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Ordre des Avocats au Cameroon Bar

Barreau du Cameroun Associa3on

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PREPARATION DES CANDIDATS A L’EXAMEN D’ACCES AU STAGE


D’AVOCAT

SEMINAIRE NATIONAL
(Session d’Avril 2024)

LA PRESOMPTION D’INNOCENCE

D’une manière générale, lorsque le droit veut accorder un avantage à un justiciable


pour lui faciliter la reconnaissance d’un droit, il institue ce qu’on appelle des
présomptions.
Étymologiquement, le mot présomption vient du latin «praesumptio» qui désigne
une idée faite avant toute expérience.
D’une manière générale, la présomption est la conséquence que la loi ou le juge tire
d’un fait connu à un fait inconnu dont l’existence est rendue vraisemblable par le premier.
Cette technique entraîne donc pour conséquence une dispense au profit de celui qui en
bénéficie de prouver le fait inconnu difficile ou impossible à établir directement, à charge
de rapporter la preuve plus facile du fait connu.
Exemple : la présomption de paternité «pater is est». Le fait connu est le mariage du
père à la mère de l’enfant; le fait inconnu est la paternité. Il suffira au père de prouver
qu’il est le mari de la mère pour être le père de l’enfant...
En droit, la présomption est un mode de raisonnement qui sert à postuler l’existence
d’un fait sur celle d’un autre qui est certain.
Notre droit positif droit civil, droit commercial, droit administratif ou droit pénal,
connaît des présomptions légales et des présomptions de l’homme, les présomptions
simples et les présomptions irréfragables.
Cette petite présentation faite, venons-en à la présomption d’innocence qui est l’un
des principes essentiels devenu un droit fondamental.

1
Ce principe consiste à affirmer que toute personne reste présumée innocente jusqu’à
ce que sa culpabilité ai été reconnue par une décision devenue définitive et rendue dans
des conditions telles qu’il a pu se défendre.
Ainsi présentée la présomption d’innocence apparaît à la fois comme une règle de
procédure et plus particulièrement comme une règle de preuve, mais aussi comme une
règle de fond et dès lors comme l’expression d’un véritable droit subjectif reconnu à toute
personne et qui s’impose au législateur comme au juge.
Né en révolte aux procédure répressives de l’ancien droit, le principe de la
présomption d’innocence est consacré par les révolutionnaires français et inscrit dans un
premier temps à l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
avant d’être repris à l’article 14-2 du pacte international relatif aux droits civils et
politiques de décembre 1966 et à l’article 7-1-B de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples.
La présomption d’innocence est un principe à valeur constitutionnelle. En effet, le
texte de la Constitution de 1996 l’énonce en ces termes : « tout prévenu est présumé
innocent, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie au cours d’un procès conduit dans
le strict respect des droits de la défense. ».
Pourtant, la présomption d’innocence ne figurait pas autrefois dans le Code
d’instruction criminelle.
Cette lacune va être réparée par le Code de procédure pénale dont l’article 8 indique
clairement que « toute personne suspectée d’avoir commis une infraction est présumée
innocente, jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès
où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui seront assurées».
Mais, bien que la portée du principe de la présomption d’innocence déborde
aujourd’hui la seule matière pénale puisqu’elle s’étend désormais aux matières
disciplinaires, fiscales, administratives, etc., mon propos va néanmoins se limiter à la seule
procédure pénale où l’alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale indique que «La
présomption d’innocence s’applique au suspect, à l’inculpé, au prévenu et à l’accusé. ».
Il faut en déduire qu’elle s’applique à tous les stades de la procédure pénale, depuis
l’enquête préliminaire jusqu’à la phase de de jugement, en passant par l’instruction
préparatoire.
Certes le droit pénal, en tant qu’il constitue la réponse de la société au phénomène
criminel met en avant la protection de la société, mais, elle doit aussi veiller aux intérêts
de la personne mise en cause, ce qui va lui imposer un effort de conciliation d’intérêts
antithétiques, antagonistes et de ce point de vue, l’intérêt général commande au respect
absolu de la présomption d’innocence qui ne doit pas être sacrifiée au bénéfice de l’ordre
public.

2
Cela pose la question de savoir l’approche que le droit positif camerounais a vis-à-
vis du principe de la présomption d’innocence pour en assurer la sauvegarde face aux
atteintes que peut lui porter la recherche de l’efficacité de la répression.
Cette question est d’importance car du nécessaire équilibre entre ces deux intérêts
antagonistes dépend l’efficacité de la politique criminelle.
Si à bien des égards notre droit positif consacre un renforcement de la présomption
d’innocence (I), son effectivité reste discutable (II).
I) Renforcement de la présomption d’innocence
L’affirmation de la présomption d’innocence, bien qu’elle date de la révolution
française de 1789 n’a pas été prévue dans le code d’instruction criminelle introduit au
Cameroun par le décret-loi de 1838.
La dérive des affaires médiatiques a conduit le législateur à la nécessité de renforcer
la présomption d’innocence et à la protéger à la fois contre les personnes extérieures à la
procédure (A) et contre les personnes intervenant dans la procédure (B).
A - PROTECTION CONTRE LES PERSONNES EXOGÈNES
La présomption d’innocence suppose de ne pas être présenté comme coupable avant
toute condamnation définitive ni par les professionnels des médias (1), ni par aucun autre
tiers (2) .
1. Protection contre les professionnels des médias
Les dérives de la surexposition médiatique des affaires pénales ont conduit le
législateur à renforcer même indirectement le principe de la présomption d’innocence
notamment à l’égard des journalistes.
Le principe de la publicité de la justice pose la question de sa médiatisation.
Le compte rendu des audiences est lui-même bien encadré et est susceptible de faire
encourir des sanctions pénales en cas de commentaires tendancieux.
En effet, est punissable, le fait de relater publiquement une procédure judiciaire non
définitivement jugée dans des conditions telles que cela influence même non
intentionnellement l'opinion d'autrui. Cette interdiction n'est toutefois pas applicable aux
comptes rendus d'une audience publique faits de bonne foi.1
Le dispositif protecteur est renforcé par le droit pénal de fond qui prévoit les
infractions de diffamation (code pénal) et des délits de presse (article 74 de la loi de 1990
sur la communication sociale).

1
Ar$cle 169 du Code pénal.

3
2. Renforcement par le code civil
Enfin, le dispositif protecteur est aussi renforcé par le droit civil et notamment par
l’article 1382 du code civil.
B - PROTECTION CONTRE LES PERSONNES ENDOGÈNES A LA
PROCEDURE
On ne le dira jamais assez : la présomption d’innocence suppose de ne pas être
présenté comme coupable avant toute condamnation définitive. Le juge doit alors se
garder de tout préjugé voire de tout pré-jugement sur la personne poursuivie.
1. Protection en amont par des mesures d’évitement des privations de liberté
Il existe de nombreuses mesures mises en place pour l’efficacité de la procédure
pénale qui portent atteinte à la présomption d’innocence : la garde à vue, l’inculpation, la
détention provisoire, en sont quelques illustrations parce que des personnes non encore
jugées sont privées de liberté.
A la suite de l’excellent Pr Hervé Magloire Moneboulou Minkada qui se demande
comment on peut être présumé innocent et en même temps prévenu, inculpé ou accusé»,
on peut se demander comment on peut être à la fois présumé innocent et gardé à vue,
détenu ou incarcéré en attente de jugement en appel.
Les articles 118 et suivants, 218 et suivants du code de procédure pénale sont censés
restreindre la privation de liberté en proclamant que la liberté est la règle.
De la même manière, on considère que le fait que l’appel du ministère public
n’entraîne plus le maintien en détention est une mesure favorable.
2. Protection en aval : le mécanisme de l’indemnisation
La protection des également renforcée par le mécanisme de l’indemnisation des
privations de liberté abusives. En cas de détention provisoire abusive, la personne
poursuivie a le droit de solliciter une indemnisation payée par les caisses de l’Etat.
Pour cela, deux conditions doivent être réunies. D’une part, l’absence de
condamnation de l’ex-inculpé, qui aura, de ce fait, bénéficié, soit d’une ordonnance de
non-lieu, soit d’une décision de relaxe ou d’acquittement devenue définitive2. D’autre
part, la détention provisoire doit générer pour l’ex-inculpé un préjudice manifestement
anormal et d’une particulière gravité.
L’indemnité versée sera fonction de la durée et des conséquences de la détention
provisoire subie3. Selon Jean PRADEL, l’existence d’un tel préjudice est exclue dans le

2 CS : Arrêt n° 224/P en date du 24 septembre 1968 ; BACS, n°19 ; p. 2220.


3 CS (chambre administraDve) : Jugement n°11 du 26 juin 1980 ; Affaire : Y. Alphonse Bernard c/ Etat du Cameroun.

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cas d’une innocence « purement juridique », c’est-à-dire d’une innocence résultant de
facteurs tels que l’abrogation de la loi pénale ou l’amnistie.
Cette décision d’indemnisation est prise par une commission d’indemnisation dont
la composition est fixée par l’article 237 CPP.
Ladite commission est saisie par requête dans les six mois du non-lieu, de la relaxe
ou de l’acquittement. Elle statue en chambre du conseil par décision motivant l’octroi ou
le rejet. Cette décision assimilée à un jugement civil est susceptible d’appel devant la
chambre judiciaire de la cour suprême. Les délais d’appel sont les mêmes que pour le
pourvoi en matière civile. Les fonctions du ministère public sont exercées par le parquet
général près la Cour suprême. La décision de la chambre judiciaire de la Cour suprême
statuant sur appel est insusceptible de recours.
Bien que la présomption d’innocence ait été renforcée, son respect total n’est pas
encore acquis.
II) La relativité de la présomption d’innocence
Il est porté atteinte à la présomption d’innocence non seulement par les limites
habituelles (A) qui découlent des textes, mais aussi du fait de l’apparition de limites de
fait (B).

A - Les présomptions favorables à l'accusation

En effet, des tempéraments sont admis en présence de preuves difficiles ou


impossibles à constituer. Le droit procède alors à titre exceptionnel à une inversion de la
charge de la preuve dans l'intérêt de la personne poursuivante (1). La même règle est
admise, lorsque le défendeur allègue certains faits (2).
1. Présomptions de culpabilité
Dans certains cas, la faute, peut être présumée. La présomption d’innocence est alors
être atténuée par des présomptions de culpabilité.
Ces présomptions peuvent porter sur l'élément matériel ou sur l'élément moral de
l'infraction poursuivie.
Quand la présomption porte sur l'élément matériel, elle dispense le poursuivant
de la démonstration de la faute reprochée à l'agent. A titre d'exemples, on peut citer le
proxénétisme. Celui qui vit avec une prostituée est présumé vivre du fruit de la
prostitution4, à moins qu'il n'apporte la justification des ressources suffisantes lui
permettant de subvenir seul à sa propre existence. C’est aussi le cas, en matière de

4
ArDcle 294 CP.
5
diffamation, où la personne accusée est également présumée coupable et doit justifier de
la véracité des faits allégués de faux ou de diffamation.
En revanche, quand la présomption porte sur l'élément moral de l'infraction,
elle dispense le poursuivant d'avoir à démontrer l'intention dans le fait invoqué. C'est ainsi
qu'en matière d'abandon de famille, l'élément moral, c'est-à-dire l'intention coupable est
présumée et le non-paiement de la pension alimentaire est présumé volontaire, à moins
que la personne poursuivie n'apporte elle-même la justification juridique de sa carence.
Le législateur ne précise pas toujours la force attachée à la présomption qu'il institue,
mais d'une manière générale, celle-ci est souvent simple et peut être combattue par la
preuve contraire.
En conclusion, la présomption de culpabilité doit être admise lorsqu’elle permet
d’apporter la preuve contraire tout en préservant les droits de la défense. Ce qui n’est pas
le cas en matière de diffamation lorsqu’elle porte sur des éléments de la vie privée. Dans
cette hypothèse, le prévenu se trouve privé par la loi d’apporter la preuve de la véracité
du fait allégué5.

2. La règle « reus in excipiendo fit actor »

La personne mise en cause ne peut plus se comporter passivement, lorsqu'elle


invoque un fait exonératoire de responsabilité. Elle devient active et doit apporter la
preuve des causes d'exonération ou d'atténuation de responsabilité alléguées. A titre
d’exemple, c'est à celui qui invoque la contrainte, ou un fait justificatif d'en apporter la
preuve.
B - Les limites de fait
La présomption d’innocence doit également être entendue comme voulant dire que
la personne mise en cause n’a pas besoin d’établir son innocence. La personne poursuivie
pourra se permettre de rester passive, dans la mesure où il appartient au ministère public
de prouver sa culpabilité et de démontrer l’existence des différents éléments constitutifs
de l’infraction6.
Il y a lieu ici, de signaler la dangereuse inclinaison de la procédure pénale
camerounaise à inverser la charge de la preuve. Dans l'impossibilité d'apporter la preuve
des faits poursuivis surtout en matière de délinquance financière, les parquets ont de plus

5
Ar$cle 305 du Code pénal.
6
Crim. 9 mai 1908. D. 1909, 1, 133.

6
en plus tendance à alléguer la faute sans la prouver, laissant ainsi la charge à la personne
poursuivie d'apporter la preuve de son innocence7.
A bien des égards également, la médiation pénale entreprise par les parquets conduit
à admettre une faute et à renoncer à la présomption d’innocence sans qu’aucun jugement
déclaratif de culpabilité ne soit intervenu.
Il y a lieu de s’interroger également sur l’introduction dans notre procédure pénale
du système du «plea bargaining» issu du common law qu’on appelle le «plaider
coupable».
On peut y voir un système portant atteinte à la présomption d’innocence dans la
mesure où la personne poursuivie est confrontée au choix cornélien entre le duel judiciaire
qui, dans la plupart des cas (surtout en matière d’atteintes à la fortune publique) ne lui sera
pas favorable et la perspective d’échapper à des condamnations effrayantes.
Il en est de même de la restitution du corps du délit.

Claude Assira
Avocat au Barreau du Cameroun
Membre du Conseil de l’Ordre
Trésorier de l’Ordre

7
C'est souvent le cas dans les dossiers de l'Opéra$on « Mains propres » bap$sée « Epervier » : TGI de Douala : MP et CUD c/
ETONDE EKOTO et Autres. Dans le procès qui oppose le ministère public et la communauté urbaine de Douala à Monsieur
ETONDE EKOTO, il est reproché à cet ancien délégué du gouvernement à la Communauté urbaine de Douala (CUD) d'avoir
détourné des fonds provenant de l'emprunt obligataire émis par la société anonyme CUD-FINANCES, émana$on de la CUD,
des$née à lever des fonds par appel public à l'épargne. Au terme d'une instruc$on préparatoire de dix-huit mois, le seul
document technique suscep$ble de cons$tuer une preuve est un rapport d'exper$se qui indique lui-même des lacunes dues
au manque d'accès aux documents techniques dont l’exper$se était censée perme]re l’analyse. Ces documents ne pouvaient
être fournis que par la CUD, par$e civile cons$tuée depuis la phase de l’instruc$on. Pourtant, le ministère public requiert la
condamna$on aux mo$fs que les accusés n'ont pas apporté la jus$fica$on de ce qu'ils n'avaient pas détourné les sommes
retenues par l'accusa$on.

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