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Par Eyiké-Vieux
Magistrat, enseignant, écrivain
Sous-directeur de la législation pénale au ministère de la justice
Tout a été dit, qui méritait de l’être, sur le principe selon lequel
«l’option de juridiction entraîne l’option de législation ». Reprendre ce qui
a été dit est fastidieux. Prétendre dire mieux n’est que pur mensonge. En
d’autres termes, des voix plus autorisées que la mienne ont déjà eu à
s’exprimer, d’une manière ou d’une autre, sur ce sujet. Il suffit, pour s’en
convaincre, de lire Stanislas Meloné1, François Anoukaha2, Pierrette
Nkolo3, Lisette Elomo Ntonga4, Josette Nguebou Toukam5, Victor
Emmanuel Bokally6, Régine Marlyse Njocke7, Thérèse Atangana-
1Stanislas Meloné, « Les juridictions mixtes de droit écrit et de droit coutumier dans les
pays en voie de développement. Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique :
l’exemple du Cameroun », RCD n°31 et 32, pp. 5 et s.
2« Une nouvelle étape de l’évolution de la jurisprudence camerounaise en matière de
99 et s.
5« Notion et originalité du partage-rémunération dans la construction du droit
2
des années 196013-197014. Cependant, l’on s’accorde
presqu’unanimement à dire que c’est dans l’affaire Angoa Parfait, objet de
l’arrêt de cette même Cour n°28/CC du 10 décembre 1981 - qui a repris
presque in extenso le limpide rapport du Conseiller Didier Nzogang -, qu’il
a été clairement énoncé. Ce haut magistrat, que je n’ai pas connu mais à
qui je rends hommage pour la qualité de ses rapports, y a écrit : « Il
convient de rappeler que le jugement confirmé vidait son avant dire droit
qui énonçait : "Attendu que les citoyens camerounais ayant conservé leur
statut personnel ne peuvent en principe être jugés que selon leur coutume,
au moins dans les affaires relatives à l’état des personnes. Attendu que la
coutume béti, évolutive comme toute coutume, admet aujourd’hui comme
cause de divorce, tout fait de l’un des conjoints consécutif d’excès, injure,
sévices ou menace grave à l’envers de l’autre conjoint, d’une gravité telle
qu’il rende intolérable le maintien du lien conjugal". A ma connaissance
tous les citoyens Camerounais ont le même statut conformément au
préambule de la constitution. Certes, des Camerounais (francophones)
peuvent choisir de porter leur différend en matière civile et commerciale
soit devant la juridiction de droit traditionnel, soit devant la juridiction de
droit écrit en application de l’article du décret n°69/DF du 19 décembre
1969 modifié par le décret n°71/DF/607 du 3 décembre 1971 fixant
l’organisation judiciaire et la procédure devant les juridictions
traditionnelles de l’ex-Cameroun Oriental. Ce texte dispose que la
compétence des juridictions traditionnelles est subordonnée à
l’acceptation de toutes les parties en cause et que nonobstant toutes
dispositions contraires, la juridiction de droit moderne devient compétente
dans le cas où l’une des parties décline la compétence d’une juridiction de
droit traditionnel. A mon avis l’option de juridiction instituée par le
législateur camerounais de 1969 et de 1971 indique nécessairement
l’option de législation. Il est évident que le juge naturel du Camerounais
en matière civile et commerciale est celui de sa coutume. Et dès qu’il ne
13CS, arrêt n°19 du 26 mars 1968 (Bull. n°18, pp. 2159 et 2160) où il est plutôt dit « que
l’option par les justiciables, régis par les coutumes qui leur sont propres, des tribunaux
civils de droit écrit n’emporte pas ipso facto application du droit écrit à la solution de
leur litige, sauf acceptation expresse de leur part ; qu’en effet, les tribunaux civils de
droit commun, de par leur plénitude de juridiction, sont habiles à leur appliquer leur
coutume ».
14CS, arrêts n°68 du 27 avril 1971, Bull. n°24, pp. 3141 et s., RCD n°1, p. 56, n°65 du
15 février 1972, n°106 du 16 mai 1972, Bull. n°26, pp. 3476, 3515 et s., n°58 du 12
avril 1973, Bull. n°28, p. 4033 et RCD n°9, p. 63.
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veut pas porter son différend devant sa juridiction naturelle qui connaît
mieux ses habitudes et les usages et pratiques en vigueur dans sa tribu,
c’est qu’il n’a pas confiance en cette juridiction et que par suite il refuse
l’application des règles coutumières dans son affaire. Il veut être jugé
selon les lois écrites. C’est donc délibérément qu’il fait le choix. Autrement
on ne voit pas l’intérêt d’une telle option si le juge du droit moderne devrait
lui faire application de la coutume en vigueur devant les juges de droit
traditionnel dont la compétence a été préalablement déclinée. Ou alors il
s’agit d’une simple récusation déguisée du juge coutumier. Or l’article 11
du décret n°69/DF/544 déjà cité, l’autorise à récuser le juge suspecté et à
faire trancher son différend par son juge naturel en application de sa
coutume. Il s’ensuit que lorsqu’un Camerounais opte pour le Tribunal Civil,
il entend nécessairement se faire appliquer les lois en vigueur devant cette
juridiction »15.
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l’acquisition des biens n’est pas le même que celui qui a présidé à la
décision définitive, à savoir qu’il est injuste, compte tenu du contexte socio-
économique dans lequel vivent les deux époux, de leur appliquer les
dispositions du code civil. Mieux, l’arrêt querellé, après avoir énoncé que la
participation de la femme à l’édification des biens de la communauté est
insignifiante, conclut inattendument qu’il convient de lui accorder la
propriété de la maison sise à Dakar au loyer mensuel de 50.000 francs. De
façon la plus inattendue, l’arrêt attaqué tire comme conséquence du défaut
total de contribution effective de la femme à l’acquisition des biens de la
communauté de fait l’octroi à celle-ci d’un immeuble édifié pendant le
mariage. L’arrêt querellé énonce, pour tenter de donner une base légale à
sa décision que compte tenu du contexte socio-économique dans lequel
vivent les deux époux, il est injuste de leur appliquer les dispositions du
code civil, alors que dame Ngamba, appelante incidente, dans ses écritures
du 16 juin 1980, a demandé à la Cour qu’il soit fait application des
dispositions de l’article 1400 du Code civil. L’arrêt dont pourvoi, ne pouvait
sans dénaturer les circonstances et documents de la cause, faire
application de la coutume Béti telle qu’énonce l’arrêt n°49/ADD du 17
décembre 1980. Encore et surtout que les parties à qui option était ouverte
entre la juridiction de droit écrit et celle de droit local, ont toutes les deux
choisi la première. Bihina ayant formé demande principale et dame
Ngamba demande reconventionnelle sur la base des dispositions du Code
civil dont elle demande application réitérée à la Cour d’appel de Yaoundé.
Ecarter les dispositions du Code civil au profit de la coutume, même saisie
dans son évolution, et contre le gré des parties et prétendument pour raison
d’équité constitue, sans conteste une violation renouvelée du texte de loi ».
Lui donnant raison en cassant l’arrêt de la CA du Centre-Sud n°208
du 15 juillet 1981, la CS, par arrêt n°35/CC du 25 novembre 198216, a dit et
jugé : « Attendu qu’il résulte de l’article 5 de l’ordonnance n°72/4 du 26 août
1972 que toute décision judiciaire doit être motivée en fait et en droit, à
peine de nullité ; Qu’il s’ensuit que chaque décision judiciaire doit contenir
des motifs propres à la justifier, l’insuffisance ou la contrariété des motifs
ou la dénaturation des faits de la cause équivalant au défaut de motifs ;
Attendu que de jurisprudence affirmée, l’option de juridiction emporte option
16La minute de cet arrêt n’étant pas archivée au greffe de la CS, j’ai exploité le tapuscrit
publié dans Les grandes décisions de la jurisprudence civile camerounaise, op. cit.,
pp. 336 à 338. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai reproduit presqu’in extenso ce
tapuscrit.
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de législation et que lorsque les parties portent leur litige à la connaissance
de la juridiction de droit moderne, les dispositions du Code civil sont
applicables aux faits de la cause ; Attendu qu’en l’espèce, la Cour d’Appel
de Yaoundé, qui avait ordonné par son arrêt avant dire droit n°49/ADD du
17 décembre 1980, la production par les parties, à l’audience du 7 janvier
1981, de la liste exhaustive des biens meubles et immeubles composant la
communauté des époux Bihina, a définitivement statué au fond comme il
est relevé au moyen se bornant à attribuer à la femme la maison sise à
Dakar II, sans préciser dans ses motifs les meubles et immeubles qui
composent ladite communauté et sans dire quels biens sont attribués au
mari ; Attendu d’autre part que les parties ayant porté leur litige devant le
Tribunal de Grande Instance de Yaoundé puis devant la Cour d’Appel du
Centre-Sud statuant en matière civile de droit moderne, les dispositions du
Code civil sont applicables à leur cause ; Attendu, dans ces conditions,
qu’en statuant comme il l’a fait, l’arrêt attaqué a violé le texte visé au moyen
et a fait une mauvaise application du principe susénoncé selon lequel
l’option de juridiction emporte option de législation ».
De manière générale, la doctrine s’est montrée très critique à l’égard
de ce principe, en se posant des questions sur sa pertinence et sa justesse,
notamment en matière de régime matrimonial supplétif. Ainsi que l’a
résumé Frédéric Michel Placide Batoum, « En somme, Madame NKOLO a
indiqué que la règle "L’option de juridiction emporte l’option de législation"
n’est conforme ni au rôle, ni même à la définition du régime matrimonial.
Parce qu’elle laisse les époux dans l’incertitude jusqu’au divorce en ce qui
concerne le type de régime matrimonial qui aurait régi leurs relations
patrimoniales, cette règle peut aboutir à des impasses. C’est en cela qu’elle
constitue une solution curieuse. De son côté, Monsieur le Professeur
Stanislas MELONE a estimé que la règle "L’option de juridiction emporte
l’option de législation" est une règle superfétatoire dans le domaine des
régimes matrimoniaux. Elle y est intruse en ce qu’elle n’a aucun rôle à jouer
dans la résolution du problème de la détermination du régime matrimonial
légal applicable aux époux n’ayant signé aucun contrat de mariage. Cet
auteur pense en effet que le "revirement de jurisprudence récent sur la
liaison entre l’option de juridiction et l’option de législation n’est lui-même
qu’un artifice commode mais discutable pour faire évoluer une question
difficile. Le problème de la reconnaissance par la jurisprudence
camerounaise d’un régime légal aux époux n’ayant pas signé de contrat de
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mariage est un problème qui peut être résolu sans passer par la technique
de l’option". A la suite de ces deux auteurs suscités dont elle a d’ailleurs
entièrement approuvé les critiques, Madame NDO-DIKI Régine Marlyse
épouse NJOCKE a personnellement adressé des réprimandes d’ordre
général à la règle "L’option de juridiction emporte l’option de
législation…"»17. Pour Guy Blaise Dzeukou18 aussi, cette règle doit être
abolie car, soutient-il, elle contrevient, d’une part au principe de la liberté
des conventions matrimoniales, d’autre part au principe de l’immutabilité du
régime matrimonial et, de troisième part, elle heurte le principe de l’égalité
entre les justiciables en même temps qu’elle viole un autre principe général
du droit, à savoir la non-rétroactivité de la règle juridique. Et c’est là que le
bât blesse, la doctrine n’ayant vu l’application du principe jurisprudentiel
selon lequel "l’option de juridiction emporte l’option de législation" qu’en
matière de régimes matrimoniaux. Ce qui n’est pas le cas des praticiens du
droit qui en ont une compréhension plus large.
21Voir, à titre d’illustration, TPD de Guider, jugement n°59/PD du 17 août 2015 où il est
dit : « Attendu que le conseil de famille du de cujus n’a pas statué sur l’usufruit du
conjoint survivant, en l’occurrence dames Doudou Kamba et Fatoumata Sambo,
veuves Dalil ; Que cette omission trouve son fondement dans la coutume Mousgoum
qui fait fi l’usufruit de la veuve ; Attendu que cette coutume, du reste obsolète et inique,
heurte à la fois l’ordre public et les bonnes mœurs et est contraire à l’article 767(3) du
code civil qui reconnaît dans ces conditions un droit d’usufruit d’un quart sur les biens
de la succession de son époux prédécédé ; […] ; qu’il convient donc de les admettre
au bénéfice de ce droit d’usufruit ». Dans le même sens, TPD de Guider, jugement
n°78/PD du 16 novembre 2015, visant la coutume Toupouri. Lire aussi cet extrait du
jugement n°1111/Cout du 25 juin 2004 du TPD de Ngaoundéré : « Attendu que selon
la coutume "Dourou", celle des parties, lorsqu’un individu décède, ses enfants viennent
à la succession et l’un des majeurs peut être désigné administrateur des biens ;
Attendu que les énonciations de la coutume Dourou ne sont contraires ni au droit écrit,
ni à l’ordre public, encore moins aux bonnes mœurs ; Qu’elles sont cependant
incomplètes en ce qu’elles sont muettes sur le droit d’usufruit de la veuve non
remariée, ni séparée de corps, ni divorcée d’avec son mari ; Qu’il échet dès lors de
rétablir dame veuve Haman née Djoumba dans ses droits en la déclarant usufruitière
des biens de la succession de son feu mari ». Dans le même sens, TPD de
Ngaoundéré, jugement n°1034/Cout du 12 novembre 2004, visant la même coutume.
TPD de Mora, jugement n°87/PD du 27 juin 1996 où il est dit : « Attendu qu’en outre
Dame veuve Yougouda est de par la coutume [Mousgoum] usufruitière de la
succession de son défunt époux ; qu’étant donné que la coutume des parties est
muette sur la quotité de cet usufruit, il y a lieu à cet égard de lui substituer la loi et
notamment l’article 767 du Code civil ».
22Par exemple : CA de l’Adamaoua, arrêt n°17/Cout. du 26 juillet 1994 (cité et confirmé
par la CS suivant arrêt n°10/L du 09 juin 2016) : « […] la coutume dite islamique
appliquée par le premier juge dans le cas d’espèce se trouve actuellement dépassée
et est donc contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs ; qu’il y a donc lieu de
l’écarter et d’appliquer plutôt les principes généraux de droit moderne comme raison
écrite ». Le juge d’appel infirmait ainsi le jugement du TPD de Banyo n°35/Cout. du 5
février 1993 après avoir déclaré : « Considérant qu’il ressort du jugement attaqué
qu’en se fondant sur la loi islamique prise comme coutume des parties, le premier juge
a non seulement déclaré les trois veuves du défunt héritières en pleine propriété…,
mais qu’en application de la même coutume, le même jugement sur les modalités de
partage des biens de la succession précise que la part d’un garçon sera le double de
celle d’une fille…»
23Voir sur ce point l’argumentation du TPD de Guider (jugement n°78/PD du 16
tribunal a décidé « que cette coutume est en partie contraire à l’ordre public et aux
bonnes mœurs… ».
24Tranchant une affaire où il était dit que dans la coutume Bamoun (celle de l’époux,
partie anglophone du pays, n’est pas très éloigné de ces fondements connus des juges
de la partie francophone, lorsqu’il dispose : « (1) The High Court shall observe, and
enforce the observation of every native law and custom which is not repugnant to
natural justice, equity and good conscience, nor incompatible either directly or by
implication with any law for the time being in force, and nothing in this law shall deprive
any person of the benefit of any such native law or custom. (4) In cases where no
express rule is applicable to a matter in controversy, the court shall be governed by
the principles of justice, equity and good conscience. »
26In Bull. n°6, p. 290. Le TPD de Ngaoundéré, réglant la succession de Danwe Marcel,
Le Vieux Eyiké
"Ora et labora"
"Lux mea lex"
29Par arrêt n°144/Civ du 06 avril 2017, la CS a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt
pour des motifs ne concernant pas cette argumentation qui n’avait d’ailleurs pas été
contestée par le demandeur à ce pourvoi.
30Par exemple, CS, arrêt n°01/L et n°02/L du 17 avril 2014 ; n°39/L du 31 juillet 2017 ;