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À la découverte

de la lecture

PREMIERS APPRENTISSAGES :
PRATIQUES ET THÉORIES

FRANÇOISE BOULANGER

Collection « Les Dossiers de l’Éducation »


dirigée par Martine Fournier
Table des matières

Couverture

Titre

Table des matières

Copyright

Historique d’une démarche pédagogique

Introduction

PREMIÈRE PARTIE - Les premiers pas de l’apprentissage de la lecture

Chapitre I - Objectif et principes généraux de la démarche

Prérequis à l’apprentissage de la lecture

La compréhension du langage des livres

L’identification des mots (isolés, puis en contexte)


Ce que l’enfant fait spontanément

Ce que l’enfant doit savoir faire

Organiser l’environnement pour faciliter l’apprentissage de tous


Regrouper les mots selon la lettre initiale.

Faire correspondre des analogies orthographiques à des analogies sonores.

Segmenter les mots en syllabes et les classer selon la voyelle et selon la consonne.

Le rôle de l’adulte à l’âge de la maternelle


… à travers ses actes

… et par son attitude

Dix bonnes maximes pour accompagner l’enfant vers la lecture

Chapitre II - Accompagner l’identification des mots

LA PHASE IDÉOGRAPHIQUE OU LOGOGRAPHIQUE


Premier parallèle oral/écrit : deux symboles, un langage

Des mots intéressants

Des mots et non des lettres

Des mots personnels

Des mots isolés

L’écriture scripte

Une seule écriture

Uniquement l’écrit

Les caractéristiques de la perception idéographique

Le mot objet

Le mot idéogramme

Des jeux pour les premiers apprentissages


Les compétences acquises au cours de cette première phase

Progression gauche-droite

Pérennité du mot

Sensibilité graphique et orthographique

Appropriation de nos pratiques culturelles

Concentration accrue

Importance de la phase idéographique dans l’acquisition du langage écrit

LA PHASE GRAPHO-PHONOLOGIQUE
Préparation à cette phase

Second parallèle oral/écrit : une même réflexion

Les fondements théoriques : l’œuvre de J. Bruner

Les quatre stades du processus d’apprentissage

La perception

La comparaison

L’hypothèse

La généralisation

Induction et Déduction

Organiser l’apprentissage

Le rangement des mots dans l’ordre alphabétique

Le rangement des « suites de lettres »

La maison an en Grande Section

Le cas des voyelles simples

L’histoire de Melba : le cas de la voyelle e

Partir de l’écrit : voir et entendre

Le rôle de la syllabe

Jeux de préparation à la compréhension de la fusion consonne-voyelle

Le rôle du contexte dans l’identification des mots

Les progrès de l’enfant au cours de la phase grapho-phonologique

Mieux prononcer les mots

Commencer à compenser une dyslexie phonologique

Chapitre III - L’évolution de l’identification des mots

La voie royale

La compréhension de la co-articulation des phonogrammes

Régression ?

Le journal de Lucas

Chapitre IV - Accompagner les enfants moins performants

Les moyens à mettre en œuvre

Les bonnes attitudes à adopter

Et les enfants non francophones ?

Apprendre à lire avec un handicap


Les prérequis

Les phases de l’apprentissage

Lettres et suites de lettres pouvant faire l’objet d’une « maison »

DEUXIÈME PARTIE - Que disent les chercheurs ?


Chapitre V - Autour de la lecture

Parler d’abord – Lire ensuite ?

Quelle préparation à la lecture ?

Conception de l’acte de lire

Conscience de l’acte de lire

Fonctions de l’écrit

De la motivation

Une question de milieu ?

Naturel ou pas ?

Aider les plus faibles

Chapitre VI - Le processus d’identification des mots

Modèles classiques et modèles connexionnistes

Le point de départ

LA PHASE LOGOGRAPHIQUE
Les premiers mots

La perception des premiers mots

Importance de la phase logographique

Transition

LA PHASE GRAPHO-PHONOLOGIQUE
Le principe alphabétique

Qu’est-ce que le principe alphabétique ?

Des prérequis phonologiques pour faciliter l’apprentissage ?

Sensibilité ou conscience phonologique

Conscience phonémique et écriture

Conscience graphique et orthographique ?

La pensée inductive et l’apprentissage implicite

Apparition des analogies

Nom ou son des lettres

L’écrit pour corriger la prononciation des mots

Une forme primitive de décodage

La co-articulation des phonogrammes (et la fusion des phonèmes)

D’ordre conceptuel ou sensoriel ?

Une conquête conceptuelle

La recherche du moindre coût cognitif

Écrire pour apprendre à lire ?

VERS LA PHASE ORTHOGRAPHIQUE


Morphologie : une aide à l’identification des mots

Automatisation ou apprentissage implicite

La compréhension

Chapitre VII - À propos des méthodes

Les méthodes mixtes ou semi-globales


Les erreurs les plus courantes
Les méthodes phono-synthétiques (souvent nommées syllabiques)

Pour conclure

Conclusion

Les questions qui se posent pour la recherche

Combler le fossé entre chercheurs et praticiens

ANNEXES

Témoignage

Sur les enfants

Sur les relations parents-enfant-enseignants

Lexique

Bibliographie

Chez le même éditeur

Collection « Les Dossiers de l’Éducation »

L’Intelligence de l’enfant, Le regard des psychologues,

L’Intelligence de l’enfant, L’empreinte du social,

Les Mutations de l’école, Le regard des sociologues,

Une Histoire de l’éducation et de la formation,

Lire et écrire,

Collection « Ouvrages de synthèse »

Éduquer et former,

Hors collection

Guide du jeune enseignant,


RETROUVEZ NOS OUVRAGES SUR :
www.scienceshumaines.com
http://editions.scienceshumaines.com

En application de la loi du 11 mars 1957,


il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement,
par photocopie ou tout autre moyen,
le présent ouvrage sans autorisation de
l’éditeur ou du Centre français du droit de copie.

© Sciences Humaines Éditions, 2010


38, rue Rantheaume
BP 256, 89004 - Auxerre Cedex
Tél. : 03 86 72 07 00/Fax : 03 86 52 53 26
ISBN = 9782361061210
Ce livre est dédié à mon mari

Remerciements
Pour la lecture du manuscrit : Pr Geneviève Balleyguier (psychologie de
l’enfant) ; Odile Puget (orthophoniste) ; Laurence Martinat (pédiatre) ;
Béatrice Machefel (directrice d’école maternelle, Pr des écoles) ;
Chrystèle Tropée (éducatrice spécialisée).
à Chantal Jobard et Colette Bourrasseau, les premières à m’avoir
accueillies dans leur classe ;
à Natacha Dibot (directrice d’un organisme de formation), Jean-Paul
Vaumourin (directeur d’ESAT) d’avoir cru à cette pédagogie pour les
personnes déficientes intellectuelles ;
à Stanislas Dehaene (Pr au Collège de France), Pr Jean-Emile Gombert,
Pr Sébastien Pacton pour leurs réponses à mes questions ; à Natacha
Golf pour le « Journal de Lucas » ;
à Béatrice Machefel, pour son ardeur à diffuser la démarche parmi ses
collègues et sa détermination à la faire reconnaître par sa hiérarchie.
Pour les centaines de lettres et messages de témoignage et
d’encouragement reçus de parents, enseignants, pédiatres,
orthophonistes, pédopsychiatres, psychologues, éducateurs qui
l’utilisent ou en ont constaté les effets.
à Véronique Bedin, d’avoir tenu à éditer cet ouvrage.
Nous restons à l’écoute des commentaires et des suggestions des
lecteurs à l’adresse suivante :
courrier@lebonheurdelire.org
www.lebonheurdelire.org
Historique d’une démarche
pédagogique

« Un mot écrit n’est pas plus abstrait à percevoir pour le cerveau du jeune
enfant qu’un mot oral1 », la différence essentielle étant le canal par lequel
l’information lui parvient. Il n’y a donc pas de raison de priver le tout jeune
enfant d’écrits adaptés à ses intérêts et à ses capacités perceptives. Ce fut
l’étincelle qui amorça ma recherche…
Ayant trouvé cette affirmation à la fois farfelue et intéressante, j’ai voulu
la vérifier avec l’aîné de mes enfants qui avait alors deux ans. Je fus
stupéfaite de constater qu’il reconnaissait quantité de mots de son univers,
écrits très gros : son prénom, maman, papa, nounours, vélo, avion, … Il
reconnaissait ses mots avec une facilité et un plaisir évidents. Il les
considérait comme des jouets mais ne les aurait prêtés à personne ! Un
déménagement inopiné a momentanément suspendu notre jeu, mais peu à
peu l’enfant s’est intéressé aux écrits remarqués sur les produits de
consommation en les comparant aux mots qu’il connaissait. Je me souviens
m’être dit à l’époque : « C’est génial ! Dans vingt ans, très certainement,
tous les enfants liront parfaitement à six ans. » Or vingt ans plus tard, rien
n’avait changé.
J’ai suivi et accompagné ensuite de nombreux enfants et fait les mêmes
constats. En 1984, avec l’aide de la commune où je résidais, j’ai décidé de
partager l’expérience vécue avec d’autres au cours d’une conférence. Je me
suis retrouvée devant un auditoire de 150 personnes, essentiellement des
parents et quelques enseignants. Ce qui fut déterminant dans cette volonté
de diffusion est le fait que je trouve anormal, voire scandaleux, que des
enfants soient en échec à six ans. Il fallait donc élargir l’expérience.
De 1985 à 1991, j’ai donc suivi de très près des centaines de familles un
peu partout en France, en Suisse et en Belgique, suite principalement à un
article paru dans L’Enfant et la Vie (trimestriel d’esprit montessorien). Des
groupes se formaient de bouche à oreille. Aux parents se sont joints des
enseignants, des éducateurs, puis des orthophonistes, des psychologues…
La conclusion générale fut que tous les jeunes enfants pouvaient
découvrir le langage écrit de manière très naturelle, dès lors que l’adulte
respectait leur manière de fonctionner et de réfléchir en les accompagnant
dans leurs découvertes. La spécificité de cette approche est le caractère
naturel de l’apprentissage qu’elle permet.
Parallèlement au suivi rigoureux des familles, j’ai souhaité confronter ces
expériences aux différents travaux de recherche, même si, à l’époque, ils
étaient peu nombreux concernant le langage écrit. C’était la grande vogue
de la lecture « pour le sens » introduite par Foucambert (1976) et Frank
Smith (1973). Je me suis même rendue aux États-Unis.
Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la Recherche concernant le
langage écrit, ce que je lisais était le plus souvent très éloigné de ce que
j’avais vécu, sauf pour un petit nombre de professeurs qui dialoguaient via
l’IPRA (International Preschool Reading Association), aujourd’hui
dénommée IALFI (International Association for Literacy from Infancy). Le
Pr Ragnhild Söderbergh, une linguiste suédoise y décrivait comment elle
avait accompagné sa fille dans la découverte du langage écrit. Caridad Inda,
Docteur en sciences de l’éducation, alphabétisait les tout-petits dans les
favelas de Mexico, et le Pr Theodore Andersson (University of Texas,
Austin) préconisait l’apprentissage précoce de la lecture pour les minorités
hispaniques. Ses encouragements furent précieux.
C’est l’époque où je me suis délectée à la lecture de thèses décrivant au
jour le jour l’acquisition de la lecture en deux langues (par exemple
espagnol – langue maternelle – et anglais), par des enfants appartenant à des
minorités linguistiques (Past, 1975, Lee, 1977). La précocité ne m’a jamais
intéressée pour elle-même, il s’agissait surtout de décrypter les processus en
jeu.
L’expérience très approfondie avec les familles et les professionnels
déboucha finalement en 1992 sur un premier ouvrage. Ce recueil des
constantes du processus d’apprentissage relevées chez le jeune enfant,
révélées par sept années d’observation et de travail sur le terrain, a généré et
génère toujours un courrier volumineux de témoignages de la part des
parents auxquels il s’adressait en premier lieu et de nombreux
professionnels (enseignants, psychologues, orthophonistes, éducateurs,
pédiatres…). En novembre 1994, lors d’une conférence organisée par des
associations de parents d’élèves, des enseignants me demandèrent de les
aider à mettre en place l’approche que je propose dans leurs classes
maternelles. C’est ainsi que j’ai commencé à animer des formations pour
les enseignants. Mon rêve allait se réaliser : favoriser l’accès de tous les
enfants à la lecture.
À l’automne de l’année suivante, lors d’une réunion avec les enseignants
de trois écoles maternelles rurales, on frappe à la porte. L’enseignante de
CP passe la tête pour me dire : « J’étais opposée à ce que vous faites, parce
que je ne voulais pas avoir dans ma classe des enfants qui sachent déjà lire.
Mais je suis venue vous dire que j’ai complètement changé d’avis. Je n’ai
jamais eu une classe aussi agréable, enthousiaste, dégourdie et des enfants
aussi heureux que cette année ! J’aurai le temps de m’occuper d’une petite
nouvelle qui vient d’une autre école. C’est là qu’on voit la différence. » Ce
genre de témoignage de la part d’enseignants de CP s’est renouvelé souvent
depuis. D’abord méfiants, dubitatifs, ils constatent les résultats puis nous
encouragent à poursuivre. Je participai aussi en 1996 à un projet européen
sur « la lecture à l’école maternelle ». Les autres participants, notamment
les Professeurs Dombey (Université de Brighton), Meek (Université de
Londres), et Roc (Université de Barcelone) furent impressionnés par la
visite des écoles françaises pratiquant la démarche.
Depuis 1999, j’assure également, à l’intention de professionnels du
handicap (éducateurs spécialisés, instituteurs spécialisés, orthophonistes,
psychologues, éducateurs de jeunes enfants), des formations d’une semaine
sur les processus en jeu dans l’acquisition de la lecture. Cela m’a conduite à
proposer d’aider des usagers d’un ESAT (Établissement et service d’aide
par le travail) à apprendre à lire. Depuis dix ans, je consacre donc une
journée par semaine aux déficients intellectuels, en institution et en privé. Je
suis certaine que je ne serais pas arrivée à les faire progresser si je ne
m’étais pas intéressée d’abord aux tout-petits : les enfants m’ont tout appris.
La perception des processus en jeu dans l’apprentissage s’est beaucoup
affinée en travaillant avec des déficients intellectuels de tous âges pour
lesquels il a fallu décomposer au maximum chaque étape. Le processus et
les étapes d’acquisition du langage écrit sont pourtant les mêmes, qu’il
s’agisse d’enfants à haut potentiel ou de déficients. Ce sont les faits et la
pratique régulière qui permettent de l’affirmer.
Enfin, en 2001, à l’initiative de Béatrice Machefel, directrice d’école
maternelle, que j’ai accompagnée depuis, une association2 a été créée pour
diffuser la pédagogie proposée. Elle aide tous ceux qui souhaitent mettre la
démarche en pratique dans leur classe, répond aux questions, mutualise les
informations. Les résultats obtenus (absence quasi totale d’échecs en CP),
ont éveillé l’intérêt d’Inspecteurs de l’Éducation nationale qui m’ont invitée
à animer des formations. Il en résulte la publication d’un Fichier pratique3
pour les enseignants de maternelle.

1 G. Doman, How to teach your baby to read, Random House, 1964.


2 http://lbdlmaternelle.free.fr
3 Entrer dans l’écrit en maternelle, coll. Fichiers-ressources, Nathan, 2009.
Introduction

Chacun, enseignant, parent, formateur…, souhaite préparer au mieux les


enfants à l’entrée au CP, où commence l’enseignement formel de la lecture.
De fait, et d’après plusieurs études, c’est bien au CP que se joue en général
l’avenir de l’écolier. Les statistiques le confirment. Celles qui concernent
les résultats obtenus en lecture à la fin du Cours Préparatoire sont
inquiétantes et, depuis plusieurs décennies, l’antagonisme entre les
méthodes de lecture (globale et semi-globale/syllabique ou synthétique)
réapparaît régulièrement. Rien d’étonnant à cela ! Le débat sera récurrent
jusqu’à ce qu’on se rende compte que la solution se trouve en maternelle.
Le Bilan des résultats de l’École établi en 2007 par le Haut conseil de
l’éducation, (HCE) va d’ailleurs dans ce sens.
Aujourd’hui, la question n’est pas : quelle est la meilleure méthode pour
apprendre à lire au CP ? Mais plutôt : comment donner à l’enfant de
maternelle les moyens de réussir pleinement son CP ?
Il existe une grande hétérogénéité des enfants accueillis à l’école
maternelle. Cette inégalité se retrouve à l’école élémentaire et augmente
encore si l’enfant n’apprend pas à lire correctement dès le CP. De surcroît,
malgré leur dévouement, la formation des enseignants est souvent
incomplète s’agissant du processus d’apprentissage de la lecture, tandis que
celle des orthophonistes est principalement conçue à partir de l’oral. Par
ailleurs, l’opinion des parents colle à ce qui est le plus habilement présenté
dans la presse. Il serait pourtant souhaitable de donner à tous une
connaissance détaillée de ce processus, permettant de comprendre ce dont
l’enfant a besoin pour réussir les deux premières années de l’école
élémentaire et généralement la suite de sa scolarité. Il n’est pas « normal »
que tant d’enfants restent au bord du chemin. Trop de personnes le pensent
encore, incriminant le « problème » de l’enfant, sa situation familiale ou
son milieu de vie.
L’enfant qui arrive au CP sait en général beaucoup de choses, surtout il
est vrai s’il grandit dans un milieu culturellement favorisé. L’école
maternelle devrait donc compenser pour les autres ce que leur
environnement ne leur offre pas. Les enfants de tous milieux ont des
capacités ; il s’agit simplement de leur permettre de les développer.
Ayant pu analyser comment l’enfant s’y prend pour commencer à
apprendre à lire entre 2 et 5 ans, j’ai voulu proposer d’organiser
l’environnement de l’école maternelle pour que tous puissent le faire, et que
tous puissent ensuite tirer profit de l’enseignement formel de la lecture au
CP. Le présent ouvrage présente et détaille les fondements de la démarche
et la confronte aux conclusions actuelles de la Recherche.
À l’école maternelle, il est d’abord nécessaire de compenser les inégalités
en dialoguant beaucoup avec chaque enfant, et ceci dans un climat
sécurisant et bienveillant. La lecture quotidienne de textes passionnants est
aussi indispensable. Mais on peut aller bien au-delà en offrant à chaque
enfant des mots écrits personnels qui le touchent de près, en jouant avec lui
et en l’accompagnant dans sa découverte, afin de permettre à chacun
d’acquérir les bases nécessaires qui lui permettront de suivre
l’enseignement de l’école élémentaire.
Quelle est la caractéristique principale de cette démarche ? Celle de
permettre à tout jeune enfant de découvrir le langage écrit en respectant son
raisonnement naturel, sans exercices artificiels et fastidieux. Celle de faire
confiance à sa prodigieuse mémoire pour ce qui l’intéresse et à la logique
inductive qui le caractérise à ce jeune âge. Les écoles engagées dans
l’approche proposée vivent quotidiennement la joie des enfants qui
découvrent le système de l’écrit en dialoguant avec l’adulte. Nous ne
pouvons que confirmer les résultats inespérés que nous constatons avec des
enfants qui tous, quel que soit leur milieu social, même très défavorisé,
aiment les jeux de lecture autant que d’autres activités et qui, tous, sont
heureux à l’école. Même l’enfant lent progresse parce qu’il reçoit
exactement ce qui lui convient. L’enfant à haut potentiel y trouve son
compte aussi, parce qu’il fait intuitivement les bonnes relations dans les
informations à sa disposition. Tous les enfants qui bénéficient de cette
démarche en maternelle poursuivent leur apprentissage avec enthousiasme
au CP, quelle que soit la méthode utilisée, pourvu qu’elle enseigne toutes
les correspondances lettre(s)-son et les particularités de la langue. Et ils
aiment lire !
Nous avons la certitude, après des années d’expérimentation dans des
écoles maternelles pilotes, qu’il y a une réelle possibilité de diminuer ainsi
l’échec scolaire et l’illettrisme. Le présent ouvrage guidera tous ceux qui
souhaitent participer à un tournant de l’école maternelle pour qu’elle soit
d’abord plus maternelle, mais en même temps aussi épanouissante que
possible.
PREMIÈRE PARTIE

Les premiers pas


de l’apprentissage de la lecture
Entre deux et six ans, l’enfant réfléchit instinctivement sur la langue
écrite : il mémorise des mots écrits avec une facilité étonnante, à
condition qu’ils soient intéressants à ses yeux et adaptés à ses capacités
perceptives.
Inconsciemment, l’enfant cherche des relations dans ce qu’il perçoit,
comme il le fait pour tout ce qui l’entoure : il compare les mots, y
remarque des analogies. Si l’adulte l’aide à les ranger et le conforte dans
ses découvertes de correspondances grapho-phonologiques, il se
passionnera pour la recherche de similitudes.
Autre trait caractéristique du raisonnement de l’enfant : il apprend par
inférence inductive, c’est-à-dire qu’il a besoin d’exemples pour découvrir
et comprendre une règle. Il ne sert à rien de la lui enseigner en
l’énonçant : il faut qu’il en fasse l’expérience. Ainsi avec camion, cadeau,
cachette, il pourra isoler la syllabe ca et avec Victor, vélo, voiture il
découvrira le son produit par la lettre v.

Le rôle de l’enseignant ou de l’adulte consiste à accompagner l’enfant


dans ses découvertes ; schématiquement, il s’agit de :

donner des mots personnels aux enfants (au début) et jouer avec
ceux qui en ont le plus besoin pour qu’ils les mémorisent,
répondre à leurs remarques et engager ainsi un dialogue
constructif,
classer les mots dans l’ordre alphabétique de l’initiale, ce qui
leur permettra de percevoir le son produit habituellement par les
lettres,
classer les mots selon des correspondances grapho-
phonologiques, rangement suscité par les remarques spontanées
des enfants ;
couper des mots bien connus en syllabes (écrites et orales) et les
classer selon la voyelle ou la consonne ;
mettre à disposition des enfants papiers, feutres, lettres mobiles,
jeux, ordinateur, … ainsi que des écrits qui les concernent
(cahier de vie, chants et comptines appris en classe, albums, …)

Cette pratique permet aux enfants de comprendre ce qu’on nomme


habituellement le principe alphabétique1, c’est-à-dire que les graphèmes1
correspondent à des phonèmes1. Elle les amène tout naturellement à
comprendre la co-articulation des phonogrammes1 (b + a = ba). Certains
auront découvert les deux concepts avant d’entrer au CP, les autres
seulement le premier, mais tous pourront tirer ainsi pleinement profit de
l’enseignement formel de la lecture.

1 Tous les termes suivis d’un astérisque sont expliqués dans le lexique en fin d’ouvrage.
Chapitre I

Objectif et principes généraux


de la démarche

L’objectif de la démarche étant de permettre à l’enfant de commencer à


apprendre à lire le plus facilement possible, il a paru nécessaire,
préalablement :

d’analyser ce que l’enfant fait spontanément et la manière dont il


réagit aux écrits mis à sa disposition de manière adaptée à ses
capacités perceptives ;
d’étudier le parcours de tout jeunes enfants très éveillés et de
déficients intellectuels enfants et adultes, en décomposant au
maximum les différentes étapes de l’apprentissage ;
d’analyser les stratégies du lecteur habile ;
d’organiser l’environnement pour accompagner le cheminement
de tous les enfants.

Il en découle une méthode d’accompagnement, dont la caractéristique


principale est la découverte de régularités grapho-phonologiques à partir de
mots écrits que le tout jeune enfant investit affectivement, et qui l’amènent
à la compréhension implicite du principe alphabétique et de la co-
articulation des phonogrammes. Précisons que cette démarche n’est
probante que si l’on utilise des mots qui intéressent les enfants.

Il est généralement admis que lire – que ce soient des mots, des phrases
ou plus tard des textes – résulte de deux capacités :
1. La compréhension du langage écrit oralisé, découlant des textes
lus aux enfants ;
2. L’identification des mots qui passe, selon l’état actuel de la
recherche, par trois phases : logographique, grapho-phonologique,
orthographique1.
Prérequis à l’apprentissage de la lecture

Une bonne vue et une bonne audition


Pour qu’un apprentissage, quel qu’il soit, puisse avoir lieu, il est
essentiel que l’enfant soit « installé dans la sécurité affective » selon
l’expression d’Hubert Montagner.
Par ailleurs, comme la plupart des chercheurs, nous pensons que les
seuls vrais prérequis à l’apprentissage de la lecture consistent en une
bonne vue et une bonne audition !
De l’importance des expériences personnelles
Sauf exception, l’enfant qui arrive en maternelle à trois ans parle et, de
manière générale, l’enfant qui a appris à parler sans problème apprend à
lire. Il est cependant possible de commencer à apprendre à lire en même
temps qu’on apprend à parler, et de nombreux enfants, en difficulté ou
non, font de sérieux progrès en langage oral à partir du moment où ils
voient les mots écrits. De même, les enfants dont le français n’est pas la
langue maternelle apprennent en même temps le langage oral et le
langage écrit.
Trop de pédagogues continuent de chercher les conditions d’un bon
apprentissage dans des capacités développées en dehors de l’écrit :
psychomotricité, notions d’espace-temps, langage oral et capacités
phonologiques, alors que la réussite en début d’apprentissage est
conditionnée davantage par les expériences personnelles et la réflexion
de l’enfant sur l’écrit adapté à ses goûts et ses capacités.

De l’ambiguïté des exercices de discrimination visuelle ou auditive


Certains pédagogues ou enseignants élaborent en conséquence toutes
sortes d’exercices préalables de discrimination visuelle qui mettent les
difficultés en exergue, comme par exemple discriminer les lettres bpqd.
Bien qu’il soit évident qu’à terme l’enfant devra différencier un b d’un
d, il est tout à fait inapproprié de rapprocher les lettres dont le
graphisme se ressemble en prélude à l’apprentissage proprement dit.
Avant d’avoir reçu ses premiers mots, les lettres représentent pour
l’enfant un objet comme un autre. Qu’il s’agisse d’un d, p, b ou q, pour
l’enfant à ce stade il ne s’agit que d’un rond et d’un bâton, comme un
chat sur ses pattes ou couché sur le dos est toujours un chat. Il ne pourra
comprendre leur différence que lorsqu’il reconnaîtra par exemple les
mots papa et bébé.
Bien mémoriser, lorsque l’occasion se présente, des mots tels que papa,
bébé, doudou sera beaucoup plus efficace pour apprendre la graphie et
le son de ces lettres que de faire des exercices de discrimination visuelle
bpqd, qui sont l’occasion de lui montrer qu’il peut les confondre.
Lorsque l’enfant rencontrera d’autres mots commençant par p par
exemple, il pourra se dire « c’est la lettre de papa ».

D’autres exercices de discrimination visuelle aberrants et dénués du


simple bon sens sont malheureusement encore proposés aujourd’hui. Il
existe des cahiers d’exercices qui, sous prétexte de discrimination
visuelle fine, présentent des lettres inversées. Proposer ce genre
d’exercice à un enfant de 3-4 ans, qui ne connaît pas encore les lettres,
empêche l’apprentissage. Mettre par exemple les signes D-ou j- sous les
yeux d’un enfant consiste à lui faire mémoriser des erreurs, ce qui
assurément lui fait du tort. Ensuite, on se plaindra qu’il inverse, se
trompe. Ces exercices prouvent une méconnaissance totale de la
psychologie enfantine. Le meilleur moyen pour que l’enfant apprenne
est de ne lui donner à voir que des lettres correctement écrites et des
mots qui existent.
Un autre exercice de discrimination auditive rencontrée en fin de GS*
ou début de CP* consiste à faire repérer le son /a/ dans poire. Nous
recommandons d’éviter, chez les petits, les exercices de discrimination
auditive. Certes, l’acte de lire (percevoir et comprendre le langage écrit)
est complexe. Ce n’est cependant pas une raison d’en compliquer
l’apprentissage par des exercices de discrimination visuelle et auditive
qui ont un effet délétère sur l’apprentissage au lieu de le faciliter.

La compréhension du langage des livres


Le langage des livres diffère du langage utilisé avec l’enfant pour
communiquer. Plus élaboré, il possède un vocabulaire et une syntaxe plus
riches. Le meilleur moyen d’en développer la compréhension est de faire la
lecture à l’enfant. Ce sont en effet les textes de littérature de jeunesse
passionnants qui permettent d’introduire le plus facilement du vocabulaire
nouveau et des structures syntaxiques variées que l’enfant sera capable
ensuite de réinvestir, le plus souvent à bon escient. Il apprendra aussi à
utiliser les différentes conjugaisons.
Faire la lecture dès le plus jeune âge est indispensable, mais ne suffit pas.
Depuis trente ans, diverses associations favorisent cette activité. Action
louable certes, mais non suffisante pour que tous les enfants apprennent à
lire sans difficulté. Faire la lecture à l’enfant représente à notre avis la
moitié de l’accompagnement de l’apprentissage de la lecture. Elle est
essentielle à notre démarche d’accompagnement.

L’identification des mots (isolés, puis en contexte)

S’il est admis que la capacité de lire de l’enfant dépend de sa


compréhension du langage écrit et non, malgré l’avis de certains, du
langage qu’il possède et utilise habituellement pour communiquer, il est
moins connu que l’enfant à l’âge de la maternelle acquiert aisément un
capital de mots écrits à partir duquel se construira son apprentissage.
Actuellement, même si l’écrit tient une grande place dans les classes
maternelles, certains enfants (généralement les plus faibles) ont du mal à
mémoriser les mots de la classe tels qu’ils leur sont proposés (météo,
calendrier, lieux d’activité, …) car ils ne sont pas suffisamment intéressants
à leurs yeux. Pour les rendre intéressants, il faudra d’abord passer pour
chaque enfant par des mots ayant une forte charge affective.
Habituellement, c’est au début du CP que leur sont proposés quantité de
mots à mémoriser dans les méthodes mixtes ou semi-globales. De
nombreux enfants ont beaucoup de mal à les mémoriser, surtout les mots
outils sans signification, faute de n’avoir pas encore de repères grapho-
phonologiques.
À l’école maternelle, il semble important de ne pas imposer de
comportements, mais d’aider tous les enfants à faire ce que certains font
spontanément et très facilement. Pour organiser l’apprentissage de tous, il
est nécessaire de prendre en considération à la fois les capacités et stratégies
de l’enfant, et la compétence à acquérir.

Ce que l’enfant fait spontanément

Trente ans d’expérience nous ont appris :

que le jeune enfant reconnaît des mots qui l’intéressent avec une
grande facilité. Cette réalité n’est que rarement prise en compte
actuellement par les praticiens et les chercheurs, et reste
malheureusement inexploitée.
qu’il cherche intuitivement des constantes dans ce qu’il perçoit
pour comprendre le monde qui l’entoure ; il le fait aussi dans
l’écrit qui lui est adapté.
qu’il découvre implicitement des règles par inférence inductive*,
celles de son environnement comme celles qui régissent la langue
écrite.

Ce que l’enfant doit savoir faire

Parmi d’autres compétences plus faciles à acquérir pour percer le mystère


de la lecture, la plus difficile à comprendre est que les graphèmes
correspondent à des phonèmes et qu’il faut les fusionner.

Organiser l’environnement pour faciliter


l’apprentissage de tous
Pour que l’enfant puisse comprendre que les graphèmes correspondent à
des phonèmes et qu’il faut les fusionner, nous proposons de :

Regrouper les mots selon la lettre initiale.

C’est d’abord une nécessité pratique (pour retrouver les mots dont on a
besoin). Ensuite, on peut remarquer que cela permet à l’enfant, même s’il
n’a que 2-3 ans, de découvrir le son des lettres. Avec plusieurs mots
commençant par la même lettre il peut apprendre que la lettre m correspond
au son /m/, premier concept abstrait indispensable.

Faire correspondre des analogies orthographiques à


des analogies sonores.

Par exemple, avec poussette, galette, dînette, l’enfant apprendra que la


suite de lettres ette se prononce /ette/.

Segmenter les mots en syllabes et les classer selon la


voyelle et selon la consonne.

Par exemple, ma, pa, va, … et ma, mi, mo.

Le rôle de l’adulte à l’âge de la maternelle

Plutôt que d’enseigner, au sens formel du terme, l’adulte permet la


découverte en accompagnant l’enfant… Il aide l’enfant à apprendre.
Comme le dit Carl Rogers, souvent « l’enseignement gêne
l’apprentissage ». Enseigner (par exemple : montrer d’emblée les
différentes écritures) et permettre d’apprendre (par exemple : classer les
mots donnés à l’enfant selon la lettre initiale pour lui permettre de découvrir
le son qu’elle produit) sont deux notions qu’il est nécessaire de différencier.
De fait, on n’oublie jamais les concepts qu’on a découverts par soi-même,
mais on oublie souvent ce qui a été enseigné. L’apprentissage, quel qu’il
soit, n’est jamais précoce ; seul l’enseignement peut l’être.
Pour que le jeune enfant puisse découvrir et progresser dans le domaine
du langage écrit, il faut d’une part, un environnement riche, et d’autre part,
que l’enseignant veille à susciter l’intérêt de tous en prenant soin de donner
des mots qui intéressent chacun, de répondre aux remarques et aux
questions, d’accompagner et de permettre les découvertes (en proposant des
classements de mots par exemple). Cette attitude est d’autant plus
importante qu’il s’agit de jeunes enfants.
L’adulte respecte l’activité cognitive du jeune enfant qui réagit
mentalement de la même façon au langage oral ou écrit que par rapport au
monde qui l’entoure. Le rôle de l’adulte est d’adapter l’écrit aux capacités
perceptives de l’enfant pour lui permettre de l’appréhender avec les mêmes
stratégies qu’il utilise pour décrypter son environnement. L’enseignant
prend en compte ses aptitudes et veille à ce que l’enfant puisse mettre ce
qu’on lui propose en rapport avec ce qu’il connaît, avec ce qu’il sait déjà. Il
fait en sorte que découvrir l’écrit soit passionnant pour l’enfant. Apprendre
à lire peut être ou devenir alors une découverte merveilleuse.

… à travers ses actes

L’adulte présente et donne des mots écrits (de manière adaptée)


appartenant à l’univers affectif de l’enfant. Celui-ci les reçoit alors avec
plaisir et très vite en redemande parce qu’ils sont intéressants à ses yeux. Il
joue en particulier avec l’enfant lent, lui permettant ainsi d’en étayer la
mémorisation.
Il est très attentif aux remarques de l’enfant afin de favoriser le dialogue
qu’elles amorcent, lorsqu’il dit par exemple que cachette qu’on écrit devant
lui, « c’est comme galette » qu’il connaît déjà. Ces remarques donnent à
l’adulte l’occasion de confirmer ou d’infirmer ce que l’enfant est en train de
découvrir en lui proposant de classer les mots présentant les mêmes
caractéristiques visuelles et sonores.
L’adulte analyse les erreurs d’identification, qui permettent de
comprendre les stratégies utilisées par l’enfant.
L’enfant est au centre de l’apprentissage, mais l’adulte sait où il le mène ;
c’est lui qui organise l’environnement afin que les moins performants
puissent faire les mêmes découvertes que les plus futés. Il donne à l’enfant
le matériau qui l’incite à la réflexion : par exemple en coupant au moment
opportun des mots très connus en syllabes et en proposant à l’enfant de les
classer.

… et par son attitude

L’attitude des adultes, qu’ils soient enseignants, formateurs ou parents, a


autant d’importance que l’aide technique qu’il peut apporter.
Voici quelques repères indispensables :

Les mots sont donnés pour intéresser, puis le plus souvent pour
faire plaisir à l’enfant.
Une attitude d’ouverture, joyeuse et détendue est indispensable,
l’enthousiasme étant contagieux. Il est d’une importance capitale
d’adopter une attitude toujours positive et disponible vis-à-vis des
tentatives de reconnaissance des mots.
Le don des mots est gratuit. L’enfant doit sentir qu’on ne lui
demande rien en retour, comme lorsque, bébé, on lui donnait les
mots oraux sans y penser.
On veillera à être particulièrement bienveillant et empathique
envers les enfants moins performants. L’enseignant adapte
l’activité à ces enfants-là, il leur fait confiance : tous les enfants
aiment apprendre !
Il s’agit de solliciter, suggérer, ne jamais imposer, encore moins
gronder.
Enfin, les sessions seront courtes, car laisser l’enfant sur sa faim
permet de maintenir l’envie d’une session à l’autre.
Tel est le cadre de notre démarche. Il diffère sensiblement de ce qui est
habituellement pratiqué : montrer, enseigner, interroger, tester. Il suppose
autant la compréhension des fondements théoriques que la pratique avec les
enfants. Ainsi, il est plus important de comprendre comment l’enfant
apprend que de prendre note de pratiques sans en saisir les fondements.
La parfaite compréhension de ces fondements permet d’inventer des
variantes selon les circonstances rencontrées, d’inventer des jeux, et d’être
capable d’éliminer les propositions d’exercices et de jeux inutiles, sinon
néfastes. D’un autre côté, ne retenir que quelques idées parmi celles
proposées ne permet pas de rester dans l’esprit de la démarche et les
dérapages sont alors fréquents. On aboutit à un pseudo-accompagnement
qui ne donne plus du tout les résultats qu’on peut escompter si on garde en
mémoire les processus en jeu.
Dix bonnes maximes pour accompagner l’enfant vers la lecture

De ce qui précède, on peut dégager les grandes règles


d’accompagnement à adopter tout au long de l’apprentissage :

Adapter l’écrit aux capacités perceptives du jeune enfant.


Accéder à ses demandes : la mémorisation visuelle de mots
affectivement significatifs pour l’enfant lui procure une joie
profonde.
« Chausser les lunettes » de l’enfant pour organiser
l’apprentissage.
Favoriser l’apprentissage spontané : l’enfant est spontanément
attentif et se concentre sur ce qui l’intéresse. Ainsi naît sa
réflexion.
Canaliser cette réflexion en l’aidant à classer les analogies
grapho-phonologiques et faciliter ainsi la découverte des
codes.
Féliciter. Encourager. Confirmer ce que l’enfant découvre
implicitement.
Positiver l’erreur. Elle a toujours une logique qui permet à
l’adulte de comprendre la stratégie d’apprentissage. Infirmer
si besoin, mais de manière positive.
Respecter et accompagner sa manière de fonctionner.
Faire la part belle au dialogue.
La réussite de l’enfant crée sa motivation d’apprendre. Il faut
tout faire pour que chaque enfant réussisse à son niveau, sans
le tester.

1 Cette dernière étant principalement l’objet de l’école élémentaire n’est pas explicitement traitée
dans cet ouvrage.
Chapitre II

Accompagner l’identification des


mots

La recherche scientifique1 a montré que l’identification des mots passe


inévitablement par trois phases : logographique, grapho-phonologique,
orthographique.
Au cours de la phase logographique, l’enfant mémorise visuellement le
mot en prenant uniquement un ou plusieurs repères graphiques (accent,
point, hampes, jambages, longueur…). Chez le petit enfant, cette
mémorisation est facilitée par le fait que les mots lui semblent intéressants.
Par ailleurs, ils doivent être adaptés à ses capacités perceptives.
La phase grapho-phonologique (ou encore phase alphabétique) consiste
à classer les mots connus en vue de :

la découverte du principe alphabétique (outils : le répertoire,


abécédaires, jeux) ;
la prise de conscience de la syllabe (outils : premières
« maisons2 », mots coupés, jeux) ;
la découverte de suites de lettres fréquentes et leur
correspondance orale (outils : « maisons », jeux) ;
la compréhension de la fusion des phonogrammes (b + a = ba) et
de la conscience phonémique (outils : classements des syllabes,
lettres mobiles, jeux).

Enfin, la phase orthographique proprement dite est du ressort de l’école


élémentaire. Nous ne l’analysons pas dans cet ouvrage, même si certains
enfants s’y faufilent dès la Grande Section. On trouvera néanmoins une
note concernant les méthodes de lecture dans la deuxième partie de cet
ouvrage.
La perception d’un mot est en constante mutation, jusqu’à sa
reconnaissance automatique définitive. La perception instantanée des
premiers mots reçus s’opère au début grâce à des repères visuels (première
lettre, accent, doublement de consonne…). Nous sommes dans la phase
logographique. À ces repères graphiques s’ajoutent dans un premier temps,
puis se substituent, des repères de correspondance lettre(s)-son qui
constituent le début de la phase grapho-phonologique (deuxième phase)
puis des repères orthographiques, morphologiques et syntaxiques pour
arriver finalement à la reconnaissance automatique définitive (phase
orthographique).
Si on ne peut affirmer que l’enfant apprend à lire comme il apprend à
parler, car il n’a pas besoin du langage écrit comme il a besoin du langage
oral pour communiquer, on peut néanmoins établir deux parallèles entre
l’acquisition du langage oral et celle du langage écrit :

Le premier concerne la perception (première phase) des premiers


mots oraux et écrits : le symbole écrit n’est pas plus difficile à
percevoir que le symbole oral.
Le deuxième parallèle concerne la manière dont l’enfant attaque
spontanément le langage écrit (dans la deuxième phase) et
réfléchit sur les données dont il dispose, comme il l’a fait avec le
langage oral lorsqu’il a commencé à parler.

LA PHASE IDÉOGRAPHIQUE OU LOGOGRAPHIQUE

L’enfant perçoit les premiers mots qu’on lui présente de manière


logographique (terme utilisé par les chercheurs) ou idéographique (terme
qui nous semble plus approprié), c’est-à-dire comme un dessin, et en
rattache instantanément la graphie à sa signification. Cette phase est
naturelle pour le jeune enfant, normale, incontournable, même si elle est
parfois de courte durée.
Premier parallèle oral/écrit : deux symboles, un
langage

Le premier parallèle entre langage écrit et langage oral consiste à prendre


en compte qu’un symbole écrit n’est pas plus abstrait pour l’enfant qu’un
symbole oral, pourvu que les deux soient reliés à la réalité et adaptés à ses
aptitudes sensorielles, cognitives et affectives. Le mot écrit pomme n’est pas
plus difficile à comprendre pour le cerveau de l’enfant que le mot prononcé,
seul le mode d’entrée diffère.
Pour que l’enfant apprenne à parler il est indispensable qu’on lui parle, à
lui personnellement. Sa mère n’a pas attendu qu’il soit « mûr » pour lui
parler. D’ailleurs, l’idée ne viendrait à personne d’affirmer que, puisque
l’enfant ne parle pas avant dix-huit mois, il est dangereux de lui parler avant
cet âge. Pourtant, c’est pratiquement ce qui se fait avec le langage écrit !
Sous prétexte que l’enfant ne peut pas lire, nous le privons de mots écrits
adaptés à ses capacités. Les parents nomment tout naturellement les mots de
l’univers familier de leur bébé en les énonçant clairement, et petit à petit
celui-ci comprend de plus en plus de mots : papa, maman, biberon, bain,
doudou, viens ! Il ne leur viendrait pas à l’idée de désigner les mêmes
éléments par un mot écrit. Or, le jeune enfant (2 à 5 ans) peut comprendre
de la même manière des mots écrits en gros caractères qui se rapportent
chacun à une personne, un animal ou un objet qui l’intéresse
particulièrement : papa, maman, son prénom, nounours, camion, bébé,
gâteau… Il les reconnaît très facilement à condition – redisons-le – qu’ils
soient intéressants, isolés et adaptés à ses capacités perceptives, c’est-à-dire
écrits gros (tout comme il joue avec de gros cubes avant de manipuler des
jouets plus petits). Le jeune enfant absorbe avec une facilité surprenante les
mots écrits qu’il aime.
Pour ce qui est du langage oral, le tout jeune enfant a des symboles à sa
disposition, qui lui sont donnés à volonté de manière claire par son
entourage : désignation de personnes, d’objets, d’actions… En ce qui
concerne le langage écrit, l’enfant est dans le brouillard. Il est entouré
d’écrits, mais rien ne lui « parle » vraiment. On ne pense pas à lui donner de
manière adaptée les mots qui pourraient l’intéresser, éléments qui seraient
utiles à sa réflexion spontanée sur la langue écrite. À force, il se fait
quelques idées, qui se situent souvent très loin de la réalité, faute de pouvoir
s’en forger de meilleures.
Il n’est plus possible à l’heure actuelle de nier que le tout jeune enfant
mémorise les mots qui l’intéressent avec une incroyable facilité, même si
chaque fois cela suscite étonnement, incrédulité ou émerveillement et même
si cela dérange beaucoup de monde. Les non-initiés sont très surpris de voir
de si jeunes enfants reconnaître autant de mots écrits aussi facilement. Tous
les enfants le font, dès qu’on peut entrer dans une relation vraie avec eux,
qu’on est capable de les intéresser avec du matériel adapté.
La facilité avec laquelle le jeune enfant identifie ses mots paraît à
l’observateur occasionnel tout à fait surprenante : « C’est pas vrai ! Il doit y
avoir un truc ! », dira-t-il. D’autres, pas davantage informés, pensent que
pour une telle performance, les enfants sont certainement forcés, entraînés,
gavés. Heureusement, les enfants sont bien armés pour se défendre : nous
savons que le jeune enfant normalement traité n’apprend que s’il y prend
intérêt ou plaisir.
Toutefois, le petit enfant a davantage besoin du langage oral que du
langage écrit. Ce n’est pas le cas des enfants sourds qui découvrent très vite
un moyen privilégié de communiquer avec les mots écrits et les mémorisent
très rapidement pour les utiliser dans leur vie quotidienne. J’ai accompagné,
par exemple, une petite fille de deux ans et demi, sourde profonde, qui
communiquait avec ses parents grâce à 250 mots écrits. Pour les enfants ne
souffrant pas d’infirmités sensorielles, l’intérêt pour l’écrit ne vient en
revanche pas du besoin mais de la joie de découvrir, de jouer, d’apprendre,
de comprendre.

Des mots intéressants

En général, un petit garçon sera naturellement plus intéressé par le mot


tracteur que par la lettre t. Il se constitue un capital-mots bien à lui et joue
volontiers avec ses étiquettes-mots. Quantité de jeux sont proposés3, même
si, bien souvent, ils sont inventés par l’enfant lui-même. Ces premiers mots
doivent avoir une charge affective pour l’enfant et faire partie de son
univers. C’est une donnée universelle : on retient ce qu’on aime. Voici ce
qu’explique Gabriel Racle à ce sujet : « Le cerveau limbique joue un rôle
fondamental dans l’intégration des perceptions en fonction de leurs tonalités
émotionnelles… L’activation des zones de plaisir du système limbique par
des stimuli extérieurs est répercutée sur le cortex supérieur… On ne saurait
trop souligner l’importance du cerveau limbique dans tout comportement et
particulièrement dans tout processus d’apprentissage. Le système limbique
joue un rôle sélectif : parmi le flot continu d’informations qui atteignent le
cerveau, il détecte celles qui sont intéressantes, qui peuvent créer un état
agréable, ou celles qui sont nouvelles… La connotation émotionnelle d’un
fait, d’un événement, d’un texte, d’un mot en facilitent la rétention et la
reconnaissance. »
Les mots ont ainsi dès le début un sens très prégnant pour l’enfant. Il est
en effet capital de lui donner dès le départ le désir, – instinctif, dirons-
nous – et la possibilité de comprendre l’écrit qui lui est proposé.

Des mots et non des lettres

Une autre raison de montrer en premier lieu des mots, et non des lettres,
est que les mots forment l’unité de base de la compréhension du langage
écrit, de la même manière que les mots prononcés, et non les phonèmes*
qui les composent, sont les unités de base de la compréhension du langage
oral.
Commencer par exemple par montrer à l’enfant de 3-4 ans la lettre a ou i
et lui faire entendre des mots qui contiennent cette lettre, c’est un peu
comme si, pour qu’il apprenne à faire du vélo, on lui expliquait le
fonctionnement du pédalier au lieu de le tenir par la selle et de lui permettre
d’avoir la sensation de rouler. De même lorsqu’il aborde la lecture, il est
essentiel de lui donner tout de suite la sensation de lire, qui implique
reconnaissance (même si elle est sommaire) et compréhension instantanée
des mots.
Sans doute certains enfants auront-ils appris les lettres sans
enseignement, grâce par exemple au jeu télévisé Des chiffres et des lettres
ou en jouant avec des lettres mobiles et en posant des questions à leur sujet,
ou au contact d’un aîné… Tout ce que l’enfant a appris et apprendra
naturellement par le jeu du dialogue avec un adulte, ou avec un autre enfant,
lui sera profitable. Donc, pas de règle stricte à ce sujet, mais pas non plus
d’enseignement programmé des lettres.
Une conception populaire consiste à penser qu’il est plus facile de
commencer par la lettre et que si pour un adulte b + a = ba est très simple,
cela doit aussi être simple pour le jeune enfant. On confond simplicité et
facilité… Comprendre que b + a = ba résulte d’un raisonnement que le
jeune enfant ne peut pas faire sans préalables. C’est une règle qu’il n’est pas
capable d’appliquer parce qu’il ne l’a pas encore découverte par lui-même.
Tout au plus, les plus futés de la classe pourront-ils, vers 6-7 ans, en
apprendre des éléments par cœur (pa, pe, pi, po, pu, ou va, ve, vi, vo, vu,
etc.), y trouver finalement une constante et comprendre le système de la
fusion, qui ne représente cependant qu’une petite partie de l’acte de lire.
Mais tous les enfants ne pourront pas comprendre la règle du b + a = ba
seuls, l’école maternelle ne les ayant pas accompagnés dans le
cheminement indispensable vers cette compréhension, cheminement dont la
description détaillée est l’objet principal de ce livre.
Le point de départ n’est donc ni la lettre ou le phonème qu’elle
représente, élément trop abstrait pour le tout jeune enfant ; encore moins la
phrase ou le texte, comme ce fut la mode dans les années 1980, dans
lesquels l’enfant qui aborde tout juste l’écrit est conditionné à « prélever
des indices sur le sens ».

Des mots personnels

Dans Lire à 3 ans (Nathan, 1re éd.1992) nous avons montré comment
tous les enfants reconnaissent des mots écrits chargés d’affectivité sous
certaines conditions et lorsqu’ils sont en situation de communication duelle,
entre deux personnes (le parent et l’enfant, par exemple).
Comment reproduire une telle situation en classe ? Comment donner à
chaque enfant d’une classe les mots qui l’intéressent ? À première vue, cela
paraît difficile. Cette notion d’individualisation est néanmoins essentielle,
car elle est une des clés de la réussite. Certains enfants mémorisent tous les
mots utilisés en classe : jours de la semaine, météo, mots concernant la vie
de la classe, mais d’autres – et ce sont ces enfants-là qui nous importent le
plus – s’y intéresseront moins ou pas du tout. Ces derniers retiendront
cependant des mots très personnels.

Des mots isolés

Isoler le mot est important afin que l’enfant puisse l’associer à une
personne, animal, objet et le reconnaître facilement. Il lui est en effet très
difficile d’isoler un mot dans une phrase. Les mots seront ainsi écrits avec
un gros marqueur sur des étiquettes de 21 cm x6 cm découpées dans des
fiches bristol A4, divisées en 5 dans le sens de la hauteur. Ces étiquettes
mobiles seront ensuite très utiles pour former les premières phrases (Rémi
aime maman, par exemple) ou classer des mots selon une caractéristique
grapho-phonologique (par exemple rassembler les mots finissant par ette).

L’écriture scripte

Si l’on veut mettre l’écrit à portée de l’enfant, il est indispensable de lui


faciliter la tâche en utilisant l’écriture scripte, et ceci pour plusieurs
raisons :

L’écriture scripte est celle qui offre le plus de repères graphiques


avec des accents, des hampes et des jambages, tandis que les
majuscules d’imprimerie sont toutes contenues entre deux lignes
et plus difficiles à appréhender car rien ne dépasse… Les repères
sont donc plus difficiles à prendre.
À ce premier stade, l’enfant voit le mot globalement mais le
reconnaît à un signe particulier : accent, lettre initiale, lettre
doublée, lettre rare ou contenue dans son prénom, longueur
caractéristique (nez/coccinelle), éventuellement tache sur le
support ou coin corné. Par exemple Noël sera reconnu facilement
à cause du tréma, papa grâce à ses jambages et Pierre-Henri à
son trait d’union. C’est une stratégie tout à fait normale que tous
les jeunes enfants utilisent continuellement. Pourquoi se
fatigueraient-ils à mémoriser plus qu’il n’est utile ? Tout être
intelligent recherche toujours le moindre coût cognitif à chaque
stade de l’apprentissage.
C’est aussi l’écriture des livres, le plus souvent écrits en script ou
bas de casse, et le premier plaisir de l’enfant sera de reconnaître,
dans ses livres, des mots connus.
La lettre est isolée plus facilement que dans l’écriture cursive*
qui est douce et jolie mais constituée d’un fil ininterrompu dans
lequel les lettres sont plus difficilement identifiables : « La
cursive isole le mot, mais fond les lettres4. »

L’argument utilisé pour justifier l’utilisation des majuscules en Petite


Section serait qu’elles sont plus faciles à écrire pour l’enfant. Réservons
donc les majuscules d’imprimerie à l’écriture des plus jeunes et l’écriture
cursive à celle des plus grands. Mais seule la scripte sera utilisée, quel que
soit l’âge des enfants, pour l’apprentissage naturel et progressif de la
lecture.

Une seule écriture

Tant que l’enfant se situe dans cette première phase idéographique, il est
important de n’utiliser qu’une seule écriture à cause de la symbolique
investie dans le mot. Par exemple, la mère de l’enfant est représentée par le
mot maman, et ne peut pas l’être aussi, à ce stade, par MAMAN.
Étant donné que l’enfant relie directement le signifiant* au signifié*, les
fusionne, il ne peut pas encore comprendre que le même mot puisse être
représenté de plusieurs manières : il ne peut attribuer deux ou trois
signifiants à un seul signifié. Les autres écritures seront très facilement
assimilables plus tard. En revanche, mettre une majuscule aux prénoms en
facilite la reconnaissance : c’est un repère de plus.

Uniquement l’écrit

Généralement le premier mot qui intéresse l’enfant est son prénom. Il est
donné sans photo ni signe distinctif, même en Petite Section, et les autres
mots à caractère affectif sont donnés sans dessin. Des jeux d’appariement
mot-image peuvent toutefois être utilisés pour étayer la mémorisation.
Il est fréquent d’ajouter aux portemanteaux des enfants, en plus du
prénom, une gommette ou une photo, sans doute dans le but d’en faciliter la
reconnaissance. Que fait le petit enfant, face à l’étiquette pour la distinguer
des autres ? Il prend un ou deux repères (le moins possible – c’est
intelligent !). Lorsque par la suite, on retire la gommette ou la photo, de
nombreux enfants ont du mal à reconnaître leur prénom, non parce qu’ils
sont moins doués que d’autres, mais tout simplement parce qu’ils n’ont pas
eu besoin de regarder le mot pour reconnaître leur étiquette ; il leur a suffi
de repérer la gommette. Si on veut leur faciliter la vie, il ne faut pas mettre
d’autre signe que leur prénom, même pour les plus jeunes. Mais on peut
leur proposer d’associer le prénom à la photo à diverses occasions : sur le
tableau de présence par exemple.
Un directeur d’école se désolait parce que sa fille de 4 ans ne
reconnaissait pas son prénom. Tous les prénoms de la classe étaient
accompagnés d’un timbre. Lui ayant conseillé de retirer le dessin, Marine
s’est enfin intéressée à la forme graphique de son prénom et a facilement
mémorisé les quarante mots suivants… sans gommettes ni dessins. Les
aides que la plupart des enseignants pensent apporter aux enfants, en
accolant une image ou une photo à chaque prénom, sont en fait des
obstacles à la reconnaissance et à la mémorisation. Étant donné les
capacités d’économie mnémonique de l’enfant, la photo l’empêche de
regarder le mot et de prendre un ou plusieurs repères afin de le reconnaître.
Les caractéristiques de la perception
idéographique

Pendant de nombreuses années, j’ai analysé les erreurs d’identification à


ce premier stade de l’apprentissage. Les constantes relevées m’ont permis
de faire plusieurs observations. Par ses réactions, ses mimiques et ses
remarques, l’enfant révèle comment il perçoit les mots, mais aussi les
stratégies utilisées pour les mémoriser et enfin comment cette perception
évolue. Ainsi, pour être à même de l’aider à progresser, il faut d’abord
« comprendre ce que l’enfant comprend »5.

Le mot objet

Au cours de ses jeux avec les premiers mots écrits, l’enfant les substitue
volontiers à la personne ou à l’objet, tout comme un carton d’emballage
dans lequel il s’installe devient voiture.
Ce fait caractérise les tout premiers mots reçus et révèle des images
attendrissantes de la petite enfance à la conquête du langage écrit. Lucas
(2 ans) range gaufrette et gâteau dans la boîte à gâteaux, kiri et danette dans
le frigo. Robin (2 ans) promène son doudou d’une main, l’étiquette doudou
et la photo du doudou (utilisée dans un jeu de correspondance image-mot)
dans l’autre… Bonheur total ! Un matin, la maman de Rémi (2 ans) a trouvé
l’étiquette céréales en accordéon dans son bol…
Aurore (2 ans 1/2) a les mots maman et bus. Elle avait réclamé ce dernier
parce qu’elle adore prendre le bus. Ce mot lui plaît beaucoup et elle le
reconnaît bien. Ensuite sa maman lui propose :
– Est-ce que tu veux qu’on écrive Aurore ?
– Oh oui ! Auyore ! Auyore !
Elle est toute contente et l’a vite mémorisé. Un autre jour :
– Est-ce que tu veux qu’on écrive Carole (sa grande sœur) ?
– Non !
– Monique (sa nourrice) ?
– Non !
Tout à coup elle dit :
– Cécile (sa petite copine) !
Elle a pris l’étiquette Cécile, l’a embrassée et l’a mise dans le lit avec elle6.
Remarquons ici, que dès les premiers mots, le tout jeune enfant réalise que
tout peut s’écrire et qu’il peut demander ce qui lui plaît.
Une des facettes de l’apprentissage qui m’a le plus intéressée pendant
toutes ces années où j’ai observé les enfants, est de voir comment, au début,
ils se représentent les mots qu’ils nous demandent. Le mot symbolise alors
véritablement la personne ou la chose. L’enfant met gâteau au four, lèche le
mot sucette, jette le prénom de la sœur avec laquelle il vient de se
chamailler à la poubelle.
Cela va quelquefois plus loin : Pour un petit garçon, j’avais formé avec
des étiquettes la maman de Quentin ; puis j’ai proposé de composer la
maman de Chloé, qui était assise en face de lui. Mais Quentin a
catégoriquement refusé d’utiliser son étiquette : « Non c’est ma maman à
moi ! » J’ai été obligée d’écrire une nouvelle étiquette maman. L’enfant a
sans doute appris à ce moment précis que le mot maman s’écrit toujours de
la même manière.

Le mot idéogramme

Il est évident qu’à ce stade, chaque mot est perçu comme un


idéogramme, c’est-à-dire comme un dessin particulier qui représente une
personne, un animal ou un objet. En voyant le mot, l’enfant en évoque
l’objet. C’est si vrai qu’il lui arrive de confondre papa et le prénom du père,
ou par exemple tartine et pain, mer et plage… Ce genre d’erreur, qui n’en
est pas une à ce stade parce que l’enfant n’a pas encore de repères de
correspondance entre les lettres et leurs sons, disparaît spontanément dès
qu’il a des repères autres que graphiques, c’est-à-dire grapho-
phonologiques.
Des jeux pour les premiers apprentissages

Pour montrer…
« Je prends »
Aligner verticalement 4 étiquettes, mots visibles. Prendre celle que
l’enfant connaît le moins bien et la nommer. Demander à l’enfant de
faire de même : « Qu’est-ce que tu prends, toi ? » Continuer ainsi,
chacun son tour.
Remarque :
Généralement l’enfant dit le mot en le prenant, mais s’il ne le fait pas,
verbaliser soi-même son action : « Ah ! Tu prends (…) ! » C’est ainsi
qu’il pourra apprendre et non si on lui demande ce qu’il ne sait pas. Lui
demander le mot qu’il connaît le moins bien en dernier lui permet de ne
pas se trouver en échec (si petit soit-il !) et d’apprendre.
Pour repérer…
« La salade »
Utiliser 4 étiquettes, dont un mot nouveau. Les mélanger, faces visibles.
Rechercher le mot nouveau : « Oh ! Mais où est passé (…) ? » Mélanger
les étiquettes et recommencer.
Remarque :
S’il le connaît, l’enfant pointe très vite le mot demandé. Dans le cas
contraire, il faut l’aider pour que le jeu ne dure pas longtemps et qu’il ne
se sente pas en échec. Là encore, il ne peut apprendre si on ne lui donne
pas la bonne réponse.

Pour identifier…
« La magie »
Lorsque le jeu précédent est réalisé sans difficulté, on proposera à
l’enfant de faire de la magie. Prendre les 4 étiquettes utilisées
précédemment et en présenter une en disant : « Abracadabra, et voilà
(…) ! » Laisser l’enfant poursuivre en disant le mot découvert.
Continuer de même avec les trois autres mots.
Remarque :
Si l’enfant ne poursuit pas naturellement, il peut y avoir deux raisons :
soit il ne connaît pas suffisamment le mot demandé : lui
souffler alors la réponse et reprendre le jeu précédent ;
soit il n’a plus envie de jouer : il vaut mieux arrêter et
reprendre une autre fois.

« Au hasard »
Retourner quelques étiquettes, les mélanger, les prendre une à une et les
identifier.
Remarque :
S’il les a bien mémorisés, l’enfant sera ravi d’annoncer les mots. Dans
le cas contraire, lui souffler aussitôt la réponse. Ne pas insister et
reprendre à un autre moment avec les jeux précédents.
Remarques générales

Veiller à respecter la progression : montrer, repérer, identifier.


La bonne mémorisation de ses mots permettra à l’enfant de les
comparer avec des nouveaux. C’est la base de toute la
démarche.
En classe, il est très important de consacrer régulièrement un
petit moment à chacun au début, et ensuite fréquemment avec
les plus faibles.
Les jeux qui lui sont proposés doivent être courts (pas plus de
deux minutes). Mieux vaut laisser l’enfant sur sa faim, il sera
d’autant plus content d’y revenir.

Les compétences acquises au cours de cette


première phase

Le fait de recevoir des mots isolés permet à l’enfant d’acquérir un


nombre impressionnant de concepts et de savoir-faire sans enseignement
explicite : par exemple, le concept même de mot, qu’il ne peut pas acquérir
avec la seule chaîne orale à sa disposition, ni à partir d’un texte. Ces mots
isolés seront très utiles pour former les premières phrases écrites dont
l’enfant est le sujet principal. Plus fondamental : n’ayant reçu que des mots
qui l’intéressent, l’enfant cherche spontanément du sens dans tout écrit qu’il
rencontre.

Progression gauche-droite

En voyant le mot se construire, que ce soit à la main ou sur l’écran de


l’ordinateur, l’enfant apprend la progression gauche-droite. Pour cette
raison, il est important de ne jamais préparer de mots à l’avance. Cette
progression est, en effet, encore mieux perçue lors de l’écriture sous ses
yeux des premières phrases. C’est aussi au moment où le mot se construit
sous ses yeux que l’enfant inconsciemment le compare avec ceux qu’il
possède déjà en mémoire et qu’il fera spontanément des remarques,
amorçant ainsi un dialogue essentiel sur l’écrit avec l’adulte, décrit plus
loin.

Pérennité du mot

L’enfant de moins de 6 ans qui a mémorisé visuellement ses premiers


mots sait qu’à chaque personne ou objet correspond un mot – et un seul – et
qu’un mot s’écrit toujours de la même manière. Il peut interrompre
l’enseignant lors de la lecture d’une d’histoire et lui demander de montrer
par exemple le mot gâteau que ce dernier vient de lire. L’enfant veut
simplement vérifier que gâteau dont il possède l’étiquette, s’écrit partout de
la même manière, quel que soit le support. Cette anecdote nous révèle que
l’acquisition de la langue écrite comprend un nombre impressionnant de
concepts appris implicitement, sans enseignement.
Les enfants qui possèdent un capital-mots refusent d’ailleurs de lire
« comme ils pensent » lors d’un test, une phrase dont ils ne reconnaissent
pas la plupart des mots. Ils sont conscients qu’ils en connaissent certains,
mais pas tous.

Sensibilité graphique et orthographique

Recevoir des mots permet aux enfants de s’imprégner de régularités


orthographiques. Ils développent une sensibilité aux unités écrites
fréquentes de la langue. Les enfants sont sensibles dès le début de
l’apprentissage à des configurations orthographiques qu’ils mémorisent
implicitement. Ainsi, j’ai découvert que même l’enfant de 2-3 ans qui a eu
ses quinze premiers mots met spontanément l’étiquette d’un mot qu’il n’a
jamais vu à l’endroit. Pour cette raison, il est important surtout au début,
que l’enfant soit placé à côté de l’adulte qui écrit et non en face, et à sa
gauche s’il est droitier.
Henry Bradley, ancien président de l’Oxford English Dictionary, apprit à
lire à l’envers parce que, du petit banc placé face aux genoux de sa grand-
mère, il regardait les mots qu’elle suivait du doigt en lui lisant des
histoires ! Je constate depuis trente ans que lorsque l’enfant connaît bien un
mot, il le reconnaît aussi à l’envers.
De même, plus tard, l’enfant de 4 ans qui a eu reçu une vingtaine de mots
peut désigner un vrai mot qu’il n’a jamais vu parmi deux suites de lettres
(par exemple : jardinier – lrijjto). Il compare aussi inconsciemment chaque
mot entrant à ceux qu’il a déjà mémorisés. Dès lors, pas étonnant qu’il
repère la fin identique dans dînette et galette par exemple.
Par contre, s’il connaît chocolat et rencontre cheval, il sera obligé pour
les distinguer de prendre un repère supplémentaire au ch initial, ce qu’il fera
spontanément. Mais on verra que cette stratégie ne pourra pas être utilisée
indéfiniment.
Et même s’il peut encore confondre les bdpq, il sait que les lettres sont
orientées.

Appropriation de nos pratiques culturelles


Après avoir reçu ses premiers mots personnels, l’enfant se met
spontanément à scruter l’écrit environnant afin d’y retrouver des éléments
qu’il connaît. Il est maintenant à même de comprendre le courrier, la liste de
courses et peut s’approprier nos « pratiques culturelles de l’écrit » selon
l’expression de Gérard Chauveau, tandis que leur enseignement préalable
resterait inopérant pour les plus faibles.
On enseigne en maternelle à quoi sert l’écrit en suivant par exemple la
recette du gâteau. L’enfant voit ses parents lire la presse ou se fait lire la
carte que Mamie vient d’envoyer. Tout cela fait partie d’un environnement
souhaitable pour chaque enfant. Mais il n’y a rien de comparable entre
l’enfant qui fait l’expérience de mots personnels connus et qui reconnaît
ensuite son prénom et gros bisous sur la carte signée Mamie qu’il a trouvée
dans sa boîte aux lettres et celui qui n’a pas encore ces repères et auquel on
lit simplement la carte.
L’enfant joue avec des étiquettes-mots qui le concernent. Ce sont
précisément ces mots très personnels qui vont lui permettre de s’intéresser à
l’écrit autour de lui : il compare les mots de l’environnement à ceux qu’il a
mémorisés ; il s’intéresse à ce qui est écrit sur les produits de
consommation courante. Il signe ses dessins et demande à l’adulte de les
libeller, il reçoit et envoie du courrier.

Concentration accrue

Dès la petite section, on peut constater une capacité de concentration


accrue chez tous les enfants qui ont reçu des étiquettes-mots. Les parents de
Bruno (Portugais) disent que depuis qu’il reçoit des mots à l’école, il arrive
à se concentrer plus facilement. Avant, il bougeait beaucoup et passait son
temps à courir dans l’appartement. Maintenant, il parvient à se tenir à des
activités, y compris regarder des dessins animés à la télévision, chose qu’il
n’était pas capable de faire auparavant. Sa maman a conclu en disant :
« Pour lui, son école, c’est magique ».
Importance de la phase idéographique dans
l’acquisition du langage écrit

Pour que l’être humain apprenne, il faut qu’il ait l’envie de s’attaquer à
ce qui lui est proposé. C’est d’ailleurs vrai pour n’importe quel
apprentissage. Grâce à cette première impulsion, nous donnons envie à
l’enfant de s’attaquer au matériau que nous mettons à sa disposition. Il s’en
empare et engage une réflexion inconsciente quasi instantanée, comme il le
fait depuis qu’il est né sur tout ce qui l’entoure.
La phase logographique, même si pour certains enfants elle est de courte
durée, revêt une grande importance à l’âge de la maternelle : lors de
l’introduction d’un mot nouveau, ce dernier est inconsciemment rapproché
de ceux dont l’enfant a la configuration en mémoire. Sans capital-mots de
base, pas de comparaison possible, comparaison qui permettra la découverte
d’analogies. Sans elle, pas d’amorce possible d’une activité réfléchie de
l’enfant, ni de cheminement naturel dans l’analyse du rapport écrit-oral.
La découverte progressive de similitudes graphiques entraînant la
découverte de l’équivalent sonore ne peut se faire en effet que sur une base
de mots mémorisés. Par exemple, avec chocolat, cheval, château, l’enfant,
accompagné de l’adulte qui l’approuve et l’encourage, sera amené à
découvrir le son habituel du graphème ch.
L’enfant est habituellement confronté très tôt à l’écrit dans son
environnement, mais sans ce capital-mots, il est laissé dans le flou, et on
parsème de surcroît involontairement son parcours d’embûches qui lui
compliquent la découverte du système.
Tout comme le bébé de dix-huit mois parle selon ses possibilités et ne
sait pas qu’il apprend à parler, le jeune enfant qui reconnaît ses premiers
mots « lit » mais ne sait pas qu’il apprend à lire. La phase logographique
joue un rôle dans la dynamique du développement. L’enfant a besoin d’un
capital-mots afin d’y comparer les mots nouvellement introduits. La
perception du mot écrit va se modifier peu à peu, au fur et à mesure que
l’enfant remarque des analogies dans les mots qu’il a demandés et découvre
petit à petit, en dialoguant avec l’adulte, les rapports entre l’écrit et l’oral.
LA PHASE GRAPHO-PHONOLOGIQUE

La phase concernée par la mise en correspondance de l’écrit avec l’oral


est dénommée dans la littérature scientifique phase alphabétique ou
phonologique. Nous la nommons phase grapho-phonologique, car elle
concerne bien la mise en relation des lettres et des sons.
Un fait est communément admis : même s’il reconnaissait des centaines
de mots, l’enfant ne saurait toujours pas lire un mot qu’il n’a jamais vu. Il
est en effet indispensable de s’approprier les correspondances grapho-
phonologiques et d’avoir compris implicitement la co-articulation des
phonogrammes pour être à même de lire n’importe quel mot.

Préparation à cette phase

Une sensibilisation aux sons de la langue à travers comptines,


allitérations, assonances est, semble-t-il, profitable et les enfants les
apprécient. Elle est, selon notre expérience, suffisante pour aborder cette
phase. Un entraînement phonologique préalable sans support de l’écrit ne
favorise malheureusement que les plus performants, la preuve en est
que 25 % des enfants sont incapables d’isoler ou d’identifier des segments
du langage oral. Avec des déficients intellectuels, les résultats sont nuls,
alors que si l’on adopte notre démarche, on obtient des résultats. La
conscience phonologique consiste à être capable de manipuler (segmenter,
permuter, fusionner) syllabes et phonèmes de manière intentionnelle. Elle
n’est donc pas nécessaire pour apprendre à lire. En résumé : rimes,
allitérations, jeu de l’écho… mais pas d’exos !

Second parallèle oral/écrit : une même réflexion


Le premier parallèle entre langage oral et langage écrit concernait, nous
l’avons vu, la perception des mots écrits comparés à celle des mots oraux
lorsque l’adulte, constatant l’intérêt manifesté par l’enfant, désigne et
nomme personnes, animaux et objets. Le second parallèle entre oral et écrit
concerne la réflexion spontanée de l’enfant sur ce qu’il perçoit. Ce dernier
adopte en effet une attitude réflexive sur l’écrit comme il l’a fait sur l’oral.
Comment l’enfant peut-il découvrir des correspondances grapho-
phonologiques ? Ce fut pour moi un véritable émerveillement de constater
qu’au fur et à mesure que l’enfant mémorise des mots, non seulement il les
emmagasine, mais spontanément, aussitôt qu’un mot nouveau est introduit,
il l’analyse, et – sans forcément l’exprimer – le compare avec les mots
appris auparavant. Ainsi, en interaction avec l’adulte, l’enfant identifie des
lettres et des morceaux de mots et aux repères graphiques viennent s’ajouter
peu à peu des repères de correspondance grapho-phonologique. C’est ainsi
que l’enfant progresse dans la découverte du système.
Toutefois, et c’est essentiel, pour qu’il puisse identifier par exemple le
son habituel d’une lettre, il faut que l’enfant ait suffisamment de mots
commençant par cette lettre. Ainsi avec maman, miel, moto il va pouvoir
découvrir le son de la lettre m. De même avec carotte, canard, camion, il va
pouvoir isoler la syllabe ca. Il remarquera on avec, bonbon, biberon,
cochon ou ette avec dînette, galette et poussette, etc. Très souvent, même
s’il n’a que trois ans, l’enfant énonce un mot ayant une similitude avec celui
qu’on est en train d’écrire. En fait, il veut dire : « c’est comme tel ou tel
mot ». Bientôt il l’exprimera ou dira : « c’est pareil que… ». C’est la
fréquence de certaines suites de lettres imprimées qui détermine le repère
analogique. Ces commentaires sont très précieux pour l’adulte car ils
permettent de prendre conscience des stratégies utilisées par l’enfant et de
l’aider à étayer ses découvertes.
L’enfant est actif dans son apprentissage. C’est lui qui le conduit et il est
passionnant de le suivre ainsi dans sa découverte. L’adulte n’a plus qu’à le
féliciter, approuver ses trouvailles ou les infirmer (de manière positive !) ce
qui l’encourage à faire de nouvelles remarques. En ce qui concerne
l’apprentissage du langage oral, il est tout aussi actif. Il n’imite pas
seulement le langage : au fur et à mesure qu’il perçoit des mots nouveaux
ou de nouvelles formes de langage, il « attaque » celui-ci et construit ses
propres hypothèses sémantiques, ses propres règles de grammaire qui
évoluent pour se rapprocher de plus en plus de celles de l’adulte. C’est le
temps délicieux des rapprochements cocasses, des mots inventés :
poubelleur avec docteur, facteur…!
L’enfant qui invente des mots et dit « j’ai prendu » a découvert
implicitement une règle et tente de l’appliquer. C’est une erreur intelligente.
Il dira éventuellement au moment où il découvre le préfixe dé : approche-
moi de la table, mais aussi déproche-moi, ou alors : « regarde, mes mains
sont toutes délavées » ; il dit aussi peut-être déconstruit pour démoli.
Une des caractéristiques principales d’apprentissage chez le jeune enfant,
malheureusement trop souvent éludée par les chercheurs, est que l’enfant
apprend par inférence inductive, c’est-à-dire que pour intégrer un concept
(par exemple que la lettre v produit le son vvv…) il lui faut impérativement
plusieurs exemples. Avec vélo, Victor, vacances, voiture, il lui sera facile de
découvrir le son habituel de la lettre v et on s’amusera à chercher avec lui
d’autres mots qui commencent ainsi. Les stratégies mentales inconscientes
utilisées par l’enfant pour comprendre la structure du langage, qu’il soit oral
ou écrit, sont les mêmes. Ce sont celles qu’il utilise depuis qu’il est né pour
comprendre le monde qui l’entoure.

Les fondements théoriques : l’œuvre de J. Bruner

Cette analyse du processus d’acquisition de l’oral et de l’écrit rejoint les


théories de Jerome Bruner, un des plus grands spécialistes américains de la
psychologie cognitive, dont l’œuvre est désormais connue en France grâce
aux travaux de Britt-Mari Barth : « Bruner décrit les processus
d’apprentissage et insiste sur le rôle de l’interaction avec le milieu social. Il
considère l’enfant qui apprend comme un chercheur. En effet, celui-ci
cherche à reconnaître des constantes dans ce qu’il perçoit, et essaie de
trouver une structure significative pour organiser les éléments qu’il
possède7. » L’enfant n’apprend pas seulement des faits par cœur, en
l’occurrence des mots en ce qui nous concerne, mais il essaie de voir des
relations entre les régularités remarquées.
Bruner poursuit : « L’activité intellectuelle est la même partout, qu’il
s’agisse d’un chercheur ou d’un jeune enfant. Ce que fait un scientifique à
son bureau ou dans son laboratoire […] est de même nature que ce que fait
n’importe quel être engagé dans une recherche de compréhension. La
différence est de degré et non pas de nature. »
L’enfant possède dès la naissance tous les outils intellectuels nécessaires
pour apprendre, mais il a besoin de l’interaction de son entourage pour
l’aider, en temps utile, à s’en servir.
Voici les conseils que Bruner donne à l’adulte afin d’aider les enfants
dans leurs apprentissages :
« Il faut donner l’occasion aux enfants de s’approprier l’information, de
l’explorer, d’abord par intuition, ensuite par l’analyse… En explorant les
indices, ils s’entraînent à formuler des hypothèses, à aller au-delà de
l’information donnée, à tester les limites de leurs concepts8… » C’est
exactement ce que nous cherchons à faire en leur proposant l’écrit et en
dialoguant avec eux à son sujet.

Les quatre stades du processus d’apprentissage

Comme le développe parfaitement Britt-Mari Barth Mari Barth dans


L’Apprentissage de l’abstraction (1987), l’activité mentale engagée par tout
être humain dans le processus de compréhension – en ce qui concerne notre
propos, la compréhension des concepts de base du code alphabétique – peut
être décomposée en quatre stades : la perception, la comparaison,
l’hypothèse, la généralisation.

La perception

Il est acquis que l’enfant peut percevoir et mémoriser quantité de


données ; dans l’apprentissage de la lecture, ces données sont des mots
écrits. « La perception commence par une discrimination : il distingue
certains éléments et pas d’autres9. » Noël sera reconnu aisément grâce au
tréma. Le mot papa sera perçu et reconnu par l’enfant grâce aux hampes
des deux lettres p ; il prend des indices visuels pour reconnaître le mot
parmi d’autres.
« Plus on a acquis de connaissances, plus on est attentif aux stimuli. Plus
on est informé, plus on perçoit l’information10. » Lorsque l’enfant aura
découvert le son correspondant à la lettre p, il ne percevra plus papa de la
même manière car il possédera un indice grapho-phonologique en plus des
indices visuels. Plus tard encore seront intégrés les repères morphologiques
pour nombre de mots. La perception est donc fonction de l’expérience
individuelle antérieure.

La comparaison

Perception et comparaison sont intimement liées, nous dit encore B.-M.


Barth. Lorsque l’enfant compare des mots, il repère le plus souvent une
lettre ou une suite de lettres, le plus souvent initiale ou finale. Je le constate
depuis trente ans. L’enfant, comme le scientifique, cherche à établir des
régularités dans ce qu’il perçoit. Par exemple, avec chocolat, cheval,
château, chat, il va pouvoir repérer le graphème ch commun à ces mots.
Avec l’enfant, nous collectionnons donc les mots dans ce que nous
appelons des « maisons », c’est-à-dire des catégories, qui sont en fait des
réponses à des expériences faites par l’enfant, à ses remarques créatives. Il
est nécessaire d’approuver le jeune enfant qui remarque des analogies, afin
de l’encourager à poursuivre son analyse. S’il ne semble pas en remarquer,
il faut le mettre sur la voie. Ainsi par exemple, pour susciter la découverte
de la correspondance grapho-phonémique in, on peut lui présenter plusieurs
mots (parmi les siens et ceux de ses camarades) contenant ce graphème et
lui proposer de trouver la constante. « Il progressera mieux si on l’aide à
voir et à organiser les éléments que si on surcharge sa mémoire avec des
éléments non structurés qu’il est incapable de retenir11 ! » Ce point de vue
est aussi celui de Vygotski : il faut savoir « se tenir un pas en avant » de
l’enfant qui apprend. J’ai en mémoire le père de cette petite fille de quatre
ans arrivant au séminaire que j’organisais et se plaignant ainsi : « J’ai
montré 4 000 mots à ma fille et elle ne sait toujours pas lire ! » Nous avons
débloqué la situation et en trois semaines l’enfant lisait tout ce qui
l’intéressait. Cette personne avait utilisé une méthode rigide et systématique
et n’avait tout simplement pas donné l’occasion à sa fille de réagir sur les
mots qu’il lui montrait.
Afin que l’enfant puisse parvenir au stade suivant, celui de l’hypothèse, il
est essentiel qu’il dispose d’un nombre suffisant d’exemples. Plus il en
aura, plus la conclusion lui sera évidente. Malheureusement, on ne tient pas
toujours compte de cet aspect caractéristique de la psychologie cognitive
enfantine.

L’hypothèse

Ayant trouvé des similitudes visuelles et auditives dans les mots


chocolat, cheval, château, chat, l’enfant peut induire la correspondance
entre le graphème ch et le phonème /ch/, c’est-à-dire faire l’hypothèse de
cette correspondance et en confier implicitement la règle à sa mémoire.
« L’hypothèse est une proposition faite à partir de cas particuliers. Elle est,
dans un premier temps, aléatoire et nécessite par la suite confirmation, ou
alors d’être infirmée par une nouvelle découverte12. »
Avec les mots carotte, copain, canard, l’enfant pourra conclure que la
lettre c correspond au son /k/. Lorsqu’il tombera sur citron, il sera
déstabilisé, sa conclusion ne tenant plus. C’est ici que le dialogue avec
l’adulte est important pour aider l’enfant à « inhiber sa première
hypothèse » selon l’expression d’Olivier Houdé, et classer les nouvelles
données. L’hypothèse d’une nouvelle règle sera facilitée si l’enfant peut
disposer d’autres exemples comme Cécile, cirque, ciel et câlin, colle,
crayon. De même avec Christelle, chorale et Chloé. L’adulte l’aidera à
classer les mots ayant les mêmes attributs. L’enfant apprend naturellement
par induction et c’est le nombre suffisant d’exemples qui lui permettra de
découvrir la règle. Commencer par lui administrer cette règle – qu’il ne peut
pas comprendre parce qu’il ne l’a pas découverte lui-même – afin de l’aider
à déchiffrer un mot commençant par c consisterait à l’obliger à faire un
raisonnement déductif qu’il n’est pas encore capable de faire.
Dès sa première découverte d’une correspondance lettre-son, on dit que
l’enfant entre dans la phase grapho-phonologique (ou alphabétique), qui se
superpose un bon moment à la phase précédente (idéographique).
La généralisation

Nous venons de voir que l’enfant utilise le raisonnement inductif pour


découvrir le système alphabétique. Il sera capable d’utiliser le raisonnement
déductif dès qu’il aura acquis un concept. Ainsi, dès qu’il aura saisi la
correspondance grapho-phonémique du ch, il prononcera sans doute /ch/…
en présence d’un mot inconnu commençant par ce graphème.
Si l’enfant a pu découvrir et comprendre, grâce à ses mots préférés, deux
ou trois correspondances grapho-phonémiques en situation initiale, on peut
dire qu’il a découvert le principe alphabétique, qui lui permettra de
découvrir tout le reste. Sans ce premier déclic, il peinera au CP.
Il en est de même en ce qui concerne le principe de la fusion consonne-
voyelle. Lorsque l’enfant a découvert les correspondances grapho-
phonologiques de quelques consonnes et quelques voyelles, on peut en
rassemblant des syllabes initiales de mots connus possédant un attribut
commun – soit la voyelle : sa (sapin), ma (maman), pa (papa), va
(vacances)…, soit la consonne : ma (maman), mo (moto), mu
(musique)… –, le mettre sur la voie du concept de la fusion.
Induction et Déduction

Il est utile, à ce stade, et dans le cadre de l’apprentissage de la lecture,


de faire la différence entre inférence inductive et déductive.
L’inférence inductive infère une règle à partir de l’observation de faits
particuliers, d’exemples. La règle peut être modifiée au fur et à mesure
qu’on rencontre de nouveaux exemples. La règle n’est pas universelle
dans un premier temps, mais elle peut le devenir si le nombre
d’exemples est suffisant (voir carotte, cassette, canard).
L’inférence déductive est la conclusion à partir d’une vérité donnée.
On conclut que si une chose est vraie, l’autre qui y est contenue, l’est
nécessairement. Dans la déduction, les résultats sont déterminés par des
connaissances antérieures. Pour que l’enfant puisse faire une déduction,
il doit posséder des connaissances concernant les vérités énoncées. En
partant d’une information vraie on peut en déduire une autre. Le
syllogisme est un exemple classique d’une inférence déductive. Les
preuves étant données dans les prémisses, l’inférence est nécessairement
vraie. En voici un exemple : Les chiens sont des animaux. Médor est un
chien. Médor est un animal.
Concernant l’apprentissage de la lecture, voici un exemple de
raisonnement déductif :

devant e et i la lettre c se prononce /s/ ;


dans ceinture la lettre c se trouve devant un e ;
dans ceinture c se prononce /s/.

Les deux types de raisonnement dans l’apprentissage de la lecture


Pour ce qui est du concept de la fusion des phonogrammes* consonne-
voyelle (b + a = ba) qui paraît simple, l’enfant doit d’abord le découvrir
par induction et le comprendre avant de pouvoir en appliquer la règle, le
généraliser, c’est-à-dire opérer le transfert avec d’autres lettres.
Pour comprendre que b + a = ba, il faut que l’enfant ait découvert

la correspondance lettre/son du b (avec bateau, bébé,


biberon…) ;
la correspondance lettre/son du a (papa, ananas, Natacha…) ;
mais aussi, afin d’accéder à la fusion consonne-voyelle ba,
qu’il ait observé :
d’une part ballon, biberon, bébé, bulle (même consonne,
voyelles différentes)
et d’autre part ballon, cabane, lapin, maman, papa, sapin…
(consonnes différentes, même voyelle).

Alors seulement, il disposera de tous les éléments pour comprendre la


règle de la fusion des phonogrammes et pourra bientôt opérer le
transfert, c’est-à-dire appliquer la règle avec d’autres lettres.
Dès qu’il a compris le principe de la fusion consonne-voyelle grâce à
quelques exemples, il peut alors opérer le transfert à toutes les consonnes
combinées à n’importe quelle voyelle (a, é, i, … mais aussi on, eau, oi…).
La maîtrise de la combinatoire, c’est-à-dire du lien des lettres entre elles, et
du rapport des signes écrits aux sons qui leur correspondent, est ainsi un
effet et non une cause de l’apprentissage de la lecture.
L’enfant analyse les mots qu’il aime. Il trouve des analogies, induit des
règles qu’il peut vérifier et qu’il peut appliquer à d’autres cas. Dès lors, il
passe tout naturellement de l’induction à la déduction et construit sa
logique. À l’âge de la maternelle, il n’est pas capable d’appliquer des règles
qu’il n’a pas découvertes lui-même. Mais ne le privons pas pour autant de
la possibilité de les découvrir : il est expert en la matière !

Organiser l’apprentissage

Le fonctionnement mental de l’enfant se manifeste le plus souvent par


des remarques concernant des analogies dans l’écrit qu’il rencontre.
Pour faciliter son raisonnement inductif, et ainsi la découverte
progressive du code, l’adulte l’aide à classer ses mots :
1. selon la correspondance grapho-phonémique de l’initiale ;
2. selon qu’une analogie orthographique correspond à une analogie sonore ;
Ces deux types de classement lui permettront de comprendre le principe
alphabétique, premier concept à acquérir.
3. Pour faciliter la compréhension du deuxième concept indispensable (mais
plus difficile), celui de la co-articulation des phonogrammes* (b + a = ba,
plus généralement dénommée fusion des phonèmes), on l’aidera à couper
les mots en segments prononçables (syllabes) et à classer les syllabes selon
la voyelle et selon la consonne.

Le rangement des mots dans l’ordre alphabétique

Comme on l’a vu, le rangement alphabétique est au départ nécessaire


pour retrouver instantanément, afin que l’enfant puisse les comparer, les
étiquettes-mots que l’enfant nomme soit lors d’une erreur d’identification
(mamie pour maison par exemple), soit à la suite d’une remarque (gâteau
c’est comme château). Ce classement permet à l’enfant de percevoir le son
produit par la plupart des lettres en situation initiale et par conséquent
d’accéder au fameux « principe alphabétique ».
Il est plus facile d’appréhender le principe alphabétique à partir des
consonnes dont le phonème peut être prolongé : ssssss, lllll, mmm… à
l’inverse de p’, t’, … qui sont des consonnes occlusives.
En classe, nous utilisons des pochettes murales (une pour chaque lettre),
un répertoire alphabétique et/ou un dictionnaire un peu particuliers. La
lettre c y est par exemple proposée sur quatre pages au fur et à mesure des
mots introduits : une pour le c comme cadeau, une pour le c comme
cinéma, une pour le ch comme chocolat, une dernière pour le ch comme
Chloé. Nous n’enseignons pas les différents phonèmes correspondant à la
lettre c au jeune enfant. Mais nous l’aidons à classer ses mots selon les
correspondances grapho-phonémiques, au fur et à mesure de ses besoins, de
ses rencontres avec l’écrit qui le concerne.
Des jeux et un abécédaire contenant des allitérations favorisent
également la découverte du principe alphabétique. Les mots d’une page de
répertoire de la classe sont utilisés pour composer une phrase amusante :
Victor a vu une vache au volant de sa voiture.
Si l’enfant a pu découvrir et comprendre, grâce à ses mots préférés, trois
ou quatre correspondances graphème-phonème (généralement des
consonnes) en situation initiale, on peut dire qu’il a découvert le principe
alphabétique, qui lui permettra de s’approprier tout le reste du code
alphabétique.
Comprendre le principe du système alphabétique, c’est-à-dire avoir
compris que les lettres produisent un bruit ou un son, est le premier concept
important à acquérir dans le processus d’apprentissage du langage écrit.

Le rangement des « suites de lettres »

Dès que les enfants ont remarqué une analogie orthographique (par
exemple eau dans bateau et chapeau) et si celle-ci correspond à une
analogie sonore, on peut créer une maison qui les aidera à découvrir ou à
fixer la relation grapho-phonologique.

Ces listes (maisons) ne sont élaborées qu’au fur et à mesure des


remarques concernant les mots rencontrés, découvertes et besoins des
enfants : l’adulte se limite à proposer de ranger les mots. Aucune règle du
genre « a et i, ça fait /ai/ » n’est énoncée. C’est même un enseignement
vivement déconseillé pour les petits : nous faisons quotidiennement
l’expérience que leur donner la possibilité de découvrir des règles de
correspondance par eux-mêmes est nettement plus profitable.
Pour que l’enfant soit à même de repérer des analogies, il est nécessaire
qu’il ait un capital-mots en mémoire. C’est toujours à partir de ce qu’il
possède qu’il peut faire des comparaisons.
Une seule règle à respecter pour créer une maison : l’élément mis en
évidence dans le toit doit posséder la même graphie correspondant à
une même phonie dans tous les mots. Remarquons qu’il ne s’agit pas ici
de « maisons de sons » telles que les enseignants l’entendent habituellement
dans lesquelles un son (représenté par son signe phonétique) rassemble
plusieurs graphies du son. Ce procédé qui part de l’oral et proposant
plusieurs graphies dans une même maison perturbe les plus faibles. Nous
préférons partir de l’écrit et collectionner les mots présentant les mêmes
caractéristiques graphiques et sonores.
En fait, il s’agit de maisons de correspondances grapho-phonologiques,
dans chaque maison un même « écrit » correspondant toujours à un même
« oral ». Ces maisons ont précisément pour objectif de permettre à tous les
enfants de découvrir les formes sonores correspondant aux formes
orthographiques.
Les enfants repèrent des analogies aussi facilement à la fin des mots (ette,
elle, eau…) qu’au début (ma, ca, ba), et celles-ci contiennent le plus
souvent plusieurs lettres. Étant donné qu’ils possèdent un capital-mots, elles
sont habituellement d’abord visuelles, les mots nouvellement introduits
étant comparés avec ceux qu’ils ont en mémoire. Ces remarques surgissent
spontanément lorsqu’ils voient le mot s’écrire devant eux et que ce mot les
fait penser à un autre qu’ils connaissent. Des remarques auditives, qui
reflètent l’émergence de la conscience phonologique, surviennent
spontanément lorsque les enfants ont fait le rapport entre l’écrit et l’oral
grâce à la correspondance graphie-phonie. Dès lors, certains exercices de
conscience phonologique peuvent prendre place et seront bénéfiques au
plus grand nombre.
C’est là que se manifeste l’avantage du groupe : les remarques y sont
beaucoup plus nombreuses que lorsqu’on n’a qu’un ou deux enfants comme
interlocuteurs. Il s’établit une joyeuse émulation entre les enfants et un
dialogue fructueux avec l’adulte qui n’a plus qu’à étayer ce qu’ils sont en
train de découvrir.
Les syllabes, plus faciles à percevoir que les phonèmes car elles sont
prononçables, font souvent l’objet des premières remarques des enfants :
camion c’est comme cadeau. Elles sont alors l’objet des premières maisons.
Il n’est cependant pas conseillé de multiplier les maisons de syllabes. On
collectionnera les syllabes d’une autre manière (voir plus loin).
En résumé, les « maisons » peuvent donc avoir pour objet :
des suites de lettres fréquentes : eau, ette, teur, ine, age… (à la fin
des mots)
des phonogrammes, ou ce qu’on appelle communément des sons :
on, ou, en, in, ien, qui sont souvent des rimes plus faciles à
repérer (ien de chien, de Fabien…, on de bonbon, cochon…)
des syllabes : ca, ma, ba… (en début de mot)
des suites de lettres « larges » favorisant l’identification d’empans
plus grands que le simple graphème/phonème. Par exemple ange
avec mange, range orange… ; aine avec semaine, vilaine,
marraine… ; ique avec magique, musique, pique-nique…

Certains enfants montrent aux adultes comment ils apprennent. Ils


remarquent des suites de lettres analogues plus ou moins longues : par
exemple coquillage, maquillage. Cette similitude les aide à mémoriser le
mot. Ils ne peuvent pas encore le décoder eux-mêmes de manière isolée,
mais possèdent suffisamment d’indices pour l’anticiper dans une phrase
d’actualité : Nous avons ramassé de jolis coquillages (s’ils sont en
excursion au bord de la mer). Ils connaissaient co de coquin et viennent de
remarquer illage comme maquillage qu’ils ont découvert dans un livre. Ces
éléments permettent aux enfants de mémoriser le mot. Il faut donc donner
l’occasion à tous les enfants de faire ces rapprochements. Dans ce cas, il est
intéressant de créer une maison illage. Ce sera bénéfique pour tous.
Il est d’ailleurs souhaitable de favoriser toutes les stratégies que les
enfants mettent en œuvre spontanément :

combinaison de syllabes connues (papier : pa de papa, pier de


pompier),
repérage de segments de mots connus : tel Mathias qui suppute :
« C’est poussette, parque c’est comme papa, pi y a ou de loup et
pi c’est comme cassette. »
Nombre d’enfants en voyant par exemple range disent : « c’est
comme mange » ou font la relation entre le mot nouveau tartine
et Martine qu’ils connaissent. Encourageons cette stratégie chez
tous les enfants. Ils mettent peu à peu ces grandes unités
orthographiques en mémoire, et par conséquent économisent
utilement cette dernière au profit de l’identification instantanée
des mots, ce qui est l’objectif final. Au lieu de « construire » le
mot lettre à lettre, ce qui demande une grande énergie et n’en
laisse plus ou trop peu pour la compréhension. Tous les enfants
n’en connaissent pas encore en détail les correspondances grapho-
phonologiques (Ils les apprendront au CP), mais c’est une
stratégie que les petits futés utilisent pour lire de nouveaux mots.
De même, comme le remarque André Ouzoulias, le lecteur habile
l’utilise pour lire des mots très rares dont une partie ressemble à
un mot de son dictionnaire mental. Il va néanmoins sans dire que
les composants de ces grandes unités seront analysés et mis en
exergue à d’autres occasions.
La maison an en Grande Section

Depuis hier, nous avons une stagiaire qui s’appelle Andréa. Je


demande aux enfants s’ils se souviennent de son nom. Ils
hésitent. C’est Hugo qui se souvient : « Andréa ! »
– Oui, Andréa ! Vous voulez que je vous l’écrive ? » Un oui
général résonne dans la salle.
Je prends une étiquette et trace Andréa en m’appuyant sur le
tableau, de manière à ce que tous me voient écrire. Anaïs
s’écrie : « C’est comme Anaïs ! »
– Oui, il y a le A comme dans Anaïs, lui dis-je, mais est-ce
qu’on entend A comme dans Anaïs ? »
Elle fait non de la tête et semble très déçue. Mais Hugo ajoute
à ce moment-là : « C’est comme Antoine ! » J’écris Antoine et
Andréa l’un au-dessous de l’autre sur le tableau. « Oui, c’est
pareil ! » clament les enfants. Certains ajoutent : « Les deux,
là, c’est pareil ! » Hugo souligne le An de Antoine (je dis :
« ce qui est pareil ») et je propose à Anaïs de souligner celui
d’Andréa. Elle est ravie et oublie ainsi sa déception
précédente. Pendant qu’on souligne, David ajoute : « C’est
comme André ! » J’écris aussi André. Je relis les trois mots
Antoine, Andréa, André et leur demande : « Qu’est-ce qu’on
entend qui est pareil ? » Nathan et plusieurs autres s’écrient :
« an, an ! » Corentin ajoute alors : « empereur ! » J’écris
empereur mais Corentin voit tout de suite que son mot n’est
pas le bon. Je lui explique qu’on entend bien /an/ comme dans
Antoine, mais qu’il n’y a pas les mêmes lettres.
Je leur propose alors le jeu de l’écho avec leurs prénoms.
Chacun répète son prénom en doublant le dernier phonème.
Arrivé à Nathan-an-an, plusieurs enfants réagissent : « On
peut mettre Nathan ! » J’écris Nathan sur le tableau au-dessus
des autres mots et en alignant verticalement le an. Je leur
demande : « Est-ce pareil ? » Ils hésitent. Certains font non de
la tête. Mais David précise que c’est pareil parce que c’est la
minuscule et la majuscule. Je confirme et nous revoyons la
page de répertoire du A-a où il y a la correspondance des deux
écritures. Nathan vient souligner le an de son prénom. Puis
c’est à nouveau Hugo qui ajoute : « maman-an-an ! » J’ajoute
maman sur le tableau. Il vient souligner an. C’est alors à
nouveau Anaïs qui lance : « manteau ! » J’écris manteau. Oui,
c’est pareil ! « Je peux souligner ? », me dit-elle. Je lui tends
la craie. Elle s’exécute, toute contente.
Je leur demande ce que l’on peut faire avec ces mots. Ils
n’hésitent pas une seconde pour répondre : « Une maison ! ».
Je dessine alors les murs de la maison et le toit dans lequel
j’inscris an. Puis je leur demande de fermer les yeux pour bien
écouter ce qui est pareil. Je relis les mots. Les enfants
m’annoncent : « an ! » Oui, c’est bien la maison an.

Le cas des voyelles simples

À l’exception du i remarqué par les enfants à cause de son point, les


voyelles simples n’attirent généralement par leur attention. Dans une classe,
on peut cependant avoir une page de répertoire A-a avec Anaïs, Anne,
avion… mais plusieurs « premières maisons » concernant des voyelles
simples a, i, o ou u, traditionnellement étudiées pour commencer, dénotent
généralement une mise en exergue un peu volontariste de la voyelle et ne
tiennent pas compte des remarques spontanées des enfants. Instinctivement,
ceux-ci sont plus sensibles à des analogies graphiques au début ou à la fin
de leurs mots. Ainsi les syllabes ca ou ba initiales ou les suites eau ou ette à
la fin des mots, sont plus naturellement remarquées.
De manière générale, la correspondance lettre-son les voyelles simples
(a, i, o…) ne pose pas de problème puisque le son qu’elles produisent
correspond à leur nom. Et si l’enfant apprend le nom des lettres en jouant
avec des lettres mobiles ou en tapant sur l’ordinateur, il accède au son des
voyelles.
Comme nous le verrons, les voyelles a- é- i- o- u sont apprises en
segmentant des mots simples en syllabes. Avec ma-man, pa-pa, sa-pin, va-
cances… on aboutit à la mise en exergue de la correspondance graphie-
phonie du a.
Pour des enfants en grande difficulté (trisomiques ou souffrant d’autres
pathologies) qui passent quelquefois plusieurs années en maternelle, on
peut, en montrant la lettre isolée, proposer des petites comptines classiques
dans lesquelles la voyelle en question est imprimée en gras. Exemple : Tara
le petit rat s’en va au Canada avec Sacha le petit chat. On peut leur
proposer ensuite les jeux traditionnels de discrimination auditive.

L’histoire de Melba : le cas de la voyelle e

Voici les premières lignes de Melba l’oursonne13 :


Melba est heureuse :
son papa l’aime, sa maman l’aime,
son grand-père aussi, sa grand-mère aussi.
Maman ours l’embrasse, elle la câline,
elle lui chante des chansons.
Papa ours joue avec elle.
Il la fait sauter en l’air
et il la rattrape comme un ballon

On peut remarquer que, sur 28 e, aucun n’est prononcé /e/. La moitié


sont des /e/ muets (sauf dans le Midi).
8 sont prononcés /è/ : Melba, Melba, elle, elle, elle, avec, est, des
2 /eu/ : heureuse
2 /en/ : embrasse, en
2 /é/ : sauter, et
14 sont muets : l’oursonne, heureuse, l’aime, l’aime, grand-père, grand-
mère, l’embrasse, elle, câline, elle, chante, joue, elle, rattrape, comme
Par conséquent, mettre en exergue la voyelle e (à l’occasion de
l’enseignement des autres voyelles a, i, o, u) qui ne se prononce
pratiquement jamais ainsi, n’est pas à recommander pour les petits .
Cela ne pourrait se justifier, éventuellement, que dans le Midi où les
finales sont prononcées.
Partir de l’écrit : voir et entendre

Si un enfant fait une remarque concernant le i (lettre caractéristique à


cause du point) : « Il y a deux i dans piscine ». On peut surenchérir : « oui
et on les entend ». Si Claire dit, au début du contact avec la langue écrite,
« il y a un i dans mon nom », on acquiesce sans relever. Plus tard, à l’enfant
qui connaît déjà le son de certaines lettres, on répondra : « oui, il y a un i
dans ton prénom, mais il s’est marié avec le a comme dans le mot lait » que
la classe connaît déjà.
On n’a d’ailleurs jamais intérêt à s’appesantir par exemple sur la lettre i,
étant donné que dans les trois quarts des cas, le i ne se prononce pas /i/.
Demander par exemple à l’enfant d’entourer les i dans les mots fraise,
poire, associés à des images, perturbe l’apprentissage, surtout quand
l’enseignement qui précède souligne le son /i/. De même, on n’a jamais
intérêt à isoler la lettre i dans oi, ai, in, etc., ces phonogrammes* devant être
perçus globalement. Le principal effet de ce genre d’exercice est de prouver
à l’enfant qu’apprendre à lire est compliqué. Le seul exercice valable est
bien de repérer la correspondance entre « je vois et j’entends », que l’on
retrouve dans l’élaboration des listes ou des maisons.
Il est courant en maternelle de demander par exemple aux enfants s’ils
entendent /o/ dans moto et gâteau. Nous travaillons de manière différente.
Nous ne partons pas de l’oral mais de mots écrits comprenant une analogie
orthographique que nous classons afin que les enfants puissent en découvrir
la correspondance sonore. Ils proposent dès lors spontanément oralement
d’autres mots finissant par le son /o/ que nous écrivons devant eux « pour
voir si on peut les faire entrer dans la maison des eau ». Analyser les
chaînes écrite et orale séparément nous semble moins pertinent que la
découverte de correspondances grapho-phonologiques. L’idée de « voir »
directement les sons dans les graphèmes est très utile. De cette manière, ces
derniers seront associés (plus tard) aussi aisément que les voyelles simples à
la consonne qui les précède.
Habituellement, on pense la langue écrite à partir de l’oral, alors qu’à
notre sens, il faut toujours partir de l’écrit et l’analyser, pour, en quelque
sorte « en faire sortir les bruits et les sons ».
De même, il n’est pas question pour nous de donner à l’enfant les
différentes graphies d’un phonème (/è/ par exemple, représenté par ai, è, ê,
ei, et, …). Le petit enfant y trouve davantage d’obstacles que d’aide pour
apprendre à lire.

Le rôle de la syllabe

La syllabe comme unité de lecture : Le découpage de mots écrits, bien


connus de l’enfant, en pulsions phonatoires (pa-pa, bateau) lui permet de
visualiser l’écrit qui correspond à l’oral, moyen très utile pour fixer les
syllabogrammes* en mémoire. Alors que lorsqu’on s’en tient uniquement
au découpage oral (certes utile), on prive l’enfant de cette possibilité de
« voir l’oral ».
Les enfants découpent facilement des mots en syllabes acoustiques ; elles
constituent des unités de lecture prononçables. Leur montrer l’équivalent
écrit dans les mots connus leur permet très vite de découper eux-mêmes des
mots nouveaux. C’est, de plus, étonnant à observer. Dès que possible, nous
segmentons des mots connus simples (papa, maman, bébé, bateau…) et les
enfants s’amusent à les reconstruire. Savoir segmenter les mots au bon
endroit et mémoriser des syllabes constitue une aide substantielle au
décodage de mots nouveaux.
La syllabe est aussi un tremplin vers la fusion des phonogrammes et
la fusion phonémique. De même que l’enfant a pu percevoir le son
habituel des lettres en rassemblant les mots commençant par la même
initiale, des correspondances graphème-phonème en rassemblant des mots
analogues, par exemple eau avec bateau, cadeau, château, chapeau, nous
sélectionnons et jouons avec des syllabes initiales (c’est plus facile !) afin
de permettre aux enfants d’appréhender la fusion consonne-voyelle.
Pour que l’enfant ait tous les éléments en sa possession, nous les
rangeons selon deux principes :

consonnes différentes et même voyelle, par exemple : ma-man,


pa-pa, va-cances, sa-pin ;
même consonne et voyelles différentes : ma-man, mo-to, musique,
mou-ton.

Remarquons qu’il s’agit là encore d’organiser l’environnement afin de


permettre un apprentissage par inférence inductive et non par un
enseignement formel. L’enfant a besoin de ces éléments pour comprendre la
co-articulation des phonogrammes. Cette étape, essentiellement ludique, est
appréciée par les enfants.

Jeux de préparation à la compréhension de la fusion consonne-


voyelle

« Où est la syllabe ? »
Mélanger les syllabes de papa, maman (coupés lors d’une session
précédente) et celles d’un autre mot. Demander à l’enfant de
reconstituer le mot. Nommer la syllabe initiale à trouver, puis la
suivante. S’il se trompe, veiller à être positif : « Tu me donnes ma de
maman. Je voudrais… » Afin de ne jamais le laisser sur un échec, lui
souffler la réponse. Ensuite utiliser d’autres mots connus.

« Quelle syllabe ? »

Aligner les uns au-dessous des autres pa-pa, ma-man et ca-


deau (ou un autre mot connu commençant par consonne + a)
reconstitués.
Cacher la deuxième syllabe de chaque mot.
Demander à l’enfant de venir montrer la syllabe ma par
exemple.
Retirer le cache pour vérifier la validité de la réponse.
Lorsque le jeu est réussi, on ajoutera un quatrième mot.
On pourra aussi remplacer des mots par d’autres du même
type.
Le rôle du contexte dans l’identification des mots

L’enfant acquiert implicitement la notion de phrase lorsqu’il s’aperçoit


qu’avec les mots qu’il connaît et qu’il aime, il peut exprimer une idée et
qu’il commence à faire intervenir l’anticipation dans sa lecture.
Autant il est primordial de montrer des mots isolés au début et de
permettre ainsi l’acquisition de la notion « mot » et sa signification, autant
le contexte des premières phrases aide l’enfant à identifier/deviner les petits
mots qu’il ne connaît pas encore, comme les articles, conjonctions qui n’ont
pas de sens pour eux-mêmes, ceux que l’on nomme couramment les mots
outils.
Deviner ces petits mots est tout à fait normal en début d’apprentissage.
De même, l’enfant peut ne pas connaître toutes les correspondances lettres-
sons d’un mot, mais les repères grapho-phonologiques qu’il possède
peuvent lui permettre de lire le mot dans son contexte. La petite part de
« devinette », normale à ce stade, diminuera au fur et à mesure de
l’acquisition des correspondances grapho-phonologiques.
En incitant les enfants à reconnaître les mots en contexte, dans des
phrases qui les intéressent, l’enseignant prévient deux dangers : le
déchiffrage borné, qui ne cherche qu’à faire du bruit et la devinette intégrale
d’après le contexte mais sans contrôle. D’ailleurs, les enfants qui ont
toujours lu pour comprendre selon la démarche proposée, corrigeront
spontanément leurs erreurs d’après le contexte : cousin, coussin ; monte,
montre, monstre. Nous sommes en présence d’un système redondant : au
début de l’apprentissage, le contexte aide l’identification des mots et les
capacités de décodage progressives permettent de contrôler, de confirmer
plus sûrement qu’il s’agit bien du mot escompté.
Il est néanmoins nécessaire d’avoir donné des mots personnels et formé
les premières phrases à l’aide de mots connus avant de proposer à l’enfant
d’en composer lui-même. Connaître un texte par cœur sans pouvoir en
isoler les mots ne lui permettrait pas de progresser dans l’apprentissage et
lui donnerait de surcroît une idée erronée de l’acte de lire.
Les progrès de l’enfant au cours de la phase
grapho-phonologique

De même que l’enfant compare, analyse des mots oraux et en invente, il


compare les mots écrits et trouve des analogies entre les mots nouvellement
introduits et ceux qu’il connaît déjà. En découvrant des relations grapho-
phonologiques, l’enfant enrichit sa capacité d’analyse des mots nouveaux et
commence à associer l’information phonologique à l’information visuo-
sémantique primitive.
Au fur et à mesure de ses contacts précis avec l’écrit et grâce aux repères
grapho-phonologiques qu’il possède, le capital-mots de l’enfant augmente.
Il progresse dans la découverte du système : en effet, il connaît le son
produit habituellement par la plupart des lettres, quelques syllabes initiales
(ma, ca, pa…), quelques phonogrammes* complexes (eau, ain, ou…), et
groupes de lettres (ette, ch, ...) Il a aussi coupé des mots, activité qui lui
permet de repérer de plus en plus de syllabes.
Les mots nouveaux sont donc perçus de manière très différente de ceux
reçus en début d’apprentissage. À ce stade, on peut en proposer à l’enfant
autant qu’il en a besoin à la fois. Ils sont d’autant plus faciles à retenir que
celui-ci possède de nombreux repères grapho-phonologiques : lettre ou
syllabe initiale, groupes de lettres connus. Ceux-ci remplacent peu à peu les
premiers repères visuels sur lesquels l’enfant s’appuyait pour reconnaître
les mots.
À l’âge de la maternelle, l’enfant ne fonctionne pas différemment pour
apprendre à lire que pour apprendre à parler. Donc, pas besoin de lui
imposer une « méthode » comme on l’entend habituellement. Il est
tellement plus important d’essayer de comprendre comment il apprend et
d’étayer ses découvertes toutes neuves. L’adulte est alors témoin d’une joie,
quelquefois d’une véritable jubilation chez l’enfant qui découvre lui-même
les mécanismes de l’écrit.

Mieux prononcer les mots


Florence, deux ans et demi, parle bien mais transforme tous les f en p.
Elle ne prononce correctement que son prénom. Arrive la naissance d’un
petit cousin Foucaud. Toute contente, elle parle de Poucaud toute la journée.
Ayant conseillé à sa mère de lui donner l’étiquette Foucaud, l’effet fut
immédiat : elle l’a regardée et a déclaré : « C’est comme Florence, c’est
Foucaud, maman ! ». Depuis elle le dit toujours correctement.
Une maman n’en revient pas : son fils Rayan, (trois ans) a encore
quelques difficultés de prononciation, ce qui est normal pour un enfant de
cet âge. Néanmoins, quand il lit, les phonèmes qu’il ne prononce pas encore
bien dans son langage oral, comme le /ch/ par exemple qu’il prononce /ss/,
sont toujours prononcés parfaitement. Il lui suffit d’avoir le support papier !
Yanis, 4 ans, prononce tous les sons correctement lorsqu’il s’agit de
lecture, alors que dans le langage parlé, certains ne sont pas complètement
acquis. Il dit par exemple /ouaourt/ pour yaourt. Mais si on lui montre Ya
écrit, il le prononce parfaitement. Chez cet enfant paraît aussi un
zozotement du /ch/. À l’occasion de la lecture répétée d’un livre sur les
chats et les chiens qu’il affectionne, il demande plusieurs fois qu’on lui
montre les mots chat et chien qu’il prononce alors correctement. Sa maman
lui fait aussi une page de ch avec chat, chien, cheval, chèvre, chocolat…
Quelques jours plus tard, la prononciation correcte est acquise dans le
langage oral ! La maman a proposé que cette capacité remarquable du jeune
enfant soit utilisée en orthophonie. Cela arrivera un jour, mais dans combien
de temps ?
Les progrès de prononciation se remarquent plus aisément lorsque
l’apprentissage est individualisé. Toutefois l’enseignant attentif les
remarquera aussi dans sa classe et pourra aider un enfant à prononcer
correctement les mots par le biais de l’écrit correspondant. Ainsi, un petit
Pakistanais âgé de 5 ans dont le langage est très peu compréhensible,
demande à sa maîtresse d’écrire le mot /bambam/. N’arrivant pas à saisir ce
que l’enfant souhaite, l’enseignante discute avec lui, entourée d’autres
enfants, et finit par comprendre qu’il veut le mot bonbon. Depuis il le
prononce correctement et son langage oral s’améliore régulièrement au
contact des mots écrits.
Une autre enseignante de GS fait remarquer qu’un enfant qui
intervertissait beaucoup de syllabes à l’oral, a fait des progrès substantiels à
partir du moment où elle a écrit au fur et à mesure les mots présentant une
difficulté. Les mots sont alors montrés à l’ordinateur, puis séparés en
syllabes par un espace, et « réparés » aussitôt, selon l’expression des
enfants.

Commencer à compenser une dyslexie phonologique

Du fait que la démarche proposée favorise d’emblée les relations


orthographe-son, elle peut aider le futur petit dyslexique à compenser son
problème le plus souvent lié à une conscience phonologique (innée)
structurellement déficiente. Des observations ont montré qu’au sein d’un
groupe d’enfants, les dyslexiques montrent une meilleure capacité de
reconnaissance des caractéristiques orthographiques des mots de leur
langue. Ils ont une meilleure conscience orthographique14.
Nous avons suivi des enfants reconnus dyslexiques par des spécialistes,
qui ont pu cependant compenser leur problème en maternelle-CP grâce au
cheminement proposé dans ce livre.

Ainsi, à travers cette démarche d’identification des mots, plutôt que


d’entraîner les enfants à identifier ou isoler des phonèmes dans le langage
oral, ce dont 25 % d’entre eux sont incapables, ou à faire de la
discrimination visuelle de lettres graphiquement proches avant de bien les
connaître, nous proposons de favoriser, à l’école maternelle, la réflexion et
la recherche des enfants sur des mots écrits intéressants pour eux. Dans ces
conditions, l’apprentissage de la lecture s’opère même pour les plus
démunis ! Et c’est à eux que doit aller toute notre attention.

1 Dans la seconde partie de l’ouvrage, nous présentons les différents acquis de la recherche dans ces
domaines.
2 Voir plus loin, dans ce chapitre, la notion de maison.
3 Nous en avons proposé notamment dans Entrer dans l’écrit en maternelle, Nathan, 2009.
4 A. Ouzoulias, in G. Chauveau (dir.) Comprendre l’enfant apprenti lecteur, Retz, 2001.
5 B.-M. Barth, Le Savoir en construction, Retz 1993.
6 Exemple tiré de Lire à 3 ans, op.cit.
7 B.-M. Barth, « Bruner et l’innovation pédagogique », in Communication et Langages, no 66, Retz,
1985.
8 Ibid.
9 B.-M. Barth, L’Apprentissage de l’abstraction, Retz, 1987.
10 Ibid.
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Belles Histoires de Pomme d’Api.
14 Voir la deuxième partie de l’ouvrage.
Chapitre III

L’évolution de l’identification des


mots

La voie royale

Au premier stade (idéographique), l’apprenti prend des repères


graphiques auxquels viennent s’ajouter très tôt des repères grapho-
phonologiques (lettres initiales, suites de lettres). Cette nouvelle procédure
lui permettra de mémoriser de plus en plus de mots, sans toutefois pouvoir
lire un mot qu’il n’a jamais vu (sauf si ce dernier est composé de mots qu’il
connaît).
L’idéal est représenté par l’enfant qui mémorise ses premiers mots en
prenant des repères visuels, puis y intègre des correspondances graphie-
phonie rencontrées au fur et à mesure qu’il reçoit des mots nouveaux. De
cette manière, il peut mémoriser tous les mots qu’il souhaite parce qu’il en
identifie de plus en plus d’éléments. « Le journal de Lucas » (voir page 69)
décrit une telle progression chez un tout jeune enfant.
Au cours de la phase graho-phonologique et préalablement à la capacité
d’identifier un mot par co-articulation des phonogrammes (b + a = ba), il
existe une période où l’enfant peut, à la demande, repérer des mots grâce à
ses acquis de correspondances grapho-phonologiques. Ainsi, s’il ne l’a
jamais vu, l’enfant ne peut pas encore lire le mot poire de manière isolée,
mais il peut facilement le retrouver parmi cinq ou six autres mots nouveaux
(banane, pomme, cerise, orange, poire, pêche) et justifiera sa réponse en
disant par exemple : « C’est poire parce que ça commence comme papa et
puis il y a oi comme dans roi. » Les enfants de Grande Section raffolent de
ce « jeu du détective » qui représente un défi, qu’ils sont tout à fait capables
de relever.
Par ailleurs, le contexte de la phrase aide le débutant à identifier certains
mots. S’il connaît par exemple ca avec camion et cadeau, et ette avec
galette et dînette, il aura suffisamment d’éléments pour identifier cachette
d’après le sens de la phrase et parce qu’il connaît aussi la sonorité habituelle
du ch.
Identifier des mots de cette manière dans une phrase avec les éléments
qu’il possède est positif à ce stade parce que l’enfant ne connaît pas encore
toutes les correspondances grapho-phonologiques. On peut alors lui montrer
qu’il peut vérifier ses hypothèses à l’aide des correspondances qu’il connaît.
Tant qu’il ne possède pas toutes les correspondances grapho-
phonologiques, l’enfant s’aide spontanément du contexte parce qu’il a
vraiment envie de savoir ce qui est écrit. Cette stratégie dynamique est à
encourager au début de l’apprentissage. L’apprenti aura de moins en moins
besoin de recourir au contexte pour identifier les mots au fur et à mesure
qu’il aura identifié davantage de correspondances grapho-phonologiques.
Cette utilisation simultanée des deux stratégies fait souvent défaut aux
lecteurs débutants de CP, n’ayant pas bénéficié de la liberté d’approche
proposée ici.

La compréhension de la co-articulation des


phonogrammes

C’est toutefois la compréhension de la co-articulation des phonogrammes


qui fera exploser la lecture. La segmentation en syllabes et leur classement
auront aidé l’enfant à la comprendre. Elle surviendra alors comme la cerise
sur le gâteau en décuplant les capacités de l’enfant, sans qu’il soit passé par
la phase pénible de construction lettre à lettre. Car, comme l’a montré
André Ouzoulias, l’identification des mots exclusivement via la
construction lettre à lettre inhibe et retarde la mise en mémoire des mots
dans le dictionnaire mental.
L’enfant utilise dorénavant de concert trois stratégies d’identification
efficaces : mots connus (dont il connaît toutes les composantes grapho-
phonologiques), mots déchiffrés, et mots identifiés grâce aux analogies
remarquées et au contexte, pilotées en permanence par la recherche de sens.
S’il a des mots en mémoire et s’il a compris le principe de la fusion
phonémique, il pourra également lire les mots nouveaux ne différant que
d’une seule lettre en les comparant à ceux qu’il possède déjà. S’il connaît
mouche, il lira facilement bouche, louche, couche… Nous favorisons pour
cette raison les jeux de substitution d’une seule lettre.
Plus l’apprenant connaît de mots, plus la découverte du code est facilitée.
Et plus il possède d’éléments du code, plus il peut mémoriser de mots. Les
deux capacités se renforçant l’une l’autre, sont interactives. De surcroît,
plus l’enfant possède de mots ou de configurations orthographiques en
mémoire, plus il lui sera facile d’en mémoriser d’autres, qui serviront à leur
tour à trouver de nouvelles analogies.
L’idéal serait sans doute de garder tout au long de l’apprentissage
(commencé vers 3-4 ans par le don individuel de mots demandés par
l’enfant) qui se transforme sans cesse, la capacité d’identifier
instantanément un mot, au début parce qu’il porte une connotation affective
et une particularité graphique, ensuite parce que l’identification est
confirmée par des correspondances graphie-phonie repérées, et finalement
parce que toutes les correspondances grapho-phonologiques sont connues,
la compréhension de la fusion acquise ainsi que les marques
morphologiques (lettres muettes, préfixes, suffixes…). L’enfant ne se sert
du montage graphème à graphème que lorsqu’il n’a pas de solution plus
économique à sa portée.

Régression ?

On observe souvent, au moment où s’opère la compréhension de la


fusion consonne-voyelle, une régression apparente de l’apprentissage dans
le sens où l’enfant, conscient de ses nouvelles capacités de fusion, se met à
tout déchiffrer, même les mots archi-connus. Il vérifie simplement que le
système qu’il vient de découvrir fonctionne partout mais revient rapidement
à une identification immédiate qui est cette fois définitive et appartient au
dernier stade de l’apprentissage : la phase orthographique, qui ne sera pas
étudiée dans cet ouvrage. C’est aussi à ce moment qu’il commence à
s’intéresser aux marques morphologiques et se demande par exemple
« pourquoi un t à éléphant, un d à bavard, etc. » Il se fait d’ailleurs dès lors
un plaisir de rechercher l’origine des lettres muettes. Certains enfants sont
littéralement passionnés par le sujet, même en maternelle.
L’enfant a été capable d’apprendre à parler sans enseignement pré-établi.
De même que la progression du langage oral varie pour chaque enfant, il
serait souhaitable de permettre à chacun d’accéder aux grands principes
régissant le code de l’écrit selon son rythme.
L’apprentissage naturel tel que nous le proposons peut être comparé à
l’élaboration d’un puzzle. Des pièces se mettent en place, non pas de
manière ordonnée, selon une progression préétablie (comme dans une
méthode classique), mais un peu partout à la fois. Plusieurs parties sont
travaillées simultanément pour finalement former un tout. Il peut rester
quelques trous du puzzle à combler (l’étude de sons que l’enfant ne connaît
pas encore, par exemple gn ou im) mais cela ne l’empêche pas d’en
percevoir l’image et de comprendre une phrase.
L’apprenti lecteur comprend comment fonctionne le code écrit avant
même d’avoir appris la totalité des relations qui lient les lettres et les
combinaisons de lettres aux différents sons. Cela ne veut nullement dire que
toutes les particularités grapho-phonologiques de la langue ne doivent pas
être étudiées – ou revues pour certains – au CP. Au contraire, elles doivent
l’être dans le détail. Mais notre démarche constitue une préparation, une
sensibilisation qui facilitent grandement les choses pour l’enfant au CP.
Du fait d’identifications répétées, les mots sont progressivement intégrés
inconsciemment dans le lexique orthographique de l’apprenti-lecteur, qui
fait de moins en moins d’effort pour les reconnaître. Il peut ainsi se
concentrer de plus en plus sur la compréhension du texte qu’il a sous les
yeux.
Le journal de Lucas
Lucas est né le 12 mars 2003. On a perçu très tôt chez lui des
manifestations d’apprentissage du langage écrit. La précocité n’a
toutefois pas été recherchée. Nous avions demandé si des parents étaient
intéressés par le suivi rapproché de leur enfant. La mère de Lucas s’est
proposée de décrire fidèlement, au jour le jour, tout ce qui se passait au
sujet du langage oral et écrit chez son fils. L’avantage d’un enfant très
jeune est qu’il est encore pratiquement « vierge » d’enseignements/
apprentissages préalables qui auraient pu influencer son comportement et
brouiller la compréhension de sa progression et l’analyse que nous
souhaitions faire.
Elle lui a donné ses premières étiquettes-mots vers 16 mois et a eu
l’idée de faire défiler quatre à cinq mots au fur et à mesure qu’il les
recevait sur l’écran de veille de l’ordinateur. En commençant ce journal,
Lucas reconnaît une trentaine de mots.
Le journal est représentatif de l’évolution et des progrès que peut faire
un enfant, lorsqu’il est accompagné très tôt sur le chemin de la lecture1.
Bien sûr, il s’agit là d’un rapport duel, entre une mère (célibataire,
enseignante dans le primaire qui prépare aussi sa « classe » chaque jour)
et un enfant très demandeur ; mais, comme on le verra, le processus
d’acquisition est le même pour tous et une telle progression est possible
avec un groupe classe. La différence est que le répertoire alphabétique et
les « maisons » sont encore plus utiles en classe que pour Lucas qui
mémorise les mots avec une grande facilité en intégrant au fur et à
mesure les correspondances écrit-oral.

Les premiers mots (phase logographique)


(1 an 7 mois), Lucas demande plusieurs fois par jour la lecture de son
magazine Papoum et reconnaît une trentaine de mots représentant des
personnes, objets, animaux auxquels il porte spontanément attention ;
à 20 mois, son vocabulaire écrit est plus conséquent que les 30 mots
« dits » : ca (Lucas), taté (papé), lalu (lune), lala (chocolat), … Il mime
les autres.
(1an 8 mois) Il commence à associer deux mots : zar gra (l’arbre est
grand), aillou sa (je veux mettre le caillou dans le sac). Il s’intéresse aux
multiples publicités qui envahissent la boîte aux lettres et surtout
recherche le J de Juju dans tous les écrits.
(1an 9 mois) Lucas a demandé que sa maman lui écrive musique sur une
feuille après avoir demandé d’écrire d’autres mots connus. Il est capable
de dire quel mot il veut. Avant il « demandait » simplement qu’elle écrive
mais c’est elle qui proposait un mot. (à l’école, les enfants de 4 ans le font
aussi dès qu’ils découvrent qu’on peut écrire autre chose que prénom,
papa, maman. Les moins performants ne savent pas quels mots demander.
Il est nécessaire de les faire parler de ce qu’ils vivent ou de s’y intéresser
via les parents (bonne occasion de prendre contact et de les valoriser.)
(1 an 9 mois) Ayant trouvé un bâton sur la plage Lucas « demande » à sa
mère d’écrire sur le sable. Elle écrit ses mots préférés.
(1 an 10 mois) Il apprend des mots ailleurs que sur l’écran ou sur les
étiquettes : dans son imagier et son magazine : zoo, bain, coucou, lait…

Premiers jeux
Il aime jouer avec ses étiquettes : par exemple catégoriser personnes,
animaux, nourriture…
(1 an 11 mois) Lucas a lu les mots de l’écran à sa peluche Papoum et à sa
poupée Patapouf.
Entré à l’école à 3 ans 6 mois, il a beaucoup joué à la maîtresse, en
« lisant des histoires aux enfants ».

Le mot « est » l’objet


(1 an, 10 mois) Lucas a fait « voler » les mots papillon et avion, fait
rouler le mot voiture. Il le fait encore plus tard (2ans 2 mois). Alors qu’il
connaît déjà la valeur de certaines lettres, il s’est amusé avec les
étiquettes : il a mis jambon, kiri, danette, dans le frigo, et biscuit dans la
boîte à biscuits.

Premiers exemples de comparaisons spontanées d’analogies


graphiques
(1 an 8 mois) Au rayon bricolage, Lucas dit « vroum, vroum » en pointant
la fin du mot peinture… Il connaît voiture.
(1an 11 mois) À la demande de Lucas, sa mère a lu le mot poires sur son
dessert. Puis il a dit « poisson ». Les enfants le font généralement quand
ils ne sont pas encore capables de formuler : « C’est comme poisson ».
Lucas a vu le mot bien dans une histoire et a dit « chien ». En voyant le
mot dessin, il dit « poussin ».

Premières listes de courses


(1 an, 11 mois) Jour des courses. Pour la première fois j’ai fait une liste
pour Lucas : lait, biscuit, kiri. Il a appris les deux premiers mots dans
l’imagier, et a reconnu kiri qu’il n’a vu que sur la boîte du produit.
(2 ans 2mois) Lucas est parti aux courses avec sa liste ; à la caisse, il dit
« les gaufrettes ». C’était écrit sur sa liste, mais pas sur celle de sa mère.

Lecture dans l’environnement


Il aime rechercher des mots connus dans ses livres, sur des enseignes, les
panneaux dans la rue, reconnaît des lettres sur les voitures.

Le classement alphabétique des mots- Apprendre le son des lettres


(1 an 11 mois) Lucas aime bien l’émision « La cible » dans laquelle il faut
donner des mots commençant par une certaine lettre car il en reconnaît
certaines. (2 ans 3 mois) Dans « La cible », il y avait le B. Lucas dit
« bébé, bain », sa mère rajoute ballon, balle et Lucas renchérit avec bibi,
qu’il n’a pas vu écrit. Il connaît donc le son de la lettre B.
(2 ans 3 mois) À « la Cible » on voit le C. Lucas le reconnaît et sa maman
énumère des mots connus : canard, carré, cactus, camion et Lucas rajoute
« carton » qu’il n’a pas vu écrit. Il ne connaît à cette date que le C qui se
prononce /k/. C’est la conscience phonémique qui émerge !
(1 ans 9 mois) Lucas découvre le répertoire alphabétique dans lequel sont
écrits les mots qu’il connaît. Il le reprend spontanément, mais rarement,
dans l’année qui suit. Il en a moins besoin qu’un enfant en classe, parce
qu’il « range » ses mots tout seul mentalement en regardant « La Cible ».

Remarques d’ordre visuel et maisons


(2 ans) En lisant une petite comptine, Lucas m’a montré le ma dans
marron et a dit maman. (Il n’est pas encore capable de prononcer « c’est
comme… ») « Oui, dans marron, il y a le ma de maman ou de mamé ». Je
fais donc la maison ma.
(2 ans 3 mois) On a fabriqué la maison dou, ca et ma.
(2 ans 5 mois) Il s’est intéressé au recueil des maisons. Il a semblé qu’il
voulait comprendre comment ça fonctionne, mais il est déçu qu’il n’y ait
que trois maisons (ca, ma, dou). Trois jours plus tard Lucas a été
agréablement surpris de voir d’autres maisons dans son classeur : ion, ain
et eau composées de mots connus.
Ceci confirme que l’enfant remarque d’abord les analogies au début et à
la fin des mots.
(2 ans 7 mois) En prenant son yaourt, Lucas regarde ce qui est écrit sur le
pot et dit : « fraise c’est comme framboise ». Maman confirme et ajoute
« et comme frrrromage ». Il faut faire la maison fr.
Un autre jour, Lucas montre le titre du livre Le roi c’est moi et dit « c’est
comme oiseau ». Il a la maison oi.
(2 ans 10 mois) Lucas lit le recueil des maisons ! À la maison des ch il
dit : « Tu as oublié d’écrire château dans la maison des ch ».
(3 ans) « Lucas s’empare de mon téléphone portable. Je prends l’ardoise
magique et j’écris : Lucas prend mon téléphone. Lucas lit, je l’aide juste
pour mon ». Il est temps de faire la maison on avec ses mots ballon
poisson, camion, ...
(4 ans 2 mois) Lucas, en regardant la maison ez, dit : « On pourrait
mettre : vous vous mouchez, vous mangez, vous sautez » et il en a donné
plusieurs.
(4 ans 6 mois) Ayant déplié la carte de l’Aveyron en vacances, Lucas s’est
amusé à chercher les noms de villes et de villages qui finissent par ac. et
il ajoute : « Il faudra faire la maison des ac »

Maisons et remarques auditives


Notons que les remarques concernant des analogies sonores apparaissent
spontanément après la mise en relation grapho-phonologique, quel que
soit l’âge de l’enfant.
(2ans 9 mois) Les yeux à peine ouverts, Lucas dit : « Dans Chloé il y a é
comme dans café. ». Il a la maison é.
Quelques jours plus tard, il dit : « dans Violette (il n’a pas le mot) il y a
vvv comme vvvoiture, vvvélo, vvvache… »
(3 ans 2 mois) Lucas était en train de jouer à la dînette. Il ne trouvait pas
la petite cuillère ; il prend l’ardoise magique et demande d’écrire cuillère,
puis colère. Sa mère lui dit : « C’est aussi comme père », qu’elle écrit en
expliquant : « Ton père c’est papa » et comme mère (elle traduit : c’est
moi). Lucas veut alors savoir pour mamé. On écrit grand-mère. Maison
des ère en vue !
(3 ans 6 mois) En promenade Lucas dit : « Tu sais maman, on a oublié
d’écrire tracteur dans la maison des tr ! » Rentrés à la maison, nous le
rajoutons. Quelques jours plus tard, « en ouvrant son volet roulant, Lucas
me dit : « volet on pourrait le mettre dans la maison des é avec papé. » Je
lui réponds qu’on peut le mettre avec jouet, juillet. Je joins l’écrit à la
parole et j’écris volet, jouet, paquet. Lucas rajoute « perroquet, sifflet »
que j’écris. Puis il demande « et goûter ? ». Je lui réponds que c’est
comme cahier, colorier, manger. »

Couper des syllabes


(2 ans 10 mois) Lucas a joué avec sa maman à couper des mots connus et
à classer les syllabes selon la première lettre.
Quelques jours plus tard, nous avons joué aux syllabes : je lui
donne 7 syllabes : mo, no, to, ro, lo, jo, vo. Je les nomme de manière
aléatoire et Lucas me les donne au fur et à mesure (j’insiste un peu sur la
lettre initiale).
(2 ans 11 mois) Nous avons joué aux mots coupés. Il découvre que l’on
peut « écrire » des mots bizarres en prenant deux syllabes au hasard, et
cela l’a fait beaucoup rire.

Fusion consonne-voyelle
Le lendemain de ses 3 ans, il a voulu la notice explicative de la crème
prescrite par le médecin et me dit : « Viens voir maman, il est écrit
malade, là ». Il me montre en effet malade. Puis j’essaie de trouver un
mot qu’il ne connaît pas et je trouve peau. (Il connaît p et il connaît eau).
Je lui dis : « Regarde ce mot, il y a p’ (le bruit de la lettre) et puis il y a le
eau et Lucas me dit « ça fait peau. » (Première compréhension de la
fusion consonne-voyelle.)
(3 ans 1 mois) Hier soir j’avais écrit au tableau : Lucas est sage. Puis
j’écris nage et au-dessous sage. Puis je lui dis : « Regarde, je fais de la
magie ». J’efface le n de nage et je mets un c, ça fait… « cage » me dit
Lucas.
(3 ans 2 mois) Nous avons commencé à remplir le tableau à double entrée
avec le m, le l et le s en colonne et des voyelles en ligne. Faire descendre
les lettres en « ascenseur » l’a bien fait rire.
Un autre jour, « j’écris vache puis efface le v et je mets un t. Lucas lit
tache, puis un c et il lit cache. »

L’écrit aide l’oral


(1 an 10 mois) Il dit bien « Lucas » quand il le voit écrit mais quand on
lui demande comment il s’appelle il dit toujours « ca ».
(3 ans 7 mois) J’ai remarqué que depuis que je lui ai écrit le mot porte
qu’il prononçait « pote », il le prononce comme il faut en appuyant un
peu sur le r qu’il ne prononçait pas du tout dans ce mot. Il avait fait pareil
avec bleu qu’il disait « beu » et qu’il a dit correctement dès le moment où
il l’a vu écrit.
(2 ans 11 mois) Chaque fois que Lucas veut s’asseoir il dit : « Je veux
t’asseoir » et il n’y a pas moyen de le corriger. Je décide donc de l’écrire :
Je veux m’asseoir, maman. Je montre à Lucas en commençant à lire :
« je », Lucas continue « va ». Je lui fais remarquer que c’est le eux de
cheveux, il se corrige tout seul et dit « veux » puis il continue et dit
« m’a… sœur » et je rectifie. Puis au-dessous j’écris : « Tu veux t’asseoir
Lucas ? ». On verra si maintenant il le dit correctement.
(3 ans 3 mois) Lucas me demande le cahier et les feutres pour écrire et
colorier. Il dit habituellement « corolier » pour colorier. Comme je le
reprends à plusieurs reprises je finis par lui écrire le mot. En le voyant, il
le dit correctement mais dès qu’il n’a plus le mot sous les yeux, il dit à
nouveau « corolier ».
Dans la soirée Lucas me parle de l’herbe mais au lieu de dire « herbe » il
« hèbre ». Je lui écris donc le mot sur un papier en ajoutant qu’on peut
mettre herbe dans la maison er de mer. Lucas le regarde et dit « herbe »
correctement. Comme maintenant il dit bien colorier, espérons pour
herbe !
(3 ans 5 mois) Nous avons une conversation sur une chose « vieille ».
Chaque fois Lucas dit « viève ». Comme j’en ai assez qu’il ne le dise pas
correctement, je lui propose de l’écrire et j’écris vieille en précisant
« c’est comme abeille » que j’écris aussi. Lucas : « C’est comme
Mireille ». Deux jours plus tard, il dit « vieille » et non plus « viève ».
Impressionnant !

Il n’a été considéré dans ces extraits que l’évolution de l’identification


des mots.
Les premières phrases (du type Lucas joue au ballon, maman joue… en
changeant les sujets) composées de mots connus et l’évolution vers de
petits textes sont décrites dans le journal détaillé. Lucas s’est mis à
déchiffrer petit à petit et à écrire à l’ordinateur spontanément à 3 ans
7 mois, la fusion des phonèmes étant acquise depuis un bon moment. Le
système des « maisons » auxquelles il avait l’habitude de se référer (le
/in/ de pain, le /an/ de maman) l’a beaucoup aidé à acquérir
l’orthographe.
Le plus flagrant est que, dans le contexte de la démarche proposée, les
mots écrits aident leur prononciation. Cela m’a été rapporté de toutes
parts. L’apprentissage du langage écrit ne semble pas être le fruit d’une
« maturité » quelconque, ni d’exercices phonologiques préalables.

1 La version complète très détaillée de ce journal est à la disposition de tout lecteur qui en fera la
demande par internet à l’adresse courrier@lebonheurdelire.orgIl devrait intéresser chercheurs et
professionnels concernés par les processus d’acquisition de la langue écrite.
Chapitre IV

Accompagner les enfants


moins performants

Les grandes lignes de l’apprentissage et de son accompagnement décrits,


il est impératif de se demander comment organiser l’apprentissage en classe
afin qu’aucun enfant n’en soit exclu. Le processus d’acquisition de la
lecture est globalement le même pour tous, mais pour les plus faibles, il est
indispensable de détailler, quelquefois considérablement, les étapes. La
tentation d’accompagner les enfants qui vous entraînent est grande alors
que, même s’il n’est pas question de freiner certains, cette pédagogie est
d’abord destinée à ceux qui sont potentiellement en échec. Il ne faudrait pas
aboutir à l’effet inverse de ce qui est toujours le but : permettre à tous les
enfants d’entrer dans la langue écrite avec bonheur et réussir ce fameux CP.
De prime abord, il pourrait sembler au lecteur que l’approche proposée
ne profitera qu’aux plus habiles et qu’elle élargira le fossé entre les enfants
performants et les autres. Pour l’avoir pratiquée régulièrement avec succès
depuis plus de dix ans avec des déficients intellectuels enfants et adultes,
nous savons que, bien menée, elle est profitable surtout aux plus faibles,
puisque cette démarche leur permet d’accéder aux concepts de base
conduisant à la réussite de l’apprentissage de la lecture. Ainsi tel enfant
d’origine étrangère, qui en Grande Section parlait encore sans utiliser ni
article ni autre mot de liaison, et qui réussit son CP avec, en plus, le plaisir
de lire ; ou tel autre que la psychologue scolaire voyait déjà maintenu en
GS, au vu de ses acquis de Moyenne Section, qui suit le CP tout à fait
normalement et se réjouit d’aller à la bibliothèque municipale à laquelle sa
maman l’a inscrit.
L’objectif, le but de ce livre est de donner les moyens d’aider
particulièrement les enfants plus fragiles. Les plus vifs profiteront
certainement de cette approche, mais en ont moins besoin que d’autres pour
lesquels cette démarche permettra d’éviter l’échec au CP. En classe, pour
s’assurer la participation et les progrès de tous, la tâche essentielle consiste
à aider les moins performants, ceux qui ne demandent rien, ceux qui ne
participent pas spontanément.
Compte tenu de la diversité des niveaux, il n’est pas facile de suivre au
jour le jour chaque enfant dans une classe, mais il suffira de suivre plus
précisément les plus fragiles, les autres n’ayant pas besoin d’attention
rapprochée. Les étapes sont identiques pour tous, mais démultipliées pour
les plus faibles qui progressent à petits pas. Ils se distinguent au début de
l’apprentissage par le petit nombre de mots mémorisés, pour des raisons
diverses. Les chercheurs diraient qu’ils se caractérisent par « la pauvreté de
traces orthographiques en mémoire » sur lesquelles se construit
l’apprentissage.
Par l’empathie, par le dialogue individuel et valorisant avec l’enfant,
l’enseignant favorise sa sécurité affective, même s’il est en souffrance dans
son milieu de vie. Tisser des liens « sécures » est indispensable pour que
l’enfant puisse prendre confiance en lui, développer de l’auto-estime,
s’ouvrir aux apprentissages et développer son potentiel.

Les moyens à mettre en œuvre

Sans oublier de leur faire la lecture commentée quotidiennement en petit


groupe, que devons-nous mettre en œuvre pour aider les enfants les moins
performants ?
Leur donner un premier capital-mots personnels est de la première
importance pour eux : même s’il ne mémorise pas les mots de la classe,
aucun enfant ne résiste à la mémorisation de mots personnels. Voilà
pourquoi jouer individuellement avec eux avec ces mots-là pour leur
prouver qu’ils peuvent réussir et leur donner ce plaisir est essentiel ; la
motivation viendra par la suite. S’intéresser à ce qu’ils aiment (c’est
l’occasion de les aider à s’exprimer) et leur proposer des mots dans ce sens,
car souvent, ne possédant que deux ou trois mots (par exemple : prénom,
papa, maman) ils ne savent pas que tout peut s’écrire.
Les aider individuellement, en rendant les régularités saillantes, à
découvrir avec leurs mots personnels quelques correspondances lettre(s)-
son, et par conséquent le principe alphabétique.
Les aider à couper certains de leurs mots écrits en pulsions phonatoires.
Tout ceci en ayant constamment en mémoire que l’enfant ne peut
s’approprier une notion que s’il peut l’atteler à ce qu’il sait déjà. Avec l’aide
de l’enseignant, son savoir sera alors modifié par l’élément nouveau. Pour
cette raison, ce dernier doit constamment être capable d’apprécier où se
situe l’enfant en difficulté par rapport à cet apprentissage. Il est donc
indispensable de comprendre le chemin à parcourir. Il ne sert à rien par
exemple de le mettre sur la voie de la co-articulation des phonogrammes
s’il n’a pas encore compris le principe alphabétique, ni de le mettre en
présence de phrases composées de trop de mots pour lesquels il n’a pas
encore de repères lettres-sons.
À l’école maternelle, si nous n’obtenons pas ce que nous espérions de
certains enfants, c’est que nous n’avons pas été capables de nous mettre à
leur niveau, de les prendre là où ils se trouvent, étant donné leur parcours
particulier, pour les amener un peu plus loin et les faire progresser.

Les bonnes attitudes à adopter

Afin que les enfants puissent progresser et se sentir intégrés à la classe, il


est nécessaire de :

Leur prouver individuellement qu’ils sont capables en leur


donnant l’occasion d’intervenir dans une séquence collective à
leur portée. Les jeux collectifs permettent à ceux qui ne sont pas
sûrs d’eux de se fondre dans le groupe et d’apprendre par
l’intermédiaire de leurs camarades plus performants, là où seuls
ils auraient hésité, voire subi un échec, si minime soit-il.
L’activité collective permet aux plus faibles de se sentir plus à
l’aise parce qu’on ne leur demande rien. Ils deviendront acteurs
lorsqu’ils auront compris ce qui est demandé.
Les encourager à la moindre performance.
Les féliciter chaleureusement dès que possible.

Certains enfants posséderont peu de mots mémorisés, mais suffisamment


pour apprendre le son de quelques lettres et par conséquent comprendre le
principe alphabétique. S’ils n’ont pas compris la fusion consonne-voyelle
avant l’entrée en première année élémentaire (CP), mais ont déjà classé des
syllabes comme conseillé dans cet ouvrage, ils seront néanmoins capables
d’apprendre à déchiffrer en CP. Il sera essentiel pour eux d’étudier toutes
les correspondances graphèmes-phonèmes. La lecture fluide sera plus
longue à atteindre, mais ils éviteront l’échec.

Et les enfants non francophones ?

Pour certains enfants, l’entrée à l’école maternelle représente le premier


contact suivi avec la langue française, d’autres langues étant parlées à la
maison. Pour eux, il est essentiel que toutes les personnes chargées de les
encadrer leur parlent, individuellement, le plus souvent possible. Qu’on leur
fasse, en petit groupe, la lecture d’histoires simples qui leur permettent de
progresser en langue orale. Dans ces conditions, ces enfants apprendront
l’écrit parallèlement à l’oral et s’intégreront rapidement.
Voici le témoignage d’une enseignante :
« Je propose d’écrire quelque chose à Abou, petit africain qui ne parle pas
français chez lui. Comme il ne sait pas quel mot réclamer, je lui demande
avec quoi il aime jouer à la maison. Il marmonne un mot que je ne
comprends pas. Finalement, j’essaie de le deviner en reformulant des mots
qui ressemblent à ce qu’il me dit. Et je trouve ! Il s’agit de monsieur. Ce
doit être une figurine qu’il a à la maison. Je le lui écris. Il rayonne de joie et
je le lui donne en répétant : « monsieur ». Il répète « monsieur ». Trois jours
plus tard, nous jouons avec ses étiquettes. Face à monsieur, il annonce très
clairement le mot. »

Apprendre à lire avec un handicap


Le processus d’apprentissage est le même, semble-t-il, qu’il s’agisse
d’enfants à haut potentiel, de déficients intellectuels ou d’enfants atteints
d’un handicap tel que la surdité, l’autisme, la dysphasie, la trisomie 21…
Pour les premiers, les phases se trouvent écourtées. Pour les seconds elles
doivent être considérablement décomposées. L’attitude de respect et
d’empathie pour l’apprenant est primordiale et le renforcement positif est
encore plus important que pour l’enfant qui n’a pas de problème. Les
résultats obtenus sont incomparablement meilleurs si on peut commencer
dans l’enfance, mais nous travaillons depuis dix ans avec des adultes
déficients intellectuels en leur permettant de pouvoir décoder l’écrit adapté
à leur niveau de compréhension.

Les prérequis

Le seul prérequis dont ils aient besoin, est la lecture faite par l’adulte.
Aucun autre prérequis n’est nécessaire, même pas de bien entendre, car les
enfants sourds commencent à apprendre à lire facilement selon cette
démarche. J’ai suivi, dans les années 1980, une petite fille sourde profonde
qui communiquait avec sa famille au moyen de 250 étiquettes-mots qu’elle
connaissait parfaitement. Son apprentissage s’est poursuivi grâce au LPC *
(Langage parlé complété), procédé visuel de correspondance graphème/
phonème, qui s’adapte parfaitement à notre démarche. Cela lui a permis de
poursuivre non seulement des études secondaires, mais supérieures.
Les enfants n’ont même pas besoin de savoir parler, cet apprentissage les
aidant à progresser énormément en langage oral. Voici le témoignage reçu
récemment d’une enseignante de CLIS * :
« J’ai commencé à donner des étiquettes à une petite fille de 8 ans qui a un
niveau de langage particulièrement faible (2 ans environ). Elle reconnaît
très bien une dizaine de mots. Mais ce qui est formidable, c’est que
maintenant elle n’est plus dans l’écholalie*. Elle essaie de faire des phrases,
pose des questions et s’intéresse. Tous les jours, elle sort ses étiquettes et
fait mine de “faire l’appel”. Le jour de la venue de l’orthophoniste, je lui
écris une phrase au tableau (la même tous les jeudis) : Nathalie vient après
la cantine. Si j’oublie de l’écrire elle me rappelle à l’ordre ! Elle arrive
même à mémoriser les poésies. Un petit miracle ! L’an dernier elle passait,
m’a-t-on dit, ses journées à pleurer en demandant “maman”. Elle demandait
à sortir pour aller aux toilettes vingt fois dans la journée sans jamais rien
faire, chose qu’elle ne fait plus cette année. Elle arrive même à rester assise
à sa place alors que l’an dernier, elle errait comme une âme en peine dans la
classe toute la journée. »
Tout cela vient du fait que l’enseignante a reconnu des capacités à
l’enfant. C’est aussi dû à l’attitude de respect et d’empathie qu’on a envers
lui.

Les phases de l’apprentissage

Pour la phase logographique, le principe est le même : des mots écrits


« intéressants ». Pour les adultes, ces mots sont forcément très différents de
ceux des enfants et concernent l’entourage, les éducateurs, le travail, les
outils, les activités préférées…
Pour la phase grapho-phonologique, les déficients intellectuels font
toujours des erreurs d’identification qui peuvent nous renseigner sur leurs
stratégies, mais ils ne font pas toujours de remarques sur les mots nouveaux
qu’ils reçoivent. Il convient donc de leur mâcher le travail (selon les
principes de Vygotski), c’est-à-dire rassembler les mots, les amenant ainsi à
découvrir des analogies : par exemple, ranger leurs mots dans l’ordre
alphabétique pour les aider à comprendre le son correspondant à la lettre
initiale.
Au cours de ces deux phases d’acquisition, il est important d’avoir à
l’esprit que l’apprentissage nécessite trois niveaux successifs :

apparier des mots, des lettres ou groupes de lettres,


les repérer,
les identifier.

Ceci est valable pour toute activité de reconnaissance de mots, qu’ils


soient classés ou non selon l’initiale ou une suite caractéristique de lettres,
ainsi que d’apprentissage de la correspondance minuscule-majuscule.
L’identification des syllabes simples consonne-voyelle, dont les éléments
sont connus, comportera aussi trois niveaux progressifs :

repérer telle syllabe parmi quatre,


former telle syllabe avec à disposition quatre consonnes et une
voyelle ou une consonne et quatre voyelles,
identifier les syllabes.

S’agissant de la phase orthographique, les déficients intellectuels ne


peuvent y accéder qu’à condition de vouloir spontanément déchiffrer un
écrit rencontré, d’avoir envie de savoir lire couramment, de lire
quotidiennement, ce qui n’est souvent pas le cas dans les institutions
recevant des adultes où ils sont protégés (tant mieux !) et n’en éprouvent
pas forcément le besoin.
Bien mené, l’accompagnement est une source de joie pour l’apprenant.
Par les résultats obtenus, elle l’est souvent pour l’accompagnant, ce qui
amplifie l’enthousiasme qu’il a pour son travail.
Lettres et suites de lettres pouvant faire l’objet d’une « maison »

En gras, les « sons » qu’il faut avoir vu en CP ; en maigre, exemples


de mots
Ai maison, fait, lait, souhaite, anniversaire
ail (le) travail, épouvantail, portail – bataille
ain Alain, pain, main, train
an maman, vacances, danse, mange, dimanche
am ambulance
au Paul, Laurence, artichaut, auto, jaune
ç François, reçu, balançoire
ce-ci cerise, ce, Alice, glace, cette, merci, Lucie, sorcière
ch chat, chocolat, mouche, chien
ch chorale, Chloé
ê fête, bête
é télé, école, vélo, éléphant
ë Noël, Joël
è sorcière, frère
eau beau, cadeau, château, râteau, gâteau, bateau
ec avec, bec, lecture
ei peigne, neige, reine
eil (le) soleil, réveil, – oreille, surveille
ein frein, peinture
el sel, miel, ciel
elle elle, belle, Isabelle
en Benjamin, moyen
en dent, vent, vendredi,
em tempête
enn(e) antenne, benne
er déjeuner, manger, chanter
er vert, mercredi, mer, fer
err(e) verre, terre, Pierre
es veste, espère, escargot
ess(e) kermesse, maîtresse
et poulet, filet, jouet, forêt
ette cachette, galette, crevette, dînette
eu deux, jeudi, feu, heureux
eu meuble, beurre, neuf
euil (le) écureuil, fauteuil – feuille
eur docteur, tracteur, coiffeur, fleur
ez chez, nez, vous… ez
ge genou, ménage, fromage, mange, plage
gi magie, bougie
gn campagne, montagne, champignon
gu guide, guêpe
h hôpital, thé, haricot
ien Damien, chien, bien, rien, le mien
ille famille, vanille, fille (mille-Lille)
in jardin, Tintin, sapin
im important, imperméable
ing parking, camping, bowling
œu bœuf, cœur, sœur, œuf
œu nœud, œufs, vœu, bœufs
oi trois, Grégoire, poisson, roi
oin rond-point, coin, loin
on maison, ballon, Ninon, salon, poisson, bonbon,
om ombre, ombrelle
ou doudou, souhaite, Milou, joue, poule
ouil (le) fenouil – citrouille, fripouille
ph Delphine, téléphone, pharmacie, Sophie
qu cirque, pique-nique, casque
s chemise, visite, fraise, valise
sc piscine, science, scène
tion récréation, contravention, punition
um album, aquarium, auditorium
un lundi, un, Petit Ours brun
um parfum, humble
y papy, Thierry, Nelly, pyjama
y Yannick, yaourt, crayon
Mots bizarres : c’est, est, foot, monsieur, week-end… il a eu,
nous faisons, paon, shampooing, short…
DEUXIÈME PARTIE

Que disent les chercheurs ?

Cette partie confronte nos pratiques et la démarche que nous proposons


à l’âge de l’école maternelle aux conclusions actuelles des chercheurs
ainsi qu’à leurs propositions didactiques. Elle décrit en quoi nos
constatations répétées sur le terrain y correspondent, mais éclaire aussi les
points de divergence de la recherche avec les données empiriques que
nous avons pu recueillir.
Les recherches concernant l’apprentissage de la lecture sont
nombreuses et ont beaucoup progressé depuis une vingtaine d’années.
Mais elles sont aussi parcellaires. De ce fait, elles ne permettent pas
toujours aux praticiens de comprendre les processus en jeu dans
l’apprentissage et d’aider efficacement les enfants dans leur
cheminement. De plus, de nombreuses études ont été remises en cause et
il n’est pas rare que les chercheurs d’aujourd’hui affirment : « Nous
n’aurions pas dit cela il y a dix ou quinze ans ».
Un décalage important existe par ailleurs entre la publication des
recherches et les tentatives d’utilisation par les praticiens. Le fossé qui
sépare les deux mondes est trop profond. Il pourrait sans doute être
comblé par des personnes originaires du terrain ayant une bonne
compréhension du fonctionnement de l’enfant, soucieuses d’adapter la
recherche en psychologie cognitive, psycholinguistique et pédagogie à la
pratique et surtout de remonter leur expérience de praticiens chevronnés
vers les chercheurs. C’est, en tout cas, notre souhait.
Chapitre V

Autour de la lecture

Parler d’abord – Lire ensuite ?

Chacun s’accorde à dire que pour favoriser le développement du langage,


il faut s’adresser le plus souvent possible individuellement aux enfants, en
dialoguant, en reformulant ce qu’ils tentent de dire. Cependant, les opinions
diffèrent quant au fait de séparer ou non les deux apprentissages.
Gérard Chauveau, chercheur en sciences de l’éducation, s’est intéressé
particulièrement à l’enfant avant son entrée au CP1. Il pense que l’explosion
du langage parlé chez l’enfant (vers 2 ans et demi, 3 ans) constitue un
moment privilégié pour entrer en lecture-écriture, opinion à laquelle nous
adhérons complètement.
Le linguiste Alain Bentolila préconise que l’enfant maîtrise la langue
orale avant d’apprendre à lire, ce qui n’est à notre avis ni nécessaire ni
suffisant. Cependant, de nombreux professionnels assujettissent encore
l’apprentissage de la lecture à celui du langage oral. Or nous avons de plus
en plus de preuves qu’il s’agit d’une aptitude, d’une capacité, d’un système
qui peut se mettre en place de façon parallèle au langage oral, qui lui-même
est facilité par l’écrit qui l’accompagne. Des enfants ayant un retard de
langage profitent doublement de cette activité : ils font de gros progrès en
langage oral parce qu’ils voient écrits les mots qui leur sont chers. Ainsi que
de nombreux enfants, Lucas dit « hèbre » pour herbe et « corolier » pour
colorier. Alors qu’il n’a que 3 ans, il lui a suffi de voir ces mots écrits pour
qu’il les intègre correctement dans son langage oral. Rémi dit « papi » pour
Capi (le chien). Sa maman le reprend : « C’est Capi, comme caca » et lui
écrit les deux mots l’un sous l’autre. Rémi répète « Capi » correctement…
mais il faudra un peu de temps pour que cela ne lui demande pas d’effort.
Il est indéniable que les enfants qui ont développé un langage oral
précoce ont souvent des facilités pour apprendre à lire, mais ce n’est pas
une raison pour dénier aux autres l’accès au langage écrit. Ainsi que
plusieurs professeurs de médecine2, d’orthophonistes, et d’autres
professionnels, j’ai constaté, depuis de nombreuses années, que
l’apprentissage de l’écrit aide les enfants ayant de gros problèmes de
langage oral. Ce dernier est facilité par l’acquisition de l’écrit. Ces enfants
peuvent acquérir simultanément langage oral et langage écrit.

Quelle préparation à la lecture ?

Dans les années 1960-1970 (et encore actuellement dans certaines


maternelles) ont été pratiquées des activités ayant pour but de s’assurer que
les enfants disposaient des prérequis nécessaires à l’apprentissage de la
lecture : exercices spatio-temporels, de rythme, de discrimination auditive
et visuelle, de latéralisation, etc.
Afin de permettre à l’enfant de maternelle de découvrir que l’écrit a du
sens, Alain Bentolila a proposé l’utilisation de pictogrammes préalablement
aux mots écrits, proposition heureusement tombée aux oubliettes. Selon G.
Chauveau, aucune preuve n’a pu être faite de l’utilité de toutes ces activités
pour l’apprentissage de la lecture.
Après la mode des écrits fonctionnels (affiches, recettes, annuaires…)
dans les années 1970, on passe actuellement en maternelle à celle des
exercices de phonologie* sans support de l’écrit (identifier, abstraire,
ajouter des syllabes et des phonèmes) sur lesquels nous reviendrons plus
loin, afin de préparer l’apprentissage… D’un extrême à l’autre ! Ces
exercices ne semblent toutefois pas avoir permis d’améliorer sensiblement
l’apprentissage de la lecture.
Une partie de la psychologie cognitive et de la pédagogie continue de
sous-estimer les premiers contacts du jeune enfant avec l’écrit adapté à ses
aptitudes : mots à résonance affective qu’il compare spontanément et sur
lesquels il réfléchit, lettres mobiles, abécédaires… et l’apprentissage
implicite qui en découle.

Conception de l’acte de lire

De nombreuses recherches ont été réalisées sur l’acte de lire en étudiant


l’adulte qui lit et on a pensé qu’il fallait entraîner l’enfant à s’y prendre de
la même manière. On a ainsi confondu lire et apprendre à lire. Cette idée est
représentée par le courant Foucambert dans les années 1970-1980, courant
idéo-visuel associé par le public à la méthode globale. À la suite des Anglo-
Saxons Kenneth Goodman et Frank Smith, Jean Foucambert s’était
intéressé à la lecture avant 6 ans, mais uniquement dans la conception idéo-
visuelle, qui considère les mots comme des idéogrammes, rejetant le
passage obligé par le déchiffrage, même momentané.
Les excès de cette théorie ont poussé certains à préconiser de n’aborder
la lecture que par la lettre et la synthèse consonne-voyelle, option très
réductrice de l’acte de lire.

Conscience de l’acte de lire

Certains enfants de 3-4 ans disent savoir lire, mais confondent volontiers
lire et « dire » le livre qu’ils ont entre les mains. En revanche, ceux qui
possèdent un capital-mots écrits qui les intéresse sont conscients qu’ils ne
peuvent « lire » que certains mots et ils savent qu’ils ont besoin de l’adulte
pour lire les autres. Ils refuseront donc de lire des mots inconnus contenus
par exemple dans le titre d’un livre.
Ceux qui ne possèdent pas de capital-mots pensent que lire c’est deviner,
ce qui laisse les élèves indifférents à la valeur comme à l’ordre des lettres,
au bénéfice d’indices non linguistiques. Si ces enfants-là avaient disposé
chacun d’un capital de mots personnels : prénom, ceux des frères et sœurs,
le nom du chat, aliments préférés, ... s’ils avaient eu l’occasion de
remarquer que « c’est pareil » dans cadeau et gâteau, que maman, mouton,
Mehdi, ça commence par la lettre qui fait mmm, ils auraient notamment
découvert la pérennité du mot écrit, ainsi que des correspondances lettre(s)-
son.
On n’a pas besoin d’expliquer à l’enfant ce qu’on fait pour lire, il suffit
de lui donner l’occasion de le découvrir en lui donnant des mots écrits qui
l’intéressent personnellement et qu’il utilise, dès la Petite Section. Le petit
enfant n’a pas conscience qu’il apprend à lire et ce n’est pas nécessaire. Il
ne s’agit que d’intérêt, de jeu et de plaisir. L’enfant qui apprend à lire
comme il apprend à parler, ne sait pas qu’il apprend : il parle, il lit. Certains
chercheurs font beaucoup de cas des problèmes conceptuels liés à l’acte de
lire : qu’est ce que lire, comment ça marche… Alors que si on permet à
l’enfant de faire réellement l’expérience de la langue écrite en lui donnant
quelques mots affectivement investis puis les mots qu’il demande, il
acquiert ces concepts très aisément de manière implicite. On pourra
toujours lui lire la carte envoyée par sa marraine partie en vacances, mais
elle n’aura pas du tout le même impact s’il peut lire lui-même des mots
qu’il reconnaît parce que la marraine a eu la gentillesse d’écrire bien gros et
en script. De même les mots de la recette du gâteau au chocolat n’auront
que plus de saveur s’il peut les reconnaître lui-même.

Fonctions de l’écrit

Sensibiliser l’enfant aux fonctions et supports de l’écrit, comme le


préconisent les Instructions officielles, avant qu’il ait reçu des mots
personnels, n’est pas d’une grande efficacité surtout pour les plus fragiles.
Dans les écoles maternelles, y compris celles des ZEP*, on montre recettes,
affiches, courrier, albums dont on explique la couverture, le titre, l’auteur,
l’éditeur. Et pourtant l’échec reste massif dans les milieux culturellement
défavorisés. Il n’y a vraiment pas de sens à exposer les différents types
d’écrits à la maternelle, si l’enfant n’a pas déjà la notion du mot et de ce
qu’il signifie.
Les années d’expérience prouvent que les mots connus de l’enfant
l’entraînent tout naturellement à s’intéresser à l’écrit de son environnement.
Il cherche ses mots dans les albums, sur les emballages (par exemple
chocolat)… Et bientôt on « écrit » en classe la lettre au Père Noël dans
laquelle chacun retrouve des mots connus.
Différents types d’écrits peuvent être expérimentés lorsque l’occasion se
présente. L’enfant apprend les fonctions de l’écrit au fur et à mesure des
rencontres, besoins et activités à l’école ou à la maison. Les enseigner avant
qu’il en ait l’usage ou qu’il pose des questions. n’est pas pour lui une aide à
la compréhension des fonctions de l’écrit. Permettons-lui de faire
l’expérience de l’écrit à son niveau, de l’utiliser selon ses propres capacités
perceptives, affectives, cognitives. L’intérêt pour une affiche annonçant un
cirque de passage sera d’autant plus grand que l’enfant a l’expérience
personnelle et affective de mots écrits. D’ailleurs cirque lui fera penser à
musique si ce mot fait partie du corpus de la classe.

De la motivation

Tout comme le bébé de 18 mois « parle » selon ses possibilités et ne sait


pas qu’il apprend à parler, le jeune enfant qui reconnaît ses premiers mots
« lit » sans être conscient qu’il fait ses premiers pas dans l’apprentissage. Il
ne peut donc pas avoir l’intention d’apprendre à lire, ce qui n’est pas
nécessaire pour que l’apprentissage se fasse, contrairement à l’avis de
certains chercheurs. L’expérience nous prouve qu’« il est parfaitement
possible d’apprendre sans avoir l’intention de le faire (l’intention a peu
d'effet en elle-même sur la qualité de l’apprentissage)3. »
Lorsque le chercheur s’informe de la motivation de l’enfant à l’entrée au
CP, celui-ci peut difficilement donner comme réponse « pour le plaisir »
parce qu’il n’a pas encore éprouvé ce plaisir par rapport à l’écrit. Mais
aucun enfant ne résiste au plaisir que lui procurent les mots qu’il reçoit
comme notre démarche le propose, et ce plaisir engendre la motivation.
Un enfant de 5-6 ans n’est pas motivé pour des bienfaits qu’il percevra
plus tard. L’intérêt de l’enfant, c’est « ici et maintenant ». S’il avait reçu
depuis ses 3-4 ans, ses mots à lui, ceux qui le touchent vraiment comme en
ont reçu tous les camarades de la classe, il saurait pourquoi il veut
apprendre à lire au CP, parce qu’il connaîtrait déjà les lettres et le bruit
qu’elles font, parce que la maîtresse lit tous les jours des histoires, qu’elle
prête des livres à emporter chaque semaine à la maison que l’enfant fait lire
par un grand frère parce qu’il aime les histoires et qu’il y reconnaît des
mots connus. Cet enfant-là ne dira pas en CM2 : « Je veux bien lire pour
répondre au maître, ou pour bien travailler, ou pour avoir un bon
métier… ». Il ne sert à rien de faire prendre conscience de la nécessité et de
l’enjeu de la lecture au niveau de l’école maternelle.
L’enfant met inconsciemment des mots en mémoire parce qu’ils sont
intéressants à ses yeux et qu’ils lui procurent du plaisir. En revanche, dès
qu’il a remarqué par exemple que cadeau, gâteau, bateau finissent
« pareil », il est très enclin à rechercher des mots similaires dans les écrits
qu’il rencontre. Et il sera motivé à déchiffrer un écrit qui l’intéresse
lorsqu’il aura compris la fusion des phonogrammes. Plus tard, il aura peut-
être également besoin de motivation pour améliorer sa fluidité en lecture en
relisant ses textes.

Une question de milieu ?

Il est admis que les échecs en apprentissage de la lecture sont plus


massivement constatés dans des milieux défavorisés. Il ne faut pas oublier
cependant que des difficultés d’apprentissage de la langue écrite sont le lot
de tous les milieux. Qu’est-ce qui distingue le milieu culturellement
favorisé ? Principalement le dialogue adulte-enfant dès le plus jeune âge,
l’éveil de la curiosité, la réponse aux questions de l’enfant et la lecture qui
lui est faite, sans oublier l’utilisation de l’écrit dans la cellule familiale. Ce
ne sont pas les enseignements très poussés sur la diversité des écrits, la
prise d’indices concernant les marques sémantiques ou syntaxiques, la
ponctuation dans un texte ni les entraînements phonologiques qui aideront
l’enfant de maternelle à apprendre à lire, ni même de savoir pourquoi il veut
apprendre à lire. Pour qu’il en ait envie, il lui suffit de faire l’expérience
que, dès l’abord, l’écrit est source de plaisir.
Que l’école maternelle soit un peu plus maternelle et moins enseignante,
qu’elle reproduise certains aspects culturels de la famille : dialogue
individuel avec chaque enfant, lecture faite collectivement aux enfants, ou
encore mieux avec (selon l’expression de Chauveau) quelques « grands-
mères assez bonnes » qui viennent de temps en temps lire des histoires aux
enfants. Dès lors, l’inégalité de départ sera en grande partie comblée et tous
pourront profiter de la démarche proposée, étant donné qu’un bon langage
parlé et la lecture faite aux enfants ne garantissent pas forcément un
apprentissage aisé de la langue écrite. Nous en avons été le témoin à
plusieurs reprises.
Ainsi que Laurence Lentin4, nous pensons que l’école est encore trop
souvent un milieu clos où les expériences de la vie quotidienne perdent leur
signification pour favoriser le cadre rigide de l’exercice pédagogique. Elle
devrait être davantage une maison où l’on vit… comme à la maison. Les
enfants qui réussissent ne sont autres que ceux auxquels les parents ont
parlé, avec lesquels on a dialogué, fait des choses (par exemple : lavé les
légumes pour la soupe) dans l’esprit montessorien5.
Et les enfants de milieux culturellement défavorisés ? dira-t-on.
L’expérience que nous avons de ces milieux est suffisamment importante et
concluante pour réfuter l’idée selon laquelle ils ne seraient pas à même de
reconnaître et de mémoriser des mots écrits. Une action dans le milieu
d’ATD-Quart Monde m’a démontré à quel point les enfants sont heureux de
recevoir leurs premiers mots personnels et combien ils les chérissent. Ils ont
envie d’apprendre… comme tous les enfants. Aucun enfant ne refuse l’écrit
proposé de cette manière, qui le démystifie à ses yeux, le met directement à
sa portée et au niveau de ses intérêts. L’enfant comprend que l’écrit proposé
le concerne, personnellement. Il n’aura pas idée de le refuser, soi-disant
pour être en conformité avec sa culture d’origine. Certains enfants
aujourd’hui, il est vrai, refusent l’écrit tel qu’il est proposé à l’école, parce
qu’on ne l’a pas suffisamment adapté à ces enfants-là et que le contact avec
les parents ne s’est pas établi.

Naturel ou pas ?

Entrer dans la langue écrite exige une réflexion sur l’objet « langue ».
C’est en ce sens que l’on peut dire que l’apprentissage de la lecture n’est
pas naturel. Pour l’enfant, il n’est pas naturel de considérer la langue écrite
comme un objet de réflexion. Bien sûr, pas d’emblée. Mais si on lui en
donne l’occasion en mettant à sa disposition des mots écrits qui le touchent
de près, adaptés à ses capacités du moment – la recherche n’a pas encore
suffisamment examiné cette hypothèse –, nous constatons quotidiennement
que l’enfant de 3 à 5 ans (quelquefois avant) les mémorise, les compare, les
catégorise, éventuellement avec l’aide de l’adulte, et fait des hypothèses. Et
il réfléchit sur la langue écrite comme il réfléchit sur la langue orale et sur
le monde qui l’entoure. Il peut toutefois en être empêché, soit parce que
« baigné dans l’écrit » on le laisse dans le flou complet et doit, par exemple,
retrouver un mot inconnu dans une phrase écrite sans posséder aucun repère
lettre(s)-son, soit parce qu’on l’enferme dans le carcan de la langue orale à
analyser (phonologie) ou de la discrimination de lettres graphiquement
proches.
On considère par ailleurs que l’apprentissage du langage oral est, lui,
naturel. Il se fait certes naturellement en interaction avec l’entourage, mais
exige de la part de l’enfant un travail important de réflexion (inconsciente !)
sur la langue orale. L’enfant n’imite pas seulement le langage, il le
reconstruit. « Papa bu-eau » est la reformulation de « Papa est parti au
bureau » que le jeune enfant a entendue plusieurs fois.
D’après de nombreux chercheurs « l’apprentissage de la langue écrite
n’émergerait pas spontanément à partir de l’expérience libre de l’écrit, mais
relève d’un apprentissage systématique6 ». Nous ne considérons pas que
donner les mots à l’enfant qui en demande, qui les mémorise, les compare
spontanément entre eux et découvre des correspondances grapho-
phonologiques, relève d’un apprentissage systématique. L’apprentissage de
la lecture ne peut se faire aussi naturellement que l’apprentissage du
langage oral, étant donné que l’enfant ne se trouve pas dans les mêmes
conditions : on ne lui donne habituellement pas les mots écrits de manière
isolée et aussi distinctement qu’on lui a donné les mots oraux. Néanmoins,
dès lors que nous nous attachons à mettre à sa disposition les éléments qui
lui permettent de réfléchir sur la langue écrite, nous constatons que l’enfant
fait preuve de la même réflexion et de la même créativité exprimées lors de
l’apprentissage de l’oral.

Aider les plus faibles


G. Chauveau7 montre que les lecteurs débutants « fragiles » éprouvent
trois sortes de difficultés :
« Ils n’ont pas (encore) saisi les possibilités qu’offre le savoir lire et écrire,
ils perçoivent mal les fonctions et les finalités de la lecture (aspects
culturels). » Donnons-leur des mots personnels, ils auront vite compris.
« Ils n’ont pas encore découvert le principe alphabétique* de notre système
d’écriture. » Donnons-leur des mots qui leur plaisent : ils les mémorisent,
les comparent, font des hypothèses confirmées par l’adulte et découvrent le
principe alphabétique.
« Ils n’ont pas encore compris ce qu’il faut faire pour lire, ils ont une
conception floue ou erronée de l’activité de lecture (aspects stratégiques). »
Même les plus fragiles, s’ils ont bénéficié de la démarche exposée dans ce
livre, ont compris ce que c’est que lire et utilisent des stratégies adaptées.
La difficulté des lecteurs débutants qui ont découvert le code vient de ce
qu’il faut traiter l’écrit de deux manières en même temps : identification des
mots et compréhension. S’ils ont commencé avec des mots intéressants et
qu’ils ont découvert les correspondances petit à petit, cela se fera plus
aisément. Par contre, un enfant déficient intellectuel a beaucoup de mal à
utiliser les deux stratégies en même temps : ou il devine, ou il déchiffre sans
trop essayer de comprendre. C’est le rôle de l’accompagnant de l’aider à
utiliser simultanément les deux stratégies.
On constate souvent que la difficulté au cours de l’apprentissage se
trouve au niveau de la récupération (to retrieve) automatique des mots et
configurations orthographiques. Ou, si l’on considère les modèles
connexionnistes, la difficulté consisterait à prendre en compte
simultanément les aspects phonologique, orthographique, syntaxique et
sémantique. C’est ce que nous allons examiner dans le chapitre ci-après.

1 G. Chauveau, Comprendre l’enfant apprenti-lecteur, Retz, 2001.


2 Citons le Dr C. Billard, Neuropédiatre, Rééducation neurologique pédiatrique, Hôpital du Kremlin-
Bicêtre, Paris, et le Dr Xavier Tan, psychiatre de l’enfant, fondateur du Developmental Dysphasia
Foundation à Amsterdam.
3 P. Perruchet, S. Pacton, « Qu’apportent à la pédagogie les travaux de laboratoire sur l’apprentissage
implicite ? », L’Année psychologique, no 1, 2004.
4 L. Lentin, Apprendre à penser, parler, lire, écrire, ESF, 1998.
5 Du nom de Maria Montessori, fondatrice d’un courant pédagogique fondé sur le rôle central de
l’enfant dans ses apprentissages.
6 J. Ecalle, A. Magnan, L’Apprentissage de la lecture, fonctionnement et développement cognitifs,
Armand Colin, 2002.
7 Op.cit.
Chapitre VI

Le processus d’identification des


mots

La littérature scientifique distingue généralement trois étapes dans le


processus d’identification des mots : logographique (ou idéographique),
alphabétique ou phonologique (que je préfère nommer grapho-
phonologique), orthographique. Dans notre manière d’aborder
l’accompagnement de la découverte du langage écrit, nous remarquons que
ces phases se chevauchent, l’enfant prenant ses premiers repères grapho-
phonologiques assez rapidement, ce qui lui permet de reconnaître de plus en
plus de mots. Certains de ces mots, complètement analysés, seront identifiés
directement (phase orthographique).
Dernièrement toutefois, les modèles connexionnistes* se sont superposés
à l’approche classique des modèles à étapes. Ils leur sont complémentaires :
« [Ainsi] une nouvelle conception de la reconnaissance visuelle de mots est
[donc] apparue, pour laquelle lire ne consiste plus à retrouver un mot stocké
dans le lexique mental mais résulte de l’activation de différentes unités
spécialisées dans le traitement orthographique, phonologique et sémantique.
Autrement dit, dans ce type de modèle, toutes les connaissances sur le mot
sont activées simultanément de façon automatique1. »

Modèles classiques et modèles connexionnistes

Dans la conception connexionniste de la lecture experte, toutes les


compétences sont interreliées. Les modèles connexionnistes tentent de
démontrer que les repères phonologiques, orthographiques et sémantiques
interagissent dans l’acquisition du langage écrit. Le lecteur habile se
caractériserait par la capacité de gérer simultanément tous les aspects de la
lecture. Un apprentissage efficace devrait, de notre point de vue, favoriser
chaque aspect (orthographique, phonologique et sémantique) du traitement
dès que l’occasion se présente pour aider l’enfant qui apprend à lire.
J.E. Gombert établit une relation entre l’acquisition du langage oral et
celui du langage écrit. Il décrit ainsi le fonctionnement du système
connexionniste : « C’est le même système qui est à l’œuvre dans la
reconnaissance des mots écrits et dans celle des mots oraux. » Ce système
d’apprentissage existerait donc avant la rencontre avec l’écrit, notamment
pour l’apprentissage du langage. « Le langage n’est pas le seul moyen
d’activer les significations et leur contexte. […] Pour prendre un exemple,
le concept « chat » dont l’identification est à la charge du processeur
sémantique, peut, même chez le non-lecteur, être activé par au moins deux
voies : l’audition (ou l’évocation mentale) du mot chat, l’entrée se faisant
via le processeur phonologique ; la vision de l’animal ou d’une
représentation figurative de l’animal, l’entrée se faisant via le processeur
pictural. L’enjeu de l’apprentissage de la lecture sera l’installation d’un
processeur orthographique au sein du processeur pictural qui bien entendu
restera fonctionnel : alors le concept « chat » pourra être activé à la lecture
du mot chat2. »
Plus loin : « De la sorte, le système est prêt à l’utilisation des analogies.
En effet, la comparaison des formes écrites et orales des mots permet au
système de mettre en relation les régularités orthographiques et les
régularités phonologiques […] Ce sont ainsi les configurations
orthographiques correspondant aux unités phonologiques les plus
prégnantes (les syllabes et, peut-être, les rimes) qui seront remarquées par le
système. »
« Cette analyse est confortée par un certain nombre de résultats
expérimentaux qui montrent une utilisation précoce des analogies en
lecture, en particulier dans le cas de rimes communes entre les mots
connus3 et les mots à découvrir4. » Parmi les enfants que nous avons suivis,
Lucas (21 mois) qui connaît le mot écrit voiture pointe du doigt ture du mot
peinture dans un rayon au supermarché en disant « broum-broum » (il ne dit
que quelques mots). Le même Lucas (32 mois), qui n’a reçu que les mots
qu’il a demandés, fait remarquer, parmi d’autres analogies, que gâteau c’est
comme râteau. Une preuve à nos yeux que les analogies peuvent être très
précoces lorsque le dialogue adulte-enfant existe au sujet de l’écrit.
Lire en maternelle puis en CP n’est pas deviner le mot, mais le
reconnaître, avec plus ou moins de repères selon le niveau de l’apprenti-
lecteur. La reconnaissance d’un mot au cours de l’apprentissage se
transforme et s’enrichit sans cesse. Née d’un repère graphique, elle prend
progressivement en compte un ou des repères orthographe-phonologie et
plus tard, des repères graphomorphologiques. Pour le mot chocolat par
exemple : au départ, le ch et éventuellement le t, ensuite la correspondance
grapho-phonologique ch, les fusions consonne-voyelle ch + o, c + o, l + a
et finalement le t (morphographique). Toutes les connaissances associées au
mot sont utilisées par le système de reconnaissance.

Le point de départ

Il est apparu évident qu’immerger l’enfant dans un texte ne lui permet


pas d’apprendre à lire, pas plus qu’il n’apprend à parler s’il est plongé dans
un bain de langage sans que personne ne s’adresse à lui personnellement.
Lors de l’instauration des premières crèches, on avait remarqué que les
enfants qui les fréquentaient parlaient plus tardivement que les enfants
élevés dans leur famille. Il a fallu convaincre les puéricultrices et
éducatrices de parler individuellement à chaque enfant pour gommer cette
différence.
Le point de départ de la lecture n’est pas la phrase, encore moins le texte,
comme ce fut la mode de le dire dans les années 1980, lors de l’émergence
de la « lecture pour le sens ». Pas plus d’ailleurs que la lettre ou le son
qu’elle représente, prônés par les méthodes strictement synthétiques. C’est
le mot qui est à la base de la compréhension du langage, qu’il soit oral ou
écrit.
Il n’est toutefois pas rare que l’enfant apprenne le nom des lettres
spontanément, par exemple via le jeu télévisé des « chiffres et des lettres »
ou en jouant avec des lettres mobiles et en questionnant l’entourage ou tout
simplement en s’intéressant aux activités d’un aîné.
LA PHASE LOGOGRAPHIQUE

Dans la première partie du présent ouvrage, nous avons montré le


parallèle pouvant être établi entre le langage oral et écrit au tout début de
l’apprentissage.
J.E. Gombert s’est demandé comment l’enfant fonctionne lorsqu’il
perçoit un mot oral. Le mot est d’abord associé à son objet, puis le simple
fait d’entendre le mot permet à l’enfant d’évoquer sa signification. D’après
lui, le même système fonctionne avec le mot écrit. Celui-ci est d’abord
associé à son objet ou à son image, puis le simple fait de voir le mot permet
à l’enfant d’évoquer sa signification5. Nous l’avons constaté nous-mêmes et
il est heureux que la recherche aille dans ce sens6.
Gérard et Eliane Chauveau ont fait des constatations intéressantes
concernant l’enfant avant le CP7. Ils montrent que l’enfant réfléchit sur le
langage écrit mais décrivent principalement les lacunes de l’enfant avant
l’apprentissage formel. L’environnement décrit par Chauveau (voir
exemples ci-dessous), dans lequel l’enfant découvre seul certains concepts
du langage écrit, peut être comparé au bain de langage dans lequel se
trouverait un enfant dans un environnement où tout le monde parle, sans
que personne ne s’adresse à lui particulièrement. Or, il est bien établi que
l’enfant a besoin de l’échange en duo pour apprendre à parler8 ; il est donc
nécessaire qu’on s’adresse personnellement à lui. De même, il apprendra
plus facilement à lire à partir de mots qui l’intéressent particulièrement. On
constate que dès que l’on donne à l’enfant les mots qui l’intéressent,
s’enclenche le processus et une activité très riche. Lorsque l’on parle à un
tout jeune enfant, l’adulte adapte instinctivement son langage à l’enfant. Il
suffit d’adapter le langage écrit de la même manière pour que l’enfant
puisse s’en emparer. Nous utilisons, dans la pratique que nous avons décrite
dans la première partie de cet ouvrage, des mots investis affectivement pas
l’enfant et l’écriture scripte (en grosses lettres) qui permet le plus de repères
caractéristiques à ce premier stade de l’acquisition.

Les premiers mots


En 1992, je décrivais, à partir de constatations rigoureuses sur le terrain,
comment l’enfant de 2 à 5 ans entre dans l’écrit à partir de mots à
connotation affective, comment il perçoit le langage écrit, puis compare
inconsciemment ses mots et comment l’adulte peut l’aider à les classer pour
favoriser la découverte des mécanismes.
G. Chauveau9 montre par des exemples que les enfants sont très
intéressés par l’écrit. Il décrit ainsi les tentatives de lecture chez des enfants
de 4 ans :

Cédric « redit » le livre qu’il aime bien et qu’il connaît en


tournant les pages.
Julien « lit » sur la boite du petit déjeuner « chocolat » pour cacao
et « chocolat » pour Poulain.
Par mimétisme, Fanny écrit sa liste de courses (une suite de
marques en colonne) pour le supermarché.
Franck demande à sa mère ce qu’elle écrit.
Cyril « lit » Cyril Boutin pour Cyril puis c’est moi pour le même
prénom.

Cet auteur, nous l’avons dit, démontre ainsi que l’enfant réfléchit sur
l’écrit qu’il rencontre. Il constate cependant que les enfants ne comprennent
pas la nature de l’écrit. Si, toutefois, on leur en donnait l’occasion, on
constaterait que l’enfant fait feu de tout bois, mais ne peut apprendre que ce
qu’il y a à apprendre. Lorsque le matériau l’intéresse, il apprend très vite et
avec avidité. Non seulement il mémorise, mais compare et fait des
hypothèses sur le « système ». Nous pensons que l’on s’évertue trop à
laisser l’enfant dans le flou, face à des écrits inadaptés à sa psychologie
cognitive. Si on lui donne son prénom, puis un peu plus tard son nom, il ne
prendra plus l’un pour l’autre. Bien sûr, il se projettera encore quelque
temps en voyant son nom en disant « C’est moi » ou il prendra l’étiquette
voiture en faisant « broum-broum », léchera le mot sucette, mettra le mot
glace au congélateur, etc… C’est une étape normale, et d’ailleurs
attendrissante.
Donner les mots écrits comme on leur donne tout naturellement les mots
oraux, clairement et distinctement, et rien demander en contrepartie ; offrir
à l’enfant le langage sous sa forme écrite (le mot écrit avec le mot oral) lui
donne un matériau de réflexion inconsciente.
L’intérêt de commencer par des mots significatifs pour l’enfant est le
suivant : même après quelques mots reçus, l’enfant ne « lira » pas
« yaourt » pour Danone sur le pot qu’il vient de terminer. Et il ne lira pas
n’importe quoi lorsqu’on lui demandera de lire, par exemple, le titre d’un
nouveau livre. Il est conscient qu’il ne sait pas et sera dans une attitude
d’attente vis à vis de l’information que lui donnera l’adulte. S’il a déjà un
capital-mots, il saura que ce mot-là, qu’on lui demande de lire sur la
couverture, ne fait pas partie de ceux qu’il connaît, sauf s’il est
graphiquement proche. Il sait qu’un mot oral correspond toujours au même
mot écrit. En revanche, l’enfant qui est dans l’ignorance complète par
rapport à l’écrit, inventera un titre au livre qu’il tient dans la main, selon
l’image sur la couverture (ou celles contenues dans le livre).
Ce premier capital-mots, disponible instantanément dans la mémoire de
l’enfant, est appelé à jouer un rôle important.

La perception des premiers mots

La perception des premiers mots est exclusivement graphique et,


contrairement à ce que disaient certains10, l’enfant reconnaît un mot plus
souvent à des repères de détail qu’à son allure générale ou à sa silhouette.
En effet, on a cru pendant des années que l’apprenti débutant reconnaissait
des mots à leur allure générale. On a donc inventé les patrons, les
« silhouettes »… auxquelles les enfants sont supposés relier des mots. La
pratique nous montre cependant que l’enfant prend le moins de repères
possibles pour différencier un mot des autres. Si deux mots se ressemblent,
il est amené à prendre en compte un indice supplémentaire.
Cette perception globale du mot à partir d’un ou de plusieurs indices
graphiques est naturelle pour l’enfant de 2 à 5 ans, qui apprend de manière
intuitive. À 6-7 ans, s’il n’a pas bénéficié de l’approche proposée, l’enfant
qui connaît déjà le nom de certaines lettres mémorise moins facilement les
mots de l’école, soit parce qu’ils sont trop nombreux ou moins intéressants
(notamment les petits mots outils) ou peut-être parce qu’ils pressentent
l’existence d’un code. Hypothèse à vérifier… Jusqu’à présent, la recherche
n’a pas pris en compte le fait que l’enfant de maternelle emmagasine
visuellement quantité de mots qui lui sont chers, en conservant une bonne
part de la séquentielle des mots. J’en fais l’expérience depuis plus de trente
ans, et avec des enseignants de maternelle depuis quinze ans. Je ne vois pas
que l’on puisse prétendre le contraire.
On dit que la place des lettres n’est pas prise en compte au stade
logographique. Je ne pense pas que ce soit le cas : les enfants conservent
une certaine conscience de l’emplacement des lettres dans les mots. Noël
sera confondu volontiers avec Joël, mais pas avec Nëlo. D’après C. Bastien
et M. Bastien-Toniazzo11, à qui nous devons des études intéressantes sur la
phase logographique d’acquisition du langage écrit, la reconnaissance
visuelle des mots passe de l’identification de quelques lettres à l’ensemble
des lettres. M. Bastien-Toniazzo pense que l’enfant identifiera une suite de
lettres comme un mot qu’il connaît, si la suite de lettres comprend toutes les
lettres dans le désordre. Ce n’est pas tout à fait ce que nous constatons sur
le terrain. Un mot peut être confondu avec un autre graphiquement proche,
par exemple lapin avec sapin ou lopin, mais pas avec alnip ni nipal. Il n’est
pas exact que l’anagramme soit systématiquement confondue avec le mot
cible, l’enfant ne tenant pas compte de toutes les lettres.

Importance de la phase logographique

Certains chercheurs12 ont tendance à éluder cette phase, un peu


facilement, prétendant qu’elle ne sert à rien et qu’il faut exclusivement
amener l’enfant à considérer la langue écrite comme le reflet de la langue
orale. Dans cette perspective, ils préconisent d’ailleurs les exercices de
phonologie avant l’apprentissage formel de la lecture. La phase
logographique est pourtant, d’après notre longue expérience avec de tout
jeunes enfants, fondamentale. En effet, de la solidité de ce premier capital-
mots vont émerger les premières comparaisons, la découverte du son
produit par quelques lettres et suites de lettres fréquentes. Des erreurs
d’identification de mots sont instructives pour l’adulte et permettent
d’analyser le cheminement de l’enfant.
Toutefois si on lui ôte le matériau, objet de réflexion, c’est-à-dire les
mots écrits, on lui enlève la possibilité d’en faire l’analyse. Or, par son
activité réflexive spontanée sur la langue écrite, l’enfant manifeste son
intelligence. Il faut respecter sa démarche, surtout que, comme nous le
verrons plus loin, elle est efficace. « L’école maternelle doit faciliter au
maximum la réflexion de l’enfant », écrit E.J. Gombert, nous ne pouvons
qu’abonder dans ce sens.
Vellutino et Scanlon13 conseillent de commencer par un corpus de mots
que l’enfant peut facilement reconnaître, à partir desquels on peut mettre en
évidence des régularités entre graphèmes et phonèmes (qui correspondent à
nos maisons). Comme nous l’avons vu, l’enfant nous montre qu’il cherche
intuitivement les régularités grapho-phonologiques, de la même manière
qu’il cherche depuis qu’il est né les régularités dans le monde qui l’entoure
afin de le comprendre.
Contrairement à ce que pensent Stuart et Coltheart, notre longue
expérience avec les enfants prouve que la procédure logographique est une
étape développementale. Elle joue un rôle dans la dynamique d’acquisition
de la langue écrite. L’enfant développe implicitement une sensibilité aux
unités écrites fréquentes de la langue. Il a déjà une conscience graphique
qui lui permet de reconnaître une combinaison pertinente de lettres d’un
non-mot.
Priver l’enfant de cette première étape, ce serait le priver d’une modalité
de base de l’apprentissage : en effet, sans capital-mots initial, l’enfant ne
peut pas établir de connexions entre l’écrit qu’il apprend et l’oral qu’il
connaît.

Transition

Les enfants apprécient les mots écrits, donnés à la demande. Ceux-ci sont
l’amorce d’une formidable évolution de leur réflexion sur l’écrit, qui leur
permettra de profiter pleinement de l’enseignement en cycle élémentaire,
qui fleurira ainsi sur une terre préparée.
La procédure logographique sert de support aux premières connaissances
phonologiques. À partir de son capital-mots, l’enfant va découvrir les
premières correspondances lettre-son (maman, mamie, miel…) ; certaines
correspondances graphie-phonie (cadeau, cassette, camion… bateau,
gâteau, cadeau). Il utilise la prononciation de certains patrons
orthographiques connus pour lire de nouveaux mots. Papa et mange pour
lire page, Clément et Justine pour lire Clémentine, par exemple.
Entre la lecture logographique et le décodage autonome de mots
nouveaux, il existe une période où l’enfant peut reconnaître de plus en plus
de mots, parce qu’en plus des indices graphiques, il commence à prendre
des repères phonologiques14. Par exemple, l’enfant peut repérer cachette
parce qu’il connaît la correspondance grapho-phonologique de ca avec
camion et qu’il connaît aussi dînette. Il ne possède pas toutes les
correspondances lettre(s)-son, mais certaines lui sont utiles pour mémoriser
et reconnaître le mot.
Des procédures logographiques et alphabétiques (grapho-phonologiques)
co-existent donc au cours de l’apprentissage. Cette option est confirmée par
U. Goswami et P. Bryant15.

LA PHASE GRAPHO-PHONOLOGIQUE

Personne ne nie plus, à l’heure actuelle, la nécessité de savoir déchiffrer


(faire correspondre des sons aux lettres) afin de pouvoir tout décoder
(déchiffrer en identifiant les mots). Les deux capacités de base
indispensables permettant de déchiffrer sont la compréhension du principe
alphabétique, c’est-à-dire le principe général de la représentation des lettres
par des sons et la compréhension du principe de la co-articulation des
phonogrammes* (b + a = ba).
Nous ne pouvons qu’approuver l’Observatoire national de la lecture
(1998) lorsque celui-ci préconise que la priorité en matière d’apprentissage
est d’obtenir la compréhension du principe alphabétique.

Le principe alphabétique
C. Perfetti remarque : « L’enfant qui a mémorisé ses premiers mots écrits
apprend très tôt des correspondances phonémiques des lettres, et celles-ci
contribuent à l’acquisition d’une représentation des mots16. »
En effet, les jeunes enfants s’aperçoivent vite de la régularité
orthographique, par exemple dans maman, mamie, mer, miel… ou Victor,
voiture, vélo… surtout s’ils sont rangés ensemble. La prononciation de ces
mots leur permettra de découvrir le phonème correspondant. Ils remarquent
facilement des analogies au début du mot (graphème initial). Il a été
confirmé, entre autres par Thompson et al17 que les enfants, même très
jeunes, découvrent la correspondance phonémique du graphème initial plus
facilement que celles contenues dans d’autres parties du mot. Une petite
trisomique de 7 ans que j’ai suivie (scolarisée en Moyenne Section) dont les
mots étaient classés selon le graphème initial connaissait chocolat, chat,
chien, château. Observant sa mère écrire ch l’enfant a prononcé /ch/ avant
qu’elle n’ait terminé d’écrire cheval. Elle avait repéré la correspondance
grapho-phonémique. Les enfants remarquent également des suites de lettres
fréquentes à la fin des mots. Ce cas est abordé plus loin.
On constate en retour que « la compréhension du principe alphabétique,
même si au départ elle se fonde sur des indices partiels, permet un
accroissement important du nombre de mots reconnaissables18 », l’enfant
prenant des repères grapho-phonologiques. Il ne possède pas toutes les
CGP* mais peut repérer un mot parmi d’autres grâce à celles qu’il connaît.
Dans le contexte de la déferlante idéo-visuelle des années 1970-1980,
l’Australien Brian Byrne19 prend le contre-pied en concluant que l’enfant
n’est pas capable d’inférer le son des lettres sans enseignement explicite.
Mais il prête à l’enfant un raisonnement d’adulte, ne tenant pas compte du
raisonnement naturellement inductif. Nous y reviendrons. Sa conclusion et
celles des études qui en découlent sont en quelque sorte caduques. Cette
étude princeps a néanmoins engendré des dizaines d’études qui ont tenté de
prouver que la conscience phonologique serait indispensable pour
apprendre à lire.
Qu’est-ce que le principe alphabétique ?

Les systèmes alphabétiques mettent en correspondance des unités


graphiques, les graphèmes 26 lettres (a, b, c…) ou des blocs de lettres
(ou, au, eau…), avec les unités abstraites de la langue orale, les
phonèmes, environ 36 en français.
Les phonèmes sont les éléments constitutifs de la parole qui
permettent des distinctions sémantiques. Par exemple, la distinction
entre /p/ et /b/ suffit à distinguer les mots « pas » et « bas » ; les mots
« gâteau » et « château » diffèrent entre eux par le phonème initial.
Cette correspondance systématique entre phonèmes et graphèmes
constitue le principe alphabétique.

Martine Fournier

Des prérequis phonologiques pour faciliter l’apprentissage ?

Bon nombre de chercheurs pensent encore que « si le premier but de


l’enseignement de la lecture est l’acquisition des correspondances entre
phonèmes et lettres, et si ces correspondances ne peuvent être apprises
avant que les enfants ne soient capables de décomposer les syllabes
entendues en phonèmes, alors un entraînement à l’analyse phonémique
devrait précéder l’enseignement des règles phono-orthographiques20. »
Les extraits ci-après21 traduisent bien la pensée d’une partie des
chercheurs à propos de la compréhension du principe alphabétique :
« Pour comprendre le principe alphabétique, l’apprenti lecteur doit procéder
à une analyse consciente de la structure du langage parlé que l’on nomme
très généralement conscience phonologique ou capacité métaphonologique
ou capacité d’analyse phonologique. »
« La capacité à segmenter les mots parlés en leurs unités les plus
élémentaires s’avère indispensable pour que l’apprenti lecteur soit en
mesure de découvrir les correspondances grapho-phonologiques. » « Les
représentations phonologiques sont extrêmement importantes puisque c’est
à partir de leur manipulation consciente que l’apprenti lecteur va
développer les compétences métaphonologiques nécessaires pour apprendre
à lire. »
Dans Goigoux22 et al., on peut lire : « … il semble possible de faciliter
l’apprentissage de la lecture en installant préalablement à son abord
explicite les connaissances métaphonologiques qui lui sont nécessaires. »
On en vient donc actuellement à recommander des prérequis
phonologiques : selon ces chercheurs, l’apprentissage de la lecture est
soumis à l’analyse du langage oral.
En résumé, pour les uns, l’habileté à segmenter la parole en phonèmes,
constitue un prérequis indispensable à l’apprentissage de la lecture. En
conséquence, des chercheurs et de nombreux responsables du système
éducatif pensent qu’il est nécessaire d’entraîner les enfants de maternelle à
des exercices de phonologie avant l’apprentissage formel de la lecture. Pas
étonnant dès lors qu’aujourd’hui la conscience phonologique soit à la mode
et qu’on pratique de plus en plus de séquences de phonologie en maternelle.
Les résultats en CP n’en sont pas améliorés pour autant.
Pour les autres, la conscience phonémique découle de la mise en exergue
des correspondances grapho-phonémiques, et l’entraînement à l’analyse
phonémique, nécessaire pour écrire, est prématuré en dehors de cette mise
en relation. C’est ce que la pratique nous a confirmé depuis trente ans.
Ainsi, A. Ouzoulias, à la suite de U. Goswami et de la pédagogue D. de
Keyser, voit l’acquisition du principe alphabétique dans un deuxième
temps, au moyen de syllabogrammes issus des mots connus et classés selon
la consonne initiale, à la suite d’un premier classement des mots selon des
analogies grapho-phonologiques larges. Il ne tient toutefois pas compte du
fait que l’enfant peut découvrir le principe alphabétique à partir du
graphème initial des mots, notamment grâce à des allitérations (dans un
abécédaire par exemple) ou au classement de ses mots personnels dans un
répertoire alphabétique tel que nous le préconisons (maman c’est comme
mamie et comme miel…).
Une professeure des écoles23 travaillant au laboratoire de psychologie et
neuro-cognition de Grenoble, écrit : « l’étude des correspondances
phonèmes-graphèmes aide les élèves ayant des difficultés à discriminer les
phonèmes en leur donnant un support visuel. » Cela nous paraît une
évidence.
Certaines études24 relatent qu’« un entraînement combinant la conscience
phonologique et les relations lettres-sons contribue à l’amélioration des
performances ultérieures tant en lecture qu’en écriture. » J. Ecalle et A.
Magnan25 constatent aussi que « l’entraînement à la conscience
phonologique ne constitue pas une condition suffisante pour faciliter
l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. »
G.B. Thompson et al.26 vont plus loin. Ils relatent les cas de lecteurs
précoces (3 ans) ayant un âge lexique de 8 ans, qui ont forcément acquis le
principe alphabétique mais n’ont pas développé de conscience phonémique,
à peine une sensibilité phonologique aux graphèmes initiaux.
J’ai pour ma part rencontré plusieurs cas de lecteurs très précoces dont
Rayan, qui, ayant appris à lire selon la démarche que je propose, décodait
des petits livres qui l’intéressaient à 3 ans 2 mois et lisait à 4 ans comme un
bon élève de CE1. Pourtant, à cet âge, il commençait à peine à pouvoir dire
de quelle lettre on a besoin pour écrire tel mot. Lucas a, quant à lui, compris
la fusion des phonogrammes le lendemain de ses 3 ans et s’est mis à lire
comme un élève de CE1 dès 4 ans. On n’a jamais pratiqué aucun jeu ni
exercice de phonologie avec lui. Il s’est mis à orthographier spontanément
à 3 ans 9 mois.
D.L. Share27 a évalué les compétences phonologiques de trois enfants
hyperlexiques : ces enfants ont une habileté de reconnaissance de mots très
supérieure à leurs habiletés cognitives et linguistiques pour une faible
compréhension du matériel lu. Il a trouvé que leur conscience phonologique
est plus faible que ce qui est attendu à ce niveau d’identification des mots.
G. Cossu28 signale également le cas d’un enfant déficient intellectuel
hyperlexique de 9 ans sachant lire et écrire mais nul dans les tâches
métaphonologiques habituelles. Des enfants trisomiques peuvent atteindre
un bon niveau en lecture tout en échouant aux tâches de conscience
phonologique29. Cet article a suscité une controverse importante. Ainsi que
nous l’avons nous-même constaté, les enfants trisomiques ne comprennent
habituellement pas les consignes des exercices supposés contrôler leur
conscience phonologique. Cela ne veut pas dire qu’ils ne possèdent pas une
forme de sensibilité phonologique. Ainsi que ces auteurs, nous pensons que
la capacité de lecture est développée plus facilement par la découverte des
correspondances grapho-phonologiques des lettres initiales et des analogies
plus larges dans le cadre de l’apprentissage que par l’entraînement des
compétences en conscience phonologique. Nous en faisons régulièrement
l’expérience avec des déficients intellectuels. Les tout jeunes enfants
fonctionnent également de cette manière. Selon notre expérience, une
conscience phonologique implicite, acquise grâce à des mots écrits
mémorisés, éventuellement à des allitérations, à la manipulation de lettres
mobiles et la mémorisation de comptines enfantines, est suffisante pour
apprendre à déchiffrer. Mais un simple intérêt pour des mots écrits investis
d’affectivité est suffisant pour commencer à apprendre à lire.
J. Morais30 affirme par ailleurs que l’habileté à analyser la parole en
phonèmes est bien une conséquence de l’apprentissage de la lecture, et n’est
pas liée aux autres formes de conscience phonologique sur les rimes et
syllabes, acquises plus facilement.
L’insistance de la recherche concernant l’importance des capacités
métaphonologiques pour apprendre à lire a encore été renforcée par le fait
que de nombreuses études auraient démontré que les performances des
entraînements destinés à développer la conscience phonologique sont liées à
la performance en lecture (méta-analyse Ehri31 2001b).
A. Castles et M. Coltheart32 ont toutefois réfuté cette conclusion.
Ayant procédé à une analyse très détaillée de toutes les études
souscrivant à un lien causal entre conscience phonologique et performance
en lecture, ils concluent qu’aucune recherche ne permet de mettre
véritablement en évidence un lien de causalité. Toutefois, lorsque les
entraînements à la conscience phonémique sont associés à l’apprentissage
des correspondances lettres-sons, la conscience phonémique aurait un
impact plus direct sur l’apprentissage. C’est ce que nous constatons. Mais
on voit malheureusement encore fleurir de nouveaux ouvrages destinés à
l’école maternelle proposant des entraînements systématiques de la
conscience phonologique sans support de l’écrit.
Et Enseigner la lecture au cycle 2 cité plus haut, note que « … les
recherches ont montré que l’utilité de tels exercices est très limitée si le lien
entre ces manipulations phonologiques et les caractéristiques de l’écrit
alphabétique n’est pas explicitement mis en évidence pour les élèves. »
Soulagement ! Peut-être que les enseignants pourront se passer de ces
exercices difficiles et inadaptés de phonologie pure et permettre aux enfants
d’apprendre à lire sans leur tordre les neurones inutilement !
Pour d’autres auteurs33 le programme d’entraînement phonologique n’a
pas eu d’impact positif auprès d’enfants détectés dès la maternelle avec un
faible niveau de conscience phonologique. Ce programme n’avait pas
conduit à une amélioration de leurs performances en lecture-écriture dans
les deux premières années du primaire. Selon ces auteurs, il faut considérer
que d’autres facteurs liés à l’expérience de l’enfant face à l’écrit contribuent
également à l’acquisition de la lecture-écriture.
Cependant dans la plupart des écoles maternelles, on persiste à vouloir
préparer les enfants à l’apprentissage de la lecture en leur administrant des
exercices de discrimination phonémique à partir d’images. Il est vrai que les
enfants qui les réussissent apprennent généralement à lire sans problème.
Mais un quart au moins des enfants sont incapables de discerner les sons
dans les mots sans support écrit et se sentent par conséquent en échec dès la
Grande Section de maternelle. En effet, du fait de la co-articulation des
phonèmes consonantique-vocalique dans le mot parlé, leur perception, et
plus encore leur identification, est très difficile pour l’enfant de maternelle.
D’après notre expérience de terrain, on ne peut prétendre que la capacité
d’analyse phonémique, présente chez certains enfants avant le CP, ait été
obtenue par des exercices de manipulation phonologique. Elle peut avoir été
acquise par le contact précoce de l’enfant avec le langage écrit : capital-
mots écrits personnels, petit répertoire alphabétique contenant les mots de
l’enfant, abécédaires contenant des allitérations, lettres mobiles, courrier à
des proches, etc. J’ai personnellement connu et suivi des centaines
d’enfants de 3 à 5 ans familiarisés de cette manière avec l’écrit. Ces enfants
n’ont jamais participé au préalable à des jeux phonologiques. Lorsqu’elles
me posaient la question, je déconseillais aux familles d’en faire, étant donné
que les enfants de 3-5 ans en sont majoritairement incapables. Tous ces
enfants, dont des déficients intellectuels, ont appris à lire.
J. Morais34 confirme, suite à son étude célèbre concernant des adultes
poètes illettrés producteurs de rimes et d’assonances mais totalement
incapables, même après enseignement, d’isoler un phonème, que :

« … l’habileté à analyser intentionnellement la parole en


phonèmes est très intimement liée à l’apprentissage de la lecture
dans le système alphabétique ».
« La conscience phonémique ne peut pas éclore des autres formes
de conscience phonologique. »
« … la conscience phonémique n’est pas un prérequis à
l’apprentissage de la lecture. Son absence chez un enfant qui n’a
pas encore commencé l’apprentissage de la lecture dans un
système alphabétique ne peut donc pas être considérée comme un
signe d’immaturité cognitive. »

Il n’est pas naturel et même très difficile – voire impossible – pour un


enfant de réfléchir consciemment sur les sons de sa langue (isoler un
phonème, compter les phonèmes d’un mot, les fusionner, abstraire le
phonème initial…) avant d’avoir commencé à apprendre à lire. En revanche
le jeune enfant compare naturellement (et sans qu’on l’y invite) les mots
nouveaux qui l’intéressent à ceux de son capital-mots écrits mémorisés.
C’est au moment où l’adulte écrit le mot devant lui pour la première fois
qu’il réagit le plus souvent. Par ce biais, il remarque des analogies
orthographiques. Aidé par l’adulte à les regrouper, il s’aperçoit qu’elles
correspondent à des analogies phonologiques. L’enfant est à ce moment
dans une dynamique constructive. Il tente de rechercher des constantes dans
ce qu’il découvre comme il le fait avec tout ce qui l’entoure et comme il l’a
fait inconsciemment pour élaborer la syntaxe de son langage oral. Il est
urgent que les chercheurs viennent constater ce fait dans nos classes
maternelles !… et construisent leurs théories à partir de ce constat !
C’est seulement lorsque l’enfant a pu observer la relation écrit-oral, dans
la foulée de la découverte, qu’il devient capable de se concentrer sur la
phonologie. Dès lors, l’enseignant peut lui demander de « fermer les yeux »
et de chercher par exemple d’autres mots « qui commencent comme
mmmaman, mmmamie, … » C’est aussi à partir de ce stade que
l’enseignant, lors d’une production d’écrit, peut introduire par exemple la
question : « De quelle lettre ai-je besoin pour écrire fête ? » (il n’est
question au début que de la lettre initiale). L’enfant comprend l’utilité de
cette activité, alors qu’il ne peut comprendre celle d’exercices
phonologiques isolés, sortis de tout contexte.
Remarquons par ailleurs qu’il semble plus efficace, lorsque l’enfant voit
des mots écrits commençant par la même lettre correspondant au même
phonème, de lui faire prononcer les mots (en insistant éventuellement sur le
phonème initial) et ainsi lui permettre de percevoir physiquement la
prononciation des consonnes, plutôt que de tenter de lui faire entendre le
phonème produit (discrimination auditive). « En fait, pour ainsi dire, la
conscience phonémique relève d’une relation écouter-voir dans le cas des
phonèmes vocaliques, mais d’une relation sentir-voir dans celui des
phonèmes consonantiques35. »
Avec J. Morais, on peut affirmer que « la conscience phonémique ne
précède jamais l’acquisition d’une connaissance, fût-elle partielle, du code
alphabétique » et à la même page : « En un mot, la conscience phonémique
et la connaissance du code alphabétique émergent ensemble36. » et à la page
suivante : « l’entraînement à l’analyse de la parole en phonèmes est peu
efficace si l’on ne rend pas explicite leur relation avec les signes écrits. »
L’insistance de certains sur la nécessité de développer l’analyse
phonémique avant l’apprentissage formel de la lecture est d’autant plus
étonnante que le collectif Enseigner la lecture au cycle 2 fait remarquer
qu’abstraire un phonème n’est pas possible avant l’apprentissage de la
lecture, est possible lorsqu’on a compris la combinatoire, et plus facile au
fur et à mesure de l’apprentissage, mais est difficile après l’apprentissage
(CE1) : l’enfant étant déjà au stade orthographique, il « voit » le phonème et
a tendance à compter les lettres plutôt que de dénombrer les phonèmes, la
valeur graphème primant progressivement sur la valeur phonème. » Suite à
cette constatation, on serait tenté de dire qu’en apprentissage de la lecture il
s’agit davantage de voir les phonèmes que de les entendre. A. Ouzoulias
fait remarquer justement que la conscience des phonèmes du lecteur habile
est une conscience grapho-phonologique. « Quand on lui demande
d’écouter des phonèmes, il cherche d’abord à les « voir »… L’orthographe
des mots compte plus que leur phonologie. Ainsi, dans les mots seconder et
exercer le phonème /g/ n’est pas repéré37. » L.C. Ehri avait fait remarqer
que « L’orthographe fonctionne comme une représentation des phonèmes
en mémoire. La mémorisation des mots est améliorée parce que
l’orthographe est utilisée comme symboles visuels pour les conserver en
mémoire. » (1989) L.C. Ehri et A.G. Soffer38 ont d’ailleurs proposé le terme
de « conscience grapho-phonémique » par opposition à la conscience
phonémique pure et soulignent le fait qu’il n’y a que peu de sens à
développer la conscience phonémique sans également s’intéresser aux
correspondances entre les sons et les lettres.
Une étude comparative faite en 2002 de Mann (USA) et Wimmer
(Allemagne)39 montre que les enfants de kindergarten américains, bien
qu’ayant un niveau nettement plus élevé en connaissance de lettres et en
conscience phonologique, se retrouvent nettement moins bons que les
Allemands de première et deuxième année élémentaire en décodage de
mots et de pseudo-mots. Il est cependant intéressant de noter que le niveau
de conscience phonologique de ces derniers en première et deuxième année
est équivalent à celui des Américains. Comme ces auteurs, nous pensons
que la conscience phonémique est un produit de l’apprentissage de la
lecture.
Concluons, avec J. Morais, que « l’activité lecture elle-même ne
comporte pas d’analyse phonémique. Elle comporte l’activation des
représentations de phonèmes par les graphèmes correspondants et leur
fusion. Il en va autrement de l’écriture. Pour écrire un mot pour lequel on
ne dispose pas de représentation orthographique, il faut pouvoir l’analyser
en phonèmes. L’écriture est plus exigeante que la lecture. »
Les chercheurs ne se sont donc pas mis d’accord sur les moyens à utiliser
pour permettre à l’enfant de découvrir le principe alphabétique. Le lecteur
l’aura compris dans la description de la démarche proposée : celui-ci ne
peut être enseigné directement, il faut amener l’enfant à le découvrir en
classant les mots mémorisés par les enfants. Nous ne pouvons qu’approuver
l’Observatoire national de la lecture lorsque celui-ci préconise que la
priorité en matière d’apprentissage soit d’obtenir la compréhension du
principe alphabétique.
Sensibilité ou conscience phonologique

Dans Ecalle et Magnan (2002) on peut lire : « La conscience des rimes


et des allitérations chez les enfants d’école maternelle a été démontrée
par un certain nombre de chercheurs. » L’utilisation de rimes et
d’allitérations fait partie de la vie quotidienne de l’école maternelle. Il
semble donc que la sensibilité naturelle des enfants à ces sonorités soit
bénéfique à l’apprentissage de la lecture. Pas uniquement à notre avis.
Je pense qu’il s’agit plutôt d’un ensemble d’activités de l’enfant dans un
milieu où on lit et on écrit :
voir lire, se faire lire des histoires, apprendre des comptines, posséder
un abécédaire, jouer avec des lettres mobiles…
Certains chercheurs voient des degrés dans la conscience phonologique.
Morais et al. (1987), Perfetti (1989) distinguent sensibilité
phonologique et conscience phonologique. Ecalle et Magnan (2002)
parlent d’habiletés épiphonologiques et métaphonologiques. Seymour et
al. évoquent une conscience phonologique implicite pour un traitement
épiphonologique et une conscience phonologique explicite pour un
traitement métaphonologique (Ecalle et Magnan, 2002).
Exemples de tâches épiphonologiques (d’après Lecocq, 1991)

Trouver un mot qui rime avec le mot cible ;


Choisir parmi 3 mots, un mot qui rime avec le mot cible ;
Choisir parmi 3 mots, un mot dont la consonne initiale (il
vaudrait mieux dire phonème initial) est la même que le mot
cible.

Nous pourrions ajouter : trouver un mot qui commence par le même


phonème que le mot cible.
Exemples de tâches métaphonologiques :

supprimer la consonne initiale et prononcer ce qui reste (qui


constitue un mot de la langue) ;
supprimer la consonne initiale d’un mot et lui en substituer
une autre de manière à former un nouveau mot qui rime avec
le premier.

La sensibilité phonologique apparaît, certes, au contact des comptines


et allitérations, mais aussi au contact de l’écrit via les analogies
remarquées. La conscience phonologique apparaît au cours de
l’apprentissage des correspondances grapho-phonémiques et est
nécessaire pour orthographier.
Nous avons la certitude que la sensibilité phonologique est suffisante
pour progresser dans l’apprentissage, et qu’au cours de celui-ci survient
progressivement la conscience phonémique.

Les capacités épiphonologiques ne sont même pas nécessaires avant


l’apprentissage des premiers mots. Même si elles sont inconscientes
lorsqu’elles apparaissent, elles deviennent conscientes pour l’enfant,
surtout si l’adulte peut approuver ses découvertes de correspondances
grapho-phonologiques. Il devient alors capable d’utiliser ces
connaissances pour mémoriser de plus en plus de mots nouveaux.
Certains enfants n’ont même pas besoin de confirmation par l’adulte et
apprennent à lire tout seuls.
La pratique prouve qu’une sensibilité est suffisante mais n’est peut-être
pas indispensable, étant donné que j’ai suivi des enfants qui ont appris à
lire à partir de 150 mots intéressants à leurs yeux mémorisés à 3 ans et
coupés en pulsions phonatoires. L’un de ces enfants jouait tout seul à les
reconstruire, tandis que sa mère les rangeait selon la consonne initiale.
Cet enfant a été contrôlé avec un niveau de lecture de CE1 pour
ses 4 ans, étonnant d’autant plus enseignants et médecins qu’une surdité
à 60 % (suite à plusieurs otites séreuses) a été détectée chez lui à ce
moment-là. Je suis allée lui rendre visite et j’ai pu me rendre compte
qu’il ne pouvait pas former un mot simple avec des lettres mobiles. Je
lui ai demandé : « de quelle lettre ai-je besoin pour écrire parc » (il en
revenait). Il n’a pas pu me répondre. S’il avait appris à « écrire », il
aurait peut-être su, mais ce n’était pas le cas. Pas plus de succès avec
des pseudo-mots réguliers.
Ce fait semble renforcer mon opinion : la conscience phonologique
n’est pas nécessaire pour apprendre à lire, et la compréhension de la
fusion des phonèmes est davantage une affaire de raisonnement logique
par inférence inductive que la conséquence de capacités sensorielles et
métaphonologiques.
L’enfant peut néanmoins avoir compris le principe alphabétique et
connaître le son produit habituellement par la plupart des lettres, sans
posséder une conscience phonémique. Julie est capable à 4 ans et 3 mois
de composer mouche (mot nouveau) avec des lettres mobiles (elle
connaît la valeur sonore du m, de ou et de ch) et de choisir la bonne
lettre pour transformer ce mot en couche, louche ou bouche à la
demande, mais elle n’est pas en mesure d’abstraire oralement le
phonème /m/ du mot mouche et dire /ouche/. L’enfant ne peut pas
consciemment abstraire un phonème, ni le manipuler, mais peut utiliser
ce qu’il connaît de manière fonctionnelle, par exemple pour composer
un mot. Perfetti (1989) a d’ailleurs constaté que des élèves de première
année font des progrès en lecture avant de faire des progrès dans une
tâche de conscience phonémique explicite et réflective (il s’agit d’une
tâche de suppression phonémique, les enfants devant prononcer, par
exemple, le mot anglais cat sans le /k/ ou sans le /t/.)

Conscience phonémique et écriture

Si, à notre avis, la conscience phonémique n’est pas indispensable pour


commencer à apprendre à lire, elle l’est pour écrire, du moins
phonétiquement. Sans instruction particulière, « la capacité de segmenter en
phonèmes n’est qu’une conséquence de l’apprentissage de la lecture, alors
qu’elle est nécessaire à l’écriture40. »
« La conscience phonologique semble plus fortement liée au
développement précoce de l’orthographe qu’à celui de la lecture et
l’entraînement à la conscience phonologique affecte le développement de
l’orthographe plutôt que celui de la lecture41. »
On peut faciliter la conscience phonémique par la prononciation des mots
que l’on veut écrire. L’enfant perçoit plus facilement le phonème dont il
doit écrire le graphème en prononçant lui-même le mot (il doit apprendre à
le faire lentement) et en analysant sa prononciation qu’en écoutant le mot
dit par le maître : « Les exercices de prise de conscience des mouvements
articulatoires sont plus propices à faire émerger la conscience des phonèmes
consonantiques que la discrimination auditive42. »
Pour déchiffrer, il faut être capable de transposer les graphèmes en
phonèmes et de les fusionner. Mais pour écrire un mot, il faut pouvoir le
segmenter en phonèmes (donc avoir acquis une conscience phonémique) et
de plus en connaître les particularités orthographiques. Car, comme
l’indique J. Veronis43 (1988) les règles de conversion phonème-graphème ne
permettent d’orthographier que la moitié des mots français.

Conscience graphique et orthographique ?

Récemment, certains chercheurs se sont intéressés à l’apprentissage


implicite, qui joue sans doute un rôle plus important qu’on ne le pense.
L’enfant apprend des quantités de concepts sans que nous nous en
apercevions. Ainsi, nous avons pu remarquer, dès 1985, que les enfants âgés
d’à peine deux ans étaient capables de mettre à l’endroit une étiquette-mot
écrite en script qu’ils n’ont jamais vue, dès que leur capital-mot atteint 10-
15 mots écrits. Quelques années plus tard, je me suis amusée à montrer à
des enfants âgés de 3 ans 6 mois à 4 ans un mot qu’ils n’avaient jamais vu,
ainsi qu’un non-mot contenant un doublement de lettre jamais rencontré en
français. Les enfants ne se trompent pas : ils sont capables de dire lequel est
le vrai mot. J’ai fait ce test à plusieurs reprises et avec plusieurs enfants
tout-venant et déficients. Ceci prouve à nos yeux que même le tout jeune
enfant est sensible à des suites de lettres fréquentes et les mémorise
inconsciemment. Il n’est donc pas étonnant qu’il remarque aisément des
analogies graphiques caractéristiques.
Dernièrement S. Pacton et al. ont obtenu des résultats du même ordre
avec des enfants de CP. « … l’enfant commence à acquérir implicitement
des connaissances sur les caractéristiques structurales de l’écrit dès qu’il lui
est exposé de façon répétée, éventuellement bien avant le début de
l’instruction formelle44. » Pacton et al. ont montré que, indépendamment de
la phonologie, les enfants mémorisent, sans même le savoir, des successions
de lettres dans l’orthographe du français. Les connaissances implicites des
enfants en contact avec l’écrit avant l’enseignement formel de la lecture
semblent donc être prises en compte par certains chercheurs. C’est une voie
prometteuse.
On fait grand cas de la conscience phonologique, mais la conscience
orthographique ne serait-elle pas celle qui permet à l’enfant de reconnaître
ce qui est possible à l’écrit dans sa langue et de repérer des régularités
orthographiques ? L’enfant développe donc dès le début de l’apprentissage
une conscience orthographique. Pour cette raison, les correspondances
orthographe-son mises en exergue (nos maisons) dès les premières
analogies remarquées nous paraissent justifiées afin d’aider tous les enfants
à percevoir ces régularités.
La thèse récente de C. Martinet (2001), sous la direction de Sylviane
Valdois, minimise le rôle de la phonologie dans l’acquisition de
l’orthographe. Ainsi que nous le constatons dans nos classes, les
connaissances orthographiques peuvent se développer indépendamment des
connaissances grapho-phonémiques et très précocement. La conscience
phonémique est un prérequis indispensable à l’acquisition de l’écriture
phonétique plutôt qu’orthographique. Les représentations orthographiques
des mots sont toujours utilisées pour écrire : il ne suffit pas de percevoir les
phonèmes dans bateau, il faut aussi savoir avec quel /o/ s’écrit ce mot.
Le stockage d’informations orthographiques est un processus passif. Il se
met en place par la relecture d’un mot dans des contextes différents et en
rassemblant les mots qui possèdent les mêmes caractéristiques (nos
maisons).
Étant entendu que les futurs dyslexiques ont généralement un déficit lié à
la conscience phonologique, on ne peut qu’encourager les petits
dyslexiques potentiels à consolider leur conscience orthographique. Le
développement de la conscience orthographique, celle qui permet au bon
lecteur, devant un mot qu’il ne connaît pas, de penser à un ou plusieurs
autres qu’il connaît, est favorisé, dès la Grande Section de maternelle, par le
regroupement de mots tels que : main, bain, pain, nain…, peintre, frein,
plein, … représenté dans nos maisons.
Les capacités orthographiques des dyslexiques ont d’ailleurs souvent été
constatées supérieures. Comparés à des lecteurs plus jeunes du même âge
de lecture, les dyslexiques sont en effet plus rapides pour sélectionner
l’orthographe correcte d’un mot lorsqu’il leur est présenté avec un pseudo-
homophone, comme gâteau et gâtot45. Ces enfants dyslexiques semblent
donc avoir appris à compenser leurs déficits phonologiques, à travers leur
expérience de la lecture, en portant attention aux séquences de lettres des
mots de la langue.
À la lecture de nombreuses études, dont les précédentes, on comprend
que tant que l’on enseignera la lecture en forçant l’apparition de la
conscience phonémique par des entraînements phonologiques avant
l’apprentissage des correspondances orthographe-son, on inhibera chez
certains débutants la conscience orthographique qui est aussi fondamentale.
En forçant par ailleurs les enfants à écrire « comme ils entendent » on les
dirige dans une impasse et on empêche les futurs dyslexiques de contourner
leur problème initial, en général phonologique. Ne façonne-t-on pas ainsi de
surcroît artificiellement des dyslexiques de surface et des
dysorthographiques ?

La pensée inductive et l’apprentissage implicite

Notre expérience de terrain nous a démontré sans ambiguïté que les


enfants, individuellement ou en situation de groupe-classe, apprennent le
son habituel produit par une lettre par inférence inductive grâce aux mots
connus commençant par cette lettre. Ce fait a été confirmé dans plusieurs
études46. Actuellement, certains chercheurs évoquent (enfin !)
l’apprentissage implicite des correspondances grapho-phonologiques. Nous
souhaiterions que ces derniers étudient tous les aspects de ce phénomène,
qu’ils démontrent enfin que c’est une aptitude du jeune enfant qui en use
dès qu’on lui en donne l’occasion.
La recherche scientifique ne tient souvent pas compte d’un principe de
base de la psychologie enfantine : celui de la pensée inductive de l’enfant.
Les propositions didactiques qui en découlent ne sont donc pas toujours
adaptées à son fonctionnement caractéristique.
Il en va ainsi par exemple de la célèbre étude de l’Australien Brian Byrne
citée plus haut : ce chercheur dit que l’enfant prélecteur ne peut découvrir le
principe alphabétique à partir de mots : connaissant fat (gras) et bat (batte),
il ne peut pas dire si le mot écrit fun (amusant) se lit fun ou bun (petit pain).
Ce chercheur n’a toutefois pas tenu compte du fonctionnement naturel du
jeune enfant et notamment du fait que l’enfant découvre une règle par
inférence inductive. En effet, pour qu’il puisse découvrir le son produit par
la lettre f, il eut fallu préalablement réunir plusieurs mots (et de préférence
intéressants !) commençant par f, de même pour la correspondance
lettre/son b -/b/. De même, pour comprendre le concept rouge, l’enfant a
besoin de faire la relation entre plusieurs objets de cette couleur. L’adulte ne
peut que l’aider à trier, rassembler.
L’Observatoire national de la lecture (1998) le fait remarquer : « Les
erreurs comme vous faisez signalent tout simplement la capacité qu’ont les
enfants d’inférer des règles à partir d’exemples et de les généraliser. » La
recherche ne tient pas suffisamment compte du comportement naturel de
l’enfant qui cherche spontanément à structurer le monde qui l’entoure et qui
fonctionne de la même manière qu’il s’agisse du langage écrit ou oral. Dans
toute activité, l’enfant extrait des régularités et découvre implicitement des
règles.
A. Ouzoulias et al. (2000) confirment que l’apprentissage implicite des
phonèmes peut être réalisé par une « méthode orthographique » basée sur
l’apprentissage de régularités orthographiques (analogies visuelles entre les
mots) sans qu’il y ait nécessité d’une instruction formelle portant sur les
phonèmes.
Selon notre expérience, la découverte de règles de correspondance
grapho-phonologique demande une confirmation par l’adulte, mais pas
forcément un enseignement explicite comme semble le penser la plupart des
chercheurs. À mon sens, il est cependant indispensable que toutes les règles
de correspondance grapho-phonologique soient enseignées au CP.
La recherche commence donc à s’intéresser à l’apprentissage implicite.
Apprentissage implicite ne veut toutefois pas dire inconscience de l’objet
d’apprentissage. L’enfant est inconscient qu’il apprend mais, même très
jeune, il est parfaitement conscient des relations grapho-phonologiques
qu’il découvre.
Dans un article de P. Perruchet et S. Pacton dans l’Année
psychologique47, on peut lire par ailleurs : « Les recherches récentes
conduisent à la conclusion selon laquelle le traitement attentionnel de
l’information est nécessaire à l’apprentissage implicite… L’attention
dévolue à la situation et l’intention d’apprendre sont des notions
indépendantes. Mais les données expérimentales vont bien plus loin, en
suggérant qu’il est impossible d’apprendre sans attention, alors qu’il est
parfaitement possible d’apprendre sans avoir l’intention de le faire
(l’intention semble même avoir peu d’effet en elle-même sur la qualité de
l’apprentissage). »
De manière générale, les enfants apprennent énormément de choses de
manière implicite depuis qu’ils sont nés. Et ils absorbent aussi aisément les
informations fausses que les informations exactes. Dans le même article,
relevons : « En mode implicite, les apprenants se familiarisent aussi bien
avec des associations erronées qu’avec des associations correctes. » Pour
cette raison, les exercices de discrimination visuelle fine contenant des non-
mots ainsi que des mots mal orthographiés sont à proscrire.
De même, favoriser l’écriture spontanée chez les enfants qui n’ont pas
encore appris toutes les correspondances grapho-phonologiques, que ce soit
en classe ou à l’occasion d’évaluations, ou les exposer à des mots mal
orthographiés au cours d’entraînements ou lors d’une correction de texte
écrit par un camarade, génèrent des conséquences néfastes. Ces pratiques
ont un effet délétère sur l’acquisition de l’orthographe correcte. Avec L.C.
Ehri nous pensons que « la présentation d’une mauvaise orthographe rend
l’apprentissage particulièrement difficile ». Pour éviter les confusions et
obtenir des résultats acceptables en orthographe, il est important de
n’exposer l’apprenant qu’à des mots correctement orthographiés.

Apparition des analogies

A. Ouzoulias (1998) fait remarquer que le bon lecteur lit les pseudo-
mots* par comparaison à des mots connus, plutôt que les déchiffrer lettre à
lettre. Par exemple : ratient est lu comme patient. Nous y voyons un
argument pour encourager la recherche d’analogies chez l’apprenti-lecteur
ainsi qu’une justification du système de maisons décrit dans ce livre.
Dès le début de l’accompagnement de mes propres enfants, j’avais
remarqué qu’à partir de trois mots commençant par la même lettre
(produisant le même son) ou comprenant la même suite de lettres, ils
intégraient implicitement une nouvelle correspondance grapho-
phonologique. J’ai exploité cette capacité en instaurant le système des
maisons que nous avons largement exposé en début d’ouvrage.
La démarche consistant à donner à l’enfant des mots à forte résonance
affective qu’il mémorise facilement et à accompagner ses remarques
concernant des analogies grapho-phonologiques, commence à trouver un
écho chez des chercheurs : « … dès ses premières tentatives de lecture, le
débutant peut faire des analogies entre les mots qu’il sait reconnaître et
ceux qu’il tente de découvrir48. » « Ainsi l’enfant qui connaît le mot bien
(qu’il rencontre fréquemment dans les marges de ses cahiers) fera
l’association entre la configuration écrite ien et la prononciation /ien/
lorsqu’il rencontrera les mots lien ou rien. Dans ce transfert, il utilisera,
d’une part, la ressemblance orthographique entre ces mots et, d’autre part,
sa capacité à reconnaître que ces trois mots partagent la même rime49. »
« Les enfants auxquels on a enseigné les analogies entre des séquences
phonologiques et des séquences orthographiques apprennent plus
facilement à lire50. » Ou encore : « L’apprentissage des analogies précoces
sur des unités larges, les rimes en particulier, facilite l’apprentissage du
code alphabétique. »
Afin de pouvoir remarquer des analogies, il est nécessaire de posséder un
lexique de mots connus, car c’est à partir de ce lexique mental que
l’apprenti peut, lors de l’introduction d’un mot nouveau, repérer une
analogie orthographique. Même si certains enfants repèrent facilement des
analogies auditives, qu’ils voient confirmées par des analogies visuelles,
ceux qui ont des difficultés à comprendre le rapport écrit-oral le
découvriront plus facilement à partir de régularités orthographiques. Cela
nous est constamment confirmé par l’exemple des déficients intellectuels et
des très jeunes enfants. Ainsi Lucas (2 ans, 5 mois) qui possède quelques
dizaines de mots écrits, voyant Midou fait remarquer à sa maman « doudou,
c’est pareil ».
Le moment d’apparition de l’utilisation des analogies dans
l’identification des mots est une question très débattue actuellement. À
notre avis, la procédure analogique existe dès le début de l’apprentissage. Je
constate qu’elle peut avoir lieu tout au long de l’apprentissage et qu’elle est
de nature différente selon le moment où elle se produit. L’apprenti lecteur
découvre des analogies à plusieurs niveaux de compétence :

À la phase logographique, elles permettent de découvrir les


premières correspondances grapho-phonémiques. Celles qui
concernent l’initiale contribuent à comprendre le principe
alphabétique (Victor, vélo, Valentin…).
Lorsque l’enfant a compris le principe alphabétique, elles donnent
accès à de nombreuses correspondances grapho-phonologiques.
Elles peuvent alors concerner non seulement des rimes (-on - eau
- ette…) mais aussi des portions de mots plus larges et facilitent la
lecture de mots nouveaux : mouche, louche, douche… mange,
range, mélange.
Lorsqu’il a compris la fusion des phonogrammes, les analogies
facilitent le passage à la phase orthographique et permettent
l’économie mnésique.

Il serait dommage de ne pas accompagner l’enfant dans sa recherche


spontanée d’analogies, occasions multiples d’utiliser son intelligence. C’est
un constat : les enfants utilisent des analogies dès le début de l’exposition à
la langue écrite :

Raphaël (3 ans, début de Petite Section) voyant Israël sur la


couverture d’un mensuel, s’écrie « Maman, c’est Raphaël », type
de remarque courant au tout début de l’apprentissage. Dans ce
cas, on peut supposer que l’enfant ait voulu dire « c’est comme
Raphaël ». Le plus souvent, les jeunes enfants montrent
l’analogie graphique du doigt en disant : « C’est Raphaël là ». Les
premières analogies remarquées en maternelle sont de cet ordre.
Lucas (3 ans, a compris le principe alphabétique) en voyant
combien, dit : « C’est comme chien ». Un autre jour, il dit en
mangeant sa soupe : « Roselyne (mot qu’il connaît) ça ressemble
à rose ». Sa maman confirme. Content, Lucas poursuit « Et
comme arrose, et comme arrosoir ». Les mots qu’il évoque sont
alors écrits pour l’approuver.
Dans le Midi, un autre enfant de 4 ans qui ne possède pas encore
le principe alphabétique, interpelle sa mère « Maman, c’est écrit
Page sur le papier-toilette… Pa de papa et ge de mange ! ». Avec
U. Goswami, notons que les enfants remarquent plus facilement
des analogies au début et à la fin des mots.
Leia qui possède un bon capital-mots commente Clémentine
qu’elle voit pour la première fois : « C’est comme Clément dans
ma classe et Justine ma sœur. » Cette enfant avait acquis
implicitement quelques correspondances grapho-phonémiques.
Gombert et al. font remarquer que « les processus analogiques
permettent au débutant de développer des procédures
d’appréhension de l’écrit qui vont au-delà de ce qu’il comprend
de façon explicite51 ».

U. Goswami entraînait les enfants à réaliser des analogies sur des unités
plus larges (essentiellement les rimes en anglais) afin de faciliter la
découverte des unités réduites, idée reprise par D. de Keyser. Notre
démarche diffère de cette option du fait que la découverte des petites unités,
c’est-à-dire graphème/phonème en situation initiale, a lieu parallèlement
(grâce au classement alphabétique des mots) à celle d’unités plus larges en
fin de mot (ette - age - eau…) et en début de mot représentées
principalement par des syllabes consonne/voyelle (ma - ca - ba…).
Les chercheurs se posent la question de savoir à quel moment aborder les
analogies. Certains pensent qu’elles ne sont utiles qu’après la
compréhension de la fusion phonémique, d’autres pensent qu’on peut les
aborder bien avant. Nous sommes de cet avis, puisque les enfants nous les
signalent d’eux-mêmes.
De grandes suites de lettres sont intéressantes à mettre en exergue lorsque
les enfants les rencontrent parce qu’elles leur permettent de conserver une
stratégie fructueuse de reconnaissance instantanée tout au long de
l’apprentissage, stratégie qui est aussi utilisée par le lecteur accompli
lorsqu’il rencontre un mot qu’il ne connaît pas. Elle permet une mise en
mémoire efficace des mots, libérant ainsi des capacités pour la
compréhension.
Dans la démarche que nous proposons, les apprentis lecteurs qui font une
remarque du genre « roule c’est comme poule » sont encouragés. S’ils
connaissent la plupart des phonèmes représentés par les lettres, on leur
propose aussi boule, foule, moule… Toutes sortes d’analogies sont ainsi
favorisées et les enfants ne sont pas enfermés dans un fonctionnement
prédéterminé et rigide.

Nom ou son des lettres


Les enfants constatent par exemple l’analogie dans maman, mamie,
moto… et ne manquent pas de le faire remarquer. Le classement des mots
selon la lettre initiale leur permet de découvrir le son habituel de la plupart
d’entre elles.
Un débat existe quant à l’utilité de connaître le nom des lettres ou leur
son afin de faciliter la découverte du principe alphabétique. En ce qui
concerne les voyelles simples, le nom des lettres correspondant à leur son,
le problème ne se pose pas. Mais pour les consonnes, nous remarquons que,
surtout pour les apprenants fragiles, il est plus facile de parvenir à la
compréhension du principe alphabétique par inférence inductive (avec des
mots commençant par la même correspondance grapho-phonémique) qu’en
enseignant d’abord le nom des lettres à ceux qui ne les connaissent pas
encore.
Dans une étude, G.B. Thompson et al.52 ont cherché à savoir, sur un
échantillon d’enfants ayant un capital-mots et connaissant le nom de la
plupart des lettres, si la compréhension du principe alphabétique est due
plutôt à l’apprentissage spontané par inférence inductive à partir du capital-
mots ou si elle est due à la connaissance du nom des lettres. Il s’avère que
c’est la découverte par inférence inductive du son des lettres, et non
l’enseignement du son ou du nom des lettres, qui mène à la compréhension
du principe alphabétique. En effet, ce n’est pas parce que l’enfant identifie
une lettre par le son qu’elle produit qu’il a compris le principe alphabétique.

L’écrit pour corriger la prononciation des mots

Du fait de l’exposition aux mots, l’orthographe « pénètre l’esprit de


l’élève et influence la façon dont celui-ci perçoit et traite le langage parlé.
Apprendre comment l’écriture reflète la parole améliore la prise de
conscience des constituants phonémiques du langage, ainsi que la capacité à
les manipuler53. »
Les exemples décrits (Florence, Yanis et autres) dans la première partie le
confirment. A. Ouzoulias a bien exprimé cette réalité : « L’orthographe fige
la prononciation des mots. » Autre anecdote : Dans la salle de bains, Rémi
(3 ans) dit « toton » pour coton. Je lui dis que coton c’est comme coca.
Puis, je prends une feuille et j’écris coton en syllabant. Rémi répète « to-
ton » ! Puis j’écris coca dessous et je cache les deuxièmes syllabes. Il
descend de sa chaise, court autour de la table, puis s’arrête et me montre
coton en disant « coton » et coca en disant « coca ». Je le félicite et pendant
que je lui prépare son petit déjeuner je l’entends sur un petit air de
comptine : « co-ton, co-ca, co-quin ». « Bravo Rémi ! Je n’avais pas pensé à
celui-là que tu dis parfaitement bien. Tu veux que je l’écrive ? » Il
acquiesce, tout content.

Une forme primitive de décodage

L’enfant qui n’a pas encore compris la co-articulation des


phonogrammes, infère bon nombre de mots à partir de correspondances
grapho-phonologiques connues. Il ne peut pas encore les décoder
complètement, mais il lui est facile de les repérer à la demande et de les
mémoriser. L.C. Ehri nomme cette phase intermédiaire : « lecture par
indices phonétiques ». L’utilisation des correspondances lettre-son est
considérée par Ehri comme une forme primitive de décodage. L’enfant ne
peut pas encore décoder mais possède quelques clés. Étant donné que les
repères de correspondances lettre-son sont encore partiels, les mots
graphiquement proches peuvent encore être confondus (mouton-moulin,
coussin-cousin). Elle a d’ailleurs prouvé scientifiquement que les enfants
utilisent plus facilement les repères grapho-phonologiques que les repères
purement graphiques.

La co-articulation des phonogrammes (et la fusion


des phonèmes)

L’enfant qui a découvert le principe alphabétique peut mémoriser de plus


en plus de mots au fur et à mesure qu’il possède davantage de
correspondances grapho-phonologiques. Toutefois, c’est la capacité de co-
articulation des phonogrammes qui lui permettra, dans la mesure où il a
intégré les correspondances, de pratiquement tout déchiffrer.
De nombreux chercheurs pensent que si l’enfant connaît toutes les
correspondances lettres-sons, il peut lire des mots qu’il n’a jamais vus.
Cette affirmation ne concorde pas avec les faits. Même si l’enfant connaît
toutes les correspondances grapho-phonémiques d’un mot nouveau, il ne
peut le lire que s’il a compris le principe de co-articulation des
phonogrammes, qui correspond à la fusion des phonèmes à l’oral.
Bien des chercheurs semblent également penser que si l’apprenti a pu
isoler le phonème, il est de ce fait capable d’en conceptualiser la fusion.
Mon expérience avec des enfants en difficulté me permet d’affirmer qu’il
n’en est rien et qu’il s’agit de deux étapes bien distinctes qui ne découlent
pas automatiquement l’une de l’autre.
Ainsi, J. Morais54 pense que « la synthèse phonémique ne constitue pas
un écueil majeur, dès lors que l’enfant a compris le principe alphabétique. »
Ce n’est malheureusement pas le cas pour tous ! Certains enfants ont des
difficultés, et d’autres sont bloqués à ce niveau, même s’ils ont passé le cap
du principe alphabétique, et même s’il est vrai qu’il s’agit souvent de
déficients intellectuels.
R. Brissiaud55 énonce que « L’enfant qui est capable de détecter l’intrus
dans bac, bol, fer, bis, va bientôt être capable d’isoler intellectuellement ce
qu’ont en commun bol, bac, bis. Il va bientôt isoler le phonème /b/ »
(Jusque-là nous sommes d’accord !) « et donc, comprendre ou
conceptualiser la fusion des phonèmes. » Sur ce point nous ne partageons
pas sa conclusion. Ce n’est pas, en effet, ce que met en évidence la pratique
sur le terrain. L’enfant peut très tôt et grâce à plusieurs exemples
comprendre le principe alphabétique (conceptualiser la correspondance
entre les signes et les sons). Mais cette capacité ne suffit pas pour accéder
au concept de la fusion des phonèmes tel que le note R. Brissiaud dans ce
texte auquel nous adhèrons par ailleurs. Pour conceptualiser la fusion des
phonèmes (b + a = ba), le cheminement est plus long. De nombreux
chercheurs, quelle que soit leur appartenance, pensent que la fusion des
phonèmes est facile et évidente. Le travail effectué avec des enfants en
difficulté m’a révélé plusieurs paliers intermédiaires vers la fusion qu’il ne
faudrait pas éluder, afin de leur permettre les mêmes acquis.
L’Observatoire national de la lecture le confirme : « N’oublions pas que
le décodage, une fois que les correspondances sont maîtrisées, exige une
capacité additionnelle, celle de fusionner les phonèmes successifs. En fait,
si l’analyse est nécessaire pour la découverte du principe alphabétique et
pour l’acquisition des correspondances, le décodage dans la lecture opère
essentiellement par synthèse ou fusion des phonèmes. »

D’ordre conceptuel ou sensoriel ?

Il est donc nécessaire de comprendre le principe de la co-articulation des


phonogrammes afin de pouvoir lire les mots nouveaux.
Une majorité de chercheurs pensent que, pour déchiffrer des mots
nouveaux, il faut posséder une conscience phonémique, c’est-à-dire être
capable de segmenter, abstraire, fusionner les phonèmes. Ces
manipulations, concrétisées par des exercices sensoriels, sont pratiquées en
maternelle et CP dans le but d’aider l’apprentissage de la lecture.
Nous constatons depuis longtemps que les tout jeunes enfants acquièrent
la fusion des phonogrammes par inférence inductive. À ce moment, ils ont
déjà remarqué des analogies grapho-phonologiques et découvert le principe
alphabétique grâce à la lettre initiale de leurs mots et/ou des allitérations. Ils
ont aussi coupé des mots connus en syllabes. Pour faire comprendre la
fusion consonne-voyelle, connaissant les correspondances grapho-
phonémiques de quelques consonnes et voyelles, on met en exergue la
combinaison « consonnes différentes + même voyelle » à partir de mots
connus (ma-man, pa-pa, va-cances, sa-pin…) ainsi que la combinaison
« même consonne + voyelles différentes » à partir de mots connus (ma-
man, mo-to, mi-nou, mu-sique, …). Lorsque ces informations sont insérées
par jeu dans un tableau à double entrée (voyelles en ligne, consonnes en
colonne), il se produit dans les classes de GS (qui ont bénéficié de la
démarche proposée) une « explosion » inattendue de la compréhension du
système, manifestée par la jubilation des enfants.
J. Morais a observé que des analphabètes n’ont pas de conscience
phonémique. Read et al. (1986) ont constaté que les Chinois lisant le
pinyin56 avaient une conscience phonémique alors que les Chinois lisant
exclusivement les idéogrammes ne l’ont pas. Mann (1986) s’aperçoit que le
petit Japonais qui apprend le kana (idéographique) grâce à un syllabaire
particulier a, deux ans plus tard, accès au phonème. Comment cela est-il
possible ? Il est intéressant de faire remarquer que ce syllabaire est
constitué d’un tableau à double entrée. Tous les syllabogrammes
(idéographiques) ayant la voyelle commune, par exemple /ko/, /so/, /to/,
/no/, etc. sont placés sur une même ligne et ceux qui ont une consonne
commune /ka/, /ki/, /ku/, /ke/, /ko/ se trouvent dans une même colonne57. Les
enfants les récitant à haute voix de manière systématique, il semble que ce
soit l’organisation en tableau à double entrée qui permette de conceptualiser
le phonème, toujours par inférence inductive, particularité de la psychologie
cognitive du jeune enfant… et de tout scientifique.
À partir de la segmentation syllabique décrite ci-dessus, tous les éléments
sont en présence pour que la compréhension de la fusion des phonèmes
puisse avoir lieu le plus facilement possible. D’après l’observation
d’enfants ou d’adultes déficients chez lesquels les processus sont très lents,
comprendre la co-articulation des phonogrammes en lecture est le résultat
de la compréhension du fonctionnement d’un système, mais n’est pas la
conséquence d’habiletés phonologiques.
Après qu’ils ont compris le principe de la fusion des phonogrammes dans
le cadre de la démarche proposée, j’ai constaté que certains apprenants,
pour déchiffrer une syllabe consonne-voyelle simple, en prononcent
spontanément les phonèmes, ce qui les aide à l’identifier dans la foulée. Dès
lors, il est, semble-t-il exact de dire qu’il y a un « rapport de causalité
réciproque entre conscience phonémique et apprentissage de la lecture58 ».

Une conquête conceptuelle

Après dix ans de travail avec des déficients intellectuels, qui m’ont
permis de décomposer au maximum les étapes de l’apprentissage, je suis
intimement convaincue que la compréhension initiale de la co-articulation
des phonogrammes (qu’on nomme habituellement fusion des phonèmes) est
davantage une conquête conceptuelle (terme utilisé par A. Ouzoulias)
dépendante de la logique inductive et non d’une capacité sensorielle.
Ainsi Stéphane qui arrive finalement à lire des syllabes et des mots, n’est
pas encore capable de dire « quelle lettre il faut pour écrire savon » ; il
connaît toutes les correspondances graphème-phonème de ce mot. Il peut
scinder ce mot en syllabes orales, donner la première lettre on insiste
oralement sur le phonème initial, mais il ne peut pas encore donner la rime
de chaque syllabe. Nous avons pourtant travaillé avec lui autant la
phonologie que les correspondances graphème/phonème.

La recherche du moindre coût cognitif

Les enfants pratiquent pour tout apprentissage la loi du moindre effort :


c’est intelligent et efficace, car ils sont capables de trouver intuitivement le
chemin le plus court et le plus efficient pour distinguer un mot d’un autre et
pratiquent ce qu’A. Ouzoulias nomme « l’économie mnésique ».
L’expérience confirme depuis plusieurs années que des enfants se
trouvant au même niveau de connaissance concernant les correspondances
graphème-phonème, sachant décoder par exemple le mot mouche réagissent
différemment en face de mots analogues : l’enfant performant saura lire
instantanément bouche, couche, douche, louche, alors que l’enfant
déficient-déchiffreur n’utilisera pas spontanément l’analogie pour lire les
autres mots. Il reconstruit chaque fois chaque mot. La capacité de transfert
n’est obtenue qu’au prix d’exercices multiples et répétés. Pour cette raison,
nous pensons qu’il n’est pas inutile de favoriser dès la maternelle les
stratégies de recherche d’analogies surtout pour les enfants les moins
performants. Les enfants en difficulté ont du mal à faire fonctionner
plusieurs compétences en même temps : décodage strict, décodage par
analogie, recherche de sens.
Pour certains enfants, le plus ardu dans la tâche « apprendre à lire »
semble être ce que la plupart font normalement tout seuls, à savoir : établir
des connexions entre les mots nouveaux et les mots ou les séquences de
lettres qu’ils possèdent dans leur dictionnaire mental et ainsi utiliser la
stratégie la plus économique pour intégrer le mot nouveau.
Il faut, à notre avis, les encourager à lire les mots non familiers en
utilisant le vocabulaire visuel et en employant une stratégie d’analogie, ce
qui permet par exemple, de lire range par analogie à mange.

Écrire pour apprendre à lire ?


D’après notre expérience, l’écriture manuelle ne permet pas à l’enfant de
maternelle de progresser en lecture. Il est trop absorbé par le geste
graphique et ne peut pas porter son attention à l’orthographe.
Certains chercheurs pensent, comme A. Ouzoulias – et les Instructions
officielles le préconisent – que c’est en écrivant que l’enfant de maternelle
peut découvrir le son des lettres. L’expérience du terrain suggère que ce
n’est pas le cas, mais plutôt en observant que papa, poupée, pompier
commencent « pareil » et en prononçant lesdits mots. Ils ont aussi observé
l’adulte en train d’écrire (par exemple, le mot cheval) tout en prononçant les
syllabes au fur et à mesure : les enfants apprennent l’orthographe en voyant
le mot se construire de gauche à droite, par la main de l’adulte au tableau,
sur papier ou sur écran d’ordinateur. Mais nous pensons que ce n’est pas le
fait d’écrire eux-mêmes qui les aide à progresser. L’enfant qui commence à
peine à écrire consacre toute son énergie à son geste et copie lettre à lettre.
Il ne peut pas réfléchir en plus à la phonologie. En revanche il peut le faire
lorsque l’adulte lui demande. « De quelle lettre ai-je besoin pour écrire
pantalon ?… oui… et ensuite qu’est-ce qu’on entend ? /en/… oui. Bravo,
mais ce n’est pas le en de Vincent, c’est le an de maman… etc. » Cette
activité met en œuvre leurs habileté phonologique et mémoire
orthographique.
Toutefois, loin de nous la pensée qu’on ne devrait pas faire écrire les
enfants de Grande Section. Les activités graphiques doivent avoir lieu afin
que lecture et écriture puissent aller de pair au CP.
Il ne faudrait par ailleurs jamais demander aux enfants d’écrire des mots
« comme ils pensent » car cela les incite à écrire phonétiquement. C’est une
très mauvaise habitude dont certains ne pourront se défaire, avec à la clé
une orthographe difficile à mettre en place. Si on leur permet d’écrire
phonétiquement, le lexique mental tardera à se constituer.
Dans la démarche que nous proposons, l’enfant est invité à retrouver des
graphies dans ses banques de données (notamment les maisons) ou à
demander par exemple à l’adulte : « Est-ce que c’est le /o/ de gâteau ou le
/o/ de jaune ? » attitude qui devient facilement une habitude efficace. Ainsi
que précisé plus haut, les erreurs ont un effet néfaste pour l’apprentissage
de l’ortho (bien)-graphie (écrire).
Il convient d’accompagner l’enfant qui veut écrire, mais pas de lui
administrer à ce stade (il vient à peine de comprendre la fusion des
phonèmes !) des dictées comme on l’entend habituellement. Il faut attendre
que l’enfant puisse mettre en mémoire les formes orthographiques et
morphologiques les plus courantes, en sus des correspondances
phonographiques de base qu’il doit posséder.
Cependant, lorsque l’enfant a compris la fusion des phonèmes et qu’il
commence à décoder, fier de son nouveau pouvoir, il écrira spontanément
des mots de manière phonétique. Avec beaucoup de diplomatie, on pourra
lui faire remarquer qu’on comprend ce qu’il a voulu écrire mais que « cela
s’écrit comme ça ». On peut éventuellement lui dicter, pour lui faire plaisir
et lui prouver qu’il sait écrire, des mots complètement réguliers comme
bébé, mouton, sourire…
L’écriture sur ordinateur, ou à l’aide de lettres mobiles, favorise la mise
en mémoire d’un lexique mental dans la mesure où l’enfant a la possibilité
d’écrire « juste ». Comment apprendre à l’enfant à écrire « juste » ? En
l’habituant à rechercher les mots qu’il veut écrire dans les dictionnaires,
maisons, textes qui ont été rédigés ou utilisés. En l’habituant à se demander
par exemple si le mot s’écrit avec le /in/ de sapin ou le /in/ de Romain, ou
même le /in/ de peinture dont les enfants possèdent la maison.

VERS LA PHASE ORTHOGRAPHIQUE

Contrairement à ce que certains pensent encore, le lecteur habile ne


reconnaît pas la silhouette du mot mais bien son identité orthographique,
phonologique et morphologique. Les mots seraient stockés dans son lexique
mental. Pour l’apprenti-lecteur, le passage grapho-phonologique, puis
morphologique est donc un passage obligé. Il peut mémoriser de plus en
plus facilement de nouveaux mots car il apprend progressivement ce qu’ils
contiennent.
Il est intéressant de noter par ailleurs qu’une aire située dans la région
occipito-temporale gauche de notre cerveau, nommée aire de la forme
visuelle des mots par Stanislas Dehaene et Laurent Cohen est dévolue à la
reconnaissance des mots. « Elle est bien visible à l’IRMf chez tout lecteur
habile. Elle se met en place au fur et à mesure de l’apprentissage implicite
du lexique mental. » L’aire de la forme visuelle des mots n’est pas activée
par la présentation auditive de mots ou de pseudo-mots, mais par leur forme
visuelle. Elle n’est pas activée non plus par des séquences de consonnes
comme xjpqt. À mesure que la lecture s’améliore, l’activation de la région
occipito-temporale gauche augmente. « Cette augmentation dépend plus du
niveau de lecture atteint par l’enfant que de son âge. Ainsi s’agit-il bien
d’un reflet de l’apprentissage et non d’un simple effet de la maturation
cérébrale59. »
Pour les neurosciences, ajoute-t-il, « … les caractères écrits sont
canalisés aux régions ventrales du lobe temporal gauche, où ils sont
reconnus indépendamment de leur forme, de leur taille et de leur position.
Puis, cette information visuelle invariante est envoyée dans deux principaux
circuits, l’un qui les convertit en sons, l’autre qui en retrouve le sens. Ces
deux voies travaillent en parallèle, et l’une l’emporte alternativement sur
l’autre en fonction de la régularité du mot et de la langue dans laquelle il est
écrit. » On peut donc passer directement des lettres à la signification des
mots sans qu’il soit indispensable de les prononcer mentalement.

Morphologie : une aide à l’identification des mots

Dès que l’enfant a compris le système phonographique de l’écriture, il


commence à se poser des questions sur les marques morphologiques. Et il
n’est pas rare qu’un enfant de Grande Section demande pourquoi il y a un d
à grand ou un t à petit. Sachons leur répondre simplement ce qu’ils peuvent
comprendre, sans toutefois nous engager dans des explications
étymologiques compliquées.
S’il est vrai que pour l’apprenti, lire consistera d’abord à « faire parler la
graphie » (terme emprunté à Rémi Brissiaud) la lecture ne peut être réduite
à la conversion grapho-phonologique oralisée suivie de la compréhension
de signes écrits. La morphologie et la syntaxe facilitent la compréhension
instantanée de l’écrit. Le lecteur habile a en effet beaucoup de mal à
comprendre d’emblée une phrase écrite phonétiquement étant donné qu’il
est obligé de passer par l’oralisation pour finalement y parvenir. La forme
orthographique correcte de la phrase Les femmes portaient des seaux d’eau
donne directement le sens alors que la forme incorrecte Lè fam paurtè dè so
do nécessite un détour par la voie phonologique pour être comprise60 : « La
lecture et son apprentissage comportent une composante proprement
visuelle, non réductible à la connaissance alphabétique. Sans cette habileté
de mémorisation orthographique, pas d’accès à la lecture habile, qui n’est
donc pas le résultat d’une automatisation du déchiffrage. » Pour cette
raison, c’est une erreur de barrer ou d’imprimer en gris trop clair les lettres
muettes dans les méthodes de lecture. On interdit ainsi à l’apprenti lecteur
l’accès à la phase orthographique et définitive de l’apprentissage. Il serait
plus judicieux de provisoirement mettre un point ou une petite croix sous
les lettres muettes. Les marques morphologiques font partie de
l’apprentissage initial de la lecture.
Ce sujet passionnant ne sera pas discuté ici étant donné qu’il est plutôt du
ressort de l’école élémentaire. Cependant, nous n’hésitons pas à « faire de
la grammaire » en maternelle lorsque l’occasion se présente, car c’est en
situation que les enfants sont les plus réceptifs et fiers d’ajouter un s à
bonbons « parce qu’il y en beaucoup » ou d’appliquer la règle des nt pour
les verbes.
J.E. Gombert dit que les lecteurs débutants lisent mieux les mots préfixés
(redonner) que les mots pseudo-préfixés (renifler), parce qu’ils
reconnaissent globalement un mot dans le premier. Cela semble logique. De
même, « une base au sein d’un mot nouveau… facilite son traitement. »

Automatisation ou apprentissage implicite

Selon deux courants de recherche, deux types de processus pourraient


expliquer l’installation des automatismes de lecture caractéristiques de la
lecture experte : l’automatisation et l’apprentissage implicite.
L’automatisation : la lecture, initialement gérée consciemment pour la
plupart des mots (le lecteur débutant est obligé de réfléchir pour parvenir à
traiter les mots qu’il lit), s’automatise par répétition de l’activité de lecture.
Cette répétition permet progressivement le désengagement de l’attention et
l’accélération du traitement. Dans l’automatisation, l’apprenti lecteur
poursuit docilement l’action de déchiffrer, de plus en plus vite, mais sans
que se constitue « la représentation mentale de la forme orthographique des
mots » (S. Valdois).
L’apprentissage implicite de l’identification des mots permet à l’apprenti
lecteur d’intégrer, sans en avoir conscience, les régularités du système
alphabétique. Plus on lit, mieux on lit.
« Le caractère automatique de la lecture serait [ainsi] toujours l’issue
d’apprentissages implicites s’effectuant sur une base fréquentielle dans la
répétition des manipulations d’écrits. Il ne serait donc pas consécutif à la
transformation des processus contrôlés construits par enseignement qui se
seraient automatisés, mais s’installerait parallèlement à ces processus61. »
Parmi les chercheurs, la question de savoir si la fluidité en lecture est
obtenue par l’automatisation du décodage ou par l’apprentissage implicite
est importante. Les recherches concernant l’apprentissage implicite
actuellement conduites semblent intéressantes et permettront peut-être de
connaître quelles sont les attitudes pédagogiques préférables pour obtenir la
fluidité en lecture.
Le travail avec les enfants en difficulté nous apprend que relire deux,
trois fois une même phrase ne permet pas d’améliorer les performances. La
recherche de sens existe dès la première lecture-décodage, mais la lecture
n’est pas améliorée par la répétition. Les déficients intellectuels ne lisent
jamais mieux une deuxième fois ce qu’ils viennent de décoder, sans doute
parce qu’en deuxième lecture l’écrit a perdu une grande partie de son attrait.
On peut pallier cette situation en écrivant des phrases différentes avec
pratiquement les mêmes mots.
L’automatisation ne concerne pas encore les enfants de maternelle, mais
avec les adolescents et adultes déficients intellectuels, j’utilise les moyens
techniques suivants afin d’améliorer l’identification des mots :

entraînement au repérage des voyelles complexes (ou, an, ain, …)


dans les mots ;
entraînement à la reconnaissance des syllabogrammes* simples et
complexes, ainsi que suites de lettres caractéristiques ;
entraînement au repérage et à l’utilisation d’analogies en
remplaçant un seul phonème du mot roule, boule, coule, foule,
moule… ; roule, route, rouge, rousse…

Toutefois, ces moyens ne suffisent pas. Il est également indispensable


d’avoir confiance en soi, afin de permettre le stockage des mots dans le
lexique mental, et d’avoir envie de connaître le sens de l’écrit qu’on a sous
les yeux.

La compréhension

Nous ne traiterons pas ici de la compréhension en lecture. Étant donné


que les enfants qui ont bénéficié de la démarche proposée dans ce livre
n’ont toujours manipulé que des mots et des phrases qui les intéressent, la
compréhension est allée de pair. Ce n’est sans doute pas le cas si on
commence par « enseigner la lecture » selon une procédure synthétique,
auquel cas la compréhension survient dans un deuxième temps.
Comprendre un texte dépend du niveau général de compréhension de la
langue. La compréhension est conditionnée et limitée par ce que la
personne sait déjà. On dit qu’il s’agit d’une compétence de haut niveau.
Nous nous bornerons donc à affirmer que la compréhension du langage
écrit doit être améliorée quotidiennement par la lecture faite aux enfants en
classe. Mais tant que l’enfant ne possède pas la fluidité, les textes donnés à
lire ne doivent pas dépasser son vocabulaire productif. L’enfant ne peut pas
apprendre à lire avec des mots et des tournures dont la signification lui sont
encore trop vagues.
La difficulté des lecteurs débutants vient de ce qu’il faut traiter l’écrit de
deux manières en même temps : identifier les mots et comprendre le texte.
S’ils ont commencé avec des mots intéressants et qu’ils ont découvert les
correspondances petit à petit comme je le propose, cela se fera aisément. En
revanche, un enfant déficient intellectuel a beaucoup de mal à utiliser les
deux stratégies en même temps : ou il devine, ou il déchiffre sans trop
essayer de comprendre. Et c’est le rôle de l’accompagnant de l’aider à faire
appel en permanence aux deux stratégies en même temps.

1 A. Magnan, in J. Ecalle, A. Magnan, L’Apprentissage de la lecture, op.cit.


2 J.E. Gombert, « L’apprentissage des codes grapho-phonologique et grapho-sémantique en lecture »,
in L’Apprentissage de la lecture, Presses universitaires de Rennes, 2003.
3 C’est nous qui soulignons.
4 J.E. Gombert, P. Bryant, N. Warrick, « Les analogies dans l’apprentissage de la lecture » in L.
Rieben, M. Fayol, C. Perfetti (dir), Des orthographes et leur acquisition, Delachaux et Niestlé, 1997.
5 J.E. Gombert, « Psychologie cognitive et apprentissage de la lecture », in H. Montagner L’Enfant,
la vraie question de l’école, Odile Jacob, 2002.
6 Il existe cependant peu de travaux détaillés portant sur la reconnaissance de mots écrits chez des
enfants d’âge préscolaire. Citons les travaux de K.E.C. Past, 1975 ; A.W. Past, 1976 ; R. Söderbergh,
1977 ; Ok Ro Lee, 1977 ; R. Cohen, 1977 ; F. Boulanger, 1992, Fletcher-Flinn & Thompson, 2000.
7 « Des apprentis lecteurs en difficulté », in G. Chauveau, Comprendre l’enfant apprenti lecteur,
Retz, 2001.
8 B. de Boysson-Bardies, Comment la parole vient aux enfants, Odile Jacob, 1996.
9 G. Chauveau, Comment l’enfant devient lecteur, Retz, 1997.
10 J. Foucambert, D. Foucambert, « Empans et silhouette », in Actes de la lecture no 49, AFL, 1995.
11 C. Bastien, M. Bastien-Toniazzo, « L’importance de la période dite logographique dans
l’acquisition de la lecture », in J.-P. Jafré, L. Sprenger-Charolles, M. Fayol (dir), Les Actes de la
Villette, Nathan, 1993.
12 M. Stuart, M. Coltheart, « Does reading develop in a sequence of age ? », Cognition, 30, 1988.
13 F.R. Vellutino, D.M. Scanlon, « Les effets des choix pédagogiques sur la capacité à identifier les
mots », in L. Rieben, C. Perfetti, L’Apprenti lecteur, Delachaux et Niestlé, 1989.
14 F. Boulanger, op. cit., 1992 (Annexe : le journal de la maman d’Adèle) et dans le présent ouvrage :
Le journal de Lucas.
15 U. Goswami et P. Bryant, Phonological skills and learning to read, Hillsdale, Erlbaum, 1990.
16 C. Perfetti, « Représentations et prise de conscience au cours de l’apprentissage de la lecture », in
L’Apprenti lecteur, op.cit., 1989.
17 G.B. Thomson et al., « Learning correspondences between letters and phonemes without explicit
instruction », Applied psycholinguistics, 20, 1999.
18 J. Morais, L’Art de lire, Odile Jacob, 1994.
19 B. Byrne, « Étude expérimentale de la découverte des principes alphabétiques par l’enfant », in L.
Rieben, C. Perfetti, L’Apprenti lecteur, op. cit., 1989.
20 R. Treiman, « Le rôle des unités intrasyllabiques dans l’apprentissage de la lecture », in L. Rieben,
C. Perfetti, L’Apprenti lecteur, op. cit., 1989.
21 L. Sprenger-Charolles et P. Colé, Lecture et dyslexie, Approches cognitives, Dunod, 1re éd. 2003,
2e éd. 2006.
22 R. Goigoux et al., Enseigner la lecture au cycle 2, Nathan, 2000.
23 Voir S. Valdois et al., Apprentissage de la lecture et dyslexies développementales, Solal, 2004.
24 A. Bus, M.H. Van Ijzendoorn, 1999 ; Schneider et al., 2000. Voir références complètes en fin
d’ouvrage.
25 Op.cit.
26 Op.cit.
27 D.L. Share, « Phonological recoding and self-teaching : Sine qua non of reading acquisition »,
Cognition, 55, 1995.
28 G. Cossu, J.C. Marshall, « Are cognitive skills a prerequisite for learning to read and write ? »,
Cognitive neuropsychology, 7, 1990.
29 G. Cossu et al., « When reading is acquired but phonemic awareness is not », Cognition, 4, 1993.
30 Op. cit.
31 Voir référence complète en fin d’ouvrage.
32 A. Castles, M. Coltheart, « Is there a causal link from phonological awareness to success in
learning to read ? », Cognition, 91, 2004.
33 L. Layton et al., 1998 ; voir référence complète en fin d’ouvrage.
34 Op.cit.
35 A. Ouzoulias, 2001, op.cit.
36 Op.cit.
37 A. Ouzoulias et al., op. cit., 2000.
38 L.C. Ehri et A.G. Soffer, « Graphophonemic Awareness : Development in Elementary Students »,
Scientific Studies of Reading, vol. 3, no1, 1999.
39 V. Mann, H. Wimmer, « Phoneme Awareness and Pathways Into Literacy : A Comparison of
German and American Children », Reading and Writing : An Interdisciplinary Journal, 15, 653-682,
2002.
40 U. Goswami, P. Bryant, op.cit., 2000.
41 N. Ellis, « Acquisition interactive de la lecture et de l’orthographe », in L. Rieben et al., op. cit.
42 A. Ouzoulias, op. cit., 2001.
43 J. Veronis, « From sound to spelling in french : simulation on a computer », Cahiers de
psychologie cognitive, 8, 1988.
44 S. Pacton et al., « Children’s implicit learning of Graphotactic and Morphological regularities »,
Child development, 76, 2005.
45 R.K. Olson et al., « Specific deficits in component reading and language skills : Genetic and
environmental influences », Journal of learning disabilities, 22, 1989.
46 Söderbergh, 1977, Thompson, Fletcher-Flinn & Cottrel 1999, dont on trouvera les références en
bibliographie.
47 L’Année psychologique no 104, 2004.
48 Gombert et al., op.cit., 1997.
49 Gombert, op.cit., 2002.
50 U. Goswami et al., op.cit., 2000.
51 Gombert et al., op.cit., 1997.
52 G.B. Thomson et al., op.cit., 1999.
53 L. Ehri, op.cit., 1989.
54 J. Morais, op.cit., 1994.
55 In Chauveau, op.cit., 2001 ;
56 Le pinyin est le système de transcription phonétique du chinois. L’alphabet pinyin recourt
aux 26 lettres de l’alphabet latin
57 Voir A. Ouzoulias, « L’émergence de la conscience phonémique » in Chauveau, op.cit. 2001 ou
les syllabaires sur le site http://www.escale-japon.com/accueil.php.
58 E. Demont, J.E. Gombert, « L’apprentissage de la lecture : évolution des procédures et
apprentissage implicite », Enfance, no3, 2004.
59 S. Dehaene, Les Neurones de la lecture, Odile Jacob, 2007.
60 M. Crahay, Psychologie de l’éducation, Puf, 1999.
61 J.E. Gombert, op.cit., 2003.
Chapitre VII

À propos des méthodes

Nous constatons depuis de nombreuses années que la méthode utilisée


par l’enseignant en CP importe peu pour les enfants qui ont bénéficié de
l’approche proposée dans ce livre dès la maternelle. Leurs acquisitions leur
permettent de tirer profit de toutes les méthodes, à condition que toutes les
correspondances grapho-phonologiques soient étudiées au cours de l’année.
Les remplacements de certains enseignants, de même que le changement
d’école suite à un déménagement par exemple, ne les perturbent pas.
Selon un large consensus des chercheurs, la seule méthode qu’on doive
écarter est la méthode dite « idéovisuelle », parce qu’elle refuse le travail
systématique sur la correspondance graphème/phonème. Elle n’est toutefois
plus utilisée et personne ne pense sérieusement aujourd’hui qu’un enfant
puisse apprendre à lire à partir de textes et de prises d’indices sur le sens
des textes.
Les dégâts occasionnés par cette méthode ont relancé le balancier de
l’enseignement très loin dans le sens opposé. Nous assistons actuellement à
une mobilisation exagérée contre les méthodes semi-globales ou mixtes,
pour des méthodes strictement phono-synthétiques. On pense que si on met
tout le monde (les enfants de 6 ans, les illettrés et les déficients
intellectuels) au bon vieux b-a = ba, on résoudra le problème. Pourquoi
pas ? Malheureusement, si c’était possible, ce serait déjà fait. Personne non
plus ne pense qu’un enfant de 6-7 ans puisse être intéressé par la lettre i
puis u ou a, puis des phrases du genre : la pi pe de pa pa. Un enfant normal
a de toute façon des idées sur l’écrit.
Certains feront remarquer qu’en Finlande on ne commence à apprendre à
lire qu’à 7 ans avec de très bons résultats. Ils oublient d’ajouter que le
finnois est une langue parfaitement régulière, un phonème correspondant à
un graphème, alors qu’en français un phonème peut correspondre à
plusieurs graphèmes. De ce fait, l’apprentissage en finnois est
considérablement facilité. En réalité, si en Finlande l’école obligatoire
commence effectivement à 7 ans, 96 % des familles choisissent de faire
suivre un CP optionnel dès 6 ans à leur enfant. Les autres apprennent à lire
en famille.
La pédagogie idéovisuelle et celle qui préconise le b + a = ba strict,
relèvent toutes deux, même si elles sont radicalement opposées, d’une
analyse qui ne tient pas compte du fonctionnement cognitif du jeune enfant.
Elles ne tentent, ni l’une ni l’autre, de « chausser les lunettes de l’enfant » et
procèdent toutes deux, bien que diamétralement opposées dans leur
conception, d’une analyse et d’un raisonnement d’adulte. Chacune à sa
manière préconise une didactique artificielle, prêtant à l’enfant des
capacités qu’il ne possède pas. D’une part, la conception idéographique
prête artificiellement à l’enfant le statut de lecteur accompli. D’autre part, la
formule b + a = ba, simple pour l’adulte, est très difficile à comprendre
pour l’enfant : c’est une règle qu’il ne peut pas assimiler d’emblée, faute de
l’avoir découverte par lui-même. Et les exercices de phonologie pure
proposés en maternelle, censés lui permettre d’accéder à la fusion
consonne-voyelle – mais auxquels un quart des enfants échouent – ne
permettent pas d’échapper au problème.

Les méthodes mixtes ou semi-globales

À présent, les méthodes mixtes sont plus généralement utilisées.


Certaines comprennent une trop grande part globale au début dans laquelle
de nombreux enfants se noient. On peut comprendre qu’ils soient
malheureux et les parents désorientés et inquiets. D’autres obligent les
enfants à mémoriser dès le début de nombreux « petits mots » pour
permettre la lecture de phrases. Ceci leur est difficile car, en plus du fait
qu’ils ne peuvent prendre aucun repère lettre-son, ces mots n’ont aucun
sens à leurs yeux. D’autres encore séparent complètement la partie
combinatoire des textes utilisés, ce qui est, nous semble-t-il, également une
erreur.
Un inconvénient des méthodes trop longtemps globales est d’amener
l’enfant à deviner les mots, à les remplacer par d’autres graphiquement
proches, à ne pas repérer aisément, faute d’entraînement, les césures
syllabiques qui permettent de déchiffrer facilement. Les utilisateurs de ces
méthodes ne proposent pas toujours l’étude de toutes les correspondances
graphie-phonie de la langue. Or, quelle que soit la méthode, il est
indispensable en CP, de toutes les enseigner.

Les erreurs les plus courantes

Il n’est pas possible de détailler ici chaque méthode mixte ou semi-


globale. Mais il est possible d’énumérer les erreurs pédagogiques les plus
courantes rencontrées dans ces méthodes, erreurs qu’il est souhaitable
d’éviter car les conséquences peuvent être graves pour les enfants moins
performants.
Ces méthodes commencent souvent par des phrases dont les enfants
doivent mémoriser visuellement tous les mots. Pour en localiser un, ils sont
obligés de prononcer chaque mot de la phrase en s’arrêtant sur le bon ! Mis
à part deux ou trois mots intéressants pour lesquels ils pourraient prendre un
repère visuel (lettre saillante ou caractéristique par exemple), tous les
autres, dont articles et conjonctions, sont très difficiles à mémoriser. En
effet, l’enfant ne peut prendre que des repères purement visuels, puisqu’il
n’est pas encore capable de prendre un repère lettre-son.
Pour consolider la mémorisation des mots, on donne à voir des non-mots.
Par exemple : « Entoure le mot loup parmi poul, loup, luop, loop, loub… »
Ayant toutes les erreurs sous les yeux, ce procédé empêche l’enfant de
parvenir à la mémorisation correcte du mot1.
Au cours des premières leçons, trop de mots outils doivent être
mémorisés globalement : et, dans, avec, sur, les, du, des… Ces petits mots
ne sont pas intéressants pour l’enfant et très difficiles à mettre en mémoire
puisqu’il ne possède pas encore de repères grapho-phonologiques.
À la leçon de la lettre r par exemple, montrer rat, marcher, fer, merci,
terre… c’est-à-dire enseigner une foule de notions au même moment dans
lesquelles l’enfant se perd, est malencontreux. Il est important d’isoler les
enseignements, c’est-à-dire dans ce cas :
permettre d’appréhender le son habituel de la lettre avec plusieurs
mots commençant par r,
rassembler des verbes et autres mots qui finissent en er et se
prononcent /é/,
rassembler des mots comme merci, fer, mer, mercredi, perle…

Au risque que tout s’emmêle dans leurs têtes de 6 ans, il est essentiel
d’apprendre une correspondance graphie-phonie à la fois.
De même, partir du son /è/ par exemple et montrer en même temps è, ê, ai,
ei, et (de poulet), e avant une consonne double, submerge à coup sûr de
nombreux enfants.
Autre erreur : demander, par exemple, de trouver oralement des mots en /
ère/ et montrer les correspondances orthographiques : anniversaire, terre,
père, mer, l’air, etc. Même danger !
Étant donné que le débutant qui vient d’aborder la fusion phonémique
n’est pas encore sûr de la progression gauche-droite à l’intérieur de la
syllabe, il n’est pas judicieux d’enseigner les combinaisons consonne-
voyelle et voyelle-consonne (ra et ar, so et os, …) en même temps. Il est
préférable d’attendre que la combinaison consonne-voyelle soit
parfaitement intégrée. De même, certains enfants ayant du mal à apprendre
les correspondances entre les lettres et les sons, le fait d’enseigner en même
temps, on et ou, ain et ian, oin et ion, … leur est néfaste, surtout pour les
enfants souffrant d’un problème d’orientation dans l’espace. Introduites
conjointement lors des séances de code, ces combinaisons sont
fréquemment confondues. C’est ainsi qu’on fabrique de faux dyslexiques !
Certaines méthodes semi-globales accompagnent l’étude des « sons » de
signes phonétiques. L’enfant qui est en train d’apprendre que des signes
codent des sons, ne peut pas comprendre que les mêmes signes puissent
coder de l’oral : par exemple que le signe [u] représente le graphème ou et
non u, ni que le signe [y] représente le son u.
Autres erreurs qui ne sont pas graves bien que les exercices dont elles
sont issues ne servent à rien :

Faire apparier des mots et des « silhouettes » : cette pratique


dérive d’une théorie complètement invalidée aujourd’hui. Cela ne
sert à rien et c’est aller contre le fonctionnement naturel du
débutant qui ne voit pas des silhouettes, mais prend un (ou deux)
repère(s) précis dans le mot.
Écrire les mots d’une phrase sans les blancs, l’enfant devant la
segmenter. Par exemple :
Monpetitfrèrealancéleballonàsoncopain.

Ce n’est pas le principe de la semi-globale associant analyse et synthèse qui


est en cause, mais le fait qu’on ne tienne pas compte du fonctionnement
cognitif naturel de l’enfant :

qui apprend une chose à la fois,


qui raisonne par inférence inductive (il a besoin d’exemples pour
comprendre une règle),
qui ne peut progresser que s’il peut « atteler » la nouvelle notion à
ce qu’il sait déjà, même s’il devra le « déconstruire ».

Les méthodes phono-synthétiques (souvent


nommées syllabiques)

Les méthodes phono-synthétiques qui consistent en l’enseignement des


lettres et de leurs combinaisons, ne permettent de développer qu’une partie
de l’acte de lire, c’est-à-dire la combinatoire. Utilisées sans l’approche
préalable proposée dans ce livre, elles ne peuvent amener tous les enfants à
une lecture aisée et autonome car :

Elles enseignent le son de la lettre. Les enfants le mémorisent


sans comprendre, même s’il est représenté de manière imagée. Le
fameux principe alphabétique, préconisé comme base de
l’apprentissage par l’ONL, ne peut être compris de cette manière.
Ces méthodes associent d’emblée la consonne à la voyelle (et
inversement) sans que les enfants puissent comprendre le
fonctionnement de la fusion. C’est simple aux yeux de l’adulte
mais incompréhensible d’emblée si on chausse les lunettes de
l’enfant, qui ne peut là encore qu’apprendre les syllabes par cœur.
Il finira par comprendre le système… tout seul. Les méthodes
phono-synthétiques ne permettent pas à l’enfant d’utiliser son
raisonnement naturel pour comprendre les principes de base :
celui du système alphabétique et de la co-articulation des
phonogrammes. Or tous les enfants possèdent toutes les capacités
requises pour les concevoir à partir de mots facilement mémorisés
s’ils leur sont proposés et classés de manière adaptée, ainsi que
décrit dans ce livre.
De plus, les méthodes phono-synthétiques, parce qu’elles refusent
d’utiliser des mots contenant des lettres-son que l’enfant n’a pas
appris, utilisent des mots qui ne font pas partie de son
vocabulaire. Et les phrases proposées n’ont souvent pas de sens
commun, les mots les plus fréquents ne pouvant y figurer.
Le point de départ d’une méthode synthétique se trouvant dans
l’oral et non dans l’écrit, montrer plusieurs graphèmes
correspondant à un phonème perturbe de nombreux enfants et
comporte un danger : celui de réduire l’apprentissage de l’écrit à
la conversion phonème-graphème, l’enfant prenant la très
mauvaise habitude d’écouter les mots pour les écrire (de manière
phonétique) alors qu’il sera obligé ensuite de faire tout le travail
de mémorisation orthographique afin de pouvoir écrire
correctement.
Les méthodes synthétiques partagent avec la plupart des
méthodes mixtes le fait d’étudier en même temps la fusion
consonne-voyelle et voyelle-consonne. Pour des enfants mal
orientés dans l’espace, c’est catastrophique.

Les protagonistes des méthodes synthétiques pensent que pour savoir


lire, il suffit de connaître le son des lettres et de groupes de lettres et de
savoir les assembler. Ils ne considèrent que l’aspect phonique de la lecture.
L’acte de lire est toutefois infiniment plus complexe. Pour identifier les
mots, il faut notamment tenir compte de tous les aspects de morphologie
grammaticale (poires-ils chantent) et dérivationnelle (lait-laitier ; grand-
grande) ainsi que d’autres lettres muettes (souris-radis).
Ainsi, les enfants qui ont appris uniquement en faisant correspondre la
lettre au son (surtout en écrivant d’abord) peuvent manifester des difficultés
à lire et à comprendre ce qu’ils lisent, peut-être parce l’enseignement est
amputé des caractéristiques orthographiques et morphologiques.

Pour conclure

On sait que des enfants arrivent en CP, malgré toute la bonne volonté des
enseignants de maternelle, sans savoir ce que « lire » représente, ni avoir la
notion du mot, ni avoir compris qu’il existe une relation entre l’oral et
l’écrit. Ils n’ont donc pas acquis le principe alphabétique, compétence
pourtant demandée en fin de maternelle (programmes de 2002-2008). Les
enfants qui bénéficient de la démarche proposée n’ont pas ces problèmes
car ils ont compris ce qu’est un mot et ont commencé à découvrir des
éléments de l’écrit. Ils ont acquis le principe alphabétique, et souvent aussi
la compréhension de la co-articulation des phonogrammes (b + a = ba).
Les autres sont trop nombreux à n’avoir pas encore repéré « ces spécificités
et n’établissent donc pas de lien entre ce qu’on leur enseigne et les
représentations qu’ils se sont construites sur le fonctionnement de l’écrit. »
(ONL, 2002)
En l’état actuel de la recherche, on peut distinguer deux manières de
mettre en relation l’écrit et l’oral : d’une part l’enseignement phonique
classique (méthode de lecture traditionnelle) et d’autre part une approche
phonique qui insiste sur la recherche d’analogies larges à partir desquelles
la correspondance graphème-phonème peut être découverte. Tandis que
notre méthode consiste à utiliser toutes les analogies remarquées – petites et
grandes – qui mènent aux correspondances grapho-phonologiques tout au
long de l’apprentissage.
L’idée défendue par notre démarche n’est pas de savoir lire avant les
autres, mais d’aider l’enfant à acquérir les concepts indispensables qui lui
permettront de tirer bénéfice de l’enseignement de la lecture au CP. La co-
articulation des phonogrammes (b + a = ba) est acquise intuitivement par
certains, mais tous sont néanmoins prêts à comprendre la fusion consonne-
voyelle par laquelle débute, sans autre préparation, une méthode
synthétique. Pour aider l’enfant à comprendre la fusion des phonèmes, on
préconise des exercices de conscience phonémique, auxquels tous les
enfants ne peuvent accéder. La démarche décrite dans ce livre, propose tout
un cheminement qui permet d’y parvenir. C’est pour cette raison qu’aucun
enfant n’est « perdu en route ».
Avec de la bonne volonté, un pédagogue arrive à faire déchiffrer tous les
enfants avant la fin du CP avec une méthode synthétique. La difficulté pour
certains enfants est de dépasser la phase de construction, graphème à
graphème, des mots, et d’arriver à reconnaître les mots comme le fait le
lecteur habile par la voie directe orthographique. Le mauvais lecteur n’y
arrive pas ou avec beaucoup de difficultés, parce qu’il ne fait pas tout seul
(comme les plus performants) ce que personne ne lui enseigne, c’est-à-dire
rattacher mentalement un mot nouveau à un mot similaire qu’il connaît
déjà. S’il connaît mange, il devrait lire range instantanément par analogie :
les mauvais lecteurs ne le font pas et re-déchiffrent chaque fois les mots,
même ceux qu’ils ont déjà rencontrés souvent. Ceci est peut-être dû au fait
qu’on ne les a autorisés à développer qu’une seule stratégie de
reconnaissance des mots : l’élaboration graphème à graphème.
Si les enfants ne semblent pas avoir compris le rapport écrit-oral malgré
les activités faites en maternelle, il est souhaitable que le maître du CP
applique une méthode qui enseigne le code dès le début à partir du texte
utilisé. Les enfants de 6-7 ans pressentent un code qu’on est en devoir de
leur donner et n’ont plus la faculté de mémoriser quantité de mots
globalement, encore moins les déterminants et conjonctions non
significatifs.
Au regard de l’efficacité, certains chercheurs concluent qu’une méthode
qui associe l’approche globale et l’approche phonétique conduit à de
meilleures performances tant en lecture qu’en écriture. Et selon le Centre
pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement de l’OCDE (2007)
« On peut supposer qu’idéalement l’enseignement de la lecture combine
sans doute l’approche syllabique et la méthode globale. »
Stanislas Dehaene (professeur au Collège de France et directeur de
l’unité Inserm-CEA de neuro-imagerie cognitive) se fondant sur les progrès
de l’imagerie cérébrale, a précisé lors du Colloque national sur la lecture
le 9 mars 2006, et contrairement à certaines affirmations qui lui ont été
prêtées, que « Les résultats des recherches sont très récents et doivent être
confirmés. On ne peut donc en déduire quelle est la méthode optimale
d’enseignement. » Il a regretté que « la complexité du sujet ait été trop
négligée dans les débats récents » et récusé d’avance toute utilisation
politique : « Les sciences cognitives ne doivent pas servir d’alibi à une
politique d’enseignement. »
Pour les enfants de maternelle, il préconise lors de ce même colloque
« de faire attention au bon niveau de traitement de la lecture, par exemple
d’aider l’enfant à voir eau d’un seul bloc ». C’est ce que nous proposons de
faire.

1 M. Dixon, Z. Kaminska, « Is it misspelled or is it mispelled ? The influence of fresh orthographic


information on spelling », Reading and Writing, 9, 1997.
Conclusion

Les questions qui se posent pour la recherche

Depuis quelques années, la recherche s’intéresse à l’enfant qui apprend,


ainsi qu’à l’évolution de sa conquête du savoir-lire. On avait davantage
étudié et décomposé l’acte de lire que « l’enfant en train d’apprendre à
lire ». Reste encore des pans entiers à explorer, notamment tout ce qui
concerne le petit enfant qui, dès deux ans, se constitue un capital-mots et
réfléchit (inconsciemment) sur les mots qu’il possède.
La grande question que se pose la recherche actuellement est de savoir
quelles sont les compétences à développer chez l’enfant afin qu’il puisse
apprendre à lire sans problème au CP. Ce n’est peut-être pas celle qu’il faut
se poser. L’enfant possède en lui toutes les capacités requises pour
apprendre à lire. Il serait souhaitable d’analyser sa manière de réfléchir
spontanément sur l’écrit adapté à ses capacités perceptives et d’organiser
l’environnement afin que l’apprentissage puisse avoir lieu. Or, actuellement
on s’ingénie plutôt (inconsciemment) à lui compliquer la tâche. Il n’y a plus
lieu de se demander s’il est bon de donner des mots aux enfants dès la Petite
Section. Il est plus que temps que les chercheurs viennent constater que
mémoriser des mots affectivement investis est chose facile pour tous les
enfants de maternelle, sous certaines conditions énoncées précédemment, et
que cela ne comporte aucun danger, comme semble vouloir le diffuser un
mouvement opposé à permettre aux enfants de maternelle la simple vue des
mots. Et que c’est son capital-mots qui permet à l’enfant d’entrer dans
l’analyse des correspondances grapho-phonologiques.
Parmi les compétences acquises au cours de cette première phase
d’apprentissage du langage écrit, décrites dans la première partie de cet
ouvrage, les suivantes pourraient retenir plus particulièrement l’attention
des chercheurs :
Certains pensent que la discrimination visuelle de lettres
semblables est requise avant l’apprentissage de la lecture. D’après
l’expérience acquise, ce n’est pas notre avis : les exercices de
discrimination des dpqb mettent l’enfant inutilement en difficulté.
L’enfant qui possède un capital d’une quinzaine de mots, même
s’il n’a que 2-3 ans, est capable de remettre des mots qu’il n’a
jamais vus à l’endroit, et de reconnaître une combinaison
pertinente de lettres d’un non-mot. Il développe implicitement
une sensibilité aux unités écrites fréquentes de la langue : il a déjà
une conscience graphique.
Il sait aussi qu’un mot oral court correspond à un mot écrit court.
Ces enfants ne se font pas piéger par le test train-locomotive ou
lion-coccinelle.

Le but étant que les enfants apprennent à lire le plus aisément possible,
les chercheurs se posent la question de savoir ce que l’apprenti lecteur doit
acquérir en premier : les correspondances graphème-phonème en partant
des plus simples, ou celles correspondant à des unités plus larges ? Qu’est-
ce qui donne les meilleurs résultats à long terme ? Quelle est la procédure la
plus accessible aux enfants les moins performants ?
Il semble que les enfants s’intéressent aux analogies – petites et larges –
depuis le début et tout au long de l’apprentissage. Notre opinion à ce sujet
est qu’il ne faut, par conséquent, négliger aucune remarque de l’enfant qui
puisse le faire progresser dans la découverte du code. L’expérience nous
montre qu’il voit aussi facilement que voiture, vélo et vacances
commencent « pareil » que cadeau, bateau et gâteau finissent « pareil ». La
recherche d’analogies doit pouvoir se faire indifféremment sur des petites et
grandes unités, les enfants les plus performants entraînant les autres. Pour
les enfants déficients, il faudra organiser l’environnement (rendre les
régularités saillantes) pour qu’ils puissent faire les mêmes découvertes que
leurs camarades.
Des chercheurs sont convaincus de l’importance du rôle joué par les
analogies larges dans l’apprentissage. La question qu’ils se posent est de
savoir à quel moment les favoriser : avant ou après la découverte de la
fusion des phonèmes. Nous pensons qu’il faut laisser venir les remarques
des enfants qui les font indifféremment avant ou après avoir acquis la fusion
des phonèmes, et même au stade logographique.

Une autre question se pose : Faut-il mener des entraînements


phonologiques en maternelle ? Est-il vraiment utile d’imposer des
entraînements phonologiques aux moins performants sans le support de
l’écrit ? Pour le savoir, il serait nécessaire d’analyser, en dehors de l’école,
les activités des enfants qui ont une bonne conscience phonologique avant
l’entrée au CP, afin d’en comprendre l’origine et de pouvoir donner à tous
leurs chances de réussir ce CP. Le terrain nous incite à penser que les
enfants effectuent très facilement des exercices de phonologie après qu’ils
ont découvert une correspondance grapho-phonologique. Le faire avant ne
profite pas aux moins performants.

Comment advient la reconnaissance immédiate, le caractère automatique


de la lecture ? Est-elle le résultat de règles enseignées et appliquées qui se
seraient automatisées ? Ou se produit-elle à l’issue des apprentissages
implicites dans la fréquentation répétée de l’écrit ? La question se pose si
l’on veut aider les plus démunis à acquérir la fluidité en lecture.
Personnellement, nous penchons pour cette dernière hypothèse. C’est à nos
yeux la question principale. Nous sommes pratiquement toujours arrivés à
aider l’acquisition du décodage, même avec des déficients sévères, mais
ensuite ?
Il serait intéressant que les chercheurs se penchent sur le cas des enfants
qui apprennent à lire « tout seuls ». En fait ces enfants apprennent à lire
parce qu’ils sont capables de poser les bonnes questions, de faire les bonnes
relations entre les mots et ainsi comprendre la structure de l’écrit. Ils n’ont
pas appris à lire du fait de leur bonne discrimination auditive et leur
entourage ne les a pas soumis à des entraînements phonologiques !

Combler le fossé entre chercheurs et praticiens

La conquête du savoir-lire, nous l’avons montré tout au long de ce livre,


débute bien avant l’enseignement formel au CP. Il conviendrait d’étudier
l’enfant très jeune possédant un petit capital-mots, et son travail de
réflexion spontanée par rapport à ces mots. Encore serait-il nécessaire :
d’admettre le fait que l’enfant, même tout jeune, réfléchit et réagit
sur l’écrit et donc lui donner le matériau (des mots intéressants à
ses yeux) pour le faire ;
de reconnaître ses stratégies, les analyser, les respecter et lui
répondre : c’est-à-dire entretenir le dialogue qu’il a le plus
souvent amorcé lui-même.

Pendant de nombreuses années, je me suis demandée pourquoi on


s’obstinait à démarrer l’apprentissage de la lecture par l’oral. Raison
invoquée : on part de ce que l’enfant connaît (l’oral) pour aller vers ce qu’il
ne connaît pas (l’écrit). Alors qu’il est tout aussi capable de partir de l’écrit
qui n’est pas plus difficile à analyser pour lui. Lorsque ce sera d’acceptation
courante, tout deviendra plus facile. La didactique actuelle est bloquée sur
l’idée que l’enfant ne peut pas réfléchir sur l’écrit et que par conséquent il
serait incapable d’établir une relation entre l’écrit et l’oral.
Et la grande question que se pose la recherche officielle actuellement est
de savoir quelles sont les capacités à développer chez l’enfant afin qu’il
puisse apprendre à lire sans problème au CP. On retombe ici dans l’idée de
préparer un enseignement préprogrammé, au lieu de mettre l’enfant en
mesure d’entrer dans l’écrit adapté à ses possibilités. À notre avis, la
question qui se pose serait plutôt : Étant donné que l’enfant, même très
jeune, est un être pensant, qui réfléchit sur tout ce qui l’intéresse, que faut-il
mettre à sa disposition, dès son plus jeune âge, pour qu’il puisse
commencer à apprendre à lire le plus facilement possible en tenant compte
de ses aptitudes du moment ?
Notre réponse, et celle des enseignants et parents qui nous ont fait
confiance depuis plusieurs années, est bien de :

lui donner les mots qui l’intéressent ;


répondre à ses remarques et questions et l’aider à classer ses
mots : dans l’ordre alphabétique, et selon des correspondances
grapho-phonologiques (petites et grandes unités) ;
couper des mots écrits en syllabes acoustiques ;
classer ces syllabes pour favoriser la compréhension de la co-
articulation des phonogrammes.
La recherche progresse, mais certaines conclusions et les directives
didactiques qui en sont dérivées, surtout celles concernant la phonologie, ne
sont pas adaptées à nos yeux au fonctionnement cognitif du jeune enfant.
Elles ne le feront donc pas progresser.
La lacune déterminante et la plus frappante dans certaines recherches est
le manque de prise en compte du fonctionnement habituel de l’enfant, celui
de la pensée inductive. Si elles l’avaient pris en considération, plusieurs
chercheurs auraient fait les bonnes hypothèses et la recherche aurait avancé
davantage.
Plus généralement et afin de progresser dans l’accompagnement efficace
de l’enfant dans sa conquête du langage écrit, il serait souhaitable
d’améliorer la communication entre psychologie du développement,
psychologie cognitive, psycholinguistique, neurosciences et sciences de
l’éducation.
En conclusion, il serait souhaitable que les chercheurs soient davantage
sur le terrain – les enfants nous apprennent tellement si nous savons rester
attentifs à ce qu’ils font, à ce qu’ils nous disent – et s’assurent de la
« validité écologique des résultats obtenus en laboratoire1 » c’est-à-dire que
les théories soient confrontées à la pratique et que progressivement se
comble la brèche importante existant entre chercheurs et praticiens.

1 Ecalle et Magnan, op. cit., 2002.


ANNEXES
Témoignage

Béatrice Machefel, Professeur des écoles

Ayant expérimenté la démarche proposée dans ce livre depuis dix ans, nous
avons constaté de nombreux effets bénéfiques.

Sur les enfants

Ils aiment leurs mots, leur langage s’améliore, ils progressent aussi
dans les autres domaines. Aucun enfant ne résiste au plaisir de recevoir un
mot écrit, donné au moment approprié lors d’un échange privilégié avec
l’enseignant. Même ceux pour lesquels on pense a priori que rien ne peut
changer le cours des choses, ceux dont les difficultés dépassent les limites
de l’école et pour lesquels les enseignants sont souvent démunis, même eux
apprennent et évoluent positivement à condition toutefois que l’on croie en
leurs possibilités et que l’on s’occupe d’eux chaque jour.
Respect de l’enfant et de son rythme d’apprentissage et de
développement. Les enfants qui ne posent pas de problème savent profiter
des mots écrits, même collectivement. La phonologie les amuse. Les
Instructions officielles actuelles sont faites pour eux. À tous les autres et
pour ne laisser aucun enfant de côté, l’école maternelle se doit de proposer
une pédagogie adéquate afin qu’ils puissent acquérir les concepts de base
indispensables que les premiers ont su glaner tout seuls. Avec la démarche
de Françoise Boulanger, les conditions sont réunies pour que l’enfant utilise
ses compétences et soit pleinement acteur de son développement.
Attirance vers les écrits. Tous les enfants qui reçoivent des mots
personnels font preuve d’une attirance toute particulière pour les livres et
les écrits de toutes sortes qu’ils remarquent dans leur environnement.
Attention, concentration et réflexion améliorées. Les enfants sont
naturellement attentifs au mot qu’on leur écrit. Ils prennent l’habitude de se
concentrer, font appel à leur mémoire. Ils réfléchissent constamment face
aux écrits qui les intéressent. Ces qualités débordent ce domaine et
transparaissent aussi dans d’autres activités (mathématiques, arts plastiques,
etc.)
Meilleure prononciation. Elle l’est de manière très nette lorsque l’enfant
peut voir les mots écrits qui lui posent problème : les phonèmes mal
prononcés à l’oral s’auto-corrigent à la vue de l’écrit correspondant, le
zozotement a tendance à disparaître, les syllabes interverties dans les mots
reprennent leur place après que l’enfant les ait vus écrits.
Clés de la réussite au CP. Cette démarche permet à tous les enfants de
percevoir des analogies, pour ensuite comprendre le lien qui existe entre
l’écrit et l’oral. Si l’enseignant s’applique à instaurer avec vigilance une
interaction efficace, l’enfant poursuivra naturellement ses découvertes. Son
envie de savoir lire sera si grande et il aura déjà intégré tant de concepts,
qu’il sera à même de suivre la méthode, quelle qu’elle soit, choisie par
l’enseignant du CP.
Émergence d’un esprit d’entraide. Les jeux entrepris en classe amènent
naturellement les enfants à s’entraider sans aucun esprit de compétition.
Constamment en recherche du résultat à trouver, il y a toujours quelqu’un
pour venir en aide à l’enfant qui hésite. Cette collaboration tout à fait
naturelle déborde aussi dans d’autres domaines et rend l’ambiance de la
classe très agréable pour tous.
Une bonne estime de soi. Régulièrement valorisés, les enfants n’hésitent
pas à communiquer avec l’adulte sur ce sujet. La bonne image qu’on leur
renvoie leur donne confiance en eux et les aide à grandir. Ils s’épanouissent
et même les plus renfermés s’ouvrent aux autres.

Sur les relations parents-enfant-enseignants


Relation parents/enfant. Les parents constatent le bonheur de leur enfant
au travers de la bonne relation mise en place par l’enseignant, mais aussi
par le biais des connaissances de l’enfant qui s’accroissent de jour en jour.
Peu à peu et grâce à l’accompagnement de l’enseignant, ils vont être
amenés à participer très simplement à la découverte de l’écrit de leur enfant.
Ils vont apprendre à comprendre les réactions de leur enfant face aux écrits,
à lui répondre en toute confiance, à l’encourager dans ses réflexions, à le
valoriser dans ses nouvelles recherches. Ils vont découvrir le plaisir procuré
par une communication accrue et des activités partagées.
Relation enfant/enseignant. C’est en écrivant des mots personnels aux
enfants que l’enseignant installe cette relation si particulière d’échange sur
l’écrit qui permettra à l’enfant une entrée facile dans le monde de la lecture.
Il pourra ainsi très souvent échanger quelques mots avec chaque élève, en
situation duelle. Et chaque discussion, si courte soit-elle, au cours d’un de
ces moments privilégiés, resserre les liens entre l’enfant et l’enseignant.
Une meilleure connaissance de l’enfant permet aussi une meilleure
compréhension de celui-ci et par conséquent, une aide plus efficace, dans
quel domaine que ce soit.
Communication parents-enseignants et partenariat. Si l’on veut qu’il
profite au mieux de sa scolarité et de ses apprentissages, l’école doit gagner
la confiance des familles. Et cette confiance se construit grâce aux échanges
entre adultes (enseignants-parents), au travers de la joie exprimée par
l’enfant. Quelques réunions ponctueront l’année scolaire en fonction du
travail effectué. Elles permettront aux parents de mieux comprendre
l’attitude de leur enfant face aux écrits et surtout, de savoir quoi et comment
lui répondre. Invités à participer ainsi à la découverte de l’écrit de leur
enfant, ils connaîtront ses acquis dans ce domaine et se trouveront tout à fait
rassurés lors du passage au cours préparatoire. Il est à noter que
pratiquement tous les enfants qui découvrent l’écrit à l’école maternelle
selon la démarche d’apprentissage proposée dans ce livre parviennent à des
résultats qui étonnent en premier lieu leurs parents. Ceux-ci, rassurés par les
facultés de leur progéniture, se rapprocheront plus facilement de
l’enseignant qui pourra leur faire comprendre que leur attitude positive et le
fait de faire la lecture aux enfants (par un proche pour les illettrés ou non
francophones) est de toute première importance.
Lexique

La terminologie utilisée pouvant varier d’un auteur-chercheur à l’autre, il


nous a semblé utile de définir les termes utilisés dans cet ouvrage.

Allitération : Répétition d’une consonne ou d’un groupe de consonnes,


dans des mots qui se suivent, produisant un effet d’harmonie imitative ou
suggestive.
API : Alphabet phonétique international qui permet de transcrire les
phonèmes.

Assonance : (du latin assonare : faire écho) Répétition de la même voyelle


accentuée à la fin de certains vers : sombre/tondre ; peindre/feindre ; âme/
âge.
ATSEM : Agents territoriaux spécialisés des Écoles maternelles (chargés
d’aider l’enseignant de maternelle).
CLIS : Classe d’intégration scolaire. Elle a pour mission d’accueillir de
façon différenciée dans certaines écoles élémentaires ou exceptionnellement
maternelles, des élèves en situation de handicaps afin de leur permettre de
suivre totalement ou partiellement un cursus scolaire ordinaire.

Combinatoire : Assemblage des phonogrammes.

Concept : Représentation générale et abstraite d’un objet, d’un ensemble


d’objets.

Configuration graphique : Suite de lettres envisagées dans leur aspect


graphique.
Conscience phonologique : La conscience phonologique est définie
comme la compétence qui permet d’identifier les composants
phonologiques des unités linguistiques et de les manipuler
intentionnellement. (Pascale Colé)

Consonne fricative (ou constrictive) : Qui peut se prolonger : l - m - s - j –


v…

Consonne occlusive : Consonne produite par une fermeture complète et


brève du canal vocal, suivie d’une ouverture expulsant l’air rapidement,
plus difficile à isoler pour l’enfant : p - t - g/ gue/- c/k/- b…

CGP : Correspondance graphème-phonème ou Correspondance lettre(s)-


son. Un graphème, c’est-à-dire une ou plusieurs lettres : ph par exemple,
correspondant à un phonème (son).

CP : En France, première année de l’école élémentaire.

Cursive (écriture) : (du latin : currere qui signifie courir) Écriture tracée à
main courante ; elle s’oppose à l’écriture en script.

Décodage : Déchiffrage intelligent, qui cherche aussi à comprendre. (G.


Chauveau)

Déchiffrer : Prononcer des sons.

Déduction : Conséquence tirée d’un raisonnement ; conclusion. On parle


de raisonnement déductif.

Didactique : qui a pour objet d’instruire ; pédagogique. Terme didactique :


employé pour la vulgarisation scientifique ou technique.

Écholalie : Une écholalie est une tendance spontanée à répéter


systématiquement tout ou une partie des phrases, habituellement de
l’interlocuteur, en guise de réponse verbale. L’écholalie est fréquente chez
les petits enfants.

Graphème : Un graphème est le signe écrit correspondant à un phonème.


Ce peut être une simple lettre (pour le son/b/, par exemple) ou un groupe de
lettres (ou, par exemple).
Induction : Généralisation d’une observation ou d’un raisonnement établis
à partir de cas singuliers.
Inférer : Tirer comme conséquence d’un fait, d’un principe.

Inférence : Opération logique par laquelle on admet une proposition en


vertu de sa liaison avec d’autres propositions déjà tenues pour vraies.
Inférence inductive ou déductive.
Langage : activité de l’enfant qui se manifeste en production (parler, écrire)
et en compréhension (écouter, lire). (R. Goigoux)
Langue : la langue est un système de signes, organisé selon des règles, qui
est partagé par un groupe social donné. (R. Goigoux)
LPC : Langage parlé complété. Comme le Braille, qui rend palpable
l’écriture pour l’aveugle, le code LPC rend le français visible pour le sourd.
La main près du visage complète syllabe par syllabe tout ce qui est dit. Le
français oral est alors perçu par la personne sourde sans ambiguïté,
complètement et sans fatigue.

Métaphonologiques (exercices) : À l’oral, exemple d’exercices : jugement


de longueur de mot, invariants, recherche de l’intrus, dénombrer phonèmes,
isoler, abstraire un phonème.

Morphème : Unité élémentaire de signification de la langue. Le mot


chaton contient deux morphèmes : chat-on.

Mot régulier : Qui répond aux règles de correspondance grapho-


phonologique (maman, mouton, lapin, bateau…), et ne comporte pas de
lettre parasite comme dans souris, vent, haricot…
ONL : Observatoire national de la lecture. Créé en 2001, cet observatoire a
pour mission de contribuer à la maîtrise de la langue, tout au long de la
scolarité, et d’analyser les pratiques de lecture chez les élèves. À ces fins, il
recueille et exploite les données disponibles et favorise les échanges
d’informations et d’expériences entre les partenaires scientifiques, les
professionnels et les parents.
Phonème : la plus petite unité phonologique qui permet de différencier
deux mots : sac-lac. Le phonème est transcrit par un graphème composé
d’une ou plusieurs lettres. Il est l’identité sonore du graphème.

Phonétique : Qui s’intéresse aux sons eux-mêmes, indépendamment de


leur fonctionnement les uns avec les autres. La phonétique s’intéresse aux
sons en tant qu’unités physiologiques, la phonologie aux sons en tant que
partie d’une structure.
Phonologie : Branche de la linguistique qui étudie comment s’organisent
les sons d’une langue afin de former des énoncés.

Phonogramme : (phono = son ; gramma = signe). Signe graphique


représentant un son (ou une suite de sons) par opposition à idéogramme.
(Gérard Chauveau)

Principe alphabétique : Le principe général de la représentation des sons


par les lettres. Ne pas confondre avec la notion d’ordre alphabétique.

Pseudo-mots : Ils désignent des séquences de lettres telles que nipolu qui
respectent les règles orthographiques et phonologiques de la langue, mais
ne constituent pas des mots.

Pulsion phonatoire : Ce qui est exprimé d’une seule émission de voix.

Rime : La syllabe se divise en attaque et rime. Dans beau : b est l’attaque,


eau la rime.

Signifiant : Forme concrète (image acoustique, symbole graphique) du


signe linguistique. Opposé à signifié.

Signifié : Contenu sémantique du signe linguistique (ou concept). Opposé à


signifiant.

Syllabe : Unité d’analyse du langage parlé. Groupe de phonèmes prononcés


d’une seule émission de voix constituant un mot ou un élément de mot.
(Ecalle et Magnan)
Syllabogramme : Tout caractère ou ensemble de caractères codant une
syllabe à l’oral, ou l’écrit correspondant à une syllabe orale.
Transparente : Opposée de langue opaque. Exemple de langue
transparente : l’italien dans lequel un graphème correspond à un phonème.
Exemple de langue opaque : l’anglais, dans laquelle un même phonème
peut être représenté par plusieurs graphèmes.
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E.K. Warrington, T. Shallice, T., « Word form dyslexia », Brain 103, 99-
112, 1980.
Chez le même éditeur

Collection « Les Dossiers de l’Éducation »


Une collection dirigée par Martine Fournier, rédactrice en chef du magazine
Sciences Humaines.

L’Intelligence de l’enfant, Le regard des


psychologues,

Coordonné par Martine Fournier et Roger Lécuyer (2006).


L’intelligence, comment ça marche ? Comment se développe-t-elle ? Que
nous apprennent les recherches récentes sur les nourrissons, sur le langage,
sur la créativité et la « théorie de l’esprit » ? En quoi les neurosciences, les
études sur le cerveau et sa plasticité, la génétique nous permettent-elles de
mieux comprendre le développement de l’intelligence chez l’enfant ? Quels
sont les nouveaux modèles proposés par la psychologie cognitive ?
Autant de sujets exposés dans cet ouvrage qui retrace également la genèse
des théories, des modèles et des questionnements de la psychologie du
développement.
Avec les contributions de : Claude Bastien, Yves Clot, Michel Deleau,
Jacques Grégoire, Olivier Houdé, Michel Huteau, Annette et Kyra
Karmiloff-Smith, Jacques Lautrey, Gilles Lemmel, Todd Lubbart, Claire
Meljac, Daniel Mellier, Paul Messerschmitt, Laurent Mottron, Chantal
Pacteau Maria Pereira-Fradin, Pierre Roubertoux, Robert Siegler, Arlette
Streri, Bertrand Troadec.
L’Intelligence de l’enfant, L’empreinte du social,

Coordonné par Martine Fournier et Marie Duru-Bellat (2007). Quel est le


rôle de l’environnement dans le développement de l’intelligence ?
Est-il légitime d’évaluer l’intelligence par un chiffre de QI ? Pourquoi son
usage reste-t-il si fréquent ? L’intelligence est-elle innée ou acquise ? La
génétique, les neurosciences tout comme la psychologie du développement
soulignent les interactions étroites entre biologie et culture.
Quel est le rôle de la famille, de l’école, de la société et de la culture dans la
genèse de l’intelligence ? Pourquoi les chercheurs ont-ils tant de mal à
développer une sociologie du développement cognitif pourtant
prometteuse ?
Quels enjeux autour de l’inégalité des capacités intellectuelles ? Quelles
sont les pédagogies et les politiques destinées à lutter contre ? Quelle est la
part d’idéologie dans les débats sur l’intelligence ?
Avec les contributions de : Claudie Bert, Blandine Brill, Huguette Desmet,
Willem Doise, François Dubet, Marie Duru-Bellat, Martine Fournier,
Benoît Grison, Willy Lahaye, Jacques Lautrey, Olivier Martin, Roy Nash,
Jean-Pierre Pourtois, Pierre Roubertoux, Robert Sternberg, Youssef Tazouti,
Marie-Christine Toczek.

Les Mutations de l’école, Le regard des sociologues,

Coordonné par Martine Fournier et Vincent Troger (2005).


Quelles sont les dynamiques qui travaillent l’institution scolaire ? Quels
savoirs enseigner à ces nouveaux publics que forment les collégiens, les
lycéens et les étudiants d’aujourd’hui. L’école doit-elle transmettre des
valeurs et, si oui, lesquelles ? Quels sont les termes du débat autour de la
réussite scolaire, des inégalités, de la laïcité ? La sociologie de l’éducation
s’est emparée de ces questions.
Avec les contributions de : Jean Baubérot, Stéphane Beaud, Bernard
Charlot, Marcel Crahay, Arlette Delhaxhe, Jean-Louis Derouet, François
Dubet, Marie Duru-Bellat, Pascal Huguet, Catherine Marry, Patrick Rayou,
José Rose, François de Singly, Agnès van Zanten…
Une Histoire de l’éducation et de la formation,

Coordonné par Vincent Troger (2006).


Un tableau de l’histoire de l’éducation et de la formation en France du
Moyen Âge à nos jours, qui met en évidence les enjeux sociaux de
l’éducation sur la longue durée.
Avec les contributions de : Patrick Cabanel, Jean-Michel Chapoulie, Marie-
Madeleine Compère, Renaud D’Enfert, Jean-Yves Dupont, François
Jacquet-Francillon, Françoise Laot, Claude Lelièvre, Jean Paul Martin,
André Robert, Marc Venard.

Lire et écrire,

Coordonné par Pascal Séverac (2007).


Cet ouvrage tente de cerner la spécificité actuelle de notre « civilisation de
l’écrit » à l’ère de la domination de l’image, d’Internet, et des mass media.
Il fait varier les mises en perspectives, anthropologiques, cognitives,
historiques et sociologiques sur le statut de ces activités complexes que sont
la lecture et l’écriture.

Collection « Ouvrages de synthèse »

Éduquer et former,
Coordonné par Jean-Claude Ruano-Borbalan (3e éd. 2008).
Un bilan complet des connaissances en éducation et en formation, à travers
des questions clés comme la motivation, l’évaluation, la formation
professionnelle, la didactique, etc. La présente édition donne une place
spéciale aux interrogations qui ont émergé ces toutes dernières années :
savoirs et compétences, nouvelles technologies… Cet ouvrage est l’outil de
formation et de réflexion indispensable à toute personne s’intéressant à
l’éducation et à la formation.
Un classique dans le domaine de l’Éducation et de la Formation !

Hors collection

Guide du jeune enseignant,

Fabrice Hervieu-Wane.
Avec la collaboration de Vincent Troger, nouvelle édition 2009. Le guide
indispensable des futurs profs et des jeunes enseignants.

Le format ePub a été préparé par Isako www.isako.com à partir de l'édition


papier du même ouvrage.

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