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Thème :Du traitement de la culpabilité par le droit coutumier, quelle est sa


conception et sa base

Par : Jean Salem Israël Marcel KAPYA KABESA

Assistant à la faculté de DROIT


UNIVERSITE DE LUBUMBASHI

Numéro téléphone : 0811959142

Mail : salemkapya@yahoo.fr

Numéro du sujet : II/4

Lubumbashi, 10 Avril 2008


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INTRODUCTION

Le traitement de la culpabilité en droit coutumier nous


ramène à l’idée de la sanction dans les sociétés primitives
historiquement organisées et le régime juridique applicable selon les
règles ou les normes coutumières préétablies.
En effet, à l’exception des crimes les plus graves qui
requièrent l’intervention du chef coutumier ou de la tribu, le droit
coutumier était civil et son régime de sanction se rapprochait de
l’arbitrage plutôt que de la punition tant que le dommage était réparé
aussi pleinement que possible.
Quelle est alors la conception de la culpabilité ? La
conception de la culpabilité dans les sociétés sous l’empire de la
coutume était différente selon telle catégorie d’individus à telle autre. Il
faut reconnaître que le droit coutumier étant un droit sacro mystique
et se manifestait également à travers un droit magico-religieux, il en
résulte que le régime de la sanction était le reflet des coutumes dans
lesquelles ce droit trouve sa raison d’être et s’exprime en celles-ci.
Pour le peuple habitant le long de la rive entre le Lac Moëro
(au Katanga) et la rivière Luapula (le Balamba, c’est-à-dire, les
riverains), par exemple, le vol d’un œuf était une atteinte grave à la
morale et quiconque se rendrait coupable d’un tel délit serait
punissable d’une peine aussi grave et lourde car, considérait comme
un voleur qualifié.
En effet, le délit de fornication entre jeunes gens, ne
consistait pas dans le marchandage sexuel mais plutôt de la
sympathie des uns et des autres, mais par contre, celui qui, pour la
première fois, aura découvert la nudité d’une fillette pubère et qui
tenterait de coucher avec elle avec écoulement de sang se rendrait
coupable de viol avec paiement des dommages intérêts à la famille
3

concernée pour défloraison et paiera la valeur des biens consacrés au


paiement de la dot 1 en du mariage2.
Il serait nécessaire de préciser que la conception de la
culpabilité était l’apanage de celui qui alléguait un fait d’en apporter
une preuve (actori incubit probatio) et celle-ci devait être administrée
par une équipe des notabilités du chef mandaté à cet effet.
La base de la culpabilité en droit coutumier se manifestait
dans le sens de la solidarité du groupe dans lequel l’individu se trouve
inclus et qui incarne sa position sociale dans la croyance de la
coutume en vigueur dans une région par rapport à une autre.
Ainsi, par exemple, l’adultère répété avec une femme du
chef pouvait entraîner la peine de mort, mais le plus souvent, le
tribunal s’en tenait à des mutilations (notamment, ablation des
oreilles, des mains ou des yeux ou encore ablation de la verge).
La peine de mort, de l’exécution de laquelle le chef ne
pouvait jamais être témoins, pouvait être appliqué dans les cas
suivants :
- le crime de sorcellerie : l’individu accusé et convaincu après
épreuve ;
- l’homicide injustifiable ou plutôt justifié par une raison
condamnable ;
- l’adultère répété avec une femme du chef.

1
La dot : valeur des biens en argent ou en nature que le fiancé donne à la famille de sa fiancée ou ses parents.
Cette solde marque l’alliance entre les deux familles. La loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille
en son article 363 dispose que « pas de mariage sans dot ».
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Mariage : acte public, solennel et consensuel pour lequel un homme et une femme s’engagent jusqu’au décès
pour une commune destinée et perpétuel l’espèce (article 33 du code de la famille).
4

PREMIERE PARTIE : LA CONCEPTION DE LA CULPABILITE


EN DROIT COUTUMIER, SA CONCEPTION ET SA BASE
Section I. DE L’ORIGINE DU DROIT COUTUMIER CONGOLAIS
Avant de circonscrire l’évolution historique du droit
coutumier dans notre arsenal juridique, il convient de remonter dans
le temps. En effet, à l’époque de l’Etat Indépendant du Congo, (E.I.C.)
en sigle, c’est l’ordonnance du 14 mai 1886 du Roi souverain qui avait
reconnu l’existence du droit coutumier congolais, elle disposait en ces
termes : « quand la matière n’est pas prévue par un arrêté ou une
ordonnance déjà promulguée, les contestations qui sont portées à la
compétence du Congo seront jugées d’après les coutumes locales ».
La charte coloniale du 18 octobre 1908, dans son article 4,
alinéa 2 disposait que les indigènes non immatriculés du Congo Belge
jouissent des lois qui leur sont reconnues par la législation de la
colonie et par leurs coutumes ni à la législation, ni à la loi publique
coloniale.
De même, l’arrêté de 1938 dans son article 18 indiquait que
‘’les tribunaux indigènes appliquent la coutume pour autant qu’elle ne
soit contraire à l’ordre public universel (3).
Plus proche, la Constitution du 05/04/2003, en son article
149 dispose également que « les cours et tribunaux civils et tribunaux
civils et militaires appliquent la loi et les actes réglementaires ainsi que
la coutume pour autant que celle-ci soit conforme à l’ordre public et
aux bonnes mœurs ».

I.2. LE FONDEMENT JURIDIQUE DU DROIT COUTUMIER


Alors que le droit pénal écrit se fonde sur la sanction
pénale, le droit pénal coutumier congolais se fondait plutôt sur la
solidarité qui sublime la vie, et plus exactement la force vitale du

(3) A. SOHIER, Répertoire général de la jurisprudence et de la doctrine coutumière du Congo et du Rwanda-


Burundi jusqu’au 31/12/1953, Ed. F. LARCIER, Bruxelles, 1987, p. 23 et suivant
5

groupe et de l’individu dont la déstabilisation et la désagrégation


quand on en est privé – vident toute substance à l’individu comme au
groupe et les exposent à tous les aléas. Aussi, priver un individu de
cette solidarité constitue-t-il la sanction pénale la plus grave qu’on
puisse lui infliger ? 4).
Le Professeur KAMPETENGA estime que le droit coutumier
est, comme tout droit basé sur les personnes dans leurs
responsabilités juridiques en tant que personne physique (individu) ou
que personne morale (parentale, lignage, clan).
Mais, comme le dit M’BALE KEBA (5), il faut tout de même
reconnaître avec le Major G. S. ORDRE BROWN que ‘’le droit
coutumier était civil plutôt que pénal’’ et que tout délit, à l’exception
des crimes les plus graves et les plus exceptionnels, était sanctionné
par un système qui se rapprochait de l’arbitrage plutôt que de la
punition tant que le dommage causé était réparé aussi pleinement que
possible, d’autres sanctions n’étaient pas prévues.
De même, a écrit A. SOHIER (1954), ‘’tout manquement du
droit que la conscience réprime au point d’estimer qu’il ne doit pas
entraîner uniquement la réparation du tort causé à la victime, mais
encore un châtiment même si ce châtiment n’est pas infligé par les
représentants officiels de la société, mais par un particulier autorisé
par elle. C’est la vengeance privée quand elle est exercée par un
particulier ou son groupement, la peine quant à elle est prononcée par
les tribunaux. La vengeance ou la peine se distingue de la réparation
civile en ce qu’elles n’ont pas pour but de dédommager la victime, mais
bien de faire subir au coupable un châtiment.

(4) KAMPETENGA LUSENGU B.M., Fondement de la vie en société : Du clan à la Nation, Mémoire du
Diplôme d’Etudes Supérieures en Anthropologie, UNILU, Lubumbashi,
1999.
(5) M’BALE KEBA : « Afrique noire : Droit » in Encyclopaedia Universalis, Corpus, France, S.A., Paris, 1989,
p. 60 et suivant.
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Cet auteur estime que le Droit coutumier se manifeste également à


travers un droit magico-religieux, droit sacré mystique, du ‘’faste’’ et
du ‘’néfaste’’ où se règlent des choses et des affaires que les hommes
ne peuvent trancher et punir que par et avec les mânes des ancêtres,
des esprits de dieux ou opérant « sorciers » et « féticheurs », induisant
des flux maléfiques ou bénéfiques, néfastes ou fastes dans la force
vitale des coupables et des victimes. Ainsi tel droit est dit ‘’coutumier’’,
non parce qu’il résulte des coutumes mais plutôt parce qu’il s’exprime
en celles-ci ou à travers celles-ci (6), alors que la loi 87-010 du 1er août
1987 portant code de la famille se fonde sur la destruction
irrémédiable de l’union conjugale(7).
On peut lire dans l’ouvrage de A. SOHIER que ‘’la coutume
prévoit en cas d’adultère, le paiement d’une indemnité au mari trompé
par complice la femme. Ne convient-il pas de remplacer ces dommages
et intérêts par une amende (8).

SECTION II. LA CULPABILITE EN DROIT COUTUMIER (SA


CONCEPTION ET SA BASE)
Il faut situer le fondement de la sanction pénale en droit
pénal coutumier dans la solidarité entendue par AKELE et SITA (1999)
comme « le sentiment profond de dépendance mutuelle que partagent
tous les membres du groupe (de la société), et comme un principe de
vie auquel communient les vivants et les morts ». Il renchérit en se
référant à A. SOHIER (1954) – elle-même fondée sur « la valorisation
effective au logique et métaphysique des individus au sein du groupe
(de la société) et sur la force vitale, c’est-à-dire, explique le R.P. Placide
TEMPELS que ce rapport interactif et existentiel dans lequel baigne

(6) A. SOHIER, Le mariage en Droit coutumier congolais, Institut Royal colonial belge, Mémoire, coll. In 82,
Tome XI, fasc. 3 et dernier, Librairie Falk Fils, Bruxelles, 1943, p. 3.
(7) Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille congolais
(8) A. SOHIER , Pratique des juridictions indigènes, Ed. Larcier, Bruxelles, 1932, p. 29.
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l’homme mis au contact des mânes, force supérieure et de toutes les


autres forces dites inférieures (animaux, végétaux, minerais, etc.(9)
Pour A. SOHIER, le droit coutumier est également un droit
de l’incrimination, du châtiment et de la réparation à la fois celui du
‘’sacré’’ et de ‘’l’invisible comme le stigmatisent S. COMHAIRE et alii
que les règles pénales, règles civiles et règles magico-religieuses se
confondent-elles souvent dans les mêmes préceptes qui, dans ces
civilisations du verbe-parole, du rythme et du symbole ( 10) comme le
dit A. SOHIER (1954) sont transmis essentiellement au moyen des
proverbes, maximes et cantiques, réglementant indistinctement tous
les aspects de la vie sociale (11).
A juste titre, l’homme est un animal métaphysique (12)
écrivait A. SOUPIOT, il est indéniable de dire eu égard à ce qui précède
que la conception de la culpabilité en droit coutumier relève du
pouvoir ancestral, lequel se trouve incarné dans la sagesse populaire
transmise de bouche à oreilles par ceux qui sont investis du pouvoir
magico-religieux (chefs de tribus), mais sa base juridique se fonde sur
l’idée de solidarité ou du groupe plutôt de la punition infligée à celui
qui se comporte en marge de la société et des coutumes, les valeurs
morales admises comme étant de droit.
La conception de la culpabilité devient malaisée à établir
car le droit coutumier ne connaît pas la distinction entre les affaires
civiles et les affaires pénales, celles-ci étant l’apanage des particuliers
eux-mêmes qui les soumettent devant les tribunaux coutumiers ainsi
que le chef de tribu. Les chefs n’interviennent que lorsque une

(9) AKELE et SITA, Le droit pénal coutumier congolais, in l’Etat de droit, Revue de la Faculté de Droit, n° 1,
Université protestante au Congo, Kinshasa, 1999, p. 25
(10) S. COMHAIRE et alii, le nouveau dossier Afrique, situation et perspectives, Marabout Université, Paris,
1971, p. 36.
(11) A. SOHIER, Traité élémentaire de droit coutumier du Congo Belge, 2ème Ed. Ferd-Larcier, Bruxelles, 1954,
p. 21.
(12) A. SOUPIOT, Essai anthropologique de la fonction du droit, Ed. du Seuil, Paris, 2005, p. 2.
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procédure de blocage s’interpose, il s’agit de la preuve de la sorcellerie,


du conflit foncier opposant deux clans ou un groupe des personnes.

SECTION III. LA CONCEPTION DE LA CULPABILITE ET SA BASE


Ici, il sera question de l’enquête sur un tribunal principal
de chefferie de Kisamamba-Kampombwe (Territoire de Kasenga,
District du Haut-Katanga) reconnu par l’arrêté n° 128 du 30 novembre
1933 du commissaire de Province d’Elisabeth.
I. SITUATION GEOGRAPHIQUE ET ADMINISTRATIVE DE CETTE
JURIDICTION
La chefferie de Kisamamba Kampombwe est située à une
douzaine de kilomètres au Nord de Kasenga, en bordure du Luapula.
Elle a une superficie approximative de 150 km 2 et une population
totale de 1705 âmes, réparties en 19 petits villages.
Kisamamba Kampombwe représente la branche aînée des
Kisamamba, qui forment trois chefferies échelonnées toutes trois le
long du Luapula : Kisamamba Kibale au sud de Kasenga, Kisamamba
Kampombwe au Nord, et Kisamamba Kikungu entre Kasenga et
Kampombwe.
Ces trois Kisamamba ont une origine commune.
Appartenant au clan mwina ngoma (ngoma est le tambour de danse),
vraisemblablement d’origine lunda, si l’on en croit la tradition, qui les
ferait venir primitivement de l’Ouest, ces Kisamamba quittèrent il y a
environ un siècle les terres du Chef Kifumbe, installé au Bangwelo,
pour venir s’établir sur la rive gauche du Luapula moyen, qui à ce
moment, aurait été inoccupée. Le nom de Kisamamba leur serait
d’ailleurs venu du fait qu’ils étaient originaire de la région du Lac
Bangwelo, direction d’où vient le vent appelé « Kisamamba ».
C’est à peu près à ce moment-là, que se produisirent les
incursions de divers groupes d’indigènes, qui venaient de l’Est et
9

formèrent le fond de la population, que nous trouvons actuellement


sur la rive occidentale de Luapula-Moëro.
Dans toute cette région constituant une seule entité
géographique, se développa peu à peu une coutume à peu près
identique. Au premier fond de population, virent se greffer des
éléments d’origines très diverses, ce qui aboutit à un brassage de races
continuel et à la naissance d’une coutume nouvelle, la coutume
Kishila (Bashila signifie les pêcheurs est le terme générique désignant
tous les riverains du Luapula-Moëro), où l’élément mubemba prit la
prépondérance. Les divers dialectes Kishila, qui se parlent au Luapula-
Moëro se rapprochent fortement du Kibemba, au point qu’ils sont
même communément appelés Kibemba.
La chefferie de Kisamamba Kampombwe participe donc de
toutes ces caractéristiques.
Comme dans toutes les régions voisines, l’organisation
sociale y est le matriarcat, et la succession des chefs y est
matrilinéaire. Les chefs Kampombwe appartiennent donc toujours au
clan des Bena Ngoma. Les clans extraordinairement nombreux
représentés dans les chefferies sont très mélangés et la famille
(entendons-là dans un sens quelque peu étendu) est la seule entité
sociale se présentant avec une certaine homogénéité.

II. COMPOSITION DU TRIBUNAL


Coutumièrement, le tribunal est composé comme suit :
1. Le (ou les) (ba) kabilo ;
2. Les bamushika ;
3. Le chef Kisamamba Kampombwe.
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a) Les Bakabilo
Il peut en exister un ou plusieurs. Ils peuvent être de
n’importe quel clan, mais ne sont jamais choisis dans celui du chef,
à savoir, le clan des Bena Ngoma.
Ils sont choisis parmi les indigènes manifestant le plus de
bon sens et le plus de capacité pour intervenir dans la solution des
palabres. Cette charge est théoriquement héréditaire, mais
pratiquement, il peut arriver que celui appelé à succéder au Kabilo
(par voie utérine : frère, cousin maternel, neveu maternel ou petit-
neveu maternel) soit incapable de faire face à ses devoirs. Il est alors
écarté et un autre Kabilo est désigné. Cet autre Kabilo peut être
indifféremment du même clan que le défunt ou d’un autre clan. Sa
valeur personnelle sera seule prise en considération pour fixer le
choix.
Le Kabilo ne porte ni ne reçoit aucun insigne particulier
représentatif de son titre et de sa fonction.
Il est choisi et élu par le chef entouré de ses Bamushika et
du Conseil des notables. Le chef ne peut le désigner de sa propre
autorité, et de toute façon, le Kabilo doit être agréé par les
Bamushika.
Cette institution existe encore. Elle a contribué à subsister
sous l’influence lunda et sous l’influence Muyeke. Sous cette
dernière, le nom de Kabilo eut tendance à disparaître pour faire
place au nom de « Mtoni », qui désigne chez les Bayeke, le dignitaire
chargé du règlement des palabres.
Depuis l’occupation européenne, le langage courant les
désigne – par imitation – sous le nom de « Bajuges ». Ce terme est
naturellement à proscrire, car il est de nature à créer une confusion
dans l’esprit des natifs, qui ne sont que trop tentés de copier notre
organisation judiciaire (comme toute notre organisation en général),
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alors que la volonté du législateur est de faire renaître et de rendre


officielle celle qui leur est propre.
Il existe actuellement deux Bakabilo à Kisamamba
Kampombwe. Ce sont, dans l’ordre de préséance et d’importance :
1. KAPITENI KAOMA, illetré – de clan mwina mumba. Mumba
signifie terre de poterie. Les Bena mumba appartiennent à la
tribu des Baushi, représentés sur le territoire congolais par le
Chef Kiniama du Luapula supérieur.
2. KIMBOKOTO MWANSA, dit KAFWANDA, de clan mwina nsofu.
Lettré. – Nsofu signifie éléphant. Ce clan appartient à la tribu
des Baluba Sanga du Chef Pande.
b) Les Bamushika
Il en existe toujours plusieurs. Ils sont choisis parmi les
notables influents de la chefferie présentant le plus de garantie
d’intégrité.
Comme le Kabilo, ils peuvent être de n’importe quel clan
mais ne sont jamais choisis non plus dans celui du chef.
Théoriquement, cette charge est également héréditaire (par
voie utérine), mais en cas d’incapacité du successeur, il en est désigné
un autre, indifféremment dans le clan du défunt ou dans un autre
clan.
La désignation des Bamushika chez Kampombwe. Ce sont,
dans l’ordre de préséance et d’importance :
1. KIBIMBI LWINO, illettré – de clan mwina nsofu (Basanga de
Pande) ;
2. MFUTA MWILUNDE, illettré – de clan mwina Boa. Boa signifie
champignon. L’aîné de ce clan est le chef Katanga, au Nord
d’Elisabethville ;
12

3. SHIENKE KALEMBWE, illettré – de clan mwina lungu. Lungu est


un légume du genre courge. L’aîné des Bena lungu est le chef
rhodésien Kilembwe, près du Lac Bangwelo.
Le mushika et le kabilo correspondent aux « Kapingula ya
milandu » (les examinateurs, instructeurs, trancheurs de palabres) des
Babemba.
Ils sont donc désignés en nom et en nombre par le chef
assisté du Conseil des notables.
Le seul souci déterminant le choix, de même que le rang de
préséance, est celui de l’intégrité et du bon sens des individus, ce qui
fait que le caractère d’hérédité de ces charges n’est pas absolument
intangible.
Le mushika a le pas sur le kabilo. Il occupe un échelon
supérieur dans l’échelle judiciaire ; ce qui ne veut pas dire qu’il forme
une juridiction d’un degré supérieur avec pouvoir éventuel de révision
ou d’appel. Ils font tous partie de la même juridiction.
Le kabilo saisit d’une affaire fait d’abord une tentative de
conciliation. Si cette tentative aboutit, les parties sont renvoyées et le
tribunal n’est pas saisi du litige.
Si elle n’aboutit pas, le kabilo porte l’affaire devant un
mushika, à qui il est encore loisible, seul ou assisté d’un ou de
plusieurs de ses collègues, de tenter un nouvel essai de conciliation. Si
cet essai réussit, le tribunal n’est pas saisi.
La compétence des bakabilo est donc nettement différente
de celle des bamushika. Le rôle du kabilo se borne en quelque sorte à
recevoir les litiges et à faire une première tentative de conciliation. En
cas d’échec, il doit saisir du différend le mushika, qui est le véritable
juge.
Dans le cas où le mushika, saisi d’un litige, le portera
devant le tribunal, s’il s’agit d’une affaire ne présentant pas un
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caractère spécial de gravité, il se contentera de siéger chez lui, assisté


de l’un ou de plusieurs des autres bamushika et d’un ou des bakabilo.
L’absence des bakabilo ne constitue pas une cause de
nullité de la procédure. Mais le tribunal ne peut siéger valablement
qu’avec au moins deux juges, dont au moins un mushika.
Nous avons déjà signalé qu’il existait une certaine
hiérarchie parmi les juges. Il en résulte tout naturellement, que dans
les affaires assez sérieuses, le premier des bamushika sera toujours
appelé à siéger.
Quand il s’agira d’un différend grave, les bamushika en
saisiront directement le chef, qui siégera alors avec tout son tribunal et
ses notables.
b) Le chef
La présence du chef n’est donc pas absolument
indispensable pour constituer le tribunal. Nous avons vu que la
composition du tribunal variera suivant la nature des affaires, qui lui
sont soumises, et que le chef ne sera appelé à siéger au premier
ressort que dans les affaires importantes.
Par ailleurs, les parties ont toujours le droit au recours
judiciaire au chef, quand celui-ci n’a pas siégé au tribunal. En fait, il
n’existe pas deux juridictions différentes, car ce sera absolument le
même tribunal, qui reprendra l’affaire en seconde instance ; ce n’est
que la composition du tribunal, qui aura été modifiée, en ce sens qu’en
plus des premiers juges, siégeront le chef et les notables, dont il se fera
éventuellement assister.

III. PROCEDURE
a) Introduction des affaires
La partie, qui veut introduire une action en justice, se rend
d’abord chez un des bakabilo, porteur de son « lupango », tribut exigé
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de quiconque demande l’ouverture d’une action judiciaire. Ce lupango


sera indifféremment une ou plusieurs poules, une ou plusieurs houes,
ou une pièce d’étoffe. Sa valeur dépendra de la situation sociale et de
la richesse du demandeur, ainsi que de l’importance de l’affaire.
C’est seulement en l’absence – peu probable simultanément
– de tous les bakabilo, que les parties pourront s’adresser directement
à un mushika.
Le kabilo saisi se livrera seul ou avec son ou ses collègues,
à un premier essai de conciliation.
Si celui-ci n’aboutit pas, le kabilo portera l’affaire devant un
mushika, où il y aura une seconde tentative de conciliation. Si elle
aboutit, le lupango est remis au demandeur, seul le chef ayant qualité
pour recevoir ce tribut, mais les parties remettront ordinairement au
conciliateur un petit cadeau quelconque, par exemple un pot de bière.
S’il n’y avait pas de conciliation possible, l’affaire était
portée devant le tribunal et la remise d’un lupango était exigée. Que le
chef siégeât ou non au tribunal, le lupango lui était toujours destiné.
Quand un demandeur était trop pauvre pour payer le
lupango, sa cause n’en était pas moins introduite et entendue, mais il
était alors tenu de travailler pour le chef, jusqu’au moment où le chef
le considérait comme acquitté, ou jusqu’au jour où ses parents avaient
remis au chef la valeur du lupango dû.
Lorsque le litige portait sur la réparation de coups,
blessures ou mutilations faits au plaignant ou à l’un de ses parents,
ou sur la vengeance d’une mort, le lupango consistait en un morceau
de nkula, qui était remis au chef et dont la couleur rouge indiquait
qu’il était question d’une affaire de sang. (Comme nous le verrons plus
loin, dans ces affaires de KILOPA, l’intéressé se frottait aussi le corps
de nkula). Le nkula s’obtient de la façon suivante : on taille jusqu’au
cœur, deux morceaux de l’arbre mukula. Puis on les frotte l’un contre
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l’autre à la façon des concasseurs de millet, et lait au plaignant ou à


l’un de ses parents, ou sur la vengeance d’une mort, le lupango
consistait en un morceau de nkula, qui était remis au chef et dont la
couleur rouge indiquait qu’il était question d’une affaire de sang.
(Comme nous le verrons plus loin, dans ces affaires de KILOPA,
l’intéressé se frottait aussi le corps de nkula). Le nkula s’obtient de la
façon suivante : on taille jusqu’au cœur, deux morceaux de l’arbre
mukula. Puis on les frotte l’un contre l’autre à la façon des
concasseurs de millet, et l’érosion ainsi produite donne une poudre
rouge.
Cette érosion est facilitée par un peu de sable, qui, par le frottement,
fait se détacher les particules de bois.
On prend alors cette poudre et on fait une pâte en l’amalgamant à une
décoction de feuilles de l’arbre Musishia. Cette pâte, en séchant, prend
l’apparence d’un bloc de terre rouge, qui est le nkula. Jadis le nkula
était couramment employé dans les soins corporels ; les indigènes le
mélangeaient à de l’huile et s’en enduisaient le corps. Actuellement, ils
s’en servent encore spécialement pour deux usages : pour aider à la
cicatrisation ombilicale et pour protéger des intempéries la tête des
nouveaux-nés, par l’application d’une couche de nkula mélangé à de
l’huile).
La procédure signalée plus haut, avec le souci de ne déférer
au tribunal du chef que les affaires pour lesquelles toute conciliation
s’est avérée impossible, est encore actuellement en vigueur pour
l’introduction des affaires. La seule chose qui ait disparu, c’est le
lupango, qui était remis au chef. Déjà en 1931, donc avant la
reconnaissance du tribunal par l’autorité administrative, le lupango
avait été remplacé par une taxe d’inscription fixe, qui était versée dans
la caisse de la chefferie.
16

b) Audience et Jugement
Il n’y avait aucun jour fixe pour les audiences du tribunal.
Un jour était fixé pour l’audience au fur et à mesure que les affaires se
présentaient. Celle-ci se tenait près de la maison du mushika ou dans
l’enceinte de la maison du chef, quand celui-ci siégeait au tribunal. Le
chef prenait alors place sur sa chaise basse (kipona), les bamushika et
les bakabilo étant assis à ses côtés sur des nattes. Les parties en
cause, leurs proches parents et les témoins se tenaient assis par terre
à quelque distance.
Le public n’avait pas accès dans cette enceinte et se tenait
dehors, mais par les fentes de la palissade, il assistait à toute
l’audience et pouvait entendre la sentence prononcée. Le public était
tenu à l’écart uniquement par respect pour la personne du chef.
Personne n’entrait, en effet, dans l’enceinte de la maison du chef sans
y être autorisé.
Il est à noter que, lorsque le tribunal siégeait, tous les
travaux étaient suspendus et tous les indigènes se réunissaient à
proximité, attendant la décision.
Les notables, parents du chef, pouvaient assister à
l’audience. Ils le faisaient toujours lorsque l’affaire était d’importance.
Ils y étaient d’ailleurs très souvent convoqués par le chef lui-même.
L’audience commençait par l’exposé des parties, puis les
témoins étaient interrogés. Quand chacun avait exposé son point de
vue, suivaient des débats contradictoires. Les parties pouvaient se
faire assister de membres de leur famille ou de toute personne qui fût
au courant de l’affaire. Il ne faudrait pas voir là une institution
correspondante à celle de nos avocats. La défense des parties était
admise de la part de leurs parents et de leurs amis, mais à titre
absolument privé, sans qu’il soit question de défenseurs public de
métier ou de rémunération quelle qu’elle soit.
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Le chef n’intervenait pas à l’audience ; il la présidait, mais


ne participait pas aux débats. Il appartenait seulement aux bakabilo et
aux bamushika de procéder aux interrogatoires.
Le serment n’était jamais requis ; il ne pouvait être exigé
par le tribunal, mais les parties et les témoins pouvaient y avoir
recours. Habituellement, il consistait à enjamber le corps d’un tout
petit enfant couché sur le sol (un enfant de la famille de celui qui
jurait) en disant : « Si je mens, cet enfant mourra ».
La gravité de ce serment faisait qu’il n’était prêté que dans
les affaires assez graves : accusation de vol, d’adultère, d’homicide. La
partie, qui le désirait, était toujours libre de le prêter, quel que soit le
litige, mais la plupart du temps s’il s’agissait d’un différend peu
important, sa parenté l’en empêchait, tant ce serment pouvait, aux
yeux des indigènes, être lourd de conséquences.
Le serment ainsi prêté pouvait naturellement influer sur la
décision du tribunal, mais il n’avait pas d’autre valeur en droit qu’une
simple déclaration. Il n’engageait que vis-à-vis de la personne sur la vie
de laquelle on jurait (et naturellement de sa parenté).
S’il arrivait que l’enfant vint à mourir, il ne s’ensuivait
qu’une affaire intérieure de la famille, qui pouvait naturellement être
portée devant le tribunal, mais qui constituait une affaire propre,
indépendante de la première.
Il est évident cependant, que si la partie adverse avait
perdu devant le tribunal, elle ne manquait de représenter de nouveau
la cause, arguant de ce décès pour convaincre son adversaire de faux
témoignages et faire modifier à son avantage la première décision
intervenue.
Le faux témoignage reconnu s’entend aux yeux des
indigènes n’était pas juridiquement distingué du simple mensonge. Si
le faux témoignage ou le mensonge avait retardé ou faussé le règlement
18

d’une affaire, il en résultait lorsqu’après leur établissement, elle était


représentée, une augmentation de l’indemnité à payer à l’autre partie ;
mais il n’y était attaché aucune sanction pénale, quand le faux
témoignage ou le mensonge était le fait de l’accusé. S’ils émanaient
d’un témoin, il pouvait être prononcé à côté d’une indemnité, une
sanction pénale, pouvant aller, en cas de récidive jusqu’à des
mutilations corporelles.
Une seconde forme de serment était l’épreuve du mwavi, à
savoir, l’épreuve de l’eau bouillante. De même que le serment
proprement dit, cette épreuve n’était jamais ordonnée par le tribunal.
C’est toujours l’accusé lui-même, qui demandait à subir
pour prouver son innocence, ou qui était poussé par les membres de
sa famille. Un indigène, qui était sous le coup d’une accusation n’était
jamais forcé de subir l’épreuve du mwavi, mais s’il s’y refusait, le
tribunal comme toute la population estimait qu’il avait peur parce qu’il
était coupable et rendait sa sentence en conséquence. Ce qui fait qu’il
existait néanmoins pour l’accusé, à défaut d’obligation matérielle, une
obligation morale de se soumettre.
Voici en quoi consistait cette épreuve ; elle pouvait se
présenter de deux façons :
a) Celui qui désirait la subir, appelait le sorcier et lui préparait du
bois et de l’eau. Le sorcier faisait bouillir de l’eau dans un
récipient, qui pouvait avoir jusqu’à environ 40 à 50 cm de
profondeur. Il y laissait ensuite tomber un bracelet en métal.
L’épreuve consistait à enlever le bracelet au fond de l’eau
bouillante sans que la peau présente la moindre trace de brûlure.
Cette opération était recommencée plusieurs fois avec chaque
main. L’accusé retournait alors chez lui et y passer la nuit. Le
lendemain matin, ces bras étaient examinés suivant qu’ils
19

présentaient les traces de brûlure, il était considéré comme


coupable ou innocent.
b) Au lieu de déposer un bracelet dans l’eau bouillante, le sorcier
pouvait y placer des fruits séchés des arbres Lukusu et
Lusombo. Ces fruits flottaient à la surface de l’eau. L’épreuve
consistait à les prendre sans se brûler. La superstition voulait
que si l’accusé était coupable au moment où il voudrait saisir les
fruits, ceux-ci s’enfonceraient et l’eau lui monterait sur le bras et
le brûlerait.
Le choix de l’épreuve était laissé au sorcier.
Celle-ci se pratiquait à l’écart du village et le chef ne
pouvait y assister. La cérémonie était organisée par le sorcier, qui,
pour l’occasion, se mettait en tenue d’apparat.
Y assistaient un ou plusieurs bamushika, les parents des
parties et tous ceux qui désiraient. Elle se pratiquait donc sous le
contrôle de la population et celui d’au moins un mushika.
Si les résultats étaient négatifs, l’intéressé ne manquait
naturellement jamais de réclamer des dommages et intérêts parfois
assez considérables aux accusateurs.
D’après les renseignements que j’ai recueillis, l’épreuve du
poison (le kilapo ou serment des Baluba) consistait à administrer soit à
l’accusé, soit à un animal domestique tel qu’une poule, n’aurait pas
existé dans la région.
Lorsque l’audience avait suffisamment mise en lumière, les
éléments de la cause, le tribunal délibérait à huis clos.
C’est alors seulement que le chef intervenait.
Chacun des juges donnait son opinion et le tribunal
s’arrêtait à la décision sur laquelle se faisait l’unanimité.
Si l’examen avait duré jusqu’à la fin du jour, ou que les
juges ne puissent se mettre d’accord, à cause par exemple
20

l’insuffisance des éléments d’appréciation, l’affaire était remise au


lendemain ou à un jour ultérieur.
La décision devait toujours être prise à l’unanimité. La voix
du chef était prépondérante, et au besoin, il imposait sa volonté. Il va
sans dire que le chef avait bien soin de ne pas prendre des propos
délibérés, une décision opposée à l’avis de ses juges.
Cette sentence était naturellement connue immédiatement
de tout le village et c’était alors chez les parents et alliés de la partie
qui l’emportait, des cris, des chants, des danses et des beuveries
interminables.
Quand le tribunal siégeait sans le chef, chez un mushika, la
procédure était la même, mais avec moins d’apparat. L’audience se
tenait devant la maison du mushika et tout le monde y était admis.
Les interrogatoires, les délibérations et tout le prononcé de la sentence
y suivaient les mêmes règles.
c) Sanctions et exécutions des jugements
1. Emprisonnement. Le mode d’emprisonnement le plus
courant était la contrainte par corps. L’individu condamné par le
tribunal et qui ne payait pas l’amende ou les dommages et intérêts
prononcés dans le délai fixé par le tribunal (parfois immédiatement
était appréhendé au corps et maintenu en détention jusqu’à ce qu’il se
fût acquitté. S’il tardait trop à s’acquitter, il pouvait être réduit en
esclavage.
Il n’existait pas de local de détention déterminé. Le détenu
était confié à la garde d’un mushika ou d’un kabilo, qui devait le loger
et le nourrir. Il était astreint à travailler pour le chef et pour son
gardien. Il arrivait, quand on craignait sa fuite par exemple, qu’on lui
liât les mains derrière le dos et qu’on lui attachait un billot aux pieds.
Dans le cas d’infraction grave, le chef pouvait ordonner la
mise en détention de l’accusé jusqu’au jour du jugement.
21

2. Amende. En règle générale, les différends se réglaient par


le versement des dommages et intérêts à la partie lésée. Le versement
d’une amende à payer au chef n’avait lieu que dans les cas bien
déterminés suivants :
a) Le kilopa : c’est l’amende prévue pour celui qui s’est rendu coupable
d’un crime, une blessure, une mutilation quelconque (crever un œil,
casser un membre,…) et de tout versement de sang. La terre était
souillée et le coupable devait payer une indemnité au chef,
indépendamment de celle qu’il était éventuellement tenu de payer à la
partie lésée.
Il était interdit de se faire justice à soi-même, et celui, qui
pour se venger, en tuer un autre en brousse sans avoir soumis sa
plainte au tribunal du chef, même si sa vengeance était et s’il n’était
pas tenu d’indemniser la famille de la victime, devait payer au chef
l’amende du kilopa. Il en allait de même, si la vengeance n’avait
consisté qu’en blessures ou mutilations.
L’intéressé se présentait d’ailleurs presque toujours lui-
même devant le chef, en revendiquant la responsabilité de son acte, et
en s’offrant de payer le kilopa au chef. A cette occasion, il se maculait
le corps de nkula, pour montrer que c’était pour une affaire de sang
qu’il se présentait devant le chef.
b) Omission de payer le tribut au chef, à savoir par exemple, le
chasseur qui ayant tué un lion ou un éléphant, le cacherait et ne
remettrait pas les dépouilles au chef.
c) Le fait, pour un étranger de chasser ou de pêcher sur les terres
du chef sans autorisation.
d) Dans les affaires très graves, spécialement en cas de récidive (viol
des mineurs, adultère, vol,…), le tribunal pouvait,
indépendamment des autres peines, prononcer une amende à
payer au chef.
22

e) Délit d’audience : voir plus loin.


Les amendes allaient, suivant l’importance du délit, de
quelques poules ou une houe à plusieurs esclaves.
La contrainte par corps était exercée jusqu’au paiement.
Elle consistait à travailler pour le chef. Si l’intéressé ne parvenait à
payer, il finissait par devenir l’esclave du chef.
3.Dommages et intérêts.
Ceux-ci constituaient, en fait, la sanction la plus souvent
prononcée par le tribunal. Ils étaient proportionnés au mal causé à la
situation sociale du défendeur et du demandeur, et aux exigences de
ce dernier, et, comme nous l’avons déjà dit, donnait lieu, jusqu’à
l’apurement l’indemnité à payer, à l’exercice de la contrainte par corps.
Dans certains cas, vol, adultère…, le coupable, qui ne
parvenait pas à payer l’indemnité qui lui était réclamée était réduit en
esclavage.
4. Châtiments corporels.
Dans les affaires importantes, le chef pouvait décider qu’en
dehors des peines édictées par le tribunal, le coupable serait soumis à
des châtiments corporels, par exemple :
a) ablation des oreilles, des yeux, ou des mains : en cas de récidives
fréquentes de vol, de mensonge ou calomnie. Ces châtiments
pouvaient s’appliquer aux femmes comme aux hommes ;
b) ablation de la verge : pour adultères répétés. Quand le coupable
était une femme, elle ressortissait à la justice maritale, qui
pouvait se manifester en sévices divers. La plupart du temps, la
répudiation s’ensuivait.
Le DILANGALA (pluriel : malangala) était chargé d’administrer
ces châtiments corporels. Il le faisait à l’écart, en brousse, et le
chef ne pouvait en être témoin.
23

c) Le fouet : si le chef le décidait, le dilangala en frappait le


coupable, devant lui, après le prononcé de la sentence. Le fouet
consistait en une espèce de jonc : le kamama ; qu’on appelle
aussi nkodi. Le nombre de coups n’était pas déterminé, et le
patient n’était pas tenu à l’immobilité et à la position couchée. Le
dilangala lui appliquait quelques coups à travers le corps,
jusqu’à ce qu’il parvint à s’enfuir.
Le fouet pouvait être donné également, sur l’ordre du chef,
et toujours par le dilangala, et sur l’heure, à celui qui troublait
l’audience, manquait de respect au tribunal, ou récriminait contre la
sentence rendue. De ces chefs, le coupable pouvait aussi être
condamné à payer une amende.
En dehors de l’exercice de ses fonctions judiciaires, le chef
ne pouvait recourir au fouet ou à tout autre châtiment corporel, sans
commettre un acte arbitraire ou un abus de pouvoir, dont il eût été
immanquablement blâmé par ses notables et par toute la population.
4. Mise à mort. La coutume répugnait au prononcé de la peine de
mort. Elle pouvait cependant être décidée, mais la plupart du
temps, on lui préférait le bannissement.
La peine de mort, de l’exécution de laquelle le chef ne pouvait
jamais être témoin, pouvait être appliquée dans les cas suivants :
a) Crime de sorcellerie. L’individu accusé et convaincu de
sorcellerie après épreuve (l’épreuve pouvait consister en 1)
l’épreuve du mwavi par l’eau bouillante ; 2) le fait de s’en
remettre au sexe de la première bête que tuera un
chasseur envoyé en brousse par le chef ; si c’était un mâle,
l’accusé était considéré comme coupable) était livré au
sorcier, qui le dépeçait vivant et jetait de son corps sur un
bûcher, qu’il allumait en brousse.
24

Homicide injustifié ou plutôt justifié par une raison


condamnable. Un parent du mort pouvait s’emparer du
coupable et le traîner devant le chef. S’il n’exigeait pas sa mise
à mort, le chef et son tribunal ne prononçait qu’une forte
indemnité à payer : plusieurs esclaves par exemple deux
femmes ou deux hommes de la famille du coupable (plus
naturellement le kilopa). Ils ne décidaient la peine de mort que
si elle était formellement demandée par les parents de la
victime. Pour ce faire, un de ceux-ci se présentait devant le
chef, s’étant tout maculé de nkula, puis il arrachait
violemment son cache-sexe et en souffletait le chef, en disant
« Tu tueras cet homme ; ou tu n’es pas un chef ».
Il appartenait alors au dilangala d’aller tuer le coupable en
brousse, par la lance, ou la hache, et de remettre ensuite son
cadavre à sa famille, en vue de lui donner une sépulture.
c) L’adultère répété avec une femme du chef : pouvait aussi
entraîner la peine de mort, mais le plus souvent, le tribunal
s’en tenait à des mutilations.
Il convient de noter que le chef ne pouvait jamais décider la
peine de mort, de l’avis contraire de ses notables.
En dehors du cas de sorcellerie, la mise à mort n’était donc
jamais prononcée par le tribunal du chef, si ce n’est dans des cas tout
à fait exceptionnels, quand elle était demandée, en réparation d’un
homicide, dans la forme que nous avons signalé plus haut. Cette
exigence ne pouvait être le fait que d’un homme très puissant, que le
chef et ses notables eussent craint de s’aliéner ou de voir quitter leurs
terres avec ses gens, s’ils ne lui avaient pas donné satisfaction.
Nous avons déjà signalé qu’un indigène lésé par l’homicide
d’un de ses parents ou un adultère qui se vengeait lui-même du
coupable par sa mise à mort, n’était tenu à aucune indemnité vis-à-vis
25

de la famille de sa victime, mais devait payer au chef l’indemnité du


kilopa13.

13
Bulletin des juridictions indigènes de 1930 et 1931, Elisabethville, p. 154-170
26

DEUXIEME PARTIE : ETAT DE LA JURISPRUDENCE


EN DROIT CONGOLAIS ET
COMPARE

I. POSITION DU PROBLEME
En droit coutumier, la conception de la culpabilité se révèle
d’une importance capitale, car à la base il y a la coutume qui est
violée, mais au fond, l’ordre social basé sur la solidarité.
En droit coutumier Bemba au Sud du Katanga, le vol d’un œuf
constitue une atteinte grave à la morale et est considérée comme un
vol qualifié ; de même la sorcellerie dans la coutume primitive n’était
pas nuisible, elle était un moyen pour corriger, punir les individus qui
se comportaient en marge des règles établies par la tribu et la
coutume.(14)
En droit pénal écrit, seuls tombent sous la loi les faits qui,
au moment où ils sont commis, sont déjà définis comme constituant
une infraction par le législateur.
Le Professeur NYABIRUNGU estime que la légalité des
incriminations a des conséquences aussi bien pour le législateur que
pour le juge. Il estime que ce principe de l’antériorité obligatoire des
définitions des infractions est une garantie de la liberté et de la
sécurité juridique, car on peut valablement supposer que, dans ce cas,
ces définitions ont été élaborées sans parti pris, dans l’ignorance qui
tomberont éventuellement sous leur application (15).
Ce principe a été tempéré par le décret du 30 janvier 1940
portant code pénal en son article 1er ainsi libellé : « Nulle infraction ne
peut être punie des peines qui n’étaient pas portées par la loi avant
que l’infraction fut commise ; et repris dans la Constitution du
18/02/2006 ; il en est de même de l’article 11 de la Déclaration

(14) Interview accordé au chef coutumier Shula KAMAKOMBWE MWELWA du Territoire de Pweto, le
24/01/2008 à 12 heures (katanga, RDC).
(15) NYABIRUNGU, op.cit. p. 36.
27

Universelle des Droits de l’Homme par l’O.N.U., à laquelle notre Pays,


dans son préambule à la Constitution proclame avoir adhéré.
En droit coutumier, il n’en est pas le cas, la conception de
la culpabilité est l’apanage de la sagesse populaire, de certaines
personnes (notables) qui jouissent d’une expérience individuelle ou
morale.
On peut lire dans les écrits de NYABIRUNGU (op.cit. p. 9),
ainsi, un assassin commencera à errer ici et là, torturé par les remords
de ce qu’il vient de commettre, un peu comme Caïn, après le meurtre
d’Abel. Dans la ‘’légende des sciences’’, Victor Hugo trouve cette
expression : ‘’cet œil me regarde toujours’’ cet œil n’est rien d’autre que
les remords, la sanction d’une règle morale transgressée.
On dira de tel homme qu’il est ruiné et malheureux parce
que son père ou son oncle l’ont maudit, tellement il leur manquait de
respect et ne leur accordait aucune assistance. Et tous les vieux du
village qui ont l’âge du père ou de l’oncle abandonné, commencent à
bouder cet homme, à l’éviter puisque il est un fils irrespectueux e
indigne. 16
La sanction sociale en droit coutumier résulte de la manière
dont chacun peut mener sa vie à guise dans le respect de jus,
coutumes établies par les anciens de tradition ancestrale et compte de
l’expérience de la solidarité ou du groupe.
Pour illustrer cela, il conviendrait de citer par exemple,
voilà un homme qui a 40 ans, n’est pas marié. Lors d’une palabre sur
la vie au foyer ou sur le divorce, les sages ne lui donnent pas la parole
parce qu’il en est indigne.

16
NYABIRUNGU, MS op.cit p. 9
28

II. ETAT DE LA JURISPRUDENCE CONGOLAISE


II.1. L’AFFAIRE AMISI TUBILA ET MAUWA SAFALANI
II.1.1. Jugement
La Cour Suprême de Justice (R.D.C.) a eu l’occasion de
rappeler l’importance du principe de la légalité des incriminations,
notamment dans l’affaire ci-dessous :
Le tribunal de Sous-Région de Maniema à Kindu avait, le 04/10/1976,
condamné le Citoyen AMISI TUBILA à une peine d’amende pour avoir
en violation de la coutume retenu le diplôme d’Etat et autres effets de
la citoyenne MAUWA SAFALANI, son épouse.
La Cour Suprême cassa ce jugement avec renvoi en ces
termes « sans qu’il soit nécessaire d’examiner les moyens du
demandeur, la Cour Suprême de Justice soulève de justice d’office un
moyen public tiré de la violation de l’article 1er du code pénal et de
l’article 1er de l’ordonnance du 14/05/1886 sur l’application des
principes généraux du droit, en ce que le jugement attaqué a prononcé
une condamnation pénale sans indication de la loi réprimant les faits
soumis au juge ni la coutume qui l’aurait prévue, alors qu’on ne peut
condamner une personne pour une infraction qui n’est pas prévue par
la loi et pour laquelle la coutume qui l’aurait prévue n’a pas été établie
(17).
II.1.2. Appréciation critique du jugement
Par application du droit coutumier par rapport au droit
écrit, il est regrettable que la cour suprême de justice ne se soit pas
fondé sur les éléments retenus par le tribunal de sous-région (tribunal
coutumier), car le constat est que le droit écrit congolais présente des
malaises dans la manière de dire droit, et nombreux ne se voient pas

(17) C.S.J. (Kinshasa), 28/12/1979, Bull. 1984. 357, NYABIRUNGU M.S., Traité de Droit pénal général
congolais, Ed. Droit Et Société (DES), Kinshasa, 2001, p. 61.
29

condamnés ou acquittés pour des faits jugés répréhensibles par la loi


pénale ou non au mépris de règles coutumières.
Le tribunal coutumier a retenu que Sieur AMISI n’a pas
seulement violée la coutume en prenant le diplôme de son épouse,
mais enfreint la morale et la sagesse en prenant d’autres effets (habits,
vêtements, etc…) qui présente un caractère sacré à la valeur
coutumière de son épouse, ce qui constitue une atteinte grave aux
règles coutumières.
Il est donc loisible de préciser que ce décalage entre la loi
voulue (dite dans des juridictions) et la loi vécue (coutumière) engendre
des problèmes quant à la compréhension de notre droit qui, d’ailleurs,
trouve sa véritable dans les coutumes, saura par excellence et
originale du droit coutumier en Afrique.
II.2. L’AFFAIRE DU CHAT NOIR
II.2.1. Position de la question
La doctrine et la jurisprudence traditionnelles considèrent
que l’infraction surnaturelle ne saurait constituer une tentative
punissable (18).
Il s’agit comme note NYABIRUNGU d’un délit absurde, car le moyen
mis en œuvre est chimérique et ne présente aucun rapport de
convenance d’après l’expérience de la vie avec le résultat recherché.
La doctrine cite par exemple le fait pour un paysan de faire
un pèlerinage afin de tuer son ennemi ; ou encore d’utiliser une prière
ou une formule magique pour obtenir le même résultat.
Tel fut le point de vue de la cour d’appel de Kinshasa qui, dans l’affaire
dite du chat noir a puni le délit absurde.

(18) Emile LAMY L’omission criminelle en droit pénal congolais et propositions législatives, in R.J.C., 1964,
p. 225
30

II.2.2. Exposé des faits


A, Chef de Service à la Douane vient d’être muté et laisse
sur place deux collaborateurs B et CD qui l’ont remplacé, constate des
irrégularités financières. Alerté par B et C et sentant le danger, A
décide l’élimination physique de D par des moyens magiques. Il
soumet son projet criminel à ses anciens collaborateurs B et C, et ces
derniers contactent à cet effet E, un puissant féticheur, qui marque
son accord moyennant paiement.
Le féticheur tente de tuer D au moyen d’un chat noir fourni par B et C
et sur lequel il pratique des incantations, mais malheureusement sans
succès. Il contacte un autre féticheur qu’il croit plus puissant,
toujours en vain. Finalement, il se résoud à procéder autrement et tue
D d’un coup de fusil.
La Cour d’Appel de Kinshasa (19), saisie de cette affaire
retient contre le féticheur E deux préventions, à savoir, l’assassinat de
D au moyen de fusil et la tentative d’assassinat par des moyens
magiques.
II.2.3. Position de la doctrine
Il est heureux que la Cour d’Appel ait retenu cette solution
pour deux raisons :
- d’abord, même en cas de délit absurde, le délinquant manifeste
sa perversité et sa dangerosité sociale ;
- ensuite, la science moderne, dans la discipline appelée
« parapsychologie », admet la possibilité de l’action à distance par
la parole et la pensée.
« Lorsque l’on réfléchit à la lumière de la science moderne, à la
philosophie qui a cours dans nos coutumes et qui consiste à croire à la
possibilité d’agir contre quelqu’un à distance par la pensée et créer

(19) Arrêt de la Cour d’Appel de Kinshasa, inédit, 4ème feuillet rendu le 08/01/1970, en cause M.M. c/Matutu,
Nganga, Mavungu, Bunga et Bongo, rôle 415, cité par BAYONA, Discours à l’audience solennelle de la
rentrée judiciaire du 16/10/1976, in Bulletin des arrêts de la Cour Suprême de Justice, 1977, 227-238.
31

réellement par la parole, l’on se rend compte que pareille conception


des choses est chose véritable aujourd’hui sur le plan même de la
science officielle. En effet, à l’heure actuelle, des savants et des
hommes de pensée ont pris conscience de la réalité de l’univers
parapsychologique »(20).
Il est, par contre, regrettable que la Cour Suprême de
Justice, saisie de la même affaire, n’ait pas profité de l’occasion pour
faire avancer le droit sur cette question. Elle a esquivé le problème en
considérant simplement qu’il y avait eu assassinat, quelles qu’en aient
été les modalités d’exécution et ne s’est aucunement posé la question
de la tentative d’assassinat par des pratiques fétichistes (21).
II.3. L’AFFAIRE DE SORCELLERIE DU COUPLE MAKONGA ET
MPOLO
Dans une autre affaire jugée par le Tribunal de Grande
Instance de Kinshasa-Kalamu), les difficultés de statuer sur la
sorcellerie apparaissent.
II.3.1. Exposé des faits
Les conjoints MAKONGA et LUYINGA furent poursuivis
pour avoir notamment donné en consommation à la nommée
MATADILA MPOLO, une banane, qui serait mystérieusement
transformée en viande et aurait provoqué, d’une part, une altération de
l’état de santé de la jeune fille, et d’autre part, causé auprès de celle-ci
des apparitions nocturnes du couple. Après avoir retenu l’infraction
d’empoisonnement, qualification tout à fait à rejeter compte tenu des
termes de notre code pénal (décret de 1940 en R.D.C.) qui définissent
cette infraction comme un meurtre, le juge la dit non établie au motif
que le fait des apparitions mystérieuses ne constitue en rien une

(20 ) BAYONA-BA-MEYA, Parapsychologie et droit, in cahier de recherches, « PSI », n° 3, série III, 1982,
p. 236.
(21) C.S.J. 02/06/1971, R.P. 24, inédit, cité par BAYONA-BA-MEYA, Loc. cit.
32

infraction, encore que la preuve de ces apparitions mystérieuses et


nocturnes ne pourra jamais être apportée concrètement (22).
II.3.2. Appréciation de la théorie
La question de la sorcellerie a figuré à l’ordre du jour de la
Conférence Nationale Souveraine (C.N.S.) a été traitée par la
commission juridique.
Sur base de l’étude faite par la sous-commission et des
réformes juridiques, la plénière a retenu ce qui suit :
Le problème de la sorcellerie est réel « une grande partie de la
population étant convaincue qu’on peut tuer ou causer du mal par
envoûtement ».
Néanmoins, la preuve demeure difficile à rapporter.
Compte tenu de ce qui précède, il est prudent de ne légiférer, et de
recourir aux textes existants chaque fois que les circonstances de
l’espèce (aveux, témoignages…), la preuve est rapportée quant à
l’intention et aux actes matériels constitutifs de l’une ou l’autre
infraction ( 23).
La culpabilité en droit coutumier ou en droit écrit étant
difficile à établir faute de moyens de preuve, mais il est
coutumièrement admis l’existence de certains faits pratiques et
chimériques qu’on peut tuer par des forces magiques ou mystiques
étant donné l’étendue du territoire national et l’économie d’élaboration
et la codification de notre arsenal juridique d’inspiration lointaine qui
n’a pas tenu compte des réalités réelles et remarquablement connu
dans notre société.
Dans l’affaire du chat noir et celle du couple MAKONGA
MPOLO, la jurisprudence a seulement confirmé la sorcellerie, mais n’a
pas pu profiter de mettre en clair les moyens par lesquels on peut

(22) Tribunal de Grande Instance de Kinshasa, 27/02/1998, in R.D.A., 1998, 360 note de Léon KYABOBA
KASOBWA, cité par NYABIRUNGU, op.cit., p. 246.
(23 ) Rapport de la commission juridique de la Conférence Nationale Souveraine, Palais du Peuple, Kinshasa,
1992, pp. 109-110.
33

cependant imaginer les poursuites, les moyens de preuve envisagées


permettant de mettre à la portée du public les éléments nécessaires à
l’élaboration d’une norme juridique de portée coutumière applicable
dans la vie communautaire.

3. ETAT DE LA JURISPRUDENCE EN DROIT COMPARE


III.1. LA JURISPRUDENCE FRANCAISE ET BELGE
III.1.1. Etat de la question
Pour qu’un individu soit déclaré coupable, il faut l’existence
de trois éléments : la faute, le dommage et le lien de causalité.
Mais le législateur ne s’est pas contenté de faire du préjudice un
élément constitutif de l’infraction culpeuse. Il en a fait aussi la ‘’pierre
angulaire du système répressif’’(24) car les peines sont déterminées et
varient suivant le résultat.
La question qui se pose est celle de déterminer le lien de
causalité en droit écrit ou en droit coutumier.
R. SAVATIER estime que chacun de ces faits étant lui-même dû à
plusieurs activités ou observations et ainsi de suite. A mesure qu’on
remonte dans le passé, croît donc en progression géométrique, le
nombre des causes de tout dommage. Et il est vrai que si, l’un de ces
faits manquait, le dommage ne serait pas produit ( 25).
En Afrique, le lien de causalité est toujours la cause du
dommage et ce lien est toujours présumé avoir un mobile chimérique
ou magique d’une main noire agissant à distance par des formules
incantatoires soit pour causer la mort de la victime, soit lancer une
malédiction ou un mauvais sort sur son adversaire.
CARBONNIER écrivait qu’il faut imposer des limites à cette
ascension infiniment lointaine et complexe de tout dommage, de peur

(24 ) ROKOFYLLOS, Le concept de lésion et la répression de la délinquance par imprudence (essai et critique),
L.G.D.J., Paris, 1967, n° 34.
(25 ) R. SAVATIER, Traité de la responsabilité civile en droit français, 11ème Ed., L.G.D.J., Paris, 1951, n° 457.
34

que chaque homme ne soit impliqué « dans tout le mal qui déchire
l’univers »(26).

III.1.2. L’affaire HAZARD


L’affaire HAZARD s’inscrit dans ce cadre (27), le prévenu
avait été auteur d’un accident, et sa victime avait encouru la fracture
d’une côte.
Admise à l’hôpital, elle décéda à la suite d’une méningite purulente.
Hazard fut condamné pour homicide involontaire et, à
propos du lien de causalité, la Cour Suprême s’exprima ainsi.
Qu’ainsi, entre le traumatisme causé par l’accident et les
lésions, il s’est produit un enchaînement ininterrompu de
complications consécutives les unes des autres et que, dès lors, la
faute initiale du demandeur présente avec dommage un lien
nécessaire, direct et certain.
Cette affaire est difficile à établir le lien de causalité en droit
coutumier, car on sous-entend la mort d’un jeune tué par des paroles
mystiques.
III.1.3. Affaire KASONGO et TSHIBOLA
1. Exposé des faits
Dans une interview accordée au chef coutumier KOMBO du
Territoire de Sakania, District du Haut-Katanga, Province du Katanga
en R.D.C. Une affaire était pendante devant la chefferie coutumière de
Kombo de Monsieur KASONGO, jeune homme de 20 ans présumé
avoir volé du maïs dans un champ de la Sœur TSHIBOLA. Ayant
découvert ce dégât, TSHIBOLA tua le jeune KASONGO à l’aide d’une
formule magique. Avant l’enterrement, le cercueil survolait en l’air à la
recherche du présumé tueur du jeune homme jusqu’à la maison
TSHIBOLA qui avoua l’avoir tué par une formule magique et le tribunal

(26) S. CARBONNIER, Droit civil, 4ème Ed., P.U.F., Coll. Thémis, Paris, 1972, p. 322.
(27)Cass. Belge, 15/10/1974
35

coutumier avait condamné TSHIBOLA pour sorcellerie grâce à la


pratique du survol du cercueil communément appelé ‘’Londola en
langue Bemba’’ qui signifie rechercher l’auteur de la mort ( 28).
Voilà comment le lien de causalité est toujours source des
conflits en Afrique et au Katanga en particulier.

III.2. LA JURISPRUDENCE CAMEROUNAISE


1. JUGEMENT N° 831/COR/DU 27/06/1966 DU TRIBUNAL DE
PREMIÈRE INSTANCE DE NGAOUNDERE CONFIRMÉ PAR LA
COUR D’APPEL DE CADAMAOVA. L’ARRÊT N° 80/COR DU
16/12/1999

L’Affaire DILLA SOMON contre KEREBAI Noël


1. Exposé des faits
L’enfant DILLA est malade et conduit chez un tradipraticien
qui relève que celui-ci est victime d’un envoûtement orchestré par les
nommé KEREBAI Noel. Le Sieur DILLA Simon saisit le Tribunal de
Mouaundere, dans le but d’entendre le prévenu condamné pour
pratique de sorcellerie conformément à l’article 251 du code pénal.
L’enquête préliminaire a permis de découvrir au domicile du prévenu
KEREBAI Noël, un sachet en plastic noir contenant des produits
maléfiques dont il se servait pour son entreprise mystique.
Le prévenu ayant reconnu les faits, prétend que ce paquet
lui a été remis par le nommé ZAKI, en fuite pour aller faire du mal au
Sieur DILLA Simon.
Le Tribunal déclare coupable du délit de pratique de
sorcellerie conformément aux articles 74 et 251 du code pénal
camerounais. Cependant, lui accorde de circonstances atténuantes
pour ses aveux spontanés et le condamne à un an d’emprisonnement
ferme.
Le Ministère Public interjette l’appel le 05/04/1999 dans l’acte d’appel,
une critique essentielle est fulminée contre la décision des premiers

(28) L’interview accordée au chef coutumier KOMBO de la chefferie KOMBO, Cité de Kasumbalesa, à 95 km de
la Ville de Lubumbashi, Province du Katanga en R.D.C.
36

juges. En effet, le Ministère Public reproche aux juges d’instances


d’avoir prononcé une peine très douce pour une infraction aussi grave
que la pratique de la sorcellerie.
2. Jugement du Tribunal de Ngaoundere le 27/06/1996 statuant
en matière correctionnelle
Le Tribunal de Première Instance.
Vu les pièces du dossier de la procédure,
- Attendu que suivant le procès-verbal d’interrogatoire du Parquet
en cas de flagrant délit de Monsieur le Procureur de la
République près le Tribunal de céans statuant en matière
correctionnelle, pour répondre des faits de pratique de
sorcellerie, prévus et punis par les articles 74 et 251 du code
pénal commis courant 1996 à Sindere (Belel) au préjudice de
DILLA Simon ;
- Attendu qu’il y a lieu de statuer par défaut à l’égard du plaignant
qui ne compare pas et par jugement contradictoire à l’égard du
prévenu ;
- Attendu qu’il résulte des faits de la cause que courant avril 1996
au village Sindere (Belel), l’enfant de DILLA Simon tomba malade
et il l’amena chez un tradipraticien qui révéla que l’enfant était
envoûté par deux personnes dont les prévenus KEREBAI Noël et
le nommé ZAKI, ce dernier ayant pris fuite après l’arrestation du
prévenu ;
- Attendu qu’à l’enquête préliminaire, comme au cours des débats
en audience publique, le prévenu a reconnu partiellement les
faits et a déclaré le nommé ZAKI lui avait remis un sachet
contenant des produits maléfiques, en vue d’aller faire du mal à
DILLA Simon ;
37

- Que sur insistance de son ami ZAKI, il avait pris le colis pour
aller le garder chez lui ; qu’il ne sait pas trop comment la victime
en était informée et était venue l’interroger à ce sujet ;
- Attendu qu’il est produit aux débats un scellé constitué d’un
sachet en plastic noir contenant lesdits effets maléfiques que le
prévenu reconnaît avoir reçu de son acolyte ZAKI qui a pris fuite
après l’arrestation du prévenu ;
- Attendu de ce qui précède, il résulte suffisante contre KEREBAI
Noël de s’être rendu à Sindere, ressort judiciaire de céans
courant 1996, livré des pratiques de sorcellerie, magie ou
divination susceptible de troubler l’ordre ou la tranquillité
publique ou de porter atteinte aux personnes en détenant les
objets maléfiques qu’ont servi à envoûter l’enfant de DILLA
Simon, plaignant ;
- Attendu que ces faits constitutifs de pratique de sorcellerie et
qu’il y a lieu d’en déclarer le prévenu coupable ;
- Attendu cependant que pour ces aveux spontanés, il y a lieu de
lui accorder le bénéfice des dispositions bienveillantes de l’article
72 sur les circonstances atténuantes ;
- Attendu que les dépenses sont à la charge de la partie qui
succombe ;
Par ces motifs,
Statuant publiquement en matière correctionnelle et ce, premier
ressort par un jugement contradictoire à l’égard du prévenu et par
défaut de la partie civile :
- déclare KEREBAI Noël coupable de pratique de la sorcellerie ;
- lui accorde des circonstances atténuantes pour ses aveux
spontanés à 1 an d’emprisonnement ferme et aux dépens ;
- ordonne la confiscation et la destruction de scellés n° 88/CT/NG
du 14/05/1996.
38

3. Arrêt n° 80/COR du 16/12/1996 de la Cour d’Appel de


Cadamaova
Affaire Ministère Public (appelant) contre KEREBAI Noël
(prévenu) et DILLA Simon (partie intimée)
Par Victorine KI.
Assistance de la Cour du jugement n° 831/COR du 27/06/1996
- Vu l’appel du 28/06/1996 ;
- Oui, Monsieur le Président en la lecture de son rapport ;
- Oui, le Ministère Public en ses réquisitions ;
- Nul pour les parties non comparant ;
- Nul les pièces du dossier de la procédure ;
- Et après avoir délibéré conformément à la loi
En la forme
Considérant que l’appel interjeté le 28/06/1996 par le
Ministère Public contre le jugement n° 831/COR rendu le 27/06/1996
par le Tribunal de Première Instance de Ngaoundere est régulier pour
avoir été fait dans les formes et délais légaux.
Considérant que les parties ne comparaissent pas bien
qu’ayant été régulièrement citées ; qu’il s’en suit que la décision est
par défaut contre eux ;
Au fond
Considérant que le ministère public fait grief au premier
juge d’avoir prononcé une peine très douce pour une infraction aussi
grave que la pratique de sorcellerie.
Considérant que le grief est pertinent que la peine d’un an
infligé au premier n’est pas de nature à le dissuader, à récidiver.
Il échet par voie de conséquence de confirmer le jugement
sur la culpabilité et sur la destruction du scellé et de l’amender quant
à la peine dans son aggravation ; et considérant que le prévenu
succombe qu’il importe de mettre les dépenses à sa charge ;
39

Par ces motifs


Statuant publiquement par arrêt de défaut à l’égard des
parties, en matière correctionnelle et en dernier ressort.
En forme
Reçoit l’appel
Au fond
Confirme la culpabilité ;
Condamne le prévenu à deux ans d’emprisonnement ferme
de cinquante mille francs d’amende à 100.000 francs conformément à
l’article 251 du code pénal camerounais ;
Confirme le surplus ;
Décerne mandat d’arrêt contre lui.
4.5. Commentaire
L’article 251 du code pénal camerounais qui traite de la
sorcellerie est ainsi libellé « est puni d’un emprisonnement de deux à
dix ans et d’une amende de 5.000 à 100.000 francs celui qui se livre à
des pratiques de sorcellerie (magie ou divination susceptible de
troubler l’ordre et la tranquillité publique ou de porter atteinte aux
personnes, aux biens ou à la fortune d’autrui même sous forme de
rétribution.
De la lecture de l’article 251 du code pénal, il ressort que
les moyens de la sorcellerie sont divers ; détention des produits
maléfiques, de la magie ou de la divination29. Le droit pénal
camerounais reconnaît clairement la pratique de la sorcellerie admise
par le droit coutumier et la légifère d’une manière expresse. Il est donc
souhaitable que le législateur congolais se penche sur la question du
lieu de créer un certain obscurantisme qui met en danger la paix dans
les familles et renvoie la population à créer des tribunaux populaires
au mépris des dispositions légales en la matière.

29
Sorcellerie camerounaise : http//www.afrilex.ubordeau.4.fr
40

CONCLUSION
Le traitement de la culpabilité par le droit coutumier, sa
conception et sa base tel est le thème ayant attiré notre attention
particulièrement à l’issue de notre démarche scientifique.
Au demeurant, la conception de la culpabilité en droit
coutumier se ramène à la détermination du régime juridique applicable
soit pour châtier, corriger, punir toute personne qui se comporterait en
marge des règles et usages issus de la coutume.
En effet, il faut reconnaître qu’en dépit du droit pénal écrit
caractérisé par la sanction en vertu du principe « nullum crimen nulla
poena sine lege », le droit pénal coutumier par ailleurs se manifeste par
un système basé sur l’arbitrage que sur la punition (sanction).
Il va sans dire que le droit coutumier est un ensemble des
valeurs sacrés, droit qui procède du mystique ou magies religieux dont
le clivage entre le sacré et le réel se superposant par le recours aux
mânes des ancêtres, à la sagesse incarné dans les autorités
coutumières qui sont soit le chef de tribu ou le chef du village.
Saisir la conception de la culpabilité et sa base en droit
coutumier revient à réfléchir sur la notion même de la coutume qui est
violée par un membre composant la communauté ou un groupe social.
Or, le droit coutumier étant essentiellement clanique, ou le
sens du communautarisme l’emporte que le reflet de l’individualité,
chacun étant considéré par rapport à la société qui le créée, l’éduque,
l’initie au sens de la vie, sa base se trouve liée à l’esprit de solidarité et
du groupe.
Dans les sociétés juridiquement et coutumièrement
organisées, par exemple le vol d’un œuf était un délit grave car on
estime qu’un individu qui vole un œuf est considéré comme un voleur
qualifié ; il en est de même du vol de la viande dans une casserole en
ébullition sur le feu.
41

De même l’adultère répété avec la femme d’un chef pouvait


être puni de la peine de mort ou encore des mutilations, l’ablation des
oreilles, des mains, des yeux ou encore de la verge.
Par ailleurs, la sorcellerie dans les coutumes Bemba et
Sanga dans la province sud du Katanga en RDC, n’était pas considéré
comme étant nuisible, mais plutôt était un mécanisme par lequel les
vieux pouvaient châtier les récalcitrants ou ceux qui violeraient la
coutume de manière délibérée.
Comme on peut le remarquer, la conception de la
culpabilité dans les sociétés primitives était basé sur l’idée de
répartition qui procède de l’arbitrage et non et de la punition et sa base
était incarné dan le système de solidarité et l’attachement de l’individu
au groupe dans un ordre traditionnellement organisé.
Il convient donc de préciser que le droit coutumier étant un
droit sacré, mystique, religieux et original procède donc dans les
règlements des différends entre individus ou groupe d’individus
composant une communauté d’un système basé sur l’arbitrage que sur
la punition ; sa conception de la culpabilité reflète la pensée et la
sagesse populaire des anciens, encré dans la coutume, les us et
pratiques envisagés comme valant droit à la fois ordre moral et sens
du communautarisme.
De même sa base juridique est caractéristique de l’élément
psychologique qui consiste dans la croyance dans la sagesse et
l’expérience des vielles personnes dont l’initiation à la pratique secrète,
coutumière ou ancestrale socle des valeurs incarnées par les chefs
coutumiers à travers les mânes des ancêtres morts, qui ne sont pas
morts mais qui se trouvent dans le cœur et les esprits de ceux qui les
invoquent dans le respect de la coutume.
42

Le traitement de la culpabilité en droit coutumier étant


l’apanage des tribunaux coutumiers dont les notabilités jouaient un
rôle prépondérant.
S’il est loisible de préciser que la procédure suivie se diffère
de celle envisagée dans le droit écrit qui résulte des moyens de preuves
civiles (présomption, témoignage, aveu…) ou pénales, le droit
coutumier, ne reconnaît pas la preuve par excellence car celle-ci étant
administrée par des pratiques secrets incarnés dans le sens du sacré,
du fétichisme voir mystico-réligieux dont les devins, les vieux sorciers
et les notabilités qui entouraient les chefs de villages ou des tribus
savaient manipuler à juste cause.
Pouvons-nous alors que le sacré est socle du droit
coutumier et la coutume source première et originale de ce droit qui
trouve sa quintessence dans l’oralité des procès et la sagesse populaire
des vieux comme fondement de la paix sociale et communautaire.
43

BIBLIOGRAPHIE

I. TEXTES DES LOIS ET JURISPRUDENCES

1) Bulletin des juridictions indigène du Congo belge, 1931 et de


1960 ;
2) Charte coloniale du 18 octobre 1908 (Congo belge).
3) Cour suprême de la justice, du 02 juin 1971. RP. 24 inédit ;
4) Cassation Belge du 15 octobre 1974. I.162 ;
5) Cours suprême de justice (Kinshasa 28 décembre 1979) ;
bulletin. 1984, 357 ;
6) Tribunal de grande instance de Kinshasa, 27 février 1998. in
RDA, 360 ;
7) Constitution de la transition du 05 avril 2003 en RDC ;
8) Constitution du 18 février 2006 en RDC ;
9) Arrêt de la cour d’appel de Kinshasa, inédit, 4 juillet, rendu
le 08 janvier 1970 ;
10) Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille en
RDC.
II. OUVRAGES ET REVUES

1) AKELE A. et SITA M.A. : « Le droit pénal congolais » in l’état


de droit, revue de la faculté de droit n°1, Université
protestante du Congo, Kinshasa 1979 ;
2) Alain SOUPIOT, Essai anthropologique de la fonction du
droit, éd. Du seuil, Paris 2005 ;
3) Antoine SOHIER : Le mariage en droit coutumier congolais,
institut royal colonial belge, mémoires, Coll. In 82, Tome XI
fascicule 3 et dernier, librairie Falk, fiche, Bruxelles 1943 ;
44

4) Antoine SOHIER : Pratique des juridictions indigènes, éd.


Ferninand Larcier, Bruxelles 1932 ;
5) Antoine SOHIER : Traité élémentaire de droit coutumier du
Congo belge, 2ème éd. Ferdinand Larcier, Bruxelles 1954 ;
6) COMHAIRE et ALI : le nouveau dossier Afrique : situation et
perspective, Marabout université, Paris 1971 ;
7) Emille LAMY : l’omission criminelle en droit pénale congolais
et propositions législatives, In RJC 1964 ;
8) Jean CARBONNIER, droit civil, 4ème édition, PUF, coll.
Themis, Paris 1972 ;
9) MBATE KEBA : « Afrique noir : droit » in Encyclopédia
Universalis, corpus I, France SA, Paris 1989 ;
10) NYABIRUNGU M.S. : Traité de droit pénal congolais, éd. DES,
Kinshasa, 2001 ;
11) Rapport de la commission juridique : conférence nationale
souveraine, Palais du peuple, Kinshasa 1992 ;
12) ROKOFYLLOS R., Le concept de lésion et la répression de la
délinquance par imprudence (essai critique) LGDJ, Paris
1957 ;
13) SAVATIER R. : Traité de la responsabilité civile en droit
français, 11ème éd. LGDJ ; Paris 1951, n°457 ;
14) Sorcellerie camerounaise : http//www.afrilex.urbordeau.4.fr

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