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11/12/2023 19:21 Justice et Cassation | Dalloz

Justice et Cassation

Justice et Cassation 2023 p.119

La réception du droit souple par le contentieux de droit privé

Marion Bleusez, Maître de conférences à la faculté de droit de Nancy, Université de Lorraine, Institut
François Gény (EA 7301)

Etude

Introduction
1. De l'existence d'un phénomène immémorial - Le droit souple ou soft law trouverait son origine en droit
international public où l'expression aurait été employée dès les années trente (1). Cette origine ne concerne
cependant que la notion doctrinale car, en tant que réalité observable, le droit souple est un phénomène
immémorial, inhérent à toute société organisée. Ainsi, le voeu, monstrueux, que Suétone prêta à Caligula, « plût aux
dieux que le peuple romain n'eût qu'une tête » (2), pliera toujours devant la réalité : le peuple a plusieurs têtes.
Dans son Discours préliminaire, Portalis, très conscient de la pluralité humaine, formula d'ailleurs un avertissement :
« les lois ne sont pas de purs actes de puissance. [...] [Le législateur] ne doit point perdre de vue que les lois sont
faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; qu'elles doivent être adaptées au caractère, aux
habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites. [...] [Il doit aussi se préserver] de la dangereuse
ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. [...] Quoi que l'on fasse, les lois positives ne sauraient jamais
entièrement remplacer l'usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie. Les besoins de la société sont si
variés, la communication des hommes est si active, leurs intérêts sont si multipliés, et leurs rapports si étendus, qu'il
est impossible au législateur de pourvoir à tout. Dans les matières mêmes qui fixent particulièrement son attention, il
est une foule de détails qui lui échappent, ou qui sont trop contentieux et trop mobiles pour pouvoir devenir l'objet
d'un texte de loi. [...] Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à l'empire de l'usage, à la
discussion des hommes instruits, à l'arbitrage des juges » (3). Si, en adressant cette mise en garde, Portalis avait
essentiellement à l'esprit le rôle de la jurisprudence, d'autres outils - parfois même au service des juges - sont
concevables pour compléter les lois. C'est à régler cette foule de détails que les instruments du droit souple servent
en premier. Avis (4), circulaires, rapports, recommandations, codes de conduite (5), résolutions, « foire aux
questions » (6) : la soft law se propage sous des noms les plus divers à travers « des instruments juridiques qui,
sans être contraignants, produisent des effets juridiques » (7).

2. De la définition du droit souple - Derrière cette réalité que chacun sait tangible, la notion peine toutefois à
trouver sa définition. Sa terminologie est d'abord plurielle. Si « droit souple » et « soft law » sont les deux
appellations les plus courantes, on retrouve encore le concept sous d'autres expressions comme « droit assourdi »
(8) ou « droit vert » (9). Ses instruments sont ensuite si nombreux et variés que le cadre d'une notion doctrinale
peut sembler trop contraignant pour les saisir. En dépit de nombreuses études, aucune définition ne s'est pleinement
imposée en doctrine. Un constat ressort chaque fois : l'hétérogénéité du droit souple (10).

Au risque de simplifier, on peut tenter de résumer ces entreprises de définition en disant que la doctrine se trouve
face à deux voies. Certains vont chercher à saisir l'ampleur du phénomène et les renouvellements conceptuels
auxquels il oblige, ce qui les amènera, pour prendre de la hauteur, à élargir la catégorie, quitte à la diviser ensuite en
sous-catégories. D'autres, dans un mouvement inverse, seront plus soucieux de resserrer sa définition pour borner
la notion et lui associer un régime juridique. Suivant la première approche, une partie de la doctrine va réunir sous la
bannière du concept de soft law l'ensemble des instruments qui produisent des effets de droit sans être
juridiquement obligatoires ou, dans les définitions les plus larges, en étant peu contraignants. Cette présentation
sera fréquemment sous-divisée. On retrouvera, par exemple, la distinction tripartite du droit flou (sans précision), du
droit doux (sans obligation) et du droit mou (sans sanction) (11), ou bien encore celle du soft law paralégislatif,
périlégislatif et intralégislatif (12). Ces recherches mettent particulièrement bien en lumière une gradation dans la
normativité, un « éventail de normativité » (13). À l'autre extrême, on trouve des études plus circonscrites et plus
empreintes aussi de droit positif. Ainsi, l'étude rendue par le Conseil d'État en 2013 fait reposer sa définition sur trois
critères cumulatifs. Selon ses auteurs, le droit souple est constitué de l'ensemble des instruments qui « ont pour
objet de modifier ou d'orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant, dans la mesure du possible,
leur adhésion ; [qui] ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d'obligations pour leurs destinataires et [qui]
présentent, par leur contenu et leur mode d'élaboration, un degré de formalisation et de structuration qui les

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apparente aux règles de droit » (14). À l'épreuve du contentieux, ces critères, qui ont précédé de quelques années
l'ouverture du recours pour excès de pouvoir aux instruments du droit souple, ne peuvent que faciliter le travail
d'identification des juges administratifs. En revanche, selon l'approche que l'on retient, on aura compris que les
instruments étudiés ne seront pas les mêmes. Les travaux préparatoires tels que les rapports parlementaires ou, au
niveau communautaire, les livres blancs ou livres verts sont exclus de certaines analyses, admis dans d'autres
(15). Il en va de même des notions à contenu variable ou des standards juridiques que toutes les études ne
qualifient pas de droit souple (16).

Partant, quelle définition retenir pour cette étude ? Pour nourrir la réflexion, on s'efforcera de puiser par préférence
dans les instruments les moins contestés de la soft law, ceux qui sont admis quelle que soit la définition adoptée. On
ne s'interdira cependant pas de puiser parfois plus largement, ne serait-ce que pour souligner quand un
raisonnement apparaîtrait plus transversal qu'un autre. Seul un critère sera toujours conservé, celui de l'absence de
force obligatoire des instruments du droit souple (17). Certes, ce critère est écarté dans les définitions les plus
larges, mais le risque de dilution à ne pas le retenir nous semble l'emporter sur l'avantage à inclure les instruments
qu'il recouvre. Au demeurant, certains auteurs qui s'étaient initialement fondés sur une définition très extensive, ne
cachent pas une certaine déception qui les amène aujourd'hui à se montrer plus réservés (18). Aussi, et parce qu'il
permet en particulier de mieux distinguer la soft law des sources formelles du droit (19), le caractère non
contraignant ou non obligatoire nous semble pouvoir servir de socle (20). C'est, du reste, ce qui rend spécialement
intéressante la question de sa réception par le contentieux de droit privé.

3. De la délimitation du contentieux de droit privé - Pour cette étude, le contentieux de droit privé sera limité aux
litiges de droit privé (droit civil, social, du travail, pénal...) portés à la connaissance des juridictions judiciaires. Par
conséquent, les litiges relevant de la compétence des juridictions administratives, constitutionnelles et
supranationales ne seront pas abordés (21), pas plus que la matière gracieuse pour laquelle l'article 25 du code de
procédure civile exige « l'absence de litige » (22). Le droit souple mieux cerné et le contentieux de droit privé ainsi
délimité, que signifie la réception du premier par le second ?

4. Du choix du vocable « réception » - Le vocable « réception » est connu du droit. Outre son acception
contractuelle technique (23), il est fréquemment employé pour traduire « la pénétration, l'infiltration [ou] l'influence
d'un droit » (24). En ce sens, on s'interroge sur la réception d'une réforme, d'un droit étranger ou du droit
communautaire. Ainsi employée, l'acception traduit en quelque sorte un « mode d'expansion » du droit (25). C'est à
travers cette signification que cette étude se propose d'étudier la réception du droit souple. Le vocable conforte, en
effet, l'idée que c'est en sortant de son lit naturel que la soft law parvient à pénétrer le champ du contentieux de droit
privé. Du point de vue non plus de l'action, mais du résultat, il permet aussi de s'inscrire dans une logique de
gradation qui correspond assez bien à celle de l'expansion du droit souple. Il offre ainsi la possibilité de mesurer les
degrés d'influence de ces instruments sur la résolution des litiges. Enfin, le mot « réception » paraît suffisamment
ductile pour rassembler l'ensemble des procédés susceptibles de faire remonter les instruments du droit souple au
contentieux (26).

Ce dernier argument, du reste, est le même qui nous a conduite à écarter une autre expression, celle de « prise en
considération ». Car, avant d'entamer cette étude, la question s'est posée de préférer le vocable « prise en
considération » à celui de « réception ».

Un auteur, en effet, Mme Pascale Deumier, a récemment observé le recours accru à cette formule dans la
jurisprudence de nos hautes juridictions. Son usage, déjà souligné dans une étude annuelle que la Cour de
cassation a consacrée à son rôle normatif (27), pourrait répondre à une attente lexicale dans le rapport du
contentieux à certaines normes, spécialement à ces normes qui sont dans une zone grise où un instrument n'est ni
tout à fait appliqué, ni tout à fait ignoré. En ce sens, Mme Deumier écrit : « cette formule répond à un besoin
important pour traduire le jeu complexe des sources dans le raisonnement du juge » (28). Elle offre au juge une
alternative terminologique « à ce tout ou rien de l'application de la norme » telle qu'elle est classiquement sollicitée
pour trancher les litiges. « Ni appliquées, ni ignorées, [ces normes] sont "prises en considération" » (29). L'objet de
cette étude, le droit souple, et son angle contentieux nous ont ainsi fait hésiter : fallait-il retenir une expression
privilégiée par les magistrats ? À l'analyse, il a plutôt semblé qu'un tel choix trahirait leur intention. Si l'on comprend
bien, la « prise en considération » a été employée pour traduire la mobilisation par les magistrats de normes en
dehors de la méthode syllogistique à laquelle ils recourent traditionnellement pour appliquer la règle de droit.
Partant, sauf à dénaturer le sens recherché, ce mot serait trop restrictif au regard du champ de cette étude qui se
propose d'envisager tous les modes de réception des instruments du droit souple, c'est-à-dire non seulement à
travers leur « prise en considération » judiciaire, mais encore à travers leur application pour trancher le litige et, plus
largement encore, à travers tous les procédés par lesquels le droit souple pénètre le contentieux, même

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indépendamment du pouvoir des juges. C'est donc pour mieux embrasser l'ensemble de ces questions que le terme
« réception » a été choisi (30). Dans un dialogue constructif entre sources, on ne s'interdira cependant pas de
parler de « prise en considération », spécialement pour traduire un mode de réception par le pouvoir judiciaire,
lorsqu'il n'est pas question d'appliquer une norme (31).

5. Problématique et plan - Ces définitions précisées, comment le droit souple est-il reçu par le contentieux de droit
privé ? L'interrogation implique en tout premier lieu de savoir si les instruments du droit souple participent au
contentieux de droit privé. À cette question, une réponse positive nous semble aujourd'hui acquise. Aussi, la
question est plutôt de comprendre par quel(s) procédé(s) la soft law pénètre dans le contentieux de droit privé. Cette
interrogation nous paraît devoir être traitée en partant de deux postulats. Le premier est que notre système est régi
par le positivisme légaliste qui veut, selon la célèbre formule de Montesquieu, que les juges soient la « bouche de la
loi » (32). Conformément au principe de la séparation des pouvoirs, les règles de droit émanent du pouvoir
législatif. Elles s'imposent au juge qui ne devrait pas pouvoir recourir à d'autres instruments pour trancher les litiges.
Mais le positivisme légaliste trouve plusieurs limites, parmi lesquelles la réalité des modes de sécrétion du droit.
Précisément, il semble que l'on doive partir d'un autre postulat, celui de l'expansion du droit souple qui, parce qu'il
imprègne de plus en plus l'ordre juridique (33), ne peut être ignoré des magistrats. Sous peine de perdre le contact
avec la réalité juridique, les juges doivent trouver une façon d'introduire du droit souple dans le contentieux. Dès
lors, soumission à la loi ou ouverture au droit souple, comment concilier ces deux impératifs ? Sans doute à travers
la différenciation et la gradation des modes de participation des instruments du droit souple. Cette gradation révèle
une savante articulation entre grandes et petites sources du droit (34). Pour l'appréhender, on commencera par
envisager la réception indirecte du droit souple (I), avant d'examiner sa réception directe (II).

I. La réception indirecte du droit souple


6. Plan - La réception indirecte du droit souple traduit l'idée que ses instruments vont certes pénétrer le contentieux,
mais sous le manteau d'un autre instrument juridique. Ainsi, ils ne sont pas reçus en tant que source formelle du
droit, mais fondus dans d'autres normes. Ce passage indirect peut se produire à deux moments différents : avant
tout contentieux, par l'absorption du droit souple par une autre source de droit, et au moment de trancher le litige,
par le jeu de l'interprétation judiciaire. Dans le premier cas, le juge est un simple observateur de la réception (A),
dans le second cas, il en devient un acteur (B).

A. Le juge observateur

7. Plan - Le juge est observateur de la réception du droit souple lorsque ses instruments sont absorbés par une
autre norme qu'il aura plus tard à appliquer au contentieux. A priori, compte tenu de sa plasticité, le droit souple
pourrait être absorbé par toutes les sources de droit. Ainsi, on conçoit sans mal, qu'à force de pratiques constantes
et répétées, l'un de ses instruments finisse par être qualifié de coutume et, sur ce fondement, tenu pour obligatoire
(35). Dans un système légaliste, la coutume, source non légiférée de droit doit toutefois demeurer marginale. Aussi
paraît-il préférable de présenter l'absorption du droit souple à travers deux autres procédés, plus courants : la
légalisation (1) et la contractualisation (2).

1. La légalisation du droit souple

8. Présentation générale du procédé - Le procédé est simple : en intégrant dans la loi un instrument du droit
souple, la légalisation lui permet d'accéder au statut de loi. Ainsi transformé, le dispositif qu'il contient pourra alors
être appliqué par les juges pour trancher un litige. Ce faisant, la norme que le juge applique n'est plus du droit
souple. Au moment où elle parvient au contentieux, elle a déjà quitté le droit souple pour rejoindre la loi. Elle est une
disposition légale à part entière, raison pour laquelle on peut parler de réception indirecte.

En pratique, la légalisation est fréquente. Elle contribue fortement à l'imprégnation de tout l'ordre juridique (36) car,
une fois hissé au rang de loi, le caractère obligatoire renforce la connaissance et l'application du mécanisme
légalisé. Les exemples de légalisation sont nombreux et les raisons qui les motivent multiples. Ces raisons ne sont
d'ailleurs pas exclusives les unes des autres. Il est même fréquent qu'elles se cumulent. Pour ne pas tomber dans
l'inventaire, seuls quelques exemples seront développés, choisis assez largement pour montrer la transversalité de
ce mode de réception.

9. Moderniser la loi - En légalisant un instrument du droit souple, le législateur peut avoir pour ambition de
moderniser la loi. Il peut estimer que les dispositions légales en vigueur, voire l'absence de loi, ne répondent plus
aux besoins de la société. Progrès techniques, sociaux, économiques ou même juridiques ont pu être à l'origine de
normes qui se sont développées en dehors de la loi et que le législateur veut désormais ramener dans son giron.

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Pour reprendre la main sur ces instruments, parfois pour les perfectionner, il choisit alors de procéder à leur
légalisation.

C'est ainsi qu'est né le casier judiciaire. La constatation des antécédents judiciaires est une préoccupation ancienne.
Longtemps cependant, les civilisations n'employèrent qu'un procédé, celui de la flétrissure. Cette « "marque" qui
consistait dans l'apposition sur le corps du condamné d'un fer rouge d'une forme symbolique, était à la fois une
peine infamante et une institution judiciaire destinée à fournir la preuve des condamnations encourues » (37).
Pratiquée en Grèce et à Rome, elle se perpétua sous l'Ancien droit. Un temps abolie par la Révolution, elle se trouva
rétablie par Napoléon (38) jusqu'à être définitivement supprimée par une loi du 28 avril 1832 (39). En parallèle, la
société et les moeurs progressant, l'idée fit son chemin qu'il fallait changer, pour l'humaniser, le procédé
d'identification des criminels. Il fallait remplacer cette technique par une autre à la fois moins dégradante et plus
efficace pour administrer la justice. La première tentative connue que, sans l'anachronisme, l'on aurait déjà pu
assimiler à du droit souple, remonterait à 1720 (40). Par la suite, elle fit place à d'autres essais conduits tant par la
loi que par la pratique, jusqu'en 1848 où, à l'occasion d'un discours prononcé à l'audience de rentrée du tribunal civil
de Versailles, un magistrat, le procureur Bonneville de Marsangy, proposa un nouveau système « pour rendre aussi
prompte qu'infaillible la recherche des antécédents judiciaires ». Deux ans plus tard, ce système était repris dans
une circulaire du garde des Sceaux sous le nom de « casier judiciaire ». Cette circulaire du 6 novembre 1850 bien
que très détaillée dut cependant être modifiée à de nombreuses reprises par d'autres circulaires ultérieures. Si bien
que, même si dès 1885, plusieurs lois mentionnaient l'existence du casier judiciaire, aucune ne l'avait encore
consacré en tant que tel. Jusqu'à sa légalisation par une loi du 5 août 1899, le casier judiciaire, invention française,
demeura donc une « une institution purement administrative » (41). De cette origine, il ressort que pendant près de
cinquante ans, le casier judiciaire était ce que l'on aurait appelé, si le concept avait existé, un instrument du droit
souple, né d'un discours officiel prononcé par un magistrat, puis formalisé dans plusieurs circulaires administratives.
En le légalisant, le législateur modernisa sa loi pénale ; il combla ses lacunes par un système que le progrès social,
la bonne administration de la justice et la sécurité juridique avaient fini par rendre indispensable. Une telle
légalisation pouvait aussi se prévaloir d'un autre motif : sa meilleure acceptation.

10. Renforcer l'acceptation de la loi - En légalisant un instrument du droit souple, le législateur espère
fréquemment renforcer l'acceptation de sa loi. Cette préoccupation s'inscrit dans une approche plus sociologique du
droit. Il s'agit de rendre la loi plus « effective ». Le Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit,
définit l'effectivité comme « le degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit »
(42). L'effectivité se préoccupe de la « réalité empirique » (43) de l'application d'une règle de droit, de sa mise en
oeuvre concrète et tangible. Précisément, la sociologie du droit a montré que « la normativité est une question
d'adhésion » (44) et que l'adhésion ne naît pas, ou pas seulement, de la force obligatoire d'une norme.
L'acceptation normative peut s'expliquer autrement, par l'adhésion en particulier aux valeurs qu'une loi porte (valeurs
sociales, éthiques, environnementales...) qui repose elle-même en partie sur l'implication des destinataires de la
norme. De façon très logique, on affirme généralement que « ce qui est voulu est mieux vécu et mieux suivi que ce
qui est imposé » (45).

C'est là précisément que se trouve un avantage de la soft law. L'élaboration de ses normes repose fréquemment sur
un processus de concertation qui associe ses destinataires ou leurs représentants. Aussi, en légalisant du droit
souple, le législateur fait remonter à la loi des instruments auxquels les praticiens ont souvent déjà adhéré, ce qui
renforce leurs chances d'acceptation (46).

Pour illustrer l'hypothèse, on peut citer les codes de déontologie auxquels est conférée valeur légale. Les plus
topiques sont sans doute ceux qui concernent les professions médicales, pour lesquelles l'article L. 4127-1 du code
de la santé publique prévoit qu'« un code de déontologie, propre à chacune des professions de médecin , chirurgien-
dentiste et sage-femme, préparé par le conseil national de l'ordre intéressé, est édicté sous la forme d'un décret en
Conseil d'État ». Ces règles figurent désormais aux articles R. 4217-1 et suivants du même code et s'appliquent en
tant que telles devant les juridictions des ordres judiciaire et administratif. En la matière, l'intégration à la loi est
d'ailleurs plus ancienne. Une étape importante avait été franchie par l'ordonnance n° 45-2184 du 24 septembre 1945
relative à l'exercice et à l'organisation des professions de médecin, de chirurgien-dentiste et de sage-femme. La
lecture de son exposé des motifs est spécialement intéressante car elle révèle que, sans la nommer, le législateur
s'inscrivait déjà dans une démarche que l'on qualifierait aujourd'hui d'intégration de la soft law. Dès les premiers
mots, on peut lire, en effet, que cette réforme trouve sa justification dans les changements qui se sont opérés non
seulement dans la loi, mais encore dans les faits. Puis l'exposé des motifs rajoute que la loi a été élaborée en
consultant les représentants des professions concernées (47). Par où l'on retrouve l'objectif précédent de
modernisation doublé d'une espérance de meilleure acceptation grâce à l'implication des destinataires de la norme
(48). On notera, à cet égard, que le même phénomène est à l'oeuvre dans la codification récente de la
déontologie des professions juridiques (49).

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Pour atteindre son objectif, il n'est cependant pas rare que le législateur doive s'armer de patience. En particulier,
plus une norme est complexe et contraignante, plus son absorption par la loi risque d'être lente et progressive. La
légalisation de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) fournit une illustration de cette légalisation par
étape. Si, par touches successives, quelques lois ont déjà commencé à imposer des normes qui relevaient
auparavant de son dispositif (50), l'ensemble demeure largement volontaire. Certes, la loi n° 2019-486 du 22 mai
2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a tenté une approche plus générale
en modifiant les articles 1833 et 1835 du code civil, mais cette modification a finalement été plus symbolique que
réellement contraignante. En l'état, le dispositif fait d'ailleurs l'objet de critiques et l'on peut penser que la légalisation
de cet outil sera rapidement amenée à évoluer. En ce sens, une directive européenne a été adoptée le 14 décembre
dernier (51) et une proposition de loi a été enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 15 décembre
(52). Au-delà de l'exemple, cette insatisfaction rappelle que, quelle que soit la méthode, l'effectivité de la loi demeure
« un concept qui doit être manié avec la plus grande prudence » (53). L'acceptation exige parfois du temps ou
plusieurs tentatives et l'espérance d'acceptation peut être déçue. La légalisation du droit souple n'échappe pas à
cette part d'aléa.

11. S'appuyer sur les compétences de spécialistes - Pour finir, la légalisation des normes du droit souple peut
être une façon de s'assurer que la règle sera le fruit de la compétence d'experts. Là encore, il s'agit de renforcer
l'effectivité de la loi, mais en misant cette fois sur sa qualité. Dans ce cas, c'est sur les auteurs de la norme que
l'attention du législateur se reporte. À cette fin, ce dernier peut même solliciter directement les spécialistes d'un
champ disciplinaire. C'est ainsi que de nombreux projets de réforme ont été menés à bien ces dernières décennies.
Récemment, un auteur a montré comment, initiée par Jean Foyer, la méthode du recours à une personnalité
universitaire comme expert au service du pouvoir législatif s'est installée dans les habitudes de la Ve République
(54).

En ce moment même, c'est sur ce procédé que s'appuie la réforme annoncée du droit des contrats spéciaux. En
juillet 2022, une commission, missionnée par le Gouvernement et composée à la fois d'universitaires et de
praticiens, a remis un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux (55). Sur la base de ce texte, la
direction des affaires civiles et du Sceau a ensuite lancé une consultation publique, en invitant tous les
professionnels du droit, acteurs économiques comme universitaires, à adresser leurs observations. Compétence,
adhésion (56) et même modernisation (57), ce dernier exemple réunit finalement trois des principaux motifs de
légalisation d'un instrument du droit souple (58). Certes, la réforme du droit des contrats spéciaux est encore en
cours et l'on ne connaît pas le degré d'influence que l'avant-projet aura sur le texte final. Mais, en toute hypothèse,
en tant qu'instrument du droit souple, ce travail demeurera et si, comme il est probable, des dispositions se
trouvaient reprises dans le code civil réformé, elles y seraient absorbées pour, dans quelques années, pénétrer sous
ce nouveau statut le contentieux de droit privé.

Ainsi, la légalisation apparaît comme un mode privilégié d'absorption du droit souple. Il n'est cependant pas le seul.
Par le procédé de la contractualisation, la soft law trouve une autre façon de pénétrer le contentieux.

2. La contractualisation du droit souple

12. Présentation générale du procédé - Avant toute contractualisation, une condition doit être vérifiée : la
disponibilité de la règle aménagée. La liberté contractuelle trouve, en effet, sa limite dans l'ordre public auquel elle
ne peut déroger (59). Les dispositions supplétives de volonté jouissent cependant d'une préférence légale (60),
de telle sorte que le poids de l'ordre public ne doit pas être exagéré. Dans nombre de cas, les parties auront la
possibilité de contractualiser un instrument du droit souple. Ainsi contractualisée, la soft law trouve une source
formelle d'application aux litiges et se voit dès lors en mesure de franchir le seuil du contentieux. Là encore, le
passage au contentieux ne s'opère toutefois qu'indirectement : la norme n'est pas reçue au titre du droit souple,
mais du contrat qui l'a absorbée. Elle est contraignante seulement par application de l'article 1103 du code civil et de
la force obligatoire que la loi reconnaît aux contrats (61).

13. Motifs de la contractualisation - Les motifs de contractualisation sont indénombrables puisque subjectifs et
propres à chaque contractant. En tâchant toutefois d'objectiver les raisons possibles d'une telle contractualisation,
deux principaux motifs semblent se détacher. D'une part, les auteurs du droit souple sont fréquemment des autorités
ou des acteurs reconnus qui bénéficient d'un certain crédit auprès des contractants (62). D'autre part, la
contractualisation se trouve parfois encouragée par les pouvoirs publics, ce qui renforce, dans ce cas, la confiance
que les contractants placent dans les instruments de la soft law. Là encore, la contractualisation de la RSE en
témoigne (63). Dans son fonctionnement, tel qu'il a été originellement conçu, la RSE repose tout entière sur la
participation volontaire des entreprises à un comportement social et environnemental plus responsable. Cette
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participation passe notamment par la contractualisation. C'est dans cet esprit que des sociétés sont, par exemple,
amenées à stipuler des clauses visant à insérer dans leurs rapports contractuels des obligations sociétales inspirées
des instruments de la soft law (norme ISO 26000, conseils des chambres de commerce et d'industrie...), démarche
encore encouragée depuis la modification par la loi Pacte des articles 1833 et 1835 du code civil (64).

14. Du juge observateur au juge acteur - Légalisation ou contractualisation, à ce stade, le juge n'est que
spectateur de la réception du droit souple par le contentieux de droit privé. L'instrument absorbé lui parvient sans
qu'il n'ait à jouer aucun rôle. Ce sont le législateur ou les contractants qui ont fait le choix de faire remonter la norme
au contentieux. Le juge la reçoit fondue ou refondue dans le nouveau support qui la contient, de telle sorte que ce
n'est pas le droit souple qu'il va appliquer pour trancher le litige, mais son réceptacle, la loi ou le contrat. En
revanche, au moment d'appliquer la règle de droit, son rôle peut changer pour devenir plus actif. Employant le droit
souple pour mieux identifier la règle à appliquer, il se transforme alors en acteur de sa réception.

B. Le juge acteur

15. Le droit souple au service de l'interprétation de la loi - Si, avant que le litige ne soit élevé devant lui, le juge
n'est pas maître des normes qui lui parviennent, il retrouve après une incontestable maîtrise. Cette maîtrise
s'exprime, en particulier, à travers son pouvoir d'interprétation. L'interprétation est un travail judiciaire rendu parfois
nécessaire pour restituer le sens et la portée d'une règle afin de permettre son application au litige. Elle assure « le
passage de la règle abstraite aux cas concrets » (65). C'est dans ce temps préparatoire au syllogisme judiciaire
que du droit souple peut encore être introduit. A priori, tous les instruments du droit souple sont susceptibles d'être
mobilisés par le juge. En pratique, selon la difficulté à résoudre et la méthode d'interprétation empruntée, des types
d'instruments seront préférés à d'autres. Ce jeu dans l'articulation des sources mérite d'être pensé par le législateur
car, la soft law venant compléter le droit dur, son anticipation permet de guider le contenu de ces normes (1) avant
qu'elles ne soient incorporées par le juge (2).

1. L'anticipation légale

16. Des instruments pour compléter le droit dur - L'idée a été rappelée en introduction : les dispositions légales
ne peuvent tout prévoir dans le détail. Plus encore, elles n'y ont pas intérêt. Une foule de détails échappe au
législateur pour laquelle il doit pouvoir compter sur d'autres ressources. Parmi ces ressources figurent les normes
qui se développent dans la soft law. Aussi le législateur ne saurait ignorer cette partie du droit qui se creuse en
galeries sous sa loi. Plus encore, il peut et doit s'appuyer sur ces normes pour préciser l'application du droit dur. Le
législateur a donc tout intérêt à penser en amont leur développement pour contribuer à désamorcer les difficultés qui
ne manqueront pas de se présenter dans les prétoires. Une telle anticipation doit l'amener à préciser la politique
législative qu'il entend suivre. Derrière la diversité des instruments du droit souple, deux grandes voies s'offrent, en
effet, à lui : il peut tâcher de conserver la maîtrise du droit souple ou il peut procéder par délégation.

17. Le droit souple centralisé - Suivant une première voie, le législateur peut tâcher de conserver, en partie, la
main sur l'interprétation de la règle de droit. Pour y parvenir, il peut utiliser la soft law pour préciser lui-même l'esprit
d'une loi et la façon dont il a envisagé ses difficultés d'application. Dans la conception traditionnelle de l'interprétation
des lois, la méthode de l'exégèse invite, en effet, les juges à revenir au texte (66). Ainsi, plus les travaux
préparatoires sont complets, plus les juges disposent de matière pour approcher le sens de la loi. Il faut penser, dès
l'origine, aux difficultés d'interprétation à venir et s'occuper, le plus tôt possible, du matériau de cette soft law qui
servira plus tard à compléter la règle de droit. C'est l'un des enseignements rappelés par Jean Carbonnier dans son
Essai sur les lois. Consulté en 1973 sur la réforme du divorce par le garde des Sceaux Jean Taittinger, le doyen
poitevin expliquait avoir délibérément choisi de rendre son avis sous « la forme d'un projet de loi et même d'un projet
de décret, à quoi s'ajoutaient des éclaircissements, qui avaient vaguement l'allure d'un exposé des motifs » (67).
Par la suite, son projet ayant bénéficié de la fortune légale qu'on lui connaît, il décida de rendre public ce travail
préparatoire. Il fallait songer, écrivait-il, « aux Antitribonians de l'avenir, aux juristes puristes qui, un jour, seront
curieux de retrouver, sous les transformations et les déformations du Digeste, la doctrine originelle - curieux de la
retrouver et qui sait ? peut-être soucieux de la restituer, par voie d'interprétation, au droit positif » ; songer, écrivait-il
encore, à ceux qu'il appelait les « gratteurs de palimpsestes » et les « chasseurs d'interpolations » (68).

Chaque fois qu'elle est possible, la même démarche devrait être empruntée par le législateur. Une telle orientation
implique néanmoins de commencer par réfléchir à la procédure législative. Pour nourrir la soft law, la procédure de
l'article 38 de la Constitution apparaît en effet peu performante. Si les reproches que le recours à l'ordonnance
essuie en tant qu'instrument du droit dur ne sont plus à démontrer (69), le procédé présente aussi des faiblesses
en tant qu'instrument du droit souple. Parce que les ordonnances ne sont généralement précédées que d'un simple

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rapport au président de la République, elles seront un matériau bien moins utile aux juges qu'une loi préparée par
des rapports et discussions parlementaires, qui plus est à l'heure du libre accès en ligne. Du point de vue du droit
souple, la loi est un outil incontestablement plus fécond que l'ordonnance.

En l'absence, ou en complément, de cette prévoyance légale, l'administration d'État peut aussi produire du droit
souple après l'entrée en vigueur d'une loi. La technique connaît aujourd'hui un succès certain avec des déclinaisons
en forme d'appendice comme le procédé très emprunté des annexes aux circulaires (70). Ces documents, dès lors
qu'ils ajoutent aux dispositions légales, appartiennent au droit souple. Ils n'ont aucune valeur contraignante et ne
peuvent être appliqués comme tel aux litiges. Mais, comme les travaux préparatoires, ils sont des outils pour
l'interprétation des juges et peuvent ainsi parvenir au contentieux.

18. Le droit souple décentralisé - Suivant une deuxième voie, le législateur peut encore procéder par délégation,
en décentralisant la production du droit souple (71). Organismes publics, autorités administratives indépendantes,
voire organismes privés, à travers notamment le rôle joué par les entreprises (72), la loi doit pouvoir s'appuyer sur
tous les acteurs de la soft law. Comment procéder à une telle délégation ? La création d'autorités dédiées à la
production de ce droit souple et, plus largement, la corégulation (73) ne sont pas les seules manifestations.
Indirectement, la façon de rédiger les lois commande aussi le rôle que ces normes auront à jouer. Les techniques
sont connues et notamment celle qui consiste à employer des « notions-cadre » (74) ou « à contenu variable »
(75). De façon générale, plus le dispositif légal laisse de place à l'interprétation, plus le droit souple est susceptible
d'être pris en considération. L'appréciation de la faute sportive dans la responsabilité civile en fournit un exemple.
Lorsque la responsabilité de plein droit ne peut être retenue, la Cour de cassation exige, en effet, une faute qualifiée
qui, au-delà de la simple faute de jeu, suppose en principe une « faute contre le jeu » (76). Il est alors fréquent
que, pour apprécier une telle faute, la Cour de cassation se tourne vers le droit souple en se reportant aux
règlements (77) ou codes de conduite (78) qui encadrent la pratique sportive. Bien que ces règlements occupent
une place prépondérante dans le raisonnement judiciaire, ils n'ont aucune valeur contraignante. Normes du droit
souple, leur appréciation demeure à la discrétion du juge (79). In fine, et quel que soit l'instrument du droit souple,
le juge reste maître de l'interprétation. L'incorporation du droit souple demeure sous son contrôle.

2. L'incorporation par le juge

19. Une réception indirecte - En interprétant la règle à appliquer, le juge se charge de l'articulation du droit dur et
du droit souple. Il est l'interface qui les met en contact. Sous le rapport de la norme, cet échange des sources -
petites et grandes - ne se réalise cependant pas sur un pied d'égalité. L'un absorbe l'autre ; le droit dur absorbe le
droit souple. Interprétation et application de la loi ont beau être indissociables, elles n'en demeurent pas moins
techniquement distinctes (80). Techniquement, en effet, le juge n'applique pas le droit souple. Il ne s'en sert que
pour éclairer la loi qui est la seule source formellement applicable au contentieux. Un auteur a particulièrement bien
mis en valeur cette réception indirecte du droit souple par le contentieux. Pour M. Antoine Bailleux, deux droits
doivent être distingués, le droit normatif, qui se préoccupe de la validité de la règle de droit, et le droit cognitif, qui
cherche à déterminer le contenu de la règle valide (81). Le premier tend essentiellement à un résultat (la règle est
valide ou ne l'est pas), tandis que le second se concentre davantage sur le processus, la démarche pour parvenir au
résultat. Partant, « le droit cognitif s'apparente à un univers de connaissance en perpétuelle mutation et
recomposition, nécessairement ouvert sur son environnement. Cet univers de connaissance englobe tous les
éléments présentés comme pertinents pour l'identification de la norme juridique » (82). C'est dans ce cadre que la
soft law est prise en considération ; elle sert de « donnée juridique pertinente pour l'élucidation ou la construction de
la norme qui y prévaut » (83). Formellement, le droit souple n'est donc pas appliqué au litige ; c'est la norme qu'il
contribue à identifier qui l'est. La jurisprudence, qui n'est pas elle-même une source formelle de droit (84), fait
corps en quelque sorte avec la règle de droit (85). Reste, qu'en pratique, le juge est l'acteur principal de cette
réception pour laquelle il jouit d'une grande liberté.

20. Une libre appréciation judiciaire - Le procédé fonctionne alors sur la capacité de la soft law à convaincre le
juge (86). Pour reprendre les mots de M. Bailleux « le droit cognitif est l'univers de la conviction, le droit normatif,
celui de la validité » (87). Si le pouvoir de cette incorporation réside incontestablement dans les mains du juge, la
liberté dont dispose ce dernier doit être correctement dosée. À défaut, elle emporte deux risques opposés.

Le premier est que le droit souple laisse trop de liberté à l'interprétation au détriment de la prévisibilité et de la
sécurité juridique. Même si elle n'emporte qu'une réception indirecte du droit souple, la puissance de l'interprétation
ne doit pas être sous-estimée (88). L'interprétation implique en effet une nécessaire émancipation du juge par
rapport à la loi. Or, dans un système légaliste, cette émancipation doit rester encadrée. Pour que l'interprétation ne
se perde pas dans un maillage complexe de petites normes, la loi doit assurer en premier la cohérence du droit
souple et soigner, autant qu'il lui est possible, la qualité de ces normes (89). On a vu, à cet égard, de quelle façon

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l'anticipation légale peut contribuer à orienter l'usage du droit souple (90). Il demeure que le législateur ne pourra
jamais qu'aiguiller la réflexion du juge vers tel ou tel instrument, en misant principalement sur sa force de conviction.

Le deuxième risque apparaît en quelque sorte opposé. Si le juge ne doit pas trouver dans l'interprétation une trop
grande liberté à l'égard de la loi, il ne doit pas non plus se penser lié par les normes du droit souple. Non
contraignantes, ces dernières doivent demeurer des éléments qu'il est libre de ne pas prendre en considération. La
remarque peut relever de l'évidence. Il arrive d'ailleurs que les acteurs de la soft law l'indiquent eux-mêmes (91).
Mais la réalité est plus complexe. Il se peut, au contraire, que les promoteurs du droit souple incitent à l'application
de leurs normes (92). Plus largement, lorsque le droit souple présente un fort degré de structuration et de
formalisation ou lorsque ses normes sont produites par une autorité reconnue, on peut craindre que le juge ne se
sente lié par son contenu. La doctrine a notamment attiré l'attention sur un tel danger lorsque le droit souple est
sollicité sur le modèle de l'amicus curiae (93). La Cour de cassation semble toutefois vigilante. Ainsi, dans une
décision du 20 janvier 2015, alors que les juges du fond avaient partiellement fondé leur décision sur une
communication de la Commission européenne faite sous forme de « lignes directrices », la chambre commerciale de
la Cour de cassation a pris soin, avant de rejeter le moyen, de relever que la cour d'appel de Paris n'avait pas
attribué force contraignante à cette communication, mais qu'elle s'y était simplement référée comme à une
méthodologie proposée (94). L'étude annuelle que la Cour de cassation a consacrée en 2018 à son rôle normatif
revient d'ailleurs sur cet arrêt pour appuyer ce raisonnement. La haute juridiction rappelle que le juge ne doit pas
tenir « la soft law pour un élément de la majeure dans le syllogisme juridique » (95). Commentant sa décision de
2015, elle y explique le raisonnement tenu par la chambre commerciale. À cet égard, elle commence par signaler
que cette dernière a discerné dans cet instrument du droit souple une méthode proposée par la Commission
européenne, c'est-à-dire « une aide au raisonnement pour passer de l'ensemble majeure/mineure à la déduction de
la solution ». Elle souligne ensuite que la Cour de cassation a exercé un « contrôle lourd » sur l'appréhension par les
juges du fond de cette norme de droit souple. Elle précise enfin qu'en énonçant que les juges du fond s'étaient, à
juste titre, « référés » aux lignes directrices de la Commission, la chambre commerciale a cherché à montrer que ces
derniers n'étaient pas tenus de l'appliquer (96). Pour la Cour de cassation, « ces notions substantivées de
"référence" et de "prise en considération" introduisent une possible gradation dans le rapport du juge au texte. Si le
juge doit appliquer un texte de forte normativité, il n'est pas tenu d'appliquer un texte de soft law mais il ne peut
l'ignorer et doit s'y référer, en tenir compte » (97).

En somme, tant qu'elles n'ont pas franchi la sphère du droit dur, les normes du droit souple n'ont pas de valeur
obligatoire. Elles peuvent être prises en considération par les juges au titre de leur pouvoir d'interprétation, mais
cette interprétation demeure libre et au service de la loi. Le pouvoir des magistrats précisé, une question demeure :
comment découvrir le droit souple sous l'interprétation judiciaire ?

21. Les manifestations de l'incorporation du droit souple - Traditionnellement, la Cour de cassation ne fait pas
apparaître le détail de son travail d'interprétation. C'est la contrepartie de la concision de ses arrêts, l'héritage d'un
système qui prohibe les arrêts de règlement et ne repose pas non plus sur les précédents judiciaires. L'exigence de
plus de transparence dans un contexte de pouvoirs judiciaires accrus a cependant quelque peu modifié la donne. La
rédaction des arrêts s'est allongée et la motivation s'est enrichie. Précisément, cette motivation enrichie,
vraisemblablement amenée à s'amplifier dans les prochaines décennies (98), devrait contribuer à déceler la
réception du droit souple à la faveur de l'interprétation judiciaire.

Une décision rendue par la chambre commerciale au sujet de l'interprétation de l'article 1171 du code civil en fournit
un témoignage récent (99). Selon cette disposition, « dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable,
déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des
parties au contrat est réputée non écrite ». Précisément, la question qui se posait en l'espèce était de savoir
comment articuler cette disposition avec les articles L. 442-6 du code de commerce et L. 212-1 du code de la
consommation. Or, c'est en retournant aux travaux parlementaires que la Cour de cassation a trouvé sa réponse.
Non seulement elle indique interpréter l'article 1171 « à la lumière des travaux parlementaires », mais elle fait état
dans sa motivation de l'intention du législateur telle qu'elle ressort de ces travaux (100). Par où l'on retrouve
l'importance accordée à la procédure législative. En l'espèce, si la chambre commerciale a pu se référer aux travaux
parlementaires, c'est parce que l'article 1171 du code civil est l'une des rares dispositions à avoir été modifiée par la
loi de ratification (101). La Cour de cassation disposait ainsi de travaux parlementaires complets qu'elle a pu
exploiter.

Reste que les arrêts faisant apparaître aussi explicitement l'usage de la soft law demeurent rares. En l'absence de
référence explicite, le recours au droit souple pourra être découvert dans les travaux des rapporteurs ayant précédé
une décision ou dans les communications ultérieures de la Cour de cassation. Pour les décisions de moindre
publicité, la réception demeure cependant plus clandestine, souvent identifiable par les seuls spécialistes d'une

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matière, avec toutes les précautions que suppose le manque d'éclaircissements. Dévoyée, du reste, cette opacité
pourrait mener à une réception directe du droit souple tant se font minces les frontières entre interprétation et
application de la règle de droit lorsque certaines circonstances se trouvent réunies.

II. La réception directe du droit souple


22. La question de l'assimilation du droit souple à une règle de droit - Dans le cadre contentieux, l'office
premier du juge est d'appliquer la règle de droit qui permettra de trancher le litige qui lui est soumis. L'article 12 du
code de procédure civile affirme dans son alinéa premier que « le juge tranche le litige conformément aux règles de
droit qui lui sont applicables ». La question est donc de savoir si les instruments du droit souple peuvent être
directement appliqués en tant que règles de droit, sans passer par le truchement d'un autre instrument. À cette
question, il semble qu'une réponse négative puisse être posée en principe, à la condition d'y apporter quelques
nuances. De façon générale, les magistrats refusent, en effet, d'appliquer le droit souple au litige (A). Sous cette
position de principe, se cache cependant une réalité plus contrastée dans laquelle le droit souple trouve des façons
dérobées de s'appliquer (B).

A. Principe : le refus d'appliquer le droit souple au litige

23. Plan - L'étude du contentieux montre que, de façon générale, les magistrats refusent de trancher un litige en
appliquant directement un instrument du droit souple. Ce principe, qui ressort de l'examen du droit positif (1), mérite
d'être apprécié (2) pour être mieux compris.

1. Droit positif

24. Une double manifestation - L'examen du droit positif montre que le droit souple ne relève pas des règles de
droit applicables au litige. Ce refus d'assimiler droit souple et droit dur au moment de dire le droit (pouvoir de
jurisdictio), peut être induit de deux éléments, plus exactement de deux contrôles opérés dans l'ordre judiciaire :
celui de la légalité des décisions de justice et celui de la transmission des questions prioritaires de constitutionnalité.

25. Le contrôle de la légalité des décisions de justice - Juge du droit et garant de la légalité des décisions de
justice, la mission première de la Cour de cassation est de s'assurer que les tribunaux et cours d'appel ont
correctement appliqué la règle de droit. À cet effet, l'article 604 du code de procédure civile entame le chapitre
consacré au pourvoi en cassation en rappelant que « le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de
cassation la non-conformité du jugement qu'il attaque aux règles de droit » (102). Partant, les instruments du droit
souple sont-ils des « règles de droit » au sens de cette disposition ? Il ressort des arrêts de la Cour de cassation que
la soft law échappe en principe à cette qualification.

Le refus d'assimiler droit dur et droit souple pour la résolution des litiges est ancien. On trouve, dès le dix-neuvième
siècle, des décisions déniant aux circulaires la qualification de règle de droit (103), solution aujourd'hui encore
régulièrement rappelée. Ainsi, s'agissant d'une circulaire ministérielle, la haute juridiction a pu préciser qu'une cour
d'appel n'avait pu violer ce texte qui, « contenant de simples "recommandations" à l'autorité préfectorale, ne
[pouvait] a fortiori s'imposer à l'autorité judiciaire » (104). À plus forte raison, les documents annexés aux
circulaires ne paraissent pas non plus pouvoir être directement appliqués par le juge. Le contentieux relatif à la
fixation des pensions alimentaires au titre de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants en fournit une
illustration. En la matière, une circulaire du 12 avril 2010 avait été communiquée par le ministère de la Justice pour
diffuser auprès des juridictions une table de référence élaborée à sa propre demande par un groupe interdisciplinaire
(105). Rapidement, les juges du fond s'approprièrent ce nouvel outil, au point que certains furent tentés de
l'appliquer à leurs litiges. Cependant, élaboré sur des critères plus économiques que juridiques, ce barème, dont la
circulaire avait elle-même précisé qu'il n'avait qu'une valeur indicative, différait en partie des prescriptions de l'article
371-2 du code civil (106). Aussi, la haute juridiction considéra « qu'en fondant sa décision sur une table de
référence, fût-elle annexée à une circulaire, la cour d'appel, à laquelle il incombait de fixer le montant de la
contribution litigieuse en considération des seules facultés contributives des parents de l'enfant et des besoins de
celui-ci, [avait] violé, par fausse application, [l'article 371-2 du code civil] » (107). Ce sont les mêmes
considérations qui ont conduit la Cour de cassation à disqualifier en tant que règle de droit d'autres instruments du
droit souple. Par deux fois déjà, elle a, par exemple, affirmé que « les recommandations de la Commission des
clauses abusives ne sont pas génératrices de règles dont la méconnaissance ouvre la voie de la cassation » (108).
De la même façon, plusieurs décisions ont eu l'occasion d'énoncer que « les règles de déontologie dont l'objet est
de fixer les devoirs des membres de la profession, ne sont assorties que de sanctions disciplinaires et n'entraînent
pas à elles seules la nullité des contrats conclus en infraction à leurs dispositions » (109).

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À la lecture de cet échantillon de décisions, une position de principe se dessine : les instruments de la soft law,
parce qu'ils ne sont pas contraignants, ne sont pas des règles applicables au litige au sens des articles 12 et 604 du
code de procédure civile. Les juges du fond ne peuvent, par conséquent, les appliquer au détriment d'une règle de
droit dur, pas plus qu'ils ne peuvent invalider un contrat sur leur fondement ou sanctionner un comportement pour la
seule raison qu'il contrarie ces instruments. C'est du reste ce qui explique, qu'inversement, lorsque par le
mécanisme de la légalisation, la conduite recommandée devient un instrument du droit dur, elle trouve à s'appliquer
(110). Par contraste avec les décisions à l'instant citées, la Cour de cassation rappelle, en effet, qu'une fois
absorbées par un texte légal ou réglementaire, les règles de déontologie deviennent obligatoires et s'imposent aux
parties comme au juge qui doit veiller à leur respect (111). Ainsi, au coeur de l'activité juridictionnelle, la frontière
entre droit dur et droit souple reste surveillée. Gardienne de la légalité, la Cour de cassation empêche que la
réception indirecte du droit souple ne se transforme en réception directe. C'est le même raisonnement que l'on voit à
l'oeuvre dans le contrôle a posteriori de la loi.

26. Le contrôle de la transmission des questions prioritaires de constitutionnalité - Depuis la réforme


constitutionnelle du 23 juillet 2008, entrée en vigueur le 1er mars 2010 (112), il est possible de saisir le Conseil
constitutionnel pour contester la constitutionnalité d'une loi dans le cadre d'un litige. L'article 61-1 de la Constitution
énonce à cet effet que « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question ». Cette question, dite prioritaire de constitutionnalité (QPC), n'est transmise qu'après un
double filtre opéré par les juridictions du fond et par la haute juridiction de chaque ordre. Destiné à introduire un
contrôle de constitutionnalité a posteriori, ce nouvel outil a rapidement séduit les justiciables (113). Il a obligé les
contentieux à composer avec et à préciser en particulier ses conditions de recevabilité. Dans cette perspective, la
question se pose de savoir si le droit souple entre dans son champ. La Cour de cassation doit-elle transmettre les
QPC mettant en cause un instrument du droit souple ? Dans la logique du refus d'appliquer le droit souple au litige,
et puisque ces normes ne sont pas destinées à trancher le litige, la réponse devrait être négative. Ce prolongement
du raisonnement mérite cependant d'être vérifié.

À cet égard, une lecture littérale des dispositions constitutionnelles et organiques semble avaliser l'argument.
L'article 61-1 précité vise, en effet, une « disposition législative », expression reprise aux articles 23-1 et 23-5 de
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Plus restreinte que
le vocable « règle de droit », « la disposition législative » exclurait a fortiori le droit souple. Cette lecture rejoint celle
faite par le Conseil constitutionnel qui marque son attachement à la valeur législative des dispositions soumises à
son contrôle. Ainsi, pour déclarer recevable l'examen de la constitutionnalité des ordonnances non ratifiées, les
sages de la rue Montpensier ont récemment pris soin de préciser que ces ordonnances « doivent être regardées,
dès l'expiration du délai d'habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions
législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution » (114). Lorsqu'il élargit son contrôle de constitutionnalité a
posteriori, le Conseil constitutionnel veille donc à motiver la valeur législative des dispositions contestées. La
condition demeure sine qua non de son contrôle. Précisément, c'est une portée dont les instruments du droit souple
sont dépourvus du fait de leur absence de force obligatoire. Certes, le juge constitutionnel, a décidé qu'« en posant
une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée
effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition » (115) et la Cour de
cassation, après s'y être refusée (116), s'est finalement rangée à cet avis. Toutefois, cette ouverture à
l'interprétation jurisprudentielle n'est pas admise sans conditions. Elle est limitée aux interprétations constantes
(117). Surtout, la Cour de cassation est venue préciser que la question doit viser la disposition législative précise qui,
par l'interprétation qui en est faite, porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Sur ce
fondement, la haute juridiction refuse, en conséquence, de transmettre les questions qui ne visent « aucune
disposition législative et se borne[nt] à contester une règle jurisprudentielle sans préciser le texte législatif » objet de
l'interprétation (118). Par cette précision on comprend que si l'interprétation jurisprudentielle peut être portée
devant le Conseil constitutionnel c'est parce qu'elle fait corps avec une disposition légale (119). En reprenant l'idée
de réception indirecte déjà exposée, on pourrait dire que la jurisprudence est indirectement reçue par le contentieux
constitutionnel. Elle ne serait pas contrôlée en tant que telle, pour ce qu'elle est, mais à travers la disposition légale
à laquelle elle a donné son sens.

En somme, parce qu'elle n'est pas applicable au litige, la soft law n'a pas vocation à entrer dans le champ du
contrôle de constitutionnalité a posteriori. Tout au plus, si l'un de ses instruments venait à contribuer à l'interprétation
d'une disposition législative, il pourrait être transmis avec elle. Mais, là encore, il ne s'agirait que de réception
indirecte ; doublement indirecte, du reste, si l'on considère que la constitutionnalité de la jurisprudence n'est elle-
même examinée qu'en tant que l'interprétation s'est incorporée à la disposition législative. À nouveau, au sein du
contentieux, les limites entre droit souple et droit dur semblent correctement tracées. Que penser, cependant, de

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cette démarcation de principe ?

2. Appréciation

27. Au regard du positivisme légaliste - Bâti tout à la fois sur l'esprit des Lumières (120), les acquis
révolutionnaires et une pragmatique ambition napoléonienne, notre système légaliste a fait de la loi la source
suprême du droit. Certes, depuis le tournant du vingtième siècle, la loi est contestée et, plus encore, concurrencée,
mais elle demeure souveraine ; une « souveraine affaiblie » (121), mais une souveraine malgré tout (122). À cet
égard, parmi tous les arguments, il en existe un puissant en faveur du légalisme : l'origine de la loi. Dans
l'organisation de nos institutions, la loi tire son autorité de la souveraineté populaire. Le Peuple élit le Parlement ; il
n'élit ni les juges, ni les acteurs de la soft law. La contestation de la loi s'entend, sa concurrence est même une
réalité tangible, mais tant que les institutions perdureront, on peut penser que la critique du légalisme continuera de
trouver dans la souveraineté populaire une limite difficilement dépassable.

Précisément, dans cette conception, il apparaît logique que les juges refusent de recevoir directement le droit
souple. Pour le démontrer, il est possible de s'appuyer sur la distinction que M. Antoine Bailleux établit entre droit
normatif et droit cognitif. Dans cette distinction déjà exposée (123), la question de l'application de la soft law
relèverait du droit normatif que l'auteur décrit en ces termes : le droit normatif « apparaît comme un système de
normes. Ces normes présentent un pedigree que seul le diseur de droit peut reconnaître mais qu'il ne peut attribuer
ou retirer, cette tâche étant l'apanage des seuls faiseurs de droit. Elles font partie d'un système fermé dans la
mesure où elles ne sont pas de la même nature que l'environnement qui les entoure » (124). Le système
fonctionnerait donc de la façon suivante : le législateur, faiseur de droit, déterminerait les règles de droit applicables
au litige. Le juge, diseur officiel de droit, aurait la tâche de reconnaître ces règles et, le cas échéant, de restituer leur
exacte signification, mais il ne serait pas investi du pouvoir d'élargir leur nombre. Dans la conception classique de
notre droit, « la caractéristique décisive de la règle de droit consiste en ce qu'elle est une règle à la fois rendue
obligatoire et sanctionnée par l'État » (125). Portée coercitive et sanction étatique sont les conditions qui révèlent
la règle de droit. Partant, la soft law s'épanouissant à l'écart de la contrainte, elle ne peut être qualifiée de règle de
droit car elle n'est pas investie de l'autorité des faiseurs de règles de droit et il ne revient pas au juge de se
substituer au législateur. Ainsi qu'on l'a écrit, « si la liste des sources formelles est une liste fermée, en dépit des
nombreuses forces agissantes en droit, c'est pour leur permettre de désigner les règles considérées comme de droit
et pouvant être invoquées en tant que telles devant le juge » (126). Respectueuse des pouvoirs de chacun, une
telle conception ne peut qu'être saluée, si l'on veut bien croire aux vertus d'un système légaliste. Au surplus, le
légalisme ne sortirait pas seul gagnant du maintien de ces frontières. Le droit souple y trouverait aussi avantage.

28. Au regard de l'identité du droit souple - Le caractère non contraignant du droit souple est sans doute celui qui
recueille le plus large consensus chez les juristes (127). Dans ces conditions, admettre l'application de ses
instruments pour trancher le litige reviendrait à troubler la soft law dans l'un de ses caractères essentiels et lui faire
perdre une partie de son identité (128). Le trouble serait d'autant plus grand, qu'on a vu à quel point la
reconnaissance de cette catégorie hétérogène est déjà difficile (129). Au-delà de cet aspect théorique, la
conséquence serait aussi pratique. Il y aurait un risque d'échappement, avec le « développement d'un droit encore
plus souple, encore plus insaisissable, encore plus à l'abri du juge » (130). Le droit souple, en effet, a été reçu en
tant que source alternative, complémentaire des règles de droit. Aussi, refuser sa réception directe par le
contentieux de droit privé ne signifie pas lui refuser tout effet, mais seulement un effet juridique pour lequel il n'a pas
été conçu.

Le Conseil d'État semble avoir perçu la nuance qui, en élargissant le recours pour excès de pouvoir aux actes du
droit souple, a prêté une attention particulière aux mots. S'il accepte d'examiner les vices susceptibles d'affecter la
légalité de ces instruments c'est, indique-t-il, « lorsqu'ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de
nature économique, ou ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes
auxquelles ils s'adressent » (131). Précisément, le Conseil d'État s'est expliqué sur le vocabulaire employé : en
justifiant l'élargissement de son contrôle par les « effets notables » des actes du droit souple, il a voulu souligner, par
contraste, la différence avec les « effets juridiques » qui ouvrent normalement la voie au recours pour excès de
pouvoir (132). Au surplus, le contrôle de légalité est là pour soumettre un instrument au contrôle du juge et, à
travers lui, à la loi. Il n'est pas là pour rendre cet instrument applicable au litige (133). Par conséquent, si dans la
reconnaissance et l'encadrement du droit souple, cette jurisprudence marque un pas décisif, elle semble aussi
vouloir maintenir les frontières entre droit souple et droit dur. En définitive, parce qu'elles ne remettraient pas en
cause le refus d'appliquer le droit souple au litige, ces décisions récentes s'articuleraient sans mal avec la position
de principe du contentieux de droit privé.

Cependant, à côté de ces solutions majeures, d'autres considérations, moins visibles et plus silencieuses, pourraient

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venir nuancer le propos général. Une étude plus attentive des mécanismes du contentieux laisse, en effet, penser
que la démarcation entre droit souple et droit dur tend parfois à s'effacer. La soft law pourrait trouver dans le
raisonnement judiciaire des portes dérobées par lesquelles elle pénétrerait directement le contentieux de droit privé.

B. Les applications dérobées du droit souple

29. La porosité des sources dans le cadre contentieux - Des enseignements qui précèdent, deux méritent d'être
rapprochés : les instruments du droit souple ne sont pas des règles de droit, ce qui empêche leur application au
litige ; en tant qu'outil d'interprétation, les juges peuvent toutefois s'en servir afin d'éclairer une règle de droit. De ce
rapprochement, il ressort que le refus de réception directe tient, en toute fin, à une différence de raisonnement que
matérialise la nuance entre application et interprétation. Certes, il y a des raisons - on les a envisagées - qui
expliquent que le droit souple relève d'une logique et non d'une autre, mais in fine, au moment du contentieux, le
tracé des frontières réside dans une opération intellectuelle essentiellement laissée à une personne, le juge. On
devine alors que c'est par les interstices du raisonnement judiciaire que le droit souple pourra se glisser pour être
directement appliqué au litige. Les juges, en effet, sont confrontés à une réalité complexe qui déborde les catégories
abstraites. À cela, peut aussi s'ajouter la tentation de se libérer des lourdeurs d'un carcan intellectuel. Autant de
considérations qui nuancent la réception du droit souple. Il suffit, en particulier, qu'il n'y ait pas de règle de droit ou
que, sous couvert d'interprétation, le juge procède en réalité à une application pour que le mode de réception
change. Deux circonstances apparaissent ainsi propices à la réception directe du droit souple : les lacunes de la loi
(1) et ses insuffisances (2).

1. Les lacunes de la loi

30. Le déni de justice réprimé - Les lacunes de la loi traduisent l'idée que la loi est incomplète, voire inexistante,
autrement dit que la résolution du litige souffre d'un « vide législatif » partiel ou total. Confronté à cette lacune, le
juge, on le sait, ne peut refuser de trancher le litige. La loi réprime le déni de justice, ce que le code civil expose à
l'article 4 : « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra
être poursuivi comme coupable de déni de justice ». Sur ce fondement, les responsabilités civile et pénale du juge
pourront être recherchées, ainsi que la responsabilité civile de l'État (134). C'est donc en dehors de toute règle de
droit que le juge devra rechercher sa solution.

31. Le droit souple en réponse au déni de justice - À cette fin, la loi n'indique aucune méthode, pas même un «
guide-âne » de la prévention du déni de justice. Un temps, les révolutionnaires avaient institué un référé législatif qui
imposait aux juges du fond de s'adresser au corps législatif toutes les fois qu'il leur apparaissait nécessaire
d'interpréter la loi ou d'en créer une nouvelle (135), mais ce mécanisme, qui ne dura que quelques années,
disparut avant l'entrée en vigueur du code Napoléon (136). L'article 4 du code civil, seule règle désormais (137),
oblige le juge à rendre une décision en le laissant libre de sa solution.

Si le juge jouit d'une grande liberté, elle n'est cependant pas totale. Une tentation doit être repoussée en particulier,
celle de trancher en équité. Le risque serait trop grand de faire revivre l'arbitraire des parlements de l'Ancien Régime
; « Dieu nous garde de l'équité des Parlements », disait l'adage qui marque encore les esprits. Comme des auteurs
l'ont fait remarquer, « à défaut d'une solution d'équité, le juge doit donc fournir une solution rationnelle [...], fondée
sur des raisons solides » (138). Pour cela, il dispose de plusieurs outils, parmi lesquels le raisonnement par
analogie, le précédent judiciaire ou le principe général du droit (139). La liste n'est cependant pas limitative.
Précisément, le droit souple pourrait être l'un de ces instruments. Parce qu'il produit des normes qui orientent les
comportements, qui peuvent déjà recevoir une application pratique, parce qu'il est aussi fréquent qu'il soit sécrété
par des organes reconnus et investis d'une certaine autorité, le droit souple pourrait même apparaître comme un
instrument privilégié pour surmonter le silence de la loi (140).

Mais admettre que le droit souple puisse combler les lacunes de la loi, n'est-ce pas admettre en même temps qu'il
puisse être directement employé pour trancher le litige ? Comme précédemment observé, « l'interdiction du déni de
justice implique que le juge crée la solution lorsque celle-ci n'existe pas » (141). Le juge est donc investi d'un
pouvoir créateur (142). Que l'on raisonne en termes de règle de droit, en considérant qu'il crée une règle de droit
ou que l'on estime, indépendamment du concept de règle de droit, qu'il tranche le litige, dans tous les cas, il s'agit
d'appliquer directement l'instrument qui a servi à découvrir la solution. Certes, ces hypothèses sont destinées à
demeurer marginales puisqu'elles impliquent à la fois une lacune de la loi et son comblement par une norme du droit
souple. Toutefois, même à titre exceptionnel, le déni de justice ouvre une porte au droit souple. Plus discret, mais
sans doute plus fréquent aussi, est le passage offert par les insuffisances de la loi.

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2. Les insuffisances de la loi

32. Le pouvoir créateur de l'interprétation - Lorsque la loi n'est plus lacunaire, mais simplement obscure, ambiguë
ou même volontairement imprécise, le juge doit se faire interprète. Dans ce cas, il dispose d'un texte auquel il devra
rendre son exacte signification. Ce raisonnement ressort pleinement des propos de Charles Demolombe. Pour le
prince de l'exégèse, « en théorie, l'interprétation, c'est l'explication de la loi ; interpréter, c'est découvrir, c'est élucider
le sens exact et véritable de la loi. Ce n'est pas changer, modifier, innover ; c'est déclarer, c'est reconnaître.
L'interprétation peut être plus ou moins ingénieuse ou subtile ; elle peut même parfois prêter au législateur des vues,
des intentions qu'il n'avait pas..., meilleures ou moins bonnes ; mais enfin il faut qu'elle n'ait pas la prétention d'avoir
inventé ; autrement elle ne serait plus de l'interprétation » (143). Comprise de cette façon, l'interprétation
demeurerait toujours contenue dans une limite raisonnable. Refusant au juge la possibilité de sortir de la loi à
appliquer, elle ne lui permettrait pas de créer la solution du litige. Tout matériau employé pour son interprétation
serait nécessairement incorporé à la loi et condamné, par conséquent, à être indirectement reçu par le contentieux.

Témoin d'un légicentrisme exacerbé, cette vision a cependant été contestée pour attirer l'attention sur le travail
créateur de l'interprète. Une partie de la doctrine dénonce la « fiction » sur laquelle elle repose (144). Sans
nécessairement aller jusqu'à adhérer à la théorie réaliste de l'interprétation (145), beaucoup d'auteurs ont une
approche pragmatique qui revient, dans certaines circonstances, à reconnaître un pouvoir créateur au juge. En
parlant des notions-cadre, le doyen Cornu écrivait, par exemple, que « l'interprète est nécessairement associé à
l'application et à la création de la loi qui s'est elle-même voulue incomplète » (146). Au demeurant, il ne faut pas
confondre création et source de droit. À cet égard, l'article 5 du code civil interdit de rendre des arrêts de règlement,
ce qui proscrit seulement des décisions de portée générale, s'appliquant à toutes les espèces du même genre
(147). Le pouvoir créateur, au contraire, peut fort bien n'intervenir qu'à l'occasion d'une espèce. Certes, à l'heure de
l'émancipation judiciaire et de la capacité de la Cour de cassation à mener de véritables « politiques
jurisprudentielles » (148), la portée de ce pouvoir peut être amplifiée et permettre à la création normative de
dépasser le litige qui lui a donné naissance. Toutefois, il se peut très bien que le pouvoir créateur du juge-interprète
demeure cantonné à une affaire en particulier ; que les instruments du droit souple viennent, de façon seulement
ponctuelle, au soutien direct de la résolution d'un litige. Il s'agit même de la seule portée que le principe de la
séparation des pouvoirs entendait initialement réserver à la jurisprudence (149). Qu'elle le limite à une espèce ou
qu'elle le fasse rayonner au-delà, la Cour de cassation apparaît, dans tous les cas, consciente de la part de création
contenue dans ses interprétations.

33. La Cour de cassation consciente de son pouvoir créateur - Dans l'étude annuelle qu'elle a consacrée, en
2018, à son pouvoir normatif, la haute juridiction a ouvertement affirmé son rôle normatif. En marge des textes ou
dans leur prolongement, elle déclare notamment qu'« elle ne se contente pas d'appliquer la norme, elle la crée »
(150). S'agissant plus spécialement du droit souple, la même étude indique que la Cour de cassation « applique »
certains de ses instruments. Pour expliquer sa démarche, elle commence par poser la question de savoir « dans
quelles branches du droit se rencontrent ces normes souples dont la Cour de cassation accepte parfois de faire du
droit positif » (151). À cette question, elle répond au moyen d'une triple distinction, selon le degré de
reconnaissance juridique qu'elle accorde aux normes du droit souple. Trois issues sont en effet possibles : constater
leur absence de juridicité, leur reconnaître un certain degré de juridicité et leur attribuer une pleine juridicité (152).
C'est en présentant cette dernière catégorie que la Cour de cassation affirme qu'il lui arrive d'« appliquer » les
normes de la soft law (153). Pour en faire la démonstration, elle fournit quatre exemples. Nous nous contenterons
de reprendre le premier, celui de la nomenclature Dintilhac, dont l'analyse, au regard de l'actualité la plus récente,
nous paraît spécialement intéressante. Autant que du pouvoir potentiellement créateur du juge et de l'application
directe d'un instrument de la soft law, elle témoigne de la précarité du raisonnement ou, tout au moins, des nuances
dont il faut l'entourer.

34. L'exemple de la nomenclature Dintilhac - La « nomenclature Dintilhac » est issue d'un rapport remis en 2005
au garde des Sceaux par un groupe de travail chargé par le secrétaire d'État aux droits des victimes d'élaborer une
nomenclature des postes de préjudice corporel (154). Ce groupe, présidé par Jean-Pierre Dintilhac, conseiller à la
Cour de cassation qui deviendra par la suite président de la deuxième chambre civile, s'inspire à la fois de
l'expérience des juridictions et d'un autre rapport, remis au garde des Sceaux en 2003, par un groupe constitué sous
l'égide du Conseil national de l'aide aux victimes et présidé par Yvonne Lambert-Faivre (155). Instrument de droit
souple par excellence, la nomenclature Dintilhac n'avait ainsi qu'une portée indicative, ce que reconnaissaient du
reste ses propres auteurs (156). Ce document connut toutefois un succès rapide ; son recours fut encouragé par
les pouvoirs publics (157) et son usage se répandit aussi bien auprès des juridictions du fond, que de l'ensemble
des praticiens de la matière (avocats, médecins-conseils, experts judiciaires, assureurs, fonds d'indemnisation...)
(158). Dans le même temps, la Cour de cassation poursuivit son travail pour unifier la réparation du préjudice
corporel. Comme les juridictions du fond, les magistrats du quai de l'Horloge, tout spécialement de la deuxième

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chambre civile, prirent la nomenclature Dintilhac pour référence et retinrent une lecture plutôt « fermée » de celle-ci
(159). Ainsi, parmi plusieurs décisions, on peut citer celle rendue par la deuxième chambre civile, le 28 mai 2009
qui, s'inspirant très largement de la nomenclature, vint resserrer l'acception du préjudice d'agrément pour le
distinguer du préjudice de déficit fonctionnel (160). Suivant la même logique, on peut encore citer les décisions
relatives au préjudice sexuel qui, sur le modèle de la nomenclature Dintilhac, indemnisent séparément ce préjudice
lorsqu'il est permanent (161) et refusent de le distinguer du déficit fonctionnel lorsqu'il n'est que temporaire (162).

Certes, formellement, ces décisions ne visent pas la nomenclature Dintilhac. Leur visa, lorsqu'elles en contiennent
un, est même plutôt classique, composé à la fois d'un texte de loi (163) et du principe de la réparation intégrale du
préjudice sans perte ni profit. Toutefois, on peut se demander si un autre raisonnement ne se dissimule pas derrière
cette légalité de façade. La nomenclature Dintilhac ne sert-elle pas directement à fonder les solutions
jurisprudentielles ? La Cour de cassation s'interroge-t-elle encore sur l'étendue du principe de la réparation intégrale
? Son interprétation ne se résume-t-elle pas plutôt à une application discrète mais certaine de la nomenclature ?
C'est précisément ce qui semble ressortir de l'étude annuelle rédigée par la Cour de cassation en 2018. À lire ce
document, la nomenclature Dintilhac figure, en effet, parmi les instruments du droit souple que la haute juridiction dit
« appliquer » au litige. À cet égard, la Cour de cassation précise nettement que cette « application consacre la
pleine juridicité de la norme qui peut alors intégrer la majeure du syllogisme » (164). Plus encore, en parlant
exclusivement de la nomenclature Dintilhac, l'étude précise que « c'est la jurisprudence de la Cour de cassation qui
[l']a consacré[e] en droit et lui a donné une force contraignante, évitant que la définition de chaque chef de préjudice
ne relève du pouvoir souverain des juges » (165). Imperceptiblement, on serait donc passé d'un instrument
purement indicatif, servant à éclairer le contenu du préjudice réparable, à un instrument obligatoire et directement
applicable au litige. Le glissement n'est pourtant pas sans conséquence pratique. Ces dernières années une partie
de la doctrine a ainsi reproché à la Cour de cassation de ne pas suffisamment s'affranchir de la nomenclature
Dintilhac, ceci au détriment de la réparation intégrale des victimes. En ce sens, on invoque notamment le besoin de
perfectionner l'instrument pour l'adapter aux situations nouvelles (166). À bien y regarder et en forçant légèrement
le trait, nous serions tentée de faire le parallèle suivant : de même qu'au début du vingtième siècle on reprochait aux
exégètes de s'être enfermés dans le code Napoléon, on dénonce aujourd'hui une trop grande déférence de la Cour
de cassation - à tout le moins de sa deuxième chambre civile - pour la nomenclature Dintilhac. C'est dire si cette
norme a pris de l'importance en quelques années. Pour Mme Mireille Bacache, « la nomenclature Dintilhac témoigne
de l'idée d'une création progressive du droit qui va "crescendo" » et illustre « le passage d'une norme douce vers
une norme dure » (167).

Le risque de se laisser enfermer dans cet instrument semble cependant avoir été entendu par la Cour de cassation.
Réunie en chambre mixte le 22 mars 2022 elle a, en effet, rendu deux décisions qui admettent chacune un chef de
préjudice autonome : celui, personnellement ressenti par la victime directe, « d'angoisse de mort imminente »
(168) et celui, subi par les victimes par ricochet, « d'attente et d'inquiétude » (169). Ces arrêts, qui se réfèrent dans
leurs motifs au principe de réparation intégrale du préjudice et acceptent de s'éloigner de la nomenclature Dintilhac,
pourraient ainsi marquer un retour à l'orthodoxie. Ils rappellent, en particulier, que cet instrument du droit souple n'a
qu'une portée indicative, destinée à éclairer les chefs de préjudice indemnisables, ces derniers pouvant être
caractérisés en dehors de la liste qu'il fournit. Dans l'esprit de la Cour de cassation, ce retour à la loi ne paraît
cependant pas si clair. Ainsi, dans un communiqué rédigé trois jours plus tard, elle énonce que, par ces deux
décisions, « la Cour de cassation affirme clairement le caractère spécifique de ces deux préjudices et le principe de
leur réparation autonome en créant deux nouveaux "postes" au sein de la "nomenclature Dintilhac" » (170). À lire
ce communiqué, ces nouveaux préjudices ne seraient donc pas consacrés en plus - ou à côté - de la nomenclature,
ils l'intégreraient de la même façon que, par interprétation, la haute juridiction incorpore des normes aux règles de
droit dur qui tranchent le litige. Le droit souple ne serait plus un instrument d'interprétation, mais l'objet à interpréter
et à compléter. Entre rattachement au respect du principe de la réparation intégrale dans ses décisions et explication
par l'enrichissement de la nomenclature Dintilhac dans ses instruments de communication officielle, la Cour de
cassation naviguerait donc entre interprétation et application. Sous couvert d'interprétation, c'est un instrument du
droit souple qui serait en réalité appliqué au litige. Par où l'on voit le glissement discret qui s'opère de l'interprétation
à l'application et l'interstice par lequel le droit souple peut commencer à être directement reçu par le contentieux.
Qu'importe, répliquera-t-on, tant que la Cour de cassation conserve de la distance avec cet instrument et l'interprète
en définitive comme elle aurait interprété une règle de droit. Il n'est cependant pas certain que le dévoiement du
raisonnement juridique mène systématiquement au même résultat. Il paraît plus difficile de se détacher d'une norme
qualifiée de contraignante et applicable au litige que d'écarter une norme considérée comme indicative et mise au
service de l'interprétation d'une autre norme. Comment sortir alors de cette zone grise qui génère un important
contentieux ? La solution la plus sage serait sans doute que le législateur, avec quelques retouches, légalise la
nomenclature Dintilhac. Tous les motifs de légalisation exposés au début de cette étude paraissent, en effet, réunis
(171) et cette légalisation offrirait un bel exemple de collaboration des sources, en laissant le dernier mot à la
démocratie. Reste que si l'on peut espérer que ce passage à la loi ait effectivement lieu le jour où le droit de la
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responsabilité sera réformé (172), l'absorption légale ne sera pas toujours praticable. Autant que possible, la
rigueur des raisonnements judiciaires doit donc être maintenue et défendue par la Cour de cassation pour que ces
applications dérobées du droit souple ne se généralisent pas à couvert de la loi.

Conclusion
35. Pour une réflexion d'ensemble à la lumière des rapports entre le droit et la modernité - En mettant en
lumière, il y a exactement vingt ans, l'importance de recevoir plus largement le droit souple en droit français, Mme
Catherine Thibierge avait écrit que la première et fondamentale question posée par les instruments de la soft law est
celle de savoir s'ils font partie du droit. Loin d'avoir été résolue, cette question continue d'animer la doctrine ainsi
qu'en témoigne la multiplication des études récentes consacrées à la notion (173). En étudiant la réception du droit
souple par le contentieux de droit privé, cette réflexion a tâché de contribuer à éclairer l'une des facettes de cette
appartenance. Modeste contribution face à l'immensité d'une matière éparse et vivante, cet aperçu général a montré
que, pour ce qui concerne le contentieux, si la réception par des moyens indirects est réelle et effective, celle plus
directe, par le procédé de l'application de la règle de droit, demeure marginale. Devant l'ampleur du phénomène du
droit souple et la mutation actuelle des pouvoirs judiciaires, on ne peut cependant exclure que les choses ne
changent dans le futur. Peut-être alors la question devrait-elle être envisagée en introduisant une nouvelle clef de
résolution. Le droit souple, on a commencé par-là, n'est pas un phénomène nouveau. Immémorial, des
manifestations équivalentes ont existé à d'autres époques, plus anciennes, voire beaucoup plus anciennes. Mais,
précisément, le passage au positivisme légaliste avait été considéré comme un progrès. Dès lors, si le droit souple
venait à passer dans le contentieux par son application directe, ne risquerait-on pas de « régresser », en revenant à
un état archaïque dont nos prédécesseurs avaient souhaité sortir ? Bruno Oppetit, en présentant les tendances
régressives du droit, avait mis en garde contre le danger que l'« inflation des normes ne débouche sur une véritable
décomposition de l'État de droit » (174). Sous couvert de modernité, il avait pointé, de façon plus large, le risque
que la société ne régresse. Optimiste, il préférait cependant croire que rien n'était moins sûr car, observait-il, « notre
tradition latine de l'attachement à la règle écrite n'est probablement pas compatible avec un devenir sans frontières »
(175). Aussi appelait-il à peser les valeurs modernes au regard du rôle que le droit peut et, ajouterions-nous, doit
jouer. S'agissant de la réception du droit souple par le contentieux de droit privé, cette balance amènerait à
conserver les frontières tracées par le positivisme légaliste. Fidèles à l'esprit des rédacteurs du code Napoléon, les
instruments du droit souple devraient venir compléter le travail législatif, mais ils ne devraient pas le remplacer, ni
même, dans un système idéal, le concurrencer (176).

Mots clés :
NON INDEXÉ * Non indexé

(1) V. I. Hachez, Balises conceptuelles autour des notions de « source du droit », « force normative » et « soft law »,
RIEJ 2010, vol. 65, p. 1, spéc. n° 36. Adde Le droit souple, Étude annuelle 2013 du Conseil d'État, spéc. p. 23 ; J.-
M. Jacquet, L'émergence du droit souple (ou le droit « réel » dépassé par son double), in Études à la mémoire du
Professeur Bruno Oppetit, Litec, 2009, p. 331, spéc. n° 2 et M. Mekki, Propos introductifs sur le droit souple, in Le
droit souple, Journées nationales, Association Henri Capitant, t. XIII, Boulogne-sur-Mer, Dalloz, Thèmes et
commentaires, 2009.

(2) Suetone, Les douze Césars, trad. par J. Estève, préf. de Louis Barthou, F.-L. Schmied, 1928, spéc. § XXIX, p.
CLXIII.

(3) J.-E.-M. Portalis, Discours préliminaire sur le projet de Code civil, in Discours, rapports et travaux inédits sur le
code civil, rassemblé par F. Portalis, Joubert, Paris, 1844. Comp. le doyen Carbonnier qui, pour introduire son
concept de « flexible droit », avait résumé l'idée autrement en observant que « le droit est trop humain pour
prétendre à l'absolu de la ligne droite » (J. Carbonnier, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e
éd., LGDJ, 2001, préface, spéc. p. 8).

(4) V. not. L'inflation des avis en droit, ss direct. T. Revet, Economica, Études juridiques, 1998.

(5) V. not. M. Larouer, Les codes de conduite, sources du droit, préf. P. Deumier, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de
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thèse, 2018, spéc. nos 145 s. qui rattache les codes de conduite au droit souple en se plaçant du point de vue des
effets juridiques produits par le droit souple.

(6) V. en tout dernier lieu : CE, 9e et 10e ch. réunies, 3 févr. 2023, n° 451052, Lebon ; AJDA 2023. 216 .

(7) S. Gerry-Vernières, Les « petites » sources du droit : à propos des sources étatiques non contraignantes, préf. N.
Molfessis, Economica, Recherches juridiques, 2012, spéc. n° 7.

(8) G. Abi-Saab, Éloge du « droit assourdi ». Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international
contemporain, in Nouveaux itinéraires en droit, Hommage à François Rigaux, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 59.

(9) Sur ces différents vocables, v. not. I. Hachez, Balises conceptuelles autour des notions de « source du droit », «
force normative » et « soft law », art. préc.

(10) Rappr. Le rôle normatif de la Cour de cassation, Étude annuelle 2018, spéc. p. 196 qui fait le constat «
d'instruments nouveaux, non référencés dans les instruments classiques, ce qui justifie sans doute la variété de
leurs appellations ; le terme soft law a ainsi le mérite de poser une étiquette sur cet ensemble hétérogène ».

(11) C. Thibierge, Le droit souple - Réflexion sur les textures du droit, RTD civ. 2003. 599 . Rappr. E. Meyo, La
notion de faculté au coeur du droit souple. Pour une actualisation de la notion de soft law à partir de sa dimension
actionnelle, LPA 31 janv. 2023, p. 27.

(12) I. Hachez, Balises conceptuelles autour des notions de « source du droit », « force normative » et « soft law »,
art. préc. [le masculin est employé par l'auteur].

(13) C. Thibierge, « Rapport de synthèse », in Le droit souple, Journées nationales, Association Henri Capitant, t.
XIII/Boulogne-sur-Mer, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2009, p. 141.

(14) Le droit souple, Étude annuelle préc., spéc. p. 7 et p. 61 s.

(15) V. l'exclusion par le rapport annuel du Conseil d'État : Le droit souple, Étude annuelle préc., spéc. p. 60 et 63.
En faveur, au contraire, de leur inclusion, outre les études préc., v. par ex. V. Lasserre-Kiesow, Les livres verts et les
livres blancs de la Commission européenne, in Le droit souple, Journées nationales, Association Henri Capitant, t.
XIII/Boulogne-sur-Mer, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2009, p. 75, spéc. p. 77 : « expression d'un droit
d'orientation, droit cadre, non prescriptif, d'un droit programmateur, mouvant, en devenir, les Livres verts et blancs
ont leur place dans ce que la doctrine appelle la soft law, et que le premier rapport de la Commission de terminologie
et de néologie en matière juridique recommande de traduire par "droit souple" », l'auteur rappelant alors en note que
l'expression droit souple couvre « trois sortes de droit : droit flou (sans précision), droit doux (sans obligation), droit
mou (sans sanction) ».

(16) V. l'exclusion par le rapport annuel du Conseil d'État : Le droit souple, Étude annuelle préc., spéc. p. 60.
Admettant au contraire, à certaines conditions, le standard parmi les instruments de la soft law : v. par ex. J.-M.
Jacquet, L'émergence du droit souple (ou le droit « réel » dépassé par son double), art. préc., spéc. nos 8 s.

(17) En 2003, en présentant l'utilité générale d'un concept de droit souple, Mme Catherine Thibierge relevait le fossé
existant entre l'ampleur pratique du phénomène et son manque d'études en dehors des analyses du droit
international. Elle remarquait en particulier l'oubli du vocable dans les lexiques juridiques français. Depuis, il y a fait

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son entrée et plusieurs insistent sur l'absence de caractère obligatoire. V. not. Lexique des termes juridiques 2022-
2023, ss direct. T. Debard et S. Guinchard, 30e éd., Dalloz, Lexiques, 2022, V° Droit souple : « expression nouvelle
employée pour désigner un ensemble disparate de dispositifs d'origines diverses (directives, circulaires,
recommandations, déclarations, résolution, guides de déontologie, codes de conduite...) qui ont en commun de ne
pas avoir de valeur normative impérative, n'étant créateur ni de droits ni d'obligations, mais qui n'en exercent pas
moins une influence régulatrice sur les comportements en cause » ; Dictionnaire du vocabulaire juridique 2023, ss
direct. R. Cabrillac, 14e éd., LGDJ, Objectif droit, 2022, V° Soft law : « texte prenant la forme d'une règle de droit,
mais qui se contente de prescrire un comportement sans le rendre expressément obligatoire ». Le caractère n'est
cependant pas toujours nettement affirmé. V. ainsi, A. Bénabent et Y. Gaudemet, Dictionnaire juridique 2022, LGDJ-
Lextenso, 2021, V° Droit souple : « on parle aussi de "soft law" car le phénomène est universel. Expression qui
désigne un ensemble de règles de nature et de formulation très variées qui visent à influencer le comportement de
leur destinataire sans utiliser de formes ordinaires du droit. Procédé de plus en plus utilisé dans tous les
domaines des activités administratives, notamment celui de la régulation des marchés et celui de l'exercice des
libertés publiques. La façon dont les procédés de droit souple s'affranchissent des règles de compétence ainsi que
leur régime contentieux restent ambigus. On peut craindre que l'efficacité supposée du droit souple et la facilité de
son emploi l'emportent sur la sécurité juridique et les droits contentieux des administrés ». V. surtout Dictionnaire de
droit international public, ss direct. de J. Salmon, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 1039, V° Soft law : « règles dont la
valeur normative est limitée soit parce que les instruments qui les contiennent ne seraient pas juridiquement
obligatoires, soit parce que les dispositions en cause, bien que figurant dans un instrument contraignant, ne
créeraient pas d'obligations de droit positif, ou ne créeraient que des obligations peu contraignantes ».

(18) V. I. Hachez, Le soft law : qui trop embrasse mal étreint ?, in Les sources du droit revisitées, vol. IV : Théorie
des sources du droit, ss direct. I. Hachez, Y. Cartuyvels, H. Dumont, Ph. Gérard, F. Ost et M. Van de Kerchove,
Presses de l'Université Saint-Louis, Collection générale, 2012, p. 539, où l'auteur semble infléchir sa position
précédente en concluant : « si on avait été initialement séduite par cette largesse, au point d'ériger cette définition en
balise conceptuelle, on peut toutefois se demander s'il n'y avait pas là, dès le départ, un piège viciant la notion
qu'elle prétend circonscrire » (p. 583). Comp. A. Bailleux, « Le soft law et les deux droits », in Les sources du droit
revisitées, vol. IV : Théorie des sources du droit, préc., p. 503.

(19) En ce sens, des textes récents font ressortir que le droit positif semble aussi adhérer à ce critère. Outre l'étude
précitée du Conseil d'État, v. par ex. sur l'usage du « cadre de référence » comme instrument du droit souple dans
l'arrêté du 9 avril 2021 définissant le cadre de référence pour la prévention du jeu excessif ou pathologique et la
protection des mineurs, JO n° 0089 du 15 avril 2021 qui, dans l'annexe présentant ce cadre de référence, explique
que : « le cadre de référence privilégie l'approche du droit souple, au plus près des réalités du terrain, avec pour
les opérateurs de nouvelles marges de manoeuvre et un plus grand pouvoir d'initiative. Cet outil élaboré en
concertation avec les opérateurs, vise à orienter ceux-ci dans leur mise en conformité, en leur fournissant des
recommandations opérationnelles et des bonnes pratiques. Il n'ajoute cependant rien aux obligations légales,
les préconisations ou bonnes pratiques étant données à titre d'exemple et n'interdit pas, sous réserve du
respect des règles impératives applicables, l'adoption de solutions alternatives auxquelles les opérateurs
pourraient recourir. Le cadre de référence décrit les types d'actions pouvant être initiées et les standards de
protection attendus. Construit à la fois pour accompagner la mise en oeuvre du droit dur et appréhender les
phénomènes émergents d'un secteur en constante mutation, le cadre de référence concilie la sécurité juridique
des opérateurs, par une meilleure prévisibilité des règles qu'il exprime et la plasticité de la doctrine du régulateur en
fonctions des besoins du secteur » et dans l'arrêté du 9 septembre 2021 définissant le cadre de référence pour la
lutte contre la fraude et contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, JO n° 0215 du
15 septembre 2021 qui, dans le même esprit énonce en annexe que « le cadre de référence propose une boîte à
outils pour faciliter la mise en conformité des opérateurs de jeux, laquelle constitue l'objectif prioritaire du régulateur.
[...] À cette fin, le cadre de référence doit permettre de faciliter la compréhension du cadre juridique actuel, et,
chaque fois que nécessaire, de préciser l'interprétation de ses dispositions et leurs orientations de mise en oeuvre. Il
fournit également des recommandations opérationnelles et des exemples de bonnes pratiques. Il n'ajoute rien aux
obligations légales et n'interdit pas, sous réserve du respect des règles impératives applicables, l'adoption
de solutions alternatives auxquelles les opérateurs pourraient recourir. [...] Le cadre de référence a été conçu
comme un outil de droit souple, partagé et évolutif. [...] Parce qu'il doit permettre d'appréhender les phénomènes
émergents d'un secteur en constante mutation, ce cadre privilégie l'approche du droit souple, au plus près des
réalités du terrain, en laissant d'importantes marges de manoeuvre aux opérateurs pour l'application de ces normes
».

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(20) On notera que, dans une présentation classique, l'obligatoire et le normatif sont fréquemment tenus pour
synonymes. Certains auteurs, comme Mme Catherine Thibierge, ont toutefois montré que les deux notions pouvaient
être distinguées, la distinction contribuant à mieux cerner la place du droit souple. V. not. C. Thibierge, « Rapport de
synthèse », in Le droit souple, Journées nationales, Association Henri Capitant, t. XIII/Boulogne-sur-Mer, Dalloz,
Thèmes et commentaires, 2009, p. 141, spéc. p. 159 : « avoir un effet normatif, littéralement, c'est avoir l'effet d'une
norme. Et une norme, c'est une référence ou un modèle. L'effet normatif, c'est donc simplement l'effet d'une
référence, d'un modèle. [...] La normativité en droit comporte au moins trois genres : l'obligatoire, le
recommandatoire et le déclaratoire. Elle peut se définir comme la propriété de ce qui fournit ou constitue une
référence pour agir et/ou pour juger ». L'auteur s'autorise ainsi à parler de « normes obligatoires » et de « normes
souples ».

(21) Ces différents contentieux sont, en effet, abordés dans d'autres contributions de ce dossier thématique. Le
contentieux de l'arbitrage ne sera pas non plus traité. Non seulement un tel élargissement dépasserait le champ de
nos connaissances, mais il n'est pas certain que, dans la problématique retenue, il soit opportun de traiter ensemble
contentieux judiciaire et arbitral. Sur le droit souple et l'arbitrage, on renverra notamment à : A. de Nanteuil, Les
arbitres démasqués ? De l'importance du droit souple dans la garantie de l'impartialité des tribunaux arbitraux dans
l'arbitrage transnational, p. 163 et R. Chaaban, Les dérives de la soft law dans l'arbitrage commercial international,
p. 177, les deux in Le droit souple démasqué - Articulation des normes privées, publiques et internationales, ss
direct. S. Cassella, V. Lasserre et B. Lecourt, A. Pedone, colloque, 2018.

(22) C. pr. civ., art. 25 : « le juge statue en matière gracieuse lorsqu'en l'absence de litige il est saisi d'une
demande dont la loi exige, en raison de la nature de l'affaire ou de la qualité du requérant, qu'elle soit soumise à son
contrôle ».

(23) Le droit des actes juridiques connaît l'acte réceptice, la réception des travaux ou bien encore, pour déterminer
le moment de la formation d'un contrat, la théorie dite de la réception.

(24) C. Pérès, La réception du droit souple par les destinataires, in Le droit souple, préc., p. 93, spéc. p. 96.

(25) Ibid. 96.

(26) Pour une présentation approfondie et riche du mot « réception », v. ibid. 96-97.

(27) Le rôle normatif de la Cour de cassation, Étude annuelle 2018, spéc. p. 206 s.

(28) P. Deumier, La prise en considération d'une norme par le juge : le chaînon manquant ?, D. 2022. 1668 .
L'auteur cite trois exemples : un revirement de jurisprudence, une convention internationale dépourvue d'effet direct
et des commentaires du comité des affaires fiscales de l'OCDE.

(29) P. Deumier, La prise en considération d'une norme par le juge : le chaînon manquant ?, art. préc. Adde,
poursuivant la réflexion, F. Rouvière, L'argument tiré de textes non applicables à l'espèce, RTD civ. 2022. 1009 et,
plus généralement, E. Fohrer-Dedeurwaerder, La prise en considération des normes étrangères, préf. B. Audit,
LGDJ, 2008.

(30) D'autres études avant celle-ci ont d'ailleurs retenu ce même vocable, v. en particulier C. Pérès, La réception du
droit souple par les destinataires, et P. Deumier, La réception du droit souple par l'ordre juridique, les deux in Le droit
souple, préc., p. 93 et p. 113.

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(31) V. toutefois P. Deumier, « La prise en considération d'une norme par le juge : le chaînon manquant », art. préc.
qui fait preuve de réserve à l'égard de l'emploi de la formule, notamment en montrant que prise en considération et
application sont proches et ne peuvent être parfaitement distinguées. L'auteur termine sa réflexion sur ces mots : «
de telles incertitudes n'ont guère à envier aux discussions menées dans la théorie des sources sur le caractère
contraignant ou non des normes et font douter de la plus-value de la "prise en considération". Et pourtant, ces
hésitations témoignent aussi du besoin de disposer de mots pour appréhender, avec peut-être un petit supplément
de conscience ou de rationalité, des situations qui tendent à se multiplier. Le rapport des juristes à la norme est
largement construit sur ce que le juge en fait et donc, dans notre système, sur l'application de la loi sublimée par les
arrêts. En donnant au juge des mots pour dire ce qu'il fait d'autre avec la norme, la prise en considération donne à
tous les juristes des mots pour le penser ».

(32) Montesquieu, De l'Esprit des lois, t. 1, L. XI, chap. VI, Garnier frères, L. XI, chap. VI, spéc. p. 149 : « les juges
de la nation ne sont, comme nous avons dit que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés qui
n'en peuvent modérer ni la force ni la rigueur ». Pour une remise en contexte de cette réflexion, v. not. Ph. Rémy, La
part faite au juge, Pouvoirs, 2003/4, n° 107, p. 22, spéc. p. 24 s.

(33) V. P. Deumier, La réception du droit souple par l'ordre juridique, in Le droit souple, préc., p. 113.

(34) L'expression « petites sources du droit » est empruntée à la thèse de Mme Stéphane Gerry-Vernières consacrée
aux sources étatiques non contraignantes : v. S. Gerry-Vernières, Les « petites » sources du droit : à propos des
sources étatiques non contraignantes, thèse préc.

(35) Il faut rappeler, en effet, que c'est bien le caractère juridiquement non contraignant, retenu au seuil de cette
étude, qui distingue la coutume de la soft law. Sur cette différence, v. par ex. F. Terré et N. Molfessis, Introduction
générale au droit, 14e éd., Dalloz, Précis, 2022, spéc. n° 412.

(36) V. P. Deumier, La réception du droit souple par l'ordre juridique, in Le droit souple, préc., p. 113, spéc. p. 116 s.

(37) M. Valtau, Le casier judiciaire, Jouve et Boyer, 1900, spéc. p. 7.

(38) L'article 20 du code pénal de 1810 disposait que « quiconque aura été condamné à la peine des travaux forcés
à perpétuité sera flétri sur la place publique, par l'application d'une empreinte avec un fer brûlant sur l'épaule droite.
Les condamnés à d'autres peines ne subiront la flétrissure que dans les cas où la loi l'aurait attachée à la peine qui
leur est infligée ». Un système de lettres était ensuite énoncé pour que le type d'infraction puisse être contenu dans
la marque.

(39) V. X. Pin, L'identité « judiciaire » - Étude de l'identité des personnes impliquées dans un procès pénal, in
L'identité, un singulier au pluriel, ss direct. B. Mallet-Bricout et T. Favario, Dalloz, 2015, p. 123, spéc. p. 134.

(40) En 1720, un lieutenant de police parisien fit dresser, sous le nom de « Journal de Paris », un registre « des
condamnations pénales ainsi que des plaintes et déclarations de vol émanées des particuliers » pour centraliser les
antécédents judiciaires. V. sur cette histoire M. Valtau, thèse préc., spéc. p. 8.

(41) M. Valtau, thèse préc., spéc. p. 11 et 12. Adde E. Maguero, Supplément au traité alphabétique des droits
d'enregistrement, de timbre et d'hypothèque, Nouveau recueil de législation, de doctrine et de jurisprudence, avec la
collaboration de MM. Barret, Desribes, Guilbert et Guillet, Administration de la Revue de l'Enregistrement, 1902, V°
Casier judiciaire : qui introduit sa description du casier judiciaire par cette remarque « l'institution du casier judiciaire,
fondée jusqu'alors sur des circulaires administratives, a été consacrée par une loi du 5 août 1899 » (p. 59).

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(42) P. Lascoumes, V° Effectivité, in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, ss direct. de A.-
J. Arnaud, 2e éd., LGDJ, 1993. Adde J. Carbonnier, Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, L'année
sociologique, 1957-1958, PUF, 1958, p. 3-17 et C. Mincke, Effets, effectivité, efficience et efficacité du droit : le pôle
réaliste de la validité, RIEJ 1998, vol. 40, p. 115-151.

(43) D. de Béchillon, Qu'est-ce qu'une règle de droit ?, Paris, O. Jacob, 1997, spéc. p. 87. L'auteur y définit
l'effectivité qu'il distingue de l'efficacité. Il écrit ainsi que « pour simplifier les choses à l'extrême et adopter une
définition très juridique de ces notions, on pourrait présenter l'effectivité comme la propriété qu'aurait une règle de
produire des effets dans la réalité empirique, et l'efficacité comme la propriété qu'elle aurait de produire les effets
que l'on attendait d'elle. Une notion de "qualité" intervient dans ce deuxième concept ». Comp. dans le même sens
et relevant que l'effectivité s'apprécie objectivement, tandis que l'efficacité s'apprécie subjectivement : Ph. Conte, «
Effectivité », « inefficacité », « sous-effectivité », « surefficacité »... : variations pour le droit pénal, in Le droit privé
français à la fin du XXe siècle - Études offertes à Pierre Catala, Litec, 2001, p. 125-132, spéc. n° 7, p. 128.

(44) M. Mekki, Propos introductifs sur le droit souple, in Le droit souple, préc., p. 1, spéc. n° 14, p. 10.

(45) C. Pérès, La réception du droit souple par les destinataires, in Le droit souple, préc., p. 93, spéc. p. 94.

(46) Rappr. P. Deumier, Introduction générale au droit, 6e éd., LGDJ-Lextenso, 2021, spéc. n° 30, p. 37 : « le droit
souple veut utiliser le ressort de l'incitation et de l'adhésion, en vue d'obtenir les conduites par la douceur et non par
la punition ».

(47) « Les professions de médecin, de chirurgien-dentiste et de sage-femme ont été jusqu'à présent réglées par la
loi de 1892. Cette loi véritable code de ces professions ne répond plus aux circonstances présentes. Dans le
domaine législatif de nouveaux textes sont intervenus (loi du 21 avril 1933, loi du 26 juillet 1935). Dans le domaine
des faits la profession a évolué [...] Le nouveau texte tient compte de l'opinion des représentants qualifiés
des trois professions et sera le nouveau code qui, avec l'ordonnance du 15 décembre 1944 rétablissant les
syndicats [supprimés sous le régime de Vichy], remplacera la loi de 1892. [...] ».

(48) On remarquera également que si, avant d'intégrer la loi, ces normes étaient pour l'essentiel des principes
déontologiques auxquels les professions médicales adhéraient déjà, seules celles qui ont intégré le code de la santé
publique ont valeur de loi et peuvent être appliquées comme telles par les juridictions. Les autres, quand du moins
elles ne sont pas une répétition des dispositions légales, n'ont pas, en principe, de caractère obligatoire. Ainsi, le
serment d'Hippocrate, qui continue, depuis 1707, d'être prêté par le futur médecin après sa soutenance de thèse
n'est pas juridiquement contraignant ; le Conseil national de l'Ordre des médecins l'indique expressément sur son
site internet dans une formulation qui distingue ce qui relève de l'obligatoire et de l'éthique : « même s'il n'a pas de
valeur juridique, le serment d'Hippocrate est considéré comme l'un des textes fondateurs de la déontologie médicale
».

(49) V. not. l'entrée en vigueur toute récente du décret n° 2023-146 du 1er mars 2023 relatif au code de déontologie
des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pris en application de l'article 2 de l'ordonnance n° 2022-
544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels.

(50) V. les lois n° 2001-420 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques, n° 2009-967 du 3 août 2009
de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement et n° 2010-788 du 12 juillet 2010
portant engagement national pour l'environnement, dite « Grenelle 2 ».

(51) Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil, du 14 décembre 2022, modifiant le règlement
(UE) n° 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication

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d'informations en matière de durabilité par les entreprises.

(52) Proposition de loi n° 637, le 15 décembre 2022, pour une éthique responsable des affaires.

(53) R. Cabrillac, La réception de la loi : consentement ou adhésion ?, in La contractualisation de la production


normative, ss direct. S. Chassagnard-Pinet et D. Hiez, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2008, p. 153, spéc. p. 162.
Adde sur la difficulté en amont à mesurer la réception effective du droit souple par ses destinataires : C. Pérès, La
réception du droit souple par ses destinataires, art. préc., spéc. nos 5 s.

(54) F. Zenati-Castaing, Le savoir des lois, Dalloz, Méthodes du droit, 2021, spéc. p. 157 s.

(55) En entame, l'avant-projet précise d'ailleurs que « les travaux de la Commission ont été en permanence suivis
par le bureau du droit des obligations au sein du Ministère de la Justice ». Sur l'élaboration de cet avant-projet, v.
not. Ph. Stoffel-Munck, La préparation de l'avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, RDC 2022. 98.

(56) Par l'association de tous les spécialistes du droit à y contribuer.

(57) La direction des affaires civiles et du sceau affirme, en effet, avoir pour intention première de moderniser les
dispositions du code civil relatives aux contrats spéciaux.

(58) D'autres auraient encore pu être ajoutés, tels qu'une meilleure accessibilité à des règles qui, parce qu'elles se
sont développées en dehors d'une source formelle peuvent manquer de visibilité, voire de clarté.

(59) V. C. civ., art. 6 , 1102 et 1162 .

(60) V. C. Pérès-Dourdou, La règle supplétive, préf. G. Viney, LGDJ, 2004, spéc. nos 494 s.

(61) C. civ., art. 1103 : « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Adde les
articles 1193 et 1194 du code civil.

(62) À la différence de la légalisation, la contractualisation aurait ainsi tendance à concerner un nombre plus limité
d'instruments (avis, recommandations, usages professionnels...). Encore que l'observation ne soit que purement
pratique car, en théorie, la liberté contractuelle ouvre un vaste champ des possibles. On pourrait notamment
concevoir que la rédaction de clauses s'inspire de projets de réforme non retenus pour combler des lacunes de la loi
ou écarter des règles légales supplétives de volonté.

(63) Sur cette pratique, V. not. M. Tirel, La RSE, force créatrice du droit des contrats, D. 2023, 742 .

(64) Sur l'idée plus générale d'adhésion à la loi par sa contractualisation, v. R. Cabrillac, La réception de la loi :
consentement ou adhésion, art. préc.

(65) J.-L. Aubert et E. Savaux, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 18e éd., Sirey, 2020, spéc.
n° 177.

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(66) Emprunté du grec exêgêsis, « récit, explication ».

(67) J. Carbonnier, Essai sur les lois, Defrénois, 1979, spéc. p. 120-121.

(68) Ibid.

(69) V. not. G. Carcassonne, La Constitution, préf. G. Vedel, 9e éd., Seuil, Points, Essai, 2009, spéc. n° 259, p. 198 :
« [la procédure de l'article 38 de la Constitution] a rendu un autre grand service qui gagnerait à être connu : elle a
prouvé que, décidément, pour faire de bonnes lois, on n'a pas encore inventé mieux que le Parlement. Les
Ordonnances, en effet, sont exactement comme des projets de loi qui deviendraient directement des lois. Ce sont
généralement des textes défectueux, dont les malfaçons ne se révèlent qu'a posteriori, là où il se serait sans doute
trouvé un parlementaire pour soulever, fût-ce ingénument, le problème qui ne s'est découvert qu'après, à l'occasion
de contentieux multiples. Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. À qui pourrait les oublier, cette législation
de chefs de bureau que sont les ordonnances les rappelle. Elles sont donc à n'utiliser qu'avec modération ». À noter
que la formule est absente de la dernière édition commentée par M. Marc Guillaume (v. G. Carcassonne et M.
Guillaume, La Constitution, préf. G. Vedel, 16e éd., Points, Essai, 2022, spéc. n° 259).

(70) V. par ex. la circulaire de présentation des entrées en vigueur des dispositions civiles de la loi n° 2019-222 du
23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, nos JUST 1806695L et CIV/04/2019
contenant 14 annexes sous forme de thématiques juridiques susceptibles d'être soulevées devant le juge et la
circulaire du 26 janvier 2017 de présentation des dispositions en matière de divorce par consentement mutuel et de
succession issues de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et du
décret n° 2016-1907 du 28 décembre 2016 relatif au divorce prévu à l'article 229-1 du code civil et à diverses
dispositions en matière successorale, Circ. n° JUSC1638274C contenant douze fiches en annexe.

(71) Sur les dangers d'une décentralisation de la production des normes, v. not. F. OST, La régulation : des horloges
et des nuages, in Élaborer la loi aujourd'hui, mission impossible, ss direct. B. Jadot et F. Ost, Presses de l'Université
de Saint-Louis, 1999, p. 11.

(72) Rappr. Le droit souple, Étude annuelle 2013 du Conseil d'État, spéc. p. 40 : « le droit souple intervenant dans
les différents aspects de la vie des entreprises présente la forte spécificité d'être souvent produit par des acteurs de
droit privé, qu'il s'agisse des entreprises elles-mêmes ou d'organisations diverses (organisations professionnelles,
associations, etc.). [...] Le phénomène est loin d'être marginal ; la vie des entreprises semble au contraire être le
domaine d'élection du droit souple ».

(73) Dans les limites du respect de la Constitution, v. en particulier : Cons. const. 20 déc. 2019, n° 2019-794 DC ,
Loi d'orientation des mobilités, AJDA 2020. 9 ; D. 2020. 1012, obs. V. Monteillet et G. Leray ; ibid. 1588, obs. J.-
C. Galloux et P. Kamina ; JA 2020, n° 611, p. 8, obs. X. Delpech ; AJCT 2020. 5, obs. D. Necib ; RDT 2020.
42, obs. B. Gomes ; Constitutions 2019. 533, chron. M. Kamal-Girard ; Dr. soc. 2020. 439, note K. Van Den
Bergh ; AJ contrat 2020. 60, étude T. Pasquier ; RTD civ. 2020. 581, obs. P. Deumier : « il incombe au
législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution, en particulier son article 34, sans
reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles ou des personnes privées le soin de fixer des règles
dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ». Adde Ph. Malaurie et P. Morvan, Introduction au
droit, 9e éd., LGDJ-Lextenso, 2022, spéc. n° 52.

(74) Sur le rôle actif du juge dans la détermination des notions-cadre, v. G. Cornu, Droit civil, Introduction au droit,
13e éd., Montchrestien, Domat, Droit privé, 2007, spéc. n° 178 : « dans cet emploi, le juge n'apparaît pas seulement
comme un serviteur de la loi, dont il comble les lacunes intentionnelles. Investi par la loi d'une sorte de délégation, il
est, beaucoup plus qu'un interprète, l'agent sur lequel la loi compte pour déterminer le contenu de la règle et dont
l'intervention est nécessaire [...] ».

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(75) Sur celles-ci, v. not. J. Carbonnier, Les notions à contenu variable dans le droit de la famille, in Jean Carbonnier
1908-2003 - Écrits, Textes rassemblés par Raymond Verdier, PUF, 2008, p. 649.

(76) Le rôle normatif de la Cour de cassation, Étude annuelle 2018, spéc. p. 211 s. Adde L'égalité, Rapport de la
Cour de cassation, 2003, Doc. fr., 2004, spéc. p. 403 s. qui souligne que, dans le domaine sportif, la deuxième
chambre civile n'admet « qu'une faute d'un certain niveau de gravité mesuré à l'aune du type de sport pratique »
(spéc. p. 405).

(77) V. par ex. Civ. 2e, 5 oct. 2006, n° 05-18.494 , Bull. civ. II, n° 257,D. 2007. 2004 , note J. Mouly ; ibid. 2346,
obs. J.-C. Breillat, C. Dudognon, J.-P. Karaquillo, J.-F. Lachaume, F. Lagarde et F. Peyer ; LPA 2007. 9, note F.
Lafay (faute caractérisée par une violation des règles du jeu en présence « d'une violation de la lettre et de l'esprit
du rugby ») et Civ. 2e, 23 sept. 2004, n° 03-11.274 , Bull. civ. II, n° 435, D. 2005. 551 , note B. Brignon ; RCA
2004. Comm. 345, H. Groutel (règles au karaté).

(78) V. par ex. Civ. 2e, 14 avr. 2016, n° 15-16.450 , inédit, D. 2017. 667, obs. Centre de droit et d'économie du
sport (OMIJ-CDES) (règle de bonne conduite sur les pistes de ski établie par la Fédération internationale de ski).

(79) V. not. Civ. 2e, 10 juin 2004, n° 02-18.649 , Bull. civ. II, n° 296, D. 2004. 1937 ; RTD civ. 2005. 137, obs. P.
Jourdain : « le principe posé par les règlements organisant la pratique d'un sport, selon lequel la violation des
règles du jeu est laissée à l'appréciation de l'arbitre chargé de veiller à leur application, n'a pas pour effet de priver le
juge civil, saisi d'une action en responsabilité fondée sur la faute de l'un des pratiquants, de sa liberté d'apprécier si
le comportement de ce dernier a constitué une infraction aux règles du jeu de nature à engager sa responsabilité ».
D'autres éléments peuvent d'ailleurs être pris en considération (intention du sportif auteur du dommage, risques
excessifs, objet de la règle de jeu violée...). Adde J. Mouly et C. Dugognon, v° Sport, in Rép. civ., nos 138 s. ; A.
Cappello, La faute civile et la violation des règles régissant une activité sportive ou professionnelle, RTD civ. 2013.
777 ; P. Jourdain, À propos de la faute en matière sportive, Mélanges Foyer, 2008, Economica, p. 559, spéc. p.
567 ; J. Mouly, La spécificité de la responsabilité civile dans le domaine du sport, légitime résistance ou inéluctable
déclin ?, RLDC 2006, n° 29 et P. Polère, Responsabilité civile, Gaz. Pal. 2004, n° 349, p. 8, note ss Civ. 2e, 10 juin
2004, n° 02-18.649 , préc.

(80) Rappr. G. Canivet, Puissance et enjeu de l'interprétation judiciaire de la loi. Approche pratique à partir d'un cas
de responsabilité médicale, Cah. just. 2020. 609 , spéc. n° 18, p. 621.

(81) A. Bailleux, Le soft law et les deux droits, in Les sources du droit revisitées, vol. IV : Théorie des sources du
droit, préc., p. 503. Comp. P. Deumier, Quand le droit souple rencontre le juge dur, note ss CE, ass., 21 mars 2016,
RTD civ. 2016. 571 qui présente plusieurs utilisations possibles de la soft law par le juge et conclut : « ces
différentes utilisations ne sont pas autant de sanctions par le juge du respect du droit souple : elles reposent sur sa
prise en considération comme élément parmi les nombreux éléments, de fait et de droit, qui se combinent en
permanence au sein du raisonnement guidant la prise de décision. En définitive, le principal apport du droit souple à
la théorie des sources est peut-être la mise en lumière de la diversité des relations qui peuvent unir une norme à un
juge, qui appelle un cadre d'analyse dépassant la logique exclusive de la sanction pour intégrer les différentes
modalités par lesquelles une norme est "prise en considération" comme une donnée de fait ».

(82) A. Bailleux, Le soft law et les deux droits, art. préc., spéc. p. 519.

(83) Ibid.

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(84) Sur le refus d'assimiler la jurisprudence à une source de droit, v. par ex. J.-L. Aubert et E. Savaux, Introduction
au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 18e éd., Dalloz, Sirey, 2021, spéc. n° 178. La jurisprudence a
cependant conquis une telle importance qu'une partie de la doctrine la compte désormais au nombre des sources de
droit, v. par ex. M. Fabre-Magnan et F. Brunet, Introduction générale au droit, 2e éd., PUF, Thémis droit, 2022, spéc.
n° 170, p. 151 : « peu à peu la jurisprudence est devenue une source de droit à part entière » et G. Drouot, La
rétroactivité de la jurisprudence, Recherche sur la lutte contre l'insécurité juridique, préf. C. Brenner, LGDJ, 2016 :
qui, avant de proposer la création d'un « référé-suggestion », fait le constat que la jurisprudence est devenue une
source originale du droit. Sans prétendre trancher ce débat, il nous semble, qu'avec une majorité d'auteurs, l'on peut
du moins considérer que la jurisprudence n'est pas une source formelle de droit et, qu'en cela, elle se distingue
encore assez nettement de la loi. V. not. F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit, 14e éd., Dalloz,
Précis, 2022, spéc. n° 371 : « n'a[yant] pas le pouvoir de constituer directement des règles de droit », il y aura
toujours « une différence irréductible entre un juge et un législateur » qui empêche le premier d'accéder au rang des
sources dites formelles du droit.

(85) À tout le moins dans le litige qui lui est soumis puisqu'il lui est en principe interdit de procéder par voie d'arrêts
de règlement (C. civ., art. 5 ). Rappr. de la remarque générale de M. Philippe Rémy, in La part faite au juge,
Pouvoirs, 2003, n° 107, p. 22, spéc. p. 23 : « l'abaissement du juge sous la loi n'interdit pas nécessairement la
constitution d'une jurisprudence, qui fera corps avec la loi interprétée et lui empruntera son autorité ».

(86) A. Bailleux, art. préc., spéc. p. 520-521 : « le droit cognitif constitue dès lors une zone grise tout entière, qui
s'étend du coeur de l'ordre juridique (une loi, un règlement, un contrat) aux considérations qui paraissent les plus
éloignées (pensons aux citations de Shakespeare qui parsèment la décision de la Cour suprême américaine). [...]
Ce dégradé de gris est entièrement dépendant de la concordance de vue des diseurs du droit. Pour le dire
autrement, les éléments juridiquement pertinents qui se trouvent au centre du droit cognitif sont ceux qui reçoivent
l'assentiment de l'immense majorité des diseurs de droit. À l'inverse, plus un élément est éloigné de ce centre, plus
faible est le soutien qu'il reçoit de la part de ceux-ci ».

(87) A. Bailleux, art. préc., spéc. p. 537.

(88) Sur la reconquête de son pouvoir d'interprétation par le juge civil, v. la mise en perspective historique retracée
par M. Philippe Rémy, in « La part faite au juge », art. préc.

(89) Cette vigilance peut s'exercer directement sur les normes du droit souple centralisé. S'agissant du droit souple
décentralisé, elle ne peut s'exercer que par l'encadrement des autorités qui en sont la source.

(90) V. supra nos 16 s.

(91) V. pour le procédé des réponses ministérielles : à la question de la portée juridique des réponses aux questions
écrites des parlementaires (question écrite n° 00441 de M. Serge Mathieu, JO Sénat du 3 juillet 1997, p. 1760), le
Premier ministre de l'époque avait apporté la réponse suivante : « les réponses aux questions écrites posées par les
députés et les sénateurs ont pour objet d'informer ceux-ci de l'action conduite par le Gouvernement. Cet objet même
fait obstacle à ce que ces réponses puissent s'insérer dans la hiérarchie des normes de droit et, dès lors, se
substituer aux décisions réglementaires ou individuelles prises par les autorités administratives compétentes. De
plus, eu égard au principe d'indépendance des juridictions, l'interprétation des dispositions législatives donnée par le
Gouvernement n'engage pas le juge, qui reste maître du sens qu'il entend donner aux textes. Pour ces deux raisons,
les réponses ministérielles n'ont pas, en principe, de valeur juridique » (Réponse du ministère : Premier ministre, JO
Sénat du 28 août 1997, p. 2198).

(92) Sur l'exemple de la nomenclature Dintilhac et l'incitation d'une circulaire à s'y référer, v. infra n° 34.

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(93) P. Deumier, La soft law devant le juge : une figure à géométrie variable, in Études à la mémoire de Philippe
Neau-Leduc, Le juriste dans la cité, LGDJ, 2018, p. 371, spéc. p. 378 : « si la soft law permet d'intégrer un point de
vue "expert", elle met également en question la liberté d'interprétation alors laissée au juge ».

(94) Com. 20 janv. 2015, nos 13-16.745 , 13-16.764, 13-16.765, 13-16.955, Bull. civ. IV, n° 8, D. 2015. 261, obs. E.
Chevrier ; ibid. 2016. 964, obs. D. Ferrier ; AJCA 2015. 169 , note G. Parleani ; Rev. crit. DIP 2016. 521,
note L. d'Avout ; RTD com. 2015. 258, obs. E. Claudel ; RTD eur. 2016. 374-28, obs. F. Zampini ; JCP E
2015. 1218, note D. Mainguy ; CCC 2015, n° 96, G. Decocq.

(95) Le rôle normatif de la Cour de cassation, Étude annuelle préc., spéc. p. 207.

(96) Ibid. p. 207.

(97) Ibid. p. 208.

(98) V. Rapport de la commission de réflexion sur la Cour de cassation 2030, juill. 2021, ss présidence d'André
Potocki, spéc. p. 44 : qui propose de renforcer la motivation des arrêts. Adde G. Canivet, Puissance et enjeu de
l'interprétation judiciaire de la loi. Approche pratique à partir d'un cas de responsabilité médicale, art. préc., spéc.
nos 33 s. sur les enjeux méthodologiques du pouvoir d'interpréter et F. Malhière, La brièveté des décisions de justice,
préf. D. Rousseau, Dalloz, 2013 qui présente les raisons historiques de la brièveté des décisions de justice et pose
le constat d'une nécessaire évolution vers une motivation plus développée.

(99) Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782 , Bull. civ. IV, D. 2022. 539 , note S. Tisseyre ; ibid. 725, obs. N. Ferrier
; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; ibid. 2255, obs. Centre de droit
économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216) ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD
civ. 2022. 124, obs. H. Barbier ; RDC 2022. 10, note M. Latina ; RDC 2022. 16, note Ph. Stoffel-Munck ; RDC
2022. 89, note N. Balat ; RDC 2022. 113, note J. Julien ; RDC 2022. 144, note S. Gerry-Vernières ; Gaz. Pal. 2022.
5, obs. D. Houtcieff ; Gaz. Pal. 2022. 20, note G. Millerioux ; LPA 2022. 72, note J. Quiroga-Galdo ; CCC 2022. 40,
comm. L. Leveneur ; JCP E 2022. 1125, comm. G. Chantepie ; RDBF 2022. Comm. 75, note T. Samin et S. Torck ;
CCE 2022, 19, comm. G. Loiseau.

(100) Elle y indique, en effet, qu'il « ressort des travaux parlementaires de la loi du 20 avril 2018 ratifiant
[l'ordonnance du 10 février 2016], que l'intention du législateur était que l'article 1171 du code civil, qui régit le droit
commun des contrats, sanctionne les clauses abusives dans les contrats ne relevant pas des dispositions spéciales
des articles L. 442-6 du code de commerce et L. 212-1 du code de la consommation ».

(101) On remarquera d'ailleurs, qu'en l'espèce, la loi de ratification n'était pas venue porter de modification à la
question du champ d'application soulevée devant la Cour de cassation. Celle-ci se posait dans les mêmes termes
avant ratification. Sur la singularité de la démarche opérée par la Cour de cassation dans cet arrêt, v. not. S. Gerry-
Vernières, L'interprétation de l'article 1171 du code civil « à la lumière des travaux parlementaires » de la loi de
ratification, RDC 2022. 144, spéc. p. 146 qui relève que les travaux entourant l'ordonnance avaient laissé subsister
quelques hésitations qui pouvaient expliquer le recours aux travaux parlementaires.

(102) La formulation actuelle a été consacrée par le décret n° 79-941 du 7 novembre 1979 portant réforme de la
procédure en matière civile devant la Cour de cassation et modifiant certaines dispositions de procédure civile.

(103) V. par ex., au sujet de l'encadrement des traités de cession d'office ministériel, sur les circulaires et instructions
administratives venues préciser l'application de la loi du 28 avril 1816, une décision particulièrement claire de la cour
d'appel de Grenoble rendue le 16 décembre 1837 qui énonce que « si bien des circulaires administratives enjoignent

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aux magistrats du parquet de surveiller les marchés de cette nature, pour que le prix de ces offices ne soit pas porté
à un taux trop élevé, ces circulaires ne peuvent, ainsi que l'a décidé la Cour de cassation, être considérées que
comme instructions et nullement prohibitives » (décision intégralement retranscrite in Répertoire méthodique et
alphabétique de législation, de doctrine et de jurisprudence, en matière de droit civil, commercial, criminel,
administratif, de droit des gens et de droit public, par. D. Dalloz, avec la collaboration de A. Dalloz, t. 34, 1re partie,
Bureau de la jurisprudence générale, 1865).

(104) Civ. 1re, 9 déc. 1986, n° 85-11.714 , Bull. civ. I, n° 289. V. encore récemment, Civ. 2e, 16 sept. 2003, n° 02-
30.658 , Bull. civ. II, n° 270 ; Civ. 2e, 5 juin 2008, n° 07-16.175 , inédit ou encore Civ. 2e, 7 mai 2015, n° 14-
14.956 , Bull. civ. II, n° 101.

(105) Circ. Civ/06/10 du 12 avr. 2010.

(106) V. Le rôle normatif de la Cour de cassation, Étude annuelle 2018, spéc. p. 200. Dans son étude annuelle, la
Cour de cassation analyse ainsi la portée de sa décision : « rappelant aux juges du fond que le barème ne peut être
assimilé à une nouvelle norme impérative, la Cour de cassation fixe ainsi la force normative de celui-ci, faisant une
application stricte de ce que commande la hiérarchie des normes à l'égard du contenu d'une circulaire, peu
important que celle-ci ait pour objet de diffuser le plus largement possible un outil d'aide à la décision, dans un souci
d'uniformisation des pratiques : une circulaire n'est destinée qu'à exposer l'état du droit, en vue d'assurer sur
l'ensemble du territoire une application aussi uniforme que possible de la loi. Elle ne saurait ajouter à cet état du
droit en édictant de nouvelles normes. Il importe dès lors, rappelle le guide de légistique pour l'élaboration des textes
législatifs et réglementaires, de ne pas laisser entendre qu'une décision pourrait être prise en application d'une
norme émanant d'une circulaire (Conseil d'État et secrétariat général du Gouvernement, Guide de légistique, Doc.
fr., 2017, p. 100). La Cour de cassation précise ainsi, par cet arrêt, que le barème ne peut fonder un raisonnement
juridique, ni suffire à motiver une décision. Les juges du fond doivent faire apparaître dans leur motivation qu'ils se
sont livrés à une appréciation concrète de la situation des parties, au regard des critères de la loi, les tables ne
permettant pas de prendre en compte les variables inhérentes à chaque espèce. Ce faisant, cette décision restitue
au juge son rôle premier de trancher un désaccord entre les parties, son office ne pouvant se limiter à l'application
d'un barème ».

(107) Civ. 1re, 23 oct. 2013, n° 12-25.301 , Bull. civ. I, n° 203, D. 2013. 2518 ; ibid. 2968, entretien A.-M. Leroyer
; ibid. 2014. 563, chron. C. Capitaine et I. Darret-Courgeon ; ibid. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam.
2013. 703, obs. S. Thouret ; ibid. 2013, 598, interview J.-C. Bardout ; RTD civ. 2014. 77, obs. P. Deumier ;
ibid. 105, obs. J. Hauser ; JCP 2013. 1269, note E. Bazin ; JCP 2014. Doctr. 43, n° 10, obs. M. Rebourg ; LPA
5 déc. 2013, p. 12, note J. Massip ; ibid. 26 déc. 2013, p. 10, note J.-M. Hisquin ; Gaz. Pal. 19 déc. 2013, n° 353, p.
11, note I. Sayn.

(108) Civ. 1re, 13 nov. 1996, n° 94-17.369 , Bull. civ. I, n° 399, D. 1997. 174 , obs. P. Delebecque ; RTD civ.
1997. 424, obs. J. Mestre ; ibid. 791, obs. R. Libchaber et Civ. 1re, 1er févr. 2000, n° 97-16.707 , inédit.

(109) Civ. 1re, 5 nov. 1991, n° 89-15.179 , Bull. civ. I, n° 297, D. 1991. 292 ; RTD civ. 1992. 383, obs. J. Mestre
. V. déjà Civ. 1re, 4 mai 1982, inédit et Crim. 22 avr. 1977, n° 75-93.306 , Bull. crim., n° 127.

(110) Sur la réception indirecte par le mécanisme de la légalisation, v. supra nos 8 s.

(111) V. par ex. Civ. 1re, 26 avr. 2017, nos 16-14.036 , et 16-15.278, Bull. civ. I, D. 2017. 988 ; RTD civ. 2017.
636, obs. H. Barbier ; JA 2017, n° 562, p. 10, obs. X. Delpech : « selon l'article R. 4127-201 du code de la santé
publique, les dispositions du code de déontologie des chirurgiens-dentistes s'imposent à tout chirurgien-dentiste
inscrit au tableau de l'ordre et à tout chirurgien-dentiste exécutant un acte professionnel dans les conditions prévues

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à l'article L. 4112-7 du même code ou par une convention internationale, quelle que soit la forme d'exercice de la
profession, et s'appliquent également aux étudiants en chirurgie dentaire » ; Civ. 3e, 27 avr. 2017, n° 16-15.958 ,
Bull. civ. I, D. 2017. 982 ; RDI 2018. 225, obs. H. Périnet-Marquet ; RTD civ. 2017. 636, obs. H. Barbier ; JCP
2017. 759, note H. Périnet-Marquet : qui introduit sa décision en rappelant le caractère contraignant d'une règle de
déontologie : « vu les articles 1108 et 1131 du code civil, applicables à la cause, ensemble l'article 37 du code de
déontologie des architectes ; Attendu que, selon le dernier de ces textes, l'architecte ne peut ni prendre ni donner en
sous-traitance la mission définie à l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi sur l'architecture du 3 janvier 1977 [...] » et
récemment encore, v. Civ. 1re, 6 avr. 2022, n° 21-12.045 , Bull. civ. I, D. 2022. 702 ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa
et M. Mekki ; Rev. sociétés 2022. 615, note J. Bardy ; RTD civ. 2022. 376, obs. H. Barbier ; JCP 2022. 1206,
note B. Dondero ; Gaz. Pal. 2022, n° 16, p. 6, obs. D. Houtcieff, rendue au visa de « l'article 24 de l'ordonnance
n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la
profession d'expert-comptable, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-443 du 30 avril 2014 », aux termes
duquel « les honoraires de l'expert-comptable doivent constituer la juste rémunération du travail fourni comme du
service rendu et ne peuvent en aucun cas être calculés d'après les résultats financiers obtenus par les clients ». À
raison, on a cependant pu reprocher à la haute juridiction de ne pas suffisamment motiver l'appartenance de ces
règles à l'ordre public, la légalisation d'une norme de droit souple n'impliquant pas automatiquement son
impérativité. Sur ce reproche, v. not. H. Barbier, Quand le déontologique et le licite se confondent, RTD civ. 2022.
376 et R. Boffa, notes ss Civ. 1re, 6 avr. 2022, préc.

(112) Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

(113) Pour témoigner de son succès, le Conseil constitutionnel indiquait le 25 avril 2022 avoir enregistré sa millième
saisine dans le cadre de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité.

(114) Cons. const. 3 juill. 2020, n° 2020-851/852 QPC , JO 4 juill. 2020 ; AJDA 2020. 1384 ; ibid. 2095 , note M.
Verpeaux ; D. 2020. 1408, et les obs. ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N.
Jacquinot ; RFDA 2020. 887, note C. Barthélemy ; ibid. 1139, chron. A. Roblot-Troizier ; RTD civ. 2020. 596,
obs. P. Deumier ,

(115) Cons. const. 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC , JO 7 oct. 2010 ;AJDA 2011. 705, tribune E. Sagalovitsch ; D.
2010. 2744, obs. I. Gallmeister , note F. Chénedé ; ibid. 2011. 529, chron. N. Maziau ; ibid. 1585, obs. F.
Granet-Lambrechts ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-
Maupin ; AJDI 2014. 124, étude S. Gilbert ; AJ fam. 2010. 487, obs. F. Chénedé ; ibid. 489, obs. C. Mécary ;
Constitutions 2011. 75, obs. P. Chevalier ; ibid. 361, obs. A. Cappello ; RTD civ. 2010. 776, obs. J. Hauser ;
ibid. 2011. 90, obs. P. Deumier .

(116) Crim. 19 mai 2010, n° 09-82.582 , D. 2010. 1352 ; ibid. 1352 ; ibid. 2236, point de vue H. Nico ; RSC
2011. 190, obs. B. de Lamy ; RTD civ. 2010. 508, obs. P. Deumier ; JCP 2010. 1039, note N. Molfessis.

(117) V. par ex. Soc. 9 mai 2018, n° 18-40.007 , Bull. civ. V, n° 81, Légipresse 2018. 313 et les obs. ; ibid. 2019.
571, étude E. Derieux et F. Gras ; Soc. 26 févr. 2020, n° 18-22.556 , D. 2020. 440 ; Dr. soc. 2020. 464, étude
A. Berriat ; ibid. 569, obs. M. Vericel ; RDT 2020. 346, obs. H. Ciray ; ibid. 548, obs. M. Miné qui mettent en
avant l'absence d'interprétation jurisprudentielle constante pour refuser de transmettre une question.

(118) V. par ex. Civ. 1re, 27 sept. 2011, n° 11-13.488 , Bull. civ. I, n° 151, D. 2011. 2707 , note A. Levade ; ibid.
2012. 244, obs. N. Fricero ; AJDI 2011. 880 ; JCP 2011. 1197, note F. Chénedé et Soc. 3 juill. 2014, n° 14-
40.026 , Bull. civ. V, n° 177, D. 2014. 1504 ; RTD civ. 2015. 84, obs. P. Deumier .

(119) V. Bilan quantitatif et qualitatif de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), rapport du groupe de travail
commun au Conseil d'État et à la Cour de cassation sur la question prioritaire de constitutionnalité, 15 mai 2018,
spéc. p. 7 : « les deux juridictions s'accordent désormais pour admettre, conformément à la jurisprudence du Conseil
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constitutionnel inspirée de la doctrine du droit vivant, que leur propre interprétation jurisprudentielle de la loi
s'incorpore dans la disposition législative et est susceptible, par ce biais, d'être mise en cause par une QPC (Soc.
28 sept. 2010, n° 10-40.027 ; Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 13-40.044 , Bull. I n° 185) ».

(120) J. Carbonnier, Essai sur les lois, Defrénois 1979. 2nde partie, chap. 2 : La passion des lois au siècle des
lumières, p. 203 s.

(121) B. Oppetit, Philosophie du droit, préf. F. Terré, Dalloz, 2022, spéc. p. 99.

(122) Sur la supériorité de la loi encore aujourd'hui, v. not. S. Gerry-Vernières, Les « petites » sources du droit : à
propos des sources étatiques non contraignantes, thèse préc., nos 20 s. Avant de montrer la place qui doit être
accordée à ce qu'elle nomme les « petites sources du droit », l'auteur note que, de façon générale, et en dépit des
contestations répétées, « la théorie des sources du droit, construite sur le patron de la loi, accueille avec réserve les
phénomènes juridiques autres que légaux » (spéc. n° 71).

(123) V. supra n° 19.

(124) A. Bailleux, Le soft law et les deux droits, art. préc., spéc. p. 518.

(125) J.-L. Aubert et E. Savaux, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 18e éd., préc., spéc.
n° 18.

(126) P. Deumier, Quand le droit souple rencontre le juge dur, note ss CE, ass., 21 mars 2016, RTD civ. 2016. 571
.

(127) P. Deumier, Quand le droit souple rencontre le juge dur, note préc. : « le critère de l'absence de création de
droits ou d'obligations pour les destinataires est celui qui appelle le moins de discussion : sous des terminologies
variables, la doctrine s'accorde pour définir le droit souple, par opposition au droit dur, comme un droit qui ne
contraint pas ». Dans le même sens, v. not. J.-L. Aubert et E. Savaux, Introduction au droit et thèmes fondamentaux
du droit civil, 18e éd., préc. spéc. n° 19 et Ph. Malinvaud et N. Balat, Introduction à l'étude du droit, 23e éd.,
LexisNexis, 2023, à paraître, spéc. n° 190.

(128) Rappr. P. Deumier, Quand le droit souple rencontre le juge dur, note préc. : « que le juge reconnaisse la
juridicité de normes informelles ou qu'il élargisse son office à des normes non juridiques, le risque est une dilution
progressive de la spécificité de la norme juridique dans l'ensemble des systèmes normatifs ».

(129) V. supra n° 2.

(130) P. Deumier, Quand le droit souple rencontre le juge dur, note préc.

(131) CE, ass., 21 mars 2016, n° 390023, NC Numericable (Sté), Lebon avec les conclusions ; AJDA 2016. 572
; ibid. 717 , chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2017. 881, obs. D. Ferrier ; AJCA 2016. 302 ;
Rev. sociétés 2016. 608, note O. Dexant - de Bailliencourt ; RFDA 2016. 506, concl. V. Daumas ; RTD civ. 2016.
571, obs. P. Deumier ; RTD com. 2016. 711, obs. F. Lombard et CE 21 mars 2016, n° 368082, Fairvesta
International GmbH (Sté), Lebon avec les conclusions ; AJDA 2016. 572 ; ibid. 717 , chron. L. Dutheillet de
Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 715, obs. M.-C. de Montecler ; AJCA 2016. 302, obs. S. Pelé ; Rev. sociétés
2016. 608, note O. Dexant - de Bailliencourt ; RFDA 2016. 497, concl. S. von Coester ; RTD civ. 2016. 571, obs.
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P. Deumier ; RTD com. 2016. 298, obs. N. Rontchevsky ; ibid. 711, obs. F. Lombard . Adde not. CE, 9e et 10e
ch. réunies, 16 oct. 2019, n° 433069, Lebon avec les conclusions ; D. 2020. 1262, obs. W. Maxwell et C. Zolynski
; Dalloz IP/IT 2019. 586, chron. C. Crichton ; ibid. 2020. 189, obs. F. Coupez et G. Péronne ; Légipresse
2019. 588 et les obs. ; ibid. 694, étude C. Thiérache et A. Gautron ; RFDA 2019. 1075, concl. A. Lallet ; CE,
sect., 12 juin 2020, n° 418142, Lebon avec les conclusions ; AJDA 2020. 1196 ; ibid. 1407 , chron. C. Malverti
et C. Beaufils ; AJ fam. 2020. 426, obs. C. Bruggiamosca ; AJCT 2020. 523 , obs. S. Renard et E. Pechillon ;
RFDA 2020. 785, concl. G. Odinet ; ibid. 801, note F. Melleray et CE, 9e et 10e ch. réunies, 3 févr. 2023,
n° 451052 , préc.

(132) V. not. la communication faite par le Conseil d'État sur son site internet dans « les grandes décisions du
Conseil d'État et du Tribunal des conflits depuis 1873 » : « la possibilité de contester un acte administratif devant le
juge est, en principe, soumise à la condition que celui-ci produise des effets juridiques. Cette exigence a cependant
connu un aménagement notable par les décisions Fairvesta et Numericable, s'agissant d'actes dits de "droit souple"
pris par des autorités de régulation. Ni les communiqués de presse de l'Autorité des marchés financiers, ni la prise
de position de l'Autorité de la concurrence, ne créaient, par eux-mêmes, de droit ou d'obligation juridique. Le Conseil
d'État aurait donc dû rejeter les requêtes comme dirigées contre des actes "ne faisant pas grief". Face à l'importance
croissante de la régulation par de tels instruments de droit souple, le Conseil d'État a cependant pris en compte les
conséquences que les actes attaqués étaient susceptibles d'avoir, dans les faits, sur la situation des acteurs
concernés. Il a décidé d'ouvrir le recours pour excès de pouvoir contre les actes des autorités de régulation qui sont
de nature à produire des effets notables, ou qui ont pour objet d'influer de manière significative sur les
comportements des personnes auxquelles il s'adresse ».

(133) P. Deumier, La soft law devant le juge : une figure à géométrie variable, in Études à la mémoire de Philippe
Neau-Leduc, Le juriste dans la cité, LGDJ, 2018, p. 371, spéc. p. 377-378.

(134) V. C. pén., art. 434-7-1 et L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire.

(135) Art. 12 de la loi dite des 16-24 août 1790 : « [les tribunaux] ne pourront point faire de règlements, mais ils
s'adresseront au corps législatif toutes les fois qu'ils croiront nécessaire, soit d'interpréter la loi, soit d'en faire une
nouvelle ».

(136) En 1807, un autre référé législatif fut instauré par Napoléon, destiné seulement à trancher les conflits entre les
juges du fond et la Cour de cassation. Selon ce procédé, en cas de résistance des juges du fond, il revenait à
l'administration publique d'interpréter la loi. Ce référé fut abrogé trente ans plus tard. Sur l'histoire de ce référé
législatif, v. par ex. Ph. Rémy, La part faite au juge, Pouvoirs 2003, n° 107, p. 22, spéc. p. 28.

(137) Sur le lien entre l'abrogation du référé législatif et l'article 4 du code Napoléon, v. not. : Y.-L. Hufteau, Le référé
législatif et les pouvoirs du juge dans le silence de la loi, préf. J. Boulanger, PUF, Travaux et recherches de la faculté
de droit et des sciences économiques de Paris, 1965, spéc. p. 93 et G. Drouot, thèse préc., spéc. n° 410, p. 271.

(138) V. F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit, préc., spéc. n° 377, p. 500.

(139) Ibid.

(140) Rappr. G. Cerquiera, La justiciabilité du droit souple au regard de la réforme de la Cour de cassation, in Le
contrôle juridictionnel du droit souple, ss la direct. de D. Jouve et P. Pailler, p. 139, spéc. p. 170 s.

(141) N. Cayrol, La saisine du juge, in De code en code, Mélanges en l'honneur du doyen Georges Weiderkehr,
Dalloz, 2009, p. 99, spéc. p. 100.

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(142) F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit, préc., spéc. n° 375, p. 497. Rappr. G. Cornu, La
jurisprudence aujourd'hui, RTD civ. 1992. 342 : « la participation du juge à la création du droit est historique. Les
créations prétoriennes de la jurisprudence civile sont entrées, de l'avis unanime, dans le droit positif » ; R. Cabrillac,
Introduction générale au droit, 14e éd., Dalloz, Cours, 2021, spéc. n° 154 : « la loi peut être obscure : un texte est
mal rédigé, ou plus souvent peut-être il y a antinomie entre plusieurs textes que le juge doit combiner. [...] Interpréter
est alors choisir, ce qui est presque créer... » et Y. Strickler, De l'interprétation ou de l'actualité de la pensée de
Demolombe, in De code en code, préc., p. 809, spéc. p. 818 : « si la volonté de l'interprète s'exerce dans le cadre
des différents partis qu'offre la norme à interpréter, ce qui manifeste sa marge de manoeuvre, elle peut aussi frôler la
création normative lorsque la juridiction affirme découvrir un principe général du droit, qui est une autre face du
pouvoir d'interprète de la norme ».

(143) C. Demolombe, Cours de code Napoléon, vol. 1, Traité de la publication, des effets et de l'application des lois
en général, 4e éd., Durand et Hachette, 1869, spéc. n° 115, p. 128-129 [c'est l'auteur qui souligne].

(144) F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit, préc., spéc. n° 386, p. 515 : « en réalité, cette analyse
repose sur une fiction. L'idée que l'interprétation n'est pas créatrice est contestable. Il suffirait, pour s'en persuader,
de réaliser que la Cour de cassation varie parfois dans son interprétation d'un même texte : qui est alors la source
face à un texte inchangé ? Et quid lorsque d'un texte, elle fait jaillir de nouvelles règles auxquelles le législateur
n'avait pas même songé : qui est le créateur en ce cas ? ».

(145) Selon cette théorie, les normes juridiques sont toujours le produit des juges, par leur interprétation des textes.

(146) V. G. Cornu, Droit civil, Introduction au droit, préc., spéc. n° 407, p. 211.

(147) Rappr. A. Bénabent et Y. Gaudemet, Dictionnaire juridique 2022, LGDJ-Lextenso, 2021, v° Arrêt de règlement.

(148) G. Canivet et N. Molfessis, La politique jurisprudentielle, in La création du droit jurisprudentiel, Mélanges en


l'honneur de Jacques Boré, Dalloz, 2007, p. 79. Pour ces auteurs, la réflexion sur la politique jurisprudentielle
participe de la prise de conscience du rôle créateur de la jurisprudence. En particulier, « l'existence de politiques
jurisprudentielles revient à admettre que la Cour de cassation a vocation à envisager - et donc à rechercher - les
effets sociaux que ses décisions pourraient provoquer. Avoir une politique, c'est, en effet, précisément, faire des
choix, sélectionner des voies, agir. C'est prétendre à une action sur le corps social et, dès lors, mettre en place les
instruments d'une telle ambition » (spéc. p. 79-80).

(149) V. not. G. Cornu, La jurisprudence aujourd'hui, RTD civ. 1992. 342 qui rappelle, sur le fondement des articles
1351 et 5 du code civil, ainsi que des articles 12 et 604 du NCPC que « tout juge dit le droit ; aucun ne l'édicte » et
Y.-M. Serinet, À propos de la rétroactivité de la jurisprudence. Par elle, avec elle et en elle ? La Cour de cassation et
l'avenir des revirements de jurisprudence, RTD civ. 2005. 328 , spéc. n° 6 : « la norme jurisprudentielle ne se
conçoit que par et pour la décision de justice à intervenir. Dans la jurisdictio, le juge ne dit pas le droit au sens où il
l'édicterait, mais seulement pour l'appliquer immédiatement au cas particulier dont il est saisi, à seule fin de trancher
le litige ».

(150) Le rôle normatif de la Cour de cassation, Étude annuelle 2018, spéc. p. 23. Adde ibid. : « le rôle normatif de la
Cour de cassation s'exprime de la façon la plus significative lorsqu'elle crée la norme. Le processus d'élaboration
emprunte des voies spécifiques et son issue n'est pas toujours aisée à identifier. Le visa [...], un chapeau, la
diffusion de l'arrêt, que s'efforce de maîtriser la Cour de cassation en établissant une hiérarchie [...], sont autant
d'indices permettant d'évaluer l'intensité de la portée normative de l'arrêt. La norme jurisprudentielle et, en
conséquence, le rôle de la Cour de cassation s'apprécient par rapport à la loi et plus généralement le droit écrit. Plus
la distance est grande, plus la Cour de cassation affirme son pouvoir normatif. Au sommet, la norme est formulée

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sans le support d'aucun texte. Au niveau intermédiaire, elle n'entretient qu'un rapport lointain, voire très lointain, avec
la loi de sorte que le lien est parfois purement formel. Dans un cas, la norme est créée en marge des textes, dans
l'autre, elle se situe dans le prolongement des textes ».

(151) Ibid. p. 197.

(152) Ibid. p. 200.

(153) Ibid. p. 214.

(154) Rapport du groupe de travail chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices corporels, ss présidence de
J.-P. Dintilhac, remis le 28 octobre 2005.

(155) Rapport sur l'indemnisation du dommage corporel, ss présidence d'Y. Lambert-Faivre, remis le 1er juillet 2003.

(156) Rapport du groupe de travail chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices corporels, préc., spéc. p. 4 :
« les membres du groupe de travail tiennent à souligner que cette nomenclature, qui recense les différents postes
de préjudice corporel, ne doit pas être appréhendée par les victimes et les praticiens comme un carcan rigide et
intangible conduisant à exclure systématiquement tout nouveau chef de préjudice sollicité dans l'avenir par les
victimes, mais plutôt comme une liste indicative - une sorte de guide - susceptible au besoin de s'enrichir de
nouveaux postes de préjudice qui viendraient alors s'agréger à la trame initiale ».

(157) V. not. une circulaire du ministère de la Justice du 22 février 2007 (Civ./05/07).

(158) Dans les amphithéâtres de responsabilité civile, la nomenclature Dintilhac est généralement enseignée aux
étudiants, futurs praticiens...

(159) V. S. Porchy-Simon, Rejet par la Cour de cassation de l'indemnisation du préjudice d'avilissement, D. 2019.
182 , note ss Civ. 2e, 13 déc. 2018, n° 18-10.276 et n° 17-28.716 : « ces arrêts, qui semblent présenter les
caractères de décisions de principe, consacrent ainsi l'exclusion d'une indemnisation autonome des conséquences
des actes d'avilissement, confirmant la lecture fermée de la nomenclature Dintilhac aujourd'hui opérée par la
deuxième chambre civile ».

(160) Civ. 2e, 28 mai 2009, n° 08-16.829 , Bull. civ. II, n° 133 D. 2009. 1606, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2010. 49,
obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2009. 534, obs. P. Jourdain ; JCP 2009. I. 248, obs. C. Bloch. La Cour de
cassation délaisse ainsi la conception large et objective qu'elle retenait auparavant du préjudice d'agrément.

(161) Civ. 2e, 17 juin 2010, n° 09-15.842 , Bull. civ. II, n° 115, D. 2010. 1625 ; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O.
Gout ; RTD civ. 2010. 562, obs. P. Jourdain . Qui revient sur une jurisprudence antérieure qui rattachait ce
préjudice au préjudice d'agrément (v. not. Crim. 23 févr. 1988, n° 87-80.325 , Bull. crim. n° 87 ; D. 1988. 311, note
H. Groutel).

(162) Civ. 2e, 11 déc. 2014, n° 13-28.774 , Bull. civ. II, n° 247, D. 2015. 469 , note A. Guégan-Lécuyer ; ibid.
1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ;
ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RCA 2015. n° 3, comm 75, obs. H. Groutel.

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(163) Souvent l'ancien article 1147 du code civil ou l'article 706-9 du code de procédure pénale.

(164) V. Le rôle normatif de la Cour de cassation, Étude annuelle 2018, spéc. p. 214.

(165) Ibid.

(166) Sur ces critiques, v. par ex. Livre blanc sur les préjudices subis lors des attentats, Barreau de Paris, nov. 2016
; L'indemnisation des préjudices situationnels d'angoisse des victimes directes et de leurs proches, rapport du
groupe de travail dirigé par S. Porchy-Simon, remis le 6 mars 2016 aux ministère de la Justice, ministère de
l'Économie et des Finances et au secrétariat d'État chargé de l'aide aux victimes ; État des lieux critique des outils
d'évaluation des préjudices consécutifs à un dommage corporel, séminaire organisé les 7 et 8 déc. 2020 par C.
Quézel-Ambrunaz, à l'université Savoie Mont Blanc ; A. Guégan, La nature indicative de la nomenclature Dintilhac
consacrée par la chambre mixte de la Cour de cassation, Gaz. Pal. 2022. n° 16, note ss ch. mixte, 25 mars 2022,
spéc. p. 18.

(167) M. Bacache, La nomenclature : une norme ?, Gaz. Pal. 2014. 7, spéc. n° 20.

(168) La réparation de ce préjudice donnait lieu à un conflit entre la deuxième chambre civile et la chambre
criminelle, la première l'incluant plutôt dans le préjudice de souffrances endurées par la victime (v. par ex. Civ. 2e,
14 sept. 2017, n° 16-22.013 , inédit D. 2017. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ;
ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ), tandis que la seconde penchait en faveur d'une
réparation autonome (v. par ex. Crim. 23 oct. 2012, n° 11-83.770 , Bull. crim. n° 225, D. 2012. 2659 ; ibid. 2013.
1993, obs. J. Pradel ; ibid. 2658, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2014. 47, obs.
P. Brun et O. Gout ; AJ pénal 2012. 657, obs. P. de Combles de Nayves ; RTD civ. 2013. 125, obs. P. Jourdain
et Crim. 15 oct. 2013, n° 12-83.055 , inédit, D. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout ).

(169) V. Cass., ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-15.624 (préjudice d'angoisse de mort imminente), et 25 mars 2022,
n° 20-17.072 (préjudice d'attente et d'inquiétude), Bull. ch. mixte, D. 2022. 774 , note S. Porchy-Simon ; ibid.
1934, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; ibid. 2023. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-
Ambrunaz ; AJ pénal 2022. 262, note C. Lacroix ; Gaz. Pal. 10 mai 2022. p. 16, note A. Guégan ; RCA 2022.
comm. 120, obs. L. Bloch ; JCP 2022. 513, obs. P. Jourdain.

(170) Communiqué : Indemnisation des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, le 25 mars 2022.

(171) Sur lesquels, v. supra nos 9 s.

(172) V. en ce sens l'article 1269 du projet de réforme de la responsabilité civile, remis au garde des Sceaux le
13 mars 2017 : « les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant d'un dommage corporel sont
déterminés, poste par poste, suivant une nomenclature non limitative des postes de préjudices fixée par décret en
Conseil d'État » et l'article 1272 de la proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, n° 678 enregistrée
à la présidence du Sénat le 29 juillet 2020 : « chacun des chefs de préjudices résultant d'un dommage corporel est
déterminé distinctement suivant une nomenclature non limitative des chefs de préjudices patrimoniaux et
extrapatrimoniaux, fixée par décret ».

(173) Aux études précitées adde not. Regards croisés sur la soft law en droit interne européen et international, ss.
direct. P. Deumier et J.-M. Sorel, LGDJ, Contextes, 2018.

(174) B. Oppetit (B.), Droit et modernité, PUF, Doctrine juridique, 1998, spéc. p. 121. En décrivant cette «

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atomisation du droit » (p. 121), l'auteur dénonçait l'émergence d'un « État bureaucratique omnipotent » (p. 120) avec
une réglementation d'origine quasi exclusivement bureaucratique et, surtout, une croissance exponentielle de la
réglementation (p. 121). Si son propos ne concernait pas la soft law, la mise en garde nous semble a fortiori pouvoir
lui être étendue. Une partie de la doctrine fait d'ailleurs un lien direct entre inflation législative et développement du
droit souple. Pour certains, en effet, la loi s'effacerait au profit de ces normes de plus en plus nombreuses « dont la
juridicité tend à se développer [et qui] empiètent dangereusement sur les pouvoirs législatifs et judiciaires » (R.
Cabrillac, Introduction générale au droit, 14e éd., Dalloz, Cours, 2021, spéc. n° 187, p. 180-181).

(175) Ibid. p. 126.

(176) La non-concurrence demeure toutefois dans un monde idéal car, en pratique, la « puissance de fait » dont jouit
le droit souple ne peut être occultée (P. Deumier, La réception du droit souple par l'ordre juridique, in Le droit souple,
préc., p. 113, spéc. p. 139). L'ordre juridique doit se repositionner et reprendre la main sur ces instruments qui lui
échappent, soit en les intégrant, soit en les enrayant, soit encore, mais à la condition que ce soit délibéré, en
laissant faire cette normativité souple. Simplement, même dans ce cas, la décision nous paraît incomber davantage
au législateur qu'au juge, sous réserve du moins de respecter la Constitution, ce dont le Conseil constitutionnel se
fait garant (v. en particulier Cons. const. 20 déc. 2019, n° 2019-794 DC , préc.). Par où l'on retrouve, autrement
réintroduit, le rôle d'un juge, preuve supplémentaire que les sources, même en tâchant de rendre à chacun son rôle,
demeurent largement entremêlées (et plus encore si l'on ajoute à la réflexion la composition du Conseil
constitutionnel...).

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