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Flash Infos n°24/Juin 2023

Quelle est la signification exacte du principe selon lequel « l’option


de juridiction entraîne l’option de législation » ?

Par Eyiké-Vieux
Magistrat, enseignant, écrivain
Sous-directeur de la législation pénale au ministère de la justice

Tout a été dit, qui méritait de l’être, sur le principe selon lequel
«l’option de juridiction entraîne l’option de législation ». Reprendre ce qui
a été dit est fastidieux. Prétendre dire mieux n’est que pur mensonge. En
d’autres termes, des voix plus autorisées que la mienne ont déjà eu à
s’exprimer, d’une manière ou d’une autre, sur ce sujet. Il suffit, pour s’en
convaincre, de lire Stanislas Meloné1, François Anoukaha2, Pierrette
Nkolo3, Lisette Elomo Ntonga4, Josette Nguebou Toukam5, Victor
Emmanuel Bokally6, Régine Marlyse Njocke7, Thérèse Atangana-

1Stanislas Meloné, « Les juridictions mixtes de droit écrit et de droit coutumier dans les
pays en voie de développement. Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique :
l’exemple du Cameroun », RCD n°31 et 32, pp. 5 et s.
2« Une nouvelle étape de l’évolution de la jurisprudence camerounaise en matière de

régime matrimonial (A propos des affaires Kemajou et Koum) », Tendances


jurisprudentielles et doctrinales du droit des personnes et de la famille de l’ex-
Cameroun oriental, université de Yaoundé, faculté de droit et des sciences
économiques, fascicule, sd, pp. 102 et s. ; note sous « Cameroun : Cour suprême,
Droit civil : Option de Juridiction, Régime matrimonial », Revue juridique africaine,
1990/3, pp. 75 et s.
3« L’option matrimoniale au Cameroun », RCD n°31 et 32, pp. 69 et s.
4Commentaire sous CS, arrêt n°64/CC du 16 juillet 1987, Juridis info n°3 spécial, pp.

99 et s.
5« Notion et originalité du partage-rémunération dans la construction du droit

camerounais des régimes matrimoniaux », Juridis Périodique n°30, pp. 57 et s.


6« La coutume, source de droit au Cameroun », Revue générale de droit, université

d’Ottawa, faculté de droit, Wilson § Lafleur Itée, tiré à part, pp. 37 et s.


7« L’option de juridiction en droit privé camerounais », thèse de doctorat 3ème cycle,

université de Yaoundé, 1988.


1
Malongué8, Frédéric Placide Michel Batoum9 et Guy Blaise Dzeukou10,
pour ne citer que ceux-là. Mais, comme le disait Horace, « Bis repetita
placent » ; entendez, « les choses répétées, redemandées, plaisent ». «La
répétition est la mère de la science », soulignent également les
pédagogues. Il me plaît donc de reparler de ce principe car, en lisant la
doctrine et la jurisprudence y relatives, je me suis rendu compte que
théoriciens et praticiens camerounais du droit n’en n’ont pas la même
compréhension. Les uns l’ont critiqué au point de souhaiter son
« abolition »11, les autres le considèrent comme capital au point de militer
en faveur de sa « réhabilitation »12. D’où les questions suivantes : Quelle
est l’origine de ce principe ? (1) Comment a-t-il été accueilli par la doctrine
? (2) Comment est-il compris et appliqué par les praticiens ? (3) En
définitive, que signifie-t-il réellement ? (4). Avant de répondre à ces
questions, je tiens à dire que ce principe a un lien étroit avec le sempiternel
problème du régime supplétif tel qu’il se pose en droit positif camerounais
depuis plus de 50 ans (voir à ce sujet Mes Flash Infos n°21/Mars 2023).

1 - Quelle est l’origine du principe selon lequel « l’option de


juridiction entraîne l’option de législation » ?
Certes, ce principe ressort en filigrane de certains textes, à l’instar
de l’article 2 de l’ordonnance n°69-DF-544 du 19 décembre 1969 fixant
l’organisation judiciaire et la procédure devant les juridictions
traditionnelles du Cameroun oriental qui pose : « La compétence de ces
juridictions est subordonnée à l’acceptation de toutes les parties en cause.
Nonobstant toutes dispositions contraires, la juridiction de droit moderne
devient compétente dans le cas où l’une des parties décline la
compétence d’une juridiction de droit traditionnel. » Mais, en réalité, c’est
la CS du Cameroun qui l’a énoncé tel qu’il est connu. Il l’a d’abord fait,
d’une manière ou d’une autre, dans un certain nombre de décisions datant

8« Le principe d’égalité en droit camerounais de la famille », Revue internationale de


droit comparé 3-2006, tiré à part, pp. 833 et s.
9« Plaidoyer pour la réhabilitation de la règle "L’option de juridiction emporte l’option

de législation" », Juridis Périodique n°42, pp. 73 et s.


10Commentaire sous CS, arrêt n°35/CC du 25 novembre 1982, Les grandes décisions

de la jurisprudence civile camerounaise, université de Dschang, faculté des sciences


juridiques et politiques, LERDA, février 2008, pp. 336 et s.
11Guy Blaise Ndzeukou, op. cit., p. 373.
12Frédéric Placide Michel Batoum, ibid.

2
des années 196013-197014. Cependant, l’on s’accorde
presqu’unanimement à dire que c’est dans l’affaire Angoa Parfait, objet de
l’arrêt de cette même Cour n°28/CC du 10 décembre 1981 - qui a repris
presque in extenso le limpide rapport du Conseiller Didier Nzogang -, qu’il
a été clairement énoncé. Ce haut magistrat, que je n’ai pas connu mais à
qui je rends hommage pour la qualité de ses rapports, y a écrit : « Il
convient de rappeler que le jugement confirmé vidait son avant dire droit
qui énonçait : "Attendu que les citoyens camerounais ayant conservé leur
statut personnel ne peuvent en principe être jugés que selon leur coutume,
au moins dans les affaires relatives à l’état des personnes. Attendu que la
coutume béti, évolutive comme toute coutume, admet aujourd’hui comme
cause de divorce, tout fait de l’un des conjoints consécutif d’excès, injure,
sévices ou menace grave à l’envers de l’autre conjoint, d’une gravité telle
qu’il rende intolérable le maintien du lien conjugal". A ma connaissance
tous les citoyens Camerounais ont le même statut conformément au
préambule de la constitution. Certes, des Camerounais (francophones)
peuvent choisir de porter leur différend en matière civile et commerciale
soit devant la juridiction de droit traditionnel, soit devant la juridiction de
droit écrit en application de l’article du décret n°69/DF du 19 décembre
1969 modifié par le décret n°71/DF/607 du 3 décembre 1971 fixant
l’organisation judiciaire et la procédure devant les juridictions
traditionnelles de l’ex-Cameroun Oriental. Ce texte dispose que la
compétence des juridictions traditionnelles est subordonnée à
l’acceptation de toutes les parties en cause et que nonobstant toutes
dispositions contraires, la juridiction de droit moderne devient compétente
dans le cas où l’une des parties décline la compétence d’une juridiction de
droit traditionnel. A mon avis l’option de juridiction instituée par le
législateur camerounais de 1969 et de 1971 indique nécessairement
l’option de législation. Il est évident que le juge naturel du Camerounais
en matière civile et commerciale est celui de sa coutume. Et dès qu’il ne

13CS, arrêt n°19 du 26 mars 1968 (Bull. n°18, pp. 2159 et 2160) où il est plutôt dit « que
l’option par les justiciables, régis par les coutumes qui leur sont propres, des tribunaux
civils de droit écrit n’emporte pas ipso facto application du droit écrit à la solution de
leur litige, sauf acceptation expresse de leur part ; qu’en effet, les tribunaux civils de
droit commun, de par leur plénitude de juridiction, sont habiles à leur appliquer leur
coutume ».
14CS, arrêts n°68 du 27 avril 1971, Bull. n°24, pp. 3141 et s., RCD n°1, p. 56, n°65 du

15 février 1972, n°106 du 16 mai 1972, Bull. n°26, pp. 3476, 3515 et s., n°58 du 12
avril 1973, Bull. n°28, p. 4033 et RCD n°9, p. 63.
3
veut pas porter son différend devant sa juridiction naturelle qui connaît
mieux ses habitudes et les usages et pratiques en vigueur dans sa tribu,
c’est qu’il n’a pas confiance en cette juridiction et que par suite il refuse
l’application des règles coutumières dans son affaire. Il veut être jugé
selon les lois écrites. C’est donc délibérément qu’il fait le choix. Autrement
on ne voit pas l’intérêt d’une telle option si le juge du droit moderne devrait
lui faire application de la coutume en vigueur devant les juges de droit
traditionnel dont la compétence a été préalablement déclinée. Ou alors il
s’agit d’une simple récusation déguisée du juge coutumier. Or l’article 11
du décret n°69/DF/544 déjà cité, l’autorise à récuser le juge suspecté et à
faire trancher son différend par son juge naturel en application de sa
coutume. Il s’ensuit que lorsqu’un Camerounais opte pour le Tribunal Civil,
il entend nécessairement se faire appliquer les lois en vigueur devant cette
juridiction »15.

2 - Comment ce principe a-t-il été accueilli par la doctrine ?


Avant de répondre à cette question, il faut d’abord se référer à quatre
affaires célèbres : l’affaire Asso’o Benoit, l’affaire Bihina Gabriel, l’affaire
Kemajou et l’affaire Koum. Etant donné que j’ai déjà parlé de ces deux
dernières affaires (voir mes Flash Infos n°21/Mars 2023), je n’y reviens
plus.
- L’affaire Asso’o Benoit c/ Mitoukoue Jacqueline
Pour infirmer le jugement du TGI du Wouri du 5 avril 1976 en ses
dispositions relatives à la liquidation et au partage de la communauté
ayant existé entre ces époux, la CA de Douala, suivant arrêt n°65/C du 21
avril 1973, avait décidé : « Considérant qu’il résulte des éléments de la
cause que le traitement d’institutrice adjointe d’un montant de 28000
francs n’était pas perçu par le mari, la condition imposée pour contracter
le mariage étant que le traitement de l’épouse soit totalement viré à sa
mère ; que l’épouse possédait son compte bancaire propre ; Considérant
que le sieur Asso’o Benoit justifie qu’il a obtenu des crédits de la B.C.D.
et de la B.I.C.I.C. de près de 20.000.000 de francs qu’il rembourse seul
avec sa solde ; qu’il s’ensuit qu’il a acquis ses biens seuls ». Cassant cette
décision, la CS - par arrêt n°120/CC du 16 septembre 1982 -, après avoir
invoqué la règle selon laquelle « L’option de juridiction emporte option de
législation » et relevé que les parties ayant soumis leur litige au TGI du

15In RCD n°21-22, pp. 301 et s.


4
Wouri, les dispositions du Code civil étaient applicables aux faits de la
cause, a admis : « […] Attendu que l’art. 1304 du code civil exige que le
contrat de mariage soit fait par acte notarié ; que la prétendue stipulation
concernant la mise à la disposition de la solde de l’épouse à la mère de
celle-ci ne saurait dès lors consacrer l’existence d’un régime séparatiste
en l’espèce ; qu’en outre, l’article 224 du même code réserve à la femme,
sous tous les régimes matrimoniaux, l’administration et la disposition,
pendant le mariage, des biens acquis avec son salaire et le produit de son
activité professionnelle éventuelle séparée de celle de son mari ; Attendu,
d’autre part, qu’à défaut de présentation d’un contrat de mariage, les
époux sont présumés s’être mariés sous le régime de la communauté;
Attendu en 3ème lieu que sous le régime de la communauté légale, tous les
immeubles acquis par le mari à titre onéreux sont réputés biens communs,
si la preuve contraire de l’art. 1402 n’est pas rapporté ; Que ne saurait à
cet égard constituer une preuve contraire suffisante, le fait que les
immeubles ont été acquis par les salaires et crédits remboursés par le
mari, sans la participation de l’épouse ; Attendu qu’il s’ensuit qu’en
statuant comme il l’a fait, le juge d’appel n’a pas donné de base légale à
sa décision, violant ainsi les textes [les articles 1399, 1400, 1401 et 1402
du Code civil] visés au moyen ».
- L’affaire Bihina Gabriel c/ Ngamba Jacqueline
Au dire de Maître Ngongo Ottou, demandeur au pourvoi, dans son
arrêt n°49/ADD du 17 décembre 1980, la CA du Centre-Sud avait énoncé
que l’évolution de la coutume Béti ne s’opposait pas à la liquidation des
biens au cas où l’épouse pouvait établir qu’elle avait effectivement
contribué par quelque manière à l’acquisition des biens de la communauté
ayant existé entre les époux durant le mariage. Toujours selon lui, la même
Cour avait, dans son arrêt n°281 du 15 juillet 1981, énoncé, en contradiction
avec les motifs de l’arrêt avant dire droit sus-cité, que la femme étant
simplement ménagère et s’occupant essentiellement des tâches
domestiques, sa participation à l’édification des biens de la communauté
était minime, voire insignifiante ; dès lors, il convenait de lui accorder la
propriété de la maison sise au quartier Dakar dont le loyer était de 50 000
francs. Pour étayer son pourvoi, cet avocat a expliqué que : « A l’évidence,
le principe établi et adopté par la Cour d’Appel de Yaoundé dans son arrêt
n°49/ADD, à savoir la liquidation de la communauté de fait existant entre
les époux au prorata de la contribution effective de chacun d’eux à

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l’acquisition des biens n’est pas le même que celui qui a présidé à la
décision définitive, à savoir qu’il est injuste, compte tenu du contexte socio-
économique dans lequel vivent les deux époux, de leur appliquer les
dispositions du code civil. Mieux, l’arrêt querellé, après avoir énoncé que la
participation de la femme à l’édification des biens de la communauté est
insignifiante, conclut inattendument qu’il convient de lui accorder la
propriété de la maison sise à Dakar au loyer mensuel de 50.000 francs. De
façon la plus inattendue, l’arrêt attaqué tire comme conséquence du défaut
total de contribution effective de la femme à l’acquisition des biens de la
communauté de fait l’octroi à celle-ci d’un immeuble édifié pendant le
mariage. L’arrêt querellé énonce, pour tenter de donner une base légale à
sa décision que compte tenu du contexte socio-économique dans lequel
vivent les deux époux, il est injuste de leur appliquer les dispositions du
code civil, alors que dame Ngamba, appelante incidente, dans ses écritures
du 16 juin 1980, a demandé à la Cour qu’il soit fait application des
dispositions de l’article 1400 du Code civil. L’arrêt dont pourvoi, ne pouvait
sans dénaturer les circonstances et documents de la cause, faire
application de la coutume Béti telle qu’énonce l’arrêt n°49/ADD du 17
décembre 1980. Encore et surtout que les parties à qui option était ouverte
entre la juridiction de droit écrit et celle de droit local, ont toutes les deux
choisi la première. Bihina ayant formé demande principale et dame
Ngamba demande reconventionnelle sur la base des dispositions du Code
civil dont elle demande application réitérée à la Cour d’appel de Yaoundé.
Ecarter les dispositions du Code civil au profit de la coutume, même saisie
dans son évolution, et contre le gré des parties et prétendument pour raison
d’équité constitue, sans conteste une violation renouvelée du texte de loi ».
Lui donnant raison en cassant l’arrêt de la CA du Centre-Sud n°208
du 15 juillet 1981, la CS, par arrêt n°35/CC du 25 novembre 198216, a dit et
jugé : « Attendu qu’il résulte de l’article 5 de l’ordonnance n°72/4 du 26 août
1972 que toute décision judiciaire doit être motivée en fait et en droit, à
peine de nullité ; Qu’il s’ensuit que chaque décision judiciaire doit contenir
des motifs propres à la justifier, l’insuffisance ou la contrariété des motifs
ou la dénaturation des faits de la cause équivalant au défaut de motifs ;
Attendu que de jurisprudence affirmée, l’option de juridiction emporte option
16La minute de cet arrêt n’étant pas archivée au greffe de la CS, j’ai exploité le tapuscrit
publié dans Les grandes décisions de la jurisprudence civile camerounaise, op. cit.,
pp. 336 à 338. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai reproduit presqu’in extenso ce
tapuscrit.
6
de législation et que lorsque les parties portent leur litige à la connaissance
de la juridiction de droit moderne, les dispositions du Code civil sont
applicables aux faits de la cause ; Attendu qu’en l’espèce, la Cour d’Appel
de Yaoundé, qui avait ordonné par son arrêt avant dire droit n°49/ADD du
17 décembre 1980, la production par les parties, à l’audience du 7 janvier
1981, de la liste exhaustive des biens meubles et immeubles composant la
communauté des époux Bihina, a définitivement statué au fond comme il
est relevé au moyen se bornant à attribuer à la femme la maison sise à
Dakar II, sans préciser dans ses motifs les meubles et immeubles qui
composent ladite communauté et sans dire quels biens sont attribués au
mari ; Attendu d’autre part que les parties ayant porté leur litige devant le
Tribunal de Grande Instance de Yaoundé puis devant la Cour d’Appel du
Centre-Sud statuant en matière civile de droit moderne, les dispositions du
Code civil sont applicables à leur cause ; Attendu, dans ces conditions,
qu’en statuant comme il l’a fait, l’arrêt attaqué a violé le texte visé au moyen
et a fait une mauvaise application du principe susénoncé selon lequel
l’option de juridiction emporte option de législation ».
De manière générale, la doctrine s’est montrée très critique à l’égard
de ce principe, en se posant des questions sur sa pertinence et sa justesse,
notamment en matière de régime matrimonial supplétif. Ainsi que l’a
résumé Frédéric Michel Placide Batoum, « En somme, Madame NKOLO a
indiqué que la règle "L’option de juridiction emporte l’option de législation"
n’est conforme ni au rôle, ni même à la définition du régime matrimonial.
Parce qu’elle laisse les époux dans l’incertitude jusqu’au divorce en ce qui
concerne le type de régime matrimonial qui aurait régi leurs relations
patrimoniales, cette règle peut aboutir à des impasses. C’est en cela qu’elle
constitue une solution curieuse. De son côté, Monsieur le Professeur
Stanislas MELONE a estimé que la règle "L’option de juridiction emporte
l’option de législation" est une règle superfétatoire dans le domaine des
régimes matrimoniaux. Elle y est intruse en ce qu’elle n’a aucun rôle à jouer
dans la résolution du problème de la détermination du régime matrimonial
légal applicable aux époux n’ayant signé aucun contrat de mariage. Cet
auteur pense en effet que le "revirement de jurisprudence récent sur la
liaison entre l’option de juridiction et l’option de législation n’est lui-même
qu’un artifice commode mais discutable pour faire évoluer une question
difficile. Le problème de la reconnaissance par la jurisprudence
camerounaise d’un régime légal aux époux n’ayant pas signé de contrat de

7
mariage est un problème qui peut être résolu sans passer par la technique
de l’option". A la suite de ces deux auteurs suscités dont elle a d’ailleurs
entièrement approuvé les critiques, Madame NDO-DIKI Régine Marlyse
épouse NJOCKE a personnellement adressé des réprimandes d’ordre
général à la règle "L’option de juridiction emporte l’option de
législation…"»17. Pour Guy Blaise Dzeukou18 aussi, cette règle doit être
abolie car, soutient-il, elle contrevient, d’une part au principe de la liberté
des conventions matrimoniales, d’autre part au principe de l’immutabilité du
régime matrimonial et, de troisième part, elle heurte le principe de l’égalité
entre les justiciables en même temps qu’elle viole un autre principe général
du droit, à savoir la non-rétroactivité de la règle juridique. Et c’est là que le
bât blesse, la doctrine n’ayant vu l’application du principe jurisprudentiel
selon lequel "l’option de juridiction emporte l’option de législation" qu’en
matière de régimes matrimoniaux. Ce qui n’est pas le cas des praticiens du
droit qui en ont une compréhension plus large.

3 - Comment est-il compris et appliqué par les praticiens ?


Tout comme les doctrinaires, les praticiens du droit, en particulier les
magistrats, admettent que le principe selon lequel « l’option de juridiction
entraîne l’option de législation » signifie que lorsqu’on a choisi de saisir la
juridiction traditionnelle, l’on se voit appliquer les règles du droit
traditionnel alors qu’en cas de saisine de la juridiction moderne, l’on se
voit appliquer le droit écrit. Mais les praticiens vont plus loin. L’un d’eux,
Frédéric Placide Michel Batoum en l’occurrence, l’explique en ces termes:
« En effet, […] cette règle signifiait au départ que le choix d’une juridiction
traditionnelle valait l’application du droit traditionnel et que l’option pour
une juridiction moderne valait l’application du droit moderne. Mais fort des
aménagements qu’elle avait connus et tenant essentiellement aux
hypothèses de substitution du droit moderne au droit coutumier, la règle
"L’option de juridiction emporte l’option de législation" signifie autre chose
aujourd’hui […]. C’est donc dire que cette règle sous-entend voire
renferme tous les aménagements qui lui ont été apportés. Elle est un tout,
avec son sens originel, ses modalités d’application et ses conséquences.
[…]. Il suivra de là que lorsque les parties optent par exemple pour une
juridiction traditionnelle, et en cas de silence de la coutume sur la matière

17Op. cit., p. 78.


18Op. cit., pp. 365, 366, 367 et 369.
8
portée devant cette juridiction, il sera fait application de la loi et rien
d’autre»19. Ce point de vue est pratiquement identique à ce qui est dit dans
le rapport du Conseiller Mvondo Mbo, fait dans le cadre de l’affaire Nguélé
Germaine et objet de l’arrêt de la CS n°114/CC du 17 mai 198320. Il y est
dit précisément : « […] le choix de la juridiction de droit écrit implique le
choix du droit écrit ; à l’exclusion de la coutume réservée aux juridictions
traditionnelles. […] Réciproquement le droit écrit n’est applicable devant
les juridictions traditionnelles qu’en cas de silence de la coutume ou de
coutume contraire à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou aux principes
généraux du droit […]. Mais en règle générale le droit écrit est écarté des
juridictions traditionnelles ». La haute juridiction cassait ainsi l’arrêt
n°201/Civ du 17 juin 1981 de la CA de Yaoundé qui, entérinant
l’application de la coutume par le TGI de Yaoundé, avait jugé « que l’option
de juridiction n’emporte pas nécessairement l’option de législation, il
convient de faire application de la coutume, dès lors qu’elle n’est pas
contraire à la loi et aux bonnes mœurs ».

19Op. cit., pp. 79 et 85.


20In RCD n°29, pp. 196 et s.
9
À la suite de ces deux magistrats, je relève qu’au silence de la
coutume21 et aux coutumes contraires aux principes généraux du droit22,
à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, à l’instar du lévirat23, il faut ajouter

21Voir, à titre d’illustration, TPD de Guider, jugement n°59/PD du 17 août 2015 où il est
dit : « Attendu que le conseil de famille du de cujus n’a pas statué sur l’usufruit du
conjoint survivant, en l’occurrence dames Doudou Kamba et Fatoumata Sambo,
veuves Dalil ; Que cette omission trouve son fondement dans la coutume Mousgoum
qui fait fi l’usufruit de la veuve ; Attendu que cette coutume, du reste obsolète et inique,
heurte à la fois l’ordre public et les bonnes mœurs et est contraire à l’article 767(3) du
code civil qui reconnaît dans ces conditions un droit d’usufruit d’un quart sur les biens
de la succession de son époux prédécédé ; […] ; qu’il convient donc de les admettre
au bénéfice de ce droit d’usufruit ». Dans le même sens, TPD de Guider, jugement
n°78/PD du 16 novembre 2015, visant la coutume Toupouri. Lire aussi cet extrait du
jugement n°1111/Cout du 25 juin 2004 du TPD de Ngaoundéré : « Attendu que selon
la coutume "Dourou", celle des parties, lorsqu’un individu décède, ses enfants viennent
à la succession et l’un des majeurs peut être désigné administrateur des biens ;
Attendu que les énonciations de la coutume Dourou ne sont contraires ni au droit écrit,
ni à l’ordre public, encore moins aux bonnes mœurs ; Qu’elles sont cependant
incomplètes en ce qu’elles sont muettes sur le droit d’usufruit de la veuve non
remariée, ni séparée de corps, ni divorcée d’avec son mari ; Qu’il échet dès lors de
rétablir dame veuve Haman née Djoumba dans ses droits en la déclarant usufruitière
des biens de la succession de son feu mari ». Dans le même sens, TPD de
Ngaoundéré, jugement n°1034/Cout du 12 novembre 2004, visant la même coutume.
TPD de Mora, jugement n°87/PD du 27 juin 1996 où il est dit : « Attendu qu’en outre
Dame veuve Yougouda est de par la coutume [Mousgoum] usufruitière de la
succession de son défunt époux ; qu’étant donné que la coutume des parties est
muette sur la quotité de cet usufruit, il y a lieu à cet égard de lui substituer la loi et
notamment l’article 767 du Code civil ».
22Par exemple : CA de l’Adamaoua, arrêt n°17/Cout. du 26 juillet 1994 (cité et confirmé

par la CS suivant arrêt n°10/L du 09 juin 2016) : « […] la coutume dite islamique
appliquée par le premier juge dans le cas d’espèce se trouve actuellement dépassée
et est donc contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs ; qu’il y a donc lieu de
l’écarter et d’appliquer plutôt les principes généraux de droit moderne comme raison
écrite ». Le juge d’appel infirmait ainsi le jugement du TPD de Banyo n°35/Cout. du 5
février 1993 après avoir déclaré : « Considérant qu’il ressort du jugement attaqué
qu’en se fondant sur la loi islamique prise comme coutume des parties, le premier juge
a non seulement déclaré les trois veuves du défunt héritières en pleine propriété…,
mais qu’en application de la même coutume, le même jugement sur les modalités de
partage des biens de la succession précise que la part d’un garçon sera le double de
celle d’une fille…»
23Voir sur ce point l’argumentation du TPD de Guider (jugement n°78/PD du 16

novembre 2015) répondant à un assesseur ad hoc - de coutume Toupouri - qui, lors


du règlement de la succession de Baba Dominique, avait dit : « […] d’après la coutume
Toupouri, seuls les hommes sont appelés à l’héritage, les femmes étant considérées
comme des biens successoraux ; que lorsqu’une personne décède ab intestat laissant
femmes et enfants, sa succession est plutôt dévolue à ses frères, précisément au frère
aîné qui peut, du reste, prendre les veuves en lévirat ». Refusant de le suivre, le
10
les coutumes divergentes24. C’est sur ces fondements25 et en parlant
parfois de coutume évoluée que les juges statuant en matière de droit
local admettent les notions du droit écrit - ignorées du pur droit traditionnel
ancestral - telles que l’égalité des sexes, le droit de la femme à la
succession, l’usufruit, l’administration des biens successoraux par la
femme, la tutelle sur ses enfants mineurs, le divorce, la garde des enfants
par la femme divorcée, la liquidation et le partage de la communauté des
biens, pour ne citer que ces exemples tirés du droit de la famille. En plus,
il ressort de la note26 placée au début de l’arrêt de la CS n°445 du 3 avril
1962 que « Dans toutes les matières coutumières où il a été légiféré, la loi

tribunal a décidé « que cette coutume est en partie contraire à l’ordre public et aux
bonnes mœurs… ».
24Tranchant une affaire où il était dit que dans la coutume Bamoun (celle de l’époux,

vraisemblablement musulman), la femme n’a droit qu’aux effets meubles en cas de


divorce alors que dans la coutume Ewondo (celle de l’épouse, chrétienne de surcroît),
elle a droit à une part de biens immeubles acquis pendant le mariage, la CA du Sud,
suivant arrêt n°193/LO du 28 février 1992, a décidé : « Considérant que le manque
d’homogénéité des coutumes Bamoun et Ewondo au sujet des droits de la femme
divorcée amenait nécessairement le Tribunal de Sangmelima saisi, non de garder
silence face à ces deux coutumes différentes, mais d’opter comme l’exige l’article 3 du
Décret n°69/DF/544 du 19 décembre 1969 fixant l’organisation et la procédure devant
les juridictions traditionnelles pour l’application en l’espèce des règles de droit
moderne notamment les articles 267(1) et 1578 du Code civil relatifs à la liquidation
de la communauté ; Considérant que le Tribunal de Sangmelima, en déboutant dame
Mbazoa de son action en partage des biens simplement pour avoir pris l’initiative du
divorce alors que ce dernier a été prononcé aux torts réciproques, le premier juge n’a
pas justifié sa décision ; qu’il importe de l’infirmer pour ce chef ».
25L’article 27 de la Southern Cameroons High Court Law 1955, applicable dans la

partie anglophone du pays, n’est pas très éloigné de ces fondements connus des juges
de la partie francophone, lorsqu’il dispose : « (1) The High Court shall observe, and
enforce the observation of every native law and custom which is not repugnant to
natural justice, equity and good conscience, nor incompatible either directly or by
implication with any law for the time being in force, and nothing in this law shall deprive
any person of the benefit of any such native law or custom. (4) In cases where no
express rule is applicable to a matter in controversy, the court shall be governed by
the principles of justice, equity and good conscience. »
26In Bull. n°6, p. 290. Le TPD de Ngaoundéré, réglant la succession de Danwe Marcel,

a également commencé la motivation de son jugement n°172/Cout. du 09 avril 2020 y


relatif comme suit : « Attendu que dans les matières où il a été légiféré, la loi l’emporte
sur la coutume (CSCO, Arrêt n°040 du 05 mars 1963, Bull n°8, p. 541). » Par la suite,
il a déclaré tous ses enfants cohéritiers, désigné l’un d’eux administrateur des biens,
reconnu à la veuve son droit d’usufruitière tout en la désignant tutrice de ses enfants
mineurs sur la base de l’article 390 du Code civil. Il a cité la même jurisprudence dans
son jugement n°608/Cout. du 22 octobre 2021 puis a ordonné la liquidation des biens
de la communauté ayant existé entre des époux en vertu de l’article 915 du même
Code, après avoir prononcé leur divorce.
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l’emporte sur la coutume ». Raison pour laquelle il me semble que les
rédacteurs du Guide pratique d’accompagnement juridique de la veuve
auraient dû émettre ces réserves lorsque, répondant à la question de
savoir « Quelle est la procédure d’obtention du jugement d’hérédité ? »,
ils ont affirmé : « Selon le tribunal choisi, la loi appliquée sera différente :
Devant le TGI ce sera le droit écrit c’est-à-dire le Code civil et devant le
TPD c’est la coutume des parties qui sera appliquée »27.

4 - En définitive, que signifie réellement ce principe ?


De mon point de vue, l’application du principe jurisprudentiel selon
lequel « l’option de juridiction entraîne l’option de législation » ne se limite
pas aux seuls régimes matrimoniaux. Je dirais même, en donnant
largement raison à la doctrine, qu’il a été mal appliqué en la matière,
notamment dans les affaires époux Kemajou et époux Koum qui sont des
cas isolés comme démontré dans Mes Flash Infos n°21/Mars 2023. La
preuve, pour insister davantage là-dessus, depuis bien longtemps et
jusqu’à nos jours, beaucoup de juges du fond ordonnent, s’agissant
singulièrement des mariages monogamiques et en l’absence d’un contrat
de mariage, le partage par moitié des biens du ménage sans exiger à la
femme de rapporter la preuve de sa contribution à l’acquisition desdits
biens. Mieux, ils appliquent tout simplement les règles du Code civil en la
matière, compte non tenu de la juridiction saisie28 et des deux décisions
de la haute juridiction rendues dans les affaires sus-citées.
La CA du Littoral, par arrêt n°153/C du 19 juillet 2013, a apporté une
autre précision notable et soutenable à ce principe en « Considérant, sur
l’exception d’incompétence de la juridiction de droit écrit à connaître de
l’action en partage des biens de la succession en raison de la saisine
préalable du Tribunal de Premier Degré de Douala New-Bell-Bassa pour
obtenir un jugement d’hérédité pour la même succession, que le principe
"l’option de juridiction entraîne l’option de législation" posé par la Cour
Suprême signifie que lorsqu’un plaideur a choisi de porter son action
devant une juridiction traditionnelle, cela traduit qu’il a opté pour
l’application de la coutume ; Que ce choix d’une juridiction n’entraîne pas
le monopole de celle-ci pour la connaissance de toutes autres actions
27Document publié par le ministère de la promotion de la femme et de la famille, édition
2022, pp. 17 et 18.
28Voir à ce sujet l’abondante jurisprudence citée à la note de bas de page n°22 de Mes

Flash Infos n°21/Mars 2023.


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ayant un lien quelconque avec la première; Que dans le cas d’espèce, la
saisine du Tribunal du Premier Degré de New-Bell par les héritiers de feu
Tchoumi Roger à l’effet d’obtenir un jugement d’hérédité suite au décès
de leur père ne les empêche pas ultérieurement de porter leur action en
partage des biens de ladite succession devant le Tribunal de Grande
Instance du Wouri; Que cette exception d’incompétence est par
conséquent impertinente, et il convient de la rejeter »29. Le TGI du Wouri
avait déjà statué dans ce sens suivant jugement civil n°313 du 14 avril
2010, objet de cette même affaire.
Ce qui m’amène à conclure, sans esprit corporatiste, que c’est du
côté des praticiens du droit que se trouve la signification profonde du
principe querellé, que la CS continue d’ailleurs d’invoquer dans des
affaires n’ayant rien à voir avec les régimes matrimoniaux30.

Le Vieux Eyiké
"Ora et labora"
"Lux mea lex"

29Par arrêt n°144/Civ du 06 avril 2017, la CS a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt
pour des motifs ne concernant pas cette argumentation qui n’avait d’ailleurs pas été
contestée par le demandeur à ce pourvoi.
30Par exemple, CS, arrêt n°01/L et n°02/L du 17 avril 2014 ; n°39/L du 31 juillet 2017 ;

n°23/L du 11 mai 2017.


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