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PREMIERS APPRENTISSAGES :
PRATIQUES ET THÉORIES
FRANÇOISE BOULANGER
Couverture
Titre
Copyright
Introduction
Segmenter les mots en syllabes et les classer selon la voyelle et selon la consonne.
L’écriture scripte
Uniquement l’écrit
Le mot objet
Le mot idéogramme
Progression gauche-droite
Pérennité du mot
Concentration accrue
LA PHASE GRAPHO-PHONOLOGIQUE
Préparation à cette phase
La perception
La comparaison
L’hypothèse
La généralisation
Induction et Déduction
Organiser l’apprentissage
Le rôle de la syllabe
La voie royale
Régression ?
Le journal de Lucas
Fonctions de l’écrit
De la motivation
Naturel ou pas ?
Le point de départ
LA PHASE LOGOGRAPHIQUE
Les premiers mots
Transition
LA PHASE GRAPHO-PHONOLOGIQUE
Le principe alphabétique
La compréhension
Pour conclure
Conclusion
ANNEXES
Témoignage
Lexique
Bibliographie
Lire et écrire,
Éduquer et former,
Hors collection
Remerciements
Pour la lecture du manuscrit : Pr Geneviève Balleyguier (psychologie de
l’enfant) ; Odile Puget (orthophoniste) ; Laurence Martinat (pédiatre) ;
Béatrice Machefel (directrice d’école maternelle, Pr des écoles) ;
Chrystèle Tropée (éducatrice spécialisée).
à Chantal Jobard et Colette Bourrasseau, les premières à m’avoir
accueillies dans leur classe ;
à Natacha Dibot (directrice d’un organisme de formation), Jean-Paul
Vaumourin (directeur d’ESAT) d’avoir cru à cette pédagogie pour les
personnes déficientes intellectuelles ;
à Stanislas Dehaene (Pr au Collège de France), Pr Jean-Emile Gombert,
Pr Sébastien Pacton pour leurs réponses à mes questions ; à Natacha
Golf pour le « Journal de Lucas » ;
à Béatrice Machefel, pour son ardeur à diffuser la démarche parmi ses
collègues et sa détermination à la faire reconnaître par sa hiérarchie.
Pour les centaines de lettres et messages de témoignage et
d’encouragement reçus de parents, enseignants, pédiatres,
orthophonistes, pédopsychiatres, psychologues, éducateurs qui
l’utilisent ou en ont constaté les effets.
à Véronique Bedin, d’avoir tenu à éditer cet ouvrage.
Nous restons à l’écoute des commentaires et des suggestions des
lecteurs à l’adresse suivante :
courrier@lebonheurdelire.org
www.lebonheurdelire.org
Historique d’une démarche
pédagogique
« Un mot écrit n’est pas plus abstrait à percevoir pour le cerveau du jeune
enfant qu’un mot oral1 », la différence essentielle étant le canal par lequel
l’information lui parvient. Il n’y a donc pas de raison de priver le tout jeune
enfant d’écrits adaptés à ses intérêts et à ses capacités perceptives. Ce fut
l’étincelle qui amorça ma recherche…
Ayant trouvé cette affirmation à la fois farfelue et intéressante, j’ai voulu
la vérifier avec l’aîné de mes enfants qui avait alors deux ans. Je fus
stupéfaite de constater qu’il reconnaissait quantité de mots de son univers,
écrits très gros : son prénom, maman, papa, nounours, vélo, avion, … Il
reconnaissait ses mots avec une facilité et un plaisir évidents. Il les
considérait comme des jouets mais ne les aurait prêtés à personne ! Un
déménagement inopiné a momentanément suspendu notre jeu, mais peu à
peu l’enfant s’est intéressé aux écrits remarqués sur les produits de
consommation en les comparant aux mots qu’il connaissait. Je me souviens
m’être dit à l’époque : « C’est génial ! Dans vingt ans, très certainement,
tous les enfants liront parfaitement à six ans. » Or vingt ans plus tard, rien
n’avait changé.
J’ai suivi et accompagné ensuite de nombreux enfants et fait les mêmes
constats. En 1984, avec l’aide de la commune où je résidais, j’ai décidé de
partager l’expérience vécue avec d’autres au cours d’une conférence. Je me
suis retrouvée devant un auditoire de 150 personnes, essentiellement des
parents et quelques enseignants. Ce qui fut déterminant dans cette volonté
de diffusion est le fait que je trouve anormal, voire scandaleux, que des
enfants soient en échec à six ans. Il fallait donc élargir l’expérience.
De 1985 à 1991, j’ai donc suivi de très près des centaines de familles un
peu partout en France, en Suisse et en Belgique, suite principalement à un
article paru dans L’Enfant et la Vie (trimestriel d’esprit montessorien). Des
groupes se formaient de bouche à oreille. Aux parents se sont joints des
enseignants, des éducateurs, puis des orthophonistes, des psychologues…
La conclusion générale fut que tous les jeunes enfants pouvaient
découvrir le langage écrit de manière très naturelle, dès lors que l’adulte
respectait leur manière de fonctionner et de réfléchir en les accompagnant
dans leurs découvertes. La spécificité de cette approche est le caractère
naturel de l’apprentissage qu’elle permet.
Parallèlement au suivi rigoureux des familles, j’ai souhaité confronter ces
expériences aux différents travaux de recherche, même si, à l’époque, ils
étaient peu nombreux concernant le langage écrit. C’était la grande vogue
de la lecture « pour le sens » introduite par Foucambert (1976) et Frank
Smith (1973). Je me suis même rendue aux États-Unis.
Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la Recherche concernant le
langage écrit, ce que je lisais était le plus souvent très éloigné de ce que
j’avais vécu, sauf pour un petit nombre de professeurs qui dialoguaient via
l’IPRA (International Preschool Reading Association), aujourd’hui
dénommée IALFI (International Association for Literacy from Infancy). Le
Pr Ragnhild Söderbergh, une linguiste suédoise y décrivait comment elle
avait accompagné sa fille dans la découverte du langage écrit. Caridad Inda,
Docteur en sciences de l’éducation, alphabétisait les tout-petits dans les
favelas de Mexico, et le Pr Theodore Andersson (University of Texas,
Austin) préconisait l’apprentissage précoce de la lecture pour les minorités
hispaniques. Ses encouragements furent précieux.
C’est l’époque où je me suis délectée à la lecture de thèses décrivant au
jour le jour l’acquisition de la lecture en deux langues (par exemple
espagnol – langue maternelle – et anglais), par des enfants appartenant à des
minorités linguistiques (Past, 1975, Lee, 1977). La précocité ne m’a jamais
intéressée pour elle-même, il s’agissait surtout de décrypter les processus en
jeu.
L’expérience très approfondie avec les familles et les professionnels
déboucha finalement en 1992 sur un premier ouvrage. Ce recueil des
constantes du processus d’apprentissage relevées chez le jeune enfant,
révélées par sept années d’observation et de travail sur le terrain, a généré et
génère toujours un courrier volumineux de témoignages de la part des
parents auxquels il s’adressait en premier lieu et de nombreux
professionnels (enseignants, psychologues, orthophonistes, éducateurs,
pédiatres…). En novembre 1994, lors d’une conférence organisée par des
associations de parents d’élèves, des enseignants me demandèrent de les
aider à mettre en place l’approche que je propose dans leurs classes
maternelles. C’est ainsi que j’ai commencé à animer des formations pour
les enseignants. Mon rêve allait se réaliser : favoriser l’accès de tous les
enfants à la lecture.
À l’automne de l’année suivante, lors d’une réunion avec les enseignants
de trois écoles maternelles rurales, on frappe à la porte. L’enseignante de
CP passe la tête pour me dire : « J’étais opposée à ce que vous faites, parce
que je ne voulais pas avoir dans ma classe des enfants qui sachent déjà lire.
Mais je suis venue vous dire que j’ai complètement changé d’avis. Je n’ai
jamais eu une classe aussi agréable, enthousiaste, dégourdie et des enfants
aussi heureux que cette année ! J’aurai le temps de m’occuper d’une petite
nouvelle qui vient d’une autre école. C’est là qu’on voit la différence. » Ce
genre de témoignage de la part d’enseignants de CP s’est renouvelé souvent
depuis. D’abord méfiants, dubitatifs, ils constatent les résultats puis nous
encouragent à poursuivre. Je participai aussi en 1996 à un projet européen
sur « la lecture à l’école maternelle ». Les autres participants, notamment
les Professeurs Dombey (Université de Brighton), Meek (Université de
Londres), et Roc (Université de Barcelone) furent impressionnés par la
visite des écoles françaises pratiquant la démarche.
Depuis 1999, j’assure également, à l’intention de professionnels du
handicap (éducateurs spécialisés, instituteurs spécialisés, orthophonistes,
psychologues, éducateurs de jeunes enfants), des formations d’une semaine
sur les processus en jeu dans l’acquisition de la lecture. Cela m’a conduite à
proposer d’aider des usagers d’un ESAT (Établissement et service d’aide
par le travail) à apprendre à lire. Depuis dix ans, je consacre donc une
journée par semaine aux déficients intellectuels, en institution et en privé. Je
suis certaine que je ne serais pas arrivée à les faire progresser si je ne
m’étais pas intéressée d’abord aux tout-petits : les enfants m’ont tout appris.
La perception des processus en jeu dans l’apprentissage s’est beaucoup
affinée en travaillant avec des déficients intellectuels de tous âges pour
lesquels il a fallu décomposer au maximum chaque étape. Le processus et
les étapes d’acquisition du langage écrit sont pourtant les mêmes, qu’il
s’agisse d’enfants à haut potentiel ou de déficients. Ce sont les faits et la
pratique régulière qui permettent de l’affirmer.
Enfin, en 2001, à l’initiative de Béatrice Machefel, directrice d’école
maternelle, que j’ai accompagnée depuis, une association2 a été créée pour
diffuser la pédagogie proposée. Elle aide tous ceux qui souhaitent mettre la
démarche en pratique dans leur classe, répond aux questions, mutualise les
informations. Les résultats obtenus (absence quasi totale d’échecs en CP),
ont éveillé l’intérêt d’Inspecteurs de l’Éducation nationale qui m’ont invitée
à animer des formations. Il en résulte la publication d’un Fichier pratique3
pour les enseignants de maternelle.
donner des mots personnels aux enfants (au début) et jouer avec
ceux qui en ont le plus besoin pour qu’ils les mémorisent,
répondre à leurs remarques et engager ainsi un dialogue
constructif,
classer les mots dans l’ordre alphabétique de l’initiale, ce qui
leur permettra de percevoir le son produit habituellement par les
lettres,
classer les mots selon des correspondances grapho-
phonologiques, rangement suscité par les remarques spontanées
des enfants ;
couper des mots bien connus en syllabes (écrites et orales) et les
classer selon la voyelle ou la consonne ;
mettre à disposition des enfants papiers, feutres, lettres mobiles,
jeux, ordinateur, … ainsi que des écrits qui les concernent
(cahier de vie, chants et comptines appris en classe, albums, …)
1 Tous les termes suivis d’un astérisque sont expliqués dans le lexique en fin d’ouvrage.
Chapitre I
Il est généralement admis que lire – que ce soient des mots, des phrases
ou plus tard des textes – résulte de deux capacités :
1. La compréhension du langage écrit oralisé, découlant des textes
lus aux enfants ;
2. L’identification des mots qui passe, selon l’état actuel de la
recherche, par trois phases : logographique, grapho-phonologique,
orthographique1.
Prérequis à l’apprentissage de la lecture
que le jeune enfant reconnaît des mots qui l’intéressent avec une
grande facilité. Cette réalité n’est que rarement prise en compte
actuellement par les praticiens et les chercheurs, et reste
malheureusement inexploitée.
qu’il cherche intuitivement des constantes dans ce qu’il perçoit
pour comprendre le monde qui l’entoure ; il le fait aussi dans
l’écrit qui lui est adapté.
qu’il découvre implicitement des règles par inférence inductive*,
celles de son environnement comme celles qui régissent la langue
écrite.
C’est d’abord une nécessité pratique (pour retrouver les mots dont on a
besoin). Ensuite, on peut remarquer que cela permet à l’enfant, même s’il
n’a que 2-3 ans, de découvrir le son des lettres. Avec plusieurs mots
commençant par la même lettre il peut apprendre que la lettre m correspond
au son /m/, premier concept abstrait indispensable.
Les mots sont donnés pour intéresser, puis le plus souvent pour
faire plaisir à l’enfant.
Une attitude d’ouverture, joyeuse et détendue est indispensable,
l’enthousiasme étant contagieux. Il est d’une importance capitale
d’adopter une attitude toujours positive et disponible vis-à-vis des
tentatives de reconnaissance des mots.
Le don des mots est gratuit. L’enfant doit sentir qu’on ne lui
demande rien en retour, comme lorsque, bébé, on lui donnait les
mots oraux sans y penser.
On veillera à être particulièrement bienveillant et empathique
envers les enfants moins performants. L’enseignant adapte
l’activité à ces enfants-là, il leur fait confiance : tous les enfants
aiment apprendre !
Il s’agit de solliciter, suggérer, ne jamais imposer, encore moins
gronder.
Enfin, les sessions seront courtes, car laisser l’enfant sur sa faim
permet de maintenir l’envie d’une session à l’autre.
Tel est le cadre de notre démarche. Il diffère sensiblement de ce qui est
habituellement pratiqué : montrer, enseigner, interroger, tester. Il suppose
autant la compréhension des fondements théoriques que la pratique avec les
enfants. Ainsi, il est plus important de comprendre comment l’enfant
apprend que de prendre note de pratiques sans en saisir les fondements.
La parfaite compréhension de ces fondements permet d’inventer des
variantes selon les circonstances rencontrées, d’inventer des jeux, et d’être
capable d’éliminer les propositions d’exercices et de jeux inutiles, sinon
néfastes. D’un autre côté, ne retenir que quelques idées parmi celles
proposées ne permet pas de rester dans l’esprit de la démarche et les
dérapages sont alors fréquents. On aboutit à un pseudo-accompagnement
qui ne donne plus du tout les résultats qu’on peut escompter si on garde en
mémoire les processus en jeu.
Dix bonnes maximes pour accompagner l’enfant vers la lecture
1 Cette dernière étant principalement l’objet de l’école élémentaire n’est pas explicitement traitée
dans cet ouvrage.
Chapitre II
Une autre raison de montrer en premier lieu des mots, et non des lettres,
est que les mots forment l’unité de base de la compréhension du langage
écrit, de la même manière que les mots prononcés, et non les phonèmes*
qui les composent, sont les unités de base de la compréhension du langage
oral.
Commencer par exemple par montrer à l’enfant de 3-4 ans la lettre a ou i
et lui faire entendre des mots qui contiennent cette lettre, c’est un peu
comme si, pour qu’il apprenne à faire du vélo, on lui expliquait le
fonctionnement du pédalier au lieu de le tenir par la selle et de lui permettre
d’avoir la sensation de rouler. De même lorsqu’il aborde la lecture, il est
essentiel de lui donner tout de suite la sensation de lire, qui implique
reconnaissance (même si elle est sommaire) et compréhension instantanée
des mots.
Sans doute certains enfants auront-ils appris les lettres sans
enseignement, grâce par exemple au jeu télévisé Des chiffres et des lettres
ou en jouant avec des lettres mobiles et en posant des questions à leur sujet,
ou au contact d’un aîné… Tout ce que l’enfant a appris et apprendra
naturellement par le jeu du dialogue avec un adulte, ou avec un autre enfant,
lui sera profitable. Donc, pas de règle stricte à ce sujet, mais pas non plus
d’enseignement programmé des lettres.
Une conception populaire consiste à penser qu’il est plus facile de
commencer par la lettre et que si pour un adulte b + a = ba est très simple,
cela doit aussi être simple pour le jeune enfant. On confond simplicité et
facilité… Comprendre que b + a = ba résulte d’un raisonnement que le
jeune enfant ne peut pas faire sans préalables. C’est une règle qu’il n’est pas
capable d’appliquer parce qu’il ne l’a pas encore découverte par lui-même.
Tout au plus, les plus futés de la classe pourront-ils, vers 6-7 ans, en
apprendre des éléments par cœur (pa, pe, pi, po, pu, ou va, ve, vi, vo, vu,
etc.), y trouver finalement une constante et comprendre le système de la
fusion, qui ne représente cependant qu’une petite partie de l’acte de lire.
Mais tous les enfants ne pourront pas comprendre la règle du b + a = ba
seuls, l’école maternelle ne les ayant pas accompagnés dans le
cheminement indispensable vers cette compréhension, cheminement dont la
description détaillée est l’objet principal de ce livre.
Le point de départ n’est donc ni la lettre ou le phonème qu’elle
représente, élément trop abstrait pour le tout jeune enfant ; encore moins la
phrase ou le texte, comme ce fut la mode dans les années 1980, dans
lesquels l’enfant qui aborde tout juste l’écrit est conditionné à « prélever
des indices sur le sens ».
Dans Lire à 3 ans (Nathan, 1re éd.1992) nous avons montré comment
tous les enfants reconnaissent des mots écrits chargés d’affectivité sous
certaines conditions et lorsqu’ils sont en situation de communication duelle,
entre deux personnes (le parent et l’enfant, par exemple).
Comment reproduire une telle situation en classe ? Comment donner à
chaque enfant d’une classe les mots qui l’intéressent ? À première vue, cela
paraît difficile. Cette notion d’individualisation est néanmoins essentielle,
car elle est une des clés de la réussite. Certains enfants mémorisent tous les
mots utilisés en classe : jours de la semaine, météo, mots concernant la vie
de la classe, mais d’autres – et ce sont ces enfants-là qui nous importent le
plus – s’y intéresseront moins ou pas du tout. Ces derniers retiendront
cependant des mots très personnels.
Isoler le mot est important afin que l’enfant puisse l’associer à une
personne, animal, objet et le reconnaître facilement. Il lui est en effet très
difficile d’isoler un mot dans une phrase. Les mots seront ainsi écrits avec
un gros marqueur sur des étiquettes de 21 cm x6 cm découpées dans des
fiches bristol A4, divisées en 5 dans le sens de la hauteur. Ces étiquettes
mobiles seront ensuite très utiles pour former les premières phrases (Rémi
aime maman, par exemple) ou classer des mots selon une caractéristique
grapho-phonologique (par exemple rassembler les mots finissant par ette).
L’écriture scripte
Tant que l’enfant se situe dans cette première phase idéographique, il est
important de n’utiliser qu’une seule écriture à cause de la symbolique
investie dans le mot. Par exemple, la mère de l’enfant est représentée par le
mot maman, et ne peut pas l’être aussi, à ce stade, par MAMAN.
Étant donné que l’enfant relie directement le signifiant* au signifié*, les
fusionne, il ne peut pas encore comprendre que le même mot puisse être
représenté de plusieurs manières : il ne peut attribuer deux ou trois
signifiants à un seul signifié. Les autres écritures seront très facilement
assimilables plus tard. En revanche, mettre une majuscule aux prénoms en
facilite la reconnaissance : c’est un repère de plus.
Uniquement l’écrit
Généralement le premier mot qui intéresse l’enfant est son prénom. Il est
donné sans photo ni signe distinctif, même en Petite Section, et les autres
mots à caractère affectif sont donnés sans dessin. Des jeux d’appariement
mot-image peuvent toutefois être utilisés pour étayer la mémorisation.
Il est fréquent d’ajouter aux portemanteaux des enfants, en plus du
prénom, une gommette ou une photo, sans doute dans le but d’en faciliter la
reconnaissance. Que fait le petit enfant, face à l’étiquette pour la distinguer
des autres ? Il prend un ou deux repères (le moins possible – c’est
intelligent !). Lorsque par la suite, on retire la gommette ou la photo, de
nombreux enfants ont du mal à reconnaître leur prénom, non parce qu’ils
sont moins doués que d’autres, mais tout simplement parce qu’ils n’ont pas
eu besoin de regarder le mot pour reconnaître leur étiquette ; il leur a suffi
de repérer la gommette. Si on veut leur faciliter la vie, il ne faut pas mettre
d’autre signe que leur prénom, même pour les plus jeunes. Mais on peut
leur proposer d’associer le prénom à la photo à diverses occasions : sur le
tableau de présence par exemple.
Un directeur d’école se désolait parce que sa fille de 4 ans ne
reconnaissait pas son prénom. Tous les prénoms de la classe étaient
accompagnés d’un timbre. Lui ayant conseillé de retirer le dessin, Marine
s’est enfin intéressée à la forme graphique de son prénom et a facilement
mémorisé les quarante mots suivants… sans gommettes ni dessins. Les
aides que la plupart des enseignants pensent apporter aux enfants, en
accolant une image ou une photo à chaque prénom, sont en fait des
obstacles à la reconnaissance et à la mémorisation. Étant donné les
capacités d’économie mnémonique de l’enfant, la photo l’empêche de
regarder le mot et de prendre un ou plusieurs repères afin de le reconnaître.
Les caractéristiques de la perception
idéographique
Le mot objet
Au cours de ses jeux avec les premiers mots écrits, l’enfant les substitue
volontiers à la personne ou à l’objet, tout comme un carton d’emballage
dans lequel il s’installe devient voiture.
Ce fait caractérise les tout premiers mots reçus et révèle des images
attendrissantes de la petite enfance à la conquête du langage écrit. Lucas
(2 ans) range gaufrette et gâteau dans la boîte à gâteaux, kiri et danette dans
le frigo. Robin (2 ans) promène son doudou d’une main, l’étiquette doudou
et la photo du doudou (utilisée dans un jeu de correspondance image-mot)
dans l’autre… Bonheur total ! Un matin, la maman de Rémi (2 ans) a trouvé
l’étiquette céréales en accordéon dans son bol…
Aurore (2 ans 1/2) a les mots maman et bus. Elle avait réclamé ce dernier
parce qu’elle adore prendre le bus. Ce mot lui plaît beaucoup et elle le
reconnaît bien. Ensuite sa maman lui propose :
– Est-ce que tu veux qu’on écrive Aurore ?
– Oh oui ! Auyore ! Auyore !
Elle est toute contente et l’a vite mémorisé. Un autre jour :
– Est-ce que tu veux qu’on écrive Carole (sa grande sœur) ?
– Non !
– Monique (sa nourrice) ?
– Non !
Tout à coup elle dit :
– Cécile (sa petite copine) !
Elle a pris l’étiquette Cécile, l’a embrassée et l’a mise dans le lit avec elle6.
Remarquons ici, que dès les premiers mots, le tout jeune enfant réalise que
tout peut s’écrire et qu’il peut demander ce qui lui plaît.
Une des facettes de l’apprentissage qui m’a le plus intéressée pendant
toutes ces années où j’ai observé les enfants, est de voir comment, au début,
ils se représentent les mots qu’ils nous demandent. Le mot symbolise alors
véritablement la personne ou la chose. L’enfant met gâteau au four, lèche le
mot sucette, jette le prénom de la sœur avec laquelle il vient de se
chamailler à la poubelle.
Cela va quelquefois plus loin : Pour un petit garçon, j’avais formé avec
des étiquettes la maman de Quentin ; puis j’ai proposé de composer la
maman de Chloé, qui était assise en face de lui. Mais Quentin a
catégoriquement refusé d’utiliser son étiquette : « Non c’est ma maman à
moi ! » J’ai été obligée d’écrire une nouvelle étiquette maman. L’enfant a
sans doute appris à ce moment précis que le mot maman s’écrit toujours de
la même manière.
Le mot idéogramme
Pour montrer…
« Je prends »
Aligner verticalement 4 étiquettes, mots visibles. Prendre celle que
l’enfant connaît le moins bien et la nommer. Demander à l’enfant de
faire de même : « Qu’est-ce que tu prends, toi ? » Continuer ainsi,
chacun son tour.
Remarque :
Généralement l’enfant dit le mot en le prenant, mais s’il ne le fait pas,
verbaliser soi-même son action : « Ah ! Tu prends (…) ! » C’est ainsi
qu’il pourra apprendre et non si on lui demande ce qu’il ne sait pas. Lui
demander le mot qu’il connaît le moins bien en dernier lui permet de ne
pas se trouver en échec (si petit soit-il !) et d’apprendre.
Pour repérer…
« La salade »
Utiliser 4 étiquettes, dont un mot nouveau. Les mélanger, faces visibles.
Rechercher le mot nouveau : « Oh ! Mais où est passé (…) ? » Mélanger
les étiquettes et recommencer.
Remarque :
S’il le connaît, l’enfant pointe très vite le mot demandé. Dans le cas
contraire, il faut l’aider pour que le jeu ne dure pas longtemps et qu’il ne
se sente pas en échec. Là encore, il ne peut apprendre si on ne lui donne
pas la bonne réponse.
Pour identifier…
« La magie »
Lorsque le jeu précédent est réalisé sans difficulté, on proposera à
l’enfant de faire de la magie. Prendre les 4 étiquettes utilisées
précédemment et en présenter une en disant : « Abracadabra, et voilà
(…) ! » Laisser l’enfant poursuivre en disant le mot découvert.
Continuer de même avec les trois autres mots.
Remarque :
Si l’enfant ne poursuit pas naturellement, il peut y avoir deux raisons :
soit il ne connaît pas suffisamment le mot demandé : lui
souffler alors la réponse et reprendre le jeu précédent ;
soit il n’a plus envie de jouer : il vaut mieux arrêter et
reprendre une autre fois.
« Au hasard »
Retourner quelques étiquettes, les mélanger, les prendre une à une et les
identifier.
Remarque :
S’il les a bien mémorisés, l’enfant sera ravi d’annoncer les mots. Dans
le cas contraire, lui souffler aussitôt la réponse. Ne pas insister et
reprendre à un autre moment avec les jeux précédents.
Remarques générales
Progression gauche-droite
Pérennité du mot
Concentration accrue
Pour que l’être humain apprenne, il faut qu’il ait l’envie de s’attaquer à
ce qui lui est proposé. C’est d’ailleurs vrai pour n’importe quel
apprentissage. Grâce à cette première impulsion, nous donnons envie à
l’enfant de s’attaquer au matériau que nous mettons à sa disposition. Il s’en
empare et engage une réflexion inconsciente quasi instantanée, comme il le
fait depuis qu’il est né sur tout ce qui l’entoure.
La phase logographique, même si pour certains enfants elle est de courte
durée, revêt une grande importance à l’âge de la maternelle : lors de
l’introduction d’un mot nouveau, ce dernier est inconsciemment rapproché
de ceux dont l’enfant a la configuration en mémoire. Sans capital-mots de
base, pas de comparaison possible, comparaison qui permettra la découverte
d’analogies. Sans elle, pas d’amorce possible d’une activité réfléchie de
l’enfant, ni de cheminement naturel dans l’analyse du rapport écrit-oral.
La découverte progressive de similitudes graphiques entraînant la
découverte de l’équivalent sonore ne peut se faire en effet que sur une base
de mots mémorisés. Par exemple, avec chocolat, cheval, château, l’enfant,
accompagné de l’adulte qui l’approuve et l’encourage, sera amené à
découvrir le son habituel du graphème ch.
L’enfant est habituellement confronté très tôt à l’écrit dans son
environnement, mais sans ce capital-mots, il est laissé dans le flou, et on
parsème de surcroît involontairement son parcours d’embûches qui lui
compliquent la découverte du système.
Tout comme le bébé de dix-huit mois parle selon ses possibilités et ne
sait pas qu’il apprend à parler, le jeune enfant qui reconnaît ses premiers
mots « lit » mais ne sait pas qu’il apprend à lire. La phase logographique
joue un rôle dans la dynamique du développement. L’enfant a besoin d’un
capital-mots afin d’y comparer les mots nouvellement introduits. La
perception du mot écrit va se modifier peu à peu, au fur et à mesure que
l’enfant remarque des analogies dans les mots qu’il a demandés et découvre
petit à petit, en dialoguant avec l’adulte, les rapports entre l’écrit et l’oral.
LA PHASE GRAPHO-PHONOLOGIQUE
La perception
La comparaison
L’hypothèse
Organiser l’apprentissage
Dès que les enfants ont remarqué une analogie orthographique (par
exemple eau dans bateau et chapeau) et si celle-ci correspond à une
analogie sonore, on peut créer une maison qui les aidera à découvrir ou à
fixer la relation grapho-phonologique.
Le rôle de la syllabe
« Où est la syllabe ? »
Mélanger les syllabes de papa, maman (coupés lors d’une session
précédente) et celles d’un autre mot. Demander à l’enfant de
reconstituer le mot. Nommer la syllabe initiale à trouver, puis la
suivante. S’il se trompe, veiller à être positif : « Tu me donnes ma de
maman. Je voudrais… » Afin de ne jamais le laisser sur un échec, lui
souffler la réponse. Ensuite utiliser d’autres mots connus.
« Quelle syllabe ? »
1 Dans la seconde partie de l’ouvrage, nous présentons les différents acquis de la recherche dans ces
domaines.
2 Voir plus loin, dans ce chapitre, la notion de maison.
3 Nous en avons proposé notamment dans Entrer dans l’écrit en maternelle, Nathan, 2009.
4 A. Ouzoulias, in G. Chauveau (dir.) Comprendre l’enfant apprenti lecteur, Retz, 2001.
5 B.-M. Barth, Le Savoir en construction, Retz 1993.
6 Exemple tiré de Lire à 3 ans, op.cit.
7 B.-M. Barth, « Bruner et l’innovation pédagogique », in Communication et Langages, no 66, Retz,
1985.
8 Ibid.
9 B.-M. Barth, L’Apprentissage de l’abstraction, Retz, 1987.
10 Ibid.
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Belles Histoires de Pomme d’Api.
14 Voir la deuxième partie de l’ouvrage.
Chapitre III
La voie royale
Régression ?
Premiers jeux
Il aime jouer avec ses étiquettes : par exemple catégoriser personnes,
animaux, nourriture…
(1 an 11 mois) Lucas a lu les mots de l’écran à sa peluche Papoum et à sa
poupée Patapouf.
Entré à l’école à 3 ans 6 mois, il a beaucoup joué à la maîtresse, en
« lisant des histoires aux enfants ».
Fusion consonne-voyelle
Le lendemain de ses 3 ans, il a voulu la notice explicative de la crème
prescrite par le médecin et me dit : « Viens voir maman, il est écrit
malade, là ». Il me montre en effet malade. Puis j’essaie de trouver un
mot qu’il ne connaît pas et je trouve peau. (Il connaît p et il connaît eau).
Je lui dis : « Regarde ce mot, il y a p’ (le bruit de la lettre) et puis il y a le
eau et Lucas me dit « ça fait peau. » (Première compréhension de la
fusion consonne-voyelle.)
(3 ans 1 mois) Hier soir j’avais écrit au tableau : Lucas est sage. Puis
j’écris nage et au-dessous sage. Puis je lui dis : « Regarde, je fais de la
magie ». J’efface le n de nage et je mets un c, ça fait… « cage » me dit
Lucas.
(3 ans 2 mois) Nous avons commencé à remplir le tableau à double entrée
avec le m, le l et le s en colonne et des voyelles en ligne. Faire descendre
les lettres en « ascenseur » l’a bien fait rire.
Un autre jour, « j’écris vache puis efface le v et je mets un t. Lucas lit
tache, puis un c et il lit cache. »
1 La version complète très détaillée de ce journal est à la disposition de tout lecteur qui en fera la
demande par internet à l’adresse courrier@lebonheurdelire.orgIl devrait intéresser chercheurs et
professionnels concernés par les processus d’acquisition de la langue écrite.
Chapitre IV
Les prérequis
Le seul prérequis dont ils aient besoin, est la lecture faite par l’adulte.
Aucun autre prérequis n’est nécessaire, même pas de bien entendre, car les
enfants sourds commencent à apprendre à lire facilement selon cette
démarche. J’ai suivi, dans les années 1980, une petite fille sourde profonde
qui communiquait avec sa famille au moyen de 250 étiquettes-mots qu’elle
connaissait parfaitement. Son apprentissage s’est poursuivi grâce au LPC *
(Langage parlé complété), procédé visuel de correspondance graphème/
phonème, qui s’adapte parfaitement à notre démarche. Cela lui a permis de
poursuivre non seulement des études secondaires, mais supérieures.
Les enfants n’ont même pas besoin de savoir parler, cet apprentissage les
aidant à progresser énormément en langage oral. Voici le témoignage reçu
récemment d’une enseignante de CLIS * :
« J’ai commencé à donner des étiquettes à une petite fille de 8 ans qui a un
niveau de langage particulièrement faible (2 ans environ). Elle reconnaît
très bien une dizaine de mots. Mais ce qui est formidable, c’est que
maintenant elle n’est plus dans l’écholalie*. Elle essaie de faire des phrases,
pose des questions et s’intéresse. Tous les jours, elle sort ses étiquettes et
fait mine de “faire l’appel”. Le jour de la venue de l’orthophoniste, je lui
écris une phrase au tableau (la même tous les jeudis) : Nathalie vient après
la cantine. Si j’oublie de l’écrire elle me rappelle à l’ordre ! Elle arrive
même à mémoriser les poésies. Un petit miracle ! L’an dernier elle passait,
m’a-t-on dit, ses journées à pleurer en demandant “maman”. Elle demandait
à sortir pour aller aux toilettes vingt fois dans la journée sans jamais rien
faire, chose qu’elle ne fait plus cette année. Elle arrive même à rester assise
à sa place alors que l’an dernier, elle errait comme une âme en peine dans la
classe toute la journée. »
Tout cela vient du fait que l’enseignante a reconnu des capacités à
l’enfant. C’est aussi dû à l’attitude de respect et d’empathie qu’on a envers
lui.
Autour de la lecture
Certains enfants de 3-4 ans disent savoir lire, mais confondent volontiers
lire et « dire » le livre qu’ils ont entre les mains. En revanche, ceux qui
possèdent un capital-mots écrits qui les intéresse sont conscients qu’ils ne
peuvent « lire » que certains mots et ils savent qu’ils ont besoin de l’adulte
pour lire les autres. Ils refuseront donc de lire des mots inconnus contenus
par exemple dans le titre d’un livre.
Ceux qui ne possèdent pas de capital-mots pensent que lire c’est deviner,
ce qui laisse les élèves indifférents à la valeur comme à l’ordre des lettres,
au bénéfice d’indices non linguistiques. Si ces enfants-là avaient disposé
chacun d’un capital de mots personnels : prénom, ceux des frères et sœurs,
le nom du chat, aliments préférés, ... s’ils avaient eu l’occasion de
remarquer que « c’est pareil » dans cadeau et gâteau, que maman, mouton,
Mehdi, ça commence par la lettre qui fait mmm, ils auraient notamment
découvert la pérennité du mot écrit, ainsi que des correspondances lettre(s)-
son.
On n’a pas besoin d’expliquer à l’enfant ce qu’on fait pour lire, il suffit
de lui donner l’occasion de le découvrir en lui donnant des mots écrits qui
l’intéressent personnellement et qu’il utilise, dès la Petite Section. Le petit
enfant n’a pas conscience qu’il apprend à lire et ce n’est pas nécessaire. Il
ne s’agit que d’intérêt, de jeu et de plaisir. L’enfant qui apprend à lire
comme il apprend à parler, ne sait pas qu’il apprend : il parle, il lit. Certains
chercheurs font beaucoup de cas des problèmes conceptuels liés à l’acte de
lire : qu’est ce que lire, comment ça marche… Alors que si on permet à
l’enfant de faire réellement l’expérience de la langue écrite en lui donnant
quelques mots affectivement investis puis les mots qu’il demande, il
acquiert ces concepts très aisément de manière implicite. On pourra
toujours lui lire la carte envoyée par sa marraine partie en vacances, mais
elle n’aura pas du tout le même impact s’il peut lire lui-même des mots
qu’il reconnaît parce que la marraine a eu la gentillesse d’écrire bien gros et
en script. De même les mots de la recette du gâteau au chocolat n’auront
que plus de saveur s’il peut les reconnaître lui-même.
Fonctions de l’écrit
De la motivation
Naturel ou pas ?
Entrer dans la langue écrite exige une réflexion sur l’objet « langue ».
C’est en ce sens que l’on peut dire que l’apprentissage de la lecture n’est
pas naturel. Pour l’enfant, il n’est pas naturel de considérer la langue écrite
comme un objet de réflexion. Bien sûr, pas d’emblée. Mais si on lui en
donne l’occasion en mettant à sa disposition des mots écrits qui le touchent
de près, adaptés à ses capacités du moment – la recherche n’a pas encore
suffisamment examiné cette hypothèse –, nous constatons quotidiennement
que l’enfant de 3 à 5 ans (quelquefois avant) les mémorise, les compare, les
catégorise, éventuellement avec l’aide de l’adulte, et fait des hypothèses. Et
il réfléchit sur la langue écrite comme il réfléchit sur la langue orale et sur
le monde qui l’entoure. Il peut toutefois en être empêché, soit parce que
« baigné dans l’écrit » on le laisse dans le flou complet et doit, par exemple,
retrouver un mot inconnu dans une phrase écrite sans posséder aucun repère
lettre(s)-son, soit parce qu’on l’enferme dans le carcan de la langue orale à
analyser (phonologie) ou de la discrimination de lettres graphiquement
proches.
On considère par ailleurs que l’apprentissage du langage oral est, lui,
naturel. Il se fait certes naturellement en interaction avec l’entourage, mais
exige de la part de l’enfant un travail important de réflexion (inconsciente !)
sur la langue orale. L’enfant n’imite pas seulement le langage, il le
reconstruit. « Papa bu-eau » est la reformulation de « Papa est parti au
bureau » que le jeune enfant a entendue plusieurs fois.
D’après de nombreux chercheurs « l’apprentissage de la langue écrite
n’émergerait pas spontanément à partir de l’expérience libre de l’écrit, mais
relève d’un apprentissage systématique6 ». Nous ne considérons pas que
donner les mots à l’enfant qui en demande, qui les mémorise, les compare
spontanément entre eux et découvre des correspondances grapho-
phonologiques, relève d’un apprentissage systématique. L’apprentissage de
la lecture ne peut se faire aussi naturellement que l’apprentissage du
langage oral, étant donné que l’enfant ne se trouve pas dans les mêmes
conditions : on ne lui donne habituellement pas les mots écrits de manière
isolée et aussi distinctement qu’on lui a donné les mots oraux. Néanmoins,
dès lors que nous nous attachons à mettre à sa disposition les éléments qui
lui permettent de réfléchir sur la langue écrite, nous constatons que l’enfant
fait preuve de la même réflexion et de la même créativité exprimées lors de
l’apprentissage de l’oral.
Le point de départ
Cet auteur, nous l’avons dit, démontre ainsi que l’enfant réfléchit sur
l’écrit qu’il rencontre. Il constate cependant que les enfants ne comprennent
pas la nature de l’écrit. Si, toutefois, on leur en donnait l’occasion, on
constaterait que l’enfant fait feu de tout bois, mais ne peut apprendre que ce
qu’il y a à apprendre. Lorsque le matériau l’intéresse, il apprend très vite et
avec avidité. Non seulement il mémorise, mais compare et fait des
hypothèses sur le « système ». Nous pensons que l’on s’évertue trop à
laisser l’enfant dans le flou, face à des écrits inadaptés à sa psychologie
cognitive. Si on lui donne son prénom, puis un peu plus tard son nom, il ne
prendra plus l’un pour l’autre. Bien sûr, il se projettera encore quelque
temps en voyant son nom en disant « C’est moi » ou il prendra l’étiquette
voiture en faisant « broum-broum », léchera le mot sucette, mettra le mot
glace au congélateur, etc… C’est une étape normale, et d’ailleurs
attendrissante.
Donner les mots écrits comme on leur donne tout naturellement les mots
oraux, clairement et distinctement, et rien demander en contrepartie ; offrir
à l’enfant le langage sous sa forme écrite (le mot écrit avec le mot oral) lui
donne un matériau de réflexion inconsciente.
L’intérêt de commencer par des mots significatifs pour l’enfant est le
suivant : même après quelques mots reçus, l’enfant ne « lira » pas
« yaourt » pour Danone sur le pot qu’il vient de terminer. Et il ne lira pas
n’importe quoi lorsqu’on lui demandera de lire, par exemple, le titre d’un
nouveau livre. Il est conscient qu’il ne sait pas et sera dans une attitude
d’attente vis à vis de l’information que lui donnera l’adulte. S’il a déjà un
capital-mots, il saura que ce mot-là, qu’on lui demande de lire sur la
couverture, ne fait pas partie de ceux qu’il connaît, sauf s’il est
graphiquement proche. Il sait qu’un mot oral correspond toujours au même
mot écrit. En revanche, l’enfant qui est dans l’ignorance complète par
rapport à l’écrit, inventera un titre au livre qu’il tient dans la main, selon
l’image sur la couverture (ou celles contenues dans le livre).
Ce premier capital-mots, disponible instantanément dans la mémoire de
l’enfant, est appelé à jouer un rôle important.
Transition
Les enfants apprécient les mots écrits, donnés à la demande. Ceux-ci sont
l’amorce d’une formidable évolution de leur réflexion sur l’écrit, qui leur
permettra de profiter pleinement de l’enseignement en cycle élémentaire,
qui fleurira ainsi sur une terre préparée.
La procédure logographique sert de support aux premières connaissances
phonologiques. À partir de son capital-mots, l’enfant va découvrir les
premières correspondances lettre-son (maman, mamie, miel…) ; certaines
correspondances graphie-phonie (cadeau, cassette, camion… bateau,
gâteau, cadeau). Il utilise la prononciation de certains patrons
orthographiques connus pour lire de nouveaux mots. Papa et mange pour
lire page, Clément et Justine pour lire Clémentine, par exemple.
Entre la lecture logographique et le décodage autonome de mots
nouveaux, il existe une période où l’enfant peut reconnaître de plus en plus
de mots, parce qu’en plus des indices graphiques, il commence à prendre
des repères phonologiques14. Par exemple, l’enfant peut repérer cachette
parce qu’il connaît la correspondance grapho-phonologique de ca avec
camion et qu’il connaît aussi dînette. Il ne possède pas toutes les
correspondances lettre(s)-son, mais certaines lui sont utiles pour mémoriser
et reconnaître le mot.
Des procédures logographiques et alphabétiques (grapho-phonologiques)
co-existent donc au cours de l’apprentissage. Cette option est confirmée par
U. Goswami et P. Bryant15.
LA PHASE GRAPHO-PHONOLOGIQUE
Le principe alphabétique
C. Perfetti remarque : « L’enfant qui a mémorisé ses premiers mots écrits
apprend très tôt des correspondances phonémiques des lettres, et celles-ci
contribuent à l’acquisition d’une représentation des mots16. »
En effet, les jeunes enfants s’aperçoivent vite de la régularité
orthographique, par exemple dans maman, mamie, mer, miel… ou Victor,
voiture, vélo… surtout s’ils sont rangés ensemble. La prononciation de ces
mots leur permettra de découvrir le phonème correspondant. Ils remarquent
facilement des analogies au début du mot (graphème initial). Il a été
confirmé, entre autres par Thompson et al17 que les enfants, même très
jeunes, découvrent la correspondance phonémique du graphème initial plus
facilement que celles contenues dans d’autres parties du mot. Une petite
trisomique de 7 ans que j’ai suivie (scolarisée en Moyenne Section) dont les
mots étaient classés selon le graphème initial connaissait chocolat, chat,
chien, château. Observant sa mère écrire ch l’enfant a prononcé /ch/ avant
qu’elle n’ait terminé d’écrire cheval. Elle avait repéré la correspondance
grapho-phonémique. Les enfants remarquent également des suites de lettres
fréquentes à la fin des mots. Ce cas est abordé plus loin.
On constate en retour que « la compréhension du principe alphabétique,
même si au départ elle se fonde sur des indices partiels, permet un
accroissement important du nombre de mots reconnaissables18 », l’enfant
prenant des repères grapho-phonologiques. Il ne possède pas toutes les
CGP* mais peut repérer un mot parmi d’autres grâce à celles qu’il connaît.
Dans le contexte de la déferlante idéo-visuelle des années 1970-1980,
l’Australien Brian Byrne19 prend le contre-pied en concluant que l’enfant
n’est pas capable d’inférer le son des lettres sans enseignement explicite.
Mais il prête à l’enfant un raisonnement d’adulte, ne tenant pas compte du
raisonnement naturellement inductif. Nous y reviendrons. Sa conclusion et
celles des études qui en découlent sont en quelque sorte caduques. Cette
étude princeps a néanmoins engendré des dizaines d’études qui ont tenté de
prouver que la conscience phonologique serait indispensable pour
apprendre à lire.
Qu’est-ce que le principe alphabétique ?
Martine Fournier
A. Ouzoulias (1998) fait remarquer que le bon lecteur lit les pseudo-
mots* par comparaison à des mots connus, plutôt que les déchiffrer lettre à
lettre. Par exemple : ratient est lu comme patient. Nous y voyons un
argument pour encourager la recherche d’analogies chez l’apprenti-lecteur
ainsi qu’une justification du système de maisons décrit dans ce livre.
Dès le début de l’accompagnement de mes propres enfants, j’avais
remarqué qu’à partir de trois mots commençant par la même lettre
(produisant le même son) ou comprenant la même suite de lettres, ils
intégraient implicitement une nouvelle correspondance grapho-
phonologique. J’ai exploité cette capacité en instaurant le système des
maisons que nous avons largement exposé en début d’ouvrage.
La démarche consistant à donner à l’enfant des mots à forte résonance
affective qu’il mémorise facilement et à accompagner ses remarques
concernant des analogies grapho-phonologiques, commence à trouver un
écho chez des chercheurs : « … dès ses premières tentatives de lecture, le
débutant peut faire des analogies entre les mots qu’il sait reconnaître et
ceux qu’il tente de découvrir48. » « Ainsi l’enfant qui connaît le mot bien
(qu’il rencontre fréquemment dans les marges de ses cahiers) fera
l’association entre la configuration écrite ien et la prononciation /ien/
lorsqu’il rencontrera les mots lien ou rien. Dans ce transfert, il utilisera,
d’une part, la ressemblance orthographique entre ces mots et, d’autre part,
sa capacité à reconnaître que ces trois mots partagent la même rime49. »
« Les enfants auxquels on a enseigné les analogies entre des séquences
phonologiques et des séquences orthographiques apprennent plus
facilement à lire50. » Ou encore : « L’apprentissage des analogies précoces
sur des unités larges, les rimes en particulier, facilite l’apprentissage du
code alphabétique. »
Afin de pouvoir remarquer des analogies, il est nécessaire de posséder un
lexique de mots connus, car c’est à partir de ce lexique mental que
l’apprenti peut, lors de l’introduction d’un mot nouveau, repérer une
analogie orthographique. Même si certains enfants repèrent facilement des
analogies auditives, qu’ils voient confirmées par des analogies visuelles,
ceux qui ont des difficultés à comprendre le rapport écrit-oral le
découvriront plus facilement à partir de régularités orthographiques. Cela
nous est constamment confirmé par l’exemple des déficients intellectuels et
des très jeunes enfants. Ainsi Lucas (2 ans, 5 mois) qui possède quelques
dizaines de mots écrits, voyant Midou fait remarquer à sa maman « doudou,
c’est pareil ».
Le moment d’apparition de l’utilisation des analogies dans
l’identification des mots est une question très débattue actuellement. À
notre avis, la procédure analogique existe dès le début de l’apprentissage. Je
constate qu’elle peut avoir lieu tout au long de l’apprentissage et qu’elle est
de nature différente selon le moment où elle se produit. L’apprenti lecteur
découvre des analogies à plusieurs niveaux de compétence :
U. Goswami entraînait les enfants à réaliser des analogies sur des unités
plus larges (essentiellement les rimes en anglais) afin de faciliter la
découverte des unités réduites, idée reprise par D. de Keyser. Notre
démarche diffère de cette option du fait que la découverte des petites unités,
c’est-à-dire graphème/phonème en situation initiale, a lieu parallèlement
(grâce au classement alphabétique des mots) à celle d’unités plus larges en
fin de mot (ette - age - eau…) et en début de mot représentées
principalement par des syllabes consonne/voyelle (ma - ca - ba…).
Les chercheurs se posent la question de savoir à quel moment aborder les
analogies. Certains pensent qu’elles ne sont utiles qu’après la
compréhension de la fusion phonémique, d’autres pensent qu’on peut les
aborder bien avant. Nous sommes de cet avis, puisque les enfants nous les
signalent d’eux-mêmes.
De grandes suites de lettres sont intéressantes à mettre en exergue lorsque
les enfants les rencontrent parce qu’elles leur permettent de conserver une
stratégie fructueuse de reconnaissance instantanée tout au long de
l’apprentissage, stratégie qui est aussi utilisée par le lecteur accompli
lorsqu’il rencontre un mot qu’il ne connaît pas. Elle permet une mise en
mémoire efficace des mots, libérant ainsi des capacités pour la
compréhension.
Dans la démarche que nous proposons, les apprentis lecteurs qui font une
remarque du genre « roule c’est comme poule » sont encouragés. S’ils
connaissent la plupart des phonèmes représentés par les lettres, on leur
propose aussi boule, foule, moule… Toutes sortes d’analogies sont ainsi
favorisées et les enfants ne sont pas enfermés dans un fonctionnement
prédéterminé et rigide.
Après dix ans de travail avec des déficients intellectuels, qui m’ont
permis de décomposer au maximum les étapes de l’apprentissage, je suis
intimement convaincue que la compréhension initiale de la co-articulation
des phonogrammes (qu’on nomme habituellement fusion des phonèmes) est
davantage une conquête conceptuelle (terme utilisé par A. Ouzoulias)
dépendante de la logique inductive et non d’une capacité sensorielle.
Ainsi Stéphane qui arrive finalement à lire des syllabes et des mots, n’est
pas encore capable de dire « quelle lettre il faut pour écrire savon » ; il
connaît toutes les correspondances graphème-phonème de ce mot. Il peut
scinder ce mot en syllabes orales, donner la première lettre on insiste
oralement sur le phonème initial, mais il ne peut pas encore donner la rime
de chaque syllabe. Nous avons pourtant travaillé avec lui autant la
phonologie que les correspondances graphème/phonème.
La compréhension
Au risque que tout s’emmêle dans leurs têtes de 6 ans, il est essentiel
d’apprendre une correspondance graphie-phonie à la fois.
De même, partir du son /è/ par exemple et montrer en même temps è, ê, ai,
ei, et (de poulet), e avant une consonne double, submerge à coup sûr de
nombreux enfants.
Autre erreur : demander, par exemple, de trouver oralement des mots en /
ère/ et montrer les correspondances orthographiques : anniversaire, terre,
père, mer, l’air, etc. Même danger !
Étant donné que le débutant qui vient d’aborder la fusion phonémique
n’est pas encore sûr de la progression gauche-droite à l’intérieur de la
syllabe, il n’est pas judicieux d’enseigner les combinaisons consonne-
voyelle et voyelle-consonne (ra et ar, so et os, …) en même temps. Il est
préférable d’attendre que la combinaison consonne-voyelle soit
parfaitement intégrée. De même, certains enfants ayant du mal à apprendre
les correspondances entre les lettres et les sons, le fait d’enseigner en même
temps, on et ou, ain et ian, oin et ion, … leur est néfaste, surtout pour les
enfants souffrant d’un problème d’orientation dans l’espace. Introduites
conjointement lors des séances de code, ces combinaisons sont
fréquemment confondues. C’est ainsi qu’on fabrique de faux dyslexiques !
Certaines méthodes semi-globales accompagnent l’étude des « sons » de
signes phonétiques. L’enfant qui est en train d’apprendre que des signes
codent des sons, ne peut pas comprendre que les mêmes signes puissent
coder de l’oral : par exemple que le signe [u] représente le graphème ou et
non u, ni que le signe [y] représente le son u.
Autres erreurs qui ne sont pas graves bien que les exercices dont elles
sont issues ne servent à rien :
Pour conclure
On sait que des enfants arrivent en CP, malgré toute la bonne volonté des
enseignants de maternelle, sans savoir ce que « lire » représente, ni avoir la
notion du mot, ni avoir compris qu’il existe une relation entre l’oral et
l’écrit. Ils n’ont donc pas acquis le principe alphabétique, compétence
pourtant demandée en fin de maternelle (programmes de 2002-2008). Les
enfants qui bénéficient de la démarche proposée n’ont pas ces problèmes
car ils ont compris ce qu’est un mot et ont commencé à découvrir des
éléments de l’écrit. Ils ont acquis le principe alphabétique, et souvent aussi
la compréhension de la co-articulation des phonogrammes (b + a = ba).
Les autres sont trop nombreux à n’avoir pas encore repéré « ces spécificités
et n’établissent donc pas de lien entre ce qu’on leur enseigne et les
représentations qu’ils se sont construites sur le fonctionnement de l’écrit. »
(ONL, 2002)
En l’état actuel de la recherche, on peut distinguer deux manières de
mettre en relation l’écrit et l’oral : d’une part l’enseignement phonique
classique (méthode de lecture traditionnelle) et d’autre part une approche
phonique qui insiste sur la recherche d’analogies larges à partir desquelles
la correspondance graphème-phonème peut être découverte. Tandis que
notre méthode consiste à utiliser toutes les analogies remarquées – petites et
grandes – qui mènent aux correspondances grapho-phonologiques tout au
long de l’apprentissage.
L’idée défendue par notre démarche n’est pas de savoir lire avant les
autres, mais d’aider l’enfant à acquérir les concepts indispensables qui lui
permettront de tirer bénéfice de l’enseignement de la lecture au CP. La co-
articulation des phonogrammes (b + a = ba) est acquise intuitivement par
certains, mais tous sont néanmoins prêts à comprendre la fusion consonne-
voyelle par laquelle débute, sans autre préparation, une méthode
synthétique. Pour aider l’enfant à comprendre la fusion des phonèmes, on
préconise des exercices de conscience phonémique, auxquels tous les
enfants ne peuvent accéder. La démarche décrite dans ce livre, propose tout
un cheminement qui permet d’y parvenir. C’est pour cette raison qu’aucun
enfant n’est « perdu en route ».
Avec de la bonne volonté, un pédagogue arrive à faire déchiffrer tous les
enfants avant la fin du CP avec une méthode synthétique. La difficulté pour
certains enfants est de dépasser la phase de construction, graphème à
graphème, des mots, et d’arriver à reconnaître les mots comme le fait le
lecteur habile par la voie directe orthographique. Le mauvais lecteur n’y
arrive pas ou avec beaucoup de difficultés, parce qu’il ne fait pas tout seul
(comme les plus performants) ce que personne ne lui enseigne, c’est-à-dire
rattacher mentalement un mot nouveau à un mot similaire qu’il connaît
déjà. S’il connaît mange, il devrait lire range instantanément par analogie :
les mauvais lecteurs ne le font pas et re-déchiffrent chaque fois les mots,
même ceux qu’ils ont déjà rencontrés souvent. Ceci est peut-être dû au fait
qu’on ne les a autorisés à développer qu’une seule stratégie de
reconnaissance des mots : l’élaboration graphème à graphème.
Si les enfants ne semblent pas avoir compris le rapport écrit-oral malgré
les activités faites en maternelle, il est souhaitable que le maître du CP
applique une méthode qui enseigne le code dès le début à partir du texte
utilisé. Les enfants de 6-7 ans pressentent un code qu’on est en devoir de
leur donner et n’ont plus la faculté de mémoriser quantité de mots
globalement, encore moins les déterminants et conjonctions non
significatifs.
Au regard de l’efficacité, certains chercheurs concluent qu’une méthode
qui associe l’approche globale et l’approche phonétique conduit à de
meilleures performances tant en lecture qu’en écriture. Et selon le Centre
pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement de l’OCDE (2007)
« On peut supposer qu’idéalement l’enseignement de la lecture combine
sans doute l’approche syllabique et la méthode globale. »
Stanislas Dehaene (professeur au Collège de France et directeur de
l’unité Inserm-CEA de neuro-imagerie cognitive) se fondant sur les progrès
de l’imagerie cérébrale, a précisé lors du Colloque national sur la lecture
le 9 mars 2006, et contrairement à certaines affirmations qui lui ont été
prêtées, que « Les résultats des recherches sont très récents et doivent être
confirmés. On ne peut donc en déduire quelle est la méthode optimale
d’enseignement. » Il a regretté que « la complexité du sujet ait été trop
négligée dans les débats récents » et récusé d’avance toute utilisation
politique : « Les sciences cognitives ne doivent pas servir d’alibi à une
politique d’enseignement. »
Pour les enfants de maternelle, il préconise lors de ce même colloque
« de faire attention au bon niveau de traitement de la lecture, par exemple
d’aider l’enfant à voir eau d’un seul bloc ». C’est ce que nous proposons de
faire.
Le but étant que les enfants apprennent à lire le plus aisément possible,
les chercheurs se posent la question de savoir ce que l’apprenti lecteur doit
acquérir en premier : les correspondances graphème-phonème en partant
des plus simples, ou celles correspondant à des unités plus larges ? Qu’est-
ce qui donne les meilleurs résultats à long terme ? Quelle est la procédure la
plus accessible aux enfants les moins performants ?
Il semble que les enfants s’intéressent aux analogies – petites et larges –
depuis le début et tout au long de l’apprentissage. Notre opinion à ce sujet
est qu’il ne faut, par conséquent, négliger aucune remarque de l’enfant qui
puisse le faire progresser dans la découverte du code. L’expérience nous
montre qu’il voit aussi facilement que voiture, vélo et vacances
commencent « pareil » que cadeau, bateau et gâteau finissent « pareil ». La
recherche d’analogies doit pouvoir se faire indifféremment sur des petites et
grandes unités, les enfants les plus performants entraînant les autres. Pour
les enfants déficients, il faudra organiser l’environnement (rendre les
régularités saillantes) pour qu’ils puissent faire les mêmes découvertes que
leurs camarades.
Des chercheurs sont convaincus de l’importance du rôle joué par les
analogies larges dans l’apprentissage. La question qu’ils se posent est de
savoir à quel moment les favoriser : avant ou après la découverte de la
fusion des phonèmes. Nous pensons qu’il faut laisser venir les remarques
des enfants qui les font indifféremment avant ou après avoir acquis la fusion
des phonèmes, et même au stade logographique.
Ayant expérimenté la démarche proposée dans ce livre depuis dix ans, nous
avons constaté de nombreux effets bénéfiques.
Ils aiment leurs mots, leur langage s’améliore, ils progressent aussi
dans les autres domaines. Aucun enfant ne résiste au plaisir de recevoir un
mot écrit, donné au moment approprié lors d’un échange privilégié avec
l’enseignant. Même ceux pour lesquels on pense a priori que rien ne peut
changer le cours des choses, ceux dont les difficultés dépassent les limites
de l’école et pour lesquels les enseignants sont souvent démunis, même eux
apprennent et évoluent positivement à condition toutefois que l’on croie en
leurs possibilités et que l’on s’occupe d’eux chaque jour.
Respect de l’enfant et de son rythme d’apprentissage et de
développement. Les enfants qui ne posent pas de problème savent profiter
des mots écrits, même collectivement. La phonologie les amuse. Les
Instructions officielles actuelles sont faites pour eux. À tous les autres et
pour ne laisser aucun enfant de côté, l’école maternelle se doit de proposer
une pédagogie adéquate afin qu’ils puissent acquérir les concepts de base
indispensables que les premiers ont su glaner tout seuls. Avec la démarche
de Françoise Boulanger, les conditions sont réunies pour que l’enfant utilise
ses compétences et soit pleinement acteur de son développement.
Attirance vers les écrits. Tous les enfants qui reçoivent des mots
personnels font preuve d’une attirance toute particulière pour les livres et
les écrits de toutes sortes qu’ils remarquent dans leur environnement.
Attention, concentration et réflexion améliorées. Les enfants sont
naturellement attentifs au mot qu’on leur écrit. Ils prennent l’habitude de se
concentrer, font appel à leur mémoire. Ils réfléchissent constamment face
aux écrits qui les intéressent. Ces qualités débordent ce domaine et
transparaissent aussi dans d’autres activités (mathématiques, arts plastiques,
etc.)
Meilleure prononciation. Elle l’est de manière très nette lorsque l’enfant
peut voir les mots écrits qui lui posent problème : les phonèmes mal
prononcés à l’oral s’auto-corrigent à la vue de l’écrit correspondant, le
zozotement a tendance à disparaître, les syllabes interverties dans les mots
reprennent leur place après que l’enfant les ait vus écrits.
Clés de la réussite au CP. Cette démarche permet à tous les enfants de
percevoir des analogies, pour ensuite comprendre le lien qui existe entre
l’écrit et l’oral. Si l’enseignant s’applique à instaurer avec vigilance une
interaction efficace, l’enfant poursuivra naturellement ses découvertes. Son
envie de savoir lire sera si grande et il aura déjà intégré tant de concepts,
qu’il sera à même de suivre la méthode, quelle qu’elle soit, choisie par
l’enseignant du CP.
Émergence d’un esprit d’entraide. Les jeux entrepris en classe amènent
naturellement les enfants à s’entraider sans aucun esprit de compétition.
Constamment en recherche du résultat à trouver, il y a toujours quelqu’un
pour venir en aide à l’enfant qui hésite. Cette collaboration tout à fait
naturelle déborde aussi dans d’autres domaines et rend l’ambiance de la
classe très agréable pour tous.
Une bonne estime de soi. Régulièrement valorisés, les enfants n’hésitent
pas à communiquer avec l’adulte sur ce sujet. La bonne image qu’on leur
renvoie leur donne confiance en eux et les aide à grandir. Ils s’épanouissent
et même les plus renfermés s’ouvrent aux autres.
Cursive (écriture) : (du latin : currere qui signifie courir) Écriture tracée à
main courante ; elle s’oppose à l’écriture en script.
Pseudo-mots : Ils désignent des séquences de lettres telles que nipolu qui
respectent les règles orthographiques et phonologiques de la langue, mais
ne constituent pas des mots.
Lire et écrire,
Éduquer et former,
Coordonné par Jean-Claude Ruano-Borbalan (3e éd. 2008).
Un bilan complet des connaissances en éducation et en formation, à travers
des questions clés comme la motivation, l’évaluation, la formation
professionnelle, la didactique, etc. La présente édition donne une place
spéciale aux interrogations qui ont émergé ces toutes dernières années :
savoirs et compétences, nouvelles technologies… Cet ouvrage est l’outil de
formation et de réflexion indispensable à toute personne s’intéressant à
l’éducation et à la formation.
Un classique dans le domaine de l’Éducation et de la Formation !
Hors collection
Fabrice Hervieu-Wane.
Avec la collaboration de Vincent Troger, nouvelle édition 2009. Le guide
indispensable des futurs profs et des jeunes enseignants.