avoir une origine purement réglementaire, à partir de cette période et surtout
de 1996, l’ensemble des matières de police administrative ont désormais une assise
législative. De ce point de vue, si le renforcement de la valeur matérielle de la loi a
consisté en une légalisation de matières éminemment constitutionnelles, cela s’et doublé
d’une reprise en main législative des matières qui, ayant subies pendant plusieurs
décennies la prise en main réglementaire de leur situation, ou si l’on veut de leur statut,

Le Conseil constitutionnel, gardien des libertés publiques ? Organisé à Strasbourg le 6 mai 2011), il faut
reconnaitre que cette réputation est loin d’être une simple stratégie de communication savamment construite,
mais bien une réalité juridique tangible.

178
semblaient y être réduites. Ce double mouvement d’élévation législative de matières
réglementaires et de conquête législative de matières constitutionnelles est le signe le
plus éclatant du renforcement de la valeur matérielle de la loi en matière de police
administrative.

Ce phénomène s’est d’ailleurs accompagné, comme pour en attester du caractère


irréversible, d’une prolifération de lois qui, si elles ne frisent pas encore ce que l’on
désigne ailleurs par le concept évocateur d’inflation législative547, n’en est tout de même
pas éloigné. On a en effet vu, depuis le début des années 1990 une forme de mouvement
de législation généralisée au sein du système juridique, un peu comme si la loi
s’empressait de reprendre ce qui lui avait en quelque sorte été enlevé par le passé. Tous
les domaines de l’activité sociale sont désormais régis par une loi, et dès qu’une activité
nouvelle surgit, une loi est immédiatement adoptée pour là régir, surtout si les exigences
de police administrative sont en cause, comme la sécurité548, la salubrité et l’hygiène549
ou même la lutte contre le terrorisme550.

Au total, il apparait que les valeurs sociales les plus importantes semblent
désormais régies prioritairement par la loi, alors que par le passé elles avaient été
toujours accaparées par le règlement. De plus, la loi se trouve désormais associée à
l’œuvre constituante, ce qui contribue à renforcer sa valeur matérielle. La police
administrative est la bénéficiaire particulière de ce phénomène, elle qui a vu toutes ses
exigences désormais légalisées signe de l’éminence désormais reconnue à ses matières
au sein du système juridique.

2 – Le renforcement de la valeur institutionnelle de la loi

Depuis le début des années 1990, la valeur institutionnelle de la loi n’a eu de


cesse d’être renforcée. Ce processus a culminé avec la réforme constitutionnelle du 18

547
Sur ce thème, voir par exemple : G. de BAYNAST de SEPTFONTAINES, L’inflation législative et les
articles 34 et 37 de la Constitution, Th., Paris II, dact., 1997 ; R. SAVATIER, « L’inflation législative et
l’indigestion du corps social », D., 1977, Chr., p. 43 ; J.-P. CHEVALIER, « Les budgets communaux menacés
par l’inflation des normes : vrai ou faux débat ? », in Les mutations contemporaines du droit public. Mélanges
en l’honneur de Benoît JEANNEAU, Paris, Dalloz, 2002, p. 577 ; P. MBONGO « De « l'inflation législative »
comme discours doctrinal », Recueil Dalloz 2005 p. 1300 ; J.-C. ZARKA, « A propos de l'inflation
législative », Recueil Dalloz 2005 p. 660 ; M.-C. de MONTECLER, « Il revient à l'autorité politique de
prendre en main la lutte contre l'inflation législative », AJDA 2006 p. 572.
548
Pour un exemple tout à fait récent : Loi relative a la cyber sécurité et a la cybercriminalité au Cameroun,
adoptée le 6 décembre 2010.
549
Loi n°2000/017 du 19 décembre 2000 portant réglementation de l'inspection sanitaire vétérinaire.
550
Loi n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant repression des actes de terrrorisme.

179
janvier 1996. La valeur institutionnelle dont il est question ici s’attache à deux choses :
d’abord à la loi elle-même, ensuite à l’institution qui l’édicte à savoir le parlement. Le
renforcement de la valeur institutionnelle de la loi, pour être accrédité, doit pouvoir
s’évaluer à ces deux niveaux, distincts mais complémentaires. Si la première perspective
peut faire l’objet de débats, la seconde est absolument incontestable.

S’agissant d’abord de la loi elle-même, il ne fait point de doute qu’elle prétende


au statut d’institution. Le Doyen HAURIOU551 a parfaitement démontré dans ses travaux
sur l’institution, la double nature de celle-ci, à savoir la nature organique et la nature
matérielle, débouchant sur la distinction entre les institutions normes et les institutions
organes552. De ce point de vue, on ne peut douter du fait que la loi soit une institution, au
sens matériel du terme. Mais le débat survient lorsque l’on fixe l’analyse dans le cadre
purement camerounais, vu que la nature d’institution de la loi ailleurs ne fait l’ombre
d’aucun doute. La loi est-elle une institution au Cameroun ? Le débat survient alors du
fait que la réponse ne peut qu’être nuancée. En effet, s’il est incontestable que la loi
existe au Cameroun en tant que catégorie juridique autonome, la jeunesse de celle-ci,
tributaire de la jeunesse de l’Etat, peut être susceptible de mettre en doute la nature
institutionnelle de la loi. L’une des caractéristiques essentielle de l’institution est en effet
son intemporalité, entendue ici comme sa durabilité et sa stabilité. Au regard de
l’espérance de vie des institutions juridiques, particulièrement longue, on peut dont
considérer, au regard de la jeunesse de l’Etat camerounais, que la loi, prise en elle-
même, est en voie d’institutionnalisation, est résolument engagée dans ce processus, ce à
quoi contribue toutes les réformes intervenues depuis le début des années 1990 et
concernant cette source du droit.

Mais c’est surtout par rapport à l’organe qui l’incarne que le renforcement de la
valeur institutionnelle de la loi s’avère incontestable. En effet, depuis le début des années
1990, l’institution parlementaire, chargée d’édicter la loi, est en plein renouveau, en

551
Selon le célèbre Doyen, « une institution est une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure
juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de cette idée, un pouvoir s’organise qui lui procure
des organes ; d’autre part, entre les membres du groupe social intéressé à la réalisation de l’idée, il se
produit des manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des
procédures », cité par E. MILLARD, « Hauriou et la théorie de l’institution », in Droit et société, 30/31-1995,
pp. 381-412. Lire d’ailleurs cet auteur pour une analyse très éclairante de cet extrait.
552
L’auteur parle en fait des institutions corps ou personnes et des institutions choses. Idem, p. 392.

180
plein regain. Ce regain, qui passe forcément par un renforcement de la valeur
institutionnelle de la loi, peut s’analyser tant au plan structurel qu’au plan fonctionnel.

Sur le premier plan tout d’abord, la structure de l’institution parlementaire est


désormais complètement rénovée, voir modernisée. En effet, la bicamérisation du
parlement inscrite dans la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 et désormais
effective est de nature à donner et donne même sans aucun doute plus d’importance et de
considération à la loi. Car la bicamérisation, sur le plan du principe tout au moins, a pour
enjeux d’agir sur la qualité de la loi553, car l’intervention de la deuxième chambre qu’elle
suggère permet de contrebalancer l’omnipotence de la chambre basse et d’insuffler une
certaine dose de démocratie dans le processus d’adoption de la loi 554. L’intervention du
Sénat dans le processus législatif apparait en effet comme un gage de libéralisation. La
doctrine souligne d’ailleurs avec force cette innovation et affirme que par la
bicamérisation du parlement, l’on contribue à la déprésidentialisation555 du régime
politique camerounais. Ce concept de déprésidentialisation s’analyse en réalité en une
modération du pouvoir présidentiel556, ce qui se matérialise au plan normatif par une
rationnalisation du règlement par la loi. La bicamérisation, en contribuant à la rénovation
du parlement, disons à sa revalorisation, donne une plus grande considération
institutionnelle à la loi et participe inéluctablement à son regain. Car le bicamérisme « a
toujours un caractère modérateur en ce qu’il a essentiellement pour objet de corriger
les excès éventuels de la loi du nombre qu’incarne l’Assemblée Nationale qui a la base

553
Selon MONTESQUIEU en effet (Montesquieu, De l’esprit des lois, Livre XI Chap. 6), parlant du parlement
dans les Etats modérés, « Le corps législatif y étant composé de deux parties, l’une enchaînera l’autre par sa
faculté mutuelle d’empêcher ». Au-delà de sa dimension politique, le bicamérisme a une dimension technique,
laquelle rejaillit sur la qualité de la loi. C’est pourquoi le Général De GAULLE affirme lors du Discours de
BAILLEUX : «Il est clair et il est entendu que le vote définitif des lois et des budgets revient à une
Assemblée élue au suffrage universel et direct. Mais le premier mouvement d’une telle assemblée ne
comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une
deuxième Assemblée, élue et composée d’une autre manière, la fonction d’examiner publiquement ce que la
première a pris en considération…». Cité par R. FERRETI, « Le bicamérisme de la Cinquième République »,
in LPA, 31 décembre 1999, n° 261, pp. 4-5.
554
KOFI ANNAN affirme ainsi, dans une forme de restitution de la tradition africaine, que « une seule tête ne
suffit pas pour décider et la réalité du continent africain montre que traditionnellement du niveau du village
à celui de la nation, les décisions concernant l’avenir de la communauté font l’objet d’un débat ouvert, au
cours duquel chaque point de vue est soigneusement soupesé, jusqu’à ce qu’un consensus se dégage ». K.
ANNAN, « Savoir écouter les minorités », in Le Figaro, 4 décembre 2000, cité par K. SOMALI, Le parlement
dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique. Essai d’analyse comparée à partir des exemples du Bénin, du
Burkina Faso et du Togo, Thèse de Doctorat (N.R.), Lille II, 2008, p. 204.
555
M. ONDOA, « La déprésidentialisation du régime politique camerounais », in RADP, Vol. 1, n°1, juin-déc.
2012, pp. 121-149, spéc. p. 137, Article publié initialement dans la revue Solon, Vol. II, n°1-2003, pp.1-40.
556
Laquelle est rendue possible par la déconstruction du contexte présidentialiste et la construction de
mécanismes anti-présidentialistes. Idem, aux mêmes pages.

181
populaire la plus large, c'est-à-dire celle qui est élue au suffrage universel direct557 ».
Au final, le bicamérisme peut être considéré comme « un facteur de rectitude juridique
et rempart pour la démocratie558 ».

Sur le second plan ensuite, à savoir le plan fonctionnel, la valeur institutionnelle


de la loi se voit renforcée au moyen de plusieurs innovations perceptibles depuis le début
des années 1990. La première et sans doute la plus importante de celle-ci est ce que
Monsieur le Doyen Magloire ONDOA appelle la pluralisation de la vie politique, et qui
se manifeste au niveau parlementaire par le pluralisme politique559. Instrument de
libéralisation de la vie politique, le pluralisme permet l’expression de plusieurs courants
politiques, du maximum de courant politiques possibles. Au Parlement, il favorise
l’émergence d’une véritable opposition, dont la tâche essentielle est d’enrichir le débat
parlementaire, avec une incidence directe sur la qualité des lois adoptées. De ce point de
vue, « en permettant l’accès de l’opposition au Parlement, le multipartisme remplit en
effet une fonction souterraine de revitalisation d’un Parlement autrefois bâillonné par
un parti unique560 ». De la sorte, l’association du multipartisme au bicamérisme
contribue à faire de ce dernier « un gage de confrontation des idées et de meilleure
qualité de la législation561 » ou, tout au moins, un cran d’arrêt à l’applaudissement
servile562.

Le deuxième élément fonctionnel de renforcement de la valeur institutionnelle de


la loi est à rechercher au niveau de la revitalisation de l’initiative parlementaire en
matière législative. Selon cette perspective, la loi se trouve renforcée par un double
mouvement. L’initiative parlementaire va d’abord se manifester de manière directe par la
technique des propositions de loi. Si cette possibilité existait déjà antérieurement, elle se
trouve renforcée par les dispositions de l’article 18, alinéa 4 de la constitution,
« lorsqu’à l’issue de deux sessions ordinaires, une proposition de loi n’a pas pu être
examinée, celle-ci est de plein droit examinée au cours de la session ordinaire
suivante ». Quand on sait la propension du parti majoritaire au Parlement à écarter les
propositions de loi des parlementaires surtout de l’opposition, l’article 18 alinéa 4 ne

557
P. PACTET, Institutions politiques Droit constitutionnel, Paris, Armand Colin, 20ème édition, 2001, p. 120.
558
Idem, à la même page.
559
M. ONDOA, « La déprésidentialisation du régime politique camerounais », op cit., p. 127.
560
Idem, p. 136.
561
O. DUHAMEL et Y. MENY, Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, 1ère édition, p. 812.
562
M. ONDOA, « La déprésidentialisation du régime politique camerounais », op cit., p. 138.

182
peut que constituer une avancée significative dans le processus de revitalisation du
Parlement. L’initiative parlementaire va également se manifester de manière indirecte
par le droit d’amendement, qui permet aux membres du parlement de modifier parfois de
manière substantielle les projets de loi déposés par le Gouvernement. Dans le même
ordre d’idée, doit être mentionné l’assouplissement des conditions de convocation des
sessions parlementaires extraordinaires. En effet, aux termes de l’article 16 alinéa 3 de la
constitution de 1996, un tiers des députés suffit à convoquer une session extraordinaire,
alors qu’avant cette date, une majorité de deux tiers était rigoureusement requise.

Le troisième élément fonctionnel de renforcement de la valeur institutionnelle de


la loi est lié au dynamisme dont ont fait preuve les parlementaires eux-mêmes depuis
l’avènement du pluralisme politique et la rénovation complète de l’institution
parlementaire. Bien qu’ayant fonctionné pendant 17 ans563 dans le cadre de la seule
Assemblée nationale, laquelle exerçait à elle seule les compétences dévolues au
Parlement564, l’institution parlementaire a, à travers ses membres, retrouvé ses lettres de
noblesse et conquit de nombreux lauriers, lesquels ont de manière notable redoré son
blason jusque là largement terni, et par là même contribué à renforcer la valeur
institutionnelle de la loi au sein du système juridique. Le Professeur Maurice KAMTO,
dont on connait le sens critique des écrits et dont personne ne peut douter de la réserve
scientifique, rend hommage à cette institution, laquelle a accompagné ou plutôt a été la
cheville ouvrière de toutes les mutations juridiques ayant affecté le droit administratif
camerounais et donc la police administrative. Cet éminent auteur soutient que déjà à
l’ère du monolithisme, « le parlement camerounais a joué de ce point de vue un rôle
historique dans la mutation normative enclenchée e Décembre 1990. Le nouveau
paysage juridique porte aussi sa marque565 ».

563
Créé dans le cadre de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, le sénat ne sera finalement mis en
place qu’en 2013, à la faveur des élections sénatoriales tenues le 14 avril de cette année, et de la nomination de
30% des sénateurs par le Président de la République à l’issue de celles-ci, conformément à la Constitution.
564
Conformément à l’article 67 de la Constitution selon lequel « les nouvelles Institutions de la République
prévues par la présente Constitution seront progressivement mises en place. Pendant leur mise en place et
jusqu’à cette mise en place, les institutions de la République actuelles demeurent et continuent de
fonctionner : (…) L’Assemblée Nationale exerce la plénitude du pouvoir législatif et jouit de l’ensemble de
prérogatives reconnues au Parlement jusqu’à la mise en place du Sénat ». Lire sur la question : A.D.
OLINGA, « L’article 67 de la Constitution », op cit., p. 7.
565
M. KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », op cit., p.
228.

183
Au total, il apparait que la loi, à travers l’institution qui l’incarne à savoir le
Parlement, retrouve de manière progressive mais sans doute irréversible un
renforcement, une revitalisation, un total renouveau. La police administrative n’est pas
absente des facteurs ayant entrainé cette revalorisation de la loi en tant que source du
droit, ou tout simplement en tant qu’institution essentielle du droit public camerounais.

En effet, l’essentiel des réformes entreprises par la voie parlementaire avait pour
enjeu essentiel la décrispation de l’environnement socio politique national, la
libéralisation de la vie et de la société camerounaise dans toutes leurs sphères. Ces
réformes visaient donc à favoriser, voir à instaurer un nouvel ordre, ou plutôt un ordre
nouveau. L’ordre en question s’analysait en un ordre politique nouveau, mais très
précisément en un nouvel ordre juridique. C’est donc la transformation de l’Etat 566 lui-
même qui était visée, si tant est que l’Etat s’identifie ou au moins se reconnait à son
droit. Or qui dit nouvel ordre juridique interpelle inévitablement la notion d’ordre public
qu’elle porte, laquelle est au cœur de la fonction de police administrative. On peut donc
voir que par son œuvre de réformation de l’ordre juridique, le Parlement a contribué
prioritairement à une transformation de la fonction de police, d’un point de vue tout au
moins formel. Il n’est donc pas hasardeux, au regard de cette réalité, d’avancer l’idée
que la police administrative est au cœur du processus du renforcement de l’institution
parlementaire et donc du renouveau de la loi, cette dernière apparaissant désormais
comme une source essentielle de ce droit. La police administrative peut donc être
considérée comme un instrument de restauration de la loi, source essentielle du droit de
la police administrative. Cette restauration de la source législative du droit de la police
administrative ne pouvait que s’accompagner d’un recul du règlement.

II- LE RECUL DU REGLEMENT

Depuis le début des années 1990 au Cameroun, on note un recul très net du
règlement comme source principale du droit de la police administrative. Ce phénomène
566
F. GALLETTI, Les transformations du droit public africain francophone. Entre étatisme et libéralisation,
pp. 36 et s. ; S. DOUMBE BILLE, « Les transformations au Cameroun : un processus d’élargissement
prudent », in H. ROUSSILLON (Dir.), Les nouvelles constitutions africaines : la transition démocratique,
précité, pp. 69 et s. ; C. KEUTCHA TCHAPNGA, « Les mutations récentes du droit administratif
camerounais », pp. 75 et s. ; J. T. HOND, « Les transformations de l’Etat au Cameroun », op cit.. Contra : G.
BRAIBANT, « L’Etat face aux crises », Pouvoirs n° 10, 1979, p. 6 : « L'Etat, quel que soit le régime,
constitue un élément de continuité, de permanence, de stabilité relative ; il agit protégé de règles générales
et uniformes, de procédures formalisées, de structures impersonnelles, lourdes et hiérarchisées ; il n'est pas
à son aise devant les surprises et les catastrophes qui demandent de la responsabilité, de l'imagination, de
l'improvisation ».

184
du recul du règlement, symétrique de celui présenté ci haut du regain de la loi, est
notable quelque soit l’angle sous lequel la question est abordée. Au plan quantitatif tout
d’abord, il doit être noté une diminution considérable du nombre d’ordonnances
adoptées depuis cette date, signe d’un changement radical d’orientation dans la politique
législative. Au plan qualitatif, les rares fois où l’on a eu recours à la voie de la législation
par ordonnances, la police administrative a été exceptionnellement concernée. Quand
elle l’a été, ça été dans un domaine relativement périphérique ou du moins isolé, si bien
que l’orientation générale de relégalisation de la police administrative n’a pu être remise
en cause567. Le recul du règlement dont il est question ici doit être perçu dans une
perspective générale, c'est-à-dire celle de l’ensemble du système juridique. La police
administrative s’en trouve profondément affectée tout simplement parce que c’est elle
qui avait le plus souffert de l’investissement réglementaire dans le domaine de l’édiction
de ses règles. Ce recul du règlement est lié, comme sus mentionné, à la diminution
quantitative et qualitative des ordonnances. Il prend aussi la forme de la limitation de
simples décrets. Si avant 1990, les règlements avaient tendance à s’affranchir de la loi et
qu’ils avaient donc tendance à s’autonomiser de celle-ci, depuis cette date, les
règlements en matière de police sont nécessairement chapeautés par une loi. Désormais,
tous les règlements qui sont pris en matière de police administrative ont nécessairement
une base législative ce qui n’était pas toujours le cas. Le règlement a donc désormais
perdu cette proximité qu’il avait avec la constitution via une habilitation législative. Il a
perdu ce caractère de norme initiale dans le champ infra constitutionnel en raison du
retour de la loi au sein de la hiérarchie des normes en tant que première norme de rang
infra constitutionnel568. Ce retour de la loi qui sonne comme une restauration de la
hiérarchie des normes, repositionne le règlement au niveau qui est le sien dans la
hiérarchie des normes juridiques. En parlant donc de recul du règlement, il s’agit plus
d’un repositionnement de celui-ci au niveau qui est juridiquement le sien, le reste étant
de savoir par rapport à la loi, si le règlement conserve ou perd son autonomie. La
libéralisation de l’Etat consécutive aux réformes engagées depuis le début des années
1990 aura donc permis, à ce jour, de réduire progressivement la tendance à
l’autonomisation du règlement vis-à-vis de la loi, si bien que pour le cas spécifique de la
567
Les exemples dans ce sens sont en effet extrêmement rares
568
On entend par là première norme infra constitutionnelle d’origine interne, les traités et accords
internationaux régulièrement ratifiés ayant bien sûr une valeur supérieure à celle des lois et inférieure à la
Constitution, conformément à l’article 45 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.

185
police administrative, si on pouvait avant se poser la question de l’existence des
règlements autonomes, et parfois même tendre à répondre par l’affirmative, désormais, il
est constant que ces règlements autonomes n’existent pas. Toutefois, cela dit, il est
important de mentionner que le recul du règlement, s’il comporte des ressorts techniques
obéit également à une certaine stratégie.

A – Un recul technique

Il s’agit d’analyser ici les ressorts du recul du règlement au plan de la technique


juridique. Comment s’est juridiquement opéré le recul du règlement ? Il convient peut
être de souligner, en guise de rappel que le recul dont il s’agit porte sur le caractère
hypertrophique du règlement jusque dans les années 1980. Le recul s’analyse donc
comme une diminution de cette hypertrophie, son cantonnement dans des proportions si
l’on puis dire normales, ou acceptables. Mais le recul ici analysé au plan purement
technique, va tout d’abord concerner les ordonnances dont on va observer une limitation
du principe. Ensuite le recul peut être analysé au plan général des rapports entre loi et
règlement, pour constater que si avant les années 90, le règlement avait tendance à
s’autonomiser vis-à-vis de la loi, depuis cette période, cette source du droit de la police
administrative semble avoir désormais une vocation prioritaire à l’application de la loi.

1 – La limitation de la technique des ordonnances

La technique des ordonnances se voit désormais limitée au Cameroun du fait de


la conjugaison de trois phénomènes dont le recul du temps accuse désormais
indéniablement la complémentarité.

Tout d’abord l’on a supprimé la technique des ordonnances sur habilitation


constitutionnelle. Ensuite, si les ordonnances sur habilitation législative ont été
maintenues, cela n’a pas été sans une certaine rationalisation de celle-ci. Tout ceci a
entrainé une diminution considérable du recours aux ordonnances, désormais utilisées de
manière sporadique, alors même que leur utilisation était auparavant quasi systématique.

S’agissant tout d’abord de la suppression des ordonnances sur habilitation


constitutionnelle, il est notable de constater que contrairement à tous ses devanciers, le
texte constitutionnel de 1996 ne reconduit pas la disposition antérieurement en vigueur et
donnant compétence au Président de la République de légiférer par ordonnances pendant

186
une certaine période tenant lieu de transition constitutionnelle. L’on sait que l’histoire
constitutionnelle du Cameroun semblait s’être accoutumée de la pratique consistant à
donner au Président de la République ou au pouvoir exécutif, dans la période qui
s’intercale entre l’abrogation d’un ordre constitutionnel et la mise en place d’un nouvel
ordre et qui peut être qualifiée de période transitoire, le pouvoir de prendre des actes
dans le domaine de la loi et constitutionnellement nommés ordonnances. Mais le
dispositif constitutionnel de 1996 a pris le contre pied de cette pratique qui semblait être
déjà passé dans les habitudes constitutionnelles nationales. Si le constituant de 1972
avait déjà semblé emprunter cette voie, en ne consacrant pas expressément ledit pouvoir,
l’attitude itérative du constituant de 1996 semble avoir entériné définitivement cette
tendance à la limitation des ordonnances. Pourtant, ce dernier aurait raisonnablement pu
y avoir recours en raison de la création de nombreuses institutions dont la mise en place
diligente pouvait justifier le recours à cette technique de législation. Sans doute cela ne
répondait-il pas à sa politique du moment, laquelle semblait mieux satisfaite par la mise
en place d’un principe de progressivité569. Quoiqu’il en soit, la non reconduction de la
technique des ordonnances sur habilitation constitutionnelle entérine indéniablement
l’idée d’une limitation de la technique des ordonnances en droit public en général, avec
des effets indéniables en matière de police administrative.

Les ordonnances sur habilitation constitutionnelle ayant été supprimées du


système juridique camerounais, seules celles sur habilitation législative ont été
reconduites par le constituant. Mais cette reconduction ne s’est pas faite sans une
certaine rationalisation, pour ne pas dire limitation. En réalité, si les ordonnances
existent toujours dans le droit public camerounais, leur impact a été considérablement
amoindri, tout au moins au plan purement juridique. Tout d’abord, leur force juridique a
été considérablement amoindrie. Si auparavant elles avaient automatiquement force de
loi, elles perdent cette prérogative dans le texte constitutionnel de 1996. En effet,
l’article 21 de la constitution du 2 juin 1972 qui créait ces ordonnances disposait :
« toutefois, dans les matières énumérées à l’article 20, l’Assemblée Nationale peut
autoriser le Président de la République, pendant un délai limité et sur des objet
déterminés, à prendre des ordonnances ayant force de loi ». Si l’on s’en tien donc à
cette disposition, les ordonnances ont force de loi dès leur édiction, indépendamment de

569
A.D. OLINGA, « L’article 67 de la Constitution », op cit.

187
toute autre formalité. Cette disposition tranche clairement avec celle de l’article 28 de la
constitution de 1996, laquelle énonce que « dans les matières énumérées à l’article 26
alinéa 2 ci-dessus, le parlement peut autoriser le Président de la République, pendant
un délai limité et sur des objets déterminés, à prendre des ordonnances ». Comme on
peut le constater, la nouvelle disposition ne donne plus force de loi aux ordonnances, du
moins de manière automatique, c'est-à-dire dès leur édiction. Elles peuvent toutefois
acquérir cette force, moyennant toutefois une formalité importante, à savoir celle de la
ratification. Et le constituant le dit clairement, lorsqu’il énonce que « elles ont un
caractère règlementaire tant qu’elles n’ont pas été ratifiées ». Ainsi, sans ambigüité
donc, les ordonnances sont désormais de simples actes réglementaires, sauf si elles sont
ratifiées par le Parlement. Ensuite, la ratification dont il est question ici n’est pas sortie
indemne de la réforme constitutionnelle. Elle apparait désormais sensiblement
complexifiée, ce qui ajoute à la rationalisation de la technique des ordonnances. En effet,
alors que dans le texte constitutionnel antérieur, les ordonnances devaient être déposées
uniquement sur le bureau de l’Assemblée Nationale pour ratification, désormais, « elles
sont déposées sur le bureau de l’Assemblée Nationale et sur celui du Sénat aux fins de
ratification dans le délai fixé par la loi d’habilitation ». Fruit sans doute de la
bicamérisation. Cette complexification de la procédure de ratification n’est pas sans
conséquence sur la technique de législation par ordonnances. Elle contribue
incontestablement à en limiter l’impact juridique. De plus, la procédure de ratification se
voit depuis 1996 attribuée une signification et un impact beaucoup plus importants. Si,
par le passé, la ratification ou plutôt le refus de ratification avait pour unique
conséquence la sortie de vigueur de l’ordonnance, désormais, non seulement elle
conserve cette conséquence, mais en plus elle garde ou permet de conserver un caractère
réglementaire aux ordonnances. A contrario, cela signifie que désormais la ratification
permet non seulement de donner une force législative aux ordonnances, mais également
de les maintenir en vigueur, alors qu’avant, elle avait cette seule dernière conséquence.
Ceci donne une plus grande considération et plus de pouvoir au parlement via la
ratification parlementaire moyennant un recul corrélatif du pouvoir réglementaire. Au
regard de tout ceci, la technique des ordonnances sur habilitation législative apparait
comme considérablement rationnalisée. Couplée à la suppression des ordonnances sur

188
habilitation constitutionnelle, elle a contribué ou eu pour conséquence de diminuer
considérablement le recours aux ordonnances.

En effet, on peut observer depuis le début des années 1990, une diminution
drastique du nombre des ordonnances édictées en général, et encore plus en matière de
police administrative. Pour mieux comprendre l’importance de la mutation opérée, il faut
se souvenir que la majorité des textes ayant régi jusque dans les années 1990 la police
administrative au Cameroun était des ordonnances. Le retour à la loi dès la session des
libertés de novembre 1990 aura donc marqué un changement majeur dans la politique
législative au Cameroun, surtout en matière de police administrative. La diminution du
recours aux ordonnances peut d’abord s’expliquer par des raisons de circonstances
historiques. En effet, avant les années 90, sous le règne de l’autoritarisme, le recours
systématique à la législation par ordonnance semblait relever de l’ordre des choses. Mais
avec le vent de libéralisation des années 90, seules les procédés libéraux de législation
semblaient s’imposer à savoir par exemple le recours à la seule loi. C’est ce qui peut
expliquer par exemple qu’au plus fort des émeutes causées par la revendication
libertaires et ayant incendiées voir ensanglantée les grandes villes du Cameroun au
début des années 90, le gouvernement n’ait pas cédé à la tentation consistant à remettre
en cause las acquis démocratiques déjà engrangés, alors même que les évènements eu pu
les justifier570.

2 – La propension prioritaire du règlement à l’application de la loi

Le débat, classique en droit Français, peut être importé au Cameroun. Il s’agit du


débat autour des rapports entre la loi et le règlement, né au lendemain de la mise en place
de la 5e République, dont on sait qu’elle a, dans le cadre de ce que la doctrine appelle le
parlementarisme rationalisé, limité le domaine de la loi tout en donnant la compétence
législative de droit commun au règlement. La question est de savoir si, sur la base de la
reconnaissance d’un domaine propre au règlement, l’on ne lui reconnaissait pas par là

570
Les rares fois où le recours aux ordonnances a été fait, cela a très indirectement affecté le domaine de la
police administrative, comme par exemple en 2008 après ce que l’on a appelé les émeutes de la faim, qui ont
amené le Président à édicter une ordonnance visant à exonérer certains produits d’importations de droits de
douanes, agissant par là indirectement sur la fixation de prix des denrées alimentaires de première nécessité. Il
intervenait ainsi sur une police spéciale, à savoir la police des prix.

189
même une puissance normative initiale, c'est-à-dire une autonomie par rapport à la loi571.
Autrement dit, y a-t-il une hiérarchie ou plutôt une concurrence entre la loi et le
règlement ? Tous les règlements sont-ils des règlements d’application des lois ou des
règlements autonomes ? Existent-ils des règlements autonomes ? Toutes ces
interrogations ne sont pas neutres. Au cœur du débat se trouve la question importante de
savoir si c’est la loi ou le règlement, et en toile de fond le parlement ou le gouvernement
qui détient la compétence législative de droit commun. La première hypothèse exprime
et garantie la démocratie. La seconde au contraire semble y porter atteinte, et apparait
comme antilibérale. Si le débat au sein de la doctrine Française a été particulièrement
nourri, et a mobilisé les membres les plus éminents de cette doctrine, il semble
néanmoins que le doyen FAVOREU ait raison de conclure de manière péremptoire que
les règlements autonomes n’existent pas572. Cette conclusion sentencieuse est d’ailleurs
entérinée par les faits. Les vues initiales des rédacteurs de la constitution de la 5e
République ont été démenties par les faits ultérieurs : les rapports entre la loi et le
règlement ne se sont point inversés. Au contraire, l’on a assisté à un retour en force de la
loi, amenant Jean RIVERO à déclarer, dans le rapport de synthèse du colloque d’Aix :
« la révolution était possible, la révolution n’a pas eu lieu573 ». Plusieurs raisons
peuvent expliquer ce retour en force de la loi, et René CHAPUS les résume
admirablement.

D’abord, le domaine de la loi est apparu au final plus étendu qu’on ne l’avait
pensé « d’une part, considérant l’article 34, on a sous estimé ce que représentent les
matières qu’il réserve à la loi : et, ne considérant que lui, on a négligé l’existence
d’autres dispositions, comme celles du préambule, qui contribuent à la détermination
des matières législatives574 ». D’autre part, étant donné l’esprit de la constitution, on
n’avait pas sérieusement envisagé que les dispositions déterminant les matières
législatives seraient interprétées de manière extensive comme elles l’ont été, par les

571
R. CHAPUS, Droit administratif général, précité, pp. 660 et s. ; B. MATHIEU, « La part de la loi, la part
du règlement. De la limitation de la compétence réglementaire à la limitation de la compétence législative », op
cit., p. 73
572
L. FAVOREU, « Les règlements autonomes n’existent pas », op cit., p. 871.
573
Rapporté par L. FAVOREU, « Droit administratif et normes constitutionnelles », op cit., p. 652. Jean
RIVERO s’exprimait ainsi après avoir déclaré au début de son rapport : « je fais partie, en effet, de ces juristes
qui, au lendemain de la promulgation de la Constitution de 1958, ont cru naïvement, à la lecture des articles
34 et 37, que quelque chose de fondamental avait changé dans notre ordre juridique ». Idem, à la même
page.
574
R. CHAPUS, Droit administratif général, op cit., p. 70.

190
jurisprudences concordantes du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat575. Enfin,
on n’avait pas suffisamment en conscience qu’en plus des dispositions constitutionnelles
en cause, il fallait ajouter tous les nombreux principes consacrés par la jurisprudence
administrative et qui réservent à la loi l’édiction de certaines mesures576.

Dans le même sens, comme autre raison expliquant le retour en force de la loi,
l’on a le fait que la Constitution permet que le parlement se prononce en matière
réglementaire. En vertu de l’article 41 de la constitution en effet, lorsqu’une proposition
de loi ou un amendement ne sont pas du domaine de la loi, le gouvernement peut s’y
opposer, ce qui est donc pour lui une faculté et non une obligation. Or, le gouvernement
peut trouver intérêt à ne pas s’y opposer, soit pour des raisons techniques, soit pour des
raisons politiques. Enfin, et toujours selon René CHAPUS, « d’une façon générale, la
question de savoir si une matière est législative ou réglementaire est rapidement
devenue un des moindres soucis des pouvoirs publics577 ».

Toutes ces raisons, en expliquant le retour en force de la loi en France, en


contradiction avec l’esprit du texte constitutionnel, révèlent en réalité la place première
de la loi au sein de la hiérarchie infra constitutionnelle, au détriment du règlement. Elles
montrent surtout la difficulté qu’il y a en France à soutenir l’idée de l’existence de
règlements autonomes, c'est-à-dire affranchis de toute référence préalable à la loi. En
d’autres termes, malgré la reconnaissance constitutionnelle d’un domaine et d’un
pouvoir réglementaire autonomes, le système juridique français, certainement grâce à
l’héritage de l’époque sacré de la souveraineté de la loi, a réorienté le système
constitutionnel vers la prise en compte de cet héritage pour finalement maintenir les
règlements à la place qu’ils occupaient avant l’avènement de la 5 e république, c'est-à-
dire uniquement comme des règlements d’application des lois.

Le Cameroun ayant importé cette technique du parlementarisme rationalisé qu’est


la limitation du domaine de la loi et la reconnaissance d’un domaine autonome au
règlement, le débat sus évoqué peut y être transposé. Existent-ils ici des règlements
autonomes, ou tous les règlements sont-ils des règlements d’application des lois ? Mais
en transportant ici le débat, il faut prendre garde de faire des conclusions hâtives, en

575
Idem, à la même page.
576
Ibid.
577
Ibid, p. 71.

191
raison des différences parfois fondamentales entre le système juridique français et le
système juridique camerounais. Par exemple, le Cameroun ne saurait en aucun cas,
contrairement à la France, revendiquer un quelconque héritage de l’époque bénie de la
souveraineté parlementaire : le dogme de l’infaillibilité de la loi lui est donc absolument
étranger. Mais au-delà de cette réserve, on peut observer qu’ici, le domaine de la loi est
également plus étendu que celui de l’article 26 alinéa 2. En effet, comme déjà démontré,
en plus des matières constitutionnellement dévolues à la loi par cette disposition, on peut
y ajouter celles issues du renvoi, soit dans le cadre du préambule, soit même dans le
cadre du dispositif constitutionnel. En renvoyant systématiquement à la loi pour la
réglementation de ces dernières matières, il n’y a absolument aucun doute que le
constituant a voulu viser la loi au sens strict, c'est-à-dire celui organico-formel.

De ce point de vue, le constituant lui-même pose déjà les bases d’une conception
extensive du domaine de la loi, le tout étant alors de savoir si cette tendance va être
confirmée ou infirmée par l’application des dispositions constitutionnelles. Il faut alors
distinguer à ce niveau deux périodes correspondant à deux tendances dans l’application
des dispositions ici concernées. Ces périodes correspondent au fait que l’on se situe ou
non dans la période autoritaire de l’Etat. Sous le règne de l’autoritarisme la tendance
était à l’extension du domaine du règlement, et donc à l’autonomisation du champ
réglementaire par rapport au champ législatif. A cette période, qui va de l’indépendance
à la fin des années 80, la tendance est plus à une conception autonome des règlements.
Mais sous l’ère de la libéralisation, c'est-à-dire depuis les années 1990, on note un retour
spectaculaire de la loi, faisant par là même du règlement juste un acte d’application de la
loi. L’adoption systématique de lois dans tous les domaines de la vie sociale fait
nécessairement du règlement un acte d’application de la loi.

Cette situation est d’ailleurs accentuée par l’absence de contrôle de l’application


des dispositions constitutionnelles pertinentes en la matière. En France les
jurisprudences concordantes du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat ont œuvré à
l’extension du domaine de la loi, et donc à faire des règlements des actes d’application
de la loi. Autrement dit, il s’agit d’une démarche consciente de la part des jurislateurs
visant un but bien précis et à la limite prémédité. Mais au Cameroun, l’absence d’une
jurisprudence constitutionnelle en la matière et le self restreint du juge administratif dans
ce même domaine contribuent à entretenir le plus grand désordre. Les compétences

192
respectives de chaque autorité ne sont point contrôlées, et à vrai dire cela ne préoccupe
aucun pouvoir public, ni le parlement, ni le gouvernement. Aussi peut-on observer en
pratique une compétence générale du parlement en matière de règlementation ou si l’on
veut de législation, contraignant le règlement à la stricte application de la loi. Ainsi,
d’une répartition horizontale des compétences entre pouvoir législatif et pouvoir
réglementaire, l’on abouti inconsciemment à une répartition verticale des compétences,
la loi ayant une compétence générale de fixation des règles dans toutes les matières, et le
règlement se contentant d’en préciser l’application.

On peut noter un autre phénomène accentuant cette tendance et également


observable dans le contexte français. C’est le fait que de plus en plus, c'est-à-dire depuis
les années 1990, le gouvernement semble trouver intérêt à faire adopter la quasi-totalité
de ses réformes par la voie parlementaire, qui lui est absolument ouverte et favorable en
raison de la concordance permanente de majorité entre le parlement et le gouvernement.
Non seulement c’est une solution de facilité pour lui, mais en plus cela lui permet de
donner une caution démocratique à tous les projets. L’adage selon lequel « qui peut le
plus peut le moins » semble alors trouver ici une terre d’élection privilégiée. Si le
parlement peut voter des lois dans le champ de compétence qui est constitutionnellement
reconnu à la loi, à plus forte raison le peut-il dans le champ réglementaire, puisque la loi
est supérieure au règlement. On peut donc comprendre le sens de la disposition rituelle et
traditionnelle figurant au bas de toutes les lois à savoir que : « les modalités
d’application de la présente loi seront fixées par décret ».

Au total, le recul technique du règlement depuis le début des années 1990 a


tendance à cantonner celui-ci ce à la simple application de la loi, consacrant par là même
un regain de la loi en tant que source du droit de la police administrative. Mais au bout
du compte, le recul du règlement, bien que de nature technique, comporte surtout des
ressorts stratégiques qu’il est important de relever.

B – Un récul stratégique

Le recul du règlement par rapport au regain de la loi obéit à une stratégie en


réalité savamment huilée et pas du tout neutre. La stratégie dont il s’agit est celle des
autorités normatives, à savoir principalement les autorités gouvernementales, avec en
tête de ligne le Président de la République. Il s’agit d’une stratégie correspondant à une

193
véritable politique normative subtilement menée par les plus hautes autorités exécutives.
Sortant de plusieurs décennies de monolithisme578 assis sur un autoritarisme
particulièrement préjudiciable aux droits et libertés mais aussi à leur légitimité579, les
autorités exécutives semblent depuis les années 1990 revêtir les habits neuf du
libéralisme. C’est pourquoi, elles entreprennent depuis cette date, une véritable
démarche de re-légitimation de leur pouvoir et de leurs actes en veillant à ce que
formellement tout au moins, ils soient non seulement conformes aux exigences du
libéralisme juridique, mais également qu’ils soient facilement acceptés par les citoyens.
C’est conformément à cela que renonçant à légiférer elles même par voie réglementaire,
elles choisissent de faire recours plutôt à la voie de législation parlementaire. Il s’agit
donc d’une stratégie de re-légitimation juridique du pouvoir normatif, laquelle est
garantie par un contrôle de la procédure et de l’organe législatifs par les autorités
exécutives.

1- Une stratégie de légitimation du pouvoir normatif

Stratégiquement, le pouvoir exécutif a grand intérêt à emprunter la voie


parlementaire, ou si l’on veut législative, dans l’adoption des règles régissant ses
activités, précisément celles de police administrative. Ce recours à la loi est pour lui
source de légitimation de ses activités. Si avant les années 1990, ce recours, par sa rareté,
mettait surtout en valeur le seul caractère collégial et les vertus classiquement reconnues
aux décision adoptées après discussions580, depuis cette date, a la faveur du pluralisme
politique plus précisément du multipartisme, la loi, au travers du parlement a acquis une
véritable légitimité démocratique, car désormais adoptée par une instance élu
démocratiquement, à la suite d’élection pluraliste et au moins formellement
transparente. La stratégie de légitimation se fait donc ici a deux niveaux. D’abord au
niveau du renoncement du pouvoir réglementaire à légiférer par lui-même, et donc du

578
A. MAHIOU, L’avènement du parti unique en Afrique, op cit.
579
M. KAMTO, Pouvoir et Droit en Afrique…, op cit.
580
La doctrine sur le processus de la décision est suffisamment connue pour qu’il soit nécessaire d’y revenir
ici, même si elle est surtout le fait des spécialistes de science administrative. Mais retenons que, si
globalement, la décision collégiale semble ravir la préférence des auteurs, qui la jugent plus réfléchie plus
rationnelle et mieux élaborée par rapport à la décision prise par un seul individu et qui est considérée comme
forcément autoritaire et moins réfléchie, sa qualité est nettement améliorée lorsque au-delà de son caractère
simplement collégial elle s’enrichie de la contribution d’opinions opposées, tel que c’est le cas dans les
parlements pluralistes

194
recours a la voix parlementaire de législation, ensuite au niveau des vertus attachées a
la loi en termes d’expression quoiqu’indirecte de la souveraineté, ou alors tout
simplement de la volonté générale. Au regard de tout ceci, on peut apprécier la stratégie
visant à légitimer le pouvoir normatif par le recours massif à la loi à deux niveaux : le
premier niveau est purement juridique tandis que le second niveau est fondamentalement
politique.

Au plan juridique tout d’abord, le recours à la loi, de manière systématique par le


pouvoir exécutif, emporte des conséquences qui sont importante du point de vue de
l’ordre juridique et surtout des implications contentieuses. « L’office de la loi, disait
Portalis, est de fixer par de grandes vues les maximes générales du droit, d’établir des
principes fécond en conséquence et non de descendre dans le détail des questions qui
peuvent naitre sur chaque matière »581. Mais il faut reconnaitre que la deuxième partie
de la citation est fortement démentie par les faits, surtout au Cameroun, car ici la loi ne
se contente pas de fixer, « les grandes maximes générales du droit ». Elle va très
souvent jusqu'à fixer les règles, ne laissant au règlement que la tâche de déterminer les
modalités d’application des lois. Par cette manière, la loi consacre le triomphe de la
répartition verticale des compétences au détriment de la répartition horizontale, ce qui, à
terme, va limiter progressivement le champ du règlement. Car on le sait, « le pouvoir
d’exécution de la loi est plus ou moins étendu, selon que la loi fixe des règles ou
détermine des principes »582 Or il est constant, aux termes du texte constitutionnel
Camerounais, que la loi n’est pas contrainte à fixer uniquement les principes comme
c’est le cas dans la constitution française, il est vrai pour certaines matière
déterminées583. D’où la propension plus grande de la loi à restreindre ici le champ du

581
Discours préliminaire au Code civil, cité par M. COUDERC, « Les fonctions de la loi sous le regard du
commandeur », in La loi, Pouvoirs n° 4, pp. 21 – 37, spec. pp. 23-24.
582
B. MATHIEU, « La part de la loi, la part du règlement. De la limitation de la compétence réglementaire à la
limitation de la compétence législative », op cit., p. 73.
583
En France, les matières dans lesquelles la loi fixe les principes fondamentaux sont, aux termes de l’article
34, l'organisation générale de la défense nationale ; la libre administration des collectivités territoriales, de
leurs compétences et de leurs ressources ; l'enseignement ; la préservation de l'environnement ; le régime de la
propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; le droit du travail, le droit syndical et la
sécurité sociale. En sus de cela, les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État dans les
conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Les lois de financement de la sécurité sociale
déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes,
fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Des lois
de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État. Les orientations pluriannuelles des finances
publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes

195
règlement. Selon le professeur Bertrand MATHIEU, «la loi limiterait le domaine
d’intervention du règlement de deux manières : d’une part en ce que l’autorité investie
du pouvoir réglementaire doit respecter le domaine de compétence du législateur ;
d’autre part en ce que le règlement doit respecter les règles ou principes contenus
dans la loi »584. Cette double limitation emporte des conséquences sur l’ordre juridique
que le constituant n’avait certainement pas entrevu. Ainsi, « la ‘’révolution’’ visant à
faire du règlement édicté par l’exécutif un concurrent de la loi « expression de la
volonté générale » est pour l’essentiel restée lettre morte »585. De plus, le fait que le
recours à la voie parlementaire de légidiction, indépendant des domaines respectifs de
compétence entre loi et règlement soit en quelque sorte délibéré, c'est-à-dire participe
d’une véritable politique législative, donne une idée claire sur l’orientation contentieuse
du système juridique. Le choix de la voie législative va contribuer le recours au juge
administratif et à privilégier celui au juge constitutionnel. Or ce dernier n’est pas ouvert
aux particuliers avec pour conséquence donc de limiter considérablement les possibilités
de contestation contentieuses. Il s’agit là de la véritable plus value engrangée par les
autorités règlementaires, lorsqu’elles privilégient la voie parlementaire de législation.
Avec ces circonstances aggravantes que les autorités qui sont juridiquement habilitées à
contrôler la constitutionalité des lois sont limités586, et que la justice constitutionnelle
elle-même n’est pas effective587. La relégalisation du droit de la police administrative
va donc, au plan strictement juridique, permettre au pouvoir exécutif de limiter, en
matière police administrative plus qu’ailleurs les contestations contentieuses.

Au plan purement politique ensuite, l’option pour un recours massif à la voie


parlementaire de législation va permettre à la fonction exécutive, précisément à la
fonction de police de gagner en légitimité. Comme le disait si pertinemment Hauriou,

des administrations publiques. Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une
loi organique.
584
B. MATHIEU, « La part de la loi, la part du règlement. De la limitation de la compétence réglementaire à la
limitation de la compétence législative », op cit., à la même page.
585
Idem, p. 74.
586
Conformément à l’article 47 en effet, « le Conseil Constitutionnel est saisi par le Président de la
République, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat, un tiers des députés ou un tiers
des sénateurs. Les Présidents des exécutifs régionaux peuvent saisir le Conseil Constitutionnel lorsque les
intérêts de leur région sont en cause ».
587
Lire, sur cet aspect, L. DONFACK SOKENG, « Cameroun: le contrôle de constitutionnalité des lois hier et
aujourd’hui. Réflexion sur certains aspects de la réception du constitutionnalisme moderne en droit
camerounais », in, S. MELONE, A. MINKOA SHE et L. SINDJOUN, (Dir), La réforme constitutionnelle du
18 janvier 1996, Aspects juridiques et politiques, op cit., pp. 382-405.

196
« la loi exprime la volonté nationale tandis que le règlement n’exprime que la volonté
du gouvernement »588. En limitant cette dernière au profit de la première, les pouvoirs
publics contribuent incontestablement à légitimer leurs actions. En effet, dans une
perspective plus large, « la combinaison du principe représentatif et de la séparation
des pouvoirs, concours à assurer la prééminence de la loi »589. La prééminence dont il
s’agit ici n’est pas seulement de nature juridique. Elle est aussi de nature politique en
raison de ses attributs démocratiques, tirés comme sus mentionné du principe
représentatif et de la séparation des pouvoirs. Aussi, le professeur Bertrand MATHIEU
a-t-il raison d’affirmer qu’ «indépendamment des règles de compétences fixées par la
constitution, aujourd’hui comme hier, la loi est une expression plus directe du
principe démocratique que le règlement »590. Le recours à la loi permet donc de revêtir
la fonction de police d’une véritable onction démocratique lui permettant de se déployer
avec le paravent qui assure son acceptation par le plus grand nombre. On le sait, « la loi
tire sa légitimité des conditions de son élaboration »591. Or, il est important de constater
que, « le parlement semble prendre progressivement conscience depuis 1990 de son
importance dans ce jeu démocratique en tant que puissance légiférante »592. Il « donne
ainsi, depuis quelques temps, et bien que par à-coup, des signes de revitalisation ; il
manifeste une volonté évidente de réexister et de s’adapter au contexte nouveau créée
par le multipartisme, comme le montre les récentes modifications successives de son
règlement dans un sens libéral afin d’accroitre l’efficacité du travail
parlementaire »593. Cette tendance de libéralisation de l’institution parlementaire et donc
de la loi s’est poursuivie dans une période beaucoup plus récente encore, dans le cadre
des changements imposés par la réforme constitutionnelle du 18 Janvier 1996,
notamment en ce qui concerne la mise en place du Sénat, et qui à nécessité la réforme
du règlement intérieur de l’assemblée nationale, l’adoption du règlement intérieur du
sénat et l’harmonisation des deux textes afin qu’ils soient conformes aux vues libérales
et démocratiques induites constitutionnellement. Toutes ces réformes ont une incidence

588
M. HAURIOU, cité par M. COUDERC, « Les fonctions de la loi sous le regard du commandeur », in La
loi, op cit. p. 26.
589
Idem, p. 25.
590
B. MATHIEU, « La part de la loi, la part du règlement. De la limitation de la compétence réglementaire à la
limitation de la compétence législative », op cit., p. 82.
591
N. POULET-GIBOT LECLERC, « La loi revisitée », L.P.A. 11 décembre 2009, n° 247, p. 3.
592
Idem
593
Ibid

197
positive tant sur le parlement que sur la loi elle-même et légitimant de manière
incontestable l’option gouvernementale d’édicter le droit de la police administrative
prioritairement par la voie législative.

2 - Une stratégie garantie par le contrôle gouvernemental de la procédure et de


l’organe législatifs

L’option actuelle pour le recours massif à la voie parlementaire de législation par


le gouvernement, surtout en matière de police administrative n’est pas innocente. En
même temps qu’elle garantie une véritable légitimité à l’œuvre légidiction surtout dans
le droit de la police administrative, elle permet également au gouvernement de garder la
main mise sur l’édiction de ce droit. En réalité la main mise dont il est fait mention ici
s’analyse en un véritable contrôle du processus législatif. De telle sorte que l’on pourrait
dire, en rentrant au fond des dispositions juridiques établissant et régissant les rapports
entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, que c’est toujours le pouvoir exécutif qui
légifère, mais de manière indirecte par le biais du parlement 594. Le contrôle du processus
législatif dont il est ici question s’analyse en un double plan, à savoir le plan organique
et le plan procédural. On pourrait parler en d’autres termes de contrôle organique et
contrôle procédurale.

Au plan organique tout d’abord, l’hégémonie du pouvoir exécutif que l’on


observe dans la majorité des régimes politiques contemporains595 n’épargne pas le
Cameroun. Elle se caractérise ici outre par l’hypertrophie de la fonction exécutive mais
aussi et surtout par une immixtion du pouvoir exécutif dans l’exercice de la fonction
législative, voire un contrôle de cette dernière par le premier. Ce contrôle de nature tout
d’abord organique, vient du fait qu’au Cameroun, depuis le retour au multipartisme 596, il
a toujours existé une concordance de majorité entre le Gouvernement et le parlement597.

594
La main mise du pouvoir exécutif sur le Parlement est ici en effet, très évidente. Pour preuve il est difficile,
voir impossible d’identifier un seul projet de loi qui ait été rejeté par le Parlement, ce qui montre quand même
l’extrême facilité pour le gouvernement d’obtenir le texte qu’il veut auprès du parlement. Cette situation, qui
n’est d’ailleurs pas propre au Cameroun, a fait dire à un spécialiste de la question que « la loi est autant
l’œuvre du gouvernement que du Parlement », voir B. MATHIEU, « La part de la loi, la part du règlement.
De la limitation de la compétence réglementaire à la limitation de la compétence législative », in La loi,
Pouvoirs, N° 114, 2005, La loi, p. 74.
595
Lire à ce propos : P. LAUVAUX, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, PUF, 3e éd., 2004.
596
P. MOUKOKO MBONJO, « Le retour au multipartisme au Cameroun », op cit.
597
La première législature de l’ère multipartiste nait des élections législatives de 1992. Celles-ci, en raison de
la forte opposition alors à peine naissante, n’ont pas permis au parti au pouvoir d’obtenir la majorité à

198
En d’autres termes le parti majoritaire au gouvernement a toujours eu la majorité absolue
au parlement, si bien que d’un point de vue organique celui-ci lui à toujours été d’une
manière quasi systématique soumis. La seule fois où cette hypothèse ne s’est pas
produite, par la seule logique majoritaire, le parti gouvernemental a conclu des alliances
au parlement avec d’autres formations politiques, lui permettant ainsi d’y garder la
majorité absolue. Cette dernière lui a donc toujours permis, depuis lors, d’adopter des
lois sans trop de difficultés, faisant ainsi de tous les projets de lois des lois adoptées par
avance. Le contrôle gouvernemental de l’organe parlementaire se fait également par le
biais du parti598. Comme c’est le même parti politique qui cumule la majorité au
gouvernement et la majorité au parlement, celui-ci sert d’instrument de discipline de la
majorité parlementaire par le gouvernement. De manière beaucoup plus rigoureuse
encore, ce sont les parlementaires eux-mêmes qui voient de manière tout à fait
personnelle, dictée leur conduite par le gouvernement à travers le parti, sur fond de
chantage concernant leur carrière politique. Cette forme d’épée de Dame clés qui pèsent
sur eux les contraint à replier de manière systématique aux vue du gouvernement.

Enfin, le contrôle de l’organe parlementaire par le gouvernement, se fait au


moyen du monopole dirigeant que ce dernier exerce sur les organes parlementaires. Tous
les postes de direction des organes parlementaires les plus importants sont occupés par
des personnes listées issues du parti gouvernemental. Que se soit au niveau des bureaux
de chambres, des présidences des commissions de toutes natures, le gouvernement est
systématiquement assuré d’un monopole dirigeant incontestable. Ce monopole dirigeant
permet au gouvernement d’orienter le fonctionnement de l’institution parlementaire vers
le sens qui convient le mieux à ses vues, et donc de maitriser, voire verrouiller le
processus législatif et de le garder totalement soumis à ses vues599. Mais au delà des
considérations organiques, c’est surtout au plan procédural que se fait sentir un véritable
dirigisme gouvernemental de la procédure législative. Tout d’abord en matière
d’initiative des lois, si la constitution dispose que celle-ci appartient concurremment au

l’Assemblée Nationale. Le Gouvernement n’obtiendra la majorité ici qu’à l’issu d’une alliance avec certain
petits partis politiques.
598
A travers notamment cet instrument de socialisation politique que l’on dénomme la discipline du parti, et
qui apparait particulièrement rigide dans les partis encore faiblement démocratisés.
599
Le verrouillage politique du parlement par le pouvoir exécutif donne en effet à ce dernier un monopole et
une exclusivité juridiques incontestables dans le processus législatif.

199
parlement et au gouvernement600, le premier faisant des propositions de lois tandis que le
second fait des projets de lois, il faut reconnaitre qu’en plus de 20 ans de pluralisme
politique601, le parlement n’a adopté aucune proposition de loi, la simple inscription à
l’ordre de celle-ci relevant d’une véritable gageure602, on peut donc observer à ce niveau
une monopolisation gouvernementale de l’initiative en matière législative permettant au
gouvernement de contrôler le processus législatif. Ensuite, s’agissant de la discussion
des lois au sein des instances parlementaires, on note ici également un contrôle
gouvernemental assez serré. Le fait que les instances de discussions des propositions et
projets de lois soient toutes présidées par des personnalités du bord politique
gouvernemental leur permet non seulement d’orienter les débats dans un sens déterminé
mais aussi de limiter le débat en restreignant le temps et les prises de parole, tant au sein
des commissions qu’en séance plénière. Dans le même sens, si le droit d’amendement603
est constitutionnellement garanti, et même particulièrement libéralisé, le règlement
intérieur de l’assemblée nationale604, pour ne prendre que lui, adopte en plusieurs de ses
dispositions des vues contraires à ce libéralisme constitutionnel. C’est ainsi par exemple
que, si la constitution dispose en son article 29 alinéa 3 que les propositions et projets de
lois « peuvent faire l’objet d’amendements lors de leur discussion », cette vue
constitutionnelle est contrariée par au moins deux dispositions législatives issues du
règlement intérieur de l’assemblée nationale. L’article 20 alinéa 6 de ce dernier dispose

600
En fait, et pour être très exact, l’article 25 de la loi constitutionnelle du 18 Janvier 1996 dont il est ici fait
mention est très exactement ainsi rédigée : « L’initiative des lois appartient concurremment au Président de
la République et aux membres du Parlement ».
601
Même si le début des années 1990 est généralement considéré comme marquant le « retour » au
multipartisme au Cameroun, il faut souligner que d’un point de vue strictement formel, le multipartisme a
toujours existé au Cameroun, depuis la période de la tutelle. Simplement, l’interdiction de l’UPC (Union des
Populations du Cameroun) en 1955, les pesanteurs politiques de l’époque et le monopartisme imposé de facto
en 1996 auront raison du libéralisme politique insufflé bien avant l’indépendance.
602
En raison du non respect des dispositions textuelles pertinentes en la matière, notamment celles prévues à
l’article 18 alinéa 4 de la constitution et aux termes des quelles « lorsque, à l’issue de deux sessions ordinaires,
une proposition de loi n’a pu être examinée, celle-ci est de plein droit examinée au cours de la session ordinaire
suivante ».
603
En l’occurrence, le droit donné au parlement soit de modifier une disposition déterminée d’un texte en
discussion, soit d’y ajouter une disposition nouvelle (article additionnel). Sur le droit d’amendement, lire : B.
BAUFUME, Le droit d’amendement et la constitution sous la Cinquième république, Paris, LGDJ, 1993 ; M.
DE VILLIERS, « La décision du 23 Janvier 1987 : Qu’est-ce qu’un amendement ? », R.A., 1987, p. 139 ; P.
BINCZAK, « Le conseil constitutionnel et le droit d’amendement : entre « errements » et malentendus »,
RFDC, 2001/3, n° 47, pp. 479-528.
604
Voir la loi n° 73/1 du 8 Janvier 1973 portant règlement de l’Assemblée Nationale, modifiée par les lois n°
89/13 du 28 Juillet 1989 ; n° 92/004 du 14 Août 1992 ; n° 93/001 du 16 Juin 1993 et n° 2002/005 du 02
Décembre 2002.

200
que « les amendements des députés cessent d’être recevables en commission dès le
début de la discussion des articles ». Dans ce même sens, l’article 47 alinéa 2 … de ce
même texte dispose que « les amendements ne sont recevables (en plénière) que s’ils
ont été antérieurement soumis à la commission compétente ». Malgré leur nature
inconstitutionnelle, ces dispositions ne trouvent pas moins application tant auprès des
autorités parlementaire que gouvernementales, Confirmant l’option pour un contrôle
gouvernementale du processus législatif. Quant à l’adoption proprement dite des lois,
elle n’est pas… révélatrice de cette réalité, l’exigence d’une majorité simple permettant à
tout projet de loi d’être adopté sans encombre. Toute ces illustrations, qui démontrent un
contrôle par le gouvernement de la procédure et de l’organe parlementaire (législatif),
sont révélatrice de l’idée que si au point de vue purement technique, on note un recul
incontestable du règlement au profit de la loi, au plan purement stratégique, le pouvoir
exécutif garde la main mise sur le processus législatif, si bien qu’il ne perd rien à choisir
massivement ce procédé dans l’édiction du droit de la police administrative.
Assurément, « la loi est autant l’œuvre du gouvernement que du parlement »605.

605
B. MATHIEU, « La part de la loi, la part du règlement…», précité, p. 74.

201
CONCLUSION DU TITRE I

Il apparait, au terme de ce titre consacré à l’étude des sources du droit de la police


administrative au cameroun, que celles-ci apparaissent incontestablement reconfigurées,
du fait de la conjonction de deux facteurs, l’un constitutionnel et l’autre législatif. Le
premier, ayant été jadis sclérosé par une conception essentiellement autoritaire, s’est vu
reorienté dans les années 1990 vers une direction plus libérale : l’on est donc parti d’une
source constitutionnelle apathique pour une source constitutionnelle énergique et
dynamique. Le second facteur, législatif, a vu la loi partir du statut de source bafouée du
droit de la police administrative pour celui de source requinquée, depuis les années 1990.
Cette reconfiguration des sources du droit de la police administrative, dont le caractère
libéral est accusé, marque incontestablement l’émergence d’un libéralisme formel au
sein de cette fonction administrative, et dont du droit administratif camerounais.

Mais la reconfiguration des sources n’est pas ici le seul facteur de libéralisme de
la police administrative. En effet, les mutations enregistrées au sein du droit administratif
depuis le début des années 1990 ont eu pour effet également de modifier profondément
les procédés de police administrative. Ces modifications, qui vont globalement dans un
sens libéral, peuvent êtres analysées sous le prisme de l’amélioration.

202
TITRE II :

L’AMELIORATION DES PROCEDES

203
Les procédés de police administrative n’ont pas été épargnés par le vent de
libéralisation qui a soufflé sur le droit administratif camerounais depuis le début des
années 1990. Et le terme qui permet de caractériser la façon dont ils ont été affectés par
cette mouvance libérale est celui d’amélioration. Les procédés dont il est ici question
s’analysent en des instruments juridiques dont se sert la police administrative pour
réaliser sa mission de maintien de l’ordre public. L’on eut pu parler également de
mesures ou d’actes, mais ces termes semblent inadéquats.

Tout d’abord, la notion de procédé a été préférée ici à celle de mesure ou d’acte.
En effet, outre le fait que les notions de mesure et d’acte ont un caractère assez restrictif,
leurs significations respectives ne renvoient pas toujours à la même réalité. L’on sait, de
manière globale, que la notion d’acte désigne une opération juridique consistant en une
manifestation de volonté (publique ou privée, unilatérale, plurilatérale ou collective)
ayant pour objet et pour effet de produire une conséquence juridique (établissement
d’une règle, modification d’une situation juridique, création d’un droit etc.)606. Mais s’il
faut dire que la définition qui vient d’être donnée met l’accent sur le négotium, c’est-à-
dire sur le contenu de l’acte, il faut dire que ce terme permet de désigner aussi
l’instrumentum, c’est dire le support matériel dans lequel est consigné scripturairement
le négotium. Cette conception, purement juridique de la notion d’acte, s’avère restrictive
et ne permet pas de saisir tous les objets de la police administrative dont il est question
ici, même en l’étendant dans son acception la plus ordinaire, qui désigne tout fait de
l’homme607. Notamment, lui font ici défaut sa signification exacte fortement discutée en
doctrine608, et la confusion éternelle découlant de cette incertitude entre la notion d’acte
juridique et celle d’acte matériel. Or, cette dernière est essentielle dans la connaissance

606
Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, précité, p. 17.
607
Ibid.
608
La doctrine est en effet profondément divisée sur la véritable signification de la notion d’acte juridique,
notamment en ce qui concerne la distinction classique et erronée entre acte juridique et actes matériel. Le
mérite revient à Charles EISENMANN (Cours de droit administratif, Paris, L.G.D.J., tome I, 1982, p. 361 s.
(Cours 1954-1955), et tome II, 1983, p. 181 s. (Cours 1949-1950)), grâce aux ressources théoriques fournies
par la théorie pure du droit, d’avoir fait évolué la doctrine française sur ce point, non seulement en démontrant
les errements de la doctrine de l’époque, mais surtout en proposant une définition synthétisant les conceptions
classiques. Quand à la conception majoritairement plébiscitée actuellement au sein de la doctrine publiciste,
elle est développée par les théoriciens du langage d’origine anglo-saxonne (Par exemple : John L. AUSTIN,
Quand dire c’est quand faire, trad. Fr. Gilles LANE, Ed. du Seuil, Paris, 1970 ; John R. SEARLE, Les actes de
langage, trad. Fr., Hélène PAUCHARD, Hermann, Paris, 1972), et dont les travaux sont repris et prolongés en
France par un auteur comme Paul AMSELEK. Sur l’ensemble de la question, lire : Paul AMSELEK, « L’acte
juridique à travers la pensée de Charles EISENMANN, » in Paul AMSELEK (Dir.), La pensée de Charles
EISENMANN, Paris, ECONOMICA/PUAM, 1986, p. 37.

204
des différentes manifestations du pouvoir de police administrative. La notion d’acte est
donc marquée du sceau de la complexité, d’où sa mise à l’écart ici. Quand à la notion de
mesure609, elle doit également être mise de coté, en raison de son caractère également
restrictif, et qui ne permet donc pas d’englober tous les objets produits dans le cadre de
l’exercice du pouvoir de police administrative. De plus, le terme de mesure, qui véhicule
l’idée de décision et partant d’unilatéralité, reste en deçà du seuil quantitatif et même
qualitatif des objets à saisir ici, surtout que lesdits objets ne sont pas forcément des
mesures des autorités de police administrative, mais peuvent aussi être des instruments
juridiques de nature législative. D’où l’option pour le terme procédé, qui, par son
caractère englobant, permet de saisir tous les instruments juridiques et matériels par
lesquels la police administrative opère pour assurer ou réaliser ses objectifs.

Ces instruments juridiques varient selon que l’on est en période ordinaire ou en
période extraordinaire ou de crise. C’est pourquoi toute étude de ces mesures ou
procédés doit tenir compte de ces deux temps juridiques, surtout que pour ce qui est
précisément des procédés de crise, ils sont restés en vigueur depuis la veille de
l’indépendance jusqu’au début des années 90. Aussi, les changements survenus au début
des années 1990 les ont-ils concernés au premier chef. Ils ne pouvaient pas ne pas les
affecter durablement, du moment où l’on avait assisté à un radical changement de
circonstances. La libéralisation formelle de la police administrative a donc consisté ici
d’abord en une rationalisation, c’est-à-dire en une limitation des procédés exceptionnels
de police, érigés jusque là en procédés de droit commun. Ramenés d’abord à leur rang de
procédés exceptionnels, ils ont ensuite été limités tant au plan qualitatif qu’au plan
quantitatif. Ceci ne pouvait donc que contribuer à apporter un souffle de libéralisme en
ce qui les concerne.

Ensuite, la libéralisation formelle des procédés de police administrative a


considérablement affecté les procédés ordinaires de police, ceux applicables en période
normale c’est-à-dire tous les jours, au quotidien. Le terme qui a été choisi et qui semble
correspondre à la caractérisation des changements ici opérés est celui de normalisation.

609
Le terme mesure, selon M. MBALLA Robert, renvoie à toute attitude de l’Administration, action ou
abstention (Voir DUHAMEL (O) et MENY (Y), Dictionnaire constitutionnel, op.cit, pp.634, 635.) Il s’agit de
tout moyen tendant à obtenir un résultat déterminé (CORNU (G), Vocabulaire juridique, op.cit, p.577), moyen
que l’on se donne (Cf. Dictionnaire Hachette encyclopédique, 2002, p. 1031), donc moyen unilatéral. Lire à ce
propos, R. MBALLA OWONA, La notion d’acte administratif unilatéral en droit administratif camerounais,
Thèse de Doctorat/Ph. D. en Droit public, Université de Yaoundé II, 2010, 675 pages.

205
On peut donc parler ici de normalisation des procédés ordinaires de police
administrative. Ce concept, même s’il sera expliqué en son temps, doit d’abord être
entendu ici au sens ordinaire, qui signifie que l’on est passé de l’utilisation quotidienne
des procédés anormaux de police, au rétablissement de procédés tout à fait normaux,
correspondant au temps ordinaire de police. Mais le concept de normalisation n’est pas
ici sans contenu substantiel idéologiquement situé, qui renvoie notamment à celui de
libéralisation, dans la mesure où la normalisation apparait comme un instrument de la
libéralisation. On constate donc ainsi que les procédés ordinaires de police
administrative, à travers le concept de normalisation, s’inscrivent au cœur de la tendance
à la libéralisation du droit de la police administrative au Cameroun.

206
CHAPITRE I :

LA RATIONALISATION DES PROCEDES DE CRISE

207
Les procédés exceptionnels de police administrative ont aujourd’hui perdu
l’importance tant quantitative que qualitative qui était la leur jusque là. Le vent de
libéralisation du droit administratif camerounais a contribué à leur rationalisation, à la
limitation considérable de leur impact dans l’activité de maintien de l’ordre public.

Comme le dit si bien Charles-Edouard Minet610, en matière d’ordre public tout est
relatif : l’appréciation de ses exigences dépend étroitement des circonstances dans
lesquelles elle s’inscrit. En période de crise, les exigences de l’ordre public ne sont plus
les mêmes. Il ne s’agit plus de répondre à un simple risque d’affrontement, de nuisances
sonores etc., mais à une menace qui pèse sur les institutions et in fine, sur l’Etat lui-
même. Ce dernier doit donc se donner les moyens de faire fasse à ladite menace, afin
d’assurer la paix publique. Mais la situation ici évoquée doit être purement
circonstancielle et même contenue dans le temps. Pourtant, tel n’est pas toujours le cas.

L’un des traits les plus saisissants de l’armature juridique relative au maintien de
l’ordre public au Cameroun, a pendant longtemps été la permanence d’une juridicité de
crise. Permanence d’abord parce que ce pays a vécu pendant plus de trente ans sous le
joug d’une légalité d’exception particulièrement sévère vis-à-vis des libertés611.
Véritable « législation de la peur612 », elle a permis de mettre entre parenthèse, pendant
toute cette période613, les libertés et droits fondamentaux des citoyens.

Permanence ensuite parce que ladite juridicité de crise, introduite dès le mandat et
la tutelle franco-britannique614, n’a plus jamais disparue du système juridique
camerounais, au point où elle apparait comme l’identité remarquable ici en matière de
maintien de l’ordre public. Cette armature, ou plutôt cet arsenal juridique permettait aux
autorités de police administrative de prendre les mesures les plus radicales pour

610
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit, p. 197
611
Il s’agit, pour être tout à fait correct sur ce point, de certaines parties du territoire national à savoir surtout
les provinces situées à l’ouest du pays (Ouest, littoral, Nord-ouest et Sud-ouest) et celle du centre qui ont
vécues sous état d’urgence depuis les années 60 jusqu’à l’aube des années 90. Mais ce régime était
potentiellement extensible à l’ensemble du territoire en raison de la disposition juridique qui voulait que
lorsque l’état d’urgence est déclaré dans une partie du pays, les pouvoirs qui sont octroyés aux chefs des
circonscriptions administratives concernées sont automatiquement accordés à tous les autres chefs de
circonscriptions administratives sur l’ensemble du territoire national.
612
J. M. BIPOUN WOUM., « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit administratif dans les
Etats d’Afrique noire d’expression française », op cit, p. 376.
613
Que l’on peut situer de la fin des années cinquante et au début des années quatre vingt dix
614
C’est en effet l’Acte du 20 juillet 1922 qui donne mandat à la France et à la Grande Bretagne d’administrer
le Cameroun. La France, sous prétexte de maintenir l’ordre public, va procéder à la militarisation du territoire,
en violation des termes du mandat qui tenait à une démilitarisation des territoires sous mandats. On peut situer
à cette date le début d’une mise en œuvre de toute législation d’exception sur le territoire camerounais.

208
maintenir un ordre public dont elles étaient par ailleurs les seules à définir le contenu,
sans véritable prise en compte des droits des administrés.

Bien que ce qui est désigné ici juridicité de crise ne soit pas une invention
camerounaise615, il reste que cette notion prend dans ce contexte une signification
particulière, en raison de certaines circonstances spécifiques liées à la politique générale
de prédominance à outrance des prérogatives de la puissance publique.

L’on sait que l’expression «légalité d’exception» est de monsieur DE


LAUBADERE616, qui, à son sens, sert à désigner la situation où l’autorité administrative
puise une extension de compétence qui n’était pas prévue par la loi. « Les lois en effet
ne seraient faites que pour un certain état normal de la société et devraient être
suspendues dès que cet état normal se trouve modifié617 ». Aussi, si en temps de paix, la
liberté est le principe de la législation, par contre, la nécessité du salut commun est le
principe de la législation de l’état de guerre et des temps anormaux618, « où le salut de
l’Etat passe avant les convenances individuelles619 ». Le Président ODENT le résume
en affirmant qu’ « il faut d’abord vivre620 ». L’auteur semble alors donner raison à
Maurice HAURIOU qui, dans une note sous l’arrêt WINKELL621, affirmait : « c’est très
joli, les lois, mais il faut avoir le temps de les faire, et il s’agit de ne pas être mort avant
qu’elles ne soient faites ». Quand à NAPOLEON III, pour justifier la nécessité qu’il y a
parfois à se départir de la légalité normale pour adopter une légalité d’exception, il
affirmait : « je suis sorti de la légalité pour rentrer dans le droit622 ». Toutefois, il faut
reconnaitre que toute législation de salut public constitue, comme le dit si bien Maurice
HAURIOU lui même, « du droit de seconde qualité623 ».

615
Le Cameroun ne saurait en effet revendiquer un quelconque brevet d’invention sur les régimes de crise. Il
n’a fait que les réceptionner dans son droit au moment du mandat et de la tutelle surtout français, ces régimes
ayant été engendrés par le système juridique de ce pays, il est vrai non sans rapport avec la colonisation,
puisque certains ont vu le jour à l’occasion de la guerre d’Algérie (état d’urgence). Mais si là-bas ces régimes
sont purement circonstanciels et rigoureusement encadrés par le droit, ici, ils consacrent une quasi impunité de
la puissance publique qui est libre de prendre toute mesure qu’elle juge nécessaire au maintien ou au
rétablissement de l’ordre.
616
Rapporté par P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op cit., p. 121
617
Idem, à la même page.
618
Ibid.
619
Ibid.
620
In Concl. C.E. 8 janvier 1943-Recueil Sirey, 1943. 3. 19.
621
M. HAURIOU, Note sous Winkell, C.E., 1er Août 1919-S-1920.3.65
622
Cité par P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op cit., p. 121
623
Idem, p. 122.

209
En effet, si dans le contexte français, la légalité de crise apparait comme un
phénomène purement circonstanciel, « la théorie des circonstances exceptionnelles est
utilisée en Afrique comme un puissant instrument de maintien de l’ordre public 624 ».
Et c’est bien là le problème que pose l’enracinement de ces diverses techniques dans le
système juridique camerounais. Que l’on parle de légalité d’exception 625, de juridicité de
crise, de circonstances exceptionnelles626, elles renvoient toutes ici à la même réalité et
débouchent invariablement sur une déchéance identique des droits et libertés des
citoyens. Car ici, « l’existence d’une législation permanente d’exception atténue
considérablement la portée du principe de légalité et par là même réduit son
efficacité627 ». On pourrait même dire qu’à certains moments, cette juridicité de crise tue
le principe de légalité et par là les droits et libertés des citoyens, dans la mesure où
certains régimes d’exception ne permettent en aucun cas ici un quelconque appel aux
voies de recours dont pourraient légitimement se prévaloir les administrés en cas de
violation souvent flagrante de leurs droits.

L’existence permanente d’une juridicité de crise628, sur le plan du principe, est la


manifestation d’une forme constante d’« exceptionnalisation » du droit, vitrine juridique

624
M. ONDOA, Le droit de la responsabilité…op cit., p. 627
625
J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public camerounais », op cit, p.
105. L’auteur emploi les expressions de « dictature constitutionnelle », et de « parenthèse de césarisme »
pour caractériser la situation du pays au cours de cette période sombre de son histoire.
626
La théorie des circonstances exceptionnelles, qui est une théorie jurisprudentielle, n’existe pas en tant que
telle dans le droit public camerounais actuel. Toutefois, elle a pu y exister avant l’indépendance, à l’époque où
le droit français était applicable au Cameroun, moyennant néanmoins publication des textes dans le journal
officiel du territoire. C’est ainsi que plusieurs textes sur la base desquels cette théorie a été développée par le
Conseil d’Etat ont été publiés au Cameroun. (Voir par exemple, en ce qui concerne la circulation sur le
territoire métropolitain en période de guerre, le Décret du 8 août 1935 portant règlement sur la circulation des
français et des étrangers, le séjour des étrangers et le régime des passeports en temps de guerre, publié dans
le Journal Officiel du Cameroun du 1er novembre 1939, pp. 997-1045, et rendu applicable par un arrêté signé le
même jour et publié dans la même édition du journal officiel. Voir également le Décret du 5 avril 1944 relatif
aux mesures à prendre pendant la période des hostilités, à l’égard des individus dangereux pour la défense des
territoires de l’Afrique française libre et la sécurité publique publié par un arrêté du Gouverneur du Cameroun
français le 6 mai 1944 dans le Journal Officiel du Cameroun français du 15 mai 1944). Bien que la doctrine ait
pendant longtemps discuté sur l’assimilation entre circonstances exceptionnelles et pouvoirs de guerre, il reste
que l’une ou l’autre notion, et même si l’on considère leur distinction, débouche toujours sur une quasi égale
restriction de la liberté. Sur ce débat doctrinal, l’on consultera utilement, pour une distinction entre
circonstances exceptionnelles et pouvoirs de guerre: L. NIZARD, La jurisprudence administrative des
circonstances exceptionnelles et la légalité, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1962, p. 1 et suiv; pour une assimilation de
ces deux notions, lire : BIRAT, La théorie des circonstances exceptionnelles dans la jurisprudence du Conseil
d’Etat, Thèse Poitiers, 1950 ; dans le même sens, FAHMY-MEDANY, La théorie des circonstances
exceptionnelles en droit administratif français et égyptien, Thèse Paris, 1954.
627
A. BOCKEL, « L’administration camerounaise », in Encyclopédie administrative, éd. Berger-Levrault,
1971, p. 12
628
Cette expression est employée ici pour caractériser en les résumant tous les régimes de crise existant dans le
système juridique camerounais et à travers lesquels l’Etat s’emploi méthodiquement à maintenir puissamment
un ordre public constamment en crise. D’une manière plus précise, l’expression juridicité de crise est employée

210
d’un Etat autoritaire, et d’une administration peu soucieuse de la garantie des libertés et
droit des citoyens.

Le caractère inique des régimes de crise au Cameroun prend un relief particulier


dans le maintien de l’ordre public en raison du fait qu’ils ne sont pas vraiment
exceptionnels, c’est-à-dire mis en vigueur de manière marginale. En effet, alors que le
Petit Larousse défini le mot crise comme « période décisive ou périlleuse de
l’existence », l’emploi régulier de ces régimes par les autorités camerounaises tend au
contraire à identifier ces temps de crise au temps tout court. Ici, les régimes de crise sont
prévus et même institutionnalisés, au point où ils semblent constituer la règle en matière
de maintien de l’ordre public.

Une fois la souveraineté internationale pleinement acquise, cette tendance


autoritaire ne sera point infléchie. Au contraire elle sera consolidée, en raison notamment
de la guerre civile sévissant sur certaines parties du territoire et entretenue par la
rébellion de l’Union des Populations du Cameroun. Sont alors permanemment mobilisés
des pouvoirs de crise qui accordent des prérogatives exorbitantes aux autorités
administratives et dont la diversité des régimes d’application laisse la liberté sans voix.
Ainsi sont mise en œuvre, de multiples régimes de crise dont l’existence reste
permanente dans le droit public camerounais, jusqu’à la fin des années 1980. A partir de
cette période, va s’engager une sorte de démantèlement du système en vigueur, si bien
que cette rationalisation des procédés de crise en matière de police administrative
apparait comme l’avancée la plus sensible et la plus notable dans le sens de l’émergence
d’une libéralisation formelle du droit de la police administrative. On peut même dire
qu’il s’agit là du cœur des transformations observées dans ce domaine, tant le système
ancien s’était montré inique. Les régimes d’exception, à force d’être employés jusqu’à
la banalisation avaient fini par devenir la règle, tandis que ceux ordinaires devenaient
l’exception. La perspective logique qui voudrait que les régimes d’exception soit
purement circonstanciels était donc complètement renversée, au détriment des droits et
libertés. C’est donc tout le mérite des changements apportés à l’aube des années 1990,
que d’avoir tenté de rétablir l’équilibre en faveur de la liberté. L’on est donc passé d’une
banalisation des procédés de crise à une « re exceptionnalisation » de ces derniers.

ici pour désigner toutes les situations où l’administration se trouve dans l’obligation de mettre de côté la
légalité normale, pour faire recours à une légalité exceptionnelle, qui sort en quelque sorte de l’ordinaire.

211
SECTION I- DES PROCEDES ANTERIEUREMENT BANALISES

Alors qu’ils sont dans leur principe même purement exceptionnels et donc
circonstanciels et encadrés dans la durée, les procédés exceptionnels de police
administrative ont été mobilisés par les autorités jusqu’à la banalisation. Cette
banalisation, qui prend sa source dans le dispositif juridique colonial, n’a fait qu’être
reconduite par le jeune Etat fraichement indépendant, jusqu’à la fin des années 1980.
Pour bien présenter la continuité qui s’est opérée en la matière entre le droit colonial629 et
le droit national, ces régimes seront présenté sur la base d’une démarcation tenant
compte du moment où l’Etat a accédé à la souveraineté internationale. De ce point de
vue, si l’indépendance a marqué la disparition de certains de ces régimes, elle n’a pas
empêché la mutation, la reconduction ou tout simplement la création de certains autres,
signe de l’enracinement permanent dans le système juridique d’une police administrative
d’exception. Seront donc évoqués dans cette section les régimes en vigueur avant
l’indépendance et ceux ayant existé après la fin630 de la tutelle franco-britannique631.

629
Nous envisageons ici en fait le droit appliqué sur le Territoire camerounais par les puissances mandatrices
puis tutrices. S’il est redondant de dire que celles-ci appliquaient leur propre droit national, moyennant respect
du principe de la spécialité législative, il n’est pas inutile de mentionner que le domaine du maintien de l’ordre
public est celui dans lequel s’est le plus manifesté l’ingénuité créatrice des juristes coloniaux, n’hésitant pas,
lorsque les instruments déjà en vigueur dans la métropole ne leur permettait pas de parvenir aux fins
recherchées, de créer de nouveaux instruments donnant toute latitude aux autorités administratives de
maintenir l’ordre voulu.
630
Cette fin est controversée en doctrine. Le Cameroun oriental et le Cameroun occidental n’ont pas accédé à la
souveraineté internationale à la même date, en raison de la différence des puissances tutrices. Ainsi, la date du
1er janvier 1960 qui est souvent avancée et retenue comme date de l’indépendance du Cameroun apparait
problématique lorsqu’on là passe au crible de l’analyse juridique. En effet, le 1 er janvier 1960 est une date qui
avait été arrêtée comme devant servir pour les festivités de l’indépendance, et ne correspond donc à aucun acte
signifiant au plan juridique. Elle apparait donc comme une date purement symbolique, et ne concerne au
surplus que le Cameroun français. Quand à la date juridique, elle est à rechercher ailleurs, peut être même dans
la résolution de l’Assemblée Générale des nations unies du 13 mars 1959 à travers laquelle cette organisation
lève la tutelle franco-britannique sur le territoire camerounais, et consacre donc nécessairement par là
l’accession du territoire à la souveraineté internationale. Sur la question, lire : M. ONDOA, Traité de droit
constitutionnel et Institutions politiques du Cameroun, Tome 2, L’accession des entités territoriales
camerounaises à la souveraineté…à paraitre
631
Il convient de mentionner à cet effet que les régimes de crise ici étudiés sont principalement ceux en
vigueur dans l’ancien Cameroun oriental, les investigations n’ayant pas été faites pour ce qui est de la partie
occidentale, et ceci pour plusieurs raisons. D’abord, la partie occidentale, administrée par la Grande Bretagne,
n’appliquait pas le droit administratif, mais bien la Common Law. Ce n’est donc qu’après les indépendances
que celle-ci sera concernée par les régimes de crise, le processus d’unification juridique de l’Etat ayant été
initié dès cette période. Ensuite, au plan géographique et démographique, les deux Cameroun se distinguent par
l’hégémonie de la partie orientale sur la partie occidentale, surtout après les indépendances, si bien que très vite
le droit applicable à la partie orientale a commencé à s’étendre à la partie occidentale, surtout en ce qui
concerne justement les régimes de crise.

212
I – LES PREMISSES « COLONIALES »632 DE LA BANALISATION

Le phénomène de banalisation des procédés de crise en matière de police


administrative au Cameroun, s’il a connu son paroxysme pendant et après les années qui
ont suivi l’indépendance, prend ses racines dans le droit colonial, c’est-à-dire pendant la
période où le Cameroun est territoire sous mandat puis sous tutelle franco-britannique.
Aussi ne peut-on pas comprendre ce qui c’est passé après l’indépendance si l’on ne
remonte pas à cette période. La France ayant reçu, suivant les textes internationaux,
mandat d’administrer le Cameroun suivant la législation en vigueur en métropole, elle ne
pouvait donc qu’y exporter les régimes de crise déjà en vigueur sur son propre territoire.
Mais, elle s’est aussi attelée à forger des procédés prioritairement à destination des
territoires qu’elle avait sous son autorité, lesquels lui permettaient de maintenir l’ordre
par des moyens de nature exceptionnelle.

A – La mise en place de procédés exceptionnels de maintien de l’ordre public

Avant l’indépendance, le droit applicable sur le territoire camerounais est


incontestablement un droit d’origine française, en raison de l’assimilation juridique alors
de rigueur. Mais, comme susmentionné et suffisamment démontré par la doctrine633, ce
droit français n’est applicable que moyennant publication des textes juridiques concernés
sur le territoire. C’est ainsi que, si au moment du mandat et de la tutelle français,
plusieurs régimes de crise existent en France, seuls deux d’entre eux peuvent prétendre à

632
Comme déjà mentionné, le terme colonial ne doit pas être entendu ici dans son sens purement formel,
puisque le Cameroun n’a jamais été, dans ce sens, une colonie française, mais juste un territoire sous mandat et
sous tutelle française. Ce terme est donc employé ici juste par commodité de langage, afin de mettre l’accent
sur la continuité entre la situation avant l’indépendance et après l’indépendance. Cela dit, selon les analyses du
Professeur Joseph OWONA auxquelles nous adhérons ici volontiers, cette allégeance à l’autoritarisme avait
déjà été initiée par le constituant colonial lui-même à travers la réception constitutionnelle des pouvoirs de
crise. Elle s’était faite d’abord dans l’acte du 20 juillet 1922 donnant à la France mandat d’administrer le
Cameroun. Ainsi sous prétexte d’assurer le bon ordre, la France procèdera à la militarisation du territoire
camerounais, en violation flagrante du statut international du mandat, qui prônait la démilitarisation des
territoires sous mandat de la SDN (J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit
public camerounais », op cit. p. 106).
Ensuite, dans l’accord de tutelle de 1946, il est accordé à la puissance tutrice la compétence pour prendre
toutes mesures d’organisation et de défense propres à assurer la participation du territoire au maintien de la
paix et de la sécurité internationales, le respect de l’ordre intérieur et la défense du territoire (J. OWONA,
Idem, à la même page ).
Enfin, les textes d’autonomie (Voir décret n° 57-509 du 16 Avril 1957 (autonomie interne) et Ordonnance du
30 Décembre 1958 (autonomie complète)) accordent à l’administration d’importants pouvoirs lui permettant
d’assurer la primauté des exigences liées au maintien de l’ordre, en négligeant la sauvegarde corrélative des
droits des citoyens.
633
ONDOA Magloire, Le droit de la responsabilité dans les Etats en développement, op cit… Du même
auteur, « Le droit administratif français en Afrique », op cit…

213
l’application sur le territoire camerounais634. L’un, forgé par le juge administratif, est
connu sous l’appellation de théorie des circonstances exceptionnelles. Quand à l’autre, il
est l’œuvre du législateur, et se décline sous l’appellation de l’état de siège.

1 – Le procédé textuel : l’état de siège

Créé par la loi du 9 août 1849635 modifiée par celle du 3 avril 1878636, ce régime
de crise est mis en vigueur au Cameroun à travers la publication desdites lois au journal
officiel de l’Afrique Equatoriale Française de 1917637. Il convient, avant d’analyser les
effets de l’état de siège, d’évoquer les conditions de sa déclaration.

a) La déclaration de l’état de siège

Selon l’article 1er de la loi du 9 août 1849 modifiée, « l’état de siège ne peut être
déclaré qu’en cas de péril imminent, résultant d’une guerre étrangère ou d’une
insurrection à main armée ». Il est déclaré par une loi, laquelle désigne les communes,
les arrondissements ou départements auxquels il s’applique. La même loi fixe sa durée, à
l’expiration de laquelle l’état de siège cesse de plein droit, à moins qu’une nouvelle loi
n’en prolonge les effets638.

Ainsi, on peut observer que seul le législateur est compétent pour ce qui est de la
déclaration de l’état de siège, ce qui dénote une certaine logique juridique639 et le respect
accordé à la liberté que ce régime est sensé oblitérer, puisque dans la tradition juridique
française, il n’y a que le législateur qui peut poser des restrictions à la liberté des

634
En effet, lorsqu’on consulte le droit positif français de cette période, l’on constate que plusieurs régimes de
crise existent déjà, tant au plan constitutionnel qu’au plan législatif. Mais tous n’ont pas une prétention égale à
l’application sur le territoire camerounais. C’est ainsi que si l’article 92 de la Constitution de l’An VIII, selon
lequel « dans le cas de révolte à main armée ou de troubles qui menacent la sûreté de l’Etat, la loi peut
suspendre dans les lieux et pour le temps qu’elle détermine l’empire de la Constitution » prévoit
effectivement un régime de crise, celui-ci ne peut être appliqué sur le territoire camerounais, en raison de son
antériorité au régime du mandat, et surtout du fait que ladite constitution n’avait point connue de publication
sur le territoire. Quand à l’article 16 de la Constitution de 1958, il ne peut non plus prétendre à l’application car
étant advenu au moment où le Cameroun possédait déjà ses propres textes fondamentaux.
635
Loi du 9 août 1849 sur l’état de siège.
636
Loi du 3 Avril 1878 relative à l’état de siège et apportant quelques modifications à la loi du 9 août 1849.
637
P. 65.
638
Art.1er alinéa 2.
639
La logique juridique ici est celle du droit français qui, en cette période de l’état légal, situe la loi au sommet
de la hiérarchie normative, et là considère donc comme seule pouvant réglementer les libertés et droits, ces
derniers étant, au sens de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen considérés comme « naturels,
inaliénables et sacrés », et ne devant donc en aucune sorte souffrir de limitations. Lire, sur le passage de l’Etat
légal à l’Etat de droit, L. FAVOREU, « Légalité et constitutionnalité », in Cahiers du Conseil Constitutionnel,
n° pp.

214
citoyens640. Cependant, une exception est posée à cette compétence exclusive du
législateur, car, « en cas d’ajournement des Chambres, le Président de la République
peut déclarer l’état de siège, de l’avis du Conseil des ministres ; mais alors les
Chambres se réunissent de plein droit deux jours après641 ». Ce pouvoir de déclaration
reconnu exceptionnellement au Président de la République apparait donc comme
particulièrement encadré, ce qui peut signifier une sorte de défiance vis-à-vis de
l’exécutif, laquelle défiance s’explique par la théorie de la souveraineté législative alors
ambiante. Cette défiance se confirme par le fait que même en cas de dissolution des
Chambres, « l’état de siège ne pourra, même provisoirement, être déclaré par le
Président de la République », sauf en cas de guerre étrangère. Et même dans ce dernier
cas, il642 est tenu de requérir l’avis obligatoire du Conseil des ministres, de convoquer les
collèges électoraux et de réunir les Chambres « dans les plus brefs délais possibles643 ».
Et encore, l’état de siège ne pourra être déclaré dans ce cas que dans les zones menacées
par l’ennemi.

Ce régime de crise, au total, apparait comme particulièrement encadré en France,


du moins pour ce qui est de sa déclaration644, ce qui confirme son caractère
particulièrement exceptionnel. La doctrine observe, en ce qui concerne sa mobilisation,
qu’il est rarement utilisé645 ; au cours du 20e siècle, il ne fût déclaré qu’à l’occasion des
deux guerres mondiales646.

Initialement conçu pour la France, l’état de siège sera étendu à l’Afrique française
et particulièrement au Cameroun, avec quelques réaménagements pour ce qui est des
autorités compétentes pour le déclarer. Ainsi, « dans les colonies françaises, la
déclaration de l’état de siège est faite par le Gouverneur de la colonie. Il doit en rendre
compte au Gouvernement647 ». Cette compétence du Gouverneur de la colonie souffre
d’une seule exception, laquelle est posée par l’article 5 du texte : « dans les places de

640
Sur la théorie de la souveraineté de la loi, on lira utilement : R. CARRE DE MALBERG, La loi, expression
de la volonté générale, op cit…
641
Art. 2.
642
C’est-à-dire le Président de la République.
643
Art. 3 in fine.
644
Si en effet l’acte de déclaration de l’état de siège est considéré ici comme un acte de gouvernement, et ne
peut donc être contrôlé par le conseil d’Etat, tous les autres actes pris en application de celui-ci font l’objet
d’un contrôle étroit de la part du juge administratif.
645
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit., p. 200.
646
Ibid.
647
Art. 4.

215
guerre et postes militaires, soit de la frontière, soit de l’intérieur, la déclaration de
l’état de siège peut être faite par le commandant militaire (…) qui en rend compte au
Gouvernement ».

Quoiqu’il en soit, que ce soit le Gouverneur ou le commandant militaire, l’on


constate que dans les colonies, la déclaration de l’état de siège est laissée à une autorité
exécutive, ce qui abouti à une situation totalement contraire à celle en vigueur en France.
Si en effet la bas la compétence de l’organe législatif laisse entrevoir une certaine
garantie des droits des citoyens, puisque le parlement est l’émanation de la volonté
directe du peule, ici, la compétence d’autorités exécutives n’est pas de nature à garantir,
ne serait ce que sur le plan du principe, la sauvegarde desdites libertés. De plus ici, le
gouverneur ne requiert l’avis d’aucune autorité pour prendre sa décision. On aurait peut-
être pu penser qu’il consulta préalablement le Conseil d’Administration du Territoire648,
qui jouait ici le rôle, quoique minime, d’organe législatif. Mais rien n’y fait. Le régime
de l’état de siège, appliqué au Cameroun, ne bénéficie pas du même encadrement qu’en
France, et reste donc potentiellement dangereux pour les libertés, surtout quand on sait
les effets qu’il peut avoir vis-à-vis d’elles.

b) Les effets de l’état de siège

La déclaration de l’état de siège emporte des conséquences tant en ce qui


concerne l’exercice du pouvoir de police que du contentieux issu de la période de siège.

Dans le premier cas, la déclaration de l’état de siège à pour effet de transférer le


pouvoir de police des autorités civiles aux autorités militaires. En effet, l’article 7 de la
loi sus visée énonce : « aussitôt l’état de siège déclaré, les pouvoirs dont l’autorité
civile était revêtue pour le maintien de l’ordre et de la police passent tout entiers à
l’autorité militaire ». On sait en pareille circonstance à quelles conséquences peut
aboutir l’application d’une loi quasi martiale vis-à-vis des libertés. Néanmoins, les
autorités civiles ne sont pas totalement disqualifiées, puisqu’elles peuvent continuer à
exercer ceux de leurs pouvoirs dont elles n’ont pas été dessaisies par les autorités
militaires. Mais si l’on compare les pouvoirs détenus par les deux types d’autorités, aussi

648
Même si on sait que de par sa conception, sa structuration et sa composition, le Conseil d’Administration du
Territoire n’était pas vraiment un contre pouvoir, et ne pouvait donc en aucune manière contrecarrer l’action
du Gouverneur. Mais au moins eut-on pu sauvé les apparences en lui octroyant le droit d’être consulté en
pareille circonstance.

216
bien en quantité qu’en qualité, l’on est forcé de constater que ceux des autorités
militaires s’avèrent plus importants. En effet, ces autorités militaires ont le droit de faire
des perquisitions de jour et de nuit dans le domicile des citoyens, ce qui porte atteinte à
la vie privée; d’éloigner les repris de justice et les individus qui n’ont pas leur domicile
dans les lieux soumis à l’état de siège, ce qui porte atteinte à la liberté de circulation ;
d’ordonner la remise des armes et des munitions, et de procéder à leur recherche et à leur
enlèvement, ce qui porte au droit de propriété, et même au droit pour chacun de se
défendre en cas de danger ; d’interdire les publications et les réunions qu’elle juge de
nature à exciter ou à entretenir le désordre, ce qui porte atteinte à la liberté d’expression
et à la liberté de réunion et de manifestation publiques.

On peut observer, au vu de l’importance des pouvoirs détenus par les autorités


militaires, l’hypothèque mise sur les libertés et droits des citoyens. Et si une certaine
garantie juridictionnelle est toujours possible à travers le recours au juge, celle-ci est
tempérée d’abord à travers la centralisation de la justice administrative et même
judiciaire à cette époque, mais aussi par la compétence de la justice militaire pour un
certain nombre d’infractions.

Pour ce qui est du contentieux en effet, la déclaration de l’état de siège a pour


effet de donner compétence aux juridictions militaires de connaitre d’un certains
nombres d’infractions. En effet, aux termes de l’article 8 de la loi du 9 août 1849 649, «
dans les territoires déclarés en état de siège, au cas de péril imminent résultant d’une
guerre étrangère, les juridictions militaires peuvent être saisies, quelle que soit la
qualité des auteurs principaux ou des complices, de la connaissance des crimes prévus
et réprimés » par un certains nombres d’articles du Code pénal650. Il s’agit pour
l’essentiel des infractions relatives à l’espionnage, à l’entretien de relations avec les
sujets d’une puissance ennemie, de la provocation à la désobéissance des militaires
envers leurs chefs, des crimes d’assassinat, de meurtre, d’incendie, de pillage, de
destruction d’édifices ou d’ouvrages militaires, des attentats contre la sûreté de l’Etat. Il
est à noter que cette compétence des juridictions militaires se poursuit même après la

649
Disposition issue de la réforme portée par la loi du 27 avril 1916, publiée au Journal Officiel de l’Afrique
Equatoriale Française, 1917, p. 65.
650
Il s’agit des articles 75 et 85, 87 à 99, 109, 110, 114, 118, 119, 123 à 126, 132, 133, 139, 140, 141, 166, 167,
177 à 179, 188, 189, 191, 210, 211, 265 à 267, 341, 430 à 432, 434, 435, 440 et 441 du Code pénal.

217
levée de l’état de siège651. Même si cette compétence des juridictions militaires ne
concerne pas que les matières ayant un rapport avec la police administrative, elle
contribue à rendre exceptionnel les régimes de contrôle de la vie des citoyens, il est vrai
en période de crise.

S’agissant de la levée de l’état de siège, la loi là prévoit, pour ce qui est des
colonies, d’une manière qui confirme la toute puissance du Gouverneur en la matière, et
donc l’idée de prédominance des exigences liées au maintien de l’ordre public. Elle est
ainsi énoncée : « l’état de siège déclaré conformément à l’article 4, pourra être levé par
les gouverneurs des colonies, aussitôt qu’ils croiront la tranquillité suffisamment
rétablie ». Bien curieuse façon d’énoncer une disposition juridique aussi importante.
Alors qu’en France l’état de siège est limité dans une période bien définie dans le texte
qui là déclare, en Afrique, le Gouverneur n’est pas expressément tenu d’en fixer les
limites temporelles. Beaucoup plus grave, la fin de ce régime est laissée à son libre
arbitre, et donc à une donnée purement subjective. Le fait de dire que l’état de siège
prend fin lorsque le Gouverneur « croit » la tranquillité « suffisamment » rétablie est en
effet un blanc seing donné par la loi à cette autorité pour mettre fin à l’état de siège selon
son bon vouloir. C’est loin d’être rassurant pour les libertés.

Cela dit, le procédé de l’état de siège était doublé d’un autre, au moins autant
dangereux pour les libertés, à savoir la théorie des circonstances exceptionnelles.

2 – Le procédé jurisprudentiel : la théorie des circonstances exceptionnelles

Elle apparait dans la jurisprudence du Conseil d’Etat à l’occasion de la Première


guerre mondiale652, c’est-à-dire au moment même où la France commence à exercer sa
domination sur le Territoire du Cameroun à travers un mandat de la SDN653. Au moyen
de cette théorie, le Conseil d’Etat vient consacrer l’existence d’une « légalité de crise,

651
Article 13 de la loi de 1849.
652
C.E., 28 juin 1918, Heyriès. Cela dit, le principe d’une légalité d’exception avait depuis longtemps déjà été
posé par le législateur. En effet, c’est pour la toute première fois, la loi des 9 et 11 août 1849, elle-même
complétée par celle du 3 août 1878 (toutes sur l’Etat de siège) qui pose ce principe. Est ainsi consacrée l’idée
selon laquelle des restrictions importantes peuvent être apportées aux libertés publiques, lorsque l’intérêt
public l’exige.
653
Il convient en effet de mentionner que, si l’Acte de la S.D.N. qui donne mandat à la France et à la Grande
Bretagne d’administrer le Cameroun date du 20 juillet 1922, la France avait déjà pris possession du Cameroun
dès 1916, grâce à sa victoire sur l’Allemagne, jusque là puissance dominatrice. Elle avait donc pu, dès cette
date, asseoir son autorité tant au plan politique qu’au plan juridique.

218
venant se substituer au principe de légalité qui a cours en temps normal654 ». Selon la
Haute juridiction en effet, « les limites des pouvoirs de police dont l’autorité publique
dispose pour le maintien de l’ordre et de la sécurité (…) ne sauraient être les mêmes
dans le temps de paix et pendant la période de guerre où les intérêts de la défense
nationale donnent au principe de l’ordre public une extension plus grande et exigent
pour la sécurité publique des mesures plus rigoureuses655 ».

La théorie des circonstances exceptionnelles est construite sur l’idée qu’il existe
parfois, dans la vie de l’Etat, des situations dans lesquelles ce dernier ne peut continuer
de respecter la légalité sans mettre son existence même en péril. Les autorités se trouvent
alors devant un dilemme : soit elles continuent de respecter les libertés et elles mettent
en péril le salut de la collectivité, soit elles privilégient le salut de la collectivité et elles
mettent en berne le respect des libertés. Le juge résout alors cette impasse en validant
juridiquement les actes pris par les autorités exécutives pour faire face à la menace en
cours. Ces actes, bien que violant la légalité, sont néanmoins validés sur la seule
justification du caractère exceptionnel des circonstances.

Initialement appelée théorie des pouvoirs de guerre656, la théorie des


circonstances exceptionnelles permet de donner les pouvoirs les plus larges aux autorités
administratives, afin de leur permettre de faire face aux enjeux du moment, et
sauvegarder ainsi l’intérêt supérieur de la nation. Mais, comme là excellemment
démontré Lucien NIZARD657, elle doit être distinguée de la théorie des pouvoirs de
guerre, ou tout au moins ne pas se résumer à la seule hypothèse de guerre, car la théorie
peut parfaitement, comme là admis le Conseil d’Etat658, trouver à s’appliquer même en
dehors d’une situation de guerre.

La théorie des circonstances exceptionnelles donne, selon le Professeur Roland


DRAGO, à l’exécutif « le pouvoir, dans le cadre établi, de déroger à toute la législation

654
C.E., 28 juin 1918, Heyriès.
655
C.E., 28 février 1919, Dames Dol et Laurent.
656
C’est en effet sous ce seul prisme que le Conseil d’Etat, au départ, considère cette théorie, car la guerre est,
dit-il alors, la situation exceptionnelle par excellence. Mais, progressivement, la théorie connait une extension,
pour s’appliquer aux périodes d’après guerre (C.E., 27 juin 1924, Chambre syndicale des patrons confiseurs et
chocolatiers), à une menace de grève générale (C.E., 18 avril 1947, Jarrigion), à une éruption volcanique (C.E.,
18 mai 1983, Rodes). L’évolution de cette théorie a conduit à l’élargir progressivement à toutes les situations
où les autorités administratives chargées du maintien ou du rétablissement de l’ordre se trouvaient dans
l’impossibilité de remplir leur mission en restant dans le cadre strict de la légalité.
657
L. NIZARD, La jurisprudence administrative des circonstances exceptionnelles et la légalité, précité…
658
C.E., 18 mai 1983, Rodes, A.J.D.A., 1984, p. 44, note MOREAU.

219
établie659 ». Mais la suggestion d’un encadrement des pouvoirs de l’autorité
administrative en cas de circonstances exceptionnelles cadre mal avec l’esprit de cette
théorie jurisprudentielle, savamment construite pour donner à l’exécutif une sorte de
blanc seing sur tous les actes pris dans le sens de juguler la menace contre laquelle il faut
protéger l’entité nationale. C’est pourquoi le Professeur René CHAPUS a raison
d’affirmer que cette théorie « assure l’extension des pouvoirs des autorités
administratives autant qu’il le faut pour qu’elles puissent prendre les mesures
imposées par le caractère exceptionnel des circonstances660 ». La théorie des
circonstances exceptionnelles a donc pour effet de renforcer les pouvoirs de
l’administration. Mais pas seulement, puisque, à en croire Gaston JEZE, « pratiquement,
les autorités de police ont, en temps de guerre, des pouvoirs illimités, puisque le
contrôle juridictionnel est à peu près illusoire661 ». Une chose au moins semble donc
claire. C’est que la théorie des circonstances exceptionnelles a pour effet de renforcer les
pouvoirs de l’administration662. Ainsi, les actes administratifs qui auraient été illégaux en
période de paix sont considérés comme légaux en temps de guerre 663. De même, et de
manière corrélative, cette théorie conduit à une forte restriction des libertés664 et même à
leur méconnaissance. Elle rentre donc ainsi dans la même logique que tous les autres
régimes de crise qui mettent un voile sur les libertés et droits des citoyens.

Mais il faut tout de même mentionner que cette théorie ne met pas l’exécutif au
dessus de la loi, car, « quelques larges que soient les pouvoirs de police du
Gouvernement, en temps de guerre, vis-à-vis des nationaux, le Conseil d’Etat en
soumet l’exercice au contrôle juridictionnel665 ». En cela, « la théorie des
circonstances exceptionnelles se différencie des régimes précédents puisque
l’existence même de telles circonstances fait l’objet d’un entier contrôle du juge
administratif alors que la décision du Président de la république de mettre en œuvre
l’article 16 de la Constitution est un acte de gouvernement, et que la décision de

659
R. DRAGO, « L’Etat d’urgence et les libertés publiques », R.D.P., 1955, p. 696
660
R. CHAPUS, Droit administratif général, tome I, précité, n°1274
661
G. JEZE, Note sous C.E., 9 janvier 1920, MUSART, R.D.P., 1920. 88.
662
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, précité, p. 208
663
T. BRETON, « La guerre saisie par le droit : la doctrine de Gaston JEZE », RFDA 2012, pp. 161 et s.
664
Idem, à la même page.
665
G. JEZE, « Actes de gouvernement et pouvoirs de guerre », R.D.P., 1924, p. 598 et suiv.

220
déclarer l’Etat de siège comme, probablement, celle de déclarer l’Etat d’urgence
relèvent d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation666 ».

Pour ce qui est du contrôle du juge, on peut observer que celui-ci a varié au fil du
temps. Au départ, l’appréciation du caractère exceptionnel des circonstances se fait sur la
base de considérations générales, tenant prioritairement compte de l’environnement du
moment. Autrement dit, il suffit qu’une situation de guerre survienne, que certains
troubles soient observés, ou que certaines catastrophes adviennent pour que le juge
applique la théorie des circonstances exceptionnelles. Mais, progressivement, le juge a
pu préciser son contrôle et l’affiner, de telle sorte que son action là conduit à tenir
compte des circonstances concrètes des évènements. Il procède donc à ce qu’on pourrait
appeler une analyse in concréto667. Mais de manière globale, il tient compte de certaines
conditions, telles l’existence d’une situation anormale et exorbitante, l’impossibilité pour
l’administration d’agir légalement, la mise en danger d’un intérêt public suffisamment
important.

Il apparait donc ainsi que la théorie des circonstances exceptionnelles est une
arme redoutable donnée par le juge aux autorités chargées du maintien de l’ordre public,
afin de leur permettre de faire face à des situations de péril, mais dans une quasi mise
entre parenthèse des libertés des citoyens. Conçue et appliquée en France, il reste à
savoir quel a pu être son sort dans le cadre du territoire camerounais alors sous
domination française.

La question principale à laquelle il faut apporter une réponse ici est celle de
savoir si la théorie des circonstances exceptionnelles a existé dans le droit applicable au
Cameroun avant l’indépendance. Autrement dit, le Cameroun a-t-il reçu dans son droit
cette théorie jurisprudentielle française ?

La question ne devrait pas étonner, si l’on tient compte de la théorie668 de


l’autonomie des droits africains, d’après laquelle que ce soit avant l’indépendance, et
encore moins après, le droit français n’était pas systématiquement applicable au

666
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, précité, p. 207
667
A titre d’exemple, si le Conseil d’Etat a considéré toute la période de la première guerre mondiale comme
constituant une période de circonstances exceptionnelles, à l’occasion de la deuxième guerre mondiale, il n’a
considéré que la seule période des hostilités (exode de mai-juin 1940, bataille de la libération etc.). Tel est donc
le sens du contrôle in concréto, qui ne considère plus la situation générale de guerre, mais les seules
circonstances propres à l’affaire déférée devant lui.
668
Cf. supra, Introduction.

221
Cameroun. Les fondements juridiques669 d’une telle conception ont suffisamment été
exposés plus haut pour qu’il soit besoin d’y revenir670. Mais soulever une telle
problématique amène en fait à situer le débat sur un terrain plus général, celui de la
situation réservée à la jurisprudence française pendant la période où cette puissance
exerçait sa domination sur le Cameroun.

La question se pose donc, pertinente, du sort réservé à la jurisprudence française,


quand à son applicabilité sur les territoires sous domination. Si le sort du droit écrit est
en quelque sorte réglé par le principe de la spécialité législative671, celui du droit
jurisdit672 devrait également l’être par des arguments juridiques incontestables. Il n’est
pas question, que l’on se rassure, de soutenir ipso facto l’idée d’une applicabilité du droit
jurisprudentiel français sur les territoires sous domination673, car le présupposé est plutôt
contraire, à savoir que ce droit n’est pas automatiquement applicable. En effet, le droit
jurisprudentiel accompagne celui écrit et lui est accolé, car il l’interprète, l’explique et le
rend effectif. Aussi, l’inapplicabilité directe du droit écrit emporte donc inéluctablement
et en toute logique celle du droit jurisdit674.

Mais le problème n’est pas aussi simple, car le droit jurisprudentiel ayant une
spécificité à savoir son caractère non écrit675, la formalisation de son exportabilité ou au
contraire de son importabilité676 s’avèrent plus diffus, et peut donc réduire le champ du
doute quand à sa réception par un juge ou un droit étrangers, à l’instar de ceux

669
M. ONDOA, « Le droit administratif français en Afrique francophone », op cit., p. 295. L’auteur identifie
en la matière deux fondements juridiques majeurs à l’inapplicabilité directe des sources formelles du droit
français en Afrique à savoir : le principe de la spécialité législative et, après l’indépendance, la souveraineté et
son corolaire qu’est le principe de territorialité.
670
Voir, pour une synthèse de la théorie de l’autonomie des droits africains : ONDOA Magloire, Introduction
historique au droit camerounais. Eléments pour l’originalité des droits africains, Yaoundé, E.D.L.K., 2013.
671
Cf., supra, introduction.
672
Cette expression est empruntée au Professeur BIPOUN WOUM, in « Recherche sur les aspects actuels de la
réception du droit administratif dans les Etats d’Afrique noire d’expression française », op cit., p. 363. Elle sert
à désigner les règles de droit issues de l’activité juridictionnelle ou, si l’on veut, les règles juridiques issues du
pouvoir d’interprétation du juge.
673
Contra : R. DEGNI SEGUI, La succession d’Etat en Côte d’Ivoire, op cit., pp. 74 et s. Du même auteur,
Droit administratif général, C.R.E.S., Abidjan, 1990, p. 28. ; A. S. OULD BOUBOUTT, « Existe-il un
contentieux administratif autonome en Mauritanie? Réflexions à propos d’une décision jurisprudentielle
récente », Penant, n°786-787, 1985, pp. 58-88 ; M. YEM GOURI, « La responsabilité civile de l’Etat : une
application maladroite du droit administratif par le juge judiciaire », R.J.P.I.C., n°3, juillet-septembre 1987, pp.
199-214.
674
Ce droit jurisdit est alors considéré comme le complément nécessaire de celui dit écrit.
675
Il ne faut pas prendre cette expression au pied de la lettre, car le caractère non écrit du droit jurisprudentiel
est sujet à caution. C’est donc ainsi qu’en doctrine, l’emploi de ce qualificatif ne fait pas l’unanimité, puisque
les décisions du juge desquelles sont issues les principes jurisprudentiels sont justement écrites, si bien qu’il
faut considérer le qualificatif non écrit comme signifiant plutôt non codifié.
676
ONDOA Magloire, « Le droit administratif français en Afrique francophone », op cit., p.316.

222
camerounais. Mais le débat ici étant exclusivement juridique, il est nécessaire que l’on
s’appuie sur des instruments juridiques beaucoup plus concrets, afin d’asseoir l’existence
potentielle, dans le droit camerounais de l’avant indépendance, de la théorie des
circonstances exceptionnelles.

Cette existence est possible non pas sur la base de la théorie du mimétisme
jurisprudentiel, mais sur la base de celle de l’autonomie, qui comme on le sait, ne
signifie pas enfermement, mais respecte la spécificité des Territoires puis la
souverainetté des Etats africains.

Les termes de la controverse sont profonds, mais clairs. La doctrine, en cherchant


à résoudre la question de l’applicabilité du droit français en Afrique, identifie quatre
significations ou compréhensions de l’expression Droit français677 : celle-ci peut servir à
désigner soit le droit de la métropole non étendu à l’empire colonial, soit le droit
métropolitain étendu à l’empire colonial, soit le droit élaboré par les autorités locales,
soit le droit français postcolonial678. Il est clair que s’agissant des Droits métropolitain
non étendu et postcolonial, ils ne peuvent en aucun cas prétendre à l’application sur les
Territoires africains679. Quand aux deux autres catégories de Droits, seules elles peuvent
prétendre à l’application. Mais il faut encore distinguer ici le droit écrit de celui non
écrit680, car seul le premier est concerné par le principe de la spécialité législative. Quand
au second, il reste à identifier le titre juridique sur la base duquel il peut prétendre à
l’application dans les Territoires d’outremer.

Une chose doit d’abord être clairement dite, à savoir que le droit jurisprudentiel
ne peut en aucun cas prétendre à la publication préalable sur les Territoires d’outremer,
car il ne bénéficie pas d’une formalisation particulière681. Ce défaut de formalisation

677
Idem, p. 293.
678
A savoir le droit produit en France après l’accession du Cameroun à la souveraineté internationale.
679
Evidemment, ces derniers ne sauraient en aucun cas prétendre à l’applicabilité, en raison du principe de la
spécialité législative pour le premier et du principe de souveraineté pour le second. Ce dernier s’oppose à ce
que le droit d’un Etat puisse prétendre à l’application dans un autre Etat.
680
Encore une fois, cette distinction du droit écrit de celui jurisprudentiel et qualifié de non écrit peut
apparaitre contestable, selon une partie de la doctrine. En effet, « la loi et la jurisprudence ne forment-elles pas
un tout ? » En droit administratif par exemple, « faut-il admettre que les principes généraux de droit dégagés
par le Conseil d’Etat » ne puissent être appliqué alors même que ce sont eux qui enrichissent les lois à travers
une interprétation jurisprudentielle ? Voir sur ce point les interrogations du Professeur CONAC « le juge et la
construction de l’Etat de droit en Afrique francophone », in L’Etat de droit, Mélanges offerts à Guy
BRAIBANT, Paris, Dalloz, 1996, p. 108
681
On ne peut en effet envisager l’idée d’une décision de justice publiée telle qu’elle au journal officiel, soit-il
d’un territoire sous mandat ou sous tutelle. Une telle démarche ne répondrait pas aux objectifs recherchés par
la formalité de la publication, à savoir entre autres, rendre le droit non seulement accessible, mais aussi et

223
empêche donc un mode de diffusion assimilable à la promulgation puis/ou à la
publication.

Par quel moyen donc ce droit jurisprudentiel pourrait-il prétendre à l’application


dans les Territoires sous domination? La solution la plus probable et qui semble s’être
imposée, est donc celle du transfert en terme d’emprunt jurisprudentiel, par le juge
national. Mais pour qu’un tel transfert puisse s’opérer, il faudrait au moins que les
circonstances soient similaires de part et d’autre, c’est-à-dire tant dans le milieu
d’emprunt que dans le milieu de réception. Or une telle similarité est incontestable à
plusieurs égards

D’abord, les deux régions ont expérimenté des périodes de périls graves, en
l’occurrence des guerres682, de telle sorte que le recours à une telle jurisprudence n’aurait
pas manqué de justification. Ensuite, l’idée d’une légalité d’exception existe de part et
d’autre, avec pour preuve la promulgation et la publication de textes sur l’Etat de siège
ainsi que les règles à observer en période d’hostilités683, si bien que, le juge local n’aurait
pas pu ne pas adopter une telle jurisprudence propice à la sauvegarde du salut public et
même de l’Etat. Enfin, et encore plus important, il ne faut jamais oublier ici le rôle
central du Conseil d’Etat qui, on a tendance à l’oublier, a exercé sa juridiction 684 sur les
territoires d’outremer, de telle sorte que sa jurisprudence était potentiellement applicable
à ces Territoires. Cette juridiction était, s’agissant du Cameroun par exemple, juge
d’appel du contentieux administratif, le Conseil du contentieux administratif étant juge
de premier ressort.

Comme on le voit donc, tous les éléments du transfert de jurisprudence étaient


réunis. Il ne manquait plus que le juge local soit saisi d’une affaire propice à pareille
démarche. Il est vrai, le scénario idéal ici pour fonder en droit positif camerounais
l’existence de la théorie des circonstances exceptionnelles dans ce pays est l’existence
d’une prise de position claire du juge dans le cadre d’une décision de justice.

surtout intelligible. Lire : A. AKAM AKAM, « Libres propos sur l’adage ‘’nul n’est sensé ignorer la loi’’ »,
op cit., à la même page.
682
Il ne faut pas oublier que la théorie des circonstances exceptionnelles s’appelle à l’origine théorie des
pouvoirs de guerre, car elle est née dans ce contexte là, c’est-à-dire celui de la première guerre mondiale. Or si
celle-ci a donné lieu à des hostilités en France, elle n’a pas épargné le territoire du Cameroun, puisque des
combats ont opposé ici les troupes françaises à celles allemandes puissance administrant jusque là le
Cameroun.
683
Cf. infra
684
E. MBARGA, « L’évolution de la juridiction du Conseil d’Etat sur le Cameroun », in Annales de la Faculté
de Droit et des Sciences Economiques de l’Université du Cameroun, n° 7, 1974, pp. 406-428.

224
Mais il faut dire qu’à l’analyse, une telle exigence n’est pas ici absolue. En effet,
parmi « les plus importantes exceptions au principe de la spécialité législative », l’on a
les règles concernant les institutions à compétence générale, au rang desquelles le
Conseil d’Etat685. La compétence générale de ce dernier sur les Territoires d’Outre-mer
fut alors reconnue par la loi du 24 mai 1872. Cette consécration législative de la
compétence du Conseil d’Etat sur les Territoires d’Outre-mer rendait ipso facto la
jurisprudence de la haute juridiction et donc la théorie des circonstances exceptionnelles
potentiellement applicables sur le territoire camerounais, car rien ne s’y opposait, ce
d’autant plus que la nécessité d’une application préalable de la théorie par une
juridiction locale ne s’imposait plus. La doctrine semble d’ailleurs confirmer cette
position, car, « dégagées par la jurisprudence beaucoup plus que par les textes, les
règles générales du droit administratif avaient toujours été appliquées par le Conseil
d’Etat dans les affaires intéressant l’Outre mer686… ». La preuve en est que jusqu’à
l’indépendance687, les principes généraux de droit figuraient au rang des exceptions au
principe de la spécialité législative.

Mais au-delà de ces régimes de crise formellement identifiés comme tels, existent
également à cette période des mécanismes exceptionnels de maintien de l’ordre, moins
connus peut être, mais non moins liberticides.

B – La tendance constante à l’usage de procédés exceptionnels de maintien de


l’ordre public

Ils se déclinent par une tendance permanente à un maintien renforcé de l’ordre


public, et par une récurrence du recours prolongé à la législation de guerre.

1 – La permanence du maintien renforcé de l’ordre public

Du début du mandat jusqu’à l’indépendance, le maintien de l’ordre sur le


territoire camerounais n’a pas été un long fleuve tranquille. Au contraire, cette activité a
été émaillée de plusieurs phases au cours desquelles la législation mise en vigueur s’est

685
Les autres institutions étant la Cour de Cassation et le Tribunal des Conflits.
686
E. MBARGA, « L’évolution de la juridiction du Conseil d’Etat sur le Cameroun », op cit, p. 406 et s.
687
Il faut en effet se défier ici de l’affirmation du Professeur LAMPUE selon laquelle les Etats qui ont pris la
place des anciens Territoires sous domination ont recueilli les principes généraux de droit dans leur ordre
juridique au moment de leur constitution comme ils ont recueilli la législation. P. LAMPUE, « La justice
administrative dans les Etats d’Afrique francophone », RJPIC n°1, 1965, p. 3 et s.

225
vue renforcée, et les régimes de maintien de l’ordre se sont vus particulièrement durcis,
dans le sens d’assurer la réussite des objectifs de la puissance mandatrice puis tutrice.
Ces procédés de renforcement du maintien de l’ordre avaient plusieurs causes, dont
notamment la lutte contre les soulèvements de toutes sortes, l’accompagnement du
régime de l’indigénat, la lutte contre les épidémies, endémies, épizooties et autres fléaux,
la lutte contre l’insalubrité, etc. Mais le cœur de ces différentes procédures était la
réussite de la mission coloniale, dont les ressorts inconnus du commun des indigènes,
rendait encore plus incompréhensible et inique lesdits régimes.

Le régime ordinaire de la police administrative au Cameroun est celui posé par la


loi municipale française du 5 avril 1884, du moins dans ses parties publiées sur le
territoire camerounais. Mais à coté de ce régime normal, plusieurs régimes de maintien
renforcé de l’ordre public existaient, et qui ont introduit progressivement à une
banalisation des procédés de crise en cette matière, en raison de leur récurrence. A titre
illustratif, un décret du 19 novembre 1947688 promulgue sur le territoire du Cameroun un
ensemble de textes renforçant, en cas besoin, le maintien de l’ordre public. Il s’agit ainsi
par exemple du décret du 23 octobre 1935689, dont les modalités d’application sont fixées
par un arrêté du 17 décembre 1947690. Ces mesures de renforcement de l’ordre public,
soumises à une déclaration691 préalable, donnent des pouvoirs particulièrement
importants aux différentes autorités de police administrative. C’est ainsi par exemple que
les autorités de police administrative peuvent prendre des mesures d’expulsion ou
d’interdiction692 de séjour dans certaines portions du territoire, lorsque l’on n’a pas
procédé à une déclaration préalable.

688
Rendant applicables aux territoires relevant du ministère de la France d’outre-mer autres que Madagascar
les dispositions du décret du 23 octobre 1935 portant règlementation des mesures relatives à l’ordre public
(J.O.C., 1947, p. 12).
689
Art. 1er « Le décret du 23 octobre 1935 portant règlementation des mesures relatives au renforcement du
maintien de l’ordre public est déclaré applicable aux territoires relevant du ministère de la France d’outre-
mer autres que Madagascar ».
690
Arrêté du 17 décembre 1947 pour l’application du décret du 23 octobre 1935 portant réglementation des
mesures relatives au renforcement du maintien de l’ordre public dont les dispositions ont été rendues
applicables aux territoires relevant du ministère de la France d’outre-mer autres que Madagascar, par décret n°
47-2211 du 19 Novembre 1947 (J.O.C., du 1 er janvier 1948, p. 19).
691
Selon l’article 2 Décret du 19 novembre 1947, «La déclaration prévue à l’article 2 sera faite aux autorités
déterminées par arrêté du Gouvernement général dans les territoires groupés et du chef de territoire dans
les territoires non groupés ».
692
En effet, selon l’article 1er de l’arrêté du 17 décembre 1947, « La déclaration prévue à l’article 2 du décret
du 23 octobre 1935 susvisé sera faite : -- Dans les villes de Douala et de Yaoundé à l’administrateur-maire ;
-- dans les chefs lieux des régions, au chef de région ; -- dans les autres villes et postes du territoire, au chef
de subdivision ou au chef de poste ». Quand à l’art. 2 de ce même texte, « dans les deux premiers cas,

226
La considération de la réalité de cette époque révèle une prédilection pour
l’application des textes ici évoqués, donnant carte blanche aux autorités de police
administrative de réprimer toutes velléités de contestation de l’ordre établi.

2 – La récurrence du recours prolongé à la législation de guerre

On a pu observer, de manière récurrente, un recours prolongé des autorités


coloniales à la législation de guerre. Celle-ci, mise en place afin de faire face aux
contraintes qu’imposait la période des hostilités, rendait inévitablement restrictif le
régime de police administrative qui devait donc se mettre aux couleurs de la législation
de guerre. Mais, le problème ici vient du fait que cette législation de guerre, sensée ne
s’appliquer que pendant la période des hostilités, était constamment reconduite bien au-
delà de cette période, si bien qu’elle devenait à la fin le droit commun, au point de
transformer complètement le régime de la police administrative, qui ne laissait ainsi
aucune place aux droits et libertés. On a ainsi à titre illustratif la loi n°48-341 du 28
février 1948 maintenant provisoirement en vigueur au-delà du 1er mars 1948 certaines
dispositions législatives et règlementaires du temps de guerre693.

Alors que l’on aurait pu croire que cette prorogation de la législation de guerre ne
s’imposait que pour la période immédiatement consécutive aux hostilités, on observera
son maintien jusque dans les années 1950. En effet, malgré le fait que la loi n°48-341 du
28 février 1948 disposait en son article 4 que « Les dispositions prorogées par les

l’autorité qui reçoit la déclaration là transmet, dans les vingt quatre heures par voie postale ou
télégraphique, au Haut-commissaire (Direction des APA) en joignant le cas échéant, une copie de son
arrêté d’interdiction.
Le Haut-commissaire peut, soit prendre un arrêté d’interdiction, soit annuler celui qui a été pris ».
693
Prorogées par la loi du 28 février 1947 et la loi du 30 août 1947 (J.O.C., du 1 er avril 1948, pp. 375-376).
L’article 1er de la loi du 28 février disposait : « Sont provisoirement maintenues en vigueur, par dérogation à
l’article 7 de la loi n°47-344 du 28 février 1947, les dispositions législatives ou règlementaires suivantes :
- (…)
- Décret du 4 octobre 1939 relatif aux mesures exceptionnelles d’hygiène ;
- Décret du 31 mars 1940 relatif à l’exécution de peines d’emprisonnement d’une durée supérieure à
un an et un jour ;
- (…)
- Article 13 de l’ordonnance du 30 septembre 1944 relative à la réglementation provisoire de la
presse périodique en territoire métropolitain libéré ;
- Article 9 de l’ordonnance du 13 septembre 1945 relative à la réglementation provisoire de la presse
périodique dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ;
- Titre II et articles 45, 46, 47, 50, 52, 54 et 55 de la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale
de la nation pour le temps de guerre ;
(… ) ».

227
articles 1er et 3 de la présente loi cesseront de s’appliquer au plus tard le 1er mars
1949 », elles seront à nouveau prorogées et même enrichies et renforcées694.

Ce recours prolongé à la législation de guerre rendait l’activité de police


insensible aux exigences relatives à la protection des droits et libertés. Car la priorité des
priorités était alors le maintien de l’ordre à tout prix et même à tous les prix. C’est cette
banalisation d’un droit de la police administrative de crise qui sera reprise et prolongée
lors de l’accession du territoire Cameroun à la souveraineté internationale.

Ainsi, il apparait que bien avant l’indépendance, des régimes de crise existent
déjà sur le Territoire du Cameroun. La puissance tutrice a donc posé les bases d’une
juridicité de crise, laquelle sera perpétuée par le jeune Etat, dont il a déjà été dit qu’il
naissait sous de funestes augures, et sera donc très vite confronté au défi du maintien de
l’ordre. Il reprendra donc les mêmes techniques que naguère, savamment perpétuées,
moyennant parfois un changement de nom. Le changement des mots ne signifiera donc
aucunement changement des choses

II – LES SUITES NATIONALES DE LA BANALISATION

Une fois la souveraineté internationale acquise, le Cameroun n’a pas rompu avec
la tradition des régimes de crise. Tout au contraire, il les a renforcés et diversifiés.
« Assurément les Etats nouveaux ne sont pas des Etats neufs695 ». La proximité
antérieure avec le droit français pouvait en effet laisser croire que le système juridique
camerounais se laissait couvrir par l’ombre libérale du droit français. Il n’en était pas
ainsi696. En effet, comme là pertinemment montré la doctrine697, « la législation
camerounaise a fortement tendance à s’écarter du moule référentiel à mesure que se

694
Voir à ce titre la loi n° 51-248 du 1er mars 1951 maintenant provisoirement en vigueur au-delà du 1er mars
1951 certaines dispositions législatives et règlementaires du temps de guerre prorogées par la loi du 28 février
1950 (J.O.C. du 30 mai 1951, p. 685).
695
G. TIMSIT, « Éléments pour une analyse des systèmes d’administration publique : le cas de
l’administration du développement », in Recueil d’études en hommage à Charles EISENMANN, Paris, Cujas,
1974, p. 158.
696
Il y a toujours eu, en effet, qu’on le veuille ou non, comme une ligne de démarcation, depuis la période du
mandat, entre d’une part le droit appliqué en France et le droit applicable au Cameroun. Les autorités
françaises elles même étaient les principales promotrices d’une pareille démarcation, car même
inconsciemment, elles avaient pris l’habitude de réserver toujours un traitement spécial pour l’Outre-mer,
chaque fois qu’elles légiféraient pour la métropole. L’article 8 du Titre VII de la Constitution du 3 septembre
1791 qui déclare que celle-ci ne s’applique pas aux colonies « quoi qu’elles fassent partie de l’empire
français », est illustratif à cet égard. Lire : D. COLAS, Textes constitutionnels français et étrangers, Paris,
Larousse, 1994, pp. 632 et s.
697
J. M. BIPOUN WOUM, « La représentation de l’Etat en justice au Cameroun », op cit., p. 19.

228
trouve impliquée la nature profonde du système global largement orienté vers la
défense de l’ordre établi ». Cette distance entre les deux systèmes juridiques sera
accentuée après l’indépendance, si bien que, contrairement à ce qu’a pensé une certaine
doctrine698, les résultats obtenus par l’application des régimes de crise de part et d’autre
conduiront à des résultats diamétralement opposés. Si de l’autre côté, on s’est toujours
soucié de la sauvegarde des droits et libertés des citoyens à travers notamment un rôle
actif du juge, même et surtout en période de crise, ici, une telle sauvegarde s’est toujours
avérée pour l’essentiel illusoire, le rôle du juge étant alors réduit à sa portion la plus
congrue, soit du fait d’une auto disqualification699, soit du fait d’une hétéro
disqualification700 . Sinon, comment expliquer l’autoritarisme qui a caractérisé le
système juridique pendant les trente premières années d’indépendance, autoritarisme
unanimement souligné par la doctrine701 ? Comment comprendre la continuité
implacable d’une politique juridique prioritairement orientée vers la sacralisation de
l’ordre public à travers le maintien intemporel d’une législation de crise dont la
mobilisation potentiellement permanente s’élève comme une épée de Damoclès au
dessus de la liberté ? La banalisation nationale des régimes de crise s’est faite ici non
seulement à travers la multiplication de procédés exceptionnels de maintien de l’ordre
public, mais aussi et surtout à travers une suppression de la distinction période normale
période exceptionnelle.

A – La multiplication de procédés exceptionnels de maintien de l’ordre public

On peut identifier, depuis l’indépendance jusqu’à ce jour, une multiplicité de


régimes de crise. L’ingéniosité créatrice des pouvoirs publics a donc été remarquable en
la matière. Seront successivement envisagés ici les régimes législatifs et les régimes
constitutionnels.

698
La doctrine du mimétisme en l’occurrence.
699
C’est-à-dire par l’action du juge lui-même, notamment une action de self restreint.
700
C’est-à-dire du fait des pesanteurs de toutes sortes auxquelles le juge ne peut se soustraire, que ce soit au
plan politique, économique, social ou culturel.
701
La quasi-totalité des études réalisées à cette époque mettent l’accent sur le caractère autoritaire ici souligné
du droit public.

229
1 – Les procédés législatifs

Créés au moment de l’Autonomie interne complète, à travers la loi n°59-33 du 27


mai 1959 sur le maintien de l’ordre public, ces procédés sont l’état de mise en garde et
de l’état d’alerte.

a) L’état de mise en garde

L’état de mise en garde, institué par l’article 1er de la loi n° 59-33 du 27 mai
1959, apparait aux termes de ce texte comme un instrument, « en cas d’urgence », de
renforcement du maintien de l’ordre public702. L’étude de cet instrument de maintien de
l’ordre exige que l’on se penche sur la procédure de sa déclaration, avant d’en examiner
les effets sur les libertés.

L’état de mise en garde est déclaré par arrêté du ministre de l’intérieur « en cas
de présomption grave risquant de constituer une menace pour l’ordre public 703 ».
L’article 3 de la loi poursuit, en guise de précision, que « l’arrêté déclarant ‘‘l’état de
mise en garde’’ devra désigner la ou les régions auxquelles il s’applique ». On peut, à
ce stade, observer que la compétence de déclaration de l’état de mise en garde est
attribuée à une autorité ministérielle, soit-elle en charge du département de l’intérieur, ce
qui peut laisser songeur quand à la prise en compte de l’importance ou de la
considération de cet instrument de maintien de l’ordre, surtout au regard des effets qu’il
a vis-à-vis des libertés. La compétence en la matière du ministre de l’intérieur, en charge
du maintien quotidien de l’ordre public via les chefs de circonscriptions administratives
peut dénoter alors une certaine banalisation, ou plutôt une banalisation certaine de cet
instrument.

On peut noter également le caractère très sibyllin et à la limite laconique des


dispositions de la loi, qui n’entoure cette compétence ministérielle d’aucune garantie
quand aux conditions de proclamation de l’état de mise en garde. Le législateur aurait
pu, par exemple, par souci de transparence, prévoir une procédure de consultation
préalable d’un certain nombre d’autorités ou organes. Mais il a laissé toute la
responsabilité de cet instrument de maintien de l’ordre à une seule autorité. On peut donc
observer, en considérant les termes de la loi, la consécration d’un pouvoir quasi

702
Cf. J.O.E.C. du 27 Mai 1959, p. 637.
703
Art. 2.

230
discrétionnaire au profit du ministre de l’intérieur, quand à la décision de proclamer
l’état de mise en garde. Ceci est aggravé par les conditions de sa proclamation. Le
législateur conditionne en effet le déclenchement de cette procédure à de simples
« présomptions », soient-elles « graves », risquant de constituer une menace pour l’ordre
public. La mise en route de l’état de mise en garde ne repose donc finalement sur aucune
condition objective. Au contraire, elle est basée sur une donnée purement subjective, à
savoir en fin de compte l’intuition de l’autorité ministérielle.

Lorsqu’on considère le contexte sociopolitique de l’époque, on ne peut ne pas


craindre un usage arbitraire et même abusif de cet instrument, en raison de la paranoïa du
désordre et de l’insurrection dans lesquels vivaient les autorités administratives. Bien
que ne pouvant excéder une durée de huit (8) jours à compter de la publication de
l’arrêté le déclarant704, l’état de mise en garde reste un instrument manifestement
redoutable pour les libertés. En effet, la loi reste muette quand à sa reconduction
éventuelle ou quand à sa cessation définitive. Le fait de dire simplement qu’il « ne sera
valable que pour une durée de huit jours à compter de sa publication » n’est pas très
clair. Et si les conditions qui ont conduit à son enclenchement persistaient à l’expiration
de ce délai, que ferait l’autorité compétente ? La pratique a révélé en la matière le
renouvèlement régulier de l’état de mise en garde, ce qui pourrait apparaitre à certains
égards comme une pratique contra legem, puisque la loi ne le prévoit pas expressément.
Elle se contente plutôt de préciser les effets que la proclamation pouvait entrainer.

Ces effets sont moins d’ordre quantitatif que qualitatifs. Ainsi, la loi prévoit que
« dès la déclaration de ‘‘l’état de mise en garde’’, les chefs de régions intéressés
pourront, par décisions immédiatement exécutoires dont ils devront rendre compte
dans les délais : - faire garder à vue les individus dangereux pour la sécurité
publique ; - établir le couvre-feu705 ». S’agissant de la première conséquence possible
citée, elle matérialise la mise en œuvre de la garde à vue administrative. L’on sait quels
problèmes pose cette institution dans le droit. Elle a cette particularité que, contrairement
à la garde à vue judiciaire, c’est-à-dire prononcée par un magistrat, celle-ci est
prononcée plutôt par une autorité administrative, ce qui est problématique quand à la
garantie des libertés. Si dans la première forme de garde à vue les droits du gardé à vue

704
Art. 3.
705
Art. 4.

231
sont garanti par le caractère contradictoire de la procédure et donc du fait que les droits
de la défense sont en principe assuré, dans la seconde forme, il n’en est rien du tout, car
la décision de garde à vue est « immédiatement exécutoire ». De plus, s’il est évoqué par
la doctrine706 un respect des droits de la défense devant l’Administration active, un peu
comme en matière de procédure administrative contentieuse, il reste que le principe de
l’autorité judiciaire gardienne (meilleure gardienne, voudrait-on en fait dire) des libertés
individuelles garde ici toute sa pertinence707.

S’agissant ensuite de l’établissement du couvre-feu, il est connu qu’il constitue


une entrave majeure à plusieurs libertés essentielles, dont celle d’aller et venir, puisque
le couvre-feu interdit la circulation à partir d’une heure décidée par l’autorité
administrative, et celle d’entreprendre encore appelée liberté du commerce et de
l’industrie, puisque selon le couvre-feu, à partir de l’heure indiquée, tous les commerces
sont sensé fermer.

Il convient enfin de mentionner que le législateur a tenu à assortir la loi n°59-33


d’un arsenal de sanctions, dont le moins qu’on puisse dire est quelles sortent du simple
champ des peines de police. Elle puni en effet « d’un emprisonnement d’un an à deux
ans et d’une amande de deux cents à cinq cents mille francs en monnaie locale » toute
infraction à ses dispositions. A noter ici le soin mis dans le cumul de la peine privative
avec celle pécuniaire. Mais le plus grave dans ce régime des sanctions est à observer
dans ce que nous pourrions appeler ici les peines civiles. L’article 12 de la loi prévoit en
effet que « les coupables pourront en outre être interdits, en tout ou partie, des droits
civiques, civils et de famille pendant deux ans au moins et cinq ans au plus, à compter
du jour où ils auront subi leur peine ». Cette immixtion de l’administration dans la
sphère privée est le signe d’une police administrative tentaculaire708, investissant la
sphère publique comme la sphère privée. L’ordre public qui en constitue le fondement

706
G. MORANGE, « Le respect des droits de la défense devant l’administration active », Dalloz, 1967, p.
707
Bien que son existence dans le droit positif actuel soit incertaine, ce principe a néanmoins fait partie du droit
positif camerounais, à l’époque justement où le pays accédait à la souveraineté internationale. Par exemple, la
loi n° 59-56 du 31 octobre 1959 accordant au Gouvernement le pouvoir de légiférer et de préparer la
Constitution camerounaise disposait en son art. 2 que : « le Gouvernement du Cameroun investi le 18 février
1958 est habilité à établir un projet de constitution mettant en œuvre les principes ci-après : (…) l’autorité
judiciaire est indépendante et assure le respect des libertés individuelles ». Ce principe sera effectivement
consacré dans la toute première constitution du Cameroun indépendant, à savoir celle du 4 mars 1960, en son
article 43.
708
Cf. Infra, Chapitre 1, Titre I, Deuxième partie.

232
apparait alors comme un ordre qui ne connait pas de limites709. Cet ordre là, illimité aussi
bien en largeur qu’en profondeur, peut alors justifier que l’on superpose des peines pour
une même infraction de police, comme le démontre l’interdiction de séjour qui peut en
plus être prononcée, en sus des sanctions sus évoquées. C’est le signe non pas seulement
d’une faible prise en compte des libertés, mais surtout d’une non prise en compte de la
dignité de la personne humaine. Les sanctions ici évoquées voient leur impact
approfondi par le fait qu’elles s’appliquent également à l’état d’alerte.

b) L’état d’alerte

Créé également par la loi n°59-33, cet autre instrument de renforcement du


maintien de l’ordre « en cas d’urgence » obéit lui aussi à l’option institutionnelle de
mise en permanence à la disposition des autorités exécutives des outils juridiques
exceptionnels de maintien de l’ordre. En raison de sa forte ressemblance avec les outils
actuellement en vigueur, il nécessite que l’on s’y penche de manière particulière en
évoquant ses conditions de mise en branle, ainsi que les conséquences de cette dernière.

Par rapport à l’état de mise en garde, l’état d’alerte apparait comme un instrument
ultime de renforcement du maintien de l’ordre. Cette apparence de dernier recours est
perceptible à la lecture de l’article 5 de la loi. Celui si dispose que « l’état d’alerte ne
peut être décidé qu’en cas de péril imminent résultant d’évènements graves menaçant
l’ordre public ». Il est déclaré par arrêté du Premier Ministre pris en Conseil des
ministres, « dans le cadre de ses attributions en matière d’ordre public et de sécurité
des personnes et des biens710 ».

On peut noter, à la lecture de l’article 5, que le législateur ne spécifie pas les


« évènements graves menaçant l’ordre public » pouvant conduire à la déclaration de
l’état d’alerte. Cette non spécification laisse ainsi une grande liberté au Premier Ministre
qui, en la matière, est le seul à décider, et donc à donner un contenu à la notion
« d’évènements graves menaçant l’ordre public ». Il n’est pas alors saugrenu de penser
qu’il usera de cette compétence à la hauteur de la conception qu’il a du maintien de
l’ordre public. On peut imaginer, au regard du contexte de l’époque, la tendance
autoritaire qui sera celle de l’utilisation d’un instrument juridique qui est lui-même déjà

709
Idem.
710
Art. 6

233
suffisamment restrictif des droits et libertés. L’on pourrait penser que le fait pour le
législateur de dire que l’état d’alerte est proclamé par le Premier Ministre « dans le
cadre de ses attributions en matière de maintien de l’ordre public constitue une
limite ». Or lorsqu’on se reporte aux textes qui lui reconnaissent de telles compétences,
on peut aisément se rendre compte que ses pouvoirs sont très importants711.

S’agissant des considérations spatiales et temporelles, l’article 7 dispose que


« l’arrêté ‘‘d’état d’alerte’’ devra désigner la ou les régions auxquelles il s’applique. Il
devra fixer le temps de sa durée qui ne pourra jamais excéder trois mois. A
l’expiration de ce temps, ‘‘l’état d’alerte’’ cessera de plein droit à moins que ses effets
ne soient prorogés après avis conforme de l’Assemblée législative ». On voit, à la durée
de trois mois minimum de l’état d’alerte, que celle-ci est relativement longue, ce qui peut
permettre aux autorités en charge du maintien de l’ordre de conjurer la menace ou le
trouble qui a donné lieu à la proclamation de l’état d’alerte. Cette durée est considérée ici
comme minimale car les effets de la proclamation de ce régime peuvent être prorogés,
comme suggéré par l’article 7 ci-dessus. C’est alors l’occasion de regretter que l’avis
conforme de l’Assemblée législative soit exigé pour la prorogation des effets de l’état
d’alerte, mais qu’il n’ait pas été prévu pour le déclenchement de toute la procédure. Il y a
là assurément une incongruité au plan juridique, qui n’est pas sans impacter sur les droits
et libertés des citoyens.

S’agissant des effets de l’état d’alerte, ils sont beaucoup plus importants que ceux
de l’état de mise en garde. On pourrait même dire sans risque de se tromper qu’il n’y a
aucune commune mesure entre ces deux instruments de renforcement du maintien de
l’ordre au plan de leurs conséquences. Aussi bien quantitativement que qualitativement,
les autorités administratives détiennent d’énormes pouvoirs, de telle sorte que le déficit
de contrôle serait extraordinairement dommageable pour les libertés.

Dès la proclamation de l’état d’alerte, les chefs des régions concernées, par
décisions immédiatement exécutoires peuvent : établir le couvre-feu, soumettre à
autorisation administrative la circulation automobile, ordonner la remise des armes et
munitions et des postes de radio et faire procéder à leur recherche et à leur enlèvement,

711
Ces derniers lui permettent alors d’intervenir dans tous les domaines de la vie publique, et d’être la plus
haute autorité en matière de maintien de l’ordre public, la première autorité de police administrative. Ses
pouvoirs apparaissent alors comme potentiellement illimités, le fait pour la loi d’exiger que le décret qui
proclame l’état d’alerte soit pris en Conseil des ministres ne changeant pas grand chose

234
interdire toutes réunions et publications, éloigner les repris de justice, ainsi que les
individus qui n’ont pas leur résidence habituelle dans les lieux soumis à l’état d’alerte712.
« …Les individus dangereux pour la sécurité publique, qui n’ont pas leur résidence
habituelle dans les lieux soumis à ‘‘l’état d’alerte’’, pourront être éloignés du lieu de
leur résidence, soit être astreints à résidence dans une localité qui leur sera
spécialement désignée à cet effet713 ». Ce dernier pouvoir confié aux autorités
administratives apparait comme particulièrement dangereux, dans la mesure où
l’assignation à résidence surveillée est une mesure éminemment juridictionnelle, c’est-à-
dire devant en principe être prononcée par le seul juge. Le fait de reconnaitre à
l’administration le pouvoir de là prononcer peut s’apparenter à une sorte de renaissance
de la théorie de l’administrateur-juge, vestige d’une conception monarchique du pouvoir.
Par ailleurs, l’on peut constater que les droits qui sont ici mis entre parenthèses rentrent
dans la catégorie des droits dits fondamentaux, ce qui donne une idée assez claire de
l’importance que leur réserve le système juridique714.

Une chose apparait tout de même irréfutable, à savoir que la priorité des priorités
est attribuée ici aux exigences liées au maintien de l’ordre public. En effet, bien avant
l’indépendance et ensuite après celle ci, les pouvoirs publics ont toujours fait une
allégeance particulière aux pouvoirs de crises, exacerbant par là même l’exercice du
pouvoir de police administrative qui, jusqu’aujourd’hui, apparait comme l’une des
tendances fondamentales du maintien de l’ordre public au Cameroun.

2 – Les procédés constitutionnels

Il existe aujourd’hui deux régimes de crise en vigueur au Cameroun, à savoir le


régime de l’état d’urgence et le régime de l’état d’exception. Le fait de dire que ces
régimes sont actuellement en vigueur ne signifie pas qu’ils sont nés aujourd’hui. En
effet, ces régimes existent dans le droit positif depuis l’indépendance, et ont simplement
subi des aménagements ou des réaménagements au gré des circonstances politiques ou
sociales du moment. Simplement ils se différencient de ceux précédemment étudiés par

712
Art. 8.
713
Art. 9.
714
Il est à noter que ce régime de l’état d’alerte est assorti d’une armada de sanctions, la même que celle
prévue pour l’état de mise en garde, dont le détail est fourni par les articles 11 et 12 de la loi n° 59-33.

235
le fait qu’ils ont perduré dans le droit positif jusqu’à ce jour, contrairement aux autres
qui ont disparus du droit positif.

Inspirés eux aussi du droit français dont-ils tirent au moins leurs dénominations,
l’état d’urgence et l’état d’exception sont des techniques dont la paternité est
historiquement attribuée au Général DE GAULLE. Introduits dans le droit camerounais
à travers ce que le Professeur Magloire ONDOA appelle la technique de
« l’importabilité715 » des solutions de fond, ces deux régimes sont ici mis au service de la
tendance globale du système juridique à faire primer les nécessités de l’ordre public sur
celles de la liberté ou même de la dignité humaine, à travers l’exacerbation à laquelle ils
conduisent quand à l’exercice du pouvoir de police.

a) L’état d’urgence

A la faveur de l’abrogation de la loi n° 59-33 relative au maintien de l’ordre


public, par l’ordonnance n° 60-52 du 07 mai 1960, un nouveau régime de crise est
introduit dans le paysage juridique camerounais, à savoir l’Etat d’urgence716. En prenant
la relève de l’Etat de mise en garde et de l’Etat d’alerte, il moulera pendant plusieurs
décennies l’entreprise de maintien de l’ordre public au Cameroun 717. Pouvant être
déclaré sur tout ou partie du territoire national en cas « d’évènements présentant par
leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » ; de « troubles répétés
portant atteinte à l’ordre public » ou d’ « agression étrangère »718, l’état d’urgence est
selon le Professeur Roland DRAGO, « une situation légale destinée à accroître les
pouvoirs des autorités administratives, mais aussi à limiter l’exercice de ces pouvoirs

715
716
Voir l’ordonnance n°60-52 du 7 Mai 1960 portant loi organique sur l’Etat d’urgence in J.O.C., Mai 1690, p.
679. Mais il faut dire que cette ordonnance n’est pas le texte qui introduit l’état d’urgence au Cameroun. En
effet, on peut déjà percevoir les prémisses de ce régime dans le décret du 16 avril 1957 qui porte statut du
Cameroun, en son 41 in fine, lorsqu’il est disposé que « le Haut Commissaire peut, en cas d’urgence, prendre
toute mesure utile pour la sauvegarde de l’ordre ou son rétablissement. Il en informe immédiatement le
Premier Ministre ». Mais le texte qui consacre formellement l’état d’urgence au Cameroun pour la toute
première fois c’est la Constitution du 4 mars 1960, qui dispose en son article 20 : « le Président de la
République peut, lorsque les circonstances l’exigent, proclamer par décret présidentiel pris en Conseil des
ministres, l’état d’urgence qui confère au Gouvernement des pouvoirs spéciaux dans les conditions fixées
par la loi organique qui règlera la matière ». La loi organique postulée ici, est donc celle de 1960.
717
Cette ordonnance sera modifiée au gré de l’évolution de la forme de l’Etat. Ainsi, en est-il lors de la mise en
place d’un Etat fédéral en 1961 à travers l’Ordonnance n°61-OF-5 du 4 Octobre 1961 relative à l’Etat
d’urgence, de l’Etat unitaire en 1972 à travers l’Ordonnance n°72-13 du 26 Aout 1972 relative à l’Etat
d’urgence. Egalement les changements intervenus à l’orée des années 1990 imposeront l’adoption d’un
nouveau texte, ce qui sera fait à travers la loi n°90/047 du 19 Décembre 1990 sur l’Etat d’urgence, prélude à
l’institution en 1996 d’un Etat unitaire décentralisé.
718
Article premier Ordonnance n° 60-52 du 7 Mai 1960, précitée

236
en deçà des bornes établies par la loi719 ». Il favorise en période de crise la mise de la
légalité normale entre parenthèses, permettant ainsi aux autorités exécutives de faire face
de manière efficace aux difficultés issues de la crise survenue. Si l’Etat d’urgence au
Cameroun ressemble beaucoup à l’Etat d’alerte précédemment en vigueur, il est plus
prudent d’éviter ici d’assimiler purement et simplement ces deux notions comme le fait
Monsieur ATEMENGUE720. Car, au-delà de la différence de dénomination entre ces
deux notions, le degré de sévérité plus élevé721 de l’état d’urgence invite à beaucoup plus
de circonspection. Quoiqu’il en soit, tout comme ses devancières ou ancêtres, la notion
d’Etat d’urgence contribue à perpétuer la tendance liée à la mise en œuvre d’une police
administrative de crise basée sur une conception autoritaire de l’ordre public, c'est-à-dire
entendu ici uniquement comme un ordre de limitation des libertés722. Le régime de l’état
d’urgence aura connu plusieurs réformes. En effet, avant le texte de 1990, pas moins de
trois textes se succèderont pour régir la matière. L’orientation de ces différentes
réformes va dans le sens de durcir au maximum ce procédé, tendance qui culminera
avec l'ordonnance du 26 aout 1972. A titre d’exemple, la durée initiale maximale de
l’état d’urgence est de 4 mois, toute prorogation étant soumise à l’autorisation de
l’assemblée, sauf dans l’intervalle des sessions parlementaires où il est prorogé de plein
droit. Cette durée est portée à six mois dans le texte de 1961, avec une possibilité de
prorogation par décret illimitée, et sans plus d’autorisation de l’assemblée, dispositif qui
sera repris dans l’ordonnance de 1972. Ce durcissement permanent de l’état d’urgence
peut être observé sur plusieurs autres points, à l’instar de la détermination des parties du

719
R. DRAGO, « L’Etat d'urgence (loi des 03 Avril et 07 Aout 1955) et les libertés publiques », RDP, 1955, p.
671. Si la première partie de la définition de l’éminent auteur restitue la réalité camerounaise de l’Etat
d’urgence, la seconde lui est totalement étrangère.
720
J. de N. ATEMENGUE, Thèse, op cit., p. 209.
721
Au moins deux indicateurs sont révélateurs de cette plus grande sévérité. Alors que l’Etat d’alerte ne peut
excéder une durée de trois mois sous réserve d’une possible prorogation de ses effets après avis conforme de
l’Assemblée législative (Article7 in fine de la loi n° 59-33), l’Etat d’urgence lui, voit sa durée maximale fixée à
4 mois (article 3 de l’ordonnance n° 60-52), assortie d’une possibilité de prorogation sur simple autorisation de
l’Assemblée Nationale. De plus, « dans l’intervalle des sessions et en cas de dissolution de l’Assemblée
Nationale, le décret présidentiel ayant déclaré l’Etat d’urgence est prorogé de plein droit ». Autre élément de
sévérité notable, à partir de 1972 (Ordonnance n°72-13 du 26 Aout 1972), lorsque l’Etat d’urgence aura été
déclaré sur une partie du territoire, les préfets des autres circonscriptions administratives se verront dotés des
mêmes pouvoirs que ceux des zones déclarées sous état d’urgence (Article 7 de l’Ord. °72-13). Ainsi, et
contrairement à l’Etat d’alerte, l’Etat d’urgence connait finalement et toujours une application nationale
722
Sur l’appréhension de l’ordre public comme ordre de limitation des libertés, voir : M. C., VINCENT
LEGOUX, L’ordre public. Etude de droit comparé interne, Paris, PUF, 2001, p. 25 ; A. DE LAUBADERE, J.
C. VENEZIA, Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif, Tome I, Paris, LGDJ, 1999, n°1079 ; C.
DEBBASCH, Institutions et droit administratifs, Tome II, Paris, PUF, 1998, p. 109; F. P. BENOIT, Le droit
administratif français, Paris, Dalloz, 1968, n° 1361 ; pour une perspective constitutionnelle, N. JAQUINOT,
Ordre public et constitution, Thèse, Aix-Marseille, 2000, p. 212 et s.

237
territoire sur lesquelles il est appelé à s’appliquer723, de ses conditions de déclaration724
et d’extinction725, et surtout des pouvoirs qu’il donne aux autorités de police
administrative, que ce soit à l’échelle centrale, régionale ou locale. Sur ce dernier point,
il faut souligner le caractère particulièrement exorbitant des pouvoirs dont jouissent les
différentes autorités chargées de mettre en application le régime de l’état d’urgence. Au
premier rang des bénéficiaires de ce procédé, l’on a le Président de la République. En
effet, alors que la loi organique de 1960 fait du gouvernement le bénéficiaire premier des
prérogatives que confère l’état d’urgence, tous les textes constitutionnels ultérieurs
accordent plutôt au seul Président de la République les dits pouvoirs spéciaux. En
dessous du Président de la République, d’autres autorités bénéficient pleinement des
pouvoirs issus de la déclaration de l’état d’urgence : il s’agit du ministre de l’intérieur et
plus tard de l’administration territoriale et des chefs de circonscriptions administratives,
au premier rang desquelles les préfets. Tous ces éléments relatifs à l’état d’urgence font
de ce procédé un instrument multiplicateur tant quantitativement que qualitativement de
l’autorité, et contribuent ainsi à la banalisation des procédés exceptionnels de police
administrative, en ces premières décennies de l’indépendance.

b) L’état d’exception

Procédé de police administrative le plus exceptionnel, en raison de son extrême


gravité et donc des conséquences qu’il entraine au plan de l’atteinte aux droits et libertés,

723
La loi organique du 7 mai 1960 ne prévoit pas expressément que le décret de déclaration de l’état d’urgence
détermine les parties du territoires sur lesquelles il est appelé à s’appliquer, mais le laisse néanmoins entendre,
lorsqu’elle évoque, en son article 4, la proclamation de l’état d’urgence dans un ou plusieurs départements
« déterminés ». L’ordonnance du 4 octobre 1961 quand à elle reste absolument muette sur cette question,
même si elle évoque en son article 7 « les parties du territoire où l’état d’urgence a été déclaré ». Quand à
l’ordonnance du 26 juin 1972, si elle demande expressément que le décret de déclaration de l’état d’urgence
précise entre autres « la ou les parties du territoire soumise(s) à l’état d’urgence », cette exigence est
complètement anesthésiée par l’article 7 de ce même texte, comme nous le verrons plus bas.
724
Si les différents textes constitutionnels se contentent d’affirmer dans une formule très vague que l’état
d’urgence est déclaré « lorsque les circonstances l’exigent », les différents textes d’application successifs
définissent eux aussi ces conditions de déclaration de telle sorte que seules les prérogatives de la puissance
publique soient prises en compte. Aussi, si la loi de 1960 évoque comme conditions de déclaration la
survenance d’évènement graves, présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique, le
cas d’une agression étrangère, le cas de troubles répétés portant atteinte à l’ordre public, les textes subséquents
reprennent ces conditions et ajoutent à la dernière citée l’atteinte à la sureté de l’Etat.
725
Dans le texte de 1960, la fin de l’état d’urgence entraine aussi la cessation des effets de toutes les mesures
prises dans le cadre de son application, à l’exception des causes en instance devant les juridictions militaires.
Ce dispositif sera reconduit mais rendu plus sévère, en raison du maintien en vigueur après la cessation de
l’état d’urgence « des décisions individuelles prises pendant l’état d’urgence en vertu de l’article 4 sous les
n° 4, 5 et 6 et de l’article 5 quatrièmement et sixièmement ». Ce dispositif sera d’avantage durci dans
l’ordonnance de 1972, à travers le maintien sur plusieurs années des interdictions de séjour prononcées pendant
l’état d’urgence.

238
l’état d’exception fait son entrée dans le champ juridique camerounais à la faveur de
l’ordonnance n° 58-1375 du 30 décembre 1958 portant statut du Cameroun. L’article 25
de ce texte dispose : « en cas de troubles à main armée, de présomptions graves
indiquant l’éventualité de tels troubles, ou de guerre étrangère, le Haut Commissaire
et le Premier Ministre peuvent prendre un arrêté conjoint proclament l’état
d’exception ». On ne peut ne pas voir, dans la création de ce procédé au Cameroun, un
lien de filiation avec l’article 16 de la Constitution française du 5 octobre 1958. La
proximité historique entre ces deux textes, espacés seulement de quelques semaines, et
l’antériorité du texte français donnent à croire, de manière sérieuse, que l’article 16 de la
Constitution française a engendré l’article 25 de l’ordonnance ici citée. Dans tous les
cas, les procédés mis en œuvre de part et d’autre sont absolument identiques. Mais des
spécificités existent aussi de part et d’autre, pour tenir compte des particularités de
chaque contexte. Ici, « l’initiative de cette procédure appartient au Haut commissaire
ou au Premier Ministre en Conseil des ministres. En cas de désaccord ou
d’empêchement absolu de l’une ou de l’autre des parties, le Gouvernement français
peut être saisi par le Haut Commissaire ou le Premier ministre aux fins de proclamer
l’état d’exception ». Le maintien d’un rôle actif au Haut commissaire ici est justifié par
le poids encore présent de la tutelle, malgré le fait le Cameroun soit déjà sous le régime
d’une autonomie interne élargie. La proclamation de l’état d’exception a pour premier
effet de transférer, « dans un ressort territorial donné et pour une période déterminée,
la responsabilité du maintien de l’ordre au Haut commissaire et de mettre à sa
disposition les autorités administratives, les personnels, les forces et moyens matériels
dont il a besoin » pour venir à bout de la crise ayant justifié le recours à ce procédé.

L’état d’exception a aussi pour effet de donner au Haut commissaire, ici placé en
première ligne, la possibilité de prendre « toutes mesures d’urgence utiles pour la
sauvegarde de l’ordre ou son rétablissement. Il en informe le Premier ministre ».
L’état d’exception a enfin pour effet d’« apporter la collaboration des éléments des
forces armées au maintien ou au rétablissement de l’ordre public ». Plus grave encore,
« l’intervention de ces forces entraine par elle-même l’établissement de l’état
d’exception là où elles sont engagées ». Autrement dit, même quand l’état d’exception
n’a pas été déclaré formellement par le Haut commissaire ou le Premier Ministre, la
seule intervention des forces armées dans une opération de maintien de l’ordre public

239
établi par elle-même l’état d’exception. Il s’agit là d’une banalisation de l’état
d’exception qui ne dit pas son nom. Ce procédé exceptionnel de police administrative
concourt donc à entretenir la permanence d’une police administrative de crise au sein de
l’Etat et de la société camerounaise. L’état d’exception sera reconduit sans interruption
dans les différents textes constitutionnels qui succéderont à l’ordonnance du 30
décembre 1958. Ainsi, la Constitution du 4 mars 1960 dispose, en son article 20 : « dans
le cas de circonstances exceptionnelles pouvant porter atteinte à l’intégrité de la
nation, le Président de la République peut, par décret présidentiel pris en Conseil des
ministres, après consultation du Président de l’Assemblée nationale, proclamer l’état
d’exception, qui lui confère la responsabilité du Gouvernement ». Ces dispositions
tranchent en plusieurs points avec celles auxquelles elles succèdent.

Tout d’abord, alors que le texte de 1958 évoquait comme conditions de


déclaration de l’état d’exception des troubles à mains armées, des présomptions graves
indiquant l’éventualité de tels troubles ou une guerre étrangère, le nouveau texte
indiquent simplement des circonstances exceptionnelles portant atteinte à l’intégrité de la
nation. On peut donc observer ici que si le premier texte est assez précis dans la
détermination des conditions de recours à ce procédé, le second est extrêmement vague,
ce qui est dangereux pour les droits et libertés.

Ensuite, le Cameroun ayant accédé à l’indépendance entre temps, c’est le


président de la République qui a désormais l’initiative de la déclaration de l’état
d’exception, ce qui est notable, puisque, le pays ayant adopté un régime parlementaire,
cette prérogative lui permet de supplanter le Premier ministre.

Enfin, en ce qui concerne les effets, de l’état d’exception, le texte constitutionnel


de 1960 est très peu disert sur la question, se contenta de dire que cela donne la
responsabilité du Gouvernement au Président de la République. Mais cela n’enlève rien
ni à l’extrême rigidité du procédé, ni au fait qu’il contribue toujours par sa seule
reconduction, à garder le droit de la police administrative dans une pente résolument
autoritaire. C’est dans ce sens qu’il convient d’interpréter sa stabilité dans le droit de la
police administrative au Cameroun.

La structure actuelle de ce procédé sera adoptée à la faveur de la Constitution du


1er septembre 1961. Ce texte dispose, en son article 15 second paragraphe : « en cas de

240
péril grave menaçant l’intégrité de l’Etat, la vie, l’indépendance ou les institutions de
la nation, le Président de la République fédérale peut, après consultation des Premiers
ministres des Etats fédérés, proclamer par décret l’état d’exception et prendre toutes
mesures qu’il juge nécessaires ». C’est cette énonciation qui sera globalement adoptée
jusqu’à ce jour, moyennant quelques nuances rédactionnelles liées à l’évolution de la
forme de l’Etat, mais aussi quelques ajustements dans la détermination de ses conditions
de déclaration. Ainsi, par exemple, alors que le texte constitutionnel de 1961 évoque
comme condition un « péril grave menaçant l’intégrité de l’Etat », celui de 1972 parle
de « péril grave menaçant l’intégrité du territoire726 ».

Mais la banalisation des procédés de crise ne s’est pas seulement faite par leur
multiplication. Elle s’est surtout faite au moyen d’une suppression pure et simple de la
distinction période normale période exceptionnelle.

B – La suppression de la distinction période normale période/période


exceptionnelle

Cette suppression s’est d’abord faite de manière latente avant d’être clairement
formalisée par le droit positif.

1– La suppression latente : l’ordonnance n°62/OF/18 du 12 mars 1962 portant


répression de la subversion

Cette ordonnance727 n’est pas, en tant que telle, un acte de police administrative.
Mais l’utilisation qui en a été faite et l’application à laquelle elle a donné lieu en ont fait
un régime de police, au propre comme au figuré. Elle permet alors, en criminalisant la
contestation politique, en faisant du délit d’opinion le crime politique le plus grave qui
soit, de jeter un voile sur l’exercice de certaines libertés essentielles pourtant garanties
par la constitution728. Intervenue dans un contexte politique particulier, l’édiction de

726
De la même manière, alors que le texte de 1972 parle de péril grave menaçant (…) les institutions de la
nation, celui de 1996 parlera plutôt de « péril grave menaçant (…) les institutions de la République ».
727
Ordonnance n° 62-OF-18 du 12 Mars 1962 portant répression de la subversion in J.O.E.C du 1er Avril
1962, p. 32, modifiée par la loi n° 63-LF-30 du 30 Octobre 1963 complétant l’ordonnance n° 61-OF-6 du 04
Octobre 1961 fixant l’organisation judiciaire militaire de l’Etat.
728
Les textes de cette période comportent en effet des éléments non négligeables de libéralisme. Ainsi, les
constitutions successives alors en vigueur établissent certains principes essentiels tels le principe de la légalité
des délits et des peines grandement en cause dans cette ordonnance, de même que la consécration de plusieurs
droits et libertés. Cf. supra, chapitre 1 er du titre 1, Ière partie. Voir dans ce sens, pour une perspective de droit
pénal. A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit Pénal au Cameroun, op cit., pp 215 et s. Pour une

241
cette ordonnance, au-delà de son assise pénale729, a pour ambition presqu’affirmée la
lutte contre l’UPC et sa doctrine, ainsi que la répression de la contestation politique
menée par certains partis d’opposition730. Ce jeune pouvoir a donc alors pour seule
ambition d’asseoir son autorité, et cela par tous les moyens. Ce texte avait été pris sur le
fondement de l’article 50 de la constitution qui autorisait alors le Président de la
République fédérale, « à titre exceptionnel » à prendre, pendant une durée de six mois,
« les textes législatifs nécessaires à la mise en place des institutions et, jusqu’à cette
mise en place, au fonctionnement des pouvoirs publics et à la vie de l’Etat fédéral »
sous forme d’ordonnances ayant force de loi. Il intervient dans un contexte
d’autoritarisme et consolide lui-même l’autoritarisme.

Selon le contenu de ce texte, la subversion est entendue comme le fait, « par


quelque moyen que ce soit », d’inciter à « résister à l’application des lois, décrets,
règlements ou ordre de l’autorité publique »731 de « porter atteinte au respect dû aux
autorités publiques » ou d’inciter « à la haine contre le gouvernement de la république
fédérale ou des Etats fédérés », de participer à une « entreprise de subversion dirigée
contre les autorités et les lois de ladite République ou des Etats fédérés » ou
d’encourager cette subversion732. Enfin le texte puni « quiconque aura émis ou propagé
des bruits, nouvelles ou rumeurs mensongères, soit assorti de commentaires
tendancieux des nouvelles exactes, lorsque ces bruits, nouvelles, rumeurs ou
commentaires sont susceptibles de nuire aux autorités publiques »733.

Si l’ordonnance de 1962 est d’abord un instrument de répression politique734, elle


est aussi et surtout un puissant instrument de maintien de l’ordre735 et donc un procédé
de police administrative de nature exceptionnelle. Elle a d’ailleurs très peu été étudiée

perspective de droit administratif : A. R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit. Essai
sur l’élaboration jurisprudentielle du droit administratif camerounais, Thèse de Doctorat/PHD en droit public,
Université de Yaoundé II, 2013-2014, pp. 220 et s.
729
Voir A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et Droit pénal au Cameroun, op cit, à la même page.
730
Il s’agit par exemple du Parti démocrate camerounais (PDC) de M. A. M. MBIDA, du Parti Socialiste
Camerounais de M. C. R. G. OKALA et l’UPC légale de M. P. MAYI MATIP qui, à cette époque, faisaient de
la surenchère politique, car courtisé par l’Union Camerounaise (UC) et le Kamerun National Democratic Party
(KNDP), partis au qui les invitaient à former un « front d’unité national ».
731
Idem.
732
Art. 2.
733
Art. 3.
734
Elle est à la fois un instrument de répression des adversaires politiques par les tenants du pouvoir, et un
instrument de répression de la propagation des idées critiques vis-à-vis du pouvoir au sein de la société.
735
En guise de maintien, il s’agit plutôt de l’établissement d’un certain ordre politique, celui voulu par les
dirigeants du pays.

242
sous ce prisme là736. Elle est un instrument de police administrative car si elle vise à
lutter contre la contestation politique, et donc à asseoir un certain ordre politique, le
contexte de l’époque ne permet de faire aucune différence entre ordre politique et ordre
public, au sens de la police administrative737. Aussi, le glissement sera-t-il aisé entre la
préservation de l’ordre politique et celle de l’ordre public.

Ensuite, cette ordonnance est un acte de police administrative parce que si elle
vise à réprimer la résistance à l’application des lois, décrets, règlements ou ordres de
l’autorité public, il est fort possible que ces lois, décrets, règlements ou ordre de
l’autorité publique portent sur la police administrative. Dans le même sens, la répression
des atteintes au respect dû aux autorités publiques peut devenir la répression des atteintes
au respect dû aux autorités de police administrative, puisque les autorités publiques dont
parle le texte peuvent être des autorités de police administrative.

Enfin, l’ordonnance de 1962 est un instrument d’exercice de la police


administrative car, l’infraction de subversion n’ayant pas été définie avec précision738,
révélant ainsi l’inclination du législateur à l’adoption d’une forme d’incrimination de
type ouvert739, tout peut y entrer, y compris des objets rentrant dans l’exercice de la
police administrative. La notion de subversion apparait donc de ce point de vue comme
une notion essentiellement fonctionnelle. A titre illustratif, le tribunal correctionnel de
Yaoundé condamna plusieurs personnes sur la base de cette ordonnance pour s’être
livrées « à des manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique, à enfreindre
les lois du pays, à nuire aux autorités et à l’unité nationale en refusant de participer
aux élections »740.

Il apparait donc que la réglementation visant à réprimer la subversion reposant sur


une conception extrêmement large et autoritaire de la notion d’ordre public, en
correctionnalisant le contentieux y relatif741, contribue à développer à l’extrême une
fonction répressive au sein de la police administrative, signe d’une volonté incontestable

736
Elle a été étudiée surtout par les pénalistes et les politologues. Les quelques administrativistes qui l’ont
étudiée ne là considèrent pas comme un instrument de police administrative.
737
Cf. infra, Chapitre I, Titre I, IIème partie.
738
Dans ce sens A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal, op cit., p. 217.
739
Ibid
740
T. M. de Yaoundé, Jugement n° 4/71 du 15 mars 1971, Affaire Mengue Damaris Régine, Tolo Minette et
autres c/ Ministère Public, cité par A MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal, op cit., p. 218.
741
L’article 4 de l’Ordonnance n°62-OF-18 pose en effet que « les infractions prévues aux articles 1, 2 et 3 de
la présente ordonnance seront déférées aux tribunaux correctionnels… »

243
des pouvoirs publics d’assurer l’ordre public par tous les moyens, surtout autoritaires742.
Le régime des sanctions applicables ici, et qui peut conduire à déclarer un fonctionnaire
incapable d’exercer une fonction publique, est parfaitement révélateur d’une conception
tentaculaire de la fonction de police. L’application de cette réglementation permettra de
développer une délation particulièrement nuisible non seulement au sein de
l’Administration mais aussi au sein de la société, contribuant par là à donner à l’ordre
public un caractère particulièrement délétère.

Ainsi, l’ordonnance du 12 mars 1962 rompt la distinction période


normale/période exceptionnelle parce qu’elle est l’exemple typique des textes adoptés en
période de crise. Elle plonge par elle-même l’Etat dans une situation de crises
multiformes. Crise de l’Etat, crise du droit, crise de l’autorité, crise de la liberté. Elle
contribue à banaliser pendant plusieurs décennies, la notion de procédé exceptionnel de
police administrative, en ce qu’elle reçoit application de manière prolongée743 pour le
plus grand dam des libertés. Elle supprime sans le dire la distinction période
normale/période exceptionnelle, en perpétuant une atmosphère de crise permanente. Elle
sera rejointe de manière plus manifeste sur ce terrain, une décennie plus tard par
l’ordonnance du 26/08/1972.

742
L’énoncé des dispositions de l’Ordonnance n°62-OF-18 est parfaitement révélatrice de cette tendance au
regard de leur énonciation :
« Article premier.- Quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, incité à résister à l’application des lois,
décrets, règlements ou ordre de l’autorité publique, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à trois ans
et d’une amende de 100.000 à un millions de francs ou l’une de ces deux peines seulement ».
« Article 2.- Quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, porté atteinte au respect du aux autorités
publiques ou incité à la haine contre le gouvernement de la République fédérale ou des Etats fédérés ou
participé à une entreprise de subversion dirigée contre les autorités et les lois de ladite République ou des
Etats fédérés, ou encouragé cette subversion sera puni d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une
amende de 200.000 à 2 millions de francs ou de l’une de ces deux peines seulement, sans préjudice, s’il ya
lieu, des peines plus fortes prévues par les lois et décrets en vigueur »
« Article 3.- Quiconque aura émis ou propagé des bruits, nouvelles ou rumeurs mensongers, soit assorti de
commentaires tendancieux des nouvelles exactes, lorsque ces bruits, nouvelles, rumeurs ou commentaires
sont susceptibles de nuire aux autorités publiques sera puni des peines prévues à l’article 2 ».
743
L’article 5 de cette ordonnance disposait que : « la présente ordonnance recevra application jusqu’à une
date qui sera fixée par décret fédéral ». Mais ce décret n’advint jamais, et il fallu attendre l’aube des années
1990 pour voir ce texte abrogé par une loi. Cf. infra, section 2 de ce Chapitre.

244
2 – La suppression manifeste : l’article 7 de l’ordonnance du 26 aout 1972 sur l’état
d’urgence

Prise sur le fondement des articles 11 et 42744 de la constitution du 2 juin 1972,


l’ordonnance du 26 Août 1972 relative à l’état d’urgence et le texte qui, de manière
formelle supprime la distinction période normale/période exceptionnelle, et transforme
l’ensemble des procédés de police administrative en procédés exceptionnels. Elle
confirme le passage à un droit de la police administrative d’essence critique. Selon
l’article 7 de ce texte en effet, « lorsque l’état d’urgence aura été déclaré sur une partie
du territoire, les préfets des autres circonscriptions du territoire disposeront de plein
droit des pouvoirs énumérés aux alinéas 1er, 2e, 3e et 7e de l’article 4 de la présente
ordonnance ». Conformément à cette disposition, il suffit que l’état d’urgence soit
déclaré sur une partie du territoire pour que les effets de cette déclaration s’étendent sur
l’ensemble du territoire, puisque les autorités administratives des circonscriptions sur les
quelles l’Etat d’urgence n’a pas été déclaré reçoivent les mêmes pouvoirs que ceux des
autorités sur les quelles il a été proclamé. Ainsi, l’état d’urgence reçoit toujours
systématiquement et même automatiquement une application nationale. Il suffit que
l’état d’urgence soit proclamé sur la plus petite portion du territoire pour que les effets
soient étendus sur l’ensemble du territoire national. Cette suppression manifeste de la
distinction entre période normale et période exceptionnelle est extrêmement grave, tant
au plan du droit que des droits.

Au plan du droit, l’on sait, classiquement, dans les rapports que le droit entretien
avec le temps745, que l’on doit distinguer le temps normal et le temps de crise. Le temps
normal est celui ordinaire de tous les jours, contrairement au temps de crise qui est le
temps des périodes difficiles, le temps des conflits, le temps des périls. A chaque temps,
correspond ses règles de droit. On distingue le droit du temps ordinaire, ou si l’on veut
normal, du droit du temps de crise ou si l’on veut exceptionnel. Le droit de la police
administrative, chargé de conserver la société étatique dans un certain état d’ordre, est au

744
L’article 11 établissait le régime des pouvoirs du Président de la république en période de crise. Quand à
l’article 42, abrogée par la réforme constitutionnelle du 9 mai 1975 (voir la loi n° 75-1 du 9 mai 1975 portant
modification de la constitution du 2 juin 1972), il donnait compétence au Président de la République de
légiférer par ordonnances pendant une période déterminée pour la mise en place des institutions de la nouvelle
constitution et la gestion des affaires de l’Etat.
745
Sur cette problématique : S. GABORIAN, H. PAULIAT, (dir.), Le temps, la justice et le Droit, Limoges,
PULIM, 2004 ;

245
cœur des variations circonstancielles qui affectent le temps juridique. Il est le premier à
subir les « fluctuations de température » qui affectent le temps juridique. Car les
changements de circonstances sont en fait des changements dans la considération
prioritaire ou non que l’on doit accorder à l’ordre public, objet essentiel de la police
administrative. Si en période normale, ou si l’on veut ordinaire, l’important est de
garantir les libertés en œuvrant à équilibrer les exigences d’ordre et celles de liberté, en
période de crise, toutes les attentions sont portées vers la préservation, ou éventuellement
le rétablissement de l’ordre public, sans lequel aucune vie n’est possible. Le droit du
temps de crise est donc un droit de la préservation de l’ordre public, à l’exclusion de
toute prise en compte des droits et libertés746. La police administrative du temps de crise
est une police administrative liberticide. Le fait donc de considérer le temps normal
comme un temps de crise, transforme le droit lui-même en un droit de la crise et donc en
un droit d’exception.

Au plan des droits, la suppression de la distinction période normale période


exceptionnelle, en rendant permanente la législation du temps de crise, enlève au respect
des droits et libertés tout caractère prioritaire, et même nécessaire. Sous ce prisme, la
liberté prend un caractère essentiellement contingent, et en vérité exceptionnel. Ici, le
maintien de l’ordre public étant formellement régi par les dispositions exceptionnelles
issues de l’état d’urgence, les droits et libertés sont unis sous l’éteignoir puisqu’ils ne
sont pas pris en compte en pareille circonstance. Est ainsi consacré ce que le Professeur
Joseph OWONA appelle « une perméabilité du droit des libertés publiques à
l’institutionnalisation de l’état d’exception »747.

Au total, si la banalisation des procédés exceptionnels de police administrative,


assise sur la suppression de la distinction entre période normale et période exceptionnelle
a commencé à se manifester en termes de simples potentialités748, elle devient une réalité
tangible avec l’article 7 de l’ordonnance du 26 Août 1972 relative à l’état d’urgence.

746
Sur le plan du principe, le droit du temps de crise, s’il privilégie le maintien de l’ordre, ne supprime pas les
libertés. Il ne fait que les suspendre. C’est pourquoi un contrôle juridictionnel est toujours permis sur les
mesures de police administrative prises pendant cette période, preuve d’une survivance des droits et libertés du
citoyen. Mais la particularité du droit camerounais tient au fait que ces garanties juridictionnelles sont
tellement minces en matière de maintien de l’ordre public en général, si bien que la suspension des droits et
libertés s’apparente en réalité à une suppression des droits et libertés des citoyens.
747
J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public camerounais », op cit, p.
120.
748
Notamment dans l’ordonnance de 1962.

246
Cette disposition contribuera à la stabilité et à la prospérité d’une police administrative
de crise pendant près de deux décennies. L’avènement des mouvements de libéralisation
à la fins des années 1980 permettra un retour à la normale, signe d’une rationalisation
des procédés exceptionnels de police administrative.

SECTION II – DES PROCEDES ACTUELLEMENT « EXCEPTIONNALISES »

Depuis le début des années 1990, les procédés exceptionnels de police sont
redevenus ce qu’ils auraient dû rester au cours des décennies précédentes, à savoir de
simples exceptions. C'est-à-dire des procédés essentiellement dérogatoires et enfermés
dans un temps et un espace limités, à côté des procédés plus ordinaires, marqués du
sceau de la normalité. Mais tel n’en a pas été le cas. La police administrative de
l’indépendance jusqu’à la fin des années 1980, s’est déployée essentiellement sous le
prisme de la crise et de l’exception comme déjà démontré. Les procédés exceptionnels,
employés jusqu’à la banalisation avaient fini par rentrer dans le droit commun de la
police administrative. On peut donc à la lumière de ce phénomène déjà évoqué, mesurer
le sceau qualitatif opéré à l’aube des années 1990 en ce domaine. L’on est passé d’une
normalisation des procédés exceptionnels à une anormalisation de ceux-ci. Ils ont donc
retrouvé leur statut véritablement exceptionnel.

Ce retour à une matière véritablement exceptionnelle des procédés de crise en


matière de police administrative s’est effectué à travers deux facteurs complémentaires
et totalement imbriqués l’un à l’autre. Elle s’est faite d’abord à la lecture des nouveaux
textes et surtout des initiatives et procédures engagées par les pouvoirs publics, par une
restauration de la distinction entre période normale et période exceptionnelle. Cette
distinction mise en berne comme nous l’avons vu tant par la multiplication des procédés
exceptionnels de police administrative que par les dispositions de l’article 7 de
l’ordonnance du 26 Août 1972 et par celle de l’ordonnance du 12 Mars 1962 portant
répression de la subversion, retrouve toute sa pertinence dès les années 1990, à la faveur
de l’abrogation de ces textes et aussi des avancées opérées par le nouveau dispositif
juridique mis en vigueur.

L’"exceptionnalisation" des procédés de crise en matière de police administrative


s’est également opéré dans une démarche plus globale à travers une diminution sensible

247
de l’impact ou si l’on veut de l’importance des procédés de crise. Cette diminution peut
s’analyser tant quantitativement que qualitativement. Sur le premier plan, à la floraison
des régimes de crise observable précédemment, a succédé une diminution de ceux-ci,
débouchant sur tout juste deux procédés de crise, à savoir l’état d’urgence et l’état
d’exception. Sur le second plan, à savoir celui qualitatif, on constate que les réformes
entreprises au sein de ces deux procédés ont contribué à diminuer leur degré de sévérité,
si bien que l’on peut conclure à leur rationalisation incontestable.

I–LA RESTAURATION DE LA DISTINCTION PERIODE NORMALE/


PERIODE DE CRISE.

Cette restauration est assurément l’avancée la plus notable et la plus incontestable


enrégistrée ici, et qui a contribué formellement à libéraliser la police administrative. La
distinction période normale et période de crise est en effet essentielle dans tout Etat qui
se veut promoteur de l’Etat de droit. Elle est tributaire du caractère variable et
essentiellement contingent de la notion d’ordre public, laquelle est déterminée par des
circonstances de temps et de lieu. En période normale, l’ordre public est préservé par des
procédés ordinaires, lesquels permettent en principe de sauvegarder les droits et libertés.
En période de crise par contre, la préservation de l’ordre public conduit à un
renforcement important des pouvoirs de police, au moyen des procédés exceptionnels,
permettant aux autorités de police administrative d’aller plus loin qu’en période normale.
Si la confusion entre ces deux périodes, débouchant généralement sur une invasion de la
seconde sur la première, peut être considérée comme le signe de la prévalence de
l’autoritarisme, la distinction entre les deux doit être analysée comme une marque
incontestable de libéralisme. Le retour à cette distinction s’est effectué d’abord sur le
terrain réglementaire et ensuite sur celui de la loi.

A – L’enclenchement réglementaire de la restauration

C’est le pouvoir réglementaire qui a enclenché le processus de restauration de la


distinction entre période normale et période exceptionnelle. L’autorité centrale en ce
domaine est le Président de la République, dont l’importance des pouvoirs au plan
réglementaire sera démontrée en son temps. Il convient néanmoins de souligner ici le
rôle central joué par le pouvoir réglementaire dans le domaine de la police

248
administrative, et qui a permis d’œuvrer de manière particulière à maintenir en vigueur
pendant plusieurs décennies une police administrative d’exception, en maintenant de
manière permanente l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national. Le retour à un
ordre si l’on peut dire normal des choses ne pouvait que passer par une sollicitation et
même une mobilisation de ce pouvoir afin qu’il prenne lui-même toute la responsabilité
qui était la sienne pour un retour à une distinction essentielle à la garantie des droits et
libertés. Aussi, le Président de la République posera deux actes marquants dans ce sens à
savoir la levée de l’état d’urgence et la mise en place d’une commission chargée de
réviser la législation sur les libertés.

1 – La levée de l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national

Après avoir été reconduit ou prorogé régulièrement puis systématiquement


pendant plus de trois décennies, l’état d’urgence est définitivement levé en 1990. Cette
année qui rentre désormais dans l’histoire du Cameroun, est symbolique des ruptures
normatives introduites dans le droit administratif camerounais. Annoncée par le
Président de la République, également président national du Rassemblement
Démocratique du Peuple Camerounais, parti au pouvoir, lors de son discours de politique
générale à l’occasion du premier congrès ordinaire de ce parti, discours prononcé le 28
Juin 1990749, et qui annonçait alors « l’abolition de la législation d’exception », la levée
de l’état d’urgence est, comme annoncée, actée au cours de cette même année. En effet,
à la faveur d’un décret présidentiel disposant que l’« l’état d’urgence est levé sur
l’ensemble du territoire national », la promesse faite quelques semaines plutôt est
entièrement tenue. La formule utilisée, par sa simplicité et sa clarté, ne laisse aucune
équivoque sur la révolution opérée.

Intervenant dans un contexte sociopolitique versatile, mouvant et même délétère,


cette levée de l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national a d’abord le don
d’apaiser les esprits, et donc le climat sociopolitique du moment750. Mais surtout, elle
normalise la vie sociale et partant l’activité politico-administrative, ce qui au plan
juridique, abouti conséquemment à normaliser les actes juridiques pris dans le cadre du

749
Voir le texte de ce discours in Cameroun, droits et libertés. Recueil des nouveaux textes, précité, pp. 7-15.
750
Le Cameroun est, en ce début de la décennie 90, à l’instar de la majorité des pays d’Afrique noire
francophone, balayé, lui aussi, par une bourrasque libertaire venue de la lointaine Europe de l’Est, et qui s’est
caractérisée concrètement par de fortes revendications sociales et politiques de nature très violentes.

249
maintien de l’ordre public. Elle restaure la distinction essentielle au plan de la légalité
entre période normale et période de crise, et redonne dont toute sa pertinence à la notion
de circonstances exceptionnelles. Par cet acte, le Président de la République ouvre une
nouvelle ère dans l’activité de maintien de l’ordre public au Cameroun, et réalise un saut
qualitatif dans le domaine de la police administrative. Pour bien mesurer la révolution
ainsi opérée, il convient sans doute de rappeler, à toutes fins utiles, que de 1959 à 1970,
« plus de trente cinq lois, ordonnances et décrets ont prorogé, tous les quatre ou six
mois, l’état d’exception »751. À partir de cette date, et à la faveur de l’ordonnance du 26
Août 1972 sur l’état de d’urgence, ce procédé exceptionnel de police administrative est
proclamé si régulièrement qu’il est difficile d’en dénombrer les occurrences. Selon le
Professeur Jean de Noël ATEMENGUE, de Mai 1953 à Novembre 1990 l’état d’urgence
a été proclamé au Cameroun (au moins) 96 fois752. Au-delà des ajustements que cette
révélation est susceptible d’appeler, un chiffre aussi affolant donne une idée
approximative, mais suffisamment révélatrice de l’avancée opérée en novembre 1990
par le Président de la République.

Ce retour à l’orthodoxie juridique marque indubitablement une avancée libérale.


En réintroduisant la normalité dans l’entreprise de maintien de l’ordre public, elle
exceptionnalise à nouveau les procédés de crise en matière de police administrative. Les
premiers à s’en réjouir sont les citoyens qui voient à nouveau leurs droits et libertés pris
en compte, après plusieurs décennies d’embastillement. Ces droits et libertés sont
désormais appelés à l’exprimer dans un contexte normal, ou si l’on veut ordinaire. La
levée de l’état d’urgence rationalise, c'est-à-dire diminue l’impact de la notion d’ordre
public, laquelle soumet à d’importantes contraintes les droits et libertés en période de
crise. Les restrictions naguère instituées sont donc définitivement levées. Cette levée de
la législation d’exception en matière de police administrative est instructive à plus d’un
titre. D’abord, comme il a été déjà dit, elle réintroduit une distinction fondamentale
pendant longtemps ignorée, celle entre période normale et période de crise, donc entre
légalité normale et légalité de crise et donc entre police administrative normale et police
administrative de crise. La police administrative redevient par là une activité juridique

751
Africasia du 26 octobre 1970, cité par P. F. GONIDEC, Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, IIe
partie, 1974, p. 57.
752
J de N ATEMENGUE, thèse op cit., p. 217.

250
normale, obéissant à un régime normal et donc employant des procédures tout autant
normales.

Ensuite elle pose les bases d’une véritable libéralisation de l’activité de police
administrative, laquelle n’aurait jamais pu être ne serait-ce qu’envisagée avant cette
démarche, car comme on le sait, le libéralisme promeut les droits et libertés
fondamentaux, que ce soit de l’homme ou du citoyen. Or ces derniers sont relégués au
second plan en période de crise, au profit des exigences de l’ordre public, lesquelles
apparaissent alors comme prioritaires. Instituée pour « prévoir l’imprévisible »753, la
législation d’exception apparait en effet comme « une liberté anormale de l’exécutif à
l’égard de la loi »754.

Enfin, cette levée de la législation d’exception, à bien regarder, semble ouvrir une
ère nouvelle dans la police administrative au Cameroun et donc dans le droit
administratif camerounais. En effet, l’avantage du recul historique permet en considérant
la réalité observée depuis cette date d’avancer l’idée selon laquelle à travers cet acte du
Président de la République, le Cameroun a définitivement tourné le dos à une politique
de banalisation de l’exception, et donc de confusion de l’anormalité avec la normalité.
Car depuis cette date et malgré les divers soubresauts qui auraient pu légitimement
amenés à recourir à ce procédé755, les autorités se montrent réticentes à proclamer l’état
d’urgence à n’importe quelle occasion, ce qui tranche avec la banalisation observée
antérieurement. A bien y regarder, il ne s’agit pas d’une avancée négligeable, bien au
contraire. La levée de la législation d’exception pose donc les bases d’une véritable
libéralisation, laquelle sera effectuée par l’adoption de lois véritablement libérales.

2 – La mise en place d’une commission chargée de la révision de la législation sur


les libertés

Conformément aux promesses faites lors de son discours déjà mentionné de


libéraliser la vie socio politique, le Président de la République, quelques jours seulement
après, commence à mettre en œuvre les projets annoncés. Aussi, dès le 20 Juillet 1990, il

753
P. L. FRIER, « Les législation d’exception », in Pouvoirs n° 1, p. 21.
754
J. BERTHELEMY, cité par R. DRAGO, « L’état d’urgence », op cit., p. 694.
755
On pense ici par exemple aux attaques terroristes de la secte islamiste Boko Haram qui ensanglantent la
partie septentrionale du pays depuis quelques années déjà, et qui curieusement n’ont jamais donné lieu à une
déclaration de l’état d’urgence dans cette partie du territoire.

251
créé par arrêté une commission de révision de la législation sur les libertés publiques756.
Composée de 11 membres757, cette commission ad hoc disposait d’un délai de trois mois
pour lui faire ses propositions de modification à apporter à la législation sur lesdites
libertés. Selon la juste remarque du Professeur KAMTO, par cette démarche, « le
pouvoir s’emploie ainsi à mettre le droit public en harmonie avec le discours
politique »758. L’initiative présidentielle est ici à inscrire dans le cadre général de
l’introduction du pluralisme au sein de l’Etat et du pays tout entier. C’est pourquoi il
affirme que cette commission doit créer les conditions de la démocratie. Elle doit
élaborer des propositions fermes devant être transformées en lois après vote de
l’Assemblée Nationale759.

Mais bien que portant d’abord sur la mise en place des bases du pluralisme
politique, le travail de cette commission a aussi des conséquences importantes dans le
domaine de la police administrative, car c’est en vérité elle qui doit procéder au travail
technique de toilettage du dispositif répressif jusque là en vigueur, en proposant des
textes plus soucieux des droits et libertés et de nature à enlever du quotidien juridique la
législation d’exception. C’est en effet elle qui, à la suite de la levée de l’état d’urgence
par le Président de la République doit, par ses propositions, œuvrer à ôter de l’armature
juridique tout les éléments pouvant concourir à un retour et encore moins à un maintien
de la législation d’exception. Elle contribue donc, par là, à rétablir la distinction
essentielle entre période normale et période exceptionnelle, et surtout entre légalité
normale et légalité d’exception. Son travail est à cheval entre le travail réglementaire et
celui législatif. En effet, mise en place par une autorité exécutive à savoir le Président de
la République, sur la base de son pouvoir réglementaire, elle doit faire des propositions
qui seront transformées en lois, d’où le caractère essentiel de sa mission, clairement
définie par ailleurs. Son travail détermine donc de manière étroite la législation à venir
sur les libertés, laquelle doit asseoir la démarche enclenchée par le Président de la
République d’abolir la législation d’exception. Cela passe donc par une refonte complète

756
Il s’agit exactement de l’arrêté n° 416/CAB/PR du 20 juillet 1990.
757
A savoir 4 magistrats, trois enseignants (deux politistes et un publiciste), deux administrateurs civils, un
journaliste et un avocat membre du conseil de l’ordre. Présidée par M. Jean FOUMANE AKAM, un haut
magistrat, cette commission siégeait à la Présidence de la République.
758
M. KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », op cit., p.
221.
759
Extraits de l’interview du Président de la République Paul Biya donnée à Radio Monte Carlo le 21 Juillet
1990, rapportés par M. KAMTO, ibid.

252
de l’armature juridique relative au maintien de l’ordre public et plus globalement du
droit de la police administrative, en raison de la transversalité de cette matière au
chantier du pluralisme politique760.

La police administrative est la base de toute activité étatique et constitue le socle


incompressible de toute vie au sein de l’Etat. La commission s’attèlera donc à sa tâche
et, trois mois plus tard, c'est-à-dire en octobre, elle remet sa copie au Président de la
République. Très vite, ses propositions sont transformées en projets de lois et déposées
sur le bureau de l’Assemblée Nationale pour adoption juste quelques semaines après la
fin de son travail. Ce sont ces projets qui seront adoptés à l’occasion d’une cession
ordinaire de l’Assemblée nationale, passée à la postérité sous le nom évocateur de
« session des libertés »761. Les lois ainsi adoptées, en mettant fin aux affres d’une police
administrative de crise, ouvrent également une ère nouvelle dans le droit administratif
Camerounais, et précisément en matière de police administrative, et la commission ici
étudiée n’y aura pas contribué de moindre manière.

Tout d’abord, elle entérine l’option prise par le Président de la République dans le
sens de restaurer la distinction période normale/période de crise. Elle l’entérine et là
prolonge, en proposant l’abrogation de tous les textes constituant l’infrastructure d’une
telle confusion, notamment le texte sur l’état d’urgence, prolongement qui trouvera un
écho favorable chez le législateur, comme il sera vu bientôt. Le travail de cette
commission aura donc constitué un soutien précieux dans ce que la doctrine appellera
une « révolution normative »762.

Ensuite, par sa composition, la commission aura apporté un élan véritablement


novateur dans le train de réformes ici entreprises. En effet, constituée de personnalités
exerçant divers métiers du droit, et parmi lesquelles plusieurs caractérisées par une
ouverture d’esprit incontestable763, elle aura su insuffler cette forme de libéralisme à
leurs propositions dont plusieurs demeurent au cœur de la levée de la législation
d’exception, et donc de la remise au goût du jour de la distinction période

760
En raison de la considération selon laquelle l’ordre public est la base essentielle de toute vie sociale et
même politique. Sans lui, pas de vie sociale, pas de vie politique.
761
Nom de baptême suffisamment évocateur du rôle qu’a joué cette session dans le rétablissement des libertés
au Cameroun.
762
M. KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », op cit., p.
221. L’auteur parle en fait de « ruptures normatives ».
763
Comme cela peut être le cas des professeurs et des avocats.

253
normale/période de crise. Bien qu’ayant pour principale mission de mettre en place
« l’infrastructure juridique du multipartisme »764, cette commission à travers son
travail fait écrire que grâce à elle, « la législation sur le maintien de l’ordre subit un
réaménagement important avec quelques assouplissements »765.

Enfin, la rapidité avec laquelle les propositions de la commission se sont


retrouvées sur le bureau de l’Assemblée Nationale montre qu’elles n’ont pas subie de
grandes modifications et la rapidité avec laquelle elles ont tout autant été transformées
en normes législatives démontre à n’en point douter, qu’elles n’ont pas, même au niveau
du parlement été sensiblement modifiées. On peut donc penser que cette commission a
émit des sortes d’avis conformes, devant lesquels le parlement n’a fait mieux que de se
plier. Aussi peut-on valablement soutenir qu’au fond, c’est elle766 qui a véritablement
porté la restauration de la distinction période normale période exceptionnelle de son
enclenchement réglementaire à son parachèvement législatif.

B – Le parachèvement législatif de la restauration

Enclenché sur le terrain réglementaire, la restauration de la distinction période


normale période exceptionnelle aurait été incomplète et même inféconde si elle ne s’était
prolongée dans le champ législatif. En effet, c’est sur ce terrain qu’en fait se jouait toute
la réforme, pour deux raisons essentielles. La première c’est que si le pouvoir
réglementaire a pu enclencher une pareille démarche, et qu’il aurait même pu réviser
toute la législation en question, laquelle tenait principalement en des ordonnances, sur la
base de la délégation de pouvoir législatif alors fréquente, cela n’aurait pas eu la même
ampleur, ou si l’on veut la même éminence. D’où, et c’est la deuxième raison, la
nécessité de recourir à la voie législative, trop longtemps ignorée767, laquelle, en
remettant la loi et le parlement au goût du jour, élève en même temps l’initiative à un
niveau de dignité normative important, qui, en empruntant une voie plus libérale,
légitime au plan des droits démocratiques ladite démarche. Sur ce plan donc, la
764
M. KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », op cit., p.
222.
765
Idem
766
Si l’on a pu en effet saluer le travail effectué par l’Assemblée Nationale lors de cette session des libertés,
très peu d’analystes ont eu à souligner et à valoriser le travail de cette commission qui, bien que discrète, a
effectué l’essentiel du travail technique qui a abouti aux réformes que l’on sait aujourd’hui. C’est peut être le
lieu ici de rendre hommage à cette commission qui aura œuvré de manière décisive à notre sens, à l’évolution
du droit administratif camerounais et plus particulièrement du droit de la police administrative.
767
Cf. supra, Chapitre 2, Titre I, cette Partie.

254
restauration de la distinction période normale / période de crise est parachevée à travers
deux éléments à savoir l’abrogation de l’ordonnance du 12 mars 1962 portant répression
de la subversion et, surtout, la suppression de l’article 7 de l’ordonnance du 26 Août
1972 sur l’état d’urgence.

1– L’abrogation de l’ordonnance n° 62 [OF] 18 du 12 mars 1962 portant répression


de la subversion

Cette abrogation est assurément l’un des symboles les plus emblématiques de la
restauration de la distinction période normale / période exceptionnelle. Il a été démontré
plus haut que, bien que ne concernant pas la police administrative sur le plan du
principe, la lutte contre la subversion va se transformer en un puissant instrument de
maintien de l’ordre, ordre politique prioritairement, mais aussi ordre public assurément.
La suppression de la police administrative d’exception n’aurait jamais pu se faire
véritablement sans l’abrogation de ce texte qui portait à lui seul l’essentiel de l’esprit du
droit de la période autoritaire. Il fallait donc veiller à anéantir de manière particulière
cette ordonnance. Et ce n’est pas un hasard si la session des libertés déjà évoquée s’y est
employée de manière particulière, à travers la loi n° 90/046 768. Selon le Professeur
KAMTO, de toutes les lois adoptées au cours de cette cession, celle n° 90/046 doit être
mentionnée « en tout premier lieu »769, car elle est une « loi symbole »770,
« emblématique en quelque sorte »771 : elle « marque la fin du délit d’opinion, et
partant la fin d’une époque qui vit tant de camerounais finir leur existence dans les
camps de la mort (Tcholiré, Yoko, Mantoum) sans jugement aucun »772. Si cette loi est
succincte dans ces dispositions, elle apparait incontestablement révolutionnaire dans ses
implications.

Selon son article premier, « est abrogée l’ordonnance n°62/OF/18 du 12 mars


1962 portant répression de la subversion ainsi que tous ses textes modificatifs

768
Placée au frontispice de la vague réformatrice, cette loi souligne le caractère essentiel des changements ici
apportés. C’est pourquoi le législateur a voulu symboliquement commencer par abroger, à travers elle,
l’ordonnance du 12 mars 1962.
769
M. KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », op cit., à la
même page.
770
Idem, à la même page.
771
Ibid.
772
Ibid.

255
subséquents »773. La formule est claire, concise et précise, sans aucune équivoque. Elle
renseigne sur la volonté incontestable d’en finir avec l’ordre imposé par ce texte. Elle
normalise l’entreprise de maintien de l’ordre au Cameroun, laquelle ne doit plus
s’exercer sous le prisme permanent de la crise. Cette rationalisation de la notion de
circonstances exceptionnelles restaure de manière indiscutable la distinction période
normale / période exceptionnelle. Il s’agit d’une restauration que nous pourrions
qualifier de globale, car elle passe non seulement par l’abrogation du texte de 1962, mais
aussi par celle de tous ceux subséquents. N’étant qu’une abrogation c'est-à-dire une
mesure qui n’a d’effet que pour l’avenir, la démarche du législateur pourrait laisser à
croire qu’ici, le résultat est mitigé au plan du gain en termes de droits et libertés
fondamentaux du citoyen, contrairement au retrait qui aurait eu des effets rétroactifs, et
donc plus favorable aux droits et libertés. Mais ce serait non seulement sous estimer
l’ampleur qu’a eu en la matière la démarche abrogative, mais également ne pas tenir
compte de toutes les initiatives parallèles entreprises pour expurger le système juridique
et l’environnement socio politique de toutes les tentacules liberticides imposées par ce
texte774.

Cela dit, la véritable plus value apportée par ce texte est à analyser sur le terrain
des droits et libertés fondamentaux. Car si la restauration de la distinction période
normale/période exceptionnelle est le résultat le plus immédiat, il faut souligner que le
gain le plus important est la possibilité laissée aux droits et libertés alors embastillés de
pouvoir s’exprimer désormais sans heurts ni crainte. Ce consensus politico juridique
ayant entouré ladite abrogation apparait aussi comme le signe marquant d’une volonté
générale de tourner le dos à une ère particulièrement révolue, celle de la banalisation de
la législation d’exception. La consultation du journal des débats parlementaires permet
en effet de constater que l’abrogation de cette ordonnance n’a soulevé aucune difficulté
particulière, en termes d’opposition au projet de loi. Tout au contraire, elle a suscité la
totale adhésion de la chambre entière775. Cela mérite d’être souligné, bien que nous nous

773
Voir le texte de cette loi in J.O.R.C., 31e année, 1er janvier 1991, p.8. Egalement in : Cameroun, Droits et
libertés. Recueil des nouveaux textes, op cit, p. 26.
774
Il en est ainsi par exemple de la réhabilitation de la liberté de parole, à travers la loi n° 90/52 du 19
décembre 1990 sur la liberté de communication sociale, et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
775
Ceci mérite sans doute d’être souligné avec force, ce d’autant plus que l’Assemblée Nationale qui adopte ce
texte a une composition monolithique, c'est-à-dire issue des seuls rangs du parti au pouvoir, le Rassemblement
Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC). On aurait pu s’attendre à des oppositions puisque ce parti était
le principal bénéficiaire politique du système autoritaire alors en vigueur. Si bien que l’enthousiasme dont ont

256
trouvions encore dans une assemblée monolithique. Cette adhésion unanime de
l’assemblée s’appuyait sur un soutien remarquable de la société civile, laquelle militait la
première pour une « éradication » de la législation d’exception. La population quant à
elle n’était pas en reste, puisque c’est elle qui, la première, subissait les affres liées à
l’application de ce texte.

Au total, il convient de dire que l’abrogation de ce texte ouvre une ère nouvelle
dans le droit administratif camerounais, et particulièrement dans le droit de la police
administrative, dans le domaine essentiel de l’expression des idées. Au-delà de la
restauration de la distinction entre période normale et période exceptionnelle, elle permet
de passer d’un ordre public d’exception à un ordre public ordinaire, ou si l’on veut
normal, c'est-à-dire celui qui ne justifie plus la mise en vigueur de régimes de police en
tous points hostiles à l’expression des idées, et donc à l’épanouissement des droits et
libertés fondamentaux des citoyens camerounais. La suppression de l’article 7 de
l’ordonnance du 26 Août 1972 sur l’état d’urgence y contribuera également.

2– La suppression de l’article 7 de l’ordonnance du 26 Août 1972 sur l’état


d’urgence

Cette suppression est la preuve juridique la plus tangible de la restauration de la


distinction période normale/période de crise. En guise de rappel, l’article 7 de ce texte
disposait : « lorsque l’état d’urgence aura été déclaré sur une partie du territoire, les
préfets des autres circonscriptions du territoire disposeront de plein droit, des pouvoirs
énumérés aux alinéas 1, 2, 3 et 7 de l’article 4 de la présente ordonnance (…) ».
Comme déjà vu, cette disposition avait le don macabre d’étendre sur l’ensemble du
territoire l’état d’urgence proclamé pourtant tout juste sur une portion de celui-ci. Elle
est l’instrument par excellence de la confusion entre période normale et période
exceptionnelle. Sa suppression est à mettre à l’actif de la loi n° 90/047 sur l’état
d’urgence, et participe en gros de la diminution de l’impact de ces régimes de crise. Mais
en raison de son caractère particulier au sein du système alors en vigueur, elle mérite
d’être étudiée à part, comme élément dont la suppression restaure la distinction
essentielle ici analysée.

fait preuve les députés à l’occasion du vote de ce texte est la preuve d’une volonté indéniable de mettre fin à
l’iniquité du système jusque là en vigueur.

257
Cette suppression est de nature implicite. En effet, la nouvelle loi sur l’état
d’urgence ne mentionne pas expressément l’abrogation de l’article7 de l’ordonnance de
1972. Mais c’est la lecture du nouveau texte, à la lumière de l’ancien qui permet de
soutenir l’idée d’une telle suppression car on ne trouve ici aucune disposition
équivalente à celle de l’article 7. Cette réalité suppose donc implicitement que le contenu
de cette disposition a été supprimé lors de la réforme du régime de l’état d’urgence.

Pouvait-il en être autrement ? Il est permis d’en douter, tant cette disposition avait
causé du tort à l’épanouissement des droits et libertés dans l’entreprise de maintien de
l’ordre public. Les pouvoirs donnés aux autorités de police administrative en cas de
déclaration de l’état d’urgence, non seulement dans les zones déclarées sous état
d’urgence, mais aussi dans toutes les autres circonscriptions du territoire n’auraient pas
pu subsister dans un environnement qui se veut désormais libéral, et donc favorable aux
droits et libertés. En ne reconduisant pas les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance
de 1972, le législateur restaure donc formellement la distinction période normale période
de crise, mise en mal pendant plusieurs décennies. Il parachève par là même une
démarche inaugurée, comme nous l’avons vu, par le pouvoir réglementaire, et qui, au
bout du compte, consiste à « dé-exceptionnaliser » le droit de la police administrative.

Le fait que ce processus ait été parachevé par le législateur n’est pas anodin, car il
correspond aussi à une reprise en main législative de l’initiative en matière de police
administrative. En effet, ce n’est pas un hasard si la disposition ici controversée est
contenue dans une ordonnance, c'est-à-dire, qu’on le veuille ou non, dans un acte du
pouvoir exécutif. La suppression de cette disposition par une loi apparait donc à
plusieurs égards symbolique. Elle est illustrative du caractère libéral traditionnellement
accolé à la loi. Elle démontre qu’à travers cette source du droit, la police administrative
est désormais appelée à s’exercer sous de nouveaux auspices, ceux de la liberté et
surtout de la normalité.

Au travers de cette réforme, l’état d’urgence retrouve tout son caractère


exceptionnel et donc circonstanciel, purement ponctuel, enfermé qu’il est désormais dans
des limites nécessairement à la fois temporelles et spatiales. Ce retour à la distinction
période normale/période de crise appelle une diminution, ou si l’on veut un recul de
l’autoritarisme au profit du libéralisme, car elle signifie recul de l’ordre public

258
d’exception et avancée de l’ordre public normal, recul de la légalité d’exception et
avancée de la légalité normale. Elle signifie rationalisation des procédés de crise, c'est-à-
dire limitation de leur impact sur les droits et libertés. Elle signifie que les procédés de
police administrative connaissent de profondes mutations contribuant par là à
l’émergence d’une libéralisation formelle de la police administrative.

Au total, le retour à la distinction période normale/période exceptionnelle apparait


comme la base de tous les changements ayant contribués à un retour à la normalité, et
plus profondément, à l’émergence d’une libéralisation formelle au sein de la police
administrative. La diminution de l’impact des régimes de crise participe également de
cette logique, qui s’analyse en un véritable renouveau.

II – LA DIMINUTION DE L’IMPACT DES REGIMES DE CRISE

Au-delà du retour à la distinction période normale / période exceptionnelle, l’on


assiste depuis le début des années 1990 à une diminution de l’impact des régimes de
crise, lorsqu’ils sont considérés de manière globale. Cette diminution de l’impact des
régimes de crise signifie diminution des contraintes auxquelles ils donnent lieux, au plan
des droits et libertés. Elle signifie réduction de leur degré de sévérité qui, assis désormais
sur leur caractère à nouveau exceptionnel, participe d’une véritable rationalisation.

La diminution de l’impact des régimes de crise est à analyser à la lumière d’une


confrontation entre les règles actuellement en vigueur dans ce domaine et celles
antérieurement en vigueur, et dont nous avons suffisamment mis en exergue non
seulement la banalisation, mais aussi la sévérité extrême. Elle tourne donc autour de
l’analyse des deux seuls régimes de crise actuellement en vigueur dans le droit positif
camerounais, et susceptible d’influer sur l’activité de maintien de l’ordre public, et donc
l’exercice de la police administrative. Il s’agit de l’état d’urgence et de l’état
d’exception. La considération actuelle de ces deux seuls régimes de crise à la lumière du
droit positif, donne déjà, du point de vue d’une analyse quantitative l’idée d’une
réduction de leur impact liée à la réduction de leur nombre, tranchant avec leur
multiplication antérieure.

Ensuite, au plan qualitatif, le statut constitutionnel de ces deux procédés de crise


est de nature à les inscrire dans une rationalisation si l’on puis dire automatique, puisque

259
ce statut constitutionnel les soumet automatiquement à toutes les contraintes
constitutionnelles liées notamment à la garantie des droits et libertés fondamentaux. Non
pas que ces procédés n’avaient pas avant de statut constitutionnel, mais la modernisation
de la source constitutionnelle du droit déjà suffisamment analysée776, toutes les
évolutions enregistrées en ce niveau, sont de nature à donner à l’état d’urgence et à l’état
d’exception un nouveau visage, qu’ils n’avaient pas forcément avant les réformes des
années 1990. Leur statut constitutionnel va donc forcément et même immanquablement
contribuer à la diminution de leur impact, à leur « exceptionnalisation », et donc à leur
rationalisation.

Enfin, au plan purement utilitaire, l’on peut faire le constat, frappant et


incontestable, de la raréfaction du recours à ces procédés777, au moins par rapport à l’état
du droit ancien, ou plutôt de la situation ancienne, où nous avons déjà suffisamment noté
leur extrême banalisation. Ce ne sont pourtant pas les occasions qui ont manqué depuis
lors, si bien que cette forme de défiance vis-à-vis de l’état d’urgence et de l’état
d’exception de la part des pouvoirs publics eux-mêmes est révélatrice des évolutions ici
enregistrées. Cela dit, il convient, pour la clarté de l’exposé, de présenter ces évolutions
d’abord en ce qui concerne l’état d’urgence ensuite pour ce qui est de l’état d’exception,
afin de conforter l’idée soutenue ici de leur rationalisation.

A – L’assouplissement de l’état d’urgence

Le degré de sévérité de l’état d’urgence a considérablement diminué depuis les


réformes effectuées en ce domaine au début des années 1990. Si jusque là, l’ordonnance
n° 72/13 du 26 Août 1972 alors en vigueur avait montré son côté particulièrement
répressif et liberticide, la loi n° 90/47 qui l’a abrogée et remplacée introduit un régime
beaucoup plus souple et donc moins attentatoire aux droits et libertés des citoyens. Au-
delà du caractère symbolique et révélateur de l’évolution du lieu de conditionnement des
règles relatives à ce procédé exceptionnel de police administrative778, il faut dire, avec
insistance, que l’état d’urgence de 1990 est sans commune mesure avec celui de 1972,
776
Cf. supra, Chapitre I Titre I de la première partie de la thèse.
777
Le procédé de l’état d’exception n’a jamais été utilisé depuis sa création jusqu’à ce jour. Quand au procédé
de l’état d’urgence, depuis le début des années 1990, il a été mis en œuvre tout juste à quelques rares
occasions, comme par exemple pendant les opérations de désobéissance civile baptisées « opérations villes
mortes », pendant une brève période ou sévissait le grand banditisme à Douala au début des années 2000, et
pendant ce que l’on a appelé les émeutes de la faim en février 2008 particulièrement dans la région du littoral.
778
Avant 1990, c’était une ordonnance. Depuis ce temps, il s’agit d’une loi.

260
précisément en ce qui concerne le degré de sévérité. L’extrême rigueur qui caractérisait
le premier tranche avec la relative souplesse dont est marqué le second, situation qui n’a
pas encore été suffisamment soulignée par la doctrine. Cette évolution ne saurait en
aucun cas être considérée comme anodine, car elle est révélatrice d’une véritable
libéralisation de la police administrative, d’un point de vue formel tout au moins.

L’assouplissement de l’état d’urgence est à analyser de deux points de vue. D’une


part, il convient de souligner que la conception qu’en ont les pouvoirs publics ayant
évolué, et cela à la lumière des nouvelles dispositions textuelles, il est frappant
d’observer que la notion même d’état d’urgence s’est vue assouplie. D’autre part, les
prérogatives que confère ce procédé ont été sensiblement revues à la baisse, à l’occasion
du processus de « dé-banalisation » déjà évoqué. On peut donc dire que le régime de
l’état d’urgence a été lui aussi nettement assoupli.

1 – L’assouplissement de la notion d’état d’urgence

La notion, c'est-à-dire la définition de l’état d’urgence a été, depuis 1990,


considérablement assouplie. Cet assouplissement est à analyser à travers les conditions
de déclaration juridiquement prévues. Si en la matière, le texte constitutionnel est peut
disert, le constituant se contentant d’affirmer, que ce soit dans celui de 1972 ou dans
celui de 1996 que le Président de la République « peut » proclamer l’état d’urgence
« lorsque les circonstances l’exigent », les textes législatifs quant à eux sont beaucoup
plus éloquent sur cette question. En effet, la loi n° 90/047 introduit plusieurs innovations
ici, lesquelles sont de nature à injecter de la souplesse dans la définition de l’état
d’urgence. On peut procéder ici par ordre d’importance. L’on sait qu’ici plusieurs
conditions peuvent justifier ou même légitimer la proclamation de l’état d’urgence.

Selon la toute première condition, l’état d’urgence peut être déclarée sur tout ou
partie du territoire national « en cas d’évènements présentant par leur nature et leur
gravité le caractère de calamité publique ». Cette condition n’apporte aucun
changement, ou si l’on veut aucun assouplissement dans la définition de l’état d’urgence,
car elle est en tout point de vue identique dans sa formulation, que ce soit dans le texte
de 1972 ou dans celui de 1990. Cela dit, cette stabilité dans la formulation n’est pas le
signe, loin s’en faut, d’une perpétuation de l’autoritarisme. Car elle ne comporte aucun
abus, sur le plan de son principe, relativement à sa formulation. On peut d’ailleurs

261
observer ici, que le législateur consacre là une condition classique de déclaration de
l’état d’urgence. On peut également observer que le législateur maintien ici la
considération cumulative tant de la nature que de la gravité des évènements susceptibles
de justifier l’emploi de ce procédé exceptionnel de police administrative. Une
considération alternative ici eut été en effet beaucoup plus sévère, si bien que la
reconduction de cette disposition dans son ancienne rédaction n’est en rien le signe
d’une quelconque rigueur, au contraire elle tend plus à restreindre les possibilités de
recours à l’état d’urgence, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour les libertés.

Mais du point de vue qualitatif, ou si l’on veut du degré d’importance, la loi n°


90/047 innove véritablement au niveau de la troisième condition de déclaration de l’état
d’urgence, laquelle permet le recours à ce procédé « en cas d’agression venant de
l’extérieur », et non plus « en cas d’agression venant de l’étranger ». La nuance est ici
à la foi subtile et fondamentale.

Elle est d’abord subtile car, on pourrait croire les termes «étranger» et
« extérieur » synonyme et conclure ici aussi à une stabilité rédactionnelle. Mais, la
synonymie ici n’est qu’apparente. Car si au plan du droit international public, et
précisément du droit diplomatique, l’extérieur renvoi à l’étranger, au plan du droit de la
police administrative, ces deux termes peuvent être interprétés comme ne renvoyant pas
absolument à la même réalité. En effet, l’extérieur ici renvoi à l’extérieur du territoire
national, alors qu’étranger ne véhicule pas nécessairement cette idée. Rien n’empêcherait
alors une autorité, précisément le Président de la République, de déclarer l’état d’urgence
à la suite d’une agression venant de l’intérieur du territoire, mais à la suite d’une
manœuvre étrangère. Cette première nuance permet de limiter, avec la nouvelle
rédaction, les possibilités de recours à l’état d’urgence. Egalement, dans le même sens,
l’expression « agression venant de l’extérieur » est plus précise que celle « d’agression
étrangère », laquelle apparait particulièrement vague. L’adjectif qualificatif
« étrangère » peut en effet signifier plusieurs choses ici. Il peut renvoyer à la nationalité
étrangère de l’auteur de l’agression, mais il peut aussi renvoyer à la nature de
l’agression, et là, il faudrait déterminer quelle est celle-ci, et en quoi sa nature est
étrangère, toutes choses pas vraiment claires. Mais cela dit, la nuance entre « agression
étrangère » et « agression venant de l’extérieur » est aussi fondamentale, car elle
permet de distinguer la notion d’état d’urgence de celle d’état d’exception, qui est aussi

262
proclamée en cas d’atteinte à l’intégrité du territoire. Il faut alors procéder ici à une
clarification conceptuelle sans équivoque, afin d’éviter tout usage abusif de l’état
d’urgence. La terminologie « agression venant de l’extérieur » participe ainsi de notre
point de vue de cette clarification, et donc de l’assouplissement de la notion d’état
d’urgence.

Mais la véritable innovation survenue en 1990, et qui participe de


l’assouplissement de la notion d’état d’urgence, vient du changement de formulation de
la deuxième condition de sa déclaration. En effet, toujours selon l’article 1er de la loi,
l’état d’urgence peut être déclaré « en cas de troubles portant gravement atteinte à
l’ordre public ou à la sûreté de l’Etat ». On voit ainsi, que le nouveau texte parle de
« troubles portant gravement atteinte… » là où l’ancien texte parlait de « troubles
répétés… ». La notion de troubles répétés a une connotation quantitative, et évoque la
récurrence, la survenance multiple et donc la répétition dans le temps, tandis que celle de
« trouble portant gravement atteinte… » a une connotation qualitative, et met donc
l’accent sur la nature du trouble, son contenu dangereux ou pas. Autrement dit, le
législateur abandonne ici la dimension quantitative de la menace à l’ordre public pour
adopter une démarche qualitative en cette matière.

Désormais donc, il ne suffira pas qu’il y’ait des troubles répétés à l’ordre public
ou à la sureté de l’Etat pour que l’état d’urgence soit éventuellement déclaré. Il faudra
plutôt que lesdits troubles aient un caractère « grave », c'est-à-dire soient d’une
particulière dangerosité, et même, pourquoi pas, causent des dommages importants à
l’ordre public, pour que l’état d’urgence soit proclamé. Et même, ce n’est pas seulement
le trouble qui doit avoir une nature grave, mais c’est surtout l’atteinte que ce trouble
porte à l’ordre public qui doit avoir une nature grave. En d’autres termes, ce que
l’autorité détentrice du pouvoir de proclamer l’état d’urgence doit désormais considérer
avant de se prononcer, ce sont surtout les atteintes portées à l’ordre public.
Conformément à cette seconde condition, ce n’est que lorsque ces atteintes sont graves
que l’état d’urgence peut être déclaré. C’est dire que même si le trouble n’est pas en lui-
même grave, seules devront importer les atteintes à l’ordre public. C’est aussi dire que la
notion de troubles graves sera désormais toujours considérée au regard de ses effets. Le
fait pour le législateur d’exiger désormais une certaine gravité dans les atteintes portées à
l’ordre public comme condition de déclaration de l’état d’urgence signifie qu’il restreint

263
les conditions de déclaration de ce procédé de police administrative. Cela signifie aussi
qu’il assoupli la notion d’état d’urgence en termes de prise en compte plus grande des
libertés.

En limitant les conditions de déclaration de l’état d’urgence, le législateur


contribue à la construction d’une notion d’état d’urgence favorable aux libertés, et donc
emprunte d’un certain libéralisme. L’état d’urgence apparait alors ici comme un procédé
exceptionnel de police administrative qui peut être déclaré soit en cas d’évènement
présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique, soit en cas de
troubles portant gravement atteinte à l’ordre public ou à la sûreté de l’Etat, soit en cas
d’agression venant de l’extérieur, et qui donne des pouvoirs spéciaux aux autorités de
police administrative. Mais il faut dire ici, qu’au-delà de la limitation des conditions de
déclaration de l’état d’urgence, l’on assiste, depuis 1990, à une modulation des effets de
sa déclaration.

2 – La modulation des effets de la déclaration

Le régime de l’état d’urgence de 1990 s’est considérablement assoupli, par


rapport à celui de 1972. En particulier, les effets de la déclaration de l’état d’urgence ont
considérablement été revus, si bien que l’on peut légitimer l’emploi ici des concepts
d’état d’urgence de 1972 et d’état d’urgence de 1990. Au-delà du retour à la distinction
période normale période exceptionnelle, dû à la suppression de l’article 7 de
l’ordonnance de 1972. Il est à noter que plusieurs conséquences en vigueur sous l’empire
de cette ordonnance ont purement et simplement été abrogées par la nouvelle loi.

Tout d’abord, la durée de l’état d’urgence a été revue à la baisse. De 6 mois dans
le texte de 1972, elle a été réduite de moitié dans le texte de 1990, à savoir désormais 3
mois au maximum. Il ne peut être prorogé que pour une seule période de trois mois. Et si
la situation qui là motive persiste, l’Assemblée nationale doit être consultée. Ces
nouvelles dispositions tranchent avec celles précédemment en vigueur, qui, non
seulement pouvaient être prorogées indéfiniment par le Président de la République, mais
aussi et surtout, ne prévoyaient pas la consultation du Parlement. D’une manière
incontestable donc, l’on a procédé à une modulation de la durée de l’état d’urgence,
laquelle est désormais moins rigoureuse, et donc en gros favorable à la liberté.

264
Ensuite, le déploiement de l’état d’urgence dans l’espace a été rigoureusement
limité. Si l’ancien comme le nouveau texte prévoient la précision de la ou des partie(s)
du territoire soumise(s) à l’état d’urgence, il faut dire que cette disposition prend
désormais sa véritable signification, en raison de la disparition de l’article 7 de l’ancien
texte. En effet, avant 1990, la disposition de l’article 2 alinéa 2 premier tiret ne
produisait aucun effet sur le régime de l’état d’urgence, anesthésié qu’il était par l’article
7, lequel rendait systématiquement nationale toute déclaration de l’état d’urgence même
sur une petite portion du territoire. Désormais la suppression de l’article 7 de
l’ordonnance de 1972 donne tout son sens à la précision de la ou des partie(s) du
territoire soumise(s) à l’état d’urgence, car ce dernier devra désormais s’y limiter de
manière tout à fait stricte. Ainsi donc, la proclamation de l’état d’urgence est
nécessairement localisée, et ne peut plus en aucun cas produire un quelconque effet au-
delà de la circonscription de proclamation. L’état d’urgence retrouve ici son caractère
véritablement circonstanciel, tant au plan temporel qu’au plan spatial. Il ne produit plus
ses effets, au regard de la loi n° 90/47, que dans un temps et un espace préalablement
définis, et ceci est tout à fait remarquable dans le droit de la police administrative en
vigueur au Cameroun. L’analyse concernant la précision du lieu soumis à l’état
d’urgence concerne aussi, de manière automatique, les autorités susceptibles de prendre
des mesures d’application de l’état d’urgence. Ces dernières doivent désormais être
également circonscrites, toujours en raison de l’abrogation de l’article 7 de l’ordonnance
de 1972.

Enfin, il faut dire que l’évolution la plus essentielle, s’agissant de la modulation


des effets de la proclamation de l’état d’urgence, est celle qui porte sur les mesures
édictées par les autorités administratives habilitées à l’appliquer, et celles qui portent sur
la fin de l’état d’urgence.

S’agissant des mesures édictées pendant l’état d’urgence, il faut souligner que si
avant 1990 elles n’étaient soumises à aucune formalité particulière, depuis cette date,
elles doivent être communiquées à la Commission Nationale des Droits de l’Homme.
Cette exigence légale n’est pas anodine, au regard du rôle joué par cette autorité dans la
défense, la promotion et la garantie des droits de l’homme au Cameroun. On peut donc
raisonnablement penser que cette formalité est au cœur de la nécessité d’une garantie des
droits de l’homme, même en période de crise. Même si on peut exiger ici une plus

265
grande sévérité dans la répression des atteintes aux droits et libertés fondamentaux, le
dispositif ici mis en place, même s’il apparait lacunaire, montre quand même que les
autorités de police administrative sont désormais contrôlées même en période d’état
d’urgence, leurs actes pouvant donner lieu à des procédures de contestation, même déjà
au sein de l’Administration. Par rapport à l’état du droit antérieur, ce n’est pas une mince
avancée.

Egalement, s’agissant toujours des mesures d’application de l’état d’urgence, si


certaines ont été réécrites dans un sens libéral, à l’instar de celle qui enferme désormais
dans les formes légales l’autorisation donnée à tout officier de police judiciaire, civile ou
militaire d’effectuer des perquisitions à domicile de jour comme de nuit, ou de celle qui
exige désormais que la fermeture des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de
réunion soit ordonnée « en tant que de besoin », d’autres ont purement et simplement
été abrogées, comme celle qui visait à éloigner les repris de justice et les individus qui
n’ont pas leur résidence habituelle dans les lieux soumis à l’état d’urgence, à interdire le
séjour dans tout ou partie de la circonscription administrative à tout individu cherchant à
entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics. Toutes ces
mesures, prises soit à l’échelle locale ou régionale par les gouverneurs, préfets ou sous-
préfets, soit à l’échelle nationale par le ministre de l’administration territoriale,
précédemment licites, ont désormais été abrogées, ou si l’on veut non reconduites par la
loi n° 90/047, limitant par là les effets antérieurement plus liberticides de l’état
d’urgence.

Quand aux conséquences liées à la fin de l’état d’urgence, elles ont également été
remarquablement assouplies. Le nouveau texte prévoit en effet que « cessent d’avoir
effet, en même temps que prend fin l’état d’urgence, les mesures administratives prises
pour son application. Les armes et les effets visés à l’article 5, alinéa 2 sont restitués à
leur propriétaires ». Il s’agit d’une avancée remarquable, car une pareille disposition
n’existait pas dans l’ancien texte. Plus important encore, les effets de l’état d’urgence se
prolongeaient généralement au-delà de la période d’expiration de celui-ci, ce qui est
absolument préjudiciable aux libertés. Ainsi en est-il de la compétence des juridictions
militaires, selon les règles fixées par la loi portant organisation judiciaire militaire. Il en
est également de même pour les décisions administratives individuelles prises pendant
l’état d’urgence en vertu de l’article 4-4e, 5e, 6e et l’article 5-4e et 6e. Une telle

266
prorogation des effets de l’état d’urgence au-delà de sa durée effective, conduisait à
étendre indéfiniment dans le temps le régime de l’état d’urgence, à le rendre
interminable. La suppression, ou plutôt la non reconduction de ce dispositif dans la loi de
1990 est révélatrice de l’avancée opérée en faveur des droits et libertés.

Il ne peut plus alors être saugrenu de parler de deux états d’urgence, celui de 1972
et celui de 1990, tant ils sont différents. L’un, ferment de l’autoritarisme en matière de
police administrative, s’est révélé incapable de s’appliquer dans un Cameroun
résolument entré dans une mouvance juridique libérale. L’autre, conforme à la nouvelle
donne, ne pouvait que ravir la faveur d’analystes dont l’esprit critique est connu au sein
de la doctrine. Les effets de la déclaration de l’état d’urgence apparaissent donc
particulièrement modulés depuis la loi n° 90/047, pour le plus grand épanouissement des
droits des citoyens. L’état d’exception n’est pas lui aussi, resté en marge de ces
évolutions du droit de la police administrative au Cameroun.

B – L’encadrement de l’état d’exception

L’état d’exception n’est pas exclusivement un procédé de police administrative,


car il peut être déclenché pour des raisons allant bien au-delà de cette activité de la
puissance publique. Mais parmi ses conditions de déclaration, on trouve des éléments qui
rentrent en droite ligne du maintien de l’ordre public au sens où l’entend la police
administrative. Il peut donc être considéré comme un procédé exceptionnel de police
administrative. C’est d’ailleurs à notre sens, le plus puissant instrument de maintien de
l’ordre qui existe, en raison de l’extrême gravité de ses effets et donc de sa dangerosité
pour les droits et libertés. C’est peut être ce qui explique l’extrême rareté de son
utilisation. En France, il a été mis en œuvre une seule fois, à l’occasion de la tentative de
putsch des généraux à Alger le 23 Avril 1961. Depuis lors, il n’a plus jamais été mis en
œuvre.

Au Cameroun, ce procédé n’a, à notre connaissance, jamais été utilisé. En tant


que procédé exceptionnel de police administrative, l’état d’exception pose de nombreux
problèmes qu’il faut absolument résoudre, ou qui, tout au moins, méritent l’attention. Sur
le plan du principe, l’état d’exception se caractérise au Cameroun par le fait qu’il n’est
pas, jusque là, encadré. Son régime apparait particulièrement lacunaire. Mais, on peut, à

267
la vue de certains éléments fournis par l’ordre juridique, lui construire un régime
protecteur.

1 – Un encadrement jusque là indicible

De tous les procédés exceptionnels de police administrative en vigueur au


Cameroun, l’état d’exception est celui qui est le moins encadré. Les dispositions
constitutionnelles y relatives sont tellement élliptiques qu’on pourrait croire qu’il s’agit
d’un blanc seing donné au Président de la République qui en est le principal
utilisateur779.

En France, ce procédé est né d’une demande expresse du Général de Gaulle qui


gardait alors le souvenir de l’impuissance de l’exécutif français de la 3ème République
lors de la débâcle de 1940. Ce procédé fut introduit au Cameroun à travers l’article 25 de
l’ordonnance n° 58-1375 du 30 décembre 1958 portant statut du Cameroun, et n’en est
jamais ressorti depuis lors. Aujourd’hui, comme l’état d’urgence, il est prévu à l’article 9
de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. Cet article dispose en son second
paragraphe que « le Président de la République peut, en cas de péril grave menaçant
l’intégrité du territoire, la vie, l’indépendance ou les institutions de la république,
proclamer, par décret, l’état d’exception et prendre toutes les mesures qu’il juge
nécessaires. Il en informe la nation par voie de message ».

On peut observer, d’emblée, que cette disposition constitutionnelle est


particulièrement évasive, et ce sur plusieurs points. En particulier la disposition selon
laquelle le Président de la République peut, une fois l’état d’exception déclaré, « prendre
toutes les mesures qu’il juge nécessaires » est absolument vague, et susceptible de
donner carte blanche à cette autorité pour faire ce qu’elle veut en pareille circonstance.
Le caractère large de la formule permet alors au Président de la République de s’octroyer
les « pleins pouvoirs ». L’exemple unique de mise en œuvre française de ce procédé a
permis de constater que les « mesures » postulées ici peuvent s’avérer extrêmement
variées, et diverses, et relever aussi bien du domaine de la loi que de celui du pouvoir
réglementaire. Ainsi, dans un arrêt d’Assemblée célèbre, Sieur Rubin de Servens, du 2

779
Certains diraient principal « bénéficiaire », à l’instar de M. Gilles LEBRETON. Cf. G. LEBRETON,
Libertés publiques et droits de l’homme, Paris, Armand Colin, 7ème édition, 2005, p. 185.

268
Mars 1962780, le Conseil d’Etat français a jugé que le recours à l’article 16, « a eu pour
effet d’habiliter le Président de la République à prendre toutes les mesures exigées par
les circonstances qui l’ont motivées et, notamment, à exercer dans les matières
énumérées à l’article 34 de la Constitution le pouvoir législatif et dans les matières
prévues à l’article 37, le pouvoir réglementaire ».

On voit ainsi, que le recours au procédé de l’état d’exception a des conséquences


particulièrement graves, puisqu’il remet en cause l’un des principes fondamentaux de
l’Etat républicain et même de la démocratie, à savoir le principe de la séparation des
pouvoirs. Selon M. Charles Edouard MINET, « les mesures dont il est question peuvent
concerner tous les domaines, y compris celui des libertés publiques. Elles peuvent
augmenter considérablement les pouvoirs des autorités de police, ou être elles même
des mesures de police781 ».

On peut aussi observer, avant même de considérer les pouvoirs que lui donne le
recours au procédé de l’état d’exception, que le Président de la République est la seule
autorité habilitée à le proclamer. Il en détient seul l’initiative. Si en France, le Président
de la République doit néanmoins requérir quelques avis, bien que ceux-ci soient juste
obligatoires, ou si l’on veut simples, le Président pouvant passer outre, au Cameroun,
aucune procédure de consultation n’est requise. Le pouvoir de proclamer l’état
d’exception est plus que jamais ici un pouvoir propre. Aussi, peut-on regretter avec
Gilles LEBRETON, « qu’une décision aussi grave appartienne à un seul homme,
surtout quand celui-ci en est le bénéficiaire782 ». Ce pouvoir participe de ceux qui
tendent à faire de lui un véritable pontife constitutionnel.

Le caractère très elliptique et succinct des dispositions de l’article 9 pose le


problème d’une loi d’application de cette disposition. En effet, même si la constitution
de 1996 ne le demande pas expressément, il devrait intervenir une loi sur l’état
d’exception, dont l’objet serait de détailler le régime afférent à ce procédé et de
l’encadrer au maximum afin qu’il ne soit pas un élément de suppression des libertés. Car
ce régime est assurément, de tous les régimes d’exception, celui qui est le plus

780
GAJA, n°87, p. 572.
781
C. E. MINET, Droit de la police administrative, op cit., p. 198.
782
Aussi l’auteur plaide-t-il pour une mise en œuvre de ce procédé exceptionnel par le Conseil constitutionnel,
qui en assurerait en même temps le contrôle de l’exercice. Cf. G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de
l’homme, op cit., à la même page.

269
attentatoire aux droits et libertés des citoyens. En raison justement du faible encadrement
dont il fait ici l’objet que ce soit au plan législatif ou au plan juridictionnel. Cette forme
d’absolution juridictionnelle de l’état d’exception prend un relief particulier lorsqu’on
l’insère dans l’ensemble du système juridique, pour être considéré d’un regard
synoptique.

En effet, on peut se poser la question de savoir quel est le statut, ou plutôt la


nature juridique de l’acte par lequel le Président de la République proclame l’état
d’urgence. Peut-il être contrôlé ? En France par exemple, le Conseil d’Etat a jugé,
toujours dans son arrêt Rubin de Servens, que « la décision par laquelle le Président de
la République décide de mettre en œuvre l’article 16 présente le caractère d’un acte de
gouvernement dont il n’appartient au Conseil d’Etat ni d’apprécier la légalité ni de
contrôler la durée d’application ». Si en France où la catégorie des actes de
gouvernement est de plus en plus réduite à sa portion la plus congrue, à la suite de
l’abandon du mobile politique, l’acte de proclamation de l’état d’urgence est considéré
comme un acte de gouvernement, à plus forte raison sera-t-il considéré comme tel au
Cameroun, où l’on continue d’appliquer le mobile politique, et où la catégorie des actes
de gouvernement n’a jamais cessé de s’étendre. La qualification de l’acte de
proclamation de l’état d’exception acte de gouvernement contribue à donner à ce
procédé exceptionnel de police administrative une immunité qui peut être préjudiciable
aux droits et libertés. Mais, cela dit, l’état d’exception peut tout de même être encadré.

2 – Un encadrement tout de même possible

Malgré l’inexistence d’une loi encadrant le procédé de l’état d’exception, malgré


le caractère très elliptique et succinct des dispositions constitutionnelles qui le fondent,
malgré les pouvoirs immenses qu’il octroi à la fois au Président de la République, il est
néanmoins possible d’envisager, au sein de l’ordre juridique camerounais, des éléments
d’encadrement de l’état d’exception. Cet encadrement peut être tiré de trois éléments
important relatifs à ce procédé, à savoir la rigueur des conditions de déclaration de l’état
d’exception, le statut constitutionnel de ce procédé et le ou les contrôle(s)
juridictionnel(s) auxquel(s) il peut donner lieu.

Sur le premier point, on peut en effet observer que les conditions de déclaration
de l’état d’exception sont très rigoureuses. D’abord elles sont définies

270
constitutionnellement à travers une énumération. Or l’on sait qu’en droit, toute
énumération est nécessairement exhaustive ou plutôt limitative, ce qui signifie que l’état
d’exception ne peut être proclamé que pour l’une au moins des conditions définies. Il
s’agit d’un cas de péril grave menaçant l’intégrité du territoire, la vie, l’indépendance ou
les institutions de la République. Ensuite, les conditions sont énumérées avec précision,
si bien qu’elles ne pourraient donner lieu, sans que l’on s’en aperçoive, à un
détournement de ce procédé à d’autres fins. Enfin, lorsque l’on considère ces conditions,
on s’aperçoit qu’elles sont particulièrement graves. Si bien que leur occurrence s’avère
absolument exceptionnelle, ce qui peut expliquer l’extrême rareté du recours à ce
procédé. Car tout semble montrer que l’état d’exception a été conçu pour ne s’appliquer
que dans les cas les plus extrêmes d’atteinte à l’ordre public. Ce n’est en effet pas tous
les jours que l’on assiste à des survenances de péril grave, menaçant l’intégrité du
territoire, la vie, l’indépendance ou les institutions de la République. L’expérience
montre ainsi que c’est généralement dans l’hypothèse d’une guerre que ce procédé peut
être utilisé, car seule une telle calamité peut permettre de remplir les conditions de
déclaration de l’état d’exception, l’état d’urgence permettant de faire face à toutes les
autres atteintes à l’ordre public.

Sur le second point, à savoir le statut constitutionnel de l’état d’exception, il peut


servir pour construire un régime protecteur au niveau constitutionnel contre les atteintes
aux droits et libertés issues de l’usage de ce procédé. En effet, le fait que l’état
d’exception soit revêtu d’un statut constitutionnel ou ait toujours bénéficié de la dignité
constitutionnelle, entraine plusieurs conséquences au plan de l’encadrement de ce
procédé.

D’abord, cela signifie que toute modification de ce procédé doit désormais être
conforme à la constitution. Seule cette dernière peut, en tant que de besoin, servir
d’instrument de réforme du régime de l’état d’exception, puisque c’est elle qui créée et
régie ce procédé. Ensuite, le fait que l’état d’exception soit revêtu de la dignité
constitutionnelle signifie qu’il est soumis à un régime constitutionnel. Autrement dit, il
est soumis à toutes les contraintes constitutionnelles pesant sur la mise en œuvre de la
police administrative. Or, ces contraintes sont susceptibles d’encadrer ce procédé dans
un sens favorable aux droits et libertés. En effet, cela signifie que la mise en œuvre de
l’état d’exception doit respecter les contraintes constitutionnelles telles, la garantie des

271
droits et libertés fondamentaux, le principe d’égalité, bref, tous les principes
constitutionnels garants de l’Etat de droit. Cela signifie que la constitutionnalité de l’état
d’exception lui confère ipso facto un encadrement constitutionnel, avec tout ce que cela
comporte comme contraintes. Enfin, le statut constitutionnel de l’état d’exception ouvre
d’importantes perspectives en ce qui concerne le respect dû à ce procédé par les
citoyens, garantissant par là son efficacité. Car il ne faut pas oublier que, ce procédé,
utilisé comme instrument de rétablissement de l’ordre doit à terme contribuer à la survie
des droits et libertés, lesquels ne peuvent exister sans un minimum d’ordre au sein de la
société. La constitutionalité de l’état d’exception est donc un outil pouvant permettre
d’encadrer ce procédé exceptionnel de police administrative.

Sur le troisième point, à savoir le contrôle juridictionnel auquel peut donner lieu
l’état d’exception, il y a également moyen d’envisager des éléments d’encadrement. Il
faut en effet souligner que si, en la matière, l’acte de proclamation de l’état d’exception
est un acte de gouvernement, et est donc insusceptible d’être contrôlé par le juge, tous
les actes pris en application de cet acte de gouvernement sont parfaitement justiciable
devant les différents juges compétents. Cette position constante du Conseil d’Etat
français ne manquerait pas de logique dans le cadre camerounais. En effet, pour
sauvegarder les droits et libertés constitutionnels auxquels l’état d’exception pourrait
porter atteinte, rien ne s’oppose à ce que les différents juges compétents contrôlent tous
les actes pris en application du régime de l’état d’exception, puisqu’ils ne sont pas, eux,
des actes de gouvernement. Particulièrement, les mesures individuelles devraient ici être
concernées au premier chef, car ce sont elles qui destinent de manière détaillée les
prérogatives de puissance publiques des autorités de police administrative en pareille
période. Bien que le juge administratif camerounais, pour ne prendre que lui, se
distingue par l’adoption d’une politique autolimitative, largement en faveur des intérêts
de la puissance publique, ou si l’on veut précisément du pouvoir exécutif, l’évolution de
la société devrait permettre, de plus en plus, de conquérir de nouveaux champs où son
contrôle peut s’exercer pour le plus grand épanouissement des droits et libertés. La loi
constitutionnelle du 18 Janvier 1996, qui contient l’état d’exception actuellement en
vigueur fournit un tel cadre propice à la conquête de l’état de droit. L’état d’exception,
procédé exceptionnel de police administrative, devrait donc passer dans le champ des
instruments de promotion de l’Etat de droit.

272
Au final, la rationalisation des procédés exceptionnels de police administrative
apparait aujourd’hui incontestable dans le droit de la police administrative au Cameroun.
Alors qu’ils s’étaient banalisés, au point de devenir des procédés de droit commun avant
les années 1990, ils sont actuellement redevenus ce qu’ils n’auraient jamais dû cessé
d’être, à savoir des procédés exceptionnels. Ce simple retour à la normale est un élément
qui contribue à la mutation des procédés de police administrative, et donc à une
libéralisation formelle de cette activité. La normalisation des procédés ordinaires y
contribue également.

273
CHAPITRE II :

LA « NORMALISATION » DES PROCEDES ORDINAIRES

274
Les procédés ordinaires de police administrative sont affectés depuis le début des
années 1990 d’une manière particulière par le vent de libéralisation qui affecte le droit
aministratif camerounais depuis cette même période. Le concept le plus à même de
caractériser cet impact du mouvement libéral au sein des procédés ordinaires de police
administrative est assurément celui de normalisation783. Il permet donc de soutenir l’idée
avancée dans le présent chapitre d’une normalisation des procédés ordinaires de police
administrative. Activité au centre de la vie de l’Etat, la police administrative se
caractérise de manière concrète par des procédés s’analysant en des actes de
réglementation des libertés des citoyens, en des actes d’édiction de mesures restrictives
de la liberté des individus, en des actes d’exécution de ces mesures et en des actes de
sanction du non respect de ces mesures par leurs destinataires.

Les procédés de police administrative se caractérisent par leur extrême diversité.


On peut en effet évoquer les mesures juridiques de réglementation et d’interdiction,
lesquelles englobent les actes réglementaires de police administrative et les mesures
individuelles y relatives, on peut également évoquer les procédés matériels de police
administrative784. C’est l’observation des différentes mutations du droit administratif
camerounais785 qui permet de soutenir l’idée du présent chapitre, à savoir une
normalisation des procédés ordinaires. Avant de poursuivre la présentation, il importe
non seulement de procéder à une remise en ordre conceptuelle, mais aussi et surtout de
justifier le choix des concepts ici convoqués, afin d’éviter toute confusion.

783
Le concept de normalisation peut être défini selon le langage courant, mais aussi selon le langage savant.
Dans le premier registre, il signifie action de normaliser, de rendre normal. Tiré du monde économique et plus
précisément du commerce, où il signifie « établissement d’un ensemble de règles ayant pour objet de
simplifier et de rationaliser la production, les unités de mesure », ce concept prend progressivement corps
dans le champ juridique, comme le démontre la fréquence de son emploi (Pour quelques exemples entre
plusieurs : Pierre MOUZET, « La normalisation jurisprudentielle de l'association transparente. Retour sur
plusieurs arrêts récents concernant les associations subventionnées par les collectivités locales », RDP2008-6-
005, 20 août 1101 n° 6, P. 1539 ; Julien GUEZ, « La « normalisation » du recours pour excès de pouvoir
contre les circulaires et instructions administratives », AJDA 2005 p. 2445 ; Frédéric SUDRE, « Vers la
normalisation des relations entre le Conseil d'Etat et la Cour européenne des droits de l'homme. Le décret du
19 décembre 2005 modifiant la partie réglementaire du code de justice administrative », RFDA 2006 p. 286 ;
Xavier DELPECH, « Une réforme pour la normalisation », Recueil Dalloz 2009 p. 1591). Dans le second
registre, il peut alors jouir d’une autre signification, plus technique, conforme au champ de la science juridique,
et qui sera déclinée à l’entame de ce chapitre. Le mérite revient au Doyen Magloire ONDOA d’avoir introduit
ce concept au sein de la doctrine publiciste camerounaise, concept qu’il propose comme nouvelle grille de
lecture des changements à la fois économiques et politiques opérés au sein de l’Etat camerounais sous les
auspices des bailleurs de fond internationaux, et principalement des institutions de Bretton Woods.
784
Quantitativement et qualitativement au moins aussi important que les mesures juridiques de réglementation
et d’interdiction, les procédés matériels de police s’apparentent à de véritable prestations, comme par exemple
les secours apportés à des victimes de catastrophe, la mise en place d’une signalisation routière adéquate,
l’arrestation d’animaux en divagation, etc.
785
Voir les développements et les renvois effectués à l’introduction.

275
Les procédés dont il s’agit dans le présent chapitre sont qualifiés d’ordinaires. Il
s’agit des procédés communs, c’est-à-dire ceux dont la police administrative se sert tous
les jours en période normale, et qui se distinguent donc des procédés de crise ou
exceptionnels, c’est-à-dire ceux dont la police administrative se sert dans des
circonstances particulières, marquées par la crise, c’est-à-dire exceptionnels.

Cela dit, il convient aussi d’expliquer et de justifier le titre ici choisi. Il s’agit de
« la normalisation des procédés ordinaires ». Le terme normalisation doit d’abord être
entendu ici dans son sens le plus ordinaire, à savoir celui antonyme
d’ « anormalisation ». En effet, jusqu’à la fin des années 1980, les procédés de police
administrative étaient des procédés anormaux786, au sens le plus ordinaire de ce terme.
Depuis l’indépendance jusqu’à cette date, la police administrative s’exerce
presqu’essentiellement sous le sceau de la crise, de l’exception 787, de l’anormalité.
Pendant cette période, les procédés ordinaires sont mis de coté au profit des procédés
exceptionnels, jugés plus à même d’assurer la paix et la sécurité, objectifs prioritaires de
l’Etat. En y recourant de manière permanente, la police administrative s’est
exceptionnalisée, au point où l’anormalité avait fini par prendre le pas sur la normalité.
L’une des premières mutations observables donc au sein des procédés de police
administrative, à l’aube des années 1990, est l’abandon de l’anormalité et le retour à la
normalité. L’on a recouru de nouveau à des procédés ordinaires, c’est-à-dire ceux qui
sont normalement prévus pour assurer le maintien de l’ordre en période normale. Les
procédés ordinaires sont redevenus normaux depuis cette période. La normalisation des
procédés ordinaires, dans cette première approximation, a donc consisté à rendre ces
procédés normaux, c’est-à-dire conformes à la période ordinaire pendant laquelle ils sont
appelés à s’appliquer. Le terme normalisation doit donc être entendu prioritairement
dans cette première approximation.

Mais, ce concept peut également être entendu dans un sens proche de l’idéologie,
selon lequel normaliser serait se conformer à une norme788. Il s’agit d’une acception qui

786
Selon le dictionnaire usuel en effet, est anormal ce qui est contraire aux règles, à l’ordre habituel.
787
Sur ce point : J. de N. ATEMENGUE, La police administrative au Cameroun. Recherches sur le maintien
de l’ordre public, op cit. ; Joseph OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit
public camerounais, précité ; E. C. LEKENE DONFACK, « Les sources juridiques de la législation
d’exception en République Unie du Cameroun », in R.C.D., n°15 et 16, Série II, 1978, pp. 12-22 ; J. M.
BIPOUN WOUM, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit administratif dans les Etats
d’Afrique noire d’expression française. Le cas du Cameroun », op cit.
788
Voir sur ce point le dictionnaire usuel de la langue française.

276
n’est pas à prendre en compte ici, car en la matière, il n’y a pas d’universaux auxquels
devraient se conformer les procédés de police administrative. Cependant, la conception
de la notion de normalisation qui considère celle-ci comme un « retour à la norme
occidentale » et qui « présuppose soit une organisation ou un fonctionnement hors
norme du système antérieur, soit son dysfonctionnement789 » doit être prise en compte,
car au sein de la normalisation, est présente l’idée de libéralisation.

On peut donc avoir deux conceptions de la notion de normalisation. L’une,


formelle et neutre, l’autre, matérielle et idéologiquement située. Dans le premier sens,
« partant de l’idée que toute crise révèle un dysfonctionnement (…), la normalisation
signifie le rétablissement de la situation antérieure, présumée normale. La notion est
neutre790 ». Dans le second sens, « la normalisation véhicule l’idéologie libérale (…),
celle-ci s’inscrit dans la logique d’universalisation de l’individualisme791 qui
triomphe792 en 1789, s’épanouit dans l’Europe du 19ème siècle793 » et qui est transportée
par les conditionnalités imposées par les institutions de Bretton Woods794. Si la première
signification est au cœur du présent chapitre et doit donc être privilégiée, la deuxième
n’en est pas totalement absente et ne devrait donc en aucun cas être négligée.

Parler donc de normalisation des procédés ordinaires de police administrative


signifie retour à ce que ces procédés devraient être dans une situation qui n’est pas
exceptionnelle. C’est passer de procédés exceptionnels en toute période pour des
procédés normaux en période ordinaire. Pour bien percevoir les avancées opérées à partir
des années 1990, il importe de faire préalablement un saut dans le passé, pour voir quelle
était la situation des procédés ordinaires de police administrative avant cette date. En
effet, jusqu’à cette période, les procédés employés étaient ceux prévus pour des

789
M. ONDOA, « Ajustement structurel et réforme du fondement théorique des droits africains post
coloniaux : l’exemple du Cameroun », précité, p. 100 ; du même auteur : « Le droit public des Etats africains
sous ajustement structurel : le cas du Cameroun », in B. BEKOLO EBE, TOUNA MAMA, S. M. FOUDA,
(Dir.), Mondialisation, exclusion et développement africain: stratégies des acteurs privés, Mélanges offerts au
Professeur Georges NGANGO, op cit., p. 382 ;
790
Idem, p. 382 ; du même auteur, et dans le même sens : « Ajustement structurel et réforme du fondement
théorique des droits africains post coloniaux : l’exemple du Cameroun », op cit., pp. 100 et s.
791
J. CHEVALIER, L’Etat, Paris, Dalloz, Coll. Connaissance du droit, 1999, pp. 74 et suiv., cité par M.
ONDOA, « Le droit public des Etats africains sous ajustement structurel : le cas du Cameroun », à la même
page.
792
P. WACHSMANN, Les droits de l’homme, Paris, Dalloz, Coll. Connaissance du droit, 1999, 3ème édition, p.
40, Cité par M. ONDOA, « Le droit public des Etats africains sous ajustement structurel : le cas du
Cameroun », op cit., à la même page.
793
Ibid.
794
Cf. supra, Introduction générale.

277
situations exceptionnelles. Or, ces derniers se caractérisent par une nature
fondamentalement liberticide. On note, à cette période, dans la réglementation des
libertés et dans la détermination des procédés d’exécution et de sanction des mesures de
police administrative, une négation manifeste des droits et libertés des citoyens (section
1).

Mais à partir des années 1990, on peut noter un retour à une certaine orthodoxie
avec une plus grande prise en compte des droits et libertés individuels autant dans la
réglementation de ces dernières que dans l’exécution et la sanction des mesures de police
administrative. D’ailleurs, toute la législation y relative a été complètement refondue à
partir de cette date, et l’analyse serrée qui en découle ici révèle le caractère relativement
libéral des procédés actuels. A titre illustratif, et comme pour confirmer la nature
désormais libérale des différents régimes de police administrative, la loi relative à la
cyber sécurité et à la cyber criminalité, sans aucun exemple comparable dans les régimes
juridiques anciens, après avoir déterminé son objet, à savoir qu’elle « régit le cadre de
sécurité des réseaux de communications électroniques et des systèmes d’information,
définit et réprime les infractions liées à l’utilisation des technologies de l’information
et de la communication au Cameroun », poursuit, dans un esprit novateur, en affirmant
qu’ « elle vise notamment à (…) protéger les droits fondamentaux des personnes
physiques, notamment le droit à la dignité humaine, à l’honneur et au respect de la vie
privée, ainsi que les intérêts légitimes des personnes morales795 ». Cela est révélateur.

SECTION I : LE CARACTERE FONDAMENTALEMENT LIBERTICIDE DES


PROCEDES ANCIENS

Jusqu’à la fin des années 1980, les procédés ordinaires de police administrative se
distinguent par leur caractère liberticide. Ce sont des procédés plus enclins à maintenir
l’ordre public qu’à garantir les droits et libertés. Ils sont donc marqués
fondamentalement du sceau de l’autoritarisme. Ces procédés ordinaires, à cette époque,
sont en tout orientés vers la promotion d’un ordre public solitaire et donc autoritaire,
récusant toute idée de respect de l’exercice des libertés. Ici, « l’ordre public parce qu’il
suppose un certain nombre de restrictions imposées au libre exercice par les

795
Article 1er de la loi n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité au
Cameroun.

278
particuliers de leurs différentes activités »796, apparait fondamentalement comme « une
idée repoussant la liberté ».797

Les procédés ordinaires de la police administrative apparaissent liberticides pour


deux raisons essentielles. La première est liée à leur contexte d’élaboration à savoir, un
contexte marqué par la crise. Que ce soit avant l’indépendance ou après celle-ci, les
procédés ordinaires de police administrative ne sont pas vraiment ordinaires. Ils sont en
réalité des procédés extraordinaires c’est-à-dire exceptionnels, car pendant toute la
période déjà indiquée, les procédés en vigueur sont ceux des temps de crise et sont donc
marqués du sceau de l’état de siège, des circonstances exceptionnelles, de l’état
d’urgence, de l’état de mise en garde ou de l’état d’alerte etc. ces procédés sont donc
d’abord liberticides parce qu’ils sont des procédés exceptionnels en quelques sorte
ordinarisés, ou, si l’on veut, banalisés. La deuxième raison pour laquelle ces procédés
sont liberticides relève de leur caractère intrinsèque. Etant mobilisés dans un cadre
autoritaire où le maintien de l’ordre public au sein du jeune Etat naissant apparait comme
le seul défi majeur, ils ne pouvaient qu’être moulés dans une sorte de priorisation du
besoin d’ordre public et de négation de la liberté. Leur caractère liberticide apparait donc
en quelque sorte inné. L’ensemble de ces procédés est moulé par cette nature liberticide
qui déteint sur l’œuvre étatique de maintien de l’ordre public. L’on sait que
classiquement, les procédés ordinaires de police administrative s’analysent en des
procédés de règlementation de l’activité des particuliers, c’est-à-dire des libertés, et en
des procédés d’exécution et de sanction des mesures de police administrative798. Tous
ces différents procédés étudiés dans le cadre de la présente section tels qu’ils se
présentaient avant les années 1990 apparaissent comme des procédés repoussant la
liberté. Nous envisagerons tout d’abord les procédés de règlementation avant de
présenter les procédés d’exécution et de sanction.

I- LA SYSTEMATISATION DU REGIME PREVENTIF

Que ce soit avant ou après l’indépendance, le régime de règlementation des


libertés en vigueur avant les années 1990, est globalement le régime préventif. Le régime

796
C-E. Minet, Droit de la police administrative, op cit., p.23.
797
DEMOGUE, cité par C-E. Minet, idem, à la même page.
798
Ibid

279
préventif « est le régime le plus défavorable aux libertés »799. Conformément à ce
régime en effet, « les seuls comportements admis sont ceux qui sont autorisés au cas
par cas »800. Autrement dit, dans ce régime, « c’est l’interdiction qui est la règle et la
liberté devient l’exception »801. On comprend donc pourquoi ce régime apparait comme
fondamentalement liberticide car il est la négation même de l’idée de liberté en matière
de police administrative. L’analyse des textes d’avant l’indépendance ou ceux des
décennies ayant suivi l’indépendance montre une prévalence sans équivoque du régime
préventif qui est le plus généralement utilisé. L’on sait que ce régime prend tout d’abord
la forme d’une autorisation préalable802. Mais « on rattache à ce régime préventif le
pouvoir d’interdiction dont disposent les autorités de police à l’égard de tous les
comportements qui représentent une menace pour l’ordre public »803. L’une et l’autre
manifestation de ce régime préventif est omniprésente dans les procédés en vigueur
avant les années 1990.

A- La généralisation de l’exigence d’autorisation préalable

Conformément au système de l’autorisation préalable, « la liberté ne peut être


exercée qu’après avoir obtenu l’autorisation de l’administration qui dispose selon les
cas, d’une plus ou moins grande marge d’appréciation »804. L’autorisation préalable
apparait ainsi comme un système dans lequel l’administration a la haute main sur
l’exercice des libertés. Ne seront exercées que celles que l’autorité administrative aura
autorisées ; autant dire que l’administration apparait sous ce système comme le démiurge
en matière d’exercice de libertés. Il faut dire que l’existence en soi d’un système
d’autorisation préalable n’est pas le signe d’une réglementation liberticide des libertés,
car il existe certaines activités qui, pour être menées dans le respect de l’ordre public et
même pour garantir l’intérêt général de la société, doivent être, si l’on puis dire,
nécessairement soumise à une autorisation préalable. Mais le problème se pose lorsque
cette exigence est généralisée à un grand nombre de libertés, même pour celles qui
apparaissent comme fondamentales, et dont la nature n’impose pas pour leur exercice

799
Ibid, p. 26.
800
Ibid
801
Ibid
802
Ibid
803
Ibid
804
Ibid

280
une intervention préalable de l’administration sans que cette intervention en termes
d’autorisation n’exprime une démarche liberticide de l’administration. Tel a pourtant été
le cas pour l’exercice de certaines libertés tant individuelles que collectives.

1- Une exigence préalable à l’exercice de la liberté individuelle

De la période du mandat à celle des premières années de l’indépendance en


passant par la tutelle, l’exercice de la liberté individuelle est largement soumis à
l’autorisation préalable. La liberté individuelle est l’ « état de l’homme qui n’est ni
arrêté ni détenu, qui jouit donc de la possibilité d’aller et venir ».805 Elle revêt un
caractère fondamental dans la mesure où « elle est moins une liberté publique elle-
même que la protection avancée de toutes les libertés, la garantie de la sécurité
juridique de l’individu face au pouvoir »806. La liberté individuelle encore appelée la
sûreté individuelle 807
est au cœur de la garantie des droits et libertés fondamentaux car
elle constitue en quelque sorte le cœur de l’Etat de droit. Son respect constitue la base, le
minimum incompressible de toute restriction de police administrative. On peut donc
prendre cette liberté pour tester le niveau d’atteinte porté ou non aux libertés dans
l’activité de police administrative. En particulier, la soumission de l’exercice de cette
liberté à une exigence d’autorisation préalable apparait comme une véritable négation de
la liberté.

Cette exigence d’autorisation préalable est portée dès le mandat français par un
arrêté du 25 août 1939. Le Haut commissaire de la République Française au Cameroun
dispose en effet que, « les déplacements des personnes de tout statut à l’intérieur et à
l’extérieur du territoire sont subordonnés à l’autorisation des autorités
administratives »808. Cet arrêté d’application immédiate, porte une atteinte grave à la
liberté individuelle dont celle d’aller et venir constitue l’élément de base. Cette atteinte
est d’autant plus grave que, « de tous les procédés de police, l’autorisation préalable est

805
Cl.-A.COLLIARD, cité par R.GASSIN « la liberté individuelle devant le code pénal », Paris, Sirey, 1980,
p.1.
806
- J.RIVERO, cité par R.GASSIN, Ibid.
807
- A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal, précité, p.116.
808
- voir article 1er de l’arrêté subordonnant les déplacements des personnes de tout statut à l’intérieur et à
l’extérieur du territoire à l’autorisation des autorités administratives, in JOC, 1 er septembre 1939, p.788. Selon
la suite de cet article, « cette autorisation sera donnée en ce qui concerne les déplacements à l’intérieur du
territoire par les chefs de région et de subdivision. Les autorisations données par les chefs de subdivision et
de régions seront constatées par un laissez- passer.-les titulaires de ces laissez-passer devront les faire viser
par les commandants des régions, subdivisions ou postes dans lesquels ils sont autorisés à se rendre ».

281
considéré comme le plus puissant. Elle permet à l’administration d’obtenir du
particulier une sujétion parfaite à ses impératifs dans la mesure où celui-ci ne peut
obtenir l’autorisation qu’en remplissant puis en respectant les conditions
imposées »809. Cette soumission de la liberté d’aller et venir à une autorisation préalable
ne peut trouver de justification dans le déclenchement de la seconde guerre mondiale car
la date de son édiction est antérieure à l’ouverture des hostilités sur le territoire du
Cameroun. Ainsi, apparait-elle particulièrement inique vis à vis des libertés. Cette
exigence sera d’ailleurs perpétuée pendant plusieurs années et même après
l’indépendance, sous la forme de l’exigence d’un laissez-passer délivré par l’autorité
administrative et à présenter sur toute réquisition des forces de maintien de l’ordre
public. D’abord appelée laissez-passer, cette autorisation se transformera
progressivement en une carte de circulation,810 puis plus tard en une carte d’identité811.
Cette dernière, instituée tout d’abord dans certaines grandes villes, fût étendue
progressivement dans toutes les villes pour finalement s’imposer sur l’ensemble du
territoire.

L’autorisation de circulation ne s’applique pas qu’aux personnes, mais aussi aux


biens. C’est ainsi que la circulation des véhicules d’un certain tonnage doit être
autorisée812, ainsi que la sortie de certaines marchandises813etc.

A partir de l’indépendance, les atteintes à la liberté individuelle par le biais de


l’exigence d’une autorisation préalable pour son exercice sont exacerbées par la
permanence de l’état d’urgence. Ce régime permet en effet aux autorités administratives
de « soumettre la circulation des personnes et des biens à des mesures restrictives et
809
- J.L. MARTRES, Caractères généraux de la police économique, thèse droit, Bordeaux, 1964, p.109.
810
Dont l’une des variantes concerne les déplacements à l’extérieur du territoire. Voir par exemple : arrêté du
15 mai 1953 portant création d’une carte de circulation (J.O.C.) 1953, p.945. Art 2 « la carte de circulation
dispense du visa de départ et de retour au territoire. Elle vaut comme permis d’embarquement à destination
du Cameroun, soit au départ de la métropole, soit au départ es territoires de l’Union Française ».
811
Voir dans ce sens : Arrêté du 13 février 1947 portant application à l’agglomération de Yaoundé de l’arrêté
du 14 janvier 1947 instituant une carte d’identité dans certaines agglomérations ; de même arrêté n° 348 du 3
juin 1954 portant application de l’arrêté n°599 du 24 septembre 1953 instituant l’obligation de la carte
d’identité dans la région de l’Adamaoua ; aussi, arrêté n° 4371 du 17 août 1954 exigeant le port de la carte
d’identité pour les résidents du Lom-et-Kadei (J.O.C. du 18 août 1954, p. 1046).
812
- Voir : arrêté du 17 juin 1938 autorisant la circulation dans le périmètre urbain de Douala de camions dont
le poids global en charge peut atteindre 11 tonnes (J.O.C.1 er juillet 1938, p. 615) ; arrêté du19 juin 1938
autorisant dans divers secteurs de route la circulation de véhicules dont le poids global en charge peut atteindre
16 tonnes (J.O.C. 1er juillet 1938, p. 615) ; Arrêté n° 221du 23 février 1967 autorisant provisoirement la
circulation des véhicules de plus de 5 tonnes sur la route nationale n°2 entre Yaoundé et Edéa (J.O.C., mars
1967, p 180).
813
- Voir Arrêté n°12 du 18 octobre 1965 autorisant à nouveau les activités des marches à bétail dans
l’arrondissement de Banyo (J.O.C. 1er novembre 1965, p.780).

282
éventuellement à une autorisation administrative »814, d’ « instituer des zones de
protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé »815, d’ « interdire
le séjour dans tout ou partie du département à tout individu cherchant à entraver de
quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics »816 etc.

Toutes ces mesures, en exigeant une intervention préalable, de l’autorité


administrative, pour que la liberté individuelle soit pleinement exercée, conditionnent,
cette dernière à une autorisation préalable. Or la nécessité d’une intervention préalable
de l’administration « met en échec le principe fondamental selon lequel tout ce qui
n’est pas défendu par la loi est permis. Ici, n’est permis que ce qui a été autorisé de
façon expresse ou tacite. C’est la mise en tutelle de la liberté, c’est-à-dire sa
négation »817. Autrement dit, l’exigence d’une autorisation préalable pour l’exercice de
la liberté individuelle est une exigence particulièrement liberticide puisqu’elle « ne
laisse au particulier que la liberté du projet : le choix entre l’abstention et la demande
d’autorisation »818. Et ce n’est donc pas un hasard si les libéraux se sont montrés
hostiles vis-à-vis de ce régime préventif, car il est un régime « dont la seule justification
indiscutable réside en définitive dans le caractère irréparable du dommage que
l’exercice de la liberté peut entraîner pour la société »819. On peut alors se demander en
quoi l’exercice de la simple liberté d’aller et venir peut être à priori dangereux pour la
société au point où le législateur l’à assortit d’une exigence d’autorisation du mandat
jusqu’à la fin des années 1980, en passant par la tutelle.

La permanence de l’état d’urgence pendant plusieurs décennies aura donc permis


à la liberté individuelle d’être constamment mise en échec par ce procédé de
réglementation liberticide si bien que ce n’est que la levée de l’état d’urgence à l’aube
des années 1990 qui l’aura pleinement réhabilitée. La soumission de l’exercice de la
liberté individuelle à une exigence d’autorisation préalable est certainement l’atteinte la

814
- Article 4, alinéa 1 de l’ordonnance n° 60-52 du 7 mai 1960 portant loi organique sur l’état d’urgence, de
l’ordonnance n° 61-OF-5 du 4 octobre 1961 relative à l’état d’urgence, de l’ordonnance n°70-13 du 26 août
1972 relative à l’état d’urgence et article 5 alinéa 1 de la loi n° 90-047 du 19 décembre 1990 sur l’état
d’urgence.
815
- Article 4 alinéa 5, ordonnance de 1960, de 1961, de 1972 ; article 5 alinéa 4 loi de 1990.
816
- Article 4 alinéa 6 de l’ordonnance de 1960, de 1961 et de 1972.
817
J. RIVERO, Les libertés publiques, Tome 1 Les droits de l’homme, Paris, PUF, 1987, p. 218.
818
Idem, p. 219.
819
Ibid, p. 222.

283
plus grave portée aux droits et libertés avant les années 1990. Mais le législateur ne s’est
pas arrêté là, il a soumis les libertés collectives aux mêmes exigences.

2 – Une exigence préalable à l’exercice des libertés collectives

Jusqu’à la fin des années 1980, la plupart des activités privées sont exercées au
Cameroun sous la condition d’une autorisation préalable. Si cette exigence peut être
compréhensible pour certaines libertés, elle l’est beaucoup moins pour d’autres. En effet,
l’exigence d’une autorisation préalable est compréhensible pour les activités dont
l’exercice pourrait causer un dommage irréparable pour la société820. On peut ainsi
comprendre qu’une autorisation préalable soit requise pour la diffusion d’une œuvre
cinématographique821, pour l’exploitation d’une fréquence pour la diffusion des
programmes de radio ou de télévision822, pour l’exercice de certaines activités
professionnelles, pour l’entrée et le séjour de certains ressortissants étrangers sur le
territoire national823.

L’exigence d’une autorisation préalable est également compréhensible pour


certaines activités dont l’exercice n’est pas à priori sans causer un dommage irréparable
pour la société. Elle est donc requise pour un nombre important d’activités. C’est donc
ainsi que l’autorisation préalable est requise pour la cession de semences des caféiers824,
pour l’installation d’un abattoir particulier825, pour l’installation d’un atelier

820
J. RIVERO, Ibid, à la même page.
821
Voir par exemple l’Article 1er du décret du 13 mai 1935 relatif à l’organisation au Cameroun d’un contrôle
sur les films cinématographiques et les enregistrements sonores (J.O.C., 1935, p.511) : « Aucun film
cinématographique ne peut être représenté publiquement dans le territoire du Cameroun placé sous le
mandat de la France, si ce film, son titre et ses sous-titres n’ont obtenu le visa du Commissaire de la
République ou d’un fonctionnaire spécialement délégué ».
822
Voir par exemple l’article 36 (2) de la loi n° 90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de
communication sociale : « la création et l’exploitation d’une entreprise privée de radiodiffusion sonore ou
de télévision est subordonnée à l’obtention d’une licence ».
823
Voir l’article 1er du décret du 7 octobre 1930 réglementant les conditions d’admission et de séjour au
Cameroun des nationaux français et étrangers, texte promulgué au Cameroun par l’arrêté du 13novembre
1930 in J.O.C, 1er décembre 1930, p.789 ; dans le même sens, l’article 1er du décret n° 80-4 du 07 janvier 1980
fixant les conditions d’entrée de séjour et de sortie des étrangers ; l’article 10 (1) de la loi n° 97-12 du 10
janvier 1997 fixant les conditions d’entrée de séjour et de sortie des étrangers au Cameroun (J.O.C., février
1997, p.p. 72-82). Plus grave est la condition qui exige une autorisation préalable pour sortir du territoire
national camerounais comme c’était le cas dans le décret n°60- 265 du 31 décembre 1960 portant
règlementation de la sortie du Cameroun des nationaux camerounais (J.O.R.C, 1er février 1961, p. 344).
824
Arrêté du 6 juillet 1929 autorisant la cession des semences de caféiers (J.O.C. du 15 juillet 1929, p.486).
825
Arrêté du18 mars 1932 autorisant la compagnie pastorale et commerciale africaine à installer un abattoir
particulier à Bonabéri (J.O.C., 15 avril 1932, p. 239).

284
d’arséniquage et de séchage des peaux826, l’abattage de certaines essences végétales827,
l’ouverture d’une savonnerie828, la fabrication et la vente de bière, boissons gazeuses et
sirops829, ou la vente de bétail.

Mais l’exigence d’une autorisation préalable prend un tour nettement liberticide


lorsqu’elle va concerner des libertés aussi essentielles que la liberté d’association. En
effet, alors que la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association830 disposait en
son article 2, que « les associations de personnes pourront se former librement sans
autorisation ni déclaration préalable, mais elles ne jouiront de la capacité juridique
que si elles se sont conformées aux dispositions de l’article 5 »831, soumettant donc
ainsi l’exercice de la liberté d’association à aucune formalité particulière.

L’indépendance acquise, le législateur s’empressera de modifier cet état du droit


en soumettant désormais l’exercice de la liberté d’association à une exigence
d’autorisation préalable. L’introduction de cette exigence se fera de manière très subtile
mais pas inaperçue. Cette réforme régressive est portée par une loi du 12 juin 1967 832,
sur la liberté d’association. Ce texte commence par reconnaitre la liberté d’association
sur le territoire de la République Fédérale du Cameroun. Il pose ensuite que « les
associations de personnes devront faire l’objet d’une déclaration dans les deux mois
qui suivent l’Assemblée constitutive »833. Mais alors que l’on croit cette liberté
définitivement soumise à un régime de la déclaration, lequel apparait également libéral
au regard de la place qu’il accorde à la liberté, on voit apparaître au dernier paragraphe
de l’article 7, une disposition lourde de conséquences et selon laquelle « aucune
association ne peut fonctionner avant d’avoir reçu le récépissé prévu à l’article 5 ».
Cette disposition, qui chamboule complètement le dispositif prévu par l’article 3,
transforme incontestablement la délivrance du récépissé en une autorisation préalable.

826
Arrêté du 18 mars 1932 autorisant la compagnie pastorale et commerciale africaine à installer un atelier
d’aserniquage et de séchage de peaux à Bonabéri (J.O.C., 15 avril 1932, p. 239)
827
Arrêté du30 janvier 1940 fixant la liste des essences dont l’abattage est autorisé avec des permis de coupe
forestière spéciaux (J.O.C., 15 février 1940, p. 176).
828
Arrêté du 22 octobre 1944 autorisant l’ouverture d’une savonnerie classée dans la 2e catégorie des
établissements dangereux, insalubres ou incommodes, (J.O.C. 15 mars 1945, p.243).
829
Arrêté n° 330 du 31 mai 1951 accordant à la société anonyme les Brasseries du Cameroun l’autorisation de
fabrication et de ventes des bières, boissons gazeuses et sirops (J.O.C., 13 juin 1951, p. 852).
830
Voir la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association rendue applicable au Cameroun par décret du
13 mars 1946, infra, J.O.C., 1946, p. 970.
831
- Cette disposition fixe les formalités administratives nécessaires à la reconnaissance de la capacité
juridique.
832
- Loi n° 67/LF/19 du 12 juin 1967 sur la liberté d’association (J.O.C, 1967, p.205à 210).
833
- Article 3 de cette même loi.

285
Délivrée par le Ministre de l’administration territoriale après dépôt d’une déclaration
auprès de la préfecture du siège, le récépissé prend ici la nature d’une autorisation
préalable, puisque sans lui, l’association ne peut fonctionner.

Cette démarche du législateur qui vise à imposer une autorisation préalable à des
libertés collectives essentielles, n’est pas exclusive à la liberté d’association. On trouve
le même dispositif dans la création des mouvements de jeunesse et d’éducation
populaire834, la conduite de rassemblements et manifestations sur la voix publique,835
quel que soit par ailleurs leur objet.

La soumission de l’exercice de libertés aussi essentielles que la liberté


d’association, la liberté syndicale ou la liberté de manifestation à une autorisation
préalable apparait particulièrement liberticide. Elle est la négation même de ces libertés.
Ce caractère liberticide est exacerbé par le fait de l’absence d’une loi habilitant
l’administration à utiliser ce procédé. En effet, « l’administration ne peut utiliser ce
procédé de l’autorisation préalable sans y avoir été auparavant habilité par une
loi »836, car, « le recours à la loi préalable s’explique essentiellement par l’objet de
l’intervention qui est de contrôler sévèrement les possibilités d’action des particuliers
et par là-même, de restreindre les libertés. »837. Selon une tradition libérale héritée du
siècle des lumières, seule une loi, expression de la volonté générale838, peut apporter de
telles restrictions.

Mais tel n’est pas le cas ici. La part du pouvoir exécutif, donc de l’administration,
dans le contrôle de l’activité privée et des libertés apparait particulièrement
prépondérante au Cameroun.839 Car si en principe c’est la loi qui devrait fixer le cadre de
tout contrôle, ici, le gouvernement détient des pouvoirs importants en la matière, ce qui
fait dire au professeur KEUTCHA TCHAPNGA Célestin que « les règlements qui
confèrent des compétences de contrôle sont nombreux. Ils sont édictés essentiellement

834
Voir le décret n° 67-DF-503 du 21 novembre 1967 portant réorganisation des mouvements de jeunesse et
d’éducation populaire (J.O.C., 1967, p.2244 à 2247).
835
Arrêté relatif aux rassemblements et manifestations sur la voie publique du 31 mai 1933 « aucun
rassemblement sur la voie publique quelle que soit sa nature et son objet, défilé, procession, manifestation
quelconque, avec ou sans emblèmes ou drapeau, à l’exception des convois funèbres, ne peut avoir lieu sans
autorisation de l’autorité administrative » (J.O.C. n° 314 du 15 juin 1933, p. 390).
836
P. Livet, L’autorisation administrative préalable et les libertés publiques, Paris, LGDJ, 1974, p.161.
837
Idem.
838
R. CARRE de MALBERG, La Loi, expression de la volonté générale, précité.
839
Voir dans ce sens, C. KEUTCHA TCHAPNGA, Le Contrôle de l’état sur les activités privées au
Cameroun, Thèse de droit, Aix-Marseille, 1996, p. 23.

286
par le Président de la République et sur son habilitation par toute autre autorité
administrative »840. Une telle importance du pouvoir exécutif dans la règlementation des
libertés ne peut être que préjudiciable à ces dernières puisque c’est précisément contre
cet exécutif que ces libertés sont sensées être protégées. Il faut dire, s’agissant des
activités privées que quand on parle d’autorisation préalable, celle-ci prend des formes
aussi diverses que le visa841, le permis842, l’agrément843, la licence844, etc.

Ce procédé de règlementation des libertés permet donc de maintenir un ordre


autoritaire, du moins tel que voulu par la puissance publique. Car l’autorisation préalable
est « le procédé dont la caractéristique essentielle est de permettre de la part des
autorités administratives un contrôle très étroit et très localisé des activités des
particuliers. L’administration est donc amenée à examiner chaque demande d’une
manière spéciale afin de vérifier l’adéquation de l’activité projetée ou la conformité de
l’organisme à créer avec l’ensemble des impératifs issus tant de l’ordre public le plus
strict que de l’intérêt le plus général »845.

840
Idem, p.30. L’auteur cite à titre d’exemple le décret n° 1083 du 23 août 1984 portant sur les règles générales
d’hygiène, de sécurité et de police dans les salles de cinéma etc.
841
« Moyen de police préventif consistant en un autorisation préalable donnée par l’autorité administrative
à une publication de la pensée par voie de presse, de la parole, du spectacle, de l’image ». Voir vocabulaire
juridique cité par C. KEUTCHA TCHAPNGA, Thèse précitée, p. 104.
842
« Autorisation d’accomplir un acte ou d’exercer une activité donnée en général sur la demande à une
personne par l’autorité compétente » in vocabulaire juridique, précité p. 650.
843
La notion d’agrément peut être perçue selon deux acceptions : selon le Professeur KEUTCHA (Thèse
précitée pp.102-103) la première est gouvernée par la notion de collaboration entre les particuliers et
l’administration. Ainsi Monsieur J. GEORGEL estime que « l’agrément est une réponse favorable de
l’administration aux destinataires de ses offres d’emploi » (J. GEORGEL, « l’agrément administratif »,
AJDA, 1962, p. 489). Dans le même sens, M. TRICOT estime que « l’agrément se distingue de l’autorisation
proprement dite en ce qu’il n’est pas une simple manifestation du pouvoir de police, mas implique une
certaine collaboration entre celui qui en fait l’objet et l’administration. Le titulaire de l’agrément cesse de se
mouvoir uniquement sur le plan privé ; il acquiert un caractère officiel plus ou moins marqué ». (B.
TRICOT, « l’agrément administratif des institutions privées », D., 1948. Chr. p.25). D’après cette conception
donc, l’individu ou l’organisme qui obtient l’agrément devient en quelque sorte un « collaborateur du service
public ». Selon l’expression de Philippe BRAND (C. KEUTCHA TCHAPNGA, Thèse précitée, p.107). Mais
selon un deuxième sens, l’agrément est «un procédé de contrôle qui, délivré par l’Administration ou par tout
autre organisme habilité, concerne la création ou l’exercice d’une activité dans le cadre des libertés publiques,
par un individu ou un groupe entièrement indépendant de la puissance publique, donc supposé libre de tous ses
agissements » (voir dans ce sens : A. DEMICHEL, op. cit., p. 201 et P. LIVET, op cit., p. 66). Ainsi,
« l’agrément se caractérise juridiquement par le fait qu’il est une mesure de contrôle ». « En général, il est
une condition nécessaire de l’existence de l’organisme qui y est soumis » (A. DEMICHEL, op cit, p. 203).
Seule cette seconde acception correspond à la réalité camerounaise, « celle qui considère l’agrément comme
une technique préventive de contrôle ou encore comme l’acte à partir duquel la création d’une activité
privée est juridiquement réaliste » (C. KEUTCHA TCHAPNGA, Thèse précitée, p.103).
844
Les licences sont clairement perçues comme « certaines autorisations administratives indispensables à
l’exercice de commerces ou d’activités professionnelles dont l’état entend ainsii contrôler la qualité,
lenombre et le développement » (Ph. LIGNEAU, « Un instrument de contrôle des professions : les licences
délivrées par l’administration ». D., S., 1966, p.66).
845
- P. LIVET, L’autorisation administrative préalable et les libertés publiques, précité, p. 157.

287
Au total, on constate que des prémisses de l’Etat du Cameroun jusqu’à la fin des
années 1980, l’autorisation préalable conditionne la plupart des libertés quant à leur
exercice, qu’il s’agisse de la liberté individuelle ou des libertés collectives, ou encore des
activités privées. Cette généralisation du procédé de la déclaration préalable, en
contribuant à la systématisation du régime préventif en matière de police administrative
contribue à rendre particulièrement liberticide les procédés de règlementation. Tel est
également le cas des interdictions.

B – La banalisation du procédé de l’interdiction

Traditionnellement rattaché au régime préventif, ce procédé s’analyse en un


pouvoir d’interdiction dont disposent les autorités de police administrative à l’égard de
tous les comportements qui représentent une menace pour l’ordre public.
Particulièrement dangereux pour les libertés en raison de ses conséquences, ce procédé
tient une place délicate dans la règlementation des libertés publiques. La gravité de ses
effets fait de lui un procédé interdit dans le système juridique français, en termes
d’interdictions générales et absolues. S’il est également en principe interdit au
Cameroun, il faut dire que cette interdiction est presque toujours restée théorique car,
l’observation de la réalité juridique jusqu’à la fin des années 1980 révèle que bien
qu’étant interdit, ce procédé a pourtant été utilisé régulièrement par les différentes
autorités de police administrative, au point d’être purement et simplement banalisé. Cette
banalisation du procédé de l’interdiction est l’une des preuves les plus manifestes de la
règlementation liberticide des libertés publiques au Cameroun.

1 – Un procédé en principe interdit

Selon le « régime de l’interdiction », « l’individu n’a pas à accomplir de


démarche particulière avant d’exercer la liberté ; mais à tout moment, l’autorité de
police peut intervenir à titre préventif pour interdire cette activité, à condition que
cette mesure soit justifiée par les nécessités de l’ordre public »846. Ce procédé
s’apparente donc à une véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de n’importe
quelle liberté. Car si certains textes prévoient expressément la possibilité d’interdire

846
- C.-E. MINET, op cit., p. 27.

288
l’exercice d’une liberté847, le pouvoir d’interdiction existe, même sans texte848 et peut
être exercée à l’égard de toutes les libertés, y compris celles soumises à l’autorisation ou
à la déclaration préalable849. La particularité de cette technique tient au fait que, « à la
différence du régime répressif où les individus connaissent par avance quels sont les
comportements jugés répréhensibles, le régime d’interdiction permet aux autorités de
police de restreindre des activités pourtant parfaitement licites, dès lors que le
maintien de l’ordre l’exige »850. Telle est donc l’iniquité de ce procédé qui, en fin de
compte, constitue une véritable hypothèque pesant sur l’exercice des libertés, quelles
qu’elles soient.

Dire que ce procédé est interdit est tout à fait relatif, car tout dépend du type
d’interdiction dont il s’agit. S’il s’agit d’une interdiction localisée, elle peut demeurer
parfaitement licite, comme peut le révéler l’interdiction d’un film, d’une manifestation851
ou d’un spectacle852. Mais s’il s’agit d’une interdiction générale et absolue, il est à
craindre que celle-ci soit censurée par le juge car en France d’où proviennent ces
postulations, le juge administratif exerce sur ce type de mesure un contrôle maximum dit
de proportionnalité853. Dans ce pays donc, les interdictions de police sont étroitement
encadrées, notamment par le juge. Ce dernier part d’un postulat de base pour se
prononcer sur de telles mesures à savoir qu’elles sont considérées comme illégales. Mais
en réalité il procède généralement à un contrôle au cas par cas, en s’appuyant à chaque
fois sur les circonstances de l’espèce854, après avoir contrôlé la qualification juridique du
fait855 ainsi que l’adéquation de la mesure de police choisie aux faits qui l’ont motivée856,
car « une mesure de police n’est légale que si elle est nécessaire »857. On peut donc dire
que c’est l’intensité du contrôle qui pèse sur les interdictions générales et absolues qui
fait peser sur elles une présomption d’illégalité. Mais la jurisprudence Commune de

847
- Ibid, à la même page. L’auteur cite comme exemple le décret- loi du 23 octobre 1935 qui permet à
l’autorité de police d’interdire une manifestation de la voie publique.
848
- Ibid, l’auteur cite : C.E., 19 mai 1933, Benjamin, pour l’interdiction d’une réunion.
849
- Possibilité d’interdire par exemple une manifestation déclarée ou une activité déjà autorisée.
850
C.E. MINET, op cit., p. 27.
851
Article 8 alinéa 2 de la loi n° 90/55 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des manifestations
publiques.
852
Loi n° 2001/001du 21 avril 2004 portant régime des spectacles.
853
C.-E. MINET, op cit, p. 52.
854
Car la légalité des mesures de police administrative générale est étroitement liée aux circonstances de
l’espèce. Voir dans ce sens : C.-E. Minet, op cit., p. 251.
855
Ici, le juge cherche à savoir si, en l’épreuve, les faits constituent effectivement un trouble à l’ordre public.
856
C’est ainsi qu’apparait l’idée de nécessité, car une mesure de police n’est légale que si elle est nécessaire.
857
C.-E. MINET, op cit., p. 250.

289
Morsang-sur-Orge858 est l’exemple type qui montre que le juge administratif peut valider
une interdiction générale et absolue faite contre une action parfaitement licite mais
contraire à l’ordre public. Dans cette affaire, le juge administratif juge légale une
interdiction générale et absolue d’exercer une activité conforme aux principes de la
liberté du commerce et de l’industrie à savoir le lancer de nain, parce que cette activité
porte atteinte au respect dû à la dignité humaine, intégrée pour l’occasion au rang des
composantes de l’ordre public859. Le Professeur CHAPUS a donc raison d’écrire qu’en la
matière, « il s’agit toujours d’une question d’espèce(…). La réalité est que, les
interdictions générales et absolues, ou trop générales et absolues, sont suspectes
d’illégalités, d’autant plus suspectes qu’elles sont générales et absolue »860. On peut
donc dire que si ces interdictions sont présumées illégales, le juge peut néanmoins leur
reconnaitre une pleine validité, après un contrôle poussé de la mesure d’interdiction.

Cette dénégation vis à vis des interdictions générales et absolues peut trouver une
explication, et même une justification au plan théorique. C’est que l’interdiction en elle-
même apparait comme une négation de la liberté. Elle est contraire au principe libéral
posé par le Commissaire du Gouvernement Corneille dans l’arrêt BALDY 861, selon
lequel la liberté constitue toujours le principe et la restriction de police l’exception.
Aussi, dans une démarche purement libérale, doit-on conclure à son illégalité. De plus,
toujours issue de ce libéralisme de 1789862, et non sans rapport avec le dogme de la
souveraineté de la loi863, une règle constante du droit public français fait du législateur la
seule autorité compétente pour réglementer et donc restreindre les libertés864. Ce principe
cardinal du droit public français est battu en brèche lorsqu’une autorité de police

858
C.E. Ass. 27 octobre 1995, Commune de Morsang- sur- Orge, GAJA, n° 102.
859
Lire entre autres : P. FRIEDMAN, « L’atteinte à la dignité de la personne humaine et les pouvoirs de police
municipale. A propos des « lancers de nain » », in RFDA 1995, p. 1204.
860
R. CHAPUS, Droit administratif général, Tome 1, précité, p. 730.
861
Cf. supra, introduction.
862
Voir par exemple l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 : « la
liberté consiste à faire et tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque
homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes
droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ». (C’est nous qui soulignons).
863
Lire par exemple : R. Carré de Malberg, La loi, expression de la volonté générale, précité.
864
En raison de la légitimité démocratique dont jouit la loi par rapport au règlement. Héritage d’un libéralisme
révolutionnaire, ce principe est remis en cause sous la III e République par la pratique des décrets-lois. Mais il
est réitéré chaque fois que nécessaire, comme dans l’article 13 de la constitution du 26 octobre 1946 où il est
disposé que « l’Assemblée Nationale vote seule la Loi. Elle ne peut déléguer ce droit », ou dans un avis du
conseil d’état du 6 février 1953 au terme duquel « certaines matières sont réservées à la loi soit en vertu des
dispositions de la Constitution, soit par la tradition constitutionnelle républicaine résultant notamment du
préambule de la Constitution et de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 dont les principes ont été
réaffirmés par le préambule ».

290
administrative, par voie réglementaire interdit l’exercice d’une liberté contenue dans la
loi et, de plus en plus aujourd’hui, revêtu de la dignité constitutionnelle865. C’est donc
une atteinte flagrante à un principe du libéralisme.

Le doit camerounais, bien que ne pouvant se réclamer bénéficiaire fidèle d’un tel
héritage, en consacre quand même les éléments de base. Ainsi, si ici également une
présomption d’illégalité pèse sur les interdictions générales et absolues, leur récurrence
et leur prospérité pendant la période ici concernée, enlève toute pertinence au caractère
exceptionnel et même extrême de ce procédé. Son emploi permanent frise alors la
banalisation.

2 – Un procédé employé jusqu’à la banalisation

Pendant plusieurs décennies, le procédé de l’interdiction apparait comme celui


qui est le plus utilisé par les autorités administratives camerounaises. Il semble avoir les
faveurs de celles-ci. Rien d’étonnant du reste à cette situation au regard du contexte dans
lequel s’exerce alors la police administrative. En effet, dans une atmosphère où
prospérait l’autoritarisme, le régime de l’interdiction présentait le maximum de
garanties possibles en termes d’efficacité dans la préservation de l’ordre public. Il
apparait ainsi comme le procédé le plus pratique et le plus facile à manipuler par les
autorités de police administrative qui, en interdisant ou en rétablissant l’exercice d’une
liberté tiennent la haute main sur cette dernière et bénéficient donc, par cette arme, d’un
entier contrôle sur l’exercice de leurs prérogatives par les individus. C’est ce caractère
pratique et efficace qui contribuera donc à banaliser l’usage de ce procédé pendant près
d’un demi-siècle. Si certaines de ces interdictions ont pu être justifiées par la guerre, à
l’instar par exemple de l’interdiction des rapports avec l’ennemi866, la plupart sont par
contre simplement liées à une vision autoritaire des rapports ordre/ liberté, avec pour

865
Dans la mesure où la Constitution aujourd’hui a nettement supplanté la loi dans la garantie des libertés
publiques. Voir sur cette problématique, le colloque organisé le 6 mai 2011 à Strasbourg par l’Institut de
recherches Carré de Malberg et l’Institut Michel VILLEY sur le thème « le Conseil Constitutionnel, gardien
des libertés publiques ? ».
866
Décret du 1er septembre 1939 portant interdiction et restriction des rapports avec les ennemis (J.O.C, 1er
novembre1939, pp. 959-963), promulgué par arrêté du 07 novembre 1939,(JOC, 15 novembre 1939, p.1060),
et mis en application par le décret du 18 septembre1939 portant application aux territoires d’outre-mer
relevant du ministère des colonies des dispositions du décret du 1 er septembre 1939. Dans le même sens :
Décret du 2 mai 1940 relatif aux interdictions et restrictions des rapports avec des personnes se trouvant sur
un territoire ennemi ou occupé par l’ennemi (J.O.C. 1er juin 1940, p. 469).

291
objectif la mise en tutelle de la liberté, pour mieux asseoir le pouvoir de la puissance
publique.

Les domaines dans lesquels s’exercent ces interdictions, apparaissent


particulièrement divers. Ainsi l’administration mandatrice puis tutrice interdit-elle avant
même le régime du mandat, l’usage des armes à feu par exemple dans la région interne
de Douala867, la consommation par les indigènes des boissons alcooliques, du vin et de la
bière868, la vente de boissons alcooliques ou autres par l’intermédiaire des indigènes869,
la culture et la consommation du chanvre870, les jeux de hasard,871 l’abattage dans
certaines circonscriptions, des femelles des gros et petit bétail susceptibles de
reproduire872, la sortie des femelles des bovidés, ovins et caprins873, la vente du pétrole
aux indigènes874, la circulation des tracts étrangers875, la circulation de véhicules sur
certains axes routiers876, la pêche,877 l’introduction, la circulation, la mise en vente et la
distribution sur toute l’étendue du territoire du Cameroun de divers périodiques et
ouvrages878, de même que de journaux étrangers879, le transport de la correspondance par
personnes venant par mer de l’étranger et se rendant de France aux colonies, pays de

867
Arrêté du 2 mai 1916 interdisant l’usage des armes à feu dans la zone intérieure de Douala (J.O.T.O.A.C.,
p. 2).
868
Arrêté du 22 novembre 1916 portant interdiction dans les territoires occupés de l’ancien Cameroun de la
consommation par les indigènes de toutes boissons alcooliques, du vin et de la bière (JO.T.O.A.C, pp. 17-18).
869
Arrêté du 20 décembre 1916 interdisant de se servir d’intermédiaires indigènes pour la vente de boissons
alcooliques ou autres (J.O.T.O.A.C, p. 24).
870
Arrêté du 18 août 1917 portant interdiction de la culture et de la consommation du chanvre (J.O.C, 1917,
p. 147).
871
Arrêté du 18 août 1917 portant interdiction des jeux de hasard (J.O.C, 1917, p. 150).
872
Arrêté du 16 novembre 1917 interdisant l’abattage dans l’étendue de la circonscription de Doumé, des
femelles des gros et petit bétails susceptible de reproduire (J.O.C, 1917, p. 204). Dans le même sens, arrêté
du 29 novembre 1917 interdisant l’abattage des femelles des gros et petits bétails susceptible de reproduire
(J.O.C, 1917, p. 237).
873
Arrêté du 29 novembre 1917 interdisant la sortie des femelles de bovidés, ovins et caprins (J.O.C, 1917,
p. 237).
874
Arrêté du 09 octobre 1918 relatif à la vente du pétrole (J.O.C, 1er novembre 1918, p.146).
875
Arrêté du 5 mai 1928 interdisant la circulation de tracts étrangers (JOC 1er juin 1928, pp. 347-348).
876
Arrêté du 9 septembre 1929 interdisant la circulation automobile sur la route Nkongsamba-Bafang, (J.O.C.,
15 septembre 1929, p.624). Décision n°384/RHN du 28 juillet 1952 interdisant pendant la période comprise
entre le 15 août et le 1er novembre, la circulation des véhicules ou ensemble tracteurs remorques, pesant plus
de trois tonnes sur divers axes routiers de la région du Haut Nyong (J.O.C., du 17 septembre 1952, p.1328).
877
Arrêté du 7 avril 1939 interdisant la pêche dans la Besseke et la Bessessoukou ainsi que dans leurs
affluents, (J.O.C., 15 avril 1939, p. 353).
878
Arrêté du 18 mars 1940 interdisant l’introduction, la circulation, la mise en vente et la distribution sur toute
l’étendue du territoire du Cameroun de divers périodiques et ouvrages (J.O.C., 1er avril 1940, p. 289).
879
Arrêté du 18 mars 1940 prohibant l’introduction et la circulation des journaux étrangers (J.O.C., 1er avril
1940, p 290).

292
protectorat et sous mandat français ou inversement880, les associations secrètes881, le
séjour sur le territoire du Cameroun882, l’accès des lépreux dans certains centres
urbains883, etc.

Et si comme on peut le constater aisément, la plupart des interdictions ici citées


interviennent avant l’indépendance, il faut tout de suite dire que cette tendance à la
banalisation du procédé de l’interdiction s’est poursuivie même après l’indépendance.
Ainsi sera poursuivie l’interdiction de la circulation des véhicules selon diverses
modalités884, la prohibition de l’importation du blé885, l’interdiction de stationner dans
certaines artères de la ville de Yaoundé886, de déposer des ordures à l’intérieur de la
ville887, de laisser des animaux en divagation888, d’ouvrir des marchés dans certaines
villes889, de créer des partis politiques sur une base confessionnelle, ethnique ou
régionaliste890, de former des associations sur ces mêmes bases891 etc. Toutes ces
mesures d’interdiction montrent à quel point ce procédé ravit ici la faveur des autorités
de police administrative.

La prégnance de ce procédé ici sur l’exercice des libertés est favorisée par la
quasi absence de contrôle du juge afin de le maintenir dans des proportions acceptables
ou si l’on veut raisonnables. En effet, contrairement à la France où, comme il a été vu,

880
Décret-loi du 3juin 1940 relatif à l’interdiction du transfert de la correspondance par personnes venant par
mer de l’étranger et se rendant de France aux colonies, pays de protectorat ou sous mandat français ou
inversement (J.O.C., 15 août 1940, pp. 625-626).
881
Arrêté du 24 août 1940 promulguant la loi du 13 août 1940 portant interdiction d’associations secrètes
(J.O.C., 1er et 15 septembre 1940, p.656).
882
Arrêté du 19 avril 1948 pris en application du décret n° 47 -2022 du 15 octobre 1947 qui rend applicable
au Cameroun les dispositions du décret-loi du 30 octobre 1935 réformant le régime de l’interdiction de séjour
et de l’article 9 de l’acte validé dit loi du 2 mars 1943 modifiant l’article 4 de la loi du 27 mai 1885 sur les
récidivistes (J.O.C., du 15 mai 1948, pp. 535-538).
883
Décision n° 22/CM/EB du 11 avril 1952 interdisant l’accès au périmètre urbain de la commune mixte
d’Ebolowa et la circulation à l’intérieur de ce périmètre à tout individu atteint de lèpre et notamment aux
membres des colonies des lépreux de Ngalame et d’Enongal (J.O.C., 1952, p. 1235).
884
Arrêté n°3308 du 9 juillet 1951 interdisant la circulation des véhicules et des piétons à toute heure du jour
et de la nuit sur la piste de tous les terrains d’aviation du territoire (J.O.C., 25 juillet 1951, pp.1100-1101) ;
arrêté préfectoral n° 220 du 8 novembre 1963 interdisant la circulation des véhicules entre 18 h 30 et 6 heures
(J.O.C., pp. 17-18), sous peine de sanctions prévues par l’article 8 de l’ordonnance n° 61-OF-5 du 4 octobre
1961 sur l’état d’urgence).
885
Arrêté n° 979 du 8 février 1957 portant prohibition de l’importation du blé au Cameroun (J.O.C., février
1957, pp. 276-277)
886
Arrêté n°60-40 du 20 mai 1960 créant des interdictions de stationner dans certaines artères des quartiers
de la Briquetterie et de Messa (J.O.R.C., 1er septembre 1960, p.1255).
887
Arrêté municipal n° 4 du 4 janvier 1961, ville de Maroua (JOC, 1 er mars 1961, p. 245).
888
Arrêté municipal n° 2 du 3 janvier 1961, ville de Maroua (JOC, 1 er mars 1961, p. 246).
889
Arrêté municipal n° 2 du 23 janvier 1961, ville d’Edéa (JOC, 15 février 1961, p. 218).
890
Voir la loi n° 90 /056 du 19 décembre 1990 sur les partis politiques, article 9.
891
Voir la loi n° 90 /053 sur la liberté d’association, article 4.

293
les interdictions générales et absolues font l’objet d’une grande suspicion de la part du
juge administratif et donc d’un contrôle intense de la part de ce dernier, au Cameroun,
ces interdictions sont quasi exemptes de contrôle en raison de la passivité du juge dans le
contrôle des mesures de police administrative892 fruit d’une politique jurisprudentielle
auto limitative893. Cet abstentionnisme jurisprudentiel concourt à faire prospérer la
pratique des interdictions générales et absolues, lesquelles apparaissent comme
particulièrement liberticides, en raison de leurs effets sur l’exercice des libertés.

Ces interdictions générales et absolues sont le reflet le plus patent de la prégnance


du régime préventif pendant le mandat et la tutelle français et dans les premières
décennies de l’indépendance. Leur banalisation tient aussi au fait que ce sont
pratiquement toutes les autorités de police administrative qui en usent, chacune dans son
domaine de compétence. Et si nul ne peut soutenir l’idée de leur disparition aujourd’hui,
personne ne peut nier que leur usage a considérablement baissé. Les interdictions
générales et absolues, après avoir prospéré, sont actuellement en nette régression tant au
plan quantitatif qu’au plan qualitatif

Mais cette régression ne doit pas faire oublier le rôle joué par ce procédé pendant
plusieurs années au sein de la police administrative. Leur caractère liberticide est mieux
mis en valeur lorsque l’on analyse les libertés sur lesquelles elles portent généralement.
Si, en général, elles affectent les activités privées à l’instar de celle liée à la liberté
d’entreprendre, le fait qu’elles touchent aussi aux libertés individuelles ou si l’on veut à
la sûreté, en fait des instruments purs et simples de négation de ces dernières. Les
interdictions générales et absolues mettent en échec la liberté. Elles reflètent
l’importance des pouvoirs des autorités de police administrative, eu égard à l’emprise
qu’elles ont sur l’exercice de certaines libertés. Ces pouvoirs d’interdiction, s’ils
manifestent la prépondérance du régime préventif en cette période, prennent un tour
beaucoup plus grave lorsque l’on analyse les prérogatives qui existent en matière
d’exécution et sanction des mesures de police.

892
Cf. Chapitre 2, titre II de la deuxième partie
893
A. R, ATEBA EYONG, thèse, première partie.

294
II– L’AUTORITARISME DES PROCEDES D’EXECUTION ET DE SANCTION

Les procédés d’exécution et de sanction des mesures de police administrative ont


pendant longtemps été caractérisés par un extrême autoritarisme. Cet autoritarisme, qui
n’était contrebalancée par aucune garantie sérieuse894 à l’avantage des destinataires des
mesures de police est à percevoir à deux niveaux.

D’abord à un niveau que l’on pourrait qualifier de normal, lié à la nature


intrinsèque de toute mesure de police administrative. Celle-ci est fondamentalement
autoritaire, et appelle « nécessairement », si l’on puis dire, une mise en œuvre
essentiellement contraignante pour les administrés. C’est pourquoi elle ne laisse
quasiment aucune place à la négociation895 et au contrat896.

Ensuite, à un niveau que l’on pourrait qualifier d’anormal, lié au contexte dans
lequel ces mesures sont appelées à se mettre en œuvre, un contexte de non prise en
compte quasi systématique des droits et libertés des destinataires des mesures de police
administrative. Dans ce contexte, l’autoritarisme des procédés d’exécution et de sanction
revêt un caractère extraordinairement banal. De plus, l’on sait que les mesures de police
dont il est ici question portent sur une infinité d’objets. « A ce champ d’application
quasiment illimité, correspond une grande variété de mesures qui, bien que
susceptibles de porter gravement atteinte aux libertés, ne sont pas toujours définies

894
Il s’agit des garanties relatives à la sauvegarde des libertés. Nous disons qu’il n’y en avait pas de sérieuses
car, les deux piliers de l’Etat de droit que sont le principe de légalité et le principe de responsabilité, bien que
consacrés, étaient ensuite vidés de toute pertinence au regard des restrictions dont ils étaient par la suite l’objet.
Voir dans ce sens, pour ce qui est du principe de légalité : J. BINYOUM, Le contentieux de la légalité en droit
administratif camerounais, Thèse de Doctorat en droit Public, Université des Sciences sociales de Toulouse,
1978-1979. Pour ce qui est du principe de responsabilité, M. ONDOA, La protection des dépenses
d’indemnisation en droit administratif camerounais, Thèse de Doctorat 3e cycle en droit public, Université de
Yaoundé, 1990 ; et surtout du même auteur : Le droit de la responsabilité dans les Etats en développement :
contribution à l’originalité des droits africains, Thèse précitée.
895
D. GREGOIRE, Thèse précitée, p. 284 et s.
896
C’est ce qui justifie la traditionnelle interdiction de recourir à des procédés d’ordre contractuel en matière de
police administrative en raison de deux considérations essentielles, à savoir que le pouvoir de police
administrative étant basé en principe sur une compétence législative, l’autorité qui en bénéficie n’a pas le droit
d’en disposer et que la fonction de maintien de l’ordre est une mission régalienne, ou si l’on veut de
souveraineté, qui ne saurait être déléguée. Voir dans ce sens D. GREGOIRE, Recherches sur les évolutions de
la police administrative. Une notion en voie de disparition, op cit., pp. 294 et s ; L. RICHER, Droit des
contrats administratifs, Paris, LGDJ, 6e édition, 2008, p.59 ; J. MOREAU « De l’interdiction faite à une
autorité de police d’utiliser une technique d’ordre contractuel » in AJDA 1965 ; du même auteur, « la
contractualisation de l’exercice de la police administrative » in Contrats publics Mélanges GUIBAL, 2006, p.
171 ; J. PETIT, « Nouvelles d’une antinomie : contrat et police » in Mélanges Moreau, Paris, Economica,
2002, p. 345.

295
par les textes »897. Toutes choses qui ajoutent à l’autoritarisme des procédés ici analysés,
et dont la présentation judicieuse exige une utile séparation.

A- L’exorbitance des actes d’exécution

Cette exorbitance va bien au delà de celle que l’on pourrait dire naturellement
attachée à l’exécution des actes de police administrative. Elle tire sa source des
privilèges classiquement reconnus aux actes administratifs unilatéraux, mais avec une
exacerbation permanente de l’exorbitance tirée d’un contexte où ces actes ne connaissent
véritablement aucune limitation, ni de la part du législateur, ni de la part du juge. Ce
blanc seing donné aux actes d’exécution des mesures de police pendant cette période est
révélateur des privilèges accordés à cette activité dans le système juridique.

L’on sait que, pour être exécutoires, ces mesures doivent entrer en vigueur.
« L’entrée en vigueur des mesures de police administrative est en principe régie par
les règles du droit commun des actes administratifs unilatéraux »898, à savoir par
exemple les règles de publicité899. Mais les actes de police s’écartent aussi en bien des
points de ce régime général. S’ils sont, en cette période, quasiment exemptés de toute
publicité, ils revêtent aussi des privilèges qui, à bien regarder, en font des mesures qui
ont tous les droits. Ils bénéficient du privilège du préalable, et donc d’une présomption
d’absolue légalité. C’est ce privilège qui leur permet d’entrer en vigueur dès leur
édiction900, et de s’exécuter de manière quasi systématiquement autoritaire, sans prise en
compte des droits de leurs destinataires.

Ces privilèges, posés comme principes d’exécution des actes administratifs


unilatéraux et donc principalement des actes de police administrative sont consacrés en
droit administratif camerounais par la jurisprudence Owoundi Jean Louis c/ Etat du
Cameroun. Dans cette affaire, le juge déclare : « considérant le fait que

897
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, précité, p. 159.
898
Idem, p. 182.
899
Sur la problématique générale de la publicité desdits actes administratifs unilatéraux en droit administratif
camerounais, lire : B. J. OWONA OMGBA, La publicité des actes administratifs unilatéraux en droit
administratif camerounais, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit Public, Université de Yaoundé II, 2015.
900
Contrairement à d’autres actes administratifs unilatéraux qui n’entrent en vigueur qu’après soit la
publication, soit la notification. D’une manière générale, on considère comme entrant en vigueur dès leur
édiction les actes créateurs de droits. Lorsque ceux-ci ne créent pas de droits, ils doivent attendre de remplir
toutes les formalités de publicité. C’est donc là une des curiosités des actes de police administrative au
Cameroun pendant cette période. Ceux-ci, bien que violant les droits et libertés, ils entrent pourtant en vigueur
dès leur édiction.

296
l’Administration ait pris directement les actes attaqués et soit passée à leur exécution
sans décision préalable d’un tribunal, découle de ce qui est appelé en droit
administratif les privilèges du préalable et de l’exécution d’office ; que ces privilèges
permettent à l’administration de prendre des décisions exécutoires sans avoir recours
à un juge et de passer immédiatement à leur exécution par la contrainte »901. Bien que
clairement consacrés mais non définis de manière indépendante, les privilèges du
préalable et de l’exécution forcée doivent néanmoins être étudiés séparément. Ils
concernent au premier chef les mesures de police administrative, car comme le disent si
bien George VEDEL et Pierre DELVOLVE, « l’acte réglementaire est "la mesure de
police par excellence" »902. Les mesures de police administrative sont d’autant plus
concernées ici, en raison du fait que le maintien de l’ordre public est l’activité principale
de l’administration pendant cette période, celle qui justifie donc l’édiction de la majorité
des actes administratifs unilatéraux. L’exécution des actes de police administrative
apparait alors ici essentiellement comme la manifestation de l’exorbitance de
l’administration.

1. L’exacerbation du privilège du préalable

Le privilège du préalable est la vérité légale qui s’attache à tout acte administratif
unilatéral édicté. Il signifie donc que dès son édiction, la mesure administrative bénéficie
d’une présomption de légalité. La mesure, jugée valide, est revêtue de l’autorité de la
chose décidée903, c’est-à-dire d’une entière force exécutoire qui la fera s’imposer à ses
destinataires avec toute la rigueur requise et indépendamment de la volonté de ces
destinataires. La mesure administrative se distingue donc ainsi des actes pris par les
individus. En effet, « tandis que les individus sont obligés pour donner à leur titre
force exécutoire et pour faire vivre leurs droits de recourir au notaire, de s’adresser au
juge, l’administration se passe de l’un et de l’autre. L’individu est obligé, pour la
réalisation de ses droits, d’intenter une procédure juridictionnelle préalable, longue et
coûteuse. L’administration en est dispensée. Une décision de sa part est suffisante

901
CS/CA, jugement N°33/77-78 du 28 septembre 1978, OWOUNDI Jean Louis C/ Etat du Cameroun, inédit.
902
G. Vedel, P. DELVOLVE, Droit administratif, PUF, Coll. Themis, 1992, Tome 2, p. 712.
903
R. G. SCHWARTZENBERG, L’autorité de chose décidée, Paris, LGDJ, 1970, p. 58. Selon Jacques
CHEVALIER (« Le droit administratif, droit de privilège ?» in Pouvoirs, N°46, 1988, p. 57 – 70), la paternité
de cette formule est à attribuer à M. HAURIOU. Elle sera simplement reprise par G. VEDEL (Droit
administratif, Paris, PUF, 7e éd., 1980, avec P. DELVOLVE, p. 280) et R. G. Schwartzenberg, dans son
ouvrage précité.

297
… »904. Ce caractère, qui l’analyse en un privilège de l’administration 905, est attaché à
tous les actes administratifs unilatéraux ou mesures administratives906, avec un relief
particulier pour ce qui est des actes de police administrative. Ceux-ci en effet, chargés
d’assurer le maintien de l’ordre public, portent une plus grande atteinte aux droits et
libertés dans un relent d’injustice, car n’ayant pas obtenu l’onction préalable du pouvoir
judiciaire ou juridictionnel.

Pendant toute la période ici considérée, le privilège du préalable est exacerbé par
la sanctification dont il bénéficie dans le système juridique 907. C’est que la mesure de
police administrative, bien que revêtue de la présomption de vérité légale et devant être
appliquée avant toute contestation, ne doit pas être prise dans l’absolu. Autrement dit, le
privilège du préalable, bien qu’étant au cœur de l’efficacité de l’action administrative,
n’est pas un privilège absolu. Il est toujours assorti d’un certain nombre d’exceptions qui
tendent non seulement à le contrebalancer, mais aussi à infléchir sa rigueur vis-à-vis des
administrés et des citoyens. L’exacerbation de ce privilège viendra donc de la non prise
en compte de ses éléments d’assouplissement comme cela a été le cas pendant plusieurs
décennies au Cameroun. Il s’apparente alors en un principe absolu, qui ne connait pas de
limites.

Tout d’abord, il est interdit pendant plusieurs décennies de prononcer le sursis à


exécution des mesures de police administrative. Cette interdiction, adressée au juge, ne
souffre d’aucune exception. Formulée dès les premiers textes sur le contentieux
administratif, elle est une prolongation camerounaise de la loi française du 30 septembre
1953 portant réforme du contentieux administratif qui, en son article 9 alinéa 2,
interdisait aux tribunaux administratifs de prononcer le sursis à exécution des décisions
administratives « intéressant le maintien de l’ordre, la sécurité et la tranquillité
publiques »908. On le sait, lors de la discussion de cette loi devant l’Assemblée Nationale

904
G. DUPUIS, Les privilèges de l’administration, Thèse, Paris, 1962, Ronéo. Sur le problème de savoir si le
droit administratif est un droit de privilèges, lire l’étude désormais classique de : J. CHEVALIER, « Le droit
administratif, droit de privilèges ?» op cit.
905
R. G. SCHWARTZENBERG, op. cit., à la même page.
906
Sur la considération des actes administratifs unilatéraux comme mesures administratives : R. MBALLA
OWONA, La notion d’acte administratif unilatéral en droit administratif camerounais, Thèse de
Doctorat/Ph.D. en droit public, 2010, pp. 64 et suivants.
907
Aucun instrument d’atténuation de ce privilège n’étant consacré par le système juridique, tel que c’est par
exemple le cas ailleurs à travers la mise en place soit du sursis à exécution, soit du référé administratif.
908
Cette interdiction n’est pas sans rapport avec la bonne vieille conception développée par le Conseil d’Etat
dans sa jurisprudence sur le contrôle des mesures de police administrative, et qui consistait à soutenir que les

298
Française, le rapporteur de la Commission de l’intérieur admit le 26 mars 1953 qu’ « il
est indispensable d’exclure les décisions intéressant le maintien de l’ordre, la sécurité
et la tranquillité publiques, afin d’éviter que la décision du juge ne puisse
compromettre l’ordre dont l’administration a la charge »909. Les justifications avancées
pour légitimer cette mesure, si elles sont au cœur d’une démarche d’exemption et même
d’absolution générale des mesures de maintien de l’ordre public, n’en sont pas moins des
éléments d’exacerbation du privilège du préalable dont bénéficient les mesures de police
administrative. Ainsi, si cette interdiction, au vue de la jeunesse des tribunaux
administratifs qui ne « permettait point encore de préjuger de leur capacité en cette
matière à obtenir l’obéissance des autorités administratives, particulièrement
sourcilleuses sur leurs prérogatives de police »910 contribue à leur consolidation, elle est
aussi liée au caractère exécutoire des mesures de police administrative et donc au
principe du préalable, qui trouve « encore plus profondément l’occasion de s’appliquer,
s’agissant des décisions relatives à l’ordre public »911.

L’interdiction du sursis à exécution en matière de police administrative est donc


un élément essentiel d’exacerbation du privilège du préalable dans l’exécution des
mesures administratives relatives au maintien de l’ordre public. Aussi, lorsque le
législateur camerounais consacre cette disposition, il en fait un puissant instrument
d’absolution des mesures de police administrative s’agissant de leur juridicité ou
simplement de leur légalité. L’article 16 de la loi fixant la procédure devant la Cour
Suprême statuant en matière administrative dispose que « le recours contentieux contre
une décision administrative n’en suspend pas l’exécution ». Mais que « toutefois, si
l’exécution est de nature à causer un préjudice irréparable et que la décision attaquée
n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publique, le président de
la chambre administrative peut après communication à la partie adverse et avis
conforme du ministère public, ordonner le sursis à exécution »912. En maintenant en

actions des autorités de maintien de l’ordre ne doivent pas se voir énervées par des requêtes contentieuses. Cf
infra Chapitre 2, Titre II, seconde partie de cette Thèse.
909
J. J. GLEIZAL, « Le sursis à exécution des décisions administratives. Théorie et pratique
jurisprudentielle », AJDA, 1975, pp. 381 – 398, précisément p. 391.
910
Ch. DEBBASCH et J. C. RICCI, Contentieux administratif, 7e éd., Paris, Dalloz, 1999, p.421, cité par B. R.
GUIMDO DONGMO, Le juge administratif camerounais et l’urgence. Recherche sur la place de l’urgence
dans le contentieux administratif camerounais, op cit., p. 312.
911
Idem, à la même page.
912
Cf. Loi N°75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême statuant en matière
administrative.

299
vigueur cette interdiction pendant plusieurs décennies, le législateur établit une
distinction et même une séparation dans le degré d’application du privilège du préalable.
On peut ainsi dire que si ce privilège s’applique à toutes les décisions administratives, il
s’applique avec plus de rigueur encore s’agissant des décisions intéressant le maintien de
l’ordre public et qui sont essentiellement des décisions de police administrative. La
rigueur avec laquelle le juge administratif a fait application de cette disposition dans ses
arrêts confirme l’idée d’exacerbation du privilège du préalable. En effet, de manière
générale, le juge « se borne à invoquer l’ordre public ou un de ses aspects, comme si le
concept était évident et sans jamais éprouver le besoin de le circonscrire avec
exactitude »913.

Ensuite, comme autre élément d’exacerbation du privilège du préalable on a


l’interdiction du référé administratif en matière de police administrative. Elle est posée
par l’article 122 de la loi de 1975 déjà citée, qui interdit l’octroi du référé lorsque le
litige intéresse l’ordre public, la sécurité et la tranquillité publiques. Ce faisant, le
législateur a facilité l’action de l’administration dans le domaine du maintien de l’ordre
en évitant qu’elle ne soit paralysée, même provisoirement, par le juge914. Il absout les
mesures de police administrative de toute possibilité de remise en cause du privilège du
préalable dont elles sont revêtues.

Enfin, si on peut concevoir une résistance passive de la part des destinataires des
mesures de police contribuant ainsi à tempérer la rigueur du privilège du préalable, tel
que cela est envisagé dans la jurisprudence française915, disons tout de suite qu’en
pratique, cette hypothèse est disqualifiée par le contexte dans lequel le privilège du
préalable prospère. Si le juge pénal français refuse de sanctionner l’administré lorsque
l’acte, bien que revêtu du privilège du préalable, est illégal, cette position reste inconnue
du juge camerounais qui sanctionne systématiquement le comportement de l’administré,

913
C. KEUTCHA TCHAPNGA, « Le régime juridique du sursis à exécution dans la jurisprudence
administrative camerounaise », in Juridis périodique, n°38, Avril-Mai-Juin 1999, p. 90.
914
Sur ces aspects, lire : B. R. GUIMDO DONGMO, Le juge administratif camerounais et l’urgence.
Recherche sur la place de l’urgence dans le contentieux administratif camerounais, op cit., pp. 311 et s.
915
En France en effet, la résistance passive de l’administré devant une application illégale du privilège du
préalable est licite, car le juge pénal refuse toute sanction en la matière. Lorsque l’exception d’illégalité d’un
acte administratif est soulevée devant lui par un administré qui refuse d’obéir à l’administration et qui est
poursuivi de ce fait en justice, soit le juge examine lui-même la régularité de l’acte en cause – le juge de
l’action étant le juge de l’exception – soit il prononce un sursis à statuer. Voir à ce propos la jurisprudence
AVRANCHES et DESMARET, citée par B. R. GUIMDO DONGMO, Cours de droit administratif, 2e année
de Licence, UY2, 2008 – 2009, inédit, p. 17.

300
sans s’interroger sur la légalité de la mesure, surtout lorsque les nécessités d’ordre public
sont visées par l’autorité de police édictrice de la norme916. Le privilège du préalable
apparait alors ainsi comme insusceptible de toute remise en cause ; d’où l’exacerbation
qui le caractérise pendant cette période sombre du droit de la police administrative.

2. La banalisation du privilège de l’exécution d’office

Encore appelé privilège de l’exécution forcée ou de la décision exécutoire, le


privilège de l’exécution d’office est une conséquence naturelle du privilège du préalable.
C’est parce que la décision administrative et plus précisément de police bénéficie d’une
présomption de vérité légale qu’elle peut s’appliquer sans médiation, sans autre forme de
procès, pourrait-on dire. Ce privilège s’attache donc à l’autorité de la chose décidée.

En principe, dans la théorie du droit public, il est interdit à l’Administration de


faire exécuter ses décisions par la force. Si cette interdiction se justifie par le souci
d’assurer la garantie des droits et libertés des citoyens, elle se fonde surtout sur le
principe de la séparation des pouvoirs qui veut que l’autorité exécutive ne soit pas « juge
et partie dans sa propre cause »917. Cela signifie donc que le principe de l’exécution
d’office revêt un caractère purement exceptionnel, particulièrement en cas d’inexécution
de la personne destinatrice de la mesure de police administrative 918. Mais l’interdiction
de recourir à l’exécution forcée connait deux exceptions à savoir lorsque la loi l’exige
ou, lorsqu’il y a urgence, c’est-à-dire « lorsque l’intérêt immédiat de la conservation
publique l’exige »919.

On le sait, la doctrine sur le privilège de l’exécution forcée a été formulée pour le


Commissaire du Gouvernement ROMIEU, dans ses conclusions sur l’arrêt Société
immobilière de Saint Just920. Dans son principe, « l’exécution forcée, encore appelée
exécution d’office (…) n’existe donc, contrairement à ce que l’on croit souvent, (…)
que si l’obéissance des administrés ne peut être obtenue autrement : elle a ainsi un

916
Le fait que le juge camerounais ait une conception très souple, ou si l’on veut, restrictive de la légalité, le
conduit en effet à restreindre son contrôle sur de telles mesures, surtout que la jurisprudence montre une
abstention systématique dès lors que l’administration vise des nécessités de l’ordre public.
917
O. DUPOND, « les conditions de légalité de l’exécution forcée », in R. D. P., 1925, p. 349.
918
C’est pour cette raison qu’en principe, l’exécution forcée ne peut intervenir qu’après une mise en demeure
restée sans suite favorable auprès du destinataire de la mesure de police. C’est donc cette inexécution du
destinataire de la mesure de la police qui va fonder, en principe, le recours à l’exécution forcée.
919
Selon les termes même de ROMIEU, in S., 1904 – 3 – 17.
920
T. C., 2 décembre 1902, Sté immobilière de Saint Just.

301
caractère nettement subsidiaire »921. Ce privilège, dans le droit public français, n’est
licitement employé que dans deux cas généraux et quatre cas spécifiques. Les conditions
générales sont la permission de la loi et l’urgence. Les conditions subsidiaires sont :
l’inexistence d’une sanction légale, la nécessité que l’acte administratif à exécuter soit
pris en application d’un texte législatif précis, la nécessité que l’exécution de l’acte se
soit heurtée à une résistance certaine ou du moins à une « mauvaise volonté
caractérisée »922, enfin la nécessité « que les mesures d’exécution forcée tendent
uniquement, dans leur objet immédiat, à la réalisation de l’opération prescrite par la
loi »923, c’est-à-dire « qu’elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est strictement
nécessaire pour assurer l’obéissance à la loi »924. Mais au-delà de ces conditions
rigoureuses, et selon ROMIEU lui-même, « il est de l’essence même du rôle de
l’administration d’agir immédiatement et d’employer la force publique sans délai ni
procédure, lorsque l’intérêt immédiat de la conservation publique l’exige ; quand la
maison brûle, on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les
pompiers »925. Quoi qu’il en soit, l’exécution forcée apparait, dans son principe,
exceptionnelle et rigoureusement encadrée, dans le système juridique français.

Au Cameroun, pendant plusieurs décennies, ce procédé a été tellement banalisé,


qu’il est apparu comme le droit commun de l’exécution des mesures de police
administrative. D’abord, les conditions générales posées par ROMIEU n’étaient pas du
tout requises ici. L’autorisation de la loi ou même d’un juge n’a jamais été une condition
préalable à l’exécution forcée des mesures de police administrative926. Que ce soit en

921
M. LONG, P. WEIL, G. BRAIBANT, P. DEVOLVE, B. GENEVOIS, Les grands arrêts de la
jurisprudence administrative, Paris, Dalloz, 13e éd., 2001, p. 67. Mais il faut dire que ce caractère dérogatoire
de l’exécution d’office est aujourd’hui passé dans l’usage commun, suite à ce que Achille Mestre a appelé
« une sorte de renversement de valeurs juridiques » (cité par B. R. GUIMDO DONGMO, Cours précité, p.
18.). Pour Jean RIVERO (cité par C.-E. Minet, Droit de la police administrative, op cit., p. 18), l’exécution
d’office est donc « la possibilité pour l’administration de se conférer à elle-même un titre exécutoire lui
permettant de passer proprio mutu à l’exécution matérielle de ses décisions ». Selon ROMIEU, elle est « un
moyen empirique justifié légalement, à défaut d’autre procédé, par la nécessité d’assurer l’obéissance à la
loi ».
922
Conclusions, CELIER, citées par M. LONG, P. WEIL, G. BRAIBANT, P. DELVOLVE, B. GENEVOIS,
Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, op. cit., p. 70.
923
M. LONG, P. WEIL, G. BRAIBANT, P. DELVOLVE, B. GENEVOIS, Idem, à la même page.
924
Ibid
925
Romieu, conclusions précitées.
926
La « doctrine ROMIEU » n’étant pas ici formellement réceptionnée ni par les textes, ni par la jurisprudence.
Son application reste donc très hypothétique, laissant libre cours au développement du procédé de l’exécution
forcée dans tous les domaines de l’action administrative, particulièrement en matière de police administrative.

302
matière de saisie des journaux927, de fermeture d’établissements commerciaux à l’instar
des débits de boissons928 ou des salles de spectacle929, d’interdiction de séjour930, de
saisie des publications destinées à la jeunesse931, de fermeture de certains marchés932, et
même parfois de destruction d’immeubles insalubres933.

Ensuite, le contexte de l’époque rendait la condition de l’urgence


systématiquement opérante. En effet, l’impératif de maintien de l’ordre apparaissant
alors impérieux en raison successivement de la revendication de l’indépendance par les
mouvements nationalistes934, de la revendication de la démocratie par certains leaders
politiques rentrés dans la lutte armée, de l’instabilité sociopolitique en général, rétablir
l’ordre apparaissait alors comme la mesure la plus urgente à prendre par les autorités
publiques935. Le recours permanent à l’état d’urgence qui s’ensuivait rendait donc
systématique la condition de l’urgence dans le recours à l’exécution forcée des mesures

927
Voir par exemple l’article 46 de la loi N°66 – LF – 18 du 21 décembre 1966 sur la presse, qui dispose : « en
cas d’urgence, le préfet peut, avant toute poursuite judiciaire, ordonner la saisie chez l’imprimeur, l’éditeur
ou les principaux dépositaires, de toute publication, périodique ou non, contraire aux bonnes mœurs,
susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte à la sécurité de l’Etat ». (C’est nous qui
soulignons).
928
Voir l’article 25 (1) du décret n°73/659 du 22 octobre 1973 portant réglementation des débits de boissons
(JO.R.U.C., 1er novembre 1973, pp. 3215-3220) : « en cas de débit clandestin, l’établissement sera
immédiatement fermé. Les boissons trouvées sur place seront saisies sur le champ pour être vendues aux
enchères publiques au profit du trésor. Les procès-verbaux de saisie et de vente aux enchères publiques sont
communiqués au comptable du trésor intéressé dans les 15 jours qui suivent chacune des opérations
concernées ».
929
Par exemple, le décret n°69-DF-183 du 20 mai 1969 fixant les règles générales d’hygiène, de police et de la
sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les salles de spectacle cinématographique, après
avoir fixé le régime des sanctions pénales afférentes à l’inobservation de ce texte, dispose en son article 59,
deuxième paragraphe : « indépendamment de ces mesures finales, le ministre de l’information et du tourisme
peut par arrêté ordonner la fermeture de la salle de spectacle cinématographique tant que celle-ci se trouve
en état d’infraction ».
930
Voir par exemple le décret du 7 octobre 1930 réglementant les conditions d’admission et de séjour au
Cameroun des nationaux français et étrangers qui prévoit qu’en cas d’expulsion d’une personne hors du
Cameroun, « l’Administration sera fondée à se pourvoir, pour l’acquittement du prix de passage de
l’expulsé, soit par la saisie des biens qu’il aurait pu laisser au territoire, soit par voie de recours contre sa
caution ». (Art. 21). Dans le même sens, voir l’article 31 de l’arrêté du 13 janvier 1928 réglementant l’entrée,
la circulation et la sortie des nationaux français et étrangers (JOC N°181, 1er février 1928).
931
Les publications destinées à la jeunesse obéissent, en ce qui concerne la saisie administrative dont elles
peuvent faire l’objet, au même régime que celui de la presse, conformément à la loi n°66 – LF – 18 du 21
décembre 1966 (J.O.R.F.C., 1er janvier 1967, pp. 21 – 29).
932
Voir par exemple l’arrêté du 30 mai 1939 supprimant les marchés périodiques et créant des marchés
permanents, en son article 1er (JOC, Juin 1939, pp. 548 – 549).
933
Sur ce point, le décret relatif à la salubrité et à la santé publique au Cameroun (démolition d’immeubles
inachevés), du 28 novembre 1933, après avoir établi un régime somme toute protecteur pour la destruction des
immeubles en matériaux durables inachevés, dispose en son article 4 que cette réglementation n’est pas
applicable « aux maisons construites en bois et à celles du types indigène dont la démolition peut être
ordonnée sans expertise préalable, par les chefs de région » (J.O.C., 1er Janvier 1934, p. 440)
934
Voir sur le contexte sociopolitique de cette époque (J. de N. ATEMENGUE, La police administrative au
Cameroun, op cit., pp. 39 – 63).
935
Ibid

303
de police administrative936. Cette systématisation de l’urgence faisait alors de cette
mesure exceptionnelle d’exécution une mesure banale. L’exécution forcée apparaissait
comme le droit commun de l’exécution des mesures de police administrative.

Enfin, les conditions spécifiques dégagées par ROMIEU sont restées longtemps
ici inopérantes. Il faut sans doute rappeler qu’en France, les quatre conditions
complémentaires sont toutes cumulatives, ce qui montre la rigueur avec laquelle ce
procédé y est encadré. Ici par contre, cet encadrement est longtemps resté inexistant.
Ainsi on a pu voir s’exercer, dans l’indifférence généralisée, des procédures d’exécution
forcée alors même que des sanctions pénales étaient prévues par le texte créant la police
spéciale937. Plus grave, le procédé de l’exécution forcée s’est vu multiplier en matière de
police générale, alors même que le code pénal prévoit des sanctions des mesures de
police administrative. Ce cumul des sanctions pénales et administratives, en plus de
banaliser l’exécution d’office des mesures de police administrative, renforce à l’extrême
les pouvoirs de la puissance publique en la matière et développe un véritable
autoritarisme en ce domaine. Cette situation en matière de police générale a favorisé le
non respect ici de la seconde condition requise. Aussi a-t-on vu se développer le recours
à l’exécution forcée alors même que l’acte administratif à exécuter ne reposait sur aucun
texte législatif précis. Mais l’emploi le plus autoritaire de l’exécution forcée ici tient au
fait que pendant plusieurs décennies, ce procédé n’était pas soumis à une résistance
préalable et certaine ou à une « mauvaise volonté caractérisée ». Il s’appliquait comme
qui pourrait dire naturellement, de manière principielle. L’exécution forcée ne pouvait
donc que s’en trouver banalisée.

De plus, on a vu se développer ici ce procédé bien au-delà du domaine


initialement concerné. L’exécution forcée allait donc bien au-delà de ce qui était
nécessaire. A titre d’exemple, il était banal de voir une opération de démolition
initialement prévue pour un immeuble s’étendre à ses dépendances ou même aux
immeubles environnants. Cette banalisation de l’exécution d’office est révélatrice de
l’importance des pouvoirs de sanction dont bénéficie l’administration en matière
d’exécution des mesures de police administrative.

936
Etant donné en effet la permanence de l’Etat d’urgence, toutes les mesures administratives s’avéraient elles-
mêmes urgentes, et étaient donc systématiquement exécutées sous ce prisme.
937
Cf. infra, Chapitre 2, Titre II, IIème partie, de cette Thèse .

304
B. L’importance des pouvoirs de sanction

A l’instar de la plupart des règles juridiques, les règles de police administrative


sont toujours assorties de sanction938. S’il ne s’agit pas de soutenir ici que la sanction
constitue le critère distinctif de la mesure de police administrative, comme l’a affirmé à
un certain moment une partie de la doctrine939, il reste que la sanction dont est assortie la
mesure de police en fonde toute la pertinence. Il ne servirait en effet à rien d’édicter des
mesures dans le but de maintenir l’ordre public sans s’assurer que celles-ci seraient
effectivement respectées par leurs destinataires. Or, seule la sanction, expression de la
coercition étatique, est susceptible de conduire à une bonne exécution des mesures de
police de la part des citoyens. La police administrative constitue d’ailleurs le domaine
administratif dans lequel le pouvoir sanctionnateur, le pouvoir coercitif de la puissance
publique est le plus visible940.

Mais la caractéristique fondamentale de ce pouvoir sanctionnateur, contrairement


à ce que l’on pourrait croire, est qu’elle est de nature pénale. Autrement dit, les mesures
de police administrative sont susceptibles de donner lieu, en cas d’inexécution de la part
de leurs destinataires, à des poursuites pénales. Le juge pénal apparait donc ainsi comme
l’autorité habilitée, au plan des textes, à réprimer l’inexécution des mesures de police
administrative. C’est dans cet ordre d’idées qu’en France par exemple, l’article R.26-
15° du Code pénal « permet toujours à l’administration d’exercer des poursuites
pénales contre un administré en cas d’inexécution d’une mesure de police
administrative »941. Il dispose : « la violation des interdictions ou le manquement aux
obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l’amende prévue
pour les contraventions de la 1ère classe » (38 euros maximum). Il est à noter que « ces
dispositions concernent aussi bien des mesures de police administrative générale que

938
Il ne s’agit pas de dire ici que de telles règles tirent leur caractère juridique de la sanction. Car comme le dit
si pertinemment François TERRE, « les règles de droit ne sont pas juridiques parce qu’elles sont
sanctionnées, mais elles sont sanctionnées parce qu’elles sont juridique ». F. TERRE, Introduction générale
au droit, Paris, Dalloz, 2006, p. 73.
939
Cette partie de la doctrine affirme en effet que « le règlement de police est nécessairement assorti d’une
sanction administrative ou pénale ». Cf. J. de N. ATEMENGUE, La police administrative au Cameroun, op
cit., p. 18. Dans le même sens, M. A. BENABDALLAH, La police administrative dans le système juridique
marocain, Thèse, Droit public, Paris II, 1985, p.153, cité par J. de N. ATEMENGUE, ibid, à la même page.
Contr. E. PICARD, La notion de police administrative, op cit., p. 213.
940
J. de N. ATEMENGUE, Thèse, op cit., à la même page. Dans le même sens, A. NYETAM TAMGA, Le
pouvoir de sanction administrative au Cameroun, Thèse de Doctorat 3e cycle en droit public, Université de
Yaoundé II, 1998-1999, pp. 209 et s.
941
C.-E. Minet, Droit de la police administrative, op cit., p. 183.

305
celles qui sont prises sur le fondement d’un texte instituant une police spéciale,
lorsque ce texte ne prévoit pas de sanction particulière »942. Cette postulation a une
conséquence importante, à savoir que toute autre sanction est interdite en la matière.
Autrement dit, les sanctions pénales en matière de police administrative sont exclusives,
c’est-à-dire qu’elles n’admettent aucune autre sanction. En particulier, les sanctions
administratives sont interdites en matière de police administrative943. Le principe en droit
administratif est donc celui du non cumul des sanctions, que ce soit en matière de police
administrative ou dans tout autre domaine de l’activité administrative 944. La particularité
de la sanction des mesures de police administrative avant les années de la libéralisation
au Cameroun tient donc au fait que l’on a assisté à une généralisation du cumul des
sanctions pénales et administratives, brisant le principe sacro saint de la séparation des
pouvoirs, et consacrant une accumulation des pouvoirs de l’administration en la matière.
L’importance des pouvoirs de sanction des mesures de police va donc se manifester ici
par le fait de l’institution systématique de sanctions pénales en cas de non respect des
mesures de police administrative et par la superposition des sanctions administratives sur
les sanctions pénales.

1 – La multiplication des sanctions pénales

Jérémie BENTHAM, philosophe utilitariste, déclarait ceci à propos du droit


pénal : « si l’on trouve un moyen de se rendre maitre de tout ce qui peut arriver à un
certain nombre d’hommes, de disposer de tout ce qui les environne, de manière à
opérer sur eux l’impression que l’on veut produire, de s’assurer de leurs, de leurs
liaisons, de toutes les circonstances de leur vie, en sorte que rien ne peut échapper ni
contrarié l’effet désiré, on ne peut douter que cette espèce ne fût un instrument très

942
Idem, à la même page.
943
Cette interdiction prend racine dans le principe de la séparation des pouvoirs, lequel voudrait que
l’administration ne soit pas juge et partie dans les différentes parties où elle est impliquée. Le seul pouvoir
habilité dans l’Etat libéral à sanctionner l’inobservance des règles qui concourent à la conservation est le
pouvoir judiciaire (Mais aussi désormais tous les organes juridictionnels) J. M. AUBY et R. DRAGO
l’expliquent bien en écrivant que « le pouvoir sanctionnateur n’est pas de l’essence du pouvoir
administratif ». Cf. J. M. AUBY et R. DRAGO, Traité de contentieux administratif, Paris, LGDJ, n° 1134.
944
Schématiquement, on pourrait dire qu’en matière de police administrative, le principe est celui de la
répression pénale, la répression administrative étant purement exceptionnelle, tandis que cela semble être le
contraire dans le domaine des services publics. Mais au-delà de cette vision un peu caricaturale de la réalité
sanctionnatrice en matière administrative, une constante demeure, à savoir que l’on ne saurait sanctionner
simultanément la même atteinte au plan administratif et au plan pénal. Au moins l’adage « non bis in idem »
devrait pouvoir le justifier. Chaque fois que cela est juridiquement possible, il s’agit d’une manifestation de
l’exorbitance du pouvoir étatique.

306
énergique et très utile que les gouvernants pourraient appliquer à différents objets de
la plus haut importance »945. Tel semble être l’esprit qui gouverne la répression pénale
des mesures de police administrative au Cameroun, à savoir multiplier de manière à les
rendre systématiques les sanctions pénales relatives au non respect des mesures de police
administrative. Il est à noter qu’ici, il n’existe pas d’équivalent à l’article R. 610-10 du
code pénal français aux termes duquel « la violation des interdictions ou le
manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de
l’amende prévue pour les contraventions de la 1ère classe » (38 euros maximum)946. Ici,
la répression pénale des atteintes aux mesures de police administrative est organisée
selon deux modalités. La première est contenue dans le code pénal, et la seconde est
contenue dans des textes particuliers concernant soit des polices spéciales, soit des
aspects de la police administrative générale.

Selon la première modalité, le législateur pénal n’a pas cru devoir édicter une
disposition générale réprimant l’atteinte à l’ensemble des mesures de police
administrative. Il a plutôt opté pour une sorte de répression segmentée de cette activité,
en ciblant les compartiments essentiels, de manière à en faire le tour du domaine, si bien
qu’à la fin, on peut estimer que d’une manière ou d’une autre, n’importe quelle mesure
de police devrait pouvoir être pénalement sanctionnée sur la base des dispositions
pertinentes de ce texte. Ainsi réprime-t-il les atteintes à l’autorité publique947, les
atteintes aux garanties de l’Etat948, les crimes et délits contre l’intérêt général949, telles les
atteintes à la sécurité publique950, les atteintes à la paix publique951, les atteintes à
l’économie publique952, les atteintes à la santé publique953, les atteintes à la moralité
publique954, les atteintes aux cultes955, etc. Cette répression segmentée des atteintes aux
mesures de police administrative, si elle à, contrairement à la clause générale instituée en

945
J. BENTHAM, Panoptique, Paris, Dumont, p. 253, cité par A. MINKOA SHE, Essai sur l’évolution de la
politique criminelle au Cameroun depuis l’indépendance, Thèse précitée, p. 158.
946
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op. cit, à la même page. Une lecture pourtant serrée du
code pénal camerounais n’a pas permis d’identifier une telle disposition..
947
Articles 152 à 200 du code pénal camerounais.
948
Articles 201 à 226 du code pénal camerounais.
949
Selon la terminologie même du code pénal. Voir le titre II du Livre II intitulé des Crimes, délits et
contraventions.
950
Articles 227 à 230 du code pénal camerounais.
951
Articles 231 à 251 du code pénal camerounais.
952
Articles 252 à 257 du code pénal camerounais.
953
Articles 258 à 262 du code pénal camerounais.
954
Article 263 à 268 du code pénal camerounais.
955
Article 269 à 274 du code pénal camerounais.

307
France, l’inconvénient d’être particulièrement fastidieuse, dénote tout de même, à n’en
point douter, le souci de la part du législateur d’être détaillé et précis. Cette option
montre un réel souci de maximiser la répression tant en largeur, c’est-à-dire en ce qui
concerne son champ, qu’en profondeur, c’est-à-dire en ce qui concerne l’intensité de la
peine.

La seconde modalité de répression est contenue dans des textes particuliers. En


effet, la plupart des polices spéciales comportent toujours un régime de sanctions pénales
qui les concernent particulièrement956, quand l’autorité normatrice ne renvoie pas
simplement au code pénal957. Il en est de même pour tous les autres textes qui, sans
instituer une police spéciale, comportent des mesures juridiques rentrant dans le cadre de
l’exercice par l’administration de ses missions de police administrative 958. De la lecture
de ces différents textes, il ressort un ensemble de constantes allant dans le sens non
seulement d’une systématisation en termes de multiplication de la répression pénale,
mais aussi d’une intensification de celle-ci.

Tout d’abord, on peut observer, contrairement au cas français sus évoqué où le


législateur n’a envisagé comme sanctions que des sanctions pécuniaires d’un niveau par
ailleurs très réduit, instituant ainsi en la matière le principe de simples contraventions, le
législateur camerounais pour sa part opte pour une multiplication des types de sanctions.
Il institue ainsi en la matière non seulement des sanctions pécuniaires, mais aussi des
sanctions privatives de liberté. Autrement dit, les atteintes à des mesures de police
administrative s’analysent non seulement en des contraventions, mais aussi, en de
véritables délits, et parfois même en des crimes959. Ensuite, dans la logique de ce
premier constat, on observe l’extrême sévérité avec laquelle les atteintes aux mesures de
956
A titre d’exemple, la loi sur la presse de 1966 comporte un chapitre VI intitulé des poursuites et de la
répression, dans lequel est prévu le régime des sanctions à l’inobservation des règles posées par ladite loi. Dans
le domaine de la police des débits de boisson, le décret de 1973 portant réglementation des débits de boisson
ou comporte un titre III intitulé "des sanctions". (Décret n°73 – 659 du 22 octobre 1973 portant réglementation
des débits de boisson, in J.O.R.U.C., 1er nov. 1973, p. 3218). De tels exemples peuvent être multipliés à
l’infini.
957
Il peut en effet arriver qu’au lieu de détailler lui-même le régime des sanctions pénales, le législateur renvoit
purement et simplement à certaines dispositions du Code pénal, ou indique que les atteintes à la loi ou au
décret en cause seront punies conformément aux textes en vigueur.
958
Voir dans ce sens l’ordonnance du 12 mars 1962 portant répression de la subversion.
959
En droit pénal camerounais, sont qualifiées crimes les infractions punies d’une peine de mort ou d’une peine
privative de liberté dont le maximum est supérieur à dix ans. Sont qualifiés délits les infractions punies d’une
peine privative de liberté ou d’une amende lorsque la peine privative de liberté encourue est supérieure à dix
jours et n’excède pas dix ans ou que le maximum de l’amende est supérieur à 25 000 francs. Sont qualifiées
contraventions les infractions punies d’un emprisonnement qui ne peut excéder dix jours ou d’une amende qui
ne peut excéder 25 000 francs (Voir article 21 (1) du code pénal).

308
police sont ici réprimées. Car si l’on va jusqu’à qualifier de crime une pareille atteinte ou
même simplement de délit, il va de soi que les peines prononcées seront toutes autant
sévères, pouvant aller jusqu’à la peine de mort, puisque comme tout le monde le sait, les
crimes sont des infractions punies d’une peine soit de mort soit de prison allant au-delà
de 10 ans960. Une telle sévérité, par son caractère extrême, se passe de tout commentaire.

Enfin, le cumul systématique des peines privatives de liberté et des sanctions


pécuniaires, s’il appelle en principe un choix de la part du juge, débouche presque
systématiquement sur le prononcé des deux sanctions. Mais parfois aussi, le cumul est
légalisé comme c’est le cas par exemple pour les atteintes contre la législation sur la
liberté de réunion, lesquelles sont, aux termes du décret du 23 octobre 1935 punies d’un
emprisonnement de quinze jours à 06 mois etc961, d’une amende de 5 000 à 100 000 F,
conformément à l’article 231 du code pénal. De tels exemples peuvent être multipliés à
l’infini.

Ainsi, au-delà de la durée de la peine d’emprisonnement, le simple cumul de la


peine privative de liberté et de la sanction pécuniaire est en soi la preuve d’une
multiplication de la répression pénale des atteintes aux mesures de police administrative.
Il ressort de tout ceci une maximisation de la répression pénale des atteintes aux mesures
de police administrative, manifestation visible de l’importance des pouvoirs de
l’administration en la matière. Cette option qui est à insérer dans le cadre plus vaste de la
politique criminelle adoptée par le Cameroun962 et qui est largement en faveur des
intérêts de la puissance publique montre, en ces décennies consécutives à
l’indépendance, la primauté de l’ordre sur la liberté. Elle est accentuée par l’adjonction à
ces sanctions pénales des sanctions administratives.

2- La superposition des sanctions administratives

En plus des sanctions pénales ci-dessus évoquées, le système juridique


camerounais a pendant longtemps institué également des sanctions administratives.
« Actes administratifs unilatéraux à contenu punitif »963 infligés à des personnes

960
Article 21 (1) a du code pénal.
961
C’est nous qui soulignons.
962
A. MINKOA SHE, Thèse, op cit., Première partie.
963
Selon l’excellente formule de Jacques MOREAU, in Droit administratif, Paris, PUF, coll. Droit
fondamental, 1989, p. 217.

309
physiques ou morales ayant enfreint des mesures de police administrative, c’est-à-dire à
des mesures préexistantes, les sanctions administratives « prennent des formes variées
(retrait ou suspension d’autorisations ou d’agréments, sanctions pécuniaires,
interdictions diverses, etc) et interviennent dans des domaines que le législateur a
voulu faire échapper au droit pénal, pour diverses raisons, soit pour assurer
l’efficacité de la répression dans des domaines où la masse très importante des
sanctions à infliger alourdirait la charge des juridictions répressives tels que la
circulation routière ; soit pour confier à des autorités administratives indépendantes la
"régulation" des certains secteurs économiques ou très techniques »964.

L’existence des sanctions administratives est le signe de la reconnaissance d’une


compétence punitive au profit de l’administration. La doctrine en la matière affirme ainsi
que « le juge n’a jamais eu le monopole du droit de punir »965. Car « si les citoyens
peuvent se satisfaire des procédures lourdes et complexes, il n’en va pas de même des
administrateurs dont l’action doit être rapide pour être utile et en accord avec ce que
les circonstances demandent »966. Aussi, « la sanction administrative apparait comme
la répression par l’administration des faits répréhensibles accomplis par les
particuliers »967. Elle est « une mesure répressive prononcée par un administrateur
actif en application d’un texte législatif ou réglementaire, sans qu’intervienne le
pouvoir judiciaire, sous forme d’acte administratif individuel réprimant un
manquement à une obligation »968. La sanction administrative se rapproche donc ainsi
fortement de la sanction pénale, ce d’autant plus que « le pouvoir répressif donné à
l’administration tend non plus à assurer le seul ordre administratif – ordre dont
l’autonomie est d’ailleurs de moins en moins évidente – mais à l’instar de la
répression pénale, à assurer l’ordre social »969.

Mais il faut dire ici pour le souligner que si en apparence la sanction


administrative tend à se confondre à la sanction pénale, il reste que ces deux types de

964
C.-E. MINET, op. cit., p. 80.
965
M. Delmas – Marty et C. TEITGEN – COLLY, in Punir sans juger ? De la répression administrative au
droit administratif pénal, Paris, Economica, 1992, p. 7.
966
J. MOURGEON, La répression administrative, Paris, LGDJ, 1967, p. 220.
967
G. MORANGE, « Le principe des droits de la défense devant l’administration active », in Dalloz, Chr. 1956,
p. 121.
968
Cl. D. PRINBORGNE, Les sanctions administratives, J. C. A., Fascicule, 202, 1966, p. 1.
969
M. Delmas – Marty et C. TEITGEN – COLLY, Punir sans juger ? De la répression administrative au droit
administratif pénal, op cit., p. 36.

310
sanctions sont nettement distincts et doivent donc être bien isolés l’une de l’autre. Cette
distinction est non seulement possible, mais nécessaire. « Cette distinction est parfois
délicate, puisque comme pour la police judiciaire, le critère utilisé semble être celui de
la finalité de la mesure »970. La sanction administrative aurait ainsi un caractère
répressif, contrairement à la mesure de police administrative pénalement sanctionnée qui
aurait un caractère préventif. Mais même ce critère ne parait pas satisfaisant puisque
certaines mesures peuvent avoir des objectifs ambigus971. Quoi qu’il en soit, sanctions
administratives et sanctions pénales restent deux types de sanctions bien distincts. Les
secondes se distinguent nettement par le fait que provenant de l’administration active, ou
plutôt infligées par elle, contrairement aux premières qui le sont par le juge, elles ne sont
pas ici encadrées par quelque garantie que ce soit. C’est pourquoi leur superposition aux
sanctions pénales en matière de police administrative apparait, jusque dans les années
90, particulièrement liberticides.

Sur le plan du principe en effet les mesures de police administrative sont


uniquement assorties de sanctions pénales. Dès lors que cette dernière existe, aucune
autre sanction n’est requise. En matière de police administrative, les sanctions
administratives sont interdites en raison non seulement de l’application du principe de la
séparation des pouvoirs, mais aussi de celui selon lequel l’autorité judiciaire reste la
meilleure gardienne de la liberté972. Le non respect de ces exigences libérales pendant
plusieurs décennies au Cameroun montre une absolue option pour une hypertrophie de la
répression du non respect des mesures de police. Ce cumul des sanctions pénales et des
sanctions administratives est tellement fréquent qu’il frise la banalisation. Il investit tous
les domaines de l’activité sociale et affecte même les libertés les plus fondamentales.

S’agissant par exemple de la liberté d’expression, laquelle se manifeste par


exemple par la création de journaux et des entreprises de presse, on peut observer un
cumul des sanctions pénales et administratives en la matière. La loi du 21 décembre
1966 sur la presse après avoir désigné les personnes susceptibles d’être poursuivies pour

970
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit., p. 81.
971
Voir dans ce sens E. PICARD (Thèse, op cit., T1, p. 338), pour qui les critères proposés par la doctrine ne
sont jamais satisfaisants. Voir aussi dans ce sens, M. DEGOFFE, « L’ambigüité de la sanction
administrative », in AJDA, 2001, Numéro spécial, cités tous par C.-E. MINET, Ibid.
972
Bien que la consécration dans le droit positif camerounais actuel de ce principe essentiel du droit français
reste fortement sujette à caution.

311
des crimes et délits dans le cadre de l’exercice de cette liberté973, devant le juge pénal,
dispose en son article 46 : « En cas d’urgence, le préfet peut, avant toute poursuite
judiciaire, ordonner la saisie chez l’imprimeur, l’éditeur ou les principaux
dépositaires de toute publication, périodique ou non, contraires aux bonnes mœurs
susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte à la sécurité de l’Etat. Il
doit, dans ce cas saisir dans les quarante huit heures le procureur de la République ».
L’article 47 du même texte poursuit : « en cas de délit de presse, lorsque le préfet estime
que la saisie administrative prévue à l’article 46 ci-dessus ne saurait intervenir, il peut
transmettre les numéros incriminés au procureur de la République en vue d’une saisie
judiciaire ». Autrement dit, le juge tend à faire de la sanction administrative le principe,
alors que les poursuites pénales ne viennent qu’après. De plus, ces infractions aux lois
sur la presse sont susceptibles d’être poursuivies sous plusieurs chefs d’inculpation.
Ceux prévus par la loi en cause, mais aussi ceux prévus par l’ordonnance de 1962 sur la
subversion974. Une telle hypertrophie de la répression est observable dans plusieurs
champs de la police administrative, comme le montre la réglementation relative à la
police des associations975, des réunions et manifestations publiques976, de la
circulation977, etc.

Au total, il apparait que jusqu’à la fin des années 1980, les sanctions pénales sont
systématiquement superposées aux sanctions administratives dans la répression des
atteintes aux mesures de police administrative. Cette situation, révélatrice de
l’importance des pouvoirs de sanction des mesures de police, contribue pendant
plusieurs décennies à développer une tendance liberticide dans les procédés ordinaires de
police administrative. Le vent de réformes des années 1990, s’il n’a pas permis

973
Voir les articles 43 à 45 de la loi.
974
En effet, l’article 48 de la loi dispose que « les infractions aux lois sur la presse sont déférées aux
tribunaux correctionnels, sauf : les faits réprimés par l’ordonnance n°18 du 12 mars 1962 sur la
subversion, telle que modifiée par la loi n°63 – 30 – LF du 23 octobre 1963 ».
975
Voir par exemple l’article 34 de la loi du 12 juin 1967 sur la liberté d’association aux termes duquel « la
dissolution d’une association ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires qui peuvent éventuellement être
engagées contre les responsables de cette association ». Voir également l’article 35 de cette même loi qui
prévoit une panoplie de sanctions pénales, tant pécuniaires que privatives de liberté.
976
Voir dans ce sens la loi du 30 juin 1881 sur les réunions publiques (applicable au Cameroun sur la base du
décret du 11 avril 1945, in J.O.C., 1946, p. 1110) qui, en plus de la dissolution de la réunion, (article 9) dispose
que « toute infraction aux dispositions de la présente loi sera punie des peines de simple police, sans
préjudice des poursuites pour crimes et délits qui pourraient être commis dans les réunions ».
977
Par exemple, article 226 de l’arrêté n°14 du 31 janvier 1956 réglementant la circulation routière au
Cameroun (J.O.C.F., 10 mars 1956, pp. 485 – 502) selon lequel de multiples amendes peuvent être infligées en
cas d’atteintes aux dispositions de cet arrêté « sans préjudice des sanctions administratives prévues au
présent arrêté ni des peines contre les crimes et délits qui y seraient joints (…) ».

312
d’éradiquer totalement cette tendance liberticide, a permis tout au moins de la tempérer
et même en certains domaines, de l’inverser.

SECTION II : LE CARACTERE RELATIVEMENT LIBERAL DES PROCEDES


ACTUELS

La « révolution normative » observée à l’aube des années 1990 a permis de


notables transformations au sein des procédés ordinaires de police administrative. Au
caractère incontestablement autoritaire des procédés antérieurs a succédé le caractère
relativement libéral reconnu aux procédés actuels. Le libéralisme dont il s’agit ici
signifie meilleure prise en compte des droits et libertés, d’un point de vue formel tout au
moins, autant dans la réglementation des libertés que dans l’exécution et la sanction des
mesures de police administrative.

Ces procédés de réglementation, d’exécution et de sanction apparaissent donc


ainsi sous un nouveau jour. Ils ne sont plus, comme dans la période antérieure,
entièrement voués à la préservation de l’ordre public. Désormais, ils sont aussi et surtout
au service de la liberté. Aborder l’étude de ces procédés sous le prisme de la
normalisation signifie d’abord qu’ils ont quitté le cadre exceptionnel dans lequel ils
étaient mis en œuvre, et qui, en les rendant autoritaires, faisait d’eux des procédés
anormaux. Il s’agit donc de montrer ici tout d’abord qu’ils sont des procédés
véritablement normaux, c’est-à-dire tout simplement ordinaires.

Ensuite, étudier ces procédés sous le prisme de la normalisation signifie que


ceux-ci empruntent la voie de la libéralisation, car comme on le sait bien, le concept de
normalisation véhicule l’idée de libéralisation, qui signifie ici amélioration des procédés
de réglementation d’exécution et de sanction. On sait que le concept d’amélioration,
récemment importé dans le champ juridique, accolé au substantif droit, renvoie à
l’accessibilité, à la transparence et à l’efficacité du droit. Relativement aux procédés de
police administrative, il signifie tout simplement que ceux-ci prennent mieux en compte
les exigences liées à la garantie des droits et libertés. Ils sont désormais, d’un point de
vue formel, au moins autant au service de la liberté que de l’autorité.

Enfin, l’analyse des procédés ordinaires de police administrative sous le prisme


de la normalisation signifie qu’on le veuille ou non, leur arrimage à un étalon de valeurs

313
majoritairement admises. Autrement dit, cela revient à soutenir que les procédés
ordinaires de police administrative tendent désormais à se conformer à une sorte de
standard international en la matière. L’on sait que tous les Etats libéraux promeuvent, ou
plutôt privilégient la garantie des droits et libertés fondamentaux dans leur ordre
juridique, même lorsqu’il s’agit de maintenir l’ordre public. Les procédés ordinaires de
police administrative doivent ainsi refléter cette place première accordée à la garantie
des droits et libertés. Parler donc de normalisation de ces procédés renvoie à considérer
que ceux-ci sont désormais quasi identiques à ceux des Etats dans lesquels le plus grand
cas est fait de la liberté. Ces procédés s’apparentent donc indubitablement à ceux de
l’Etat de droit, qu’il s’agisse des procédés de réglementation ou d’exécution et de
sanction.

I- LE CARACTERE RELATIVEMENT LIBERAL DES PROCEDES DE


REGLEMENTATION

Par rapport aux procédés de réglementation antérieurement en vigueur, ceux


actuellement mis en avant sont plus libéraux. De manière concrète, si la réglementation
des libertés était antérieurement dominée par la prégnance du régime préventif à travers
entre autres le système de l’autorisation préalable. Désormais, elle semble dominée par
des procédés favorisant un meilleur exercice des libertés. On assiste ainsi, depuis le
début des années 1990, à l’essor de deux procédés antérieurement mis sous l’éteignoir à
savoir le procédé répressif de réglementation des libertés publiques, autrement appelé
régime répressif et le procédé mixte de la déclaration préalable. Les systèmes répressifs
et de la déclaration préalable sont deux systèmes dont la mise en œuvre est l’expression
incontestable d’un véritable libéralisme. Il ne s’agit pas de soutenir ici que ces deux
systèmes étaient inexistants avant la période ici considérée, ce qui serait évidemment
contraire à la réalité. Mais il s’agit plutôt de dire que, même si ces systèmes existaient
antérieurement, il s’agissait d’une existence marginale et résiduelle. Ils n’influaient
nullement sur l’exercice des libertés, noyés qu’ils étaient le premier dans le contexte
exceptionnel de l’Etat d’urgence et le second dans la systématisation du régime
préventif. La suppression et le recul de l’une et l’autre de ces pesanteurs permet donc
non seulement une réhabilitation du régime répressif, mais aussi un véritable boom du
système de la déclaration préalable.

314
A- La réhabilitation du système répressif

Le système répressif de réglementation des libertés existait dans le droit


administratif camerounais bien avant les années 90. On peut même dire qu’il existe dès
la création de l’Etat, en raison de son caractère évident. Mais, malgré cette existence, il
revêtait un caractère non seulement résiduel, mais surtout il n’avait aucun effet positif
sur l’exercice des libertés, en raison de la permanence de l’Etat d’urgence pendant cette
période, et qui rendait exceptionnel l’exercice des libertés. Les besoins de maintien de
l’ordre l’emportaient donc systématiquement sur le prise en compte des libertés à travers
la mise en œuvre de ce système. Ensuite, le système répressif est disqualifié par la
prégnance du système de l’autorisation préalable largement institué et dont l’esprit
autant que la lettre sont contraires à ceux du système répressif. La levée de l’Etat
d’urgence et le recul de l’autorisation préalable permettent donc désormais au régime
répressif de réglementation des libertés de produire ses effets, pour le plus grand bien
des libertés. Il s’agit ici de donner la signification de ce régime, avant de voir
formellement comment il s’insère en tant que régime de droit commun.

1. Signification du régime répressif

Contrairement à ce que son nom indique, le régime répressif est celui qui est le
plus favorable aux libertés. « Il consiste à ériger certains comportements en infraction
et à les assortir de sanctions. En vertu des principes de la légalité des délits et des
peines et de non rétroactivité de la loi pénale, peuvent seuls être punis les
comportements qui, lorsqu’ils ont été commis, étaient déjà érigés en infractions par les
lois en vigueur »978. De sorte que « pour les libertés évoluant sous ce régime, tout ce
qui n’est pas interdit est autorisé »979. Quant à ce qui est des comportements réprimés,
ils ne peuvent l’être que par le juge.

Ce régime apparait comme le plus libéral, car il vise à poser la règle selon
laquelle l’exercice de la liberté est la règle, et la restriction de police l’exception. Avec
ce régime, l’individu, sans aucune formalité préalable particulière, met lui-même
directement en mouvement sa liberté, sauf évidemment à en répondre plus tard devant le
juge répressif. Autrement dit, l’individu exerce sa liberté librement, sans en référer à

978
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit, p. 26.
979
Idem, à la même page.

315
l’administration. Contrairement au régime préventif où la liberté s’exerce sur la base
d’un contrôle exercé en amont, c’est-à-dire avant qu’elle ne soit mobilisée, dans le
régime répressif, le contrôle de la liberté s’exerce an aval, c’est-à-dire après la
mobilisation de la liberté, et ce dernier contrôle n’est qu’éventuel, c’est-à-dire
n’intervient que si l’exercice de la liberté a porté atteinte à l’ordre public, contrairement
à la première hypothèse où le contrôle est systématique.

Dans le régime préventif, le contrôle est exercé prioritairement par


l’administration elle-même, tandis que dans le régime répressif, ce contrôle revient en
priorité au juge, ce qui présente de plus grandes garanties pour la liberté, en raison de
l’application quasi automatique du principe de la légalité des délits et des peines. Ainsi,
le Professeur Jacques ROBERT a raison d’écrire que le régime répressif des libertés
publiques consiste à laisser « le citoyen libre d’agir selon ses propres désirs, quitte à
l’obliger à subir les conséquences de ses actes s’ils s’avèrent contraires au droit »980,
notamment sur le terrain pénal.

On peut donc ainsi voir, dans l’institution d’un régime répressif, la volonté de
privilégier la sanction judiciaire du non respect des actes de police. Autrement dit, c’est
un système de réglementation des libertés qui s’accorde parfaitement et même
principellement avec le principe de l’autorité judiciaire gardienne de la liberté
individuelle. Mais cela n’empêche pas du tout l’intervention, lorsque la loi le prévoit, du
juge administratif. Quoi qu’il en soit, l’intervention a posteriori du juge est ici un
élément qui garantit l’exercice libre des droits et libertés.

Il faut souligner l’idée que dans le régime répressif, « l’individu n’a point à
demander à quiconque l’autorisation d’exercer sa propre liberté ; mais le mauvais
usage qu’il peut en faire l’expose à des sanctions ou à l’obligation de réparer les
dommages causés »981. Ce régime apparait donc comme véritablement libéral « par la
primauté qu’il accorde aux droits individuels »982. Cela dit, le régime répressif présente
des avantages, mais aussi des inconvénients. Selon les professeurs Jacques Robert et
Jean DUFFAR, ce régime présente un double avantage. Premièrement, il favorise
l’information du citoyen. Ainsi, « dès l’instant qu’il est informé de ses droits et de ses

980
J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Paris, Montchrestien, 2009, p.
109.
981
Idem.
982
Ibid.

316
devoirs, l’individu agit à coup sûr : il sait qu’à condition de ne pas commettre un acte
contraire au droit, il est entièrement libre d’exercer ses libertés983 ». Secondement, le
régime répressif fait primer la protection du juge. « Dès lors que le citoyen a accompli
un acte contraire au droit et qu’il est poursuivi, il ne répondra de son acte que devant
une juridiction. Devant elle, il bénéficiera de toutes les garanties qui sont accordées
aux prévenus »984.

Mais le régime répressif, selon ces auteurs, présente également des inconvénients
qui tiennent « à la fois à la multiplication des délits et à l’incertitude des
incriminations ». Car en effet, « comme tout ce qui n’est pas interdit est licite, le
législateur sera inéluctablement amené à multiplier les délits de manière à "canaliser"
les citoyens dans l’exercice de leurs libertés »985. Mais malgré ces inconvénients, le
régime répressif apparait fondamentalement libéral, c’est-à-dire d’abord au service de la
liberté, et donc à l’avantage des citoyens. Encore appelé régime de droit, il est
l’instrument de réglementation des libertés le plus favorable à l’individu, celui qui lui
permet d’exercer au mieux ses droits et libertés. Ce régime est donc au cœur de la
construction d’un Etat de droit, car bien qu’il ait néanmoins quelques inconvénients, les
avantages qu’il offre et qui ont déjà été ici évoqués986 contribuent à ce que le maintien de
l’ordre public n’enfreigne pas l’exercice de leurs libertés pas les individus.

Remis au goût du jour à l’aube des années 1990 à travers un recul net et
incontestable du régime préventif alors prégnant, il contribue incontestablement
aujourd’hui à un déploiement plus libéral de la police administrative, car la
réglementation des libertés que celle-ci postule vise avant tout à garantir le respect des
composantes et des valeurs incarnées par l’ordre public. Le maintien de l’ordre public au
moyen d’une réglementation préventive des libertés publiques est sans commune mesure
avec le maintien de l’ordre public au moyen d’une réglementation répressive des
libertés. Si la première orientation favorise une police administrative autoritaire, la
seconde garantit la mise en place d’une police administrative libérale. L’option pour une
réhabilitation ou plutôt pour une extension du champ du régime répressif apparait donc

983
Ibid.
984
Ibid
985
Ibid
986
Les principaux avantages du système répressif sont l’information du citoyen et la protection par le juge. J.
ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, op cit, à la même page.

317
ainsi comme un outil pour la libéralisation de la fonction de police administrative,
laquelle doit désormais avoir le plus grand respect pour un ensemble de droits et libertés
qui sont au cœur de la construction d’un Etat de droit. Reste à savoir si ce régime peut
être considéré comme le droit commun en ce domaine.

2. Le régime répressif comme régime de droit commun ?

La question de la place de ce régime dans le système juridique camerounais


actuel mérite d’être posée. Car c’est la réponse à celle-ci qui déterminera si oui ou non le
droit de la police administrative est véritablement entré dans une mouvance libérale. Il a
en effet été suffisamment souligné et démontré qu’avant les années 1990, les procédés de
réglementation des libertés étaient étroitement nimbés d’autoritarisme, d’où la prospérité
alors connue par le système de l’autorisation préalable qui gardait la liberté sous une
tutelle permanente. Ce procédé que l’on qualifie encore de procédé de police
correspondait alors à l’état d’urgence permanent qui faisait de la réglementation des
libertés un instrument au service de l’autoritarisme. Schématiquement, la levée de l’état
d’urgence, bref le changement de circonstances, en remettant au goût du jour le système
répressif dans la réglementation des libertés devrait conduire automatiquement à une
libéralisation des règles de police administrative en ce domaine. Une telle issue
consisterait donc à voir ce procédé établi comme procédé de droit commun. Il s’agit là
d’un problème délicat, dont il faut tenter de rechercher la solution.

a. Position du problème

Le régime répressif est-il le régime de droit commun de la réglementation des


libertés publiques dans le droit camerounais actuel ? Le dire reviendrait à soutenir
d’abord que l’ordre juridique tout entier lui accorde la primeur, la plus grande place en
termes non seulement quantitatif, mais surtout qualitatif. Cela reviendrait à soutenir que,
en l’absence de toute précision textuelle s’agissant d’une liberté, s’agissant de savoir à
quel régime elle est soumise, l’on considère qu’elle obéit au régime répressif, c’est-à-
dire que son exercice est permis indépendamment de toutes formalités préalables, quitte
à ce que l’administration ou plutôt le juge intervienne en aval, en cas de violation ou
d’atteinte à une valeur sociale essentielle, notamment celle de l’ordre public. La
dimension quantitative est moins importante ici que celle qualitative, car même si le

318
système juridique réserve le plus grand nombre de libertés à d’autres procédés de
réglementation, le seul fait qu’il érige le procédé répressif, même à quelques libertés
mais essentielles, contribue à faire de ce dernier procédé celui principal, alors que les
autres seront considérés comme exceptionnels. Une telle configuration sera donc à même
de faire du procédé répressif un instrument au service de la libéralisation de la
réglementation des libertés publiques.

Dire que le régime répressif est le régime de droit commun dans la


réglementation des libertés ici reviendrait ensuite à soutenir que même au plan
quantitatif, il garde la faveur du législateur. Cela reviendrait à dire que malgré le fait
qu’il soit consacré comme tel, bien qu’assorties de nombreuses exceptions, ces dernières
ne sont pas suffisamment nombreuses et suffisamment fortes pour inverser l’échelle des
valeurs ici en cause, de telle sorte que l’exception devienne le principe et vice versa.
Pour parvenir à une telle conclusion, il faudrait donc procéder à une analyse quantitative
des libertés consacrées au sein de l’ordre juridique, les classer en fonction du régime de
réglementation auquel elles obéissent, avant de comparer les trois catégories issues du
fastidieux partage pour voir si la catégorie des libertés soumises au régime répressif
l’emporte sur chacune des deux autres, d’un point de vue tout au moins quantitatif. Bien
que cette démarche ne soit pas la plus juridiquement pertinente, en raison non seulement
de son caractère fastidieux et des limites qu’elle présente au plan de l’analyse strictement
juridique de la notion de « droit commun », elle contribue néanmoins à asseoir
quantitativement le procédé répressif comme procédé principal de réglementation des
libertés. Elle constitue une sorte de présomption irréfragable en faveur de l’idée selon
laquelle le procédé répressif est le procédé de droit commun dans la réglementation des
libertés publiques, laquelle contribue à la libéralisation du droit de la police
administrative à travers les procédés ordinaires employés dans le cadre de cette activité.

Dire enfin que le régime répressif est le régime de droit commun dans la
réglementation des libertés au Cameroun reviendrait en dernière analyse à évaluer la
place du principe de la légalité des délits et des peines au sein du système juridique
camerounais actuel, pour voir quel est son degré d’ancrage mais surtout quelle est son
assiette d’application. L’on sait en effet que ce principe est l’une des pierres d’angle du
procédé répressif de réglementation des libertés, car c’est lui qui permet d’ériger certains
comportements en infractions et de laisser donc l’individu libre d’exercer ses libertés

319
sans conditions particulières préalables, quitte à ce qu’il en réponde au regard de ce
principe devant le juge. Sous ce prisme, plus le principe de la légalité des délits et des
peines est présent au sein du système juridique, plus il y a de l’importance, plus l’on est
amené à considérer que le régime répressif qu’il porte a également de l’importance, et
qu’il constitue donc le droit commun dans la réglementation des libertés publiques. La
solution au problème ici posé passe donc nécessairement par une exploration de ces
différentes voies, les unes après les autres.

b. Solution du problème

Elle passe par une analyse successive des trois voies précédemment esquissées.
De cette analyse, il ressort clairement que le procédé répressif est désormais le procédé
de droit commun dans la réglementation des libertés au Cameroun.

Selon la première analyse, qualitative, on peut observer que les libertés les plus
essentielles sont désormais déchargées de toutes formalités préalables à leur exercice.
Elles sont désormais soumises à un régime répressif, c’est-à-dire que leur exercice n’est
soumis à aucune contrainte particulière. Il en est ainsi de la liberté individuelle,
autrement appelée la sûreté individuelle, qui n’est plus soumise à aucune restriction ou
préalable. Bien qu’employée au singulier, l’on sait que la liberté individuelle recouvre
plusieurs composantes à savoir la sûreté, l’inviolabilité du domicile, la liberté d’aller et
venir, la protection de la vie privée. Le respect de la liberté individuelle, parce qu’il
concerne l’homme dans ce qu’il a de plus essentiel, est la marque de tous les Etats
libéraux. Le fait de ne plus là soumettre sous l’angle de la police administrative, ni à une
autorisation préalable, ni à une déclaration préalable, constitue une avancée libérale
incontestable.

Bien plus, le fait de mettre cette liberté essentielle987 à l’abri de toutes les
formalités qui l’encadraient précédemment, érige le procédé répressif de réglementation
auquel elle est soumise en procédé de droit commun. Car qualitativement, le socle de
toutes les libertés et droits fondamentaux se trouvent ici soumis à un régime de droit, qui
permet le plein épanouissement de toutes les prérogatives liées au bonheur que ce soit de
l’homme ou du citoyen. Si la sûreté « est liée fondamentalement à la liberté

987
Condition d’exercice de toutes les autres libertés

320
individuelle »988, et qu’ « elle est la protection contre les arrestations et détentions
arbitraires » et « garantit de ne pas être arrêté et détenu arbitrairement », « la sûreté
est ainsi intrinsèquement la liberté individuelle, et inversement »989. En tant que
synonyme de liberté individuelle donc, « la sûreté est un état dans lequel l’homme est
assuré de la protection et de la possession de soi. Elle est de l’essence de l’homme »990.
En tant que tel, accorder à une telle liberté de s’exercer sans formalité préalable, à
travers le régime répressif, c’est faire de ce dernier le droit commun en cette matière.

Selon la seconde analyse, quantitative, on peut observer que le régime répressif


de réglementation des libertés a gagné beaucoup de terrain à la faveur des réformes
opérées à l’aube des années 90. Tout d’abord, toutes les libertés qui rentrent dans la
constitution de la sûreté individuelle sont soumises au régime répressif. En effet, bien
que le système juridique ne soit pas suffisamment clair sur les composantes de la sûreté
individuelle, on peut y faire figurer, sous l’éclairage du droit comparé991, la liberté
d’aller et venir, le respect de la vie privée, le droit au mariage, le droit à l’inviolabilité du
domicile etc. Sérieusement restreintes dans les décennies précédentes, du fait qu’ils
étaient soumis soit à autorisation, soit à déclaration préalable, ces droits et libertés qui
forment la sûreté individuelle sont désormais soumis à un régime simplement répressif.
Par là, ils élargissent le champ matériel de ce procédé de réglementation tendant à en
faire le procédé principal de réglementation en la matière.

Enfin, le régime répressif apparait aujourd’hui comme le régime de droit commun


dans la réglementation des libertés publiques, en raison de la place plus importante
qu’occupe aujourd’hui le principe de la légalité des délits et des peines au sein du
système juridique. Expression de la maxime latine « nullum crimen, nulla poena, nullum
judicium cine lege », c’est-à-dire ni infraction, ni peine, ni procédure sans loi, ce principe

988
P, DELVOLVE, « Sécurité et sûreté », Rapport présenté le 17 octobre 2011 aux Entretiens de l'Académie
des sciences morales et politiques, in RFDA 2011, p. 1085. Voir dans le même sens : L. FAVOREU et al.,
Droit des libertés fondamentales, Dalloz, 5e éd., 2011, p. 189 s. ; B. MATHIEU et M. VERPEAUX,
Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, LGDJ., 2002, p. 370 ; A. VIALA, « Sûreté », in
Dictionnaire des droits de l'homme, PUF, 2008.
989
P. DELVOLVE, « Sécurité et sûreté », op cit., à la même page.
990
Mais il faut souligner que la protection dont il est ici question se fait vis-à-vis des atteintes de l’Etat vis-à-
vis de la sphère individuelle. C’est dans ce sens que la doctrine considère que la sûreté est l’ « état de l’homme
qui n’est ni arrêté, ni détenu, qui jouit de la possibilité d’aller et venir » (C. A. COLLIARD, cité par
Raymond GASSIN, « La liberté individuelle devant le Code pénal », Paris, Sirey, 1980, p. 1).
991
Dans plusieurs pays européens par exemple, dont la France, s’est développée une conception extensive de la
liberté individuelle qui inclut la sûreté, la liberté d’aller et venir, le droit au respect de la vie privée,
l’inviolabilité du domicile et de la correspondance et la liberté du mariage. Voir dans ce sens : L. FAVOREU
et al., Droit des libertés fondamentales, op cit, 2007, p. 178.

321
s’est vu remis au goût du jour depuis le début des années 1990, et particulièrement à
travers la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996. Car bien que faisant partie du
domaine constitutionnel dès l’indépendance du Cameroun, ce principe avait du mal à
s’imposer en raison de l’incertitude qui planait sur la valeur juridique du préambule de la
constitution, à l’intérieur duquel il était systématiquement consacré. Aujourd’hui, la
valeur constitutionnelle du préambule ayant été clairement consacrée en 1996, la nature
de norme juridique de ce principe est devenue incontestable.

Cette nature de norme juridique, doublée d’un statut constitutionnel, donne au


principe de la légalité criminelle, élément central du régime répressif de réglementation
des libertés une ampleur considérable dans la considération de la règle selon laquelle
l’exercice de la liberté constitue le principe, et la restriction de police l’exception. Car si
désormais le principe de la légalité criminelle, en tant que principe pleinement
constitutionnel conditionne toute poursuite ou détention d’individus, y compris en
matière de police administrative à l’existence préalable d’un texte juridique le prévoyant,
il n’est pas exagéré de conclure que de manière certes indirecte mais certaine, des
éléments du régime répressif s’en trouvent ainsi constitutionnalisées, et partant le
principe selon lequel la liberté constitue le principe et la restriction de police l’exception.
Dans tous les cas, cette consolidation, en termes de rénovation du principe de la légalité
criminelle a le don de faire du régime répressif le régime normal en matière de
réglementation des libertés, le régime principiel. En plus, elle lui assure une forme de
protection constitutionnelle, car si le régime répressif n’est pas formellement investi d’un
tel statut, le principe de la légalité criminelle qui en est l’élément central va s’y appliquer
avec toutes les garanties constitutionnelles qui l’accompagnent, ce qui n’est que
bénéfique à une libéralisation de l’activité de police administrative.

B- La généralisation du procédé de la déclaration préalable

Bien que, à la faveur des réformes libérales opérées dès le début des années 90, le
système juridique camerounais ait donné au régime répressif de réglementation
des libertés un statut de régime de droit commun, cela s’est tout de même accompagné
d’une sorte de généralisation du procédé de la déclaration préalable. Toutefois, cette
généralisation du procédé de la déclaration préalable ne l’analyse point ici comme une
remise en cause du régime répressif, mais plutôt comme un procédé d’accompagnement

322
de celui-ci992. L’observation révèle une consécration assez large de ce procédé depuis la
période ici indiquée. Cela invite à en donner la signification avant d’en indiquer
l’ancrage.

1. Signification du procédé de la déclaration préalable

Entre le système préventif et le système répressif de réglementation des libertés,


s’intercale le système intermédiaire de la déclaration préalable. Ce système apparait
assez original en raison de son caractère en quelque sorte mixte. Il peut en effet
s’apparenter tantôt en une technique préventive, tantôt en une technique répressive. Mais
en réalité, le procédé de la déclaration préalable est une technique répressive, au-delà de
la controverse sus évoquée. En tant que tel, il apparait comme une simple déclaration.
Selon les professeurs J. ROBERT et J. DUFFAR, « l’Administration n’a dans ce cas,
qu’à enregistrer la déclaration qui lui est faite. Elle joue un rôle purement passif. Le
particulier, avant de pouvoir exercer sa liberté, est simplement tenu d’avertir l’autorité
compétente ; celle-ci n’a pas autre chose à faire qu’à enregistrer la déclaration »993.
Ainsi, « l’Administration ne fait que recevoir une information, prendre acte du désir
du particulier d’exercer telle liberté. Elle ne saurait en aucun cas s’arroger le droit
d’exercer un contrôle d’opportunité sur l’exercice de cette liberté. Elle n’est tenue
qu’à délivrer un récépissé attestant qu’elle a bien reçu la déclaration »994. D’après ces
auteurs, le procédé de la déclaration préalable a un but purement informatif. Ceci est
d’ailleurs entériné par la majorité de la doctrine qui considère que le but de la déclaration
préalable est « d’informer l’Administration que l’activité privée concernée va
s’exercer, afin de lui permettre de réprimer les infractions éventuelles que cette
activité pourrait faire apparaitre et d’exercer une surveillance à cet effet »995. Philippe
LIGNEAU affirme dans ce sens que « la logique de la déclaration est celle d’une
information utile. Entendons par là une information exploitable, susceptible de

992
Car en raison de son caractère ambivalent, c’est-à-dire pouvant tantôt se muer en une technique répressive,
tantôt en une technique préventive, la déclaration préalable, en fonction des spécifications dont elle est assortie
et surtout de l’application à laquelle elle donne lieu de la part de l’administration, peut emprunter l’une de ces
deux voies. C. A. COLLIARD (C. A. COLLIARD, Libertés publiques, Paris Dalloz, 1972, p. 110, cité par C.
KEUTCHA TCHAPNGA, Le régime juridique des associations en droit public camerounais, op cit, p. 37)
écrit ainsi que la déclaration préalable « est située à la charnière du régime répressif et du régime préventif ».
Mais ici, elle apparait plus comme une mesure d’accompagnement du régime répressif, auquel elle permet dans
la plupart des cas de se déployer dans un sens favorable à l’exercice des libertés.
993
J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, op cit, p. 111.
994
Idem, à la même page.
995
A. DE LAUBADERE, Traité de droit administratif, tome 3, volume 1, 2ème éd., 1971, n° 72.

323
faciliter l’exercice du contrôle par l’autorité publique »996. Or, ce contrôle ne peut
intervenir qu’a posteriori, c’est-à-dire en aval, après que la liberté se soit exercée, ou à la
rigueur pendant cet exercice. S’il a été soutenu que « la déclaration préalable est un
moyen d’information et une source de l’action de la puissance publique »997, cette
action ne saurait en aucun cas être celle d’un contrôle a priori de la liberté à exercer. La
déclaration constitue une forme d’avertissement vis-à-vis de l’administration, qu’une
liberté va être exercée, et « cet avertissement n’appelle pas une autorisation de la part
de l’administration … Une fois la déclaration accomplie, la liberté peut être exercée,
celle-ci demeure donc la règle »998. Il faut considérer que « la formalité de la
déclaration ne constitue pas, à proprement parler, une mesure de contrôle dans la
mesure où l’autorité publique ne dispose que d’un pouvoir lié et ne peut en aucun cas
s’opposer au dépôt de la déclaration, dès lors que toutes les mentions prévues y
figurent et qu’elle déposée à l’Administration compétente »999. Le procédé de la
déclaration préalable, à défaut de revêtir une telle autonomie, se rattache donc
indubitablement au système répressif de réglementation des libertés, dont on a déjà
souligné le caractère libéral. Ce procédé n’est pas sans avantage. « En général exigée
pour l’exercice d’activités que l’administration veut surveiller d’assez loin »1000, la
déclaration préalable est « le procédé qui comporte la moins d’intrusion de
l’administration dans l’activité concernée1001. Elle est « une police du moindre mal,
une police destinée à éviter d’autres contrôles plus lourds »1002.

Ceci dit, une controverse peut naître, et elle est même née, notamment dans la
jurisprudence française, sur la signification à donner à la formalité consistant à délivrer
un récépissé au déclarant, lorsqu’il saisit l’administration préalablement à l’exercice de
sa liberté. Que faut-il en entendre ? S’agit-il d’un moyen pour l’administré de contrôler
la liberté en question, et éventuellement de l’interdire ? Autrement dit, « on s’est
demandé si l’autorité administrative se trouvait dans une situation de compétence liée,
lui faisant obligation de délivrer le récépissé ou si, au contraire, par le refus de le

996
Ph. LIGNEAU, « Le procédé de la déclaration préalable », RDP 1976, p. 699.
997
P. M. MARTIN, « La déclaration préalable à l’exercice des libertés publiques », in AJDA, 1975, p. 436.
998
C.- E. MINET, Droit de la police administrative, op cit, p. 27.
999
J. M. GARRIGOU-LAGRANGE, Recherches sur les rapports des associations avec les pouvoirs publics,
Paris, LGDJ, 1970, p. 301.
1000
P. LIVET, L’autorisation administrative préalable et les libertés publiques, op cit, p. 23.
1001
A. DE LAUBADERE, Traité de droit administratif, op cit, n° 71.
1002
Ph. LIGNEAU, « Le procédé de la déclaration préalable », op cit, p. 682.

324
délivrer, l’administration ne détenait pas en fait le moyen de priver préventivement le
particulier de l’exercice de sa liberté »1003, et donc d’un véritable pouvoir
discrétionnaire en la matière.

A la lumière des développements précédents et de la position finalement adoptée


par la jurisprudence française, il faut bien affirmer que l’administration détient en la
matière une compétence liée. Dans la logique inhérente au procédé de la déclaration
préalable, l’Administration est tenue de délivrer le récépissé sans aucune autre forme
d’appréciation d’opportunité de l’exercice de la liberté. Soutenir le contraire serait
transformer le régime de la déclaration en un régime préventif, caractère qui ne
correspondrait pas à son esprit. Car comme l’écrit justement P. BRAUD, « toute
déclaration ou déposition de dossier qui s’accompagne d’un octroi discrétionnaire de
récépissé ou d’un délai pendant lequel l’administration exerce une compétence
également discrétionnaire équivaut à une demande d’autorisation »1004, et donc à
l’application d’un système préventif, autrement dit à une négation de la liberté. A ce
moment, « la déclaration n’est plus au service d’un régime de liberté : elle est utilisée
simplement comme une sonnette d’alarme pour permettre à l’autorité administrative
de faire prévaloir la politique générale à suivre, toutes les fois que l’initiative du
déclarant risque d’en gêner l’application1005. Une telle issue est incontestablement
contraire au principe même du procédé ici analysé. Dans la pureté des concepts, et en
lien avec le régime manifestement libéral auquel il se rattache, « la technique
déclaratoire permet de mettre en place les dispositions de surveillance nécessaires
pour obtenir la réalisation d’un plan, l’application d’un programme, le développement
d’une action cohérente, en gardant le moyen de déclencher des procédures plus
contraignantes si l’équilibre économique et social est menacé »1006. Mieux,
l’information de l’administration lui sert à prendre toutes les dispositions nécessaires
pour que la liberté s’exerce sans encombre, et non pour la contrecarrer. Il appartient alors
au juge de veiller à ce que le procédé de la déclaration préalable ne soit détourné au
service d’un régime préventif, tant de la part de l’administration qui ne doit refuser de
délivrer le récépissé lorsque la déclaration est faite en bonne et due forme, que de la part

1003
J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, op cit, à la même page.
1004
P. BRAUD, La notion de liberté publique en droit français, op cit, p. 111.
1005
Ph. LIGNEAU, « Le procédé de la déclaration préalable », op cit, p. 731.
1006
Idem, p. 694.

325
du législateur lorsque la liberté en cause est une liberté fondamentale, et donc ne doit en
aucun cas être soumise à autorisation.

2. Ancrage du procédé de la déclaration préalable

Bien que pouvant être mis au service soit d’un régime préventif, soit d’un régime
répressif de réglementation des libertés, le procédé de la déclaration préalable doit être
considéré ici comme un instrument du régime répressif de réglementation des libertés. A
la rigueur, pourrait-il apparaître comme un procédé hybride ou alors autonome, mais
dans tous les cas, il doit être considéré ici comme un instrument de libéralisation de la
réglementation des libertés. Libéralisation tant au regard du droit antérieur basé sur le
régime de l’autorisation qu’au regard de la place essentielle qu’il occupe actuellement
dans le droit de la police administrative. Chacun peut en effet observer le domaine très
large qu’il occupe, le nombre très grand de libertés qu’il régit. Au plan quantitatif donc,
le procédé de la déclaration préalable semble être celui qui ravi le plus la faveur des
jurislateurs camerounais, par le grand nombre de libertés qui constituent son assiette.
Cependant, c’est au plan qualitatif que le procédé de la déclaration préalable va révéler
tout son potentiel libéral. Car le fait d’y soumettre des libertés qui se singularisent par
leur caractère fondamental signifie que le législateur ou même le constituant a voulu les
soustraire de l’arbitraire tant du législateur lui-même que de l’administration.

S’agissant du législateur tout d’abord, il est chargé de réglementer les libertés en


tenant compte de leur statut constitutionnel, qui en fait des libertés fondamentales ou des
droits fondamentaux, c’est-à-dire « ceux qui font l’objet d’un mécanisme de garanties
spéciales par rapport aux autres droits »1007, en tenant compte du fait qu’ « ils sont
inscrits dans les normes du plus haut degré d’un système juridique » 1008. Ce statut fait
donc que ces droits et libertés ne peuvent plus être réglementés dans un sens qui les
renierait, sous peine d’inconstitutionnalité. Si donc le législateur les a soumis à un
régime de déclaration préalable plutôt qu’à un régime répressif pur et simple. Cela ne

1007
V. CHAMPEIL-DESPLATS, « La notion de droit « fondamental » et le droit constitutionnel français »,
Recueil Dalloz 1995 p. 323 et s.
1008
Idem, à la même page. Si cette conception des droits fondamentaux est largement diffusée en doctrine (voir
par exemple : B. GENEVOIS, « Normes de valeur constitutionnelle et degré de protection des droits
fondamentaux », RFDA, 1990.317 ; H. ROUSSILLON, Le Conseil constitutionnel, Dalloz, 1994, p. 44), elle
est néanmoins critiquée par l’auteur qui considère que l’adjectif « fondamental » est surtout apparu dans la
jurisprudence du Conseil constitutionnel français, pour justifier les décisions dans lesquelles il est employé et
pour renforcer la légitimité et le pouvoir de cette institution.

326
peut être interprété que comme la possibilité donnée à l’administration, une fois la
déclaration reçue, de prendre toutes les mesures nécessaires à un exercice sans heurts de
telles libertés.

S’agissant de cette Administration ensuite, en raison de sa position située au bas


de la hiérarchie des pouvoirs publics, son action en ce domaine ne peut apparaître que
comme liée tant par les garanties constitutionnelles accordées à de telles libertés que par
celles législatives. Elle ne peut donc inscrire son action que dans les voies à la fois
constitutionnelles et législatives précédemment tracées. C’est pourquoi l’application par
elle de la déclaration préalable ne saurait en aucun cas déboucher sur une transformation
de ce procédé en régime préventif. Si cela arrivait, ce ne serait autre chose qu’une
inconstitutionnalité et une illégalité que les juges compétents ne manqueront pas de
sanctionner dès qu’ils seront sortis de l’inertie dans laquelle ils sont actuellement
englués. Tel est donc le sens dans lequel il faut interpréter l’instauration large du procédé
de la déclaration préalable au Cameroun depuis le début des années 1990. Sont ici
concernés : les réunions et manifestations publiques, les associations, les partis
politiques, la presse écrite, etc1009.

Le régime des réunions et manifestations publiques est fixé par la loi n°90/055 du
19 décembre 1990. Ce texte fait une réglementation séparée des réunions 1010 et des
manifestations publiques1011.

S’agissant tout d’abord des réunions publiques, elles ne posent pas de problèmes
majeurs. En dehors des réunions sur la voie publique qui doivent faire l’objet d’une
autorisation spéciale, toutes les autres réunions sont soumises à une simple déclaration
préalablement à leur tenue. Les districts ayant disparu de l’organisation administrative
camerounaise, cette déclaration se fait auprès du sous-préfet sur le territoire duquel la
réunion est prévue trois jours francs au moins avant sa tenue. Le texte précise que
« l’autorité qui reçoit la déclaration délivre immédiatement le récépissé »1012. En ce
domaine, l’autorité administrative a une compétence liée. Elle délivre le récépissé

1009
Mais ne seront ici évoqués que les domaines qui importent le plus à la fonction de police administrative à
savoir les réunions et manifestations publiques, la création des associations, ainsi que la presse écrite.
1010
Articles 2 à 5.
1011
Articles 6 à 8.
1012
Article 4 (3).

327
immédiatement. Cette délivrance ne saurait donc ici en aucun cas donner lieu à contrôle.
La liberté demeure donc en ce domaine le principe.

S’agissant ensuite des manifestations publiques, le procédé de la déclaration


préalable apparait nuancé, au point de jeter un voile d’ombre sur la place de la liberté ici
en cause. En effet, le législateur, après avoir soumis à déclaration préalable « tous les
cortèges, défilés, marches et rassemblements de personnes et, d’une manière générale
toutes les manifestations sur la voie publique »1013, et exempté de cette formalité « les
sorties sur la voie publique conformes aux traditions et usages locaux ou
religieux »1014, après avoir précisé que la déclaration doit se faire sept jours francs au
moins avant la date de ladite manifestation, et que « le sous-préfet qui reçoit la
déclaration en délivre immédiatement récépissé »1015, ajoute à l’alinéa 2 de l’article 8
une disposition qui apparemment remet tout en cause, ou en tout cas apparait comme
incontestablement rédhibitoire par rapport à celles précédemment évoquées : « toutefois,
s’il estime que la manifestation projetée est de nature à troubler gravement l’ordre
public, il peut, le cas échéant, lui assigner un autre lieu ou un autre itinéraire ;
interdire par arrêté qu’il notifie immédiatement au signataire de la déclaration au
domicile élu ». Cette disposition semble donner un véritable pouvoir discrétionnaire à
l’administration à propos de la délivrance du récépissé, celle-ci devant en quelque sorte
apprécier la nature de la manifestation pour voir si elle pourrait porter gravement à
l’ordre public. Une telle appréciation ne pourrait qu’être subjective et nuisible à la liberté
en cause, car soumise à l’idéologie du pouvoir politique dont l’administration n’est que
le bras séculier. Mais à vrai dire, il importe d’avoir une lecture plus optimiste de cet
article 8 alinéa 2, à la lumière notamment des garanties constitutionnelles.

Tout d’abord l’emploi de l’adverbe « toutefois » indique que l’hypothèse ici


envisagée n’est pas le principe, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas être systématiquement
mobilisée. Elle est donc exceptionnelle, ce qui permet de dire que même dans le domaine
des manifestations publiques, la liberté demeure le principe.

Ensuite, seuls les troubles graves à l’ordre public peuvent y donner lieu. Bien que
l’appréciation de la gravité soit laissée à l’autorité administrative, il faut dire que cette

1013
Article 6 (1).
1014
Article 6 (2).
1015
Article 8 (1).

328
hypothèse devrait en principe être rarement constituée, même en raison du caractère
aléatoire du seuil de gravité.

Enfin, comme déjà mentionné, l’interprétation de l’article 8 alinéa 2 doit se faire


à la lumière des textes supérieurs. Car en donnant un statut constitutionnel à la liberté
d’expression dont celles de réunion et de manifestation sont les matérialisations, en
précisant que ces libertés sont garanties dans les conditions fixées par la loi, le
constituant n’a jamais voulu soumettre celles-ci au bon vouloir de l’Administration. Sur
le plan du principe donc, ces dispositions devraient être appliquées uniquement à des
occasions exceptionnelles, notamment lorsque l’ordre public est véritablement de nature
à être troublé gravement.

Au total, si on peut observer ici tout de même une possibilité de transformation


du procédé de la déclaration préalable en une technique préventive de réglementation des
libertés, il appartient au juge de veiller à rétablir l’esprit des textes. Et même si
l’observation de la pratique révèle un usage régulier et abusif de cette disposition de la
part des sous-préfets, il s’agit d’une application qui est contraire à l’esprit général du
droit positif et qui devrait, dans un fonctionnement normal des organes juridictionnels,
donner lieu à des sanctions régulières de la part des différents juges compétents.

Quoi qu’il en soit, cela n’enlève rien au caractère libéral de ce procédé,


libéralisme qui s’exprime dans tous les autres domaines qu’il régit. Elle reste donc une
déclaration simple, c’est-à-dire celle qui n’est assortie d’aucun pouvoir d’appréciation de
la part de l’autorité administrative, surtout que le récépissé est délivré immédiatement.

Concernant les autres domaines soumis au procédé de la déclaration préalable, il


faut dire qu’en matière de presse écrite, il n’y a pas de problème particulier. Après avoir
posé que la publication des organes de presse est libre et soumis celle-ci à une simple
déclaration, la loi n°90/052 du 19 décembre 1999 dispose que « la déclaration est faite
par écrit sur papier timbré au tarif en vigueur. Elle est signée du directeur de
publication. Un récépissé de dépôt de déclaration est remis par le préfet »1016. La
doctrine souligne avec raison que cette disposition signifie que « le préfet a l’obligation
de délivrer le récépissé, quelle que irrégulière que lui paraisse l’attribution »1017. Ici,

1016
Article 7 (3).
1017
C. KEUTCHA TCHAPNGA, Le régime juridique des associations en droit public camerounais, Paris,
L’Harmattan, 2013, p. 41.

329
la déclaration préalable s’analyse en une « déclaration – enregistrement ». La liberté
demeure donc le principe.

Mais la situation est nuancée s’agissant de la procédure de reconnaissance des


associations soumises au régime de la déclaration. En effet, aux termes de la loi n°
90/053 du 19 décembre 1990, après dépôt de la déclaration par les fondateurs d’une
association et délivrance d’un récépissé par l’administration « le silence du préfet gardé
pendant deux mois après le dépôt du dossier de déclaration vaut acceptation et
emporte acquisition de la personnalité juridique »1018. La personnalité juridique étant
l’élément qui donne véritablement vie à l’association, on peut donc dire que celle-ci
n’existe qu’en cas d’acceptation implicite de l’administration. Car si on peut s’interroger
sur la signification du délai de deux mois prévu ici par la loi, il faut reconnaître que ce
délai transforme le procédé de la déclaration en un procédé de déclaration assortie d’un
pouvoir d’appréciation de l’administration. Matériellement même, il s’agit d’un procédé
d’autorisation déguisé, car comme l’écrit si pertinemment P. BRAUD, « toute
déclaration ou disposition de dossier qui s’accompagne d’un octroi discrétionnaire de
récépissé ou d’un délai pendant lequel l’administration exerce une compétence
également discrétionnaire équivaut à une demande d’autorisation »1019. Mais il faut
dire que dans le contexte camerounais, ce procédé constitue une avancée libérale, par
rapport au régime de l’autorisation explicite antérieurement en vigueur. Le Doyen
KAMTO a donc raison d’écrire que « cette règle nouvelle, qui accuse l’option libérale
des pouvoirs publics camerounais, vise manifestement à contourner les blocages
administratifs, souvent motivés par des considérations politiques inavouées »1020. Aussi
faut-il saluer l’avancée libérale ainsi réalisée, surtout qu’elle s’appuie également sur une
amélioration des procédés d’exécution et de sanction.

II- LE CARACTERE RELATIVEMENT LIBERAL DES PROCEDES


D’EXECUTION ET DE SANCTION

Le renouveau formel qui a affecté les procédés ordinaires de police administrative


n’a pas concerné que les procédés de réglementation. Il a également affecté les procédés

1018
Article 7 (3).
1019
P. BRAUD, La notion de liberté publique en droit français, op cit, p. 111.
1020
M. KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », op cit, p.
224.

330
d’exécution et de sanction. Il a été exposé précédemment que ces derniers, jusque dans
les années 1980, étaient entièrement orientés vers la préservation des intérêts de la
puissance publique, à travers la primeur qui était accordée aux exigences de maintien de
l’ordre public. Les changements opérés dans l’ensemble du droit public en général et
dans le droit de la police administrative en particulier permettent aujourd’hui, avec le
recul, de constater que même dans l’exécution et la sanction des mesures de police
administrative, des évolutions ont été initiées et des avancées obtenues. Bien que ces
dernières soient pour l’essentiel de nature formelle, elles n’affectent pas moins de
manière sensiblement positive l’activité de police administrative. Celle-ci, sous cet angle
spécifique, apparait incontestablement sous un jour nouveau1021. Pour bien mettre en
exergue ce que nous qualifions ici de libéralisation, il importe de présenter distinctement
les procédés d’exécution et de sanction. Il apparaitra alors comme une sorte de
modulation des premières et de rationalisation des secondes.

A. La modulation des procédés d’exécution

Il s’agit ici d’une modulation en termes d’adaptation. En effet, depuis


l’avènement de la période ici considérée, l’on peut observer une adaptation progressive
de certains instruments administratifs à la nouvelle donne impulsée par le mouvement de
libéralisation. Aussi, des procédés qui existaient antérieurement, même s’ils sont
reconduits dans le nouvel ordre juridique, ne le sont pas sans une remise en question de
ceux-ci, afin qu’ils épousent le nouvel esprit du droit, qu’ils s’adaptent à la nouvelle
donne1022. Tel est le cas des procédés d’exécution des mesures de police administrative.

1021
L’exposition de ces avancées pourrait laisser croire, à la lumière du droit comparé, que celui camerounais
reste tout de même en retrait au plan de la prise en compte de la garantie des droits et libertés. Mais, à la vérité,
pour mieux évaluer l’avancée libérale, il faut ici se cantonner à une analyse purement interne, c’est-à-dire de
droit exclusivement camerounais. On constate alors que par rapport à l’état du droit antérieur, celui
actuellement mis en vigueur est assurément plus enclin à prendre en compte les droits et libertés des citoyens.
Autrement dit, si l’analyse externe du droit ici concerné peut ne pas révéler des éléments de libéralisation, une
analyse interne permet d’en ressortir quelques traits significatifs, révélateurs des avancées obtenues.
1022
En effet, d’un point de vue purement théorique la reconduction de techniques juridiques précédemment
révélatrices d’autoritarisme dans le domaine administratif dans le nouvel environnement juridique n’est pas
toujours le signe de la survivance, d’un relent d’autoritarisme. Il faut alors distinguer ici les mots des choses
qu’ils désignent. On a peut-être gardé les mots (à savoir en l’occurrence privilège du préalable et privilège de
l’exécution d’office ou forcée) mais les choses qu’ils désignent, les réalités auxquelles ils donnent lieu peuvent
être sensiblement différents. Plus profondément, les changements apportés dans l’esprit du droit permettent que
des institutions juridiques antérieurement autoritaires épousent le nouvel esprit pour devenir des instruments
sinon de relativisation de l’autoritarisme, du moins de construction d’une véritable libéralisation.

331
L’on sait que, comme précédemment exposé, cette exécution se fait à travers la
mise en œuvre de deux privilèges à savoir : le privilège du préalable et le privilège de
l’exécution d’office ou de l’exécution forcée. Ces deux privilèges, exacerbés jusqu’à la
fin des années 1980, connaissent depuis le début des années 1990, ne serait-ce qu’au
plan formel, une incontestable remise en cause, au regard de la place plus grande
désormais accordée à la prise en compte des droits et libertés dans la conduite de la
fonction administrative en général, et particulièrement la fonction de police
administrative. Aussi, l’analyse révèle-t-elle de part et d’autre des avancées : on note
alors une diminution du privilège du préalable, de même qu’une certaine réduction du
privilège de l’exécution forcée.

1. La diminution du privilège du préalable

Autrefois quasi absolu en matière de police administrative, le privilège du


préalable est aujourd’hui contrebalancé par un ensemble d’instruments qui contribuent
incontestablement à la diminution de sa toute puissance. Intimement accolé à l’acte
administratif unilatéral, considéré comme « le condensé de la puissance juridique de
l’administration et l’expression de sa supériorité intrinsèque »1023, le privilège du
préalable, qui dispense l’administration de s’adresser au juge pour obtenir des
administrés qu’ils obéissent à ses prescriptions, apparait lui-même comme la pierre
angulaire du privilège d’unilatéralité1024. S’il est un lieu commun de dire que le terrain
privilégié de l’action unilatérale de l’administration est la police administrative, il est par
contre novateur de souligner que depuis le vent de libéralisation qui souffle sur le droit
administratif camerounais à partir des années 1990, ce privilège de l’unilatéralité connait
une diminution significative, à travers le développement de plusieurs techniques jusque-
là quasi inexistantes en ce domaine, à savoir des techniques de démocratie administrative
telles l’information, la consultation et même la concertation. Dans le même sens, on voit

1023
J. CHEVALIER, « Le droit administratif, droit de privilège ? », in Pouvoirs, N°46, 1988, p. 60.
1024
« L’unilatéralité n’acquiert toute sa portée que lorsqu’elle prend la forme de la décision exécutoire,
s’imposant aux administrés avec force obligatoire : le « privilège de décision exécutoire » se traduit à la fois
par le fait que l’administration a la faculté d’édicter des obligations, de conférer des droits, de forger des
interdits de sa propre initiative et indépendamment du consentement des intéressés (pouvoir de décision
unilatérale) et qu’elle est dispensée de l’adresser au juge pour obtenir des administrés qu’ils obéissent à ses
prescriptions (privilège du préalable) ». J. CHEVALIER, idem, à la même page.

332
se développer des instruments de contractualisation de l’action administrative qui
n’indiffèrent pas au domaine de la police administrative1025.

Sur le premier aspect, relatif à la démocratie administrative, il faut dire que celle-
ci s’analyse en une transparence administrative1026. Tout d’abord, s’agissant de
l’information des destinataires des mesures de police administrative, il faut dire qu’au
Cameroun, depuis la période ici indiquée, « l’ordre juridique fait aujourd’hui une large
place, (…), à l’obligation de motiver les décisions administratives »1027. Bien que cette
obligation ne soit pas générale à l’ensemble des décisions administratives, elle concerne
néanmoins en certains de ses points l’activité de police. A titre illustratif, l’autorité
administrative est désormais tenue de motiver les décisions portant rejet des demandes
d’agrément à l’exercice de certaines professions libérales1028.

De plus, s’impose de plus en plus ici une obligation d’information de


l’administration vis-à-vis des administrés. Si cette obligation d’information porte ici sur
des mesures individuelles, il faut souligner que dans d’autres domaines, est institué un
véritable principe général de participation du citoyen dans l’exercice de la fonction de
police administrative. Tel est par exemple le cas en matière de police de
l’environnement, où il est prévu par la loi que « chaque citoyen doit avoir accès aux
informations relatives à l’environnement, y compris celles relatives aux nuisances et
activités dangereuses »1029.

1025
Pour une vue générale de ce phénomène au sein de l’administration camerounaise, lire C. KEUTCHA
TCHAPNGA, « Les mutations récentes du droit administratif camerounais », précité, p.
1026
Sur la question : La transparence de la vie juridique et administrative, Progrès et limites, Rapport 1995 du
Conseil d’Etat, EDCE, 1996, n°47, p.13 ; R. LETTERON, « le modèle français de transparence administrative
à l’épreuve du droit communautaire », in RFDA, 1995, p. 183. La transparence administrative peut être définie
comme « l’ensemble des procédés juridiques visant à permettre aux administrés de pénétrer dans le système
administratif et ainsi de faire échec au droit (et le plus souvent à l’obligation) de l’administration au
secret ». Cf. Y. JEGOUZO, « Le droit à la transparence administrative », EDCE, 1991, n°43, p.199. Lire aussi
B. DELAUNEY, L’amélioration des rapports entre l’administration et les administrés, Paris, LGDJ, BDP,
T.172, 1993, 1003 p.
1027
C. KEUTCHATCHAPNGA, « L’obligation de motiver certaines décisions administratives au Cameroun »,
in Juridis Périodique, N°31, Juil-Août-Sept 1997, p. 60 – 61.
1028
Tel est par exemple le cas pour l’exercice de la profession de vétérinaire (art 11 (4)) de la loi n°90/033 du
19 décembre 1990 ; pour la profession de chirurgien-dentiste, article 7 (5) de la loi n°90/34 du 19 décembre
1990 ; pour la profession d’architecte, article 8 (5) de la loi n°90/041 du 19 décembre 1990.
1029
Article 9 c) de la loi n°96/12 du 05 Août 1996 portant loi cadre relative à la gestion de l’environnement.
Dans le même sens, l’article 72 de ce texte encourage la participation des populations à la gestion de
l’environnement à travers, entre autres, « le libre accès à l’information environnementale, sous réserve des
impératifs de la défense nationale et de la sécurité de l’Etat », « la production de l’information
environnementale » et « la sensibilisation, la formation, la recherche, l’éducation environnementale ».

333
Ensuite, pour ce qui est de la consultation, si elle tendait auparavant à se limiter
au droit disciplinaire de la fonction publique ou au droit foncier par exemple 1030, elle
apparait aujourd’hui étendue, au point de toucher au domaine de la police administrative.
C’est ainsi par exemple qu’en matière de police des aérodromes, ont été mis en place des
« mécanismes consultatifs permettant de recueillir l’opinion et l’apport des
populations »1031 riveraines des aérodromes, pour tout ce qui concerne la gestion de
ceux-ci du point de vue environnemental.

Enfin, pour ce qui est de la concertation dans le domaine de la police


administrative, elle connait également une percée non négligeable. C’est ainsi par
exemple que, dans le domaine de l’électricité, l’élaboration des standards et normes, y
compris de police, se fait « de concert avec les professionnels de l’électricité »1032, avant
homologation par l’autorité compétente, c’est-à-dire ici la « personne morale de droit
public habilitée à conclure, signer ou délivrer les instruments juridiques nécessaires à
la réalisation des activités visées par la (…) loi »1033, et qui est donc responsable de la
police dans ce secteur1034. De même, dans les polices relatives aux forêts, à la faune et à
la pêche, la loi, après avoir posé que l’atteinte des objectifs généraux de la politique y
relative se fait « dans le cadre d’une gestion intégrée »1035, dont on peut comprendre
qu’elle se fait de concert avec les citoyens intéressés, pose en son article 8 (2) que les
ministres en charge de ces secteurs, et donc autorités de polices administratives
spéciales, « peuvent, pour cause d’utilité publique et en concertation avec les
populations concernées suspendre temporairement à titre définitif l’exercice du droit
d’usage lorsque la nécessité l’impose »1036. Bien que la loi précise qu’une telle

1030
A. R. ATEBA EYONG, Thèse, op cit, p. 266.
1031
Art. 116 de la loi n°98/023 du 24 décembre 1998 portant régime de l’aviation civile.
1032
Art. 3 (1) du décret n°99/125 du 15 juin 1995 sur l’ARSEL (Agence de Régulation du Secteur de
l’Electricité).
1033
Art. 5 de la loi régissant le secteur de l’électricité au Cameroun.
1034
Il s’agit en l’occurrence du Ministre de l’Energie et de l’Eau.
1035
Article 1er de la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche.
1036
La nécessité dont il s’agit ici peut être une nécessité d’ordre public et donc concerner la police
administrative. On constate bien ici que l’éventuelle mesure de police sera prise de concert avec les
populations. D’une manière générale, on voit émerger et se consolider des principes juridiques atténuant le
principe de l’unilatéralité au sein de l’administration, avec un relief particulier dans le domaine de la police
administrative. Amorcé au début des années 1990, ce mouvement connait une certaine consolidation en 1996
avec l’adoption de la loi n°96/12 du 5 Août 1996 portant loi-cadre relative à la gestion de l’environnement. A
la lumière de cette loi, on voit se systématiser des mécanismes tendant à réduire sensiblement l’unilatéralité et
donc le privilège du préalable dans les polices de l’environnement. Ainsi selon l’article 9 (e) de cette loi, « les
décisions concernant l’environnement doivent être prises après concertation avec les secteurs d’activités ou
les groupes concernés, ou après débat public lorsqu’elles ont une partie générale ». De même, selon l’article

334
suspension obéit aux règles générales d’une expropriation pour cause d’utilité publique,
il n’est pas exclu qu’elle soit prise pour un but de police administrative, à l’instar par
exemple de la conservation du patrimoine forestier, faunique ou halieutique. Cela dit,
que ce soit l’information, la consultation ou la participation des citoyens qui est prévue
dans le processus de la décision administrative, elles contribuent toutes à atténuer la
rigueur du privilège du préalable, en ce sens que les destinataires de la décision auront,
d’une manière ou d’une autre, été impliqués dans la prise de la décision.

Sur le second aspect, relatif à la contractualisation dans le domaine de la police


administrative, une évolution est également notable. En matière d’hygiène et de salubrité
par exemple, l’hypothèse de la conclusion d’un contrat est désormais possible en ce qui
concerne l’assainissement de l’eau en milieu urbain et périurbain1037. De même, en
matière de police de conservation du patrimoine forestier, la possibilité d’une convention
d’exploitation étant désormais consacrée, il n’est pas du tout exclu que les pouvoirs de
police y relatifs soient également transférés à la personne contractante, surtout s’il s’agit
d’une personne publique, puisque, désormais, « les collectivités territoriales peuvent, en
tant que de besoin, s’associer sous forme contractuelle pour la réalisation d’objectifs
ou de projets d’utilité publique : - avec l’Etat ; - avec une ou plusieurs personne(s)
morale(s) de droit public créée(s) sous l’autorité ou moyennant la participation de
l’Etat »1038. Une telle évolution dans les moyens d’intervention de la police
administrative contribue assurément à une diminution de l’impact du privilège du
préalable, jadis omnipotent.

Cela dit, d’un point de vue général, l’instrument le plus notable de diminution de
l’impact du privilège du préalable est à n’en point douter, la levée de l’interdiction du

72 de ce même texte, « la participation des populations à la gestion de l’environnement doit être encouragée,
notamment à travers : - le libre accès à l’information environnementale sous réserve des impératifs de la
défense nationale et de la sécurité de l’Etat ; - des mécanismes consultatifs permettant de recueillir
l’opinion et l’apport des populations ; - la représentation des populations au sein des organes consultatifs en
matière d’environnement ; - la production de l’information environnementale ; - la sensibilisation, la
formation, la recherche, l’éducation environnementale ». Dans le même ordre d’idées, l’article 74 dispose
que « afin de renforcer la prise de conscience environnementale dans la société, ainsi que la sensibilisation
et la participation des populations aux questions environnementales, les Administrations chargées de
l’environnement, de la Communication et des autres Administrations et organismes publics concernés
organisent des campagnes d’information et de sensibilisation à travers les médias et tous autres moyens de
communication ». « A cet égard, ils mettent à contribution les moyens traditionnels de communication ainsi
que les autorités et les associations œuvrant dans le domaine de l’environnement et du développement ».
1037
Voir le décret n°2005/493 du 31 décembre 2005 sur les modalités de délégation des services publics de
l’eau.
1038
Article 18 de la loi n°2004/17 du 22 juillet 2004, portant loi d’orientation de la décentralisation.

335
référé administratif en matière de décision de police administrative. En effet, la réforme
du contentieux administratif entamée en 1996 et poursuivie en 2006, a permis de lever
définitivement cette hypothèque qui pesait jusqu’alors sur les droits des destinataires des
mesures de police administrative. Ainsi, autant ce procédé a contribué à exacerber par le
passé le privilège du préalable, autant sa suppression en 2006 a permis d’en réduire
sensiblement la puissance. Si le privilège du préalable revient à « faire bénéficier les
actes administratifs d’une "présomption de légalité", puisqu’ils se trouvent intégrés de
plein droit à l’ordonnancement juridique, sans examen préalable de leur
régularité »1039, le référé administratif permet au juge « de prendre des mesures
d’instruction ou des mesures conservatoires qui mettent les intérêts des parties à l’abri
du temps »1040. Il « permet au justiciable dont les droits se trouvent subitement
menacés d’en faire sauvegarder provisoirement l’intégralité par le juge en attendant
que celui-ci fasse définitivement droit de ses prétentions »1041.

Précédemment interdit lorsque l’ordre public, la sécurité et la tranquillité


publiques étaient en cause1042, le référé administratif en matière de police est
expressément prévu par la réforme de 2006. En effet, l’article 27 de la loi n°2006/022 du
23 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratif
dispose que « dans les cas d’urgence, le président du tribunal ou le magistrat qu’il
délègue peut, sur requête et si le demandeur justifie de l’introduction d’un recours
gracieux, les parties convoquées et après conclusion du ministère public, ordonner, en
référé, toutes mesures utiles, sans faire préjudice au principal »1043. A travers donc
cette disposition sans équivoque, le législateur abandonne la distinction qu’il faisait
auparavant entre les mesures intéressant l’ordre public, la sécurité et la tranquillité
publiques, et celles ne les intéressant pas. Il généralise la procédure du référé à
l’ensemble des décisions administratives, réduisant par là l’intensité du privilège du
préalable en matière de police. Par ce fait, il contribue incontestablement à garantir les
droits et libertés en ce domaine si sensible de l’action administrative. Il pose les bases
1039
J. CHEVALIER, « Le droit administratif, droit de privilège ? », op cit., p. 61.
1040
B. R. GUIMDO DONGMO, Le juge administratif camerounais et l’urgence, op cit., p. 65.
1041
Idem, p. 31.
1042
Cf. supra.
1043
L’alinéa 2 de cet article ajoute que « la notification de la requête est immédiatement faite au défendeur
avec fixation d’un délai de réponse ne pouvant excéder cinq jours ». Il est statué sur la requête pour
ordonnance de référé (Art. 28), laquelle est notifiée aux parties dans les 24h. En cas de contestation,
« l’ordonnance de référé est susceptible d’appel devant la chambre administrative de la Cour Suprême »,
(Art. 29).

336
d’une transformation future du référé administratif en un véritable droit fondamental
pour les destinataires des mesures de police1044.

2. L’atténuation de l’exécution forcée

L’exécution forcée des actes de police administrative a de nos jours perdu la


puissance qui était naguère la sienne. Si avant les années 1990, elle tendait à constituer le
droit commun de l’exécution des actes de police administrative, depuis cette période,
elle tend à redevenir un procédé exceptionnel, c’est-à-dire ne s’appliquant que lorsque
les procédés ordinaires n’auront pas été satisfaisants en la matière. On assiste donc ainsi
à une atténuation de l’exécution forcée à travers une démarche de réexceptionnalisation
de ce procédé. Désormais, une place plus importante est faite à la confiance aux
administrés, en conformité avec la nouvelle mouvance libérale, laquelle laisse une plus
grande place aux volontés privées.

Cette « re-exceptionnalisation » est confortée par deux autres phénomènes liés


eux aussi au vent des réformes de 1990, à savoir l’extension du champ de la mise en
demeure et l’intervention croissante du juge.

Sur le premier point, à savoir l’extension du champ de la mise en demeure, il faut


dire que contrairement à la situation jusque-là en vigueur et qui consistait à laisser
l’administration libre de recourir à l’exécution forcée sans mise en demeure préalable,
l’on assiste de nos jours à une sorte de mise en demeure systématique préalable à
l’exécution forcée. Que ce soit en matière de police de l’urbanisme et de la
construction1045, que ce soit dans les domaines de la police de l’environnement1046, de la

1044
Il ne fait en effet l’ombre d’aucun doute que le référé administratif (tout comme le sursis à exécution
d’ailleurs), s’analyse en un véritable droit fondamental, en raison de son rôle dans la garantie des droits des
destinataires des mesures administratives, principalement de police. Référé administratif et sursis à exécution
sont en effet des « mécanismes procéduraux propres à sauvegarder, durant l’instance, les intérêts des parties
que l’écoulement du temps pourrait menacer et qu’il est urgent de protéger, à raison de leur importance,
jusqu’au jugement du litige ». (O. DUGRIP, L’urgence contentieuse devant les juridictions administratives,
PUF, 1991, p. 18).
1045
En effet, selon l’article 93 de la loi n° 2004/003 du 21 avril 2004 régissant l’urbanisme au Cameroun, « le
bénéficiaire d’une réserve foncière est autorisé, après une mise en demeure restée sans effet, à procéder
sans délai à la démolition des constructions et installations irrégulièrement érigées sur cette réserve ».
1046
En cette matière, on peut évoquer les cas : de protection de l’environnement atmosphérique (article 23 (1)
« Lorsque les personnes responsables d’émissions polluantes dans l’atmosphère, au-delà des normes fixées
par l’Administration, n’ont pas pris de dispositions pour être en conformité avec la réglementation,
l’Administration compétente leur adresse une mise en demeure de cette fin »), de protection de
l’environnement marin, (article 32 (1) « dans le cas d’avaries ou d’accidents survenus dans les eaux

337
police des forêts1047, de l’électricité1048, de la concurrence1049, des établissements en
général ou de police du domaine public à l’instar du déguerpissement des occupants sans
titres du domaine public1050, en passant par la police municipale dans toutes ses
variantes1051, l’on assiste à une extension sans précédent du champ de la mise en
demeure. Cette dernière, en essaimant dans les différents secteurs ici cités et même au-
delà1052, voit son assiette s’élargir considérablement, et par là même atténue la puissance
de l’exécution forcée, laquelle est désormais enfermée dans un certain nombre de
conditions, parmi lesquelles le respect d’une mise en demeure avant application de la
mesure de police, laquelle mise en demeure peut parfois s’analyser, à travers sa durée
relativement longue, en un véritable moratoire donné au destinataire de la mesure de

maritimes sous juridiction camerounaise à tout navire, aéronef, engin ou plate-forme transportant ou ayant
à son bord des hydrocarbures ou des substances nocives ou dangereuses et pouvant créer un danger grave et
imminent au milieu marin et à ses ressources, le propriétaire dudit navire, aéronef, engin ou plate-forme est
mis en demeure par les autorités maritimes compétentes de remettre en l’état le site contaminé en
application de la réglementation en vigueur »), de gestion des déchets, (article 48 (1) « lorsque les déchets
sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux prescriptions de la présente loi et des règlements pris
pour son application, l’autorité investie du pouvoir de police doit, après mise en demeure notifiée au
producteur, assurer d’office l’élimination desdits déchets aux frais dudit producteur »), d’enfouissement des
déchets, article 52 (1) et (2) de la loi-cadre relative à la gestion de l’environnement.
1047
Les infractions à la législation et à la réglementation sur les forêts, la faune et la pêche peuvent donner lieu
à transaction, sans préjudice du droit de poursuite du ministère public (article 146 (1) de la loi n° 94/01 du 20
janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche). Mais, selon l’article 147 de ce même texte,
« En l'absence de transaction ou en cas de non exécution de celle-ci, et après mise en demeure
préalablement notifiée au contrevenant, l'action publique est mise en mouvement dans un délai de soixante
douze (72) heures sur la demande des administrations chargées, selon le cas, des forêts, de la faune et de la
pêche, partie au procès ».
1048
Selon l’article 97 (1) de la loi régissant le secteur de l’électricité en effet, « en cas d'infraction dûment
constatée, sans préjudice des sanctions pénales pouvant être appliquées conformément à la législation en
vigueur et sous réserve d'une mise en demeure préalable, les opérateurs soumis à la présente loi sont
passibles de l'une des sanctions administratives suivantes : - pénalités correspondant au manque à gagner
de la communauté nationale ou au trop-perçu de l'opérateur assorti d'une majoration calculée entre 20 et
100 %; - retrait de la concession, de la licence ou de l'autorisation; - suspension du droit d'opérer ».
1049
Voir par exemple l’article 25 de la loi n° 98/013 du 14 juillet 1998 relative a la concurrence qui dispose
que : « Lorsque la Commission Nationale de la Concurrence conclut qu’une entreprise abuse de sa position
dominante au sens des dispositions de l’article 11 de la présente loi, elle ordonne à celle-ci de mettre fin aux
pratiques mises en cause ». Au-delà de cette mise en demeure sans le nom, des sanctions plus sévères peuvent
être prises.
1050
Même si en ce domaine, la mise en demeure n’est pas forcément requise par les textes, une telle occupation
étant par principe illégale, et pouvant donc justifier une démarche d’office de la municipalité.
1051
Ainsi par exemple, aux termes de la loi fixant les règles applicables aux communes, le maire est chargé
« de prendre, à défaut des propriétaires ou des détenteurs du droit de chasse préalablement mis en demeure,
toutes les mesures nécessaires à la destruction d’animaux déclarés nuisibles, conformément à la législation
et à la réglementation en vigueur, et éventuellement, de requérir les habitants avec armes et chiens propres
à la chasse de ces animaux, de surveiller et d’assurer l’exécution de ce mesures et d’en dresser procès
verbal » (Article 71 (1)).
1052
Le dénombrement de tous les domaines ou existe une exigence préalable de mise en demeure avant
exécution de la décision de police n’a simplement pas été possible, en raison de son caractère fastidieux. Mais
cela montre bien que cette exigence est bel et bien de plus en plus imposée, contrebalançant considérablement
le privilège de l’exécution d’office.

338
police administrative. Sous cet angle, l’exécution forcée apparait considérablement
atténuée au moyen de l’exigence de la mise en demeure.

L’exécution forcée se trouve atténuée également par l’importance croissante que


le juge occupe dans l’exécution des mesures de police administrative. En effet, de plus
en plus, il est exigé que les recours à l’exécution forcée se fassent sur l’autorisation
préalable d’un juge. En matière d’urbanisme par exemple, en cas de construction d’un
édifice sans permis de construire ou d’implanter, d’infractions commises à l’occasion de
l’utilisation d’un terrain par le placement d’installations fixes ou mobiles imputables à
celui qui les a placées, ainsi qu’au propriétaire, le maire ou l’autorité administrative
compétente applique une sanction pécuniaire proportionnelle à l’état d’avancement des
travaux. « En outre, il peut se constituer partie civile et saisir le tribunal compétent
sans consignation préalable »1053.

Dans le même sens, en cas de dégradation de la chaussée ou destruction des


équipements annexes de la voie publique, la loi prescrit la remise en l’état par l’auteur
desdites dégradations, sans préjudice des autres sanctions prévues par la réglementation
en vigueur ? « En cas de refus de réparer, le maire ou toute autorité compétente peut
saisir les juridictions compétentes en réparation des dommages consécutifs à ces
dégradations, sans consignation préalable1054 ». L’intervention du juge dans ces deux
cas contribue à atténuer la rigueur de l’exécution de la décision, en raison de la légitimité
dont jouit le juge dans un Etat qui se veut respectueux du droit.

Il faut en outre dire que, si dans les hypothèses ici citées, l’intervention du juge
est expressément prévue par les textes, il peut arriver que même en l’absence d’une telle
prescription, l’autorité de police y recourt néanmoins afin en quelque sorte de se
dédouaner. A ce propos, Maurice Hauriou écrivait en 1907 que le « recul de la
procédure d’exécution par simple décision administrative (…), l’intervention préalable
du juge dans l’exécution des droits et de leur sanction est le résultat de l’évolution
sociale vers une régularité toujours plus grande qui, dans son ensemble, est fatale et

1053
Articles 125 et 128 (1) de la loi régissant l’urbanisme au Cameroun et articles 9 et 10 du décret n°
2008/0740 du 23 avril 2008 fixant le régime des sanctions applicables aux infractions aux règles d’urbanisme.
1054
Articles 20 et 21 du décret n° 2008/0740 du 23 avril 2008 fixant le régime des sanctions applicables aux
infractions aux règles d’urbanisme précité. On voit bien ici qu’au lieu que l’Administration se délivre un titre
exécutoire, elle ouvre la possibilité dé saisine d’un juge, ce qui montre bien une forme de recul de l’exécution
forcée décidée d’office, au profit du rôle croissant du juge dont l’intervention est à priori plus favorable aux
droits des citoyens.

339
d’ailleurs avantageuse »1055. L’intervention du juge apparait donc ici bénéfique pour les
destinataires des mesures de police car, il s’agit de « protéger les droits privés qui
seraient violés d’une manière flagrante par les abus des actes d’exécution de la
puissance publique »1056.

Il ne faut pas s’y méprendre, les exemples ici cités de mise en demeure et
d’intervention du juge dans l’exécution des mesures de police administrative, comme
atténuant l’exécution forcée, ne constituent pas la règle en ce domaine. Ce ne sont que
des exceptions par rapport au principe qui semble rester celui de l’exécution forcée. Mais
deux nuances de taille sont à souligner ici, par rapport à l’état du droit antérieur. C’est
que désormais, bien que réduit, le champ de la mise en demeure et de l’intervention du
juge a évolué par rapport à la situation antérieure où elle était quasi nulle. De plus, bien
que l’exécution forcée reste le droit commun de l’exécution des mesures de police, elle
est désormais systématiquement prévue par la loi, contrairement à la situation antérieure
où elle était mise en œuvre même en l’absence des textes.

B. La rationalisation des procédés de sanction

Les procédés de sanction en matière de police administrative sont actuellement


sans commune mesure avec ceux antérieurement en vigueur. Alors que par le passé, l’on
faisait recours abondamment à des sanctions administratives, lesquelles venaient très
souvent se superposer à des sanctions pénales, le droit camerounais ne cesse depuis le
début des années 1990 d’explorer de nouveaux moyens de sanction, plus modernes,
basés très souvent sur la participation des personnes privées au processus
sanctionnateur1057.

1055
Note sous CE 31 mai 1907, Deplanque, S. 1907.III, p. 113.
1056
J. ROMIEU, Conclusions précitées. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour justifier l’intervention
du juge dans une telle procédure : légitimité sans cesse plus grande du juge dans la société actuelle, pression
forte sur le récalcitrant, possibilité pour l'administration de ne pas apparaître en première ligne, respect des
droits de la défense, etc. Lire à ce sujet : P. L. FRIER, « L’exécution d’office : principe et évolutions », AJDA
1999, p. 45. Dans un sens similaire : N. FERREIRA, « La notion d'exécution d'office », AJDA 1999, p. 41 ; H.
MASUREL, « L'exécution d'office des mesures de police administrative », AJDA 1999, p. 39 ; Roger
ERRERA, « Les limites d'une contrainte : l'exécution d'office dans le droit des étrangers », AJDA 1999 p. 49 ;
B. MATHIEU, « Les contraintes constitutionnelles pesant sur l'exécution d'office des mesures de police
administrative », p. 53 ; D. TRUCHET, « L'autorité de police est-elle libre d'agir ? », AJDA 1999, p. 81.
1057
On assiste alors à des techniques de sanction négociées, signe d’une incontestable libéralisation en la
matière. De telle sorte que si le principe ici semble être le retour à la sanction pénale des actes de police
administrative, l’administration est très souvent invitée à transiger lorsqu’elle met en œuvre des sanctions de
nature purement administrative.

340
1. La rationalisation des procédés de sanction administrative

La sanction administrative des atteintes à l’ordre public épouse de nos jours les
contours d’une sanction incontestablement libérale. Bien qu’en principe proscrit du fait
de l’existence principielle en la matière de sanctions pénales, la sanction administrative
n’en est pas moins nécessaire dans certains cas en matière de police, ou du moins
présente, en raison de l’extrême difficulté qu’il y a à distinguer sanction administrative
et mesure de police administrative. Une telle distinction n’étant ni clairement établie, ni
même seulement ébauchée, l’on assiste ainsi à un usage confus des deux types de
sanction, que l’ordre public soit en cause ou pas, que ce soit de manière préventive ou
répressive. La jurisprudence étant muette sur cette question, l’administration semble
entretenir, à dessein, la plus grande confusion, de manière à ce qu’elle puisse employer
son pouvoir répressif que l’ordre public soit en cause ou non. Quoi qu’il en soit, ce
pouvoir sanctionneur en matière de police administrative est aujourd’hui rationalisé,
c’est-à-dire atténué, en raison de l’introduction de certaines garanties à l’avantage des
administrés. Ces garanties, traditionnellement attachées aux procédures judiciaires, sont
progressivement transposées dans le domaine administratif. Il s’agit par exemple du
respect des droits de la défense, et en particulier le respect du principe du contradictoire,
de la possibilité laissée aux administrés d’intenter des recours administratifs contre les
mesures sanctionnatrices, et donc de les contester. De telles garanties quasi inexistantes
dans le droit antérieur sont aujourd’hui le droit commun en la matière, et contribuent à
donner une plus grande place aux droits des administrés en ce domaine. Ces garanties
portent sur les domaines les plus variés de l’activité sociale, à l’instar de la
communication sociale1058, de l’exploitation des forêts1059, de la gestion de
l’environnement en général1060, etc.

1058
Ainsi, une décision du Conseil National de la Communication datée du 28 mai 2014 portant procédure de
traitement des plaintes par le CNC institut une phase contradictoire en son sein : « elle vise a garantir les
droits de la défense. Il s'agit de donner a la partie accusée la possibilité d'exprimer verbalement ou par écrit
ses arguments par rapport a la plainte et aux griefs dont elle fait l'objet. Cette phase peut donner lieu à une
confrontation entre les parties en litige ». (Article 9 (4)).
1059
Bien que le principe du contradictoire ne soit pas clairement consacré ici, il n’est pas néanmoins absent, si
l’on s’en tient aux dispositions de l’article 142 de la loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts,
de la faune et de la pêche. Ce texte dispose que (1) « les agents assermentés des administrations chargés des
forêts, de la faune et de la pêche et les agents assermentés de la marine marchande sont des officiers de
police judiciaire à compétence spéciale en matière de forêt, de faune et de pêche selon le cas. Ils procèdent,
sans préjudice des compétences reconnues aux officiers de police judiciaire à compétence générale, à la
constatation des faits, à la saisie des produits indûment récoltés et les objets ayant servi à la commission de
l'infraction, et dressent procès-verbal. Ce procès verbal est dispensé des formalités de timbre et

341
Le second aspect de rationalisation du pouvoir de sanction de l’administration en
matière de police administrative est l’introduction de la transaction dans le processus de
sanction dans divers secteurs. Il s’agit incontestablement d’une des mutations les plus
marquantes en ce domaine et qui concerne plusieurs intervenants d’origine parfois non
étatique. De nos jours en effet, « le pouvoir de sanctionner est un pouvoir partagé entre
de multiples autorités au rang desquelles l’Etat stricto sensu et ses représentants, mais
aussi des organismes privés chargés d’une mission de service public ou d’intérêt
général, comme les fédérations sportives, les organismes professionnels chargés de se
substituer à l’administration dans des secteurs déterminés et aussi bien sûr (…) les
autorités administratives indépendantes »1061.

Mais de manière plus novatrice encore, l’idée qu’il s’agit de développer ici est
celle qui consisterait à dire qu’au regard de plusieurs textes adoptés à partir de la
décennie 1990, le pouvoir de sanction fait l’objet de transaction entre l’administration
puissance publique et édictrice de la sanction et la personne privée destinatrice de la
sanction. Que faut-il en déduire alors ? S’agit-il d’une transaction sur l’édiction d’une
mesure de police ou d’une transaction sur le pouvoir reconnu à l’administration d’édicter
des sanctions administratives ? En l’absence ici d’une distinction nette et claire entre
mesure de police et sanction administrative, il est à craindre que le constat fait à propos
de la première concerne aussi la deuxième. Aussi n’est-il pas saugrenu de soutenir l’idée
d’une transaction en matière de police administrative.

Le terrain de prédilection de celle-ci semble être incontestablement celui de


l’environnement. En effet, le législateur prévoit en la matière plusieurs hypothèses de

d'enregistrement ». (2) « Le procès-verbal rédigé et signé par l'agent assermenté fait foi des constatations
matérielles qu'il relate jusqu'à inscription de faux ». Ce deuxième alinéa montre bien que le contrevenant a la
possibilité de contester le procès-verbal dressé contre lui.
1060
La contradiction est possible ici par le fait des articles 89 et 90 de la loi n° 96/12 du 5 aout 1996 portant loi-
cadre relative a la gestion de l’environnement. Le premier ouvre sans le dire la possibilité de contestation du
procès-verbal dressé par les agents assermentés des administrations concernées, à travers une inscription en
faux. Le deuxième dispose que « (1) Tout procès-verbal de constatation d’infraction doit être transmis
immédiatement à l’Administration compétente qui le fait notifier au contrevenant. Celui-ci dispose d’un
délai de vingt (20) jours à compter de cette notification pour contester le procès-verbal. Passé ce délai, toute
contestation devient irrecevable. (2) En cas de contestation dans les délais prévus à l’alinéa (1) du présent
article, la réclamation est examinée par l’Administration compétente. Si la contestation est fondée, le
procès-verbal est classé sans suite. Dans le cas contraire, et à défaut de transaction ou d’arbitrage définitifs,
l’Administration compétente procède à des poursuites judiciaires conformément à la législation en
vigueur ».
1061
J. QUASTANA, « La sanction administrative est-elle encore une décision de l'administration? Rapport
général », AJDA 2001 p. 141. Sur la question, lire également : S. NICINSKI, « Sanction administrative,
mesure de police et légalité des peines », AJDA 2002 p. 806.

342
transaction, portant pour l’essentiel sur le montant des pénalités à verser à
l’administration1062. Cette terre d’élection qu’est l’environnement ne se justifie pas
seulement par le principe pollueur payeur, puisque la transaction est ici prévue en dehors
des hypothèses de pollution de la part de l’opérateur privé. Cela dit, en dehors de
l’environnement, la transaction porte sur une assiette assez étendue, puisqu’elle est
prévue en matière de gestion de la police de l’eau1063, de l’électricité1064, de l’exploitation
des forêts de la faune et de la flore 1065 etc. Au-delà de son champ matériel assez étendu,
le fait même d’introduire ici la possibilité d’une transaction sur les sanctions éventuelles
à prendre par l’autorité administrative est une innovation fondamentale du droit de la
police administrative. Quoi qu’il en soit, cela n’a pas empêché le retour en ce domaine à
l’édiction principielle de la sanction pénale.

2. Le retour à la sanction pénale des actes de police administrative

Longtemps malmenée par le poids considérable du pouvoir de sanction reconnu à


l’administration en matière de police administrative, on observe depuis le début des
années 1990 un retour quasi systématique à la sanction pénale des actes de police
administrative.

Ce retour en force de la sanction pénale est d’abord lié à la remise au goût du jour
du principe de la légalité des délits et des peines, à la faveur de la réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996. Revêtu d’un statut constitutionnel désormais
incontestable, ce principe, qui vise à garantir aux citoyens la sécurité juridique, est au
cœur de la construction d’un Etat de droit. Son statut lui permet donc d’irriguer

1062
Voir l’article 91 de loi cadre portant gestion de l’environnement. « (1) Les Administrations chargées de la
gestion de l’environnement ont plein pouvoir pour transiger. Elles doivent, pour ce faire, être dûment saisies
par l’auteur de l’infraction. (2) Le montant de la transaction est fixé en concertation avec l’Administration
chargée des finances. Ce montant ne peut être inférieur au minimum de l’amende pénale correspondante.
(3) La procédure de transaction doit être antérieure à toute procédure judiciaire éventuelle, sous peine de
nullité.
(4) Le produit de la transaction est intégralement versé au Fonds prévu par la présente loi ».
1063
Article 22 de la loi n° 98-005 du 14 avril 1998 portant régime de l’eau.
1064
Bien que la possibilité de transaction ne soit pas ici clairement affichée, on peut néanmoins noter à la
lecture de l’article 3 du décret du 28 juin 2013 portant organisation et fonctionnement de l’Agence de
Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSEL) que cet organisme est chargé « d’élaborer, de concert avec les
professionnels de l’électricité, les standards et normes applicables aux activités et aux entreprises du secteur
et de les soumettre à l’homologation de l’Administration chargée de l’électricité ».
1065
Selon l’article 146 de la loi n°94/01 déjà citée, « les infractions à la législation et à la réglementation sur
les forêts, la faune et la pêche peuvent donner lieu à transaction, sans préjudice du droit de poursuite du
ministère public ».

343
l’ensemble de la sphère juridique infra constitutionnelle qui doit désormais lui être
conforme du fait d’une meilleure garantie de la règle constitutionnelle.

On le sait, le principe de la légalité criminelle qui signifie, rappelons le, « nullum


crimen nulla poena sine lege », a pour principal corolaire la visibilité et la précision de
la règle pénale qui « impose au législateur de définir les infractions avec clarté et
précision »1066. Ce corolaire impose donc comme exigence au législateur de prévoir
systématiquement dans les lois de police la sanction pénale qui sera appliquée en cas
d’inobservance de la mesure de police qui en découlera par l’administré. Il est vrai qu’en
ce domaine, le législateur n’est pas le seul concerné, puisque le pouvoir réglementaire
l’est aussi, et ceci pour une double raison.

D’abord la légalité criminelle est ici entendue au sens large, c’est-à-dire comme
synonyme de « textualité ». Ensuite, il existe, aux termes des articles 26 (2) et 27 de la
loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, un partage de compétence entre le pouvoir
législatif et le pouvoir réglementaire en matière d’incrimination. Selon le Professeur
MINKOA SHE, l’analyse combinée des deux textes ci-dessus cités fait apparaitre que
« la loi n’est compétente que pour les infractions pénales sanctionnées de peines
criminelles ou correctionnelles. A contrario, les contraventions relèvent du pouvoir
réglementaire »1067. Quoi qu’il en soit, le principe de la légalité criminelle impose aux
autorités normatives, y compris en matière de police, de prévoir les peines qui seront
encourues en cas de violation de la mesure de police par un administré, exigence à
laquelle se sont attelées toutes des autorités, si bien que de nos jours, il est rare de voir
un texte adopté que ce soit au niveau parlementaire sans qu’il ne soit prévu à la fin de
celui-ci un régime de sanctions finales, supplantant par là la pratique des sanctions
administratives qui jusque-là tendait à s’ériger en règle absolue en ce domaine.

Ensuite, le retour à la sanction pénale est rendu possible aujourd’hui par le regain
d’intérêt placé en la personne du juge, au travers de l’institution judiciaire. On le sait, à
la faveur de la réforme constitutionnelle de 1996, l’on est passé d’une simple autorité
judiciaire à un pouvoir judiciaire. Même si de manière substantielle cela ne garantit pas
une transformation de l’appareil judiciaire, au plan symbolique tout au moins, il s’agit

1066
CC, décision n° 80-127 DC rendue les 19 et 20 janvier 1981 à propos de la loi dite "sécurité-liberté". Cons.
7 « qu'il (…) résulte (de l’article 8 de la Déclaration de 1789) la nécessité pour le législateur de définir les
infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ».
1067
A. MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, op cit, p. 37.

344
d’une plus grande considération qui est faite à la justice, considérée désormais comme
un véritable pouvoir. Le juge en ressort un petit peu plus grandi, car considéré
désormais comme représentant de ce pouvoir. Cette plus grande considération accordée
au juge est de nature à multiplier le recours à lui, y compris dans la sanction des actes de
police, qui par lui ne peut être que pénale.

Enfin, le retour à la sanction pénale des mesures de police est rendu possible
aujourd’hui par la régression incontestable des sanctions administratives qui,
antérieurement, se superposaient de manière systématique aux sanctions pénales.
Désormais, la lecture de la plupart des textes montre une prédilection pour la sanction
pénale, les hypothèses de superposition des sanctions administratives étant ici de plus en
plus rares. Toutes choses qui, remettent au goût du jour la sanction pénale en matière de
police administrative, laquelle est gage d’une plus grande impartialité, et donc en faveur
des droits et libertés des citoyens. La sanction pénale est ici gage de libéralisation.

345
CONCLUSION DU TITRE

Ainsi, chacun peut constater, à la lumière des développements précédents, que les
procédés de police administrative ne sont pas restés insensibles aux changements qui
affectent le droit administratif camerounais depuis le début des années 1990. On peut en
effet observer que ces procédés se sont considérablement améliorés, dans le sens d’une
meilleure et plus grande prise en compte des droits et libertés des citoyens. Que ce soit
dans le cadre des procédés exceptionnels ou dans le cadre des procédés ordinaires de
police, l’on peut constater le profond renouveau dans lequel se trouve la fonction de
police administrative. Les procédés ici considérés contribuent donc, avec les sources du
droit de la police administrative, à conforter l’hypothèse de l’émergence d’un libéralisme
formel au sein de cette fonction administrative essentielle, et donc au sein du droit
administratif camerounais.

346
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

Parvenus au terme de cette première partie de la thèse, on peut observer que la


police administrative au cameroun, étudiée dans le cadre général de l’évolution du droit
administratif camerounais, laisse incontestablement percevoir l’émergence d’un
libéralisme formel.

En effet, l’analyse des soures du droit de la police administrative montre bel et


bien une reconfiguration de celles-ci, leur nouveau visage. Ce dernier se traduit à travers
une réorientation de la source constitutionnelle et une réactivation de la source
législative. De même, l’étude des procédés employés par cette fonction administrative a
révélé une nette amélioration de ceux-ci, à travers non seulement une rationalisation des
procédés de crise, mais aussi une « normalisation » des procédés ordinaires. La
reconfiguration des sources et l’amélioration des procédés sont donc les pilliers sur
lesquels semble s’appuyer l’idée de l’émergence d’un libéralisme formel au sein de la
police administrative, et donc du droit administratif camerounais.

On peut donc à ce niveau retenir que les évolutions qui ont affecté le droit public
camerounais, principalement dans sa variante administrative, n’ont pas laissé la police
administrative indifférente. Il ne pouvait en être autrement, lorsqu’on sait que la plupart
des revendications sociales qui ont conduit à des mutations juridiques se trouvaient au
cœur de l’activité de maintien de l’ordre public, laquelle s’était montrée particulièrement
opressante pour les droits et libertés depuis les périodes du mandat et de la tutelle franco-
britannique jusque dans les trois premières décennies de l’indépendance. Il fallait donc,
pour inverser la tendance autoritaire du droit administratif jusque là en vigueur, et qui
avait pour terrain d’élection privilégié la police administrative, modifier l’ordre des
choses, afin de prendre plus en compte les demandes de liberté. Mais cet objectif a-t-il
été atteint ? Si nous venons de voir que l’évolution du droit administratif a permis
l’émergence d’un libéralisme formel au sein de la police administrative, nous verrons
dans la suite de l’étude que cette tendance libérale reste marginale. L’on note, toujours
au sein de la police administrative, et donc du droit administratif, la persistance d’un
autoritarisme matériel.

347
DEUXIEME PARTIE :

LA PERSISTANCE D’UN AUTORITARISME MATERIEL

348
Malgré les évolutions libérales enregistrées dans le droit de la police
administrative au Cameroun, en particulier à partir des années 1990, cette activité de la
puissance publique reste caractérisée par un autoritarisme matériel. En effet, au-delà des
formes et procédures relatives à la police administrative, lorsque l’on considère celle-ci
dans son contenu matériel, ou si l’on veut dans sa substance, elle apparait
indubitablement marquée par un réel autoritarisme. L’autoritarisme dont il s’agit doit
être entendu, comme un choix délibéré des pouvoirs publics de faire prévaloir, dans le
contenu de l’activité de police administrative, les exigences liées au maintien de l’ordre
public. Autrement dit, dans le contenu de cette fonction étatique, l’autorité l’emporte
systématiquement sur la liberté.

On s’en doute bien, l’idée ici présentée, dans un contexte doctrinal ou règne
encore l’enthousiasme libéral du début des années 1990, pourrait provoquer sinon le
sourire poli et narquois de certains, si elle n’est pas considérée purement et simplement
comme une provocation. Pourtant, il faut bien faire une évaluation des changements
apportés dans le droit administratif camerounais, en particulier dans le droit de la police
administrative, pour constater que les fruits ne sont pas toujours à la hauteur de la
promesse des fleurs. Et même, les résultats dans ce domaine de nos jours apparaissent à
rebours du projet libéral annoncé, et finalement simplement amorcé.

L’idée ici démontrée est la manifestation d’une libéralisation à géométrie variable


du droit administratif camerounais. Si cette libéralisation semble avancée dans le droit
des services publics, elle reste purement formelle dans le droit de la police
administrative. En tout cas, le constat que l’on peut faire est que le projet de
libéralisation du droit administratif camerounais a tendance à perdre en intensité au fur et
à mesure que l’on s’avance vers des domaines régaliens. La police administrative étant
de ces derniers, elle garde donc une forte dimension autoritaire, car c’est cette dernière
qui permet à l’Etat de garder la main mise sur la société, de maintenir l’ordre public
nécessaire à la stabilité du système politique. Aussi faut-il donc se rendre à l’évidence
d’une persistance d’une dimension autoritaire au sein de la police administrative, ce qui
n’est qu’un prolongement de l’ensemble du droit administratif. L’analyse qui a
traditionnellement conclu à une libéralisation du droit administratif camerounais est une
analyse purement formelle, qui ne se cantonne qu’aux formes et procédures. Appliquée à
la police administrative, c’est cette analyse qui a été faite dans la première partie de cette

349
étude. Mais on ne saurait se satisfaire de cette unique analyse formelle. D’abord parce
qu’elle ne présenterait qu’un visage partiel-et même partial- d’une réalité beaucoup plus
complexe et susceptible donc, en changeant de perspective d’analyse, de révéler des
résultats radicalement différents. Ensuite, parce que l’analyse de la police administrative
ne saurait se satisfaire de la seule analyse formelle. Une analyse matérielle est
indispensable ici, pour une raison que l’on comprendra aisément. C’est que la police
administrative, qui a pour fondement l’ordre public, et qui mets au cœur des enjeux la
question essentielle de la garantie des droits et libertés fondamentaux, notions qui ne
sauraient s’approcher et s’apprécier que par rapport à leur contenu effectif, à leur
tangibilité, oblige inéluctablement à analyser les règles juridiques y relatives par rapport
à leur contenu. L’ordre public est en effet une norme qui ne saurait s’apprécier qu’en
fonction des circonstances de temps et de lieu, et que la seule considération de la règle
juridique ne peut permettre d’analyser. Et du coup, il faut considérer les faits matériels
de la cause pour livrer une analyse satisfaisante de la réalité.

La persistance d’un autoritarisme matériel de la police administrative est


observable d’abord en qui concerne le fondement de celle-ci, c’est-à-dire en considérant
ce au nom de quoi l’activité de police administrative est exercée. On est alors au cœur de
la notion d’ordre public, qui est à la base de l’activité de police générale. On constatera
ainsi que ce au nom de quoi l’activité de police administrative est exercée, c’est-à-dire
son fondement, se décline sous le sceau de l’impérialisme. On démontrera donc d’abord
que la police administrative s’exerce sur la base de fondements impérialistes. Ensuite,
après l’étude des fondements, on s’intéressera à la question du cadre d’exercice de la
police administrative, c’est-à-dire des organes administratifs qui concourent à son
exercice. L’analyse de ce cadre d’exercice permet de constater que l’exercice de cette
fonction administrative s’effectue essentiellement sous le sceau de l’étatisme, c’est-à-
dire dans la prévalence des seuls intérêts de la puissance publique, sans une prise en
compte corrélative des droits et libertés fondamentaux des citoyens. Impérialisme des
fondements de la police administrative et étatisme de son cadre d’exercice sont donc les
arguments qui justifient la persistance d’un autoritarisme matériel au sein de la police
administrative.

350
TITRE I :

L’IMPERIALISME DES FONDEMENTS

351
L’autoritarisme persistant de la police administrative au Cameroun se caractérise
d’abord par un impérialisme des fondements de cette activité. L’impérialisme ici permet
de caractériser l’idée selon laquelle la police administrative, dont l’objet et le but est
d’assurer le maintien de l’ordre public, n’admet pas de contradiction quand à ses
fondements. Ces derniers s’imposent toujours face à toutes les autres valeurs auxquelles
elles pourraient faire face au sein du système juridique, notamment les valeurs de
garantie des droits et libertés fondamentaux. La police administrative apparait alors
comme une fonction qui « ne fait pas de quartiers », qui ne laisse aucune place à la
contradiction.

On sait que le fondement de la police administrative c’est l’ordre public. Ce


dernier constitue en effet l’objet et le but de l’activité de police. C’est en son nom que
des restrictions sont quotidiennement apportées à l’exercice des libertés des citoyens.
Mais on sait aussi que l’activité de police administrative se décline sous plusieurs
formes. En particulier, elle se décline à la fois sous une forme générale et sous des
formes spéciales. Aussi, son fondement peut-il varier en fonction de la forme sous
laquelle elle se décline. De ce point de vue, la police générale a pour fondement l’ordre
public général, tandis que les polices spéciales reposent sur des fondements différents de
ceux de la police générale. Et si la doctrine a eu à proposer la notion d’ordre public
spécial comme fondement de chaque police spéciale, cette notion reste très discutée, si
bien que l’on doit considérer pour l’instant ici que les polices spéciales ont pour
fondements les textes qui les instituent.

Au regard de tout ceci, une analyse serrée des textes permet d’avancer deux idées,
qui forment la trame du présent titre. La première, qui concerne le fondement de la
police générale, à savoir l’ordre public général, est que celui-ci se décline sous un
caractère absolutiste, c’est-à-dire hégémonique. La seconde, relative aux fondements des
polices spéciales, permet de constater, compte tenu du fait que ceux-ci sont constitués
par les textes qui les instituent, que ces fondements sont marqués du sceau de
l’expansionnisme. Ainsi donc, l’impérialisme des fondements de la police administrative
se caractérise par l’absolutisme du fondement de la police générale et par
l’expansionnisme des fondements des polices spéciales.

352
CHAPITRE I :

L’ABSOLUTISME DU FONDEMENT DE LA POLICE GENERALE

353
Le champ de la police générale est constitué par l’ordre public, au sens général
que ce terme revêt dans le domaine de la police administrative. En effet, « la notion
d’ordre public constitue le seul but possible de l’action de police administrative
générale1068 ». Le juge administratif camerounais considère à cet effet que dès lors que
la mesure de l’autorité administrative ne vise plus ou pas le maintien de l’ordre, elle
n’est plus une mesure de police administrative1069. Il est important d’insister ici sur le fait
que l’ordre public dont il s’agit ici, c’est l’ordre public général, par opposition aux ordres
publics spéciaux, qui eux, fondent des pouvoirs de police spéciale1070. Mais que faut-il
alors entendre par cette notion d’ordre public, au sens général du terme?

« Notion complexe1071, (…), protéiforme1072, ou énigme du droit1073… », tout


semble avoir été déjà dit1074 sur le caractère insaisissable1075 de ce concept, qualifié de

1068
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, précité, p. 31. Selon l’auteur, et nous sommes d’avis avec
lui, « ce critère est plus opérant que celui de l’objet de l’action de police, c’est-à-dire, les activités sur
lesquelles elle est susceptible de s’exercer, car cet objet est en pratique illimité. Le but de la police
administrative est donc spécifiquement l’ordre public, afin de limiter l’intervention d’un pouvoir susceptible
de porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux. Toutes les mesures prises en matière de police mais
dans un but autre que l’ordre public seront annulées pour détournement de pouvoir ».
1069
Jugement n° 24/CS/CA du 14 juin 1984, Albert ONO NGAFOR c/ Etat du Cameroun.
1070
La distinction entre ordre public général et ordre public spécial n’est pas unanimement admise en doctrine,
surtout lorsqu’elle sert à justifier le rattachement des polices spéciales à la théorie générale de la police
administrative. Les auteurs emploient indistinctement en la matière les concepts d’« ordre public spécifique »,
d’ « élément spécifique de l’ordre public » ou d’ « ordre public spécial », mais ils sont tous d’accord pour
rattacher les polices spéciales à la théorie générale de la police administrative, afin d’en préserver l’unité et la
cohérence. Ainsi par exemple, M. LEROY affirme que les polices spéciales « ont pour objet un compartiment
de l’ordre public ». Cf. LEROY Maurice, Le concours des polices générales et des polices spéciales, Thèse
Lille, 1938, p. 11 ; pour le Professeur MAILLARD, les polices spéciales sont « cette partie de la fonction de
police qui comporte l’établissement de la discipline et l’accomplissement d’activités nécessaires à la
satisfaction d’intérêts spécifiques d’ordre public isolés, pour quelques raisons que ce soit, de l’ordre public
général ou hors d’atteinte de celui-ci ». Cf. D. MAILLARD DESGREES DU LOÛ, Police générale, polices
spéciales. (Recherche sur la spécificité des polices générale et spéciales), Thèse op cit., p. 12 ; quant aux
Professeurs PICARD (Cf. La notion de police administrative, op cit., p. 558) et P. L. FRIER (Cf. Précis de
droit administratif, Paris, Montchrestien, 2004, p. 244), ils parlent expressément de la notion d’ordre public
spécial. Pour une critique de cette présentation, lire : D. GREGOIRE, Recherches sur les évolutions de la
police administrative. Une notion en voie de disparition, précité, pp. 62-71. S’agissant de la pertinence de cette
summa-divisio entre ordre public général et ordre public spécial dans l’ordre juridique camerounais, cf. infra,
Chapitre deuxième, Titre I, deuxième partie
1071
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, précité, p. 219. ; dans le même sens : A.
PLANTEY, « Définitions et principes de l’ordre public », in L’ordre public (Dir). de R. POLIN, Actes du
Colloque des 22-23 mars à Paris, p. 27.
1072
E. PICARD, « L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public », précité, p. 56.
L’auteur affirme qu’ « en droit interne, la notion d’ordre public s’avère éminemment difficile à saisir »,
qu’ « elle y apparait essentiellement protéiforme, équivoque, relative, circonstancielle, contingente,
indéterminée et singulièrement contradictoire puisque toujours maitresse de sa nécessité, mais en même
temps sujette à l’aléa de sa de ses exigences concrètes dans un contexte factuel donné, tout à la fois
impérative dans son principe mais éminemment flexible dans ses implications pratiques ».
1073
P. FONTAINE, « Rapport », in La notion de l’ordre public et des bonnes mœurs, Travaux de l’Association
Henri CAPITANT, Paris, Dalloz, 1952, vol. 7, p. 675.
1074
N. JACQUINOT, Ordre public et constitution, thèse, Aix Marseille, 2000, p. 11.
1075
J. GOGNETTI, La notion d’ordre public. Etude limitée au droit administratif, thèse, Reims, 1997, p. 14

354
« contenant sans contenu1076». La doctrine ne manque pas alors de souligner que
« l’idée d’ordre public est vague1077 », qu’il s’agit d’une « notion fuyante1078 » et
« circonstancielle1079 ». L’ordre public apparait donc ainsi comme « cette notion
puissante et énigmatique que l’on invoque sans cesse et que l’on ne défini jamais1080 »,
un concept à un point abstrait tel que « nul n’a pu le définir et que nul ne le
comprendra jamais1081 ». Aussi, essayer de le définir serait « s’aventurer sur des sables
mouvants1082 », « enfourcher un cheval fougueux dont on ne sait jamais où il vous
transporte1083 », « cheminer dans un sentier bordé d’épines1084 », car l’ordre public
serait « une véritable enveloppe vide1085 ». La preuve en est que la notion d’ordre public
n’a jamais reçu de définition exhaustive ni dans la loi, ni dans la jurisprudence 1086, ce
« parce qu’elle est vouée à s’adapter à une infinité d’hypothèses pratiques que ni le
législateur, ni le juge ne peuvent prévoir1087 ».

Faudrait-il alors, devant un tableau aussi sombre et décourageant, renoncer à


approcher cette notion dans son contenu et dans ce qu’elle pourrait remplir comme
fonction ? Il est clair qu’un tel renoncement serait un aveu d’échec pour le juriste, dont
le rôle est pourtant essentiel dans la définition des principaux concepts et la fixation des
principales catégories qui forment le socle de sa matière, et Dieu seul sait si l’ordre
public est dans le droit, entendu comme discipline scientifique, une notion essentielle.
Car à bien regarder, le caractère énigmatique de l’ordre public emprunte pour une large
part au mystère qui l’entoure1088. Il faut donc tenter de percer ce mystère, si l’on veut
concourir à l’intelligibilité de la science juridique, dont l’ordre public se révèle comme

1076
D. GREGOIRE, Recherches sur les évolutions de la police administrative, op cit, p. 89.
1077
LETOURNEUR Maxime, concl. Sur CE, 23 novembre 1951, Société Nouvelle d’Imprimerie, in R.D.P.
1951, p. 1101
1078
B. SEILLER, Droit administratif, L’action administrative, Paris, Champs-Université, Flammarion, T. 2,
2001, p. 69.
1079
E. PICARD, « Introduction générale » au Colloque de Caen des 11 et 12 mai 2000, L’ordre public : Ordre
public ou ordres publics ? Ordre public et droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 23.
1080
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, précité, p. 2.
1081
DE VAREILLES-SOMMIERES, Synthèse du droit international, p. 171.
1082
Conseiller PILON, Rapport Cass. Req., 21 avril 1931, S. 1931, 1, 377.
1083
BURROUGH, cité par P. BERNARD, op. cit., p. 3.
1084
ALGLAVE, Idem.
1085
Ibidem.
1086
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit, p. 33
1087
Idem
1088
P. BERNARD, Ibid.

355
un des éléments de base, car comme le disait pertinemment JOSSERAND, « les notions
d’ordre public sont aussi vagues que fondamentales1089 ».

Dans le contexte camerounais, il s’agit d’une nécessité absolue 1090, en raison du


fait que la notion d’ordre public a tendance à recouvrir et à justifier un nombre important
d’hypothèses et d’actions de l’administration, si bien qu’à la fin, on peut se demander ce
qui, dans l’esprit des autorités, ne rentre pas dans le champ de l’ordre public. La
première observation que l’on peut faire ici, c’est qu’en l’absence d’une définition
textuelle ou jurisprudentielle de la notion d’ordre public, celle-ci apparait comme ce que
les autorités administratives voudraient qu’elle soit. Il s’agit là d’un simple constat de
réalité, lequel s’appui sur une longue tradition du système juridique camerounais
habituellement orienté vers une sacralisation1091 de l’action publique, laquelle est dotée
d’une présomption de légitimité en même temps que d’une absolution permanente. Le
travail de systématisation ne peut donc s’en trouver ici que plus risqué, le faiseur de
système se trouvant démuni d’un matériau casuistique précieux, et ne devant que se
contenter de l’appareillage dogmatique, lequel est par ailleurs très éparsement
identifiable, dans un paysage juridique où l’accessibilité du droit reste un véritable défi à
relever.

Si une certaine définition ou détermination du contenu de l’ordre public a


toujours fait défaut au sein de la doctrine camerounaise, il reste néanmoins clair que la
notion d’ordre public existe, même si « son existence ne doit pas reposer sur un article

1089
Cité par P. BERNARD, op. cit. p. 3. Ce dernier lui-même n’affirme-t-il pas que « l’ordre public constitue
le fer de lance du droit administratif, le climat favorable à la vie juridique, la base de toute vie sociale » ?
Ibid. p. 242.
1090
La doctrine n’ayant ici jamais véritablement systématisé le concept d’ordre public (voir néanmoins, pour
quelques tentatives en droit privé, P.-G. POUGOUE, La famille et la terre. Essai de contribution à la
systématisation du droit privé au Cameroun. Thèse Droit, BORDEAUX I, 1977, pp.100-111 ; J. P.
BEGOUDE, L’ordre public pénal au Cameroun, Thèse Droit, Université de Yaoundé, 1995), cette dernière
nécessité s’avère ici impérieuse, ne serait-ce que pour introduire humblement à cette tâche salutaire pour le
droit national. La nécessité s’avère également impérieuse en raison de l’hypothèse de départ, à savoir que si
l’autoritarisme qui a irrigué l’ensemble du droit public camerounais a certainement reculé à la faveur du vent
de libéralisation des années 1990, il n’a pas cessé de se caractériser par une rémanence certaine dans certains
domaines de l’action publique dont celui de la police administrative, perdurant ici à travers la primauté qui est
accordée aux exigences liées au maintien de l’ordre public par rapport à celles relatives à la garantie des droits
et libertés des citoyens. Au regard donc de cette hypothèse, il est essentiel qu’un certain travail soit fait dans le
souci d’éclairer la lanterne de l’opinion, qu’elle soit scientifique ou non, afin qu’éventuellement cela puisse
conduire à une prise de conscience de la part des pouvoirs publics du véritable sort qui est réservé à la liberté
dans l’ordre juridique camerounais.
1091
Voir par exemple : M. KAMTO, Pouvoir et droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du
constitutionnalisme dans les Etats d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, BAM, 1987, pp. 201 et s.
L’auteur intitule la deuxième partie de son ouvrage « sacralisation du pouvoir et incertitude du droit ».

356
de foi1092 ». Elle doit plutôt être révélée et consolidée sur la base d’éléments juridiques
tangibles. Il faut donc rechercher le contenu de l’ordre public objet de la police
administrative en se basant principalement sur les textes, car les bases juridiques de la
notion d’ordre public sont posées par les textes, tout en se gardant de deux extrêmes
opposés.

En effet, d’une part, « les textes ne constituent qu’une base très souple et
l’erreur serait grande de prétendre enfermer dans des formules rigoureuses la
complexe et vivante notion d’ordre public, objectif de la police administrative, notion
fluctuante, qui revêt des aspects et une intensité différentes selon les époques et les
circonstances1093 ». Ainsi, « la notion d’ordre public dépasse donc les textes de loi qui
l’ont organisée, parce que cette préoccupation permanente prend le visage quotidien
de la vie. Là fixer dans un texte, ce serait là dénaturer, là supprimer1094 ». Mais,
d’autre part, il faudrait se garder de vouloir rechercher la notion d’ordre public en dehors
des textes, car la juridicité d’une telle notion serait fortement sujette à caution, de telle
sorte que l’étude qui en ressortirait n’aurait de juridique que le nom. Cela dit, au regard
du parallèle que l’on pourrait établir entre la part textuelle et la part non textuelle dans le
contenu de l’ordre public, il est à craindre qu’au Cameroun, cet ordre s’apparente à
« une notion générique, donnant carte blanche aux autorités de police1095 ».

L’on sait que la notion d’ordre public peut être définie de plusieurs manières,
suffisamment mises en lumière par la doctrine1096. Cependant, les procédés de définition
qui intéressent directement la police administrative sont assurément le procédé matériel,

1092
P. BERNARD, op. cit., p. 2
1093
Idem, p. 13
1094
Ibid.
1095
Ibid.
1096
Voir par exemple C. VIMBERT, « L’ordre public dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel », in
RDP 1994, pp. 693-745 ; l’auteur soutient que « d’une manière générale, il existe deux façons
complémentaires et différentes de définir ce type de notion : l’approche matérielle consiste à étudier si le
juge lui donne un contenu (…). L’ordre public peut également être décrit sous un aspect externe et
formel ». Ce dernier sens permet de le définir par rapport à des notions voisines telles celles d’intérêt général,
d’intérêt public, d’ordre social, etc. Mais il faut dire que l’ordre public peut également être défini au sens
fonctionnel, c’est-à-dire à travers le rôle qu’il rempli au sein de l’ordre juridique et qui d’ailleurs permet de
l’appréhender dans un sens unitaire. Voir, VIMBERT Christophe, op cit. pp.716 et s. ; M.-C. VINCENT-
LEGOUX, L’ordre public. Etude de droit comparé interne. Paris, PUF, p. 13 ; J. GOGNETTI, La notion
d’ordre public. Etude limitée au droit administratif, Thèse droit, Université de Reims Champagne-Ardenne,
1997, p. 39. En raison du fait que l’ordre public de la police administrative au Cameroun a une tendance
globalisante et tend à se confondre à l’ordre politique et à l’ordre social, le sens fonctionnel ne sera pas négligé
dans la présente étude, afin de mieux approcher la réalité de ce concept en droit positif camerounais.

357
qui révèle l’ordre public dans son contenu1097, ou si l’on veut sa substance, et le procédé
fonctionnel, qui révèle l’ordre public de la police administrative dans son rôle. Ces deux
acceptions de la notion d’ordre public ont une importance indéniable au Cameroun, car
seules capables de révéler la véritable nature d’un concept dont la tendance à
l’insaisissabilité a déjà été soulignée. L’approche de la notion d’ordre public à travers
ces deux sens révèle de part et d’autre une extrême extension de celle-ci, extension non
dénuée d’autoritarisme, surtout en ce qui concerne le point formel, débouchant donc sur
un élargissement de la police générale dont il constitue le champ. Cet autoritarisme
prend ici le visage d’un absolutisme, car l’ordre public ne recevant ici aucun contenu
clair et stable, il apparait comme dominateur au sein du systême juridique. Cet
absolutisme se manifeste aussi bien au plan matériel qu’au plan fonctionnel.

SECTION I – UN ABSOLUTISME MATERIEL

L’absolutisme de l’ordre public, qui signifie que l’ordre public ici semble
n’admettre aucun contrôle, aucune contradiction et donc aucune limitation, se décline
tout d’abord d’un point de vue matériel. Sous ce prisme, le contenu de l’ordre public
apparait indéterminé, ce qui contribue à ce qu’il soit essentiellement volatile.

I – L’INDETERMINATION DU CONTENU DE L’ORDRE PUBLIC

La notion d’ordre public n’a reçu à ce jour aucune définition, ni dans les textes, ni
dans la jurisprudence. L’analyste naïf cherchera donc en vain dans l’armature juridique
en vigueur une quelconque définition de ce concept dont la doctrine a d’ailleurs souligné
quasi unanimement le caractère « vivant ». Les auteurs semblent ainsi unanimes à
reconnaitre que la notion d’ordre public ne saurait en aucun cas être enfermée dans les
textes, et que ces derniers ne pourraient en fournir qu’un aspect sinon inexact, du moins
partiel. Mais cela dit, si le concept d’ordre public apparait clairement indéfinissable à
priori, il reste qu’il appartient aux jurislateurs de fixer les bases juridiques d’un non
usage arbitraire de cette notion par les autorités publiques. Il appartient au système
juridique de poser en quelque sorte des garde-fous à un usage éventuellement liberticide
de la notion. Ces sortes de sauvegardes prennent leurs bases d’abord dans les textes,

Au sens où par exemple le Doyen Maurice HAURIOU parle d’un « ordre matériel et extérieur ». Cf. M.
1097

HAURIOU, Précis de droit administratif, 12e édition, p. 549.

358
mais aussi et surtout dans la jurisprudence, car le rôle du juge est ici capital. C’est en
effet sur lui que repose la lourde tâche de contenir la notion dans des proportions
acceptables au regard de la sauvegarde des droits et libertés. Il doit, en l’absence d’une
définition textuelle claire, œuvrer à la fixation d’une notion qui autrement, serait
susceptible d’aller dans tous les sens. Le système juridique camerounais offre plutôt un
visage contraire à ces postulations, car, d’une part, si le caractère élusif des textes est ici
remarquable, dénotant même un système lacunaire, le juge est toujours resté muet sur ce
concept, mutisme qui, par sa constance, apparait particulièrement assourdissant.

A – Le laconisme textuel

L’analyse des textes en vigueur au Cameroun révèle l’inexistence d’une


définition de l’ordre public. Et si la Convention franco-camerounaise1098 relative à la
défense, à l’ordre public et à l’emploi de la gendarmerie dispose en son article 8 que « le
maintien et le rétablissement de l’ordre public comportent la protection des personnes
et des biens, l’exécution des lois et règlements, la répression des troubles intérieurs »,
loin de régler le problème ici étudié, elle en crée plutôt un autre, puisqu’on peut
légitimement s’interroger sur sa pertinence ou son caractère opératoire dans le domaine
de la police administrative. En tous cas, elle est le signe du caractère globalisant donné
ici à l’ordre public de la police administrative1099. Cette convention est d’ailleurs l’un des
rares textes camerounais bien que d’origine internationale à donner un contenu à l’ordre
public. Quand aux textes constitutionnels, ils sont également très elliptique à cet égard.
Pour arriver à donner un contenu à l’ordre public, il faut donc interroger l’armature
législative en vigueur, laquelle révèle des éléments rentrant certainement dans la
1098
Convention signée le 31 décembre 1958. Voir J.-P. GUIFFO MOPO, Constitutions du Cameroun.
Documents politiques et diplomatiques, 1977, p. 40.
1099
Il convient en effet de rappeler, à toutes fins utiles, que l’ordre public qui constitue le fondement et le but
de l’action de police administrative ne doit pas être confondu à l’ordre public global en vigueur au sein de la
société étatique. Ce dernier est en effet celui qui est recherché et régulé par l’ensemble du droit, toutes
branches confondues. Mais l’ordre public peut connaitre un certain compartimentage, en raison des spécificités
qui sont les siennes en fonction des branches du droit dans lesquelles il se déploie. Aussi peut-il connaitre des
applications variés en fonction du fait qu’il se déploie en droit administratif, en droit constitutionnel, en droit
civil, en droit pénal, en droit international public ou privé, etc. Même si une conception d’ensemble de l’ordre
public est possible, celle-ci ne gomme pas les spécificités de la notion qui, en plus, peut être perçue
différemment selon que l’on se place du point de vue substantiel ou du point de vue procédural. Sur toutes ces
questions, lire M.-C. VINCENT-LEGOUX, L’ordre public. Etude de droit comparé interne, précité ; N.
JACQUINOT, Ordre public et constitution, précité. Dans le cadre de la présente étude, lorsque l’on parle
d’ordre public général, cela signifie deux choses possibles : il peut s’agir soit de l’ordre public général au sens
de la police administrative, et qui fonde le pouvoir de police générale, soit de l’ordre public général au sens le
plus globalisant, c’est-à-dire celui en vigueur au sein de la société toute entière. La précision sera faite chaque
fois que nécessaire.

359
catégorie ordre public, alors que d’autres restent sujets à débat. Mais dans un cas comme
dans l’autre, il faut procéder par rapprochements et assimilations, rassembler une matière
législative très éparpillée, si l’on veut révéler le contenu matériel même approximatif de
l’ordre public au Cameroun.

Les bases juridiques de cette notion matérielle de l’ordre public sont posées par
l’article 87 de la loi n° 2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux
communes1100. L’alinéa premier de cet article dispose : « la police municipale a pour
objet (…), d’assurer le bon ordre, la sûreté, la tranquillité, la sécurité et la salubrité
publiques1101 ».

1100
Bien que ces dispositions, importantes dans leur lettre, portent sur l’exercice de la police municipale, en en
déterminant le champ d’intervention, elles doivent néanmoins être étendues à toute la police administrative, en
raison d’une certaine tradition héritée de la France où le contenu de l’ordre public général est
traditionnellement tiré, du moins au plan des textes, de dispositions similaires applicables à la police
municipale, mais surtout parce qu’ici, il s’agit du seul texte pertinent d’où peut être tiré un contenu matériel de
l’ordre public objet de la police générale.
1101
L’al. 2, quand à lui, se veut plus explicite. Il poursuit, en effet, en posant que : « ses missions comprennent
notamment : a) la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, en
l’occurrence le nettoiement, l’éclairage, l’enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation
des édifices menaçant ruine, l’interdiction de ne rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui
puisse causer des dommages ou des exhalaisons nuisibles ; b) le mode de transport des personnes décédées,
des inhumations et exhumations, le maintien du bon ordre et de la décence dans les cimetières, sans qu’il
soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des circonstances qui ont
accompagné la mort ; c) l’inspection des appareils et/ou instruments pour les denrées qui se vendent au
poids ou à la mesure, et sur la salubrité des denrées comestibles exposées en vente ; d) la prévention, par des
précautions convenables, et l’intervention par la distribution des secours nécessaires, en cas d’accident et de
fléaux calamiteux, tels que les incendies, les inondations ou tous autres accidents naturels, les maladies
épidémiques ou contagieuses, les épizooties, la mise en œuvre des mesures d’urgence en matière de sécurité,
d’assistance et de secours et, s’il ya lieu, le recours à l’intervention du représentant de l’Etat auquel il est
rendu compte des mesures prescrites ; e) les mesures nécessaires contre les aliénés, dont l’état pourrait
compromettre la morale publique, la sécurité des personnes ou la conservation des propriétés ; f)
l’intervention pour prévenir ou remédier aux évènements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la
divagation des animaux ; g) la démolition des édifices construits sans permis de bâtir 1101 ». Cette loi abroge
celle n°74-23 du 5 décembre 1974 portant organisation communale, et dont elle se démarque en certains
points, d’importance variable. Ainsi, l’article 71 de la loi de 1974 dispose : « Le maire (…) est chargé de la
police municipale et de l’exécution des actes y relatifs. Cette police a pour objet d’assurer, en relation avec
les autorités administratives compétentes, l’ordre la tranquillité et la salubrité publiques. Elle comprend
notamment : 1- La garantie de sécurité et de commodité de passage dans les rues, quais, places et voies
publiques communaux pare le nettoyage, l’éclairage, l’enlèvement des encombrements, la réparation des
immeubles publics communaux menaçant ruine ; 2- La prévention des atteintes à la tranquillité publique,
telles que les rixes et disputes dans les rues, les attroupements, bruits et rassemblements nocturnes ; 3- Les
mesures pratiques de maintien de l’ordre dans les foires, marchés, lieux de réjouissances et des cérémonies
publiques, spectacles, jeux, cafés et autres lieux publics ; 4- Les mesures de lutte contre les incendies et
contre la divagation des animaux ; 5- L’exécution de toutes mesures d’hygiène et de salubrité publiques,
notamment la lutte contre les taudis, l’établissement et la réparation des fontaines, conduites d’eau, égouts,
latrines ; 6- Les mesures destinées à la sauvegarde de la morale et de la décence publiques ; 7- En général,
l’ensemble des mesures tendant à l’embellissement des agglomérations de la commune ». Si l’on compare
ces dispositions anciennes avec celles actuellement en vigueur, l’on se rendra très vite compte que certaines
matières semblent avoir disparues du champ de la police administrative, à savoir la morale publique et
l’esthétique publique, puisque le nouveau texte semble ne pas avoir maintenu ces matières. Cela dit, peut-on
dire que ces matières, en raison du fait que la loi de 2004 semble les avoirs évacué, sont définitivement sorties

360
A la lecture de cette disposition, on peut observer que le législateur consacre
comme éléments de l’ordre public des composantes que l’on pourrait qualifier de
traditionnelles, même si la façon de leur énonciation ne peut laisser indifférent, tant elles
peuvent appeler des interprétations parfois contradictoires. En effet, comment ne pas
s’interroger ici sur l’emploi, en sus de ces éléments, des notions de « bon ordre » et de
« sûreté » ? Un tel emploi ne saurait être gratuit, encore moins dénué de conséquences
au plan juridique.

S’agissant tout d’abord de la notion de « bon ordre », s’agit-il de lui donner un


contenu suffisamment neutre auquel elle n’a pas accès lorsqu’elle est déclinée
simplement comme ordre, sans adjectif qualificatif ? On serait tenté de le penser, tant
elle peut alors paraitre connotée, car l’ordre dont s’agirait serait alors considéré comme
celui voulu par les seules autorités chargées de le maintenir ou de le rétablir. Le fait
d’ajouter le qualificatif « bon » donnerait ainsi une indication, mieux une direction,
quand au type d’ordre à rechercher et à maintenir. Mais, même si l’on était d’accord
pour accepter une telle analyse, la question se déplacerait du nom à l’adjectif, pour
chercher à savoir ce qu’il faut entendre par ce dernier, quel contenu lui donner. Mais il
semble que toute spéculation ne puisse conduire ici qu’à des résultats stériles, le cœur et
les reins du législateur étant en la matière hors de toute sonde cognitive1102.

Quand à l’emploi du terme sûreté en plus de celui de sécurité, il semble qu’il ne


soit rien d’autre que le signe itératif de la place, mieux de l’importance accordée à la
sécurité comme composante de l’ordre public, mais aussi et surtout comme objectif à
rechercher et à sauvegarder précieusement1103. Cela dit, il faut se pencher sur les

du champ de la police générale ? La question mérite un examen plus approfondi, à la lumière de l’ensemble de
l’ordre juridique, surtout que la pratique semble ne pas avoir suivi cette apparente évolution législative. (On en
veut pour preuve des arrêtés municipaux récents et postérieurs à la loi de 2004, visant à réglementer
l’habillement dans les lieux publics, au nom de la morale et de la décence publique). Nous y reviendrons.
1102
On peut néanmoins, à la suite du Professeur CHAPUS, qui pose lui aussi la question de savoir si la notion
de « bon ordre » a un contenu propre (R. CHAPUS, Droit administratif général, tome 1, précité, p. 705),
admettre avec Charles-Edouard MINET (C.-E. MINET, Droit de la police administrative, précité, p. 35)
« qu’il peut être compris comme synonyme de tranquillité publique ».
1103
En fait, il semble que la notion de sûreté soit « englobée dans la sécurité publique ». (C.-E. MINET, Droit
de la police administrative, précité, p. 35), car elle se rapporte traditionnellement à la situation individuelle du
citoyen. C’est d’ailleurs en ce sens que le vocabulaire juridique là défini « garantie de la liberté individuelle
qui consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa
personne, de ses droits et de sa propriété ». Cf. G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 4e
édition, op. cit. p.866

361
composantes déclinées avec moins d’équivoques et de difficultés, à savoir la sécurité, la
salubrité et la tranquillité publiques1104.

1 – Le contenu certain

Il est constitué par les trois composantes bien connues que sont la sécurité, la
tranquillité et la salubrité publiques.

a )- La sécurité publique

Si le concept de sécurité publique peut avoir une signification bien précise,


malgré les difficultés dont le système juridique, par son austérité et sa complexité en
innerve la systématisation, il n’a cessé d’évoluer au fil du temps, débouchant aujourd’hui
sur un contenu apparemment illimité, de telle sorte que l’on a du mal aujourd’hui à ne
pas y voir une notion essentiellement fonctionnelle.

En latin sécuritas, qui dérive de securus et qui signifie sûr, la sécurité est la
« situation de celui ou de ce qui est à l’abri des risques (…agressions, accidents,
atteintes matérielles)1105 ». Elle désigne aussi la « prévention de tels risques », les
« mesures et moyens de protection tendant à prévenir la réalisation de ces
risques1106 », l’ « ensemble de précautions incombant à certaines personnes envers
d’autres1107 ». Cette acception de la sécurité semble parfaitement correspondre à celle en
vigueur en droit positif camerounais. Ici en effet, en l’absence d’une définition claire,
l’on est forcé de se tourner vers les textes, et l’un deux justement fait clairement
référence à cette idée d’absence de risques. Il s’agit du décret n°2012/1318/PM du 22
mai 2012 fixant les conditions et les modalités d’octroi de l’autorisation d’exercice de
l’activité de certification électronique1108. L’article 2 (12) de ce texte énonce en effet que
la sécurité est la « situation dans laquelle quelqu’un, quelque chose n’est exposé à

1104
On aura compris que ces différentes composantes de l’ordre public ne sont pas ici évoquées dans leur ordre
d’énonciation législative. Simplement cela est dû au fait qu’au stade actuel, nous n’accordons pas plus
d’importance à l’une des composantes par rapport à une autre, toutes étant énoncées par le même texte, et
ayant donc à priori la même valeur juridique. Mais cela dit, on peut, dans une perspective globale, c’est-à-dire
celle de l’ensemble de l’ordre juridique, poser la question alors pertinente de la hiérarchie que l’on peut établir
entre les différentes composantes de l’ordre public, afin de voir si elles ont le même rang au sein de l’ordre
juridique.
1105
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 4e édition, op. cit. p. 821.
1106
Idem.
1107
Ibid.
1108
Le texte intégral de ce décret a été publié dans le quotidien bilingue Cameroon Tribune du mercredi 30 mai
2012, à la page 4.

362
aucun danger ». Un « Mécanisme destiné à prévenir un évènement dommageable, ou
à en limiter les effets ». On peut penser que les risques, dangers ou évènements
dommageables dont-il s’agit ici peuvent consister en des accidents, des catastrophes de
toutes sortes et des désordres de toutes natures.

La notion de sécurité apparait alors ici comme une notion purement négative,
puisqu’elle est définie comme l’absence de troubles, ou si l’on veut, de désordre. Une
définition exclusivement négative de la notion de sécurité publique ne saurait satisfaire
ici, dans la mesure où l’ordre public lui-même va au-delà d’une simple acception
négative, à savoir l’absence de troubles, pour développer une dimension constructive très
forte. Paul BERNARD partage clairement cet avis, lorsqu’il soutient que « l’ordre
public est quelque chose de plus que l’absence de troubles publics, de même que la
santé ne saurait être confondue avec l’absence de maladie. L’ordre public est le fruit
d’une œuvre constructive, résultat des efforts pour instaurer un ordre vivant,
dynamique, positif1109 ». La sécurité publique ne saurait donc être conçue uniquement
comme l’absence de quelque chose, en l’occurrence de désordres ou de troubles, mais
bien la présence de quelque chose, à savoir par exemple les moyens qui sont dégagés et
les objectifs poursuivis par l’entreprise de maintien de l’ordre public au sein de l’Etat.

Au plan le plus concret, la dimension constructive de la sécurité va, dans un


domaine comme celui de la circulation qui en est l’une des terres d’élection privilégiée,
conduire par exemple à rendre obligatoire pour tous les automobilistes le port de la
ceinture de sécurité au volant1110. On voit bien par là que ce n’est pas le fait négatif de
l’absence de trouble qui est ici pris en compte, puisqu’il n’existe pas, mais le fait positif
d’instituer une mesure qui, à tort ou à raison est considérée comme prévenant les
accidents de la circulation, ou plutôt, pour être exactement juste sur ce cas, comme
limitant les dégâts causés par les accidents de la circulation.

1109
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op cit., p. 44.
1110
Voir par exemple : arrêté n°003965/A/MTPT du 10 Mai1993 portant réglementation du port obligatoire de
la ceinture de sécurité dans les véhicules automobiles. « Art 1er : Le port de la ceinture de sécurité est
obligatoire pour le conducteur et les passagers de la place latérale avant des véhicules automobiles en
circulation sur l’ensemble du territoire de la République du Cameroun. Art. 2 : Toutefois, sont dispensés du
port de la ceinture de sécurité : 1. les conducteurs qui effectuent une marche arrière ; 2. les conducteurs de
taxi en service ; 3. les livreurs, lorsqu’ils chargent ou déchargent des marchandises successivement à des
endroits situés à courte distance l’une de l’autre ; 4. les femmes enceintes en possession d’un certificat
médical ; ce certificat médical doit préciser la date d’expiration de la dispense ; 5. les personnes qui sont en
possession d’une dérogation délivrée en raison d’une contre indication médicale grave. La date d’expiration
de la dispense doit être mentionnée sur l’attestation de dispense ».

363
Mais l’une des caractéristiques essentielles du contenu de la notion de sécurité et
qui est déterminée par le fait que le juge ne l’enferme pas dans des limites objectives,
réside dans le fait que, tout comme l’ordre public d’ailleurs, elle est au Cameroun ce que
les autorités administratives voudraient qu’elle soit. C’est donc ainsi que son évolution
ne peut que contribuer à en accentuer l’aspect tentaculaire. En effet, si classiquement la
sécurité renvoie à la protection contre les accidents qui menacent la collectivité ou les
individus1111, soit la protection du public1112, elle tend aujourd’hui à protéger des
catégories ciblées d’individus, et même parfois les personnes auxquelles les mesures
s’adressent1113, brisant ainsi la distinction ordre public ordre privé. Une telle sécurité qui
s’ingère dans la sphère privée contribue à accroitre le caractère tentaculaire de l’ordre
public, surtout qu’elle tend à rejoindre d’autres catégories de l’ordre public, notamment
la salubrité publique, à travers des notions telles que celle de sécurité sanitaire.

b - La salubrité publique

La notion de salubrité publique ne bénéficie pas d’un contenu textuel défini. Pour
découvrir à quoi elle renvoi, il faut donc procéder par rapprochements entre les différents
textes et surtout s’inspirer de la doctrine en la matière1114.

« Elément de l’ordre public caractérisé par l’absence de maladies ou de


menaces de maladies », la salubrité publique est « un objectif de la police
administrative qui exige un état sanitaire satisfaisant et se traduit par des mesures
relatives à l’hygiène des personnes, des animaux et des choses et par la lutte contre la
pollution (prévention des épidémies et épizooties, contrôle des comestibles exposés en
vente, etc.)1115 ». Cette définition, bien qu’inspirée du droit français, restitue assez
fidèlement les différents éléments pouvant être rattachés à la notion de salubrité publique

1111
Idem, p. 16 ; dans le même sens, P. BRAUD, La notion de liberté et ses implications en droit français,
précité, p. 423.
1112
Conformément à l’adjectif « publique » accolé au substantif sécurité.
1113
En effet classiquement, la sécurité qui est recherchée dans la cadre de la police administrative est celle de
l’ensemble du public, et particulièrement des tiers à l’activité objet de réglementation. L’évolution ici se situe
dans le fait que de plus en plus, ce sont les personnes même exerçant l’activité réglementée qui sont les
destinataires de l’activité de police. Ce glissement dans le droit contribue par là à catégoriser l’activité de
police et même à là personnaliser, atténuant ainsi sa nature publique au profit d’une forme de catégorisation et
de privatisation préjudiciable à la sphère privée en principe inviolable.
1114
La doctrine camerounaise étant en la matière inexistante, l’analyste est contraint de s’inspirer de la doctrine
étrangère, tout en se gardant de toute attitude mimétique, ne retenant que les données pouvant refléter la réalité
juridique camerounaise.
1115
G. CORNU, Vocabulaire juridique, op cit., p. 812.

364
en droit camerounais. En effet, elle s’identifie ici d’abord à l’hygiène publique, hygiène
dans les lieux publics, hygiène dans la rue. La loi n°74-23 du 5 décembre 19741116
restitue plus fidèlement cette proximité et même cette synonymie entre salubrité
publique et hygiène publique, elle qui inclue parmi les missions de la police municipale
« l’exécution de toutes mesures d’hygiène et de salubrité publique, notamment la lutte
contre les taudis, l’établissement et la réparation des fontaines, conduites d’eau,
égouts, latrines ». Classiquement, cette composante de l’ordre public permet de ne
prendre que les mesures visant à réaliser les conditions générales et extérieures de
salubrité1117 ; toutefois, il est essentiel de préciser que les exigences de salubrité sont de
plus en plus très rigoureuses aussi bien sur le plan de l’hygiène collective que sur celui
de l’hygiène individuelle1118

Les évolutions de la société conduisent aujourd’hui à étendre la salubrité publique


aux exigences de santé publique et c’est le deuxième aspect de la notion. Les
dispositions même de l’article 87 de la loi de 2004 le confirment, lorsqu’elles évoquent
parmi les missions de la police municipale, « la prévention par des précautions
convenables, et l’intervention par la distribution des secours nécessaires, en cas
d’accident et de fléaux calamiteux tels (…) les maladies épidémiques ou contagieuses,
les épizooties1119… ». Plusieurs textes viennent par ailleurs confirmer cette importance
accordée aux exigences de santé publique dans la cadre de la salubrité publique, et ceci
avant même l’indépendance1120. Il faut souligner que cette salubrité en termes de santé ne

1116
C’est en effet cette loi qui, jusqu’en 2004, défini les missions de la police administrative.
1117
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op cit., p. 14. L’auteur affirme en effet que
« initialement, la salubrité publique était pour les autorités administratives un objectif aux proportions très
limitées : c’était exclusivement l’hygiène dans les lieux publics, dans la rue et les mesures prises en cette
matière ne visaient qu’à réaliser les conditions générales, extérieures de salubrité ».
1118
Voir à cet effet la loi n°75/13 sur l’inspection sanitaire vétérinaire en son article 15 ; dans le même sens,
arrêté n° 39/MTPS/IMT du 26 novembre 1984 fixant les mesures générales d’hygiène et de sécurité sur les
lieux du travail.
1119
C’est nous qui soulignons.
1120
Voir Arrêté n° 37 du 1er octobre 1937 fixant les règles générales d’hygiène et de salubrité publique à
appliquer dans le territoire du Cameroun français (J.O. du Cameroun, N° 422, 15 octobre 1937, p.860.)
modifié par un arrêté du 13 juin 1945 (J.O., du Cameroun 1945, p. 489) ; dans le même sens, Arrêté du 25
février 1933, réglementant le service d’hygiène de la ville de Douala (J.O. du Cameroun, N° 308, 15 mars
1933), notamment le titre premier. Il faut d’ailleurs dire qu’à cette période, la salubrité publique constitue peut-
être autant que la sécurité, l’objectif prioritaire des autorités coloniales, comme le démontrent tous les
innombrables textes adoptés en cette matière. Elle est alors considérée comme condition non seulement de la
santé publique (voir le décret du 22 mars 1938 relatif à la salubrité et à la santé publique au Cameroun
(démolition d’immeubles inachevés), J.O. du Cameroun, 30 mars 1938, p. 439 ; dans le même sens, voir la
Circulaire relative à l’hygiène et à la santé des indigènes du 17 février 1921, J.O.T.O.A.C., février 1921, p. 50.
), mais aussi de la sécurité publique (voir Arrêté du 28 novembre 1933 sur la salubrité et la sécurité publiques,
J.O. du Cameroun, décembre 1933, p. 721 ; arrêté n° 6677 du 5 octobre 1956 fixant les mesures particulières

365
concerne pas que les êtres humains ; elle est aussi relative aux animaux1121, ainsi qu’aux
choses1122 puisque le législateur vise aussi de manière expresse « la salubrité des
denrées comestibles exposées en vente ».

Cette extension législative de la notion de salubrité publique n’est pas sans


conséquences sur la notion d’ordre public, et partant sur la police administrative elle-
même. En effet, elle a pour conséquence d’étendre le champ d’intervention des autorités
de police administrative, et donc de leurs pouvoirs. Elle contribue aussi à diluer la notion
de salubrité publique dans celle de sécurité, ou plutôt à décloisonner les différents
compartiments de l’ordre public, de telle sorte que cette notion ne peut qu’en perdre plus
de clarté et de précision. Il n’est en effet pas du tout neutre que les textes pullulent de
concepts assez transversaux que ceux de « sécurité sanitaire », d’« hygiène morale »
etc. Mais dans tous les cas, il s’agit là de la preuve manifeste du caractère diffus de la
notion d’ordre public, lequel caractère est attesté par certains textes qui traitent
simultanément des deux notions, preuve de leur interpénétration1123.

c - La tranquillité publique

Le Vocabulaire juridique de l’association Henri CAPITANT là défini comme


« un élément de paix sociale (de bon ordre) », un « aspect de l’ordre public, qui
constitue l’un des objets de la police administrative ». C’est en effet comme élément de
paix sociale que l’ordre public est perçu par le droit camerounais, la paix entendue ici
comme absence de troubles, de quelque nature qu’ils soient. La loi de 1974 était très
explicite sur cette acception, lorsqu’elle disposait en son article 71 alinéa 2 que « les
rixes et disputes dans les rues, les attroupements, bruits et rassemblements nocturnes »

d’hygiène et de sécurité applicables dans les établissements dont le personnel est exposé à l’intoxication
benzolique, J.O.C.F., 17 octobre 1956, p. 1806.).
1121
Voir le décret le décret du 16 décembre 1924 portant réglementation de la police sanitaire des animaux
dans les Territoires du Cameroun (J.O.C., N° 116, 1er mars 1925p. 119.), complété par celui du 28 mai 1926 et
promulgué au Cameroun par l’arrêté du 21 aout 1926, (J.O.T.C., n° 152 15 septembre 1926, p. 162.)
1122
Voir Arrêté du 7 décembre 1926 relatif à la protection du bananier contre la maladie de Panama (J.O.C.,
n° 163, 1er mars 1927, p.128.) ; quand à la loi de 2004 précitée, elle évoque expressément en son article 87
alinéa 1 c) « l’inspection des appareils et /instruments pour les denrées qui se vendent au poids ou à la
mesure, et sur la salubrité des denrées comestibles exposées en vente ».
1123
C’est sans doute pour cette raison que la doctrine considère que « la salubrité est un facteur de paix, la
condition sine qua non de l’ordre dans la cité. C’est le corollaire indispensable du bon ordre et de la sécurité
publique ».Lire P. BERNARD, précité, p. 21 ; dans ce même ordre d’idée, le Professeur KEUTCHA
TCHAPNGA affirme que « assurer la salubrité publique, c’est répondre au souci d’empêcher, dans toutes la
mesure du possible que les causes d’insalubrité, par leurs conditions de propagation et leurs répercussions
sociales prennent l’aspect de véritables désastres sociaux ». Lire, C. KEUTCHA TCHAPNGA, Le contrôle
de l’Etat sur les activités privées au Cameroun, Thèse, Droit public, Aix-Marseille, 1992, p. 63.

366
constituent des atteintes à la tranquillité publique. La tranquillité publique n’a donc pas
ici qu’une dimension si l’on peut dire sonore (interdiction des bruits et disputes), mais
aussi et surtout une dimension physique (interdiction des attroupements et
rassemblements nocturnes) et pourquoi pas morale (interdiction des rixes et donc des
bagarres1124).

Mais la loi de 2004 n’ayant pas reconduit cette disposition qui, il faut le
reconnaitre, est assez éclairante sur le contenu de la notion de tranquillité publique, on
pourrait se poser la question de savoir si celle-ci devrait aujourd’hui être entendue
différemment, surtout qu’aucune disposition équivalente n’existe dans le nouveau texte.
Il est permis de douter d’un quelconque changement en la matière, car, si la disposition
de l’alinéa 2 de la loi de 74 n’a pas été reconduite, on peut estimer que, le législateur
ayant introduit dans la nouvelle loi la notion de « bon ordre », celle-ci est réputée
comporter les éléments juridiques permettant de réaliser les mêmes missions de police
administrative que sous le régime juridique ancien, particulièrement en ce qui concerne
la notion de tranquillité publique. Si l’on considère en effet que la notion de bon ordre
est synonyme de tranquillité publique, alors elle peut être utilisée par le juge pour
réprimer les atteintes précédemment évoquées. Cela ne pourrait se faire, il est vrai, que
sur la base d’une démarche constructive du juge, la notion de bon ordre n’ayant pas en
vérité un contenu en soi.

Cela dit, s’agissant de la corrélation entre tranquillité publique et bon ordre, il est
plus juste de dire, de notre modeste point de vue, que le bon ordre englobe la tranquillité
publique et donc là dépasse. En effet, on peut considérer, d’une certaine manière, que
c’est l’évolution de la notion de tranquillité publique qui conduit aujourd’hui à l’essor de
celle de bon ordre, car seule celle-ci permet, en qualifiant l’ordre à rechercher et à établir
de « bon », d’introduire certains éléments moraux dans la notion de tranquillité publique.
Il est permis en effet de penser que la conduite de la police générale à travers par
exemple l’interdiction de la mendicité ou de la pratique de certains cultes, introduit
subrepticement dans la notion de tranquillité publique une dimension spirituelle et même
morale, lesdits actes, conduits aux dires des autorités publiques pour rétablir l’ordre
public, ne pouvant se rattacher ni à la sécurité, ni à la salubrité publiques. De toutes les

N’y a-t-il pas en effet quelque chose d’immoral à être l’auteur de bagarres et de rixes sur la voie publique ?
1124

Mais ceci est une autre affaire.

367
manières, cela pose le problème de l’existence, au-delà de ces composantes classiques,
d’éléments nouveaux pouvant être considérés comme faisant partie de l’ordre public.

2 – Le contenu incertain

L’ordre public ne peut plus être entendu aujourd’hui sous le seul prisme de la
trilogie municipale, telle que léguée par le Doyen HAURIOU. Et si Jean RIVERO1125
soutenait encore récemment que la trilogie municipale constitue encore aujourd’hui « les
assises matérielles de la vie sociale », cette vision des choses semble avoir déjà vécue.
Elle correspond plus à l’Etat « veilleur de nuit » dont parle Robert Edouard
CHARLIER1126. Cet ordre, que l’on pourrait qualifier de naturel, tranche avec celui
volontaire qui est aujourd’hui en vigueur dans la majeure partie des Etats contemporains.
L’Etat aujourd’hui a fondamentalement changé, et « l’ordre public est un reflet de
l’évolution de l’Etat ». Et s’il y a un fait qui est caractéristique de cette évolution de
l’Etat contemporain, c’est celui de l’extension de la notion d’ordre public, prolongement
nécessaire de l’extrême diversification des fonctions de l’Etat moderne. Le Cameroun
n’est pas en marge de ces mutations, si bien que ne considérer ici que la seule trilogie
traditionnelle serait passer à côté de l’essentiel, ce serait n’avoir qu’une vue partielle du
contenu de l’ordre public. Ce concept comporte en effet des éléments assez mal connus,
soit parce que leur existence n’est pas (ou plus) certaine dans le droit positif, soit parce
qu’une certaine abstention doctrinale n’a jamais pu contribuer à leur identification et à
leur connaissance en tant que composantes de l’ordre public : il s’agit de l’esthétique, de
la morale publique et des droits fondamentaux1127.

a)- L’esthétique

La doctrine a depuis longtemps considéré l’esthétique comme faisant partie du


monde juridique. Si Paul BERNARD reste prudent sur la question, se demandant si la
défense de l’esthétique, c’est-à-dire du beau, n’entre pas dans la mission de
l’Administration depuis toujours considérée comme gardienne de l’intérêt général1128,
Paul DUEZ pour sa part, considère sans ambages « les injures à l’art comme des

1125
J. RIVERO, Les libertés publiques, Paris, PUF, coll. Thémis droit public, tome 1, 8 ème éd. 1997, p. 169.
1126
R. E. CHARLIER, Les fins du droit public moderne, R.D.P., 1947, p. 126.
1127
Il faut tout de suite préciser ici qu’en l’absence de données jurisprudentielles en la matière, c’est
essentiellement sur la base des textes que les analyses ci-après seront menées.
1128
P. BERNARD, précité, p. 27.

368
troubles publics et la protection de l’esthétique dans la rue comme une mission de
police », « parce que le sens du beau fait et doit faire partie de notre patrimoine
culturel national1129 », poursuit-il. Quant à Robert Edouard CHARLIER, il se demande :
« pourquoi exclure l’esthétique de la notion si riche d’ordre public ? L’esthétique
n’est-elle pas à elle seule un ordre ? Elle est créatrice d’ordre et d’harmonie et un
facteur de paix sociale1130 ». Cela dit, il faut reconnaitre que cette introduction de
l’esthétique dans le champ du droit de la police administrative ne va pas de soi. En effet,
« tout concept aussi attirant soit-il, ne peut pénétrer ipso facto dans le Droit : le
domaine juridique est réservé aux notions répondant à certaines exigences de
précision, sous peine de devenir une philosophie irréelle. Le droit n’est pas le monde
des idées, c’est un ensemble de catégories ancrées dans la réalité, sanctionnées par
l’efficacité1131 ». Mais il peut arriver, comme cela semble être le cas au Cameroun, qu’un
concept fasse son entrée dans le champ juridique alors même qu’il n’a pas subi la « cure
de juridicisation » nécessaire à son efficacité dans le nouveau champ d’élection. Si ce
dernier est comme c’est précisément le cas celui de l’ordre public, ceci ne peut que
contribuer à lui donner un caractère aérien, voire désincarné, en tout cas irréel.

Précisons ici que les textes traitant des missions de police générale ne
mentionnent pas expressément la notion d’esthétique. Mais cela dit, cette composante
éventuelle de l’ordre public n’en est pas pour autant évacuée, comme peut le laisser
penser certaines dispositions pouvant y conduire. En effet, la loi de 1974, après avoir
défini l’objet de la police municipale à savoir l’ordre, la tranquillité et la salubrité
publics, poursuit en donnant dans un détail non exhaustif il est vrai, les missions qui y
sont afférentes. Lorsque l’on étudie attentivement ces dernières, l’on se rend compte que
certaines se rattachent aux éléments de la trilogie traditionnelle, et d’autres pas. Parmi
ces dernières, on lit, à l’alinéa 7, comme but de la police municipale, « en général,
l’ensemble des mesures tendant à l’embellissement des agglomérations de la
commune ». Or, l’on sait que l’esthétique vise précisément à assurer la sauvegarde de
l’environnement naturel ou architecturel contre tout ce qui pourrait l’enlaidir1132. Ne
s’agit-il pas là d’une consécration, bien que implicite, de l’esthétique comme but de la

1129
P. DUEZ, Police et esthétique, Chronique 17-Dalloz hebdomadaire, 1927.
1130
R. E. CHARLIER, Les fins du droit public moderne, op cit., p. 127.
1131
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op cit. p. 28.
1132
R. CHAPUS, Droit administratif général, précité, p. 706.

369
police générale ? Et l’emploi par le législateur de la locution « en général » peut laisser
penser qu’il s’agit d’ailleurs là d’une composante essentielle de l’ordre public,
fondement de la police générale. Le Professeur KEUTCHA TCHAPNGA affirme
d’ailleurs sans ambages, sous l’empire des dispositions de la loi de 1974, que « le
législateur a introduit la protection de l’esthétique non seulement dans l’ordre public
spécial, mais aussi dans l’ordre public général1133 ».

Cette analyse peut toutefois être démentie par les évolutions législatives
ultérieures, notamment la loi de 2004, qui semble avoir réglé la question dans le sens
contraire aux présentes postulations. Cette loi en effet, en aucune de ses dispositions, ne
semble faire cas de la notion d’esthétique, ni de manière implicite et à fortiori de manière
explicite. La question peut sembler alors réglée, et confirmer la thèse de l’inexistence de
l’esthétique comme composante autonome de l’ordre public général au Cameroun. Mais
cette loi, contrairement à sa devancière, consacre la notion de bon ordre qui, si elle a, aux
dires de la doctrine1134, la signification propre qu’on peut lui attribuer, devrait donc
englober la notion d’esthétique qui ne serait plus alors une composante autonome de
l’ordre public, c’est-à-dire justifier à elle seule l’édiction d’une mesure de police. Cela
dit, cette incertitude autour de l’esthétique comme composante de l’ordre public n’exclut
pas un développement ultérieur allant dans le sens d’en faire une composante essentielle
de l’ordre public général. Elle pourrait alors, à l’instar de la morale publique, contribuer
également à l’extension du champ matériel de la police administrative.

b)- La morale publique

L’institution de la morale comme but de la police administrative n’est pas sans


risques pour les libertés et droit des citoyens. C’est pour cette raison que le Doyen
HAURIOU niait tant la réalité que la légitimité d’une utilisation du pouvoir de police
pour le compte de la morale. L’éminent auteur soutenait alors que « la police ne
poursuit pas l’ordre moral dans les idées et dans les sentiments, elle ne pourchasse pas
les désordres moraux (…). Si elle l’essayait, elle verserait immédiatement dans
l’oppression des consciences1135 ». Cela dit, il convient de distinguer ici la morale de la

1133
C. KEUTCHA TCHAPNGA, Le contrôle de l’Etat sur les activités privées au Cameroun, op cit., p. 66.
1134
Idem, à la même page.
1135
M. HAURIOU, Précis de droit administratif, 12ème édition, pp. 549-550 ; Le Grand Doyen ajoutait : « Ce
n’est pas que la société n’ai pas besoin d’ordre moral (…). Cela veut dire que la société est invitée à se
protéger par d’autres institutions que celle de la police », à la même page ; dans le même sens, voir les

370
moralité publique. Les deux notions ne renvoient pas toutes à la même réalité et n’ont
pas les mêmes conséquences au plan des droits.

Bien que la doctrine soutienne que « la frontière est mince entre la protection de
la moralité publique et l’imposition d’un véritable ordre moral1136 », il faut dire que la
nuance entre les deux notions n’est pas sans importance. Alors que la moralité publique
est un ensemble d’ « idées morales communément admises à un moment donné par la
moyenne des citoyens1137 », l’ordre moral vise la promotion forcée de valeurs morales
défendues par une minorité1138. Selon Gilles LEBRETON, « alors que la moralité
publique vient d’en bas, et constitue un facteur de paix sociale, l’ordre moral vient
d’en haut et se veut un moyen de conquérir les âmes et d’opprimer les
consciences1139 ».

Au regard de la nuance qui s’impose alors entre l’ordre moral et la moralité


publique, et qui renseigne sur la nature de l’ordre public à promouvoir, il semble que le
droit positif camerounais ait opté pour le premier. En effet, la loi de 1974 mentionne,
comme missions de la police générale, « les mesures destinées à la sauvegarde de la
morale et de la décence publiques1140 ». Cette exigence ne pouvant être rangée dans
aucune des composantes classiques consacrées par le même texte1141, il n’y a pas de
doute qu’elle constitue alors une catégorie autonome de l’ordre public objet de la police
générale. Il est à noter ici que le législateur, en plus de la morale, vise expressément la
décence publique, preuve s’il en était besoin, de l’importance qu’il accorde à cette
valeur. Elle peut alors être considérée comme un but direct du pouvoir de police
administrative.

conclusions du Commissaire du Gouvernement MAYRAS dans ses conclusions sur l’arrêt Société les Films
Lutétia (S. 1960-III-94). Pour lui en effet, « il parait impossible d’admettre que la seule atteinte à la moralité
publique, c’est-à-dire le trouble dans les consciences, soit en elle-même un motif justifiant l’interdiction de
la représentation d’un film ».
1136
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit., p. 37.
1137
Définition donnée par le Commissaire du Gouvernement GULDNER dans ses conclusions sur C.E., 20
décembre 1957, Société nationale d’éditions cinématographiques (S. 1958.3, p. 73) reprenant ainsi celle de P.-
H. TEITGEN, La police municipale, précité ; ce dernier considérait aussi la moralité publique comme
« l’absence de scandales publics ».
1138
En l’occurrence les autorités de police administrative, ou les groupes sous la pressions desquels elles
agissent.
1139
G. LEBRETON, « Le juge administratif face à l’ordre moral », in Droit public Mélanges Gustave PEISER,
Paris, Presses universitaires de Grenoble, 1995, p. 363. Selon Paul BERNARD, « la moralité est donc la
pointe avancée de l’ordre public dans le domaine de la morale », précité, p. 35.
1140
Article 71 alinéa 6.
1141
Ce texte, en guise de rappel, et qui est très succinct par ailleurs, cite comme objet de la police
administrative l’ordre, la tranquillité et la salubrité publique.

371
Mais la question peut être posée de la reconduction de cette disposition dans le
nouveau corpus législatif définissant l’ordre public objet de la police générale. En effet,
la loi de 2004 ne reconduit pas in extenso la disposition ci-dessus citée. Mais un tel
doute devrait très vite être levé, car la nouvelle loi vise expressément la morale publique
comme pouvant justifier les mesures prises contre les aliénés dont l’état pourrait alors
compromettre celle-ci. La morale publique serait-elle alors un but indirect du pouvoir de
police administrative ? On pourrait le croire, eu égard à la lettre du nouveau texte. Mais
il faut bien reconnaitre qu’au-delà des mesures prises contre les aliénés, rien ne s’oppose
à ce que des mesures à caractère moral soient prises concernant d’autres personnes.
L’édiction récente de mesures tendant à réglementer l’habillement au nom de la morale
et de la décence publique le prouve amplement1142.

La mention de la notion de morale publique ici est par ailleurs remarquable et


dénote une grande importance à elle accordée par le législateur, surtout si l’on tient
compte du fait qu’elle cohabite avec celle de bon ordre. Ont aurait pu penser, en effet,
sous l’éclairage d’une partie de la doctrine1143, que la notion de bon ordre aurait bien pu
prendre en charge les exigences de la morale publique. Mais tel n’est pas le cas. Il faut
donc bien admettre, au regard des éléments sus évoqués, que la morale publique est non
seulement une composante essentielle de l’ordre public, mais surtout une composante
autonome, et contribue non seulement à élargir la surface de la police administrative, en
y incluant une composante immatérielle, mais aussi à en approfondir les exigences. Il
n’est sans doute pas inutile de rappeler que cette idée d’une morale publique considérée
comme élément de l’ordre public général n’est pas une donnée isolée au sein de l’ordre
juridique camerounais, comme le démontrent certaines réglementations de police visant
à là garantir1144. Assurément, le droit camerounais semble avoir fait sien la

1142
Selon une certaine doctrine en effet, « il y a dans un état de civilisation donné, un minimum d’idées
morales reçues, contre lesquelles on ne saurait publiquement s’insurger sans scandale grave et sur le
fondement desquelles l’action administrative peut s’exercer, comme l’action judiciaire », MIMIN, D. chron.
XIX- « Films interdits »-, 1956, cité par Paul BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op.
cit. p. 35.
1143
Voir par exemple Pierre BON qui considère que la notion d’ordre public « ne s’est pas étendue au point
d’inclure l’ordre public moral car le maire a toujours pu, sur la base de ses pouvoirs de police générale,
protéger cet intérêt là ». Cf. P. BON, La police municipale, précité, p. 186.
1144
Voir par exemple, pour ne prendre qu’elle, la loi n°88/016 du 16 décembre sur la publicité, qui prévoit que
« quel que soit le support utilisé, la publicité doit (…) obéir aux règles de décence, de morale et de vérité ».
(Article 11) ; « sont proscrites toute référence qui puisse déconsidérer une entreprise ou un produit
spécifique ainsi que toute déclaration ou présentation visuelle qui offense les bonnes mœurs, l’ordre public
et la morale en général… » (Article 12) ; « Lorsqu’elle s’adresse aux enfants et aux adolescents, la
publicité ne doit pas être de nature à compromettre leur éducation, ni comporter de déclaration visuelle,

372
recommandation du Doyen RIPERT selon laquelle « le droit ne doit pas faire régner
l’ordre seulement mais aussi la vertu1145 ». Mais le problème est que la vertu peut être
une valeur très subjective et, aboutir à une oppression pure et simple des consciences, et
donc à hypothéquer la liberté du plus grand nombre. De plus, entre la vertu et la morale,
il ya une distance que le législateur semble avoir franchi allègrement.

Au final, l’incertitude qui plane sur l’existence de ces composantes de l’ordre


public ne peut qu’augmenter les potentialités des autorités de police, élargir en cas de
besoin la surface d’intervention de leurs mesures, tout en la maintenant dans une réelle
obscurité. Le mutisme du juge, en confortant cette obscurité autour de la notion d’ordre
public, contribue à étendre le champ matériel de la police administrative et à le rendre
potentiellement illimité.

B – Le mutisme jurisprudentiel

Le juge1146 camerounais n’a pas jusque là donné un contenu à la notion d’ordre


public. En général, il se contente d’enregistrer celle-ci telle qu’elle a été mobilisée par
les diverses autorités de police administrative qui, en retour, ne manquent pas une
occasion d’y faire recours, en raison de l’abri qu’elle semble alors constituer pour elles
dans l’accomplissement de leurs actions.

Il a déjà été noté l’impossibilité qu’il y a à donner une définition, ou si l’on veut
un contenu à priori à l’ordre public au plan textuel. On peut tout au moins en limiter
l’exorbitance, en procédant à une sorte d’encadrement de celui-ci. En effet, le caractère
abstrait, vague et insaisissable de l’ordre public tient à ce que, pour le Professeur
PICARD, « il est de l’essence même de cette notion de ne pouvoir être, à priori et
surtout de façon générale et abstraite, définie par son contenu(…). L’ordre public est
une norme de nécessité(…) et, comme la nécessité, s’apprécie au regard de certaines
valeurs effectivement impliquées dans l’expérience, c’est-à-dire dans la matérialité
d’une situation de fait(…). Par conséquent, elle ne peut être définie en son contenu-
provisoirement et relativement- qu’ex post, c’est-à-dire en considérant l’ensemble des

écrite ou orale qui puisse leur causer un dommage physique, matériel, mental ou moral » (Article 16). Il est
à noter ici que la morale constitue ici un but direct de l’action de police administrative, et n’a pas besoin de la
médiation par exemple d’un dommage matériel.
1145
G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 1955.
1146
En particulier le juge administratif, les autres juges n’intervenant que très marginalement dans le
contentieux de la police administrative.

373
décisions particulières qui ont décidé, sous le contrôle du juge1147, qu’il y avait dans
les espèces considérées, une exigence suffisamment légitime, suffisamment impérative,
suffisamment proportionnée pour justifier, dans la mesure indiquée, une restriction
du droit ou de la liberté en cause1148 ». Malgré la plasticité incontestable de la notion,
elle peut néanmoins, aux dires de l’éminent auteur, être cernée, et le rôle du juge apparait
ici comme décisif, car en fin de compte, c’est à lui que revient la lourde charge de
déterminer, sur la base des différentes espèces qui lui sont soumises, le contenu de
l’ordre public. En effet, « Si l’ordre public est une notion contingente et relative, cette
relativité et cette contingence pourraient ne pas faire obstacle à une décomposition de
l’ordre public en éléments simples et constants : salubrité, sécurité, tranquillité…Il
serait alors possible, à priori de dessiner les contours de cette notion, même si
l’application concrète de ce concept restait fonction des circonstances1149 ». Il peut
alors, à l’aide des pouvoirs qui lui sont conférés par la société, veiller soit à contenir
celle-ci dans des proportions restreintes, soit même à là laisser s’étendre mais en en
surveillant la nuisance vis-à-vis des droits et libertés. Le juge « constitue le dernier
rempart contre les abus susceptibles de se produire du fait de ces habilitations en
chaine1150 » dont bénéficient les autorités de police administrative et qui leur
permettent, au nom de l’ordre public, de porter atteinte aux droits et libertés. Le
Professeur MAILLARD n’affirme-t-il pas, à juste titre d’ailleurs, que « la détermination
du contenu de l’ordre public général est jurisprudentielle1151 » ? Le fait pour celui-ci de
rester muet devant une notion aussi potentiellement liberticide ne peut que susciter
étonnement et condamnation, car la notion d’ordre public apparait alors dans l’ordre
juridique comme ce que les autorités administratives voudraient qu’elle soit, c’est-à-dire
ne visant que les seuls intérêts de la puissance publique. Elle peut s’étendre à l’infini,
sans que cela interpelle le juge, qui semble alors poursuivre une politique

1147
C’est nous qui soulignons.
1148
E. PICARD, La notion de police administrative, précité, tome 1, p. 563
1149
D. MAILLARD DESGREES Du LOÛ, Police générale, polices spéciales. (Essai sur la spécificité des
polices générales et spéciales), op cit., p. 161.
1150
C. VIMBERT, « L’ordre public dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », R.D.P. 1994, p. 728.
Patrick WACHSMANN affirme dans le même ordre d’idée que : « les positions que la loi abandonne, c’est le
juge qui est sensé les défendre », pour montrer l’importance de l’action du juge dans le système juridique ; Cf.
P. WACHSMANN, La liberté individuelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, R.S.C., 1988, p.
13.
1151
Idem, p. 166.

374
jurisprudentielle en faveur des seules prérogatives de la puissance publique 1152. Le
contenu de l’ordre public ne peut que s’en trouver imprécis et obscur, car seule l’autorité
administrative sera capable d’en donner les éléments, lesquels sont alors purement
aléatoires et même arbitraires, variant à l’excès en fonction de ses intérêts.

Pourtant, s’«il reste que la nature profonde de l’ordre public général, qui est
d’exprimer un certain nombre de valeurs dont la préservation parait nécessaire à la
société, oblige de lui donner un contenu variable suivant les époques et, quelques fois
suivant les lieux », si « une même valeur peut changer de signification, des valeurs
nouvelles apparaitre, d’anciennes ne plus briller de tout leur éclat, en même temps, il
faut reconnaitre que le nombre de ces valeurs est relativement stable et restreint 1153 ».
C’est donc au juge qu’il appartient de dresser une sorte de catalogue de ces valeurs, en
veillant à ce qu’elles ne soient pas, aussi bien quantitativement que qualitativement, en
trop grand déphasage avec les exigences de l’Etat de droit. Malgré ces possibilités de
clarification fournies par la théorie juridique, l’ordre public, « cette notion qui revient
comme un leitmotiv1154 », apparait dans la jurisprudence camerounaise comme « une
notion très floue, imprécise, qui permet toutes sortes d’interprétations et par cela
même légitime toutes les interventions du pouvoir1155 ».

1 - Le refus par le juge de fixer le contenu matériel de l’ordre public

Affirmer le mutisme du juge dans la définition de la notion d’ordre public c’est


reconnaitre que ce dernier n’a jamais donné un contenu à cette notion, que ce soit
explicitement ou implicitement. La recherche casuistique n’a révélé en effet aucune
espèce dans laquelle celui-ci a tenté de clarifier le contenu de cette notion, tout au plus

1152
P. BERNARD affirme, dans ce sens, que « l’ordre public est d’une part, le reflet et l’instrument de la
notion de puissance publique ; d’autre part, le visage et l’arme du pouvoir exécutif ». L’auteur poursuit, pour
insister sur le caractère irremplaçable de l’ordre public : « on peut concevoir une société sans service public,
mais il est impossible d’imaginer une société organisée sans intervention de la notion d’’ordre public.
L’absence de l’ordre public c’est l’anarchie, c’est la négation de toute organisation sociale, c’est la
démission du droit ».
1153
D. MAILLARD DESGREES Du LOÛ, Police générale, polices spéciales. (Essai sur la spécificité des
polices générales et spéciales), op cit., p. 164.
1154
J. BINYOUM, Le contentieux de la légalité en « droit administratif camerounais », Thèse, Doctorat
d’Etat en droit, Toulouse, 1979, p. 65.
1155
Idem, à la même page.

375
lui est-il arrivé, à quelques rares occasions1156, de reprendre in extenso les dispositions de
l’article 87 de la loi de 2004 fixant l’objet de la police municipale. Cela dit, en analysant
l’attitude du juge et en examinant de près les très rares décisions qu’il a été amené à
prendre jusque là sur des affaires intéressant l’ordre public de la police adminstrative, il
est possible de distinguer deux expressions de son mutisme : dans certaines de ses
espèces, il peut être tiré des éléments pouvant dégager la conception qu’il a de cette
notion : nous qualifierons ce mutisme de relatif. Dans d’autres espèces, il est impossible
de déduire une quelconque contribution de sa part à une définition de l’ordre public :
cette attitude là sera qualifiée de mutisme absolu.

Le mutisme du juge sur la définition de la notion d’ordre public peut paraitre


relatif si l’on tient compte du fait qu’il est amené à se prononcer sur un très grand
nombre d’affaires concernant justement cette notion. Il s’agit d’un concept dont il fait
usage de manière quasi quotidienne, en l’occurrence dans le cadre du contentieux de
l’urgence1157. En effet, la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le
fonctionnement des tribunaux administratifs prescrit au juge administratif de n’ordonner
un sursis à exécution que lorsque « la décision attaquée n’intéresse ni l’ordre public, ni
la sécurité ou la tranquillité publiques1158 ». Le juge est donc amené à se prononcer à
chaque fois qu’il est saisi d’une demande de sursis à exécution sur le fait de savoir si la
décision attaquée « intéresse » l’ordre public, la sécurité publique ou la tranquillité
publique. Or, pour ce faire, il doit pouvoir, au fur et à mesure des affaires, donner un
contenu à la notion d’ordre public, puisqu’à chaque fois, sur la base des faits de la cause,
il détermine celles des matières rentrant dans l’ordre public et celles n’y rentrant pas,
afin de prononcer éventuellement un sursis à exécution. En le faisant, le juge contribue,

1156
Jugement n°61/2001/CS/CA du 23 mars 2011, Affaire PASSO Jean Marie et Dame KENFACK Epouse
PASSO Julienne contre Etat du Cameroun (CUY). D’ailleurs, dans cette espèce, le juge se contente de
reprendre les termes de la loi de 2004 sur les communes qui fixe l’objet de la police municipale.
1157
B. R. GUIMDO DONGMO, Le juge administratif camerounais et l’urgence. Recherches sur la place de
l’urgence dans le contentieux administratif camerounais, Thèse de Doctorat d’Etat, Droit public, Université de
Yaoundé II, 2004, p. 315 ; C. KEUTCHA TCHAPNGA, « Le régime juridique du sursis à exécution dans la
jurisprudence administrative camerounaise », Juridis périodique n°38, avril-mai-juin 1999, p. 90.
1158
Article 30 alinéa 2 de la loi. Cette disposition ne fait que reprendre celle en vigueur antérieurement, à
savoir l’alinéa 2 de l’article 16 de la loi n° 75/17 du 08 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour
Suprême statuant en matière administrative. L’interdiction de prononcer un sursis à exécution lorsque la
décision attaquée intéresse l’ordre public, la sécurité et la tranquillité publiques était d’ailleurs étendue à la
procédure du référé. Ce dernier ne pouvait ne pouvait être mobilisé que si la décision attaquée ne concernait
pas le maintien de l’ordre public. C’est donc l’ensemble du contentieux de l’urgence qui était, jusqu’en 2006,
soumis au respect des exigences du maintien de l’ordre public. La réforme de 2006 a toutefois permis
d’atténuer un temps soit peu cette épée de Damoclès qui pesait sur les droits des justiciables, en enlevant le
référé administratif de ces procédures soumises au respect du maintien de l’ordre public.

376
quoiqu’indirectement, à donner un contenu à la notion. Mais pour qu’un tel dessein soit
atteignable, le juge doit pouvoir développer une argumentation claire et exhaustive, et
dire à chaque fois en quoi et même pourquoi telle matière rentre dans la catégorie de
l’ordre public et pourquoi telle autre n’y rentre pas. L’examen de la jurisprudence ne
peut malheureusement permettre de parvenir à un tel résultat, car, à l’analyse des
ordonnances de sursis concernées, le juge s’abstient presque systématiquement de toute
motivation, et se contente d’invoquer, à la suite de l’administration, la notion d’ordre
public, sans jamais lui donner un contenu ou même seulement là circonscrire.

Le caractère relatif du mutisme du juge ici tient au fait qu’il invoque la notion
d’ordre public, sans jamais là définir. Il est très bavard sur l’invocation de la notion, mais
absolument muet sur sa définition. Il s’agit d’ailleurs d’une tendance essentielle de sa
jurisprudence. Ainsi, il peut affirmer que la décision de fermeture d’une officine
pharmaceutique1159, de rectification1160, d’attribution1161 ou de suspension1162 de l’usage
d’un titre foncier, de retrait d’une accréditation1163 ne concernent pas l’ordre public, sans
jamais dire en quoi, ni pourquoi1164.

A contrario, il peut considérer que la décision de fermeture d’une clinique1165,


d’interdiction de la consommation de sachets de glutamate1166 ou d’annulation1167 de
certaines ventes, compensations et actes s’y rapportant sur des parcelles du domaine
public et du domaine privé de l’Etat, de convocation du corps électoral1168, de mise en

1159
Ordonnance n° 05/92-93/CS/PCA du 05 octobre 1992, Affaire SIGHOKO Abraham c/ Etat du Cameroun.
1160
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CA/CS/90-91 du 04 juillet 1991, Affaire CHEDJOU Gabriel c/ Etat du
Cameroun ; Ordonnance n°11/OSE/PCA/CS/91-92 du 14 avril 1991, Affaire ZOCK Ibrahim c/ Etat du
Cameroun.
1161
Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/93-94 du 07 mars 1994, Affaire Collectivité de Maképé II c/ Etat du
Cameroun.
1162
Ordonnance n°75/OSE/PCA/CS/97-98 du 18 septembre 1998, Affaire MBINA MPONA Jules c/ Etat du
Cameroun (MINUH).
1163
Ordonnance n° 48/OSE/PCA/CS/97-98 du 24 avril 1998, Affaire NDACHI TAGNE David c/ Etat du
Cameroun (MINCOM).
1164
Voir dans le même sens : Ordonnance de référé n° 02/OR/PCA/CS/97-98, Affaire KOUOGAN Claude c/
Etat du Cameroun (MINUH) et NGOUOMPENE Joseph (intervenant).
1165
Ordonnance n° 01/ORSE/CS/PCA/88-89 du 27 février 1989, Affaire JOHN Calvin c/ Etat du Cameroun.
1166
Ordonnance n° 33/OSE/PCA/CS/95-96 du 30 janvier 1996, Affaire Société Mondiana SARL c/ Etat du
Cameroun.
1167
Ordonnance n° 05/OSE/PCA/CS/97-98 du 13 octobre 1997, Affaire mesdemoiselles CARLE Julia et
TCHANGONGOM TCHEUMAKA c/ Etat du Cameroun (P.R.).
1168
Ordonnance n°08/OSE/CCA/CS/2013 du 19 août 2013, Affaire Mouvement pour la Renaissance du
Cameroun (MRC) c/ Etat du Cameroun (SG/PR). Le juge affirme ici que le décret de convocation du corps
électoral « intéresse l’ordre et la sécurité publics en ce qu’il touche le domaine complexe des élections dont le
processus qu’il a déclenché a mis en branle les différents intervenants notamment les partis politiques et leurs
candidats, l’Etat et l’ensemble des citoyens ».

377
demeure d’arrêter certaines constructions1169, d’apposition de scellés sur un
établissement classé1170, de fermeture et d’évacuation d’un immeuble1171, de fermeture
d’un lieu de culte1172, d’organiser les examens officiels1173, d’ordonner l’arrêt de travaux
sur un site faisant l’objet de deux titres fonciers revenant à des personnes différentes1174,
d’ordonner le démantelement d’un pylône situé sur une emprise aéroportuaire1175
intéressent l’ordre public, tout en restant muet sur le contenu de la notion en cause. On
peut donc aisément constater que le juge s’abstient non seulement de donner un contenu
à l’ordre public, mais surtout, il considère cette notion telle qu’elle a été mobilisée par
l’autorité administrative sans la soumettre à un quelconque contrôle. Ainsi, il va jusqu’à
considérer que l’ordre public est en cause parce que « le Président de la République a
visé les nécessités d’ordre public1176 » ou, tout simplement, qu’ « il ressort de l’acte
attaqué qu’il est intervenu dans l’optique de préserver l’ordre public et la paix
sociale1177 ». Pour le juge donc, l’ordre public est ce que les autorités administratives
voudraient qu’il soit.

De plus, l’ordre public dont le juge traite dans le cadre du contentieux de


l’urgence n’est pas l’ordre public général, au sens de la police administrative. D’abord

1169
Ordonnance n°12/OSE/CCA/CS/2013 du 21/02/2013, Affaire KAMTE François c/Etat du Cameroun
(CUD) ; le juge affirme : « la décision querellée intéresse la sécurité publique en ce que les constructions
concernées sont destinées à recevoir le grand public dont la sécurité doit être garantie par le respect des
règles et normes d’urbanisme ». Dans le même sens : Ordonnance n°83/OSE/CCA/CS/2010 du 12 octobre
2010, Kamte François c/Communauté urbaine de Douala (CUD).
1170
Ordonnance n°37/OR/CAB/PCA/CS/2003-2004 du 31 juin 2004, Affaire Nguessie Joseph c/ Etat du
Cameroun.
1171
Ordonnance n°17/OSE/CCA/CS/2013 du 23 avril 2013, Affaire dame Iewe Youmbi Hermonie c/ Etat du
Cameroun (MINATD) ; ici, pour une rare fois, le juge est un peu plus explicite. Il affirme : « Attendu que la
décision querellée interesse l’ordre et la sécurité publics en ce que l’immeuble concerné étant destiné à
recevoir le public, le rapport d’enquête administrative sur le terrain ayant mis en exergue les multiples
risques auxquels s’expose ledit public ».
1172
Ordonnance n°41/OSE/CCA/CS/2013 du 23 avril 2013, Affaire Eglise Evangélique Luthérienne du
Cameroun (EELC) c/ Etat du Cameroun (MINATD).
1173
Ordonnance n°84/OSE/CCA/CS/2010 du 12/10/2010, Affaire Epoux MVONDO c/ Etat du Cameroun
(MINESEC) : « L’organisation des examens officiels concerne l’ordre public »
1174
Ordonnance n°04/ORSE/PCA/CS/2002-2003 du 13 janvier 2003, Affaire Tsoungui Akongo Jean c/Etat
duCameroun (MINATD) ; i la décision concerne l’ordre public, la sécurité et la tranquillité publiques parce
que « c’est pour éviter d’éventuels troubles que la sous préfet de l’arrondissement de Yaoundé 3 ème a, à juste
titre, pris ladite décision, que face à une telle situation (deux personnes avec deux titres fonciers
revendiquant la propriété d’un terrain), ladite autorité avait bien agi en prenant pareille mesure afin de
procéder aux vérifications nécessaires ».
1175
Ordonnance n°045/OR/CAB/PCA/CS/2003-2004 du 11 août 2004, Affaire Société DIGICOM S.A. c/ Etat
du Cameroun (MINATD) ; le juge affirme que la décision querellée concerne l’ordre public, « d’autant plus
que l’arrêté querellé a été pris en vue d’assurer la sécurité de la navigation aérienne dans l’Aéroport
international de Douala ».
1176
Idem.
1177
Ordonnance n° 15/OSE/PCA/CS/97-98 du 26 novembre 1997, Affaire B.I.C.E.C. c/ Etat du Cameroun.

378
parce qu’il peut s’agir d’un ordre procédural, et ensuite parce que la plupart des fois oû il
est appelé à se prononcer, c’est dans le cadre de mesures d’urgence concernant des
polices spéciales, ce qui ne permet pas de dégager véritablement le contenu qu’il donne à
la notion d’ordre public général.

Aussi, l’on peut estimer que le contentieux de l’urgence ne permet


qu’indirectement de définir la notion d’ordre public, puisque l’ordre public dont il s’agit
ici peut ne pas être celui de la police administrative. C’est pourquoi le mutisme du juge
peut être relativisé ici. Mais quand on regarde le contentieux ordinaire, on observe le
même mutisme, et l’on est alors forcé de conclure au caractère absolu de celui-ci. Car
c’est justement le contentieux ordinaire qui permet au juge de donner un contenu à la
notion d’ordre public général. Plusieurs espèces auraient pu permettre au juge de se
prononcer clairement sur cette notion. Et récemment encore1178, l’occasion lui était
donné de le faire. Mais malheureusement, il s’est contenté d’y procéder partillement, en
évocant « l’ordre public dont la tranquillité est une composante ». Cet absolutisme
transparait encore plus lorsque le juge développe une conception purement abstraite de
l’ordre public.

2- La construction par le juge d’une conception purement abstraite de l’ordre


public

On peut d’abord observer, malgré les nombreuses juridictions administratives qui


se sont succédées dans l’histoire récente ou lointaine du Cameroun, une absolue
abstention du juge concernant le maintien de l’ordre public. Si l’on doit reconnaitre que
ce contentieux est en lui-même assez peu fourni, il n’en demeure pas moins que le juge a
eu quelques occasions d’affirmer son rôle de régulateur de la société, et de protecteur des
droits individuels, en donnant un contenu précis à la notion d’ordre public, puisque lui
seul peut le faire. Tel peut être le cas dans les affaires Organisation camerounaise des
droits de l’homme c/Etat du Cameroun(MINAT), Comité d’action populaire pour la
liberté et la démocratie (CAP liberté) c/Etat du Cameroun(MINAT), et Ambroise KOM
c/Etat du Cameroun (MINAT).

L’analyse de ces affaires permet de constater qu’il existe dans la jurisprudence du


juge administratif une dimension de l’absolution de l’ordre public qui s’analyse non plus
1178
CS/CA, arrêt n°51/P/AQD/2016 du 14 septembre 2016, Affaire Ets Terminus Plus Bar c/ Etat du
Cameroun (MINATD).

379
en un abstentionnisme, mais en une attitude véritablement positive. L’on observe donc
ainsi dans la jurisprudence une conception essentiellement liberticide de l’ordre public.
En effet, dans le contentieux relatif à la dissolution d’association1179, le juge estime que
l’évocation de certains slogans tels « villes mortes » ou « désobéissance civile » ne peut
que troubler l’ordre public, voire porter atteinte à la sécurité de l’Etat. Une telle
conception fait sortir la notion d’ordre public de sa dimension matérielle pour lui faire
prendre corps dans une sphère immatérielle, puisque n’est plus considéré comme atteinte
à l’ordre public des troubles uniquement matériels, mais bien désormais la seule
« évocation » de certains termes ou slogans. Même à l’ère de l’autoritarisme triomphant,
un tel seuil n’avait pas été franchi par le juge.

II – LA GLOBALISATION DE LA CONCEPTION DE L’ORDRE PUBLIC

La conception de l’ordre public en vigueur au Cameroun est globalisante. Elle ne


tient pas compte des spécifications dont est affectée la notion en fonction du lieu dans
lequel elle se déploie. Cette globalisation apparait alors comme une source de confusion,
et conforte la nature de standard de la notion d’ordre public, le tout contribuant à
absoudre l’ordre public de tout encadrement.

A – Une globalisation source de confusion

L’ordre public est un concept qui peut connaitre des applications fort variées.
L’unité notionnelle du concept tranche ainsi avec l’extrême diversité de ses applications.
Si la doctrine soutient que la seule façon de faire la synthèse de ces diverses applications
est d’appréhender la notion du point de vue fonctionnel1180, il faut reconnaitre qu’au plan
conceptuel, l’ordre public connait des manifestations spécifiques en fonction des
branches du droit au sein desquelles il se déploie1181. C’est ainsi que la notion n’a pas du

1179
Ordonnance N°19/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, Affaire Organisation camerounaise des droits de
l’homme (OCDH) c/ Etat du Cameroun (MINAT) ; Ordonnance N° 20/O/PCA/CS du 26 septembre 1991,
Affaire KOM Ambroise c/ Etat du Cameroun (MINAT) ; Ordonnance N°21/O/PCA/CS du 26 septembre 1991,
Affaire Comité d’action populaire pour la liberté et la démocratie (CAP-Liberté) c/ Etat du Cameroun
(MINAT).
1180
M.-C. VINCENT-LEGOUX, L’ordre public, op cit., p. 13. L’auteur écrit que « si l’on appréhende ainsi
rapidement au moins une unité fonctionnelle de la notion d’ordre public, la diversité de son champ d’action
engendre des doutes sur son unité conceptuelle ». Paul BERNARD écrit lui aussi à ce sujet que « l’unité
juridique de l’ordre public nait de sa fonction ». Cf. P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit
administratif, op cit., p. 236.
1181
Aussi la doctrine distingue-t-elle un « ordre public international » et un « ordre public interne », un
« ordre public matériel » et un « ordre public moral », un « ordre public politique » et un « ordre public

380
tout la même signification selon que l’on se situe dans le champ du droit privé 1182 ou du
droit public, ou que l’on aborde la notion en matière substantielle ou processuelle1183. Et
même au sein de la même branche juridique, la notion peut connaitre des spécificités en
fonction des disciplines. C’est ainsi qu’en droit public par exemple, un ordre public
spécifique peut être identifié en fonction du fait que l’on se situe en droit
administratif1184, en droit constitutionnel1185, en contentieux administratif1186, etc. La
caractéristique du système juridique camerounais procède du fait que l’ordre public est
ici appréhendé de manière globale, si bien que lorsque la notion est évoquée en matière
de police administrative par exemple, elle n’est pas revêtue d’une particulière spécificité.
L’ordre public de la police administrative tend alors à s’apparenter à l’ordre public
global.

La globalisation de la notion d’ordre public en matière de police administrative


permet à la notion d’étendre ses tentacules en largeur, dans toutes les branches du droit.
La notion va d’abord s’étendre à l’ensemble du droit public, pour se confondre purement
et simplement à l’ordre public général. Elle va ensuite, ce qui est plus grave, faire des
incursions répétées dans la sphère privée, ce qui va mettre à mal son qualificatif de
public.

économique », un « ordre public communautaire » voire « européen » et un « ordre public national », un


« ordre public substantiel » et un « ordre public processuel » etc. V. sur tous ces aspects : M.-C. VINCENT-
LEOUX, L’ordre public, op. cit., pp. 11 et s.
1182
En droit privé, on retrouve l’ordre public en droit pénal (S. CIMAMONTI, « L’ordre public et le droit
pénal », in L’ordre public à la fin du 20ème siècle, Paris Dalloz, 1996, p. 89 ; J. P. BEGOUDE, L’ordre public
pénal au Cameroun, thèse droit privé, Université de Yaoundé II, 1995), en procédure pénale (J. BELOT,
L’ordre public et le procès pénal, thèse Nancy, 1980), en droit civil (V. par ex. B. BEIGNIER, « L’ordre
public et les personnes », in L’ordre public à la fin du 20ème siècle, op cit., p. 13) en procédure civile (F.
EUDIER, Ordre public substantiel et office du juge, thèse, Rouen, 1994), en droit du travail (T. REVET,
« L’ordre public dans les relations de travail », in L’ordre public à la fin du 20ème siècle, op cit., p. 43).
1183
V. sur ce point P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op. cit., qui distingue un
ordre public substantiel et un ordre public procédural, et dont il essai de faire par la suite la synthèse.
1184
J. GOGNETTI, La notion d’ordre public. Etude limitée au droit administratif, thèse, Reims, 1998.
1185
J. M. BLANQUER, « Bloc de constitutionnalité ou ordre constitutionnel ? », in Mélanges Jacques
ROBERT, Paris, Montchrestien, 1998, p. 227 ; N. JACQUINOT, Ordre public et constitution, thèse, Aix-
Marseille, 2000.
1186
Ch. DEBOUY, Les moyens d’ordre public dans la procédure administrative contentieuse, thèse, Poitiers,
1978, PUF, 1980 ; A. NGA NGONO, Les moyens d’ordre public en contentieux administratif camerounais,
thèse, Droit public, Université de Yaoundé II, 2016.

381
1- La confusion entre ordre public de la police administrative et ordre public global

L’ordre public, but légal de l’activité de police administrative1187 ne doit pas être
confondu avec l’ordre public global, objectif de l’ensemble de l’ordre juridique, finalité
de l’Etat1188. La police administrative, en poursuivant le maintien de l’ordre public qui
est son but légal et juridiquement défini, concourt certainement à la réalisation de
l’objectif ultime de l’Etat, mais ne saurait en aucun cas le réaliser toute seule. Il ya en
effet une distinction à établir entre ces deux niveaux d’ordres publics. L’ordre public
global ou général, qualifié de fondamental, englobe l’ordre public de la police
administrative. Il est perçu comme « l’ensemble des principes de base qui gouvernent
l’ordre juridique général d’un Etat démocratique1189 ». Selon le Professeur TERRE, il
s’agit d’un « ensemble de principes et de valeurs dont la force contraignante préexiste
à ce pouvoir qu’auraient ou n’auraient pas les sujets de droit d’en aménager la
portée1190 ». Les principes et les valeurs dont parle l’éminent juriste sont posés par le
système juridique tout entier, et leur garantie ne saurait donc être réalisée par la seule
réglementation de police administrative, dont le but au regard de ces principes et de ces
valeurs s’avère beaucoup plus restreint et à certains égards modeste.

La confusion entre ordre public de la police administrative et ordre public général


est rendue possible ici d’abord par le caractère fortement indéterminé de la notion
d’ordre public1191, but de la police administrative. La notion peut alors être utilisée par
les autorités de police administrative pour réaliser des objectifs tendant à s’écarter du
cadre traditionnel permis par la police administrative.

La confusion est également entretenue par les énoncés textuels eux-mêmes, qui
manquent cruellement de spécifications et de précisions. En effet, lorsque les textes
n’évoquent pas comme objet de la police administrative les notions d’ordre ou de bon
ordre sans adjectifs qualificatifs, ils déclinent les buts de cette police administrative, à
savoir la sûreté, la tranquillité, la sécurité et la salubrité de manière indépendante par
1187
La doctrine considère ainsi que l’ordre public « constitue le seul but possible de l’action de police
administrative générale ». Cf. C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit. p. 31.
1188
De ce point de vue, « il semble donc que l’ordre public soit un point de contact entre l’ordre social-ce qui
est ordonné- et l’ordre juridique étatique-ce qui ordonne ». Cf. M.-C. VINCENT-LEGOUX, L’ordre public,
op cit., p. 15. Mais l’auteur reconnait que « cette hypothèse conduit à retenir une conception large de l’ordre
public et à ignorer les frontières entre les différentes disciplines du droit interne » (Ibid).
1189
J.F. ROMAIN, « L’ordre public et les droits de l’homme », in L’ordre public-Concept et applications,
Bruxelles, U.L.B., Bruylant, 1995, p. 7.
1190
F. TERRE, « Rapport introductif », in L’ordre public à la fin du 20ème siècle, op. cit., p. 4.
1191
Cf. supra.

382
rapport à la notion d’ordre public, comme si cette dernière avait un contenu
autonome1192. Cette tendance à donner à la notion d’ordre public un contenu autonome
ouvre la voie à une assimilation de l’ordre public objet de la police administrative à
l’ordre public global, but de l’Etat. Il est significatif à cet égard que la Convention franco
camerounaise relative à la défense, à l’ordre public et à l’emploi de la gendarmerie
dispose en son article 8 que « le maintien et le rétablissement de l’ordre public
comportent la protection des personnes et des biens, l’exécution des lois et règlements,
la répression des troubles intérieurs »

Enfin, la confusion tient également au fait que les textes sont particulièrement
équivoques pour déterminer la nature de l’ordre public en cause en matière de police
administrative. En effet, la quasi totalité des textes, en commençant par la loi de 2004
fixant les dispositions applicables aux communes et qui détermine l’objet de la police
administrative, jusqu’aux décrets déterminant les missions des forces de police, tous
évoquent le maintien de l’« ordre1193 », presque exceptionnellement le maintien de
l’« ordre public1194 ».

Au total, l’absence de séparation entre ordre public de la police administrative et


ordre public global, et qui conduit à leur confusion pure et simple dans le système
juridique camerounais, ne peut que contribuer à une globalisation de l’ordre public en
matière de police administrative, et ouvrir la voie à une incursion de la notion dans la
sphère privée.

La distinction de la sphère publique et de la sphère privée est une donnée


fondamentale de l’Etat libéral1195. Elle permet à la liberté de s’exprimer dans une sphère

1192
Voir par exemple la loi n° 2004/018 précitée.
1193
V. par ex. l’art. 4 du décret n°2012/540 portant organisation de la délégation générale à la sûreté nationale :
la sûreté nationale est chargée « … du maintien de l’ordre, de la paix, de la sécurité et de la salubrité publics,
ainsi que de la protection, plus particulièrement dans les agglomérations urbaines ». A noter aussi que la loi
n090/054 du 19 décembre porte bien sur le « maintien de l’ordre », et non sur la maintien de « l’ordre
public ».
1194
V. par ex. l’art. 4 du décret n°2002/3 du 4 janvier 2002 portant organisation de la délégation générale à la
sureté nationale : la sûreté nationale est chargée « du maintien de l’ordre et de la paix publics, de la
protection, de la sécurité et de la salubrité publique, plus particulièrement dans les agglomérations
urbaines ».
1195
L’Etat libéral est en effet celui qui laisse à l’individu une sphère d’action dans laquelle il ne s’immisce pas,
reconnaissant ainsi à celui-ci la liberté qui est son attribut essentiel. Lire dans ce sens Delphine GREGOIRE,
Recherches sur les évolutions de la police administrative…, op cit., p. 21 : « il convient de distinguer ici, en
application du principe de distinction entre sphère publique et sphère privée, l’ordre social privé résultant
du libre jeu des libertés individuelles, et l’ordre public qui correspond à la prise en charge de cet ordre par

383
en principe inviolable par la puissance publique. La police administrative, en tant
qu’activité d’intérêt général, se déploie en principe au sein de la sphère publique, d’où le
caractère public de l’ordre qu’elle est sensée assurer et maintenir. Mais il arrive très
souvent que la police administrative investisse la sphère privée, au moyen d’une vision
tentaculaire de l’ordre public, lequel va alors, en saisissant des domaines réservés
classiquement à l’autonomie de la volonté de chaque individu, briser la frontière entre la
sphère publique et la sphère privée. Ce phénomène, s’il est ailleurs la résultante d’un
souci paradoxal de garantie des droits et libertés1196, apparait au Cameroun d’avantage
comme une manière pour la puissance publique d’assurer un ordre non consubstantiel à
la liberté1197. Du coup, l’ordre à préserver apparait moins comme un ordre public que
comme un ordre tout court.

Au-delà du domaine de la sécurité, qui rend obligatoire pour les conducteurs


d’automobiles ou de motocyclettes le port respectif de la ceinture de sécurité et du
casque par exemple1198, l’un des champs de prédilection de cette incursion de l’ordre
public dans la sphère privée est le domaine de la salubrité publique. En effet, au nom de
cette exigence de police, la notion d’ordre public va investir la vie privée de l’individu,
et notamment son hygiène individuelle, dans le but de préserver la santé publique1199.
C’est ainsi que vont être prescrites des campagnes de désinsectisation des domiciles
privés, ou de contrôle de salubrité des maisons d’habitation, moyennant en cas de constat
d’insalubrité une amende à payer auprès de la municipalité. Mais l’ordre public est ici
aussi assimilé à l’ordre politique.

les autorités publiques lorsque le libre jeu des libertés et initiatives individuelles ne permet plus
momentanément de l’obtenir ».
1196
Ce souci est à la base de l’affirmation progressive d’un ordre public de protection individuelle, qui se
manifeste par exemple à travers la protection des individus indépendamment de leur consentement (mineurs,
sans abris, etc.). Mais ceci développe une dimension liberticide au sein de l’ordre public, parce qu’elle s’invite
au sein de la sphère privée, qui est le domaine réservé de chaque individu.
1197
Car, l’intervention de la puissance publique dans la sphère privée n’est pas toujours dictée ici par un soucis
de protection des individus, mais bien par une volonté de socialisation souvent morale, qui en principe ne
relève pas des missions de la police administrative.
1198
Arrêté n°003965/A/MTPT portant réglementation du port obligatoire de la ceinture de sécurité dans les
véhicules automobiles ; décret du 31 décembre 2008 fixant les conditions d’exploitation des motocycles à titre
onéreux, modifié et complété par le décret du 30 juillet 2013.
1199
La police administrative, sous le couvert de la salubrité publique, investit la sphère privée, puisqu’elle peut
prescrire des mesures d’hygiène ressortissant en principe de la sphère individuelle. A titre illustratif, une lettre
circulaire du ministre de l’administration territoriale n°0040/LC/MINAT/DCTD du 04 avril 2000, ayant pour
objet la restauration de l’hygiène et de la salubrité publique après avoir constaté les « conséquences
désastreuses (de la dégradation de la physionomie générale de nos agglomérations urbaines et rurales) aussi
bien sur la santé des citoyens que sur l’image de marque de notre pays », affirme que « la salubrité c’est la
santé, c’est aussi une question de dignité humaine et de fierté personnelle ».

384
2- L’assimilation de l’ordre public à l’ordre politique

Le Doyen DABIN1200 distinguait deux sortes d’ordres publics : l’ordre dans


l’Etat, au point de vue politique, et l’ordre dans la société. L’ordre public de la police
administrative étant d’abord « l’ordre dans la rue1201 », la doctrine considère qu’il est
aussi bien « l’ordre dans l’Etat et l’ordre dans la société1202 ». Il concerne donc les
bases de la collectivité. Mais le problème peut se poser, du degré de sensibilisation de
l’ordre public de la police administrative aux phénomènes politiques et sociaux, car en
cas d’imprégnation trop poussé de cette notion au sein de ces deux sphères, des risques
de politisation de la police administrative ne sont pas à écarter, ou d’utilisation de cette
dernière à des fins socialisantes.

Pour ce qui est du Cameroun en tout cas, la globalisation verticale de la notion


d’ordre public lui permet ici d’étendre ses tentacules tant en hauteur qu’en profondeur.
En effet, dans un premier temps, l’ordre public ici n’a jamais cessé de s’élever pour
investir la sphère politique, si bien que la distinction entre ordre public et ordre politique
apparait inexistante. Egalement, dans un second temps, l’ordre public plonge en
permanence ses racines au sein de la société, ce qui le confond purement et simplement à
l’ordre social, du moins si l’on en croit les énoncés textuels. Si le deuxième phénomène
est moins étonnant, le premier n’en est pas moins condamnable, car dommageable pour
la neutralité de l’activité de police, et donc pour l’exercice des libertés.

L’ordre politique, au sein de l’Etat, doit être distingué de l’ordre public, du moins
celui qui concerne la police administrative. Ci ce dernier n’est pas sans rapport avec le
premier et lui est même à certains égards nécessaire, il ne saurait se confondre à lui. En
effet, l’ordre politique « se situe sur un plan plus contingent et répond au besoin de
stabilité politique, à la nécessité d’empêcher les entraves à la bonne marche de l’Etat.
Il contribue à sauvegarder l’intégrité de l’Etat et à défendre un minimum
d’organisation étatique, moins en tant que régime politique déterminé que comme
facteur de stabilité et de paix1203 ». L’ordre public de la police administrative apparait
quant à lui beaucoup moins contingent que l’ordre politique, conformément à la thèse

1200
Cité par P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op cit., p. 70.
1201
Idem.
1202
Ibid.
1203
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op cit., à la même page.

385
brillamment démontrée de la stabilité de la sphère administrative et de l’instabilité de la
sphère politique1204. Si donc les deux ordres sont indiscutablement distincts, l’on peut
assister à des interférences entre eux, car l’ordre public de la police administrative
permet à la sphère politique de se déployer en toute sécurité, dans un environnement de
paix. En retour, l’ordre politique, en tant que fournisseur de légitimité aux autorités
administratives, permet à celles-ci d’exercer leur action sous le couvert du droit produit
par des organes politiques.

La distinction entre sphère administrative et sphère politique apparait ici comme


fondamentale. Aussi le problème peut se poser, et il se pose même au Cameroun de
l’interpénétration entre ordre politique et ordre public de la police administrative. En
effet, s’il est clair que la notion d’ordre public contribue au besoin de stabilité politique
de l’Etat, sa mobilisation permanente à cette fin, et l’accent mis par les autorités de
police administrative sur la défense des institutions républicaines cachent mal une réelle
tendance à l’utilisation de la police administrative à des fins politiques. Ce phénomène
est rendu possible par la juxtaposition dans la réglementation de la notion d’ordre public
avec celles de « sûreté de l’Etat1205 », de « sécurité de l’Etat1206 », d’« intérêt supérieur
de l’Etat ». Les autorités de police peuvent alors passer de l’emploi de la notion d’ordre
public à l’une de ces autres, alors même qu’elles ne recouvrent pas toutes la même
réalité.

La confusion entre ordre public et ordre politique est encore plus nette lorsqu’on
considère l’activité de police administrative au plus concret. En effet, le dédoublement
fonctionnel dans lequel les forces de police sont invitées à agir quotidiennement est lui-
même source de confusion. Ainsi par exemple, « la Sûreté nationale a pour mission
fondamentale d’assurer le respect et la protection des institutions1207… » ; « elle assure

1204
G. VEDEL, « Discontinuité du droit constitutionnel et continuité du droit administratif : le rôle du juge »,
in Mélanges offerts à Marcel WALINE. Le juge et le droit public, tome II, Paris, LGDJ, 1974, p. 777.
1205
La loi n°90/047 du 19 décembre 1990 sur l’Etat d’urgence dispose que celui-ci soit déclaré sur tout ou
partie du territoire national entre autres « en cas de troubles portant gravement atteinte à l’ordre public ou à
la sûreté de l’Etat ». Cette énonciation suggère, à travers l’emploi du « ou », que l’ordre public pourrait être
mis sur le même pied d’égalité que la sûreté de l’Etat, et, à la limite, que les deux atteintes pourraient être
interchangeables, ce qui est grave, l’atteinte à la sûreté de l’Etat étant par nature plus grave que celle à l’ordre
public.
1206
La loi n°90/053 du 19 décembre 1990 portant liberté d’association dispose en son art. 13(3) que le
ministre chargé de l’administration territoriale peut « dissoudre toute association qui s’écarte de son objet et
dont les activités portent gravement atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat ».
1207
Art. 3(1) du décret n°2012/540.

386
le respect de l’exécution des lois et règlements1208 » ; « elle concourt à l’exercice de la
police administrative et de la police judiciaire1209 » ; elle est chargée « …du maintien
de l’ordre, de la paix, de la sécurité et de la salubrité publics1210… ». Si au regard de
ces missions il est facile d’isoler les missions de police judiciaire, la tâche devient
difficile lorsqu’il s’agit de séparer l’exercice de la police administrative de la protection
des institutions ou de la garantie du respect des lois et règlements. La conséquence qui
en découle automatiquement est que, en dehors de la police judiciaire, toutes les autres
missions sont assurées sous le couvert de la police administrative, consacrant par là une
confusion entre ordre public et ordre politique, puisque le respect et la protection des
institutions relèvent plus de l’ordre politique que de l’ordre public de la police
administrative.

En outre, la confusion entre ordre public et ordre politique est accentuée par le
fait que la frontière est extrêmement mince entre respect de l’ordre public, respect et
protection des institutions publiques et respect de ceux qui incarnent ces dernières, et
donc respect d’un régime politique déterminé. L’ordre public peut alors être
constamment mobilisé pour sauvegarder l’existence d’un régime politique déterminé, au
sein duquel la personnalisation du pouvoir est patente. L’article 96 du décret du 31
décembre 19601211 n’affirmait-il pas que « la police administrative a pour objet la
tranquillité du pays1212 » ? Une telle confusion entre ordre public et ordre politique ne
peut que tendre à faire de la première notion un standard.

B – Une globalisation source de standardisation

Il ne fait pas de doute que l’ordre public est un standard. Il s’agit, selon M.
Stéphane RIALS, d’«un standard quelque peu composite mais véritable »1213. En effet,

1208
Art. 3(2) du décret n°2012/540.
1209
Art. 3(3) du décret n°2012/540.
1210
Art. 4 du décret n°2012/540.
1211
Décret n°60-280 du 31 décembre 1960 sur le service de la gendarmerie (J.O.C., n°1427 du 16 février 1961,
p. 177).
1212
Cet article est exactement énoncé : « La police administrative a pour objet la tranquillité du pays, le
maintien de l’ordre et la sécurité publique. Elle a un caractère essentiellement préventif et a pour but
d’empêcher tous les actes délictueux que la police judiciaire réprime ».
1213
S. RIALS, Le juge administratif et la technique du standard (Essai sur le traitement juridictionnel de l’idée
de normalité), Paris, LGDJ, BDP, 1980, p. 105. Pour l’auteur en effet, viole l’ordre public « toute situation ou
tout comportement qui s’éloigne des situations ou des comportements jugés normaux dans les domaines
traditionnels de l’article 97 du code de l’administration communale, ou éventuellement dans d’autres, de
façon suffisante pour créer un trouble de quelque nature qu’il soit. Met en œuvre l’ordre public, en sens
inverse, toute mesure qui tend à faire prévaloir à l’encontre d’un comportement jugé déviant ou d’une

387
« le fait que, comme beaucoup de notions fondatrices du droit, l’ordre public soit un
standard qui puise sa force dans la normalité, la moralité et la rationalité et qui est
porteur d’une norme de référence pour assurer une vie sociale supportable, emporte la
conviction de la majorité des auteurs »1214. Un standard est, pour prendre une définition
simpliste, « un type de disposition indéterminée, plutôt utilisé par le juge, dont le
caractère normatif est l’objet de contestations et qui met en jeu certaines valeurs
fondamentales de normalité ou de rationalité »1215. Pour faire encore plus simple, les
notions standards sont celles qui permettent de remplir certaines fonctions de
légitimation au sein de l’ordre juridique, sans qu’il soit possible de dire à priori ce
qu’elles pourraient recouvrir. Assurément, le standard est « un type de notion dont la
vocation est d’être souple et de permettre la prise en compte de valeurs non
proprement juridiques, qu’il est une mesure moyenne de conduite sociale correcte
formulée de manière précise ni par le législateur ni par le juge, variant avec le temps,
le lieu et les circonstances »1216. Elles s’apparentent donc à ces notions fonctionnelles
dont parlait le doyen VEDEL1217.

Mais plus que les autres standards, l’ordre public apparait comme particulier,
puisqu’il se révèle comme absolutoire de l’action des autorités administratives, tout en
leur réservant une surface d’intervention illimitée.

En effet, les textes et la jurisprudence ne donnant pas de définition claire à la


notion d’ordre public, elle reste frappée du sceau de l’indétermination et surtout de celui
de l’abstraction. L’on peut noter que le contenu de l’ordre public a un caractère
purement indicatif, comme le prouve l’emploi de l’adverbe « notamment » par le
législateur, lorsqu’il décline l’objet de la police municipale, ce qui conforte l’idée d’un

situation ressentie comme peu convenable une norme tirée d’une certaine conception de ce qui est normal
en l’occurrence ». (Ibid).
1214
M. DEGUERGUE, « L’ordre public et la doctrine », in B. SEILLER (Dir.), Les polices municipales en
perspective, Colloque de Tours 27 et 28 janvier 1999, p. 71.
1215
S. RIALS, Le juge administratif et la technique du standard, op. cit., p. 3.
1216
R.POUND, Social control through law, 1942, cité par D. GREGOIRE, Recherches sur les évolutions de la
police administrative, op cit., p. 123.
1217
Lire G. VEDEL, « De l’arrêt Septfonds à l’arrêt Barinstein », JCP, 1948-I-682 ; du même auteur : « La
juridiction compétente pour prévenir, faire cesser ou réparer la voie de fait administrative », JCP, 1950-I-851.
Les notions fonctionnelles se distinguent des notions conceptuelles. Ces dernières sont « celles qui peuvent
recevoir une définition complète selon les critères logiques habituels et leur contenu est abstraitement
déterminé une fois pour toutes (…) ; elles ont une réelle idée conceptuelle (…). L’utilisation de toutes ces
notions dépend de leur contenu ; le contenu ne dépend pas de l’utilisation », alors que les premières ne sont
pas « un pur mot », mais « une idée ou un faisceau d’idées », des « notions ouvertes », prêtes à s’enrichir de
tout « l’imprévu du futur ». « Les notions fonctionnelles sont également construites. Elles procèdent
directement d’une fonction qui leur confère seule une véritable unité ».

388
contenu non exhaustif, donnant ainsi raison à Paul BERNARD pour qui les textes
constituent une base très souple de la notion d’ordre public1218, laquelle les dépasse pour
parfois s’apparenter à une directive générale, « une directive suffisamment imprécise
pour permettre de faire prévaloir, dans chaque cas d’espèce l’intérêt général qui peut
entrainer soit le respect des libertés, soit leur limitation1219 ». Ce caractère purement
indicatif du contenu matériel de l’ordre public confirme l’idée que celui-ci peut être
étendu à souhait par les autorités exécutives qui sont en charge du maintien de l’ordre
public, cette option pouvant s’appuyer, au-delà du laconisme textuel, sur un mutisme
jurisprudentiel qui n’a d’égal que la sollicitation incantatoire de la notion d’ordre public
par les autorités administratives.

Cela dit, il faut souligner que la sauvegarde des droits et libertés devrait
commander une attitude plus volontariste de la part du juge, en ce qui concerne le
contrôle d’une notion dont le caractère potentiellement liberticide ne fait aucun doute. Le
système juridique camerounais semble donc avoir opté pour une conception purement
abstraite de l’ordre public, si bien que cette notion est ici appréhendée dans un sens
global, pour permettre aux autorités administratives d’intervenir dans tous les secteurs de
la vie sociale, élargissant par la même l’assiette de la police administrative. De plus, la
nature de standard de la notion apparait ici particulièrement exacerbée, donnant
l’impression que l’ordre public constitue un blanc seing pour les autorités
administratives.

Le mutisme du juge en matière de définition de la notion d’ordre public a deux


effets majeurs : d’une part, il fait de la notion d’ordre public une directive d’action pour
les autorités administratives, une directive d’action absolutoire ; d’autre part, il accorde à
l’action des autorités de police administrative, en leur donnant une sorte de chèque en
blanc pour toutes les mesures qu’elles seront amenées à prendre dans le cadre du
maintien ou du rétablissement de l’ordre public, un champ quasi illimité, puisque seules
ces dernières sont à même de définir les limites de leurs interventions : l’ordre public est
donc pour elles une directive d’action illimitée.

En s’abstenant de donner un contenu à la notion d’ordre public, en là considérant


telle qu’elle est mobilisée par les autorités administratives, sans là passer au crible d’un

1218
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op cit., p. 13.
1219
Idem, p. 162.

389
quelconque contrôle, le juge absout par là même les interventions des autorités de police
administrative. Leurs mesures bénéficient de toute la légalité possible dès lors que les
nécessités de maintien ou de rétablissement de l’ordre public sont visées.

SECTION II- UN ABSOLUTISME FONCTIONNEL

L’absolutisme qui caractérise l’ordre public fondement de la police générale ne


s’analyse pas qu’au plan matériel. On peut, et on doit même l’analyser au plan
fonctionnel, ce qui n’est pas courant1220. En effet, l’ordre public qui est l’objet et le but
de l’activité de police administrative est, depuis M. HAURIOU1221 et L. Rolland1222, un
ordre matériel et extérieur. C’est cette nature matérielle qui justifie l’analyse de cet ordre
public essentiellement par son contenu chez la quasi-totalité des auteurs. Mais cette
approche uniquement par le contenu peut apparaître à certains égards limitée en raison
du fait qu’il est constant et incontestable que l’ordre public voit depuis longtemps et
d’avantage encore aujourd’hui sa nature dépasser la dimension purement matérielle pour
embrasser une dimension, qu’on le veuille ou non, immatérielle1223, du fait de
l’introduction en son sein d’un ensemble de valeurs notamment à caractère moral.

De plus, il est possible et même nécessaire d’étudier l’ordre public de la police


administrative en dépassant le point de vue matériel, car ce dernier ne fait pas toujours
apparaître, surtout dans un contexte comme celui du Cameroun, où l’on observe comme
nous l’avons vu un laconisme textuel et un mutisme jurisprudentiel en ce domaine, une
définition exhaustive de cette notion. L’approche fonctionnelle mérite donc d’être
explorée1224, car elle fait également apparaître la dimension absolutiste de l’ordre public
de la police administrative. L’absolutisme fonctionnel de la police administrative vire ici
incontestablement à l’autoritarisme. Si la doctrine a raison de souligner : « on peut
concevoir une société sans service public, mais il est impossible d’imaginer une société

1220
L’approche traditionnelle de l’ordre public de la police administrative est essentiellement matérielle
1221
M. HAURIOU, Précis de droit administratif, 12e éd, p.549 : « l’ordre public, au sens de la police est
l’ordre matériel et extérieur ».
1222
Il semble en effet que Louis ROLLAND soit parmi les premiers à définir l’ordre public selon la trilogie
municipale : « somme toute assurer l’ordre public, c’est assurer la tranquillité, la sécurité et la salubrité
publique. L’ordre public, c’est toute cela rien que cela », in Précis de droit administratif, 1959, p.399, cité
par J. GOGNETTI, La notion d’ordre public. Etude limité au droit administratif, op cit, p. 40.
1223
P. DELVOLVE, « L’ordre public immatériel », RFDA 2015, p.890.
1224
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que la notion d’ordre public est susceptible de multiples
approches : matérielle, fonctionnelle, formelle, etc.

390
organisée sans intervention de la notion d’ordre public. L’absence de l’ordre public
c’est l’anarchie, c’est la négation de toute organisation sociale, c’est la démission du
droit »1225, faisant apparaître l’extrême nécessité de l’ordre public dans une société, il
faut savoir que cet ordre est « d’une part, le reflet et l’instrument de la notion de
puissance publique, d’autre part le visage et l’âme du pouvoir exécutif »1226. La
dangerosité de cette arme se mesure donc à la lumière du rôle de l’ordre public, révélé
par une approche fonctionnelle de cette notion.

On sait que l’ordre public remplit au moins une double fonction1227 au sein de
l’ordre juridique. De manière dialectique, il limite les libertés de même qu’il les protège.
Cette dialectique qui est en principe source d’équilibre au sein de l’ordre juridique peut
toutefois être brisée, lorsque l’une des valeurs prend le pas sur l’autre. Tel est le cas au
Cameroun, où l’ordre public de la police administrative, analysé au plan fonctionnel, fait
apparaître une prépondérance de la dimension restrictive de l’ordre public par rapport à
celle protectrice, signe d’un absolutisme de cette notion dans le rapport qu’elle a avec
celle de liberté.

I - LA FAIBLE PRISE EN COMPTE DE LA DIMENSION PROTECTRICE DE


L’ORDRE PUBLIC

Contrairement à ce que l’opinion commune pourrait croire, l’ordre public assume


comme fonction, au-delà de leur limitation, la protection des libertés. Cette dimension
protectrice, suffisamment mise en lumière par la doctrine,1228 est celle qui permet de
faire vivre les libertés. Car si l’on met en place un ordre à travers le projet social qu’est
l’Etat1229, c’est pour permettre d’abord que les libertés puissent s’épanouir : « l’Etat est
fait pour l’individu et non l’individu pour l’Etat »1230. Pour un auteur comme John
Locke, l’abandon de l’Etat de nature par les hommes pour un contrat social ne peut se

1225
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op cit., p.248.
1226
Idem, p.241.
1227
Mais la doctrine récente ajoute une troisième fonction, qui consiste en la fondation de valeurs, notamment
les valeurs de paix sociale et d’harmonie sociale. Même si cette troisième fonction peut être discutée dans sa
pertinence, notamment en raison de sa rattachabilité aux deux premières, elle a le mérite néanmoins d’insister
sur le lien qui existe entre l’ordre public et l’ensemble du système juridique. Sur ces aspects, lire. M.C.
VINCENT-LEGOUX, L’ordre public, op cit., surtout la troisième partie de l’ouvrage.
1228
E. PICARD, La notion de police administrative, op cit. p. 490 ; J. MORANGE, Les libertés publiques,
Paris, PUF « que sais-je ? », 1993, p.14 ; J. RIVERO, Les libertés publiques, T.1, Paris, PUF, 1995, P.94, G.
BURDEAU, Les libertés publiques, Paris, la LGDJ, 1972, p.33.
1229
L’Etat est une société organisée
1230
J. MORANGE, Les libertés publiques, op cit., p.14.

391
justifier que par le désir de jouissance paisible de leurs droits naturels dans un contexte
où cela leur est pleinement garanti1231. Aussi, « l’ordre public doit donc garantir la paix
sociale qui conditionne l’exercice des libertés naturelles »1232. G. BURDEAU a ainsi
raison de souligner que « si les libertés doivent être conçues en fonction de l’ordre,
l’ordre à son tour ne doit être compris qu’à travers les libertés dont il assure
l’exercice »1233.

Si cette conception est dominante surtout dans la pensée du 18e siècle, il faut
reconnaître que « l’idée subsiste dans les textes contemporains que le but de toute
association politique est le service de l’homme »1234. C’est donc ce qui fonde la
conception, ou plutôt la dimension protectrice de l’ordre vis à vis des libertés. Mais le
contexte camerounais révèle que bien que cette dimension protectrice soit
potentiellement grande, elle reste faiblement prise au compte.

A. Une dimension protectrice potentiellement grande

Ces potentialités sont à analyser au plan purement théorique. La dimension


protectrice de l’ordre public vis-à-vis des libertés est potentiellement grande,
essentiellement en raison de l’abri que le premier constitue pour les secondes. On ne
peut en effet, d’un point de vue logique, évoquer l’ordre sans évoquer la liberté. Le
philosophe français Alain le souligne avec brio, lorsqu’il affirme que : « les deux termes
ordre et liberté sont bien loin d’être opposés ; j’aime mieux dire qu’ils sont corrélatifs.
La liberté ne va pas sans l’ordre. L’ordre ne vaut rien sans la liberté »1235. D’un point
de vue théorique donc, la notion d’ordre public est le meilleur moyen de garantir les
libertés publiques. Il n’y a pas de ce point vue, d’opposition théorique entre l’ordre et la
liberté. Paul BERNARD souligne ainsi à juste titre que l’ordre public n’est pas « la
mutilation des libertés », mais bien « un cadre de vie en permettant
l’épanouissement »1236. On devrait donc avoir, sur le plan du principe, autant de libertés
garanties qu’il y a d’ordre au sein de l’Etat. Plus l’ordre public est assuré, plus les

1231
Voir J. LOCKE, Essai concernant l’origine, l’extension et la fin véritable du gouvernement civil, 1669, cité
par M.-C. VINCENT LEGOUX, L’ordre public. Etude de droit comparé interne, op cit., p.189.
1232
M.- C. VINCENT LEGOUX, L’ordre public, op cit. à la même page.
1233
G. BURDEAU, Les libertés publiques, op cit., à la même page.
1234
J. RIVERO, Les libertés publiques, op cit., à la même page.
1235
ALAIN, « Propos d’un normand », cité par M.-C VINCENT LEGOUX, L’ordre public, op cit., p.188.
1236
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, op cit., pp.81 et 115.

392
libertés s’en trouvent épanouies. Ainsi, la dimension protectrice de l’ordre vis-à-vis des
libertés est potentiellement grande en raison non seulement de la complémentarité qui
existe entre ces deux notions, mais aussi de leur consubstantialité.

1. La complémentarité de l’ordre et de la liberté

L’ordre public protège les libertés lorsqu’il est conçu comme complément de
celles-ci. C’est l’hypothèse de la conciliation de l’ordre et de la liberté. Ici,
théoriquement, l’ordre public et la liberté se situent sur le même plan. Ils sont
complémentaires, c’est-à-dire que l’un contribue à l’existence et même au rayonnement
de l’autre. De même que la liberté paracheve le projet d’ordre dans la société, l’ordre en
retour rend possible l’exercice des libertés. En effet, aucune liberté ne peut s’exprimer
sans un minimum d’ordre. Sans ce dernier, elles sont appelées à s’abimer dans le chaos.

De même, on ne peut concevoir l’ordre sans la liberté, car la liberté donne un sens
à l’ordre, le justifie et lui fournit sa véritable substance. C’est cette vision
complémentaire, ou si l’on veut conciliatoire de l’ordre et de la liberté qui est
remarquablement mise en lumière au plan philosophique par Alain dans la formule déjà
évoquée : « la liberté ne va pas sans l’ordre, l’ordre ne vaut rien sans la liberté »1237.
Cette vision complémentaire montre bien que « les libertés et l’ordre public ne sont pas
des valeurs absolues, et que la liberté effective est le fruit d’un compromis, d’un
arbitrage où d’un dosage subtil entre ce qu’exige la valeur d’une liberté donnée et la
légitime nécessité de l’ordre public »1238. Aussi appartient-il à la loi d’arbitrer à chaque
fois entre l’ordre public et les libertés toutes les fois où l’exercice de ces dernières par les
uns est susceptible de menacer celles détenues par d’autres1239. Il s’agit donc de procéder
à chaque fois à un « dosage méticuleux des sacrifices », selon l’expression de
commissaire du gouvernement TEISSIER1240.

La complémentarité de l’ordre et de la liberté suppose donc une existence


distincte et séparée de ces deux valeurs. L’équilibre entre les deux n’est réalisé que dans

1237
Cf. supra.
1238
C. VIMBERT « L’ordre public dans la jurisprudence du conseil constitutionnel », in RDP 1994, p.718
1239
C’est bien là le sens de d’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « la liberté
consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme
n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces
bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ».
1240
TEISSIER, conclusions sur CE, 5 Juin 1908 Marc, S. 1909, III, p. 113, cité par C.- E. MINET, Droit de la
police administrative, op cit, p.25.

393
le cadre de l’agir social. Dans cette hypothèse, ordre et liberté sont situés sur une même
échelle de valeur normative. Comme dirait Léon DUGUIT, les deux habitent l’idée de
droit1241 en œuvre dans la société considérée. Il faut donc veiller à chaque fois à concilier
ces deux exigences, et c’est au juge que revient principalement cette mission. Car, si la
loi doit déjà prendre en compte et exprimer cette complémentarité de l’ordre et de la
liberté, c’est aux juges en tant que chargés de l’application de la loi, qu’il revient de
construire, in concerto, cette complémentarité, tel que l’a par exemple fait le juge
administratif dans l’arrêt Benjamin1242 avant d’être suivi par d’autres juges1243.

Dans l’arrêt Benjamin, le juge administratif, en déclarant que « s’il incombe au


maire, en vertu de l’article 97 de la loi du 5 avril 1884, de prendre les mesures
qu’exige le maintien de l’ordre, il doit concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le
respect de la liberté de réunion garantie par les lois du 30 juin 1881 et du 20 mars
1907 », établit l’exigence d’une complémentarité de l’ordre et de la liberté dans la
fonction de police administrative. Cette position du juge administratif sera suivie par le
Conseil constitutionnel français qui juge que la liberté de communication doit être
conciliée « avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de
l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste
des courants d’expression socio culturels »1244 Cette vision positiviste de la conciliation
de l’ordre et de la liberté ne peut que consolider l’idée d’une complémentarité entre ces
deux exigences. Ainsi, « il apparaît en définitive que les libertés ne peuvent pas se
passer de l’ordre public, car le désordre compromet leur exercice ; de même, l’ordre

1241
Cf. supra.
1242
CE 19 mai 1933, Benjamin, Rec. 542. Dans le même sens, la doctrine française considère que « la
conciliation que le conseil d’Etat à pu établir entre les nécessités de l’ordre public d’un Etat laïc et les
exigences de l’exercice d’un culte, est l’une des plus belles réussites de la jurisprudence administrative », cf.
GAZIER et LONG, CE 3 décembre 1954, Rastouil, AJ, 25 février 1955.
1243
Notamment par le juge constitutionnel français. Selon C. VIMBERT en effet, dès 1981, le conseil
constitutionnel à évoqué « la conciliation qui doit être opérée entre les libertés constitutionnelles et l’ordre
public » (Voir les décisions des 19 et 20 janvier 1981 (62 e cons)), ainsi que la décision du 26 août 1986 (3e
cons). Par la suite, le principe est solennellement établi dans la décision Nouvelle Calédonie du 25 janvier 1985
(3e cons), lorsque le conseil a posé « la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde
de l’ordre public » (Cf. C VIMBERT « L’ordre public dans la jurisprudence du conseil constitutionnel », op
cit., à la même page).
1244
CC, n° 82-141 DC, 27 juillet 1982, Loi sur la communication audiovisuelle, RDP 1983, p.333, note
FAVOREU ; Pourvoirs 1982, n°23, p.179, note AVRIL et GIQUEL ; Rev. Adm. 1983, p.36, note Etien ; Rev.
Adm, 1984, p.580, note de Villiers.

394
public ne peut pas se passer des libertés, dans la mesure où dans un état libéral, elles
font partie de sa définition »1245.

Mais il convient de préciser que cette hypothèse ne peut être réalisée que si
l’ordre public dont il s’agit est de nature libérale. Monsieur C.-E. MINET a donc
parfaitement raison de souligner que « tout dépend en effet de ce que l’on entend par la
notion d’ordre public : si c’est d’un ordre despotique qu’il s’agit, il est évident qu’il
compromet les libertés. Si au contraire l’ordre public est respectueux des libertés de
chacun et se voit assigner comme finalité d’arriver au meilleur dosage possible entre
celles-ci et les exigences de la vie en société, alors cet ordre non seulement n’est pas
l’ennemi des libertés, mais encore contribue à leur épanouissement »1246. Cette vision
des rapports entre ordre et liberté doit être combinée avec la conception de la liberté
mise en lumière par l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui
rend nécessaire la prohibition de certains comportements nuisibles à autrui, car « une
liberté qui dans son mode d’exercice menacerait l’ordre public porterait par là même
atteinte aux droits d’autrui »1247.

La complémentarité dont il s’agit ici doit donc se construire pour déboucher sur
une vitalité des rapports ordre /liberté réciproquement bénéfiques. Pour Paul
BERNARD, cet ordre public doit être placé « dans la perspective de l’idéal
démocratique »1248 pour qu’il « suppose, exige, provoque l’épanouissement des
libertés »1249. C’est pour cette raison que « la pensée libérale la plus orthodoxe souligne
la nécessité d’assurer la coexistence paisible des libertés dans les rapports privés, et
confrère à l’Etat une compétence exclusive »1250 par l’intermédiaire de l’ordre public,
afin de réguler cette coexistence et de construire une complémentarité entre l’ordre et la
liberté.

Mais, il faut reconnaître que la recherche d’une conciliation entre ordre et liberté
part nécessairement d’une vision à la base conflictuelle et antagoniste de ces deux

1245
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit., p.25.
1246
C’est à cet ordre que Charles PEGUY fait référence (cité par C.-E. MINET, Droit de la police
administrative, op. cit., à la même page), lorsqu’il écrit que « l’ordre et l’ordre seul, fait la liberté. Le
désordre fait la servitude. Seul est légitime l’ordre de la liberté ».
1247
C-E MINET, Droit de la police administrative, op. cit.,, p.24.
1248
P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, précité, p.281.
1249
La liberté qui selon Montesquieu est « ce bien qui fait jouir des autres biens », cité par P. Bernard, Ibid.
1250
J. RIVERO « La protection des droits de l’homme dans les rapports entre les personnes privées »,
Mélanges CASSIN, 1971, p.311, cité par M.-C., VINCENT LEGOUX, L’ordre public, op. cit., p.198.

395
exigences, « et n’est dès lors que la continuation de la première perspective »1251, c’est-
à-dire celle d’un antagonisme entre ordre et liberté. C’est pourquoi théoriquement, existe
une étape supérieure dans les rapports ordre/liberté, celle d’une consubstantialité de ces
deux valeurs et qui est susceptible d’assurer la prise en compte suprême de la liberté par
l’ordre, et donc de développer le potentiel protecteur de l’ordre vis-à-vis des libertés.

2. La consubstantialité de l’ordre et de la liberté

Hypothèse la plus achevée d’une conception symbiotique des rapports


ordre/liberté, la consubstantialité, à l’inverse de la simple complémentarité, ne part pas
du postulat d’une existence séparée de l’ordre et de la liberté. Bien au contraire, elle part
de l’idée que les deux s’interpénètrent de la manière la plus achevée et la plus parfaite.
Contrairement à l’hypothèse précédente ou ordre et liberté procédaient de contenus
différents, l’hypothèse de la consubstantialité révèle que ordre et liberté sont faits
exactement de la même substance et se nourrissent donc dans une sorte de système de
vases communicants. Si dans la complémentarité, il était possible d’avoir un ordre sans
la liberté et réciproquement, dans la consubstantialité, « il n’y a pas de liberté sans
ordre, ni d’ordre légitime sans liberté »1252.

Dans cette perspective, « l’ordre public ressort de cette incidence comme le


cadre et la condition de l’existence de la liberté »1253. Bien plus, « l’ordre public et la
liberté sont nécessaires l’un à l’autre autant que toute forme est inséparable de la
substance »1254, de sorte qu’ « il y a toujours de l’ordre public dans la liberté et de la
liberté dans l’ordre public »1255. La vision consubstantielle de l’ordre et de la liberté a
été théorisée par la doctrine1256. Ainsi, de manière synthétique « l’ordre public

1251
C. VIMBERT, « L’ordre public dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, op cit., à la même page.
1252
J. L. COSTA, « Liberté, ordre public et justice en France » Paris, Les cours de droit, 1964-1965, p.33, cité
par N. JACQUINOT, Ordre public et constitution, thèse, op. cit., p.39.
1253
A. MOULIN, L’ordre public dans la jurisprudence du conseil constitutionnel, mémoire DEA, droit public,
Paris I, 1987-1988, p.34, cité par C. VIMBERT, « L’ordre public dans la jurisprudence du conseil
constitutionnel », op. cit, p.719-720.
1254
E. PICARD, La notion de police administrative, op cit., tome 2, p.541.
1255
E. Picard, « L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public », op cit., p.58.
1256
E. PICARD, La notion de police administrative, op cit., p.541 ; P. Bernard, La notion d’ordre public en
droit administratif, op cit., p. 92. L’auteur affirme : « l’ordre public est le cadre dans lequel s’exercent les
libertés, et peut être pourrait-on dégager cette idée nouvelle, selon laquelle l’ordre public serait formé de la
« masse des libertés » ; G. BURDEAU (cité par P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit
administratif, op. cit., p.110) affirme aussi que : « l’ordre est une fin dont les moyens ne sont pas
indifférents… Le souci de la liberté est une composante de l’ordre » ; PELLOUX, cité toujours par Paul

396
apparaissant « une norme générale et abstraite qui habite l’idée de droit au même titre
que le primat de la liberté », la liberté initiale inclut nécessairement des exigences
d’ordre public, et, en retour, la définition de celui-ci s’entend forcément par référence
à une revendication fondamentale de liberté »1257. Cette vision est au cœur de la pensée
libérale et prospère dans les systèmes démocratiques car, comme l’écrit fort
pertinemment G. BURDEAU, « dans un régime démocratique, ce serait une hérésie de
concevoir l’ordre comme un cimetière de libertés alors qu’il ne peut et ne doit être
qu’un aménagement des libertés »1258. Elle est mise en lumière par le Conseil
constitutionnel français dans sa décision du 25 janvier 19851259 dans laquelle il évoque l’
« ordre public sans lequel l’exercice de la liberté ne saurait être assuré »1260.

Cette idée d’une consubstantialité de l’ordre et de la liberté est très proche de


celle évoquée au début de cette étude, à savoir la fondamentalisation de l’ordre public,
qui signifie la présence au sein de l’ordre public de droits fondamentaux1261. La
consubstantialisation de l’ordre et de la liberté signifie donc que le premier est constitué
de la masse des secondes, ce qui change complètement les perspectives classiques. Si en
effet sous la souveraineté de la loi la liberté garantie par la loi ne peut qu’être
antithétique de l’ordre qui, alors, n’est assuré que par les autorités administratives,
désormais, l’ordre et la liberté étant fait de la même substance, on ne peut plus concevoir
un ordre qui soit l’antithèse de la liberté. Le maintien de l’ordre public signifie donc tout
simplement la garantie des libertés.

Dans sa systématisation de la notion de police administrative, le professeur E.


PICARD soutien même que l’idée d’œuvre à réaliser par l’institution primaire libérale
consiste essentiellement à garantir l’exercice de la liberté1262. Cette institution primaire
libérale étant l’Etat, on peut dire que selon l’auteur, le droit disciplinaire qui est ici le
droit de la police administrative et qui est chargé de réaliser l’idée d’œuvre de
l’institution est tout entier nimbé par cette substance libérale, et donc mu dans son
entièreté par la réalisation de la liberté. C’est pour cette raison que « l’ordre, au sens le

Bernard (p.112), affirme que « l’ordre public n’est pas une fin en soi, mais seulement le moyen d’assurer la
coexistence des libertés ».
1257
E. Picard, La notion de police administrative, op cit, p.541.
1258
G. BURDEAU, Les libertés publiques, Paris, LGDJ, 1961, p.32
1259
Précité, 3ème considérant.
1260
Ibid.
1261
Cf. Supra, première partie, titre I, chapitre I.
1262
E. PICARD, La notion de police administrative, op. cit., p.490.

397
plus étroit du mot, doit toujours être sauvegardé : c’est la vie même de la collectivité
qui en dépend. Toutes les libertés publiques sont plus ou moins rapidement
compromises si l’ordre ne règne pas »1263. On voit bien ainsi que cette exigence libérale
n’est pas propre ou réductrice au champ de la police administrative « c’est pourquoi il
semble même que l’effectivité des libertés soit conditionnée par le maintien de l’ordre
public entendu un peu plus largement qu’au sens de « bon ordre » et de sûreté de
l’Etat, c’est-à-dire au sens de paix sociale comprenant aussi les garanties de la
stabilité de l’organisation étatique et de la régulation juridique des rapports sociaux. Il
est clair que l’exercice des libertés est menacé si un service public tel que le transport
ferroviaire – est interrompu ou si l’autorité de la justice est méconnue »1264.
Assurément donc, « l’ordre est une fin dont les moyens ne sont pas indifférents… ce
souci de la liberté est une composante de l’ordre »1265. M. PELLOUX va dans le même
sens lorsqu’il écrit que « l’ordre public n’est pas une fin en soi, mais seulement le
moyen d’assurer la coexistence des libertés »1266. P.H. TEITGEN a donc parfaitement
raison d’écrire qu’ « il n’y a pas en droit de liberté concevable contre l’ordre public et
toute liberté qui n’est pas définie par la loi est soumise de plein droit au contrôle de
police »1267.

Au total, toutes ces potentialités théoriques fournies par la science du droit sont
de nature à assurer, si elles sont capitalisées par les pouvoirs publics, un plein
épanouissement de la liberté au sein de l’exercice de la fonction de police administrative.
Les idées de complémentarité et de consubstantialité peuvent permettre d’éradiquer
toutes les menaces que font peser sur la liberté le maintien de l’ordre public.
Expérimentées dans la plupart des Etats démocratiques, ces idées ne sont pas une simple
vue de l’esprit. Elles sont effectivement mises en œuvre au sein de ces Etats, et montrent
bien que le respect et la garantie de la liberté sont possibles, même en matière de
maintien de l’ordre public. Mais malheureusement, ces potentialités théoriques sont
faiblement prises en compte, dans le contexte camerounais, où l’on note un véritable
délaissement, pour ne pas dire une négation de la liberté.

1263
Concl. ODENT sur CE, Ass, 8 janvier 1943, André, S. 1943.3.19. Voir aussi : C. PERELMAN, « La
sauvegarde et le fondement des droits de l’homme », in Etique et droit, ed. de l’univ. De Bruxelles, 1990, p.
478.
1264
M.-C. VINCENT LEGOUX, L’ordre public…, op. cit., p.195.
1265
Idem, p.110.
1266
Précité, à la même page.
1267
P-H TEITGEN, cité par P. Bernard, La notion d’ordre public en droit administratif, op. cit., p.113.

398
B. Une dimension protectrice factuellement réduite

La réalité juridique camerounaise révèle une prise en compte réduite de la


dimension protectrice de l’ordre public, malgré toutes les potentialités offertes par la
théorie juridique. Ici, si l’on observe une prise en compte même faible de cette
dimension par les textes, elle est par contre totalement absente dans la jurisprudence.

1. La faible prise en compte textuelle

L’analyse des textes juridiques en vigueur au Cameroun révèle une faible prise en
compte textuelle de la dimension protectrice de l’ordre public, que ce soit en termes de
conciliation, ou à fortiori de consubstantialité de l’ordre et de la liberté. Un tel constat
saute aux yeux à la lecture, même attentive, des textes constitutionnels, internationaux
ou législatifs. Parmi ces divers textes cependant, seuls les textes internationaux
comportent des éléments de conciliation et parfois de consubstantialité entre l’ordre et la
liberté. S’agissant de ceux constitutionnels et législatifs, ils ne prennent quasiment pas en
compte la dimension protectrice de l’ordre public.

La plupart des textes internationaux ratifiées par le Cameroun, principalement


ceux relatifs à la protection des droits de l’homme concilient parfaitement ordre et
liberté, lorsqu’ils ne développent pas une véritable consubstantialité entre ces deux
dimensions. Ce constant ne doit guère suspendre, quand on sait que l’idéologie qui
soutend la plupart de ces textes est celle libérale et démocratique. A titre d’exemple,
l’art. 29 al. 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948
dispose que « dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun
n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la
reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux
justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une
société démocratique »1268. On voit bien ici qu’en posant comme limites à l’exercice des
droits et à la jouissance des libertés seules les limitations établies par la loi en vue
d’assurer la reconnaissance des droits et libertés d’autrui et les exigences entre autres de
l’ordre public, justes et propres à une société démocratique, les Etats membres des
Nations Unies concilient et même consubstantialisent les exigences d’ordre et de liberté.

1268
H.OBERDORFF et J. ROBERT, Libertés fondamentales et droits de l’homme. Textes français et
internationaux, Paris, Montchrestien, 6e éd. p.228.

399
Dans le même sens, l’art. 21 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques fait à New York le 19 décembre 1966 dispose que « le droit de réunion
pacifique est reconnu : l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules
restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société
démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sureté publique, de l’ordre
public ou pour protéger la santé ou la moralité publique, ou les droits et les libertés
d’autrui »1269. Ici également, en posant comme seules restrictions au droit de réunion
celles conformes à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, les Etats
parties établissent une conciliation claire entre les exigences de l’ordre public et celles de
la liberté. Cette conciliation est présentée dans la plupart des textes internationaux
adoptés sous l’égide des Nations Unies. On en trouve également quelques traces dans
les textes africains adoptés soit sous l’égide soit de l’OUA, soit de l’UA1270.

Mais on constate qu’à mesure où l’on se rapproche de la sphère nationale, cette


conciliation disparait au profit exclusif des exigences relatives à l’ordre public. Ces
normes internationales ratifiées par le Cameroun, bien qu’applicables par les juges et
devant donc être respectées par les autorités de police administrative, ne sont que
partiellement ancrées dans la réalité juridique nationale, supplantées qu’elles sont tant au
plan de l’accessibilité qu’à celui de l’intelligibilité par les textes nationaux. Or, ces
derniers, qu’ils soient de nature constitutionnelle, législative ou encore réglementaire
minorent toute idée de conciliation et ignorent encore moins la consubstantialisation de
l’ordre et de la liberté. Le résultat est donc indéniable. Les textes, considérés dans leur
aspect général, ne prennent que très faiblement en compte la dimension protectrice de
l’ordre public vis-à-vis des libertés puisqu’ici les textes considèrent l’ordre public
essentiellement comme une limite aux libertés. Et si, au plan constitutionnel par
exemple, on voit posées les bases de ce que nous avons appelé au début de cette étude la
fondamentalisation de l’ordre public qui se matérialise à travers la présence au sein de
l’ordre public de composantes qui correspondent en fait à des droits fondamentaux
comme par exemple le droit à la sécurité, le droit à la santé, le droit à un environnement

1269
Idem, p.234.
1270
Voir par exemple la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée par la dix huitième
Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement en juin 1981 à Nairobi qui, en son article 11 stipule que
« toute personne a le droit de se réunir librement avec d’autres. Ce droit s’exerce sous la seule réserve des
restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale,
de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes »(C’est nous qui
soulignons).

400
sain, etc, ce phénomène ne saurait être vu comme une conciliation ou une
consubstantialisation de l’ordre et de la liberté. S’il contribu dans une certaine mesure à
faire à terme de l’ordre public une masse de libertés, cela est au contraire un danger pour
les droits et libertés dans la mesure où des restrictions plus importantes pourraient être
susceptibles d’être apportées aux libertés sous le couvert de garantir les droits
fondamentaux présents au sein de l’ordre public. A la fin, cela déboucherait sur une
forme d’autoritarisme absoluteur de l’ordre public. A la limite, cela pourrait aboutir à
une « guerre des droits » contre les libertés. Dans tous les cas, cela dénote une faible
prise en compte de la dimension protectrice de l’ordre public par ces textes
constitutionnels.

Tel est également le cas pour les textes législatifs et réglementaires. Les premiers
s’abstiennent presque systématiquement de concilier les exigences d’ordre et de liberté,
au profit d’une prépondérance de la première sur la seconde. Les textes réglementaires
quant à eux sont les instruments juridiques privilégiés1271 de cette non prise en compte de
la dimension protectrice de l’ordre vis-à-vis de la liberté.

Au total, si les textes en vigueur révèlent une prise en compte réduite de la valeur
protectrice de l’ordre public, ils ne sont pas du tout, loin s’en faut, suppléés par la
jurisprudence qui, elle, ne prend pas du tout en compte cette valeur, au profit exclusif
d’une vision limitative.

2. La non prise en compte jurisprudentielle

L’étude de la jurisprudence camerounaise laisse apparaître une non prise en


compte de la dimension protectrice de l’ordre public par le juge, qu’il soit constitutionnel
ou administratif. D’ailleurs, pour le premier, la question ne se pose même pas, puisqu’il
demeure en situation d’apathie chronique1272. Le problème se pose donc principalement
pour ce qui est du juge administratif. On a déjà souligné pour celui-ci, le mutisme qui le
caractérise dans la recherche d’une définition de la notion d’ordre public. Ce mutisme
n’est pas sans lien avec sa réticence à développer une conciliation et encore moins une
consubstantialité entre l’ordre et la liberté. Cela fait en fait partie de sa politique
jurisprudentielle largement orientée vers la préservation maximale des intérêts de la
1271
Puisque ce sont eux qui sont les plus portés en prendre frontalement les libertés, par les moyens de mesures
réglementaires ou individuelles de police.
1272
Sauf en ce qui concerne le contentieux électoral.

401
puissance publique, au détriment des droits et libertés des citoyens1273. Ainsi, la
jurisprudence administrative ne fait apparaître nulle part une idée de conciliation entre
l’ordre public et la liberté. Et si un point de vue contraire a pu être soutenu1274, cela ne
peut qu’appeler circonspection et prudence.

Il est soutenu en effet que la cour suprême du Cameroun créée en 19721275, dans
sa « contribution au droit administratif camerounais », procède à une libéralisation de
la partie substantielle de ce corps de règles spéciales, en procédant entre autres à une
conciliation de l’ordre et de la liberté. Cette conciliation se ferait à travers une limitation
de l’ordre public par la liberté et une limitation de la liberté par l’ordre public.

La première idée1276, qui, évidemment, nous intéresse plus que la seconde ici,
mérite que l’on s’y penche attentivement, même si on peut déjà dire, qu’à travers la
dialectique adoptée par l’auteur, c’est moins l’idée de conciliation qui transparait que
celle de neutralisation réciproque des deux exigences, ce qui n’est pas forcément
bénéfique pour la liberté. En soutenant que l’on observe au sein de la jurisprudence de la
cour suprême une limitation de l’ordre public par la liberté et une limitation de la liberté
par l’ordre public, ce n’est plus l’idée de conciliation qui est démontrée, plutôt celle
d’une neutralisation réciproque. Or, la conciliation de deux choses n’est pas la
neutralisation de ces choses. Car concilier signifie mettre d’accord, amener à s’entendre,
permettre à des intérêts à la base divergents de s’accommoder, ce qui ne correspond pas
du tout à l’idée de limitation.

Et si on contextualise maintenant la question de la conciliation telle qu’elle


apparaît dans le sujet ici traité, il faut dire que l’idée de conciliation de l’ordre et de la
liberté n’est pas celle d’une limitation réciproque de l’une des exigences par l’autre. Elle
est plutôt celle d’une non compromission de l’une pour l’autre. Elle signifie que la
liberté ne doit pas compromettre l’ordre, et ce dernier ne doit en aucun cas compromettre
la liberté. Et même, de manière plus profonde, si l’idée de conciliation est ici développée
par la théorie juridique, c’est pour que comme le dirait la Commissaire du gouvernement
1273
Dans le même sens : A-R ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit, thèse précitée.
1274
L.P. GUESSELLE ISSEME, La contribution de la Cour suprême au droit administratif camerounais, thèse
de doctorat/ Ph-D en Droit public, 2010, p.546.
1275
Quand on évoque en effet la Cour suprême ici, il faut savoir que cette institution a été introduite dans le
paysage institutionnel camerounais par la réforme du contentieux intervenue en 1965. Mais celle dont la
contribution au droit administratif camerounais est remarquablement étudiée par l’auteur est celle créée à la
faveur de la réforme constitutionnelle du 2 juin 1972.
1276
A savoir l’idée de limitation de l’ordre par la liberté.

402
CORNEILLE, la liberté demeure au frontispice du Droit public. De telle sorte qu’à la
fin, seule la liberté soit victorieuse, puisque l’ordre public est lui-même dans la théorie
libérale, un instrument au service de la liberté. On est loin alors de l’idée de limitation,
comme devant démontrer une conciliation. La vérité est que la terminologie employée
par l’auteur trahie plutôt la réalité juridique ambiante, à savoir celle d’un antagonisme de
l’ordre et de la liberté, antagonisme construit tant par les textes que par la jurisprudence.

Et si l’on rentre maintenant dans le fond de l’argumentation développée, pour


étayer l’idée de conciliation de l’ordre et de la liberté par la jurisprudence administrative,
on est encore plus réservé. En effet, les décisions SYNFONDAECAM, Etat du
Cameroun (MTPS) c/SNEAC1277 et TCHINDA François c/Etat du Cameroun1278
présentées comme démontrant une protection des libertés par l’ordre public et donc une
conciliation entre ordre et liberté, sont en réalité inopérantes.

Dans le premier cas, le fait pour le juge administratif d’annuler une ordonnance
de sursis à exécution d’une décision d’homologation d’un syndicat dans une branche
d’activité qui en avait déjà un, en l’absence d’une interdiction légale en la matière, ne
saurait en aucun cas signifier que le juge limite l’ordre public par la liberté. Au contraire,
c’est la crainte de troubles à l’ordre public provenant des adhérents au second syndicat
qui a amené le juge à annuler le sursis1279.

De même, dans le jugement TCHINDA François, le juge, en annulant une


décision de l’autorité administrative qui, sous couvert de maintenir l’ordre public
interférait plutôt dans une procédure judicaire, fait simplement application du bon vieux
principe de séparation des autorités administratives et judiciaires1280.

1277
CS/AP, Arrêt n°1/A du 27 avril 2000, SYNFONDAECAM, État du Cameroun (MTPS) c/ SNEAEC.
1278
CS/CA, Jugement n°60/05-06 du 05 avril 2006, Tchinda François c/ État du Cameroun.
1279
Le juge déclare ici en effet que : « Considérant par ailleurs que pour faire droit à la demande de
SNEAEC, ledit magistrat qui énonce entre autres que "la création d’un syndicat parallèle au requérant est
de nature à lui causer un préjudice difficilement réparable", ne précise pas en quoi consiste le préjudice
dont il s’agit, alors et surtout que comme sus indiqué, la formation de plusieurs syndicats dans une même
branche n’est nullement interdite par la loi ;
Considérant en ce qui concerne l’ordre public et contrairement aux énonciations contenues dans
l’ordonnance entreprise que la non exécution du Certificat d’Enregistrement le perturbera sûrement du fait
du grand nombre d’adhérents au SYNFONDAECAM, alors surtout que ses diverses structures aient déjà
été mises en place à travers le pays, l’arrêt de ses activités pouvant créer des troubles très importants ».
1280
Ici, le juge déclare : « Attendu qu’il ressort du dossier de procédure que la décision N°315/MINUH/O310
du 14 novembre 2003 du Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, à laquelle se réfère l’arrêté préfectoral
litigieux, a fait l’objet d’un recours en annulation encore pendant devant la juridiction de céans ;

403
On ne voit alors nulle part une quelconque idée de conciliation de l’ordre et de la
liberté. Ce n’est pas parce que le juge prend une décision en faveur d’une liberté, même
si c’est dans certains cas sous le couvert de l’ordre public, qu’il concilie l’ordre et la
liberté. L’idée de conciliation de l’ordre et de la liberté est un construit explicite qui est
dégagé en tant que tel par le juge. C’est pourquoi le juge français par exemple pose
clairement, comme il a été dit plus haut « la conciliation qui doit être opérée entre les
libertés constitutionnelles et l’ordre public »1281 ou alors que le maire « doit concilier
l’exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion »1282. Une telle
énonciation est inexistente de la jurisprudence administrative camerounaise. Le juge ici
oscille entre deux extrêmes. Quand il ne reste pas silencieux sur les rapports
ordre/liberté, il se contente de sacraliser la notion d’ordre public, telle qu’elle a été
donnée par l’administration1283. C’est donc plutôt la dimension restrictive de l’ordre
public qu’il promeut, comme il sera démontré dans la suite de cette section.

II -LA FORTE PRISE EN COMPTE DE LA DIMENSION RESTRICTIVE DE


L’ORDRE PUBLIC

L’ordre public comporte une dimension restrictive importante. Cette dernière est
d’ailleurs celle qui est la plus ressentie par les sujets de droit, principalement les
citoyens. L’ordre public est donc d’abord un ordre de limitation de libertés1284.
Limitation des facultés d’agir1285, limitation des droits d’exiger1286. Limitation des
activités privées1287, limitation de la vie privée1288. « Tout groupe humain orienté vers
une finalité ne peut se passer de normes restrictives de la totale liberté de ceux qui le
composent »1289. C’est ainsi que tout groupe social se dote de règles qui vont limiter la
liberté de quelques-uns pour le bonheur de tous. Ainsi, se trouve justifiée l’existence de

Attendu ainsi que c’est par excès de pouvoir que sous le prétexte du maintien de l’ordre ledit arrêté
est intervenu, l’autorité administrative n’étant pas habilitée à prendre des mesures même provisoires,
rentrant dans le cadre du règlement des procédures judiciaires ;
Qu’il s’en suit que le recours est justifié et que la décision querellée encourt annulation »
1281
Décision Nouvelle Calédonie.
1282
Voir la jurisprudence Benjamin déjà cité.
1283
Comme par exemple dans la décision Carl Julia déjà évoquée.
1284
M.-C. VINCENT LEGOUX, L’ordre public, thèse précitée, p.25.
1285
Idem, p.31.
1286
Ibid, p.72.
1287
Ibid, p.27.
1288
Ibid, p.107.
1289
A. DE LAUBADERE, J.-C. VENEZIA, Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif, Paris, LGDJ, tome
I, 1999, n°1079 ; Ch. DEBBASCH, Institutions et droits administratifs, Paris, PUF, T.2, 1998, p.109, cités par
M.-C. VINCENT LEGOUX, L’ordre public, thèse précitée, p.34.

404
l’activité de police administrative. Sa définition « repose le plus souvent sur sa fonction
de limitation des libertés au nom de l’ordre public »1290. D’ailleurs, une partie de la
doctrine considère même que « l’activité de police administrative est essentiellement
une activité de « prohibition »1291.

Au regard de tout ceci, il semble aller de soi que l’ordre public qui est l’objet et le
but de la fonction de police soit de nature restrictive. Soit. Mais là n’est pas la seule
nature de la fonction de police. Le caractère de l’ordre public est, au regard de ce que
nous venons de voir, au moins dual. S’il restreint les libertés, c’est pour mieux les
protéger par ailleurs. Restriction et protection, telle est la dialectique qui doit soutendre
la fonction de l’ordre public, objet et but de la police administrative. Mais le problème se
pose souvent lorsque, comme c’est le cas au Cameroun, la dimension restrictive de
l’ordre public est tellement forte, si bien qu’elle a tendance à éclipser, comme nous
l’avons vu, celle protectrice. Une telle prédominance de la dimension restrictive ici ne
peut que contribuer à faire prospérer l’autoritarisme fonctionnel de l’ordre public, à
travers non seulement une conception antagoniste du rapport ordre/liberté mais aussi et
surtout une propension hégémonique de l’ordre sur la liberté.

L’ordre et la liberté sont dans l’ordre juridique camerounais présentés


essentiellement comme deux réalités au moins antinomiques, sinon antithétiques. Le
droit positif les présente comme deux exigences qui ne sauraient aller ensemble. Elles se
posent toujours en s’opposant. L’ordre public est donc essentiellement considéré ici
comme une idée qui repousse la liberté. Cette vérité de Lapalisse traverse l’ensemble de
la doctrine publiciste, même si les auteurs ne s’attardent pas toujours à démontrer les
ressors de cet antagonisme1292. Quoi qu’il en soit, la vérité est incontestable. Elle est
observable d’abord à travers un phénomène que l’on découvre dans le procédé
d’énonciation textuelle des règles juridiques, et qui sera ici qualifié, faute de mieux, de
« mise en réserve permanente » de l’ordre public. Instrument d’absolutisation de l’ordre
public cette mise en réserve de l’ordre public fonde la thèse ici incontestable d’un
antagonisme entretenu entre l’ordre et la liberté.

1290
F.-P. BENOIT, Le droit administratif français, précité, n°1371.
1291
DEMOGUE, cité par C.-E. MINET, Droit de la police administrative, précité, p.23.
1292
Voir, pour une utilisation de cette expression. J. de N. ATEMENGUE, La police administrative au
Cameroun, précité,

405
A – La « mise en réserve » permanente de l’ordre public

La mise en réserve de l’ordre public est une donnée très ancienne dans le droit
public camerounais1293. On peut en trouver les traces dès les textes qui donnent mandat à
la France et à la Grande Bretagne d’administrer le Cameroun, selon les analyses du
Professeur Joseph OWONA1294. Elle est une technique normative qui consiste à
consacrer dans les textes des principes, des droits et libertés en les assortissant de la
réserve qu’ils respectent l’ordre public. On retrouve ainsi dans toutes les constitutions du
Cameroun indépendant des dispositions du type « la liberté et la sécurité sont garanties
à chaque individu dans le respect des droits d’autrui et de l’intérêt supérieur de
l’Etat »1295, ou alors « tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer
librement sous réserve des prescriptions légales relatives à l’ordre, à la sécurité et à la
tranquillité publique »1296. Ou encore « nul ne peut être inquiété en raison de ses
origines, de ses opinions ou croyances en matière religieuse, philosophique ou
politique, sous réserve du respect de l’ordre public »1297.

Cette forme d’énonciation des libertés sur fond d’absolution et même


d’absolutisation de l’ordre public rentre dans ce que le professeur OWONA qualifiait
d’« institutionnalisation de la légalité d’exception ». Phénomène global, cette
institutionnalisation de la légalité d’exception comportait et comporte toujours deux
aspects : « d’une part, le texte constitutionnel après avoir proclamé le ferme
attachement du peuple camerounais à telle ou telle liberté, subordonne généralement
l’exercice de celle-ci aux formes ou conditions déterminées par la loi. D’autre part,
l’exercice d’une liberté ou la jouissance d’un droit n’est reconnu que sous réserve du
« respect de l’ordre public »1298, d’où possibilité implicite d’un régime dérogatoire au

1293
Voir dans ce sens, J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public
camerounais », précité.
1294
Idem.
1295
Cet énoncé du préambule de la constitution camerounaise introduit le 4 mars 1960 et reconduit en 1972 a
été maintenu dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
1296
Cet énoncé est lui aussi constant dans le droit constitutionnel camerounais, depuis la constitution du 4 mars
1960, jusqu’à celle actuellement en vigueur, moyennant toutefois une modification substantielle, puisque la
version originelle (à savoir celle de la constitution du 4 mars 1960) consacrait le droit de se fixer en tout lieu et
de se déplacer librement sous réserves des prescriptions légales relatives à l’ordre et « l’hygiène publique ».
Sans doute la prépondérance des exigences de santé publique à cette époque justifiait-elle une emphase sur
l’hygiène publique.
1297
Cet énoncé à quant à lui connu aussi une évolution rédactionnelle à travers l’adjonction, en 1996, de la
notion de bonnes mœurs à celle de l’ordre public.
1298
Idem

406
régime commun pour cette dernière nécessité »1299. Ce mouvement qui « embrasse tout
le droit public camerounais »1300, et qui consiste à mettre en réserve de façon
permanente le respect de l’ordre public, est très révélateur et lourd d’enseignements sur
les rapports qu’entretiennent ici l’ordre et la liberté et donc sur la nature du droit
administratif dans son ensemble, dont l’idée dominante est selon M. WALINE, de
« concilier l’exercice de prérogatives exorbitantes du droit commun avec la
sauvegarde des droits des citoyens »1301. Que faut-il donc en déduire ?

Tout d’abord, le fait de mettre en réserve l’ordre public, qui signifie que la liberté
ne peut s’exercer que sous cette réserve, révèle que le droit camerounais ne conçoit ces
deux valeurs que de façon distincte, et donc séparées. Le droit place ici la liberté d’un
côté, et l’ordre de l’autre. Ces deux valeurs sont donc ici conçues sous forme au moins
antinomique, sinon antagoniste. Tel que les textes les énoncent, ordre et liberté semblent
ne pas pouvoir s’exprimer du point de vue juridique, simultanément, puisque l’un est
conçu ici comme l’ennemi de l’autre.

Ensuite, cette façon d’énoncer les valeurs d’ordre et de liberté ne les place pas au
même niveau. En consacrant les droits et libertés à chaque fois sous réserve de l’ordre
public, le droit camerounais montre que s’il y avait un choix à faire entre ces deux
valeurs, l’ordre viendrait en premier. Ce dernier est plus important que la liberté, la
seconde devant s’effacer dès que le premier est menacé, la réciproque n’étant pas
toujours vraie. De manière plus profonde, ce procédé normatif qui s’est depuis
longtemps banalisé dans le droit administratif camerounais, à pour conséquence d’ériger
l’ordre en principe et la liberté en simple exception puisque l’expression sous réserve de
signifie à condition que. Elle n’érige pas l’ordre public ici en condition d’exercice de la
liberté, mais plutôt en limite à l’exercice de la liberté.

Enfin, la mise en réserve permanente de l’ordre public renseigne sur la


conception de l’ordre public mise ici en œuvre. Il s’agit d’une conception purement
autoritaire, qui se matérialise par la domination et même par une hégémonie de l’ordre
sur la liberté. Cette primauté de l’ordre public largement mise en lumière par les auteurs
depuis l’indépendance ne cesse, même à ce jour, d’imprégner le droit administratif,

1299
Ibid
1300
Ibid
1301
M. WALINE, Précis de droit administratif, T.1, Paris, Montchrestien, 1969.p16.

407
particulièrement dans le domaine de la police administrative. Cet autoritarisme embrasse
l’ensemble du droit de la police administrative sous l’action quotidienne des autorités
administratives, car, « la qualité qui est en même temps le pire défaut de cette
notion1302, c’est précisément sa malléabilité, son adaptabilité qui permettent à
l’autorité administrative de l’interpréter presque toujours contre les libertés »1303.

Si « depuis l’indépendance, la notion d’ordre public est au cœur du débat


doctrinal »1304, et que les auteurs l’ont tour à tour qualifiée d’ « ordre public de
développement »1305 d’ « ordre public d’adaptation »1306 ou même d’ « ordre public
d’occidentalisation »1307, il faut dire que dans le domaine spécifique de la police
administrative, il s’agit, avec la bénédiction du juge, d’un ordre public liberticide. A cet
effet, G. CONAC prévenait déjà, lorsqu’il écrivait que « le risque n’est pas seulement
que le juge donne plus ou moins consciemment à la notion d’ordre public un contenu
culturel mais aussi que très sciemment, par complaisance à l’égard du pouvoir, il lui
donne un contenu politique. Si par exemple elle lui sert à sévir contre l’exercice de
certains cultes ou à limiter les droits d’expression ou d’association, elle fait barrage
aux libertés publiques et peut devenir un frein redoutable au progrès de l’Etat de
droit »1308.

La mise en réserve permanente de l’ordre public est donc un révélateur de ce


caractère liberticide de l’ordre public et donc de la prédominance de l’ordre sur la
liberté. Ceci montre l’adhésion du Cameroun à l’idée d’un antagonisme entre l’ordre et
la liberté.

1302
A savoir l’ordre public
1303
M. KAMTO « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », précité,
p.228.
1304
G. CONAC, « Le juge et la construction de l’Etat de droit en Afrique francophone », in l’Etat de droit,
Mélanges en l’honneur de Guy BRAIBANT, Paris, Dalloz, 1996, p.111.
1305
Selon FRANCESKAKIS (cité par G. CONAC, ibid.), l’ordre public en œuvre en Afrique est un ordre
public de développement parce qu’il correspond à l’ensemble des principes préfigurant la société moderne en
voie de formation.
1306
Selon le qualificatif que lui a accolé P. LAMPUE, (cité par G. CONAC, ibid.), puisque, selon lui, il s’agit
d’adapter les coutumes aux principes généraux du droit et de soumettre l’activité juridique des administrations
et des particuliers à leur entreprise.
1307
Selon le Professeur P.G. POUGOUE. Mais il faut dire que ces différentes auteurs n’envisagent pas
spécifiquement l’ordre public de la police administrative, mais l’ordre public en quelque sorte procédural,
c’est-à-dire en l’occurrence celui dont le juge se sert pour écarter l’application de certaines règles juridiques de
nature notamment coutumière influant ainsi sur l’élaboration du droit des jeunes Etats alors naissant.
1308
G. CONAC, « Le juge et la construction de l’Etat de droit en Afrique francophone », op. cit., p. 112.

408
B – La thèse de l’antagonisme de l’ordre et de la liberté

Bien que « cette conception d’un antagonisme rigoureux entre l’ordre public et
les libertés a été critiquée comme « superficielle » sur le plan théorique »1309, il n’en
demeure pas moins qu’elle existe et qu’elle permet de rendre compte de la réalité
juridique d’un pays comme le Cameroun. En effet, « si dans les pays ayant une vieille
tradition de l’Etat de droit, ou l’autorité judiciaire tient une place importante dans le
jeu de la séparation des pouvoirs, le juge est arrivé à stabiliser la notion de l’ordre
public grâce à une interprétation rigoureuse et restrictive de son contenu, il n’en est
point de même dans des sociétés qui se réveillent de l’autoritarisme, où l’Etat de droit
est encore en construction et où les convulsions politiques prédisposent le pouvoir à
toutes sortes de dérives »1310. La pertinence de cette théorie dans le contexte des pays
africains apparaît donc d’elle-même au regard des caractéristiques qu’ils présentent,
notamment en termes de limitation des droits et libertés au nom de l’ordre public, à
travers la vision essentiellement antithétique que l’on y impose entre l’ordre et la liberté,
car, « en théorie ou sur le plan philosophique, la thèse de l’antagonisme ordre public-
libertés, se résume à l’opposition entre la primauté du principe de la liberté et de
l’individu, d’une part, et la répression au service de la collectivité (l’exigence de
l’ordre public) qui est l’exception, d’autre part »1311.

Mais il faut bien dire que cette conception de l’antagonisme est bien restrictive,
car elle maintient la liberté comme le principe dans ses rapports avec l’ordre public qui
est l’instrument de l’autorité. Or, l’originalité de la thèse de l’antagonisme entre ordre
public et libertés, réside dans le fait que les deux exigences se trouvant ontologiquement
opposées au sein de l’ordre juridique, et le but de toute association politique étant ou
devant être le plein épanouissement de l’homme, l’on considère que la seule opposition
des deux exigences soit le signe de la déchéance de la liberté au profit de l’ordre public.
La doctrine du Commissaire du gouvernement CORNEILLE dans l’arrêt Baldy, qui
plaçait alors la liberté au frontispice du droit public français, est révélatrice de ce point
de vue. Elle montre bien que, qu’on le dise ou non, que l’on soit en présence d’une
hypothèse de complémentarité ou de consubstantialité entre ordre et liberté, l’objectif est

1309
Notamment par Etienne PICARD dans sa thèse déjà citée.
1310
M. KAMTO, « Quelques réflexions sur la transition, vers le pluralisme politique au Cameroun », op. cit.,
p. 228.
1311
C. VIMBERT, « L’ordre public dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », op. cit., p.716.

409
même à travers l’ordre public, d’assurer la liberté, qui est le signe de la prise en compte
de la dimension humaine par le droit. Opposer ordre et liberté revient donc
implicitement, à promouvoir l’ordre public au détriment de la liberté.

Cela revient à extirper de l’ordre public la notion de liberté comme si cette


dernière n’avait rien à voir avec elle. Aussi, la vision antagoniste de l’ordre et de la
liberté est-elle à terme, le signe d’une mise en œuvre de la dimension restrictive de
l’ordre public. On peut mesurer le succès de la théorie antagoniste de l’ordre et de la
liberté dans un système juridique à travers la floraison, dans les dispositions juridiques
consacrant les libertés de mots tels : « à condition que », « sous réserve de », « sauf »,
« dérogation », « exception », etc. Bien que cette thèse soit datée1312, elle n’en demeure
pas moins à l’œuvre dans de nombreux Etats. Ici, l’ordre public, parce qu’il suppose un
certain nombre de restrictions imposées au libre exercice par les particuliers de leurs
différentes activités, serait ainsi « une idée repoussant la liberté ».

Et si comme nous l’avons mentionné, cette thèse est en certains points


disqualifiée par les auteurs, il faut reconnaître que c’est sur la base d’un parti pris à la
limite idéologique. C’est que, en réalité, les rapports ordre /liberté sont non seulement
historiquement situés, mais aussi géographiquement déterminés. C’est dire qu’ils sont
déterminés par des circonstances de temps et de lieu. Or, la société occidentale qui tend à
rejeter cette opposition entre ordre et liberté du point de vue théorique, est entière
construite sur la base d’une idéologie libérale, laquelle innerve toutes les sphères
sociales. En particulier, parlant du domaine juridique et en particulier de la police
administrative, on observe que le professeur Etienne Picard qui rejette cette thèse
antagoniste, a construit toute sa thèse sur l’idée que la notion de police administrative est
ordonnée autour de la réalisation d’un projet, celui de l’institution primaire libérale. Or
un tel projet ne pouvait que le conduire à écarter toutes les thèses pouvant aller à
l’encontre de ce libéralisme qu’il voyait (qu’il croyait ?) à l’œuvre dans la conduite de la
notion de police administrative. Pourtant, il faut reconnaitre que la société libérale
occidentale, qui a une longue tradition de l’Etat de droit, n’est pas la société africaine
nouvellement étatisée, où la mise en place d’un ordre semble être encore une entreprise
impérieuse et urgente. Si là-bas, on ne peut concevoir d’ordre public contre la liberté, ici,

1312
On peut en trouver les racines notamment dans la France révolutionnaire, à l’ère de la souveraineté de la
loi.

410
cette dernière est constamment mise à l’épreuve et c’est peu dire, par l’ordre public. La
dimension autoritaire de celui-ci disqualifie constamment celle-là. De ce point de vue, la
thèse de l’antagonisme de l’ordre et de la liberté ne peut que trouver une réelle vigueur,
ce d’autant plus qu’en fin de compte, c’est à une hégémonie de l’ordre sur la liberté que
l’on assiste en réalité. En tout cas, cette thèse est révélatrice de la conception absolutiste
que l’on a ici de cet ordre public, fondement de la police générale.

411
CHAPITRE II :

L’EXPANSIONNISME DES FONDEMENTS DES POLICES


SPECIALES

412
Les polices spéciales existent au sein du droit positif camerounais. Bien que cette
existence soit observable seulement après une analyse attentive des textes, elle n’en est
pas moins incontestable. Cette existence n’est pas clairement, ou si l’on veut
formellement déclinée par les textes1313. Il faut donc s’appuyer sur l’existence de deux
procédés de conditionnement des compétences des autorités de police administrative,
pour parvenir à cette conclusion. Car à côté de celles dont l’habilitation juridique à
intervenir est déclinée de manière générale et parfois pas du tout formellement1314,
figurent d’autres dont l’habitation à agir est nécessairement fixée et parfois de manière
rigoureuse par les textes. Cela induit donc bel et bien l’existence ici de polices spéciales
à côté de la police générale1315.

Mais une fois cette existence admise, on peut s’interroger sur les éléments
qui fondent ici cette forme de police administrative. On se rend alors compte que ces
fondements n’échappent pas à cet impérialisme qui traverse l’ensemble des fondements
de la police administrative ici. En particulier, les polices spéciales reposent ici sur des
bases expansionnistes qui permettent ainsi à la notion de police d’assurer son hégémonie
au sein du système juridique. Les polices spéciales sont alors des instruments
d’extension autoritaire de la notion de police. Mais pour bien percevoir les ressorts de
cet expansionnisme, il faut partir d’une distinction entre police générale et police
spéciale. Celle-ci n’est pas facile à faire en raison de l’enchevêtrement de ces deux
formes de police1316. Au moins sait-on que le critère de la sanction pénale est inopérant,
puisque la police générale comme la police spéciale consacrent l’existence de sanctions
pénales : « ce sont finalement les caractères de la police générale qui vont le mieux
faire ressortir les raisons d’avoir recours aux polices spéciales et leur conception

1313
La doctrine admet en effet, comme nous l’avons vu, pour certaines autorités, qu’il leur soit reconnu, en
l’absence de tout texte le leur reconnaissant, une compétence de police générale, basée sur la seule nécessité de
l’admettre.
1314
Voir le cas des pouvoirs de police administrative générale reconnus au Premier Ministre français, à partir
de la jurisprudence Labonne de 1919, et dans une certaine mesure la situation du Président de la République du
Cameroun dont l’incertitude d’une habilitation explicite à agir en matière de police générale cache à peine la
certitude d’une habitation implicite.
1315
Cette conclusion, basée sur une démarche à la limite intuitive, est entérinée par l’usage quoique sporadique
mais bien réelle de l’expression police spéciale à plusieurs reprises, que ce soit avant l’indépendance ou même
après, pour ce qui concerne principalement la police des chemins de fer (ou d’autres encore), désignée
expressément "police spéciale" ou la police des établissements classés, des salles de spectacles, de la chasse ou
la police sanitaire, dont le caractère spécial est simplement déduit. Du reste, le jurislateur n’est pas tenu
d’employer expressément l’expression police spéciale, l’identification de cette dernière étant aussi et surtout du
ressort de l’analyste.
1316
En effet, il arrive très souvent que les deux pouvoirs soient détenus simultanément par la même autorité.

413
d’ensemble »1317. On sait que la police générale s’impose parce qu’elle est nécessaire.
Les polices spéciales complètent l’action de la police générale par la volonté des
pouvoirs publics. Cette conception des polices spéciales comme complémentaires de la
police générale traverse l’ensemble de la doctrine française. C’est ainsi que pour le
Professeur Bertrand SEILLER, les polices spéciales sont « destinées ordinairement à
assurer la préservation de valeurs, d’exigences échappant à la notion traditionnelle
d’ordre public »1318. Pour MM. VEDEL et DELVOLVÉ, les polices spéciales sont
« celles qui se différencient de la police administrative générale soit pas leur régime
particulier, soit parce qu’elles permettent d’intervenir dans des matières autres que la
sureté, la tranquillité et la salubrité »1319. Pour d’autres auteurs, « la police
administrative générale est celle qui est confiée… aux diverses autorités
administratives et qui est susceptible de s’exercer d’une manière générale à l’égard de
n’importe quel genre d’activités des particuliers. Parallèlement à cette police générale
existent de très nombreuses polices spéciales concernant tel ou tel domaine particulier
d’activités et visant quelques fois des buts autres que la sécurité, la tranquillité ou la
salubrité »1320. Sous ce prisme, les polices spéciales sont perçues comme des instruments
qui permettent de faire faire à la police administrative ce que sa forme générale ne peut
faire.

Mais une telle conception ne correspond pas toujours à la réalité des choses, car,
s’il est vrai que les polices spéciales permettent de faire ce que la police générale ne peut
faire, il reste tout autant vrai que plusieurs polices spéciales ont pour objet des
compartiments de l’ordre public bel et bien pris en charge par la police générale. La
doctrine a ainsi raison de souligner qu’« il est des polices administratives spéciales dont
la finalité n’est pas différente de celle assignée à la police administrative
générale »1321. Il faut donc considérer ces deux aspects des polices spéciales pour en
donner une définition conforme à la réalité. C’est pourquoi F.-P. BENOIT a raison
d’écrire qu’elles « correspondent à un dépassement des limites de la police

1317
D. MAILLARD DESGRÉES DU LOÛ, Thèse, op. cit., p. 5.
1318
B. SEILLER, Droit administratif, tome 2, pp. 83-84.
1319
G. VEDEL et P. DEVELOVÉ, Droit administratif, Tome 2, Paris, 12e éd. PUF, 1992, pp. 682-683.
1320
A. DE LAUBADÈRE, J. C. VENÉZIA, Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif, Tome I, Paris,
LGDJ, 9e éd. 1984. p. 633.
1321
D. GRÉGOIRE, thèse, op. cit., p. 65. L’auteur, analysant toutefois le cas français cite les exemples de la
police des édifices menaçant ruine, des installations classées, des gares et aérodromes, des manifestations, etc.

414
administrative générale et à un renforcement de la police administrative »1322. Aussi,
« en définitive les polices spéciales sont cette partie de la fonction de police qui
comporte l’établissement de la discipline et l’accomplissement d’activités nécessaires à
la satisfaction d’intérêts spécifiques d’ordre public général isolés pour quelque raison
que ce soit de l’ordre public général ou hors d’atteinte de celui-ci »1323.

La curiosité ici vient donc du fait que, bien que les auteurs reconnaissent que
certaines polices spéciales portent sur des objets étrangers à l’ordre public, ils
« continuent à rattacher les polices administratives spéciales à l’ordre public ayant
alors recours aux notions d’"ordre public spécifique", d’"élément spécifique de
l’ordre public", d’"ordre public spécial" » 1324. Ils affirment que les polices spéciales
« ont pour objet un compartiment de l’ordre public »1325, ou font référence à « la
satisfaction d’intérêts spécifiques d’ordre public ».1326

S’agissant en particulier de la notion d’ordre public spécial, forgée le Professeur


Etienne PICARD1327 et reprise par d’autres auteurs1328, elle leur permet de donner une
conception unitaire à la notion de police administrative en l’ancrant dans le libéralisme.
Il affirme ainsi que « si l’ordre public général est une norme d’habilitation implicite
pour les autorités de police générale, l’ordre public spécial quant à lui, correspond à
une norme formelle d’habilitation des autorités de police spéciale visant, tout comme
l’ordre public général, la protection de l’institution primaire libérale »1329. Cette option
est justifiée par la doctrine qui affirme alors que « la référence à l’ordre public est
consubstantielle à la notion de police administrative »1330 ; « l’ordre public s’avère
plus large en matière de polices spéciales qu’il ne l’est dans le domaine de la police
générale »1331. Certains auteurs vont même plus loin dans cette dilution des polices

1322
F.-P. BENOIT, Le droit administratif français, précité, p. 764. D. GRÉGOIRE, thèse, op. cit., p.65.
1323
D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse précitée, p. 12.
1324
D. GREGOIRE, op. cit., à la même page.
1325
M. LEROY, Le concours des polices générales et des polices spéciales, thèse, Lille, 1938, p. 11.
1326
Idem, p. 12.
1327
E. PICARD, La notion de police administrative, précitée, pp. 558 et s.
1328
P. L. FRIER, Précis de droit administratif, Montchrestien, 2004, p. 244.
1329
Ibid, p. 568.
1330
P. FRYDMANN, in B. SEILLER, Les polices municipales en perspective, op. cit., p. 93.
1331
Idem, à la même page. Pour E. PICARD (thèse, op. cit., p. 569.) « refuser la notion d’ordre public spécial
(…) aboutit à des conséquences aberrantes : exclure de la notion de police certaines polices spéciales (celles
qui ne présentent pas de ressemblances matérielles suffisantes avec la police municipale ou générale tout en
y intégrant certaines autres (celles qui se rapprochent peu ou prou, matériellement, de la police
municipale » « Il faut bien soit toutes (les polices spéciales) les en exclure — et réussir à justifier une telle
option bien paradoxale — ou bien toutes les y intégrer ; c’est bien entendu la solution la plus logique ».

415
spéciales au sein de la fonction générale de police, en affirmant que même si les polices
spéciales se différencient par leur forme et leur finalité, elles ne sont guère différentes de
la police générale1332. Cette thèse doit être contestée car, ces polices spéciales ne
correspondent qu’imparfaitement à la fonction disciplinaire de protection de l’institution
primaire libérale1333. Aussi, les rattacher à cette fonction conduit à l’altérer, comme le
concède le Professeur PICARD lui-même, lorsqu’il considère que la multiplication des
polices spéciales altère la police administrative en tant que fonction disciplinaire de
l’institution primaire libérale1334.

Quoi qu’il en soit, si ce débat peut avoir une réelle pertinence dans le contexte
français, où la police administrative est entièrement mue par un substrat idéologique
libéral, de sorte que les polices spéciales étant toujours l’expression ou la manifestation
de la puissance publique et donc susceptibles d’altérer le libéralisme ambiant, elles
suscitent des réticences quant à leur insertion au sein d’une fonction unitaire de police.
Tel n’est pas le cas au Cameroun, où, comme nous l’avons vu, la fonction de police est
substantiellement nimbée d’autoritarisme, au point où la notion de police spéciale, par
elle-même, semble s’y enserrer harmonieusement. Si, comme il a été démontré, l’ordre
public est ici un ordre autoritaire, manifestation des fondements impérialistes de la
police administrative, la notion de police spéciale ne peut qu’y prospérer. Si

Ainsi, « un ordre public spécial est une habitation formelle à traduire en droit positif certaines implications
de la proposition de droit. Il y a autant d’ordres publics spéciaux que d’habilitations expresses ou spéciales
en matière de police », « la nature de l’ordre public spécial est d’être une norme formelle d’habilitation »
(thèse p. 568). « En définitive l’ordre public connaît deux formes statutaires de concrétisation, l’une
inexprimée, qui est celle de la police générale, statutairement constituée par l’ordre public général, norme
implicite d’habilitation, et l’autre expressément organisée, qui est celle de toutes les polices spéciales,
constituées autour de la notion d’ordre public spécial, norme explicite d’habilitation ». (D. MAILLARD
DES GRÉES DU LOÛ, thèse, op. cit., p. 119).
1332
Voir dans ce sens : J. MOREAU « Polices administratives-Théorie générale », JCA, fasc 200 ; M.
WALINE, Précis de précis de droit administratif, 1969, p.100 ; G. LIET-VEAUX, « A propos de santé
publique : polices générale et spéciales », note sous CE, 17 oct 1952, Syndicat climatique de Briançon, R.A.,
1952, p.591 ; R. CHAPUS, Droit administratif général, précité, p.718 et s.
1333
D. MAILLARD DESGRÉES DU LOÛ, op. cit., p. 69.
1334
E. PICARD, thèse précitée, p.674. selon le Professeur MAILLARD donc, « A considérer certaines d’entre
elles en effet, et notamment celles qui tendent à se développer dans le domaine des loisirs comme la police
de la chasse, celle des compétitions sportives ou encore la police des courses de chevaux, il semble qu’il
faille envisager leur fonction sur un plan plus large que celui de la protection de l’institution et faire état, à
leur sujet, d’une fonction plus globale d’organisation comportant un aspect dynamique de promotion d’un
certain ordre qui n’est pas l’ordre public de la tradition libérale mais celui voulu par le législateur ». Selon
l’auteur toujours, il existe une différence de fonction : « A la police générale, la fonction du maintien de
l’ordre libéral au service de la liberté par des limitations apportées à l’exercice de certaines d’entre elles, et
aux polices spéciales, une fonction de sauvegarde ou de promotion d’un ordre voulu par la puissance
publique, ou plus précisément par le législateur, au service de ce qu’il considère comme étant le bien-être
collectif par l’organisation et l’orientation des libertés dans le sens de ce bien-être collectif et de l’intérêt
général », (précité, p. 70).

416
« l’intervention de textes particuliers créant une police spéciale s’explique toujours
par la volonté de renforcer les pouvoirs de police administrative », et que « dans tous
les cas, les polices spéciales correspondent à un déplacement des limites de la police
administrative générale, et à un renforcement de la police administrative »1335, cet
autoritarisme en quelque sorte inné s’épanouit dans le contexte camerounais. La notion
de police spéciale ici permet à la fonction de police de s’étendre en largeur mais
également en profondeur en renforçant les exigences de police administrative. Cette
extension, et c’est peu de le dire, ne se fait pas toujours au profit de la liberté, tout au
contraire. La doctrine avait déjà averti : « rien ne retient aujourd’hui la police de
déterminer le contenu concret de l’ordre social ni de subordonner l’exercice
d’activités au respect d’exigences d’ordre public dans lesquelles la liberté n’est pas
prise pour fin ultime »1336.

On voit donc ici des polices spéciales marquées du sceau de l’expansionnisme,


étendant et approfondissant la fonction de police d’une manière qui favorise les
exigences liées au maintien de l’ordre public par rapport à celles relatives à la garantie
des droits et libertés fondamentaux1337. L’expansionnisme dont il est ici question
comporte deux types de ressorts, à savoir des ressorts théoriques et des ressorts
juridiques. Les premiers relatifs à la considération des polices spéciales en leur être,
permettent d’aborder les polices spéciales de manière abstraite. Les secondes permettent
de considérer les polices spéciales telles qu’elles sont déclinées par le droit positif. Ils
sont plus liés au contexte juridique de déploiement de ces dernières.

SECTION I - L’EXPANSIONNISME DES FONDEMENTS THEORIQUES

On entend par fondements théoriques ici les bases scientifiques qui sous-tendent
la notion de police spéciale, la signification abstraire qui est la leur au sein de la doctrine
juridique. Parler de l’expansionnisme des fondements théoriques c’est donc dire que
s’agissant des éléments scientifiques qui constituent les bases de la notion de police

1335
D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse, op. cit., p.11.
1336
Au final, ou peu dire avec le Professeur Maillard que « l’affirmation de la puissance publique (est un)
facteur d’unification des polices spéciales ». (Thèse, op. cit., p. 216.)
1337
E. VILLEY n’affirme-t-il pas que « l’Etat est une force, point une intelligence » ? (E. VILLEY, Du rôle
de l’Etat dans l’ordre économique, 1882, p.19, cité par G. BURDEAU, Traité de science politique, T. 1, Vol.
1, p. 367).

417
spéciale, s’agissant de leur connaissance abstraire, il faut les considérer comme
favorisant l’expansionnisme de la notion de police, c’est-à-dire son extension autant en
largeur qu’en profondeur. C’est dire que lorsqu’on considère les bases abstraites et
cognitives de la notion de police spéciale, on ne peut que conclure à leur caractère
expansif.

Les polices spéciales sont intrinsèquement ou ontologiquement expansives de la


notion de police administrative1338. Leur être favorise l’expansionnisme. La plupart des
auteurs, sinon tous, qui s’intéressent à ce domaine de l’activité des pouvoirs publics
reconnaissent ce caractère intrinsèquement expansif des polices spéciales. En soutenant
que « dans le cas particulier des polices spéciales, la notion d’ordre public peut
recevoir un contenu plus large »1339, la doctrine reconnaît certes implicitement, mais
certainement, que les polices spéciales contribuent à étendre à l’infini la notion de police
administrative. Cela dit, il n’y a « pas de rapport de normalité à anormalité à établir
entre la police générale et la police spéciale »1340. En d’autres termes, « la police
spéciale ne peut pas se définir uniquement comme un rejeton exceptionnel issu des
mêmes racines que le tronc de la police générale, car l’identité des racines est bien
souvent contestable »1341. Cela signifie bien que si police générale et polices spéciales ne
participent pas toujours du même fondement, les secondes ne sont pas à considérer sous
le prisme de l’anomalie ou encore moins de la maladie. L’existence des polices spéciales
peut s’expliquer et même se justifier.

Mais cette existence doit s’inscrire dans la mesure1342. Ici comme en toute chose,
il semble que ce soit l’excès qui nuise. L’expansionnisme des polices spéciales peut

1338
Cette considération permet d’éviter l’erreur qui consisterait à écarter les polices spéciales comme ne faisant
pas partie de la police administrative, ou alors qu’elles contribuent à la dénaturation, et donc à la faire
disparaître en tant que notion juridique, en raison de la distanciation qui existe de plus en plus çà et là entre le
fondement de plusieurs polices spéciales et le fondement général de la police administrative, à savoir l’ordre
public. Si, pour résoudre ce problème, certains auteurs à l’instar d’Etienne PICARD, ont développé la notion
d’ordre public spécial, pour conserver à la police administrative un fondement unique, cette théorie ne doit pas
masquer l’idée que les règles de police peuvent procéder, au sein d’un même Etat, d’idées d’œuvres
différentes.
1339
J. RIVERO, Droit administratif, Paris, Précis Dalloz, 12e éd, 1987, p. 521, cité par D. MAILLARD DES
GRÉES DU LOÛ, thèse précitée, p. 162.
1340
D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse précitée, p. 226. Cela signifie que l’on ne doit pas
considérer que l’une des polices, à savoir la police générale serait normale, tandis que l’autre police, à savoir la
police spéciale, seraient anormales.
1341
Idem, pp. 225-226
1342
La mesure dont il s’agit ici doit d’abord être appréhende au plan quantitatif, pour limiter le nombre de
polices spéciales. Car à multiplier ces instruments dans le droit positif, on peut finir par inverser la tendance
qui voudrait que l’ordre soit préservé d’un point de vue minimal, de sorte que la mesure de police n’altère pas

418
s’analyser du point de vue théorique sous deux angles complémentaires : celui de la
notion et celui de la fonction. S’agissant tout d’abord de la notion, c'est-à-dire de la
définition ou si l’on veut du contenu conceptuel, on doit observer qu’ils permettent tous
d’expliquer l’expansionnisme, d’en ressortir le pourquoi. Quant à la fonction remplie par
la police spéciale c’est-à-dire très exactement aux rôles qu’elles jouent, elle permet de
justifier cette forme de police d’en donner la raison d’être. Pour ce qui est de ce dernier
point en particulier, il faut dire que les fonctions des polices spéciales sont très
diversifiées, au point parfois de colorer le paysage juridique positif. Il s’agit là d’ailleurs
d’une autre manifestation de l’expansionnisme des fondements théoriques des polices
spéciales.

I. UN EXPANSIONNISME EXPLIQUE PAR LA NOTION DE POLICE


SPECIALE

La notion de police spéciale explique en elle-même, c’est-à-dire intrinsèquement,


l’expansionnisme qui la caractérise. Cet expansionnisme est en quelque sorte inné, ou si
l’on veut, il est inhérent à la notion même de police spéciale. Mais cette notion est
malaisée et même délicate à circonscrire, en raison essentiellement de l’extrême diversité
qui caractérise ces diverses interventions de la puissance publique. On sait que « Les
critères qui permettent de différencier les polices spéciales de la police générale sont
multiples, imparfaits et relatifs. (…), il faut donc se résoudre à constater que la
différenciation entre les deux types de polices est parfois malaisée »1343. On sait aussi
que si plusieurs auteurs ont essayé de définir la notion de police spéciale, la plupart des
solutions sont apparues controversées, d’où la difficulté à donner une définition arrêtée.

Mais au-delà de ces difficultés, il semble possible d’affirmer qu’ « une police
spéciale nait parce qu’une législation particulière la créée, en prévoit la nécessité »1344.
Si l’on considère les polices spéciales comme correspondant à des ordres publics
spéciaux, on dira qu’ « il y a donc lieu à la création d’un ordre public spécial ou à
habilitation expresse, lorsque celle produite par l’ordre public général est jugée, par
les autorités compétences pour en décider, ne pas convenir aux nécessités de la

le libre jeu des libertés individuelles qui en fin de compte doit pouvoir générer par lui-même l’ordre nécessaire
à la vie en société. La mesure doit aussi être analysée et au plan qualitatif, pour que soit rationalisé le pouvoir
de police spéciale dont on sait qu’il va en général au-delà de ce que permet celui de la police générale.
1343
D. MAILLARD DESGRÉES DU LOÛ, Thèse, à la même page.
1344
Idem.

419
protection de l’ordre institutionnel »1345. Mais l’expansionnisme des polices spéciales
ne peut s’appréhender qu’à la lumière de la relation entre cette notion et celle de police
générale. Les deux ont-elles le même fondement ? La doctrine esquisse le problème,
lorsqu’elle se demande « dans quelle mesure la police spéciale répond à la même
conception de la fonction de police que la police générale ? »1346. Considérant le fait
que la police générale s’impose parce qu’elle est nécessaire, et que les polices spéciales
complètent l’action de la police générale par la volonté des pouvoirs publics1347, l’on est
forcé de constater que les polices spéciales ne sont qu’accessoirement fondées sur une
nécessité pratique, et qu’elles reposent donc principalement sur la volonté étatique.

A. Une notion accessoirement fondée sur une nécessité pratique

Le fondement, la raison d’être de la police administrative est la nécessité1348.


L’ordre public qui est le fondement de l’action de police administrative est lui-même une
norme de nécessité1349. Mais, il faut dire que l’ordre public qui est une norme de
nécessité c’est l’ordre public général, qui selon le Professeur PICARD, peut se dispenser
d’une habilitation formelle. Il fonde l’exercice de la police générale. Mais s’agissant des
polices spéciales, elles ne sont pas toujours ou ne sont que très rarement fondées sur des
éléments rattachables à l’ordre public général. C’est pour cela que si la nécessité est la
raison d’être même de la police générale, elle est par contre un élément non justificatif
de l’existence de polices spéciales.

1. La nécessité, raison d’être même de la police générale

La police générale existe parce qu’elle est nécessaire. L’ordre public général qui
là fonde apparaît comme une norme de nécessité parce qu’aucune société ne peut exister
sans cet ordre minimal1350. Les travaux du Professeur Etienne Picard montrent en effet
que l’ordre public général peut être compris comme une norme d’habilitation dont

1345
E. PICARD, La notion de police administrative, op cit, p. 570.
1346
D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse précitée, p. 206.
1347
Idem, p.12.
1348
E. PICARD, Idem.
1349
Ibid.
1350
En effet, comme le dit judicieusement le Professeur MAILLARD « toute institution, tout système
juridique, a besoin d’ordre. Par la police, l’institution étatique se donne les moyens d’avoir la discipline
nécessaire à la satisfaction des exigences de l’ordre public ». (Thèse précité, p. 1.) Dans le même sens, le
doyen RIPERT affirmait que si l’on peut concevoir une société sans justice, on ne saurait concevoir une société
sans ordre (Cf. supra.)

420
peuvent se réclamer toutes les autorités de police générale. Il est, cet ordre public, dans
la théorie de l’auteur, une proposition de droit faisant partie de l’idée d’œuvre que
l’institution se donne1351. Aussi, en tant qu’élément de l’idée d’œuvre, l’ordre public est
prééminent sur l’ordre juridique que produit l’institution.

Le Professeur Picard n’est pas le premier à avoir perçu en l’ordre public une
norme de nécessité habilitant les autorités de police générale. En son temps, P. H.
TEITGEN, sans se référer à la théorie institutionnelle, affirmait déjà que « le pouvoir de
police… n’est pas un pouvoir délégué par le législateur aux autorités administratives,
il est antérieur à la loi ; il appartient, par nature au pouvoir exécutif et puise
originairement dans sa fonction tous les droits qui lui sont nécessaires pour maintenir
l’ordre dont il est responsable. Et, quand la loi intervient par la suite pour le
consacrer, l’organiser et le définir, elle ne peut pas le limiter à la mise en œuvre de
dispositions législatives préétablies, parce que les exigences de l’ordre public
dépendent de circonstances imprévisibles, variables et concrètes que les lois, générales
et abstraites, ne peuvent pas prévoir »1352. C’est dire que, puisque basée sur la
nécessité, la police générale n’a pas besoin d’une habilitation expresse ou explicite pour
s’exercer : « l’ordre institutionnel ne comporte de règles formelles de droit statutaire
pour fixer les conditions de concrétisation de la proposition d’ordre public que dans la
mesure ou cela apparait souhaitable, possible ou indispensable au bon
accomplissement de la fonction de police »1353. Mais cela dit, quand bien même une
habilitation formelle existerait, elle ne ferait en aucun cas disparaître celle implicite
fournie par la nécessité d’assurer l’ordre public1354.

1351
Dans la théorie institutionnelle du Doyen HAURIOU dont se sert abondamment M. Etienne PICARD pour
bâtir sa conception de la notion de police administrative, l’idée d’œuvre d’une institution est sa raison d’être.
C’est l’objectif que se donne ou qui est assigné à l’institution à sa création.
1352
P. H. TEITGEN, La police municipale, op. cit., p. 379.
1353
E. PICARD, thèse précitée, cité par D. MAILLARD DESGRÉES DU LOÛ, thèse précitée, pp. 56-57.
1354
Etant donné que l’idée d’œuvre est le but que la société se propose de confier à l’institution au moment où
elle constitue celle-ci, et qu’elle précède donc l’édiction de l’ordre juridique qui permettra d’atteindre ce but, et
en même temps se le subordonne. (D. MAILLARD DESGRÉES DU LOÛ, thèse précitée, p.56). L’habilitation
formelle en matière de police générale a un caractère superfétatoire « en effet, c’est dans la mesure où la
concrétisation de la même proposition de droit (l’ordre public) apparaît nécessaire que celle-ci habilite
implicitement tous les organes de sa concrétisation ; seules vont changer les circonstances dans lesquelles
apparaitra la nécessité de protéger tel élément d’ordre institutionnel. Certains textes rendent compte à
l’avance de ces nécessités circonstancielles en investissant des autorités spécifiques de pouvoirs de police
générale. Mais lorsque les textes existent, ils ne font pas disparaître l’habitation reçue de l’ordre public
général » (Ibid., p. 57).

421
Au regard de tout ceci, on peut alors se demander quel est le rôle des textes en ce
domaine ? Faut-il s’en départir totalement et définitivement ? A la vérité, les textes,
comme la jurisprudence d’ailleurs, gardent une certaine utilité. En effet, « dans la
détermination d’une autorité compétente en matière de police générale, le texte ne
joue qu’un rôle de désignation apparente du titulaire d’une fonction qui possède en
elle-même son propre fondement »1355. De plus, « les textes constituent une répartition
préalable du tâches de police entre différentes autorités »1356. En général donc, on peut
considérer que les textes ici procèdent simplement à une sorte de répartition des tâches.
Ils ont en la matière une valeur non pas constitutive, mais simplement déclarative, et à la
limite constatative1357. Lorsque les pouvoirs de police générale sont contenus dans un
texte, ce dernier ne fait que constater lesdits pouvoirs, il ne les crée pas, puisque par
principe, la nécessité de maintenir l’ordre public général étant antérieure au texte, ce
dernier ne saurait la contenir et l’épuiser1358. L’ordre public, en tant que moulé par les
circonstances de temps et de lieu, déborde toujours le texte pour emprunter le visage
fluctuant de la vie. Ce n’est certes pas un hasard si, dans la plupart des pays, en dehors
de l’hypothèse de circonstances exceptionnelles, l’on ne prend pas la peine de
réglementer les pouvoirs de police de certaines autorités à l’instar du chef de l’exécutif
ou du gouvernement, ou en tout cas de leur donner une habilitation juridique formelle à
agir en ce domaine1359. C’est sans doute parce que cette habilitation revêt un caractère à
la limite superfétatoire. Or, qui pourrait nier que ces autorités sont détentrices d’un
pouvoir de police générale ? En France, le pouvoir de police du chef de l’exécutif puis
du chef du Gouvernement n’a été entériné que par la jurisprudence, qui se contenta alors
de développer la théorie des "pouvoirs propres"1360, exactement comme pour confirmer
que ceux-ci n’avaient pas besoin d’une habilitation textuelle.

1355
Idem, p. 97.
1356
Ibid.
1357
Puisque la nécessité d’assurer l’ordre public général précède l’habilitation formelle portée par le texte
juridique, elle est donc à la limite simplement constaté par celui-ci.
1358
L’ordre public dépasse en effet le texte juridique en tant que norme de nécessité, pour épouser les formes
fluctuantes de la vie. Il est moulé par les circonstances de temps et de lieu, et ne peut se décliner que in
concreto. C’est pourquoi, même lorsqu’elle existe, en matière de police générale, l’habilitation à agir des
autorités de police ne peut qu’être formulée de manière générale et indéterminée, à la limite même vague.
1359
On observe en effet que les textes constitutionnels se contentent en général de mettre un accent sur les
pouvoirs présidentiels en période de crise, à savoir l’état d’urgence et l’Etat d’exception. Rares sont les textes
constitutionnels qui donnent formellement compétence à agir au Président de la République ou au chef du
gouvernement en matière de police administrative en période normale.
1360
Voir C.E. 8 août 1919, Labonne Rec. 737. A titre de rappel, cette théorie est développée par le Conseil
d’Etat en ces termes : « Considérant que si les autorités départementales et municipales sont chargées par les

422
Au Cameroun, il est significatif de constater que les pouvoirs de police générale
du Président de la République, chef de l’exécutif, ne reposent sur aucune base textuelle
certaine. Or, qui pourrait nier qu’il détient de tels pouvoirs. De plus, pour les autorités de
police administrative générale appartenant à l’exécutif, à savoir les gouverneurs, les
préfets et sous-préfets, le caractère elliptique et laconique des dispositions consacrant
leurs compétences en ce domaine montre bien que ces textes apparaissent ici fort limités.
Les pouvoirs qu’ils exercent effectivement dans ce cadre ne peuvent, par leur
importance, se justifier qu’au regard de cette habilitation implicite qu’est l’ordre public.
La nécessité d’assurer l’ordre public apparaît donc plus forte que toutes autres
considérations, notamment textuelles. La nécessité de protéger l’ordre public étant
fonction des circonstances, « certains textes rendent compte à l’avance de ces
nécessités circonstancielles en investissant des autorités spécifiques de pouvoirs de
police générale. Mais lorsque ces textes existent, ils ne font pas disparaitre
l’habilitation reçue de l’ordre public général »1361. Mais cela dit, il importe que la
nécessité de maintenir l’ordre public n’habilite que seules les autorités de police
générale. Pour ce qui est de l’exercice de la police spéciale, cette norme implicite
d’habilitation ne joue que de manière très imparfaite. La nécessité ne peut donc pas
s’appliquer aux polices spéciales.

2. La nécessité élément non justificatif des polices spéciales

La nécessité n’est pas l’élément qui justifie l’existence de polices spéciales. Si la


police générale qui a pour fondement l’ordre public général, existe parce qu’elle est
nécessaire, les polices spéciales quant à elles n’ont pas pour raison d’être la nécessité.
Disons, pour être tout à fait exacts sur ce point, que la nécessité peut justifier certaines
polices spéciales, mais de manière en quelque sorte accidentelle. Elle ne peut donc, à la

lois, notamment par celle de 22 décembre 1789-8 janvier 1790 et celle du 5 avril 1884, de veiller à la
conservation des voies publiques et à la sécurité de la circulation, il appartient au chef de l’Etat, en dehors
de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer celles des mesures de police
qui doivent en tout état de cause être appliquées dans l’ensemble du territoire ».
1361
Si le domaine de la police municipale est en général détaillé, comme le révèle l’article 87 de la loi du 22
juillet 2004 portant dispositions applicables aux communes, les dispositions juridiques qui donnent
formellement compétence à agir aux autorités de police générale à l’échelle déconcentrée sont particulièrement
elliptiques. Elles se contentent de poser que ces autorités sont chargées du maintien de l’ordre, sans aucune
précision. Si oui, qu’ils disposent des forces de maintien de l’ordre que sont la police, la gendarmerie et
parfois l’armée.

423
rigueur qu’être partiellement justificative de l’existence de polices spéciales1362. Mais il
reste à en énoncer ici les conditions.

On peut, pour cela, diviser les polices spéciales en deux grands groupes. Le
premier est formé de polices spéciales qui partagent les mêmes buts que la police
générale. Bien qu’étant spéciales, ces polices portent sur des mêmes objets que la police
générale à savoir la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques. La similitude de
leurs buts avec ceux de la police générale est telle que les pouvoirs publics auraient pu
légitimement réaliser ceux-ci dans le cadre de la police générale sans que cela ne pose
aucun problème. On pourrait citer ici à titre illustratif la police de réunions et des
manifestations publiques1363, la police des déchets1364, la police des activités privées de
gardiennage1365, la police des établissements classés dangereux, insalubres ou
incommodes1366, la police des déchets dangereux ou toxiques1367 etc. En tant que ces
polices visent prioritairement à maintenir la sécurité, la tranquillité ou la salubrité
publiques, elles auraient pu être simplement intégrées au sein de la police générale et ne
donc pas faire l’objet d’une réglementation particulière.

Le deuxième groupe de polices spéciales est formé de polices dont les buts sont
peu ou prou éloignés de ceux de la police générale. Elles ne visent donc en principe ni la
sécurité, ni la tranquillité, ni la salubrité. Leur insertion au sein de la police générale
serait donc difficilement justifiable, du moins si l’on est d’accord pour fonder cette
forme de police sur l’ordre public général. A titre d’exemple, on pourrait citer de
manière tout à fait désordonnée, la police de la concurrence1368, la police touristique1369,

1362
A savoir celles des polices spéciales dont les buts sont rattachables à ceux de la police générale.
1363
La loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des manifestations publiques.
Exercée par le sous-préfet territorialement compétent, cette police semble complétement englobée au sein de la
police générale exercée au sein de l’arrondissement.
1364
Voir le décret n°2012/2809/PM du 26 septembre 2012 fixant les conditions de tri, de collecte, de stockage,
de transport, de récupération de recyclage, de traitement et d’élimination finale des déchets. Ce décret, qui est
un texte d’application de plusieurs lois, particulièrement celle relative à la gestion de l’environnement, intègre
cette police au sein de la police municipale, puisqu’elle est exercée par le maire « en liaison avec les services
compétents de l’Etat ». Article 4 du décret.
1365
Voir la loi n° 97/021 du 10 septembre 1997 relative aux activités privées de gardiennage, modifiée et
complétée par la loi n° 2014/027 du 23 décembre 2014. Par ses buts cette police se rapproche fortement de la
police générale.
1366
Voir la loi n° 1998/015 du 14 juillet 1998 relative aux établissements classés dangereux insalubres ou
incommodes.
1367
Loi n° 89/027 du 29 décembre 1999 portant sur les déchets toxiques et dangereux.
1368
Voir la loi n° 98/013 du 14 juillet 1998 relative à la concurrence.
1369
Voir la loi n°98/006 du 14 avril 1998 relative à l’activité touristique remplacée récemment par la loi
2016/006 du 18 avril 2016 régissant l’activité touristique et des loisirs au Cameroun.

424
la police phytosanitaire1370, la police des engrais1371, les polices sanitaires1372, la police
des personnes handicapées1373, la police des associations1374, la polices des ONG1375, la
police des zones économiques1376, la police des activités physiques et sportives1377, la
police de l’eau1378, la police de l’électricité1379, etc. En tant que ces polices ne visent pas
prioritairement ou pas du tout à assurer la sécurité, la tranquillité ou la salubrité
publiques, elles ne peuvent être inclues au sein de la police générale. L’élaboration d’une
réglementation spécifique, base de leur spécialité, se justifie donc amplement.

Ces deux groupes de polices spéciales montrent bien la difficulté qu’il y a à


classer les polices au regard de leur nécessité. En fait, si l’on soutient l’idée que la
nécessité est un élément non justificatif des polices spéciales, c’est parce que si ce critère
peut s’appliquer aux polices spéciales du premier groupe, en raison de la proximité de
leurs buts avec ceux de la police générale, ce critère de nécessité est inapplicable aux
polices de second groupe, car leur raison d’être est, comme nous allons le voir,
différente. Or, ce deuxième groupe de polices spéciales est de loin le plus important en
termes quantitatifs1380. D’ailleurs, la notion de police spéciale est toute entière conçue,
du moins si l’on en croit la doctrine majoritaire, sur l’idée que la police générale n’est
pas capable de convenir à toutes les situations de désordre au sein de la société, ou en
tout cas de protéger les intérêts sociaux que seules les polices spéciales seront à même de

1370
Loi n° 2003/003 du 4 avril 2003 portant protection phytosanitaire.
1371
Loi n° 2003/007 du 10 juillet 2003 régissant les activités du sous/secteur engrais au Cameroun.
1372
Voir la loi n° 96/03 du 04 janvier 1996 portant loi cadre dans le domaine de la santé et la loi n°2000/017
du 19 décembre 2000 portant réglementation de l’inspection sanitaire vétérinaire.
1373
Loi n° 2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotion des personnes handicapées.
1374
Loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 sur la liberté d’association.
1375
Loi n° 99/014 du 22 décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales.
1376
Loi n° 2013/011 du 16 décembre 2013 régissant les zones économiques.
1377
Loi n° 2001/018 du 15 juillet 2011 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et
sportives.
1378
Loi n° 98/005 du 14 avril 998 portant régime de l’eau.
1379
Loi n° 2011/022 du 14 décembre 2001 régissant le secteur de l’électricité au Cameroun.
1380
Le dénombrement exact de ces différentes polices ou même de l’ensemble des polices spéciales n’a pas été
possible (encore que tel n’est pas l’objectif de l’étude), en raison du fait que l’identification d’une police
spéciale dans le droit positif est souvent malaisée. D’abord, au plan de la présentation formelle, elles sont
souvent regroupées dans le même texte de loi, ce qui rend leur distinction malaisée et même leur existence en
tant que catégorie juridique à la limite hypothétique. Ensuite, ce dénombrement est rendu périlleux parce que le
législateur ne les désigne jamais en tant que telles, si bien que c’est à l’analyste que revient cette tâche devant
le mutisme de la jurisprudence, rendant du coup l’entreprise très incertaine, en tout cas susceptible d’être à tout
moment démentie par l’avenir. Enfin, cette entreprise de dénombrement des polices spéciales est périlleuse,
tout simplement, en raison de l’impossibilité matérielle d’accès à l’ensemble de la législation un système
officiel d’archivage des textes étant tout simplement inexistant.

425
garantir1381. Elles sont donc bâties sur une conception lacunaire de la police générale, de
telle sorte que le critère de nécessité qui lui est applicable ne correspond pas à la plupart
des polices spéciales.

Ainsi, on peut donc considérer que la nécessité ne peut justifier que les polices
spéciales du premier groupe qui sont d’ailleurs les moins nombreuses, et même… Il est
encore possible, même s’agissant d’elles, de s’interroger sur leur nécessité en tant que
polices spéciales. Le fait qu’une législation particulière ou spécifique intervienne à leur
sujet, alors même qu’elles auraient pu être prise en charge dans le cadre de la police
générale ne les soustrait-il pas de l’empire de ce critère justificatif qu’est la nécessité ?
Autrement dit, à partir du moment où une réglementation spécifique intervient pour
instituer une police spéciale dans un domaine qui aurait pu être pris en charge par la
police générale, la satisfaction de l’intérêt social ici en cause quitte le champ de la
nécessité pour prendre corps dans celui de la volonté1382. Il ne s’agit pas de dire ici que
lorsqu’un intérêt social quitte le domaine de la police générale pour être pris en charge
par une police spéciale, il pert ipso facto sa nature de police générale. Ceci reviendrait à
soutenir qu’il existe des matières de police générale par nature. Une telle idée ne
correspondrait pas à la réalité. Ce qu’il s’agit de soutenir ici, c’est que la création d’une
police spéciale n’est jamais un acte neutre. Elle est la matérialisation d’une différence
foncière entre exigences absolument nécessaires d’ordre public et exigences
accessoirement nécessaires d’ordre public. Dans tous les cas, les polices spéciales
apparaissent comme justifiées non par la nécessité, mais plus par la volonté des pouvoirs
publics1383. Si la police générale s’impose en quelques sortes par elle-même, les polices
spéciales ne s’imposent que par la médiation d’une volonté étatique. De plus, dans un
contexte comme celui du Cameroun où l’idéal d’autorité prend constamment le pas sur
celui de liberté dans l’organisation et le fonctionnement de l’Administration, la nécessité
des polices spéciales est absorbée par la volonté disciplinaire des pouvoirs publics à
1381
Les buts spécifiques assignés à chaque police spéciale sont là pour en témoigner. Ils sont souvent parfois
très éloignés de ceux de la police générale. A titre illustratif, la police des activités physiques et sportives a
pour but, entre autres d’ « instaurer la confiance et une entente mutuelle entre les auteurs du mouvement
sportif national dans le respect de leurs droits légitimes (….) ; de contribuer à l’enracinement des valeurs
cardinales véhiculées par le sport en tant qu’élément fondamental de l’éducation à la citoyenneté, à la
culture et à la vie sociale », parce que « les activités physiques et sportives constituent un facteur important
d’équilibre mental, de préservation du capital santé, d’épanouissement physique et intellectuel des
citoyens », (art. 2 (1) de la loi sur les activités physiques et sportives).
1382
Il s’agit là, schématiquement certes, des raisons d’être respectives des polices générales et spéciales.
1383
Cette volonté se matérialise par l’édiction d’une réglementation, en l’occurrence une loi, qui apparaît
comme le signe le plus patent d’une manifestation de volonté étatique.

426
l’endroit de la société. La notion de police spéciale apparaît donc principalement fondée
sur la volonté étatique.

B. Une notion principalement axée sur une volonté étatique

Si la police générale s’impose en quelque sorte par nécessité, les polices spéciales
elles n’existent que par la volonté de l’Etat, ou si l’on veut, des pouvoirs publics. Cette
volonté apparaît intéressante à plusieurs égards, car, non seulement elle apparait non
limitée par les textes, mais surtout, elle est décuplée par le contexte.

1. Une volonté non limitée par les textes

Les polices spéciales existent parce qu’elles sont voulues par les pouvoirs publics.
La manifestation de cette volonté réside dans l’obligation que chaque police spéciale soit
préalablement créée par un texte1384. A ce sujet, on peut dire que « l’habitation légale à
agir des autorités de police spéciale est toujours expresse et quant à elles, le principe
de la détermination textuelle des compétences est entièrement vérifié »1385. Cette
exigence préalable d’un texte est même « pour beaucoup d’auteurs, un moyen de
différencier la compétence de police spéciale par rapport à la compétence de police
générale »1386.

Mais une fois cela admis, on peut s’interroger sur la nature du texte destiné à
fournir l’habilitation à agir en matière de police spéciale, à fonder l’existence de la
police spéciale. Dans la tradition libérale française, cette volonté s’exprime dans un acte
législatif, à savoir principalement la loi : cette solution découle directement de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, spécialement de ses articles 4
et 5. L’institution d’une nouvelle réglementation de police fait apparaître une nouvelle
borne, placée entre le champ de la liberté et le champ de la restriction : « ces bornes ne
peuvent être déterminées que par la loi »1387. Cet héritage révolutionnaire est perpétué
jusqu’à nos jours en France, à travers non seulement le maintien en vigueur de la

1384
Cette création peut être soit directe, soit indirecte. Dans le premier cas, la loi crée elle-même la police
spéciale et parfois en organise le régime. C’est l’hypothèse idéale et la plus libérale. Dans le deuxième cas, qui
apparaît très courant au Cameroun, la loi se contente de créer la police spéciale et d’en poser succinctement les
bases du régime, laissant au pouvoir réglementaire le soin de fixer en détail le régime. Mais parfois aussi,
l’œuvre du pouvoir règlementaire apparaît si considérable qu’elle a tendance à supplanter celle législative.
1385
D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse précitée, p. 104.
1386
Idem.
1387
Ibid., p. 106.

427
déclaration de 1789, mais aussi l’octroi par la constitution du 4 octobre 1958 à la loi, en
son article 34, du pouvoir de « fixer les règles concernant les garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques »1388.

Si le Cameroun peut se réclamer lui aussi de cet héritage, ce ne peut être que
partiellement, car, avant l’indépendance comme après, la Déclaration de droits de
l’homme et du citoyen de 1789 n’y a jamais eu valeur de droit positif. Tout au plus a-t-
on importé ici le système de la répartition des compétences entre la loi et le règlement à
partir de la période d’autonomie interne1389 et ce jusqu’à nos jours1390. Aussi, la loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996 prévoit-elle que sont du domaine de la loi, les droits
garanties et obligations fondamentaux du citoyen à savoir la sauvegarde de la liberté et
de la sécurité individuelles, le régime des libertés publiques etc. Sachant que les polices
spéciales ont une incidence directe sur les droits, garanties et obligations fondamentaux
du citoyen, on peut penser que c’est cet article 26 qui fonde la compétence du législateur
dans l’institution de polices spéciales. L’exigence que seule la loi puisse borner
l’exercice de la liberté y est donc implicite1391. On peut donc dire que même au
Cameroun, le pouvoir de créer une police spéciale est en principe, de la seule
compétence du législateur.

On peut s’interroger sur la nature du pouvoir reconnu au législateur de créer des


polices spéciales. Est-ce un pouvoir discrétionnaire ou un pouvoir lié1392 ? L’analyse des
articles 26 et suivants du texte constitutionnel révèle que le législateur n’est lié que par le
domaine matériel qui lui est reconnu. Pour tous les autres aspects de sa compétence, à
savoir le moment de création ou les modalités concrètes de création des polices
spéciales, cela semble relever d’un pouvoir de nature pratiquement discrétionnaire1393.
En particulier, sa volonté de créer des polices spéciales n’est en rien limitée par les
textes. Aussi, d’un point de vue purement théorique, le législateur peut créer autant de

1388
Ibid.
1389
Voir par exemple ordonnance n°58-1375 du 30 décembre 1958 portant statut du Cameroun en ses
articles13-20.
1390
V. art. 26 et s. de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
1391
En France, la compétence du législateur pour créer des polices spéciales est tirée non seulement d’une
certaine tradition libérale séculaire déjà évoquée, mais surtout des jurisprudences concordantes administrative
et constitutionnelle au Cameroun, forte de ces deux éléments cette compétence législative est simplement
déduite du texte constitutionnel.
1392
Autrement dit, le législateur est-il en matière de création de polices spéciales, libre d’agir ou alors pèse-t-il
sur lui une obligation d’action ?
1393
Ceci ne peut qu’accroître la dimension volontaire de l’existence des polices spéciales, et donc leur
expansionnisme réel.

428
polices spéciales qu’il désire, dans les matières qui lui sont constitutionnellement
attribuées, sans être juridiquement limité en ce domaine. C’est dire que la volonté du
législateur peut choisir de s’exprimer de manière contractée, c’est-à-dire en unifiant
plusieurs aspects de la vie sociale dans une seule et même police spéciale1394, ou alors
elle peut choisir de s’exprimer de manière éclatée et parfois même atomisée, c’est-à-dire
en émiettant certains intérêts sociaux dans le cadre de plusieurs polices spéciales1395.

Si ces possibilités sont entièrement vérifiées au regard de la réalité camerounaise


actuelle1396, il faut dire que la seconde y a pris depuis quelques années une trajectoire
ascendante, comme le montre l’émiettement de la fonction ministérielle1397 ici, qui a
décuplé d’un point de vue organique la notion de police spéciale1398, avec des incidences
sur le domaine matériel de cas différentes polices.

Si donc de législateur voit les limites matérielles de sa compétence fixées à


travers les domaines que sont les droits garanties et obligations fondamentaux du
citoyen, le statut des personnes et le régime des biens, l’organisation politique
administrative et judiciaire, les questions financières et patrimoniales, la programmation
des objectifs de l’action économique et sociale, le régime de l’éducation, à l’intérieur de
ces matières, il conserve toute latitude de créer des polices spéciales selon sa propre
volonté sans autre limite que celles matérielles. Or, nous avons vu que sous cet aspect,
son domaine est particulièrement étendu1399, si bien que la distinction d’avec le domaine
réglementaire tend à partir d’une perspective initialement horizontale à une perspective
résolument verticale.

1394
Comme c’est le cas pour ce qu’on pourrait appeler ici les polices de l’environnement ou les polices de
l’urbanisme et de la construction.
1395
Le cas par exemple des polices du domaine des télécommunications.
1396
En particulier depuis le début des années 1990, qui correspond à une phase de libéralisation de la société
camerounaise.
1397
Cet émiettement s’est opéré à la faveur du décret du 8 décembre 2004 portant organisation du
gouvernement qui a, en faisant éclater plusieurs ministères, augmenter du coup le nombre de ceux-ci et en
même temps fait éclater les polices spéciales qui étaient rattachées à ces ministères désormais en plusieurs
polices spéciales.
1398
De ce point de vue en effet, la plupart des ministres étant comme nous le verrons autorités de police
spéciale, l’augmentation de leur nombre suite à l’éclatement des ministères favorise l’expansionnisme des
polices spéciales. Bien que cet éclatement n’ait pas entrainé des ajustements de types formels, en ce qui
concernent notamment les lois constituant les supports de ces différentes polices spéciales. Ceci ne peut
qu’entrainer des conflits de compétences et des empiètements réciproques de certaines autorités les unes vis-à-
vis des autres.
1399
Cf. Supra, chapitre 2, titre 1, première partie.

429
Dans l’absolu donc, les textes ne prévoient pas de limites à la quantité des polices
spéciales à créer par le législateur. Ceci constitue un facteur d’expansion des polices
spéciales, d’un point de vue tout au moins théorique. Le tout dépendra donc de la
volonté des pouvoirs publics, c’’est-à-dire en fin de compte de la volonté de ceux qui
sont destinés à exercer le pouvoir au nom de la collectivité 1400. Or, la police
administrative s’exerçant en fonction des circonstances de temps et de lieu, il peut
arriver que cette volonté étatique soit particulièrement stimulée comme c’est le cas au
Cameroun, où elle apparaît décuplée par le contexte.

2. Une volonté décuplée par le contexte

Le contexte camerounais apparait fort propice à l’épanouissement des polices


spéciales. La volonté qui est à la base de la création de ces dernières ne peut donc
qu’apparaître décuplée. Plusieurs facteurs justifient cet état de fait.

Le premier facteur que nous qualifierons d’historique, est en rapport avec


l’inscription de l’institution étatique ici dans le temps. Cette dernière apparaît donc sous
ce prisme, particulièrement jeune1401. Ici donc, tout est à construire et en particulier,
l’ordre social. Ce besoin d’ordre va donc particulièrement solliciter l’action du
législateur qui va œuvrer à régir la plupart des secteurs de l’activité socioéconomique au
moyen de textes juridiques de nature policière1402. Au-delà de la jeunesse de l’Etat, le
caractère évolutif de la société fait que les besoins d’ordre sont de plus en plus grands et
de plus en plus impérieux. Ces évolutions sociales rapides vont exiger non seulement
d’élaborer de nouvelles réglementations de police spéciale1403, mais surtout d’en adapter
d’autres, érodées par l’effet du temps ou du changement de circonstances1404. On a ainsi
pu voir la nécessité, ces derniers temps, d’instaurer de nouvelles polices spéciales telles
la police de la cyber sécurité et de la cybercriminalité1405, la police du commerce

1400
Ceci manifeste le fort enracinement politique de la fonction de police administrative.
1401
Ne serait-ce que par l’indépendance récente du pays. On sait en effet que dans la vie des institutions, et
principalement de l’institution étatique, 57 ans d’existence relève à peine de la fin de l’enfance.
1402
Il faut en effet œuvrer à régir, pour manifester la présence de l’Etat, la totalité des secteurs de la vie sociale,
dans un Etat où tout est à construire.
1403
Dans les domaines jusque-là laissés non réglementés par la puissance publique.
1404
En raison d’une société sans cesse en pleine évolution. D’abord il a fallu au lendemain de l’indépendance,
remplacer la législation coloniale qui ne correspondait plus tout à fait à la nouvelle situation du pays, pour
marquer aussi la souveraineté désormais pleinement acquise. Ensuite, la jeune Etat évoluant assez rapidement,
certaines législations ont dû, quelques années après leur élaboration, être rapidement modifiées.
1405
Voir la loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 relative à la cyber sécurité et à la cybercriminalité.

430
électronique1406, la police des communications électronique1407, etc. Ces polices montrent
bien la volonté étatique de doter les acteurs sociaux et surtout la puissance publique
d’outils de prévention du désordre dans les divers secteurs de l’activité sociopolitique.

Le deuxième facteur contextuel d’expansion des polices spéciales est d’ordre


politique. Il est lié à la nature même de l’Etat1408. On sait que la mise en place d’une
police spéciale est au moins toujours la manifestation d’une volonté de puissance
publique1409. La nature de l’Etat déteindra donc sur les réglementations de police, de telle
sorte qu’un Etat fort et autoritaire aura tendance à adopter des réglementations de police
correspondant à cette nature. Au-delà du caractère autoritaire qui sera donc celui des
polices spéciales, les pouvoirs publics s’attèleront à ne laisser aucun secteur exempt
d’une réglementation de police spéciale, car on sait que les Etats forts s’accommodent
très peu du désordre. Or il ne fait aucun doute que la plupart des Etats en Afrique, et
principalement en Afrique noire francophone sont des Etats forts. Ceci favorise donc la
multiplication de polices spéciales. De plus, le contexte politique et social favorise cet
état de fait, dans la mesure où l’Etat étant né comme le dirait le Professeur OWONA
sous de funestes augures1410, et le processus d’institutionnalisation et de pacification de
l’espace sociopolitique étant somme toute précaire1411, la demande de réglementation de
police ne peut que s’avérer urgente. C’est tout le problème de l’existence de polices
spéciales telles la police des associations côtoyant la police des ONG, la police des
médias qui comporte plusieurs facettes et qui côtoie la police de l’affichage ou des
publications destinées à la jeunesse, etc.

Le troisième facteur d’expansion des polices spéciales dans le contexte


camerounais est de nature politico-juridique. Il est relatif aux liens qu’entretiennent ici
l’Etat et la société. Il est à analyser sous le prisme de ce qui est techniquement désigné
fonction de l’Etat, c’est-à-dire au plan politique, le rôle que l’Etat joue vis-à-vis de la
société, et principalement vis-à-vis de la sphère économique1412. On peut alors dire que

1406
Voir la loi n° 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun.
1407
Loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun.
1408
Car comme le dit si bien F.-P. BENOIT, « à voir ce que peut la police on sait ce qu’est l’Etat », cf. supra,
introduction.
1409
Voir dans ce sens G. GAILLARD, Les polices spéciales en droit administratif, thèse, Grenoble, 1977, p.7.
1410
J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception… », précité.
1411
Les mouvements actuels dans les régions anglophones le démontrent à suffisance.
1412
On peut distinguer à ce sujet trois postures possibles de l’Etat, correspondant aux qualificatifs qu’on peut
lui accorder, à savoir l’Etat gendarme, l’Etat interventionniste, et l’Etat régulateur de l’économie.

431
la posture traditionnellement interventionniste de l’Etat au Cameroun1413 ne peut que
favoriser la multiplication de polices spéciales dans les divers secteurs de l’activité
socioéconomique. Les polices spéciales sont en effet un puissant moyen
d’interventionnisme dans les activités privées et donc d’expansionnisme de la notion de
police1414. Et si depuis la fin des années 80 et le début des années 90, l’Etat camerounais
a eu tendance à troquer sa figure interventionniste pour une figure plus régulatrice cela
n’a pas moins favorisé l’exposition des réglementations de police spéciale.

D’abord parce que cette période a correspondu à une phase d’extrême


diversification de l’activité économique1415 de telle sorte que l’Etat ne pouvant être
partout à la fois, a dû, pour rester quand même présent même sous une autre forme,
élaborer des polices spéciales propres à régir ces différents secteurs. Ne pouvant plus
agir lui-même, il oriente à travers les polices spéciales l’action des différents acteurs de
la sphère socioéconomique1416.

Ensuite parce que même au plan strictement logique, la posture régulatrice de


l’Etat ne diminue pas la présence dans la sphère socio-économique. Elle ne traduit donc
pas selon la formule traditionnellement consacrée moins d’Etat, mais plutôt mieux
d’Etat. L’Etat régulateur est donc à même d’élaborer au moins autant de polices
spéciales que l’Etat interventionniste. Et même, le triomphe de l’Etat régulateur 1417, qui
se traduit par le boom de l’activité de régulation est de nature plutôt à décupler l’usage
de la réglementation de police. Car si la doctrine ne s’accorde pas sur la nature
intrinsèque de l’activité de régulation, pour savoir s’il s’agit d’une activité de service
public ou d’une activité de police1418, il reste qu’elle emprunte plus à cette dernière1419,
ce qui ne peut que gonfler la catégorie des polices spéciales. L’option pour une

1413
Cette position traditionnelle de l’Etat camerounais qui a été ébranlée à la fin des années 80, tend à retrouver
une certaine vigueur du fait de l’échec de certains processus de libéralisation par la privatisation de certaines
entreprises publiques.
1414
Elles permettent à l’Etat, au moyen d’une réglementation, de garder la main mise sur certains pans de
l’activité socioéconomique. C’est pourquoi une véritable libéralisation doit s’accompagner d’une réelle
déréglementation. Au Cameroun, la libéralisation s’est paradoxalement accompagnée d’une réglementation
parfois plus contraignante que celle ayant existé à l’ère des monopoles étatiques.
1415
La conquête de nouveaux champs d’activités par les acteurs socioéconomique a été ici remarquable,
comme le montre le boom des TIC, qui ont profondément modifiée la société.
1416
Voir par exemple la police des prix, ou la police de la concurrence ou même ce que l’on peut appeler ici la
police des normes et de la qualité.
1417
Qui se manifeste notamment par le boom des institutions administratives de régulation.
1418
Voir à cet effet D. TRUCHET, « Le droit administratif faut-il démener binaire », op. cit., à la même page.
1419
En réalité, la régulation s’inscrit dans la police administrative. Cf. C. VAUTROT-SCHWARZ, « Police et
régulation », in C. VAUTROT-SCHWARZ (Dir.), La police administrative, op cit, pp. 55-84.

432
régulation sectorielle1420 faite par le Cameroun ne peut que contribuer à décupler la
volonté d’avoir recours aux polices spéciales.

Enfin, parce que la posture régulatrice de l’Etat n’est pas arrêtée. Elle va donc
varier en fonction des secteurs d’activité. L’Etat sera régulateur par-ci, interventionniste
par-là, toutes choses qui se traduisent par un recours permanent à l’instrument de police
spéciale. Au total, le contexte camerounais est particulièrement propice à l’expansion
des polices spéciales, du fait que cette notion trouve sa raison d’être dans la volonté de
l’Etat. Mais l’expansionnisme ici analysé peut également se justifier au regard des
fonctions des polices spéciales.

II. UN EXPANSIONNISME JUSTIFIE PAR LES FONCTIONS DES


POLICES SPECIALES

Les fonctions des polices spéciales justifient, théoriquement, leur


expansionnisme. En effet, de l’avis quasi unanime de la doctrine, les polices spéciales
existent en raison des insuffisances de la police générale1421. C’est pour cette raison par
exemple que Bertrand SEILLER affirme qu’elles sont « destinées ordinairement à
assurer la préservation de valeurs, d’exigences échappant à la notion traditionnelle
d’ordre public »1422. De même, C.-E. MINET affirme que « lorsque le législateur décide
de créer une police administrative spéciale dans un domaine donné, c’est logiquement
parce que la police administrative générale n’apparaît pas satisfaisante pour répondre
aux exigences de l’ordre public (au sens large) dans ce domaine particulier : soit
parce que le but recherché est étranger à l’ordre public stricto sensu, auquel cas la loi
va permettre à l’autorité de police d’agir dans ce but particulier ; soit parce que pour
une raison ou une autre, l’autorité qui serait normalement compétente n’est pas la
mieux à même d’exercer cette police, auquel cas la loi va confier cette compétence à
une autre autorité ; soit enfin parce que le régime juridique de la police générale n’est
pas jugé satisfaisant dans le domaine considéré, auquel cas la loi va prévoir un régime
juridique différent pour la police spéciale qu’elle institue, par exemple en assortissant

1420
La régulation sectorielle s’oppose à la régulation globale.
1421
G. VEDEL, P. DELVOLVÉ, Droit administratif, T.2, 12e éd, Paris, PUF, 1992, pp. 682 et 683, cités par D.
GRÉGOIRE, thèse précitée, p. 64., D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse précitée, p.12, F.-P.
BENOIT, Le droit administratif français, op. cit., p.764.
1422
B. SEILLER, Droit administratif, précité, pp. 83-84.

433
son exercice de garanties supplémentaires pour les administrés »1423. C’est bien l’idée
d’insuffisance de la police générale qui justifie ici les différentes raisons d’avoir recours
aux polices spéciales. Ces raisons d’avoir recours aux différentes polices spéciales vont
permettent de systématiser les fonctions qui peuvent leur être assignées. De manière
générale, les polices spéciales jouent un double rôle, qui correspond à leurs fonctions
théoriques : soit elles servent à renforcer les exigences de la police générale, soit elles
permettent de dépasser les exigences de la police générale. Dans les deux donc, elles
constituent des éléments d’expansionnisme de la notion de police.

A. Le renforcement de la police générale

Théoriquement, les polices spéciales peuvent avoir pour fonction tout d’abord de
renforcer les exigences de la police générale. Il en est ainsi lorsqu’elles portent sur des
objets identiques à ceux de la police générale, que ce soient des objets matériels ou
institutionnels. Les polices spéciales vont permettre sous ce prisme, d’augmenter les
pouvoirs de la police administrative, et partant les suggestions des administrés. On peut
donc analyser la fonction de renforcement des polices spéciales vis-à-vis de la police
générale au double plan matériel et conceptuel, pour constater que dans un cas comme
dans l’autre c’est l’expansionnisme qui est à l’œuvre.

1. Un renforcement matériel

Les polices spéciales ont pour rôle de renforcer la police générale. Le


renforcement dont il s’agit est d’abord de nature matérielle. Logiquement, si elles sont
ainsi perçues, les polices spéciales, par leur existence, révèlent les insuffisances de la
police générale. En droit français donc, les polices spéciales sont un moyen de suppléer
les insuffisances de la police générale « s’il apparaît que l’exercice des compétences de

1423
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, précité, p. 56 Cela dit, nous n’irons pas jusqu’à affirmer
comme M. MINET que « les polices administratives spéciales peuvent être présentées comme des polices
« d’exception », par opposition à une police générale « de droit commun ». Car, comme nous l’avons dit à la
suite du Pr. MAILLARD, il n’ya pas de rapports de normalité à anormalité à établir entre police administrative
générale et polices administratives spéciales. Aussi, ces dernières, par principe n’ont-elles rien d’exceptionnel.
Il est tout à fait normal d’avoir recours aux polices spéciales à travers des habilitations formelles expresses,
pour la simple raison que certaines exigences de l’ordre public ou même simplement de l’ordre social, ne
peuvent pas être protégées dans le seul cadre de la police générale. Il est donc autant normal d’y remédier par
le biais de polices spéciales.

434
polices générales n’est pas suffisamment régulier pour répondre aux nécessités de
l’ordre »1424.

Mais en droit camerounais, l’existence des polices spéciales n’est pas seulement
justifiée par les insuffisances de la police générale. Nous avons vu, au plan matériel, le
caractère illimité du champ de cette police générale qui est donc susceptible de tout
prendre en compte, même des matières qui ailleurs relèvent de polices spéciales, donnant
d’ailleurs l’impression qu’ici, les polices spéciales en tant que telles sont en nombre très
réduit, la plupart d’entre-elles semblant englobées dans la police générale1425. Plus que
des instruments existant lorsque la police générale s’avère insuffisante, les polices
spéciales apparaissent matériellement comme des moyens de renforcer la police générale
y compris quand celle-ci ne s’avère pas insuffisante. Tel est ce cas par exemple, lorsque
les polices spéciales vont porter sur les mêmes objets que la police générale.

Il peut d’abord s’agir d’objets matériels. Ici, les polices spéciales, en ayant les
mêmes buts que la police générale, pourront contribuer à là renforcer. Plusieurs polices
spéciales ont en effet pour but la sécurité, la tranquillité et la salubrité. Tel est le cas de la
police des réunions et manifestations publiques, qui a pour but d’assurer la sécurité et la
tranquillité1426 , de la police des établissements classés dangereux, insalubres ou
incommodes qui visent les trois composantes classiques de l’ordre public général1427, de

1424
D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse, p. 9.
1425
Si l’on compare en effet sur ce seul point les droits français et camerounais, on se rendra compte que
plusieurs polices spéciales consacrées par le droit positif français voient leurs objets pris en charge au
Cameroun par la police générale. A titre illustratif, au Cameroun, des polices spéciales telles celles de
l’affichage, des agences de voyages, des édifices menaçant ruine, des aliénés, voient leurs objets pris en charge
par la police municipale.
1426
La loi n° 90/55 du 19 décembre 1990 fixant le régime des réunions et des manifestations publiques ne le
prévoit pas expressis verbis. Elle se contente de disposer en son article 5 (1) que « toute réunion publique doit
avoir un bureau composé d’au moins trois personnes chargées de maintenir l’ordre, d’empêcher toute
infraction aux lois, d’interdire tout discours contraire à l’ordre public et aux bornes mœurs, ou de nature à
inciter à la commission d’actes qualifiés crime ou délit ». Mais il est évident qu’en maintenant l’ordre public
ici, ses composantes les plus concernées dans le cadre de cette police spéciale sont la sécurité et la tranquillité.
Sécurité des participants à la réunion ou des manifestants (ou dans ces derniers cas, des riverains des lieux de
manifestation), tranquillité pour les riverains des lieux de réunion ou de manifestation.
1427
Voir la loi n° 98/015 du 14 juillet 1998 relative aux établissements classés dangereux, insalubres ou
incommodes (J.O.C., 18 juillet 1998, pp. 634-643). Si cette loi pose, dans une formulation générale le respect
des principes de gestion de l’environnement et la protection de la santé publique (article 1 er), elle précise par la
suite de manière détaillée que lui sont soumis les « usines, les ateliers, les dépôts les chantiers, les carrières
et, de manière générale, les installations industrielles artisanales ou commerciales exploités ou détenues par
toute personne physique ou morale, publique ou privée, et qui présentent ou peuvent présenter soit des
dangers pour la santé, la sécurité, la salubrité publique, l’agriculture, la nature et l’environnement général,
soit des inconvénients pour la commodité du voisinage ».

435
la police des activités privées de gardiennage, qui vise la sécurité1428, des polices
relatives aux déchets qui visent la sécurité et la salubrité1429, de la police des débits de
boissons qui a pour but la tranquillité et la salubrité publique 1430, et même dans une
certaine mesure la morale1431, dont on a vu qu’elle est un but de la police générale, etc.
Ces polices spéciales qui portent sur le même domaine matériel que la police générale,
par leur existence, renforcent donc matériellement de ce fait la police générale.

Mais, le renforcement matériel dont il est ici question n’est pas seulement à
prendre au sens restrictif. Il doit plutôt être pris au sens extensif. Ainsi, on ne
s’intéressera pas seulement aux buts des polices spéciales, mais aussi aux autorités
compétentes pour exercer ces différentes polices spéciales. Ainsi, la dimension
institutionnelle est importante pour montrer comment les polices spéciales renforcent la
police générale. On observe donc ainsi que plusieurs polices spéciales sont confiées,
quant à leur exercice à des autorités qui sont déjà détentrices de pouvoirs de police
générale. Il en est ainsi par exemple de la plupart des autorités de police générale qui
exercent également de multiples polices spéciales. A titre illustratif, le sous-préfet chargé
du maintien de l’ordre au sein de son arrondissement assure également la police des
réunions et manifestations publiques1432, la police des débits de boissons1433. De même,
le préfet, en plus de ses pouvoirs de police générale au sein du département, intervient
dans l’exercice de la police des cultes1434, de la police des associations1435, de la police

1428
Voir la loi n° 97/021 du 10 septembre 1997 relative aux activités privés de gardiennage, modifiée et
complétée par la loi n° 2014/027 du 23 décembre 2014.
1429
Que ce soient les déchets ménagers ou les déchets industriels ou même les déchets dangereux.
1430
Salubrité pour s’assurer que les boissons sont vendues dans des conditions d’hygiène requises, tranquillité
pour lutter contre le bruit causé par ces débits de boisson.
1431
Ceci dans la mesure où les débits de boissons sont souvent de hauts lieux de débauche. Au début du
Mandat, la police des débits de boisson est jointe à la répression de l’ivresse publique. C’est ce qui justifie
l’intitulé de la toute première loi y relative à savoir la loi du 1 er octobre 1917 sur la répression de l’ivresse
publique et sur la police des débits de boisson. Ce texte abroge la loi du 23 janvier 1873 sur l’ivresse publique
(J.O.T.O.A.C., 15 janvier 1918, pp. 16-18).
1432
Article 4 (1) de la loi n° 90/055 du 19 décembre 1990.
1433
Il délivre les licences de vente des vins et boissons hygiénique (Art 6). De plus, il peut ordonner la
fermeture d’un établissement exploitant clandestinement un débit de boisson (Art 18 (1), ou retirer
définitivement une licence d’exploitation en cas de cessation d’activité, de faillite ou de mise en liquidation et,
d’une manière générale, en cas de violation du décret n° 90/1483 du 9 Novembre 1990 fixant les conditions et
modalités d’exploitation des débits de boissons.
1434
Il agit ainsi, en tant que chef de circonscription, dans le sens de l’interdiction de certaines réunions
cultuelles, ou de la fermeture de certains édifices culturels clandestins (décret du 28 mars 1933 réglementant le
régime des cultes dans les territoires du Cameroun sous mandat français, (JOC, 1933, p. 275).
1435
Il est compétent en matière de reconnaissance d’association (art .6, 7 et 8 de la loi n° 90/053.)

436
des médias1436, de la police des débits de boisson1437, de la police des installations
classées1438, de la police des activités privées de gardiennage1439, etc. On peut en dire
autant du Gouverneur, qui en plus de ses pouvoirs de police générale au sein de la région
intervient dans l’exercice de plusieurs polices spéciales1440.

Quant au ministre de l’Administration territoriale, autorité de police générale, il


exerce en plus les polices spéciales relatives aux associations1441, aux ONG1442, aux
cultes1443, aux débits de boissons1444, aux activités privées de gardiennage1445, aux
médias1446, etc.

Le Maire également n’est pas en reste, puisque en plus de la police municipale, il


exerce plusieurs pans des polices du domaine public1447, des polices de la
construction1448, etc.

Toutes ces compétences de police spéciale qui viennent s’ajouter à celles de


police générale contribuent à les renforcer sérieusement. Ceci se fait par ailleurs ressentir
dans l’exercice même de ces compétences, puisque très souvent, on ne sait pas toujours,
si c’est au titre de leurs pouvoirs de police générale ou aux titres de leurs pouvoirs de

1436
C’est auprès de lui qu’est faite la déclaration préalable à la publication de tout organe de presse, c’est-à-
dire tout journal, écrit périodique, magazine, feuille d’information, destiné à la communication de la pensée,
des idées, des opinions, des faits d’actualité ou de société paraissant à intervalle régulier (articles 5, 6 et 7, loi
n°90/052 du 19 décembre 1990 portant liberté de communication sociale.
1437
Il délivre les licences de vente de boissons alcooliques et autres (article 6) et peut procéder au retrait
définitif de la licence d’exploitation de débit de boissons en cas de cessation d’activité, de faillite ou de mise en
liquidation, et d’une manière générale en cas de violation des dispositions du présent décret.
1438
En effet, l’article 18 de la loi n° 98/015 du 14 juillet 1998 relative aux établissements classés dangereux,
insalubres ou incommodes prévoit bien que « l’inspection et le contrôle des établissements classés sont
exercés par les agents assermentés du ministre chargé desdits établissements ou de toute autre
administration compétente ».
1439
Il reçoit les demandes de création des sociétés privées de gardiennage et procède au contrôle quotidien de
leurs activités.
1440
Police des médias, police des cultes, polices des activités privées de gardiennage, etc.
1441
Il peut suspendre pour un délai maximum de 3 mois l’activité de toute association pour trouble à l’ordre
public, ou « dissoudre toute association qui s’écarte de son objet et dont les activités portent gravement
atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat », (art 13 (1) (2) de la loi n° 90/053).
1442
Il peut soit suspendre une ONG dont les activités s’écartent de son objet, soit dissoudre une ONG pour
atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat.
1443
Il peut suspendre une association religieuse pour troubles à l’ordre public (articles 13 et 30 de la loi
n°30/053)
1444
Il détermine les modalités d’application de la réglementation y relative (art 24 du décret n° 90/1483 du 9
novembre 1990 suscité).
1445
C’est lui qui autorise les sociétés exerçant cette activité et peut aussi les dissoudre.
1446
Selon l’article 17(1) de la loi n° 30/052 « l’interdiction d’un organe de presse peut être prononcée par le
ministre de l’administration territoriale ».
1447
Circulation
1448
Permis de construire

437
police spéciale qu’elles agissent1449. S’en suit donc un entremêlement de compétences au
seul profit des exigences liées au maintien de l’ordre.

Enfin, les polices spéciales renforcent celle générale au plan des pouvoirs. En
effet, lorsqu’on analyse la combinaison qui s’opère dans la distribution des pouvoirs
entre ceux de nature générale et ceux de nature spéciale, on observe que ces derniers, de
loin les plus importants, contribuent au renforcement des pouvoirs de police générale, et
donc des pouvoirs de police tout court. Ainsi, au plan purement matériel, l’existence de
pouvoirs de police spéciale renforce ceux de police générale. C’est pourquoi l’on peut
observer que la création de nouvelles polices spéciales se fait en général au bénéfice de
celles des autorités qui détiennent déjà des pouvoirs de police, de nature générale en
l’occurrence. Au final, la fonction de renforcement matériel de la police générale par les
polices spéciales apparaît comme une tendance forte de l’expansionnisme des polices
spéciales au plan théorique. Mais elles contribuent aussi et surtout à renforcer la police
générale au plan conceptuel.

2. Un renforcement conceptuel

Les polices spéciales renforcent la police générale au plan conceptuel. Cela


signifie que ces polices relèvent de la même conception que la police générale. A titre
comparatif, en France, toute la fonction de police est construite sur un socle libéral à la
tradition séculaire1450. Bien qu’il y ait un débat sur l’appartenance à ce socle de certaines
polices spéciales1451, il ne reste pas moins que l’identité conceptuelle est sauvegardée
« dès lors que la liaison intime de la police générale à une conception libérale du
pouvoir de police n’a pas été remise en cause »1452. C’est dire qu’elle peut l’être à partir
du moment où cette liaison est rompue. A titre illustratif, si on peut convenir que la
fonction de police est une fonction disciplinaire libérale, c’est-à-dire construite pour que
« l’Etat laisse les individus accomplir leur activités en visant leurs fins

1449
Très souvent les mesures de police visent à la fois les textes consacrant les pouvoirs de police générale et
ceux instituant des polices spéciales.
1450
E. PICARD, La notion de police administrative, op. cit., T. 2, p. 489. Sur l’insertion de la police
administrative en France dans la théorie libérale, lire D. GRÉGOIRE, Recherches sur les évolutions de la
police administrative. Une notion en voie de disparition, op. cit., pp. 10-32.
1451
Par leur caractère parfois a-libéral, certaines polices spéciales se dressent en porte à faux avec l’idée de
liberté dans la mesure où elles sont essentiellement une expression de la puissance publique.
1452
D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse précitée, p. 9.

438
individuelles »1453, pour n’intervenir que lorsque l’ordre nécessaire à ces activités est
rompu1454, on peut se demander, s’agissant de cette fonction de police, « son
intervention par l’intermédiaire du permis de construire se comprend-elle par
référence à une revendication fondamentale de liberté »1455 ?

Si en droit français donc, certaines polices spéciales peuvent ne pas relever de la


même tendance conceptuelle que la police générale, ce cas de figure ne se présente
qu’exceptionnellement au Cameroun. Ici, de manière générale, les polices spéciales
relèvent de la même conception que la police générale, en ce sens ou elles sont toutes
orientées à la priorisation de l’ordre. Il a été vu1456 en matière de police générale que
l’ordre public général qui là fonde et là justifie est un ordre autoritaire, c’est-à-dire qui
fait plus de place aux intérêts de la puissance publique, en faisant moins cas des droits et
libertés des citoyens au plan matériel tout au moins. Lorsque l’on procède à l’analyse des
polices spéciales ici, on se rend à l’évidence qu’elles sont également teintées de cet
autoritarisme. A cet égard, elles renforcent donc d’un point de vue conceptuel la police
générale.

L’autoritarisme conceptuel des polices spéciales provient de la quasi identité des


pouvoirs auxquels elles donnent lieu avec ceux de la police générale. Dans la plupart des
cas en effet, les pouvoirs qui sont reconnus aux autorités de police spéciale ne sont en
rien différents de ceux reconnus à des autorités de police générale. Ces pouvoirs se
caractérisent de part et d’autre par leur généralité. A titre illustratif, en matière de police
des médias, spécialement dans le domaine de la presse écrite, la loi donne au ministre de
l’administration territoriale le pouvoir de « prononcer la saisie d’un organe de presse
en cas d’atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs »1457, ou de « prononcer
l’interdiction d’un organe de presse toujours en cas d’atteinte à l’ordre public et aux

1453
Idem, à la même page.
1454
Ibid. C’est là en effet la source de la règle selon laquelle la liberté est la règle et la restriction de police
l’exception. C’est ce que traduit la distinction fondamentale faite par M. HAURIOU entre droit statutaire et
droit disciplinaire, distinction reprise par Etienne PICARD dans sa thèse et qui correspond à une mise en
œuvre de la théorie de l’institution selon HAURIOU.
1455
D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse, op. cit., à la même page. Autrement dit, si la police
administrative est une fonction disciplinaire libérale, l’exigence du permis de construire est-elle guidée par un
objectif libéral ? On peut en douter, car cet instrument permet surtout à la puissance publique d’imposer une
certaine orientation, et ce de manière autoritaire, à la liberté qu’à pourtant chaque individu de construire une
maison. D’où la possibilité que le libéralisme soit donc absent de certaines actions de police, et principalement
de police spéciale.
1456
Cf. supra.
1457
Article 17 (1) de la loi n° 90/052.

439
bonnes mœurs »1458. Tels qu’énoncés, ces pouvoirs n’ont rien à envier à des pouvoirs de
police générale, car ils laissent une grande marge d’appréciation à l’autorité de police qui
seule pourra dire s’il y a ou non atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Ils
s’apparentent donc, ces pouvoirs, à des pouvoirs de police générale dans le domaine
spécifique des médias. On voit bien par-là que la police spéciale des médias va participer
de la même conception que la police générale, une conception autoritaire des rapports
police/libertés. Or, de tels pouvoirs généraux à l’intérieur de polices spéciales essaiment
le droit positif. Il en est ainsi dans le domaine des activités privées de gardiennage1459,
des associations1460, des ONG1461, de la presse audiovisuelle1462, du droit des
étrangers1463, des spectacles1464, du cinéma1465, des cultes1466, des réunions et
manifestations publiques1467, etc. Ceci montre bien que les polices spéciales participent
ici de la même conception que la police générale, à savoir l’autoritarisme.

Cette parenté conceptuelle entre police générale et polices spéciales, en termes de


renforcement de la première par les secondes se ressent aussi dans le choix des autorités
compétentes de part et d’autre. En général, ces autorités étant pour une large part les
mêmes d’un côté comme de l’autre, leur dédoublement fonctionnel n’existe que
formellement, car, au plan des concepts, elles ne font aucune différence lorsqu’elles
agissent dans un cadre comme dans un autre. Le renforcement conceptuel de la police
générale par les polices spéciales se fait donc ressentir aussi et surtout parce que ces
dernières sont en général la voie par laquelle l’autoritarisme du pouvoir de police se fait
le plus ressentir. La police générale s’en trouve donc par-là renforcée.

1458
Idem.
1459
Le ministre de l’administration territoriale peut interdire d’activité une société de gardiennage pour atteinte
à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat, sans que la loi ne spécifie en quoi doit consister cette atteinte.
1460
Comme cela est arrivé en 1991 la dissolution des associations OCDH (organisation camerounaise des
droits de l’homme) et Cap-Liberté, ou très récemment avec la dissolution des associations de revendication
anglophones regroupées autour d’une organisation appelée le consortium…. A chaque fois, l’acte de
dissolution ne prend pas la peine de préciser en quoi l’ordre public ou la sécurité de l’Etat ont été atteints.
1461
Article 21, de la loi n°99/014 du 22 décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales.
1462
Article 17, loi n°30/052.
1463
Le Premier Ministre, autorité de police générale, peut prendre une mesure d’expulsion du territoire national
dans le cadre de la police spéciale des étrangers, de tout individu dont la présence ici constitue une menace
pour l’ordre public ou une atteinte à la sécurité de l’Etat (article 2 (2) du décret n°92/089 du 4 mai 1992 janvier
1997 fixant les conditions d’entrée de séjour et de sortie des étrangers aux Cameroun).
1464
Ceux-ci peuvent être interdits si l’ordre public ou les bonnes mœurs sont susceptibles d’être compromis.
1465
Le ministre de la culture peut en effet interdire certains films et projections cinématographiques lorsque
l’ordre public et les bonnes mœurs sont en jeu.
1466
Dont certains peuvent également être interdits en cas d’atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
1467
En raison du fait que la matière dont s’agit n’est pas introduisible dans l’ordre public général.

440
Les polices spéciales, intrinsèquement, donnent plus de pouvoirs aux autorités de
polices que la police générale. Elles sont dont plus autoritaires, et plus restrictives des
libertés. Si l’ordre public général peut apparaître, sur le plan du principe, minimal, les
ordres publics spéciaux eux apparaissent, en tout état de cause, maximalistes. C’est ainsi
qu’ici plusieurs polices spéciales renforcent la police générale par l’exorbitance de leurs
pouvoirs. Elles font donc ce que la police générale ne pourrait en aucun cas faire. Ainsi,
par exemple, des polices spéciales telles la police de la concurrence ou la police des prix,
poids et mesures, loin de se contenter de réguler l’activité économique, orientent plutôt
cette dernière dans le sens qui sied le mieux aux intérêts de la puissance publique. Aucun
pouvoir de police générale ne peut permettre d’atteindre cet objectif. On voit ainsi que
même dans les domaines censés être véritablement libéralisés, les polices spécialises qui
y existent gardent leur parenté conceptuelle avec la police générale, et promeuvent donc
ainsi toujours l’autoritarisme.

Au total, les polices spéciales, au plan fonctionnel, renforcent incontestablement


la police générale, que ce soit au plan matériel ou au plan conceptuel. Elles apparaissent
alors comme des prolongements purs et simples de la police générale. Mais
l’expansionnisme de celles-ci se fait surtout ressentir lorsqu’on analyse ces instruments
en tant qu’ils vont bien au-delà de la police générale.

Le renforcement conceptuel de la police générale, toujours sur le terrain de


l’autoritarisme, se fait au moyen d’un certain nombre de polices spéciales à haute
incidence politique. Ces dernières participent de la même conception que la police
générale. Il a déjà été vu que la police générale est fortement sensibilisée au phénomène
politique1468. Au plan conceptuel, elle semble même d’abord orientée à cette fin, c’est
pourquoi il existe, comme nous l’avons vu, une forte proximité entre l’ordre public et
l’ordre politique. Ici, de plus en plus, maintenir l’ordre public semble correspondre à
maintenir l’ordre politique1469. Or, s’il est démontré que l’ordre public, en tant qu’il est
fondé sur des données juridiques objectives apparaît en principe comme neutre, l’ordre

1468
Voir le chapitre ci-dessus (chapitre 1, titre 1, 2e partie.)
1469
C’est ce qui justifie par ailleurs le succès du concept de paix, ici, qui permet, à la place de celui d’ordre, de
viser de manière globalisante et des exigences rattachables strictement à l’ordre public, et des questions
relatives à l’absence de contestation ou de revendications politiques et sociales. Le concept de paix ou de
revendications politiques et sociales. Le concept de paix permet alors à la police administrative de s’immiscer
subrepticement dans le champ politique, et d’être donc instrumentalisée à des fins étrangères à l’ordre public
strictement entendu.

441
politique lui, est idéologiquement orienté. Maintenir l’ordre va donc apparaître comme
maintenir l’ordre politique, ce qui induit une instrumentalisation de la fonction de police.
Est donc d’abord instrumentalisée la fonction de police générale, largement conçue au
service de l’ordre politique en vigueur. Mais sont également instrumentalisées plusieurs
polices spéciales, largement conçues pour garantir la stabilité de l’ordre politique.

Les polices spéciales ici concernées sont celles qui sont en charge de
compartiments de l’ordre public ayant une incidente directe sur l’exercice du pouvoir.
On peut évoquer à ce sujet la police des réunions et manifestations publiques 1470, la
police des associations1471, la police des médias1472. Une liberté politique essentielle, à
savoir la liberté d’expression1473. Ce dernier est au cœur de l’ordre politique, si bien que
sa maîtrise apparait indispensable au maintien de l’ordre politique en vigueur. Pour
assurer donc cette parenté conceptuelle des polices spéciales avec la police générale, les
polices spéciales concernées vont être principalement orientées vers la répression de
toutes tentatives allant dans le sens de la remise en cause de l’ordre politique, devenu
pour l’occasion l’ordre public. C’est pour cette raison que les différentes polices dont il
s’agit ici apparaissent particulièrement répressives, au même titre que la police générale.

B. Le dépassement de la police générale

Le dépassement de la police générale par les polices spéciales est le signe le plus
marquant et le plus patent de l’expansionnisme de ces dernières. Ici, les polices spéciales
vont largement aller au-delà de ce que peut la police générale, et même de ceux que
peuvent certaines polices spéciales proches de la police générale. Cet au-delà de ces
polices spéciales est leur signe distinctif, la caractéristique même de la notion de police
spéciale. Le dépassement dont il est ici question peut être analysé tant au plan matériel
qu’au plan conceptuel.

1470
C’est ce qui justifie l’extrême frilosité de l’administration en ce qui concerne la tenue des réunions et des
manifestations publiques, et qui se traduit par l’interdiction quasi systématique de celles-ci à travers des
manœuvres très souvent en marge de la légalité.
1471
La police des associations, par sa rigueur, apparaît comme un instrument de contrôle non seulement de
l’initiative privée, mais surtout de la vie privée.
1472
La police des médias elle apparaît plus comme un instrument d’embrigadement de la liberté des médias.
1473
La liberté d’expression est la pierre angulaire du pluralisme et de la démocratie. Elle est au cœur de l’Etat
de droit. Embastiller la pensée revient dont à construire l’autoritarisme.

442
1. Dépassement matériel

Si l’on s’accorde avec la doctrine majoritaire pour dire que l’existence des polices
spéciales se justifie par les insuffisances de la police générale, alors les polices spéciales
ont pour fonction intrinsèque de dépasser la police générale, c’est-à-dire d’aller au-delà
de ce que peut faire ou de ce qu’est la police générale. En l’occurrence, le dépassement
matériel signifie que les polices spéciales doivent porter sur des matières qui ne sont pas
celles de la police générale. Il s’agit là même d’un facteur essentiel de leur
expansionnisme. Comme elles se saisissent de matières hors de portée de la police
générale, elles vont considérablement étendre la fonction de police et confirmer ainsi son
caractère illimité1474.

Tel est le cas de plusieurs polices spéciales existant au sein du droit positif
camerounais. Elles prennent en charge des matières très diverses sans rattachement
direct avec la sécurité, la tranquillité, la salubrité ou la morale. On peut ainsi citer
l’exemple de ce que l’on pourrait appeler la police spéciale de l’aménagement et du
développement durable du territoire1475, qui « concourt à l’unité de la nation, aux
solidarités entre citoyens et à l’intégration des populations »1476. Exercée par le
ministre de l’économie, de la planification du développement et de l’aménagement du
territoire, elle « établit les normes et règles d’aménagement du territoire, assure leur
diffusion et contrôle leur application »1477. On peut citer entre autres la police
touristique1478, qui vise « le développement économique, la promotion de la culture
nationale, l’intégration nationale et le brassage des peuples, la protection et la
sauvegarde des valeurs touristiques, culturelles nationales, ainsi que l’environnement,
la mise en valeur du patrimoine touristique national »1479. On a la police des
handicapés1480, qui vise « la prévention du handicap ; la réadaptation et l’intégration

1474
Ce caractère illimité du champ de la fonction de police est dû non seulement à la nature de l’ordre public
général, mais aussi au fait que les polices spéciales, ne pouvant être instituées dans n’importe quel domaine de
l’activité sociale, donnent donc à la police administrative un champ matériel qui peut s’étendre à l’infini.
1475
Exercée par le ministre de l’économie, de la planification, du développement et de l’aménagement du
territoire. Voir la loi n° 2011/008 au 6 mai 2011 d’orientation pour l’aménagement et le développement
durable du territoire du Cameroun.
1476
Art. 2, loi n° 2011/008.
1477
Art. 11, loi n° 2011/008.
1478
Voir la loi n°98/006 du 4 avril 1998 relative à l’activité touristique. Cette loi a néanmoins été récemment
abrogée, et remplacée par celle n°2016/006 du 18 avril 2016 régissant l’activité touristique et des loisirs au
Cameroun.
1479
Art 1er, loi n°98/006.
1480
Loi n° 2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotion des personnes handicapées.

443
psychologique, sociale et économique de la personne handicapée ; la promotion de la
solidarité nationale à l’endroit des personnes handicapées »1481. On peut également
citer la police des engrais1482, la police des investissements1483, la police des
communications électroniques1484, la police des jeux1485, la police des appels à la
générosité publique1486, la police des activités physiques et sportives1487.

La considération de ces polices montre bien qu’elles dépassent même l’ordre


public général, confirmant l’idée « qu’elles correspondent toujours à une volonté ou à
un besoin de dépasser le cadre assigné à la police administrative générale »1488, dont
principalement le cadre matériel. Le dépassement matériel de la police générale par les
polices spéciales apparaît ainsi comme une donnée essentielle de leur expansionnisme,
dans la mesure où parlant des polices spéciales, « le procédé (…) tend à régir les aspects
les plus nombreux et les plus modernes de la police administrative »1489, et que « des
pans entiers du droit administratif moderne, s’organisent autour de cette
institution »1490.

Au-delà même de l’aspect purement matériel les polices spéciales donnent des
pouvoirs qui sont plus important que ceux de police générale. La doctrine confirme bien
« qu’il s’agit toujours (…), d’aller au-delà de ce que permet la police générale, de
permettre un dépassement des pouvoirs accordés à celle-ci et ainsi, une action plus

1481
Art 1er loi n° 2010/002
1482
Exercée par le ministre de l’agriculture. Voir la loi n°2003/007 du 10 juillet 2003 régissant les activités du
sous-secteur engrais au Cameroun.
1483
Voir la loi n° 2013/004 du 18 avril fixant les incitations à l’investissement privé en République du
Cameroun. Cette police exercée par le comité de contrôle de l’effectivité des investissements (décret n°
2013/298 du 9 septembre 2013 portant création, organisation et fonctionnement du comité de contrôle de
l’effectivité des investissements) sous l’autorité du Premier Ministre, et par le conseil de régulation et de
compétitivité (décret n° 2004/266 du 22 septembre 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil de
régulation et de compétitivité (CRC)).
1484
Loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun. Cette
police est exercée conjointement par le ministre des postes et télécommunications et par l’agence de régulation
des télécommunications.
1485
Ordonnance n° 72-73 du 10 novembre 1972 modificative de la loi n° 70-LF-12 au 9 novembre 1970
portant règlementation des jeux. Cette police est exercée par le ministre de l’administration territoriale.
1486
Loi n° 89-2 du 21 juillet 1983 régissant les appels à la générosité publique. Cette police est exercée par le
ministre de l’administration territoriale et éventuellement sur habilitation de celui-ci par les gouverneurs et
préfets (art. 2 (1), (2), (3). Décret n° 85/1131 du 14 août 1985 fixant les conditions d’octroi de l’autorisation
d’appel à la générosité publique.
1487
Loi n° 2011/018 du 15 juillet 2011 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et
sportives.
1488
D. GRÉGOIRE, Recherches sur les évolutions de la police administrative..., précité, p. 62.
1489
D. LINOTTE, La police administrative existe-t-elle ? op. cit., p. 15.
1490
C. BUNIET, « Le régime contentieux des polices administratives spéciales », op. cit., p. 1019.

444
adaptée eu égard aux moyens ou aux motifs traditionnels de l’action de police »1491.
Par exemple, alors que la police générale fait en principe plus de place à la liberté, pour
n’intervenir qu’en cas d’atteinte à l’ordre public, les polices spéciales se distinguent par
des réglementations préalables exigeant des autorisations, des permissions et par des
sanctions du type suspension, retrait, dissolution1492, etc.

Le caractère extrêmement large que les polices spéciales donnent finalement à la


fonction de police amène d’ailleurs certains auteurs à se référer, non plus à l’ordre
public, mais à l’intérêt général, comme fondement de ces polices spéciales 1493. Dans tous
les cas, c’est une preuve d’expansion de ces formes particulières de police. Ceci n’est
pas d’ailleurs sans conséquence sur la théorie de la police administrative, puisque même
les fervents défenseurs de la conception unitaire de la notion de police administrative
finissent par concéder que la multiplication des polices spéciales altère la police
administrative en tant que fonction disciplinaire de l’institution primaire libérale1494. Si
l’on se réfère au cas français, « à considérer certaines d’entre elles, en effet, et
notamment celles qui tendent à se développer dans le domaine des loisirs comme la
police de la chasse, celle des compétitions sportives, ou encore la police des courses de
chevaux, il semble qu’il faille envisager leur fonction sur un plan plus large que celui
de la protection de l’institution et faire état, à leur sujet, d’une fonction plus globale
d’organisation comportant un aspect dynamique de promotion d’un certain ordre qui
n’est pas l’ordre public de la tradition libérale, mais celui voulu par de
législateur »1495. Si ce constat fait dire à la doctrine que la police administrative n’existe

1491
D. GREGOIRE, Recherches sur les évolutions de la police administrative…, op cit., p. 64.
1492
En effet, les sanctions de police spéciale sont souvent connues d’avance, puisque ces formes d’intervention
sont réglementées par le législateur conformément à l’habilitation formelle qui est à la base de l’ensemble des
polices spéciales, tandis que les sanctions des polices ne sont pas systématiquement connues d’avance. En
dehors de celles contenues dans le code pénal toutes les autres sont laissées à la discrétion de l’autorité et ne
sont donc pas structurées ou graduées de manière particulière.
1493
Il semble que ce soit là l’une des causes de la disparition future de la police administrative (D.
GRÉGOIRE, thèse, pp. 80 et s.) pour cet auteur en effet, l’intérêt général est un référent du contrôle
juridictionnel des mesures de police administrative. Cela dit, « l’invocation par le juge de la notion d’intérêt
général dans le cadre du contentieux de la légalité des mesures de police administrative n’est pas
surprenante en soi si l’on considère que l’ordre public est traditionnellement assimilé à une catégorie
spécifique de l’intérêt général, à un des éléments de cet ensemble plus vaste constitué par la notion d’intérêt
général, à côté de l’utilité publique » (p. 80).
1494
E. PICARD, La notion de police administrative, op. cit., p. 674. D. LINOTTE, La police administrative
existe-t-elle ?, avant propos.
1495
D. GRÉGOIRE, Recherches sur les évolutions de la police administrative, p. 65.

445
pas en tant que catégorie juridique1496, ou encore qu’elle est en voie de disparition1497, il
reste qu’il est le signe manifeste du dépassement matériel de la police générale par les
polices spéciales, et donc de l’expansionnisme qui les caractérise quant à leurs fonctions
théoriques.

2. Un dépassement conceptuel

Bien qu’elles semblent moins connues, certaines polices spéciales dépassent au


plan conceptuel, la notion de police générale au Cameroun. La base conceptuelle de la
police générale est ici entièrement unie par l’autoritarisme. La police administrative est
ici prioritairement orientée à la défense de l’ordre établi, et donc à une prévalence des
exigences liées au maintien de l’ordre sur celles relatives à la garantie des droits et
libertés. Si, comme nous l’avons vu, la plupart de ces polices spéciales renforcent cette
vision autoritaire de la police administrative, certaines parmi elles sortent du lot, pour
développer une conception quasi libérale des rapports ordre/liberté. La plupart d’entre
elles se caractérisent par leur modernité. On peut citer ainsi les polices ayant un but
visant la solidarité sociale ou l’intégration nationale, comme la police de l’aménagement
et du développement durable du territoire, la police des handicapés, ou la police des
appels à la générosité publique. On peut également évoquer les polices visant
l’épanouissement humain et intellectuel, comme la police touristique, la police des
activités physiques et sportives, la police des jeux, la police de la chasse1498, etc. On
observera que la plupart des polices qui sont dépassent l’ordre public général débordent
également au plan conceptuel la police administrative générale. Le dépassement

1496
D. LINOTTE, « L’unité fondamentale de l’action administrative, ou l’inexistence de la police
administrative en tant que catégorie juridique autonome », in D. LINOTTE (Dir.), La police administrative
existe-t-elle ?, op . cit., p.
1497
D. GREGOIRE, thèse précitée.
1498
La police de la chasse fait partie des toutes premières à avoir été mises en place dès l’arrivée de la France
sur le territoire Cameroun, comme le montre bien de Décret du 1er août 1916 réglementant la chasse en Afrique
équatoriale française, rendu exécutive au Cameroun par décret du 24 mai 1924 (J.O. 1924, p. 394). Bien que la
chasse soit d’abord et surtout pour les africains une activité à but alimentaire, mais aussi commerciale et
surtout économique, elle comporte aussi un aspect ludique incontestable. Elle est une activité économique
puisque parmi les permis de chasse qui peuvent être délivrés figure un permis commercial. Cette nature
économique est entérinée institutionnellement dans le Cameroun indépendant par le fait que bien que régie par
la loi fixant le régime des forêts, de la faune et de la pêche, elle est exercée jusque dans les années 90 par le
ministre en charge du développement industriel et commercial. Mais depuis les années 90, la police de la
chasse est conjointement exercée par les ministres des forêts et de la faune, de l’environnement et de la
protection de la nature et du développement durable. La chasse a donc également une dimension ludique
importante, puisque peuvent être délivrés dans ce cadre des permis de capture scientifique et des permis
sportifs. C’est ce qui justifie aussi désormais l’intervention du ministre du tourisme et des loisirs dans
l’exercice de cette police.

446
conceptuel ici signifie que ces polices s’éloignent de la police générale par leur caractère
non autoritaire. Elles ne sont pas substantiellement innervées par la sève autoritaire qui
irrigue l’arbre qu’est la police administrative générale. Ceci peut s’expliquer par
l’insignifiance politique des matières que ces polices spéciales prennent en charge. Il ne
s’agit pas de soutenir qu’elles n’ont pas, ces matières, une incidence politique, elles se
situent à la périphérie du noyau dur politico-économique. Elles n’influencent pas de
manière directe le sort ou le devenir du pouvoir politique. Ce dernier ne voit donc pas en
ces matières des sources de menaces potentielles à sa vie.

Ces polices sont également la manifestation palpable de l’évolution de la société


de loisirs et du divertissement, un peu à l’image de la société occidentale. Une telle
évolution fait plus de place à l’homme, avec ses envies et ses passions, à l’être humain
en tant que entité psychosomatique, et donc en quête d’un épanouissement légitime.
Epanouissement du corps d’abord certes1499, mais aussi et surtout épanouissement de
l’esprit1500. Or, cet épanouissement s’accommode peu d’un Etat oppressif, inhibiteur des
consciences individuelles. On peut ainsi observer que les polices spéciales qui
concourent à assurer le divertissement et les loisirs sont particulièrement détachées des
racines autoritaires de la police générale. On peut citer à cet égard la police culturelle,
qui se caractérise ici notamment par une conception très libertine des créations musicales
et artistiques1501, dans un environnement où pourtant les valeurs religieuses et
traditionnelles sont encore fortement ancrées. Dans ce même ordre d’idées, on observe
une attitude très permissive de la puissance publique vis-à-vis des expressions culturelles
traditionnelles, à travers notamment une floraison de regroupements ethniques1502
œuvrant à la promotion des us et coutumes à travers les danses traditionnelles, les
festivals de toutes sortes. Il n’est pas jusqu’à la police du cinéma1503 qui ne soit teintée de
cette tendance permissive de la puissance publique vis-à-vis de l’exercice de ces libertés.

1499
D’où la police des activités physiques et sportives : « L’éducation physique et sportive est l’ensemble des
activités physiques et sportives propres à favoriser le développement harmonieux du corps et propices à
l’exercice de la responsabilité individuelle et collective des citoyens » (art. 6 (1)) de la loi n°2011/018.
1500
Police touristique et des loisirs.
1501
Il suffit pour s’en convaincre de se référer aux contenus textuels des créations musicales qui foisonnent
depuis plusieurs décennies à travers le pays, et qui inondent tous les villes et villages du pays.
1502
Ces regroupements prennent des formes les plus diverses, telles que les comités de développement de telle
ou telle localité, les associations des ressortissants de tel village ou de telle région, etc.
1503
L’exercice de la police du cinéma au quotidien montre que le ministre de la culture qui en a la charge a
plus tendance à interdire les projections cinématographiques qui pourraient avoir un impact politique,
notamment qui seraient contraires par son contenu au discours officiel du gouvernement. De plus, la

447
Ces activités et expressions sociales sont ménagées parce qu’elles sont prises en
charge par des polices spéciales détachées du moule autoritaire général, à partir du
moment où ces activités ne menacent pas l’ordre politique en vigueur, qui prend ainsi la
place de l’ordre public, du même coup délaissé. Parfois, on observe que l’Etat encourage
même, à travers certaines polices, ou plutôt à travers leur mise en hibernation, certaines
activités qui tendent à détacher ou à éloigner les citoyens de comportements pouvant les
amener à s’intéresser ou à s’interroger sur la vie et le devenir de la cité. On pourrait
prendre à cet effet deux exemples topiques à savoir la police des débits de boisson et la
police des cultes.

La première prévoit une certaine distance réglementaire à observer entre deux


débits de boissons1504, de même qu’elle interdit l’implantation de ces débits à proximité
de certains édifices tels les établissements scolaires, les hôpitaux, les pharmacies, etc.1505
Mais à l’observation, aucune de ces dispositions réglementaires n’est respectée. On
assiste alors à un développement exponentiel et anarchique de lieux de vente de boissons
sous l’œil complice des autorités de police administrative.

La seconde police citée, à savoir celle relative aux cultes1506, pose un certain
nombre de règles en ce qui concerne les conditions de création d’associations
religieuses, ainsi que les conditions d’implantation des lieux de culte ou de respect de
règles de tranquillité à l’occasion des différents services. L’observation montre ici
également une inobservance criarde de ces règles, le tout avec la bénédiction de

permissivité de cette police et peut être même son inadaptation dans le contexte actuel vient de son incapacité à
contrôler l’afflux massif de production cinématographique sur le territoire national par le biais des nouveaux
moyens d’information et de communication. Mais cela pose aussi le problème de l’articulation de la police du
cinéma avec d’autres polices telles celles relatives aux télécommunications, aux médias, etc.
1504
L’article 14 du décret n° 90/1483 a supprimé la distance réglementaire imposée entre deux débits de
boissons à savoir 200m, par les décrets précédents, notamment le décret n° 73-659 du 22 octobre 1973 portant
réglementation des débits de boissons. Ceci a eu pour conséquence une véritable explosion du nombre de
débits de boissons. De même, out été supprimées les dispositions qui restreignaient non seulement les
conditions d’ouvertures des débits de boissons, mais aussi la consommation de boissons alcooliques. Tout ceci
a été fait dans le souci de libéraliser cette activité et donc la police spéciale y afférente la détachant du moule
conceptuel général marqué par l’autoritarisme.
1505
L’article 14 du décret n° 90/1483 dispose que « aucun débit de boissons ne peut être ouvert ou transféré à
moins de 200 mètres à vol d’oiseau, d’un hospice, d’un hôpital d’un dispensaire, d’un établissement
d’enseignement, ou d’un édifice consacré au culte ».
1506
Cette police exercée par le MINAT souffre d’un déficit de réglementation ce qui n’est pas anodin. Si les
conditions d’autorisation des associations religieuses sont bel et bien posées par la loi n° 90/053 sur la liberté
d’association, aux articles 22 à 31. Mais pour les autres aspects de cette police que sont les lieux de culte, les
conditions de fonctionnement des lieux de culte, etc. aucune réglementation récente n’a été élaborée dans ce
sens. Il n’est pas donc impossible que la réglementation coloniale soit toujours applicable, notamment le décret
du 28 mars 1933 réglementant le régime des cultes dans les territoires du Cameroun sous mandant français
(J.O.C., 1933, p. 275).

448
l’autorité administrative. La raison d’un tel laxisme est à trouver dans la déconnection de
ces polices spéciales vis-à-vis du moule originaire autoritaire qu’est la police générale.
Et même dans ces polices, on trouve des régimes particulièrement permissifs,
confirmant bien le caractère débordant au plan conceptuel de certaines polices spéciales
vis-à-vis de la police générale.

SECTION II - L’EXPANSIONNISME DES FONDEMENTS JURIDIQUES

Les fondements juridiques des polices spéciales au Cameroun sont un facteur


essentiel de leur expansion. Ils permettent à ces instruments de se multiplier dans le droit
positif à un rythme exponentiel, de telle sorte qu’il n’y a pas un seul domaine de la vie
politique ou socioéconomique qui n’en soit pourvu. Par fondements juridiques, il faut
entendre les bases à la fois formelles et matérielles sur lesquelles reposent l’existence
des polices spéciales, les données pratiques de cette existence.

On sait que la notion de police spéciale désigne une activité encadrée par des
normes juridiques précises, spécifiques. Il s’agit donc d’évoquer ces normes juridiques,
de les identifier et de les analyser afin de voir comment elles contribuent à étendre les
différentes polices spéciales au sein du droit positif. Ce dernier apparaît en effet
perméable à leur existence et à leur épanouissement. Il s’agit donc de révéler tous ces
différents ressorts de l’expansionnisme des polices spéciales. Seront exclusivement
considérées ici, les données positives qui concourent à l’expansion des polices spéciales
dans les différents domaines de l’activité socioéconomique. « Ainsi, les polices spéciales
existent en tant que fonction "policière" particulière et se caractérisent par leur
extrême diversité. La pluralité constitue, en effet, une caractéristique constante des
polices administratives spéciales. Par essence et par nécessité elles sont multiples et
ont vocation à se multiplier. La multiplicité des polices spéciales s’analyse donc, à la
fois, comme la réponse et la conséquence de la multiplication des domaines à encadrer
liée à l’exigence de réglementation »1507. L’exigence de réglementation est une demande
sociale, certes, une demande de droit, mais elle semble favorisée ici, et même exacerbée
par un ensemble de données institutionnelles qui déterminent le caractère sans cesse

1507
M.-F. DELHOSTE, Les polices administratives spéciales et le principe d’indépendance des législations,
op. cit., p. 15.

449
expansionniste des polices spéciales. Les données qui fondent au plan strictement
juridique, l’expansionnisme des polices spéciales sont d’abord de nature formelle, et
ensuite, de nature matérielle. Assurément, « l’histoire des polices administratives
spéciales est ainsi le fruit et le reflet de l’histoire d’une société »1508. Celles en vigueur
au Cameroun ne sont pas en marge de cette réalité. Elles reflètent non seulement
l’évolution de la société, par leur diversification actuelle, mais aussi, elles reflètent l’état
actuel de la société par la correspondance qui existe entre la demande de celle-ci et la
diligence avec laquelle la puissance publique offre la réglementation y afférente. Les
règles juridiques apparaissent alors comme des outils qui contribuent à l’expansion des
polices spéciales dans le droit positif, à travers la considération non seulement des
données purement formelles mais aussi et surtout des données matérielles.

I. LES DONNEES FORMELLES

Qui dit fondements juridiques s’intéresse prioritairement aux considérations d’ordre


formel. Les données formelles sont celles qui sont relatives aux formes et aux
procédures. Il s’agit de s’intéresser ici donc aux formes et aux procédures à observer ou
relatives à la création et à l’organisation des polices spéciales. Il s’agit de ressortir le
régime juridique applicable aux polices spéciales et d’analyser celui-ci, pour montrer
comment et dans quelle mesure il contribue à l’expansion des polices spéciales. Il s’agit
moins de révéler ce régime que de s’interroger sur le rôle qu’il joue stratégiquement dans
l’exercice de la fonction de police de manière générale, et des fonctions des polices
spéciales en particulier. Il est question donc de voir à quel point les éléments des régimes
peuvent être mobilisés pour faire ressortir une sorte d’expansionnisme existentiel des
polices spéciales.

Deux considérations jaillissent alors d’une telle analyse. La première, s’appuyant


sur les données formelles relatives à la création et à l’organisation des polices spéciales
permet de dire qu’en lui-même, l’instrument de police spéciale apparait fortement
banalisé. La seconde considération quant à elle permet, en s’appuyant sur des données
quantitatives relatives aux polices spéciales, de soutenir l’idée d’une multiplication de
ces instruments, signe de leur expansionnisme.

1508
Idem, p. 16.

450
A. La banalisation de l’instrument de police spéciale

Le recours à l’instrument de police spéciale au Cameroun est de l’ordre de la


banalité. Malgré la menace que ces outils font peser sur la liberté, la facilité avec
laquelle les pouvoirs publics y ont recours, dénote une priorisation de l’exigence de
l’ordre sur celle de la liberté. La récurrence du recours à ce procédé tend ainsi à
l’imposer comme le droit commun de la police administrative. Bien qu’il n’y ait pas en
la matière d’option dérogatoire, la notion de police spéciale a néanmoins pour fonction
comme il a été vu, de compléter celle de la police générale. L’aspect complémentaire est
donc ici fondamental. Or lorsque l’on multiplie à l’infini le recours aux polices spéciales,
on contribue à les banaliser et donc à dénaturer la notion de police administrative. Au
final, celle-ci semble emprunter assez largement à la notion de police spéciale, alors
même que ces dernières doivent être complémentaires simplement de la police générale.
Mais le droit positif révèle plutôt une attitude contraire. Ici, la banalisation de
l’instrument de police spéciale apparait particulièrement fragrante. Elle se matérialise
par la banalisation de la création de polices spéciales et par la banalisation de leur
organisation.

1. Banalisation de la création

La banalisation de l’instrument de police spéciale commence dans la création de


cette dernière. Au Cameroun, la création d’une police spéciale est l’acte le plus banal qui
soit. La banalisation commence par l’initiative même de cette création. Les polices
spéciales sont créées par la loi. Si donc « l’institution d’une police spéciale trouve
toujours à sa source une intervention législative »1509, c’est l’ensemble du processuel
législatif qui est interpelé par la création des polices spéciales. Ainsi dit, l’ensemble de
ce processus au Cameroun est en faveur, et même au service d’une banalisation des
polices spéciales.

Tout d’abord, l’initiative de la création contribue à cette banalisation. Si la


Constitution prévoit que l’initiative législative appartient concurremment au
Gouvernement et aux membres du Parlement1510, force est de constater l’écrasante

1509
D. MAILLARD DESGRÉES DU LOÛ, thèse, op. cit., p. 105.
1510
En fait, de manière plus précise, l’article 25 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 est ainsi énoncé :
« l’initiative des lois appartient concurremment au Président de la République et aux membres du
parlement ».

451
prépondérance ici, de l’initiative gouvernementale, dans la procédure législative1511.
Cette quasi exclusivité au plan pratique de l’initiative gouvernementale va rejaillir de
manière éclatante dans le domaine des polices spéciales puisque au final, on peut
observer que la quasi-totalité des polices spéciales seront créées à l’initiative du
gouvernement, donc du pouvoir exécutif. Or c’est ce denier qui est en même temps en
charge de l’exercice au quotidien de la fonction de la police administrative et
indirectement des polices spéciales qui sont ainsi créées. On peut donc comprendre que
l’exécutif étant l’alpha et l’oméga en matière de police spéciale, c’est-à-dire intervenant
de l’initiative de création de la police spéciale jusqu’à son application quotidienne et
étant le seul à évaluer le besoin d’ordre que doit satisfaire la police spéciale, que cela
conduise à une inflation de ces instruments de maintien de l’ordre, dans un
environnement ou l’exécutif est orienté vers un contrôle disciplinaire de la société au
moyen du procédé policier1512. Il ne peut donc que recourir à souhait aux polices
spéciales dans la mesure où elles satisfont ses besoins d’instaurer un certain ordre au sein
de la société.

Ensuite, pour ce qui est de la procédure de la création des polices spéciales, il faut
dire qu’elle est également au service de leur banalisation. Car que ce soit dans la phase
administrative ou dans la phase législative de celle-ci, il n’existe aucun risque majeur de
voir l’initiative gouvernementale être compromise. En effet, que ce soit en son sein
même ou au Parlement, l’exécutif détient toujours la possibilité de faire valoir sa
volonté. Il faut dire qu’en ce domaine, il existe une totale liberté du gouvernement dans
le choix de recourir ou non à la création d’une police spéciale, si bien que le parlement
ne peut pas au cours de la procédure interroger la légitimité de l’exécutif à y recourir. Il
en ressort une totale liberté laissée entre les mains de l’exécutif à ce sujet. Il peut donc y
recourir quand il vient, comme il veut et là où il veut. Cela ne peut que créer les
conditions réelles d’une banalisation1513.

1511
Il s’agit donc de la prépondérance de l’initiative du Président de la République. Ceci accroît donc son rôle
dans la création des polices spéciales.
1512
La police administrative est en effet ici davantage un instrument dont se sert l’Etat pour instaurer et même
imposer un certain ordre, voulu par les détenteurs du pouvoir. Ceci est en contradiction avec la théorie libérale
dans laquelle l’ordre public est produit par le libre jeu des activités et initiatives privées, l’autorité publique
n’intervenant que lorsque cet équilibre en quelque sorte naturel est rompu.
1513
En effet, du moment où il n’existe pas de compétence liée en matière de création des polices spéciales,
seule prévaut alors en cette matière la volonté de l’organe qui domine le processus législatif, et cet organe est

452
Enfin, la banalisation est à rechercher dans l’acte même de création. Au plan
purement formel, la création d’une police spéciale n’appelle pas ici une ou des
précautions particulières. Par exemple, la loi ne prend presque jamais le soin de préciser
que l’acte qui est adopté est une police spéciale1514. Si ailleurs on peut observer que le
législateur est méticuleux sur la formalisation de sa volonté, au Cameroun, c’est presque
toujours à l’analyste que revient la tâche d’identifier l’existence d’une police spéciale
dans l’adoption d’une loi1515. Cette situation conduit à ce que l’identification d’une
police spéciale soit particulièrement difficile. Le fait que les lois ne le spécifient pas
expressément conduit à ce que ces polices soient noyées dans le magma législatif que
contribue par ailleurs à densifier une inflation législative sans cesse croissante.

Toujours en rapport avec l’acte même de création d’une police spéciale, on peut
observer une pratique très courante au Cameroun, qui consiste à faire adopter dans la
même loi, plusieurs polices spéciales qui parfois nécessiteraient d’être mises dans des
lois distinctes1516. Cette concentration des polices spéciales dans un même support
législatif, très courante, contribue à une banalisation de l’instrument de police spéciale.
En effet, pour identifier ces différentes polices spéciales, il faut au préalable procéder à
une analyse matérielle du texte législatif. L’identification d’une police spéciale est donc
alors très souvent déduite de la règlementation des activités ou des matières contenues
dans la loi. On peut, à titre illustratif évoquer le cas ici de la loi portant régime des forêts,
de la faune et de la pêche, qui va permettre l’identification de la police forestière, de la
faunique1517, etc. On a également la loi cadre portant gestion de l’environnement qui
comporte à elles seules de nombreuses polices spéciales1518. Parfois, l’on croit avoir à
faire à une seule police spéciale comme la police de l’électricité, lorsqu’on est par
exemple en face de la loi régissant le secteur de l’électricité1519, et on est donc surpris au

ici incontestablement le Président de la République. Or, ce dernier, par son dominium, contribue
paradoxalement à banaliser la création des polices spéciales.
1514
En effet, en dehors de quelques cas isolés, ce n’est pas courant de voir le législateur écrire expressément
comme intitulé d’une loi créant une police spéciale "police de"…
1515
Cette déduction se fait sur la base d’un faisceau d’indices, dont les principaux sont l’existence d’une
compétence assez précisément fixée par les textes, et l’existence d’un objet précisément défini.
1516
La pratique législative au Cameroun révèle en effet une option pour des lois "fourre-tout" ou des "lois
obèses", c’est-à-dire des lois qui régissent plusieurs domaines à la fois, comme l’illustre la loi portant régime
des forêts, de la faune et de la pêche.
1517
Cette loi régit de nombreuses polices spéciales : police des forêts, police faunique, police de la chasse,
police de la pêche etc.
1518
Police de l’environnement, police de l’air, police des déchets, etc.
1519
Loi n° 2011/022 du 14 décembre 2011 régissant le secteur de l’électricité au Cameroun.

453
détour de certaines dispositions de voir consacrée une police apparemment bien distincte
de la première, à savoir la police des installations électriques intérieures et des matériels
électriques1520. On peut évoquer toujours dans le sens d’une concentration de plusieurs
polices dans une même loi, le cas de la loi régissant l’urbanisme au Cameroun1521 de la
loi portant liberté de communication sociale1522, de la loi portant régime de l’eau1523, de
la loi cadre portant dans le domaine de la santé1524. Tout ceci montre une banalisation des
polices spéciales à travers leur processus de création.

2. La banalisation de l’organisation

En fait, il serait plus juste de parler ici de banalisation du régime des polices
spéciales. Elles proviennent ici de la forte fréquence du pouvoir règlementaire dans cette
organisation du régime des polices spéciales. On sait que les polices spéciales ont une
origine exclusivement législative. La doctrine n’a en effet de cesse d’affirmer que « le
législateur est le seul habilité à créer une police spéciale, c’est-à-dire une
réglementation qui excède ce que peuvent prévoir les autorités de police générale »1525.
Toutefois, elle concède que l’intervention législative peut être soit directe, soit indirecte.
Et dans la même lancée, elle reconnait également que l’intervention législative, « pour
nécessaire qu’elle paraisse, n’exclut pas de laisser jouer un grand rôle au règlement
dans la détermination des modalités et des obligations de police »1526. Ceci signifie
qu’au-delà de leur origine législative, les polices spéciales laissent place à des
interventions réglementaires. « Qu’une loi ait prévu ou non l’intervention d’un
règlement pour préciser la condition de son application, cela ne change rien au
principe de la compétence réglementaire. Ceci n’est pas particulier à la police
spéciale »1527. En effet, d’après une analyse du cas français parfaitement transposable au
cas camerounais, « sous le régime constitutionnel actuel comme au paravent, le

1520
Articles 75 et suivants… L’article 75 dispose « il est institué un contrôle de conformité aux normes
homologuées des installations électriques intérieures et des matériels électriques afin d’assurer la protection
des usagers de l’électricité et de leurs biens contre les dangers qui peuvent découler ».
1521
Police des sols constructibles, police du permis de construire, police de l’alignement, police esthétique
urbaine etc.
1522
Police des médias (presse écrite et audiovisuelle), police de l’imprimerie, police de la librairie, police de
l’affichage, police de l’édition, police de la distribution…
1523
Police des eaux stagnantes, police de la qualité des eaux, police des eaux intérieures, etc.
1524
Police épidémiologique, police pharmaceutique, police des hôpitaux privés etc.
1525
D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse, op. cit., p. 106.
1526
Idem, p. 105.
1527
Ibid., p. 110.

454
titulaire du pouvoir réglementaire prend les règlements nécessaires à l’application des
lois, soit de sa propre initiative, soit (cas le plus fréquent) sur le vu des dispositions
législatives prévoyant que les décrets préciseront leurs modalités d’application… Il n’y
a pas à distinguer entre les matières (…) dont la loi « fixe les règles » et celles dont
elle détermine les principes fondamentaux »1528.

Ainsi, au vu de la doctrine et du droit positif, l’intervention du règlement dans la


fixation du régime des polices spéciales est donc normale et largement justifiée. Mais ce
qui crée la banalisation des polices spéciales dans le cas particulier du droit camerounais,
et qui contribue à l’expansion de ces formes d’intervention policière, c’est le degré et la
fréquence des interventions réglementaires. En effet, le droit camerounais semble laisser
une large place à ce pouvoir réglementaire, dans la réglementation des polices spéciales.
Tout d’abord, comme il a déjà été vu, contrairement au droit français qui fait une
distinction dans les matières législatives, entre celles où le législateur fixe les règle et
celles où il fixe les principes fondamentaux, le droit camerounais se limite à donner au
législateur le pouvoir certes de fixer les règles mais, relatives entre autres uniquement
aux « droits, garanties et obligations fondamentaux du citoyen »1529. C’est dire que
pour ceux des droits, garanties et obligations qui ne sont pas fondamentaux, c’est au
règlement qu’il revient de s’en saisir1530. Bien que cette possibilité soit mineure en terme
d’ouverture de la réglementation des polices spéciales au pouvoir réglementaire et donc
de banalisation du régime afférent à ces formes de polices, elle n’en est pas moins une
source importante de cette banalisation.

Ensuite, et c’est ici même le cœur de cette banalisation de la réglementation des


polices spéciales par l’accroissement de l’importance du pouvoir réglementaire, la loi, en
général, bien qu’elle intervienne de manière initiale à la base de toutes les polices
spéciales, ne les organise pas toujours de manière complète. Parfois même, elle se
contente de créer la police spéciale laissant au pouvoir réglementaire le pouvoir de fixer
le régime de ces dernières, « ce qui, le cas échéant peut comporter la possibilité
d’atteintes importantes aux libertés publiques »1531. Or, il a été vu que seul le

1528
R. CHAPUS, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, Tome 1, 3e éd., 1987, p.476, cité par D.
MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, Thèse, Ibid.
1529
Article 26 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
1530
Cf. Supra, Première partie, Titre 1, chapitre 2.
1531
D. MAILLARD DES GRÉES DU LOÛ, thèse, op. cit., p. 105.

455
législateur, selon une certaine tradition libérale, pouvait y porter atteinte. La large place
laissée donc ici au règlement ne peut qu’avoir pour conséquence de banaliser le régime
des polices spéciales, contribuant par là aussi à leur expansion. La pratique législative
camerounaise révèle une propension excessive de la loi à renvoyer en effet à des actes
réglementaires pour les modalités de son application quand elle ne recourt par à ces
décrets pour la compléter1532. Dans tous les cas, on peut observer qu’ici la quasi-totalité
des polices spéciales sont complétées en leur régime par des actes réglementaires. Les
exemples ne peuvent donc que foisonner : polices de l’habitat1533, polices de
l’environnement1534 polices de la construction1535, polices de l’eau1536, polices des
télécommunications1537, police des medias1538, police des installations classés1539 ; police
de la concurrence1540 , police de la solidarité nationale1541, police des étrangers1542, police
des activités privées de gardiennage1543, etc. Tout juste un nombre infiniment réduit de
polices spéciales échappe à cette pratique comme la police des réunions et
manifestations publiques ou comme la police des associations.
1532
La plupart des lois comportent des dispositions du type : « les modalités d’application de la présente loi
seront fixées par voie réglementaire » ou « les modalités d’application de la présente loi seront, en tant que de
besoin fixées par voie réglementaire », ou « les dispositions relatives à... sont fixées par voie réglementaire ».
1533
Décret n° 2013/0042/PM du 23 janvier 2013 modifiant et complétant certaines dispositions du décret n°
2008/0739/PM du 23 avril 2008 fixant les règles d’utilisation des sols et de la construction ; Décret
n°2008/0740/PM du 23 avril 2008 fixant le régime des sanctions applicables aux infractions aux règles
d’urbanisme.
1534
Décret n° 2011/2583/PM du 23 août 2011 portant réglementation des nuisances sonores et olfactives ;
décret n° 2011/2582/PM du 25 août 2011 fixant les modalités de protection de l’atmosphère.
1535
Décret n°2008/0737/PM du 23 avril 2008 fixant les règles de sécurité, d’hygiène et d’assainissement en
matière de construction.
1536
Décret n° 2001/164/PM du 08 mai 2001 précisant les modalités et conditions de prélèvement des eaux de
surface ou des eaux souterraines à des fins industrielles ou commerciales.
1537
Arrêté n° 00007/MPT du 16 juillet 2001 définissant et réglementant l’activité de vendeur de matériel de
télécommunications.
1538
Décret n° 2000/158 du 3 avril 2000 fixant les conditions et les modalités de création et d’exploitation des
entreprises privées de communication audio-visuelle.
1539
Décret n° 2014/2379/PM du 20 aout 2014 fixant les modalités de coordination des inspections des
établissements classés dangereux, insalubres ou incommodes ; décret n° 99/819/PM du 09 novembre 1999
fixant les modalités d’implantation et d’exploitation des établissements classés dangereux, insalubres ou
incommodes ; décret n°99/821/PM du 09 novembre 1999 fixant les conditions d’agrément des personnes
physiques ou morales aux inspections, contrôles et audits des établissements classés dangereux, insalubres ou
incommodes.
1540
Décret n°2005/1363/PM du 06 mai 2005 fixant la composition et les modalités de fonctionnement de la
Commission nationale de la concurrence ; arrêté n° 000003/MINCOMMERCE du 16 février 2010 fixant les
seuils, les conditions et les modalités de déclaration des fusions et acquisitions d’entreprises à la Commission
Nationale de la Concurrence.
1541
Décret n° 77/495 du 7 décembre 1977 fixant les conditions de création et de fonctionnement des œuvres
sociales privées ; Décret n°82/412 du 3 septe 1982 fixant les modalités d’octroi des secours de l’Etat et aux
indigents et aux nécessiteux.
1542
Voir par exemple le décret n°2000/286 du 12 octobre 2000 précisant les conditions d’entrée, de séjour et
de sortie des étrangers au Cameroun.
1543
Décret n° 2005/031 du 02 février 2005 et n° 2015/407 du 10 septembre 2015 portant tous application de la
loi n° 97/021 du 10 septembre 1997.

456
La banalisation apparait plus flagrante encore, lorsqu’on a l’impression que la
police spéciale dont la totalité du régime est fixé par voie réglementaire n’a donc pas
d’origine législative. Tel est le cas de la police des débits de boisson. Au début du
mandat franco-britannique, la police des débits de boisson est jointe à la répression de
l’ivresse publique1544. Aussi, à cette époque, la police des débits de boisson porte-t-elle
essentiellement sur la répression de l’ivresse publique, de la vente d’alcool aux mineurs,
de l’encouragement à la débauche etc.1545 Les réformes successives de cette police l’on
progressivement détachée de la source législative, au point où de nos jours, régie par le
décret no 30/1483 du 9 novembre 1990 elle semble entièrement rentrée dans le champ de
compétence du pouvoir réglementaire. Même si le décret de 1990 vise la loi régissant
l’activité commerciale, on peut valablement se demander en quoi celle-ci influence
fondamentalement la police des débits de boisson ? Au total, il apparait que le pouvoir
réglementaire en intervenant abondamment dans la réglementation des polices spéciales
contribue à les banaliser et donc à les étendre puisqu’il est plus facile de multiplier les
polices spéciales par les règlements que par la loi1546.

B. La multiplication du nombre de polices spéciales

L’histoire du droit administratif camerounais révèle une multiplication


ininterrompue des polices spéciales. En effet, de 1916 à nos jours, elles n’ont jamais
cessé d’être en nombre croissant, au point où de nos jours, « les polices administrative
spéciales se multiplient dans les domaines les plus variés. Des pans entier du droit
administratif moderne s’organisent autour de cette institution : du doit de l’urbanisme
et de la construction au droit de la protection de la nature et de l’environnement »1547,
de la réglementation des questions les plus régaliennes comme la sécurité à celles de
matières simplement ludiques comme les loisirs et les jeux. Leur importance numérique
actuelle tranche donc avec leur nombre de départ très faible.

1544
Voir la loi du 1er octobre 1917 sur la répression de l’ivresse publique et sur la police des débits de boissons
(J.O.T.O.A.C., 15 janvier 1918 pp.16-18) cette loi abroge celle du 23 janvier 1873 sur l’ivresse publique. La
loi de 1917 est rendue applicable au Cameroun par l’arrêté du 18 avril 1918.
1545
V. par exemple, le décret du 30 janvier 1929 relatif à la police des débits de boissons et établissements
publics au Cameroun promulgué au Cameroun par un arrêté du 6 mars 1929 est motivé par un souci d’ordre et
d’hygiène morale d’où la demande d’une règlementation plus sévère.
1546
Il ne serait pas juste de dire que le pouvoir réglementaire crée des polices spéciales. Il est plus juste de dire
que le pouvoir réglementaire profite des interstices ou des permissions de la loi pour multiplier des
réglementations de police spéciale. Cette multiplication tend à banaliser les polices spéciales parce que la
signature d’un décret étant plus facile que le vote d’une loi, le premier est, par son foisonnement, l’instrument
le plus à même de parvenir à ses fins.
1547
C. BUNIET, « Contribution à l’étude du régime contentieux des polices spéciales », op. cit., p. 1019.

457
1. Un nombre initialement réduit

Bien qu’il soit extrêmement difficile de donner le nombre exact qu’elles étaient
aussi bien avant l’indépendance qu’au lendemain de celle-ci, on peut néanmoins faire le
constat, sans risque de se tromper, de leur faible nombre à cette époque. Plusieurs
indicateurs objectifs permettent de le soutenir.

D’abord, l’activité sociale et politique à cette époque ne permet pas des


réglementations spécifiques pouvant nécessiter la mise en place des polices spéciales.
L’activité politique est inexistante. L’activité économique est embryonnaire et n’exige la
mise en place que de quelques polices telles la police des marchés1548, la police de la
qualité des produits1549, la police alimentaire1550, la police de l’abattage des animaux1551, ,
la police des marques1552. A travers ces différentes réglementations qui s’analysent en de
véritables polices spéciales, on peut noter la centralité de la dimension économique dans
la mise en place des toutes premières polices spéciales. Ceci ne devrait pas surprendre
dans la mesure où la domination coloniale est d’abord assise sur des ressorts
économiques. Il s’agit de fournir la métropole en matières premières devant assouvir ses
besoins de puissance économique.

Mais la domination coloniale comporte aussi des ressorts sociologiques et


culturels. C’est pourquoi progressivement on verra la mise en place des réglementations
tenant à des polices spéciales orientées vers ce domaine. On peut à titre illustratif,
évoquer la police des mœurs1553, la police des spectacles1554, la police des débits de

1548
Arrêté du 20 mai 1919 fixant police des marchés dans les centres de territoires occupés du Cameroun (J.O.
1er juin 1919, p. 81).
1549
Par exemple loi du 16 avril 1935 tendant à l’organisation et à l’assainissement du marché de la viande
(J.O.C., n° 399, 1er décembre 1936, p. 340) ; arrêté réglementant le contrôle du conditionnement des produits
agricoles du 1er mai 1940 (J.O.C., n° 490 du 15 mai 1940, p. 451) ; arrêté organisant et règlementant la
vérification des amendes de palme avant leur sortie du territoire du 30 janvier 1923 (J.O.T.C., 1923, p. 66)
1550
Arrêté portant règlement sur le service de l’alimentation dans les territoires occupés de l’ancien Cameroun
du 15 juin 1917 (J.O.T.O.A.C., 1918, p. 97).
1551
Arrêté réglementant l’abatage des animaux de boucherie et leur vente au détail dans les territoires occupés
du Cameroun du 4 juin 1919 (J.O. 1er juillet 1919, p. 90) ; décision réglementant l’abatage des animaux de
boucherie de l’agglomération de Douala du 29 juillet 1919 (J.O. 1 er août 1919, p. 100) ; arrêté interdisant
l’abattage dans l’étendue de la circonscription de Doumé, des femelles de gros et petit bétail susceptibles de
coproduire du 16 novembre 1917 (J.O., 1918, p.64) etc.
1552
Arrêté rendant applicables aux colonies, pays du protectorat et territoires sous mandat relevant du ministère
des colonies, les décrets des 29 juin et 19 novembre 1937 concernant des définitions et applications d’origine
contrôlées du 13 janvier 1938 (J.O., mars 1938, p.432)
1553
Arrêté réglementant la prostitution du 25 octobre 1933 (J.O.C., 15 novembre 1933, pp. 660-662).
1554
Arrêté du 25 octobre 1948 fixant les règles générales de sécurité, d’hygiène et de police dans les salles de
spectacle des centres de Douala et de Yaoundé (J.O.C., 1948, p. 1206).

458
boisson, qui est largement une police de lutte contre la consommation d’alcool puis de
lutte contre l’ivresse publique1555, etc. Progressivement, les territoires dominés
s’inscrivant dans des enjeux non plus seulement économiques, mais aussi et surtout
politiques, on observera la mise en place de polices spéciales s’orientant dans ce sens.
Ceci correspond aussi à une période de formation et d’instruction des esprits locaux à
une certaine conscience politique. D’où des polices telles la police des réunions1556, la
police des manifestations1557, la police de la presse1558, la police des associations1559, la
polices des étrangers1560, la police des publications destinées à la jeunesse1561, la police
du culte1562, la police de la circulation, la police de la propagande étrangère1563.

Entre temps, un certain développement de l’activité économiques aura rendu


nécessaire le développement de polices telles, la police des transports1564, la police de la
navigation1565, la police des chemins de fer1566, la police des ports1567, la police des
aérodromes, la police des établissements classés etc.

1555
Voir par exemple le décret du 18 décembre 1925 réglementant la vente des boissons alcooliques ou
spiritueuses et des boissons hygiéniques et fixant les licences applicables au commerce de ces boissons dans
les territoires du Cameroun placées sous mandat de la France.
1556
Décret n° 46/718 rendant applicable aux territoires relevant du ministère de la France d’outre-mer la
législation métropolitaine sur la liberté de réunion (notamment la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion)
du 11 avril 1946. Ce décret est promulgué au Cameroun par un arrêté du 25 septembre 1946 (J.O.C.F., 1 er
octobre 1946, p. 252).
1557
Arrêté relatif aux rassemblements et manifestations sur la voie publique du 31 mai 1933 (J.O.C., n° 314, 15
juin 1933) ; arrêté relatif aux rassemblements, manifestations sur la voie publique et cérémonies extérieures de
culte du 18 août 1934 (J.O.C., n° 343, 1er septembre 1934, p. 621).
1558
Loi du 29 juillet 1881 que la liberté de presse, complétée par celle du 28 novembre 1935 ; ordonnance n°
45/2090 du 13 septembre 1945 modifiant la loi du 29 juillet 1981 sur la liberté de presse (J.O.C.F., 15 octobre
1946, p. 1177) ; ordonnance du 26 août 1944 sur l’organisation de la presse française, rendue applicable au
Cameroun par le décret du 12 avril 1945 (J.O.C., 1944, p.694 et J.O.C., 1945, p. 338)
1559
Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, rendue applicable au Cameroun par décret du 13
mars 1946 infra J.O.C, 1946, p. 970.
1560
Voir par exemple le décret du 07 octobre 1930 réglementant les conditions d’admission et de séjour au
Cameroun des nationaux français et étrangers ; décret du 19 octobre 1937 portant réglementation au Cameroun
de l’émigration et de l’immigration des indigènes (J.O.C., n° 426, 1 er décembre 1937, p. 1005)
1561
Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse (J.O.C., 1953, p. 2174) ; décret du 19
septembre 1954 portant règlement d’administration publique pour l’application au Togo et au Cameroun de la
loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse modifiée par la loi du 29 novembre 1954
(J.O.C., 1955, p. 1619)
1562
Décret du 28 mars 1933 réglementant le Régime des cultes dans les territoires du Cameroun sous mandat
français déjà cité.
1563
Arrêté du 28 juin 1921 portant réglementation du service de la marine marchande et de la police de la
navigation du Cameroun (J.O.T.C., 1921, p. 148)
1564
Décret du 07 mars 1939 relatif à la réglementation de la police, de la sûreté et de l’exploitation des chemins
de fer au Cameroun (J.O. avril 1939, pp. 343-344)
1565
Arrêté réglementant la police du port de Douala du 26 novembre 1927 (J.O.C., décembre 1927, pp. 601-
605).
1566
Arrêté du 21 mars 1949 relatif à l’ouverture des aérodromes publics à la circulation aérienne (J.O.CF., 15
avril 1949, p. 1072.

459
Mais au-delà de ces différents domaines politique, économique et culturel
auxquels la puissance mandatrice puis tutrice accorde progressivement son attention en
termes de réglementation policière, existent, en rapport étroit avec la police générale,
quelques polices spéciales dont l’urgence a permis la mise en place rapide, à savoir les
polices sanitaires1568. Elles permettent la lutte contre les épidémies et endémie, contre les
épizooties, contre l’insalubrité etc. Au total, quoi qu’il soit impossible de recenser
l’ensemble des polices spéciales en vigueur du mandat à la tutelle, ceci pour des raisons
à la fois matérielles et parfois intellectuelles, on peut estimer le nombre de polices alors
existant à moins d’une trentaine. C’est ce nombre approximatif qui sera endossé par le
jeune Etat indépendant, à partir de 1960. A partir de cette date, on n’observe pas une
augmentation particulière du nombre de polices spéciales.

Mais c’est principalement au plan qualitatif que les polices spéciales vont prendre
de l’importance après l’indépendance, puisque l’on va observer au cours de cette période
une exceptionnelle aggravation de la répression policière. Et l’on sait qu’en pareilles
circonstances, la police générale prend toujours le pas sur les polices spéciales
empêchant du même coup une augmentation quantitative de celles-ci. Cette situation
ayant perduré au cours des trois décennies, ayant suivi l’indépendance, ce n’est qu’à la
fin des années 80 et au début des années 90 qu’on assistera à une remise en cause de cet
ordre. On assiste alors à un véritable boum des polices spéciales.

Au total on peut observer que la taille du nombre des polices spéciales avant
l’indépendance s’explique par la domination coloniale, qui restreint l’intervention de la
puissance mandatrice puis tutrice à des secteurs stratégiques au regard de ses seuls
intérêts. Après l’indépendance, l’Etat est occupé à assoir son autorité et ne donnait pas la
possibilité de diversifier ses interventions au sein de la société. Seule la libéralisation des
années 90 permettra une augmentation de ces interventions policières.

2. Un nombre progressivement accru

Si le nombre de polices spéciales semble avoir relativement stagné au cours des


décennies 60 et 70, en raison de la présence d’un Etat essentiellement interventionniste,

1567
Arrêté du 21 janvier 1932 réglementant l’inspection des établissements dangereux, insalubres ou
incommodes (J.O., février 1932, p. 125).
1568
A revoir

460
ce nombre a connu une certaine augmentation vers la fin des années 80, pour
brusquement exploser à partir du début des années 90. Cette explosion du nombre des
polices spéciales correspond à partir de cette date, à une évolution de la figure d’Etat,
qui, d’interventionniste, se mue en un état régulateur. Cette figure lui permet, bien qu’en
se retirant progressivement de la sphère économique, d’y garder une certaine main mise
au moyen d’une réglementation, laquelle tient pour l’essentiel en des réglementations de
police. Ceci permet donc en même temps, de favoriser l’initiative privée, dans un
environnement de plus en plus libéralisé et de réguler cette initiative à travers la
réglementation des différentes activités au sein desquelles cette initiative se déploie.

L’explosion du nombre de polices spéciales correspond également, ou plutôt est


favorisée par une extrême diversification de l’activité sociale et économique. Cette
diversification, qui correspond aussi à une complexification de l’environnement social
ne peut que rejaillir sur la fonction de police. En effet, « notion évolutive, fonction en
constant devenir, les polices spéciales se caractérisent ainsi par leur extrême diversité.
Multiples par essence et par vocation, elles constituent une entité complexe,
changeante, en permanente expansion. Composante d’une pluralité originelle, chaque
police spéciale satisfait alors à une exigence sociale particulière, de façon spécifique et
adaptée »1569.

Ainsi, le développement de nouvelles activités sociales et économiques favorise


ou plutôt nécessite la création de nouvelles polices spéciales sensées y faire régner la
discipline exigée par la vie en collectivité. Plus les activités se multiplient, plus les
polices spéciales sont susceptibles d’être créées pour les régler. Ceci entraine tout
d’abord une diversification des polices spéciales, et donc leur multiplication. Ceci dans
la mesure où la « pluralité constitue, en effet, une caractéristique constante des polices
administratives spéciales. Par essence et par nécessité, elles sont multiples et ont
vocation à se multiplier. La multiplicité des polices spéciales s’analyse donc, à la fois
comme la réponse et la conséquence de la multiplication des domaines à encadrer liée
à l’exigence de réglementation »1570. Aussi, ces formes d’intervention policière
apparaissent-elles « multiples, variées, en permanente adaptation partageant une

1569
M.-F. DELHOSTE, Les polices administratives spéciales et le principe d’indépendance des législations,
op. cit., p.13.
1570
M.-F. DELHOSTE, Les polices administratives spéciales et le principe d’indépendance des législations,
op. cit., p. 15.

461
même finalité ou poursuivant les objectifs différents, « associées » ou « rivales », les
polices spéciales se rencontrent »1571, pour très souvent former un tissu complexe de
relation qui rejaillissent sur l’ensemble de la fonction de police.

Que l’activité politique, économique, sociale et culturelle se soit


considérablement diversifiée au Cameroun depuis le début des années 90, est
incontestable. Ainsi, au-delà des difficultés liées à un dénombrement exact et exhaustif
de toutes les polices spéciales existant de cette période à aujourd’hui, on peut évaluer ou
plutôt estimer le nombre de polices spéciales actuel à plus d’une centaine.

En plus des facteurs d’accroissement déjà évoqués, on doit mentionner un facteur


institutionnel influant sur le nombre de polices spéciales à savoir l’augmentation sans
précédent du nombre de portefeuilles ministériels. Celle-ci a entrainé une fragmentation
de certaines polices spéciales, et donc une augmentation de leur nombre1572. L’argument
ou le facteur institutionnel n’est d’ailleurs pas dissociable de la figure de l’Etat, puisque
« dans le contexte du passage de l’Etat gendarme à l’Etat providence ayant entrainé
un élargissement des champs de l’action publique, les domaines d’intervention de la
police administrative se sont également tendus. C’est principalement ce dont
témoignent le développement et l’importance prise aujourd’hui par les polices
administratives spéciales à propos desquelles la doctrine est unanime pour reconnaître
qu’elles correspondent à un besoin ou à la volonté de dépasser ce que permet le
pouvoir de police administrative générale »1573.

Aujourd’hui, à cheval entre la figure de l’Etat providence et celle de l’État


régulateur, la situation de l’Etat camerounais ne peut que favoriser l’augmentation du
nombre de polices spéciales. Ce nombre est appelé à s’accroître encore, si l’on s’en tient
à l’évidence que la figure de l’Etat ne va pas évoluer de sitôt, et surtout à cause des
évolutions multiples et rapides qui affectent actuellement la société camerounaise1574. La
centaine de polices spéciales que l’on peut y dénombrer actuellement est donc appelée à
augmenter encore, d’abord du fait de la consolidation de la figure de l’Etat régulateur,
1571
Idem, p. 19.
1572
Bien que ceci ait surtout eu pour conséquence d’accroître le nombre des autorités de police spéciale, ce
phénomène n’a pas laissé le nombre de polices spéciales inchangé, car, dans certains domaines, l’augmentation
des autorités s’est accompagnée d’une fragmentation de la réglementation, et donc d’une démultiplication des
polices spéciales.
1573
D. GRÉGOIRE, thèse, op. cit., p. 4.
1574
En particulier du fait des conséquences de la mondialisation qui a pour conséquence d’ouvrir la société
camerounaise à des activités jusque-là inconnues et qui nécessitent donc une certaine protection.

462
qui va paradoxalement accroître le nombre des réglementations, ensuite du fait des
évolutions qui ne vont pas cesser d’affecter la société camerounaise, qui est en
construction et donc en bouillonnement perpétuel, enfin, en raison du fait que la
multiplication des polices spéciales semble être un marque distinctive des pays
développés. Or, si le Cameroun aspire à long terme à ce statut, cela ne peut que conduire
à une augmentation du nombre de polices spéciales, car les besoins de réglementations
se font plus importants au fur et à mesure que le pays se développe dans ses différents
domaines politique, économique, social et culturel. Au final, l’augmentation du nombre
de polices spéciales est le signe formel d’un expansionnisme des polices spéciales, quant
à leur fondement. Des données matérielles contribuent également à une pareille issue.

II. LES DONNEES MATERIELLES

Au-delà des données formelles, l’expansionnisme des fondements juridiques des


polices spéciales comporte des ressorts également matériels. Ces considérations
matérielles apparaissent même à certains égards plus décisives que celles formelles. Les
données matérielles sont ici relatives au contenu des polices spéciales. Ce contenu est
très souvent de nature très expansive, en raison non seulement de l’évolution du contenu
des différentes polices spéciales, mais aussi et surtout de la diversification des objets des
polices spéciales.

Les données matérielles apparaissent donc importantes dans l’analyse de


l’expansionnisme des polices spéciales. En effet, bien que à travers la création d’une
police spéciale, « le législateur peut chercher à promouvoir sur un certain ordre
dynamique, une certaine conception des relations sociales qui impliquent des choix
idéologiques ou concrets en faveur de telles libertés ou de telles catégories
sociales »1575, et que « l’ordre qui règne dans la cité est aussi, dans une certaine
mesure, le type d’ordre que le législateur a voulu instaurer »1576, et est donc
principalement basé sur une habitation formelle, la plupart de ces habilitations à agir
portent souvent sur des matières qui peuvent, comme la vie, subir des contingences de
nature à les affecter, si bien que les polices spéciales qui les prennent en charge vont de
ce fait connaître également des fluctuations ou plutôt des changements dans leurs objets.

1575
P. BRAUD, La notion de liberté publique en droit français, LGDJ, 1968, p. 422.
1576
Idem, à la même page.

463
Ces changements s’analysent donc très souvent de nos jours en un expansionnisme, qui
se manifeste soit à travers l’évolution des objets des polices spéciales, soit à travers leur
diversification.

A. L’évolution des objets des polices spéciales

Dans la plupart des cas, les objets des polices spéciales sont en perpétuelle
évolution. En effet, même pour les plus anciennes d’entre-elles, la conservation d’un
même nom ne signifie pas forcément la stagnation de leurs domaines1577. A l’image de
l’ordre public général, les ordres publics spéciaux évoluent également en fonction des
circonstances de temps et de lieux1578. Aussi, l’observation simple suffit à montrer ou à
constater que au fur et à mesure que le temps passe et que la société évolue, la plupart
des polices spéciales évoluent, se complexifient, voient leurs champs matériels respectifs
s’étendre en largeur, et même aussi en profondeur1579. Dans tous les cas, ces différentes
évolutions sont le signe du caractère vivant des polices spéciales, fondement de leur
expansionnisme. L’évolution des objets des polices spéciales peut s’analyser sur deux
plans, le plan interne et le plan externe. Le premier plan permet d’analyser chaque police
spéciale en elle-même, pour constater que même prises individuellement, les polices
spéciales sont essentiellement expansionnistes. Le second plan permet d’analyser les
polices spéciales dans leurs rapports externes, pour voir comment leur expansionnisme
peut les amener à s’entremêler, à se superposer, à s’interpénétrer pour le succès
prioritaire des exigences d’ordre.

1577
A titre illustratif la police des associations, mise en place au début de la tutelle internationale (voir décret
du 13 mars 1946 rendant applicable au (…) Cameroun la loi du 1 er juillet 1901 relative au contrat
d’association, J.O.C. 1946, p. 970) avait dans son portefeuille les associations déclarées, les associations
reconnues d’utilité publique, les associations étrangères. De nos jours, il faut y ajouter les associations
autorisées et les associations religieuses (loi n° 90/054 du 19 décembre 1990).
1578
Cette évolution peut aller jusqu’à détacher les polices spéciales de leur conception originelle, les détachant
ainsi du moule idéologique originel qui les avait vu ou fait naître. C’est donc à juste titre que M. MAILLARD
DESGRÉES DU LOÛ peut écrire concernant le cas français que « l’Etat libéral du 19e siècle a laissé paraître
de nombreuses polices spéciales ; l’Etat du 20e siècle aussi : ce ne sont pas forcément les mêmes ». « Dans
l’Etat libéral d’aujourd’hui, des institutions libérales sont accordées à de nouvelles idées d’œuvre ». V. à ce
sujet : D. MAILLARD DESGRÉES DU LOÛ, thèse, op. cit., p. 212.
1579
L’approfondissement des exigences des polices spéciales s’apprécie au regard de leur caractère libéral ou
autoritaire. Dans un contexte autoritaire, les exigences des polices spéciales sont appelées à s’approfondir,
c’est-à-dire à être plus rigoureuses.

464
1. Une évolution interne

L’évolution dont il s’agit ici est celle qui se fait à l’intérieur d’une police spéciale,
prise individuellement. En effet, on peut observer que dans la plupart des cas, les polices
spéciales subissent l’effet du temps et sont donc appelées très souvent à évoluer dans le
sens d’une expansion surtout dans la société contemporaine marquée par la complexité.
De plus, cette expansion semble inscrite dans la logique même de la police spéciale. Car,
« lorsqu’elle limite, l’autorité de la police (générale) ne doit jamais s’inspirer d’autres
motivations que celles du maintien de l’ordre public au sens juridique du terme »1580 ;
c’est-à-dire essentiellement, de la trilogie municipale. « En revanche, le législateur peut
chercher à promouvoir un certain ordre dynamique, une certaine conception des
relations sociales qui impliquent des choix idéologiques ou concrets en faveur de telles
libertés ou de telles catégories sociales »1581. Ainsi, les exigences sociales prises en
charge par les différentes polices spéciales étant naturellement évolutives et dans la
plupart des cas de nos jours expansives, modifient ainsi les perspectives de départ et
étendent ou approfondissent les exigences des polices spéciales correspondantes.
Plusieurs exemples permettent d’illustrer cette réalité.

L’un des exemples les plus topiques de la réalité ici présentée est celui de la
police des médias. Bien que l’expression ne soit pas juridiquement consacrée ici 1582, elle
peut néanmoins être utilisée pour désigner la police qui s’applique au secteur de
l’information et de la communication. Cette police a connu, de sa création jusqu’à ce
jour, une évolution fulgurante qui a vu son champ matériel s’étendre, au point où elle n’a
plus rien à voir avec la police spéciale de départ. En effet, lorsqu’elle est instituée ici au
début du mandat, à travers la promulgation sur le territoire de la loi française du 29
juillet 1881 sur la liberté de la presse1583, son champ matériel est relativement restreint,
puisqu’il est constitué de l’imprimerie et la librairie1584, la presse périodique1585,

1580
P. BRAUD, La notion de liberté publique en droit français, op cit, à la même page.
1581
Idem.
1582
Aucun texte n’emploie l’expression « police des médias » la doctrine elle-même semble rechigner à
employer l’expression. Elle préfère employer l’expression « contrôle administratif des médias », voir par
exemple G. PEKASSA NDAM, « Les « Habits neufs » du contrôle administratif des organes d’information
depuis la réforme de 1990 », RISA, Vol 70 (3), 2004 pp. 589-606.
1583
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est rendue applicable au Cameroun par le décret du 27
octobre 1923. Voir J.O.C., 1924, p. 9.
1584
Article 1er à 4, les articles 3 et 4 ont été abrogés par un décret du 17 juillet 1946 (J.O.C., 1946, p. 980).
1585
Article 5 à 14 de la loi du 29 juillet 1881

465
l’affichage1586, le colportage et la vente sur la voie publique1587. Au regard de son champ
matériel ainsi décliné, on peut dire que cette police porte essentiellement sur les médias
écrits. Mais l’évolution des moyens de communication va permettre de défier ou plutôt
de faire évoluer profondément le champ matériel de cette police. En effet, si à
l’indépendance, le jeune Etat reste tout d’abord cantonné à une conception classique de
la notion de média, en considérant cette dernière uniquement comme synonyme de
presse1588, l’évolution de la communication par la radio et l’avènement de la télévision
permettront une extension de la police de médias à un secteur audiovisuel à travers la loi
n° 87 du 17 décembre 1987 fixant le régime de la communication audio-visuelle au
Cameroun. On peut penser que cette loi a voulu créer une police spéciale de la
communication audio-visuelle, distincte de la police de la presse, en raison justement de
la séparation des régimes juridiques, contenus en plus dans deux lois distinctes1589. Mais
très vite, ce doute sera levé à la faveur de l’unification de cette police au moyen de la loi
n° 90/052 du 19 décembre 1990 portant liberté de communication sociale. Cette loi
consacre donc une véritable extension de cette police puisqu’elle porte désormais sur la
communication par l’écrit à savoir l’imprimerie, la librairie1590, la presse1591, l’édition1592,
la distribution1593 et l’affichage1594 et la communication audio-visuelle à savoir la radio et
la télévision1595. L’importance de cette police est encore plus grande de nos jours en
raison de la libéralisation du secteur de la communication audiovisuelle1596. L’expansion
de cette police spéciale débouche d’ailleurs de nos jours sur sa complexification, au
point où l’autorité principale qui en est chargée s’est vue aidée par la mise en place,
concomitamment à la complexification de cette police, d’un Conseil National de la
Communication1597. On peut en plus de cette expansion, s’interroger sur son caractère

1586
Articles 15 à 17
1587
Articles 18 à 22
1588
Voir dans ce sens la loi n° 66-LF-18 du 21 décembre 1966 sur la presse.
1589
Le régime de la presse écrite étant fixé par la loi de 1966 suscitée, tandis que celui de la presse
audiovisuelle sera déterminé par la loi n° 87-13 du 17 décembre 1987 (J.O.C., 15 janvier 1988, p. 1).
1590
Articles 1 et 2 de la loi n° 90/052.
1591
Articles 5 à 24.
1592
Articles 25 à 29.
1593
Articles 30 à 32.
1594
Articles 33 à 34.
1595
Articles 35 à 45. Cf. supra
1596
Cf. supra.
1597
En particulier, le contrôle des médias sociaux semble échapper autant au contrôle de la police des médias
qu’à celui de la police des télécommunications, puisque ce type de médias se trouve en fait à cheval entre ces
deux polices. Quant à la police de la cybersécurité et de la cybercriminalité, elle semble ne concerner qu’un
aspect de l’activité des réseaux sociaux, à savoir celle liée à la lutte contre la cybersécurité et la

466
définitif au regard des développements qui ne cessent d’affecter ce secteur comme
l’illustre ce qui est aujourd’hui appelé les médias sociaux, et dont la non maîtrise montre
bien que le dispositif de police actuellement mis en place n’est pas tout à fait
satisfaisant1598. Dans tous les cas, cela montre bien le caractère évolutif de cette police
spéciale, évolution caractérisée par une véritable expansion. La police des médias n’est
pas la seule illustrative de l’expansion interne des polices spéciales. On peut en dire de
même de la police des télécommunications qui, si au départ ne concernait que le
téléphone filaire, doit intégrer aujourd’hui ce que l’on a qualifié à un moment de
nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), et qui étend
considérablement le domaine de cette police spéciale1599.

Egalement, la police des établissements classés dangereux, insalubres ou


incommodes a vu son champ s’tendre. Si avant elle ne s’appliquait qu’aux
« établissements qui présentent des causes de danger ou des inconvénients, soit pour
la sécurité, la salubrité ou la commodité du voisinage, soit pour la santé publique, soit
pour l’agriculture ou la pêche »1600, désormais, « dans le respect des principes de
gestion de l’environnement et de protection de la santé publique »1601 elle régit « les
usines, les ateliers, les dépôts, les chantiers, les carrières et, de matière générale, les
installations industrielles artisanales ou commerciales, exploitées ou détenues par
toute personne physique ou morale, publique ou privée, et qui présentent au peuvent
présenter soit des dangers pour la santé, la sécurité, la salubrité publique
l’agriculture, les nature et l’environnement en général, soit des inconvénients pour la
commodité du voisinage »1602, ceci, sans compter que l’autorité chargée de cette police

cybercriminalité. Pour ce qui concerne par exemple la dimension informative et communicative de ce type de
médias, il est à craindre que le dispositif juridique actuellement en place soit inadapté, et laisse donc une
importante partie de l’activité des médias sociaux incontrôlée. D’où les mesures extrêmes des pouvoirs publics
consistant purement et simplement à couper l’accès à ces médias lorsqu’ils se sentent débordées par leur
utilisation. Il est vrai que d’un point de vue technique, le contrôle ici souhaité pose un véritable défi.
1598
Au départ, cette police a pour domaine uniquement le téléphone filaire et le télégraphe.
1599
Cette extension se fait prioritairement autour du développement de la téléphonie cellulaire, à la faveur de la
libéralisation du secteur des télécommunications à l’aube des années 1990. Lire à ce sujet : R. M. MVOGO
BELIBI, La libéralisation du secteur des télécommunications au Cameroun. Chronique juridique d’un
processus complexe, Mémoire de DEA en Droit public fondamental, 2002 - 2003, 110 p.
1600
Art. 1er décret n° 76-372 au 2 septembre 1976 portant réglementation des établissements dangereux
insalubres ou incommodes.
1601
Art. 1er loi n° 98/15 du 14 juillet 1998 relative aux établissements classés dangereux insalubres ou
incommodes.
1602
Art. 2 de loi n° 98-15.

467
peut aussi contrôler des établissement non classé dans le nomenclature législative1603.
Mais les polices spéciales évoluent aussi d’un point de vue externe.

2. Une évolution externe

L’expansion des polices spéciales ne s’analyse pas qu’au plan interne. Elle est
observable également au plan externe. Cette évolution externe des polices spéciales,
signe de leur expansion, débouche ou favorise des relations ou plutôt des empiétements
entre polices spéciales. En effet, ces rencontres entre polices spéciales appelées par
certains concours de polices spéciales, qu’elles soient harmonieuses ou conflictuelles,
sont la marque du dynamisme des polices spéciales. En France, ces concours de polices
spéciales sont résolus par le principe jurisprudentiel de l’indépendance des
législations1604 qui rejette tout empiétement d’une législation de police spéciale sur une
autre.

Mais ici, un tel principe n’existe pas, ce qui n’est pas anodin. En fait, la priorité
étant ici accordée aux exigences liées au maintien de l’ordre public, le droit positif
accorde plus de faveur à l’élaboration de réglementations de polices plutôt qu’à leur
articulation. Si bien que les rencontres entre polices spéciales foisonnent au sein du
système juridique, les unes se retrouvant sur le terrain des autres, en raison non
seulement du souci prioritaire d’ordre déjà mentionné, mais aussi et surtout de
l’évolution sociale, car, ici comme ailleurs, « l’élargissement progressif des domaines
d’intervention de l’homme a suscité l’amplification de l’activité normative »1605.
Beaucoup plus prégnant de nos jours du fait de la diversification et de la
complexification de l’activité humaine, ce phénomène conduit très souvent ici la plupart
des polices spéciales à évoluer dans un système d’entremêlement et d’expansion les unes
sur le terrain d’autres, pour le seul profit des exigences liées au maintien de l’ordre
public. Plusieurs exemples permettent de l’illustrer.

D’abord, on voit fleurir dans les réglementations de polices spéciales des


expressions du type : tels pouvoirs seront exercés « de concert avec », ou « en
collaboration avec », ou « en concertation avec » etc, soit les administrations

1603
Art. 41 de la loi n°98-15.
1604
Cf. M. F DELHOSTE, Les polices administratives spéciales et le principe d’indépendance des législations,
op. cit., pp. 24-29.
1605
Idem, p. 24.

468
compétentes, soit les autorités chargées de telle ou telle compétence. Ensuite, l’un des
exemples topiques de cette évolution externe des polices spéciales est celui de la police
de l’environnement. La création de cette police, bien que récente, s’est accompagnée
d’une évolution fulgurante de cette dernière, au point où elle a essaimé dans la plupart
des champs de l’activité sociale. Aussi s’est-elle étendue naturellement, à la police des
établissements classés dangereux insalubres ou incommodes1606 à la police des débits de
boissons1607, à la police semencière1608, à la police des engrais1609, à la police des
ports1610, à certains aspects des polices du domaine public, à l’instar de la police de la
conservation du domaine public1611, à la police des forêts1612 à la police faunique1613, à la
police sanitaire1614, à la police de l’aménagement et du développement durable de
territoire1615, à la police touristique1616, à la police sanitaire vétérinaire1617, à la police de
l’eau1618 etc. La police environnementale n’a donc pas cessé de s’étendre, au point où
elle semble présente partout à la fois. Au-delà de l’effet de mode qui semble
correspondre au succès actuel des valeurs environnementales, il semble que cette
expansion sans précédent du discours sur les exigences environnementales corresponde
néanmoins à une véritable demande sociale. Mais dans tous les cas, la police spéciale qui
prend ces exigences en charge semble définitivement marquée du sceau de l’expansion,

1606
Ce n’est pas un hasard si la loi qui fixe le régime de cette police précise, d’entrée de jeu que les
établissements dangereux, insalubres ou incommodes sont régis « dans le respect des principes de gestion de
l’environnement ».
1607
Les conditions d’hygiène qui sous-tendent l’exploitation des débits de boissons visent certes indirectement,
mais certainement les exigences de respect des normes environnementales.
1608
Un certain nombre de normes environnementales sous-tendent en effet la production et l’utilisation des
semences.
1609
La police des engrais est en effet stricte sur le respect des normes environnementales relatives à la
protection des sols, des eaux etc.
1610
Notamment en ce qui concerne la répression de la pollution.
1611
Par exemple, le domaine public viaire doit être maintenu dans des conditions de salubrité et d’hygiène de
nature à garantir un environnement sain à tous les usagers.
1612
La forêt est incontestablement au cœur de la politique de gestion de l’environnement, notamment dans les
pays tropicaux à l’instar du Cameroun, où elle permet de réguler les problèmes climatiques.
1613
Le maintien d’un écosystème complet permet en effet, à travers la protection de certaines espèces, de
garder l’environnement dans un Etat naturel, propre à assurer la qualité de la vie.
1614
La police sanitaire est ici concernée au premier chef, puisque la qualité de la santé est conditionnée par la
qualité de l’environnement.
1615
Cette police spéciale vise en effet entre autres la préservation de l’environnement et la lutte contre les effets
néfastes des changements climatiques. Il se situe donc au cœur de la politique nationale de la préservation de
l’environnement, ce d’autant plus qu’elle porte en son sein la notion de développement durable qui met en
avant les exigences environnementales.
1616
La police touristique vise en effet entre autres la protection et la sauvegarde des valeurs touristiques,
culturelles nationales, ainsi que l’environnement.
1617
Cette police on le sait vise la garantie de la santé animale et cette dernière passe aussi et surtout par la
réunion d’un certain nombre de facteurs environnementaux.
1618
La police de l’eau est incontestablement au cœur de la protection de l’environnement, à travers notamment
la lutte contre la pollution des eaux.

469
une expansion sans limite, au point où on peut se demander si l’environnement ne
devrait pas tout simplement rentrer dans le champ de la police générale, en tant que
catégorie de l’ordre public. Mais il semble que ce ne soit pas encore souhaitable, du
moins au regard de l’insignifiance politique de cette exigence pour le gouvernement en
place1619.

Enfin, d’autres polices, à l’image de la police environnementale connaissent de


nos jours une évolution qui les conduit à investir les champs ou les exigences prises en
compte par d’autres polices spéciales. Il en est ainsi de la police sanitaire, qui recoupe de
nombreuses polices spéciales à l’instar de la police pharmaceutique1620, la police
alimentaire1621, la police des établissements classés dangereux insalubres ou
incommodes1622, la police gazière1623, la police de l’électricité1624, la police des
spectacles1625, la police des personnes handicapées1626, la police des activités physiques
et sportives1627, etc. Toutes ces polices qui recoupent la police sanitaire sont tenues de
prendre en compte ses exigences, et manifestent donc l’expansion externe de cette
police. On est donc là loin des polices sanitaires d’avant l’indépendance et même des
premières années de l’indépendance, qui visaient prioritairement à lutter contre les
épidémies, les endémies et épizooties1628.

1619
Il ne s’agit pas de dire ici que la question environnementale n’a pas une importance politique, mais de
souligner que pour le moment, au plan politique, elle ne fait pas partie des enjeux majeurs pour le pouvoir en
place.
1620
La police pharmaceutique fait partie intégrante de la police sanitaire, car il n’y a pas de santé sans la
possibilité de se soigner à l’aide de produits pharmaceutiques. Sur l’exercice de la profession de pharmacien,
voir la loi n° 90/035 du 10 août 1990.
1621
La santé et l’alimentation sont en effet intimement liées, la seconde étant une condition de la première. Et
ce n’est pas un hasard si la loi n° 2011/008 du 6 mai 2011 d’orientation pour l’aménagement et le
développement durable du territoire évoque la notion de « santé alimentaire ».
1622
Cette police est régie par le principe de protection de la santé publique. Art. 1 er loi n°98/15 du 14 juillet
1998.
1623
L’exploitation, le transport, le stockage et la vente du gaz doit se faire dans le respect des normes de santé
publique.
1624
Selon l’article 2 de la loi n° 2011/022 du 14 décembre 2011 régissant le secteur de l’électricité au
Cameroun, « le service public de l’électricité concourt à la cohésion sociale, à lutte contre les exclusions au
développement équilibré du territoire dans le respect de l’environnement, à la recherche et au progrès
technologique, ainsi qu’à la défense et à la sécurité publique ».
1625
Notamment pour s’assurer que les salles des spectacles respectent les règles de sécurité et d’hygiène de
nature à garantir la santé de ceux qui y ont accès.
1626
En visant la prévention du handicap, cette police met au goût du jour les exigences sanitaires.
1627
Dans la mesure où les activités physiques et sportives constituent « un facteur important d’équilibre
mental, de préservation du capital santé » art. 2 (1), loi n° 2011/018 du 15 juillet 2011 relative à
l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.
1628
Par exemple, Arrêté relatif à l’isolement des lépreux du 25 octobre 1925 (J.O.C., novembre 1925, pp. 488 à
489.) ; Arrêté concernant les mesures à prendre pour prévenir et faire cesser les maladies épidémiques, du 25
octobre 1917, J.O.T.O.A.C., 1918, pp. 200-202.

470
Dans la même logique, on peut évoquer la récente police d’aménagement et de
développement durable du territoire qui semble faire la synthèse de plusieurs autres
polices spéciales, puisqu’elle est en charge de « l’amélioration des conditions de vie
dans les zones rurales et l’optimisation de l’affectation des sols, la préservation de
l’environnement et la lutte contre les effets néfastes des changements climatiques, la
promotion et la préservation de la santé alimentaire, l’atténuation de l’exode rural, le
désenclavement intérieur et extérieur du pays »1629. Un domaine aussi vaste ne peut que
favoriser l’expansion de cette police, ce d’autant plus que « la politique nationale
d’aménagement et de développement durable du territoire concourt à l’unité de la
nation, aux solidarités entre citoyens et à l’intégration des populations »1630. Un
véritable programme. L’évolution externe des polices spéciales ne cache pas un autre
phénomène tout aussi important dans l’expansionnisme matériel des polices spéciales, à
savoir en diversification de leurs objets dans la société actuelle.

B. La diversification des objets des polices spéciales

Les matières sur lesquelles les polices spéciales portent ont varié à travers le
temps. « L’histoire des polices administratives spéciales est ainsi le fruit et le reflet de
l’histoire d’une société »1631. Il existe donc ainsi un lien étroit entre une société et les
polices spéciales qui existent en son sein. C’est pourquoi « les qualités conférées aux
normes d’encadrement ainsi que les matières régies, ont alors varié en fonction des
données sociologiques propres à chaque phase de transformation de la société »1632. Le
Cameroun n’est pas en marge de ces différentes réalités, aussi peut-on faire le constat
d’une diversification des objets des polices administratives spéciales dans l’histoire du
droit positif de ce pays. En effet, quand on observe les données matérielles de l’évolution
des polices spéciales ici, on s’aperçoit que l’on est parti d’un tout petit nombre de polices
spéciales, portant sur des objets classiques, pour un très grand nombre de polices
spéciales portant sur des matières plus modernes.

1629
Article 7, loi n° 2011/008
1630
Article 2, loi n° 2011/008
1631
M.-F. DELHOSTE, Les polices administratives spéciales et le principe d’indépendance des législations,
op. cit., p. 16.
1632
Idem, pp. 15-16.

471
1. Le classicisme des objets initiaux

La Grande Bretagne et la France ayant pris possession du Cameroun à l’issue de


la première guerre mondiale, et cette prise de possession ayant été transformée
juridiquement lors de la Conférence de Versailles en un mandat de la SDN, la France
introduit donc dès cette période le droit administratif au sein de ce territoire, et partant,
les premières polices spéciales. Celles-ci sont le reflet à la fois des préoccupations de
puissance publique qui sont en vigueur au sein de la métropole, vestige de l’ère
monarchique1633, et de l’impérieuse nécessité d’assurer l’ordre au sein du territoire
nouvellement conquis, un ordre qui favorise le succès de la mission « colonisatrice » de
la France sur le territoire Cameroun. La doctrine souligne pertinemment ces caractères
des premières polices spéciales, lorsqu’elle soutient que « Dès l’aube du siècle dernier,
la grande majorité des polices spéciales, sinon la totalité, trahissait des
préoccupations de puissance publique fréquemment héritées de la monarchie
absolue ; sûreté générale, et protection du domaine public demeurant leur visées
essentielles. La police spéciale s’analysait ainsi en un droit imprescriptible et
inaliénable pour l’Etat d’assurer l’ordre et de protéger son domaine »1634. Appliquée
aux territoires sous mandat, cette vue doctrinale montre bien que la France, puissance
mandatrice a pour principal souci, à travers les premières polices spéciales non
seulement d’assurer l’ordre au sein du territoire, mais aussi et surtout d’y garantir ses
intérêts économiques, politiques et culturels. D’où le classicisme des objets des
premières polices spéciales.

Le premier de ces objets peut être synthétisé à travers le concept de sûreté


générale. La plupart des polices spéciales mises en place à cette époque sont des polices
visant à garantir la sûreté générale. Sûreté au plan sanitaire tout à bord, à travers la police
de l’hygiène et de la salubrité1635, la police épidémiologique1636, la police sanitaire des
animaux1637, la police sanitaire de végétaux1638, la police des ordures ménagères1639, la

1633
Ibid., p. 11.
1634
Ibid., à la même page.
1635
Arrêté du 1er octobre 1937 fixant les règles générales d’hygiène et de salubrité publique à appliquer dans
le territoire du Cameroun sous mandat français (J.O.C., 15 octobre 1937, pp. 860-868).
1636
Arrêté du 25 octobre 1917 concernant les mesures à prendre pour prévenir et faire les maladies
épidémiques, op cit.
1637
Décret du 16 décembre 1924 portant réglementation de la police sanitaire des animaux dans les territoires
du Cameroun (J.O.T.O.A.C., 1er mars 1925, pp. 118-121)

472
police sanitaire maritime1640, la police des eaux stagnantes1641. Sûreté au plan politique à
travers la police des réunions1642 et associations1643, la police des manifestations1644, la
police de la presse1645, la police de la propagande étrangère1646, la police des
étrangers1647, la police de l’ivresse publique et des débits de boisson 1648, la police des
boissons alcooliques1649, police des spectacles1650, police du cinéma1651, police des
cultes1652, police des publications destinées à la jeunesse1653, police des armes de feu1654,
etc. Toutes ces polices spéciales, qu’elles soient rattachées au domaine sanitaire, ou au
domaine politique, sont entièrement orientées vers la sûreté générale du territoire,
laquelle sûreté est la condition nécessaire pour assurer à la puissance mandatrice
d’exploiter économiquement les richesses du territoire. C’est pourquoi au-delà de ces
polices de la sûreté générale, existent des polices à objet économique, destinées
principalement à permettre à la puissance dominatrice de faire usage des richesses de
territoire. On peut ainsi évoquer la police des marchés1655, la police de la qualité des
produits, la police de l’abattage, les polices du domaine public, la police des prix poids et

1638
Arrêté du 7 décembre 1996 relatif à la prospection du bananier contre la maladie de Panama ; J.O.C., 1er
mars 1927, p. 128.
1639
Arrêté du 12 septembre 1919 sur la voirie ; Arrêté du 29 juin 1925 réglementant l’enlèvement des ordures
ménagères à Douala, (J.O.C., 15 juillet 1925, p. 153)
1640
Décret du 7 juin 1922 portant règlement de police sanitaire maritime aux colonies (J.O.C., 15 juin 1922,
p…
1641
Arrêté du 1er décembre 1916 relatif aux eaux stagnantes dans l’intérieur des villes et dans les centres
européens des territoires occupés de l’ancien Cameroun (J.O.T.O.A.C., 1916, pp. 14-16)
1642
Loi au 30 juin 1881 sur la liberté de réunion, rendue applicable au Cameroun par le décret n° 46/718 du 11
avril 1916, lequel est promulgué au Cameroun par arrêté n° 46-718 du 11 avril 1916 (J.O.C.F. 1er octobre 1946,
p. 252)
1643
Loi du 1er juin 1901 relative au contrat d’association, rendue applicable au Cameroun par Décret du 16
avril 1946, (J.O.C.F. 1er octobre 1946, p. 972) ; Décret du 16 août 1901 portant règlement d’administration
publique pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901, in Code Pénal, annexes, Ordres et libertés, p. 872.
1644
Arrêté du 31 mai 1933 relatif aux rassemblements et manifestations sur la voie publique (J.O.C., n° 314, 15
juin 1933, p. 390) ; Arrêté du 18 août 1934 relatif aux rassemblements, manifestations sur la voie publique et
cérémonies extérieures de culte (JOC, 1er sept 1934, p. 622).
1645
Loi du 29 juillet 1881 précitée.
1646
Décret-loi du 21 avril 1939 tendant à réprimer les propagandes étrangères (J.O.C., 1939, p. 529).
1647
Décret du 7 octobre 1930 réglementant les conditions d’admission et de séjour au Cameroun des nationaux
français et étrangers, précité.
1648
Loi du 1er octobre 1917 sur la répression de l’ivresse publique et sur la police des débits de boissons,
précitée
1649
Décret du 24 mai 1931 portant réglementation du régime de l’alcool au Cameroun, (J.O.C., 1er juin 1931,
p. 1
1650
Arrêté du 25 octobre 1948 fixant les règles générales de sécurité, d’hygiène et la police dans les salles de
spectacle des centres de Douala et de Yaoundé (J.O.C., 1946, p. 1206)
1651
Idem
1652
Décret du 28 mars 1933 réglementant le régime des cultes dans les territoires du Cameroun sous mandat
français, précité.
1653
Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, précitée.
1654
A revoir
1655
Arrêté du 20 mai 1919 fixant la police des marchés dans les centres des territoires occupés du Cameroun.

473
mesures, la police de l’élevage, la police alimentaire, la police de la chasse, la police des
établissement classés dangereux, insalubres et incommodes, la police de la navigation,
etc1656.

Mises donc en place au lendemain de la première guerre mondiale, ces polices qui
se distinguent par le classicisme de leurs objets, vont perdurer pendant toute la période
du mandat et la tutelle, avec néanmoins une certaine évolution à partir de la tutelle. En
effet, la deuxième guerre mondiale ayant profondément marqué la société
internationale, les Etats voient de plus en plus la nécessité de mettre l’homme au centre
des politiques publiques. D’où un allégement relatif de la plupart de ces règlementations
de police spéciale. Elles ne visent plus prioritairement à assurer les intérêts de la
puissance tutrice, mais elle prend aussi en compte ceux des populations indigènes. Cette
amorce libérale se poursuivra jusqu’à la phase d’autonomie interne du territoire. Mais à
partir de cette période la prise en main progressive du futur Etat par des dirigeants
locaux et la lutte sanglante pour l’indépendance mettront un coup d’arrêt à et élan
libéral. A partir de cette période, la police administrative revêt les oripeaux de la crise et
est essentiellement exercée par des moyens exceptionnels. Cette police administrative
d’exception, on l’a vu, fait primer l’ordre public général sur les ordres publics spéciaux
et donc une absorption des polices spéciales par la police générale. C’est ce qui explique,
pendant toute cette période qui va de la fin des années 50 à la fin des années 80 un faible
développement des polices spéciales. La plupart de ces polices héritées alors des
périodes du mandat et de la tutelle vont prendre un visage outrageusement autoritaire au
point où ici, classicisme des objets semble rimer avec autoritarisme des régimes. C’est
cette situation qui perdurera jusque dans les années 1990.

La plupart des polices spéciales en vigueur dans les premières années de


l’indépendance se caractérisent donc par le classicisme des leurs objets, c’est-à-dire des
matières qu’elles prennent en charge. En effet, elles sont rattachées très souvent à l’une
des composantes de l’ordre public général, à savoir la sécurité, la tranquillité ou la
salubrité. Les polices sanitaires par exemple mises en place à l’époque du mandat sont
rattachables à la salubrité, puisque l’hygiène et la salubrité sont considérées ici comme
des conditions de la santé publique. De même, la santé elle-même est appréhendée
comme intimement liée à la sécurité d’où les succès de l’expression même de sécurité
1656
Sur toutes ces polices : Cf. supra.

474
sanitaire. Les polices que nous avons qualifiées de politique ont pour leur part tout à voir
avec la sécurité et la tranquillité. En effet, la sécurité est la valeur cardinale autour de
laquelle gravitent la plupart des polices spéciales en vigueur ici, comme la police de la
presse, la police des réunions et manifestations publiques, la police des associations, la
police des étrangers, etc. Ce n’est pas un hasard si toutes ces polices sont créées pour
garantir la sécurité ou la sûreté de l’État. En tout cas, l’atteinte à la sûreté de l’État y
règne comme une épée de Damoclès contre toute personne susceptible d’enfreindre les
règles posées par ces polices administratives spéciales.

De même, ces polices politiques ont également à voir avec la tranquillité, qui ne
doit pas être perçue ici uniquement au sens matériel, à savoir à l’absence des bruits. La
tranquillité à laquelle ces polices spéciales sont rattachées est la tranquillité qui se
rapproche de la paix, qui est synonyme de paix. Et ce n’est pas également un hasard, si
l’on a vu émerger en plein succès un concept comme celui de paix. Ladite paix à un
contenu immatériel et situé. Elle s’apparente à l’absence de contestation. On comprend
donc pourquoi dans le domaine de la police des réunions et manifestations publiques par
exemple, on assiste presque systématiquement à l’interdiction des manifestations
susceptibles de contester l’ordre politico administratif établi, pour atteinte à l’ordre et à
la paix publics. Une telle conception de la tranquillité ne peut qu’être immatérielle. Il
n’est pas jusqu’aux polices spéciales que nous avons qualifiées d’économique qui ne
soient rattachables à la notion d’ordre public. Elles relèvent alors de ce que l’on pourrait
qualifier ici d’ordre public économique d’où la notion de sécurité n’est sans doute pas
absente. Ce sont toutes ces considérations qui consacrent le classicisme des objets
initiaux des polices spéciales. Ils ne sont pas si éloignés, ces objets de la police générale.
Mais de nos jours, même si elles continuent d’exister, ces polices sont de nos jours
« concurrencées » par des polices plus modernes par leurs objets, des objets qui n’ont
pratiquement rien à voir avec l’ordre public classique.

2. Le modernisme des objets finaux

Les polices spéciales qui sont créées de nos jours se caractérisent par le
modernisme de leurs objets. Ces derniers sont sans commune nature avec ceux des
premières polices spéciales. Dans la plupart des cas même, les polices spéciales de nos
jours portent sur des objets inédits. De nos jours, « l’élargissement, progressif des

475
domaines d’intervention de l’homme a suscité l’amplification de l’activité normative.
Activité sociale fondamentale, elle a ainsi été appelée à se développer conformément à
la diversification croissante des exigences posées par l’homme »1657. Cette
diversification de l’activité sociale a donc entraine une multiplication de polices
spéciales. Mais, cette multiplication n’a eu l’ampleur qu’elle a de nos jours que parce
que de nouveaux objets, de nouvelles matières, de nouvelles exigences sociales, plus
modernes se sont imposées comme nécessitant une protection de la part de la puissance
publique, au moyen du procédé des polices administratives spéciales. En effet, dans la
logique de l’activité normative des pouvoirs publics, les règlementations de police
spéciales sont censées être élaborées au fur et à mesure que les nécessités de l’activité
sociale s’imposent comme telles. Les polices spéciales sont donc des instruments qui
permettent de tester ou de mesurer l’évolution de l’activité au sein d’une société.
Assurément donc « la novation paraît être l’apanage des polices spéciales et la
stabilité, le lot de la police municipale générale de l’ordre public »1658. Les polices
administratives spéciales s’imposent donc ainsi comme des éléments de modernité, car,
« l’évolution philosophique et structurelle du corps social suscite de nouvelles
réglementations de fonctionnement. Elle induit la mise en place d’un ordre juridique
nouveau. L’instauration de polices administratives spéciales correspond ainsi à un
ordre juridique particulier »1659, car, « nouveau , supérieur et évolutif (…) nouveau
par l’altération des rapports traditionnels d’autorité et d’égalité qui s’établissent
nécessairement dans le fonctionnement de la machine administrative (…)
supérieur(…) d’une part, en raison du caractère de réglementations d’organisation
fonctionnelle des libertés que revêtent les polices spéciales par rapport à l’aspect de
réglementations accidentelles des libertés caractéristiques des polices générales,
d’autre part, en raison de la primauté, des polices spéciales (…) évolutif dans la
mesure où les polices spéciales sont particulièrement bien adaptées aux situations les
plus diverses ainsi qu’à leur objet »1660.

1657
M.-F. DELHOSTE, La police administrative spéciale et le principe d’indépendance des législations, op.
cit., p. 24.
1658
P. BON, La police municipale, op. cit., p. 192.
1659
M.-F. DELHOSTE, La police administrative spéciale et le principe d’indépendance des législations, op.
cit., note 56.
1660
G. GAILLARD, Les polices spéciales au droit administratif, thèse Grenoble, 1977, pp. 18-19.

476
Dans le Cameroun d’aujourd’hui, un peu comme dans la France de la seconde
moitié du XIXe siècle, de plus en plus « la prise de conscience sociale par tout révélée,
dans le domaine de la pensée comme de l’action, a progressivement substitué (…) les
aspirations légitime d’un peuple épris de progrès social et économique à la volonté de
puissance d’un Etat omnipotent. (…) La police spéciale devient ainsi un devoir moral
pour l’Etat d’organiser et d’améliorer les conditions de vie de ses administrés »1661.
Même si la toute-puissance de l’Etat reste ici permanente, il n’en pêche que ce désir
d’améliorer les conditions de vie des populations est l’un des moteurs les plus fertiles de
création de nouvelles polices spéciales. Dans la même logique, l’époque contemporaine
(…) voit émerger des polices spéciales répondant à un impératif économique. Ainsi,
« les polices spéciales servent plus à des aménagements partiels, mais à des
transformations profondes du libéralisme. (…) elles visent, d’une part, à maintenir
relativement stable le niveau de vie des citoyens et, d’autre part, à défendre le cadre de
vie quotidienne contre les excès de la société industrielle »1662. La lutte contre la
pauvreté n’est pas ici absente des défis qui se posent à la société camerounaise et qui
justifie la création de nouvelles polices spéciales. Dans le même ordre d’idées, « au
cours des dernières décennies, la sauvegarde du milieu environnemental, par un
meilleur contrôle des activités humaines — notamment industrielles — s’affirme
comme un objectif prioritaire »1663. Tout ceci fait que « les normes d’encadrement
évoluent, les polices spéciales s’adaptent »1664 ou se créent. « L’impératif écologique et
l’apparition de nouveaux domaines d’activités suscitent alors l’instauration de polices
spéciales aptes à répondre aux exigences posées »1665.

Toutes ces considération favorisent une expansion considérable des polices


spéciales dans la société actuelle, avec comme dénominateur commun à l’ensemble de
ces polices spéciales nouvelles, le modernisme de leurs objets. Ces derniers sont en
rapport avec la recherche d’un certain épanouissement de l’homme à travers la recherche
d’un certain épanouissement de l’homme, à travers la recherche d’un certain bien-être
aussi bien physique que spirituel ou même intellectuel. Elles visent la maitrise des offres

1661
Idem, pp. 41-42.
1662
Ibidem, p. 52.
1663
M.-F. DELHOSTE, La police administrative spéciale et le principe d’indépendance des législations, op.
cit., p. 19.
1664
Idem, à la même page.
1665
Ibidem.

477
internes de la mondialisation, qui se manifeste par une société surmédiatisée et hyper
connectée, elles sont au cœur de l’anticipation d’un avenir qui arrive sans cesse à toute
vitesse à travers la maîtrise de l’incertain, et la mise en place d’une veille technologique
permanente dans divers secteurs. Les objets de police spéciale de nos jours, transgressent
les lois de la nature solide, liquide ou gazeuse, pour s’inscrire dans un immatériel
stressant d’incertitude et de pression sur le modèle social en constant doute, en constante
remise en cause. Les polices spéciales de nos jours et de plus en plus, vont aller en se
diversifiant et en se diffusant à travers l’insatisfaction constante et l’infini de l’agir
social. Leurs fondements tant théoriques que juridiques, en contribuant à leur expansion
sans fin, confirment, avec l’absolutisme du fondement de la police générale,
l’impérialisme qui structure les bases de la police administrative.

478
CONCLUSION DU TITRE I

Assurément, la police administrative au Cameroun comportent des bases


impérialistes. L’étude de ces bases révèle, du côté de la police générale une dimension
absolutiste qui soustrait l’ordre public général, fondement de la police générale, de tout
contrôle, tandis que du côté des polices spéciales, on a pu constater que cellles ci
reposaient sur des fondements expansionnistes. Ces traits cractéristiques des fondements
de la police administrative ne sont pas du tout neutres. Ils sont la manifestation claire de
la tendance autoritaire qui persiste au sein de cette fonction administrative. Mais ils n’en
sont pas la manifestation unique. L’étude du cadre d’exercice de la police administrative
permettra de déceler la prégance d’un étatisme indéniable, signe persistant d’un
autoritarisme matériel au sein de la police administrative, et donc au sein du droit
administratif camerounais.

479
TITRE II :

L’ETATISME DANS L’AMENAGEMENT

480
L’aménagement de la police administrative est marqué par ce que nous pourrons
appeler ici un étatisme, c’est-à-dire une extension démesurée des prérogatives de l’Etat,
une prévalence des exigences liées au maintien de l’ordre public, par rapport à celles
relatives à la garantie des libertés publiques. L’étatisme ici renvoie à une forme de
dirigisme qui caractérise l’action des pouvoirs publics, lorsqu’ils aménagent le cadre
d’exercice et le cadre de contrôle de la police administrative. Cet étatisme en forme de
dirigisme et donc à la fin d’autoritarisme se rencontre à tout les niveaux que ce soit
d’organisation ou de fonctionnement de cette fonction essentielle de l’Etat.

On le rencontre d’abord dans l’aménagement du cadre d’exercice de la police


administrative. Ce cadre se compose de tous les organes qui concourent à l’exercice de
la police administrative au quotidien, à savoir les autorités et les forces de police
administrative. La manière dont les pouvoirs publics aménagent le cadre ainsi composé
fait ressortir une forme de maximalisme, c’est-à-dire une extrême priorisation des
exigences liées au maintien de l’ordre public. Ce maximalisme montre bien que c’est
l’autoritarisme qui prime en ce domaine.

On rencontre également l’étatisme dans l’aménagement du contrôle de la police


administrative, que ce soit par le législateur ou par le juge lui-même. Sensé garantir les
droits des administrés, le contrôle juridictionnel tend à se muer ici en instrument
d’anesthésie de leurs espoirs de voir leurs droits pris en compte. L’aménagement du
contrôle de la police administrative prend donc ici un tour nettement minimaliste,
comme si l’administration et les juges, dans une forme de conspiration, s’étaient mis
d’accord pour réduire le contrôle de la police à sa portion la plus congrue. Il s’agit donc
à travers un tel minimalisme, de garantir une forme d’étatisme et donc d’autoritarisme.

L’une puis l’autre de ces préoccupations seront présentées successivement.

481
CHAPITRE I :

LE MAXIMALISME DANS L’AMENAGEMENT DE L’EXERCICE

482
Le trait majeur qui caractérise la détermination des autorités et la répartition des
compétences entre ces diverses autorités détentrices du pouvoir de police administrative
au Cameroun est que celle-ci se fait dans un esprit de centralisation des pouvoirs. Il faut
entendre ici par autorités détentrices du pouvoir de police « les autorités compétentes
pour édicter les actes réglementaires ou individuels tendant au maintien de l’ordre
public1666 ». Elles ne doivent donc en aucun cas être confondues avec les autorités
détentrices du pouvoir de commandement des forces de police, car les deux compétences
ne sont pas nécessairement réunies entre les mains de la même autorité1667. A titre
d’exemple, si le préfet, pour ne prendre que cette autorité, détient d’importants pouvoirs
de police, ce n’est pas lui qui est réglementairement habilité à commander les forces de
police ou de gendarmerie qu’il peut néanmoins requérir, celles-ci étant sous le
commandement direct de leurs hiérarchies respectives.

La doctrine a traditionnellement coutume de présenter les autorités de police


administrative en mettant l’accent sur la nature de leurs différents pouvoirs, c’est-à-dire
sur le fait que ceux-ci sont soit des pouvoirs de police générale, soit des pouvoirs de
police spéciale1668. L’on s’attache alors à distinguer les autorités de police générale d’une
part et les autorités de police spéciale d’autre part. Une telle présentation n’a de
pertinence que dans système parfaitement structuré, où les compétences des différentes
autorités sont parfaitement contrôlées par le juge, et où les notions de police générale et
de police spéciale sont parfaitement identifiables et suffisamment développées et
théorisées sous l’action conjuguée de la jurisprudence et de la doctrine1669. Mais dans un
système où une telle distinction n’est pas clairement établie, où l’on assiste à une réelle
hégémonie de la police générale sur les polices spéciales, dûe au fait que les polices
spéciales sont majoritairement reliées à des préoccupations de sécurité et de sûreté de

1666
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit. p. 9.
1667
Idem, à la même page.
1668
Voir sur cette présentation l’essentiel des travaux traitant de la question dans la doctrine française.
1669
Il est indiscutable que le travail de systématisation n’est pas le seul apanage de ceux que Jean RIVERO
appelle les faiseurs de système. Au-delà de la querelle ayant opposé sur ce point les juges aux universitaires, il
faut bien admettre que la jurisprudence ne peut se développer sans l’aide de la doctrine, et vice versa. C’est
donc véritablement un cœur à deux voix qui est indispensable pour la théorisation des différentes solutions
devant contribuer à la construction d’un système juridique scientifiquement accessible. Le Cameroun, bien
qu’il soit encore loin d’un pareil achèvement, laisse quand même espérer un rapide développement de la
réflexion théorique surtout en matière juridique, afin que dans un domaine tel que celui de la police
administrative qui nous intéresse ici, il soit possible à l’avenir de parvenir à une réelle rationalisation des
solutions offertes par le système juridique. Le présent travail espère très modestement y conduire.

483
l’Etat et le reflet d’une prédominance des préoccupations de puissance publique 1670, une
présentation des autorités de police administrative basée sur la distinction police
générale police spéciale pourrait être dénuée de tout intérêt, surtout lorsqu’on sait que le
pouvoir en matière de police est extrêmement centralisé et ne laisse aucune place à
l’initiative personnelle ou à un exercice libre et autonome des pouvoirs de police, y
compris par les autorités dites décentralisées1671. Dans un contexte comme celui du
Cameroun, même si c’est cette présentation qui sera retenue, le plus important n’est pas
de savoir au premier chef si une autorité de police est détentrice de pouvoirs de police
générale ou de police spéciale, mais bien, en raison de l’hypothèse de départ, de savoir,
au-delà de son identification comme autorité de police administrative générale ou
spéciale, comment son pouvoir s’insère dans le système général largement orienté vers
une centralisation de l’autorité dans cette matière de maintien de l’ordre public.

Cela dit, la question de la nature des pouvoirs ne sera aucunement occultée, mais,
simplement, elle ne sera pas première. Le critère de présentation qui sera privilégié ici
sera celui de l’étendue, ou si l’on veut de l’importance des pouvoirs1672, aussi bien en
largeur qu’en profondeur.

Mais les autorités de police administrative ne sont pas les seuls organes qui
interviennent dans l’exercice de cette fonction. Elles ont besoin, pour voir leurs mesures
concrétisées, de forces de police, couramment appelées ici les forces de maintien de
l’ordre. Rarement étudiées en droit administratif, elles sont pourtant au cœur de la mise
en œuvre de la fonction de police. C’est pour cette raison que la section 2 du prsent
chapitre leur sera consacrée.

SECTION I- LA MULTIPLICITE DES AUTORITES DE POLICE


ADMINISTRATIVE

L’exercice du pouvoir de police administrative à l’échelle nationale interpelle les


autorités centrales de l’Etat, c’est-à-dire celles dont la compétence couvrent l’ensemble
du territoire national, que ce soit dans le cadre de la police administrative générale ou

1670
G. GAILLARD, Les polices spéciales en droit administratif, Thèse, Grenoble, 1977, p. 58.
1671
Voir la section 2 du présent chapitre.
16721672
L’importance de ces pouvoirs sera évaluée évidemment à la lumière des textes octroyant aux diverses
autorités la compétence pour agir, ainsi que les différents moyens mis à leur disposition pour pouvoir remplir
leur mission.

484
dans celui des polices administratives spéciales. Ces autorités, qui appartiennent toutes
au pouvoir exécutif, se voient confier, que ce soit explicitement ou implicitement, la
mission d’assurer le maintien ou le rétablissement de l’ordre public, selon une
importance variable, mais dans le souci permanent de garantir la primauté des exigences
liées au maintien de l’ordre public. La détermination de ces autorités trahit donc dans la
structuration du système, essentiellement des préoccupations de puissance publique.

I – LE FOISONNEMENT DES AUTORITES DE POLICE GENERALE

Ce foisonnement peut être observé aussi bien au niveau national qu’au niveau
régional et local.

A – Les autorités de police générale à compétence nationale

Au nombre de ces autorités dont le dénombrement ne sera pas exhaustif1673, il faut


distinguer la place essentielle qu’occupe le Président de la République, qui apparait alors
comme un véritable « Jupiter administratif » en matière de police, au regard des
pouvoirs dont-il dispose en la matière. A cet effet, l’analyse semble révéler, à la lumière
des textes et dans une moindre mesure de la jurisprudence, la place centrale qu’occupe le
Président de la République, qui apparait comme l’autorité détentrice de l’ensemble du
pouvoir de police, les autres n’agissant que dans une forme de délégation plus ou moins
clairement affirmée. Toutefois, à sa suite, et sur un plan certes inférieur mais non moins
important, on peut identifier les autres membres du Gouvernement.

1 – Le Président de la République

La question des pouvoirs du Président de la République dans le système


constitutionnel et administratif camerounais est sans cesse débattue au sein de la doctrine
camerounaise1674. Mais l’aspect de ces pouvoirs qui nous intéresse ici est celui relatif à la
matière du maintien de l’ordre public, même si celui-ci ne peut-être étudié en
1673
En raison de leur extrême multiplicité, seules seront analysées ici les autorités dont les pouvoirs sont
essentiels pour la compréhension de l’hypothèse retenue, à savoir la multiplication des autorités de police sur
fond de centralisation du pouvoir en la matière, avec en plus l’importance considérable de ceux-ci au regard
des exigences minimes accordées aux droits et libertés des citoyens.
1674
Voir sur ce point : A. D. OLINGA, « Le pouvoir exécutif dans la constitution révisée », Lex Lata, n° 23-24,
février-mars 1996, p. 29 et s.; du même auteur, La Constitution de la République du Cameroun, op cit. ; V.
MIAFO DONFACK, « Le Président de la République et les constitutions du Cameroun », in S. MELONE, A.
MINKOA SHE et L. SINDJOUN (Dir.), La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun, op
cit., pp. 252 et s.

485
méconnaissance de ses pouvoirs généraux et de la place qu’il occupe ou du rôle qu’il
joue dans le système institutionnel tout entier. Au regard de ce rôle, la doctrine semble
unanime à reconnaitre que le Président de la République domine le système
constitutionnel et administratif tout entier, de telle sorte que certains n’hésitent pas à le
qualifier de « Jupiter constitutionnel », expression paraphrasée plus haut. Au-delà de ce
qui pourrait apparaitre pour certains comme une idée reçue, il revient ici à vérifier la
véracité de ce qui correspond à notre hypothèse de départ, dans le cadre de ce chapitre.
En effet, dire que le Président de la République est l’autorité suprême en matière de
police administrative revient à s’interroger sur l’habilitation au titre de laquelle il
intervient ou peut intervenir en matière de police. On constate ici à l’analyse que même
si cette habilitation peut apparaitre à un certain point de vue incertaine, elle est tout de
même en un autre point de vue incontestable.

a) – L’incertitude d’une habilitation explicite

L’habilitation explicite donc peut être revêtu le pouvoir de police du Président de


la République au Cameroun apparait très incertaine en raison du fait qu’il n’y a pas ici
une disposition juridique claire et précise renvoyant sans équivoque à cette autorité le
soin d’assurer cette mission d’autorité de police administrativec. Ce n’est donc qu’à la
suite de plusieurs rapprochements et déductions que l’on peut parvenir à assoir un tel
pouvoir sur des bases juridiques, bien qu’elles soient contestables par certains.

L’institution de Président de la République apparait au Cameroun après les


indépendances. En effet, c’est à la faveur de la Constitution du 4 mars 1960 que cette
institution parvient à l’existence dans le système constitutionnel camerounais. Le titre III
de ce texte fondamental est ainsi entièrement consacré à l’institution du Président de la
République. Mais dans ce texte, il n’est pas véritablement reconnu au Président de la
République des pouvoirs de police, hormis le cas de circonstances exceptionnelles prévu
par l’article 201675. Quand-à l’article 11 qui, tout en réaffirmant au Président de la

1675
Encore qu’ici, le président de la République n’exerce pas ces pouvoirs tout seul, puisque l’article est ainsi
libellé : « le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, proclamer par décret
présidentiel pris en Conseil des ministres, l’Etat d’urgence qui confère au Gouvernement des pouvoirs
spéciaux dans les conditions fixées par la loi organique qui règlera la matière ».
« Dans le cas de circonstances exceptionnelles, pouvant porter atteinte à l’intégrité de la nation, le Président
de la République peut, par décret présidentiel pris en Conseil des ministres, après consultation du président
de l’Assemblée Nationale, proclamer l’Etat d’exception, qui lui confère la responsabilité du
Gouvernement ».

486
République sa qualité de chef d’Etat, lui donne mission de veiller au respect de la
constitution et d’assurer par son arbitrage le fonctionnement des pouvoirs publics et la
continuité de l’Etat, il ne saurait en aucun cas être considéré comme instituant un
quelconque pouvoir de police, sauf à le détourner de sa véritable destination1676.

C’est sous l’empire de ce que l’on a appelé la constitution de l’Etat fédéral et qui
en réalité était intitulé loi n°61-24 du 1er septembre 1961 portant révision
constitutionnelle et tendant à adapter la constitution actuelle aux nécessités du Cameroun
réunifié1677, que le pouvoir de police du Président de la République commence
véritablement à prendre corps. Cela se fait en deux étapes. D’abord, conformément à la
technique du fédéralisme, le constituant commence par reconnaitre aux autorités
fédérales un ensemble de compétences au rang desquelles figurent clairement des
matières de police, telles la nationalité, la condition des étrangers, la sûreté intérieure et
extérieure de l’Etat fédéral, l’émigration et l’immigration 1678, le régime des libertés
publiques, le statut des personnes et des biens, la santé publique, les poids et mesures1679
etc. Ensuite, le constituant, en disposant clairement que le Président de la République
« est chargé de l’exécution des lois fédérales1680 » et même de certaines lois des Etats
fédérés1681, et qu’il exerce le pouvoir réglementaire, donne clairement, certes de manière
médiate, mais de manière incontestable, des bases constitutionnelles au pouvoir de
police du Président de la République. En effet, en lui octroyant le pouvoir d’exécution
des lois, au rang desquelles les lois de police, et en lui reconnaissant la compétence
d’exercer le pouvoir réglementaire au sens général, il lui est reconnu implicitement la
compétence d’exercer le pouvoir réglementaire de police, lequel n’en est qu’une des
déclinaisons1682. Et s’il pouvait encore y avoir un doute, le constituant enfonce lui-même

1676
En effet, cet article ne concerne que le rôle normal confié au Président de la République comme garant du
respect de la Constitution et du bon fonctionnement ainsi que de la continuité des pouvoirs publics, rôle par
ailleurs classique en toute République.
1677
La question de savoir si ce texte met en place une nouvelle constitution ou alors s’il se contente de réviser
celle du 4 mars 1960 n’est pas utile ici. Pour un aperçu de ce débat, bien vouloir consulter les travaux
spécialisés en la matière.
1678
Art. 5.
1679
Art. 6.
1680
Art. 12.
1681
En effet, une des curiosités du fédéralisme camerounais résidait dans le fait qu’après avoir procédé à la
répartition des compétences respectives de l’entité fédérale et des entités fédérées, le constituant réservait la
possibilité aux autorités de chacune des entités d’intervenir dans la sphère de compétence de l’autre. (Article 6)
Pour un aperçu des curiosités du fédéralisme camerounais, bien vouloir consulter : E. C. LEKENE
DONFACK, Le fédéralisme camerounais, Thèse Droit public, Clermont-Ferrand, 1980, 416 p..
1682
Il n’est pas sérieusement contestable que le pouvoir réglementaire général comprend le pouvoir de gestion
des services publics et le pouvoir réglementaire de police. En fait, le problème vient de ce que les règlements

487
le clou en donnant au Président de la République fédérale mission de veiller à la sécurité
intérieure et extérieure de la République fédérale1683. Lorsqu’on sait la signification large
et globalisante qui est attribuée à la notion de sécurité au Cameroun 1684, tout doute sur la
compétence de cette autorité en matière de police s’en trouve balayé.

Sur la base de ces quelques dispositions, il est vrai bien choisies, l’on peut
affirmer, ne serait-ce que sur le plan constitutionnel, qu’il ya des bases juridiques à
l’exercice du pouvoir de police administrative par le Président de la République. C’est
cette architecture juridique qui sera d’ailleurs quasi intégralement reconduite dans la
constitution du 2 juin 1972 et dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.

Dans le texte fondamental de 1972, qui réalise l’unification entre les deux anciens
Etats fédérés1685, le Président de la République est toujours chargé de l’exécution des
lois1686 et de l’exercice du pouvoir réglementaire1687, de même qu’il veille à la sécurité
intérieure et extérieure de la République1688. Ses pouvoirs exceptionnels en période de
crise sont également maintenus et même renforcés, puisqu’il les exerce désormais tout
seul, n’étant plus obligé de consulter une quelconque autorité à cet effet1689.

Quand au texte de 1996, si, tout en maintenant ses pouvoirs spéciaux en période
de crise1690, il réitère lui aussi l’exercice du pouvoir réglementaire par le Président de la

de police ayant une incidence directe sur l’exercice des libertés publiques, et le principe de la liberté étant selon
la tradition juridique française insusceptible de limitation non spécifiée par la loi, l’on s’attendrait à ce que le
pouvoir de police soit donc expressément prévu et donc encadré par les textes, d’où les réticences d’une partie
de la doctrine à déduire de la consécration d’un pouvoir réglementaire au profit de l’exécutif la reconnaissance
par là même de l’existence d’un pouvoir de police au profit du chef de l’exécutif. Mais dans un pays comme le
Cameroun qui ne pourrait que difficilement se revendiquer d’une telle tradition libérale, il ya moins de
scrupules à voir dans la consécration d’un pouvoir réglementaire au profit du Président de la République la
consécration d’un pouvoir de police à son profit. Encore, la doctrine ne reconnait pas unanimement l’existence
d’un pouvoir spécifique au sein de l’administration appelé pouvoir de police. Des auteurs parmi les plus
éminents assimilent le pouvoir réglementaire au pouvoir de police (R. CAPITANT, in Encyclopédie française,
tome X, Paris, 1964, p. 144), lorsqu’ils n’assimilent pas purement et simplement toute l’activité étatique à une
activité de police (M. HAURIOU, Précis élémentaire de droit administratif, Paris, Sirey, 1933, p. 190). Mais
ca c’est une autre affaire.
1683
Art. 12.
1684
Cf. supra, Chapitre I, Titre I de cette partie.
1685
Lire : J. OWONA, « La nouvelle constitution camerounaise du 20 mai 1972. De l’Etat fédéral à l’Etat
unitaire », R.J.P.I.C., n° 1, 1973, pp. 3-30.
1686
Art. 9.
1687
Idem
1688
Ibid.
1689
Art. 11. Il n’est plus en effet tenu, comme l’exigeait le texte constitutionnel précédent, de consulter les
Premiers Ministres des Etats fédérés, puisque ceux-ci n’existent plus dans la nouvelle organisation
institutionnelle.
1690
Art. 9.

488
République1691, de même que la création et l’organisation des services publics de
l’Etat1692, il le décharge néanmoins de l’exécution des lois, cette responsabilité étant
désormais confiée au Premier Ministre Chef du Gouvernement1693. Cette nuance est-elle
de nature à jeter le doute sur la compétence du Président de la République en matière de
police administrative ? La réponse serait oui si et seulement si son pouvoir de police était
basé entièrement sur sa mission d’exécution des lois, ce qui n’est pas du tout démontré.
En effet, les pouvoirs de police du Président de la République sont moins tirés de sa
mission d’exécution des lois que de l’exercice d’un pouvoir réglementaire propre, à lui
reconnu par les constitutions successives.

Au-delà même du domaine réglementaire propre qui lui est constitutionnellement


reconnu, le Président de la République a toujours bénéficié, selon une tradition inspirée
de la Cinquième République française, de la possibilité d’empiéter sur le domaine
législatif1694, ce qui lui donne la latitude d’adopter des ordonnances qui s’analysent en de
véritables lois de police1695. Ceci contribue d’avantage à accroitre ses compétences en
matière de police, au point où l’on est tenté de se dire que c’est bien lui l’alpha et
l’oméga en matière de police administrative au Cameroun.

La question peut alors valablement être posée de savoir si, au regard d’une telle
puissance du Président de la République, l’on doit continuer à ne rechercher le
fondement de ses actions que dans les textes ? Quelque chose de plus profond et de plus
subtil ne pourrait-il pas expliquer une pareille omniprésence de sa part dans le champ du
maintien de l’ordre public ?

1691
Art. 8 alinéa 8.
1692
Art. 8 alinéa 9.
1693
Art. 12 alinéa 2.
1694
Constitution du 4 mars 1960, art. 25 ; Loi constitutionnelle du 1er septembre 1961, art. 24 bis ; Constitution
du 2 juin 1972, art. 21 ; Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, art. 28. Il faut cependant dire, pour être tout à
fait exact sur ce point, que si tous ces textes constitutionnels accordent effectivement cette compétence au
Président de la République d’empiéter sur le domaine législatif, celui de 1960 se distingue par cette
particularité que c’était le Premier Ministre qui était effectivement détenteur de cette compétence, en sa qualité
de Chef du Gouvernement, mais il ne pouvait effectivement l’exercer qu’avec l’accord formel du Président de
la République, lequel devait également signer lesdites ordonnances en Conseil des Ministres. C’est donc dire
que c’est toujours lui qui avait la haute main sur cette procédure qui s’est banalisée dans le système
institutionnel camerounais.
1695
C’est ainsi que sur cette base juridique, le Président de la République adopta quelques textes restés
emblématiques dans l’histoire du Cameroun, tels que : l’Ordonnance n° 60/52 du 7 mai 1960 portant loi
organique sur l’état d’urgence ; l’Ordonnance n°61/OF/5 du 21 octobre 1961 relative à l’état d’urgence ;
l’Ordonnance n°62/OF/18 du 12 mars 1962 portant répression de la subversion ; l’Ordonnance n°72/13 du 26
août 1972 relative à l’état d’urgence, et la liste n’est pas exhaustive.

489
b) - La certitude d’une habilitation implicite

La question à laquelle l’on entend donner une réponse ici est la suivante : le
pouvoir de police exercé à l’échelle nationale par le Président de la République est-il ou
alors doit-il absolument reposer sur une habilitation juridique expresse ?

Il a été constaté ci-dessus que les fondements textuels du pouvoir de police du


Président de la République n’étaient pas très clairs, que ce soit au plan constitutionnel ou
infra constitutionnel. Qu’est-ce qui peut donc justifier un tel paradoxe entre l’incertitude
d’une habilitation explicite et la certitude de l’exercice réel par le Président de la
République de pouvoirs importants dans le maintien de l’ordre public ? Ne peut-on
envisager sérieusement l’hypothèse d’une norme implicite donnant à cette autorité
pouvoir d’agir en ce domaine ? Si oui, quelle pourrait alors être cette norme et d’où
proviendrait-elle ?

A vrai dire, la question n’est pas neuve en doctrine1696. Si au Cameroun l’on n’a
véritablement jamais élucidé cette sorte d’énigme1697, le problème s’est déjà posé en
France, lorsqu’il a fallu dire sur quelle base juridique s’exerçait alors le pouvoir de
police du chef de l’exécutif celui-ci n’ayant été prévu par aucun texte1698.

1696
Voir toute la controverse doctrinale déclenchée à la suite de la jurisprudence Labonne rendue par le Conseil
d’Etat (CE, 8 août 1919, Labonne, rec., p. 737, GAJA n° 36) à la suite d’une autre jurisprudence, Heyries (CE,
28 juin 1918, Heyriès, rec., p. 651, GAJA n° 32) et donc l’objet était justement de donner des bases juridiques
au pouvoir de police exercé par le chef de l’exécutif. Pour une synthèse de ce débat, lire : C. BAILLON, M.-H.
DELTORT, M.-H. MATTERA, «Les fondements de la police administrative nationale générale », in D.
LINOTTE (Dir.), La police administrative existe-t-elle ?, op cit., à la même page.
1697
En France, les tentatives de la doctrine de fonder le pouvoir de police du Chef de l’exécutif sur sa mission
constitutionnelle d’exécution des lois ou sur l’article 37 de la constitution qui défini le domaine réglementaire
se sont avérées vaines. Pour le Conseil d’Etat en effet, dans la jurisprudence Labonne, « si les autorités
départementales et municipales sont chargées par les lois(…) de veiller à la conservation des voies publiques
et à la sécurité de la circulation, il appartient au Chef de l’Etat, en dehors de toute délégation législative et
en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer celles des mesures de police qui doivent en tout état de cause
être appliquées dans l’ensemble du territoire ». Ainsi, ce n’est donc ni la mission d’exécution des lois, ni
l’article 37 de la constitution qui fonde le pouvoir de police du Chef de l’exécutif. Celui-ci existe en dehors de
toute habilitation textuelle mais repose sur ce que le juge appelle « les pouvoirs propres ». C’est cette théorie
des pouvoirs propres qui semble donc perdurer, car pour le Conseil d’Etat, l’article 34 de la constitution du 4
octobre 1958 qui défini le domaine de la loi et y range « les garanties fondamentales accordées aux citoyens
pour l’exercice des libertés publiques » « n’a pas retiré au Chef du Gouvernement les pouvoirs de police
générale qu’il exerçait antérieurement ; qu’il appartient, dès lors, au Premier Ministre de pourvoir, par des
précautions convenables, à la sécurité des usagers des voies publiques sur l’ensemble du territoire » (CE, 17
février 1978, Association dite « Comité pour léguer l’esprit de la résistance »). Cette théorie des pouvoirs
propres a d’ailleurs été constitutionnalisée par le Conseil constitutionnel. La haute juridiction affirme à ce
propos que « l’article 34 de la constitution ne prive pas le Chef du Gouvernement des attributions de police
générale qu’il exerce en vertu de ses pouvoirs propres et en dehors de toute habilitation législative ». (C.C.,
n° 2000-434 D.C. 20 juillet 2000, Loi relative à la chasse).
1698
Pour Etienne Picard, cette compétence de police du Chef de l’exécutif repose sur la seule nécessité de
l’admettre. Ainsi, dès lors que l’on est d’accord pour reconnaitre la nécessité de maintenir l’ordre public, la

490
Le fait est qu’en cette matière, le pouvoir de police, par son ampleur, ne saurait
être enfermé dans un texte. Il est consubstantiel à l’existence de toute société un tant soit
peu organisée, et s’impose donc d’emblée comme une nécessité qui doit être assumée
par l’autorité en charge du destin de la collectivité. Il se trouve simplement que dans
l’architecture de la société étatique actuelle, c’est le pouvoir exécutif qui est à même
d’assumer cette mission, en raison des moyens administratifs dont-il dispose, et du fait
que c’est lui qui est chargé de la gestion quotidienne de la collectivité. Le pouvoir de
police apparait alors ici comme une nécessité, et c’est cette nécessité qui fonde l’action
du Président de la République, même en l’absence de tout texte, ce dernier devant
apparaitre à la limite comme superfétatoire.

Comme le dit si bien le Professeur TEITGEN, « le pouvoir de police est


antérieur à la loi, il appartient par nature au pouvoir exécutif et puise originairement
dans sa fonction les droits qui lui sont nécessaires pour maintenir l’ordre dont il est
responsable1699 ». « L’erreur en ce domaine provient de la conception qui voit à la
source de tout pouvoir juridique une règle législative ou constitutionnelle…Affirmer
la nécessité d’une détermination légale des compétences ne signifie pas que le
législateur a le monopole exclusif en cette matière. Bien au contraire, des exigences
vitales plus fortes que les textes ont conduit parfois la jurisprudence et la grande
majorité de la doctrine à reconnaitre au profit d’une chef des pouvoirs correspondants
à sa mission. C’est ainsi que les exigences de la fonction ministérielle impliquaient, en
dehors de tout texte, la reconnaissance d’un large pouvoir d’organisation du service.
De la même façon, ce sont les exigences propres à la mission du Chef de l’Etat qui
postulent la reconnaissance, en dehors de toute habilitation précise, d’un pouvoir de
réglementation autonome destiné à assurer le maintien de l’ordre public ou le
fonctionnement continu des services publics1700 ». Personne ne saurait nier le fait que
l’ordre public soit une norme de nécessité, c’est-à-dire une norme dont la préservation se
pose et s’impose comme une nécessité vitale pour toute société. Aussi, devrait-on
convenir avec la majorité de la doctrine que la compétence de police du Chef de l’Etat

compétence du chef de l’exécutif en la matière s’en trouve automatiquement créée, en raison de la nature de la
fonction exécutive qui est classiquement de veiller au quotidien des citoyens, de s’assurer de leurs conditions
de vie au jour le jour, conditions de sécurité, de salubrité et de tranquillité. Lire à cet effet, E. PICARD, La
notion de police administrative, op cit., tome 2, n° 325.
1699
P.-H. TEITGEN, La police municipale, op cit., p. 379.
1700
F. VINCENT, Le pouvoir de décision unilatérale des autorités administratives, Paris, L.G.D.J., 1966,
B.D.P., p. 425.

491
n’a pas de véritable fondement juridique1701. Cette compétence repose sur la seule
nécessité de l’admettre1702.

Bien que cette analyse soit susceptible de heurter certains esprits affutés au
positivisme juridique le plus rigoureux, elle demeure la seule susceptible d’expliquer
l’existence, même en dehors de tout texte, d’un véritable pouvoir de police au profit du
Président de la République. C’est ce que la doctrine publiciste française désigne sous le
vocable évocateur de théorie des pouvoirs propres. C’est donc au nom de ses pouvoirs
propres c’est-à-dire des pouvoirs existant en dépit de toute habilitation textuelle, que le
Président de la République peut prendre des actes réglementant l’exercice des libertés, et
ces actes peuvent être parfois très restrictifs, allant même parfois jusqu’à l’interdiction
pure et simple1703. Le principe ainsi consacré « peut s’énoncer avec une brutalité qui
semble faire peur à la doctrine administrativiste attachée à valoriser les aspects
rassurants de la théorie de la police : aucune liberté, si solennellement consacrée
qu’elle soit par la loi, la constitution ou le droit international ne peut paralyser
l’action de l’autorité de police1704 ».

Au total, si la loi, au sens général, reste bien la norme d’habilitation par


excellence, sa « supériorité ne procède pas de sa nature, mais de sa fonction de
formalisation de l’idée de droit par l’organe délibérant. Si sa fonction vient à ne plus

1701
Contra : D. GREGOIRE, Recherches sur les évolutions de la police administrative, op cit., p. 142. Pour cet
auteur, le pouvoir de police administrative trouve son fondement dans l’article 37 de la constitution, car,
l’article34 qui fixe le domaine de la loi et lui attribue la compétence pour fixer les règles relatives aux garanties
fondamentales relatives aux libertés n’a pas enlevé toute compétence au pouvoir réglementaire en la matière.
En effet, poursuit-elle, la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire ne
doit plus être envisagée sous la forme d’une distinction rigide et précise matière par matière. Elle est moins une
répartition par matière, de type vertical, qu’une répartition de type horizontal, « à l’intérieur d’une matière
selon la nature et l’importance des dispositions » (J.-C. DOUENCE, Recherche sur le pouvoir réglementaire
de l’administration, Paris, L.G.D.J., 1968, p.245.). Apparait alors ici le critère « mise en cause/mise en
œuvre ». Et selon Jean RIVERO, « ce qui est important va au législateur, c’est la mise en cause ; ce qui l’est
moins, qui n’est que la mise en œuvre, relève du domaine réglementaire ». (J. RIVERO, « Rapport de
synthèse », in L. FAVOREU (Dir.), Le domaine de la loi et du règlement : vingt ans d’application de la
Constitution de 1958, Paris, Economica-PUAM, 1981, p. 264.
1702
E. PICARD, La notion de police administrative, op cit., tome 2, n° 325.
1703
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op. cit., p. 30. En principe, les interdictions générales et
absolues sont absolument interdites en matière de police administrative. Cela signifie qu’aucune autorité de
police, quelle qu’elle soit, n’a le droit d’interdire de manière générale et absolue l’exercice d’une liberté, pour
la simple raison que cette compétence revient au seul pouvoir législatif, qui est constitutionnellement chargé de
légiférer sur les droits, garanties et obligations fondamentaux du citoyen (art. 26-1(a) de la Loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996). Mais le Cameroun ne semble pas respecter les termes de sa propre loi
fondamentale, vu que certaines autorités ont souvent pris des textes interdisant l’exercice de telle ou telle
liberté. Le cas parfois de circonstances exceptionnelles, même non juridiquement consacrées, tend parfois à
justifier ce genre de mesure, révélant ainsi le caractère potentiellement illimité du pouvoir de police
administrative.
1704
P. WACHSMANN, Libertés publiques, Paris, Dalloz, Cours, 5ème éd., 2005, n° 150.

492
répondre aux exigences concrètes de celles-ci, la norme de nécessité qui lui est
consubstantielle investi alors directement l’autorité adéquate1705 ». Ainsi, « l’ordre
public général crée lui-même, le cas échéant, les compétences de la fonction de sa
propre concrétisation1706 ».

Au regard de cette habilitation dont peut se prévaloir le pouvoir de police du


Président de la République, l’on constate que celui-ci apparait comme l’autorité de
police administrative suprême, car étant la plus haute autorité administrative du pays.
Tout se passe comme si c’est lui la véritable autorité de police administrative de l’Etat,
toutes les autres agissant comme des autorités déléguées que ce soit à l’échelle nationale
ou à l’échelle locale.

Une fois la question des fondements juridiques analysée, reste à savoir par la suite
quelle est la nature de ces pouvoirs dont l’importance tant quantitative que qualitative
n’est plus à démontrer.

1. Le Premier Ministre

La qualité d’autorité de police générale du Premier Ministre, Chef du


Gouvernement, n’est pas clairement, ou si l’on veut expressément prévue par les
textes1707. Cependant, on peut là déduire à la suite d’une interprétation du droit positif,

1705
E. PICARD, La notion de police administrative, op. cit., p. 602.
1706
Idem, p. 603.
1707
Cette situation tranche avec l’état du droit au moment de l’indépendance. En effet, dès l’ordonnance n°58-
1375 du 30 décembre 1958 portant statut du Cameroun, qui accorde au Cameroun un statut d’autonomie
interne élargie et marque la dernière étape de l’évolution des instituions avant la levée de la tutelle qui
interviendra dans les conditions prévues par la Charte des Nations Unies et l’accord de tutelle, le Premier
Ministre se voit déjà confier le rôle d’autorité de police administrative générale. L’art. 16, alinéa 2 de ce texte
dispose en effet qu’ « il a la responsabilité de l’ordre public et assure la sécurité des personnes et des biens ».
Cette disposition fait de lui l’autorité de police générale par excellence. Et si la loi n°59-2 du 18 février 1959
tendant à fixer le fonctionnement des pouvoirs publics ne reprend pas expressément cette disposition ou une
autre synonyme, se contentant d’affirmer que « le gouvernement dispose de l’administration et de la force
publique » (art. 27 in fine) et que « les pouvoirs de police sont sanctionnés par une peine d’emprisonnement
n’excédant pas dix jours et par une amende maximum de 12000F en monnaie locale ou par l’une de ces
deux peines seulement conformément aux dispositions du code pénal », on peut penser qu’il ne remet pas en
cause l’option initiale faisant du Premier Ministre une autorité de police administrative générale, puisqu’en
plus du pouvoir réglementaire que consacre ce texte au profit du Premier Ministre et des Ministres (art. 27), il
faut noter que les pouvoirs de police dont il est fait mention à l’article 33 fait partie des compétences
gouvernementales. Mais cela dit, c’est la constitution du 4 mars 1960 qui confirmera véritablement dans le
Cameroun indépendant la nature d’autorité de police générale du Premier Ministre. Celle-ci, après avoir posé
qu’ « il dirige l’administration et dispose de la force publique », poursuit en disposant qu’ « il assure le
maintien de l’ordre et la sécurité publique ». Le statut d’autorité de police administrative générale du Premier
Ministre est donc depuis lors inscrit dans la tradition juridique et précisément constitutionnelle du Cameroun.
Et si cette tradition a semblé mise en veilleuse par la présidentialisation du régime à partir de 1961 et surtout en

493
après un rapprochement de plusieurs dispositions pertinentes en la matière. Ces dernières
sont principalement constitutionnelles. En effet, la qualité d’autorité de police générale
du Premier Ministre peut légitimement être fondée sur l’exercice du pouvoir
réglementaire. Il ne fait en effet aucun doute que cette autorité en est détentrice. La loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996 lui reconnait cette prérogative, notamment en son
article 12. La lecture de cette disposition révèle l’exercice par le Premier Ministre d’un
pouvoir réglementaire d’une double nature à savoir : le pouvoir réglementaire
d’exécution des lois1708 et le pouvoir réglementaire que l’on pourrait qualifier de
général1709.

A travers son pouvoir réglementaire d’application des lois, le Premier Ministre


peut donc valablement édicter des décrets d’application des lois de police, c’est-à-dire
celles qui portent sur le maintien de l’ordre et donc symétriquement sur les libertés
publiques. En ce domaine, le Premier Ministre apparait comme une pièce capitale dans
le processus d’édiction du droit de la police administrative. Car en fonction du fait que le
législateur a ou non précisé lui-même les modalités d’application des lois qu’il a votées,
il appartient, en fin de compte au Premier Ministre de fixer les modalités d’application
des lois de police. On peut donc dire qu’il fixe les modalités d’application de la plupart
des lois de police administrative. Mais sous ce prisme, c’est moins sa qualité d’autorité
de police administrative qui apparait que celle d’une sorte de législateur secondaire, en
ce domaine comme dans tout autre.

Mais là où apparait véritablement sa qualité d’autorité de police administrative


générale, c’est dans l’exercice du pouvoir réglementaire général. En effet, en disposant
que « le Premier Ministre exerce le pouvoir réglementaire », la loi constitutionnelle du
18 janvier 1996 a implicitement, mais nécessairement fait du Premier Ministre une
autorité de police administrative générale. Car, faut-il le rappeler, le pouvoir
réglementaire dont il est question ici porte sur un double domaine à savoir : la gestion
des services publics et l’exercice de la police administrative. Ces deux matières qui
correspondent à l’objet de l’ensemble de l’action administrative. Aussi, peut-on

1972, le retour à un régime parlementaire à partir de 1992 est de nature à restaurer, sans aucun doute, le statut
d’autorité de police administrative générale du Premier Ministre.
1708
Qui lui permet de compléter par décret l’œuvre législative.
1709
Qualifiée comme tel, il lui « permet d’édicter des règlements en toutes matières (non réservées à la loi) et
pour toute l’étendue du territoire national », R. CHAPUS, Droit administratif général, op. cit., Tome 1,
p.652.

494
légitimement penser que le constituant n’aurait pas pu accorder au Premier Ministre
l’exercice du pouvoir réglementaire en excluant celui portant sur l’exercice de la police
administrative. Une telle interprétation serait parfaitement illogique. Le pouvoir
réglementaire dont jouit le Premier Ministre comporte donc nécessairement le pouvoir
réglementaire de police.

Il reste néanmoins un doute à dissiper, à savoir que le pouvoir réglementaire du


Premier Ministre s’exerce sous réserve de celui du Président de la République. Or, c’est
ce dernier qui, aux termes de la constitution, veille comme il a été vu à la sécurité
intérieure et extérieure. Cette disposition signifierait-elle que le pouvoir réglementaire du
Premier Ministre en matière de police se heurte à la compétence exclusive du Président
de la République en la matière ? Une telle interprétation serait vraie si l’ensemble de la
compétence du Président de la République en matière de police administrative était
exclusivement fondée sur cet article 8, alinéa 3. Or, il a été exposé que non1710.
L’essentiel de la compétence du Président en ce domaine tient à l’existence d’une norme
implicite d’habilitation à savoir : l’ordre public. Du seul fait qu’il est le Président de la
République, Chef de l’Etat, et donc « garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité
du territoire, de la permanence et de la continuité de l’Etat »1711, il est nécessairement
chargé de l’exercice de la police administrative sans laquelle il n’y aurait pas d’ordre
public et donc de vie étatique. Or, une telle norme d’habilitation, bien que générale, ne
s’oppose pas à ce que le Premier Ministre, investi expressément de l’exercice du pouvoir
réglementaire, utilise ce dernier dans le domaine de la police administrative. Et si le
Président de la République est lui aussi investi d’un tel pouvoir, hiérarchiquement
supérieur à celui du Premier Ministre, la question ne se pose plus de la compétence de
police générale du Premier Ministre, mais de l’articulation de cette dernière avec celle du
Président de la République. Or, cette articulation est réglée par la constitution elle-
même. Le pouvoir réglementaire du Premier Ministre s’exerce sous réserve de celui du
Président de la République. Cela signifie que la compétence réglementaire du Premier
Ministre en matière de police générale s’exerce sous réserve de celle du Président de la
République. Autrement dit, le pouvoir de police générale du Premier Ministre doit être
conforme à celui du Président de la République. Ce dernier ne doit pas voir son action en

1710
Cf supra.
1711
Art. 5 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.

495
ce domaine contredite par celle du Premier Ministre. De plus, cela signifie que si le
Président de la République n’agit pas, le Premier Ministre est parfaitement en droit
d’édicter des règlements de police générale. Et s’il s’est toujours refusé à le faire, cela
n’enlève en rien à la possibilité juridique qui lui est reconnue en ce domaine. Il en est de
même du Ministre de l’Administration Territoriale.

2. Le Ministre de l’Administration Territoriale et de la décentralisation

L’idée de considérer le ministre de l’administration territoriale et de la


décentralisation comme autorité de police administrative générale peut, à première vue,
paraître osée. Mais à bien observer et analyser le droit positif, et à la lumière de la
tradition juridique camerounaise, il est possible de soutenir une telle idée sans ménager
le point de vue des plus sceptiques.

Le droit positif tout d’abord semble clair là-dessus. En effet, aux termes du décret
n°2005/104 du 13 avril 2005 portant organisation du Ministère de l’Administration
Territoriale et de la Décentralisation, le Ministre de l’Administration Territoriale et de la
Décentralisation est chargé « du maintien de l’ordre public en rapport avec les forces
spécialisées »1712. Ce caractère général et à la limite vague de la formule ici employée
donne à cette autorité la possibilité d’intervenir dans n’importe quel secteur de la vie
sociale et sur n’importe quelle partie du territoire national. Bien qu’une compétence de
cette importance puisse, pour être crédible et légitime, emprunter un conditionnement au
moins législatif1713, le choix du fondement réglementaire n’enlève rien ici à la réalité de
la compétence de police générale du MINATD. Si l’expérience montre que celui-ci
préfère la plupart du temps ne pas faire usage de cette prérogative de police générale,
cela n’enlève rien à la possibilité qui lui est juridiquement reconnue d’agir, les seules
limites à respecter étant les pouvoirs des autorités de police administrative qui lui sont

1712
Art. 1er (2) a.
1713
On peut en effet, pour contester le statut d’autorité de police générale du Ministre de l’Administration
Territoriale, avancer l’idée selon laquelle sa compétence n’est pas définie par une loi, suggérant ainsi que les
pouvoirs de police générale sont nécessairement fixés par un texte de niveau au moins législatif. Mais cette
idée n’est en aucun cas vraie, d’abord parce que la compétence de police générale n’est pas nécessairement
fixée par un texte et que ce dernier est très souvent remplacé par une habilitation implicite à savoir l’ordre
public qui est alors considéré ici comme une norme de nécessité. Ensuite, cette idée n’est pas vraie parce que
l’on peut parfaitement avoir une compétence de police générale définie par un texte réglementaire. En tout cas,
aucun principe juridique ne s’y oppose. On a ainsi par exemple des autorités de polices générales
déconcentrées comme le Gouverneur de Région, les préfets et les sous-préfets qui tiennent leurs compétences
en ce domaine d’un texte réglementaire.

496
hiérarchiquement supérieures à savoir : le Président de la République et le Premier
Ministre.

Au plan de la tradition juridique, on peut observer que la compétence de police


générale du Minatd n’est pas une innovation des années actuelles. En effet, une
ordonnance du 11 novembre 19591714 dispose que «le Ministre de l’intérieur prépare en
permanence et met en œuvre la défense civile (…). Il est responsable, à ce titre, de
l’ordre public, de la préparation matérielle et morale des personnes et de la
sauvegarde des installations et ressources d’intérêt général (…). Il reçoit du Ministre
chargé des armées, pour le développement et la mise en œuvre de ses moyens, le
soutien des services et de l’infrastructure des armées et, notamment pour le maintien
de l’ordre public, l’appui total des forces militaires »1715. Si l’on en croit ce texte, dès la
phase de l’autonomie interne, le Minatd, antérieurement appelée le Ministère de
l’Intérieur, est revêtu du statut d’autorité de police générale. Les premiers textes du
Cameroun indépendant fixant les attributions de cette autorité le montrent
amplement1716. Mais si l’expérience révèle que le Ministre de l’Administration
Territoriale préfère la plupart du temps faire prendre des mesures de police générale par
les autorités régionales et locales placées sous son autorité, et qu’il instruit régulièrement
dans ce sens, cela n’enlève rien à la compétence qui lui est ici régulièrement reconnue.

B. Les autorités de police générale à compétence régionale ou locale

Les autorités de police générale ne s’identifient pas qu’à l’échelle nationale. On


en dénombre également à l’échelle régionale et surtout locale. Cette floraison des
autorités de police générale, manifestation de leur multiplicité et signe d’un
maximalisme des instruments étatiques de maintien de l’ordre public, ne peut laisser
indifférent. Les autorités régionales seront présentées avant les autorités locales.

1714
Ordonnance n°59-57 du 11 novembre 1959 portant création de l’Armée Camerounaise et organisation
générale de la défense, art. 14.
1715
En droite ligne de cette idée, l’art. 6 du décret du 31 décembre 1960 dispose que « les mesures prescrites à
la gendarmerie pour assurer la police administrative émanent du ministre de l’intérieur ». Encore plus, à
cette époque, plusieurs forces de police sont placées sous son autorité directe. Ainsi, selon l’art. 1 er du décret
du 23 juillet 1959, « la sûreté nationale camerounaise est placée sous l’autorité directe du ministre de
l’intérieur ». Egalement, l’art. 3 du décret du 31 décembre 1960 déjà cité, prévoit que « la gendarmerie, tout
en étant sous les ordres directs du ministre des forces armées, relève également (…) du ministre de
l’intérieur pour l’exercice de la police administrative ».
1716
Voir dans ce sens les décrets successifs portant organisation du Gouvernement.

497
1. Les autorités de police générale à compétence régionale

Au niveau régional, on peut identifier deux autorités de police générale à savoir :


le Gouverneur de Région et le Président du Conseil Régional.

a. Le Gouverneur

Au sein de l’arsenal institutionnel mis en place afin d’assurer le maintien de


l’ordre public, le Gouverneur occupe une place de choix. D’abord parce qu’il est
l’autorité déconcentrée la plus proche des autorités de police administrative générale
centrales, notamment le Président de la République et le Ministre de l’Administration
Territoriale et de la Décentralisation. Au plan administratif et en particulier en ce qui
concerne l’exercice des compétences de police administrative, il rend directement
compte aux autorités suscitées. Ensuite parce que la compétence territoriale du
Gouverneur est particulièrement étendue. Elle s’exerce sur une région entière, première
et plus grande subdivision du territoire de l’Etat. La Région comporte plusieurs
départements, et a fortiori plusieurs arrondissements. Enfin, le Gouverneur occupe une
place de choix dans l’armature institutionnelle chargée de maintenir l’ordre public, au
regard de l’importance des pouvoirs qui lui sont dévolus en ce domaine.

Ainsi, « haut fonctionnaire nommé par décret du Président de la


République »1717, le Gouverneur est « le dépositaire de l’autorité de l’Etat dans la
Région »1718. C’est donc à ce titre qu’il « assure le maintien de l’ordre public, en
application des lois et règlements en vigueur »1719. Le texte qui dispose ainsi ajoute qu’
« il prend les mesures nécessaires à la préservation de la paix sociale (…) ». Dans le
cadre de l’exercice de ces pouvoirs de police administrative, le Gouverneur « dispose des
forces de police, de la gendarmerie et de l’armée dans le cadre des lois et règlements
fixant les modalités d’emploi de ces forces »1720.

Au regard de ces dispositions, il ne fait l’ombre d’aucun doute que le Gouverneur


est une autorité de police administrative générale. Le fait de disposer qu’il assure le

1717
Conformément à une tradition depuis longtemps ancrée. Ainsi, un décret du 20 mai 1903, étendu au
Cameroun, prévoit en son article 59 qu’ « il appartient au ministre de l’intérieur de donner des ordres aux
préfets pour la police générale et pour la sûreté de l’Etat et de demander au Chef du Gouvernement le
rassemblement de pelotons supplétifs de gendarmerie lorsque les circonstances le nécessitent ».
1718
Art. 4 du décret n°2008/377 du 12 novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions
administratives et portant organisation et fonctionnement de leurs services.
1719
Idem.
1720
Art. 10 du décret n°2008/377 du 12 novembre 2008.

498
maintien de l’ordre public en application des lois et règlements en vigueur montre
l’importance des pouvoirs qui lui sont reconnus. Il peut en effet intervenir dans
n’importe quel compartiment de l’ordre public, et surtout, il a l’entière liberté de choisir
la limitation aux libertés qu’il veut, pourvu que cela contribue à assurer le maintien de
l’ordre public.

Concernant particulièrement le champ matériel de ses interventions à savoir


l’ordre public général, il a déjà été souligné le caractère vague de cette notion, montrant
que la surface d’intervention des autorités de police administrative générale apparait
indéterminée et donc illimitée. Mais s’agissant particulièrement des pouvoirs du
Gouverneur, le texte ajoute une autre notion, dont on peut légitimement se demander si
elle n’ajoute pas à ce caractère indéterminé de l’ordre public et si elle n’introduit pas une
confusion, tout simplement. Il s’agit de la notion de paix sociale. Ce texte, en disposant
en effet que le Gouverneur « prend les mesures nécessaires à la préservation de la paix
sociale », jette un flou supplémentaire sur le domaine d’intervention des mesures de
police du Gouverneur.

Au sens strict, la notion de paix sociale se limite au sein du monde du travail. Il


s’agit de l’absence de conflits entre employeurs et employés, de la situation qui
caractérise l’absence de conflits au sein des entreprises et organisations de travail. Prise
dans ce sens, la notion de paix sociale interpelle plutôt le droit du travail, et non le droit
administratif. Mais l’expérience de la pratique révèle que la notion de paix sociale1721 est
ici employée dans un sens large qui ne fait pas de distinction entre ordre public et paix
sociale, de sorte que les deux buts sont très souvent interchangés, élargissant davantage
le domaine de la police administrative soumis à l’autorité du Gouverneur. Ce dernier,
même lorsqu’il intervient pour résoudre les conflits sociaux, le fait dans le cadre de ses
pouvoirs de police administrative. C’est ainsi qu’on voit très souvent les gouverneurs
réprimer des grèves dans les entreprises, ou des mouvements sociaux dans les services
publics, dans le but de maintenir l’ordre public. Un tel mélange de genre ne peut que
faire du Gouverneur une autorité de police administrative redoutable et redoutée.

1721
On eu pu penser ici que si l’on avait voulu garder une certaine rigueur dans la détermination du champ
d’intervention du gouverneur en vertu de ses pouvoirs de police, la notion de « paix publique » eut été plus
adéquate, que celle vague et inappropriée de « paix sociale ».

499
Sur le plan du principe, il est libre d’agir, lorsqu’il exerce ses pouvoirs de police.
En tant qu’autorité de police administrative générale, il exerce donc ses pouvoirs en ce
domaine de manière discrétionnaire. Mais il peut aussi agir sur instruction de la
hiérarchie, en particulier le Ministre de l’Administration Territoriale, et
exceptionnellement du Président de la République ou du Premier Ministre. Le processus
de décentralisation n’a en rien altéré les pouvoirs de police administrative du
Gouverneur. Ils sont restés inchangés depuis les premières heures de l’indépendance
jusqu’à ce jour, preuve que l’autoritarisme n’a pas du tout disparu ici. Ils cohabitent
néanmoins désormais avec ceux du Président du Conseil Régional, ce qui ne peut
qu’ajouter au maximalisme qui semble habiter les pouvoirs publics dans la détermination
du cadre d’exercice de la police administrative.

b. Le Président du conseil régional

Le processus de décentralisation actuellement en cours au Cameroun a révélé une


nouvelle autorité de police administrative générale, à savoir le Président du Conseil
Régional. Impulsée par la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, cette
décentralisation a profondément transformé le paysage institutionnel infra-étatique, ce
qui ne pouvait pas ne pas affecter l’activité de police administrative. C’est ainsi que la
région, dernière née des institutions territoriales décentralisées, comporte comme
organes le Conseil régional et le Président du conseil régional. Si le premier organe ne
détient pas de compétences de police administrative, ou en tout cas ne saurait s’analyser
en une autorité de police administrative1722, le second organe en est incontestablement
une.

Mais dire que le Président du conseil régional est une autorité de police
administrative conduit à s’interroger sur la nature de ses pouvoirs. Autrement dit, est-il
une autorité de police générale ou alors une autorité de police spéciale ? La réponse à
cette question n’est pas du tout aisée, en raison du caractère suffisamment flou des
textes. Une chose est sûre, c’est que, aucune disposition explicite ne donne une
compétence de police générale au Président du conseil régional. On ne peut donc

1722
On peut penser ici, sur la base d’un raisonnement par analogie, que l’interdiction faite au Conseil
municipal d’intervenir dans l’exercice de la police administrative montre bien que le Conseil régional lui aussi
ne saurait exercer de tels pouvoirs, qui restent le seul apanage des organes exécutifs.

500
soutenir sa qualité d’autorité de police générale que sur la base d’une interprétation
constructive des textes.

La nature d’autorité de police générale du Président du conseil régional est donc


principalement liée aux compétences qu’il exerce au sein de la région. Ces compétences
de police générale sont rattachables aux compétences générales confiées aux régions
auxquelles on peut inférer l’exercice des pouvoirs de police administrative. En effet, le
transfert aux régions d’un certain nombre de compétences, substantiellement
importantes, emporte nécessairement le transfert des pouvoirs de police y afférents. Et
vu l’importance tant quantitative que qualitative de ces compétences, vu le fait qu’elles
embrassent la quasi-totalité de la sphère socio-économique, on ne peut que considérer
qu’il s’agit là d’une consécration implicite de pouvoirs généraux de police au sein de la
région.

Ces compétences concernent grosso modo la gestion et l’utilisation du domaine


privé de l’Etat, du domaine public et du domaine national par les régions ; le
développement économique, à travers l’action économique, la gestion de
l’environnement et des ressources naturelles, la planification, l’aménagement du
territoire, les travaux publics, l’urbanisme et l’habitat, le développement sanitaire et
social à travers la santé et l’action sociale, le développement éducatif, sportif et culturel à
travers l’éducation, l’alphabétisation et la formation professionnelle, la jeunesse, les
sports et les loisirs, la culture, etc1723. Toutes ces compétences impliquent
incontestablement l’exercice des pouvoirs de police administrative, si bien que les
attribuer aux régions entraine conséquemment l’exercice au niveau régional desdits
pouvoirs de police administrative et la seule autorité régionale à pouvoir exercer de telles
compétences n’est autre que le Président du conseil régional qui, aux termes de la loi, est
l’exécutif de la région.

Aussi, de manière détaillée, exerce-t-il la police relative à l’organisation des


foires et salons, la gestion, la protection et l’entretien des zones protégées et des sites
naturels relevant de la compétence de la région, la mise en diffusion et autres mesures
locales de protection de la nature, la gestion des eaux d’intérêt régional, la création de
bois, forêts et zones protégées d’intérêt régional, la réalisation de pare-feux et la mise à

1723
Sur les compétences dévolues aux régions, se reporter aux lois de la décentralisation du 22 juillet 2004, en
particulier celle n°2004-19 fixant les règles applicables aux régions.

501
feu précoce, dans le cadre de la lutte contre les feux de brousse, la gestion des parcs
naturels régionaux, l’élaboration de plans régionaux spécifiques d’intervention
d’urgence et de prévention des risques, la participation à l’organisation et la gestion des
transports publics interurbains, la mise en œuvre de mesures de prévention d’hygiène,
l’organisation et la gestion de l’assistance au profit des nécessiteux, la délivrance
d’autorisations d’ouverture de centres éducatifs1724.

Au-delà de ces compétences de police générale implicitement déduites, la loi


prévoit expressément que le Président du Conseil régional « gère le domaine de la
région et exerce les pouvoirs de police afférents à cette gestion, notamment en ce qui
concerne la circulation sur ce domaine sous réserve des attributions dévolues au
représentant de l’Etat et aux maires1725 ». Si l’on peut considérer que cette disposition
donne à cette autorité une compétence de police spéciale, à savoir celle réduite à la
stricte gestion domaniale, il faut dire qu’il s’agit là d’un véritable pouvoir de police
générale, d’abord parce qu’il est étendu à l’ensemble du domaine public, ensuite parce
que cette autorité peut poursuivre n’importe quel but de police générale sur ce domaine,
que ce soit la sécurité, la tranquillité ou la salubrité. Cette disposition ne fait que
conforter l’idée ici démontrée de la qualité d’autorité de police générale du Président du
conseil régional.

Mais si reconnaître ce statut ici au Président du Conseil régional conforte l’idée


de multiplicité des autorités de police générale, cela n’en pose pas moins le problème de
l’articulation nécessaire entre les pouvoirs de ces différentes autorités. La question peut
se poser en effet de savoir si le transfert de compétences sus évoquées transfère
également les pouvoirs de police y afférents. L’article 17, alinéa 2 de la loi d’orientation
de la décentralisation résout ce problème en disposant que « le transfert de compétences
prévu par la présente loi n’empêche pas les autorités de l’Etat de prendre, à l’égard
des collectivités territoriales, de leurs établissements ou entreprises publiques ou de
leurs regroupements, les mesures nécessaires à l’exercice des attributions desdites
autorités en matière de sécurité, de défense civile ou militaire, conformément aux lois
et règlements en vigueur ». Ainsi, le transfert des compétences ne dépouille pas les
autorités gouvernementales de leurs compétences de police sur les matières transférées.

1724
Idem.
1725
Art. 65 de la loi n° 2004-19

502
Cette disposition consacre non pas une substitution de compétences, mais plus une
superposition de compétences. L’article 17, alinéa 2, ne dénie pas aux autorités
décentralisées des compétences de police. Il pose juste que les compétences de police
des autorités décentralisées n’enlèvent pas aux autorités centrales leurs compétences en
ce domaine. Il s’agit là d’une diversification du pouvoir de police qui se fait également
ressentir au niveau local.

2. Les autorités de police générale à compétence locale

Sont ici envisagées comme autorités de police administrative locales, le préfet, le


sous-préfet, le maire et le délégué du gouvernement.

a. Le préfet et le sous-préfet

Le préfet et le sous-préfet sont incontestablement des autorités de police


administrative générale. Ils exercent leurs compétences en ce domaine, le premier à
l’échelle du département, le second à l’échelle de l’arrondissement. Hauts fonctionnaires
nommés par décret du Président de la République, le préfet et le sous-préfet sont
dépositaires de l’autorité de l’Etat respectivement dans le département et
l’arrondissement. Le premier exerce ses fonctions sous l’autorité du gouverneur, tandis
que le second les exerce sous l’autorité du préfet. Leurs compétences de police
administrative sont formellement assez indéterminées. Le texte qui en constitue le
fondement se contentant de poser, s’agissant du préfet, qu’ « il veille au maintien de
l’ordre et l’exécution des lois et règlements »1726, et s’agissant du sous-préfet, qu’il est
« chargé du maintien de l’ordre »1727.

Cette généralité dans l’énonciation des compétences des deux autorités signifie
qu’elles exercent leurs missions de police sur l’ensemble de leurs circonscriptions
respectives, relativement à tout ce qui compromet l’ordre public. Les deux autorités,
pour l’exercice de ces compétences, disposent des forces de police, de la gendarmerie et
de l’armée dans les conditions fixées par les textes en vigueur1728. Les pouvoirs de police

1726
Art. 36 du décret n°2008/377.
1727
Art. 52, idem.
1728
Art. 40 du décret n°2008/377 pour ce qui est du préfet, et art. 54 du même texte pour ce qui est du sous-
préfet, avec cette nuance tout de même que ce dernier « pour l’accomplissement de sa mission(…), dispose
des forces de maintien de l’ordre », ce qui tend, au regard des textes, à exclure donc l’armée des forces dont le
sous-préfet peut disposer.

503
administrative de ces deux autorités, à l’observation de la pratique, apparaissent
considérables, au regard du caractère suffisamment vague de l’habilitation dont ils
bénéficient. Le maintien de l’ordre public apparait même comme leur principale mission,
celle qui mobilise l’essentiel de leur énergie, et constitue la plus grande partie de leur
action.

S’agissant du préfet tout d’abord, le décret de 2008 pose d’emblée qu’il « est
investi, pour le compte du gouvernement, d’une mission permanente et générale
d’information et coordination en matière sécuritaire, économique, sociale et culturelle
à l’échelon du département1729 ». Les notions de permanence et de généralité employées
dans la présente disposition sont révélatrices de l’importance accordée au préfet dans
l’armature institutionnelle chargée d’assurer le maintien de l’ordre public. Elles sont
aussi le signe de la centralité des compétences de police administrative parmi toutes
celles qu’est chargé d’exercer le préfet. Un indicateur supplémentaire de cette centralité
de la police administrative parmi les attributions du préfet et de l’importance de ses
pouvoirs en ce domaine est fourni par l’article 40 al. 2 du décret de 2008. Aux termes de
cette disposition en effet, le préfet peut, « en cas d’atteinte à la sûreté intérieure ou
extérieure de l’Etat ou à l’ordre public, accomplir personnellement ou requérir tout
agent ou toute autorité compétente d’accomplir tous les actes nécessaires à l’effet de
constater les crimes et les délits et d’en livrer les auteurs aux tribunaux dans les
formes et délais impartis par les textes en vigueur ». Il s’agit ici d’un pouvoir
particulièrement redoutable qui est reconnu au préfet et qui ne manque pas d’ailleurs de
soulever un certain nombre de problèmes théoriques sérieux.

En effet, ce texte brise la frontière entre police administrative et police judiciaire.


On sait que la première a un caractère essentiellement préventif et que c’est à la police
judiciaire qu’il revient de constater les crimes et délits et d’en livrer les auteurs aux
autorités judiciaires. Or, le fait ici d’attribuer de telles compétences au préfet qui n’est
pas officier de police judiciaire fait sortir la police administrative de sa sphère préventive
pour lui faire prendre corps dans la sphère répressive. On voit ainsi que le législateur
n’hésite pas, au nom de l’ordre public, à briser certains principes essentiels à la prise en
compte des droits et libertés des citoyens. Dans tous les cas, il s’agit ici d’une preuve
supplémentaire de l’importance des pouvoirs dont jouit le préfet dans le dispositif
1729
Art. 36 du décret n°2008/377.

504
institutionnel de maintien de l’ordre public. Signalons en outre que c’est lui qui est
chargé de préserver la paix sociale et le bon fonctionnement des services déconcentrés
de l’Etat dans le département. Etant donné la confusion qui peut s’établir et qui s’établit
même souvent entre paix sociale et paix publique, et donc entre paix sociale et ordre
public, ses pouvoirs ne peuvent que s’en trouver hypertrophiés.

S’agissant du sous-préfet, ses pouvoirs ne sont pas ici négligeables. Autorité


située à la tête de la plus petite des circonscriptions administratives depuis la disparition
des districts, il est l’autorité de police générale la plus proche des activités quotidiennes
des citoyens. L’habilitation générale dont il bénéficie lui donne donc la possibilité
d’intervenir dans n’importe quel secteur de l’activité sociale et de diverses manières.
Exerçant son pouvoir réglementaire par voie de décision, il s’en sert très souvent pour
assurer au quotidien la politique générale des pouvoirs public orientés vers la garantie
des prérogatives de l’administration, au détriment des droits et libertés. C’est ainsi qu’au
nom de l’ordre public, il procède régulièrement à l’interdiction des réunions et
manifestations publiques et parfois même privées1730, à travers une conception
essentiellement autoritaire de l’ordre public, c’est-à-dire liberticide. Ce type de mesures
constitue de loin sa principale activité. L’expérience de la pratique révèle qu’il agit très
souvent soit sur instruction de sa hiérarchie, soit de sa propre initiative. Lui, comme le
préfet, bénéficient donc en ce domaine d’une totale liberté d’agir. Autrement dit, il
n’existe pas, à l’encontre ni du préfet, ni du sous-préfet, une obligation d’agir en matière
de pouvoir administrative. Ils exercent donc ici un véritable pouvoir discrétionnaire, ce
qui peut parfois donner un caractère arbitraire et particulièrement inique à leur action.
Cette dernière peut même aller jusqu’à contrecarrer celle des autorités locales
décentralisées qui, elles aussi, bénéficient de compétences de police administrative
générale.

1730
La loi n° 90/055 portant régime des réunions et des manifestations publiques dispose clairement en son art.
2 qu’ « a un caractère public, toute réunion qui se tient dans un lieu public ou ouvert au public ». Cette
précision permet de faire une distinction entre les réunions publiques et les réunions privées, ces dernières se
tenant dans des lieux privés. Mais, les sous préfets, qui sont chargés d’appliquer ces dispositions, ne respectent
pas toujours cette distinction pourtant clairement établie par la loi. C’est ainsi qu’ils vont jusqu’à interdire ou
réprimer des réunions se tenant dans des domiciles privés, en se basant souvent sur l’objet de la réunion, qui,
selon eux, est décisif pour la qualification de publique de la réunion.

505
b. Le maire et le délégué du gouvernement

L’une des curiosités du système de décentralisation au Cameroun est la


nomination, à la tête des communes les plus importantes économiquement, transformées
pour l’occasion en communautés urbaines, de délégués du gouvernement, sorte de super
maires. Ainsi, parler simplement du maire comme autorité de police administrative à
l’échelle communale ne correspondrait pas exactement à la réalité, puisque la création
des communautés urbaines a une incidence sur la façon dont la police administrative est
exercée à cette échelle. Cela dit, on peut dire que le maire, tout comme le délégué du
gouvernement, est l’autorité de police générale par excellence. Il exerce une police
administrative particulière appelée police municipale.

Le maire est l’autorité de police administrative par excellence parce que dans la
tradition juridique française qui a inauguré ou même créé cette institution qu’est la
police municipale, on estimait que la police administrative ne pouvait être exercée qu’à
l’échelle locale, c’est-à-dire par les autorités les plus proches des problèmes de sécurité,
de tranquillité et de salubrité des citoyens. D’où la place centrale du maire dans cette
conception, seule autorité de police administrative générale pendant très longtemps, un
pouvoir de police générale n’ayant été reconnu au chef de l’exécutif qu’en 19191731.
C’est aussi pour cette raison que l’ordre public ne se conçoit ici que dans sa variante
municipale, cette dernière n’ayant été rendue nationale que sous l’action de la
jurisprudence.

Ayant importé ce modèle, le Cameroun n’a pas procédé en la matière à un copier-


coller. Car si là-bas, le maire garde ce rôle central dans l’armature institutionnelle
chargée d’assurer l’ordre public, ici, il est fortement supplanté par les autorités
exécutives. Si là-bas l’ordre public municipal a été étendu dans sa conception au plan
national par une jurisprudence et aussi des évolutions textuelles bien affirmées, ici,
l’ordre public municipal n’est pas expressément transposé à l’échelle nationale. De sorte
que la police municipale, au plan de son fondement, reste la seule à être véritablement
organisée au plan des textes. Cela étant dit, le maire, comme le délégué du
gouvernement, voient le domaine de leurs interventions de police clairement défini. Les

1731
Voir l’arrêt Labonne déjà cité.

506
compétences dévolues par la loi à la première autorité sont ipso facto reconnues à la
seconde.

Ainsi, « le maire est chargé, sous le contrôle du représentant de l’Etat, de la


police municipale et de l’exécution des actes de l’Etat y relatifs1732 ». L’objet de cette
police municipale est fixé par l’article 87 de la loi de 2004 sur les communes. Il porte sur
le bon ordre, la sûreté, la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques. Si l’alinéa 2 de
ce texte précise les missions de la police municipale, il faut dire que cette dernière va
bien au-delà. En effet, le maire peut aussi « ordonner les mesures locales sur les objets
confiés par la législation en vigueur à sa vigilance et à son autorité, assurer
l’application des lois et règlements de police1733 ». Il est « tenu d’assurer le respect des
prescriptions de police qu’il édicte1734 ». Il « exerce les pouvoirs de police en matière
de circulation routière, dans le ressort de sa commune1735 ». « Il peut, moyennant le
paiement des droits fixés par délibération, donner des permis de stationnement ou de
dépôt temporaire sur la voie publique, sur les rivières, ports et quais fluviaux relevant
de la compétence de la commue et sur d’autres lieux publics, sous réserve que cette
attribution puisse avoir lieu sans gêner la circulation sur la voie publique ou la
navigation1736 ». Le maire peut aussi accorder des permissions de voirie à titre précaire
et essentiellement révocable sur les voies publiques conformément à la législation en
vigueur1737, etc.

Les compétences de police municipale apparaissent, au regard des textes en


vigueur, particulièrement étendues. Le domaine de la police municipale est donc, bien
que précisé par les textes, suffisamment étendu pour faire du maire l’autorité de police
administrative générale la plus importante dans l’Etat, au regard du champ matériel de
son intervention. Mais, comme si cela ne suffisait pas comme dispositif de maintien de
l’ordre au niveau municipal, le législateur a cru devoir faire intervenir les autorités
étatiques dans l’exercice de cette police particulière. C’est ainsi que la loi prévoit que le
représentant de l’Etat puisse prendre « pour toutes les communes d’une circonscription

1732
Art. 86(1) de la loi n°2004/18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes.
1733
Art. 84(1) de la loi n°2004/18.
1734
Art. 84(2) de la loi n°2004/18.
1735
Art. 89(1) de la loi n°2004/18.
1736
Art. 89(2) de la loi n°2004/18.
1737
Art. 89(3) de la loi n°2004/18. Ces permissions ont pour objet l’établissement dans le sol ou sur la voie
publique, des réseaux destinés à la distribution de l’eau, de l’énergie électrique ou du téléphone.

507
ou pour une ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été
pourvu par les autorités locales1738 » toutes mesures relatives à l’objet de la police
municipale. Bien que la loi précise par la suite que cette compétence ne peut être exercée
qu’après mise en demeure restée sans résultats adressée au maire, il s’agit là d’un
pouvoir de substitution qui est révélateur de l’accent mis sur les nécessités d’ordre
public. Bien que cela contribue à une forme d’étatisation de la police municipale,
fragilisant au passage l’institution municipale, il s’agit davantage d’une densification de
l’autorité en matière de police administrative, qui démontre non seulement la prévalence
des exigences liées au maintien de l’ordre public par rapport à celles relatives à la
garantie des libertés publiques. Le foisonnement des autorités de police générale peut
alors être doublé d’un pullulement des autorités de police spéciale, sans que cela
surprenne.

II. LE PULLULEMENT DES AUTORITES DE POLICE SPECIALE

Il est pratiquement impossible d’identifier toutes les autorités de police spéciale


qui existent au Cameroun. En tout cas, une telle tâche s’avère, à l’essai, particulièrement
fastidieuse. Il a déjà été souligné l’extrême difficulté qu’il y a à isoler la notion de police
spéciale ici1739. Une telle difficulté ne peut que se reporter à l’identification des organes
chargés de les exercer, c’est-à-dire les autorités de police administrative spéciale. Car ces
autorités semblent disséminées dans l’ensemble du système administratif. Pour identifier
la notion de police spéciale, il a fallu procéder par une démarche à l’absurde, s’appuyant
sur un faisceau d’indices, tel que, l’intérêt d’ordre public en cause, l’étendue ou la nature
des pouvoirs, l’étendue de la circonscription soumise au pouvoir de police, et surtout, les
catégories de personnes visées, mais surtout encore, le mode de conditionnement de la
compétence. Ce dernier indice s’avère d’ailleurs le plus décisif lorsque l’on veut
identifier une autorité de police spéciale. Cette dernière voit très souvent sa compétence
définie et donc précisée par un texte, lequel là limite matériellement dans un
compartiment de l’activité sociale1740.

1738
Art. 91(1) de la loi n°2004/18.
1739
Cf. supra. Introduction générale et chapitre II du titre I de la deuxième partie.
1740
Au-delà de la dimension matérielle, qui conduirait à considérer comme police spéciale celle qui porterait
exclusivement sur l’une des composantes de l’ordre public, et jamais sur toutes à la fois, il faut également
intégrer la dimension géographique, selon laquelle une police spéciale peut bien porter sur l’ensemble des

508
L’application de cet indice révèle alors l’existence d’un nombre impressionnant
d’autorités de police spéciales, d’où l’idée de pullulement. On peut alors, en analysant la
structuration administrative, se rendre compte que ces autorités se rencontrent en très
grand nombre au niveau ministériel. Ensuite en descendant au niveau infra étatique, on
observe que même au niveau des personnes morales chargées d’exercer certaines
missions administratives au niveau technique, on identifie plusieurs autorités de police
administrative spéciale.

A. Le pullulement au niveau ministériel

La fonction ministérielle est l’un des domaines de prédilection de l’expansion des


polices spéciales. L’atomisation de la fonction ministérielle que l’on observe
actuellement au Cameroun et qui a culminé en 2004 n’est pas pour améliorer le
phénomène1741. Car la plupart des chefs de départements ministériels sont des autorités
de police spéciale, principalement dans le portefeuille de leur ministère, parfois même
au-delà. De sorte que la multiplication des ministères ne peut que déboucher sur la
multiplication des autorités de police spéciale. A l’image de la diversification des
matières de police spéciale, l’on assiste donc à une égale diversification ministérielle des
autorités de police spéciale1742. On peut les classer en deux grands groupes à savoir
d’une part les ministres chargés d’une seule police spéciale et les ministres chargés de
plusieurs polices spéciales. Si les premiers sont les plus nombreux et relativement faciles
à présenter, les seconds sont les moins nombreux, mais leur présentation n’est pas aisée
en raison de l’accumulation des pouvoirs de police spéciale qui les caractérise.

composantes de l’ordre public, mais être limitée à une portion limitée du territoire national(comme un campus
scolaire ou universitaire, ou l’enceinte d’un hôpital). Elle tire donc de ce dernier aspect sa spécialité.
1741
Si cette atomisation s’est faite progressivement, au fil des nombreux décrets ayant successivement
organisés le Gouvernement, elle semble avoir culminé avec le décret n°2004/320 du 8 décembre 2004 qui a
porté le nombre des départements ministériels à 36. Même si tous les portefeuilles ministériels ne donnent pas
lieu à exercice d’un pouvoir de police spéciale, il reste que l’éclatement de plusieurs départements ministériels
a contribué à l’augmentation du nombre des autorités de police spéciale. Le décret du 9 décembre 2011 a
confirmé cette tendance, en créant un 37ème département ministériel.
1742
Ne sont pas ici concernés les ministres que l’on pourrait qualifier de sans portefeuille. Seuls les ministres
détenteurs d’un portefeuille sont concernés par l’exercice des pouvoirs de police spéciale. Encore, il faut
éliminer ici les portefeuilles qui ne donnent pas lieu à exercice de pouvoirs de police à proprement parlé,
comme les portefeuilles du contrôle supérieur de l’Etat, de la Fonction Publique et de la Réforme
Administrative, des Relations avec les Assemblées, des Relations Extérieures, etc.

509
1. Les ministres exerçant des polices spéciales à tendance homogène

Les ministres exerçant une seule police spéciale sont les moins nombreux, par
rapport à ceux exerçant plusieurs polices spéciales. En fait, il serait plus juste de parler
ici de ministres exerçant des pouvoirs de police spéciale dans un seul secteur, en raison
du caractère souvent globalisant de la plupart des polices spéciales. Ceci élargit le champ
de ces dernières, cette réalité étant exacerbée par le caractère très imprécis de la
réglementation, d’où la notion de police spéciale s’en trouve difficilement identifiable.
Si bien qu’elle est finalement rattachée beaucoup plus à la nature de l’activité sur
laquelle elle porte, à la façon dont elle est réglementée qu’à l’organe qui va l’exercer, en
l’occurrence ici le ministre. Aussi, dès lors qu’il n’est pas autorité de police générale, et
du moment où il est indéniable qu’ils exercent des pouvoirs de police, ces derniers sont
qualifiés de pouvoirs de police spéciale. Et comme en général les portefeuilles
ministériels portent sur un secteur de l’activité sociale, il faut considérer que les
ministres concernés exercent une seule police spéciale, chaque fois que les textes ne leur
accordent pas expressément des pouvoirs de police dans un pan de l’activité sociale
rattachable à leur portefeuille1743.

Les ministres ici considérés sont à classer en deux groupes. Il s’agit de ceux dont
le pouvoir de police spéciale ne saurait souffrir d’aucune contestation au regard
notamment des textes. D’autre part, il y a ceux qui, n’étant pas, au regard des textes
reconnus comme autorités de police spéciales, amènent néanmoins à s’interroger sur leur
nature d’autorités de police spéciale, au regard notamment des actions qu’ils peuvent
être amenés à effectuer au quotidien.

S’agissant tout d’abord des ministres qui sont incontestablement des autorités de
police spéciale, reconnus comme tels et compétents dans un seul secteur, on peut citer,
sans prétention à l’exhaustivité, le ministre de la santé publique, le ministre de l’élevage,
des pêches et des industries animales, le ministre de l’environnement et de la protection
de la nature, et le ministre des sports et de l’éducation physique1744.

1743
L’existence d’une habilitation textuelle est ici en effet un des critères majeurs de reconnaissance d’une de
police spéciale. Or, les textes apparaissent souvent à certains égards très elliptiques sur cette exigence de base,
si bien qu’on est très souvent amené à déduire l’existence d’une police spéciale implicitement, sur la base de la
considération que l’activité concernée fait partie du champ de compétence du ministre à qui l’on reconnait le
statut d’autorité de police spéciale sur la matière.
1744
Evidemment, cette liste n’est pas exhaustive.

510
Le ministre de la santé publique est responsable de la police sanitaire sur
l’ensemble du territoire national. L’énonciation de ses attributions pourrait laisser à
penser qu’il exerce ici plusieurs polices spéciales. Mais il n’en est rien. Si au regard des
textes, il est chargé d’assurer le contrôle technique des formations sanitaires privées, de
veiller au développement des actions de prévention et de lutte contre les épidémies et
pandémies, du contrôle de l’exercice des professions de médecin, chirurgiens dentistes,
pharmacien et médico-sanitaire, d’assurer la tutelle des ordres professionnels
correspondants, de la médecine préventive, de veiller à la couverture sanitaire du
territoire, d’assurer le suivi du développement de la médecine traditionnelle1745, tout cela,
c’est dans le cadre de l’exercice d’une seule police spéciale à savoir la police sanitaire,
puisque c’est lui qui est responsable de l’élaboration et de la mise en œuvre de la
politique du gouvernement en matière de santé publique. Toutes les mesures de police
administrative qu’il peut être appelé à prendre sont rattachables à cet unique objectif. Ses
pouvoirs de police spéciale en ce domaine sont toutefois limités par ceux d’un autre
ministre à savoir, le ministre de l’élevage, des pêches et des industries animales.

Le ministre de l’élevage, des pêches et des industries animales est lui aussi en
charge de la police sanitaire, mais dans un domaine spécifique à savoir, la police
sanitaire vétérinaire1746. C’est dans ce cadre qu’il est en charge de l’amélioration du
contrôle sanitaire en matière de pêche maritime, fluviale et piscicole, de la salubrité des
denrées d’origine animale, halieutique et piscicole, de la protection des ressources
maritimes et fluviales, de l’application des mesures visant à la conservation, au
développement et à l’exploitation des animaux d’élevage et des produits de la pêche1747.
Si on peut s’interroger sur la pertinence de la séparation entre la police sanitaire que l’on
pourrait qualifier ici de générale et la police sanitaire vétérinaire1748, il n’en reste pas

1745
Les attributions du ministre de la santé sont énoncées à l’article 8(32) du décret n°2011/408 du 9 décembre
2001 portant organisation du Gouvernement.
1746
Le décret portant organisation du gouvernement n’emploi pas l’expression « police sanitaire vétérinaire »
parmi les attributions de ce ministre. Sa compétence en cette police est donc déduite de l’analyse des
attributions définies. Au terme de cette analyse, c’est bien ce ministre qui est en charge des services
vétérinaires. Comme le prévoit la loi n°2000/017 du 19 décembre 2000 portant réglementation de l'inspection
sanitaire vétérinaire, « les conditions de traitement, d’immunisation, de destruction d’animaux malades ou
suspectés de l’être sont déterminées par arrêté du Ministre chargé des services vétérinaires » (Art. 14).
1747
Sur les attributions du ministre de l’élevage, des pêches et des industries animales, lire l’art. 8(15) du
décret n°2011/408 du 9 décembre 2011.
1748
Santé humaine et santé vétérinaire sont en effet intimement liées, et chacun pourrait en convenir. Et le
législateur lui-même semble en être conscient, d’où l’imbrication des régimes de ces deux polices. A titre
illustratif, l’art. 12 de la loi n°2000/017 précitée dispose que « la liste des maladies énumérées à l’article 11
ci-dessus peut être complétée par arrêté conjoint du Ministre chargé des services vétérinaires et du Ministre

511
moins que la réalité juridique est celle de l’existence ici de deux polices spéciales,
confiées à deux autorités distinctes. Cela ne peut que contribuer ici à l’idée démontrée
d’un pullulement des autorités de police spéciale.

Comme autre ministre détenteur de pouvoirs de polices spéciales dans un seul


domaine, on a le ministre de l’environnement et de la protection de la nature. Il est en
charge de ce que l’on pourrait appeler ici, faute d’une précision textuelle, la police
environnementale. Même si la police environnementale fait intervenir d’autres ministres
en certains de ses pans, il n’en demeure pas moins que le ministre de l’environnement,
de la protection de la nature et du développement durable est la principale autorité
compétente en ce domaine, et qu’il est responsable de cette seule police spéciale. Cette
dernière, au cœur de la politique gouvernementale en matière d’environnement et de
protection de la nature dans une perspective de développement durable, donne au
ministre pouvoir de définir les modalités et les principes de gestion rationnelle et durable
des ressources naturelles, ainsi que les mesures de gestion environnementales en liaison
avec les ministères et organismes spécialisés concernés1749. La police environnementale
consistera donc en une surveillance des mesures, modalités et principes préalablement
définis par le ministre. Il va de soi que toute mesure de cette autorité de police spéciale
allant au-delà de ce cadre juridiquement défini sera considérée comme irrégulière, en
raison du champ matériel ici défini de la police environnementale. Aucune compétence
de police spéciale n’est reconnue au ministre de l’environnement en dehors de ce cadre.

La dernière autorité de police reconnue comme telle et détentrice d’une seule


police spéciale est le ministre des sports et de l’éducation physique. Il est en charge de ce
que l’on pourrait appeler ici, faute de précision textuelle encore une fois, la police
sportive. Dans ce cadre, il assure le contrôle des établissements de formation des
sportifs, suit les organisations et structures privées relevant du domaine des sports et de
l’éducation physique. Il détermine les conditions et mesures de sécurité à observer dans

chargé de la santé publique pour de nouvelles maladies présentant un caractère dangereux pour la santé
humaine ».
1749
Sur les attributions du ministre de l’environnement, lire l’art. 8(19) du décret n°2011/408, ainsi que le
décret n°2012/431 du 1er octobre 2012 portant organisation du ministère de l’environnement, de la protection
de la nature et du développement durable en son art. 1er (2).

512
les enceintes sportives, en collaboration avec tous les organismes intervenant en ce
domaine, à l’exemple des fédérations sportives1750.

En dehors de ces ministres clairement reconnus comme autorités de police


spéciale, au regard du caractère suffisamment explicite des textes, certains ministres,
n’ayant pas clairement de pouvoirs de police spéciale, prennent néanmoins ou peuvent
prendre des mesures s’analysant en de véritables actes de police, dans leurs secteurs
respectifs. Il s’agit pour l’essentiel des ministres en charge des portefeuilles de
l’éducation à savoir : le ministre de l’éducation de base, le ministre des enseignements
secondaires, le ministre de l’enseignement supérieur, et dans une certaine mesure le
ministre de l’emploi et de la formation professionnelle. Ces ministres, au regard des
textes, ne sont pas clairement désignés comme autorités de police spéciale dans leurs
portefeuilles respectifs. Mais pourtant, ils prennent régulièrement des mesures qui
s’analysent en de véritables mesures de police spéciale. Par exemple, le ministre des
enseignements secondaires prend régulièrement des mesures visant à assurer l’ordre et la
discipline au sein des établissements scolaires sous son autorité, tout comme le ministre
de l’éducation de base1751. S’agissant du ministre de l’enseignement supérieur, s’il ne
peut assurer l’ordre public au sein des universités et instituts d’enseignement supérieur
en raison de leur statut autonome qui donne aux seuls recteurs et responsables de ces
instituts l’exclusivité de l’exercice des pouvoirs de police en leur sein, il peut, tout
comme l’ensemble des ministres ici cités, prendre des mesures de police à l’instar de la
fermeture de certains établissements d’enseignement privés pour non respect de la
réglementation, particulièrement les mesures relatives à l’autorisation d’ouverture.
Certains ministères, à l’instar de celui des enseignements secondaires et de l’éducation

1750
Art. 8(33) du décret n°2011/408. Pour une vue plus exhaustive des attributions du ministre des sports, se
référer au décret n°2012/436 du 1er octobre 2012 portant organisation du ministère des sports et de l’éducation
physique, précisément en son art. 1er (2).
1751
Selon l’art. 34(1) du décret n°2001/041 du 19 février 2001 portant organisation des établissements
scolaires publics et attributions des responsables de l’administration scolaire, le chef d’établissement « veille
à la sécurité des personnes et des biens, à l’hygiène et à la salubrité de l’établissement et à la préservation de
son environnement ». Ainsi, ce sont les chefs d’établissement qui assurent la police au sein des établissements
scolaires. Mais le cadre général de leurs différentes actions est fixé par les ministres respectifs de l’éducation
de base et des enseignements secondaires, puisqu’ils sont chargés « de la formation morale, civique et
intellectuelle des enfants en âge scolaire en liaison avec le ministère de la jeunesse et de l’éducation civique
(…), du suivi et du contrôle de la gestion administrative et pédagogique des établissements publics et privés
de ce niveau d’enseignement » pour le premier, « de la formation morale, civique et intellectuelle des élèves
de l’enseignement secondaire général et technique en liaison avec le ministère de la jeunesse et de
l’éducation civique (…) du suivi et du contrôle de la gestion administrative et pédagogique des structures
d’enseignement publiques et privées pour ce niveau d’enseignement » pour le second.

513
de base, comportent même des brigades de répression des établissements scolaires
clandestins. Ce phénomène tend à confirmer l’idée précédemment évoquée du lien
nécessaire ici entre pouvoir administratif et pouvoir de police administrative. En tout cas,
on peut, à la lumière de cette réalité, considérer que ces ministres sont de véritables
autorités de police spéciale, bien que ce soit dans leur seul domaine. Il s’agit là d’une
autre confirmation de l’idée de pullulement des autorités de police spéciale.

2. Les ministres détenteurs de polices spéciales à caractère hétérogène

Ils sont les plus nombreux. La plupart des ministres sont en effet responsables de
plusieurs polices spéciales. Ce phénomène semble même constituer la règle, par rapport
à celui précédemment analysé des ministres exerçant une seule police spéciale. Il s’agit
là d’une forme de concentration de pouvoirs de police qui est révélatrice de l’importance
considérable accordée aux exigences de maintien de l’ordre public, et donc aux
prérogatives de l’administration. Seront successivement envisagés ici, les ministres ayant
un grand nombre de polices spéciales, puis les ministres ayant un nombre réduit de
polices spéciales, avant d’évoquer le cas de certains hauts responsables administratifs,
assimilés à des ministres, et qui sont au moins partiellement responsables de plusieurs
polices spéciales.

Dans le premier groupe évoqué à savoir celui des ministres ayant un grand
nombre de polices spéciales, on pourrait citer le ministre de l’administration territoriale
et de la décentralisation. Sa stature éminente au sein de l’appareil gouvernemental rejailli
sur l’importance de ses pouvoirs en matière de police1752. Ainsi, est-il responsable de la
police des cultes1753, de la police des associations1754, de la police des ONG1755, de la
police des activités privées de gardiennage1756, entre autres. L’on pourrait ajouter à cette
liste non exhaustive ce que l’on pourrait appeler la police spéciale de la protection civile,

1752
Le ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation est en effet un ministère régalien, au
regard du contenu de ce portefeuille, et la personnalité qui l’occupe est en général une personnalité éminente
au sein du Gouvernement.
1753
Le décret n°2011/408 dispose de manière laconique en son art. 8(5) a, que le MINATD est chargé « des
questions de culte ». Dans le même sens, lire le décret n° 2005/104 du 13 Avril 2005 portant organisation du
Ministère de l'Administration Territoriale et de la Décentralisation.
1754
Idem. Le MINATD est chargé « du suivi des activités des associations, organisations et mouvements à
but non lucratif ». Lire la loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant liberté d’association.
1755
Loi n° 99/014 du 22 décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales.
1756
Loi n°97/021 du 10 septembre 1997 relatives aux activités privées de gardiennage, modifiée et complétée
par la loi n°2014/027 du 23 décembre 2014.

514
qui vise notamment à prévenir les catastrophes ou à assister les victimes lorsqu’elles
surviennent1757, et si on est d’accord pour penser qu’il s’agit là d’une police à part
entière. Tout comme on pourrait aussi évoquer la police des réfugiés1758. Si l’octroi de la
plupart de ces polices au ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation
ne devrait soulever en principe aucun problème, on pourrait s’interroger sur sa
compétence dans le domaine de la police des cultes. En effet, on pourrait penser que la
pratique d’un culte ayant plus à voir avec la liberté de conscience ou la liberté religieuse,
une telle police soit donc éloignée des préoccupations éminemment politiques dont est
en charge ce ministre. Mais celui-ci étant en charge de la protection des libertés
publiques, et la question des cultes gardant ici un caractère éminemment politique, on
comprend pourquoi la responsabilité d’une telle police spéciale lui est attribuée. Le
ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation est en outre en charge de
la police des jeux1759, de la police des appels à la générosité publique1760. Il influence la
police des réunions et manifestations publiques1761, la police des débits de boisson1762, de
la police des dépouilles1763, etc. Au regard du nombre de polices spéciales qu’il exerce,
le ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation apparait ainsi comme
celui qui est de loin le plus influent dans le dispositif institutionnel de maintien de
l’ordre public, qu’ils soient généraux ou spéciaux. Cela dit, d’autres ministres ne sont
pas en reste.

Les autres ministres responsables de plusieurs polices spéciales ne sont pas en


nombre négligeable. On se bornera à les citer, tout en présentant les polices spéciales
dont ils ont la charge, sans prétention à l’exhaustivité. Il s’agit ainsi du ministre du

1757
Loi n°86/016 du 16 décembre 1986 portant réorganisation générale de la protection civile ; décret n°
98/031 du 09 mars 1998 portant organisation des plans d’urgence et de secours, en cas de catastrophe ou de
risque majeur.
1758
Voir la loi n°2005/006 du 27 juillet 2005 portant statut des réfugiés au Cameroun, ainsi que l’arrêté n°269
du 13 mars 2014 portant création d’un comité interministériel ad hoc chargé de la gestion des situations
d’urgence concernant les réfugiés.
1759
Voir la loi n°70-LF-12 du 19 novembre 1070 portant réglementation des jeux, modifiée par l’Ordonnance
n°72-73 du 10 novembre 1972.
1760
Loi n°89-2 du 21 juillet 1983 régissant les appels à la générosité publique ; décret n°85/1131 du 14 août
1985 fixant les conditions d’octroi de l’autorisation d’appel à la générosité publique.
1761
A travers le pouvoir hiérarchique qu’il exerce sur les sous préfets, qui se traduit entre autres par un pouvoir
d’instruction, sur la façon dont ils doivent user de leurs pouvoirs dans l’exercice de cette police essentielle.
1762
Le MINATD est en effet chargé de prendre les textes d’application du décret n°90/1483 du 9 novembre
1990 fixant les conditions et modalités d’exploitation des débits de boissons. Art.24 de ce texte.
1763
Décret n° 74-199 du 14 mars 1974 portant réglementation des opérations d’inhumation, d’exhumation et
de transfert des corps.

515
commerce qui a en charge la police de la concurrence1764, la police des prix1765, la police
de la métrologie1766, à savoir les poids et mesures, la police de la normalisation1767, la
police de la consommation1768, etc. Il s’agit du ministre de l’agriculture et du
développement rural qui a en charge la police alimentaire1769, dont l’objectif est de
garantir la sécurité et l’autosuffisance alimentaire, la police semencière 1770, la police des
engrais1771, la police phytosanitaire1772, et ce que l’on pourrait appeler la police de
l’amélioration du cadre de vie en milieu rural1773.

Le ministre des affaires sociales est en charge de toutes les polices que l’on
pourrait qualifier ici de polices spéciales de la solidarité nationale, à savoir en particulier
la police des handicapés1774, mais surtout la police de prévention, d’assistance et de
protection des personnes socialement vulnérables, qui comporte plusieurs facettes, à
savoir la lutte contre la traite des personnes1775, la lutte contre la délinquance juvénile1776,
l’aide aux personnes âgées et aux nécessiteux1777, la protection de l’enfance1778, etc.

1764
Il est en effet chargé, selon le décret n°2011/408, « de la promotion et du contrôle de la saine
concurrence ». Voir ainsi la loi n° 98/013 du 14 juil. 1998 relative a la concurrence.
1765
Il est chargé, selon le décret n°2011/408, « de l’élaboration de la réglementation en matière de prix et du
suivi de son application en liaison avec les Administrations concernées ». Voir dans le même sens, le décret
n°2012/513 du 12 novembre 2012 portant organisation du ministère du Commerce, art. 1er (2). Voir surtout
l’ordonnance n°72/18 du 17 octobre 1972 portant régime général des prix.
1766
Il est chargé « du suivi de l’élaboration et de l’application des normes des instruments de mesure et de
contrôle de qualité ». Voir les décrets n°2011/408 et 2012/513.Voir aussi la loi n° 2004/002 du 21 avril 2004
régissant la métrologie légale au Cameroun.
1767
Lire la loi n°96/117 du 5 aout 1996 relative à la normalisation.
1768
Selon les décrets n°2011/408 et 2012/513, il est chargé « de la régulation des approvisionnements des
produits de grande consommation en relation avec les Administrations concernées », « du suivi des circuits
de conservation et de distribution des produits de grande consommation », entre autres. Voir, pour une vue
générale, la loi-cadre n°2011/12 du 06 mai 2011 portant protection du consommateur.
1769
Il est chargé « de la conception des stratégies et des modalités pour garantir la sécurité et
l’autosuffisance alimentaire ainsi que du suivi de leur mise en œuvre ».
1770
Voir la loi n° 2001/014 du 23 Juillet 2001 relative à l’activité semencière.
1771
Voir la loi n° 2003/007 du 10 Juillet 2003 régissant les activités du sous-secteur engrais au Cameroun
1772
Voir la loi n° 2003/003 du 21 avril 2003 portant protection phytosanitaire. L’art. 5 de ce texte dispose :
« l’autorité compétente en matière de protection phytosanitaire est le ministre chargé de l'Agriculture. Il
peut en déléguer l'exercice à toute personne physique ou morale suivant les modalités fixées par voie
réglementaire ».
1773
Il est en effet chargé, selon les décrets n°2011/408 et 2005/160 du 25 mai 2007 portant organisation du
ministère de l’agriculture et du développement rural, « de la participation à la planification et du suivi de la
réalisation des programmes d’amélioration du cadre de vie en milieu rural, en liaison avec les Ministères
compétents ». Mais il n’est pas seul compétent en ce domaine. Voir ainsi la loi n°2011/008 du 6 mai 2011
d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire du Cameroun.
1774
Voir la loi n°2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotion des personnes handicapées.
1775
Voir la loi n°2011/024 du 14 décembre 2011 relative à la lutte contre le trafic et la traite des personnes.
1776
Voir par exemple le décret n° 2001/110/PM du 20 mars 2001 fixant l’organisation et le fonctionnement des
institutions publiques d’encadrement des mineurs et de rééducation des mineurs inadaptés sociaux.
1777
Voir le décret n°82/412 du 9 septembre 1982 fixant les modalités d’octroi des secours de l’Etat aux
indigents et aux nécessiteux.
1778
Voir la loi n°2005/015 du 29 décembre 2005 relative à la lutte contre le trafic et la traite des enfants.

516
Le ministre des arts et de la culture a en charge la police du cinéma 1779, la police
des sites et monuments historiques1780, la police des musées1781, la police des
bibliothèques, cinémathèques et médiathèques, la police des conservatoires1782, la police
des spectacles1783, la police du dépôt légal1784.

Le ministre de la communication a en charge la police des médias, qu’ils soient


écrits ou audio-visuels1785, la police de la publicité1786.

Le ministre de l’énergie et de l’eau a en charge la police de l’eau, concernant


l’utilisation de celle-ci dans les activités agricoles, industrielles et sanitaires1787, la police
des bassins d’eau et nappes phréatiques1788, la police pétrolière1789, la police gazière aval,
bref, tout ce que l’on pourrait appeler ici les polices énergétiques auxquelles fait partie la
police de l’électricité1790, ainsi que la police des installations électriques intérieures et
des matériels électriques1791.

Le ministre de l’environnement, de la protection de la nature et du développement


durable a en charge la police atmosphérique1792, la police des déchets dans toutes leurs
variantes1793, bref, les polices de la gestion de l’environnement et les polices de la
conservation de l’environnement1794. Ces compétences en ces domaines recoupent
d’ailleurs celles du ministre des forêts et de la faune. Ce dernier a en charge la police

1779
Voir la loi n°88/017 du 16 décembre 1988 fixant l’orientation de l’activité cinématographique.
1780
Voir la loi fédérale n°63-22 du 19 juin 1963 organisant la protection des monuments, objets et sites, de
caractère historique ou artistique, ainsi que la récente loi n°2013/003 du 18 avril 2013 régissant le patrimoine
culturel au Cameroun. Si la loi fédérale donnait la responsabilité de cette police à une commission logée au
sein du ministère de l’éducation nationale, cette dernière a pu valablement en être dessaisie à partir de la
création d’un ministère en charge de la culture.
1781
Voir la loi n°2013/003 du 18 avril 2013 régissant le patrimoine culturel au Cameroun
1782
Il est vrai qu’en cette matière, il n’est pas très exact de parler de polices spéciales, ces matières ne faisant
pas l’objet de lois particulières, ou même de lois tout court.
1783
Voir la loi n°2004/001 du 21 avril 2004 portant régime des spectacles
1784
Voir la loi n°2000/05 du 17 avril 2000 relative au dépôt légal.
1785
Voir la loi n°90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale, modifiée par la
loi n°96/04 du 4 janvier 1996.
1786
Loi n°2006/018 du 29 décembre 2006 régissant la publicité au Cameroun
1787
Voir le décret n°2011/408, et le décret n°2005/087 du 29 mars 2005 portant organisation du ministère de
l’énergie et de l’eau.
1788
Idem.
1789
Ibid.
1790
Voir la loi n°2011/022 du 14 décembre 2011 régissant le secteur de l’électricité au Cameroun
1791
Idem, art. 75 et s.
1792
Voir la loi n°1996/12 du 5 août 1996 portant loi-cadre relative à la gestion de l’environnement. Voir aussi
le décret n°2011/2582/PM du 23 aout 2011 fixant les modalités de protection de l’atmosphère au Cameroun.
1793
Voir la loi n°96/12, art. 42 et s. Et surtout, la loi n° 89/27 du 29 décembre 1989 portant sur les déchets
toxiques et dangereux, sauf son art. 4(1) premier tiret.
1794
Bien que cette distinction ne soit pas expressément consacrée par le droit positif camerounais. Voir
toujours la loi n°96/12.

517
forestière1795, la police faunique1796, la police des jardins botaniques1797, qui porte sur leur
aménagement et leur gestion.

Le ministre de l’habitat et du développement urbain a en charge la police de


l’habitat social1798 qui vise l’amélioration de l’habitat tant en milieu urbain qu’en milieu
rural. Il intervient dans la police de la circulation, en ce qui concerne son amélioration,
exclusivement dans les grands centres urbains, la police de l’embellissement des centres
urbains, la police de l’assainissement et du drainage, notamment en ce qui concerne
l’application des normes y relatives, de la police de l’hygiène et de la salubrité et de la
police de déchets, en ce qui concerne précisément l’enlèvement et/ou le traitement des
ordures ménagères, bref, du suivi du respect des normes applicables à ces deux dernières
polices spéciales1799.

Le ministre de l’industrie, des mines et du développement technologique a en


charge la police minière1800, la police gazière amont1801, la police pétrolière amont1802, de
la police des carrières, de la police de la qualité des produits, de la police des zones
franches industrielles1803, de la police des établissements classés dangereux, insalubres
ou incommodes1804. Cette dernière police attribuée à cette autorité n’est pas d’ailleurs
sans soulever des questions relativement à la pertinence du choix ainsi opéré. On aurait
pensé que le ministre de l’environnement eut pu être à même d’exercer une telle police,
car cette dernière a plus à voir avec l’environnement. Mais le maintien même de nos
jours de cette police spéciale dans le portefeuille du ministre de l’industrie continue de
laisser indifférent le législateur, tout en entretenant une perplexité chez l’analyste.

1795
Loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche, art. 20 à 77.
1796
Idem, art. 78 à 140.
1797
Ibid, art. 17.
1798
Arrêté n° 009/e/2/MINDUH du 21 aout 2008 fixant les normes d’habitat social. Cet arrêté est pris en
application des lois n° 2004/003 du 21 avril 2004 régissant l'urbanisme au Cameroun et n° 97/003 du 10
janvier 1997 relative à la promotion immobilière.
1799
Lire, sur ces attributions, le décret n° 2005/190 du 3 juin 2005 portant organisation du ministère du
développement urbain et de l’Habitat.
1800
Voir la loi n° 2001/001 du 16 avril 2001 portant code minier, abrogée par la récente loi n°2016/017 du 14
décembre 2016 portant code minier.
1801
Voir la loi n°2012-06 du 19 avril 2012 portant code gazier.
1802
Loi n° 99/013 du 22 décembre 1999 portant code pétrolier.
1803
Voir l’ordonnance n°90/001 du 29 janvier 1990 créant le régime de la zone franche au Cameroun, ratifiée
par la loi n°90/023 du 10 août 1990. Mais de nos jours, l’on parle plutôt de zone industrielle. Voir à cet effet la
récente loi n° 2013/011 du 16 décembre 2013 régissant les zones économiques au Cameroun.
1804
Voir la loi n°98/015 du 14 juillet 1998 relative aux établissements classés dangereux, insalubres ou
incommodes.

518
Le ministre des postes et télécommunications a en charge la police relative aux
communications électroniques1805, la police de la cyber sécurité et de la
cybercriminalité1806, la police spéciale relative au commerce électronique1807.

Le ministre du tourisme est en charge de la police touristique, qui implique la


gestion des sites touristiques, des parcs d’attraction et des parcs de loisirs1808, de la police
des établissements de tourisme1809.

Le ministre des transports a en charge la police de la sécurité routière, qui


implique entre autres la réglementation du permis de conduire et de l’activité des auto-
écoles1810, la police du transport routier1811, la police ferroviaire1812, la police
aéronautique civile1813, la police maritime et fluviale, la police météorologique.

Le ministre des travaux publics est en charge de la police de l’entretien et de la


protection du patrimoine routier national1814. Il définit par ailleurs les règles à observer
dans la construction des routes, y compris les voiries urbaines.

Au total, bien que cette liste des ministres exerçant plusieurs polices spéciales ne
soit pas exhaustive, on peut constater une véritable démocratisation de la compétence de
police à l’échelle ministérielle. Ceci conduit à un véritable pullulement des autorités de
police spéciale à ce niveau. Ceci est conforté par le fait que certains hauts fonctionnaires,
bien que n’étant pas formellement ministres, amènent néanmoins à s’interroger sur

1805
Loi n°2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun
1806
Loi n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité au Cameroun
1807
Loi n°2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun
1808
Voir la loi n°98-6 du 14 avril 1998 relative à l’activité touristique, abrogée et remplacée récemment par la
loi n°2016/006 du 18 avril 2016 régissant l’activité touristique et de loisir au Cameroun
1809
Ibid. Voir aussi spécifiquement le décret n°99/443/PM du 25 mars 1999 fixant les modalités d’application
de la loi n°98//006 du 14 avril 1998 relative à l’activité touristique.
1810
Voir la loi n°96/07 du 8 avril 1996 portant protection du patrimoine routier national, modifiée par les lois
n°98/11 du 14 juillet 1998 et n°2004/021 du 22 juillet 2004, et surtout le Décret n°79/341 du 3 septembre
1979 portant réglementation de la circulation routière, modifié et complété par le décret n°86/818 du 30 juin
1986. Règlement n°040/01 - UEAC 089 - CM - 06 portant adoption du code communautaire révisé de la
route. Arrêté n°003964/A/MINTPT du 23 juillet 1991 portant réglementation du permis de conduire, modifié
et complété par l’arrêté n° 1013/A/MINT/DTT du 3 août 1993 ; arrêté n°00406/A/MINDT/DTT du 28 avril
2000 portant réglementation du permis de conduire et des auto-écoles.
1811
Loi n°2001-015 du 23 juillet 2001 régissant les professions de transporteur routier et d’auxiliaire des
transports routiers ; décret n° 2004/0607/pm du 17 mars 2004 fixant les conditions d’accès aux professions
de transporteur routier et d’auxiliaire des transports routiers.
1812
Loi n°74/10 du 16 juillet 1974 relative à la police et à la sécurité des chemins de fer. Décret N°75/588 du
20 aout 1975 relatif à la police et à la sécurité des chemins de fer.
1813
Loi n°63/LF/35 du 05 novembre 1963 portant code de l’aviation civile ; loi n°98/023 du 24 décembre 1998
portant régime de l’aviation civile ; loi n°2013/010 du 24 juillet 2013 portant régime de l’aviation civile au
Cameroun.
1814
Voir la loi n°96/07 du 8 avril 1996 portant protection du patrimoine routier national, modifiée par les lois
n°98/11 du 14 juillet 1998 et n°2004/021 du 22 juillet 2004.

519
l’existence à leur profit de compétences de police spéciale. Il s’agit ici par exemple du
Délégué général à la sûreté nationale, qui intervient dans certaines polices du domaine
public, notamment la police de la circulation1815. Mais surtout, on peut se demander s’il
n’est pas la principale autorité responsable de la police des étrangers, non seulement
parce que c’est lui qui délivre les titres de séjour et contrôle l’entrée et la sortie du
territoire national1816, mais aussi parce qu’il peut prendre des mesures de refoulement à
la frontière, par l’entremise du chef de poste frontalier1817. Dans tous les cas, le DGSN
semble être, en tant que responsable des services de l’émi-immigration, une autorité de
police principale en matière de police des étrangers. Ceci ne peut qu’ajouter à la
floraison des autorités de police spéciale, au regard des compétences reconnues aux
établissements publics.

B. Le pullulement au niveau des établissements publics

Les nécessités de maintien de l’ordre public s’imposant dans toutes les sphères de
la société, il n’est pas surprenant que même au sein des personnes morales de droit
public, l’on recense des autorités de police. L’une des spécificités des personnes morales
étant justement la spécialité de leur objet, il est tout à fait logique que la nature des
pouvoirs de police ici considérés soit celle spéciale. Autrement dit, le nombre sans cesse
croissant des établissements publics conduit mathématiquement à une multiplication des
autorités de police spéciale, même s’il est vrai que les pouvoirs de police ici identifiés
sont à considérer diversement. Quoi qu’il en soit, la présentation de ces autorités de
police spéciale appelle une démarche binaire.

1815
On observe ainsi que l’ors des manifestions ayant une incidence sur l’utilisation de la voie publique, c’est
systématiquement le DGSN qui, à travers le délégué régional de la sûreté nationale de la localité concernée
établi le plan de circulation à respecter pendant toute la manifestation. Il intervient donc ainsi bel et bien dans
l’exercice de la police de la circulation.
1816
En effet, la carte de séjour, de résident ou de réfugié peut être refusée à tout étranger dont la présence
constitue une menace pour l’ordre public, comme le prévoit l’art. 65 du décret n°2000/286 du 12 octobre 2000
précisant les conditions d’entrée de séjour et de sortie des étrangers au Cameroun. Ce texte fixe les modalités
d’application de la loi n°97/012 du 10 janvier 1997 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de sortie des
étrangers au Cameroun.
1817
Selon l’art. 59 du décret n°2000/286 en effet, le refoulement est une mesure prise par le chef de poste
frontalier ou d’immigration suivi d’un compte rendu écrit au DGSN. Le refoulement se distingue donc de la
reconduite à la frontière, qui est une mesure prise par arrêté du préfet territorialement compétent sur rapport
motivé des services chargés de l’émi-immigration(art. 62), et de l’expulsion qui est une mesure prise par le
Premier ministre chef du Gouvernement, et qui est exécutée d’office, à la diligence des services en charge de
l’émi-immigration(art. 63 et 64).

520
Tout d’abord, certains établissements publics exercent des missions dans divers
domaines de l’activité socio économique. Ils remplissent des missions essentiellement de
service public, dans un objectif prestatif. On constate alors que les chefs de ces
établissements publics sont appelés à exercer une forme de police au sein des
établissements, et jamais au-delà. Il ne fait pas de doute que ces pouvoirs de police sont
de nature spéciale, bien que ces autorités poursuivent parfois des buts d’ordre public
général à savoir à la fois la sécurité, la salubrité, la tranquillité ou la morale, etc. La
spécialité de ces pouvoirs de police provient non seulement de la spécialité de l’objet de
ces personnes morales, mais aussi de la spécificité que revêtiront dans ce nouveau cadre
les exigences de l’ordre public général.

Ensuite, certains établissements publics exercent des missions qualifiées de


régulation et sont en eux-mêmes, c’est-à-dire pris comme personnes morales, des
autorités de police spéciale. Ces pouvoirs de police spéciale s’exercent donc non pas au
sein de l’établissement, mais en dehors, généralement sur l’ensemble du territoire
national. Il est utile d’envisager successivement ces deux postulations.

1. Les chefs des établissements publics n’ayant pas de missions de régulation,


autorités de police spéciale

D’une manière générale, tout directeur général d’un établissement public est, en
quelque sorte, responsable de la police au sein de l’établissement public en cause. En
effet, c’est à lui que revient le soin de fixer les règles minimales à observer afin que les
missions poursuivies par son établissement, ou les prestations qu’il poursuit,
interviennent dans l’ordre et la discipline. Il peut ainsi réglementer minimalement l’accès
des usagers aux bâtiments abritant ses services, mettre en place toutes les mesures
relatives à la préservation de la sécurité, de la salubrité et de la tranquillité au sein des
enceintes abritant ses services. Mais cela dit, parmi ces établissements publics, certains
appellent des considérations particulières, car les missions de police qui s’y exercent
sont d’un type beaucoup plus probant, en raison non seulement des missions qui leur
sont assignées, mais aussi de la taille des enceintes dans lesquelles leurs prestations sont
fournies. Ces cas spécifiques seront présentés juste à titre illustratif, sans prétention à
l’exhaustivité.

521
Tout d’abord, on pourrait citer le cas des universités. Depuis la réforme
universitaire de 19931818 qui s’est déroulée dans un contexte de forte contestation
estudiantine, on a vu se multiplier ces établissements publics à caractère scientifique et
culturel sur l’ensemble du territoire national, avec désormais à leurs têtes des recteurs.
Ce climat délétère dans lequel ces établissements publics se sont créés a mis au gout du
jour la question du maintien de l’ordre au sein des campus, si bien que la première et
même la principale mission assignée aux recteurs d’universités est celle du maintien de
l’ordre public au sein des campus. Le décret n° 93/027 du 19 janvier 1993 portant
dispositions communes aux universités pose en effet en son article 41 que « la police
générale d’une institution universitaire et dans les établissements qui la composent est
assurée par le chef de l’institution universitaire ». Cette police spéciale consiste à
« garantir le déroulement normal des activités de formation et de recherche dans la
liberté, l’ordre, la dignité, le respect de la déontologie universitaire et des lois de la
république ». C’est dans le cadre de l’exercice de ces pouvoirs de police que le recteur
peut, « en cas de menaces d’action contre l’ordre dans les enceintes et locaux de
l’université », « interdire l’accès de ces enceintes et locaux à des membres du
personnel et à des étudiants relevant soit de l’université, soit des autres services ou
organismes qui y sont installés. Cette interdiction, qui ne peut être décidée pour une
durée supérieure à trente jours, peut, au cas où des poursuites disciplinaires ou
judiciaires seraient engagées, être prolongée jusqu’au jour où la juridiction saisie se
sera prononcée par une décision devenue définitive1819 ». Le recteur peut également,
pour les motifs déjà évoqués, « suspendre des enseignements, travaux dirigés et
travaux pratiques au sein de l’établissement ou de l’institution1820 ».

Ces pouvoirs de police du recteur ne sont pas limitatifs, puisque de toute manière,
il peut, en cas d’urgence, « prendre les mesures propres au rétablissement de l’ordre et
en référer sans délai au ministre chargé de l’enseignement supérieur ». La
préservation de l’ordre au sein des campus apparait tellement impérieuse et prioritaire
aux yeux des autorités universitaires que l’on a vu se développer dans la plupart des
universités une force de police spéciale communément appelée "police campus", chargée

1818
Les principaux textes de cette réforme sont : décret n° 93/026 du 19 janvier 1993 portant création
d’universités ; décret n° 93/027 portant dispositions communes aux universités d’Etat, modifié et complété par
le décret n°2005/342 du 10 septembre 2005 ;
1819
Art. 42, 5° a), décret n°93/027.
1820
Art. 42, 5° b), décret n° 93/027.

522
d’exécuter les mesures définies dans ce sens par le recteur. Si le fondement juridique de
la mise en place de ces forces de police n’est pas très clair, on peut néanmoins penser
qu’il réside dans l’article 43 du décret n°93/027 qui dispose que « le chef de l’institution
universitaire peut faire appel à des personnels spécialisés chargés d’assurer le respect
des règlements, éventuellement de constater les manquements qui seraient faits à la
discipline universitaire ». Dans tous les cas, le recteur peut également faire appel aux
forces de l’ordre classiques, conformément au décret déjà cité.

On peut se poser la question de savoir si les pouvoirs de police du recteur ne sont


pas des pouvoirs de police générale, conformément à l’emploi de ce terme par le texte de
1993. A l’analyse, si le recteur possède des pouvoirs de police générale au sein du
campus, c’est bien dans le cadre de la police spéciale du campus, puisque ses pouvoirs
ne peuvent aller au-delà de cette enceinte. Au final, on pourrait dire que la police
spéciale du campus étant assurée par le recteur de l’université, on aura autant de polices
spéciales universitaires que l’on aura d’universités. Et la multiplication actuelle des
universités ne peut qu’accroitre ce type d’autorités de polices spéciales. Cela ne peut que
conforter l’idée du pullulement de ces autorités.

Ensuite autre établissement public au sein duquel s’exerce un véritable pouvoir de


police générale est le port. Avant la réforme portuaire de 1998, cette police était exercée
par le directeur de l’office national des ports du Cameroun (ONPC). Mais depuis la
réforme de 19981821 qui a abouti à la création de ports autonomes, c’est le directeur de
chaque port autonome qui est l’autorité de police spéciale dans ce domaine, du moins si
l’on en croit la loi n°83-16 du 21 juillet 1983 réglementant la police à l’intérieur des
domaines portuaires. Aux termes de cette loi en effet, la police à l’intérieur des domaines
portuaires est remise entre les mains de l’autorité portuaire, à savoir le directeur de
l’ONPC. La réforme ayant conduit à l’autonomisation des ports, le responsable de la
police à l’intérieur du domaine portuaire est donc le directeur du port.

Le décret d’application de la loi de 1985, à savoir le décret n°85-1278 du 26


septembre 1985 portant règlement de police et d’exploitation dans les domaines
portuaires, bien qu’il met en exergue le commandant du port, ne change rien à cet état de

1821
Voir la loi n°98/021 du 24 décembre 1998 portant organisation du secteur portuaire.

523
fait, car le commandant du port agit « sous les ordres1822 » du directeur du port. Il est
donc responsable de l’exploitation du domaine portuaire et de la sécurité technique
concernant la manutention et l’entreposage des marchandises, la prévention et la lutte
contre les incendies, la navigation, la pollution, le sauvetage1823. En outre, il coordonne
les activités de la gendarmerie du port, de la police spéciale du port, le service de santé
du port1824. Le comité de sécurité du port créé par l’article 6 de ce décret et présidé par le
gouverneur de la région correspondante, n’a ici qu’un rôle consultatif. La création par la
réforme portuaire de plusieurs ports a tout simplement multiplié les autorités en charge
de la police spéciale des ports.

Enfin, autre établissement public comportant une exigence de préservation de


l’ordre public est le cas des hôpitaux, qu’ils soient généraux, centraux ou de référence.
Les directeurs de ces établissements publics hospitaliers ont tous en charge d’assurer la
police à l’intérieur de l’enceinte hospitalière. La prodigation des soins exige en effet un
minimum d’ordre, de sécurité, de salubrité et de tranquillité au sein des hôpitaux, d’où la
nécessité d’y veiller permanemment1825.

Au total, les exemples ici évoqués n’étant pas exhaustifs, ils sont simplement
illustratifs de l’existence au sein de certains établissements publics n’exerçant pas de
missions de régulation, d’autorités de police spéciale qu’il serait fastidieux de dénombrer
ici. Cette catégorie d’autorités de police spéciale reste d’ailleurs largement méconnue par
le grand public et même par la doctrine, si bien que leur évocation ici ne peut que
s’avérer judicieuse. Leur considération pour ce qu’elles sont renforce l’idée que les
autorités de police spéciale pullulent au sein de la sphère socio-économique, tout en
révélant, au regard de l’importance de leurs pouvoirs, la place centrale qu’occupent les
exigences de préservation et de maintien de l’ordre au sein de la société camerounaise.
La multiplication actuelle des établissements publics de régulation, qui exercent de
véritables pouvoirs de police dans divers secteurs concourt également à la prospérité de
cette idée.

1822
Voir l’art. 3 du décret n°85-1278 du 26 septembre 1985 portant règlement de police et d’exploitation dans
les domaines portuaires. Ce décret est en fait un texte d’application de la loi n°83-16 du 21 juillet 1983
réglementant la police à l’intérieur des domaines portuaires.
1823
Idem.
1824
Ibid.
1825
Ces pouvoirs de police sont souvent consacrés par les différents textes organisant lesdits hôpitaux. Mais
parfois aussi, il arrive qu’ils ne soient pas expressement consacrés, et dans ce cas la police s’exerce néanmoins,
même de façon implicite.

524
2. Les établissements publics de régulation, autorités de police spéciale

Si ailleurs on les dénomme autorités administratives indépendantes1826 et qu’ici


certains auteurs proposent de les appeler établissements publics indépendants1827, il est
plus juste, conformément à la terminologie textuelle, de les appeler tout simplement des
établissements publics de régulation. Ils essaiment depuis quelques années et de plus en
plus le paysage institutionnel administratif. La plupart des secteurs de l’activité sociale et
économique en sont pourvus.

Considérer ces établissements publics de régulation comme autorités de police


administrative, précisément spéciales, ne relève pas du domaine de l’évidence. Cette
incertitude est liée à la difficulté que l’on observe au sein de la doctrine spécialisée, à
caractériser l’activité même de régulation. Est-ce une activité de prestation ou une
activité de réglementation ? Autrement dit, la régulation relève-t-elle de l’activité de
service public ou alors une activité de police administrative ? La difficulté vient du fait
que la régulation emprunte tout autant à la prestation qu’à la réglementation. Une partie
de a doctrine considère alors, comme le montre brillamment le Professeur Didier
TRUCHET1828, que la régulation n’est ni de la prestation, ni de la réglementation. Les
auteurs faisant parti de ce courant novateur au sein du droit administratif concluent alors
que la régulation constitue une troisième mission administrative après la réglementation
et la prestation. Elle contribue alors à briser, avec d’autres objets, le caractère
fondamentalement binaire du droit administratif. Il s’agit ici d’un aspect d’un
phénomène plus vaste d’ébranlement de la dimension essentiellement binaire des
catégories du droit administratif.

Au-delà du caractère novateur de ces analyses qui ont le mérite de renseigner sur
les bouleversements subis par le droit administratif contemporain, il faut dire que ces
conceptions relèvent plus d’une forme de constructivisme scientifique et surtout
simplement doctrinal, car l’activité de régulation, au fond, même si elle semble
1826
Sur cette notion, voir : Conseil d’Etat, Les autorités administratives indépendantes, Rapport public 2001,
Études & Documents n° 52 ; M.-J. GUEDON, Les autorités administratives indépendantes, Paris, 1991 ; M.
GENTOT, Les autorités administratives indépendantes, Paris, 1991 ; A. HAQUET, « Le pouvoir
réglementaire des autorités administratives indépendantes. Réflexions sur son objet et sa légitimité », RDP
2008-2-003, p. 393.
1827
G. M. PEKASSA NDAM, « Les autorités administratives indépendantes, une innovation majeure du droit
administratif camerounais », op cit. ;
1828
D. TRUCHET, « La structure du droit administratif peut-elle demeurer binaire ? », in Clés pour le siècle,
Paris, Université Panthéon-Assas, Dalloz, 2000, p. 436.

525
emprunter à la fois à la prestation et à la réglementation, relève plus de cette dernière que
de la première. La mission de régulation est fondamentalement une mission de
réglementation assortie désormais de sanctions. Il importe de ne pas se laisser abuser par
la nouveauté du mot régulation, du moins dans le sens où on l’emploie aujourd’hui, tel
qu’il provient du monde juridique anglo-saxon1829. Car la nouveauté du mot ne
correspond pas forcément à une nouveauté de la chose qu’elle désigne1830. Cette dernière
est nettement plus ancienne que le mot qui sert à la désigner aujourd’hui. Autrement dit,
la fonction de régulation n’est pas née avec la création des autorités spéciales de
régulation (AAI, EPAR). Elle existe bien avant l’avènement de ces organes. Ce qui est
nouveau, ce n’est pas la fonction de régulation elle-même, celle-ci étant consubstantielle
au développement de l’Etat providence, mais c’est la façon d’assurer cette fonction qui a
changé de nos jours. Si avant, elle était assurée par les organes administratifs
traditionnels, aujourd’hui, elle l’est par des organes spécialisés appelés autorités de
régulation.

Ainsi la régulation est donc fondamentalement une mission de police


administrative1831. Car il s’agit ici de veiller à un équilibre et donc à un certain ordre au
sein d’une activité sociale. Aussi, « la notion juridique de régulation (…) implique
l’intégration de plusieurs fonctions : la "régulation" qu’un cadre soit imposé à des
activités qui doivent respecter un certain équilibre entre les intérêts des diverses forces
sociales en présence, les droits des citoyens et l’intérêt général. Ce cadre normatif est
constitué de décisions impersonnelles qui sont des règlements ; l’application de la
règle du jeu ainsi fixée peut faire l’objet de contrôles ou de contestations qui donnent
lieu à des décisions individuelles, voire des sanctions »1832. Il ne fait donc pas de doute

1829
Voir par exemple : C. AOUN, L’indépendance des autorités de régulation des communications
électroniques et des postes (ARCEP), Thèse pour le Doctorat en Droit, Université de Cergy-Pontoise, 2006, p.
3. Pour une vue générale, lire : M.-A. FRISON-ROCHE, « Définition du droit de la régulation », Recueil
Dalloz 2004, n°2, pp. 126-129.
1830
En effet, prise dans un sens large qui est le sens courant de ce concept, la régulation est intrinsèquement
liée à l’idée de droit. On peut donc considérer que dès lors qu’il y a un ensemble de règles juridiques, il y a
assurée une fonction de régulation, ce qui signifie donc que la régulation n’est pas née avec la création des
agences de régulation.
1831
La vision de la régulation comme activité de police est présente dans la doctrine : A.-S.
MESCHERIAKOFF, Droit public économique, PUF, coll. Droit fondamental, 1994 ; D. LINOTTE et R.
ROMI, Services publics et droit économique, Litec, 4e éd., 2001 ; P. DELVOLVE, Droit public de l'économie,
Dalloz, 1998, p. 561 ; Y. GAUDEMET, « Introduction » in La concurrence des modes et des niveaux de
régulation, op cit., p. 14.
1832
M. GENTOT, Les autorités administratives indépendantes, Paris, Montchrestien, 2 ème édition1994, p. 41.
Voir, dans un sens similaire : G. MARCOU, « La notion juridique de régulation », AJDA 2006, p. 347.

526
que la plupart des établissements publics de régulation sont des autorités de police
spéciale. Bien que l’on observe une certaine homogénéisation au niveau de leurs statuts,
il faut dire que l’analyse de leurs pouvoirs est marquée du sceau de l’hétérogénéité.

Mais cela dit, dans la plupart des cas, ces organes sont chargés d’assurer « la
régulation, le contrôle et le suivi » des activités qui leur sont confiées. Mais au-delà,
certains ont des pouvoirs de sanction, et même parfois de règlement de litiges. Ces «
agences», « autorités » ou « conseils », en se multipliant de nos jours, contribuent à
accroître le nombre d’autorités de police spéciale. Ainsi, on peut citer, par ordre
alphabétique et sans prétention à l’exhaustivité, l’Agence Nationale des Technologies de
l’Information et de la Communication (ANTIC) qui, pour l’accomplissement de ses
missions, dispose des pouvoirs de surveillance, d’investigation, d’injonction, de
coercition et de sanction. Elle peut « infliger et/ou proposer des sanctions aux autorités
des certifications, aux prestataires des services de sécurité, aux auditeurs de sécurité et
aux éditeurs de logiciels de sécurité qui ne se conforment pas à la réglementation en
vigueur »1833.

On a l’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSEL) qui, en plus des


pouvoirs de sanction, a des pouvoirs de règlement des différends. L’Agence de
Régulation des Télécommunications (ART) qui, outre les pouvoirs de sanction, détient
des pouvoirs de règlement des différends entre les opérateurs du secteur. On a aussi
l’Autorité Aéronautique (AA), l’Autorité Portuaire Nationale (APN), le Conseil National
de la Communication (CNC), le Conseil National de la Concurrence (CNC).

Au-delà de ces organismes dont les pouvoirs de police sont incontestables, on


peut se demander si certains autres, n’ayant pas la personnalité juridique, ne pourraient
pas en avoir. Il s’agit par exemple de l’Agence de Promotion des Zones Economiques,
du Conseil de Régulation et de Compétitivité ou encore du Comité de Contrôle de
l’Effectivité des Investissements. Si la première citée en a assurément, les deux autres en
ont moins, en tout cas ils n’ont pas de pouvoir de sanction.

Quoi qu’il en soit, les statuts d’autorité de police administrative spéciale des
établissements publics de régulation est incontestable. Ils contribuent à accroître le
nombre des autorités de police spéciale qui pullulent dans le paysage institutionnel
1833
Art. 7 du décret n°2012/180 du 10 avril 2012 portant organisation et fonctionnement de l’Agence des
technologies de l’information et de la communication.

527
camerounais. Avec les autorités de police générale, elles favorisent la densification de
l’armature institutionnelle de maintien de l’ordre public, densification à laquelle
concourt aussi la diversification des forces de police administrative.

SECTION II - LA DIVERSITE DES FORCES DE POLICE ADMINISTRATIVE

Les personnels chargés d’assurer, de mettre en œuvre ou si l’on veut d’exécuter


les activités matérielles de police sont de statuts très divers. Ils relèvent de différents
corps, si bien que les forces de police sont nécessairement marquées du sceau de la
diversité.

On observe, au sein de la doctrine, un délaissement de l’étude des forces de police


administrative au profit des autorités de police. L’activité normative de police est donc
ainsi privilégiée par rapport à l’activité matérielle de police. La plupart des manuels de
droit administratif en constituent la preuve. Or, l’étude de l’activité matérielle de police,
et donc des forces qui en sont chargées, est au moins aussi importante que celle des
autorités de police, en raison de la délicatesse et de l’importance des tâches accomplies
par ces forces. Sans leur intervention, l’action de police serait dénuée de toute
matérialité, de toute tangibilité. Ce sont les forces de police administrative qui donnent
vie, qui rendent visible aux yeux du commun des mortels l’action de police
administrative. Il est vrai que l’étude de ces forces de police doit braver une difficulté
considérable, celle du dédoublement fonctionnel dans lequel elles agissent, tantôt forces
de police administrative, tantôt forces de police judiciaire. C’est d’ailleurs sous ce
second prisme qu’elles sont généralement et exclusivement considérées par le commun
des citoyens et même par certains spécialistes, d’où la prépondérance des études de droit
pénal consacrés à ces personnels. Il faut donc braver cette difficulté pour considérer les
forces de police d’abord dans ce qu’elles sont, à savoir des forces de police
administrative1834.

Elles sont traditionnellement divisées en deux catégories à savoir les forces


civiles et les forces militaires. Dans le contexte camerounais, la considération de cette
deuxième catégorie comme force de police semble être rentré dans le champ de la

1834
On peut donc les considérer comme « l’ensemble des personnels qui sont chargés de l’exécution
matérielle de décisions des autorités de police et, plus généralement, de veiller au quotidien, « sur le
terrain », au maintien de l’ordre public » cf. C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit., p. 135.

528
normalité. Ne font pas partie des forces de police administrative : les sapeurs-pompiers
qui n’interviennent que dans la protection civile, les personnels militaires des douanes,
les agents des sociétés privées de gardiennage, les agents de surveillance des entreprises
de transport public, les agents du fisc, les contrôleurs divers qui agissent au nom de
l’administration. Bien que ces personnels agissent pour la plupart dans le cadre de la
sécurité, ils ne font pas partie des forces de police, et donc n’exercent pas des
prérogatives de nature policière. Cela étant dit, il convient de signaler que la présentation
des différentes forces de police se fera ici uniquement sous l’angle du droit administratif,
c’est-à-dire en tant qu’elles sont des agents de police administrative, agissant de manière
préventive dans le maintien de l’ordre, même s’il est vrai que la police administrative
comporte aussi une dimension répressive. Seront donc successivement présentées les
forces civiles et les forces militaires.

I. LES FORCES CIVILES

Les forces de police ainsi qualifiées sont celles qui n’ont pas une nature militaire.
Il s’agit essentiellement des forces de police municipale et des forces de la sûreté
nationale, encore appelées forces de la police nationale. Ces forces sont celles que l’on
pourrait dire « normalement » destinées au maintien de l’ordre public, même si,
s’agissant de la seconde, elle n’a à l’origine qu’une mission d’information et
d’investigation, l’ordre public étant alors assuré par des forces de nature militaire1835.
C’est la révolution française qui a permis l’apparition du principe de la séparation des
autorités civiles et des forces militaires1836 et qui a donné une compétence exclusive aux
premières pour le maintien de l’ordre public. A partir de ce moment, les secondes
n’interviendront plus en la matière, sauf sur réquisition des autorités civiles. Selon cet
héritage révolutionnaire, seules les forces civiles sont destinées à être des forces de
police administrative.
Le vocable forces civiles ne sert pas seulement à désigner les forces de la sûreté
nationale. Il désigne aussi et surtout les forces de police municipales. Car il convient de
signaler que si en France, au plan historique, l’acte de naissance de la police

1835
Ou par les habitants eux-mêmes. Tel était en tout cas la situation des forces de police en France jusqu’au
Moyen Age. Cf. C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit., p. 139.
1836
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, p. 140.

529
contemporaine est adopté par le régime de Vichy le 23 avril 19411837, les polices
municipales, elles, existent depuis la révolution, à la suite de la séparation des autorités
civiles et des forces militaires. Aussi, en France, le vocable forces civiles désigne-t-il
historiquement d’abord les forces de police municipale, avant de désigner les forces de la
police nationale. Au Cameroun, c’est historiquement le contraire que l’on observe. Car
le démarrage récent du mouvement communal n’a pas permis l’émergence plus tôt d’une
force de police municipale. Aussi l’ordre public est-il prioritairement maintenu par des
forces de nature militaire, jusqu’à la naissance de ce qui deviendra plus tard la police
nationale. Quoi qu’il en soit, ici comme là-bas, l’analyse des forces civiles comme forces
de police administrative exige que l’on envisage autant les forces des polices
municipales que les forces de la sûreté nationale.

A. Les forces des polices municipales

Comme déjà mentionné, la mise en place, au niveau municipal, d’un corps ou si


l’on veut d’une force de police chargée d’assurer les actions matérielles de police est
observable d’abord en France1838. Le Cameroun n’a fait que s’inspirer de ce modèle.
Cela dit, il convient d’employer ici le pluriel, s’agissant des forces de polices
municipales, car si en France ces forces obéissent à un régime unique1839 qui fixe autant
leur statut que leurs compétences, au Cameroun, les polices municipales connaissent des
statuts et/ou des compétences variables en fonction des communes. Il s’agit donc d’un
domaine encore faiblement réglementé, ce qui peut être dangereux à terme pour les
libertés, en raison de la délicatesse de la mission que ces forces sont appelées à
accomplir. Ici, la loi s’est contentée d’en autoriser la création, tout en laissant aux
municipalités le soin d’en déterminer les missions, et même le statut.

1837
En effet, selon C.-E. MINET (Droit de la police administrative, op cit., p. 140-141), l’acte dit loi du 23
avril 1941 crée en effet la première police nationale et organise son déploiement territorial. Il crée ainsi la
direction générale de la police nationale du ministère de l’intérieur, étatise la police dans les communes de plus
de 10000 habitants, et crée des unités mobiles spécialisées en matière de maintien de l’ordre, les groupes
mobiles de réserve.
1838
Cette possibilité de recruter des policiers municipaux a toujours été donnée aux communes depuis la loi
municipale du 5 avril 1884.
1839
Régime fixé initialement par une loi n°99-291 du 15 avril 1999. De nos jours, le régime de ces forces a été
complètement refondu à la faveur des neufs décrets (n°2006-1389 à n°2006-1397) du 17 novembre 2006. Cf.
JORF du 18 novembre 2006, p. 17322 et s.

530
1. Création des forces des polices municipales

Les forces de police municipale ont une existence toute récente dans le paysage
institutionnel camerounais. C’est en effet la loi du 22 juillet 2004 portant dispositions
applicables aux communes, qui rend cette existence possible. Avant cette loi, il n’existe
aucune possibilité juridique de créer, au niveau des communes, une force de police
municipale. Cette situation ne peut pas manquer de surprendre, surtout lorsqu’on sait que
la tradition d’une force de police municipale est fortement ancrée dans l’histoire
juridique française. Aussi, l’influence exercée par ce pays sur le Cameroun eu put
conduire à la mise en place de personnels similaires au sein des municipalités alors
naissantes du Territoire Cameroun. Mais rien n’en a été, et ceci pour une raison simple.
Si la France prend possession du Cameroun dès 1916, il faut dire que le mouvement
communal ne s’y développe que timidement. La plupart des réformes municipales qui y
seront effectuées consacrent la main mise du pouvoir central sur les entités locales, ne
permettant pas que se développe au sein de ces embryons de commune un mouvement
d’autonomisation suffisant pour permettre à celles-ci de recruter un personnel propre
consacré à faire exécuter les mesures de police administrative, et s’analysant en de
véritables forces de police municipale. Cette main mise du pouvoir central, qu’il soit
métropolitain ou local, se fait au profit des entités déconcentrées, à savoir les
circonscriptions administratives que sont à cette époque les subdivisions dont les chefs
exercent alors la police administrative au plan local. Ces entités déconcentrées emploient
alors un personnel qui pourrait faire penser à un embryon de force de police municipale.

En effet, l’arrêté n°531 du 24 décembre 1946 fixant le statut commun du corps


des agents régionaux et des services techniques prévoit qu’ « en dehors des
fonctionnaires des cadres locaux régulièrement constitués versant à pension, il est
créé un corps à solde mensuel d’agents régionaux et des services techniques dont le
personnel sera rétribué dans la limite des effectifs prévus et des crédits délégués aux
régions et aux services ». Ces agents régionaux peuvent, conformément à ce même
texte, être employés comme éléments de police auxiliaire. Peut-on alors considérer que
ces personnels constituent l’équivalent actuel des forces de police municipale ? Une telle
position serait très hâtive. D’abord parce que ces personnels ne sont pas recrutés par les
communes, mais par les régions. Même s’il est prévu juridiquement que celles-là
puissent les employer, ces agents ne sont pas des agents municipaux. Ensuite, bien que

531
ces personnels soient employés à des missions de police auxiliaire, cet emploi n’est ni
systématique, ni permanent. Aussi, sont-ils en général affectés à d’autres tâches, ce qui
leur enlève leur caractère de forces de police véritable. Enfin, parce que les personnels
des forces régulières à savoir police, gendarmerie et armée sont à cette époque
principalement affectés au maintien de l’ordre public, mission essentielle et prioritaire du
pouvoir colonial.

La marche vers l’autonomie et vers l’indépendance confirmera cette indifférence


des autorités à l’égard des forces de police municipale. En effet, ni la loi du 18 novembre
19551840, ni celle du 17 juin 19591841 ou celle du 1er mars 19671842, ni même la grande loi
du 5 décembre 19741843 n’évoqueront la possibilité pour les municipalités de recruter un
personnel spécifiquement attaché à l’exécution des mesures de police administrative. Il
est difficile de trouver une explication à un pareil phénomène. Mais en s’avançant un
peu, on peut le situer dans le faible développement de l’idée de décentralisation, qui
s’allie à une défiance d’un pouvoir alors naissant vis-à-vis de la possibilité d’admettre
l’émergence de pouvoirs locaux forcément considérés à cette époque comme
concurrents. Car qu’on le veuille ou non, la création d’une force de police municipale ne
peut être que la manifestation d’une volonté d’autonomiser les communes, de leur
permettre de se prendre en charge et d’exercer elles-mêmes leurs compétences, en
l’occurrence celles relatives à la police administrative. Une telle volonté de décentraliser
véritablement fait cruellement défaut à cette époque, surtout que l’objectif déclaré est
celui de la construction de l’unité nationale.

Si cet objectif n’a pas disparu de nos jours, il est néanmoins contrebalancé par
une volonté réelle de décentraliser, clairement affichée au plan juridique, même si
politiquement demeurent de fortes résistances. C’est cette volonté de décentraliser qui
s’est clairement affichée dans les lois de 2004 sur la décentralisation. Celle fixant les
règles applicables aux communes dispose de manière novatrice que « la création d’un
service de police municipale est autorisée par délibération du conseil municipal qui en

1840
Loi n°55-1489 relative à la réorganisation municipale en Afrique occidentale française, en Afrique
équatoriale française, au Togo, au Cameroun et à Madagascar.
1841
Loi n°59-44 régissant les communes mixtes rurales.
1842
Loi n°67-2-COR modifiant le statut des communes de plein et moyen exercice.
1843
Loi n°74-25 portant organisation communale. Elle est ici qualifiée de grande loi parce qu’elle porte la
première grande réforme communale du Cameroun indépendant, les précédentes à partir de 1960 n’ayant eu à
chaque fois qu’un caractère parcellaire.

532
fixe les attributions, les moyens et les règles de fonctionnement »1844. Ce texte, poursuit
en posant que « la délibération visée à l’alinéa 2 est soumise à l’approbation préalable
du ministre chargé des collectivités territoriales »1845. Il s’agit ici d’une véritable
révolution, au regard de l’évolution sus évoquée. Cependant, que faut-il en penser ?

On peut tout d’abord observer que la création d’une force de police municipale
est très encadrée. Cette création est en effet autorisée par délibération du conseil
municipal. Elle n’est donc pas laissée au bon vouloir du maire ou à sa seule appréciation.
Le conseil municipal ne se contente pas d’autoriser la création du service de police
municipale. Il doit également en fixer les attributions, les moyens et les règles de
fonctionnement. Il ressort de tout ceci que le législateur, bien qu’en rendant possible la
création d’un service de police municipale confie l’essentiel de la tâche s’y rapportant à
l’organe délibérant de la commune. C’est en effet cet organe qui détermine l’essentiel du
régime applicable à ce service1846.

Ensuite, le conseil municipal doit fixer les moyens employés par le service de
police municipale. Ainsi, au regard de la loi, c’est à lui que revient la tâche délicate de
dire par exemple quel est le matériel que devra utiliser ces forces dans
l’accomplissement de leurs missions. La question qu’on peut alors se poser est celle de
savoir si on peut laisser à un conseil municipal, soit-il d’une grande commune, le soin de
décider par exemple que les policiers municipaux détiennent et se servent d’armes à
feu ? La question n’est pas sans importance.

Enfin, c’est au conseil municipal de fixer les règles de fonctionnement du service


de police municipale. Au regard de l’importance tant quantitative que qualitative des
compétences désormais dévolues aux communes, on peut penser que la taille des
services de police municipale va aller en s’accroissant, de même que le nombre de
municipalités qui y feront recours. On peut alors penser que la détermination des règles
de fonctionnement de ces instruments de maintien de l’ordre public au niveau communal
n’est pas une mince affaire. En tout cas, on peut penser qu’elle doive échapper à un

1844
Art. 86 al. 2.
1845
Idem, al. 3.
1846
Il doit tout d’abord en fixer les attributions. Il faut dire qu’il s’agit là d’une tâche particulièrement délicate,
car elle oblige à considérer les attributions des forces de police traditionnelles que sont par exemple la police et
la gendarmerie nationale. Un conseil municipal peut-il fixer les attributions d’une force de police municipale à
l’égal du législateur ou du pouvoir réglementaire déterminant les attributions de la police, de la gendarmerie et
même de l’armée ? On y reviendra.

533
simple conseil municipal, en raison des intérêts qu’elle met en jeu. Toutes ces tâches de
détermination des attributions, des moyens et des règles de fonctionnement des services
de police municipale étant confiées au conseil municipal, on peut se demander quel est le
rôle du maire en ce domaine. La loi disposant que le conseil municipal « autorise » la
création du service de police municipale, on peut penser que c’est au maire qu’il revient
de formaliser la décision de création et donc de signer l’acte formel préalablement
délibéré par le conseil. Au regard de l’importance et de la délicatesse des questions
soulevées par la création d’une police municipale, et qui ont déjà été soulevées, il
importe de souligner que les enjeux soulevés par ces questions sont tels qu’on puisse
penser leur sort à une échelle supra communale. D’où la nécessité, au regard de la
multiplication actuelle des polices municipales, qu’intervienne une loi pour en
déterminer le régime. Celui-ci devra entre autre déterminer les attributions de l’ensemble
des forces de police municipale.

2. Missions des forces de police municipale

Si l’on reste conforme à la loi de 2004, on peut dire que les missions de polices
municipales sont fixées par le conseil municipal qui autorise leur création. La loi
dispose, comme nous l’avons vu, que le conseil municipal doit fixer les attributions du
service de police municipale. Aussi peut-on faire un premier constat à savoir que la
détermination de ces missions intervient à un plan infra législatif. Pour connaître donc le
contenu des missions qui sont assignées aux forces de police municipale, il faut aller
vers les différentes communes ou communautés urbaines, pour prendre connaissance des
missions qu’elles assignent traditionnellement à leurs forces de polices respectives1847.

Laisser aux conseils municipaux le soin de fixer les attributions des forces de
police peut être source de conflits. Car cet organe peut ne considérer que les seuls
intérêts de la municipalité dans cette détermination du champ compétentiel, alors que
nécessairement, ces intérêts des forces de police municipale se heurtent à ceux des autres

1847
Or, cela révèle l’absence d’un régime commun à toutes les communes, et donc que le sort réservé aux
forces de police municipale variera en fonction de la commune concernée. Cette hétérogénéité consciemment
entretenue introduit dans ce paysage des forces de police municipale une forme d’irrationalité, pouvant avoir
des conséquences dommageables pour les intérêts des citoyens. Et même si la loi prévoit une approbation
préalable de la création du service de police municipale par le ministre chargé des collectivités territoriales,
cela n’est pas du tout un gage d’homogénéisation de ces instruments de maintien de l’ordre, car cette autorité
peut ne pas avoir pour objectif de s’assurer que ces instruments obéissent à un régime identique.

534
forces de police, plus traditionnelles, que sont la police et la gendarmerie1848.
L’intervention d’une loi, qui viendrait uniformiser le statut et l’ensemble du régime
applicable à ces forces s’avère plus que jamais nécessaire et même urgente à la lumière
des problèmes posés par les forces de police municipales déjà mises en place ça et là, et
dont le nombre va croissant. Mais il importe sans doute de voir quelques exemples de
missions confiées à des forces de police municipale, principalement à Douala et à
Yaoundé.

La communauté urbaine de Yaoundé fait partie des municipalités ayant à ce jour


eu recours à un service de police municipale, intégrant une brigade de police appelée
« Brigade de police de la communauté urbaine de Yaoundé ». On peut s’en convaincre
à la lecture de la note de service n°500/CUY/CAB/02 intitulée « Missions de la brigade
de police de la communauté urbaine de Yaoundé »1849.

D’après cette note donc, cette brigade « a une mission générale de couverture
policière des interventions des services communaux ». Autrement dit, cette brigade est
à l’échelle municipale ce que la police ou la gendarmerie sont à l’échelle nationale. On
peut donc concevoir, à la lecture de ce texte, que les interventions de la communauté
urbaine nécessitant une couverture policière peuvent se passer de la police ou de la
gendarmerie, dès lors qu’existe une brigade de police municipale. Cependant, elle ne
saurait se substituer aux autres forces de polices traditionnelles en toutes leurs
compétences puisque la note de service pose que la brigade de police « devra se
désengager de toute action liées aux missions de la police de la circulation ». Mais
l’emploi du verbe se désengager ici ne signifie pas que cette brigade est incompétente en
la matière, mais seulement qu’elle s’abstient, au profit d’autres forces. Mais le texte se
veut plus détaillé, en confiant à cette brigade la sécurisation des propriétés communales,

1848
Car ce sont ces deux forces qui, légalement, ont en charge d’assurer le maintien de l’ordre public sur
l’ensemble du territoire national. On peut donc se demander si un conseil municipal, fût-il conseil d’une
communauté urbaine, est habilité juridiquement, ou plutôt a la légitimité nécessaire pour arbitrer entre les
intérêts nationaux et les intérêts locaux nécessairement en conflit dans l’intervention de ces deux forces de
polices, peut-être pas concurrentiels, mais au moins qui peuvent ne pas cohabiter harmonieusement.
1849
L’investigation n’a pas permis d’avoir accès à la délibération du conseil municipal l’ayant autorisée. On
peut même se poser la question de savoir si la loi a été respectée sur ce point. Car s’il existe un texte du
délégué du Gouvernement auprès de cette communauté déterminant les missions de cette force de police, ce
document ne vise aucune délibération du conseil de la communauté. Le difficile accès aux sources permet
pourtant de dire que le document contenant ces missions de la police de la communauté étant une note de
service, et sachant que cette mesure d’ordre intérieur sert surtout à rappeler un élément de la réglementation ou
à l’expliquer, on peut penser que non seulement ladite délibération existe, mais aussi que l’acte la formalisant
et signé du Délégué du Gouvernement existe également. Aussi, doit-on se contenter de la note de service
n°500/CUY/CAB/02 intitulée « Missions de la brigade de police de la communauté urbaine de Yaoundé ».

535
la lutte contre le stationnement abusif le long des trottoirs et des terres pleins, la lutte
contre les laveries et garages anarchiques sur la chaussée ou les trottoirs. Au-delà donc
d’une sorte de clause générale de compétence, il est procédé ici à une énumération des
missions assignées à la brigade de police de la communauté urbaine. Il s’agit de missions
couvrant un domaine matériel particulièrement étendu, la clause générale de compétence
semblant même dire que ce champ de compétence n’a de limites que celles des matières
qui ressortissent à la compétence des communes et toutes les actions entreprises par la
municipalité pour les exercer, surtout celles relatives au maintien de l’ordre public au
niveau municipal.

Mais la municipalité qui est encore plus explicite et plus étendue dans la
déclinaison des missions confiées à sa force de police municipale est assurément la
communauté urbaine de Douala. Le texte qui sert de cadre à cette énonciation est l’arrêté
n°8/CUD/2004 du 29 décembre 2004 portant organisation des services de la
communauté urbaine de Douala, modifié et complété en 2008. Ce qui frappe ici
également, c’est le fait que ce texte ne vise aucune délibération du conseil de la
communauté, ce qui jette un doute sérieux sur le fait de savoir si la création du service de
police municipale est autorisée par cette instance légalement désignée1850.

Ainsi, logé au sein du département de lutte contre le désordre urbain, la police


municipale, appelée « Métropolis », est chargée de veiller au respect des mesures
destinées à la sauvegarde de la morale et de la décence publique, de combattre
l’occupation anarchique du domaine public, des emprises réservées et des drains, de
lutter contre la dégradation des infrastructures et équipements publics, de combattre
l’insalubrité urbaine sous toutes ses formes, de lutter contre les nuisances publiques, de
prévenir les comportements de désordre, de sensibiliser, d’informer et d’éduquer les
populations en collaboration avec la division de la communication, de réguler les
désordres liés aux gares routières, aux aires de stationnement et à la circulation, de servir
les convocations ou amendes aux contrevenants. Toute énumération étant limitative, on
peut considérer qu’il s’agit là d’une déclinaison exhaustive des missions de cette force

1850
Il est vrai que, curieusement, cet arrêté, bien qu’intervenu en décembre 2004, c’est-à-dire après les lois sur
la décentralisation du 22 juillet de la même année, vise non pas ces lois qui rendent possible la création d’un
service de police municipale, mais plutôt celle de 1974 qui, non seulement était déjà abrogée, mais également
n’offrait pas la possibilité de création d’un service de police municipale. Quoi qu’il en soit, ce texte donne
néanmoins un aperçu des missions qui y sont assignées aux forces de police municipale.

536
de police municipale. Mais on constate que ces attributions, en fait, balaient la quasi-
totalité du champ matériel ressortissant aux compétences des communes. Il s’agit donc
de missions particulièrement importantes tant quantitativement que qualitativement, et
les observations faites pour la municipalité de Yaoundé valent aussi pour elle.

Ceci étant dit, il importe de souligner avec force, à la fin de cette brève étude des
forces de police municipale, la nécessité qu’il y a à légiférer sur cette question, non
seulement pour mieux structurer ce qui s’annonce comme une force de police à part
entière et peut-être même à l’égal des autres forces civiles que sont celles de la sûreté
nationale, mais surtout pour uniformiser leur régime et accorder à ces personnels un
véritable statut, qui les soustrairait de la précarité dans laquelle ils sont employés, avec
un statut essentiellement révocable et sans aucune couverture sociale. Cela permettrait
aussi, au regard de la délicatesse de leurs missions, d’imposer un minimum de capacité
intellectuelle comme condition d’accès à ce corps. Il n’aurait plus alors rien à envier aux
autres forces, notamment celles de la sûreté nationale.

B. Les forces de la sûreté nationale

Il s’agit ici en fait des forces de la police nationale. L’emploi du terme sûreté ici
sert simplement à distinguer au sein de l’ensemble des forces de police administrative,
celles qui appartiennent au corps de la sûreté nationale. Dans le fond, les termes police et
sûreté peuvent, au plan organique, être considérés comme synonymes. Mais il n’en a pas
toujours été ainsi1851. Ce qu’il faut dire, c’est que si au plan matériel, les notions de
police et de sûreté ne correspondent pas exactement, la première englobe la seconde, au
plan organique, il est incontestable que les corps de la sûreté nationale sont bel et bien
les corps de la police nationale. Le doute en cette question est d’ailleurs définitivement
levé, puisque l’appellation désormais de rigueur, pour désigner les personnels dont il
s’agit, est celle de fonctionnaires de la sûreté nationale.

1851
Certains textes ont en effet, par le passé, tendu à faire croire en une différence entre police et sûreté En
effet, un arrêté du 19 juin 1952, portant création d’une école de police à Yaoundé, l’insinue clairement
lorsqu’il dispose en son article 2 que « cette école a pour but de dispenser l’enseignement général et
professionnel indispensable aux fonctionnaires nouvellement recrutés dans les cadres de la sûreté et de la
police camerounaise ». On peut alors s’interroger sur la pertinence d’une pareille distinction.

537
Cela étant dit, il importe, relativement à ces forces d’en présenter une brève
évolution historique avant d’envisager les attributions qui leur sont dévolues en matière
de police administrative.

1. Evolution historique des forces de la sûreté nationale

L’existence des forces de la sûreté nationale est bien ancienne à l’indépendance.


S’il est difficile de dater avec exactitude la naissance de ces forces, les recherches
permettent néanmoins de là fixer dans les années trente. En effet, on peut évoquer ici,
comme tout premier texte relatif à cette matière, un arrêté du Gouverneur des colonies,
Commissaire de la République Française, du 31 mars 1934, portant organisation au
Cameroun d’un service de police spéciale et de sûreté1852. Ce service, placé sous
l’autorité directe du chef de circonscription, délégué du commissaire de la République,
« a pour attributions essentielles de veiller au maintien de l’ordre et de la sécurité
publics »1853. A cet effet, « il recherche et surveille tous agissements de nature à
troubler ou compromettre la tranquillité du territoire »1854.

Ce service de police spéciale et de sûreté comprenait trois sections, chargées


respectivement de l’immigration et de l’émigration ainsi que du contrôle des nationaux
européens et assimilés, de l’identité judiciaire, du contrôle de la population flottante
indigène de Douala et de la police de l’estuaire du Wouri, enfin des renseignements
généraux intéressant la sûreté intérieure et extérieure du territoire1855. Si cette première
organisation d’un service de sûreté sur le territoire constitue une avancée majeure dans
l’institutionnalisation du maintien de l’ordre public et donc de la police administrative au
Cameroun. On note néanmoins un certain nombre de problèmes que pose le dispositif
nouvellement mis en vigueur. Particulièrement, on peut noter la quasi-absence de
distinction entre la police administrative et la police judiciaire, les deux formes de police
étant ici confondues l’une à l’autre. De même, au plan purement de la structure du

1852
JOC, 15 avril 1934, p. 266. Ce texte abroge l’arrêté du 17 mai 1930, déterminant les attributions
complémentaires du fonctionnaire chargé de l’immigration. C’est cette autorité qui, jusque là, exerçait les
attributions désormais dévolues au service de police.
1853
Idem, art. 1er.
1854
Ibid, art. 2. Le service de police ainsi institué est en outre « chargé de suivre certaines infractions
spéciales, telles que le recrutement clandestin des travailleurs, l’importation en fraude de l’alcool, des
stupéfiants, des armes et des munitions et plus généralement de tout trafic frauduleux qui s’exerce par voie
de mer. (…). Il procède notamment à toutes enquêtes prescrites à cet effet par l’autorité judiciaire et par le
chef de circonscription de Douala ».
1855
Art. 4.

538
service, on peut constater qu’elle est encore embryonnaire, les structures de ce service
étant fortement localisées, et donc ne couvrant pas l’ensemble du territoire1856. C’est sans
doute pour palier ces lacunes qu’interviendra assez vite un nouveau texte, à savoir
l’arrêté du 22 mars 1939 portant réorganisation du service de police et de sûreté dans les
territoires du Cameroun1857.

Comme pour corriger les lacunes de l’ancien texte, ce nouvel arrêté s’empresse
de consacrer la création d’un « service local de police et de sûreté dont l’activité
s’exercera sur toute l’étendue du territoire »1858. En plus des trois sections instituées par
l’ancien texte, il est créé une quatrième section à savoir « la section de police des
régions et localités »1859. Toujours dans le sens de corriger les lacunes de l’ancien texte,
on note une séparation, bien que timide, de la police administrative et de la police
judiciaire. Le texte prévoit en effet que « le service de police et de sûreté exerce dans
tout le territoire la police préventive et répressive sous toutes ses formes en liaison
avec les officiers de police judiciaire »1860. Les missions du service de sûreté sont
également déclinées de manière plus précise, car il « recherche notamment et surveille
tous agissements de nature à troubler ou compromettre la sûreté politique, le bon
ordre et la tranquillité publique (…) »1861. Si le service de police et de sûreté est sous
les ordres du Haut Commissaire, ainsi que des chefs de circonscription, il est à noter que
« les commissaires de police et commissaires-adjoints (…) peuvent recevoir
directement des instructions du médecin de l’hygiène et doivent répondre à ses
réquisitions en ce qui concerne l’exercice de la police sanitaire »1862. Quoi qu’il en soit,
l’organisation de la sûreté ainsi amorcée ne sera plus jamais modifiée, les textes
ultérieurs ne contribuant qu’à l’améliorer et à la parfaire1863.

Ainsi, le texte du 22 mars 1939 est abrogé par l’arrêté du 1er juin 1946, qui crée
un service de sûreté générale comprenant la direction de la sûreté et les commissariats de

1856
Il faut noter que le service de police ici créé n’était compétent que pour la circonscription de Douala.
1857
J.O.C., avril 1939, pp. 309-311.
1858
Art. 2.
1859
Art. 1er.
1860
Art. 7.
1861
Ibid.
1862
Art. 11.
1863
Cette organisation est chapeautée par un directeur de la sûreté, éventuellement assisté d’un adjoint (art. 4).
Ainsi, conformément à l’art. 13, «Le directeur de la sûreté est le supérieur hiérarchique de tous les agents du
service ».

539
sécurité publique1864. Toujours dans le sens de mieux couvrir le territoire et certains
secteurs de l’activité sociale, un arrêté du 29 juillet 19471865 renforce les services
extérieurs de la sûreté générale, avec les commissariats de police, les brigades fixes et
brigades mobiles de surveillance des ports, aérodromes et frontières, des brigades
mobiles de renseignements généraux, des brigades fixes et des brigades mobiles de
police spéciale de surveillance du territoire, etc1866. On peut donc considérer que c’est le
texte du 1er juin 1946 qui pose les bases de l’organisation de la sûreté nationale actuelle.

Au cœur du dispositif institutionnel, figure au plan central, successivement la


direction de la sûreté, et au plan local les commissariats de sécurité publique. Dirigé par
un commissaire de police, il reçoit, selon le texte de 1946, du chef de circonscription
administrative auprès de qui il est placé, toute instruction tendant ou se rapportant au
maintien de l’ordre public de la localité. « Le commissariat de sécurité publique exerce
la police préventive et répressive de la localité. Il est chargé de veiller à l’exécution des
lois, à l’observation des règlements et plus particulièrement au maintien de l’ordre sur
la voie publique (…). Il assure la surveillance des hôtels, des jardins et de tous
établissements ouverts au public et à la prostitution »1867. Ces missions ne sont pas
fondamentalement différentes de celles qui leur sont actuellement dévolues. Hier comme
aujourd’hui, les commissariats de sécurité publique ne sont d’ailleurs que les seuls
organes déconcentrés de la sûreté nationale à assurer l’ordre public au plan local,
puisqu’interviennent également en ce domaine les commissariats aux renseignements
généraux ainsi que les commissariats spéciaux1868. Leur éparpillement sur l’ensemble du

1864
Voir l’arrêté du 1er juin 1946 portant réorganisation du service de la sûreté générale dans les territoires du
Cameroun (JOC, 15 juin 1946, pp. 809-811). Désormais, ce service de sûreté générale qui se voit renforcé par
la création des commissariats de sécurité publique est placé « sous la haute autorité du Haut-commissaire de
la République ».
1865
Arrêté du 29 juillet 1947 portant réorganisation des corps et services de police et de sécurité du Cameroun
(JOC, 1947, p. 1017). Ce texte consacre explicitement l’existence de deux types de polices auxquelles veille le
service de sûreté, à savoir la police administrative et la police judiciaire (art. 3).
1866
Art. 6.
1867
Art. 11, arrêté du 1er juin 1946.
1868
En général, les commissariats aux renseignements généraux ont pour mission, en dehors du renseignement
général, la police administrative. Voir dans ce sens : art. 3 de l’arrêté n°159 du 6 octobre 1962 créant un
commissariat aux renseignements généraux à Fort-Foureau (département du Logone-et-Chari), JOC, 15
octobre 1962, p. 1189. Mais lorsqu’ils sont créés soit à l’intérieur d’un port, soit à l’intérieur d’un aéroport, ils
ont des missions plus spécialisées. Voir par exemple dans ce sens l’arrêté n°35 du 21 février 1964 créant un
commissariat aux renseignements généraux au port de Douala. Pour ce qui est des commissariats spéciaux, ils
font également de la police administrative, puisque les informations qu’ils recueillent ont d’abord pour but le
maintien de l’ordre public. Voir dans ce sens le décret n°2012/540 du 19 novembre 2012 portant organisation
de la délégation générale à la sûreté nationale.

540
territoire national montre le souci de rendre les forces de police disponibles pour le
maintien de l’ordre public en tout lieu et en tout temps.

La direction de la sûreté nationale restera en vigueur jusqu’après l’indépendance,


puisque ce n’est qu’en 1969 que sera mise en place la délégation générale à la sûreté
nationale1869. Avant cette date, la sûreté nationale est sous l’autorité successivement du
Haut commissaire, puis du ministre de l’intérieur dès l’autonomie interne élargie et
l’indépendance1870. A partir de l’avènement de la délégation générale à la sûreté
nationale, le service de la sûreté dirigé par un délégué général, est rattaché à la
Présidence de la République. Les textes affirment d’ailleurs que ce dernier en est le chef
« suprême ». Depuis sa création, la délégation générale à la sûreté nationale n’a jamais
cessé de faire l’objet de réformes. Mais celles-ci n’ont jamais remis en cause
l’architecture générale de la sûreté nationale. Cette délégation disparaitra pendant
quelques années, notamment avec l’avènement en 1992 du secrétariat d’Etat à la sûreté
intérieure1871. Mais l’existence de ce dernier fut de courte durée, puisqu’une « nouvelle »
délégation générale à la sûreté nationale fut créée en 19961872.

En ce qui concerne le personnel composant les corps de la sûreté nationale, il faut


dire qu’au départ, celui-ci est composé pour une part du personnel français1873 et pour
une autre part du personnel indigène1874. C’est d’ailleurs la transformation en 19461875 de
la police indigène en corps de gardien de la paix et de la sécurité publique qui est
considérée par certains1876 comme l’acte de naissance de la police en uniforme. Quoi
qu’il en soit, la composition de ces personnels n’a jamais cessé de s’étoffer, non
seulement en quantité, mais aussi en qualité. Le tout premier statut général de ce corps
fut édicté en 19681877. On distingue depuis lors, par ordre de grandeur croissant, les

1869
Décret n° 69/DF/60 du 3 mai 1969 portant création de la délégation générale à la sûreté nationale (JOC,
15 mai 1969, p. 847.
1870
En effet, un décret du 23 juillet 1959 dispose que désormais, « la sûreté nationale camerounaise est
placée sous l’autorité directe du ministre de l’intérieur » (art. 1er).
1871
Décret n°92/255 du 28 décembre 1992 portant organisation du SESI.
1872
Décret n°96/034 du 1er mars 1996 portant création de la DGSN.
1873
Voir par exemple : décret du 28 juin 1925 portant organisation des forces de police.
1874
Arrêté du 17 mars 1936 portant réorganisation de la garde indigène au Cameroun (JOC, du 1 er avril 1936,
pp. 301-306) ; arrêté du 10 août 1933 portant réorganisation de la garde indigène au Cameroun ;
1875
Arrêté du 31 août 1946 portant transformation du corps de la police indigène en corps de gardien de la
paix et de la sécurité publique.
1876
P. PONDI, La police au Cameroun (Naissance et évolution), Yaoundé, éd. Clé, 226 p.
1877
Décret du 29 octobre 1969 portant statut général de la sûreté nationale.

541
gardiens de la paix, les inspecteurs de police, les officiers de police et les commissaires
de police, chaque corps comportant ses hiérarchies internes que sont les grades.

D’une manière générale, si au départ l’ordre public est principalement assuré par
la milice et la garde, la création de la sûreté nationale a permis à cette force de s’imposer
comme la principale force de police administrative au Cameroun. Ceci dit, si la sûreté
nationale a beaucoup évolué au plan organico-formel, il convient de souligner que sur le
plan substantiel, elle a du mal à se départir d’une certaine culture coloniale empreinte
d’autoritarisme et de conservatisme. Aussi, l’organisation et le fonctionnement de la
sûreté nationale actuelle reflète-t-elle cette armada institutionnelle dissuasive qui est
propre aux Etats policiers. L’analyse de sa situation actuelle permet de le démontrer de
manière assez nette.

1. Situation actuelle de la sûreté nationale

Objet de la sollicitude permanente des pouvoirs publics1878, la sûreté nationale est


actuellement régie par les décrets n°2012/539 et n°2012/540 du 19 novembre 2012
portant respectivement statut spécial du corps des fonctionnaires de la sûreté nationale,
et organisation de la délégation générale à la sûreté nationale. Corps « de
commandement et d’administration placé sous l’autorité du Président de la
République qui en est le chef suprême »1879, la sûreté nationale concourt à l’exercice de
la police administrative. A ce titre, elle est chargée « du maintien de l’ordre, de la paix,
de la sécurité et de la salubrité publics, ainsi que de la protection, plus
particulièrement dans les agglomérations urbaines (…), de la sécurisation de la
nationalité camerounaise »1880. Elle assure également « le respect et la protection des
institutions, des libertés, des personnes et des biens »1881, de même qu’elle concourt à
l’exécution des lois et règlements. Elle est chargée de la surveillance aux frontières et du
contrôle de la circulation des personnes ainsi que de l’assistance aux autorités
gouvernementales, administratives et municipales.

1878
En particulier du Président de la République, qui, au fil des années, n’a cessé d’améliorer le statut des
personnels de la sûreté nationale.
1879
Art. 2(1) du décret n°2012/540.
1880
Art. 4 du décret n°2012/540.
1881
Art. 3 du décret n°2012/540.

542
Ces missions, qui placent la sûreté nationale au cœur de la matérialisation de
l’activité de police administrative, en font la force de police par excellence. Ce corps va
donc contribuer à décupler la matérialisation de la fonction de police, car bien qu’en
principe il soit appelé à intervenir surtout dans les agglomérations urbaines, son action
s’étend en fait sur l’ensemble du territoire national. L’option choisie de rattacher la
sûreté nationale à la Présidence de la République, en centralisant cette force de police,
renseigne sur l’importance qui lui est accordée dans le dispositif institutionnel de
maintien de l’ordre public. Car on peut légitimement s’interroger, l’expérience aidant,
sur le choix de faire du Président de la République « le chef suprême » de ce corps, alors
que d’autres solutions étaient possibles, à la lumière du droit étranger, et même de
l’histoire nationale de ce corps1882. Il s’agit là incontestablement d’une option autoritaire,
au regard des pouvoirs que cela confère au Président de la République.

Pour l’accomplissement de ses missions, la sûreté nationale est organisée autour


d’une administration centrale et des services déconcentrés. Cette organisation contribue
à l’accroissement de son efficacité opérationnelle. Au niveau central, les services
opérationnels qui lui permettent d’assurer efficacement ses missions de police
administrative sont : la direction de la surveillance du territoire1883, le commandement
central des groupements mobiles d’intervention chargé de renforcer l’action des autres
forces et unités territoriales de police pour le maintien de l’ordre préventif, la protection
des personnes et des biens, la protection civile et la surveillance des frontières sur
l’étendue du territoire, de la protection de l’immeuble siège de la délégation générale à la
sûreté nationale, de la protection des missions diplomatiques et des établissements
scolaires et universitaires1884. En temps de crise, il intervient dans le maintien de l’ordre
actif ou renforcé sur réquisition des autorités compétentes, seul ou conjointement avec
les autres forces civiles ou militaires1885 ; le groupement spécial d’opérations, dont si les
missions sont surtout celles de répression et donc en plusieurs points éloignées de la
police administrative, n’est pas sans compétence en ce domaine, puisqu’il est chargé de

1882
De la veille de l’indépendance aux premières années de celle-ci, les forces de la sûreté nationale sont sous
l’autorité du ministre de l’intérieur.
1883
Selon l’art. 15 du décret n°2012/540, l’organisation et la surveillance du territoire sont fixés par des textes
particuliers.
1884
Art. 16 du décret n°2012/540.
1885
Ibid.

543
la surveillance des personnes suspectées ou signalées1886 ; la direction de la sécurité
publique, qui est au cœur même de la fonction de police administrative, puisqu’elle est
chargée de veiller au maintien de l’ordre, de la sécurité et de la salubrité publiques dans
les agglomérations urbaines et les emprises des chemins de fer, de centraliser, contrôler
et exploiter les rapports des activités des unités de sécurité publique, de coordonner les
activités des groupements régionaux de la voie publique et de la circulation, de
concevoir et de coordonner les techniques et méthodes relatives au maintien de l’ordre et
à la défense nationale1887, etc. La direction des renseignements généraux est en quelque
sorte le service de renseignement de la police1888. Elle a un rôle en matière de police
administrative puisque les informations qu’elle collecte ont principalement pour objet
entre autres, de concourir au maintien préventif de l’ordre public. A titre illustratif, elle
est chargée de recueillir toute information d’intérêt national, de rechercher, suivre et
exploiter les renseignements d’ordre politique, économique et socio-culturel, de suivre
l’évolution de l’opinion publique, d’analyser et d’évaluer les renseignements dans les
différents domaines, etc. La direction de la police des frontières est chargée d’appliquer
les lois et règlements en matière d’émigration, d’immigration, d’entrée, de séjour et de
sortie des étrangers sur le territoire national, de diriger et d’orienter les activités des
commissariats à l’Emi-immigration, aux ports et aéroports, des postes frontières de la
sûreté nationale, ainsi que des postes Emi-immigration et d’en exploiter les rapports, de
contrôler la librairie étrangère (…), de procéder aux refoulements, aux reconduites à la
frontière et aux expulsions1889.

A l’échelle déconcentrée, la sûreté nationale couvre l’ensemble du territoire


national au moyen d’une foultitude de démembrements intervenant en matière de police
administrative. Il s’agit ainsi pêle-mêle des délégations régionales à la sûreté1890 qui sont
une projection intégrale à l’échelle régionale de la délégation générale à la sûreté
nationale, les groupements régionaux de la voie publique et de la circulation1891
subdivisés en compagnies, puis en sections, des commissariats de sécurité publique1892
qui sont implantés dans chaque agglomération urbaine comptant au moins 10 000

1886
Art. 17 à 22 du décret n°2012/540.
1887
Art. 74 et s. du décret n°2012/540.
1888
Art. 88 et s. du décret n°2012/540.
1889
Art. 115 et s. du décret n°2012/540.
1890
Art. 162 et s. du décret n°2012/540.
1891
Art. 187 et 188 du décret n° 2012/540.
1892
Art. 189 à 198 du décret n°2012/540.

544
habitants et qui sont mis à la disposition des chefs de circonscriptions administratives
pour le maintien de l’ordre, la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques dans la
ville où il est implanté, des commissariats de la police spéciale des chemins de fer 1893,
des commissariats spéciaux implantés dans les chefs-lieux des départements et
éventuellement d’arrondissements et qui est chargé, dans l’unité administrative où il est
implanté, des renseignements généraux, les commissariats à l’émi-immigration1894, des
commissariats au port et ou à l’aéroport1895, des postes frontière1896, des antennes de
surveillance du territoire1897, des postes de sécurité publique1898, etc. Avec une telle
organisation, la sûreté nationale peut intervenir sur n’importe quelle partie du territoire
national, ce qui la met en avant-garde de la matérialisation des mesures de police
administrative. Ses personnels peuvent donc être mobilisés en tout temps et en tout lieu
par les autorités tant administratives que municipales.

Bien qu’elle ait une très mauvaise réputation auprès du grand public, en raison
des présomptions de corruption qui pèsent sur ses personnels (réputation pas toujours
usurpée), le corps de la sûreté nationale est incontestablement le plus mobilisé par les
autorités de police administrative pour la réalisation des opérations matérielles de police,
d’où l’intérêt que peut susciter ses personnels.

La sûreté nationale constitue un corps. A l’intérieur de ce corps, on distingue


quatre cadres à savoir : les cadres des commissaires de police, des officiers de police, des
inspecteurs de police et des gardiens de la paix. Tous les personnels appartenant à ces
cadres sont astreints au port de l’uniforme, sauf dérogation expresse du chef de corps ou
pour appartenance à un service rattaché directement à la direction des renseignements
généraux, à la direction de la surveillance du territoire, à la direction de sécurité
présidentielle ou à la direction générale de la recherche extérieure1899. Quoi qu’il en soit,
ces personnels sont tenus d’exercer leurs fonctions avec honneur, dévouement, fidélité,
loyauté, loyalisme, impartialité, intégrité, diligence et efficacité, conformément aux lois

1893
Art. 199 et 200 du décret n°2012/540
1894
Art. 206 du décret n°2012/540.
1895
Art. 207 à 209 du décret n°2012/540.
1896
Art. 210 du décret n°2012/540.
1897
Art. 211 du décret n°2012/540.
1898
Art. 212 du décret n°2012/540.
1899
Art. 20 (1) du décret n°2012/539 du 19 novembre 2012 portant statut spécial du corps des fonctionnaires
de la sûreté nationale.

545
et règlements en vigueur1900. Pour ce qui est des emplois dévolus aux fonctionnaires de
ce corps, il faut dire que les commissaires de police assurent les fonctions de conception,
de direction, de contrôle et de commandement soit dans les services centraux, soit dans
les services extérieurs de la sûreté nationale1901.

Les officiers de police assurent, sous l’autorité des commissaires de police, des
fonctions de commandement et d’encadrement des inspecteurs de police et des gardiens
de la paix. Ainsi, « ils peuvent être chargés des missions administratives et techniques
inhérentes à la marche des services. En outre, ils sont chargés des missions de police
administrative et de police judiciaire, conformément aux lois et règlements en
vigueur »1902.

Les inspecteurs de police sont chargés entre autres, du maintien de l’ordre public,
des missions de police administrative et de police judiciaire, conformément aux lois et
règlements en vigueur, des missions de renseignements et de surveillance, de la sécurité
des personnes et des biens1903.

Quant aux gardiens de la paix, ils sont chargés d’assurer, sous le commandement
de leurs supérieurs hiérarchiques, le maintien de l’ordre, de la paix, de la tranquillité et
de la salubrité publics, la sécurité des personnes et des biens, l’information générale1904.

Initialement, le personnel de la sûreté nationale recevait une formation des plus


générales, moyennant, une fois sur le terrain, des formations spécifiques à certains
domaines d’intervention de ce corps. Mais depuis quelques années, on observe une
tendance à la spécialisation de ces personnels, principalement dans des domaines
techniques, d’où le recrutement de plus en plus fréquent dans ce corps d’ingénieur de
plusieurs spécialités. Tout cela contribue à accroître l’efficacité de cette force de
maintien de l’ordre, dont l’importance a déjà été signalée. Elle intervient dans le
maintien de l’ordre public soit sur réquisition d’une autorité civile, soit de sa propre
initiative1905.

1900
Art. 20(2).
1901
Art. 153 du décret n° 2012/539.
1902
Art. 162 du décret n°2012/539.
1903
Art. 170 à 178 du décret n°2012/539.
1904
Art. 179 à 186 du décret n°2012/539.
1905
Comme le dispose clairement l’article du décret n°2012/540. Sur la problématique générale des
réquisitions en droit administratif camerounais, lire : P. H. ASSIENE NGON, Les réquisitions en droit
administratif camerounais, Thèse, droit public, Université de Yaoundé II, 2015.

546
Au final, si on peut considérer comme normale la coexistence en matière
d’exécution des actes matériels de police, des forces de police municipale et des forces
de la sûreté nationale, il faut dire que leur double existence contribue à la diversification
des forces de police administrative, signe d’une prévalence des exigences du maintien de
l’ordre sur celles relatives à la garantie des droits et libertés. L’intervention ici des forces
militaires contribue également à cette réalité.

II. LES FORCES MILITAIRES

Il n’est pas courant d’évoquer les forces militaires lorsque l’on présente les forces
de police administrative. En effet, la plupart des auteurs préfèrent énumérer de manière
séparée comme forces de police administrative la police, la gendarmerie et les forces
municipales de police. Mais la présentation des forces militaires s’impose ici, car c’est
cette expression qui permet de rassembler, sous une même catégorie la gendarmerie et
l’armée. Telle peut donc être l’une des particularités de la police administrative au
Cameroun à savoir qu’elle fait intervenir, pour l’exécution de ses actes matériels, non
seulement la gendarmerie, qui est considérée comme une force « normale » de police,
mais aussi et surtout l’armée, dont la mission première n’est pas, en principe, le maintien
de l’ordre. On peut donc considérer qu’il existe ici une forme de militarisation de la
fonction de police, qui se traduit par la conjugaison de deux phénomènes, à savoir d’une
part l’incorporation de la gendarmerie au sein des forces militaires, et, d’autre part, la
participation de l’armée au maintien de l’ordre public. Incontestablement, cette
conjonction, qui s’analyse en une banalisation de l’intervention des forces militaires en
ce domaine, va contribuer substantiellement à maintenir la fonction de police
administrative sur la pente autoritaire dans laquelle elle était déjà bien avant
l’indépendance.

A. La gendarmerie

L’appréhension de la gendarmerie en tant que force de police administrative n’est


pas aisée. En effet, comme pour les forces de la sûreté nationale, cette appréhension se
heurte à une difficulté majeure, tenant au fait que les personnels appartenant à ce corps
agissent essentiellement dans le cadre d’un dédoublement fonctionnel à savoir tantôt
comme forces de police administrative, tantôt comme force de police judiciaire. La
difficile distinction ici de ces deux formes de police, et qui a déjà été évoquée, n’est pas

547
pour améliorer la situation. Si bien que présenter la gendarmerie uniquement comme
force de police administrative n’est jamais que la description d’une partie d’un tout, ce
corps exerçant à la fois des missions de police administrative, de police judiciaire et de
police militaire, sans oublier ses missions entant que force de défense. Il faut donc, dans
le régime juridique relatif à ce corps, n’isoler que les dispositions qui contribuent à sa
connaissance en tant que force de police administrative, ce qui n’est pas tâche aisée.
Néanmoins, au regard du rôle important que ce corps a joué dans la matérialisation de la
fonction de police à travers l’histoire du Cameroun, il importe, pour bien appréhender
l’action de cette force dans la diversification des forces de police administrative, de
décrire son évolution historique, avant de présenter la situation actuelle.

1. Evolution historique de la gendarmerie

L’histoire de la gendarmerie au Cameroun commence au lendemain de la


première guerre mondiale. En effet, la France, qui prend possession du Cameroun dès
1916 introduit, au sein de ce territoire, une force militaire1906, la gendarmerie, qui existait
au sein de métropole depuis 17911907. En effet, un décret du 4 janvier 19201908, dispose
en son article 1er : « il est créé un détachement de gendarmerie au Cameroun ».
L’effectif de ce détachement comprenait un chef de brigade de 3e ou 4e classe, à pied,
commandant, et quatre gendarmes à pieds. Il est important de mentionner que le
détachement ainsi créé est composé uniquement de gendarmes français. Ces personnels
sont d’ailleurs autrement appelés les auxiliaires de la gendarmerie française. Le
détachement ainsi créé sera régulièrement réorganisée, principalement en ce qui
concerne la taille de ses effectifs, pour tenir compte de l’accroissement constant des
besoins. A titre illustratif, on peut citer le décret du 20 novembre 1926 portant
réorganisation du détachement de gendarmerie au Cameroun1909, le décret du 11
septembre 1927 portant modification à l’effectif du détachement de gendarmerie du

1906
Bien qu’elle soit une force militaire, la gendarmerie était considérée par NAPOLEON comme « une
organisation à part ». Voir. C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op. cit., p. 137.
1907
En effet, la gendarmerie nait en France de la fusion opérée par la loi du 16 février 1791 des compagnies
d’ordonnance (composées de ce cavaliers au service du Roi et qui, lors de leur création en 1439, constituent la
première force armée de France permanente de l’histoire) et les maréchaussées. Sur tous ces aspects : C.-E.
MINET, Droit de la police administrative, idem, à la même page..
1908
Décret du 4 janvier 1920 créant un détachement de gendarmerie au Cameroun (J.O.T.O.A.C., 1er avril
1920, p. 46).
1909
Promulgué par l’arrêté du 11 janvier 1927.

548
Cameroun1910, le décret du 3 mars 1929 portant réorganisation du détachement de
gendarmerie au Cameroun1911 et le décret du 3 octobre 1933 relatif à l’organisation du
détachement de gendarmerie du Cameroun1912, etc. Cette réorganisation permanente du
détachement de gendarmerie du Cameroun se poursuivra jusqu’à l’indépendance avec un
accroissement constant des effectifs.

Entre temps, à côté de cette gendarmerie auxiliaire, est créée parallèlement une
force locale, la garde camerounaise, encore appelée garde indigène, car entièrement
composée de personnel indigène. S’il n’a pas été possible de dater avec exactitude la
création de cette force, on peut tout au moins évoquer certains textes la concernant, à
l’instar du décret du 28 juin 1925 portant organisation des forces de police, qui vise
particulièrement à régir les domaines de compétence entre la gendarmerie auxiliaire et la
garde indigène. Mais concernant spécifiquement la garde indigène, elle est plusieurs fois
réorganisée et ses compétences spécifiées et affinées. A titre illustratif, l’arrêté du 17
mars 1936 énonce en son article 1er que « la garde indigène constitue une force de
police relevant de l’autorité directe du commissaire de la République ». Elle assure les
services suivants : « le maintien de l’ordre et de la sécurité publique, l’exécution des
mesures d’ordre et des actes réglementaires prescrits par l’autorité administrative, le
service de police, la police des voies de communication ». L’évolution des missions de
la garde indigène montre une consolidation progressive. De telle sorte que si au départ,
la garde indigène est une force de police un peu négligée et déconsidérée, le temps
passant et les nécessités d’assurer l’ordre public se faisant de plus en plus impérieuses,
elle va voir son statut et ses missions s’étoffer, comme le montrent les textes ultérieurs.
Ainsi, l’arrêté du gouverneur des colonies du 24 juillet 1937 portant réorganisation de la
garde indigène1913 est sans équivoque à ce sujet. L’article 1er de ce texte dispose que « la
garde indigène constitue une fraction des forces de police au même titre que la milice
». Aussi est-elle chargée, en temps de paix et en temps de guerre, « de l’exécution des
mesures d’ordre et des actes réglementaires prescrits par l’autorité administrative.
Cette mission comporte en particulier le maintien de l’ordre et la sécurité publique et

1910
Promulgué par l’arrêté du 16 octobre 1927 (J.O.C. du 1 er novembre 1927, pp. 527-528).
1911
J.O.C. du 1er juin 1929, p. 378.
1912
J.O.C., 15 novembre 1933, p. 654.
1913
J.O.C., du 15 décembre 1937, pp. 1052-1068.

549
la garde des prisonniers »1914. Mais en temps de guerre particulièrement, la garde
indigène est chargée en plus « de participer à la défense du territoire en collaboration
avec la milice, et éventuellement avec les forces régulières et en consacrant à cette
mission le maximum d’effectifs compatible avec la nécessité de maintenir aux ordres
de l’autorité civile les unités indispensables à l’exécution de la mobilisation et au
maintien de l’ordre ». Désormais, la garde camerounaise n’a plus rien à envier aux
autres forces de police que sont la gendarmerie auxiliaire et la milice. Ainsi, l’actuelle
gendarmerie nait-elle de la fusion entre la gendarmerie française et les forces locales de
la garde camerounaise, c’est-à-dire entre la gendarmerie auxiliaire et la garde indigène.
Cette fusion s’opère en 19601915, après qu’ait été opérée plutôt un transfert du
commandement de la garde camerounaise du haut commissaire vers les autorités
camerounaises.

Une fois créée, la gendarmerie nationale est entièrement incorporée à l’armée. A


ce sujet, l’ordonnance du 22 février 1960 est claire, lorsqu’elle dispose que « la
gendarmerie nationale fait partie intégrante de l’armée nationale. Ses éléments y
prennent rang à la droite des troupes des autres armes (…). Les dispositions générales
des lois et règlements militaires lui sont applicables, sauf modification et exception
motivées par la spécialisation de son organisation et de son service »1916. Cette
appartenance à l’armée de la gendarmerie sera plusieurs fois réitérée. Mais
progressivement, la spécificité de la gendarmerie s’affirmera, rendant nécessaire la
création en 1966 d’une délégation générale à la gendarmerie nationale1917. Ainsi, bien
que demeurant une force militaire, la gendarmerie ne fait plus « partie intégrante » de
l’armée, puisqu’elle bénéficie désormais d’une administration et d’un statut propres.

S’agissant de ses missions, l’ordonnance n°60-20 du 22 février 1960 déjà évoqué,


qui constitue le premier texte du Cameroun indépendant relatif à la gendarmerie lui
donne comme mission de veiller à la sûreté publique et d’assurer le maintien de l’ordre

1914
Art. 1-1°.
1915
Voir l’ordonnance n°60-20 du 22 février 1960 réglementant l’organisation, l’administration et le service
de la gendarmerie nationale (J.O.C., 1960, p. 572) ; voir également l’arrêté n°814 du 4 mars 1960 portant
mesures transitoires relatives aux grades des sous officiers de la gendarmerie nationale (J.O.C., 1960, p.
522) ; voir enfin le décret n°60-280 du 31 décembre 1960 sur le service de la gendarmerie (J.O.C., n°1427 du
16 février 1961, p. 177).
1916
Art. 2 de l’ordonnance n°60-20.
1917
Décret n°66-DF-54 du 7 février 1966 créant une délégation générale à la gendarmerie nationale, modifié
par le décret n°66-DF-279 du 18 juin 1966.

550
et l’exécution des lois1918. « Une surveillance continue et répressive constitue l’essence
de son service. Son action s’exerce dans toute l’étendue du territoire. Elle est
particulièrement destinée à la sûreté des zones rurales et des voies de
communication »1919.

Le décret du 31 décembre 1960 sera beaucoup plus précis encore, lui qui dispose
que « l’action de la gendarmerie consiste en une surveillance continue en vue de
prévenir et, le cas échéant, de réprimer toute atteinte à l’ordre public 1920 ». De plus, un
de ses devoirs principaux est de « faire la police sur les routes, pistes ou chemins, d’y
maintenir la liberté des communications et de garantir aux usagers le maximum de
sécurité »1921.

La gendarmerie nationale gardera donc cette organisation, à savoir une structure


centrale, la délégation générale à la gendarmerie nationale et des structures locales et
provinciales que sont les légions de gendarmerie, les compagnies ainsi que les brigades,
que ce soit au niveau provincial ou départemental. Ceci durera jusqu’en 19831922, date à
laquelle la délégation générale à la gendarmerie nationale est remplacée par un
secrétariat d’Etat à la défense chargé de la gendarmerie. Elle a désormais pour mission
générale d’assurer le bon ordre public et de veiller au bon fonctionnement des
institutions de l’Etat1923. En outre, « elle participe à l’exercice de la police
administrative, de la police judiciaire et de la police militaire »1924. C’est cette
organisation et cette mission qui accompagneront la gendarmerie nationale jusqu’à la
réforme des armées de 2001.

Ainsi, l’étude de l’évolution de la gendarmerie montre qu’il s’agit d’une des


forces de police les plus anciennes, avec la milice. Ayant été introduite au Cameroun
pour des nécessités impérieuses de maintien de l’ordre public, son rôle de force de police
administrative n’a jamais cessé de s’affirmer, notamment dans les campagnes ou les
milieux ruraux, où son action est beaucoup plus perceptible. C’est ainsi que son action
s’est avérée décisive dans les périodes sombres de répression du maquis. Agissant aux
1918
Art. 1er.
1919
Ibid.
1920
Art. 8.
1921
Idem, art. 102.
1922
Voir le décret n°83-569 du 12 novembre 1983 portant réorganisation de la gendarmerie nationale (J.O.C.
du 1er décembre 1986, p. 3320).
1923
Art. 2 du décret n°83-569.
1924
Ibid.

551
côtés de l’armée, tout au long de cette période, elle a montré son efficacité comme tout
au long des années qui ont suivi cette période, de telle sorte qu’elle n’a jamais cessé de
jouir d’une assez bonne réputation auprès du public, contrairement à ce qui a été dit
s’agissant des forces de la sûreté nationale.

Au total, on peut observer que de son introduction au Cameroun jusqu’aux années


1990, la gendarmerie est restée une organisation particulièrement stable, si bien que
même l’indépendance n’y aura rien changé, les différentes réformes entreprises dès 1960
n’ayant pas transformé fondamentalement cette institution. Aussi la réforme de 2001
pouvait-elle légitimement susciter des attentes, dans le sens d’une transformation en
profondeur de l’institution. Si celle-ci n’a pas eu lieu, gardant une gendarmerie
substantiellement coloniale, il faut dire qu’au plan formel, la réforme de 2001 a apporté
du nouveau à la situation actuelle de la gendarmerie.

2. Situation actuelle de la gendarmerie

La gendarmerie nationale, telle qu’elle existe de nos jours, est issue de la réforme
des armées de 2001. L’un des textes de cette réforme, à savoir le décret n°2001/184 du
25 juillet 2001 portant organisation de la gendarmerie nationale, dispose en son article
1er : « la gendarmerie nationale est une composante des forces de défense. Son action
s’exerce sur toute l’étendue du territoire national et plus particulièrement dans les
zones rurales et sur les voies de communication ». Le texte ajoute d’ailleurs qu’ « elle
est une force à caractère militaire, assurant également des missions civiles ». C’est
sans doute cette possibilité donnée à la gendarmerie nationale d’assurer des missions
civiles qui lui permet d’intervenir en tant que force de police administrative1925. Mais il
faut dire qu’elle intervient en ce domaine surtout parce qu’elle est expressément
désignée comme tel par les textes. Le décret n°2001/188 du 25 juillet 2001 portant statut
particulier du corps des officiers d’active des forces de défense dispose d’ailleurs dans ce
sens en affirmant que les officiers constituant le corps des officiers de gendarmerie
assurent le maintien de l’ordre et l’exécution des lois1926. Ils veillent à la sûreté publique.
Le caractère de force de police administrative de la gendarmerie est ici, avec la réforme

1925
Mais au-delà de la police administrative, et toujours dans le cadre de ses missions civiles, « elle se tient
également à la disposition des autres Chefs de départements ministériels dans le cadre des missions qui lui
sont dévolues conformément à la réglementation », art. 2 du décret n°2001/184.
1926
Art. 3.

552
de 2001, simplement réitéré. Sous l’autorité du ministère de la défense, elle exerce ses
missions de police administrative au profit du ministère de l’administration
territoriale1927. Il s’agit là de compétences rentrant dans ce que les textes qualifient de
missions générales de la gendarmerie. Quant aux missions particulières, l’article 3 du
décret n°2001/184 dispose que la gendarmerie « concourt à la défense nationale, elle
concourt au maintien de la sûreté intérieure de l’Etat, elle assure des missions de
police militaire et de police judiciaire militaire».

Mais il faut dire que s’agissant de l’autorité sous laquelle la gendarmerie


nationale exécute ses missions, l’on semble avoir assisté à une modification de l’état du
droit. Car si le texte de 2001 place la gendarmerie nationale sous l’autorité du ministère
de la défense1928, un texte de 2014 place la gendarmerie nationale sous l’autorité du
secrétaire d’Etat à la défense chargé de la gendarmerie 1929. Il s’agit là d’une modification
substantielle de l’état du droit, car, depuis la création du secrétariat d’Etat à la défense et
son incorporation au ministère des forces armées1930, puis de la défense1931, la
gendarmerie nationale a toujours été placée sous l’autorité du ministre. Là placer
désormais sous l’autorité du secrétariat d’Etat à la défense chargé de la gendarmerie est
une façon d’œuvrer au plan organique, à une forme d’autonomisation de la gendarmerie
par rapport aux autres forces de défense. Mais cela dit, cette autonomisation n’est que
relative, puisque si la gendarmerie nationale est placée sous l’autorité du secrétaire
d’Etat chargé de la gendarmerie, ce dernier est lui-même en retour placé sous l’autorité
du ministre de la défense.

En ce qui concerne l’organisation, la gendarmerie comporte des services


centraux, des commandements territoriaux et des commandements et formations
spécialisées1932.

1927
Elle exerce également des missions de police judiciaire, mais cette fois au profit du ministère de la justice.
Art. 2 du décret n°2001/184.
1928
Ibid.
1929
Décret n°2014/309 du 14 août 2014 portant modification du décret n°2001/181 du 25 juillet 2001 portant
organisation de la gendarmerie nationale. Lire l’art. 5 (nouveau) : « Placée sous l’autorité du secrétaire d’Etat
auprès du ministre de la Défense chargé de la gendarmerie nationale, la gendarmerie nationale comprend :
les services centraux ; les commandements territoriaux ; les commandements et formations spécialisés ».
1930
Décret n°83-569 du 12 novembre 1983 portant réorganisation de la gendarmerie nationale, précité.
1931
Le ministère des forces armées a changé de dénomination en 1985, pour devenir ministère de la défense, et
être rattaché par la même occasion à la Présidence de la République.
1932
Art. 5 du décret n°2001/184.

553
Au niveau central, et pour ce qui concerne précisément les structures concernées
pour l’exercice de la police administrative, on a un outil important à savoir la direction
centrale de la coordination1933, qui comporte une direction de l’emploi et des structures.
Cette dernière est chargée entre autres de la définition de la doctrine d’emploi de la
gendarmerie, de la recherche, de l’exploitation et de la diffusion du renseignement, de la
mobilisation, etc. Elle comprend notamment un service de l’emploi et des structures, qui
lui-même comprend entre autres deux bureaux à savoir le bureau de l’emploi et du
maintien de l’ordre, ainsi que le bureau de la circulation. Ces instruments organiques
centraux permettent à la gendarmerie d’intervenir efficacement sur le terrain de la mise
en œuvre des mesures de police administrative. Ils centralisent également toutes les
opérations menées par les démembrements territoriaux de la gendarmerie.

Au plan territorial justement, les commandements territoriaux de la gendarmerie


comprennent, par ordre de grandeur décroissant, les régions de gendarmerie 1934, les
légions de gendarmerie formant un corps1935, des groupements de gendarmerie
territoriale, des compagnies de gendarmerie spécialisée, des brigades de gendarmerie
territoriale et des brigades de gendarmerie spécialisées, des postes de gendarmerie. Aux
termes de l’article 87 du décret n°2001/184, « les formations et unités territoriales et
spécialisées de la gendarmerie nationale sont chargées de l’exécution de l’ensemble
des missions de la gendarmerie dans leurs circonscriptions ». A ce titre, elles exécutent
des missions de sécurité générale et de maintien de l’ordre, des missions de police
administrative et judiciaire, des missions de police administrative et judiciaire militaires,
ainsi que des missions de défense nationale. Ces formations et unités de la gendarmerie
comprennent, pour la gendarmerie territoriale : des groupements de gendarmerie, des
compagnies de gendarmerie, des brigades de gendarmerie territoriale et des postes de
gendarmerie territoriale. Pour les unités spécialisées : des compagnies de gendarmerie
spécialisées, des brigades spécialisées et des postes spécialisés. Ces démembrements
sont déployés pour couvrir l’ensemble du territoire national. C’est ainsi par exemple que
la compagnie de gendarmerie couvre en principe un département administratif.

S’agissant particulièrement des brigades et des postes de gendarmerie spécialisés,


ils sont implantés dans les installations, points sensibles ou zones spécifiques pour y
1933
Art. 20 et s. du décret n°2001/184.
1934
Au nombre de 4, depuis le décret n°2014/309.
1935
En principe, les légions de gendarmerie ont un ressort régional. Voir le décret n°2014/309 précité.

554
assurer les missions de la gendarmerie nationale dans la circonscription de leur ressort
territorial.

Il est important de souligner que les personnels de la gendarmerie peuvent être


employés dans plusieurs formations et unités, notamment dans ce qu’on appelle
couramment la gendarmerie territoriale et la gendarmerie mobile. Selon l’article 93 du
décret n°2001/184, « les formations et les unités de la gendarmerie mobile sont les
structures de type militaire chargées de l’exécution des missions de maintien et de
rétablissement de l’ordre public. Elles renforcent les formations et unités territoriales
et spécialisées dans l’exécution de leurs missions de sécurité générale, de maintien et
de rétablissement de l’ordre ». Elles comprennent : des groupes d’escadrons, des
escadrons et des pelotons.

En plus des structures centrales déjà citées et des démembrements territoriaux de


la gendarmerie ainsi que des unités spécialisées, on peut encore citer, toujours comme
susceptibles d’intervenir dans l’exécution des actes matériels de police, les
commandements et formations spécialisées de la gendarmerie nationale, qui
comprennent entre autres le groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie
nationale (GPIGN1936), et le groupement d’escadrons d’intervention du secrétaire d’Etat
à la défense spécialement chargé de la gendarmerie (GEI/SED1937). Ces formations, qui
font partie de l’élite de la gendarmerie, en termes de qualité de la formation, de
compétence et même d’équipement, renseignent suffisamment, lorsqu’elles sont
mobilisées, sur l’importance accordée ici aux opérations de maintien de l’ordre public,
notamment dans le cadre de la police administrative.

Pour ce qui est précisément des personnels composant la gendarmerie, ceux-ci


vont des militaires de rang jusqu’aux officiers généraux, en passant par les officiers
subalternes et les officiers inférieurs1938. Il faut dire que si par le passé, la plupart des
personnels gendarmes recevaient une formation d’ordre général, de plus en plus de nos
jours, en plus de cette formation générale, ils reçoivent des formations spécialisées. De
1936
Selon l’art. 110 du décret n°2001/184, « Le Groupement Polyvalent d’Intervention de la Gendarmerie
Nationale est une formation spécialisée, opérationnelle de réserve ministérielle ». Il est, selon l’art.112 du
même texte, régi quant à son organisation et son fonctionnement par des textes particuliers.
1937
Le Groupe d’Escadrons d’Intervention du Secrétaire d’Etat à la Défense spécialement chargé de la
Gendarmerie regroupe tous les personnels en poste dans les services centraux. Son organisation et son
fonctionnement sont régis par des textes particuliers. Cf. art. 113 du décret n°2001/184.
1938
Mais la gendarmerie peut également employer des personnels civils, conformément à l’article 1 er du décret
n°2001/184.

555
plus en plus même, certains sont recrutés directement dans les formations spécialisées de
la gendarmerie, que ce soit explicitement ou implicitement. Mais cela dit, la gendarmerie
nationale n’est pas composée que du personnel militaire. Elle peut employer aussi du
personnel civile dans le cadre de l’accomplissement des se missions, notamment de
police administrative.

Pour ce qui est de l’emploi de la gendarmerie en ce domaine, il faut dire qu’elle


intervient dans deux cadres distincts. Elle peut d’abord intervenir proprio mutu, c’est-à-
dire de son propre chef, puisqu’elle est réglementairement désignée pour assurer le
maintien de l’ordre public qui rentre en partie dans le champ matériel de la police
administrative. Elle peut aussi intervenir sur réquisition des autorités administratives,
notamment celles qui sont détentrices du pouvoir de police. Dans ce second cas de
figure, les réquisitions doivent être conformes à la réglementation en vigueur.

Au total, on peut observer, que si la gendarmerie est une force militaire, elle jouit
néanmoins d’une réelle spécificité au sein de ces forces. Si elle est appelée à intervenir
prioritairement dans les zones rurales, on constate qu’elle couvre en fait, par ses
démembrements, l’ensemble du territoire national. Or, si l’on tient compte du fait qu’il
n’y a pas de distinction de nature entre les missions de police exercées par elle et celles
exercées par la sûreté nationale, on ne peut que conclure à une forme d’accumulation des
forces de police administrative. A tout le moins, la diversification de ces forces apparait
incontestable, surtout si l’on introduit, comme cela tend à se banaliser depuis la nuit des
temps en matière de police administrative, la seconde force militaire qu’est l’armée.

A. L’armée

L’armée constitue la force militaire par excellence. Composante principale des


forces de défense, elle est divisée en trois grandes composantes que sont l’armée de
terre, l’armée de l’air et la marine nationale. L’on sait que « les forces de défense ont
pour missions d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les
formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, de pourvoir au respect des
alliances, traités et accords internationaux »1939. Ainsi, l’armée exerce-t-elle

1939
Art. 2 du Décret n° 2001/178 du 25 Juillet 2001 portant organisation générale de la Défense et des Etats-
Majors Centraux. L’article 1er de la loi n°67-LF-9 portant organisation générale de la défense (J.O.C., 15
septembre 1967, p. 183) dispose dans cet ordre d’idée que « la défense a pour objet d’assurer en tout temps,

556
essentiellement des missions de défense. La défense est une mission distincte de la
police administrative. Car si la défense a un contenu essentiellement répressif et
guerrier1940, la police administrative, elle, a un contenu, comme il a déjà été vu,
essentiellement préventif. Mais les missions de défense et de police administrative se
rejoignent, dans la mesure où elles contribuent toutes à ce que l’on appelle le maintien de
l’ordre. C’est donc cette dernière notion qui, théoriquement, constitue le point de contact
entre défense nationale et police administrative, au point où les forces affectées à l’une et
à l’autre mission peuvent coulisser d’une des missions à l’autre, sans que cela ne soit
théoriquement inadmissible1941. Cependant, s’agissant précisément de l’armée, il n’est
pas exagéré de considérer que sa mission naturelle est la défense du territoire1942. Ce
n’est donc qu’exceptionnellement qu’elle peut être considérée comme une force de
police administrative. Le problème, en ce qui la concerne, va donc venir du fait que son
intervention en cette dernière matière va devenir tellement récurrente, au point de friser
la banalisation.

1. La considération de l’armée comme une force exceptionnelle de police


administrative

L’armée est une force exceptionnelle de police administrative dans la mesure où


son rôle principal et essentiel est la défense du territoire dans le cadre de la souveraineté
nationale, ainsi que le respect des alliances, traités et accords internationaux. Mais de par
le monde, l’armée conserve une longue tradition dans le maintien de l’ordre public, et
celle camerounaise n’en fait pas exception. Aussi peut-elle être considérée comme une
force de police administrative, mais de nature exceptionnelle, pour les raisons déjà
évoquées. La considération de l’armée comme force exceptionnelle de police

en toutes circonstances et contre toutes formes d’agression, la sécurité et l’intégrité de l’Etat, dans le cadre
de la souveraineté nationale ».
1940
La défense est un concept qui met en jeu la réalité d’une action militaire. Aussi peut-on affirmer qu’elle «
dispose et doit disposer de cette singularité qu'est l'action militaire (…) En effet, la défense c'est avant tout
penser la guerre, penser les guerres, et mettre en œuvre une violence « légale » qu'on doit espérer légitime».
Cf. J. LAUNAY, « Sécurité et défense », RFDA 2011 p. 1099.
1941
Il faut considérer ici que « le ministère de la Défense est un acteur majeur du continuum sécurité-
défense, tant par la maîtrise de l'acte militaire sur l'ensemble des fonctions stratégiques que par son action
dans le domaine de la sécurité intérieure. Dans l'ensemble des milieux d'action, la défense joue un rôle
déterminant pour la sécurité nationale » Cf. J. LAUNAY, « Sécurité et défense », à la même page.
1942
Mais il faut dire qu’elle ne le fait pas toute seule, l’art. 20 de la loi n°67-LF-9 consacrant comme moyens
de défense : « les forces régulières, les forces supplétives, les forces auxiliaires. L’ensemble des forces est
constitué pour défendre la nation contre les ennemis du dehors et assurer au dedans le maintien de l’ordre
et l’exécution des lois ».

557
administrative obéit à une tradition qui remonte à l’époque du mandat international
franco-britannique sur ce territoire. Ainsi, dès cette période déjà, il est affirmé que « le
maintien de l’ordre public sur le territoire du Cameroun incombe à l’autorité civile. Il
est assuré normalement par la police, la gendarmerie, les détachements de garde
indigène mis en permanence à la disposition de l’autorité civile, et subsidiairement par
les fractions de garde indigène relevant directement du commandant des forces de
police (portion centrale et annexe), par le bataillon de milice et par des troupes
régulières de toutes armes »1943. A la lumière de ces dispositions, on constate que ce qui
correspond à cette époque à l’armée à savoir le bataillon de milice ainsi que les troupes
régulières de toutes armes, n’interviennent que subsidiairement dans le maintien de
l’ordre public, la notion de subsidiarité signifiant bien ici que l’armée intervient à titre
secondaire. Ainsi, si la police, la gendarmerie et les détachements de garde indigène mis
à la disposition des autorités civiles assurent « normalement » le maintien de l’ordre
public, ce qui correspond ici à l’armée l’assurent plutôt exceptionnellement. L’armée est
donc bel et bien une force exceptionnelle de police administrative. Cette orientation sera
maintenue pendant tout le régime du mandat ainsi que sous la tutelle internationale, pour
être ensuite reconduite même après l’indépendance.

Ainsi, dans ce sens, la loi n°67-LF-9 du 12 juin 1967 portant organisation


générale de la défense dispose, en son article 26, que « l’autorité civile dispose
normalement pour le maintien de l’ordre de la gendarmerie départementale et des
polices (…). L’emploi à des missions normales de maintien de l’ordre de la
gendarmerie mobile et des forces terrestres, aériennes et maritimes est subordonné à
leur réquisition préalable et fait l’objet de textes particuliers. L’emploi des forces n’est
justifié qu’en cas d’insuffisance des moyens de la gendarmerie et des polices ». Ici
encore, l’intervention de l’armée dans le maintien de l’ordre public est bien considérée
comme exceptionnelle. D’abord, elle est soumise à une procédure de réquisition, ce qui
montre bien qu’il ne s’agit pas d’une force « normale » de police. Ensuite, l’intervention
de l’armée dans le maintien de l’ordre public ne se justifie que si les forces considérées
comme normales s’avèrent insuffisantes. Réapparait ici l’idée de subsidiarité déjà
présente pendant le mandat. Tout ceci contribue bien à montrer que l’armée est bel et

1943
Art. 1er de l’arrêté du 18 août 1932 abrogeant l’arrêté du 17 juin 1931 relatif à la participation de l’armée
et des formations de milice au maintien de l’ordre public dans les territoires sous mandat du Cameroun
(J.O.C., du 1er septembre 1932, pp. 496-501).

558
bien une force de police administrative, mais une force exceptionnelle. Elle est appelée à
n’intervenir qu’en dernier recours, c’est-à-dire lorsque, pour quelle que raison que ce
soit, les forces ordinaires de police que sont la police et la gendarmerie n’ont pas pu
donner satisfaction. Mais il faut dire que cette idée de subsidiarité qui semble s’imposer
ici doit être bien comprise. Dans le contexte camerounais, elle ne signifie pas seulement
que l’armée vient, comme force de police administrative, en second lieu, c’est-à-dire
lorsque la police ou la gendarmerie n’ont pas pu donner satisfaction. Elle signifie ici que
l’armée peut être sollicitée, ou si l’on veut, mobilisée dans le cadre du maintien de
l’ordre public, dans certains cas, à la place de la police et de la gendarmerie, même
lorsque ces dernières ne se sont pas montrées déficientes. Car la logique voudrait que la
considération de l’armée comme force exceptionnelle de police se fasse in concreto,
c’est-çà-dire après qu’une action effective de la gendarmerie ou de la police sur le terrain
se soit révélée insuffisante. Mais à l’expérience, cette insuffisance a souvent tendance à
s’apprécier a priori avant l’intervention des forces même ordinaires, au regard de la
menace en présence. Cela conduit progressivement mais incontestablement à banaliser
l’intervention de l’armée dans le maintien de l’ordre public.

2. La banalisation de l’intervention de l’armée dans le maintien de l’ordre


public

Au Cameroun, l’armée a tendance à être considérée comme une force ordinaire


de police administrative, au même titre que la police et la gendarmerie. D’où les
mobilisations fréquentes dont elle est l’objet, de la part des autorités de police
administrative. La fréquence et la récurrence de ces mobilisations montrent bien, au
final, une intervention quasi systématique de l’armée dès que l’ordre public est menacé.
Cette banalisation de l’intervention de l’armée dans le maintien de l’ordre public peut
reposer sur plusieurs ressorts, qu’ils soient textuels ou contextuels.

Au plan des textes, on peut considérer que la réglementation est volontairement


permissive vis-à-vis d’une pareille issue. La plupart du temps, les textes sont rédigés
pour permettre une intervention relativement facile de l’armée dans le maintien de
l’ordre public. Cela commence dès la création de l’armée camerounaise. L’ordonnance
édictée à cet effet dispose que « la mission principale de l’armée camerounaise est
d’assurer en tout temps et en toutes circonstances, et contre toutes les forces

559
d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire national ainsi que la vie de la
population »1944. Il est indéniable qu’une énonciation aussi ouverte ne peut que laisser
libre cours à un champ d’intervention suffisamment vaste de l’armée, y compris dans le
maintien de l’ordre public. Le caractère suffisamment englobant du concept de sécurité
ici va permettre que l’armée, mobilisée dès que cette sécurité sera menacée,
indépendamment du fait de savoir si la sécurité dont il s’agit est celle de la police
administrative ou celle plus générale accolée à l’intégrité du territoire, de manière
traditionnelle. La mission déclinée de l’armée à sa création en 1959 est maintenue
jusqu’à ce jour telle qu’elle, comme l’atteste les décrets de 2001 qui régissent
actuellement les forces de défense. Aussi peut-on considérer que de sa création jusqu’à
ce jour, l’armée n’a jamais cessé d’être considérée comme une force ordinaire de police
administrative, dans l’esprit du législateur. C’est ce qui justifie l’emploi d’expression
suffisamment englobante dans la détermination de ses missions, du genre « sécurité », «
paix », etc.

Toujours au plan des textes, on peut considérer comme ressort de la banalisation


de l’intervention de l’armée dans le maintien de l’ordre public la relative souplesse des
conditions de réquisition de cette force par les autorités de police administrative. En
effet, bien que l’emploi de ces forces soit soumis à la condition de leur réquisition, il faut
dire que cette dernière n’est pas un obstacle pour les autorités requérantes, car le régime
des réquisitions, qu’elles soient civiles ou militaires, est ici très favorable à la puissance
publique, du moins aux autorités publiques1945. C’est ce qui conduit à ce que la quasi-
totalité des réquisitions soient couronnées de succès, dès l’instant où elles sont
déclenchées.

S’agissant des raisons contextuelles, il faut dire que les autorités de police
administrative au Cameroun n’hésitent jamais, lorsqu’elles ont besoin de faire exécuter
leurs mesures de police, à faire appel à l’armée, chaque fois que cela est matériellement
possible. On note ainsi une prédilection pour le recours à ces forces de la part de
l’administration, en raison semble-t-il de leur plus grande efficacité. Dans tous les cas,
quelles que soient les raisons qui peuvent être invoquées ici, le constat est indéniable, du

1944
Voir l’ordonnance n°59-57 du 11 novembre 1959 portant création de l’armée camerounaise et
organisation générale de la défense (J.O.C., 1959, p. 1567).
1945
Sur ces différents aspects, lire : P. H. ASSIENE NGON, Les réquisitions en droit administratif
camerounais, précité.

560
recours fréquent à l’armée pour assurer l’exécution des mesures de police, d’où la
banalisation de cette force de police pourtant exceptionnelle. Les lieux de prédilection
d’intervention de cette force foisonnent : l’université1946, la rue, les marchés, les voies de
communication, etc.

Parfois, on assiste à une sorte de mutualisation des forces à travers ce que l’on
appelle généralement les patrouilles mixtes de maintien de l’ordre qui comportent en leur
sein à la fois la police, la gendarmerie et l’armée. S’agissant de l’arme ainsi considérée,
il faut dire que si en général ce sont les forces de l’armée de terre qui sont en général
mobilisées, les forces des autres armes peuvent également l’être, que ce soient les forces
de la marine nationale ou de l’armée de l’air, tout ceci en fonction des spécificités liées à
l’emploi de chaque force.

L’intervention ici de l’armée, en ajoutant à la diversification des forces de police,


conforte l’idée d’un maximalisme dans l’aménagement de la fonction de police
administrative. Ce maximalisme dans l’exercice de la police administrative, tranche avec
le minimalisme qui caractérise le contrôle de cette activitée. Ce soont ces deux
muvements dialectiques qui marque la prégnance de l’étatisme dans l’aménagement de
cette activité.

1946
Les récents évènements dans les régions anglophones le prouvent amplement, qui ont révélé des
interventions musclées des éléments du bataillon d’intervention rapide (BIR) à l’intérieur du Campus de
l’Université de BUEA, interventions dont se sont fait l’échos de nombreux médias.

561
CHAPITRE II :

LE MINIMALISME DANS L’AMENAGEMENT DU CONTROLE

562
Le contrôle de l’action administrative est une exigence de l’Etat de droit.
S’agissant particulièrement de la police administrative, les atteintes qu’elle est
susceptible de porter aux droits et libertés rend impérieuse le contrôle des mesures qui là
manifeste. Ici en effet, l’action de l’administration ayant pour but de maintenir l’ordre
public est intimement liée à la nécessité de garantir les droits et libertés. Or, très
souvent, l’administration est plus soucieuse d’assurer sa mission de police
administrative, sans forcément prendre en compte les droits et libertés corrélatifs à la
notion d’ordre public. Il faut donc que faute d’un respect par l’administration elle-même
de ces droits, le juge se charge de contrôler que l’exercice du pouvoir de police a
effectivement pris en compte les libertés des citoyens, c’est-à-dire n’est pas allé au-delà
du cadre strictement nécessaire au maintien ou au rétablissement de l’ordre public. Le
contrôle de l’activité de police administrative apparaît ainsi, plus que tout autre, comme
un contrôle impérieux et absolument indispensable. Il peut et doit même permettre de
rééquilibrer les valeurs d’ordre et de liberté, cette dernière généralement mise à mal par
les autorités de police administrative.

Si l’exercice de la police administrative fait apparaître un maximalisme en ce qui


concerne les prérogatives de l’administration, ce maximalisme peut toujours être contre
balancé par le contrôle du juge, ce dernier apparaissant alors comme un contre poids au
pouvoir de l’administration, un remède à la toute puissance des mesures de police
administrative. Mais lorsque l’on consulte le régime de contrôle de la police
administrative au Cameroun, on est forcé de reconnaître qu’il est marqué du sceau d’un
incontestable minimalisme. Autrement dit, l’analyse du système de contrôle de la police
administrative révèle une incapacité de celui-ci à contre balancer le maximalisme du
cadre d’exercice de cette mission administrative. Un tel contrôle minimaliste, est
insuffisant à garantir les droits et libertés des citoyens. Il prône donc incontestablement
les prérogatives de l’Etat, et est au cœur de l’autoritarisme qui caractérise en ce domaine
l’action administrative. Ceci peut s’analyser aussi bien sur le terrain de la légalité que sur
celui de la responsabilité.

Le principe de la légalité de l’action administrative est une exigence que doit


respecter en tout premier lieu la fonction de police administrative. En le consacrant, l’on
vise à s’assurer que cette activité est conforme au droit en vigueur, et que les droits des
citoyens ne sont pas « malmenés » par les autorités administratives lorsqu’elles mettent

563
en œuvre leurs pouvoirs, dans la sauvegarde ou le maintien de l’ordre public. Le contrôle
de la légalité de cette activité régalienne ne bénéficie pas d’un régime spécifique. Le
principe général de soumission de l’administration au droit s’applique donc mutatis
mutandis dans tous les secteurs de l’activité administrative, y compris celui du maintien
de l’ordre public.

L’administration camerounaise n’est pas en marge du mouvement général de


libéralisation de l’Etat qui postule entre autres la soumission de l’administration au droit
à travers le contrôle de son activité principalement par une juridiction administrative.
Comme le dit si bien le Professeur Yves GAUDEMET1947, « l’Etat de droit signifie que
l’administration, dans ses interventions, est tenue au respect de la règle de droit,
comme le sont les particuliers (…). La juridiction administrative est le produit de cette
conviction (…). Elle est un système de contrôle juridictionnel qui d’une part assure la
sanction des méconnaissances du droit par l’administration, et d’autre part, peu à peu,
par sa jurisprudence, élabore le droit1948 ». La police administrative ne saurait donc se
soustraire à cet impératif impérieux, au regard des menaces qu’elle peut faire peser sur
les droits les plus fondamentaux des citoyens. Même si Prosper WEIL a qualifié cette
exigence de contrôle de l’action administrative de « miracle du droit administratif »1949,
pour mettre l’accent sur son caractère prodigieux en se basant sur le fait que, la police
administrative, en tant que moyen de contrainte, est l’un des attributs les plus essentiels
de la souveraineté1950, et donc fait partie de ce que MAX WEBER appelait le monopole
de la violence légitime1951, ce contrôle est de nos jours le phénomène le plus banal de
l’Etat qui se veut démocratique et soucieux du respect des droits humains. Le principe de

1947
Y. GAUDEMET, in L’avenir de la juridiction administrative, Gazette du Palais, 1979, Doctrine, p. 511.
1948
On sait en effet que la juridiction ou le juge administratif rempli plusieurs types de fonctions. Si
classiquement il exerce une fonction contentieuse qui consiste à trancher les litiges, le développement de son
action a révélé d’autres types de fonction qui selon le Professeur GUIMDO sont manifestes pour les unes et
latentes pour les autres. Parmi les fonctions manifestes, l’on a la fonction de contrôle qui a pour but de
soumettre l’administration au droit et la fonction normative qui permet au juge de poser des règles de droit.
Quand aux fonctions latentes, elles se résument pour l’essentiel dans le rôle politique joué par le juge
administratif. Cf. B. R. GUIMDO DONGMO, Le juge administratif camerounais et l’urgence. Recherches sur
la place de l’urgence dans le contentieux administratif camerounais, précité, pp. 2-3 ; pour plus de détails, lire
P. WEIL, Le droit administratif, Paris, PUF, Que sais-je ? N° 1152, 12e édition, 1987 ; D. LOCHACK, La
justice administrative, 3e éd., Paris, Montchrestien, 1998, p. 93 ; cela dit, seules les fonctions contentieuse, de
contrôle et de régulation sont importantes pour les lignes ci-dessous, la fonction normative ayant ici une
importance secondaire.
1949
P. WEIL, Le droit administratif, op cit., p. 1.
1950
J. CHEVALIER, « La police est-elle encore une activité régalienne ? », in C. VAUTROT-SCHWARZ
(Dir.), La police administrative, Paris, PUF, Thémis/Essais, 2014, p. 5.
1951
Idem.

564
légalité apparait ici de ce fait comme une exigence majeure à laquelle doivent se
conformer les autorités de police, sous peine de voir leurs actes annulés par le juge.

Mais malgré son caractère impérieux, nous verrons que le contrôle de légalité
appliqué aux actes de police administrative se décline ici sous une forme assez minimale,
en tout cas est réduit à sa portion la plus congrue, qu’on le considère sous l’angle du
contentieux de l’urgence, ou du contentieux de la légalité proprement dite, étant entendu
que « pour la conception juridique de la police administrative, le seul problème
vraiment pertinent est celui du contrôle exercé par le juge administratif sur la
qualification juridique des motifs de fait des décisions de police et sur l’adéquation du
contenu de celles-ci à ceux-là »1952.

La police administrative doit également respecter le principe de responsabilité. Et


le moins que l’on puisse dire est que cette responsabilité n’est, pour reprendre les termes
célèbres de l’arrêt Blanco, « ni générale, ni absolue1953 ». En effet, si ici le principe
d’une responsabilité de l’administration est incontestable, la question qui se pose est
celle de son étendue et de son degré de mise en œuvre. On sait qu’ « un système
administratif sera d’autant plus libéral que le droit auquel l’administration doit se
plier sera plus précis et développé et que sera plus large et facile l’accès des
administrés aux tribunaux chargés de contrôler l’administration 1954 ». Un tel système,
là où il est mis en œuvre, dénote la volonté d’accorder aux administrés le maximum de
garanties pour la sauvegarde de leurs droits. Un tel système est donc en contradiction
avec celui mis en exergue dans la présente étude et qui révèle un rapport de force
Administration /administrés encore largement en faveur de la première 1955. Sur ce
terrain, la primauté des exigences liées au maintien de l’ordre public va contribuer à
1952
J. PETIT, « Le contrôle juridictionnel des mesures de police par le juge administratif », in C. VAUTROT-
SCHWARZ, La police administrative, op cit., p. 205.
1953
T.C., 8 février 1873, Blanco, G.A.J.A., n°1.
1954
Y. GAUDEMET, Droit administratif, 18e édition, Paris, L.G.D.J., 2005, p. 11.
1955
Monsieur Alain BOCKEL ne nous démentirait pas, lui qui affirme que le droit administratif est conçu en
Afrique comme un instrument « au service de l’entreprise gouvernementale », un droit « engagé », qui
consiste « beaucoup plus en une technique de rationalisation de l’action administrative, destinée à assurer
son efficacité, sa rigueur, sa cohérence au service des fins déterminées au sommet qu’en un contrepoids au
profit des droits individuels ». Cf. A. BOCKEL, Droit administratif, Dakar, N.E.A., 1978, coll. CREDILA, p.
29 ; le même auteur, à la fin d’une analyse minutieuse de la jurisprudence d’un pays africain, en l’occurrence le
Sénégal, abouti à une conclusion il est vrai valable surtout pour le Sénégal, mais transposable au Cameroun du
fait du niveau de développement juridique quasi égal entre ces deux pays, selon laquelle à la lumière de cette
jurisprudence, « la responsabilité (de la puissance publique) ne peut être engagée aussi largement qu’en
France. Un seuil doit être fixé, et il est à l’honneur des juges de tenter d’en définir le niveau ». Lire à ce
propos : A. BOCKEL, « Sur la difficile gestation d’un droit administratif sénégalais », Annales africaines,
1973, p. 145.

565
donner au principe de responsabilité un caractère très aléatoire, limité et parfois
exceptionnel.

Au Cameroun, le principe de responsabilité a tendance à se vider de son contenu


à mesure que l’on se rapproche des fonctions régaliennes de l’Etat. Le Professeur Henry
JACQUOT soutient un point de vue similaire, lorsqu’il affirme qu’au Cameroun, le
champ d’application de la responsabilité administrative extracontractuelle est beaucoup
moins large qu’en France1956. La police administrative, en tant qu’elle vise le maintien de
l’ordre public, activité de souveraineté1957 s’il en est, contribue à réduire le principe de
responsabilité à sa portion la plus congrue. Il faut en effet rappeler que le système
général de responsabilité de la puissance publique est largement orienté vers la limitation
des dépenses d’indemnisation1958 et même vers la protection de l’administration de toute
volonté générale de condamnation, phénomène largement décri par la doctrine1959. Le
législateur, le pouvoir réglementaire et le juge y contribuent de manière rigoureuse,
révélant ainsi une démarche assise sur une idéologie plus souterraine d’unité
nationale1960, qui postule la non dispersion des énergies sociales à travers la
multiplication des procès faits à l’administration et de condamnation de cette dernière et
de développement1961, qui postule le refus du gaspillage des deniers publics a travers la
multiplication des procédures de réparation aux victimes de l’activité administrative.

Au Cameroun, la responsabilité de l’administration du fait de la police


administrative n’échappe pas aux tares habituelles reconnues à la responsabilité

1956
H. JACQUOT, « Le contentieux administratif au Cameroun », in R.C.D., n° 7, janvier-juin 1975, p. 138
1957
L’ordre est en effet le besoin primaire de toute société. L’Etat, société organisée par excellence, n’échappe
pas à ce besoin qui touche sa raison d’être et donc sa souveraineté. Pour Charles-Edouard MINET, la police
est, en tant que moyen de contrainte, « un des attributs les plus essentiels de la souveraineté.» MINET
Charles-Edouard, Droit de la police administrative, précité, p.
1958
M. ONDOA, L’économie des deniers publics dans l’administration camerounaise, thèse précitée.
1959
M. ONDOA, Le droit de la responsabilité dans les Etats en développement…, précité, pp. 56-66.
1960
Ibid. L’auteur s’interroge : « est-il possible que consubstantiel à l’idéologie de la construction nationale,
l’autoritarisme n’ait pas imprégné et n’imprègne pas le régime des relations entre l’administration et les
victimes de son activité, c’est-à-dire le droit administratif, et donc la responsabilité publique ? ». Pour lui,
« il serait téméraire de répondre par la négative. Il parait plus exact de penser que, tout en altérant le jeu des
rapports politiques entre les Etats africains, l’autoritarisme s’est mué en droit administratif, par la
rationalisation ou l’affaiblissement des mécanismes de contestation de l’action administrative, bref la
protection de l’administration.» p. 56
1961
Selon KEBA MBAYE en effet, « au nom de la sécurité et du développement économique et social, il
arrive trop souvent que la défense des libertés et droits publics soit reléguée au dernier plan…Cet état de fait
s’explique par l’état de sous développement qui, en lui-même, recèle des insuffisances dans tous les
domaines et qui, en outre, avec son cortège de maux qui atteignent l’individu dans ses besoins vitaux, exige
parfois des mesures prioritaires à caractère général dont l’influence, semble-t-il ne tolère pas que l’on
s’embarrasse de considérations juridiques.» (Propos tenus lors d’une conférence à Genève le 2 septembre
1969. Cité par R. G. NLEP, L’Administration publique camerounaise, précité, p. 298

566
administrative en général. Elle connait en plus des déficiences plus marquées en raison
de la nature de l’activité qui est mise en œuvre. En effet, la police administrative, en ce
qu’elle touche directement l’exercice des libertés et droits fondamentaux, peut être
chargée d’un fort potentiel de nuisance vis-à-vis de ces derniers si elle n’est pas soumise
à un contrôle strict. Le droit administratif doit pouvoir y contribuer car pour Prosper
Weil1962, « le droit administratif (…) tend à protéger l’individu contre les emprises
d’un pouvoir toujours redoutable pour les droits et libertés individuelles.
Historiquement, c’est même là la première et la principale inspiration de notre
discipline ». Malheureusement cet esprit libéral n’est pas celui qui soutend la
responsabilité de l’administration du fait des activités de police administrative au
Cameroun. L’observation semble ici donner toute sa vigueur et sa pertinence à la phrase
de LAFFERIERE selon laquelle « le propre de la souveraineté est de s’imposer à tous,
sans qu’on puisse réclamer d’elle aucune compensation1963 ». L’analyse des textes et
de la jurisprudence contribue à conforter cette impression d’exemption de
l’administration. Cette exemption de l’administration, ou si l’on veut de la puissance
publique se décline à deux niveaux, tels que présentés dans le présent chapitre : il s’agit
des niveaux juridictionnel et jurisprudentiel.

SECTION I- LE MINIMALISME DU CADRE JURIDICTIONNEL

Le contentieux de la police administrative s’inscrit dans le cadre général du


contrôle de la puissance publique. Le contrôle des mesures de police administrative
s’imprègne donc ici des lacunes observables dans le contrôle général des actes
administratifs. Il en épouse les aspects positifs liés à la consécration des principes de
légalité et de responsabilité garantis par les juridictions, mais il en reflète également les
lacunes.

Cependant, au sein de ce contrôle général de la puissance publique, le contrôle


des mesures de police accuse un relief particulier, car si on peut observer une tendance à
l’amélioration progressive de la garantie de ces principes de l’Etat de droit que sont la
légalité et la responsabilité dans les autres secteurs de l’action administrative, ils ont

1962
P. WEIL, Le droit administratif, op cit. Introduction à la deuxième partie.
1963
E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, 2e éd., t. 2, p. 13 et
183 et s. cité par C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit, p. 218.

567
véritablement du mal à prendre corps, même aujourd’hui, dans le domaine de la police
administrative. Ils y sont consacrés, certes. Mais ils bénéficient ici d’un développement
si faible que l’on a du mal à y voir des instruments de garantie des droits et libertés. Ils
s’apparentent alors à de simples enseignes décoratives, sans emprise sur la réalité.

Un tel minimalisme s’analyse tout à abord au plan juridictionnel, c’est-à-dire en


ce qui concerne l’organisation du contrôle de ces mesures dans le cadre des juridictions
et de leurs compétences tel que prévu par les textes et tel que cela est confié à un
ensemble de professionnels à savoir les magistrats. La considération de ces divers
éléments qui, mis ensembles, concourent à un contrôle efficace de la puissance publique
fait ressortir ici une très faible volonté d’assurer au plan juridictionnel les droits et
libertés que violent régulièrement les mesures de police. Ce minimalisme, réel, s’analyse
tant en ce qui concerne les garanties de contrôle que pour ce qui est du champ de celui-
ci.

I. LA REDUCTION DES GARANTIES DE CONTROLE1964

Le minimalisme juridictionnel dont est emprunt le contentieux de la police


administrative s’analyse tout d’abord en une réduction des garanties de contrôle. Bien
que cette réduction ne soit pas spécifique à la police administrative, elle y prend un relief
particulier en raison de l’hypothèque que ce phénomène fait peser sur les droits et
libertés des citoyens, auxquels les mesures de police portent directement atteinte.
L’efficacité d’un système de contrôle juridictionnel de l’administration passe en effet par
la mise en place d’un ensemble de garanties qui, mises en commun, vont véritablement
contrebalancer les prérogatives exorbitantes de la puissance publique. La seule création
de juridictions ne suffit donc pas. Il faut y ajouter une réelle indépendance de celle-ci,
tant au plan organique que personnel, à travers les professionnels chargés d’y œuvrer, les
magistrats. Il faut également, compte tenu du système de dualité de juridiction et donc de
contentieux ici en vigueur, procéder une claire et judicieuse répartition des compétences
entre les juges administratif et judiciaire, de même que l’on doit veiller à étendre au
maximum les principes de légalité et de responsabilité pour éviter une forme
d’exemption de la puissance publique. A l’analyse, ces préalables sont loin d’être ici

1964
Pour une systématisation récente et assez complète du statut de la justice administrative au Cameroun, lire :
A. R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit : Essai sur l’élaboration jurisprudentielle
du droit administratif camerounais, précité.

568
assurés. Si les juridictions de contrôle sont bel et bien mises en place, ou note une
réduction de garanties liés au statut des magistrats, de même qu’une incontestable
réduction du champ de contrôle de ces mesures.

A. La réduction des garanties liées au statut de la justice

La réduction des garanties de contrôle de l’activité de police administrative est


une manifestation éclatante du minimalisme juridictionnel qui est ici bien entretenu en ce
domaine. Elle se décline ici à travers l’indigence dont jouit l’institution judiciaire,
laquelle se répercute sur le statut des magistrats pris au plan personnel. On en arrive
donc ici à une subordination de l’institution judiciaire au pouvoir exécutif, laquelle
s’accompagne naturellement d’une subalternisation de l’indépendance des magistrats.

1. La subordination de l’institution judiciaire au pourvoir exécutif

La justice au Cameroun, considérée en tant qu’institution, reste incontestablement


subordonnée au pouvoir exécutif. Si Montesquieu à légué à la postérité un précieux
enseignement sur la nécessité de séparer les pouvoirs, ou plus exactement de les
distinguer au sein de l’Etat, à savoir le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le
pouvoir judiciaire1965, il faut bien reconnaître ce legs reste difficilement appliqué dans la
plupart des Etats, principalement en Afrique. Le Cameroun ne fait pas exception de ce
point de vue. Si la reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 a permis le passage
d’une « autorité judiciaire » à un « pouvoir judiciaire », cela ne s’est pas accompagné de
la mise en place de certains nombres de garanties, devant sécuriser la considération d’un
véritable pouvoir judiciaire au Cameroun. Bien au contraire, l’institution judiciaire reste
ici ce qu’elle était dans l’ordre constitutionnel de 1972, c’est-à-dire subordonnée au

1965
On se reportera au célèbre chapitre VI du livre XI de l’œuvre maitresse De l’esprit des lois. L’auteur
déclare entre autres : « Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la
puissance législative et de l’exécutrice. (…). Tout serait perdu si e même homme, ou le même corps des
principaux ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui
d’exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers ». Même
s’il faut dire que la paternité de Montesquieu sur cette doctrine semble exagérée, d’autres auteurs, tels Aristote
ou John LOCKE pouvant tout aussi réclamer un droit de filiation vis-à-vis de cette doctrine. Lire à ce propos :
M. TROPER, La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, LGDJ, 1980 ; R. CARRE DE
MALBERG, Contribution à la théorie générale de l'Etat, Sirey, 1922. Mais surtout : Charles EISENMANN, «
L’Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », in Mélanges Carré de Malberg, Paris, 1933.

569
pourvoir exécutif1966. En certains points même, on peut considérer que son
indépendance est en régression par rapport à la situation antérieure à la réforme.
Plusieurs considérations permettent d’étayer l’idée d’une subordination de l’institution
judiciaire au pouvoir exécutif.

La première et certainement la plus emblématique illustrative de la volonté de


mettre permanemment cette justice sous l’autorité de l’exécutif, est fournie par l’article
37(3) de la constitution du 18 janvier 1996 : « le président de la république est garant
de l’indépendance du pouvoir judiciaire1967 ». Même interprétée de manière minimale,
cette disposition signifierait que le président de la république s’assure de l’indépendance
du pouvoir judiciaire, l’interprétation maximale pouvant consister en la considération
selon laquelle c’est au Président de la République qu’il revient en quelque sorte, de se
porter caution de l’indépendance du pouvoir judiciaire. C’est à lui de protéger cette
institution contre tout ce qui pourrait porter atteinte à son indépendance.

Quelle que soit l’interprétation choisie du reste, il s’agit en réalité d’une mise
sous tutelle de la justice. Cette institution est mise sous tutelle non seulement du pouvoir
exécutif mais aussi et surtout du Président de la République lui-même. Il s’agit ici en fait
d’une atteinte grave à l’idée même de l’existence d’un pouvoir judiciaire, ce dernier ne
pouvant se concevoir que comme indépendant. Il n’est en effet pas concevable que dans
un Etat qui se réclame démocratique et garant de l’Etat de droit, et donc où les trois
principaux pouvoirs devraient être indépendants l’un des autres, afin de garantir ce que
Montesquieu appelait si justement la faculté d’empêcher1968, que l’on fasse reposer
l’indépendance de l’un des pouvoirs sur un autre. Avec cette circonstance aggravante
dans le domaine de la police administrative que, celle-ci étant exercée par l’exécutif, ses
excès doivent être limités par le pouvoir judiciaire, pris au sens large de pouvoir
juridictionnel, détenteur de la fonction régalienne de contrôler l’application de la loi. De

1966
Et l’article 37 (2) de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 qui dispose que le pouvoir judiciaire « est
indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif » n’y change rien, l’Organisation et le
fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature étant resté inchangée depuis lors.
1967
Cette disposition constitutionnelle est d’une stabilité remarquable dans notre droit positif, comme on peut
en juger à la lumière des différentes constitutions du Cameroun indépendant : art. 41 al. 2 de la constitution du
4 mars 1960 ; art. 32 al. 2 de la loi n° 61-24 du 1er septembre 1961 portant révision constitutionnelle et tendant
à adapter la constitution camerounaise aux nécessités du Cameroun réunifié ; art. 31 al. 2 de la constitution du
2 juin 1972.
1968
Montesquieu, De l’esprit des lois, Livre XI, chap. 6, consulté sur : http://www.voltaire-
integral.com/Esprit_des_Lois/L11.htm., le 15/08/2009, p. 6. « J’appelle faculté de statuer, le droit d’ordonner
par soi-même, ou de corriger ce qui a été ordonné par un autre. J’appelle faculté d’empêcher, le droit de
rendre nulle une résolution prise par quelque autre ».

570
ce point de vue, l’institution judiciaire apparaît incontestablement subordonnée au
Président de la République, par ailleurs autorité de police administrative « suprême »1969.

La seconde considération et non des moindres, qui permet d’étayer l’idée d’une
subordination de l’institution judiciaire vis-à-vis de l’exécutif, et qui est la suite logique
de celle précédemment évoqué est tirée du sort qui est réservé au Conseil Supérieur de la
Magistrature, organe chargé d’assister le Président de la République dans la gestion de la
carrière des magistrats. « Organe administratif donc dépendant de l’exécutif »1970, ce
conseil apparaît comme « une instance sans pouvoir propre »1971, un « moyen juridique
de l’emprise de l’exécutif sur le fonctionnement des juridictions »1972. Il est en fait aux
yeux de la doctrine, « la tour présidentielle de contrôle de la justice »1973. Deux
considérations permettent d‘étayer cette subordination du Conseil Supérieur de la
Magistrature vis-à-vis de l’exécutif. Elles sont relatives à la composition et au
fonctionnement de cette instance.

S’agissant tout d’abord de la composition de cet organe, il faut dire qu’elle est
« un sujet particulièrement sensible, car elle doit témoigner de la volonté effective de
défendre et de promouvoir l’indépendance de la justice »1974. Or, ici, il ressort
clairement des textes une politisation de cette composition, favorisant la dépendance de
cette instance vis-à-vis de l’exécutif. Elle est présidée par le Président de la République
lui-même, avec comme vice-président le ministre de la justice, et comme membres trois
députés à l’Assemblé Nationale, trois magistrats du siège et un membre n’appartenant ni
à l’Assemblée Nationale ni au corps judiciaire et nommé par le Président de la
République. Etant donné que le Conseil comporte 9 membres, on peut constater une
domination de personnalités politiques au plan quantitatif, presque toutes affidées du
Président de la République, à savoir 6 membres titulaires. Aussi, la domination du
pouvoir exécutif au sein de cette instance est incontestable. En effet, en dehors du

1969
Selon la terminologie employée par le décret n° 2012/540, précité.
1970
J. C. KAMDEM, Contentieux administratif, tome 1, Cours polycopié, Université de Yaoundé, année
académique 1985-1986, p. 47.
1971
M. KAMTO, « Les mutations de la justice camerounaise à la lumière des développements constitutionnels
de 1996 », in RASJ, vol. 1, n°1-2000, p. 16.
1972
J. GOUDEM, L’organisation juridictionnelle du Cameroun, thèse droit privé, Université de Yaoundé, p.
422, cité par A.R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit…, op cit., p. 163.
1973
L. SINDJOUN, « La cour suprême, la compétition électorale et la continuité politique au Cameroun : La
construction de la démocratie passive », in Africa development, vol. XIX, n° 2-1994, p. 27.
1974
J. F. KRIEGK, « Les conseils supérieurs de justice, clef de voute de l’indépendance judiciaire ? (Examen
comparatif à partir de critères internationalement reconnus) », D., 2004, p. 2166, cité par A.R. ATEBA
EYONG, Le juge administratif et la création du droit…, ibid.

571
Président de la République et du ministre de la justice qui sont incontestablement des
autorités exécutives, les autres personnalités, bien que n’étant pas où ne pouvant pas être
des autorités exécutives, sont mises en situation de dépendance vis-à-vis de lui, à travers
le fait qu’elles sont toutes sans exception nommées par le Président de la République. Le
Conseil Supérieur de la Magistrature apparaît donc ainsi incontestablement subordonné à
l’exécutif, et même au Président de la République.

S’agissant ensuite du fonctionnement du Conseil, elle est aussi révélatrice d’une


emprise de l’exécutif. Cette instance siège à la Présidence de la République qui est le
siège du pouvoir exécutif. Elle siège sur convocation exclusive du Président de la
République, aucun mécanisme ne permettant de pallier la carence du Président en ce
domaine. « Or, il n’est nullement improbable qu’il puisse être empêché au point de ne
pouvoir présider le Conseil alors même que les circonstances exigent que celui-ci soit
tenu »1975. On constate donc une « dépendance fonctionnelle »1976 absolue du Conseil
vis-à-vis du Président de la République, surtout que « pour délibérer valablement, le
Conseil Supérieur de la Magistrature doit comprendre au moins six membres dont le
Président »1977. Quand bien même le conseil est convoqué, « l’ordre du jour des
réunions est arrêté par le Président de la République »1978.

Toujours dans le sens de la dépendance du conseil vis-à-vis de l’exécutif, cette


instance n’ayant pas une administration et des ressources propres, tant financières qu’en
matériel de travail, elle dépend entièrement de la Présidence de la République et du
ministre de la justice, pour ce qui est de l’instruction des recours ou de la préparation des
dossiers à soumettre au Conseil. Et si le secrétaire du conseil est un magistrat en service
à Yaoundé et nommé par décret du Président de la République, il ne travaille qu’avec les
ressources que peut lui fournir le ministre de la justice. Quand aux décisions du Conseil,
elles sont et demeurent une prérogative du Président de la République.

Une telle architecture de conseil supérieur de la magistrature consolide l’emprise


de l’exécutif sur la justice, ce qui constitue une limitation essentielle au contrôle de
l’exercice de la fonction de police administrative.

1975
J. GOUDEM, L’organisation juridictionnelle du Cameroun, op cit., p. 426, cité par A.R. ATEBA
EYONG, Idem, pp. 173-174.
1976
A. R. ATEBA EYONG, Ibid.
1977
Art. 41 (1) de la loi n° 82/14 du 26 novembre 1982 fixant l’organisation et le fonctionnement du Conseil
supérieur de la magistrature, modifiée par la loi n°89/16 du 28 juillet 1989.
1978
Art 38 (2), ibid.

572
Dans tous les cas, chacun peut constater l’emprise que le pouvoir exécutif exerce
ici sur l’institution judiciaire. Le fait que l’on ait érigé cette institution judiciaire en
pouvoir au plan constitutionnel, sans que l’on ait réformé le Conseil Supérieur de la
Magistrature, malgré les propositions de la doctrine1979, renseigne suffisamment sur la
volonté manifeste de l’exécutif de continuer de s’extraire d’une possibilité de contrôle
efficace de son action, comme peut l’augurer la mise en place d’une institution judiciaire
indépendante. Le contrôle de l’activité police, activité première et essentielle de l’Etat,
s’en trouve ainsi désœuvré au grand dam des droits et libertés régulièrement violés.
Aussi, cette fonction essentielle de l’Etat, bien que dangereuse pour les droits et libertés,
apparait-elle ici subtilement exonérée et exemptée de tout contrôle efficace, faisant alors
perdurer encore aujourd’hui, l’autoritarisme au sein de l’activité administrative, surtout
celle relative au maintien de l’ordre.

2. La subalternisation de l’indépendance des juges

En plus de l’indépendance de l’institution judiciaire, l’efficacité d’un système de


contrôle de la puissance publique est tributaire de l’indépendance de ceux que l’on
pourrait appeler, à la suite de Charles EISENMANN, les « hommes de justice »1980. Ici
encore, l’on est forcé de constater que l’indépendance des magistrats est quasi
inexistante, au regard des textes. Bien sûr, l’on a souvent affirmé que « l’indépendance
des magistrats dépend beaucoup plus de leur caractère que des lois édictées en vue de
là protéger »1981. Mais personne n’irait penser qu’elle se réduirait à ce seul aspect. Les
garanties juridiques sont ici centrales, pour permettre aux magistrats d’être tenus « à
l’écart des influences et des pressions émanant des milieux extra judiciaires »1982. Et si
la constitution affirme que « les magistrats du siège ne relèvent dans leurs fonctions

1979
Voir par exemple la proposition de création d’un Conseil suprême des affaires judiciaires, faite par le
Professeur J. OWONA lors du processus de réforme constitutionnelle ayant conduit à la loi constitutionnelle
du 18 janvier 1996 (A.D. OLINGA, La constitution de la République du Cameroun, op cit., p. 143), ou celle de
création d’un Conseil National des institutions judiciaires faite par le Professeur M. KAMTO ( M. KAMTO,
Les mutations de la justice camerounaise à la lumière des développements constitutionnels du 18 janvier
1996, op cit., p. 15.
1980
C. EISENMANN, « La justice dans l’Etat », p. 24, cité par A. R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et
la création du droit…, op cit., p. 142.
1981
J. GOUDEM, L’organisation juridictionnelle du Cameroun, op cit., p. 340, cité par A. R. ATEBA
EYONG, ibid.
1982
E. C. FOUMANE ZE, « L’indépendance des juridictions constitutionnelles en Afrique noire francophone
et à Madagascar », Juridis, n°57, janv.-fév.-mars 2004, p. 94.

573
juridictionnelles que de la loi et de leur conscience »1983, il faut bien reconnaitre que
beaucoup ne retiennent ici, à la lecture de cette disposition, que la conscience du juge,
alors même que la loi lui est également nécessaire pour s’affirmer de manière
indépendante. Car, « si forte que soit la formule énoncée par la constitution sur ce
point, elle ne couvre qu’un aspect de l’indépendance des juges. Pour le reste, on ne
s’est pas affranchi de la conception ancienne de l’autorité judiciaire dans laquelle
l’exécutif joue un rôle déterminant dans la nomination et la carrière du
magistrat »1984.

L’indépendance dont il est question ici doit être entendu comme « le statut
conféré au juge, lequel lui permet de rendre sa décision en toute liberté, sans
instructions ni pressions »1985. Or ce statut ne peut que prendre un habillage juridique.
Le pouvoir de nomination des magistrats par habillage juridique. Le pouvoir de
nomination des magistrats par l’exécutif va donc à l’encontre du statut d’indépendance
nécessaire au juge, surtout que ce pouvoir de nomination appartenant au seul Président
de la République, sur la base d’un simple avis obligatoire du Conseil Supérieur de la
Magistrature, reste et demeure de nature discrétionnaire. Ceci a pour conséquence de
contribuer à une réelle « fonctionnarisation1986 » du magistrat, rendant quasi impossible
leur indépendance. Or, pour plus de garantie d’indépendance, il est nécessaire que la
magistrature soit « exercée par des personnes qui ne tiennent pas leur nomination de
l’autorité publique, ne cherchent pas d’avancement, ou en tout cas ne demandent pas
celui-ci à l’autorité publique, et ont de ce fait un statut qui les met hors des atteintes
des pouvoirs publics »1987. Faire le contraire s’est assurer « l’absolutisation de leur
dépendance par rapport au Président de la République »1988, car « le pouvoir de gérer
les carrières permet de tenir les hommes, quasiment de les tenir prisonniers »1989.

1983
Art. 37 (2) al. 2 de la constitution du 18 janvier 1996.
1984
M. KAMTO, « Les mutations de la justice camerounaise à la lumière des développements constitutionnels
de 1996 », op. cit., p. 17.
1985
A. DIPANDA MOUELLE, Allocution du Premier Président de la Cour Suprême à l’occasion de l’audience
solennelle de rentrée de ladite Cour pour l’année judiciaire 2010, Yaoundé, le 25 février 2010, p. 11.
1986
Terme employé par M. A. R. ATEBA EYONG, Ibid., p. 143.
1987
M. WALINE, « Le pouvoir exécutif (et son chef) et la justice », in La justice, Paris, PUF, 1961, p. 93. Un
tel cas de figure existe dans des pays tels le Royaume uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, et les Etats
unis d’Amérique.
1988
L. SINDJOUN, « La Cour suprême, la compétition électorale et la continuité politique au Cameroun », op
cit., p. 28.
1989
H. HAENEL, M.-A. FRISON-ROCHE, Le juge et le politique. Les nouvelles règles du jeu, Paris, PUF,
1998, p. 133.

574
Mais, plus grave, on a vu, progressivement, être supprimée une garantie
essentielle de l’indépendance des juges, à savoir le principe de l’inamovibilité des juges.
Ce principe, qui est « une protection contre un éventuel arbitraire de la part du
pouvoir exécutif »1990, signifie que « pendant une durée déterminée, un juge ne sera
pas démis des fonctions qu’il exerce au sein de telle juridiction, ni ne fera l’objet
d’une affectation »1991. Ce principe, consacré dès l’indépendance par la convention
judiciaire franco-camerounaise1992, s’est progressivement érodé. De nos jours, le statut
de la magistrature énonce en son article 5 (2) que « sauf application des règles de
l’intérim visées au chapitres X du présent statut, les magistrats du siège sont
inamovibles et ne peuvent recevoir sans acceptation de leur part, une autre
affectation »1993. Malgré la faiblesse en cette formulation, on aurait pu croire la règle de
l’inamovibilité des magistrats du siège néanmoins consacrée, sauf que cette règle est tout
de suite remise en cause et même démantelée plus loin, lorsqu’il est affirmé que « par
dérogation aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 5,tout magistrat du siège peut
être pour nécessité de service, nommé on désigné à assurer un intérim sans son accord
préalable »1994. Cette disposition annihile la règle de l’inamovibilité des juges car elle
permet en réalité au Président de la République de procéder quand il le veut à la
mutation de tout magistrat du siège en évoquant simplement les nécessités au service.
Surtout que selon le juge administratif, « en tout temps, seule l’administration peut
apprécier la nécessité de service, en tant que puissance publique et peut de ce fait
déplacer ou non un fonctionnaire sans demande expresse de ce dernier lorsque
l’intérêt du service public le nécessite »1995.

L’inamovibilité des magistrats du siège est donc quasi nul ici. A l’observation,
elle semble simplement signifier que ces personnels judiciaires ne sauraient être
rétrogradés dans leur carrière, ce qui ajoute à la forme de collusion qui semble donc
exister entre la magistrature et l’administration.

1990
M. KHATTABI, « Le statut des magistrats des tribunaux administratifs marocains », RJPIC, n°2, mai-sept.
1994, p. 209.
1991
M. KAMTO, « Les mutations de la justice camerounaise à la lumière des développements constitutionnels
de 1996 », op cit., p. 18.
1992
L’art. 3 al. 2 de la convention judiciaire franco-camerounaise du 31 décembre 1958 stipulait en effet que
« les magistrats du siège sont inamovibles ».
1993
Art. 5(2) du décret n°82/467 du 4 octobre 1982 portant statut de la magistrature.
1994
Art. 76 du décret n°82/467.
1995
CS/CA, Jugement n°190/2010, 23 juin 2010, Keptche Boutchouang Nicanor c/Etat du Cameroun
(MINEDUC).

575
S’agissant de l’indépendance des magistrats du parquet, elle est encore plus nulle,
puisqu’ici cet organe de la justice est tout simplement sous l’autorité de
l’Administration. Selon la formule consacrée, le parquet représente le ministère public.
Au lieu que cette expression soit entendue comme signifiant que le parquet représente
les intérêts de la société, comme c’est logiquement et universellement admis, ici, le
ministère public est simplement assimilé à l’Administration. Sans doute cette dernière
représente-t-elle l’intérêt général. Mais, il y a une différence entre intérêt de la société et
intérêt de l’Administration. Le parquet représente en principe les intérêts de la première,
mais jamais ceux de la seconde. Or, ici, la conception que l’on a du parquet en fait une
sorte de prolongement de l’administration au sein de la justice. Dans le domaine
particulier de la justice administrative, le ministère public est « un relais permettant à
l’exécutif de peser subtilement, de l’intérieur, sur l’orientation de la politique
jurisprudentielle de la juridiction administrative »1996.

À travers cette infiltration de la justice administrative par l’administration, c’est la


dépendance des magistrats qui y officient vis-à-vis du Président de la République qui est
sacralisée. En effet, bien que le ministère public soit organiquement inséré au sein de la
juridiction administrative, cet organe est strictement subordonné au pouvoir exécutif sur
le plan fonctionnel1997. Le lien juridique qui existe donc entre le parquet et le pouvoir
exécutif est un lien hiérarchique. L’article 3 du statut de la magistrature est clair à ce
sujet : « les magistrats du parquet et les attachés de justice relèvent administrativement
de la seule autorité du ministre de la justice»1998. «Ils lui sont hiérarchiquement
subordonnées »1999, « leur liberté de parole ne s’exerce à l’audience, lorsque des
instructions leur ont été données qu’à condition qu’ils aient préalablement et en temps
utile, informé leur chef hiérarchique direct de leur intention de s’écarter oralement
des réquisitions ou conclusions écrites déposées conformément aux instructions
reçues »2000. Au total, les juges, qu’ils soient du parquet ou du siège, administratifs ou
judiciaires, sont totalement inféodés au P.R.

1996
A. R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit…, op cit., p. 180.
1997
Idem, pp. 197 et s. Voir aussi H. M. M. NTAH à MATSAH, Le ministère public dans le contentieux
administratif au Cameroun : Contribution à l’étude des organes de la juridiction administrative camerounaise,
Th., Droit public, Université de Yaoundé II, 2010, 508 p.
1998
Art. 3 (1) du décret n°82/467 du 4 octobre 1982 portant statut de la magistrature.
1999
Art. 3 (2), Idem.
2000
Art. 3 (3), Ibid.

576
B. La réduction des garanties liées au fonctionnement de la justice

Le fonctionnement de la justice doit ici être entendu dans un sens très large, qui
inclue la façon dont est structurée l’institution judiciaire, principalement en ses
juridictions. Ainsi, la question qui va donc se poser est celle de savoir si cette
structuration est de nature à assurer un contrôle efficace de la fonction de police
administrative. La réponse ne peut alors être que nuancée, ou si l’on veut, relativisée.
Car apparaissent ici considérablement réduites, non seulement les garanties d’accès aux
instances de justice, mais aussi et surtout celles relatives au succès des demandes en
justice.

1. La réduction des garanties d’accès aux instances de justice

Considéré aujourd’hui parmi les droits les plus fondamentaux, le droit d’accès à
la justice est assurément au cœur de l’Etat de droit. R. CARRE DE MALBERG affirmait
ainsi que : « l’Etat de droit est celui qui (…) assure aux administrés, comme sanction
de ces règles, pour pouvoir juridique d’agir devant une autorité juridictionnelle à
l’effet d’obtenir l’annulation ou la réformation ou, en tout cas, la non application des
actes administratifs qui les auraient enfreintes »2001. Ce que nous qualifions ici de
garanties d’accès aux instances de justice et qui est plus académiquement qualifié
diversement de droit d’accès à la justice2002, droit au juge2003, droit au tribunal ou droit
d’accès à un tribunal2004, de droit d’agir en justice ou droit au recours juridictionnel2005,
est tout simplement la prérogative reconnue aux personnes juridiques d’accéder, sans
entraves aux instances juridictionnelles afin de faire valoir leurs prétentions lorsque leurs

2001
R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat, op cit., pp. 489-490. L’auteur
oppose ainsi l’Etat de droit de l’Etat de police, qu’il défini comme étant « celui dans lequel l’autorité
administrative peut, d’une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins complète,
appliquer aux citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par elle-même l’initiative, en vue de
faire face aux circonstances et d’atteindre à chaque moment les fins qu’elle se propose : ce régime de police
est fondé sur l’idée que la fin suffit à justifier les moyens », Idem., p. 488.
2002
B. R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la justice administrative au Cameroun. Contribution à
l’étude d’un droit fondamental », in RASJ, vol. 4, n°1, 2007, pp. 169-216.
2003
L. FAVOREU, « Résurgence de la notion de déni de justice et droit au juge », in Gouverner, administrer,
juger : Liber amicorum Jean WALINE, Paris, Dalloz, 2002, p. 522. L’auteur considère que « le droit au recours
juridictionnel est équivalent au droit au juge ». Ibid. Voir aussi : J. RIDEAU, « Droit au juge : conquête et
instrument de l’Etat de droit », in J. RIDEAU (Dir.), Le droit au juge dans l’Union européenne, Paris, LGDJ,
1998, pp. 3-7.
2004
C. GREWE, « L’accès au juge : le droit processuel d’action », in D. D’AMBRA, F. BENOIT-ROHMER,
C. GREWE (Dir.), Procédure(s) et effectivités des droits, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 41.
2005
T. S. RENOUX, « Le droit au recours juridictionnel », JCP, 1993, I, n°3675, p. 215. Voir aussi : J.
DUTHEIL DE LA ROCHÈRE, « Droit au juge , accès à la justice européenne » in POUVOIRS, 96, 2001, pp.
123-141.

577
droits sont bafoués, comme c’est généralement le cas à l’occasion de l’exercice de
l’activité de police. Car, comme l’écrit si pertinemment le doyen HAURIOU, « de même
que chaque citoyen a le bulletin de vote, de même il convient qu’il ait la réclamation
contentieuse. Ces deux armes se complètent. Et il n’y a pas de trop de toutes les deux
contre la machinerie de l’Etat, de plus en plus anonyme »2006.

La garantie d’accès aux instances de justice est donc au cœur de la prise en


compte des droits des administrés à l’occasion de l’action administrative car « on ne
saurait concevoir un Etat de droit sans existence d’une protection juridictionnelle des
droits »2007. L’effectivité du droit d’accès aux instances de justice est donc un élément
qui assure le contrepoids aux abus de l’action de police administrative. A contrario, sa
non effectivité ou plutôt sa difficile effectivité consolide les abus de cette activité, et
laisse intouchées les prérogatives des autorités de police qui n’hésitent pas à s’en servir
parfois de la manière la plus attentatoire aux droits et libertés des individus. Le constat
au Cameroun révèle une mise en œuvre lacunaire du droit d’accès à la justice. En
particulier, des lacunes organisationnelles et procédurales demeurent vivaces.

Au plan organisationnel tout d’abord, des données rendent ineffectif ce droit,


rendant le contrôle de la police administrative inconsistant. Il s’agit d’une centralisation
persistante des organes de la justice et d’une répartition complexe des compétences entre
le juge administratif et le juge judiciaire.

La centralisation de l’institution judiciaire est commune à la justice administrative


et à la justice judiciaire, même si elle s’exprime différemment de part et d’autre. Si l’on
note une certaine déconcentration des institutions de justice en ce qui concerne les
juridictions de l’ordre judiciaire, cette déconcentration est moins poussée en ce qui
concerne les juridictions administratives. Bien que la réforme de 2006 ait permis de créer

2006
M. HAURIOU, Note sous CE, 1er juillet 1910, Empis et association professionnelle du service du service
personnel de la marine, S., 1911, III, p. 90, cité par B.R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la justice
administrative… », op. cit., p. 169. L’auteur affirme par ailleurs que « la lutte juridictionnelle avec ses
péripéties, ses formalités accoutumées et ses frais, a le don d’apaiser les plaideurs quelle qu’en soit
l’issue (…). Ainsi le progrès du droit administratif parait doublement lié à l’existence d’un contentieux
administratif. D’une part, parce que cette institution assure plus de paix et de justice, d’autre part, parce
qu’elle favorise le développement du droit proprement dit, soit par les garanties de légalité qu’elle crée, soit
par l’importance qu’elle donne à la personnalité morale des administrations ». Cf. M. HAURIOU, Précis de
droit administratif et de droit public général, 4ème ed., 1900, pp. 819-820.
2007
T. S. RENOUX, « Le droit au recours juridictionnel », idem, p. 212.

578
des tribunaux administratifs2008, cela reste insuffisant, car ceux-ci, au nombre de 10, sont
uniquement localisables aux chefs-lieux de régions, donc toujours éloignés des
justiciables ne vivant pas dans ces chefs-lieux de régions. On a l’impression que la
déconcentration de la justice administrative participe moins du rapprochement de cette
justice des administrés que du désengorgement d’un appareil juridictionnel administratif
alors complètement asphyxié2009. Dans l’absolu pourtant, la juridiction administrative
devrait accompagner l’administration elle-même, de sorte que la présence même de la
plus sommaire administration s’accompagne de celle du juge chargé d’en réprimer les
abus. Or, l’expérience montre que l’administration la plus présente sur le territoire, dès
les frontières de celui-ci, est celle chargée d’assurer le maintien de l’ordre, que ce soit
même déjà à travers la police des frontières. Il y a en effet quelque chose d’incongrue à
mettre en place une administration de maintien de l’ordre en un lieu, mais à mettre à des
centaines de kilomètres l’institution chargée de contrôler cette administration.
Assurément donc, la centralisation et l’éloignement des juridictions rend ineffectif le
contrôle de la police administrative.

Une autre restriction du droit d’accès à la justice administrative, et pas des


moindres, est la complexité de la répartition de compétences. Cette complexité est due à
la coexistence, au sein de l’ordre juridique, à la fois d’une clause générale de
compétence et d’une énumération législative desdites compétences2010. Ceci jette un

2008
Voir : loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972, art. 40 et 42 ; loi
n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs. Ur
l’étude de la réforme, lire : J. C. ABA’A OYONO, « La nouvelle révision du droit de la justice
administrative », in RASJ, vol. 8, n° 1, 2011, pp. 225-266 ; C. G. GOUMPO WUEGO, L’organisation de la
juridiction administrative au Cameroun après la réforme de 2006, Mémoire de DEA, Droit public, 2008-2009,
110 p.
2009
Un membre de la doctrine, bon connaisseur du contentieux administratif camerounais en dresse ainsi le
diagnostic : « Le contentieux administratif au Cameroun était souffrant. Tous les spécialistes qui s’étaient
rendus à son chevet l’avaient diagnostiqué. Les maux dont il était atteint étaient divers : la centralisation
excessive de la juridiction administrative qui siégeait uniquement à Yaoundé et dont les justiciables, devenus
plus exigeants, toléraient de moins en moins la lenteur ; la dépendance organique de l’institution vis-à-vis du
versant judiciaire de la Cour suprême et du fait de la non spécialisation des magistrats là composant qui n’ont
pas de connaissances suffisantes pour manier valablement certaines notions de droit public comme l’excès de
pouvoir ou la décision administrative faisant grief ; les procédures d’urgence qui étaient atteintes d’une
infirmité congénitale les empêchant d’être réellement efficaces et les maintenant dans une situation
d’infériorité par rapport à celles en vigueur en droit privé… il y avait urgence à réformer ». Cf. C. KEUTCHA
TCHAPNGA, « La réforme attendue du contentieux administratif au Cameroun », in Juridis périodique, n° 70,
avril-mai-juin 2007, p. 24 ; H. C. NJOCKE, « Juridiction administrative : une réforme inachevée », in Juridis
périodique, n°74, avril-mai-juin 2008, pp. 49-63.
2010
Pour un aperçu de ce problème, lire : J. ESSOMBA NTSAMA, La répartition des compétences entre le
juge administratif et le juge judiciaire en matière de libertés publiques au Cameroun, Mémoire de DEA, Droit
public, 2005-2006, 109 p. ; A. AYOUBA, La compétence de la juridiction administrative en matière de
maintien de l’ordre public au Cameroun, Mémoire de DEA, Droit public, 2009-2010, 137 p.

579
voile d’incertitude sur les compétences respectives du juge administratif et du juge
judiciaire. L’application de la clause générale de compétence appelle inévitablement des
précisions de leurs compétences par les juges eux-mêmes. Tandis que l’application de
l’énumération aboutirait à une restriction du champ compétenciel du juge administratif,
toute énumération étant limitative et le juge judiciaire apparaissant comme le juge de
droit commun de l’administration, rendant encore plus complexe l’étendue des
compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en matière de police
administrative. Sur certaines matières, il est même effectué un partage de compétence
comme en matière de voie de fait ou d’emprise2011. Il faut alors s’avouer que toutes ces
subtilités juridiques ne sont pas à la portée du premier justiciable venu. Heureusement,
un début de solution est fourni depuis la réforme de 2006, qui confie à la compétence des
tribunaux administratifs les litiges intéressant les opérations de maintien de l’ordre
public2012. Au rang de ces litiges, figurent ceux relatif à l’exercice de la police
administrative.

Mais ceci ne résout le problème que pour ce qui est des opérations de police
générale étant entendu que pour les litiges résultant l’exercice des polices spéciales, leurs
régimes contentieux sont fixés par des textes spécifiques. Or, ces derniers très souvent
confient des litiges au juge judiciaire2013, ce qui ne peut qu’éclater et complexifier la
répartition des compétences entre les deux juges, rendant l’accès à ces derniers
particulièrement difficile pour le commun des justiciables. Sans compter que jusqu’à nos

2011
Il est reconnu classiquement en droit camerounais que dans ces deux cas, c’est au juge administratif qu’il
appartient de constater la voie de fait ou l’emprise, tandis que la réparation revient au juge judiciaire. V. par ex.
CS/CA, jugement n°12/CS/CA/81-82 du 26 janvier 1982, Dame Binam née Ngo Njom Fidèle c/ État du
Cameroun : « Que cette atteinte à une liberté individuelle constitue comme le soutient le représentant de
l’État, une voie de fait administrative qui donne compétence au juge judiciaire pour statuer sur la demande
en dommages-intérêts présentée par le Dr Binam ». Ce dispositif est posé par l’ordonnance de n° 72/6 du 26
août 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême en son art. 9 (4) : les tribunaux de droit commun
« connaissent, en outre, des emprises et des voies de fait administratives et ordonnent toutes mesure pour
qu’il y soit mis fin. Il est statué sur l’exception préjudicielle soulevée en matière de voie de fait
administrative par l’Assemblée plénière de la Cour suprême ». Il est repris intégralement dans la loi de 2006
sur les tribunaux administratifs en son art. 3 (2), la Chambre administrative étant désormais compétente pour
statuer sur l’exception préjudicielle soulevée en matière de voie de fait administrative et d’emprise, en lieu et
place de l’Assemblée plénière supprimée. On voit bien qu’une telle organisation demeure complexe, ce qui
n’est pas en faveur des droits des citoyens victimes de voie de fait à l’occasion des opérations de police
administrative.
2012
Art. 2 (3) e de la loi n°2006/022.
2013
La doctrine souligne à raison en ce domaine « une plus large participation des juridictions judiciaires ». Cf.
C. BUNIET, « Contribution à l’étude du régime contentieux des polices administratives spéciales », op cit., p.
1021. Le régime contentieux des polices spéciales au Cameroun n’est pas homogène, et c’est un truisme de le
dire. L’hétérogénéité semble en effet faire partie de l’ADN de ces formes de police, ce qui, comme nous
l’avons vu, contribue à leur régime juridique reste caractérisé par l’expansionnisme.

580
jours, la juridiction administrative demeure largement incorporée à celle judiciaire tant
au plan organique que fonctionnel, ajoutant à la complexité du système, et semant
d’ailleurs la confusion dans les esprits des justiciables.

Au plan procédural, il existe dans le contentieux administratif camerounais


plusieurs restrictions, parfois rédhibitoires, à l’effectivité de l’accès aux instances
juridictionnelles2014. En effet, les conditions de recevabilité des recours en justice sont si
drastiquement observées que les recours qui font l’objet d’un examen effectif
apparaissent finalement en nombre très réduit. Des conditions telles la qualité2015,
l’intérêt2016 et les délais2017 sont toutes appréhendées de manière restrictive, d’où le rejet
d’un nombre considérable de recours2018.

A côté de ces complications et restrictions procédurales, il faut ajouter comme


restriction majeure à l’accès au juge, le coût financier des procédures. Celui-ci est, au
regard du niveau de vie moyen, assez exorbitant. « Ce coût comprend, d’une part, le
coût du dossier, et, d’autre part, le coût de la représentation »2019. Pour ce qui est du
coût du dossier, le requérant doit non seulement payer une provision ad litem, mais
également supporter les frais liés à la conduite de l’instruction, à savoir par exemple les
indemnités allouées aux témoins, les frais d’expertise ainsi que les honoraires d’experts,
les frais de transport liés aux descentes sur le terrain, tout comme il se fait délivrer à ses
frais le procès-verbal de son audition et de celle de la partie défenderesse. Ceci, sans

2014
La doctrine spécialisée souligne, à juste titre d’ailleurs, que « la manière par laquelle le juge administratif
applique les exigences procédurales relatives à sa saisine contribue à restreindre considérablement la
recevabilité des requêtes introductives d’instance ». Cf. B. R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la
justice administrative au Cameroun… », op cit., p. 193.
2015
Dans les deux sens de cette notion, qui renvoie soit à l’idée de représentation (CS/CA, Jugement n°
235/2010, 25 août 2010, Mbame François c/Etat du Cameroun), soit à celle de « l’intérêt donnant qualité à
agir » (R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op cit., p. 408 ), comme dans l’affaire Djinou Tchale
André (CS/CA, Jugement n°79/ADD/93-94, 25 août 1994, Djinou Tchale André c/Etat du Cameroun
(MINUH)). Voir aussi J. C. KAMDEM, « L’intérêt et la qualité dans la procédure administrative
contentieuse », in RCD, n°28, 1984, p. 59.
2016
Le juge administratif demande en général que cet intérêt présente un caractère « direct et personnel ». Cf. :
CS/CA, jugement n° 79/ADD/93-94, 25 août 1994, Djinou Tchale André c/Etat du Cameroun (MINUH) ;
CS/CA, jugement n°97/0405, 27 avril 2005, Touba Essama Joseph c/Etat du Cameroun (MINUH).
2017
La doctrine a déjà suffisamment souligné le fait que le juge « se montre sévère en matière de délai », ce
qui contribue à réduire le nombre de recours qui lui parviennent effectivement. Cf. B. MOMO, « Le problème
des délais dans le contentieux administratif camerounais », in Annales de la FSJP de l’Université de Dschang,
2002, p. 137 ; v. dans le même sens : A. R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit..,
op. cit., pp. 423 et s.
2018
Une étude sociologique du contentieux administratif camerounais démontrerait à coup sûr cette tendance
selon laquelle la plupart des contestations contentieuses échouent au niveau de ce que Gérard CONAC
qualifiait de « maquis procédural ». Cf. G. CONAC, « Le juge et la construction de l’Etat de droit en
Afrique », op. cit., p. 117.
2019
B.R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la justice administrative… », op. cit., p. 207.

581
compter les frais de représentation dont le montant « dépend en général de la notoriété
de l’avocat, de la difficulté du procès, de l’importance de la procédure, de l’intérêt en
jeu… et parfois aussi du « statut social » du client »2020. Ce coût des procédures
apparaît largement dissuasif, même pour le justiciable le plus déterminée.

Au total, tous ces éléments qui ne sauraient prétendre à l’exhaustivité,


restreignent misérablement l’accès aux instances de justice limitant par là les possibilités
de contrôle de l’exercice de la fonction de police administrative donc la limitation des
garanties d’accès au juge contribue donc à développer un minimalisme juridictionnel en
matière de contrôle de la police administrative manifestant un autoritarisme
incontestable en ce domaine. Ceci comporte des prérogatives de l’administration en ce
domaine, rendant pratiquement illusoire les droits et garanties pourtant consacrés à
l’avantage des citoyens. La faible possibilité de succès des recours, une fois parvenus
entre les mains du juge, également à réduire les garanties au contrôle.

2. La réduction des garanties de succès des demandes en justice

Ces garanties de succès des demandes en justice sont considérablement réduites


en raison de plusieurs facteurs, parmi lesquels l’extrême longueur des procédures, la
faible qualité des décisions rendues et l’inefficacité de l’exécution de ces décisions.

S’agissant tout d’abord de l’extrême longueur des procédures celle-ci va bien au-
delà du simple temps judiciaire, dont on sait qu’il sait souvent prendre son temps. Au-
delà de ce temps judiciaire que l’on pourrait qualifier de normal, les procédures
contentieuses, principalement administratives, prennent généralement ici un temps
anormal long, que ce soit dans la phase d’instruction ou dans la phase de jugement. On
sait que l’instruction est « la phase d’investigation au cours de laquelle le juge use de
tous les moyens de droit en son pouvoir pour rechercher tous les éléments susceptibles
de l’aider à faire la lumière dans l’affaire »2021. Phase essentiellement inquisitoire, elle
est reconnue généralement longue en matière administrative contentieuse, et encore plus
longue dans le contentieux administratif camerounais2022. Si la phase d’instruction doit

2020
M. KAMTO, Droit administratif processuel du Cameroun, Yaoundé, PUC, 1990, p. 95.
2021
M. KAMTO, « La fonction administrative contentieuse de la Cour suprême », op. cit., p. 46. Pour une vue
plus générale de cette question, lire : G. T. FOUMENA, Le droit de la preuve devant le juge administratif,
Thèse de Doctorat/Ph. D, Université de Yaoundé II, 2015, 720 p.
2022
Selon un membre de la doctrine spécialisée, Cette longueur des procédures va jusqu’à anesthésier toute
efficacité à des instruments juridiques sensés paradoxalement contribuer à garantir les droits des justiciables, à

582
permettre au juge de rassembler tous les éléments nécessaires pour qu’il se fasse une
conviction sur l’affaire, cela ne doit pas se faire indépendamment des conditions de
temps, car la bonne justice est aussi celle qui est rendue dans un délai raisonnable.

L’expérience camerounaise révèle une extrême longueur des procédures, y


compris dans le contentieux de l’urgence dont on sait pourtant qu’il existe parce qu’il
vise à préserver assez rapidement les droits de certains justiciables à raison de la
longueur des procédures. Selon le professeur GUIMDO en effet, « dans la majorité des
cas, l’écart qui sépare la saisine du juge et le prononcé du sursis on du référé est de
trois à six mois, voire plus »2023. Si cette extrême longueur du temps judiciaire est
parfois tributaire de la difficulté de certaines procédures, il faut reconnaître qu’elles sont
aussi liées aux difficultés liées aux conditions de travail des magistrats. En plus de la
longueur des phases d’instructions, on a comme prolongeant anormalement le temps
judiciaire, l’extension récurrente de la phase de jugement. Si « la lenteur de la justice,
quand elle n’est pas exagérée est considérée come un mal nécessaire au regard de
l’objectif de découverte de la vérité et de respect des droits de la défense auxquels
répond le droit processuel »2024, une lenteur excessive, comme c’est généralement le cas
chez nous, est de nature à causer « des effets de découragement et certaines personnes,
certains requérants potentiels qui pensent être tout à fait fondés dans leur droit sont
découragés de les exercer en se disant qu’il leur faudra 2 ans, 3 ans, 4 ans pour
obtenir justice »2025. Cette dernière vue illustre parfaitement le cas des victimes de
l’activité de police administrative au Cameroun, que décourage largement la façon dont
la justice fonctionne ici.

l’instar des procédures d’urgence : « parce qu’aucun délai n’est imparti au juge administratif pour statuer, il
met un temps relativement long pour rendre ses ordonnances de sursis ou de référé. C’est ainsi que celles-ci
n’interviennent, généralement, que lorsque les mesures contestées ont déjà produit tous leurs effets ». Cf. B.
R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la justice administrative au Cameroun… », op. cit., p. 213 ; v. du
même auteur : Le juge administratif camerounais et l’urgence. Recherche sur la place de l’urgence dans le
contentieux administratif camerounais, Thèse de doctorat d’Etat en droit public, Université de Yaoundé II,
2004, pp. 138 et s.
2023
B. R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la justice administrative au Cameroun… », op. cit., à la
même page.
2024
F. M. SAWADOGO, « L’accès à la justice en Afrique francophone : problèmes et perspectives. Le cas du
Burkina Faso », RJPIC, n°2, 1995, p. 185, cité par B. R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la justice
administrative », op. cit., p. 214.
2025
R. DENOIX DE SAINT MARC, « Le temps du Juge », Rev. Adm., 2000, n° spécial 1-3, p. 27, cité par B.
R. GUIOMDO DONGMO, Ibid. Sur la problématique générale du temps judiciaire, lire : A. CIAUDO, « La
maitrise du temps en droit processuel », in Jurisdoctoria n° 3, 2009, pp. 21-42 ; R. PANAIT, « Le temps
comme facteur de qualité du droit L’exemple de l’influence du temps sur le droit roumain au cours du
processus d’intégration européenne de la Roumanie », in Jurisdoctoria, idem, 43-64.

583
S’agissant ensuite du contenu des décisions de justice, celui-ci laisse très souvent
à désirer notamment en ce qui est de la protection effective par le juge des droits bafoués
par le fait de l’exercice du pouvoir de police administrative. Dans un contexte général de
préservation des prérogatives de la puissance publique, d’une politique jurisprudentielle
largement en faveur des intérêts de la puissance publique2026, le contentieux de la police
administrative ne fait pas exception à cet état des choses. C’est ainsi que bon nombre de
recours qui arrivent à franchir l’étape de la recevabilité connaissent en général un rejet.
Ceci ne devrait pas étonner, car « le juge camerounais, par prudence ou par conviction
s’est montré jusque-là comme le défenseur de l’ordre politique totalitaire »2027,
manifeste une « inclination conte –nature »2028 « à se penser comme le protecteur de
l’Etat contre les particuliers »2029. Selon M. C. KEUTCHA TCHAPNGA, « cette
attitude qui consiste à chercher à tout prix à justifier le comportement de
l’administration, s’explique généralement par la volonté de la cour de ne pas
« énerver », les actions politiques de l’exécutif »2030. Les décisions de justice,
particulièrement du juge administratif sont donc majoritairement le reflet de cette
politique jurisprudentielle largement en faveur des intérêts de la puissance publique et
donc des exigences relatives au maintien de l’ordre public.

S’agissant enfin du sort réservé aux quelques décisions qui sont favorables aux
requérants, elles se sont pas certaines d’être appliquées, en raison de l’inexécution
chronique ici des décisions de justice, surtout celles condamnant l’administration.
Revêtues de l’autorité de la chose jugé, ces décisions sont pourtant en général
inappliquée par l’administration, cette dernière invoquant soit l’impossibilité juridique
de mettre en œuvre la chose jugée, soit l’absence de dotation budgétaire y consacrée.
Mais, la plupart du temps, l’inexécution est due au mauvais vouloir de l’administration.

2026
A. R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit…, op. cit., pp. 292 et s., où l’auteur
montre clairement que « bien qu’elle ne soit pas totalement indifférente à la cause des droits et libertés, la
politique jurisprudentielle du juge administratif camerounais semble avoir été, jusqu’à nos jours,
essentiellement dominée par le soucis de ménager au maximum la puissance publique dans l’exercice de ses
prérogatives », p. 368.
2027
A. NCHOUWAT, Le juge et l’évolution du droit administratif au Cameroun, Thèse de doctorat 3ème cycle,
droit public, Université de Yaoundé II, 1993-1994, p. 52.
2028
C. SIETCHOUA DJUITCHOKO, L’appel dans le contentieux administratif au Cameroun. Contribution à
l’étude de la juridiction administrative, Thèse, droit public, Aix-Marseille, 2000-2001, p. 32.
2029
L. NDJODO, Rapport camerounais au séminaire d’échange et de perfectionnement tenu à Marrakech au
Maroc du 4 au 14 novembre 1996 sur le thème « Le contentieux administratif et l’Etat de droit », p. 253-254.
2030
C. KEUTCHA TCHAPNGA, Note sous ord. n° 01, 23 janvier 2009, Social Democratic Front (SDF) c/
Etat du Cameroun, in Juridis, n°78, avril-mai-juin 2009, p. 28.

584
Dans ce dernier cas, le système juridique s’avère impuissant à contraindre
l’administration, en raison de l’inexistence d’une loi sur l’exécution forcée
administrative, et, surtout de l’absence d’un pouvoir d’injonction au profit du juge à
l’égard de l’administration2031. Toutes choses qui rendent, illusoire l’efficacité du
contrôle des mesures de police administrative et laissent en général non sanctionnées les
atteintes faites par ces mesures à certains droits et libertés pourtant fondamentaux.

Les garanties de succès des réclamations contentieuses se trouvent donc au regard


de tous ces paramètres, considérablement amoindries. Elles révèlent une institution
judiciaire inapte, autant dans son statut et surtout dans son fonctionnement, à garantir le
respect ou plutôt le rétablissement des droits mis à mal dans le cadre de l’exercice du
pouvoir de police. La réduction des garanties de contrôle des mesures de police
administrative apparaît donc ainsi patente, surtout qu’elle contribue avec la restriction
des actes susceptibles de contrôle par le juge à asseoir le minimalisme juridictionnel
observable ici.

II. LA RESTRICTION DES ACTES SUSCEPTIBLES DE CONTROLE

Le minimalisme juridictionnel qui caractérise la police administrative se


manifeste, au-delà de la réduction des garanties de contrôle, par la restriction des actes
susceptibles de faire l’objet dudit contrôle2032. La plupart de ces actes insusceptibles de
contrôle peuvent en effet, même s’ils ne le sont pas à la base, se transformer en mesure
de police administrative2033. En effet, l’appréciation de la nature d’acte de police ou non
s’apprécie de manière fonctionnelle, au regard de la finalité de l’acte. Dès lors qu’il est

2031
Non seulement il n’a jamais existé et il n’existe à ce jour, un quelconque dispositif législatif obligeant
l’administration à exécuter les décisions de justice, comme c’est le cas pour les personnes privées, mais
surtout, le juge administratif s’est toujours refusé à adresser des injonctions à l’administration. Il se refuse donc
à ordonner l’octroi d’un agrément (CS/CA, jugement n°159/2008, 19 novembre 2008, SNAES c/Etat du
Cameroun (MINATD)) ou la délivrance d’une autorisation à une congrégation religieuse (CS/CA, jugement n°
302/2010, 27 octobre, Holy Sabath of Christ the King Mission Worldwide c/ Etat du Cameroun (MINATD)).
2032
En effet, le droit administratif camerounais comporte un ensemble d’actes qui échappent tant au
contentieux de la légalité qu’au contentieux de la responsabilité. Ils ne peuvent donc faire l’objet d’aucun
recours au regard de la loi. Cette constante du droit administratif camerounais limite considérablement le
principe de soumission de l’administration au droit, ce qui n’est pas sans conséquences sur le contrôle des
mesures de police administrative.
2033
Il n’existe pas d’acte de police par nature. Même si la doctrine considère que l’acte réglementaire est « la
mesure de police par excellence » (G. VEDEL, P. DELVOLVE, Droit administratif, Paris, PUF, coll. Thémis,
1992, tome II, p. 712), le fait que l’acte réglementaire ne soit une exclusivité de la fonction de police
disqualifie ce critère du caractère réglementaire de l’acte comme en faisant un acte de police. Aussi, la nature
d’acte de police ne s’apprécie qu’in concreto, en fonction des circonstances de temps et de lieu, au regard de sa
finalité.

585
avéré qu’il vise à garantir l’ordre public, il peut être considéré comme un acte de police
administrative. En multipliant donc les actes insusceptibles de contrôle, on restreint
corrélativement le principe de soumission de la police administrative au droit, que ce soit
sur le terrain de la légalité ou sur celui de la responsabilité, toute chose qui conforte le
minimalisme juridictionnel qui caractérise le contrôle de cette fonction essentielle de
l’Etat du Cameroun.

A. La restriction des actes susceptibles du contrôle de la légalité

On peut analyser la restriction des actes susceptibles de contrôle par le juge,


d’abord en tant qu’ils limitent le principe de légalité. Car en général, dans le droit
administratif camerounais, l’irresponsabilité est quasi systématiquement assise sur une
illégalité2034. Il faut dont toujours commencer par s’intéresser à cette dernière. Aussi,
peut-on observer que plusieurs actes échappent au contrôle du juge de la légalité en
raison d’une sorte d’immunité juridictionnelle dont ils sont revêtus au plan des textes.
Certains de ces actes ne sont pas foncièrement des actes de police administrative. On
pourrait dire qu’ils le sont potentiellement, car à tout moment pouvant se transformer en
tel, en raison, comme nous l’avons déjà suggéré, du fait qu’il n’existe pas des actes de
police administrative par nature.

Mais d’autres actes, parce qu’ils portent directement sur le maintien de l’ordre
public peuvent être considérés comme des actes de police administrative. Le fait qu’ils
ne puissent faire l’objet d’un traitement juridictionnel normal, ou si l’on veut ordinaire,
ne peut manquer d’interpeller l’attention de l’analyste. Les premiers actes cités sont à
considérer sur le terrain général du contentieux de la légalité. Ils seront en raison de leur
nombre important, étudiés en seconde position. Les seconds actes cités sont à
appréhender sur le terrain spécifique du contentieux de l’urgence, dont on sait qu’il est
un contentieux accessoire. En particulier, doit être mentionné ici l’interdiction faite au
juge de surseoir à l’exécution d’une mesure de police administrative.

2034
M. ONDOA, Le droit de la responsabilité dans les Etats en développement…, op. cit., pp. 604 et s.
L’auteur s’appuie principalement sur l’art. 32 de la Constitution camerounaise du 2 juin 1972, qui disposait
que la Cour suprême statuant en matière administrative connait « des recours en annulation et en
indemnisation dirigés contre les actes administratifs ». Si cette disposition a disparu du corpus constitutionnel
du fait de la création des tribunaux administratifs dont l’organisation et le fonctionnement sont fixés par voie
législative, cette liaison quasi automatique entre illégalité et responsabilité semble perdurer, du moins si l’on
s’en tient au contenu de l’art. 2 (3) de la loi n° 2006/022 selon lequel « le contentieux administratif comprend
(…) les actions en indemnisation du préjudice causé par un acte administratif ».

586
1. L’interdiction du sursis à exécution des mesures de police

Cette interdiction est une constante du droit du contentieux administratif


camerounais, au moins depuis l’indépendance. Héritée du droit français, on sait qu’elle y
fût posée par l’article 9 al.2 du décret du 30 septembre 1953 portant réforme du
contentieux. Selon cette disposition, le sursis à exécution d’une décision administrative
ne peut être ordonné que si cette décision n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité ou la
tranquillité publiques2035. Cette interdiction se voit justifiée à cette époque, car « il est
indispensable d’exclure les décisions intéressant le maintien de l’ordre, la sécurité et
la tranquillité publique, afin d’éviter que la décision du juge ne puisse compromettre
l’ordre dont d’administration à la charge »2036. Cette situation perdurera jusqu’au 28
janvier 1969, date à laquelle un décret exclura la possibilité de sursis seulement pour les
décisions intéressant l’ordre public, avant qu’un décret du 27 janvier 1983 ne supprime
purement et simplement l’art. 9 du décret de 19532037.

Au Cameroun, l’existence de cette interdiction n’a jamais été remise en cause,


depuis son instauration2038. Contrairement à l’interdiction du référé lorsque l’ordre
public, la sécurité ou la tranquillité sont en cause qui vient d’être levée à l’occasion de la
réforme de 20062039, celle concernant le sursis à plutôt été confortée. C’est ainsi que la
loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des
tribunaux administratifs dispose en son art. 30 (2) que « toutefois, lorsque l’exécution
est de nature à causer un préjudice irréparable et que la décision attaquée n’intéresse
ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publique, le président du tribunal

2035
L’article est exactement énoncé : « en aucun cas le tribunal ne peut prescrire qu’il soit sursis à
l’exécution d’une décision intéressant le maintien de l’ordre, la sécurité et la tranquillité publique ».
2036
Propos tenus par le rapporteur de la commission de l’intérieur de l’Assemblée nationale française le 26
mars 1053, lors de la discussion du projet de réforme du contentieux administratif dans ce pays. Rapportés par
J.J. GLEIZAL, « Le sursis à exécution des décisions administratives. Théorie et pratique jurisprudentielle », in
AJDA, 1975, p. 396.
2037
Lire sur tous ces aspects de droit français : J. M. AUBY et R. DRAGO, Traité de contentieux administratif,
Paris, LGDJ, 1984, Tome II, pp. 34 et s.
2038
Elle fut introduite en effet au Cameroun par le décret n°59-83 du 4 juin 1959 portant réforme du
contentieux administratif et organisation du Tribunal d’Etat (JOC, 1er juillet 1959, pp. 832-838). L’art. 91 de
ce texte refuse l’octroi du sursis « si la décision attaquée n’intéresse ni le maintien de l’ordre, ni la sécurité
ou la tranquillité publiques ». Une restriction semblable est posée par l’art. 88 pour ce qui est du référé
administratif, pour les mêmes raisons.
2039
Selon l’art. 27 de la loi n°2006/022 précitée en effet : « dans les cas d’urgence, le président du tribunal ou
le magistrat qu’il délègue peut, sur requête et si le demandeur justifie de l’introduction d’un recours
gracieux, les parties convoquées et après conclusion du ministère public, ordonner, en référé, toutes
mesures utiles, sans faire préjudice au principal ».

587
administratif peut, saisi d’une requête après communication à la partie adverse et
conclusion du ministère public, ordonner le sursis à exécution ». Le maintien de cette
interdiction jusqu’à nos jours est, non seulement un signe de la défiance des pouvoirs
publics vis-à-vis de la juridiction administrative, mais aussi et surtout un moyen de
conserver à l’administration ses privilèges de puissance publique en matière de maintien
de l’ordre, au détriment des droits et libertés des citoyens. Elle est le signe de la
prépondérance ici des exigences de maintien de l’ordre sur celles relatives aux droits et
libertés individuels.

Cette interdiction du sursis à exécution des mesures de police administrative est


rigoureusement observée et appliqué par le juge. Chaque fois que ce dernier est saisi
d’une demande aux fins de prononcer un sursis à exécution, il commence toujours par
vérifier si la mesure contestée intéresse ou pas l’ordre public, la sécurité ou la
tranquillité. Il juge ainsi que la décision portant fermeture d’une officine pharmaceutique
ne concerne pas l’ordre public, la sécurité ou la tranquillité publique2040. Il considère
également qu’une décision ne concerne ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité
publique, mais que l’exécution de cette dernière « est de nature à porter atteinte à
l’ordre public, à la sécurité ou à la tranquillité publique cause de son impact sur la
population »2041, ce qui est contradictoire. Car la formule selon laquelle une décision
« intéresse » l’ordre public, la sécurité ou la tranquillité est suffisamment large pour
embrasser n’importe quelle mesure pourvu que le juge y voit un intérêt. Mais ce dernier
va bien plus loin.

En effet, le juge ne dit jamais en quoi la décision attaquée concerne l’ordre


public, la sécurité ou la tranquillité. Il se contente d’affirmer que la décision concerne ou
alors ne concerne pas l’ordre public, sans jamais donner un contenu à cette notion. Il « se
borne à invoquer l’ordre public ou un de ses aspects, comme si le concept était évident,
et sans jamais éprouver le besoin de le circonscrire avec exactitude »2042. Il va même
bien plus loin encore, en affirmant dans une espèce, que la décision concerne l’ordre
public parce qu’en l’édictant, « le Président de la République a visé les nécessités

2040
Ord. N°05/92-93/CS/PCA du 5 octobre 1992, affaire sighoko abraham c/ etat du cameroun.
2041
Ord. N°07/91-92/OSE/PCA/CS du 20 mars 1992, affaire Elites et notables du village Bamoudjo c/ Etat du
Cameroun.
2042
C. KEUTCHA TCHAPNGA, « Le régime juridique du sursis à exécution dans la jurisprudence
administrative », in Juridis périodique n°38, avril-mai-juin 1999, p. 90.

588
d’ordre public »2043. Ainsi, pour lui, il suffit que les nécessités d’ordre public, de sécurité
ou de tranquillité soient simplement visées par une autorité, en l’occurrence le Président
de la République, pour qu’elles soient avérées. Cela montre une absolue inclination du
juge à sanctuariser la notion d’ordre public à l’avantage de la seule administration.

En adoptant une jurisprudence aussi restrictive, le juge limite le champ matériel


du sursis à exécution. Mais, surtout, il restreint considérablement l’office du juge de
l’urgence en matière de police administrative, en soustrayant du sursis à exécution les
mesures de police administrative englobées dans les « décisions intéressant l’ordre
public, la sécurité et la tranquillité publique ». Il s’agit donc là d’une limitation
manifeste du contrôle de la police administrative, car, «le juge administratif contrôle les
mesures de police administrative dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, du
recours de plein contentieux et des procédures d’urgence »2044. Le contentieux de
l’urgence occupe d’ailleurs une place centrale dans le contentieux de la police
administrative. Car le maintien de l’ordre portant très souvent atteinte aux droits et
libertés, la préservation de ces derniers passe nécessairement par la saisine du juge de
l’urgence, afin de gagner en temps. L’interdiction du sursis à exécution des mesures de
police réduit donc à une portion très congrue le contentieux de l’urgence en matière de
police, réduisant ainsi le champ du contrôle de ces mesures, au profit des seuls intérêts
de la puissance publique.

2. La prolifération d’actes insusceptibles de recours

Le principe de légalité constitue la pierre angulaire de la soumission de


l’administration au droit. Il est au cœur de la construction de l’Etat de droit. Principe de
légalité et Etat de droit sont donc parfaitement imbriqués. Le développement du principe
de légalité garantie la consolidation de l’Etat de droit. A contrario, un faible
enracinement du principe de légalité est la manifestation de la faiblesse de l’Etat de
droit, en tout cas de son difficile ancrage.

Le terrain de la police administrative est un lieu de prédilection pour tester le


degré de développement du principe de légalité qui permet, à travers le recours pour

2043
Ordonnance n°05/OSE/PCA/CS/97-98 du 13 octobre 1997, affaire Mesdemoiselles Carle Julia et
Tchangongom Tcheumaka c/Etat du Cameroun.
2044
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op. cit., p. 219.

589
excès de pouvoir de défendre les libertés que pourrait mettre à mal l’exercice des
pouvoirs de police. G. Jèze considérait à cet effet que « le recours pour excès de pouvoir
est l’arme la plus efficace, la plus économique et la plus pratique qui existe au monde
pour défendre les libertés »2045. Aussi doit-on considérer que l’impossibilité juridique de
formuler un recours contre l’excès de pouvoir d’un acte de police va à l’encontre des
exigences de l’Etat de droit. Tout en portant atteinte aux libertés des citoyens, elle absout
l’activité menée par les autorités de police administrative.

Le droit administratif camerounais regorge d’une multitude de ces actes, qui, au


regard des textes, échappent à tout contrôle juridictionnel. Bien qu’ils ne soient pas à
priori au cœur de la police administrative, ils doivent néanmoins être évoqués ici, car les
actes de police par nature n’existent pas. Aussi, les actes de gouvernement, les actes pris
pour le règlement des litiges relatifs à la délimitation des circonscriptions administratives
et des unités de commandent traditionnel, les actes portant désignation des chefs
traditionnels, et même des actes non décisoires de l’administration peuvent se
transformer en mesures de police administrative, dès lors qu’il est constaté qu’ils ont été
émis dans le but réel de maintenir ou de rétablir l’ordre public.

S’agissant tout d’abord des actes de gouvernement, on sait que ce sont des actes
qui portent sur les matières de gouvernement. Notion plus fonctionnelle que
conceptuelle, c’est-à-dire « construite autour d’une idée justifiable mais imprécise (…)
reste une notion plastique ouverte, prête à s’enrichir de tout l’imprévu du futur »2046.
Cette plasticité de la notion d’acte de gouvernement lui permet de s’insérer dans
n’importe quel domaine, comme le révèle l’exemple camerounais où la notion n’a pas
cessé de s’étendre2047. Le juge les considère en effet comme « des actes ayant un
caractère essentiellement politique dont la décision appartient exclusivement au
gouvernement ; qu’il s’agit encore d’actes se rattachant à l’exercice de la puissance
exécutive dans les matières de gouvernement »2048. Bien que la doctrine ait
majoritairement interprété cette jurisprudence comme ayant introduit le mobile politique

2045
Cité par C.-E. MINET, Ibid.
2046
G. VEDEL, « De l’arrêt Septfonds à l’arrêt Bareinstein », op. cit., n° 682.
2047
Suivant ainsi un conseil donné par la doctrine : H. JACQUOT, « Le contentieux administratif au
Cameroun », op cit., p. 25. V., pour plus d’explications : A. R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la
création du droit…, op cit., pp. 511 et s. ; S. BILLONG, « Le déclin de l’Etat de droit au Cameroun : le
développement des immunités juridictionnelles », Juridis, n°62, avril-mai-juin 2005, pp. 52-62.
2048
CS/CA, jugement n°34/79-80, 24 avril 1980, Essougou Benoit c/ Etat du Cameroun.

590
dans la définition de l’acte de gouvernement, elle permet surtout, de notre modeste point
de vue, de montrer que cette catégorie peut s’étendre dans tous les sens, au point de
recouvrir les matières de police administrative. Or, le fait qu’ils soient, ces actes,
insusceptibles de recours contentieux, limitera considérablement la possibilité de garantir
les droits des citoyens. Si l’argument selon lequel le critère de l’acte de gouvernement
consacré au Cameroun serait d’ordre matériel est vrai, l’extension de cette catégorie
d’actes en serait plus manifeste car, quoi qu’on dise, il n’existe pas de frontière étanche
entre matières de gouvernement et matières administratives, et donc de police2049.

S’agissant ensuite des actes pris pour le règlement des litiges portant sur les
limites des circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel,
ils sont encore plus proches et même au cœur de la police administrative, car on sait que
la détermination des limites des circonscriptions territoriales et des unités de
commandement traditionnel est souvent source de nombreux conflits, parfois même très
sanglants, portant donc des atteintes à l’ordre public dont les autorités de police
administrative sont en charge. La solution de ces conflits emprunte donc très souvent la
même voie que celle du maintien de l’ordre, d’où la nature hybride des décisions qui en
émanent. Or, ces décisions sont frappées d’une immunité juridictionnelle, ce qui rend
leur connaissance impossible devant les juridictions. En effet, l’art 2 de la loi de 2003 2050
dispose qu’« cet irrecevable, nonobstant toute disposition législative contraire, tout
recours judiciaire en annulation d’un acte administratif pris pour le règlement des
litiges portant sur les limites des circonscriptions administratives et des unités de
commandement traditionnel ». Tous les litiges y relatifs doivent être « portés devant
des commissions qui, à la suite d’une procédure contradictoire, établissent des procès-
verbaux au vu desquels l’autorité compétente statue en dernier ressort »2051. Il s’agit là
d’une limitation sans conteste du principe de légalité à des actes qui, potentiellement,
peuvent intéresser l’exercice de la police administrative.

2049
Etablie par E. LAFFERIERE, (E. LAFFERIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours
contentieux, Nancy, Berger-Levrault, 1896, p. 49) la distinction entre matières administratives et matières de
gouvernement est reprise par R. CHAPUS dans le cadre de la détermination de la catégorie des actes de
gouvernement. Cf. R. CHAPUS, « L’acte de gouvernement, monstre ou victime ? », D., 1958, chr., p. 5-10.
2050
Loi n° 2003/016 du 22 décembre 2003 relative au règlement des litiges portant sur les limites des
circonscriptions administratives et des unités de commandement traditionnel.
2051
Art. 1er, loi n°2003/016.

591
Enfin, pour ce qui est des actes non décisoires de l’administration de manière
générale, ils échappent au contrôle du juge, il est vrai beaucoup plus à cause de la
jurisprudence adoptée par ce dernier à leur propos. La nomenclature de ces actes est
extrêmement variée. On pourrait ainsi citer les mesures d’ordre intérieur, les circulaires,
les directives, les actes conservatoires, les notes de service, etc. A en croire la doctrine,
seules les circulaires ont déjà fait l’objet d’un contrôle de la part du juge
administratif2052. Tous les autres actes échappent à son contrôle, or ceux-ci pourraient
bien comporter des atteintes aux droits et libertés que restreint régulièrement l’activité de
police administrative, surtout dans notre contexte où de telles mesures abondent au sein
de l’administration et vont parfois au-delà de la simple préparation, interprétation ou
orientation, pour diriger parfois l’action des autorités de police administrative sur le
terrain. En tant que telles, elles cessent d’avoir un caractère non décisoire, pour revêtir
un caractère réglementaire, donc de véritable mesures de police. L’observation révèle
d’ailleurs un usage considérable de ce type d’acte à l’attention des autorités de police
administratives. On pense par exemple aux circulaires et directives émises par le
ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation à l’attention des
gouverneurs, préfets, sous-préfets ou maires, concernant l’exercice de la police
administrative2053.

Au total, on voit bien que le droit administratif camerounais regorge d’actes


potentiellement de police administrative, mais qui échappent au contrôle qui existe
concernant cette fonction administrative. En réduisant donc les garanties de contrôle de
la police administrative à travers la restriction des actes susceptible de contrôle, l’on
conforte en ce domaine un incontestable minimalisme juridictionnel, comme le montre
également la consécration d’ilots d’irresponsabilité.

B – La consécration d’ilots d’irresponsabilité

Si l’application du principe de responsabilité est un « facteur essentiel de


libéralisme2054», encore faudrait-il que cette application soit entière et totale, de manière
à ce qu’il produise ses pleins effets comme technique de garantie des administrés. Le
2052
B. R. GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la justice administrative…», op. cit., p. 204.
2053
Voir par exemple la lettre circulaire n°0040/LC/MINAT/DCTD du 4 avril 2000 du ministre de
l’administration territoriale ayant pour objet la restauration de l’hygiène et de la salubrité, adressée aux maires
et aux chefs de circonscriptions administratives.
2054

592
principe de responsabilité de la puissance publique, entendu comme « l’obligation pour
les personnes publiques (…) de réparer, même en l’absence de texte, les dommages
causés par l’exercice des diverses activités où se manifeste la mise en œuvre de leurs
prérogatives de puissance publique2055 » s’applique donc bien aux activités de police
administrative. Mais au-delà de cette consécration générale du principe de la
responsabilité de la puissance publique, qu’en est-il de certains domaines spécifiques en
rapport avec le service du maintien de l’ordre public ? Autrement dit, si les solutions en
la matière ne manquent pas, celles du droit camerounais sont-elles satisfaisantes au plan
de la garantie des droits des victimes ?

La réponse ici ne peut être affirmative, loin s’en faut. Francis Paul Bénoit2056
remarquait en 1946 « le caractère particulièrement typique » de la responsabilité du fait
des services de police administrative. Pour lui, « il n’est pas d’illustration plus nette des
principes fameux de l’arrêt Blanco. Nulle part ailleurs on ne voit une telle diversité de
règles, n’excluant d’ailleurs en rien la précision, variant suivant les besoins du
service : chaque activité du service de police a ses règles propres en ce qui concerne la
mise en œuvre de la responsabilité qu’elle peut entrainer2057 ».Tel ne semble pas être le

2055
R. CHAPUS, Droit administratif général, précité, p. 1228.
2056
F.- P. BENOIT, La responsabilité de la puissance publique du fait de la police administrative, Paris, Sirey,
1946, p. 6.
2057
En France, le principe d’une responsabilité de la puissance publique du fait des dommages causés par les
activités de police administrative est très récent. En effet, jusqu’au début du 20 siècle, le principe en vigueur
était celui de l’irresponsabilité de la puissance publique en la matière, conformément à la formule demeurée
célèbre du commissaire du gouvernement RIVET selon laquelle « pour s’acquitter de la lourde tache de
maintenir l’ordre public dans la rue, les forces de police ne doivent pas voir leur action énervée par des
menaces permanentes de complications contentieuses ». (C.E., 13 mars 1925, Lebon, p. 266 ; R.D.P. 1925, p.
274, concl. Rivet.) Prise dans l’absolu, cette formule conduisait le juge administratif jusqu’en 1899 c’est-à-dire
plus d’un quart de siècle après l’arrêt Blanco, à déclarer que « l’Etat n’est pas, en tant que puissance
publique, et notamment en ce qui touche les mesures de police, responsable de la négligence de ses agents.»
(C.E., 13 janvier 1899, Lepreux, Lebon p. 18 ; S. 1900, 3, p.1 note M. Hauriou ; voir sur la question : M.
DEGUERGUE, Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit de la responsabilité administrative, préf.
de J. MORAND DEVILLER, Paris, L.G.D.J., B.D.P., T. 171, 1994, pp. 86-88). Ce n’est qu’en 1905, à la
faveur de l’arrêt Tomaso Grecco rendu par le Conseil d’Etat qu’une telle responsabilité sera admise de manière
indiscutable. Le requérant, atteint par une balle perdue alors qu’il était à l’intérieur de sa maison, et estimant
que ladite balle provenait de l’arme d’un gendarme, demandait à l’Etat la réparation du préjudice qu’il avait
subi. Le Conseil d’Etat déclare à l’occasion « qu’il ne résulte pas de l’instruction que le coup de feu qui avait
atteint le sieur Tomaso Grecco ait été tiré par le gendarme Mayrigue, ni que l’accident dont le requérant a
été la victime puisse être attribué à une faute du service public dont l’administration serait responsable »
(C.E., 10 fevrier 1905, Lebon, p. 139, concl. Romieu; S. 1905, 3, p. 113, note M. Hauriou). En examinant ainsi
au fond si les conditions d’engagement de la responsabilité étaient réunies, la haute juridiction jugeait
implicitement mais nécessairement qu’une telle responsabilité était possible. Pour autant, elle n’était pas
engageable si l’on ose dire de manière générale et absolue. Il était en effet exigé un certain degré de gravité de
la faute commise, si bien qu’au départ, la seule possibilité d’engagement de la responsabilité de
l’administration pour des dommages causés par les activités de police était celle de la faute lourde, exigence
confirmée par la jurisprudence ultérieure. (Voir : C.E., 13 mars 1925, Clef, Lebon, préc.). Toutefois, les
développements jurisprudentiels ultérieur contribueront progressivement à assouplir les conditions

593
cas du régime de responsabilité existant au Cameroun, surtout dans le domaine de la
police administrative. Encore plus grave est l’érection d’ilots d’irresponsabilité2058
consacrant ainsi une négation manifeste du principe de responsabilité et donc de l’Etat
de droit, restreignant et même annihilant au passage l’idée de garantie des droits des
administrés. La thèse ici défendue de la limitation des exigences liées à la garantie des
droits et libertés publiques trouve alors toute sa pertinence.

Comme ces champs d’irresponsabilité ne concernent pas que le domaine de la


police administrative, nous nous attellerons dans le cadre de cette section à ne ressortir
que les aspects en rapport avec ce domaine, car la responsabilité dont nous traitons ici est
celle de la police administrative. La question à laquelle il faut alors répondre est celle de
savoir quels sont, dans le champ du maintien de l’ordre public, les domaines qui sont
soustraits à l’application du principe de responsabilité ?

1 – L’irrecevabilité des actions en réparation des dommages liés au terrorisme

Elle est consacrée par la loi n° 64-LF-16 du 26 juin 1964, qui pose en son article
premier : « Est irrecevable, nonobstant toute disposition législative contraire, toute
action dirigée contre la République fédérale, les Etats fédérés et les autres collectivités
publiques dans le but d’obtenir la réparation des dommages de toute nature
occasionnés par des activités terroristes ou par la répression du terrorisme2059. » La
restriction que cette loi apporte à l’application du principe de responsabilité en matière
de police administrative et donc aux droits des victimes du terrorisme mérite que l’on
s’attarde quelque peu sur son contexte et sur sa portée.

d’engagement de cette responsabilité avec dès 1930 des arrêts du Conseil d’Etat retenant la responsabilité de
l’Etat ou des communes sur le fondement d’une faute non qualifiée. (C.E., Section, 6 décembre 1929, German
et Andibert ; C.E., 30 octobre 1936, Texier ; C.E., 28 avril 1967, Lafont ; etc.), le coup de grâce étant porté à la
faute lourde à partir des années 1990 avec notamment l’arrêt de section Theux du 20 juin 1997 (Lebon, p. 253,
concl. Stahl.) Et plusieurs autres rendus en matière de police, si bien qu’aujourd’hui, la doctrine s’interroge sur
le point de savoir s’il existe encore une responsabilité administrative pour faute lourde en matière de police
administrative. (Sur ce point, lire : G. EVEILLARD, « Existe-t-il encore une responsabilité administrative
pour faute lourde en matière de police administrative ? », in RFDA, juillet/ aout 2006, p. 733). La tendance en
France en matière de responsabilité de la puissance publique du fait de la police administrative est donc
incontestablement libérale, c’est-à-dire favorable aux libertés et intérêts des citoyens. Au Cameroun, si le
principe d’une responsabilité de la puissance publique est admis même en matière de police, l’influence
française au plan juridique étant ici incontestable, la tendance libérale ci-dessus décrite est fortement battue en
brèche au profit des prérogatives de puissance publique. (Cf. infra)
2058
Cette expression est empruntée au Professeur ONDOA Magloire. Lire : M. ONDOA, Le droit de la
responsabilité publique dans les Etats en développement…, op cit. p. 492.
2059
Voir la loi n°64-LF-16 du 26 juin 1964 déclarant irrecevable toute action contre la République fédérale,
les Etats fédérés et les autres collectivités publiques, afin d’obtenir la réparation des dommages occasionnés
par les activités terroristes, in J.O.R.F.C., 15 aout 1964, p. 94.

594
« Né sous de funestes augures2060 », l’Etat camerounais a longtemps eu pour
principal cheval de bataille la pacification de son espace social et politique. La lutte
armée menée par l’UPC2061, dans le prolongement de la guerre d’indépendance, rendait
le besoin d’ordre impérieux. Le jeune Etat, confronté à cette rébellion politique, opta
pour une pacification à travers la manière forte en réprimant de manière sanglante toute
volonté de contestation de l’ordre établi. C’est ainsi que tous les moyens furent mis à
contribution pour venir à bout de ces revendications dont la légitimité n’était pas du tout
incontestable. Ces moyens de répression étaient d’abord et surtout militaires2062, mais ils
étaient également juridiques, ces derniers conduisant les gouvernants à la mise sur pied
d’une législation particulièrement liberticide, dans le but de rétablir l’ordre à tout prix et
même à tous les prix. La lutte armée ayant conduit à des destructions permanentes des
biens et même à des pertes en vies humaines2063, surtout du fait de la brutalité des actions
militaires menées par les forces de maintien de l’ordre, des préjudices énormes furent
ainsi causés à des personnes qui se crurent en droit de demander réparation devant le
juge. C’est ainsi qu’un important contentieux s’éleva devant le juge administratif,
consistant pour l’essentiel en des demandes de réparation du fait des multiples préjudices
subis soit du fait des activités terroristes, soit et surtout du fait de la répression du
terrorisme. Le volume des réclamations augmentant d’année en année, le gouvernement
décida de légiférer sur la question dans le but de supprimer toute possibilité
d’indemnisation juridictionnelle, au grand dam des droits des victimes. Si des
préoccupations financières ne sont sans doute pas absentes de cette démarche, on peut y
voir aussi et surtout la volonté délibérée et manifeste de consacrer « une énorme brèche
ouverte dans le bloc de la responsabilité administrative, car il consacre un vaste

2060
J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public camerounais », précité,
résumé.
2061
Union des Populations du Cameroun, principal parti d’opposition de l’époque, de tendance nationaliste.
2062
Car pour le Gouvernement, il s’agissait de « manifestants », de « groupes de combats », de « milices
privées » (C.E., 12 juillet 1956, sieurs M’paye, N’gom, Moumie, R.J.P.U.F., n°4, 1956, p. 89 et Ss, Concl.
HEUMANN), d’«attroupements ou rassemblements armés », d’ « émeutiers » (arrêt n° 111-T.E. du 3 juin
1960, Dame Rateau Jeanne c/Etat du Cameroun), de « terroristes groupés au sein d’une armée rebelle
fortement organisée », et qui visaient à renverser un gouvernement légitime. Voir à cet effet : arrêt n°345/T.E.
du 8 aout 1964, Sieur Papamirmingis Jacovis c/Etat fédéré du Cameroun Oriental ; arrêt n° 347-T.E., du 8
aout 1964, La Compagnie d’Assurances « Unions » c/ Etat du Cameroun Oriental.
2063
Voir notamment : Arrêt n° 346/T.E. du 8 aout 1964, Dame veuve Zagouan c/Etat du Cameroun Oriental ;
arrêt n° 349 T.E., du 8 aout 1964, Dame veuve Tsoflias c/Etat du Cameroun Oriental ; arrêt n° 344-T.E. du 8
aout 1964, Dame Papazian Madeleine c/Etat du Cameroun.

595
domaine d’irresponsabilité de l’Etat2064.» La publication de ce texte, dont la
constitutionnalité est largement douteuse2065, conduisit à des conséquences désastreuses
et dramatiques pour les droits des victimes qui s’en trouvèrent bafoués. Ainsi, si le
principe d’une réparation juridictionnelle s’en trouvait écarté, le texte prévoyait
néanmoins la possibilité exceptionnelle d’une réparation administrative, laquelle était
enfermée dans des conditions très restrictives.

a) Le principe de non indemnisation juridictionnelle des victimes du terrorisme

En déclarant irrecevables les actions en réparation des préjudices subis soit du fait
des activités terroristes, soit du fait de la répression du terrorisme, la loi pose en fait le
principe de non indemnisation juridictionnelle des victimes du terrorisme. Ce faisant,
elle consacre incontestablement un régime de non droit au détriment des victimes qui,
très souvent, n’avaient rien à voir avec les évènements dont la répression militaire se
révélait particulièrement dommageable pour les personnes et les biens. Elle accordait
ainsi des pouvoirs particulièrement exorbitants aux autorités administratives qui, fortes
des pouvoirs par ailleurs à elles reconnues dans le cadre de la lutte contre la subversion,
pouvaient tout se permettre en toute impunité. C’est ainsi qu’une autorité administrative,
en l’occurrence le chef de district de Manjo, pouvait se permettre d’ordonner la mise à
feu des maisons et autres biens de certains habitants du village N’lohé, sous prétexte de
« prévenir, empêcher toute collusion entre les terroristes et les paysans en
décourageant à l’avance toute complicité active ou passive2066 », et cela en toute
irresponsabilité,2067 et c’est peu dire.

La jurisprudence emboita le pas au législateur en appliquant rigoureusement


l’article premier de cette loi, si bien que la rigueur du dispositif laissa les droits des

2064
BINYOUM Joseph, Cours polycopié de droit administratif, 2e année de licence, F.D.S.E., Université de
Yaoundé, 1982, p.133.
2065
En posant en effet à l’alinéa 2 de l’article premier que « cette irrecevabilité s’étend aux actions introduites
avant la publication de la présente loi et qui n’ont pas déjà donné lieu à un jugement sur le fond ayant
acquis force de chose jugée », ladite loi viole un principe général du droit à savoir le principe de la non
rétroactivité des lois, consacré par la Constitution du 4 mars 1960 en son préambule, lequel n’avait été point
abrogé par la Loi n° 61-24 du premier septembre 1961 portant révision constitutionnelle et tendant à adapter la
constitution du 4 mars 1960 aux nécessités du Cameroun réunifié. Si du reste il l’eut été, sa nature de principe
général du droit l’eut tout de même imposé au législateur.
2066
Rapporté par Monsieur J. BINYOUM, in « Bilan de 20 ans de jurisprudence administrative de la cour
suprême du Cameroun. 1ère partie : 1957-1965, » in R.C.D., Série 2, n° 15 et 16, juin-décembre 1978, p. 28
2067
Voir : arrêt n° 300-T.E. du 24 Aout 1963, Mbiafeu Lazare c/Etat du Cameroun ; arrêt n°302-T.E. du 24
aout 1963, Fako Thaddée c/Etat du Cameroun ; arrêt n°306-T.E. du 24 aout 1963, Takoukam Samuel c/Etat du
Cameroun.

596
victimes sans voix. Le Tribunal d’Etat déclara systématiquement irrecevables toutes les
actions allant dans le sens d’une demande de réparation, bien que son argumentation
variait au fil du temps. Selon M. BINYOUM2068, le Tribunal d’Etat, dans ses premières
décisions, se déclara incompétent, renvoyant les requérants à mieux se pourvoir devant
les tribunaux civils2069. Cette position du juge administratif, adoptée avant l’avènement
de la loi n°64-LF-16 du 26 juin 1964, pouvait s’expliquer par le fait que l’infraction de
terrorisme est une infraction bien connue du droit pénal et qui donc ne peut être
justiciable que devant le juge pénal, la réparation étant par la suite assurée par le juge
civil, au regard de la séparation classique entre l’action publique et l’action civile. Cette
considération révèle ce qu’il peut y avoir de dangereux pour les libertés à publiciser et
même à politiser une infraction qui aurait pu être réprimée par les voies de droit
ordinaires. Cela révèle en tout cas, sur la question ici étudiée, une instrumentalisation du
droit à des fins politiques bien claires.

Par la suite, notamment dans les décisions rendues en 1963 et 1964, « le Tribunal
d’Etat continua à décliner sa compétence, mais changea d’argumentation. En effet,
cette incompétence ne découlait plus de l’existence de deux ordres de juridictions,
mais plutôt de l’intervention d’un évènement politique survenu en 1961 ; l’avènement
de la fédération qui consacrait un partage des matières entre les autorités fédérales et
fédérées, réservant aux premières citées le soin d’assurer le maintien de l’ordre et la
sécurité publique2070. » Selon l’auteur, « c’est sur la base de ce chef de compétence que
le Tribunal d’Etat déclina la sienne, réservant la connaissance de ces litiges à la Cour
Fédérale de Justice récemment créée2071.» Cette dernière juridiction, forte de l’héritage
de sa devancière, maintint le même cap en appliquant encore plus rigoureusement le
principe d’une non indemnisation juridictionnelle des victimes du terrorisme.

Si la doctrine a unanimement critiqué et même parfois condamné cet état du


droit2072, cela n’a pas empêché le système mis en place de s’appliquer et d’anesthésier,
tant au plan quantitatif qu’au plan qualitatif, un vaste domaine du contentieux des droits,

2068
J. BINYOUM, « Bilan de 20 ans de jurisprudence administrative de la Cour Suprême du Cameroun.
Première partie : 1957-1965 », in R.C.D., Série 2, n°15 et 16, juin-décembre 1978, p. 29
2069
Arrêt n°110-T.E., du 3 juin 1960, GOLLIARD c/Etat du Cameroun ; arrêt n° 111-T.E. du 3 juin 1960,
Rateau Jeanne c/Etat du Cameroun ; arrêt n°112-T.E., du 3 juin 1960, Ngango Augustin c/Etat du Cameroun
2070
J ; BINYOUM, « Bilan de 20 ans de jurisprudence administrative de la Cour Suprême du Cameroun… »,
op cit., À la même page.
2071
Ibid.
2072

597
contribuant ainsi à rendre la puissance publique injusticiable des dommages causés dans
ce domaine du maintien de l’ordre. Le rôle de la jurisprudence est ici d’autant
condamnable que le juge s’est souvent montré, dans ce contentieux encore plus que dans
d’autres, particulièrement peu enclin à remettre en cause les vues de l’administration.
C’est ainsi qu’il suffisait que l’administration qualifie certains actes comme rentrants
dans la catégorie des actes terroristes pour que le juge entérine cette qualification,
renonçant ainsi à user de son propre pouvoir de qualification et d’interprétation, au grand
dam des droits des victimes2073. Si le contexte de cette époque peut contribuer à
expliquer cette attitude jurisprudentielle, il ne peut là justifier en toutes ses
conséquences. Elle abouti en effet à un déni de justice qui, tout en encensant un pouvoir
exécutif solitaire et omnipotent, renforce l’idée d’une administration policière allant
jusqu’au bout de sa logique de maintien d’un ordre autoritaire. Devant cette situation, la
seule voie restante pour les victimes afin d’obtenir réparation était celle administrative,
dont le caractère hypothétique, politique et arbitraire n’est pas sans conséquences
s’agissant des droits des victimes.

b) L’exceptionnelle réparation administrative

La possibilité d’une réparation administrative des dommages causés par les


activités terroristes est prévue par l’article 2 de la loi n°64-LF-16 du 26 juin 1964 en ces
termes : « Le Président de la République fédérale peut accorder aux victimes du
terrorisme ou de sa répression, particulièrement dignes d’intérêt ou susceptibles
d’apporter une contribution spéciale au développement économique ou social du pays,
des secours, dans la limite des crédits ouverts à cette fin ou une aide sous toute autre
forme que ce soit ». Si, à première vue, cette voie administrative de réparation peut
constituer un substitut à la voie juridictionnelle, il faut tout de suite dire, qu’elle apparait
d’avantage comme la manifestation de scrupules de la part de l’administration pour se

2073
C’est ainsi par exemple que le juge a assimilé, à la suite d’une argumentation de l’administration, les
attroupements et rassemblements à du pur terrorisme. Le professeur ONDOA Magloire ne dit pas autre chose
lorsqu’il affirme qu’au Cameroun, « les émeutes, rassemblements et attroupements armés ou non armés,
furent considérés par les pouvoirs publics comme relevant purement et simplement du terrorisme». Cf. M.
ONDOA, Le droit de la responsabilité dans les Etat en développement…op cit. p. 522. Quand à A. BOCKEL,
il soutient que la charge de la réparation des dommages causés par les attroupements et rassemblements « peut
être lourde dans les périodes troubles qui peuvent être fréquentes dans certains pays. Aussi, divers Etat ont-
ils pris soin d’écarter ce régime de responsabilité dans certaines circonstances». Lire, A. BOCKEL, « La
responsabilité publique », in Encyclopédie Juridique de l’Afrique, tome IX, N.E.A., 1982, pp. 397-456, surtout
p. 456

598
donner bonne conscience. Elle ne saurait être une façon de restituer administrativement
ce qu’elle a refusé juridictionnellement aux citoyens, et cela à plusieurs égards.

Tout d’abord, d’un point de vue théorique, la réparation administrative n’offre


pas les mêmes garanties que celle juridictionnelle. Lui font défaut le caractère impartial
et neutre traditionnellement accolé à l’institution juridictionnelle. En effet, cette dernière
apparait comme l’une des principales garanties de l’Etat de droit, car seule à même de
réguler les assauts éventuels d’une administration potentiellement dangereuse pour les
libertés et droits fondamentaux. Le juge, « gardien de la légalité administrative » ou
« gardien administratif de la légalité2074 », figure emblématique de tout Etat qui se veut
démocratique et respectueux des libertés et droits fondamentaux est alors le seul à
pouvoir offrir un rempart contre l’arbitraire administratif. Ne pas lui donner la possibilité
de le faire, c’est consacrer le règne de l’arbitraire et de l’injustice. Par ailleurs, donner à
l’administration elle-même pouvoir de réparer les préjudices qu’elle cause reviendrait à
revenir à l’époque du ministre-juge, cette époque où en France, l’administration était
juge et partie dans les litiges qui l’opposait alors aux particuliers2075.

Ensuite, si l’on rentre dans les termes mêmes de la consécration de cette


réparation administrative, on se rendra très vite compte que les conditions de cette
dernière sont très restrictives. Le texte pose plusieurs limites à l’octroi d’une
indemnisation. C’est ainsi que cette dernière ne sera accordée qu’aux « victimes
particulièrement dignes d’intérêt ou susceptibles d’apporter une contribution spéciale
au développement économique ou social du pays ». Cette limite a pour conséquence
directe le pouvoir donné à l’administration de sélectionner les victimes à qui elle
accordera éventuellement une indemnisation. Sans vouloir sonder ici les reins et le cœur
du législateur, on peut présumer que les victimes dignes d’intérêt dont il est question ici
sont peut-être les propriétaires de grandes exploitations agricoles et structures
industrielles employant une main d’œuvre importante, ce qui contribue alors au
développement d’une justice proprement censitaire. Ces victimes dignes d’intérêt, pour
pouvoir avoir droit à réparation, doivent encore apporter une contribution « spéciale »

2074
J. RIVERO, « Le juge administratif : gardien de la légalité administrative ou gardien administratif de la
légalité ? », in Mélanges offerts à Marcel WALINE : le juge et le droit public, Paris, L.G.D.J., 1971, pp. 701-
717
2075
T. SAUVEL, « La justice retenue de 1806 à 1872,» R.D.P., 1970, p. 260.

599
au développement du pays. Le caractère élitiste de la justice, de cette forme de justice
s’en trouve alors renforcé.

Egalement, le texte pose comme autre limite, l’octroi des indemnités « dans la
limite des crédits ouverts à cette fin ». La thèse de la limitation des dépenses
d’indemnisation2076 trouve alors ici toute sa pertinence et sa vigueur, contribuant par là à
restreindre les droits des victimes.

Enfin, le caractère politique de la réparation ici prévue n’est pas une pure vue de
l’esprit. D’abord parce que le contexte de l’époque y était largement favorable. Le texte
quand à lui le suggérait de manière à peine voilée, ce qui fait dire à M. BINYOUM que
« c’est une situation particulièrement inique pour les justiciables victimes du
terrorisme, puisque ceux-ci seraient éventuellement indemnisés non pas sur la base de
la rupture du principe d’égalité devant les charges publiques, (le préjudice subi étant
spécial et anormalement grave), mais au contraire en fonction de considérations
métajuridiques, en l’occurrence ici politiques2077 ». Ensuite en raison de l’autorité
habilitée à accorder lesdites indemnités, à savoir le Président de la République fédérale,
autorité politique par ailleurs à l’origine de la loi en question. C’est en effet lui qui
« statue souverainement » sur la base d’un avis formulé par une commission nationale,
lequel avis est lui-même donné sur la base des propositions du préfet à la suite des pièces
justificatives fournies par la victime et d’une instruction préalable. Le Professeur
OWONA soutient le même point de vue lorsqu’il affirme que « les règles édictées
…reposent sur le principe d’une réparation politico-administrative qui dépend du
Président de la République Fédérale…La réparation ici est sélective ; elle n’intéresse
que certaines victimes déterminées par le texte.2078 »

Si la doctrine a justifié le dispositif mis en place par la loi n°64-LF-16 par « le


souci de ne pas encourager les actions terroristes en les finançant par le canal de
l’indemnisation2079, » il faut néanmoins faire la part entre les dommages subis par des
personnes entretenant des collusions diverses avec les présumés terroristes de ceux subis
2076
M. ONDOA, La protection des demandes d’indemnisation en droit administratif camerounais, thèse, 3ème
cycle : droit public : Yaoundé : 1990, 287 p.
2077
J. BINYOUM, « Bilan de 20 ans de jurisprudence administrative de la Cour Suprême du Cameroun… »,
op cit. p. 29.
2078
J. OWONA, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public camerounais », R.C.D.,
n° 6, p. 117.
2079
J. BINYOUM, « Bilan de 20 ans de jurisprudence administrative de la Cour Suprême du Cameroun », op
cit. à la même page.

600
par des victimes innocentes. Aussi, si par extraordinaire l’on parvenait à là légitimer au
regard du contexte de l’époque, qu’est ce qui pourrait justifier aujourd’hui son maintien
dans un ordonnancement juridique que l’on dit libéralisé ? Même le vent de
libéralisation des années 1990 n’a pu en venir à bout. N’ayant donc jamais été
formellement abrogée, elle demeure parfaitement en vigueur, et rien n’interdit qu’un jour
elle puisse être sollicitée à nouveau par les autorités. On pourrait arguer du fait qu’elle
serait devenue caduque, en raison du changement de circonstances. Et si même l’on était
d’accord pour le soutenir, on serait forcé de constater que le contrôle de caducité n’est
pas pratiqué par les juges camerounais, qu’ils soient de l’ordre administratif ou de
l’ordre judiciaire. Or, faute d’un tel contrôle, des textes aussi emblématiques que celui
ici évoqué peuvent continuer d’être applicables, signe d’une continuité en ce qui est d’un
droit public camerounais d’essence autoritaire.

2 – L’irresponsabilité de l’Etat dans les domaines législatif et juridictionnel

Seront successivement envisagées ici l’irresponsabilité de l’Etat législateur et


l’irresponsabilité de l’Etat juge.

a) L’irresponsabilité de l’Etat législateur

D’emblée, on pourrait poser la question de savoir quel est le rapport qui existe
entre la police administrative et la responsabilité de la puissance publique du fait de la
fonction législative. Y a-t-il même seulement un rapport entre les deux phénomènes ? Il
importe de dire ici que ce lien, ou si l’on veut ce rapport, non seulement existe, mais
aussi a une importance vitale dans un pays comme le Cameroun.

Au plan de l’existence d’abord, il faut dire que le régime de la police


administrative n’existe pas en dehors de l’ordre juridique, mais s’insère dans un ordre
juridique étatique qui le porte à l’existence et le valide. Ce régime doit donc être soumis
aux exigences de hiérarchie, de conformité aux normes supérieures et de cohérence de
l’ordre juridique. C’est pourquoi si les autorités administratives ont reçu pouvoir
d’édicter des mesures de police, c’est-à-dire des actes qui portent atteinte à la condition
juridique des particuliers dans le but de maintenir l’ordre public, toutes ces mesures
doivent être conformes aux normes qui les devancent hiérarchiquement au sein de
l’ordre juridique, notamment les normes législatives et constitutionnelles. Les mesures

601
de police administrative tirent donc leur validité de ces normes législatives et
constitutionnelles, lesquelles définissent les principes généraux de l’activité de maintien
de l’ordre public. Au plan constitutionnel en effet, ont été reconnus comme faisant partie
du domaine de la loi « les droits, garanties et obligations fondamentaux du citoyen », à
savoir notamment, la sauvegarde de la liberté et de la sécurité individuelles, le régime
des libertés publiques, le droit du travail, le droit syndical, le régime de la protection
sociale, les devoirs et obligations du citoyen en fonction de la défense
nationale2080. C’est donc au niveau de l’exercice de l’activité de législation, surtout en ce
qui concerne les matières ci-dessus énumérées, que police administrative et fonction
législative se rejoignent. En effet, c’est sur la base des matières énumérées à l’article
26(2) a que le législateur donne mandat aux autorités exécutives d’assurer le maintien de
l’ordre public, après avoir lui-même fixé un cadre général à travers des actes que l’on
qualifie généralement de lois de police.

Selon André DE LAUBADERE2081, les lois de police se réfèrent aux lois


organisant le statut des libertés publiques. F. BARLOY soutient un point de vue
similaire, lorsqu’il affirme que ce sont des lois « régissant l’exercice des libertés
publiques, fixant le cadre général et abstrait des mesures de police administrative
adaptées aux circonstances de fait32082. Et même si le Professeur DESGREES Du LOÛ
soutient un point de vue un peu plus nuancé, en affirmant que « lorsque les limitations
sont imposées par le législateur et ne requièrent aucune intervention de la part des
autorités administratives, la police s’exerce par voie législative. On dit qu’il ya alors
loi de police32083 », la majorité de la doctrine est d’accord pour soutenir que les lois de
police sont celles qui organisent le statut des libertés publiques et en fixent les garanties
fondamentales. C’est pourquoi il est nécessaire que ces lois, tout comme les actes
administratifs ordinaires, soient non seulement contrôlées pour en vérifier la
constitutionnalité, mais également qu’elles soient susceptibles d’engager la
responsabilité de la puissance publique pour les dommages qu’elles pourraient
éventuellement causer aux particuliers. Si cette issue a depuis longtemps été atteinte en
France, au Cameroun, le principe est encore celui de l’irresponsabilité de l’Etat du fait

2080
Voir article 26 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996
2081
A. DE LAUBADERE, Droit administratif, 17e édition, Paris, L.G.D.J., 2002, p. 283.
2082
F. BARLOY, « Le Conseil Constitutionnel, la liberté individuelle et l’ordre public », R.A., 1995, n° 287, p.
483.
2083
D. MAILLARD DESGREES DU LOÛ, Police générale, police spéciale…, thèse précitée, p. 1.

602
des dommages issus de la fonction législative. Et c’est là que se situe l’importance du
lien entre police administrative et fonction législative, surtout dans un contexte comme
celui du Cameroun.

Au plan de l’importance donc du rapport entre fonction législative et police


administrative dans le contexte camerounais, il est à noter que les lois de police ont ici
une place non négligeable. Même si ces lois ont tendu quelques fois à être concurrencées
par les actes du pouvoir exécutif, leur importance au sein du régime général de la police
administrative est indéniable. Pourtant, ces lois ne font l’objet d’aucun contrôle de
constitutionnalité, en raison de l’impotence de cette garantie dans le système juridique
camerounais. Leur potentiel liberticide s’en trouve donc à chaque fois intouché, ce qui
constitue une hypothèque pour les droits des victimes potentielles des dommages
pouvant résulter de l’application de ces lois de police. C’est ici qu’apparait alors le
caractère véritablement inique de la consécration latente du principe de l’irresponsabilité
de l’Etat législateur au Cameroun. Elle permet à un ensemble important de lois qui, bien
que portant atteinte aux droits des citoyens et leur créant des dommages certains dans
leurs personnes et dans leurs biens, de subsister au sein de l’ordonnancement juridique
tout en restant insusceptibles d’engager la responsabilité de la puissance publique.

La responsabilité de l’Etat-législateur est une expression assez large qui désigne


deux types possibles de situations. Elle porte sur les dommages causés par les seules lois,
au sens organico-formel, qui postule les lois votées par le Parlement. C’est son sens
strict. Elle se distingue alors de l’éventuelle responsabilité pouvant découler de la
fonction législative entendue au sens large. C’est son sens large qui permet d’intégrer
tous les actes des assemblées parlementaires, les actes préalables au vote de la loi, ainsi
que ceux résultant de l’activité de l’administration parlementaire. Au Cameroun, l’une
comme l’autre acception débouche sur une irresponsabilité de la puissance publique.

L’irresponsabilité de la puissance publique du fait de la loi est ici un dogme


vrai2084, institutionnalisé tant par les textes que par la jurisprudence. Le juge administratif

2084
Il a déjà été fait mention du lien étroit qui existe entre les actes de police administrative et les actes
législatifs. Ce lien, symbolisé par l’existence des lois de police, montre à quel point il peut être dangereux pour
les libertés de priver les citoyens victimes de dommages causés par une loi, de toute possibilité de réparation.
Il a également été fait mention du constat selon lequel à mesure que l’on se rapproche des tâches régaliennes de
l’Etat, le droit a tendance à se durcir et à se vider de toute idée de garantie des droits des administrés. Le vote
de la loi, activité régalienne s’il en est, est un acte éminemment souverain. Il touche et est révélateur de la
nature intrinsèque de l’Etat. L’immunité juridictionnelle accolée à la loi est alors révélatrice de la nature de

603
joue en la matière un rôle de premier plan, lui qui s’est toujours refusé à connaitre en
plein contentieux des actes législatifs. Il affirme que les lois votées par l’Assemblée
Nationale ne peuvent être portées à la connaissance des tribunaux. Comment ne pas se
souvenir, à la lecture de cette position du juge, de toute la doctrine sur le règne de la Loi
en France? Expression de la volonté générale, la loi est alors considérée, de la
Révolution jusqu’à la Cinquième République, comme un acte sacré, bénéficiant d’une
immunité juridictionnelle totale, et s’imposant à tous les pouvoirs publics au sein de
l’Etat. Une telle conception, qui n’est pas totalement étrangère à celle en vigueur au
Cameroun, contribue à sacraliser l’idée de souveraineté, et surtout à là considérer comme
l’antithèse de la liberté. Elle contribue à déplacer la souveraineté du peuple vers les
assemblées parlementaires, donc vers les détenteurs du pouvoir.

Cela dit, l’immunité juridictionnelle dont bénéficie la loi au Cameroun comporte


des ressorts supplémentaires, qui là distingue de celle ayant vécue depuis longtemps en
France. Ici, le caractère « sacré » de la loi est moins lié à une tradition de nature
républicaine comme ça a été le cas en France, qu’à une conception de l’Etat assise sur
une idéologie de la contrainte étatique perçue comme exigence fondamentale de l’action
publique. La loi n’est pas un acte juridique comme les autres, mais un instrument qui
permet aux détenteurs du pouvoir de gouverner sans ambages ni concessions, leur
permettant de garantir la pleine efficacité d’une politique justifiée par la seule détention
de ce pouvoir. La loi en ressort alors uniquement comme un acte d’autorité, s’imposant
de gré ou de force à toutes les forces sociales, qu’elles soient centrifuges ou centripètes.
Plus qu’un acte d’autorité, elle devient un acte autoritaire lorsqu’elle comporte des
dispositions manifestement iniques, et crédite alors à souhait l’idée d’un Etat autoritaire,
recherchant la seule efficacité de son action. La latence de l’irresponsabilité de la
puissance publique s’en trouve ainsi validée à travers une démarche qui, sans le dire, fait
prospérer le déni de justice qui, de même qu’en s’appliquant aux autres actes de la
fonction parlementaire, réduit toujours le principe de responsabilité à une portion infime.

S’agissant de l’irresponsabilité de la puissance publique du fait de la fonction


législative elle permet d’envisager tous les actes émanant des assemblées parlementaires
à l’exclusion des lois. Leur lien avec la police administrative, s’il apparait de manière

l’Etat qui en est l’auteur, un Etat qui rechigne à se soumettre au droit, à garantir les droits de ses citoyens, à
construire une société de liberté, bref à promouvoir un Etat de droit.

604
beaucoup plus indirecte, n’en est pas moins certain et indéniable. Ce sont en effet ces
actes qui, en quelque sorte, permettent à la fonction législative d’exister, ou plutôt de
s’exercer de manière satisfaisante. Celle-ci n’est rien sans ceux là. Ils peuvent donc, bien
que de manière médiate, causer des dommages aux destinataires des mesures de police.
Au surplus, pourrait-on rattacher à ces actes ceux relatifs à la police au sein même des
assemblées parlementaires. On aurait pu s’attendre à ce que ces actes, étant donné leur
nature en certains points détachable des actes législatifs stricto sensu, soient justiciables
en plein contentieux devant le juge administratif. Il n’en est rien, car, à en croire le
Professeur GUIMDO, « au Cameroun, l’irresponsabilité de l’Etat législateur parait
être une règle qui ne connait pas encore d’exception2085. » En effet, le juge
administratif se refuse à connaitre des actes dès lors qu’ils concernent l’exercice de la
fonction législative. On peut donc se rendre à l’évidence que tous les actes se rattachant
à l’exercice de cette fonction jouissent, en droit positif camerounais, d’une totale
immunité. Ceux concernant le maintien de l’ordre public n’en sont donc pas exempts,
contribuant par là même à amenuir le principe de responsabilité en matière de police
administrative. Ce à quoi se joint l’exercice de la fonction juridictionnelle.

b) L’irresponsabilité de l’Etat juge

La fonction juridictionnelle entretient, elle aussi, des liens étroits avec la fonction
de police administrative, à travers laquelle le maintien de l’ordre public est assuré. En
effet, même s’il est reconnu un pouvoir de sanction aux autorités administratives dans
certains cas bien précis, c’est au juge que revient la charge de sanctionner les atteintes
qui sont portées aux lois et règlements en général, et aux mesures juridiques de police en
particulier. C’est lui qui, dans le cadre général de l’application de la loi, inflige la
sanction pénale inhérente traditionnellement à toute mesure de police. Dans
l’accomplissement de cette tâche, il ne doit pas seulement se poser en censeur de la
liberté des citoyens, mais aussi et surtout en pédagogue de leur conduite. Bien plus, le
juge doit pouvoir, de même qu’il sanctionne la conduite des particuliers, appliquer
également le même soin à la sanction des agissements irréguliers de l’administration,
lorsqu’il s’avère notamment qu’elle a agi en violation du droit en vigueur. De ce point de

2085
B. R. GUIMDO DONGMO, Cours de droit administratif général, 2e année de Licence, Université de
Yaoundé II, Année académique 2007/2008, p. 60.

605
vue, le juge va se poser non pas seulement en garant d’un droit des privilèges, mais
surtout en rempart contre l’arbitraire administratif.

Au-delà de cette fonction simplement technique, le juge rempli également une


fonction stratégique, à travers laquelle il va réguler les rapports qu’entretiennent
administration et administrés, afin de rechercher sans cesse, et même d’établir un
équilibre entre les différentes parties à la vie administrative et sociale. S’il doit donc
construire un Etat de droit, il ne doit lui-même se soustraire à ce droit qu’il est chargé
d’appliquer, car la soumission de l’Etat au droit postule la soumission de tout l’Etat, y
compris de l’Etat-juge. Sa mission n’est donc pas exempte de toute responsabilité,
laquelle peut être engagée lorsque lui-même ou l’organe auquel il appartient ont posé des
actes susceptibles d’engager cette responsabilité2086. Au Cameroun, cette responsabilité a
du mal à prendre corps, et c’est le moins que l’on puisse dire. Le principe ici semble être
celui de l’irresponsabilité de l’Etat-juge. Il faut toutefois distinguer selon qu’il s’agit des
actes portant sur l’organisation du service public de la justice, ou des actes portant sur le
fonctionnement des services judiciaires. Si les premiers sont frappés d’une
irresponsabilité relative, les seconds sont frappés d’une irresponsabilité absolue.

Les premiers donnent lieu à une irresponsabilité relative parce qu’en principe,
tous les actes se rattachant à l’organisation du service public de la justice sont des actes
administratifs. En effet, si, « d’une part, l’exécutif est entièrement exclu en vertu de la
séparation des pouvoirs de l’exercice de la justice civile et répressive, (…) d’autre part,
l’organisation des services judiciaires incombe dans une large mesure au
gouvernement »2087. Cette compétence, exercée par le pouvoir exécutif, doit être
contrôlée par le juge surtout administratif, chargé de veiller au respect de la légalité par
les autorités administratives. Et si lesdits actes causent des dommages quelconques,
ceux-ci doivent en principe être déférés devant le juge du plein contentieux qui peut
alors assurer la réparation des dommages causés.

Le principe d’une justiciabilité des actes relatifs à l’organisation du service


judiciaire a été posé au Cameroun par la jurisprudence TAGNY Mathieu2088. Aux termes

2086
Ceci n’est pas une pure vue de l’esprit, car des pays sont parvenus ce jour à mettre en place un système de
responsabilité qui intègre la fonction juridictionnelle elle-même. C’est d’ailleurs la raison d’être de la
responsabilité du fait du service public de la justice.
2087
J. RIVERO, Droit administratif, Paris, Précis Dalloz, 2002, p. 145.
2088
Arrêt n° 673/C.C.A., du 13 décembre 1957.

606
de cette jurisprudence en effet, « le juge administratif peut connaitre de toutes les
mesures d’organisation des services judiciaires prises par l’exécutif 2089. » C’est ainsi
que s’agissant par exemple des actes portant sur la carrière des magistrats, le juge
administratif s’est déclaré compétent pour en connaitre2090. On peut donc en déduire que
le juge administratif, en plus de son pouvoir d’appréciation de la légalité des actes
d’organisation des services judiciaires, peut également assurer la réparation des
dommages que ces actes peuvent causer. C’est également le point de vue défendu par le
Professeur GUIMDO, lorsqu’il soutient que l’organisation des services juridictionnels
relève de la compétence de l’exécutif, et, qu’à ce titre, « les dommages imputables à
cette organisation impliquent d’une part l’application du droit commun de la
responsabilité administrative, à savoir le droit administratif, et, d’autre part, la
compétence du juge administratif2091. » Toutefois, il est permis de douter de l’efficacité
d’un tel dispositif.

D’abord, les textes qui organisent le service public de la justice occupent un rang
dans la hiérarchie des normes qui ne permet pas toujours d’en assurer la justiciabilité. Ce
sont en général des lois, des ordonnances et parfois des décrets. S’agissant des lois, on
sait qu’au Cameroun, le modèle de contrôle de constitutionnalité en vigueur, en raison de
son caractère concentré et à priori et de son impotence pratique, abouti de facto à une
immunité de la loi, de telle sorte qu’il est extrêmement difficile d’en assurer la
conformité à la constitution. Quand aux ordonnances, lorsqu’elles sont ratifiées, elles
deviennent des lois et tombent dans les mêmes travers que ces dernières. Lorsqu’elles ne
sont pas ratifiées, elles restent des actes réglementaires et s’assimilent donc à des
décrets. Or ces derniers, malgré leur caractère d’actes administratifs, ne sont pas
systématiquement contestés par ceux qui pourraient y avoir intérêt. Si l’on prend par
exemple les décrets de nomination dans les juridictions, on se rendra compte que les

2089
H. JACQUOT, « Le contentieux administratif au Cameroun » précité, p. 24. Il s’agit par exemple des actes
de création ou de suppression des juridictions, des actes concernant le statut, la carrière ou la discipline des
magistrats du siège et même du parquet, les actes fixant les noms, les compétences, la composition des
juridictions et les procédures applicables devant elles, les actes organisant le greffe de certaines juridictions, les
actes régissant les rapports entre les juridictions et certains professionnels qui collaborent concourent à la
décision juridictionnelle, tels les avocats, huissiers notaires, etc.
2090
Voir : Jugement non numéroté A.D.D./CS/CA du 28 janvier 1982, Tatsinda Maurice c/Etat du Cameroun ;
jugement n°52/CS/CA du 20 mai 1982, Atangana Mbarga Adalbert c/Etat du Cameroun ; jugement
n°84/CS/CA du 30 juin 1983, Atangana Mbarga Adalbert c/Etat du Cameroun.
2091
GUIMDO DONGMO B. R., Cours de droit administratif général, précité, p. 61.

607
magistrats auront du mal à les contester en raison de la discipline à laquelle ils sont
astreints.

Ensuite, les actes d’organisation des juridictions ne sont pas potentiellement les
plus attentatoires aux libertés et droits des citoyens. Le fait de prévoir donc la possibilité
d’une responsabilité de la puissance publique pour les dommages qu’ils pourraient créer
n’est pas, au double plan quantitatif et qualitatif, une conquête significative pour les
libertés et droits des justiciables.

Pour ce qui est des dommages imputables au fonctionnement des services


juridictionnels leur irresponsabilité absolue. Il s’agit là d’une constante du droit positif
camerounais, et elle n’a jamais été remise en cause. Sont rangés comme dommages
imputables au fonctionnement des services juridictionnels, les dommages causés par les
actes préalables au jugement tels les actes d’instruction ou de police judiciaire, les
dommages causés par les actes juridictionnels etc. Tous ces actes peuvent,
potentiellement, intéresser le maintien de l’ordre public. La doctrine, sur la base de la
jurisprudence constante en la matière, est unanime pour dire que l’irresponsabilité de la
puissance publique est ici totale.

Le contentieux y relatif est partagé entre le juge administratif et le juge judiciaire.


En effet, « le juge administratif, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs,
refuse de se reconnaitre compétent pour connaitre des litiges relatifs au
fonctionnement du service judiciaire. Dès lors, le contentieux de la responsabilité
dérivant de cette activité se trouve partagé entre les deux ordres de juridictions »2092.
Monsieur JACQUOT soutient ainsi qu’ « en ce qui concerne le fonctionnement des
services judiciaires, l’incompétence de la juridiction administrative est totale »2093.
Cette position, adoptée dans la jurisprudence TAGNY Mathieu, est sans cesse réaffirmée
par le juge. Dans cette espèce le juge ne se contente pas de consacrer l’incompétence de
la juridiction administrative en la matière, mais il insiste aussi sur l’irresponsabilité de
l’Etat. Il affirme : « Les juridictions administratives sont incompétentes pour connaitre
des actions fondées sur une faute dans le fonctionnement du service de la justice ;
faute qui, au surplus, ne donne pas en principe droit à réparation 2094. » Statuant en

2092
J. BINYOUM, Cours polycopié de droit administratif, précité, p. 131.
2093
H. JACQUOT, « Le contentieux administratif au Cameroun », précité, p. 25.
2094
Arrêt n°673/C.C.A., du 13 décembre 1957, précité.

608
appel sur la même affaire, la Cour Fédérale de Justice a réitéré le même principe, mais
en insistant d’avantage sur l’incompétence du juge administratif. Elle déclare : « Attendu
que les actes intervenus au cours d’une procédure judiciaire ne peuvent être appréciés
soit en eux-mêmes, soit dans leurs conséquences que par l’autorité judiciaire ; que les
faits dont le requérant demande réparation sont intimement liés à l’instruction des
manœuvres subversives qui lui étaient reprochées et dont l’administration avait pu à
juste titre eu égard à la conjoncture politique de l’époque, se croire victime, que ces
faits qui ne sauraient être détachés de la procédure suivie devant le juge judiciaire en
vue de la manifestation de la vérité, ne peuvent par conséquent être déférés devant la
juridiction administrative ; que c’est à bon droit que le juge administratif du premier
degré s’est déclaré incompétent2095. »

Dans cette affaire, le sieur TAGNY Mathieu, arrêté et détenu à la prison centrale
de Yaoundé pour manœuvres subversives sur la base de simples soupçons, qui
s’avérèrent par la suite non fondés, demanda réparation au juge administratif, qui lui
répondit tel que sus mentionné. Cette position du juge, mainte fois réitérée par une
jurisprudence ultérieure abondante2096, reste inchangée jusqu’à ce jour. Elle demeure la
même qu’il s’agisse d’opérations préalables au jugement ou de dommages causés par des
décisions de justice. Car « en droit positif camerounais, les décisions de justice passées
en force de chose jugée ont force de vérité légale. » C’est du moins ce que semble
affirmer le juge dans l’affaire Dame AOUA ADJA. Bien que cette affaire ne porte pas
sur le domaine de la police administrative, elle est révélatrice de l’état du droit en la
matière. Dame AOUA ADJA ayant vu son dossier simplement classé par le juge à qui
elle demandait justice, assigna l’Etat devant le juge administratif aux fins d’obtenir
réparation. Ce dernier déclara en l’instance : « un tel grief qui met en cause le
fonctionnement du service judiciaire ne peut être interprété comme une violation de la
loi par l’Etat ; au surplus, le principe de la séparation des pouvoirs interdit au juge
administratif de statuer sur des actions qui mettent en cause le fonctionnement des
tribunaux judiciaires. Qu’il échait par suite à la Cour de se déclarer

2095
Arrêt n° 19/C.F.J. /A.P. du 16 mars 1967, Tagny Mathieu c/ Etat fédéré du Cameroun oriental.
2096
Voir, dans le même sens, Arrêt n° 17/CFJ/CAY du 16 mars 1967, Mfomou Jean-Baptiste c/Etat du
Cameroun ; Arrêt n° 13/CS/CA du 5 juin 1975, Koulou Maurice c/Etat du Cameroun ; jugement n° 43/CS/CA
du 26 juin 1980, Moundoubou Théodore c/Etat du Cameroun ; jugement n° 44/CS/CA du 26 juin 1980, Yombi
Alphonse Bernard c/Etat du Cameroun ; jugement n° 45/CS/CA du 26 juin 1980, Nguiamba Daniel c/Etat du
Cameroun ; jugement Mama Melang Zacharie c/Etat du Cameroun.

609
incompétente »2097. Cette prise de position du juge est déjà en elle-même révélatrice du
minimalisme qui caractérise l’action du juge.

SECTION II - LE MINIMALISME JURISPRUDENTIEL

Au-delà de sa fonction juridictionnelle qui est de « dire le droit, trancher les


litiges »2098, on sait que le juge remplie également une fonction jurisprudentielle, qui lui
permet à la faveur des solutions juridiques qu’il dégage de par ses décisions, de poser de
véritable règles juridiques. Loin ici l’envie de rentrer dans le sempiternel débat sur
pouvoir normateur du juge2099. Ce pouvoir est de nos jours incontestable. Il permet au
juge de poser de véritables règles juridiques, aussi générales et abstraites que celles
posées par le législateur, il est vrai sur la base d’un processus différent. Le
jurisprudentiel ici renvoit donc à « l’ensemble des règles de droit qui se dégagent
implicitement ou explicitement de ces décisions mêmes »2100. Lorsqu’il statut sur des
litiges relatifs à l’exercice de la fonction de police administrative, le juge peut donc être
amené à poser des règles, de nature jurisprudentielle évidemment, qui donneraient un
aperçu fidèle de l’idée, de la conception qu’il a et même de la doctrine qu’il développe
relativement à cette activité de police administrative.

L’analyse de la jurisprudence relative à cette matière révèle donc un self restreint


de la part du juge, un minimalisme qui révèle chez lui une politique jurisprudentielle
largement en faveur de la puissance publique. Dans l’arbitrage permanent qu’il doit
effectuer entre les exigences liées au maintien de l’ordre public et celles relatives à la
garantie des droits du citoyen, le juge (administratif principalement) sacralise
généralement les premières et sacrifie les secondes. Sa jurisprudence, entendue ici
comme l’ensemble des solutions dégagées par lui de manière suffisamment concordante
sur les principales questions de la police administrative, celles de sa soumission au
principe de juridicité s’avère très minimaliste, autant en ce qui concerne la limitation du

2097
Voir arrêt n°213/CFJ/CAY du 18 août 1972 Dame Aoua Adja Garga c/R.F.C.
2098
D. D’AMBRA, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, Paris, LGDJ,
1994, 339 p.
2099
Pour une excellente synthèse récente de ce débat à la lumière justement de la jurisprudence administrative
camerounaise, on consultera avec intérêt : A.R. ATEBA EYONG, le juge administratif et la création du droit :
essai sur l’élaboration jurisprudentielle du droit administratif camerounais, thèse de doctorat/PhD en droit
public, 2013-2014, 844 p.
2100
M. Van de KERCHOVE, « Jurisprudence et rationalité juridique », APD, T.30, 1985, p.207, cité par A.R.
ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit…, thèse précité, T.1, p.50.

610
pouvoir de police administrative que la protection des droits et libertés des citoyens. Ce
minimalisme jurisprudentiel en matière de police administrative s’oriente vers deux
pôles incompressibles : le contrôle de légalité et le contrôle de responsabilité. Du côté du
contrôle de légalité, le minimalisme du juge se caractérise par un contrôle léger, très
succinct et même toute juste sommaire des mesures de police administrative. Le contrôle
de la légalité de ces mesures est donc à considérer sous le prisme de l’assouplissement.
Quand au contentieux de pleine juridiction, il révèle un amenuisement du principe de
responsabilité patiemment entretenu par le juge.

Il faut dire, au sujet du contentieux de la police administrative en général, qu’il


n’est pas suffisamment développé autant en quantité qu’en qualité. Aussi, pour se donner
une idée exacte de la situation jurisprudentielle y relative, il a fallu s’inspirer des
tendances générales de la jurisprudence administrative, lesquelles concernent aussi la
police administrative. Ces tendances jurisprudentielles générales, ajoutées aux données
jurisprudentielles spécifiques à la police administrative révèlent un assouplissement du
principe de la légalité et un amenuisement du principe de responsabilité.

I. LE DURCISSEMENT PAR LE JUGE DES CONDITIONS


D’ADMISSION DES RECOURS

La problématique ici abordée n’est pas celle classiquement visitée par la doctrine,
et qu’A. S. MESCHERIAKOFF caractérisait en parlant de « déclin de la fonction
administrative contentieux »2101. Au-delà de l’illogisme que recouvre la formule2102, elle
envisage l’étude du contentieux dans un sens principalement sociologique2103. Or, tel que
nous l’envisageons, la problématique des conditions d’admission des recours en matière
de police doit être abordée au plan purement juridique sous un angle spécifiquement
jurisprudentiel. Deux questions essentielles méritent d’être abordées ici. La première est

2101
A.S. MESCHERIAKOFF, « Le déclin de la fonction administrative contentieuse au Cameroun, précité, …
il s’agit de la problématique de l’enracinement d’une culture juridique au sein de la société camerounaise,
mesurable à travers la considération du volume des recours contentieux.
2102
Illogisme provenant du fait que l’auteur parle de déclin d’une fonction administrative contentieuse en 1980,
c’est-à-dire 20 ans seulement après les indépendances, c’est-à-dire dans un Etat à peine naissant, et donc en
début de construction. Le doyen J.M. BIPOUN peut donc lui demander malicieusement mais non moins
pertinemment et à juste titre quand cette fonction (administrative contentieuse) s’est-elle d’abord formée ?
Pour montrer le caractère malvenu de la question posée. Cf : J.M BIPOUM WOUM, « La représentation de
l’Etat en justice au Cameroun », précité.
2103
Sur cette dimension, voir justement A.S. MESCHERIAKOFF, « Le déclin de la fonction administrative
contentieuse, précité ; mais aussi : D. MBARGA NYATTE, Les difficultés du contrôle juridictionnel de
l’administration au Cameroun, Thèse Nouveau régime, Aix Marseille, 1994.

611
relative à la compétence et la seconde porte sur les conditions de recevabilité des recours
juridictionnels. La première question est celle de savoir comment le juge conçoit-il sa
compétence en matière de police ? Quelle lecture peut-on faire de sa jurisprudence ? La
seconde question est similaire. Elle consiste à savoir comment peut-on analyser la
jurisprudence du juge sur les conditions de recevabilité des recours contentieux ? On
peut alors observer, de part et d’autre, une tendance auto limitative et restrictive du juge,
du fait de sa rigidité sur les conditions d’admission des recours.

A. Une interprétation limitative des règles de compétence.

Depuis la réforme de la juridiction administrative entamée en 19962104 et


poursuivie en 20062105, on tend à observer comme une clarification des règles de
compétence dans le domaine du maintien de l’ordre et donc de la police administrative.
En mettant désormais dans le champ de compétence du juge administratif « les litiges
relatifs au maintien de l’ordre »2106, le législateur a sans doute donné un début de
solution à plusieurs tergiversations jurisprudentielles sur la compétence contentieuse en
matière de police administrative. Mais a-t-il donné toute la solution ? Il est permi d’en
douter, tant la jurisprudence semble incertaine sur la voie à suivre. En particulier, dans le
domaine de la police administrative, des doutes peuvent subsister en ce qui concerne le
contentieux de la police des médias et le contentieux des actes matériels de police. En
ces deux domaines, les juges entretiennent une incertitude que la consécration d’un
contentieux spécial relatif au maintien de l’ordre public en faveur du juge administratif
ne suffit pas à dissiper. Une telle incertitude ne peut qu’être de nature à porter atteinte à
la sécurité juridique des citoyens en réduisant leurs chances d’accès au juge, en cas de
violation de leurs droits par les mesures de police. Méritent donc d’être posé ici le
problème du juge compétent en matière de police des médias ainsi que celui relatif au
contentieux des actes matériels de police.

2104
A la faveur de la réforme du 18 janvier 1996, qui crée les tribunaux administratifs
2105
Par l’adoption de deux lois importantes, la loi N°2006/016 du 25 décembre 2006 fixant l’organisation et le
fonctionnement de la cour suprême et la loi N°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le
fonctionnement des tribunaux administratifs. Mais cette réforme ne sera véritablement achevée qu’en 2012 à
travers le décret n°2012/119 du 15 mars 2012 portant ouverture des tribunaux administratifs.
2106
Article 2 (3) de la loi N°2006/022

612
1. Le problème du juge compétent en matière de police des médias

Les données du problème sont simples. La loi n°90/052 du 19 décembre 1990


relative à la liberté de communication sociale confiait en ses articles 14 et 17, le
contentieux de la censure, des saisies et interdictions des journaux au « juge
compétent »2107, sans aucune spécification. Et comme le note si pertinemment la doctrine
« une indication de la compétence juridictionnelle aussi vague dans un pays où il
existe deux ordres de juridiction(…) et dans une matière où les deux ordres de
juridictions pouvaient être considérés selon le cas, comme compétents, n’a pas
beaucoup encouragé les plaideurs à engager une action en justice »2108. La question à
laquelle il fallait donc répondre ici était celle de savoir ce qu’il fallait entendre par « juge
compétent », était-ce le juge administratif ou le juge judiciaire ?

Cette incertitude ne tarda pas à se confirmer au plan jurisprudentiel. En 1991 en


effet, saisi par le journal Le Messager de deux demandes en référé pour que soient
prononcées des mesures conservatoires relativement à la censure de deux de ses numéros
par l’administration, la chambre administrative de la cour suprême se déclara
incompétente2109. D’abord parce que la loi de 1990 ne prévoyait pas de procédure de
référé. Ensuite, parce que même si cette procédure avait été prévue, la démarche n’eut pu
prospérer d’avantage, la loi prévoyant que les mesures relatives au maintien de l’ordre ne
puissent faire l’objet ni d’une procédure de référé, ni de l’octroi d’un sursis à
exécution2110. Il s’agissait donc d’un « saine application de la loi »2111.

Mais l’étendue de l’incompétence du juge mérite d’être ici précisée, car, il ne


déclare pas son incompétence sur la connaissance de la mesure de saisie du journal le

2107
Les dispositions législatives sont ainsi énoncées : art.14 « chaque organe de presse est astreint au dépôt
administratif (…) ces numéros de journaux ainsi de posés peuvent faire l’objet de censure partielle ou totale
pour atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. La décision de censure est susceptibles de recours
devant le juge compétent qui doit s’astuce dans un délai d’un (01) mois à compter de la date de sa saisine ».
art.17 (1) « en cas d’atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs : - la saie d’un organe de presse peut
être prononcée par l’autorité administrative territorialement compétente ; l’interdiction d’un organe de
presse peut être prononcée par le ministre de l’administration territoriale » (2) « toutefois, la décision de
saisie ou d’interdiction est susceptible de recours dans les conditions prévues à l’article 14 ci-dessus ».
2108
P. TCHINDJI, « Le sort de la liberté dans la législation camerounaise sur la liberté de communication
sociale », AFSJP, Tome II, pp.77-99, précisément, p.87.
2109
Voir ordonnances de référé n°12/OR/CS/PCA/90-91, 07 janvier 1991, affaire le messager c/Etat du
Cameroun et n°13/OR/CS/PCA/90-91 du 20 mars 1991, affaire le Messager contre état du Cameroun.
2110
Conformément à l’article 122 de la loi n°75/17 du 18 décembre 1975 fixant la procédure devant la cour
suprême statuant en matière administrative.
2111
B.R GUIMDO DONGMO, « Note sur l’ordonnance de référé n°13/OR/PC/90-91 du 25 avril 1991, affaire
journal le Messager c/Etat du Cameroun, in Juridis in pas n°117, janvier – février –mars 1994 », p.56

613
messager, mais sur la connaissance de cette mesure dans le cadre du contentieux de
l’urgence. C’est dire que si le journal avait saisi le juge dans le cadre du contentieux
ordinaire, le juge administratif se serait certainement reconnu compétent. Aussi peut-on
penser qu’à l’occasion de cette affaire, le juge a interprété la notion de « juge
compétent » comme renvoyant à lui, juge naturel de la légalité des actes administratifs
dont font partie les mesures de censure, de saisie et d’interdiction de journaux2112.

Mais cette fragile et implicite clarification sera remise en cause, accentuant ainsi
l’incertitude et le flou autour du juge compétent ici. On replonge dans l’incertitude
d’abord à travers une réforme législative intervenue en 1996 2113. La modification de la
loi de 1990 par celle de 1996, plutôt que de clarifier la situation, accentue la confusion
en gardant la notion de « juge compétent » et en introduisant une procédure de référé
« d’heure en heure », ou « suivant les dispositions légales analogues en vigueur dans
les provinces du Nord-ouest et Sud-ouest ». Que penser de tout cela ?

D’abord, on peut penser que le maintien de la notion de juge compétent signifie


que le législateur a voulu maintenir ce contentieux dans le champ de compétence du juge
administratif, conformément à l’interprétation faite dans la jurisprudence Le
Messager2114. Mais la notion de référé d’heure en heure peut invalider cette
interprétation, car on peut penser, comme cela a été le cas de certains analystes, que
«cette précision semble exclure d’office la juridiction administrative »2115, qui serait
« inconnue » dans la partie anglophone du pays. De plus, la doctrine considère que
l’incompétence du juge administratif « tient à l’idée que le référé d’heure en heure est
inconnu de la procédure administrative. Il s’agit d’une notion particulière au droit
privé qui permet au juge de statuer avec une grande célérité »2116. Cette interprétation a
été confortée par la jurisprudence ultérieure du juge judiciaire. Ce dernier s’est déclaré
compétant pour connaître d’une mesure de saisie du journal « Mutation », et a ordonné la

2112
Il ne fait aucun doute en effet que les mesures de censure de saisie ou d’interdiction de journaux soient des
mesures administratives.
2113
Voir la loi n°96/04 du 4 janvier 1996 portant modification de la loi N°30/052 1990 sur la liberté de
communication sociale.
2114
Dans cette affaire, on peut penser que l’incompétence déclarée du juge administratif tient uniquement à une
méprise stratégique du recourant qui, au lieu d’emprunter la voie d’un contentieux ordinaire de la légalité, a
voulu, peut-être pour gagner du temps, emprunter la voie du contentieux de l’urgence.
2115
A. MAKOUGOUM, Ordre public et libertés publiques en droit public camerounais. Contribution à
l’étude de la construction de l’Etat de droit du Cameroun depuis 1990, thèse de Doctorat/Ph.D en droit public,
2013-2014, p.248.
2116
Idem, à la même page.

614
levée de la saisie arrêtée par le gouverneur du centre2117. Le juge s’appuie alors sur
l’article 17 al. 2 de la loi n°96/04 du 04 janvier 1996, en estimant que « en matière de
référé d’heure en heure, le seul juge compétent était le président du tribunal de
première instance »2118. Cette décision sera confirmée en appel2119.

Si on peut saluer cette décision qui semblait mettre fin à un déni de justice qui ne
disait pas son nom, il convient de dire qu’elle ne règle pas vraiment le problème. Car on
peut considérer qu’à travers les jurisprudences « Le messager » et « Mutations », les
juges administratif et judiciaire se déclarent tous compétents pour connaître des mesures
d’interdiction et de saisie des journaux. Car le juge administratif, s’il avait été à nouveau
saisi en 1997 par le journal Mutations, rien ne dit qu’il ne se serait pas déclaré
compétent. Car contrairement à ce qui est argué, non seulement il a toujours existé une
juridiction administrative dans la partie anglophone, au moins depuis la mise en place de
la cour fédérale de justice en 1961, ce qui y introduisait le contentieux administratif2120,
mais aussi, la notion de référé d’heure en heure n’est pas vraiment inconnue du juge
administratif2121. En France, elle permet de rendre efficace un contentieux de la police
administrative dans lequel l’urgence apparaît de plus en plus comme la clé. Aussi doit-on
considérer que la question du juge compétent n’est pas ici tranchée, d’abord parce que la
décision prise dans l’affaire Mutations demeure à ce jour isolée 2122, ensuite parce que la
loi de 2006 donne désormais au juge administratif compétence pour connaître des actes
relatifs au maintien de l’ordre public au rang desquels les mesures de saisis et
d’interdiction des journaux. A moins que l’on ne considère que la loi de 2006 pose un
régime général, la loi de 1990 modifiée en 1996 fixant un régime spécial, le premier
revenant au juge administratif et le second au juge judiciaire, ce qui n’est pas du tout
assuré. Dans tous les cas, l’incertitude demeure ici, et la compétence reste équivoque.

2117
L’arrêté du gouverneur de la province du centre était ainsi libellé : « est ordonnée sur l’ensemble de
l’étendue de la province du centre pour trouble à l’ordre public, la saisie du journal dénommé « Mutations »
n°36 du 10 mars 1997 ».
2118
Voir ordonnance de référé du 04 juillet 1997, affaire Mutations c/Etat du Cameroun.
2119
Cour d’appel de Yaoundé, arrêt du 24 octobre 1997, affaire Mutations c/Etat du Cameroun.
2120
En vérité, bien que créée en 1961, par la constitution fédérale, ce n’est qu’en 1965 que la Cour fédérale de
justice, ayant reçu des compétences en matière de contentieux administratif, fera l’objet de création d’une
chambre à BUEA, chargée avec celle de Yaoundé de connaître en premier ressort du contentieux administratif.
La partie anglophone du Cameroun connaît donc bel et bien le contentieux administratif.
2121
Si on se réfère à la panoplie des différents types de référés mis en œuvre par exemple en France qui, même
sans le nom, s’apparentent à ce que le juge judiciaire connait comme étant le référé d’heure en heure.
2122
Il n’existe en effet, dans la jurisprudence administrative, aucune autre décision analogue à celle de 1997,
dans la jurisprudence judiciaire

615
2. Le problème du contentieux des actes matériels de police

Il est classique de présenter les actes de l’administration dans deux catégories, à


savoir d’une part les actes juridiques, et d’autre part les actes matériels. L’acte juridique
est alors généralement défini comme une « opération juridique (negotium) consistant
en une manifestation de la volonté (publique ou privée, unilatérale, plurilatérale ou
collective) ayant pour objet et pour effet de produire une conséquence juridique
(établissement d’une règle, modification d’une situation juridique, création d’un droit,
etc.2123). » Ainsi, « l’acte juridique est une manifestation de volonté ayant pour but et
pour effet d’apporter une modification de l’ordonnancement juridique2124. »

Quand aux actes matériels, ils sont très rarement définis, la doctrine se
comportant comme si cette « dénomination même se suffisait à elle-même et en disait
suffisamment long sur la chose dénommée2125. » On peut néanmoins les considérer
comme désignant, si l’on s’en tient à une certaine doctrine, « l’ensemble des actes autres
que les actes juridiques, les faits juridiques étant alors implicitement considérés
comme une simple sous catégorie de ces actes matériels2126.» L’essentiel des ouvrages
de droit administratif se font l’écho de cette immutable présentation traditionnelle depuis
des siècles, malgré les critiques virulentes d’une partie de la doctrine2127
contemporaine2128, celle-ci considérant que cette présentation « brille par son absence de
clarté2129 ». Elle manque en effet de valeur heuristique, elle ignore le fait que « le

2123
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris, P.U.F., Quadrige, 2003, p. 16.
2124
A. De LAUBADERE, J.-C. VENEZIA, Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif, tome I, 9e édition,
Paris, L.G.D.J., 1984, p. 19.
2125
AMSELEK Paul, « L’acte juridique à travers la pensée de Charles EISENMANN » in Paul AMSELEK,
(Dir.), La pensée de Charles EISENMANN, Paris, ECONOMICA/PUAM, 1986, p. 37.
2126
Ibid. Notons ici avec Paul AMSELEK que la doctrine n’est pas très assurée dans sa définition, car tantôt
elle considère les actes matériels comme « l’ensemble des actes autres que les actes juridiques…, » tantôt
« les actes matériels sont opposés à la fois aux actes juridiques et au faits juridiques, et sont présentés
comme des actes ne produisant aucun effet de droit, à la différence des deux autres catégories »
2127
C. EISENMANN, Cours de droit administratif, Paris, L.G.D.J., tome I, 1982, p. 361 et s. (Cours 1954-
1955), et tome II, 1983, p. 181 s. (Cours 1949-1950), etc.
2128
Alors que EISENMANN, sur la base de la « théorie pure du droit, » et de l’école viennoise de droit, fait
progresser remarquablement la doctrine en la matière en proposant une démarche constructive, pour considérer
les actes juridiques comme des actes normateurs que le droit habilite à effectuer, le Professeur AMSELEK,
s’inspirant de la « théorie des actes de langage, » (J. L. AUSTIN, Quand dire c’est quand faire, trad. Fr. Gilles
LANE, Ed. du Seuil, Paris, 1970 ; J. R. SEARLE, Les actes de langage, trad. Fr., Hélène PAUCHARD,
Hermann, Paris, 1972) va plus loin pour considérer les actes juridiques comme « des actes de dire (ou des
succédanés d’actes de dire) institués par la réglementation juridique pour l’exercice de compétences
d’autorité publique ou non publique ; ces actes de dire ont vocation à manifester soit la prescription de
normes, de commandements ou de recommandations à suivre, et notamment de commandements ou de
recommandations juridiques, soit l’établissement de certaines situations appelant le jeu de régimes
juridiques correspondants déjà prescrits ou, le cas échéant, à prescrire. » op cit., p. 65
2129
AMSELEK Paul, « L’acte juridique à travers la pensée de Charles EISENMANN » op cit, p. 38.

616
concept d’acte juridique est un instrument pour la description du droit, des régimes
juridiques, et non pour l’étude et la typologie des actes humains2130. »

Sans vouloir rentrer dans cette controverse qui a mobilisé les spécialistes les plus
réputés de la doctrine française, il était utile d’évoquer le débat, afin de bien situer le
sens dans lequel nous emploierons le vocable « actes matériels.» Il ne s’agit pas ici d’un
emploi au sens technique, mais dans une acception purement pratique, pour désigner ces
actes que l’administration est appelée à effectuer elle-même, sur le terrain, et dont les
forces de police se font généralement les auteurs. Plus simplement, en dehors des actes
purement juridiques que les autorités de police sont amenées à prendre2131, il ya un autre
type d’actes qui sont en général des actes d’exécution des actes juridiques et qui exigent
l’accomplissement de certaines taches matérielles. Ce sont eux que nous visons ici à
travers les actes matériels de police. Monsieur Henri JACQUOT ne dit pas autre chose
lorsqu’il affirme : « Tout comme les actes juridiques, de simples opérations matérielles
peuvent avoir des conséquences juridiques : si l’administration cause par exemple un
dommage à un tiers en effectuant telle ou telle opération, elle sera juridiquement
obligée de le réparer2132. » Au plan quantitatif, ces actes sont au moins aussi importants
que les actes juridiques, pour parler comme la doctrine classique. Ils occupent donc une
place quantitativement très importante au sein des actes de police administrative.

Le moins que l’on puisse dire à ce niveau de l’analyse, c’est que le droit
camerounais de la responsabilité publique révèle en la matière un quasi déni de justice,
consacrant de facto une irresponsabilité de la puissance publique en la matière. Quand on

2130
Idem, p. 34
2131
Nous voulons en fait parler ici des actes de dire, qu’on pourrait opposer aux actes de faire, si l’on n’est pas
d’accord pour dire qu’un acte de faire est, en fait, un acte de dire.
2132
H. JACQUOT, op cit. p.23. Il est vrai que l’auteur fait une distinction entre actes juridiques et actes
matériels qui ne résiste pas à la critique. L’auteur soutien que « même si elles peuvent produire des effets de
droits, ces opérations matérielles que l’on qualifie de « faits juridiques » ne doivent pas être confondues
avec les actes juridiques. En effet, dans l’opération matérielle l’effet juridique est, si l’on puis dire
« accidentel » : il n’est pas le but que l’administration poursuivait en effectuant l’opération. » Et l’auteur de
prendre un exemple : « si, par exemple, une unité de l’armée camerounaise blesse des particuliers en
effectuant des exercices de tir sans respecter les consignes de sécurité, la responsabilité de l’Etat peut être
engagée. Mais ce n’est évidemment pas le but que poursuivait cette unité en effectuant ces exercices.» Cette
affirmation est critiquable à plusieurs points de vue. D’abord, il est curieux de vouloir comparer deux éléments
dont la nature est différente, d’un coté un acte et de l’autre un fait. Soit on considère que les deux éléments ont
une nature différente et on ne les compare pas, soit on considère que les deux éléments partagent une nature
identique et il est alors vain de vouloir les séparer. C’est d’ailleurs cette deuxième hypothèse qui semble plus
proche de la réalité. En effet, en situant la distinction entre actes juridiques et faits juridiques au niveau des
effets voulus et non voulus, l’auteur ne peut échapper à la question de savoir comment qualifier la situation de
celui qui se suicide pour faire bénéficier un proche d’une assurance maladie. Il s’agit là bel et bien d’un fait
juridique. Mais peut-on soutenir qu’il est dépourvu de tout élément volontaire ?

617
sait la diversité et l’extrême multiplicité des actes ici concernés, l’on peut alors se faire
une idée de l’atteinte qui est portée aux droits et libertés des citoyens, et corrélativement,
le rôle premier accordé au maintien de l’ordre public. Là encore, le principe de
responsabilité s’en trouve réduit à sa portion la plus infime, se voit réduit comme une
peau de chagrin.

Le problème de la responsabilité (ou de l’irresponsabilité) de la puissance


publique du fait des actes matériels comporte une ou des origines textuelles qu’il est
important de relever, d’entrée de jeu. Nous situons nos investigations à la période où le
Cameroun commence à prendre son destin en main2133, c’est-à-dire à ce que l’on a
appelé l’autonomie interne. En fait, le problème dont il s’agit est posé par le mode
d’édiction des dispositions fixant la compétence des différentes juridictions, surtout en
ce qui concerne la responsabilité de la puissance publique. Si l’on examine par exemple
les compétences du Tribunal d’Etat2134 qui est la toute première juridiction proprement
camerounaise, on lit à l’article 4 du décret du 4 juin 1959 que cette juridiction connait de
tout le contentieux administratif en premier et dernier ressort2135. Ces dispositions ne
posent pas de difficultés pour ce qui est de la responsabilité de la puissance publique
pour les dommages causés par les actes matériels. On peut déduire en effet des
dispositions générales du texte, qui pose une clause générale de compétence, que la
responsabilité de l’Etat du fait des dommages causés par les actes matériels fait partie du
contentieux administratif, et donc est de la compétence du Tribunal d’Etat, juge
administratif de premier et dernier ressort.

La réunification des deux Cameroun ayant conduit à la création d’une nouvelle


juridiction administrative, à savoir la Cour fédérale de Justice, celle-ci rendra nécessaire
une réorganisation des compétences. S’agissant du problème de la réparation des

2133
Avant cette période en effet, la responsabilité est régie par les règles du droit français. C’est en effet le
Conseil d’Etat qui est à cette période juge du contentieux de l’excès de pouvoir, et qui connait en appel des
autres contentieux. Quand au contentieux local, dont fait partie celui des droits, il est de la compétence du
Conseil du Contentieux Administratif, juridiction administrative de droit commun créée par le décret du 14
avril 1920.
2134
Juridiction créée par le décret du 4 juin 1959
2135
Cette situation n’était pas sans poser des problèmes, en ce qui concerne surtout la qualité de la justice
administrative, en raison de l’absence d’un double degré de juridiction. Le législateur y apportera un correctif à
la faveur de la loi du 20 juin 1961(voir, J.O.R.C., 13 juillet 1961, p. 805) qui rétablira le double degré de
juridiction, en posant à l’article 2 du texte que, « la Cour Suprême du Cameroun Oriental connait des
pourvois en annulation formés contre les arrêts du Tribunal d’Etat », même si on peut s’interroger sur le
maintien, à l’article premier, de la disposition selon laquelle « le jugement de contentieux administratif relève
en premier et dernier ressort du Tribunal d’Etat qui siège à Yaoundé »

618
dommages causés par les actes matériels de l’administration, les textes s’avèrent
beaucoup plus clairs. A la suite de la loi constitutionnelle du 1er septembre 1961, qui
disposait en son article 33 que « la Cour Fédérale de Justice est chargée : 3°de statuer
sur les recours en indemnité ou en excès de pouvoir dirigés contre les actes
administratifs des autorités fédérales2136 », l’ordonnance n° 61/OF du 4 octobre 1961
fixant la composition, les conditions de saisine et la procédure devant la Cour Fédérale
de Justice va beaucoup plus loin dans la clarification de la compétence en matière de
réparation des préjudices causés par les actes matériels de la puissance publique. Elle
vise en effet en son article 16 « les actions en réparation du dommage causé à la fois
par les actes administratifs et les faits juridiques. » Sous réserve de la situation
jurisprudentielle, on peut affirmer sans risque de se tromper que jusqu’à ce niveau, les
textes sont suffisamment clairs.

Malheureusement, le doute commence à se faire jour dans le texte même de


l’ordonnance du 4 octobre 1961, qui pose en son article 16 que « les demandes
d’indemnités, dommages-intérêts ou réparations de toute nature fondées sur la
responsabilité de la République Fédérale à raison d’actes administratifs ou de faits
juridiques sont obligatoirement soumises avant tout recours contentieux au ministre
fédéral désigné par l’article premier, qui dispose d’un délai de trois mois pour prendre
une décision sur le principe du droit à réparation. Si celui-ci est reconnu, d’un second
délai de trois mois pour fixer le montant. » Cette disposition, en confiant à
l’administration elle-même le soin de réparer les préjudices causés par ses actes
matériels va donner le la à tout un imbroglio sur cette question. La suite confirmera cette
hypothèse car, au plan textuel tout au moins, les règles postérieures accentueront ce flou,
lequel ne sera point dissipé par la jurisprudence, comme nous le verrons plus loin.

C’est d’abord la loi n° 65/LF/29 du 19 novembre 1965, portant réforme du


contentieux administratif, qui amorce la pente régressive, en revenant à la clause
générale de compétence, dont on sait qu’elle n’est pas du tout suffisamment exploitée
par le juge administratif camerounais dans le sens d’une affirmation de sa compétence.
Elle pose en son article 14 alinéa 1 que « la Cour Fédérale de Justice connait de
l’ensemble du contentieux administratif à l’encontre de la République fédérale, des
Etats fédérés, des collectivités publiques et établissements publics, » et que le
2136
Notons ici l’exclusion des actes administratifs des autorités des Etats fédérés

619
contentieux administratif comprend… « Les actions en indemnisation du préjudice
causé par un acte administratif »2137. Or, de tout temps, le droit camerounais a toujours
consacré une conception restrictive de l’acte administratif, l’assimilant aux seuls actes
juridiques de l’administration, excluant par là tous les actes matériels dont le potentiel
liberticide est au moins aussi important que celui des actes qualifiés de juridiques, en
raison par exemple du fait qu’ils conduisent en général à un contact physique entre les
représentants de l’administration et les destinataires de son activité.

C’est cette architecture qui sera, à quelques éléments près, reprise par
l’ordonnance du 26 juin 19722138, et qui régira le contentieux administratif camerounais
pendant près d’un tiers de siècle. C’est d’abord la Constitution du 2 juin 1972 qui, en son
article 32, confie à la Cour Suprême le soin de « statuer souverainement : 3- sur les
recours en indemnité ou en excès de pouvoir dirigés contre les actes administratifs. »
La clause générale de compétence est reprise par l’ordonnance de 1972, moyennant une
nuance de taille ; après avoir posé en son article 9(1) que «la Cour suprême connait de
l’ensemble du contentieux administratif à l’encontre de l’Etat, des collectivités
publiques et établissements publics », elle prend sur elle, par la suite, d’énumérer les
domaines de compétence du juge administratif, dont font partie les actions en
indemnisation du préjudice causé par un acte administratif. La doctrine camerounaise a
eu déjà à fustiger cette technique d’énonciation des règles de compétence du juge
administratif2139, car elle abouti à la prise en considération par ce dernier de la seule
énumération, au détriment de la clause générale de compétence. Or l’on sait que toute
énumération est forcément limitative, ce qui contribue à restreindre le champ de
compétence du juge, autolimitation qui s’apparente à une véritable politique
jurisprudentielle. C’est cette politique jurisprudentielle qui amène le juge à continuer de
ne considérer comme actes administratifs que les seuls actes juridiques de
l’administration, laissant ainsi les victimes des dommages causés par les actes matériels
de police sans recours, consacrant de facto une irresponsabilité de la puissance publique
en la matière.

2137
Article 14, alinéa 2(b)
2138
Voir Ordonnance n° 72/6 du 26 aout 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême, Modifiée par la loi n°
76 /28 du 14 décembre 1976
2139
Lire : ABA’A OYONO J. C., La compétence de la juridiction administrative en droit camerounais, Thèse
Droit Public, Université de Nantes, 1994, 509 p.

620
La conséquence principale de l’énonciation équivoque des textes est la
consécration factuelle de l’irresponsabilité de la puissance publique en matière de
dommages causés par ses actes matériels. En effet, la recherche montre que ni le juge
administratif, ni le juge judiciaire ne sont enclins à connaitre des recours en réparation
des dommages causés par les actes matériels.

S’agissant d’abord du juge administratif, il aurait bien pu, même sur la base des
textes sus évoqués, procéder à une interprétation constructive, pour affirmer sa
compétence en la matière. En le chargeant en effet de connaitre des actions en
indemnisation des dommages causés par « les actes administratifs », le législateur n’a
certes pas visé expressément les actes matériels, mais il ne les a pas non plus exclus. La
notion d’acte administratif renferme en effet tous les actes, c’est-à-dire tous les
agissements de l’administration qui ont des conséquences sur la vie et la situation des
administrés. Au lieu de le faire, il s’est attelé à construire une politique jurisprudentielle
d’autolimitation. C’est ainsi que la notion d’acte administratif est strictement définie par
le juge administratif. Il l’appréhende comme « un acte juridique unilatéral pris par une
autorité administrative, dans l’exercice d’un pouvoir administratif, et qui crée des
droits et des obligations pour les particuliers sans leur consentement »2140. Ainsi, non
seulement le juge exclu de la catégorie des actes administratifs les actes administratifs
contractuels, mais en plus, il consacre en la matière le seul critère organique, à
l’exclusion du critère matériel. Cette option réduit de manière considérable son champ
de compétence, et par là même les possibilités de recours des justiciables, à l’image
d’ailleurs du role joué en ce domaine par les conditions de recevabilité. Il faut
néanmoins dire sur ce point que la loi de 2006, en confiant au juge administratif les
litiges relatifs au maintien de l’irdre public, a réglé définitivement la question. Il reste
simplement que la jurisprudence suive cette voie.

B – Une conception restrictive des conditions de recevabilité

Le juge, surtout administratif, par sa jurisprudence, restreint considérablement les


conditions de sa saisine. La doctrine le souligne ici de manière quasi unanime. Elle
évoque « l’obstruction des voies d’accès au prétoire »2141, « la restriction des voies

2140
CFJ/AP, arrêt n°20, 20 mars 1968, Ngongang Njanke Martin c/Etat du Cameroun.
2141
M. ONDOA, Le droit de la responsabilité publique dans les Etat en développement…, op cit., p.144.

621
processuelles de sanction de l’administration »2142 par une « majoration des difficultés
de la saisine »2143, bref il semble difficile de contester ici l’idée d’une véritable
limitation du droit d’accès à la justice administrative par une « application contestable
des exigences procédurales »2144.

La question de la recevabilité des recours et importante. Elle « se situe à un stade


intermédiaire entre la question de savoir si la juridiction saisie est compétente et celle
du bien fondée de la prétention soumisse au juge »2145. D’un point de vue général, la loi
dispose que « la requête introductive d’instance doit contenir les noms, prénoms,
profession et domicile du demandeur, la désignation du défendeur, l’exposé des faits
qui servent de base à la demande, les moyens et l’énumération des pièces produites à
l’appui de la demande »2146. C’est pour cette raison que le juge considère qu’une requête
dont « il ne ressort de l’exposé des faits, ni les moyens, ni même une demande
quelconque »2147 est irrecevable.

Mais au-delà de ces conditions qu’on pourrait qualifier d’ordre général, il existe
d’autres conditions plus spécifiques, relatives à la capacité, à l’intérêt, à la qualité et au
respect des délais, principalement2148.

Au total, si on considère tant les conditions générales que spécifiques, on pourra


dire que « les conditions de recevabilité de la demande en justice sont au nombre de
quatre : la capacité, le délai, l’intérêt et la qualité et les dernières attachées au contenu
même de la demande »2149. Ces conditions sont exigées de l’ensemble des recours ou
requêtes qui sont adressés au juge, quel qu’il soit. Aussi, les recours dans le domaine de
la police administrative ne fait pas exception. De toutes les conditions évoquées, la
capacité, l’intérêt, la qualité et les délais méritent une attention particulière parce que le
juge administratif développe à leur égard une jurisprudence particulièrement pointilleuse
et donc restrictive, qui aboutit à un nombre considérable d’irrecevabilités, rendant du
même coup son accès particulièrement difficile. Cette jurisprudence affecte de manière
2142
A.R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit…, op cit., p.407.
2143
Idem, p. 408.
2144
B.R GUIMDO DONGMO « Le droit d’accès à la justice administrative…, op cit., p. 193.
2145
R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 13e éd. 2008, p.387.
2146
Article 35(1) de la loi n°2006/022 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs.
2147
CS/CA, jugement n°98/2009, 25 mars 2009, Pharmacie NGOS/ La Caisse Nationale de Prévoyance
Sociale (CNPS).
2148
Cf. Supra.
2149
J.C. KAMDEM « L’intérêt et la qualité dans la procédure administrative contentieuse », in RCD N°28,
1984, p.59-60.

622
particulière la police administrative dont on a déjà souligné la tendance à l’absolution
par le juge. De manière encore plus particulière et à titre illustratif, sera analysée ici la
façon dont le juge traite de la qualité et de l’intérêt pour agir, tout comme le sort qu’il
réserve à l’épineuse question des délais. Nous verrons d’une part, s’agissant de la qualité
et de l’intérêt pour agir que le juge développe une jurisprudence extrêmement limitative,
et d’autre part s’agissant des délais, que son pointillisme tend à rejeter pour forclusion un
nombre considérable de recours. Le tout contribuant à consolider un contrôle très
minimal de l’activité de police administrative.

1. Une conception restrictive de la capacité de la qualité et de l’intérêt pour


agir

La capacité l’intérêt et la qualité pour agir font l’objet d’un traitement particulier
de la part du juge administratif camerounais, mais dans un sens négatif, c’est-à-dire qui
réduit considérablement les possibilités de voir les recours déclarés recevables par le
juge. Il pose tout d’abord une règle de base à savoir que « (…) pour qu’une action soit
recevable en justice il faut que son auteur ait outre la capacité et la qualité, un intérêt
à agir »2150. Ensuite, le traitement qu’il fait de chacune de ces conditions va contribuer à
transformer celle-ci en un élément processuel dissuasif.

La capacité tout d’abord. Bien que la doctrine observe qu’elle « ne semble pas
avoir fait l’objet de développements jurisprudentiels très substantiels de la part du juge
administratif jusqu’ici »2151, on peut néanmoins se demander si le juge n’a pas en la
matière une conception restrictive ? La capacité d’agir en justice est « la condition sans
laquelle il est, en principe, exclu que le requérant puisse valablement prendre lui-
même la décision de saisir un tribunal »2152. En France par exemple, il arrive
fréquemment que le juge procède à une régularisation des recours dont la capacité de
l’auteur est en défaut. C’est le cas par exemple des recours formés par les mineurs mais

2150
CS/CA jugement N°155 /2009, 22 juillet 2009, Abdoulaye Mazon c/Etat du Cameroun (PR).
2151
A.R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit…, op. cit., p.419. L’auteur souligne à ce
propos que c’est à tord qu’une partie de la doctrine (J.C ABA’A OYONO, La compétence de la juridiction
administrative…, op. cit., p.98 ; J. BINYOUM, Droit administratif, op. cit., p.163, B.R. GUIMDO DONGMO,
« Le droit d’accès à la juridiction administrative… », op. cit., p. 471) a cru voir dans l’arrêt Mouelle Koula
Eitel (CFJ/SCAY, arrêt n°178, 29 mars 1978) la consécration d’un capacité des associations non déclarées ou
dissoutes à saisir le juge, n’ayant été en cause que la seule capacité personnelle du requérant.
2152
R.CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., p.440.

623
qui accèdent à la majorité dans la cours de l’instance2153, ou lorsque « le représentant
légal du mineur réitère le recours ou déclare s’approprier les conclusions
présentées »2154, ou lorsque le recours est formé par le mandataire d’une personne
physique ou morale même sans habilitation, cette dernière intervenant finalement en
cours d’instance. On constate ainsi que cette jurisprudence française est très libérale et
va donc en faveur des droits des justiciables2155.

Mais à la considération de la jurisprudence camerounaise sur cette question de la


capacité, on se rend bien compte que le juge administratif va plutôt dans un sens
contraire à celui des droits des recourants, et donc promeut les prérogatives de puissance
publique et par là les exigences liées au maintien de l’ordre. Une telle conclusion coule
de source à la lumière de la position selon laquelle « l’avocat a le monopole de la
représentation des parties devant les juridictions, que toute personne physique ne peut
se faire représenter par un mandataire de son choix muni d’une procuration dûment
légalisée que lorsque dans le ressort de la juridiction saisie le nombre de cabinets
d’avocats est inférieur à quatre »2156. De même, on peut observer que le juge
administratif, contrairement à ce qu’affirme une certaine doctrine2157, n’admet pas les
recours formés par les associations dissoutes ou non déclarées, comme argué à
l’occasion l’affaire Mouelle Koula Eitel2158

La qualité ensuite. Elle désigne le titre juridique en vertu duquel on veut saisir le
juge2159. Le problème de la qualité ne se pose pas lorsque le juge est saisi par la personne
physique dont les droits ont été violés par la mesure administrative. Mais lorsqu’il s’agit
d’un représentant d’une personne physique ou d’une personne morale, « le mandataire
doit justifier de son mandat par la production d’un acte authentique ou d’un acte sous
seing privé légalisé par l’autorité compétente »2160. Le juge administratif au regard de la
jurisprudence a toujours fait une application très restrictive de ces dispositions de la loi

2153
Idem, p.431.
2154
Ibid, p.431. CE 11 mars 1961, Laviron, p.178 ; CE 29 avril 1964, Sengelin, p. 968.
2155
CE, Section, 23 janvier 1959, Commune d’Huez, p.67, AJ 1959, 2, p.65 concl. G. BRAIBANT ; 9 janvier
1970, Commune de la Teste-de-Buch, p.12.
2156
B.R., GUIMDO DONGMO, « Le droit d’accès à la justice administrative », op cit., p.195, citant une
attitude du juge dans l’affaire Elites Banka, représentées par Mbouendeu Jean de Dieu, c/Etat du Cameroun.
2157
Idem.
2158
Voir à ce propos : A. R. ATEBA EYONG, thèse, op cit., p.419.
2159
Idem, p.420.
2160
Article 50(1) de la loi n°75/17 du 08 décembre 1975 repris mot pour mot par l’article 21 de la loi n°2006
/022 du 29 décembre 2006.

624
de 19752161 reprises in extenso par celle de 20062162. Cette jurisprudence restrictive dont
on voit déjà les termes dans l’arrêt MBOUENDEU Jean de Dieu et élites Banka c/ Etat
du Cameroun2163, s’est confirmée dans l’arrêt SENDE Joseph et UPC c/Etat du
Cameroun2164. Dans cette dernière affaire le juge administratif récuse la qualité au
Docteur SENDE de le saisir dans le sens d’un rétablissement de la légalité de l’UPC
parti politique dont ce dernier était un fervent militant. Cette règle jurisprudentielle
constante est d’ailleurs largement appliquée sauf peut-être en matière électorale
contentieuse2165. Cette règle est contraire à celle posée par le conseil d’Etat français
autant dans le cadre de sa juridiction métropolitaine2166 que dans celle qu’il exerça
pendant longtemps sur le Cameroun2167 cela montre bien que les orientations
idéologiques soit dit en passant des juges administratifs français et camerounais sont
incontestablement antithétiques. Libéralisme d’une part, autoritarisme de l’autre. La
jurisprudence du juge administratif camerounais concernant la qualité se répercute ainsi
sur celle relative à l’intérêt, en raison de la politique qu’il poursuit, mais aussi en raison
de l’extrême connexité entre les notions de qualité et d’intérêt pour agir qui fait dire à la
doctrine que la qualité est en quelques sortes « l’intérêt donnant qualité à agir »2168.

S’agissant de l’intérêt à agir enfin, on peut le définir comme étant « l’avantage


pécuniaire ou moral qu’espère obtenir le requérant en exerçant l’action en
justice »2169. Le juge administratif développe une jurisprudence restrictive en ce
domaine, puisqu’il prescrit que l’intérêt présente un caractère «direct et personnel »2170.
C’est ce qui le conduit à déclarer irrecevables les actions engagées pour la défense de la

2161
Loi fixant la procédure devant la cour suprême statuant en matière administrative.
2162
Loi 2006/022 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs.
2163
CS/CA jugement N°8/79-80, 29 novembre 1979, Elites Banka, représentées par Jean de Dieu
Mbouendeu, c/E du Cameroun.
2164
CS/CA jugement n°51/84-85, 1er février 1985, SENDE Joseph c/Etat du Cameroun.
2165
. Où le juge administratif admet des recours sur la seule base de la qualité d’électeur de la commune dans
laquelle on conteste l’élection CS/CA, Jugement n°59 du 18 juillet 1996, Epale Roger Delors c/Etat du
Cameroun.
2166
CE, 29 mars 1901 Casanova, S.1901-3-73, note Hauriou, GAJA n°8.
2167
CE, 2 Juillet 1956, M’PAYE, NGOM et MOUMIE, Recueil prenant, 1957, p.322, note LAMPUE. Dans
cette affaire, le Conseil d’Etat avait déclaré recevable le recours des requérants visant à annuler le décret de
1955 portant dissolution de l’UPC alors que le représentant légal de ce parti, Ruben Um Nyobe était toujours
en vie et n’était pas partie à l’instance.
2168
R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, précité, p.408.
2169
H. JACQUOT, Obs. sous CFJ/CAY arrêt n°188, 28 mars 1972, Wambo Telesphore c/EFCO, RCD n°3-
1973, p.60.
2170
CS/CA jugement n°97/04-05, 27 avril 2005, Touba Essama Joseph c/Etat du Cameroun (MINUH) ;
CS/CA, jugement n°79/ADD/93-94, 25 août 1994, Djinou Tchale André c/Etat du Cameroun (MINUH) ;
CS/CA jugement n°20/77-78, 27 avril 1978, Minyem Jean Flaubert c/Etat du Cameroun.

625
légalité2171 ou pour le compte d’autrui sans mandat2172. Ainsi, « non déterminés par un
quelconque texte, les critères utilisés dans la fixation, pour chaque type d’acte, du
cercle des personnes « intéressées », ont été déterminés avec la plus grande liberté par
le juge administratif qui ne les a jamais précisément explicités. L’on peut toutefois
observer, à cet égard, que lesdits « cercle d’intérêt »2173 ont été délimités d’une
manière restrictive, n’incluant à chaque fois que les sujets de droit les plus
directement et les plus immédiatement concernés par les effets d’un acte ou d’une
opération à l’exclusion de tous les autres. Le juge n’allant jamais en fait au-delà du
tout premier cercle des intéressés »2174. Si une telle rigueur du juge peut dans certains
cas se justifier, dans la plupart des cas, « elle ne fait que traduire une option de
resserrement de la voie d’accès au prétoire »2175.

Appliquées au domaine de la police administrative, ces règles jurisprudentielles


sont l’expression incontestable d’une prédilection chez le juge à développer une
conception restrictive des conditions de recevabilité des recours, rendant du même coup
dans le domaine de la police administrative, son action particulièrement minimaliste.
Ceci est renforcé par une démarche semblable en matière de délais.

2. Une fixation limitative sur le respect des délais de recours

Les juges camerounais développent une jurisprudence particulièrement restrictive


en matière de délai. Ceci contribue à limiter considérablement les recours qui font
effectivement l’objet d’un traitement au fond, en raison du nombre impressionnant
d’irrecevabilités qu’il prononce. Il n’y a pas de contentieux sans délai. Ainsi, « le respect
des délais est donc un impératif dans la procédure contentieuse. Il conditionne le
déroulement du procès, car un acte administratif non contesté devant le juge dans les
délais ne peut plus, en principe, être attaqué par voie contentieuse. Il devient définitif

2171
CS/CA Jugement n°8/79-80, 29 novembre 1979, Elites Banka représentées par Jean de Dieu
MBOUENDEU c/Etat du Cameroun.
2172
CS/CA, jugement n°31/79-80 24 avril 1980, Etong Marie Louise c/Etat du Cameroun.
2173
Expression attribuée au commissaire du gouvernement LAURENT (Conl. sous CE, 2 avril 1954, Gaebele,
Rec, p.212) par J.M. AUBY et R. DRAGO, Traité des recours en matière administrative, Paris, Litec, 1992, p.
235, cités par A. R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit…, op. cit., p.422, note 416.
2174
A.R. ATEBA EYONG, Idem, à la même page.
2175
Ibid.

626
et produit ses effets quelles que soient les illégalités qui l’affectent »2176. On sait que
« la règle du délai présente un caractère d’ordre public. Elle éteint l’action en justice.
On dit que le requérant est forclos. La forclusion étant la déchéance d’un droit non
exercé dans le délai prescrit »2177. Mais au-delà de ces règles processuelles établies, le
juge peut par sa jurisprudence interpréter les textes dans un sens soit favorable aux
recourants afin de faciliter ou de favoriser la recevabilité des recours, soit favorable à
l’administration, rigidifiant ainsi les conditions de recevabilité. L’analyse de la
jurisprudence révèle une option de la jurisprudence du juge en faveur de cette seconde
trajectoire. Il est vrai qu’en ce domaine, le juge compute les délais dans un sens assez
favorable aux recourant, en consacrant la notion de délais francs2178, qui ne prend en
compte dans le calcul ni le dies a quo, c’est-à-dire le jour de départ du délai, ni le dies ad
quem, c’est-à-dire le dernier jour du délai. Et si ce dernier tombe un jour non ouvrable,
le recours est encore recevable le premier jour ouvrable qui suit2179. Mais au délai de la
computation, et notamment en ce qui concerne la conservation ou la prorogation de ces
délais, le juge administratif développe une jurisprudence extrêmement restrictive2180.

D’abord, en ce qui concerne les règles de publicité des actes juridiques,


notamment en ce qui concerne la publication et la notification, le juge applique assez
largement la théorie de la connaissance acquise2181. En pareil cas « c’est la connaissance
de fait des décisions qui va provoquer le déclenchement du délai, à l’égard de ceux qui
en ont une telle connaissance »2182. Or, si l’application de cette théorie peut dans
certains cas être favorable aux recourants2183, dans la plupart des cas, elle leur est

2176
CS/CA, jugement du 18 décembre 1980, Atangana Nguini Jean, cité par C. KEUTCHA TCHAPNGA,
Précis de contentieux administratif au Cameroun. Aspects de l’évolution récente, Paris, L’harmattan, Coll.
Droits africains, 2013, p.171.
2177
B. MOMO, « Le problème des délais dans le contentieux administratif camerounais », précité.
2178
Telle que posée dans son principe dans : CCA, arrêt n°511, 29 septembre 1956, Sieur Ekong Yves Adolphe
c/Administration du Territoire.
2179
CS/CA jugement, n°113/2009, 03 juin 2009, Tambekou Roland et Temdia Emmanuel Penka c/Etat du
Cameroun (MINDAF) & Dame Missongui Marie Antoinette (intervenante volontaire).
2180
A. R. ATEBA EYONG, thèse, op cit., p. 424.
2181
Sur cette théorie aujourd’hui : B. SEILLER, « Les limites de la théorie de la connaissance acquise. Note
sous Conseil d'Etat, Section, 13 mars 1998, Assistance publique - Hôpitaux de Paris », RFDA 1998, p. 1184 ;
Y. CLAISSE, « Les dispositions de l'article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours
administratives d'appel sont-elles encore tenues en échec par la « théorie de la connaissance acquise » ?,
Recueil Dalloz, 1996 p. 340.
2182
R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op cit., p. 564.
2183
CS/CA, jugement n°183 /2009/BIS/S, 16 septembre 2009, Dame veuve Bindzi née Mbong Ngono Béatrice
c/Etat du Cameroun (MINDAF) ; Ord. n°28/PCA/CS/91-92, Union Nationale Camerounaise (UNC) (Stanley
Akwote Akondi c/Etat du Cameroun (MINAT).

627
défavorable2184 autant en raison de l’essence même de ce principe que de l’application à
laquelle elle donne lieu par le juge administratif lui-même. C’est ainsi par exemple qu’il
a tendance à considérer, comme dans les arrêts OCDH, cap-Liberté et Ambroise
KOM2185, que la lecture d’un acte juridique à la radio tient lieu de notification, sans tenir
compte du nécessaire formalisme juridique qui doit s’attacher aux actes individuels et
qui pose donc à l’administration l’exigence stricte de la notification.

Ensuite, en ce qui concerne le déroulement de l’instance contentieuse proprement


dite, notamment en ce qui est du respect des délais de recours, on ne peut manquer de
constater, à l’analyse, que le juge demeure extrêmement pointilleux et inflexible. Ici en
effet « le juge administratif n’a consacré aucune hypothèse de prorogation des délais
en dehors de celles imposées par la loi en cas de saisine d’une juridiction
incompétente ou d’introduction d’une demande d’assistance judiciaire »2186.
Incontestablement, cette attitude du juge « place les requérants dans la situation la
moins favorable »2187. Pour le juge, « le législateur a voulu imposer aux justiciables en
toute matière en ce domaine, une vigilance accrue et des délais fixes pour introduire
les recours et se conformer aux autres exigences requises par la loi, et d’exclure ainsi
l’hypothèse de deux recours pour les mêmes doléances et au même sujet »2188. C’est
pour cette raison qu’il (le juge administratif) pose la règle selon laquelle « dès lors
qu’un premier recours gracieux a été rejeté, aucune prorogation du délai du recours
contentieux ne résulte plus de l’introduction ultérieure d’autres recours gracieux ou
hiérarchiques »2189. La rigidité du juge apparaît ici incontestable.

Enfin, en ce qui concerne ce que nous pourrions appeler les cas de force majeure,
c’est-à-dire ceux où de manière manifeste, la situation du justiciable est qu’il ne peut
valablement intenter son recours dans les délais, du fait de circonstances de nature à
appeler la flexibilité du juge2190, comme par exemple une incarcération (du reste

2184
CS/CA, Jugement n°33/04-05, 29 décembre 2004, Tchamba Jean Claude, c/Etat du Cameroun ; CS/CA
jugement n°72/99-2000, 28 septembre 2000, Dame Kamtzi Maria c/Etat du Cameroun (MINUH) ; CS/CA
jugement n°63, 22 avril 1976, BEYINA MESSANGA J.-B. c/ Etat du Cameroun.
2185
Déjà citées.
2186
A.R. ATEBA EYONG, Thèse, op. cit., p.426.
2187
A.S MESCHERIAKOFF, « Le régime juridique du recours gracieux préalable, op. cit., p.51.
2188
CS/CA, Jugement n°25 (99-2000, 30 décembre 1999, Njoh Philibert-Ekoka Koum Samuel c/Etat du
Cameroun (MINUH).
2189
CS/AP, arrêt n°12/A, 15 juin 1978, Ndzie Joseph c/ Etat du Cameroun.
2190
Comme par exemple dans l’affaire ESSOUGOU Benoît (CS/CA, jugement n°34/79-80, 4 avril 1980,
Essougou Benoît c/Etat du Cameroun), où le requérant incarcéré, ne pouvait valablement déposer son recours

628
arbitraire), le juge administratif demeure inflexible et sévère. Bien que lui-même affirme
qu’en ce domaine (celui des délais), « les juges saisis conservent l’appréciation des
réalités pour fonder leur intime conviction »2191, on constate à l’analyse, que cette
affirmation reste vaine. Sinon, comment comprendre que ce dernier, de manière
constante, rejette les recours prématurés, quand bien même les circonstances pourraient
les justifier2192. Tout ceci montre bien que le juge « se montre très sévère en matière de
délais »2193. Cette sévérité, qui manifeste une conception restrictive des conditions de
recevabilité des recours, avec des manifestations patentes dans le domaine de la police
administrative2194 : le nombre extrêmement limité des recours des citoyens, qui tranche
avec le nombre impressionnant des violations des droits et libertés par les mesures de
police, et observables sur le terrain par n’importe quel analyste, même le plus distrait.

Une telle jurisprudence ne peut que conforter l’idée ici démontrée d’un
minimalisme entretenu par le juge en matière de contrôle de l’activité de police. Il s’agit
là d’une manifestation diffuse non seulement d’une idéologie étatiste, mais aussi d’un
réel autoritarisme.

II. L’APPAUVRISSEMENT PAR LE JUGE DES INSTRUMENTS DE


CONTROLE DES MESURES

Dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, le juge est appelé à dire le droit


afin de départager les parties au litige qui lui est soumis. Dans le contentieux
administratif en particulier, l’enjeu étant le sauvegarde des droits des citoyens devant la
toute puissante administration chargée de la fonction de police, sans toutefois handicaper
cette dernière, il est nécessaire que le juge, qu’il soit administratif ou judiciaire, mette en
place un contrôle dont les instruments permettront de mesurer sa volonté d’œuvrer soit
en faveur des intérêts de la puissance publique, soit en faveur de ceux des citoyens.

en temps utile. Le juge après avoir considéré cette situation comme un motif grave, là juge néanmoins
inopérante dans l’application des règles en matière de délais.
2191
CS/CA jugement n°31/2000-2001, 31 mai 2001, Foumane Ndi Samuel, c/Etat du Cameroun (MFPRA).
2192
CS/CA, jugement n°12/07-08, 16 janvier 2008, Collectivité Mvog-Nkili c/Etat du Cameroun (MINUH) ;
CS/CA, jugement n°79/06-07, 4 juillet 2007, Mougnol Boyomo Robert c/Etat du Cameroun (MINDEF).
2193
B. MOMO, « Le problème des délais… », op. cit., p.158.
2194
On observera que la plupart des jurisprudences citées ne portent pas sur la police administrative, mais
montrent bien les règles jurisprudentielles y applicables. Elles y ont donc des conséquences particulières, en
raison de la nature des droits sollicités par l’activité de police.

629
Ces instruments de contrôle, il les forge aussi et surtout à travers sa fonction
jurisprudentielle que nul ne peut de nos jours sérieusement contester. C’est cette force
jurisprudentielle du juge qui a permis par exemple le développement du droit
administratif français, et qui fait dire à Prosper WEIL que « le droit administratif (…)
tend à protéger l’individu contre les emprises d’un pouvoir toujours redoutable pour
les droits et libertés individuelles. Historiquement, c’est même là la première et la
principale inspiration de notre discipline »2195. Aussi, en France, bien que les principes
de légalité et de responsabilité se soient tardivement imposés en matière de police
administrative2196, ils n’ont pas cessé depuis lors de s’y développer. Ainsi, « depuis, le
contrôle juridictionnel des mesures de police administrative, exercé à titre principal
par le juge administratif, mais dans lequel le juge judicaire joue encore un certain
rôle, n’a cessé de s’approfondir »2197.

De même, en ce qui concerne le second principe, « le régime de cette


responsabilité n’a cessé de d’assouplir, ce qui s’est traduit notamment par un
remarquable déclin de la faute lourde, à tel point que l’on s’interroge aujourd’hui sur
son éventuelle disparition »2198. Cette soumission rigoureuse de la police administrative
aux principes de légalité et de responsabilité par le juge français apparaît comme un
véritable gage de libéralisme. Elle fait de la police administrative dans ce pays un
domaine de construction approfondie de l’Etat de droit.

Au Cameroun, l’analyse du contentieux relatif à la police administrative révèle


une tendance contraire. Plutôt que de participer à la construction d’un libéralisme, à
l’instar du cas français, le contentieux de la police administrative contribue plutôt ici à
garantir un indéniable autoritarisme, c’est-à-dire est largement orienté vers la protection
des intérêts de la puissance publique. Tout ceci se fait dans le cadre d’une politique
jurisprudentielle dont la logique et la rationalité sont indéniables. En matière de contrôle
de la légalité par exemple, le juge se refuse à instituer des mécanismes efficaces de
contrôle du pouvoir discrétionnaire, mécanismes ayants pourtant fait leurs preuves
ailleurs. Il développe en ce domaine ce que nous qualifierions de véritable

2195
P. WEIL, Le droit administratif, Paris, PUF, Coll « Que sais-je ? », induction de la deuxième partie, cité
par C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op. cit., p.217.
2196
Voir dans ce sens : C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op. cit., pp. 217 et s.
2197
Idem., p. 218.
2198
Ibid. ; dans ce sens : G. EVEILLARD, « Existe-t-il encore une responsabilité administrative pour faute
lourde en matière de police administrative ? », RFDA juillet-août 2006, pp.733-747.

630
« refusionnisme »2199. En matière de soumission de la police administrative au principe
de responsabilité aussi, dans la même logique que précédemment, le juge conduit une
politique jurisprudentielle qui réduit ce principe à sa portion la plus congrue. Il
développe ici un incontestable réductionnisme.

A. Le « refusionnisme » du juge dans le contrôle de la légalité

Le contrôle de la légalité des mesures de police administrative n’est pas distinct


de celui des autres mesures administratives. Mais simplement, il comporte certaines
spécificités qu’une banalisation jurisprudentielle de sa nature pourrait mettre à mal. Car
plus que toutes les autres mesures administratives, les mesures de police sont celles qui
sont le plus susceptibles de porter des atteintes graves aux libertés. Le problème ici ne se
pose pas en particulier dans le contrôle des mesures prises en application d’un pouvoir
lié, car ici, même si le juge n’est pas exempt de reproche, il sanctionne néanmoins la
puissance publique lorsqu’elle porte atteinte à certains libertés et droits. De plus, le
domaine de la compétence liée est assez réduit en matière de police, par rapport à celui
du pouvoir discrétionnaire. Et c’est en ce dernier domaine que le refus du juge d’instituer
des instruments efficaces de contrôle se fait le plus sentir. Il développe en la matière en
self restreint qui trahie aisément une forme de collusion intellectuelle avec la puissance
publique2200.

On sait que dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, encore plus en matière de


police, « l’administration dispose d’une certaine liberté d’action- agir ou ne pas agir-
et de décision – choix entre plusieurs solutions légales »2201. Il s’agit donc d’une très
grande marge de manœuvre qui est ainsi laissé aux autorités de police administrative, et
dont le contrôle ne peut que s’avérer impérieux si l’on ne veut pas que le pouvoir
discrétionnaire se transforme en pouvoir arbitraire, l’arbitraire étant une manifestation de
l’autoritarisme. C’est ainsi que le juge a eu à forger des instruments de contrôle efficaces
à l’instar du contrôle de l’opportunité et du contrôle de proportionnalité des mesures de

2199
On nous pardonnera l’emploi de ce néologisme un peu barbare, que nous avons dû employer, faute de
mieux. Mais l’objectif est de systématiser l’idée que, dans le contrôle que le juge exerce sur les mesures de
police vis-à-vis du principe de légalité, il met en place une véritable politique du refus, consistant à éviter de
mettre en place des instruments de contrôle qui pourraient mettre à mal les pouvoirs de l’administration dans ce
domaine du maintien de l’ordre public.
2200
Voir dans le même sens : A. R. ATEBA EYONG, Thèse, op. cit., p. 138 et s. L’auteur parle en
l’occurrence de « subordination des juges au pouvoir exécutif ».
2201
J. MORAND-DEVILLER, Cours de droit administratif, Paris, Montchrestien, 6e éd, 1999, p.272.

631
police. Ces « instruments avancés de contrôle au pouvoir discrétionnaire »2202 ont fait
ailleurs leurs preuves dans la limitation de la puissance publique surtout en matière de
police administrative, au grand bonheur de la garantie des droits des citoyens. Bien
qu’ils soient considérés par une partie de la doctrine comme renvoyant au même
phénomène2203, il convient néanmoins de distinguer contrôle d’opportunité et contrôle de
proportionnalité, car si le premier porte sur la raison d’être de la mesure de police, le
second porte sur son efficacité. Le premier porte globalement sur ce qui est connu
comme étant l’erreur manifeste d’appréciation2204, tandis que le second fait intervenir
une forme de bilan coût avantage. L’analyse de la jurisprudence révèle un refus par le
juge d’instituer ou même d’importer ces instruments perfectionnés de contrôle du
pouvoir discrétionnaire de police, refus qui n’est pas du tout innocent, car obéissant à
une véritable politique jurisprudentielle antilibérale. Le juge construit donc ainsi au sein
du prétoire un véritable sanctuaire à l’épanouissement des mesures de police
administrative. Il perpétue depuis sa mise en place, un véritable autoritarisme qu’il est
difficile de ne pas entrevoir.

2202
A.R. ATEBA EYONG, Thèse, op. cit., p.495.
2203
D. LABETOUILLE (cité par B. SEILLER « Le contrôle de la légalité extrinsèque des déclarations d’utilité
publique », AJDA, 2003, p.1474) estime par exemple qu’ « il n’y a pas de légalité en soi ni d’opportunité en
soi : c’est en posant une règle nouvelle que le juge fait passer une appréciation de la sphère des
appréciations subjectives d’opportunité, à celle des jugements objectifs de légalité ». Cet auteur semble
rejoindre le courant doctrinal qui bien qu’en distinguant légalité et opportunité, confine le contrôle de la
première à celui de la seconde. Dans ce sens : J.P. Costa, « Le principe de proportionnalité dans la
jurisprudence du conseil d’Etat », AJDA, 1988, p.434. De même, Guy BRAIBANT, dans ses conclusions sur
CE, Ass. 28 mai 1971, « Ville Nouvelle Est » rappelle que le Conseil d’Etat s’est déjà largement engagé en
matière de police et pas seulement « sur la voie des appréciations concrètes et parfois difficiles qui confinent
au domaine de l’opportunité sans y pénétrer », RA, 1971, p.422. Quant au Professeur M. WALINE, il inclut
le contrôle de l’opportunité dans celui de la légalité chaque fois qu’une liberté publique est en jeu, (in
« Etendue et limites du contrôle du juge administratif sur les actes de l’administration », EDCE, 1956, p.24).
Mais dans un sens contraire, A. MESTRE (note sous CE, 19 mai 1933, Benjamin S. 1934-III-1) estime qu’« il
ne saurait être question d’un contrôle d’opportunité exercé par le juge. Celui-ci doit nécessairement statuer
au point de vue du droit et non pas du point de vue de l’utile (…). Le juge ne conteste nullement
l’opportunité de la décision prise ; il se livre seulement à un contrôle extrêmement poussé des faits tels
qu’ils ont été appréciés sur place par l’administrateur local ». Dans le même sens, R. CHAPUS (R.
CHAPUS, Droit administratif général, op. cit., p.715) estime que le juge ne considère que la nécessité de la
mesure, et non son opportunité.
2204
Sur cette notion : B. KORNPROBST, « L’erreur manifeste », D, 1965, chr., p. 121 ; J.-Y. VINCENT,
« L’erreur manifeste d’appréciation », Rev. Adm. 1971, p. 407 ; P. COMTE, « Réflexion sur l'utilisation de
l'erreur manifeste d'appréciation dans le contentieux des plans d'occupation des sols », in RFDA 1990, p. 72 ;
D. LAGASSE, L’erreur manifeste d’appréciation en droit administratif. Essai sur les limites du pouvoir
discrétionnaire de l’administration, Bruxelles, Bruylant, 1986.

632
1. Le refus de contrôler l’opportunité des mesures de police

Le débat est classique dans la théorie du contentieux de l’excès de pouvoir. Le


juge doit-il contrôler, au delà de leur seule légalité, l’opportunité des mesures
administratives2205 ? Cette question qui a de tout temps divisé la doctrine n’est pas
absente du débat sur le contrôle que le juge camerounais exerce sur les mesures
administratives, particulièrement sur les mesures de police. Le juge ne développant pas
ici un contrôle spécifique lorsqu’il s’agit de ces dernières mesures, la doctrine employée
dans le contrôle de celles-là s’étend automatiquement à celles-ci. Le juge administratif
est juge de la légalité, et non l’opportunité des mesures administratives2206. Il s’agit là
d’une règle jurisprudentielle constante dans le contentieux administratif camerounais.

On sait que « l’un des problèmes les plus fondamentaux qu’a eu à résoudre
depuis l’origine le juge de l’excès de pourvoir est celui de l’étendue de son pouvoir de
contrôle »2207. Il s’agit donc d’un problème qui ne se pose pas que devant le juge
administratif camerounais, loin s’en faut. Il s’est depuis longtemps posé par exemple en
France, et des solutions assez satisfaisantes y ont été proposées par le juge, qui
garantissent largement les droits des victimes des mesures de police administrative2208.
Le problème porte en fait sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de police. De plus en
plus, les textes se bornant à définir des objectifs, on à déterminer les compétences de
police d’une manière très vague, « en laissant l’administration maître des moyens à
employer pour les atteindre, ou bien lui laissant la faculté d’accorder des dérogations
aux règles qu’ils posent en fonction des considérations d’opportunité »2209, le pouvoir
discrétionnaire de l’administration s’en trouve considération accru. D’où la nécessité de
développer des instruments de contrôle efficaces pour garantir les droits des citoyens
devant l’immense pouvoir dont dispose l’administration. C’est tout le sens-là l’existence
d’un contrôle de l’opportunité des mesures administratives chez le juge français.
Contrairement à une partie de la doctrine qui considère que le juge administratif n’exerce
son contrôle que sur la légalité de l’action administrative et non sur l’opportunité des

2205
M. DUBISSON, La distinction entre la légalité et l’opportunité dans la théorie du recours pour excès de
pouvoir, Paris, LGDJ, 1957, 281 p.
2206
La jurisprudence à ce sujet est abondante.
2207
M. LETOURNEUR, « L’étendue du contrôle du juge de l’excès de pouvoir », EDCE, n°16, 1962, p.51.
2208
Il est vrai qu’ici, nous nous situons plus sur le terrain de la légalité que sur celui de la responsabilité.
2209
D. LOSCHACK, La justice administrative, Paris, Montchrestien, 3e éd, 1998, p.111.

633
choix qu’elle effectue2210, le juge administratif français, soutenu par une bonne partie de
la doctrine2211, procède à un véritable contrôle d’opportunité des mesures
administratives. Deux clés de lecture permettent de justifier une telle option.

En premier lieu on peut partir de l’idée qu’il existe une « distinction de la légalité
et de l’opportunité dans la théorie de recours pour excès de pouvoir »2212, pour
considérer que le juge au délà de la simple légalité, va jusqu’à contrôler l’opportunité
des mesures administratives. L’opportunité serait considérée ici comme séparée de la
légalité2213.

En second lieu, ou pourrait considérer, et c’est l’explication la plus pertinente


sans doute, que l’opportunité n’est pas séparée de la légalité. Les deux s’imbriquent et
s’interpénètrent d’une manière telle que l’un ne pourrait fatalement qu’appeler
l’autre2214. De cette sorte, « la frontière entre contrôle de légalité et contrôle
d’opportunité n’est ni linéaire, ni tranchée (…) ; il n’est point de domaine dans lequel
l’appréciation portée par l’administration – son choix en opportunité – échappe au
contrôle, restreint au normal du juge. C’est dire que le contrôle de légalité incorpore
et implique pour une bonne part un contrôle d’opportunité pouvant aller jusqu’à la
substitution totale du juge à l’administrateur, non point certes pour édicter l’acte
correct, mais pour le définir (…). Il est donc parfaitement erroné d’opposer contrôle
de légalité et contrôle d’opportunité, le second étant partie intégrante du premier »2215.
Dans le même sens et plus profondément encore, Marcel WALINE conclue en disant qu’
« il faut renoncer à tout expliquer en disant : le juge contrôle la légalité, non
l’opportunité, bien au contraire, faut-il dire : le juge contrôle la légalité, ce qui peut
l’obliger dans certains cas à contrôler l’opportunité »2216. Aussi, le contrôle de l’excès
de pouvoir par le juge administratif français intègre-t-il autant la légalité que

2210
Dans ce sens, voir : A. MESTRE, note sous CE/19 Mai 1933, Benjamin S. 1934-III-1 ; R. CHAPUS, Droit
administratif général, op. cit., p.1057 et s. ; M. REGLADE, « Du prétendu contrôle juridictionnel de
l’opportunité », RDP 1925, p.413.
2211
G. BRAIBANT, Conclusions sur C.E. Ass. 28 mai 1971, « Ville Nouvelle Est », RA, 1971, p. 422 ; J.P.
COSTA, « Le principe de proportionnalité dans la jurisprudence du conseil d’Etat », (AJDA 1988, p.434 ; M.
WALINE, « Etendue et limites du contrôle du juge administratif sur les actes de l’administration » op. cit.,
p.27
2212
M. DUBISSON, La distinction entre la légalité et l’opportunité dans la théorie du recours pour excès de
pouvoir, précité.
2213
Ce que semble indiquer le courant de ceux qui soutiennent l’inexistence d’un contrôle d’opportunité.
2214
Tel que les partisans de la réalité d’un contrôle d’opportunité semblent le dire.
2215
D. CHABANOL, « Contrôle de légalité et liberté de l’administration », AJDA 1984, pp.14-15.
2216
M. WALINE, « Etendue et limites du contrôle du juge administratif. sur les actes de l’administration », op
cit, p.28.

634
l’opportunité. Qu’il soit qualifié de contrôle maximum2217, de contrôle poussé2218 de
contrôle plénier2219 ou de contrôle rigoureux2220, ce contrôle permet de réduire le pouvoir
discrétionnaire à une dimension quasi nulle2221.

De telles avancées sont inconnues du juge administratif camerounais, ou est-il


plus juste de dire qu’il refuse de les consacrer dans sa jurisprudence. Ce refus de
contrôler l’opportunité des mesures de police est une constante du droit du contentieux
administratif camerounais2222.

En matière de dissolution des associations par exemple, le juge déclare que s’il
« est compétent pour connaître si l’association dissoute tombe par ses agissements
sous le coup de la loi, il n’apprécie cependant pas l’opportunité de la dissolution »2223.
Cette position jurisprudentielle traverse tout de contentieux administratif camerounais.
Elle concourt à absoudre le pouvoir de police administrative, ce qui n’est pas sans
conséquences pour les droits et libertés.

La première de ces conséquences tient au fait que les prérogatives de puissance


publique s’en trouvent consolidées en matière de police particulièrement, faisant le lit de
l’autoritarisme en ce domaine. Seules sont alors privilégiées les pouvoirs de police au
détriment des droits des citoyens.

La deuxième conséquence tient au fait que le pouvoir de police administrative


s’exerçant toujours en fonction de circonstances de temps et de lieu et donc, sur la base
d’une appréciation subjective effectuée par l’autorité de police, ne pas contrôler
l’opportunité de la mesure revient à favoriser le détournement de cette fonction

2217
J. M. AUBY et R. DRAGO, Traité de contentieux administratif, Tome 2, op. cit., p.371 ; J.M AUBY, Note
sous CE, 11 juillet 1975, Clément, D. 1976, Jur., p.213.
2218
Ou plutôt « très poussé ». C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op cit, p.249.
2219
D. GREGOIRE, Recherches sur les évolutions de la police administrative…, Thèse, op. cit., p.31.
2220
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op. cit., pp.249 et s.
2221
CCA, Arrêt n°329, 10 décembre 1954, Otyam Belinga Martin c/Administration du Territoire.
2222
Voir les jurisprudences Ambroise KOM, OCDH, et Cap liberté, déjà citées.
2223
Si en effet, l’on peut penser, comme une bonne partie de la doctrine, que le juge doit éviter de faire acte
d’administration en se substituant par son contrôle à l’administrateur, il faut cependant reconnaître que le
domaine de la police faisant reposer les mesures qu’elle permet d’adopter essentiellement sur une appréciation
des motifs de faits, ces derniers faisant donc intervenir une forte dimension subjective et ajuridique, la rigueur
du contrôle juridictionnel ne peut que s’avérer nécessaire. Au-delà d’un contrôle de nécessité, on peut
envisager la nécessité d’un contrôle d’opportunité, seul capable de limiter le subjectivisme dont pourrait être
alors teintée la mesure de police.

635
administrative au profit d’objectifs qui lui sont étrangers, à l’exemple des objectifs
politiques2224.

La troisième conséquence, la plus grave dans doute, tient au fait qu’en refusant de
contrôler l’opportunité des mesures de police administrative, le juge s’enferme dans une
attitude de self restreint qui l’empêche de toucher à l’essence même de la mesure de
police, à savoir ses motifs2225. On sait que la mesure de police est celle qui a pour motif
et pour but l’ordre public. Pour s’en assurer le juge doit donc contrôler les motifs de la
mesure pour que le pouvoir de police ne soit utilisé à d’autres fins. On sait que « le motif
est l’élément premier de l’acte. Il est l’antécédent qui le précède et le provoque. Il
constitue sa raison d’être. Ainsi, le motif de l’acte qui consiste à accorder un secours
d’assistance est la situation d’indigence de l’assisté. Le motif d’une répression pénale
est l’infraction qui a été commise. Le motif d’une mesure de police consiste dans le
fait qu’il y a eu atteinte ou menace d’atteinte à la tranquillité à la sécurité ou à la
salubrité publiques »2226. Il s’agit donc d’un élément de fond de la mesure
administrative, et en particulier de la mesure de police. C’est pourquoi, « la motivation,
qui est placée sous le contrôle de la juridiction administrative juge de la légalité doit
être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent
le fondement de la décision. Elle doit être aussi explicite et complète que possible »2227.
Le contrôle des motifs s’est perfectionné au sein de la jurisprudence administrative
française dans le cadre de ce qui est qualifié d’erreur manifeste d’appréciation2228. Le
contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation à ceci de bénéfique que son développement
a permis de prendre en compte aussi la qualification juridique des faits. En effet, si
pendant longtemps, l’on n’a eu de cesse de considérer que ce contrôle du juge de l’excès
de pouvoir ne peut porter que sur l’application des règles de droit par l’administration
« les questions de fait étant appréciées de façon discrétionnaire par elle sans que le

2224
La plupart du temps en effet, au-delà des motifs de droit, les meures de police reposent généralement sur
des motifs de fait, l’ordre public fondement et but de la police administrative, étant un état de fait.
2225
CS/CA, jugement n°48, 26 mai 1977, Pouilleux Robert C/Etat du Cam.
2226
R. BONNARD, cité par G. DUPUIS, « Les motifs apposés sur les actes administratifs », EDCE, 1974-
1975, p.13.
2227
CS/CA, Jugement n°31/91-92 du 25 février 1993, Momo Pierre Marie c/Etat du Cameroun (IGERA) ;
CS/CA Jugement n°35/92-93, Ngambi Tene Ebenezer c/Etat du Cameroun.
2228
J. GALABERT et M. GENTOT, « Le contrôle de l’erreur manifeste par le juge de l’excès de pouvoir »,
AJDA 1962. I. 552 ; G. BRAIBANT, « Le principe de proportionnalité », in Mélanges offerts à Marcel
WALINE. Le Juge et le droit public, T.2 p. 297 et s.

636
juge ne pu vérifier l’exactitude matérielle des faits invoqués par l’administration
encore moins leur qualification juridique »2229.

Ainsi, si le juge administratif camerounais contrôle autant les motifs de droit que
de fait, il n’a jamais consacré le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation2230. Ce
dernier identifié à l’opportunité, conserve le pouvoir discrétionnaire de l’administration
intact, celui-ci entendu comme « l’appréciation par telle autorité à qui l’Etat le
délègue, de l’opportunité de prendre telle ou telle mesure »2231 . Le refus du juge
administratif camerounais de contrôler l’erreur manifeste d’appréciation a pour
conséquence, dans le domaine de la police administrative, de laisser intacte l’obligation
d’agir des autorités de police administrative2232. Assez systématiquement, le juge
administratif « s’en tient à la qualification opérée par l’autorité compétente, tenant de
ce fait pour régulière, légale la mesure édictée »2233. Or « c’est en réalité au juge
qu’incombe la tâche de rendre la règle légale déterminant l’étendue du pouvoir de
police »2234.

En refusant d’instituer un contrôle d’opportunité des mesures de police, ou si l’on


veut, en refusant de pousser le contrôle de leur légalité, il assouplit à l’extrême les
critères de cette dernière. Au final, la conception qu’a le juge de la légalité reste bien
maigre, donnant carte blanche aux autorités de police administrative d’agir dans le sens
qui leur convient, sachant que le contrôle qui y sera exercé sera des plus souples. L’on ne
peut concevoir la légalité d’une mesure de police au sens strict, car ce que l’on pourrait
qualifier d’opportunité occupe une place première dans le domaine de la police2235.
L’action ou plutôt l’abstention, ou encore le « refusionnisme » du juge fait ici le lit du

2229
J.M AUBY et R. DRAGO, Traité de contentieux administratif, op. cit., p.392.
2230
Contra P.E. ABANE ENGOLO, L’application de la légalité par l’administration camerounaise, Thèse de
Doctorat/Ph. D en Droit public, 2009, pp. 229 et s.
2231
CFJ/SCAY, Arrêt n°40, 30 avril 1968, Baba Youssoufa c/Etat du Cameroun Oriental.
2232
D. TRUCHET, « L’autorité de police est-elle libre d’agir ? », AJDA 1999, n° spécial, p.81.
2233
R. DEGNI SEGUI, « Le contrôle sur l’administration par la voie du recours pour excès de pouvoir », in G.
CONAC et J. De GAUDUSSON, Les Cours suprêmes en Afrique, III, La jurisprudence administrative, Paris,
Economica, 1988, p.182.
2234
S. KTISTAKI, L’évolution du contrôle juridictionnel des motifs de l’acte administratif, Thèse, Paris,
LGDJ, 1991, p.127.
2235
L’autorité de police ayant en effet à maintenir l’ordre public, qui est un état de fait opposé au désordre, voit
son action glisser subrepticement sur le terrain subjectif des valeurs, dont les textes juridiques sont inaptes à
donner une mesure à priori. Il devrait donc revenir au juge de contrôler à postériori, sur la bases de
considérations d’opportunité (que d’aucun par pudeur sans doute appellent nécessité), si l’action de l’autorité
de police reste dans les limites compatibles avec la garantie des droits et libertés.

637
nihilisme jurisprudentiel si caractéristique du contentieux de la police ici, comme le
démontre l’absence d’un contrôle de proportionnalité.

2. Le refus d’instituer un contrôle de proportionnalité

Le juge administratif Camerounais rechigne jusqu’à nos jours, à instituer un


contrôle de proportionnalité des mesures administratives que ce soit en matière de police
ou dans tout autre domaine. Inauguré dans sa version bilan-coût-avantages en 1971 à la
faveur de l’arrêt ville nouvelle Est du Conseil d’Etat2236, cet instrument perfectionné de
contrôle du pouvoir discrétionnaire, principalement en matière de police, reste inconnu
du juge administratif camerounais. Mais le principe de proportionnalité est présent dans
la jurisprudence administrative française, même sans le nom, bien avant l’arrêt Ville
Nouvelle Est. On le trouve déjà dans l’arrêt Benjamin du conseil d’Etat du 19 mai
19332237, ce qui montre très bien que sa terre d’élection privilégiée est la police
administrative.

D’une manière générale, on peut l’appréhender comme « l’exigence d’un


rapport, d’une adéquation, entre les moyens employés par l’administration et le but
qu’elle vise »2238. C’est cette idée qui est véhiculée par l’expression française selon
laquelle on ne doit pas tuer une mouche avec un marteau pilon2239. Au plan purement
juridique, cette idée de proportionnalité signifie que « dans la mesure où
l’administration dispose de pouvoirs qui lui permettent de porter atteinte aux droits et
libertés des citoyens, elle ne soit en user que dans la mesure du nécessaire ; les
atteintes à ces droits et libertés sont illégales dès lors qu’elles sont superflues ou
excessives, eu égard à la finalité de l’action administrative »2240. Mais cela dit, « la
proportionnalité ne s’apprécie pas seulement en fonction de deux éléments, les
moyens et le but, il faut y ajouter la situation de fait à laquelle s’applique la décision
administrative. Il doit s’établir un rapport de juste proportion entre la situation, la

2236
CE, Ass. 28 mai 1971, Ministre de l’équipement et du logement c/ Fédération du défense des personnes
concernées par le projet actuellement dénommé « ville Nouvelle Est ».
2237
CE, 19 mai 1933, Benjamin, GAJA N°47.
2238
G. Braillant, « Le principe de proportionnalité », op. cit., p. 298.
2239
Idem, à la même page, selon l’auteur « ce n’est pas là seulement une question d’efficacité : dans la
mesure où l’administration dispose de pouvoirs qui lui permettent de porter atteinte aux droits et libertés des
citoyens, elle ne doit en user que dans la mesure du nécessaire ; les atteintes à ces droits et libertés sont
illégales dès lors qu’elles sont superflues ou excessives, eu égard à la finalité de l’action administrative ».
2240
Ibid.

638
finalité et la décision »2241. Entendu de cette manière « le cas le plus classique du
contrôle de proportionnalité est celui des mesures de police, lorsqu’elles ont pour effet
de porter atteinte à une liberté reconnue et protégée par la loi »2242. Il apparaît donc
incontestable que « la restriction de police se révèle être la terre d’élection du principe
de proportionnalité »2243. De manière plus détaillée, « ce principe conduit le juge à
examiner le contenu de la mesure au regard de ses motifs et de son but afin de
déterminer si celle-ci est en adéquation avec les circonstances propres à là fonder et si
elle est équilibrée au regard du résultat qu’elle se propose d’atteindre »2244. Dans cette
hypothèse, le juge administratif se livre à un véritable contrôle de l’efficacité des
mesures de police administrative : « la mesure de police administrative ne doit pas
seulement être adaptée, mais elle doit être la plus adaptée »2245.

Pour le Pr Bertrand SEILLER, il s’agit d’un « contrôle de légalité


extrinsèque »2246 qui repose selon lui sur la comparaison des bilans coûts-avantages des
différentes solutions entre lesquelles l’autorité de police doit choisir 2247. Le coût ici c’est
les atteintes aux libertés et les avantages se rapportent au niveau de protection de l’ordre
public. Dans le célèbre arrêt Benjamin, le Conseil d’Etat avait annulé une mesure de
police du maire interdisant une réunion pour le motif qu’ « il résulte de l’instruction que
l’éventualité de troubles… ne présentait pas un degré de gravité tel qu’il n’ait pu, sans
interdire la conférence, maintenir l’ordre en édictant les mesures de police qu’il lui
appartenait de prendre »2248. Le conseil d’Etat n’a cessé depuis lors d’appliquer ce
principe, comme le montrent ses arrêts même les plus récents2249. Il s’agit là de la
manifestation d’un contrôle très poussé effectué par le juge.

D’une manière générale mais concrète, ce contrôle comporte deux étapes : « il


contrôle d’abord la qualification juridique des faits stricto sensu, c’est à dire qu’il

2241
Ibid.
2242
Ibid., p.299.
2243
D. GREGOIRE, thèse, op. cit., p.29.
2244
Idem, à la même page.
2245
Ibid.
2246
B. SEILLER, « Le contrôle de la légalité extrinsèque des déclaration d’utilité publique », AJDA 2003, p.
1474.
2247
Idem, à la même page.
2248
M. LONG, P. WEIL, G. BRAIBANT, P. DELVOLVE, B. GENEVOIS, Les grands arrêts de la
jurisprudence administrative, Paris, Dalloz, 13e éd, 2001, p. 299
2249
CE, Avis, 22 novembre 2000, L.P. Publicité, req. n°223645, RFDA 2001, p.872, Concl. S. AUSTRY et A.
MARCEAU, Police administrative et droit public de la concurrence, AJDA 2002, pp.190-200 ; N. ALBERT,
Police administrative et droit de la concurrence : les liaisons dangereuses, D 2001, p.2110 ; CE, Section 25
février 2005, France Télécom ; CE, 14 juin 2002, Association Promouvoir, Lebon, p.217.

639
recherche si, en l’espèce, les faits constituaient bien un trouble à l’ordre public ou, à
tout le moins, une menace de trouble »2250. En second lieu, le juge contrôle
« l’adéquation de la mesure de police choisie aux faits qui l’ont motivé : une mesure
de police n’est légale que si elle est nécessaire »2251. Le contrôle est ainsi qualifié de
maximum2252, de proportionnalité2253, de plénier2254, de poussé2255, d’approfondi2256,
d’efficace2257, etc par les auteurs. Ce contrôle de nécessité2258 s’apparente parfois à un
contrôle d’opportunité, ce qui montre bien que la frontière entre opportunité et
proportionnalité est considérablement mince. Mais il faut éviter d’assimiler les deux car
ils ne se confondent pas.

Cela dit, ce mécanisme de contrôle montre qu’ « il doit y avoir adaptation aux
circonstances et toute limitation de liberté publique n’est régulière que si elle est
nécessaire face à une situation de fait »2259. Il en résulte que les mesures de police de
portée générale et absolue seront le plus souvent considérées comme illégales. Aussi,
« la mesure doit être limitée dans son objet, dans le temps et dans l’espace »2260.

Ce mécanisme perfectionné de contrôle du pouvoir discrétionnaire reste méconnu


du juge administratif camerounais. Au-delà de la simple méconnaissance, on peut dire
qu’il refuse de le consacrer car il est incompatible avec sa politique jurisprudentielle auto
limitative, laquelle se manifeste dans le domaine de la police par une sacralisation des
exigences liées au maintien de l’ordre public, d’où le contrôle minimal des mesures qui
en découle.

Si certains2261ont cru voir ce principe de proportionnalité consacré dans l’arrêt


Fouda Mballa Etienne de la cour fédérale de justice du 08 juin 19712262, des travaux

2250
C.-E. Minet, Droit de la police administrative, op. cit., p.250.
2251
Idem, à la même page.
2252
Voir la plupart des manuels de contentieux administratif, ainsi que : C.-E., MINET, Droit de la police
administrative, Idem.
2253
G. KALFECHE, « Le contrôle de proportionnalité exercé par les juridictions administratives », LPA, 05
mars 2009, n°46, p.46 ; M. FROMONT, « Le principe de proportionnalité », AJDA 1995, p.156.
2254
D. Grégoire, Recherches sur les évolutions de la police administrative…, op. cit., p.30.
2255
Idem.
2256
Ibid.
2257
Ibid.
2258
Plusieurs auteurs assimilent en effet contrôle de nécessité et contrôle de proportionnalité : D. Grégoire,
Thèse, op. cit., pp.158, 172, et 186, etc. C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op. cit. pp. 287 et s.
2259
G. DUPUIS, M.J GUEDON, P. CHRETIEN, Droit administratif, Paris, Armand Colin, 6e éd, 1998, p.173.
2260
C.-E. MINET, Droit de la police administrative, op. cit., p.287.
2261
P.E. ABANE ENGOLO, L’application de la légalité par l’administration camerounaise, op. cit., pp. 230
et s.

640
récents montrent bien qu’il n’en est rien2263. Or, en matière de police notamment, ce ne
sont pas les occasions qui ont manqué au juge pour y avoir recours. En particulier, il
aurait pu s’engager dans une voie ouverte par le conseil d’Etat à l’occasion d’un
contentieux portant justement sur l’Afrique et qui s’est soldé par l’arrêt Félix
HOUPHOUËT BOIGNY au 19 juin 19532264. Cet arrêt pose pourtant les bases de
l’application sur le continent d’un contrôle de proportionnalité des mesures de police. A
l’occasion de cette jurisprudence « le juge vérifie non seulement s’il existait dans les
circonstances de l’espèce une menace de trouble à l’ordre public, susceptible de
justifier une mesure de police, mais encore si cette mesure était appropriée par sa
nature et sa gravité à l’importance de la menace »2265.

Ainsi, les trois éléments pris en compte par le juge afin de se déterminer sont
donc : les circonstances de l’espèce, le rapport de force en présence et le climat politique
du moment. Sans doute « ce dernier élément tient une place prépondérante dans
l’esprit des dirigeants africains pour lesquels la lourdeur et la multiplicité des tâches
auxquelles ils sont confrontés les poussent à assimiler leurs pays comme des Etats en
situation de crise permanente, ce qui permet l’adoption et le maintien de toute une
série de mesures qui interférent profondément sur le bloc de légalité »2266. Au lieu
d’affiner son contrôle afin de limiter l’impact de ces mesures sur les libertés, le juge se
refuse constamment à effectuer un contrôle de proportionnalité de ces mesures dont le
caractère inadapté ou disproportionné est pourtant manifeste. Cette position est constante
dans la jurisprudence et n’a jamais été modifiée.

On sait que ce contrôle s’effectue prioritairement sur les mesures de police


générale, car ici la compétence de l’autorité s’exerce dans le cadre du pouvoir
discrétionnaire de police, lequel est très étendu, et donne une grande marge de
manœuvre à la puissance publique, et est donc potentiellement plus liberticide. Bien que
les recours contre de telles mesures soient suffisamment rares, compte tenu de la faible
culture juridique et contentieuse des citoyens, les rares décisions qui existent sont

2262
CFJ/CAY, Arrêt n°160, 8 juin 1971, Fouda Mballa c/Etat fédéré du Cameroun Oriental.
2263
A.R. ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit, op. cit., pp.504 et s.
2264
CE, 19 juin 1953, Félix Houphouët Boigny, Rec. p. 298.
2265
J. BINYOUM, Le contentieux de la légalité…, Thèse, op. cit., p.66.
2266
Idem, p. 67.

641
incontestablement révélatrices de ce « refusionnisme » du juge à appliquer un contrôle
de proportionnalité en matière de police.

S’agissant du contrôle des mesures de police spéciale, il rend plus difficile


l’application du principe de proportionnalité, car ici la compétence de l’autorité de police
est liée, la loi lui indiquant généralement quelle mesure adopter. Mais il est des cas où
même en matière de police spéciale, le pouvoir de l’autorité de police n’est pas lié et
s’apparente donc à un véritable pouvoir de police générale. Tel est majoritairement le cas
au Cameroun où la différence entre police générale et spéciale est très mince, en ce qui
concerne particulièrement la détermination des pouvoirs revenant aux autorités2267. A
titre illustratif, on peut citer le cas de la police des associations qui donne au ministre de
l’administration territoriale et de la décentralisation d’importants pouvoirs d’appréciation
et qui lui permettent de prendre des mesures s’apparentant à de véritables mesures de
police générale. Tel a été le cas de la dissolution en 1991 de trois associations pour
« participation avérée à des activités non conformes à leur objet statutaire et troubles
graves portant atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l’Etat »2268. L’analyse du
contentieux qui s’en est suivi montre que le juge a catégoriquement refusé de s’engager
sur la voie d’un contrôle de proportionnalité, qui était pourtant possible. Il y renonce en
assimilant ici le contrôle de proportionnalité à un contrôle d’opportunité. C’est pourquoi
il déclare que si « le juge administratif est compétent pour contrôler si l’association
dissoute tombe par ses agissements sous le coup de la loi, il n’apprécie cependant pas
l’opportunité de la dissolution ».

Au total on ne peut que constater et conclure à un refus du juge de mettre en place


des mécanismes perfectionnés de contrôle du pouvoir discrétionnaire. Ce minimalisme
est aussi observable sur le terrain du contentieux de la responsabilité.

B. Le réductionnisme du juge dans le contrôle de responsabilité

Bien que l’administration camerounaise soit soumise au principe de


responsabilité, celui-ci ne s’y applique que très faiblement. En particulier, la soumission

2267
Cf. supra.
2268
Ord n°19/OPCA/CS du 26 septembre 1991, Affaire O.C.D.H., c/Etat du Cameroun ; Ord n°20/OPCA/CS
du 26 septembre 1991, Affaire Kom Ambroise c/Etat du Cameroun ; Ord n°21/OPCA/CS du 26 sept 991,
Affaire Cap-Liberté c/Etat du Cameroun.

642
de la police administrative à ce principe essentiel de l’Etat de droit est sujette à caution.
Et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, d’un point de vue général, il est constant que l’activité administrative,
nimbée profondément par une idéologie de préservation et même de développement des
prérogatives de puissance publique, n’apparait que très accessoirement limitée par le
principe de responsabilité. La majorité de la doctrine souligne et a toujours souligné la
faible soumission de l’administration camerounaise à ce principe2269.

Ensuite, du fait de certaines spécificités liées à la nature de l’activité de police,


qui ne doit, au nom de certaines conceptions pourtant surannées, se voir énervée2270 par
des contestions contentieuses. Selon cette conception, cela contribuerait à là rendre
inefficace, inapte à lui permettre d’assurer une mission essentielle à l’existence de l’Etat,
l’ordre public. Le juge, principalement administratif, au Cameroun, semble sensibilisé à
cette idéologie qui l’amène à développer un véritable réductionnisme en matière de
soumission de la puissance publique au principe de responsabilité administrative. Cela se
voit à travers deux facteurs à savoir une forte rationalisation de la responsabilité pour
faute, et une disqualification de responsabilité sans faute en matière de police.

1. La rationalisation de la responsabilité pour faute

Par rationalisation, il faut entendre ici limitation. L’engagement de la


responsabilité de la puissance publique en matière de police administrative est soumis à
des conditions très restrictives, ou si l’on veut très limitatives. Ceci parce que de manière
générale, le principe semble être en faveur d’une exemption de la puissance publique. La
doctrine souligne alors avec pertinence « la limitation du champ de la
responsabilité »2271. Ici, « l’option du juge est, du fait de son souci de protéger à la fois

2269
M. ONDOA, La protection des dépenses d’indemnisation en droit administratif camerounais, op. cit., p.
287 ; du même auteur : Le droit de la responsabilité dans les Etats en développement…, précité ; A. R.
ATEBA EYONG, Le juge administratif et la création du droit…, op. cit., p. 393 ; S. BILLONG,
Responsabilité de la puissance publique et compétence du juge en droit camerounais, précité.
2270
Selon les termes du Commissaire du gouvernement RIVET qui affirmait que « pour s’acquitter de la
lourde tâche de maintenir l’ordre public dans la rue, les forces de police ne doivent pas voir leur action
énervée par les menaces permanentes de complications contentieuses ». (Concl. sur CE, 13 mars 1925,
Lebon, p. 266 ; RDP 1925, p.247).
2271
R.G. BLEP, L’administration publique camerounaise…, précité, p.342.

643
l’administration et les finances publiques, de restreindre la portée de l’obligation de
réparation »2272.

On sait, de manière générale dans la jurisprudence administrative camerounaise,


que trois conditions doivent être réunies pour que la responsabilité de l’administration
puisse être engagée : il faut un préjudice, une faute imputable à l’administration et un
lieu de causalité entre le préjudice et la faute. Notons au passage que ces trois
conditions, classiques, consacrées dans l’arrêt Dame Essola Jacqueline c/ République
Fédérale du Cameroun2273, limitent déjà le champ de la responsabilité au seul cas de
faute, puisque le juge vise non pas les conditions d’engagement de la responsabilité pour
faute, mais les conditions d’engagement de la responsabilité tout simplement2274. Cela
semble exclure déjà les cas de responsabilité sans faute. Mais tel n’est pas le propos
actuel. Le plus important réside dans le fait que le juge se sert d’une conception
particulière du préjudice et du fait générateur pour restreindre le champ de la
responsabilité pour faute. Ainsi, il restreint la notion de préjudice indemnisable, de
même qu’il développe une conception limitée de fait générateur de responsabilité.

Sur le premier point, pour ce qui est de la nature du préjudice, le juge a au départ
rechigné à réparer le préjudice moral en ne considérant que le seul préjudice matériel. Il
estimait alors que « la douleur, le chagrin(…), ne peuvent être retenus comme base
d’un préjudice susceptible d’être évalué en argent »2275, justifiant sa position en
affirmant « qu’il est de règle devant les tribunaux administratifs que la douleur morale
ne constitue pas un dommage susceptible de donner lieu à réparation »2276.
Heureusement, cette position fût revirée dans l’arrêt Dame Kwedi Eyoum Augustine2277.
Depuis lors, le juge administratif a étendue la notion de préjudice au point d’y intégrer
une dimension esthétique2278.

2272
M. ONDOA, Le droit de la responsabilité publique dans les états développement…, précité, p.466
2273
CFJ/SCAY, arrêt N°33, 30 avril 1968, Dame Essola Jacqueline c/Rep Fed du Cameroun.
2274
Ce qui signifie que le juge administratif camerounais ne reconnait comme seule hypothèse de
responsabilité que celle basée sur la faute, du moins aux termes de la jurisprudence ESSOLA. Et même si cela
peut être relativisé aujourd’hui, à la lumière de quelques cas de responsabilité sans faute comme nous le
verrons, cette position jurisprudentielle est très parlante relativement à la psychologie du juge administratif, qui
apparemment ne conçoit la responsabilité que relativement à une faute.
2275
CCA, Arrêt n°310, 03 septembre 1954, Vittori Pierre c/Administration du Territoire.
2276
CCA, Arrêt n° 645, 06 septembre 1957, Kpwang Essiane c/Etat du Cameroun.
2277
CFJ/CAY, Arrêt n° 10, 16 mars 1967, Dame Kwedi Eyoum Augustine c/ Etat du Cameroun.
2278
CS/AP, arrêt n°1, 23 décembre 2000, Commissaire de police principal ONDO OVONO Charles, c/Etat du
Cameroun.

644
Mais ce relatif changement dans la conception que le juge a de la nature du
préjudice tranche avec la rigueur qui encadre les caractères de celui-ci. Dans un arrêt
Bao c / Administration du Territoire du 12 juillet 1955, le Conseil du contentieux
administratif affirme : « considérant…. que pour qu’une demande en dommage-
intérêts puisse être accueillie par le tribunal administratif, le demandeur doit non
seulement prouver la faute de service, mais aussi, que cette faute qui met en jeu la
responsabilité d’une administration ait engendré des conséquences dommageable
pour lui et que le préjudice qui en a résulté est un préjudice certain, spécial, direct et
porte atteinte à une situation légitime »2279. Ainsi le juge administratif développe une
conception rigoureuse en ce qui concerne les caractères du préjudice. Celui-ci doit être
certain, spécial et direct.

L’exigence du caractère certain du préjudice exclut tout droit à réparation pour un


préjudice éventuel. Or « le préjudice certain n’est pas seulement le préjudice réalisé, il
peut être également le préjudice futur, c'est-à-dire celui qui interviendra
inéluctablement, et dont on peut prévoir l’évaluation »2280. Malgré cette considération,
le juge « a une conception restrictive du mot « certain » puisqu’il ne répare que le
préjudice « actuel » et refuse tout droit à indemnisation pour préjudice futur »2281.

Ensuite, le préjudice doit être spécial, c'est-à-dire particulier à un individu ou à


une catégorie d’individus bien délimités. On parle encore ici de préjudice personnel. Ce
caractère tend à réduire le champ de la responsabilité dans la mesure où il peut arriver
que celui qui demande réparation soit une victime non pas personnelle, mais collatérale
de l’acte fautif de l’administration2282.

Enfin, le préjudice doit, selon la doctrine du juge administratif, être direct, c’est-
à-dire « résulter directement de l’exercice de l’activité administrative »2283. Ce caractère
semble se rapporter à la condition d’imputabilité. Une exigence rigoureuse de ce
caractère restreindra le champ de la responsabilité dans la mesure où parfois,
l’écoulement d’un certain temps entre la survenance de l’acte fautif et le recours
contentieux peut rendre particulièrement difficile l’établissement du lien d’imputabilité.

2279
CCA, Arrêt n°352, 12 juillet 1955, BAO c/Administration du territoire.
2280
J. BINYOUM, Cour polycopié de Droit administratif, Université de Yaoundé, FDSE, 1982-1983, p.105.
2281
Idem, à la même page.
2282
CS/CA, Jugement n° 35 du 22 février 1978, CNPS c/ United Cameroon International Compagny.
2283
R. G. NLEP, L’administration publique camerounaise, op cit., p. 344.

645
Ainsi, l’exigence d’un lieu direct entre le fait dommageable et le dommage subi par la
victime contribue à atténuer ou même exclure la responsabilité de l’administration dans
certain cas. Par exemple lorsqu’une cause étrangère est intervenue dans la réalisation du
dommage (faute de la victime, force majeure, fait d’un tiers, cas fortuit).

Sur le second point, qui concerne le fait générateur de la responsabilité, outre le


cas de l’absence de faute dont on verra bientôt qu’elle disqualifie toute responsabilité en
matière de police, il faut souligner que la jurisprudence lie étroitement les notions
d’illégalité et de faute, allant jusqu’à considérer la première comme synonyme de la
seconde. Il faut dire que cette tendance jurisprudentielle va restreindre le champ de la
responsabilité dans la mesure où seront exclus du droit à réparation les préjudices subis à
la suite d’actes fautifs de l’administration mais demeurant dans le champ de légalité.

De manière générale il faut souligner que le droit administratif camerounais


ignore la gradation des fautes. Cela signifie qu’« il semble ne pas tenir compte des
difficultés rencontrées dans l’exécution du service, ni des moyens mis à la disposition de
ce dernier »2284 . Cette réalité est à double tranchant. Elle peut signifier d’une part que le
juge n’attendra pas que la faute soit lourde afin d’engager la responsabilité de la
puissance publique en matière de police comme c’est de plus en plus le cas en France2285.
Mais elle peut signifier aussi que le juge ne puisse considérer comme faute que ce qui
est considéré comme l’équivalent ailleurs de la faute lourde, en y restreignant donc les
cas de responsabilité. Il faut rappeler, s’agissant en particulier du lien de causalité, que la
responsabilité ici est très souvent, pour qu’elle engage la puissance publique, limitée au
cas où elle est elle-même fautive, le juge n’hésitant pas à dédouaner l’administration à la
moindre occasion, notamment lorsqu’il peut décharger celle-ci soit sur la victime elle-
même2286, ou le cas le plus fréquent sur un de ses préposés2287. Il oublie ainsi que

2284
J. BINYOUM, Le contentieux de la légalité…, op. cit., p. 104. Dans le même sens : M. ONDOA, Le droit
de la responsabilité dans les Etats en développement…, op. cit., p. 599 ; S. BILONG, Responsabilité de la
puissance publique et compétence du juge en droit camerounais, op. cit., pp. 332 et s.
2285
Alors que dans l’arrêt Clef (CE, 13 mars 1925, Lebon p. 266 ; RD publ. 1925, p. 274, concl. Rivet. ), le
Conseil d’Etat « subordonna en effet l'engagement de la responsabilité de l'administration du fait de ses
activités de police administrative à l'existence d'une faute lourde, c'est-à-dire d'une faute caractérisée par
un certain degré de gravité » (G. EVEILLARD, « Existe-t-il encore une responsabilité administrative pour
faute lourde en matière de police administrative ? », op. cit., p. 733), aujourd’hui, l’on note un déclin
incontestable de la faute lourde au profit de la faute simple, au point où certains auteurs ont même déjà conclu
à sa disparition. Voir dans ce sens : R. CHAPUS, Droit administratif général, op. cit., p. 1313 ; F.
MELLERAY, « L'obligation de prendre des mesures de police administrative initiales », AJDA 2005, p. 71.
2286
Cette décharge peut être partielle (CCA, arrêt n° 210 du 5 décembre 1952, Comeca c/ Bourdin et
Chaussée ; CFJ/CAY, arrêt n°145 du 23 mars 1971, Ngijol Ngijol Pierre c/ Etat du Cameroun) ou totale

646
responsabilité pour faute n’est pas synonyme d’« obligation de réparer les dommages
causés par sa propre faute »2288. De fait, « il y a responsabilité pour faute toutes les fois
que l’obligation de réparer un dommage mise à la charge d’une personne est
subordonnée au fond, dans son principe même, à la condition que le dommage ait été
causé par une faute dont cette personne doit répondre»2289. Au total, toutes ces
tendances restrictives du juge administratif dans le contentieux de la responsabilité en
général intéressent et s’appliquent au contrôle du juge du plein contentieux en matière de
police, car cette dernière ne bénéficie pas d’un régime contentieux séparé du régime
général.

2. La disqualification de la responsabilité sans faute

Existe-t-il une responsabilité sans faute de la puissance publique en matière de


police administrative au Cameroun ? La réponse est sans doute non. Entendons-nous
bien. La responsabilité sans faute, bien que dans une dimension limitée existe bel et bien
dans le droit camerounais. La responsabilité sans faute est ici résiduelle, car le juge
privilégie comme déjà vu, la responsabilité pour faute. Il déclare : « considérant que le
fondement principal de la responsabilité est en droit administratif comme en droit
civil, la faute de celui à qui est imputé un dommage ; qu’en ce qui concerne la
puissance publique, cette faute apparait non seulement dans son pouvoir de prendre
des décisions exécutoires ; mais aussi dans l’accomplissement de ses missions de
service public »2290 .

Pour le juge donc, la responsabilité de l’administration est principalement


engagée pour faute. L’hypothèse d’une responsabilité sans faute est pour lui
exceptionnelle et donc limitée. Mais elle est néanmoins consacrée à l’occasion de la
jurisprudence Dame NGUE André2291. Dans cette affaire le juge déclare : « considérant

(CFJ/AP, arrêt n° 12 du 16 mars 1967, Salinzhouer Samuel c/ Etat du Cameroun) en fonction du fait que la
faute est partiellement ou entièrement le fait du préposé de l’administration.
2287
A travers notamment la consécration du principe d’une action récursoire en cas d’indemnisation par
substitution. Ainsi, le juge administratif, dans l’affaire Owoundi Jean Louis c/ Etat du Cameroun (CS/CA,
Jugement n° 33/76-77, 28 septembre 1978), affirme « le principe qui veut que l’Administration possède une
action récursoire contre le fonctionnaire ». Ce principe est de nos jours codifié à travers l’arrêté n°
6437/CAB/MFPRA, 21 septembre 2000 fixant les modalités d’exercice de l’action récursoire.
2288
P. AMSELEK, « La responsabilité sans faute des personnes publique d’après la jurisprudence
administrative », in Mélanges Eisenmann, Paris, Cujas, 1977, p. 234.
2289
Idem, à la même page.
2290
CS/CA, Jugement n° 43/78-79, 22 février 1979, Moutombi Christophe c/ Etat du Cameroun.
2291
CFJ/CAY, Jugement du 25 mars 1969, Dame Ngué Andrée c/CPE Mbalmayo.

647
qu’un préjudice souffert par un particulier à raison de l’exécution des travaux
d’intérêt général n’ouvre droit à réparation que s’il est exceptionnel : c'est-à-dire revêt
une particulière gravité, qu’en ce cas en effet, il y a atteinte au principe de l’égalité de
tous les citoyens devant les charges publiques, ce qui suffit à engager la responsabilité
de la puissance publique en dehors de toute idée de faute ». Il s’agit, de doctrine
constante, du seul cas de consécration claire de la responsabilité sans faute de
l’administration par le juge administratif.

A l’analyse de cet arrêt ou peut constater que le champ couvert par cette
responsabilité sans faute est extrêmement restreint2292. Et si la doctrine a cru voir dans la
jurisprudence la consécration d’une responsabilité pour risque, notamment dans l’arrêt
ONDOUA ATANGANA Paul2293, il semble bien pue cette vision soit désormais
considérée comme sans suite au sein de la jurisprudence. En tout cas, elle ne touche pas
au domaine de la police administrative.

Ensuite le domaine de cette responsabilité sans faute est extrêmement tenu. Il ne


porte que sur les dommages causes par les travaux publics sont donc mises ici de coté,
comme inexistantes le cas de la responsabilité du fais des lois, des actes de
gouvernement, pour risque ou en dehors du risque, etc.

Enfin, les possibilités d’engagement de la responsabilité de la puissance publique


en l’absence de faute sont très réduites car pour qu’il en soit ainsi, deux conditions sont
nécessaires, à savoir l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité. Mais le fait est
que le juge administratif exige que le préjudice, en plus des caractères exigés en matière
de responsabilité pour faute soit d’une particulière gravité. Mais cela dit, seule la faute
de victime et la force majeure sont totalement ou partiellement exonératoires. En effet,
même si le dommage est imputable au tiers, la victime peut toujours demander

2292
Puisque dans cette affaire, elle ne portait que sur la rupture de l’égalité des citoyens devant les charges
publiques à l’occasion des dommages causés par les travaux publics.
2293
Affaire citée par M. BILONG (S. BILONG, « L’insaisissable responsabilité sans faute de la puissance
publique en droit camerounais », Annales de la FSJP de l’Université de DSCHANG, pp. 87-101). On ne peut
parler ici d’une consécration de l’hypothèse de responsabilité pour risque, puisque de l’avis de l’auteur lui-
même, le juge déclare dans cette affaire : « attendu que la responsabilité de l’Etat du Cameroun tombe ainsi
sous le coup de l’art. 1384 al. 1 du code civil qui dispose qu’on est responsable non seulement du dommage
que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit
répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde (…). Attendu qu’il s’agit bel et bien d’un travail dont la
connaissance relève du juge administratif ».

648
réparation à l’administration. Il appartiendra à celle-ci de se retourner par la suite contre
ce tiers, auteur du dommage.

Cela dit, il faut observer, à l’analyse de la jurisprudence, qu’il y a comme une


défiance au Cameroun vis-à-vis du principe de l’égalité des citoyens devant les charges
publiques, unique fondement de la responsabilité sans faute. Sans doute en raison du
large champ qu’il pourrait offrir à ce type de responsabilité2294, ce qui pourrait mettre à
rude épreuve les deniers publics2295. Dans tous les cas, cela semble devoir ouvrir la voie
à un développement de cette responsabilité sur le terrain du risque conformément aux
bases jurisprudentielles déjà posées en matière de défaut d’entretien normal2296 ou de
risques encourus par les collaborateurs occasionnels de l’administration2297. On aura
remarqué donc, que dans le contentieux général de la responsabilité sans faute, les
questions de police semblent inexistantes. Cela montre bien qu’en l’Etat actuel de notre
droit aucun cas de responsabilité sans faute de la puissance publique dans le domaine de
la police n’a encore été signalé, ce qui montre bien qu’elle semble ici disqualifiée. Est-ce
à dire que cela est impossible ? Rien n’est certain en ce domaine.

En France il existe bien une responsabilité sans faute de la puissance publique en


matière de police, et son domaine n’a jamais cessé de s’étendre, au point où la doctrine
se demande non sans pertinence, si elle n’est pas devenue le droit commun de la
responsabilité en ce domaine de l’activité administrative2298. Dans ce pays, les
hypothèses de responsabilité de la puissance publique en l’absence de faute surviennent
dans les cas de dommages causés par l’usage des armes à feu2299 de rupture de l’égalité

2294
Dans un sens similaire : M. ONDOA, Le droit de la responsabilité dans les Etats en développement…, op
cit., p. 540. L’auteur affirme à juste titre que l’option semble aller en faveur d’une responsabilité sans faute du
fait du risque, or celui-ci reste confiné à des domaines particuliers.
2295
A propos desquels une politique de limitation est menée par les pouvoirs publics : Cf. M. ONDOA, La
protection des dépenses d’indemnisation en droit administratif camerounais, précité.
2296
CFJ/CAY, arrêt n° 105 du 8 décembre 1970, Dame Ferrière.
2297
CCA, arrêt n° 224 du 27 mars 1953, Dame Civra/ Administration du Territoire ; CFJ/AP, arrêt n° 4 du 4
novembre 1965 Dame Kieffer Marguerite.
2298
G. EVEILLARD, « Existe-t-il encore une responsabilité administrative pour faute lourde en matière de
police administrative ? », op. cit., p. 734.
2299
CE, Ass., 24 juin 1949, Consorts Lecomte et Franquette et Daramy (deux espèces), Lebon p. 307, GAJA,
n° 63. Le juge déclare dans cette affaire : « si, en principe, le service de police ne peut être tenu pour
responsable que des dommages imputables à une faute lourde commise par ses agents dans l’exercice de
leurs fonctions, la responsabilité de la puissance publique se trouve engagée même en l’absence d’une telle
faute dans le cas où le personnel de la police fait usage d’armes ou d’engins comportant des risques
exceptionnels pour les personnes et les biens et où les dommages subis dans de telles circonstances
excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent normalement être apportées par les particuliers en
contrepartie des avantages résultant de l’existence de ce service public ».

649
devant les charges publiques2300, des dommages causés par les attroupements2301, de
dommages causés par certains actes de police à caractère réglementaire ou individuel2302
etc.

De fait, comme le dit si bien le doyen Magloire ONDOA, « pour séduisantes


qu’elles soient, les constructions juridiques liées à la responsabilité sans faute sont
considérées avec circonspection en Afrique »2303. Car, si en France elles participent
d’une volonté d’élargir le champ de la responsabilité, leur faible développement en
Afrique témoigne d’une volonté de limiter le champ de celle-ci. C’est pourquoi aucune
de ces hypothèses de responsabilité sans faute en matière de police administrative n’est
clairement consacrée ici. Le cas de responsabilité pour rupture de l’égalité des citoyens
devant les charges publiques reste ouvert, mais demeure encore à ce jour du domaine de
la simple potentialité.

De tous les autres cas énoncés dans le contexte français, seul celui relatif aux
dommages causés par les armes à feu peut ici être évoqué car ayant déjà fait l’objet d’un
contentieux, notamment dans l’affaire, Dame Mah Mengue2304. En effet, le 28 février
2008, Dame Mah Mengue est blessée par balle à son domicile par un tir provenant d’une
arme à feu d’un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire à la poursuite de deux
prisonniers en cours d’évasion. Bien qu’il s’agisse ici d’une opération de police
judiciaire et non de police administrative une décision favorable du juge administratif à
la demande en réparation de la recourante aurait pu donner une idée, une orientation sur
le sort à réserver à ce cas de responsabilité s’il s’était agit de la police administrative. En
se déclarant incompétent, le juge administratif confirme l’idée que l’engagement de la
responsabilité de l’Etat au Cameroun en l’absence de faute dans le domaine de la police
2300
CE, 30 novembre 1923, Couitéas, Lebon p. 789, GAJA n° 41. L’hypothèse la plus célèbre est celle du
refus de prêter le concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice. D’après le juge :
« le justiciable nanti d’une sentence judiciaire dûment revêtue de la formule exécutoire est en droit de
compter sur la force publique pour l’exécution du titre qui lui a été ainsi délivré ; que si (…) le
gouvernement a le devoir d’apprécier les conditions de cette exécution et le droit de refuser le concours de la
force armée, tant qu’il estime qu’il y a danger pour l’ordre et la sécurité, le préjudice qui résulte de ce refus
ne saurait, s’il excède une certaine durée, être une charge incombant normalement à l’intéressé, et qu’il
appartient au juge de déterminer la limite à partir de laquelle il doit être suporté par la collectivité ».
2301
Loi du 7 janvier 1983, art. 92. Sur ce contentieux : R. CHAPUS, Droit administratif général, op. cit., pp.
1356 et s. Mais ce régime de responsabilité ne relève pas vraiment de la police générale. Il est plus rattachable
à la police spéciale des réunions et manifestations publiques.
2302
Voir, pour les différents cas de figure : C.-E. MINET, Le droit de la police administrative, op. cit., pp. 279
et s.
2303
M. ONDOA, Le droit de la responsabilité dans les Etats en développement…, op. cit., p. 489.
2304
CS/CA, Jugement n° 28/2009/CA/CS du 28 janvier 2009, Affaire Mah Mengue c/ Etat du Cameroun
(MINAT).

650
administrative reste à ce jour hypothétique. Cela montre bien que cette fonction de l’Etat
reste très faiblement saisie par le principe de responsabilité preuve de la prédominance
ici des prérogatives de puissance publique par rapport à la garantie des droits et libertés.
Une autre façon de qualifier l’autoritarisme.

Il apparait ainsi que le contrôle de l’exercice de la police administrative est


aménagé de manière minimaliste, permettant ainsi de sanctuariser la fonction de police,
en là soustrayant le plus possible des contraintes de l’Etat de droit. Il s’agit là d’une
manifestation éclatante d’un étatisme.

651
CONCLUSION DU TITRE II

L’aménagement de l’exercice et du contrôle de la police administrative, à la


lumière du maximalisme qui caractérise le premier et du minimalisme qui caractérise le
second, apparait indubitablement révélateur d’un incontestable étatisme. La priorité ici
est accordée aux exigences liées au maintien de l’ordre public, par rapport à celles
relatives à la garantie des droits et libertés. Cela manifeste bel et bien la persistance, au
plan matériel, d’une tendance autoritaire au sein de la police administrative, et donc du
droit administratif camerounais.

652
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE

Appréhendée au plan matériel, la police administrative au Cameroun, malgré


lémergence d’un libéralisme formel en son sein depuis le début des années 1990, reste
caractérisée par la persistance d’une dimension autoritaire. Cet autoritarisme, de nature
matérielle, se manifeste , comme nous l’avons vu, à travers les fondements de la police
administrative et l’aménagement qui lui est consacré au sein du système juridique. Les
fondements de cette activité essentielle de l’administration sont caratérisés par un
indéniable impérialisme, c’est-à-dire par une domination sans partage des exigences de
l’ordre public. Quand à l’aménagement, il reste nymbé par une réel étatisme, qui
s’appuie non seulement sur une organisation maximale de l’exercice de l’activité de
police, mais aussi sur disposition minimale du système de contrôle de l’activité de
maintien de l’ordre public. Cette tendance autoritaire, qui rejaillit sur l’ensemble du droit
administratif, en raison de la place centrale qu’y occupe la fonction de police
administrative, contribue à garder ce corps de règles spéciales destinées à régir l’activité
administrative dans une tendance conservatrice, caractéristique des années avant 1990.
Elle permet donc d’affirmer que le droit administratif camerounais, sous l’éclairage de la
fonction de police, reste au plan matériel, caractérisé par un autoritarisme dont on peut
certes mesurer la portée, mais dont la réalité est incontestable.

653
CONCLUSION GENERALE

654
En ultimes propos à la présente étude, consacrée à dégager la caractéristique
essentielle de « la police administrative au Cameroun », dans le cadre général de
l’évolution du droit administratif camerounais, dont on sait qu’il est mu depuis la fin des
années 80 et le début des années 90 par d’importantes mutations, et dont il était question
de donner en filigrane une évaluation ne serait-ce qu’à partir de considérations
sectorielles, un constat s’impose, et il semble difficile à contester : la police
administrative est ici caractérisée par un libéralisme formel et par un autoritarisme
matériel (ou substantiel, diraient certains). Cette fonction de l’Etat camerounais apparait
donc écartelée entre deux tendances contraires, mais savamment mises en commun par
les pouvoirs publics camerounais.

Le relent autoritaire dont est caractérisée ici la police administrative permet de


tirer deux enseignements éclairants pour la mise en perspective du sujet ici traité. Le
premier est en rapport avec les règles juridiques qui régissent la fonction de police au
Cameroun. Il révèle que l’écartèlement qui caractérise la police administrative au
Cameroun est en fait dû à la dualité ontologique des règles juridiques y relatives. Le
second constat est lié à la conséquence que cela a sur l’ensemble du droit administratif. Il
montre que celui-ci reste encore fortement marqué par une tendance autoritaire, dont
l’avenir permettra de mesurer la portée.

I– LA DUALITE ONTOLOGIQUE DU DROIT DE LA POLICE


ADMINISTRATIVE

Les règles juridiques qui régissent la fonction de police administrative au


Cameroun sont marquées par une dualité ontologique. Dans leur être, ces normes
oscillent entre deux pôles contraires, en fonction de l’angle d’analyse sous lequel on se
place.

Au plan formel, c’est-à-dire considérées non seulement dans leur aspect formel,
mais aussi dans les aspects formels de la police qu’elles régissent, elles apparaissent
nettement nimbées de libéralisme. Mais au plan matériel, c’est-à-dire dans le contenu de
certaines de ces règles, mais aussi dans les aspects matériels de la police qu’elles
régissent, elles apparaissent fortement marquées d’autoritarisme. Le droit de la police
apparait donc ici manifestement ambivalent.

655
Ce constat ne saurait surprendre. En effet, il est la résultante des luttes
permanentes auxquelles se livrent ces deux tendances de la fonction de police au sein du
système juridique, prolongement sectoriel de l’antagonisme entre autorité et liberté
exacerbé à partir du début des années 90. L’Etat, obligé ici de faire des concessions à la
liberté pour se perpétuer, n’a jamais renoncé à ses pouvoirs, manifestés par un réel
impérialisme au sein de la société. Si l’Etat a bien souvent perçu la nécessité et même
parfois l’urgence de donner droit de cité aux droits et libertés fondamentaux, il reste
fortement attaché à une conception régalienne de la fonction de police, qui relève ici du
maintien de l’ordre, considéré comme le socle sur lequel est bâti non seulement l’Etat
lui-même, mais aussi la stabilité du système de gouvernement. Ce dernier veille donc au
maintien de l’ordre à tout prix et à tous les prix. C’est pourquoi l’on peut observer,
même dans le discours public, une surenchère permanente sur les exigences de sécurité
et de paix comme valeur à préserver par tous les moyens.

Mais comme l’Etat est également, ne serait-ce que pour plaire aux partenaires
internationaux, tenu de donner ou de faire bonne figure en matière de construction d’un
Etat de droit, il donne donc de temps en temps des gages de libéralisation et même de
libéralisme, ce qui entre en contradiction avec son idéologie propre du pouvoir, d’où un
écartèlement permanent des règles juridiques entre ces deux tendances, tant au plan
macroscopique qu’au plan microscopique. Le Droit, donnée instrumentale s’il en est, ne
peut qu’être le reflet de cette tension idéologique qui soutend l’œuvre de construction
étatique. Le droit de la police administrative n’est donc que la manifestation de cette
tension qui parcourt de manière certes souterraine, mais de manière certaine et profonde
l’ensemble du droit administratif. Il apparait donc ontologiquement dual, c’est-à-dire
orienté vers deux sens contraires. Mais cette dualité n’est que le reflet de la persistance
d’un autoritarisme dont on peut certes discuter la portée, mais dont nul ne peut contester
la réalité.

II– LA CONTINUITE AXIOLOGIQUE D’UN DROIT ADMINISTRATIF


AUTORITAIRE

La question qui venait en filigrane de la problématique de la présente étude était


celle de savoir si, à la lumière de la situation actuelle de la fonction de police
administrative, on peut estimer que le droit public camerounais, principalement dans sa

656
branche administrative, s’est libéralisé. Entendons par là que ce droit prend désormais
prioritairement en compte les exigences liées à la garantie des droits et libertés, de
manière effective. Cette question méritait d’autant plus d’être étudiée, au regard de
l’enthousiasme qui a envahi la doctrine à l’aube des années 90, et qui a tendu à affirmer
que le droit public camerounais s’était définitivement libéralisé, que l’Etat s’était
transformé, entendant par là qu’il n’était plus un Etat autoritaire, mais un Etat libéral.

A la lumière des observations qui viennent d’être faites et des développements


faits dans la deuxième partie de la thèse, on ne peut que se rendre à l’évidence que cette
libéralisation reste encore largement, sur le plan de l’effectivité, assez relative. En fait, le
droit administratif camerounais reste encore pour une large part un droit autoritaire. Tel
est le second enseignement que nous donne l’étude de « la police administrative au
Cameroun ». L’autoritarisme n’a donc pas encore disparu du droit administratif
camerounais. On pourrait même dire, d’une façon assez triviale il est vrai – et qu’on
voudra bien nous pardonner – qu’il persiste et signe.

La persistance de cet autoritarisme au sein du droit administratif est le signe que


l’idéologie qui là longtemps soutendu ici n’a pas jusqu’à ce jour disparu. Cette idéologie
dite de la construction nationale continue, pour une large part encore, de nourrir
l’aventure juridique et étatique au Cameroun. Cela ne devrait pas surprendre, puisque les
deux piliers de cette idéologie que sont l’unité nationale et le développement sont loin
d’avoir été réalisés. Et même si cette idéologie a été remise en cause à la fin des années
80, en raison principalement d’une crise de ses fondements, l’objectif des pouvoirs
public n’a jamais été d’y renoncer. Bien au contraire, si la crise a rendu nécessaire le
recours à une idéologie plus libérale, cela n’a jamais été que pour pallier les
insuffisances d’un discours idéologique national resté toujours prégant, quoique
soujacent ou plus diffus. L’idéologie de la construction nationale, au moyen de sa pointe
avancée qu’est l’autoritarisme, reste donc et demeure pour une large part au fondement
du droit public camerounais, comme l’à montré l’analyse des fondements de la police
administrative ainsi que de ses cadres d’exercice et de contrôle. Reste maintenant à
savoir pour combien de temps cet autoritarisme va-t-il encore perdurer. A cette question,
nul ne saurait y répondre. En fait, seul l’avenir nous le dira. Mais ce qu’on peut dire à ce
stade, c’est que cet autoritarisme a encore de beaux jours devant lui, au regard
notamment des multiples défis auxquels devra continuer de faire face l’Etat camerounais

657
au moins à moyen terme, au premier rang desquels le défi sécuritaire. On peut présumer
que celui-ci n’ira pas sans une remise en cause de certains acquis libéraux, comme le
montre l’adoption récente d’une loi antiterroriste2305 qui rappelle étrangement une
période sombre pour les libertés au Cameroun, à savoir celle des années 50 à 80. Toutes
choses qui donnent de la vigueur à une inscription pour longtemps encore du droit
administratif camerounais dans la sphère de l’autoritarisme.

2305
Loi n°2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme.

658
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

659
I– THEORIE GENERALE DU DROIT, METHODOLOGIE, EPISTEMOLOGIE
ET PHILOSOPHIE JURIDIQUES.

A – Ouvrages généraux

1. BERGEL Jean-Louis, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 4ème éd., coll.
Méthodes du Droit, 2003, 374 pages.
2. GOUNELLE Max, Introduction au droit public. Institutions, fondements,
sources, Paris, Montchrestien, 2e édition, 1989, 297 pages.
3. KELSEN Hans, Théorie pure du droit, Traduction de la deuxième édition par
Charles EISENMANN, Paris, Dalloz, 1962, 489 pages.
4. TERRE (F.), Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 7ème édition, 2006,
634 p.
5. TROPER (Michel), La philosophie du droit, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? »,
2003, 127 p.

B – Ouvrages collectifs et monographies

1. AMSELEK Paul (sous/dir.), La pensée de Charles EISENMANN, Paris,


Economica, P.U.A.M., 1986, 259 pages.
2. GRZEGORCZYK (C.), MICHAUT (F.), TROPER (M.), Le positivisme
juridique, Paris, LGDJ, 1992, 535 pages.
3. OST François et VAN DE KERCHOVE Michel, Le système juridique entre
ordre et désordre, Paris, PUF, coll. « Les voies du droit », 1988, 253 pages.
4. SANTI (Romano), L’ordre juridique, Paris, Dalloz, 2002, 174p.
5. SCARPELLI (Umberto), Qu’est ce que le positivisme juridique ?, Paris,
L.G.D.J., Coll. « La pensée juridique », 1996, 107p
6. TROPER (Michel), Pour une théorie juridique de l’Etat, Paris, P.U.F.,
Collection LEVIATHAN, 1994, 358 p.

C – Articles de doctrine

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l’ordre juridique », in R.D.P., 1978, I, pp. 5-19.
2. AMSELEK (P.), « Une fausse idée claire : la hiérarchie des normes juridiques »,
in Renouveau du droit constitutionnel. Mélanges en l’honneur de Louis

660
FAVOREU, Paris, Dalloz, coll. « Etudes, Mélanges, Travaux », 2007, pp. 557-
581.
3. CHAZAL Jean-Pascal, « Philosophie du droit et théorie du droit, ou l’illusion
scientifique », Arch. phil. droit, vol. 45, 2001, pp. 201-231.
4. COMBACAU (J.), « Le droit international bric-à-brac ou système? »,
Arch.phil.droit., tome 31, Le système juridique, 1986, pp. 85-105.
5. GASSIN Raymond, « Une méthode de la thèse de doctorat en droit », RRJ-Droit
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6. GRZEGORCZYK (Christophe), Statut et fonction de la théorie dans la science
du droit (remarques méthodologiques), in APD, Tome 22, La responsabilité,
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7. KAMTO Maurice, « L’utilité des savoirs scientifiques », intervention faite en
ouverture à la « Journée de réflexion en hommage au Professeur Roger Gabriel
NLEP », RASJ, vol. 4, n° 1, 2007, i-iv.
8. TROPER Michel, « La pyramide est toujours debout ! Réponse à Paul
AMSELEK », in R.D.P. 1978, II, pp. 1523-1536.
9. VEDEL Georges, « L’unité du droit. Aspects généraux et théoriques », in
L’unité du droit : Mélanges en hommage à Roland DRAGO, Paris Economica,
1996, p. 13.
10. WALINE Marcel, « Défense du positivisme juridique », in Archives de
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II – DROIT ET CONTENTIEUX ADMINISTRATIFS.

A – Traités et manuels

1. AUBY Jean Marie et DRAGO Roland, Traité de contentieux administratif,


tome I, Paris, L.G.D.J., 3e édition, 1984, 1014 pages.
2. AUBY Jean Marie et DRAGO Roland, Traité de contentieux administratif,
tome 2, Paris, L.G.D.J., 3e édition, 1984, 718 pages.
3. AUBY Jean Marie et DRAGO Roland, Traité des recours en matière
administrative, Paris, Litec, 1992, 686 pages.
4. BENOIT Francis Paul, Le droit administratif français, Paris, Dalloz, 1968, 897
pages.

661
5. CHAPUS René, Droit administratif, Tome I, Paris, Montchrétien, 2001, 1427
pages.
6. CHAPUS René, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 3ème
édition, 1991, 921 pages.
7. DEBBASCH Charles, Droit administratif, Paris, Economica, 7ème éd., 2004,
782 pages.
8. DE LAUBADERE André et GAUDEMET Yves, Traité de droit administratif,
Paris, L.G.D.J., 16e édition, 2001, 918 pages.
9. DUPUIS Georges, GUEDON Marie-José, CHRETIEN Patrice, Droit
administratif, Paris, Sirey, 2009, 719 pages.
10. EISENMANN Charles, Cours de droit administratif, Paris, L.G.D.J., Tome1,
1984, 787 pages.
11. EISENMANN Charles, Cours de droit administratif, Paris, L.G.D.J., Tome 2,
1984, 908 pages.
12. FRIER (Pierre-Laurent), PETIT (Jacques), Précis de droit administratif,
Paris, Montchrestien, Domat, droit public, 4ème éd., 2006, 537 pages.
13. GAUDEMET (Yves), Traité de droit administratif, Paris, L.G.D.J., Tome I, 16e
édition, 2001, 918 pages.
14. GROS (Manuel), Droit administratif, l’angle jurisprudentiel, Paris,
L’Harmattan, Collection « Logique juridique », 1998, 336 pages.
15. HAURIOU (Maurice), Précis élémentaire de droit administratif, Paris, Sirey,
1953, 918 pages.
16. LACHAUME (Jean François), Les grandes décisions de la jurisprudence.
Droit administratif, Paris, P.U.F., Collection Thémis, 13e édition, 2002, 912
pages.
17. LAFFERIERE (Edouard), Traité de la juridiction administrative et des recours
contentieux, Tome II, réédition, Paris, L.G.D.J., 1989, 675 pages.
18. LEGENDRE (Pierre), Histoire de l’administration de 1750 à nos jours, Paris,
P.U.F., Collection Thémis, 1968, 580 pages.
19. LONG (Marceau), WEIL (Prosper), BRAIBANT (Guy), DELVOLVE
(Pierre), GENEVOIS (Bruno), Les grands arrêts de la jurisprudence
administrative, Paris, Dalloz, 14ème édition, 2003, 930 pages.

662
20. MESCHERIAKOFF (Alain Serges), Le droit administratif ivoirien, Paris,
Economica, Collection La vie du droit en Afrique, 1982, 247 pages.
21. MESTRE (Jean Louis), Introduction historique au droit administratif français,
Paris, P.U.F., Collection Droit fondamental, 1980, 294 pages.
22. MORAND DEVILLER (Jacqueline), Cours de droit administratif, Paris,
Montchrestien, 8ème édition, 2003, 857 pages.
23. OWONA (Joseph), Droit administratif spécial de la République du Cameroun,
Paris, E.D.I.C.E.F., 1985, 256 pages.
24. REMONDO (Max), Le droit administratif gabonais, Paris, L.G.D.J., 1987, p.
403 pages.
25. RIVERO (Jean) et WALINE (Jean), Droit administratif, Paris, Dalloz, Précis,
21ème édition, 2006, 645 pages.
26. SEILLER (Bertrand), Droit administratif, L’action administrative, Paris,
Flammarion, Champs-Université, Tome 2, 2001, 364 pages.
27. TRUCHET (Didier), Droit administratif, Paris, Dalloz, 2ème éd., 2009, 468
pages.
28. VEDEL (Georges) et DELVOLVE (Pierre), Droit administratif, Paris P.U.F.,
Thémis, 12e édition, 2 volumes, 1992, 716 et 802 pages.
29. WALINE (Marcel), Précis de droit administratif, Paris, Montchrestien, 1969,
610 pages.

B – Ouvrages collectifs, monographies.

1. DU BOIS DE GAUDUSSON (Jean) et CONAC (Gérard), Les Cours suprêmes


en Afrique, Tome III, La jurisprudence administrative, Paris, ECONOMICA,
1988,389 pages.
2. CONAC (Gérard) (sous/dir.), Les institutions administratives des Etats
francophones d’Afrique noire, Paris, Economica, Collection « la vie du droit en
Afrique », 314 pages.
3. CONAC (Gérard) (sous/dir.), Les grands services publics dans les Etats
francophones d’Afrique noire, Paris, Economica, Collection « la vie du droit en
Afrique », 1984, 412 pages.

663
4. CURAPP, Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général, 2 vol., PUF,
1978, 225 et 330 pages
5. DELMAS-MARTY (Mireille) et TEITGEN-COLLY (Catherine), Punir sans
juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal, Paris,
Economica, 1992, 191 pages.
6. KAMTO (Maurice), Droit administratif processuel du Cameroun. Que faire en
cas de litige avec l’administration ? Guide pratique, Yaoundé, P.U.C., 1990, 265
pages.
7. MELLERAY (Fabrice) (Sous/dir), L’exorbitance du droit administratif en
question(s), Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, Paris, L.G.D.J.,
2004, 320 pages.
8. PHILIPPE (X.), Contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence
constitutionnelle et administrative, Paris, P.U.F., 1990, 541 pages.
9. RANGEON (François), L’idéologie de l’intérêt général, Paris, Economica,
1986, 246 pages.

C – Thèses.

1. ABA’A OYONO (Jean Calvin), La compétence de la juridiction administrative


en droit camerounais, Thèse, Nouveau régime, Nantes, 1994, 510 pages.
2. ACOUETEY (MEZAN), Le contrôle juridictionnel de l’administration en
Afrique noire francophone, Thèse, Droit, Nancy II, 1974, 312 pages.
3. ATEBA EYONG (Aimé Raphael), Le juge et la création du droit. Essai sur
l’élaboration jurisprudentielle du droit administratif camerounais, Thèse de
doctorat Ph/D en droit public, Université de Yaoundé II-SOA, 2014, 844 pages.
4. AVLESI DOGON (Jean), La protection juridictionnelle du citoyen à l’égard de
l’administration au Bénin, Thèse, Nouveau régime, Orléans, 1987, 348 pages.
5. BIBOMBE-MUAMBA MUANABUTE, La protection juridictionnelle du
citoyen à l’égard de l’administration du Zaïre, Thèse, Doctorat d’Etat en droit,
Paris I, 1975, 337 pages.
6. BILONG (Salomon), Responsabilité de la puissance publique et compétence du
juge en droit camerounais, Thèse de Doctorat de 3e cycle en droit public,
Université de Douala, FSJP, 2000-2001, 467 pages.

664
7. BINYOUM (Joseph), Le contentieux de la légalité en « droit administratif
camerounais », Thèse, Doctorat d’Etat en droit, Toulouse, 1979.
8. DOUENCE (Jean Claude), Recherche sur le pouvoir réglementaire de
l’administration, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1966, 196 pages.
9. DUBISSON (Michel), La distinction entre la légalité et l’opportunité dans la
théorie du recours pour excès de pouvoir, Paris, L.G.D.J., 1957, 281 pages.
10. FEVRIER (Jean Marc), Recherches sur le contentieux administratif du sursis à
exécution, Paris/Montréal (Québec), L’harmattan, 2000, 592 pages.
11. FRIER (Pierre-Laurent), L’urgence, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1987, 599 pages.
12. GAUDEMET (Yves), Les méthodes du juge administratif, Paris, L.G.D.J.,
B.D.P., 1972, 321 pages.
13. GOUDEM (Jules), L’organisation juridictionnelle du Cameroun, Thèse de
Doctorat de 3e cycle en droit privé, Université de Yaoundé, F.D.S.E., 1985.
14. GUESSELE ISSEME (Lionel), L’apport de la Cour Suprême au droit
administratif Camerounais, Thèse de Doctorat Ph/D en Droit public, 2010, 676
pages.
15. GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), Le juge administratif camerounais
et l’urgence : Recherche sur la place de l’urgence dans le contentieux
administratif camerounais, Thèse de Doctorat d’État en droit public, Université
de Yaoundé II-SOA, F.S.J.P., 2003-2004, 588 pages .
16. KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), Le contrôle de l’Etat sur les activités
privées au Cameroun, Thèse, Droit public, Aix-Marseille, 1992, 272 pages.
17. KTISTAKI (Stavroula), L’évolution du contrôle des motifs de l’acte
administratif, L.G.D.J., B.D.P., Tome 162, 1991, 472 pages.
18. MBARGA (Emile), La Cour Fédérale de Justice du Cameroun, juge
administratif de droit commun : Organisation-Compétence-Procédure, Thèse,
Doctorat d’Etat, Paris, 1967, 157 pages.
19. MBARGA NYATTE (Daniel), Les difficultés du contrôle juridictionnel de
l’administration au Cameroun, Thèse, Nouveau régime, Aix-Marseille, 1990,
610 pages.

665
20. MESTRE (Achille), Le Conseil d’Etat protecteur des prérogatives de
l’Administration (Etude du recours pour excès de pouvoir), Paris, L.G.D.J.,
B.D.P., 1974, 312 pages.

21. MOMO (Claude), Fonction publique et ajustement structurel en Afrique : le cas


du Cameroun, Thèse, Bordeaux IV, 1999, 508 pages.
22. MOURGEON (Jacques), La répression administrative, Paris, L.G.D.J., 1967,
643 pages.
23. NCHOUWAT (Ahmadou), Le juge et l’évolution du droit administratif au
Cameroun, Thèse de Doctorat de 3e cycle en droit public, Université de Yaoundé
II-SOA, F.S.J.P., 1993-1994, .
24. NIZARD (Lucien), La jurisprudence administrative des circonstances
exceptionnelles et la légalité, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1962, 294 pages.
25. NLEP (Roger Gabriel), L’administration publique camerounaise : contribution
à l’étude des systèmes africains d’administration publique, Paris, L.G.D.J.,
B.A.M., 1986, 406 pages
26. NYETAM TAMGA (André), Le pouvoir de sanction administrative au
Cameroun, Thèse de Doctorat de 3e cycle en droit public, Université de Yaoundé
II, 1998-1999, 465 pages.
27. ONDOA (Magloire), L’économie des deniers publics dans l’administration
camerounaise, Thèse Droit, 3ème cycle, Yaoundé, 1990, 542 pages.
28. ONDOA (Magloire), Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en
développement. Contribution à l’étude de l’originalité des droits africains, Thèse,
Droit, Yaoundé II-Soa, 1997, 3 tomes, 966 pages.
29. RIALS (Stéphane), Le juge administratif français et la technique du standard
(essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité), Paris, L.G.D.J.,
B.D.P., Tome 135, 1980 564 pages.
30. ROUSSET (Michel), L’idée de puissance publique en droit administratif, Paris,
Dalloz, 1960, 269 pages.
31. SFEZ (Lucien), Essai sur la contribution du Doyen Hauriou au droit
administratif français, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1960, 510 pages.
32. SIETCHOUA DJUITCHOKO (Célestin), L’appel dans le contentieux
administratif au Cameroun : contribution à l’étude de la juridiction

666
administrative, Thèse de Doctorat (N-R) en droit public, Université de droit,
d’Économie et des Sciences d’Aix-Marseille, 2001, 471 pages.
33. TIMSIT (Gérard), Le rôle de la notion de fonction administrative en droit
administratif français, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1963, 330 pages.
34. VINCENT (François), Le pouvoir de décision unilatérale des autorités
administratives, Paris, L.G.D.J., 1966, 272 pages.
35. TRUCHET (Didier), Les fonctions de la notion d’intérêt général dans la
jurisprudence du Conseil d’Etat, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1977, 394 pages.

C – Articles de doctrine, notes et rapports divers.

1. ABA’A OYONO (Calvin), « Note sur l’affaire MAMA BILOA Sandrine contre
Université de NGAOUNDERE, CS/ CA ordonnance du 07 décembre 2000 », JP,
n° 51, juillet-août septembre, 2002, pp.19-32.
2. ABANDA ATANGANA (Anicet), « A la recherche d’un cadre approprié pour
une meilleure protection des droits des administrés au Cameroun », Penant, n°
818, pp. 133-155.
3. AUBY (Jean-Bernard), « Le mouvement de banalisation du droit des personnes
publiques et ses limites », Etudes offertes à Jean-Marie AUBY, Paris, Dalloz,
1992, p. 3.
4. AUBY (Jean-Bernard), « La bataille de San Romano, réflexions sur les
évolutions récentes du droit administratif », A.J.D.A., 2001, p. 912.
5. AUVRET-FRINCK (Josiane), « Les actes de gouvernement, irréductible peau
de chagrin ? », R.D.P. 1995, pp. 131-174.
6. BANGA GUISSE (Papa), « Le domaine national : une figure juridique
complexe », in Juridis Périodique, n°41, janvier-février-mars 2000, pp. 87-100.
7. BENOIT (Francis-Paul), « Des conditions de développement d’un droit
administratif autonome dans les Etats nouvellement indépendants », in Annales
africaines, 1962, pp. 129-138.
8. BERNARD (Michel), « Existe-t-il un droit administratif ivoirien ? », R.I.D., n°
4, 1970, pp. 11-16.

667
9. BILONG (Salomon), L’insaisissable responsabilité sans faute de la puissance
publique en droit camerounais, Annales de la FSJP de l’Université de
DSCHANG, pp. 87-101.
10. BINYOUM (Joseph), « Bilan de vingt ans de jurisprudence administrative de la
Cour suprême », R.C.D.,
11. BIPOUN WOUM (Joseph Marie), « La représentation de l’Etat en justice au
Cameroun », in R.C.D., 1984, pp. 17-57.
12. BIPOUN WOUM (Joseph Marie), « Recherches sur les aspects actuels de la
réception du droit administratif dans les Etats d’Afrique noire d’expression
française. Le cas du Cameroun », in R.J.P.I.C., n°3, 1972.
13. BIZEAU (Jean-Pierre), « Le juge administratif n’est-il plus que le juge de la
puissance publique ? » AJDA, 1992, pp. 179-193.
14. BOCKEL (Alain), « Le juge et l’administration en Afrique noire francophone »,
Annales africaines, 1971-1972, pp. 1-31.
15. BOCKEL (Alain), « Contribution à l’étude du pouvoir discrétionnaire de
l’administration », in AJDA, juillet-août 1978, pp. 355-370.
16. BOCKEL (Alain), « Sur la difficile gestation d’un droit administratif
sénégalais ». Brèves réflexions à partir de quelques décisions rendues en plein
contentieux », Annales africaines, 1973, pp. 137-153.
17. BONNARD (Roger), « Le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives
et le recours pour excès de pouvoir », R.D.P., 1923, p. 363-392.
18. BOSC (V.), « Les actes de gouvernement et la théorie des pouvoirs de guerre »,
R.D.P., 1926, p. 186.
19. BRAIBANT (Guy), « Du simple au complexe. Quarante ans de droit
administratif (1953-1993) », E.D.C.E., n°45, 1994, pp. 409-420.
20. CHAPUS (René), « L’acte de gouvernement, monstre ou victime ? », D., chron.
1958, pp. 5-10.
21. CHEVALIER (Jacques), « L’évolution du droit administratif », R.D.P., 1998, p.
1794.
22. CHEVALIER (Jacques), « Les fondements idéologiques du droit administratif
français », in CURRAP, Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général,
Paris, PUF, volume 2, 1979, pp. 3-57.

668
23. COSTA (Jean-Paul), « Le principe de proportionnalité dans la jurisprudence du
Conseil d’Etat », A.J.D.A., 1988, p. 434-437.
24. COUZINET (J.-F.), « La notion de faute lourde administrative », R.D.P. 1977,
p. 283.
25. DEBBASCH (Charles), « Les sources du droit administratif. Permanence et
novation », Recueil Dalloz, chronique, Sirey 1971, pp. 255-256.
26. DE LAUBADERE (André), « Le contrôle juridictionnel du pouvoir
discrétionnaire dans la jurisprudence récente du Conseil d’Etat français », Le juge
et le droit public. Mélanges Marcel WALINE, Paris, L.G.D.J., 1974, pp. 532-549.
27. DIARRA (Abdoulaye), Les autorités administratives indépendantes dans les
Etats francophones d’Afrique noire. Cas du Mali, du Sénégal et du Bénin, in
Afrilex 2000/00, pp. 1-34.
28. DJILA (Rose), « Contribution à l’étude de la protection de la liberté individuelle
au Cameroun depuis 1990 », Juridis Périodique, n°26, avril-mai-juin 1996, pp.
84-96.
29. DARBON (Dominique), « Le juge africain et son miroir : la glace déformante du
transfert de jurisprudence administrative », in Afrique contemporaine, n° spécial,
1990.
30. DARCY (Gilles), « La décision exécutoire. Esquisse méthodologique », in
AJDA, octobre 1974, pp. 663-678.
31. DU BOIS DE GAUDUSSON (Jean), « La jurisprudence administrative des
Cours Suprêmes », in DE GAUDUSSON (J.), et CONAC Gérard (sous/dir.), Les
Cours suprêmes en Afrique, Paris, Economica, tome III, La jurisprudence
administrative, 1988, pp. 1-12.
32. DU BOIS DE GAUDUSSON (Jean), « Le mimétisme postcolonial, et après ? »,
Pouvoirs 2009/2, N° 129, p. 45-55.
33. DUPOND (O.), « Les conditions de légalité de l’exécution forcée », R.D.P.
1925, p.349.
34. DUPUIS (Georges), « Les motifs des actes administratifs », EDCE, 1974-1975,
pp. 5-40
35. EFFA (Joseph Pierre), « Le principe du contradictoire dans la procédure
administrative contentieuse », in RDA, N°3, 2013, pp. 235-306.

669
36. EISENMANN (Charles), « Le droit administratif et le principe de légalité »,
E.D.C.E., 1957, pp. 25-40.
37. FAURE (Bertrand), « La crise du pouvoir réglementaire : entre ordre juridique
et pluralisme institutionnel », A.J.D.A. 1998, p. 547.
38. FAVOREU (Louis), « Le Conseil d’Etat, défenseur de l’exécutif », in L’Europe
et le droit : Mélanges en hommage à Jean BOULOUIS, Paris, Dalloz, 1991, p.
151.
39. FAVOREU (Louis), « Les règlements autonomes n’existent pas », R.F.D.A.
1987, p. 871.
40. FAVOREU (Louis), « Le pouvoir normatif primaire du Gouvernement en droit
français », R.F.D.C. 1997, p. 713.
41. FIPA (Jacques), « Le référé devant les juridictions camerounaises », Juridis
Périodique, n° 38, avril-mai-juin 1999, pp. 76-79.
42. FOYER (Jean), « Les destinées du droit français en Afrique », Penant, 1962, pp.
1-6.
43. GAUDEMET (Yves), « L’avenir de la juridiction administrative », Gaz. Pal.,
1979, pp. 511-519.
44. GUIMDO DONGMO (Bernard Raymond), « Le droit d’accès a la justice
administrative au Cameroun. Contribution à l’étude d’un droit fondamental », in
RASJ, vol. 4 n° 1, 2007, pp. 169 et suiv;
45. GUIMDO (Bernard Raymond), « L’emprise de l’Etat sur l’exécutif communal
au Cameroun. (Regard sur la dynamique des rapports entre l’administration
d’Etat et l’administration communale au Cameroun.) », Lex Lata, n° 021,
décembre 1995, pp. 9-16.
46. GUIMDO DONGMO (Bernard Raymond), « Note sur l’Ordonnance de référé
n°13/OR/PCA/90-91 du 25 avril 1991 affaire journal Le Messager contre Etat du
Cameroun (MINAT) », Juridis Infos n° 17 janvier- février-mars 1994, pp.54 -56.
47. GUIMDO (Bernard Raymond), « La protection juridictionnelle de la liberté de
religion au Cameroun », Revue Droit et Cultures, n°42-2001/2, pp. 39-56.
48. HAURIOU (André), « Le droit administratif de l’aléatoire », Mélanges offerts à
Louis TROTABAS, Paris, L.G.D.J., 1970, p. 197.

670
49. HOSTIOU (René), « A propos de la liberté d’expression cinématographique.
Remarques sur la fonction normative du juge administratif », Service public et
libertés : Mélanges offerts au professeur Robert-Edouard CHARLIER, Paris, éd.
Emile-Paul, 1981, p. 793.
50. Cahier de l’Institut français des sciences administratives, N° 16, Le pouvoir
discrétionnaire et le juge administratif, 1978, 93 pages.
51. JACQUOT (Henri), « Le contentieux administratif au Cameroun », in R.C.D.,
n°7, pp. 9-31 et n°8, pp. 113-139.
52. JEZE (Gaston), « Essai d’une théorie générale des motifs déterminants », R.D.P.
1922, p. 378.
53. KAMTO (Maurice), « Actes de gouvernement et droits de l’homme », Lex Lata,
n°26, mai 1996, pp. 9-14.
54. KAMTO (Maurice), « La fonction administrative contentieuse de la Cour
suprême du Cameroun », DE GAUDUSSON J. et CONAC G., Les Cours
suprême en Afrique, tome III, pp. 52.
55. KAMTO (Maurice) et GUIMDO (Bernard Raymond), « Le silence de
l’administration en droit administratif camerounais », Lex Lata, n° 005, décembre
1994, pp. 10-14.
56. KEBA MBAYE, « Droit et développement en Afrique francophone de l’ouest »,
in R.S.D., n°1, août 1967, pp. 23-81.
57. KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), « L’autorisation tacite cinq ans après sa
consécration en droit positif camerounais », Juridis Périodique n° 28, oct-nov-
déc., 1996, pp. 73-81.
58. KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), « Le régime juridique du sursis à
exécution dans la jurisprudence administrative camerounaise », Juridis
Périodique n° 38, avril-mai-juin 1999, pp. 83-92.
59. KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), « L’obligation de motiver certaines
décisions administratives au Cameroun », Juridis Périodique n°31, juillet-août-
septembre 1997, pp. 60-66.
60. KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), « Note sur l’Ordonnance de référé n°6 du
08 décembre1998, SOSSO Emmanuel contre crédit foncier du Cameroun »,
Juridis Périodique n° 45, 2001, pp.41-45.

671
61. KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), « La reforme attendue du contentieux
administratif au Cameroun », JP, n°70, avril – mai – juin 2007. pp.24-29.
62. LACHAUME (Jean-François), « Droits fondamentaux et droit administratif »,
A.J.D.A. 1998, n° spécial, p. 92.
63. LAMPUE (Pierre), « La justice administrative dans les Etats d’Afrique
francophone », in RJPIC, 1965, pp. 3-31.
64. LATOURNERIE (R.), « Un lazare juridique. Bulletin de santé de la notion de
service public. Agonie, convalescence, jouvence ? », E.D.C.E., 1960, pp.
65. LETOURNEUR (Maxime), « L’étendue du contrôle du juge de l’excès de
pouvoir », E.D.C.E., n°16, 1962, pp. 51-83.
66. LIMBOUYE YEM Christian, « Le problème de la détermination de l’autorité
habilitée à recevoir le recours gracieux préalable lorsque collectivité et
établissements publics sont en cause », in Lex Lata, N°014, mai 1995, pp. 3-11.
67. MATERI YEM GOURI, « Bilan de l’unité du Droit administratif dans les pays
d’Afrique noire francophone », Penant, n° 797, 1988, pp. 293-307.
68. MBARGA (Emile), « L’évolution de la juridiction du Conseil d’Etat français sur
le Cameroun », Annales de la F.D.S.E., n°7, 1974, pp. 4-34.
69. MELLERAY (Fabrice), « L’exorbitance du droit administratif en question(s) »,
A.J.D.A. 2003, p. 961.
70. MESCHERIAKOFF (Alain Serges), « Le déclin de la fonction administrative
contentieuse au Cameroun », in R.J.P.I.C., tome 34, décembre 1980, pp. 825-840.
71. MESCHERIAKOFF (Alain Serges), « Le recours gracieux préalable dans la
jurisprudence administrative camerounaise », R.C.D., 1978, n° 15 et 16, série II,
pp. 42-55.
72. MESCHERIAKOFF (Alain Serges), « L’ordre patrimonial : Essai
d’interprétation du fonctionnement de l’administration patrimoniale dans les pays
d’Afrique francophone subsaharienne », in R.F.A.P., 1987, n°42.
73. MOMO (Bernard), « Le problème des délais dans le contentieux administratif
camerounais », Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de
l’Université de Dschang, Tome I, volume I, 1997, pp. 136-161.
74. MOMO (Claude), « L’évolution du droit de la fonction publique au
Cameroun », in Juridis périodique, n° 86, avril-mai-juin 2011, pp. 83-103.

672
75. MORANGE (Georges), « Le principe des droits de la défense devant
l’administration active », in Dalloz, chronique, 1956, pp. 121-126.
76. NJOCKE (Henri-Claude), « Juridiction administrative : une réforme
inachevée », in Juridis Périodique n° 74, avril-mai-juin 2008, pp. 49-63.
77. ONDOA (Magloire), « Le droit administratif français en Afrique francophone :
Contribution à l’étude de la réception des droits étrangers en droit interne », in
R.J.P.I.C., tome 2, sept-déc. 2002, pp. 287-333.
78. OULD BOUBOUT (Ahmed Salem), « Existe-t-il un contentieux administratif
autonome en Mauritanie ? Réflexions à propos d’une décision juridictionnelle
récente », Penant, n° 786-787, 1985, pp. 58-88.
79. PASBERQ (Chantal), « De la frontière entre la légalité et l’opportunité dans la
jurisprudence du juge de l’excès de pouvoir », R.D.P., 1980, pp. 804-849.
80. PRINBORGNE (D.), « Les sanctions administratives », Jurisclasseur Droit
administratif, fascicule 202, pp. 5.
81. PUECH (Marc), « De la mise en danger d’autrui », Dalloz, 1994, Chronique,
p.153.
82. REGLADE (M.), « Le contrôle juridictionnel de l’opportunité », R.D.P., 1925,
p. 435.
83. RISSOUCK à MOULONG (Martin), « La motivation des décisions de justice,
une exigence de la démocratie », Réquisitions données le 23 février 2012 à
l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de la Cour Suprême, inédit, 7
pages.
84. RIVERO (Jean), « Le phénomène d’imitation des modèles étrangers », in Les
pages de doctrine, Paris, L.G.D.J., 1980, pp. 116.
85. SCHAEFFER (Eugène), « Aliénation-Réception-Authenticité. Réflexions sur le
droit du développement », Penant, 1974, pp. 311-332.
86. SINDJOUN (Luc), « Esquisse de théorie du droit administratif camerounais »,
Penant, n°813, oct.-déc. 1993, pp.323-330.
87. SUR (Serges), « Sur l’obligation de motiver formellement les actes
administratifs », AJDA, juillet-août 1974, pp. 349-367.
88. TOURET (C.), « Le partage des responsabilités maire-préfet », eod loc., p. 25.

673
89. TRUCHET (Didier), « A propos de l’évolution du droit administratif : loi
d’extension et loi de convergence », Droit administratif, Mélanges René
CHAPUS, Paris, Montchrestien, 1992, p. 633.

90. TRUCHET (Didier), « La structure du droit administratif peut-elle demeurer


binaire ? », in Clés pour le siècle, Université Panthéon-Assas, Paris, Dalloz,
2000, p. 436.

91. VEDEL (Georges), « Les bases constitutionnelles du droit administratif »,


E.D.C.E. 1954, p. 36.

III–DROIT PUBLIC GENERAL, DROIT ET CONTENTIEUX


CONSTITUTIONNELS, ETAT.

A – Traités et manuels

1. BURDEAU (Georges), Traité de science politique, Tome II, l’Etat, Paris,


L.G.D.J., 3e édition, 1980, 577 pages.
2. BURDEAU (Georges), Traité de science politique, Tome III, Le statut du
pouvoir dans l’Etat, Paris, L.G.D.J., 3e édition, 1984, 620 pages.
3. CARRE DE MALBERG (Raymond), Contribution à la théorie générale de
l’Etat, Paris, Dalloz, Tome 1, rééd. présentée par Eric MAULIN, 2004, 837
pages.
4. CARRE DE MALBERG (Raymond), Contribution à la théorie générale de
l’Etat, Paris, Dalloz, Tome 2, rééd. présentée par Eric MAULIN, 2004, 638
pages.
5. DUGUIT (Léon), Traité de droit constitutionnel, Tome II, La théorie générale
de l’Etat, Première partie, éléments, fonctions et organes de l’Etat, Edition de
Boccart, Paris, 1928, 887 pages.
6. FAVOREU (Louis) et alii, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 6ème édition,
2003, 921 p.
7. LAMPUE (Pierre), Droit d’outre-mer et de la coopération, Paris, Dalloz, 4ème
édition, 1969, 383 p.
8. TROPER (Michel), CHAGNOLLAUD (Dominique), Traité international de
droit constitutionnel, Tome 1, Théorie de la Constitution, Paris, Dalloz, 2012,
816p.

674
9. TROPER (Michel), CHAGNOLLAUD (Dominique), Traité international de
droit constitutionnel, Tome 2, Distribution des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2012,
805p.
10. TROPER (Michel), CHAGNOLLAUD (Dominique), Traité international de
droit constitutionnel, Tome 3, Suprématie de la Constitution, Paris, Dalloz, 2012,
825p.

B – Ouvrages collectifs, monographies et thèses.

1. BAYART (Jean François), L’Etat au Cameroun, Paris, Presses de la Fondation


Nationale de Sciences Politiques, 1985, 348 p.

2. BORELLA (François), L’évolution politique et juridique de l’Union française


de puis 1946, Paris, L.G.D.J., 1958, 499 pages.

3. GONIDEC (Pierre François), L’Etat africain. Evolution-Fédéralisme-


Centralisation et décentralisation, panafricanisme, Paris, L.G.D.J., B.A.M.,
1970, 440 pages.

4. GONIDEC (Pierre François), Les systèmes politiques africains, IIème partie :


Les réalités du pouvoir, Paris, L.G.D.J., B.A.M., 1974, 353 pages.
5. GONIDEC (Pierre François) et BOCKEL (Alain), L’Etat africain, Paris,
L.G.D.J., 1985, 362 pages.
6. KAMTO (Maurice), Pouvoir et droit en Afrique. Essai sur les fondements du
constitutionnalisme dans les pays d’Afrique noire francophone, Paris, L.G.D.J.,
B.A.M., 1987, 545 pages.
7. NGUELE ABADA (Marcelin), Etat de droit et démocratisation. Contribution à
l’étude de l’évolution politique et constitutionnelle du Cameroun, Thèse Droit
public, Paris I, 1995, 670 pages.
8. OLINGA (Alain Didier), La Constitution de la République du Cameroun,
Yaoundé, Presses de l’UCAC, 2ème édition revue et corrigée, 2013, 272 p.
9. ONDOA (Magloire), Introduction historique au droit camerounais : la
formation initiale. Eléments pour une théorie de l’autonomie des droits africains,
Yaoundé, Les éditions le Kilimandjaro, Collection doctrine juridique africaine et
malgache, 2013, 319 pages.

675
C – Articles

1. ABA’A OYONO Jean Calvin, « La mélopée de la précaution dans les sécrétions


du droit public interne du Cameroun », in Juridis Périodique n° 66, avril-mai-juin
2006, pp. 67-91.
2. ATANGANA AMOUGOU (Jean Louis), « La constitutionnalisation du droit en
Afrique : l’exemple de la création du Conseil constitutionnel camerounais », in
A.I.J.C. XIX, Economica/PUAM, 2004, pp. 45-63.
3. AVRIL (P.), « Qui fait la loi ? », Pouvoirs, n°114, 2005, pp. 89-99.
4. BILOUNGA Steve Thiery), « La crise de la loi en droit public camerounais », in
RADSP, Vol. 1, n° 1, janvier-juin 2013, pp. 57-86.
5. BIPOUN WOUM (Joseph-Marie), « Les origines constitutionnelles du
Cameroun », in Revue juridique, politique et économique du Maroc, numéro
spécial, 2-1989, pp. 85-107.
6. BLANQUER (Jean Marie), « Bloc de constitutionnalité ou ordre
constitutionnel », in Mélanges Jacques ROBERT, 1998, p. 227.
7. BON (Pierre), « Constitution de 1958 et droit administratif », L.P.A., 1er
décembre 1993, n° 144, p. 4.
8. BOURGI (Albert), « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique : du
formalisme à l’effectivité », in R.F.D.C. n°52, oct.-dec 2002, pp.721-748.
9. BRETON (Jean Marie), « Trente ans de constitutionnalisme d’importation dans
les pays d’Afrique noire francophone entre mimétisme et réception critique :
cohérences et incohérences (1960-1990) », communication présentée à
Heidelberg, en octobre 2002, devant la Gesellschaft fur Afrikanisches Recht, de
l’Université de Bayreuth.
10. BURDEAU (Georges), « Problèmes fondamentaux de l’Etat », Les cours de
droit, 1968-1969, tome II.
11. BURDEAU (George, « Remarques sur la classification des fonctions étatiques »,
in R.D.P., 1945, pp. 208-228.
12. CHARLIER (Robert Edouard), « Les fins du droit public moderne », R.D.P.,
1947, p. 147.
13. CHEVALIER (Jacques), « l’Etat de droit », RDP-2, 1988, pp 313-377.

676
14. CONAC (Gérard), « Les constitutions des Etats d’Afrique et leur effectivité »,
in Dynamiques et finalités des droits africains, Paris, Ed. Economica, 1980, p.
385-413.
15. DONFACK SOKENG (Léopold), « Cameroun: le contrôle de constitutionnalité
des lois hier et aujourd’hui. Réflexion sur certains aspects de la réception du
constitutionnalisme moderne en droit camerounais », in, MELONE Stanislas,
MINKOA SHE Adolphe et SINDJOUN Luc, (sous la direction de), La réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996, aspects juridiques et politiques, Yaoundé,
Fondation Friedrich Ebert, 1996, p. 382-405.
16. DOUNKENG ZELE (Champlain), « L’instrumentalisation ou les usages
politico-juridiques de l’Etat de droit »,
17. DUBOIS DE GAUDUSSON (Jean), « Défense et illustration du
constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir »,
Renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l’honneur de Louis FAVOREU,
Paris, Dalloz, 2007, pp. 607-627
18. FAURE (Bertrand), « les objectifs de valeur constitutionnelle : une nouvelle
catégorie juridique ? » in R.F.D.A., 1995, p. 47.
19. FAVOREU (Louis), « La constitutionnalisation du droit », L’unité du droit :
Mélanges en hommage à Roland DRAGO, Paris, Economica, 1996, p. 25.
20. FAVOREU (Louis), « Légalité et constitutionnalité », CCC, N°3, 1997, pp. 73-
81.
21. FAVOREU (L.), « Le droit constitutionnel jurisprudentiel », Rev. dr. pub., 1989,
pp. 399-503.
22. FAVOREU (Louis), « Le pouvoir normatif primaire du Gouvernement en droit
français », R.F.D.C. 1997, p. 713.
23. FAVOREU (L.), « Le principe de constitutionnalité. Essai de définition d’après
la jurisprudence du conseil constitutionnel », in Mélanges Charles EISENMANN,
Paris, Cujas, 1975, pp. 34-41.
24. FONTAINE (Laureline), « Pouvoirs exceptionnels vs garantie des droits :
l’ambiguïté de la question constitutionnelle », R.D.P., 2009, p. 351.
25. FOUMANE AKAME (Jean), « Les grandes étapes de la construction juridique
au Cameroun de 1958 à 1978 », Rec. Penant, n°764, 1979, pp. 188-196.

677
26. FOYER (Jean), « Les destinées du droit français en Afrique », Penant, 1962, pp.
1-6.
27. GALLETTI (Florence), « La portée du droit constitutionnel. Chronique d’une
évolution doctrinale en Afrique de l’ouest », in Politéia – vol. 1/ N°1, 2001, pp.
115-138.
28. GICQUEL (Jean), « le présidentialisme négro-africain. L’exemple
camerounais », in Le pouvoir, Mélanges offerts à Georges Burdeau, Paris,
L.G.D.J., 1977.
29. GICQUEL (Jean), « La mise en place du Conseil constitutionnel camerounais »,
in Mélanges en l’honneur de Henri JACQUOT, Presses universitaires d’Orléans,
2006, 616 pages, surtout pp. 253-263.
30. KAMTO (Maurice), « La dynamique constitutionnelle du Cameroun
indépendant », RJA, 1991.
31. KAMTO (Maurice), « Les mutations de la justice camerounaise à la lumière des
développements constitutionnelles de 1996 », RASJ, Vol. 1, n°1, pp.9-19.
32. KAMTO (Maurice), « Pauvreté et souveraineté dans l’ordre international
contemporain », Mélanges offerts à Paul ISOART, Paris, Pedone, 1996, p. 20.
33. KEBA MBAYE, « Droit et développement en Afrique francophone de l’ouest »,
in R.S.D., n°1, août 1967, pp. 23-81.
34. KOFFI AHADZI, « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain : le
cas des Etats d’Afrique noire francophone », in Afrique juridique et politique,
juil-déc. 2002, pp. 35-86.
35. KONTCHOU KOUOMEGNI (Augustin), « Idéologies et institutions
politiques : l’impact de l’unité nationale sur l’Etat camerounais », CONAC
Gérard (sous/dir.), Dynamique et finalités des droits africains, Paris, Economica,
1980, p. 442.
36. KONTCHOU KOUOMEGNI (Augustin), « Le droit public camerounais,
instrument de construction de l’unité nationale », in R.J.P.I.C., tome 33, 1979,
n°4, pp. 415-441.
37. KONTCHOU KOUOMEGNI (Augustin), « Vers un nouveau modèle de
contrôle de la constitutionnalité des lois au Cameroun », in CONAC (Gérard)
(sous/dir), Les cours suprêmes en Afrique, Tome II, La jurisprudence, droit

678
constitutionnel, droit social, droit international, droit financier, Paris,
Economica, 1989, pp. 44-63.
38. LEKENE DONFACK (Etienne Charles), « Les sources juridiques de la
législation d’exception en République Unie du Cameroun », in R.C.D., n°15 et
16, Série II, 1978, pp. 12-22.
39. LUCHAIRE (François), « Quelles sont les lois applicables de plein droit dans la
France d’outre-mer ? », in Dalloz-chronique, 1950, pp. 135-140.
40. LUCHAIRE (François), « Togo et Cameroun », in Encyclopédie Dalloz, Droit
administratif, Tome 2, Répertoire de droit public et administratif, pp. 921-926.
41. MBOME (François), « Le contrôle de la constitutionnalité des lois au
Cameroun », in RCD, n°s 13-14, 1977, 30-43.
42. MBOME (François), « Les expériences de révision constitutionnelle au
Cameroun », Rec. Penant, n° 808, 1992, pp. 19-45.
43. MBOME (François), « Les rapports entre l’exécutif et le parlement », in Lex
Lata n° 023-024, février-mars 1996, pp. 25-28.
44. MEDARD (Jean François), « La spécificité des pouvoirs africains », in
Pouvoirs, n°25, 1985, pp. 5-21.
45. MOMO (Bernard), « Le parlement camerounais », in Lex Lata février-mars
1996, « spécial Constitution », pp. 21-24.
46. MOMO (Claude), « heurs et malheurs de la justice constitutionnelle au
Cameroun », in Juridis Périodique n° 64, octobre-novembre-décembre 2005, pp.
49-60.
47. MOUANGUE KOBILA (James), « Le préambule du texte constitutionnel du 18
Janvier 1996 : de l’enseigne décorative à l’étalage utilitaire », in Lex lata, n° 023-
024, p. 33
48. MOUANGUE KOBILA (James), « Peut-on parler d’un reflux du
constitutionnalisme au Cameroun ? », in R.A.S.J., vol. 6, n° 1, 2009, pp. 267-306.
49. MOYRAND (Alain), « Réflexions sur l’introduction de l’Etat de droit en
Afrique noire francophone », RIDC, 4-1991, pp. 853-878.
50. NGUELE ABADA (Marcelin), « La réforme constitutionnelle du 18 janvier
1996 en République du Cameroun », in Droits africains, n° 15/16, 1995-1996, pp.
72-81.

679
51. NGUELE ABADA (Marcelin), « L’indépendance des juridictions
constitutionnelles dans le constitutionalisme des Etats francophone post guerre
froide : l’exemple du Conseil constitutionnel camerounais », pp. 1-22.
52. NGUELE ABADA (Marcelin), « Ruptures et continuités constitutionnelles en
République du Cameroun : Réflexions à propos de la réforme constitutionnelle du
18 Janvier 1996 », RJPIC, n° 3 Septembre-Décembre 1996, pp. 272-293.
53. OLINGA (Alain Didier), « L’article 67 de la Constitution », in Lex Lata n° 33,
mars 1997, pp. 3-9.
54. OLINGA (Alain Didier), « Le pouvoir exécutif dans la constitution révisée », in
Lex Lata n° 023-024, février-mars 1996, pp. 29-32.
55. ONDOA (Magloire), « La dé-présidentialisation du régime politique
camerounais RADP, Vol. I, n°1, juin-déc. EDLK, 2012, pp. 121-149.
56. ONDOA (Magloire), « La constitution duale : recherches sur les dispositions
constitutionnelles transitoires au Cameroun », in R.A.S.J., Vol.2, n°1, 2000,
pp.20-56.
57. OWONA (Joseph), « La réforme politique et constitutionnelle de la République
Unie du Cameroun », in R.J.P.I.C., n°4, 1975, pp.
58. OWONA (Joseph), « L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique
noire : Etude de quelques « Constitutions Janus », Mélanges en l’honneur de
Pierre-François GONIDEC, LGDJ, 1985. pp. 235-243.
59. OWONA (Joseph), « l’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le
droit public camerounais », in R.C.D., n°6, juil-déc. 1974, pp. 104-123.
60. TCHEUWA (Jean Claude), « L’environnement en droit positif camerounais »,
in Juridis Périodique n° 63, juillet-août-septembre 2005, pp. 87-113.
61. VERGNAUD (Paul), « La levée de la tutelle et la réunification du Cameroun »,
RJPOM, 1964, p. 556.

IV– DROITS ET LIBERTES FONDAMENTAUX, LIBERTES PUBLIQUES,


LIBERTE.

A – Traités et manuels

1. BURDEAU (Georges), Les libertés publiques, Paris, L.G.D.J., 3e édition 1991,


388 p.

680
2. FAVOREU (L.), GAÏA (P.), GHEVONTIAN (R.), MELIN-
SOUCRAMANIEN (F.), PENA-SOLER (A.),PFERSMANN (O.), PINI (J.),
ROUX (A.), SCOFFONI (G.), TREMEAU (J.), Droit des libertés
fondamentales, Dalloz, 4ème éd, 2007, 622 pages.
3. LEBRETON (Gilles), Libertés publiques et droits de l’homme, Paris, Armand-
Colin, 7e édition, 2005, 527 pages.
4. MORANGE (Jean), Les libertés publiques, Paris, P.U.F., Collection « Que sais-
je ? », 8ème édition, 2007, 127 pages.
5. LEVINET (Michel), Droits et libertés fondamentaux, Paris, P.U.F., Collection
« Que sais-je ? », 2010, 126 pages.
6. RIVERO (Jean), Les libertés publiques, tome I, Les droits de l’homme, Paris,
P.U.F., Collection Thémis, 8ème édition, 1997, 314 pages.
7. RIVERO (Jean), Libertés publiques, Tome II, Le régime des principales libertés
publiques, Paris, P.U.F., Collection Thémis, 8ème édition, 1997, 405 pages.
8. ROBERT (Jacques) et DUFFAR (Jean), Droits de l’homme et libertés
fondamentales, Paris, Domat , droit public, Montchréstien, 7ème édition, 1999, 909
pages.
9. WACHSMAN (Patrick), Les droits de l’homme, Paris, Dalloz, Collection « La
connaissance du droit », 3e édition, 1999.
10. WACHSMANN (Patrick), Libertés publiques, Paris, Dalloz, 6ème éd., 2009,
730 pages.

B – Ouvrages collectifs, monographies et thèses

1. FONTAINE (L.), LARRALDE (J.-M.), ARMAND (G.), Pouvoirs


exceptionnels et droits fondamentaux, Cahiers de la recherche sur les droits
fondamentaux, n°8, Presses universitaires de Caen, 2008, 188 p.
2. LEBRETON (Gilles) (sous/dir), L’évolution des droits fondamentaux de la
personne humaine en 1997 et 1998, Paris, L’Harmattan, 2000, 249 pages.
3. LUCHAIRE (François), La protection constitutionnelle des droits et des
libertés, Paris, Economica, 1987, 501 pages.

681
4. MINKOA SHE (Adolphe), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun,
Paris, Economica, Collection « La vie du droit en Afrique », Paris, 1999, 332
pages .
5. ROLLAND (Patrice), La protection des libertés en France, Paris, Dalloz, 1995,
125 pages.
6. UNIVERSITES FRANCOPHONES, L’effectivité des droits fondamentaux
dans les pays de la communauté francophone, A.U.P.E.L.F.-U.R.E.F., Montréal,
1994, 687 pages.
7. VEDEL (Georges) et DELVOLVE (Pierre), Le système français de protection
des administrés contre l’administration, Paris, Sirey, 1991.

C – Articles

1. BELLOUBET-FRIER (Nicole), « la dénaturation des libertés publiques »,


R.D.P., 1993, p. 239.
2. CHAMPEIL-DESPLATS (Véronique), « La notion de droit « fondamental » et
le droit constitutionnel français », Recueil Dalloz Sirey, 1995, 42e Cahier-
chronique, pp. 342-329.
3. DIARRA (Abdoulaye), « La protection constitutionnelle des droits et des
libertés en Afrique francophone depuis 1990, les cas du Mali et du Benin », in
Revue Afrilex sur le site u-bordeaux4.fr n° 2, septembre 2001, p. 1-30.
4. DJILA (Rose), « Contribution à l’étude de la protection de la liberté individuelle
au Cameroun depuis 1990 », Juridis Périodique, n°26, avril-mai-juin 1996, pp.
84-96.
5. DONFACK SOCKENG (Léopold), « Les incertitudes de la notion de libertés
publiques », in Annales de la FSJP de l’Université de DSCHANG, Tome 1,
volume 2, PUA, 1997, pp. 23-38.
6. EDELMAN (Bernard), « La dignité de la personne humaine, un nouveau
concept », D. 1997, chron., p. 185.
7. FRAISSEX (Patrick), « La sauvegarde de la dignité de la personne et de
l’espèce humaine : de l’incantation à la judiciarisation. », R.R.J.-droit prospectif,
n°4, 1999, p. 1130.

682
8. FROMONT (Michel), « Les droits fondamentaux dans l’ordre juridique de la
République Fédérale d’Allemagne », in Mélanges en hommage à Charles
EISENMANN, Ed. Cujas, Paris, 1977, pp 49- 64.
9. GOBERT (M.), « Le principe de sauvegarde de la dignité de la personne
humaine (Rapport de synthèse) », in La dignité de la personne humaine, Paris,
Economica, 1998, p. 159 et suiv.
10. GUIMDO DONGMO (Bernard Raymond), « Le droit d’accès a la justice
administrative au Cameroun. Contribution à l’étude d’un droit fondamental », in
RASJ, vol. 4 n° 1, 2007, pp. 169 et suiv;
11. GUIMDO (Bernard Raymond), « La protection juridictionnelle de la liberté de
religion au Cameroun », Revue Droit et Cultures, n°42-2001/2, pp. 39-56.
12. HOSTIOU (René), « A propos de la liberté d’expression cinématographique.
Remarques sur la fonction normative du juge administratif », Service public et
libertés : Mélanges offerts au professeur Robert-Edouard CHARLIER, Paris, éd.
Emile-Paul, 1981, p. 793.
13. KAMTO (Maurice), « L’énoncé des droits dans les constitutions des Etats
africains francophones », R.J.A., 1991, n° 2 et 3, p. 15.
14. KEBA MBAYE, « Le développement et les Droits de l’Homme », RSD, n°22,
Spécial, 1978, p. 32.
15. LACHAUME (Jean-François), « Droits fondamentaux et droit administratif »,
A.J.D.A. 1998, n° spécial, p. 92.
16. LIGNEAU (Philippe), « Le procédé de la déclaration préalable », in R.D.P.,
1976, p. 751.
17. MANKOU (M.), « Droits de l’homme, démocratie et Etat de droit dans la
Convention de Lomé IV », in R.J.P.I.C., n°3, sept-déc. 2000.
18. MARTIN (P. M.), « La déclaration préalable à l’exercice des libertés
publiques », in A.J.D.A., 1975, p. 436.
19. MAURER (B.), « Le principe de respect de la dignité de la personne humaine et
la C.E.D.H. », Paris, La Documentation française, 1999.
20. METOU (Brusil Miranda.), « Vingt ans de contentieux des libertés publiques
au Cameroun», RASJ, Vol. 8, n° 1, 2011, pp. 267-287.

683
21. MORANGE (Jean), « La crise de la notion de liberté publique », L’unité du
droit : Mélanges en hommage à Roland DRAGO, Paris, Economica, 1991, p. 91.
22. NGUELE ABADA (Marcelin), « Etat de droit et libertés fondamentales au
Cameroun », in R.J.P.I.C., octobre 1995, pp. 285-303.
23. OLINGA (A. D.), « L’Afrique face à la « globalisation » des techniques de
protection des droits fondamentaux », Présence africaine, n°159, 1999, pp. 27-45.
24. OLINGA (Alain Didier), « L’aménagement des droits et libertés dans la
constitution camerounaise révisée », RUDH, 1996, pp. 116-126.
25. OLINGA (Alain Didier), « Vers une garantie constitutionnelle crédible des
droits fondamentaux », in MELONE S., MINKOA SHE A., et SINDJOUN L.,
(Sous/ dir.), La réforme constitutionnelle du 18 Janvier 1996 au Cameroun.
Aspects juridiques et politiques, Yaoundé, Friedrich Ebert, 1996, p.320.
26. PICARD (Etienne), « L’émergence des droits fondamentaux en France »,
A.J.D.A. 1998, n° spécial, p. 9.
27. POUGOUE (Paul Gérard), « La législation camerounaise et protection des
droits de l’homme», CADH, n°4, juillet 2000, pp. 101-119.
28. PROUZET (Michel), « Contribution à la notion de libertés publiques en Afrique
noire. Cas particulier de l’Afrique occidentale », in Le pouvoir, Mélanges offerts
à Georges BURDEAU, Paris, L.G.D.J., 1977.
29. RIVERO (Jean), « Les limites de la liberté », Libertés : Mélanges Jacques
ROBERT, Paris, Montchrestien, 1998, p. 189.
30. SAINT JAMES, « Réflexions sur la dignité de l’être humain en tant que concept
juridique du droit français », Dalloz, 1997, Chron., p. 61.
31. THEROND (Jean Pierre), « Dignité et liberté. Propos sur une jurisprudence
contestable », Pouvoir et liberté : Etudes offertes à Jacques MOURGEON,
Bruxelles, Bruylant, 1998, p.295.
32. VERPAUX (Michel), « La liberté », A.J.D.A. 1998, n° spécial, p. 144.

V – EVOLUTIONS, MUTATIONS ET TRANSFORMATIONS DU DROIT.

A – Ouvrages collectifs, monographies et thèses

1. CHEVALIER (Jacques) (sous/dir), Le droit administratif en mutation,


C.U.R.R.A.P., Paris, P.U.F., 1993, 128 pages.

684
2. DALOZ (Jean Pierre) et QUANTIN (Patrick) (Etudes réunies et présentées
par), Les transitions démocratiques africaines : dynamiques et contraintes, Paris,
Karthala, 1997, 326 pages.
3. DUGUIT (Léon), Les transformations du droit public, Paris, Armand-Colin,
Collection « La mémoire du droit », 1999, 285 pages.
4. GALLETTI (Florence), Les transformations du droit public africain
francophone. Entre étatisme et libéralisation, Bruxelles, Bruylant, 2004, 682
pages.
5. GONIDEC (Pierre François), Les droits africains. Evolutions et sources, Paris,
LGD.J., 2e édition, 1976, 290 pages.
6. LARZUL (Tanneguy), Les mutations des sources du droit administratif, Paris,
L’Hermès, 1994, 454 pages.

B – Articles de doctrine

1. CHEVALIER (Jacques), « L’évolution du droit administratif », R.D.P., 1998, p.


1794.
2. CHEVALIER (Jacques), « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de
la régulation juridique », R.D.P., n° 3- 1998, p. 659-690.
3. DOUMBE BILLE (Stéphane), « Les transformations au Cameroun : un
processus d’élargissement prudent », in ROUSSILLON Henry (sous/dir.), Les
nouvelles constitutions africaines : la transition démocratique, Presses de l’I.E.P.
de Toulouse, pp. 69-81.
4. DUBOIS DE GAUDUSSON (Jean), « Crise de l’interventionnisme et
libéralisation en Afrique », in R.J.P.I.C., 1984, pp. 1-5.
5. GERVAIS (M.), « Dimension politique de l’ajustement et redéfinition de l’Etat
africain : position de l’aide canadienne », in l’Etat en Afrique, indigénisation et
modernité, G.E.M.D.E.V., Paris, p. 234.
6. KAMTO (Maurice), « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme
politique au Cameroun », in CONAC Gérard (sous/dir), L’Afrique en transition
vers le pluralisme politique, Paris, Economica, collection « La vie du droit en
Afrique », 1993, pp. 209-236.

685
7. KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), « Les mutations récentes du droit
administratif camerounais », in Juridis périodique, n°41, janv-mars 2000, pp. 75-
87.
8. L’HERITEAU (M. F.), « Le fonds monétaire international et les pays du tiers
monde »
9. MOUKOKO MBONJO (Pierre), « Le retour au multipartisme au Cameroun »,
in CONAC Gérard (sous/dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme
politique, Paris, Economica, 1993, pp. 237-250.
10. ONDOA (Magloire), « Ajustement structurel et réforme du fondement théorique
des droits africains post coloniaux : l’exemple du Cameroun », in R.A.S.J., Vol.
2, n° 1, 2001, pp.75-117.
11. ONDOA (Magloire), « Le droit public des Etats africains sous ajustement
structurel : le cas du Cameroun », in BEKOLO EBE Bruno, TOUNA MAMA,
FOUDA Séraphin Magloire, (sous/dir.), Mondialisation, exclusion et
développement africain: stratégies des acteurs privés, Mélanges offerts au
Professeur Georges NGANGO, Paris, Maison Neuve et Larose, 2003, p. 375

VI– POLICE, POLICE ADMINISTRATIVE, POLICE JUDICIAIRE, ORDRE


PUBLIC.

A – Ouvrages collectifs et monographies

1. DECOCQ (A.), MONTREUIL (J.), BUISSON (J.), Le droit de la police, Paris,


Litec, 2e édition, .
2. GLEISAL (J. J.), GATTI-DOMENECH (J.), JOURNES (C.), La police, le
cas des démocraties occidentales, Paris, P.U.F., Thémis, 1993, 390 pages.
3. LEPINEUX (B.), Approche institutionnelle de l’ordre public. Les fondements
idéalistes de la notion à l’épreuve de son contenu réaliste. Presses universitaires
de la Faculté de droit de Clermont-Ferrand, Paris, L.G.D.J., 2007, 439 pages.
4. L’HEUILLET (H.), Basse politique, haute police ; une approche historique et
philosophique de la police, Paris, Fayard, 2001, 434 pages.

686
5. LINOTTE (Didier) (sous/dir.), La police administrative existe-t-elle ?
Economica/P.U.A.M., Collection Droit positif, 1985.
6. L’ordre public : aspects nouveaux, Travaux de l’Association Henry CAPITANT,
2001.
7. L’ordre public (8 contributions), Paris, P.U.F., Politique d’aujourd’hui, 1996.
8. MINET (Charles-Edouard), Droit de la police administrative, Paris, Vuibert,
2007, 415 pages.
9. POLIN (Raymond) (sous/dir.), L’ordre public, Paris, P.U.F., Politique
d’aujourd’hui, 1996, 116 pages.
10. REDOR (Marie-Josée) (sous/dir.), L’ordre public : ordre public ou ordres
publics ? ordre public et droits fondamentaux, Actes du Colloque de Caen des 11
et 12 mai 2000, Bruxelles, Bruylant Nemesis, 2001, 436 pages.
11. REVET (Thierry) (sous/dir.), L’ordre public à la fin du 20e siècle, Paris, Dalloz,
1996, 111 pages.
12. ROMAIN (J.-F.) (sous/dir), L’ordre public. Concept et applications, Bruxelles,
Bruylant, 1995.
13. SINGER (J.), Police municipale. Le maire et les pouvoirs de police, Paris, Sirey,
1960.
14. SEILLER (Bertrand) (sous/dir), Les polices municipales en perspectives,
Colloque de Tours des 27 et 28 janvier 1999, Paris, Edition C.N.F.P.T., 1999, 303
pages.
15. TCHEN (Vincent), La notion de police administrative, Les travaux du Centre
d’études et de prospective, Paris, La documentation française, 2007, 200 pages.

B – Thèses

1. ATEMENGUE (Jean de Noël), la police administrative au Cameroun.


Recherches sur le maintien de l’ordre public, Thèse Droit, Lyon III, 1995, 352
pages.
2. BEAULAC (Laurent), La distinction police administrative-police judiciaire
conserve-t-elle une utilité ?, Thèse, Pau, 2001, 872 pages.
3. BERNARD (Paul), La notion d’ordre public en droit administratif, Paris,
L.G.D.J., B.D.P., 1962, 262 pages.

687
4. BON (Pierre), La police municipale, Thèse, Droit, Bordeaux, 1975, 750 pages.
5. CASTAGNE (Jean), Le contrôle juridictionnel de la légalité des actes de police
administrative, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1964, 216 pages.
6. DELHOSTE (Marie-France), Les polices administratives spéciales et le
principe d’indépendance des législations, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 2001, 290
pages
7. GREGOIRE (Delphine), Recherches sur les évolutions de la police
administrative. Une notion en voie de disparition, Thèse Droit, Bordeaux IV,
2006, 389 pages.
8. GAILLARD (Gilbert), Les polices spéciales en droit administratif, Thèse,
Grenoble, 1977, 334 pages.
9. JACQUINOT (Nathalie), Ordre public et constitution, Thèse, Aix-en-Provence,
2000, 426 pages.
10. KLEIN (Claude), La police du domaine public, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1966,
318 pages.
11. LEROY (F.), Le concours des polices générales et des polices spéciales, Thèse,
Lille, 1938, 256 pages.
12. MAILLARD DESGREES Du Loû (Dominique), Police générale, polices
spéciales. (Essai sur la spécificité des polices générales et spéciales), Thèse,
Rennes, 1988, 810 pages.
13. NIZARD (Lucien), La jurisprudence administrative des circonstances
exceptionnelles et la légalité, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1962, 294 pages.
14. PAPANICOLAÎDIS (Demetri), Introduction générale à la théorie de la police
administrative, Paris, L.G.D.J., B.D.P., 1960, 280 pages.
15. PASSELECQ (Olivier), La liberté du cinéma, Thèse, Droit, Paris II, 1976.
16. PICARD (Etienne), La notion de police administrative, 2 tomes, Paris,
L.G.D.J., B.D.P., 1984, 445 et 926 pages.
17. ROLLAND (Pierre), La liberté morale et l’ordre public, Thèse, Droit, Paris II,
1976, 745 pages.
18. TEITGEN (Pierre-Henry), La police municipale générale, l’ordre public et les
pouvoirs du maire, Paris, Sirey, 1934, 519 pages.

688
19. VINCENT LEGOUX (Marie-Caroline), L’ordre public. Etude de droit
comparé interne, Paris, P.U.F., 2001, 558 pages.

C – Articles

1. ATEMENGUE (Jean de Noël), « Le pouvoir de police administrative du


Président de la République au Cameroun. Réflexions sur les fondements de
l’ordre juridique », in Verfassung und recht in übersee, Nomos Verlags
gesellschaft, Baden-Baden, 35-Jahrgang-1., Quartal, 2002, pp. 81-107.
2. AUBY (Jean Marie), « La réglementation administrative du stationnement des
véhicules automobiles sur les voies publiques », Dalloz, Chronique, 1962, p. 83.
3. AUBY (Jean Marie), « Les sanctions administratives en matière de circulation
automobile », Dalloz, Chronique, 1952, p. 111.
4. BERLIA (Georges) et MORANGE (Georges), « La responsabilité de l’Etat à
raison du fonctionnement de ses services de police. (De l’arrêt Tomaso Grecco
aux arrêts Daramy et Lecomte …et aux décisions futures du Conseil d’Etat) »,
Dalloz, chronique, 1950, pp. 5-8.
5. BON (Pierre), « La police du stationnement et de la circulation », Paris, Sirey,
Bibl. coll. Loc.
6. BON (Pierre), « La police municipale », in Encyclopédie Dalloz, Collectivités
locales, Tome 3, 1996.
7. BON (Pierre), « Les lois de décentralisation et la police locale », L.P.A., 22 et 25
juillet 1983.
8. BUCHER (A.), « L’ordre public et le but social des lois », in R.C.A.D.I., 1993,
II.
9. BUNIET (Christian), « Contribution à l’étude du régime contentieux des polices
administratives spéciales », RDP 1981, pp. 1017-1064.
10. CAILLOSSE (Jacques), « La publicité vue du droit », A.J., 1985, p. 459.
11. CHALTEL (F.), « Le juge administratif, juge de l’immigration », in R.D.P.,
2000, p. 153.
12. CHARLES (Hubert), « L’esthétique contrôlée (le juge et l’esthétique à travers
la jurisprudence) », in Droit et ville, 1992, n°33, p. 101.

689
13. CLAISSE (Alain), « Prévenir plutôt que « surveiller et punir » : quand la loi met
la police administrative à l’écoute des droits fondamentaux européens », in
Pouvoirs n° 78, 1996, pp. 143-158.
14. COUTURIER (Gérard), « L’ordre public de protection, heurts et malheurs
d’une vieille notion neuve », Etudes offertes à Jacques FLOUR, Paris,
Répertoire du notariat Defrénois, 1979, p. 95.
15. DAVID PECHEUL (Tania Marie), « La contribution de la jurisprudence
constitutionnelle à la théorie de la police administrative », in R.F.D.A., 1998, p.
362.
16. DE GASTINES (L.), « La réforme du droit de la publicité, des enseignes et pré
enseignes », in R.D.P., 1981, p. 697.
17. DEMICHEL, « Les pouvoirs des maires en matière de police du cinéma »,
Annales Universitaires de Lyon, 1960.
18. DIREZ (P. H.), « Police et esthétique de la rue », D. H., 1927, p. 17 et suiv.
19. DJILA (Rose) et MAFO DIFFO (Raymond), « L’ordre public international en
droit OHADA », in Juridis Périodique n°98, avril-mai-juin 2014, pp. 103-112.
20. DUFAU (Jean), « Le régime juridique du stationnement des automobiles dans
les agglomérations », A.J.D.A., 1976, pp. 493.
21. DE SOTO (Jean), « Compte rendu bibliographique de la thèse de
PAPANICOLAÏDIS Demetri », in R.D.P., 1963.
22. DREIFUSS (Muriel), « L’articulation entre les pouvoirs de police générale et de
police spéciale en matière de risques industriels », in D. Chron., 2000, p. 642.
23. DUEZ (Paul), « Police et esthétique de la rue », in Dalloz hebdomadaire, 1927,
p. 17.
24. EMINI (Zéphirin), « La police au Cameroun : de l’autoritarisme à la
gouvernance sécuritaire », in Juridis Périodique, n°61, janv-fév-mars 2005, pp.
25. FATOME (Etienne), « Ordre public et domaine public », Les collectivités
locales : Mélanges en l’honneur de Jacques MOREAU, Paris, Economica, p. 187.
26. FRYDMAN (Patrick), « L’ordre public et le juge », eod, loc, p. 87.
27. GATTI-MONTAIN (J.), « La notion de police dans l’œuvre de Maurice
Hauriou », Cl. JOURNES (sous/dir.), Police et politique, P.U.L., 1987, p. 27.

690
28. GENTOT (Michel), « La police des édifices menaçant ruine », A.J.D.A., 1961,
p. 247.
29. GENTOT (Michel), « ordre public et libertés publiques. Le contrôle du juge
administratif », Administration, 1996, n° 173, Le préfet et l’ordre public, p. 26.
30. GERVAIS (A.), « Censure et police municipale », Revue administrative, 1961,
p.39 et suiv.
31. GWELTAZ (Eveillard), « Existe-t-il encore une responsabilité administrative
pour faute lourde en matière de police administrative ? », R.F.D.A. 2006, p. 733.
32. KITIO (Edouard), « La garde à vue administrative pour grand banditisme et le
respect des droits de l’homme au Cameroun. (Application de la loi N°90/054 du
19 décembre 1990 sur le maintien de l’ordre) », Juridis Périodique n° 30, avril-
mai-juin 1997, pp. 47-56.
33. KOUBI (Geneviève), « L’exercice conjoint du pouvoir de police en matière
routière », R.F.D.A., 1986, p. 12.
34. LAJOUS (J.), « La régulation juridique locale du stationnement », L.P.A., 19
octobre 1991, pp. 4.
35. LEBIGOT (Christelle), « Evolution de la sécurité publique dans le cadre de la
police administrative », in Revue Juridique de l’Ouest, n°3, 2000, pp. 327-354.
36. LEBRETON (Gilles), « Le juge administratif face à l’ordre moral », Droit
public : Mélanges Gustave PEISER, Paris, Presses universitaires de Grenoble,
1995, p. 363.
37. LEKENE DONFACK (Etienne Charles), « Les sources juridiques de la
législation d’exception en République fédérale du Cameroun » (1ère partie), in
RCD, série 2, n°s 15et 16, 1978, pp. 13-21.
38. LENCLOS (J. L.), « La réforme de la suspension administrative du permis de
conduire », in A.J.D.A., 1978, pp. 124.
39. LERCHER (Q.), « La suspension administrative du permis de conduire, in
Revue Administrative », 1991, n°152, pp. 150.
40. LONG (Marceau), « La gendarmerie et l’Etat de droit », R.F.S.A., 1991, p. 881.
41. MAILLARD DESGREES DU LOU (Dominique), « police administrative », D.
1994, p. 108.

691
42. MASUREL (Hervé), « L’exécution d’office des mesures de police
administrative », in AJDA juillet/août 1999, spécial, pp. 39-40.
43. MATHIEU (Bertrand), « Les contraintes constitutionnelles pesant sur
l’exécution d’office des mesures de police administrative », A.J.D.A., n° spécial,
1999, p. 53.
44. MATHIOT (André), « La théorie des circonstances exceptionnelles »,
L’évolution du droit public, Etudes offertes à Achille MESTRE, Paris, Sirey,
1956, p. 413.
45. MBONGO (Pierre), « Actualité et renouveau de la loi du 10 juillet 1936 sur les
groupes de combat et les milices privées », in R.D.P., 1998, p. 715 et suiv.
46. MELLERAY (Fabrice), « L’obligation de prendre des mesures de police
administratives initiales », A.J.D.A. janvier 2005, p. 71.
47. MENY (Yves), « Décentralisation et liberté d’expression : l’ordre moral à
Clochemerle ? », Droit de la mer : Etudes dédiées au doyen Claude-Albert
COLLIARD, Paris, Pedone, 1984, p. 553.
48. MODERNE (Franck), « Le stationnement payant », Gaz. Du Pal., 1973, Dalloz,
p. 519.
49. MOORE (J.-C.), « La ceinture de sécurité en question », Gaz. Du Pal., 1979,
Dalloz, p. 140.
50. MORAND-DEVILLER (Jacqueline), « Esthétique et droit de l’urbanisme », in
Le droit administratif, Mélanges René CHAPUS, Paris, Dalloz, 1992, p.
51. MORAND-DEVILLER (Jacqueline), « L’esthétique décrétée », in Droit et
Ville, n°33, 1992, p. 73.
52. MORAND-DEVILLER (Jacqueline), « Protection du patrimoine architectural :
le débat esthétique n’aura pas lieu (A propos des affaires des « colonnes de
Bureu » et de la grande terrasse de Saint Germain) », in R.F.D.A., 1994, p. 310.
53. MORANGE (Jean), « Réflexions sur la notion de sécurité routière », Dalloz,
Chronique, 1977, p. 61.
54. MOREAU (Jacques), « De l’interdiction faite à une autorité de police d’utiliser
une technique d’ordre contractuel » in A.J.D.A., 1965
55. MOREAU (Jacques), « La police administrative : Théorie générale », in
Juriclasseur administratif, fasc., 200, n° 17.

692
56. MOREAU (Jacques), « Police administrative et police judiciaire. Recherche
d’un critère de distinction », in A.J.D.A. 1963, p. 68.
57. MOURGEON (Jacques), « De l’immoralité dans ses rapports avec les libertés
publiques », Dalloz, 1974, chron., p. 247.
58. OLINGA (Alain Didier), Notes sous « Ordonnance de référé n°
30/OR/PCA/CS/2001-2002, Affaire Union des populations du Cameroun (UPC)
(Tendance KODOCK) c/ Etat du Cameroun (MINAT) & Union des populations
du Cameroun (UPC) (Tendance HOGBE NLEND) », in Juridis Périodique n° 52,
octobre-novembre-décembre 2002, pp. 17-27.
59. PAILLET (M.), « Police et responsabilité municipale sur le littoral après la loi
du 3 janvier 1986 », in L.P.A., 14 et 16 septembre 1987, pp.2 et suiv. et pp. 19 et
suiv.
60. PECHILLON (E.), « Protection de la jeunesse et contrôle des publications. Les
limites d’un pouvoir de police spéciale », in Revue Juridique Centre-Ouest, 1998,
pp. 467.
61. PEISER (Gustave), « La dissolution par décret des associations et groupements
politiques français », Dalloz, 1963, Chronique, p. 59.
62. PEKASSA NDAM (Gérard), « Les habits neufs » du contrôle administratif des
organes d’information depuis la réforme de 1990 au Cameroun », RISA, 2005,
pp.589-606.
63. PETIT (Jacques), « Nouvelle d’une antinomie : contrat et police », Les
collectivités locales, Mélanges en l’honneur de Jacques MOREAU, Paris,
Economica, 2002, P. 360.
64. PICARD (Etienne), « L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre
public », A.J.D.A., 20 juin 1996, n° spécial, p.55.
65. PLANTEY (Alain), « La législation des immeubles menaçant ruine », Dalloz,
1951, Chronique, p. 145.
66. POULET-GIBOT (Leclercq Nicole), « La suspension administrative du permis
de conduire », in R.F.D.A., 1992, pp. 112.
67. PRINBORGNE (D.), « Les sanctions administratives », Jurisclasseur Droit
administratif, fascicule 202, pp. 5.

693
68. PUECH (Marc), « De la mise en danger d’autrui », Dalloz, 1994, Chronique,
p.153.
69. RODRIGUEZ (Y.), « La protection administrative de l’esthétique », in Droit et
Ville, n° 33, 1992, p. 139.
70. SEBAG (Louis), « L’évolution d’une sanction hybride : le retrait du permis de
conduire », Dalloz, 1975, Chronique, pp. 229.
71. SOUDET (Pierre), « Nécessité et limites du contrôle cinématographique »,
E.D.C.E., n°30, 1979, p. 57.
72. TCHEN (Vincent), « La loi sur la sécurité intérieure : aspect de droit
administratif », D.A., 2003, p. 10.

73. TRUCHET (Didier), « L’autorité de police est-elle libre d’agir ? », A.J.D.A.


1999, n° spécial, p. 81.

74. VIGOUROUX (C.), « Le contrôle de la police, in l’Etat de droit », in l’Etat de


doit, Mélanges offerts à Guy BRAIBANT, Paris, Dalloz, 1996, pp. 743.
75. VIMBERT (Claude), « L’ordre public dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel », R.D.P. 1994, p. 47.
76. WATRIN (G.), « Quelques rapports entre les notions de police, domaine public
et service public », R.D.P. 1936, p. 147.

VII – DICTIONNAIRES ET LEXIQUES

1. CORNU (Gérard), Vocabulaire juridique, Paris, PUF/Quadrige, 4ème édition,


2003, 951 pages
2. GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz,
12ème édition, 1999, 561 pages.
3. GUILLIEN (Raymond) et Vincent (Jean), Lexique des termes juridiques, Paris,
Dalloz, 13ème Ed., 2001, 632p.
4. RIALS (Stéphane), ALLAND (Denis), Dictionnaire de la culture juridique,
Paris, PUF, 2003, 1640 pages.

VIII – TEXTES JURIDIQUES


1. Cameroun. Droits et libertés. Recueil des nouveaux textes, Yaoundé, Editions
SOPECAM, 1990, 395 pages.

694
2. GUIFFO MOPO (Jean Philippe), Constitutions du Cameroun. Documents
politiques et diplomatiques, Yaoundé, 1977, 494 pages.
3. MBARGA (Emile), Constitution et documents politiques du Cameroun, 1ère Ed.
Presbook Victoria, 1976, 181P.
4. NDACHI TAGNE (David), (Collecte et préface de), Textes juridiques sur la
Communication au Cameroun, Yaoundé, Les éditions du CRAC/Institut Panos,
1997, 154 pages.
5. KUATE (Jean Pierre), Les collectivités territoriales décentralisées au
Cameroun. Recueil de textes, Douala, 5ème édition, Imprimeries MACACOS,
2012, 815 pages.

695
INDEX DES TEXTES

696
I - TEXTES « COLONIAUX » ET ETRANGERS

1. Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789

2. Acte du 20 juillet 1922 donnant à la France mandat d’administrer le Cameroun

3. Constitution française du 27 octobre 1946

4. Constitution française du 4 octobre 1958

5. Loi du 9 août 1849 sur l’état de siège

6. Loi du 23 janvier 1873 sur l’ivresse publique

7. Loi du 3 Avril 1878 relative à l’état de siège et apportant quelques modifications à la


loi du 9 août 1849

8. Loi du 30 juin 1881 sur les réunions publiques

9. Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

10. Loi du 5 avril 1884 sur l’organisation municipale

11. Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association

12. Loi du 1er octobre 1917 sur la répression de l’ivresse publique et sur la police des
débits de boisson

13. Loi du 16 avril 1935 tendant à l’organisation et à l’assainissement du marché de la


viande

14. Loi du 13 août 1940 portant interdiction d’associations secrètes

15. Loi du 28 février 1947, prorogeant provisoirement certaines dispositions législatives


et réglementaires du temps de guerre.

16. Loi du 30 août 1947, prorogeant provisoirement certaines dispositions législatives et


réglementaires du temps de guerre

17. Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse

18. La loi n° 51-248 du 1er mars 1951 maintenant provisoirement en vigueur au-delà du
1er mars 1951 certaines dispositions législatives et règlementaires du temps de
guerre prorogées par la loi du 28 février 1950

697
19. Loi n° 51-248 du 1er mars 1951 maintenant provisoirement en vigueur au-delà du 1er
mars 1951 certaines dispositions législatives et règlementaires du temps de guerre

20. Loi n°92-130 du 6 février 1952 relative à la formation des assemblées de groupe et
des assemblées locales d’Afrique occidentale française et du Togo, d’Afrique
équatoriale française et du Cameroun et de Madagascar

21. Loi n° 55-1489 du 18 novembre 1955 relative à la réorganisation municipale en


Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale française, au Togo, au
Cameroun et à Madagascar

22. Ordonnance du 30 septembre 1944 relative à la réglementation provisoire de la


presse périodique en territoire métropolitain libéré

23. Ordonnance du 13 septembre 1945 relative à la réglementation provisoire de la


presse périodique dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle

24. Décret-loi du 30 octobre 1935 réformant le régime de l’interdiction de séjour

25. Décret-loi du 21 avril 1939 tendant à réprimer les propagandes étrangères

26. Décret-loi du 3 juin 1940 relatif à l’interdiction du transfert de la correspondance par


personnes venant par mer de l’étranger et se rendant de France aux colonies, pays
de protectorat ou sous mandat français ou inversement

27. Décret du 20 mai 1903 portant règlement sur l’organisation et le service de la


gendarmerie

28. Décret du 4 janvier 1920 créant un détachement de gendarmerie au Cameroun

29. Décret du 23 Mars 1921 déterminant les attributions du Commissaire de la


République Française dans les territoires du Cameroun

30. Décret du 7 juin 1922 portant règlement de police sanitaire maritime aux colonies

31. Décret du 22 mai 1924 rendant exécutoires dans les territoires du Cameroun placé
sous le mandat de la France les lois et décrets promulgués en Afrique Equatoriale
Française antérieurement au 1er janvier 1924

32. Décret du 16 décembre 1924 portant réglementation de la police sanitaire des


animaux dans les Territoires du Cameroun

698
33. Décret du 28 juin 1925 portant organisation des forces de police

34. Décret du 18 décembre 1925 réglementant la vente des boissons alcooliques ou


spiritueuses et des boissons hygiéniques et fixant les licences applicables au
commerce de ces boissons dans les territoires du Cameroun placées sous mandat de
la France

35. Décret du 7 octobre 1930 réglementant les conditions d’admission et de séjour au


Cameroun des nationaux français et étrangers

36. Décret du 24 mai 1931 portant réglementation du régime de l’alcool au Cameroun

37. Décret du 28 novembre 1933 relatif à la salubrité et à la santé publique au Cameroun


(démolition d’immeubles inachevés),

38. Décret du 28 mars 1933 réglementant le régime des cultes dans les territoires du
Cameroun sous mandat français

39. Décret du 13 mai 1935 relatif à l’organisation au Cameroun d’un contrôle sur les
filons cinématographiques et les enregistrements sonores

40. Décret du 8 août 1935 portant règlement sur la circulation des français et des
étrangers, le séjour des étrangers et le régime des passeports en temps de guerre

41. Le décret du 23 octobre 1935 portant règlementation des mesures relatives au


renforcement du maintien de l’ordre public

42. Décret du 22 mars 1938 relatif à la salubrité et à la santé publique au Cameroun


(démolition d’immeubles inachevés

43. Décret du 07 mars 1939 relatif à la réglementation de la police, de la sûreté et de


l’exploitation des chemins de fer au Cameroun

44. Décret du 21 avril 1939, modifiant les articles 32, 33 et 60 de la loi du 29 juillet
1881 sur la liberté de la presse

45. Décret du 1er septembre 1939 portant interdiction et restriction des rapports avec les
ennemis

46. Décret du 18 septembre1939 portant application aux territoires d’outre-mer relevant


du ministère des colonies des dispositions du décret du 1er septembre 1939

699
47. Décret du 2 mai 1940 relatif aux interdictions et restrictions des rapports avec des
personnes se trouvant sur un territoire ennemi ou occupé par l’ennemi

48. Décret du 5 avril 1944 relatif aux mesures à prendre pendant la période des
hostilités, à l’égard des individus dangereux pour la défense des territoires de
l’Afrique française libre et la sécurité publique

49. Décret du 12 avril 1945 rendant applicable au Cameroun l’ordonnance du 26 août


1944 sur l’organisation de la presse française

50. Décret n° 46/718 du 11 avril 1946 rendant applicable aux territoires relevant du
ministère de la France d’outre-mer la législation métropolitaine sur la liberté de
réunion (notamment la loi du 30 juin 1881)

51. Décret n°46-2376 du 25 octobre 1946 portant création d’une assemblée


représentative au Cameroun

52. Décret du 19 novembre 1947 Rendant applicables aux territoires relevant du


ministère de la France d’outre-mer autres que Madagascar les dispositions du décret
du 23 octobre 1935 portant règlementation des mesures relatives à l’ordre public

53. Décret n°48-152 du 27 janvier 1948 portant publication des accords de tutelle sur le
Togo et le Cameroun

54. Décret du 19 septembre 1954 portant règlement d’administration publique pour


l’application au Togo et au Cameroun de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications
destinées à la jeunesse modifiée par la loi du 29 novembre

55. Décret n°56-1113 du 8 novembre 1956 portant dissolution de l’Assemblée


territoriale du Cameroun

56. Décret n°59-83 du 4 juin 1959 portant réforme du contentieux administratif et


organisation du Tribunal d’Etat

57. Arrêté du 2 mai 1916 interdisant l’usage des armes à feu dans la zone intérieure de
Douala

58. Arrêté du 16 novembre 1916 portant réglementation du service médical

700
59. Arrêté du 22 novembre 1916 portant interdiction dans les territoires occupés de
l’ancien Cameroun de la consommation par les indigènes de toutes boissons
alcooliques, du vin et de la bière

60. Arrêté du 20 décembre 1916 interdisant de se servir d’intermédiaires indigènes pour


la vente de boissons alcooliques ou autres

61. Arrêté du 1er décembre 1916 instituant u service d’hygiène dans les centres
européens et dans les escales des territoires occupés de l’ancien Cameroun

62. Arrêté du 15 juin 1917 portant règlement sur le service de l’alimentation dans les
territoires occupés de l’ancien Cameroun

63. Arrêté du 18 août 1917 portant interdiction de la culture et de la consommation du


chanvre

64. Arrêté du 18 août 1917 portant interdiction des jeux de hasard

65. Arrêté du 16 novembre 1917 interdisant l’abattage dans l’étendue de la


circonscription de Doumé, des femelles des gros et petit bétails susceptible de
reproduire

66. Arrêté du 29 novembre 1917 interdisant la sortie des femelles de bovidés, ovins et
caprins

67. Arrêté du 09 octobre 1918 relatif à la vente du pétrole

68. Arrêté du 20 mai 1919 fixant la police des marchés dans les centres des territoires
occupés du Cameroun

69. Arrêté du 4 juin 1919 réglementant l’abatage des animaux de boucherie et leur vente
au détail dans les territoires occupés du Cameroun

70. Arrêté du 30 janvier 1923 organisant et règlementant la vérification des amendes de


palme avant leur sortie du territoire

71. Arrêté du 7 décembre 1926 relatif à la protection du bananier contre la maladie de


Panama

72. Arrêté du 26 novembre 1927 réglementant la police du port de Douala

73. Arrêté du 5 mai 1928 interdisant la circulation de tracts étrangers

701
74. Arrêté du 6 juillet 1929 autorisant la cession des semences de caféiers

75. Arrêté du 9 septembre 1929 interdisant la circulation automobile sur la route


Nkongsamba-Bafang

76. Arrêté du 17 juin 1931 relatif à la participation de l’armée et des formations de


milice au maintien de l’ordre public dans les territoires sous mandat du Cameroun

77. Arrêté du 21 janvier 1932 réglementant l’inspection des établissements dangereux,


insalubres ou incommodes

78. Arrêté du18 mars 1932 autorisant la compagnie pastorale et commerciale africaine à
installer un abattoir particulier à Bonabéri

79. Arrêté du 25 février 1933 réglementant le service d’hygiène de la ville de Douala

80. Arrêté du 31 mai 1933 relatif aux rassemblements et manifestations sur la voie
publique Arrêté du 31 mai 1933 relatif aux rassemblements et manifestations sur la
voie publique

81. Arrêté du 10 août 1933 portant réorganisation de la garde indigène au Cameroun

82. Arrêté du 25 octobre 1933 réglementant la prostitution

83. Arrêté du 28 novembre 1933 sur la salubrité et la sécurité publiques

84. Arrêté du 18 août 1934 relatif aux rassemblements, manifestations sur la voie
publique et cérémonies extérieures de culte

85. Arrêté du 17 mars 1936 portant réorganisation de la garde indigène au Cameroun

86. Arrêté n° 37 du 1er octobre 1937 fixant les règles générales d’hygiène et de salubrité
publique à appliquer dans le territoire du Cameroun français

87. Arrêté du 17 juin 1938 autorisant la circulation dans le périmètre urbain de Douala
de camions dont le poids global en charge peut atteindre 11 tonnes

88. Arrêté du 7 avril 1939 interdisant la pêche dans la Besseke et la Bessessoukou ainsi
que dans leurs affluents

89. Arrêté du 30 mai 1939 supprimant les marchés périodiques et créant des marchés
permanents Arrêté du 25 août 1939 subordonnant les déplacements des personnes de

702
tout statut à l’intérieur et à l’extérieur du territoire à l’autorisation des autorités
administratives

90. Arrêté du 30 janvier 1940 fixant la liste des essences dont l’abattage est autorisé
avec des permis de coupe forestière spéciaux

91. Arrêté du 18 mars 1940 interdisant l’introduction, la circulation, la mise en vente et


la distribution sur toute l’étendue du territoire du Cameroun de divers périodiques et
ouvrages

92. Arrêté du 18 mars 1940 prohibant l’introduction et la circulation des journaux


étrangers

93. Arrêté du 1er mai 1940 réglementant le contrôle du conditionnement des produits
agricoles

94. Arrêté du 22 octobre 1944 autorisant l’ouverture d’une savonnerie classée dans la 2e
catégorie des établissements dangereux, insalubres ou incommodes,

95. Arrêté du 25 janvier 1946 prévoyant des peines de simple police

96. Arrêté du 1er juin 1946 portant réorganisation du service de la Sûreté générale dans
les Territoires du Cameroun

97. Arrêté du 31 août 1946 portant transformation du corps de la police indigène en


corps de gardien de la paix et de la sécurité publique

98. Arrêté du 13 février 1947 portant application à l’agglomération de Yaoundé de


l’arrêté du 14 janvier 1947 instituant une carte d’identité dans certaines
agglomérations

99. Arrêté du 29 juillet 1947 portant réorganisation des corps et services de police et de
sécurité du Cameroun

100. Arrêté du 25 octobre 1948 fixant les règles générales de sécurité, d’hygiène et de
police dans les salles de spectacle des centres de Douala et de Yaoundé

101. Arrêté du 21 mars 1949 relatif à l’ouverture des aérodromes publics à la


circulation aérienne Arrêté n° 330 du 31 mai 1951 accordant à la société anonyme
les Brasseries du Cameroun l’autorisation de fabrication et de ventes des bières,
boissons gazeuses et sirops

703
102. Arrêté n°3308 du 9 juillet 1951 interdisant la circulation des véhicules et des
piétons à toute heure du jour et de la nuit sur la piste de tous les terrains d’aviation
du territoire

103. Arrêté du 19 juin 1952, portant création d’une école de police à Yaoundé

104. Arrêté du 15 mai 1953 portant création d’une carte de circulation

105. Arrêté n°599 du 24 septembre 1953 instituant l’obligation de la carte d’identité


dans la région de l’Adamaoua

106. Arrêté n° 4371 du 17 août 1954 exigeant le port de la carte d’identité pour les
résidents du Lom-et-Kadei

107. Arrêté n°14 du 31 janvier 1956 réglementant la circulation routière au Cameroun

108. Arrêté n° 6130 du 13 septembre 1956 portant règlement sur le service de la


gendarmerie du Cameroun français

109. Arrêté n°6677 du 5 octobre 1956 fixant les mesures particulières d’hygiène et de
sécurité applicables dans les établissements dont le personnel est exposé à
l’intoxication benzénique

110. Arrêté n° 7255 du 1er novembre 1956 déterminant les pouvoirs de police des
maires des communes de plein exercice

111. Arrêté n° 979 du 8 février 1957 portant prohibition de l’importation du blé au


Cameroun Arrêté municipal n° 2 du 3 janvier 1961, ville de Maroua

112. Arrêté municipal n° 4 du 4 janvier 1961, ville de Maroua

113. Arrêté municipal n° 2 du 23 janvier 1961, ville d’Edéa

114. Décision du 29 juillet 1919 réglementant l’abatage des animaux de boucherie de


l’agglomération de Douala

115. Décision n° 22/CM/EB du 11 avril 1952 interdisant l’accès au périmètre urbain


de la commune mixte d’Ebolowa et la circulation à l’intérieur de ce périmètre à tout
individu atteint de lèpre et notamment aux membres des colonies des lépreux de
Ngalame et d’Enongal

704
116. Décision n°384/RHN du 28 juillet 1952 interdisant pendant la période comprise
entre le 15 août et le 1er novembre, la circulation des véhicules ou ensemble
tracteurs remorques, pesant plus de trois tonnes sur divers axes routiers de la région
du Haut Nyong

117. Circulaire du Haut-commissaire du 20 mars 1917 relative à l’hygiène coloniale et


à la ségrégation

118. Circulaire relative à l’hygiène et à la santé des indigènes du 17 février 1921

II – TEXTES CONVENTIONNELS ET COMMUNAUTAIRES

1. Traité de VERSAILLES du 28 juin 1919

2. Convention franco-camerounaise du 31 décembre 1958 relative à la défense, à


l’ordre public et à l’emploi de la gendarmerie

3. Règlement n°040/01 - UEAC 089 - CM - 06 portant adoption du code


communautaire révisé de la route.

III – TEXTES NATIONAUX

A – TEXTES CONSTITUTIONNELS ET ASSIMILES

1. Décret du 16 avril 1957 portant statut du Cameroun

2. Ordonnance du 30 décembre 1958 portant statut du Cameroun

3. Loi n°59-2 du 18 février 1959 tendant à fixer le fonctionnement des pouvoirs


publics

4. Constitution du 4 mars 1960

5. Loi n°61-24 du 1er septembre 1961 portant révision constitutionnelle et tendant à


adapter la Constitution actuelle aux nécessités du Cameroun réunifié

6. Constitution du 2 juin 1972

7. Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin


1972

705
B – LOIS

1. Loi n°59-33 du 27 mai 1959 sur le maintien de l’ordre public

2. Loi n°67/LF/1 du 12 juin 1967 portant Code pénal au Cameroun

3. Loi n° 59/35 du 27 mai 1959 complétant la législation sur la presse

4. Loi n°63-LF-22 du 19 juin 1963 organisant la protection des monuments, objets


et sites, de caractère historique ou artistique

5. Loi n° 63-LF-30 du 30 Octobre 1963 complétant l’ordonnance n° 61-OF-6 du 04


Octobre 1961 fixant l’organisation judiciaire militaire de l’Etat

6. Loi n°63-LF-35 du 05 novembre 1963 portant code de l’aviation civile

7. Loi n°64-LF-16 du 26 juin 1964 déclarant irrecevable toute action contre la


République fédérale, les Etats fédérés et les autres collectivités publiques, afin
d’obtenir la réparation des dommages occasionnés par les activités terroristes

8. Loi n°66-LF-18 du 21 décembre 1966 sur la presse

9. Loi n°67-LF-9 portant organisation générale de la défense

10. Loi n°67-LF-19 du 12 juin 1967 sur la liberté d’association

11. Loi n° 68-LF-03 du 11 juin 1968 portant Code de la nationalité

12. Loi n° 69-LF-13 du 10 novembre 1969 modifiant l’article 11 de la loi n°


66/LF/18 du 21 décembre 1966 sur la presse

13. Loi n° 70-LF-12 au 9 novembre 1970 portant règlementation des jeux

14. Loi n°72/13 du 26 aout 1972 relative à l’Etat d’urgence

15. Loi n°73/6 du 7 décembre 1973 modifiant et complétant la loi n°69/LF/13 du 10


novembre 1969 sur la presse ;

16. Loi n°74/10 du 16 juillet 1974 relative à la police et à la sécurité des chemins de
fer.

17. Loi n° 74/21 du 5 décembre 1974 portant répression de l’émigration et de


l’immigration clandestine

706
18. Loi n°75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour Suprême
statuant en matière administrative

19. Loi n° 82/14 du 26 novembre 1982 fixant l’organisation et le fonctionnement du


Conseil supérieur de la magistrature

20. Loi n°83-16 du 21 juillet 1983 réglementant la police à l’intérieur des domaines
portuaires.

21. Loi n°86/016 du 16 décembre 1986 portant réorganisation générale de la


protection civile

22. Loi n°88/016 du 16 décembre 1988 sur la publicité

23. Loi n°88/017 du 16 décembre 1988 fixant l’orientation de l’activité


cinématographique

24. Loi n° 89-2 du 21 juillet 1983 régissant les appels à la générosité publique

25. Loi n°89/018 du 28 juillet 1989 portant modification de la loi n°75/16 du 08


décembre 1975 fixant la procédure et le fonctionnement de la Cour suprême

26. Loi n° 90-42 du 19 décembre 1990 instituant la carte nationale d’identité

27. Loi n° 90-43 du 19 décembre 1990 relative aux conditions d’entrée, de séjour et
de sortie du territoire camerounais

28. Loi n° 90 / 46 du 19 décembre 1990 abrogeant l’ordonnance n°62/OF/18 du 12


mars 1962 portant répression de la subversion ;

29. Loi n° 90/ 47 du 19 décembre 1990 relative à l’Etat d’urgence

30. Loi n° 90/48 du 19 décembre 1990 modifiant l’ordonnance n°72/5 du 26 août


1972 portant organisation judiciaire militaire ;

31. Loi n°90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de la communication


sociale au Cameroun

32. Loi n°90/053 du 19 décembre 1990 relative à la liberté d’association

33. Loi n° 90/054 du 19 décembre 1990 relative au maintien de l’ordre

34. Loi n° 90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des
manifestations publiques

707
35. Loi n°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la
pêche

36. Loi n° 96/04 du 4 janvier 1996 modifiant et complétant la Loi n°90/052 du 19


décembre 1990 relative à la liberté de la communication sociale au Cameroun

37. Loi n° 96/03 du 04 janvier 1996 portant loi cadre dans le domaine de la santé

38. Loi n°96/07 du 8 avril 1996 portant protection du patrimoine routier national

39. Loi n°96/12 du 5 Août 1996 portant loi-cadre relative à la gestion de


l’environnement

40. Loi n°96/17 du 5 aout 1996 relative à la normalisation

41. Loi n° 97/003 du 10 janvier 1997 relative à la promotion immobilière

42. Loi n° 97/012 du 10 janvier 1997 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de
sortie des étrangers au Cameroun

43. Loi n° 97/021 du 10 septembre 1997 relative aux activités privées de gardiennage

44. Loi n° 98/005 du 14 avril 998 portant régime de l’eau.

45. Loi n°98/006 du 14 avril 1998 relative à l’activité touristique

46. Loi n° 98/013 du 14 juillet 1998 relative à la concurrence

47. Loi n°98/015 du 14 juillet 1998 relative aux établissements classés dangereux
insalubres ou incommodes

48. Loi n°98/021 du 24 décembre 1998 portant organisation du secteur portuaire

49. Loi n°98/023 du 24 décembre 1998 portant régime de l’aviation civile

50. Loi n°99/011 du 20 juillet 1999 modifiant et complétant certaines dispositions de


la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 relative à la liberté d’association

51. Loi n°99/014 du 22 octobre 1999 régissant les organisations non


gouvernementales

52. Loi n° 99/013 du 22 décembre 1999 portant code pétrolier

53. Loi n° 99/027 du 29 décembre 1999 portant sur les déchets toxiques et
dangereux.

708
54. Loi n°2000/05 du 17 avril 2000 relative au dépôt légal

55. Loi n°2000/017 du 19 décembre 2000 portant réglementation de l'inspection


sanitaire vétérinaire

56. Loi n° 2001/001 du 16 avril 2001 portant code minier

57. Loi n° 2001/001du 21 avril 2001 portant régime des spectacles

58. Loi n° 2001/014 du 23 Juillet 2001 relative à l’activité semencière

59. Loi n°2001/015 du 23 juillet 2001 régissant les professions de transporteur routier
et d’auxiliaire des transports routiers

60. Loi n° 2003/003 du 4 avril 2003 portant protection phytosanitaire.

61. Loi n° 2003/007 du 10 juillet 2003 régissant les activités du sous/secteur engrais
au Cameroun.

62. Loi n° 2003/016 du 22 décembre 2003 relative au règlement des litiges portant
sur les limites des circonscriptions administratives et des unités de
commandement traditionnel

63. Loi n° 2004/002 du 21 avril 2004 régissant la métrologie légale au Cameroun

64. Loi n° 2004/003 du 21 avril 2004 régissant l’urbanisme au Cameroun

65. Loi n°2004/017 du 22 juillet 2004, portant loi d’orientation de la décentralisation

66. Loi n° 2004/ 018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes

67. Loi n°2004/019 du 22 juillet fixant les règles applicables aux régions

68. Loi n°2005/006 du 27 juillet 2005 portant statut des réfugiés au Cameroun

69. Loi n° 2005/007 du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale

70. Loi n°2005/015 du 29 décembre 2005 relative à la lutte contre le trafic et la traite
des enfants

71. Loi n°2006/018 du 29 décembre 2006 régissant la publicité au Cameroun

72. Loi n°2006/016 du 25 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement


de la cour suprême

709
73. Loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement
des tribunaux administratif ;

74. Loi n° 2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotion des personnes
handicapées

75. Loi n° 2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cyber sécurité et à la


cybercriminalité au Cameroun

76. Loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications


électroniques au Cameroun

77. Loi n° 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au


Cameroun

78. Loi n° 2011/008 au 6 mai 2011 d’orientation pour l’aménagement et le


développement durable du territoire du Cameroun

79. Loi n° 2011/018 du 15 juillet 2011 relative à l’organisation et à la promotion des


activités physiques et sportives

80. Loi n° 2011/022 du 14 décembre 2001 régissant le secteur de l’électricité au


Cameroun

81. Loi n°2011/024 du 14 décembre 2011 relative à la lutte contre le trafic et la traite
des personnes

82. Loi n°2012/06 du 19 avril 2012 portant code gazier

83. Loi n° 2013/004 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privé en
République du Cameroun

84. Loi n°2013/003 du 18 avril 2013 régissant le patrimoine culturel au Cameroun

85. Loi n°2013/010 du 24 juillet 2013 portant régime de l’aviation civile au


Cameroun

86. Loi n° 2013/011 du 16 décembre 2013 régissant les zones économiques au


Cameroun

87. Loi n° 2014/027 du 23 décembre 2014 modifiant et complétant la loi n° 97/021


du 10 septembre 1997 relative aux activités privées de gardiennage

710
88. Loi n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme

89. Loi 2016/006 du 18 avril 2016 régissant l’activité touristique et des loisirs au
Cameroun

90. Loi n° 2016/007 du 12 juillet 2016 portant code pénal

91. Loi n°2016/017 du 14 décembre 2016 portant code minier

C – ORDONNANCES

1. Ordonnance n°59-57 du 11 novembre 1959 portant création de l’Armée


Camerounaise et organisation générale de la défense

2. Ordonnance n°60-20 du 22 février 1960 réglementant l’organisation,


l’administration et le service de la gendarmerie nationale

3. Ordonnance n°60-52 du 7 mai 1960 portant loi organique sur l’état d’urgence

4. Ordonnance n°62-OF-17 du 12 mars 1962 étendant à partie du territoire fédéral


certaines dispositions de l’ordonnance n° 61/OF /5 du 04 octobre 1961 relative à
l’Etat d’urgence

5. Ordonnance n°62-OF-18 du 12 mars 1962 portant répression de la subversion au


Cameroun

6. Décret n° 69/DF/60 du 3 mai 1969 portant création de la délégation générale à la


sûreté nationale

7. Ordonnance n° 72/4 du 26 août 1972 portant organisation judiciaire au Cameroun


; Ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la Cour Suprême

8. Ordonnance n°72-7 du 26 aout 1972 portant organisation de la Haute Cour de


justice

9. Ordonnance n°72-8 du 26 août 1972 fixant l’organisation et le fonctionnement du


Conseil supérieur de la magistrature

10. Ordonnance n° 72-73 du 10 novembre 1972 modificative de la loi n° 70-LF-12 au


9 novembre 1970 portant règlementation des jeux

11. Ordonnance n°61-OF-5 du 4 octobre 1961 relative à l’Etat d’urgence

711
12. Ordonnance n° 72-13 du 26 aout 1972 relative à l’Etat d’urgence

13. Ordonnance n°90/001 du 29 janvier 1990 créant le régime de la zone franche au


Cameroun

D – TEXTES REGLEMENTAIRES

1. Décret n°60- 265 du 31 décembre 1960 portant règlementation de la sortie du


Cameroun des nationaux camerounais

2. Décret n°60-280 du 31 décembre 1960 sur le service de la gendarmerie

3. Décret n°66-DF-54 du 7 février 1966 créant une délégation générale à la


gendarmerie nationale

4. Décret n° 67-DF-503 du 21 novembre 1967 portant réorganisation des


mouvements de jeunesse et d’éducation populaire

5. Décret n° 68-DF-33 du 29 janvier 1968 fixant les missions de défense des forces
régulières supplétives et auxiliaires

6. Décret n°68/DF/431 du 29 octobre 1968 portant statut général de la sûreté


nationale

7. Décret n°69/DF/7 du 6 janvier 1969, fixant les modalités d’application de la loi


n°68/LF/19 du 18 novembre 1968 et déterminant l’organisation et les conditions
d’agrément des associations ou syndicats professionnels non régis par le code du
travail;

8. Décret n°69-DF-183 du 20 mai 1969 fixant les règles générales d’hygiène, de


police et de la sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les salles
de spectacle cinématographique

9. Décret n°73/659 du 22 octobre 1973 portant réglementation des débits de


boissons

10. Décret n° 74-199 du 14 mars 1974 portant réglementation des opérations


d’inhumation, d’exhumation et de transfert des corps

11. Décret N°75/588 du 20 aout 1975 relatif à la police et à la sécurité des chemins
de fer

712
12. Décret n° 76-372 du 2 septembre 1976 portant réglementation des établissements
dangereux insalubres ou incommodes

13. Décret n° 77/495 du 7 décembre 1977 fixant les conditions de création et de


fonctionnement des œuvres sociales privées

14. Décret n°79/341 du 3 septembre 1979 portant réglementation de la circulation


routière, modifié et complété par le décret n°86/818 du 30 juin 1986

15. Décret n° 80-4 du 07 janvier 1980 fixant les conditions d’entrée de séjour et de
sortie des étrangers

16. Décret n°82/412 du 3 septe 1982 fixant les modalités d’octroi des secours de
l’Etat aux indigents et aux nécessiteux

17. Décret n°83-569 du 12 novembre 1983 portant réorganisation de la gendarmerie


nationale

18. Décret n° 85-1134 du 14 aout 1985 fixant les conditions d’octroi de l’autorisation
d’appel à la générosité publique

19. Décret n°85-1278 du 26 septembre 1985 portant règlement de police et


d’exploitation dans les domaines portuaires

20. Décret n°90/1459 du 8 novembre 1990 portant création du Comité national des
droits de l’homme et des libertés ;

21. Décret n° 90/1483 du 9 Novembre 1990 fixant les conditions et modalités


d’exploitation des débits de boissons

22. Décret n°91/220 du 02 mai 1991 relatif au dépôt légal des organes de presse et
des autres moyens écrits de la communication sociale ;

23. Décret n° 92/ 313/PM du 24 septembre 1992 rendant exécutoire le code de


déontologie du journaliste
24. Décret n°92/255 du 28 décembre 1992 portant organisation du SESI.
25. Décret n° 93/027 portant dispositions communes aux universités d’Etat, modifié
et complété par le décret n°2005/342 du 10 septembre 2005
26. Décret n°96/034 du 1er mars 1996 portant création de la DGSN.

713
27. Décret n° 98/031 du 09 mars 1998 portant organisation des plans d’urgence et de
secours, en cas de catastrophe ou de risque majeur

28. Décret n°99/125 du 15 juin 1995 sur l’ARSEL (Agence de Régulation du Secteur
de l’Electricité)

29. Décret n° 99/819/PM du 09 novembre 1999 fixant les modalités d’implantation et


d’exploitation des établissements classés dangereux, insalubres ou incommodes ;
30. Décret n°99/821/PM du 09 novembre 1999 fixant les conditions d’agrément des
personnes physiques ou morales aux inspections, contrôles et audits des
établissements classés dangereux, insalubres ou incommodes.
31. Décret n°2000/158 du 03 avril 2000 fixant les conditions et les modalités de
création et d’exploitation des entreprises privées de communication audiovisuelle

32. Décret n°2000/286 du 12 octobre 2000 précisant les conditions d’entrée, de


séjour et de sortie des étrangers au Cameroun

33. Décret n°2001/041 du 19 février 2001 portant organisation des établissements


scolaires publics et attributions des responsables de l’administration scolaire

34. Décret n° 2001/178 du 25 Juillet 2001 portant organisation générale de la


Défense et des Etats-Majors Centraux

35. Décret n°2001/181 du 25 juillet 2001 portant organisation de la gendarmerie


nationale

36. Décret n° 2001/110/PM du 20 mars 2001 fixant l’organisation et le


fonctionnement des institutions publiques d’encadrement des mineurs et de
rééducation des mineurs inadaptés sociaux

37. Décret n° 2001/164/PM du 08 mai 2001 précisant les modalités et conditions de


prélèvement des eaux de surface ou des eaux souterraines à des fins industrielles
ou commerciales

38. Décret n° 2004/0607/pm du 17 mars 2004 fixant les conditions d’accès aux
professions de transporteur routier et d’auxiliaire des transports routiers

39. Décret n° 2004/266 du 22 septembre 2004 portant organisation et fonctionnement


du Conseil de régulation et de compétitivité (CRC)

714
40. Décret n°2005/1363/PM du 06 mai 2005 fixant la composition et les modalités de
fonctionnement de la Commission nationale de la concurrence

41. Décret n°2005/493 du 31 décembre 2005 sur les modalités de délégation des
services publics de l’eau

42. Décret n°2005/087 du 29 mars 2005 portant organisation du ministère de


l’énergie et de l’eau

43. Décret n° 2005/104 du 13 Avril 2005 portant organisation du Ministère de


l'Administration Territoriale et de la Décentralisation

44. Décret n°2008/0737/PM du 23 avril 2008 fixant les règles de sécurité, d’hygiène
et d’assainissement en matière de construction

45. Décret n° 2008/0740 du 23 avril 2008 fixant le régime des sanctions applicables
aux infractions aux règles d’urbanisme

46. Décret n°2008/ 377 du 12 novembre 2008 fixant les attributions des chefs de
circonscriptions administratives et portant organisation et fonctionnement de
leurs services.

47. Décret du 31 décembre 2008 fixant les conditions d’exploitation des motocycles
à titre onéreux, modifié et complété par le décret du 30 juillet 2013

48. Décret n° 2011/2583/PM du 23 août 2011 portant réglementation des nuisances


sonores et olfactives

49. Décret n° 2011/2582/PM du 25 août 2011 fixant les modalités de protection de


l’atmosphère.

50. Décret n°2012/119 du 15 mars 2012 portant ouverture des tribunaux


administratifs
51. Décret n°2012/180 du 10 avril 2012 portant organisation et fonctionnement de
l’Agence des technologies de l’information et de la communication
52. Décret n°2012/1318/PM du 22 mai 2012 fixant les conditions et les modalités
d’octroi de l’autorisation d’exercice de l’activité de certification électronique
53. Décret n°2012/2809/PM du 26 septembre 2012 fixant les conditions de tri, de
collecte, de stockage, de transport, de récupération de recyclage, de traitement et
d’élimination finale des déchets

715
54. Décret n°2012/431 du 1er octobre 2012 portant organisation du ministère de
l’environnement, de la protection de la nature et du développement durable
55. Décret n°2012/436 du 1er octobre 2012 portant organisation du ministère des
sports et de l’éducation physique
56. Décret n°2012/513 du 12 novembre 2012 portant organisation du ministère du
Commerce
57. Décret n°2012/539 du 19 novembre 2012 portant statut spécial du corps des
fonctionnaires de la sûreté nationale
58. Décret n° 2012-540 du 19 novembre 2012 portant organisation de la Délégation
Générale à la Sûreté Nationale
59. Décret n° 2013/0042/PM du 23 janvier 2013 modifiant et complétant certaines
dispositions du Décret n° 2008/0739/PM du 23 avril 2008 fixant les règles
d’utilisation des sols et de la construction
60. Décret du 28 juin 2013 portant organisation et fonctionnement de l’Agence de
Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSEL)
61. Décret n° 2013/298 du 9 septembre 2013 portant création, organisation et
fonctionnement du comité de contrôle de l’effectivité des investissements
62. Décret n°2014/309 du 14 août 2014 portant modification du décret n°2001/181
du 25 juillet 2001 portant organisation de la gendarmerie nationale
63. Décret n° 2014/2379/PM du 20 aout 2014 fixant les modalités de coordination
des inspections des établissements classés dangereux, insalubres ou incommodes
64. Arrêté n°814 du 4 mars 1960 portant mesures transitoires relatives aux grades des
sous officiers de la gendarmerie nationale

65. Arrêté n° 60-40 du 5 mai 1960 fixant des interdictions de stationner dans
certaines artères des quartiers de la Briqueterie et de Messa

66. Arrêté n°60-40 du 20 mai 1960 créant des interdictions de stationner dans
certaines artères des quartiers de la Briquetterie et de Messa

67. Arrêté préfectoral n° 220 du 8 novembre 1963 interdisant la circulation des


véhicules entre 18 h 30 et 6 heures

68. Arrêté n°12 du 18 octobre 1965 autorisant à nouveau les activités des marchés à
bétail dans l’arrondissement de Banyo

716
69. Arrêté n° 39/MTPS/IMT du 26 novembre 1984 fixant les mesures générales
d’hygiène et de sécurité sur les lieux du travail

70. Arrêté n° 416/CAB/PR portant création d’une Commission de révision de la


législation sur les libertés publiques

71. Arrêté n°003964/A/MINTPT du 23 juillet 1991 portant réglementation du permis


de conduire, modifié et complété par l’arrêté n° 1013/A/MINT/DTT du 3 août
1993

72. Arrêté n°003965/A/MTPT du 10 Mai1993 portant réglementation du port


obligatoire de la ceinture de sécurité dans les véhicules automobiles

73. Arrêté n°00406/A/MINDT/DTT du 28 avril 2000 portant réglementation du


permis de conduire et des auto-écoles

74. Décision du Conseil National de la Communication datée du 28 mai 2014 portant


procédure de traitement des plaintes par le CNC institut une phase contradictoire
en son sein

75. Arrêté n° 00007/MPT du 16 juillet 2001 définissant et réglementant l’activité de


vendeur de matériel de télécommunications.

76. Arrêté n° 009/e/2/MINDUH du 21 aout 2008 fixant les normes d’habitat social

77. Arrêté n° 000003/MINCOMMERCE du 16 février 2010 fixant les seuils, les


conditions et les modalités de déclaration des fusions et acquisitions d’entreprises
à la Commission Nationale de la Concurrence.

78. Arrêté n°269 du 13 mars 2014 portant création d’un comité interministériel ad
hoc chargé de la gestion des situations d’urgence concernant les réfugiés

79. Lettre circulaire du ministre de l’administration territoriale n°0040/LC/MINAT/


DCTD du 04 avril 2000, ayant pour objet la restauration de l’hygiène et de la
salubrité publique

80. Note de service n°500/CUY/CAB/02 intitulée « Missions de la brigade de police


de la communauté urbaine de Yaoundé ».

717
INDEX DE JURISPRUDENCE

718
JURISPRUDENCE CAMEROUNAISE

Jurisprudence administrative

1. CCA, arrêt n° 210 du 5 décembre 1952, Comeca c/ Bourdin et Chaussée


2. CCA, arrêt n°251du 25 septembre 1953, Betolo Mvomo Martin c/ Administration
du Territoire
3. CCA, arrêt n°310, 03 septembre 1954, Vittori Pierre c/Administration du
Territoire.
4. CCA, arrêt n°352, 12 juillet 1955, BAO c/Administration du territoire
5. CCA, arrêt n° 370/CCA du 3 septembre 1955, Essindi Essama c/ Administration
du Territoire
6. CCA, arrêt n°511, 29 septembre 1956, Sieur Ekong Yves Adolphe
c/Administration du Territoire
7. CCA, arrêt n° 645, 06 septembre 1957, Kpwang Essiane c/Etat du Cameroun
8. CCA, arrêt n° 673/C.C.A., du 13 décembre 1957, Tagny Mathieu
c/Administration du Territoire
9. Arrêt n°110-T.E., du 3 juin 1960, Golliard c/Etat du Cameroun
10. Arrêt n° 111-T.E. du 3 juin 1960, Dame Rateau Jeanne c/Etat du Cameroun
11. Arrêt n°112-T.E., du 3 juin 1960, Ngango Augustin c/Etat du Cameroun
12. TE, Arrêt N°129 du 23 décembre 1960, Sieur Bernard Dutreil Edouard c/ État du
Cameroun
13. Arrêt n°345/T.E. du 8 aout 1964, Sieur Papamirmingis Jacovis c/E.F.C. Or.
14. Arrêt n° 347-T.E., du 8 aout 1964, La Compagnie d’Assurances « Unions » c/
E.F.C.Or.
15. Arrêt n° 346/T.E. du 8 aout 1964, Dame veuve Zagouan c/E.F.C.Or.
16. Arrêt n° 349 T.E., du 8 aout 1964, Dame veuve Tsoflias c/E.F.C.Or.
17. Arrêt n° 344-T.E. du 8 aout 1964, Dame Papazian Madeleine c/Etat du
Cameroun
18. CFJ/CAY, arrêt n° 10, 16 mars 1967, Dame Kwedi Eyoum Augustine c/ Etat du
Cameroun
19. CFJ/AP, arrêt n° 15, 16 mars 1967, Dame Ferrière Marie c/ Etat du Cameroun
20. CFJ/CAY arrêt n° 17/ du 16 mars 1967, Mfomou Jean-Baptiste c/Etat du
Cameroun

719
21. C.F.J. /A.P. arrêt n° 19/ du 16 mars 1967, Tagny Mathieu c/ Etat fédéré du
Cameroun oriental
22. CFJ/AP, arrêt n°20, 20 mars 1968, Ngongang Njanke Martin c/Etat du Cameroun
23. CFJ/SCAY, arrêt n°33, 30 avril 1968, Dame Essola Jacqueline c/Rep Fed du
Cameroun
24. CFJ/CAY, Jugement du 25 mars 1969, Dame Ngué Andrée c/CPE Mbalmayo
25. CFJ/AP, arrêt n° 1/ du 15 octobre 1969, Bollo Joseph c/Etat du Cameroun
26. CFJ/CAY, arrêt n°68 du 30 septembre 1969, Société des Grands Travaux de l’Est
c/ E. F.C.Or.
27. CFJ, n° 4 du 28 octobre 1970, Affaire Société des Grands Travaux de l’Est
28. CFJ/CAY, arrêt n°213/ du 18 août 1972, Dame Aoua Adja Garga c/R.F.C
29. CFJ/SCAY, arrêt n° 118/ du 29 mars 1972 Mouelle Koula Eitel c/R.F.C.
30. CFJ/SCAY, arrêt n° 194/ du 25 mai 1972, Nana Tchana Daniel Roger c/ R. F.C.
31. CFJ/CAY, arrêt n°145 du 23 mars 1971, Ngijol Ngijol Pierre c/ Etat du
Cameroun
32. CFJ/SCAY, arrêt n°178, 29 mars 1978, Mouelle Koula Eitel c/ Etat du Cameroun
33. CS/CA, arrêt n° 13/ du 5 juin 1975, Koulou Maurice c/Etat du Cameroun
34. CS/CA jugement n°63, 22 avril 1976, BEYINA MESSANGA J.-B. c/ Etat du
Cameroun
35. CS/CA, Jugement n° 35 du 22 février 1978, CNPS c/ United Cameroon
International Compagny
36. CS/AP, arrêt n°12/A, 15 juin 1978, Ndzie Joseph c/ Etat du Cameroun
37. CS/CA jugement n°20/77-78, 27 avril 1978, Minyem Jean Flaubert c/Etat du
Cameroun
38. CS/CA jugement n°8/79-80, 29 novembre 1979, Elites Banka, représentées par
Jean de Dieu Mbouendeu, c/E du Cameroun
39. CS/CA, jugement n°31/79-80 24 avril 1980, Etong Marie Louise c/Etat du
Cameroun
40. CS/CA, jugement n°34/79-80, 24 avril 1980, Essougou Benoit c/ Etat du
Cameroun
41. CS/CA, jugement n° 43 du 26 juin 1980, Moundoubou Théodore c/Etat du
Cameroun

720
42. CS/CA, jugement n° 44 du 26 juin 1980, Yombi Alphonse Bernard c/Etat du
Cameroun
43. CS/CA, jugement n° 45 du 26 juin 1980, Nguiamba Daniel c/Etat du Cameroun
44. CS/CA, jugement n° 33 du 28 septembre 1978, OWOUNDI Jean Louis c/Etat du
Cameroun
45. CS/CA, jugement n°43/78-79, 22 février 1979, Moutombi Christophe c/ Etat du
Cameroun
46. CS/CA Jugement n°52/ du 20 mai 1982, Atangana Mbarga Adalbert c/Etat du
Cameroun
47. CS/CA Jugement n°84/ du 30 juin 1983, Atangana Mbarga Adalbert c/Etat du
Cameroun
48. CS/CA, jugement n°12/CS/CA/81-82 du 26 janvier 1982, Dame Binam née Ngo
Njom Fidèle c/ État du Cameroun
49. CS/CA, jugement n°43/82-83 du 7 avril 1983, Kouoh Emmanuel Christian c/ État
du Cameroun
50. CS/CA, jugement n° 24/ du 17 juillet 1984, Albert CHO NGAFOR c/ Etat du
Cameroun
51. CS/CA, jugement n°51/84-85, 1er février 1985, Sende Joseph c/Etat du
Cameroun
52. CS/CA, jugement n°31/91-92 du 25 février 1993, Momo Pierre Marie c/Etat du
Cameroun (IGERA)
53. CS/CA jugement n°35/92-93, Ngambi Tene Ebenezer c/Etat du Cameroun.
54. CS/CA, jugement n°07/94-95 du 27 octobre 1994, Dame NDONGO née
MBONZI NGOMBO c/ État du Cameroun (P.R)
55. CS/CA, Jugement n°59 du 18 juillet 1996, Epale Roger Delors c/Etat du
Cameroun
56. CS/CA, Jugement n°25 du 30 décembre 1999, Njoh Philibert-Ekoka Koum
Samuel c/Etat du Cameroun (MINUH).
57. CS/AP, Arrêt n°1/A du 27 avril 2000, SYNFONDAECAM, État du Cameroun
(MTPS) c/ SNEAEC
58. CS/AP, arrêt n°1, 23 décembre 2000, Commissaire de police principal ONDO
OVONO Charles, c/Etat du Cameroun

721
59. CS/CA, jugement n°98/2009, 25 mars 2009, Pharmacie NGOS/ La Caisse
Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS)
60. CS/CA jugement n°155/2009, 22 juillet 2009, Abdoulaye Mazon c/Etat du
Cameroun (PR)
61. CS/CA jugement n°97/04-05, 27 avril 2005, Touba Essama Joseph c/Etat du
Cameroun (MINUH)
62. CS/CA, jugement n°29/2005-2006 du 14 décembre 2005, MOUKON à EBONG
Martin c/ État du Cameroun (M.F.P.R.A)
63. CS/CA, Jugement n°60/05-06 du 05 avril 2006, Tchinda François c/ État du
Cameroun
64. CS/CA, jugement n°59/CE/2001-2002 du 03 septembre 2002, Nya Clébert c/ État
du Cameroun (MINAT)
65. CS/CA, jugement n° 79/ADD/93-94, 25 août 1994, Djinou Tchale André c/Etat
du Cameroun (MINUH) ;
66. CS/CA jugement n°72/99-2000, 28 septembre 2000, Dame Kamtzi Maria c/Etat
du Cameroun (MINUH) ;
67. CS/CA jugement n°31/2000-2001, 31 mai 2001, Foumane Ndi Samuel, c/Etat du
Cameroun (MFPRA).
68. CS/CA, Jugement n°33/04-05, 29 décembre 2004, Tchamba Jean Claude, c/Etat
du Cameroun
69. CS/CA, Jugement n° 235/2010, 25 août 2010, Mbame François c/Etat du
Cameroun
70. CS/CA, jugement n°97/0405, 27 avril 2005, Touba Essama Joseph c/Etat du
Cameroun (MINUH
71. CS/CA, jugement n°79/06-07, 4 juillet 2007, Mougnol Boyomo Robert c/Etat du
Cameroun (MINDEF).
72. CS/CA, jugement n°12/07-08, 16 janvier 2008, Collectivité Mvog-Nkili c/Etat du
Cameroun (MINUH) ;
73. CS/CA jugement, n°113/2009, 03 juin 2009, Tambekou Roland et Temdia
Emmanuel Penka c/Etat du Cameroun (MINDAF) & Dame Missongui Marie
Antoinette (intervenante volontaire)

722
74. CS/CA, jugement n°183 /2009/BIS/S, 16 septembre 2009, Dame veuve Bindzi
née Mbong Ngono Béatrice c/Etat du Cameroun (MINDAF)
75. CS/CA, Jugement n° 28/2009/CA/CS du 28 janvier 2009, Affaire Mah Mengue c/
Etat du Cameroun (MINAT).
76. CS/CA, Jugement n°190/2010, 23 juin 2010, Keptche Boutchouang Nicanor
c/Etat du Cameroun (MINEDUC)
77. CS/CA, jugement n°61/2001/ du 23 mars 2011, Affaire PASSO Jean Marie et
Dame KENFACK Epouse PASSO Julienne contre Etat du Cameroun (CUY).

Ordonnances

1. Ordonnance n° 01/ORSE/CS/PCA/88-89 du 27 février 1989, Affaire JOHN


Calvin c/ Etat du Cameroun
2. Ordonnance n°28/PCA/CS/91-92, Union Nationale Camerounaise (UNC)
(Stanley Akwote Akondi c/Etat du Cameroun (MINAT
3. Ordonnance n°12/OR/CS/PCA/90-91, 07 janvier 1991, affaire le messager
c/Etat du Cameroun
4. Ordonnance n°13/OR/CS/PCA/90-91 du 20 mars 1991, affaire le Messager
contre état du Cameroun
5. Ordonnance n°19/OPCA/CS du 26 septembre 1991, Affaire O.C.D.H., c/Etat du
Cameroun
6. Ordonnance n°20/OPCA/CS du 26 septembre 1991, Affaire Kom Ambroise c/Etat
du Cameroun
7. Ordonnance n°21/OPCA/CS du 26 sept 991, Affaire Cap-Liberté c/Etat du
Cameroun
8. Ordonnance n° 07/91-92/OSE/PCA/CS du 20 mars 1992, affaire Elites et
notables du village Bamoudjo c/ Etat du Cameroun
9. Ordonnance n° 05/92-93/CS/PCA du 05 octobre 1992, Affaire SIGHOKO
Abraham c/ Etat du Cameroun
10. Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CA/CS/90-91 du 04 juillet 1991, Affaire
CHEDJOU Gabriel c/ Etat du Cameroun
11. Ordonnance n°11/OSE/PCA/CS/91-92 du 14 avril 1991, Affaire ZOCK Ibrahim
c/ Etat du Cameroun
12. Ordonnance n° 14/OSE/PCA/CS/93-94 du 07 mars 1994, Affaire Collectivité de
Maképé II c/ Etat du Cameroun

723
13. Ordonnance n°05/OSE/PCA/CS/97-98 du 13 octobre 1997, Affaire
Mesdemoiselles Carle Julia et Tchangongom Tcheumaka c/Etat du Cameroun
14. Ordonnance de référé du 04 juillet 1997, affaire Mutations c/Etat du Cameroun
15. Ordonnance n°75/OSE/PCA/CS/97-98 du 18 septembre 1998, Affaire MBINA
MPONA Jules c/ Etat du Cameroun (MINUH)
16. Ordonnance n° 48/OSE/PCA/CS/97-98 du 24 avril 1998, Affaire NDACHI
TAGNE David c/ Etat du Cameroun (MINCOM)
17. Ordonnance de référé n° 02/OR/PCA/CS/97-98, Affaire KOUOGAN Claude c/
Etat du Cameroun (MINUH) et NGOUOMPENE Joseph (intervenant)
18. Ordonnance n° 33/OSE/PCA/CS/95-96 du 30 janvier 1996, Affaire Société
Mondiana SARL c/ Etat du Cameroun.
19. Ordonnance n° 05/OSE/PCA/CS/97-98 du 13 octobre 1997, Affaire
mesdemoiselles CARLE Julia et TCHANGONGOM TCHEUMAKA c/ Etat du
Cameroun (P.R.).
20. Ordonnance n° 15/OSE/PCA/CS/97-98 du 26 novembre 1997, Affaire B.I.C.E.C.
c/ Etat du Cameroun.

Jurisprudence judiciaire

1. CSCO, Arrêt n°67 du 11 juin 1963


2. CSCO, Arrêt n° 65 du 19 mai 1964
3. CSCO, Arrêt n° 42 du 9 mai 1967
4. CSCO, Arrêt du 22 février 1973
5. CA Garoua, n° 96 du 5 mai 1973
6. T. M. de Yaoundé, jugement n° 4/71 du 15 mars 1971, Affaire Mengue Damaris
Régine, Tolo Minette et autres c/ Ministère Public
7. T.G.I. de Yaoundé, jugement n°18 du 9 octobre 1985, Mbamba Ndeme Louis
c/Etat du Cameroun
8. T.G.I. du Mfoundi, jugement civil n° 131/ du 21 février 1982, ASSAH AMBE
Georges c/ Etat du Cameroun
9. T.G.I. de Yaoundé, jugement civil n° 220/ du 5 janvier 1986, TAMA Jean Fabien
10. Cour d’appel du centre, arrêt du 24 octobre 1997, affaire Mutations c/Etat du
Cameroun.

724
JURISPRUDENCE FRANÇAISE

Conseil constitutionnel

1. Cons. Const., décision n° 85-197 DC du 23 août 1985, Loi sur l’évolution de la


Nouvelle-Calédonie
2. Cons. Const., décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 Loi dite "sécurité-
liberté
3. Cons. Const., décision n° 82-141 DC, 27 juillet 1982, Loi sur la communication
audiovisuelle
4. Cons. Const., décision n° 2000-434 D.C. 20 juillet 2000, Loi relative à la chasse

Conseil d’Etat et Tribunal des conflits

1. T.C., 8 février 1873, Blanco


2. C.E., 13 janvier 1899, Lepreux
3. CE, 29 mars 1901 Casanova
4. CE 31 mai 1907, Deplanque
5. C.E., 28 juin 1918, Heyriès
6. C.E., 28 février 1919, Dames Dol et Laurent
7. C.E. 8 août 1919, Labonne
8. C.E., 9 janvier 1920, Musart
9. CE, 30 novembre 1923, Couitéas
10. C.E., 27 juin 1924, Chambre syndicale des patrons confiseurs et chocolatiers
11. C.E., 13 mars 1925, Clef
12. C.E., Section, 6 décembre 1929, German et Andibert
13. CE, Ass., 24 juin 1949, Consorts Lecomte et Franquette et Daramy
14. CE, 19 juin 1953, Félix Houphouët Boigny
15. C.E., 12 juillet 1956, Sieurs M’paye, N’gom, Moumie
16. CE, Section, 23 janvier 1959, Commune d’Huez
17. CE 11 mars 1961, Laviron
18. CE 29 avril 1964, Sengelin
19. CE 9 janvier 1970, Commune de la Teste-de-Buch
20. C.E., 19 mai 1933, Benjamin
21. C.E., 30 octobre 1936, Texier

725
22. C.E., 18 avril 1947, Jarrigion
23. C.E., 28 avril 1967, Lafont
24. CE, Ass. 28 mai 1971, Ministre de l’équipement et du logement c/ Fédération du
défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé « ville
Nouvelle Est »
25. CE, 17 février 1978, Association dite « Comité pour léguer l’esprit de la
résistance »
26. C.E., 18 mai 1983, Rodes
27. C.E. Ass. 27 octobre 1995, Commune de Morsang- sur- Orge
28. CE, 14 juin 2002, Association Promouvoir
29. CE, Section 25 février 2005, France Télécom

726
TABLE DES MATIERES

AVERTISSEMENT .............................................................................................................i
IN MEMORIAN ............................................................................................................... iii
DEDICACES ..................................................................................................................... iii
REMERCIEMENTS .........................................................................................................iv
PRINCIPAUX SIGLES ET ABREVIATIONS ............................................................... v
SOMMAIRE........................................................................................................................ x
RESUME ............................................................................................................................xi
INTRODUCTION GENERALE ....................................................................................... 1
SECTION I- LE CADRE GENERAL : LE DROIT ADMINISTRATIF
CAMEROUNAIS ............................................................................................................... 10
I- LA NEGATION DE L’EXISTENCE D’UN DROIT ADMINSTRATIF
CAMEROUNAIS : LE COURANT SCEPTIQUE ............................................................ 11
A- Exposé du point de vue sceptique.................................................................................. 11
B- Critique du point de vue sceptique ................................................................................ 13
II- L’AFFIRMATION DE L’EXISTENCE D’UN DROIT ADMINISTRATIF
CAMEROUNAIS : LE COURANT DOGMATIQUE ....................................................... 15
A- Exposé du point de vue dogmatique .............................................................................. 15
B- La thèse de l’autonomie des Droits africains ................................................................. 19
SECTION II- LE CONCEPT FONDAMENTAL : LA POLICE ADMINISTRATIVE ... 22
I- LE CONCEPT ORIGINAIRE : LA POLICE ................................................................. 23
A- Le sens classique ........................................................................................................... 23
B- Le sens moderne ............................................................................................................ 25
II- LE CONCEPT DERIVE : LA POLICE ADMINISTRATIVE ..................................... 27
A- La notion de police administrative en France ................................................................ 27
1 - L’extrême diversité des définitions ............................................................................... 27
2 - L’unicité de la source d’inspiration : le libéralisme ...................................................... 31
B- La notion de police administrative au Cameroun .......................................................... 32
1- Une approche notionnelle nécessairement extensive ..................................................... 33
a)- Une notion de police administrative très englobante .................................................... 35
b)- Une police difficilement distincte de la police judiciaire.............................................. 37

727
2- Une dualité de la base substantielle : entre autoritarisme et libéralisme ........................ 39
a)- Avant 1990 : l’étreinte de l’autoritarisme ..................................................................... 39
b)- Après 1990 : l’empreinte du libéralisme... .................................................................... 41
SECTION III- LES QUESTIONS OPERATOIRES : L’OBJET, LA METHODE ET
L’HYPOTHESE DE RECHERCHE. ................................................................................. 44
I- L’OBJET DE L’ETUDE ................................................................................................. 44
A- L’objet immédiat : la caractérisation de la police administrative au Cameroun ........... 45
B- L’objet latent : la contribution à la systématisation d’un Droit administratif
authentiquement africain..................................................................................................... 46
II- LA METHODE.............................................................................................................. 48
III – L’HYPOTHESE ......................................................................................................... 51
PREMIERE PARTIE :L’EMERGENCE D’UN LIBERALISME FORMEL ........... 54
TITRE PREMIER :LA RECONFIGURATION DES SOURCES .............................. 57
CHAPITRE I :LA REORIENTATION DE LA SOURCE
CONSTITUTIONNELLE ................................................................................................ 59
SECTION I – UNE SOURCE INITIALEMENT APATHIQUE ....................................... 65
I– L’INSTITUTION DE L’APATHIE PAR LE « CONSTITUANT COLONIAL » ........ 65
A – L’omniprésence de la police administrative dans les textes fondamentaux du
Territoire ............................................................................................................................. 66
1- La police administrative dans les textes instituant le Mandat ........................................ 66
2 – La police administrative dans les textes instituant la tutelle ......................................... 69
B – L’impuissance des textes fondamentaux du Territoire à irriguer la police
administrative de leurs principes libéraux. ......................................................................... 74
1 – L’inefficience du contrôle ............................................................................................. 74
2 – La prégnance de l’idéologie coloniale .......................................................................... 79
II – LA RECEPTION DE L’APATHIE PAR LE CONSTITUANT NATIONAL ............ 81
A– La constitutionnalisation de la police administrative dans le Cameroun indépendant . 81
1 – La constitutionnalisation de la compétence de certaines autorités de police
administrative...................................................................................................................... 82
2 – La constitutionnalisation du fondement de la police administrative. ........................... 83
B – Une constitutionnalisation stérilisée avant la loi constitutionnelle du 18 janvier 199686
1 – L’incertitude sur la valeur constitutionnelle du préambule .......................................... 86

728
a) L’incertitude jurisprudentielle ........................................................................................ 87
b) L’incertitude doctrinale .................................................................................................. 92
2 – L’absence d’une véritable justice constitutionnelle ...................................................... 97
SECTION II – UNE SOURCE ACTUELLEMENT ENERGIQUE .................................. 99
I – LA CREATION D’UNE JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE .......................... 99
A – La possibilité d’une irrigation constitutionnelle de la police administrative ............. 100
1 – L’irrigation par des exigences constitutionnelles extrinsèques à la police
administrative.................................................................................................................... 100
a) Le principe de l’égalité de tous devant la loi ................................................................ 100
b) Les exigences constitutionnelles du procès équitable .................................................. 104
2 – L’irrigation par des exigences intrinsèques à la police administrative ....................... 106
a) Le principe de la légalité des délits et des peines ......................................................... 107
b) L’exigence de garantie des droits fondamentaux ......................................................... 109
B– La probabilité d’une transformation constitutionnelle de la police administrative .... 112
1– La transformation de l’ordre public en une constellation de droits fondamentaux ..... 113
2 – La transformation de la police administrative en garantie des droits fondamentaux . 116
II – LA CONSTITUTIONNALISATION DU PREAMBULE ........................................ 118
A – La consistance de la constitutionnalisation ................................................................ 120
1- L’énonciation ................................................................................................................ 121
2- La signification ............................................................................................................. 122
B – Les implications ......................................................................................................... 125
1 – L’érection d’un bloc de constitutionnalité .................................................................. 125
2 – La construction d’une police administrative de l’Etat de droit ................................... 128
CHAPITRE II :LA REACTIVATION DE LA SOURCE LEGISLATIVE ............. 131
SECTION I- UNE SOURCE ANTERIEUREMENT BAFOUEE ................................... 137
I- UNE SOURCE MARGINALISEE AVANT L’INDEPENDANCE ......................... 137
A – Le rôle mineur des actes législatifs ............................................................................ 138
1 – Une application conditionnée de la loi française ........................................................ 138
2 – Une contribution infime de la " loi " Camerounaise. .................................................. 140
B – Le rôle majeur des actes règlementaires. ................................................................... 143
1 – Les sources réglementaires centrales françaises. ........................................................ 144
2 – Les sources réglementaires locales Françaises. .......................................................... 149

729
II - UNE SOURCE DELAISSEE APRES L’INDEPENDANCE. ................................... 152
A – Une répartition des compétences en faveur du règlement. ........................................ 153
1 – L’atrophie du domaine de la loi. ................................................................................. 153
2 – L’hypertrophie du domaine du règlement. ................................................................. 156
B – Une prédilection pour la législation par ordonnances. ............................................... 159
1 – Les techniques instituées. ........................................................................................... 160
2 – Les pratiques institutionnalisées. ................................................................................ 164
SECTION II- UNE SOURCE ACTUELLEMENT RESTAUREE ................................. 167
I- LE REGAIN DE LA LOI ............................................................................................. 168
A – L’enrichissement du domaine de la loi ...................................................................... 169
1 – Le domaine de l’article 26 alinéa 2 de la constitution. ............................................... 170
2- Le domaine issu du renvoi par le constituant. .............................................................. 173
B – Le renforcement de la valeur de la loi ........................................................................ 175
1 – Le renforcement de la valeur matérielle de la loi. ...................................................... 176
2 – Le renforcement de la valeur institutionnelle de la loi. .............................................. 179
II- LE RECUL DU REGLEMENT ................................................................................ 184
A – Un recul technique. .................................................................................................... 186
1 – La limitation de la technique des ordonnances. .......................................................... 186
2 – La propension prioritaire du règlement à l’application de la loi ................................ 189
B – Un récul stratégique ................................................................................................... 193
1- Une stratégie de légitimation du pouvoir normatif...................................................... 194
2- Une stratégie garantie par le contrôle gouvernemental de la procédure et de l’organe
législatifs. ........................................................................................................................ 1948
CONCLUSION DU TITRE I ........................................................................................... 202
TITRE II :L’AMELIORATION DES PROCEDES ................................................... 203
CHAPITRE I :LA RATIONALISATION DES PROCEDES DE CRISE ................ 207
SECTION I- DES PROCEDES ANTERIEUREMENT BANALISES ........................... 212
I – LES PREMISSES « COLONIALES » DE LA BANALISATION ............................ 213
A – La mise en place de procédés exceptionnels de maintien de l’ordre public .............. 213
1 – Le procédé textuel : l’état de siège ............................................................................. 214
a) La déclaration de l’état de siège ................................................................................... 214
b) Les effets de l’état de siège .......................................................................................... 216

730
2 – Le procédé jurisprudentiel : la théorie des circonstances exceptionnelles ................. 218
B – La tendance constante à l’usage de procédés exceptionnels de maintien de l’ordre
public................................................................................................................................. 225
1 – La permanence du maintien renforcé de l’ordre public .............................................. 225
2 – La récurrence du recours prolongé à la législation de guerre ..................................... 227
II – LES SUITES NATIONALES DE LA BANALISATION ........................................ 228
A – La multiplication de procédés exceptionnels de maintien de l’ordre public ............. 229
1 – Les procédés législatifs ............................................................................................... 230
a) L’état de mise en garde ................................................................................................. 230
b) L’état d’alerte ............................................................................................................... 233
2 – Les procédés constitutionnels ..................................................................................... 235
a) L’état d’urgence ............................................................................................................ 236
b) L’état d’exception ......................................................................................................... 238
B – La suppression de la distinction période normale période/période exceptionnelle ... 241
1– La suppression latente : l’ordonnance n°62/OF/18 du 12 mars 1962 portant répression
de la subversion ................................................................................................................ 241
2 – La suppression manifeste : l’article 7 de l’ordonnance du 26 aout 1972 sur l’état
d’urgence........................................................................................................................... 245
SECTION II – DES PROCEDES ACTUELLEMENT « EXCEPTIONNALISES » ...... 247
I–LA RESTAURATION DE LA DISTINCTION PERIODE NORMALE/PERIODE DE
CRISE. .............................................................................................................................. 248
A – L’enclenchement réglementaire de la restauration. ................................................... 248
1 – La levée de l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national. ............................ 249
2 – La mise en place d’une commission chargée de la révision de la législation sur les
libertés. .............................................................................................................................. 251
B – Le parachèvement législatif de la restauration. .......................................................... 254
1– L’abrogation de l’ordonnance n° 62 [OF] 18 du 12 mars 1962 portant répression de la
subversion. ........................................................................................................................ 255
2– La suppression de l’article 7 de l’ordonnance du 26 Août 1972 sur l’état d’urgence. 257
II – LA DIMINUTION DE L’IMPACT DES REGIMES DE CRISE. ............................ 259
A – L’assouplissement de l’état d’urgence. ...................................................................... 260
1 – L’assouplissement de la notion d’état d’urgence ........................................................ 261

731
2 – La modulation des effets de la déclaration. ................................................................ 264
B – L’encadrement de l’état d’exception. ......................................................................... 267
1 – Un encadrement jusque là indicible. ........................................................................... 268
2 – Un encadrement tout de même possible. .................................................................... 270
CHAPITRE II :LA « NORMALISATION » DES PROCEDES ORDINAIRES ..... 274
SECTION I - LE CARACTERE FONDAMENTALEMENT LIBERTICIDE DES
PROCEDES ANCIENS .................................................................................................... 278
I- LA SYSTEMATISATION DU REGIME PREVENTIF.............................................. 279
A- La généralisation de l’exigence d’autorisation préalable. ........................................... 280
1- Une exigence préalable à l’exercice de la liberté individuelle. .................................... 281
2 – Une exigence préalable à l’exercice des libertés collectives ...................................... 284
B – La banalisation du procédé de l’interdiction .............................................................. 288
1 – Un procédé en principe interdit. ................................................................................. 288
2 – Un procédé employé jusqu’à la banalisation. ............................................................. 291
II– L’AUTORITARISME DES PROCEDES D’EXECUTION ET DE SANCTION ..... 295
A- L’exorbitance des actes d’exécution............................................................................ 296
1. L’exacerbation du privilège du préalable ..................................................................... 297
2. La banalisation du privilège de l’exécution d’office .................................................... 301
B. L’importance des pouvoirs de sanction........................................................................ 305
1 – La multiplication des sanctions pénales...................................................................... 306
2- La superposition des sanctions administratives ............................................................ 309
SECTION II- LE CARACTERE RELATIVEMENT LIBERAL DES PROCEDES
ACTUELS ........................................................................................................................ 313
I- LE CARACTERE RELATIVEMENT LIBERAL DES PROCEDES DE
REGLEMENTATION ...................................................................................................... 314
A-La réhabilitation du système répressif .......................................................................... 315
1. Signification du régime répressif ............................................................................... 315
2. Le régime répressif comme régime de droit commun ? ............................................ 318
a. Position du problème ................................................................................................. 318
b. Solution du problème ................................................................................................. 320
B-La généralisation du procédé de la déclaration préalable ............................................. 322
1. Signification du procédé de la déclaration préalable ................................................. 323

732
2. Ancrage du procédé de la déclaration préalable ........................................................ 326
II- LE CARACTERE RELATIVEMENT LIBERAL DES PROCEDES D’EXECUTION
ET DE SANCTION .......................................................................................................... 330
A. La modulation des procédés d’exécution ............................................................... 331
1. La diminution du privilège du préalable .................................................................... 332
2. L’atténuation de l’exécution forcée ........................................................................... 337
B. La rationalisation des procédés de sanction ........................................................... 340
1. La rationalisation des procédés de sanction administrative ....................................... 341
2. Le retour à la sanction pénale des actes de police administrative ............................. 343
CONCLUSION DU TITRE II .......................................................................................... 346
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE............................................................ 347
DEUXIEME PARTIE :LA PERSISTANCE D’UN AUTORITARISME
MATERIEL ..................................................................................................................... 348
TITRE I :L’IMPERIALISME DES FONDEMENTS ................................................ 351
CHAPITRE I :L’ABSOLUTISME DU FONDEMENT DE LA POLICE
GENERALE .................................................................................................................... 353
SECTION I – UN ABSOLUTISME MATERIEL ........................................................... 358
I – L’INDETERMINATION DU CONTENU DE L’ORDRE PUBLIC ......................... 358
A – Le laconisme textuel .................................................................................................. 359
1 – Le contenu certain ....................................................................................................... 362
a )- La sécurité publique ................................................................................................... 362
b - La salubrité publique ................................................................................................... 364
c - La tranquillité publique................................................................................................ 366
2 – Le contenu incertain .................................................................................................... 368
a)- L’esthétique ................................................................................................................. 368
b)- La morale publique ..................................................................................................... 370
B – Le mutisme jurisprudentiel ........................................................................................ 373
1 - Le refus par le juge de fixer le contenu matériel de l’ordre public ............................. 375
2- La construction par le juge d’une conception purement abstraite de l’ordre public .... 379
II – LA GLOBALISATION DE LA CONCEPTION DE L’ORDRE PUBLIC .............. 380
A – Une globalisation source de confusion ...................................................................... 380
1- La confusion entre ordre public de la police administrative et ordre public global ..... 382

733
2- L’assimilation de l’ordre public à l’ordre politique ..................................................... 385
B – Une globalisation source de standardisation .............................................................. 387
SECTION II - UN ABSOLUTISME FONCTIONNEL ................................................... 390
I - LA FAIBLE PRISE EN COMPTE DE LA DIMENSION PROTECTRICE DE
L’ORDRE PUBLIC .......................................................................................................... 391
A.Une dimension protectrice potentiellement grande ...................................................... 392
1. La complémentarité de l’ordre et de la liberté ........................................................... 393
2. La consubstantialité de l’ordre et de la liberté ........................................................... 396
B. Une dimension protectrice factuellement réduite .................................................. 399
1. La faible prise en compte textuelle ............................................................................ 399
2. La non prise en compte jurisprudentielle ................................................................... 401
II -LA FORTE PRISE EN COMPTE DE LA DIMENSION RESTRICTIVE DE
L’ORDRE PUBLIC .......................................................................................................... 404
A – La « mise en réserve » permanente de l’ordre public ................................................ 406
B – La thèse de l’antagonisme de l’ordre et de la liberté ................................................. 409
CHAPITRE II :L’EXPANSIONNISME DES FONDEMENTS DES POLICES
SPECIALES .................................................................................................................... 412
SECTION I- L’EXPANSIONNISME DES FONDEMENTS THEORIQUES ............... 417
I.UN EXPANSIONNISME EXPLIQUE PAR LA NOTION DE POLICE
SPECIALE ........................................................................................................................ 419
A.Une notion accessoirement fondée sur une nécessité pratique ..................................... 420
1. La nécessité, raison d’être même de la police générale ............................................. 420
2. La nécessité élément non justificatif des polices spéciales ....................................... 423
B. Une notion principalement axée sur une volonté étatique ........................................... 427
1. Une volonté non limitée par les textes ....................................................................... 427
2. Une volonté décuplée par le contexte ........................................................................ 430
II.UN EXPANSIONNISME JUSTIFIE PAR LES FONCTIONS DES POLICES
SPECIALES...................................................................................................................... 433
A.Le renforcement de la police générale .......................................................................... 434
1. Un renforcement matériel .......................................................................................... 434
2. Un renforcement conceptuel ...................................................................................... 438
B.Le dépassement de la police générale ........................................................................... 442

734
1. Un Dépassement matériel .......................................................................................... 443
2. Un dépassement conceptuel ....................................................................................... 446
SECTION II - L’EXPANSIONNISME DES FONDEMENTS JURIDIQUES ............... 449
I. LES DONNEES FORMELLES ................................................................................ 450
A.La banalisation de l’instrument de police spéciale ....................................................... 451
1. Banalisation de la création ......................................................................................... 451
2. La banalisation de l’organisation ............................................................................... 454
B. La multiplication du nombre de polices spéciales ................................................. 457
1. Un nombre initialement réduit ................................................................................... 458
2. Un nombre progressivement accru .............................................................................. 460
II. LES DONNEES MATERIELLES ......................................................................... 463
A. L’évolution des objets des polices spéciales .......................................................... 464
1. Une évolution interne................................................................................................. 465
2. Une évolution externe ................................................................................................ 468
B. La diversification des objets des polices spéciales ................................................ 471
1. Le classicisme des objets initiaux .............................................................................. 472
2. Le modernisme des objets finaux .............................................................................. 475
CONCLUSION DU TITRE I ........................................................................................... 479
TITRE II :L’ETATISME DANS L’AMENAGEMENT ............................................. 480
CHAPITRE I :LE MAXIMALISME DANS L’AMENAGEMENT DE
L’EXERCICE ................................................................................................................. 482
SECTION I- LA MULTIPLICITE DES AUTORITES DE POLICE
ADMINISTRATIVE ........................................................................................................ 484
I – LE FOISONNEMENT DES AUTORITES DE POLICE GENERALE ..................... 485
A – Les autorités de police générale à compétence nationale .......................................... 485
1 – Le Président de la République .................................................................................... 485
a) – L’incertitude d’une habilitation explicite .................................................................. 486
b) - La certitude d’une habilitation implicite .................................................................... 490
1. Le Premier Ministre ................................................................................................... 493
2. Le Ministre de l’Administration Territoriale et de la décentralisation ...................... 496
B. Les autorités de police générale à compétence régionale ou locale ............................. 497
1. Les autorités de police générale à compétence régionale ............................................. 498

735
a. Le Gouverneur ........................................................................................................... 498
b. Le Président du conseil régional ................................................................................ 500
2. Les autorités de police générale à compétence locale .................................................. 503
a. Le préfet et le sous-préfet .......................................................................................... 503
b. Le maire et le délégué du gouvernement ................................................................... 506
II. LE PULLULEMENT DES AUTORITES DE POLICE SPECIALE .......................... 508
A. Le pullulement au niveau ministériel ..................................................................... 509
1. Les ministres exerçant des polices spéciales à tendance homogène .......................... 510
2. Les ministres détenteurs de polices spéciales à caractère hétérogène ....................... 514
B. Le pullulement au niveau des établissements publics ............................................ 520
1. Les chefs des établissements publics n’ayant pas de missions de régulation, autorités
de police spéciale .............................................................................................................. 521
2. Les établissements publics de régulation, autorités de police spéciale ..................... 525
SECTION II- LA DIVERSITE DES FORCES DE POLICE ADMINISTRATIVE ....... 528
I. LES FORCES CIVILES................................................................................................ 529
A. Les forces des polices municipales ........................................................................ 530
1. Création des forces des polices municipales.............................................................. 531
2. Missions des forces de police municipale.................................................................. 534
B. Les forces de la sûreté nationale ............................................................................ 537
1. Evolution historique des forces de la sûreté nationale ............................................... 538
1. Situation actuelle de la sûreté nationale ..................................................................... 542
II. LES FORCES MILITAIRES ....................................................................................... 547
A. La gendarmerie ....................................................................................................... 547
1. Evolution historique de la gendarmerie ..................................................................... 548
2. Situation actuelle de la gendarmerie .......................................................................... 552
A.L’armée ......................................................................................................................... 556
1. La considération de l’armée comme une force exceptionnelle de police
administrative.................................................................................................................... 557
2. La banalisation de l’intervention de l’armée dans le maintien de l’ordre public ...... 559
CHAPITRE II :LE MINIMALISME DANS L’AMENAGEMENT DU
CONTROLE.................................................................................................................... 562
SECTION I- LE MINIMALISME DU CADRE JURIDICTIONNEL ............................ 567

736
I. LA REDUCTION DES GARANTIES DE CONTROLE ............................................. 568
A. La réduction des garanties liées au statut de la justice................................................. 569
1. La subordination de l’institution judiciaire au pourvoir exécutif .............................. 569
2. La subalternisation de l’indépendance des juges ....................................................... 573
B. La réduction des garanties liées au fonctionnement de la justice .......................... 577
1. La réduction des garanties d’accès aux instances de justice ...................................... 577
2. La réduction des garanties de succès des demandes en justice ................................. 582
II. LA RESTRICTION DES ACTES SUSCEPTIBLES DE CONTROLE ..................... 585
A. La restriction des actes susceptibles du contrôle de la légalité .............................. 586
1. L’interdiction du sursis à exécution des mesures de police ....................................... 587
2. La prolifération d’actes insusceptibles de recours ..................................................... 589
B – La consécration d’ilots d’irresponsabilité .................................................................. 592
1 – L’irrecevabilité des actions en réparation des dommages liés au terrorisme ............. 594
a) Le principe de non indemnisation juridictionnelle des victimes du terrorisme ............ 596
b) L’exceptionnelle réparation administrative .................................................................. 598
2 – L’irresponsabilité de l’Etat dans les domaines législatif et juridictionnel .................. 601
a) L’irresponsabilité de l’Etat législateur.......................................................................... 601
b) L’irresponsabilité de l’Etat juge ................................................................................... 605
SECTION II - LE MINIMALISME JURISPRUDENTIEL ............................................. 610
I. LE DURCISSEMENT PAR LE JUGE DES CONDITIONS D’ADMISSION DES
RECOURS ........................................................................................................................ 611
A. Une interprétation limitative des règles de compétence. ....................................... 612
1. Le problème du juge compétent en matière de police des médias ............................ 613
2. Le problème du contentieux des actes matériels de police ........................................ 616
B – Une conception restrictive des conditions de recevabilité ......................................... 621
1. Une conception restrictive de la capacité, de la qualité et de l’intérêt pour agir ....... 623
2. Une fixation limitative sur le respect des délais de recours....................................... 626
II. L’APPAUVRISSEMENT PAR LE JUGE DES INSTRUMENTS DE
CONTROLE DES MESURES ......................................................................................... 629
A. Le « refusionnisme » du juge dans le contrôle de la légalité ................................. 631
1. Le refus de contrôler l’opportunité des mesures de police ........................................ 633
2. Le refus d’instituer un contrôle de proportionnalité ................................................. 638

737
B. Le réductionnisme du juge dans le contrôle de responsabilité ............................... 642
1. La rationalisation de la responsabilité pour faute ...................................................... 643
2. La disqualification de la responsabilité sans faute .................................................... 647
CONCLUSION DU TITRE II .......................................................................................... 652
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE ........................................................... 653
CONCLUSION GENERALE ........................................................................................ 654
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE .................................................................................. 659
INDEX DES TEXTES .................................................................................................... 696
INDEX DE JURISPRUDENCE .................................................................................... 718
TABLE DES MATIERES .............................................................................................. 727

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