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Apparues dès le milieu des années 1980 et demeurées bien vivaces depuis
lors, les questions, difficultés et controverses soulevées par les sanctions admi-
nistratives au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme – et
singulièrement, des garanties processuelles portées par cet instrument – sont
trop nombreuses et trop complexes pour que l’on ne doive se résoudre ici à
opérer une sélection dans leur traitement. Du reste, la matière a d’ores et déjà
* Le présent texte constitue une version réactualisée d’une contribution présentée lors d’un
colloque organisé le 20 février 2004 par le Centrum voor wetgeving, Regulering en Legisprudentie,
sur le thème de L’empire des sanctions administratives.
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468 Sanctions administratives ou pénales : réflexions de Strasbourg
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I. LA SANCTION ADMINISTRATIVE
EST-ELLE UNE ACCUSATION EN MATIÈRE PÉNALE ?
Depuis l’arrêt Engel c. Pays-Bas du 8 juin 1976, il est acquis que la notion
d’« accusation en matière pénale » visée par l’article 6 de la Convention est une
« notion autonome », dotée d’une signification européenne potentiellement dis-
tincte de celle attribuée aux termes homonymes dans le droit national des
Hautes Parties contractantes.
Pour déterminer si telle ou telle sanction particulière est susceptible d’être
subsumée sous cette notion autonome, doivent être mis en œuvre trois critères,
trois réactifs. Ceux-ci ont été rappelés récemment par une Grande Chambre de
la Cour dans une affaire Ezeh et Connors c. Royaume-Uni (4) : il s’agit de la qua-
lification de la sanction en droit interne, de la nature du comportement réprimé
et, enfin, de la nature et du degré de sévérité de la sanction concernée.
nistratives pénales, sans que l’on aperçoive très clairement de justification à cette atténuation. Voy.
en effet Cour eur. D.H., Riepan c. Autriche, arrêt du 14 novembre 2000, §§ 38-39, tel que com-
menté in S. VAN DROOGHENBROECK, La Convention européenne des droits de l’Homme. Trois années
de jurisprudence (1999-2001), coll. Les Dossiers du Journal des tribunaux, no 39, Bruxelles, Larcier,
2003, p. 109.
(4) Voy. Cour eur. D.H., Ezeh et Connors c. Le Royaume-Uni (GC), arrêt du 9 octobre 2003.
Voy. encore Cour eur. D.H., Ziliberberg c. Moldavie, arrêt du 1er février 2005, §§ 29 et s.
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(5) Cour eur. D.H., Ezeh et Connors c. Le Royaume-Uni (GC), arrêt du 9 octobre 2003, § 86.
(6) Ibidem.
(7) Dans un sens identique, voy., parmi les décisions les plus récentes, Cour eur. D.H.,
Kyprianou c. Chypre, arrêt du 27 janvier 2004, § 31 ; Cour eur. D.H., req. no 47414/99, Dorota
Szott-Medynska et autres c. Pologne, décision du 9 octobre 2003 ; Cour eur. D.H. req. no 15814/02,
Shirley Porter c. Royaume-Uni, décision du 8 avril 2003.
(8) Voy. e.a., F. MASSIAS, « L’atteinte au bon ordre des procédures judiciaires », obs. sous Cour
eur. D.H., Putz c. Autriche, arrêt du 22 février 1996, Rev. trim. D.H., 1997, pp. 503 et s. ; S. VAN
DROOGHENBROECK, « La dissolution de la matière pénale », obs. sous Cour eur. D.H., Putz c.
Autriche, arrêt du 22 février 1996, Rev. dr. pén., 1997, pp. 928 et s.
(9) Voy. notamment l’opinion dissidente jointe par M. le Juge DE MEYER à l’arrêt Putz c.
Autriche du 22 février 1996.
(10) Voy., jointe à l’arrêt, l’opinion dissidente commune à MM. les juges ZUPANCIC et MARUSTE,
ainsi que l’opinion dissidente de M. le Juge PELONPÄÄ, à laquelle se rallient M. le juge WILDHABER,
M. le Juge CAFLISCH, et Mme la Juge PALM.
(11) Cour eur. D.H., Ezeh et Connors c. Royaume-Uni, arrêt du 9 octobre 2003.
(12) Cour eur. D.H., req. no 37607/97, W.S. c. Pologne, décision du 15 juin 1999.
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(13) « As to the first of these criteria, the Court considers that the Fiscal Criminal Act should
clearly be regarded as belonging to criminal law. This is indicated, first, by the very name of the
domestic legislation under which the applicant’s offence was punishable. Moreover, under Article
36 of the Act, certain provisions of the Criminal Code, laying down certain general notions of cri-
minal responsibility, are applicable in the proceedings concerning fiscal offences. However, this
factor is of relative weight and serves only as a starting-point (...) ».
(14) Et en porte-à-faux vis-à-vis de précédents antérieurs, où, du constat que le droit interne rete-
nait la qualification « pénale » de la sanction litigieuse, la Cour déduisait sans plus ample examen le
caractère « pénal », au sens conventionnel, de ladite sanction. Voy. Cour eur. D.H., Minelli c. Suisse,
arrêt du 25 mars 1983, § 28. Dans un sens identique, voy. Cour eur. D.H., Gradinger c. Autriche,
arrêt du 23 octobre 1995, § 36.
(15) Voy., en effet, Cour eur. D.H., req. no 47414/99, Dorota Szott-Medynska et autres c.
Pologne, décision du 9 octobre 2003 ; Cour eur. D.H., req. no 43862/98, Anibal Armando Inocencio
c. Portugal, décision du 11 janvier 2001.
(16) Voy. l’opinion dissidente commune jointe par les Juges TULKENS, CASADEVALL et FISCHBACH à
l’arrêt Escoubet c. Belgique du 28 octobre 1999 : « La Cour a eu maintes occasions de préciser que
sa méthode d’interprétation intervient uniquement lorsque le droit national contient des éléments
qui écartent l’application des garanties de l’article 6 : l’autonomie de la matière pénale est une auto-
nomie ‘à sens unique’. La finalité de l’interprétation autonome est la reconnaissance aux justiciables
de garanties procédurales là où les qualifications internes risquent d’affaiblir la portée de la Conven-
tion. À partir du moment où il existe dans le droit national suffisamment d’éléments qui permettent
de rattacher la mesure litigieuse au domaine pénal, il est paradoxal de prendre ‘à contre-pied’ le
droit interne pour écarter l’application de l’article 6 de la Convention ». L’on ajoutera que cette idée
d’autonomie conceptuelle à sens unique est celle qui prévaut, sans contestation, à propos de la
notion de « contestation sur des droits et obligations de caractère civil », également visée par l’art. 6
de la Convention. Voy. E. KASTANAS, Unité et diversité. Notions autonomes et marge nationale d’ap-
préciation dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant,
1996, pp. 360-361 et réf. citées.
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(17) Cour eur. D.H., req. no 37607/97, W.S. c. Pologne, décision du 15 juin 1999.
(18) Voy. Cour eur. D.H., Janosevic c. La Suède, arrêt du 23 juillet 2002, § 68.
(19) Cour eur. D.H., req. no 43862/98, Anibal Armando Inocencio c. Portugal, décision du
11 janvier 2001.
(20) Voy. Cour eur. D.H., Ezeh et Connors c. Le Royaume-Uni, arrêt du 9 octobre 2003
(à propos de sanctions disciplinaires infligées à des détenus) ; Cour eur. D.H., req.
no 41921/98, Joao José Brandao Ferreira c. Portugal, décision du 28 septembre 2000 (à pro-
pos de sanctions disciplinaires infligées à un militaire) ; Cour eur. D.H., Kyprianou c. Chypre,
arrêt du 27 janvier 2004, § 31 (à propos d’une sanction pour outrage à magistrat) ; Cour
eur. D.H., req. no 38644/97, Irving Brown c. Royaume-Uni, décision du 24 novembre 1998
(à propos d’une sanction disciplinaire infligée à un avocat). Adde Cour eur. D.H., Ziliberberg
c. Moldavie, arrêt du 1er février 2005, § 29.
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tère punitif et dissuasif (21) et dont elle reconnaît l’importance – et pour cause :
elle s’élevait à 20.000.000 de PTE, soit à 120.000 EUR ... –, ne pouvait cepen-
dant pas être convertie en peine de prison (22). Dans un arrêt Lauko, la Cour
avait pourtant estimé que « le fait que l’auteur de l’infraction n’encourt pas
d’emprisonnement ni de mention au casier judiciaire, ne sont pas déterminants
de la qualification aux fins d’applicabilité de l’article 6, § 1er » (23).
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ne se
résume certes pas à ces deux espèces paradigmatiques. Ce n’est cependant pas
faire preuve d’un pessimisme excessif que d’affirmer qu’elle n’a pas atteint le
niveau de clarté et de parfaite cohérence qui puisse l’ériger un guide sûr et
maniable pour les autorités internes des États contractants, juges ou législateurs.
Les éléments d’appréciation mobilisés afin de concrétiser chacun des trois réac-
tifs connaissent de singulières éclipses, et la méthode présidant à leur combi-
naison relève davantage du pifomètre que de l’algorithme. Dans ses récentes
propositions relatives à la juridiction concurrente et à l’interdiction des pour-
suites multiples au sein de l’Union européenne, le Max-Planck-Institut n’affirme
fondamentalement pas autre chose (24).
Nonobstant ce brouillard persistant, certaines lignes de force semblent
néanmoins se dessiner. Il apparaît tout d’abord qu’en règle, la sanction admi-
nistrative « non pécuniaire » et « non privative de liberté » ne pourra qu’excep-
tionnellement être subsumée sous la définition européenne de la matière
pénale : la jurisprudence relative au retrait d’autorisations administratives au
sens large (licence d’exploitation d’une activité économique, ...) (25) ou à la
(21) La nature de la sanction infligée – punitive et dissuasive, plutôt qu’indemnitaire – est un trait
caractéristique de la « matière pénale » au sens conventionnel. Voy., a contrario, pour une applica-
tion récente, Cour eur. D.H., req. no 15814/02, Shirley Porter c. Royaume-Uni, décision du 8 avril
2003. La même décision précise que, lorsque celle-ci est à finalité compensatoire, le montant de l’a-
mende, si élevé soit-il, ne saurait entraîner à lui seul la qualification pénale de l’amende concernée :
« (...) the Court does not consider that the size of a monetary liability, which is compensatory rather
than punitive in nature, can operate to bring the matter within the criminal sphere. It is equally
conceivable, for example, that a person be found liable to pay very substantial sums in civil procee-
dings, and run the risk of bankruptcy in the event of non-payment ».
(22) Cour eur. D.H., Anibal Armando Inocencio c. Portugal, décision précitée. Ce genre d’argu-
ment se voit également conférer un poids décisif dans une espèce Dorota Szott-Medynska et autres
c. Pologne (req. no 47414/99, décision du 9 octobre 2003).
(23) Cour eur. D.H., Lauko c. Slovaquie, arrêt du 2 septembre 1998, § 58. En sens identique,
voy. Cour eur. D.H., Vastberga Taxi Aktiebolag and Vulic c. Suède, arrêt du 23 juillet 2002, § 80,
ainsi que, Cour eur. D.H., Janosevic c. Suède, arrêt du 23 juillet 2002, § 68. Adde Cour eur. D.H.,
Ziliberberg c. Moldavie, arrêt du 1er février 2005, § 29.
(24) Max-Planck-Institut für auslandisches und internationales Strafrecht (Freiburg im Breisgau),
Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the Prohibition of Multiple Prosecutions in the
European Union (A. BIEHLER, R. KNIBÜHLER, J. LELIEUR-FISCHER et S. STEIN dir.), ed. Iuscrim, 2003,
p. 21.
(25) Voy., pour un exemple récent, Cour eur. D.H., req. no 41265/98, Mishel Manasson c. Suède,
décision du 8 avril 2003 (à propos de la révocation d’une licence d’exploitation d’un service de
taxi).
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(26) Voy. Cour eur. D.H., req. no 34604/97, Michel Pewinski c. France, décision du 7 décembre
1999 ; Cour eur. D.H., Escoubet c. Belgique, arrêt du 28 octobre 1999 ; Cour eur. DH., req.
no 37211/97, Benoît Mulot c. France, décision du 14 décembre 1999. Comp. néanmoins les arrêts
Malige c. France (23 septembre 1998) et Peltier c. France (21 mai 2002), où la Cour considère que
le retrait de points d’un permis de conduire, résultant d’une condamnation pénale, constitue une
« sanction pénale » au sens de l’art. 6 de la Convention. Adde Cour eur. D.H., req. no 45282/99,
H.P. Bokker c. Pays-Bas, décision du 7 novembre 2000, où la Cour ne décerne pas la qualification
pénale à des mesures « éducatives » (cours de formation et de sensibilisation) imposées à un conduc-
teur condamné pour ivresse au volant, et ce, malgré le fait que le coût desdites mesures demeurait
à la charge dudit conducteur.
(27) La Cour considère également que le refus d’un permis de résidence, consécutif à une
condamnation pénale, n’est pas une « peine » au sens conventionnel (voy. Cour eur. D.H., req.
no 16387/03, Davydov c. Estonie, décision du 31 mai 2005).
(28) Voy., e.a., Cour eur. D.H., Västberga Taxi Aktiebolag and Vulic c. Suède, arrêt du 23 juillet
2002, ainsi que, Cour eur. D.H., Janosevic c. Suède, arrêt du 23 juillet 2002. Adde Cour eur. D.H.,
Kadri c. France, arrêt du 27 mars 2001 (solution implicite). Plus récemment encore, voy. Cour eur.
D.H., req. no 50664/99, Strag Datatjanter AB c. Suède, décision du 21 juin 2005.
(29) Voy. Cour eur. D.H., J.B. c. Suisse, arrêt du 3 mai 2001, §§ 47-48.
(30) Voy. Cour eur. D.H., req. no 40042/98, Marios et Androula Georgiou c. Royaume-Uni, déci-
sion du 16 mai 2000 ; Cour eur. D.H., req. no 50664/99, Strag Datatjanter AB c. Suède, décision du
21 juin 2005.
(31) Voy. Cour eur. D.H., Ferrazzini c. Italie, arrêt du 12 juillet 2001, §§ 25 et s.
(32) Voy. en ce sens, parmi beaucoup d’autres, Cour eur. D.H., Vastberga Taxi Aktiebolag and
Vulic c. Suède, arrêt du 23 juillet 2002, § 93. Adde, plus récemment, Cour eur. D.H., Ziliberberg c.
Moldavie, arrêt du 1er février 2005, § 29.
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nition qu’en donne la Cour européenne dans le récent arrêt Sylvester’s Horeca
Service c. Belgique, la « pleine juridiction » signifie que l’organe judiciaire
concerné doit avoir « le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en
droit, la décision entreprise, rendue par l’organe inférieur » (33).
Pareillement définie, la notion de « pleine juridiction » alimenta, depuis
le milieu des années 1990, de nombreuses controverses doctrinales (34) et incer-
titudes jurisprudentielles. L’on doit à la jurisprudence de la Cour européenne
d’avoir dissipé certaines d’entre elles.
(33) Cour eur. D.H., Sylvester’s Horeca Service c. Belgique, arrêt du 4 mars 2004, § 27.
(34) Pour un exposé récent des controverses en présence, voy. J. PUT, « Administratieve boeten,
verzachtende omstandigheden en volle rechstmacht : contradicties in de rechtspraak van het Arbi-
tragehof ? », T.B.P., 2002, pp. 657 et s. ; C. MAMONTOFF, « La notion de pleine juridiction au sens de
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme et ses implications en matière de
sanctions administratives », Rev. fr. dr. adm., 1999, pp. 1004 et s. ; A. VAGEMAN, « Autorité adminis-
trative indépendante, amendes administratives et diffusion de scènes de violence gratuites :
Réflexion autour de l’arrêt S.A. T.V.i prononcé le 5 décembre 2001 par le Conseil d’État », A.P.T.,
2003, spéc. pp. 281 et s.
(35) Cour eur. D.H., Kingsley c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 2002, § 32. Dans un sens iden-
tique, voy. Cour eur. D.H., req. no 410/02, Johans c. Finlande, décision du 31 août 2004 ; Cour eur.
D.H., req. no 32477/02, Pirinen c. Finlande, décision du 14 septembre 2004.
(36) Cour eur. D.H., Kingsley c. Royaume-Uni, arrêt du 7 novembre 2000, § 58.
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tant sur un plan général (37) que sur la question particulière de la « pleine juri-
diction » (38), qu’une différence pouvait exister entre les standards « pénaux » et
« civils » de l’article 6 : les premiers seraient en l’occurrence plus sévères que les
premiers.
À l’examen cependant, et avec le bénéfice du recul, il apparaît qu’une telle
dualisation de standards n’a jamais produit de résultats tout à fait concrets et
tangibles dans la jurisprudence des organes de la Convention : ceux-ci se sont
du reste généralement abstenus, ces dernières années, d’en réaffirmer la possibi-
lité, fût-ce même sur le plan des principes (39). Il y a tout au contraire lieu, à
notre estime, de tenir les dicta généraux des arrêts Kingsley pour intégralement
transposables au « volet pénal » de l’article 6. Plusieurs indices confortent le
bien-fondé de cette dernière proposition.
L’on observe tout d’abord que, sur un plan général, la Cour européenne
des droits de l’Homme considère elle-même les précédents civils et pénaux rela-
tifs à la notion de pleine juridiction comme parfaitement interchangeables. Un
arrêt Veeber(no 1) c. Estonie (40) intervenant au contentieux civil de la « pleine
juridiction », appuie en effet son raisonnement sur la jurisprudence Umlauft,
intervenue quant à elle sous l’angle du volet pénal (41). À l’inverse, le récent arrêt
« pénal » Sylvester’s Horeca Service c. Belgique (42) emprunte son rappel de la
définition de la notion de « pleine juridiction » au précédent « civil » Chevrol c.
France (43).
L’on pointera également une décision R.T. c. Suisse du 30 mai 2000 (44),
où la Cour conclut que le requérant avait bénéficié du recours de pleine juridic-
tion requis par l’article 6, nonobstant la circonstance que la juridiction saisie
s’était bornée à « annuler » (45) la décision administrative querellée devant elle, et
à renvoyer le dossier à l’autorité administrative compétente aux fins d’adoption
d’une nouvelle décision.
(37) Voy. Cour eur. D.H., Dombo Beheer N.V. c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1993, § 42 : « Les
impératifs inhérents à la notion de ‘procès équitable’ ne sont pas nécessairement les mêmes dans les
litiges relatifs à des droits et obligations de caractère civil que dans les affaires concernant des accu-
sations en matière pénale ».
(38) Voy., sur ceci, C. MAMONTOFF, op. cit., p. 1009.
(39) Voy. toutefois, hors de la problématique de la « pleine juridiction », Cour eur. D.H., Suo-
minen c. Finlande, arrêt du 1er juillet 2003, § 33.
(40) Cour eur. D.H., Veeber (no 1) c. Estonie, arrêt du 7 novembre 2002, § 70.
(41) Cour eur. D.H., Umlauft c. Autriche, arrêt du 23 octobre 1995, Série A, no 328-B, §§ 37-39.
(42) Cour eur. D.H., Sylverter’s Horeca Services c. Belgique, arrêt du 4 mars 2004, § 27.
(43) Cour eur. D.H., Chevrol c. France, arrêt du 13 février 2003, § 77.
(44) Cour eur. D.H., req. no 31982/96, R.T. c. Suisse, décision du 30 mai 2000.
(45) Le verbe « annuler » (en anglais : to quash) est également utilisé par un arrêt Janosevic c. La
Suède, aux fins de désigner la portée d’un recours dont la Cour estime, sur le plan des principes,
qu’il est « de pleine juridiction » (Cour eur. D.H., Janosevic c. La Suède, arrêt du 23 juillet 2002,
§ 82).
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(46) Voy., parmi les références les plus récentes, supra, note 34. Adde E. WILLEMART, op. cit.,
pp. 762 et s. et réf. cit.
(47) Voy. Cour eur. D.H., D.P. & J.C. c. Royaume-Uni, arrêt du 10 octobre 2002, § 123 : « The
Court recalls its constant case-law to the effect that Article 6 § 1 extends only to contestations (dis-
putes) over (civil) ‘rights and obligations’ which can be said, at least on arguable grounds, to be
recognised under domestic law ; it does not itself guarantee any particular content for (civil) ‘rights
and obligations’ in the substantive law of the Contracting States ». Pour une relativisation de ce
principe, selon lequel l’art. 6 ne serait que le siège de normes processuelles, voy. J.-F. FLAUSS, « Les
nouvelles frontières du procès équitable », Les nouveaux développements du procès équitable au sens
de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant, 1996, pp. 83
et s. ; S. GUINCHARD, « Le procès équitable : garantie formelle ou droit substantiel ? », Philosophie du
droit et droit économique : quel dialogue ? Mélanges en l’honneur de G. Farjat, Paris, Frison-Roche,
1999, pp. 164-169.
(48) Sur cet arrêt, voy., dans la présente Revue, l’étude du Professeur A. MASSET.
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d’« exonérer le redevable des obligations qui lui sont légalement imposées par
les autorités, uniquement pour des motifs d’opportunité ou d’équité ». La Cour
européenne estimera que, ainsi circonscrit et limité, le contrôle offert au requé-
rant ne pouvait être qualifié de pleine juridiction. Encore qu’elle ne soit pas tout
à fait explicite sur ce point (49), cette conclusion semble soutenue par le constat
que le Code belge de la T.V.A., à l’époque, accordait au ministre des Finances le
pouvoir d’accorder d’éventuelles remises aux sanctions encourues. Le juge belge
ne pouvait donc, à peine de méconnaître l’article 6 de la Convention, amputer
son examen de légalité d’une appréciation inhérente aux décisions de l’autorité
dont il contrôle les actes.
Si, par contre, l’administrateur qui impose la sanction a compétence liée,
parce que la loi impose elle-même de manière inconditionnelle le prononcé de
ladite sanction et fixe rigidement le quantum de celle-ci, alors l’article 6 de la
Convention européenne n’imposera pas, au titre de la « pleine juridiction », que
le juge saisi puisse lui-même apprécier la proportionnalité de la sanction
infligée. Intervenant dans un litige caractérisé par une semblable donne juri-
dique, un arrêt Göktan c. La France du 2 juillet 2002 (50) énonce en ce sens
qu’« il n’existe pas de précédent des organes de la Convention, ni au titre de
l’article 6 ni au titre de l’article 7, qui censure le fait pour le législateur de pré-
voir une peine fixe, ou qui oblige le juge à ‘moduler’ cette peine en fonction des
circonstances de la cause (...) ».
Une remarque s’impose. Tout abrupt qu’il soit, ce dictum de l’arrêt
Göktan ne saurait oblitérer le fait que d’autres dispositions conventionnelles –
d’ordre substantiel celles-ci – puissent, et doivent même, s’opposer au prononcé
de peines fixes si d’aventure celles-ci se révélaient, in concreto, manifestement
disproportionnées par rapport au comportement qu’elles sanctionnent. Une
sanction administrative viendrait-elle par exemple à limiter le droit au respect
de la vie privée, la liberté de religion, la liberté d’expression ou la liberté de
réunion de celui ou celle à qui elle est infligée, son éventuelle disproportion
pourrait lui valoir d’être jugée non « nécessaire dans une société démocratique »,
au sens des paragraphes 2 respectifs des articles 8, 9, 10 et 11 de la Conven-
tion (51). De manière plus générale, et indépendamment de la matière dans
laquelle on se situe – la mise en cause d’une autre liberté conventionnelle n’est
pas nécessaire –, une exigence de proportionnalité des incriminations et des
peines peut, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
(49) Le raisonnement peu disert de la Cour s’explique certainement par le fait, constaté par celle-
ci, que la position exprimée par l’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1999 avait été contre-
dite par la Cour d’arbitrage, et ensuite abandonnée par la Cour de cassation elle-même (voy. les
§§ 19 à 21 de l’arrêt). Le gouvernement belge ne cherchait lui-même pas à défendre la rectitude de
la position antérieure de la Cour (§ 23 de l’arrêt).
(50) Cour eur. D.H., Goktan c. France, arrêt du 2 juillet 2002, § 58.
(51) Voy., par analogie, Cour eur. D.H., Cumpana et Mazare c. Roumanie (GC), arrêt du
17 décembre 2004, §§ 111 et s.
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(52) Voy. e.a., Cour eur. D.H., req. no 63716/00, Sawoniuk c. Royaume-Uni, décision du 29 mai
2001.
(53) Cour eur. D.H., V. c. Royaume-Uni, arrêt du 16 décembre1999, §§ 98-100.
(54) Cour eur. D.H., Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, § 104.
(55) Le principe de l’incompatibilité avec l’art. 3 de sanctions disproportionnées par rapport au
comportement réprimé fut au demeurant affirmé, en relation avec des sanctions administratives,
dans une affaire Schluga c. Autriche (req. nos 65665/01, 71879/01 et 72861/01, décision d’irreceva-
bilité du 26 septembre 2002).
(56) Voy. Cass., 28 février 2002, www.cass.be (JC02256_1) ; Cass., 12 mars 1998, www.cass.be
(JC93C2_1) ; Cass., 8 novembre 1996, www.cass.be (JC96B8_1) ; Cass., 23 octobre 1997, Pas.,
1997, I, no 423.
(57) Cour eur. D.H., Janosevic c. La Suède, arrêt du 23 juillet 2002, §§ 106-110.
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(62) Voy. Cour eur. D.H., req. no 49195/99, Hermanus c. Belgique, décision du 18 septembre
2001 ; Cour eur. D.H., req. no 25069/03, Blanca Rodriguez-Porto Perez c. Espagne, décision du
22 mars 2005.
(63) Ce Protocole a certes été signé par la Belgique le 11 mai 2005. À notre connaissance cepen-
dant, nul projet de loi portant assentiment à celui-ci n’a encore été déposé.
(64) Voy. p. ex., l’avis no 33182/2 du Conseil d’État du 29 avril 2002 sur un avant-projet de loi
relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers, Doc. parl., Ch. Repr., no 50
1842/001, p. 251.
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2. Les certitudes
(65) Voy., pour une confirmation récente, C.J.C.E., 15 octobre 2002, Linburgse Vinyl Maat-
schappij et autres, aff. C-238/99, pt 59.
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terme. Les « réactifs » définitionnels à mettre en œuvre aux fins d’opérer pareille
qualification sont parfaitement identiques à ceux, ci-avant inventoriés, qu’il
convient de déployer sous l’angle des articles 6 et 7 de la Convention (66). La
notion de matière pénale jouit donc d’une parfaite unité conceptuelle au sein de
l’instrument conventionnel.
Un très important arrêt Franz Fischer c. Autriche du 29 mai 2001 (67)
apporte ensuite d’utiles précisions concernant la portée proprement dite du
principe non bis in idem. Ce principe, affirme la Cour, ne fait pas obstacle à ce
que les États prévoient, dans leur arsenal législatif, deux sanctions distinctes –
l’une administrative, l’autre « pénale » au sens classique – aux fins de réprimer la
même infraction ; le principe non bis in idem, en d’autres termes, ne concerne
pas l’incrimination proprement dite, mais uniquement sa mise en œuvre. Pas
davantage la Cour n’entend-t-elle tirer, du principe susdit, une quelconque règle
de subsidiarité dans les rapports entre répressions pénale et administrative de la
même infraction ; l’État est donc libre de déterminer le type de répression qu’il
mettra en œuvre à l’exclusion de l’autre. À l’inverse, l’ordre dans lequel les deux
types de répressions auront été exercés – si tant est qu’ils aient été tous les deux
exercés – n’a, comme tel, aucune influence sur la question de l’éventuelle viola-
tion du principe non bis in idem (68).
Par contre – et la précision est d’importance au vu des débats doctrinaux
et jurisprudentiels que la question a pu susciter en Belgique (69) –, l’arrêt Franz
Fischer estime que la méconnaissance du principe non bis in idem ne saurait être
écartée du seul fait que la peine prononcée à l’issue de la seconde poursuite
serait réduite à concurrence du quantum de la peine prononcée à l’issue de la
première poursuite, en manière telle qu’in fine, seule la peine la plus forte serait
effectivement encourue (70). La Cour fonde en l’occurrence sa position sur un
argument de texte : « Article 4 of Protocol No 7 is not confined to the right not
to be punished twice but extends to the right not to be tried twice » (71). Fonda-
(66) Voy., de manière très claire, Cour eur. D.H., req. no 38716/97, Albin Hangl c. Autriche, déci-
sion du 20 mars 2001. Adde Cour eur. D.H., Rosenquist c. Suède, décision du 14 septembre 2004 ;
Cour eur. D.H., req. no 16387/03, Davydov c. Estonie, décision du 31 mai 2005.
(67) Cour eur. D.H., Franz Fischer c. Autriche, arrêt du 29 mai 2001.
(68) Ibidem, § 29.
(69) Voy. J. PUT, « Bis, sed non in idem. Een denkoefening over de toepassing van het non bis in
idem-beginsel op de cumulatie van administratieve en strafsancties », R.W., 2001-2002, pp. 944 et
s.
(70) Cour eur. D.H., Franz Fischer c. Autriche, arrêt du 29 mai 2001, § 30. En l’occurrence, le
gouvernement autrichien affirmait que l’octroi d’une réduction de la peine prononcée à l’issue des
secondes poursuites à concurrence de la peine prononcée administrativement, neutralisait la viola-
tion de l’art. 4 du Protocole no 7. La Cour estime cependant que « The reduction of the prison term
by virtue of the Federal President’s prerogative of pardons cannot alter the above finding that the
applicant was tried twice for essentially the same offence and the fact that both his convictions
stand ».
(71) Ibidem, § 30.
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(74) Cour eur. D.H., Gradinger c. L’Autriche, arrêt du 23 octobre 1995, § 95.
(75) Ibidem, § 55.
(76) Cour eur. D.H., Oliveira c. La Suisse, arrêt du 30 juillet 1998, § 26.
(77) Voy. sur ce point l’opinion séparée jointe par le juge REPIK à l’arrêt Oliveira.
(78) Cour eur. D.H., Franz Fischer c. Autriche, arrêt du 29 mai 2001, §§ 23-24.
(79) Cour eur. D.H., Franz Fischer c. Autriche, arrêt du 29 mai 2001.
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486 Sanctions administratives ou pénales : réflexions de Strasbourg
poursuivi ne présentent pas, en réalité, les mêmes éléments essentiels (80) (same
essential elements). Dans l’affirmative, il faudra conclure à la violation de la
Convention. Dans la négative, c’est-à-dire dans l’hypothèse où les deux infrac-
tions ne se recouperaient que légèrement (slightly overlap), rien ne s’opposera
par contre à ce que l’individu soit poursuivi successivement pour chacune
d’entre elles.
Telle est la clef de lecture qui conduit la Cour à dénouer l’apparente
contradiction entre les précédents Gradinger et Oliveira, et lui permet de
conclure à la violation de l’article 4 du septième Protocole additionnel dans le
litige qui lui est soumis. Il y avait en l’occurrence identité des éléments essen-
tiels, à savoir la conduite en état d’ébriété.
Le critère des « mêmes éléments essentiels », retenu par l’arrêt Franz Fis-
cher, n’est pas sans rappeler celui de la « triple identité », retenu quant à lui par
la jurisprudence communautaire. À l’estime du juge de Luxembourg en effet,
l’application du principe non bis in idem « est soumise à une triple condition
d’identité des faits, d’unité de contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique pro-
tégé. Ce principe interdit donc de sanctionner une même personne plus d’une
fois pour un même comportement illicite afin de protéger le même bien juri-
dique » (81). La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme
contemporaine à l’arrêt Franz Fischer tendrait, quoique sur le mode implicite, à
valider le bien-fondé de l’analogie ici aperçue. Jugé par exemple que l’article 4
du Protocole no 7 ne trouve pas à s’appliquer lorsque les poursuites successives
étaient dirigées contre des personnes juridiquement distinctes (82) ou visaient la
répétition d’un même acte délictueux (p. ex. deux refus successifs de répondre
à la même demande de renseignements fiscaux) (83), ou encore étaient fondées
sur des infractions dont les éléments intentionnels (84) ou les éléments maté-
riels (85) étaient distincts.
(80) § 25 : « there are cases where one act, at first sight, appears to constitute more than one
offence, whereas a closer examination shows that only one offence should be prosecuted because it
encompasses all the wrongs contained in the others. An obvious example would be an act which
constitutes two offences, one of which contains precisely the same elements as the other plus an
additional one ».
(81) C.J.C.E., 7 janvier 2004, Aalborg Portland A/S et autres c. Commission, aff. jtes C-204/00P,
205/00P, 211/00P, 213/00P, 217/00P et 219/00P, pt 338.
(82) Voy. Cour eur. D.H., req. no 13596/02, Geir Isaksen c. Norvège, décision du 2 octobre
2003 ; Cour eur. D.H., req. no 36706/97, I. Haralambidi, Y. Haralambidis-Liberpa S.A. et Liberpa
Ltd. C. Grèce, décision du 23 mars 2000.
(83) Voy. Cour eur. D.H., req. no 31827/96, J.B. c. Suisse, décision du 6 avril 2000. Plus récem-
ment, voy. Cour eur. D.H., req. no 73453/01, Smolickis c. Lettonie, décision du 27 janvier 2005.
(84) Voy. Cour eur. D.H., req. nos 36855/97 et 41731/98, Ponsetti et Chesnel c. France, décision
du 14 septembre 1999.
(85) Voy. Cour eur. D.H., req. no 54272/00, Gabriel Liedermann c. Autriche, décision du
5 décembre 2002 ; Cour eur. D.H., req. no 41265/98, Mishel Manasson c. Suède, décision du 8 avril
2003.
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Acte IV. Dans une affaire Göktan c. France, le requérant estimait que l’ap-
plication de la contrainte par corps, en exécution de sanctions douanières infli-
gées parallèlement à des peines d’emprisonnement pour trafic de stupéfiants,
méconnaissait l’article 4 du septième Protocole additionnel. Par arrêt du
2 juillet 2002, la Cour européenne des droits de l’Homme jugea ce grief non
fondé. En soutien de cette conclusion, elle renoua avec la jurisprudence Oliveira
c. Suisse. À son estime en effet, l’hypothèse présidant à l’affaire Göktan est celle
où « un fait pénal unique se décompose (...) en deux infractions distinctes : un
délit pénal général et un délit douanier. On peut admettre qu’il s’agit (...),
comme dans l’affaire (Oliveira), d’un concours idéal de qualifications (sic)
(...) » (86).
Ce disant, la Cour européenne a-t-elle souhaité rompre avec sa fraî-
che jurisprudence Franz Fischer ? Tout porte à croire que si rupture il y a,
elle ne fut pas délibérée. La thèse de l’inadvertance pure et simple semble
devoir être privilégiée. En préambule de son raisonnement, l’arrêt Göktan
s’est livré à une manière de « chronique » de sa propre jurisprudence rela-
tive à l’article 4 du septième Protocole additionnel, jurisprudence que la
Cour déclare « peu fournie » (87). Et pour cause : la « chronique » dressée par
la Cour omet, sans la moindre raison apparente, de mentionner le précé-
dent Franz Fischer et le critère des « mêmes éléments essentiels » mis en
avant par ce dernier.
Acte V. Depuis lors, et sans aucune autre explication que celle, peu glo-
rieuse, du cloisonnement de l’activité des sections qui forment la Cour euro-
péenne, se développent en parallèle deux jurisprudences difficilement compati-
bles : l’une, « francophone », prend pour base l’enseignement de l’arrêt Goktan,
et, au travers de celui-ci, de l’arrêt Oliveira c. Suisse (88), tandis que l’autre,
« anglophone », poursuit la lignée de l’arrêt Franz Fischer (89).
Il serait pour le moins souhaitable qu’une Grande Chambre de la Cour,
saisie par le truchement des articles 30 (dessaisissement) ou 43 (renvoi) de la
Convention, ramène bon ordre dans cette cacophonie en distribuant à tous les
acteurs un script identique.
(86) Cour eur. D.H., Göktan c. France, arrêt du 2 juillet 2002, § 50.
(87) Ibidem, §§ 44-45.
(88) Voy. Cour eur. D.H., req. no 42269/98, P.L. c. France, décision du 2 septembre 2003 ; Cour
eur. D.H., req. no 61178/00, Bernard Gauthier c. France, décision du 24 juin 2003.
(89) Voy. Cour eur. D.H., req. no 54272/00, Gabriel Liedermann c. Autriche, décision du
5 décembre 2002 ; Cour eur. D.H., req. no 41265/98, Mishel Manasson c. Suède, décision du 8 avril
2003 ; Cour eur. D.H., req. no 13596/02, Geir Isaken c. Norvège, décision du 2 octobre 2003 ; Cour
eur. D.H., W.F. c. Autriche, arrêt du 30 mai 2002 ; Cour eur. D.H., Sailer c. Autriche, arrêt du 6 juin
2002 ; Cour eur. D.H., req. no 77413/01, S. Bachamaier c. Autriche I, décision du 2 septembre
2004 ; Cour eur. D.H., Rosenquist c. Suède, décision du 14 septembre 2004 ; Cour eur. D.H., req.
no 73453/01, Smolickis c. Lettonie, décision du 27 janvier 2005.
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488 Sanctions administratives ou pénales : réflexions de Strasbourg
(90) Cour eur. D.H., Gradinger c. Autriche, arrêt du 23 octobre 1995, § 53.
(91) Voy. cependant ci-après ce qui sera dit à propos de l’arrêt Göktan c. France.
(92) Pour une illustration de ceci, voy. Cour eur. D.H., Nikitin c. Russie, arrêt du 20 juillet 2004 ;
Cour eur. D.H., req. nos 65823/01 et 65273/01, Golinelli et Freymuth c. France, décision du
30 mars 2004. Et encore faut-il que la première décision intervenue ait comporté un « examen de
culpabilité » de la personne concernée (Cour eur. D.H., req. no 70982/01, Horciag c. Roumanie,
décision du 15 mars 2005).
(93) C.J.C.E., 11 février 2003, procédures pénales c. Gozutok et Brugge, aff. C-187/01 et
C-385/01.
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(94) Voy., en ce sens égal., J. PUT, « Bis, sed non in idem. Een denkoefening over de toepassing
van het non bis in idem-beginsel op de cumulatie van administratieve en strafsancties », op. cit.,
p. 945.
(95) Cour eur. D.H., Sailer c. Autriche, arrêt du 6 juin 2002.
(96) Cour eur. D.H., W.F. c. Autriche, arrêt du 30 mai 2002.
(97) Cour eur. D.H., req. no 31982/96, R.T. c. Suisse, décision du 30 mai 2000.
(98) Il était douteux que le retrait de permis de conduire puisse s’analyser en une sanction
« pénale », au vu de la jurisprudence de la Cour relative à la matière (voy. supra). La Cour ne sou-
leva cependant pas cette question, constatant que les parties avaient, à son propos, des conclusions
convergentes.
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490 Sanctions administratives ou pénales : réflexions de Strasbourg
(99) Cour eur. D.H., Göktan c. France, arrêt du 2 juillet 2002, § 42 : « Le Gouvernement sou-
ligne également que le requérant a été condamné par une juridiction répressive et n’a jamais fait
l’objet d’une seconde procédure devant aboutir à un jugement pour les faits pour lesquels il a déjà
été condamné. Le requérant ayant été sanctionné, par une seule décision de justice, pour deux délits
distincts qui ont donné lieu au prononcé de deux sanctions différentes, les conditions d’application
de l’article 4 du Protocole no 7 ne sont nullement réunies en l’espèce ». Dans le sens de cet argu-
ment, voy. : Cour eur. D.H., req. no 59028/00, Stanca c. Roumanie, décision du 27 avril 2004 ;
Cour eur. D.H., req. no 73453/01, Smolickis c. Lettonie, décision du 27 janvier 2005 : « La protec-
tion du principe non bis in idem ne peut être invoquée que lorsqu’au moins deux procédures indé-
pendantes et différentes, portant sur une seule et même accusation, aboutissent à plus d’une
condamnation ».
(100) Cour eur. D.H., Göktan c. France, arrêt du 2 juillet 2002, § 50 : « En réalité, la Cour estime
qu’en l’espèce une même juridiction pénale a jugé la même personne pour les mêmes faits délic-
tueux, à savoir un trafic de stupéfiants importés en contrebande. Autrement dit, comme dans l’af-
faire Oliveira susmentionnée, un fait pénal unique se décompose ici en deux infractions distinctes :
un délit pénal général et un délit douanier. On peut admettre qu’il s’agit là aussi, comme dans l’af-
faire précitée, d’un concours idéal de qualifications, et ce précédent devrait être transposé a fortiori
(car, dans Oliveira, il y avait eu condamnation par deux juridictions : la Cour l’avait regretté, au
nom de la bonne administration de la justice, mais avait cependant conclu à la non-violation) » (c’est
nous qui soulignons).
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