Vous êtes sur la page 1sur 17

Droit social

Droit social 2019 p.318

La réception du barème par le juge : quel impact sur sa mission ?

Patrick Henriot, Magistrat honoraire

L'essentiel
Introduit dans un contexte qui n'en favorise guère la réception par le juge chargé de son application, le barème impératif plafonnant
l'indemnisation du licenciement injustifié se heurte à de sérieuses objections. L'objectif de sécurisation de la relation contractuelle
avancé par ses promoteurs peine à convaincre un juge attaché à assurer l'effectivité de la loi des parties comme l'ordre public de
protection qui irrigue le droit du licenciement. En gommant au surplus la réalité du préjudice résultant de l'éviction de l'emploi, le
barème contrarie le sens de l'application du droit d'un juge prud'homal particulièrement réceptif aux réalités de la relation de travail
subordonné.

Le barème trouve-t-il naturellement et aisément sa place dans le référentiel que le juge mobilise pour y puiser les éléments
de motivation, en droit, de ses décisions ? Telle pourrait être la question que le thème de « la réception du barème par le
juge » invite à examiner, celle, en somme, de sa compatibilité avec le système de droit positif dans lequel il est censé
s'intégrer.

Comme le laissent entendre aussi bien la controverse qui se développe en doctrine que les premiers frémissements de la
jurisprudence prud'homale (1), il semble que l'intégration du barème dans la boîte à outils du juge n'aille pas de soi - et
c'est un euphémisme. Témoignent d'une certaine fébrilité des pouvoirs publics face aux nuages qui s'accumulent, les
instructions du directeur des affaires civiles et du Sceau invitant les procureurs généraux à l'informer des décisions
rendues dans leur ressort et à se faire communiquer celles ayant fait l'objet d'un appel « afin de pouvoir intervenir en
qualité de partie jointe pour faire connaître l'avis du parquet général sur cette question d'application de la loi » (2).
Simple montée de fièvre temporaire ou annonce d'un rejet de la greffe par l'organisme ? La Cour de cassation donnera au
barème, le moment venu, l'onction de la conventionnalité ou... l'extrême-onction, comme elle l'avait fait pour le tristement
célèbre contrat « nouvelles embauches » (3), après que le conseil de prud'hommes de Longjumeau lui eut porté les
premiers coups. Dans l'attente, on ne pourra que s'essayer à un diagnostic, autrement dit tenter d'évaluer la nature et la
hauteur de quelques-uns des obstacles auxquels la réception du barème par le juge paraît se heurter. Avant d'examiner
certaines des difficultés, inhérentes au dispositif lui-même, que cette réception suscite, il paraît toutefois nécessaire de
prêter un instant attention au contexte dans lequel elle intervient : il se pourrait bien, en effet, qu'il ne soit pas totalement
étranger aux résistances rencontrées.

I. - Le contexte : un climat de défiance


L'arrivée du barème n'a rien du coup de tonnerre dans un ciel clair. Il prend place, au contraire, dans un profond
remaniement, par étapes, du corpus de règles régissant les relations de travail, de leurs sources, de leur articulation comme
de leur contenu. Le barème qui nous occupe, issu de l'ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations
de travail (4), a au surplus été précédé de diverses tentatives d'introduction - que ce soit sous une forme incitative (5)
ou impérative (6) - avec plus ou moins de succès, mais toujours accompagnées d'un discours qui en désignait clairement
l'inspiration et les objectifs : « La soumission du droit du travail contemporain a[#768] un mode[#768]le
e[#769]conomique dont la raison vient concurrencer sa propre rationalite[#769] » (7). Ces éléments de contexte sont
d'autant moins étrangers à la question de la réception du barème par le juge que transpire de ce complet remaniement de
l'ordonnancement juridique une défiance tenace à l'égard, précisément, de ce juge qui en est l'interprète institutionnel. Ces
préventions se lisent tant dans les évolutions du droit positif que dans les discours de leurs promoteurs. S'agissant des
premières, on soulignera d'abord le rétrécissement progressif des capacités d'accès au juge - avec le raccourcissement
drastique des délais de prescription ou encore l'évolution à marche forcée de la procédure prud'homale vers une procédure
écrite - tout comme celui du champ dans lequel il exerce son pouvoir d'appréciation. À la rupture conventionnelle, qui met
une part considérable des ruptures des relations de travail à l'abri de son regard ou presque, on ajoutera deux exemples de
la volonté de le neutraliser. Tel est bien l'effet recherché, d'abord, par la disposition de la loi du 8 août 2016 (8) qui pré-
constitue le motif économique de licenciement par la seule référence à l'évolution d'un indicateur chiffré, par comparaison
avec l'année antérieure, et qui aboutit à une « neutralisation du juge, pris dans un entonnoir interprétatif et cantonné au
rôle d'agent mécanique d'application d'une règle fondée sur des inscriptions comptables » (9). C'est encore à la même
logique que sacrifient les dispositions de l'article L. 2254-2 du code du travail issues de l'ordonnance relative au
renforcement de la négociation collective (10), en pré-constituant la cause réelle et sérieuse du licenciement du salarié
ayant refusé l'application d'un accord conclu « afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ».
Ainsi des pans entiers du contentieux de la rupture du contrat - dont on sait la place centrale dans le contentieux des litiges
individuels du travail - échappent-ils progressivement au juge ou sont-ils placés hors d'atteinte de son pouvoir
d'appréciation (11). Les conditions dans lesquelles la réforme de la justice prud'homale a été engagée ont également
témoigné de cette défiance envers le juge (12). Précédée de plusieurs rapports pointant ce qui était présenté comme des
carences ou des dysfonctionnements de l'institution (13), elle a fait l'objet d'une sorte d'offre publique d'achat (OPA) du
ministre de l'Économie de l'époque pour l'intégrer dans la loi pour la croissance et l'activité (14). Cette opération avait
d'ailleurs elle-même été précédée d'une note de la direction du Trésor d'une objectivité douteuse affirmant que « le
traitement des contentieux en droit du travail présente des faiblesses susceptibles de peser sur les coûts du licenciement »
(15). L'objectif, à peine voilé, était d'y introduire un échevinage sinon systématique du moins largement installé et
présenté, mezzo voce, comme un palliatif d'un déficit de compétence des conseillers prud'hommes. Une disposition aussi
discrète qu'astucieuse lui assurait un développement prometteur en prévoyant qu'en cas de partage de voix, au sein du
bureau de conciliation, sur une demande de renvoi de l'affaire devant la formation présidée par le juge professionnel, cette
orientation s'opérerait de plein droit. N'a finalement survécu, à l'issue des débats parlementaires, que la simple faculté de
renvoyer l'affaire à cette formation par accord des deux conseillers (16). La suspicion à l'égard des conseillers
prud'hommes que cet aspect de la réforme, comme bien d'autres, avait révélée a néanmoins laissé des traces profondes et
durables. Il est symptomatique à cet égard que cette faculté de recourir au juge professionnel, même regardée comme une
simple aide à la décision, ne soit que très peu utilisée, si ce n'est systématiquement rejetée par les conseils de
prud'hommes. Et il est plus symptomatique encore qu'elle ne l'ait pas été, jusqu'à maintenant, par ceux qui ont déjà eu à se
prononcer sur la conventionnalité du barème, alors même que la faculté d'y recourir a été présentée comme le moyen
d'affronter des questions de droit nouvelles, sans attendre que le bureau de jugement, démuni face à la difficulté, se
déclare en partage de voix. La défiance à l'égard de la justice du travail s'est enfin manifestée dans l'argumentaire qui a été
mobilisé par les pouvoirs publics pour justifier l'introduction du barème. Outre l'invocation de la sécurité juridique, sur
laquelle on reviendra, l'étude d'impact du projet de loi d'habilitation croyait ainsi pouvoir se saisir de l'amplitude du
montant des dommages-intérêts alloués par les cours d'appel (500 € à 610 000 €, soit un écart de 1 à 60) pour en tirer la
conclusion, en réalité absurde, qu'elle faisait ressortir une inégalité de traitement des justiciables suivant les juridictions
saisies (17). En d'autres termes, c'était relayer la critique rampante selon laquelle les décisions des juridictions sociales
relèveraient de la loterie. Et c'est plus largement accréditer l'idée, potentiellement dévastatrice de la confiance dans les
juges, que si leurs décisions sont imprévisibles, c'est donc bien qu'elles seraient irrationnelles. Cerise sur le gâteau, le
commentaire surplombant, pour ne pas dire méprisant, d'un représentant du ministère du Travail qui accueillait les
premières décisions invalidant le barème, celles du conseil de prud'hommes de Troyes, en suggérant qu'elles « posaient à
nouveau la question de la formation juridique des conseillers prud'homaux », n'a pas contribué à dissiper un climat de
défiance déjà solidement installé (18). C'est donc dans ce contexte relativement pesant qu'intervient la réception par le
juge d'une réforme qui, s'agissant de l'évaluation et de l'indemnisation du préjudice né du licenciement sans cause réelle et
sérieuse, réduit son office à une opération quasi arithmétique, tant reste étroite la marge d'appréciation qui lui est
concédée. Quant aux difficultés que le dispositif suscite, le propos s'articulera autour de deux considérations qui,
ensemble, contribuent à asseoir la légitimité du juge et singulièrement du juge prud'homal auquel il incombe, au premier
chef, d'évaluer l'adaptabilité du barème à son environnement textuel, à son biotope. Comme tous les juges, il accueille
d'abord la réforme en pleine conscience des exigences de sa mission, qui consiste, avant toute autre chose, à faire
prévaloir la légalité dans un État de droit. C'est au prisme de cet impératif que seront d'abord examinées les difficultés
suscitées par la réception du barème (II). Mais il la reçoit également en mobilisant les qualités attendues de cette
institution originale qu'est la prud'homie : la connaissance intime des relations de travail, des logiques antagonistes à
l'oeuvre dans les litiges dont elles sont porteuses et, partant, des exigences particulières de justice que requiert leur
dénouement. Il s'agira alors de voir en quoi et comment ce profil particulier peut influencer la réception du barème par le
juge (III).

II. - Un juge garant de la légalité dans un État de droit


Il pourra paraître surprenant de questionner l'introduction du barème sur le terrain, élevé, de la mission du juge et, au
surplus, à ce niveau à la fois très général et très exigeant qu'évoque la référence à un État de droit. À première vue, elle ne
semble devoir affecter que ses pouvoirs - l'amputant de celui qui consiste à fixer le montant de l'indemnisation due à
raison d'un comportement fautif - sans que rien n'indique, pour autant, que sa mission s'en trouverait affectée. Pourtant,
l'impact du barème ne peut être évalué au seul prisme des pouvoirs du juge si l'on veut bien admettre qu'il n'en est doté
que pour les mettre au service d'une mission, celle qui consiste à rendre justice à ceux qui le saisissent. De sorte que la
question est moins de savoir quelle est l'incidence du barème sur les pouvoirs du juge - elle est aisément lisible - que de
savoir quelle est l'incidence de cette restriction de ses pouvoirs sur l'exercice de sa mission (19). L'enjeu est alors
d'évaluer si, entre simple réaménagement de son office ou remise en cause de sa fonction, la réforme ne s'opère pas au
risque de compromettre le rôle de garant de la légalité (A) qui est le sien dans un État de droit (B).

A - Faire prévaloir la légalité

La portée de cette exigence peut se décliner dans deux registres : celui de la mission, générale, du juge du contrat, d'une
part, celui de la mission, particulière, du juge du contrat de travail, de l'autre. Pour le juge du contrat, préserver la légalité
c'est s'attacher à donner toute leur efficience à l'ensemble des droits et obligations propres à une relation contractuelle
considérée, de telle sorte que l'effectivité de la loi des parties soit assurée (20). Son intervention tend ainsi à garantir que
chaque partie puisse retirer du contrat les bénéfices qu'elle en attendait légitimement, y compris en cas de contestation ou
de défaillance de son cocontractant. C'est donc la sécurité de la relation contractuelle qui est ici en question et
singulièrement la sécurisation de sa rupture qui en est l'une des conditions essentielles. Or il se trouve que c'est
précisément cet objectif qui a été abondamment invoqué pour justifier l'introduction du barème. Si bien que, pour s'en
emparer sans inquiétude ni réticence, le juge sera naturellement enclin à vérifier qu'il assure bien la fonction de
sécurisation annoncée. À défaut, l'outil mis entre ses mains par le législateur pourrait s'avérer contre-productif, voire
antinomique des principes qui guident son intervention. Et c'est précisément là, déjà, que le bât blesse, car il ne faut pas
chercher bien longtemps pour découvrir que la sécurisation qui est attendue du barème ne profite qu'à d'une seule des deux
parties : l'employeur, comme plusieurs auteurs l'ont déjà souligné (21). Au demeurant, si elle est inhérente au principe
même du plafonnement de l'indemnisation, cette sécurisation à sens unique peut également se déduire de l'architecture
propre au barème considéré. Ainsi, en pénalisant les salariés justifiant de la plus grande ancienneté, donc les plus âgés,
celui qui nous occupe montre-t-il que « le législateur s'est placé du seul point de vue de l'entreprise » (22). La mise à
jour de cette conception dévoyée de la sécurité contractuelle que consacre l'introduction du barème fragilise
considérablement le raisonnement par lequel le Conseil constitutionnel a cru pouvoir valider le dispositif. Il a en effet
considéré qu'il poursuit un but d'intérêt général en ce sens que « le législateur a entendu renforcer la prévisibilité des
conséquences qui s'attachent à la rupture du contrat de travail » (23). Pourtant, la prévisibilité des conséquences de la
rupture ne sécurise évidemment que celui qui en prend l'initiative, autrement dit celui qui prend la décision de licencier. Si
bien que la sécurité - autant économique que juridique - qui découle de l'existence d'un barème normalisant le mécanisme
de réparation de la rupture fautive ne relève pas de l'intérêt général mais d'un intérêt partisan, au sens où il est celui d'une
seule des parties au contrat. Autant dire que le Conseil n'a pas craint d'admettre que l'intérêt général puisse, ici, se
dissoudre tout entier dans un intérêt catégoriel. Faudrait-il s'étonner, dès lors, que le juge soit réticent, au moment de
s'emparer du barème, à prêter la main à une opération de sécurisation univoque, qui plus est au bénéfice de celle des
parties qui se libère de ses engagements en violation de la loi ? Certes, un objectif plus lointain, en arrière-plan de
l'objectif de sécurisation de la rupture, tente de venir au soutien de l'instauration d'un barème impératif. Pour en valider le
principe - tout en censurant la référence à l'effectif de l'entreprise quant à ses modalités d'application - le Conseil
constitutionnel s'y était primitivement référé en soulignant qu'il s'agirait de « favoriser l'emploi en levant les freins à
l'embauche » (24). Le motif d'intérêt général qu'il mobilisait ainsi était sans doute moins suspect de partialité. Mais outre
qu'il n'entretient qu'un rapport assez indirect avec l'instauration du barème - par un raisonnement qui fait dépendre la
décision d'embaucher de considérations propres aux conséquences financières d'un licenciement - la réalisation de cet
objectif, quoique d'intérêt général, s'avère au surplus hypothétique : le raisonnement selon lequel la première serait
encouragée, sinon déterminée, par le plafonnement des secondes relève d'un pari, jamais vérifié (25). À supposer même
que le pari soit gagnant, chacun voit bien que c'est à une finalité socio-économique - la réduction du chômage - qu'obéit ce
raisonnement. De sorte que le barème asservit le droit du licenciement aux objectifs des politiques de l'emploi au prix
d'une sorte de privilège exorbitant accordé à l'une des deux parties au contrat, sécurisée par avance quant aux
conséquences financières d'une rupture fautive et, ainsi, mise à l'abri de l'aléa judiciaire. Quoi de plus déstabilisant, à
nouveau, pour le juge, qu'un dispositif aussi manifestement contraire aux équilibres du procès équitable qui constituent la
matrice de son intervention. Car ce que postule et renferme l'équité du procès, outre l'égalité des armes, c'est aussi l'égalité
des chances des parties face aux incertitudes inhérentes à l'interprétation de la règle de droit et à son application dans les
circonstances propres à chaque espèce qui relèvent toutes deux de l'office du juge.

La difficulté à se saisir du barème s'accroît encore pour le juge du contrat de travail, dont la fonction de garant de la
légalité prend ici une dimension particulière. Il s'agit bien entendu, là encore, d'assurer l'effectivité des règles encadrant la
conclusion, l'exécution et la rupture du contrat de travail comme des équilibres qu'elles tentent de préserver. Mais il s'agit
de remplir cette mission dans le contexte spécifique d'un contrat qui consacre la subordination juridique de l'une des deux
parties (26). C'est pourquoi l'objectif ne sera atteint que si est assurée l'effectivité du principe posé en 1973 d'un
licenciement qui doit être causé : garantie essentielle pour le salarié et corollaire des pouvoirs reconnus à l'employeur, il
constitue la pierre angulaire des relations contractuelles qui les unissent. À rebours de cet impératif, le plafonnement de
l'indemnisation du licenciement injustifié permet à l'employeur d'anticiper le coût d'une rupture, même fautive, du contrat
de travail et dilue, du même coup, l'exigence d'un motif réel et sérieux de licenciement. En fixant par avance le prix de la
violation de la loi qui exige qu'un licenciement ne puisse être prononcé que pour un motif réel et sérieux, non seulement le
barème banalise la rupture du contrat de travail, la réduisant à un pur acte de gestion, mais il désactive la protection du
salarié contre le risque d'une rupture injustifiée, élément essentiel de l'équilibre contractuel (27). Là encore, c'est à juste
titre que le juge, garant de l'ordre public de protection concentré dans l'exigence du motif réel et sérieux de licenciement,
hésitera à se soumettre au barème, conscient des conséquences ultimes d'une mesure pourtant présentée sous le jour
vertueux de la promotion de l'emploi.

B - ... dans un État de droit

Générale et abstraite, la référence à l'immersion du juge dans un État de droit fait écho à deux aspects, étroitement
imbriqués, des difficultés que suscite, pour lui, la réception du barème. Un État de droit c'est celui, notamment, dans
lequel la séparation des pouvoirs est assurée et dans lequel il revient au juge de sanctionner les violations de la règle de
droit. L'une des questions posées par le barème est donc de savoir si, en fixant lui-même les bornes de la réparation due
dans tous les cas où sera constaté un licenciement injustifié, quelle que soit la situation considérée ou presque, le
législateur n'a pas empiété sur les pouvoirs du juge judiciaire. On conviendra à titre liminaire, que compte tenu du niveau
des maxima prévus par le barème, la marge d'appréciation laissée au juge semble bien n'avoir vocation qu'à lui concéder
un faux-semblant de pouvoir. Mais la question centrale, au regard du principe de séparation des pouvoirs, tient au niveau
du plafonnement des dommages-intérêts résultant de l'application du barème, quelle que soit, par ailleurs, la marge de
manoeuvre laissée au juge en deçà de ce plafond. Car si ce niveau devait se révéler systématiquement inférieur au niveau
d'indemnisation qui résulterait d'une évaluation judiciaire du préjudice, alors il faudrait bien admettre qu'en soumettant le
juge à de tels maxima, le législateur se substituerait bien à lui dans l'exercice de sa mission. À s'en tenir aux données
disponibles quant aux calculs qui ont présidé à la détermination des plafonds d'indemnisation, il paraît difficile de vérifier
dans quelle proportion ils ont vocation à s'imposer, autrement dit si le juge aurait toujours été conduit à déterminer une
indemnisation supérieure au regard de la réalité du préjudice subi. Selon le Conseil constitutionnel, « il ressort des travaux
préparatoires que ces montants ont été déterminés en fonction des "moyennes constatées" des indemnisations accordées
par les juridictions » (28). Il semble bien qu'il se réfère là aux indications fournies par l'étude d'impact de la loi
d'habilitation, reposant elles-mêmes sur « une étude menée par le ministère de la Justice en mai 2015 sur 401 arrêts rendus
par les chambres sociales des cours d'appel au mois d'octobre 2014 » (29). Si les modalités d'exploitation de ces résultats
restent relativement vagues et incertaines, il faut comprendre que l'indemnisation moyenne serait devenue l'indemnisation
maximale (30). Rien n'est dit pour autant de la ventilation de ces 401 litiges en deçà et au-delà du plafond fixé par le
barème dans chaque cas et, partant, de son impact réel sur la mission du juge. Beaucoup plus parlante, à cet égard, s'avère
l'étude réalisée sur les cours d'appel de Grenoble et Chambéry, par le Centre de recherche juridique de l'université Rhône
Alpes dans le cadre de la mission de recherche « Droit et justice ». Comparant les dommages-intérêts accordés par les
chambres sociales de ces deux cours d'appel dans 587 décisions avec ceux qui résulteraient de l'application du barème,
elle révèle que les premiers sont supérieurs aux seconds dans deux tiers des cas (31). Autant dire, donc, que le
législateur a prédéfini le montant du préjudice réparable en cas de licenciement injustifié - se substituant ainsi à la mission
du juge - dans la même proportion, considérable, de deux tiers des litiges. Certes, le Conseil constitutionnel n'a pas vu de
difficultés à cet empiétement, jugeant, par un argument de pure autorité, que « le principe de la séparation des pouvoirs
n'implique pas que le législateur s'abstienne de fixer un barème obligatoire pour la réparation d'un préjudice causé par une
faute civile » (32). Mais chacun sait que le contrôle de conformité de la loi aux engagements internationaux de la France
lui échappe. C'est à cet égard qu'intervient la deuxième dimension de l'État de droit, qui veut que l'effectivité des droits
soit garantie, notamment, par la hiérarchie des normes, laquelle confère aux traités internationaux une place éminente.
L'introduction du barème a ainsi mis sur la sellette, au nombre des engagements internationaux de la France, la Charte
sociale européenne, d'une part et la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), d'autre part,
imposant toutes deux que les salariés licenciés sans motif valable aient droit à une indemnité « adéquate ». Sans s'étendre
plus avant sur la question de l'invocabilité ou de l'effet direct de ces conventions (33), on s'arrêtera un instant sur le sens
à donner à l'exigence d'une indemnité « adéquate » et sur les enseignements à en tirer quant aux missions respectives du
législateur et du juge dans un État de droit. Il faut bien admettre, à cet égard, que la notion d'adéquation contient en elle-
même l'exigence d'une adaptation, c'est-à-dire d'une prise en compte des aspects particuliers, individualisés de la situation
sur laquelle un agent quelconque se propose d'intervenir. C'est ce que confirme la définition du terme proposée par le
Larousse (« Qui correspond parfaitement à son objet ; approprié, adapté »), elle-même confortée par son étymologie (ad-
aequatus : rendu égal). Ainsi, pour être adaptée à son objet, l'indemnisation doit-elle être égale au préjudice et à tout le
moins ne peut-elle être, par nature, ni uniformisée ni déterminée in abstracto. De cette exégèse du terme, on retirera
également qu'en exigeant une indemnité adéquate, ces deux conventions dessinent en creux la frontière en deçà et au-delà
de laquelle se répartissent les missions respectives du législateur et du juge : au premier de fixer les règles générales et
abstraites qui gouvernent la réparation du préjudice dans le régime de la responsabilité civile, au second d'en faire une
application adaptée à chacune des situations particulières qui lui sont soumises. N'y a-t-il donc pas, là encore, matière à
s'interroger pour le juge qui voit surgir un barème prédéterminé par le législateur et uniformisant à ce point le préjudice
réparable, dont il avait jusqu'à présent pour mission de soupeser les composantes et de fixer le montant ? Le trouble est
peut-être plus grand encore pour le juge prud'homal, instruit par sa connaissance de la relation de travail subordonné de la
variété et de l'intrication des différents éléments du préjudice né d'un licenciement.

III. - Un juge intime connaisseur de la relation de travail salarié


C'est à ce prisme, également, que s'effectue la réception du barème par les conseils de prud'hommes. À l'expérience de la
vie de l'entreprise est liée celle des conflits qui peuvent s'y nouer, des risques auxquels chacune des parties s'expose, des
issues amiables ou contentieuses qui peuvent être trouvées à ces conflits. Autant dire que les conseils de prud'hommes
n'ignorent rien du potentiel de déstabilisation que renferme toute rupture non consentie du contrat de travail. Et autant dire
qu'ils sont à ce titre particulièrement réceptifs au risque que renferme l'application d'un barème : celui d'écarts majeurs
entre l'étendue du préjudice subi par celui qui leur en demande justice et le montant de la réparation que la loi leur impose
(34). Avec le barème issu des ordonnances, le risque est doublement présent. Il est d'abord consubstantiel à tout barème.
Parce que sa conception et sa construction se réfèrent nécessairement à des moyennes, le barème gomme du même coup
les écarts constatés, d'une situation à l'autre, dans « la vraie vie », ceux précisément qui exigent que pour être « adéquate
», l'indemnisation soit adaptée à ces situations diverses. C'est ce biais « ontologique » du barème que le Conseil
constitutionnel a refusé de voir en relevant, pour décider qu'il « ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits des
victimes », que les plafonds en ont été déterminés par référence aux moyennes des indemnisations accordées par les
juridictions. Certes, dans sa généralité, le raisonnement peut sembler cohérent : la corrélation à une « moyenne » exclut la
disproportion, en tout cas manifeste. Transposé, en revanche, à l'examen de la situation personnelle de chaque victime, il
relève alors d'une sorte d'escroquerie intellectuelle. Car il importe peu à la victime d'un licenciement injustifié de savoir
que l'indemnité qui lui est allouée se situe dans la moyenne constatée, lorsque le préjudice qu'elle sait avoir objectivement
subi s'en éloigne considérablement du fait de son âge, de sa qualification, de la situation de l'emploi dans le secteur
géographique et la branche considérés ou de tout autre facteur de nature à retarder son retour à l'emploi. En occultant les
droits de la victime pour ne considérer que ceux des victimes, globalement et indistinctement regardées, le Conseil laisse
ainsi au bord du chemin toutes celles qui n'auront pas la chance de se trouver « dans la moyenne » mais dont la situation
révélera, au contraire, un écart « manifeste » à cette moyenne. Et il est clair que ces biais se révéleront tout spécialement
préjudiciables aux salariés les plus vulnérables, ceux qui requièrent précisément une attention particulièrement soutenue et
individualisée (35). Le risque d'une distorsion entre préjudice et indemnité est encore majoré par la conception même du
barème, exclusivement fondé sur un critère d'ancienneté qui se révèle « fruste » (36) et inadapté. Certes, une certaine
faveur lui est accordée dans les motivations des juges. Il serait pourtant hâtif d'en déduire que l'ancienneté serait, à leurs
yeux, le marqueur prioritaire ou le plus sûr de l'étendue du préjudice causé par le licenciement. En réalité, il est avant tout
celui dont l'identification est la plus aisée au regard des éléments d'information contenus dans les dossiers. À l'inverse, les
éléments tenant à d'autres aspects de la situation personnelle du salarié y sont moins souvent présents ou accessibles,
quand bien même ils seraient généralement plus révélateurs de l'étendue du préjudice. Ainsi la pratique des magistrats,
comme celle, parfois, des avocats, ne souligne-t-elle l'attractivité du critère de l'ancienneté que par l'effet d'un penchant,
regrettable mais compréhensible, pour une donnée simplificatrice quoique réductrice. Pour autant, l'ancienneté ne peut se
substituer, dans la recherche d'un critère directement corrélé au préjudice, à ce qui en fait le coeur, l'élément dominant :
l'éviction de l'emploi. La baisse - ou la perte, selon les cas - de revenus qu'elle génère se double de « dommages
considérables » (37). Si bien que l'étendue du préjudice se mesure avant tout au délai de retour à l'emploi... que le
barème ignore totalement. Ainsi le pragmatisme et la recherche de l'équité qui colorent l'application du droit à laquelle se
consacrent les conseillers prud'hommes sont-ils contrariés par un dispositif impératif dont l'application ne laisse aucune
place à ces vertus. Au-delà, c'est l'entorse à une conception simple et robuste de l'égalité qui est ressentie : celle qui veut
que des personnes placées dans une situation différente au regard d'un même événement ne soient pas traitées de manière
uniformisée mais au contraire différenciée, adaptée. Certes, une fois de plus le Conseil constitutionnel se dérobe en
refusant de consacrer cette conception de l'égalité : « Le principe d'égalité n'impose pas au législateur de traiter
différemment des personnes placées dans des situations différentes » (38). Mais, là encore, la Charte sociale devrait
suppléer les carences des « sages » de la rue Montpensier : en posant l'exigence d'une indemnité « adéquate », elle satisfait
l'exigence d'une égalité réelle plutôt que formelle. Au demeurant, c'est bien le chemin qu'a déjà emprunté la Cour
constitutionnelle italienne (39). Pour sanctionner, au regard du principe d'égalité consacré à l'article 3 de la Constitution
italienne, le mécanisme qui fixe le montant de l'indemnité due au salarié en cas de licenciement illégitime à une somme
comprise entre six mois et trente-six mois de salaire brut en fonction de l'ancienneté du travailleur, elle relève qu'en
excluant la possibilité pour celui-ci de prouver avoir subi des dommages plus importants, il traite indistinctement tous les
salariés ayant la même ancienneté de service sans que le juge puisse apprécier leur situation réelle. Ainsi, en conduisant à
ce que deux salariés ayant des préjudices distincts perçoivent la même indemnité, ce mécanisme contrevient-il au principe
d'égalité (40).

Instruit par l'expérience qui forge sa conception de la justice, le juge répugne à soumettre à une toise arbitraire l'évaluation
d'un préjudice dont il sait pertinemment qu'il associe plusieurs composantes dans une combinatoire complexe et par nature
rétive à toute normalisation. Il répugne à substituer les chiffres froids d'une prétendue rationalité économique à la réalité
de situations douloureusement vécues par des femmes et des hommes. Il répugne à devoir prêter paradoxalement la main,
dans un contexte général de montée en puissance des droits des victimes, à la consécration d'une catégorie de victimes au
rabais. Il ne serait donc ni surprenant ni injustifié que, respectueux de la hiérarchie des normes, les juges fassent prévaloir
le principe d'individualisation de la réparation qui est tout entier contenu dans l'exigence d'une indemnité « adéquate » et
que, sur le fondement de cette exigence, ils écartent l'application d'un barème qui lui apparaît irréductiblement contraire.

Mots clés :
LICENCIEMENT * Indemnité de licenciement * Licenciement sans cause réelle et sérieuse * Barème d'indemnisation
* Mission du juge * Impact

(1) V. not. Cons. prud'h. Troyes, sect. activités diverses, 13 déc. 2018, n° 18/0003 ; Cons. prud'h. Grenoble, sect. activités
diverses, 4 fe[#769]vr. 2019, n° 18/01050 ; Cons. prud'h. Agen, sect. industries, de[#769]partage, 7 fe[#769]vr. 2019,
n° 18/00049. V. égal., attestant de l'intensité de la polémique : P. Morvan, Le barème d'indemnités Macron contraire au
droit international ?, 18 déc. 2018, qui qualifie cette jurisprudence de « virale », autrement dit « épidémique et
délibérément nuisible au droit positif qu'elle cherche à abattre » (http://patrickmorvan.over-blog.com/2018/12/le-bareme-
d-indemnites-macron-contraire-au-droit-international.html).

(2) Circ. n° C3/2019/0006558, 20 févr. 2019. Pareille mobilisation du ministère public devant les juridictions sociales ne
s'était pas vue depuis fort longtemps, soulignant l'inquiétude qui se fait jour.

(3) Soc., 1er juill. 2008, n° 07-44.124 , Bull. civ. V, n° 146 ; D. 2008. 1986 , obs. S. Maillard ; ibid. 2009. 191, obs.
Centre de recherche en droit social de l'Institut d'études du travail de Lyon (CERCRID, Université Jean Monnet de Saint-
Etienne - Université Lumière Lyon 2/UMR CNRS 5137) ; Just. & cass. 2010. 345, étude Messad Baloul ; RDT 2008.
504, avis J. Duplat . La mise à mort avait néanmoins été prononcée quelques jours auparavant par l'art. 9 de la loi
n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, abrogeant l'art. 2 de l'ordonnance n° 2005-893
du 2 août 2005, devenu l'art. L. 1223-4 du code du travail.

(4) Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017, ratifiée par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018.

(5) Décr. n° 2016-1581, 23 nov. 2016, portant fixation du référentiel indicatif d'indemnisation prévu à l'art. L. 1235-1 du
code du travail.

(6) Loi pour la croissance, l'activite[#769] et l'e[#769]galite[#769] des chances e[#769]conomiques, art. 266,
censure[#769] par Cons. const., 5 aou[#770]t 2015, n° 2015-715 DC, AJDA 2015. 1570 ; D. 2016. 807, obs. P. Lokiec
et J. Porta ; ibid. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Constitutions 2015. 421, chron. A. Fabre ; RTD
com. 2015. 699, obs. E. Claudel .

(7) G. Bargain et T. Sachs, La tentation du barème, RDT 2016. 251 .

(8) L. n° 2016-1088, 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours
professionnels, art. 67, modifiant l'art. L. 1233-3 du code du travail.

(9) C. Wolmark, Les difficultés économiques à l'épreuve du droit à l'emploi, RDT 2016. 764 .
(10) Ord. n° 2017-1385, 22 sept. 2017.

(11) V. not. M. Grévy et P. Henriot, Le juge judiciaire, ce gêneur..., RDT 2013. 173 ; F. Batard et M. Grevy, Securitas
omnia corrumpit, RDT 2017. 663 .

(12) Pour une vue d'ensemble sur cette réforme v. not. A. Bugada, État des lieux des réformes de la justice prud'homale et
questions d'actualité, JCP S 2016. 1283 ; P. Henriot, Ne rien changer (ou presque) pour que tout change : que reste-t-il de
la prud'homie ?, RDT 2017. 143 .

(13) Les juridictions du XXIe siècle, rapport du groupe de travail pre[#769]side[#769] par Didier Marshall, premier
pre[#769]sident de la cour d'appel de Montpellier, déc. 2013 ; L'avenir des juridictions du travail : vers un tribunal
prud'homal du XXIe siècle, rapport d'Alain Lacabarats, président de chambre à la Cour de cassation, juill. 2014 ; P.
Henriot, Du rapport Lacabarats au projet de loi Macron : comment neutraliser la prud'homie, Sem. soc. Lamy, 24 nov.
2014.

(14) L. n° 2015-990, 6 août 2015.

(15) Le traitement des litiges en droit du travail : constats et perspectives économiques, Trésor-Éco, n° 137, oct. 2014.

(16) C. trav., art. L. 1454-1-1.

(17) Étude d'impact de la loi n° 2017-1340 du 15 sept. 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le
renforcement du dialogue social : « Ces écarts ne s'expliquent pas par les seules différences de salaire et
d'ancienneté[#769] des salariés dans l'entreprise. Ils traduisent notamment des traitements différenciés par les juges dans
des situations comparables » (p. 36). Le barème aurait donc pour fonction de « renforcer l'égalité de traitement devant la
justice » (p. 55).

(18) Il a justifié la publication, le 20 déc. 2018, d'un communiqué de presse cosigné par les président et vice-président du
conseil de prud'hommes de Troyes, qui dénonçaient un commentaire « mettant en cause [leur] autorité, [leur] compétence
et le principe de la séparation des pouvoirs ».

(19) En ce sens : P. Lokiec, Le barème s'attaque au coeur de la fonction de juger, Sem. soc. Lamy, 18 fe[#769]vr. 2019. 4.

(20) C. civ., art. 1103 : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

(21) V. not. T. Sachs, Quand la sécurité juridique se perd dans l'analyse économique, Dr. soc. 2015. 1019 .

(22) J. Mouly, L'indemnisation du licenciement injustifié à l'épreuve des normes supra-légales, Dr. ouvrier 2018. 440.
(23) Cons. const., 7 sept. 2017, n° 2017-751 DC , Constitutions 2017. 401, chron. P. Bachschmidt , Loi d'habilitation à
prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

(24) Ibid.

(25) L'impact sur le cho[#770]mage des dispositions visant a[#768] se[#769]curiser les licenciements reste largement
inde[#769]termine[#769] ; en ce sens, v. A. Eydoux et A. Fretel, Re[#769]formes du marche[#769] du travail, des
re[#769]formes contre l'emploi, note disponible sur www.atterres.org. Les auteurs se re[#769]fe[#768]rent aux doutes
notamment e[#769]mis par l'OFCE. Plus généralement, selon la note de conjoncture publiée par l'Insee le 20 juin 2017, les
embauches sont essentiellement freine[#769]es par l'incertitude sur la situation e[#769]conomique (barrie[#768]re
cite[#769]e par 28 % des entreprises), la difficulte[#769] a[#768] trouver de la main-d'oeuvre compe[#769]tente (27 %
des entreprises) et un cou[#770]t de l'emploi juge[#769] trop e[#769]leve[#769] (23 % des entreprises), la réglementation
du marche[#769] de l'emploi n'intervenant qu'en quatrième position, citée par 18 % des entreprises faisant état de freins à
l'embauche (lesquelles représentent la moitié environ de l'ensemble des entreprises), Insee, Éclairage - Que nous disent les
entreprises sur les barrières à l'embauche ?, note de conjoncture, 20 juin 2017.

(26) Civ., 6 juill. 1931, Bardou, DP 1931 1. 131, note P. Pic, toujours d'actualité.

(27) En ce sens, P. Lokiec, préc. : « Si la rupture injustifie[#769]e perd son caracte[#768]re dissuasif, c'est tout le droit de
l'exe[#769]cution du contrat de travail, peut-e[#770]tre me[#770]me la force obligatoire du contrat, qui est impacte[#769],
a[#768] commencer par le droit de la modification du contrat ». Pour M. Grevy, préc., « le barème parachève la
déconstruction du droit du travail envisagé comme un ensemble de règles encadrant l'exercice d'un pouvoir... ».

(28) Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC , Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi
n° 2017-1340 du 15 sept. 2017, D. 2018. 2203, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2018. 677, tribune C. Radé ; ibid.
682, étude B. Bauduin ; ibid. 688, étude A. Fabre ; ibid. 694, étude Y. Pagnerre ; ibid. 702, étude J. Mouly ; ibid.
708, étude P.-Y. Verkindt ; ibid. 713, étude G. Loiseau ; ibid. 718, étude D. Baugard et J. Morin ; ibid. 726, étude
C. Radé ; ibid. 732, étude P.-Y. Gahdoun ; ibid. 739, étude Linxin He ; RDT 2018. 666, étude V. Champeil-
Desplats .

(29) Étude d'impact de la loi n° 2017-1340 du 15 sept. 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le
renforcement du dialogue social, p. 37.

(30) En ce sens, J. Mouly, La barémisation des indemnités prud'homales : un premier pas vers l'inconventionnalité ?, Dr.
soc. 2019. 122 .

(31) 64,4 % précisément, contre 11,9 % d'indemnisations équivalentes et 23,6 % d'indemnisations inférieures.

(32) Cons. const., 7 sept. 2017, n° 2017-751 DC , Constitutions 2017. 401, chron. P. Bachschmidt .
(33) V., J. Mouly, La barémisation des indemnités prud'homales : un premier pas vers l'inconventionnalité ?, préc.

(34) Sur l'ensemble de la question, v. Préjudices et indemnisation en droit social, colloque de l'institut du travail de
Bordeaux, Dr. ouvrier 2015, spéc. les contributions de C. Radé, Préjudices et indemnisation : à la croisée des disciplines,
et C. Wolmark, Réparer la perte d'emploi - à propos des indemnités de licenciement.

(35) J. Mouly, L'indemnisation du licenciement injustifié à l'épreuve des normes supra-légales, préc.

(36) C. Wolmark, L'encadrement de l'indemnisation du licenciement injustifié, Dr. ouvrier 2017. 736.

(37) « L'impact du chômage sur les personnes et leur entourage », avis du Conseil économique, social et environnemental
sur le rapport présenté par Mme Jacqueline Farache, mai 2016, selon lequel « 14 000 décès par an lui sont imputables, il
augmente le risque de séparation des couples et compromet l'avenir des enfants ».

(38) Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC , préc.

(39) Arrêt n° 194 du 26 sept. 2018 censurant l'art. 3 du décret législatif n° 23/2015.

(40) Pour une analyse complète de la décision et de ses enseignements comparatistes, v. C Alessi et T. Sachs, La fin
annoncée du plafonnement de l'indemnisation du licenciement injustifié : l'Italie montre-t-elle la voie ?, RDT 2018. 802
.

Droit social 2019 p.324

De la conventionnalité du « barème Macron »

Christophe Radé, Professeur à la faculté de droit de Bordeaux

L'essentiel
De nombreuses juridictions prud'homales ont décidé d'écarter les plafonds d'indemnisation des salariés licenciés sans cause réelle et
sérieuse, en raison de leur prétendue contrariété avec les articles 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail
(OIT) de 1982 et 24 de la Charte sociale européenne. Les arguments retenus sont sérieux, même s'ils ne sont pas nécessairement
décisifs.

L'hostilité originelle. Dès la première tentative gouvernementale en 2015, le plafonnement des indemnités allouées au
salarié licencié sans cause réelle et sérieuse s'est heurté à une très vive résistance (1). La première bataille eut lieu devant
le Conseil constitutionnel à l'occasion de l'adoption de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances
économiques, dont l'article 266 prévoyait un plafonnement variable selon l'ancienneté du salarié et l'effectif de l'entreprise
(2). Cette première offensive fut stoppée nette par le Conseil. La censure du dispositif ne fut toutefois prononcée ni en
raison de l'atteinte que réaliserait le barème au droit à indemnisation du salarié licencié, ni en raison de la dérogation
apportée au principe de responsabilité personnelle de l'employeur, mais en raison de la violation du principe d'égalité
devant la loi qui interdit de traiter différemment des personnes placées dans une même situation, sans justification, de
manière disproportionnée ou selon des critères sans lien avec l'objet de la règle en cause (3). Or les plafonds retenus
variaient selon deux critères, le premier, l'ancienneté du salarié, fut écarté car validé par le Conseil, le second, l'effectif de
l'entreprise, ne « présentant [pas] un lien avec le préjudice subi par le salarié » (4). Cette première décision laissait donc
clairement la porte ouverte, à tout le moins au regard du principe d'égalité devant la loi, à un nouveau dispositif ne
retenant comme critère de plafonnement que l'ancienneté du salarié, ce qui fut fait à l'occasion de l'adoption par le
gouvernement de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (5).

Le mélange des genres. Le texte promulgué le 23 septembre 2017 fut immédiatement déféré devant la formation des
référés du Conseil d'État et sa suspension exigée, en vain (6), non pas au regard d'une éventuelle contrariété avec la
Constitution, car ces arguments sont réservés au Conseil constitutionnel, mais parce qu'ils méconnaîtraient les «
stipulations de l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) et de l'article 24 de la
Charte sociale européenne en ce qu'elles privent les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse d'une indemnisation
adéquate et d'une réparation appropriée du préjudice subi » (7). L'argument fut rapidement balayé (8).

Comme on pouvait s'y attendre, le Conseil constitutionnel valida le recours au critère de l'ancienneté du salarié à
l'occasion de l'examen de la loi de ratification n° 2018-217 du 29 mars 2018, refusant au passage de contraindre le
législateur à prendre en compte d'autres critères pour moduler les plafonds (9). Les demandeurs, anticipant cette
confirmation logique au regard de la précédente décision de 2015, tentèrent bien d'opposer à ces dispositions la garantie
des droits de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et le droit d'être indemnisé d'un préjudice, tiré de l'article 4 de la
Déclaration de 1789, mais en vain, le Conseil considérant les atteintes observées comme étant suffisamment justifiées, et
proportionnées (10).

L'examen des arguments développés par les requérants montre que ces derniers avaient tenté, de manière astucieuse,
d'enrichir le contenu des principes constitutionnels en important des éléments en provenance du droit international, et
singulièrement des articles 10 de la convention n° 158 de l'OIT et de l'article 24 de la Charte sociale européenne déjà
invoqués devant le Conseil d'État lors de la demande de référé. Ils prétendaient que l'atteinte à la garantie des droits était
réalisée en raison de l'absence de caractère insuffisamment dissuasif des planchers, et l'atteinte aux droits des victimes
d'actes fautifs, fondée sur l'article 4 de la Déclaration de 1789 depuis 1982 (11), par le caractère inadéquat de la
réparation plafonnée.

Le Conseil ne fut toutefois pas sensible à ces arguments et analysa la situation au regard des seules dispositions
constitutionnelle interprétées à l'aune de ses propres critères, et en laissant au Parlement une large marge d'appréciation
dans la détermination du caractère justifié et proportionné des atteintes constatées (12).

La résistance de l'inconventionnalité. Il est admis depuis 1975 que les deux contrôles de constitutionnalité et de
conventionnalité sont indépendants l'un de l'autre, tant sur le plan matériel que juridictionnel (13). Il était donc
prévisible, compte tenu de l'opiniâtreté des adversaires du plafonnement, que le débat rebondirait sur le terrain judiciaire à
l'occasion des premières décisions faisant application des nouvelles règles d'indemnisation mises en place en 2017 (14),
comme d'ailleurs cela fut le cas ces dernières années notamment à l'occasion de la réforme de la représentativité syndicale
intervenue avec la loi du 20 août 2008 (15).

Depuis quelques semaines et la première décision du conseil de prud'hommes de Troyes (16), adversaires et partisans du
« barème » comptent les points, le tableau d'affichage semblant nettement en faveur de l'inconventionnalité (17), tout
comme les auteurs qui se sont plutôt prononcés en ce sens, notamment Jean Mouly (18), Julien Icard (19) ou encore
Sébastien Tournaux (20), même si d'autres ont plutôt défendu la conventionnalité du barème, notamment Grégoire
Loiseau (21). La saisine pour avis de la Cour de cassation étant malheureusement, à tout le moins en l'état actuel de la
jurisprudence, impossible pour trancher une question de conventionnalité (22), il faudra attendre que la chambre sociale
se saisisse de la question et la tranche pour mettre fin au désordre prud'homal ambiant.

Pour filer la métaphore électorale, la thèse de l'inconventionnalité semble donc en ballottage très favorable (I). Nous
voudrions toutefois, au regard d'une lecture très attentive de la décision rendue par le Comité européen des droits sociaux
(CEDS) en 2016 et qui apparaît comme l'un des meilleurs arguments actuels des « anti », montrer que la conclusion qui
s'évince de la confrontation entre le dispositif mis en place en 2017 et le droit à une indemnité adéquate et à une réparation
appropriée, n'est pas aussi évidente que d'aucuns le prétendent (II).

I. - La possible inconventionnalité
Le caractère très vraisemblable de l'invocabilité directe. Les arguments les plus sérieux tiennent à la contrariété avec
les articles 10 de la convention n° 158 de l'OIT de 1982 et 24 de la Charte sociale européenne dont les contenus sont
quasiment identiques en ce qu'ils reconnaissent le droit des travailleurs licenciés sans motif valable, et qui ne sont pas
réintégrés, à une « indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

La première difficulté qui doit être réglée concerne l'effet direct de ces dispositions et donc le droit pour les salariés d'en
invoquer directement le bénéfice dans les litiges les opposant à leurs employeurs. L'effet direct de l'article 24 de la Charte
sociale européenne a été reconnu par le Conseil d'État (23) et celui de l'article 10 de la convention OIT semble plus que
vraisemblable, selon Jean Mouly (24). Les deux contenus étant identiques, et le dialogue des juges à l'oeuvre depuis des
années, il semble assez vraisemblable que lorsque la question lui sera posée la chambre sociale de la Cour de cassation
sera certainement encline à l'admettre (25).

Les arguments en faveur de la contrariété avec l'article 24 de la Charte. La question de l'effet direct de l'article 24 de
la Charte est d'autant plus importante que le CEDS, qui est chargé de veiller à son respect par les parties signataires, a,
dans une décision fortement médiatisée en date du 8 septembre 2016 (aff. Finish Society of Social Rights c/ Finlande),
condamné le recours à un dispositif très comparable au nôtre (26). Le texte finlandais prévoyait en effet une fourchette
comprise en 3 et 24 mois, le plafond étant porté à 30 mois pour les délégués syndicaux, le tout sans préjudice de
l'application cumulative d'autres dispositions applicables notamment en matière de réparation des discriminations. Dans sa
décision, le CEDS y énonce que, dans le cadre de l'article 24 de la Charte, « les mécanismes d'indemnisation sont réputés
appropriés lorsqu'ils prévoient : le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision
de l'organe de recours ; la possibilité de réintégration ; des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader
l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ». S'agissant singulièrement du plafonnement, le CEDS
considère que « tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le
préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la Charte. Toutefois, en cas de
plafonnement des indemnités accordées en compensation du préjudice matériel, la victime doit pouvoir demander
réparation pour le préjudice moral subi par d'autres voies de droit (par exemple, la législation antidiscriminatoire) (§ 46).
Et pour conclure à la violation de l'article 24, le Comité « considère que dans certains cas de licenciement abusif, l'octroi
d'indemnisation à hauteur de 24 mois prévue par la loi relative au contrat de travail peut ne pas suffire pour compenser les
pertes et le préjudice subis » (§ 49).

Le barème français serait donc voué au même sort, singulièrement pour les salariés les moins anciens mais subissant de
lourds préjudices à la suite de leur licenciement, dès lors qu'ils se heurteraient aux plafonds les plus bas. La messe semble
donc dite ; mais est-ce aussi évident ? Rien n'est moins sûr.

II. - La possibilité de la conventionnalité


L'autorité des décisions du CEDS. Les arguments qui ont été mobilisés ces derniers mois en faveur de la
conventionnalité du barème sont rares, et parfois fragiles ; certains conseils de prud'hommes ont ainsi pu considérer que le
barème ayant été validé par le Conseil constitutionnel il ne pouvait plus être discuté par le biais d'un grief
d'inconventionnalité !
D'autres arguments sont plus contingents et tiennent au fait que la décision finlandaise ne vaudrait que pour la Finlande ou
encore que, même à considérer que le CEDS aurait condamné tout barème comparable et donc pourrait également porter
le même jugement sur le dispositif français, les juges français ne sont pas tenus par ces décisions, qui n'ont pas la même
autorité que les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne, et qu'ils pourraient donc valider les dispositions
nationales envers et contre tous.

La question de l'autorité reconnue au CEDS est particulièrement complexe, même si on peut admettre, avec Jean-François
Akendji-Kombé, qu'elle n'est certainement pas différente de celle qui s'attache aux décisions de la Cour européenne des
droits de l'homme (27). Mais au-delà de la dimension purement technique du débat, il serait sans doute problématique
pour la Cour de cassation de heurter de front le Comité, même si on sait par le passé qu'elle ne s'est pas toujours sentie
liée, surtout lorsqu'elle a pu poser ses propres exigences, dans le cadre de son pouvoir interprétatif, pour rendre le droit
national conforme aux exigences du Comité (28).

L'hypothèse de la compatibilité du barème avec la position du CEDS. Il nous semble par ailleurs, et peut-être même
surtout, que la décision rendue par le Comité en 2016 ne condamne pas nécessairement le dispositif français, ce qui
pourrait inciter la Cour de cassation à sauver le texte, si tant est qu'elle en ait le désir.

Pour défendre la conventionnalité du plafonnement de droit commun à 24 mois, la Finlande avait en effet fait valoir que le
salarié licencié pour un motif discriminatoire pourrait obtenir un complément d'indemnisation dans le cadre des
dispositions du droit national. Or, et cette circonstance est explicitement soulignée par le Comité, le demandeur établissait
que cette possibilité était ineffective, à défaut d'exemple concret en ce sens rapporté par le défendeur (29), et qu'en tout
état de cause un plafond, certes plus élevé, demeurait applicable (30) ; enfin, l'examen des solutions retenues par les
tribunaux finlandais montrait que les salariés ne percevaient jamais plus que ce plafond de 24 mois (31).

C'est précisément l'absence de preuve de l'effectivité des hypothèses finlandaises de réparation intégrale qui a conduit le
Comité à condamner ce barème : « 51. Le Comité relève également que le gouvernement n'a pas fourni, dans son mémoire
sur le bien-fondé, d'exemples d'affaires dans lesquelles une indemnisation aurait été accordée pour licenciement abusif sur
le fondement de la loi relative à la responsabilité civile [...] » avant de conclure que « le plafonnement de l'indemnisation
prévu par la loi relative au contrat de travail peut laisser subsister des situations dans lesquelles l'indemnisation accordée
ne couvre pas le préjudice subi » et que, « en outre, il ne peut conclure que des voies de droit alternatives sont prévues
pour constituer un recours dans de telles situations ».

En d'autres termes, il nous semble que si le CEDS a condamné le dispositif finlandais c'est moins en raison du
plafonnement à 24 mois des indemnités qu'en raison de l'absence de démonstration, par le gouvernement, que les cas de
déplafonnement trouvaient effectivement à s'appliquer et permettaient, dans les hypothèses les plus scandaleuses, que les
salariés puissent effectivement être indemnisés « de manière appropriée ».

On peut donc considérer que, confronté à la même demande, le gouvernement français pourra parfaitement faire valoir,
devant le Comité (32), non seulement que les cas de cumuls et de déplafonnements permettent de prendre en compte les
licenciements les plus choquants pour garantir une réparation intégrale des préjudices causés aux salariés, singulièrement
dans les nombreuses hypothèses de nullité, et rapporter la preuve de décisions de juridictions prud'homales ou de cours
d'appel ayant effectivement fait application de ces possibilités.

La prise en compte globale de l'ensemble des sommes perçues pour compenser le préjudice de perte d'emploi. Il
nous semble également que le raisonnement mené autour du plafonnement, et des indemnités de rupture qui sont
concernées, pèche par imprécision (33). On sait en effet que les juges du fond apprécient en partie le préjudice causé par
le défaut de cause réelle et sérieuse selon la durée de non-emploi du salarié après son licenciement, pour lui attribuer une
indemnité, fixée en mois de salaires correspondant à tout ou partie du temps d'inactivité subi.
Il serait toutefois inexact d'assimiler période sans emploi et préjudice résultant de la « perte d'emploi », et ce pour
plusieurs raisons.

En premier lieu, le préjudice de perte d'emploi, dans son aspect financier (privation des salaires), est en partie compensé
par le mécanisme de l'assurance chômage dont il n'est pas inutile de rappeler qu'il est financé en partie par une cotisation
patronale et qui vise précisément à garantir le salarié contre le risque de perte involontaire de son emploi.

En deuxième lieu, lorsqu'un licenciement est « simplement » dépourvu de cause réelle et sérieuse (c'est-à-dire qu'il n'est
pas nul), la rupture du contrat demeure valable, et avec elle toutes ses suites, à commencer par la perte des salaires. Seul le
préjudice résultant de l'absence de justification doit être réparé, et non pas toutes les conséquences de la perte de l'emploi
qui n'est que la traduction de la liberté contractuelle de l'employeur garantie par la Constitution.

En dernier lieu, la durée de la période d'inactivité après la perte de l'emploi, qui entre en ligne de compte dans l'évaluation
du préjudice, ne dépend pas que de l'absence de cause réelle et sérieuse (qui se vérifie en la personne de l'employeur) mais
de bien d'autres facteurs dont certains sont liés à la personne du salarié (âge, expérience, qualification, etc. (34)) et
d'autres à l'état du marché du travail. L'expression du préjudice de perte d'emploi en mois de salaires attribués de manière
automatique, comme c'était assez fréquemment le cas avant 2017, est alors erronée, et la fixation d'un plafond inférieur ne
signifie donc pas que le principe de réparation intégrale n'a pas été respecté.

La nécessité d'accompagner le plafonnement d'une nomenclature des différents postes de préjudice résultant de la
perte d'emploi. Ces dernières remarques relatives à l'identification de ce qui se cache vraiment derrière la référence au
préjudice de perte d'emploi montrent bien qu'à partir du moment où le législateur entend intervenir pour cantonner la
réparation, il devrait dans le même temps préciser quels postes de préjudice sont visés et ce pour éviter que des demandes
présentées « hors barème » ne fleurissent pour contourner précisément les plafonds. Il serait donc souhaitable qu'une
méthodologie plus précise soit élaborée, en concertation avec les acteurs de l'indemnisation, comme avait su le faire le
ministère de la Justice au milieu des années 2000 pour élaborer la nomenclature Dintilhac.

Mots clés :
LICENCIEMENT * Indemnité de licenciement * Licenciement sans cause réelle et sérieuse * Barème d'indemnisation
* Plafonnement * Conventionnalité

(1) A. Lyon-Caen, Plafond, RDT 2015. 489 ; Complexité du barème, RDT 2016. 65 .

(2) L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, art. 266.

(3) Selon une formule devenue de style « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon
différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un
et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » : Cons.
const., 7 janv. 1988, n° 87-232 DC , consid. 10.

(4) Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715 DC , consid. 152 : « Considérant toutefois, que, si le législateur pouvait, à ces
fins, plafonner l'indemnité due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, il devait retenir des critères présentant un
lien avec le préjudice subi par le salarié ; que, si le critère de l'ancienneté dans l'entreprise est ainsi en adéquation avec
l'objet de la loi, tel n'est pas le cas du critère des effectifs de l'entreprise ; que, par suite, la différence de traitement
instituée par les dispositions contestées méconnaît le principe d'égalité devant la loi », AJDA 2015. 1570 ; D. 2016.
807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Constitutions 2015. 421, chron. A.
Fabre ; RTD com. 2015. 699, obs. E. Claudel . V., D. Baugard, Le plafonnement de l'indemnisation des licenciements
injustifiés ne peut pas varier selon les effectifs des entreprises, Dr. soc. 2015. 803 .

(5) Pour une présentation de ces règles, notre étude dans le présent numéro.

(6) CE, 7 déc. 2017, n° 415243 , Confédération générale du travail, et CE, 7 déc. 2017, n° 415376 , Confédération
générale du travail.

(7) Ces dispositions disposent en effet toutes deux, et en des termes presque identiques, qu'à défaut de réintégration le
travailleur devra percevoir « indemnité adéquate » ou avoir droit à une « réparation [...] appropriée ».

(8) CE, 7 déc. 2017, n° 415243 , préc., consid. 6 : « D'une part, il ne résulte ni des stipulations invoquées, ni, en tout état
de cause, de l'interprétation qu'en a donnée le Comité européen de droits sociaux dans sa décision du 8 septembre 2016,
dont se prévaut la requérante, qu'elles interdiraient aux États signataires de prévoir des plafonds d'indemnisation inférieurs
à vingt-quatre mois de salaire en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

(9) Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC , D. 2018. 2203, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2018. 677,
tribune C. Radé ; ibid. 682, étude B. Bauduin ; ibid. 688, étude A. Fabre ; ibid. 694, étude Y. Pagnerre ; ibid.
702, étude J. Mouly ; ibid. 708, étude P.-Y. Verkindt ; ibid. 713, étude G. Loiseau ; ibid. 718, étude D. Baugard et
J. Morin ; ibid. 726, étude C. Radé ; ibid. 732, étude P.-Y. Gahdoun ; ibid. 739, étude Linxin He ; RDT 2018.
666, étude V. Champeil-Desplats ; Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du
15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, consid.
89 et 90. Le Conseil confie explicitement cette mission au juge (consid. 89 : « Il appartient au juge, dans les bornes de ce
barème, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu'il fixe le
montant de l'indemnité due par l'employeur ». V., D. Baugard et J. Morin, La constitutionnalité du barème impératif des
indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, Dr. soc. 2018. 718 ; V. Bernaud, Le Conseil constitutionnel
valide pour l'essentiel la loi portant ratification des ordonnances réformant le code du travail, Dr. soc. 2018. 493 ; A.
Bugada, Plafonnement de l'indemnité de licenciement : focus sur l'inconstitutionnalité de l'article 266, JCP EA 2015.
1441.

(10) Décision préc., consid. 85 à 91.

(11) Notre étude, Les fondements constitutionnels de la responsabilité civile, in Constitution et responsabilité,
Montchrestien, 2009. 189.

(12) Sur cette méthode, notre étude, Conseil constitutionnel et droits sociaux : plaidoyer pour un changement de modèle,
Dr. soc. 2018. 726 , et les réf. citées.

(13) Cons. const., 15 janv. 1975, n° 74-54 DC , Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse.

(14) P. Lokiec, Barèmes d'indemnisation en cas de licenciement abusif : la résistance des juges, D. 2019. 248 .
(15) Sur la succession des contrôles de conventionnalité et de constitutionnalité, notre étude L'exercice du droit syndical
après la loi du 20 août 2008 : liberté, égalité, représentativité, ou la nouvelle devise de la démocratie sociale, Dr. soc.
2011. 1234 .

(16) Cons. prud'h. Troyes, 13 déc. 2018, n° 18/00036 ; J. Icard, Le barème d'indemnisation face au droit international : la
promesse de l'Aube, Bull. trav. 2019. 9.

(17) À l'heure où nous écrivons, huit formations prud'homales se sont prononcées en faveur de l'inconventionnalité : Cons.
prud'h. Troyes, 13 déc. 2018, n° 18/00036 ; Cons. prud'h. Amiens, 19 déc. 2018, n° 18/00040 ; Cons. prud'h. Lyon, sect.
activités diverses, 21 déc. 2018, n° 18/01238 ; Cons. prud'h. Lyon, sect. commerce, 7 janv. 2019, n° 15-01398 ; Cons.
prud'h. Grenoble, sect. industrie, 18 janv. 2019, n° 18/00989 ; Cons. prud'h. Angers, 17 janv. 2019, n° 18/00046 ; Cons.
prud'h. Agen, audience de départage, 7 févr. 2019, n° 18/00049 ; CPH Paris, activités diverses, 1er mars 2019, n° F
18/00964 ; CPH Dijon, industrie, 19 mars 2019, n° F 18/00464. Cinq formations se sont prononcées contre
l'inconventionnalité : Cons. prud'h. Le Mans, 26 sept. 2018, n° 17/00538 ; Cons. prud'h. Caen, 18 déc. 2018, n° 17/00193 ;
Cons. prud'h. Grenoble, sect. activités diverses, 4 févr. 2019, n° 18/01050 ; Cons. prud'h. Le Havre, sect. commerce, 15
janv. 2019, n° 18-00318 ; Cons. prud'h. Tours, 29 janv. 2019.

(18) La barémisation des indemnités prud'homales : un premier pas vers l'inconventionnalité ?, Dr. soc. 2019. 122 ;
L'inconventionnalité du barème : une question de proportionnalité ?, Dr. soc. 2019. 234 .

(19) J. Icard, BJT janv. 2019, n° 110x5, p. 9 ; Sem. soc. Lamy, 28 janv. 2019.

(20) S. Tournaux, Lexbase hebdo, éd. soc., 10 janv. 2019.

(21) G. Loiseau, Un examen clinique de la conventionnalité du barème d'indemnité prud'homale, Gaz. Pal. 19 juin 2018.
15 ; Conventionalité du barème : le débat est ouvert, JCP S 2018. 1367 ; Le barème d'indemnités : mésaventures en
prud'homie, Gaz. Pal. 29 janv. 2019. 19.

(22) Cass., avis, 12 juill. 2017, n° 17-70.009 , publié au Bulletin, RTD civ. 2018. 66, obs. P. Deumier - V. déjà Cass.,
avis, 16 déc. 2002, n° 00-20.008 , Bull. avis, n° 6.

(23) CE, 10 févr. 2014, n° 359892, M. Fischer (perte de confiance).

(24) J. Mouly, L'inconventionnalité du barème : une question de proportionnalité ?, Dr. soc. 2019. 234 .

(25) Contra G. Loiseau, Un examen clinique de la conventionnalité du barème d'indemnité prud'homale, Gaz. Pal. 19 juin
2018. 15.
(26) CEDS, 8 sept. 2016, décis. n° 106/2014, Finish Society of Social Rights c/ Finlande, § 45 ; J. Mouly, Le
plafonnement des indemnités de licenciement injustifié devant le CEDS. Une condamnation de mauvais augure pour le
projet Macron ?, Dr. soc. 2017. 785 ; C. Percher, Les indemnités de licenciement injustifié à l'aune de l'article 24 de la
Charte sociale européenne révisée, RDT 2017. 726 ; adde, J. Mouly, L'indemnisation du licenciement injustifié à
l'épreuve des normes supra-légales, Dr. ouvrier 2018. 435.

(27) J.-F. Akandji-Kombé, Réflexions sur l'efficacité de la Charte sociale européenne : à propos de la décision du CEDS
du 23 juin 2010, RDT 2011. 233 .

(28) Exigences jurisprudentielles pesant sur les accords instaurant des forfaits en jours sur l'année, et devant prévoir des
dispositifs permettant de garantir effectivement le caractère raisonnable de la charge de travail.

(29) Consid. 35. Selon la Finnish Society of Social Rights, la loi relative à la responsabilité civile n'est applicable qu'à la
condition que l'employeur ait causé un réel préjudice au salarié. L'association n'a connaissance d'aucune affaire où une
indemnisation aurait été accordée au titre de cette loi pour un licenciement abusif. Elle affirme en tout état de cause que
ces deux textes de loi ne permettent ni l'un ni l'autre d'obtenir une indemnisation.

(30) Consid. 36 : « D'autre part, s'agissant de la loi sur la non-discrimination et de la loi relative à l'égalité entre les
femmes et les hommes, la Finnish Society of Social Rights fait valoir qu'elles sont peu pertinentes en matière de
licenciement abusif et qu'il est très rare qu'elles soient invoquées dans de tels dossiers. L'indemnisation qui peut être
octroyée au titre de ces textes est en outre plafonnée ; elle est limitée à 15 000 € aux termes de la loi sur la non-
discrimination et, dans les faits, il est rare que les tribunaux accordent un tel montant. La Finnish Society of Social Rights
affirme qu'au regard de la loi relative à l'égalité entre les femmes et les hommes, l'indemnisation ne peut excéder 16 210 €
».

(31) Consid. 36 : « Elle soutient également que, dans les affaires de licenciement abusif comportant un volet
discriminatoire, les tribunaux regroupent les indemnisations dues au titre des différents textes de loi et octroient une
somme qui, en général, ne dépasse pas 24 mois de salaire ».

(32) On sait en effet que ce dernier a été saisi de deux requêtes contre la France, CGT c/ France, réclamation n° 171/2018
du 24 sept. 2018.

(33) Pour une tentative de clarification, lire C. Wolmark, Réparer la perte d'emploi, Dr. ouvrier 2015, n° 805, n° spéc.
Préjudices et indemnisation en droit social, p. 450 ; T. Pasquier, Le préjudice à la croisée des chemins, RDT 2015. 741 .

(34) Ce qu'on pourrait presque qualifier, pour reprendre une terminologie chère au droit de la responsabilité civile, d'« état
antérieur professionnel ». La question de l'état antérieur « corporel » est également pertinente et justifie en partie l'examen
médical d'embauche, pour éviter au nouvel employeur d'avoir à assumer des désordres physiologiques du salarié déjà
présents au moment de l'embauche.

Copyright 2024 - Dalloz – Tous droits réservés

Vous aimerez peut-être aussi