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Leçon introductive
Description : l’introduction est assez longue, car elle porte tant sur le droit pénal
général, que sur le système répressif pénal dans son ensemble, le droit pénal général en
constituant (avec la procédure pénale) le premier et le principal élément.
Conseils méthodologiques : …
Durée de la leçon : 3 h 00
Sommaire :
Le droit pénal est le droit de la peine. « Pénal » provient, en effet, du latin poena qui
signifie « peine ». La peine est, selon la plupart des dictionnaires, « ce que l’on fait subir
à l’auteur d’un délit, d’une faute ou d’un crime pour le punir, le châtier » (CNRTL). Ce
délit, cette faute, ce crime, c’est qu’on appelle aujourd’hui l’infraction.
Ce qui signifie qu’un droit, c’est-à-dire un ensemble de règles juridiques, peut conduire,
lorsqu’une infraction est commise par une personne (un vol, un viol, un meurtre, mais
aussi un excès de vitesse, une prise illégale d’intérêts ou encore une construction sans
permis), à ce que cette dernière soit punie, c’est-à-dire qu’elle paye une amende, qu’elle
aille en prison, qu’elle respecte, sous contrainte, certaines obligations (contrainte pénale)
ou encore, selon les lieux ou les époques, qu’elle porte un certain costume
(banqueroute), qu’elle perde sa main voire qu’elle perde sa vie.
Il est question de défendre la société et les individus qui la composent, d’où l’importance
de ce droit.
Ce droit est, de tous les droits, le plus grave en raison de ses conséquences (Blaise
Pascal, Carbonnier), aussi sa violence doit-elle être contenue par des principes puissants,
par une éthique et/ou un humanisme, le principal de ces principes étant le principe de
légalité, en vertu duquel tout ce qui concerne la punition étatique doit procéder du
législateur, c’est-à-dire du représentant du peuple. De même, un juge, c’est-à-dire un
magistrat indépendant et impartial, doit-il intervenir à chaque fois que la privation de la
liberté d’une personne est encourue en vertu de la loi (vous verrez cela au 2 nd semestre
en procédure pénale). C’est dire, qu’en droit pénal, la radicalité de la sanction doit
correspondre une subtilité des règles qui y conduisent (des « arguties juridiques » disent
certains péjorativement).
Cet équilibre a été atteint à l’issue d’une évolution qui doit être esquissée, fût-ce de
façon un peu caricaturale (section 1 : une rapide esquisse de l’histoire du droit
pénal). Le droit pénal « général », objet de notre étude de ce 1 er semestre, est l’un des
résultats de cette évolution, qui expose la théorie générale de la répression pénale du
point de vue du fond (la forme générale, la procédure de droit commun, sera
effectivement vue au 2nd semestre), c’est-à-dire les règles communes à toutes les
infractions et à toutes les peines (section 2 : un premier aperçu du droit pénal
général).
L’histoire du droit pénal français est marquée par quatre grandes périodes : avant la
Révolution française (§ 1), durant cette Révolution (§ 2), puis sous l’empire de nos deux
codes modernes que sont, d’abord, le Code pénal de 1810 (§ 3), que l’on qualifie
d’« ancien Code pénal » (que les plus vieux d’entre nous ont connu), puis le Code pénal
de 1992, Code pénal actuel (§ 4).
§ 1 : AVANT LA RÉVOLUTION
La répression est, sans doute, vieille comme le Droit. Et, au départ, elle est
exclusivement pénale en ce sens qu’elle est construite à partir de la peine : il s’agit, par
l’entremise de la fulmination et de la menace d’une punition, de contrôler socialement la
violence en réprimant auteurs réels et potentiels : on stoppe les premiers en les
punissant ; on décourage les seconds en les menaçant (ce sont les deux sens du mot
« réprimer »).
Les premiers grands textes juridiques sont d’ailleurs, bien souvent, au moins en partie,
de nature pénale :
- Code d’Ur-Nammu (réunion d’un prologue et de 57 lois qui date de 2100 av. JC. Ex. :
« Si un homme commet un meurtre, cet homme doit être tué ») en Mésopotamie (entre
le Tigre et l’Euphrate, en Irak actuelle) ;
- Code de Hammurabi (au Louvre ! Prologue, lois et décisions du Roi, un peu moins de
300 articles, puis épilogue qui datent de 1750 av. JC. Ex. : « Si quelqu’un a accusé
quelqu’un et lui a imputé un meurtre mais ne l’a pas confondu, l’accusateur sera mis à
mort ») en Mésopotamie aussi ;
- Loi des XII Tables (faite, durant la République, pour la plèbe en -451. Ex. : sur la table
VIII relative aux délits civils, par ex., on peut lire que « celui qui aura mis le feu à un
bâtiment, ou à un tas de blé près d’une maison, sera enchaîné, battu de verges et jeté
au feu, s’il a agi sciemment. Mais si c’est par négligence, il devra réparer le dommage ;
ou s’il n’est pas solvable, subi un léger châtiment ») à Rome …
La réaction est d’abord privée : la victime peut, dans une certaine mesure, exercer sa
vengeance puis, à la place, exiger une réparation pécuniaire (composition volontaire). À
défaut de réparation, la vengeance reprend sa place.
La réaction devient ensuite publique, l’agression contre le membre d’une société étant
alors perçue comme la cause, non seulement d’un préjudice privé, mais aussi d’un
trouble public. C’est le temps de l’apparition de l’État (XIVe s. en France), dont
l’organisation de la répression représente l’un des fondements de la souveraineté.
Et l’on constate que le droit pénal, initialement privé, est en vérité davantage un droit
public.
Quoi qu’il en soit, en raison de ses conséquences, et malgré ses origines modératrices, ce
droit est celui qui finit par susciter les plus grands excès et, parallèlement, les plus
Quitte à punir un animal, comme dans le fameux procès de Falaise, en Normandie où, en
1386, un juge condamne une truie, pour avoir mordu mortellement la jambe et le visage
d’un enfant, la fait mutiler aux mêmes endroits et pendre par les jarrets, après l’avoir
humanisée en l’affublant d’un haut de chausses, d’une veste et de gants blancs à ses
sabots antérieurs.
De plus, faute d’encadrement suffisant des personnes compétentes pour prononcer ces
peines (juges et du monarque lui-même ; présence de simples coutumes), elles sont
fulminées arbitrairement (c’est-à-dire selon la seule volonté du juge, le mot prenant un
sens péjoratif à cette époque), ce qui rend d’autant plus insupportable les erreurs
judiciaires et les peines qui vont avec.
Ex. célèbre : affaire Calas. À Toulouse, en 1762, Jean Calas est condamné à mort (et
plus précisément, à être roué de coups, étranglé puis brûlé) pour le meurtre de son fils.
En vérité, les preuves sont faibles, et Calas a surtout contre lui d’être protestant.
Voltaire, contacté par un autre fils de Calas, publie un Traité sur la tolérance en 1763,
Ex. 2 : affaire du chevalier de La Barre. Durant l’été 1765, deux actes de profanation
sont découverts à Abbeville (dans la Somme) : des entailles ont été faites sur le crucifix
d’un pont de la ville et des immondices ont été déposées sur une représentation du
Christ dans un cimetière. Les soupçons se portent sur plusieurs jeunes hommes, réputés
peu respectueux de la religion, dont le chevalier de La Barre, qui nie les faits. Son procès
est mené sur la base de simples ouï-dire ; il est pourtant condamné pour « impiété,
blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables » à faire amende honorable, à avoir la
langue tranchée, à être décapité et brûlé. Il faut dire qu’on avait trouvé chez lui un
Dictionnaire philosophique de Voltaire. Lors de son exécution, il porte dans le dos une
pancarte sur laquelle est écrit « impie, blasphémateur et sacrilège exécrable ». Mais son
courage est tel qu’on renonce à lui arracher la langue. Le bourreau le décapite d’un coup
de sabre. Puis son corps est jeté au bûcher, ainsi qu’un exemplaire du Dictionnaire
philosophique qui lui a été cloué sur le torse. Il était âgé de vingt ans. Voltaire s’indigne
tardivement (il était pris par les deux premières affaires), ce dont profitent cependant les
autres accusés. Dans son article « Torture » de l’édition de 1769 du Dictionnaire
philosophique, Voltaire fera le récit du martyre du chevalier de La Barre. Le chevalier de
La Barre sera réhabilité par la Convention le 25 brumaire an II (15 novembre 1793).
Il apparaît alors, au cours surtout du XVIIIe siècle, que le droit pénal, parce qu’il met en
jeu la plus terrible des armes juridiques, doit se donner des principes.
En ce sens, Montesquieu, lui-même magistrat, dans l’Esprit des lois, en 1748, incite à la
détermination et à la modération des peines. À sa suite, un marquis et économiste
italien, Cesare Beccaria, publie en 1764 un petit livre qui va faire, à juste titre, beaucoup
de bruit : Des délits et des peines. Dei delitti e delle pene. Ce livre contient, en peu de
pages, tous les principes d’un droit pénal moderne qui, fondé à partir d’une doctrine
humaniste et utilitariste, ne pourrait être justifié que nécessaire, égalitaire, sécuritaire et
Avant cela, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée le 26 août 1789
lie droit pénal et loi dans plusieurs de ces articles. L’article 8, notamment, pose que « la
Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut
être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et
légalement appliquée ». Les principes du droit pénal moderne sont posés et, à quelques
exceptions près, ils ne seront plus sérieusement remis en cause.
Le Code pénal de 1791 est, avec la Constitution de 1791 (qui contient aussi des règles de
droit pénal inspirées de la DDHC), l’un des principaux travaux de l’Assemblée
constituante. Quelques semaines avant, l’Assemblée constituante avait aussi adopté, les
19 et 22 juillet 1791, des lois relatives à la police correctionnelle et à la police
municipale, tandis que la loi des 16-19 septembre 1791 avait introduit une innovation
fondamentale et symbolique en matière de jugement criminel : le jury. Le rapporteur du
projet est Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau (assassiné par un royaliste la veille de
l’exécution de Louis XVI, qu’il avait votée).
Le Code pénal de 1791 est une œuvre originale, car il ne s’agit pas, comme pour le Code
civil, d’assurer un compromis des droits passés, mais d’opérer une rupture totale. Ce
Code est très centré sur les infractions les plus graves. Il n’empêche qu’il promeut la
modération des peines et il s’en faut même de peu pour qu’il abolisse totalement la peine
de mort. Les peines privatives de liberté sont, en tout cas, perçues comme un progrès,
Puis débutèrent des travaux pour adopter un nouveau Code pénal : le 7 germinal an IX
(21 mars 1801) fut nommée une commission de cinq membres chargée de rédiger ce
nouveau code: Viellart, Target, Oudart, Treilhard et Blondel, juristes et praticiens
éprouvés, qui se réunissaient chez André Joseph Abrial, ministre de la Justice. Dès juillet
1801, ils soumettaient au gouvernement et au Conseil d’État un avant-projet de « Code
criminel, correctionnel et de police » comptant 1169 articles. Mais son aboutissement
devait être encore long, à tel point qu’un Code d’instruction criminelle était adopté avant
lui, en 1808.
Après consultation en 1804 des tribunaux criminels et des cours d’appel, il fallut attendre
1808, après une dizaine de réunions tenues en 1804, pour que le Conseil d’État se
penche sur le texte. Le Code fut adopté par l’intermédiaire de sept lois, décrétées entre
le 12 et le 20 février 1810 et promulguées entre le 22 février et le 2 mars ; il entra en
vigueur, en même temps que le Code d’instruction criminelle (ancêtre du Code de
procédure pénale), le 1er janvier 1811, et le fut jusqu’en 1994.
En revanche, mais toujours par recherche de sévérité, la fixité des peines est
partiellement abandonnée, le juge devant, la plupart du temps, déterminer une peine
dans une fourchette (maximum et minimum). Les circonstances aggravantes et
atténuantes (généralisées par la loi du 28 avril 1832, qui supprime aussi les châtiments
corporels et particularise les infractions politiques) autorisent toutefois leur dépassement.
De même, les principes de Beccaria n’étaient pas remis en cause (en ce sens, ce code
est, à l’instar du Code civil, un code de compromis), mais certaines incriminations, par
exemple celle du vagabondage, n’étaient pas très en phase avec eux. Cette
incrimination, en effet, ne « vise pas véritablement des faits, mais plutôt une conduite
qui est présumée être celle de personnes commettant habituellement des délits
généralement non sanctionnables parce que non prouvables » (J.-F. Chassaing, Les trois
codes français et l’évolution des principes fondateurs du droit pénal contemporain, RSC
1993-3).
Au cours des XIXe et XXe siècles, durant lesquels le code pénal de 1810 demeure en
vigueur, de nombreuses réformes interviennent, notamment pendant la seconde
restauration, la monarchie de juillet et la IIIe République, qui modifient la conception que
l’on peut se faire du droit pénal. Pour résumer : plus d’interdits (infractions dans des
domaines très techniques, dans comme en dehors du Code pénal) mais moins de
sévérité lors de leur violation (adoucissement et aménagement des peines).
Même si la mode n’était pas aussi en vogue qu’aujourd’hui, il y eut, au cours du XXe
siècle, plusieurs projets de réforme totale de la législation pénale (ex. en 1934 : projet
Matter notamment, magistrat à la Cour de cassation ; travaux de réforme sous
l’impulsion de Jean Foyer à partir de 1966). Ce n’est cependant que par l’entremise de
quatre lois du 22 juillet 1992, d’une loi du 16 décembre 1992 et d’un décret du 29 mars
1993 qu’un Code pénal nouveau fut adopté (le Code de 1810 était devenu le plus ancien
du monde).
Pour l’essentiel, ce code, qui est entré en vigueur en 1994 et l’est encore aujourd’hui, ne
fait qu’entériner les réformes des XIXe et XXe siècles (ex. : individualisation des peines),
ainsi que certaines créations jurisprudentielles (ex. : état de nécessité). Il est plus clair
que son prédécesseur, ce qui est sa principale vertu. Étrangement, les peines, bien
qu’enfin dépourvues de toute cruauté ainsi que de tout caractère définitif, sont encore
alourdies par rapport au dernier état du code pénal de 1810 (on est loin de Ihering, qui
prétendait que l’histoire de la peine était celle d’une abolition constante).
Tout au plus le code pénal de 1992 consacre-t-il la responsabilité pénale des personnes
morales et l’infraction de mise en danger délibérée, deux créations dont les juges et la
doctrine ont encore du mal à cerner les frontières précises, on y reviendra.
Par ailleurs, le terrorisme conduit à multiplier des lois pas toujours soucieuses des
principes répressifs…
Quelques exemples de lois adoptées après l’entrée en vigueur du Code pénal de 1992 :
- les lois sur la récidive : 13 décembre 2005, 10 août 2007, 10 mars 2010, 14 mars 2011
et loi du 15 août 2014 ;
- les lois sur le terrorisme : 9 septembre 1986, 21 janvier 1995, 22 juillet 1996, 30
décembre 1996, 29 décembre 1997, 15 novembre 2001, 29 août 2002, 18 mars 2003, 9
mars 2004, 23 janvier 2006, 1er décembre 2008, 14 mars 2011, 21 décembre 2012, 13
novembre 2014, 24 juillet 2015, 22 mars 2016, 3 juin 2016 et 21 juillet 2016, 11 juillet
2017 et loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le
terrorisme.
- la loi la plus récente est la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la
Justice, qui modifie surtout la procédure pénale et le droit des peines.
D’un point de vue théorique, les réflexions contemporaines sont sans doute moins riches
qu’à une certaine époque.
Sans doute faut-il mettre en avant les écrits forts du philosophe Michel Foucault (notam.
Surveiller et punir, 1975 ; Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France,
1978-1979), qui a notamment insisté sur la nécessité de toujours s’interroger sur le droit
de punir et sur le pouvoir que cela sous-tend : pouvoir souverain (punition), pouvoir
Le grand problème est celui de la prison, le droit pénal y étant souvent réduit, alors que
bien d’autres modes de traitement de délinquance existent.
Par ailleurs, on oublie trop souvent que le principe qui justifie l’acception de la répression
est la sûreté, sur laquelle il faut également dire quelques mots : la sûreté comme
principe (§ 4).
Une des fonctions du Droit est donc de punir et, on vient de le voir, c’est l’État qui
dispose aujourd’hui du monopole de cette prérogative. C’est, en effet, que le Droit n’a
pas seulement pour but de rétablir des équilibres perdus ; il impose aussi des
comportements, autrement dit fixe des normes à suivre :
- mais aussi plus ponctuelles et plus précises : tu ne tueras pas, tu ne voleras pas etc.
À l’appui de ce dernier but, qui n’est pas le moindre dans l’optique d’une vie en société,
le Droit dispose notamment de la plus terrible des armes : la peine.
Ce texte, pour être plus symbolique qu’opératoire, est néanmoins important. Il montre,
d’abord, l’imbrication du droit pénal et de la peine. Car ce qu’il présente comme
des buts de la peine (« afin de…, la peine… ») sont, en réalité, les buts du droit pénal :
assurer la protection de la société, prévenir la commission de nouvelles infractions et
restaurer l’équilibre social.
La peine est, en tant que sanction, d’une telle puissance, que l’on résume volontiers les
règles qui l’encadrent à la constitution d’un droit auxiliaire, c’est-à-dire, à l’instar de
toutes les procédures, d’un droit privé de substance propre, qui serait au service des
autres droits. En droit pénal, il ne serait ainsi question que de se mettre à l’appui de
valeurs fixées par ailleurs, par les droits privé et public : famille, propriété, bonne foi
contractuelle, probité des agents publics etc. Autrement dit, le droit pénal serait moins
un droit propre que la sanction de tous les autres (la formule est de Rousseau et a été
reprise de Portalis) ; un droit sanctionnateur en somme.
Il est vrai que la sanction pénale vient un renfort de nombre de normes qui ne sont pas,
à la base, de nature répressive : c’est ainsi qu’il existe un droit pénal des affaires, un
droit pénal du travail, un droit pénal de l’environnement, un droit pénal de la presse, un
droit pénal de la bioéthique ou encore un droit pénal de la consommation. Plus encore,
chacun des grands piliers du droit bénéficie du protectorat pénal : la famille, la propriété
et le contrat. Au centre de tout, la personne humaine, sans qui le droit ne serait rien,
puisqu’il est tout entier construit pour elle, trouve également, en le droit pénal, son
meilleur défenseur.
Mais si la peine justifie indéniablement qu’un droit propre, avec ses aspects de fond et de
forme, encadre son prononcé puis son exécution (quelle peine peut-on infliger ?
Comment s’applique-t-elle ? Peut-on la modifier au fur et à mesure de son application ?
etc.), on oublie trop souvent que la fonction principale de cette sanction reste de ne pas
être prononcée ; par la menace qu’elle représente, la peine incite à certains
comportements et, surtout, décourage à d’autres. La peine est une épée de Damoclès
(épée de Denys en vérité, ancien tyran de Syracuse, trahi par le roi des orfèvres).
Dès lors, non seulement, le droit pénal a surtout pour fonction de prévenir des
comportements (comme le relevait Lombois, « il y a plus d’avantages, pour la société, à
voir diminuer le nombre des victimes de l’alcoolisme au volant qu’à constater que
prospère la statistique des mois de prison dispensés aux éthyloconducteurs »). On dit
ainsi de la règle répressive qu’elle est comminatoire (qui menace pour intimider), la
peine représentant, à la fois, une intimidation (si tu fais cela, tu…) et un exemple (celui
qui a fait cela a…).
Plus encore, en assortissant un comportement d’une peine, le droit pénal fait plus que
créer des normes. Il sélectionne les valeurs qui méritent d’être préservées de la sorte,
voire promeut des valeurs non encore considérées par les autres droits (la vie humaine
par ex., qui n’est quand même pas la moindre de nos valeurs, mais aussi,
historiquement, la propriété, qui a été créée à Rome à partir de la prohibition, du vol).
On protège ces valeurs en empêchant quiconque d’y porter atteinte car, s’il le fait, il
subira donc une peine. C’est l’aspect dit déterminateur et normatif du droit pénal, qui
n’est donc pas qu’un droit sanctionnateur.
La lecture du Code pénal permet alors de connaître ce qui importe avec une particulière
acuité d’un point de vue social ; on parle parfois, à cet égard, de la fonction expressive
du droit pénal (R. Badinter, Projet de nouveau Code pénal, Dalloz, 1988, p. 10-11).
Autrement dit, tout ce qui est important pour une société se trouve dans son code
pénal : protéger la vie, la dignité, la propriété ; lutter contre la corruption, les
discriminations etc.
Ensuite, l’article 130-1 définit ce qu’est la peine : une sanction, mais pas
n’importe laquelle. Il ne s’agit ni de rétablir (quand on peut, par ex. annuler un contrat
ou encore un mariage), ni de réparer (quand on ne peut plus rétablir, par ex. donner une
somme d’argent à celui qui a perdu un bras ou une chance), sanctions qui permettent
d’effacer la méconnaissance d’une règle. Il s’agit, au contraire, de donner un effet à la
méconnaissance de la règle. Comme l’a dit une fois de plus Lombois, « punir un
manquement à la règle, c’est l’admettre et, plus, l’officialiser. Quand un tribunal
correctionnel envoie en prison un voleur, il constate, avec toute l’autorité de la chose
jugée, qu’il y a, en ce pays, des citoyens qui méprisent la propriété d’autrui. Quand la
cour d’assises du Rhône condamne Klaus Barbie à la réclusion à perpétuité, elle affirme
que les crimes contre l’humanité ne sont pas une vue de l’esprit ».
« La sanction pénale n’est en rien réparatrice, d’où il suit : qu’elle se cumule avec la
réparation : outre la punition à laquelle ils auront été condamnés, le voleur restituera ce
qu’il a pris ou en paiera la valeur, le meurtrier compensera par des dommages-intérêts le
tort qu’il a fait aux proches de la victime ; qu’elle cumule le mal de la punition avec le
mal de la transgression : la peine fait mal exprès ; quand on guillotinait les assassins,
cela ne faisait pas une mort abolie par une autre mort, mais deux morts en tout ;
maintenant qu’on ne les guillotine plus, leurs victimes n’en ressuscitent pas davantage ».
En cela la peine doit-elle demeurer exceptionnelle et le droit pénal qui la fulmine doit-il
rester « l’ultima ratio de la réaction sociale » (E. Dreyer). Le législateur l’oublie, dans ce
domaine comme dans d’autres, trop souvent, banalisant de la sorte le droit pénal.
Dans cette optique, par exemple, l’emprisonnement étant moins perçu comme une «
peine parmi d’autres » que comme une peine moins bonne que d’autres, au moins du
point de vue de son aptitude à amender celui qui le subit, sa subsidiarité est réaffirmée
plus fortement qu’avant par le nouvel article 132-19 du code pénal, de même qu’est
posée la nécessité de son aménagement, sauf impossibilité matérielle et sauf à motiver
spécialement une peine d’emprisonnement sans sursis ou ne faisant pas l’objet d’un tel
aménagement « au regard des faits de l’espèce et de la personnalité de l’auteur ainsi que
de sa situation matérielle, familiale et sociale ».
Pour résumer, punir n’est pas une fin en soi. La société punit pour se protéger et pour se
recomposer.
Autour de l’idée pourtant simple en apparence de peine, s’est constitué un véritable droit
qui, en tant que tel, nécessite un ensemble de mécanismes que nous allons étudier, mais
au premier rang desquels se trouve l’infraction. L’infraction est, avec la peine, le second
pôle du droit pénal général, peut-être même le principal pôle.
Il a fini par paraître évident, en effet, que pour punir, encore fallait-il préalablement
interdire, c’est-à-dire ériger des comportements en infractions. Ces comportements,
parallèlement à la gravité de la peine, devaient eux-mêmes êtres assez graves pour
justifier une telle sanction. Au-delà, la gravité a même conduit à une distinction des
Cette gravité constitutive de l’infraction est exprimée par la peine encourue : les crimes
sont les infractions qui font encourir une peine criminelle, c’est-à-dire la réclusion
criminelle ou la détention criminelle pour une durée de dix ans au moins (art. 131-1), les
délits sont les infractions qui font encourir une peine délictuelle, c’est-à-dire un
emprisonnement de dix ans au plus (art. 131-3 et 131-4) et les contraventions sont les
infractions qui font encourir une peine contraventionnelle, c’est-à-dire une amende de
1500 euros au plus (art. 131-13).
À la fin, cette relation dialectique entre infraction et peine rend difficile de savoir si un
comportement est puni parce qu’il est défendu ou s’il est défendu parce qu’il est puni
(Lombois). C’est un peu des deux en vérité.
Quoi qu’il en soit, l’adéquation entre infraction et peine doit demeurer jusqu’à la
condamnation de celui qui a commis celle-là et va donc subir celle-ci. On dit ainsi du droit
pénal qu’il est rétributif, le mal de la peine étant la rétribution du mal de l’infraction. En
réalité, la peine prononcée (et, plus encore, la peine exécutée) doit être individualisée, ce
qui signifie que, « dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le
quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction
et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et
sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1 »
(art. 132-1). Ce qui signifie que la mesure de la peine n’est donc plus seulement le mal
commis ; c’est plus compliqué. D’autant que la peine n’est plus, aujourd’hui, la seule
réponse concevable à une infraction (mesures alternatives, sanctions administratives).
Beccaria, déjà, remettait en cause le fondement rétributif du droit pénal. Ne pouvant agir
sur le passé, effacer l’infraction, mieux vaut s’assurer que cette infraction ne sera pas de
nouveau commise (utilitarisme). Faire souffrir le coupable, ajouter un second mal à un
premier mal, n’est pas rationnel en soi ; ce n’est plus de la justice ; c’est encore de la
vengeance (l’idée sera reprise par Saleilles). Minimiser le mal, c’est précisément le but du
droit pénal. Il serait donc paradoxal de faire mal en son nom...
Quoi qu’il en soit, l’individualisation de la peine, sur laquelle on reviendra, n’est que
l’aboutissement de la subjectivation de la responsabilité pénale, née du constat que
l’infraction était, non seulement, un fait interdit par la société, mais, tout autant, un fait
humain. Il faut donc également s’intéresser, au sein ou en plus de l’étude de l’infraction,
à la responsabilité pénale, c’est-à-dire à l’imputation de l’infraction à celui qui l’a
personnellement commise (ainsi, on le verra, qu’à celui qui l’a tentée et à celui qui a aidé
l’auteur principal).
Les irresponsables, entendues comme tous ceux qui, ayant commis matériellement une
infraction, ne peuvent malgré tout se la voir imputer (trouble psychique, contrainte,
légitime défense etc.), ne sont néanmoins plus tout à fait en dehors du droit pénal depuis
la loi du 25 février 2008, qui a créé une procédure autorisant le prononcé de mesures à
l’encontre de l’irresponsable qui, pour certaines, ressemblent beaucoup à des peines
(ex. : interdiction d’exercer certaines activités professionnelles ou bénévoles).
L’incrimination, voyons-le maintenant, tant que cela soit comme processus ou comme
résultat, a pour origine exclusive la loi.
La contingence de l’interdit pénal ne signifie bien évidemment pas qu’on peut punir
n’importe comment. Le droit pénal n’est pas arbitraire. En raison de ses conséquences,
ce droit impose évidemment un maniement circonspect. En cela, il n’est pas seulement
moralisateur ; il est également moral, porteur d’une éthique, la sauvegarde et le
rétablissement de l’ordre public n’étant pas des fins qui justifient tous les moyens.
Cf. à cet égard l’image du jardin public, par le professeur Jean Larguier : « Si la pancarte
interdit de marcher dans les pelouses, il faut comprendre que le reste est permis, comme
sauter dans les allées ; si la pancarte autorise à marcher dans les allées, il faut renoncer
à l’espoir d’y seulement sautiller… »
Il est vrai que le terrorisme est en train de remettre la prévention à la mode, ce qui est
compréhensible, mais dangereux pour nos libertés. Dans la même idée, le concept de
dangerosité a, malgré son indétermination, pu être remis au goût du jour, notamment
lors de l’adoption de la rétention de sûreté par la loi du 25 février 2008, qui permet, en
théorie, de priver une personne de sa liberté jusqu’à la fin de ses jours.
Revenons à la liberté (Sur mes cahiers d’écolier, Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige, J’écris ton nom. Sur toutes les pages lues, Sur toutes les pages
blanches, Pierre sang papier ou cendre, J’écris ton nom…).
En vertu de ce principe, le système pénal est déterminé par la loi, c’est-à-dire, fût-ce
médiatement, par la volonté générale. Dans l’esprit de ses pères, la légalité constituait
en effet le ferment de l’égalité, de la sécurité et de la liberté ; « la forme (comprenons :
la loi) est la sœur jumelle de la liberté » affirmait lumineusement Ihering.
Cela est sans doute un peu moins vrai aujourd’hui, où la loi a failli et les juges ont pris
leur revanche. Mais le principe de légalité, quant à lui, s’est maintenu, à la suite de son
appréhension par des juridictions fondamentales (Cour européenne des droits de
l’homme, Cour de Justice de l’Union européenne et Conseil constitutionnel) et au prix, on
le verra, de quelques aménagements.
La légalité s’inscrit dans un principe plus large : le droit à la sûreté, posé par l’article 2 de
la Déclaration de 1789 comme un droit naturel et imprescriptible de l’homme.
Paradoxalement, car elle a précédé l’une des plus grandes périodes d’insécurité de notre
histoire, c’est la Déclaration du 24 juin 1793 qui a le mieux défini la sûreté, comme « la
protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa
personne, de ses droits et de ses propriétés » (art. 8).
Sur ce fondement, elle pose dans les articles suivants le principe de légalité, l’interdiction
des arrestations et détentions arbitraires, la présomption d’innocence et les principes de
nécessité et de proportionnalité des peines.
La sécurité, très à la mode actuellement, et posé par l’article L. 111-1 comme « un droit
fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et
collectives », met à mal la sûreté.
***
- tout d’abord, afin de préserver une valeur sociale donnée (ex. : propriété), le
législateur incrimine un comportement susceptible de la heurter en l’assortissant d’une
peine (ex. : la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui, autrement dit le vol, est
punie de trois ans d’emprisonnement) ;
- puis, à la suite d’une enquête qu’il dirige, le ministère public, représentant de la société
et de ses valeurs, requiert l’application de la loi pénale à l’encontre de l’auteur du
comportement sanctionné (ex. : le voleur), en saisissant un juge apte à imputer
officiellement l’infraction à son auteur (ex : le tribunal correctionnel), puis à prononcer la
peine encourue (ex. : trois ans d’emprisonnement au plus), ou en recourant à une autre
forme de réponse pénale ;