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ET SI NOUS PARLIONS… DU DROIT DE SE TAIRE ?

Bruno Lavielle, Conseiller à la Cour de cassation.

Les racines inquisitoriales de notre droit pénal s’accommodent a priori assez mal
d’une exigence de notification du droit de garder le silence, effectuée d’emblée,
avant toute audition de la personne que les enquêteurs ou les juges souhaitent
entendre. La fascination pour l’aveu, pourquoi ne pas dire la confession1, prend ses
racines tellement loin dans notre inconscient processuel, qu’il n’allait pas de soi
d’introduire en procédure pénale interne une notion pourtant popularisée sur nos
écrans.

Qui n’a en tête en effet, le fameux avertissement américain, maintes fois entendu,
issu de l’arrêt Miranda c/Arizona2 du 13 juin 1966, généralement résumé comme
étant le droit pour la personne gardée à vue d’être, préalablement à son
interrogatoire, clairement informée qu’elle a le droit de garder le silence et que
tout ce qu’elle dira pourra être retenu contre elle devant les tribunaux3 ; de
même, doit-elle être avisée de son droit de consulter un avocat et de la possibilité
pour cet avocat de l’assister durant l’interrogatoire, un tel professionnel lui étant
désigné d’office, si elle n’a pas les moyens d’en rémunérer un.

Plus proche de nous, mais avec des racines différentes, la Grande-Bretagne connaît
elle aussi cette même règle et depuis 19424 .

Mais la France « est un vieux pays » qui, s’il touche souvent aux règles du jeu
pénal, l’a rarement fait d’initiative ces dernières années, en ce qui concerne le
respect des droits fondamentaux5.

Pourtant le droit de se taire et de ne pas contribuer à propre incrimination devrait


faire partie depuis longtemps de notre paysage procédural.

1 N’utilise-t-on pas l’expression « la religion de l’aveu »… ?

2 United States Supreme Court, MIRANDA v. ARIZONA, (1966), n° 759.

3 « You do not have to say anything. But it may harm your defence if you do not mention when
questioned something which you later rely on in Court. Anything you do say may be given in
evidence ».

4 Blunt v. Park Lane Hotel : « …the rule is that no one is bound to answer any question if the
answer thereto would, in the opinion of the judge, have a tendency to expose the deponent to any
criminal charge, penalty or forfeiture which the judge regards as reasonably likely to be preferred
or sued for ». Pour un panorama international du droit au silence, notamment au sein des tribunaux
internationaux, V. Mohammed Ayat, « Le silence prend la parole: la percée du droit de se taire en
droit pénal comparé et en droit international pénal », Archives de politique criminelle 2002-1 (n°
24) http://www.cairn.info/article_p.php...
5 On observera ainsi que l’article préliminaire pourtant complété en 2011 (L. no 2011-392 du 14 avr.
2011, en vigueur le 1er juin 2011) d’un ultime alinéa indiquant : « En matière criminelle et
correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul
fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée
par lui», ne mentionne pas ce droit au silence.

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Ainsi, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’O.N.U. du 16
décembre 19666 , prévoit pour toute personne la garantie de : “ ne pas être forcée
de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable »7.

Si la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés


fondamentales ne le mentionne pas expressément, notamment dans son article 6,
la Cour de Strasbourg l’a rapidement intégré dans sa jurisprudence, soit de
manière autonome, par exemple, dans la décision Saunders contre Royaume Uni du
17 décembre 19968, soit corrélée avec l’absence d’assistance d’un avocat, en
particulier lors de la garde à vue, par exemple dans les arrêts Bykov c/ Russie et
Dayanan c./Turquie de 20099 , et Brusco c./France de 201010.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 200011 ne


mentionne pas expressément le droit au silence. Mais sans doute l’englobe-t-elle
dans les articles 47 et 48 qui garantissent d’une part, le droit pour toute personne
de se faire conseiller, défendre et représenter, et d’autre part, la présomption
d’innocence et les droits de la défense.

La Cour de justice des Communautés européennes avait quant à elle, abordé de


longue date le sujet, en matière de concurrence, en posant le principe qu’il ne
saurait être imposé à une entreprise l’obligation de fournir des réponses par

6 Entrée en vigueur le 23 mars 1976, conformément aux dispositions de l'article 49.


7 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 14, 3 g).
8CEDH, Saunders c./ Royaume Uni, 17 décembre 1996, en particulier §§ 68 et 69 : « ». V. D.
Roets, Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination dans la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme, AJ pénal 2008. 119 s.
9CEDH, Bykov c/ Russie, requête n°4378/02, 10 mars 2009, plutôt sur la question d’enregistrement
clandestins ; Dayanan c./Turquie, requête n° 7377/03, 13 oct. 2009.
10 CEDH, Brusco c./France, 14 octobre 2010.
11 Rendu contraignante pour les Etats depuis le 1er décembre 2009 en suite du Traité de Lisbonne.

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lesquelles elle serait amenée à admettre l’existence de l’infraction dont il
appartient à la Commission d’apporter la preuve12.

En France donc, il est étonnant de ne trouver aucune mention légale de ce


« droit » avant la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence, garantissant,
pour le gardé à vue le droit de garder le silence13.
Dans le dernier état de notre code de procédure pénale, et mises à part les
modifications formelles issues de la loi du 3 juin 201614 sur ce sujet, c’est à la loi
du 27 mai 201415 qu’il faut se référer, en ce qui concerne la garde à vue, et
rappeler qu’elle a transposé en droit interne la très importante directive 2012/13/
UE du Parlement européen et du conseil du 20 mai 2012 relative aux droits à
l’information dans le cadre des procédures pénales16. Par suite, il sera précisé que
l’impact sur notre sujet, d’une autre directive portant notamment renforcement

12 CJUE Orkem, 18 oct. 1989, Rec. CJCE, p. 03283 : « Le respect des droits de la défense, en tant
que principe de caractère fondamental, doit être assuré non seulement dans les procédures
administratives susceptibles d' aboutir à des sanctions, mais également dans le cadre de procédures
d' enquête préalable, telles les demandes de renseignements visées à l' article 11 du règlement n°
17, qui peuvent avoir un caractère déterminant pour l' établissement de preuves du caractère
illégal de comportements d' entreprises de nature à engager leur responsabilité .
Dès lors, si, dans le cadre d' une demande de renseignements en application de l' article 11 du
règlement n° 17, la Commission est en droit d' obliger une entreprise à fournir tous les
renseignements nécessaires portant sur des faits dont elle peut avoir connaissance et de lui
communiquer, au besoin, les documents y afférents qui sont en sa possession, même si ceux-ci
peuvent servir à établir, à son encontre ou à l' encontre d' une autre entreprise, l' existence d' un
comportement anticoncurrentiel, elle ne saurait toutefois, par une décision de demande de
renseignements, porter atteinte aux droits de la défense .
Ainsi, et bien que, s' agissant des infractions de nature économique, notamment dans le domaine
du droit de la concurrence, on ne puisse faire état dans le chef d' une entreprise d' un droit de ne
pas témoigner contre soi-même, que ce soit au titre d' un principe commun aux droits des États
membres ou au titre des droits garantis par la convention européenne pour la sauvegarde des
droits de l' homme et des libertés fondamentales ou par le pacte international relatif aux droits
civils et politiques, la Commission ne saurait imposer à une entreprise l' obligation de fournir des
réponses par lesquelles celle-ci serait amenée à admettre l' existence de l' infraction dont il
appartient à la Commission d' établir la preuve». V. également CJUE Hoechst/Commission, 21
septembre 1989 (46/87 et 227/88, Rec. 1989, p . 0000, point 15).
13 L. n° 2015-516, JORF 16 juin 2000, p. 9038 qui introduisait un droit sur lequel la loi n° 2003-239
du 18 mars 2003, JORF du 19 mars, revenait avant que la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à
la garde à vue, JORF du 15 avril, ne rétablisse « le droit lors de ses auditions, après avoir déclaré
son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se
taire ». Avant 2000, et depuis la loi n° 93-1013 du 24 août 1993, JORF du 25 août, la personne
comparaissant pour mise en examen, ne pouvait « être interrogée immédiatement qu’avec son
consentement » qui ne pouvait être recueilli qu’en présence de son avocat.

14 L. n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur
financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, art. 63, JORF
n°0129 du 4 juin 2016, texte n° 1.
15L. n°2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement
européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des
procédures pénales, JORF n°0123 du 28 mai 2014, p.8864, texte n° 2.

16 E. Allain, « Les nouveaux droits de la défense », AJ pénal 2014. 261 ; T. Cassuto, « Dernières
directives relatives aux droits procéduraux », AJ pénal 2016. 314.

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de certains aspects de la présomption d'innocence17, sera vraisemblablement faible
-car l’essentiel est déjà dit par la première-, même si la dernière n’y consacre rien

17 Directive 2016/343/UE du parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant


renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d’assister à son procès
dans le cadre des procédures pénales, JOUE 11 mars 2016, n° L. 65. Il y est rappelé que trois
mesures relatives aux droits procéduraux dans les procédures pénales ont été adoptées en
application de la feuille de route adoptée par le Conseil européen, soit les directives du Parlement
européen et du Conseil 2010/64/UE (3 ), 2012/13/UE ( 4 ) et 2013/48/UE ( 5 ). La présente a pour
objet de renforcer le droit à un procès équitable dans le cadre des procédures pénales, en
définissant des règles minimales communes concernant certains aspects de la présomption
d'innocence et le droit d'assister à son procès.

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de moins que neuf considérants introductifs et 6 points en son article 718 .
Au-delà de l’enquête, et depuis quelques années, notre code de procédure pénale
s’est donc trouvé confronté à l’obligation d’intégrer le droit au silence à divers
stades du processus pénal et la jurisprudence elle-même a eu à se saisir de nombre
de contestations sur son respect. Alors que certains enquêteurs renâclent toujours
à son application, quel bilan est-il possible d’établir ?

18 (24) Le droit de garder le silence constitue un aspect important de la présomption d'innocence et


devrait servir de rempart contre l'auto-incrimination. (25) Le droit de ne pas s'incriminer soi-même
constitue également un aspect important de la présomption d'innocence. Les suspects et les
personnes poursuivies ne devraient pas être forcés, lorsqu'il leur est demandé de faire des
déclarations ou de répondre à des questions, de produire des preuves ou des documents ou de
fournir des informations pouvant conduire à leur propre incrimination. (26) Le droit de garder le
silence et le droit de ne pas s'incriminer soi-même devraient s'appliquer à propos de questions
concernant l'infraction pénale qu'une personne est soupçonnée d'avoir commise ou au titre de
laquelle elle est poursuivie et non, par exemple, à propos de questions relatives à l'identification du
suspect ou de la personne poursuivie. (27) Le droit de garder le silence et le droit de ne pas
s'incriminer soi-même impliquent que les autorités compétentes ne devraient pas contraindre les
suspects ou les personnes poursuivies à fournir des informations si ces personnes ne souhaitent pas
le faire. Afin de déterminer si le droit de garder le silence ou le droit de ne pas s'incriminer soi-
même ont été violés, il convient de tenir compte de l'interprétation donnée par la Cour européenne
des droits de l'homme du droit à un procès équitable en vertu de la CEDH. (28) L'exercice du droit
de garder le silence ou du droit de ne pas s'incriminer soi-même ne devrait pas être retenu contre
un suspect ou une personne poursuivie, ni être considéré en soi comme une preuve que la personne
concernée a commis l'infraction pénale en question. Ceci devrait s'entendre sans préjudice des
règles nationales concernant l'appréciation des preuves par les juridictions ou les juges, pour autant
que les droits de la défense soient respectés. (29) L'exercice du droit de ne pas s'incriminer soi-
même ne devrait pas empêcher les autorités compétentes de réunir les preuves que l'on peut
obtenir légalement du suspect ou de la personne poursuivie en recourant à des pouvoirs de
contrainte licites et qui existent indépendamment de la volonté du suspect ou de la personne
poursuivie, tels que des documents recueillis en vertu d'un mandat, des documents pour lesquels est
prévue une obligation légale de conservation et de production sur demande, les échantillons d'air
expiré, de sang et d'urine ainsi que les tissus corporels en vue d'une analyse de l'ADN. (30) Le droit
de garder le silence et le droit de ne pas s'incriminer soi-même ne devraient pas empêcher les États
membres de décider que, pour des infractions mineures telles que des infractions mineures au code
de la route, la procédure ou certaines parties de celle-ci peuvent être menées par écrit ou sans que
le suspect ou la personne poursuivie ne soit interrogé par les autorités compétentes à propos de
l'infraction concernée, pour autant que le droit à un procès équitable soit respecté. (31) Les États
membres devraient envisager de s'assurer que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu'ils
reçoivent des informations sur leurs droits en vertu de l'article 3 de la directive 2012/13/UE, sont
également informés du droit de ne pas s'incriminer soi-même, tel qu'il s'applique en droit national
conformément à la présente directive.
L’article 7 est ainsi rédigé : Droit de garder le silence et droit de ne pas s'incriminer soi-même 1.
Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit de
garder le silence en ce qui concerne l'infraction pénale qu'ils sont soupçonnés d'avoir commise ou au
titre de laquelle ils sont poursuivis. 2. Les États membres veillent à ce que les suspects et les
personnes poursuivies aient le droit de ne pas s'incriminer eux-mêmes. 3. L'exercice du droit de ne
pas s'incriminer soi-même n'empêche pas les autorités compétentes de recueillir les preuves qui
peuvent être obtenues légalement au moyen de pouvoirs de contrainte licites et qui existent
indépendamment de la volonté des suspects ou des personnes poursuivies. 4. Les États membres
peuvent autoriser leurs autorités judiciaires à tenir compte, lorsqu'elles rendent leur jugement, de
l'attitude coopérative des suspects et des personnes poursuivies. 5. L'exercice par les suspects et les
personnes poursuivies du droit de garder le silence et du droit de ne pas s'incriminer soi-même ne
saurait être retenu contre eux, ni considéré comme une preuve qu'ils ont commis l'infraction pénale
concernée. L 65/8 FR Journal officiel de l'Union européenne 11.3.2016 6. Le présent article
n'empêche pas les États membres de décider que, pour des infractions mineures, la procédure ou
certaines parties de celle-ci peuvent être menées par écrit ou sans que le suspect ou la personne
poursuivie ne soit interrogé par les autorités compétentes à propos de l'infraction concernée, pour
autant que le droit à un procès équitable soit respecté.

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1 – DEFINIR LE DROIT AU SILENCE.

Comme nombre d’évidences, celle-ci mérite quelques mots que l’on pourrait
résumer aux deux questions suivantes : comment le droit, généralement vu comme
actif, et le silence vécu comme passif peuvent-ils se concilier ? Si certains silences
en disent long, faut-il toujours chercher ce que peut bien vouloir nous dire celui
qui entend se prévaloir de son droit de se taire ? C’est sans doute autour de ces
deux axes que s’est progressivement construite la définition de ce droit
fondamental.

A) Contours progressifs.

En considérant non conforme à la Constitution, la seconde phrase du dernier


alinéa de l'article 153 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de
la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, qui disposait que : « Le fait que des personnes
gardées à vue aient été entendues après avoir prêté serment ne constitue
toutefois pas une cause de nullité de la procédure », le Conseil constitutionnel a
apporté une nouvelle pierre à l’édifice du droit au silence. Il a eu surtout à
connaître, à la fois d’un texte dont la rédaction même démontrait les
circonvolutions du législateur autour du respect de certains principes cardinaux de
la procédure pénale, et l’occasion de remettre à niveau les exigences en matière
d’auditions sur commission rogatoire, après les réformes intervenues en matière de
garde à vue19.

Comment en effet ne pas voir d’emblée, que soutenir dans un même alinéa
que l’obligation de prêter serment n’était pas applicable aux personnes gardées à
vue, mais qu’il n’y avait rien de choquant, si elles l’avaient toutefois prêté, au
point d’entraîner la nullité de la procédure, tient d’un raisonnement qui est tout
sauf exigeant ? Comment ne pas supposer que l’absence de tout recours serait un
jour sanctionnée ? Comment ne pas apprécier en matière de protection des droits
fondamentaux, l’usage de l’adverbe « toutefois »… 20 ?

Certes, la chambre criminelle déjà saisie de la conformité dudit texte à la


Convention EdH avait jugé qu’il résultait des dispositions combinées des articles
105, 113-1, 153 et 154 du Code de procédure pénale, jugés non contraires à
l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qu'une personne
placée en garde à vue sur commission rogatoire du juge d'instruction est entendue
par l'officier de police judiciaire après avoir prêté le serment prévu par la loi, dès
lors qu'il n'existe pas à son encontre des indices graves et concordants d'avoir
participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ou qu'elle n'est pas
nommément visée par un réquisitoire introductif21.

19 Décision n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, JORF du 6 novembre 2016, texte n° 30.

20 On a pu parler ici « d’un oxymore » contraire aux droits de ne pas contribuer à sa propre
incrimination et de garder le silence, Damien Roets – RSC 2011. 211. V. également « Le droit au
silence de la personne soupçonnée se fait enfin entendre », H. Marquetty et M. Piquet, Dr. Pén.
2017, Et. 16.
21 Crim. 14 janvier 2003, n° 02-87062, Bull. crim. n° 6, JCP 2003, IV, 1528 ; D. 2003, IR, 808.

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Plus clairement, le Conseil constitutionnel indique dans le 8ème point de sa
décision que faire ainsi prêter serment à une personne entendue en garde à vue de
« dire toute la vérité, rien que la vérité », peut être de nature à lui laisser croire
qu'elle ne dispose pas du droit de se taire ou de nature à contredire l'information
qu'elle a reçue concernant ce droit. Et que dès lors, en faisant obstacle, en toute
circonstance, à la nullité d'une audition réalisée sous serment lors d'une garde à
vue dans le cadre d'une commission rogatoire, les dispositions contestées portent
atteinte au droit de se taire de la personne soupçonnée. Dans l’arrêt BRUSCO c./
France, dont il sera encore question, la Cour de Strasbourg avait d’ailleurs
précédemment retenu que le fait d'avoir dû prêter serment avant de déposer avait
constitué pour le requérant - qui faisait déjà depuis la veille l'objet d'une mesure
coercitive, la garde à vue - une forme de pression, et que le risque de poursuites
pénales en cas de témoignage mensonger a assurément rendu la prestation de
serment plus contraignante22 .

Le Conseil constitutionnel avait déjà eu l’occasion de statuer en matière de


droit au silence. Ainsi, avait-il censuré le 3° de l’article 323 du Code des douanes23
relatif à la capture des prévenus en cas de flagrant délit qui ne permettait pas à la
personne retenue contre sa volonté de bénéficier de l'assistance effective d'un
avocat pendant la phase d'interrogatoire … sans considération des circonstances
particulières susceptibles de la justifier pour rassembler ou conserver les preuves
ou assurer la protection des personnes … la personne en retenue douanière « ne
recevant pas au demeurant la notification de son droit de garder le silence ».

Mais c’est bien sûr en matière d’enquête sous contrainte et de garde à vue
que la question du droit au silence a été posée et ceci d’assez longue date par la
Cour de Strasbourg.

On cite en général un arrêt de 199324 , dans laquelle un ressortissant


allemand fut condamné pour refus de communication de pièces à l’administration
des douanes françaises. La Cour retenait en l’espèce que les douanes avaient
provoqué la condamnation de M. Funke pour obtenir certaines pièces, dont elles
supposaient l’existence sans en avoir la certitude. Faute de pouvoir ou vouloir se
les procurer par un autre moyen, elles tentèrent de contraindre le requérant à
fournir lui-même la preuve d’infractions qu’il aurait commises. Les particularités
du droit douanier (paragraphes 30-31), dit la Cour, ne sauraient justifier une telle
atteinte au droit, pour tout "accusé" au sens autonome que l’article 6 attribue à ce
terme, de se taire et de ne point contribuer à sa propre incrimination. Partant, il y
a eu violation de l’article 6 § 1. Les spécificités du droit douanier alors applicable
et son caractère exorbitant, la volonté d’une protection de la vie privée et du
domicile, pouvaient laisser à penser que cette décision était liée aux particularités

22 CEDH 14 octobre 2010, Brusco c./France, § 52.


23Décision n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010, JORF du 23 septembre 2010, page 17291, texte
n° 40.
24CEDH 25 février 1993, Funcke c./France, Requête n° 10588/83), § 44, série A n° 256-A, D. 1993,
457, note Pannier ; AJDA 1993. 483, chron. J.-F. Flauss ; D. 1993. 457, note J. Pannier ; ibid. 387,
obs. J.-F. Renucci ; RSC. 1994. 362, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 537, obs. D. Viriot-Barrial ;

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de l’espèce. La décision posait bien néanmoins que le droit de ne pas contribuer à
sa propre incrimination est un élément du procès équitable.

Tout doute sur sa portée était cependant levé dès 1996, avec l’arrêt
Saunders c./Royaume-Uni, qui donnait toute la mesure du contrôle de la Cour sur
le respect de ce droit25 en indiquant : « … que, même si l'art. 6 Conv. EDH ne le
mentionne pas expressément, le droit de se taire et – l'une de ses composantes – le
droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes
internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès
équitable consacrée par l'art. 6. Leur raison d'être tient notamment à la
protection de l'accusé contre une cœrcition abusive de la part des autorités, qui
évite les erreurs judiciaires et permet d'atteindre les buts de l'art. 6. En
particulier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose
que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation
sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions
au mépris de la volonté des accusés. En ce sens, ce droit est étroitement lié au
principe de la présomption d'innocence consacré par l'art. 6, § 2, Conv. EDH.
Toutefois, le droit de ne pas s'incriminer soi-même concerne en premier lieu le
respect de la détermination d'un accusé de garder le silence. Tel qu'il s'entend
communément dans les systèmes juridiques des Parties contractantes à la
convention et ailleurs, il ne s'étend pas à l'usage, dans une procédure pénale, de
données que l'on peut obtenir de l'accusé en recourant à des pouvoirs cœrcitifs
mais qui existent indépendamment de la volonté du suspect, par exemple les
documents recueillis en vertu d'un mandat, les prélèvements d'haleine, de sang et
d'urine ainsi que de tissus corporels en vue d'une analyse de l'ADN ».

L’arrêt Brusco c./France de 2010, portait un coup fatal au non-respect du


droit au silence, encore qu’il l’ait fait par le biais d’un défaut d’assistance du
prévenu par son conseil, qui, n’étant intervenu que vingt heures après le début de
sa garde à vue, n'avait pu l'informer de son droit à garder le silence et de ne pas
s'auto-incriminer26 . Et c’était alors une véritable mise à mort de « la garde à vue à
la française » qui intervenait en suite de la décision du Conseil constitutionnel27 ,

25 CEDH 17 déc. 1996, Saunders c/ Royaume-Uni, §§ 68 et 69: Rec. 1996-VI ; CEDH 3 mai
2001, J.B. c/ Suisse, § 64: Rec. 2001-III ; CEDH 8 févr. 1996, Murray c/ Royaume-Uni, § 45: Rec.
1996-I ; CEDH 20 oct. 1997, Serves c/ France, § 46.
26CEDH 14 oct. 2010, n° 1466/07, Brusco c/ France , D. 2010. 2425, édito. F. Rome ; ibid. 2783,
chron. J. Pradel ; RSC 2011. 211, obs. D. Roets; Dalloz actualité, 22 oct. 2010, obs. M. Léna ; D.
2010. 2950 , note J.-F. Renucci ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ;
27 Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, JORF 31 juillet, page 14198, texte n° 105, qui
fixait la prise d’effet de la déclaration d'inconstitutionnalité des articles 62, 63, 63-1 et 77 du code
de procédure pénale et des alinéas 1er à 6 de son article 63-4, au 1er juillet 2011 ; AJDA 2010. 1556,
obs. S. Brondel ; D. 2010. 1949, point de vue P. Cassia, et 2259, obs. J. Pradel ; sur la notion de
changement de circonstances, RTD civ. 2010. 513 et sur la modulation dans le temps des décisions
QPC, 517, obs. P. Puig

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des trois arrêts de la chambre criminelle du 19 octobre 201028 et des quatre arrêts
rendus par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 15 avril 201129.

La première chose que semble donc vouloir nous dire le bénéficiaire du droit
au silence est qu’il est plus facile de parler lorsque l’on sait ce que celui qui vous
interroge recherche -raison pour laquelle en matière de garde à vue, la notification
de la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction soupçonnée… a
toute son importance -, et que l’on a la certitude de ne pas lui apporter des
éléments dont il ne dispose pas déjà.

B) Portée.

Si le droit au silence fait donc bien partie des droits de la défense, il ne


saurait évidemment être satisfait aux exigences de la Convention en considérant
qu’il peut faire l’objet d’une application alternative avec le droit à l’assistance de
l’avocat. Cette dernière position était soutenue par le gouvernement turc dans
l’affaire Dayanan30 . Bien que ce dossier révèle que le suspect avait exercé son
droit au silence, les juges de Strasbourg décidèrent que l'assistance de l'avocat
restait nécessaire, qu’il s’agisse d’ailleurs pour lui de conseiller à son client de
continuer à se taire ou bien à répondre aux questions de l’enquêteur, ou, tel qu’ils
le développent, pour une discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la
recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le
soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention qui sont
des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer31 .

28 Crim. 19 octobre 2010, n° 10-85.051, n° 10-82.902 et 10-82.306, Bull. crim. n° 163 à 165,
retenant, pour mémoire, des déclarations par lesquelles le prévenu s’était incriminé lui-même,
ayant, à l’occasion de ses interrogatoires, réalisés, pour l’essentiel, avant l’intervention de son
conseil, et, en conséquence, sans préparation avec celui-ci, ni information sur son droit de garder le
silence, été privé d’un procès équitable, procédure violant donc l’article 6 de la Convention EdH.
29Ass. Plén. 15 avril 2011, n° 10-17.049, 10-30.242, 10-30.316, 10-30.313, Bull. crim. Ass. plèn. n° 1
à 4.
30CEDH 13 oct. 2009, n° 7377/03, Gaz. Pal. 2-3 déc. 2009, note H. Matsopoulou ; D. 2009. 2897,
note J.-F. Renucci; AJ pénal 2010. 27, étude C. Saas ; RSC 2010. 231, obs. D. Roets. V. également
arrêt Salduz c/ Turquie du 27 novembre 2008.
31 Il est encore possible de citer ici les arrêts arrêt de Grande Chambre Jalloh c/ Allemagne du 11
juillet 2006, Requête n° 54810/00, et Göçmen c/ Turquie du 17 janvier 2007, qui sur notre sujet
relient expressément les articles 3 et 6 de la Convention.

!9
Dès ce stade le droit au silence est conçu comme un rempart contre toute
« coercition abusive »32.

Il est encore possible de citer sur ce point une jurisprudence33 ayant abouti à
la condamnation de la Principauté monégasque, pour défaut d’information sur le
droit au silence, alors même que les personnes poursuivies avaient déclaré là aussi
renoncer à l’assistance d’un avocat.

Par deux décisions se complétant, la chambre criminelle avait, dès 2011,


indiqué par ailleurs la portée qu’il convenait de donner à des déclarations figurant
au dossier de la procédure, sans qu’ait été notifié à l’intéressé son droit au silence.
Le 11 mai 2011, elle posait le principe selon lequel en fondant la déclaration de
culpabilité sur des déclarations enregistrées au cours de la garde à vue par
lesquelles la personne a contribué à sa propre incrimination sans avoir pu être
assistée par un avocat, et ensuite rétractées, la cour d'appel n'avait pas justifié sa
décision34. Le 6 décembre suivant, que justifie sa décision au regard de l'art. 6
Conv. EDH, la cour d'appel qui retient la culpabilité des prévenus par des motifs
desquels il résulte que les juges ne se sont fondés ni exclusivement, ni même
essentiellement, sur les déclarations recueillies au cours des gardes à vue sans
l'assistance d'un avocat35 .

Il faut reconnaître à la chambre criminelle d’avoir à l’époque mené un


travail têtu d’intégration directe des normes européennes dans notre droit.
Rappelons en effet, et même si entretemps était intervenu l’arrêt Brusco c./
France précité, que la Cour de cassation dans sa formation la plus solennelle et

32 CEDH, 10 mars 2009, n° 4378/02, § 92, Bykov c. Russie. Sur l’administration de force de produits
vomitifs ou émétiques, à des trafiquants supposés de stupéfiants en détenant « in corpore », CEDH,
11 juillet 2006, Jalloh c/ Allemagne, requête n° 54810/00, §100, AJDA 2006. 1709. Dans cette
dernière décision, la cour rappelle (§102) que selon sa jurisprudence constante, le droit de ne pas
s’incriminer soi-même concerne en premier lieu le respect de la détermination d’un accusé à garder
le silence. Tel qu’il s’entend communément dans les ordres juridiques des Parties contractantes à la
Convention et ailleurs, il ne s’étend pas à l’usage, dans une procédure pénale, de données que l’on
peut obtenir de l’accusé en recourant à des pouvoirs coercitifs mais qui existent indépendamment
de la volonté du suspect, par exemple les documents recueillis en vertu d’un mandat, les
prélèvements d’haleine, de sang, d’urine, de cheveux et de tissus corporels en vue d’une analyse de
l’ADN ou encore les échantillons de voix (Saunders, arrêt précité, § 69, Choudhary c. Royaume-Uni
(déc.), n° 40084/98, 4 mai 1999, J.B. c. Suisse, arrêt précité, § 68, et P.G. et J.H. c. Royaume-Uni,
arrêt précité, § 80).Mais en l’espèce, l’obtention des éléments de preuve, par la force et selon une
procédure qualifiée de contraire à l’article 3, justifie de dire qu’il a été porté atteinte au droit de
l’intéressé de ne pas contribuer à sa propre incrimination et a donc entaché d’iniquité la procédure
dans son ensemble (§113 s., 122).
33 CEDH 24 oct. 2013, nos 62880/11, 62892/11 et 62899/11, Navonne c/ Monaco.

34 Crim. 11 mai 2011, n°10-84.251, Bull. crim. no 97; Dalloz actualité, 24 mai 2011, obs. Girault; D.
2011. Actu. 1421, obs. Girault; AJ pénal 2011. 371, obs. Ascensi; RSC 2011. 414, obs. Danet; Dr.
pénal 2011. Chron. 7, obs. Lesclous.

35 Crim. 6 déc. 2011, n° 11-80.326, Bull. crim. no 247; Dr. pénal 2012. Chron. 7, obs.
Lesclous ; Crim. 24 avr. 2013, Dalloz actualité, 16 mai 2013, obs. Bombled.

!10
après avoir admis le caractère non conventionnel de notre législation36 imposait
aux juridictions françaises l’application immédiate de l'article 6 tel qu'interprété
par la Cour européenne, sans attendre l'entrée en vigueur, prévue au 1erjuin 2011,
de la xième loi sur la garde à vue37.

Un point d’aboutissement ne peut-il pas être trouvé dans l’arrêt du 22 juin


201638, qui sanctionne le défaut d’enregistrement audiovisuel d’une première
comparution au cours de laquelle l’intéressé avait gardé le silence ?

La deuxième « leçon » sur le droit au silence consisterait alors à dire que,


parce qu’il s’en distingue, le droit au silence s’accommode tout de même mieux
d’une application conjointe du droit d’être assisté par un avocat, car se taire est
une chose, mais savoir pourquoi et comment le faire en est une autre.

C) Absence de caractère absolu.

C’est l’arrêt Murray c./Royaume-Uni39 qui pose le mieux à ce jour les limites
du droit au silence, dans une affaire où là encore le requérant avait fait choix de
se taire. On se doute en effet, sans nier la responsabilité qui pèse sur l’accusation
d’apporter la preuve des infractions qu’elle poursuit, que le silence systématique
peut être de nature à empêcher purement et simplement à la justice de passer, en
empêchant par exemple, toute confrontation d’un prévenu avec sa victime
supposée.

La cour européenne, dans son souci de motivation complète, a pu alors


indiquer : « (45) Il ne fait aucun doute que, même si l'article 6 (art. 6) de la
Convention ne les mentionne pas expressément, le droit de se taire lors d'un
interrogatoire de police et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination
sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la
notion de procès équitable consacrée par l'article 6 (art. 6) (arrêt Funke précité,
loc. cit.). En mettant le prévenu à l'abri d'une coercition abusive de la part des
autorités, ces immunités concourent à éviter des erreurs judiciaires et à garantir
le résultat voulu par l'article 6 (art. 6). (46) La Cour n'estime pas devoir se livrer à
une analyse dans l'abstrait de l'étendue de ces immunités et, en particulier, de ce
qui constitue en l'occurrence une "coercition abusive". Se trouve en jeu ici la
question de savoir si ces interdictions revêtent un caractère absolu en ce sens que
l'exercice par un prévenu du droit de garder le silence ne pourrait jamais servir en
sa défaveur au procès ou, à titre subsidiaire, qu'il y a toujours lieu de tenir pour
une "coercition abusive" le fait de l'informer au préalable que, sous certaines
conditions, son silence pourra être ainsi utilisé. (47). D'une part, il est
manifestement incompatible avec les interdictions dont il s'agit de fonder une

36Crim. 19 oct. 2010, D. 2010. Actu. 2434, obs. Lavric, et Jur. 2809, note Dreyer, et Chron. 2783,
par Pradel.
37L.n° 2011-392 du 14 avril 2011 et Ass. plén., 15 avr. 2011, D. 2011. Actu. 1080, Entretien 1128,
par Roujou de Boubée ; Dalloz actualité, 19 avr. 2011, S. Lavric ; JCP 2011. Act. 483, obs. Detraz).
38 Crim., 22 juin 2016 n° 15-87.752, Bull. crim.n° 196, V. infra.note 43.
39 CEDH 8 févr. 1996, Murray c/ Royaume-Uni, §§ 45 à 47.

!11
condamnation exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur
son refus de répondre à des questions ou de déposer. D'autre part, il est tout aussi
évident pour la Cour que ces interdictions ne peuvent et ne sauraient empêcher de
prendre en compte le silence de l'intéressé, dans des situations qui appellent
assurément une explication de sa part, pour apprécier la force de persuasion des
éléments à charge. Où que se situe la ligne de démarcation entre ces deux
extrêmes, il découle de cette interprétation du "droit de garder le silence" qu'il
faut répondre par la négative à la question de savoir si ce droit est absolu. On ne
saurait donc dire que la décision d'un prévenu de se taire d'un bout à l'autre de la
procédure pénale devrait nécessairement être dépourvue d'incidences une fois que
le juge du fond tentera d'apprécier les éléments à charge. En particulier, comme
le Gouvernement le relève, si elles consacrent le droit de garder le silence et
l'interdiction de contribuer à sa propre incrimination, les normes internationales
établies sont muettes sur ce point. Pour rechercher si le fait de tirer de son
silence des conclusions défavorables à l'accusé enfreint l'article 6 (art. 6), il faut
tenir compte de l'ensemble des circonstances, eu égard en particulier aux cas où
l'on peut procéder à des déductions, au poids que les juridictions nationales leur
ont accordé en appréciant les éléments de preuve et le degré de coercition
inhérent à la situation ».

S’il n’est plus possible de conclure à la culpabilité du prévenu, simplement


parce que celui-ci choisit de garder le silence et donc clairement de motiver une
décision de condamnation sur ce seul silence, la Cour ne nie pas que certaines
situations puissent exiger une réponse, ne serait-ce que pour permettre aux juges
d’apprécier la pertinence des éléments à charge rapportés par l’accusation. Dans
ce cas, elle n’est pas crédule au point d’écrire que la décision de garder le silence
est nécessairement dépourvue d’incidences. Elle énonce là au contraire une
sérieuse réserve.

Moins conciliant avec l’absence d’avertissement lorsqu’il se conjugue avec


d’autres manquements au respect des droits de la défense, un autre arrêt rendu
contre la Grande-Bretagne40 plus récemment, est venu dire qu’il y avait violation
de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme,
dès lors qu'il n'est pas démontré en quoi la décision de ne pas notifier
d'avertissement à l'intéressé et de restreindre son droit d'accès à un avocat n'a pas
porté une atteinte irrémédiable à l'équité du procès dans son ensemble.

Absence de caractère absolu du droit au silence néanmoins, si l’on se réfère


à une autre décision des juges de Strasbourg, ayant pu reconnaître que des
déclarations recueillies dans le cours d’une enquête parlementaire ont pu être
constitutives d’une contrainte, mais qu’elles ne sont pas susceptibles de constituer
une violation du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination dès lors que si
elles ont bien été prises en compte dans le cadre d’une procédure pénale, elles ne
constituent pas le support exclusif des poursuites41.

40 CEDH, Ibrahim et autres c./ Royaume Uni, 13 septembre 2016, req. n° 50541/08 : Les juges
doivent examiner le témoignage incriminé et juger, au regard du degré de contrainte appliqué, s’il
est compatible avec les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne .
41 CEDH, C et autres c./France, 19 mars 2015, req. n°7494/11, § 33 à 37.

!12
Et c’est la troisième conclusion en forme d’interrogation du bénéficiaire du
droit au silence : il ne peut plus être déduit de mon silence une preuve de
culpabilité mais jusqu’où me taire m’est-il favorable ?

2- APPLIQUER LE DROIT AU SILENCE.

La loi du 27 mai 2014 a introduit dans notre code de procédure pénale un


article 803-6 au terme duquel, en substance, toute personne suspectée ou
poursuivie, détenue, se voit remettre lors de la notification de sa privation de
liberté un document écrit énonçant ses droits, dont, en deuxième position, le
droit, lors des auditions ou interrogatoires, de faire des déclarations, de répondre
aux questions qui lui sont posées ou de se taire42. La généralité du propos pourrait
laisser croire que le droit au silence est devenu applicable à l’entière procédure
pénale moderne, mais tel n’est pas nécessairement le cas.

A) Un droit essentiel en phase d’enquête, continué en phase de


jugement.

La procédure pénale française est désormais toute entière saupoudrée


de droit au silence et particulièrement en phase préparatoire du procès
pénal.

42Art. 803-6 : Toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté en
application d'une disposition du présent code se voit remettre, lors de la notification de cette
mesure, un document énonçant, dans des termes simples et accessibles et dans une langue qu'elle
comprend, les droits suivants, dont elle bénéficie au cours de la procédure en application du
présent code :

1° Le droit d'être informée de la qualification, de la date et du lieu de l'infraction qui lui est
reprochée ;

2° Le droit, lors des auditions ou interrogatoires, de faire des déclarations, de répondre aux
questions qui lui sont posées ou de se taire ;

3° Le droit à l'assistance d'un avocat ;

4° Le droit à l'interprétation et à la traduction ;

5° Le droit d'accès aux pièces du dossier ;

6° Le droit qu'au moins un tiers ainsi que, le cas échéant, les autorités consulaires du pays dont elle
est ressortissante soient informés de la mesure privative de liberté dont elle fait l'objet ;

7° Le droit d'être examinée par un médecin ;

8° Le nombre maximal d'heures ou de jours pendant lesquels elle peut être privée de liberté avant
de comparaître devant une autorité judiciaire ;

9° Le droit de connaître les modalités de contestation de la légalité de l'arrestation, d'obtenir un


réexamen de sa privation de liberté ou de demander sa mise en liberté.

La personne est autorisée à conserver ce document pendant toute la durée de sa privation de


liberté.

Si le document n'est pas disponible dans une langue comprise par la personne, celle-ci est informée
oralement des droits prévus au présent article dans une langue qu'elle comprend. L'information
donnée est mentionnée sur un procès-verbal. Une version du document dans une langue qu'elle
comprend est ensuite remise à la personne sans retard.

!13
Dans les dernières étapes, la loi du 27 mai 2014, a ainsi introduit ou
réaménagé le « droit de faire des déclarations, de répondre aux questions
qui lui sont posées ou de se taire », au bénéfice de la personne susceptible
de faire l’objet d’une audition libre (C. pr. pén., art. 61-1)43, d’être entendu
comme témoin assisté (C. pr. pén., art. 113-4), ou interrogé en première
comparution (C.pr. pén., art. 116) 44. Il sera juste noté ici, que la décision de
refus de renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de
constitutionnalité relative à l’article 116 alinéa 4 dans sa rédaction issue de
la loi du 27 mai 2014, signait l’application générale du droit au silence, à
toutes les hypothèses procédurales de première comparution45.

La loi du 3 juin 201646 a même prévu la notification du droit au silence


à la personne faisant l’objet d’une retenue pour vérification de sa situation
lors d‘un contrôle d’identité ayant révélé l’existence de raisons sérieuses de
penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère
terroriste (C.pr. pén., art. 78-3-1). Il faut d’ailleurs noter que la personne

43 C’est d’autant plus remarquable que la chambre criminelle avait jugé le 3 avril 2013 (n°
11-87.333, Bull. crim. n°72) que le droit au silence n’était reconnu qu’aux personnes gardées à vue
ou faisant l’objet d’une mesure de rétention douanière et ne s’appliquait pas dans le cas où la
personne n’était pas maintenue en état de contrainte, V. AJ Pénal 2013, p.411, obs. L. Ascensi.

44 Il n’est pas inintéressant de citer en matière de première comparution un arrêt du 22 juin 2016
(n° 15-87.752, Bull. crim. à paraître), qui, en matière de défaut d’enregistrement audiovisuel de la
première comparution, qui s'applique, aux termes de l'article 116-1 du code de procédure pénale,
sans distinction à l'ensemble de l'interrogatoire et dont la violation porte nécessairement atteinte
aux intérêts de la personne que le juge d'instruction envisage de mettre en examen, la chambre
criminelle a pu juger qu’il importait peu que le mis en examen ait déclaré à ce magistrat, dans le
cours de cet acte, faire usage de son droit de se taire. Par ailleurs, si une décision -antérieure à
l’entrée en vigueur de la loi de 2014-, avait pu refuser d'annuler la mise en examen pour défaut de
notification du droit de se taire en retenant qu'il résulte de la combinaison des articles 80-2 et 116
du Code de procédure pénale que l'interrogatoire immédiat de la personne mise en cause est
possible sans autre formalité que la notification des faits et de leur qualification dès lors que la
personne a été convoquée en vue de sa première comparution conformément aux prescriptions du
premier de ces textes, qu'elle a fait choix d'un avocat ou obtenu la désignation d'un avocat d'office,
que son défenseur a pu être convoqué au moins cinq jours ouvrables avant la première comparution
conformément à l'article 114 et qu'il est présent (Crim.4 juin 2014, n°14-81.120, JurisData n°
2014-012201, AJ pénal 2014. 589, obs. G. Royer), la chambre criminelle a intégré les effets de la
transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012,
relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales par la loi n° 2014-535, du 27
mai 2014 qui a modifié l’article 116 et dont l’alinéa 4 prévoit désormais que le juge d’instruction ne
peut procéder à l’interrogatoire de première comparution de la personne qu’il envisage de mettre
en examen, sans l’informer de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui
sont posées ou de se taire (Crim., 7 février 2017, n°16-84.353, Bull. crim. à paraître).
45 Crim. 10 janvier 2017, n° 16-84353, NP : « la question posée ne présente pas un caractère
sérieux, dès lors que l'article 116 du code de procédure pénale, modifiée par la loi n° 2014-535 du
27 mai 2014, impose sans distinction au juge d'instruction, avant tout interrogatoire de première
comparution, d'informer la personne dont il envisage la mise en examen, qu'elle a le droit de faire
des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, de sorte qu'aucun
interrogatoire ne peut avoir lieu si la personne choisit de garder le silence, et qu'il s'en déduit que,
dans tous les cas, mention de cet avertissement est faite au procès-verbal ».
46 L. 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur
financement, art. 48. C. Ribeyre, « Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le
crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la
procédure pénale – Et maintenant ? », Dr. Pén. 2016, Et.17.

!14
est ici avisée à la fois que cette retenue ne peut donner lieu à audition…et
qu’elle a le droit de garder le silence !

La garde à vue elle, comporte au gré de l’ensemble des droits énoncés


par l’article 63-1, le même droit, pareillement énoncé. A ce titre, rappelons
un arrêt intéressant sur le recueil de déclarations par le juge d’instruction
lors de la prolongation de la mesure de garde à vue, par les précisions qu’il
apporte sur l’articulation du droit au silence et des autres droits 47.
Un arrêt plus récent est venu de ce point de vue illustrer encore
l’articulation des différents droits de la personne, en particulier celui d’être
informé de la qualification, de la date et du lieu de l’infraction que la
personne est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre et des
motifs du placement en garde à vue avec le droit de se taire. Il a en effet
approuvé une chambre de l’instruction d’avoir, pour écarter le moyen pris de
la nullité des procès-verbaux de garde à vue, tiré de ce que le demandeur
soutenait avoir été informé qu'il était placé en garde à vue pour des faits de
vols en bande organisée commis dans le département du Var entre le 30
juillet et le 7 août 2015, alors que l'enquête portait également sur des faits
commis avant cette période, relevé que le demandeur n'avait pas répondu
aux questions des enquêteurs portant sur les faits qui n'avaient pas été
notifiés. Et de poser que l'omission, dans la notification à la personne gardée
à vue prévue à l'article 63-1du code de procédure pénale, d'une partie des
faits qu'elle est soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre ne peut
entraîner le prononcé d'une nullité, que s'il en est résulté pour elle une
atteinte effective à ses intérêts48. Il est possible d’y voir une illustration
d’une autre jurisprudence européenne 49, qui admet que l’absence de
notification du droit au silence, lors d’un interrogatoire ne constituant qu’un
élément de preuve de faible importance, et au cours duquel la requérante
ne s’est pas incriminée (§39) n’entraîne pas violation de l’article 6-1 de la
Convention.
Doit être signalé un arrêt récent qui juge que lorsqu'une personne a
été placée en garde à vue, les officiers de police judiciaire ne peuvent, hors
raison impérieuse tenant aux circonstances de l'espèce, recueillir ses
déclarations spontanées, sur les seuls faits objet de cette mesure, que dans
le respect des règles légales autorisant l'intéressée à garder le silence et à
être assistée par un avocat. Justifie sa décision la chambre de l'instruction

47 Crim.14 avril 2015, n° 14-88.515, Bull. crim. n° 83, qui justifie la décision d’une chambre de
l'instruction qui, pour écarter le moyen de nullité tiré de la violation du droit au silence d'une
personne gardée à vue par le recueil de ses observations au juge d'instruction lors de la prolongation
de cette mesure, retient qu'elle ne saurait se faire un grief de ce que ses déclarations spontanées et
non incriminantes ont été reçues par ce magistrat hors la présence de son avocat, dès lors que les
droits mentionnés à l'article 63-1 du code de procédure pénale, et notamment celui de se taire, ont
été régulièrement notifiés à l'intéressée, et que la personne gardée à vue, en exécution d'une
commission rogatoire, dispose, selon les articles 63-1, 3°, et 154 du même code, du droit de
présenter au juge d'instruction des observations tendant à ce qu'il soit mis fin à la mesure lorsque ce
magistrat se prononce, en application de l'article 152, sur l'éventuelle prolongation de celle-ci.
48 Crim.2 novembre 2016, n°16-81537, NP.
49 CEDH 16 juin 2015, Schmid-Laffer c./Suisse, Requête n° 41269/08.

!15
qui, pour annuler un procès-verbal mentionnant de telles déclarations faites
aux enquêteurs par une personne gardée à vue au cours d'un transport dans
un véhicule, relève qu'aucune circonstance exceptionnelle n'empêchait
qu'elles fussent recueillies dans les locaux des services de police et dans les
conditions prévues par l'article 64-1 du code de procédure pénale50.
Le droit au silence a même connu une reconnaissance supplémentaire
par l’assemblée plénière de la Cour de cassation, lorsqu’elle est venue
décider que porte atteinte au droit à un procès équitable, au droit de se
taire et à celui de ne pas s'incriminer soi-même, ainsi qu'au principe de
loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de
l'autorité publique, en l’espèce, le placement, au cours d'une mesure de
garde à vue, durant les périodes de repos séparant les auditions, de deux
personnes retenues dans des cellules contiguës préalablement sonorisées, de
manière à susciter des échanges verbaux qui seraient enregistrés à leur insu
pour être utilisés comme preuve51.
On verra aussi une forme d’extension du droit au silence au travers de
la décision ayant jugé que si l’enquêteur désigné par le juge d’instruction
pour faire rapport sur la personnalité et la situation matérielle, familiale ou
sociale de la personne mise en examen peut, à cette fin, s'entretenir avec
celle-ci, hors la présence de son avocat et sans que ce dernier ait été
appelé, il ne peut lors de cet entretien recueillir aucune déclaration de
l'intéressé sur les faits qui lui sont reprochés52. Dans un domaine voisin, celui
de l’expertise, la chambre criminelle a encore jugé que l'audition, par
l'expert psychiatre, de la personne mise en examen sur les faits qui lui sont
reprochés et la retranscription par cet expert, dans son rapport, des propos
qui lui ont été tenus au cours de l'examen, réalisé dans les conditions de
l'article 164, alinéa 3, du code de procédure pénale, ne sont pas contraires
aux droits de l'intéressée d'être assistée d'un avocat et de garder le silence,
dès lors que les déclarations recueillies dans ces conditions, d'une part,
seront, le cas échéant, soumises au débat contradictoire devant la
juridiction de jugement dans le respect des droits de la défense, d'autre
part, ne pourront, en application du dernier alinéa de l'article préliminaire
du code de procédure pénale, servir d'unique fondement à une déclaration
de culpabilité. N'encourt en conséquence pas la censure, dès lors qu'il n'était
pas soutenu que l'expert aurait manqué au devoir d'impartialité ou au
respect de la présomption d'innocence, l'arrêt qui écarte l'exception de

50 Crim., 25 avril 2017, n° 16-87.518, à paraître.


51 Ass. Plén. 6 mars 2015, n° 14-84.339, Bull. crim. Ass. Plén.n° 2.
52 Crim.12 avril 2016, n°15-86298, Bull. crim. à paraître. En l’espèce la chambre de l’instruction
avait cru pouvoir dire que le fait qu’un enquêteur de personnalité ait consacré un paragraphe et
une partie de la conclusion du rapport d'enquête à la position de la personne mise en examen sur
les faits, n’avait pas porté atteinte aux intérêts de M. X..., lequel n'a fait que réitérer ses
précédentes dénégations alors qu’il avait la possibilité de former un recours contre la décision
rendue au fond, au cas où les juges fonderaient une éventuelle déclaration de culpabilité sur les
mentions litigieuses du rapport.

!16
nullité d'un rapport d'expertise psychiatrique retranscrivant des propos tenus
à l'expert par lesquels la personne mise en examen s'auto-incriminait 53.
Et que dire encore en termes de garanties procédurales conjointes
d’un arrêt du 22 juin 2016, ayant jugé qu’en matière criminelle, le défaut
d'enregistrement audiovisuel de la première comparution d'une personne
mise en examen, hors les cas où l'article 116-1 du code de procédure pénale
l'autorise, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne
concernée, même si celle-ci a déclaré faire usage du droit de se taire 54.
Toujours depuis l’entrée en vigueur de la loi du 27 mai 201455
précitée, l’article 406 du code de procédure pénale, impose à la juridiction
correctionnelle, après avoir avisé le prévenu ne maîtrisant pas suffisamment
la langue française de son droit d’être assisté par un interprète, de
l’informer de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de
répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire56. L’article 512 du
même code rend le texte applicable devant la Cour d’appel. Et
l’avertissement doit également être donné en matière de supplément
d’information.

Le droit de se taire doit être notifié au prévenu à l’ouverture des


débats tant devant le tribunal correctionnel que devant la chambre des
appels correctionnels. Et le droit au silence ne débute qu’après que la
personne ait décliné son identité. C’est ce que rappelle on ne peut plus
clairement la directive précitée57. L’information sur ce droit au silence n’a
pas à être renouvelée en cas de renvoi de l’affaire en continuation lors de la
reprise de l’audience 58.

Plusieurs chambres correctionnelles ayant omis de le faire, ou de le


mentionner dans leur arrêt, la chambre criminelle est venue juger que la
méconnaissance de l'obligation d'informer le prévenu du droit de se taire
avait nécessairement fait grief à ce dernier 59, même assisté d’un avocat60, et

53 Crim., 11 juillet 2017, n°16-87660, à paraître.

54 Crim. 22 juin 2016, n° 15-87.752, F. Fourment, « Enregistrement audiovisuel du silence de la


personne mise en examen », Gaz. Pal., 2016, n° 34, p. 60.
55 Entrée en vigueur le 2 juin 2014.
56En matière d’articulation du droit à l’interprète et du droit de se taire, V. Crim.9 février 2016, n°
15-84.277, Bull. crim. n° 33.
57 Cf. note 16.
58 Crim. 25 mai 2016, n° 15-84.310.
59Crim. 8 juillet 2015, n° 14-85.699, Bull. crim. n° 178, Dr. Pén. 2015, comm. 132 obs. A. Maron et
M.Haas ; Gaz.Pal. 2015, p. 47, obs. F.Fourment ; Procédures 2015, comm. 307, obs. A.-S.Chavent-
Leclère ; Crim. 4 mai 2016, n° 15-80.231, NP ; Crim. 24 mai 2016, n° 15-82.516, NP ; Crim. 29 mars
2017, n° 09-82511 16-82763, NP.
60 Crim. 21 février 2017, n°15-86.661, NP.

!17
y compris devant feue la juridiction de proximité61, ou la juridiction d’appel
statuant en matière contraventionnelle62.

La cour d’assises n’échappe pas à la règle qui est énoncée à l’article


328 du code de procédure pénale63.

La chambre criminelle a pu à ce stade de la procédure apporter


d’intéressantes précisions.

D’une part, la loi ne distinguant pas entre personnes physiques et


personnes morales, elle a pu poser que le représentant à, l’audience d’une
personne morale poursuivie devait bénéficier de ce droit 64. Et que cette
information n’a pas lieu d’être réitérée lorsque la personne physique à qui
elle est délivrée présente la double qualité de prévenu et de représentant à
l’audience de la personne morale également prévenue 65.

De manière plus audacieuse, elle a jugé qu’une notification du droit


au silence après le début des débats, n’était pas, par nature, constitutif
d’une atteinte aux intérêts de la prévenue qui, entendue une première fois
le 2 juin, avait été réentendue le 3 juin après avoir indiqué « ne pas vouloir
se servir de son droit de se taire », au motif que, si la prévenue n’a été
informée de son droit de se taire au cours des débats qu’après avoir été
entendue, elle a ensuite renoncé de manière non équivoque à ce droit et ne
peut ainsi prétendre avoir subi une atteinte à ses intérêts 66.

Et la chambre criminelle a encore admis que le respect de la


notification de ce droit puisse résulter, à défaut de mention expresse dans le
jugement ou l’arrêt, des mentions figurant dans les notes d’audience

61 Crim., 24 octobre 2017, n°16-87.393, NP.


62 Crim., 19 décembre 2017, n° 17-80.916, NP.

63 On indiquera ici un arrêt intéressant sur l’articulation du non-respect du droit au silence en garde
à vue et d’une condamnation devant la cour d’assises, la chambre criminelle ayant pu décider que
ne justifie pas la déclaration de culpabilité, la cour d'assises dont les motifs imprécis, énoncés dans
la feuille de motivation, ne mettent pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour et
les jurés ne se sont fondés ni exclusivement ni essentiellement sur des déclarations incriminantes
de l'accusé recueillies au cours de sa garde à vue, courant décembre 2005, sans l'assistance d'un
avocat ni notification du droit de se taire, Crim. 16 décembre 2015, n°15-81.160, Bull.crim. n°307.
Cette dernière décision vient en quelque sorte en contrepoint parfait de celle rendue par la
chambre criminelle précédemment et qui retenait que l'arrêt d'une cour d'assises qui déclare
l'accusé coupable échappe à la critique dès lors que la motivation annexée à la feuille de questions
ne se fonde ni exclusivement ni essentiellement sur les déclarations faites par l'intéressé en garde à
vue sans l'assistance effective d'un avocat et sans avoir reçu notification du droit de se taire, Crim.,
12 décembre 2012, n° 12-80.788, Bull. crim. 2012, n° 275.
64 Ibid. Crim. 24 mai 2016, n° 15-82.516, Bull. crim. n°156 ; Crim. 7 juin 2016, n° 15-81.171, NP.
65 Crim., 9 janvier 2018, n° 17-80.200, à paraître.
66 Crim. 9 novembre 2016, n°14-86.842.

!18
régulièrement signées par le greffier et le président de la juridiction67 ou
bien-sûr du procès-verbal des débats devant la cour d’assises68.

Surtout, le droit au silence ne s’applique pas dans un certain nombre


de situations.

Ainsi, malgré le droit de ne pas produire de documents contre soi-


même dans une procédure pénale, consacré, par exemple, par les
arrêts Funke c/ France du 25 février 1993 et J. B. c/ Suisse du 3 août 2001, il
a pu être jugé que le droit au silence et celui de ne pas contribuer à sa
propre incrimination ne s'étendent pas au recueil de données qu'il convient
d'obtenir indépendamment de la volonté de la personne concernée. Justifie
dès lors sa décision, la cour d'appel qui déclare coupable du délit de refus de
se soumettre aux vérifications destinées à établir la preuve de l'état
alcoolique la personne qui a refusé de se soumettre à l'épreuve de
l'éthylomètre et de subir une prise de sang en arguant de son droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination 69.De même, le délit d’opposition à
l’exercice des fonctions d’enquêteurs des agents de la DGCCRF ne porte pas
atteinte au droit au silence 70. On pourra utilement consulter sur ce point la
motivation d’un arrêt récent ayant notamment retenu que le droit de ne pas
s'auto-incriminer n'implique pas celui de s'opposer aux inventaires ainsi
qu'aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt et
aux contrôles qualitatifs et quantitatifs prévus par la législation, seul ce
comportement étant susceptible de faire l'objet de poursuites pénales du
chef d'opposition à contrôle sur le fondement de l'article 1746 du code
général des impôts 71 . Pour autant, une question prioritaire de
constitutionnalité relative à l’article 434-15-2 du code pénal qui réprime le
refus de remettre la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de
cryptologie, a fait l’objet d’un tout récent renvoi devant le Conseil
constitutionnel dont il conviendra de suivre attentivement le sort qui lui sera
fait72.

Le témoin ordinaire ne bénéficie pas non plus du droit au silence. Tout


au contraire doit-il être rappelé qu’il a l’obligation de comparaître, de
prêter serment et de déposer 73. Sauf cependant, si en cours d’audition, il
apparaît un nombre suffisant d’indices le faisant passer dans la catégorie des
suspects, qui même si elle n’existe pas en tant que telle en droit français,

67 Crim.,7 décembre 2016, n° 16-80.409, NP.


68 Crim., 8 juin 2017, n° 16-82.891, NP.
69 Crim.6 janvier 2015, n°13-87.652, Bull. crim. n°6.
70 Crim 24 février 2009, n° 08-84.410, AJ Pénal 2009, p. 226, obs. J. Lasserre-Capdeville.
71 Crim., 6 décembre 2017, n°16-80.216, à paraître.
72 Crim., 10 janvier 2018, n°17-90.019, renvoi QPC.
73Les témoins sont même avisés de la possibilité de les contraindre à comparaître, C. pr. pén., art.
101 al. 3.

!19
justifie « de fait » que sa déposition soit stoppée et qu’un autre statut
procédural lui soit donné 74.

Peut-être plus étonnante sur le principe et uniquement fondée sur


l’absence de texte en la matière, mérite d’être signalée la décision dont il
résulte qu’il ne saurait être fait grief au président de la chambre de
l'instruction d'avoir méconnu l'article 406 du code de procédure pénale en
n'informant pas le mis en examen de son droit de se taire, dès lors que cette
disposition ne s'applique pas devant la chambre de l'instruction statuant dans
le cadre de la procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause
de trouble mental, une telle limitation n'étant pas contraire aux dispositions
conventionnelles invoquées75.

Enfin, les dispositions relatives au droit de se taire ont été jugées non
applicables lors de la comparution d’un condamné devant le tribunal
correctionnel statuant sur les seuls intérêts civils76.

B) Un droit quasi-absent en matière de détention.


Dans une décision déjà ancienne, la chambre criminelle saisie d’une
difficulté relative au recueil de déclarations d’un mis en examen devant le
juge des libertés et de la détention qui avait choisi d’exercer son droit au
silence devant le juge d’instruction, avait décidé qu’aucune disposition ne
fixait la forme selon laquelle les observations du mis en examen étaient
recueillies lors du débat contradictoire et que d’autre part les prescriptions
de l’article 429 du code de procédure pénale n’étaient applicables qu’aux
procès-verbaux d’interrogatoire et d’audition77.
Mais elle a encore jugé à propos de la remise du document
récapitulatif de ses droits à la personne, parmi lesquels le droit au silence,
que, d'une part, fait l'exacte application de l'article 803-6 du code de
procédure pénale la chambre de l'instruction qui relève que ce texte ne
prescrit pas la remise du document d'information qu'il prévoit lors de la
prolongation de la détention provisoire et, d’autre part, en tout état de
cause, l'absence de remise d'un tel document par le juge des libertés et de
la détention à la personne mise en examen, après lui avoir notifié, à l'issue
du débat contradictoire, son placement en détention provisoire, est sans
incidence sur la régularité de cette mesure privative de liberté78.
Elle avait également marqué son soin de ne pas étendre au-delà des
textes, le droit au silence, lorsque saisie de la question prioritaire de
constitutionnalité relative aux dispositions de l'article 199 du code de

74A.Gogorza, « L’interrogatoire au stade policier, à propos d’un concept oublié », Dr. Pén. 2015, Et.
16.
75 Crim., 29 novembre 2017, n°16-85.490, à paraître.
76 Crim. 21 février 2017, n°16-81.871, NP.
77 Crim. 30 janvier 2007, n° 06-88.284, Bull. crim. n° 22, Gaz.Pal., 30-31 mars 2007, 22, note M. B.
78 Crim. 14 octobre 2014, n°14-85.555, Bull. crim. n°204.

!20
procédure pénale, en ce qu'elles régissent l'audience devant la chambre de
l'instruction en matière de détention provisoire, ainsi que l'audition de la
personne mise en examen, sans prévoir la notification à celle-ci du droit de
se taire portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution
garantit (et notamment au droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination), elle avait refusé de la renvoyer au Conseil constitutionnel. Sa
motivation aux termes de laquelle, lorsque la chambre de l'instruction est
appelée à statuer sur la détention provisoire d'une personne mise en
examen, l'audition de celle-ci a pour objet non pas d'apprécier la nature des
indices pesant sur elle, cette appréciation ayant déjà eu lieu à l'occasion de
la mise en examen, après que le juge d'instruction l'eut expressément
informée du droit de garder le silence, mais d'examiner la nécessité d'un
placement ou d'un maintien en détention au regard des conditions
particulières posées par les articles 144 et suivants du code de procédure
pénale, dont aucune ne suppose une appréciation des éléments à charge ;
qu'ainsi, l'absence de notification du droit de se taire dans cette phase de la
procédure n'est contraire ni aux droits de la défense, ni au principe d'égalité
devant la justice, est logique et ne peut qu’être approuvée79.

Une autre QPC n’avait pas eu plus de succès qui était ainsi formulée :
« Les dispositions de l'article 695-30 du code de procédure pénale dans son
3ème alinéa, en ce qu'elles régissent l'audition de la personne recherchée
dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen devant la chambre de
l'instruction sans prévoir la notification à celle-ci du droit de se taire
portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et
notamment au droit de se taire… ». La chambre criminelle refusant de la
renvoyer au Conseil constitutionnel, ladite question ne présentant pas, à
l'évidence, un caractère sérieux dès lors que la procédure d'exécution d'un
mandat d'arrêt européen ne conduit pas les juridictions françaises
compétentes à recueillir des éléments d'accusation à l'égard de la personne
concernée ; que l'audition, devant la chambre de l'instruction, de la
personne recherchée ne vise qu'à constater son identité, à recevoir ses
observations sur la procédure dont elle fait l'objet, et à lui permettre de
consentir ou non à sa remise, et non à la soumettre à un interrogatoire sur
les faits objet du mandat d'arrêt ; qu'ainsi, l'absence de notification du droit
de se taire dans cette phase de la procédure n'est pas contraire aux droits de
la défense, et notamment au droit de la personne de ne pas contribuer à sa
propre incrimination, ni au principe d'égalité80.

Dans une affaire récente où il était reproché à la cour d’appel d’avoir


méconnu l’article 406 du code de procédure pénale, alors qu’elle était saisie
d’une demande de mise en liberté, la chambre criminelle rejette le moyen
en indiquant qu'il ne saurait être fait grief à la cour d'appel d'avoir méconnu
l'article 406 du code de procédure pénale, en n'informant pas la personne
concernée comparant devant elle du droit de se taire, dès lors que cette

79 Crim.1er avril 2015, n°15-80.101.


80Crim.6 janvier 2015, n° 14-87.893, Bull. crim. n°11, Bull. crim. n° 11, RTD eur. 2016. 374-31, obs.
B. Thellier de Poncheville.

!21
disposition ne trouve pas à s'appliquer lorsque la juridiction correctionnelle
est saisie, en application des articles 148-1 et suivants du code de procédure
pénale, d'une demande de mise en liberté81. Le même grief a été jugé
inopérant en matière de demande de mise en liberté d’un appelant d’une
condamnation par la cour d’assises, la chambre criminelle répétant que la
notification du droit de se taire n’est pas prescrite lorsque la chambre de
l’instruction statue sur la détention provisoire82.

La question du droit au silence et de la détention provisoire semble


enfin définitivement résolue dès lors que l’on observe que la chambre
criminelle a, encore dit en matière de mandat d’arrêt, par une décision du
21 janvier 2015 83, n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la
question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité des
articles 696-14 et 696-15 du code de procédure pénale régissant l'audition de
la personne extradable devant la chambre de l'instruction sans prévoir la
notification à celle-ci du droit de se taire84, ce droit étant sans incidence sur
la régularité de la décision de la chambre de l'instruction, dès lors qu'en
matière d'extradition, la comparution de la personne réclamée devant cette
juridiction n'a pas pour objet l'examen du bien-fondé des poursuites
exercées contre elle et que celle-ci a la possibilité d'être assistée d'un
avocat 85. Plus claire encore la formulation d’un autre arrêt énonçant qu'il ne
saurait être fait grief à la chambre de l'instruction d'avoir méconnu l'article
406 du code de procédure pénale, en n'informant pas le mis en examen
comparant devant elle du droit de se taire, dès lors que cette disposition ne
s'applique pas devant la chambre de l'instruction, statuant en matière de
détention provisoire86.

81Crim. 6 sept. 2016, n° 16-83.907, Bull. crim. à paraître, Dr. Pén. 2016, Comm. 162, obs. A. Maron
et C. Haas ; JCP 2016, éd. G, chron. 1190, note Jean-Baptiste Perrier ; Gaz. Pal. 2016, n° 39, p. 17,
note Rodolphe Mésa.
82 Crim. 3 nov. 2016, n° 16-84.964 NP.
83 Crim. 21 janvier 2015, n° 14-87380, NP, « En ce que la question posée ne présente pas un
caractère sérieux ; qu'en effet, la procédure d'extradition ne conduit pas les juridictions françaises
compétentes à recueillir des éléments d'accusation à l'égard de la personne réclamée ; que
l'audition, devant la chambre de l'instruction, de cette personne, assistée de son avocat, ne vise
qu'à constater son identité, à recevoir ses observations sur la procédure dont elle fait l'objet, et à
lui permettre de consentir ou non à sa remise, et non à la soumettre à un interrogatoire sur les
faits objet de la demande d'extradition ; que l'avis que donne la chambre de l'instruction, qui a
pour mission de vérifier la régularité formelle de la demande de remise, d'en contrôler les autres
conditions de légalité et de s'assurer du respect des droits fondamentaux de la personne réclamée,
ne la conduit pas à statuer sur le bien-fondé des poursuites pénales qui sont à l'origine de la
demande, l'appréciation de l'accusation appartenant exclusivement à l'Etat requérant, lequel n'est
pas partie à la procédure ; qu'ainsi, l'absence de notification du droit de se taire dans cette phase
de la procédure n'est pas contraire aux droits de la défense, et notamment au droit de la personne
de ne pas contribuer à sa propre incrimination » .
84 Crim.4 mars 2015, n° 14-87.042, NP.
85 Crim. 4 mars 2015, n° 14-87380, à paraître ; Crim. 4 mars 2015, n°14-87.377, NP.
86 Crim., 29 mars 2017, n° 17-80.308, NP.

!22
S’il y a là une volonté compréhensible de restreindre le champ
d’application du droit au silence, il faut s’autoriser à dire a contrario que
même dans un tel cadre procédural, un individu peut être pourtant amener à
s’auto-incriminer…par des déclarations « spontanées » et le critère des
auditions ou audiences n’ayant pas pour objet premier l’appréciation des
éléments à charge, reste en tout état de cause assez fragile87.

C ) Un droit fortement dépendant de l’auteur des questions ?

Au-delà du « champ théorique » du droit au silence, quelques mots encore


sur sa réalité pratique.

De même que reconnaître à son interlocuteur le droit de se taire n’est pas


toujours s’interdire de lui poser des questions88, la manière selon laquelle un droit
est formulé a nécessairement un effet sur la façon dont il sera exercé par son
bénéficiaire.

Informer la personne « de son droit de faire des déclarations, de répondre


aux questions qui lui sont posées ou de se taire », c’est pour le législateur choisir
une formulation, qui met la parole (déclarations, répondre), avant le silence (se
taire).

Ce choix n’est pas anodin, il rejoint la douloureuse histoire en procédure


pénale interne de ce droit de ne pas s’auto-incriminer.

Il aurait parfaitement été possible de rédiger ces textes en commençant


par aviser la personne de son droit de ne pas s’auto-incriminer et donc de garder le
silence ou de faire des déclarations ou enfin de répondre aux questions.

La présentation en dit beaucoup. Est-elle audible pour autant ? Que sait-on


de la manière dont ce droit est notifié ?

Pour ne parler que de l’audience, pourtant sous le contrôle des avocats, et


souvent de la presse, on admettra que dire au prévenu d’un ton martial : « La loi
vous autorise à ne pas répondre aux questions du tribunal… » ou : « Vous pouvez
garder le silence, faire de simples déclarations ou répondre aux questions », n’est
pas tout à fait équivalent. Sur ce sujet précis, il sera d’ailleurs rappelé que la
chambre criminelle se satisfait de la seule mention que « le président…a donné
connaissance des dispositions de l’article 406 du code de procédure pénale »89, ou
que le président « a informé le prévenu de ses droits conformément à l’article 406
du code de procédure pénale »90 formulations lui permettant d’affirmer qu’aucune

87 R.Mesa, « Retour sur le droit de se taire », Gaz. Pal. 8 nov.2016, n° 39.


88C.Porteron, « Le droit au silence n’est pas le droit de ne rien dire, mais celui de ne pas répondre
aux questions », AJ Pénal, 2014, p. 139, relatif à Crim. 17 déc. 2013, n° 12-84.297, et à la notion de
déclarations spontanées...
89 Crim., 13 avril 2016, n° 15-83.021, NP.
90 Crim., 8 février 2017, n° 16-80.533, NP.

!23
méconnaissance desdites dispositions, de nature à porter atteinte aux droits de la
défense, n’a été commise 91.

De même, la pratique a-t-elle pu s’interroger sur la nécessité d’un recueil


express de la réponse du prévenu, ce que les textes n’exigent pas. On peut
reconnaître qu’informer simplement la personne ou solliciter son accord express
pour qu’elle accepte de parler, ne place pas « le procès » dans la même
dynamique. La solution ici pourtant s’impose : alors que la loi prévoit que la
personne déférée devant le juge d’instruction ne peut être interrogée qu'avec son
accord donné en présence de son avocat, d'où la nécessité absolue de lui poser la
question, elle n’est pas aussi exigeante à l’audience.

A contrario, on peut reprocher à notre fonctionnement de ne laisser que


difficilement entrevoir au prévenu qu’il peut répondre à certaines questions et ne
pas répondre à d’autres lorsqu’il se sent susceptible de s’auto-incriminer. Doit-on à
ce point refuser le droit anglo-saxon, qu’on ne puisse accepter que ponctuellement
son avocat « objecte » à la façon américaine ?

On avouera enfin, que prendre acte de la volonté exprimée par le prévenu


de garder le silence, ouvre à la juridiction deux voies : dans une position qui
intègre pleinement une charge de la preuve reposant sur l’accusation, donner la
parole au parquet ; dans une position plus démonstratrice sur le contenu du dossier
de l’accusation, continuer « son rapport » et poser des questions à voix hautes. Le
choix de l’une ou de l’autre donnant évidemment une tournure différente au
procès pénal. Surtout si, au fil de questions d’abord laissées sans réponse, le
prévenu, qui n’est pas entraîné à ce type d’exercice, se met à répondre,
provoquant généralement l’ire bien compréhensible de son avocat…

Existe-t-il une bonne méthode, une manière de présenter les choses qui à
l’audience ne conduise pas tout droit à l’incident ? Assurément non, car tout
prévenu se différencie de son suivant par sa personnalité propre, son itinéraire
judiciaire, son appréhension de la parole donnée ou retenue devant les premiers
interlocuteurs qu’il a eu, les conseils de son avocat, le ton du juge…la nature des
enjeux bien sûr. Et les fonctionnements judiciaires ne sont pas nécessairement plus
homogènes.

Un mot pour conclure ?

Le droit au silence rééquilibre le procès pénal en ce qu’il réaffirme, on ne


peut plus naturellement, l’obligation pour la partie poursuivante d’établir la
culpabilité du suspect et non l’obligation pour celui-ci de démontrer son
innocence. En ce sens le droit au silence est apparenté à la présomption
d’innocence par la prohibition de l’auto-incrimination.

Il est par ailleurs et bien évidemment un des éléments clefs des droits de la
défense.

91 Crim., 15 novembre 2017, n° 17-80.014, NP.

!24
Il contribue au respect du principe d’égalité des armes.

Peut-être appelle-t-il aussi celui qui interroge à la modération et au respect


de l’interrogé ?

Nul n’a à s’effrayer de l’application des droits fondamentaux en procédure


pénale française, surtout si l’on observe qu’elle n’est pas un handicap pour nombre
de droits étrangers92. Pour autant et au-delà du principe ainsi affirmé, faut-il nier
que ce droit n’est pas détachable de l’ensemble des autres règles qui gouvernent
la mise en œuvre de la procédure pénale et que par suite, il sera toujours des
enquêteurs et des juges devant lesquels on parle aisément, et d’autres devant
lesquels on hésite à le faire…

92 De ce point de vue, l’article 12 de la proposition de loi n° 126 déposée au Sénat le 15 novembre


2016 notamment par MM. François-Noel Buffet et Bruno Retailleau, tendant à renforcer l’efficacité
de la justice pénale qui cherche à introduire le serment : « de dire toute la vérité rien que la
vérité », pour toute personne entendue en audition libre, au cours d’une garde à vue, au témoin
assisté, au mis en examen, au prévenu, à l’accusé, sous peine de poursuites sur le fondement de
l’article 434-13 du code pénal, au motif que : « le corollaire du droit de se taire est l'interdiction
de mentir. L'article 12 a donc pour objet d'imposer à la personne avisée du droit de se taire, de
prêter serment de dire la vérité, sauf à se voir poursuivie pour déclaration mensongère », paraît
totalement anachronique. Il faut dire que l’exposé des motifs mentionne étonnamment, deux
phrases avant, au sujet du droit de se taire : « Nul ne contestera que ce droit ait toujours existé » !

!25

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