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UFR Droit & Science politique

Année universitaire 2019-2020


Master 2 Droits de l’Homme

L’ACTION DE GROUPE EN MATIÈRE DE


DISCRIMINATION DANS LES RELATIONS DE TRAVAIL

Mémoire préparé sous la direction de


Mme Tatiana Gründler, Maitresse de conférences,
et de M. Cyril Wolmark, Professeur de droit

Présenté et soutenu publiquement pour l’obtention du Master 2 Droits de l’Homme par


Célia Gourzones
L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans le
mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur
Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement Mme Tatiana Gründler pour son accompagnement
attentif, sa disponibilité et ses conseils avisés qui m’ont guidée tout au long de ce travail, ainsi
que M. Cyril Wolmark d’avoir accepté de co-diriger mon mémoire suite à l’orientation
travailliste donnée à mon sujet, et de m’avoir fait part de ses recommandations et observations
averties. Je les remercie tous deux vivement pour leur précieuse relecture.

Ce mémoire n’aurait pas été celui-ci sans la confiance que m’a accordée M. Slim Ben Achour
en m’ouvrant au champ de l’action de groupe. Je lui adresse tous mes remerciements pour
m’avoir fait partager ses connaissances et son expérience avec sympathie et pour les échanges
passionnants que nous avons pu avoir. Un grand merci également à Mme Clara Gandin, Mme
Savine Bernard, M. Joao Viegas, M. Xavier Sauvignet et M. François Brunel, pour leur accueil
chaleureux au sein de leur collectif. Ce fût un réel plaisir de travailler en leur compagnie.

Mes pensées vont également à ma sœur, Claire, pour son appui et son aide matinale ainsi qu’à
mes ami.e.s des mut’éco, en particulier Rémy, Christiane et Valérie, qui m’ont tant soutenue
dans ce projet.

Enfin, je ne peux clore cette année si exceptionnelle sans témoigner toute ma gratitude à
l’ensemble des enseignant.e.s du Master Droits de l’Homme. J’y ai trouvé bien plus qu’une
formation universitaire classique. Mais, une source foisonnante de réflexions sur les enjeux
juridiques contemporains et sur la place de l’engagement. Une énergie bienveillante, critique
et constructive. Un élan pour l’avenir.
Table des abréviations

art. Article
BTP Bâtiments, travaux publics
CA Cour d’appel
Cass. Crim. Cour de cassation, chambre criminelle
Cass. Soc. Cour de cassation, chambre sociale
CFTC Confédération Française des Travailleurs Chrétiens
CGT Confédération Générale du Travail
CPH Conseil de Prud’hommes
CSE Comité social et économique
éd. Editions
etc. Et cætera
Ibid. Ibidem
JCP G Semaine juridique – Edition générale
JCP S Semaine juridique Social
MEDEF Mouvement des Entreprises de France
n° Numéro
OIT Organisation internationale du travail
op. cit Opere citato
p. Page
RDH Revue des Droits de l’Homme
RDT Revue de Droit du Travail
RIDC Revue internationale de droit comparé
RJS Revue de jurisprudence sociale
RLDC Revue Lamy Droit civil
s. Suivants
SSL Semaine sociale Lamy
SUD Solidaire, Unitaire et Démocratique
TA Tribunal administratif
Sommaire

Introduction générale

TITRE I : LE REGIME PROCEDURAL DE L’ACTION DE GROUPE ET LES


SPECIFICITES DES RELATIONS DE TRAVAIL

Chapitre 1 : L’action de groupe face aux déséquilibres de la relation de travail subordonnée

Chapitre 2 : L’action de groupe et la présence d’un collectif préexistant

TITRE II : LES EFFETS ATTENDUS DE L’ACTION DE GROUPE EN MATIERE DE


LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS SYSTEMIQUES EN ENTREPRISE

Chapitre 1 : Une action permettant de saisir les discriminations systémiques dans l’entreprise

Chapitre 2 : L’objet de l’action de groupe et la lutte contre les discriminations systémiques en


entreprise

Conclusion générale
Introduction générale1

« Sont aujourd'hui recherchés les moyens d’asseoir une troisième génération de


droits, après les droits civiques reconnus à la Libération, après les droits économiques et
sociaux obtenus dans les années 1970 et 1980, des « droits porteurs d’égalité réelle » »2

Les discriminations prospèrent dans les relations de travail. L’étude d’impact


accompagnant le projet de loi relatif à la Justice du XXIe siècle rappelle ainsi, en se fondant sur
un rapport du Défenseur des droits de 2014, que « c'est dans la sphère professionnelle que sont
ressenties en priorité les attitudes discriminatoires »3. Régulièrement, cette institution constate
l’étendue des phénomènes discriminatoires en entreprise. Le 10e Baromètre de la perception
des discriminations dans l’emploi, réalisé conjointement avec l’Organisation Internationale du
Travail (OIT)4, révèle qu’une personne sur deux estime que les discriminations sont fréquentes
à l’embauche, une personne sur trois dans la carrière. Selon cette étude, 34% des personnes en
activité déclare avoir vécu des discriminations liées au sexe, à l’âge, à l’origine, à la couleur de
peau, à la religion, à l’état de santé, au handicap ou à la grossesse/maternité lors des cinq
dernières années. Au sein de la population générale, l’emploi (embauche et carrière) est le
premier domaine de discrimination cité par les personnes interrogées.
La relation de travail apparait d’autant plus comme un lieu privilégié de développement des
discriminations qu’elle est fondée sur un rapport de subordination juridique. Danièle Lochak
explique ainsi que la dissymétrie de la liberté contractuelle, particulièrement vraie s’agissant du
contrat de travail, permet à la partie « forte » d’user pleinement de sa liberté contractuelle,
contrairement à la partie faible, dont la liberté contractuelle s’avère « purement formelle ».
L’auteure y voit la source, pour la première, d’une « liberté de discriminer », au sens large,
c’est-à-dire de traiter différemment. Pareille liberté ouvre donc la voie aux actes
discriminatoires, notamment dans un but de maximisation du profit. Ainsi, de son point de vue,

1
Le présent mémoire a été remis en septembre 2020 et soutenu le 28 septembre 2020. Depuis cette date, une
décision de rejet a été rendue par le Tribunal judiciaire de Paris dans le cadre de la première action de groupe en
discrimination syndicale engagée par la CGT contre l’entreprise SAFRAN AIRCRAFT ENGINES (TJ Paris, 15
décembre 2020, n°RG 18/04058).
2
Etude d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, 31 juillet 2015,
p. 164.
3
Ibid., p. 168.
4
Défenseur des droits et Organisation internationale du travail, 10e Baromètre de la perception des discriminations
dans l’emploi, 2017.

1
« non seulement les principes du libéralisme économique qui régissent le fonctionnement de la
sphère marchande laissent la porte ouverte aux discriminations, mais la recherche du profit
sous la contrainte de la concurrence y pousse inéluctablement »5. La relation de travail est en
cela topique. En effet, en l’absence de contrainte, l’employeur aura tendance à choisir ses
salariés au regard de l’intérêt de l’entreprise, tel qu’il le conçoit, tout en laissant libre cours aux
stéréotypes qui peuvent exister dans la société, par exemple en anticipant les souhaits, réels ou
supposés, de la clientèle6.
La lutte contre les discriminations au travail a donc nécessairement pour corolaire
l’encadrement de la liberté de l’employeur et de son pouvoir de direction. Cela passe tout
d’abord par l’adoption de normes substantielles visant à prohiber les discriminations, mais
également par l’ouverture de voies de droit permettant de les faire respecter et de sanctionner
les manquements. Le droit du travail dispose des deux.

De la discrimination à la discrimination systémique

L’émergence et l’essor de la règle de non-discrimination en droit français - Apparue dans


le vocabulaire juridique anglo-américain au cours du XIXe siècle, la notion de discrimination
désigne « le fait de séparer un groupe social des autres en le traitant plus mal avec l’idée de
hiérarchie »7. Le droit français connait traditionnellement le principe d’égalité fondé sur
l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « les
hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », et sur son article 6 qui précise que
« la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège soit qu’elle punisse ». Le principe
d’égalité fait référence à la justice formelle, selon laquelle la loi doit traiter de la même manière
les personnes placées dans des situations comparables. Il autorise donc des différences de
traitement face à des situations non identiques, tandis que la non-discrimination porte sur
l’interdiction des distinctions fondées sur certains motifs8.
Très tôt, le système juridique français s’est doté de dispositions prohibant les discriminations.
Après la loi du 27 avril 1956 interdisant la discrimination d’un salarié en raison de son

5
LOCHAK D., « Loi du marché et discrimination », Lutter contre les discriminations, sous la direction de D.
BORILLO, éd. La Découverte, 2003, p. 11.
6
HAVET N., SOFER C., « Les nouvelles théories économiques de la discrimination », Travail, genre et sociétés,
2002/1, n° 7, p. 83.
7
LANQUETIN M.-T., « Discrimination », Répertoire de droit du travail, janvier 2010 (actualisation janvier
2017), point 1.
8
Voir HENNETTE-VAUCHEZ S. et ROMAN D., Droits de l’homme et libertés fondamentales, 4e édition, Dalloz,
p. 627 et s.

2
appartenance à un syndicat9, la loi du 1er juillet 1972 a inséré dans le code pénal une disposition
sanctionnant les discriminations fondées sur l’origine. L’arsenal juridique s’est peu à peu étoffé,
définissant la notion de discrimination et élargissant les motifs proscrits. Le code du travail a
ainsi intégré, en 1982, un article (L. 122-45 devenu L. 1132-1) prohibant les discriminations
dans les relations de travail, qui, depuis, a été complété et élargi, notamment sous l’impulsion
de l’Union européenne et de la directive relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi
2000/78/CE10.

Quel que soit le champ juridique, pénal ou civil, la discrimination est, invariablement,
constituée de trois éléments « le premier élément, ce sont les personnes ou les groupes qui font
l’objet d’une différence de traitement ou encore le critère de la distinction opérée ; le second,
c’est le domaine dans lequel cette différence de traitement intervient ; le troisième c’est la
justification de cette différence, son adéquation ou sa non-adéquation au but poursuivi »11.
Le code du travail, dans son article L. 1132-1, définit le domaine concerné par l’interdiction
des discriminations. Etendu peu à peu, celui-ci recouvre désormais quasiment toutes les facettes
de la relation de travail12.
Les motifs considérés comme discriminatoires par cet article ont également été étoffés. En
particulier, la loi du 18 novembre 201613 instaurant l’action de groupe en discrimination a
introduit deux nouveaux critères : l’identité de genre qui remplace l’identité sexuelle et la
capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français. Ont également été ajoutées
récemment la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique14 et la domiciliation
bancaire15.

9
La loi du 27 avril 1956 est aujourd’hui codifiée aux articles L. 2141-5 et s. du Code du travail.
10
Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité
de traitement en matière d'emploi et de travail.
11
LOCHAK D., « Réflexions sur la notion de discrimination », Droit social, 1987, n°11, p. 779.
12
Cet article précise ainsi qu’ « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de
nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être
sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article
1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans
le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.
3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de
qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat » sur
le fondement d’un des motifs de discrimination.
13
Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, art. 86.
14
Loi n° 2016-832 du 24 juin 2016 visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale.
15
Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres
dispositions en matière sociale et économique.

3
De la discrimination directe à la discrimination indirecte - Transposant notamment la
directive 2000/78/CE, la loi du 27 mai 200816 a créé une distinction entre deux catégories de
discriminations, la discrimination directe et la discrimination indirecte. La discrimination
directe est définie comme la situation dans laquelle, sur le fondement d’un des critères prohibés,
« une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne
l'aura été dans une situation comparable ». Elle se distingue de la discrimination indirecte qui
est constituée par « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais
susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage
particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes »17. Celle-ci vise à sanctionner
les discriminations « cachées », qui ne disent pas leur nom, en s’attachant à l’effet
discriminatoire. L’article L. 1132-1 du code du travail fait référence à ces deux notions.
Le régime de ces catégories diffère. Tout d’abord, s’agissant des éléments de faits laissant
supposer une discrimination, il convient de déployer, en matière de discrimination directe, des
éléments permettant de présumer que l’employeur a pris une décision sur un motif
discriminatoire. Concernant la discrimination indirecte, il s’agit de présenter des éléments
démontrant l’effet discriminatoire d’une mesure d’apparence neutre. Les justifications pouvant
être apportées par l’employeur sont également distinctes. Alors qu’une discrimination indirecte
n’est pas considérée comme telle, si la disposition, le critère ou la pratique en cause est
« objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but [sont]
nécessaires et appropriés », la discrimination directe ne peut être justifiée que si la différence
de traitement répond à « une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant
que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée »18.

L’apparition du concept de discrimination systémique - La discrimination directe et la


discrimination indirecte sont les deux seules catégories juridiques reconnues par le droit
français. D’autres notions sont néanmoins utilisées par la doctrine, telles que la discrimination
multiple, intersectionnelle, par association. Parmi celles-ci, la discrimination systémique ou
structurelle a été mise en avant ces dernières années, sous l’influence des droits nord-
américains. Apporté par la sociologie, ce concept est souvent invoqué pour expliquer la
dynamique sociale des discriminations, le poids des stéréotypes, de l’Histoire, des constructions

16
Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le
domaine de la lutte contre les discriminations transposant les directives 2000/78/CE et 2000/43/CE.
17
Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le
domaine de la lutte contre les discriminations, art. 1er.
18
Ibid. art. 2, 2° repris à l’article L. 1133-1 du code du travail.

4
sociales et organisationnelles, vus comme des facteurs de perpétuation des discriminations. La
situation d’un groupe discriminé ne résulterait pas tant d’une mesure précise, que de
l’interaction de pratiques, de biais, de comportements individuels et institutionnels et de leur
cumul dans le temps. Il est ici fait état d’« une situation d’inégalité cumulative et
dynamique »19. En cela, elle se distingue d’une discrimination collective plus linéaire : une
même discrimination, conséquence d’une décision ou d’une pratique subie par plusieurs
personnes.
La définition de la discrimination systémique donnée par le rapport Pécaut-Rivolier en 2013 -
concluant la mission de réflexion confiée par le Gouvernement autour de l’action de groupe ou
des voies de droit alternatives permettant de lutter plus efficacement contre les discriminations
collectives au travail – fait, depuis lors, référence : « La discrimination systémique est une
discrimination qui relève d'un système, c'est-à-dire d'un ordre établi provenant de pratiques,
volontaires ou non, neutres en apparence, mais qui donne lieu à des écarts de rémunération ou
d'évolution de carrière entre une catégorie de personnes et une autre.
Cette discrimination systémique conjugue quatre facteurs :
- les stéréotypes et préjugés sociaux ;
- la ségrégation professionnelle dans la répartition des emplois entre catégories ;
- la sous-évaluation de certains emplois ;
- la recherche de la rentabilité économique à court terme.
La particularité de la discrimination systémique est qu'elle n'est pas nécessairement consciente
de la part de celui qui l'opère. A fortiori, elle n'est pas nécessairement décelable sans un
examen approfondi des situations par catégories. »20
La Cour suprême du Canada en donne une définition qui traduit encore davantage son caractère
dynamique : « situation d’inégalité cumulative et dynamique résultant de l’interaction, sur le
marché du travail de pratiques, de décisions ou de comportement individuels ou institutionnels,
ayant des effets préjudiciables, voulus ou non, sur les membres de groupes visés »21.
Souvent confondue avec la notion de discrimination indirecte, elle s’en détache pourtant selon
certains auteurs, en ce qu’elle permettrait à la fois d’appréhender des discriminations indirectes,
lorsque les mesures prises sont d’apparence neutre, mais également des discriminations

19
LANQUETIN M.-T., op. cit. point 76.
20
« Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en
entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation
professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre
de la Justice, décembre 2013, p. 27-28.
21
MERCAT-BRUNS M., « La discrimination systémique : peut-on repenser les outils de la non-discrimination
en Europe ? », RDH, 14/2018, p. 3.

5
directes22, en particulier lorsque les pratiques en cause sont fondées sur des préjugés ou des
stéréotypes. Dans cette dernière hypothèse, la pratique n’est en effet pas neutre, bien que non
assumée par l’employeur, mais au contraire orientée, consciemment ou inconsciemment, vers
certaines personnes, sur le fondement d’un motif discriminatoire23. La discrimination
systémique pourrait ainsi permettre au droit de cerner les discriminations contemporaines qui
s’avèrent souvent dissimulées, fruit d’une certaine passivité et bien souvent insaisissables24.

Elle n’est toutefois formellement reconnue ni par le droit français, ni par le droit de l’Union
européenne, bien que certaines décisions tant de la Cour de justice de l’Union européenne que
de la Cour de cassation puissent être perçues comme y faisant implicitement référence 25.
Finalement, la notion et le terme apparaissent pour la première fois dans un jugement d’un
Conseil de Prud’hommes rendu fin 2019, non comme une catégorie juridique propre, mais
comme un phénomène social permettant de cerner le système discriminatoire subi par des
salariés maliens sans-papiers dans une entreprise du secteur des bâtiments et travaux publics
(BTP)26. La discrimination systémique est ici utilisée comme un élément de preuve
complémentaire, comme un indice étayant la démonstration des requérants relative à la
discrimination directe fondée sur l’origine qu’ils allèguent27.

Il faut cependant noter que l’intérêt pour la notion avait déjà pris une ampleur singulière à la
faveur des débats autour de l’action de groupe. En effet, cette dernière est souvent liée au
concept de discrimination systémique, ce qui peut s’expliquer notamment par le fait que celui-
ci a été en partie développé dans le cadre des class actions aux Etats-Unis28. Le rapport Pécaut-
Rivolier précité, qui a servi de référence à l’instauration d’une action de groupe en matière de
discrimination en France, matérialise ce lien en précisant que les discriminations collectives

22
PECAUT-RIVOLIER L. et MERCAT-BRUNS M., « Le droit français est-il suffisamment équipé en matière de
lutte contre les discriminations systémiques ? », RDT, 2020, p. 378 ; SHEPPARD C., « Contester la discrimination
systémique au Canada : Droit et changement organisationnel », RDH, 14/2018.
23
WOLMARK C., « Discrimination systémique : de nouvelles perspectives à la lutte judiciaire contre les
discriminations », SSL, n°1893, 3 février 2020, p. 8.
24
MERCAT-BRUNS M., « L’identification de la discrimination systémique », RDT, 2015, p. 672.
25
MERCAT-BRUNS M., « La discrimination systémique : peut-on repenser les outils de la non-discrimination en
Europe ? », RDH, 14/2018.
26
CPH Paris, section industrie, 17 décembre 2019, n° 17/10051 ; voir également Défenseur des droits, Décision
du Défenseur des droits n°2019-108, Saisi par un syndicat de la situation de 25 salariés en situation irrégulière au
regard du droit au séjour et au travail, qui s’estiment victimes d’un traitement discriminatoire en raison de leur
nationalité et de leur origine de la part de leur ancien employeur, la société Y, sur un chantier, 19 avril 2019
27
WOLMARK C., op. cit. p. 8.
28
MERCAT-BRUNS M., « La discrimination systémique : peut-on repenser les outils de la non-discrimination en
Europe ? », op. cit. ; MERCAT-BRUNS M., « La discrimination systémique : un concept présent ailleurs mais un
défi commun ? », RDT, 2020, p. 423.

6
sont le plus souvent d’origine systémique. En tant que voie de droit collective, l’action de
groupe serait un mécanisme pertinent pour approcher ce type de discriminations. La
discrimination systémique est d’ailleurs invoquée explicitement par les requérants de la
première action de groupe ayant atteint la phase contentieuse29. Intéressons-nous donc à cette
voie judiciaire.

La définition de l’action de groupe

L’action de groupe est une notion « difficile à cerner »30. Pouvant revêtir diverses
acceptions, elle ne parait pas toujours claire31. Son utilisation est souvent imprécise et l’emploi
d’autres terminologies, considérées comme plus ou moins équivalentes, telles que « recours
collectif », « action collective », ne fait que renforcer l’impression de confusion32. Pour tenter
d’en cerner les contours, il convient de revenir à la class action américaine créée en 1966 par
une révision de la Federal Rules of Civil Procedure, souvent présentée comme l’équivalent de
l’action de groupe. Dans ce système, une ou plusieurs personnes membres du groupe lésé ou
« class » engagent une action, par le biais d’un avocat chargé de les représenter, afin de faire
reconnaitre la responsabilité du défendeur à l’égard de l’ensemble des membres du groupe. La
procédure débute par une phase dite de « certification » ou de recevabilité, à travers laquelle le
juge vérifie en particulier la « commonality », c’est-à-dire l’existence du groupe et d’un
manquement similaire à l’égard de l’ensemble des personnes le composant. Le principe est
ensuite celui de l’opt out, suivant lequel les membres du groupe n’ont pas à donner leur accord
pour bénéficier du jugement et sont donc présumés en bénéficier. Ceux-ci peuvent néanmoins
s’en extraire en se manifestant dans un certain délai. Ce mécanisme s’oppose au système d’opt
in, qui suppose, pour bénéficier du jugement, que les membres du groupe rejoignent
expressément l’action. Enfin, le juge peut allouer des dommages et intérêts. Il fixe alors une
enveloppe globale d’indemnisation, versée au représentant de la class, qui est ensuite répartie

29
Voir Défenseur des droits, Décision du Défenseur des droits n°2019-109, saisi par la FTM-CGT dans le cadre
de l’action de groupe initiée contre l’entreprise SAFRAN, 13 mai 2019, qui reprend à son compte le constat d’une
discrimination collective et systémique tel que l’a formulé le requérant ; F. GUIOMARD, « La preuve des
discriminations syndicales dans l’action de groupe, à propos du litige Fédération des travailleurs de la Métallurgie
CGT contre Safran Aircraft Engines », RDT, 2018, p. 866.
30
GUINCHARD S., « L’action de groupe en procédure civile française », RIDC, 1990, n°2, p. 599.
31
HERVAS HERMIDA C., « La notion d’action de groupe, étude de droit comparé », thèse, Université Paris
Ouest Nanterre – La Défense, 2013, p. 11.
32
GUINCHARD S., op. cit. p. 599.

7
entre les victimes. Il peut également adresser des injonctions pour faire cesser la
discrimination33.
D’autres systèmes étrangers ont instauré dans leur ordre juridique une voie de droit qui
s’apparente à la class action, comme le Québec, ou, en Europe, le Royaume-Uni ou encore
l’Italie34. Chacune de ces procédures garde cependant ses spécificités. L’action de groupe peut
donc prendre des formes plurielles35.

L’étude d’impact accompagnant le projet de loi Justice du XXIe siècle définit, quant à elle,
l’action de groupe comme « une voie de droit permettant à une ou plusieurs personnes
d’exercer une action en justice au bénéfice d’un groupe de personnes non identifiées, sans avoir
reçu un mandat de leur part au préalable »36. Celle-ci a pour particularité de déroger aux
principes traditionnels de procédure civile parmi lesquels l’intérêt personnel à agir du
demandeur (article 31 du code du procédure civile) – et son corollaire l’adage « nul ne plaide
par procureur » -, l’effet relatif des jugements, mais encore, dans une certaine mesure le principe
du contradictoire37.
Avant l’instauration de l’action de groupe, le droit français connaissait déjà des exceptions à
ces principes, tout particulièrement en droit du travail. Par un célèbre arrêt de 1977, la chambre
sociale de la Cour de cassation confirmait la possibilité de demander l’expulsion de salariés
d’une usine sur requête, sans que leurs noms ne soient cités38. Le législateur avait également
ouvert aux organisations syndicales deux actions qui sont à ce titre significatives. Il s’agit de

33
Voir notamment, TARASEWICZ Y. et ROCHE G., « L’action de groupe à l’aune de la « class action »
américaine », SSL, 2016, n°1741, p. 3 ou Etude d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à
la justice du XXIe siècle, 31 juillet 2015, p. 175 ou encore « Lutter contre les discriminations au travail : un défi
collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux
ministres du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des
femmes, porte-parole du gouvernement et ministre de la Justice, op. cit. p. 119.
34
Voir BEN HADJ YAHIA S., « « Action de groupe », Répertoire de procédure civile, Dalloz, juin 2015,
(actualisation décembre 2019), point 7 ou encore Etude d’impact, projet de loi portant application des mesures
relatives à la justice du XXIe siècle, op. cit. annexe 4 Etudes de droit comparé, p. 338.
35
HERVAS HERMIDA C., « La notion d’action de groupe, étude de droit comparé », thèse, Université Paris
Ouest Nanterre – La Défense 2013, p. 29.
36
Etude d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, op. cit. p. 141
37
MAINGUY D., « A propos de l’introduction de la class action en droit français », Recueil Dalloz, 2005, p.
1283 ; AMRANI MEKKI S., « Action de groupe et procédure civile », RLDC, 2006/32, p. 57.
38
Cass. Soc., 17 mai 1977, Ferrodo, nº 75-11.474 : « il appartenait à la cour d’appel de rechercher si le président
du tribunal, qui a le pouvoir d’ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent
qu’elles ne soient pas prises contradictoirement ne devait pas en l’espèce statuer de la sorte à l’égard des autres
occupants, sous réserve de la faculté pour ceux-ci de lui en référer, en raison de l’urgence à prévenir un dommage
imminent, de la difficulté pratique d’appeler individuellement en cause tous les occupants et de la possibilité pour
les dirigeants de fait du mouvement de grève de présenter les moyens de défense communs à l’ensemble du
personnel ».

8
l’action dans l’intérêt collectif de la profession et de l’action de substitution39. La première,
prévue par l’article L. 2132-3 du code du travail40, permet à toute organisation syndicale d’agir
lorsqu’il est porté atteinte à l’intérêt collectif de la profession. L’intérêt collectif est ici
considéré comme distinct, à la fois de l’agrégat des intérêts individuels des salariés41, et de
l’intérêt général. Le syndicat peut, par ce biais, contester une décision de l’employeur. Lorsque
le juge y fait droit, cette décision a une portée collective, dans le sens où elle aura une
répercussion sur la situation des salariés concernés par la mesure, alors même qu’ils n’étaient
pas parties au litige42. L’action de substitution, ouverte dans certains domaines par la loi et
notamment en matière de discrimination, permet, quant à elle, à une organisation syndicale
représentative43 d’engager une action en faveur d’un salarié, sans mandat de sa part, mais à la
condition que celui-ci ne s’y oppose pas après l’information qui doit lui être faite. Elle est
également ouverte aux associations44 remplissant certaines conditions, sous réserve d’avoir
obtenu un accord écrit de l’intéressé, ce qui est moins novateur. Ainsi, un syndicat représentatif
peut agir en faveur d’un salarié sans mandat de sa part, mais ce dernier est nécessairement
identifié.
Ces deux actions sont considérées par Antoine Lyon-Caen comme des actions de groupe « au
sens large »45, en ce qu’elles s’opposent à l’action individuelle. Sans définir ce qu’il entend par
action de groupe « au sens strict », il semble que celle-ci comprenne au moins deux traits
caractéristiques : le titulaire de l’action peut être un salarié agissant en vue d’obtenir la
réparation des préjudices subis par les membres d’un même groupe et elle suppose l’existence
d’un dommage de masse imputable à un même auteur.

39
GREVY M., « Syndicats professionnels : prérogatives et action », Répertoire de droit du travail, Dalloz, avril
2014, point 43 et s.
40
« Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer
tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt
collectif de la profession qu'ils représentent. ».
41
Cass. Soc. 22 janv. 2014, n° 12-27.478, « l'action introduite par un syndicat sur le fondement de la défense de
l'intérêt collectif des salariés de la profession qu'il représente, qui résulte de la liberté syndicale consacrée par
l'article 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 11 de la Déclaration européenne des
droits de l'homme et du citoyen et l'article 2 de la Convention de l'organisation internationale du travail n° 87, est
recevable du seul fait que ladite action repose sur la violation d'une règle d'ordre public social ; que la
circonstance que les salariés d'une entreprise ou d'un établissement sont consentants pour travailler le dimanche
est sans incidence sur le droit d'agir du syndicat qui poursuit la réparation d'une atteinte à l'intérêt collectif de la
profession en présence d'une méconnaissance du repos dominical ».
42
Il est à noter que cette action peut également avoir pour objet la réparation du préjudice collectif mais qu’à ce
titre, seul le syndicat peut obtenir des dommages et intérêts, les salariés ne pouvant obtenir de réparation
individuelle.
43
Article L. 1134-2 du code du travail.
44
Article L. 1134-3 du code du travail.
45
LYON-CAEN A., « Action de groupe et droit du travail », RLDC, 2006, n°33.

9
On le voit, la définition de l’action de groupe n’est pas chose aisée tant les actions auxquelles
le terme est susceptible de renvoyer sont nombreuses, et rares sont les auteurs qui se sont
essayés à en déterminer les contours avec précision46. Le droit français s’est toutefois emparé
de cette notion, désormais inscrite dans l’ordre juridique.

L’instauration de l’action de groupe en droit français

Le droit français a intégré l’« action de groupe » dans son corpus juridique sous
l’impulsion de l’Union européenne. Le Parlement européen, dans une résolution adoptée le 12
janvier 201247, ainsi que la Commission, dans une recommandation publiée le 11 juin 201348,
se sont attachés à promouvoir un « cadre horizontal européen pour les recours collectifs »,
laissant le soin aux Etats membres de mettre en œuvre un tel système avant le 26 juillet 2015.
Il est intéressant de noter, au regard des considérations évoquées précédemment, que ces textes
font appel au terme « recours collectif » et non à celui d’« action de groupe ». Ce choix ne parait
pas sans lien avec le rejet du modèle américain de class action, également formulé dans ceux-
ci. Le Parlement européen a ainsi fait valoir que l’Europe devait « s'abstenir d'instaurer un
système de procédures collectives de ce type ou tout autre système qui ne respecterait pas les
traditions juridiques européennes »49, sans définir au demeurant le contenu de ces traditions.
Son ambition était de permettre une meilleure effectivité du droit, parallèlement aux actions
individuelles qui devaient demeurer. Les institutions européennes ont ainsi fixé des principes
procéduraux communs parmi lesquels, une qualité à agir conférée à des organisations
limitativement désignées, un système de vérification préalable de recevabilité, la constitution
en tant que partie demanderesse selon le principe du consentement exprès (opt in) ainsi qu’un
accès aux preuves identique à celui applicable dans le cadre des recours individuels (absence
de phase de discovery). L’accent était également mis sur le règlement alternatif du conflit50. En

46
Voir toutefois, LEVANNIER-GOUEL O., « Fallait-il consacrer l’action de groupe en droit du travail ? », SSL,
24 octobre 2016, n°1741, p. 8, l’action de groupe peut se définir comme « le moyen d’obtenir la réparation des
préjudices individuels subis par des personnes placées dans une situation identique, sans que ces dernières aient
à saisir le juge, ni même qu’elles soient identifiées lors de l’introduction de l’instance ».
47
Résolution du Parlement européen, « vers une approche européenne cohérente en matière de recours collectif »,
n°A 7-0012/2012, 12 janvier 2012.
48
Recommandation de la Commission européenne relative à des principes communs applicables aux mécanismes
de recours collectif en cessation et en réparation dans les Etats membres en cas de violation de droits conférés par
le droit de l’Union, 2013/396/UE, 11 juin 2013.
49
Résolution du Parlement européen, op. cit. point M2.
50
Les parties doivent être « incitées à régler le conflit relatif à la réparation de façon consensuelle ou
extrajudiciaire, tant au cours de la phase précontentieuse que durant le procès civil », Recommandation de la
Commission européenne, op. cit. p. 5.

10
outre, l’objet de ce recours devait porter sur la cessation du manquement et/ou la réparation des
dommages, le premier pouvant donner lieu à des injonctions du juge.

Ces principes ont été mis en œuvre pour la première fois en droit français par la loi du 17 mars
2014, dite « Loi Hamon »51 instaurant une action de groupe en matière de consommation. Cette
action, ouverte aux associations de défense des consommateurs représentatives au niveau
national et agréées, ne porte que sur le volet indemnitaire. Elle est constituée de deux phases :
une première au cours de laquelle le juge statue sur la recevabilité de la demande et sur la
responsabilité du défendeur à l’aune des cas individuels présentés par le demandeur. Il
détermine les critères de rattachement au groupe ainsi que les préjudices réparables, ordonne la
publicité du jugement et fixe un délai d’adhésion au groupe. La seconde phase est constituée de
l’adhésion au groupe par les consommateurs concernés aux fins d’indemnisation. Cette
architecture sera reproduite dans les lois postérieures. La loi du 26 janvier 2016 de
modernisation de notre système de santé52 a créé une action de groupe en matière de santé sur
le même modèle.

En parallèle, autour du constat de la persistance des discriminations collectives, en particulier


dans l’entreprise, se sont développées des réflexions sur la nécessité d’instaurer une action de
groupe dans ce champ. Or, outre les voies de droit individuelles, le code du travail a pour
spécificité d’avoir créé, avant l’action de groupe, des moyens d’action mobilisables face aux
discriminations collectives53. Nous en avons déjà cité deux : l’action syndicale en défense des
intérêts de la profession54 et l’action de substitution. Peuvent s’y ajouter l’action en nullité des
conventions collectives55 et l’action en exécution des conventions collectives des syndicats
signataires56, lorsqu’elles portent sur des dispositions discriminatoires. Dans la pratique, se sont
également multipliés les dossiers dits « sériels » dans des hypothèses de discriminations vécues
collectivement. Constitués d’autant d’actions individuelles que de salariés victimes d’une

51
Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.
52
Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
53
Il convient par ailleurs de souligner que la discrimination peut faire l’objet de poursuites pénales suite notamment
aux constats de l’inspection du travail. Dans les faits, celles-ci sont extrêmement rares, la preuve de
l’intentionnalité, nécessaire en matière pénale, étant souvent difficile à apporter. Nous n’aborderons ce volet qu’à
la marge dans les développements qui suivront, l’action de groupe étant une action civile.
54
La discrimination collective semble pouvoir porter atteinte à l’intérêt collectif de la profession puisqu’il est
atteint du seul fait de la violation d’une règle d’ordre public social, soc. 22 janv. 2014, n°12-27.478, mais il resterait
des incertitudes sur la question selon GUIOMARD F., « L’action de groupe peut-elle contribuer à lever les freins
à l’action contentieuse ? », RDH, 9/2016.
55
Article L. 2262-14 du code du travail.
56
Article L. 2262-11 du code du travail.

11
discrimination, ces litiges sont souvent coordonnés par un syndicat57. Nous pouvons citer par
exemple le contentieux relatif aux « chibanis » de la SNCF qui a conduit à condamner la
société58.
Malgré leur foisonnement, les outils juridiques prévus par le code du travail ont été jugés
insuffisants pour lutter avec effectivité contre les discriminations collectives et systémiques59.
La notion d’effectivité se traduit ici par l’objectif de réduction des discriminations. Mais, nous
le verrons par la suite, elle signifie également, notamment pour les tenants de la réforme, une
rationalisation le contentieux face aux dossiers sériels qui se multiplient. L’intérêt de créer un
tel recours a été résumé par le Défenseur des droits en 2013 : « L’introduction dans le droit
judiciaire procédural français d’un dispositif de recours collectif représente une évolution
considérable, qui remettrait en cause plusieurs fondements du droit judiciaire car elle
permettrait de passer d’une approche individuelle de la réparation au bénéfice d’une victime,
qui se limite à des effets symboliques pour les tiers, à une approche collective du litige en faveur
de l’ensemble des victimes se trouvant dans une situation similaire »60. En droit du travail en
particulier, l’enjeu s’est focalisé sur l’apport de ce nouveau recours au regard de ceux
existants61.
Dans ce contexte, deux propositions de lois ont été déposées en 201362 et 201463, sans succès,
afin de créer une action de groupe en discrimination, suivant un modèle proche de celui décrit
précédemment. Elles portaient sur une action en réparation dont la procédure était scindée selon
les deux phases déjà prévues dans les lois de 2014 et 2016. L’intérêt à agir était également
limité, par exemple au Défenseur de droits et aux associations agréées pour la première, aux
associations déclarées depuis au moins 5 ans ayant pour objet la lutte contre les discriminations
et aux organisations syndicales représentatives pour la deuxième.

57
« Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en
entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation
professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre
de la Justice, op. cit. p. 82.
58
CA Paris, 31 janvier 2018.
59
PECAUT-RIVOLIER L., « Discriminations collectives en entreprise : pour une action collective spécifique »,
RDT, 2014, p. 101 ; ADAM P., « L’action de groupe discrimination, sur la prudente audace d’une réforme
majeure », Droit social, 2017, n°7-8, p. 638.
60
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n° 13-10, Auditionné le 31 octobre 2013 par la Commission
des Lois du Sénat sur la proposition de loi visant à instaurer un recours collectif en matière de discrimination et de
lutte contre les inégalités et la proposition de loi organique relative au Défenseur des droits, 31 octobre 2013, p. 2
61
Voir notamment, LEVANNIER-GOUEL O., op. cit. p. 8.
62
Proposition de loi déposée par E. Benbassa et autres, visant à instaurer un recours collectif en matière de
discrimination et de lutte contre les inégalités, Sénat, n° 811 du 25 juill. 2013.
63
Proposition de loi déposée par B. Le Roux et R. Hammadi et autres, instaurant une action de groupe en matière
de discrimination et de lutte contre les inégalités, Assemblée nationale, n° 1699 du 14 janv. 2014.

12
Suite à ces propositions avortées, la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la Justice du
XXIe siècle64 a instauré un cadre commun de l’action de groupe ouvert à différents domaines
du droit. Initialement, le projet de loi ne comportait qu’un champ, celui de la discrimination.
L’article 60 ne visait en effet que les actions de groupe formées sur le fondement de la loi du
27 mai 200865. Il s’est étoffé au cours des débats parlementaires pour inclure in fine, outre la
discrimination, l’environnement, l’informatique et les libertés ainsi que la santé par référence
aux articles créés par la loi du 26 janvier 2016. L’architecture du Titre V de la loi du 18
novembre 2016 portant sur l’action de groupe est caractérisée par un cadre commun déployé
dans son chapitre Ier, puis une déclinaison selon chacun des domaines du droit ouverts à cette
action, selon autant de chapitres.
Le cadre commun permet d’engager une action de groupe en vue d’obtenir la cessation du
manquement et/ou la réparation des préjudices subis. Le mécanisme comporte une phase
précontentieuse obligatoire débutant par une mise en demeure du défendeur de cesser le
manquement ou de réparer le préjudice. Schématiquement, la phase contentieuse est ensuite
constituée de deux étapes : le jugement de responsabilité puis la réparation des préjudices. Cette
dernière est mise en œuvre par le biais, soit d’une procédure individuelle, soit d’une procédure
collective. La première permet à ceux qui souhaitent adhérer au groupe de demander
l’indemnisation directement à la personne déclarée responsable ou de s’adresser au demandeur,
qui reçoit mandat pour agir à cette fin. Lorsque le responsable est réfractaire, le juge ayant
statué sur la responsabilité peut être saisi de la demande d’indemnisation66. La deuxième
procédure, dite « collective », ouvre au demandeur la possibilité de négocier, avec le défendeur,
le montant de l’indemnisation, après que chaque personne souhaitant adhérer au groupe se soit
manifestée auprès de lui. Le juge ayant statué sur la responsabilité est ensuite saisi aux fins
d’homologation de l’accord67. Enfin, lorsque l’action est engagée en vue de faire cesser un
manquement, le juge peut enjoindre le défendeur de prendre les mesures utiles, sous le contrôle
éventuel d’un tiers.
Le chapitre II, consacré à l’action de groupe en matière de discrimination, est lui-même divisé
en trois sections. La première porte sur les dispositions générales, la deuxième sur l’action de
groupe en matière de discrimination dans les relations relevant du code du travail, introduite
devant le Tribunal judiciaire, et la dernière sur l’action de groupe en matière de discrimination

64
Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
65
Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le
domaine de la lutte contre les discriminations.
66
Articles 69 à 71 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
67
Articles 72 à 73 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

13
imputable à un employeur engagée devant la juridiction administrative. L’application de règles
distinctes à l’action de groupe en discrimination introduite selon le caractère public ou privé de
l’employeur était déjà envisagée dans le projet de loi, sous une forme moins explicite que les
trois sections finalement dégagées. Il est donc apparu nécessaire, dès le projet de loi, d’organiser
un régime spécifique et dérogatoire lorsque l’action de groupe en discrimination concerne un
employeur, en particulier, lorsque celui-ci est soumis aux dispositions du code du travail. C’est
un point que nous interrogerons tout au long de nos développements.

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme, seule une action de groupe a atteint la phase
contentieuse. Il s’agit de l’action de la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie (FTM) –
Confédération Générale du Travail (CGT) dirigée contre la société SAFRAN AIRCRAFT
ENGINES concernant la discrimination syndicale. Deux autres mises en demeure ont été
transmises : une par la CGT contre une banque en matière de discrimination envers les femmes,
une autre par le syndicat Solidaire, Unitaire, Démocratique (SUD) Rail contre la SNCF
concernant des cas de discriminations fondées sur le handicap68. Les phases contentieuses ne
sont, à ce jour, pas engagées69.
Après quatre années d’existence, l’heure semble déjà être au bilan. Le Défenseur des droits a
transmis un avis, en février 2020, portant bilan de la réforme de l’action de groupe en matière
de discrimination, dans lequel il propose des pistes d’amélioration70. De même, la mission
d’information auprès de l’Assemblée nationale a déposé, en juin 2020, un rapport portant « sur
le bilan et les perspectives de l’action de groupe »71. On retrouve dans ces deux documents des
questionnements et propositions déjà déployés dans la période qui a entouré les débats
parlementaires relatifs à la Loi Justice du XXIe siècle. Face à des attentes fortes en termes
d’efficacité72, les débats avaient en effet été vifs, bien plus sur le choix des modalités
procédurales à mettre en place que sur l’instauration du dispositif lui-même. L’ambivalence du
recours créé avait été mise en avant, vu comme un mélange « d’audace et de prudence »73. Les

68
CLEMENT E., « L’action de groupe : un remède efficace contre les discriminations » ? », JCP S, 2017, 1296,
p. 2.
69
A noter cependant que, depuis la rédaction de ce mémoire, les conclusions de la CGT contre la Caisse d’épargne
Ile-de-France ont été déposées, ce qui a donc fait entrer cette action de groupe dans la phase contentieuse.
70
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°20-01, 5 février 2020, Auditionné le 28 janvier 2020 par
la mission d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le bilan et les perspectives des
actions de groupe.
71
Assemblée nationale, VICHNIEVSKY L. et GOSSELIN P., Rapport d’information déposé par la mission
d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, n°3085, 11 juin 2020.
72
MEDARD INGHILTERRA R., « L’effectivité du droit de la non-discrimination, Essai sur les facteurs
juridiques de réalisation du droit », thèse dactylographiée, Université de Paris Nanterre, 2020 (à paraître).
73
ADAM P., op. cit. p. 638.

14
carences et la complexité du mécanisme74 avaient ainsi été pointées du doigts75, certains
qualifiant la réforme de « loi d’anesthésie », en ce qu’elle prétendait « traiter une question
juridique sans mettre en œuvre de dispositifs pour le faire »76. L’apport de l’action de groupe
compte tenu des actions collectives déjà existantes en droit du travail a par ailleurs constamment
été interrogé dans la doctrine travailliste.

Dès lors, nous nous demanderons si l’action de groupe, telle que prévue par la loi du 18
novembre 2016, est adaptée à l’objet qu’elle cherche à appréhender, à savoir les discriminations
systémiques dans les relations de travail salariées.

Tout d’abord, nous nous attacherons à étudier en quoi le régime procédural de l’action de
groupe, partiellement dérogatoire en la matière, permet de répondre aux spécificités des
relations de travail, marquées par un rapport de subordination mais également par l’existence
de relations collectives de travail (TITRE I). Il s’agira par la suite d’examiner dans quelle
mesure cette voie de droit permet d’atteindre les effets attendus, consistant à appréhender et
réduire les discriminations systémiques en entreprise (TITRE II).

74
Voir notamment, AMRANI MEKKI S., « L’action de groupe du 21e siècle. Un modèle réduit et réducteur ? »,
JCP G, 2015, 1196 selon qui cela conduirait à un « un décalage très important entre l’effet d’annonce d’une action
de groupe pour la justice du 21e siècle et le modèle proposé », p. 2031 ; CHONNIER J-M et ROUSPIDE-
KATCHADOURIAN M. N., « L’action de groupe dans les relations de travail : un dispositif novateur à l’efficacité
incertaine », RJS, 1/2017.
75
Voir notamment les différents Avis du Défenseur des droits sur le projet de loi : n° 15-23, 28 octobre 2015,
concernant le projet de loi n°661 portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, enregistré
à la Présidence du Sénat le 31 juillet 2015 et n°16-10, 7 avril 2016, Auditionné par les rapporteurs de la commission
des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi n°3204 relatif à l'action de groupe et à l'organisation judiciaire.
76
GUIOMARD F., « L’action de groupe dans le projet de loi sur la justice du XXIe siècle : un texte
d’anesthésie ? », RDT, 2016, n°1, p. 52, expression reprise de G. Lyon-Caen et M. Bonnechère utilisée à propos
de la réforme du droit du licenciement par la loi du 13 juillet 1973.

15
TITRE I : LE REGIME PROCEDURAL DE L’ACTION DE GROUPE ET LES
SPECIFICITES DES RELATIONS DE TRAVAIL

Laurence Pécaut-Rivolier, en 2013, faisait déjà ce constat : « la solution la plus adaptée


passe probablement par une possibilité d'action collective devant le juge. Mais pas n'importe
quelle action collective : le monde du travail n'est pas un monde comme les autres. La
spécificité de la relation qui lie un salarié à son employeur doit être prise en compte. »77. La
relation de travail a cela de particulier qu’elle fonde un rapport de subordination dans les
relations individuelles entre employeur et salariés, que les relations collectives de travail ont
pour objectif de rééquilibrer. L’action de groupe en discrimination envisagée dans ce cadre
devait nécessairement prendre en compte l’une (Chapitre 1) et l’autre (Chapitre 2) de ces
singularités.

Chapitre 1 : L’action de groupe face aux déséquilibres de la relation de travail


subordonnée

Le rapport de travail crée une relation déséquilibrée, de subordination juridique78, ce qui


a pour conséquence de rendre plus complexe l’action en justice en matière de discrimination. Il
s’agit ici de se demander en quoi l’action de groupe permet de répondre aux difficultés que cela
induit, en ce qui concerne tant l’engagement de l’action face aux risques encourus par le salarié
(Section 1) que la problématique de la preuve (Section 2).

Section 1 : Une action permettant de limiter les risques encourus par le salarié

L’action de groupe se présente comme une réponse (§2) au constat de l’insuffisance des
actions déjà ouvertes en droit du travail, au regard de la crainte des salariés de s’exposer à des
représailles de l’employeur (§1).

77
PECAUT-RIVOLIER L., « Discriminations collectives en entreprise : pour une action collective spécifique »,
RDT, 2014, p. 101.
78
Selon la Cour de cassation, « le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité
d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner
les manquements de son subordonné », Cass. Soc. 13 nov. 1996, Société générale, n°94-13187.

16
§1- Le constat de l’insuffisance des actions existantes

Avant l’instauration de l’action de groupe par la loi du 18 novembre 2016, l’absence de


cohérence entre le sentiment de discrimination élevé et le faible nombre de recours était un
constat largement partagé79. En particulier dans l’entreprise, le vécu discriminatoire semblait
exacerbé face à une mobilisation des voies de droit limitée, alors même que l’on observait une
multiplication des voies de droit visant à lutter contre les discriminations collectives dans les
relations de travail80.

Les risques de représailles de l’employeur expliquent en partie ce phénomène81. En effet, les


difficultés d’accès aux tribunaux sont d’autant plus aiguës que le justiciable se trouve dans une
situation de vulnérabilité, ce qui est le cas de la personne victime de discrimination82. Par
ailleurs, la relation de travail n’est pas une relation comme une autre puisqu’elle consiste à
placer l’un des cocontractants, le salarié, sous la subordination d’un second cocontractant,
l’employeur, ce qui ne peut que renforcer cette vulnérabilité. En engageant une action en justice,
le salarié peut mettre en jeu ses conditions de travail, détériorées le cas échéant par des mesures
de rétorsion de l’employeur, voire son emploi lui-même. Mener une action judiciaire en
discrimination tout en étant encore en emploi constitue une prise de risque importante, encore
accrue dans un contexte de crise économique83. On imagine en effet assez bien dans quelle
situation complexe se trouve le salarié débouté de son action mais toujours en poste.

79
GUIOMARD F., « L’action de groupe peut-elle contribuer à lever les freins à l’action contentieuse ? », op. cit.
80
« Le constat de la faible attractivité de la voie judiciaire est inversement proportionnel à la multiplicité des
dispositifs mis à la disposition des organisations syndicales pour conduire des actions contentieuses. », Etude
d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, 31 juillet 2015, p. 172.
81
Voir notamment le rapport sur les Discrimination collectives en entreprise : Lutter contre les discriminations au
travail : un défi collectif, Laurence PECAUT-RIVOLIER, Ministère du travail, Ministère de la Justice, Ministère
des droits des femmes, 2013, p. 81 : « Les syndicats expliquent en effet qu'en matière de discrimination, leur
principale difficulté est que si les salariés acceptent mal de se trouver nommément dans une action en justice,
alors que leur contrat de travail est en cours, ils soient exposés aux représailles de l'employeur. Or, si l'article
L1134-2 les autorise à agir sans mandat exprès des salariés concernés, il prévoit cependant que les salariés
peuvent s'y opposer. Le risque est dès lors que les syndicats, après avoir constitué un dossier long et difficile pour
établir la discrimination collective, se heurtent à la résistance et à la crainte des salariés individuels de voir leur
nom figurer dans la procédure. ».
82
GRUNDLER T. et THOUVENIN J.-M. (dir.), La lutte contre les discriminations à l’épreuve de de son
effectivité, Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations, Mission de recherche Droit et Justice,
2016, p. 44.
83
SERVERIN E. et GUIOMARD F., Des revendications des salariés en matière de discrimination et d’égalité,
Les enseignements d’un échantillon d’arrêts extrait de la base JURICA (2007-2010), Mission de recherche Droit
et Justice, 2013, p. 73 : en 2012, seuls 2% des salariés qui saisissent le Conseil de Prud’hommes sont en emploi et
ils sont 65,5% en appel.

17
Ainsi, les actions déjà mobilisables contre des discriminations collectives se heurtent-elles à la
problématique liée à la nécessaire exposition du salarié et aux risques induits quant à la
poursuite du contrat de travail.
Intéressons-nous tout d’abord aux dossiers sériels. Ces actions sont ciblées, puisqu’elles
nécessitent l’engagement individuel de chaque salarié, leur effet est donc relatif. Aussi, le
syndicat qui coordonne ces contentieux doit convaincre individuellement chacun d’entre eux.
Cette étape parait d’autant plus complexe et lourde à mettre en place que les salariés, bien que
soutenus par un syndicat, doivent engager une action individuelle et seront de fait exposés et
soumis à la crainte de représailles de la part de leur employeur. Dans un rapport de 2013 portant
sur une analyse d’un échantillon d’arrêts rendus entre 2007 et 2011, Evelyne Serverin et
Frédéric Guiomard observent que les contentieux sériels en matière de discrimination
concernent en grande partie des entreprises « à statut » (La Poste en particulier) 84. Or, ce sont
des entreprises au sein desquelles le risque de perte d’emploi est plus limité.
En parallèle, l’action de substitution, prévue à l’article L. 1134-2 du code du travail, qui permet
à une organisation syndicale représentative d’agir au nom d’un salarié victime de
discrimination, est très peu utilisée85. A titre d’illustration, l’étude précitée, qui porte sur les
arrêts rendus par les Cours d’appel en matière de discrimination entre 2007 et 2011, ne fait état
que d’une seule action de substitution86. En effet, pour agir sur ce fondement, le syndicat doit
nécessairement nommer les salariés concernés. Bien que n’ayant pas à justifier d’un mandat de
l’intéressé, l’organisation syndicale se doit de l’informer de son intention d’engager une telle
action. Celui-ci a alors la possibilité de s’y opposer dans les 15 jours. De fait, le risque est grand,
pour l’organisation syndicale, de se voir opposer un refus du salarié qui ne souhaiterait pas
s’exposer aux yeux de son employeur87.
Reste enfin l’action dans l’intérêt collectif de la profession, qui peut être menée par une
organisation syndicale. Cette action a une portée collective puisqu’elle permet au syndicat de
contester, par exemple, une décision de l’employeur, une clause jugée illégale d’un accord
collectif ou une application discriminatoire d’un accord collectif. Lorsque le syndicat agit au

84
Ibid. p. 172.
85
« l'action en substitution n'est quasiment jamais mise en œuvre » selon Laurence Pécaut-Rivolier, « Lutter contre
les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en entreprise remis
par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du
dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre de la Justice, op. cit. p.
81.
86
SERVERIN E. et GUIOMARD F., op. cit. p. 172. Il s’agissait d’une action en discrimination syndicale dans le
déroulement de carrière de 10 délégués du personnel également représentants du syndicat CGT.
87
MEHREZ F., « Justice du 21e siècle : action de groupe en matière de discrimination », Dalloz actualité, 8 juillet
2015.

18
principal, la décision juridictionnelle a une répercussion sur l’ensemble des salariés concernés,
sans que ceux-ci n’aient été partie à l’instance. Seule cette hypothèse permet de protéger les
salariés qui ne se trouvent pas nommés directement. Toutefois cette action comporte ses limites
puisqu’elle ne permet pas d’indemnisation individuelle.

Par ailleurs, selon l’étude évoquée, le taux de salariés en emploi dont le contentieux en
discrimination se trouve devant la Cour d’appel varie selon le motif invoqué. Il est beaucoup
plus élevé s’agissant de la discrimination syndicale88. Au regard de la problématique que nous
avons avancée, ce chiffre peut s’expliquer par différents facteurs : la force de certains collectifs
ancrés dans des organisations pérennes, la tradition syndicale de résistance à l’employeur et
enfin la protection légale des salariés ayant un mandat, notamment syndical89. En effet, le
licenciement de ces salariés est soumis à une procédure d’autorisation de l’inspection du travail.
Le lien entre le licenciement et le mandat du salarié, qui est avéré lorsque le licenciement est
discriminatoire, est un motif de refus d’autorisation de licenciement. Dans ce contexte, le salarié
peut donc plus sereinement engager une action en discrimination syndicale.

Face à cet état des lieux, l’action de groupe se présente comme une voie de droit préservant en
partie les salariés d’une identification par leur employeur.

§2- Les réponses partielles apportées par l’action de groupe

Le volet contentieux de l’action de groupe est scindé en deux phases. Une première, au
cours de laquelle le demandeur présente, à l’appui de ses conclusions, des cas individuels de
discrimination appartenant au groupe concerné. Une seconde, une fois le jugement de
responsabilité rendu par le juge, lors de laquelle les salariés concernés peuvent adhérer au
groupe afin d’obtenir la réparation de leurs préjudices.
L’étude d’impact réalisée par le Sénat formule ainsi l’objet de l’action de groupe : « donner la
faculté à une personne d’aller en justice dans l’intérêt d’une autre sans que celle-ci ne soit
clairement identifiée au départ, ni, par conséquent, au courant de celle-ci. »90
En effet, les salariés n’adhèrent au groupe qu’une fois le jugement sur la responsabilité rendu
et ce afin d’obtenir réparation. Le salarié, qui se fait alors connaître, est assuré, s’il remplit les

88
SERVERIN E. et GUIOMARD F., op. cit. p. 81.
89
Articles L. 2411-1 et s. du code du travail.
90
Etude d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, op. cit. p. 142.

19
conditions d’appartenance au groupe, d’être indemnisé. L’action est donc présentée comme une
réponse à la crainte de s’exposer : « L’action de groupe permettrait précisément de lever cette
difficulté, en ce qu’elle ne suppose au départ que la présentation de cas types, qui sont des cas
réels de discrimination, sans avoir à dévoiler dès le départ la consistance du groupe, qui n’est
d’ailleurs pas nécessairement connue à ce stade. »91
Les salariés ne sont en effet pas connus de l’employeur lors la première phase contentieuse, et
ne le sont qu’à partir de la seconde phase, une fois le jugement de responsabilité rendu, et donc
une fois assurés d’être indemnisés au titre de la discrimination. En cela, l’action de groupe
pourrait permettre de pallier aux difficultés établies précédemment.

Cette observation doit néanmoins être relativisée. En effet, le demandeur doit présenter des cas
individuels dans ses conclusions. L’article 62 de la loi du 18 novembre 2016 précise que l’action
de groupe est « exercée en justice au vu des cas individuels présentés par le demandeur »92,
qu’il s’agisse d’une action en cessation des manquements ou en réparation du préjudice. A
défaut d’indication quant à leur nombre, le pluriel peut être interprété comme la présentation
d’au moins deux cas93. Il est toutefois fort probable que le nombre de situations individuelles
avancées ait une influence sur le degré de précision de la requête et in fine sur la décision du
juge94. L’unique action de groupe ayant atteint le stade contentieux à ce jour présente 36 cas,
ce qui va bien au-delà du minimum requis95.
Or, la présentation de situations individuelles implique de nommer les salariés. Partant, ces
derniers seront connus de l’entreprise, ce qui annule, pour eux, les effets mis en avant de l’action
de groupe. Le texte reste par ailleurs silencieux sur leurs conditions d’adhésion. Bien que, dans

91
Ibid. p. 182.
92
Article 62 de la loi du 18 novembre 2016 : « Lorsque plusieurs personnes placées dans une situation similaire
subissent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature
à ses obligations légales ou contractuelles, une action de groupe peut être exercée en justice au vu des cas
individuels présentés par le demandeur.
Cette action peut être exercée en vue soit de la cessation du manquement mentionné au premier alinéa, soit de
l’engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des
préjudices subis, soit de ces deux fins. ».
93
Voir en ce sens CLEMENT E. op. cit. p. 2 ; F. GUIOMARD, « La preuve des discriminations syndicales dans
l’action de groupe, à propos du litige Fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT contre Safran Aircraft
Engines », op. cit. p. 869.
94
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°16-10, 7 avril 2016, Auditionné par les rapporteurs de la
commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi n°3204 relatif à l'action de groupe et à
l'organisation judiciaire, p. 10 : « Afin que le juge puisse se prononcer sur la dimension collective du contentieux,
la réalité de la discrimination invoquée, et déterminer les groupes avec suffisamment de précision, il faudrait
qu’un certain nombre de salariés acceptent dès cette phase qu’il soit fait état de leur cas individuel. Ces salariés,
contrairement à ceux qui se joindraient à l’action durant la phase suivante, s’exposeraient donc tout autant, si ce
n’est plus, que dans le cadre d’une procédure individuelle. » ; voir également MEHREZ F., op. cit. p. 2.
95
BISSUEL B., « Une filiale de Safran visée par une action de groupe dans une affaire de discrimination
syndicale », Le Monde, 8 septembre 2020.

20
les faits, il soit vraisemblable que les syndicats obtiennent un accord des salariés en question
avant d’engager l’action, rien ne le prévoit explicitement96.
D’autre part, lorsque l’action de groupe est exercée en cessation des manquements, la
présentation de cas individuels s’impose également, et ce contrairement à l’action syndicale
dans l’intérêt collectif de la profession. Aussi, lorsque cette dernière action peut être engagée,
notamment lorsqu’est en jeu une décision de l’employeur ou une clause d’une convention
collective, elle sera bien plus intéressante puisqu’elle n’identifiera aucun salarié. Une action
collective aurait en effet pu être considérée comme suffisante lorsque l’objet porte sur la
cessation des manquements97. Pour certains auteurs, dans le cadre de l’action de groupe,
l’anonymat aurait pu être préservé en ne permettant qu’au juge de prendre connaissance de
l’identité des salariés constituant les cas individuels98.

A ce titre, il est intéressant de noter que le Rapport Pécaut-Rivolier préconisait l’instauration


d’une action collective ouverte aux organisations syndicales lorsqu’une situation de
discrimination collective dans l’entreprise était constatée. L’objet de cette action était limité à
la cessation des manquements. Or, cette proposition ne prévoyait pas de présentation de
situations individuelles. Dans un second temps, les salariés pouvaient s’appuyer sur le jugement
déclaratif pour demander réparation individuellement devant le Conseil de Prud’hommes. Ce
jugement permettait de remplir la présomption de discrimination, charge ensuite à l’employeur
de justifier, par des raisons objectives, la différence de traitement99. Dans cette proposition,
aucun salarié n’était exposé individuellement avant le jugement déclaratif. Ce n’est cependant
pas la voie choisie par le législateur.

Au-delà de la situation de ces « primo-victimes »100, lorsque l’action de groupe est mise en
œuvre en vue d’obtenir la réparation du préjudice, les salariés doivent se manifester
individuellement pour adhérer au groupe. Mais oseront-ils faire cette démarche alors que leur
relation de travail est encore en cours d’exécution ?101

96
LEVANNIER-GOUEL O., op. cit. p. 9.
97
AMRANI MEKKI S., « Le socle commun procédural de l’action de groupe de la loi de modernisation de la
justice du XXIe siècle, à propos de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 », JCP G, n°50, p. 2311.
98
LEVANNIER-GOUEL O., op. cit. p. 9.
99
« Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en
entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation
professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre
de la Justice, op. cit. p. 103 et s.
100
Selon le terme utilisé par LEVANNIER-GOUEL O., op. cit. p. 8.
101
Ibid. p. 8.

21
Le législateur a fait le choix du système dit d’opt in qui s’oppose au système d’opt out de la
class action états-unienne102. Contrairement à l’opt in qui nécessite l’adhésion postérieure des
salariés, l’opt out permet de faire bénéficier du jugement, aux membres du groupe, sans qu’ils
aient à se signaler. Le système d’opt out, rejeté d’office, tant par une partie de la doctrine que
par les parlementaires, car jugé contraire aux principes de l’ordre juridique français 103, aurait
pu être envisagé comme un vecteur de protection supplémentaire des salariés. En effet, selon
ce mécanisme, aucun acte positif de leur part n’est attendu. A l’inverse, le système d’opt in peut
être source d’insécurité, puisque les salariés doivent se manifester alors qu’il existe encore un
risque, celui de se voir arguer par l’employeur qu’ils ne remplissent pas les critères d’adhésion
au groupe. De surcroît, la pression mise sur le défendeur est plus limitée puisque le coût final
de l’action pour l’entreprise dépendra du nombre de salariés ayant finalement adhéré104. L’opt
out aurait pu permettre de rééquilibrer un peu plus le rapport de force.

L’action de groupe ne répond ainsi qu’en partie à la problématique liée aux risques encourus
par les salariés. Par ailleurs, la preuve est une source de difficultés supplémentaires pour les
salariés.

Section 2 : L’action de groupe comme réponse à la problématique de la preuve

La question de la preuve occupe une place centrale parmi les objectifs donnés à l’action
de groupe. Dès l’exposé des motifs du projet de loi Justice du XXIe siècle, était mise en exergue
l’existence de « situations inégalitaires au détriment de victimes qui ne peuvent pas se défendre
utilement en justice. C'est particulièrement vrai en matière de discrimination, où du sentiment
à la preuve de celle-ci, le chemin judiciaire est complexe. »105. L’état du droit était considéré
comme insatisfaisant et l’action de groupe présentée, dans ce contexte, comme ayant vocation

102
DU CHASTEL A., « L’action de groupe en France : mythe ou réalité ? », JCP G, n°36, 3 septembre 2012,
p.1545.
103
Voir GUINCHARD S., « Une class action à la française ? », Recueil Dalloz, 2005, p. 2018, réflexions autour
de la décision du Conseil constitutionnel n° 89-257 DC du 25 juillet 1989 relative à l’instauration de l’action de
substitution en matière de licenciement économique et de la possibilité ou non d’introduire un système d’opt out
en droit français ; voir également l’étude d’impact qui estime que le système d’opt out n’est pas conforme aux
exigences constitutionnelles (p. 160).
104
GUINCHARD S., « Une class action à la française ? », op. cit. p. 2022.
105
Exposé des motifs du Projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, n°
661, déposé le 31 juillet 2015, p. 10.

22
à faciliter la preuve des discriminations collectives, en particulier au travail106. Il n’est toutefois
pas certain que cet objectif ait été entièrement atteint, tant en ce qui concerne l’objet de la preuve
(§1) que l’accès aux éléments de preuve (§2).

§1- L’objet de la preuve et les questions en suspens

En matière de discrimination, la preuve cristallise un certain nombre de difficultés.


Celle-ci est en effet d’autant plus difficile à apporter que la discrimination n’est pas ouvertement
affichée. Dans le cadre des relations de travail, la preuve de la discrimination se heurte au
principe de liberté contractuelle de l’employeur, qui, bien qu’encadrée par la loi, s’y déploie
avec une ampleur singulière. Les mesures discriminatoires sont, de surcroît, souvent cachées
derrière le paravent du pouvoir de direction, disciplinaire et réglementaire de l’employeur,
corollaire de la subordination juridique. La preuve du motif discriminatoire de la décision est
donc d’autant plus difficile à apporter.

Aussi, à l’initiative du droit de l’Union européenne, la charge de la preuve de la discrimination


a fait l’objet d’un aménagement. L’intention discriminatoire n’a pas à être démontrée. Selon
l’article L. 1134-1 du code du travail, le salarié présente des éléments de faits laissant supposer
l’existence d’une discrimination, charge ensuite à l’employeur d’apporter des éléments
objectifs justifiant que sa décision a été prise sans motif discriminatoire. L’effet de la
discrimination, c’est-à-dire le traitement défavorable, permet de présumer l’existence d’une
décision discriminatoire. La comparaison à travers un panel de salariés qui se trouvent dans une
situation comparable et les statistiques jouent ici un rôle primordial, bien que non obligatoire.

Toutefois, alors que la facilitation de la preuve est affichée et perçue107 comme l’un des objectifs
principaux de la réforme, la loi du 18 novembre 2016 reste, sur ce plan, muette. Qu’il s’agisse
du cadre général de l’action de groupe ou de la partie dérogatoire en matière de discrimination
dans les relations soumises au code du travail, rien n’est dit concernant la preuve, en particulier
s’agissant de son objet, ce qui crée un certain nombre d’incertitudes108.

106
Etude d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, op. cit. p.
152, un des objectifs de l’action de groupe est de « Faciliter l’administration de la preuve pour les victimes qui
pourront ainsi bénéficier des expertises et des moyens d’investigations de la justice au bénéfice du groupe, sans
pour autant devoir porter leur affaire devant la juridiction pénale. ».
107
MEHREZ F., op. cit. p. 2.
108
Voir Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°20-01, op. cit. p. 4-5.

23
Tout d’abord, l’engagement de l’action contentieuse est obligatoirement précédé d’une mise en
demeure de l’employeur visant à faire cesser « la situation de discrimination collective
alléguée »109. Quel est à ce stade l’objet de la preuve ? Une allégation de discrimination est-elle
suffisante ? Certains auteurs affirment que des éléments de preuve doivent être apportés dès la
mise en demeure ou a minima que l’ensemble des éléments à la disposition du demandeur à
l’action doivent être transmis à l’employeur110. Cet argument est également porté par l’une des
entreprises défenderesse dans le cadre d’une action de groupe en cours111. Le doute demeure
sur ce point.

S’agissant de la phase contentieuse, à défaut de texte spécial dans la loi, la règle générale112
selon laquelle la charge de la preuve est répartie entre l’employeur et le salarié s’applique113.
Le demandeur présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination
collective, charge à l’employeur d’apporter des éléments de justification excluant la
discrimination. Mais quels éléments de preuve doivent être apportés par les requérants dans une
action de groupe afin de laisser supposer l’existence d’une discrimination collective ? La loi
n’évoque que la présentation de cas individuels. Toutefois, des statistiques collectives
pourraient également être présentées.

Enfin, la réparation dans le cadre de l’action de groupe n’est que partielle. En effet, afin
d’obtenir réparation intégrale du préjudice, une action complémentaire devant le Conseil de
Prud’hommes s’avère nécessaire. Quelle preuve devra alors être apportée par le salarié ? Le
jugement en cessation des manquements et, le cas échéant, de responsabilité de l’action de
groupe équivaudra-t-il à un élément de preuve laissant supposer la discrimination ? Le salarié
devra-t-il apporter des éléments laissant supposer la discrimination qu’il a personnellement
subie ? La réalité de la facilitation de la preuve dépendra en partie de la réponse à cette
interrogation. Or, la loi n’apporte aucune précision sur le lien entre l’action de groupe et cette
action individuelle.

109
Article L. 1134-9 du code du travail.
110
BOULANGER A. et JONIN D., « La phase précontentieuse dans l’action de groupe en matière de
discrimination en droit du travail », SSL, 2017, n°1786.
111
GUIOMARD F., « La preuve des discriminations syndicales dans l’action de groupe, à propos du litige
Fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT contre Safran Aircraft Engines », op. cit. p. 867.
112
L’article 4 de la loi du 27 mai 2008 précise la répartition de la charge de la preuve en matière de discrimination.
113
GUIOMARD F., « La preuve des discriminations syndicales dans l’action de groupe, à propos du litige
Fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT contre Safran Aircraft Engines », op. cit. p. 871.

24
De nombreuses incertitudes planent ainsi autour de l’objet de la preuve. L’action de groupe
semble toutefois permettre une certaine simplification de l’accès aux éléments de preuve.

§2- L’accès aux éléments de preuve en partie simplifié

L’action individuelle en matière de discrimination se heurte à la difficulté d’accès aux


éléments probatoires. En effet, les informations nécessaires à la comparaison sont en général
détenues par l’employeur, qui peut, en refusant de les transmettre, bloquer toute action. Si les
organisations syndicales ont accès, dans le cadre de leurs fonctions, à certains documents, les
salariés pris individuellement n’ont pas les moyens d’accéder aux éléments de preuve utiles à
leur démonstration.

Il existe toutefois des voies judiciaires permettant de répondre avec plus ou moins d’efficacité
à cette problématique. En premier lieu, il est possible de demander au bureau de conciliation et
d’orientation du Conseil de Prud’hommes, sur le fondement de l’article R. 1454-14 du code du
travail114, d’ordonner à l’employeur la transmission de documents internes à l’entreprise. Il
apparait néanmoins qu’en raison de l’ambiguïté du texte, les Conseils de Prud’hommes ne
fassent que rarement droit à ces demandes115. En second lieu, l’article 145 du code de procédure
civile116 autorise à solliciter des éléments de preuve par requête ou référé. L’interprétation de
cet article par la Cour de cassation est assez souple. La Cour considère qu’il permet, avant tout
procès, de tendre à l’établissement de preuve, sans que cela ne remette en cause le principe
selon lequel le juge ne peut pallier aux déficiences des parties en matière probatoire. Elle estime
qu’il ne peut non plus être opposé au salarié le droit au respect de la vie privée d’autres salariés,
en raison d’informations les concernant qui pourraient figurer dans les documents
communiqués, dès lors qu’un motif légitime est avancé et que ces documents sont nécessaires

114
« Le bureau de conciliation et d'orientation peut, en dépit de toute exception de procédure et même si le
défendeur ne comparaît pas, ordonner :
[…]
3° Toutes mesures d'instruction, même d'office ;
4° Toutes mesures nécessaires à la conservation des preuves ou des objets litigieux. ».
115
« Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en
entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation
professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre
de la Justice, op. cit. p. 101.
116
« S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait
dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la
demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. ».

25
à la protection des droits de la partie les ayant sollicités117. En effet, pour effectuer une
comparaison, le demandeur a nécessairement besoin d’accéder à des informations concernant
d’autres salariés dans une situation comparable, informations nominatives comportant des
éléments personnels tels que la rémunération, les évolutions de carrière etc.
Malgré cela, le rapport Pécaut-Rivolier observait des blocages de la part des juridictions,
expliqués par la difficulté persistante des acteurs du procès relative à la communication de
documents portant mention d’autres salariés et comprenant des informations sur ces derniers,
alors même qu’ils ne sont pas parties au procès118.

Il est par ailleurs à noter que, le Défenseur des droits comme l’Inspection du travail peuvent
constituer des appuis aux actions en discrimination, en raison des pouvoirs qui leurs sont
conférés. En particulier, les agents de contrôle de l’Inspection du travail peuvent être saisis par
des salariés et/ou des organisations syndicales sur des atteintes au principe de non-
discrimination. Des pouvoirs d’enquête étendus leurs sont conférés, notamment s’agissant de
l’accès aux documents de l’entreprise. En matière de discrimination, les documents auxquels
les agents de contrôle peuvent avoir accès sont élargis119. C’est indirectement, à travers les
enquêtes menées, qu’ils peuvent faciliter la preuve des discriminations. Il est cependant à noter
que le procès-verbal de l’Inspection du travail est considéré comme un acte de poursuite
judiciaire au sens de l’article 7 du code de procédure pénale et non comme un acte administratif.
De ce fait, aucune copie ne peut être transmise au salarié120.

Or, l’action de groupe ne permet de dépasser l’obstacle de l’accès aux éléments de preuve que
partiellement.

117
Cass. Soc. 19 décembre 2012, n°10-20.526 : « Attendu que le respect de la vie personnelle du salarié et le
secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du
code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d'un motif légitime
et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées ;
Et attendu que la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile n'étant pas limitée à la
conservation des preuves et pouvant aussi tendre à leur établissement, c'est dans l'exercice de son pouvoir
souverain que la cour d'appel a retenu que les salariées justifiaient d'un motif légitime à obtenir la communication
de documents nécessaires à la protection de leurs droits, dont seul l'employeur disposait et qu'il refusait de
communiquer ; ».
118
« Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en
entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation
professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre
de la Justice, op. cit. p. 95.
119
Article L. 8113-5 du code du travail.
120
En application de l’article 11 du code de procédure pénale.

26
Tout d’abord, la démonstration d’une situation inégalitaire collective pourrait être facilitée par
l’utilisation de statistiques générales sur le groupe discriminé. Par exemple, le demandeur à
l’une des actions de groupe engagées fait appel à de nombreux éléments statistiques, issus
notamment des bilans sociaux, rapports de situation comparée, afin de mettre en exergue la
situation inégalitaire subie par les femmes en matière de rémunération, embauche, promotion
etc. Dans ce cadre, les documents sur lesquels l’organisation syndicale s’appuie pour étayer la
discrimination collective sont en principe accessibles, puisque ces informations doivent être
portées à la connaissance des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, qu’il
s’agisse des représentants des organisations syndicales ou des membres du comité social et
économique (CSE). Il existe en outre une porosité entre les membres de ces différentes
institutions, ce qui devrait rendre l’ensemble de ces éléments accessibles aux organisations
syndicales. En cela l’accès aux preuves semble bien facilité, l’appréciation collective
permettant de s’extraire de la comparaison individuelle qui est plus contraignante.
Cet aspect doit toutefois être relativisé. En effet, l’appréciation statistique parait plus ou moins
évidente selon le critère de discrimination en jeu. Certaines thématiques font l’objet d’analyses
obligatoires et régulières dans l’entreprise, soit à travers les bilans d’accords d’entreprise, soit
à travers les informations consultations obligatoires du CSE. C’est tout particulièrement le cas
de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui est soumise à une importante règlementation.
Il sera donc aisé de se fonder sur les documents obligatoires, que sont les rapports de situation
comparée, les index égalité femmes-hommes ou encore les bilans sociaux, pour mener une
action de groupe en la matière. Mais, lorsque le motif de la discrimination ne fait l’objet
d’aucune étude statistique dans l’entreprise, l’obtention des éléments probatoires pourra
s’avérer particulièrement complexe121. En pratique, il faudra nécessairement que les salariés
concernés soient contactés par l’organisation syndicale requérante et qu’ils acceptent de lui
transmettre certaines informations (par exemple leur rémunération). A défaut, une action
judiciaire contre l’employeur sera un préalable nécessaire pour obtenir ces éléments
probatoires. La comparaison posera, dans une telle hypothèse, les mêmes difficultés que celles
de l’action individuelle. Cette problématique se pose avec une acuité particulière à propos des
discriminations raciales ou fondées sur l’origine ethnique, en raison de l’interdiction de principe

121
CHONNIER J-M et ROUSPIDE-KATCHADOURIAN M. N., op. cit., p. 3. Ils estiment que certains motifs
sont « propices à un repérage statistique » contrairement à d’autres, par exemple l’orientation sexuel, l’apparence
physique etc.

27
en France d’effectuer de telles statistiques122. Le droit autorise malgré tout à solliciter de telles
statistiques, limitées au panel de comparaison, dans le cadre d’une action judiciaire123, en
particulier par le biais du référé probatoire124. Il sera toutefois nécessaire, pour le requérant,
d’engager une procédure afin que ces données lui soient communiquées par l’employeur, avec
les mêmes contraintes que celles exposées précédemment. Cela rend de fait complexe une
action de groupe en discrimination raciale, alors qu’il s’agit pourtant d’un des motifs ressentis
très fortement dans l’entreprise125. L’accès à la preuve est ainsi plus ou moins facilité selon le
motif de discrimination en jeu et l’existence de statistiques à ce sujet126.

Par ailleurs, cette approche statistique collective sur l’ensemble du groupe discriminé n’apparait
pas suffisante, et n’est peut-être même pas nécessaire. En effet, l’article 62 de la loi de 2016
donne la seule indication suivante : « une action de groupe peut être exercée en justice au vu
des cas individuels présentés par le demandeur. » Cela signifie que la présentation d’au moins
deux cas individuels devrait être suffisante pour établir la discrimination, sans qu’il soit besoin
de présenter des statistiques globales concernant le groupe discriminé. Reste que le demandeur
doit présenter des cas individuels, c’est-à-dire apporter des éléments de faits laissant présumer
une discrimination à l’égard des personnes visées. Pour ce faire, il rencontrera les mêmes
entraves dans l’accès aux preuves, notamment pour permettre la comparaison.
La différence principale avec les actions individuelles sérielles se situe ici dans le fait que seuls
quelques cas suffisent à la démonstration. En effet, lors de la seconde phase, celle de l’adhésion
au groupe, les salariés n’ont pas à apporter d’éléments de preuve quant à leur situation
personnelle. En ce sens celle-ci semble donc bien mutualisée.

122
M. PEYRONNET, « Discrimination systémique dans le BTP : une notion nouvelle aux effets limités », Dalloz
actualité, 8 janvier 2020, p. 1 ; voir également Sénat, E. BENBASSA et J.-R. LECERF, « La lutte contre les
discriminations : de l’incantation à l’action », Rapport d’information, n°94, p. 18 et s.
123
L’article 6 II. de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés renvoie
au 2 de l'article 9 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 qui autorise de manière dérogatoire le traitement
de ces données lorsqu’il est « nécessaire à la constatation, à l'exercice ou à la défense d'un droit en justice ».
124
Article 145 du code de procédure civile précité.
125
Il est le 3e motif de discrimination le plus ressenti dans le monde professionnel selon le 10e Baromètre de la
perception des discriminations dans l’emploi, Défenseur des droits et OIT, 2017.
126
Cette ambiguïté est résumée par FORD R. : « On a du mal à prouver le comportement discriminatoire ou
contestable sans les statistiques. Aussi la preuve de la discrimination indirecte est presque entièrement statistique.
Vous ne pouvez pas analyser la discrimination indirecte sans statistiques. Donc si personne ne recueille des
statistiques ou s’il est interdit d’en établir, vous êtes un peu coincé […] », FORD R., « Le rôle des statistiques
comme moyen de preuve », Discriminations en droit du travail, dialogue avec la doctrine américaine, MERCAT-
BRUNS M., édition Dalloz, 2013, p. 172.

28
Notons, en outre, qu’aucune passerelle spécifique n’est organisée avec l’Inspection du travail
pour faciliter l’accès aux preuves, alors que les pouvoirs étendus de celle-ci sur ce champ
auraient pu être particulièrement utiles127.

On le voit, la procédure fait l’objet de peu d’innovations sur le sujet. Il reste, de plus, de
nombreuses incertitudes. Il n’est pas évident que l’action de groupe telle qu’elle est conçue
permette de répondre effectivement à la problématique de l’accès aux preuves128.
A ce titre, le rapport d’information réalisé auprès de l’Assemblée nationale par la mission
d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe129, émet le souhait qu’une
réflexion soit engagée sur l’opportunité de prévoir une phase de discovery130. En matière de
discrimination dans les relations de travail, au regard des difficultés accrues d’accès à la preuve,
une telle procédure pourrait en effet permettre de rééquilibrer le rapport de force entre les
parties, afin de leur conférer le même niveau d’information. Cependant, elle parait, pour une
partie de la doctrine, trop éloignée de la tradition juridique française131.

L’action de groupe tente donc de s’adapter de manière imparfaite à la singularité des relations
individuelles de travail. Les relations professionnelles sont également constituées de relations
collectives de travail, qu’il s’agit de prendre en considération.

127
Par exemple, la Confédération Française des Travailleurs chrétiens (CFTC), auditionnée dans la cadre de
l’élaboration du rapport Pécaud-Rivolier, proposait en 2013 la création d’une passerelle entre l’inspection du
travail et le Conseil de Prud’hommes, ainsi qu’avec le Défenseur des droits, « Lutter contre les discriminations au
travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en entreprise remis par Mme Laurence
Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social,
ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre de la Justice, op. cit. p. 158.
128
Il est intéressant de noter que le rapport Pécaut-Rivolier préconisait d’autres mesures face au même constat. Il
était ainsi proposé de donner au juge le pouvoir de décider d’anonymiser certains documents lors de leur
communication au demandeur. Sur le même principe que celui à l’œuvre dans les contentieux relatifs au nombre
d’adhérents de syndicats (Soc., 8 juillet 2009, Okaïdi, n°09-60.031), seul le juge aurait eu accès aux éléments
nominatifs, une autre proposition visait à clarifier les textes relatifs aux pouvoirs du juge en la matière, « Lutter
contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en entreprise
remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et
du dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre de la Justice, op.
cit. p. 100-101.
129
Assemblée nationale, VICHNIEVSKY L. et GOSSELIN P., Rapport d’information déposé par la mission
d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, op. cit. p. 66.
130
Définie par la CNIL comme « le nom donné à la procédure américaine permettant, dans le cadre de la
recherche de preuves pouvant être utilisées dans un procès, de demander à une partie tous les éléments
d’information (faits, actes, documents...) pertinents pour le règlement du litige dont elle dispose quand bien même
ces éléments lui seraient défavorables. », https://www.cnil.fr/fr/definition/discovery.
131
GUINCHARD S., « Une class action à la française ? », op. cit. p. 2018.

29
Chapitre 2 : L’action de groupe et la présence d’un collectif préexistant

L’entreprise a cela de particulier que les relations collectives entre salariés et employeur
sont organisées grâce à des acteurs dont la mission est de représenter le collectif des salariés
(Section 1), et à travers, ce qui est communément appelé, le dialogue social (Section 2). La
procédure dérogatoire de l’action de groupe du code du travail s’est efforcée de s’y adapter.

Section 1 : Le rôle central conféré aux organisations syndicales représentatives

Les organisations syndicales, habituées classiquement à défendre les salariés dans


l’entreprise, se sont vues confier un rôle primordial dans l’introduction de l’action de groupe
(§1). Malgré tout, il reste à déterminer si, au regard de leur objet, qui ne porte pas
spécifiquement sur la lutte contre les discriminations, elles sont les mieux à même d’agir au
nom de groupes discriminés (§2).

§1- La priorité donnée aux acteurs traditionnels de l’entreprise

L’action de groupe, contrairement à la class action états-unienne, n’est pas ouverte


directement à un salarié appartenant au groupe discriminé. Un filtre a été instauré par la loi du
18 novembre 2016. L’article L. 1134-7 du code du travail ouvre cette action aux organisations
syndicales représentatives au niveau de l’entreprise, de la branche ou au niveau national et
interprofessionnel, que les victimes soient des salariés, candidats à un emploi, à un stage ou à
une formation en entreprise. Lorsqu’elle concerne des candidats à un emploi ou à un stage,
l’action peut également être portée par une association régulièrement déclarée depuis au moins
cinq ans intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du
handicap. Un monopole a donc été conféré aux organisations syndicales représentatives lorsque
l’action de groupe porte sur une discrimination subie par des salariés.

Les débats parlementaires ont été abondants sur le sujet, soutenus par de nombreux
amendements. Les parlementaires se sont majoritairement opposés au système américain de
class action dont la qualité à agir a été jugée trop large132. Les « dérives » de ce système et le

Voir par exemple, l’intervention de C.-A. FRASSA, examen en commission des lois du Sénat, le 28 octobre
132

2015 (Rapport de la commission des lois du Sénat n°121, 28 octobre 2015, p. 166).

30
risque de recours dilatoires ont régulièrement été pointés du doigts133, au travers notamment du
rôle prépondérant des avocats134. Aussi, le choix a-t-il été fait de restreindre les personnes
titulaires de l’action, l’objet de ce « filtre » étant d’éviter l’engagement de contentieux non
sérieux et l’engorgement des tribunaux135. Cela remplacerait en quelque sorte la phase de
« certification » de la class action américaine, qui correspond à une vérification de la
recevabilité de l’action.
Sur cette base, des propositions plus ou moins restrictives ont été débattues. Ainsi, en matière
de relations de travail, le texte adopté par le Sénat en première lecture limitait la qualité à agir
aux seules organisations syndicales représentatives, que les victimes soient des salariés ou des
candidats à un emploi ou à un stage136, voie que l’Assemblée nationale n’a ensuite pas souhaité
emprunter. Était également retirée du socle commun, l’action du ministère public137 en
cessation des manquements138. Cette dernière éviction était confirmée définitivement par
l’Assemblée nationale en première lecture139.
A l’inverse, d’autres amendements ont visé à élargir les titulaires de l’action. Il a par exemple
été proposé de diminuer l’ancienneté requise des associations140 ou bien encore d’ouvrir l’action
à un collectif de personnes concernées lorsque l’association s’avère défaillante141. Aucun de
ces amendements n’a été adopté.
Les propositions se sont rarement éloignées du postulat de départ portant sur la place principale,
voire exclusive, accordée aux syndicats en matière d’action de groupe en discrimination dans

133
Voir par exemple, l’intervention de P. BAS, président de la commission des lois du Sénat, Sénat, 1 e lecture, 4
novembre 2015, p. 10400 ; ou encore, l’intervention de R. HAMMADI, Assemblée nationale, 1 e lecture, 2e séance,
17 mai 2016, discussion générale commune.
134
Les cabinets d’avocats, pour certains spécialisés dans les class action, peuvent aux Etats-Unis démarcher les
salariés afin de monter l’action, ce qui est interdit en droit français, selon l’article 161, al. 2, du décret n° 91-1197
du 27 nov. 1991, puis se rémunèrent sur la base d’un pourcentage des indemnités perçues par les salariés. Voir les
développements de S. GUINCHARD, « Une class action à la française ? », op. cit. p. 2018 ou de TARASEWICZ
Y. et ROCHE G., « L’action de groupe à l’aune de la « class action » américaine », SSL, 24 octobre 2016, n°1741,
p. 3.
135
Selon le Rapport de la commission des lois du Sénat n°121, op. cit p. 94, il s’agit du « modèle français de
l’action de groupe qui repose sur l’existence d’un filtre de demandeurs qualifiés, afin d’éviter l’engagement abusif
de telles actions, susceptibles, par leur retentissement, de déstabiliser les personnes mises en cause ».
136
Le texte restreignait également la qualité à agir du cadre général de l’action de groupe aux seules associations
titulaires d’un agrément national.
137
Article 21 Projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, n° 661, déposé
le 31 juillet 2015 : « Dans la mesure où le fait générateur donnant lieu à l'action de groupe peut revêtir une
qualification pénale, le dommage subi par un nombre important de personnes pouvant d'ailleurs être source d'une
atteinte à l'ordre public, le ministère public pourra toujours agir à titre principal en cessation du manquement, ou
intervenir comme partie jointe, quel que soit l'objet de l'action. ».
138
Sénat, 1e lecture, 5 novembre 2015, p. 10473 et s. et Projet de loi relatif à l'action de groupe et à l'organisation
judiciaire, adopté en 1ère lecture par le Sénat le 5 novembre 2015, TA n° 35.
139
Projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, modifié en 1ère lecture par l'Assemblée nationale
le 24 mai 2016, TA n° 738.
140
Amendement n°148, Sénat, 1e lecture, 5 novembre 2015, p. 10449.
141
Amendement n°37, Sénat, 1e lecture, 5 novembre 2015, p. 10454.

31
les relations de travail. Leur rôle a, en tant que tel, été peu discuté au Parlement, alors même
que d’autres solutions avaient pu être évoquées par d’autres acteurs. Ainsi le Défenseur des
droits était-il en faveur d’un filtrage réalisé par le juge lui-même, à travers une phase de
« certification » telle qu’elle peut exister dans le système américain, plutôt que par une
restriction a priori des personnes ayant qualité à agir142. Une autre solution avait été avancée,
par la proposition de loi visant à instaurer un recours collectif en matière de discrimination et
de lutte contre les inégalités déposée en 2013143, consistant à ouvrir l’action au Défenseur des
droits lui-même.
Le texte adopté finalement est sur ce point identique au projet de loi, s’agissant de l’action de
groupe en discrimination dans les relations relevant du code du travail144.

La loi Justice du XXIe siècle a ainsi suivi une partition assez classique en appréhendant les
discriminations dans les relations de travail sous l’angle des relations collectives de travail. Les
salariés discriminés sont considérés, d’abord, comme des salariés dont les intérêts sont
représentés face à ceux de l’employeur par les organisations syndicales. En cela, l’action de
groupe se distingue peu de l’action en défense des intérêts collectifs de la profession et de
l’action de substitution.
En effet, l’action de substitution est ouverte aux organisations syndicales représentatives au
niveau national, départemental ou dans l’entreprise. Sur ce fondement, ces organisations
peuvent agir en faveur d’un salarié, d’un candidat à un emploi, à un stage ou à une formation
en entreprise victime de discrimination145. Il convient de noter que l’action est également
ouverte aux associations régulièrement constituées depuis cinq ans au moins pour la lutte contre
les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap. Néanmoins, à la différence des
syndicats, ces associations doivent justifier d’un accord écrit de l’intéressé146. Une distinction
de taille avec l’action de groupe est toutefois à signaler : dans le cadre de l’action de
substitution, une association qui répond aux critères posés peut agir en faveur d’un salarié ainsi

142
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n° 15-13, 2 juin 2015, Auditionné le 2 juin 2015 par
Monsieur Razzy Hammadi, rapporteur de la proposition de loi instaurant une action de groupe en matière de
discrimination et de lutte contre les inégalités n°1699, p. 4.
143
Proposition de loi déposée par Mme E. Benbassa et autres, visant à instaurer un recours collectif en matière de
discrimination et de lutte contre les inégalités, Sénat, n° 811 du 25 juill. 2013 ; Le principal concerné s’est
néanmoins montré défavorable à cette option, la jugeant contraire à sa position de « tiers de confiance » (Défenseur
des droits, Avis du Défenseur des droits n° 13-10, op. cit. p. 5).
144
L’extension de la qualité à agir en matière de discrimination aux associations dont l’objet statutaire porte sur la
défense des intérêts lésés (s’ajoutant aux associations ayant pour objet la lutte contre les discriminations ou
œuvrant dans le domaine du handicap) n’ayant pas été confirmé dans les relations de travail.
145
Article L. 1132-4 code du travail.
146
Article L. 1134-3 code du travail.

32
que d’un candidat à une formation, alors qu’elle ne peut agir que pour des candidats à un emploi
ou à un stage dans le cadre de l’action de groupe.
Toute organisation syndicale, sans qu’elle soit nécessairement représentative, peut agir en
défense des intérêts collectifs de la profession147. L’action de groupe n’est, quant à elle, ouverte
qu’aux organisations syndicales représentatives. De ce fait, la première ne sera-t-elle pas plus
attractive que la seconde, lorsque les deux actions pourront être engagées ? Il est en effet
possible de s’interroger sur les raisons qui justifient l’exclusion des organisations syndicales
non représentatives148. Par ailleurs, la proposition d’ouvrir l’action aux autres institutions
représentatives du personnel de l’entreprise, en particulier au comité d’entreprise (aujourd’hui
CSE), n’a pas été suivie149.

Ainsi, tout en faisant le constat de l’insuffisance des procédures existantes en droit du travail
pour faire face aux phénomènes discriminatoires150, la réforme de 2016 donne, non seulement
compétence aux mêmes acteurs, mais limite leur champ d’action. La qualité à agir en la matière
se trouve finalement plus restrictive, en particulier lorsque la discrimination concerne des
salariés. Dans cette hypothèse, seule une organisation syndicale représentative peut agir. Les
associations se voient ainsi exclues, séparant de fait l’entreprise du reste de la société151. Il est
possible de considérer qu’il s’agit d’une approche assez « fermée » du monde du travail, qui
fonctionnerait en vase clos, au sein duquel seuls les acteurs propres à ce domaine auraient la
possibilité d’intervenir, toute immixtion extérieure étant rejetée.
Au-delà d’un parti pris et du poids des habitudes152, ce choix peut s’expliquer par la crainte
formulée à maintes reprises, lors des débats parlementaires, du coût pour les entreprises
qu’induirait une action de groupe largement ouverte153, et ce, au risque de déposséder les
salariés eux-mêmes d’une action qui les concerne directement154. De surcroît, l’intervention

147
Article L. 2132-3 code du travail.
148
CLEMENT E., op. cit. p. 3, cela pourrait s’expliquer par la volonté du législateur de privilégier le règlement
amiable par la négociation collective lors de la phase précontentieuse.
149
GUIOMARD F., « Quelle place faire aux actions de groupe en droit du travail ? », RDT, 2014, n°9, p. 568.
150
Voir l’exposé des motifs du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle,
n° 661, déposé le 31 juillet 2015.
151
ADAM P., « L’action de groupe discrimination, sur la prudente audace d’une réforme majeure », op. cit. p. 638
152
« Confier à un travailleur individuel l’aptitude à solliciter la réparation des préjudices individuels multiples,
ce serait pour le droit du travail un saut radical. Hors l’action individuelle, le droit du travail ne connaît que
l’action syndicale. », LYON-CAEN A., op. cit. p. 77.
153
Voir notamment, l’intervention de P. GRUNY, Sénat, 1e lecture, 3 novembre 2015, p. 10267 et s.
154
BEN ACHOUR S., « L’action de groupe n’aura aucune réalité judiciaire », SSL, 24 octobre 2016, n°1741, p.
6.

33
d’acteurs externes dans les décisions des employeurs pourrait être vue par ces derniers comme
une atteinte trop importante à leur pouvoir de direction.
Cela pose la question de savoir si les syndicats, acteurs traditionnels des relations collectives
de travail, sont les mieux à même d’agir en matière de discrimination.

§2- Des acteurs non spécialisés en matière de lutte contre les discriminations

La réforme semble, à ce titre, davantage cerner l’action de groupe sous l’angle du droit du
travail que de la discrimination, ce qui suscite des interrogations.
Les organisations syndicales, habituées à défendre les intérêts de la collectivité formée par les
salariés, ne sont, selon certains points de vue, pas les mieux placées pour agir en matière de
discrimination155. En effet, le « cadre classique » des relations de travail parait bouleversé par
l’importance conférée aux droits de la personne dans la société en général et par son reflet dans
le monde du travail. Cela se traduit par l’existence de groupes sociaux ayant parfois des intérêts
différents de ceux de la communauté de travailleurs, défendue par les organisations
syndicales156. C’est un changement de paradigme dont il est ici question auquel la réforme ne
parait pas s’attacher.

Le Défenseur des droits s’est ainsi montré très tôt défavorable au monopole d’action des
organisations syndicales. Selon ses travaux, les organisations syndicales n’auraient intégré la
lutte contre les discriminations dans leurs priorités que dans la période récente. Plus habituées
à engager des actions en faveur des conditions de travail, elles iraient moins spontanément vers
des questions relatives aux discriminations157.
En outre, toujours selon le Défenseur des droits, les motifs de discriminations ne feraient pas
l’objet d’un traitement similaire. S’ils s’engagent principalement dans des dossiers relatifs à de
la discrimination syndicale, voire sur les questions d’égalité femmes hommes, les syndicats
seraient moins enclins à soutenir et a fortiori engager des contentieux sur les autres motifs158.

155
Cette question a été relayée dans les débats parlementaires, par exemple par E. BENBASSA « On est en droit
de se demander si les syndicats, actifs lorsqu’il s’agit de conflits dans l’entreprise, sont préparés pour agir en
matière de discrimination », Sénat, 1e lecture, 3 nov. 2015, p. 10249.
156
NADEAU D., « Monopole de la représentation syndicale et droits individuels des salariés : l’incontournable
défi de la diversité », Les Cahiers de Droit, volume 53, n°1, mars 2012, p. 139.
157
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n° 15-13, op. cit. p. 2-3.
158
Le Défenseur des droits observe que « Plusieurs groupes discriminés n’ont pas de relais dans les organisations
syndicales. Les discriminations systémiques à l’encontre des travailleurs migrants ou révélant des pratiques de
harcèlement sexuel, parmi les plus graves, ne mobilisent pas l’action syndicale. Par exemple, les travailleurs
immigrés de la Villa Breteuil, les employées de nettoyage des trains d’un sous-traitant de la SNCF, de harcèlement

34
Le même reproche est d’ailleurs adressé aux associations. Tous les groupes discriminés ne
seraient pas représentés, ou à tout le moins, par une structure assez solide pour engager une
telle action, longue et coûteuse159. L’écueil serait ainsi de créer des justiciables discriminés « à
deux vitesses »160.

A ce jour, les faits ne peuvent que confirmer les constats du Défenseur des droits. En effet,
depuis l’entrée en vigueur de la loi Justice du XXIe siècle, seules trois mises en demeure
connues ont été transmises en vue d’engager une action de groupe en discrimination dans les
relations régies par le code du travail. Deux de ces actions ont été intentées par la CGT et
portent, pour l’une, sur la discrimination syndicale, pour l’autre, sur la discrimination envers
les femmes. La troisième, engagée par SUD Rail, a trait au handicap. Il est intéressant de noter
que deux autres actions ont été menées contre des employeurs publics également sur les mêmes
motifs, l’appartenance syndicale et le sexe161. A notre connaissance, aucune action n’a été, à ce
jour, initiée par une association représentant des candidats à un emploi ou à un stage.
Ce chiffre est particulièrement faible. De plus, les actions se concentrent sur des motifs de
discrimination auxquels les syndicats sont sensibilisés, soit qu’ils les concernent directement,
soit qu’ils fassent l’objet de négociation obligatoires dans l’entreprise. Le filtre a
nécessairement eu un effet sur cet état des lieux.

A l’heure du bilan, des propositions émergent en vue d’étendre la qualité à agir, et de rendre
l’action de groupe plus effective. Le Défenseur des droits réitère sa recommandation portant
sur l’attribution du rôle de filtre directement aux juges, dans une première étape du contentieux.
Il pourrait ainsi être donné qualité à agir à un groupe de personnes réunies pour les besoins de
la cause ou à toute association créée à cette occasion162.
La mission d’information auprès de l’Assemblée nationale, portant sur le bilan et les
perspectives de l’action de groupe, partage le constat du Défenseur des droits et considère que
« les conditions requises pour avoir la qualité à agir sont trop restrictives »163. Elle propose

sexuel à grande échelle, les Chibanis de la SNCF, n’ont pas bénéficié de mobilisation syndicale. », Défenseur des
droits, Avis du Défenseur des droits n°20-01, op. cit. p. 6-7.
159
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°16-10, op. cit. p. 4.
160
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n° 15-13, op. cit. p. 3.
161
Une action engagée par le syndicat Alternative Police CFDT contre le ministère de l’Intérieur en discrimination
syndicale et une action initiée par le syndicat du personnel d’encadrement de la ville de Lyon pour discrimination
sexuelle envers les femmes.
162
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°20-01, op. cit. p. 7.
163
Assemblée nationale, VICHNIEVSKY L. et GOSSELIN P., Rapport d’information déposé par la mission
d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, op. cit. p. 46.

35
d’élargir le champ des associations pouvant agir, notamment aux associations ad hoc
composées d’au moins cinquante personnes physiques ou d’au moins dix entreprises
constituées sous la forme de personnes morales et ayant au moins deux ans d’existence 164. Le
changement préconisé est moins novateur que celui soutenu par le Défenseur des droits. De
plus, elle n’évoque pas spécifiquement l’action de groupe en discrimination contre une
employeur privé qui, selon cette proposition, resterait confiée aux seules organisations
syndicales représentatives lorsque les victimes sont des salariés.
Enfin, la question de l’ouverture de la qualité à agir rejoint celle du financement de ces
procédures. Seules des associations ou des organisations syndicales ayant des fonds suffisants
peuvent se lancer dans une action d’une telle envergure, ce qui joue également en défaveur du
développement de celles-ci. Certains préconisent la constitution d’un fonds, comme au Québec,
afin de faciliter leur financement165.

Au-delà de la définition de la qualité à agir, la procédure de l’action de groupe en discrimination


s’efforce de s’adapter l’existence de relations organisées entre les partenaires sociaux dans
l’entreprise.

Section 2 : L’enjeu du dialogue social dans la voie non contentieuse

Le droit du travail organise les relations et le dialogue entre l’employeur et les


représentants des salariés dans l’entreprise, à travers les obligations d’information et de
consultation du CSE et les obligations de négociation. Dans le cadre de la phase
précontentieuse, la loi a pris en compte cette spécificité en lui accordant une place considérable
(§1). Toutefois, dans les faits, les chances de trouver une solution non contentieuse semblent
réduites (§2).

§1- L’importance accordée au dialogue social dans l’action de groupe en


discrimination du code du travail

Il convient de replacer la réforme dans un contexte marqué par deux caractéristiques :


celle du déploiement des modes alternatifs de règlements des conflits en procédure civile, celle

164
Ainsi, qu’aux associations dont l’objet social inclut celui du litige et ayant au moins deux ans d’existence, p.
48.
165
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°20-01, op. cit. p. 7-8.

36
de l’existence d’un dialogue social, entre l’employeur et les institutions représentatives du
personnel, développé et organisé par le droit du travail. En particulier, la place donnée à la
négociation collective a été considérablement élargie, ces dernières années, et les règles qui
l’entourent profondément modifiées166.
La loi Justice du XXIe siècle se donne pour mission, notamment, de « permettre au citoyen de
régler son litige de manière négociée avant la saisine du juge et même une fois ce dernier
saisi »167, à travers un certain nombre de mesures prises au sein de son Titre II « Favoriser les
modes alternatifs de règlements des différends ». La loi tend à renforcer la
« déjudiciarisation »168.
Cette ambition se traduit, dans la procédure de l’action de groupe, par une mise en demeure
préalable obligatoire, avant toute voie contentieuse. Selon le cadre commun, cette dernière ne
peut être introduite qu’à l’expiration d’un délai de 4 mois suivant la réception de la mise en
demeure169. Il s’agit bien là « d'éviter toute judiciarisation inutile et de privilégier la voie
consensuelle »170.

Il peut tout d’abord paraître contradictoire de créer une nouvelle action contentieuse tout en
craignant une judiciarisation et en favorisant la voie consensuelle171. L’ambiguïté est relevée
par une partie de la doctrine qui y voit une manière « d’édulcorer le projet »172, en ayant pour
effet de ralentir le cours de la procédure.

166
Voir notamment, AUZERO G., BAUGARD D., DOCKES E., Droit du travail, Précis Dalloz, 32e édition, 2019,
p. 1582 et s. De manière non exhaustive, peuvent être citées la loi du 20 août 2008 sur la représentativité des
organisations syndicales, la loi du 8 août 2016 instaurant une exigence majoritaire, les ordonnances de septembre
2017 ainsi que la loi de ratification du 29 mars 2018 renforçant la priorité donnée à l’accord d’entreprise sur
l’accord de branche et développant les sujets sur lesquels la règle légale n’est plus que subsidiaire par rapport à la
règle négociée.
167
Exposé des motifs du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, n°
661, déposé le 31 juillet 2015.
168
AMRANI MEKKI S., « Le socle commun procédural de l’action de groupe de la loi de modernisation de la
justice du XXIe siècle, à propos de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 », op. cit. p. 2310.
169
Article 64 de la loi du 18 novembre 2016 : « Préalablement à l’introduction de l’action de groupe, la personne
ayant qualité pour agir met en demeure celle à l’encontre de laquelle elle envisage d’agir par la voie de l’action
de groupe de cesser ou de faire cesser le manquement ou de réparer les préjudices subis.
A peine d’irrecevabilité que le juge peut soulever d’office, afin que la personne mise en demeure puisse prendre
les mesures pour cesser ou faire cesser le manquement ou réparer les préjudices subis, l’action de groupe ne peut
être introduite qu’à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la réception de cette mise en demeure. ».
170
Exposé des motifs projet de loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe
siècle.
171
AMRANI MEKKI S., « Le socle commun procédural de l’action de groupe de la loi de modernisation de la
justice du XXIe siècle, à propos de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 », op. cit p. 2311, note que
« Judiciarisation et déjudiciarisation sont ainsi conjointement traitées à la recherche d’un juste équilibre. ».
172
GUIOMARD F., « L’action de groupe dans le projet de loi sur la justice du XXIe siècle : un texte
d’anesthésie ? », op. cit. p. 52, il estime ainsi que « la place qu'il [le législateur] octroie à la négociation sur ce
terrain est révélatrice d'une préférence donnée à l'action correctrice volontaire plutôt qu'à l'action en justice. Le
texte qui en ressort n'est-il pas en conséquence largement privé d'utilité ? ».

37
Cette phase précontentieuse peut, par ailleurs, être considérée comme une réponse à
l’inquiétude, exprimée fréquemment lors des débats parlementaires, de voir le nombre d’actions
de groupe exploser suite à l’entrée en vigueur de la réforme. Elle est ainsi rendue obligatoire
par la loi Justice du XXIe siècle qui crée un cadre commun aux actions de groupe tout en
élargissant singulièrement le champ de celles-ci, ce qui conforterait cette hypothèse173.

L’action de groupe en discrimination en matière de relations de travail suit, quant à elle, un


régime dérogatoire qui tend à favoriser encore davantage la résolution amiable du litige. D’une
part, le délai de droit commun est allongé et porté à 6 mois. D’autre part, cette période est en
partie organisée par la loi174.
Le délai de 6 mois, prévu dès le projet de loi, a été présenté par le Gouvernement comme
nécessaire au « dialogue social ». Celui-ci précisait que « la logique du projet de loi est de
promouvoir, si possible, la conciliation, la médiation, le règlement amiable, ainsi que la logique
du fonctionnement et de la culture au sein de l’entreprise »175. Cette réponse était apportée aux
amendements, finalement rejetés, visant à réduire ce délai considéré, au contraire, comme une
entrave au dispositif176.
Par ailleurs, l’hypothèse dans laquelle l’employeur refuserait d’entrer dans le jeu de la voie
amiable n’était pas envisagée dans le projet de loi. Cet impensé a été en partie rectifié, puisque
la loi finalement adoptée permet d’engager l’action de groupe à compter de la notification à
travers laquelle le défendeur indique ne pas reconnaitre la discrimination alléguée, sans attendre
l’expiration du délai de 6 mois177. Toutefois, si l’employeur refuse le dialogue, sans pour autant
transmettre de notification, le délai de 6 mois doit être respecté, ce qui est un facteur
d’allongement de la procédure, dont l’utilité parait mince.

173
En effet, alors que la loi Hamon de 2014 n’ouvrait l’action de groupe qu’au droit de la consommation, celle-ci
ne prévoyait pas de phase consensuelle obligatoire. De même, les propositions de Loi de 2013 et 2014 visant à
instaurer une action de groupe en matière uniquement de discrimination ne comportait pas une telle procédure.
174
Article L. 1134-9 code du travail.
175
Intervention de C. TAUBIRA, Garde des Sceaux, Sénat, 1e lecture, 5 novembre 2015, p. 10478.
176
Par exemple, l’intervention de C. CUKIERMANN : « cette mise en demeure préalable n’a aucun sens, surtout
en matière de discrimination, mais que, au contraire, elle pourrait constituer un obstacle supplémentaire à
l’action, alors que l’action de groupe est ouverte pour combattre l’inertie des victimes et renforcer leur accès au
juge », Sénat, 1e lecture, 5 novembre 2015, p. 10477.
177
Article L. 1134-9 du code du travail. Il est toutefois à noter que le rapporteur de la commission des lois de
l’Assemblée nationale avait proposé un amendement, finalement retiré, prévoyant que « l’action de groupe en
matière de discrimination dans les relations relevant du code du travail peut être également engagée au bout d’un
délai de deux mois après la demande présentée à l’employeur de faire cesser la discrimination, si celui-ci n’a pas
reconnu la réalité des faits » (Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Tome 1, 6 mai 2016,
p. 322).

38
A cet égard, il semble que ce délai ne participe pas à l’attractivité du dispositif. Ainsi, lorsque
la discrimination collective est identifiable à travers une mesure prise par l’employeur, l’action
en défense des intérêts collectifs de la profession parait plus intéressante puisqu’elle ne
comporte pas de tel délai178.

Par ailleurs, la période de 6 mois est organisée par la loi, contrairement au cadre commun de
l’action de groupe qui n’apporte aucune précision sur la manière dont le règlement amiable
pourrait être mis en œuvre179. L’employeur procède à une information des institutions
représentatives du personnel, CSE et organisations syndicales représentatives dans l’entreprise,
dans un délai d’un mois suite à la réception de la mise en demeure. Aucune précision n’est
donnée sur la forme ni sur le contenu de cette information.
Une « discussion » s’engage ensuite à leur demande avec pour objectif de faire cesser le
manquement180. La formule utilisée par le texte « A la demande du comité social et économique,
ou à la demande d'une organisation syndicale représentative, l'employeur engage une
discussion »181 laisse bien entendre qu’il s’agit là d’une obligation de l’employeur, lorsque
demande lui est faite182.
La voie consensuelle passe donc, dans l’entreprise, par une discussion avec les institutions
représentatives du personnel et en particulier avec les organisations syndicales représentatives,
à la condition qu’elles en aient fait la demande. Les termes de l’article L. 1134-9 du code du
travail paraissent ainsi exclure de cette discussion les associations ayant pu engager l’action183
ainsi que les organisations syndicales représentatives de la branche ou au niveau national et
interprofessionnel. C’est bien avec les acteurs habituels de l’entreprise que ce dialogue doit
s’instaurer, peu important à cet égard qu’ils ne correspondent pas au signataire de la mise en
demeure. La solution consensuelle repose ainsi sur les partenaires sociaux dans l’entreprise et
non sur une médiation entre demandeur et défendeur.

178
CHONNIER J-M et ROUSPIDE-KATCHADOURIAN M. N., op. cit. p. 6.
179
Aucune précision n’est apportée à ce titre par le Décret n° 2017-888 du 6 mai 2017 relatif à l'action de groupe
et à l'action en reconnaissance de droits prévues aux titres V et VI de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de
modernisation de la justice du XXIe siècle.
180
Article L. 1134-9 du code du travail : « Dans un délai d'un mois à compter de la réception de cette demande,
l'employeur en informe le comité social et économique, ainsi que les organisations syndicales représentatives dans
l'entreprise. A la demande du comité social et économique, ou à la demande d'une organisation syndicale
représentative, l'employeur engage une discussion sur les mesures permettant de faire cesser la situation de
discrimination collective alléguée. ».
181
Article L. 1134-9 code du travail.
182
A. BOULANGER et D. JONIN, op. cit. p. 2.
183
GUIOMARD F., « La preuve des discriminations syndicales dans l’action de groupe, à propos du litige
Fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT contre Safran Aircraft Engines », op. cit. p. 870.

39
La formule utilisée dans la loi est toutefois ambiguë, le terme « discussion » ne faisant écho à
aucune modalité d’échanges avec les institutions représentatives dans l’entreprise. Ne sont ici
explicitement évoquées ni « l’information » ou « l’information consultation » du CSE, ni la
négociation avec les organisations syndicales représentatives. Le fait que l’action de groupe
puisse être engagée essentiellement par les organisations syndicales représentatives et que la
loi n’ouvre cette discussion, hormis au CSE, qu’aux « organisations syndicales
représentatives » et non à toutes les organisations syndicales de l’entreprise, laisse penser que
la voie privilégiée sera la négociation collective. Cependant, cette discussion pourrait également
prendre d’autres formes. La loi laisse les partenaires sociaux libres des modalités mises en
œuvre.
L’ambition de la loi d’obtenir une solution amiable au cours de la phase précontentieuse semble,
dans sa réalisation, devoir être nuancée.

§2- Dans les faits, une place à relativiser

Auditionnée par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le bilan et les


perspectives de l’action de groupe, l’avocate Savine Bernard souligne que « la mise en demeure
est « inopérante » en matière de discrimination, les entreprises estimant qu’accepter la
discussion impliquait de reconnaître l’existence d’une discrimination »184. La discussion ayant
pour objet la cessation des manquements allégués, il s’agit bien, pour les entreprises, d’accepter
de dialoguer afin de répondre à la discrimination présentée par le syndicat, ce qu’elles semblent
difficilement prêtes à accepter. Comment, en effet, engager des discussions dont l’objet est de
faire cesser une situation discriminatoire sans reconnaître l’existence de celle-ci ?185
Dans les faits, il est possible que les entreprises laissent s’écouler le délai de 6 mois, sans pour
autant entrer en discussion avec les organisations syndicales ni procéder à une notification
indiquant ne pas reconnaître la discrimination alléguée. Dans une telle hypothèse, l’écoulement

184
Assemblée nationale, VICHNIEVSKY L. et GOSSELIN P., R
*apport d’information déposé par la mission d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe,
op. cit. p. 63.
185
RAGE J.-F. et BIED-CHARRETON C., « Class action et discrimination au travail », Les Cahiers du DRH, 1er
décembre 2016, n°237, p. 3-4, ils conseillent pourtant aux employeurs de laisser la discussion s’engager sans
reconnaître malgré tout l’existence de la discrimination.

40
du délai ferait perdurer la pratique discriminatoire, si elle s’avérait fondée, 6 mois
supplémentaires186, ce qui pourrait être considéré comme une attitude déloyale187.
A notre connaissance, aucune des mises en demeurent transmises à ce jour n’a été suivie d’une
résolution non contentieuse du litige. S’agissant de la première action de groupe engagée par la
CGT en discrimination syndicale, les échanges se sont arrêtés aux modalités d’organisation de
la négociation, sur lesquelles aucune solution consensuelle n’a pu être dégagée188.

Par ailleurs, parmi les négociations obligatoires dans l’entreprise se trouvent des thématiques
liées aux discriminations. Tel est ainsi le cas de la négociation sur l’égalité professionnelle, sur
la qualité de vie au travail ou encore sur la valorisation des parcours syndicaux. Or, lorsqu’une
organisation syndicale transmet une mise en demeure, c’est qu’elle estime a minima que les
accords conclus sont insuffisants pour remédier à la situation discriminatoire. La première
action de groupe ayant atteint la phase contentieuse soulève justement un moyen relatif, non
seulement à l’insuffisance, mais à l’illégalité de l’accord sur l’activité syndicale. Il est ainsi
avancé qu’une clause de l’accord sur le développement du dialogue social encourt la nullité, en
ce que les critères d’analyse des évolutions de carrière et de rémunération des panels de
comparaison ne seraient pas conformes à ceux fixés par la jurisprudence. Saisi de ce dossier, le
Défenseur de droits a confirmé la position du requérant estimant la clause de cet accord elle-
même discriminatoire189.
Dans ces hypothèses, comment engager une discussion en vue de répondre à une situation
discriminatoire alors que les négociations déjà tenues dans l’entreprise n’ont pas permis d’y
répondre, voire l’ont amplifiée, et ce d’autant plus que les acteurs sont identiques ?

Ainsi, la discussion avec les partenaires sociaux parait complexe à réaliser dans les faits, ce qui
réduit notablement les possibilités de résolution consensuelle du litige. La mission
d’information sur le bilan et les perspectives de l’action de groupe estime que ce délai, en
particulier en matière d’action de groupe en discrimination, constitue un « facteur de
ralentissement de la procédure » et propose de supprimer l’obligation préalable de mise en

186
Risque mis en avant par Madame Françoise KAMARA, doyenne de la 1e chambre civile de la Cour de cassation,
Assemblée nationale, VICHNIEVSKY L. et GOSSELIN P., Rapport d’information déposé par la mission
d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, op. cit. p. 63.
187
GUIOMARD F., « La preuve des discriminations syndicales dans l’action de groupe, à propos du litige
Fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT contre Safran Aircraft Engines », op. cit. p. 870-871.
188
Défenseur des droits, Décision du Défenseur des droits n°2019-109, saisi par la FTM-CGT dans le cadre de
l’action de groupe initiée contre l’entreprise SAFRAN, 13 mai 2019, p. 5.
189
Ibid. p. 42.

41
demeure, notamment dans ce champ190. Le Défenseur des droits considère, quant à lui, que le
faible risque financier pesant sur l’entreprise ne l’incite pas à trouver une solution négociée191.

La procédure de l’action de groupe et notamment le régime dérogatoire en matière de


discrimination du code du travail, ne répond donc qu’en partie aux spécificités de la relation
qui lie les salariés à leur employeur. Cette voie procédurale pourrait par ailleurs permettre
d’appréhender et de réduire les discriminations systémiques dans l’entreprise.

190
Assemblée nationale, VICHNIEVSKY L. et GOSSELIN P., Rapport d’information déposé par la mission
d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, op. cit. p. 62-63.
191
« Ces hypothèses de règlement amiable du litige apparaissent toutefois peu probables dans la mesure où le
déclenchement d’une action de groupe ne fait, en soi, peser qu’un risque financier très faible sur l’employeur. »,
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°16-10, op. cit. p. 9.

42
TITRE II : LES EFFETS ATTENDUS DE L’ACTION DE GROUPE EN MATIERE DE
LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS SYSTEMIQUES EN ENTREPRISE

L’action de groupe en matière de discrimination paraît un outil intéressant dans la lutte


contre les discriminations systémiques. Si la nouvelle procédure présente un certain nombre de
défauts, elle semble néanmoins offrir des potentialités utiles, tant pour saisir ce type de
discriminations (Chapitre 1) que pour y répondre (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Une action permettant de saisir les discriminations systémiques dans


l’entreprise

La réforme, qui se présente explicitement comme un moyen de lutter contre les


discriminations collectives dans l’entreprise, vise implicitement les discriminations
systémiques (Section 1). Il reste à déterminer si l’action de groupe telle qu’elle a été créée
permet de réaliser cet objectif (Section 2).

Section 1 : La lutte contre les discriminations systémiques, un objectif sous-jacent de la


réforme

Au-delà des objectifs affichés de la réforme (§1), l’action de groupe peut être vue comme une
voie judiciaire permettant de saisir les discriminations systémiques (§2).

§1- Les objectifs affichés de la réforme

Intitulé in fine « L’action de groupe », le titre V du projet de loi Justice du XXIe siècle
portait initialement le titre « Coordonner l’accès collectif au juge ». L’accent était mis d’emblée
sur la volonté de regrouper des contentieux individuels dans un seul et même contentieux
collectif.
Un lien étroit est en effet effectué par la réforme entre la facilitation de l’accès au juge, par la
dimension collective du recours, et la rationalisation du contentieux.
Tout d’abord, l’action de groupe est présentée comme une réponse aux solutions parfois
divergentes rendues par les Conseils de Prud’hommes, lorsqu’ils sont saisis de litiges

43
individuels appartenant pourtant à un même contentieux sériel192. L’objectif est d’accroître la
sécurité juridique et la cohérence au profit des justiciables.
De plus, les conséquences sur le fonctionnement des juridictions ne sont pas neutres193. De
manière générale, la loi de 2016 se donne pour objectif de rationaliser le traitement des
contentieux devant les juridictions qui, souvent submergées par le nombre de dossiers, voient
les délais de traitement s’allonger194. Il s’agit là d’un fil conducteur de la loi. L’impact de
l’action de groupe sur la rationalisation du traitement des contentieux était d’ailleurs déjà
évoqué par le Parlement européen, à travers la proposition de résolution adoptée le 12 janvier
2012 portant sur la promotion d’un « cadre horizontal européen pour les recours collectifs »195.
En matière prud’homale, le constat des difficultés induites par le traitement individuel des
contentieux sériels était également mis en avant dans le rapport Lacabarats en 2014196. Sources
de « déperdition d’énergie », « d’inefficacité » et d’« insécurité juridique »197, les contentieux
sériels devaient faire l’objet d’une rationalisation.

En ce sens, l’action de groupe serait donc une voie procédurale facilitant le recours des salariés,
tout en rationalisant un contentieux engagé, à défaut, à travers de multiples actions individuelles
devant les Conseils de Prud’hommes. Elle porterait ainsi sur une discrimination collective,
entendue classiquement comme une discrimination similaire subie par plusieurs salariés sur le
fondement d’une même décision ou pratique de l’employeur.

192
Ainsi, l’un des trois objectifs généraux de l’action de groupe présentés dans l’Etude d’impact consiste à
« rationaliser le contentieux en permettant un traitement unifié. Le traitement collectif, selon une procédure
adéquate devrait permettre d’apporter une réponse plus adaptée, qu’un traitement judiciaire, au cas par cas,
source de divergences », Etude d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du
XXIe siècle, op. cit. p. 152.
193
Ibid. voir partie 4.2 sur l’« Impact sur les services judiciaires ».
194
Cette direction est mise en exergue dès les premiers paragraphes de l’exposé des motifs du projet de loi : « Si
les Français se déclarent satisfaits du traitement de leur affaire, qu'il s'agisse de l'accueil, de l'information qui
leur a été donnée ou du déroulement de l'audience, ils considèrent néanmoins que la justice doit être plus rapide
et moins complexe, plus proche et mieux organisée afin de leur permettre de rechercher une solution négociée
dans un cadre juridique avant le recours au juge », Exposé des motifs du projet de loi portant application des
mesures relatives à la justice du XXIème siècle, n° 661, déposé le 31 juillet 2015.
195
Il soulignait « les avantages possibles des procédures judiciaires collectives, en réduisant les coûts et en
accroissant la sécurité juridique pour les parties requérantes et la partie défenderesse, mais également pour le
système judiciaire, car elles permettent d'éviter les procédures parallèles sur des plaintes similaires », Proposition
de résolution du Parlement européen, Vers une approche européenne cohérente en matière de recours collectif
(2011/2089(INI)), point M.5.
196
Rapport qui préconisait, outre la création d’une action collective sur le modèle présenté dans le Rapport Pécaut-
Rivolier : « - L’attribution légale de compétence à la seule juridiction du lieu où est établi l’employeur ; - La
désignation d’une juridiction “chef de file” par une autorité centrale. », « L’avenir des juridictions du travail :
vers un tribunal prud’homal du XXIe siècle », Rapport remis par M. Alain Lacabarats au ministre de la Justice,
juillet 2014, p. 56-57.
197
Ibid. p. 56.

44
Malgré cette présentation, il est possible de se demander si la finalité n’est pas également, avec
l’action de groupe, d’appréhender une forme de discrimination collective plus systémique.

§2- L’objectif sous-jacent en matière de discrimination systémique

La discrimination systémique est une notion non reconnue en droit français. La réforme
relative à l’action de groupe n’y fait d’ailleurs pas explicitement référence. Cependant, les
débats qui ont entouré et entourent toujours ce dispositif font appel de manière récurrente à ce
concept.

En ce sens, il n’est pas anodin de noter que, selon le rapport Pécaut-Rivolier, qui a servi de
fondement à la réflexion autour de l’instauration de l’action de groupe, les discriminations
collectives sont le plus souvent d’origine systémique, en particulier lorsqu’elles sont subies au
travail. Il en donne une définition que nous avons précédemment citée198. Le rapport interroge
par ailleurs la suffisance des mécanismes existants pour faire face à ce type de discrimination.

Le lien entre action de groupe et lutte contre les discriminations systémiques a, de plus, été mis
en exergue par les premières propositions de loi de 2013 et de 2014. L’exposé des motifs de la
proposition déposée par Esther Benbassa en juillet 2013 faisait directement appel à cette
notion199. De même, celle déposée par Bruno Le Roux et Razzy Hammadi en janvier 2014,
indiquait, dans son exposé des motifs, « Ce ne sont pas quelques comportements isolés qui sont
visés par la proposition de loi, mais les discriminations systémiques. » 200

Le projet de loi de 2016 semble davantage en retrait. Toutefois, le concept apparait entre les
lignes. Dans l’étude d’impact, il est possible de retrouver, à travers certaines formules, l’idée
de discrimination systémique. Evoquant l’importance de la négociation pour lever les préjugés

198
« Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en
entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation
professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre
de la Justice, op. cit. p. 27.
199
« L’ambition de cette proposition de loi est d’instaurer une procédure susceptible de permettre la mise en cause
des entreprises et administrations qui pratiquent la discrimination de manière systémique. Et par là même de les
inciter, de les persuader et, si nécessaire de les contraindre à instaurer davantage d’équité dans leurs structures
lorsqu’elle fait défaut. Elle ne concerne pas les comportements isolés de discrimination. », Proposition de loi
déposée par Mme E. Benbassa et autres, visant à instaurer un recours collectif en matière de discrimination et de
lutte contre les inégalités, op. cit. p. 5.
200
Proposition de loi Déposée par MM. B. Le Roux et R. Hammadi et autres, instaurant une action de groupe en
matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, op. cit. p. 5.

45
dans l’entreprise, il est précisé que « Cette démarche vise à faire prendre conscience aux
acteurs économiques et sociaux des situations, souvent méconnues, qui aboutissent à des
traitements inégalitaires fondés sur des motifs précisément identifiés »201. De là à mentionner
la discrimination systémique, il n’y a qu’un pas. Pas qui ne sera franchi que de manière
indirecte, lorsque, citant le rapport d’activité transmis par le Défenseur des droits, l’étude
d’impact indique : « Le rapport d’activité pour 2013 de cette autorité constitutionnelle
indépendante insiste sur l’inefficience de la voie individuelle pour faire évoluer des
comportements systémiques »202.

Les débats parlementaires ne font quasiment pas référence à la discrimination systémique.


D’ailleurs, dans sa présentation inaugurale, la Garde des Sceaux n’en fait pas état203. Ce silence
porte son lot d’interrogations : l’absence de référence explicite à la discrimination systémique
est-elle volontaire ? Dans l’affirmative, la lutte contre les discriminations systémiques est-elle
exclue de la procédure ou est-ce un objectif inavoué afin de donner davantage de chances à la
réforme d’être adoptée et de lui conférer une apparence moins transformatrice ?

Pour autant, au regard de l’interprétation faite, à la fois par le Défenseur des droits et par les
avocats ayant mené les premières actions, il semblerait que le lien entre action de groupe et
discrimination systémique soit caractérisé. Ainsi, le Défenseur des droits considère que ce cadre
juridictionnel ouvre des possibilités nouvelles parmi lesquelles « la reconnaissance judiciaire
des discriminations collectives et systémiques en matière d’emploi »204. Et de préciser, en
faisant référence au rapport Pécaut-Rivolier, que « C’est ainsi que la notion même de
discrimination systémique émerge en droit français au même moment que l’action de groupe,
susceptible de lui apporter une réponse »205. De surcroît, les actions de groupe engagées par la
CGT font toutes deux références aux discriminations systémiques subies respectivement par les

201
Etude d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, op. cit. p.
171.
202
Ibid. p. 172.
203
Une des rares références à la discrimination systémique est à trouver dans l’intervention de Mme KHIARI,
« Grâce à cette innovation, les discriminations, notamment raciales, qui affectent le travail, les loisirs, les stages
et bien d’autres secteurs seront perçues non plus comme des actes isolés, mais comme un système qui défavorise
certains groupes. En reconnaissant ce caractère systémique, on pourra nommer les choses », Sénat, 1e lecture 5
novembre 2015, p. 10482 ; ou encore au sein du Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale,
Tome 1, 6 mai 2016 : « on peut toutefois considérer qu’un certain nombre de situations ont vocation à être traitées
par une voie de recours spécifique, qui serve de levier au traitement des discriminations systémiques. », p. 309.
204
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°20-01, op. cit. p. 2.
205
Ibid. p. 3.

46
syndicalistes et par les femmes206. Cet angle d’approche a par ailleurs été appuyé par le
Défenseur des droits dans l’une de ces affaires207. Ses conclusions confirment la caractérisation
d’une discrimination directe et indirecte dont le cumul crée une discrimination collective et
systémique208. Par ailleurs, lorsqu’elle évoque l’action de groupe, la doctrine fait également
régulièrement référence à cette notion, de manière plus ou moins critique209.

Alors que la discrimination systémique ne constitue pas une catégorie juridique reconnue par
le droit français et que la loi de 2016 n’y fait pas expressément référence, il semble bien que,
pour de nombreux acteurs du droit, l’action de groupe soit un outil permettant d’appréhender
les discriminations systémiques dans l’entreprise. Il convient toutefois de se demander si le
mécanisme procédural créé est adapté à cet objectif.

Section 2 : Un mécanisme procédural adapté aux discriminations systémiques ?

Pour répondre à cette interrogation il convient de s’intéresser aux catégories de


discriminations (§1) ainsi qu’aux conditions d’ouverture de l’action (§2) retenues par la loi, à
l’aune du concept de discrimination systémique.

§1- La discrimination systémique à l’épreuve des catégories classiques de


discrimination directe et indirecte

Selon l’article L. 1134-7 du code du travail, l’action de groupe a pour objet « d’établir que
plusieurs candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou
plusieurs salariés font l’objet d’une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur un même

206
Voir pour la première action, GUIOMARD F., « La preuve des discriminations syndicales dans l’action de
groupe, à propos du litige Fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT contre Safran Aircraft Engines »,
op. cit. p. 869.
207
Considérant que « L’action de groupe, dans sa dimension collective oblige, à réfléchir autrement sur les
qualifications de discrimination. Au-delà de chaque modalité de discrimination, il est nécessaire d’envisager
l’hypothèse de leur cumul et de leur multiplication lorsque l’analyse porte sur la situation d’un groupe déterminé,
soumis à une suite de diverses différences de traitement du fait d’un seul critère prohibé, comme les activités
syndicales, au sein d’un collectif de travail »207, le Défenseur des droits estime que les activités syndicales sont
particulièrement concernées par ce type de discrimination, Défenseur des droits, Décision Défenseur des droits
n°2019-109, op. cit. points 165, 175 et 176.
208
Ibid. p. 42.
209
Voir par exemple, MERCAT-BRUNS M., « L’identification de la discrimination systémique », RDT, 2015, p.
672 ou encore ADAM P., « L’action de groupe discrimination, sur la prudente audace d’une réforme majeure »,
op. cit. p. 638.

47
motif figurant parmi ceux mentionnés à l’article L. 1132-1 et imputable à un même
employeur ». La loi fait donc référence aux deux catégories instaurées en droit français par la
loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le
domaine de la lutte contre les discriminations, à savoir la discrimination directe et la
discrimination indirecte. En ce sens, la réforme de 2016 n’apporte aucune modification quant à
la définition de la discrimination et se contente de se référer à celle déjà inscrite dans le droit, à
travers ces deux versants. Il est dès lors légitime de se demander si la discrimination systémique
est soluble dans ces notions.

Tout d’abord, la discrimination systémique est souvent confondue avec la discrimination


indirecte, en ce qu’elles mettent toutes deux à jour les biais inconscients ayant conduit à une
différence de traitement prohibée. A la différence de la discrimination individuelle, qui, si elle
n’est pas forcément consciente, est nécessairement ciblée, la discrimination collective cache
souvent ses motifs et relève en général de mesures qui apparaissent neutres. Il s’agit de la
position tenue par Laurence Pécaut-Rivolier qui considère que ces deux discriminations
reposent sur la même dynamique. La discrimination systémique pourrait ainsi être appréhendée
à travers la notion de discrimination indirecte, à la condition de prendre un soin particulier à
l’observation de ces discriminations, qui sont moins visibles210.
Cette conception ne fait toutefois pas consensus. Pour d’autres auteurs, au contraire, la
discrimination systémique pourrait relever de la discrimination indirecte comme de la
discrimination directe211.
Marie Mercat-Bruns tient une position encore différente et considère que les discriminations
systémiques doivent faire l’objet d’une catégorie juridique distincte, avec un régime propre. De
son point de vue, les discriminations systémiques sont issues de l’effet conjugué de
discriminations directes ou indirectes, qui peuvent provenir de plusieurs sources de différences
de traitement. De cette dynamique, de cette interaction, naîtrait un effet discriminatoire envers
un groupe de personnes. Elle estime ainsi que la discrimination systémique suppose le régime
spécifique suivant : celle-ci serait présumée en se fondant, comme pour la discrimination

210
PECAUT-RIVOLIER L. et MERCAT-BRUNS M., « Le droit français est-il suffisamment équipé en matière
de lutte contre les discriminations systémiques ? », op. cit. p. 373.
211
Voir par exemple, WOLMARK C., op. cit. ; Notons également que le Défenseur des droits, dans sa décision
relative à la première action de groupe constate que « les discriminations observées caractérisent une
discrimination directe, indirecte, par injonction, dont le cumul crée une discrimination collective et systémique »,
Décision Défenseur des droits n°2019-109, op. cit. p. 42.

48
indirecte, sur l’effet discriminatoire. Toutefois, elle emprunterait à la discrimination directe les
justifications pouvant être apportées par l’employeur, qui seraient donc plus réduites212.
De plus, le concept de discrimination systémique nécessiterait d’adapter les éléments de fait
laissant supposer l’existence d’une discrimination. Le lien de causalité entre le responsable, ici
l’employeur, et le dommage, l’effet discriminatoire, devrait être assoupli, puisque ce dernier
naît d’une interaction de pratiques et de mesures et non d’une seule et même décision de
l’employeur. La présomption de discrimination pourrait ainsi être apportée, selon la même
auteure, par la preuve de l’inaction de l’employeur face aux différences de traitement
démontrées213.

Néanmoins, la loi ne crée pas de nouvelle catégorie juridique, l’action de groupe s’appuie sur
les régimes prédéfinis de la discrimination directe et indirecte. Plusieurs difficultés pourraient
en résulter, en particulier dans l’hypothèse où les deux catégories de discriminations seraient
invoquées par un groupe discriminé dans une entreprise. Conviendrait-il alors de distinguer
clairement les décisions ou pratiques prises au titre de la première et de la seconde afin
d’appliquer pour chacune d’elle leur régime propre ? Serait-ce même possible tant parfois les
pratiques et décisions sont imbriquées les unes aux autres ?
Par ailleurs, lorsque l’action de groupe concerne une discrimination indirecte et que le requérant
a apporté des éléments de fait laissant présumer la discrimination - en particulier grâce à des
statistiques démontrant le désavantage subi par un groupe de salariés (par exemple les femmes
dont la rémunération moyenne serait inférieure à celle des hommes par niveau de classification,
dont les taux de promotions et d’embauches aux postes de cadres seraient très largement
inférieurs à celui des hommes etc.) -, la justification objective du traitement défavorable par un
argument collectif parait délicate. En effet, individuellement, l’employeur peut arguer, en se
fondant sur son pouvoir de direction, que tel salarié n’a pas été promu, contrairement aux autres
salariés de sa catégorie, en raison de ses résultats professionnels. Mais comment apporter une
justification collective à une différence de traitement subie par un groupe qui ne serait pas issue
d’une seule et même décision de l’employeur mais de l’effet combiné de plusieurs d’entre

212
« La discrimination systémique permet de les réunir [les notions de discrimination directe et indirecte] en
proposant un modèle proche de la responsabilité sans faute. Elle procéderait, comme la discrimination indirecte,
en partant de la recherche d'un désavantage, existant ou potentiel, qui n'est pas forcément lié à un auteur unique
présumé, organisateur intentionnel d'un « système », et la discrimination systémique emprunterait ensuite à la
discrimination directe le fait de considérer qu'aucune justification n'est admise si l'effet discriminatoire est avéré
sauf une contestation de la véracité des éléments produits ou une explication différente pour la disparité statistique
par exemple », PECAUT-RIVOLIER L. et MERCAT-BRUNS M., « Le droit français est-il suffisamment équipé
en matière de lutte contre les discriminations systémiques ? », op. cit. p. 379.
213
MERCAT-BRUNS M., « L’identification de la discrimination systémique », op. cit. p. 672.

49
elles ? Une justification globale peut être présentée par l’employeur mais elle parait tout de
même moins évidente. Cela plaiderait en faveur de l’existence, de fait, d’un régime distinct tel
que présenté par Marie Mercat-Bruns.
Il resterait toutefois possible, pour l’employeur, de contester les éléments de preuve apportés,
notamment la construction des statistiques présentées. De plus, selon certains auteurs, la
présomption de discrimination pourrait être renversée en démontrant que toutes les mesures de
prévention nécessaires pour répondre de manière effective à la discrimination supposée, ont été
prises, dans le cadre d’une obligation de moyens214.

L’appréhension des discriminations systémiques à travers les catégories de discrimination


directe et indirecte semble donc envisageable mais soulève un certain nombre d’interrogations.
Il convient de se demander également si les conditions d’ouverture de l’action de groupe sont
ajustées à la définition dynamique de la discrimination systémique.

§2- Les conditions limitatives d’ouverture de l’action de groupe

Rappelons de prime abord que, dans une action de groupe, la situation discriminatoire
doit être présentée à l’appui de cas individuels. Or, c’est bien là que réside l’une des différences
majeures avec l’action dans l’intérêt collectif de la profession qui, ne pouvant être mise en
œuvre sur le fondement de l’atteinte à un agrégat d’intérêts individuels, semble plus adaptée
lorsqu’est en cause une mesure patronale ou tout acte juridique de portée collective
spécifique215. L’action dans l’intérêt collectif de la profession porte en effet sur « une décision
ou un acte concret de l’employeur »216, ce qui ne parait pas correspondre aux situations de
discriminations systémiques, fruit de processus conjugués et dynamiques. A l’inverse, l’action
de groupe permettrait d’embrasser des phénomènes discriminatoires plus complexes, par la
présentation d’une situation de discrimination, illustrée par des cas individuels.

214
GUIOMARD F., « La preuve des discriminations syndicales dans l’action de groupe, à propos du litige
Fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT contre Safran Aircraft Engines », op. cit. p. 872 ; MERCAT-
BRUNS M., « L’identification de la discrimination systémique », op. cit. p. 680.
215
A noter toutefois que, pour certains auteurs, au contraire, l’action dans l’intérêt collectif de la profession pourrait
être engagée sur le fondement de cas individuels à partir du moment où ils font ressortir une discrimination
collective, règle d’ordre public social, qui porte atteinte à l’intérêt collectif de la profession : LEVANNIER-
GOUEL O., « Fallait-il consacrer l’action de groupe en droit du travail ? », op. cit., p. 9.
216
« Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en
entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation
professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre
de la Justice, op. cit. p. 80.

50
Néanmoins, les autres critères fixés par l’article L. 1134-7 du code du travail peuvent être vus
comme réducteurs217. Cette limitation joue à plusieurs titres.
Tout d’abord, l’article fait état d’une discrimination, au singulier. Or, comme nous l’avons
précédemment évoqué, la discrimination systémique est la conséquence d’une succession et
d’une combinaison de discriminations.
Puis, la discrimination doit être subie sur un « même motif », parmi ceux figurant à l’article
L. 1132-1 du code du travail218. Une action de groupe ne pourra donc s’exercer sur le fondement
d’une discrimination multiple ou intersectionnelle. Or, selon Marie Mercat-Bruns, la
discrimination systémique est caractérisée par le cumul et l’interaction de discriminations dont
l’un des effets peut conduire à des discriminations multiples ou combinées219.
Enfin, la discrimination doit être imputable à un même employeur alors que les discriminations
systémiques peuvent être le fait de plusieurs auteurs simultanés ou successifs 220.

Au-delà de cette première remarque, un obstacle supplémentaire pourrait résulter de la


définition générale donnée à l’article 62 de la loi du 2016 selon laquelle : « Lorsque plusieurs
personnes placées dans une situation similaire subissent un dommage causé par une même
personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales
ou contractuelles, une action de groupe peut être exercée en justice au vu des cas individuels
présentés par le demandeur ». C’est en effet sur les notions de « situation similaire », de « cause
commune » et de « manquement de même nature » que pourraient se cristalliser les
difficultés221.
Cette interrogation prend appui sur l’affaire Wal-Mart222. Il s’agit d’une class action menée aux
Etats-Unis, contre les magasins du même nom, en discrimination sexuelle à l’encontre des

217
MERCAT-BRUNS M., « La discrimination systémique : peut-on repenser les outils de la non-discrimination
en Europe ? », op. cit. p. 11 ; MERCAT-BRUN M., « Les différentes figures de la discrimination au travail : quelle
cohérence ? », RDT, 2020, p. 26.
218
La loi du 18 novembre 2016 a par ailleurs ajouté des motifs afin de se conformer à ceux de l’article 225-1 du
code pénal et a également ajouté trois motifs qui n’étaient pris en compte ni dans la loi de 2008 ni dans le code
pénal (à savoir la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son
auteur, l’identité de genre qui remplace l’identité sexuelle et la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le
français.
219
MERCAT-BRUNS M., « L’identification de la discrimination systémique », op. cit. p. 672 : par exemple
s’agissant de la discrimination envers les femmes, elle constate que la carrière des femmes est en outre
particulièrement affectée par l’âge.
220
CLEMENT E., op. cit. p. 3.
221
Voir en ce sens MEDARD INGHILTERRA R., « L’effectivité du droit de la non-discrimination, Essai sur les
facteurs juridiques de réalisation du droit », thèse dactylographiée, Université de Paris Nanterre, 2020 (à paraître).
222
Il s’agit d’une interrogation évoquée par les avocats ayant engagés plusieurs actions de groupe.

51
femmes en matière de rémunération et d’avancement223. La Cour suprême des Etats-Unis a
censuré la décision de la Cour d’appel, qui faisait droit aux requérantes, en se fondant sur le
principe de « commonality », selon lequel la class action suppose une situation commune aux
membres de la « class » qui doivent avoir subi un même type de préjudice fondé sur une cause
commune224. La Cour a estimé, dans ce dossier, que l’existence d’une discrimination identique,
fondée sur une politique générale de l’entreprise dans son ensemble, et d’un préjudice commun,
n’était pas démontrée. Elle a considéré que le groupe n’était pas suffisamment homogène et
qu’une réponse commune à la situation ne pouvait être apportée, et ce alors qu’une
indemnisation individualisée ne pouvait être allouée sur le fondement de la règle invoquée225.
Dans l’hypothèse d’une discrimination systémique, celle-ci n’étant pas le fruit d’une seule et
même décision, mais d’un enchevêtrement de décisions, de critères et de pratiques, le préjudice
engendré semble, en effet, d’autant plus complexe à mesurer qu’il n’est pas identique pour
chaque membre du groupe. La discrimination envers les femmes se prête particulièrement à ce
questionnement. Le préjudice subi par les salariées non cadres, à qui l’on refuse
systématiquement des formations et dont le taux de passage cadre est largement inférieur à celui
des hommes, ne sera pas le même que celui de salariées cadres de la même entreprise dont la
rémunération est inférieure à celle de leurs homologues masculins pour un travail égal. Il n’en
demeure pas moins que les ressorts de la discrimination envers les femmes dans cette entreprise
sont les mêmes et prennent leur source dans les mêmes préjugés.

A cet égard, les propositions de lois ayant pour objet la création d’une action de groupe en
matière de discrimination de 2013 et de 2014 semblaient plus ouvertes. Ainsi, selon celle
déposée par Esther Benbassa en 2013, le jugement de responsabilité devait délimiter un ou
plusieurs groupes de victimes226. De même, la proposition déposée par Bruno Le Roux et Razzy
Hammadi en 2014 évoquait des individus dans une « situation comparable » et non similaire227.
Le jugement de responsabilité devait définir le groupe et éventuellement les sous-groupes

223
Les requérantes faisaient « état d'une culture d'entreprise ayant pour effet de défavoriser systématiquement le
personnel féminin », « Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les
Discrimination collectives en entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de
l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du
gouvernement et ministre de la Justice, op. cit. p. 92.
224
Cour suprême américaine, 20 juin 2011, Wal-Mart Stores, Inc. vs Dukes et al., n° 10-277, voir LE GALLOU
C., « La Cour suprême américaine freine la plus grande class action jamais menée », Recueil Dalloz, 2011, p. 2284
225
Règle 23(b)2 de la Federal Rules of Civil Procedure.
226
Proposition de loi déposée par Mme E. Benbassa et autres, visant à instaurer un recours collectif en matière de
discrimination et de lutte contre les inégalités, op. cit. art. 3.
227
Proposition de loi Déposée par MM. B. Le Roux et R. Hammadi et autres, instaurant une action de groupe en
matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, op. cit. art. 1.

52
concernés228. Alors que ces deux propositions faisaient explicitement état de leur volonté de
lutter contre les discriminations systémiques, elles permettaient de prendre en compte plusieurs
groupes de victimes d’une même discrimination. La possibilité de définir plusieurs groupes ou
sous-groupes correspond davantage à une discrimination d’ampleur comme peut l’être une
discrimination systémique.

Notre propos mérite toutefois d’être relativisé car la loi française n’impose pas de réparation
forfaitaire. Elle ne prévoit pas non plus le versement d’une indemnisation globale au
demandeur, répartie ensuite auprès des victimes, comme dans le système américain. Au
contraire, l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations de travail n’est
ouverte qu’à la seule procédure de réparation individuelle229, ce qui s’expliquerait par la
nécessaire individualisation des préjudices230. La procédure de réparation collective, par
laquelle l’indemnisation est négociée et qui viserait les hypothèses dans lesquelles les
préjudices sont collectivement évaluables231, est exclue. Cela laisse d’autant plus penser que la
réparation sera individualisée et non forfaitaire232. Or, c’est notamment la demande
d’indemnisation individualisée qui a fondé la censure de la Cour suprême dans l’affaire Wal-
Mart. Il serait donc tout à fait envisageable, dans le cadre de l’action de groupe française, de
considérer un groupe discriminé large, par exemple les femmes d’une entreprise, et
d’individualiser, dans un second temps, les préjudices.
Par ailleurs, l’article 66 de la loi de 2016 précise que, dans le jugement de responsabilité, le
juge « définit le groupe de personnes à l’égard desquelles la responsabilité du défendeur est
engagée en fixant les critères de rattachement au groupe et détermine les préjudices
susceptibles d’être réparés pour chacune des catégories de personnes constituant le groupe
qu’il a défini ». Cela signifie bien, qu’au sein même du groupe, peuvent coexister des catégories
distinctes de personnes, ayant subi un préjudice différent. Les arguments soulevés par la Cour
Suprême des Etats-Unis dans l’affaire Wal-Mart trouvent un écho d’autant plus faible dans la

228
Ibid. art. 3.
229
Article L. 1134-10 du code du travail : « Lorsque l'action tend à la réparation des préjudices subis, elle s'exerce
dans le cadre de la procédure individuelle de réparation définie au chapitre Ier du titre V de la loi n° 2016-1547
du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Le tribunal de grande instance connaît des demandes en réparation des préjudices subis du fait de la
discrimination auxquelles l'employeur n'a pas fait droit ».
230
ADAM P., op. cit. p. 638.
231
AMRANI MEKKI S., « Le socle commun procédural de l’action de groupe de la loi de modernisation de la
justice du XXIe siècle, à propos de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 », op. cit. p. 2312.
232
MEHREZ F., op. cit. p. 2, il s’agit-là selon L. PECAUT-RIVOLIER interviewée dans cet article de la différence
entre l’action de groupe instaurée en France et la class action américaine, en ce qu’ « Il n'y a pas d'indemnisation
collective. On reste dans l'individualisation de la discrimination ».

53
procédure française que l’action de groupe en matière de discrimination est principalement
orientée vers la cessation du manquement, le volet indemnitaire n’étant que secondaire.

L’action de groupe ne s’affiche pas explicitement comme une voie de droit visant à lutter contre
les discriminations systémiques, mais il semble que le mécanisme prévu par la loi, dans sa
rédaction actuelle, le permette toutefois. Il conviendra de le vérifier à travers l’interprétation
qu’en feront les juges. Intéressons-nous désormais à l’objet de l’action de groupe sous l’angle
de la lutte contre les discriminations systémiques.

54
Chapitre 2 : L’objet de l’action de groupe et la lutte contre les discriminations
systémiques en entreprise

La loi Justice du XXIe siècle a conféré à l’action de groupe en discrimination prévue par le
code du travail un objet singulier, en donnant une priorité à la cessation des manquements sur
la réparation des préjudices. Un tel parti pris semble être en cohérence avec la volonté implicite
de lutter contre les discriminations systémiques (Section 1). Cette affirmation parait toutefois
devoir être nuancée au regard des restrictions conséquentes apportées à l’indemnisation
envisageable à ce titre (Section 2).

Section 1 : La priorité donnée à la cessation du manquement face aux discriminations


systémiques

La priorité accordée dans l’action de groupe à la cessation des manquements (§1) parait en
accord avec l’objectif de lutte contre les discriminations systémiques (§2).

§1- La cessation des manquements, objet prioritaire de l’action

L’exposé des motifs du projet de loi Justice du XXIe siècle est très clair : « Lorsque l'action
sera engagée contre un employeur, privé ou public, son objet sera principalement tourné vers
la cessation du manquement »233. En cela, l’action de groupe en discrimination du code du
travail se distingue du socle commun, qui donne un poids équivalent à la cessation des
manquements et à la réparation du préjudice. Elle se distingue aussi de l’action de groupe en
matière de consommation qui n’est orientée que vers la réparation des préjudices. C’est ce qui
a pu faire dire qu’elle serait « une forme d'hybridation entre l'action de groupe classique et
l'action de groupement axée sur la défense d'un intérêt collectif »234.
En effet, selon le code du travail, « L’action peut tendre à la cessation du manquement et, le
cas échéant, en cas de manquement, à la réparation des préjudices subis »235. Notons par
ailleurs que l’article 86 de la loi portant sur les dispositions générales relatives à l’action de
groupe en discrimination contient une formule identique. Ce principe s’applique donc à toutes
les actions de groupe en discrimination et non uniquement à celles engagées contre un

233
Exposé des motifs du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, n°
661, déposé le 31 juillet 2015.
234
ADAM P., op. cit. p. 643.
235
Article L. 1134-8 du code du travail.

55
employeur. Or, les deux objets ne sont pas mis ici sur le même plan, contrairement au cadre
commun236. L’action est principalement tournée vers la cessation du manquement et ce n’est
qu’éventuellement que la réparation des préjudices peut être demandée. L’utilisation du terme
« et » et de la formule « le cas échéant » laisse entendre que l’action de groupe en la matière ne
peut avoir pour seul objet la réparation du préjudice, mais qu’elle a nécessairement pour objet
la cessation des manquements, le volet indemnitaire venant « le cas échéant » s’adjoindre à la
cessation des manquements237.
En outre, contrairement à la phase précontentieuse du cadre commun, qui porte sur la cessation
du manquement ou la réparation des préjudices238, la phase de « discussion » de 6 mois prévue
dans le code du travail a pour seul objet la cessation du manquement239. La durée de la phase
précontentieuse, plus longue, marque aussi toute l’importance donnée à une solution négociée
pour faire cesser la discrimination alléguée. Dans l’hypothèse où la négociation y parviendrait,
une action de groupe ne pourrait être engagée uniquement en vue de réparer les préjudices240.

L’attention accordée à la cessation du manquement est un enjeu majeur de l’action de groupe


dans ce champ.
Revenons à la genèse du projet. Le rapport Pécaut-Rivolier rejetait le système américain de
class action, notamment en raison de son volet indemnitaire, dont l’efficacité était contestée et
dont les conséquences financières sur les entreprises étaient jugées « disproportionnées »241.
Était ainsi préconisée la création d’une action collective ayant pour unique objet la cessation de
la discrimination collective, le juge pouvant contraindre l’employeur à mettre en place des
mesures adaptées pour y parvenir. Une phase préalable à l’engagement de l’action était

236
L’« action peut être exercée en vue soit de la cessation du manquement mentionné au premier alinéa, soit de
l’engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des
préjudices subis, soit de ces deux fins », article 62 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation
de la justice du XXIe siècle.
237
ADAM P., op. cit. p. 643.
238
Article 64, loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle :
« Préalablement à l’introduction de l’action de groupe, la personne ayant qualité pour agir met en demeure celle
à l’encontre de laquelle elle envisage d’agir par la voie de l’action de groupe de cesser ou de faire cesser le
manquement ou de réparer les préjudices subis. ».
239
Article L. 1134-9 du code du travail : « Par dérogation à l’article 64 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre
2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, préalablement à l’engagement de l’action de groupe
mentionnée à l’article L. 1134-7, les personnes mentionnées au même article L. 1134-7 demandent à l’employeur,
par tout moyen conférant date certaine à cette demande, de faire cesser la situation de discrimination collective
alléguée. ».
240
Toutefois, seuls les préjudices nés après la réception de la mise en demeure peuvent être réparés à ce titre, ce
qui réduit, dans une telle hypothèse, l’intérêt d’une action quasiment à néant.
241
« Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en
entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation
professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre
de la Justice, op. cit. p. 91-92.

56
également envisagée afin de permettre à ce dernier de corriger la situation de discrimination
avant la saisine du juge242.
Lors des débats parlementaires qui ont entouré l’adoption de la loi de 2016, l’objet de l’action
de groupe en discrimination du code du travail a été source d’échanges multiples. Ainsi,
l’amendement 76, déposé devant la commission des lois du Sénat, reprochait au texte son
« incohérence » en associant cessation des manquements et réparation du préjudice, tout en
limitant l’indemnisation aux seuls préjudices nés après la mise en demeure. Se fondant sur la
proposition de Laurence Pécaut-Rivolier, il envisageait de séparer l’action en cessation des
manquements de celle en réparation, en limitant l’objet de l’action de groupe à la première.
L’action indemnitaire aurait pu la compléter dans un second temps dans le cadre d’actions
individuelles devant le Conseil de Prud’hommes243. Cet amendement adopté par la commission
des lois a été confirmé par le Sénat en première lecture244. Toutefois, l’Assemblée nationale est
revenue au contenu initial du projet de loi associant cessation de la discrimination et
indemnisation des préjudices245.

La priorité conférée à la cessation du manquement sur la réparation du préjudice est un élément


distinctif majeur de l’action de groupe en discrimination, et pour ce qui nous intéresse, de celle
du code du travail. Cette spécificité est-elle en lien avec la volonté de lutter contre les
discriminations systémiques ? Autrement dit, la cessation du manquement est-elle une réponse
pertinente aux discriminations systémiques ?

242
Ibid. p. 104-105.
243
Amendement 76 déposé devant la commission des lois du Sénat dont l’objet est ainsi présenté : « Le présent
amendement vise à mettre fin à l'incohérence du dispositif proposé, qui associe une action en cessation de
manquement avec une action indemnitaire ne portant que sur les préjudices nés après la mise en demeure de
l'entreprise. Ceci signifie que les victimes de la discrimination devront ensuite saisir le conseil des prud'hommes
pour obtenir la réparation du préjudice subsistant, qui représentera, dans les faits, la plus grande part de leur
préjudice.
Le projet de loi a fait le choix de ce succédanée d'indemnisation, pour ne pas risquer d'exposer les entreprises à
des préjudices trop importants, qui pourraient ensuite menacer la survie des emplois.
Il semble plus cohérent de séparer l'action en indemnisation du préjudice et celle en cessation du manquement,
comme le recommandait le rapport de Mme Laurence Pécaud-Rivolier, remis à la garde des sceaux.
L'indemnisation interviendra, dans un second temps, sur une base individuelle. Elle serait facilitée par le succès
de la première action.
Afin de préserver les droits des salariés, le présent amendement prévoit à cet égard, que l'engagement de l'action
de groupe suspendra la prescription de leur action en réparation, ce qui leur permettra, le cas échéant, d'attendre
son résultat avant d'engager leur propre action. ».
244
Sénat, 1e lecture, 5 nov. 2015, p. 10479.
245
Projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, modifié en 1ère lecture par l'Assemblée nationale
le 24 mai 2016, TA n° 738.

57
§2- Cessation des manquements et lutte contre les discriminations systémiques

Une réflexion liminaire s’impose s’agissant des « manquements ». L’article 92 II. de la loi
précise que « Les chapitres III et IV du présent titre sont applicables aux seules actions dont le
fait générateur de la responsabilité ou le manquement est postérieur à l’entrée en vigueur de
la présente loi ». Seules les actions dont le manquement est postérieur au 20 novembre 2016
sont ainsi recevables. Or, l’interprétation de cet article interroge : s’agit-il de prendre en compte
la date à laquelle la mesure a été prise (par exemple un refus de promotion) ou sa perpétuation
dans le temps246 ? Convient-il d’apprécier la date de chaque fait matériel de discrimination ou
celle à laquelle est constatée la situation discriminatoire ? Dans le cadre de discriminations
systémiques, la première hypothèse parait complexe voire impossible à mettre en œuvre,
puisque celle-ci est issue de multiples pratiques, décisions discriminatoires successives ou
combinées. Une interprétation stricte de cet article pourrait donc conduire à vider de sa
substance l’action de groupe en matière de discrimination systémique247.

Au-delà de cette première interrogation, il convient de se demander si la priorité donnée à la


cessation des manquements est adaptée à la lutte contre les discriminations systémiques et, en
particulier, si elle l’est davantage que les actions collectives déjà ouvertes en droit du travail.
S’agissant de discriminations systémiques, « le but est moins la sanction que l'identification de
la source de la discrimination, sa compréhension par tous, et la mise en œuvre de mesures qui
permettront d'y mettre fin de manière durable et opérationnelle »248. Le rôle de prévention est
ici considérable249.

246
Voir en matière administrative le jugement du Tribunal administratif de Lyon qui a rejeté l’action de groupe
contestant un régime indemnitaire des agents de la ville de Lyon sur le fondement d’une discrimination envers les
femmes, sur ce motif. Le Tribunal considère que ce régime est issu d’une délibération du conseil municipal datant
de 2004 qui constitue le fait générateur de la discrimination alléguée. Il rejette la demande en ce que le fait
générateur serait antérieur à l’entrée en vigueur de la loi de 2016 (TA Lyon, 29 avril 2019, n°1806281).
247
C’est pourtant sur ce fondement que le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté les demandes de la CGT en
discrimination syndicale dans le cadre de l’action de groupe menée contre l’entreprise SAFRAN AIRCRAFT
ENGINES (TJ Paris, 15 décembre 2020, n°RG 18/04058).
248
PECAUT-RIVOLIER L. et MERCAT-BRUNS M., « Le droit français est-il suffisamment équipé en matière
de lutte contre les discriminations systémiques ? », op. cit. p. 380.
249
Laurence Pécaut-Rivolier faisait ainsi cette observation : « En présence d'une discrimination collective dans
une entreprise, il importe avant tout d'en localiser l'exercice, d'en comprendre les mécanismes et les causes, et
surtout de trouver les mesures nécessaires pour y remédier dans un délai raisonnable », « Lutter contre les
discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination collectives en entreprise remis par
Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du
dialogue social, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement et ministre de la Justice, op. cit. p.
91 ; dans une parution plus récente, cette dimension est également mise en exergue : « Là encore, on retombe sur
la spécificité collective et organisationnelle de la discrimination constatée. Il faut mettre en place des actions de
sensibilisation, qui associent l'employeur, les managers, les représentants syndicaux et les représentants du
personnel, par une double approche qui mêle prévention et remise en cause pour réformer le système ancien. C'est

58
L’Etude d’impact du Sénat abonde en ce sens, considérant, au regard des exemples de droit
comparé, que, pour être efficace, l’action de groupe doit permettre d’obtenir une modification
des pratiques de l’entreprise250. Il s’agit ainsi de rechercher les causes de la discrimination et,
sur ce constat, d’enjoindre à l’entreprise d’adopter les mesures adéquates pour y remédier.
A travers une action de groupe, il serait donc possible de contraindre l’employeur à prendre à
la fois des mesures visant à faire cesser la discrimination, tant collectives (par exemple nullité
d’une clause d’un accord collectif) que de rétablissement individuel (rétablissement au niveau
de classification ou de rémunération auquel aurait dû être le salarié en l’absence de
discrimination), et des mesures de prévention. En se focalisant sur la cessation des
manquements et en permettant au juge d’enjoindre à l’employeur de prendre « toutes les
mesures utiles »251 pour faire cesser la discrimination, l’action de groupe du code du travail
parait ainsi particulièrement adaptée à la lutte contre les discriminations systémiques.

L’est-elle toutefois davantage que l’action syndicale déjà existante en droit du travail ? En effet,
l’action en défense des intérêts collectifs de la profession peut également avoir pour objet de
faire cesser un manquement, lorsqu’elle porte sur la contestation d’un acte de portée collective
prise par l’employeur. L’enjeu est le suivant : par l’action dans l’intérêt collectif de la
profession, le syndicat peut-il obtenir, au-delà de la mise à l’écart de l’acte litigieux ou d’une
demande d’application d’une norme collective, la cessation du manquement pour chaque salarié
concerné par la mesure ? Dans un arrêt de 2013, la Cour de cassation a considéré que le syndicat
pouvait demander l’application d’une prime à l’ensemble des salariés, afin de faire cesser une
discrimination, à partir du moment où le syndicat ne désignait pas les salariés concernés 252.
L’action dans l’intérêt collectif de la profession, mise en œuvre pour faire cesser une

un travail inhabituel qui est demandé à la fois au juge saisi du dossier et à toutes les parties. Le juge dispose si
nécessaire, pour convaincre les parties d'agir, de la menace des sanctions fortes que génère, notamment, l'action
de groupe mise en place en matière de discriminations collectives », PECAUT-RIVOLIER L. et MERCAT-
BRUNS M., « Le droit français est-il suffisamment équipé en matière de lutte contre les discriminations
systémiques ? », op. cit. p. 380.
250
« Si dans l’ensemble des pays, le mode de réparation du préjudice le plus utilisé consiste en la condamnation
du responsable à verser des dommages et intérêts, ce remède ne constitue pas nécessairement la réparation la
plus adéquate. En effet, si le versement de dommages et intérêts peut être ordonné aussi bien dans le cadre d’une
action de groupe, que dans le cadre d’une action individuelle, cette mesure de réparation, ne permet pas le plus
souvent aux parties de pourvoir obtenir une modification concrète de la politique managériale de leur entreprise.
Ce sont alors d’autres remèdes qui sont attendus des plaignants, en particulier des mesures d’injonction », Etude
d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, op. cit. p. 177-178.
251
Article 65 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
252
Cass. Soc. 12 février 2013, n°11-27.689 : « l'action du syndicat, qui ne tendait pas au paiement de sommes
déterminées à des personnes nommément désignées, mais à l'application du principe d'égalité de traitement,
relevait de la défense de l'intérêt collectif de la profession » ; Il s’agissait dans cette affaire de l’application d’une
prime dite de « temps repas », mais cette solution pourrait, pour certains auteurs, s’étendre aux reconstitutions de
carrière, souvent l’enjeux principal des actions en discriminations, voir LEVANNIER-GOUEL O., op. cit. p. 10.

59
discrimination, pourrait donc avoir pour effet, et non pour objet, le rétablissement des salariés
dans leurs droits253. C’est ce qui a fait dire à une partie de la doctrine que l’action de groupe
n’apporterait, sur ce plan, rien de plus254. Cependant, la jurisprudence de la Cour de cassation
n’est pas si claire et d’autres arrêts ont écarté les demandes du syndicat visant, suite à la
reconnaissance d’une inégalité de traitement, à rétablir les situations des salariés, notamment
par un remboursement de sommes qui auraient dû leur être versées255. La Cour a estimé que
cela relevait d’une action individuelle des salariés et non d’une action dans l’intérêt collectif de
la profession256. Ainsi, l’action en défense de l’intérêt collectif de la profession parait plus
réductrice que l’action de groupe, en ce qu’elle ne permet pas, de manière certaine, d’obtenir le
rétablissement des salariés ni par ailleurs la mise en œuvre de mesures de prévention.
Faire cesser les discriminations systémiques signifie analyser leurs sources et y répondre par
des mesures appropriées, parmi lesquelles peuvent se trouver des mesures collectives et
générales, de formation par exemple, mais également des mesures visant à faire cesser les
discriminations individuellement subies par les salariés et donc à les rétablir dans leurs droits.
C’est ici que semble se situer l’un des apports principaux de l’action de groupe, en ce qu’elle
permet, par une action menée collectivement, d’obtenir la cessation de la discrimination, en
particulier lorsqu’elle se traduit par des phénomènes discriminatoires complexes tels que
peuvent l’être les discriminations systémiques, à travers des mesures tant collectives
qu’individuelles ainsi que par des mesures de prévention.

Cette dimension de la loi s’accompagne toutefois de plusieurs questionnements. En effet, il


s’agit ici d’un nouveau rôle confié au juge, notamment en ce qui concerne l’analyse et de la
compréhension des dynamiques à l’œuvre. A ce titre, il pourrait utilement être fait appel à des
experts. Il est intéressant de noter que, devant le Conseil de Prud’hommes de Paris, dans
l’affaire déjà évoquée, un sociologue spécialiste de la discrimination sur les chantiers du BTP
est intervenu à l’audience afin d’expliquer les mécanismes en jeu, en se fondant sur l’étude
effectuée dans ce secteur d’activité257. Cela illustre l’importance de la dimension sociologique

253
LEVANNIER-GOUEL O., op. cit. p. 10.
254
Ibid..
255
LEVANNIER-GOUEL O., « L’action en défense de l’intérêt collectif de la profession au service de l’inégalité
de traitement », Semaine sociale Lamy, 19 mars 2018, n°1807.
256
Par exemple, Cass. Soc. 28 oct. 1998, n°97-10.173 ; Dans un arrêt récent de 2017, la Cour considère que la
demande du syndicat d’enjoindre à l’employeur de « remettre aux salariés concernés qui en feront la demande un
décompte individuel précis des heures supplémentaires, avec le montant des sommes dues au titre des cotisations
indûment prélevées, année par année » n’entre pas dans l’objet de l’action syndicale, Cass. Soc. 7 sept. 2017,
n°16-11.495.
257
JOUNIN N., Chantier interdit au public, ed. La Découverte, 2009

60
dans la compréhension des phénomènes systémiques. Toutefois, le statut de témoin accordé au
chercheur fait débat258.
Une fois l’analyse de la situation discriminatoire effectuée, encore faut-il déterminer la latitude
du juge s’agissant de ses injonctions. Le Défenseur des droits a ainsi alerté sur l’imprécision
des textes quant à l’office du juge s’agissant des mesures correctives259. Celui-ci devra en effet
mettre en lumière les mesures, pratiques, qui sont à l’origine ou qui perpétuent la
discrimination, puis indiquer les mesures à prendre afin d’y remédier. Il s’agit ici d’une nouvelle
compétence attribuée au juge qui intéresse l’organisation de l’entreprise, les processus de
ressources humaines etc. Selon le Défenseur des droits, il serait nécessaire de préciser les textes
pour organiser cette nouvelle attribution et prévoir l’intervention d’experts.
Qu’en sera-t-il dans les faits ? Jusqu’où le juge acceptera-t-il de s’immiscer dans le pouvoir de
direction de l’employeur ? Notons, que l’étude d’impact cite, sur ce point, l’exemple
américain260 dans le cadre duquel le juge a pu enjoindre à des entreprises d’établir un numéro
d’appel pour les salariés victimes de discrimination ou de modifier les processus de
recrutement261. Dans ce sillage, l’action de groupe en cours en discrimination envers les femmes
demande la mise en œuvre de mesures très concrètes, touchant à divers domaines de
l’entreprise, telle que l’objectivation des modalités de recrutement à travers la réalisation de
grilles d’analyse préétablies, des mesures visant à faciliter l’accès des femmes aux postes de
cadre via l’instauration du forfait-jours réduits ou encore la participation à des crèches
interentreprises, des actions de sensibilisation sur l’égalité entre les femmes et les hommes, etc.

L’innovation de l’action de groupe par rapport aux actions collectives déjà ouvertes par le code
du travail semble bien se trouver dans la possibilité donnée au juge d’enjoindre à l’entreprise
de prendre toutes les mesures permettant de remédier aux discriminations constatées. En ce sens
et en fonction de l’interprétation qu’en feront les juges, elle pourrait apporter une réponse
adaptée aux discriminations systémiques. L’indemnisation du préjudice est, quant à elle,
reléguée à un rang secondaire.

258
GUIOMARD F., « Un sociologue aux prud’hommes », RDT, 2020, p. 137, préférant le statut d’expert amiable
ou d’amicus curiae.
259
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°20-01, op. cit. p. 5-6.
260
MERCAT-BRUNS M., « La discrimination systémique : un concept présent ailleurs mais un défi commun ? »,
RDT, 2020, p. 423.
261
Etude d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, op. cit. p.
178.

61
Section 2 : Un régime indemnitaire restrictif et ses conséquences dans la lutte contre
les discriminations systémiques

En réduisant le volet indemnitaire, le législateur semble s’être fondé sur des motivations
étrangères à l’objectif de lutte contre les discriminations systémiques (§1), ce qui aura
nécessairement des conséquences sur le contentieux (§2).

§1- Les motivations du législateur

Selon l’exposé des motifs du projet de loi, un rapport causal lie la priorité donnée à la
cessation des manquements et la limitation des préjudices262. La prévalence conférée à la
cessation des manquements justifierait une limitation de la réparation des préjudices. Toutefois,
la consistance de ce lien de cause à effet parait singulièrement ténue 263. Par ailleurs, nous
l’avons vu, la cessation des manquements est souvent présentée comme un moyen adapté de
lutte contre les discriminations systémiques. Intéressons-nous dès lors aux motivations du
législateur s’agissant du volet indemnitaire.

Dès le projet initial déposé par le gouvernement, les préjudices indemnisables, dans le cadre de
l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations de travail, étaient
drastiquement réduits, et ce à double titre. En premier lieu, les préjudices moraux – pourtant
nombreux dans le champ de la discrimination – étaient exclus, ce qui revenait à réduire
considérablement l’indemnisation envisageable. En second lieu, une limite propre aux actions
de groupe en discrimination contre un employeur (privé ou public) était posée consistant à ne
réparer que les préjudices subis à compter de la réception de la mise en demeure. En d’autres
termes, les préjudices moraux ainsi que ceux subis antérieurement à la mise en demeure ne
pouvaient faire l’objet d’une réparation complémentaire que grâce à une action individuelle du
salarié devant le Conseil de Prud’hommes.

Les débats parlementaires se sont révélés abondants sur le sujet. Le Sénat s’est positionné,
comme nous l’avons vu précédemment, en faveur d’une action de groupe orientée uniquement

262
« Lorsque l'action sera engagée contre un employeur, privé ou public, son objet sera principalement tourné
vers la cessation du manquement : c'est pourquoi ne seront indemnisables dans ce cadre que les préjudices, autres
que moraux, subis à compter de la réception de la demande de cesser la discrimination collective », exposé des
motifs du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, n° 661, déposé le
31 juillet 2015.
263
AMRANI MEKKI S., « L’action de groupe du 21e siècle. Un modèle réduit et réducteur ? », JCP G, 2015,
1196, p. 2031.

62
vers la cessation des manquements, afin de retirer ce « succédané d’indemnisation »264. Le
rapport de la commission des lois du Sénat expliquait ainsi ce choix : « Si cette suppression
peut se justifier au regard des enjeux liés à la préservation de l’emploi, elle doit être toutefois
pleinement assumée »265. En effet, les craintes des entreprises relatives au coût financier induit
par les actions de groupe ont fait l’objet de larges développements. Les échanges ont été âpres,
et la class action américaine souvent présentée comme modèle à ne pas suivre, en raison des
« dérives » qu’elle engendrerait. Certains parlementaires ont mis en avant le risque
économique, l’action de groupe mettant « en grand danger l’activité des entreprises »266.
D’autres, à l’inverse, ont regretté l’encadrement du dispositif, parlant d’« indemnisation
symbolique » qui n’aurait d’autre raison d’être que de rassurer les entreprises267.On le voit, les
débats autour de l’indemnisation ont essentiellement porté sur l’impact qu’une indemnisation
intégrale pourrait avoir sur les entreprises268. L’enjeu relatif à l’efficacité de l’action de groupe
dans la lutte contre les discriminations semble ici s’être effacé face à l’enjeu économique269.

Le texte finalement adopté autorise la réparation des préjudices moraux. Désormais, tous les
types de préjudices peuvent être réparés, à la condition qu’ils aient été subis après la réception
de la mise en demeure. Cette règle restrictive ne s’applique qu’aux actions menées en faveur de
salariés. Concernant les candidats à un emploi, à un stage ou à une formation professionnelle,
l’ensemble des préjudices sont indemnisés270.
L’action en discrimination est concernée par une dérogation supplémentaire au socle commun.
En vertu de l’article 92 de la loi, elle ne peut porter que sur des faits générateurs de
responsabilité postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, ce qui est particulièrement limitatif et

264
Rapport de la commission des lois du Sénat n°121, 28 octobre 2015, de M. Yves Détraigne, rapporteur, p. 19.
265
Ibid.
266
Intervention de P. GRUNY, Sénat, 1e lecture, 3 novembre 2015, p. 10267.
267
« Ce projet de loi a tout prévu pour calmer les inquiétudes que pourrait susciter chez les patrons, surtout du
privé, en cette période de chômage, l’action de groupe en matière de discrimination », Intervention d’E.
BENBASSA, Sénat, 1e lecture, 3 novembre 2015, p. 10249.
268
Voir l’opposition du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) à l’instauration de l’action de groupe,
SIMON J., FOULON C., FERRER A., « Faut-il introduire l’action de groupe en droit du travail ? », RDT, 2012,
p. 603 .
269
L’intervention de la Garde des sceaux reflète bien ici toute l’ambigüité de la question : « nous avons travaillé,
pour élaborer ce texte, avec les représentants du monde économique », il s’agirait ainsi d’un « dispositif à la fois
efficace et sécurisé », Sénat, 3 novembre 2015, 1e lecture, p. 10274.
270
Article L. 1134-8 du code du travail : « L’action peut tendre à la cessation du manquement et, le cas échéant,
en cas de manquement, à la réparation des préjudices subis.
« Sauf en ce qui concerne les candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation, sont seuls
indemnisables dans le cadre de l’action de groupe les préjudices nés après la réception de la demande mentionnée
à l’article L. 1134-9. ». Cela semble en effet logique, sauf à vider l’action de groupe pour ces personnes de sa
substance, puisque le préjudice subi sera a priori lié à l’absence d’embauche du candidat, qui aura nécessairement
été subi avant la mise en demeure.

63
soulève les mêmes questions d’interprétation que celles déjà exposées plus haut pour la
cessation des manquements.

L’efficacité de l’action de groupe semble avoir été secondaire dans les motivations du
législateur sur ce point, ce qui aura nécessairement des conséquences sur la lutte contre les
discriminations systémiques.

§2- Une indemnisation limitée et ses conséquences sur la lutte contre les discriminations
systémiques

Nous l’avons déjà évoqué, l’action en cessation des manquements parait


particulièrement adaptée à l’appréhension des discrimination systémiques et à la mise en œuvre
de mesures pour les faire cesser. Cela signifie-t-il que le volet indemnitaire serait inutile ?

L’action de groupe telle qu’envisagée par les propositions de loi de 2013 et de 2014 avait pour
seul objet la réparation des préjudices tout en visant explicitement les discriminations
systémiques. L’effet dissuasif du coût potentiel que ces indemnisations auraient représenté pour
les entreprises était mis en avant. Le risque d’une indemnisation intégrale de l’ensemble des
salariés du groupe aurait ainsi dû avoir pour conséquence de les inciter à repenser leurs
structures afin de faire cesser les situations discriminatoires271.

Il est en effet facile d’imaginer que la phase précontentieuse de l’action de groupe créée en
2016, qui vise à faire cesser la situation de discrimination, pourrait être beaucoup plus efficace,
davantage suivie et menée par les entreprises, si ces dernières courraient un risque financier
élevé. Ainsi, conjuguée à la cessation des manquements, une indemnisation intégrale
décuplerait l’impact de l’action de groupe en matière de discrimination. Cet effet dissuasif
aurait pu être particulièrement efficace en matière de discriminations systémiques, incitant les
entreprises à s’interroger sur les causes de celles-ci et à engager une réflexion autour des
mesures de prévention à mettre en œuvre.

Ce n’est pourtant pas le choix finalement fait par le législateur. En réduisant le risque financier
des entreprises, il laisse également de côté l’objectif de simplification de l’accès à la justice. En

271
Exposé des motifs de la proposition de loi déposée par MM. B. Le Roux et R. Hammadi et autres, instaurant
une action de groupe en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, op. cit. p. 6.

64
effet, pour obtenir une réparation intégrale, les salariés sont contraints, dans un second temps,
de saisir le Conseil de Prud’hommes afin de demander réparation des préjudices subis avant la
réception de la mise en demeure272, ce qui est un facteur de complexité. Il leur serait
potentiellement nécessaire de saisir deux juridictions, le Tribunal judiciaire273, dans l’hypothèse
où l’employeur n’aurait pas fait droit à leur demande d’indemnisation en application du
jugement de responsabilité, et le Conseil de Prud’hommes, le cas échéant, pour l’indemnisation
complémentaire. De surcroît, le seul lien prévu entre ces deux actions concerne la suspension
de la prescription des actions individuelles en réparation des préjudices résultant des
manquements constatés par le juge, au titre de l’action de groupe, jusqu’ à la date à laquelle le
jugement n’est plus susceptible de recours ordinaire ou de pourvoi en cassation274. Les effets
du jugement en cessation des manquements et déclaratif de responsabilité sur l’action
individuelle, notamment en termes de preuve, ne sont aucunement précisés. La voie préconisée
par Laurence Pécaut-Rivolier dans son rapport n’a pas été suivie par le législateur275. En ne
permettant qu’une indemnisation individuelle exsangue, et, ce, sans créer de passerelle entre
cette action et les actions individuelles qui pourraient s’y adjoindre, le mécanisme ne répond
que de manière parcellaire au diagnostic posé276. De plus, cela ne résout en rien la
problématique liée à l’engorgement des tribunaux. L’arbitrage ne s’est pas fait non plus en
faveur de la rationalisation du contentieux.
Au-delà du risque d’inefficacité du dispositif, notamment en ce qui concerne l’effet
potentiellement dissuasif de l’action de groupe, une telle restriction a pu être vue comme
« nocive », en raison de « l’affaiblissement du contentieux et de la mise à l’écart du principe de
réparation intégrale du préjudice »277 qu’elle engendre.

272
Article 79 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle :
« L’adhésion au groupe ne fait pas obstacle au droit d’agir selon les voies de droit commun pour obtenir la
réparation des préjudices n’entrant pas dans le champ défini par le jugement mentionné à l’article 66 qui n’est
plus susceptible de recours ordinaire ou de pourvoi en cassation ou d’un accord homologué en application de
l’article 76 ».
273
Article L. 1134-10 du code du travail.
274
Article 77 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
275
Pour rappel, selon le Rapport PECAUT-RIVOLIER, le jugement déclaratif devait constituer un élément de
nature à laisser présumer l’existence d’une discrimination, au sens de l’article L. 1134-1 du code du travail.
276
GUIOMARD F., « L’action de groupe dans le projet de loi sur la justice du XXIe siècle : un texte
d’anesthésie ? », op. cit. p. 52.
277
R. MEDARD INGHILTERRA, « L’effectivité du droit de la non-discrimination, Essai sur les facteurs
juridiques de réalisation du droit », thèse dactylographiée, Université de Paris Nanterre, 2020 (à paraître).

65
Conclusion générale

L’action de groupe est une voie de droit nouvelle, présentée comme permettant à la fois
de répondre aux insuffisances des recours collectifs du droit du travail et d’appréhender des
discriminations complexes telles que les discriminations systémiques.
Son introduction dans le droit français a fait l’objet de débats considérables, en particulier quant
au mécanisme procédural qu’elle devait suivre. Face à l’épouvantail que semblait constituer la
class action américaine, une solution peu satisfaisante parait avoir été choisie. Dans un
mouvement contradictoire, la loi affiche en effet des objectifs très forts tout en apportant des
contraintes procédurales conséquentes, notamment s’agissant de l’action de groupe en
discrimination du code du travail.
La procédure dérogatoire qui la régit adapte le socle commun aux singularités de la relation de
travail, marquée par une situation de vulnérabilité accrue de la partie « faible », et par
l’existence d’acteurs représentant le collectif des salariés, dans le cadre du dialogue social.
Toutefois, l’action de groupe créée en 2016 ne répond qu’en partie aux difficultés liées à la
crainte de représailles ainsi qu’aux problématiques de preuve. S’agissant des relations
collectives, on peut se demander si le législateur ne s’est finalement pas adapté de manière
excessive aux relations professionnelles, en restant dans une approche très « classique » du
monde du travail, organisé par le rapport entre institutions représentatives du personnel et
employeur. La loi refuse en effet d’ouvrir le contentieux à d’autres acteurs. Les salariés
discriminés sont considérés davantage comme appartenant au « groupe » des salariés, qu’à celui
constitué par les personnes discriminées. La résolution consensuelle du litige par le dialogue
social apparait en outre peu probable en l’état.
Par ailleurs, l’appréhension des discriminations systémiques constitue un enjeu majeur de la
réforme, dont l’effectivité dépendra de l’interprétation qui sera faite des conditions posées par
la loi. L’apport principal de l’action de groupe se situe dans l’importance conférée à la cessation
des manquements, qui permet au juge d’enjoindre à l’employeur de prendre toutes les mesures
qui s’avèrent nécessaires. En cela, elle pourrait permettre de répondre efficacement aux
phénomènes systémiques. Toutefois, de nombreuses incertitudes pèsent sur les modalités
procédurales de l’action de groupe, notamment en ce qui concerne son champ d’application et
le rôle du juge. La limitation de la réparation individuelle, particulièrement forte en matière de
discrimination dans le champ du travail, constitue, de plus, un frein procédural considérable,
qui ne parait pas justifié par l’objectif précité.

66
A peine quelques années après son entrée en vigueur, le débat n’est pas clos et l’insuffisance
de la procédure mise en exergue. Le Défenseur des droits ainsi qu’une mission d’information
de l’Assemblée nationale278 ont déployé récemment des propositions d’améliorations. L’enjeu
est ainsi de « réaliser les conditions pour créer une menace crédible »279 face aux
discriminations, en apportant des modifications procédurales à l’action de groupe afin de lever
certains obstacles.
Pour être efficace, cette nouvelle voie judiciaire devra s’accompagner d’actions de formation
et de sensibilisation des acteurs institutionnels de l’entreprise mais également des salariés. Car
le premier effort à fournir consiste à interroger les rapports sociaux, à se situer face à ceux-ci,
à les analyser et à en comprendre les ressorts. C’est un travail de conscientisation des
phénomènes systémiques de discrimination dont il est ici question, qui se doublent, dans
l’entreprise, du rapport de subordination. En ce qu’elle permet de s’interroger sur ces structures
et de les dévoiler, l’action de groupe pourrait s’avérer, grâce notamment à l’engagement des
avocats portant ces actions et des acteurs du droit participant à l’explication des mécanismes,
tout à fait novatrice et transformatrice.

278
Assemblée nationale, VICHNIEVSKY L. et GOSSELIN P., Rapport d’information déposé par la mission
d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, op. cit.
279
Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°20-01, op. cit. p. 2.

67
Bibliographie

I. Ouvrages

• Ouvrages généraux

AUZERO G., BAUGARD D., DOCKES E., Droit du travail, Précis Dalloz, 32e édition, 2019

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édition, Dalloz

PESKINE E., WOLMARK C., Droit du travail 2020, Dalloz, 13e édition, 2019

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BEN HADJ YAHIA S., « « Action de groupe », Répertoire de procédure civile, Dalloz, juin
2015 (actualisation décembre 2019)

GREVY M., « Syndicats professionnels : prérogatives et action », Répertoire de droit du


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HERVAS HERMIDA C., « La notion d’action de groupe, étude de droit comparé », thèse,
Université Paris Ouest Nanterre – La Défense, 2013

LANQUETIN M.-T., « Discrimination », Répertoire de droit du travail, Dalloz, janvier 2010


(actualisation janvier 2017)

MEDARD INGHILTERRA R., « L’effectivité du droit de la non-discrimination, Essai sur les


facteurs juridiques de réalisation du droit », thèse dactylographiée, Université de Paris
Nanterre, 2020 (à paraître)

II. Articles & Périodiques

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SSL, n°1893, 3 février 2020

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rendu par le conseil de prud’hommes le 17 décembre 2019 », RDT, 2020, p. 178

68
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travail, dialogue avec la doctrine américaine, MERCAT-BRUNS M. (dir.), édition Dalloz,
2013, p. 170

GUIOMARD F., « Un sociologue aux prud’hommes », RDT, 2020, p. 137

HAVET N., SOFER C., « Les nouvelles théories économiques de la discrimination », Travail,
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LOCHAK D., « Réflexions sur la notion de discrimination », Droit social, 1987, n°11, p. 779

LOCHAK D., « Loi du marché et discrimination », Lutter contre les discriminations, sous la
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MERCAT-BRUNS M., « La discrimination systémique : peut-on repenser les outils de la non-


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MERCAT-BRUN M., « Les différentes figures de la discrimination au travail : quelle


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MERCAT-BRUNS M. et BOUSSARD-VERRECHIA E., « Appartenance syndicale, sexe, âge


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SHEPPARD C., « Contester la discrimination systémique au Canada : Droit et changement


organisationnel », RDH, 14/2018

WOLMARK C., « Discrimination systémique : de nouvelles perspectives à la lutte judiciaire


contre les discriminations », SSL, 2020, n°1893, p. 6

• Sur l’actions de groupe

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70
MEHREZ F., « Justice du 21e siècle : action de groupe en matière de discrimination », Dalloz
actualité, 8 juillet 2015

NADEAU D., « Monopole de la représentation syndicale et droits individuels des salariés :


l’incontournable défi de la diversité », Les Cahiers de Droit, volume 53, n°1, mars 2012, p. 139

PECAUT-RIVOLIER L., « Discriminations collectives en entreprise : pour une action


collective spécifique », RDT, 2014, p. 101

SIMON J., FOULON C., FERRER A., « Faut-il introduire l’action de groupe en droit du
travail ? », RDT, 2012, p. 603

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Cahiers du DRH, 2016, n°237

TARASEWICZ Y. et ROCHE G., « L’action de groupe à l’aune de la « class action »


américaine », SSL, 2016, n°1741, p. 3

III. Rapports, Documents & Textes officiels

• Textes officiels de l’Union européenne

Résolution du Parlement européen, « vers une approche européenne cohérente en matière de


recours collectif », n°A 7-0012/2012, 12 janvier 2012

Recommandation de la Commission européenne relative à des principes communs applicables


aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les Etats membres en
cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union, 2013/396/UE, 11 juin 2013

• Rapports, Documents & Textes officiels de droit interne

Lois & Propositions de loi

Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit


communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations

Proposition de loi déposée par E. Benbassa et autres, visant à instaurer un recours collectif en
matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, Sénat, n° 811 du 25 juill. 2013

Proposition de loi déposée par B. Le Roux et R. Hammadi et autres, instaurant une action de
groupe en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, Assemblée nationale, n°
1699 du 14 janv. 2014

Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation

71
Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle

Dossier législatif, loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice


du XXIe siècle
Ne sont cités que les documents utiles au mémoire

- Débats parlementaires

Sénat, 1e lecture, séance du 3 novembre 2015


Sénat, 1e lecture, séance du 4 novembre 2015
Sénat, 1e lecture, séance du 5 novembre 2015
Sénat, nouvelle lecture, séance du 27 septembre 2016
Sénat, nouvelle lecture, séance du 28 septembre 2016

Assemblée nationale, 1e lecture, 2e séance, 17 mai 2016


Assemblée nationale, 1e lecture, 2e séance, 19 mai 2016
Assemblée nationale, lecture définitive, 1e séance, 12 octobre 2016

- Comptes-rendus des réunions en commission & Rapports des commissions des lois

Compte-rendu, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration


générale de la République, Assemblée nationale, n°74, 3 mai 2016

Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale, n°3726, Tomes 1 et 2, 6 mai 2016

Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale, n° 3904, 30 juin 2016

Rapport de la commission des lois du Sénat n°121, 28 octobre 2015

Rapport de la commission des lois du Sénat, n° 839, 21 septembre 2016

- Autres documents

Conseil d’Etat, avis, 30 juillet 2015, n° 390291

Etude d’impact, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe
siècle, 31 juillet 2015

Projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, n° 661,
déposé le 31 juillet 2015

Projet de loi relatif à l'action de groupe et à l'organisation judiciaire, adopté en 1ère lecture par
le Sénat le 5 novembre 2015, TA n° 35

72
Projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, modifié en 1ère lecture par
l'Assemblée nationale le 24 mai 2016, TA n° 738

Projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, adopté en nouvelle lecture par
l'Assemblée nationale le 12 juillet 2016, TA n° 792

Projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, modifié en nouvelle lecture par
le Sénat le 28 septembre 2016, TA n° 186

Projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, adopté définitivement en Lecture


définitive par l'Assemblée nationale le 12 octobre 2016, TA n° 824

Autres documents

Assemblée nationale, VICHNIEVSKY L. et GOSSELIN P., Rapport d’information déposé par


la mission d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, n°3085, 11 juin
2020

Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n° 13-10, Auditionné le 31 octobre 2013 par
la Commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi visant à instaurer un recours collectif
en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités et la proposition de loi organique
relative au Défenseur des droits, 31 octobre 2013

Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n° 15-13, Auditionné le 2 juin 2015 par
Monsieur Razzy Hammadi, rapporteur de la proposition de loi instaurant une action de groupe
en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités n°1699, 2 juin 2015

Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n° 15-23, concernant le projet de loi n°661
portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle, enregistré à la
Présidence du Sénat le 31 juillet 2015, 28 octobre 2015

Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°16-10, Auditionné par les rapporteurs de
la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi n°3204 relatif à l'action de
groupe et à l'organisation judiciaire, 7 avril 2016

Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n°20-01, Auditionné le 28 janvier 2020 par
la mission d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le bilan et les
perspectives des actions de groupe, 5 février 2020

Défenseur des droits, Décision du Défenseur des droits n°2019-109, saisi par la FTM-CGT
dans le cadre de l’action de groupe initiée contre l’entreprise SAFRAN, 13 mai 2019

Défenseur des droits, Décision du Défenseur des droits n°2019-108, Saisi par un syndicat de la
situation de 25 salariés en situation irrégulière au regard du droit au séjour et au travail, qui
s’estiment victimes d’un traitement discriminatoire en raison de leur nationalité et de leur
origine de la part de leur ancien employeur, la société Y, sur un chantier, 19 avril 2019

Défenseur des droits et Organisation internationale du travail, 10e Baromètre de la perception


des discriminations dans l’emploi, 2017

73
« L’avenir des juridictions du travail : vers un tribunal prud’homal du XXIe siècle », Rapport
remis par M. Alain Lacabarats au ministre de la Justice, juillet 2014

« Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Rapport sur les Discrimination
collectives en entreprise remis par Mme Laurence Pécaut-Rivolier aux ministres du travail, de
l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, ministre des droits des femmes,
porte-parole du gouvernement et ministre de la Justice, décembre 2013

Sénat, BENBASSA E. et LECERF J.-R., Rapport d’information fait au nom de la commission


des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d’administration générale relatif à la lutte contre les discriminations, n°94, 12 novembre 2014

IV. Rapports de recherche

GRUNDLER T. et THOUVENIN J.-M. (dir.), La lutte contre les discriminations à l’épreuve


de de son effectivité, Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations, Mission
de recherche Droit et Justice, 2016

SERVERIN E. et GUIOMARD F., Des revendications des salariés en matière de


discrimination et d’égalité, Les enseignements d’un échantillon d’arrêts extrait de la base
JURICA (2007-2010), Mission de recherche Droit et Justice, 2013

V. Article de presse

BISSUEL B., « Une filiale de Safran visée par une action de groupe dans une affaire de
discrimination syndicale », Le Monde, 8 septembre 2020

74
Table des matières

Introduction générale ............................................................................................................... 1


De la discrimination à la discrimination systémique ......................................................... 2
La définition de l’action de groupe ..................................................................................... 7
L’instauration de l’action de groupe en droit français ................................................... 10
TITRE I : LE REGIME PROCEDURAL DE L’ACTION DE GROUPE ET LES
SPECIFICITES DES RELATIONS DE TRAVAIL ........................................................... 16
Chapitre 1 : L’action de groupe face aux déséquilibres de la relation de travail
subordonnée ........................................................................................................................ 16
Section 1 : Une action permettant de limiter les risques encourus par le salarié .............. 16
§1- Le constat de l’insuffisance des actions existantes ................................................. 17
§2- Les réponses partielles apportées par l’action de groupe ...................................... 19
Section 2 : L’action de groupe comme réponse à la problématique de la preuve............. 22
§1- L’objet de la preuve et les questions en suspens ..................................................... 23
§2- L’accès aux éléments de preuve en partie simplifié................................................ 25
Chapitre 2 : L’action de groupe et la présence d’un collectif préexistant ..................... 30
Section 1 : Le rôle central conféré aux organisations syndicales représentatives ............ 30
§1- La priorité donnée aux acteurs traditionnels de l’entreprise ................................. 30
§2- Des acteurs non spécialisés en matière de lutte contre les discriminations ........... 34
Section 2 : L’enjeu du dialogue social dans la voie non contentieuse .............................. 36
§1- L’importance accordée au dialogue social dans l’action de groupe en discrimination
du code du travail .......................................................................................................... 36
§2- Dans les faits, une place à relativiser ..................................................................... 40
TITRE II : LES EFFETS ATTENDUS DE L’ACTION DE GROUPE EN MATIERE DE
LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS SYSTEMIQUES EN ENTREPRISE .... 43
Chapitre 1 : Une action permettant de saisir les discriminations systémiques dans
l’entreprise .......................................................................................................................... 43
Section 1 : La lutte contre les discriminations systémiques, un objectif sous-jacent de la
réforme .............................................................................................................................. 43
§1- Les objectifs affichés de la réforme ........................................................................ 43
§2- L’objectif sous-jacent en matière de discrimination systémique ............................ 45
Section 2 : Un mécanisme procédural adapté aux discriminations systémiques ? ........... 47
§1- La discrimination systémique à l’épreuve des catégories classiques de
discrimination directe et indirecte ................................................................................ 47
§2- Les conditions limitatives d’ouverture de l’action de groupe ................................ 50

75
Chapitre 2 : L’objet de l’action de groupe et la lutte contre les discriminations
systémiques en entreprise .................................................................................................. 55
Section 1 : La priorité donnée à la cessation du manquement face aux discriminations
systémiques ....................................................................................................................... 55
§1- La cessation des manquements, objet prioritaire de l’action ................................. 55
§2- Cessation des manquements et lutte contre les discriminations systémiques ......... 58
Section 2 : Un régime indemnitaire restrictif et ses conséquences dans la lutte contre les
discriminations systémiques ............................................................................................. 62
§1- Les motivations du législateur ................................................................................ 62
§2- Une indemnisation limitée et ses conséquences sur la lutte contre les discriminations
systémiques .................................................................................................................... 64
Conclusion générale ............................................................................................................... 66
Bibliographie........................................................................................................................... 68

76

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