Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Jean-Paul Bronckart
DOI : 10.4000/books.septentrion.11371
Éditeur : Presses universitaires du Édition imprimée
Septentrion ISBN : 9782757412725
Lieu d'édition : Villeneuve d'Ascq Nombre de pages : 160
Année d'édition : 2016
Date de mise en ligne : 22 juin 2017
Collection : Savoirs Mieux
ISBN électronique : 9782757417850
http://books.openedition.org
Référence électronique
BRONCKART, Jean-Paul. Pourquoi et comment devenir didacticien ? Nouvelle édition [en ligne].
Villeneuve d'Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2016 (généré le 21 août 2017). Disponible
sur Internet : <http://books.openedition.org/septentrion/11371>. ISBN : 9782757417850. DOI :
10.4000/books.septentrion.11371.
Pourquoi et
comment
devenir
didacticien ?
avec la contribution de
Bernard Schneuwly
postface
Yves Reuter
Pourquoi et comment
devenir didacticien ?
Jean-Paul Bronckart, un des fondateurs de la
didactique des langues, en propose ici une histoire à
partir d’écrits qui discutent du statut de cette discipline
et de ses rapports avec la linguistique et la psychologie
du développement.
Il présente les raisons l’ayant conduit à s’impliquer
dans la création d’une approche de l’enseignement des
langues caractérisée à la fois par un engagement dans les
deux sciences contributives et par le souci de trouver des
solutions concrètes aux problèmes didactiques. Il décrit
ensuite les débuts hésitants d’une discipline d’abord
qualiiée de “psychopédagogie” ou de “pédolinguistique”
et énonce les principes vygotskiens ayant conduit à
ancrer cette approche en sciences de l’éducation.
7
3. Propositions pour une didactique du français ................................................................ 71
4. Didactiques, sciences et sciences de l’éducation............................................................76
Bibliographie .............................................................................................................................79
Chapitre 4
(1991)
La didactique du français langue maternelle :
l’émergence d’une utopie indispensable ...........................................................................81
avec Bernard Schneuwly
L’utopie didactique .................................................................................................................. 83
Du statut des didactiques des matières scolaires ................................................................ 88
Problèmes et perspectives de la DFLM ...............................................................................99
Bibliographie ........................................................................................................................... 102
Chapitre 5
(1993/1994)
Projets d’enseignement et capacités d’apprentissage
L’exemple de la langue maternelle .................................................................................... 105
1. Les projets d’enseignement de la langue française .......................................................106
2. Substrat et enjeux du débat contemporain ....................................................................112
3. L’exploitation des capacités d’apprentissage des élèves ...............................................118
Bibliographie ............................................................................................................................121
Chapitre 6
(2001)
La psychologie ne peut être que sociale
et la didactique est l’une de ses disciplines majeures.................................................123
1. Pourquoi la psychologie est-elle nécessairement « sociale » ? .................................124
2. En quoi la didactique est-elle une discipline fondamentale de la psychologie ? ...142
Bibliographie ...........................................................................................................................147
Contribuer à l’histoire des didactiques .......................................................................... 151
Yves Reuter
1. La question des origines disciplinaires ............................................................................152
2. L’autonomisation disciplinaire ........................................................................................ 153
3. La question de l’engagement ............................................................................................. 155
Et d’autres débats encore… ....................................................................................................156
Pour conclure enin .................................................................................................................157
Références bibliographiques .................................................................................................157
Introduction.
Un parcours vygotskien
C’est Yves Reuter qui m’a proposé de rééditer certains de mes textes ayant
trait au statut et aux orientations de la didactique (des langues) qui avaient
été publiés dans le dernier quart du XXe. Proposition qui m’a d’abord
surpris, mais que j’ai rapidement acceptée et qui a suscité un travail
d’auto-compréhension rétrospective aussi instructif que rafraichissant.
Ce travail a inévitablement comporté une dimension de reconstruction
de parcours personnel, sans doute entachée d’amateurisme autobio-
graphique, mais dont je n’expliciterai dans ce qui suit que les éléments
susceptibles d’éclairer les positions prises et les choix efectués, et ceux me
paraissant pouvoir relever de « l’intérêt général » en matière didactique.
Dès la in des années 1960, j’avais échafaudé un projet scientiique
centré sur le rôle du langage dans le développement humain qui, parce
que né d’une immédiate adhésion à l’œuvre de Vygotski, impliquait d’exa-
miner les processus développementaux dans ce lieu réel de leur manifes-
tation qu’est l’enseignement/apprentissage. C’est dans cette perspective
que j’ai tôt engagé des démarches de recherche et d’intervention dans le
champ scolaire, sous la bannière de la psychopédagogie d’abord, puis de
plus en plus fermement sous celle de la didactique. Démarches souvent
assorties de prises de position « engagées », dont certaines se sont
révélées bien éphémères mais dont d’autres se sont conirmées et solidi-
iées et constituent aujourd’hui encore les vecteurs de mes travaux ayant
trait à la didactique.
9
10
Jean-Paul Bronckart
1.– Si l’essentiel de ma formation en sciences du langage s’est efectuée sur le mode de la lecture,
j’ai cependant suivi, en 1967 dans le laboratoire de Marc Richelle, un cours-séminaire sur
la grammaire générative dispensé par Nicolas Ruwet (qui venait de rentrer du MIT), et en
1972/1973, le séminaire du dimanche que donnait Antoine Culioli à Saint Charles.
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 13
énonciative ». Il nous est apparu que ces deux approches avaient les textes
et leurs modes d’organisation comme horizons théoriques, mais qu’elles
ne proposaient néanmoins que des ébauches d’analyse et de concep-
tualisation de ces dimensions. Comme Bakhtine (!!!2) venait à peine
d’être « découvert » et que les sciences du discours n’émergeaient que
timidement, nous avons pris l’option d’engager nous-mêmes des travaux
empiriques susceptibles de fournir, en particulier dans le domaine de la
typologie des textes, les éléments conceptuels et théoriques dont nous
avions besoin pour la poursuite de nos travaux didactiques. Avec Daniel
Bain, Auguste Pasquier et Bernard Schneuwly, nous avons conçu un
important projet de travail, qui a reçu l'appui du Fonds National Suisse de
la Recherche Scientiique et dont l’aboutissement majeur a été l’ouvrage
collectif Le fonctionnement des discours (1985). Et il parait utile et important
de rappeler que ce travail théorique, comme ceux qui l’ont suivi, ont été
réalisés dans le but premier de fournir des instruments au service d’une
amélioration des contenus et démarches de l’enseignement des langues.
4. L’airmation didactique
Les années 1980 ont été marquées par le retour et la réhabilitation de
la didactique, approche séculaire jusque-là suspecte dans les sciences
humaines francophones pour sa réputation de démarche formative généra-
lisante, autoritaire et largement adulto-centrique. En dépit de ses origines
et de cette réputation, et pour autant qu’elle soit quelque peu dépous-
siérée, la notion de didactique a cependant paru adéquate pour désigner
ce lieu à partir duquel on pouvait tenter de contribuer à la rénovation des
programmes et des pratiques d’enseignement, en intégrant les apports des
disciplines scientiiques ayant trait aux divers objets d’enseignement, aux
processus d’apprentissage et aux systèmes d’éducation/formation. Après
quelques hésitations, notre groupe de recherche a suivi le mouvement
et accepté de se placer désormais sous la bannière didactique ; processus
qui s’est traduit par la reformulation de principes généraux d’inspiration
vygostkienne explicitant notre manière propre d’investir et d’habiter cette
didactique nouvelle, et processus qui s’est déployé en temps successifs,
2.– Sous le nom de Bakhtine, c’est en réalité essentiellement l’œuvre de Volochinov qui a été
redécouverte ; celle-ci constitue la composante théorique essentielle (et résolument histori-
co-sociale) de ce qui est encore malencontreusement qualiié de « corpus bakhtinien » ; cf.
notre Bakhtine démasqué (Bronckart et Bota, 2011).
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 19
dont les deux principaux sont illustrés par les chapitres trois et quatre
du présent ouvrage, reproduisant des textes initialement publiés en 1989
et 1991.
Le premier des principes généraux consistait en l’airmation de l’auto-
nomie de la didactique, c’est-à-dire en la revendication de son indépen-
dance à l’égard des disciplines scientiiques reconnues ayant trait aux
systèmes, aux processus ou aux contenus d’enseignement. Il s’agissait par
là de réairmer la volonté de se départir de ces deux formes d’application-
nisme que constituaient, dans le domaine des langues, la psychopédagogie
(piagétienne) et la linguistique appliquée. Et il s’agissait par là également,
sous l’angle positif et prospectif, d’instaurer la didactique comme lieu
d’ancrage à partir duquel on pouvait/devait, d’un côté procéder à
l’examen historique et synchronique de la situation de l’enseignement
d’une matière scolaire, et d’un autre côté procéder à un examen de la perti-
nence intrinsèque et de l’intérêt didactique des propositions émanant
des disciplines de référence. Le deuxième principe général était d’ordre
épistémologico-politique. Il s’agissait de mettre l’accent sur le statut
profondément sociohistorique des démarches d’éducation/formation, ce qui
impliquait d’accorder une importance majeure, dans l’analyse de l’état
des lieux éducatifs, aux attentes sociales efectives, aux inalités politico-
sociales parfois masquées et aux conditions pratiques concrètes de l’ensei-
gnement et de l’apprentissage scolaires ; et ce qui impliquait en consé-
quence de formuler des propositions d’innovation que nous qualiiions de
« réalistes », c’est-à-dire qui paraissaient pouvoir être implémentées avec
de véritables chances de succès dans la situation didactique telle qu’elle
était (et non telle que nous pouvions croire ou rêver qu’elle devait être). Le
troisième principe général était que pour assurer son autonomie la didac-
tique devait se doter d’un corpus notionnel et de méthodologies propres,
relevant de ce que nous appelions alors « la science de l’éducation », et
qu’elle constituait plus précisément une « technologie à la fois culturelle,
spéciique et autonome » intégrée à ladite science. On mesure rétrospecti-
vement le caractère triplement délicat de ce dernier principe. Tout d’abord
il s’inscrivait de fait – ou de manière non dite dans nos textes – dans une
compétition ayant trait aux instances académiques ayant à accueillir la
discipline didactique renaissante ; débat toujours ouvert aujourd’hui mais
qui a néanmoins perdu de son acuité, voire de son intérêt. Ensuite, l’appel
20
Jean-Paul Bronckart
3.– Le Cycle d’Orientation genevois comporte trois degrés scolaires correspondant globale-
ment aux trois premiers degrés du Collège français.
22
Jean-Paul Bronckart
Références
Besson, M.J., Bronckart, J.-P., Canelas-Trevisi, S. & Nicolazzi-Turian, I.
(1990). Français 7e. Pratique de la langue. Genève : Cycle d’Orientation,
351 p.
Bronckart, J.-P. (1970a). Le rôle régulateur du langage : critique expérimentale
des travaux d’A.R. Luria. Neuropsychologia, 8, 451-463.
Bronckart, J.-P. (1970b). Quelques thèmes actuels de la linguistique et de la
psycholinguistique. Genève : École de Psychologie et des Sciences de
l’Éducation, Miméo, 15 p.
Bronckart, J.-P. (1973). he regulating role of speech. A cognitivist approach.
Human Development, 16, 417-439.
Bronckart, J.-P. (1977). héories du langage. Une introduction critique.
Bruxelles : Mardaga.
Bronckart, J.-P. (1990). Guide d’utilisation des manuels « Maufrey &
Cohen ». Sion : ORDP, 39 p.
Bronckart, J.-P. (1997). Activité langagière, textes et discours. Pour un interac-
tionisme socio-discursif. Paris : Delachaux et Niestlé.
Bronckart, J.-P. (2001). Enseigner la grammaire dans le cadre de l’enseignement
rénové de la langue. Genève : DIP, Cahier du secteur des langues, N° 75,
85 p.
Bronckart, J.-P. (2014). Du rôle du langage dans la construction des spécii-
cités de l’animal humain. In J. Reisse & M. Richelle (éd.), L’homme. Un
animal comme les autres ? (p. 129-154). Bruxelles : Académie Royale de
Belgique.
Bronckart, J.-P. & Bota, C. (2011). Bakhtine démasqué. Histoire d’un menteur,
d’une escroquerie et d’un délire collectif. Genève : Droz.
Bronckart, J.-P. & Sinclair, H. (1973). Time, tense and aspect. Cognition, 2,
107-130.
Dolz, J., Noverraz, M. & Schneuwly, B. (2001). S’exprimer en rançais.
Séquences didactiques à l’oral et à l’écrit. Bruxelles : De Boeck.
Habermas, J. (1987). héorie de l’agir communicationnel, t. I et II. Paris :
Fayard.
Kilcher-Hagedorn, H., Othenin-Girard, Ch. & de Weck, G. (1987). Le savoir
grammatical des élèves. Berne : Peter Lang.
24
Jean-Paul Bronckart
25
26
Jean-Paul Bronckart
une parmi les multiples langues existant, tandis que Chomsky parlera
de « langage » ; l’organisation de la structure profonde comme celle
des transformations est considérée comme identique pour tout type de
langue ; les diférences qui apparaissent ne sont que supericielles.
Parallèlement à la grammaire générative qui s’est développée dès la
in des années 50 et a connu un immense succès, sont apparus d’autres
types de description de la langue que nous regrouperons sous le nom de
théories du discours. Celles-ci n’ont pas connu encore un niveau de formu-
lation analogue à celui de la grammaire générative, mais il nous semble
qu’elles sont appelées à se développer considérablement dans les années à
venir. Comme leur nom l’indique, ces conceptions sont centrées sur une
unité du langage plus large que le mot ou la phrase, c’est-à-dire le discours
ou séquence d’énoncés produits par un sujet sur un thème donné. Leur
caractéristique primordiale n’est cependant pas la déinition d’une unité
langagière large et thématique, mais bien l’introduction dans la théorie
même d’un paramètre oublié jusqu’ici, le sujet locuteur, dans ses relations
avec son énoncé et avec la réalité qu’il veut exprimer. La référence au
sujet locuteur pose le problème des fonctions du discours : pourquoi
parle-t-on ? De quelle manière ? Et pourquoi de cette manière ? Quelle
est la raison du choix d’un mot alors qu’un autre pourrait paraître tout
aussi pertinent ? Cette école pourrait être qualiiée de linguistique totale,
à la fois structurale et fonctionnelle. Outre les précurseurs, Benveniste
ou même Jespersen, cette tendance est représentée essentiellement par
Culioli. Dans sa théorie de la lexis, ce dernier a tenté d’élaborer un modèle
de l’ensemble des opérations que le sujet linguistique idéal doit réaliser
pour passer du niveau de la représentation, de la connaissance construite
sur une réalité donnée, à celui de la production d’un discours dans une
langue précise. On postule donc ici, comme dans la grammaire générative,
l’existence d’une sorte de structure profonde et d’une structure de
surface ; cependant, les étapes qui permettent de passer de l’une à l’autre
sont plus nombreuses et plus complexes et surtout se déinissent par le
degré de prise en charge (ou d’intervention) du locuteur et par la nature
même de cette opération. Ce type de théorie est, par son contenu, psycho-
linguistique, bien que les méthodes de recueil et d’analyse des données
restent linguistiques : on examine un large échantillon de langues dont
on suppose qu’il représente la diversité langagière, et on tente d’isoler
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 31
3.– La phrase « La voiture est lavée par Jean » fait référence à une situation non-renversable,
car seul Jean peut laver, tandis que « Jean lave Marie » fait référence à une situation
renversable.
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 33
2. La perspective pédolinguistique
C’est dans le but de résoudre le problème technique de l’application
des données scientiiques à la pédagogie des langues que les recherches
pédolinguistiques ont été entreprises. L’objectif initial était de réinsérer
ces données dans le milieu scolaire pour les rendre pertinentes pour le
sujet pédagogique.
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 37
2.1. La méthode
Sur des thèmes fournis par l’analyse linguistique, par la consultation des
programmes ou encore par les découvertes psycholinguistiques, des tâches
de type scolaire, c’est-à-dire de même ordre que celles que propose l’ensei-
gnant dans sa classe, ont été déinies. Elles ont été présentées collecti-
vement. Le remplacement de la méthode clinique et individuelle, chère aux
psychologues, par une technique scolaire et collective, permet à l’expéri-
mentateur de contrôler la validité de ses données en situation pédagogique
et au pédagogue d’apprécier l’intérêt éventuel des données du psycho-
logue. Les résultats obtenus rendent également possible l’interprétation
de faits expérimentaux dont la signiication était restée partiellement
obscure jusque-là. Sur un plan plus pratique, ils fournissent à l’enseignant
des techniques nouvelles pour comparer ou évaluer les connaissances
langagières des élèves, ils favorisent le renouvellement de l’analyse des
structures grammaticales et enin peuvent suggérer de nouvelles méthodes
d’enseignement.
2.2. Les domaines étudiés
Trois types d’expériences ont été réalisés à ce jour. Les premières consistent
en la simple description d’images plus ou moins précises et organisées.
Elles ont pour objet de rendre opérationnelle une méthode d’analyse de
la complexité des productions langagières et de permettre ainsi la compa-
raison interindividuelle ou inter-groupes. Elles permettent également
de déterminer quel est le type de support (image, discours, etc.) qui
provoque les productions langagières les plus riches et les plus complexes.
L’expérience du deuxième groupe porte sur une ou plusieurs structures
morphosyntaxiques ; nous avons analysé jusqu’à ce jour le maniement
des formes de la conjugaison dans plusieurs contextes, la compréhension
de certaines structures interrogatives et, enin, l’emploi de pronoms
personnels et relatifs. Ces travaux avaient pour objet de déterminer les
facteurs qui entrent en jeu dans l’emploi et la maîtrise de ces structures
par l’écolier, et, par conséquent, d’indiquer les méthodes d’apprentissage
les plus « naturelles ». Dans le dernier groupe de recherches nous avons
essayé d’appréhender la signiication que les enfants attribuaient aux
termes grammaticaux introduits à l’école primaire, à savoir le mot, le nom,
le verbe, le sujet, le complément et la phrase.
38
Jean-Paul Bronckart
2.3. Un exemple
L’expression des relations temporelles dans le langage de l’enfant est un
thème qui a suscité beaucoup d’intérêt en psycholinguistique génétique
autour des années 1970. Ferreiro (1971) notamment a entrepris une série
de recherches destinées à déterminer à quel moment l’enfant exprime la
relation temporelle à l’aide du temps des verbes. Les résultats très riches
qu’elle a obtenus démontrent que ce mode d’expression des rapports de
temps n’est possible chez l’enfant qu’à partir de 7 ou 8 ans, mais qu’au-
paravant d’autres éléments sont utilisés pour produire et comprendre
les relations d’antériorité ou de postériorité. Les temps du verbe sont
cependant produits comme on le sait dès l’âge de 3 ou 4 ans, et le problème
s’est dès lors posé de savoir quelle était leur fonction dans les énoncés de
sujets de moins de 8 ans. Un second cycle de recherches (Bronckart, 1973,
1974, 1976) a été entrepris pour répondre à cette question. La technique
utilisée consistait à présenter aux sujets (de 3 à 25 ans) diverses actions
simples en leur demandant de les décrire. L’expérimentateur contrôlait
strictement certaines des caractéristiques de l’action (durée, espace
parcouru, fréquence, résultat, etc.) ainsi que le délai de production c’est-à-
dire le temps écoulé entre la in de l’action et le début de l’énoncé produit.
L’analyse de ces énoncés avait pour objet de déterminer dans quelle
mesure les marques linguistiques de l’aspect et du temps (temps du verbe,
adverbes, syntagmes prépositionnels, verbes eux-mêmes) dépendaient
des paramètres contrôlés (c’est-à-dire des caractéristiques de l’action ou
du délai de production). Les résultats obtenus démontrent clairement
qu’entre 3 ; 6 et 8 ans environ les caractéristiques de l’action déterminent
le choix des temps par l’enfant. Tout se passe comme si ce dernier élaborait
des catégories d’actions et choisissait le temps du verbe en fonction de
celles-ci. C’est ainsi qu’il utilise, par exemple, le passé composé pour une
action produisant un résultat immédiat, l’imparfait pour une action lente,
se déroulant dans l’espace et aboutissant à un résultat, le présent pour une
action sans résultat tangible, etc. Au-delà de 8 ans, les temps dépendent
surtout du délai de production et donc acquièrent une véritable fonction
temporelle.
Ces données, intéressantes en soi, ont-elles une incidence sur la
pratique pédagogique ? Pour répondre à cette question, une recherche
pédolinguistique a été réalisée par Besson et Bingelli (1976). Celles-ci
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 39
Tableau 1. Degré scolaire auquel 75 % des sujets réussissent l’épreuve de complé-
tion. Les variables sont les quatre types de texte proposés et les quatre types
d’action (I : action imperfective ; R : action répétitive ; PD : action perfective
durative ; PnD : action perfective non durative).
Il semble que ces résultats fournissent quelques indications pédago-
giques claires. La première concerne le choix des verbes à utiliser lors
des exercices de conjugaison. À l’heure actuelle, ce choix est efectué
par les rédacteurs de programmes sur la base des fréquences du français
fondamental, ainsi que sur une appréciation de leur complexité. Ces
deux critères ne doivent pas être rejetés mais il semble nécessaire de
tenir compte aussi des caractéristiques de l’action décrite par le verbe ;
40
Jean-Paul Bronckart
3. Perspectives d’avenir
Il nous semble que les résultats obtenus, même s’ils ne sont pas toujours
aussi clairs que ceux qui concernent les temps, nous permettent de
poursuivre notre démarche. Dans les quelques années à venir, nos travaux
porteront sur quatre thèmes principaux.
− Les possibilités et le niveau de rélexion métalinguistiques des enfants
concernant l’ensemble des notions linguistiques introduites explici-
tement dans les programmes de l’école primaire. Il nous paraît indis-
pensable que chacun prenne conscience de la complexité réelle de ces
notions et des problèmes qu’elles posent aux enfants.
− L’analyse des textes produits par les sujets, spontanément ou dans
une tâche de description ; il s’agit-là de poursuivre une démarche déjà
engagée.
− L’étude de l’incidence, sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, de
l’élaboration par l’enfant des lois générales (ordre notamment) concer-
nant les structures à fonction expressive. Pour des raisons théoriques, il
nous semble que ces deux phénomènes sont liés ; nous aimerions mettre
en évidence ce lien au niveau individuel.
− L’analyse, en situation pédagogique, de la production, de la compréhen-
sion et de la maîtrise de structures que nous n’avons pas encore étudiées
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 41
Bibliographie
Benveniste, E. (1966). Problèmes de linguistique générale. Paris : Gallimard.
Besson, M.-J. & Binggeli, C. (1976). L’expression des nuances aspectuelles
dans l’emploi des formes verbales chez les enfants poursuivant une scolarité
normale. In Recherches psycholinguistiques et pédagogie de la langue mater-
nelle (p. 34-51). Genève : FPSE et Centre Pédagogique Geisendorf.
Bever, T. (1970). he cognitive basis for linguistic structures. In J. Hayes (éd.),
Cognition and the development of Language (p. 279-362). New-York :
Wiley.
Bloomield, L, (1933). Language. New-York : Holt, Rinehart & Winston.
Bronckart, J.-P. (1973). Aspects et temps. Étude de l’utilisation aspectuelle du
temps des verbes chez l’enfant. Revue de psychologie et des sciences de l’édu-
cation (Louvain), 8, 147-177.
Bronckart, J.-P. (1974). Les modes d’expression de l’aspect chez l’enfant. hèse
de doctorat. Université de Genève : FPSE.
Bronckart, J.-P. (1976). Genèse et organisation des formes verbales chez l’enfant.
Bruxelles : Dessart & Mardaga.
Chomsky, N. (1957). Syntactic structures. he Hague : Mouton.
Chomsky, N. (1965). Aspects of the theory of syntax. Cambridge, Mass : M.I.T.
Press.
Culioli, A. (1968). La formalisation en linguistique. Cahiers pour l’analyse, 2,
106-117.
Dubois, J. & Dubois-Charlier, F. (1970). Éléments de linguistique rançaise :
syntaxe. Paris : Larousse.
Ferreiro, E. (1971). Les relations temporelles dans le langage de l’enfant.
Genève : Droz.
Martinet, A. (1960). Éléments de linguistique générale. Paris : Armand Colin.
McNeill, D. (1970). he acquisition of language. New-York : Harper & Row.
Mehler, J. (1969). Psycholinguistique et grammaire générative. Langages, 16,
1-15.
Piaget, J. (1946). La formation du symbole. Paris : Delachaux et Niestlé.
Ruwet, N. (1967). Introduction à la grammaire générative. Paris : Plon.
42
Jean-Paul Bronckart
1.– Le présent texte est constitué de trois extraits d’une publication collective : Bronckart J.-P.
et al. (1982). Contributions à la didactique de la langue maternelle. Cahiers de la section des
Sciences de l’Éducation, 3, 94 p.
2.– Ce premier chapitre avait été rédigé avec Bernard Schneuwly.
43
44
Jean-Paul Bronckart
on continue de les utiliser aussi bien dans le cadre scolaire que dans celui
de la recherche. Il est par conséquent important de savoir d’où elles
viennent. Pour la plupart des locuteurs, en outre, les notions grammati-
cales de base sont naturalisées, voire réiiées ; elles sont le langage. Comme
on s’en aperçoit dès que l’on consulte l’histoire, certaines d’entre elles
sont au contraire des constructions relativement récentes ; la phrase par
exemple, entité fondamentale du structuralisme jusqu’à Chomsky, n’a
guère plus de deux siècles, et elle a été inventée pour constituer le pendant
linguistique de la notion logique de proposition. En rendant aux notions
grammaticales leur véritable statut, qui est sociohistorique, l’analyse qui
suivra nous permettra de nous faire une première idée sur les objectifs
réellement poursuivis dans le cadre de l’enseignement de la grammaire et,
par là, de mieux comprendre la nature des diicultés auxquelles l’enfant
est confronté. Un concept apparemment aussi évident que celui de sujet
rassemble en réalité quatre unités diférentes, qui se sont agglutinées
au cours du temps sous une même appellation. Cela explique que pour
chaque déinition il y ait une foule de contre-exemples. Mais la véritable
question est alors de savoir ce que cela signiie de faire travailler les enfants
avec des notions aussi incohérentes. Est-ce que cette activité peut vérita-
blement favoriser le développement cognitif comme l’airment la plupart
des programmes scolaires ? Est-ce que l’enfant, en utilisant ce type de
concept, peut vraiment se construire une théorie du langage comme on
le lui demande ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une sorte de soumission à un
« état grammatical » ? « Le sujet c’est celui qui fait l’action ». Malgré
la multitude des contre-exemples qui viennent immédiatement à l’esprit
le travail grammatical consiste à accepter cette déinition plutôt que de
comprendre le pourquoi des contre-exemples.
2. La grammaire au XXe siècle
2.1. L’évolution de la grammaire générale au XXe siècle
L’événement important du début du siècle porte un nom, qui est
évidemment celui de F. de Saussure. Ce savant genevois est considéré à
juste titre comme le fondateur de la linguistique moderne, dans la mesure
où il s’est eforcé de réuniier les diférentes conceptions du langage
existant alors, mais de manière disparate, dans les courants romantiques, la
grammaire comparée, la grammaire historique, la « nouvelle grammaire »,
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 47
de ses analyses structurales, sous forme d’arbre ou de stemma, qui est assez
proche de la iguration chomskyenne et qui a été utilisée dans certaines
innovations pédagogiques.
2.2.2. Les tentatives issues de la linguistique anglo-saxonne
Nous évoquerons ici les travaux réalisés par un groupe de chercheurs
français réunis autour de la revue Langue rançaise, travaux qui consti-
tuent des applications, à la grammaire du français, des acquis du struc-
turalisme américain, en l’occurrence des propositions de Bloomield,
Hockett, Harris et Chomsky. Ce second courant s’oriente nettement vers
la linguistique appliquée : Dubois, Chevalier, Lagane, Genouvrier, etc.,
n’ont pas produit de théorie linguistique propre, à l’instar de Séchehaye
ou de Tesnière, mais ils se sont donné pour objectif précis de modiier la
grammaire scolaire en se fondant sur les travaux linguistiques qu’ils consi-
déraient (à tort ou à raison) comme les plus pertinents. Ce qui est radica-
lement nouveau dans cette démarche, c’est l’acceptation des principes
bloomieldiens, c’est-à-dire des principes behavioristes, et surtout de
celui qui recommande de s’en tenir aux observables, c’est-à-dire aux
phénomènes apparents, ou encore aux éléments de surface. Dans cette
perspective, les unités sont déinies par leur environnement linguistique
et non plus par rapport à ce qu’elles signiient. Ainsi, le nom, par exemple,
ne sera plus « l’unité qui désigne un être, un objet ou une chose », mais
plutôt une « unité précédée d’un article », le verbe se déinira par le fait
qu’il est toujours accompagné d’une lexion, etc. Comme on le constate,
le travail accompli a consisté, ici aussi, à redéinir les unités classiques de la
grammaire (noms, adjectifs, etc.), mais il a consisté également à proposer
des unités plus petites (les morphèmes), plus grandes (les syntagmes) et
surtout à décrire les relations hiérarchiques qui les organisent.
Sur le plan plus strictement pédagogique, les tenants de ce courant
ont proposé que l’on fasse découvrir aux élèves les relations en jeu dans la
phrase en procédant à des substitutions, des permutations ou des transfor-
mations, qui sont précisément les opérations que le linguiste utilise dans
son propre travail. Cela s’est traduit tout d’abord par les fameux exercices
structuraux, qui consistaient, à partir d’une phrase, à produire l’ensemble
des paraphrases qui lui seraient équivalentes. Ces exercices, particuliè-
rement formels et gratuits, sont aujourd’hui généralement abandonnés
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 53
SUJET 1 G
représentation 1 code Phrase
(intention ?)
SUJET 2 G
code Phrase
représentation 2
le second, qui en découle directement, est que la phrase est une entité
indépendante de tout contexte, et qu’elle ne peut par conséquent être
analysée que dans ses relations internes. L’un et l’autre nous paraissent
incorrects. Si l’on accepte en efet de prendre en considération et d’ana-
lyser les énoncés du type (3), (4) ou (5), on s’apercevra que certaines
unités ne peuvent s’expliquer que si on les relie directement au contexte,
c’est-à-dire aux interlocuteurs, à leur localisation dans le temps et dans
l’espace, à leur volonté de convaincre, d’interroger, etc., en un mot à leur
activité de communication. Le langage ne peut donc être conçu comme
une activité strictement représentative : il est à la fois représentation et
communication, et puisqu’il est communicatif, ses unités entretiennent
de constants rapports avec le contexte. Il convient donc d’analyser toutes
les productions langagières disponibles et de le faire en s’inspirant d’un
schéma plus complexe que celui présenté plus haut. Les éléments de ce
schéma seraient les suivants :
− le sujet locuteur, que nous appellerons désormais énonciateur, doté
d’une part d’instruments cognitifs, d’autre part d’instruments linguis-
tiques, sans doute en étroite interdépendance ;
− le domaine des événements, que l’énonciateur va traiter à l’aide de ses
instruments cognitifs pour produire un sens ;
− la situation d’énonciation, c’est-à-dire le contexte précis dans lequel
l’énonciateur construit ses énoncés ; comme pour les événements, la
situation d’énonciation doit être traitée par l’énonciateur et constitue
alors ses valeurs référentielles (personnes, temps, espace) ;
− les productions langagières, que nous appellerons désormais énoncés,
que l’énonciateur construit à l’aide de ses instruments linguistiques, en
se fondant à la fois sur les valeurs référentielles et sur le sens.
58
Jean-Paul Bronckart
Schéma 2
Valeurs
référentielles
Grammaire
Instruments Situation
de connaissance d’énonciation
cognitifs-culturels
Bibliographie
Berthoud-Papandropoulou, I. (1980). La rélexion métalinguistique chez
l’enfant. hèse de doctorat. Université de Genève, FPSE.
Bloomlield, L. (1933). Language. New-York : Holt, Rinehart & Winston.
Bronckart, J.-P. (1976). Genèse et organisation des formes verbales chez l’enfant.
Bruxelles : Dessart et Mardaga.
Bronckart, J.-P. (1979). Pour une méthode d’analyse de textes. Bruxelles : Presses
de l’Université de Bruxelles, 54 p.
Chipman, H. (1976). he construction of the pronominal system in young
children. Berne : Huber.
Chomsky, N. (1957). Syntactic structures. Den Haag : Mouton.
Chomsky, N. (1965). Aspects of the theory of syntax. Cambridge : MIT Press.
Chomsky, N. (1972). Studies on semantics and generative grammar. Den
Haag : Mouton.
Chomsky, N. (1975). Relections on language. New-York : Pantheon Books.
Culioli, A. (1968). La formalisation en linguistique. Cahiers pour l’analyse, 2,
106-117.
Kail, M. (1976). Stratégies de compréhension des pronoms personnels chez le
jeune enfant. Enfance 4-5, 447-466.
Karmilof-Smith, A. (1979). A functional approach to child language.
Cambridge : Cambridge University Press.
Séchehaye, A. (1950). Essai sur la structure logique de la phrase. Paris :
Champion.
Tesnière, L. (1969). Éléments de syntaxe structurale. Paris : Klincksieck.
Chapitre 3
(1989)
Du statut des didactiques des matières scolaires1
1.– Publication originale : Bronckart, J.-P. (1989). Du statut des didactiques des matières
scolaires. Langue rançaise, 82, 53-66. Reproduite avec l’aimable autorisation des éditions
Larousse/Armand Colin.
63
64
Jean-Paul Bronckart
1. L’espace didactique
La réémergence de la didactique n’est pas une mode, sauf à considérer
que le souci d’eicacité pédagogique est lui-même un efet de mode.
La première caractéristique que partagent en efet toutes ces démarches
(et qui justiie à elle seule le réemploi du terme traditionnel) est le souci
d’eicacité, sur le terrain même de l’enseignement, dans les institutions de
formation telles qu’elles sont. Nous considérerons donc, avec Avanzini,
que la didactique « … a pour objet l’étude des procédures d’enseignement
et la recherche des plus pertinentes… » (1986, p. 3) ; elle constitue donc
une discipline d’action, ou une technologie, au sens général du terme.
La seconde caractéristique de la didactique est son souci d’intégrer, dans
cette recherche d’eicacité, les acquis de plusieurs disciplines de référence
et singulièrement des disciplines ayant trait au contenu de l’enseignement
et de celles ayant trait aux processus d’enseignement et d’apprentissage
et/ou d’acquisition. Toute didactique constitue de la sorte une démarche
charnière, située à l’intersection de deux domaines ou de deux « états de
faits » : l’état de l’enseignement d’une matière scolaire et l’état des difé-
rentes disciplines scientiiques de référence.
Si toute didactique constitue une technologie d’enseignement, les
diverses tendances contemporaines se diférencient entre elles par le type
de rapport qu’elles entretiennent avec les deux états de faits que nous
venons d’évoquer : rapport à la situation de l’enseignement d’une matière
scolaire d’une part et rapport aux disciplines scientiiques de référence
d’autre part. Comme nous le proposerons plus loin, la nature de ces
rapports permet de préciser quel est le type de technologie à l’œuvre, et
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 65
quel est son degré d’autonomie par rapport aux disciplines scientiiques
constituées.
1.1. Le rapport à la situation de l’enseignement
d’une matière scolaire
Tout enseignement d’une matière scolaire a une histoire : histoire des
objectifs successifs qui lui ont été assignés et qui se sont le plus souvent
agglutinés les uns aux autres ; histoire des programmes, des méthodes et
des pratiques pédagogiques ; histoire enin des techniques d’évaluation et
de sanction. La situation à laquelle la didactique est confrontée constitue
généralement un amalgame complexe de diverses pesanteurs histo-
riques, d’un discours pédagogique explicite et oiciel et d’un ensemble
de pratiques souvent mal connues. Dans de nombreux cas, en particulier
dans celui de l’enseignement de la langue maternelle, cette situation est
considérée comme problématique : c’est parce qu’il y a insatisfaction
devant l’état des choses (et notamment parce que les méthodes en vigueur
sont considérées comme ineicaces) que les enseignants, et plus généra-
lement l’institution scolaire, ont fait appel à des « spécialistes » et que
s’est constitué, sur le terrain, un espace de problèmes didactiques. Il paraît
évident que toute didactique ne prend pas en considération l’ensemble
des paramètres que nous venons d’évoquer : certains courants proposent
une technologie générale d’enseignement en principe valable pour toutes
les matières scolaires ; d’autres se centrent plus spéciiquement sur une
matière, mais abordent surtout les problèmes cognitifs que posent les
situations d’apprentissage ; d’autres enin tentent de prendre en compte
en outre les paramètres historico-sociaux de l’enseignement de la matière
qui les concerne.
1.2. Le rapport aux disciplines scientiiques de référence
Deux types de problèmes se posent dans le rapport de la didactique à la
discipline qui fournit la base conceptuelle de la matière d’enseignement.
− Le premier (problème intrinsèque) a trait à l’état d’avancement des
disciplines scientiiques concernées : il semble généralement admis
que la légitimité des bases conceptuelles fournies par les sciences de la
nature (physique, biologie) est supérieure à celle des sciences sociales
(la linguistique, par exemple). Si la validité épistémologique de cette
airmation peut être discutée, il n’en demeure pas moins que le marché
66
Jean-Paul Bronckart
2.1.
La première, que nous qualiierons de traditionnelle, présente quatre carac-
téristiques fondamentales.
− Sur le plan des objectifs, cette démarche se caractérise surtout par sa
pérennité : dans une société qui se conçoit comme stable, les inalités de
l’enseignement sont elles aussi stabilisées, et, en conséquence, naturali-
sées (modèle normatif à transmettre).
− Sur le plan méthodologique, le modèle à transmettre est analysé, dans
une perspective logicisante qui en dégage les aspects essentiels et les
réorganise selon une échelle de complexité croissante. Le produit de
cette analyse est présenté sous forme de règles, que l’on apprend, puis
que l’on applique (mémorisation, reproduction, exercices).
− Dans ce contexte, les performances des apprenants ne peuvent être
qualiiées qu’en termes de réussite ou d’erreur. La centration quasi exclu-
sive sur le modèle interdit, tant sur le plan cognitif qu’afectif, la prise
en compte des capacités et stratégies spéciiques des apprenants ; c’est la
logique de la tabula rasa : un cerveau vide qu’il convient de remplir et de
façonner selon le plan des adultes.
− En raison de son ancrage dans la scolastique et, plus profondément dans
l’épistémologie aristotélicienne toujours dominante (cf. à ce propos,
Bronckart, 1985, chap. IV), cette démarche accorde une importance
décisive au verbal dans les processus de transmission et d’évaluation
des savoirs : être compétent dans un domaine, c’est avant tout pouvoir
en parler !
À nos yeux, rapproche behavioriste de l’enseignement qui s’est
développée depuis une cinquantaine d’année, constitue une forme de
prolongement contemporain de la didactique traditionnelle. Ce courant
substitue certes à la démarche de simple transmission une technologie
de l’apprentissage, inspirée des théories psychologiques du même nom ;
mais dans la mesure où ces théories n’accordent de poids qu’aux facteurs
externes (aménagement des conditions de renforcement) les méthodes qui
en découlent (apprentissage programmé, apprentissage sans erreurs, etc.)
négligent les capacités de l’apprenant ; elles restent de ce fait totalement
centrées sur un modèle dont le statut n’est pas discuté, modèle qui est
analysé et codiié en termes d’objectifs comportementaux échelonnés des
68
Jean-Paul Bronckart
plus simples aux plus complexes. On observera toutefois que les techniques
behavioristes sont nettement moins verbales que les méthodes tradition-
nelles ; dans l’enseignement des langues étrangères par exemple, le recours
au métalangage grammatical est oiciellement banni : on apprend à faire,
non à dire ou à savoir ce que l’on fait.
Cette première forme de didactique, qui a pu être observée dans le
domaine de l’enseignement des mathématiques, des sciences naturelles
et des langues étrangères, se caractérise donc par l’absence d’analyse de
l’état sociohistorique de l’enseignement de la matière scolaire concernée.
Présupposant de fait la légitimité des objectifs à atteindre, le didacticien
s’y déinit d’abord et avant tout comme le détenteur d’un double savoir
savant et l’agent d’un double emprunt. Sur le plan de la matière enseignée,
il emprunte aux disciplines constituées un modèle scientiique de
description et d’analyse et se présente ainsi comme le garant de l’ortho-
doxie du contenu ; sur le plan des techniques d’enseignement, il emprunte
à la psychologie behavioriste une technologie d’apprentissage eicace. Sa
logique est donc essentiellement celle de l’application des sciences consti-
tuées au champ pédagogique ; s’il pose en d’autres termes le problème de
la légitimité des éléments empruntés (il choisit la meilleure description de
l’objet à enseigner, qui se trouve presque immanquablement être la plus
récente), il ne se pose guère par contre le problème de leur pertinence.
D’une part, comme nous l’avons vu, parce qu’il ne procède à aucune
analyse du statut des objectifs à atteindre ; d’autre part parce qu’il ne se
pose pas non plus le problème de la compatibilité de ce contenu avec les
représentations et les stratégies dont dispose l’apprenant. Dépendante
par déinition des disciplines scientiiques de référence, cette technologie
générale de l’enseignement s’est naturellement trouvée en conlit avec le
courant de psychopédagogie, c’est-à-dire avec les pédagogues inspirés
des théories du développement de l’enfant qui étaient centrés, eux, sur la
relation enseignant-enseigné, comme sur les capacités psycho-cognitives
de l’élève et qui valorisaient en conséquence les méthodes actives et les
démarches de découverte.
2.2.
La deuxième forme, que nous qualiierons de didactique cognitiviste, est
particulièrement bien représentée dans le domaine de l’enseignement
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 69
des mathématiques (Vergnaud, 1986) ; elle peut être analysée comme une
manière de dépassement du conlit que nous venons d’évoquer, et plus
particulièrement comme le résultat d’un changement de paradigme de
référence dans le domaine de la psychologie du développement. Toujours
garant de l’orthodoxie et donc toujours investi d’une « responsabilité
par rapport aux contenus » (selon l’expression de Martinand, 1987),
le didacticien de seconde génération procède à une analyse du statut
cognitif des démarches d’enseignement/apprentissage des diférentes
notions du programme. Il déinit d’une part l’enseignement d’une notion
comme une situation de résolution de problèmes, ou comme une tâche
cognitive à laquelle l’élève est confronté. Il prend en compte d’autre part
les connaissances (ou représentations) élaborées en ce domaine par l’élève,
à chaque niveau de son développement. Il aménage enin, sur une longue
période de temps, les séquences didactiques susceptibles de transformer
les représentations initiales et de conduire à une véritable appropriation
des notions. D’abord presqu’exclusivement inspiré du cognitivisme
piagétien, ce courant propose aujourd’hui des démarches d’enseignement
qui accordent une place importante aux interactions entre élèves et au
contrat didactique qui doit s’instaurer entre le maître et l’élève.
Comme la première, cette deuxième forme de didactique ne semble pas
prendre en compte l’état sociohistorique de l’enseignement de la matière
scolaire et constitue donc aussi une technologie d’application. L’emprunt
aux disciplines scientiiques de référence présente cependant ici un
caractère plus spéciique et nettement moins mécanique. Le didacticien
doit en efet, d’une part procéder à une analyse approfondie, en termes
cognitivistes, du statut des notions à enseigner (cf. Vergnaud, 1986), et il
doit d’autre part se poser le problème de la pertinence de la description
du contenu d’enseignement eu égard aux caractéristiques sociocognitives
des élèves. Et ce second centre d’intérêt ne peut manquer de le conduire
à analyser aussi les conditions efectives de l’enseignement (analyse des
pratiques).
2.3.
Les principes de la rénovation de l’enseignement de la langue mater-
nelle (cf. Besson et al., 1979) présentent d’indiscutables analogies avec
ceux qui ont inspiré la didactique de deuxième génération ; la pédagogie
70
Jean-Paul Bronckart
Dans notre travail sur la grammaire, nous avions émis l’hypothèse que,
dans les exercices d’identiication des fonctions grammaticales, les élèves
appliqueraient successivement les stratégies de compréhension (pragma-
tiques, positionnelles et morphosyntaxiques) décrites par la psycholin-
guistique de l’enfant (cf. Bronckart, Kail et Noizet, 1983). En réalité, les
exercices scolaires de ce type sollicitent un arsenal de stratégies beaucoup
plus diversiié, et les choix de stratégies obéissent à des règles beaucoup
plus complexes que celles à l’œuvre dans les situations expérimentales.
Dans la mesure où l’école est en déinitive le lieu majeur des apprentis-
sages, il faut alors admettre que ces données constituent, au moins autant
que les données expérimentales classiques, des éléments pour la consti-
tution d’une psychologie du développement. Les recherches en didac-
tique, même si elles sont d’abord orientées vers l’action, génèrent donc
des sous-produits qui peuvent être intégrés de plein droit dans le corpus
d’une discipline comme la psychologie, et l’on pourrait penser, à la suite
de Vygotski, que ce sont en fait les données les plus intéressantes pour
cette discipline.
On comprend mieux dès lors pourquoi, comme nous l’avons souligné à
plusieurs reprises, l’emprunt de la didactique à la psychologie du dévelop-
pement reste souvent général, injonctif et peu eicient. C’est que cette
psychologie (dont le prototype est indiscutablement le constructivisme
piagétien) présente (et revendique parfois) un caractère décontextualisé ;
elle recueille des données dans des situations artiicielles, élabore sur cette
base un modèle de développement et se propose ensuite de le transférer
aux situations d’enseignement (psychopédagogie). Au-delà de leurs
objectifs propres, les recherches en didactique peuvent fournir un apport
décisif à la constitution d’une psychologie contextualisée qui recueillerait
ses données dans le cadre de situations d’apprentissage efectif, analyserait
les paramètres de cette situation et élaborerait de la sorte un corpus auquel
les didactiques pourraient emprunter de manière eicace.
Bibliographie
Abdou, H. (1980). La didactique de 3e génération : des hypothèses aux projets.
Études de linguistique appliquée, 37, 5-22.
Avanzini, G. (1975). Immobilisme et novation dans l’éducation scolaire.
Toulouse : Privat.
80
Jean-Paul Bronckart
Qu’elle soit générale ou centrée sur une matière scolaire, la didactique s’est
constituée historiquement à la fois comme discours critique face à la situation
de l’enseignement, et comme démarche de proposition et d’innovation. À
l’heure actuelle, les didactiques des matières scolaires se développent comme
des disciplines d’action (comme des technologies) ailiées aux sciences
de l’éducation. Construisant un objet spéciique et élaborant un appareil
conceptuel autonome (système didactique, transposition, progression, etc.),
elles entretiennent des rapports de réciprocité (emprunt de concepts et resti-
tution de données signiiantes) avec deux ensembles de sciences de référence :
celles qui ont trait au contenu d’enseignement et celles qui ont trait aux
processus d’enseignement-apprentissage. Sous les efets conjoints de l’hétéro-
généité des objectifs l’enseignement de la langue maternelle et du caractère
éclaté de ses disciplines de référence, la didactique du rançais langue mater-
nelle (DFLM) est conrontée à des problèmes plus aigus, qui sont examinés à
la in de cette contribution.
81
82
Jean-Paul Bronckart
L’utopie didactique
La didactique générale
Comme le souligne Schneuwly (ibid.), dès les textes fondateurs de Ratke
et de Comenius, la didactique se présente d’abord comme une démarche
de critique et d’action.
Critique de l’état des choses, c’est-à-dire des formes d’enseignement
en vigueur : surcharge des programmes, méthodologie à caractère essen-
tiellement déductif, pédagogie coercitive, absence de prise en compte des
intérêts de l’élève, etc. Chacun aura reconnu dans cette liste (bien sûr non
exhaustive) l’essentiel des critiques régulièrement formulées depuis lors à
l’égard des méthodes traditionnelles.
Action qui découle de ces critiques et qui se traduit en conséquence
par des propositions de réforme et d’innovation. Celles-ci présentent trois
caractéristiques majeures. Sur le plan des inalités tout d’abord airmation
du caractère social (collectif ) de l’éducation scolaire : l’école doit être
accessible à tous et elle doit dispenser une formation directement orientée
par les besoins de la société. Sur le plan des programmes ensuite, organi-
sation rationnelle et systématique des diférentes matières à enseigner, à
la fois articulée à l’analyse des besoins sociaux et inspirée du principe de
84
Jean-Paul Bronckart
d’analyser les places relatives que prennent les savoirs et les savoir-faire
dans le contenu de chacune des matières d’enseignement.
Une seconde série de concepts a trait aux problèmes qui se posent
aux diférents niveaux du système didactique ; nous nous bornerons à la
présentation de trois ensembles de concepts, qui délimitent les thèmes
majeurs de recherche et d’intervention de cette discipline. Dans le cadre
de l’élaboration du curriculum, le contenu de l’enseignement est découpé
et organisé ; cette planiication didactique s’efectue généralement en
tenant compte du principe de progression. L’airmation de ce principe
relève à la fois d’une nécessité (on ne peut tout enseigner à la fois) et
du bon sens élémentaire (commencer par ce qui est le plus directement
accessible à l’élève), mais son application pose de nombreux problèmes.
Le principal est celui des critères à partir desquels on peut la déinir. À
la logique analytique et adulto-centrique des démarches classiques et du
behaviorisme (décomposer l’objet en ses unités minimales – du point de
vue adulte –, puis le recomposer par paliers de complexité croissante) ont
succédé des logiques fondées sur les étapes du développement cognitif
présumé de l’élève et donc plutôt pédocentriques. Si la première logique
a été justement dénoncée, la seconde reste aujourd’hui plus programma-
tique et injonctive qu’eiciente ; comment en efet connaître le niveau
de développement d’un groupe d’élèves et surtout comment utiliser
cette connaissance hypothétique dans la fabrication du curriculum ?
Pour dépasser ces diicultés, il importe de se placer dans une perspective
nettement interactive et de tenir compte des trois pôles du système didac-
tique : admettre d’abord que chaque objet d’enseignement a une signi-
ication (qui résulte notamment de son mode d’insertion, historique et
synchronique, dans les diférents systèmes) ; ensuite que l’apprentissage
consiste en une reconstruction, par l’élève, de cette signiication et donc
en une appropriation ; enin que cette appropriation est facilitée par la
mise à disposition de l’élève d’informations organisées en trames concep-
tuelles (cf. Astoli et Develay, 1989) et susceptibles dès lors d’être traitées
dans sa « zone de développement proximal ». Chacun aura reconnu dans
ce qui précède les ingrédients principaux de la conception vygotskienne
du développement (cf. Schneuwly & Bronckart, 1985), dont l’adoption
impliquerait l’élaboration de curricula contextualisés et diférenciés ;
au-delà des principes cependant, beaucoup de recherches empiriques
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 93
R1
R2 R2’
Contenu à enseigner
R3
Contenu d’enseignement
Bibliographie
Astoli, J.-P. & Develay, M. (1989). La didactique des sciences. Paris : PUF.
Bréal, M. (1872). Quelques mots sur l’instruction publique en France. Paris :
Hachette.
Bronckart, J.-P. (1989). Du statut des didactiques des matières scolaires.
Langue rançaise, 82, 53-66.
Bronckart, J-.P. & Chiss, J.-L. (1990). Linguistique, psycholinguistique et
didactique du FLM. Rélexions à partir d’un cursus de formation d’ensei-
gnants. Repères, 1, 19-44.
Bronckart, J.-P., Kail, M. & Noizet, G. (éd.) (1983). Psycholinguistique de
l’enfant. Paris : Delachaux et Niestlé.
Brousseau, G. (1986). Fondements et méthodes de la didactique des mathé-
matiques. Recherches en didactique des mathématiques, 7.
Cellerier, L. (1916). Esquisse d’une science pédagogique : les faits et les lois de
l’éducation. Paris : Alcan.
Chevallard, Y. (1985). La transposition didactique. Grenoble : La pensée
sauvage.
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 103
105
106
Jean-Paul Bronckart
Enrichissement
Pratiques orales
Pratiques écrites
} Pratiques élaborées
Schéma 1
Dans un tel schéma, la priorité est accordée au travail d’enrichissement
des pratiques verbales des élèves, par confrontation aux normes d’usage
d’abord, aux normes discursives et littéraires ensuite. Dans cette optique,
le savoir grammatical se construit par inférence (ou induction) des caracté-
ristiques attestables des discours (qu’il s’agisse des productions des élèves,
de celles du maître, ou de discours d’autrui proposés à titre de modèles), et
la grammaire constitue un instrument au service de l’enrichissement des
pratiques, plutôt qu’un objet de savoir en soi.
Comme chacun le sait, cette rénovation méthodologique n’est que très
partiellement entrée dans les mœurs, et elle se trouve, sur le terrain scolaire,
en situation de concurrence objective avec un autre projet, qui reste socia-
lement dominant, et que nous résumerons par un second schéma.
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 111
reproduction déduction
Pratiques orales
}
amélioration
Pratiques élaborées
Pratiques écrites
Connaissance grammaticale
Schéma 2
Dans cette seconde perspective, la priorité est accordée conjointement à la
reproduction de modèles discursifs valorisés et à la maîtrise d’un modèle
grammatical traditionnel (lui aussi socialement valorisé, précisément en ce
qu’il constituerait un savoir classique). Les pratiques discursives imitant
les modèles sociaux sont censées se substituer aux pratiques originelles des
élèves (elles sont, la plupart du temps, considérées comme s’y opposant) et
les connaissances grammaticales acquises par déduction et application de
règles constituent un savoir en soi, peu réinvestissable dans l’amélioration
des pratiques.
Une autre lecture des logiques sous-tendant ces deux projets pourrait
être la suivante. Dans le schéma 1, on postule que les savoirs se construisent
par appropriation des caractéristiques des pratiques langagières, et qu’ils
sont destinés à améliorer en retour ces mêmes pratiques. Dans le schéma 2,
on postule l’existence de savoirs sociaux fondamentaux, qu’il s’agit de faire
acquérir aux élèves, et l’on suppose que la maîtrise de ces savoirs débouchera
tout naturellement sur une amélioration des pratiques de ces derniers. On
peut proposer une autre lecture, plus générale encore, des présupposés de
112
Jean-Paul Bronckart
ces deux projets. Dans le premier cas, dès lors que la priorité est accordée
à l’amélioration des pratiques des élèves et que cette amélioration ne peut
procéder que d’une confrontation permanente avec les discours adultes
et leurs conditions d’utilisation, l’enseignement de la langue relève de
l’éducation ; il s’inscrit dans une démarche de construction d’un « citoyen
langagier », susceptible de prendre une place autonome dans les activités
discursives à l’œuvre dans la société. Dans le second cas, dès lors que la
priorité est accordée aux connaissances à transmettre, l’enseignement de
la langue relève de l’instruction, et la problématique éducative est renvoyée
à un ailleurs mal déini, mais qui, en tout état de cause, n’est pas l’École.
l’aide de ses pairs et sous l’efet du guidage des adultes. Si, en ce domaine,
d’intéressantes propositions ont récemment été formulées par divers
groupes d’enseignants-chercheurs (en particulier sous l’égide de l’INRP),
un important travail d’invention et d’adaptation reste manifestement
à accomplir.
Bibliographie
Bloomield, L. (1970). Le langage. Paris : Payot [Édition originale en langue
anglaise : 1933].
Bronckart, J.-P. (1987). Interactions, discours, signiications. Langue rançaise,
74, 29-50.
Bronckart, J.-P. (1994). Action, langage et discours ; les fondements d’une
psychologie du langage. Bulletin Suisse de Linguistique Appliquée, 59, 7-64.
Bruner, J.S. (1973). Beyond the Information Given. New-York : Norton & Co.
Chervel, A. (1977). Histoire de la grammaire scolaire. Paris : Payot.
Chervel, A. (1992). L’enseignement du rançais à l’école primaire. Textes oiciels
concernant l’enseignement primaire de la Révolution à nos jours, Tome I.
Paris : Economica.
Chomsky, N. (1965). Aspects of the heory of Syntax. Cambridge : MIT Press.
Fodor, J.A. (1975), he Language of hought. Cambridge : Harvard University
Press.
Grevisse (1980). Le bon usage (11e édition). Gembloux : Duculot.
Habermas, J. (1987). héorie de l’agir communicationnel. Paris : Fayard.
Hamburger, K. (1986), Logique des genres littéraires. Paris : Seuil [Édition
originale en langue allemande : 1957]
Marx, K. (1951). hèses sur Feuerbach. In K. Marx et F. Engels, Études philoso-
phiques (p. 61-64). Paris : Éditions sociales [Rédigé en 1845].
Marx, K. & Engels, F. (1972). L’idéologie allemande. Paris : Éditions sociales
[Rédigé en 1846].
Peirce, C.S. (1931). Collected papers. Cambridge : Harvard University Press.
Piaget, J. (1936). La naissance de l’intelligence chez l’enfant. Paris : Delachaux
et Niestlé.
Rastier, F. (1991). Sémantique et recherches cognitives. Paris : PUF.
Ricœur, P. (1983). Temps et récit ; t. 1. Paris : Seuil.
Ricœur, P. (1986). Du texte à l’action ; essais d’herméneutique II. Paris : Seuil.
Saussure, F. (de) (1916). Cours de linguistique générale. Paris : Payot.
Schoeni, G. (1987). Du XVIIe siècle au XXe siècle ; la genèse des attitudes
normatives. In G. Schoeni, J.-P. Bronckart & Ph. Perrenoud (éd.), La
langue rançaise est-elle gouvernable ? (p. 23-42). Paris : Delachaux et
Niestlé.
122
Jean-Paul Bronckart
123
124
Jean-Paul Bronckart
2.– Sous la réserve, énoncée plus haut, que ce à quoi la pensée accède d’elle-même n’est pas
le mécanisme psychique en soi (dans sa matérialité), mais la pensée dans sa dimension
phénoménale.
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 129
3.– À nos yeux, l’œuvre de Piaget a fourni une réponse satisfaisante à cette question des condi-
tions d’émergence et de développement d’un psychisme primaire (ou « sensori-moteur »)
chez les organismes vivants (cf. 1992) ; mais elle n’a pas fourni par contre de réponse cré-
dible à la seconde, faute précisément de prise en compte véritable de la dialectique qui
s’instaure nécessairement, chez l’homme, entre les pré-construits socio-historiques et les
processus interactifs et adaptatifs (biologiquement fondés) mis en œuvre par les individus.
130
Jean-Paul Bronckart
4.– Dans cette logique en efet, et contrairement à l’implicite des positions ixistes cogniti-
vistes, les propriétés de la pensée consciente telles que nous pouvons les appréhender
actuellement, ne constituent qu’une étape d’un processus développemental permanent :
après un ou deux siècles d’exploitation des ressources de l’informatique et des mondes vir-
tuels, les capacités mentales et la conscience de nos descendants seront sans nul doute autres
que les nôtres.
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 131
autres, parce que nous sommes par rapport à nous-mêmes les mêmes
que les autres par rapport à nous » (1925/1994, p. 47).
Si le schéma vygostkien est dès lors aujourd’hui accepté par tous les
psychologues se réclamant de l’interactionnisme social (cf. Brossard,
1999 ; Bruner, 1991 ; Clot, 1999 ; Schneuwly, 1988 ; Wertsch, 1985), il
laisse cependant ouverts un ensemble de problèmes importants. Nous en
relèverons trois. Le premier concerne la conceptualisation des ingrédients
du monde humain qui oriente la formation des personnes conscientes :
quelle est notamment la nature des rapports entre activité humaine
en général et activité sémiotique ou langagière, et quelle est l’inluence
respective de ces deux types d’activité dans la constitution du psycho-
logique ? Le deuxième problème a trait plus spéciiquement au langage.
Vygotski a mis en évidence le rôle décisif de l’appropriation et de l’inté-
riorisation des signiications véhiculées par les mots. Mais d’une part, il
ne s’est pas prononcé sur le rôle que jouent dans ce processus les unités
langagières supra-ordonnées que constituent les textes ou discours. Et
d’autre part, il n’a pas véritablement (ou techniquement) expliqué en quoi
et comment l’absorption d’unités langagières signiiantes contribuait à la
transformation radicale du psychisme primaire. Enin, s’il a clairement
posé la notion de personne, comme cadre structurel du fonctionnement
individuel, il a peiné, comme le soulignent Davydov et Radzikhovskii
(1985), à déinir des unités d’analyse de ce même fonctionnement qui soient
distinctes des unités attestables au plan sociologique (activités collectives,
formes d’organisation socioculturelles, langues naturelles, etc.). Et cette
absence de distinction claire entre principes explicatifs (les unités sociolo-
giques) et objets à expliquer (les unités psychologiques) a conduit divers
commentateurs à considérer que ses propositions relevaient quand même
(ou en dépit de ses airmations propres) du réductionnisme social.
1.2.2. Propositions pour un interactionisme socio-discursif
Les travaux empiriques et théoriques que nous avons conduits depuis une
quinzaine d’années (cf. Bronckart, 1994, 1995, 1997 ; Bronckart et al., 1985)
visent notamment à clariier les problèmes qui viennent d’être évoqués.
Nous en extrairons certains éléments d’analyse et de conceptualisation
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 133
5.– Cette succession est requise par l’incontournable linéarité de tout exposé, et si son ordre tra-
duit le mouvement généalogique postulé par Vygotski, il ne faudrait pas oublier pour autant
que ce mouvement est aussi fondamentalement dialectique : l’environnement humain, en
un état synchronique donné, est nécessairement le résultat des médiations formatives et des
activités personnelles qui se sont déroulées antérieurement dans l’histoire.
134
Jean-Paul Bronckart
6.– Il pourrait paraître plus judicieux de qualiier ces représentations de « sociales » plutôt que
de « collectives », dans la mesure où ce qui précède montre bien que ce n’est pas le collectif
en tant que tel qui détermine la forme des représentations, mais le collectif tel qu’il s’est his-
toriquement socialisé. Comme nous le verrons plus loin cependant, dans la logique de nos
propositions, toute représentation spéciiquement humaine est sociale (elle est un produit
de la sémiotisation sociale). Dès lors, nous qualiions de « collectives » les représentations
(toujours sociales) qui ont leur siège dans l’environnement humain (objets, œuvres, textes,
etc.), et nous qualiions d’« individuelles » les représentations (tout aussi sociales) qui ont
leur siège en un organisme humain singulier.
136
Jean-Paul Bronckart
les évaluations sociales érigent donc aussi les individus en agents respon-
sables de ces dernières.
Ce processus de construction externe des actions et des agents se
double alors d’un processus interne. Chaque individu dispose en efet
d’une auto-représentation de ses capacités et de sa responsabilité dans
l’action ; mais il participe aussi aux évaluations sociales des autres et met
en œuvre leurs critères ; il sait par conséquent qu’il est lui-même évalué
à l’aune de ces critères et est confronté à certaines de ces évaluations. Et
c’est la négociation permanente (et souvent conlictuelle) entre le produit
des évaluations externes et la représentation de soi qui engendre la trans-
formation continuelle des agents. On relèvera que cette analyse permet de
distinguer clairement les unités qui relèvent du sociologique (les activités
à l’œuvre dans le collectif ) et les unités qui relèvent du psychologique (les
actions des agents tels que ceux-ci se les représentent).
C’est le même processus général qui s’applique à l’ontogenèse du
fonctionnement psychologique humain, mais les médiations sociales sont
dans ce cas, non pas transformatrices des agents, mais formatrices ou consti-
tutives. Le bébé humain ne dispose en efet que d’un psychisme primaire,
constitué d’images mentales dotées d’une faible opérativité et inacces-
sibles à elles-mêmes (ou non conscientes). L’entourage humain entre-
prend à son égard des démarches délibérées de formation, qui consistent
à l’intégrer dans des formes d’activité collective (à élaborer des activités
conjointes, selon Bruner, 1991), et à commenter verbalement ces activités.
Dans le cadre de ces démarches, l’entourage d’une part présente au bébé
des sous-ensembles de signiications à l’œuvre dans l’environnement
humain : signiications des activités conjointes, des instruments qu’elles
mobilisent et des produits qui en résultent ; signiications véhiculées
par les textes, comme par les types de discours, les structures proposi-
tionnelles et les unités lexicales qu’ils comportent ; signiications issues
enin des connaissances formelles élaborées par les générations précé-
dentes et organisées dans les trois mondes. Les commentaires langagiers
de l’entourage découpent en outre des portions d’activité (ou actions)
qui seraient de la responsabilité du bébé et érigent ce faisant ce dernier en
un agent relativement autonome. Et le bébé s’approprie pratiquement ce
statut d’agent (il le montre dans son comportement), quand bien même il
138
Jean-Paul Bronckart
que la formation des agents, et il convient dès lors de préciser les relations
que nous posons entre ces deux notions. Les processus d’évaluation sociale
portent sur une activité donnée et elles y découpent des actions qui sont
imputées à des individus singuliers ; l’agent est donc toujours constitué
en tant qu’agent de cette action-là, et il présente une dimension synchro-
nique. La personne s’élabore quant à elle par accumulation des expériences
d’agentivité et elle présente donc une dimension diachronique. Dans la
mesure où les contextes de médiation formative sont toujours particu-
liers, les expériences d’agentivité des humains présentent des diférences
notables et leur accumulation s’efectue selon une temporalité ou une
histoire qui est elle-même particulière. La micro-histoire expérientielle
des individus (ou leur personnalité) constitue dès lors un cadre d’accueil
radicalement singulier, qui exerce une détermination sur toutes leurs
interactions formatives ultérieures, et qui explique également la liberté
ou la créativité dont ils font preuve, c’est-à-dire la possibilité qu’ils ont
de contribuer de manière originale (mais aussi modeste que l’on voudra)
à la transformation permanente des activités collectives, des textes et des
mondes formels de la connaissance. Et c’est cette prise en compte de
l’historicité particulière de la personne (qui est d’un tout autre ordre que
l’histoire sociale) qui permet à la psychologie interactionniste d’éviter les
écueils du réductionnisme social.
Bibliographie
Bain, D. (1979). Orientation scolaire et fonctionnement de l’école. Berne : Peter
Lang.
Bain, D. & Rastoldo, F. (1991). La seconde eicience du système scolaire et
l’organisation du travail dans le cadre des établissements scolaires. Genève :
Centre de recherches psychopédagogiques.
Bronckart, J.-P. (1994). Action, langage et discours. Les fondements d’une
psychologie du langage. Bulletin suisse de linguistique appliquée, 59, 7-64.
Bronckart, J.-P. (1995). heories of action, speech, natural language, and
discourse. In J.V. Wertsch, P. del Rio & A. Alvarez (éd.), Sociocultural
Studies of Mind (p. 75-91). Cambridge : Cambridge University Press.
Bronckart, J.-P. (1997). Activité langagière, textes et discours. Pour un interac-
tionisme socio-discursif. Paris : Delachaux et Niestlé.
148
Jean-Paul Bronckart
Bronckart, J.-P., Bain, D., Schneuwly, B., Davaud, C. & Pasquier, A. (1985).
Le fonctionnement des discours. Un modèle psychologique et une méthode
d’analyse. Paris : Delachaux et Niestlé.
Bronckart, J.-P., Marschall, M. & Plazaola Giger, I. (1999). Les concepts
discursifs dans les manuels d’enseignement des langues : étude de leur trans-
position didactique. Rapport de valorisation. Berne : Direction du PNR 33.
Bronckart, J.-P. & Plazaola Giger, I. (1998). La transposition didactique.
Histoire et perspectives d’une problématique fondatrice. Pratiques, 97-98,
35-58.
Bronckart, J.P. & Schneuwly, B. (1991). La didactique du français langue
maternelle : l’émergence d’une utopie indispensable. Éducation &
Recherche, 13, 8-26.
Brossard, M. (1997). Pratiques d’écrit, fonctionnements et développement
cognitifs. In Ch. Moro, B. Schneuwly & M. Brossard (éd.), Outils et signes.
Perspectives actuelles de la théorie de Vygotski (p. 95-114). Berne : Peter Lang.
Brossard, M. (1998). Approche socio-historique des situations d’appren-
tissage de l’écrit. In M. Brossard & J. Fijalkow (éd.), Apprendre à l’école :
perspectives piagétiennes et vygotskiennes (p. 37-50). Bordeaux : Presses
Universitaires de Bordeaux.
Brossard, M. (1999). Apprentissage et développement : tensions dans la zone
proximale. In Y. Clot (éd.), Avec Vygotski (p. 209-220). Paris : La Dispute.
Bühler, K. (1927). Die Krise der Psychologie. Jena : Fischer.
Canelas-Trevisi, S. (1997). La transposition didactique dans les documents
pédagogiques et dans les interactions en classe. hèse de doctorat. Université
de Genève : FPSE.
Chervel, A. (1977). Histoire de la grammaire. Paris : Payot.
Chevallard, Y. (1985). La transposition didactique. Du savoir savant au savoir
enseigné. Grenoble : La pensée sauvage [Réédition augmentée en 1991].
Clot, Y. (1999). Avec Vygotski. Paris : La Dispute.
Davydov, V.V. & Radzikhovskii, L. A. (1985). Vygotsky’s theory and the
activity-oriented approach in psychology. In J.V. Wertsch (éd.), Culture,
communication and cognition (p. 35-65). New-York : Cambridge University
Press.
Dolz, J., Rosat, M.-C. & Schneuwly, B. (1991). Élaboration et évaluation de
deux séquences didactiques relatives à trois types de textes. Le Français
aujourd’hui, 93, 37-47.
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 149
Yves Reuter
151
152
Jean-Paul Bronckart
2. L’autonomisation disciplinaire
Fondamentalement, ce qui se lit dans ces textes et dans la présentation
de Bronckart, ce sont les dimensions – plus peut-être que les étapes –
d’une autonomisation disciplinaire. Celle-ci se marque par l’évolution des
désignations : « psychopédagogie des langues », « pédolinguistique »,
« didactique » (en détachant le sens actuel de discipline de recherche de
ses sens anciens…). Reste un débat actuel, inalement peu posé ici, celui de
savoir s’il convient de parler de didactique (au singulier) ou de didactiques
(au pluriel)8, même si le titre de l’article de Langue Française en 1989 :
« Du statut des didactiques des matières scolaires » me parait être un
indicateur de la prise en compte du rapport structurel entre didactiques et
matières scolaires et de leur diversité conséquente.
Autre marque tout aussi déterminante : une distance prise avec les
disciplines-sources (linguistique appliquée ; psycho-pédagogie…), avec
notamment des questions qui se diférencient de celles des autres disciplines
de recherche9 et des problèmes importants à résoudre : l’enseignement
de la langue « maternelle », l’application de données scientiiques à la
pédagogie des langues, la compréhension de l’échec des méthodes préco-
nisées en didactique des langues… Cette prise de distance se comprend
8.– Voir le débat dont rend compte le numéro de la revue Éducation et Didactique (2014)
9.– Dès 1976, Bronckart pose des questions qui me paraissent n’avoir rien perdu de leur actua-
lité : « Les problèmes que pose actuellement l’enseignement de la langue maternelle ne
sont pas négligeables. Longtemps ignorées puis refoulées ou combattues, quelques ques-
tions essentielles émergent aujourd’hui avec violence et s’imposent à la conscience de la
plupart des pédagogues. Quelle est la inalité de l’enseignement de la langue maternelle ?
Quels sont les buts réels poursuivis par ceux qui élaborent les plans d’étude et ceux qui les
mettent en application dans le quotidien ? S’agit-il – comme on l’airme pratiquement par-
tout – de favoriser les processus de communication et, par là, les possibilités d’expression
de l’individu, ou au contraire de proposer, voire d’inculquer à ceux qui peuvent le recevoir
un outil social eicace et discriminatif ? Dans quelle mesure ces deux inalités sont-elles
compatibles et dans quelle mesure enseignants et responsables pédagogiques en sont-ils
conscients ? Quelle langue enseigner ; la langue écrite ou la langue vulgaire qui ne fonc-
tionne que dans la communication orale ? qu’est-ce que le langage, la somme d’associations
verbales, un système formel, ou un code ? »
154
Jean-Paul Bronckart
10.– Ici encore, je laisse la parole à Bronckart (1976) : « Contrairement à ce que voudraient faire
croire les technocrates de l’enseignement, aucun corps de données « scientiiquement éta-
blies » ne constitue en soi un argument pédagogique »
11.– L’Association Internationale pour des recherches en Didactique du Français Langue
Maternelle, créée en 1986, qui deviendra plus tard AIRDF (Association internationale de
Recherche en Didactique du Français).
12.– Ce qui a aussi des conséquences pour déterminer le caractère pionnier ou non de telle ou
telle didactique…
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 155
3. La question de l’engagement
La question de l’engagement parcourt inalement ces articles ainsi que
l’histoire de la didactique13. La prise de distance d’avec les disciplines
contributoires et l’applicationnisme n’empêche pas un engagement
certain dans la fabrication d’outils, dans la participation à l’élaboration de
programmes… Ces outils peuvent d’ailleurs être situés sur un continuum14
qui irait du plus théorique15 jusqu’aux plus pratiques.
Cela s’articule sans doute – même si les modalités de cette articu-
lation demeurent complexes – avec le débat sur la volonté politique
d’intervention et ses modalités. Bronckart rappelle à juste titre comment
la didactique, du Français au moins, s’est historiquement construite,
dans les années 70, en relation avec une volonté de rénovation ain « de
rendre enin efectif le principe de démocratisation de l’enseignement ».
Comment alors penser l’engagement en recherche dans le domaine de la
didactique du Français ? J’insisterais volontiers, dans cette perspective,
sur une constante du travail de Bronckart, constante qui a accompagné
l’histoire des didactiques mais qui semble mis en veilleuse aujourd’hui,
c’est l’analyse critique du scolaire : visées, contenus, modalités de travail…
Je rappellerais volontiers ici, la première phrase de l’article de Bronckart
et Schneuwly (1991) : « Qu’elle soit générale ou centrée sur une matière
scolaire, la didactique s’est constituée historiquement à la fois comme
discours critique face à la « situation de l’enseignement », et comme
demande de proposition et d’innovation. », et cette autre phrase, toujours
dans le même article : « Si toute didactique est critique, novatrice, voire
combattante, c’est que la situation d’enseignement, à laquelle elle s’adresse
est ressentie comme problématique ; la didactique est une réponse à l’insa-
tisfaction devant l’“état des choses” ».
Mais le débat demeure sans doute ouvert sur les modalités que cela peut
prendre : d’une part parce que les conditions historiques d’articulation
13.– Voir sur ce point le numéro 66 (été 2006) de la revue Enjeux : Enseignement et engagement.
Hommage à Jean-Maurice Rosier, entièrement consacré à ces questions.
14.– Pour faire ici un clin d’oeil à Michel Dabène.
15.– Et comment ne pas penser ici à l’ouvrage qui a marqué les didacticiens de ma génération :
Le Fonctionnement des discours (1985).
156
Jean-Paul Bronckart
16.– Cela ne semble pas avoir été le cas dans d’autres didactiques : Mathématiques, Physique,
Histoire…
17.– Voir aussi le titre du dernier article (2001) de ce recueil : « La psychologie ne peut être que
sociale et la didactique est l’une de ses disciplines majeures ».
Pourquoi et comment devenir didacticien ? 157
Références bibliographiques
Bouveresse Jacques (2013) : Bourdieu, savant et politique, Marseille, Agone.
Chiss Jean-Louis, David Jacques, Reuter Yves dir. (1995/2005) Didactique du
rançais. Fondements d’une discipline, Bruxelles, De Boeck.
Éducation et didactique, volume 8, n° 7 (2014) : Dossier thématique : Didac-
tiques et/ou didactique ? D’une question polémique à la construction d’un
espace de problématisation scientiique, Rennes, Presses Universitaires de
Rennes.
Enjeux n° 66 (2006) Enseignement et engagement. Hommage à Jean-Maurice
Rosier, Namur, CEDOCEF.
Halté Jean-François (1992) : La Didactique du rançais, Paris, PUF, collection
Que sais-je ?
Pratiques n° 137-138 (2008) : La didactique du rançais. Hommage à Jean-
François Halté, Metz, CRESEF.
18.– Je le fais d’autant plus volontiers que Bronckart a été un grand lecteur de Bourdieu qu’il a
commenté à plusieurs reprises…
158
Jean-Paul Bronckart