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LA PRESOMPTION D’INNONCE

PLAN

Partie 1 : LES GARANTIES DE LA PRESOMPTION D’INNONCE:

A- La présomption d’innocence et la problématique de la preuve


1- La charge de probatoire incombant à la partie poursuivante
2- Le doute profitant à l’accusé
3- Le droit du suspect de garder le silence

B- Le respect de la présomption d’innocence durant l’enquête


préliminaire et l’instruction
1- Pendant l’enquête préliminaire
2- Pendant l’instruction préparatoire

Partie 2 : LES ATTEINTES A LA PRESOMPTION D’INNOCENCE

A- Le terrorisme : entre la lutte et l’atteinte à la présomption


d’innocence :
1- Sur le plan national
2- Sur le plan international

B- La force probante des PV de la police judiciaire

C- Le principe de présomption d’innocence face aux libertés de la presse


1- Le cadre légal du principe
2- La mise en cause du principe
« Une règle rigide, une pratique molle, tel est son caractère » : transposée à la présomption
d’innocence, cette citation d’Alexis de Tocqueville (L’Ancien régime et la Révolution, 1856) résume à
elle seule toute l’ambivalence d’une des notions les plus fondamentales de notre système répressif.

Héritée du droit révolutionnaire Français, la présomption d’innocence est ancienne, mais sa notion
n’est pas pour autant surannée.

Etant défini par le principe selon lequel toute personne poursuivie et soupçonnée d’avoir commis une
infraction est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés, jusqu’à ce que sa
culpabilité soit prouvée par la juridiction compétente pour la juger, il constitue une véritable garantie
pour les citoyens de leurs libertés fondamentales.

Lorsqu’en 1789 est posé dans l’article 9 de la Déclaration des Droits de L’homme et du Citoyen le
principe de l’innocence avant toute déclaration de culpabilité, ce principe d’innocence est lié
clairement à la protection de la liberté individuelle et induit un renversement de la charge de la preuve,
propre de toute présomption.1 Cet article est directement issu du traité des délits et des peines de
Cesare Beccaria qui affirmait dès 1764 que « la justice doit respecter le droit que chacun a d’être cru
innocent », « un homme ne peut être considéré comme coupable avant la sentence du juge ; et la
société ne peut lui retirer la protection publique qu’après qu’il est convaincu d’avoir violé les
conditions auxquelles elle lui avait été accordée… ».2

Alors que ses fondements sont demeurés inchangés, sa portée a connu une profonde transformation. A
l’origine purement philosophique ou politique, la présomption figure à présent au titre des principes
directeurs du procès pénal. Il suffit pour mesurer cette évolution de considérer la scène nationale et
internationale.

En France, jusqu’à la loi du 15 juin 2000, le principe de la présomption d’innocence n’était pas posé
par le Code de procédure pénale mais par des normes supérieures telles que l’article 9 de la
Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Désormais, le Code de procédure pénal
français affirme clairement, le principe de la présomption d’innocence.

En droit Marocain, avant d’être désormais élevé au rang constitutionnel, ce principe était déjà affirmé
par l’article premier du code de procédure pénale de 2002. La Constitution du 29 juillet de 2011
consacre ce principe dans ses articles 23 et 119 en considérant que le principe de présomption
d’innocence constitue sans aucun doute le critère le plus important du procès équitable.

Par ailleurs, à l’échelle internationale, l’époque contemporaine n’a pas été avare d’instruments de
protection de la présomption d’innocence :

- Article 11 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme


- Article 14 du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques
- Article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales
- Article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

1
Article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Tout homme étant présumé
innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur
qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »
2
Article préliminaire du code de procédure pénale français : « toute personne suspectée ou poursuivie
est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes à sa présomption
sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi.
Tous ces textes fondamentaux réaffirment le principe de la présomption d’innocence et témoignent de
la très grande valeur juridique conférée au principe de la présomption d’innocence.

Pourtant, la force de cette présomption ne doit pas être surestimée, tant il est fréquent que celle-ci soit
en pratique malmenée, pour ne pas dire anesthésiée ou chloroformée. Traversée de contradictions et
exposée à de cruelles désillusions, la présomption d’innocence semble aujourd’hui relever, de ces
règles mythiques qui procèdent essentiellement de l’incantation démagogique. Il faut s’interroger sur
cet état de fait en se gardant de toute vision simpliste et de toute vérité trop vite énoncée.

Comment le principe de la présomption d’innocence, universellement


reconnu, est perçu par la législation nationale et internationale ?
Nous tenterons de répondre à cette question en envisageant les garanties du principe de la
présomption d’innocence, d’une part, et les atteintes à ce principe d’autre part, en évoquant le
droit Marocain et le droit comparé tout au long de notre développement.

PARTIE 1 : LES GARANTIES DU PRINCIPE DE PRESOMPTION


D’INNOCENCE

A- Les règles de preuves garantissant la présomption d’innocence :


La consécration de la présomption d’innocence exerce une profonde influence sur le régime des
preuves en matière pénale. Elle implique, en effet, que le doute profite à l’accusé et que la charge de la
preuve pèse sur l’accusation à laquelle il incombe d’offrir des preuves suffisantes pour fonder une
déclaration de culpabilité. Elle implique aussi la reconnaissance du droit de silence que possède
l’inculpé.

1- La charge probatoire incombant à la partie poursuivante :

L’article 1er du code de procédure pénale Marocain dispose que la nécessité de la preuve doit être à
l’origine soit de la culpabilité soit de l’innocence de l’inculpé. La principale raison d’être du principe
est d’entraîner une dispense de preuve au profit de la personne poursuivie, ce qui revient à dire que la
charge de la preuve doit incomber entièrement au ministère public et accessoirement à la partie civile.
Il ressort de cet article, que l’individu poursuivi, qu’il soit délinquant primaire ou récidiviste, et
qu’elles que soient les charges qui pèsent sur lui, doit être considéré comme innocent et traité comme
tel, jusqu’à l’établissement de sa culpabilité à l’appui des preuves réunies par le parquet. En d’autres
termes, c’est la partie poursuivante qui doit normalement caractériser les éléments constitutifs de
l’infraction ainsi que l’absence de facteurs propres à faire disparaître celle-ci (prescription, amnistie).

Puisque le ministère public doit faire la preuve de l’infraction, il doit normalement établir l’existence
de trois éléments qui la constitue : l’élément légal, l’élément matériel et l’élément moral.

L’accusation doit d’abord viser le texte légal ou réglementaire sur lequel se fondent les poursuites.
Elle doit également établir la non-disparition de l’élément légal par l’effet de l’amnistie ou de la
prescription de l’action publique.

Tant que ces preuves ne sont pas rapportées, la personne mise en accusation, doit être traitée comme si
elle était innocente et ne doit en aucun cas collaborer à la recherche de preuves à son encontre. La
personne accusée d’une infraction a le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination en étant
contraint de fournir elle-même les preuves de sa culpabilité. 3

2- Le doute profitant à l’accusé :

« Il vaut mieux cents coupables en liberté qu’un seul innocent en prison ». 4

L’article premier alinéa 2 du code de procédure pénale Marocain dispose que : « le doute s’interprète
au profit de l’accusé », ou plus généralement pourrait-on dire, à la personne poursuivie.

En vertu du principe de la présomption d’innocence, la personne suspectée ou poursuivie peut ainsi


demeurer dans une attitude défensive attendant que soit administrée la preuve de sa culpabilité. Si le
ministère parvient à susciter auprès du juge qu’un simple doute, et non une véritable conviction de
culpabilité, alors s’impose la relaxe ou l’acquittement.

En France, le respect de ce principe a été rappelé par la loi du 15 juin 2000 à travers une réforme de
l’article 304 du code de procédure pénale, selon laquelle le président de la cour d’assises doit
désormais rappeler lors de la prestation de serment des jurés que : « l’accusé est présumé innocent et
que le doute doit lui profiter ».

Dans les pays de Common Law, seul un doute raisonnable peut valablement profiter à la personne
poursuivie, « lorsqu’un crime est allégué, c’est le devoir du jury de faire profiter le détenu de tout
doute raisonnable ». Selon Fortin, l’appréciation de ce qu’est un doute raisonnable ou de ce qui est
une probabilité relève en effet du sens commun et de l’expérience.

Ainsi, selon ce principe, corollaire à la présomption d’innocence, si les preuves produites contre la
personne poursuivie sont insuffisantes, cette dernière ne peut se voir infliger une condamnation.

Dans le doute, on doit incliner à l’absolution de l’accusé plutôt qu’à sa condamnation.

3- Le droit du suspect de garder le silence :

Il se déduit de la présomption d’innocence que la personne accusée d’une infraction a le droit de ne


pas s’auto-accuser, découle de ce droit le droit au silence.

Dégagé par la jurisprudence européenne et expressément reconnu par le pacte de l’ONU relatif aux
droits civils et politiques (article 14 alinéa 3), le droit de se taire signifie qu’une personne accusée
d’une infraction pénale est libre de ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer
coupable.

3
En application du principe de la présomption d’innocence, inscrit à l’article 6 § 2 de la Convention
européenne des droits de l’homme, la Cour de Strasbourg prohibe tous les moyens de preuve
reposant sur l’obligation de s’accuser soi-même. Ont ainsi été condamnées les anciennes visites
domiciliaires des douanes au cours desquelles, par une véritable séquestration à l’intérieur de son
propre domicile, un suspect était contraint de fournir lui-même les preuves de sa culpabilité.
4
William Blackston, jurisconsulte britannique né à Londres le 10 juillet 1723 et mort à Wallingford le
14 février 1780.
L’article 23 de la nouvelle constitution dispose à cet effet que : « toute personne détenue doit être
informée immédiatement, d’une façon qui lui soit compréhensible, des motifs de sa détention et de ses
droits, dont celui de garder le silence. »

En France, ce droit vient d’être étendu à la garde à vue. En effet, pour se conformer aux exigences de
la Cour européenne des droits de l’homme, l’Assemblée Nationale vient d’accorder le droit de se taire
à toute personne convoquée par un policier ou un gendarme. Le gardé à vue sera seulement obligé de
décliner son identité. Peu de temps avant cette décision, la chambre criminelle de la Cour de
cassation, réunie en formation plénière, a jugé que, sauf exceptions justifiées par des raisons
impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce (et non à la seule nature du crime ou
délit reproché), toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la
garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque de
l’assistance d’un défenseur.

Le droit Américain prévoit un système de custody5 qui correspond à la rétention d’une personne par la
police pendant 24 heures. Un interrogatoire peut être mené par les policiers, la personne entendue
pouvant garder le silence : le droit de garder le silence est érigé en principe constitutionnel aux Etats-
Unis.

Corrélativement, il est interdit de condamner un suspect au seul motif pris de son silence.

B- Le respect de la présomption d’innocence durant l’enquête


préliminaire et l’instruction préparatoire

1- Au niveau de l'enquête préliminaire

L'enquête préliminaire renvoie à l'ensemble des opérations menées par les officiers de la police
judiciaire dans le but de réunir des éléments de preuve en cas d'infraction non flagrante. Elle permet de
s'assurer de la commission d’une infraction dont la dénonciation est douteuse, comme elle facilite la
préparation d’un dossier judiciaire permettant au parquet d'exercer efficacement le principe de
"l’opportunité des poursuites".
Toutefois, en matière délictuelle et criminelle, l'enquête préliminaire peut contenir, pour ses besoins,
certaines mesures procédurales telles que "la garde à vue". En vertu de ce procédé, la police
judiciaire est en pouvoir de maintenir à sa disposition dans ses locaux (ou ceux de la gendarmerie),
durant une durée déterminée, toute personne qui n'est pas encore inculpée et qui ne fait pas non plus
l'objet d'un mandat d'arrêt ou de dépôt. Ainsi, une personne soupçonnée avoir commis une infraction
ne peut être gardée à vue pour une durée de 48h qu'après autorisation du ministère public, c'est ce qui
ressort de l'article 80-1 du Code de Procédure Pénale. Néanmoins, ce délai peut être prolongé de 24h

5
Le 13 juin 1966, dans un arrêt Miranda c/ Arizona, la Cour Suprême des Etats-Unis a exigé
que toute personne soit informée avant tout interrogatoire de police ou de procédure coercitive
d’un certain nombre de droits, notamment le droit de ne pas s’auto incriminer et de garder le
silence prévu par le cinquième amendement de la Constitution Américaine. (Source : HAERI
(K), « Vous avez le droit de garder le silence… », Comment réformer la garde à vue ?, Institut
Montaigne, Paris, décembre 2010.)
par le biais d'une autorisation écrite du Procureur du Roi.

Cependant, constituant en elle-même une grave atteinte à la liberté individuelle, cette mesure doit être
assortie de garanties et précautions susceptibles de mettre la personne présumée innocente à l'abri de
tout abus, et ce en vertu du principe de la présomption d'innocence. Dans ce sens, le Code de
Procédure Pénale veut que toutes les procédures relatives à l'enquête préliminaire, y compris bien
entendu la garde à vue, soient secrètes6. En effet, conformément à l'article 15, toute personne qui y
contribue se trouve dans l'obligation de tenir le secret professionnel, et ce sous peine de sanctions
prévues par le même texte. Aux fins de garantir le secret de cette mesure par les organes de la police
judiciaire, certaines conditions ont été mises en place telles que le droit à l'assistance d'un avocat7
dont bénéficie la personne gardée à vue pour plus de 48 heures. En vertu de ce droit, l'avocat peut
avoir une communication avec son client pour une durée ne dépassant pas 30 minutes, et qui doit se
passer sous surveillance de l'officier de la police judiciaire. Cela revient à dire que cette assistance se
limite à un simple dialogue entre la personne gardée à vue et son avocat, chose qui ne permet pas à ce
dernier de se joindre aux diverses opérations menées par la police judiciaire, à savoir les
interrogatoires ainsi que les confrontations. En revanche, les attributions reconnues à l'avocat en
matière de garde à vue sont loin d'être minimes. Parmi les prérogatives reconnues à l'avocat par la loi,
le fait produire tous les documents ou observations écrites à la police judiciaire afin de les joindre au
procès verbal, d'assister à l'interrogatoire de son client gardé à vue, de demander que ce dernier suive
un examen médical, ou encore de demander au parquet la libération de son client sous caution
(pécuniaire ou personnelle), etc. D'ailleurs, la personne faisant l'objet d'une garde à vue a le droit
également d'informer sa famille8 de son arrestation. A ce titre, l'article 67-4 du Code de Procédure
Pénale oblige les officiers de la police judiciaire d'informer, par tous les moyens, la famille de la
personne en question dès qu'ils décident de la placer en garde à vue et de le mentionner par la suite
dans le procès verbal. Il s'agit en effet d'une mesure de bonne justice et de grande importance humaine
et psychologique de la famille.9
Ces droits restent les mêmes en droit Marocain avec le nouveau Code de Procédure pénale de 2002
comme en droit Français avec la loi relative à la présomption d'innocence (loi Guigou du 15 Juin
2000). Sauf que le législateur Français, contrairement à son homologue Marocain, a apporté une
nouveauté en matière de garde à vue des délinquants mineurs. Depuis 2001, les enfants mineurs gardés
à vue doivent faire l'objet d'un enregistrement audiovisuel, et ce pour une meilleure garantie et un
meilleur respect du principe de la présomption d'innocence.

En France, dans la loi du 15 juin 200010 fut introduite l’obligation d’informer le gardé à vue de « la
nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête ainsi que les raisons de son arrestation et des
accusations portées contre elle », reprenant ainsi les termes de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Or, en réalité, ces garanties instaurées par la loi pour protéger la personne gardée à vue contre tout
abus ne se trouvent pas toujours respectées puisque certaines d'entre elles ne sont pas assorties de

6
(M.) JALAL ESSAID, « le procès équitable dans le Code de procédure pénale de 2002 », p.71,
Collection ‘Réforme du Droit’, Mars 2008, Rabat.
7
Ibid., p.70.
8
Ibid., p.72-73.
9
(A.) EL HILA, « L’enquête policière entre les impératifs de l’ordre public et de la sécurité et les
exigences des droits de l’Homme » : Analyse du régime procédural en vigueur, étude réalisée sous la
direction de Me. Ali SEDJARI, publiée dans « Droits de l’Homme et gouvernance de la sécurité », p.
387, 2007, Rabat.
10
Communément appelé loi sur la présomption d’innocence.
sanctions en cas d'omission, tel est le cas pour l’obligation pour les officiers de la police judiciaire
d’informer la famille de la personne gardée à vue11. Chose qui nous amène à dire que l'enquête
préliminaire pose pratiquement problème dans la mesure où elle se trouve à cheval entre les impératifs
de l'ordre public et le respect des droits de l'Homme.12

2- Au niveau de l’instruction préparatoire :

L’application de la présomption d’innocence suppose une instruction. Au cours de cette procédure, on


examine les faits à charge et à décharge et l’on confronte les preuves réunies par les deux parties. Le
rôle du juge d’instruction ne se limite pas à fonder la culpabilité de la personne poursuivie ou
soupçonnée, ce dernier doit réunir tous les éléments nécessaires à l’établissement de la culpabilité ou
de l’innocence de la personne qui fait l’objet de l’instruction. Cette instruction peut s’achever par une
ordonnance de non lieu.

L’article 81 du code de procédure pénale français énonce un principe général selon lequel le juge
d’instruction procède à tous actes d’information utiles à la manifestation de la vérité, ce principe ne
saurait permettre l’accomplissement d’actes portant atteinte à une liberté ou à un droit.13

En droit Français comme en droit marocain, le juge d’instruction est tenu de respecter le principe de la
présomption d’innocence. Il incombe sur ce dernier une obligation de réserve qui se matérialise par le
secret de l’instruction. Ceci étant dit, il nous parait important de préciser que le secret de l’instruction
doit s’interpréter sous une double lumière. En effet, le secret de l’instruction et de l’enquête n’est pas
synonyme d’omerta sur l’existence de l’affaire elle-même ni sur son aboutissement.14 Cela revient à
dire que le secret n’est pas synonyme de silence. A cet égard, le secret ne saurait donc empêcher les
autorités publiques ou les journalistes de renseigner le public sur des enquêtes pénales en cours, mais
il requiert qu’ils le fassent avec toute la discrétion et toute la réserve que commande le respect d’autres
règles et notamment la présomption d’innocence. Ces dernières ne doivent en aucun cas porter atteinte
à la présomption d’innocence.

La règle est que l’instruction pénale est secrète en vertu de la présomption d’innocence. L’article 15 du
code de procédure pénale dispose à cet effet : « la procédure au cours de l’enquête ou de l’instruction
est secrète. Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les
conditions et sous les peines prévues au code pénal. »15

Le secret couvre d’abord les actes de l’instruction eux-mêmes : auditions de témoins, interrogatoires,
perquisitions, qu’ils soient le fait du juge d’instruction, de la chambre de l’instruction, ou de leurs
auxiliaires. Seuls sont débiteurs du secret les personnes qui concourent à l’enquête ou à l’instruction
ou si l’on préfère qui la font avancer. Il s’agit des magistrats instructeurs, des procureurs du Roi, des
avocats, des enquêteurs, des greffiers, des experts, des interprètes. En revanche, ne sont pas tenus au
secret de l’instruction la victime qu’elle soit ou non constituée partie civile, le mis en examen, le
témoin, la personne civilement responsable.

11
Ibid.
13
Bouloc (B.), « Procédure pénale », Précis Dalloz, 23ème édition, Paris, 2012.
14
Chambon (P.), Guéry (G.), « Droit et pratique de l'instruction préparatoire 2010-2011 », juge
d'instruction et chambre d'instruction, 7ème édition, , DALLOZ, collection : DALLOZ ACTION parution
: 01/2010
15
Le même texte figure dans la législation française : article 11 du code de procédure pénale.
En principe rigide, la règle du secret s’assouplit lorsque l’intérêt même de l’enquête ou de l’instruction
le commande : c’est ainsi que peuvent être diffusés des renseignements permettant d’identifier un
fugitif, des portraits robots, des appels à témoins.

Au Maroc comme en France, la violation du secret de l’instruction est sanctionnée. En effet, la


personne qui viole ce secret peut se voir infliger une sanction disciplinaire en vertu du principe secret
professionnel qui pèse sur elle, elle peut également faire l’objet de poursuite pénale, et être amené à
verser des dommages et intérêts à la personne à l’encontre de laquelle elle a divulgué des informations
qu’elle ne devait pas divulgué. 16 Considéré originellement comme protecteur du mis en examen et de
la présomption d’innocence, ce secret est souvent considéré comme fictif compte tenu des nombreuses
atteintes qui y sont régulièrement portées.

PARTIE 2 : LES ATTEINTES A LA PRESOMPTION


D’INNOCENCE
A- Le terrorisme : entre la lutte et l’atteinte à la présomption
d’innocence
La présomption d’innocence est au cœur même du concept de procès équitable, de ce fait, elle doit
être impérativement respectée dans un contexte de lutte contre le terrorisme. Toutefois la réalité des
choses démontre que ce droit est constamment violé17.

1- Sur le plan national

Au niveau national, l’article premier du code de procédure pénale consacre le principe de la


présomption d’innocence en vertu duquel toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa
culpabilité ait été légalement établie par un jugement passé en force de chose jugée, à la suite d’un
procès équitable entouré de garanties juridiques.

Par ailleurs, le code de procédure pénale a entouré la présomption d’innocence de différentes


garanties pour en assurer l’application, entre autres : la possibilité de publication, totale ou partielle,
dans la presse, de l’ordonnance de non-lieu prononcée par le juge d’instruction, à la demande de
l’intéressé ou du ministère public, et l’interdiction de prendre en photo un détenu ou un prisonnier
portant des menottes ou de publier sa photo ou son nom ou toute mention indiquant son identité sans
son consentement et de publier toute enquête, commentaire ou sondage d’opinion à son sujet.

16
Si la divulgation d’informations au cours de l’instruction porte atteinte à l’image de l’inculpé, ce
dernier peut déclencher une action civile en réparation du dommage qu’elle a subi.
17
EZZEROUAL (El Habib), « La présomption d’innocence et lutte contre le terrorisme au Maroc,
articles et essais sur le droit », www.esseroual-habib.khbary.com, 30/01/2011.
Il résulte très clairement de ces dispositions que toute personne accusée d’activités terroristes doit
bénéficier impérativement de la présomption d’innocence. Mais la manière avec laquelle est gérée la
lutte contre le terrorisme montre que le principe de la présomption d’innocence, n’est pas respecté par
les autorités. Les organisations de la défense des droits humains ainsi que la presse marocaine ont
rapporté plusieurs cas où le principe d’innocence n’a pas été respecté.

Le procès intenté au groupe «Belliraj» illustre parfaitement ces dérives. Selon le rapport de
l’Association de défense des droits de l’homme au Maroc (ASDHOM), l’ex – ministre de l’intérieur
Chakib BENMOUSSA avait condamné le groupe de Belliraj, lors d’une conférence de presse, tenue
le 20 février 2008, soit deux jours après leur arrestation, avant même qu’ils soient traduits devant un
tribunal.

Le ministre de l’intérieur a divulgué les secrets de l’instruction préliminaire et ce, en levant le voile sur
le contenu des procès-verbaux, en levant aussi le secrets sur les pièces à conviction et leur nature ou
encore en préconisant le bien fondé des accusations portées contre le groupe.

Dans cette même affaire, l’Association marocaine des droits de l’homme( AMDH) a vivement
dénoncé la violation manifeste du principe de la présomption d’innocence «du fait des directives
adressées à la Justice par des responsables gouvernementaux, de la condamnation préalable des
détenus par le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Communication, porte-parole officiel du
Gouvernement et de la dissolution du parti Al-Badil al-Hadari par le Premier ministre avant même la
saisine du Parquet général.»

Très rares sont donc les procès dans lesquels la présomption d’innocence est scrupuleusement
respectée.

Le 16 mai 2003, cinq attentats terroristes étaient commis à Casablanca, faisant 42 morts, dont 11
kamikazes, et plus d'une centaine de blessés. Parallèlement à l'arrestation des personnes directement
impliquées dans les attaques terroristes, interpellées selon toute vraisemblance à partir des déclarations
d'un kamikaze qui avait échappé à la mort, une campagne d'arrestations fut déclenchée dans tout le
Royaume, visant des centaines de personnes, présentées de manière indistincte comme faisant partie
de la "Salafiya Jihadia", décrite le plus souvent comme une sorte de nébuleuse islamiste prônant la
violence et la terreur.

C'est dans ce climat très particulier que fut adopté sans discussion notable le projet de loi contre le
terrorisme, présenté en urgence en janvier 2003 et contesté depuis par plusieurs groupes
parlementaires et les associations marocaines et internationales de défense des droits de l'Homme.
Promulguée au Journal Officiel le 29 mai 2003, soit moins de quinze jours après les attentats de
Casablanca, cette loi avait en effet suscitée de vives réactions.

Outre les arrestations intervenues avant le 16 mai 2003 et qui s'élèvent à quelques dizaines, les
autorités ont procédé durant les mois qui ont suivi les attentats de Casablanca à des milliers
d'arrestations; ces campagnes ont concerné l'ensemble du territoire et consisté parfois en de véritables
rafles visant certains quartiers déshérités des périphéries des grandes villes. Il s’est avéré que des
personnes ont ainsi été arrêtées non pas sur des indices de participation à des faits délictueux, mais
parce qu'ils habitaient ces quartiers, présentés comme un terreau "d'intégrisme", ou simplement parce
qu'ils étaient barbus.18

Outre les personnes interpellées, interrogées dans les commissariats, des centaines d'autres ont été
interpellées et détenues arbitrairement, parfois durant de longs mois, en violation des lois et des
normes marocaines et internationales avant d'être présentées à la justice.

De l'avis unanime des organisations marocaines de défense des droits de l'Homme et selon de
nombreux témoignages, ces arrestations pouvaient intervenir de jour comme de nuit, dans la rue ou au
domicile des personnes, par des hommes en civil, ne présentant le plus souvent aucun mandat ou carte
professionnelle, circulant dans des voitures banalisées et procédant à la fouille des maisons et à la
saisie de documents, sans respect des dispositions du Code de procédure pénale. Il est par ailleurs de
notoriété publique que de très nombreuses arrestations ont été opérées par des agents de la Direction
de la Surveillance du Territoire (DST) qui n'ont pourtant pas la qualité d'officiers de police judiciaire.

Des domiciles ont été ainsi perquisitionnés en dehors des heures légales (entre 5 heures du matin et 21
heures), sans l'autorisation ou en l'absence du locataire ou du propriétaire du lieu et sans qu'un procès-
verbal de perquisition ne soit dressé ni que les éléments saisis soient mis sous scellés. De tels faits sont
établis avant comme après le 16 mai 2003.

Quant aux délais, on ne peut qu'être surpris d'abord par la diligence extrême qui a présidé à
l'instruction et au jugement des personnes mises en cause.

Les procédures d'instruction qui duraient antérieurement de nombreux mois se sont brutalement
accélérées à la suite du 16 mai. En quelques semaines, les inculpés, qui encouraient de très lourdes
peines, sont renvoyés devant la chambre criminelle après une instruction particulièrement sommaire,
le juge cherchant seulement à faire confirmer les aveux obtenus par les policiers.

Après les auditions policières, les mis en cause sont présentés au parquet général qui désigne un juge
d'instruction, la procédure d'instruction n'étant toutefois obligatoire que pour les faits punis de
réclusion à perpétuité, de la peine de mort ou les faits punis d’une peine maximale de 30 ans. Au
parquet général où des mis en cause ont souvent été conduits les yeux bandés, croyant ainsi qu'ils
étaient encore dans les locaux de la police, les droits garantis par l'article 76 du Code marocain de
procédure pénale (CPP) n'ont été presque jamais respectés.

Soumis apparemment à une obligation immédiate de résultat, les juges d'instruction ont d'évidence pris
de grandes largesses avec les dispositions de la législation marocaine, l'instruction s'est déroulée en
effet dans des conditions aberrantes, souvent après minuit et même à 3h00 ou 4h00 du matin, et les
inculpés attendant pendant des heures dans le fourgon. Quant à l'interrogatoire lui-même, il se déroule
selon un questionnaire pratiquement préétabli, l'inculpé devant répondre à des questions précises. Les
accusations n'étaient parfois étayées que par une dénonciation ou une citation d'un tiers ou d'un autre
accusé, le plus souvent à la suite de mauvais traitements ou de torture. Les dossiers comprenaient
rarement des pièces attestant de la possession d'armes ou d'explosifs ou encore d'une participation à
des associations interdites.

18
Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme, « les autorités marocaines à l'épreuve
du terrorisme : la tentation de l'arbitraire » (rapport), Paris, 2003.
2- Sur le plan international :

Dans plusieurs États membres, l’augmentation du terrorisme dans l'Union Européenne est à l’origine
de nouvelles mesures législatives nationales destinées à combattre ce fléau. Cette législation anti-
terroriste doit être conforme à la CEDH. En juillet 2002, le Comité des Ministres du Conseil de
l'Europe a adopté des lignes directrices sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme et a
invité les États à en assurer «une large diffusion auprès de toutes les autorités chargées de la lutte
contre le terrorisme.» L’article IX, paragraphe 2, dispose qu’«une personne accusée d’activités
terroristes doit bénéficier de la présomption d’innocence.»

Les lignes directrices précisent les restrictions des droits de la défense qui sont compatibles avec la
CEDH et avec le principe de la présomption d’innocence. Il s’agit des restrictions concernant les
modalités d’accès et de contacts avec l’avocat, les modalités d’accès au dossier et l’utilisation de
témoignages anonymes. Toutefois, «de telles restrictions au droit de la défense doivent être strictement
proportionnées au but poursuivi et des mesures compensatoires aptes à protéger les intérêts de
l’accusé doivent être prises afin que le caractère équitable du procès soit maintenu et que les droits de
la défense ne soient pas vidés de toute substance».

Au Royaume Uni, la loi « Antiterrorism, Crime and Security Act » de 2001 constitue une réponse
législative aux attentats du 11 septembre 2001 qui ont frappé les Etats-Unis d'Amérique.
Elle fût adoptée suite au souhait, formulé par le Conseil de sécurité des Nations unies, que tous les
Etats prennent des mesures de prévention des attentats terroristes.
Cette loi demeure critiquée pour diverses raisons, et avant tout pour avoir été adoptée dans l'urgence,
avec peu de temps pour débattre de son contenu.
Les dispositions de la loi de 2001 s'écartent tellement du droit commun normalement applicable, que
le Royaume-Uni a jugé nécessaire de déroger à la Convention européenne des droits de l'homme.
La loi antiterroriste de 2001 permet la détention illimitée, sans inculpation, d'un étranger suspecté de
se livrer à des activités terroristes. Son article 21 permet de l'incarcérer indéfiniment grâce à un
certificat émis par le ministre de l'intérieur.
Cet acte est établi sur la base d'une « conviction raisonnable » que la présence d'une personne sur le
territoire du Royaume-Uni représentait « un risque » pour la sécurité nationale et qu'il y a « une
suspicion raisonnable » qu'elle soit un terroriste international.
Les mots « conviction raisonnable », « risque pour la sécurité nationale », « suspicion raisonnable »
montrent bien le caractère subjectif de ces mesures.19
Cette loi fait entrer l'étranger suspecté de terrorisme par le gouvernement anglais dans un système
global de non droit. Désormais la suspicion devient source d'incrimination au mépris du sacrosaint
principe de la présomption d'innocence.

Pour la France, de nombreux rapports internationaux ont souligné l’arbitraire de la législation


antiterroriste française, dont les critères sont peu exigeants en matière de preuve lorsqu’il s’agit de
décider de l’arrestation de suspects ou de l’ouverture d’une instruction par un juge. Sur la base
d’indices minimes, voire inexistants, elle permet le maintien en détention provisoire des suspects
pendant des mois, voire dans certains cas pendant des années, tandis que les liens étroits entre les

19
ADOUA (Sydney), « La lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l’Homme », Mémoire de
Master 2, Université d’Orléans, 2004.
juges d’instruction spécialisés et les services de renseignement dans les affaires de terrorisme mettent
sérieusement à mal le droit des accusés à un procès équitable.

B- La force probante des procès-verbaux de la police judiciaire :

Sérieusement entamée par l’omission des droits susvisés, la présomption d’innocence se trouve
rudement malmenée du fait de la force probante de certains P.V établis par la police judiciaire. On sait,
en effet, qu’à l’exception des procès-verbaux établis en matière d’infractions qualifiées crimes dont les
énonciations ne valent que comme simples renseignements soumis à la libre appréciation du juge, les
P.V établis en matière de délits et de contraventions font foi jusqu’à preuve de contraire (Art 290 et
291- CPP).

Certes, comme la précise l’article 289 ; le P.V ne peut, dans ce cas, emporter force probante qu’autant
qu’il est régulier en la forme et que son auteur, agissant dans l’exercice de ses fonctions, rapporte, sur
une matière de sa compétence, ce qu’il a vu ou entendu personnellement, ceux qu’il a constaté ex
propris sensibus20. Il n’en demeure pas moins que lorsque ses énonciations sont de nature à
culpabiliser l’intéressé, ce P.V a pour effet de substituer à la présomption d’innocence une
présomption de culpabilité ; de sorte qu’il revient à l’intéressé, ainsi présumé coupable, d’établir la
preuve de son innocence, « par tous moyens » souligne l’article 290 mais non pas seulement par de
simples « dénégations et explications », précise la cour Suprême. Or, non seulement cette preuve n’est
guère facile à rapporter, mais même l’intime conviction du juge ne peut rien devant une telle
situation : à défaut de preuve contraire, le juge n’est libre d’apprécier, et même s’il est convaincu du
contraire, il doit statuer en tenant compte des énonciations du P.V.

Bien plus, on sait qu’en matière d’infractions douanières et d’infractions à la législation relative aux
eaux et forêts ou à la pêche maritime, les P.V établis font foi jusqu'à inscription de faux. Or, s’agissant
d’une procédure à la fois complexe et aléatoire (voir l’article 55 et suivants du Code de procédure
pénale), il n’est pas téméraire d’affirmer que ses P.V sont pratiquement inattaquables. Ce qui revient à
dire que l’intéressé n’est pas seulement dépourvu de son droit à être présumé innocent, mais pire
encore il est privé de son droit à prouver et à rétablir son innocence. Quant au juge, dont les pouvoirs
se réduisent ainsi à entériner les énonciations des P.V, il est relégué au rôle d’ « un robot qui n’a pas à
juger de la valeur de ces P.V, mais qui doit condamner dans l’instance judiciaire ceux qui ont été jugés
coupables dans l’instance policière.21

C- Le principe de la présomption d’innocence face aux libertés de la


presse
Comme toute liberté, celle de la presse n’est pourtant pas absolue car elle peut entrer en conflit avec

20
ESSAID (Mohammed-Jalal), « La Présomption d’innocence », Editions Techniques Nord-Africaines,
1971, RABAT.
21
ELHILA (Abdelaziz), « L’enquête policière entre les impératifs de sécurité et les exigences des
droits de l’Homme, Réflexions sur Le Procès Equitable », volume n°2, Collection Réforme du Droit et
développement socio-économique, Mai 2009.
d’autres principes fondamentaux, comme celui de la présomption d’innocence.

1- Le cadre légal du principe

De prime abord, la presse joue un rôle omnipotent dans toute société démocratique dans la mesure où
elle doit communiquer des informations et idées dans tous les sujets d’intérêt général, et ce dans le
respect de ses devoirs et responsabilités. C’est pourquoi la liberté de la presse est garantie par divers
textes et instruments. A cet égard, la Convention Européenne des droits de l’Homme a précisé, dans
son article 10-1, que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté
d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse
y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article
n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises d radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un
régime d’autorisations. » La nouvelle Constitution Marocaine a mentionné, pour sa part, dans son
article 25-1 que « sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes leurs
formes. » Toutefois, cette liberté peut se trouver remise en cause si elle dépasse certaines limites. La
presse est, notamment, tenue de respecter les droits d’autrui, la confidentialité de certaines
informations, la bonne administration de la justice, les lois pénales ainsi que l’éthique professionnelle.
22

En effet, lors de la médiatisation d’un procès, il incombe aux journalistes, et aux organes médiatiques
de manière générale, de se plier au principe de la présomption d’innocence. Ils sont ainsi enclins à
considérer une personne en rapport avec la justice “innocente” tant qu’un jugement irrévocable,
établissant sa culpabilité, n’ait pas été prononcé.
Le non respect, par les journalistes, de ce principe fondamental, et cordon ombilical des droits de la
défense, donne lieu à des sanctions de nature pécuniaire; c’est-à-dire au versement d’une indemnité
pour le compte de la personne dont le droit à la présomption d’innocence s’est trouvé bafoué. C’est
dans ce sens que l’article 54 du Code de la presse (1958) est venu préciser qu’”il est interdit de
publier les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant
d’en débattre en audience publique sous peine d’une amende de 5.000 à 50.000 DHS.”

De plus, ce devoir de respecter la présomption d’innocence, principe majeur de tout procès équitable,
est énoncé également par le Syndicat National de la Presse Marocaine (SNPM) qui précise dans sa
Charte déontologique que « les comptes rendus et reportages traitant des affaires judiciaires doivent
respecter le principe de la présomption d’innocence au bénéfice des personnes en rapport avec la
justice. Après que le tribunal a annoncé la décision d’inculpation d’un prévenu, le journaliste doit
tenir compte des sentiments de la famille et parents de la personne concernée, ainsi que les chances de
sa future réinsertion sociale» (article 9). D’ailleurs, selon des chercheurs et membres de la société
civile Belge23, l’obligation déontologique, pour le journaliste, de respecter le principe de la
présomption d’innocence est marquée par une combinaison de deux devoirs primordiaux énoncés par
la Déclaration des Devoirs et des Droits des Journalistes (Munich, 1971), à savoir le respect des
22
LEMMENS (K.) et DROOGHENBROECK (S.), « La présomption d’innocence face à la médiatisation
des procès » dans « Médias et droit » (2), p. 129-130, collection ‘Recyclage en Droit’, éditions
Anthemis, Belgique, 2008.
23
« Presse et justice: Guide pour les journalistes » (Bruxelles 2002) : Guide réalisé en collaboration
avec « la fondation Roi Baudouin » et « l’Association Générale des Journalistes Professionnels de
Belgique ». Ce travail éclaire les journalistes belges sur le système judiciaire belge en vigueur ainsi
que sur les principales règles déontologiques à respecter dans l’exercice des fonctions médiatiques.
faits et l’objectivité, d’une part, et le respect de la vie privée, d’autre part. 24

En France, le renforcement du respect dû au principe de la présomption d’innocence a fait l’objet de


toute une loi. Il s’agit de la loi dite “Guigou” du 15 Juin 2000 qui est venue s’ajouter aux
dispositions du Code de Procédure Pénale. En matière du respect de ce principe par les organes
médiatiques, l’article 35 de cette loi précisé, dans son premier alinéa:
“I- Lorsqu'elle est réalisée sans l'accord de l'intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et
quel qu'en soit le support, de l'image d'une personne identifiée ou identifiable mise en cause à
l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation et
faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en
détention provisoire, est punie de 15 000 Euros d'amende.
II- Est puni de la même peine le fait :
- soit de réaliser, de publier ou de commenter un sondage d'opinion, ou toute autre
consultation, portant sur la culpabilité d'une personne mise en cause à l'occasion d'une procédure
pénale ou sur la peine susceptible d'être prononcée à son encontre ;
- soit de publier des indications permettant d'avoir accès à des sondages ou
consultations visés à l'alinéa précédent.”

De plus, même le Code Civil (1804) n’est pas resté indifférent face aux atteintes adressées au principe
de la présomption d’innocence par les médias. Ainsi, un journaliste ayant présenté publiquement une
personne en rapport avec la justice comme coupable, se trouve tenu rectifier ses ou de diffuser un
communiqué en vue de réparer l’atteinte qu’il a portée à la personne de l’intéressé. C’est, en effet, ce
qui ressort du premier alinéa de l’article 9 du Code Civil: “Chacun a droit au respect de la
présomption d'innocence.
Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits
faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans
préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une
rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption
d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte.”

2- La mise en cause du principe

Malgré l’interdiction, par la loi, de porter atteinte à la présomption d’innocence, ce principe se trouve
manifestement violé par les organes de presse. En effet, ces derniers se substituent, en quelque sorte,
aux juges pour qualifier de coupable une personne “suspecte” avant même que sa condamnation ne
soit prononcée (avec, bien entendu, tout ce que cela peut lui entraîner comme dégâts, à elle et à sa
famille). L’on ne manquera pas de croiser, ainsi, des divulgations d’identité, des renseignements
détaillés, de grands titres d’articles péjoratifs ou encore des photos d’une personne soupçonnée avoir
commis une infraction, publiés à “la une” des supports médiatiques, quand bien même le tribunal ne
s’est pas encore définitivement prononcé sur la culpabilité de l’intéressé. D’ailleurs, la Cour
Européenne des Droits de l’Homme, dans un arrêt dit « arrêt Worm contre Autriche » (29 Août
1997), a rappelé que les médias sont tenus au respect du principe de la présomption d’innocence par
les médias en condamnant ainsi un journaliste autrichien pour avoir rédigé un article « négatif » sur
une personne mise en examen et estimant qu’il influencerait le cours du procès pénal.25 Parfois, les

24
Selon cette Déclaration, “les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le
commentaire des événements, sont : [1] respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les
conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public à de connaître ; (...) [2] défendre
la liberté de l’information, du commentaire et de la critique ; (...)”
25
L’affaire Worm concerne un journaliste autrichien qui avait écrit des articles sur M. Androsch,
journalistes font preuve même d'inattention quant au vocabulaire utilisé vis-à-vis de la personne
faisant objet d'une affaire judiciaire. Explicitement, les statuts de "suspect", "prévenu" (celui qui est
amené à comparaître devant une juridiction de jugement) et "inculpé" (celui qui est mis en examen par
l'instruction et dont la culpabilité est prouvée par des indices sérieux) renvoient, au sens des organes
de presse, à la même chose, à savoir au "coupable". Ainsi, la personne passe d'un statut de "présumé
coupable" au "pré-coupable". En effet, elle se retrouve avec l'étiquette d'inculpée, alors qu'elle est
encore suspecte ou prévenue au regard de la loi, chose qui ne manque certainement pas à porter
atteinte à sa réputation, à son droit à l’image mais essentiellement à son droit à la présomption
d'innocence. Car, pour pouvoir évoquer et parler d'une inculpation, est nécessaire la présence d'indices
sérieux de culpabilité, et donc d’une "faute" de la part de l'intéressé. Dans ce sens, il existe une
formule d'un journaliste politique Belge, Albert du Roy, qui étale parfaitement ce dérapage
médiatique: "En droit, l'inculpé est présumé innocent. En français, l'inculpé est présumé coupable,
dans le langage de l'information, l'inculpé est présumé coupable." (Dans "Le serment de
Théophraste", 1992)

A ce titre, de nombreux cas peuvent démontrer, en pratique, que la règle de la présomption


d’innocence est remise en cause par les organes de presse. A titre d’exemples:
- Dans l’affaire des attentats contre le café “Argana” et qui ont eu lieu à Marrakech en Mai 2011, de
nombreux supports médiatiques ont publié des photos du principal suspect ainsi que des
renseignements détaillés sur lui et sa famille, alors même que le tribunal ne s’est pas encore prononcé
sur sa culpabilité. A cet égard, le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) a été interpellé et
a adressé une lettre aux Ministères de la Justice et de la Communication, au président de la Haute
Autorité de Communication Audiovisuelle (HACA) et au président de la Fédération Marocaine des
Editeurs de Journaux (FMEJ), dans laquelle il rappelle le respect des règles juridiques et
déontologiques dans le traitement médiatique de cette affaire: «Certains médias ont publié les photos,
les noms complets des personnes poursuivies dans cette affaire et des membres de leurs familles, ainsi
que des informations détaillées et précises à leur sujet, sans prendre en considération les critères, les
règles juridiques et déontologiques à respecter en vue de garantir un procès équitable.»26

- L’affaire du commissaire “Mohammed JELMAD” (2010): Ce dernier était chef du district de Nador
et a fait l’objet d’une détention préventive d’une durée d’une année avant qu’il ne soit transféré au
tribunal qui le jugera uniquement pour une “tentative de corruption”. Tandis qu’un journal quotidien
(Assabah) a prétendu que le commissaire en question était impliqué non seulement dans des affaires
de corruption, mais également dans des affaires relatives à la constitution de bandes de malfaiteurs, de
trafic de drogues, etc.27

ancien ministre des Finances mis en cause dans plusieurs procédures pénales. Dans l'un de ses
articles, le journaliste avait écrit que la seule hypothèse possible était celle d'une fraude fiscale
commise par l'ancien ministre et que sa défense sur ce point était “lamentable”. Pour ce passage, le
requérant fut condamné pénalement. La Cour conclut cependant qu’il n’y a pas eu violation de l’article
10 de la CEDH (liberté d’expression). Elle considère que le journaliste avait présenté de manière
excessivement négative un élément de preuve présenté par le ministre des Finances au cours de son
procès. Dès lors, il avait clairement donné son avis sur la culpabilité de l'accusé et son article pouvait,
d'une certaine manière, influer sur l'issue du procès. Les conséquences néfastes de l'article de presse
sur l'impartialité du pouvoir judiciaire l'ont ainsi emporté sur la liberté d'information. Source :
www.credho.org/cedh/session06-04
26
« L’après attentat et ses dérapages médiatiques », article publié le 16 Mai 2011 sur
www.lesechos.ma
27
« Entretien avec Me Mhamed Qartit, avocat du commissaire Mohamed Jelmad : « Faire fi de la
présomption d’innocence influe sur le cours d’un procès équitable», article publié le 25 Mai 2011 sur
www.libe.ma
- Dans une affaire de pédophilie qui a eu lieu en 2009 à la ville de Mohemmadia, un énorme tapage
médiatique a eu lieu au moment de l’arrestation d’un homme soupçonné d’avoir commis des abus
sexuels sur des enfants mineurs. On a pu lire dans des journaux des titres à caractère attentatoire
comme « le pédophile en série sous les verrous », “le monstre est tombé dans les filets de la police »
ou encore « un dangereux criminel hors d’état de nuire ». La question s’est amplifiée lorsque sa
femme a été incarcérée, elle aussi, après avoir été accusée de trafic de bébés. Elle a fait, à cet effet,
l’objet d’une émission télé (“45 min” à la RTM) et dont les producteurs vont être poursuivis par son
avocat. Finalement, l’homme arrêté va être acquitté après que la police a surpris, en flagrant délit, le
véritable responsable de cette infraction sexuelle.28

- Par ailleurs, les officiers de la police judiciaire se trouvent parfois, eux-aussi, en complicité avec les
journalistes et portent atteinte au principe de la présomption d’innocence. En effet, il arrive qu’ils
divulguent les secrets de l’instruction préparatoire en levant le voile sur le contenu et les détails des
procès-verbaux. C’est le cas de l’affaire d’une jeune étudiant (W. Bahomane) qui a été arrêté puis
condamné pour atteinte aux sacralités, plus exactement pour “lèse- majesté” à travers des dessins
caricaturaux portant atteinte à la personne du Roi. Sauf que, quelques jours avant sa condamnation par
le tribunal compétent, des journalistes ont pu mettre la main sur le procès-verbal relatif à son
arrestation et qu’ils ont publié sur Internet par la suite.29

- L’affaire « Dominique Strauss-Kahn » (appelé communément « DSK ») n’a pas manqué de créer, en
France, une polémique sur le traitement médiatique “à l’américaine” que cet accusé a connu. A titre
de rappel, Dominique Strauss-Kahn est l’ex-président Français du Fonds Monétaire International
(FMI) et a été poursuivi, en Mai 2011, et condamné pour abus sexuels à l’égard d’une femme de
ménage dans une chambre d’hôtel à Manhattan, New York. Dès le démarrage de cette affaire, le
prévenu a été amplement photographié “arrêté”, “menotté” voire même “lors de son jugement au
tribunal”, chose qui n’a pas été facilement admise en France où ce “tapage médiatique” est interdit et
réprimé par la loi.

Or, si en France, il est interdit et est réprimé par la loi, comme l’a-t-on souligné, le fait de publier des
images d’une personne faisant l’objet d’une affaire judiciaire, il n’en est pas le cas au Etats-Unis: La
règle de la présomption d’innocence (“innocent until proven guilty”) est garantie aux Etats Unis sauf
que la non-répression d’un tel traitement médiatique est garantie par la liberté de presse et représente,
ainsi, un acte protégé par le principe de la liberté d’expression. Il sied de souligner, toutefois, que
cette dernière représente le premier amendement de la Constitution Américaine d’autant plus qu’est
supérieure à n’importe quelle loi dans la mesure où aucun texte légal ne peut voir le jour ou
s’appliquer pour interdire l’exercice de cette liberté primordiale qu’est la liberté d’expression.30

28
« Vies brisées », article du Samedi 20 Février 2012, et publié dans l’hebdomadaire Actuel N°35
(www.actuel.ma)
29
Le procès verbal en question a joint l’article « Walid, 18 ans, Incarcéré pour lèse-majesté » publié le
07 Février 2012 sur le blog www.voxmaroc.blog.lemonde.fr
30
Selon la Constitution Américaine du 17 Septembre 1787 : « Le congrès ne fera aucune loi
accordant une préférence à une religion ou en interdisant le libre exercice, restreignant la liberté
d’expression, la liberté de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d’adresser à
l’Etat des pétitions pour obtenir réparation de torts subis. »
CONCLUSION
La présomption d’innocence intéresse tout le procès pénal mais pas seulement le procès pénal stricto
sensu. L’internationalisation, la constitutionnalisation du principe de la présomption d’innocence, les
garanties anciennes et nouvelles qui en découlent, font aujourd’hui de ce que certains considèrent
toujours comme une fiction, un droit subjectif opposable à tous. 31 A cet effet, le législateur marocain,
se doit de renforcer la protection de ce droit, en prenant exemple sur son homologue français qui y a
consacré toute une loi (faisant partie intégrante au code pénal). Mais le respect de ce droit subjectif ne
peut découler des seuls textes, il suppose une vigilance de tous les citoyens car ainsi que l’observait
Montesquieu en 1748 : « Quand l’innocence des citoyens n’est pas assurée, la liberté ne l’est pas non
plus32. » En d’autres termes tout reflux dans les garanties de la protection de la présomption
d’innocence constitue potentiellement un danger pour les libertés et une atteinte au droit à la sûreté.

31
Henrion (H.), « la nature juridique de la présomption d’innocence », thèse, Montpellier I, 2004.
32
Montesquieu, L’Esprit des lois, livre XII, GF Flammarion, préface V. Goldschmidt.

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